Antoine Rivarol - Rivarol Avec Une Notice Et Un Portrait
Antoine Rivarol - Rivarol Avec Une Notice Et Un Portrait
Antoine Rivarol - Rivarol Avec Une Notice Et Un Portrait
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University of Toronto
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COLLECTION DES PLUS BELLES PAGES
Rivarol
litterature : universalite de la langue franaise
;
voltaire et fontenblle
;
petit almanach de nos grands hommes
;
madame de stal
;
le genie et le talent.
politioue : journal politique national
;
actes des apotres
;
petit dictionnaire de la revolution.
philosophie: lettres a m. necker
;
DISCOURS prliminaire a UN DICTIONNAIRE DE LA LANGUE
FftANAISE. FRAGMENTS ET PENSEES LITTERAIRES, POLITIQUES
ET PHILOSOPHIOUES.
LETTRES. RIVAROLIANA. APPENDICE : DOCUMENTS)
BIBLIOGRAPHIE.
AVEC UNE NOTICE ET UN l'ORTRAir
PARIS
SOCIT DV MERGVRE DE FRANCE
XXVI, RVE DE COND, XXVI
RIVAROL
A LA MME LIBRAIRIE
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GRARD DE NERVAL, av9C UDG DoticG ct lin portrait. I vol.
CHAMFORT, avec une notice et un portrait i vol.
Opuscules de Rivarol
Reproduits sur les ditions originales
I.
'
Lettre critique sur le Pome des Jardinf:, suivie du Chou
et du Navet
(1782).
Tirag'e restreint i fr. 5o
20 ex. sur papier jonquille 3 fr.
Sous Presse
II.
Lettre M. le Prsident de
*"
sur le Globe arostatiqae,
etc.
(1783).
U\.Le songe"d'Aihalie, par M. G. R. h M... de la R. E
.
Y. N.. .
(1787),
avec le Dsaveu et le Vrai Dsaveu, etc.
COLLECTION DES PLUS BELLES PAGES
Rivarol
litterature : universalite de la langue franaise
;
voltaire et fontenelle
;
petit almanach de nos grands hommes;
madame de stal
;
le gnie et le talent.
politique: journal politique national;
actes des apotres
;
petit dictionnaire
de la rvolution,
rilILOSOPHIE: LETTRES A M. NECKER
;
DISCOURS PRLIMINAIRE A UN DICTIONNAIRE DE LA LANGUE
FRANAISE. FRAGMENTS ET PENSEES LITTRAIRES, POLITIQUES
ET PHILOSOPHIQUES.
LETTRES, RIVAROLIANA. APPENDICE : DOCUMENTS;
BIBLIOGRAPHIE.
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SOCIT DV MERGVRE DE FRAiNCE
XXVI, RVE DE COND, XXVI
IL A ETE TIUE DE CET OUVRAGE I
Sept exemplaires sur papier de Hollande, numrots la presse
de I
j.
F.XEMPLAmE ^s" 3
7(1
Droits de traduction et de reproduction rservs pour tous pays.,
y
compri;
la Sude. la Norvge et le Danemaric.
RIVAROL
Rivarol est la fois trs connu et trs inconnu :
trs connu comme homme d'esprit, trs inconnu
comme crivain, philosophe, homme politique. C'est
que sa carrire a t coupe en deux par la Rvolu-
lion. Quand les temps calmes furent revenus, il tait
mort et la premire partie de son uvre fut oublie,
tandis que la seconde, qu'il n'tait plus l pour dfen-
dre, demeurait pour ainsi dire indite, perdue en un
gros in-quarto imprim Hambourg.
Ces deux tronons du beau serpent ne se sont pas
encore rejoints dans l'esprit des hommes. Pour la
plupart Rivarol est demeur un brillant causeur qui
rivalisait avec Ghamfort; pour quelques autres, qui ne
voient que le Rivarol de la Rvolution^ c'est un poli-
tique loquent et clairvoyant, une sorte de Mallet du
Pan.
Rivarol, la vrit, fut un critique, et, comme tel,
il critiqua successivement les uvres, les hommes et
les ides qui passionnaient l'opinion.
N en lySS, il vint Paris, vers l'ge de vingt ans,
mena d'abord la vie'obscure d'un jeune homme
pau-
vre. Son esprit, ses manires agrables, la grce de
son visage lui valurent bientt des relations et dans
le monde des lettres et dans celui des salons. Il con-
nut Voltaire, BufFon, d'Alembert, puis tous ceux qui
succdaient ces grands hommes dans l'estime publi-
que; il trouva mme qu'ils
y
prenaient trop de place,
et cela veilla son esprit critique. Jamais il ne consen-
tit tre la dupe d'un La Harpe, d'un Thomas, d'un
Le Brun, d'un Gart. Il poussa mme cette dfiance
un peu loin, et on peut lui reprocher d'avoir mconnu
Beaumarchais et madame de Stal : mais ses rser-
ves n'taient pas toutes d'ordre httraire.
Le premier crit de Bivarol est une Lettre critique
sur le pome des Jardins^ qui venait de paratre;
Grimm
y
trouva beaucoup de mchancet et beau-
coup de vrit. En somme, sous une forme un peu
gauche, c'tait, formule sur l'heure, l'opinion de la
postrit : l'abb Delille
y
reoit le premier des coups
sous lesquels devait, la longue, il est vrai, succom-
ber sa gloire factice.
Rivarol allait donner la sienne une base assez
durable avec son Discours sur T Universalit de la lan-
gue
franaise, morceau crit pour l'Acadmie de Ber-
lin, qui le couronna. Ce discours, dont les parties his-
torique
et philologique ont ncessairement beaucoup
vieilli,
apparat encore tel qu'une uvre matresse et
niVAROL
qu'on ne lit pas sans un ^rand plaisir littraire. Par
bonheur, celui qui faisait un si juste loge de la lanj^ue
franaise crivait lui-mme dans un style d'une belle
originalit; nous en sommes plus satisfaits qu'on ne
le fut de son temps: le got, en
1785,
tait bien gt.
Dans le mme temps, il collaborait au Mercure de
France, lanrait de temps en temps quelque brochure
amusante, quelques-unes de ces parodies o il excel-
lait : Le Chou et le Navet (encore contre l'abb)
;
le
Sonrje d'Athalie^ pour ridiculiser M'" de Genlis, Gri-
mod de la Reynire, La Harpe, Gart, et bien d'au-
tres
;
le Rcit duportier du sieur Caron de Beaumar-
chais, plaisanterie difficile comprendre aujourd'hui.
Tout cela lui avait dj fait bien des ennemis, comme
on peut le croire. Cependant, a ennuy de leur petit
nombre, dira plus tard une de ses victimes, Flins des
Oliviers, il attaqua tout le peuple littraire la fois.
Ce fut dans le Petit Almanch de nos grands hommes
pour l'anne i
j88.
Tout le monde faisait des vers. Jamais on ne vit
d'poque plus potique. La France, inactive,
se
rpandait en odes et en bouquets, en stances,
en
nigmes et en chansons. Piivarol rsolut de faire le
dnombrement de tous ces grands hommes
,
qui
se prenaient vraiment au srieux et qui commenaient
duper le public. 11 ne faut pas s'y tromper, cet
Almanch, sous sa figure de plaisanterie, est une
uvre de bonne critique, de celles qui remettent
leur place
hommes
et
uvres, une de ces oprations
dont la cruaut
indispensable a presque toujours
d'heureuses
suites.
La
Rvolution,
qui vint l'anne suivante, montre
d'ailleurs
que, sous sa ddaigneuse ironie, Rivarol
cachait
un
esprit d'une logique et d'une pntration
rares. Il avait dj
faitses preuves d'excellent crivain
dans sa
traduction
de VEnfer de Dante, d'excellent
philosophe
dans ses Lettres M. Necker, propos de
son livre sur
VImportance des ides religieuses, il
allait, dans le Journal Politique National, cumuler
ces deux
talents, auquel un troisime s'ajoutait : le
talent de la critique politique. Au milieu de l'agita-
tion
universelle,
il garde son sang-froid; parmi les
utopistes et les
metaphysiciens.il garde sa raison pra-
tique.
Disciple de Montesquieu, il est le premier cri-
vain franais qui ait appliqu l'histoire contempo-
raine la mthode de VEsprit des Lois. Cesiun raliste;
c'est un physicien.
On dira qu'il s'est tromp et que la France
s'est
parfaitement tire de l'anarchie o il la croyait enga-
ge pour trs longtemps. Gela n'est pas certain; car
l'anarchie politique n'a t vaincue que par le plus
terrible et le plus positif des physiciens : Napolon.
Mais laissons l'apprciation des vnements poli-
tiques. Quelle que soit l'opinion que l'on professe,
on admirera dans Rivarol, avec la richesse du style, la
richesse de la pense. Mettons-nous en face de son
rcit des Journes d'octobre comme devant un rcil
de l'histoire romaine et nous ne pourrons nous dfen-
dre au moins d'une profonde motion esthtique.
Ces pages o des contemporains retrouvaient le
gnie de Tacite n'absorbaient pas Rivarol au point de
lui faire oublier qu'il avait de l'esprit. Il entremlait
ses graves Rsumes d'histoire, de petits articles des
plus piquants et des plus lgants
;
mais quand il
voulait tre tout fait son aise, il s'adressait aux
Actes des Aptres, Dans ce long et amusant pam-
phlet politique, cinq ou six morceaux appartiennent
videmment Rivarol, et ce sont les meilleurs de la
collection. Il n'a presque jamais rien sign, mais
jamais crivain n'eut moins besoin decette dclaration
de proprit. Aprs cent et quinze ans, dans ce fouil-
lis des Actes, on met la main sur le Rivarol avec une
parfaite certitude. La seule cause d'erreur, c'est qu'il
fut imit de toutes parts avec frnsie : Champcenetz,
s'il n'tait si jovial, pourrait parfois faire illusion. On
a cru voir la main de Champcenetz dans certains
articles du Petit Almanach
;
peut-tre la pourrait-on
voir aussi, ou celle de tels autres, dans tels passages
de Petit Dictionnaire des grands hommes de la Rvo-
lution : ce petit livre reste bien, comme le premier,
l'uvre de Rivarol, l'crit d'un homme dou la fois
de beaucoup de bon sens et de beaucoup d'esprit. Les
deux ouvrages, le littraire et le politique, semblent,
en bien des parties, rdigs de la semaine dernire :
an
y
trouverait, si on tait nicliant, toutes so
d'allusions la littrature d'aujourd'hui) la po
que d'aujourd'hui.
Avant de quitter la France, o sa position tait
venue critique, Rivarol essaya de donner Louis ]
quelques conseils aussi sages que modrs : on
retrouva dans l'armoire de fer. En juin
1792,
il ga
Bruxelles, puis Londres, puis Hambourg, en k^
puis Berlin, o il devait mourir, en 1801.
Son sjour Hambourg fut trs fcond. G*es
qu'il crivit ce Discoursprliminaire un dictionm
de la languefranaise, qui est un trait presque ct
plet de
philosophie. Encore n'est-ce qu'une prem
partie ! uvre un peu confuse, ce Discours prli
naire contient des chapitres admirables. Celui
Animaux, que l'on trouvera plus loin, est un cl
d'uvrede
raisonnement et de science. Rivarol ain
les sciences
;
il tait trs instruit, s'intressait t(
Malheureusement, toutes ses ides sortaient la f
l'une entranant l'autre. Il ne manque de rien, ni
des, ni de style, d'esprit encore moins, s'il est po
ble; il manque un peu de talent de coordination,
ne peut pas cependant dire de lui ce qu'il a dit
Lauraguais : Ses ides sont dans sa tte comme
carreaux de vitres en caisse : claires chacune par
obscures ensemble. Piivarol n'est jamais obscur
est parfois un peu trop blouissant.
De Voltaire Chateaubriand, et
paralllemen
son ennemie, M"'^ de Stal,
llivarol est le meilleur cri-
vain franais. On pourrait le dfinir un Chateaubriand
voltairien, si l'on ne song-eait qu'au Discoursprlimi-
naire, crt il dfend dans cet crit peu prs les mmes
ides philosophiques que Chateaubriand,et
parfois cel-
les de De Maislre; mais il est absolument
incrdule. Il
sait que toutes les religions sont vraies, c'est--dire
fausses; aussi veut-il qu'on les apprcie non d'aprs leur
vrit, mais d'aprs leur utilit. Ceux qui sont venus
aprs lui sont tombs dans leurpropre pige; et, force
de dire que la religion tait utile, ont fini parla croire
vraie; Piivarol est rest ferme jusqu' la fin: voyez le
Dialogue entre un roi et un fondateur de religion.
On espre que le prsent volume donnera une ide
assez exacte des diverses formes du talent de Rivarol.
En plusieurs parties : il peut passer pour indit : ja-
mais par exemple on n'avait rimprim ni ses articles
des Actes des Aptres, ni son Petit dictionnaire
;
les
Lettres, parses en quatre ou cinq ouvrages documen-
taires, sont runies pour la premire fois. La plu-
part des autres chapitres n'avaient pas revu le jour
depuis les uvres compltes (et qui ne le sont pas) de
1808. Il ne tient qu'au public d'ailleurs que les u-
vres rellement compltes de Rivarol puissent voir
le jour. S'il est de notre avis, s'il pense que Rivarol
est, en mme temps qu'un penseur original et un cri-
tique trs sr, l'un des plus agrables et des plus spi-
rituels et des plus curieux crivains franais, il saura
bien rclamer qu'on le lui donne tout entier.
Pour donner un commencement de satisfaction aux
curiosits que ces Plus belles pages ne satisferaient
pas encore entirement, on a fait imprimer part
quelques-uns des opuscules de Rivarol. La place a
manqu pour les donner complets et il tait impos-
sible de les mutiler, alors que d'autres crits suppor-
tent cette opration sans faiblir.
Relatant la manire dont le Petit Almanach a t
compos et imprim tout ensemble
,
Rivarol ajoute,
en raillant : La postrit apprendra tous ces dtails
avec le plus vif intrt. Le moment du vif int-
rt est enfin venu, ou plutt revenu, pour Rivarol,
et la postrit va le lire avec autant de plaisir que ses
contemporains.
LIVRE PREMIER
LITTRATURE
DE L'UNIVERSALIT
DE LA LANGUE FRANAISE
SUJET PROPOS PAR l'aCADMIE DE BERLIN, EN 1783,
Qu'est-ce qui a rendu la langue franaise uoiverselle ?
Pourquoi mrile-elle celte prrogative ?
Est-il prsumer qu'elle la conserve ?
ne telle question propose sur la lang-ue latine aurait
l'org'ueil des Romains, et leur histoire l'et consacre
me une de ses belles poques : jamais en effet pareil hom-
e ne fut rendu un peuple plus poli, par une nation plus
ire.
temps sembletre venu de dire le monde
franais^
me autrefois le monde romain ; et la philosophie, lasse
oir les hommes toujours diviss par les intrts divers
i politique, se rjouit maintenant de les voir, d'un bout
i terre l'autre, se former en rpublique sous la domi-
Dn d'une mme lang-ue. Spectacle dig-ne d'elle, que cet
orme et paisible empire des lettres qui s'tend sur la
H des peuples, et qui, plus durable et plus fort que
pire des armes, s'accrot galement des fruits del paix
js ravag-es de la guerre !
[ais cette honorable universalit de la langue franaise,
en reconnue et si hautement avoue dans notre Europe,
niVAROL
offre pourtant un grand problme : elle tient des causes
si dlicates et si puissantes la fois, que, pour les dmler, il
s'ag-it de montrerjusqu' quel point la position del France,
sa constitution politique, Tinfluence de son climat, le ^nie
de ses crivains^ le caractre de ses habitants, et l'opmion
qu'elle a su donner d'elle au reste du monde, jusqu' quel
point, dis-je, tant de causes diverses ont pu se combiner et
s'unir, pour faire cette lanprue une fortune si prodi;;-ieuse.
Quand les Romains conquirent les Gaules, leur sjour et
leurs lois
y
donnrent d'abord la prminence la lang-ue
latine
;
et quand les Francs leur succdrent, la religion
chrtienne, qui jetait ses fondements dans ceux de la monar-
chie, confirma cette prminence. On parla latin la cour,
dans les clotres, dans les tribunaux et dans les coles; mais
les jargons que parlait le peuple corrompirent un peu cette
latinit, et en furent corrompus leur tour. De ce mlange
naquit cette multitude de patois qui vivent encore dans nos
provinces. L'un d'eux devait un jour tre le langue fran-
aise.
Il serait difficile d'assigner le moment o ces diffrents
dialectes se do;-agrent du celte, du latin et de l'allemand
;
on voit seulement qu'ils ont d se disputer la souverainet
dans un royaume que le systme fodal avait divis en tant
de petits royaumes. Pour hter notre marche, il suffira de
dire que la France, naturellement partage par la Loire,
eut deux patois, auxquels on peut rapporter tous les autres,
le Picard et le Provenal. Des princes s'exercrent dans
l'un et l'autre, et c'est aussi dans l'un et l'autre que furent
d'abord crits les romans de chevalerie et les petits pomes
du temps. Du ct du midi florissaient les Troubadours^
et du ct du nord les Trouveurs. Ces deux mots, qui au
fond n'en sont qu'un, expriment assez bien la physionomie
des deux langues.
Si le provenal, qui n'a que des sons pleins, et prvalu,
il aurait donn au franais l'clat de l'espagnol et de l'ita-
lien
;
mais le midi de la France, toujours sans capitale et
sans roi, ne put soutenir la concurrence du nord, et l'in-
fluence du patois picard s'accrut avec celle de la couronne.
C'est donc le gnie clair et mthodique de ce jargon et sa
prononciation un peu sourde, qui dominent aujourd'hui
dans la langue franaise.
LITTEIVATL'KE
Mais, quoique celte nouvelle lan^^ue et t adopte par
la cour et par la nation, et que, ds l'an 1260, un auteur
italien (i)lui et trouv assez de charmes pour la prfrer
la sienne, cependant T^-lise, l'universit et les parlements la
repoussrent encore, et ce ne fut que dans le seizime sicle
qu'on lui accorda solennellement les honneurs ds une
lan"ue Icg-itime.
cette poque, la renaissance des lettres, la dcouverte
de l'Amrique et du passage aux Indes, l'invention de la
poudre et de l'imprimerie, ont donn une autre face aux
empires. Ceux qui brillaient se sont tout coup obscurcis;
et d'autres, sortant de leur obscurit^ sont venus fig-urer
leur tour sur la scne du monde. Si du nord au midi un
nouveau schisme a dchir l'orlise, un commerce immense
a jet de nouveaux liens parmi les hommes. C'est avec les
sujets de l'Afrique que nous cultivons l'Amrique, et c'est
avec les richesses de l'Amrique que nous trafiquons en Asie.
L'univers n'offrit jamais un tel spectacle. L'Europe surtout
est parvenue un si haut deg-r de puissance que l'his-
toire n'a rien lui comparer
;
le nombre des capitales, la
frquence et la clrit des expditions, les communica-
tions publiques et particulires en ont fait une immense
rpublique, et l'ont force se dcider sur le choix d'une
lang-ue.
Ce choix ne pouvait donc tomber sur l'allemand; car,
vers la fin du quinzime sicle et dans tout le cours du
seizime, cette lang-ue n'offrait pas un seul monument.
Nglige par le peuple qui la parlait, elle cdait toujours
le pas la langue latine. Comment donc faire adopter aux
autres ce qu'on n'ose adopter soi-mme? C'est des Allemands
que l'Europe apprit n2:li2rer la langue allemande. Obser-
vons aussi que l'Empire n'a pas jou le rle auquel son
tendue et sa population l'appelaient naturellement; ce vaste
corps n'eut jamais un chef qui lui ft proportionn, et dans
tous les temps cette ombre du trne des Csars, qu'on
ajffectait de montrer aux nations, ne fut, en effet, qu'une
ombre. Or on ne saurait croire combien une lansrue em-
prunte d'clat du prince et du peuple qui la parlent. Et
lorsque enfin la maison d'Autriche, fire de toutes ses cou-
ronnes, a pu faire craindre l'Europe une monarchie uni-
verselle, la politique s'est encore oppose la fortune de la
RIVAIVOL
lansrue
tiidesque. Charles-Ouint, plus attach son sceptre
hrditaire qu' un trne o son fils ne pouvait monter,
fit rejaillir l'clat des Csars sur la nation espaarnole.
A tant d'obstacles tirs de la situation de l'Empire, on
)eut en ajouter d'autres fonds sur la nature mme de la
anriie alleiriande; elle est trop riche et trop dure la fois.
N'avant aucun rapport avec les lang-ues anciennes, elle fut
pour l'Europe une lan crue-mre, et son abondance effraya
des ttes dj fati^-ues de l'lude du latin et du g-rec. En
effet, un Allemand qui apprend la langue franaise ne fait,
f)our
ainsi dire, qu'y descendre, conduit par la langue
atine : mais rien ne peut nous faire remonter du franais
l'allemand : il aurait fallu se crer pour lui une nouvelle
mmoire, et sa littrature, il
y
a un sicle, ne valait pas un
tel effort. D'ailleurs, sa prononciation g-utturale choqua
trop l'oreille des peuples du midi; et les imprimeurs alle-
mands, fidles l'criture gothique, rebutrent des yeux
accoutums aux caractres romains.
On peut donc tablir pourri^^le gnraleque, si l'homme
du nord est appel l'tude des langues mridionales, il
faut de long-ues guerres dansl'em.pire pour faire surmonter
aux peuples du midi leur rpugnance pour les lan^-ues sep-
tentrionales. Le genre humain est comme un fleuve qui
coule du nord au midi; rien ne peut le faire rebrousser
contre sa source
;
et voil pourquoi l'universalit de la
langue franaise est moins vraie pour l'Espagne et pour
l'Italie, que pour le reste de l'Europe. Ajoutez que l'Alle-
magne a presque autant de dialectes que de capitales, ce
qui fait que ses crivains s'accusent rciproquement de
patavinit. On dit, il est vrai, que les plus distingus d'entre
eux ont fini par s'accorder sur un choix de mots et de tour-
nures, qui met dj leur lansrue l'abri decette accusation,
mais qui le met aussi hors de la porte du peuple dans toute
la Germanie.
Il reste savoir jusqu' quel point la rvolution qui
s'opre aujourd'hui dans la littrature des Germains influera
sur la rputation de leur lancrue. On peut seulement pr-
sumer que cette rvolution s'est faite un peu tard, et que
leurs crivains ont repris les choses de trop haut. Des po-
mes tirs de la Bible o tout respire un air patriarcal, et
qui annoncent des murs admirables, n'auront de charmes
LITTERATURE
que pour une nation simple et sdentaire, presque sans
ports et sans commerce, etqui ne sera peut-tre jamais runie
sous un mme chef. L'AUcmaq-ne otl'rira loni^-temps le spec-
tacle d'un peupleantique et modeste, gfouvern par une foule
de princes amoureux des modes et du lang-a^-e d'une nation
attrayante et polie. D'o il suit que l'accueil extraordinaire
que ces princes et leurs acadmies ont fait un idiome
trang-er, est un obstacle de plus qu'ils opposent leur
lang-ue, et comme une exclusion qu'ils lui donnent.
La monarchie espasi-nole pouvait, ce semble, fixer le choix
de l'Europe. Toute brillante de l'or de l'Amrique, puissante
dans l'empire, matresse des Pays-Bas et d'une partie de
l'Italie, les malheurs de Franois I*"" lui donnaient un nou-
veau lustre, et ses esprancces s'accroissaient encore des
troubles de la France et du mariag-e de Philippe II avec la
reine d'Ano-leterre, Tant de g-randeur ne fut qu'un clair.
Charles -Quint ne put laisser son fils la couronne imp-
riale, et ce Hls perdit la moiti des Pays-Bas. Bientt l'ex-
pulsion des Maures et les mig-rations en Amrique bles-
srent l'Etat dans son principe, et ces deux g-randes plaies
ne tardrent pas paratre. Aussi, quand ce colosse fut
frapp par Richelieu, ne put-il rsister la France, qui s'tait
comme rajeuniedans les g-uerres civiles
;
ses armes plirent
de tous cts, sa rputation s'clipsa. Peut-tre, malg-r ses
f)ertes,
sa dcadence et t moins prompte en Europe, si sa
ittrature avait pu alimenter l'avide curiosit des esprits
qui se rveillait de toutes parts
;
mais le castillan, substitu
partout au patois catalan, comme notre picard l'avait t au
provenal, le castillan, dis-je, n'avait point cette galanterie
moresque dont l'Europe fut quelque temps charme, et le
g"nie national tail devenu plus sombre. Il est vrai que la
folie des chevaliers errants nous valut le Don Oiiichotle, et
que TEspag-ne acquit un thtre
;
il est vrai qu'on parlait
espag-nol dans les cours de Vienne, de Bavire, de Bruxelles,
de Naples et de Milan
;
que cette lang-ue circulait en France,
avec l'or de Philippe, du temps de la ligue, et que le ma-
riage de Louis XIII avec une princesse espagnole maintint
si bien sa faveur que les courtisans la parlaient, et que les
gens de lettres empruntrent la plupart de leurs pices au
thtre de Madrid
;
mais le gnie de* Cervantes et celui de
Lope de Vega ne suffirent pas long-temps nos besoins.
MIVAROL
Le premier, d'abord traduit, ne perdit pointa l'tre; le se-
cond, moins parfait, fut bientt imit et surpass. On s'ap-
perut donc que la mag-niticence de la lang"ue espag-nole et
'org-ueil national cachaient une pauvret relle. L'Espane,
n'avant que le sig-ne de la richesse, paya ceux qui commer-
aient pour elle, sans songer qu'il faut toujours les payer
davantag-e. Grave, peu communicative, subjugue par des
prtres, elle fut pour l'Europe ce qu'tait autrefois la mys-
trieuse Egypte, ddaignant des voisins qu'elle enrichissait,
et s'enveloppant du manteau de cet orgueil politique qui a
fait tous ses maux.
On peut dire que sa position fut un autre obstacle au
progrs de sa langue. Le voyageur qui la visite
y
trouve
encore les colonnes d'Hercule, et doit toujours revenir sur
ses pas
;
aussi l'Espagne est elle, de tous les royaumes,
celui qui doit le plus difficilement rparer ses pertes lors-
qu'il est une fois dpeupl.
Mais, en supposant que l'Espagne et conserv sa prpon-
drance politique, il n'est pas dmontr que sa langue ft
devenue la langue usuelle de l'Europe. La majest de sa
prononciation invite l'enflure, et la simplicit de la pense
se perd dans la longueur des mots et sous la plnitude
des dsinences. On est tent de croire qu'en espagnol
la conversation n'a plus de familiarit
,
l'amiti plus
d'panchement, le commerce de la vie plus de libert, et
quel'amoury est toujours un culte. Charles-Quintlui-mme,
qui parlait plusieurs langues, rservait l'espagnol pour des
jours de solennit et pour ses prires. En effet, les livres
asctiques
y
sont admirables, et il semble que le commerce
de 1 hom.me Dieu se fasse mieux en espagnol qu'en tout
autre idiome. Les proverbes
y
ont aussi de la rputation,
parce qu'tant le fruit de l'exprience de tous les peuples,
et le bon sens de tous les sicles rduit en formules, l'es-
pagnol leur prte encore une tournure plus sententieuse
;
mais les proverbes ne quittent pas les lvres du petit peuple.
11 paratdonc probable que ce sont et lesdfautset les avan-
tages de la langue espagnole, qui l'ont exclue la fois de
l'universalit.
Mais comment l'Italie ne donna-t-elle pas sa langue
l'Europe? Centre du monde depuis tant de sicles, on tait
accoutum son empire et ses lois. Aux Csars qu'elle
LITTErWTUrVE
n'avait plus avaient succd les ponlifes, et la relig-ion lui
rendait constamment les tats que lui arrachait le sort des
armes. Les seules routes praticables en Europe condui-
saient Rome; elle seule attirait les vux et l'argent
de tous les peuples, parce qu'au milieu des ombres pais-
ses qui couvraient l'Occident, il
y
eut toujours, dans
cette capitale, une masse de lumiies; et quand les beaux-
arts, exils de Constantinople, se rfug-irent dans nos cli-
mats, l'Italie se rveilla la premire leur approche, et fut
une seconde fois la Grande-Grce. Comment s'est-il donc
fait qu' tous ces titres elle n'ait pas ajout l'empire du lan-
gage ?
C'est que dans tous les temps les papes ne parlrent et
n'crivirent qu'en latin
;
c'est que. pendant vingt sicles,
cette langue rgna dans les rpubliques, dans les cours,
dans les crits et dans les monuments de l'Italie, et
que le toscan fut toujours appel la langue vulgaire.
Aussi, quand le Dante entreprit d'illustrer ses malheurs et
ses vengeances, hsita-t-il lonar-temps entre le toscan et le
latin II voyait que sa langue n'avait pas, mme dans le
midi de rurope, l'clat et la vogue du provenal; et il
pensait, avec son sicle, que l'immortalit tait exclusive-
ment attache la langue latine. Ptrarque et Boccace eu-
rent les mmes craintes; et, comme le Dante, ils ne purent
rsister la tentation d'crire la plupart de leurs ouvrages
en latin. Il est arriv pourtant le contraire de ce qu'ils esp-
raient; c'est dans leur langue maternelle que leur nom vit
encore
;
leurs uvres latines sont dans l'oubli. Il est mme
prsumer que, sans les sublimes conceptions de ces trois
f>Tands hommes, le patois des Troubadours aurait disput
le pas la langue italienne, au milieu mme de la cour
pontificale tablie en Provence.
Quoi qu'il en soit, les pomes du Dante et de Ptarque,
brillants de beauts antiques et modernes, ayant fix l'ad-
miration de l'Europe, la langue toscane acquit de l'empire.
A cette poque, le commerce de l'ancien monde passait tout
entier par les mains de l'Italie : Pise, Florence, et surtout
Venise et Gnes, taient les seules villes opulentes de l'Eu-
rope. C'est d'elles qu'il fallut, au temps des croisades, em-
prunter des vaisseaux pour passer en Asie, et c'est d'elles
que les barons franais, anglais et allemands, tiraient le
peu de luxe qu'ils avaient. La langue toscane rgna sur
toute la Mditerrane. Enfin, le beau sicle des Mdicis
arriva. Machiavel dbrouilla le chaos de la politique, et
Galile sema les germes de cette philosophie, qui n'a port
des fruits que pour la France et le nord de l'Europe. La
sculpture et la peinture prodiguaient leurs miracles, et l'ar-
chitecture marchait d'un pas q:al.Rome se dcora de chefs-
d'uvre sans nombre, et l'Arioste et le Tasse portrent
bientt la plus douce des langues sa plus haute perfection
dans des pomes qui seront toujours les premiers monu-
ments de l'Italie et le charme de tous les hommes. Qui pou-
vait donc arrter la domination d'une telle langue?
D'abord,une cause tire de l'ordre mme des vnements:
cette maturit trop prcoce. L'Espagne, toute politique et
guerrire, parut ignorer l'existence du Tasse et de l'Arioste:
l'Angleterre, thcologique et barbare, n'avait pas un livre, et
la France se
dbattait dans les horreurs de la Ligue. On
dirait que l'Europe n "tait pas prte, et qu'elle n'avait pas
encore senti le besoin d'une langue universelle.
Une foule d'autres causes se prsente. Quand la Grce
tait un monde, dit fort bien Montesquieu, ses plus petites
villes taient des nations : mais ceci ne put jamais s'appli-
quer l'Italie dans le mme sens. La Grce donna des lois
aux barbares qui l'environnaient : et l'Italie, qui ne sut pas,
son exemple, se former en rpublique fdrative, fut tour
tour envahie par les Allemands, par les Espagnols et par
les Franais. Son heureuse position et sa marine auraient
pu la soutenir et l'enrichir
;
mais, ds qu'on eut doubl le
cap de Bonne-Esprance, TOcan reprit ses droits, et le
commerce des Indes ayant pass tout entier aux Portugais,
l'Italie ne se trouva plus que dans un coin de l'univers. Pri-
ve de l'clat des armes et des ressources du commerce, il
lui restait sa langue et ses chefs-d'uvre : mais, par une
fatalit singulire, le bon got se perdit en Italie, au mo-
ment o il se rveillait en France. Le sicle des Corneille,
des Pascal et des Molire fut celui d'un cavalier Marin,
d'un Achillini et d'une foule d'auteurs plus mprisables
encore : de sorte que, si l'Italie avait conduit la France, il
fallut ensuite que la France rament l'Italie.
Cependant l'clat du nom franais augmentait
;
l'Angle-
terre se mettait sur les rangs, et ITtalie se dgradait dplus
LITTERATURE
9
en plus. On sentit g-nralement qu'un pays, qui ne four-
nissait plus que des baladins l'Europe, ne donnerait ja-
mais assez de considration sa lang-uc. On observa que
l'Italie, n'ayant pu, comme la Grce, ennoblir ses dillrents
dialectes, elle s'en tait trop occupe. A cet gard, la France
parat plus heureuse : les patois
y
sont abandonns aux
provinces, et c'est sur eux que le petit peuple exerce ses
caprices, tandis que la lang-ue nationale est hors de ses
atteintes.
EnKn, le caractre mme de la lang-uc italienne fut ce qui
l'carta le plus de cette universalit
qu'obtient chaque jour
la lang-ue franaise. On sait quelle distance spare en Italie
la posie de la prose : mais ce qui doit tonner, c'est que le
vers
y
ait rellement plus d'pret, ou, pour mieux dire,
moins de mig-nardise que la prose.
Les lois de la mesure et
de l'harmonie ont forc le pote tronquer les mots, et par
ces syncopes frquentes, il s'est fait une lang-ue part, qui,
outre la hardiesse des inversions,
a une marche plus rapide
et plus ferme. Mais la prose, compose
de mots dont toutes
les lettres se prononcent, et roulant
toujours sur des sons
pleins, se trane avec trop de lenteur
;
son clat est mono-
tone
;
l'oreille se lasse de sa douceur, et la lang-ue de sa
mollesse : ce qui peut venir de ce que chaque mot tant har-
monieux en particulier, l'harmonie
du tout ne vaut rien.
La pense la plus vig-oureuse se dtrempe dans la prose ita-
lienne. Elle est souvent ridicule et presque insupportable
dans une bouche virile, parce qu'elle te l'homme cette
teinte d'austrit qui doit en tre insparable. Comme la
lang-ue allemande, elle a des formes crmonieuses, enne-
mies de la conversation,
et qui ne donnent pas assez bonne
opinion de l'espce humaine. On
y
est toujours dans la f-
cheuse alternative d'ennuyer ou d'insulter un homme. Enfin,
il parat difficile d'tre naf ou vrai dans cette lang-ue, et la
plus simple assertion
y
est toujours renforce du serment.
Tels sont les inconvnients de ia prose italienne, d'ailleurs
si riche et si flexible. Or, c'est la prose qui donne l'empire
une lang-ue, parce qu'elle est tout usuelle : la posie n'est
qu'un objet de luxe.
Malg-r tout cela, on sent bien que la patrie de Raphal,
de Michel-Ange et du Tasse ne sera jamais sans honneurs.
C'est dans ce climat fortun que la plus mlodieuse des lan-
e^ues s'est unie la musique des ang-es, et cette alliance
leur assure un empire ternel. C'est l que les chefs-d'uvre
antiques et modernes, et la beaut du ciel attirent le voya-
geur, et que l'affinit des lano-ues toscane et latine le fait
passer avec transport de l'Enide la Jrusalem. L'Italie,
environne de puissances qui l'humilient, a toujours droit
de les charmer
;
et sans doute que, si les littratures an-
g-laise et franaise n'avaient clips la sienne, l'Europe au-
rait encore accord plus d'hommag-es une contre deux
fois mre des aits.
Dans ce rapide tableau des nations, on voit le caractre
des peuples et le gnie de leur langue marcher d'un pas
gal, et l'un est toujours garant de l'autre. Admirable pro-
prit de la parole, de montrer ainsi l'homme tout entier !
Des philosophes ont demand si la pense peut exister
sans parole ou sans quelqu'autre signe : non sans doute.
L'homme, tant une machine trs harmonieuse, n'a pu tre
jet dans le monde, sans s'y tablir une foule de rapports.
La seule prsence des objets lui a donn des sensations. qui
sont nos ides les plus simples, et qui ont bientt amen
les raisonnements. Il a d'abord senti le plaisir et la dou-
leur, et il les a nomms
;
ensuite il a connu et nomm l'er-
reur et la vrit. Or, sensation et raisonnement, voil de
quoi tout l'homme se compose : l'enfant doit sentir avant
de parler, mais il faut qu'il parle avant de penser. Chose
tranre Si l'homme n'et pas cr des signes, ses ides
simples et fugitives, germant et mourant tour tour,n'au-
raient pas laiss plus de traces dans son cerveau que les
flots d'un ruisseau qui passe n'en laissent dans ses yeux.
Mais l'ide simple a d'abord ncessit le signe, et bientt le
sig-ne a fcond l'ide
;
chaque mot a fix la sienne, et
telle est leur association, que si la parole e.->tune pense qui
se manifeste, il faut que la pense soit une parole intrieure
et cache (2). L'homme qui parle est donc l'homme qui pense
tout haut
;
et si on peut juger un homme par ses paroles,
on peut aussi juger une nation par son langage. La forme
et le fond des ouvrages dont chaque peuple se vante n'y
font rien : c'est d'aprs le caractre et le gnie de leur lan-
gue qu'il faut prononcer : car presque tous les crivains sui-
vent des rgles et des modles, mais une nation entire
parle d'aprs son gnie.
.ITTEHAIUHE
On demande souvent ce que c'est que le g-nie d'une lan-
g-ue, et il est difHcile de le dire. Ce mot tient des ides
trs composes
;
il a l'inconvnient des ides abstraites et
g-nrales
;
on craint, en le dfinissant, de le g-nraliser
encore. Mais afin de mieux rapprocher cette expression de
toutes les ides qu'elle embrasse, on peut dire que la dou-
ceur ou l'pret des articulations, l'abondance ou la raret
des voyelles, la prosodie et l'tendue des mots, leurs filia-
tions, et enfin le nombre et la forme des tournures et des
constructions qu'ils prennent entr'eux sont les causes les
plus videntes au g-nie d'une langue; et ces causes se lient
au climat et au caractre de chaque peuple en particulier.
Il semble, au premier coup-d'il, que, les proportions de
l'org-anc vocal tant invariables, elles auraient d produire
partout les mmes articulations et les mmes mots, et qu'on
ne devrait entendre qu'un seul langag-e dans Tunivers. Mais
si les autres proportions du corps humain, non moins inva-
riables, n'ont pas laiss de changer de nation nation, et
si les pieils, les pouces et les coudes d'un peuple ne sont
pas ceux d'un autre, il fallait aussi que l'organe brillant et
compliqu de la parole prouvt de grands changements
de peuple en peuple, et souvent de sicle en sicle. La na-
ture, qui n'a qu'un modle pour tous les hommes, n'a pour-
tant pas confondu tousles visages sous une mmephysiono-
mle. Ainsi, quoiqu'on trouve les mmes articulations radi-
cales chez des peuples diffrents, les langues n'en ont pas
moins vari comme la scne du monde; chantantes et volup-
tueuses dans les beaux climats, pres et sourdes sous un
ciel triste, elles ont constamment suivi la rptition et la
frquence des mmes sensations.
Aprs avoir expliqu la diversit des langues par la nature
mme des choses, et fond l'union du caractre d'un peu-
ple et du gnie de sa langue sur l'ternelle alliance de la
parole et de la pense, il est temps d'arriver aux deux peu-
ples qui nous attendent, et qui doivent fermer cette lice des
nations : peuples chez qui tout diffre, climat, langage,
gouvernement, vices et vertus
;
peuples voisins et rivaux,
qui, aprs avoir disput trois cents ans, non qui aurait
l'empire, mais qui existerait, se disputent encore la gloire
des lettres, et se partagent depuis un sicle les regards de
l'univers.
L'Aneleterrc, sous un ciel nbuleux, et spare du reste
dumoncle, ne parut qu'un exil aux Romains, tandis quela
Gaule,
ouverte tous les peuples, et jouissant da ciel de la
Grce, faisait les dlices des Csars : premire diilerence
tablie par la nature, et d'o driveune foule d'autres diff-
rences. Ne
cherchons pas ce qu'tait la nation anglaise,
lorsques rpandue dans les belles provinces, de France, ado-
ptant notre lang-ue et nos murs, elle n'offrait pas une
physionomie distincte; ni dans les temps o, consterne par
le
despotisme de Guillaume le Conqurant ou des Tudor,
elle donnait ses voisins des modles d'esclavag^e
;
mais
considrons-la dans son le, rendue son propre gnie,
parlant sa propre langue, florissante de ses lois, s'asseyant
enfin son vritable rang en Europe.
Par sa position et par la supriorit de sa marine, elle
peut nuire toutes les nations et les braver sans cesse.
Comme elle doit toute sa splendeur l'Ocan qui l'envi-
ronne, il faut qu'elle l'habite, qu'elle le cultive, qu'elle se
l'approprie
;
il faut que cet esprit d'inquitude et d'impa-
tience, auquel elle doit sa libert, se consume au dedans s'il
n'clate au dehors. Mais, quand l'agitation est intrieure,
elle peut tre fatale au prince, qui, pour lui donner un
autre cours, se hte d'ouvrir ses ports
;
et les pavillons de
l'Espagne, de la France ou de la Hollande sont bientt insul-
ts. Son commerce, qui s'est ramifi dans les quatre parties
du monde, fait aussi qu'elle peut tre blesse de mille ma-
nires diffrentes, et les sujets de guerre ne lui manquent
jamais : de sorte qu' toute l'estime qu'on ne peut refuser
une nation puissante et claire, les autres peuples joignent
toujours un peu de haine, mle de crainte et d'envie.
Mais la France, qui a dans son sein une subsistance
assure et des richesses immortelles, agit contre ses intrts
et mconnat son gnie, quand elle se livre l'esprit de
conqute. Son influence est si grande dans la paix et dans
la guerre que, toujours matresse de donner l'une ou l'au-
tre, il doit lui sembler doux de tenir dans ses mains la
balance des empires, et d'associer le repos de l'Europe au
sien. Par sa situation, elle tient tous les tats : par sa juste
tendue, elle touche ses vritables limites. Il faut donc
ue la France conserve et qu'elle soit conserve : ce qui la
istingue
de tous les peuples anciens et modernes. Le com-
LlTTnATUIXE
l3
merce des deux mers enrichit ses villes marilimes et vivifie
son intrieur; et c'est de ses productions qu'elle alimente
son commerce, si Lien que tout le monde a besoin de la
France, quand l'An^lolorre a besoin de toutlemonde. Aussi,
dans les cabinets de l'Euroj-e, c'est plutt l'Ang-leterre qui
inquite, c'est plutt la France qui domine. Sa capitale,
enfonce dans les terres, n'a point eu, comme les villes ma-
ritimes, l'afiluence des peuples; mais elle a mieux senti et
mieux rendu l'influence de son propre ^n!e,le g"0iit de son
terroir, l'esprit de son gouvernement. Elle a attir par ses
charmes, plus que par ses richesses; elle n'a pas eu le m-
lange, mais le choix des nations; les gens d'esprit
y
ont
abond>et son empire a t celui du got. Les opinions exa-
gres du nord et du midi viennent
y
prendre une teinte qui
plat tous. Il faut donc que la Francecraigne de dtourner,
par la guerre, l'heureux penchant de tous les peuples pour
elle: quand on rgne par l'opinion, a-t-on besoin d'un autre
empire?
Je suppose ici que, si le principe du gouvernement s'af-
faiblit cncz l'une des deux nations, il^'allaiblit aussi dans
l'autre, ce qui fera subsister longtemps le parallle et leur
rivalit : car, si l'Angleterre avait tout son ressort, elle
serait trop remuante
;
et la France serait trop craindre,
si elle dployait toute sa force. Il
y
a pourtant cette obser-
vation faire, que le monde politique peut chan^^er d'atti-
tude, et la France n'y perdrait pas beaucoup. Il n'en est
pas ainsi de l'Angleterre, et je ne puis prvoir jusqu' quel
point elle tombera, pour avoir plutt song tendre sa
domination que son commerce.
La diflerence de peuple peuple n'est pas moins forte
d'homme homme. L'Anglais, sec et taciturne, joint,
l'embarras et la timidit de l'homme du nord, une impa-
tience, un dgot de toute chose, qui va souvent jusqu'
celui de la vie
;
le Franais a une saillie de gat qui ne
l'abandonne pas
;
et quelque rgime que leurs gouverne-
ments les aient mis l'un et l'autre, ils n'ont jamais perdu
cette premire empreinte. Le Franais cherche le ct plai-
sant de ce monde, l'Anglais semble toujours assister un
drame
;
de sorte que ce qu'on a dit du Spartiate et de l'A-
thnien se prend ici la lettre
;
on ne gagne pas plus
ennuyer un Franais qu' divertir un Anglais. Celui-ci
l4
I\IVA!VOL
vovasre pour voir, le Franais pour tre vu. On n'allait pas
beaucoup Lacdmone, si ce n'est pour tudier son g"ou-
vernement
;
mais le Franais, visit par toutes les nations,
peut se croire dispens de voyacrer chez elles, comme d'ap-
prendre leurs lansTues, puisqu'il retrouve partout la sienne.
En Angleterre, les hommes vivent beaucoup entre eux
;
aussi les femmes, qui n'ont pas quitt le tribunal domesti-
que, ne peuvent entrer dans le tableau de la nation : mais
on ne peindrait les Franais que de profil, si on faisait le
tableau sans elles
;
c'est de leurs vices et des ntres, de la
politesse des hommes et de la coquetterie des femmes,qu'est
ne cette galanterie des deux sexes qui les corrompt tour
tour, et qui donne la corruption mme des formes si bril-
lantes et si aimables. Sans avoir la subtilit qu'on reproche
aux peuples du midi, et l'excessive simplicit du nord, la
France a la politesse et la grce : et non seulement elle a la
grce et la politesse, maisc'est elle qui en fournitles mod-
les dans les murs, dans les manires et dans les parures.
Sa mobilit ne donne pas TEurope le temps de se lasser
d'elle. C'est pour toujours plaire que le Franais change
toujours
;
c'est pour ne pas trop se dplaire lui-mme que
l'Anglais est contraint de changer. On nous reproche l'im-
prudence etla fatuit; mais nous en avons tir plus dparti,
que nos ennemis de leur ile""me et de leur fiert : la politesse
ramne ceux qu'a choqus la vanit; il n'est point a'accom-
dement avec l'orgueil. On peut d ailleurs en appeler au
Franais de quarante ans, et l'Anglais ne eragne rien aux
dlais. Il est bien des moments o le Franais pourrait payer
de sa personne
;
mais il faudra toujours que l'Anglais paye
de son ar^rent ou du crdit de sa nation. Enfin, s'il est pos-
sible que le Franais n'ait acquis tant de grces et de got
qu'aux dpens de ses uiu:ur.5, il cit encore trs possible que
l'Anglais ait perdu les siennes, sans acqurir ni le got ni
les grces.
Quand ou compare un peuple du midi un peuple du
nord, on n'a que des
"
extrmes rapprocher; mais la
France, sous un ciel tempr, changeante dans ses mani-
res et ne pouvant se fixer elle-mme, parvient pourtant
fixer tous les gots. Les peuples du nord viennent
y
cher-
cher et trouver l'homme du midi, et les peuples du midi
y
cherchent et v trouvent l'homme du nord. Plus mi cavalier
LIIIKIIATIR!!: i5
Francs, c'est le chevalier Franais quime plat, disait, il
y
a
huit cents ans, ce Frdric I^rquiavait vu toutel'Europe et
qui tait notre ennemi. Que devient maintenant lere})roche,
si souvent fait au P'ranais, qu'il n'a pas le caractre de
l'Anglais ? Ne voudrait-on pas aussi qu'il parlt la mme
lang-ue? La nature, en lui donnant la douceur d'un climat,
ne pouvait lui donner la rudesse d'un autre : elle l'a fait
l'homme
de toutes les nations, et son gouvernement ne
s'oppose
point au vu de la nature.
J'avais
d'abord tabli que la parole et la pense, le gnie
des langues
et le caractre des peuples se suivaient d'un
mme
pas : je dois dire aussi que les langues se mlent
entre
elles, comme les peuples; qu'aprs avoir t obscures
comme
eux, elles s'lvent et
s'ennoblissent avec eux : une
langue
riche ne fut jamais celle d'un peuple ignorant et
pauvre.
Mais, si les langues sont comme les nations, il est
encore
trs vrai que les mots sont comme les hommes. Ceux
qui ont dans la socit une famille et des alliances
tendues
V ont aussi une plus grande consistance. C'est ainsi que les
mots, qui ont de nombreux drivs et qui tiennent beau-
coup d'autres, sont les premiers mots d'une langue et ne
vieilliront jamais; tandis que ceux qui sont isols, ou sans
harmonie, tombent comme des hommes sans recommanda-
tion et sans appui. Pour achever le
parallle, on peut dire
que les uns et les autres ne valent qu'autant
qu'ils sont
leur place. J'insiste sur cette analogie, afin de prouver com-
bien le got qu'on a dans l'Europe
pour les Franais est
insparable de celui qu'on a pour leur langue
;
et
combien
l'estime dont cette langue jouit est fonde sur celle que
l'on sent pour la nation.
Voyons maintenant si le gnie et les
crivains de la langue
anglaise auraient pu lui donner
cette
universalit
qu'elle
n'a point obtenue du caractre et de la
rputation du peuple
qui la parle. Opposons sa langue la ntre, sa
littrature
notre littrature, et justifions le choix de
l'univers.
S'il est vrai qu'il n'y eut jamais ni langage
ni peuple sans
mlange, il n'est pas moins
vident
qu'aprs une
conqute
il faut^lu temps pour
consolider le
nouvel
tat, et pour
bien
fondre ensemble les idiomes et les
familles des vain-
queurs et des vaincus. Mais on est tonn,
quand on voit
qu'il a fallu plus de
mille ans la langue
franaise
pour
l6
RIVAUf)!.
arriver sa maturit. On ne Test pas moins quand on songe
la prodig-ieuse quantit dcrivains qui ont fourmill dans
cette lang"ue depuis le cinquime sicle jusqu' la fin du
seizime, sans compter ceux qui crivaient en latin. Quel-
ques monuments, qui s'lvent encore dans cette mer d'ou-
bli, nous ollrent autant de franais diflrents. Les chang-e-
ments et les rvolutions del lang-ue taient si brusques que
le sicle o on vivait dispensait toujours de lire les ouvra-
g-es du sicle prcdent. Les auteurs se traduisaient miutuel-
lement de demi-sicle en demi-sicle, de patois en patois,
de vers en prose : et dans cette longue galerie d'crivains,
il ne s'en trouve pas un qui n'ait cru fermement que la lan-
g'ue tait arrive pour lui sa dernire perfection. Pasquier
affirmait de son temps qu'il ne s'y connaissait pas, ou que
Ronsard avait fix la langue franaise.
A travers ces variations, on voit cependant combien le
caractre de la nation influait sur elle : la construction de
la pbrase fut toujours directe et claire. La langue franaise
n'eut donc que deux sortes de barbaries combattre : celle
des mots et celle du mauvais got de cbaque sicle. Les
conqurants franais, en adoptant les expressions celtes et
latines, les avaient marques chacune son coin : on eut
une langue pauvre et dcousue, o tout fut arbitraire, et le
dsordre rgna dans la disette. Mais, quand la monarchie
acquit plus de force et d'unit, il fallut refondre ces mon-
naies parses et les runir sous une empreinte gnrale,
conforme d'un ct leur orie;-ine, et de l'autre au gnie
mme de la nation
;
ce qui leur donna une physionomie
double. On se fit une lang-ue crite et une langue parle, et
ce divorce de l'orthogiaphe et de la prononciation dure
encore (3). Enfin le bon got ne se dveloppa tout entier que
dans la pepfection mme de la socit : la maturit du lan-
gage et celle de la nation arrivrent ensemble.
En effet, quand l'autorit publique est an'ermie, que les
fortunes sont assures, les privilges confirms, les droits
claircis, les rangs assigns; quand la nation heureuse et
respecte jouit de la gloire au dehors, de la paix et du com-
merce au dedans
;
lorsque dans la capitale un peuple im-
mense se mle toujours sans jamais se confondre : alors on
commence distinguer autant de nuances dans le langage
que dans la socit; la dlicatesse des procds amne celle
LITTERATURE
n
des propos
;
les mtaphores sont plus justes, les comparai-
sons plus nobles, les plaisanteries plus fines, la parole
tant le vtement de la pense, on veut des formes plus l-
gantes. C'est ce qui arriva aux premires annes du rg-ne
de Louis XIV.Le poids del'autoril royale fit rentrer chacun
sa place
;
on connut mieux ses droits et ses plaisirs;
l'oreille, plus exerce, exigea une prononciation plus douce;
une foule d'objets nouveaux demandrent des expressions
nouvelles : la lan-ue franaise fournit tout, et l'ordre
s'tablit dans l'abondance.
Il faut donc qu'une lanj^ue s'ag-ite jusqu' ce qu'elle se
repose dans son propre g-nie, et ce principe explique un
fait assez extraordinaire. C'est qu'aux treizime et qua-
torzime sicles, la lang-ue franaise tait plus prs d'une
certaine perfection, qu'elle ne le fut au seizime. Ses l-
ments s'taient dj incorpors; ses mots taient fixes, et la
construction de ses phrases, directe et rg"ulire : il ne
manquait donc cette langue que d're parle dans un
sicle plus heureux, et ce temps approchait. Mais, contre
tout espoir, la renaissance des lettres la ft tout coup
rebrousser vers la barbarie. Une foule de potes s'levrent
dans son sein, tels que les Jodelle, les Bafs et les Ronsard.
Epris d'Homre et de Pindare, et n'ayant pas digr les
beauts de ces g-rands modles, ils s'imag-inrent que la
nation s'tait trompe jusque-l, et que la lang-ue franaise
aurait
bientt le charme du grec, si on
y
transportait les
mots composs, les diminutifs, les pjoratifs, et surtout la
hardiesse des inversions, choses prcisment opposes son
gnie. Le ciel fut porte flambeau^iu^niev^ lance-tonnerre;
on cwies agnelets, doucelets
on fit des vers sans rime,
des hexamtres, des pentamtres; les mtaphores basses ou
gig-antesques se cachrent sous un style entortill
;
enfin,
ces potes parlrent grec en franais, et de tout un sicle on
ne s'entendit point dans notre posie. C'est sur leurs subli-
mes chasses que le burlesque se trouva naturellement
mont, quand le bon got vint paratre.
A cette mme poque, les deux reines Mdicis donnaient
une grande vogue l'italien, et les courtisans tchaient de
l'introduire de toute part dans la lane;-ue franaise. Cette
irruption du grec et de l'italien la troul)la d'abord
;
mais,
comme une liqueur dj sature, elle ne put recevoir ces
l8 niVAROL
nouveaux clcments : ils ne tenaient pas
;
on les vit tomber
d'eux-mmes.
Les malheurs de la France, sous les derniers Valois,
retardrent la perfection du lans:ag"e; mais la fin du rcgi-ne
de Henri IV et celui de Louis XIII, ayant donn la nation
l'avant-g-ot de son triomphe, la posie franaise se mon-
tra d'abord sous les auspices de son propre g-cnie. La prose
plus sag-e ne s'en tait pas carte comme elle
;
tmoins
Amyot, Montaigne et Charron; aussi, pour la premire fois,
peut-tre, elle prcda la posie qui la devana toujours.
Il manque un trait cette faible esquisse de la langue
romance ou gauloise. On est persuad que nos pres taient
tous nafs; que c'tait un bienfait de leurs temps et de leurs
murs, et qu'il est encore attach leur langage : si bien
que certains auteurs emprunlent aujourd'hui leurs tournu-
res, afin d'tre nafs aussi. Ce sont des vieillards qui, ne
pouvant parler en hommes, bcgayentpour paratre enfants;
le naf qui se dgrade, tombe dans le niais. Voici donc
com.ment s'explique cette navet gauloise.
Tous les peuples ont le naturel : il ne peut
y
avoir un
sicle trs avanc qui connaisse et sente le naf. Celui que
nous trouvons et que nous sentons dans le style de nos
anctres l'est devenu pour nous; il n'tait pour eux que le
naturel. C'est ainsi qu'on trouve tout naf dans un enfant
qui ne s'en doute pas. Chez les peuples perfectionns et cor-
rompus, la pense a toujours un voile, et la modration
exile des murs se rfugie dans le lanerage; ce qui le rend
plus fin et plus piquant. Lorsque, par une heureuse absence
de finesse et de prcaution, la phrase montrela pense toute
nue, le naf parait. De mme chez les peuples vtus, une
nudit produit la pudeur
;
mais les nations qui vont nues
sont chastes sans tre pudiques, comme les Gaulois taient
naturels sans tre nafs. On pourrait ajouter que ce qui
nous fait sourire dans une expression antique n'eut rien de
plaisant dans son sicle, et c{ue telle pigramme charge du
sel d'un vieux mot et t fort innocente il
y
a deux cents
ans. Il me semble donc qu'il est ridicule, quand on n'a pas
la navet, d'en emprunter les livres: nos grands crivains
l'ont trouve dans leur me, sans quitter leur langue, et
celui qui, pour tre naf, emprunte une phrase d'Amyot,
demanderait, pour tre brave, l'armure de Bavard.
LiiTnATruE
19
C'est une chose bien remarquable qu' quelque poque
de la lang-ue franaise qu'on s'arrte, depuis sa plus obs-
cure orig-ine jusqu' Louis XIII, et dans quelque imperfec-
tion qu'elle se trouve de sicle en sicle, elle ait toujours
charm l'Europe, autant que le malheur des temps l'a per-
mis. 11 faut donc que la France ait toujours eu une perfec-
tion relative et certains agrments fonds sur la position
et sur l'heureuse humeur de ses habitants. L'histoire, q^ui
confirme partout cette vrit, n'en dit pas autant de l'Ang-le-
terre.
Les Saxons, l'ayant conquise, s'y tablirent, et c'est de
leur idiome et de l'ancien jarg-on du pays que se forma la
lang-ue ang-laise, appele anglo-saxon. Celte langue fut
abandonne au peuple, depuis la conqute de Guillaume
jusqu' Edouard III, intervalle pendant lequel la cour et
les tribunaux d'Angleterre ne s'exprimrent qu'en franais.
Mais enfin la jalousie nationale s'tant rveille, on exila
une lan^rue rivale que le gnie anglais repoussait depuis
longtemps. On sent bien que les deux langues s'taient
mles malgr leur haine
;
mais il faut observer que les
mots franais qui migrrent en foule dans l'anglais, et
qui se fondirent dans une prononciation etune syntaxe nou-
velles, ne furent pourtant pas dfigurs. Si notre oreille
les mconnat, nos yeux les retrouvent encore; tandis que
les mots latins qui entraient dans les diffrents jargons de
l'Europe furent toujours mutilas, comme les oblisques et
les statues qui tombaielat entre les mains des barbares. Cela
vient de ce que les Latins ayant plac les nuances de la
dclinaison et del conjugaison dans les finales des mots,
nos anctres, qui avaient leurs articles, leurs pronoms et
leurs verbes auxiliaires, tronqurent ces finales qui leur
taient inutiles, et qui dfiguraient le mot leurs yeux.
Mais dans les emprunts que les langues modernes se font
entre elles, le mot ne s'altre que dans la
prononciation.
Pendant un espace de quatre cents ans, je ne trouve en
Angleterre que Chaucer et Spencer. Le premier mrita,
vers le milieu du quinzime sicle, d'tre appel l'Homre
anglais : notre Ronsard le mrita de mme; et Chaucer,
aussi obscur que lui, fut encore moins connu. De Chaucer
jusqu' Shakespeare et Milton, rien ne transpire dans cette
le clbre, et sa littrature ne vaut pas un coup d'il.
20
nivAnoL
Me voil tout coup revenu l'poque o j'ai laiss la
lang-ue franaise. La paix de Vervins avait appris l'Eu-
rope sa vritable position; on vit chaque tat se placer
son rani^-. L'Ang-leterre brilla pour un moment de l'clat
d'Elisabeth et de Cromw'el, et ne sortit pas du
pdantisme;
l'Espag-ne puise ne put cacher sa faiblesse
;
mais la France
montra toute sa force, et les lettres commencrent sa g-loire.
Si Ronsard avait bti des chaumires avec des tronons
de colonnes grecques, ?.alherbe leva le premier des monu-
ments nationaux. Richelieu, qui affectait toutes les g-ran-
deurs, abaissait d'une main la maison d'Autriche, et de
l'autre attirait lui le jeune Corneille, en l'honorant de sa
jalousie. Ils fondaient ensemble ce thtre, o, jusqu' l'ap-
f)arition
de Racine, l'auteur du Cid rg-na seul. Pressentant
es accroissements et l'empire de la lang-ue, il lui crait un
tribunal, afin de devenir par elle le lgislateur des lettres.
A cette poque, une foule de j^nies vigoureux s'emparrent
de la langue franaise, et lui firent parcourir rapidement
toutes ses priodes, de Voiture jusqu' Pascal, et de Racan
jusqu' Boileau.
Cependant l'Angleterre, chappe l'anarchie, avait
repris ses premires formes, et Charles II tait paisiblement
assis sur un trne teint du sang de son pre. Shakespeare
avait paru
;
mais son nom et sa gloire ne devaient passer
les mers que deux sicles aprs
;
il n'tait pas alors, comme
il l'a t depuis, l'idole de sa nation et le scandale de notre
littrature
(4>
Son gnie agreste et populaire dplaisait au
prince et aux courtisans. Milton, qui le suivit, mourut
inconnu
;
sa personne tait odieuse la cour; le titre de
son pome rebuta: on ne gota point des vers durs, hris-
ss de termes techniques, sans rime et sans harmonie, et
l'Angleterre apprit un peu tard qu'elle possdait un pome
pique. Il
y
avait pourtant de beaux esprits et des potes
la cour de Charles : Cowley, Rochester, Hamilton, Waller
V brillaient, et Shaftesburv htait les progrs de la pense,
en purant la prose anglaise. Cette faible aurore se perdit
tout coup dans l'clat du sicle de Louis XIV : les beaux
jours de la France taient arrivs.
11
y
eut un admirable concours de circonstances. Les
grandes dcouvertes qui s'taient faites depuis cent cin-
quante ans dans le monde avaient donn l'esprit humain
LITTERATUHE
21
une
impulsion que rien ne pouvait plus arrter,
et cette
impulsion tendait vers la France. Paris fixa les ides flot-
tantes de l'Europe, et devint le foyer des tincelles rpan-
dues chez tous les peuples. L'imag-ination de Descartes
rg-na dans la philosophie, la raison de Boileau dans les
vers
;
Bayle plaa le doute aux pieds de la vrit
; Bossuet
tonna sur la tte des rois; et nous comptmes autant de
g-enrcs d'loquence que de g-rands hommes. Notre thtre
surtout achevait l'ducation de l'Europe : c'est l que le
jrand Cond pleurait aux vers du g-rand Corneille, et que
Racine corrigeait Louis XIV. Rome tout entire parut sur
la scne franaise, et les passions parlrent leur lang-ag-e.
Nous emes et ce JMolire plus comique que les Grecs, et le
Tlmaque plus antique que les ouvrages des anciens, et ce
La Fontaine qui, ne donnant pas la lang-ue des formes si
f)ures,
lui prtait des beauts plus incommunicables.
Nos
ivres, rapidement traduits en Europe et mme en Asie, de-
vinrent les livres de tous les pays, de tous les g-ots et de
tous lesg-es. La Grce, vaincue sur le thtre, le fut encore
dans des pices fug-itives qui volrent de bouche en bouche,
et donnrent des ailes la lang-ue franaise. Les premiers
journaux qu'on vit circuler en Europe taient franais, et
ne racontaient que nos victoires et nos chefs-d'uvre. C'est
de nos acadmies qu'on s'entretenait, et la langue s'ten-
dait par leurs correspondances. On ne parlait enfin que de
l'esprit et des g-rces franaises : tout se faisait au nom de
la France, et notre rputation s'accroissait de notre rputa-
tion.
Aux productions de l'esprit se joignaient encore celles de
l'industrie : des pompons et des modes accompagnaient nos
meilleurs livres chez l'tranger, parce qu'on voulait tre
partout raisonnable et frivole comme en France. Il arriva
Qonc que nos voisins, recevant sans cesse des meubles, des
toffes et des modes qui se renouvelaient sans cesse man-
qurent de termes pour les exprimer : ils furent comme
accabls sous l'exubrance de l'industrie franaise; si bien
qu'il prit comme une impatience gnrale l'Europe, et
que pour n'tre plus spar de nous, on tudia notre langue
de tous cts.
Depuis cette explosion, la France a continu de donner un
thtre, des habits, du got, des manires, une langue, un
RIVAROL
nouvel art de vivre et des jouissances inconnues aux tats
qui l'entourent : sorte d'empire qu'aucun peuple n'a jamais
exerc. Et comparez-lui, je vous prie, celui des Romains
qui semrent partout leur lang-ue et Tesclavag-e, s'engrais-
srent de sang-, et dtruisirent jusqu' ce qu'ils fussent
dtruits !
On a beaucoup parl de Louis XIV; je n'en dirai qu'un
mot. Il n'avait ni le gnie d'Alexandre, ni la puissance et
l'esprit d'Aug"uste
;
mais pour avoir su rgner, pour avoir
connu l'art d'accorder ce coup-d'il, ces faibles rcompen-
ses dont le talent veut bien se payer, Louis XIV marche,
dans l'histoire de l'esprit humain, ct d'Auguste et d'A-
lexandre. Il fut le vritable Apollon du Parnasse franais
;
les pomes, les tableaux, les marbres ne respirrent que
pour lui. Ce qu'un autre et fait par politique, il le fit par
g-ot. Il avait de la grce
;
il aimait la g-loire et les plaisirs
;
et je ne sais quelle tournure romanesque, qu'il eut dans sa
jeunesse, remplit les Franais d'un enthousiasme quigag-na
toute l'Europe. Il fallut voir ses btiments et ses ftes
;
et
souvent la curiosit des trangers soudoya la vanit fran-
aise. En fondant Rome une colonie de peintres et de sculp-
teurs, il faisait signer la France une alliance perptuelle
avec les arts. Quelquefois, son humeur magnifique allait
avertir les princes trang-ers du mrite d'un savant ou d'un
artiste cach dans leurs tats, et il en faisait l'honorable
conqute. Aussi le nom franais et le sien pntrrent jus-
qu'aux extrmits orientales de l'Asie. Notre langue domina
comme lui dans tous les traits; et quand il cessa de dicter
des lois, elle garda si bien l'empire qu'elle avait acquis, que
ce fut dans cette mme langue, org-ane de son ancien des
potisme, que ce prince fut humili vers la fin de ses jours.
Ses prosprits, ses fautes et ses malheurs servirent g-ale-
raent la lans^ue
;
elle s'enrichit, la rvocation de Fdit
de Nantes, de tout ce que perdait l'Etat. Les rfugis empor-
trent dans le nord leur haine pour le prince et leurs reg-rets
pour leur patrie, et ces regrets et cette haine s'exhalrent
en franais.
Il semble que c'est vers le milieu du rgne de Louis XIV
que le royaume se trouva son plus haut point de grandeur
relative. L'Allemagne avait des princes nuls, l'Espag-ne
tait divise et lang-uissante, l'Italie avait tout cramdre,
LITTUATL-RE 23
l'An^-leterreet l'Ecosse n'taient pas encore unies, la Prusse
et la Russie n'existaient pas. Aussi l'heureuse France, pro-
fitant de ce silence de tous les peuples, triompha dans la
guerre et dans les arts. Elle occupa le monde de ses entre-
priseset de sa gloire. Pendant prs d'un sicle, elle donna
ses rivaux et les jalousies littraires, et les alarmes politi-
ques, et la fatigue de ladmiration. Enfin l'Europe, lasse
d'admirer et d'envier, voulut imiter : c'tait un nouvel hom-
ma^-e. Des essaims d'ouvriers entrrent en France et en
rapportrent notre lani^'-ue et nos arts qu'ils propa;5-rent.
Vers la fin du sicle, quelques ombres se mlrent tant
d'clat. Louis XIV vieillissant n'tait plus heureux. L'An-
g-lelerre se dg-ag-ea des rayons de la France et brilla de sa
propre lumire. De g-rands esprits slevrent dans son
sein. Sa langue s'tait enrichie, comme son commerce, de
la dpouille des nations. Pope, AddissonetDryden en adou-
cirent les sifflements, et l'ang-lais fut, sous leur plume,
l'italien du nord. L'enthousiasme pour Shakespeare et Mil
-
ton se rveilla
;
et cependant Locke posait les bornes de
l'esprit humain, Newton trouvait la nature de la lumire et
la loi de l'univers.
Aux yeux du sag-e, l'Ang-leterre s'honorait autant parla
philosophie que nous par les arts
;
mais puisqu'il faut le
dire, la place tait prise : l'Europe ne pouvait donner deux
fois le droit d'anesse, et nous l'avions obtenu; de sorte que
tant de g-rands hommes, en travaillant pour leur gloire,
illustrrent leur patrie et l'humanit, plus encore que leur
lang"ue.
Supposons cependant que l'Angleterre et t moins
lente sortir de la barbarie, et qu'elle et prcd la
France
;
il me semble que l'Europe n'en aurait pas mieux
adopt sa langue. Sa position n'appelle pas les voyageurs,
et la France leur sert toujours de passage ou de terme. L'An-
gleterre vient elle-mme faire son commerce chez les diff-
rents peuples, et on ne va point commercer
chez elle. Or
celui qui voyage ne donne pas sa langue
;
il prendrait plu-
tt celles des autres : c'est presque sans sortir de chez lui
que le Franais a tendu La
sienne.
Supposons enfin que, par sa position,
l'Angleterre ne se
trouvt pas relgue dans lOcan, et qu'elle et attir ses
voisins
;
il est encore probable que sa langue et sa littra-
24
RIVAUOL
ture n'auraient pu fixer le choix de l'Europe; car il n'esl
point d'objection un peu forte contre la lang"ue allemande,
qui n'ait encore de la force contre celle des Ang-lais : les
dfauts de la mre ont pass jusqu' la fille. Il est vrai aussi
que les objections contre la littrature ang-laise deviennent
plus terribles contre celle des Allemands : ces deux peuples
s'excluent l'un par l'autre.
Quoi qu'il en soit, l'vnement a dmontr que, la lang-ue
latine tant la vieille souche, c'tait un de ses rejetons qui
devait fleurir en Europe. On peut dire, en outre, que si
l'Anglais a l'audace des langues inversions, il en a l'obs-
curit, et que sa syntaxe est si bizarre que la rgle
y
a
quelquefois moins d'applications que d'exceptions. On lui
trouve des formes serviles qui tonnent dans la langue d'un
peuple libre, et la rendent moins propre la conversation
que la langue franaise, dont la marche est si leste et si
dgage. Ceci vient de ce que les Anglais ont pass du plus
extrme esclavage la plus haute libert politique
;
etquenous
sommes arrivs d'une libert presque dmocratique, une
monarchie presque absolue. Les deux nations ont gard les
livres de leur ancien tat, et c'est ainsi que les langues soni
les vraies mdailles de l'histoire. Enfin, la prononciation de
cette langue n'a ni la plnitude, ni la fermet de la ntre.
J'avoue que la littrature des Anglais offre des monu-
ments de profondeur et d'lvation, qui seront l'terne]
honneur de l'esprit humain : et cependant leurs livres ne
sont pas devenus les livres de tous les hommes
;
ils n'ont
pas quitt certaines mains
;
il a fallu des essais et de la pr-
caution pour n'tre pas rebut de leur ton, de leur got et
de leurs formes. Accoutum au crdit immense qu'il a dans
les affaires, l'Anglais semble porter cette puissance fictive
dans les lettres, et sa littrature en a contract un caractre
d'exagration oppos au bon got elle se sent trop de l'iso-
lement du peuple et de l'crivain : c'est avec une ou deux
sensations que quelques Anglais ont fait un livre
(5).
Le
dsordre leur a plu, comme si Tordre leur et sembl trop
prs de je ne sais quelle servitude : aussi leurs ouvrages,
qu'on ne lit pas sans fruit, sont trop souvent dpourvus de
charme; et le lecteur
y
trouve toujours la peine que l'crivaic
ne s'est pas donne.
Mais le Franais, ayant reu des impressions de tous les
LITTnVTLI\E 25
peuples de l'Europe, a plac le j^ot dans les opinions mod-
res, et ses livres composent la bibliothque du i^enre hu-
main. Comme les Grecs, nous avons eu toujours dans le
temple de la g-loire un autel pour les rces, et nos rivaux
les ont trop oublies. On peut dire, par supposition, que si
le
monde finissait tout coup, pour faire place h un monde
nouveau, ce n'est point un excellent livre ang-lais, mais un
excellent livre franais qu'il faudrait lui lg-uer, afin de lui
donner de notre espce humaine une ide plus heureuse.
A richesse g-ale, il faut que la sche raison cde le pas la
raison orne.
Ce n'est point l'aveuqle amour de la patrie ni le prjug
national qui m'ont conduit dans ce rapprochement des
deux peuples; c'est la nature et l'vidence des faits. Eh!
quelle est la nation qui loue plus franchement que nous?
N'est-ce pas la France qui a tir la littrature ang-laise du
fond de son le? N'est-ce pas Voltaire qui a prsent Locke
et mme Newton l'Europe? Nous sommes les seuls qui
imitions les An^-Iais, et quand nous sommes las de notre
g-ot, nous
y
mlons leurs caprices. Nous faisons entrer
une mode ang-laise dans l'immense tourbillon des ntres, et
le monde l'adopte au sortir de nos mains. Il n'en est pas
ainsi de l'Angleterre : quand les peuples du nord ont aim
la nation franaise, imit ses manires, exalt ses ouvrages,
les Anglais se sont tus, et ce concert de toutes les voix n'a
t troubl que par leur silence.
Il me reste prouver que, si la langue franaise a con-
quis l'empire par ses livres, par l'humeur et par l'heureuse
position du peuple qui la parle, elle le conserve par son pro-
pre gnie.
Ce qui distingue notre langue des langues anciennes et
modernes, c'est l'ordre et la construction de la phrase. Cet
ordre doit toujours tre direct et ncessairement
clair. Le
Franais nomme d'abord le sujet du discours,
ensuite le
verbe qui est l'action, et enfin l'objet de cette action :
voil la logique naturelle tous les hommes; voil ce qui
constitue le sens commun. Or, cet ordre si favorable, si
ncessaire au raisonnement, est presque toujours contraire
aux sensations, qui nomment le premier l'objet qui frappe
le premier : c'est pourquoi tous les peuples, abandonnant
l'ordre direct, ont eu recours aux tournures plus ou moins
a6
nivAHuL
hardies, selon que leurs sensations ou l'harmonie l'exi-
geaient; et Tinversion a prvalu sur la terre, parce que
l'homme est plus imprieusement gouvern par les passions
que par la raison.
Le franais, par un privilge unique, est seul rest fidle
l'ordre direct, comme s'il tait tout raison
;
et on a beau,
par les mouvements des plus varis et toutes les ressources
au style, dguiser cet ordre, il faut toujours qu'il existe : et
c'est en vain que les passions nous bouleversent et nous
sollicitent de suivre l'ordre des sensations : la syntaxe fran-
aise est incorruptible. C'est de l que rsulte cette admi-
rable clart, base ternelle de notre langue. Ce qui n'est
PAS CLAIR n'est PAS FRANAIS; cc qi u'cst pas clair est
encore anglais, italien, grec ou latin. Pour apprendre les
langues inversions, il sufft de connatre les mots et les
rgimes; pour apprendre la langue franaise, il faut encore
retenir l'arrangement des mots. On dirait que c'est d'une
gomtrie toute lmentaire, de la simple ligne droite, que
s'est forme la lan^-ue franaise; et que ce sont les courbes
et leurs varits infinies qui ont prsid aux langues grecque
et latine. La ntre rgle et conduit la pense; celles-l se
prcipitent et s'garent avec elle dans le labyrinthe des sen-
sations, et suivent tous les caprices de l'harmonie : aussi
furent-elles merveilleuses pour les oracles, et la ntre les
et absolument dcris.
Il est arriv de l que la langue franaise a t moins
propre la musique et aux vers qu'aucune langue ancienne
ou moderne : car ces deux arts vivent de sensations
;
la
musique surtout, dont la proprit est de donner la force
des paroles sans verve, et d'atfaiblir les expressions fortes :
preuve incontestable qu'elle est elle-mme une puissance
fart,
et qu'elle repousse tout ce qui veut partager avec elle
empire des sensations. Qu'Orphe redise sans cesse : J'ai
perdu mon Eurydice, la sensation d'une phrase tant rpte
sera bientt nulle, et la sensation musicale ira toujours
croissant. Et ce n'est point, comme on l'a dit, parce que les
mots franais ne sont pas sonores, que la musique les
repousse; c'est parce qu'ils offrent l'ordre et la suite, quand
le chant
demande le dsordre et l'abandon. La musique doit
bercer l'me dans le vague et ne lui prsenter que des motifs.
Malheur celle dont on dira qu'elle a tout dfini;! les
MTTEaATi;UK
27
accords plaisent l'orollle par la mme raison que les
saveurs et les parfums plaisent au
cot
et l'odorat.
Mais, si la rif>'ide construction de la phrase t;cne la marche
du musicien, l'imag-ination du pote est encore arrte
par
leg-nie circonspect de la lane;-ue. Les mfaphores des potes
trang-ers ont toujours un degr de plus que les ntres
;
ils
serrent le stvle fipfur de plus prs, et leur posie est plus
haute en couleur. Il est gnralement vrai que les figures
orientales taient folles; que celles des Grecs et des Latins
ont t hardies, et que les ntres sont simplement justes. Il
faut donc que le pote franais plaise par la pense, par une
lg-ance continue, par des mouvements heureux, par des
alliances de mots. C'est ainsi que les g-rands matre* n'ont
pas laiss de cacher d'heureuses hardiesses dans le tissu
d'un style clair et sag-e
;
et c'est de l'artifice avec lequel ils
ont su dg-uiser leur fidlit au g-nie de leur langue que
rsulte tout le charme de leur stvle. Ce qui fait croire que
la lang-ue franaise, sobre et timide, serait encore la der-
nire des langues, si la masse de ses bons crivains ne l'et
pousse au premier rang", en forant son naturel.
Un des plus grands problmes qu'on puisse proposer aux
hommes est cette constance de Tordre rgulier dans notre
langue. Je conois bien que les Grecs et mme les Latins,
ayant donn une famille chaque mot et de riches modifi-
cations leurs finales, se soient livrs aux plus hardies
tournures pour obir aux impressions qu'ils recevaient des
objets; tandis que, dans nos langues modernes, l'embarras
des conjug-aisons et l'attirail des articles, la prsence d'un
nom mal apparent ou d'un verbe dfectueux, nous font
tenir sur nosg^ardes, pour viter d'obscurit. Mais pourquoi,
entre les lang-ues modernes, la ntre s'est-elle trouve seule
si rig"oureusement asservie l'ordre direct? Serait-il vrai
que, par son caractre, la nation franaise et souveraine-
ment besoin de clart?
Tous les hommes ont ce besoin sans doute, et je ne croi-
rai jamais que dans Athnes et dans Rome les g^ens du
peuple aient us de fortes inversions. On voitmmeles plus
g'rands crivains se plaindre de l'abus qu'on en faisait en
vers et en prose. Ils sentaient que l'inversion tait l'unique
source des difficults et des quivoques dont leurs langues
fourmillent; parce qu'une fois l'ordre du raisonnement
28 nivAiiOL
sacrifi, l'oreille et l'imaginalion, ce qu'il
y
a dplus capri-
cieux dans l'homme, restent matresses du discours. Aussi,
quand on lit Dmctrius de Phalre, est-on frapp des log'es
qu'il donne Thucydide, pjur avoir dbut, dans son his-
toire, par une phrase de construction toute franaise. Cette
phrase tait lo^ante et directe la fois, ce qui arrivait
rarement; car toute langue, accoutume la licence des
inversions, ne peut plus porter le joug- de l'ordre, sans
perdre ses mouvements et sa grce.
Mais la langue franaise, ayant la clart par excellence,
a d chercher toute son lgance et sa force dans l'ordre
direct; l'ordre et la clart ont d surtout dominer dans la
prose, et la prose a d lui donner l'empire. Cette marche
est dans la nature; rien n'est en effet comparable la prose
franaise.
Il
y
a des piges et des surprises dans les langues in-
versions
;
le lecteur reste suspendu dans une phrase latine,
comme un voyageur devant des routes qui se croisent
;
il
attend que toutes les finales l'aient averti de la correspon-
dance des mots
;
son oreille reoit, et son esprit, qui n'a
cess de dcomposer pour composer encore, rsout enfin le
sens de la phrase comme un problme. La prose franaise
se dveloppe en marchant, et se droule avec grce et no-
blesse. Toujours sre de la construction de ses phrases, elle
entre avec plus de bonheur dans la discussion des choses
abstraites, et sa sagesse donne de la confiance la pense.
Les philosophes l'ont adopte, parce qu'elle sert de flambeau
aux sciences qu'elle traite, et qu'elle s'accommode galement,
et de la frugalit didactique, et de la magnificence qui
convient l'histoire de la nature.
On ne dit rien en vers qu'on ne puisse trs souvent expri-
mer aussi bien dans notre prose, et cela n'est pas toujours
rciproque. Le prosateur tient plus troitement sa pense,
et la conduit par le plus court chemin
;
tandis que le versi-
ficateur laisse flotter les rnes, et va o la rime le pousse.
Notre prose s'enrichit de tous les trsors de l'expression
;
elle poursuit le vers dans toutes ses hauteurs, et ne laisse
entre elle et lui que la rime. Etant commune tous les
hommes, elle a plus de juges que la versification, et sa dif-
ficult se cache sous une extrme facilit. Le versificateur
enfle sa voix, s'arme de la rime et de la mesure, et tire une
LITTERATLRS ZQ
pense commune du sentier vuli^airc
;
mais aussi que de
faiblesses ne cache pas l'art des versl La prose accuse le nu
de la pense; il n est pas permis d'tre faible avec elle. Selon
Denis d'IIalycarnasse, il
y
a une prose qui vaut mieux que
les meilleurs vers, et c'est elle qui fait lire les ouvrai^es de
lon^-ue haleine, parce qu'elle seule peut se charger des
dtails, et que la varit de ses priodes lasse moins que le
charme continu de la rime et de la mesure. Et qu'on ne
croie pas que je veuille par l dgrader les beauxvers; l'ima-
gination pare la prose, mais la posie pare limag-ination.
La raison elle-mme a plus d'une route, et la raison en vers
est admirable; mais le mcanisme du vers fatigue, sans
offrir l'esprit des tournures plus hardies, dans notre
langue surtout, o les vers semblent tre les dbris de la
prose qui les a prcds
;
tandis que, chez les Grecs, sau-
vages plus harmonieusement organiss que nos anctres,
les vers et les dieux rgnrent longtemps avant la prose et
les rois. Aussi peut-on dire que leur langue fut longtemps
chante avant d'tre parle; et la ntre, jamais dnue de
prosodie, ne s'est dgage qu'avec peine deses articulations
rocailleuses. De l nous est venue cette rime tant reproche
la versification moderne, et pourtant si ncessaire pour
lui donner cet air de chant qui la dislinguedela prose. Au
reste, les anciens n'eurent-ils pas le retour des mesures
comme nous celui des sons
;
et n'est-ce pas ainsi que tous
les arts ont leurs rimes, qui sont les symtries ? Un jour
cette rime des modernes aura de grands avantages pour la
f)ostrit;
car il s'lvera des scoliastes qui compileront
aborieusement toutes celles des langues mortes; et comme
il n'y a presque pas un mot qui n'ait pass par la rime, ils
fixeront par l une sorte de prononciation uniforme et plus
ou moins semblable la ntre, ainsi que par les lois de la
mesure nous avons fix la valeur des syllabes chez les Grecs
et les Latins.
Quoi qu'il en soit de la prose et des vers franais,
quand
cette langue traduit, elle explique
vritablement
un auteur.
Mais les langues italienne et
anglaise,
abusant de leurs
inversions, se jettent dans tous les" moules que le texte leur
prsente
;
elles se calquent sur lui, et rendent
difficult pour
difficult : je n'en veux pour preuve que
Davanzati. Quand
le sens de Tacite se perd comme un fleuve qui disparat
30
RIVAHOL
tout coup sous la terre, le traducteur plonge et se drobe
avec lui. On les voit ensuite reparatre ensemble
;
ils ne se
quittent pas l'un l'autre, mais le lecteur les perd souvent
tous deux.
La prononciation de la lang-ue franaise porte l'empreinte
de son caractre
;
elle est plus varie que celle des langues
du midi, mais moins clatante; elle est plus douce que
celles des lang-ues du nord, parce qu'elle n'articule pas
toutes ses lettres. Le son de Ve muet, toujours semblable
la dernire vibration des corps sonores, lui donne une
harmonie l^-re qui n'est qu' elle.
Si on ne lui trouve pas les diminutifs et les mignardises
de la lanGrue
italienne, son allure est plus mle. Dg-age
de tous les protocoles que la bassesse inventa pour la vanit
et la faiblesse pour le pouvoir, elle en est plus faite pour la
conversation, lien des hommes et charme de tous les g-es
;
et puisqu'il faut le dire, elle est de toutes les lang^ues la
seule qui ait une probit attache son g-nie. Sre, sociale,
raisonnable, ce n'est plus la lang-ue franaise, c'est la lan-
g-ue humaine. Et voil pourquoi les puissances l'ont appele
dans leurs traits
;
elle
y
rg-ne depuis les confrences de
Nimg-ue
;
et dsormais les intrts des peuples et les vo-
lonts des rois reposeront sur une base plus fixe
;
on ne
smera plus la g-uerre dans des paroles de paix.
Aristippe, ayant fait naufrag-e, aborda dans une le
inconnue, et voyant des fig-ures de gomtrie traces sur le
rivage, il s'cria que les dieux ne l'avaient pas conduit chez
des barbares. Quand on arrive chez un peuple, et qu'on
y
trouve la langue franaise, on peut se croire chez un peuple
poli.
Leibnitz cherchait une langue universelle, et nous l'ta-
blissions autour de lui. Ce grand homme sentait que la
multitude des lang-ues tait fatale au gnie, et prenait trop
sur la brivet de la vie. Il est bon de ne pas donner trop
de vtements sa pense
;
il faut, pour ainsi dire, voyager
dans les langues, et, aprs avoir savour le got des plus
clbres, se renfermer dans la sienne.
Si nous avions les
littratures de tous les peuples passs,
comme nous avons celles des Grecs et des Piomains, ne fau-
drait-il pas que tant de langues se rfugiassent dans une
seule par la traduction ? Ce sera vraisemblablement le sort
LiiiuArcht
3l
des lang-ues modernes, et la ntre leur ofTre un port dans
le naufrage. L'Europe prsente une rpublique fdratlve,
compose d'empires et de royaumes, et la plus redoutable
qui ait jamais exist
;
on ne peut en prvoir la Hn, et cepen-
aant la langue franaise doit encore lui survivre. Les Ktats
se renverseront, et notre langue sera toujours retenue dans
la tempte par deux ancres, sa littrature et sa clart, jus-
qu'au moment o, par une de ces grandes rvolutions qui
remettent les choses leur premier point, la nature vienne
renouveler ses traits avec ^m autre genre humain.
Mais sans attendre l'elfort des sicles, cette langue ne
peut-elle pas se corrompre ? Une telle question mnerait
trop loin; il faut seulement soumettre la langue franaise
au principe commun toutes les langues.
Le langage est la peinture de nos ides, qui leur tour
sont des images plus ou moins tendues de quelques parties
del nature. Comme il existe deux mondes pour chaque
homme en particulier, Tun hors de lui, qui est le monde
physique, et l'autre au dedans, qui est le monde moral ou
intellectuel, il
y
a aussi deux styles dans le langage, le
naturel et le
figur.
Le premier exprime ce qui se passe
hors de nous et dans nous par des causes physiques
;
il
compose le fond des langues, s'tend par Texprience, et
peut tre aussi grand que la nature. Le second exprime ce
qui se passe dans nous et hors de nous
;
mais c'est l'imagi-
nation qui le compose des emprunts qu'elle fait au premier.
Le soleil brle
;
le marbre est froid
;
l'homme dsire la
gloire
;
voil le langage propre ou naturel. Le cur brle
de dsir ;la crainte le glace
;
la terre demande la pluie :
voil le style figur, qui n'est que le simulacre de l'autre,
et qui double ainsi la richesse des langues. Comme il tit-nt
l'idal, il parat plus grand que la nature.
L'homme le plus dpourvu d'imagination ne parle pas
longtemps sans tomber dans la mtaphore. Or, c'est ce per-
ptuel mensonge de la parole, c'est le style mtaphorique
qui porte un germe de corruption. Le style naturel ne peut
tre que vrai
;
et quand il est faux, l'erreur est de fait, et
nos sens la corrigent tt ou tard. Mais les erreurs dans les
figures ou dans les mtaphores annoncent de la fausset
dans l'esprit et un amour de l'exagration qui ne se corrige
gurcs.
32
RIVAUOL
Une lans^ue vient donc se corrompre lorsque, confon-
dant les limites qui sparent le st^le naturel du Ij^-ur, on
met de l'affectation outrer les fig-urcs et rtrcir le natu-
rel qui est la base, pour charger d'ornements superflus l'di-
fice de l'imagination. Par exemple, il n'est pomt d'art ou
de profession dans la vie, qui n'ait fourni des expressions
figures au langage : on dit, la trame de la perfidie
;
le
creuset du malheur
;
et on voit que ces expressions sont
comme la porte de nos ateliers, et s'offrent tous les
yeux. Mais quand on veut aller plus avant, et qu'on dit.
cette vertu qui sort du creuset na pas perdu tout son
alliage : il lui
faut
plus de cuisson : lorsqu'on passe de
la trame de la ^er^die la navette de la fourberie, on
tombe dans l'affectation.
C'est ce dfaut qui perd les crivains desnationsavances
;
ils veulent tre neufs, et ne sont que bizarres; ils tourmen-
tent leur langue, pour que l'expression leur donne la pen-
se: et c'est pourtant celle-ci qui doit toujours amener l'au-
tre. Ajoutons qu'il
y
aune seconde espce de corruption,
mais qui n'est pas craindre pour la langue franaise :
c'est la bassesse des ligures. Pionsard disait, le soleil per-
ruque de lumire
;
la voile s enfle plein ventre. Ce
dfaut prcde la maturit des langues, et disparat avec la
politesse.
Par tous les mois et toutes les expressions dont les arts
et les mtiers ont enrichi les langues, il semble qu'elles aient
peu d'obligations aux gens de la cour et du inonde; mais
si c'est la partie laborieuse d'une nation qui cre, c'est la
partie oisive qui choisit et qui rgne. Le travail et le repos
sont pour l'une, le loisir et les plaisirs pour l'autre. C'est
au got ddaigneux, c'est l'ennui dun peuple d'oisifs que
l'art a d ses progrs et ses finesses. On sent en effet que
tout est bon pour Thomme de cabinet et de travail, qui
ne cherche le soir qu'un dlassement dans les spectacles
et les chefs-d'uvre des arts
;
mais pour des mes excdes
de plaisirs et lasses de repos, il faut sans cesse des attitu-
des nouvelles et des sensations toujours plus exquises.
Peut-tre est-ce ici le lieu d'examiner ce reproche de pau-
vret et d'extrme dlicatesse, si souvent fait la langue
franaise. Sans doute, il est difficile d'y tout exprimer avec
noblesse
;
mais voil prcisment ce qui constitue en quel-
LITTKATUHE 33
que sorte son caractre. Les styles sont classs dans notre
langue, comme les sujets dans notre monarchie. Deux ex-
pressions qui conviennent la mme chose ne conviennent
pas au mme ordre de choses
;
et c'est travers cette hirar-
chie des styles que le bon goiU sait marcher. On peut ran-
ger nos grands crivains en deux classes. Les premiers,tels
lue Racine et Boileau, doivent tout un travail obstin;
ils parlent un langage parfait dans ses formes, sans m-
lange, toujours idal, toujours tranger au peuple qui les
environne : ils deviennent les crivainsde tousles temps, et
perdent bien peu dans la postrit. Les seconds, ns avec
plus d'originalit, tels que Molire ou La Fontaine, revlent
leurs ides de toutes les formes populaires
;
mais avec tant
ie sel, de got et de vivacit, qu'ils sont la fois lesmod-
es et les rpertoires de leur langue. Cependant leurs cou-
leurs plus locales s'efiacent la longue
;
le charme du style
nl s'atl'adit ou se perd, et ces auteurs ne sont pour la pos-
:rit qui ne peut les traduire, que les crivains de leur
lation.ll serait donc aussi injuste denejugerde l'abondance
ie notre langue que par le Tlmaque ou Cinna seulement,
jue de la population de laFrance parle petit nombre appel
a bonne compagnie.
J'aurais pu examinerjusqu' quel point et par combien de
luances les langues passent et se dgradent en suivant le
lclin des empires. Mais il suffit de dire qu'aprs s'tre
leves d'poque en poque jusqu' la perfection, c'est en
,'ain qu'elles en descendent : elles
y
sont fixes par les bons
ivres, et c'est en devenant langues mortes qu'elles se font
rellement immortelles. Le mauvais latin du Bas-Empire
'a-t-il pas donn un nouveau lustre la belle latinit du
iicle d'Auguste ? Les grands crivains ont tout fait. Si
aotre France cessait d'en produire, la langue de Racine et
ie Voltaire deviendrait une lancrue morte
;
et si les Esqui-
maux nous offraient toutcoup douze crivains du premier
Drdre, il faudrait bien que les regards de l'Europe se tour-
oassent vers cette littrature des Esquimaux.
Terminons, il est temps, l'histoire dj trop longue de la
langue franaise. Le choix de l'Europe est expliqu et jus-
tifi : Voyons d'un coup d'il comment, sous le rgne de
Louis XV, il a t confirm, et comment il se confirme
encore de jour en jour.
I
34
RIVAROL
Louis XIV, se survivant lui-mme, voyait commencer
un autre sicle, etla France ne s'tait repose qu'un moment.
La philosophie de Newton attira d'abord nos regards, et
Fontenelle nous la fit aimer en la combattant. Astre doux
et paisible, il rgna pendant le crpuscule qui spara les
deux rgnes. Son stvle clair et familier s'exerait sur des
objets profonds, et nous dguisait notre ignorance. Montes-
quieu vint ensuite montrer aux hommes les droits des uns
et les usurpations des autres, le bonheur possible et le
malheur rel. Pour crire l'histoire grande et calme de la
nature, BufTon emprunta ses couleurs et sa majest
;
pour
en fixer les poques, il se transporta dans des temps qui
n'ont point exist pour l'homme
;
et l son imagination
rassembla plus de sicles que l'histoire n'en a depuis grav
dans ses annales : de sorte que ce qu'on appelait le com-
mencement du monde, et qui touchait pour nous aux tn-
bres d'une ternit antrieure, se trouve plac par lui entre
deux suites d'vnements, comme entre deux fojers de
lumire. Dsormais l'histoire du globe prcdera celle de
ses habitants.
Partout on voyait la philosophie mler ses fruits aux
fleurs de la littrature, et TEncyclopdie tait annonce. C'est
l'Angleterre qui avait trac ce vaste bassin o doivent se
rendre nos diverses connaissances
;
mais il fut creus par
des mains franaises. L'clat de cette entreprise rejaillit sur
la nation, et couvrit le malheur de nos armes. En mme
temps, un roi du nord faisait notre langue l'honneur que
Marc-Aurle et Julien firent celle des Grecs : il associait
son immortalit la ntre; Frdric voulut tre lou des
Franais, comme Alexandre des Athniens. Au sein de tant
de gloire, parut le philosophe de Genve. Ce que la morale
avait jusqu'ici enseign aux homm^es, il le commanda, et
son imprieuse loquence fut coute. Piaynal donnait enfin
aux deux mondes le livre o sont pess les crimes de l'un
et les malheurs de l'autre. C'est l que les puissances de
l'Europe sont appeles tour tour, au tribunal de l'huma-
nit, pour
y
frmir des barbaries exerces en Amrique :
au tribunal de la philosophie, pour
y
rougir des prjugs
qu'elles laissent encore aux nations
;
au tribunal de la poli-
tique, pour
y
entendre leurs vritables intrts, fonds sur
le bonheur des peuples.
LITTRATURE
35
Mais Voltaire rg-nait depuis un sicle, et ne donnait de
relche ni ses admirateurs, ni ses ennemis. L'mfatig-able
mobilit de son me de feu l'avait appel l'histoire tui.'-i-
Live des hommes. Il attacha son nom toutes les dcouvertes,
tous les vnements, toutes les rvolutions de son temps,
t la renomme s'accoutuma ne plus parler sans lui. Ayant
:ach le despotisme de Tesprit sous des grces toujours
aouvclles, il devint une puissance en Europe, et fut pour
lle le Franais par excellence, lorsqu'il tait pour les Fran-
ais l'homme de tous les lieux et de tous les sicles. Il
oig-nit enfin l'universalit de sa lan^-ue, son universalit
personnelle : et c'est un problme de plus pour la postrit.
Ces g-rands hommes nous chappent, il est vrai, mais
lous vivons encore de leur g"loire, et nous la soutiendrons,
)uisqu'il nous est donn de faire dans le monde physique
es pas de g"ant qu'ils ont faits dans le monde moral. L'ai-
ain vient de parler
(6)
entre les mains d'un Franais, et
'immortalit que les livres donnent notre lang-ue, des
Lutomates vont la donner sa prononciation. C'est en
^'rance
(7}
et la face des nations que deux hommes se
lont trouvs entre le ciel et la terre, comme s'ils eussent
ompu le contrat ternel que tous les corps ont fait avec elle.
Is ont voyag- dans les airs, suivis des cris de l'admiration
t des alarmes de la reconnaissance. La commotion qu'un
el spectacle a laisse dans les esprits durera long-temps
;
t si, par ses dcouvertes, la physique poursuit ainsi l'ima-
["ination dans ses derniers retranchements, il faudra bien
[u'elle abandonne ce merveilleux, ce monde idal d'o elle
e plaisait charmer et tromper les hommes : il ne res-
era plus la posie que le langag-e de la raison et des
tassions.
Cependant l'Ano-leterre, tmoin de nos succs, ne les
lartag-e point. Sa dernire g-uerre avec nous la laisse dans
a double clipse de sa littrature et de sa prpondrance
;
t cette guerre a donn l'Europe un grand spectacle. On
y
. vu un peuple libre conduit par l'Angleterre l'esclava^-e,
t ramen par un jeune monarque la libert. L'histoire
le l'Amrique se rduit dsormais trois poques : gorge
>ar l'Espagne, opprime par l'Angleterre, et sauve par
a France
(8).
36
nivAROL
NOTES
(i)
Drunetto
Latini.
(3)
Parole
intrieure et cache.
Que dans la retraite et le silence
le plus absolu,
un homme entre en mditation sur les objets les plus
deo-ao-esde la
maiire, il entendra toujours au fond de sa poitrine une
VOIX
secrte qui nommera les objets mesure qu'ils passeront en revue.
Si cet homme est sourd de naissance, la langue n'tant pour lui qu'une
simple
peinture, il verra passer tour tour les hirolyphes ou les
ima:;es des choses sur lesquelles il mditera. K.
(3;
On connat
notre orthographe trois inconvnients : d'employer
d'abord trop de lettres pour crire un mot. ce qui embarrasse sa mar-
che-
ensuite d'en employer qu'on pourrait remplacer par d'autres, ce qui
lui donne du vague; enfin, d'avoir des caractres dont elle n'a pas le
prononce,
et des prononcs dont elle n"a pas les caractres. C'est par
respect,
dit-on, pour l'tymologie, qu^on crit philosophie et non Jilo-
sofie.
Mais, ou le lecteur sait le rec, ou il ne le sait pas
;
s'il l'inore,
cette
orlhosrraphe
lui semble bizarre et rien de plus : s'il connat cette
lan^^ue,
il n'a pas besoin qu'on lui rappelle ce qu'il sait. Les Italiens,
qui^ont
renonc ds lonrtemps notre mthode, et qui crivent comme
ils
prononcent,
n'en savent pas moins le rec, et nous ne l'is^norons pas
moins,
malgr notre fidle routine. Mais on a tant dit que les langues
sont pour
l'oreille! Un abus est bien fort, quand on a si longtemps rai-
son contre lui: sans compter que nous ne sommes pas constamment
fid'es aux
etymologies, car nous crivons fantme, fantaisie, etc., et
philtre on filtre,
etc.
J'observerai
cependant que les livres se sont fort multiplies, et que
les langues sont autant pour les yeux que pour l'oreille : la rforme
est presque impossible. Nous sommes accoutums telle orthographe :
elle a servi fixer les mots dans notre mmoire
;
sa bizarrerie fait sou-
vent toute la physionomie d'une expression, et prvient dans la langue
crite les
frquentes quivoques de la langue parle. Aussi, ds qu'on
prononce un mot nouveau pour nous, naturellement nous demandons
son orthographe, afin de l'as.-ocier aussitt sa prononciation. On ne
croit pas savoir le nom d'un homme, si on ne l'a vu par crit. R.
(4 Le scandale de notre littrature.
Comme le thtre donne un
grand clat une nation, les Anglais se sont raviss sur leur Shakes-
peare, et ont voulu non seulement l'opposer, mais le mettre encore fort
au-dessus de notre Corneille : honteux d'avoir jusqu'ici ignor leur
propre richesse. Cette opinion est d'abord tombe en France, comme
hrsie en
plein concile: mais il s'y est trouv des esprits chaerins et
anfflomans,
qui ont pris la chose avec enthousiasme. Ils regardent en
piti ceux que Shakespeare ne rend pas compltement heureux, et
demandent
toujours qu'on les enferme avec ce grand homme :
partie
malsaine de notre littrature, lasse de reposer sa vue sur les belles pro-
portions!...
D'oii vient l'enthousiasme de l'Angleterre pour lui? De ses beauts et
de ses dfauts. Le gnie de Shakespeare est comme la majest du peuple
anglais : on l'aime'ingal et sans frein; il en parat plus libre. Son
stvle bas et populaire en participe mieux de la souverainet nationale.
Ses beauts dsordonnes causent des motions plus vives, et le peuple
s'intresse une tragdie de Shakespeare comme un vnement qui se
HTTKR\TLftE
37
passerait dans les raes. Les plaisirs purs que donnent la dcence, la
raison, l'ordre et la perfection ne sont faits que pour les mes dlicates
et exerces. On peut dire que Shakespeare, s'il tait moins monstrueux,
ne charmerait [)as tant le peuple, et qu'il n tonnerait pas tant les con-
naisseurs, s'il n't'lail pas quelquefois si rand. Cet homme extraordi-
naire a deux sortes d'ermemis : ses dtracteurs et ses enthousiastes;
les
uns ont la vue trop courte pour le reconnatre quand il est sublime;
les autres l'ont trop fascine pour le voir jamais autre. K.
(5)
C est avec, une ou deux sensations que quelques Anglais ont
fait
un livre.
Gomme Young, avec la nuit et le silence. R.
(6)
L'airain vient de parler.
Ce sont deux ttes d'airain qui par-
lent, et qui prononcent nettement des phrases entires. Elles sont colos-
sales, et leur voix est surhumaine. Ce bel ouvrae, excut par l'abb
Mical, a rsolu un grand problme. R.
(7)
C'est en France, etc.
Allusion l'invention des globes arosta-
tiques, et au voyage de MM. Charles et Robert.
(8)
Voir l'appendice n. 14.
Jugement port iAcadmie de Berlin sur ce discours.
L'auteur
n'obtiendra les suffrages du public, comme il a dj obtenu ceux de
l'Acadmie, que lorsque son discours sera lu et mdit dans le silence
des prjugs nationaux. Le plan qu'il s'est trac est juste et bien
ordonn, et il ne s'en carte jamais. Son style est brillant; il a de la
chaleur, de la rapidit et de la mollesse. Ses penses sont aussi pro-
fondes que philosophiques, et tous ses tableaux, o l'on admire sou-
veut l'nergique pinceau de Tacite, intressent par le coloris, par la
varit, et, j'ose le dire encore, par la nouveaut. Cet crivain a, dans
un degr suprieur, l'art d'attacher, d'entraner ses lecteurs par ses
raisonnements et son loquence. On lui trouve toujours un got
pur et form par l'tude des grands modles. Ses principes ne sont
point arbitraires; ils sont puiss dans le bon sens et dans la nature
;
et l'on voit bien qu'il s'est nourri de la lecture des matres fameux de
l'antiquit. En un mot,il est peu d'ouvrages acadmiques qu'on puiss
comparer au sien, soit pour le fond des choses, soit pour le style, et
f je ne doute pas que le jus:ement qu'en a port l'Acadmie ne soit enfin
confirm par celui du public.
Sign, Borel
1, de l'Acadmie de Berlin.
I
DIALOGUE ENTRE VOLTAIRE
ET FONTENELLE
1784
FONTENELLE, LA MOTTE ET VOLTAIRE
Fonienelle.
Heureusement que la jalousie, la {gloriole des auteurs, et
tout cet attirail de petites passions humaines, ne passa pas
le Stvx avec nous
;
car, pour peu qu'il me restt de l'homme
encore, je sens que je vous harais bien sincrement.
Voltaire.
Que signifie cette phrase de Normand? Je crois en effet
que vous ne m'aimez gure.
Fontenelle.
Puis-je vous pardonner les plaisanteries sans fin dont
vous m'avez accabl pendant le cours d'une si longue vie?
N'tait-ce pas assez que votre rputation et fait taire la
mienne et celle de La Motte? Nous tions tous deux la
tte de la littrature, quand vous avez paru
;
nous hasar-
dions en style timide des opinions trs hardies, lui sur le
got, et moi sur la religion : le monde se reposait, avec
notre ingnieuse mdiocrit, de la supriorit du sicle pr-
cdent; et vous tes venu lui redonner la fatigue des chefs-
d'uvre en tout genre : de sorte que ma longue carrire,
ef'ace son aurore par les Racine et les Boileau, se trouve
clipse vers sa fin par vous, et rduite comme un point.
Sont-ce l des choses qui se pardonnent ?
La Motte.
Sans compter que vous avez mis en dfaut tous nos
petits historiens, qui auraient bien voulu qu'aprs le sicle
LITTERATURB
39
de Louis XIV fut venu celui de la philosophie,
et ensuite
la
dcadence, afin de pouvoir trouver, dans notre histoire
et
dans celle des Romains, des poques bien symtriques,
le
sicle d'Aug-uste, celui des philosophes, et le reste. Mais,
grce vous, on n'y connat plus rien, et Fontenelle
et
moi nous jouons un triste rle. Enfants d'une nature
en
repos, et qui semblait mnag-er ses forces, parce qu'aprs
le sicle de Louis XlVelle se prparait celui de Louis XV,
nous avons t traits bien chichement
;
et toutefois je suis
de l'avis de mon confrre : nous aurions encore la plus
grande rputation sans vous.
Voltaire.
Ing-ratsque vous tes! vous oubliez combien vous avez eu
de beaux moments
;
vous oubliez, Fontenelle, qu'on pour-
rait envier vos quarante dernires annes, et que c'est beau-
coup, mme sur une vie de cent ans. Quant vous, La
Motte, vous avez cru faire une rvolution en posie, et
quand vous lisiez vos fables l'Acadmie franaise, on les
prfrait celles de La Fontaine : cette double illusion
vous a donn de vritables jouissances. Xe vous laissez
donc pas blouir par les honneurs tardifs que Paris m'a
rendus; ils ont t bien achets; car, sans compter les
dgots d'une vie errante et polmique, je ne passais encore
que pour un bel esprit cinquante ans. On m'a longtemps
oppos le dur Piron, et Crbillon le barbare. Il m'a fallu
expier, par une longue retraite, des succs toujours dispu-
ts, et ce n'est qu'en devenant tranger ma patrie que j'ai
pu
y
rentrer, pour recueillir en un jour le fruit de soixante
ans de travaux; faible moisson de gloire, reprsente par
quelques feuilles de laurier! Et je ne vous dis pas encore de
combien d'pines cette couronne tait en secret tissue : je
triomphais Jrusalem, malgr les Scribes et les Phari-
riens, j'tais log chez le Publicain, et si je suis mort dans
mon lit, j'ai pu prvoir, la consternation de tout ce qui
n\en\ronna.it, que
Je
serais enterr au bord (le la rivire,
ct de cette pauvre Le Couvreur. Consolez-vous donc
avec moi, mes amis :
Tout mortel est charg de sa propre douleur.
Fontenelle
.
Oh! si j'avais eu votre destine conduire, elle n'et
40
RIVAROL
point chou dans le port. Vous aviez une grande fortune,
une rputation sans borne, et, si j'en crois la renomme,
vous tiez devenu une puissance en Europe. Je n'aurais
point quitt 'cette retraite o vous receviez le tribut de tant
d'hommag-es, toujours grossis par la distance, pour venir
Paris faire voir de trop prs l'idole, et me donner une indi-
g-estion de gloire : si j'avais eu la faiblesse d'y venir, rien
n'aurait du moins corrompu la douceur de mon triomphe;
j'aurais remport ma couronne Ferney, avant qu'elle se
ft fltrie.
Voltaire.
Vous parlez d'or, mon cher Fontenelle, et vous avez bien
le droit de remontrance, vous qui avez si sagement conduit
votre petite barque. Mais que voulez-vous que je vous
dise? Cette tte octognaire, que les sollicitations des rois
n'auraient point branle, se rendit aux cajoleries du Publi-
cain, qui voulut me faire entrer dans sa maison, comme le
purificateur de l'ancienne loi. Je n'y gagnai qu'un distique
assez piquant par les ides qu'il rapproche ;
Admirez d'Arouet la plaisante plante :
Il naquit chez Ninon, et mourut chez Villette.
Pour me livrer tout entier l'enthousiasme du plus
aimable de tous les peuples, je jetai l'ancre sur le sable
mouvant;
j'oubliai tout projet de retraite. J'achetai un
htel
;
je signai des baux vie d'une main mourante
;
je
ne m'occupai plus que de tripots et d'acadmies.
Fontenelle.
Ah! que je vous sais gr de n'avoir pas oubli mes pau-
vres
acadmies ! Dans quel tat les avez-vous laisses? Ont-
elles pu, du moins, vous dcerner quelque honneur?
Voltaire.
Elles n'taient pas encore aussi dlabres que vous pour-
riez le croire : les
acadmies ont une longue vieillesse; celle
des sciences, dont mes Elments de Newton n'auraient pas
d
me fermer la porte, me proposa une sance, et je l'ac-
ceptai. On parla de l'air fixe, qui tait la mode en ce
moment, et on lut
quelques loges, dont les vtres seront
toujours la meilleure
critique, et de l je passai l'Acad-
mie franaise.
LITTRATURE
l\l
Fonienelle.
Eh l)ien?
Voltaire.
A l'Acadmie franaise...
Fonienelle.
Vous me troublez ! Quel est donc ce cruel silence? L'au-
dience aurait-elle t muette? Vous aurait-elle refus quel-
ques hommages? On assure qu'elle vous cra son directeur
perptuel.
Voltaire.
Tout tait en rgle, mon cher Fontcnelle, et tout alla
dans l'ordre accoutum : l'Acadmie parla, on lut des Elo-
ges, tout le monde fut lou, et chacun parut sortir avec
plaisir; mais, vous le dirai-je? le nombre admirable des
orateurs, le magnifique babil de cet loge, toujours ancien
et toujours nouveau, le retour des sances, l'clat des
rceptions, tant de choses, en un mot, qui font de l'Acad-
mie franaise le corps le plus auguste de l'univers, ne font
plus aujourd'hui les dlices de la nation : le sicle s'est
aftadi sur le sublime; on s'ennuie l'Acadmie. Voil ce
que j'aurais voulu dissimuler un homme tel que vous, car
c'est vous percer le cur. Je sais qu'on emporte chez les
morts les affections qu'on a eues dans la vie; on a toujours
du got pour son premier mtier, et si j'en crois l-dessus
certains bruits, vous avez rassembl l-bas sous ces myrtes
quelques ombres acadmiques, vous
y
tenez des sances; il
faut, en vrit, que vous ayez bien du got la chose, pour
vous tre fait ainsi le secrtaire ternel des morts ! N'en
rougissez pas
;
si vous me l'avouez, je vous promets d'aller
vos assembles une fois tous les sicles. En! plt Dieu
que l'Acadmie n'et tenu l-haut que des assembles scu-
laires; l'inconstant public ne s'en serait pas si tt dgot.
Mais je vous le rpte avec regret, ce public ne s'en cache
pas : il s'obstine dire que l'Acadmie ne fait plus rien
pour sa gloire cl pour ses plaisirs. Quant aux hommes qui
soutiennent encore l'honneur de la nation, qu'ont-ils
faire d'acadmie? que gagnent-ils se runir? C'est aux
moutons s'attrouper; mais les lions s'isolent, et se font
des empires spars.
42 RIVAROL
La Motte.
N'achevez pas : vous voyez o il en est
;
c'est l'tat o le
rduisent les nouvelles trop vritables qui nous arrivent
tous les jours; comme si un aussi bon esprit n'avait pas d
les prvoir! Une peut supporter l'ide d'une nation sans aca-
dmie : semblable ces Romains qui ne concevaient pas
l'Empire sans le Gapitoie, ou le Capitole sans l'Empire.
Nous avons souvent des discussions l-dessus
;
mais je ne
parviens qu' l'afflig-cr.
Voltaire.
Il faut pourtant qu'il dig-re cette vrit. Mettez-vous bien
dans l'esprit, mon cher Fontenellc, qu'il en est des compa-
gnies litlraires comme de celles de commerce. Quand un
peuple est pauvre et sans industrie, il faut alors crer des
compag-nies, leur donner des privilges exclusifs
;
mais
quand chaque citoyen est devenu commerant, il faut alors
dtruire ces corps privilg'is,carils dgnreraienten mono-
pole, et voudraient touflerTindustrieg-nrale prte clore.
Ainsi, quand une nation est barbare, et que quelques ttes
possdent elles seules le peu d'esprit qu'elle a, il est nces-
saire de les rassembler, afin que les regards du peuple
incertain se tournent vers elles, et qu'on sache bien qu'il n'y
a des lumires et du got que chez elles. Mais quand une
fois la nation a got les plaisirs de l'esprit, que les bons
modles se sont multiplis en tout genre, et qu'un vernis
de littrature s'est rpandu sur toutes les conditions de la
socit, alors ces chambres privilgies, le faste de leurs
inscriptions, leurs sances, leurs adoptions et leurs exclu-
sions, excitent plus de murmures que d'mulation : atta-
ques par les aspirants qu'elles repoussent, elles ne sont
jamais dfendues par leurs m.embres
;
le vu gnral est
contre elles, les bons mots se multiplient, et aprs avoir
rendu une nation le service de lui donner une acadmie,
il ne reste plus qu' la lui ter, moins qu'on n'aime mieux
la laisser mourir de ridicule.
Fontanelle.
Ah ! grand homme, vous frappez juste, mais vous frap-
pez trop fort. Je conviens avec vous que l'Acadmie fran-
aise n'est ni d'absolue ncessit, ni de pur agrment en
France
;
cependant elle fait encore honneur la nation,elle
LITTr\ATL'HE
^3
sert de phare tout le Nord, et peut-tre est-ce elle
quela
langue franaise doit un peu de son universalit. Nous som-
mes en eilet le seul peuple chez qui il
y
ait toujours un corps
subsistant qui veille la puret du lang-ag-e.
Voltaire.
Mais c'est prcisment la chose dont elle s'occupe le moins.
N'est-il pas ridicule, en effet, que l'Acadmie franaise
n'ait point encore profit de son despotisme pour nous don-
ner une orthocraphe, pour fixer la vritable acception de
chaque mot, les classer par racine et par famille, poserenfin
les limites de la lang-ue ? N'est-il pas tonnant qu'elle ne
nous ait pas fait encore un bon dictionnaire ? Au lieu de
cela, ce sont des cabales, des partis, des rceptions qui pui-
sent son activit
;
et sans que le monde en sache rien, il
y
a
telles niaiseries qui cotent plus de briq-ues un secr-
taire d'acadmie, et qui exige plus de dextrit, qu'il n'en
fallait jadis Rome pour le consulat et la prture.
Fontenelle.
Vous ne comptez donc pour rien les loges qu'elle donne
pour prix chaque anne V Tous les grands hommes de la
nation
y
sont lous tour tour, et dans peu, ces Eloges for-
meront une i^i-alerie respectable, gale, peut-tre, celle
qu'on leur prpare au Louvre.
La Motte.
Ah ciel! de quoi nous parlez-vous l, Fontenelle? Vous
raillez, sans doute : le Lth nous apporte chaque anne un
Eloge acadmique; c'est un deuil gnral parmi les ombres
quand le moment approche. Vous le savez, nous nous ras-
semblons toutes alors, et nous attendons toutes avec effroi
la dcision du sort. Celui que l'Acadmie a choisi pour vic-
time, plit tout coup; sa gloire et sa couronne, que le
temps avait respectes, se fltrissent visiblement. Voyez,
sous ces ombrages, Montausier, Suger,
l'Hpital
;
voyez
dans quel tat leurs pangyristes les ont mis : ces ttes illus-
tres paraissent avoir pass deux fois par les ombres de la
mort; et vous-mme, Fontenelle, malgr votre philosophie
et votre amour pour tout ce qui vient de l'Acadmie, vous
n'avez pu vous dfendre d'une secrte horreur en voyant
approcher votre tour. Vous savez quelle main vous tes
44
niVAROL
destin (i). Mais je viole peut-tre votre secret : vous n'avez
jamais voulu convenir de toute votre affliction.
Fontenelle.
Puisque vous le voulez, ce n'est pas avec vous, messieurs
que je dissimulerai mes peines, et cette hypocrisie serait,
je crois, bien inutile, mais je voudrais vous faire convenir
que si TAcadmie nous proposait tous les ans une question
intressante, ou si elle donnait l'Elog-e historique de quel-
ques g'rands hommes, suivi de l'analyse de leurs ouvrages,
et d'observations sur la lang-ue, il en rsulterait en peu de
temps une collection qui aurait son prix. Les convulsions
oratoires et les moules uss du pang-yrique ne produisent
rien que de l'ennui. Saint Louis, pour avoir t tant lou,
n'en est ni mieux connu, ni plus estim. Il faudrait aussi
peut-tre que l'Acadmie franaise ft la seule dans le
royaume qui et le droit de proposer des Eloges, afin que
l'unit du prix lui donnt plus de concours et de solennit.
On ne saurait croire com^bien cette fourmilire d'acadmies
et de muses nuit au bon got et avance la ruine des let-
tres. Le feu sacr se trouve dispers entre trop de miains, et
chacun se fait un rite et une liturgie sa mode. Quand les
petites souverainets se multiplient dans un Etat, l'anarchie
est arrive. Il faudrait enfin que le secrtaire de TAcadmie
franaise ne ft occup que de la vritable gloire de sa com-
pagnie, bien sr en mme temps de travailler pour celle de
la nation et pour la sienne propre; tandis qu'au contraire,
semblable au pilote d'un vaisseau qui fait eau de toute part
ou, si vous l'aimez mieux, une araigne qui jette ses fils
dans toutes les antichambres de Paris, il croit ne pouvoir
exister qu' force d'art et de connaissance du monde.
Voltaire.
Hlas 1 mon cher Fontenelle, vous tes donc toujours le
mme. Laissez l vos pilotes et vos araignes. Adieu; je
m'aperois que vous me feriez passer mon ternit parler
d'acadmies.
(i) Dans lout cet alina Rivarol vise son ennemi littraire particulier
du moment, Dominique-Joseph Gart, dont les loees de Snger el de
Montausier
avaient remport,en
1779
et 1781,16
prix l'Acadmie fran-
aise
;
son Eloge de Fontenelle
(1784)
devait avoir le mme sort.
(Note de P. Malassis.)
LITTRATURE
45
La Motte.
Je suis bien fch que vous partiez, car j'avais un petit
morceau vous lire, en faveur des tragdies en prose et
des vers blancs.
Fontenelte.
Et moi j'allais vous proposer de nouveaux statuts pour
: 'Acadmie.
Voltaire.
Adieu, vous dis-je; il faut quitter les gens quand leur
marotte les prend. Allez, Fontenelle, parmi les Duclos, les
d'Olivet et les Trublet, causer sur votre chre acadmie,
pendant quelques milliers de sicles. Pourmoi,je vaistrou-
ver Sophocle, ^Horace et l'Arioste; c'est l toute lacadmie
qu'il me faut. Quant vous, La Motte, attendez, pour faire
votre lecture, la descente de quelques pauvres diables qui
font des drames pour l'Opra-comique
;
ou bien, informez-
vous d'un abb de Reyrac, qui faisait un hymne au soleil,
en prose, et en un gros volume. Il nous parlait de tout ce
que cet astre a vu depuis l'origine du monde; il prtendait
malicieusement faire ainsi tomber l'Encyclopdie : voustrou-
verez ici son me prosaque, moins qu'il ne soit mort tout
entier.
LE PETIT ALMANACH
DE NOS GRANDS HOMMES
1788
Quesli chi son, c'hanno coianiaorranza
Che dal modo degli altri gll disparte ?
Dame, Enfer, iv,
74.
Quelle est cette foule d'esprits que la gloire
Distingoie des autres enfants des hommes ?
AVIS SUR CETTE NOUVELLE EDITION, OU LETTRE D ADIEU
A NOS AMIS ET LECTEURS
La France ne rit plus, et la g'at franaise a pass comme
une ombre; cette heureuse rvolution a cot bien des
volumes, tandis qu'il n'et peut-tre fallu qu'un drame
pour rasseoir toute la nation. Mais enfin, on a appel de
TAngleterre la philosophie au secours de la nation fran-
aise. Grces en soient rendues aux crivains qui ont donn
notre lang-ue Vaccent an
g
lais, salon l'expression du Jour
nal de Paris, au sujet de feu M. le Tourneur!
Mais si la France est g-rave et srieuse, elle est tout aussi
calme. Les prtentions ont contract entre elles; les ranges
sont assig-ns
;
tout a son prix, et la plus aimable harmonie
rg-ne dans toute la littrature franaise.
Nous n'entreprendrons pas de dire par combien de degrs
il a fallu passer pour amener la nation cette svrit d'hu-
meur qui constitue la vritable dig-nit de l'homme, et nous
parat le sig-ne le plus certain de la flicit publique.
C'est dans cette disposition des esprits, dans cet accord
des caractres et dans cette transaction de tous les amours-
propres, que le petit Almanach de nos Grands Hommes
LlTrlWTUllF.
47
a paru; mais le titre a sembl si mesquin, le ton si futile,
notre air si frivole, que notre but est manqu. On a trouv
qu'en variant l'log-e avec autant de soin qu'on avait jus-
qu'ici vari la satire, nous aurions du naturellement cnor-
g-ueillir nos lus, et dsesprer ceux que nous rprouvions :
tandis que nous avons mdiocrement flatt nos Grands
Hommes, et que le livre a caus un rire universel qui nous
a tout fait humilis. C'est pour l'innocence le comble du
malheur que de causer du scandale. Aussi avons-nous reu
avis sur avis, reproche sur reproche,
menace sur menace :
on nous a traits avec colre, on nous a maltraits avec
esprit : nos mentions ont paru des traits de haine, nos omis-
sions des sig-nes de mpris. L'un nous accuse d'avoir che-
nill le Parnaase ;Vauire d'avoir fait asseoir plus d'un
Grand Homme aux bancs des nes. Il est contre les
murs et la dcence, nous crit-on, dfaire rire le monde.
Les larmes conviennent mieux la misrable espce
(( humaine. 11 vous tait si ais, nous dit-on, d'attrister vos
lecteurs sur toute la petite littrature dont vous faites
(( l'histoire! Pourquoi forcer le naturel de vos hros, et
contrarier le g-ot du public? Le monde est-il donc si gai,
et vos Briquet et vos Braquet sont-ils donc si plaisants?
M. l'abb Salles de la Salle, auteur d'une ode sur le
prince de Brunswick, a runi autour de lui M. de Fnmars,
qui prpare l'histoire secrte de la loge Olympique; M.Lan-
dreau de Maine-au-Pic, et UM. Robert et Roiizet, avo-
cats en trag-die : ils nous reprochent de les avoir oublis,
et se moquent cruellement de nous, en nous demandant si
nous connaissons la dernire charade de M. l'abb Dubosq,
Tnigme de M. Gillet du Coudraij, avocat, et le log-o-
gryphe de M. Lapleigna daCoudray?
Il est vrai qu'il se mle quelques fleurs tant d'pines :
on vient de nous annoncer un pamphlet in-folio,
crit avec
tout Vesprit de M. Manuel. C'est nous
promettre chre
de vilain : la colre met un avare en dpense, et c'est ainsi
qu'Aristote veut qu'on purg-e les passions les unes par les
autres.
Nous nous flattons que le public, en
faveur de nos inten-
tions, daii^rnera oublier jamais le petit Almanach, pour ne
se souvenir que des mille et une rponses qu'on
y
a faites,
et dont il n'et pas joui sans nous : car nous sommes en
48
RIVAROL
littrature la pierre aiguiser, qui ne coupe pas, mais qui
fait couper.
A. D. On n'a jamais lu un dictionnaire de suite, Tordre
alphabtique s'y oppose. Ainsi les personnes qui voudront
parcourir cette g^alerie (i) tout d'une haleine en seront bien-
tt punies, d'autant plus qu'il
y
a une foule de notices qui
ne sig-nifient rien
;
et ce sont les plus ressemblantes.
Ces expressions de /r<?s co/z/i, s/ con/, et autres de cette
espce, qui reviennent souvent dans ce rpertoire,
signi-
fient seulement, trs connu dans les liecueils, si connu
dans les Almanachs, dans les Muses, etc.
Adieu, chers amis et gnreux lecteurs.
A M. DE CAILHAVA DE L ESTANDOUX, PRESIDENT
DU GRAND MUSE DE PARIS
M. le Prsident,
Ce n'est pas sans la plus vive satisfaction que nous
vous ddions cet Almanach de tous les Grands Hommes
quifleurissent dans les Muses
(2)
depuis leur fondation
jusqu'en Van de grce ij88. Combien d'hommages n'en
avez-vous pas reus, soit en vers, soit en prose! car vous
n'tes pas comme les Rois de la terre, qui n'exigent de
leurs sujets que des tributs pcuniaires
;
votre trsor ne
s'emplit que d'opuscules lgers, de pices fugitives, d'im-
promptus et de chansons, et la plus grosse monnaie de
votre empire na jamaispass Vptre ddicatoire ; mais
sans nous, tous ces monuments de leur amour pour le
Muse et de leur got pour les lettres priraient sans
retour; et Von verrait tant de fleurs se faner
sur vos
autels/
Si rAlmanach Royal, seul livre o la vrit se trouve,
donne la plus haute ide des ressources d'un Etat qui
peut supporter tant de charges, croit-on que notre
Almanach puisse tre
indiffrent votre gloire et celle,
de la nation, quand on
y
prouve quun prsident de
Muse peut prlever plus de cent mille vers par an sur
(1)
De 65o noms environ. Nous en avons choisi quelque 200.
(2)
Petites acadmies potiques, cercles littraires.
LiTTRATune:
49
la Jeunesse Jranaise, et marcher dans la capitale la
tte de cinq ou six cents potes?
Notre Almanach sera pour eux le Hure de vie, puis-
que r/iomnie le plus inconnu rj recevra de nous un bre-
vet d'imniortalil. Il
y
a, dit-on, des chemins connus j)our
arriver rAcadmie, mais on n'en connat pas pour chap-
per au Muse. Ceci peut s appliquer notre Almanac/i :
nous ferons au plus modeste une douce violence, et l'on
ne verra plus tant d'crivains exposs ce cruel oubli
qui les gagne de leur vivant, ou ces quivoques plus
outrageantes encore, qui font qu'on les prend sans cesse
l'un pour l'autre. Feu Voltaire, dont vous avez peut-tre
ou parler, disait toujours, labL Suard et M. Arnaud;
et on avait beau lui reprsenter qu'il fallait dire
M. Suard et l'abb Arnaud, le vieillard s'obstinait, et ne
voulait pas changer les tiquettes, ni dranger pour eux
une case de son cerveau. Notre Almanach et prvenu
ce scandale, car sans doute l'auteur du pauvre Diable
nous aurait souvent consults.
Nous sommes avec un profond respect,
Monsieur le Prsident,
Vos trs humbles et trs
obissants serviteurs,
Les Rdacteurs de l'Almanach des
Grands Hommes.
POST-SCRIPTUM
Pour
faire
taire les mauvais propos de certains d-
tracteurs du vrai mrite, nous nous sommes propos de
faire connatre notre dsintressement, dont cependant
on ne nous souponne pas. Aprs avoir tir cle notre
libraire le meilleur parti de cet quitable ouvrage, nous
avons eu la dlicatesse de donner, sans presque rien
gagner, le supplment sparment en faveur des acqu-
reurs de la premire dition; ce qui prouvera notre
zle servir le public.
PREFACE
Il
y
a parmi les
cens
du monde certaines personnes qui
doivent toutle bonheur de leur vie leur rputation de e^ens
d'esprit, et toute leur rputation leur paresse. Toujours
spectateurs et jamais auteurs, lisant sans cesse et n'crivant
jamais, censeurs de tout et dispenss de rien produire, ils
deviennent des jueces trs redoutables; mais ils manquent
un peu de gnrosit. C'est sans doute un terrible avantag-e
que de
n'avoir rien fait, mais il ne faut pas en abuser.
J'coutais l'autre jour la conversation de trois ou quatre
de ces personnes, qui, lasses dparier du sicle de Louis XIV
et du sicle prsent, de tenir la balance entre Corneille et
Racine, entre Rousseau et Montesquieu, descendirent tout
coup de ces hauteurs, et pntrrent dans les plus petits
recoins de la rpublique des lettres. On s'chaulfa, et les
auteurs dont on parlait devenant toujours plus impercepti-
bles, on finit par faire des paris. Je gage, dit l'un, que je
pourrai vous citer tel ouvrage et tel crivain dont vous
n'avez jamais ou parler. Je vous le rendrai bien, rpon-
dit l'autre
;
et en effet ces messieurs se mettant dispu-
ter de petitesse et d'obscurit, on vit paratre sur la scne
une arme de Lilliputiens. Mrard de Saint-Just, Santerre
(( de Magni. Laus de Boissv, criait l'un; Joli de Saint-Just,
Pons de Verdun, Regnault de Beaucaron, criait l'autre.
Guinguen par-ci, Moutonnet, par-l, Briquet, Braquet,
Maribarou, Mony-Quitaine, et puis Grouvelle, et puis Ber-
quin, et puis Panis et puis Fallet; c'tait une rage, un tor-
rent : tout le monde tait partag
;
car ces messieurs parais-
saient avoir une artillerie bien monte; et soit en opposant,
soit en accouplant les petits auteurs, ils les balanaient assez
bien, et ne se jetaient gure la tte que des boulets d'un
calibre gal : de sorte que de citations en citations, tant
d'auteurs exigus auraient fini par chapper aux prises de
l'auditeur le plus attentif, si l'assemble n'avait mieux aim
croire que ces messieurs plaisantaient et n'allguaient que
des noms sans ralit. Mais les deux antagonistes, choqus
de cette opinion, se rallirent et se mirent parier contre
l'assemble. Oui, Messieurs, je vous soutiens qu'il existe
(( un crivain, nomm M. Lvrier de Charnprion ; un au-
tre qui s'apple Delormel de laRotire; un autre Gabiot
i.i ri>:n\iunE
5l
de Salins
;
un autre bi Bastier de Doienroai-t ; un autre
Doigni du Ponceaii; un autre Philipon de la Made-
(( leine
;
et si vous me poussez, je vous citerai M. Groubert
de Grouhental, M. Fcnouillot de Falbaire de Quingei,
et
M. Thomas Minau de la Mistring-ue. A ces mots on
clata de lire
;
mais le discoureur sortit de sa poche trois
opuscules, l'un sur la finance, l'autre sur rimp<j|, et l'autre
sur le drame, qui prouvaient bien que MM. Groubert de
Groubental, Fenouillot de Falbaire de Quinei, et Tliomas
Minau de la Mistrin^ue n'taient pas des tres de raison.
Pour moi, auditeur bnvole, frapp de la riche nomen-
clature de tant d'crivains inconnus, je ne pus me dfendre
d'une rflexion que je communiquai mes voisins, et qui,
ffag-nant de proche en proch<', fit luentt chang-er l'tat de
la question. N'est-ce pas, leur disais-je, une chose bien
trang-e et bien humiliante j)our l'espce humaine, que cette
manie des historiens de ne citer qu'une douzaine tout au
plus de grands crivains, dans les sicles les plus brillants,
tels que ceux d'Alexandre, d'Auguste, des Mdicis ou de
Louis XIV? N'est-ce pas donner la nature je ne sais quel
air d'avarice ou d'indigence? Le peuple qui n'entend nom
mer que cinq ou six Grands Hommes par sicle est tent
de croire que la providence n'est qu'une martre
;
tandis que
si on proclamait le nom de tout ce qui crit, on ne verrait
plus dans elle qu'une mre inpuisable et tendre, toujours
quitte envers nous, soit par la qualit, soit par la quantit;
et si j'crivais l'histoire naturelle, croyez-vous que je ne cite-
rais que les lphants, les rhinocros et les baleines? Non,
Messieurs, je descendrais avec plaisir de ces colosses impo-
sants aux plus petits animalcules; et vous sentiriez s'accro-
tre et s'attendrir votre admiration pour la nature, quand
j'arriverais avec vous cette foule innombrable de familles,
de tribus, de nations, de rpubliques et d'empires, cachs
sous un brin d'herbe.
C'est donc faute d'avoir fait une si heureuse observation
que l'Histoire de l'esprit humain n'ofire, dans sa mesquine
Serspective,
que d'arides dserts, o s'lvent de g-randes
istances quelques bustes outrag-s par le temps, et consa-
crs par l'envie, qui les oppose sans cesse aux Grands Hom-
mes naissants, et les reprsente toujours isols, comme si la
nature n'avait pas fait crotre autour d'Euripide, de Sopho-
cle et d'Homre, princes de la trag-die et de l'Epope, une
foule de petits potes, qui vivaient frug'alement de la
charade et du madrig-al; ainsi qu'elle fait monter la
mousse et le lierre autour des chnes et des ormeaux; ou,
comme dans TEcriture-Sainte, on voit aprs les grands
prophtes paratre leur tour les petits prophtes? Ne
doit-on pas frmir quand on sonare que, sans une lgcre
attention de la part de Virg-ile et d'Horace, Bavius et M-
vius seraient inconnus; et que, sans Molire et Boileau. on
irnorerait l'existence de Perrin, de Linire et de quelques
autres? Enfin, que ne dirais-je pas des soins que s"est don-
ns l'infatig'able Voltaire pour dterrer et pour classer dan>
ses uvres ses plus petits contemporains! Il est temps de
corrig"er une telle injustice; et pour n'tre plus expos des
pertes si douloureuses, je pense qu'il faudrait, par un r-
f)ertoire
exact de tous les hommes qui pullulent dans notre
ittrature, depuis l'niqrme jusqu' l'acrostiche, depuis la
charade jusqu'au bouquet Iris, justifier la nature, et, dis-
putant tant de noms l'oubli, montrer la fois nos trsors
et sa maernificence.
L'assemble g-ota cet honnte projet, et nous rsolm.es
d'lever frais communs un monument l'honneur de tous
les crivains inconnus, c'est--dire, de ceux qui ne sont
jamais sortis de nos petits Recueils. On convint de donner
ce monument le nom e petit Almanach de nos Grands
Hommes, ahn de les veng-er, par cette pithte, de la manie
de ceux qui ne jug-ent d'un homme que sur l'importance de
ses ouvrag-es; car j'avoue en mon particulier que j'estime
autant celui qui n'a fait en sa vie qu'un bilboquet d'ivoire,
que Phidias levant son Jupiter Olympien, ou Pigalle scul-
ptant le marchal de Saxe. In ienui labor.
Cet Almanach paratra chaque anne; et afin que la
nation puisse jug"er de notre exactitude, le rdacteur, arm
d'un microscope, parcourra les Recueils les moins connus,
les Muses les plus cachs, et les socits les plus obscures
de Paris : nous nous flattons que rien ne lui chappera. On
invite tout homme qui aura laiss tomber son nom au bas
du moindre couplet, soit dans les journaux de Paris, soit
dans les affiches de province, nous envoyer des renseig"ne-
ments certains sur sa personne
;
nous recevrons tout avec
reconnaissance, et, selonnotre plan, les articles les pluslong-s
LITTERATURE 53
seront consacres ceux qui auront le moins crit. Un vers,
un seul hmistiche suffira, pourvu qu'il soit sig-n; un com-
pliment, un placet, un mot seront de g-rands titres nos
yeux. C'est amsi que M. d'Aquin de Chteau-Lion est par-
venu faire de sesEtrennes d'Apollon l'ouvrage le plus im-
portant qui existe. Mais nous nous flattons de le surpasser
tientt, et de faire pour lui ce que sa modestie ne lui a pas
permis, et ce que vraisemblablement il ne pourra nous ren-
dre, en lui donnant une place trs honorable dans notre
Almanach.
Au reste, les vtrans de la petite littrature, tels que M. le
chevalier de Palmezeaux, Caron de Beaumarchais, Blin de
Saint-Maur, d'Arnaud de Baculard, etc., nous pardonneront
s'ils ne se trouvent, pour ainsi dire, traits qu'en passant
dans notre Almanach, et si de jeunes inconnus obtiennent
de nous des prfrences marques. Ce n'est pas que nous
ayons prtendu manquer ce que nous devons aux pre-
miers, en affichant notre prdilection pour les autres
;
mais
nous avons cru qu'il tait bien juste d'encourager les jeunes
gens plongs dans les eaux de l'oubli, d'o les autres se sont
un peu dgags, non par leurs uvres, mais par leur ge :
car on sait qu' force de siei'ner priodiquement son nom de
journal en journal, et d'envoyer au Mercure des certificats
de vie, on finit par dompter le public, mais on perd des
droits notre Almanach.
Les gens de lettres qui auront t oublis pourront se
faire inscrire notre petit bureau, qui sera ouvert toute
heure au Palais-Royal. On n'exigera qu'un sou par tte, afin
qu'on ne nous accuse pas d'avoir estim les objets au-des-
sus de leur valeur.
p. s. Comme on travaillait l'impression de cet ou-
vrage, quelques personnes blanchies dans les lettres, et
dont nous avions dj class les noms, sont venues nous
prier de ne pas leur
faire cet honneur. lYous nous som-
mes opposs leur modestie
;
mais elles ont insist, et
ont prtendu cru une simple mention pouvait les blesser.
Comme cet Almanach n'est qu'une nomenclature, nous
leur avons demand comment on pouvait dsoler un
homme, en lui prouvant quil existait rellement, et le
blesser en ne lui disant pas plus haut que son nom ? Ces
personnes ont soutenu que la chose tait possible, puis-
54
RIVAHOL
quelles l prouvaient. Cette querelle nous a d'autant
plus surpris quil est survenu en ce moment un jeune
homme qui a demand d'tre inscrit, en disant : vous
devez me connatre Nous n avons pas dissimul notre
ignorance. Comment, s'est-il cri, vous ne me connaissez
pas ! Et qu" faut-il donc faire pour tre connu? Je n'ai que
dix-huit ans, et j'ai dj fait trente petites ptres dans le
Mercure, mille couplets, cent nig-mes; je fournis la fugitive
tous les journaux, et je sig-ne toujours. Cette double que-
relle nous a jets dans la plus tjrande perplexit : Cun
se
fche
parce que nous avons dcouvert son existence;
l'autre parce que nous ne l'avons pas souponne f...
Mais il
faut
que le service public passe avant tout, et
nous avons procd l'impression.
LE PETIT ALMANACH DE NOS GRANDS HOMMES
Di^ ifjnolls.
A
ALTBERT (m.), de Villefrauche, en Haute-Guienne. Nous
avons reu de cet auteur une fable, qui est capable de faire
une rvolution dans la littrature, si on adopte sa manire,
comme on ne saurait trop le dsirer. Cet auteur fleurit en
province. Quel dommag-e! Puisse le juste tribut d'loges
que nous lui payons Ten^ager venir dans la capitale
y
remplir toute sa destine I Paris ne s'enrichit qu'en dpouil-
lant les provinces.
ALIX (m.), jeune avocat, dont une foule de pices fugiti-
ves, rpandues dans tous les journaux, n'ont encore pu
mettre au jour tout le mrite. Nous avons long-temps cher-
ch la cause de l'obscurit dont il jouit, et force de soins,
nous avons enfin trouv un pome en quatre chants, sur les
quatre ges de l'homme, qui nous a paru la pice coupable
par les beauts dont il tincelle, et qui auront jamais irrit
l'envie contre l'auteur. L'envie qui parle et qui crie est tou-
jours maladroite; c'est l'envie qui se tat qu'on doit crain-
dre. Or jamais pome ne l'prouva mieux que celui-ci. Il
s'est fait comme un concert de muets dans toute la littra-
ture, l'apparition de ce pome. Un tel silence est souvent
de bon augure; mais il ne faut pas qu'il se soutienne.
LlTlBHVTURi: 55
ALLioT (m.), auteur du Muet par Amour. C'est une des
mille et une pices qui font les dlices des socits. Mais les
gens du monde sont de si parfaits ^ostes qu'ils exii^'-ent
souvent d'un auteur que tel ouvrai^e qui leur a plu ne pa-
ratra jamais.
ALCo (M. le Prsident d'). Les stances et les madrigaux
?[ue ce favori des Muses a tirs de son porte-feuille nous
ont bien regretter qu'il en soit trop avare. Les couleurs de
ce pote sont si douces qu'il semble n'avoir travaille que
pour des yeux malades qui craignent le grand jour; ce qui
lui a donn de nombreux partisans dans un sicle justement
dgot de la haute posie.
ANGENY (m. d'). Ce pote russit parfaitement dans les
pices gasconnes. Ce genre n'est pas facile manier, mais
c'est un excellent exercice, et il est ais de reconnatre un
crivain qui s'y est rompu. Il existe de cet auteur une tirade
de vers, qu'il adresse un de ses amis, pour le punir d'avoir
fui le mariage. On ne saurait faire un plus digne usage de
la posie que de la diriger contre les clibataires.
ANDR HONOR (m.). Ses chausons, trop clairsemes dans
nos Almanachs chantants, en ont toujours fait la fortune.
Cet Anacron a jet deux nouveaux couplets dans les recueils
de cette anne, l'un adress quelques jeunes dames, et
l'autre sa propre fille. Les couplets sont signs : M. Andr
ne peut les nier, et quel est le plagiaire qui oserait se les
attribuer ?
ANDR DE MURViLLE (m.). Ce potc fugitif cst si fertile que
nous ne pouvons qu'indiquer ses talents et son nom. Ode,
pitre, quatrains, chansons, rien n'est l'abri de son acti-
vit, et l'admiration et la reconnaissance ont peine avec
lui le temps de respirer. Le Recueil de ses uvres sera un
jour d'un grand poids da^.s la littrature lgre.
ANDRiEux (m.). Les beauts trop dlicates de ses petits
vers ont chapp jusr u'ici aux yeux vulgaires : mais l'ex-
trme naturel de cer vers-ci aurait d frapper tout le monde :
Le feu cer endant clate;
J'entendt' le grillon crier
;
Le chat nent pour qu'on le flatte,
Et joue autour du foyer.
Voil la belle nature et la vritable posie : un seul couplet
56
RIVAROL
de cette force peut arrter la dcadence des arts. Voyez aussi
les stances du mme auteur sur la jeunesse.
AQUiN DE CHATEAU-LION (m. d'). Tout le Hionde connat son
Recueil charmant, intitul, Almanach Littraire ouEtren-
nes d'Apollon. Ce sont de ces livres qui la longue donnent
la France une supriorit dcide sur tous ses voisins.
ARNAUD DE BACULARD (m.). Nous ue disous ricu de cet
anctre de la littrature moderne : la probit de ses vers et
l'honntet de sa prose sont connues.
ARNAULT (m.). Cet crivaiu s'est si bien drob nos
recherches^ que nous n'osons rien affirmer de lui, si ce n'est
son existence. Nous en demandons bien humblement par-
don au public impatient de connatre cet auteur et ses pro-
ductions; mais les affiches de Grenoble nous ont manqu.
Nous promettons de rparer cette omission l'anne prochaine,
et nous nous flattons de satisfaire la foule de Souscripteurs
que cet espoir va sans doute nous procurer.
AVESNE (m. d'j. Cet aimable paresseux a rjoui l'Almanach
des Muses
1781,
d'une pice pleine de g-ot et de gat. Elle
est intitule, Tribunal cTArcadie ; on
y
tient Conseil
d'Anerie ;
l'auteur fait dire des choses admirables un cuir
pel d'asine douairire. Nous croyons que cette fable au-
rait donn du chagrin La Fontaine, et nous ne saurions
trop exciter la jeunesse saisir le bon ton, et le grand sens
de cet crivain.
AVY* (m. l'abb). Nous n'avons encore obtenu que la
moiti du nom de cet auteur
;
mais nous avons une pice
entire de vers de sa faon, intitule : le Nouvelliste aux
Champs-Elyses. Ce jeune abb est comme cette statue
mystrieuse des Egyptiens, qui laissait tomber un de ses
voiles tous les ans. Ceux qui ont le bonheur de le connatre
par son nom nous ont assur que nous n'avions pas plus de
quatre ans attendre, parce que M. l'abb laisse paratre
chaque anne une lettre de plus: il tait A*** en
1786,
Av'*
en
1786,
il est Avy* en
1787.
L'impatience que nous donne
l'incroyable dsir de le connatre est un des grands dsa-
grments de notre tat.
BABLOT (m.). Il
y
a d'normes paris sur cet crivain
;
il
existe pour les uns, il n'existe pas pour les autres. Mais nous
LITTRATURE
67
avons fait des recherches si srieuses sur ce problme int-
ressant que nous sommes parvenus dcouvrir que M. Bab-
lot tait, comme Apollon, pote et mdecin. Il a chant les
austres plaisirs du mariag-e, et voici quatre vers de ce doc-
teur :
Ah ! pourrais-lu douter de mon amour encore ?
Cher amant, me dis-tu, je t'aime, je t'adore :
Ouai-je dit : je i'adore! laissons sur ces ja^rands mots
Grimper l'amour charnel : ce sont l ses trteaux.
BAiLLY(M.).On ne peut rien ajouter aux charmes de cette
muse : seulement peut-on lui reprocher un peu de paresse.
Nous n'avons g-ure trouv plus de cent pices de cet auteur
dans les diffrents journaux.
BARBIER (m.). Auteur de Ciaxare, tra^-die, joue en
socit, et qu'on a eu la cruaut d'y retenir. La nation a, selon
nos calculs, plus de mille drames revendiquer sur les
socits de Paris.
BARR (m.), un de ces esprits faciles, corrects et g-ra-
cieuxque la nature produit quelquefois pour le bonheur des
grosses villes affames de nouveauts. Des Gomtres fort
modrs ont calcul que M. Barr, indpendamment de
M. Piis, pouvait fournir des pices tous les petits thtres
de la capitale; et que, runis tous deux, ils pouvaient faire
demander grce la nation la plus amoureuse des specta-
cles. On ne sait que citer d'un crivain que tout le monde
sait par cur. Pourrait-on oublier en effet ce couplet char-
mant qu'il adresse une dame, en lui envoyant un cur de
sucre, et qui finit par ces deux vers, qui ont fait pmer tout
Paris
:
Mon ciu*, craignant pareille chance,
S'alla faire sucre d'avance.
BARSiN ou BARCiN (m.). Son odc sur l'armement de la
France et de l'Espag-ne parut dans des circonstances fort
heureuses
;
mais elle eut des suites funestes pour l'Europe :
car l'clat extraordinaire de ce pome ayant fix tous les
yeux, les affaires des puissances belli2;-rantes ne firent plus
que lang-uir. C'est donc manquer de patriotisme que de faire
de trop beaux vers dans certaines occasions.
58
RIVAROL
BARTHE (m. l'abb), de la socit Anacrconlique
d'Arras,
excessivement connu par une fable sur deux carrosses.
Les
propos que se tiennent ces deux carrosses sont prodigieux
:
il n
y
a gure dans toute la littrature que les chevaux
d'A-
chille qui soient dij^nes de converser avec les carrosses de
M.
l'abb Barthe. Voyez l'Iliade.
BAUDART ou BODART (m.), gnic prcocc qui vient de don-
ner les Saturnales aux Varits. On sait que, pendant les
Saturnales, les valets taient les matres. M. Bodart sem-
ble avoir pressenti et prvenu notre travail : car nous ne
faisons ici que les Saturnales de la littrature.
MM. BOCOUET, BOREL, LE BUF, BEAUNOIR DE ROBINEAU, BRU-
NET, LE BLANC (l'abbj, BLIARD, BASTIDE, BURY, BILLARD,
BOUTTROUX, BONNEL, BRUIX (le chev. dc), BOISTEL, BP.UTEL
DE CHAMPLEVART, BURSAY, BOUTEILLIER, BREVET DE BEAU-
JOUR
;
Voil dix-huit auteurs dramatiques, tous marqus la
lettre B, et qui brillent sur le Parnasse franais comme une
constellation dont la douce influence fconde tous nos th-
tres. Opra, tragdie, comdie, farce, drame, proverbe, rien
n'chappe leurs regards bienfaisants. Mais tout ainsi que
les toiles semes avec tant de profusion dans la voie lacte
se nuisent mutuellement et ne forment qu'une masse de
lumire qui ne laisse distineruer aucun astre en particulier,
de mme sommes-nous forcs d'avouer que tous ces auteurs,
dont chacun part serait un vrai soleil, sont absolument
invisibles sur l'horizon de notre capitale. Mais nous sup-
plions instamment le lecteur de ne pas traiter avec cette
barbare indiffrence dix-huit grands hommes : nous le
conjurons au contraire (et nous l'en conjurons genoux et
la larme l'il) de se faire l'etFort de classer dans sa m-
moire ces dix-huit noms : la peine de les retenir n'galera
jamais celle que nous avons eue les trouver.
BEAUMiER (m.), uu des plus grands crivains de ce sicle
en vers et en prose. Nous ne citerons rien de cet illustre
auteur; car, pour fruit de nos labeurs, nous exigeons cette
fois que le lecteur nous en croie sur notre serment. Voyez
pourtant son livre, intitul : A ma Patrie, Qld\ M.Ducis.
BEAUGEARD DE MARSEILLE (m.). Ce pote n'a fait qu'un
petit conte, intitul : les deux Neuvaines, qu'il a fait pas-
LITTRATURE
Sq
ser Paris; c'est un g-ant qui donne le bout de son ong-le
pour mesure de tout son corps, et qui est devin.
beaulaton (m.). Sa traduction de Milton et fait oublier
le Paradis perdu, si on avait su la lire; mais ce sicle est
si fou, si rapidement emport dans la sphre de ses frivo-
lits, qu'il lui passe sous les jeux deux ou trois mille chefs-
d'uvre par an, sans qu'il en soit averti. Ah! que le si-
cle de Louis XIV paratrait pitovable, si on songeait tout
ce que nous possdons, sans savoir en jouir! Voici quelques
vers de M. Beaulaton,pourjustifier nos regrets. C'est Satan
qui s'avance vers le paradis terrestre :
Tel Satan travers vaux, monts, rocs, lacs, bois, prs.
Fait route de la tte, et des mains et des pieds,
Marche, vole, bondit, plonge, serpente, nage, etc.
Quel dommage de gaspiller ce style faire des traduc-
tions!
BEAUMARCHAIS. VoJjeZ M. GUDIN DE LA BKUNELLERIE.
BRARDiER DE BATTANT (m. l'abb) a traduit Lucrce en
vers franais; il est parvenu, selon son louable but, tein-
dre ce pote, le plus dangereux de l'antiquit; et c'est ainsi
qu'il faut traduire tous ces athes.
BEFFROY DE REiGNY (m. de), si conuu SOUS le nom de Cou-
sin Jacques. Ses Lunes sont une de ces productions origi-
nales auxquelles on ne peut rien comparer : elles font le
bonheur de la nation franaise; mais, comme le Cousin
Jacques peut nous manquer un jour, tout immortel qu'il
est, nous ne voyons pas sans frmir l'tat de langueur et de
\ tristesse o la France va tomber, quand il faudra se sevrer
I
de tant d'aimables folies. Nous conseillons donc nos
i lecteurs de renoncer peu h peu cette sirne qui les
I
enchante et les dgote des dialogues de Lucien, des facties
de Voltaire, des badinages de Gresset et de Swift; c'est
sous ce point de vue que le Monius franais
est vraiment
dangereux.
BRENGER (m.), Ic plus doux, Ic plus riclic ct Ic plus infa-
tigable des tributaires de tous les journaux. Pour parler
dignement de lui, il faudrait parler de tout, et la vie est
courte.
BEROuiN (m.), aprs avoir t le pote des nourrices, a voulu
devenir le philosophe de l'enfance, et s'est intitul : l'Ami
60
UIVAROL
des Enfants.
L'Allemag-ne lui a fourni cet ouvrag-e priodi^
que dont il nous a fait prsent. Cette traduction lui a valu
toute notre reconnaissance
;
mais elle nous a cot un pome
pique dont M. Berquin tait fort capable, et c'est trop cher.
BoisjOLiN (m. Vielch de). Il est sorti tout coup de l'ai-
mable obscurit o sa modeste muse le retenait, par un tour
de force qui a fait trembler toute la littrature. Ayant choisi
le Mercure pour champ de bataille, il a pris l'Art potique
d'une main, et le pome des Jardins de l'autre
;
et les ayant
balancs quelque temps, il a mis tout coup le pome des
Jardins dessus, et l'Art potique dessous, aux acclamations
de tous les g-ens de got
;
il n'y a que M. l'abb Delille qui
ait paru scandalis.
BOizARD (m.). Ses fables ont fait passer de mode celles de
la Fontaine; ce qui est toujours un peu injuste : on aurait
d conserver la Fontaine en acqurant M. Boizard, et ne
pas perdre l'ancien fabuliste, sous prtexte de faire un plus
beau sort au moderne : enfin, il
y
avait des arrangements
prendre, et nous osons croire que M. Boizard s'y serait
prt.
BOULOGNE et DE BUGEY (mm. de), tous deux fort estims
par une pigramme et six vers lg-iaques. On pourrait leur
faire les plus tendres reproches sur leur paresse.
BouRiGNON (m.), de Saintes. Ses posies fug-itives ont fait
une telle sensation Paris, que nous nous croyons suffisam-
ment autoriss le presser d'habiter une capitale o sa
ffloire l'a prcd. Notre invitation ne peut que dplaire
la Saintong-e qui sera appauvrie, si M. Bourig-non la quitte;
et aux beaux esprits de la capitale qui seront jaloux, si
M. Bourignon arrive : mais qu'importe?
BONNiER DE LAYENS (m.). Le nom seul de M. Bonnier de
Layens entrane avec lui les ides les plus sduisantes : il
rappelle les noms de Chaulieu,de Gresset,de Voltaire, dans
la fugitive. Il nous faudrait le pinceau de l'Albane, pour
tracer une esquisse digne de cet aimable chantre
;
mais ne
ayant pas, nous renvoyons aux recueils du temps, o nos
lecteurs pourront rencontrer l'pitaphe d'un chien et deux
quatrains, qui justifient bien notre silence.
BIENVENU et BiENNOURRi (mm.), de Bordeaux, auteurs du
Thtre la mode. Autrefois les grands talents taient un
peu orageux : on n'tait jamais avec eux bien sr d'avoir
LITTRATURE 6l
la paix
;
Racine et Molire ne surent pas s'accorder. Mais
qu il est doux de voir marcher de front dans la mme car-
rire deux hommes tels que MM. Bienvenu et Biennourri !
BRiouET et BRAQUET (mm.). Il Semble que la Providence
veuille confirmer elle-mme, par les dcouvertes qu'elle nous
laisse faire, ce que nous avons dit plus haut de l'amiti des
Fens
de; lettres. Briqut-t et Braquet, noms consacrs
harmonie, et faits pour le charme ternel des oreilles sen-
sibles ! malheur qui voudra vous dsunir I Les Oreste et
les Pylade, qui s'immolaient l'un pour l'autre, ne se cdaient
que la vie
;
mais vous, combien d'hmistiches ne vous tes-
vous pas donns mutuellement! Et c'est bien autre chose
que la vie. Les gens du monde ne saisiront jamais bien ce
g-enre d'hrosme.
BRUxXEL (m.) a fait environ quatre-ving-ts pices de vers
en diflerents journaux, et notamment une Idylle d'un seul
vers que voici :
Ne serjns-nous jamais contents de notre sort?
Ce sont l de ces vers de rsultat qui contiennent une
foule d'ides en g-erme, et ne laissent rien dire la post-
rit.
BRUTE (m. l'abb). On sait quel bruit fit dans le temps son
ptre sa sur, o il dit, en parlant de Racine et de Rous-
seau :
Le charme de leurs vers sublimes et parfaits
M'inspire la fureur d'en forger de mauvais.
CAiGNiEz (m.). Une seule Chanson, dans les Etrennes
lyriques, lui a fait un nom qui ne mourra jamais, quand
mme cet auteur voudrait un jour renoncer sa gloire. Le
pas est fait; et cet avertissement regarde tous ceux dont les
noms sont tombs dans nos Almanachs, et ont t relevs
dans celui-ci. Si jamais la philosophie les dgotait de leur
clbrit, ils en seraient rduits, comme Calypso, pleurer
du malheur d'tre immortels. Au reste, on se console de
tout avec les vers suivants, tirs de la Chanson de M. Cai-
gniez :
Vnus alors dormait profondment :
4
62
niVAROL
Enfin l'Amour est auprs d'elle
;
Dors-tu, maman ? lui dit-il, mais bien bas, etc.
c.uLLEAU (m.), imprimeur-libraire Paris, qui n'a point
perdu son temps comme les Estienne,les Plantin et les Elz-
virs. On a de lui un recueil de Posies lg-res, o l'on a
surtout remarqu une rponse d'Abailard Hlose, qui,
selon la louable intention du pote, aurait sans doute dli-
vr cette femme clbre du fol amour qui la possdait. Le
San--froid de cette rponse, qui contraste merveilleusement
avec la chaleur de la Lettre de Pope, la sobrit d'expres-
sions et de posie, tout
y
est un effet de l'art
;
mais cette
maie n'appartient qu'aux grands matres
;
et ce n'est que
dans les mains de ^L Cailleau qu'Apollon devient un Abai-
lard.
CAiLLiREs DE l'tang (m.), avocat. Cc paisible citoyen
avant, par mg-arde et dans un moment de loisir, poli une
(3de sur je ne sais quel gnral Sudois,
y
mit son insu
tant de posie, il
y
dcela un talent si prodigieux que,
depuis cette poque, il n'est plus le matre d'un seul de ses
moments. Son cabinet, ses correspondances et sa personne,
tout est aux Muses, et les Lois ont pleurer ce beaii gnie
que la littrature leur enlve.
CAMILLE LEFEBURE (m.), de l'Isle de France, si connu par
son Quatrain sur Zelmire.
CARBON DE FLiNS DES OLIVIERS (m.), Conseiller la cour
des Monnaies. Jeune homme inconnu par une foule de pi-
ces du plus haut g-enre, et que l'Acadmie Franaise a men
tionnes en vain dans ses concours : M. Flins des Oliviers
en est rest aussi obscur que s'il avait eu le prix.
CARCN DU CHANSET (m.) a bien ddommag-M. de Rocham-
beau de toutes les fatig-ues de la guerre d'Amrique, par le
beau pome intitul la double Victoire, qu'il lui a ddi.
Tous les chevaliers deCincinnatusle savent par cur. Voici
quatre beaux vers de ce pome :
Dix mille prisonniers, en nous rendant les armes,
De Glocester, d'Yorck, bannissent les alarmes;
Et pour les mieux soustraire leurs adversits.
Nous remettent les clefs de ces fortes cits.
CARBOXEL (m.) a fait une fable intitule le Lis, ou le Rve
d'un Roi. Que ne peuvent deux lig-nes bien crites, et com-
I.ITTr\ATURE
63
bien aisment un pote donne sa mesure! M. Garbonel,
par
une seule fable, a t mis tout d'une voix ct de M. Boi-
zard.
CARRA (m.), un des plus colriques et des plus
loquents
orateurs de ce sicle. Aprs avoir crit quinze ou seize
voliimesde physique, sur / A/ome,/'^/)a/o/?ze et l'Exaionie^
que tout le monde sait par cur, il n'a pas ddain de
tomber sur M. de Galonn. Arm de tous les foudres de
l'loquence, il a port le dernier coup au lion mourant.
CARRIRE d'oisin (m.), illustrc auteur des Folies du Lord
rprimes, pice dont le public ne peut se lasser, puisqu'on
ne la joue jamais.
CASiMm-vARON (m.), cHvain paresseux, mais plein de
g-rces : c'est le seul qui ait su mettre du sentiment dans les
nig"mes et dans les acrostiches, g-enre toujours un peu sec.
CARMiLioLE (m. l'abb) a traduit la Thbade. Le prodi-
eux succs de cet ouvrag-e a d'abord entran une foule
e jeunes crivains vers la traduction
;
genre qui nous cote
chaque anne bien des ouvrag'es orig-inaux. Ensuite, cette
traduction tant fort la mode, on ne lit presque plus le
texte, et Stace en est moins connu.
CASTOR et cosTARD (mm,). Ges deux grands potes se res-
semblent si prodisrieusement que la peine que se donne le
lecteur pour les distinguer nuit beaucoup au plaisir qu'ils
font tous deux. Il faudrait trouver quelque moyen plus puis-
sant encore que leur sig-nature, pour les sparer
;
car les
almanachs les confondent souvent : on pourrait, par
exemple, leur proposer les doubles et les triples noms qui
sont tant la mode, et dont la renomme se charge avec
tant de plaisir. Voyez jNDI. IMarsollier des Vivetires, Lu-
neau de Boisjermain, Fenouillot de Falbaire de Quingej^
etc. Tous ces Messieurs ont craint d'tre confondus avec des
Marsollier et des Luneau ou des Fenouillot tout court : si
bien que, par cette prcaution, la Fienomme n'a plus de
prtexte avec eux, et ne peut leur manquer, sans tre inex-
cusable.
.
CERCEAU (xM.), auteur de l'Hrode intitule : Didon a
Ene. Le pathtique de ce petit pome est au-dessus de
toute expression. Qui pourrait retenir ses larmes aux vers
que prononce cette reine infortune, quand elle dit son
hros :
64
Des horreurs del mer et des soins du trpas,
Tu montes sur mon Ht et passes dans mes bras, etc.
CHATEAU DE LA ROCHEBARON (M.).Qiielques-unes de ses po-
sies ont t imprimes avec celles de M. Bernard, e:aron de
la chambre de Mo^'le comte d'Artois. Le Recueil est intitul :
Prludes potiques. Mais, n'en dplaise leur modestie,
c'est bien un vritable concert.
couRNAND (m. l'abb), professeur, harangua l'assemble
en vers trissyllabiques. Ces vers nains, trs propres
rendre les ides de cet illustre abb, charmrent tout le
monde (i). On nomma pour aumnier dom
cossEPH DE usTARiz, moiue basque, de la plus haute rpu-
tation. Il parla beaucoup de Baruch, et monta la tte tout
son auditoire, d'autant qu'on ne le comprenait pas beaucoup.
L'obscurit dispense de la profondeur, et n'occupe pas moins
les esprits : elle est sur de la majest, et l'loquence ne
peut s'en passer. Aprs cette promotion, on enregistra les
frands
hommes par ordre alphabtique, et voici la liste
dle
(2)
qui nous fut communiqu'?'.
CLAiRFONTAiNE (m. Daue de), pote dont les chansons
seraient des hymnes et des odes au besoin.
COLLOT d'herbois (m.), infatigable au thtre, et matre
absolu des passions. Voyez ses pices.
coMPAi:,- (M.), esprit universel, et qui dispenserait lui seul
de tous ses collgues.
CONJON (m.), de Baveux, si recherch pour le triolet.
CONTANT d'orvillb, l'cspoir du madrigal.
coouELiN (m.), auteur d'une ode ^L le duc de Chartres.
On ne peut rien extraire d'un tout parfait.
CROisETTiERE (m.), dc l'acadmic de la Rochelle. Ses cou-
plets .sa femme sont un vrai modle : tout y est.
GRiGNON d'anzouel (m.). Sa chanson du lendemain e.sl
celle de tous los jours, pour un homme de got.
CRUX, DE METZ (m.). Sa chanson pastorale a t traduite
dans toutes les langues, et fut chante en chorus par tous
les grands hommes su.snomms. Comme ras.semble se
sparait, on s'aperut de l'absence de MM.
(i) Il s'ait d'une sance dans un muse . L'pisode, un peu tra-
nant, a d tre court.
(j) Xous la dinoinuoDS de beaucoup.
littaatl;re 65
cuBiRES (le clievalicr de)- Voyez M, le cluvaier de Pal-
mezeaux.
cuiNET d'orbeil, poctc, sans lequel on ne peut concevoir
un Recueil. Il rentra au moment o chacun se plaig-nait de
sa disparition et ramena cinq potes oublis dans le dnom-
rement, et dont les noms ne mourront jamais. C'-
taient MM.
ARAIGNON, BUTINI, d'aRRAGON DE VERSAILLES, M. l'abb DU
BARRAL, et M. l'abb amphoux, de Marseille. Ils furent reus
avec acclamation
;
et M. Cuinet d'Orbeil, qui improvisa sur
eux, laissa clia])por des beauts sans nombre. Il fit une
allusion trs fine la fortune de ces deux abbs, dans le
distique suivant :
Tantt par des abus, lantt par des abbs,
Les revenus du roi sont toujours absorbs.
M. l'abb Cournand
y
trouva des longueurs
;
mais il fut
accus de jalousie.
DAURioL DE LAURAGUEL (m. l'abb) ajantjct, jeune encore
et sans trop prvoir les inconvnients de la gloire, une
pttre son pole^ dans les papiers publics, il n'a pu se
refuser la proposition qui lui a t faite de la part de toute
la littrature. On a dsir de se rassembler tous les soirs
autour d'un Pole qui inspire de si beaux vers, et le cabinet
de M. l'abb est devenu le club littraire le plus brillant de
la capitale.
DAiLLANT DE LA TOUCHE (m.), potc auxiliairc, sans lequel
plus d'un Recueil serait dj
mort d'inanition. Ses vers sont
d'une bonne force, et conviennent tous les gots.
DAMAS (m.) est parti du distique pour arriver l'ptre, il
y
a quelques annes : il en est dj la chanson, et tout le
monde fait des vux pour lui.
d'aIX DE BUFFARDIN OU BUFFAIUDIN d'aLX (M.).SeS Cpigram-
mes font honneur son cur.
DELiLLE (m.). Ce n'est point l'auteur de la traduction des
Gorgiques, ou du pome des Jardins; c'est bien un
autre talent. Nous ne citerons, pour preuve, que des vers
Madame Le Brun
;
le quatrain sur le roi de Prusse, qui
4.
66
RIVAROL
vcut comme un tigre, et mourut comme un chat; et
finalement le quatrain suivant M. le comte de Buton :
La nature, pour lui prodiguant sa richesse,
Dans son ocnie et dans ses traits
A mis la force et la noblesse :
En la peignant, il peignit ses bienfaits.
Le jeune pote a mis tant de profondeur dans ce dernier
vers quon a nomm une Commission pour l'expliquer.
Nous saurons un jour jusqu' quel point on doit estimer ce
vers-l.
DELACL05 (m.). Ses vcrs sur la Jalousie en ont donn
tout le monde.
DiDOT fils (m.). C'est un prodige en littrature, et un pro-
disi-e
effrayant pour ses rivaux. Ce jeune homme fait plus
dlivres que M. son pre n'en peut imprimer. Le Recueil
de ses fables empchera la vente du bon La Fontaine qu'on
nous a promise : mais on ne peut tout avoir.
DOBREMEZ (m.). Trop fort pour Tnigme, laquelle il s'est
adonn, il pourrait faire des acrostiches.
ESPAGNE (m.). Les Etrennes de Mnmosyne se souvien-
dront jamais du dbut de M. Espagne. Nous osons le d-
fier de se surpasser
;
nous osons mme le prier de ne pas le
tenter : plus d'un grand crivain s'est perdu par l. Quand
on atteint la perfection du premier coup, on est forc de s'y
borner.
FABRE d'glaxtine (m.). Lc succs de ses pices aux
Franais et aux Italiens est un peu balanc par la fortune
prodig'ieuse de ses couplets, qui font le charme des socits.
C'est peut-tre l un des grands secrets de l'amour-propre
que ce penchant qu'on a pour les petites pices fugitives :
on affecte de trouver M.Fabre d'Eglantineplus g-rand dans
le couplet que sur nos thtres
;
ce qui est injuste. Et com-
ment s
y
prendrait-on, s'il n'et pas fait des romances? Il
faudrait bien que l'admiration tombt sur ses drames.
FALLET (m.). C'est, uotre avis, l'crivain qui a le mieux
LITTIXATLRE
67
mat renvie. Ses bouquets et ses chansons causrent d'a-
bord une .'darnic universelle: on craignit qu'il ne s'empart
de ce p;-enre; mais une trag-die a tout calm. On a aim
M.
Fallet dans Tibre, et Tibre lui-mme
y
a beaucoup
gj-agn. Il fallait bien du talent pour rendre Tibre aimable.
FONTAINE DE SAINT-FREVILLE (m.). Cc protcSSCUr avaut COm-
menc la traduction de l'Enide par ces deux beaux vers :
Vis--vis les canaux o le Tibre, son liut,
Dans le sein de Thtis panche son tribut, etc.
M. l'abb Delille a totalement abandonn la sienne : de
sorte que M. Fontaine est en conscience tenu de continuer.
Le public n'y perdra rien; mais il faut que M. Fontaine
soutienne ce beau dbut; ce qui nous fait trembler.
FRRON, fils (m.). Ses posies fug-itives ont un si prodi-
gieux rapport avec celles de Voltaire, que nous ne doutons
pas qu'en cette considration Voltaire ne se ft rconcili
avec M. Frron pre
;
et que celui-ci n'et consenti aimer
le vieillard de Ferney, en le voyant revivre dans son propre
fils.
FULVY (m. le marquis de), un des plus laborieux potes
de la nation. On trouve, s'il est permis de le dire, que ses
charades sont un peu trop piques : on dsirerait qu'il les
maintnt la hauteur de ses autres posies.
GAALLON (M.),de Cacn, pote qui vient de faire la plus
vive sensation dans toute la Normandie par un impromptu.
Il est si lgant, si neuf et si ingnieux, que les amis mme
de l'auteur ont peine croire qu'il ne soit pas le fruit d'une
profonde mditation. Nous allons le citer ;
Comme Cypris,
Vous avez le talent de plaire,
Comme Cypris,
Vous enchanez les jeux, les ris,
A Gnide, Paphos, Cythre,
Vous savez triompher, Glycre,
Comme Cypris.
GABioT DE SALINS (M.),si prodigicuscmcnt connu pour son
couplet une dame. En voici les deux premiers vers :
68
RIVAIXOL
Heureux Tpoux cjui de ton me
Obtint le premier des soupirs, etc.
Il s'est fait une foule d'ditions de ce couplet, et cepen-
dant il est fort rare. On dit qu'on en prpare une nouvelle
dans les belles presses de rAlmanach de Lii^e.
GAiGNE et GA-NEAU (mm. de). Un drame jou en socit et
quelques chansons accompag-nentMM.deGaig-ne et Ganeau
dans le monde, et les suivront dans ces archives de lag-loire.
M. de Gaig-ne a fait une chanson lui seul.
GALLOIS et GAR-NOT (mm. ). Ccs deux potes se prsentent
aussi sous la mme couronne.
VAffj^s
de la Courlille est
le fruit de leur tendre union. On a beaucoup disput dans
le temps pour savoir s'il
y
a plus de vertu que de talent
dans cette pice. Enfin, on a senti que cette belle farce ne
pouvait tre l'ouvrag-e d'un seul homme.
GAUDiN (m.), se voyant de l'acadmie de Lyon, n'a pas
cru drog-er son tat d'acadmicien en faisant une belle
ptre en vers un enfant de sept ans, ni trop prsumer des
forces de l'enfant, en la faisant fort long-ue. Quant nous,
il nous a paru qu'on ne pouvait pousser plus loin une petite
fille et une g-rande ptre.
GAUDET (m.), fort clbre dans le mois de janvier
1781,
par une pitaphe sur une vieille. Nous en rappelons le sou-
venir avec d'autant plus de raison qu'on ne saurait comp-
ter ni assez dplorer tous les petits chefs-d'uvre qui se
perdent ainsi chaque anne dans les premiers huit jours de
janvier.
GAZON (m.), si connu par ces deux vers sur Voltaire :
Avec tous les talents ce pote naquit;
Ds qu'il put s'exprimer, il montra de l'esprit.
GEOFFROY (m.). C'cst uu dcs uoms les plus connus dans
la littrature moderne; mais comme il appartient plu-
sieurs potes la fois, nous sommes rduits demander du
temps nos lecteurs pour les classer un jour selon les
Recueils o ils dominent, et les journaux o on les loue.
GEORGELiN (m.), secrtaire de la socit patriotique en Bre-
tagne. Ce pote s'est eng-ag- faire un quatrain tous les
ans, ordinairement adress au commandant de la province.
On ne saurait trop admirer l'aimable g-alit quirg-ne dans
tous ces quatrains : la grce et la posie s'y soutiennent tou-
LITTRATURB
6g
jours une mme hauteur. Cet quilibre de talent est Lieu
rare.
GENCY (m. de), pote qui a ehant Jupon court et blanc
Corset. Cette chanson est plus connue que la Ilenriade.
Tels sont les succs attachs l'heureux emploi de ses for-
ces ! Peut-tre M. de Gency aurait t moins fortun dans
l'pope.
GENDRY (M.),d'Ang'ers, vient de refaire la fable de Tircis
et d'Amaranthe, qui en avait certes grand besoin. Nous
j
invitons M. Gendry suivre cette heureuse ide, et nous
i
refaire IdS Animaux malades de la peste, Philmon et
Baucis^ le Chne et le Roseau, etc. Ce sera pour M. Gen-
dry une route nouvelle dans le champ de la g"loire, et il sera
bien sr de n'y rencontrer personne.
GIN (m.), conseiller au grand conseil, si connu et si estim
pour le beau papier et
les superbes gravures de sa traduc-
tion d'Homre.
.;iLLET (m.). Ses couplets de Jean Jeanne sont un
monument de l'Almanach des Grces. Il faut avoir un talent
bien particulier pour viter avec tant de prcaution la po-
sie, l'esprit et l'harmonie, et faire pourtant des couplets si
aimables. C'est que M. Gillet a saisi le genre.
GiNGUEN (m.). Nous avons lu dans le temps son ptre
intitule : Lors de mon entre au Contrle Gnral; et
nous nous flicitions de compter enfin parmi les potes de
ce Recueil un contrleur gnral des finances; mais nous
n'avons jamais pu trouver M. Ginguen dans la liste. Au
reste, si Plutus ne l'avoue pas, les Muses le rclament, et
>t un des plus fermes appuis de leur Almanach.
GODARD (m.) s'est cxerc sur les Bergers
prfrs
et les
Bergers inquiets^ avec un succs incroyable. Heureux
ceux qui n'ont pas encore lu M. Godard ! Ils feront con-
naissance avec une Muse bien originale et bien piquante.
GRAMBERT (.M.). Ou peut trc immortel et inconnu : c'est
le cas de M. Grambert. Ses uvres se sont drobes toutes
nos perquisitions
;
mais son nom ne peut viter nos hom-
mages.
GRATON (m.), pote de Beauvais. Il a chant sur une
'musette si harmonieuse que Paris, jaloux de Beauvais,
devrait s'en venger en attirant ce pote dans son sein. Mais,
70
RIVAROL
si M. Graton manque Paris, il ne manque pas notre
collection.
GRiMOD DE LA reymre (m.). Prodigc uaissaut en littra-
ture : il va Timmortalit par trois routes diflrentes, par
ses livres, par ses actions et par ses soupers; ce qui est peut-
tre sans exemple dans les annales de toutes les nations.
GUDiN DE LA BUNELLERiE (m.), moius clbre par six
volumes de beaux vers et les injustes cabales qui ont fait
tomber ses pices aux Franais, que par son amiti pour
M. de Beaumarchais. Quelques pa^-es des Mmoires ae ce
dernier et quelques plaisanteries de Figaro les avaient un
peu refroidis; mais le dernier Factiim, et surtout Tarare,
les ont lis jamais. M. Gudin, charm que son ami cra-
st Ouinault, le console des cris de l'envie par l'exemple de
Socrate, d'Aristide et de Voltaire, avec qui M. de Beaumar-
chais a en effet des rapports frappants. Seulement, on peut
dire que M. de Beaumarchais, ainsi que feu M. de Ram-
ponneau, est infiniment plus connu que Socrate et Voltaire :
son nom a toute la vogue d'un Pont-Xeuf.
GuiCHARD (m.), extrmement recherch pour une anecdote
en vers sur Henri IV et Bassompierre. Plt Dieu que
M. Guichard voult ainsi mettre en sixains toute l'Histoire
de France! Voyez ses charmants vers Cocotte qui tient
un papillon.
GuiDi (m. l'abb), auteur d'un pome sur Vme des Btes.
Cet ouvrage, plein d'me, vivra ternellement.
GUIS (m.), de Marseille. Ses Pices fugitives ont fait
oublier son Voyage de Grce. Nous croyons en effet que
M. Guis avait perdu son temps voyager
;
sa vritable voca-
tion, c'est le quatrain.
GUYARD (m.), un de nos modernes Quinault. Ses paroles
sont tombes sur Iphignie en Tauride.
GUYTAND (m.). Scs impromptus, ses anecdotes en vers et
ses acrostiches en ont fait, en dpit des rivaux, un des plus
considrables personnages de ce Recueil, et de tous ceux
qui paraissent au mois de janvier. M. Guytand s'est fait
dans la petite posie un arrondissement superbe, et n'en est
jamais sorti.
HAR-M DE GUERviLLE (m.). Scs productious dramatiques
LlTTf\ATURE
V
se trouvent aux Italiens et aux Boulevards.
Observez que ce
pote n'a jamais fait un chef-d'uvre lui seul; il
s'est
toujours donn un collg-ue, ce qui rend le fardeau de sa
gloire plus lger pour l'envie.
HARDUiN (m.), secrtaire de l'acadmie d'Arras; une des
Muses les plus assidues de nos Recueils. Ce pote est si
voluptueux, il va si droit au cur, il excite si violemment
l'imagination qu'on ne saurait trop prendre de prcautions
contre les surprises invitables dans une premire lecture.
Il faut relire M. Harduin pour tre en tat de le bien juger.
HENNET (m.), si clbre par la chanson qui parut en
1781
sur une Rose prudente. On ne conoit pas comment
M. Hennet a pu marier tant de philosophie tant de posie
dans une chanson.
HsQUE (m.), pote qui ne jouit pas de toute la rputa-
tion qu'aurait d lui attirer une pice de huit vers qui parut
il
y
a deux ans dans l'Almanach des Muses.
HiNARD (m.), de Montauban. Ses couplets Hortense et
Isabelle sont dj mis ct des beaux sonnets de Ptrar-
que pour sa Laure; avec cette diffrence, si honorable pour
le pote de Montauban, que Ptrarque n'a pu immortaliser
qu une femme, et que M. Hinard a dj fait deux immor-
telles.
HiRZEL (m.). Son dialogue sur les Suisses mrite toute
l'attention d'un philosophe.
HOFFMAN I, ET HOFFMAN II
(m^s).
NoUS atteudoUS, pOUr
parler dignement de ces deux potes, que le public se soit
dcid sur leur mrite respectif
;
faudra-t-il laisser les rayons
de leur gloire se confondre, ou sparer leurs articles? Voil
la question.
HuiLLiER (m. l'), conseiller Orlans
;
ce magistrat a poli
un sixain dans le cours de l'anne dernire, qui lui a fait
le plus grand honneur. Nous l'exhortons quitter l'aride
tude des lois pour s'adonner aux sixains, puisque le ciel
l'appelle si visiblement ce beau genre.
j et i
JAMES DE SAINT-LGER (m.) a franch les limites du qua-
train, et ne s'est point gar dans un conte de vingt ou
na RIVAROL
trente vers. Ces heureuses tmrits perdent tous ceux qui,
en tant jaloux, se htent de les imiter.
JEUNE (m. le). Ses couplets un cur de Paris sont d'une
posie trop brillante
;
mais ce dfaut est si rare qu'en
vrit nous n'osons pas le trop reprocher M. le Jeune.
JOLY (m.).
JOLY DE SAINT-JUST (M.).
JOLY DE PLA>XY Ct JOLY DE PLANEI (mM.). CcS quatrC UOmS,
s'alement connus, sont comme noys dans la mme g-loire.
La distinction que nous voulions tablir entre eux nous a
cot six mois de travail et d'normes achats de Recueils,
mais nous en sommes encore au mme point. Ce sont tou-
jours, et de tous cts, des couplets, des impromptus, des
bouquets, enfin l'quilibre le plus parfait et le plus dses-
prant
;
si ce n'est pourtant qu'on donne VEgyptiade un
de ces MM. Joly : or, un pome pique romprait bien l'-
quilibre.
jouFFREAU DE LAGERiE (m. Tabb). Quoiquc nous n'ayons
qu'un ou deux vers de ce pote, nous ne savons pas moins
apprcier son talent, et lui donner ici la place que son nom
rclame. A quoi nous servirait notre longue exprience, s'il
nous fallait plus d'un hmistiche pour juger un de nos
potes du jour ou du moment? On assure que M. l'abb
Jouffreau a mis Don Quichotte en vers.
juviGXY' (m. rigoley DE), crivaiu inconnu force d'lo-
quence, de posie, de philosophie et d'rudition; tant l'en-
vie a t aux aguets avec ce grand homme !
iMBERT DE LA platire (m. le comte) . Cet infatigable
jeune homme avait entrepris la Galerie universelle des
grands Hommes; mais cet ouvrage pchait par le mlange
scandaleux du bon et du mdiocre. Nous esprons qu'on ne
pourra nous faire ce reproche : nos grands hommes sont
tous 'iine mme venue, et notre Recueil est sans mlange
comme sans reproche.
iRAiL (m. l'abb) a eu la gloire d'excuter ce que La Motte
avait tent sans fruit, et ce qui l'et combl de joie. Sa tra-
gdie di Henri IV et de la Marquise de Verneuil, en cinq
actes et en prose, a fait la rvolution; et c'est depuis ce
succs que nous n'avons plus que des tragdies prosaques.
LITTKATL'RE
'j'i
LACROIX (m.), avocat et continuateur de Montesquieu.
On
commencerait dj ne plus distinguer l'auteur de l'Esprit
des Lois, de son continuateur, si celui-ci n'tait la fois
pote et lgislateur.
LAVEDAN (m.), Secrtaire du muse de Toulouse. Son p-
tre aux Ours, qu'il appel ses amis et ses
Juges, est d'une
misanthropie sublime.
LAUNAi (m. l'abb de) a des rapports frappants avec l'abb
de Saint-Pierre; avec cette ditlrence que M. l'abb de
Saint-Pierre n'crivait ses projets pour le bonheur du monde
qu'en prose, et que M. l'aob de Launai les met au jour,
tantt en forme de pome, tantt en ode, tantt en chansons.
Il n'est pas de strata2;"me dont iM.de Launai ne s'avise pour
rendre les hommes heureux.
lemteyei\(m.), secrtaire du roi, fameux par une fable
insre dans les Almanachs des Muses. Encore une autre
fable de cette force, et M . Lemteyer pourra se reposer et
jouir. Nous exigeons cette seconde fable, non que M. Lem-
teyer en devine plus illustre, mais c'est que nous en serons
plus heureux.
LEsuiRE (m.). Un des plus laborieux potes de notre si-
cle. Cinq ou six pomes piques, et dix ou douze mille
feuilles volantes, composent le patrimoine de cet enfant des
Muses. Ses ennemis mmes sont forcs d'avouer qu'il ne s'en
tiendra pas l.
LETORS (m.), bailli Chaourse, en Champagne. Le gnie
crot partout. Voyez les beaux vers de M. Letors, sur la
pointe d'une aiguille.
LEVASSEUR (m.) fait la musique de tous ses opras; ce que
personne peut-tre n'aurait fait.
LvouE (m.), un des puissants crivains du sicle. Il a
attaqu l'histoire et la pice fugitive, et en est venu son
honneur : sa dernire victoire a t sur Plutarque, qu'il vient
de traduire.
LUCHET (m. le marquis, jadis marquis de la roche du
I
MAINE). Soixante volumes de vers et de prose caractrisent
I cet illustre crivain. Rien ne lui a rsist; pomes, drames,
I
romans, opras, chansons, histoires, toute la littrature lui
est chue en patrimoine, ou par droit de conqute. Lass des
74
UIVAROL
applaudissements de sa patrie, il a port sa loire en Alle-
mag-ne. On ne conoit pas, d'un ct, l'ingratitude de M. de
Luchet, et, de l'autre, l'insouciance des Franais. Que de
guerres entreprises pour de moindres sujets !
MAiLHE (m.). Une idylle contenant les propos de Henri IV
son pre nourricier a prouv que M. Mailne tait homme
tout. On attend la rponse du pre nourricier avec la plus
vive impatience.
MAisoNNEuvE (m.). Cc potc trag"ique, connu dj par une
foule de quatrains, vient de concevoir un projet magnanime
Eour
la e^-foire du Thtre Franais. Avant donn au pu-
lic la trag'die de Mustapha et Zang-ir sous une nouvelle
forme, et, voyant que son style plaisait beaucoup, il a port
sa bienveillance sur ce qu'on appelait jusqu'ici les chefs-
d'uvre de la scne, et a voulu nous dbarrasser de cette
ennuyeuse monotonie. C'est A/^^re qu'il a d'abord attaque.
En portant son style sur cette pice, il en a fait Odmar et
Zulna, titre plus harmonieux que celui d'Alzire;et cela lui
a si fort russi, qu'il va nous donner successivement Ph-
dre, Britannicus, Iphignie et Ci/ma, sous d'autres titres.
Nous ne saurions trop l'encourager dans une si haute entre-
prise, et nous le prions en notre particulier de vouloir bien
aussi jeter du style sur Athalie, et de finir par l le rajeu-
nissement du Thtre Franais.
MARCHANT et MARCHAND (MM.), dcux potes aussi distincts
que distingus : l'un a fait un pome sur Fnlon, et l'au-
tre des couplets ravissants sur un petit chien.
MARiBAROu (m. de). Uu im-promptu dans l'Almanach des
Grces a caus M. de Maribarou une aussi grande rputa-
tion qu'un gros Pome l'aurait pu faire. C'est qu'avec un
vrai talent on ne fait rien d'innocent.
MAYET et MAYER (mm.). Ccs dcux crivaius rgnent assez
paisiblement sur les vers et sur la prose. Vint volumes de
Romans et de Romances ne leur ont pas attir une seule
critique. Il
y
a eu peut-tre d'aussi grands crivains; on en
trouve peu d'aussi fortuns.
merard de saint-just (m.). Ses posies sont toutes en
distiques, mais si peu distingus par l'imprimeur qu'on est
LnTEn.VTL'IlE
75
sujet les lire de suite, et chercher un sens g-nral tant
de
vers ranims
par paires.
MisTRixGUE (m. Thomas Minau de la). Orateur,
pote et
philosophe. Son dernier ouvrage sur Vimpt^ et le beau
pome qu'il prparc sur la Compagnie des Indes^ ont donn
M. Thomas Minau de la Mistring-ue une place part dans
la littrature franaise. Son nom, si favoranle l'harmonie,
sera chant dans tous les Almanachs et dans tous les si-
cles.
MOREAU (m.). Ses discours sur rhistoire de France
ont
fait oublier Machiavel, par le style surtout, et la profondeur.
M. Morcau ramne tous ceux que .Montesquieu,
Rousseau
et d'Argenson garent; et ses crits servent puissamment
nous tenir en garde contre la raison qu'il met en dfaut,
et contre les charmes de la libert dont il nous dgote.
MouzoN (m.), professeur Bourges. Son pome sur le com-
merce est devenu lui-mme un grand objet de commerce,
par l'norme consommation qu'on en fait dans nos Colonies.
MOUHY (m. le Chevalier de). L'Histoire des thtres, beau-
coup de pices en vers et en prose, et quarante volumes
de romans, donnent cet crivain un des cort-es les plus
imposants de toute notre nomenclature. Nous lui devons la
plupart des jugements ports sur les auteurs dramatiques
vivants. Ce beau gnie semble avoir devin nos intentions,
en insistant sur Corneille, Molire et Racine, beaucoup moins
que sur MM. Mercier etDurosoy, et en louant tout le monde.
C'est aussi la marche de M. ci'Acquin de Chteau-Lion;
et cette mthode est en effet le seul moyen que la prudence
nous ait indiqu pour teindre ces rivalits et ces disputes
odieuses qui dshonorent la littrature franaise, et quichan-
Eent
en vils gladiateurs les vritables matres du public,
'empereur Commode eut la folle bassesse d'amuser un peu-
Sle
qu'il devait gouverner. Mais nous croyons, nous osons
u moins nous flatter que ces courtes notices mettront fin
ce scandale. Quand une fois il sera bien dcid que tout
homme qui signe un quatrain, ou qui est admis aans un
Recueil, est un grand homme, et que nous n'avons en ce
moment que des grands hommes dans la rpublique des let-
tres, il faudra bien que nous ayons la paix. On gale les pr-
tentions en galant les puissances; l'quilibre parfait sera le
fruit de cette politique. Enfin nous qui parlons, nous som-
nQ liivAnoL
mes aussi des grands hommes; et si jamais, par une fausse
modestie, nous venions h dire le contraire, nous prions le
public de nous
confondre, en nous opposant nous-mmes,
et en nous faisant rentrer dans notre Almanach.
NAu (m.). Cet crivain a travaill pour les thtres de so-
cit, et s'est beaucoup illustr; mais ce qui a surtout fait
sa gloire, c'est le Recueil des fables de La Fontaine, mises
en vaudeville. Une ide neuve est une bonne fortune, et
M. Nau l'a eue. On s'tait dj lass de dire La Fontaine;
on ne se lassera jamais de le chanter. Mais, si on ne lisait
plus La Fontaine, on le louait toujours; car on aime louer
les morts; les frais de l'envie sont faits depuis long-temps
avec eux. Eh bien ! nous apprenons tout lecteur que celui
qui chante une fable en vaudeville, et qui croit d'admirer
La Fontaine n"admire en effet que M. Nau
;
La Fontaine n'y
est plus.
NivET DESERiREs (m.). Ses Nouvelles Fables ont t mal
propos confondues avec celles de La Fontaine par un sot
diteur. M. Nivet les a fait imprimer ct de celles deTan-
cien fabuliste, pour tre compares, et non pour tre con-
fondues.
NouGARET (m. Pierre de). Son Vidangeur sensible a t
compar plus d'une fois la Brouette du Vinaigrier, yoi\k
la vraie et la belle nature
;
c'est l qu'il faut la chercher. Ces
deux pices donneront la postrit une ide plus juste de
l'espce humaine, que les prtendus chefs-d'uvre de Racine
et de Molire. ,.
OFFREVILLE (m. d'). Nous cTaignons que ce ne soit le mme
que M. Dofireville dont nous avons dj parl; mais nous
prfrons le risque de nous rpter au malheur d'omettre.
Voici un vers de cet aimable pote sur les approches de
l'hyver :
Nos bouquets sont fltris
;
ils ne sont plus charmants.
ORVILLE (m. Malherbe d'). Nous ne connaissons qu'un
roman de cet crivain
;
c'est un peu sa faute
;
nous sommes
LITTEUATUnE
77
forcs de faire revenir de Saint-Domiug-ue une foule de
romans qu'on ne trouve plus en Kurope.
PALMEZEAux (m. le chevalier de), le plus pur, le plus riche
et le plus brillant modle que nous puissions proposer la
jeunesse : ses soixante volumes de vers et de prose forment
aujourd'hui une collection qui ne laisse plus d'excuse au
jeune crivain qui ne demande que des exemples. L'extrme
activit de M. le chevalier de Cubires, et son admirable
rg"ulai itc dans les Almanachs. devraient faire roug-ir plus
d'un homme de lettres. Nous avons en ce moment onze Re-
cueils de vers sous les yeux, auxquels tout manquerait plu-
tt que M. le chevalier de Cubires; et ce n'est pas un seul
morceau chacun qu'il distribue mesquinement; ce sont des
douzaines de pices la fois, jetes avec mag"nificence dans
les Almanachs riches ou pauvres, sans distinction. 11 en est
de ces Recueils indig^ents pour qui M. le chevalier de Cubires
est une vraie providence. Parmi les quatre-vingts pices
qu'il nous a donnes en ce mois de janvier, sans prjudicier
en rien la collection de ses uvres qui va toujours, on a
disting-u un Dialogue entre les fauteuils de l Acadmie.
Le premier fauteuil prend la parole, et dit :
De l'improRiptu le Dieu troublant ma fantaisie,
De raisonner en vers me souffle le dsir
;
Raisonner envers! quel plaisir!
Cdons la fureur dont ma bourse est saisie, etc.
Le second fauteuil rpond :
Mes coussins sont enflamms, etc.
Le feu jaillit de mes clous menaants, etc.
On ne fait pas ces vers-l sans son tapissier.
PAIN DE LA LORIE (m.).
PANis (m.). Ces deux noms, dont l'un pourrait servir de
traduction l'autre, sont galement fameux; ce qui est vi-
demment injuste, car M. Pain n'a fait qu'un vaudeville; et
M. Panis en est son millime. Les rputations ont leurs
mystres, et nous dfions la gomtrie de rsoudre le pro-
blme Pain et Panis.
^8
RVAROL
PASCALis (m. le chevalier de). Les Mtamorphoses d'Ovide
ont reu la vie des mains de cet auteur : Acton l'a d'abord
frapp et a subi la traduction la plus prompte et la plus
heureuse. M. de Pascalis se rencontrera bientt avec M. de
Saint-Ang-e, au pied de l'arbre de Daphn : c'est l que la
g-loire leur a donn rendez-vous.
PASTELOT (m.) vient d'entreprendre les quatre Saisons;
l'hiver a dj pass par ses mains, et en est sorti brlant de
verve et d'expression : il n'y a d'autre magicien dans la na-
ture que le pote.
PELLETIER (m.) a mis le Tlmaque en vers. C'est l'hom-
mag'3 le plus dlicat qu'on ait encore rendu la prose de
Fnlon : on est fch que l'offrande n'ait pas t mise prs
de l'autel, c'est--dire, qu'on n'ait point imprim M. Pelle-
tier ct de Fnlon.
PERPvOT (m.), niatre, pote et tailleur Paris : il donne
dans la tragdie, et voici deux vers de lui trs connus et trs
pathtiques :
Hlas, hlas, hlas et quatre fois hlas !
Il lui coupa le cou d'un coup de coutelas.
M. Perrot fait aussi Tptre et la fugitive : peu d'auteurs
ont pris de si justes mesures en parlant des hommes et des
animaux
;
tmoins les vers suivants :
Mais, tandis qu'on le leurre,
Le chat passe emportant une li\Te de beurre :
Brusquement on se lve, on court aprs le chat,
Oui, tout saisi d'effroi, ss sauve et casse un plat.
perez-d'uxo (m.). Cet crivain entremle beaucoup de
mora/i/s dans ses pices fugitives. A chaque vers, chaque
hmistiche dans M. Perez-d'Uxo, il se fait un mariage de
la philosophie et de la posie. Ce grand secret, si rare et si
difficile, n'est qu'un jeu pour M. Perez-d'Uxo.
PERR1ER (m.). Nous avons de ce pote huit ou neuf vers
an ami, qui intrigurent tous les connaisseurs, lors de leur
apparition. On voulait absolument savoir qui s'adressait
ce brevet d'immortalit; et quoique le temps ait un peu cal-
m les esprits ce sujet, il nous arrive encore de rencontrer
des personnes de la plus haute considration, qui nous en
parlent, et qui seraient bien aise d'avoir des informations
LITTEI\ATUHE
yg
certaines l dessus. Nous ne pouvons les satisfaire, et nous
ne concevons pas le barbare plaisir que M. Perrier g-ote
tourmenter ainsi l'univers entier.
piERRY (m.). Ce nom est responsable d'une petite fable que
nous avons trouve dans un des cantons les plus dtourns
de la littrature. C'est un vrai bijou que nous rservons pour
redit ion des chefs-d'iiore inconnus; ouvrag-e en qua-
rante volumes in
folio,
auquel nous travaillons jour et nuit.
PIEYRE (m.). Aprs dix ans d'assiduits dans tous nos
Almanachs,M. Pieyre vient de nous faire une infidlit qui
a valu un drame sublime aux Franais. Tous les pres qui
ont se plaindre de leurs enfants
y
ont applaudi avec
transport, c'est--dire qu'il
y
a eu pour lui tous les mnag-es
dans une ville o l'on se marie d assez bonne heure pour
que les pres soient toujours trop jeunes et les enfants trop
vieux
.
piDou (m.). Les crivains les plus srs de leur force sont
ceux qui, s'tudiant sans cesse, ne se laissent pas tourdir
du bruit de leur rputation. Tel est M. Pidou, qui n'a pas
quitt le quatrain, au milieu des acclamations de ses amis,
qui l'invitaient positivement l'pope.
piLHES (m. de), un des plus laborieux commerants de
f)osie
qui existe dans l'empire littraire. Il a transport de
e Grce une foule de petitt^s pices, et les a jetes dans la
circulation, o elles ne restent pas long-temps, cause de
l'avidit des amateurs. Les petits vers de M. de Pilhes
seront un jour d'une horrible chert : il est affreux qu'on
spcule ainsi sur la posie.
Plis (m. Antoine-Pierre-Au2rnste de), secrtaire ordinaire
de Mgr comte d'Artois, etc. Ce jeune pote, tantt avec
M. Desprez, tantt avec ^L Resnier, tantt avec AL Barr,
tantt avec son talent, tantt seul, a conu, corrig ou
enfant prs de mille, pices de thtre. Son pome sur
l'harmonie des mots et des lettres a mis le sceau sa
rputation. C'e.^t l qu'on a vu le
Q
tranant sa queue et
querellant tout bas, etc. M. de Piis est le premier pote qui
ait song donner un tat fixe aux ving-t-quatre lettres de
l'alphabet.
piTRA (m.), profond penseur et pote lger, et selon les
temps, penseur lger et profond pote, que la politique vient
d'enlever aux Muses.
80
KIVAROL
PLANCUET (m.). On dit que cet crivain est extrmement
connu de quelques per.sonnes, pour un petit conte Indien
que nous n'avons jamais pu nous procurer.
PLOuvi (m.). Nous lui devons un Temple de l'Amour,
en vers. Il est peu d'ouvrag-es mieux construits ;
les dtails
d architecture o le pote s'engage feraient croire qu'il n'a
jamais perdu de vue qu'Apollon avait t maon. C'est
quoi Boileau ne songeait pas assez, quand il disait Per-
rault :
Soyez plutt maron si c'est votre talent.
pouLHARiER (m.). C'est l'auteur fort estim d'une com-
die. Cette notice ne parat rien, et quelques personnes
demanderont peut-tre une explication : mais seront-elles
plus heureuses ou plus avances, quand nous leur dirons que
cette comdie est intitule, le Taciturne.
roNS DE VERDUN (m.). Nous dirous peu de choses de cet
Hercule littraire. On sait qu'il n'a point craint de signer
environ dix mille pigrammes ou contes en vers, et de les
expdier pour tous les Almanachset tous les journaux o ce-
jeune pote a form, par leur moyen, des tablissements
trs considrables.
po-xcoL (m. l'abb) n'a traduit qu'une seule pigramme de
Sannazar, et s'est attir tout coup une gloire gale, dit-on,
celle de M. Pons de Verdun. Nous ne pouvons nous accou-
tumer ces sortes d'injustices.
PORRO (m.) a rompu un lacet^ en vers remplis de grce.
Cette pice, qui n'a pas vingt ou trente vers, est un petit
pome, le bien prendre : et ce sont ces petits pomes bien
inconnus et bien signs de leur auteur que nous aimons
la folie : c'est l que nous triomphons. Quel plaisir en effet
d'arracher une victime l'oubli, ce tyran vorace et muet,
qui suit la gloire de prs, pour dvorer ses amants ses
yeux, et qui, toujours vainqueur, ne daigne jamais chanter
ses victoires !
PRUNEAU (m.) a fait une petite pice aux Franais, et s'est
tenu coi. On dit que sa paresse, mle de modestie, s'est
avise d'un stratagme .singulier. M. Pruneau a jur qu'il
ne ferait une seconde pice que lorsqu'on aurait oubli la
premire.
LITTKRATLRK 8r
QUTANT (m.). C'est peiit-t'tro le mme que M. Guytand.
Nous marchons dans des obscurits et des quivoques sans
fin, en parcourant la pnible route o nous nous sommes
eng-ag-s
.
RAUQuiL-LiEUTAUD (m.). Cct crivain a reu du ciel un
talent fort honnte, et en a fait un usag-e plus honnte encore.
Ses Moralits en vers difient des journaux entiers : quel-
quefois, il est vrai, M. Rauquil-Lieutaud se permet des
impromptus d'une tournure un peu aie, et sentant le
monde plus que ses moralits; mais on sait qu'un impromptu
ne dpend point de vous. Les casuistes les ont rang"s parmi
les premiers mouvemenls.
RAT (m.). Chansons, Chansons : tel est l'aimable cri
de M. Rat. On le trouve, on le chante partout : il n'est
point de Journal, de Recueil et d'Almanach o la g-loire ne
vienne crire elle-mme ce nom-l. Sa manire est tellement
lui qu'on nomme ses couplets, les Rats, comme on
appelle les Augustins^ tous les petits contes de M. Auguste
de Piis.
REGXAUT DE BEAUCARON
(>!)
H }' a dcs savauts qui pr-
tendent que c'est le mme que M. Reg-naut de Chaource.
Comme il
y
a dj quelques volumes de dissertations ce
sujet, nous esprons qu'un jour ou l'autre nos doutes seront
cclaircis, et nous serons en tat d'en parler dignement.
RENOUT (m.). Ses tragdies et ses comdies se jouent avec
fureur aux Franais
;
mais elles ne soutiennent pas aussi
heureusement l'examen froid et svre du cabinet. Cela
vient de ce que M. Renout s'est trop livr cette manire
expditive qui a perdu Corneille et Voltaire : il est vrai que
M. Renout produit plus d'effet au thtre que Racine, lequel,
de son ct, l'emporte un peu sur lui la lecture.
RELLY (m.). Son Heureux Divorce, en deux actes et en
prose, est une de ces pices qui ne pouvaient se mettre en
vers, comme l'observe trs judicieusement M. Mercier.
REssGuiER (m. Ic bailli de). Son pome de iile de Rho-
des commence fixer les regards de l'Europe, et donne de
furieuses inquitudes aux Turcs. Mais la Russie le favorise
5.
82
RIVAIVC L
puissamment, parce que ce beau pome, qui ne vise rien
moins qu' la reprise de l'le de Rhodes, ferait une diver-
sion 1res heureuse dans la g-uerre prsente. C'est dans les
Muses de Toulouse que M. de Resscg-uier a mont son
artillerie potique.
RiCHER (m). Quelque ria^ueur que nous ayons mise dans
les perquisitions qu'on a aites sur INI. Richer, on n'a pu
obtenir encore que des esprances. Mais qu'importe ? le
nom de ce pote, quoi qu'il ait fait, ira la postrit, comme
le nom d'Orphe, de Muse et de tant d'autres, dont il ne
reste plus en ef'et que le nom.
RivAHoL (m. le comte de). Cet crivain n'et jamais brill
dans notre Almanach, et le jour de l'immortalit ne se ft
jamais lev pour lui, si M. le marquis de Ximens n'et
bien voulu, pour le tirer de son obscurit, l'aider puissam-
ment d'une inscription en vers, destine parer le buste
du roi. Voici quelques-uns de ces vers adresss au peintre,
et qui terminent la pice :
....
Tu peins un jeune Roi,
De qui la g-loire sans seconde
Est d'avoir en tous lieux fait respecter sa loi,
Sans coter une larme au monde.
Cette petite inscription fit un bruit incroyable
;
le journal
de Paris s'en charg-ea, et c'est l que M. le marquis de Xi-
mens en donna l'investiture M. de Rivarol, dont le nom,
depuis cette poque, fij^ure assez bien dans toute la littra-
ture, qu'on dit lg-re. Les Etrennes d'Apollon, l'ayant enre-
g-istre dans la mme anne, achevrent de donner M. de
Rivarol une g-loire irrmdiable. Notre notice redressera
sans doute le plagiat et l'erreur
;
et quoique ceci ne soit pas
un vol, mais un don. il n'en restera pas moins que la dli-
catesse de l'un devait s'opposer la g-nrosit de l'autre.
Mais quoi ! la gloire est si douce ! on en veut tout prix,
et quel homme ne se laisserait pas violer pour elle ! On ne
connat sous le nom de M. de Rivarol que cette inscription.
RONsiN (m.). Ses Mdrig-aux frisent un peu l'Epigramme
et ses Epiis^rammes sont un peu trop douces : ne serait-ce
pas la faute de l'imprimeur qui aura mal pos les titres ?
ROSIRES (m. le comte de). Des Nouvelles en prose qu'on
a longtemps crues de Boccace,etune foule de petits vers qui
LIITPATURE
83
ont une physionomie toute particulire, et qu'on n'oserait
attribuer personne, forment pour M. de Rosires un m-
lanine
(le g"loire, de rayons nuancs, et une couronne qui ne
peut aller qu' lui seul.
ROUDiER (m.). On ne peut rien affirmer de bien certain
sur cet auteur. Il est dur d'tre rduit ces obscurits avec
des contemporains. Que sera-ce de tous ces noms-l dans
(
quelques sicles ?
ROUSSEAU (mm.). Les Jean-Baptistes et les Jean-Jacques
ont assez occup la renomme : il est temps qu'ils cdent la
place nos Rousseau du jour, d'autant que les premiers
taisaient assez mal l'acrostiche, et que ceux-ci le font trs
bien
;
et font encore, sur le march, tout ce qu'ont fait les
autres, Odes, Epig-rammes, Romans, Discours, Pastorales,
etc. Aussi craig-nent-ils plus la prvention que le parallle.
En tout, il est malheureux de trouver la place prise. Heu-
reux les ans !
ROYou (mm. l'abb et l'avocat). Le premier donne des
lois Paris, et le second des modles la Bretag-ne : le
premier a mis M. le comte de Buff'on en poudre, et le second
la mis en vers. Qui des deux a fait le plus de bien la lit-
trature, ou plus de mal M. de ButFon? Ce problme
vaut bien qu'on le propose.
RUBEL ou REBEL (m. de) a fait, cn
1782,
une rude Epi-
uramme contre les potes lyriques, et cette Epig-ramme,
dont la pointe fut trempe dans le Sfijx, tua en effet toute
la g-nration lyrique
;
la moisson mme des Odes de l'an-
ne scha sur pied; et on a observ depuis cette funeste
Epigramme que le g-enre lyrique dprissait totalement. Il
y
a des circonstances o il faudrait lier les mains au talent.
M. de Rubel est bien coupable.
SABATiER DE CAVAiLLON (m.). Ce nom Serait bien vieux
dans la fugitive, si les Grces pouvaient vieillir : trente ans
d'exercices potiques, et plus de trente volumes n'ont pas
su faner ou puiser cette Muse provinciale. Rien n'g"ale sa
fcondit, si ce n'est sa vi^-ilance : le moindre vnement
dans la province qu'habite ce pote est aussitt affect d'un
84
RIVAROL
quatrain
;
et ses madrlg-aux et mme ses chansons seront
un jour les plus srs matriaux de l'histoire.
SAINT-MARC (.M. Ic marquis). Comment la G;-loire ne s'est-
elle pas attache un pote qui lui prparait un asile dig-ne
d'elle en papier, en dorure, en gravure, et avec tout le luxe
de la typographie, tandis qu'elle poursuit souvent un igno-
ble bouquin sur nos quais ou dans la poudre des boutiques?
Ces caprices sont bien incomprhensibles.
SAiNT-pRAvi (m. de), pote qui rajeunit tous les ans, et
qui fait le meilleur madrigal de la saison.
s\LAUN (m.). Quelques petits vers un chne, qui
M.
Salaun voulait du bien, ont fait une grande fortune.
Qu"il est agrable de passer la fois pour un bel esprit et
pour un bon cur ! c'est un problme moral difficile r-
soudre, que cette difficult presque insurmontable d'allier
les deux rputations : les hommes, qui ne veulent pas tout
accorder la fois, prtendent qu'une partie est toujours
faite aux dpens d'une autre. M. Salaun s'est tir d'atfaire
avec un sixain.
SAUTEREAU DE BFXLEVAUD (m.), avocat Saint-Picrrc-le-
Moustier. C'est presque en rougissant que nous oi'rons cet
infatigable pote un encens dont il n'a que faire. M. Sau-
tereau, quand il veut faire parler de lui, ne peut-il pas
porter la parole au monde par vingt bouches diffrentes,
c'est--dire, par vingt journaux? Y a-t-il mme manqu
une seule fois? Les personnes les moins inities dans les
mystres de la littrature n'osent pas avouer qu'elles ne
connaissent pas M. Sautereau de Bellevaud; et nous croyons
inutile d'avertir que ce pote n'est pas le mme que celui
qui rdige VAlmanach des Muses, recueil annuel qui eut
d'abord des commencements assez minces : on n'y voyait
que quelques pices de Voltaire, de Gresset, de Colardeau
;
mais il s'est dgag peu peu, et par le bienfait du temps,
des langes de l'enfance. Sa marche vers la perfection a t
rapide, grces tous les talents dont nous faisons ici l'his-
toire. On a eu des annes sans tache, et on ne pourrait
gure reprocher celle de 1788
que les strophes de M. Le
Brun. Nous ne concevons pas comment le rdacteur de
VAlmanach des Muses a laiss passer cette ode. C'est une
inadvertance, bien pardonnable sans doute, quand on rfl-
chit aux milliers de pices dans lesquelles ce rdacteur est
LITTRATURE
85
oblig (le faire choix, pour composer le bouquet national.
Ei;l;jiii de tant de couleurs, tourdi par tant de parfums, il
adojle quelquefois une fleur trangre qui ne peut se
marier avec les autres. M. Le Brun s'est faufil heureuse-
ment avec la foule, et s'est assis, quoique intrus, au hanquet
des potes de l'anne. Cette notice, selon notre usag-e, d-
noncera l'usurpation et mettra l'auteur sur ses g-ardes.
SAUTER !M. Tabb), prcepteur de M. l'abb de Montes-
quiou, s'est attribu un sixain de son lve. Mais les
trennes du Parnasse,
1788,
ont redress la fraude, et
restitu le sixain M. le marquis de Montcsquiou. Grces
cette police exacte et vigilante, M. l'abb Sauter n'ira
point l'immortalit, comme il
y
allait grands pas, si on
ne l'et arrt en chemin.
sLis (m.), professeur au collge Royal, et pote de VAl-
manach des Muses. Personne encore n'a plus lou et n'a
mieux lou son monde que M, Slis. On connat son beau
vers M. le duc de Xiveniois :
Nivemois au Parnasse est toujours duc et pair.
SIMON, de Troies (m.). Ce pote, ne pouvant se dissimuler
son mrite et sa fcondit, et venu lui-mme notre se-
cours, en publiant le recueil de ses posies; M. Simon, de
Troies, qui pouvait nier une foule de ses ouvrages, a la
candeur de les avouer tous et de les signer.
THvENEAu (m.). On parle beaucoup de deux stances et
d'une pitaphe de M. Thveneau. Nous allons nous les pro-
curer avec les explications dont un savant les a accompa-
gues, parce que M. Thveneau
y
a cach des allusions
d'une finesse qui exigeait absolument des notes. On dit
mme que les notes ont depuis peu occasionn des remar-
ques essentielles, qui sont leur tour suivies d'claircisse-
ments trs intressants, mais qui ne satisfont point assez
les lecteurs de toutes les classes pour qu'on puisse se passer
d'un commentaire en rgle. Ces sortes de livres conviennent
beaucoup aux nations avances. Les notes qui parurent il
y
a quelque temps, en un volume in-12, sur une pitaphe de
quatre vers grecs, en sont une preuve.
niVARUL
TOURNON (m. de), a fait des vers des novices, et il n'y a
que des esprits consomms en littrature qui puissent en
jouir. Il faut savoir donner du lait aux enfants.
TRIANGLE (m.). Cctlc Musc s'cst cndurcic dans le logog-ri-
phe, malg-r les reprsentations de tous ses amis. Nous con-
cevons bien qu'on puisse s'acoquiner cet aimable genre
;
mais la dcence veut qu'on en sorte quelquefois pour l'-
nigme ou pour l'acrostiche.
VALADE (m.\ imprimeur et pote naissant, dont les Ama-
nachs chantants se sont empars. Nous esprons qu'il n'y
fera que ses premires armes, et qu'il laissera bientt le
flageolet pour la trompette, comme il a dj quitt ses
presses pour le flageolet.
VALBANE (m.). Ce pote a mis Vnus en colre pour en
tirer parti, et l'apaiser ensuite par des vers pleins de
charmes. Voyez la petite pice qui porte ce titre.
VALETTE (m. l'abb DE la), autcur du grand pome sur
les Physionomies. Nous ne saurions trop exciter les jeunes
gens faire de bons et beaux pomes, c'est tout simple
;
mais nous ne saurions trop les louer quand ils
y
russissent
comme M. de la Valette. Il est vrai que les sujets ne sont
pas toujours si heureux
;
tout le monde se pique d'avoir de
la physionomie et chacun en cherche une dans ce pome,
ce qui en a caus le prodigieux dbit.
vALiGN'Y (m. de). S Fille bourrue, comdie, a ravi tout
le monde.
Il n'est point de serpent ou de monstre odieux,
Oui par l'art imit ne puisse plaire aux yeux.
On nous pardonnera de citer Boileau, tout vieux et tout
pass qu'il est, au milieu de cette frache et florissante jeu-
nesse. La grosse raison est toujours de mise.
VARENNES (m. de) a chaut Saint-Hubert^ VAmour dra-
gon, et le Srail du grand Turc. On ne saurait croire
avec quelle souplesse et quelle rapidit M. de Varennes passe
d'un sujet l'autre. On dit qu'il en cote peu cet crivain
pour nous causer tant d'admiration. Tel est le gnie
;
il
fait en se jouant des enjambes, que nous mesurons ensuite
avec beaucoup de peine et de surprise.
LIIIUATUIVE
87
wARoguiER DE S. -FLOUENT (-M.). Scs cliansonnettes pasto-
rales sont si douces qu'elles commencent passer dans les
ordonnances des mdecins instruits, et sont un des plus
puissants calmants qu'on connaisse. Il serait temps enfin
que les productions de l'esprit servissent la sant du corps.
Apollon n'est-ii donc pas le dieu de la Mdecine?
VEUNE de Genve (m,), le plus vig-oureux crivain de la
Suisse en prose et en vers. On ne peut plus se passer des
productions de M. Vernes.Il
y a des relais tablis de Genve
Paris pour jouir plus tt de tout ce qu'il fait.
VERMNAG DE SAINT-MAUR (mm.). Dcux potcs (l'un g"rand
rapport dans les journaux. L'un est pote et homme du
sici<'; l'autre est abb, pote et orateur, et c'est celui qui a
jet le plus g-rand clat. Son oraison funbre pour le pre-
mier prince du sang- a rappel les beaux jours de Bossuet.
On a surtout reconnu la belle expression de Limon orga-
nis, que l'orateur applique son hros, et que Bossuet
n'et peut-tre jamais trouve. M. l'abb de Verninac passe
de ces crmonies lug-ubres un bal, et n'y est point tran-
ffer : il demande en petits vers l'honneur de valser avec
la plus jolie femme de la socit. Omnis Aristippuni
decuit status, color et res.
viviLLE (m. Marchand de la). Auteur d'un millier de
fables qui n'ontencore instruit, charm ou corrig que quel-
ques maisons particulires, o M. de la Viville les lit assi-
duement. Ce pote, qui on][reproche quelquefois sa gloire
prive, et qu'on voudrait rendre la nation, rejette la faute
sur les libraires de Paris qui s'obstinent de concert et
depuis dix ans ne pas imprimer son Recueil. Voici le mot
de cette conjuration. Ce n'est pas que les libraires craignent
Sour
M. de la Viville
;
ils ne sont que trop srs de le ven-
re; mais ils tremblent pour La Fontaine qui resterait dans
leurs boutiques. Que M. de la Viville cautionne La Fon-
taine, ou en puise toutes les ditions qui existent, et nous
lui rpondons d'une prompte impression. Voyez une de ses
dernires fables qui commence par ces vers :
Un magnifique cerf-volant
Ne put maintenir la concorde
Avec sa corde, etc.
viLLARS (m. de), trs-connu par un beau quatrain M. le
marquis de Condorcet, qu'il met l'aise entre Voltaire et
d'Alembert. Cette place convient l'acadmicien, orateur et
g^omtre qui pourra s'amuser pendant le reste de sa vie
calculer la distance qui spare d'Alembert de Voltaire : il ne
trouvera pas aisment la parallaxe de ce dernier: mais en
les prenant tous deux niinimis, il se rapprochera plus
facilement de la g-omtrie de Voltaire et de la littrature de
d'Alembert. Nous ne connaissons de M. Villars que ce petit
quatrain.
wiLMAiN d'abancourt (m.). Commcut un homme peut-il
trouver le temps d'crire ce qu'un autre homme n aurait
jamais le temps de lire, en leur supposant g-alit ak^Q et
de vie? Tel est le problme qui se prsente l'esprit lors-
qu'on se met contempler la liste des ouvrages de M. Wil-
main d'Abancourt. Plusieurs pomes de toute forme, cinq
ou six cents fables, des pices fu^-itives par milliers, des ro-
mans par douzaines, etc., etc. Personne encore n'a pu se
vanter d'avoir lu tout M. Wilmain. On se flicite d'tre
homme quand on voit tout ce qu'un homme peut faire; ce
spectacle charme notre faiblesse; mais il
y a un secret retour
de l'amour-propre qui se sent bientt cras de la comparai-
son. Ce retour est invitable, et c'est ainsi qu'un crivain
peut tre la fois l'orgueil de l'espce humaine, et pourtant
humilier chaque lecteur en particulier.
vixouzE (m. de la), doyen des potes auverg-nats. Clermont
lui doit deux beaux pomes piques, un sur l'avnement de
Philippe V au trne d'Espagne, en quinze chants; l'autre,
sur Louis XIV. En lisant ces deux pomes, suivis d'une
foule de petites pices charmantes, on ne peut se dfendre
d'une secrte jalousie quand on songe que Paris ose peine
compter un pome pique, et qu'une ville du quatrime
ordre en a deux
;
quand on songe surtout que les Auver-
gnats prennent plus de plaisir lire M. de la Vixouze que
Voltaire n'en a jamais donn aux Parisiens! On rougit de
cette jalousie, mais on ne peut s'en dfendre, tant elle est
naturelle et bien fonde.
vosGiEN (m.). Ce pote a mis en vers les Conseils d'une
Mre. Cette petite pice, jete d'abord dans un Recueil peu
connu, s'est glisse peu peu et sans prneurs dans tous les
mnages. Elle entre aujourd'hui dans le trousseau des filles
de bonne maison, qui ont trouve fort doux de n'tre plus
LITTliftATUIVi:
89
grondes qu'en vers par leurs mres. M. Vosii^ien a fait une
rvolution sans
y
son^-er peut-lre. On attend de jour en jour
ses Conseils d'un pre.
N. B. Les lettres X, Y, Z, se trouvant frappes de stri-
lit, la g-loire, toujours soumise aux arrts du hasard, ne
fera rien pour elles, puisqu'elles n'ont rien fait pour nous.
On peut les comparer ces toiles nbnleiisesque les astro-
nomes se contentent d'indiquer dans leurs catalogues. Il
n'y a que M. Piis qui ait pu faire quelque chose pour l'.V,
y et Z dans son Pome de illarnionie ; c'est l qu'ils ont
un rang- et une existence :
Renouvel du XI, l'X excitant !a rixe.
Laisse derrire lui l'Y Grec, jus: prolixe;
Et mis malgr son zle au mme numro
Le Z, us par l'S, est rduit zro.
On peut ajouter ces beaux vers que l'A' fut illustr chez
les Grecs par une foule de g-rands hommes dont il commen-
ait le nom, que l' Fa le mme honneur en Orient et que le
Z rgne en Afrique. Mais quelque amabilit qu'on suppose
ces trois caractres, peut-on les comparer au B, au
6',
au
/> et toutes ces heureuses lettres sous qui sont rangs des
potes et des orateurs sans nombre? Conduiront-elles,
comme ces tendards de la renomme, des troupes d'immor-
tels la postrit? 11 faut donc convenir que les lettres
alphabtiques ont aussi leur fatalit comme nous et nos
livres. Habent sua
fat
a libelli.
Arrivs au terme de la plus brillante carrire que jamais
homme de lettres ait parcourue, nous craignons que les lec-
teurs, fatigus du parfum de nos loges et de l'clat de nos
peintures, ne nous accusent d'un peu de monotonie : ils
trouveront peut-tre que nous n'avons pas assez vari les
formes
;
mais nous les prions d'observer que dans une no-
menclature aussi tendue, nous nous sommes perptuelle-
ment trouvs entre M. Briquet, pre d'une petite chanson,
et ^{.Braquet, arm d'un couplet; entre ^I. Dudoucet et
M. Auzonet, tous deux chargs d'acrostiches; entre
MM. Bouriqnon et Araignon, galement riches en bouts
rimes. Comment le plus mcontent et le plus fcond de nos
lecteurs s'en serait-il tir? Aurait-il voulu gter ses balances
90
niVAROL
et mentir son jugement pour ayer la fantaisie ou pro-
mener les caprices de quelques g-ens du monde? Etions-nous
donc au pays des chimres, pour nous livrer notre imagri-
nation?... Si on
y
rflchit, on s'appercevra bientt que des
historiens tels que nous, asservis la rig-ueur des ressem-
hlances, ont d souvent se trouver
embarrasss; car enfin,
la littrature a ses Mnechmes, surtout quand il
y
a identit
de genres. Quelle difltrencey a-t-il entre MM. IJalet ci Hol-
ler ? Gomment sparer deux hommes unis par le mme
quatrain et la mme erloire? Il nous semble donc (et c'est
avec candeur que nous nous rendons ce tmoignag-e) que les
portraits sont encore plus varis que les fig-ures; et que si
l'art n'a point gal la nature, le travail a surpass la ma-
tire. Maleriam superavit opus.
Nous dirons aussi que cet ouvrage n'ayant pu tre com-
menc qu'au premier janvier, poque o paraissent tous les
Recueils de vers, dont nous ne pouvions nous passer, il a
fallu faire marcher de front l'auteur et l'imprimeur, et
livrer les notices fur et mesure, sans pouvoir jamais les
comparer entre elles. C'est ainsi que l'Almanach de nos
rands hommes a t compos et imprim tout ensemble.
a postrit apprendra tous ces dtails avec le plus vif int-
rt.
Mais, en finissant, qu'il nous soit permis dejeter un coup
d'il de complaisance sur cet immense tableau form sous
nos yeux, sur ces oi-lorieuses archives de la renomme rdi-
f?es par nos mains, sur cette clatante liste de grands
hommes qui nous devront l'immortalit qu'ils dispensent
tant d'autres. France! ma patrie! voil donc ta solide
gloire et tes vritables richesses ! Voil les auteurs de toutes
les nouveauts dont tu es idoltre, de ces brillantes nou-
veauts qui te tiennent en haleine d'un bout de la vie l'au-
tre, qui te dispensent de lire les ouvrages des anciens, du
sicle de Louis XIV et de tes rivaux, et te dlivrent de trois
choses g-alement onreuses, de ton temps, de ton argent et
de tes ides ! Oui, ce sont l les enfants dont tu peux t'ho-
norer; c'est par ces cts brillants que tu peux te montrer
l'Europe.
N'es-tu pas en effet la premire puissance litt-
raire?
Que l'Ang-leterre, l'Italie, l'Espag-ne et l'Empire
runissent leurs g-rands hommes vivants, pourront-ils sou-
tenir la comparaison? et ne scheront-ils pas de dpit et
l
LllTKIlAlUnE
QI
d'envie, quand ils verront que ce n'est pas en compulsant
des sicles et des bil)liothques, mais dans une seule gn-
ration et parmi quelques brochures que nous avons trouv
toute celte florissante jeunesse? Car il faut, Franais, que
je vous apprenne enfin le secret de vos ennemis et le vtre:
ce n'est {)oint Voltaire, Montesquieu, BufTon ou Rousseau
qui en imposent vos perfides voisins
;
ce n'est pas sur cinq
ou six crivains qu'ils vous jug-ent; c'est sur la foule tou-
jours immortelle et toujours renaissante de vos jeunes
g-rands hommes; ce sont les piqres multiplies des journaux
et des Almanachs qui font soufrir mille morts aux Anglais
et aux Allemands. Ils ont fort bien support VEsprit des
Lois, Emile, la Piicelle et vos thtres; mais ils ne sou-
tinent pas l'efort de vos charades et de vos fugitives. Et
cet Almanach, que nous avons enfin termin, ne va-t-il pas
semer l'pouvante dans toute l'Europe? Quand nous n'au-
rions fait qu'un acte de patriotisme, notre gloire ne serait
pas mdiocre. Mais ce qui va nous combler de joie, c'est
qu'en nous rendant si respectables aux yeux du reste de
l'Europe, ce livre doit ncessairement rveiller l'mulation
d'une foule innombrable de jeunes gens, qui, forms trs-
videmment pour la pice fugitive, crs et mis au monde
pour faire des nigmes, se jettent dans les lois, dans les
armes, dans le commerce, dans tous les arts et mtiers :
perte immense et douloureuse que nous ne saurions assez
dplorer 1
Nous esprons qu'anims par la plus flatteuse des rcom-
penses, et prfrant l'immortalit dont ils sont assurs avec
nous au vil plaisir de passer une vie phmre dans les em-
barras de la fortune, ils se hteront de nous envoyer leurs
petites pices et leurs bouts rimes, suivis de leurs noms,
doubles et triples, du lieu de leur naissance, et mme de
leur ge, afin que notre Almanach soit toujours plus bril-
lant et plus riche tous les ans.
Un dernier et puissant motif d'mulation pour la jeunesse
c'est que leurs ouvrages, sous le nom de nouveauts, passent
en foule dans les les et
y
forment les livres classiques des
Croles, si bien qu'un habitant de Saint-Domingue, en
arrivant Paris, ne demande point aux barrires Fonte-
nelle ou Buffon, dont il n'a jamais ou parler; mais il de-
mande M. Mayer ou M. de Cubires,dont les romans et les
ga
tUVAHOL
vers l'ont tant de fois charm. N'est-il pas agrable de
rgner ainsi sur la plus vaste moiti de la terre, sur une
nation vierge encore et qui n'en veut qu' la belle nature?
Notre Almanacli va remonter l'Europe la hauteur amri-
caine, et lui faire secouer jamais le joug des anciens
modles et de tous les prjugs de la vieille lillrature.
Si par malheur (ce qu' Dieu ne plaise) quelques lecteurs
mal intentionns, et ne se croyant qu'habiles, allaient soup-
onner que nous ne sommes pas de bonne foi et que nos
loires sont des blmes, nos conseils des perfidies et noire
gravit un jeu, que nous resterait-il faire, que de nous
renfermer dans notre innocence et de pleurer sur celte per-
versit du cur humain qui empoisonne les meilleures
choses? M. Daquin de Chteau-Lion a-t-il jamais l suspect
dans les nombreuses promotions de grands hommes qu'il
fait chaque anne? Le Mercure ne met-il pas au jour cinq
ou six grands hommes par semaine, sans la moindre rcla-
mation et sans le plus lger scandale?Et si M. Panckoucke
et M. Daquin, au lit de mort et l'heure de vrit, s'avi-
saient tout coup de dire qu'ils n'ont fait que plaisanter
pendant cinquante ans, faudrait-il les en croire sur leur
parole? Pour nous, loin de soufl'rir qu'un petit codicille nous
ravt tout coup vingt ou trente mille grands hommes et
dshonort la nation, nous opposerions la vie entire de ces
deux rdacteurs leur dernier quart d'heure, et nous croi-
rions qu'ils ont perdu l'esprit avant de rendre l'me.
Mais la puret de nos vues nous rassure, et nous nous en
rapportons ce que nous avons dit plus apertement dans
la Prface de ce livre, qui est tout d'une pice d'un bout
l'autre, et dont le but moral ne peut chapper personne.
LITTHATLRK
^3
SUPPLMENT
AL' PETIT ALMANAGH DE NOS GRANDS HOMMES,
Pour Canne ijSS.
Plus on en loue, et plus il s'ea
prsente.
Volt., Pauvre diable.
AVERTISSEMENT
A peine a-t-on su dans le monde que notre entreprise
n'tait pas une chimre, ainsi que certains malveillants
l'avaient fait esprer, qu'il nous est venu de tous cts des
inscriptions en assez grand nombre, et d'un assez g-rand
poids, pour solliciter un Supplment. Nous allons
y
proc-
der, afin que cet important ouvrage approche de plus en
plus de la perfection laquelle il est appel, et qu'il est
pourtant de son essence de ne jamais atteindre; puisqu'tant
annuel de sa nature, au moment mme o nous le compo-
sons, il peut natre et il nateilectivement plusieurs Grands
Hommes dans les journaux, qui se jouent de notre exacti-
tude, et la mettent ncessairement en dfaut.
Mais avant tout, nous dclarons l'univers entier (et ceci
est sans appel) que cet ouvrage n'ayant t conu que dans
les vues d'encourager la jeunesse, et de la pousser soit dans
l'Acadmie, soit dans le monde, nous n'admettons jamais
les noms de ceux qui auront fait une fortune littraire, et
qui par consquent peuvent se passer de nos loges. L'obs-
curit n'est donc pas un titre pour notre almanach, quand
on est de l'Acadmie, et nous comptons pour rien la mdio-
crit quand elle est la vogue. Ceci peut s'appliquer tous
les cas, et sera irrvocable.
En consquence, nous avons fort mal reu les jolis vers
de '^l.GaWa.T.SLir le Panaris de Madame du Foarqueux^
insrs dans tous les journaux.
Nous avons trs mal reu tous les opras de M. Sdaine,
plus riche lui seul en citations convenables notre Alma-
nach que toute la littrature ensemble.
Nous avons retus les petits couplets de M. le comte de
9^
nivAnoL
Choiseul-Meuse, tout prcieux qu'ils sont. Pouvons-nous
ajouter la rputation de cet crivain?
Nous refuserons trs firement le porte-feuile de M. le
comte de Barruel-Beauvert. Qu'a-t-il faire de nos loges?
Nous n'accepterons pas les chansons de M. le marquis
de
Champcenctz, pas mme celles que ses ennemis lui accor-
dent.
Nous rsisterons g^alement aux offres de M. le marquis
de Marnesia, quoiqu'il puisse nous tenter avec un grand
pome sur la nature.
Nous n'accepterons jamais la fable du Pcher et du Peu-
plier de M. le vicomte de Sg^ur, quoique infiniment
notre biensance.
Nous laisserons gnreusement M. le comte de Ses-
maisons tout ce qui semble nous appartenir en lui.
Nous serons inexorables pour M. le chevalier de Florian,
bien qu'il pt, ses vers la main, forcer l'entre de notre
Almanach.
Nous la fermerons aussi M. le chevalier de Bertin,
quoiqu'il se soit cart de M. de Parny pour nous faire sa
cour.
Nous renverrons dcidment les tablettes de M. le comte
de Tilly, malgr l'urgence de nos besoins.
Enfin, plus sa^-es que Voltaire, nous serons sourds aux
cajoleries multiplies de M. le marquis de Villette.
Qu'ajouterait notre faible voix la renomme et l'mu-
lation de ces heureux crivains, gens de lettres et gens du
monde ?Ne vaut-il pas mieux garder nos encouragements
et nos conseils pour les pauvres qui les demandent, que de
les offrir aux riches qui les ddaignent ? Ne sommes-nous
pas les Don Quichottes del littrature, et n'est-ce pas nous
tendre la main aux faibles, dissiper l'obscurit des uns,
clairer le talent des autres, les avertir tous du succs
de leur mrite ?
Fidles nos principes, nous allons passer au Supplment.
BXDON (m.) est rellement auteur d'une tragdie intitule:
Sinoris. Il n'est pas de prcautions que nous n'ayons
employes pour viter les surprises.
Bor^NAY (m. de). Nous avons dpos ses chansons et ses
LITTnATURE QS
nigmes en main tierce, et nous sommes prts les pro-
duire, s'il s'lve quelque cloute sur l'existence de ce pote.
CAMiNADE DE CASTRES (m.). Nous invitous ce potc nous
faire passer ses uvres ou un certificat de vie.
CHAUDON (m. l'abb) nous a recommand son Dictionnaire
des Grands Hommes morts, en huit volumes. Nous ne sau-
rions nous-mmes trop recommander aux jeunes ^ens la
lecture d'un Rpertoire, o l'on trouve l'article Racine :
Que Milhridaie n'est qu'un pithalame
;
que, sans les
fureurs d'Oreste et d'Hermione, Andromaqiie serait une
u
assez bonne tragdie, etc. )) Presque tous les jug-cments de
cet illustre abb sont aussi neufs, et jetteront un grand jour
sur toute la littrature.
cossoN DE LA CRESSONNIERE (-M.). Ses couplcts sout impri-
ms et signs.
cousTiLLiER (m.). Sou diaioguc en vers avec M. de l'Em-
pire parut, il y a dix ans, ou, pour mieux dire, fut cach
dans un Recueil tranquille et modeste qui ne faisait pas
parler de lui. L'efl'et de ce dialogue avait sans doute t
calcul pour dix ans, puisqu'il n'a fait explosion qu'avant
hier, mais cet effet n'en est que plus terrible, et la renom-
me se ddommage amplement du silence auquel M. Cous-
|tillier l'avait contrainte.
DAvm (m.). Pote. Son existence est bien prouve aujour-
d'hui.
DORiGNY (m.), incertain.
DoucET (m.
)
. Deux tmoinsirrprochables nous ont rpondu
d*une chanson de M. Doucet.Nous ne serons pas si faciles
l'avenir, et nous exigerons les pices.
DUMONTELET (m.). Sou Boujour aux Muses n'a pas eu les
suites qu'on en attendait. On ne pouvait pourtant s'y pren-
dre de meilleure heure.
DUPiN (m. l'abb). Cet crivain s'tait cach dans quelques
feuilles du Censeur universel anglais, et le Censeur s'tait
cach chez quelques piciers
;
mais nos infatigables coop-
g
RiVAnoL
rateurs l'ont dterr, et nous l'ont ramen charg' du qua-
train suivant. 11 s'ag-it d'un groupe de Perse et d'Andro-
mde :
Heureux Perse, achve ta conqute
;
C'est peu d'tre vainqueur d'un monstre furieux
;
Sois-le encor d'Andromde, et qu'un myrthe amoureux
S'entrelace aux lauriers que Minerve t'apprte.
DURANDE (m.). Les couplcts sigus de cet auteur avaient
l'air d'tre crits la main, et nous n'admettons que des
pices imprimes.
FEUTRY (m.) Cette omission est encore plus honteuse que
les prcdentes; et M. Feutry, l'un des Nestors de la petite
littrature, ne peut que nous mpriser dans le fond de son
cur. A quoi servent donc quarante ans de travaux et qua-
rante volumes de vers et de prose, s'il faut tre oubli dans
le premier Almanach du coin? Nous ne dissimulons pas
notre tourderie et nos regrets.
FRAlssl^ET DE LA GARRIGUE (m.) Son Commentaire sur
l'dipe de M. Ducis est consult par tous ceux qui n'en-
tendent pas cette pice.
grand'fontaine (m. de), conseiller et pote, garanti par
nos correspondants.
grand'jaouet (m. l'abb). Les fleurs de ces potes loigns
se fanent dans les affiches de province, et seraient l'orne-
ment de nos journaux, si nous tions assez heureux pour
les avoir de primeur. Nous allons prendre des mesures pour
tre mieux servis Tanne prochaine.
jossAUD (le pre), doctrinaire Aix. Une ptre, adresse
un de ses confrres, et insre dans le Mercure, a rjoui
tout le royaume. Ce pote nous
y
apprend que :
Mangeur furieux,
Il dne bien et soupe mieux
;
Qu'il se rgale de fromage.
Ou bien du rble d'un laoin :
LITTRAIUHE
gj
Qu'aussi son teint, nagure hve,
Prend la couleur de la sant;
Que sa joue, autrefois concave.
Acquiert de la convexit, etc.
L'cptre de ce grand homme, adresse un autre grand
homme, est pleine de cette noble familiarit et de ces atails
cliarmanls qui sont le triomphe du vrai pote.
LANDRY DE BUBEL (m.) avouait UAG pigTamme en
1777.
LESCALiER (m.) a fait un pome sur la peinture, o toutes
les difficults sont braves,et les rgles soumises et mates.
En voici un chantillon :
Gerardon plat, mais moins que Vanostade;
Prs de Berghem, Breugle parat maussade :
Et Vauderverf si lch, si fondu.
N'est point gal au large et fin Metzu.
LONGCHAMPs (m. l'abb de). Sa traduction de Properce fait
le plus grand honneur ses murs.
LUNEAu DE BoisjERMAiN (m.). Eucore un de ces noms qui
doivent faire rougir des rdacteurs ngligents. Cet crivain
a remis Racine en honneur par son admirable Commen-
taire : mais aussi courageux qu'habile, il avoue, dans ses
notes sur Phdre
^
que les figues
incohrentes et les ex-
pressions recherches du style font grand tort la pice.
M. Luneau de Boisjermain, outre son commentaire, a crit
vingt volumes de vers et de prose. On dit aussi qu'il pr-
pare des notes sur le Molire de feu M. Bret.
MAiziRE (m.), professeur Reims. Voyez comme il fait
parler homriquement le fier Achille au vieux Priam, qui
lui demande genoux une trve de douze jours :
J'y consens, dit Achille, en lui serrant la main
;
Adieu, compte sur moi; tu peux partir demain.
MERCIER (m.). Voyez M. RTIF DE LA BRETONNE.
MouTONNET DE CLAiRFONS (m.). Co pote-oratcur, fort peu
touch de notre oubli, est venu nous trs paisiblement,
RIVAROL
CEnfer
du Dante la main; nous l'avons lu avec une atten-
tion die^ne de rparer notre tort, et il nous a paru, au pre-
mier coup-d"il, que M.
Moutonnet tait trop doux pour
traduire TEnfer.
NOL (m. Tabb). professeur l'universit de Paris.
Moins indulsrent que M. Moutonnet, ce pote nous a fait pas-
ser avec
indis^nation son ode sur le prince Lopold de Bruns-
wick. Nous l'avons lue avec rsignation, et nous sommes
encore concevoir pourquoi l'Acadmie Tamise au-dessous
de celle de M. Trasse; il est vrai que, si on l'et mise au-
dessus, nous ne serions pas moins embarrasss. Garo vou-
lait d'abord la citrouille dessus et le g-land dessous; mais il
finit par louer Dieu de toutes cboses.
PERCHERON (m. l'abb), Muse provinciale qui se disting-ue
de jour en jour par l'aimable correspondance qu'elle entre-
tient avec M. Tournon de la Cbapelle. C'est ici une de nos
dernires dcouvertes, et nous la devons aux efforts combi-
ns de deux rdacteurs qui ont fait des prodiges en ce genre.
Nous saisissons avec plaisir l'occasion de rendre hommage
leur sagacit et leur vigilance.
RTIF DE LA BRETONNE (m.). Voyez M. Mercier.
SARROT fM.). Ce pote ayant essay d'craser feu Gilbert,
dans la satire, fut d'abord assez mafreu du public prvenu;
mais il ramena les esprits par une pice de vers o se trouve
cette rponse aux objections qu'on lui fait :
Il n'importe ! la lierne o l'auteur se panade
Distribue ec passant toujours quelque gourmade.
Gilbert eut le bonheur de mourir en lisant la pice.
Fin du Supplment.
LITTEUATURE
Q^
Errata.
BEAUMiER (m.). Prcsque toutcs Igs notices de cet Almanach
sont insuffisantes. I\I. Beaumier a expliqu dans une Pr-
face pourquoi son fameux Hommage la Pairie avait
paru si tard et disparu si tt. Voyez la Prface de la pre-
mire et dernire dition de ce pome, o l'auteur instruit
et console son lecteur.
cossEPH DE usTAHiz (Domj. On vient de nous apprendre
que ce n'est point un moine basque, mais M. Gart, profes-
seur au Lyce, qui se dt^-uise quelquefois ainsi pour savoir
ce qu'on pense de lui, quand son nom n'en impose pas. On
assure que le Grand-Seig-neur a souvent recours ce stra-
tag"me, et qu'il attrape de fort bonnes vrits dans les cafs
de Constantinople, la faveur de ses dguisements.
CRiGNON (m.). Ce pote vient de nous avertir qu'il s'app-
lerait dornavant M. Crignon d'Aiizonet. La renomme
s'arrang-era l-dessus, et le Mercure du
19
janvier
1788 s'y
est dj conform au bas d'un distique, sig-n Crignon
d'Auzonel.
cuBiRES (m. le Chevalier de; nous a fait dire qu'il refaisait
rArt potique de Boileau.
RiGOLEY DE juviGNY (m.). On sc demande souvent pour-
quoi la rputation de Voltaire baisse tous les jours d'une
manire si effrayante; ce problme est l'objet de toutes les
conversations de Paris; et nous en tions tourments nous-
mmes un point incroyable, lorsque M. Rig-oley a daig-n
nous tirer de peine, en nous confiant que c'tait lui seul
qu'il fallait s'en prendre. Nous tions flattes d'tre les seuls
confidents du secret; mais il nous revient de toute part que
M. de Juvirny s'en tait dj ouvert d'autres. Puisque la
chose est publique, nous observerons M. Rigoley de Juvi-
ffny qu'il et mieux fait d'attendre, pour se dcouvrir, que
la belle dition de Voltaire de Baskerville et t livre et
distribue. Il faut toujours viter l'odieux en tout.
Fin de rErrata.
LES AVEUX OU l/ ARCHE DE NOE
Nous avouons que si l'autre jour nous conmes le ma-
gnanime projet de louer toute la littrature inconnue, et (ce
qui est sans exemple) de distribuer un millier de grands
nommes des encouragements et des prix annuels, avec une
magnificence et un luxe vraiment ruineux; c'est qu'il nous
avait paru que Voubli, comme un second dluge, gagnant
de jour en jour la surface du globe littraire, le temps de
reconstruire l'Arche tait la fin venu
;
et nous
y
fmes
entrer tous les animaux portant plumes, tant les mondes
que les immondes
;
l'exception de quelques aigles qui se
sauvrent d'eux-mmes sur la cime des monts.
Nous avouons que, satisfaits de braver en paix l'inonda-
tion, nous ne cherchions pas nous enivrer, au sortir de
l'Arche, des acclamations de toute cette harmonieuse famille,
et que nous ne comptions, en bienfaiteurs clairs, que sur
le paisible silence de l'ingratitude.
Quelle a donc t notre surprise, quand M. le Brigand-
Beaumier, ou Beaumier-le-Brigand (i), dput par l'lo-
quence et la posie, tout coup ouvert les fentres de l'Ar-
che, et ayant t se percher en forme de corbeau sur un
trs beau chardon, a pris la parole, comme il prendrait la
fuite, c'est--dire avec beaucoup de vhmence, pour nous
admonter au nom de toutes les espces I
L'orateur a divis sa colre en deux points.
Il a d'abord t indign que nous eussions port la main
sur le gouvernail de l'Arche, sans lui avoir prouv que nous
fussions d'assez bonne maif^on pour un si minent emploi.
M.le Brisrand-Beaumier nous a dmontr que tout n'en irait
que mieux,si, au lieu de chercher du style et des ides dans
un crivain, on
y
cherchait des titres; et sa logique a conclu
que dornavant on parlerait de naissance dans les muses,
t de littrature dans les chapitres.
Nous avouons que cette mthode a du bon, quand on a,
comme M. le Brij^and-Beaumier, autant de naissance que de
talents; mais ce moyen tait funeste Voltaire, qui on
(i) Quelques savants {retendent que M. le Brierand est un, et M.Beau-
mier un autre
;
il ne faut pas perdre un grand homme pour obtenir
ne alliance de mols.R.
LITTEnXTUnE
101
disait chaque ouvrage qu'il mettait au jour, qu'il
tait
fils
d'un paysan
;
ainsi qu'il le confesse danslesAf
moires
pour serrir sa vie.
L'orateur s'est encore indienne de ce que nous restions
sous le voile de l'anonyme, dans le temps mme o nous
nous donnions pour les Don Quichottes et les sauveurs
de
la petite littrature: il n'appartient qu' la nature d'tre
la fois ma^-niHque et muette, l'anonyme se sent trop de la
majest de Torg-ueil. C'est donc pour nous deviner que
l'auteur, exerc aux lo^o^-riphes, a trouv que nous tions
des vignerons, comme le vieux No
;
ou tout au moins des
laboureu rs. \iu'isque nous dfrichions les landes de la rpu-
blique des lettres; ou enfin des cuisiniers faisant noces et
festins,
puisque nous avions si bien vari les services, en
dressant le grand couvert de l'Arche.
Nous avouons que tout cela est g-alement ing-nieux et
vrai.
Ensuite M.Beaumier nous a accuss d'avoir expressment
oubli tous les potes d'une G;-rande naissance dans notre
liste : cette accusation et quelques autres de cette espce
nous feraient croire que Torateur n'a pu se procurer le
Petit Alnianach, lequel en eflet a t jusqu'ici assez cher.
Nous ayowons que cette chert ne vient pas de nous;
c'est une ide ing-nicuse du libraire, qui n'a trouv que ce
moyen pour drober la connaissance du livre aux petits
amours-propres qui pouvaient sVn irriter.
L'orateur nous a su :r d'une parodie du songe d'Atha-
lle et surtout de l'avoir ddie M. le Marquis D***, aprs
sa disgrce.
Nous avouons que si nous tions les auteurs de cette pa-
rodie, nous prouverons aisment qu'elle lui fut par bonheur
ddie huit jours avant sa retraite
;
et que les auteurs, quels
qu'ils soient, ont la lchet de ne plus rien lui ddier, depuis
qu'il a perdu ses places.
L'orateur nous a avou que le Discours sur la langue
n'tait pas franais pour lui
;
que le Petit Almanach tait
mal crit pour lui.
Nous lui avouons notre tour que nous ne connaissons
pas de louange plus dlicate, et que nous osions peine
y
prtendre.
L'orateur furieux nous a donn un coup de pied avec la
102
RIVAROL
main dont il crit : il nous a mme rappel tous ceux qu'il
nous donne familirement chaque fois qu'il nous rencontre
aux Tuileries.
Nous avouons qu'il n'y a rien de si ais que de nous don-
ner des coups de pied, et nous les recevrons toujours avec
reconnaissance.
Enfin, Toratcur s'apercevant qu'un pamphlet, quand il
est inrnieux, est une friandise pour nous, a cach son
venin dans la btise.
Nous avouons que nous ne serons jamais l'preuve de
cette arme-l, et nous demandons grce l'orateur. S'il
nous poursuit encore, nous nous plastronnerons avec ses
uvres qui sont au garde-meuble de la librairie.
LETTRE
SUR L'OUVRAGE DE
Mme
DE STAL,
INTITUL : DE l'iNFLUENCE DES PASSIONS, CtC,
PAR UN AUTEUR CLBRE,
SIGN, LUCIUS APULEIUS.
1797
Pourquoi me demandez- vous ce que je pense d'un livre
que je ne suis pas en tat de lire? Je me souviens que l'au-
teur de Strafford
disait un jour une femme de got, dont
il ne se mfiait pas assez : Que pensez-vous de mon livre ?
Cette femme lui rpondit : Je fais
comme vous, Monsieur,
je ne pense pas. Tout le monde aussi pourrait dire l'au-
teur de iinjluence des passions : Je fais comme vous,
Madame, je n'y entends rien.
En efet, l'apocalypse serait transparente ct de ce
livre : il est tel, qu'il
y
aurait plus de vanit que de bien-
veillance le louer, et que je dfie l'homme le plus mal
intentionn d'en rien conclure contre l'auteur : mais, si on
ne peut expliquer les mystres, on peut du moins en parler
et s'en tonner.
Nous voyons, d'un ct, M. Necker crire constamment
contre sa rputation d'homme d'Etat, et, de l'autre, madame
de Stal, sa fille, s'armer d'un bon volume contre sa rpu-
tation de femme desprit. Il
y
a l-dessous quelque grand
dessein : cette famille nous a accoutums aux projets, aux
miracles, aux mystifications de toute espce. Dans une note
o elle se laisse pntrer, l'auteur dit que ceux qui se res-
semblent se comprennent; ce qui donne l'exclusion bien
I04
RIVAHOL .
du monde. Et cependant, malgr l'oracle, la plupart des
journalistes n'ont pas craint de commenter ce livre : ils auront
peut-tre fait comme l'Ang-leterre, ils auront pris une
dportation pour une descente. Je dis peut-tre; car,
en vrit, je ne suis sr de rien. Au reste, l'pigraphe du
livre dit assez que madame de Stal est ennemie de (a
lumire
;
sur quoi j'observerai que la franchise des pi-
graphes est un trait de caractre dans la famille. On peut
se rappeler que M. Necker, chapp sa rputation, sa
g-loire, sa popularit et la France, en
1791,
fit, de sa
baronnie de Coppet, une sortie in-8'^ contre le pa^'s o il n-
devait plus rentrer. L'pierraphe tait tire du Roi Lear :
Soufflez, soufflez,
temptes; vous le pouvez sans ingra-
titude;
Je
ne vous ai pas donn un royaume. Cette g-rande
dupe de la rvolution avouait donc qu'il avait donn le
royaume l'Assemble Constituante ! Mais laissons l
M. Necker, entre un pass sans excuse et un avenir sans
espoir, et revenons madame sa fille.
Supposons, pour un moment, que ce singulier phno-
mne d'un livre trs obscur crit par une femme d'es-
prit ne nous cache pas quelque profond dessein, et voyons
comment on pourrait l'expliquer, hum-ainement parlant.
On connaissait jusqu'ici en France deux sortes de femmes
classiques. Les premires en date, sans contredit, sont
madame du Noyer, l'auteur du Magasin des enfants (i),
madame de Villedieu, madame d'Aunoy et madame de
Genlis. Leurs livres ne quittent pas l'enfance et les anti-
chambres : ce sont des livres invitables. Aprs celles-l on
lit les Svign, les Deshoulires, les la Fayette, les du Ch-
telet, et quelques autres qui se sont plutt rapproches des
Sapho et des Aspasie que des Genlis : mais enfin point de
bonne ni d'enfants sans les unes, et point d'ducation ni
de monde sans les autres. En un mot, la diffrence entre
elles est de l'enfance au reste de la vie, et de l'antichambre
au salon et la bibliothque.
Madame de Stal, s'ouvrant une route nouvelle, a droit
de commencer un nouvel ordre. Il s'agit donc de se faire
ici quelques notions sur cette femme extraordinaire
;
car je
ne croirai jamais qu'elle soit une nigme sans mot. Pour
(i) Madame Le Prince de Feinmont.
LITTUATURK
I05
lexpliqiicr pourquoi les g-ens d'esprit crivent
quelquefois
sans succs, il faut ncessairement recourir la distinction
de l'esprit et du talent.
Tous les hommes, sans exception, prsentent deux aspects;
'l'un par lequel ils ressemblent, et l'autre par lequel ils
diffrent. Or, c'est ce que les hommes ont de commun entre
,|3ux qui est important; ce qu'ils ont de diffrent est peu de
3hose
;
car ils ont en commun le miracle de la vie et de la
pense, et ils ne diffrent que par des nuances trs fines
l'org^anisation et d'ducation. La diffrence entre un c^rand
lomme et un portefaix n'est presque rien aux yeux de la
lature; mais ce rien est tout aux yeux du monde. Entre
me tulipe de deux sous et une de mille cus, le Hollandais
jaie cher la diffrence; et cependant ces deux fleurs sont
jgalement l'ouvrag-e de la nature
;
elles ont g-alement des
ltales, une tige, des feuilles, des racines, des couleurs et
lu parfum; et c'est en effet dans cet attirail de la vg-ta-
ion qu'est le miracle : la nuance qui le distingue n'est
ien. C'est cependant ce rien qui fait pmer d'aise le jardi-
ner fleuriste, et qui lui vaut mille cus.
Or, dans le monde, c'est cette diffrence d'homme
lOmme, cette nuance, ce rien qu'on appelle gnie, imagi-
'.ation, esprit et talent, qui est compt pour beaucoup;
ar je ne parle pas ici des diffrences extrieures, telles que
1 force et la beaut
;
ni des diffrences sociales, telles que
richesse, la naissance et les dignits
;
diffrences qui
ment d'ailleurs un si grand rle.
On peut tablir pour rgle gnrale que, toutes les fois
ue les hommes entassent diffrents noms sur un mme
bjet, il
y
a confusion dans leurs ides. En effet, on a tou-
>urs trop confondu l'esprit et le talent
;
et pourtant la dif-
^rence est si considrable que c'est d'elle que je me servi-
li pour expliquer madame de Stal.
Nous avons tous des ides, comme nous avons tous un
isage; peu d'hommes, cependant, ont de l'esprit et del
figure. Il faut, pour cela, un certain ordre dans les traits et
ans les ides : il faut surtout la pense de la varit, de
i nouveaut et du mouvement. Un homme, dont les dis-
eurs ne roulent que sur des objets communs, et qui ne
uitte pas les formes ordinaires de la conversation, ne passe
as pour avoir de l'esprit : il a beau s'exprimer de manire
I06 niVAROL
tre entendu, il n'a rien d'expressif.
Mais celui dont les
ides sortentdes routes communes, qui joint l'extraordinaire
la rapidit
;
celui qui, en un mot, dplace les ides de
ceux qui l'coutent, et leur communique ses mouvements,
celui-l passe pour avoir de l'esprit
;
que ses ides soient
justes ou non, exprimes avec g"ot ou sans j^ot, n'importe;
il a remu ses auditeurs, il a de l'esprit. Je ne parlerai pas
ici de la diffrence de l'esprit l'imag-ination active et au
g-nie; ce n'est pas mon objet : il faut en venir au talent.
|
Qu'un homme exprime ses ides ou celles dautrui avec!
force, avec ej-rce, avec sduction
;
qu'il dise des choses
i
communes, si l'on veut; mais qu'en les disant ou en les
crivant, il les pare du charme de l'expression, il aura du
talent en vers comme en prose.
Il V a g-nralement plus d'esprit que de talent en ce
monde. La socit fourmille de g-ens d'esprit qui manquent
de talent.
L'esprit ne peut se passer d'ides, et les ides ne peuvent
se passer de talent
;
c'est lui qui leur donne l'clat et la vie :
or les ides ne demandent qu' tre bien exprimes, et, s'il
est permis de le dire, elles niendient l'expression. A^oil'
pourquoi l'homme talent vole toujours l'homme d'esprit :
l'ide qui chappe celui-ci, tant purement ingnieuse,
devient la proprit du talent qui la saisit.
Il n'en est pas ainsi de l'crivain ^-rand talent
;
on ne
peut le voler sans tre reconnu, parce que son mrite tant
dans la forme, il appose son cachet sur tout ce qui sort de
ses mains. Virgile disait qu'on arracherait plutt Hercule
sa massue qu'un vers Homre.
Le mrite des formes et la faon sont si considrables
que M. l'abb Sieys avant dit quelqu'un de ma connais-
sance : Permettez que je vous dise ma
faon de penser^
celui-ci lui rpondit fort propos : Dites-moi tout uniment
votre pense, et pargnez-moi la
faon
(i).
J.-J. Rousseau, par exemple, emprunte la plupart de ses'
(i) L'anecdote est ainsi raconte dans le Journal Royaliste (2 juin
1792)
: M. de R... s'etant trouv avec M. l'abb Sieys, l'abb s'ex-
prima ainsi : Je vais vous dire ma
fnon de penser. M. de R..., faisant
allusion la difficult avec laquelle cet abb s'explique, dit : Epar-
gnez-moi la faon, et dites-moi seulement votre pense. Sur quoi rabbj
se retira.
LITTEn\TUft3
07
ides Plutarque, et surtout Montaig-ne , mais il trouves!
o\en dans son talent de quoi parer ses vols ou ses emprunts,
lue l'intrt n'en est jamais perdu pour ses lecteurs. On
liirait en effet que les ides sont des fonds qui ne portent
Intrt
qu'entre les mains du talent.
Maintenant, pour en venir madame de Stal, il me sem-
ble, si toutefois son livre n'est pas im pige, il me semble,
lis-je, qu'on peut avancer qu'elle a inliniment plus d'esprit
[ue de talent; la dillerence de madame de Svig-n, qui
ixprimait si bien tout ce qu'elle entendait, et qui peig-nait si
)ientout ce qu'elle vovait. Horace dit, en parlant de Sapho,
fue les Jlarnnies chappes de ses do/ts vivent encore
(ans les cordes de sa lyre. C'est donc le vritable signe
jlu talent que ce caractre de vie qui anime et colore tout ce
[u'il touche; mais une femme sans talent est la martre de
on esprit; elle ne sait que tuer ses ides.
Ce n'est pas que madame de Stal soit ridicule comme
il. G... (i), qui, ayant pris des log^arithmes pour des log-o-
Tjphes, trouve dans cette heureuse mprise de quois'len-
re, s'amplifier et s'vaporer en stvle ^vienu. potique
;
de
uoi se composer un calme, une tempte, l'toile du nord,
? vaste ocan, la boussole, des sauterelles et des mois-
ons, etc., etc., et qui, tonn de sa propre fcondit, s'crie
Dmme Sosie: Voil bien des gentillesses potiques!
|uelle chose inconcevable que cet article
(2)
!Les Parisiens
Dnt bien heureux, aprs tant d'infortunes, d'avoir un jour-
aliste si bouffon, qui leur propose de porter
dfaut de
ouronnCj chacun une lumire sur la tte; qui veut que
s boutiquiers aient, la place d'un barme, les loga-
ithmes de Gardiner sur leurs comptoirs
(3).
Nous invitons aussi madame de Stal laisser au frre d'A-
el Chnier les fausses expressions, telles que les vertus s-
ilaires de M. Lamoig-non. On entend par sculaire, cequi
ivienttous les cent ans
;
par annuel, ce qui revient tous
s ans, comme les serments du peuple franais. Il s'ag-it de
ivoir si les vertus de M. de Lamoig-non ne paraissaient que
(i) Garat.
(2)
Voy. le n* i3 de la
Clef du Cabinet, etc., i3 janvier
1797.
R.
(3)
Riva roi n'invente rien. Dans cet article de la
Cief, Garat annonce
ie nouvelle Table des logarithmes dans le style de la Nouvelle Hlose.
y
a l deux pages bien comiques.
I08
RIVAROL
tous les cent ans. Mais laissons encore ce nouveau pote,
qui ne connat ni les jeux, ni les pomes sculaires des
anciens; laissons-le, dis-je, prolester de son rudition et de.
son talent, de sa prose et de ses vers la main. !
Madame de Stal n'a qu'une chose craindre, c'est que son
talent ne fasse chec son esprit. Elle parle, je ne sais o,
du temps afifreux dont nous avons vcu contemporains :
comment son oreille n'a-t-elle pas t blesse de cette expres-
sion ? Le style est tout, a dit Buffon; miroir et mesure des
ides, c'est sur lui qu'on nous jug-e.
Quand un crivain se couronne de pavots, c'est en vain
que les lyces lui jettent des lauriers.
Que, dans le sicle o nous sommes, un homme, se trou-
vant sans esprit, sans imagination et sans talent, prenne un
fourneau, un alambic, une machine lectrique, et se fasse
chimiste ou physicien, on entendra parler de lui, on verra
clore ce nom inconnu, dont on sera forc de se charger
la mmoire; et, grce leur ignorance, la plupart des gens
du monde ne sauront jamais jusqu' quel point on doit
estimer ou mpriser ce manuvre. Il n'en est pas ainsi en
littrature : quatre lignes de prose ou quelques vers classent
un homme presque sans retour : il n'est pas l de dissimu-
lation.
Cet tat des choses durera jusqu' l'poque heureuse pr-
dite par M. G... poque d'galit et de nivellement, o
tout le monde aura autant d'esprit que M.G...
J'ai l'honneur d'tre, en attendant,
Lucius Apuleius.
LE GNIE ET LE TALENT
(j)
Le
g"nie, tant le sentiment, au plus haut degr qu'on
puisse le concevoir, peut tre diini /acuit cratrice, soit
3u'il trouve des ides ou des expressions nouvelles. Leg-nie
es ides est le comble de l'esprit; le g"nie des expressions
est le comble du talent. Ainsi, que le g-nie fconde l'esprit
ou le talent, en fournissant des ides l'un et des expres-
sions l'autre, il est toujours crateur dans le sens qu'on
attache ordinairement ce mot : le g"nie est donc ce qui
eng'endreet enfante: c'est, en un mot, le don de l'invention.
Il rsulte d'abord de cette dfinition que la diffrence
du
g-nie l'esprit n'est au fond que du plus au moins
;
et
cette diffrence suffit pour que le g-nie soit trs rare : en-
suite, qu'on peut avoir le g-nie des ides et manquer d'ex-
pressions cres
;
et qu'on peut tre dou du talent de l'ex-
pression et manquer d'ides g-randes et neuves.
On a donn tant d'acceptions au mot esprit que je crois
devoir renvoyer ce dtail au dictionnaire de la lang-ue, et
m'en tenir la valeur commune et g-nrale attache ce
mot. L'esprit est donc, en g-nral, cette facult qui voit vite,
brille et frappe. Je dis vite, car la vivacit est son essence :
un trait et un clair sont ses emblmes. Observez que je
parle de la rapidit de l'ide, et non de celle du temps que
peut avoir cot sa poursuite. Ainsi, qu'heureux vainqueur
des difficults de l'art et de la paresse de son imag-ination,
un crivain sme son livre de traits plus ou moins ing-nieux,
il aura fait un ouvrag-e d'esprit, lors mme que cet ouvrag-e
lui aurait cot la moiti de sa vie. Le g-nie lui-mme doit
ses plus beaux traits, tantt une profonde mditation, et
tantt des inspirations soudaines. Mais, dans le monde,
l'esprit est toujours improvisateur; il ne demande ni dlai
(i) On peut lire avant ce morceau, pour savoir l'importance que Ri-
varol donne au sentiment (nous dirions aujourd'hui la sensibilit), le
chapitre du Sentiment, au livre III.
IIO
ni rendez-vous pour dire un mot heureux. Il bat plus vite
que le simple bon sens; il est, en un mot, sentiment prompt
et brillant. Toutes les fois que l'esprit se tire de cette dfi-
nition
;T;-nrale, il prend autant d'pithtes diverses qu'il a
de varits.
Je dfinis le talent, un art ml d'enthousiasme : s'il n'-
tait qu'art, il serait froid; s'il n'tait qu'enthousiasme, il
serait drgl : le g-ot leur sert de lien.
On voit par l qu'il
y
a autant de talents dans ce monde
que d'arts : d'o viennent les emplois varis du mot talent
depuis l'art d'crire jusqu'aux mtiers mcaniques.
Le g-nie ou le talent des expressions, le style, la diction,
l'locution, l'lgance, l'invention dans le style, la verve et
la posie de style, l'imagination dans l'expression, enfin la
cration, sont autant d'apanages du gnie : j'en renvoie les
dveloppements au Tableau de la Langue (i).
Seulement, il faut observer que la verve a plus de rap-
ports avec la vigueur de l'expression, et lenthousiasme avec
les lans et les hauteurs de la pense; et quoique la verve
soit plus commune que l'enthousiasme, cependant le gnie
de l'expression marche de pair avec le gnie des ides,
dans l'ordre des rputations.
Une certaine originalit, le piquant et la grce d'un mot
ou d'un trait, sont du ressort de l'esprit. On sait que dans
les pices l_gres la grce et la gaiet suffisent pour soute-
nir un esprit sans talent
;
et qu' son tour le pur talent et
l'oreille peuvent soutenir quelque temps un homme de peu
d'esprit, ou d'un mdiocre gnie
(2).
Mais on peut dire, en gnral, que le gnie s'lve et s'a-
grandit dans la composition; l'esprit s'y vapore et reste
sec : il est de sa nature de briller, mais de n'clairer que de
petits espaces. Ce qui le distingue encore du gnie, c'est
que celui-ci aime les rapprochements et les analogies : l'es-
prit est plus enclin aux antithses. Quand le gnie n'est pas
soutenu par le talent, il fait des chutes d'autant plus gra-
ves qu'il s'tait plus lev. Le talent sans gnie se soutien-
(i) Ce chapitre n'a pas t crit,
(2)
I\Iais pourtant on a vu le vin et le hasard
Inspirer quelquefois une muse grossire,
Et fournir sans gnie un couplet Linire.
BOILBAU. R.
LITTEUATUUK
IH
drait peine dans une rgion moyenne; de sorte que si le
talent empche le gnie de tomber, le ^nie l'empche de
ramper
L'esprit s'est fait, indpendamment du gnie et du talent,
un domaine part dans le monde : mais, en littrature,
et
surtout dans les grandes conceptions, ses alliances sont sou-
vent funestes au gnie et au talent. C'est plutt au talent
suppler aux intervalles du gnie et aux intermittences
de
Tesprit
;
et c'est, en effet, le secret de Virgile et de Racine:
leur style, qui peint toujours, ne donne pas de trve l'ima-
gination. Quelquefois aussi l'esprit a le bonheur de remplir
les interrgnes du gnie et de masquer les impuissances du
talent. Molire fourmille de ces supplments ingnieux : et
le peintn^qui jeta un voile sur le visage d'Agamemnon, fit
imaginer ce qu'il ne peignait pas, et emprunta son esprit
de quoi se passer du talent.
Il
y
a trois choses destines matriser les hommes : les
expressions qui n'attendent que le talent, les ides qui n'at-
tendent que le gnie, et les forces qui ne demandent que le
courage.
Je reviens au jugement, et je dis qu'il n'a point suffi aux
beaux-arts. Il fallait pour ces nobles enfants du gnie un
amant plutt qu'un juge,et cet amant, c'est le got : car le
jugement se contente d'approuver et de condamner; mais
le got jouit et souffre. Il est au jugement ce que l'honneur
est la probit : ses lois sont dlicates, mystrieuses et sa-
cres. L'honneur est tendre et se blesse de peu : tel est le
got
;
et tandis que le jugement se mesure avec son objet,
ou le pse dans la balance, il ne faut au got qu'un coup-
d'il pour dcider son suffrage ou sa rpugnance, je dirais
presque son amour ou sa haine, son enthousiasme ou son
indignation, tant il est sensible, exquis et prompt! Aussi les
g-ens de got sont-ils les hauts justiciers de la littrature.
L'esprit de critique est un esprit d'ordre : il connat des
dlits contre le got et les porte au tribunal du ridicule
;
car
le rire est souvent l'expression de sa colre; et ceux qui le
blment ne songent pas assez que l'homme de got a reu
vingt blessures avant d'en faire une. On dit qu un homme
a l'esprit de critique, lorsqu'il a reu du ciel, non seulement
la facultde distinguer les beauts et lesdfauts des produc-
tions qu'il juge, mais une me qui se passionne pour les unes
RIVAHOL
et s'irrite des autres, une me que le beau ravit, que lo
sublime transporte, et qui, furieuse contre la mdiocrit, la
fltrit de ses ddains et l'accable de son ennui.
Le recueil des arrts du g-ot s'appelle aussi critique. Il
y
a des critiques gnrales et des critiques particulires. Les
sentiments de l'Acadmie sur le Cid sont une critique
particulire; le trait du Sublime est une critique g-nrale.
Un pote a plac la critique la porte du temple du g'ot,
comme sentinelle des beaux-arts.
C'tait donc une bien fausse dfinition du g'ot que celle
du philosophe qui prtendit qu'il n'tait que le jugement
arm d'un microscope. Ce rsultat, qui fit fortune, est dou-
blement faux, puisqu'il suppose que nos jui^ements ne
roulent que sur des masses ou des objets vastes, et que le
g-ot ne s exerce que sur des dtails ou de petits ouvrag-es.
Le jugement et le g-ot connaissent g-alement des dtails
et des masses, d'un ouvrag-e entier ou d'une seule expression.
Seulement on prfre l'emploi du mot
cfot
pour les ouvra-
ges qui n'offrent que grce, dlicatesse ou futilit. Ainsi,
on ne porte pas son jugement sur un bijou, non parce qu'il
est petit, mais parce qu'il est futile : une fte, un spectacle,
un festin ne sont pas des objets microscopiques; et cependant,
c'est le got qui les ordonne et les juge. Enfin le bon et le
mauvais got
;
les jugements vrais ou
faux;
la puret du
got et la justesse du jugemejit; la corruption de l'un
et la fausset
de l'autre, sont des expressions consacres.
Sur quoi j'observerai que les masses ont toujours un air
de noblesse qui se perd dans les dtails, et qui n'est jamais
le caractre des ouvrages. Et de mme qu'on a dit des per-
sonnes qui s'habituent regarder les objets de trop prs,
qu'elles se brisent le rayon visuel, ce qui signifie, en ter-
mes plus techniques, se contracter le cristallin
;
de mme
on peut dire des esprits qui n'aiment que la dissection des
caractres, le fini des dtails et les miniatures en tout genre,
qu'ils finissent souvent par n'avoir plus qu'une vue micros-
copique, et par changer la grandeur contre la subtilit, et
les belles proportions contre la finesse. L'esprit analytique,
au contraire, peut, en fidle sectateur de la nature, allier
les recherches lmentaires l'art des grandes compositions.
Mais c'est surtout l'tude des belles proportions que le
got s'pure et se forme. Ceci demanderait une potique
LITTRATURE Il3
part, et le plan que je me suis fait s'y refuse. Je me conten-
terai de dire que si l'art du sculpteur consiste carter de
la statue le marbre qui n'en est pas, de mme le ^ot ordonne
de simplifier un sujet, et d'exclure d'un vnement les temps
qui n'en sont pas. Le grand crivain repousse donc la foule
des incidents trangers ou disparates qui dislrayent le sen-
timent, et qui sont comme les parties mortes d'un vnement.
C'est par l que le rcit d'un fait nous frappe si souvent
plus que son spectacle : semblable la rflexion sur le dan-
ger, plus effrayante que le danger mme. C'est par l que
le talent donne un air de vie ses ouvrages. La Vnus de
Florence n'est qu'un marbre, mais ce marbre a la perfection.
Une femme a des imperfections, mais elle a la vie et le mou-
vement ; en sorte que la statue serait insupportable cause
de son immobilit, si elle n'avait le charme que lui donnent
la vie et le jeu des passions. L'art consiste suppler la vie
et la ralit par la perfection, et le got exige cette heureuse
imposture. Mais il veut l'entrevoir; et c'est ce qui explique
le dgot et mme l'horreur que nous causent les imitations
en cire : la transparence des chairs
y
est; les couleurs sont
vraies; les cheveux sont rels, et la personne est immobile;
les yeux brillent, mais ils sont fixes : l'amateur interdit, qui
ne trouve ni fiction, ni ralit, dtourne sa vue d'un cada-
vre color qui ment sans faire illusion, et du spectacle de
ces yeux qui regardent sans voir. En un mot, le faux enchan-
teur qui s'est pass d'art, sans atteindre la nature, a fait le
miracle en sens inverse. Le sculpteur et le peintre ont anim
la toile et amolli le marbre; et lui, il a roidi les chairs, fig
le sang et glac le regard.
Quant aux productions dramatiques, il ne doit
y
avoir
de fiction que sur les temps et les lieux; tout le reste doit
tre vrai, c'est--dire d'une illusion complte.
L'historien et le romancier font entr'eux un change de
vrits, de fictions et de couleurs, l'un pour vivifier ce qui
n'est plus, l'autre pour faire croire ce qui n'est pas.
Le pote pique mle le merveilleux l'action et au rcit.
On peut s'expliquer par l pourquoi l'pope n'emprunte
jamais, avec autant de succs que la tragdie, les grands
personnages de l'histoire. Ce ne sont pas seulement des pas-
sions et des vnements, ce sont des merveilles qu'on attend
d'elle; et quand l'pope ne peut agrandir ni les faits ni
Il4
RVAROL
les hommes, son impuissance la dgrade aux yeux de l'ima-
g-ination.
D'ailleurs, la g-loire d'un hros pique est telle-
ment
rversible au pote qui le cre en le chantant que, dans
niiaile, ce n'est point Achille, c'est plutt Homre qui est
2;Tand. Mais Csar ne reflte pas son clat sur Lucain, et
Lucaui
n'ajoute pas l'clat de Csar. Que faire d'un per-
sonnnire
si plein et tellement insparable de sa gloire qu'on
ne peut ni l'aug-m.enter ni la partager?
Le got triomphe surtout dans la sparation dis {genres.
Si c'est un cirand
art. dans les al'aires, de distinguer ce qui
doit tre crit de ce qui doit tre dit, c'est aussi un grand
sii^ne de got en littrature
;
et le discernement qui spare
ce qui peut tre en vers de ce qui doit tre en prose n'est
pas d'une moindre importance.
Ce qui distingue encore le got de l'esprit, du talent, et
mme du gnie. c'est qu'il ne se laisse jamais blouir. Il pr-
fre Virgile Lucain et Racine Voltaire, par la raison qu'il
aime mieux les jours et les ombres que l'clat et les taches.
Enfin le got viole quelquefois les rgles, comme la cons-
cience les lois, et c'est alors qu'il se surpasse lui-mme :
mais ces cas sont rares. Situs entre les tmrits de l'imagi-
nation et les timidits du jugement, c'est lui se dfier
des ot'res de l'une et des conseils de 1 autre.
Les gens du monde confondent toujours l'esprit avec le
gnie des ides, et cela doit tre. L'esprit, tant le nom le
plus universel du sentiment, est souvent pris comme l'me,
pour l'homme tout entier : on dit, les grands et les petits
esprits, les esprits ordinaires et les esprits extraordi-
naires ;
et d'un homme sans esprit, qu'il est un pauvre
esprit; enfin on oppose l'me au corps, et l'esprit la ma-
tire. Il suffit donc, pour confondre l'esprit avec le gnie,
d'ter l'un et d'ajouter l'autre. En leur supposant des
ides plus ou moins vastes, et des conceptions plus ou moins
profondes, on aura tour tour l'homme d'esprit et l'homme
de gnie, un esprit tendu et un gnie born. Mais il n'est
aspermis de confondre l'esprit ou le gnie des ides avec
e talent.
Il
y
a cette diffrence entre ces deux prsents de la nature,
ue l'esprit, quelque degr qu'on le suppose, est plus avide
e concevoir et d'enfanter; le talent plus jaloux cl'exprimer
et d'orner. L'esprit s'occupe du fond qu'il "creuse sans cesse;
LITTa.VTUME Il5
le talent s'attache la forme qu'il embellit toujours : car,
par sa nature, l'homme ne veut que deux choses : ou des ides
neuves ou de nouvelles tournures.il exprime l'inconnu clai-
rement, pour se faire entendre; et il relve le connu par
Texpression pour se faire remarquer. L'esprit a donc besoin
qu'on lui dise :
y^
vous entends; ai le isAanl : je vous
admire. Il est donc vrai que c'est l'esprit qui claire, et que
c'est le talent qui charme. L'esprit peut s'f^-arer, sans
doute, mais il craint Terreur; au lieu que le talent se fami-
liarise d'abord avec elle, et en tire parti : car ce n'est pas la
vrit, c'est une certaine perfection qui est son objet; et les
variations, si dshonorantes pour l'esprit, tonnent si peu
le talent que, dans le conflit des opinions, c'est toujours
la plus brillante qui l'entrane; d'o il rsulte que l'esprit a
plus de jug-es, le talent plus d'admirateurs; et qu'enfin,
aprs les passions, le talent est dans l'homme ce qui tend le
plus de piges au bon sens.
Ce n'est pas qu'il
y
ait beaucoup de g-ens d'esprit sans
un peu de talent, ni beaucoup de g-rands talents sans quel-
que dose d'esprit, je parle seulement de la partie dominante
dans chaque nomme. Mais il
y
a g-nralement plus d'esprit
que de talent en ce monde : la socit fourmille de g'ens
d'esprit qui manquent de talent.
L'esprit ne peut se passer d'ides, et les ides ne peuvent
se passer de talent : c'est lui qui leur donne l'clat et la vie
;
or, les ides ne demandent qu' tre bien exprimes
;
et,
s'il est permis de le dire, elles mendient l'expression. Voil
Fourquoi
l'homme talent vole toujours l'homme d'esprit:
ide qui chappe celui-ci, tant purement ingnieuse,
devient la proprit du talent qui la saisit.
Il n'en est pas ainsi de J'crivain grand talent
;
on ne
Seut
le voler sans tre reconnu
,
parce que, son mrite tant
ans la forme, il appose son cacnet sur tout ce qui sort de
ses mains. Virgile disait qu'on arracherait Hercule sa
massue, plutt qu'un vers Homre.
L'esprit qui trouve l'or en lingots ajoute aux richesses
du genre humain ;mais le talent faonne cet or en meubles
et en statues qui ajoutent nos jouissances, et sont la fois,
pour nous, sources de plaisirs et monuments de gloire. On
peut rendre heureusement les penses des philosophes : ils
ne craignent pas la traduction qui tue le talent. L'homme
Il6 niVAROL
qui n'aurait strictement que de l'esprit ne laisserait que ses
ides
;
mais Thomme talent ne peut rien cder de ce qu'il
fait : il a, pour ainsi dire, plac ses fonds dans la faon de
ses ouvrag-es. On dirait, en etfct, que les ides sont des fonds
qui ne portent intrt qu'entre les mains du talent.
Mais ce qui fait prcisment sa puissance, c'est d'expri-
mer d'une mnnire neuve et piquante les penses les plus
communes
;
car, les penses de cet ordre se composent des
sensations premires, souvent rptes, fondes sur le besoin,
fortifies par l'usage, et par consquent fondamentales dans
l'homme.
La diffrence du talent l'esprit entrane aussi pour eux
des consquences morales. Le talent est sujet aux vapeurs de
l'org-ueil et aux orag-es de l'envie; l'esprit en est plus exempt.
Voyez, d'un ct, les potes, les peintres, les acteurs; et de
l'autre, les vrais penseurs, les mtaphysiciens, et les g-om-
tres. C'est que l'esprit court aprs les secrets de la nature
qu'il n'atteint g"ure, ou qu'il n'atteint que pour mieux se
mesurer avec sa propre faiblesse
;
tandis que le talent pour-
suit une perfection humaine dont il est sr, et a toujours
le g-ot pour tmoin et pourjug-e. De sorte que le talent est
toujours satisfait de lui-mme ou du public, quand l'esprit
se mfie et doute de la nature et des hommes. En un mot,
les g-ens d'esprit ne sont que des voyag-eurs humilis qui ont
t toucher aux bornes du monde, et qui en parlent, leur
retour, des auditeurs indiffrents qui ne demandent qu'
tre g"ouverns par la puissance ou charms par le talent.
Leur diffrence influe encore sur leur destine. Les hom-
mes qui adorent et idoltrent la puissance caressent le ta-
lent : mais ils ne rendent pas, beaucoup prs, le mme culte
aux grands esprits : ils sentent que l'or et le pouvoir se
communiquent en personne, et que le talent multiplie leurs
jouissances
;
mais que le gnie des ides, semblable au soleil,
ne nous prte que son clat, sans rien perdre de sa subs-
tance : d'o rsulte cette vrit, que, souvent, l'envie auprs
des grands et des riches se chan^-e en flatterie, et en haine
auprs du gnie qui se contente d'clairer sans mouvoir.
Mais c'est surtout pour les talents futiles que le monde
prodigue ses faveurs, et s'puise en applaudissements :
tout est de glace pour l'homme qui pense et qui redresse les
ides de son sicle. C'est que celui-ci ne donne que de la
LITTKATURK II7
falig"ue et humilie la mdiocrit, quand le danseur ou le
musicien ne donnent que du plaisir, et n'humilient que
leurs rivaux. Car, ce ne sont pas les artistes, mais les arts
qui sont frres. Le talent ne craint donc que le talent
;
l'es-
prit a le fii-enre
humain pour anlag-oniste.
Cependant, il faut le dire, l'envie pardonne f[uelquefois
l'clat du stvle un grand homme, qui n'a pas le don de
la parole : parce que, s'il parat dans le inonde, et qu'il
y
montre de l'embarras ou de la disg-rce, il a l'air d'un
enchanteur qui a perdu sa bag-uette,et on se flicile de son
malheur, on en jouit, comme le hibou d'une clipse. Mais
l'homme qui porte son talent avec lui afflii^e sans cesse les
amours-propres : on aimerait encore mieux le lire, quand
mme son style serait infrieur sa conversation. Que sera-
ce donc, s'il tient le double g-ouvernail du cabinet et du cer-
cle ?
Ces petites iniquits sont d'autant plus remarquables que
le vritable esprit rend justice tous les g-enres de mrite
;
comment pourrait-il perscuter ce qu'il aime et troubler la
source de ses jouissances ? Il ne faut pas des sots aux g-ens
d'esprit, comme il faut des dupes aux fripons.
Disons-le la gloire du g-nie et de la vertu : toute nation
a deux sortes de reprsentants: ceux de sa puissance et ceux
de son mrite. Les premiers ne la reprsentent qu'un temps,
les seconds la reprsentent ternellement. Les premiers em-
pruntent d'elle leur clat
;
elle tire le sien des seconds. Les
uns la protg-ent ou la tyrannisent avec ses propres forces
;
les autres la couvrent de leurs rayons et lui prodiguent les
JTruits de leur g-nie. Enfin les premiers ne lui trouvent que
des ennemis dans les peuples environnants
;
les seconds lui
concilient le respect du monde, et n'ont pour ennemis que
ceux du g-enre humain et de sa flicit.
Observons, en terminant ces rflexions, qu'il
y
a deux
espces d'hommes talent, ceux qui,s'exerrant sur la matire,
se passent aisment d'esprit, comme les sculpteurs, les pein-
tres, lesmusiciens etles danseurs : et ceux qui s'exercent sur
la parole, comme les potes et les orateurs; ceux-ci gag-nent
presque toujours de l'esprit et des ides au commerce des
mots. On peut les comparer aux artistes qui ont pour eux
la limaille et les dbris des prcieux mtaux qu'ils faon-
nent.
llS niVAROL
Maintenant, pour runir les deux objets du parallle, il
faut convenir qu'il en est de l'esprit, et surtout du talent,
comme de la puissance en amour. Les esprits et les talents
ordinaires n'ont de puissance que par intervalles : mais les
grands esprits et lesg-rands talents sont presque toujours en
puissance
Toutes ces distinctions entre le g-nie et l'esprit, le talent,
le jugement et le ^oiit, exig-ent une restriction g-nrale :
comme ce ne sont l que des fonctions d'un mme tre, je
veux dire du sentiment, on peut les comparer aux couleurs
du prisme qui, pleines et certaines dans leur^^milieu, sont
toujours un peu quivoques dans les limites o elles se tou-
chent et se confondent.
Je dois aussi restreindre le don de cration accord au
gnie.
Que le sentiment soit entendement, imag-ination, esprit
ou i^rnie, il n'est que trouveur^ ordonnateur, compositeur,
jamais crateur
;
et ces beaux ouvrages du gnie, qu'on
appelle crations, ne sont au fond que des arrangements,
des compositions, des choses trouves mises en ordre : car
si le sentiment, lorsqu'il enfante, savait ce qu'il va produire,
il connatrait avant de sentir, et, comme on l'a dj dit, il
aurait l'ide avant de l'avoir. Mais il en est des conceptions
les plus intellectuelles, comme de nos sensations
;
nous ne
les avons qu'en les prouvant
; nous sommes frapps au de-
dans comme au dehors. L'animal qui crie pour la premire
fois entend sa voix
;
il ne la connaissait pas auparavant.
II en est de mme des ides qu'on nomme ides neuves
j'en appelle ceux qui en ont. Sur quoi tombe donc le titre i
de cration, dont on qualifie un ouvrage et mme une
grande ide ? Sur l'ordre et la composition mme
;
jamais
sur les lments. L'homme reoit les choses simples et cre
les composes
;
il trouve les pierres et cre des difices; il
prouve des sensations, les retient, les combine, et cre un
ouvrage. D'o rsulte cette grande vrit. que, si Dieu n'tait
pas crateur des lments, il aurait trouv l'univers, et ne
diffrerait de l'homme que par les proportions. {Discours
prliminaire.)
FRAGMENTS ET PENSES LITTERAIRES
SUR FLORIAN
-
1788(1)-
Il parat peu d'ouvraf"es dans notre littrature, qui ne
soient ou lous avec extase, ou impitoyablement crass;
avec cette observation pourtant, cjue le nombre des idoles
l'emporte beaucoup sur celui des victimes : il n'y a que quel-
ques infortuns sans amis et sans protecteurs, qu'on immole
sans piti
;
les heureux sont innombrables. Il ne s'annonce
presque pas de livres dans le cours d'une anne que ce ne
soit La plus belle alliance de la philosophie et de Vlo-
quence
;
cest toujours le Hure quon attendait, et une
rvolution dans l" esprit humain parat invitable. Tel
avocat est mis sans faon au rang- des Gicron et des D-
mosthnes, et l'auteur de quelques pices fug-itives s'assied
sans pudeur cot d'Horace et d'Anacron. 11 serait temps
enfin que plus d'un journal chang-et de maxime : il faudrait
mettre dans la louang-e, la sobrit que la nature observe
dans la production des
r-rands talents, et cesser de tendre
des pig-es Finnocence des provinces.
Paris est la ville du monde o on ig-nore le mieux la
valeur, et souvent l'existence d'une foule de livres :
il faut
avoir vcu en province ou la campag-ne
,
pour avoir beau-
coup lu. A Paris, l'esprit se soutient et s'ag-randit dans la
rapide sphre des vnements et des conversations; en pro-
vince, il ne subsiste que de lectures : aussi faut-il choisir les
hommes dans la capitale
;
et dans la province, ses livres.
Ici, l'ouvrag-e le plus vant n'en impose personne, ou
n'en impose pas long'temps. On sait bientt quel parti l'au-
(i) Publi eu
1797
seulement dans le Spectateur du l\'ord.
teur s'est attach; quelles mains le protent ou l'lvent;
et les lumires acquises dans les cercles dissipent les illu-
sions o pourraient nous jeter les journalistes : l'amour-
propre des auteurs mmes n'en est pas dupe. En vain les
trompettes de la renomme ont proclam telle prose ou tels
vers; il
y
a toujours, dans cette capitale, trente ou quarante
ttes incorruptibles qui se taisent : ce silence des cens de
ffot
sert de conscience aux mauvais crivains, et les tour-
mente le reste de leur vie. .
Mais, quand un livre prn dans tous les journaux, et
soutenu par un grand parti, arrive en province, l'illusion est
complte, pour les jeunes g-ens surtout : ceux qui ont du
^ot s'tonnent de ne pas admirer, et la vog^ue d'un mauvais
ouvrag^e fait chanceler leur raison
;
les autres se fig-urent
que Paris reg-ore de grands talents, et que nous avons en
littrature l'embarras des richesses.
Il nous semble pourtant que les g-ens de lettres devraient
eux-mmes prfrer l'analyse et une critique claire de
leurs productions, des log-es donns sans discernement et
sans mesure
;
les honneurs prodig-us ne sont plus des hon-
neurs. Quel auteur dramatique est flatt, aujourd'hui, d'tre
appel grands cris sur un thtre, par un parterre en
dlire?
Faire des observations si svres, c'est nous imposer la
loi d'tre justes et modrs, en les appliquant au roman de
Numa Pompilius, ouvrag-e important par son objet, et qui
n'a pas eu le succs que devait naturellement en attendre
son auteur.
M. de Florian s'annona d'abord par des productions
fug-itives et des pastorales d'un ton fort doux. 11 avait dans
son style cette puret et cette lg-ance continues dont les
g-ens du monde se croient tous dous par excellence, et qui
disting-uent spcialement leurs veux les esprits de la capi-
tale
;
aussi se htrent-ils de lui faire une rputation, char-
ms qu'un d'entr'eux et pris la parole. Mais quand M. de
Florian s'est lev, de petite pice en petite pice, jusqu'
une sorte d'pope, les g-ens du monde l'ont abandonn aux
g-ens de lettres; ils ont t de feuille en feuille ses amis jus-
qu'au volume.
Cette conduite des g-ens du monde, qui semble cruelle au
premier coup d'il, est pourtant consquente leurs ides.
LITTEHATURE
iai
La rputalion, la renomme, cette vie enfin, qui, selon l'ex-
pression de Pope, respire sur les lvres d'autrui, n'est rien
({ue de la vog-ue et du bruit pour les hommes du monde : il
leur semble qu'aprs Catulle il faut aussi que TibuUe soit
la mode, et qu'au dfaut de l'un ils en auront toujours un
autre; mais pour les g-ens de lettres, la renomme est tout;
qui sacrifie le prsent, il faut l'avenir entier pour ddom-
mag-ement. Si les g-ens du monde en avaient cette ide, ils
atecteraient moins de se scandaliser des querelles des g-ens
(le lettres : ils verraient qutant plus sensibles que le reste
(les hommes, ils doivent tre plus irritables; et ce qui prouve
qu'ils sont plus sensibles, c'est qu'ils donnent beaucoup de
sensations : la nature tonne l'oreille de l'homme de lettres,
quand elle murmure peine celle des g-ens du monde. Ils
se disputent d'ailleurs une matresse dont les charmes s'ac-
croissent du nombre des amants qui l'entourent, et des
faveurs qu'elle accorde
;
je veux dire la gloire. Mais, direz-
VDiis peut-tre, la g-loire n'est que fume : j'en conviens,
mais l'homme n'est que poussire.
C'est donc entre de telles mains que devait naturellement
tomber M. de Florian, puisqu'il s'occupait d'un sujet impor-
tant; il faut bien tre jug- par ses pairs.
On a d'abord senti que ce n'tait ni avec l'esprit, ni sur
le ton de ses premiers opuscules que M. de Florian devait
peindre le lg-islateur de Rome. Voltaire, produisant une
pice fug-itive, tait Hercule maniant de petits fardeaux, et
les faisant voltig-er sur ses doig-ts; son excs de force tait
sa g-rce. Mais, quand, avec la mme dose de posie, il est
entr dans l'pope, il n'a fait que la Henriade. Il fallait
donc que M. de Florian se ft ici un nouveau style et une
toute autre manire; en traitant un sujet vaste, il faut sa-
voir lever ses conceptions et sa voix : les grandes entrepri-
ses ne renversent que les petites fortunes.
L'ing-nieuse modestie de l'auteur qui se fait remarquer
('ans la gravure qui est la tte de son livre a forc tout
le monde comparer Nurna Tlmaque; plus il a craint
d'tre cras par la comparaison, plus on s'est obstin la
faire...
Il faut convenir que M. de Florian n'a point eu, comme
Fnelon, le bonheur du sujet. Son imag-ination se promne
dans des landes arides, et sou stjle n'y est jamais rafrachi
KIVAROL
par ces heureux sites et ces riants paysages qu'on rencontre
si souvent dans le Tlmaque.
On a aussi remarqu clans Numa un dfaut absolu de
mouvement et de varit
;
on a dit quelapurctc et l'lgance
ne suffisaient pas dans un ouvrag-c de cette nature; il n'y
a que les expressions cres qui portent un crivain la pos-
trit. M. de Florian parat avoir des lois somptuaires dans
son style, et son sujet exig-eait un peu de luxe.
SUR LE STYLE
La meilleure histoire de l'entendement humain doit, avec
le temps, rsulter de la connaissance approfondie du lan-
g-ag-e. La parole est en effet la physique exprimentale de
l'esprit
;
chaque mot est un fait
;
chaque phrase, une ana-
lyse ou un dveloppement; tout livre, une rvlation, plus
ou moins long-ue, du sentiment et de la pense. Aussi per-
suad de ce g-rand principe que peu certain de l'avoir bien
tabli, j'aurai du moins ouvert la route. C'est pourquoi, en
attendant la deuxime partie de ce discours, destine au lan-
gag-e en g-nral, je n'ai pas perdu les occasions de justifier
les expressions vulgaires que le besoin a cres, et qu'a con-
sacres Tusag-e. Les besoins naturels tant toujours vrais,
leurs expressions ne peuvent tre fausses : elles forment,
pour ainsi dire, la logique des sentiments.
Je me suis donc gard d'imiter certains philosophes qui
demandent qu'on leur passe ou des mots nouveaux ou de
nouvelles acceptions. L'auteur 'Emile, par exemple, exige
qu'on lui permette de changer le sens du mme mot d'une
page l'autre. Il est pourtant vrai que, si tout se peint dans
le langage, il n'est permis de brouiller les couleurs ni dans
les objets ni dans leurs peintures. Changer le sens des mots
d'une langue faite, c'est altrer la valeur des monnaies dans
un empire; c'est produire la confusion, l'obscurit et la
mfiance, avec les instruments de l'ordre, de la clart et
la foi publique : si on drange les meubles dans la cham-de
bre d'un aveugle, on le condamne se faire une nouvelle
mmoire.
Ma fidlit dans l'emploi des mots n'a pas t pourtant
une superstition, il a fallu souvent suppler l'avarice de
l'Acadmie : ce qu'elle me refusait, je l'ai emprunt de l'u-
LITTEHATUPIE
sag-e, qui a fait de eirandcs acquisitions depuis prs de qua-
rante ans, poque de la dernire dition au Dictionnaire.
Malg-r tous mes eflbrts, je sens bien que cet ouvrag-c
n'est qu'un essai trs imparfait : aucun de mes lecteurs
n'en sera plus mcontent que moi. Je ne peux attendre d'in-
dulg-ence que des ttes mtaphysiques, exerces la mdi-
tation, qui savent combien il est difficile d'crire sur les
ides premires, et qui s'apercevront bien que cet essai,
itout faible qu'il est, peut tre un jour pour quelque crivain
l'occasion d'un bon ouvrag-e. [Discours prliminaire.)
DES TRADUCTIONS (l)
Comme on a beaucoup parl des traductions, je n'en dirai
qu'un mot en finissant, pour ne pas paratre mpriser ce
g-enre de travail, ou l'estimer plus qu'il ne vaut. J'ai donc
1 pens qu'elles devraient servir galement la gloire du pote
qu'on traduit et au progrs de lang-ue dans laquelle on tra-
duit
;
et ce n'est pourtant point l qu'il faut lire un pote,
car les traductions clairent les dfauts et teig^nent les
I beauts; mais on peut assurer qu'elles perfectionnent le
'lang-ag"e.
En effet, la lang-ue franaise ne recevra toute sa perfection
qu'eu allant chez ses voisins pour commercer et pour recon-
natre ses vraies richesses; en fouillant dans l'antiquit
qui elle doit son premier levain, et en cherchant les limites
;qui la sparent des autres lang-ues. La traduction seule lui
rendra de tels services. Un idiome traug-er, proposant tou-
jours des tours de force un habile traducteur, le tte pour
ainsi dire en tous les sens : bientt il sait tout ce que peut
ou ne peut pas sa lang-ue
;
il puise ses ressources, mais il
aug-mente ses forces, surtout lorsqu'il traduit les ouvrages
d'imag-ination, qui secouent les entraves de la construction
grammaticale, et donnent des ailes au lnga^-e.
Notre langue n'tant qu'un mtal d'alliage, il faut la
dompter par le travail, afin d'incorporor ses divers lments.
Sans doute elle n'acquerra jamais ce principe d'unit qui
fait la force et la richesse du grec; mais elle pourra peut-
Hre un jour s'approcher de la souplesse et de Tabondance
(i) A propo de sa traduction de VEnfer, de Dante
(1785).
124
RIVArtOL
de la lan2;-ue italienne qui traduit avec tant de bonheur.
Quand une lan^^-ue a reu toute sa perfection, les traductions
V
sont aises faire et n'apportent plus que les penses.
NOTES
Il arrive
quelquefois que l'homme, s'abandonnant ses
habitudes et aux impulsions accoutumes des esprits ani-
maux, agit et parle sans le moi : son corps va sans attention,
comme un vaisseau sans pilote, par le seul bienfait de sa
construction.
C'est que l'homme alors se partage entre ses
mouvenients et des ides trangres ses mouvements, et
qu'ensuite il
y
a comme un premier ordre et un mouvement
d'abord donns, qui n'ont pas besoin d'tre rpts pour que
le corps continue d'obir. Tout homme qui s'observe en
marchant, en parlant et en crivant, connat bien ces ordres
antrieurs
que toute la rapidit du contre-ordre donn par
la rflexion ne saurait prvenir. Ceci explique la diflerence
qu'il
y
a de l'homme qui parl Ihomme qui crit : le pre-
LlTTERATUnE 120
micr est plus extrieur; le jugement dfend d'crire comme
on parle; la nature ne per^iet pas de parler comme on crit;
le ^-ot marie les vivacits de la conversation aux formes
mthodiques et pures du style crit.
On dirait qu'il
j
a dans les 'dictionnaires certains mots
uss qui attendent qu'il paraisse un g'rand crivain pour
reprendre toute leur nergie.
M. Riquet--VEnchre^ ci-devant
comte de Mirabeau
(extrait)
Notre beau pre-d'Orlans, et vous, Riquet, notre cher
frre, vous voil donc blancs comme neige, au rapport du
vertueux Chabroud (i) !
(i) Les marchands de Paris appellent blanc d'Orlans toutes les cou-
leurs obscures et noirtres. R.
Oh ! la belle et bonne uvre que ce rapport. C'taient
sans doute de beaux jours que les 5 et 6 octobre, mais le
jour du rapport est bien autre chose. Car ce n'est pas le tout
de faire des crimes, il faut encore les justifier, sans quoi
une rvolution n'est pas complte.
Quoique les fagots et les feux ne me plaisent gure, il
faut bien s'en servir, puisque la joie publique n'a pas d'au-
tres signes. J'ai donc allum mon petit fagot et fait mon
petit feu de joie avec nos bon amis.
Si quelque ombre pourtant pouvait se mler tant d'-
clat, si quelque nuage pouvait ternir un peu votre triomphe
et alarmer notre admiration, ce serait le serment que vous
avez fait de poursuivre le Chtelet et les tmoins jusqu'au
tombeau. An! renoncez un si funeste dessein, conu dans
la premire ivresse du succs. Laissez, comme dit Racine,
attendrir votre victoire : songez que vous ne rgnez que
depuis un an,etque si la clmence est malheureusement une
vertu, elle est bien ncessaire au dbut d'un rgne. D'ail-
leurs,
puisque vous avez jur de vous venger, songez qu'en
pardonnant vous serez parjure, et qu'un parjure n'est pas
ngliger...
A
la hauteur o vous tes, vos ennemis mmes conviennent
que le gibet est le seul genre d'lvation cjui vous manque.
Il faut avouer aussi que, pour les couvrir de boue, vous
n'auriez qu' vous jeter sur eux
;
m.ais au nom de votre
gnie, comme vous le disait Crutti (i), mprisez ce facile
succs : on ne vous reproche que trop de faiblesses.
(N'^ i8i.)
'
Vers pour tre mis au bas du portrait du
feu
roi de \
Prusse
I
Pote conqurant, sage voluptueux.
Aprs avoir instruit et ravag la terre,
Il se lassa des rois, des vers et de la guerre,
Mprisa ses sujets et les rendit heureux.
(xV2
64.)
(t) Crutti, avec ses phrases luisantes, s'attache tous nos grands
hononncs
;
c'est le limaon de la littrature : il laisse partout une trace
argente, mais ce n'est que de la bave.R.
PETIT DICTlOxNNAIRE
DES GRANDS HOMMES
DE LA RVOLUTION
CI-DEVANT RIEN
Tous les hommes sont bons.
sEDAi.xE, Dserteur
ou abbe sieyls, Droits de l'homme.
AU PALAIS ROYAL
1790
Epitre ddicatoire son excellence Madame la
baronne de Stal, ambassadrice de Sude auprs de la
Nation.
Madame,
Publier le Dictionnaire des grands hommes du jour,c'est
vous otYrir la liste de vos adorateurs
;
aussi dt-elle au pre-
mier aspect vous effrayer, je n'ai pas balanc un instant
vous en faire l'hommag-e. Toute la France sait qu'elle vous
doit ses meilleurs dfenseurs, et qu'en paraissant soupirer
vos g-enouxals ne pouvaient en ctit'et brler que pour la patrie.
,Ah! sans doute, Madame, vous possdiez trop d'avantag-es
pourqu'un mortel ost vous aimer pour vous-mme; il aurait
Fallu qu'il se dcidt entre votre esprit et vos charmes; qu'il
quittt sans cesse vos ouvrae;"es pour vos yeux, vos yeux
pour vos ouvrag-es
;
et le poids de tant de prodig-es tait
au-dessus des forces humaines. Tous les bons Franais ont
donc t rduits ne dsirer en vous que le bien public, et
se sacrifier pour lui entre vos bras. Il tait crit, Madame,
RIVAROL
que jusqu' vos amants,tout serait libre en France
;
et vous
avez second, on ne peut mieux cette g-rande destine. Vous
avez prouv leur patriotisme par vos discours; vous l'avez
fortifi par vos faveurs
;
enfin vous avez form des hommes
au-dessus de tous les vnements. Qu'il est beau, Madame,
d'teindre ainsi l'amour en seprodig-uantsoi-mme,etdefaire
delajouissanceunfrein redoutable, au lieu d'une vile rcom-
pense! Une pareille science tait sans doute rserve la
fille du plus g-rand ministre de l'anne passe, la fille du
plus profond g-nie de l'anne passe, une fille enfin qu'on
peut regarder comme le seul dbrisde la g-loirede son pre.
Mais je m'arrte^. Madame. A force de vous louer, je pour-
rais oublier, et qui vous tes, et ce que je vous dois
;
et je
serais inconsolable, si, en recevant mon hommag-e, vous
vous trompiez sur son intention. Je l'abrge donc, de peur
de l'affaiblir, et je finis, Madame, par joindre au respect
invincible et gnral que vous inspirez, celui de
Votre trs humble et trs heureux admirateur
l'Auteur du petit Dictionnaire.
PRFACE
Tandis que nous sommes libres, il me prend envie de
faire le dnombrement des g-rands hommes de chaque
espce, qui, d'une paisible monarchie, ont fait une si bril-
lante rpublique. Egalement habiles, ils ne sont pas tous
g'alement clbres
;
et c'est peut-tre le seul hommage digne
d eux que de rassembler leurs noms et de confondre leur
gloire. La postrit est si in^rate! Elle jouit tranquillement
de ce qu'on a fait pour elle, et rougit souvent de ses bien-
faiteurs ! Il faut donc la forcer la reconnaissance, en
lui prsentant le tableau de nos illustres compatriotes, et en
lui traant leur caractre et leurs exploits. Je vais l'essayer
avec toute la patience qu'exige ce travail; et si, par hasard,
nos neveux se trouvaient un jour le peuple le plus heureux
de la terre, ils sauront du moins qui s'en prendre.
Ce qu'il
y
a de vraiment admirable dans notre glorieuse
rgnration, c'est que toutes les classes d'hommes
y
ont
galement contribu. Le pair de France sans crdit s'est
joint au savetier sans pratique, pour sauver la patrie en dan-
ger; le guerrier mcontent a rassur le timide badaud, en se
POLITIQUE
ao3
mettant sous ses ordres
;
et l'crivain malheureux,
de con-
cert avec 1 crivain public, a chant nos victoires
;
c'est sans
|doute cet heureux amalg-ame que nous devons notre incroya-
ble libert. C'est par un accord parfait entre le rebut de la
cour et le rebut de la fortune, que nous sommes parvenus
cette misre g-nrale qui atteste seule noire g-alit. Quoi
jde plus injuste, en effet, que cette ingale distribution des
biens, qui forait le pauvre travailler pour le riche, ce qui
donnait l'arei-ent une circulation mal entendue, et la
terre une fertilit dangereuse ! Grces au ciel, tout est rta-
bli dans l'tat sauvage o vivaient les premiers hommes
;
le
parti le plus fort s'est trouv naturellement le plus juste, et
comme tout le monde s'est mis gouverner, les cris des
mcontents ont t touffs. Des gens mal intentionns ont
pu reprocher la nation le sang qu'elle a rpandu en s'em-
,
parant de l'autorit; ils ont cru que la faible voix de l'hu-
manit pouvait interrompre une entreprise si importante:
comme ils se sont tromps, les perfides ! L'lite des Franais,
les braves Parisiens, se sont pntrs d'une cruaut vrai-
iment civique: ne voulant plus de chefs, ils n'ont souhait
que des victimes, et ils ont gorg avec ignominie les indi-
gnes sujets qui obissaient leur matre.
Que ne doit-on pas aussi aux gnreux gardes-franaises,
qui ont si bien soutenu leur rputation ! Pour se joindre au
I
peuple irrit, ils n'ont pas mme attendu qu'on les ft mar-
jeher contre lui; et dans l'ardeur d'abandonner leurs dra-
!
peaux, ils ont devin la tyrannie. Quel spectacle admirable
I
pour l'arme franaise que de voir quatre mille guerriers,
dfenseurs ns de la majest du trne, abjurer un si vil
mtier, donner le signal d'une noble dsertion, et prfrer
les aumnes de la populace la solde d'un grand roi ! Il
semble que la renomme ait attach une gloire particulire
ces illustres fugitifs. Ce qui fit jadis leur honte les immor-
talise aujourd'hui; et si la guerre calme leur courage, l'a-
narchie en fait des hros. En effet, par combien de belles
actions ne viennent-ils pas de se signaler ! Depuis le brave
grenadier qui tira sur son officier jusqu' celui qui condui-
sit M. de Launav la Grve, tous ont dploy le mme
genre de valeur. C'est devant eux que les murs de la Bas-
tille se sont crouls; ils s'aperurent les premiers qu'elle
'^"('tait point dfendue, et ils la conquirent avec cette fre
204
UIVAUOL
assurance qui ne connat point d'obstacles
;
leurs noms ne
seront donc pas les plus faibles ornements de mon petit Dic-
tionnaire, et si, par gard pour le lecteur, j'ai t oblig de
faire un choix parmi tant de conqurants, ceux queje ne nom-
merai point ne m'en devront pas moins de reconnaissance,
et leur conscience les consolera aisment de l'oubli.
Mais c'est dans ce parti populaire de l'Assemble natio-
nale que j'ai puis mes plus brillants caractres; les habi-
les lgislateurs qui le composent se sont tous trouvs placs
pour seconder la rvolution. Les injustes disgrces de la
cour ont donn aux uns l'nergie de la vengeance
;
la ruine
malheureuse de leur fortune a donn aux autres le gnie
de l'agiotage : et comme leur fonction commandait sans
cesse leur opinion, ils sont rests jusqu' ce jour invaria-
bles dans leurs principes. Voulant rformer la France, ils
ont senti la ncessit de brouiller l'tat. Le peuple tait en-
core retenu par quelques prjugs monarchiques, et par un
aveugle amour de son roi. Ces grands publicistes lui ont
ouvert les yeux
;
ils lui ont fait dcouvrir son tyran dans son
matre
;
ifs lui ont prouv que les nobles n'taient que des
usurpateurs hrditaires, puisqu'ils osaient jouir des pos-
sessions de leurs pres; ils lui ont abandonn les biens des
prtres, pour lui ter jusqu'aux freins spirituels de la reli-
gion
;
enfin, par leurs subbmes dcrets, ils ont dpouill
le faible et encourag le fort.
C'est aussi dans cet auguste aropage que nous avons
vu clore des gnies qui, sans elle, seraient encore l'ennu-
yeux rebut de la socit. Que de miracles n'opre point le
patriotisme! Les plus lourds esprits de la littrature se sont
bien montrs les plus profonds de l'assemble
;
les plus
illustres ignorants de la jeunesse franaise n'ont paru ni
embarrasss, ni dplacs dans la tribune parisienne: en un
mot, les ennemis de la langue sont devenus tout coup les
dfenseurs de la nation. On ne se mfie pas assez dans le
monde de ces soudaines mtamorphoses. On s'imagine
aujourd'hui qu'un homme est un sot, parce qu'il est sans
grces, qu'il parle mal de tout, que ses ides mmes l'em-
barrassent, et que la raison s'anantit dans sa bouche. L'ex-
prience dtruit tous les jours cet horrible prjug. Si ce
mme homme a bien le caractre de sa mdiocrit, il obtient
toujours une espce de rputation
;
comme il dsarme l'en-
POLITIQUE
ao5
vie, il est estim sans re<2;Tels
;
il abandonne l'art de plaire
aux beaux esprits, et lamour de la "-loire l'homme
talent, et devient ce qu'on appelle un nomme de mrite :
voil ce qui caractrise tous les grands homme de la rvo-
lution. Qu'on me cite, en effet, un crivain, un philosophe,
un acadmicien mme qui se soit disling-u dans ces derniers
temps de trouble et de prosprit ! M. Bailly est le seul
^Tand homme que les sciences aient fourni la France alar-
me
;
encore ne doit-il son lvation qu' la sublime sim-
plicit de son caractre. On n'admire en lui que ce qu'on
n'y avaitjamais admir, et ses ouvrag-es seront indpendants
de son immortalit. Ce sont donc les plus simples mortels
({ui font aujourd'hui la g-loire du nom franais
;
la mdio-
crit fait encore ressortir l'clat de leurs actions, et ce n'est
qu'opposs eux-mmes, qu'ils peuvent tonner la postrit.
Il faut donc peindre ces tiers rpublicains avec la peinture
qu'ils mritent
;
il faut empcher leur modestie d'chapper
la clbrit, et il faut mme leur sauver l'honneur de
rentrer dans leur premire obscurit.
Je ne me suis pas dissimul que j'avais un modle inimi-
table dans VAlmanachdes grands hommes de /jcS*^. L'au-
teur de ce registre immortel a si bien vari ses log-es qu'il
ne m"a pas laiss de formes nouvelles pour encenser mes
personnag-es
;
mais l'importance de mon sujet fera peut-
tre oublier la supriorit de sontalent.il n'a exhum qu'un
millier de bons crits
;
moi, je ressuscite un millier de gran-
des actions, et, obscurit g-ale, le hros doit l'emporter
sur l'crivain. Je vais donc entrer en matire, sans m'ef-
frayer de la rivalit, et si la rvolution s'tend jusque sur
le bon g"ot, j'aurai bien des chances pour tre victorieux.
Mon projet tait d'abord d'assig^ner le profit de cet
ouvrag-e tous les estropis du patriotisme
;
mais j'ai rfl-
chi que, toute leur g"loire venant de leur misre, ce serait les
dg"rader que de les secourir, et j'ai bientt eu honte de
mon humanit. Une plus heureuse ide s'est prsente
moi. Les infirmits du corps ne demandent que nos soins
;
mais celles de l'esprit exig-ent toute notre piti.
Mille autres penseurs, tels que des journalistes, des mo-
ralistes, des publicistes, hasardent chaque jour leur
existence, dans l'talag-e de leurs productions. Les pauvres
insenss! ils fondent leur subsistance sur nos ennemis, et
200
ils se trompent encore! On ne les achte point, et le travail
n'a fait qii irriter lenr faim. Ne serait-il pas gralement beau
et profit;u4e, de les mettre l'abri de la misre de la litt-
rature, et d'acqurir leur inaction par quelques offrandes
pcuniaires? C'est donc eux que je destine le revenu de ce
dictionnaire : ds l'instant qu'on l'aura mis en vente, qu'ils
Tiennent en assurance recevoir le prix de leur silence; mais
qu'ils s'eng-aerent ne plus le rompre : car, la pre-
mire rechute, on les abandonnerait leurs talents. On
paiera cinquante francs par mois le repos d'un journaliste;
cent francs celui des faiseurs de pamphlets
;
et quand le
)roduit de l'ouvrasre sera puis, on proposera une qute a
a nation, pour continuer une opration si salutaire.
PEXrr DICTIONNAIRE DES GRANDS HOMMES DE LA REVOLUTION
AIGUILLON (le duc d').
Il
j
a dans le corps politique une g-radation de rivalit
et d'mulation qui en fait l'harmonie, depuis le manuvre
jusqu'au g-rand propritaire, et du simple soldat au mar-
chal de France. Dans la double hirarchie des rangs et des
fortunes, chacun n'ambitionne que l'homme qu'il a devant
soi et qui ne le spare que d'un degr des dignits ou de la
richesse. Cette ambition est trs raisonnable; mais les phi-
losophes ont brusquement rapproch les deux extrmes en
opposant le soldat au g-nral et le manuvre au propritaire
;
ce contre-coup a tout renvers.
Il
y
a grande distinction faire entre la majorit arith-
mtique et la majorit politique d'un Etat.
Il
y
a des temps o le gouvernement perd la confiance
230 RIVAROL
du peuple, mais je n'en connais pas o le gouvernement
puisse se fier au peuple.
Il
y
avait dans la nation, et il
y
avait toujours eu dans
l'Assemble de ses reprsentants, une majorit d'envieux et
une minorit d'ambitieux : car c'est le grand nombre qui
dsespre d'avoir les places, et les prtentions fondes ne
sont que pour le petit nombre; mais l'ambition veut obtenir
son objet, et l'envie veut le dtruire; et c'est cette envie de
la majorit qui l'a emport sur l'ambition de la minorit.
Les puissances, en
1789,
taient comme les colons qui
jasaient Paris sur la Rvolution, sans la prvoir Saint-
Domingue.
Il
y
a une sin^'ullre parit entre la rvolution d'An-
g-leterre et celle de France : le Long--Parlement et la mort
de Charles l^^
;
la Convention et la mort de Louis XVI
; et
puis Cromwell etpuis Bonaparte. S'il
y
aune restauration,
aurons-nous un autre Charles second mourant dans son
lit, et un autre Jacques second quittant son royaume, et
puis une dynastie trangre ? C'est une ide tout comme
une autre que cette prvision
;
mais il faut recommander
la prvoyance ceux qui gouvernent. Charles P'' etLouisXVI
en manqurent absolument, et malgr leurs vertus ils pri-
rent sur l'chafaud. Les vertus d'un monarque ne doivent
pas tre celles d'un particulier : un roi hoiinte homme, et
qui n'est que cela, est un pauvre homme de roi.
On me demandait, en
1790,
comment finirait la P.-
volution. Je fis cette rponse bien simple : Ou le roi aura
une arme, ou l'arme aura un roi. J'ajoutai : Nous
iurons quelque soldat heureux, car les rvolutions finissent
toujours par le sabre : Sylla, Csar, Cromwell.
agO
RIVAROL
disting-uer M. Necker du diste-philosophe. Celui-ci n'osa
pas prononcer sur la ncessit d'un culte; il admet un Dieu
formateur de l'univers, qui doit runir toutes les perfec-
tions ncessaires son essence, et non telles que nous les
imag-inons. Il ne croit pas que la morale ait besoin des
promesses d'un paradis ou des peines de l'enfer, pour diri-
g-er
l'honnte homme, et le rendre heureux. Il ne croit pas
enfin que l'Evang-ile ait rien appris aux hommes en fait de
morale: le pardon des injures, la modestie, la charit, etc.,
tout cela est fortement recommand dans tous les anciens
moralistes. L'Evang-ile les a copis; et dire que sa morale
est plus parfaite que celle de Zenon ou de Cicron, est une
de ces fraudes pieuses qu'on ne devrait plus se permettre,
d'autant que la relig-ion chrtienne n'en a pas besoin, L'E-
vangile nous a appris que les Gieux s'ouvraient une
certaine hauteur
;
qu'il
y
avait trois personnes en Dieu
;
que
la troisime personne descendait en forme de colombe; que
la seconde personne viendrait jug-er les vivants et les morts;
que le diable entrait dans le corps des g"ens, etc.. Voil
incontestablement ce que l'Evano'iie nous a appris, et ce
que l'esprit humain n'aurait pu imaginer, tant la science
est impuissante et vaine! [Lettres M. Necker,)
LA LOI DES PROPORTIONS
Notre sensibilit pour tout ce qui respire et souffre comme
nous est sujette la loi des proportions. Nous paraissons
moins cruels en crasant un insecte qu'en tuant un oiseau,
un animal sang blanc qu'un animal sang rouge, et
nous engloutissons une hutre vivante sans horreur. Les
communications plus ou moins intimes de certains animaux
avec l'homme dcident aussi de son indiffrence
,
de sa
piti et de sa cruaut. Si vous tuez la poule d'un fermier,
un cu peut le satisfaire; mais si vous tuez son chien, un
cu, loin d'tre une compensation, peut lui sembler un
outrage de plus.
La gloire et la honte, le succs et la puissance dpendent
encore des proportions
;
elles sparent le meurtrier du hros
et le voleur du conqurant. Si vous ne trompez que quel-
ques personnes, vous ne vous tirerez pas du rang des
fourbes; mais celui qui trompe tout un peuple s'lve la
PHILOSOPHIE
291
lgislature et l'empire, et celui-l est matre des hommes,
qui enlve et non qui mrite les suffras'es.Il en est de mme
de l'or et Je ses corruptions: la quantit rend excusable,
dit La Fontaine. On jug-e encore des malheurs
comme des
vices, dont on rougit d'autant moins qu'on les partag-e avec
plus de monde. Il est prouv par les rvolutions des em-
fres
que les malheureux tirent toute leur consolation de
eur nombre. Enfin il est des vertus interdites la jiauvret
et on ne fait pas un mrite de la continence qui la nature
en fait une ncessit.
L'amour connat aussi la loi des proportions; une HUe
encore enfant ne dit rien nos sens.
Voyez un gant et nn nain partir ensemble : ils seront
du premier pas et pour toujours ing-aux
par les espaces,
quoique toujours dans des temps i^aux.
La jeunesse est plus timide dans le salon que dans la rue,
dans les petites villes que dans les g-randes capitales:
c'est
que dans les g-randes villes on ne se connat pas, et on est
moins accabl du regard public.
La vie tant un tout, c'est--dire ayant un commence-
ment, un milieu et une fin, il n'importe pas qu'elle soit
d'une longue ou d'une courte dure; mais il importe
qu'elle
ait ses proportions. Ce n'est donc
p
is de la brivet de la
vie qu'on a droit de se plaindre, mais d'une mort
prcoce,
puisqu'une telle mort n'est pas la fin, mais l'interruption
de la vie. Aussi Snque dit trs bien que les funrailles
d'un homme sont toujours prmatures lorsque sa mre
y
assiste.
La figure du globe que nous habitons s'est longtemps
drobe nos regards par l'efet de ses proportions.
L'homme
tait sur la terre comme un ciron sur une statue, sans en
souponner la forme; et, de mme que cette plante offre
l'homme des montagnes et des prcipices, tandis que la
lune, cause de sa distance, lui parat aussi ronde
qu'unie,
de mme il peut exister tel animalcule qui voie des creux et
des minences sur le marbre le plus poli.
C'est aussi par l'noriiiit de ses proportions et de ses
espaces que la terre rsiste nos consommations. Si nous
brlons dans un jour un arbre qui lui cote un sicle,
elle
oppose l'immensit de ses forets nos petits foyers,
comme
ses vastes et fertiles plaines nos estomacs troits et vora-
2Q2
I\IVAI\OL
ces. Aussi les armes, qui runissent 1 tendue la voracit,,
affament d'abord tout un pays.
Enfin les
proportions nous tirent des questions pineuses
sur les
nomenclatures. Par exemple, les genres et les classes
de Ihistoire
naturelle sont notre ouvrage : c'est donc nous
trouver des caractres bien distincts pour tablir nos m-
thodf'S et
soulager notre mmoire. La nature ne rpond que
des
espces et des individus, et, avec la fixit de ses sub-
stances
lmentaires, nous n'avons craindre ni la dispari-
tion des espces connues, ni d'en voir paratre d'inconnues.
Nous
appelons individus les tres organiss qui ne peuvent
tre diviss sans cesser d'tre la mme personne. Ainsi, l'aile
d'un oiseau n'est plus un oiseau; une branche n'est plus
l'arbre: mais une fraction de pierre est toujours une pierre.
Quant aux noms collectifs donns aux diffrents objets de
la nature et de l'art, c'ost nos proportions, el non la ri-
gueur
mathmatique, dcider la question. La diffrence
d'une montagne une colline, ou d'une arme un corps
de troupes, ne tient pas un srrain de sable ou un soldat
de plus ou de moins, et ce n'est pas une maison ou un
verre d'eau qui distinguent une ville d'un village, ou une
rivire d'un ruisseau : on ne juge les masses que par les
proportions.
Je ne saurais trop inviter le lecteur mditer sur l'effet
des proportions, non seulement de celles qui constituent les
formes et les diffrentes parties d'un animal, d'une statue
ou d'un tableau, mais encore de ces proportions universelles
de masses et de quantits qui rsultent de la comparaison
de tous les tres : car, si l'tude des premires forme le
got, la connaissance des autres agrandit l'esprit et lui fait
acqurir la facult de la rcrie et du compas, je veux dire la
facult de s'tendre sans s'garer. Les gnies indcis aiment
l'exai^'ration et s'puisent en conceptions extrmes et soli-
taires
;
mais la connaissance et l'amour des proportions dis-
tinguent les esprits justes et les conduisent aux dcouvertes
par les analogies. Ce n'est point de son imagination que
Newton obtint la dissection de lajumire et la cause des
lois astronomiques de Kepler. Il faut donc, comme lui et
tous les grands observateurs, s'attacher l'clatante certi-
tude des faits et des proportions, et mditer ensuite sur les
analogies, qui sont les articles de foi du gnie. Les faits,
PHILOSOPHIE
293
les proportions et les analog-ies conduisent Tordre gn-
ral, l'ordre g-cnral aux lois, et les lois au lj^islateur su-
prme. C'est alors que l'univers pse de tout le poids de sa
majest sur un esprit bien fait, tandis que pour l'homme
inattentif le svstrme du monde est comme ratmos[)hre,
qu'on porte et qu'on ne sent ^d.?,.( Discours prliminaire.)
SLR L EGALITli:
L'g-alit indfinie parmi les hommes, tant un des rves
les plus extraordinaires decette philosophie,mrite ici quel-
ques moments d'attention.
Au lieu de statuer que la loi serait gale pour tous les
hommes, ils dcrtrent que les hommes taient naturelle-
ment gaux sans restriction. ]Mais il
y
a une chose dont on
ne pourra jamais dcrter l'galit
;
ce sont les conditions,
les talents, les rangs et les fortunes. S'ils eussentdit que tou-
tes les conditions sont gales, on se serait moqu d'eux
;
ils
ne dcrtrent donc que l'galit des hommes, prfrant
ainsi le danger au ridicule : je dis le danger
;
car les hom-
mes tant dclars gafix, et les conditions restant ingales,
il devait en rsulter un choc pouvantable. Heureusement
que les dcrets des philosophes ne sont pas des lois de la
nature
;
elle a voulu des hommes ingaux avec des condi-
tions et des fortunes ingales, comme nous voulons des an-
neaux ingaux pour des doigts ingaux
;
d'o rsulte l'har-
monie gnrale. C'est ainsi qu'en gomtrie la pari t rsulte
des impairs avec les impairs, tandis que des impairs avec des
pairs ne produiraient jamais que des impairs. Qu'importe
donc aux hommes d'tre dclars gaux, si les conditions
doivent rester ingales ? Il faut au contraire se rjouir quand
on voit des hommestrs borns dans des conditions trs basses;
comme il faudrait s'affliger si la loi portait des brutes dans
les grands emplois, et repoussait l'homme de gnie vers les
Professions
serviles et mcaniques. L'ingalit est donc
me des corps politiques, la cause efiicientedes mouvements
rguliers et de l'ordre.
C'est que les philosophes ont confondu l'galit avec la
ressemblance. Les hommes naisseat en effet semblables,
mais non pas gaux. {lid.)
29^
IVIVAROL
L*nYPOCRISIE ET LE FANATISME
L'hvpocrisie est proprement le vice de Thomme en socit,
pour cleux raisons g-atement frappantes. L'une, que Thoin-
me est le seul animal chez qui le sentiment se replie sur
lui-mme,
pour
y
contrarier la vrit des sensations et la
navet des impulsions naturelles : cette facult est la fois
pour lui source de rflexion et de fourberie. L'autre, que
nous sommes la seule espce qui vive sous un pacte social,
et par consquent la seule qui puisse
y
manquer, en abu-
sant de la parole contre la vrit, du serment contre la con-
science et de la foi publique contre toute la socit.
Cet odieux sentiment qui fait prendre au vice les dehor
de la vertu
;
qui fait qu'un sclrat recommande la probit
son fils
;
qui force, en un mot, le crime n'ourdir sa
trame que dans l'ombre
;
ce sentiment, dis-je, est pourtant
une des sauveg-ardes de l'ordre social. Car, si le sclrat
lui-mme s'appelait hautement sclrat, si le brigand s'in-
titulait 6r/^a/ic/, tout serait perdu (i ).
Ce mensong-e du
crime, ces prcautions du vice sont, selon l'heureuse expres-
sion de La Pvochefoucauld, des hommages la vertu et des
mnagements pour le genre humain. xMais le fanatisme
menace galement et la vie de l'individu qui en est atteint,
et le salut des gouvernements qui le tolrent.
C'est un tat d'exaltation et de dlire rsultant du con-
cours d'une passion dominatrice et d'une ide qui s'asservit
toutes nos ides. Tout tat d'exaltation se prsente sous deux
faces.
Quand cet tat a pour cause une ide qui, pour nou
dominer, a besoin de se concentrer, alors il ne corrompt e
ne trouble que la raison et le repos de l'individu qui en est
malade. L'amour, parexemple, a son idoltrie : mais entr
deux amants dvors des mmes feux, chacun d'eux voit le
monde entier dans l'objet qu'il adore, et un cur plein de
sa divinit ne lui cherche g-ure d'autres adorateurs. On
a cependant vu des chevaliers errantsec quelques princes ga-
rs par la passion, forcer les hommages des passants et des
(i) C'est ce qui est arriv dans la Rvolution, quand les Jacobins ont
eu la franchise de s'appeler braves brigands.
PHILOSOPHIE
295
peuples entiers, en dressant des
temples l'objetdeleur culte
particulier ileuramourtait un fanatisme. Iln'enestpasainsi
de cette soif ardente, queVirg-ile a
pourtant nomme le
fana-
tisme de ior {auri sacra fames}\
cette passion ne cherche
pasde proslytes. Car ce n'est
pointauxopinions,ce n'est point
aux hommages qu'elle vise, mais l'or et l'accumulation
des proprits de toute espce, par toutes les routes de la
fortune, de l'industrie et ctu crime; ce qui la disting-ue du
fanatisme rclig-ieux, du fanatisme des conqutes et de l'a-
varice ordinaire, qui se contente de couver son trsor. Cette
ardeur, cette pret du lucre est le caractre dominant des
capitaleset des villescommcrantes : etsi, parmi tant d'hom-
mes qui se STorg-ent de richesses, il en est si peu d'heureux,
c'est que les moyens qui rendent un homme propre faire
fortune sont les mmes qui l'empchent d'en jouir.
Mais, quand une passion a besoin, pour s'exhaler, de
rg'ner ou d'tendre son empire, d'asservir ou de perscu-
ter, alors elle fait explosion, devient pidmique et occa-
sionne ces dplacements de peuples, ces fivres nationales
qui dsolent la terre et renversent des tats : de l les con-
qutes politiques et relig-ieuses.
S'il n'est point d'ide plus entranante ni de passion plus
raisonnable que celle de son bonheur dans une autre vie,
puisqu'alors c'est l'amour de soi sollicit par la perspective
de l'ternit, il n'est point aussi de passion plus forcene
que celle-l. quand elle se fonde sur l'ide que Dieu nous
tiendra compte de ses missions et de ses conqutes, de l'en-
vahissement des opinions et mme de l'oppression des cons-
ciences C'est le ct sacr de cette passion qui lui a valu le
nom t fanatisme.
Mais, lorsque les hommes s'gorg-ent au nom de quel-
ques principes philosophiques ou politiques;
lorsqu'ils font,
pour tablir la domination de leurs dog-mes, tout ce que le
fanatisme religieux a os pour les siens, alors, quoiqu'ils
bornent leur empire la vie prsente, il n'en est pas moins
certain que leur philosophie a son fanatisme, et c'est une
vrit dont les sag-es du sicle ne se sont pas douts. (Ibi-
dem.)
2g
DIALOGUE ENTRE UN ROI ET UN FONDATEUR
DE RELIGION (l)
LE ROI.
Comment, imposteur, tu viens fonder dans
mes Etats une fausse relig-ion?
l'aptre.
Sire, ma religion n'est pas fausse et ne peut
l'tre.
LE R.
Quoi, tu vas donc me prouver ta relig-ion?
l'a.
Non, Sire, je vais la prcher.
LE R.
Tu la prches donc sans la prouver, et peut-
tre sans la croire? Elle est donc fausse.
l'a.
Sire, il n'y a pas de fausse religion; j'en
appelle vos ministres; toute relig"ion est une vraie religion
comme un pome est vritablement un pome. Si je venais
dire vos sujets que ^ et 2
font
4,
qn il
faut
tre juste et
bon, etc., ce ne serait alors que de l'arithmtique ou del
morale queje leur apporterais, et vous pourriez vous fcher;
mais je viens leur annoncer que 2 et 2
font 5,
que
Je
suis
fils du Soleil, etc. Ainsi, accordez-moi protection et argent.
Laissez-moi prcher, btissons des temples. Car c'est vrita-
blement une religion que je vous apporte.
le r.
J'ai tort, il est vident que vous savez mieux
que m.oi ce que c'est qu'une religion. Les philosophes m'ont
tromp : ils m'ont dit que toute religion tait fausse : ils
n'ont pas entendu l'tat de la question. S'il
y
avait une reli-
gion vraie, elle serait unique sur la terre, comme la go-
mtrie, ou plutt, ce ne serait pas une religion. Il est vrai
que c'est la faute des prlres de tout pays qui veulent tou-
jours prouver leur religion, comme une action en justice
rgle ou une proposition de gomtrie. Ainsi, philosophes
et prtres ont galement tort. Vous m'avez clair. Il ne s'a-
git donc plus que de savoir si votre religion est bonne ou
mauvaise, et non si elle est vraie ou fausse.
l'a.
Sire, la mienne est bonne, car j'ai ml
mes dogmes et mes mystres toute la morale des Chinois,
des Grecs, des Romains, des Egyptiens, des Perses, etc., en
(i) Publi pour la premire fois d'aprs M. A. Le Breton {Riuarol,
p, 258j, qui l'a copi dans les carnets. La mme ide se retrouve dans
le Discours prliminaire . Voir pius haut, page 275.
PHILOSOJ'IlIt:
297
un mot la morale qui est une et par consquent vraie d'un
bout de la terre l'autre, puisqu'on dit bien les relig-ions;
mais il faut dire la morale.
LE R.
C'est trs bien; mais j'ai dj une relig^ion dans
mes Etats, et je ne me soucie pas d'lever autel contre
jiutel, de diviser mes sujets, de les cliarg-er de l'entretien de
plusieurs cultes.
l'a.
En ce cas, je vais offrir mes services aux
eu pies qui n'ont pas encore de religion, ou ceux qui les
dmettent toutes, car il en est de noiis autres aptres
omme des commerants : nous ne portons nos denres
qu'aux nations qui en manquent tout fait ou qui en font
beaucoup de demandes. A moins pourtant, Sire, que, mal-
gr vos prohibitions, je ne trouve le secret d'entrer chez vous
en contrebande.
LE R.
Essayez. Je vais veiller l'excution de mes
ordonnances, vous serez rudement chti.
l'a.
Ah : Sire, j'invoque ici la libert du commerce :
c'est l'me des corps politiques. Si vos sujets demandent
ma marchandise, elle passera malgr vous.
LE R.
Je vous prends ici en plein sophisme : les peu-
ples demandent les denres dont ils ont besoin, et vendent
celles dont ils n'ont que faire. Les g-ner sur ces deux
points est un reste de Tanciennc barbarie, une tyrannie
absurde dont, Dieu merci, je ne suis pas coupable : mais
il n'en est pas ainsi des relig"ions. Les peuples qui en ont
dj une n'en demandent pas deux; et ceux qui ont deux
n'en demandent pas trois. Mes sujets sont libres, d'ailleurs,
de croire, chacun en son particulier, tout ce qui leur plat,
et de rendre Dieu tel ou tel hommag-e. Mais prcher publi-
quement, fonder des temples, taxer le peuple, sont des
actes de souverainet que je ne souffrirai pas. Je punirais
de mme un philosophe qui renverserait nos autels, ou
prcherait l'incrdulit, sous prtexte que notre religion
actuelle n'est pas dmontre.
l'a.
Sire, il faut donc que je parte. Un prince qui
raisonne n'est pas mon affaire. Ah ! si Votre Majest m'a-
vait d'abord mpris, je me serais g-liss dans son empire;
ensuite, elle m'aurait perscut, et si enfin elle m'avait fait
pendre, mon succs et ma srloire taient infaillibles, et
dans un demi-sicle, j'avais des temples.
17-
298
NOTES
Il
y
aura toujours deux mondes soumis aux spcula-
tions des philosophes : celui de leur imaginalion, o tout
est vraisemblable, et rien n'est vrai, et celui de la nature,
o tout est vrai sans que rien paraisse vraisemblable.
Il
y
a deux grandes traditions dans l'antiquit qu'on
n'a pas assez remarques : Satan, le premier des anges,
veut dtrner son bienfaiteur; le fruit de la science du bien
et du mal donne la mort. L'une enseigne que l'ingratitude
est inhrente tout tre cr, Fautre que les lumires ne
rendent pas les peuples heureux.
Les
passions se font diffrentes issues: on voit des
hommes non seulement avouer leurs vices, mais s'en vanter,
et d'autres les cacheravec soin; les uns cherchent des com-
pagnons et les autres des dupes. Le plus grand goste n'est
pas toujours celui qui convient de son gosme; comme le
plus gourmand n'est pas celui qui se rcrie sur un bon plat,
mais celui qui le savoure et qui se tait de peur que tout le
monde ne lui en demande.
Ce qu'il
y
a d'horrible en gnral dans ce monde,
PHILOSOI'HIE
307
c'est que nous cherchions avec une g^ale ardeur nous
rendre heureux et empcher les autres de Tetre. Beaucoup
d'hommes lancent sur nous autant de traits que de regards.
Il
y
a des gens qui n'ont de leur fortune que la crainte
de la perdre.
Il
y
a des vertus qu'on ne peut exercer que quand on
est riche.
Que m'importent
que quelques oisons femelles me
jugent nonchalamment en jouant au loto ?
Qu'importe que
je m'ennuie, pourvu qu'on m'amuse.
Sur un
p... chapp un homme fort sot : aimeriez-
vous mieux, dis-je, que monsieur et parl?
Pourquoi ce libertinag-e ternel? Toujours la fillel..
Eh! oui, flicitez-moi; ma matresse a toujours quinze ans
et je ne reois pas de billets du matin.
Au Caveau, vers
1780,
il se tenait des propos si srieux
que nous faisions prir d'ennui nos espions : on prit donc le
parti de vous donner un acadmicien, Suard (i).
Histoire de
I\I^'e
Lag-uerre, qui ayant eu un dml
assez vif avec son amant, s'enfuit un soir de l'opra avec
ses habits de thtre, tout en pleurs, et perdant si bien la
tte qu'elle s'g-ara dans la campag-ne. Elle
y
passa la nuit
pleurer, et vers le matin (c'tait en t) elle se mit chan-
ter et saluer l'aurore d'un trs bel air qu'elle avait sou-
vent fait applaudir tout Paris. Les paysans qui aperu-
rent cette belle crature avec des habits d'une richesse et
d'un g-ot inconnus pour eux, tonns de ses gestes, de sa
superbe taille et de sa voix, la prirent pour la Vierg-e ou
pour un ange et se mirent genoux autour d'elle. Suppo-
sez qu'un char tel que celui que Charles enleva aux Tuile-
ries ft alors descendu pour prendre ]\I''^ Laguerre, l'erreur
n'tait-elle pas invincible? Les tmoins ne se seraient-ils
pas fait gorg-er pour soutenir l'apparition et l'ascension de
cette divinit? Y aurait-il eu dans aucune relig-ion un
miracle plus clatant et mieux prouv? C'est pourtant au
sicle des lumires que ceci s'est pass, en
1778
et Paris.
Il
y
avait dans ma jeunesse, Paris, des hommes qui
donnaient beaucoup d'argent aux filles pour s'en faire
aimer. <(
C'est un homme, disait une de ces tilles, en parlant
du duc de
*'*,
qui veut tre ador, et c'est cher.
En
1872, quelques demoiselles de nom, ges de
quinze dix-huit ans, s'ennuyant l'Abbaye-aux-Bois, s'a-
visrent d'crire une belle lettre au Grand Turc pour le
supplier de les admettre dans son srail. La lettre, inter-
cepte, fut remise au roi, et on en rit beaucoup la cour.
L'ennui du couvent et le dsir de Tambour leur firent faire
une chose trs naturelle.
Mon pitaphe :
LA PARESSE NOUS l'aVAIT RAVI AVANT LA MORT.
II. ANECDOTES ET BONS 3I0TS
A
propos de la Fayette : A force de sottises, il vint
bout de ses amis, et sa nullit triompha de sa fortune.
Le comte et la comtesse de T. .
.,
oldii^-s de quitter
la
I^rancedans des temps ora;;5-eux, aprs avoir err long-temps
en Allemagne, arrivrent enfin Hambourg*. Ne sachant
o porter leurs pas dans cette ville o le nom d'mig-r et
celui de proscrit taient synonymes, le dsespoir tait au
comble pour ces deux infortuns, lorsque, par un hasard
heureux, le comte de T... rencontre, prs de l'hlel du minis-
tre d'Espag"ne, Rivarol, dans un moment o il se disposait
monter en voiture, pour aller passer quelques jours la
campagne. Pvivarol, au premier coup-d'ceil, lit dans les
yeux de son ancien ami tout ce qu'il avait lui apprendre:
A en prvient les douloureux dtails par une amabilit
pleine de g-rces; son cur, cette fois, avait devanc son
esprit. Cette voiture est vos ordres, leur dit-il, allons
chez vous, et de l chez moi
;
vous
y
resterez jusqu' ce que
vous trouviez mieux Le comte et la comtesse de T...,
pntrs des soins dlicats de leur bienfaiteur, exaltaient
partout la noblesse de ses procds. Rivarol disait encore
iiu bout de six mois de leur rsidence chez lui, ceux qui
Jiii en parlaient : Dans d'autres temps ces braves gens-l
m'ont combl d'honntets. La roue a tourn contre eux;
ils en sont moins tonns srement que de toir un pote
qui leur donne dner (i).
Tout l'esprit de
Me
de Stal tait dans ses yeux,
qui taient superbes. Au contraire, le regard de Rivarol
tait terne
;
mais tout son esprit se retrouvait dans son sou-
rire, le plus fin et le plus spirituel que j'aie vu, et dans les
deux coins de sa bouche qui avaient une expression unique
de malice et de grce
(2).
III. CONVERSATION DE RIVAROL
Note par Chnedoll.
On retrouve, dans les papiers de Chnedoll, la plupart
des bons mots de Rivarol et de ses penses, mais dans leur
vrai lieu, dans leur courant et leur source
(3).
On en jugera
par le rcit suivant de sa premire visite Rivarol, que
nous donnons ici sans rien retrancher la navet d'adm.i-
ration qui
y
respire
.
Rivarol venait d'arriver de Londres Hambourg, o
je me trouvais alors. J'avais tant entendu vanter son esprit
et le charme irrsistible de sa conversation par quelques
personnes avec lesquelles je vivais, que je brlais du dsir
de faire sa connaissance. Je Pavais aperu deux ou trois fois
dans les salons d'un restaurateur franais nomm Grard,
alors fort en vogue Hambourg, chez lequel je m'tais
trouv table assez prs de lui, et ce que j'avais pu saisir
au vol decetteconversation prodigieuse, de cet esprit rapide
et brillant, qui rayonnait en tous sens et s'chappait en
continuels clairs, m'avait jet dans une sorle d'enivrement
fivreux dont je ne pouvais revenir. Je ne voyais que Rivarol,
je ne pensais, je ne rvais qu' Rivarol : c'tait une vraie
frnsie qui m'tait jusqu'au sommeil.
Six semaines se passrent ainsi. Aprs avoir fait bien
(i) Chnedoll.
(2)
Idem.
(3)
Et c'est pourquoi ce morceau doit tre conside'r comme du Ri-
varol, bien plutt que du Chnedyll. Voir une autr coiversation
l'Appendice u.
RIVAROLIAN
37!
des tentatives inutiles pour pntrer jusqu' mon idole, un
de mes meilleurs amis arriva fort propos d'Osnabruck
Hambourec pourme tirer de
cettatviolent qui, s'il et dur,
m'et rendu fou. C'tait le marquis de la Tresne, homme
d'esprit et de talent, traducteur habile de Vire;-ile et de
Klopstock; il tait liavecRivarol : il voulut bien se charo-er
de me prsenter au grand homme et me servir d'introduc-
teur auprs de ce roi de la conversation. Nous prenons jour,
et nous nous mettons en route pour aller trouver Rivarol,
qui alors habitait Ham, villac^e une demi-lieue de Ham-
bourg-, dans une maison de campagne fort aijrablc. C'tait
le 5 septembre
1795,
jour que je n'oublierai jamais. 11 fai-
sait un temps superbe, calme et chaud, et tout disposait
l'me aux ides les plus exaltes, aux motions les plus vives
et les plus passionnes. Je ne puis dire quelles sensations
j'prouvai quand je metrouvai la porte de la maison : j'tais
mu, tremblant, palpitant, comme si j'allais me trouver en
prsence d'une matresse adore et redoute. Mille senti-
ments confus m'oppressaientla fois : le dsir violent d'enten-
dre Rivarol, de m'enivrer de sa parole, la crainte de metrou-
veren butte quelques-unes de ces pigrammes qu'il lanait
si bien et si volontiers, la peur de ne pas rpondre la bonne
opinion que quelques personnes avaient cherch lui donner
de moi, tout m'agitait, me bouleversait, me jetait dans un
trouble inexprimable. J'prouvais au plus haut degr cette
fascination de la crainte, quand enfin la porte s'ouvrit. On
nous introduisit auprs de
Rivarol, qui, en ce moment,
tait table avec quelquesamis. Il nousreut avec uneaffa-
bilit caressante, mle toutefois d'une assez forte teinte
de cette fatuit de bon ton qui distinguait alors les hommes
du g-rand monde. (Rivarol, comme on sait, avait la prten-
tion d'tre unhomme de qualit. )Toutefois ilmemit bientt
mon aise en me disant un mot aimable sur mon ode
Klopstock, que j'avais fait paratre depuis peu. et J'ai lu
votre ode, me dit-il; elle est bien: il
j
a de la verve, du
mouvement, de l'lan. 11
y
a bien encore quelques jave-
nilia, quelques images vag-ues, quelques expressions ter-
ncs, communes ou peu potiques, mais d'un trait de
(( plume il est ais de fa ire disparatre ces taches-l. J'espre
que nous ferons quelque chose de vous : venez me voir,
nous mettrons votre esprit en serre chaude^ et tout ira
872
RIVAROL
*: bien. Pour commencer, nous allons faire aujourd'hui une
(( dbauche de posie.
(( Il commena en effet, et se lana dans un de ces mo-
nologues o il tait vraiment prodi^^ieux. Le fond de son
thme tait celui-ci : Lepote n'est qu'un sauvag^e trs ing--
nieux et trs anim chez lequel toutes les ides se prsentent
en images. Le sauvage et le pote font le cercle
;
l'un et
l'autre ne parlent que par hiroglyphes, avec cette diffrence
que le pote tourne dans une orbite d'ides beaucoup plus
tendue. Et le voil qui se met dvelopper ce texte avec
une abondance d'ides, une richesse de vues si fines ou si
profondes, un luxe de mtaphores si brillantes et si pittores-
ques, que c'tait merveille de l'entendre.
(( Il passa ensuite une autre thse, qu'il posa ainsi :
L'art doit se donner un but qui recule sans cesse et mette
(( l'infini entre lui et son modle. Cette nouvelle ide fut
dveloppe avec des prestiges d'locution encore plus ton-
nants : c'taient vraiment des paroles de ferie.
Nous
hasardmes timidement, M. de la Tresne et moi, quelques
objections, qui furent rfutes avec le rapide ddain de la
supriorit. (Rivarol, dans la discussion, tait cassant, em-
port, unpeudurmme).
Son style a de
2
Notice littraire
Une figure aimable, une tournure lgante, un port de tte
sure, soutenu d'une facilit rare d'locution, d'une originalit
une et d'une urbanit piquante, lui valurent la faveur des salons
et cette premire attention du monde que le talent attend qucl-
(]uclbis de longues annes sans l'obtenir. Rivarol semblait ne
i.iener qu'une vie frivole, et il tait au fond srieux et appliqu.
Il se livrait la socit le jour et il travaillait la nuit. Sa
lacilit
(le parole et d'improvisation ne l'empchait pas de creuser solitai-
rement sa pense. Il tudiait les langues, il rflchissait sur les
jirincipes et les instruments de nos connaissances, il visait la
gi(:)ire du style. Quand il se dsignait sa place parmi les crivains
du jour, il portait son regard aux premiers ran^s. Il avait de
l'ambition sous un air de paresse. Cette ambition littraire se
marqua dans les deux premiers essais de Rivarol, sa traduction
deVnfer de Dante (l"85),et son Discours sar Vuniversalit de
(i) ChoedoII n'a pas t tranger cette notice, et c'est pourquoi on
l'a choisie, malgr ses imperfections. Elle reprsente l'ide qu'on se fai-
sait de Rivarol, dans le groupe des royalistes libraux, vers 1828.
383
PIVAUOL
la langue
fi-antaise, couronn par rAcacicmie de Berlin
(1784).
Traduire Dante lait pour Rivarol un bon moyen, disait-il
assez avantageusement, de Taire sa cour aux Rivarol d'Italie
et une faon de payer sa dette la patrie de ses pres
;
c'tait
indirectement laire preuve de sa noblesse d'au del des monts
;
c'tait surtout aussi une manire de s'exercer sur un beau thme
et de lutter avec un matre. Rivarol, nommons-le tout d'abord
par son -vTai nom, est un styliste: il veut enrichir et renouveler
la lang-ue franaise, mme aprs Buton, mme aprs Jean-Jac-
ques. N'ayant pas d'abord en lui-mme un foyer d'inspiration et
un jet de source suffisants pour lui faire trouver une originalit
toute naturelle, il cherche cette orioinalit d'expression par la
voie littraire et un peu par le dehors. Il s'attaque Dante, dont
il apprcie d'ailleurs l'austre nie . Quand il est beau, dit-il,
rien ne lui est comparable. Son vers se Tient debout par la seule
force du substantif et du verbe, sans le secours d'une seule pi-
thte. C'est en se prenant ce style aJEam de posie, qui
est riche et point dlicat, plein de 'mles fierts et de rudesses
bizarres, qu'il espre faire preuve de ressources et forcer la lan-
gue franaise s'ingnier en tous sens. <(
Il n'est point, selon
lui, de pote qui tende plus de piges son traducteur
;
il
compte parmi ces piges les hardiesses et les comparaisons de
tout genre dont quelques-unes lui semblent intraduisibles dans
leur crudit.. Il se pique d'en triompher, de les luder, de les
faire sentir en ne les exprimant qu' sa faon. Un idiome tran-
ger, dit-il, proposant toujours des tours de force un habile tra-
ducteur, le tte, pour ainsi dire, en tous sens : bientt il sait
tout ce que peut ou ne peut pas sa langue
;
il puise ses ressour-
ces,mais il augmente ses forces. Ains'i ne demandez pas Riva-
rol le -vTai Dante
;
il sent le gnie de son auteur, mais il ne le
rendra pas, il ne le calquera pas religieusement. En et-il l'ide,
le sicle ne le supporterait pas un moment. Voltaire avait mis
Rivarol au dfi de russir; il lui avait dit en plaisantant qu'il ne
traduirait jamais Dante en style soiilenn, ou qu'il changerait
trois fois de peau avant de se tirer des pattes de ce diable-l.
Rivarol n'a garde de vouloir changer de peau, il est trop content
de la sienne. Il vise, en traduisant, ce style soutenu dclar im-
possible
;
et, dans cet effort, il ne songe qu' s'exercer, pren-
dre ses avantages, rapporter quelques dpouilles, quelques
trophes en ce qui est du gnie de l'expression. Telle est son
ide, qui nous parat aujourd'hui incomplte, mais qui n'tait pas
vu! ovaire.
L'Acadmie de Berlin avait propos, en 1783, pour sujet de
prix, la rponse ces questions :
Qu'est-ce qui a rendu la
langue
franaise universelle?
Pourquoi mrite-t- elle cette
prrogative?
Est-il prsumer quelle la conserve?
Le
APPENDICE
38^
discours de Rivarol qui obtint le prix a de l'clat, de l'lvation,
nombre d'aperrus justes et fins exprims en imas^-es boureuses.
C'est un esj)rit fait et dj mr qui dveloppe ses rflexions, et
>ar endroits c'est presque un s^rand crivain (jui les exprime.
1 insiste sur la qualit essentielle de la lansruc franaise, qui est
la clart, tellement quf, quand cette lans^ue traduit un auteur,
elle l'explique vritableinont... Ce remarquable discours, qui d-
passait de l)ien loin, par le style et par la pense, la pliqiart d<'S
ouvraccs acadmiques, valut Rivarol l'estime de Frdric le
Grand et obtint un vrai succs en France et en Europe,
On peut penser qu'il eut de l'influence sur la direction de R.iva-
rol. Esprit la fois philosophique cl littraire, il se voua ds lors
l'analyse des langues et de la sienne en particulier, a II est bon,
avait-il dit, de ne pas donner trop de vtements sa pense, il
faut, pour ainsi dire, voyasrer dans les langues, et, aprs avoir
savour le s^ot des plus clbres, se renfermer dans la sienne.
Rivarol ne s'y renferma (jue pour l'approfondir, et, ds ce temps.
il conut le projet d'un dictionnaire de la lano:ue franaise, qu'il
caressa toujours en secret, travers toutes les distractions du
monde et de la politique, auquel il revint avec plus de suite dans
l'exil, et dont le discours prliminaire est rest son titre le plus
recommandable aux yeux des lecteurs attentifs.
Cependant il vivait trop de la vie brillante, dissipe, mondaine^
de la vie de plaisirs, et, peine
^ de vingt-huit ans, il se disait
lass et vieilli. ..
Les salons distrayaient Rivarol et le dtournrent trop de la
gloire srieuse. Il
y
primait par son talent naturel d'improvisa-
tion, dont tous ceux qui l'ont entendu n'ont parl qu'avec admi-
ration et comme blouissement. C'tait un virtuose de la parole.
Une fois sa verve excite, le feu d'artifice, sur ses l\Tes, ne ces-
sait pas. Il ne lanait pas seulement l'piramme, il rpandait les
ides et les aperus
;
il faisait divcrg-er sur une multitude d'o])iets
la fois les faisceaux tincelants de son loquence. Lui-mme,
dans des pages excellentes, en dfinissant l'esprit et le got, il n'a
pu s'empcher de dfinir son propre got, son propre esprit
;
on
ne prend jamais, aprs tout, son idal bien loin de soi...
Il ne se dissimulait pas que ce talent brillant qu'il portait avec
lui, qu'il dployait avec complaisance dans les cercles, et dont
jouissait le monde, lui attirait aussi bien des envies et des ini-
mitis. Mais R^ivarol, en causant, obissait un instinct mridio-
nal irrsistible. Il n'y trouvait aucune peine, aucune fatigue de
pense, et sa paresse s'accommodait de ce erenre de succs, qui
n'tait pour lui qu'un exercice de sybarite dlicat et qu'une jouis-
sance.
Sa vanit s'en accommodait aussi, car, en causant, il se trou-
vait tout naturellement le premier
;
personne, lui prsent, ne
388
HIVAROL
songeait lui disputer cette prminence.Ses amis (car il en eut)
assurent qu'en s'emparant ainsi du sceptre il n'en tait nullement
oro^ueilleux au fond
: Ne se considrant que comme une com-
binaison heureuse de la nature, convaincu qu'il devait bien plus
son organisation qu' l'tude ou au travail, il ne s'estimait que
comme un mtal plus rare et plus fin. C'tait sa manire de
modestie. Semblable en cela aux artistes, il se sentait pourvu d'un
prodigieux
instrument, et il en jouait devant tous. Il vocalisait.
Pourtant ce qui se pardonne aisment chez un chanteur, un pia-
niste ou un violoniste, chez un talent spcial, se pardonne moins
dans l'ordre de l'esprit. Cette parole aux mains d'un seul semble
bientt une usurpation, et Rivarol, tranchant, abondant dans son
sens, imposant silence aux autres, n'a rien lait pour chapper au
reproche de iatuit qui se mle invitablement jusque dans l'loge
de ses qualits les plus belles. Il s'talait d'abord et partout, dans
toute la splendeur et l'insolence de son esprit. Le sens moral et
sympathique ne l'avertissait pas.
"
Sur tout le reste, son got tait fin, vif, pntrant, et, bien
qu'il ne rsistt point assez une teinte de recherche et d'apprt,
on peut classer R.ivarol au premier rang des juges littraires
minents de la fin du dernier sicle. Il avait des parties bien
autrement leves et rares que la Harpe, Marmontel et les autres
contemporains
;
il avait de la porte et de la distinction, jointes
la plus exquise dlicatesse. Dans ses jugements, il pensait sur-
tout aux dlicats, et l'on a pu dire qu'il avait,en littrature,
plus
de volupt que d'ambition. Son got pourtant tait trop sen-
sible et trop amoureux pour ne pas laisser clater hautement ce
qu'il prouvait.
<c On dit qu'un homme a l'esprit de critique lorsqu'il a reu du
ciel non-seulement la facult de distinguer les beauts et les d-
fauts des
productions qu'il juge, mais une me qui se passionne
pour les unes et s'irrite des autres, une me que le beau ravit, que
le sublime transporte, et qui, furieuse contre la mdiocrit, la
fltrit de ses ddains et l'accable de son ennui.
(1)
Cette dfinition si bien sentie, il a pass sa vie la pratiquer,
et presque toutes les inimitis qu'il a souleves viennent de l.
Quand Rivarol dbuta dans la littrature, les grands crivains
qui avaient illustr le sicle taient dj morts ou allaient dispa-
ratre : c'tait le tour des mdiocres et des petits. Comme au
soir d'une chaudejourne d't,une foule d'insectes bourdonnaient
dans l'air et harcelaient de leur bruit les honntes indiffrents.
(i) Toute cette partie de l'tude de Sainte-Beuve est l'analyse du cha-
pitre du Discours prliminaire que nous donnons sous le titre de Le
Gnie et le Talent. On
y
renvoie pour les citations,qu'on a d, ici,ccour-
ter ou supprimer.
APPENDICE
389
fout le sicle ayant tourn la littrature, on se louait, on se
critiquait outrance: mais le plus souvent on se louait. A Paris,
pn n'en tait pas dupe. En vain les trompettes de la renomme
pnt proclam telle prose ou tels vers, il
y
a toujours dans cette
tapilale, disait Rivarol, trente ou quarante ttes incorruptibles qui
pe taisent
; ce silence des j^-ens de s^ot sert de conscience aux
pauvais crivains et les tourmente le reste de leur vie. Mais,
m
province, on tait dupe. Il serait temps enfin, conseillait-il,
[jue plus d'un journal chans^et de maxime, il faudrait mettre
lans la louaniicc la sobrit que la nature observe dans la produc-
ion des s:rands talents, et cesser de tendre des pices linno-
'cncc des provinces. C'est cette pense de baute police qui fit que
livarol, un matin, s'avisa de publier son /*tit Almanach de
los grands hommes parw l'anne iy88,o\i tous les auteurs ph-
)hmres et imperceptibles sont rangs par ordre alphabtique,
ivec accompagnement d'un loe ironique. Il avait port la
ruerre dans un s^upier, et il eut fort lairc ensuite pour se
llrober des milliers de morsures.
Ce Petit Almanach des grands hommes, qui avait pour pi-
graphe : Dis ignotiii (aux dieux inconnus), est une de ces plai-
santeries qui n'ont de piquant que l'-propps. On peut remarquer
ju'il commence par le nom d'un homme qui a depuis acquis une
rertaine clbrit dans la mdecine, Alibert, et qui n'tait connu
lors que par une table insre dans un R.ecueil des muscs pro-
iucialcs. Andrieux, (juins^uen, qui n'avaient dbut jusqu'alors
pie dans la littrature lg-re,
y
sont mentionns, ainsi que
daric-Joseph Chnier, qui se vengea aussitt par une satire
Irulente.
Quand Rivarol eut quitt la France, en 1791
(1),
il disait avec
)lus de raiet que d'in\Taisemblance : Si la Rvolution s'tait
lilc sous Louis XIV,Cotin et iait s^uilIotinerBoileau, et Pradon
l'et pas manqu Racine. En migrant, j'ai chapp quelques
acobins de mon Almanach des grands hommes
(2),
Rivarol, ds 1782, s'tait attaqu l'abb Delille, alors dans
out son succs. Dans un crit anonyme, mais qu'on savait de
ui, il avait critiqu le pome des Jardins, nouvellement im-
prim.
Il vient enfin de franchir le pas, disait Rivarol de ce pote
;
1 quitte un petit monde indulgent, dont il Aiisait les dlices de-
puis tant d'annes, pour paratre aux regards svres du grand
nonde, (}ui va lui demander compte de ses succs : enfant gt,
\\n passe des mains des femmes celles des hommes, et pour
(i) En
1793
seulement, le 10 juin.
(2)
Us
y
foisonnent : Goliot d'Herbois, Frcron fils. Pons de Verdun,
parmi les plus connus.
3 go RIVAROL
qui on prpare une ducation plus rigoureuse, il sera trait comm<
tous les petits prodig'es.
Suit une critique qui semblait amre et excessive alors, et qui
n'est que trop justifie aujourd'hui. En G:nral, il
y
a dans Riva-
roi le commencement et la matire de bien des hommes que nou
avons vus depuis se dvelopper et grandir sous d'autres noms. Il
y
a le commencement et le pressentiment d'un grand crivain
iQOvateur, tel que Chateaubriand a paru depuis
;
d'un grand criti-
que et pote, tel qu'Andr Chnier s'est rvl : par exemple, il
critique Delille tout fait comme Andr Chnier devait le sentir.
Nous verrons tout l'heure qu'il
y
eut aussi en lui le commence-
ment d'un de Maistre.Mais toutes ces intentions premires furent
interceptes et arrtes avant le temps par le malheur des cir-
constances et surtout par l'esprit du sicle, dans lequel Rivarol
vcut trop et plongea trop profondment pour pouvoir ensuite,
mme force d'esprit, s'en affranchir.
Rivarol n'a t qu'un homme de transition
;
mais ce titre il
a une grande valeur, et nous osons dire qu'il n'a pas encore t
mis sa place. Ses bons mots, ses saillies, ses pigrammes, sont
connus et cits en cent endroits: il
y
a lieu d'insister sur ses
tentatives plus hautes.
M. Xecker avait publi en 1787 son li\Te sur Vlmporlance des
Ides religieuses . Rivarol lui adressa deux lettres pleines de har-
diesse et de pense, dans lesquelles il le harcle sur son disme.
Dans ces lettres, o il cite souvent Pascal et o il prouve qu'il l'a
bien pntr, R.ivarol se place un point de vue dpicurisme
lev qu'il aura modifier bientt, quand la Rvolution, en cla-
tant, lui aura dmontr l'importance politique des religions.
Ds les premiers jours o la R.volution se prononra, Rivarol
n'hsita point, et il embrassa le parti de la cour, ou du moins
celui de la conservation sociale. Ds avant le 14 juillet, il avait
dnonc la guerre dans le Journal dit politique national, publi
par l'abb Sabatier. Ces articles de Rivarol ont t depuis runis
en volume, et quelquefois sous le titre de Mmoires
;
mais ce
recueil s'est fait sans aucun soin. On a supprim les dates, [les
divisions des articles
;
on a mme supprim des transitions
;
on
a supprim enfin les pigraphes que chaque morceau portait en
tte, et qui, empruntes d'Horace, de Virgile, de Lucain attes-
taient, jusque dans la polmique, un esprit minemment orn :
Rivarol, mme ea^donnant des /coups d'pe, tenait ce que la
poigne laisst voir quelques diamants.
Dans ce journal, dont le premier numro est du 12 juillet 1789,
Rivarol se montre, et avant Burke, l'un des plus vigoureux cri-
vains politiques qu'ait produits la Rvolution. Il raconte ce qui
s'est pass aux tats gnraux avant la runion des ordres, et il
suit ce rcit mesure que les vnements se dveloppent. Il n"y
APPBNDtC 89*
a rien dans le monde qui n'ait son moment dcisif, a dit le car-
dinal de lletz, et le cher-d'ccuvre de la bonne conduite est de
: natre et de prendre ce moment. Rivarol fait voir que, s'il
!^ta jamais, ce moment fut manqu ds l'abord dans la Rvo-
lu'iion franaise. Parlant de la dclaration du roi dans la sance
royale du Sjuin, il se demande pourquoi cette dclaration, qui,
: peu modiHe, pouvait devenir la grande Charte du peuple
fiuis, eut un si mauvais succs; et la prcmicne raison qu'il
trouve, c'est qu'elle vint trop tard. Les oprations des hom-
s ont leur saison, dit-il, comme celles de la nature; six mois
i'\a:i tt, cette dclaration aurait t reue et proclame comme
11'
plus i^rand bienfait qu'aucun roi et jamais accord ses pcu-
jilrs
;
elle et fait perdre jusqu' ride,jus(iu'au dsir d'avoir des
riats c^nraux. Il fait voir d'une manire trs sensible com-
ment les questions chans:rcnt bien vite de caractre dans cette
'l)ilit, une fois souleve, des esprits : Ceux qui lvent des
j^stions publiques de^Taient considrer combien elle se dnatu-
rent en chemin. On ne nous demande d'abord qu'un ler sacri-
lice, bientt on en commande de trs grands; enKn, on en exige
d'impossibles...
L'miage chez lui s'ajoute l'ide pour la mieux faire entrer
;
il ne dit volontiers les choses qu'en les peignant. Ainsi, pour
rendre cette fureur de nivellement universel : On a renvers,
(lit-il, les fontaines publiques, sous prtexte qu'elles accaparaient
les eaux, et les eaux se sont perdues.
... Dans tout le cours de ce journal, Rivarol se dessine avec ner-
L'ie, clat, indpendance, et comme un de ces crivains (et ils
-)ut en petit nombre) que a l'vnement n'a point corrompus .
! )s les premiers numros du journal, et dans l'intervalle du
i 4 juillet au retour de M. Necker, on avait accus le rdacteur
d'tre vendu au ministre.
K Si cela est, s'criait Rivarol, nous sommes vendus et non
juives, ce qui doit tre quand l'acheteur n'existe pas; et, en ellet
il n'y a point de ministre en ce moment... Les cours, la vrit,
ajoute-t-il en se redressant, se recommandent quelquefois aux
iicns de lettres comme les impies invo((uent les saints dans le
pril, mais tout aussi inutilement: la sottise mrite toujours ses
malheurs.
Si nous trouvions redire ce langage, ce serait plutt l'iro-
nie du ton et cet accent de ddain envers ceux mmes qu'on
dfend, accent qui est trop naturel Rivarol, que nous retrou-
vons plus tard Chateaubriand, et qui fait trop beau jeu, -vTai-
ment, l'amour-propre de celui qui parle. Le vrai conseiller po-
litique sait se prserver de ce lger enttement tout littraire...
Sorti de France en 1791
(1),
Rivarol sjourna d'abord Bruxelles,
(i) En
1792.
3
92 RIVAROL
puis en Ansrleterre, et ensuite Hambourg. C'est dans cette
dernire ville qu'il parvint tablir une sorte de centre de socit
et d'atelier littraire; tout ce qui
y
passait dp distingu se grou-
pait autour de lui. On peut dire qu'il
y
trnait..
.
Esprit tout littraire, la ncessit l'avait fait triompher de sa
paresse, et il se remit pendant son sjour Hambourg la com-
position de son dictionnaire de la langue franaise, dont le Dis-
cours prliminaire parut en 1797.
Jamais prospectus ni prface de dictionnaire n'a renferm tant
de choses en apparence tranerres et disparates. Piivarol
y
fait
entrer toute la mtaphysique et la politique. Il considre la pa-
role comme la physique exprimentale de l'esprit, et il en
prend occasion d'analyser l'esprit, l'entendement et tout l'tre
humain dans ses lments constitutifs et dans ses ides principa-
les
;
il le compare avec les animaux, et marque les diirences
essentielles de nature : puis il se li^Te, en finissant, des consid-
rations loquentes sur Dieu, sur les passions, sur la religion, sur
la supriorit sociale des croyances religieuses, comparativement
la philosophie. C'est dans cette dernire partie qu'on trouve des
tableaux de la Rvolution et de la Terreur, qui, au point de vue
moral, rappellent parfois l'ide, la plume, et, j'ose le dire, la verve
d'un Joseph de Maistre.
Il n'est ni de mon objet ni de m.a comptence d'entrer avec Ri-
varol dans l'analyse la Condillac qu'il tente de l'esprit humain.
Je me bornerai
"^
dire ceux (comme j'en connais) qui seraient
disposs ddaigner son effort, que, dans cet crit, Rivarol n'eS'
pas un littrateur qui s'amuse faire de l'idologie et de la m-
taphysique; c'est mieux que cela, c'est un homme qui pense, (jiii
rflchit, et qui, m.atre de bien des points de son sujet, exprime
ensuite ses rsultats, non pas au hasard, mais en crivain fiabile
et souvent consomm. Ceux qui connaissent la philosophie de
M. de la R.omiguire, et qui prendront la peine de lire Rivarol,
trouveront que c'est l que ce professeur distingu et lgant a d
emprunter son expdient de la transaction entre la sensation et
Vide, entre Condillac et M. R.oyer Collard, et de ce terme mi-
toyen qui a longtemps eu cours dans nos coles sous le titre de
sentiment. C'en est assez sur ce sujet. L'honneur de Rivarol,
selon moi, est, dans quelque ordre d'ides qu'il pntre, d'y rester
toujours ce qu'il est essentiellement, un crivain prcis, brillant,
anim, prompt aux mtaphores. Jamais il ne consent admettre
le divorce entre l'imaq-ination et lejugement.il nous prouve trs
bien, par l'exemple des langues, que la mtaphore et l'image sont
si naturelles l'esprit humain, que l'esprit mme le plus sec, et
le plus frugal ne peut parler longtemps sans
y
recourir, et, si
l'on croit pouvoir s'en garder en crivant,c'est qu'on revient alors
des images qui, tant vieilles et uses, ne frappent plus ni l'au-
APPENDICE SqS
ur ni les lecteurs. Ouc si Locke et Condillac manquaient
cii^a-
ment tous deux du secret de l'expression, de cet heareiix poa-
yir des mots qui sillonne si profondment fattention des
ommes en branlant leur attention, leur saura-t-on gr de cette
iipuissance V Et il conclut en disant : Les belles images ne
essent ([ue lenvie.
Il n a manque plus d'une de ces pages de Rivarol, pour frap-
"r davantage, que de natre quelques annes plus tt, en pr-
nce de juges moins disperss etsous le soleil mme del patrie,
e sentiment (jui anime les derniers chapitres, et qui lait (jue cet
)mme au cur trop dessch par l'air des salons se relve et
image par l'intelligence du milieu de la catastrophe universelle,
c rappelle (juelque chose du mouvement d'un naufrag qui s'at-
che au mt du navire et qui tend les bras vers le rivage...
Venant aux passions des hommes, Rivarol les analyse et les
jfinit avec une prcision colore qui lui est propre. Il fait bien
ntir quel point les hommes se conduisent plus d'aprs leurs
issions que par leurs ides .
.
II aborde, en finissant, la grande et nouvelle passion qui a pro-
lit la fi\Te nationale et le dlire dont la France a t saisie :
?st la passion philosophique, le fanatisme philosophique. On
oyait jusqu'alors que le mot
i\
fanatisme ne s'appli([uait qu'aux
es et aux croyances religieuses : il tait rserv la fin du dix-
litime sicle de montrer qu'il ne s'appliquait pas moins la
lilosophie, et il en est rsult aussitt des effets monstrueux.
Et ici, dans une diatribe d'une verve, d'une invective incroya-
es, Rivarol prend partie les philosophes modernes comme les
res du dsordre et de l'anarchie, les uns leur insu, les autres
sachant et le voulant. Il les montre possds d'une manie d'a-
lyse qui ne s'arrte et ne recule devant rien, qui porte en toute
alire sociale les dissolvants et la dcomposition.
Dans la physique, ils n'ont trouv que des objections contre
uteur de la nature, dans la mtaphysique, que doute et subti-
s : la morale et la logique ne leur ont fourni que des dclama-
>ns contre l'ordre politique,contre les ides religieuses et contre
i lois de la proprit
;
ils n'ont pas aspir moins qu' la re-
nstruction de tout par la rvolte contre tout, et, sans songer
"ils taient eux-mmes dans le monde, ils ont renvers les co-
ines du monde...
Que dire d'un architecte qui, charg d'lever un difice bri-
[ait les pierres pour
y
trouver des sels, de l'air et une base ter-
use, et qui nous ollrirait ainsi une analyse au lieu dune raai-
n
9
La \Taie philosophie est d'tre astronome en astronomie, chi-
iste en chimie, et politique dans la politique.
Ils ont cru cependant, ces philosophes, que dfinir les hom-
3^4
RIVAROL
mes, c'tait plus que les runir
;
que les manciper, c'tait plus
que les eouverner, et qu'enfin les soulever, c'tait plus que le
rendre heureux. Ils ont renvers des Etats pour les rgnrer,
et
dissqu des hommes vivants pour les mieux connatre...
En crivant ces pag-es loquentes et enflammes (et il
y
en
a
juatre-ving-ts de suite sur ce ton-l),Rivarol se souvenait videm-
ment de ces hommes avec qui il avait pass tant d'annes et dont
il connaissait le fort et le faible, des Chamfort,des Condorcet, des
Gart. Il
y
a des traits persomiels qui s'lancent de toutes parts
|(j
comme des flches, et qui s'adressent autre chose qu' une ide
'
et une thorie. Sans qu'il les nomme, on voit bien l'clair de ^-
son regard, la certitude de son este, qu'il est en face
de '[^
tels ou tels adversaires. Mais aussi ce qui honore en Rivarol Fin-
;,
telligence et l'homme, c'est qu'il s'lve du milieu de tout cela
comme un cri de la civilisation perdue, l'angoisse d'un puissant
et noble esprit qui croit sentir chapper toute la conqute sociale...
(Sainte-Beuve, Causeries du lundi, tome V.)
3
Opinion de Burke
. . . J'ai vu trop tard pour en profiter les admirables annales de
de M. votre frre {le Journal politique national); on les mettra
]
un jour ct de celles de Tacite. Je conviens qu'il
y
aune grande
p
ressemblance dans notre manire de penser; cet aveu dt-il vous
!^
paratre aussi prsomptueux que sincre, si j'avais vu ces annales '^
avant que j'crive sur le mme sujet, j'eusse enrichi le mien de
p
plusieurs citations de ce brillant ou\Tage, plutt que de m'aven- !^-
turer d'exprimer ma manire les penses qui nous sont com- I*
munes. [Lettre de M. Burke sur les ajjfaires de France et des
*^
Pays-Bas, adresse M. le vicomte de Rivarol. Paris, 1791.)
Madame de Rivarol
... Ce mariage, c'est la seule sottise d'une vie si spirituelle.
C'est la seule des folies de Rivarol qui n'ait pas t gaie . Malheur L
unique, en effet, puisqu'il est de ceux dont il est de mauvais got L
de se plaindre; faute terrible, puisqu'elle est de celles que rien ne L
rpare, que tout aggrave au contraire. W
Aussi Rivarol n'en parlait pas. Tout au plus dvoilait- il parfois, k
APMNDICE 895
dans une rapide allusion, la plaie secrte, affeclant alors de se
moquer de son sort, de peur d'en pleurer.
Dans une lettre date des premiers jours, il crivait M. de
Laura^uais, bien lait pour ai)prcior une telle confidence : Je
m'tais avis de mdire de l'amour; il m'a envoy l'hymen pour
se venger.
Une autre fois, il disait ses amis : Je ne suis ni Jupiter, ni
Socrate, et j'ai trouv dans ma maison Junon et Xantippe.
C'est tout
;
mais un biographe et un moraliste doivent en savoir
et en dire plus long.
llivarol avait rencontr, en 1780 ou 4781, dans les hasards
parfois perfides de sa brillante vie mondaine, une jeune femme
romanesque, aventureuse et quelque peu aventurire, plus ge
que lui, et qui n'avait gure d'autre mrite que sa beaut. Assez
instruite pour tre pdante, elle possdait pour toute dot cette
rudition d'institutrice et des prtentions nobiliaires peut-tre
moins justifies que celles de son mari. Elle lui plut
;
il le lui dit.
Elle le prit au mot
;
il l'pousa. Ils s'en flicitrent un jour, et
'en repentirent toute la vie.
Elle s'appelait Louise-Henriette Mather-Flint, d'une famille
Ecossaise, qui avait eu des malheurs sous les Stuarts, et se van-
nait de cette honorable misre, due la fidlit...
La Prface des Penses indites de Rivarol, o, sous le
rapport du caractre, sa veuve est assez maltraite, prend sa
jciense au point de vue gnalogique.
"
Le beau-pre de Hivarol est auteur d'une grammaire
iaise, trs estime, et il n'tait point professeur de langue
-..glaise, comme on l"a dit. La famille Mather-Flint est trs
nncienne et trs connue dans le pays de Galles, et il
y
a eu un
Jiplomate de ce nom, cousin de madame de Rivarol, connu dans
uutes les cours de l'Europe dans le dernier sicle. .. Les aeux
It" mademoiselle IMather-Flint avaient suivi en France le roi
lao((ues. ))
( omme nous l'avons dit, madame de Rivarol se piquait de bel
it. Elle figure parmi les admiratrices de Restif de la lre-
ic, qui a donn quelques-uns de ses billets la compromet-
aiite hospitalit de ces ouvrages o, pour allonger la sauce ou
)!([uer par un ragot de plus la curiosit dont il vivait, le fameux
)ornographe vidait sa correspondance
(1).
Madame de Rivarol
On trouve, au tome XIX des Contemporaines, sous le numro i38,
m biliet de la comtesse de Rivarol. La Paysanne pervertie ya\ni son
luteur, le
i*r
dcembre 1780,
le billet suivant : La comtesse de Riva-
[ol prie M. Restif de vouloir bien lui faire l'honneur de passer chez
|lle, demain vendredi dans la journe, ou samedi s' cela lui convient
luieux. Elle a l'honneur de lui bouhailer le bonjour, et de lui faire mille
Sg RIVAROL
I
ne se bornait pas ce commerce avec les lettres. Elle
crivait
j
aussi pour son propre compte, et il existe d'elle plusieurs
traduc-'
lions de circonstance, plusieurs ou\Tao^es de littrature
subalterne'
et mercenaire dont on trouve la liste dans les bibliographes
(1).
(M. de Lescnre, Riuarol et la Socit franaise.)
Manette
... Il fonda un autre intrieur avec Manette,
dont le babil rieur
et l'entrain lger le charmrent certaines
heures. Cet autre
intrieur n'tait pas exempt d'orage. Manette avait beaucoup
voyag. Elle avait laiss des traces de son pied lger en Italie
et
jcn Angleterre. Femme qui voyage laisse
voyager son cur.
Rivarol tait volage, mais jaloux. Il lui arriva
plus d'une fois,
selon Gart, de prendre aux cheveux sa
douce amie, et delaj
vouloir bien tendrement jeter par la fentre
; mais il se ravisait
temps. Manette tait tout simplement
une
aimable copie de ^Manon
Lescault, venue de sa province,
ignorante et
pauvre, mais jolie et
perverse. Elle avait de l'esprit, mais
surtout
i'esprif de l'amour.
D'ailleurs elle avait t l'cole
de Sophie
Arnould. (Arsne
Houssaye, Galerie du xvui' sicle.)
Rivarol lui disait, la veille de son dpart pour Bruxelles :
Ma chre, si vous voulez tre souveraine, restez Paris. Si, au
contraire, vous voulez tre toujours Manette, il faut me sui^Te.
Manette
y
consentit, courut le monde, vit des princes par la
grce de Dieu soupirer pour ses charmes, fut sage, quoique jolie,
couta les vers et la prose de Rivarol, fit les honneurs de plusjK
d'un grand souper, fut aime partout, partagea les chances desal/e
bonne et de sa mauvaise fortune. Enfin Manette fut pour lui unejf
providence de soins dlicats. (Sulpice de la Platire, Vie de'"
Rivarol.)
On avait pardonn Dufresny et Boissy d'avoir pous leuTiCu.
blanchisseuse, Diderot d'avoir pris pour femme sa gouvernante; 4;
enfin on savait que Le Brun avait contract mariage avec sa cui-
compHments sur la Paysanne. Cet admirable ouvrage l'a fait revenir
de sa prvention contre les hommes, puisque c'est un homme qui a su
peindre avec tant d'nergie 1 ame sublime de deux femmes naturelles,
Fanchon Berthier et sa belle-mre, ainsi que l'me sublimatroce {sic) de
Gaudet. A.
(i) Il
y
a des dtails utiles dans sa Notice sur Rivarol. Elle mourut
en 1821.
APPENDICE
897
sinire, appele malis^neincnt par (piclqu'un son Pgase. Le pre-
mier de nos coniicjues avait illustr sa servante La Fort et Jean-
Jacques sa Thrse. Hivaroi, soit qu'il voult ou non s'autoriser
de ces exemples, montrait ses amis, peut-tre mme ses enne-
mis, une certaine Manette, espce de bonne qui occupait chez lui
une place dans le salon; mais elle finit par quitter son matre
deux ou trois ans avant (ju'il mourt, et s'en revint de Ham-
bour en France. .
.
... Il
y
avait beaucoup dire sur la fracheur de Manette, et
trs peu sur son esprit. In jour qu'elle tait malade, et (ju'elle
tmoignait Rivarol une incjuilude de ce qu'elle deviendrait dans
l'autre monde : Laisse Taire, lui dit-il, je le donnerai une
lettre de recommandation pour la servante de Molire.
(H. de la Porte, Notice.)
6
Rivarol Hambourg
... Bientt le Spectateur du Nord
(1)
compta parmi ses rdac-
teurs tous ceux qui, dans l'migration de Hambourg-, savaient
<juel<jue peu tenir tenir une plume.
Rivarol ne collabora ce recueil que peu de temps, et n'y
donna gure que les rognures de son esprit. 11 l'ut de bonne heure
accapar par son Dictionnaire, doni les travaux prliminaires ont
l'ampleur des portiques d'un monument malheureusement demeur
inachev, et il eut assez de peine disputera ses travaux le temps
<lt' ses plaisirs, pour pouvoir consacrer au Spectateur des inspi-
rations fraches et des loisirs dsintresss. Nous trouvons dans
le Spectateur de 1797 inscrire au bilan de Rivarol, outre deux
extraits raisonnes qui ne sont pas de lui, de son Discours prli-
minaire du Nouveau Dictionnaire de la langue franaise, un
Essai sur famiti, prcd de celte courte et mordante Note :
^<
Feu Mirabeau, dont le portefeuille tait, comme celui des
C( lurtiers, rempli des effets d'autrui, ayant eu quekpie temps sa
disposition le morceau suivant, le donna comme sien ses amis
(l'Allemagne. (Voyez le recueil de ses lettres M. Mauvillon,
])rofesseur Brunswick, qui lui faisait sa Monarchie prussienne.)
Mirabeau, n'ayant qu'une copie manuscrite de cet Essai sur
i amiti, ignorait qu'on l'avait insr dans le Mercure prs d'un
ans auparavant, retouch par l'auteur.
Nous trouvons la page -ilti du tome
1er
un morceau intitul :
De la littrature franaise en I/88, l'occasion d'un ouvrage
(i) Recueil fond par Baudus, dit par Fauche.
a3
SgS niv.vnoL
de M. de Florinn
;
et la suite un aiilre article qui peut lui
ttre attribue, si^n : Liiciiis Apiileius, et intitul : Lp.ttrc aa
Spectateur^ sur Pouvrag-e de in;u:lame de Stal : De l'influence
des passions. 11^ ne faut pas oublier non plus quelques essais de
traduction de VEnide avec des remarques et des notes...
Ds 1798, Faucbc et Rivarol ne semblent plus prendre au suc
ces de Spectateur du Nord qu'un mdiocre intrt. Ce que l'un
et l'autre en voidaient surtout, et ils l'avaient obtenu, c'tait le
concours de sa publicit pour la propagande du Nouveau Dic-
tionnaire de la lanrjue franaise. Or, l'affaire inaugure par l;i
publication de la premire partie du Discours prliminaire, qui
contenait toute une thorie philosophique du langage et tout un
systme de critique philologique, tait dsormais lance et absor-
bait imprieusement tous leurs soins.
C'tait une entreprise complique, car Fauche
y
avait ajoud'
des rouages qui tmoig^nent d'une exprience consomme d''
faiblesses du public et des appts avec lesquels on l'attire. On
trouve, au tome III du Spectateur, et en tte de chaque exem-
plaire du Discours prliminaire, un prospectus dont les annonces
appartiennent au mercantilisme le plus raffin, et dont les combi-
naisons n'ont rien envier aux plus belles inspirations du
puf~
fisme contemporain. Fauche s'engage remettre tout sous-
cripteur ce Dictionnaire
(3
vol. in-l^)^ rvlateur de tous les
mystres de la langue franaise, rparateur de tant d'injures qui
lui sont sont faites, librateur d'un joug qui de lger est devenu
si dur, vengeur de l'indigne tyrannie de la routine acadmi({u('
(l'Acadmie, n'ayant pas repris la parole, ne pouvait se dfendre,
et Rivarol ne l'pargnait pas plus que Chamfort), Fauche, donc,
s'engage remettre tout souscripteur un billet numrot de
loterie donnant droit un lot de cinq cents livres tournois, qui
cherra par la voie du sort chaque centime billet sorti de la
roue. Un lot de six mille livres tournois appartiendra au porteur
du billet correspondant chaque millime numro. Mais l o la
rouerie allemande se mle la finesse franaise et
y
clate, non
sans un discret sourire, c'est dans la disposition qui porte que
l'affaire n'intressant que des lecteurs au-dessus d'une pense
de lucre, c'est non en
francs qu'on les soldera, mais en Hures
de la librairie Fauche, choisir dans son catalogue de quatre
mille numros. Rien ne manque cette
combinaison digne des
plus beaux jours de la spculation livrescjue parisienne, pas
mme les remises exceptionnelles de 40 pour 40U qui placera
42 exemplaires
;
45 pour 400, de treize vingt-quatre exemplaires;
20 pour
400, de vingt-cinq cinquante, etc..
Nous avons sous les yeux le trait conclu entre M. Antoine,
comte de Rivarol, de l'Acadmie royale de Prusse, etc.. d\uie
part, et Af.
Pierre-Franois Fauche, imprimeur-libraire, domicili
AtPENt3lC8
3^
.1 Hamboiirc:, cVanlre pari . Il nous montre Klvarol en affaires,
l(*s traitant avec une dsinvolture de c^rand seigneur qui n'exclut
l)i)int les vues fines et les calculs judicieux. Par cette convention
(lu :26 mars 1790, Fauche s'ens^a^e payer Rivarol
par anti-
cipation sur ses droits d'auteur, fixs la moiti des bnficcs,
;i[)rs prlvement fait, sur le produit tles ventes, de toutes les d-
jicnses spcialement relatives l'entreprise
une somme de cin-
(juante louis par mois. Ces avances mensuelles de rdaction pour
Hivarol et ses collaborateurs, (ju'il demeure seul char^- de choisir
t de paver, courront pendant un an. L'auteur s'obliij^e, peine
dnn ddit de douze mille livres tournois, fournir, dans les six
mois de la date du trait, le manuscrit du Discours prliminaire
et celui des six premires lettres. Fauche demeure aussi tenu de
j)lusieurs obligations, notamment la fourniture s^ratuite des livres
ncessaires la rdaction. Enfin, en cas de difficult entre les
j>arties, elles stipulent que le diflrend sera rgl l'amiable par
des arbitres.
Comme nous le verrons, le Dictionnaire ne fut qu'un de ces
magnifiques chteaux en Elspagne, sur lesquels la complaisante
imagination de Rivarol donnait de trs bonne foi des
hypoth-
(jnes, dont le gage ne consistait gure que dans les portes,
relle-
ment existantes, d'un tlomaine pour tout le reste idal. Mais le
succs du Discours prliminaire suffit certainement indemni-
ser Fauche de ses avances, et il ne parat pas qu'il
y
ait eu diffi-
cult entre lui et les hritiers de son pensionnaire, quand une
mort prmature brisa sa plume et qu'd ne fut plus permis d'es-
prer l'achvement d'un monument qui avait t srieusement et
<r)nsciencieusement fond, et qui n'tait pas de ceux qu'on impro-
vise. (M. de Lcscurc, ouvr. cit.)
7
Mort de Rivarol
Le comte de Dampmartin Claude-Franois de Riuaroi.
Montsgur,par Saint-Paul-Trois-Chtcaux, le 26 octobre i8o3.
I
... Tous les rcits de la mort de votre illustre frre sont sur-
'' chargs de circonstances romanesques dont la plupart n'ont pas
!(^
moindre fondement. Celui (jui se lit dans le Journal des Dbats
l'-t fort bien fait, quant au style et quant aux sentiments, mais
il n"a pas la moindre exactitude. Il a t cause que je n'ai rien
'lit de positif et de clair sur cet vnement, d'aprs l'ide que
/JOO
RIVAnOL
vous
approuviez cette rdaction dans laquelle on vous cite, ainsi
que votre fils; cela suftisait pour m'iniposcr de justes g-ards.
Rivarol ne s'est nullement fait transporter la campagne
;
il
a souffert et il est mort dans sa chambre garnie, au milieu de
Berlin, d'o l'on ne pouvait assurment voir ni campagne ni ruis-
seau ;
mais ses htes lui ont montr un attachement, un zle digne
d'loges.
N'ayant pas ^ecou^T sa tcte les deux premiers jours, il n'a
point pu prononcer les discours qu'on lui prte. A l'instant de sa
mort, il n'y avait prs de lui que le cur, son clerc Donadei,
l'hte, son fils et moi.
Madame la princesse Dolgorowki prenait le plus vif intrt
votre frre, et je ne doute pas de ses regrets, mais elle ne ft
pas mettre dans les journaux qu'elle payerait les dettes de Riva-
rol. Une telle annonce et t fort extraordinaire, puisqu'il avait
vcu fort dcemm.ent et qu'il n'avait puis que dans la bourse de
Donadei
;
ce qui tait un secret entre ces deux vritables amis.
Bien plus, la princesse devait encore trente-cinq louis Rivarol
;
et son amie,
Mme
de Galitzin, vingt-cinq pour l'achat de sa petite
bibliothque. Les deux sommes ont t payes avec promptitude;
mais, certes, ce n'tait pas le cas d'annoncer qu'on payerait des
cranciers imaginaires.
Tous les effets et tous les manuscrits ont t soigneusement
runis et placs sous un scell que l'on n'avait pas encore lev
lors de mon dpart de Berlin. D'aprs les intentions de Rivarol,
j'crivis au gnral Dumouriez pour l'instruire de l'vnement et
le charger d'en faire part au fils. L'un et l'autre m'crivirent. Ils
dsiraient que l'ambassadeur de Danemark obtnt la suppression
des formes de la justice : mais la chose ne fut pas possible, parce
que Fauche prenait sur les manuscrits une opposition pour cinq
cents louis. Sur ces entrefaites, il arriva des lettres de la veuve au
gnral de Beurnonville, ainsi qu'au doyen de l'Acadmie. Ces
Messieurs, qui croyaient la dame morte, furent fort tonns et
me chargrent de la voir Paris, surtout de la dtourner de son
projet de voyage Berlin, qui lui serait aussi dispendieux qu'inu-
tile. Je me suis prsent chez cette dame, et quoique je me sois
efforc, comme de mon devoir, d'tre honnte, j'ai eu le malheur
de la mcontenter
;
car elle a voulu faire insrer dans plusieursjour-
naux des plaintes contre moi. Que pouvais-je lui dire de fort con-
solant lorsque Rivarol, tant en bonne sant que durant sa maladie,
n'avait fait aucune mention d'elle? J'ai su de Berlin qu'il
y
avait
eu un procs entre la mre et le fils, que ce dernier a gagn.
L'opposition du libraire Fauche est galement leve
;
j'ignore
par (juels sacrifices.
Je crois que votre frre ne prvoyait pas qu'un jour on
ajouterait ses ou^Tages. Cette hardiesse pntre de surprise.
APPENDICE
40I
Vous, possesseur des flches, c'est vous de vene^er sa mrmoire.
Je vous fais parvenir une Relation sur l'exactitude de laquelle
vous pouvez compter. Je la ecaranfis sur ma parole d'honneur.
J'crirai demain INI. d'Azmar, quoique bien persuad que
cet excellent homme n'a besoin (pie de consulter son cur pour
vous rendre service; il a, d'ailleurs, reu du prfet de l'Isre la
lettre la plus pressante. Il est bien essentiel que vous acheviez
l'ducation de son Hls, dont Hivarol avait conu la plus haute
Ide; il le regardait comme un sujet fait pour parvenir tout.
^'ous aurez sans doute un puissant support dans M. le marquis
de Lucchesini, l'ami de votre frre.
Voulez-vous bien dire les choses les plus empresses monsieur
votre pre, prsenter mes respects madame votre mre, et
croire (jue je garderai comme un bonheur d'ac(jurir de nou-
veaux droits votre amiti, que je payerai d'un sincre retour?
DAMPMAKTIN.
Relation
Rivarolse sentit lgrement incommod, le samedi 4 avril 1801.
Le dimanche, il garda la chandjrc et se mit au rgime. Le lundi,
son indisposition continua, mais sans prendre de caractre
srieux. Ce fut plutt titre d'homme d'esprit et d'ami qu' celui
de mdecin que, le soir, il reut le docteur Formey. Le mardi,
Dampmartin
,
qui venait de passer deux jours Potsdam, le
trouva, comme son ordinaire, faisant les dlices d'un cercle
nombreux d'auditeurs. Il parlait peu de son malaise, mais il le
faisait d'une manire lumineuse en l'attribuant deux causes : la
Jatigue de son estomac que l'on prouvait sans cesse par de grands
dners et par de grands soupers; la fantaisie qu'il avait eue, plu-
sieurs jours de suite, de se promener fort avant dans la nuit.
Le mercredi matin, il se plai^-nit d'une mauvaise nuit et
demanda Formey. Celui-ci vint et dit en sortant de sa chambre :
Messieurs, je vous annonce avec regret que Rivarol est attaqu
u d'une maladie trs dangereuse. Ouoi([ue ce discours part
tre un peu forc, l'alarme devint cependant fort vive. De cet ins-
tant le malade fut entour et servi par ses compatriotes, qui se
relevaient avec un zle bien dis^ne d'loges, car quelques-uns ne
le connaissaient que sur sa brillante rputation. Nul ne se distin-
gua davantage que le savant et vertueux Donadei, dont l'amiti
constante est un des plus beaux loges de Rivarol. Un jeune
Franais, dont le nom nous est inconnu, mais qui runit fissure,
esprit et sensibilit, suspendit le cours d'un grand voyage pour
rendre des soins empresss au malade
(1).
Les habitants de Ber-
[
(i) Ce jeune Fianais doit cire le comte d'Adhmar, qui crivait de
402
niVAROL
lin de tous les rangs donnrent des preuves flatteuses d'intrt.
Le major Gualticri, maintenant envoy de Prusse en Portus^al, ne
cessa point de se montrer ai dent enthousiaste ainsiqu'ami sincre.
M.
d'Eno;estrocm, envoy de Sude, eut tous les procds d'un
homme sensible et gnreux. Dampmartin veilla seul le malade.
Les douleurs lurent cruelles
;
plusieurs reprises , il s'cria :
Moi seul suis capable de soutenir de telles souffrances
;
heureu-
sment, mes poumons sont de bronze. Dans des instants de
relche, il parla d'une manire bien touchante de sa famille et de
ses amis.
Cet homme, si redoutable pour les sots, tait bon et poss-
dait, en un mot, une me de niveau avec son esprit, la nature
ayant voulu, sous tous les rapports, le combler de ses dons les plus
riches. Les mots malins taient les tincelles dune imao^ination
brlante et les plaintes d'un got excessivement dlicat
;
mais ils
ne partaient pas du cur. A plusieurs reprises, il annona sa
ferme rsolution de revoir la France : Nous irons respirer pen-
ce dant six mois le bon air du Languedoc, nous nous rendrons
(. ensuite Paris; vous prouverez qu'il n'y a personne au monde
{( avec qui il soit plus facile de vivre.
La journe du jeudi fut orageuse
;
le docteur pronona que
la maladie tait une fluxion de poitrine bilieuse. Les grandes dou-
leurs de la nuit prcdente taient provcnucs de la gangrne qui
rongeait les poumons. Sur le soir, Rivarol voulut tre quelques
instants seul avec Dampmartin. Sans paratre alarm de son tat,
il s'entretint avec beaucoup d'motion de son pre, de sa mre^
de son fils, de son frre, de son neveu et de ses deux s^urs.
Dampmartin, tant entr dans la pense que le docteur exagrait
le danger de sa situation, lui conseilla de rgler nanmoins ses
aTaires. 11 rpondit
: Tout ce que je possde^ appartient mon
(i fils
;
je souhaiterais seulement que mon pre toucht vingt louis
qui doivent, au premier jour, ra'arriver pour une Bible pr-
Berlin, le 35 mai 1801, la comtesse de Neuilly, sa cousine:
... Vous
me demandez quelques dtails sur ce pauvre Rivarol
;
vous l'aviez trs
bien jug, son cur tait aussi bon que sa langue quelquefois l'tait
peu. Bon fils, bon pre, bon ami, c'est un hommage que je lui dois, et
sa socit journalire tait aussi douce qu'aimable
;
ft, caress par
toutes les belles dames de notre superbe ville, il a t victime des cou-
lis truffs et des bonbons qu'on lui prodiguait. 11 est mort comme Vert-
Vert.
Attaqu d'un rysiple la tte, malgr tout ce que j'ai pu lui dire,
il ne s'est pas assez scigii dans sa convalescence; l'humeur bilieuse
qui le dominait, dtermine par un gros rhume, s'est jete sur sa poi-
trine, et ds les premiers jours de sa seconde maladie, il n'y avait plus
moyen de le sauver. Sa tte tait prise
;
il n'a point eu connaissance de
son tat, et a trs peu souffert.
A.
AI^PENDIGE
4o3
f<
cietiflc qiio j'ni cde un prince. Il termina rcnfretien.
" Oii('l(jm' douleur (|iJ', je souilVe dans ma position, je im |)iiis me
fcher contre mon lit, j)nisque c'est o j'ai con(ii toutes mes
ides. Mon ami, je n'ai jamais couru aprs l'esprit, il est toujours
venu me chercher.
Le vendredi malin, le malade se sentit beaucoup mieux et
demanda d'tre lev. Pour le satisfaire, on l'approcha des fene-
Ires. Ce fut alors qu'il dit avec un sourire charmant: Ce cher
docteur Formey a eu bien peur de me dformer. Il donna
/lehpies ordres relatifs la propreti'; de sa personne ainsi qu'
ci'ile de son appartement, ensuite il demanda Donadei. Mais lors-
(jue cet ami vint, Kivarol le mconnut. De cet instant
l'usasse de
sa raison lui fut jamais ravi. Le reste de ce jour se passa dans
im tal de dlire qui se prolongea durant la nuit. Ds les premiers
signes d'ii^'arement, les clefs du bureau et celles de l'armoire furent
remises deux hommes recommandables par leur rang- et plus
encore par leur mrite personnel.
Le samedi matin, le malade tomba dans un affaissement
qui
lie lui permettait plus que de respirer avec peine. Ses yeux taient
ierms ou bien hagards, s'ils s'ouvraient. Une sueur abondante ne
discontinuait pas. Les docteurs Brown et Hocm, hommes fort
clbres, joiij^nirenl leurs lumires celles de Formey, mais sans
aucun succs. On fit, sur les trois heures, appeler le cur, qui lui
iit des exhortations et qui l'administra. Ce prtre dit, sur les qua-
tre heures: Dampmartin, quittez votre position, car vous ne
<( tenez dans vos bras qu'un cadavTC.
Celte mort, arrive le 11 a-vTil 1801, produisit une i^ande
sensation. L'illustre Ancillon, arriv quekjues minutes aprs dans
<a chambre, s'cria de l'accent le plus douloureux: Quel gnie
nous venons de perdre !
La socit qui se rassemblait chez la princesse Dolgorowk
fit prendre son pltre pour faire excuter son buste en marbre.
Oonadei et Dampmartin remplirent les fonctions testamentaires;
l's scells d'excuteurs furent poss sur tous les effets. On s'em-
iiressa de lui rendre avec dcence les derniers devoirs. La pompe
funbre offrit un spectacle touchant. La douleur tait peinte sur
tijus les visages; on voyait que les trani^ers, aussi bien que les
Franais, sentaient que nous venions de faire une perte irrpara-
ble. Kivarol a laiss d'immenses matriaux pour son Dictionnaire,
mais je les crois informes. Il crivait beaucoup de notes margi-
nales au Dictionnaire de l'Acadmie. Son ouvrage sur la politique
contre la souverainet du peuple est achev. Son Trait de gram-
maire aurait bientt paru. Son bel ou'STage sur l'intelligence hu-
maine est corrig, augment. La seconde dition, j)rte para-
li'c, ajoute de beaucoup sa rputation. Les pices fugitives sont
4^4 RIVAROL
I
en grand nombre. La Bible fut renvoye trois jours aprs la
mort (d). Rien donc redonner pour le bon pre (2).
(Papiers communiqus M. de Lescure par la famille Tollin de |
Rivarol.)
8
Note du major Gualtieri(3)
Rivarol, mon cher Rivarol n'est plus ! La mort vient d'enle-
ver la fleur de son o-e,
cet homme dont le monde a connu
l'esprit, mais dont peu d'hommes ont connu le cur. Que n'ai-
je t du nombre de ceux qui n'ont regretter que ses lumi-
res, et n'ont point pleurer un ami !
Y aurait-il de l'amour-propre dire que je n'ai jamais trouv
un homme avec lequel je me sois plus parfaitement rencontr
dans mes plus chres opinions? Toujours prt l'couter,je ne le
perdais pomt de vue dans le bruyant cahos du monde. Son aima-
ble caractre ne le quittait jamais : partout le premier, toujours
oblig de descendre pour se mettre au niveau des autres. Cet
homme tait comme un bon fruit, qui pouvait n'tre pas du got
de tout le monde, mais qui personne ne pouvait disputer la
saveur.
Il dominait par tout, et sa domination dans la socit ressem-
blait celle de bonnes lois dans une rpublique bien organise
;
quoique matre du gouvernement, il avait l'indulgence de la su-
priorit et la modestie du mrite. S'il tait peu fier de ses avan-
tages, c'tait par systme
;
ne se considrant que comme une
combinaison heureuse de la nature
;
convaincu qu'il devait plus
son organisation, qu' l'tude, il ne s'estimait que comme un
mtal plus rare et plus fin. Aussi, quoiqu'il juget svrement
les autres, il ne mprisait personne.
Prodigue de son esprit, il le rpandait pleines mains; tout
le monde pouvait en prendre sa part
;
et si quelquefois il le
revendiquait, c'tait moins par avarice que par esprit de justice.
Paresseux comme un homme riche, il ne craignait ni l'avenir ni
Cl) Nous lisons encore, dans la lettre du comte d'Adhmar, dj cite,
M'^^ de Neuilly :
a
Je ne l'ai pas quitt ; entour de ses amis et des miens, il a fini en
nous souriant. Son masque, que j'ai fait prendre, en g:arde l'empreinte.
Pour ses papiers et ses affaires, il n'y avait aucun ordre... A.
(2'
Dampmartin rcple la mme chose, mais trs brivement, dans ses
Mmoi?'es.
i'6j
Diplomate au service de la Prusse, alors ministre en Portugal.
APPENDICE 4o5
1.^
besoin. Sir du trsor qu'il portait, il risquait de mourir de
f.iim au milieu de son or, parce qu'il ddaii^niit de le porter la
monnaie et de convertir ses linj^ots en espces.
Artiste de la parole, il ne s'amusait pourtant point crer
(les mots
;
mais mettant, pour ainsi dire, toute la nature contri-
1 iition dans ses crits et sa conversation, il formait une lang-ue
luvelle avec des mots convenus; son nie les broyait son gr
'
savait s'arrter l o le bon oiit avait mis une borne.
Comme celle d'un cbimisfe habile, son amalfi;'ame avait tou-
jours un but, et n'alliait que les matriaux qui pouvaient produire
un rsultat utile ou agrable.
Caustique sans tre mchant, il n'attaquait que les ridicules;
et cette disposition la causticit tait une habitude de l'esprit,
])lutt qu'un dfaut. L'objet de ses satires n'tait pas celui de son
animosil personnelle.
Comme il s'tait beaucoup occup de la lanarue, les jeux de
mots et les calembours mmes avaient quel(jue chose de piquant
pour lui, et se prsentaient son esprit sans qu'il les chercht. Il
avait un luxe d'esprit, une exubrance d'ides, qui le faisaient
jouer avec les penses, comme un nmsicien habile sur les cordes
ou sur les touches de son instrument.
Quoiqu'il ft bien facile avec ces qualits de s'adonner au
dang-ercux amusement du sarcasme, il savait tre dans l'occasion
l'ami de ses amis, le dfenseur de ses absens, et si j'ose m'expri-
ni(T ainsi, le ^/"a/c/ justicier du vrai mrite. (Sulp.de la Platire,
Vie de Rivarol.)
9
Extrait du Mercure de France
(1).
Les journaux, en annonant la mort de Rivarol, ont port les
uns la louano-e jusqu' la flatterie, les autres la critique jusqu'
la satire : j'viterai ces deux excs.
Rivarol est un des premiers hommes de lettres que j'aie con-
nus; je l'avais rencontr chez Dort, il resta ma connaissance,
mais il ne fut jamais mon ami; je puis en parler avec impartia-
lit, sans affection et sans humeur.
Il avait reu de la nature une figure aerrable, des manires
distingues, une locution pleine de fficilitc et de srcc ;
il dut
ces dons extrieurs ses premiers succs dans quel(|ues cafs litt-
rair.es et principalement celui du Caveau. Coll, Favart et Piron
n'taient plus, ou du moins ils vivaient retirs du monde
;
avec
eux le Caveau avait perdu cette gat franche et ces saillies bril-
(i) 5 floral an X.
23.
46 RIVAROL
lantes, qui sont comme les clairs de l'esprit; mais ChampfortJ
Durufl, et quelques autres gcDs aimables lui conservaient encore]
quelque renomme.
Rivarol s'y fit bientt remarquer. Son talent pour la raillerie
lui attira quelques ennemis et beaucoup
de
partisans; car nous
naissons presque tous avec un penchant secret la mchan-
cet. Il ne manque la plupart des hommes que de l'esprit pour
tre malins; et, lorsqu'il parat un homme dou de ce talent:
malheureux, les s^ens mdiocres et jaloux le flattent et l'excitent
comme un champion propre servir leur impuissante malignit,
mais ils le caressent sans l'aimer. Ils se rjouissent sralementi
des coups qu'il porte et de ceux qu'il reoit. Eprouve-t-il quelques]
revers, ses plus zls partisans sourient son humiliation. C'est]
toujours ce public inconstant dont parle Voltaire :
Oui flatte et mord, qui dresse par sottise
Une statue, et par diot la brise.
Rivarol fut en butte aux plus sottes calomnies. On fit sur sl
naissance des volumes de plaisanteries, tantt niaises, tantt assert
gaies.
Mais qu'importe son mrite littraire qu'un auteur ait t cj
qu'on appelait autrefois un homme de qualit? Nanmoins il
y
avait peu d'adresse annoncer la fols deux espces de prten-
tions diffrentes; le monde a tant de peine pardonner un seulj
genre de supriorit !
Pourquoi donc ?
Rivarol.
C'est que vous parlez d'eux.
Champcenetz.
Une fire mmoire, c'est Tilly
;
on n'a pas
d'ide de tout ce qu'il a retenu !
Chamfovt.
Il a mieux que cela
;
beaucoup d'esprit et d'ima-
gination, du feu, et de la force.
Champcenetz.
Observez, je vous prie, que la plus grande
partie de tout cela se passe en citations. Ce sont, au jargon des
femmes prs, des lambeaux de posie, des morceaux de prose
;
et
puis, pour se donner l'air d'un savant en ns
,
il vous cite Horace,
A'irgile, et des passages de Tacite, o Martin l'a assur l'autre
jour qu'il
y
avait un barbarisme dont ce pauvre Tacite n'tait pas
complice.
Rivarol (en se frottant le visage) .
Au moins n'est-ce pas
l un effort de mmoire?
Champcenetz.
Il vaudrait mieux tre Tacite que de citer
Tacite comme a.
Chamfort.
Le comte de TilIy n'aurait pas dit cela !
Champcenetz (riant).
Vous le protgez,
1
APPENDICE
^11
Chamfort .
Cela ne me conviendrait pas, mais
je lui recon-
nais de l'esprit; et s'il tait n dans une classe
obscure, et (ju'on
j)t lui donner srieusement le e:ot du travail et la patience de
rupj)lication, je suis convaincu ju'il serait un crivain
distingu,
cl lui-mme un homme citer. Est-ce que vous trouvez sa con-
versation trs ordinaire
'!
Champcenetz.
iMoi ! point du tout
;
je la trouve souvent fort
extraordinaire.
Rivarol. Bravo ! appuyez mon neveu
;
vous faites des mer-
veilles !
Chamfort.
Je vous ai cru de ses amis.
Rivarol.
Il vous demandera ce que c'est que cela.
Champcenetz.
Mais oui, assez. Est-ce
qu'on est l'ennemi
d'un homme pour lui trouver plus de mmoire
que d'esprit ?...
(juoique je ne dise pas qu'il en manque.
Chamfort.
N'allez pas vous brouiller,
car il vous contestera
)eut-tre l'une et l'autre.
Champcenetz. Je dirai du mal de vous dans\e Petit Gautier.
Chamfort.
Et si aprs vous avoir lu,
je ne trouve pas que
vous ayez dit du mal de moi?
Champcenetz. C'est trs joli! Mais
que diable,Rivarol,vous
ne dites rien : il n'y a pas de plaisir. J'avais
commenc pour vous
mettre en train.
Rivarol.
Les ^ens qui sont livrs aux femmes ne font rien
qui vaille. Tant de mollesse et de dissipation
tueraient le talent le
])lus robuste. Il est clair que Tilly n'est pas n sans moyens et
sans facilit : il a surtout de la force. Vous le vovez bien, vous
dont il rit quand vous ne voulez pas, et qui ne le faites pas rire
({uand vous voulez. Il a d'ailleurs assez d'instruction
pour vous
donner l'air d'un ignorant... Allons, n'en dites pas trop de mal,
car je ne veux pas que l'esprit de contradiction
m'gare jusqu'
prendre son parti.
Chamfort.
Ah ! ah !
Champcenetz. Me voil bien arrang!
C'tait bien la peine
1'
vous demander votre opinion.
Tilli/ (entrant). Tu dis donc que je n'ai que de la mmoire,
toi dont tout le mrite se compose des larcins
de la mienne !
Rioarol. Ah! bonsoir.
J'illy. Oui te l'a dit ? Tu ne sais pas lire : tu parles de cita-
tions, t'y connais-tu ?
Champcenetz (Tiam).
Je te prviens que tuesfch,et qu'une
plaisanterie...
Tilly. Ton rire est pais comme toi, et tes plaisanteries
minces comme ton esprit. Au reste, je te dirai que j'en fais peu
de cas, de cet esprit... Je le mprise mme, depuis qu'on t'en
trouve,
4
1 2
rtIVAROL
Rivarol.
Messieurs !
Champcenelz.
Laissez donc, c'est amusant.
l'illy.
Je te dfie de me le rendre, car un sot m'ennuie tou-
jours
Champceneiz .
C'est de bon ton.
Tilly .
C'est tout ce qu'il faut pour aller son adresse.
Champceneiz.
Monsieur de Tilly, vous me ferez raison.
Tilly.
12
Dialogue entre le comte de Lauraguais
et l'abb Sabatier de Castres
M. de L.
... A propos, que pensez-vous du silence de l'au-
teur du Journal politique national?
L'abb.
C'est que je ne suis plus avec lui; j'tais le soufflet
(|ui excitait le feu.
M. de L.
ne Ptiris [J-S,'^),
Osi l qu'on trouve ce jcJi mot : llnViil riei de si ah^t ...
.j
..
la pre.^enoe d'esprit .
>>
;>*'
Dissertations sur rrnversahf He la Lan^jne franais:
.
qn ont partaij ie pn\r adjug par rAi^adnnie roi/nle dis
sciences et heIIes-lettres le S juin i^S4 (Berlin, Deeker. 1\.;
onlre de l'Aendi^nie, 1784^
Li seconde dition parut Pari>
en 1785; la troisime lambonrsc en 17*.^.
C'est ce dernier te\ r
qui e^t donn dans , C. II. et dans /.
B. /*.,
p.
i.
i^^" DialO(jne entre Vo/ta ire et Fontenelle. La premire diti.i.
e^i perdue. Hrimprim par Fayolle (Mlana;>e.s litirairei;, 1SU>\
et par P. Malassis ^^Ecrifs et Pamphlets de Birarol^ 187T .
p, B, />..
p.
;^^.
70
L'Enfer, pome du Dante, tradueiion nouvelle
(1785). ,C.,
m.
'
8*
Epfire au Roi de Prnsse. Ecrite en 1785. Insre, sans T.i-
veu de laueur, dans VAlrnanach des Musej:^ 1786, . C, Hi.
9o
5'//r r ft Epi'tre rAmiti ^>, ine rAdidniie /rancaisc
par M. Dncis. Insr dans le Mercure de France du 80 dceau-
bre 178t. Spectateur du Xord (1797),
premire partie de lani-
ele, rcNiie et corrifi;e; . C, 11, l'article entier mais scinde ci;
deux fraarment^.
lOi^ Sur les Xourean.v Synon./mes franain de M. l'abb Rou-
b.Hud {Mercure de France, 80 dcenlire 1786). . C, 11.
11^ Sur le Discours sur le droit romain destin tre pr.-
nonc derant la facult de droit d'Orlans, par M* Lamb: : :
{Mercure de France, 7 juillet 1787). CE. C, 11.
ii^^ Rcit du Portier du sieur Pierre-Augustin Ca-
.
Beaumarchais
(1787).
Grimm, Correspondance, juin 1787 ; U.
.
cm.
L'exemplaire de la B. N. contient une clef manuscrite de ^ l
petit pamphlet qui est une p.irodie du rcit de Thramne.
13o
Le Somje d'Athalie, par M. G. R. /. M... de la R. E.
y.N.,. (1787\ . C, II.
Cette parodie fut suivie de deux brochures: Dsaveu du sieur
Grimodde la Rci/nire ci Le Vrai dsaveu de la parodie du
sonje (fAthalie et de son dsaveu. On les attribue gnralement
Rivarol, mais eJles contiennent bien de la grosse gal la
Champcenei.
14*^
Le Petit Almmach de non grands hommes, anne lySS
[ilSSy (T. c, V.
; P. B. P..
p.
46.
t
APPEMDICE /}25
i.V Ullre M. Necktr (1788;.
Deux brochures. . C, Il
/^ /?. /'.,
p.
2:7.
I6'> Journal. polUif/ne national ( \'iW.)-WM) . Trois sries. f>a
'.*
(qui n'a que 8
0*^",
au lieu fJe 24)
esf trs rare.
fresque ehaque n'> contienf,, sous le titre rJe lixam,nr\ chapi-
re de I histoire de la rvohjtion, depuis les dbuts jusqu'un peu
pprs les journes d'octobre. Ilivarol a jus qu' ce moment la
royaut tait finie. Ces rsums ont t rimprims en W.fl sous
[le titre de Tableau hf.xtorique et politique des travanx. de
irasuemble, etc. T'er^/ille les a donnn dans sa collection en les
ippelant faussement M^n^oire.t de Rioarol {Wii). Ils sont dans
k^. C, IV'. Les
/"',/?.
P.cji donnent plusieurs extraits,
p.
129
suiv. Le
no
24 de la premire srie est intitul Lettre sur la
ipiure de Vahb Maurrj. f*. fi. P.
p.
175.
Mo
A ctes des Aptres
(1
78r>-i
702 ).
Malgr la tradition qui accole le nom de Rivarol celui de ce
journal, il n'y a presquepas collabor. Il faut laisser la jrloire de ce
)ng et amusant pamphlet aux Peltier,Suleau, Mirabeau, Champ-
frenetz, etc. On lui attribuera avec certitude: len'> 1 tout entier
;
les deux articles sur Robespierre
(nos
5 et
7) ;
Explication
'l'une charade
(no
94; ;
Grande trahison de M. hinochaa
. '
138) ;
hialorjae des morts n*
163);
/.e//re </e M. Villette
f. Pqaet--VEnchre
(no
181),et deux articles qui figurent
ma-
nent dans le Journal politique national. Nous reproduisons,
iir la premire fois, le Dialofjne des morts,
p.
193, les deux
'icies sur Robespierre,
p.
187, Explication d'une charade,
^
. 190, et des fragments,
p.
197.
18o
Petit dictionnaire, des grands hommes de la Rvolution,
par an Citoijen actif, ci-devant Rien (17rX)). Nous en rimpri-
mons, partiellement, pour la premire fois, les meilleurs articles,
p.
201.
19o
Conseils donns S. M. Louis XVI, en i/Qr, par l'in-
termdiaire de M. de la Porte, etc. ;
ouvrage indit dt M. le
comte de Rivarol {\'m)).
Ces Lettres et Mmoires avaient en grande partie t imprims
dans le Recueil des papiers trouvs dans l'armoire de fer
(1793).
Rdit par P. Malassis, Ecrits et Pamphlets de Rivarol. M. Le
Breton a donn dans son Rivarol un mmoire indit qui rentre
dans cette srie. Deux extraits dans les P. R. P.,
p.
219.
20<*
Lettre la noblesse franaise, etc. (1792). Publie par
Peltier dans son dernier tableau de Paris. Vdiilon originale est
perdue.
21
Dialogue entre M. de Limon et an homme de got (1792).
Entirement perdu.
Mm
de Coigny disait de cet crit : . C'est
plus fin que le comique, plas gai que le bouffon, plus drle que
le burlesque.
34.
426
RIVAROL
22o
De la vie publique^ de la fuite et de la capture de M. de
La Fayette [M''l) . . C,
V.
23o
Adresse du peuple belge S. M. l'empereur (1793).
Six pages de style noble, o il n'y a rien du gnie de Rivarol.
2P Portrait du duc d'Orlans et de
J/me
de Genlis (1793). .
C,
V.
;
P. B. A, p. 224.
25
De la littrature franaise en 1788,
Voccasion d'un
ouvrage du
feu
M. de Florian. Ecrit en 1788. Publi en 1797
dans le Spectateur du Nord (t.
^r).L'article, quoi que dise M. Le
Breton, est sign ainsi : Cet article est de M. le comt de Riva-
rol. . C.,ll,P. B. P.,
p.
119.
260 Letti^e sur l'ouvrage de
i^me
de Stal intitul : De Vin-
fluence
des passions. Publi dans le Spectateur du Nord (1797.
t.
Pr)
et sign : Lucius Apuleias. OE. C,
U.P. B. P.
p.
103.
27
Traduction en prose et en vers de quelques fragments de
l'Enide. Dans le Spectateur du Nord, avril 1797.
28
Discours prliminaire du nouveau dictionnaire de la
langue franaise; Hambourg, Fauche, 1797,
in-4.
Rimprim sous le titre de : De l'homme^ de ses facults intel-
lectuelles et de ses ides premires et fondamentales; Paris,
Pougens, 1800, in-4. . C,
L Les P. B. P. en donnent plusieurs
chapitres,
pp.
108, 245 ctsuiv., 287, etc.
29o
Prospectus d'un nouveau dictionnaire. En titre du Dis-
cours , dition de 1797. D'aprs Cubires, il aurait paru spar-
ment ds 1796. . C.,l. (Voir sur ce Prospectus, appendice
no6.)
30o/)e la philosophie moderne, par Rivarol. Seconde dition.
S. 1. n. d. Probablement Hambourg, 1799. Accompagn d'une
Note de l'diteur qui est bien de Rivarol (voir
p. 369). C'est une
rimpression fragmentaire du Discours
;
elle se compose de la
fin du chapitre des Passions et de celui de La Religion, moins
les trois dernires pages. La Prface
n'est que le morceau des
Passions prcdant le passage o commence la brochure. La note
de la fm sur Condorcet et Robespierre est scinde en deux et
lgrement modifie. Une autre dition est date de Paris, 1802.
31o
De la Souverainet du peuple (1831).
Cet ouvrage, publi par Claude Franois, ne peut tre attribu
Rivarol que pour le fonds. Il semble en effet rdig par une
main trangre d'aprs une premire rdaction.
320
De la Souverainet, connaissance des vrais principes du
Gouvernement des peuples, par l'abb Sabatier de Castres
;
Al-
tona, 1805.
Cet ouvrage est un mlange de deux crits indits de Rivarol,
De la souverainet du peuple et Thorie du corps politique,
amalgams avec les ides peu originales de l'ancien associ de
Rivarol au Journal politique. Il contient des pages admirables.
Un critique, bien habitu aux ides et au style de Rivarol, en tire.
APPENDICE
4^7
i;iil des fratmcnls prcieux. Le Iri, nous nous en sommes assur,
n'est pas impossible.
On lit, pa^e 15, une note bien amusante :
(( Dans letemps que cet crivain logeaitchez moi, Versailles:
NOUS avez, me uisait-il, de l'esprit et beaucoup d'ides; mais il
M Mis manque le talent (pii fait le gnie, et c'est ma partie. Vous
trouvez l'or en linu;ols; laissez-moi faire : je le faeonnerai en
meubles, en bijoux et en monnaie.
Rivarol a dit cela eu elVet. C'est un passa;e du Discours pr-
liminaire. Voyez P. 13 . /^.,
p.
Ho.
31 Penses indiles (i836). Rivarol avait laiss quatre Car-
nets de notes, rtlexions, remarques sur toutes sortes de sujets :
telle est la matire originale des Penses indites
;
main l'diteur,
( .laude-Fran(;ois, a remani le texte presque partout, afin d'obte-
nir un Rivarol sage et bien pensant. JM. Le l3reton, (jui a eu les
(Idrnets entre les mains, en a tir d'autlientiques citations
;
on
les trouvera rparties dans les quatre chapitres des P. B . P. o
sont classs des fragments et penses de Rivarol
.
33o
Mmoire politique et philosophique sur la rvolution
des lettres. Ce manuscrit, envoy au roi de Prusse en 1785, n'a
jamais t publi.
3-io
Lettres. Elles sont dissmines dans Cubires, La Pla-
tire, Algrc, Lescure, etc. M. Le Breton a retranscrit cellesque
-M. de Lescure, qui les eut pour la premire fois entre les mains,
s'est amus couper en petits morceaux pour en truffer son
'AYus Riuarol. Les P. B. P. runissent pour la premire fois
toutes les Lettres connues de Rivarol,
33'^
Fiivaroliana. Les mots de Rivarol sont pars dans les
crits contemporains, les journaux,les mmoires, les biographies.
Les . C.,y, en ont recueilli un certain nombre.
Nous en donnons un choix trs tendu et trs au2:ment par nos
recherches personnelles, en distinguant ce qui semble maner
directement de Rivarol, et ce qui est anecdote. La distinction,
parfois arbitraire, a du moins un mrite de clart.
36o
Conversation de Rivarol, note par Chcncdoll, publie
dans le Chateaubriant et son groupe, de Sainte-Beuve. Les
papiers de Chnedoll en contiennent plusieurs autres; on ne sait
ce qu'ils sont devenus. P, B. P.,
p.
370.
37o
uvres compltes. Paris, 1808, o vol. in-8. Ce recueil,
qui devrait plutt s'appeler uvres incompltes, contient en
revanche des morceau apocryphes. La notice qui les prcde est
insignifiante.
38o
crits et Pamphlets de Rivarol, recueillis par A. -P.
Malassis (1877). Les pices rdites dans cette brochure ont t
signales leur date.
39o
uvres de Rivarol (1857), Sous ce titre fallacieux furent
428 RIVAROL
runis par Delahavs des fra2:ment informes et minuscules
de
Rivarol : un vrai dchiqueiage. On en a tir un Rivarol encore
plus hach : Chamfort et Rivarol DentuV
40o
uvres choisies de Rioarol, puhlies par M. de Les-
cure (Collection Jouaust, maintenant Flammarion)
;
2 vol. Le
tome II rdite les deux premires sries du Journal Politique
National.
%
16
Ecrits apocryphes.
M. A, Le Breton a dress la liste curieuse des crits fausse-
ment attribus Rivarol par divers diteurs, Ourard, la Biblio-
thque Nationale, le Britisth .Musum, etc. La voici :
lo
Dialogue entre le xix^ et le xx^ siele (1780). . C, III.
1^
B.
flexions sur une Question dramatique. . C, II.
30 Rponse de la couleuvre aux loges que
J/me
de G. . . lai
adresse. . C.,III.
40 Petit Almanach des grandes
femmes (1789).
50 Sance extraordinaire et secrte de l'Acadmie
franaise^
tenue le 30 mars 1789 (Voir Grimm, mars 1789).
Go Mmoire sur la nature et la valeur de Vargent, par M.de
Rivarol {i'im.
lo Rponse la rponse de M, de Champceneiz au sujet de
Vouvrage de M^^ la I. de S... (1789;.
80 Les Ph Hippiques on les crimes de Paris (1789).
L'auteur
est Claude-Franois de Rivarol.
90 La Galerie des Etats Gnraux
(1789) et la Galerie des
dames franaises, par le mme auteur
(1790).
Attribu tout le n onde,successivement ou en mme temps:
RivaroljChampcenetz, Luchet,Snac de Meilhau,Mirabeau,Laclos,
Chamfort, etc. S'il faiit en croire rou\Ta2;e lui-mme, les deux
ouvra^ces seraient d'un seul et unique auteur. Le premier portrait
celui de Cnis, dbute ainsi : Il nous a paru plaisant et utile
peut-tre de mler ces portraits celui du peintre del s:alsrie.
Suit un portrait qui n'est assurment ni Rivarol, ni de Rivarol.
Il a d'ailleurs, quoiqu'en termes nigmatiques, dsavou l'omTage
(Journal politique national,
Ire
srie,
no
16) : <( Il a paru, ces
jours derniers, une Galerie des Etats-Gnraux. lUoiUi que l'ou-
vrage soit bien mal crit, puisqu'on l'attribue M. de Luchet, ou
que M. de Mirabeau n'y soit pas peint au naturel, puisqu'on l'en
a souponn l'auteur... Ces Galeries sont-elles aussi mdiocres
que le dit M. Le Breton ? Nullement, et sauf Rivarol, qui a un
style, tous les crivains cits plus haut^ et d'autres,
y
pourraient
prtendre.
APPENDICE
/|2Q
lOi
Lettre au comte de Mirabeau sur son rapport l'Assern-
)le nationale au nom du comit diplomatique, dans la sance
lu 5.7 aot
/7.90,
sur
l'aff'aire
d' Espagne
(1790).
Attribution suspecte, l'opuscule tant inconnu.
llo
Epitre de Voltaire
MHe
Raucour
(4790).
1:20 Essai sur la ncessit du mal, etc., par Soume Jenijens.
n-iiduit de l'anglais, par M. de //yaro/ (1791).
I '-V Rponse du baron de Grimm..., la lettre de .V. de Chas-
ehnnifde Vo/^iey
(1792.)
I io
La Reine lu Conciergerie. Stances
(1793).
i.j'> Eloge deMinetta Ratoni,chat du pape {Benoit XlV^en
on vivant, et premier soprano de ses petits concerts
(1795).
^apier rose.
\^
Histoire secrte de Coblence dans la Rvolution des Fran-
ais, etc.
;
attribue M. de Rivarol (1795).
17o
Lettre au libraire Maradan (dans le Magasin Encyclo-
)dique,
1798).
18
Lettre au Spectateur sur Bonaparte (dans le Spectateur
lu Nord, a\Til 1797).
i9 Lettres l'abb de Villefort et Chnedoll (dans les Pen-
es indites).
(les lettres ont t faites par Claude-Franrois
;
il
y
insra un
)assao;e
sur l'Anleterrequi semble authentique {P. B.P.
p. 339).
1. Le Breton a expliqu les mobiles de cette fraude innocente.
-Oo
Dictionnaire de la langue franaise (1802). Rivarol n'y
st
pour rien. L'abb Sabatier en avait annonc un, o Ri-
;-i '>]
aurait sans doute t pour quelque chose, puisqu'il avait
olc ses papiers; il n'a pas paru.
i
17
Bibliographie
(1)
ulpice de la Platire, Vie philosophique, politique et litt'
raire de Rivarol (AnX-1802).
ubires-Palmzeaux, Fontenelle, Colardeau et Dort, ouvra-
ge suivi d'une Vie d'Antoine Rivarol (An XI-1803).
ivarol
(M'e
de), Notice sur la vie et la mort de M. de Riva-
ro/dSOl).
ampmartin. Notice sur Rivarol, lue dans la sance publique
de L'Acadmie du Gard, le j6 janvier i8og
(2).
(i"; Celte liste est bien loin d'puiser la liste des ouvrases que nous
i^ons consults. Elle n'est qu'une indication. Le seul livre de M. Le
peton est indispensable pour iudier Rivarol.
(3)
Cite par M. le Breton. iN'exisle, notre connaissance, qui ltat
430 RIVAROL
Dampmartin, Relation de la mort de
Rioarol (dans M. de les-
cuRE ;