Thermidor by Hamel, Ernest
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Title: Thermidor
Edition: 10
Language: French
ERNEST HAMEL
THERMIDOR
DEUXI�ME �DITION
PR�FACE
Comme le disait si bien Henry Maret, il y a quelques mois, avec son bon
sens gaulois: �C'est le vieux pr�jug�, la vieille l�gende persistante,
qui fait de Robespierre un bouc �missaire, charg� de tous les m�faits de
la Terreur�.
�En sondant d'une main pieuse, comme celle d'un fils, disais-je alors,
les annales de notre R�volution, je n'ai fait qu'ob�ir � un sentiment de
mon coeur. Car, au milieu de mes t�tonnements, de mes incertitudes et de
mes h�sitations avant de me former un id�al d'organisation politique et
sociale, s'il est une chose sur laquelle je n'aie jamais vari�, et que
j'aie toujours entour�e d'un amour et d'une v�n�ration sans bornes,
c'est bien toi, � R�volution, m�re du monde moderne, _alma parens_.
Et quand nous parlons de la R�volution, nous entendons tous les
bienfaits d�cr�t�s par elle, et dont sans elle nous n'aurions jamais
joui: la libert�, l'�galit�, en un mot ce qu'on appelle les principes de
1789, et non point les exc�s et les erreurs auxquels elle a pu se
laisser entra�ner. Pr�tendre le contraire, comme le font certains
publicistes lib�raux, c'est ergoter ou manquer de franchise. Jamais, �
R�volution, un mot de blasph�me n'est tomb� de ma bouche sur tes
d�fenseurs consciencieux et d�vou�s, qu'ils appartinssent d'ailleurs �
la Gironde ou � la Montagne. Si, en racontant leurs divisions fatales,
j'ai d� r�tablir, sur bien des points, la v�rit� alt�r�e ou m�connue,
j'ai, du moins, reconcili� dans la tombe ces glorieux patriotes qui tous
ont voulu la patrie honor�e, heureuse, libre et forte. Adversaire
d�cid�, plus que personne peut-�tre, de tous les moyens de rigueur, je
me suis dit que ce n'�tait pas � nous, fils des hommes de la R�volution,
h�ritiers des moissons arros�es de leur sang, � appr�cier trop
s�v�rement les mesures terribles que, dans leur bonne foi farouche, ils
ont jug�es indispensables pour sauver des entreprises de tant d'ennemis
la jeune R�volution assaillie de toutes parts. Il est assur�ment fort
commode, � plus d'un demi-si�cle des �v�nements, la plume � la main, et
assis dans un bon fauteuil, de se couvrir majestueusement la face d'un
masque d'indulgence, de se signer au seul mot de Terreur; mais quand on
n'a pas travers� la tourmente, quand on n'a pas �t� m�l� aux enivrements
de la lutte, quand on n'a pas respir� l'odeur de la poudre, peut-on
r�pondre de ce que l'on aurait �t� soi-m�me, si l'on s'�tait trouv� au
milieu de la fournaise ardente, si l'on avait figur� dans la bataille?
Il faut donc se montrer au moins d'une excessive r�serve en jugeant les
acteurs de ce drame formidable; c'est ce que comprennent et admettent
tous les hommes de bonne foi et d'intelligence, quelles que soient
d'ailleurs leurs opinions.�
Est-ce Robespierre, oui ou non, qui s'est plaint si am�rement que l'on
pers�cut�t les nobles uniquement parce qu'ils �taient nobles, et les
pr�tres uniquement parce qu'ils �taient pr�tres?
Ah! les vainqueurs de Thermidor! �coutez ce que l'on en pensait, non pas
sous la R�publique, mais en pleine Restauration. Voici ce qu'�crivait
Charles Nodier, en 1829, dans la _Revue de Paris_: �La nouvelle du
9 thermidor, parvenue dans les d�partements de l'Est, d�veloppa un vague
sentiment d'inqui�tude parmi les r�publicains exalt�s, qui ne
comprenaient pas le secret de ces �v�nements, et qui craignaient de voir
tomber ce grand oeuvre de la R�volution avec la renomm�e prestigieuse de
son h�ros, car derri�re cette r�putation d'incorruptible vertu qu'un
fanatisme incroyable lui avait faite, il ne restait plus un seul �l�ment
de popularit� universelle auquel les doctrines flottantes de l'�poque
pussent se rattacher. H�las! se disait-on � mi-voix, qu'allons-nous
devenir? Nos malheurs ne sont pas finis puisqu'il nous reste encore des
amis et des parents et que MM. Robespierre sont morts! Et cette crainte
n'�tait pas sans motifs, car le parti de Robespierre venait d'�tre
immol� par le parti de la Terreur.�
Je sais bien que les supp�ts de la Terreur n'ont pas tard� � �tre dup�s;
que l'arme sanglante a pass� de gauche � droite, et que la Terreur
blanche s'est promptement substitu�e � la Terreur r�volutionnaire. Mais
la moralit� du 9 thermidor n'en reste pas moins la m�me. Quiconque garde
au coeur le culte de la R�volution, ne saurait avoir assez de m�pris
�pour cet ex�crable parti des Thermidoriens, qui, suivant l'expression
du m�me Charles Nodier, n'arrachait la France � Robespierre que pour la
donner au bourreau, et qui, tromp� dans ses sanguinaires esp�rances, a
fini par la jeter � la t�te d'un officier t�m�raire; pour cette faction
� jamais odieuse devant l'histoire qui a tu� la R�publique au coeur dans
la personne de ses derniers d�fenseurs, pour se saisir sans partage du
droit de d�cimer le peuple, et qui n'a m�me pas eu la force de profiter
de ses crimes�. Les r�publicains de nos jours, qui font chorus avec �cet
ex�crable parti des Thermidoriens�, feraient peut-�tre bien de m�diter
ces paroles du royaliste auteur des _Souvenirs de la R�volution et de
l'Empire_.
ERNEST HAMEL
Mars 1891.
CHAPITRE PREMIER
I.
Ces derni�res �taient son d�lassement favori. Il entra dans une soci�t�
litt�raire, connue sous le nom de _Soci�t� des Rosati_, dont
faisait partie Carnot, alors en garnison � Arras, et avec lequel il noua
des relations d'amiti�, comme le prouve cette strophe d'une pi�ce de
vers qu'il composa pour une des r�unions de la soci�t�:
II.
Mais il n'y avait pas que les prol�taires qui fussent priv�s du droit de
participer aux affaires publiques. Deux classes d'hommes, sous l'ancien
r�gime, �taient compl�tement en dehors du droit commun, c'�taient les
juifs et les com�diens. L'abb� Maury, ayant propos� de maintenir leur
exclusion de la vie civile, Robespierre s'�lan�a � la tribune: �Il �tait
bon, dit-il, en parlant des com�diens, qu'un membre de cette Assembl�e
v�nt r�clamer en faveur d'une classe trop longtemps opprim�e....� Et, �
propos des juifs: �On vous a dit sur les juifs des choses infiniment
exag�r�es et souvent contraires � l'histoire. Je pense qu'on ne peut
priver aucun des individus de ces classes des droits sacr�s que leur
donne le titre d'hommes. Cette cause est la cause g�n�rale....� Plus
heureux cette fois, il finit par triompher, gr�ce au puissant concours
de Mirabeau.
�Cet homme, ira loin, disait ce dernier, il croit tout ce qu'il dit.� Il
n'�tait pas de question importante o� il n'interv�nt dans le sens le
plus large et le plus d�mocratique. Dans les discussions relatives aux
affaires religieuses, il se montra, ce qu'il devait rester toujours, le
partisan de la tol�rance la plus absolue et le d�fenseur r�solu de la
libert� des cultes, n'h�sitant pas d'ailleurs � appuyer de sa parole,
m�me contre le sentiment populaire, ce qui lui paraissait conforme � la
justice et � l'�quit�.
III
Apr�s �tre all� passer quelques semaines dans son pays natal, qu'il
n'avait pas revu depuis deux ans, et o� il fut �galement l'objet d'une
v�ritable ovation, il revint � Paris qu'il trouva en proie � une
v�ritable fi�vre belliqueuse. Les Girondins, ma�tres de l'Assembl�e
l�gislative, y avaient pr�ch� la guerre � outrance, et leurs discours
avaient port� au supr�me degr� l'exaltation des esprits.
IV
On sait comment ils finirent par sombrer dans les journ�es du 31 mai et
du 2 juin, sous l'irr�sistible impulsion du peuple de Paris, qu'ils
avaient exasp�r�. Depuis huit mois qu'ils �taient en possession du
pouvoir, ils n'avaient su que troubler le pays et l'Assembl�e par leurs
haines implacables et leurs rancunes immortelles. �Encore quelques mois
d'un pareil gouvernement, a �crit leur chantre inspir�, et la France, �
demi conquise par l'�tranger, reconquise par la contre-r�volution,
d�vor�e par l'anarchie, d�chir�e de ses propres mains, aurait cess�
d'exister et comme r�publique et comme nation. Tout p�rissait entre les
mains de ces hommes de paroles. Il fallait ou se r�signer � p�rir avec
eux ou fortifier le gouvernement[5].
Les journ�es des 31 mai et 2 juin, que trois mois apr�s le 9 thermidor,
Robert Lindet qualifiait encore de �grandes, heureuses, utiles et
n�cessaires�, ne co�t�rent pas une goutte de sang au pays, et
vraisemblablement les Girondins n'auraient pas �t� immol�s, s'ils
n'avaient point commis le crime de soulever une partie de la France
contre la Convention.
V
�La libert� ne sera point terrible envers ceux qu'elle a d�sarm�s,
s'�tait �cri� Saint-Just, dans la s�ance du 8 juillet 1793, en terminant
son rapport sur les Girondins d�cr�t�s d'accusation � la suite du 31
mai. Proscrivez ceux qui ont fui pour prendre les armes ... non pour ce
qu'ils ont dit, mais pour ce qu'ils ont fait; jugez les autres et
pardonnez au plus grand nombre, l'erreur ne doit pas �tre confondue avec
le crime, et vous n'aimez point � �tre s�v�res.�
VI
�puis� par ces luttes continuelles, il tomba malade � cette �poque, et,
pendant trois semaines (du 30 pluvi�se au 23 vent�se), il fut oblig� de
garder la chambre. Quand il reparut, l'h�bertisme, foudroy� par le
_Vieux Cordelier_ de Camille Desmoulins et par un virulent rapport
de Saint-Just � la Convention, �tait terrass�, et ses plus ardents
sectaires, accus�s d'avoir conspir� le renversement de la Convention,
�taient livr�s au tribunal r�volutionnaire.
Mais ce coup port� aux exag�r�s eut cela de funeste qu'il engagea
certains membres des comit�s de Salut public et de S�ret� g�n�rale �
poursuivre ceux qui s'�taient le plus violemment d�cha�n�s contre les
h�bertistes et qu'on appelait les _Indulgents_. Depuis quelque
temps d�j�, Danton et Camille Desmoulins, consid�r�s comme les chefs de
ce parti, apr�s avoir tant pouss� eux-m�mes aux mesures extr�mes,
avaient �t� l'objet des plus am�res d�nonciations. A diverses reprises,
Robespierre d�fendit, avec une �nergie supr�me, � la Convention et aux
Jacobins, ses deux amis et compagnons d'armes dans la carri�re de la
R�volution. Pourquoi aurait-il attaqu� Camille? Est-ce que le _Vieux
Cordelier_ n'est pas d'un bout � l'autre un v�ritable dithyrambe en
son honneur[6]. Le jour o�, au sein du comit� de Salut public, Billaud-
Varenne proposa la mise en accusation de Danton, Robespierre se leva
comme un furieux en s'�criant que l'on voulait perdre les meilleurs
patriotes[7].
[Note 9: J'ai sous les yeux le mandat d'arr�t rendu contre les
dantonistes par les comit�s de Salut public et de S�ret� g�n�rale. Il
est �crit ou plut�t griffonn� enti�rement de la main de Bar�re tout en
haut d'une grande feuille de papier bleut�, ne porte aucune date, et est
ainsi con�u: �Les comit�s de Salut public et de S�ret� g�n�rale arr�tent
que Danton, Lacroix (du d�partement d'Eure-et-Loir), Camille Desmoulins
et Philippeaux, tous membres de la Convention nationale, seront arr�t�s
et conduits dans la maison du Luxembourg pour y �tre gard�s s�par�ment
et au secret....�
Carnot, qui a sign� le troisi�me, s'est excus� plus tard en disant que,
fid�le � sa doctrine de solidarit� dans le gouvernement collectif, il
n'avait pas voulu refuser sa signature � la majorit� qu'il venait de
combattre (_M�moires sur Carnot_, t. 1er, page 369). Mauvaise
excuse. Qui l'emp�chait de faire comme Robert Lindet en cette occasion,
ou comme fit Robespierre, en maintes autres circonstances, de
s'abstenir? Mieux valait avouer que, comme Robespierre, il avait fini
par c�der aux obsessions de Billaud-Varenne.]
VII
[Note 11: Ces lettres ont disparu. C'est encore l� un vol fait �
l'histoire par les Thermidoriens.]
[Note 13: On lit dans les _M�moires sur Carnot_, par son fils,
t. I, p. 450: �J'avais sauv� la vie � Hoche avec beaucoup de peine, du
temps de Robespierre, et je l'avais fait mettre en libert�
_imm�diatement_ apr�s Thermidor.� C'est l� une all�gation d�mentie
par tous les faits. Hoche ne recouvra sa libert� ni le 11, ni le 12, ni
le 13 thermidor, c'est-�-dire au moment o� une foule de gens notoirement
ennemis de la R�volution trouvaient moyen de sortir des prisons o� ils
avaient �t� enferm�s.
Hoche n'obtint sa libert�, � grand peine, que le 17. Voici l'arr�t�, qui
est de la main de Thuriot: �Le 17 Thermidor de l'an II.... Le comit� de
Salut public arr�te que Hoche, ci-devant g�n�ral de l'arm�e de la
Moselle, sera sur-le-champ mis en libert�, et les scell�s, appos�s sur
ses papiers, lev�s.... Sign� Thuriot, Collot-d'Herbois, Tallien, P.-A.
Lalloy, C.-A. Prieur, Treilhard, Carnot. (_Archives_, A. T. II,
60.)]
Ce fut surtout dans son rapport du 18 flor�al, sur les f�tes d�cadaires,
que Robespierre s'effor�a d'assurer le triomphe de la mod�ration et de
la tol�rance religieuse, sans rien diminuer de l'�nergie r�volutionnaire
qui lui paraissait n�cessaire encore pour assurer le triomphe de la
R�publique.
CHAPITRE DEUXI�ME
II
III
[Note 26: Article 1er du d�cret: �Le comit� de Salut public fera
dans le plus court d�lai son rapport sur les moyens de perfectionner
l'organisation du tribunal r�volutionnaire.� _Moniteur_ du 7 niv�se
(27 d�cembre 1793.)]
Plus tard, il est vrai, certains d'entre eux, devenus � leur tour
l'objet de graves accusations, essay�rent de rejeter sur Robespierre et
sur Couthon seuls la responsabilit� de cette loi; ils pouss�rent le
m�pris de la v�rit� jusqu'� pr�tendre qu'elle avait �t� pr�sent�e � la
Convention sans que les comit�s eussent �t� m�me avertis, et ils
invent�rent cette fameuse sc�ne qui aurait eu lieu au comit�, le matin
m�me du 23 prairial, dans laquelle Billaud-Varenne, apostrophant
Robespierre, lui aurait reproch� d'avoir port� seul �le d�cret
abominable qui faisait l'effroi des patriotes�. A quoi Maximilien aurait
r�pondu en accusant Billaud de d�fendre ses ennemis et en reprochant aux
membres du comit� de conspirer contre lui. �Tu veux guillotiner la
Convention�! aurait r�pliqu� Billaud.--Nous sommes en l'an III, ne
l'oublions pas, et Billaud-Varenne avait grand int�r�t � se poser comme
un des d�fenseurs de l'Assembl�e.--Alors Robespierre, avec agitation:
�Vous �tes tous t�moins que je ne dis pas que je veuille faire
guillotiner la Convention nationale.� Je te connais maintenant,
aurait-il ajout�, en s'adressant � Billaud; et ce dernier lui aurait
r�pondu: �Et moi aussi je te connais _comme un contre-
r�volutionnaire_[28].� Tout cela doit �tre sorti de l'imagination
f�conde de Bar�re, car dans sa r�ponse particuli�re � Lecointre,
Billaud fait � peine allusion � cette sc�ne[29]. Homme probe
et rigide au fond, Billaud e�t h�sit� � appuyer sa justification sur des
mensonges dont sa conscience avait horreur. Il faut �tre, en v�rit�,
d'une insigne mauvaise foi ou d'une bien grande na�vet�, pour accepter
b�n�volement les explications des membres des anciens comit�s. La
Convention ne s'y laissa pas prendre, et elle eut raison; il lui suffit
de se rappeler avec quelle ardeur Bar�re et m�me Billaud-Varenne
d�fendirent, comme on le verra tout � l'heure, cette n�faste loi du 22
prairial. Saladin, arrach� au bourreau par Robespierre, se chargea de
r�pondre au nom des vaincus de Thermidor, muets dans leurs tombes[30].
[Note 28: Voy. la _R�ponse des anciens membres des comit�s aux
imputations de Lecointre_, p. 38, 39, et la note de la page 108.]
IV
�Je demande que le tribunal veuille bien m'accorder, s'il croit que je
ne l'ai pas d�m�rit�, un t�moignage ostensible de sa bienveillance, en
d�clarant dans les termes et dans la forme qu'il jugera convenables, de
quelle mani�re je remplis comme cito�en mes devoirs de d�fenseur, et
jusqu'� quel point je suis digne, sous ce rapport de son
estime.--Chauveau.
VI
Est-il vrai que, d�s le lendemain m�me du jour o� cette loi fut vot�e,
c'est-�-dire le 25 prairial, Robespierre ait, en plein comit�, demand�
la mise en accusation ou, comme on dit, les t�tes de Fouch�, de Tallien
et de sept de leurs amis, et que le refus de ses coll�gues amena sa
retraite volontaire du comit�? C'est ce qu'a pr�tendu le duc d'Otrante;
mais quelle �me honn�te se pourrait r�soudre � ajouter foi aux
assertions de ce sc�l�rat vulgaire, dont le nom restera �ternellement
fl�tri dans l'histoire comme celui de Judas? La v�rit� m�me para�trait
suspecte venant d'une telle source.
Mais si pareille demande e�t �t� faite, est-ce que les membres des
anciens comit�s ne s'en fussent pas pr�valus dans leur r�ponse aux
imputations de Lecointre? Comment! ils auraient arrach� neuf
repr�sentants du peuple � la f�rocit� de Robespierre, et ils ne s'en
seraient pas fait un titre d'honneur aux yeux de la Convention, �
l'heure o� on les poursuivait comme des proscripteurs? Or, � quoi
attribuent-ils le d�chirement qui eut lieu au comit� de Salut public?
Uniquement aux discussions--tr�s probl�matiques--auxquelles aurait donn�
lieu la loi de prairial. �Robespierre�, disent-ils, �devint plus ennemi
de ses coll�gues, s'isola du comit� et se r�fugia aux Jacobins, o� il
pr�parait, ac�rait l'opinion publique contre ce qu'il appelait les
conspirateurs connus et contre les op�rations du comit�[39].�
[Note 39: _R�ponse des membres des deux anciens comit�s aux
imputations de Laurent Lecointre_, p. 39 et 109.]
Eh bien! la scission ne se produisit pas le 25 prairial, mais seulement
au commencement de messidor, comme cela r�sulte des propres aveux des
membres du comit�, rapproch�s de la d�claration de Maximilien. En effet,
ceux-l� limitent � quatre d�cades la dur�e de ce qu'ils ont appel� la
retraite de Robespierre[40], et celui-ci dit tr�s haut, � la s�ance du 8
thermidor, que la force de la calomnie et l'impuissance de faire le bien
l'avaient oblig� de renoncer en quelque sorte depuis six semaines � ses
fonctions de membre du comit� de Salut public. Quatre d�cades, six
semaines, c'est la m�me chose. Ce fut donc vers le 1er messidor que la
d�sunion se mit parmi les membres du comit�. Chaque jour ici a son
importance.
VII
[Note 47: Voy. ce que dit Jullien dans une lettre � Saint-Just en
date du 25 prairial, publi�e sous le num�ro CVII, � la suite du rapport
de Courtois, et dans les _Papiers in�dits_, t. III, p. 37.]
Les deux amants n'�taient pas moins luxueux dans leur int�rieur. Un
personnage de l'ancien r�gime, le marquis de Paroy, nous a laiss� une
description curieuse du boudoir de la ci-devant marquise de Fontenay
qu'il avait eu l'occasion de voir en allant solliciter aupr�s d'elle en
faveur de son p�re, d�tenu � la R�ole. �Je crus�, dit-il, �entrer dans
le boudoir des muses: un piano entr'ouvert, une guitare sur le canap�,
une harpe dans un coin ... une table � dessin avec une miniature
�bauch�e,--peut-�tre celle du patriote Tallien--un secr�taire ouvert,
rempli de papiers, de m�moires, de p�titions; une biblioth�que dont les
livres paraissaient en d�sordre, et un m�tier � broder o� �tait mont�e
une �toffe de satin[50]...�
Ah! ces devoirs, le jeune envoy� du comit� de Salut public, l'ami d�vou�
de Maximilien, le fils du repr�sentant Jullien (de la Dr�me), les
comprenait autrement. �J'ai toujours suivi dans ma mission�, �crivait-il
de Bordeaux � Robespierre, le 1er flor�al (20 avril 1794), �le m�me
syst�me, que, pour rendre la R�volution aimable, il falloit la faire
aimer, offrir des actes de vertu, des adoptions civiques, des mariages,
associer les femmes � l'amour de la patrie et les lier par de solennels
engagements[52].�
[Note 52: Voy. cette lettre dans les _Papiers in�dits_, t. III,
p. 5, et � la suite du rapport de Courtois sous le num�ro CVII
_a_.]
[Note 56: Voyez ces deux lettres dans les _Papiers in�dits_, t.
III, p. 32 et 30, et � la suite du rapport de Courtois, sous les num�ros
CVII _h_ et CVII _g_. Si Jullien fils ne monta pas sur l'�chafaud
au lendemain de Thermidor, ce ne fut pas la faute de Tallien,
qui, lorsqu'il fut entr� dans le comit� de Salut public, s'empressa de
le faire jeter en prison. �Paris, le 28 thermidor. Le comit� de Salut
public arr�te que le citoyen Jullien fils, adjoint � la commission de
l'instruction publique, et pr�c�demment agent du comit� de Salut public,
est destitu� de ses fonctions, qu'il sera mis en arrestation, et que les
scell�s seront appos�s sur ses papiers. Collot-d'Herbois, Tallien,
Eschasseriaux, Treilhard, Br�ard, G.-A. Prieur.� (_Archives_, A F,
II, 60.)--Si terrible fut le coup d'�tat de Thermidor, et si violente
fut la r�action pendant de longues ann�es, que les plus chers amis de
Robespierre n'osaient plus avouer leur intimit� avec lui. Jullien fils,
pendant la grande p�riode r�volutionnaire, avait donn�, malgr� son
extr�me jeunesse, les preuves d'un talent, d'une honn�tet� et d'une
mod�ration qui l'avaient rendu cher � Robespierre, que lui-m�me � tout
propos il appelait _son bon ami_. Eh bien! lui aussi, il renia ce
_bon ami_, si nous devons nous en rapporter � une lettre de
l'ing�nieur Jullien, son fils, lettre o� nous lisons ces lignes: �Mon
p�re a tr�s peu connu Robespierre; je crois m�me lui avoir entendu dire
qu'il ne l'avait vu qu'une ou deux fois. C'est mon grand-p�re Jullien
(de la Dr�me), d�put� � la Convention, qui seul a connu Robespierre....�
Or il suffit des citations par nous faites d'extraits de lettres de
Jullien fils � Robespierre pour qu'il n'y ait pas de doute possible sur
leur parfaite intimit�,--intimit�, du reste, aussi honorable pour l'un
que pour l'autre. Quant aux lettres de Robespierre � Jullien, elles ont
�t� supprim�es par les Thermidoriens, et pour cause. Maintenant, on peut
voir, par l'extrait de la lettre de l'ing�nieur Jullien, combien, dans
la g�n�ration qui nous a pr�c�d�s, les hommes m�mes les plus distingu�s
sont peu au courant des choses de la R�volution.]
VIII
[Note 66: Les originaux de ces deux lettres, in�dites toutes deux,
sont aux _Archives_, F 7, 1435, liasse A.]
[Note 67: Lettre cit�e par Courtois, � la suite de son rapport, sous
le num�ro XXV.]
[Note 68: Lettre non cit�e par Courtois. L'original est aux
_Archives_, F 7, 4435, liasse O.]
A peine de retour � Paris, Fouch� courut chez Maximilien pour avoir une
explication. Charlotte �tait pr�sente � l'entrevue. Voici en quels
termes elle a elle-m�me racont� cette sc�ne: �Mon fr�re lui demanda
compte du sang qu'il avait fait couler et lui reprocha sa conduite avec
une telle �nergie d'expression que Fouch� �tait p�le et tremblant. Il
balbutia quelques excuses, et rejeta les mesures cruelles qu'il avait
prises sur la gravit� des circonstances. Robespierre lui r�pondit que
rien ne pouvait justifier les cruaut�s dont il s'�tait rendu coupable;
que Lyon, il est vrai, avait �t� en insurrection contre la Convention
nationale, mais que ce n'�tait pas une raison pour faire mitrailler en
masse des ennemis d�sarm�s.� A partir de ce jour, le futur duc
d'Otrante, le futur ministre de la police imp�riale, devint le plus
irr�conciliable ennemi de Robespierre.
IX
[Note 77: Aussi violent contre les patriotes apr�s Thermidor qu'il
l'avait �t� jadis contre les ennemis de la R�volution, Fr�ron faillit
�pouser une soeur de Bonaparte, par lequel il fut, sous le Consulat,
nomm� sous-pr�fet � Saint-Domingue, o� il mourut peu de temps apr�s son
arriv�e.]
[Note 83: C'est le chiffre donn� par Lecointre; on l'a �lev� jusqu'�
soixante.]
CHAPITRE TROISI�ME
II
[Note 91: Il faut lire les M�moires du com�dien Fleury, qui fut le
commensal de la maison de Mme de Saint-Amaranthe, pour voir jusqu'o�
peuvent aller la b�tise et le cynisme de certains �crivains. Ces
M�moires (6 vol. in-8�) sont l'oeuvre d'un M. Laffitte, qui les a,
pensons-nous, r�dig�s sur quelques notes informes de M. Fleury.]
[Note 93: Parmi les �crivains qui ont propag� cette fable, citons
d'abord les r�dacteurs de l'_Histoire de la R�volution, par deux amis
de la libert�_, livre o� tous les faits sont sciemment d�natur�s et
dont les auteurs m�ritent le m�pris de tous les honn�tes gens. Citons
aussi Nougaret, Beuchot, et surtout Georges Duval, si l'on peut donner
le nom d'�crivain � un mis�rable sans conscience qui, pour quelque
argent, a fait trafic de pr�tendus souvenirs de la Terreur. Il n'y a pas
� se demander si le digne abb� Proyard a d�votement embaum� l'anecdote
dans sa _Vie de Maximilien Robespierre_. Seulement il y a introduit
une variante. La sc�ne ne se passe plus chez Mme de Saint-Amaranthe,
mais chez le citoyen Sartines. (P. 168.)
D�clare, en outre, que ces deux maisons de jeux sont tol�r�es par la
section de la _Butte des Moulins_ et nomm�ment favoris�es par les
quatre officiers de police de cette section qui en re�oivent par jour,
savoir: huit louis pour la partie de _trente-et-un_, et deux pour
celle de _biribi_.� (_Archives_, comit� de surveillance du
d�partement de Paris, 9e carton.)]
III
Il y avait alors, dans un coin retir� de Paris, une vieille femme nomm�e
Catherine Th�ot, chez laquelle se r�unissaient un certain nombre
d'illumin�s, gens � cervelle �troite, ayant soif de surnaturel, mais ne
songeant gu�re � conspirer contre la R�publique. La r�ception des �lus
pouvait pr�ter � rire: il fallait, en premier lieu, faire abn�gation des
plaisirs temporels, puis on se prosternait devant la _m�re de
Dieu_, on l'embrassait sept fois, et ... l'on �tait consacr�. Il n'y
avait vraiment l� rien de nature � inqui�ter ni les comit�s ni la
Convention, c'�taient de pures m�meries dont la police avait eu le tort
de s'occuper jadis, il y avait bien longtemps, quinze ans au moins. La
pauvre Catherine avait m�me pass� quelque temps � la Bastille et dans
une maison de fous. Or, cette arrestation qui pouvait se comprendre
jusqu'� un certain point sous l'ancien r�gime, o� les consciences
�touffaient sous l'arbitraire, �tait inconcevable en pleine R�volution.
Eh bien! le lieutenant de police fut d�pass� par le comit� de S�ret�
g�n�rale; les intol�rants de l'�poque jug�rent � propos d'attaquer la
superstition dans la personne de Catherine Th�ot, et ils transform�rent
en crime de contre-r�volution les pratiques anticatholiques de quelques
illumin�s.
L'accusateur public fut aussit�t mand�, et l'ordre lui fut donn� par
Robespierre lui-m�me, au nom du comit� de Salut public, de suspendre
l'affaire. Fouquier objecta en vain qu'un d�cret de la Convention lui
enjoignait de la suivre, force lui fut d'ob�ir, et de remettre les
pi�ces au comit�[101]. Tr�s d�sappoint�, et redoutant les reproches du
comit� de S�ret� g�n�rale, auxquels il n'�chappa point,
Fouquier-Tinville s'y transporta tout de suite. L� il rendit compte des
faits et d�peignit tout son embarras, sentant bien le conflit entre les
deux comit�s. �_Il, il, il_�, dit-il par trois fois, �s'y oppose au
nom du comit� de Salut public�.--�_Il_, c'est-�-dire Robespierre�,
r�pondit un membre, Amar ou Vadier. Oui, r�pliqua Fouquier[102]. Si la
volont� de Robespierre fut ici pr�pond�rante, l'humanit� doit s'en
applaudir, car, gr�ce � son obstination, une foule de victimes
innocentes �chapp�rent � la mort.
IV
Mais si, au contraire, nous prouvons, que pendant ces quarante derniers
jours, il a si�g� sans d�semparer au comit� de Salut public, comme dans
cet espace de temps il a refus� de s'associer � la plupart des grandes
mesures de s�v�rit� consenties par ses coll�gues, comme il n'a point
voulu consacrer par sa signature certains actes oppressifs, c'est donc
qu'il y �tait absolument oppos�, qu'il les combattait � outrance; c'est
donc que, suivant l'expression de Saint-Just, il ne comprenait pas
�cette mani�re prompte d'improviser la foudre � chaque instant�[104].
Voil� pourquoi il m�rita l'honorable reproche que lui adressa Bar�re
dans la s�ance du 10 thermidor, d'avoir voulu arr�ter le cours
_terrible, majestueux_ de la R�volution; et voil� pourquoi aussi,
n'ayant pu d�cider les comit�s � s'opposer � ces actes d'oppression
multipli�s dont il g�missait, il se r�solut � appeler la Convention �
son aide et � la prendre pour juge entre eux et lui.
Quand Saladin r�digea son rapport sur la conduite des anciens membres
des comit�s, il n'�pargna pas � Robespierre les noms de tra�tre et de
tyran, c'�tait un tribut � payer � la mode du jour; mais comme il le met
� part de ceux dont il �tait charg� de pr�senter l'acte d'accusation, et
comme, sous les injures banales, on sent percer la secr�te estime de ce
survivant de la Gironde pour l'homme � qui soixante-douze de ses
coll�gues et lui devaient la vie et auquel il avait nagu�re adress� ses
hommages de reconnaissance!
[Note 112: Arr�t� sign�: Bar�re, Dubarran, C.-A. Prieur, Amar, Louis
(du Bas-Rhin), Collot-d'Herbois, Carnot, Voulland, Vadier, Saint-Just,
Billaud-Varenne.]
Dans son discours du 1er vend�miaire an III (22 septembre 1794), deux
mois apr�s Thermidor, Carnot se d�cha�na contre la m�moire de Maximilien
avec une violence inou�e. Il accusa notamment Robespierre de s'�tre
plaint avec amertume, � la nouvelle de la prise de Niewport, post�rieure
au 16 messidor, de ce qu'on n'avait pas massacr� toute la garnison. Voy.
le _Moniteur_ du 4 vend�miaire (25 septembre 1794). Carnot a trop
souvent fait fl�chir la v�rit� dans le but de sauvegarder sa m�moire aux
d�pens d'adversaires qui ne pouvaient r�pondre, pour que nous ayons foi
dans ses paroles. A sa haine inv�t�r�e contre Robespierre et contre
Saint-Just, on sent qu'il a gard� le souvenir cuisant de cette phrase du
second: �Il n'y a que ceux qui sont dans les arm�es qui gagnent les
batailles�. Lui-m�me, du reste, Carnot, n'�crivait-il pas, � la date du
8 messidor, aux repr�sentants Richard et Choudieu, au quartier g�n�ral
de l'arm�e du Nord, de concert avec Robespierre et Couthon: �Ce n'est
pas sans peine que nous avons appris la familiarit� et les �gards de
plusieurs de nos g�n�raux envers les officiers �trangers que nous
regardons et voulons traiter comme des brigands....� Catalogue Charavay
(janvier-f�vrier 1863).]
Mais ce qui l�ve tous les doutes, ce sont les registres du comit� de
Salut public, registres dont Lecointre ne soup�onnait pas l'existence,
que nous avons sous les yeux en ce moment, et o�, comme d�j� nous avons
eu occasion de de le dire, les pr�sences de chacun des membres sont
constat�es jour par jour. Eh bien! du 13 prairial au 9 thermidor,
Robespierre, manqua de venir au comit� SEPT FOIS, en tout et pour tout,
les 20 et 28 prairial, les 10, 11, 14 et 29 messidor et le 4
thermidor[127].
[Note 128: _R�ponse des membres des deux anciens comit�s aux
imputations de Laurent Lecointre_, p. 103, 104, note de la p. 21.--M.
H. Carnot, dans les M�moires sur son p�re, raconte un peu diff�remment
la sc�ne, d'apr�s un r�cit de Prieur, et il termine par cette
exclamation m�lodramatique qu'il pr�te � Carnot s'adressant � Couthon, �
Saint-Just et � Robespierre: �Triumvirs, vous dispara�trez�. (T. I, p.
524.) Or il est � remarquer que dans la narration des anciens membres du
comit�, �crite peu de temps apr�s Thermidor, il n'est pas question de
Couthon, et que Robespierre ne figure en quelque sorte que comme
m�diateur. Mais voil� comme on embellit l'histoire.]
Si donc ce r�cit, dans les termes m�mes o� il nous a �t� transmis, fait
honneur � quelqu'un, ce n'est pas assur�ment � Carnot. Que serait-ce si
Robespierre et Saint-Just avaient pu fournir leurs explications!
Dictateur! c'�tait, para�t-il, la grosse injure de Carnot, car dans une
autre occasion, croyant avoir � se plaindre de Robespierre, au sujet de
l'arrestation de deux commis des bureaux de la guerre, il lui aurait
dit, en pr�sence de Levasseur (de la Sarthe): �Il ne se commet que des
actes arbitraires dans ton bureau de police g�n�rale, tu es un
dictateur�. Robespierre furieux aurait pris en vain ses coll�gues �
t�moins de l'insulte dont il venait d'�tre l'objet. En v�rit�, on se
refuserait � croire � de si pu�riles accusations, si cela n'�tait pas
constat� par le _Moniteur_[129].
J'ai voulu savoir � quoi m'en tenir sur cette fameuse histoire des
secr�taires de Carnot, dont celui-ci signa l'ordre d'arrestation _sans
s'en douter_, comme il le d�clara d'un ton patelin � la Convention
nationale. Ces deux secr�taires, jeunes l'un et l'autre, en qui Carnot
avait la plus grande confiance, pouvaient �tre fort intelligents, mais
ils �taient plus l�gers encore. Un soir qu'ils avaient bien d�n�, ils
firent irruption au milieu d'une r�union sectionnaire, y caus�rent un
effroyable vacarme, et, se retranchant derri�re leur qualit� de
secr�taires du comit� de Salut public, menac�rent de faire guillotiner
l'un et l'autre[130]. Ils furent arr�t�s tous deux, et rel�ch�s peu de
temps apr�s; mais si jamais arrestation fut juste, ce fut assur�ment
celle-l�, et tout gouvernement s'honore qui r�prime s�v�rement les exc�s
de pouvoir de ses agents[131].
[Note 134: _R�ponse des membres des deux anciens comit�s aux
imputations de Laurent Lecointre_, p. 14.]
[Note 135: _R�ponse des membres des deux anciens comit�s aux
imputations de Laurent Lecointre_, p. 24.]
J'ai sous les yeux l'ensemble complet des pi�ces relatives aux
op�rations de ce bureau de police g�n�rale[139]; rien ne saurait mieux
d�montrer la v�rit� des assertions de Robespierre; et, en consultant ces
t�moins vivants, en fouillant dans ces registres o� l'histoire se trouve
� nu et sans fard, on est stup�fait de voir avec quelle facilit� les
choses les plus simples, les plus honorables m�me, ont pu �tre
retourn�es contre lui et servir d'armes � ses ennemis.
VI
Emport�s avec lui par la temp�te, ils n'�taient plus l� pour r�pondre.
A-t-on jamais produit la moindre preuve de leurs pr�tendues conf�rences
avec Maximilien? Non; mais c'�tait chose dont on se passait volontiers
quand on �crivait l'histoire sous la dict�e des vainqueurs. Dans les
papiers de Dumas on a trouv� un billet de Robespierre, un seul: c'�tait
une invitation pour se rendre ... au comit� de Salut public[154].
[Note 154: Voici cette invitation cit�e en fac-simil� � la suite des
notes fournies par Robespierre � Saint-Just pour son rapport sur les
dantonistes: �Le comit� de Salut public invite le cito�en Dumas,
vice-pr�sident du tribunal criminel, � se rendre au lieu de ses s�ances
demain � midi.--Paris, le 12 germinal, l'an II de la R�publique.
--Robespierre.�]
Quoi qu'il en soit, Herman, sans �tre li� d'amiti� avec Robespierre,
avait m�rit� d'�tre appr�ci� de lui, et il professait pour le caract�re
de ce grand citoyen la plus profonde estime. Tout au contraire,
Maximilien semblait avoir pour la personne de Fouquier-Tinville une
secr�te r�pulsion. On ne pourrait citer un mot d'�loge tomb� de sa
bouche ou de sa plume sur ce farouche et sanglant magistrat, dont la
r�action, d'ailleurs, ne s'est pas priv�e d'assombrir encore la sombre
figure. Fouquier s'asseyait � la table de Laurent Lecointre en compagnie
de Merlin (de Thionville); il avait des relations de monde avec les
d�put�s Morisson, Cochon de Lapparent, Goupilleau (de Fontenay) et bien
d'autres[158]; mais Robespierre, il ne le voyait jamais en dehors du
comit� de Salut public; une seule fois il alla chez lui, ce fut le jour
de l'attentat de Ladmiral, comme ce jour-l� il se rendit �galement chez
Collot-d'Herbois[159]. Il ne se g�nait m�me point pour manifester son
antipathie contre lui. Un jour, ayant re�u la visite du repr�sentant
Martel, d�put� de l'Allier � la Convention, il lui en parla dans les
termes les plus hostiles, en l'engageant � se liguer avec lui, afin,
disait-il, de sauver leurs t�tes[160].
Ce fut dans la s�ance du 3 messidor (21 juin 1794) qu'� propos d'une
proclamation du duc d'York, il commen�a � signaler les manoeuvres
employ�es contre lui. Cette proclamation avait �t� r�dig�e � l'occasion
du d�cret rendu sur le rapport de Bar�re, o� il �tait dit qu'il ne
serait point fait de prisonniers anglais ou hanovriens. C'�tait une
sorte de protestation exaltant la g�n�rosit� et la cl�mence comme la
plus belle vertu du soldat, pour rendre plus odieuse la mesure prise par
la Convention nationale.
VIII
Eh bien! un historien de nos jours, par une de ces aberrations qui font
de son livre un des livres les plus dangereux qui aient �t� �crits sur
la R�volution fran�aise, confond la commission temporaire de
surveillance r�publicaine avec la sanglante commission dite des
_sept_, tout cela pour le plaisir d'affirmer, en violation de la
v�rit�, que Robespierre soutenait � Lyon les ultra-terroristes contre
l'ex�crable Fouch�[174]. Et la preuve, il la voit dans ce fait que
l'aust�re tribun invoquait � l'appui de son accusation le souvenir de
Gaillard, �le plus violent des ultra-terroristes de Lyon�. On ne saurait
vraiment avoir la main plus malheureuse. Il est faux, d'abord, que
Gaillard ait �t� un violent terroriste. Victime lui-m�me de longues
vexations de la part de l'aristocratie, il s'�tait tu� le jour o�, en
pr�sence de pers�cutions dirig�es contre certains patriotes, il avait
d�sesp�r� de la R�publique, comme Caton de la libert�. Son suicide avait
eu lieu dans les derniers jours de frimaire an II (d�cembre 1793). Or,
trois mois apr�s environ, le 21 vent�se (11 mars 1794), Fouch� �crivait
de Lyon � la Convention ces lignes d�j� cit�es en partie: �La justice
aura bient�t achev� son cours terrible dans cette cit� rebelle; il
existe encore quelques complices de la r�volte lyonnaise, _nous allons
les lancer sous la foudre_; il faut que tout ce qui fit la guerre �
la libert�, tout ce qui fut oppos� � la R�publique, ne pr�sente aux yeux
des r�publicains que des cendres et des d�combres[175].� N'est-il pas
souverainement ridicule, pour ne pas dire plus, de venir opposer le
pr�tendu terrorisme de Gaillard � la mod�ration de Fouch�!
[Note 174: _Histoire de la R�volution_, par M. Michelet, t.
VII, p. 402.--M. Michelet reproche � MM. Buchez et Roux de profiter des
moindres �quivoques pour faire dire � Robespierre le contraire de ce
qu'il veut dire. Et sur quoi se fonde-il pour avancer cette grave
accusation? Sur ce que les auteurs de l'_Histoire parlementaire_
ont �crit � la table de leur tome XXXIII: _Robespierre declare qu'il
veut arr�ter l'effusion du sang humain_. Mais ils renvoient � la page
341, o� ils citent textuellement et _in extenso_ le discours de
Robespierre dont la conclusion est, en effet, qu'il faut arr�ter
l'effusion du sang humain �vers� par le crime.� Que veut donc de plus M.
Michelet? Est-ce que par hasard on a l'habitude de ne lire que la table
des mati�res? Il sied bien, du reste, � cet �crivain de suspecter la
franchise historique de MM. Buchez et Roux, lui dont l'_histoire_
est trop souvent b�tie sur des suppositions, des hypoth�ses et des
�quivoques!]
[Note 180: Comment s'�tonner que, d�s 1794, Fouch� ait �t� le fl�au
des plus purs patriotes! Ne fut-ce pas lui qui, sous le Consulat, lors
de l'explosion de la machine infernale, oeuvre toute royaliste, comme on
sait, proscrivit tant de r�publicains innocents? Ne fut-ce pas lui qui,
en 1815, fournit � la monarchie une liste de cent citoyens vou�s
d'avance par lui � l'exil, � la ruine, � la mort?]
Les fourbes ont partout des partisans, et Fouch� n'en manquait pas au
milieu m�me de la soci�t� des Jacobins, dont quelques jours auparavant
on l'avait vu occuper le fauteuil. Robespierre jeune, revenu depuis peu
de temps de l'arm�e du Midi, ne trouvant pas suffisante l'indignation de
la soci�t� contre les pers�cuteurs des patriotes, s'�lan�a � la tribune,
et, d'une voix �mue, raconta qu'on avait us� � son �gard des plus basses
flatteries pour l'�loigner de son fr�re. Mais, s'�cria-t-il, on
chercherait en vain � nous s�parer. �Je n'ambitionne que la gloire
d'avoir le m�me tombeau que lui�. Voeu touchant qui n'allait pas tarder
� �tre exauc�. Couthon vint aussi r�clamer le privil�ge de mourir avec
son ami: �Je veux partager les poignards de Robespierre�.--�Et moi
aussi! et moi aussi�! s'�cria-t-on tous les coins de la salle[181].
H�las! combien, au jour de de l'�preuve supr�me, se souviendront de leur
parole!
Le jour fix� pour entendre Fouch� (26 messidor) �tait un jour solennel
dans la R�volution, c'�tait le 14 juillet; ce jour-l�, tous les coeurs
devaient �tre � la patrie, aux sentiments g�n�reux. On s'attendait, aux
Jacobins, � voir arriver Fouch�; mais celui-ci n'�tait pas homme �
accepter une discussion publique, � mettre sa vie � d�couvert, � ouvrir
son �me � ses concitoyens. La dissimulation et l'intrigue �taient ses
armes; il lui fallait les t�n�bres et les voies tortueuses.
CHAPITRE QUATRI�ME
Pour atteindre les immenses r�sultats dont nous avons rapidement trac�
le sommaire, que d'efforts gigantesques, que d'�nergie et de vigilance
il fallut d�ployer! Quatorze arm�es organis�es, �quip�es et nourries au
milieu des difficult�s d'une v�ritable disette, notre marine remont�e et
mise en �tat de lutter contre les forces de l'Angleterre, tout cela
atteste suffisamment la prodigieuse activit� des membres du comit� de
Salut public.
II
III
[Note 198: Nous avons sous les yeux l'original de cette lettre de
Mme Buissart, en date du 26 flor�al (15 mai 1794). Supprim�e par
Courtois, elle a �t� ins�r�e, mais d'une fa�on l�g�rement inexacte, dans
_les Papiers in�dits_..., t. 1er, p. 254.]
[Note 202: Voy. notamment une lettre �crite par Guffroy � ses
concitoyens d'Arras le 16 thermidor (3 ao�t 1794).]
�... Vous devez prendre dans votre �nergie toutes les mesures command�es
par le salut de la patrie. Continuez votre attitude r�volutionnaire;
l'amnistie prononc�e lors de la Constitution captieuse et invoqu�e par
tous les sc�l�rats est un crime qui ne peut en couvrir d'autres. Les
forfaits ne se rach�tent point contre une R�publique, ils s'expient sous
le glaive. Le tyran l'invoqua, le tyran fut frapp�.... Secouez sur les
tra�tres le flambeau et le glaive. Marchez toujours, citoyen coll�gue,
sur la ligne r�volutionnaire que vous suivez avec courage. Le comit�
applaudit � vos travaux. _Sign�_ �Billaud-Varenne, Carnot,
Bar�re[206].�
[Note 210: Cette lettre, supprim�e par Courtois, et dont nous avons
l'original sous les yeux, a �t� ins�r�e dans les _Papiers
In�dits_..., t. 1er, p. 247.]
On n'ignorait pas, en effet, comment, dans ses missions, Augustin
Robespierre avait su allier la sagesse, la mod�ration � une in�branlable
fermet� et � une �nergie � toute �preuve.
IV
Que Robespierre ait �t� d�termin� � mettre fin aux actes d'oppression
inutilement et indistinctement prodigu�s sur tous les points de la
R�publique, qu'il ait �t� r�solu � subordonner la s�v�rit� nationale �
la stricte justice, en �vitant toutefois de rendre courage � la
r�action, toujours pr�te � profiter des moindres d�faillances du parti
d�mocratique; qu'il ait voulu enfin, suivant sa propre expression,
�arr�ter l'effusion de sang humain vers� par le crime�, c'est ce qui est
hors de doute pour quiconque a �tudi� aux vraies sources, de sang-froid
et d'un esprit impartial, l'histoire de la R�volution fran�aise. La
chose �tait assez peu ais�e puisqu'il p�rit en essayant de l'ex�cuter.
Or l'homme qui est mort � la peine dans une telle entreprise m�riterait
par cela seul le respect et l'admiration de la post�rit�.
De son ferme dessein d'en finir avec les exc�s sous lesquels la
R�volution lui paraissait en danger de p�rir, il reste des preuves de
plus d'un genre, malgr� tout le soin apport� par les Thermidoriens �
d�truire les documents de nature � �tablir cette incontestable v�rit�.
Il se plaignait qu'on prodigu�t les accusations injustes pour trouver
partout des coupables. Une lettre du litt�rateur Aignan, qui alors
occupait le poste d'agent national de la commune d'Orl�ans, nous apprend
les pr�occupations o� le tenait la moralit� des d�nonciateurs[217]. Il
avait toujours peur que des personnes inoffensives, que des patriotes
m�me ne fussent victimes de vengeances particuli�res, pers�cut�s par des
hommes pervers; et ses craintes, h�las! n'ont �t� que trop justifi�es.
Il lui semblait donc indispensable de purifier les administrations
publiques, de les composer de citoyens probes, d�vou�s, incapables de
sacrifier l'int�r�t g�n�ral � leur int�r�t particulier, et d�cid�s �
combattre r�sol�ment tous les abus, sans d�tendre le ressort
r�volutionnaire.
Les anciens membres des comit�s nous ont du reste laiss� un aveu trop
pr�cieux pour que nous ne saisissions pas l'occasion de le mettre encore
une fois sous les yeux du lecteur. Il s'agit des s�ances du comit� de
Salut public � la veille m�me de la catastrophe: �Lorsqu'on faisoit le
tableau des circonstances malheureuses o� se trouvait la chose publique,
disent-ils, chacun de nous cherchoit des mesures et proposoit des
moyens. Saint-Just nous arr�toit, jouoit l'�tonnement de n'�tre pas dans
la confidence de ces dangers, et se plaignoit de ce que tous les coeurs
�toient ferm�s, suivant lui; qu'il ne connaissoit rien, qu'il ne
concevoit pas cette mani�re prompte d'improviser la foudre � chaque
instant, et il nous conjuroit, au nom de la R�publique, de revenir � des
id�es plus justes, � des mesures plus sages[224]�. C'�taient ainsi,
ajoutent-ils, que le _tra�tre_ les tenait en �chec, paralysait
leurs mesures et refroidissait leur z�le[225]. Saint-Just se contentait
d'�tre ici l'�cho des sentiments de son ami, qui, certainement, n'avait
pas manqu� de se plaindre devant lui de voir certains hommes prendre
plaisir � multiplier les actes d'oppression et � rendre les institutions
r�volutionnaires odieuses par des exc�s[226].
[Note 224: _R�ponse des membres des deux anciens comit�s de Salut
public et de S�ret� g�n�rale aux imputations de Laurent Lecointre_,
note [illisible] Voy. p. 107.]
Ces lettres �taient d'un homme de loi, nomm� Jacquotot, demeurant rue
Saint-Jacques. Robespierre ne se pr�occupait gu�re de ces lettres et de
leur auteur, dont, sur plus d'un point du reste, il partageait les
id�es. Affam� de pers�cution comme d'autres de justice, l'ancien avocat,
lass� en quelque sorte de la tranquillit� dans laquelle il vivait au
milieu de cette Terreur dont il aimait tant � d�noncer les exc�s,
�crivit une derni�re lettre, d'une violence inou�e, o� il stigmatisa
rudement la politique ext�rieure et int�rieure du comit� de Salut
public; puis il signa son nom en toutes lettres, et, cette fois, il
adressa sa missive � Saint-Just: �Jusqu'� pr�sent j'ai gard� l'anonyme,
mais maintenant que je crois ma malheureuse patrie perdue sans
ressource, je ne crains plus la guillotine, et je signe[229].�
D'autres, les Legendre, les Bourdon (de l'Oise), par exemple, se fussent
empress�s d'aller d�poser ce libelle sur le bureau du comit� afin de
faire montre de z�le, eussent r�clam� l'arrestation de l'auteur;
Saint-Just n'y fit nulle attention; il mit la lettre dans un coin, garda
le silence, et Jacquotot continua de vivre sans �tre inqui�t� jusqu'au 9
thermidor. Mais, au lendemain de ce jour n�faste, les glorieux
vainqueurs trouv�rent les lettres du malheureux Jacquotot, et, sans
perdre un instant, ils le firent arr�ter et jeter dans la prison des
Carmes[230], tant il est vrai que la chute de Robespierre fut le signal
du r�veil de la mod�ration, de la justice et de l'humanit�!
C'est ici le lieu de faire conna�tre par quels �tranges proc�d�s, par
quels efforts incessants, par quelles manoeuvres criminelles les ennemis
de Robespierre sont parvenus � ternir sa m�moire aux yeux d'une partie
du monde aveugl�. Nous dirons tout � l'heure de quelle r�putation
�clatante et pure il jouissait au moment de sa chute, et pour cela nous
n'aurons qu'� interroger un de ses plus violents adversaires. Disons
auparavant ce qu'on s'est efforc� d'en faire, et comment on a tent� de
l'assassiner au moral comme au physique.
[Note 240: Voyez ces notes � la suite du rapport de Courtois sur les
�v�nements du 9 thermidor, p. 80]
VI
J'ai nomm� Courtois! Jamais homme ne fut plus digne du m�pris public. Si
quelque chose est de nature � donner du poids aux graves soup�ons dont
reste encore charg�e la m�moire de Danton, c'est d'avoir eu pour ami
intime un tel mis�rable. Aucun scrupule, un m�lange d'astuce, de
friponnerie et de l�chet�, Basile et Tartufe, voil� Courtois. Signal�
d�s le mois de juillet 1793 comme s'�tant rendu coupable de
dilapidations dans une mission en Belgique, il avait �t�, pour ce fait,
mand� devant le comit� de Salut public par un arr�t� portant la
signature de Robespierre[245]. Les faits ne s'�tant pas trouv�s
suffisamment �tablis, il n'avait pas �t� donn� suite � la plainte; mais
de l'humiliation subie naquit une haine qui, longtemps concentr�e, se
donna largement et en toute s�ret� carri�re apr�s Thermidor[246]. Charg�
du rapport sur les papiers trouv�s chez Robespierre, Couthon, Saint-Just
et autres, Courtois s'acquitta de cette t�che avec une mauvaise foi et
une d�loyaut� � peine croyables. La post�rit�, je n'en doute pas, sera
�trangement surprise de la facilit� avec laquelle cet homme a pu, �
l'aide des plus grossiers mensonges, de faux mat�riels, �garer pendant
si longtemps l'opinion publique.
[Note 245: Voici cet arr�t�: �Du 30 juillet 1793, les comit�s de
Salut public et de S�ret� g�n�rale arr�tent que Beffroy, d�put� du
d�partement de l'Aisne, et Courtois, d�put� du d�partement de l'Aube,
seront amen�s sur-le-champ au comit� de Salut public pour �tre entendus.
Chargent le maire de Paris de l'ex�cution du pr�sent arr�t�.
Robespierre, Prieur (de la Marne), Saint-Just, Laignelot, Amar,
Legendre.�]
[Note 252: Nous avons d�j� cit� cette lettre en extrait dans notre
premier volume de l'Histoire de Robespierre. Voyez-la, du reste, dans
les Papiers in�dits, t. I, p. 180.]
VII
VIII
Nous avons d�j� signal� en passant plusieurs des fraudes de Courtois, et
le lecteur ne les a sans doute pas oubli�es. Ici, au lieu des �crivains
mercenaires dont parlait Maximilien, on a g�n�ralis� et l'on a �crit:
_les �crivains_; l�, au lieu d'une couronne _civique_, on lui
fait offrir _la couronne_, et cela suffit au rapporteur pour
l'accuser d'avoir aspir� � la royaut�. Mais de tous les faux commis par
les Thermidoriens pour charger la m�moire de Robespierre, il n'en est
pas de plus odieux que celui qui a consist� � donner comme adress�e �
Maximilien une lettre �crite par Charlotte Robespierre � son jeune fr�re
Augustin, dans un moment de d�pit et de col�re. A ceux qui r�voqueraient
en doute l'infamie et la sc�l�ratesse de cette faction thermidorienne
que Charles Nodier a si justement fl�trie du nom d'ex�crable, de ces
_sauveurs de la France_, comme disent les fanatiques de Mme
Tallien, il n'y a qu'� opposer l'horrible trame dont nous allons placer
le r�cit sous les yeux de nos lecteurs. Les individus coupables de ce
fait monstreux �taient, � coup s�r, dispos�s � tout. On s'�tonnera moins
que Robespierre ait eu la pens�e de d�noncer � la France ces hommes
�couverts de crimes�, les Fouch�, les Tallien, les Rov�re, les Bourdon
(de l'Oise) et les Courtois. Je ne sais m�me s'il ne faut pas
s'applaudir � cette heure des faux dont nous avons d�couvert les preuves
authentiques, et qui resteront comme un monument �ternel de la bassesse
et de l'immoralit� de ces mis�rables.
Fort contrari�e d'avoir �t� ainsi cong�di�e, elle �tait revenue � Paris
le coeur gonfl� d'amertume. A son retour, Augustin ne mit point le pied
chez sa soeur, et, sans l'avoir vue, il repartit pour l'arm�e
d'Italie[261]. Charlotte en garda un ressentiment profond. Au lieu de
s'expliquer franchement aupr�s de son fr�re a�n� sur ce qui s'�tait
pass� entre elle, Mme Ricord, et Augustin, elle alla r�criminer
violemment contre ce dernier dans le cercle de ses connaissances, sans
se soucier du scandale qu'elle causait. Ce fut en apprenant ces
r�criminations que Robespierre jeune �crivit � son fr�re: �Ma soeur n'a
pas une seule goutte de sang qui ressemble au n�tre. J'ai appris et j'ai
vu tant de choses d'elle que je la regarde comme notre plus grande
ennemie. Elle abuse de notre r�putation sans tache pour nous faire la
loi.... Il faut prendre un parti d�cid� contre elle. Il faut la faire
partir pour Arras, et �loigner ainsi de nous une femme qui fait notre
d�sespoir commun. Elle voudrait nous donner la r�putation de mauvais
fr�res[262].�
[Note 261: _M�moires de Charlotte Robespierre_, p. 125.]
Beaucoup de personnes ont cru et plusieurs m�me ont soutenu que Mlle
Robespierre n'avait fait cette d�claration que par complaisance et �
l'instigation de quelques anciens amis de son fr�re a�n�. Charlotte ne
s'est pas aper�ue de la suppression d'un passage qui, plac� sous les
yeux du lecteur, e�t coup� court � tout d�bat. Deux lignes de plus et il
n'y avait pas de confusion possible. Quel ne fut pas mon �tonnement, et
quelle ma joie, puis-je ajouter, quand, ayant mis, aux _Archives_,
la main sur les pi�ces cit�es par Courtois et qu'il ne restitua, comme
je l'ai dit, qu'un d�cret sur la gorge en quelque sorte, je lus dans
l'original de la lettre de Charlotte ces lignes d'o� jaillit la lumi�re:
�Je vous envoie l'�tat de la d�pense que j'ai faite depuis VOTRE D�PART
POUR NICE. J'ai appris avec peine que vous vous �tiez singuli�rement
d�grad� par la mani�re dont vous avez parl� de cet affaire
d'int�r�t....� Suivent des explications sur la nature des d�penses
faites par Charlotte, d�penses qui, para�t-il, avaient sembl� un peu
exag�r�es � Augustin. Charlotte s'�tait charg�e de tenir le m�nage de
son jeune fr�re, avec lequel elle avait habit� jusqu'alors; quelques
reproches indirects sur l'exag�ration de ses d�penses n'avaient sans
doute pas peu contribu� � l'exasp�rer. �Je vous rends tout ce qui me
reste d'argent�, disait-elle en terminant, �si cela ne s'accorde pas
avec ma d�pense, cela ne peut venir que de ce que j'aurai oubli�
quelques articles[266]�. On comprend de reste l'int�r�t qu'ont eu les
Thermidoriens � supprimer ce passage: toute la France savait que c'�tait
Augustin et non pas Maximilien qui avait �t� en mission � Nice; or, pour
tromper l'opinion publique, ils n'�taient pas hommes � reculer devant un
faux par omission.
Voici donc bien �tablis les v�ritables sentiments de Charlotte pour ses
fr�res, et l'on peut comprendre combien elle dut souffrir de l'�trange
abus que les Thermidoriens avaient fait de son nom. Tous les honn�tes
gens se f�liciteront donc de la d�couverte d'un faux qui imprime une
souillure de plus sur la m�moire de ces hommes souill�s d�j� de tant de
crimes, et je ne saurais trop m'applaudir, pour ma part, d'avoir pu, ici
comme ailleurs, d�gager l'histoire des t�n�bres dont elle �tait
envelopp�e.
IX
[Note 274: _Les crimes des sept membres des anciens comit�s_,
etc., par Laurent Lecointre, p. 53.]
[Note 277: Voyez � cet �gard une vie apolog�tique de Carnot, publi�e
en 1817 par Rioust, in-8 de 294 pages, p. 145.]
CHAPITRE CINQUI�ME
Les Girondins sauv�s par lui, les Mercier, les Daunou, les Saladin, les
Olivier de G�rente et tant d'autres injuri�rent bassement l'homme qui,
de leur propre aveu, les avait par trois fois sauv�s de la mort, et vers
lequel ils avaient pouss� un long cri de reconnaissance. Mais, pass�
Thermidor, leur reconnaissance �tait avec les neiges d'antan. Celui
qu'en messidor de l'an II, Boissy-d'Anglas pr�sentait au monde comme
l'Orph�e de la France, enseignant aux peuples les principes de la morale
et de la justice, n'�tait plus, en vent�se de l'an III (mars 1795), de
par le m�me Boissy, qu'un hypocrite � la tyrannie duquel le 9 Thermidor
avait heureusement mis fin[279].
[Note 288: Taschereau avait �t� mis hors la loi dans la nuit du 9 au
10 thermidor. Voy. le _Moniteur_ du 11 thermidor (29 juillet
1795).]
Mais tout cela n'est rien aupr�s des calomnies enfant�es par
l'imagination des Harmand (de la Meuse)[294] et des Guffroy. Des presses
de l'ancien propri�taire-r�dacteur du _Rougyff_ sortirent des
libelles dont les innombrables exemplaires �taient r�pandus � profusion
dans les villes et dans les campagnes. Parmi les impostures de cette
impure officine citons, outre les �lucubrations de Laurent Lecointre,
_la Queue de Robespierre, ou les dangers de la libert� de la
presse_ par M�h�e fils; _les Anneaux de la queue; D�fends ta queue;
Jugement du peuple souverain qui condamne � mort la queue infernale de
Robespierre; Lettre de Robespierre � la Convention nationale; la T�te �
la Queue, ou Premi�re Lettre de Robespierre � ses continuateurs_;
j'en passe et des meilleurs[295]. Ajoutez � cela des nu�es de libelles
dont la seule nomenclature couvrirait plusieurs pages. Prose et vers,
tout servit � noircir cette grande figure qui rayonnait d'un si
merveilleux �clat aux yeux des r�publicains de l'an II. Les po�tes, en
effet, se mirent aussi de la partie, si l'on peut prostituer ce nom de
po�tes � d'indignes versificateurs qui mirent leur muse boiteuse et
mercenaire au service des h�ros thermidoriens. H�las! pourquoi faut-il
que parmi ces insulteurs du g�ant tomb�, on ait le regret de compter
l'auteur de la _Marseillaise_! Mais autant Rouget de Lisle, inspir�
par le g�nie de la patrie, avait �t� sublime dans le chant qui a
immortalis� son nom, autant il fut plat et lourd dans l'hymne calomnieux
compos� par lui sur la _conjuration de Robespierre_, suivant
l'expression de l'�poque[296].
Rouget de Lisle avait �t� arr�t� avant Thermidor, sur un ordre sign� de
Carnot. On ne manqua pas sans doute de lui persuader que son arrestation
avait �t� l'oeuvre de Robespierre.]
Le th��tre n'�pargna pas les vaincus, et l'on nous montra sur la sc�ne
Maximilien Robespierre envoyant � la mort une jeune fille coupable de
n'avoir point voulu sacrifier sa virginit� � la ran�on d'un p�re[297].
Elle a �t� imprim�e, apr�s la mort de son auteur, par les soins pieux de
sa fille, Mlle Marie Combe, avec cette �pigraphe de M. Louis Combet: �Ce
livre n'est point une oeuvre de parti, c'est un essai de r�paration et
de justice. C'est un appel � l'impartiale histoire pour la revision d'un
jugement h�tivement rendu contre l'homme le plus pur de la R�volution
fran�aise, et que la calomnie et la haine n'ont cess� de poursuivre
jusqu'au del� de la tombe.�]
II
Vers lui, avons-nous dit d�j�, s'�levaient les plaintes d'une foule de
malheureux et d'opprim�s, plaintes qui retentissaient d'autant plus
douloureusement dans son coeur que la plupart du temps il �tait dans
l'impuissance d'y faire droit. �R�publicain vertueux et int�gre�, lui
mandait de Saint-Omer, � la date du 2 messidor, un ancien commissaire
des guerres destitu� par le repr�sentant Florent Guyot, �permets qu'un
citoyen p�n�tr� de tes sublimes principes et rempli de la lecture de tes
illustres �crits, o� respirent le patriotisme le plus pur, la morale la
plus touchante et la plus profonde, vienne � ton tribunal r�clamer la
justice, qui fut toujours la vertu inn�e de ton �me.... Je fais reposer
le succ�s de ma demande sur ton �quit�, qui fut toujours la base de
toutes tes actions....[309]� Et le citoyen Carpot: �Je regrette de
n'avoir pu vous entretenir quelques instants. Il me semble que je laisse
�chapper par l� un moyen d'abr�ger la captivit� des personnes qui
m'int�ressent.�[310]
[Note 322: Nous avons d�j� dit l'indigne trafic qu'a fait Courtois
des innombrables lettres trouv�es chez Robespierre.]
III
[Note 325: _R�ponse des anciens membres des deux comit�s aux
imputations de L. Lecointre_, p. 19.]
�Homme qui suit son temps � saison opportune�, dirai-je avec notre vieux
po�te R�gnier.]
Ah! je le r�p�te, c'est avoir une �trange id�e de nos p�res que de les
peindre aux pieds d'un ambitieux sans valeur et sans talent; on ne
saurait les insulter davantage dans leur gloire et dans leur oeuvre. Il
faut en convenir franchement, si ces fils de Voltaire et de Rousseau, si
ces rudes champions de la justice et du droit, eurent pour Robespierre
un enthousiasme et une admiration sans bornes, c'est que Robespierre fut
le plus �nergique d�fenseur de la libert�, c'est qu'il repr�senta la
d�mocratie dans ce qu'elle a de plus pur, de plus noble, de plus �lev�,
c'est qu'il n'y eut jamais un plus grand ami de la justice et de
l'humanit�. L'�v�nement du reste leur donna tristement raison, car, une
fois l'objet de leur culte bris�, la R�volution d�chut des hauteurs o�
elle planait et se noya dans une boue sanglante.
IV
[Note 337: Arr�t� sign�: Bar�re, Dubarran, C.-A. Prieur, Louis (du
Bas-Rhin), Lavicomterie, Collot-d'Herbois, Carnot, Couthon, Robert
Lindet, Saint-Just, Billaud-Varenne, Voulland, Vadier, Amar, Moyse Bayle
(cit� dans l'_Histoire parlementaire_, t. XXXIII, p. 393).]
[Note 342: Ces d�tails ont �t� fournis aux auteurs de l'_Histoire
parlementaire_ par Buonaroti, qui les tenait d'Ingrand lui-m�me.
Membre du conseil des Anciens jusqu'en 1797, Ingrand entra vers cette
�poque dans l'administration foresti�re et cessa de s'occuper de
politique. Proscrit en 1816, comme r�gicide, il se retira � Bruxelles, y
v�cut pauvre, souffrant sto�quement comme un vieux r�publicain, et
revint mourir en France, apr�s la R�volution de 1830, fid�le aux
convictions de sa jeunesse.]
Nous avons d�j� parl� d'une altercation qui avait eu lieu au mois de
flor�al entre ces deux membres du comit� de Salut public, altercation �
laquelle on n'a pas manqu�, apr�s coup, de m�ler Robespierre, qui y
avait �t� compl�tement �tranger. A son retour de l'arm�e, vers le milieu
de messidor, Saint-Just avait eu avec Carnot de nouvelles discussions au
sujet d'un ordre malheureux donn� par son coll�gue. Carnot, ayant dans
son bureau des Tuileries imagin� une exp�dition militaire, avait
prescrit � Jourdan de d�tacher dix-huit mille hommes de son arm�e pour
cette exp�dition. Si cet ordre avait �t� ex�cut�, l'arm�e de
Sambre-et-Meuse aurait �t� forc�e de quitter Charleroi, de se replier
m�me sous Philippeville et Givet, en abandonnant Avesnes et
Maubeuge[346]. Heureusement les repr�sentants du peuple pr�sents �
l'arm�e de Sambre-et-Meuse avaient pris sur eux de suspendre le
malencontreux ordre. Cette grave imprudence de Carnot avait �t� signal�e
d�s l'�poque, et n'avait pas peu contribu� � lui nuire dans l'opinion
publique[347].
Dans les divers M�moires publi�s sur lui, on trouve contre Robespierre
beaucoup de lieux communs, d'appr�ciations erron�es et injustes, de
redites, de d�clamations renouvel�es des Thermidoriens, mais pas un fait
pr�cis, rien surtout de nature � justifier la part active prise par
Carnot au guet-apens de Thermidor. Rien de curieux, du reste, comme
l'embarras des anciens coll�gues de Maximilien quand il s'est agi de
r�pondre � cette question: Pourquoi avez-vous attendu si longtemps pour
le d�masquer?--Nous ne poss�dions pas son discours du 8 thermidor,
ont-ils dit, comme on a vu plus haut, et c'�tait l'unique preuve, la
preuve mat�rielle des crimes du _tyran_[351]. A cet �gard
Billaud-Varenne, Collot-d'Herbois et Bar�re sont d'une unanimit�
touchante. Dans l'int�rieur du comit� Robespierre �tait inattaquable,
para�t-il, car �il colorait ses opinions de fortes nuances de bien
public et il les ralliait adroitement � l'int�r�t des plus graves
circonstances[352].� Aux Jacobins, ses discours �taient remplis de
patriotisme, et ce n'est pas l� sans doute qu'il aurait divulgu� ses
plans de dictature ou son ambition triumvirale[353]. Ainsi il a fallu
arriver jusqu'au 8 thermidor pour avoir seulement l'id�e que Robespierre
e�t m�dit� des plans de dictature ou f�t dou� d'une _ambition
triumvirale_. Savez-vous quel a �t�, au dire de Collot-d'Herbois,
l'instrument terrible de Maximilien pour dissoudre la Repr�sentation
nationale, amener la guerre civile, et rompre le gouvernement? son
discours[354]. Et de son c�t� Billaud-Varenne a �crit: �Je demande � mon
tour qui seroit sorti vainqueur de cette lutte quand pour confondre le
tyran, quand pour dissiper l'illusion g�n�rale nous n'avions ni son
discours du 8 thermidor ... ni le discours de Saint-Just[355]?� C'est
pu�ril, n'est-ce pas? Voil� pourtant sur quelles accusations s'est
perp�tu�e jusqu'� nos jours la tradition du fameux triumvirat dont le
fant�me est encore �voqu� de temps � autre par certains niais solennels,
chez qui la na�vet� est au moins �gale � l'ignorance.
[Note 351: _R�ponse des membres des deux anciens comit�s aux
imputations de Laurent Lecointre_, p. 14.]
[Note 352: _R�ponse des membres des deux anciens comit�s aux
imputations de Laurent Lecointre_, p. 13.]
[Note 361: _R�ponse des membres des deux anciens comit�s aux
imputations de L. Lecointre_, p. 16.]
[Note 363: C'est M.H. Carnot qui, dans ses _M�moires_ sur son
p�re, raconte ce fait comme l'ayant trouv� dans une note �_�videmment
�man�e d'un t�moin oculaire_� qu'il ne nomme pas (t. 1er, p. 530).]
[Note 364: Voy. cette lettre de l'Anglais Vaughan, dans les M�moires
de Bar�re (t. II, p. 227). Robespierre n'en eut m�me pas connaissance,
car, d'apr�s Bar�re, elle arriva et fut d�cachet�e au comit� de Salut
public dans la journ�e du 9 thermidor.]
VI
[Note 379: Cette autre lettre, dont l'original est �galement aux
_Archives_ (_ubi supr�_), est d'une orthographe qu'il nous a
�t� impossible de conserver. On la trouve _arrang�e_ � la suite du
rapport de Courtois, sous le num�ro LX, et dans les _Papiers
in�dits_, t. II, p. 155.]
S'il e�t �t� dou� du moindre esprit d'intrigue, comme il lui e�t �t�
facile de d�jouer toutes les machinations thermidoriennes, comme
ais�ment il se f�t rendu d'avance ma�tre de la situation! Mais non, il
sembla se complaire dans une compl�te inaction. Loin de prendre la
pr�caution de sonder les intentions de ses coll�gues de la droite, il
n'eut m�me pas l'id�e de s'entendre avec ceux dont le concours lui �tait
assur�! La grande majorit� des sections parisiennes, la soci�t� des
Jacobins presque tout enti�re, la commune lui �taient d�vou�es; il ne
songea point � tirer parti de tant d'�l�ments de force et de succ�s. Les
inventeurs _de la conspiration de Robespierre_ ont eu beau
s'ing�nier, ils n'ont pu prouver un lambeau de papier indiquant qu'il y
ait eu la moindre intelligence et le moindre concert entre Maximilien et
le maire de Paris Fleuriot-Lescot, par exemple, ou l'agent national
Payan[382]. Si ces deux hauts fonctionnaires, sur le compte desquels la
r�action, malgr� sa science dans l'art de la calomnie, n'est parvenue �
mettre ni une action basse ni une l�chet�, ont, dans la journ�e du 9
thermidor, pris parti pour Robespierre, �'a �t� tout spontan�ment et
emport�s par l'esprit de justice. En revanche on a �t� beaucoup plus
fertile en inventions sur le compte d'Hanriot, le c�l�bre g�n�ral de la
garde nationale parisienne[383].
VIII
S'il est vrai que le style soit l'homme, on n'a qu'� parcourir les
ordres du jour du g�n�ral Hanriot, et l'on se convaincra que ce
r�volutionnaire tant calomni� �tait un excellent patriote, un pur
r�publicain, un v�ritable homme de bien. A ses fr�res d'armes, de
service dans les maisons d'arr�t, il recommande de se comporter avec le
plus d'�gards possible envers les d�tenus et leurs femmes. �La justice
nationale seule�, dit-il, �a le droit de s�vir contre les
coupables[384].... Le criminel dans les fers doit �tre respect�; on
plaint le malheur, mais on n'y insulte pas�[385]. Pour r�primer
l'indiscipline de certains gardes nationaux, il pr�f�re l'emploi du
raisonnement � celui de la force: �Nous autres r�publicains, nous devons
�tre frapp�s de l'�vidence de notre �galit� et pour la soutenir il faut
des moeurs, des vertus et de l'aust�rit�[386]. Ailleurs il disait: �Je
ne croirai jamais que des mains r�publicaines soient capables de
s'emparer du bien d'autrui; j'en appelle � toutes les vertueuses m�res
de famille dont les sentiments d'amour pour la patrie et de respect pour
tout ce qui m�rite d'�tre respect�, sont publiquement connus�[387].
Est-il parfois oblig� de recourir � la force arm�e, il ne peut
s'emp�cher d'en g�mir: �Si nous nous armons quelquefois de fusils, ce
n'est pas pour nous en servir contre nos p�res, nos fr�res et amis, mais
contre les ennemis du dehors[388]....�
Ce n'est pas lui qui e�t encourag� notre malheureuse tendance � nous
engouer des hommes de guerre: �Souvenez-vous, mes amis, que le temps de
servir les hommes est pass�. C'est � la chose publique seule que tout
bon citoyen se doit enti�rement.... Tant que je serai g�n�ral, je ne
souffrirai jamais que le pouvoir militaire domine le civil, et si mes
fr�res les canonniers veulent _despotiser_, ce ne sera jamais sous
mes ordres�[389].
Dans nos f�tes publiques, il nous faut toujours des ba�onnettes qui
reluisent au soleil; Hanriot ne comprend pas ce d�ploiement de
l'appareil des armes dans des solennit�s pacifiques. Le lendemain d'un
jour de c�r�monie populaire, un citoyen s'�tant plaint que la force
arm�e n'e�t pas �t� l� avec ses fusils et ses piques pour mettre l'ordre
dans la foule: �Ce ne sont pas mes principes�, s'�crie Hanriot dans un
ordre du jour; �quand on f�te, pas d'armes, pas de despote; la raison
�tablit l'ordre, la douce et saine philosophie r�gle nos pas ... un
ruban tricolore suffit pour indiquer � nos fr�res que telles places sont
destin�es � nos bons l�gislateurs.... Quand il s'agit de f�te, ne
parlons jamais de force arm�e, elle touche de trop pr�s au
despotisme....�[390].
Un matin, l'ordre du jour suivant fut affich� dans tous les postes:
�Hier, un gendarme de la 29�me division a jet� � terre, il �tait midi
trois quarts, rue de la Verrerie, au coin de celle Martin, un vieillard
ayant � la main une b�quille.... Cette atrocit� r�volte l'homme qui
pense et qui conna�t ses devoirs. Malheur � celui qui ne sait pas
respecter la vieillesse, les lois de son pays, et qui ignore ce qu'il
doit � lui-m�me et � la soci�t� enti�re. Ce gendarme pr�varicateur, pour
avoir manqu� � ce qui est respectable, gardera les arr�ts jusqu'� nouvel
ordre[401].� Quand je passe maintenant au coin de la rue Saint-Martin, �
l'angle de la vieille �glise Saint-M�ry qui, dans ce quartier
transform�, est rest�e presque seule comme un t�moin de l'acte de
brutalit� si s�v�rement puni par le g�n�ral de la garde nationale, je ne
puis m'emp�cher de songer � cet Hanriot dont la r�action nous a laiss�
un portrait si d�figur�.
IX
D'ailleurs Robespierre ne put se persuader, j'imagine, que ses coll�gues
du comit� de Salut public l'abandonneraient si ais�ment � la rage de ses
ennemis. Mais il comptait sans les jaloux et les envieux, � qui son
immense popularit� portait ombrage. La persistance de Maximilien � ne
point s'associer � une foule d'actes qu'il consid�rait comme
tyranniques, � ne pas prendre part, quoique pr�sent, aux d�lib�rations
du comit�, exasp�ra certainement quelques-uns de ses coll�gues, surtout
Billaud. Ce dernier lui reprochait d'�tre le tyran de l'opinion, � cause
de ses succ�s de tribune. Singulier reproche qui fit dire � Saint-Just:
�Est-il un triomphe plus d�sint�ress�? Caton aurait chass� de Rome le
mauvais citoyen qui e�t appel� l'�loquence dans la tribune aux harangues
le tyran de l'opinion[404].� Son empire, ajoute-t-il excellemment, se
donne � la raison et ne ressemble gu�re au pouvoir des gouvernements.
Mais Billaud-Varenne et Collot-d'Herbois, forts de l'appui de Carnot,
avaient pour ainsi dire accapar� � cette �poque l'exercice du
pouvoir[405]: ils ne se souciaient nullement de voir la puissance du
gouvernement contre balanc�e par celle de l'opinion.
[Note 413: _Les Crimes de sept membres des anciens comit�s, etc.,
ou D�nonciation formelle � la Convention nationale_, par Laurent
Lecointre, p. 194.]
Tel avait �t� le succ�s de ce stratag�me, qu'ainsi que nous l'avons dit,
un certain nombre de repr�sentants n'osaient plus coucher dans leurs
lits. Cependant on ne vint pas sans peine � bout d'entra�ner le comit�
de Salut public; il fallut des pas et des d�marches dont l'histoire
serait certainement instructive et curieuse. Les membres de ce comit�
semblaient comme retenus par une sorte de crainte instinctive, au moment
de livrer la grande victime. Tout � l'heure m�me nous allons entendre
Bar�re, en leur nom, prodiguer � Robespierre la louange et l'�loge. Mais
ce sera le baiser de Judas.
CHAPITRE SIXI�ME
[Note 416: Senar, comme on sait, avait fini par �tre arr�t� sur les
plaintes r�it�r�es de Couthon.]
Trois jours auparavant, Couthon, apr�s avoir r�crimin� contre les cinq
ou six coquins dont la pr�sence souillait la Convention, avait engag� la
soci�t� � pr�senter dans une p�tition � l'Assembl�e ses voeux et ses
r�flexions au sujet de la situation, et sa motion avait �t� unanimement
adopt�e. Il y revint dans la s�ance du 6. C'�tait sans doute, � ses
yeux, un moyen tr�s puissant de d�terminer les gens de bien � se
rallier, et les membres purs de la Convention � se d�tacher des cinq ou
six �tres tar�s qu'il consid�rait comme les plus vils et les plus
dangereux ennemis de la libert�[417]. Quelques esprits exalt�s
song�rent-ils alors � un nouveau 31 mai? Cela est certain; mais il est
certain aussi que si quelqu'un s'opposa avec une �nergie supr�me �
l'id�e de porter atteinte � la Convention nationale, dans des
circonstances nullement semblables � celles o� s'�tait trouv�e
l'Assembl�e � l'�poque du 31 mai, ce fut surtout Robespierre. Il ne
m�nagea point les provocateurs d'insurrection, ceux qui, par leurs
paroles, poussaient le peuple � un 31 mai. �C'�tait bien m�riter de son
pays�, s'�criat-il, �d'arr�ter les citoyens qui se permettraient des
propos aussi intempestifs et aussi contre-r�volutionnaires�[418].
II
Ce n'est point, tant s'en faut, comme on l'a dit, une composition
laborieusement con�ue, et p�niblement travaill�e; on y sent, au
contraire, tout l'abandon d'une inspiration soudaine. Ce discours est
fait d'indignation. C'est la r�volte d'une �me honn�te et pure contre le
crime. Les sentiments divers dont le coeur de l'auteur �tait rempli se
sont pr�cipit�s � flots press�s sous sa plume; cela se voit aux ratures,
aux transpositions, au d�sordre m�me qui existe d'un bout � l'autre du
manuscrit[428]. Nul doute que Robespierre n'ait �t� content de son
discours, et n'y ait compt� comme sur une arme infaillible. La veille du
jour o� il s'�tait propos� de le prononcer devant la Convention
nationale, il sortit avec son secr�taire, Simon Duplay, le soldat de
Valmy, celui qu'on appelait Duplay, � la jambe de bois, et il dirigea
ses pas du c�t� du promenoir de Chaillot tout en haut des
Champs-�lys�es. Il se montra gai, enjou� jusqu'� poursuivre les
hannetons fort abondants cette ann�e[429].
Demeurant � Paris, rue Honor�, section des Piques, n� 366, chez son
oncle, Maurice Duplay.
R. Oui, mais Robespierre jeune en est sorti apr�s son retour de l'arm�e
d'Italie pour aller loger rue Florentin.
R. Non. Except� Bar�re qui y d�na dix, douze ou quinze jours auparavant
sans pr�ciser le jour.
R. Non.
(_Archives_ W, 79.)]
III
Rien d'imposant comme le d�but du discours dont nous avons mis d�j�
quelques extraits sous les yeux de nos lecteurs, et que nous allons
analyser aussi compl�tement que possible. �Que d'autres vous tracent des
tableaux flatteurs; je viens vous dire des v�rit�s utiles. Je ne viens
point r�aliser des terreurs ridicules, r�pandues par la perfidie; mais
je veux �touffer, s'il est possible, les flambeaux de la discorde par la
seule force de la v�rit�. _Je vais d�voiler des abus qui tendent � la
ruine de la patrie et que votre probit� seule peut r�primer_[430]. Je
vais d�fendre devant vous votre autorit� outrag�e et la libert� viol�e.
_Si je vous dis aussi quelque chose des pers�cutions dont je suis
l'objet, vous ne m'en ferez point un crime; vous n'avez rien de commun
avec les tyrans que vous combattez_. Les cris de l'innocence outrag�e
n'importunent point vos oreilles, et vous n'ignorez pas que cette cause
ne vous est point �trang�re.�
Charlotte attribue ces vers � son fr�re. (Voy. ses M�moires, p. 121.) Je
serais fort tent� de croire qu'ils sont apocryphes.]
Apr�s avoir montr� les arrestations injustes prodigu�es par des agents
impurs, le d�sespoir jet� dans une multitude de familles attach�es � la
R�volution, les pr�tres et les nobles �pouvant�s par des motions
concert�es, les repr�sentants du peuple effray�s par des listes de
proscription imaginaires, il protestait de son respect absolu pour la
Repr�sentation nationale. En s'expliquant avec franchise sur
quelques-uns de ses coll�gues, il avait cru remplir un devoir, voil�
tout. Alors tomb�rent de sa bouche des paroles difficiles � r�futer et
que l'homme de coeur ne relira jamais sans �tre profond�ment touch�:
Comme nous avons eu soin de le dire d�j�, la calomnie n'avait pas manqu�
de le rendre responsable de toutes les op�rations du comit� de S�ret�
g�n�rale, en se fondant sur ce qu'il avait dirig� pendant quelque temps
le bureau de police du comit� de Salut public. Sa courte gestion,
d�clara-t-il sans rencontrer de contradicteurs, s'�tait born�e, comme on
l'a vu plus haut, � rendre une trentaine d'arr�t�s soit pour mettre en
libert� des patriotes pers�cut�s, soit pour s'assurer de quelques
ennemis de la R�volution; mais l'impuissance de faire le bien et
d'arr�ter le mal l'avait bien vite d�termin� � r�signer ses fonctions,
et m�me � ne prendre plus qu'une part tout � fait indirecte aux choses
du gouvernement. �Quoi qu'il en soit, ajouta-t-il, voil� au moins six
semaines que ma dictature est expir�e et que je n'ai aucune influence
sur le gouvernement; le patriotisme a-t-il �t� plus prot�g�, les
factions plus timides, la patrie plus heureuse? Je le souhaite. Mais
cette influence s'est born�e dans tous les temps � plaider la cause de
la patrie devant la Repr�sentation nationale et au tribunal de la raison
publique....� A quoi avaient tendu tous ses efforts? � d�raciner le
syst�me de corruption et de d�sordre �tabli par les factions, et qu'il
regardait comme le grand obstacle � l'affermissement de la R�publique.
Cela seul lui avait attir� pour ennemis toutes les mauvaises
consciences, tous les gens tar�s, tous les intrigants et les ambitieux.
a dit Ch�nier. Ces grands seigneurs un peu modernes, ces princes un peu
subalternes ont figur� en grand nombre dans les rangs des Thermidoriens;
ils sont devenus, je le r�p�te, les pires ennemis de la R�volution, qui,
h�las! a �t� trahie par tous ceux qu'elle a gorg�s et repus.
�Souviens-toi qu'il existe dans ton sein une ligue de fripons qui lutte
contre la vertu publique, qui a plus d'influence que toi-m�me sur tes
propres affaires, qui te redoute et te flatte en masse, mais te proscrit
en d�tail dans la personne de tous les bons citoyens.
�Sache que tout homme qui s'�l�vera pour d�fendre ta cause et la morale
publique sera accabl� d'avanies et proscrit par les fripons; sache que
tout ami de la libert� sera toujours plac� entre un devoir et une
calomnie; que ceux qui ne pourront �tre accus�s d'avoir trahi seront
accus�s d'ambition; que l'influence de la probit� et des principes sera
compar�e � la force de la tyrannie et � la violence des factions; que ta
confiance et ton estime seront des titres de proscription pour tous tes
amis; que les cris du patriotisme opprim� seront appel�s des cris de
s�dition; et que, n'osant t'attaquer toi-m�me en masse, on te proscrira
en d�tail dans la personne de tous les bons citoyens, jusqu'� ce que les
ambitieux aient organis� leur tyrannie. Tel est l'empire des tyrans
arm�s contre nous; telle est l'influence de leur ligue avec tous les
hommes corrompus, toujours port�s � les servir. Ainsi donc les sc�l�rats
nous imposent la loi de trahir le peuple, � peine d'�tre appel�s
dictateurs. Souscrirons-nous � cette loi? Non! D�fendons le peuple au
risque d'en �tre estim�s; qu'ils courent � l'�chafaud par la route du
crime et nous par celle de la vertu.�
[Note 434: Ce discours a �t� imprim� sur des brouillons trouv�s chez
Robespierre, brouillons couverts de ratures et de renvois, ce qui
explique les r�p�titions qui s'y rencontrent. L'impression en fut vot�e,
sur la demande de Br�ard, dans la s�ance du 30 thermidor (17 ao�t 1794).
On s'expliquerait difficilement comment les Thermidoriens ont eu
l'imprudence d'ordonner l'impression des discours de Robespierre et de
Saint-Just, o� leur atroce conduite est mise en pleine lumi�re et leur
syst�me de terreur vou� � la mal�diction du monde, si l'on ne savait que
tout d'abord le grand grief qu'ils firent valoir contre les victimes du
9 Thermidor fut d'avoir voulu �arr�ter le cours majestueux, terrible de
la R�volution�. Ce discours de Robespierre a eu � l'�poque deux �ditions
in-8�, l'une de 44 pages de l'Imprimerie nationale, l'autre de 49 p. Il
a �t� reproduit dans ses _Oeuvres_ �dit�es par Laponneraye, t. III;
dans l'_Histoire parlementaire_, t. XXXIII, p. 406 � 409; dans le
_Choix de rapports, opinions et discours_, t. XIV, p. 266 � 309, et
dans les M�moires de Ren� Levasseur, t. III, p. 285 � 352.]
[Note 435: Ceci est constat� par tous les journaux qui rendirent
compte de la s�ance du 8, avant la chute de Robespierre. Voy. entre
autres le _Journal de la Montagne_ du 9 thermidor, o� il est dit:
�Ce discours est fort applaudi.� Quant au _Moniteur_, comme il ne
publia son compte rendu de la s�ance du 8 thermidor que le lendemain de
la victoire des conjur�s, ce n'est pas dans ses colonnes qu'il faut
chercher la v�rit�.]
IV
[Note 436: _Les crimes des sept membres des anciens comit�s_ ou
_d�nonciation formelle � la Convention nationale_, par Laurent
Lecointre, p. 79.]
[Note 439: M. Michelet, qui est bien forc� d'avouer avec nous que la
R�publique a �t� engloutie dans le guet-apens de Thermidor, mais dont la
d�plorable partialit� contre Robespierre ne se d�ment pas jusqu'au
d�no�ment, a travesti de la fa�on la plus ridicule et la plus odieuse ce
qu'il appelle le discours accusateur de Robespierre, � qui il ne peut
pardonner son attaque contre Cambon. (Voy. t. VII, liv. XXI, ch. III.)
Mais les op�rations de Cambon ne parurent pas funestes � Robespierre
seulement, puisque apr�s Thermidor elles furent, � diverses reprises,
l'objet des plus s�rieuses critiques, et qu'� cause d'elles leur auteur
se trouva gravement inculp�. M. Michelet a-t-il oubli� ce passage de la
D�nonciation de Lecointre: �Cambon disait � haute voix, en pr�sence du
public et de notre coll�gue Garnier (de l'Aube): Voulez-vous faire face
� vos affaires? guillotinez. Voulez-vous payer les d�penses immenses de
vos quatorze arm�es? guillotinez. Voulez-vous payer les estropi�s, les
mutil�s, tous ceux qui sont en droit de vous demander? guillotinez.
Voulez-vous amortir les dettes incalculables que vous avez? guillotinez,
guillotinez, et puis guillotinez.� (P. 195.)--Assur�ment je n'attache
pas grande importance aux accusations de Lecointre; mais on voit que les
reproches de Maximilien � Cambon sont bien p�les � c�t� de ceux que le
grand financier de la R�volution eut � subir de la part des hommes
auxquels il eut le tort de s'allier. Avant de se montrer si injuste, si
passionn�, si cruel, si ingrat envers Robespierre, M. Michelet aurait
bien d� se rappeler que son h�ros, Cambon, manifesta tout le reste de sa
vie l'amer regret d'avoir moralement coop�r� au crime de Thermidor.]
[Note 443: Mme Le Bas ne dit mot, dans son manuscrit, de cette
pr�tendue promenade du 8, tandis qu'elle raconte complaisamment les
promenades habituelles de Maximilien aux Champs-�lys�es avec toute la
famille Duplay.]
Ce qu'on sait, c'est qu'en rentrant chez son h�te il ne d�sesp�rait pas
encore; il montra m�me une s�r�nit� qui n'�tait peut-�tre pas dans son
coeur, car il n'ignorait pas de quoi �tait capable la horde de fripons
et de coquins d�cha�n�e contre lui. Toutefois, il comptait sur la
majorit� de la Convention: �La masse de l'Assembl�e m'entendra�, dit-il.
Apr�s d�ner, il se h�ta de se rendre aux Jacobins, o�, comme on pense
bien, r�gnait une animation extraordinaire. La salle, les corridors m�me
�taient remplis de monde[444]. Quand parut Maximilien, des transports
d'enthousiasme �clat�rent de toutes parts; on se pr�cipita vers lui pour
le choyer et le consoler. Cependant, c� et l�, on pouvait apercevoir
quelques-uns de ses ennemis. Billaud-Varenne et Collot-d'Herbois, qui
depuis longtemps n'avaient pas mis les pieds au club, �taient accourus,
fort inquiets de la tournure que prendraient les choses.
Que se passa-t-il dans cette s�ance fameuse? Les journaux du temps n'en
ayant pas donn� le compte rendu, nous n'en savons absolument que ce que
les vainqueurs ont bien voulu nous raconter, puisque ceux des amis de
Robespierre qui y ont jou� un r�le ont �t� immol�s avec lui. Quelques
r�cits plus ou moins travestis de certains orateurs � la tribune de la
Convention, et surtout la narration de Billaud dans sa r�ponse aux
imputations personnelles dont il fut l'objet apr�s Thermidor, voil� les
seuls documents auxquels on puisse s'en rapporter pour avoir une id�e
des sc�nes dramatiques dont la salle des Jacobins fut le th��tre dans la
soir�e du 8 thermidor.
L'�motion ressentie par David aux Jacobins fut partag�e par toute
l'assistance. Billaud-Varenne et Collot-d'Herbois essay�rent en vain de
se faire entendre, on refusa de les �couter. Depuis longtemps ils ne
s'�taient gu�re montr�s aux Jacobins; leur pr�sence au club ce soir-l�
parut �trange et suspecte. Conspu�s, poursuivis d'impr�cations, ils se
virent contraints de se retirer, et d�s ce moment ils ne song�rent plus
qu'� se venger[452].
VI
Tandis que Robespierre allait dormir son dernier sommeil, les conjur�s,
peu rassur�s, se r�pandirent de tous c�t�s et d�ploy�rent l'�nergie du
d�sespoir pour tourner contre Maximilien les esprits incertains,
h�sitants, ceux � qui leur conscience troubl�e semblait d�fendre de
sacrifier l'int�gre et aust�re tribun. De l'attitude de la droite
d�pendait le sort de la journ�e du lendemain, et dans la s�ance du 8
elle avait paru d'abord toute dispos�e en faveur de Robespierre.
On vit alors, spectacle �trange! les Tallien, les Fouch�, les Rov�re,
les Bourdon (de l'Oise), les Andr� Dumont, tous ces hommes d�gouttants
de sang et de rapines, se jeter comme des suppliants aux genoux des
membres de cette partie de la Convention dont ils �taient ha�s et
m�pris�s. Ils promirent de fermer l'�re de la Terreur, eux qui dans
leurs missions avaient commis mille exc�s, multipli� d'une si horrible
mani�re les actes d'oppression, et demand� mainte et mainte fois
l'arrestation de ceux dont ils sollicitaient aujourd'hui le concours. A
ces r�publicains �quivoques, � ces royalistes d�guis�s, ils
s'efforc�rent de persuader que la protection qui leur avait �t�
jusqu'alors accord�e par Maximilien n'�tait que passag�re, que leur tour
arriverait; et naturellement ils mirent sur le compte de Robespierre les
ex�cutions qui s'�taient multipli�es pr�cis�ment depuis le jour o� il
avait cess� d'exercer aucune influence sur les affaires du gouvernement.
Sur les exag�r�s de la Montagne la bande des conjur�s agit par des
arguments tout oppos�s. On peignit Robespierre sous les couleurs d'un
mod�r�, on lui reprocha d'avoir prot�g� des royalistes, on rappela avec
quelle persistance il avait d�fendu les signataires de la protestation
contre le 31 mai, et cela eut un plein succ�s. Il n'y eut pas, a-t-on
dit avec raison, une conjuration unique contre Robespierre; la
contre-r�volution y entra en se couvrant de tous les masques. C'�tait
son r�le; et, suivant une appr�ciation consciencieuse et bien vraie, les
ennemis personnels de Maximilien se rendirent les auxiliaires ou plut�t
les jouets de l'aristocratie et ne crurent pas payer trop cher la
d�faite d'un seul homme par le deuil de leur pays[455].
[Note 457: _R�ponse des membres des deux anciens comit�s, aux
imputations de Laurent Lecointre_, note 7, p. 107.]
CHAPITRE SEPTI�ME
Ce fut, sous tous les rapports, une triste et sombre journ�e que celle
du 9 thermidor an II, autrement dit 27 juillet 1794. Le temps, lourd,
nuageux, semblait pr�sager les orages qui allaient �clater. On e�t dit
qu'il se refl�tait dans le coeur des membres de la Convention, tant au
d�but de la s�ance la plupart des physionomies �taient charg�es
d'anxi�t�. Les conjur�s seuls paraissaient tranquilles. S�rs d�sormais
des gens de la droite, lesquels, malgr� leur estime pour Maximilien,
s'�taient d�cid�s � l'abandonner, sachant que, lui tomb�, la R�publique
ne tarderait pas � tomber aussi[461], ils s'�taient arr�t�s � un moyen
s�r et commode, c'�tait de couper la parole � Robespierre, de
l'assassiner purement et simplement; et en effet, la s�ance du 9
Thermidor ne fut pas autre chose qu'un guet-apens et un assassinat. Peu
d'instants avant l'ouverture de la s�ance, Bourdon (de l'Oise) ayant
rencontr� Durand-Maillane aux abords de la salle, lui prit la main en
disant: �Oh! les braves gens que les gens du c�t� droit[462].� Un moment
apr�s on pouvait voir Durand-Maillane se promener avec Rov�re dans la
salle de la Libert�[463]. Et c'�tait bien l� le vrai type de la faction
thermidorienne: le brigandage et le meurtre alli�s � la r�action et �
l'apostasie.
[Note 461: �La droite,� dit avec raison M. Michelet, �finit par
comprendre que si elle aidait la Montagne � ruiner ce qui, dans la
Montagne �tait la pierre de l'angle, l'�difice croulerait....� (T. VII,
p. 459). Voil� qui est bien assur�ment, et tout � fait conforme � la
v�rit�; mais par quelle incons�quence M. Michelet a-t-il pu �crire un
peu plus haut: �La droite pensait (aussi bien que l'Europe), qu'apr�s
tout il �tait homme d'ordre, nullement ennemi des pr�tres, donc un homme
de l'ancien r�gime�. (P. 451). Comment Robespierre pouvait-il �tre �
fois l'homme de l'ancien r�gime et la pierre de l'angle de l'�difice
r�publicain? Il faudrait des volumes pour relever toutes les erreurs,
les incons�quences et les contradictions de M. Michelet.]
[Note 464: D�tail transmis �. MM. Buchez et Roux, par Buonaroti qui
le tenait de Duplay lui-m�me. (_Histoire parlementaire_, t. XXXIV,
p. 3).]
II
[Note 467: On sait ce qu'il advint de Tallien. Nous avons dit plus
haut comment, apr�s avoir �t� l'un des coryph�es de la r�action
thermidorienne, il suivit le g�n�ral Bonaparte en Egypte, o� il demeura
assez longtemps, charg� de l'administration des domaines. Tout le monde
conna�t l'histoire de ses disgr�ces conjugales. Sous la Restauration, il
obtint une pension de deux mille francs sur la cassette royale, qui, dit
avec raison un biographe de Tallien, devait bien ce secours � l'auteur
de la r�volution du 9 Thermidor. Tallien �tait bien digne d'�tre c�l�br�
par Courtois. (Voyez les louanges que lui a d�cern�es ce d�put� dans son
rapport sur les �v�nements du 9 Thermidor (p. 39)).]
[Note 468: Courtois, dans son second rapport (p. 39), donne en note
ce d�tail comme le tenant du repr�sentant Espert, d�put� de l'Ari�ge �
la Convention.]
Maximilien ne croyait pas qu'on d�t proscrire les nobles par cela m�me
qu'ils �taient nobles, s'ils n'avaient, d'ailleurs, rien commis de
repr�hensible contre les lois r�volutionnaires! Quel crime! On tuera La
Valette comme noble et comme prot�g� de Robespierre. Maximilien,
pr�tendait Billaud, ne trouvait pas dans toute la Convention vingt
repr�sentants dignes d'�tre investis de missions dans les d�partements.
Encore un moyen ing�nieux de passionner l'Assembl�e. Et la Convention de
fr�mir d'horreur! A droite, � gauche, au centre, l'hypocrisie commence
de prendre des proportions colossales. Si Robespierre s'�tait �loign� du
comit�, c'�tait, au dire de son accusateur, parce qu'il y avait trouv�
de la r�sistance au moment o� seul il avait voulu faire rendre le d�cret
du 22 prairial. Mensonge odieux habilement propag�. La loi de prairial,
nous l'avons surabondamment prouv�, eut l'assentiment des deux comit�s,
et si Robespierre, d�courag�, cessa un jour de prendre r�ellement part �
la direction des affaires, ce fut pr�cis�ment � cause de l'horrible
usage qu'en d�pit de sa volont� ses coll�gues des deux comit�s crurent
devoir faire de cette loi.
III
[Note 483: Ces derniers mots ne se trouvent pas dans le compte rendu
thermidorien. Nous les empruntons � la narration tr�s d�taill�e que nous
a laiss�e Levasseur (de la Sarthe) des �v�nements de Thermidor.
(M�moires, t. III, p. 146.) Levasseur, il est vrai, �tait en mission
alors, mais il a �crit d'apr�s des renseignements pr�cis, et sa version
a le m�rite d'�tre plus d�sint�ress�e que celle des assassins de
Robespierre.]
Comme Robespierre, bris� par cette lutte in�gale, essayait encore, d'une
voix qui s'�teignait, de se faire entendre: �Le sang de Danton
t'�touffe�! lui cria un Montagnard obscur, Garnier (de l'Aube),
compatriote de l'ancien tribun des Cordeliers. A cette apostrophe
inattendue, Maximilien, j'imagine, dut comprendre son immense faute
d'avoir abandonn� celui que, tant de fois, il avait couvert de sa
protection. �C'est donc Danton que vous voulez venger?� dit-il[484], et
il ajouta--r�ponse �crasante!--�L�ches, pourquoi ne l'avez-vous pas
d�fendu�[485]? C'e�t �t� en effet dans la s�ance du 11 germinal que
Garnier (de l'Aube) aurait du prendre la parole en se d�vouant alors �
une amiti� illustre; il se fut honor� par un acte de courage, au lieu de
s'avilir par une l�chet� inutile. On aurait tort de conclure de l� que
la mort de Danton fut une des causes efficientes du 9 Thermidor; les
principaux amis du puissant r�volutionnaire jou�rent dans cette journ�e
un r�le tout � fait passif. Quant aux auteurs du guet-apens actuel, ils
se souciaient si peu de venger cette grande victime que, plus d'un mois
plus tard, Bourdon (de l'Oise), qui pourtant passe g�n�ralement pour
Dantoniste, et qui se vanta un jour, en pleine Convention, d'avoir
_combin� la mort de Robespierre_[486], traitait encore Maximilien
de complice de Danton et se plaignait tr�s vivement qu'on e�t fait
sortir de prison une cr�ature de ce dernier, le greffier Fabricius[487].
Cependant personne n'osait conclure. Tout � coup une voix inconnue: �Je
demande le d�cret d'arrestation contre Robespierre�. C'�tait celle du
montagnard Louchet, d�put� de l'Aveyron. A cette motion, l'Assembl�e
h�site, comme frapp�e de stupeur. Quelques applaudissements isol�s
�clatent pourtant. �Aux voix, aux voix! Ma motion est appuy�e�! s'�crie
alors Louchet[488]. Un montagnard non moins obscur et non moins
terroriste, le repr�sentant Lozeau, d�put� de la Charente-Inf�rieure,
rench�rit sur cette motion, et r�clame, lui, un d�cret d'accusation
contre Robespierre; cette nouvelle proposition est �galement appuy�e.
peut para�tre tout naturel; mais voici que tout � coup se l�ve � son
tour un des plus jeunes membres de l'Assembl�e, Philippe Le Bas, le doux
et h�ro�que compagnon de Saint-Just.
Fr�ron peut maintenant insulter bravement les vaincus. Mais que dit-il?
Ce n'est plus Robespierre seul qui aspire � la dictature. A l'en croire,
Maximilien devait former avec Couthon et Saint-Just un triumvirat qui
e�t rappel� les proscriptions sanglantes de Sylla; et cinq ou six
cadavres de Conventionnels �taient destin�s � servir de degr�s � Couthon
pour monter au tr�ne. �Oui, je voulais arriver au tr�ne�, dit avec le
sourire du m�pris, l'int�gre ami de Robespierre. On ne sait en v�rit� ce
qu'on doit admirer le plus, des inepties, des mensonges, ou des
contradictions de ces mis�rables Thermidoriens.
IV
Cette longue et fatale s�ance de la Convention avait dur� six heures;
elle fut suspendue � cinq heures et demie pour �tre reprise � sept
heures; mais d'ici l� de grands �v�nements allaient se passer.
[Note 505: Nous avons d�j� cit� plus haut ces paroles rapport�es par
Charles Nodier, lequel ajoute: �Et cette crainte n'�toit pas sans
motifs, car le parti de Robespierre venoit d'�tre immol� par le parti de
la Terreur�. (_Souvenirs de la R�volution_, t. I, p. 305, �d.
Charpentier).]
[Note 511: Voy. les ordres divers ins�r�s par Courtois dans son
rapport sur les �v�nements de Thermidor, sous les num�ros VII'1, VII'2,
VIII, IX, X, XXII, XXIII, XXIV, XXV, XXVI et XXVII, et qui se trouvent
en originaux et en copies, soit aux _Archives_, soit dans la
collection Beuchot.]
VI
Nous avons eu, en ces derniers temps, et nous avons aujourd'hui encore
la douleur d'entendre insulter la m�moire des Jacobins par certains
�crivains affichant cependant une tendresse sans �gale pour la
R�volution. Si ce n'est mauvaise foi, c'est � coup s�r ignorance inou�e
de leur part que d'oser nous pr�senter les Jacobins comme ayant peupl�
les antichambres consulaires et monarchistes. Ouvrez les almanachs
imp�riaux et royaux, vous y verrez figurer les noms de quelques anciens
Jacobins, et surtout ceux d'une foule de Girondins; mais les membres du
fameux club qu'on vit rev�tus du manteau de s�nateur, investis de
fonctions lucratives et affubl�s de titres de noblesse, furent
pr�cis�ment les alli�s et les complices des Thermidoriens, les Jacobins
de Fouch� et d'�lie Lacoste. Quant aux vrais Jacobins, quant � ceux qui
demeur�rent toujours fid�les � la pens�e de Robespierre, il faut les
chercher sous la terre, dans le linceul sanglant des victimes de
Thermidor; il faut les chercher sur les plages br�lantes de Sinnamari et
de Cayenne, non dans les antichambres du premier consul. Pr�s de cent
vingt p�rirent dans la catastrophe o� sombra Maximilien; c'�tait d�j�
une assez jolie trou�e au coeur de la soci�t�. On sait comment le reste
fut dispers� et d�cim� par des proscriptions successives; on sait
comment Fouch� profita d'un attentat royaliste pour d�barrasser son
ma�tre de ces fiers lutteurs de la d�mocratie et d�porter le plus grand
nombre de ces anciens coll�gues qui, un jour, � la voix de Robespierre,
l'avaient, comme indigne, chass� de leur sein. Chaque fois que, depuis
Thermidor, la voix de la libert� proscrite trouva en France quelques
�chos, ce fut dans le coeur de ces Jacobins qu'une certaine �cole
lib�rale se fait un jeu de calomnier aujourd'hui. C'est de leur
poussi�re que sont n�s les plus vaillants et les plus d�vou�s d�fenseurs
de la d�mocratie.
VII
[Note 531: Pour ce qui concerne cette section, Courtois para�t avoir
�crit sa r�daction d'apr�s des rapports verbaux (Voy. p. 173). A cette
section appartenait le g�n�ral Rossignol, lequel, malgr� son attachement
pour Robespierre, qui l'avait si souvent d�fendu, trouva gr�ce devant
les Thermidoriens. �Le g�n�ral Rossignol, dit Courtois, s'est montr� la
section des Quinze-Vingts, et n'a pris aucune part � ce qui peut avoir
�t� dit de favorable pour la Commune....� (P. 174.)]
[Note 534: �La section des Champs-Elys�es, dit Courtois, a cru plus
utile de d�fendre de ses armes la Convention.� (P. 141.)]
[Note 547: Aveu de Vadier � Cambon. Voyez � ce sujet une note des
auteurs de l'_Histoire parlementaire_, t. XXXIV, p. 59.]
VIII
En m�me temps que lui parurent ses chers et fid�les amis, Saint-Just et
Le Bas, qu'on venait d'arracher l'un et l'autre aux prisons o� les avait
fait transf�rer le comit� de S�ret� g�n�rale. Au moment o� Le Bas
sortait de la Conciergerie, un fiacre s'arr�tait au guichet de la
prison, et deux jeunes femmes en descendaient tout �plor�es. L'une �tait
Elisabeth Duplay, l'�pouse du proscrit volontaire, qui, souffrante
encore, venait apporter � son mari divers effets, un matelas, une
couverture; l'autre, Henriette Le Bas, celle qui avait d� �pouser
Saint-Just. En voyant son mari libre, et comme emmen� en triomphe par
une foule ardente, Mme Le Bas �prouva tout d'abord un inexprimable
sentiment de joie, courut vers lui, se jeta dans ses bras, et se dirigea
avec lui du c�t� de l'H�tel de Ville. Mais de noirs pressentiments
assi�geaient l'�me de Philippe. Sa femme nourrissait, il voulut lui
�pargner de trop fortes �motions, et il l'engagea vivement � retourner
chez elle, en lui adressant mille recommandations au sujet de leur fils.
�Ne lui fais pas ha�r les assassins de son p�re, dit-il; inspire-lui
l'amour de la patrie; dis-lui bien que son p�re est mort pour elle....
Adieu, mon Elisabeth, adieu[562]!� Ce furent ses derni�res paroles, et
ce fut un irr�vocable adieu. Quelques instants apr�s cette sc�ne, la
barri�re de l'�ternit� s'�levait entre le mari et la femme.
IX
Il �tait alors environ dix heures du soir. Il n'y avait pas de temps �
perdre; c'�tait le moment d'agir. Au lieu de cela, Maximilien se mit �
parler au sein du conseil g�n�ral, � remercier la Commune des efforts
tent�s par elle pour l'arracher des mains d'une faction qui voulait sa
perte. Les paroles de Robespierre avaient excit� un irr�sistible
enthousiasme; on se serrait les mains, on s'embrassait comme si la
R�publique �tait sauv�e, tant sa seule parole inspirait de
confiance[564].
Aussit�t des �missaires sont envoy�s dans toutes les directions, dans
les assembl�es sectionnaires, sur la place de Gr�ve, pour y proclamer le
formidable d�cret dont on attendait le plus grand effet. En m�me temps
Barras, L�onard Bourdon et leurs coll�gues courent se mettre � la t�te
de la force arm�e, qu'ils dirigent en deux colonnes, l'une par les
quais, l'autre par la rue Saint-Honor�, vers l'H�tel de Ville. A
grand'peine, ils avaient pu r�unir un peu plus de deux mille hommes,
mais leur troupe grossit en route, et, comme toujours, apr�s la
victoire, si victoire il y eut, elle devint innombrable. Il pouvait �tre
en ce moment un peu plus de minuit.
[Note 568: �Il est ordonn� aux sections, pour sauver la chose
publique, de faire sonner le tocsin et de faire battre la g�n�rale dans
toute la commune de Paris, et de r�unir leurs forces dans la place de la
Maison-commune, o� elles recevront les ordres du g�n�ral Hanriot, qui
vient d'�tre remis en libert�, avec tous les d�put�s patriotes, par le
peuple souverain. _Sign�_: Arthur, Legrand, Grenard, Desboisseau et
Louvet.� (Pi�ce de la collection Beuchot.)]
XI
[Note 579: Tel �tait son v�ritable nom, que par euph�misme il
changea en celui de M�da. Il avait un fr�re qui mourut chef de bataillon
et qui garda toujours son nom patronymique, sous lequel fut liquid�e la
pension de sa veuve. (Renseignements fournis par le minist�re de la
guerre.)]
Ce fut, � n'en point douter, L�onard Bourdon qui arma son bras; jamais
il n'e�t os� prendre sur lui d'assassiner Robespierre sans l'ordre
expr�s d'un membre de la Convention. Intrigant m�pris�, suivant la
propre expression de Maximilien, complice oubli� d'H�bert, L�onard
Bourdon �tait ce d�put� � qui Robespierre avait un jour, � la
Convention, reproch� d'avilir la Repr�sentation nationale par des formes
ind�centes. Comme Fouch�, comme Tallien, comme Rov�re, il ha�ssait dans
Robespierre la vertu rigide et le patriotisme sans tache. Il fit, c'est
tr�s probable, miroiter aux yeux du gendarme tous les avantages, toutes
les faveurs dont le comblerait la Convention s'il la d�barrassait de
l'homme qui � cette heure encore contre-balan�ait son autorit�. La
fortune au prix du sang du Juste? Merda n'h�sita point.
[Note 580: �Ce brave gendarme ne m'a pas quitt�, avoua L�onard
Bourdon quelques instants apr�s, en pr�sentant l'assassin � la
Convention nationale. (Voy. le _Moniteur_ du 12 thermidor (30
juillet 1794.))]
[Note 582: Rapport des officiers de sant� sur les pansements des
blessures de Robespierre a�n�. (Pi�ce XXXVII, p. 202, � la suite du
rapport de Courtois sur les �v�nements du 9 thermidor.)]
[Note 585: Extrait des M�moires de Barras cit� dans le 1er num�ro de
la _Revue du XIXe si�cle_. Disons encore que le peu qui a paru des
M�moires de ce complice des assassins de Robespierre ne donne pas une
id�e bien haute de leur valeur historique.]
Moins heureux fut Robespierre jeune. Ne voulant pas tomber vivant entre
les mains des assassins de son fr�re, il franchit une des fen�tres de
l'H�tel de Ville, demeura quelques instants sur le cordon du premier
�tage � contempler la Gr�ve envahie par les troupes conventionnelles,
puis il se pr�cipita la t�te la premi�re sur les premi�res marches du
grand escalier. On le releva mutil� et sanglant, mais respirant encore.
Transport� au comit� civil de la section de la _Maison-commune_, o�
il eut la force de d�clarer que son fr�re et lui n'avaient aucun
reproche � se faire et qu'ils avaient toujours rempli leur devoir envers
la Convention, il y fut trait� avec beaucoup d'�gards, disons-le �
l'honneur des membres de ce comit�, qui ne se crurent pas oblig�s, comme
tant d'autres, d'insulter aux vaincus. Quand on vint le r�clamer pour le
transf�rer au comit� de S�ret� g�n�rale, ils se r�cri�rent, disant qu'il
ne pouvait �tre transport� sans risque pour ses jours, et ils ne le
livr�rent que sur un ordre formel des repr�sentants d�l�gu�s par la
Convention[587].
Couthon, sur lequel Merda avait �galement tir� sans l'atteindre, s'�tait
gravement bless� � la t�te en tombant dans un des escaliers de l'H�tel
de Ville. Il avait �t� men�, vers cinq heures du matin, � l'H�tel-Dieu,
o� il re�ut les soins du c�l�bre chirurgien Desault, qui le fit placer
dans le lit n� 15 de la salle des op�rations. Au juge de paix charg� par
L�onard Bourdon de s'enqu�rir de son �tat il dit: �On m'accuse d'�tre un
conspirateur, je voudrais bien qu'on p�t lire dans le fond de mon
�me[588].� Le pauvre paralytique, � moiti� mort, inspirait encore des
craintes aux conjur�s, car Barras et son coll�gue Delmas enjoignirent �
la section de la _Cit�_ d'�tablir un poste � l'H�tel-Dieu, et ils
rendirent le commandant de ce poste responsable, sur sa t�te, de la
personne de Couthon[589]. Peu apr�s, le juge de paix Bucquet re�ut
l'ordre expr�s d'amener le bless� au comit� de Salut public[590].
Quant � Hanriot, il ne fut arr�t� que beaucoup plus tard. S'il avait
manqu� de cet �clair de g�nie qui lui e�t fait saisir le moment opportun
de fondre sur la Convention, de se saisir des conjur�s et de d�livrer la
R�publique d'une bande de coquins par lesquels elle allait �tre
honteusement asservie, ni le d�vouement ni le courage, quoi qu'on ait pu
dire, ne lui avaient fait d�faut. Trahi par la fortune et abandonn� des
siens, il lutta seul corps � corps contre les assaillants de la Commune.
Il venait de saisir Merlin (de Thionville) au collet[591], quand
l'assassinat de Robespierre trancha tout � fait la question. Oblig� de
c�der � la force, le malheureux g�n�ral se r�fugia dans une petite cour
isol�e de l'H�tel de Ville, o� il fut d�couvert dans la journ�e, vers
une heure de l'apr�s-midi[592]. On le trouva tout couvert de blessures
qu'il avait re�ues dans la lutte ou qu'il s'�tait faites lui-m�me[593],
ayant peut-�tre tent�, comme Robespierre jeune, mais en vain �galement,
de s'arracher la vie. Ainsi finit, par une �pouvantable catastrophe,
cette r�sistance de la Commune, qui fut si pr�s d'aboutir � un triomphe
�clatant.
XII
[Note 597: Les Thermidoriens, qui ont voulu faire croire au suicide,
se sont imagin� avoir trouv� l� un appui � leur th�se. Courtois, apr�s
avoir montr� dans son rapport sur les �v�nements du 9 thermidor le
gendarme Merda _manquant_ Robespierre, repr�sent� celui-ci �tenant
dans ses mains le sac de son pistolet, qui rappeloit � ses yeux par
l'adresse du marchand qui l'avoit vendu, et dont l'enseigne �toit _Au
Grand Monarque_, le terme qu'avoit choisi son ambition� (p. 73).
Honn�te Courtois!--Sur le revers de ce sac on pouvait lire le nom du
propri�taire, M. Archier. Il est fort probable que c'est un citoyen de
ce nom, peut-�tre l'ancien d�put� des Bouches-du-Rh�ne � la L�gislative,
qui, �mu de piti�, aura, � d�faut de linge, donn� ce sac � la victime.]
XIII
Vers cinq heures du matin, les Thermidoriens, craignant que leur victime
n'e�t pas la force de supporter le trajet de l'�chafaud, firent panser
sa blessure par deux chirurgiens. �lie Lacoste leur dit: �Pansez bien
Robespierre, pour le mettre en �tat d'�tre puni�[604]. Pendant ce
pansement, qui fut long et douloureux, Maximilien ne dit pas un mot, ne
prof�ra pas une plainte. Cependant quelques mis�rables continuaient de
l'outrager. Quand on lui noua au-dessus du front le bandeau destin� �
assujettir sa m�choire bris�e, une voix s'�cria: �Voil� qu'on met le
diad�me � Sa Majest�. Et une autre: �Le voil� coiff� comme une
religieuse�[605]. Il regarda seulement les op�rateurs et les personnes
pr�sentes avec une fermet� de regard qui indiquait la tranquillit� de sa
conscience et le mettait fort au-dessus des l�ches dont il avait � subir
les insultes[606]. On ne put surprendre chez lui un moment de
d�faillance. Ses meurtriers eux-m�mes, tout en le calomniant, ont �t�
oblig�s d'attester son courage et sa r�signation[607].
[Note 616: Ce fait est affirm� par Nougaret et par les auteurs de
l'_Histoire de la R�volution par deux amis de la libert�_, double
autorit� �galement contestable. On aurait peine � croire � une aussi
horrible chose si l'on ne savait que les hommes de Thermidor �taient
capables de tout.]
XIV
Ceux qui ont suivi avec nous, pas � pas, heure par heure, l'aust�re
tribun, depuis le commencement de sa carri�re, peuvent dire la puret� de
sa vie, le d�sint�ressement de ses vues, la fermet� de son caract�re, la
grandeur de ses conceptions, sa soif inextinguible de justice, son
tendre et profond amour de l'humanit�, l'honn�tet� des moyens par
lesquels il voulut fonder en France la libert� et la R�publique.
Est-ce � dire pour cela qu'il ne se soit pas tromp� lui m�me en
certaines circonstances? Certes, il serait insens� de le soutenir. Il
�tait homme; et, d'ailleurs, les fautes relev�es par nous-m�me � sa
charge, d'autres les eussent-ils �vit�es? C'est peu probable.
PREFACE.
CHAPITRE PREMIER
CHAPITRE DEUXI�ME
CHAPITRE TROISI�ME
CHAPITRE QUATRI�ME
CHAPITRE CINQUI�ME
CHAPITRE SIXI�ME
CHAPITRE SEPTI�ME
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