Jeux Communicatifs
Jeux Communicatifs
Jeux Communicatifs
comme base l'exercice de la langue (seuls jeux qui nous intressent ici), il
convient de s'arrter un peu la nature ducative du jeu, en gnral.
Valeur ducative du jeu.
L'importance du jeu n'est plus dmontrer: depuis une cinquantaine d'annes, une srie d'ouvrages ont mis en relief ses diffrents aspects. D'abord, quant sa signification dans les domaines social, anthropologique et culturel: J. Huizinga (Homo Ludens, essai sur la fonction sociale
du jeu) montre comment le jeu acculture, socialise en enseignant la dialectique de la libert et des rgles, des conventions librement acceptes (in
Car et Debyser 1978: 3)2. Roger Caillois (Les Jeux et les hommes, Paris, Gallimard, 1958) classe l'activit ludique en quatre catgories ou familles: jeux
de vertige, de simulacre, de hasard et de comptition; il en rajoute une
autre un peu plus tard (dans l'Encyclopdie de la Pliade), les jeux d'esprit et
de salon: les jeux de mots appartiendraient cette catgorie douteuse.
De mme, ducateurs et psychologues se sont penchs sur la valeur
ducative des activits ludiques: Jean Chteau (Le rel et l'imaginaire dans le
jeu de l'enfant, Paris, Vrin, 1946; Le jeu de l'enfant aprs trois ans, Paris, Vrin,
1947; voir aussi l'article de l'Encyclopdie de la Pliade, Les Jeux de l'enfant) dcrit les jeux de la cour et de la rcration, et classe les jeux en
fonction du dveloppement des diffrentes facults: le domaine sensorimoteur, l'intelligence concrte, l'abstraction, la socialisation, la comptition, ou l'organisation cooprative. Claparde fait du jeu la cl de
vote de l'cole active. Jean Piaget (La formation du symbole chez l'enfant,
Delachaux et Niestl, 1945; Psychologie et pdagogie, Paris, Denol, 1969; La
psychologie de l'enfant, Paris, PUF, 1966, en collaboration avec G. Inhelder)
propose une classification des jeux parallle de la chronologie gntique
des stades du dveloppement de l'intelligence (jeux d'exercice, jeux
symboliques, jeux de construction, jeux de rgles, rsolution de problmes). Piaget tablit une nouvelle dimension du jeu: c'est dans la relation
entre activit physique (le jeu, l'imitation) et opration mentale (image,
reprsentation) -qui est source de satisfaction et de plaisir chez l'enfant-,
que se dveloppe la fonction symbolique: le jeu est ainsi source de l'apprentissage de l'individu. Les jeux auraient un rle fondamental dans l'assimilation du rel aux besoins du moi (apprentissage), mais aussi dans
l'accommodation du moi au rel, c'est--dire aux contraintes objectives de
l'environnement naturel, et donc de la mise en place de l'intelligence (dont
Nous avons pris l'article introductif de F. Debyser: Les jeux du langage et du plaisir, in J.M. Car, F. Debyser: Jeu, langage, crativit. Les jeux dans la classe de franais, Paris,
Hachette-Larousse, 1978, p. 1-12, comme point de dpart de notre rflexion.
zarres ou pervers, d'autres jeux linguistiques populaires tels que le calembour, l'histoire drle, l'-peu-prs, la pataqus, le contrepet, les perles
des cancres, ou les jeux de mots de San Antonio, parfois trs brillants!
Dans le mme esprit, Pierre Guiraud -qui tablit une typologie des
jeux de mots sans entrer dans la question des applications didactiques
pour la LE-, diffrencie entre jeux de mots (sur les mots eux-mmes, dans
leur morphologie, forme crite, leur phontique, forme orale, et leur
smantique, le sens ou le signifi) et les mots d'esprit, o l'on joue sur les
choses et les ides (par ex., Boileau quand il dit propos d'un jeune
homme effmin: il est plus capable de donner plus de jalousie aux
femmes qu'aux maris: les humoristes comparent l'agriculture la Vnus
de Milo qui manque de bras, Banville), avant de rappeler que ces deux
activits se rattachent la rhtorique (figures de mots et figures de pense). Cette approche, plus littraire que linguistique, continue d'tre
propose de nos jours: le jeu n'y est vu que comme fonction ludique,
divertissement marginal. L' espace du jeu linguistique sont les mots (dans
leur forme ou signification). Le jeu, ici, ne constitue pas proprement
parler un moyen d'apprentissage linguistique, mais de plaisir associ la
crativit, ou la jonglerie linguistique. Il ne sert que de dtente passagre qu'il faut doser pour revenir de plus belle aux activits ou exercices
srieux d'apprentissage.
C'est l'approche de Jacques Deregnaucourt (Approche ludique de
l'crit, FDM) ou Michel Monnot (Jeux de mots et enseignement, FDM
215: 59-62): on est d'accord que l'introduction de l'humour fait plus
vivante la classe de langue. Cherchant justifier ce recours l'humour
pour ne pas paratre suspect, J. Deregnaucourt met l'accent sur le plaisir
de la cration potique (le message y est vu en tant que tel), d'o l'humour
tire sa dignit. Si J. Deregnaucourt carte d'emble les calembours, contrepteries et autres calembredaines, puisqu'ils sont difficiles pour trangers, il n'en retient pas moins les devinettes, mots-cachs, mots-mystres,
histoires drles, graffiti, perles langagires, messages-farces, montages
typographiques, slogans publicitaires... Michel Monnot y ajoute l'pellation de mots et les charades, avant de proposer un travail spcifique sur
les jeux de mots de la publicit. Il nous semble ainsi que ces propositions
restent ancre dans une conception traditionnelle de la langue: on cultive
le linguistique en rapport au potique, au style; si la crativit du jeu ne
dbouche que sur des trouvailles de ce type, auxquelles quelques lves
n'arrivent qu'aprs de longues bauches et preuves, il nous semble un
maigre rsultat quant l'apprentissage de la LE. Surtout, par rapport aux
amples espaces de cration qui ont t ouverts rcemment quant aux dimensions du jeu. Nous ne voulons pas faire croire que nous mprisons ce
type d'activit, ou que nous l'cartons de notre bagage; simplement, nous
gre, dans un contexte scolaire, comme on le fait pour la langue maternelle, est ainsi irralisable. Ce n'est pas pour cela que le professeur est condamn pratiquer un usage artificiel, ou mtalinguistique de la langue. En
effet, travers le jeu communicatif, la langue trangre s'assimile l'usage
adulte de la langue maternelle. Celle-l n'est plus un objet extrieur
apprendre, mais un processus dans lequel les trois ples tre, dire, faire
trouvent leur convergence.
Nous appelons jeu communicatif toute activit didactique caractrise par deux composantes: l'installation de l'activit dans la sphre de
l'illusion (jeu = aire intermdiaire, de Winicott), et l'utilisation de la parole
et du langage comme moyen d'interaction authentique. Les analyses de
Vygotsky cet gard nous paraissent totalement pertinentes: c'est dans le
rapport dialogique, coopratif, avec les autres individus, tabli dans la
Zone Prochaine de Dveloppement (famille, autres parents, cole, rue),
que surgit la langue comme instrument d'action, et par l, comme instrument psychologique (mdiation). Et c'est le linguiste Di Pietro qui a
signal l'intrt des scnarios dramatiques pour l'enseignement/apprentissage interactif des langues trangres (1987). Les jeux de rles et les simulations sociales ou globales sont ainsi des jeux communicatifs: pour
cela, il faut que ces activits fonctionnent dans l'esprit des lves vraiment
comme des jeux, dnues de toute justification (scolaire dans ce cas). C'est-dire, qu'ils soient, au sens propre du mots, des jeux rcratifs, comme
indique Elkonin (1980): Llamamos juego a una variedad de prctica
social consistente en reconstruir en accin, en parte o en su totalidad,
cualquier fenmeno de la vida, al margen de su propsito prctico real.
3. 2. Classes et variantes.
Il faudrait distinguer d'abord, comme le propose Herv Boudin (FDM
223), les jeux des exercices pratiques ou d'application, qui ne constituent
pas vraiment des jeux -quoiqu'ils se prsentent souvent sous ce couvert-,
mme s'il s'agit d'activits plutt divertissantes pour les lves: par
exemple: rponses vrai-faux; questions sur un dessin-mettre des croix
(sais-tu bien regarder?); caser des listes de mots entre eux; associer des numros des cases correspondantes selon des instructions donnes; rponses prsents sous forme d'options multiples o il s'agit de cocher par
une croix; exercice trous; dessins qui illustrent et dirigent un rcit; itinraire en voiture qu'il faut dessiner sur une carte ou sur le plan d'une
ville; finir des phrases, lire une courte BD, etc. La transition vers le jeu est
parfois subtile et inapprciable. Toutes ces activits prparent de faon
naturelle au jeu de langage, puisqu'elles contiennent l'une des composantes signales: la langue fonctionne de faon authentique.
impose de l'extrieur, mais qui surgisse des sujets eux-mmes. Par exemple, lorsque les lves composent une histoire la suite les uns des autres,
en ajoutant une phrase ou quelques mots ce qui vient d'tre dit. Chaque
apport d'information possde une certaine signification, propre chaque
lve, qui doit s'investir lui-mme dans le jeu. Ce n'est pas toujours le cas,
puisque souvent l'lve s'en dfait travers une mission strotype: le
passage du banal au significatif est difficile et ne vient pas tout seul; il faut
crer un climat, prparer les lves, rompre certains tabous et modles de
comportement.
Le jeu du dtective (un lve sort de la salle de classe; on choisit un
assassin; l'lve-dtective doit le trouver travers des questions o l'on ne
peut que rpondre oui-non) se situe dj dans le domaine du jeu communicatif: l'expression linguistique de l'lve est conditionne par le jeu (il ne
peut demander que des questions du type: est-ce qu'il/elle a les yeux
bleus?, etc.); mais il doit tablir une stratgie adquate pour trouver la
solution le plus vite possible. Surtout lorsqu'on commence introduire
des variantes (l'assassin a des complices qui rpondent faux; l'assassin
peut tre le dtective lui-mme...). Il met en jeu ses ressources personnelles, son intuition, sa capacit logique; il interprte les sourires, les regards
des autres, les gestes...
Quant la dramatisation, elle prsente diverses modalits de ralisation, qui nous conduisent de l'exercice d'application au jeu communicatif.
La dramatisation rptitive n'est pas proprement un jeu (c'est plutt un
exercice), et, si elle comporte de l'interaction (rpliques langagires) et une
certaine dose de dplacement dans un univers fictionnel, la parole ne possde par contre aucune personnalisation, puisque les dialogues dramatiser sont tout faits. Par exemple, dans la dramatisation fidle d'un dialogue dans un restaurant, ou rservation d'un billet de
train/autobus/avion5, il n'y a aucune implication personnelle dans le
message, puisque celui-ci est tout donn d'avance. Cependant, on peut
mettre en pratique certaines variantes qui commencent rapprocher la
dramatisation du jeu communicatif. Par exemple, les lves peuvent introduire des modifications prpares ou encore improvises dans un dialogue-type (ainsi, dans rservation d'un billet de train/autobus/avion:
diffrents prix, dates, tarifs, horaires, villes ou escales, nombre de voyaD'autres situations peuvent tre: l'htel, au commissariat de police (objet perdu,
vol), au secrtariat du lyce ou de la fac (inscription), la banque, un magasin, au
guichet d'une gare, etc. On parle de dramatisation quant il s'agit de la reprsentation
d'une situation strotype, o l'activit de l'tudiant consiste surtout faire des transferts linguistiques.
cesse d'tre lui-mme pour rentrer dans la peau d'un autre (jeu de rle); le
pratiquant est lui-mme mais il est plac dans une situation diffrente
l'habituelle (simulation). Cette opposition n'est valable que pour l'opposition jeu professionnel-simulation globale (1-4).
1.- Le jeu de mtier ou le jeu professionnel.
Il faut d'abord distinguer nettement le jeu de mtier et le jeu de rle.
Dans le jeu de mtier, l'lve reprsente un rle professionnel (vendeurclient, demandeur d'emploi-patron, mdecin-malade, etc.), ce qui est plus
proche de la transposition que de la simulation, et qui ne donne lieu qu'
un change linguistique prvu et conforme la situation type d'change
professionnel. Certains didacticiens (c'est le cas de M. Verneuil, Canevas
pour jeux de rles, Reflets, n 18, 1986) proposent mme des canevas trs
prcis et stricts pour ces jeux de mtiers (ou de rles professionnels), ce
qui annule en plus toute possibilit d'improvisation (ou mme de rcration) langagire de la part de l'lve. On est ici dans le domaine de l'exercice d'application, o l'lve ne doit que produire des changes langagiers
propres au cadre de la conception linguistique notionnelle-fonctionnelle
(actes de parole).
L'approche du jeu de rle -propre au monde anglo-saxon, puis espagnol- retient cette composante prfixe du comportement: l'lve doit
rentrer dans la peau d'un autre, il y a une assomption, de la part du pratiquant du jeu, de la personnalit d'un autre, thmatiquement dfinie, et
non plus professionnellement dfinie. Le pratiquant est alors le vengeur, le
chef, l'accompagnateur du chef, l'ennemi, etc. C'est une approche qui
garde un certain parallle aux versions de jeux de rles vendues dans les
commerce, et qui ont eu un succs aussi grand que dangereux dans
certains cas: le pratiquant du jeu doit se conformer un schma prvu ou
encore driv du cadre fix, et non plus seulement quant ses ralisations
langagires, mais aussi quant son comportement. On est proche de la
psychologie behavioriste: l'individu agit en fonction d'une personnalit
prtablie. Cet exercice du jeu de rle, dans un contexte scolaire, se
rapproche du jeu de mtier: la part de fiction assigne l'lve ne peut
sortir d'un canevas de comportement impos.
2.- Le jeu de rle.
Nous prfrons pour notre part une seconde approche du jeu de rle,
o il s'agit de l'animation par deux ou trois tudiants de scnes ou de
personnages plus spontans, plus fantaisistes... sans canevas ni scnario
prdtermins, sans documentation ni prparation particulire (JeanMarc Car 1978: 66-67). Si nous acceptons cette dfinition, le jeu de rle est
en plein domaine du jeu, par l'implication personnelle, et la rcration
d'une situation fictive. L'apprenant doit mobiliser tous les moyens expressifs de la langue, en y intgrant l'affectif et le rationnel, le verbal et le
gestuel, la phontique et la mimique; l'apprenant est laiss lui mme, il
doit se comporter tel qu'il est, comme en situation de langue authentique.
Mais l'improvisation s'apprend aussi: il est prfrable de commencer par
des situations banales (personne qui fume dans l'ascenseur, personne qui
ne fait la queue; retard lors d'un rendez-vous; enfant perdu qu'on trouve;
poste de radio qui drange; chien non tenu la laisse; salle d'attente chez
le mdecin, dans une gare, un aroport; projets de vacances en famille...),
ou qui naissent d'un malentendu (rendez-vous manqu; film qu'on ne
passe plus...), avant de proposer des situations o la personnalit chaque
apprenant va se trouver pleinement engage (dispute avec les parents sur
l'heure de retour la maison, ou avec un(e) ami(e)...). Il faut en tout cas
viter l'adoption de situations strotyps (les ternels marchands, agents
de police, ou employs...), et sortir du modle fix d'avance et prvisible.
Pour qu'il y ait implication personnelle, il faut qu'il existe une interaction:
que la situation contienne un germe de dsquilibre, et que ce soit l'attitude des participants qui fasse dboucher l'issue dans une direction ou
l'autre. Les lves eux-mmes peuvent proposer des situations de jeux de
rles.
C'est le cas de l'exercice propos par R. Tremblay: recration d'un
bulletin de nouvelles, autour par exemple d'un accident de la route. On
choisit comme contexte un studio de tlvision, on prpare, l'avance, une
description dtaille du sinistre et de quelques intervenants un rle
global prfix et rduit aux circonstances de la situation: le journaliste, la
victime (ou les victimes), le tmoin; la description contient quelques
donnes sur l'attitude des personnages, et pour le sinistr une description
de sa situation personnelle. Le professeur distribue les rles et demande
aux participants de reproduire une srie de situations d'change communicatifs en respectant les consignes fixes l'avance.
La simulation sociale ou socioprofessionnelle, telle qu'elle est dfinie
par Jean-Marc Car (1978: 65), est la reproduction simule, fictive et joue
d'changes interpersonnels organiss autour d'une situation problme:
cas tudier, problme rsoudre, dcision prendre, projet discuter,
conflit arbitrer, litige, dbat, situation de conseil. L'activit propose implique l'interaction des participants dans un environnement reconstruit:
les participants vont avoir assumer le rle d'individus ou de groupes
agissant dans le systme social particulier qui est simul, reconstruit. Les
situations proposes possdent ainsi une forte composante socioculturelle:
jeu de manire normale (il s'agit d'une activit de plus), et comme pratique
ncessaire un entranement, ce qui leur permettra de franchir les barrires psychosociales -source d'chec de nombreuses expriences.
Les conseils techniques propos des jeux de rles ou des simulations
(sociales ou globales) oublient un lment fondamental, notre avis: qu'il
ne s'agit pas de simples jeux linguistiques, mais qu'il s'agit de jeux communicatifs, au sens fort des deux termes. Communicatifs, parce que
l'implication personnelle de l'lve dans l'change est ncessaire, pour peu
que l'activit fonctionne bien; jeux parce qu'ils maintiennent un rapport au
thtre vident, direct: ce sont des jeux de thtre. Ils comportent la fiction
(la rcration d'un monde) et le thtre (sa reprsentation relle). Au contraire de l'allemand (Spiel), ou de l'anglais (to play), le franais et l'espagnol
ont subi un rtrcissement du sens des termes jeu-jouer (juego-jugar), qui
ne conservent que le sens d'exercice rcratif soumis de certaines
rgles (axes smantiques: divertissement et rapport social), sans que l'on
cherche forcment gagner ou vaincre sur l'adversaire, o ce sont les habilets des participants ou le hasard qui en dterminent l'issue (jeu de cartes, d'checs, jeux sportifs), ou encore leur ingniosit (jeu de mots, de
mains). Le Petit Robert insiste sur le plaisir que procure le jeu (axe personnel): activit physique ou mentale purement gratuite, qui n'a dans la
conscience de celui qui s'y livre que d'autre but que le plaisir qu'elle
procure: amusement, divertissement, rcration, passe-temps. En franais
moderne, jeu possde encore dans certaines expressions, une autre acception: manire dont on se comporte (jouer franc jeu, faire le jeu de
quelqu'un, tre pris son propre jeu; jouer le grand jeu: dployer toutes
ses ressources pour arriver ses fins). Quant jouer, on peut se rfrer
l'excution de l'activit rcrative-comptitive en question (ils ont bien
jou: football ou autres), activit qui peut tre l'interprtation d'un instrument (il joue du piano) ou d'une oeuvre thtrale/film (cet acteur joue
bien: il connat bien son mtier; quelle pice on joue?).
Ces expressions conservent ainsi un rsidu du sens ancien (mdival)
de jeu, qui comprenait au Moyen Age toute oeuvre dramatique, liturgique, srieuse ou plaisante. Le jocus latin (plaisanterie, passe-temps,
amusement) et le ludus (grande fte, jeu public: ludi Apolloni) avaient converg dans la reprsentation thtrale mdivale, qui tait faite l'origine
dans de vastes espaces (place publique ou transept de l'glise cathdrale),
o participait tout le monde, clbration collective rserve aux grandes
occasions dtermines par la liturgie ou les foires commerciales. Le mot
thtre n'est introduit qu'au XVIe sicle, comme nologie latine en tant
que: art visant reprsenter devant un public, selon des conventions
prcises, une suite d'vnements (action) o sont engags des tres
humains agissant et parlant. Le terme thtre, de par son origine tymo-
logique, cre le spectateur passif (et l'on dit: qu'est-ce que vous tes alls
voir?), qui contemple et admire parfois ce que d'autres font. Le thtre
limine la participation collective l'action, la danse, ou le chant que
comportait le jeu; la fte sociale et rcrative devient spectacle, jou sur
une scne qui dlimite trs bien la frontire des acteurs et des spectateurs.
Il faut donc considrer de tout point de vue les activits telles que le
jeu de rle et la simulation globale comme des jeux, dans le sens du terme
exprim antrieurement. Elles sont toutes participation collective une action fictive, illusoire; il s'agit d'une activit r-crative (divertissante et
crative la fois). Et l'une des raisons qui expliquent les difficults ou les
checs qu'entrane leur mise en action consiste dans ce fait mme: c'est du
jeu (thtral) que nous sommes en train de faire en classe. Et les rsistances viennent de la profondeur du foss qu'il faut franchir: passer du
thtre au jeu (mdival), autant l'lve que le professeur. On demande en
effet l'lve de changer son rle de spectateur (contemplation de l'autre:
lve ou professeur; ou acteur dans un rle prfigur, prvu d'avance,
connu, scurisant, comme dans le cas des dramatisations ou des jeux de
mtier) pour devenir acteur (dans une action collective, o il devra tenir
des rles inconnus pour lui jouer). On demande au professeur de mme
d'abandonner son rle habituel, pour adopter d'autres rles: acteur luimme (il est un acteur de plus, ou bien il doit montrer aux lves comment
on fait), mais aussi metteur en scne ou rgisseur, et encore dynamisateur/animateur de groupe. Et ces questions-l sont loin d'tre abordes et
prvues par les concepteurs de ces activits-l (peut-tre pour ne pas faire
fuir d'avance ceux qui sont prdisposs les mettre en pratique). Il faut
par contre affronter ces difficults, et proposer des moyens de les surpasser.
Tout connaisseur de thtre trouvera normales les rticences et
rsistances souleves par ce changement brutal de rle social, pour peu
que les activits dcrites dpassent le stade d'exercice d'application
(dramatisation, jeu de mtier, simulation professionnelle) vers des activits langagires o l'apprenant doit s'investir en tant qu'individu, personne
humaine, pour dboucher sur une communication pleinement authentique (bien que tenue sur le registre du fictif), car, travers la parole, on
active des motions, des dsirs, des attractions ou des rpulsions; on
pntre dans l'affectif. Les jeux de rles, les simulations globales, et plus
forte raison le psychodrame sont tous gards des jeux communicatifs: ce
n'est plus l'apprenant, c'est l'individu, la personne humaine qui parle et
agit. Et la mise en pratique collective de ces jeux communicatifs, elle s'apprend, comme toute activit humaine; elle ne s'improvise pas: il faut conduire progressivement le groupe d'lves travers une gradation des
attitudes et un surpassement des rticences ou des rsistances.
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