VIOLLET-LE-DUC, Eugen-Emmanuel. Histoire D'un Dessinateur
VIOLLET-LE-DUC, Eugen-Emmanuel. Histoire D'un Dessinateur
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VIOLLET-LE-DUC
COLLECTION
HETZEL
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HISTOIRE
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TEXTE ET DESSINS '>v
PAR
VIOLLET-LE-DUC
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BIBLIOTHEQUE
D'DUCATION ET DE RCRATION
J. HETZEL & C", iS, RUE JACOB
PARIS
Tous droits de reprodiiciion et de tradtietioi rcsert^s.
HISTOIRE
D UN
DESSINATEUR
COMMENT ON APPREND A DESSINER
CHAPITRE I
DEUX FRERES DE LAIT ET UN CHAT.
Petit Andr est un enfant de la ville, il a eu pour frre de
lait petit Jean qui habite les champs.
Il se trouve que tous deux s'amusent volontiers crayon-
ner sur les murs avec un morceau de charbon.
Tous deux approchent de leur onzime anne.
Est-ce au lait de leur mre nourricire commune qu'ils
doivent cette tendance salir les murailles, ou une cause
fortuite ? Je n'essayerai pas de rsoudre la question
;
ce que je
constate, c'est qu'ils ont chacun cette manie.
Le pre du petit Andr est un professeur distingu qui a
eu l'honneur de voir quelques-uns de ses travaux couronns
par l'Acadmie. Le pre du petit Jean est jardinier de son
HISTOIRE D UN DESSINATEUR.
tat, treillagcur et mme un peu charpentier Toccasion,
et cependant, tous ces tats runis lui permettent peine
de nourrir sa famille
,
qui se compose, il est vrai, de six en-
fants : quatre garons et deux filles , sans compter sa mre et
sa femme.
Le pre du petit Andr s'appelle Mellinot. Petit Andr
est fils unique, et, en sus de ses appointements comme pro-
fesseur, M. Mellinot possde une certaine fortune patrimo-
niale et donne des rptitions qui lui sont fort bien payes,,
de sorte que M. Mellinot est dans Taisance
,
qu'il reoit ses
amis dner une fois par semaine et mne une existence:
qu'aucun souci ne vient troubler. Il est aim, considr,,
d'humeur douce, homme d'ordre et amplement pourvu
d'excellents principes sur toute matire.
M'"'" Mellinot est la digne compagne de ce digne homme
et ne suppose pas qu'il puisse exister au monde une
intelligence
suprieure celle de son poux-, aussi, n'est-il
pas un jour o elle ne jette un regard d'attendrissement
ml d'une certaine fiert sur le cadre dor qui entoure les
quatre ou cinq mdailles et la palme acadmique dcernes
M. Mellinot, auquel il ne manque plus que la croix de
chevalier de la Lgion d'honneur pour tre au comble de:
ses vux et pour que M"'" Mellinot se considre comme:
la plus heureuse des femmes.
Quant au pre du petit Jean, comme jardinier, il rpond
au nom de papa Ricin, comme treillageur et charpentier,
celui de
Pas-commode
-, mais son vrai nom est Loupeau
,
natif de
Boissy-Saint-Lger.
Or, Loupeau est un rude travailleur, mais d'humeur
assez difficile et qu'il est prudent de ne pas contrarier.
Il n'y a pas grand'chose dire de sa femme ,
Euphrasie
Loupeau , si ce n'est qu'elle est mre de six enfants ,
venus
peu prs quinze ou dix-huit mois d'intervalle et nourrice
de trois ou quatre
nourrissons bien portants.
DEUX FRliRES DE LAIT ET UN CHAT.
3
Pendant la belle saison, M. et M'"" Mcllinot et petit
Andr s'en vont parfois passer la journe du dimanche dans
les bois de la Grange, en s'arrctant chez la mre Euphrasic
Loupeau, laquelle on laisse quelques nippes pour ses en-
fants, un pt ou un morceau de viande rtie et une bonne
bouteille de vin en change d'un goter de galette et de lai-
tage -, puis les Mellinot s'en vont dner au joli village d'Ycres,
d'o l'omnibus les ramne Villeneuve-Saint-Georges pour
prendre le chemin de fer et rentrer chez eux vers onze
heures du soir.
Petit Andr et petit Jean, soit sympathie naturelle,
similitude de got, ou parce qu'ils ont suc le mme lait, sont
trs bons amis, et souvent petit Jean est emmen par les Mcl-
linot dans les bois de la Grange avec sa sur ane, jusqu'
la brune, o le frre et la sur s'en retournent Boissy-
Saint-Lger.
Dans la tte des enfants, il passe bien des ides dont les
parents ne se soucient gure, et ils ont grandement tort.
Donc, les deux frres de lait, dans ces promenades sous
bois, ne s'entretiennent d'autre chose, sinon de dessin, de
bonshommes, de chevaux, de voitures, de maisons.
Naturellement, Andr ne manque pas d'apporter les
images qu'il a faites pendant la semaine , copies trs naves
de mchantes gravures, de soldats, de palais fantastiques,
et Jean, merveill, demande du papier et un bout de crayon
pour en faire autant
;
ce qu'Andr lui octroy de bon cur.
A son tour, le dimanche suivant, Jean montre ses essais;
mais le petit n'a pas de modles, et, dans quelque coin de la
maison , en cachette de papa Ricin qui n'admettrait pas que
son hritier salt une feuille de papier sur laquelle on peut
faire un mmoire de travaux, il cra3'onne quelque chose que
veut bien corriger Andr , car Andr tient de son pre
,
pro-
bablement, le got du professorat; puis il vit au centre des
arts et est parfois conduit aux expositions, le jeudi.
HISTOIRE D UN DESSINATEUR.
Si Ton s'assied sur Therbe, M. Mellinot daigne entre temps
jeter un coup d'il sur les uvres d'Andr et de Jean-, mais,
quoique M. Mellinot ne soit rien moins qu'artiste, il con-
state avec une satisfaction bien naturelle que le talent pr-
coce de son fils est videmment suprieur celui de son
frre de lait.
Un de ces dimanches cependant, un ami du professeur
s'tait joint aux promeneurs. Nous devons avant tout faire
connatre ce nouveau personnage en peu de mots.
M. Majorin est un homme grand, sec, la barbe grison-
nante
,
vtu toujours de la mme faon
;
savoir: d'un ample
paletot noir qui semble suspendu un portemanteau, d'un
pantalon troit et de gutres de couleur claire. En hiver, son
chef est coiff d'un chapeau melon larges bords et, en t,
d'un feutre mou, gris. Son linge est toujours immacul, et
sous son col rabattu, est noue une cravate de foulard blanc.
M. Majorin a l'apparence d'un homme distrait et ne prend
part la conversation qu'autant qu'elle sort des banalits.
D'ailleurs, s'il parle, il a la dplorable habitude d'expri-
mer librement sa pense sans mnagements, sans se proc-
cuper de savoir s'il froisse la susceptibilit de ses auditeurs.
Aussi le craint-on un peu, et si M, Mellinot le considre
comme un ami prcieux parce que, dans sa carrire de pro-
fesseur, ses avis lui ont t fort utiles. M"'" Mellinot le
redoute comme un de ces originaux gnants qui, sans crier
gare, jettent un caillou dans une mare et vous clabous-
sent.
Donc, ce dimanche, en prenant le frais sous un beau
chne, M. Mellinot, assis sur la fougre, coutait M"'^ Mel-
linot qui lui faisait part de difficults survenues entre sa
cuisinire et elle le matin , avant le dpart. M. Majorin
,
tendu tout de son long, regardait le ciel bleu travers la
feuille dore par le soleil , ce qui est toujours un spectacle
nouveau,
tandis que la sur de Jean cherchait des frai
DEUX FRERES DE LAIT ET UN CHAT.
SCS et que les deux frres de lait parlaient avec vivacit
quelques pas.
a
Ce n'est pas comme ca que a se fait, disait Andr.
Vas-tu rcole?
Pas beaucoup.
Oui, m'sieu.
Oh non, m'sieu,
y
n'aurait pas voulu.
J'ai regard:
y
venait devers moi tout doucement,
comme pour me demander manger, parce que j'tais
en train de goter
;
et il avait l'air si drle , si drle, comme
une personne naturelle. J'ai bien regard sans rire, parce
que les chats, a n'aime pas qu'on rie d'eux. J'ai bien
regard et
y
m'regardait aussi, lui; alors, j'ai pris un
papier dans ma poche et le crayon que m'a donn Andr.
Mais quand le chat a vu a,
y
s'en est all. Alors, je me
suis bien rappel comme il avait l'air drle et j'ai dessin
sur le papier.
Dame
,
ni'sicu
,
j'ai pas fait attention, j'ai pas vu les
autres.
Ah! oui.
Dame... "Il
y
a aussi des carottes et des choux...
Ah ! et avec quoi ?
Et du sel.
Oui, et du sel.
Je n'sais pas.
Oui, un cercle.
Il est carr.
Je le vois bien.
Si.... il
y
en a cinq.... celle du milieu est plus longue.
Et les autres?
Oh non !...
Tu le sauras, j'espre, plus tard... sans t'en douter.
Tu reconnais donc que les feuilles se mlent un peu de
gomtrie. Voici un autre exemple, continua M. Majorin,
en ouvrant un album dans lequel taient colles des
feuilles de vgtaux. Cette feuille de vigne (fig.
7)
s'inscrit
dans un pentagone rgulier.
Je ne sais pas.
Tu as observ cela?
comme
la iiise n'est qu'un point ,
pouvait laisser la trace lumi-
neuse de sa course dans l'espace, tu verrais non une ligne
brillante, mais un ruban lumineux plus ou moins large
suivant la position du crayon, ruban qui serait le plan
dtermin par cette ligne.
Mais si , tenant ce crayon par le bout , horizontalement
par exemple, je lui fais suivre une certaine course, en ayant
soin de le tenir toujours la mme distance de la table, je
dtermine un plan droit, parallle cette table. Si, toujours
en tenant ce cra3'on son extrmit, mais vertical cette fois,
je pose le bout sur la table et que je suive, avec ce bout, une
ligne
droite, je dtermine un autre plan droit perpendicu-
laire la table. Eh bien, petit Jean, la gomtrie descrip-
tive, la science de la Perspective sont renfermes dans la
AUTRES DKCOUVERTES DE PETIT JEAN. 55
comprhension complte, absolue de ces pians que l'on
trace volont dans Tespace, qui n^existent pas, mais que
voient les yeux de rintelligence. Aussi n'ai-je pas Tespoir
que, ds ce soir, tu vas savoir ce que c'est qu'un plan et con-
natre Tusage qu'on en peut faire, mais cela viendra. En
attendant, dans ta pense, tche d'admettre et de voir ces
plans fictifs, ce qui n'est pas bien difficile, puisque, si tu
jettes un bton pour attraper un tronc d'arbre, tu sais par-
faitement que ton bton va tracer un plan dans l'espace
d'un point dtermin, qui est ta main, un corps distant de
ce point, qui est le tronc d'arbre-, tu sais encore, si tu veux
prendre l'arbre en travers, que tu devras lancer ton bton
horizontalement.
Et, faisant suivre, selon son habitude, la dmonstration
orale par l'exemple, M. Majorin fit sur le tableau noir le cro-
quis (fig.
28).
Voici , continua-t-il , le trajet que fait ton bton ainsi
lanc, et le plan plus ou moins parallle au terrain qu'il
trace dans l'espace est limit sur ses bords par la longueur
du bton et par la position qu'il occupe successivement
en tournant sur lui-mme, ainsi que l'y contraint le mou-
vement que ta main lui a imprim.
Mais ceci rentre dans la mcanique et nous n'en sommes
pas encore l.
Rien ne plaisait plus petit Jean que de voir M. Majorin
prendre le morceau de craie pour dessiner sur le tableau
noir ou un bout de crayon pour accompagner ses explica-
tions de croquis. Il aurait bien voulu en faire autant tout de
suite.
En attendant, M. Majorin tenait absolument ce que
petit Jean copit ces linaments tant bien que mal, sur un
cahier, et il lui dictait la lgende qui devait accompagner
chaque diagramme, en mettant la date au bas de la feuille
afin d'habituer son esprit travailler avec ordre. Petit Jean
56 HISTOIRE D UN DESSINATEUR.
eut, dans les premiers temps, quelque peine tenir son cahier
proprement et placer les dessins la suite les uns des autres.
Fig. 28.
Comment un Jilon, lanc dans Tespace, dtermine un pl;in.
Si, comme cela arriva trois ou quatre fois, petit Jean sautait
une feuille ou dessinait sur le verso , ou prenait son cahier
AUTRES DI'COUVERTnS DE PETIT JEAN.
57
rebours, M. Majorin ne se fchait pas; mais il prsentait
un nouveau cahier de papier blanc petit Jean, en lui
disant : Il faut recommencer, mon ami
j
et petit Jean
tait oblig de refaire, en suivant un ordre rigoureux, tous
les croquis dj tracs. M. Majorin trouvait cela le double
avantage de donner son lve des habitudes d^ordre dans
la faon de travailler et d'exercer sa main
,
tout en faisant
repasser dans son esprit les leons prcdentes.
CHAPITRE VI
d une conversation memorable
entre mm. mellinot et majorin et de ce qui
s'ensuivit.
Il
y
avait trois mois que petit Jean tait chez M. Majorin.
Celui-ci reut avis d'une visite de la famille Mellinot rHa3\
Les deux frres de lait, depuis la rsolution de M. Majorin,
Tie s'taient vus que deux fois, lors des visites des Mellinot
Boissy-Saint-Lger.
Aussi, de part et d'autre, on se faisait fte de passer un
dimanche runis la campagne. Dame Orphise
profita de
l'occasion pour enfreindre les habitudes frugales du chef
d'usine et prpara un djeuner digne des htes qu'on at-
tendait, suivi d'un dner conforme aux excellentes
traditions
pour lesquelles M. Majorin professait un ddain dplorable.
Andr arrivait muni d'estampes et de dessins de sa faon,
sachant que, dcidment, petit Jean tait lanc
,
comme
disait M. Mellinot,
dans le domaine de l'Art. Petit Jean
n'tait pas moins dsireux de montrer ses cahiers
son frre
de lait.
6o HISTOIRE d'un DESSINATEUR.
Quant des estampes ou modles graphiques, il n'en
possdait pas plus que le jour o le pre Loupeau Pavait
conduit THay, en carriole; aussi, le djeuner termin,
quand Andr , aprs avoir tal devant petit Jean une ving-
taine d'images et de copies, lui demanda d'exhiber ses mo-
dles et ses dessins, petit Jean rougit un peu, dit en balbu-
tiant que ses modles taient partout et nulle part, et montra
ses cahiers passablement garnis dj, de tracs gomtriques,
de lgendes et de linaments de toute sorte, auxquels Andr
ne comprit absolument rien. Mais le premier embarras caus
par cette divergence dans la faon de comprendre rtiide
de VAy^t ne dura gure -, les deux enfants s'en allrent visi-
ter le Jardin, et ce fut le tour d'Andr d'tre un peu confus
son tour en entendant petit Jean lui nommer les plantes et
lui expliquer quelques-unes de leurs proprits.
Pendant ce temps, M'"" Mellinot s'tait obligeamment
mise la disposition de dame Orphise pour dbattre quel-
ques graves questions culinaires touchant le repas du soir,
et M. Mellinot tait assis avec son ami dans une alle
ombreuse , en attendant que le dclin de la grande chaleur
permt une promenade du ct de Sceaux.
Ainsi donc, dit M. Mellinot, vous croyez que petit Jean
possde rellement les qualits d'un artiste ?
Mon cher ami, je ne dis pas cela; je dis que mes pr-
visions ne m'ont pas tromp et que cet enfant est naturelle-
ment observateur, voit naturellement juste, et qu'en me
bornant ne point contrarier ces dispositions, en les dve-
loppant au contraire, je puis mettre entre ses mains un tat,
lui ouvrir une carrire indpendante , ne serait-ce que celle
d'un exellent ouvrier. Je ne me mle pas d'en faire un
artiste, il le sera si ses gots l'y poussent; je me contente
de lui fournir les moyens d'tre un homme utile.
Jean n'a pas faire les mmes tudes que toi; pour
entrer dans un atelier ou travailler aux champs, il en saura
assez de ce qu'il apprend Tcole et de ce que lui enseigne
M. Majorin.
Certainement.
Qu'a-t-il rpondu ?
T^"
iFig. 54.
Perspective. (Sixime exemple.)
entre toi et cet objet (fig.
34).
Il s'agit donc d'un carr abcd^
la ligne de terre ou la ligne de renconire du tableau avec le
sol est enT, Thorizon en H, le point de vue en O. N'oublie
pas que ce point O est la projection de ton il sur Tho-
UN PEU DE PERSPECTIVE ET DE GOMTRIE. 8l
rizon, la rencontre avec le tableau ou vitre de la li^ne
perpendiculaire abaisse de ton il sur ce tableau. La dis-
tance de ton il ce point O est rabattue en D sui Phorizon.
ce Pour mettre en perspective les deux lignes ac^ b J,
lesquelles sont perpendiculaires la ligne de terre, il suffit,
par suite de ce que je viens de te dmontrer prcdemment,
de tirer du point .a et du point b deux lignes au point de
vue-, nous avons ainsi les deux cts a c, b d du. carr en
perspective; mais il s'agit de savoir o le ct cd devra
couper les deux lignes ^O, ^O. La position de cette
4ignc cd^ en perspective, dpendra de la distance laquelle
nous sommes du tableau ou de la vitre , car il est vident
que plus nous approcherons de cette vitre, plus le carr
nous semblera avoir de profondeur*, que plus nous nous
loignerons de cette vitre, plus il nous semblera mince.
Donc, la distance de ton il au point visuel O tant rabattue
en D, l'opration, prcdemment faite devant toi, fa
dmontr que la distance d'un point au tableau tait mar-
que sur ce tableau ou vitre par la rencontre d'une ligne
tire de ton il ce point. Donc, la distance ab, ct d'un
carr, tant gale la distance ac, si du point b nous tirons
une ligne au point D, rabattement de l'il sur l'horizon, la
rencontre de cette ligne b D avec la ligne a O donnera le
point c' en perspective, et, par consquent, la ligne cd en
perspective. Si tu te rapproches du tableau, et que la dis-
tance de ton il ce tableau ne soit plus que la lon-
gueur D'O, faisant le mme trac que ci-dessus, c'est-
-dire tirant la ligne ^ D', tu vois que ton carr en
perspective prend, en apparence, plus de profondeur.
Mais il faut le familiariser avec ces oprations de
pntrations de lignes travers des plans, de coupements
^e plans dans tous les sens, il faut que tu comprennes
absolument les problmes lmentaires que je t'explique;
'tout est l. Et CCS lments compris, le reste va de soi.
11
82 HISTOIRE D UN DESSINATEUR.
La ligne de terre , ou mieux la trace du tableau sur le
sol tant la ligne T, la distance o tu seras de cette trace
sera gale, comme il a t dit, OD et, par consquent,
O'D", le point D" tant la projection horizontale de ton
il sur le sol. Si donc tu tires une ligne de ce point D" au
point c, angle du carr, cette ligne sera la projection hori-
zontale du rayon visuel partant de ton oeil et aboutissant au
point c, et elle traversera le plan vertical de la vitre en c".
et
tu reconnatras tout l'heure que c'est l un prjug des
plus ridicules,
comme on dit
vulgairement
la sant et l'activit.
C'est
galement le sang qui se charge de faire grandir
DEUXIH.MI^ LEON d'aNATO.MIE
COMPARKE
I 2C
tes os et tes muscles; aussi faut-il lui donner tout ce
qu'il
demande pour remplir son office, savoir : air,
nourriture
travail et sommeil.
Mais admire comme ces os de la jambe (fig.
57)
sont
bien faits pour porter. Le
fmur s'embote dans une cavit
de Vos des iles
,
qui lui permet le mouvement de balancier
d'arrire Tax^ant
, ncessaire la marche. Le
fmur est
courb pour reporter la charge du corps sur le
genou
;
l
,
le tibia possde une tte large, renforce,
munie de deux
cavits qui reoivent les deux parties arrondies du
fmur
^
afin d'assurer la raideur de la
Jambe dans le sens latral.
Nos bielles de machines ne sont pas faites
autrement. Le
petit os appel la rotule donne un levier aux muscles
et
empche en mme temps le genou de se plier de Tavant
l'arrire. Puis le tibia est droit, pos de champ^ c'est--
dire de faon prsenter sa rsistance dans le sens du
mouvement de la marche; il est renforc par le pron^
sorte d'tai qui empche la flexion dans le sens latral. La
base du tibia
^
large aussi, porte sur un os intermdiaire
,
l'astragale
,
qui permet le mouvement du pied, et cet os
intermdiaire porte lui-mme sur un os robuste,
le talon
ou calcanum^ qui sert de levier et de cale... Les os du m-
tatarse sont courbs comme une voijte, afin que la jambe,
portant sur le talon, trouve distance,
antrieurement,
un
appui, un tai. Aussi l'homme, de tous les animaux,
est-il
le seul qui marche debout, pos verticalement,
tandis
que
les singes, qui se tiennent sur leurs membres infrieurs, ont
plus ou moins la position que te donne la figure
55,
courbs en avant et prts au besoin se servir de leurs
longs bras pour ne point tomber sur le nez.
Il ne faut pas tre plus fiers pour cela, cependant : car
cette merveilleuse machine humaine fait de lourdes sottises,
quand la tte charge de la gouverner n'est pas bien qui-
libre ou n'a pas su perfectionner son cerveau par une
17
I DO
HISTOIRE D UX DESSINATEUR.
bonne
instruction et une apprciation juste des choses de ce-
monde.
Si tes
jambes sont bien faites pour marcher, les bras
de
rhommene
sont pas moins bien combins pour prendre.
Les jambes ne se meuvent gure que dans un sens, d'avant
l'arrire, et le pied ne peut gure dcrire sur le sol qu'un
angle droit, moins de tourner Vos des les; il n'en est pas
de mme du bras, il se meut en tous sens, et la main peut
faire sur elle-mme un tour presque entier. C'est grce la
disposition de la clavicule et de Vomoplate que Vhumrus
se meut en tous sens , et la disposition du radius et du
cubitus que la main peut faire ce tour sur elle-mme. En
effet, ces deux os, le radius et le cubitus^ passent lun de-
Os du bras de l'homme.
vant'
l'autre en pivotant dans les alvoles de Vhumrus^.
quand tu veux tourner la main , ainsi que te le montre la
figure
58.
En A, la main gauche vue du ct ant-
DEUXIKME LEON d'aN ATO M I
!
COMPARE.
l3l
rieur,
c'est--dire en dedans; et en B, du ct postrieur,
c'est--dire du ct du dos; Vhumrus C n'ayant pas d'ail-
leurs chang de position.
Cette facult et Topposition du pouce aux quatre autres
doigts
constituent la main huniaine.
Quand tu auras tudi et conipris ces lments anato-
miques, tu examineras avec bien plus d'intrt et de con-
naissance les machines de l'usine : car l'homme , dans l'art
de la mcanique , ne fait gure autre chose que d'appliquer
ces lments.
a Seulement, n'ayant ni les ligaments souples et solides qui
attachent les articulations des os, ni les tendons et muscles
contractiles, il remplace ces belles inventions par des bou-
lons, des tourillons, des excentriques; mais, au total, les
organes de ses meilleures machines sont faits en conformit
des principes qui permettent sa propre machine de se
mouvoir.
En voici un exemple sensible (fig.
59)
: En A, tu vois l'ex-
trmit infrieure du fmur^ ce qu'on appelle les cond/les^
avec l'chancrure qui les spare et dans laquelle vient s'em-
boter l'pine du tibia a et les surfaces articulaires concaves b
Les ligaments qui runissent ces deux extrmits des os de la
cuisse et de la jambe et qui s'attachent aux parties rugueuses
latrales et perces de petits trous permettent aux con-
djdes^ faits en manire de demi-sphres, de tourner dans les
deux cavits b. Que fait le mcanicien pour obtenir un r-
sultat analogue? la jointure de deux pices tte de compas^
c'est--dire pouvant tourner dans un sens, mais tant arrte
dans l'autre.
Il faonne les deux pices B et C et les runit par un
boulon central
;
la tte a\ qui remplace l'pine du tibia^ vient
s'emboter dans la rainure d; les joues e tournent sur les
repos
y,
et les tiges C3'lindriques sont renforces aux join-
tures tout comme les >.
l32 HISTOIRE D UN DESSINATEUR.
/
Fig. 59.
Application des jointures des os la mcanique.
Il
y
a, entre la machine animale et celles que nous fa-
briquons, un cart immense toutefois. Nous, nous pouvons
plus ou moins bien faonner les pices, les organes de nos
machines Tinstar des os, des tendons, des muscles
;
mais
toutes ces pices, il faut communiquer le mouvement par
une force indpendante d'elles : un courant d'eau, d'air, la
vapeur, un cheval; ce qu'on appelle une force motrice. La
machine animale n'a pas besoin d'tre sollicite par une
force qui lui soit indpendante, elle porte son moteur dans
chacun de ses organes. Il serait fort commode de dcouvrir
une matire ou une combinaison d'lments qui possde-
DEUXlliME LEON DANATOMIl-: COMPARliiL;. l33
raient la facult qu'ont les tendons et les muscles de se dis-
tendre ou de se contracter. Cela nous viterait bien des
pices de machines fort compliques-, mais nous n'en som-
mes pas l, et il faut nous contenter jusqu' prsent d'tu-
dier le mcanisme animal pour lui emprunter tout ce que
nous pouvons lui prendre, c'est--dire les formes appro-
pries l'objet.
Je vais te montrer, par exemple, comment on peut
appliquer certaines formes animales un mcanisme. Voici
(fig. Go) la janibe de derrire d'un cerf ou d'un renne, ou
Fig. 60.
.Application du jeu des muscles et tendons
la mcanique.
d'un lan, ou d'un grand cerf antdiluvien
;
la disposition des
os tant peu prs semblable chez ces animaux coureurs et
dont les membres infrieurs sont dous d'une lasticit telle
qu'elle leur permet de franchir des obstacles
considrables.
Le fmur a est court, trs fort- le tibia h est de mme,
trs puissant la tte, et son champ est large. Mais voici le
r34 HISTOIRE d'un dessinateur.
calcanum c, le talon, qui chez nous dpasse peine la join-
ture du tibia et du pron^ et qui prend ici une saillie consid-
rable. Puis, viennent les os, Vastragale^ le cubo'ide^ etc., d;
puis les os du mtatarse e trs longs, tandis qu'ils sont si
courts dans le pied humain , puis, enfin \q.s phalanges
f^
dont
deux seulement servent la marche.
Pourquoi ce calcanum est-il si saillant? C'est pour
donner un levier aux tendons et muscles chargs de faire
mouvoir le membre.
Suppose que nous voulions faire une pice de machine
par des procds analogues, doue d'une facult d'exten-
sion puissante et rapide : nous aurions en A une tige munie
d'une poulie P sa tte^ une seconde tige B avec jointure G
et appendice saillant D, portant aussi une poulie son extr-
mit p'. En attachant un fil en F un point fixe, faisant
passer ce fil dans les gorges des deux pouliesji?' et P et tirant
vivement sur ce fil, en T, nous provoquerions un mouve-
ment brusque d'extension des deux tiges, lesquelles vien-
draient se poser sur une ligne droite P/", car, tirant sur le
fil son extrmit T, nous avons raccourci la ligne brise
^
p'.
Le pointy serait-il pos en/', ce que l'animal peut
obtenir sans difficult, nous aurions fait dcrire ce point^
brusquement, en tirant sur le fil, le quart du cercle/' yet
produit ainsi un mouvement trs rapide du point P en avant,
en supposant ce point
y
appuy sur le sol. Pour nous,
il nous faut tirer sur un fil en T, pour faire marcher notre
membre mcanique. Ce sont les tendons de l'animal lui-
mme qui, se raccourcissant ou s'tendant volont, pro-
duisent l'effet obtenu par notre fil et lui permettent non
seulement d'obtenir le mouvement que nous faisons faire
notre pice de mcanique , mais de remettre le membre
dans sa premire position, ce que nous ne saurions faire
qu' l'aide d'un autre procd que celui indiqu dans notre
figure. Tu vois que , si le calcanum nous est utile pour la
DEUXIME LEON D ANATOMIE
COMPARE.
l35
marche et nous permet de courir, de danser, de sauter la
corde, bien autrement dvelopp
chez le cerf, il laide
franchir les fosss et tous les
obstacles accumuls dans les
forts.
Si jamais tu deviens constructeur de machines, rap-
pelle-toi que, pour fabriquer les organes de ces machines, il
n'est point inutile de possder des connaissances anatomi-
ques et de savoir comment les os sont faits, pourquoi ils se
sont renforcs sur tel point, pourquoi ils ont adopt telle
courbure.
Il
y
aurait tout un trait de mcanique faire, rien que
sur la courbure qu'aflectent les os. jNIais, s'il faut tudier au
moins les lments de Tanatomie compare, il faut dessiner
beaucoup pour graver dans Tesprit ces formes si bien appro-
pries Tobjet, au service rclam par Tanimal.
Mais nous nous sommes occups
Jusqu' prsent des
muscles des animaux et de l'homme, non de la tte de cet
homme, laquelle mrite cependant notre examen.
M. Majorin alla donc prendre dans une armoire une tte
humaine dissque qu'il posa sur la table, et il se mit en
dcrire les diverses parties petit Jean. Au premier moment,
l'apparition de ce crne humain, jauni, lui causa une impres-
sion peu agrable
\
mais bientt les explications de M. Mar-
jorin l'intressrent assez pour qu'il ne songet plus qu'
couter.
Cette bote osseuse, dit M. Majorin, n'est point d'un
seul morceau, mais compose au moins de sept pices prin-
cipales, sans compter les pices accessoires et la mchoire
infrieure, et tu remarqueras comme ces pices sont assem-
bles les unes avec les autres par des sutures trs fininement
embotes.
Voici les noms des pices principales : l'os du front
s'appelle coronal; les deux latraux, temporaux
;
les os
des pommettes-, Vos maxillaire suprieur
^
le maxillaire
i36
HISTOIRE d''un dessinateur.
iiifrietir
; les os propres du nez; Vocciput; Vos paintal.
Avant de te dire quelques mots touchant la partie prin-
cipale de la tte, le crne, qui renferme le cerveau, occu-
pons-nous d'abord d'une chose importante, de la mchoire
qui permet de mcher et d'envoyer Testom.ac les aliments
com'enablement broys. Tu sais que ton maxillaire sup-
rieur et ton maxillaire infrieur sont garnis de dents qui
sont en haut comme en bas: les incisives^ au nombre de
huit; les canines qui viennent ensuite, au nombre de quatre;
les petites
molaires , au nombre de huit, et les grosses
molaires^ au nombre de douze; total, trente-deux. Il t'en
manque
encore quatre, qui sont les dernires grosses mo-
laires et qu'on appelle les dents de sagesse, parce qu'elles
ne
poussent gure qu'entre dix-huit et vingt-cinq ans, mais
qui ne prouvent pas toujours cependant, quand on les pos-
sde, qu'on soit trs sage.... Les quatre canines sont une
dernire tradition de ces crocs terribles que possdent les
carnassiers, les loups, les hynes, les tigres, les chiens, les
chats, etc. Avec les huit dents de devant et les canines, on
saisit la proie, on la coupe, on la dchire; puis, quand elle
est ainsi prpare, on l'envoie aux molaires pour la broyer
et la mettre en pte, afin qu'on la puisse avaler facilement
et
qu'tant mlange avec la salive, elle soit digre. Tu as
lu VHistoire d'une bouche de pain^ de M. Mac
;
je n'ai
donc pas besoin de te dire comment ces choses se passent.
C'est peine si, chez l'homme civilis, les canines se
distinguent des incisi'/es; elles sont seulement un peu plus
aigus et plus fortes; mais chez les peuplades sauvages et
'surtout chez celles qui mangent volontiers de la viande crue
et mme leurs semblables, ces canines sont plus appa-
rentes.
Chez le
chimpanz, par exemple (fig.
55).,
ces
canines
sont
passablement dveloppes; de mme aussi,
la mchoire
prsente moins de saillie , moins de force chez
les races civilises que chez les races demeures Ttat
DEixifMr: LioN d'axato.mie compare. iSy
sauvage; mais, par compensation, le crne, la bote qui
contient la cervelle, est plus dvelopp chez nous que chez
CCS sauvages.
La mchoire infrieure des carnassiers, surtout celle
de rhomme, prsente une particularit curieuse.
Tu vois comme les tourillons sur lesquels roule Vos
maxillaire infrieur, qu'on appelle les condjles^ permettent
la mchoire de s'ouvrir et de se fermer
;
ct, Tarticu-
lation jugo-temporale
,
place au-dessous de la cavit de
Vos temporal
,
est attache par un muscle puissant log
dans cette cavit, appele /b^^c temporale. C'est Taide de
ce muscle que la mchoire peut effectuer ce mouvement
prolong qui produit la trituration des aliments
;
mais les
condyles., les tourillons de la mchoire sont assez gais dans
leurs alvoles pour que Fos maxillaire infrieur puisse effec-
tuer un mouvement trs prononc gauche et droite,
lequel permet aux molaires de broyer les aliments.
Ce mouvement s'effectue chez tous les carnassiers, mais
plus compltement chez l'homme*, tandis qu'au contraire
chez les reptiles, par exemple, qui n'ont que des dents
coniques et point de molaires, Vos maxillair^e infrieur ne
peut que produire un mouvement de charnire. Ces ani-
maux ne sauraient bro3'er leurs aliments
;
ils les happent,
les compriment, les piquent avec leurs dents et sont obligs
de les avaler aprs cette mastication imparfaite.
La mchoire humaine est donc trs perfectionne. Son
crne ne l'est pas moins. Il prsente, relativement sa
taille, un volume notablement plus considrable que celui
des autres carnassiers, et Vos coronal^ au lieu de fuir et
d'tre dprim partir de l'arcade sourcilire, comme chez
ces carnassiers et mme chez les singes, s'lve presque ver-
ticalement. Aussi peut-on reconnatre, jusqu' un certain
point, les aptitudes intellectuelles d'un homme l'lvation
de cet os coronal.
18
i38
HISTOIRE d''un dessinateur.
a L''homme, dans le classement scientifique, n'est qu'un
mammifre-,
mais ses facults intellectuelles, dues sa
conformation,
au volume de son cerveau, le mettent bien
au-dessus de tous les animaux terrestres.
Comment cela ?
Je ne sais pas.
De 0^,20.
Oui.
A la cote i"',5o.
144
HISTOIRE D UN DESSINATEUR.
o',3o sont 2 mtres comme i',3o sont 8,
56, Je
nglige les fractions. Donc, la rivire a 8'",5o et quelques
centimtres de largeur, et tu peux tablir ton pont en toute
assurance.
Viens faire l'opration tout seul sur un autre
point.
Petit Jean
recommena, en effet, sans les avis du matre
et s'en tira son honneur-, ce dont il fut trs fier.
Aprscette
premire exprience, les deux amis s'en allaient
vers Frne, quand M. Majorin avisa un poteau indicateur au
croisement de trois voies.
Eh! petit? sais-tu, dit-il, quelle est la hauteur de ce
poteau?
Petit Jean se mit tenter de le mesurer avec son double
mtre
, mais il n'arrivait pas au sommet.
Bon
,
reprit M. Majorin, tu n'y arriveras pas
;
mais
on peut avoir cette hauteur sans essayer de la prendre avec
un mtre. Suppose, d'ailleurs, que ce poteau est trois fois
plus long. Tiens, tu vois l-bas, quelque distance, une
petite flaque d'eau. Mesure la distance qu'il
y
a entre le
poteau et le milieu de cette flaque d'eau. Combien?
Sept mtres.
I,25.
Or,
1,
75
centimtres est i"', 2 5 centimtres comme
sept cinq. La distance du point c au poteau tant de sept
mtres, as -tu dit, le poteau a cinq mtres de hauteur. Est-
ce bien clair pour toi ?
Oui.
Oui.
PROMENADES
ET
OPRATIONS
SUR
LE
TERRAIN. I47
Fig. G3.
Troisime
opration sur le terrain.
L'opration
est faite,
et ce
croquis
va te
Texpliquer.
En b est le niveau de la
nappe
d'eau-,
c ^,
le
diamtre
intrieur
du
puits qui est de i,40-,
a c,
la
rgle
verti-
148
HISTOIRE d"*UN dessinateur.
cale qui a un mtre, et la base c e qui a o"',2 5
;
ce qui fait
que de ^ en if il reste i'",i5. Partant du mme principe appli-
qu sur le bord de Peau tout Theure
,
nous disons : Les
deux triangles a c e^ b d e tant semblables, la base c c est
au ct a c comme la base d e est au ct d b; donc, puis-
que tu connais les longueurs c e, a c, et la longueur e d^ tu
as la profondeur du puits jusqu' Teau
,
laquelle profondeur
est la longueur de la ligne d b^ et nous disons : o',2 5 sont
un mtre comme i,i5 sont 4"\6o. Donc, de la margelle
au niveau de Peau, il
y
a
4'",
60.
Tout en continuant leur promenade, les deux amis devi-
saient.
Alors, dit petit Jean, quand on veut avoir la hauteur
d'une montagne ou la profondeur d\m grand, grand trou,
c'est comme a qu'on fait ?
Oui.
Oui.
Ah ! et pourquoi donc
,
bon ami?
C'est pour
y
mettre le feu
,
peut-tre ? Le cercle des habitants,.
PROMENADES ET OPRATIOXS SUR LE TERRAIN. iSo
hommes, femmes et enfants, s'tait resserr autour de moi
pendant ce dialogue. Il faut le mener chez le maire, c'est
un incendiaire! c'est un agent des droits runis!..
Ces
bonnes gens devenaient menaants et s'animaient en criant
tous ensemble.
Je fus assez brutalement conduit chez le maire, lequel
demeurait plus de deux kilomtres. A la vue de mes papiers
(car alors il tait prudent d'avoir un passeport
en bonne
forme sur soi), le magistrat municipal me laissa libre de
continuer mon chemin, mais en m'engageant ne pas
m'arrter trop considrer des maisons auxquelles
je n'avais
rien voir, du moment que mes intentions
n'taient pas
mauvaises.
Et quand, plus tard, attachs aux tudes d'un trac de
chemin de fer, il nous fallait aller planter des piquets dans
les champs, Dieu sait les avanies que parfois nous emes
subir, en dpit des pices officielles dont nous tions munis
et de la protection des autorits. Les preiniers ballons qui
tombrent dans la campagne ne furent-ils pas mis en pices
par les pa3-sans, et les voyageurs ariens souvent maltraits
comme sorciers ou agents diaboliques?
Heureusement, les
choses ont bien chang, et partout en France les topographes,
les hoinmes de science, les chercheurs, botanistes, gologues,
ingnieurs, les aronautes trouvent chez la population
accueil bienveillant, aide et protection; et si l'instruc-
tion n'est encore qu'insuffisamment rpartie , du moins ces
populations ont-elles appris la respecter et reconnatre
son action bienfaisante. Aussi faut-il s'instruire et enseigner
chaque fois que l'occasion s'en prsente.
a Dans un pays polic, nul n'a le droit de garder pour
lui seul ce qu'il sait, ce qu'il a appris, et on est aussi
coupable
de se montrer avare de son savoir que de son
avoir.
a C'est
pourquoi, chaque fois que l'occasion se prsente
i6o HISTOIRE D UN DESSINATEUR.
d'instruire son semblable, il ne faut pas la laisser chapper.
Qui sait si la leon lmentaire de nivellements que tu
viens de donner ce bonhomme et son petit-fils ne d-
veloppera pas chez ce dernier Tenvie d'en savoir davantage
et ne sera pas pour lui la premire semence jete dans la
tte d'un savant futur ?
CHAPITRE XII
UN CONTRAT.
Chaque jour, M. Majorin faisait entrevoir ainsi son
lve un champ nouveau d'tude.
Sa mthode consistait semer dans ce jeune cerveau tous
les lments des connaissances auxquelles la pratique du
dessin est ncessaire, afin de lui faire saisir T utilit de ce
langage, considr tort, trop souvent, comme un art
spcial, tandis qu'au contraire, le dessin est un art com-
plmentaire, comme est Fart d'crire et de parler.
Tenant compte des dispositions naturelles de son lve
pour le dessin, et redoutant la facilit avec laquelle les
organisations ainsi doues se jettent dans les carrires qui
n'ont pour objet que la production purement artistique, il
tenait rattacher toujours T-ipplication du dessin un objet
positif, rtude d'une science ou l'exercice d'un tat.
Les six mois, aprs lesquels M. Majorin avait promis au
pre Loupeau de prendre une dcision dfinitive relative-
ment son fils, taient expirs. Le matre s'attachait l'lve
21
l62
HISTOIRE d'un DESSINATEUR.
et avait
Tintention bien arrte de le garder prs de lui;
mais,
scrupuleux en toutes choses, M. Majorin ne crut pas
devoir prendre cet engagement dfinitif sans avoir consult
Tenfant,
quoiqu'il ne doutt gure de son adhsion.
Il ne croyait pas pouvoir disposer ainsi, mme d'un
mineur, fut-ce avec
Fassentiment de ses tuteurs naturels,
sans avoir obtenu son plein consentement.
Un
soir donc, au moment de se retirer, M. Majorin parla
ainsi petit Jean :
Mon ami, il a t convenu avec ton pre et ta m.re
qu'au bout de six mois passs ici, je serais libre de te
rendre ta
famille si tu ne rpondais pas ce que j'attendais
de toi, ou s'il te plaisait de retourner prs d'elle; les six
mois sont rvolus; pour moi, je dsire continuer t'instruire
et te faire instruire de mon mieux
;
mais tu es libre de
prendre un autre parti si bon te semble et de retourner
Boissy-Saint-Lger.
Il va sans dire que cet engagement
que je
prendrais ne peut, en aucune faon, lier tes parents
qui sont toujours les matres de te reprendre prs d'eux
;
cet engagement ne lie que moi, et cela dans une certaine
mesure ;
mais je dois te dem_ander, a\' int de le prendre, si tu
y
souscris sans arrire-pense. Prends le temps de rflchir
sur cette
proposition, je ne te demande pas une rponse
aujourd'hui;
mais il est ncessaire que je connaisse le fond
de ta pense ce sujet. Consulte-toi donc.
Petit Jean avait ouvert de grands 3'eux ds le commen-
cement de ce discours, et voyant son motion, M. Majorin
continua :
Il ne faut pas te mprendre sur mes paroles. Je dsire
te garder prs de moi; mais je dois te laisser la libert de
choisir, bien qu' ton ge tu ne puisses disposer de ta per-
sonne. Il faut que tu saches que si tes parents ne "mettent
pas obstacle aujourd'hui ou plus tard ton sjour prs de
moi, que si, au contraire, ils adhrent pleinement et ne
UN
CONTRAT.
1^3
cessent
d'adhrer
mes
projets ton
gard, tu
demeures
sous ma
direction
jusqui ta majorit,
c'est--dire
jusqu'
rage o tu
prendras la
responsabilit
de ta
personne et de
tes actes.
Tu
comprends
donc
pourquoi
je te
parle amsi :
c'est pour ne
point
contraindre
tes
sentiments,
et afin que
tu ne
puisses
jamais me
reprocher
de
n'avoir pas tenu
compte de ces
sentiments.
Exprime-les
donc^
mais aprs
y
avoir pens et non
immdiatement.
Je le veux croire
;
mais , mon ami
,
tu as mang
ton
pain blanc le
premier-,
pendant
ces six mois,
nous
avons
travaill
tout en nous
amusant
un peu. Il ne faut pas
croire
qu'il en sera
toujours
ainsi. Si tu restes avec moi, c'est
pour
que je fasse de toi un
homme
instruit et
capable
d'embrasser
un tat et
dV
bien faire,
un homme
utile aux autres et
lui-mme.
Pour cela, il faut
rudement
travailler,
appro-
fondir
plusieurs
connaissances
que nous
n'avons fait qu'en-
trevoir
'en jouant. Te sens-tu
le courage
de
t'astreindre
pendant
des annes un labeur
assidu
pour acqurir
ces
connaissances?
Car,
rflchis bien ceci :
si, en
prenant
vis-
-vis de ta famille
l'engagement
de t instruire et de faire de
toi un homme en tat de se tirer
d'aiaire
et de l'aider, je ne
devais
pas trouver chez toi l'amour
du travail
qui seul peut
assurer ces rsultats, tu
comprends
quelle
lourde
responsa-
bilit j'aurais accepte,
et quelle serait plus tard ma
position
vis--vis des tiens qui
pourraient me
reprocher,
non
sans
motifs, de m'tre charg
d'une
tche que je
n'aurais
pas
remplie et de n'avoir fait de
petit Jean
qu'un
monsieur
inutile, incapable de se suffire lui-mme et,
plus forte
raison, de venir en aide sa famille?
Donc, je le
rpte,
rflchis
mrement cela. Je te connais
assez
pour
savoir
que tu es un honnte garon; si donc tu
adhres
mes
projets ton gard, je serai
certain
qu'en
mme
temps tu
164
HISTOIRE d'un dessinateur.
. ,
. . * r
auras pris, vis--vis de toi-mme, rengagement de tra-
vailler assidment et de suivre toujours avec dfrence
les conseils que
Je
te donnerai. Mais si tu ne te sentais pas
assez de raison ou assez de force pour prendre cet engage-
ment, je te crois trop honnte pour me tromper, et alors
mieux vaudrait, pour nous viter tous deux des regrets
et moi, en particulier, une position inacceptable auprs
de ta famille, me dire franchement : Je ne suis pas sr de
mon courage, rsndez-moi mon pre et ma mre. Ce
n'est pas en dix minutes que tu peux ainsi rpondre une
question aussi srieuse; nous en causerons demain, situ
v^eux.
w
Petit Jean s'en alla coucher, le cur un peu gros, et ne
dormit gure. Les paroles graves de son ami lui revenaient
et semblaient s'accentuer de plus en plus. Il revoyait dans
la nuit le visage nergique et austre de M. Majorin, ses
yeux qui le regardaient fixement pendant son discours.
D'abord la pense de petit Jean n'hsita pas; Tide de
retourner Boissy-Saint-Lger et de se retrouver dans ce
milieu agreste, besoigneux, et que le pre Loupeau n'illu-
minait jamais d'un clair de gaiet, ne lui souriait en
aucune faon; puis, peu peu, les dernires paroles du
matre, la responsabilit que ces paroles faisaient tomber
sur l'lve, lui causaient une sorte d'effroi.
Il sentait bien que ce matre avait raison, et que sa
rponse lui, petit Jean, l'engageait ou le dgageait comme
s'il et sign ou refus de signer une sorte de contrat irr-
vocable. Il tait un peu pouvant d'tre mis en demeure de
se lier ainsi, car l'esprit de l'enfant, l'ge qu'avait petit
Jean, si lger qu'on le suppose, prend toute chose au
srieux, et la conscience parle net. Un instant, la pense
ui vint de reculer devant les preuves que M. Ma}orin lui
avait fait entrevoir, et ce fut sur cette dernire pense qu'il
s'endormit.
UN CONTRAT.
l65
Mais la nuit porte conseil, et le matin, quand dame
Orphisc \-int rveiller petit Jean pour Theure de Tcole, les
fantmes nocturnes s'taient vanouis.
Le grand air, le travail l'cole, Tnergic
naturelle
cette
jeune nature avaient fait disparatre les incertitudes, et
quand petit Jean revint dner l'usine, il n'eut d'autre
pense, le visage tout rayonnant, que d'aller se jeter dans
les bras de son ami et de lui dire :
((
Oui, oui, je reste prs de vous, je
travaillerai, je
deviendrai un homme !
C'est la mer !
Eh non
,
pas plus haut que ton il !
Ah! oui.
Oui, horizontale.
Et o tait la mer ?
Cette porte.
Pourquoi ?
Tu crois ?
Elle est vieille, c''est vrai, mais elle est bien arrange.
Un tas de bois !
Mais oui
:,
bon ami m'a racont que les vieux Normands,
les plus anciens, fermaient aussi leurs clos, pour s'}' dfendre,
et que cela se fait toujours par habitude.
Des squelettes ?
Alors ?
. Alors, quand nous allions en promenade, il me
disait :
<'
Petit Jean, faut copier a. J'essayais, il me cor-
Fis. 76.
Porte de Tenue nuniiaiidc.
DU PREMIER VOYAGE QUE FIT PETIT JEAN'. IC)I
rigeait. me disait le nom de t(nit pour Tinscrire ct.
Je ne sais pas.
Quelles classes ?
192
HISTOIRE D UN DESSINATEUR.
Y
apprend-on le latin?
Bon ami m'a dit que tout ce qu'on apprend est amu-
sant quand on veut travailler.
De perspective?
Comment font-ils?
On essaye?
Voyons.
y
reut, comme le dit Sainte-Beuve, cette ducation
moyenne, sans trop de tradition et sans trop de formules
universitaires, la fois professionnelle et suffisamment
classique, que je voudrais voir devenir un jour celle de la
majorit de nos concito3'ens. L'avantage de cette duca-
tion, pour ceux qui ne se destinent pas desservir en lvites
fidles les autels de l'antiquit, c'est qu'elle laisse de la
libert aux aptitudes, qu'elle ne prolonge pas sans raison
les annes scolaires, qu'elle donne pourtant le moyen de
suivre plus tard, si le besoin s'en fait sentir, telle ou telle
branche d'rudition confinant l'antiquit et que, vers seize
ou dix-sept ans, le jeune homme peut s'appliquer sans
retard ce qui va tre l'emploi principal de toute sa vie,
En effet, entr dans cet tablissement douze ans, petit
Jean en sortait dix-sept, ayant une connaissance suffisam-
ment dveloppe des auteurs de l'antiquit pour pour-
204
HISTOIRE D UN DESSINATEUR.
suivre, s'il le jugeait propos, ses tudes dans la voie clas-
sique;
possdant fond les connaissances mathmatiques
lmentaires et passablement instruit en physique, en
chimie, pour pouvoir se prsenter dans une cole spciale,
aprs une
prparation de quelques mois.
Il n'avait pas nglig, pendant celte priode, Ttude du
dessin, bien que, dans cette institution, comme partout
ailleurs alors, Tabsence de mthode rendt cet enseigne-
ment peu prs nul. Mais petit Jean avait reu des prin-
cipes qui ne s'oublient pas, et son professeur de dessin eut
le bon esprit de le laisser faire.
Aussi, mettant de ct les ternels modles lithographies
qu'on distribuait ses camarades, il copiait les quelques
bosses qui garnissaient les tablettes de la classe ou n'im-
porte quel objet. Les vacances, pendant lesquelles M. Majo-
rin faisait toujours voir des choses nouvelles son lve,
lui donnaient d'ailleurs l'occasion d'observer la nature et de
se perfectionner dans la pratique du dessin.
Il faut dire que le bagage apport par petit Jean, en
entrant dans l'institution de Bourg-la-Reine, lui avait singu-
hrement facilit l'intelligence de tout ce qu'on lui ensei-
gnait. S'agissait-il de traduire un auteur latin, les Commen-
taires de Csar
^
par exemple, il comprenait rapidement
des passages qui taient absolument obscurs pour ses cama-
rades. Il faisait des croquis en marge de ses versions pour
indiquer la section d'un valhim^ la disposition d'une con-
trevallation et de ses tours de bois, la forme d'un agger ou
'
la combinaison du fameux pont du Rhin. Grce l'esprit
libral qui rgnait dans cette institution, le professeur ne se
scandalisait pas de ces procds inusits, et discutait mme
volontiers avec les lves les illustrations du traducteur.
Mais le bonheur de petit Jean tait de montrer le dimanche
M. Majorin ses interprtations graphiques des textes, et
cela donnait lieu des conversations qui intressaient vive-
CJNQ ANS APRS.
2q5
ment Tclvc et lui faisaient prendre un got particulier ces
tudes, considres comme mortellement ennuyeuses par
la plupart des lycens.
Et comment en serait-il autrement, ne pouvant se repr-
senter les scnes qu'on fait ainsi passer sous leurs 3^eux ?
Mais il faut dire que Thistoirc, la gographie et. les
sciences mathmatiques et physiques taient plus particu-
lirement alTectionncs par petit Jean; que ce fijt par suite
d'une disposition naturelle, ou par Fhabitude que lui avait
donne M. Majorin de sVittacher aux choses positives et de
raisonner.
Petit Jean rentrait donc THay, chez son bon ami, la
fin de Tanne scolaire i8...
Quelle direction allait prendre petit Jean ? M. Majorin
lui demanda tout d'abord s'il avait cet gard un parti
pris.
Je n'oserais me prononcer, rpondit petit Jean. Quand
je vois les belles choses d'art que vous m'avez montres
dans les muses, en me les expliquant si bien , il me
semble que je voudrais aussi faire de la peinture ou de la
sculpture; quand vous me faites visiter de beaux monu-
ments et que vous me dites comment ils sont construits,
j'ai l'envie de me faire architecte.
Quand nous avons parcouru l'Auvergne, tout semblait
m'engager m'adonner aux tudes gologiques, devenir
ingnieur des mines ou topographe. Quand nous visitons
des usines et que je vois ces machines si merveilleuses, je
pense me lancer dans la mcanique. Je ferai donc ce que
vous me conseillerez de faire.
^l^fS'^1
Fig. 81. Croquis du port de Gnes.
Les splendides horizons du Midi, la mer bleue, les les
rocheuses clatantes de lumire, mettaient petit Jean dans
le ravissement, et M. Majorin se demandait si son lve
n'tait pas dcidment n artiste.
On arriva Naples vers le soir, et petit Jean n'avait pas
assez de ses deux yeux pour admirer les horizons monta-
gneux dors par le soleil couchant qui mergaient mesure
que le btiment entrait dans le golfe.
Les deux aixiis s'tablirent sur la Ghiaadans un bon h-
ou LA VOCATION DE PETIT JEAN SE DESSINE. 22J
tel et, aprs souper, s'en allrent respirer le frais sur la pro-
menade. La nuit tait claire et permettait de distinguer Ca-
pri, les montagnes de Castellamare et le Vsuve, d'o s'le-
vait lentement un panache de fume blanche qui, atteignant
les parties leves de l'atmosphre, s'tendait en manire de
parasol. Toute la cte jusqu' Torre-del-Greco tait seme
de points lumineux qu'interrompait la masse sombre du
chteau de l'uf.
Tomber de l'Hay Naples, c'est bien fait pour mou-
voir les natures les plus indilrentes , et petit Jean ns
savait s'il tait veill ou s'il n'tait pas sous le charme
d^un beau rve. Il en voulait presque tous les prome-
neurs, qui semblaient causer de leurs affaires sans se pr-
occuper de la beaut du spectacle olTcrt ainsi gratis leur
admiration. Il ne se lassait pas surtout de considrer le
volcan et accablait M. Majorin de questions sur la cause
des ruptions, sur leurs eflts, sur les phnomnes qui les
accompagnent, etc. M. Majorin rpondait ses questions
suivant son habitude, tout en se demandant si son lve
n'avait pas une tendance s'attacher plus particuHrement
aux sciences naturelles.
Si on peut, ce moment, atteindre le sommet du Vsuve,
sois tranquille, nous irons, et tu verras tout cela de prs.
Il 3^ a l matire des observations trs intressantes.
Et alors petit Jean se faisait raconter dans ses dtails,
l'ruption dcrite par Pline et qui avait englouti des
villes, aprs un repos dont on ignore la dure-, il voulait
savoir pourquoi le volcan s'tait brusquement rveill de son
long sommeil, et pourquoi depuis lors il n'avait cess de
vomir des laves et de la cendre, et s'il s'teindrait de nou-
veau, et comment les populations vivaient si tranquilles la
base de ce foyer sans cesse menaant, et pourquoi elles reb-
tissaient, sans se dcourager jamais, leurs habitations sur la
lave qui venait de les engloutir, etc.
224
HISTOIRE D UN DESSINATEUR.
Le lendemain, aprs que M. Majorin et t voir ses cor-
respondants, on alla Pompi.
Ce sera la pierre de touche, se disait M. Majorin, et je
saurai bien l si petit Jean a en lui Ttoffe d'un artiste, ou si
ses dispositions naturelles se portent vers des occupations
d'une autre nature,
Et M. Majorin en ceci ne se trompait pas.
Cest qu'en effet cette petite ville, prise en flagrant dlit
d'existence
antique (laissant de ct les touristes qui la
visitent en simples curieux), produit des impressions trs
diverses, suivant le tour d'esprit de chacun.
Si Tartiste, qui n'est qu'artiste, trouve l une ample mois-
son de matriaux
\
si l'historien, le philosophe se reportent,
en visitant ces ruines, au milieu d'une civilisation diff-
rente de la ntre, l'observateur, l'esprit pratique dcouvre
dans ce coin fig d'un monde teint, des principes d'une
grande valeur et qui conduisent des dductions singu-
lires. L'antiquit se montre l dans un dshabill fort diff-
rent de l'allure majestueuse et passablement fausse sous
laquelle l'enseignement classique nous la fait entrevoir.
L'antiquit se montre l minemment pratique, logique
,
mais, enveloppant tout ce qui est son usage sous une
forme d'art, pour ainsi dire, inhrente l'objet. Il est pro-
bable qu'on et fait hausser les paules aux Pompiens, et
surtout ceux qui habitaient cette cit avant l'tablissement
de la colonie de S3'lla, si on leur et parl '' art indiisti^iel
et de cette distinction acadmique que, de notre temps, on
fait entre un art prtendu suprieur et un art subalterne.
A Pompi, l'art antique se montre bien ce qu'il tait, sur-
tout chez les Grecs, une qualit naturelle et non une parure
d'emprunt.
Ce n'est pas chez les Pompiens qu'un matre etpu tenir
le propos que nous avons entendu sortir de la bouche d'un
minent professeur d'une de nos coles spciales, en par-
ou LA VOCATION l) !
Pl-TIT JIAN SE DK-SSINK. 225
lant d\in prtigranime donner aux cicvcs :
a
Surtout, leur
recommander de ne pas chercher mettre de Part en cette
alTaire ! C'est qu'en vrit chez nous, on veut ou on ne
veut pas de Part en ceci ou cehi, comme on met ou on ne
met pas une ri\'ire de diamants. C'est une allaire de luxe,
une supcrlluit qui peut tre gnante, mais qui est certaine-
ment coteuse et nuit Tutilit pratique. Les plus humbles
bourgeois et les plus petits boutiquiers de Pompi ne Ten-
tendaicnt pas ainsi, et on et fort surpris Tun de ceux-ci en
lui demandant une casserole, si on et ajout :
Surtout,
pas d'art !
En parcourant la petite cit avec son lve, M. Majorin
reconnut bientt que celui-ci, le premier tonnement pass,
ne manquait pas de lui adresser des questions qui indi-
quaient chez petit Jean , autre chose qu'une curiosit
pittoresque.
11 voulait savoir comment ces salles taient couvertes,
comment ces baies taient fermes, comment ces croises
taient vitres, comment ces intrieurs taient meubls, etc.
M. Majorin ne se faisait pas faute de rpondre chacune
de ces questions, aussi clairement que cela lui tait pos-
sible. Il montrait son lve les scellements des poutres,
les attaches encore en place des boiseries, les moyens de
fermeture
;
et le petit muse annex Pompi lui fournis-
sait les meubles, les chssis estamps par la cendre et obte-
nus par le moulage.
Tout cela semblait intresser plus vivement le jeune
homme que les fragments de sculpture.
On se fait de l'antiquit une ide fort loigne de la
ralit, lui disait le matre, et, en dpit des recherches et
des dcouvertes modernes, on en est rest aux apprcia-
tions des seizime et dix-septime sicles sur la vie des an-
ciens, apprciations plus littraires que critiques, et qui nous
donnent sur cette civilisation les ides les plus fausses. Mais,
29
220
HISTOIRE d'uN DESSINATEUR.
ajoutait-il, il
y
a, dans toutes les productions des anciens
appartenant
aux industries, une libert et une individualit
qui en font toujours, malgr les ngligences ou les dfauts
d'excution,
des uvres intressantes, parce qu'elles rappel-
lent riiomme, ses habitudes et ses murs avec une sincrit
remarquable.
Ce qu'il
y
a de conceptions imprvues, origi-
nales,
dtermines par un besoin librement exprim ou un
dsir personnel
dans les uvres d'architecture de cette
ville est surprenant. Il n'y a gure de rgle en dehors de
celles imposes par le bon sens et la pratique -, ou du moins
l'application de ces rgles est singulirement large.
C'est la quatrime fois que je visite Pompi et Her-
culanum avec le dsir d'tudier les restes de ces petites cits
antiques. Les fouilles entreprises depuis 1860 ont ce mrite
sur les premires, d'tre diriges et conduites avec mthode
et de conserver des traces qu'autrefois on laissait perdre.
Le scrupule est pouss aussi loin que possible, et aussi les
rsultats obtenus sont-ils rellement instructifs.
ce Des erreurs ont t rectifies, et on commence se ren-
dre un compte assez exact de la construction de ces demeu-
res et de la faon dont elles taient garnies de boiseries et
meubles.
a Disons d'abord qu'il
y
a trois Pompi, ou plutt trois
poques visibles dans les constructions de cette petite ville.
M.
FiorelU a class ces poques de la manire la plus nette,
dans un mmoire rcemment publi. Il est des mthodes
gnrales qui s'appliquent ces trois poques
\
il en est qui
sont
spciales chacune d'elles. La pierre sans mortier
est employe en premier lieu avec le bois; en second lieu, le
bois et la maonnerie de moellon recouverte de stuc
;
en
troisime lieu, la maonnerie de briques et de moellon et le
bois avec revtements de stuc pais. Mais certaines con-
structions de la premire poque, c'est--dire faites de pier-
res joints vifs, ont t retouches ou plutt revtues de stuc,
ou LA VOCATION DE PIITIT JEAN SE DESSINE. 227
suivant le go't de la deuxime ou del troisime poque.
Le bois jouait dans ces constructions un rle des plus
importants
;
on l'employait comme linteaux, mme sous la
pierre, pour couvrir les salles, et comme mo3'en de ferme-
ture : portes, croises, cloisons mobiles, lambris, chssis, et
cnlin pour le mobilier fixe ou meublant. Il
y
avait des por-
tes coulisses pour fermer ces grandes baies qui sparent
Vimpluvium du vestibule ou du tricliniu}}i[si\\\c. manger),
et je vais te montrer la trace de ces fermetures, les scelle-
ments de leurs ferrements. Les Pompiens fabriquaient des
armoires tout comme les ntres
;
les boutiques avaient des
devantures de menuiserie,descomptoirs,descoirres-forts; le
muse de Pompi et le muse de Naples t'en montreront
quantit d'exemples, soit rsultant de moulages obtenus
sur le creux laiss par ces meubles dans la cendre chaude
et humide, soit sur les peintures reprsentant des intrieurs.
Mais ce que Ton ne saurait trop admirer dans tout cela et
dans la fabrication des moindres ustensiles, c'est le got,
la distinction, le choix de la forme approprie l'objet,
l'art, en un mot, qui prside tous produits.
Entrons dans cette petite maison voisine du temple de
Vnus.
Le triclinium a vue sur Timpluvium par une large baie
ouverte au-dessus d'un bahut ou mur d'appui.
Tu vois la trace de la fermeture en menuiserie de
cette baie
,
fermeture compose de deux vantaux replis
chacun en deux feuilles (fig. 82). S'il faisait froid ou si
l'on voulait s'entretenir librement, on fermait les vantaux
et on mangeait aux lumires; sinon, on avait vue sur cet
impluvium ou sur cet autre plus vaste, car une seconde
baie large s'ouvre du ct gauche de mme, sous un porti-
que entourant une cour, de telle sorte qu'on pouvait tablir
un courant d'air pour viter la grande chaleur.
rt Mais observons comme la coloration de ces murailles
22S HISTOIRE D UN DESSINATEUR.
Fig. 82. Tricliniiiin Pompi.
est bien entendue : le soubassement noir faisait ressortir
rclat de la lumire projete sur les arbustes et fleurs qui
garnissaient Pimpluvium, le fond jaune des premiers
panneaux latraux envo3^ait dans Tintrieur un reflet
gai, brillant, et, les fonds rouge sombre des panneaux sui-
vants rpandaient une lumire tempre. Le plafond devait
tre assez clair, avec des tons blancs et bleus, et au-dessus
de l'ouverture, de dlicates arabesques occupent le tympan.
Ailleurs, nous trouvons la trace de vantaux coulisse
roulant sur des galets, de telle sorte qu-Mls ne pussent gner
dans leur dveloppement.
ou LA VOCATION DE PETIT JEAN SE DESSINE. 22g
Beaucoup de ces plalonds de petites salles taient cin-
trs; ils taient faits d'enduits poss sur des roseaux clous
sur les solives, procd encore emplo3- Naples.
Tu vois ici les scellements de ces solives et l'arrachement
du plafond. Tous ces enduits sont peints de la faon la plus
gracieuse et d'une surprenante varit.
Ces gens-l n'adniettaient pas la banalit des papiers
peints, et les demeures les plus modestes possdent leur
dcoration propre, bien que d'une extrme simplicit.
Mais observe encore combien sont conomiques les
movens de construction employs et comme, avec peu de
chose, ces Pompiens savaient se iire des habitations
charmantes, appropries leur climat et leurs habitudes,
sans rien sacrifier la vanit , car, l'extrieur, toutes ces
habitations, riches ou pauvres, ne prsentent gure que
des murs unis, percs de rares et petites fentres grilles,
ou des boutiques tenues par les propritaires ou loues
des marchands. Vois comme ces pices sont disposes pour
recevoir la lumire reflte dans un pays o l'clat du soleil
est blouissant, et comme il devait faire bon vivre dans ces
logis si bien construits, pour ceux qui les habitaient.
a
Ces peuples italiotes joignaient une grande sobrit,
la simplicit, une lgance toute faite de distinction et de
got. Compare cette existence celle de nos bourgeois de
petites villes, vivant en dehors de tout mouvement intel-
lectuel, trangers aux arts, les repoussant mme comme un
luxe dangereux, occupant des maisons sales trop souvent,
maussades et incommodes (tandis qu'ici on voit que la
propret tait une des conditions essentielles de l'existence),
plus occups de leur cuisine que de leur bibliothque.
a
Quant aux cuisines, ici Pompi, elles ne sont ni
vastes ni compliques; un fourneau suffisait la cuisson
des aliments de la famille , et tu verras au muse de Naples,
quelques-unes de ces cuisines portatives qui sont de vri-
200
HISTOIRE D UN DESSINATEUR.
tables uvres d'art, bien que trs ingnieusement combi-
nes au point de vue pratique.
Il fallut que les gardiens avertissent les deux amis que la
retraite sonnait, pour qu'ils se dcidassent reprendre le
chemin de Naples, petit Jean se promettant bien de revenir
pour travailler et prendre quantit de croquis.
Le lendemain , on s'en fut au muse, et quand petit Jean
se vit au milieu de tous ces objets recueillis Pompi et
Herculanum, il comprit bien mieux encore tout ce que
M. Majorin lui avait dit la veille sur l'application de Fart
aux ustensiles les plus vulgaires, et comment cette appli-
cation n'tait faite toujours que dans le sens de Fusage.
Il eut voulu dessiner tous ces objets, et M. Majorin fut
oblig d'insister pour qu'il prt une ide d'ensemble de ces
admirables collections avant de choisir. On visita donc les
salles de sculpture, les tableaux, les bijoux
;
mais, par incli-
nation, petit Jean revenait ces objets antiques, ces
peintures qui lui dvoilaient un monde inconnu pour lui.
M. Majorin tait dsormais fix sur les aptitudes de son
lve, et les jours suiv^ants, soit Pompi, soit Hercu-
lanum, soit au muse de Naples, il le laissa libre d'tudier
et de dessiner ce qui l'attirait plus particulirement.
Comme il faisait le croquis d'une pelle et d'une pincette
(fig.
83),
il demanda son ami pourquoi ce dernier usten-
sile tait muni d'une sorte de garde.
Et alors?
Et quoi ?
Probablement.
Je ne saurais le dire.
Ce jeune homme
,
qu'on dit trs intelligent , appren-
dra bien vite tout cela.
BATONS DANS LES ROUES. 2Q)b
D'accord
^
mais, si nous nous alinons tout d'abord les
personnages qui possdent l'influence en matire d'art et
dont le jugement est sans appel, ne risquons-nous pas de
perdre tous nos efforts, de produire des uvres qu'on laissera
dans nos magasins? car vous savez mieux que moi combien
il imp3rte d'tre soutenu dans une entreprise qui tend
modifier des habitudes prises par le public.
C'est incontestable
;
mais, si on prtend rformer ces
habitudes, ce n'est pas ceux qui ont intrt les con-
server qu'il convient de s'adresser. Ce que vous proposez,
loin d'amliorer l'tat prsent, tendrait au contraire l'em-
pirer, car aujourd'hui, du moins, si nous marchons au
hasard, ce hasard peut nous servir et nous sert quelquefois;
mais, si vous vous mettez sous la direction d'artistes qui ont
des principes diamtralement opposs ceux que nous vou-
drions faire prvaloir, autant continuer comme par le pass,
c'est--dire en dehors de tout principe, faire des pastiches
plus ou moins russis et satisfaire aux fantaisies de la
mode avec plus ou moins de bonheur.
Toutes ces raisons ne paraissant pas convaincre l'ami de
M. Majorin, on se spara sans rien conclure.
Cependant Jean, qui travaillait dans une pice voisine, se
prsenta devant son matre.
Rien !
Si bien?...
XVIII. Synthse
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