Mediterra Chap06
Mediterra Chap06
Mediterra Chap06
INFRASTRUCTURES DE
TRANSPORT ET LOGISTIQUE :
DES LEVIERS STRATGIQUES
POUR LE COMMERCE ET LA
COMPTITIVIT
Mustapha El Khayat
Association marocaine pour la logistique, Maroc
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que peuvent rencontrer des nations dans leurs dynamiques agro-commerciales quand
des tats voisins subissent des tensions gopolitiques exacerbes.
plus performants. Entre ces deux extrmes, certains ports accusant un certain retard
(qui devrait tre rapidement combl) voient leurs infrastructures rgulirement
modernises au profit dune meilleure organisation. Cest notamment le cas des ports
de Casablanca et de Bjaa, qui sont des ports trs prometteurs.
Indpendamment des types dinfrastructures, tout ce qui a trait la gestion administrative, aux contrles douaniers, aux inspections des conteneurs, laccessibilit routire ou ferroviaire, lorganisation du travail sur le terminal du port est dterminant
pour lefficacit du transit portuaire. Par exemple, les nombreux problmes de congestion des terminaux conteneurs pourraient tre rsolus par une meilleure prise en
charge par les autorits portuaires et douanires des procdures et des contrles lis
au transit international. Cela permettrait aussi de rduire les engorgements provoqus
par certains importateurs qui utilisent le port comme lieu de stockage sous douane et
tardent vacuer leurs marchandises (Projet Euromed Transport, 2005).
Quant au transport maritime lui-mme, il faut signaler la prsence darmateurs nationaux avec des systmes de rgulation multiples et conflictuels. Dans les pays du Maghreb,
lexistence de compagnies maritimes nationales dune importance suffisante est ressentie
comme un pralable toute libralisation du secteur transport maritime. Aujourdhui,
les flottes de ces pays sont vtustes, leurs cots dexploitation levs et leurs performances
mdiocres. Or les nouvelles dispositions en matire de scurit et sret (Organisation
maritime internationale [OMI], Union europenne, code ISPS1, etc.) gnrent des cots
dinvestissement trop levs pour envisager leur renouvellement. Ces pays considrent
que les barrires lentre en tant que transporteur maritime sont trs leves ; du coup,
les responsables du secteur essaient de trouver un cadre rglementaire qui permette
lmergence dinfrastructures prives en mesure de faire face la concurrence de la rive
nord de la Mditerrane. La privatisation du secteur maritime ne signifie pas pour autant
un armement public-priv purement maghrbin (CETMO, 2010 ; FEMIP, 2009).
Dans les ports maghrbins, les goulets dtranglement sont tous plus au moins les
mmes : concentration du trafic sur un nombre rduit de ports ; lourdeurs administratives ; longues attentes en rade et quai ; ruptures de charge entre le bord et
les quais-magasins ; tirants deau insuffisants ; intervention de plusieurs agents source
de conflits et de perte de temps ; grues et engins insuffisants et/ou mal entretenus
ou ne correspondant pas aux normes internationales ; exigut des terminaux de
conteneurs ; institutions et rglementations inadaptes aux volutions des activits
portuaires ouvertes sur la mondialisation ; inadaptation des horaires de travail des
intervenants aux spcificits maritimes ; systmes dinformation peu intgrs ; problme de lmigration clandestine ; mauvaise allocation des espaces portuaires ; etc.
Face ces obstacles, des efforts louables ont t entrepris sous forme dinvestissements
lourds, de rorganisation des passages portuaires, de textes rglementaires pour les
rendre plus fluides, de privatisations ou de concessions BOT (pour build, operate,
transfer) qui consistent faire financer les projets dinvestissement notamment en
1 - LInternational Ship and Port Security (ISPS) en franais code international pour la sret des navires et des
installations portuaires est un code en deux parties (A et B), adopt le 12 dcembre 2002 par la rsolution 2 de
la confrence des gouvernements contractants la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine
en mer (Solas), de 1974.
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matire dinfrastructures reconnues dutilit publique par des socits promotrices qui
en sont adjudicataires, charge pour elles de rcuprer leur investissement en grant le
projet pendant un certain nombre dannes. Des partenariats entre agents portuaires et
clients se tissent et se concrtisent sous diverses formes : dmonopolisation du secteur
portuaire avec sparation de la gestion du domaine et de la gestion commerciale (loi
de 1998 en Algrie ; loi de 2006 relative aux ports marocains) ; cration du guichet
unique ; installation de scanners, de portiques et de vido-surveillance ; privatisation de
la manutention au Maroc et en Algrie ; efforts de rorganisation pour surmonter la
bureaucratie pesante (ports de Casablanca, de Bjaa, etc.) ; concessions de nouveaux
ports globaux des mga-transporteurs maritimes armateurs de porte-conteneurs
(Tanger-Med au Maroc) et efforts pour fdrer tous les intervenants du passage portuaire en crant des communauts portuaires (Ghzala, 2011 ; Santi et al., 2012).
Le transport ferroviaire
Le chemin de fer est prsent dans quatre pays : lAlgrie, le Maroc, la Tunisie et la
Mauritanie. En Libye, les projets en cours ont t perturbs par les vnements
politiques partir de 2011. Le rseau ferr maghrbin est interconnect entre trois
pays, savoir le Maroc, lAlgrie et la Tunisie, mais il noffre toujours pas de service
de fret ferroviaire international pour des raisons politiques (fermeture des frontires
terrestres entre le Maroc et lAlgrie). noter que des projets prvoient de connecter
lgypte et la Tunisie les voies ferres qui seraient construites en Libye.
De qualit moyenne mauvaise, lessentiel du rseau maghrbin est voie unique.
En matire de fret, il propose essentiellement des services de transport de vrac entre
les zones minires et les ports dexportation (pour les phosphates ou autres minerais
notamment). Mais la pertinence du transport ferroviaire pour les changes multimodaux de marchandises, et notamment de marchandises diverses, est rapparue
timidement dans les projets avec lafflux de conteneurs (ONCF-MITA, SNCFT, etc.)
(Bouchentouf, 2006).
La plupart des pays ont des programmes de rhabilitation et dextension de leurs
rseaux. LAlgrie a ainsi un ambitieux programme de ralisation dun rseau
grande vitesse, de dveloppement du rseau des Hauts Plateaux et de rhabilitation
des rseaux existants. Le Maroc a quant lui prolong son rseau ferroviaire fret et
passagers vers Nador et vers le nouveau port de Tanger-Med. Il sest lanc dans la
cration de lignes grande vitesse (Tanger, Casablanca, Marrakech) avec la cration
de plates-formes logistiques multimodales de fret.
Le transport arien
Les pays du Maghreb sont dans lensemble bien quips en aroports. Toutes les
grandes villes et les principaux ports sont desservis par un aroport international.
On doit par ailleurs garder lesprit que prs de 50 % du trafic du fret arien utilise
les vols passagers et quun secteur touristique fort est un atout essentiel dans le
secteur arien. Des projets de dveloppement sont en cours dans plusieurs pays : par
exemple, laroport de Casablanca vient de se doter dune importante plate-forme
de fret entirement ddie au trafic des gros oprateurs de messagerie rapide et de
fret valeur ajoute. Un nouvel aroport, galement ddi aux frets internationaux
(DHL, Fedex, UPS), est prvu Benslimane tout prs de Mohammedia. Dautres
dveloppements sont attendus Enfidha, en Tunisie.
Le transport arien est aujourdhui un vecteur important dchanges et sa part dans
le transport des produits agricoles prissables ne cesse de crotre (Royaume du Maroc,
2012 ; ONDA, 2011 ; Schlumberger, 2012). Nanmoins, dans les changes entre les
pays du Maghreb, le fret arien reste marginal, en de de son potentiel, mme si
les services ddis au fret sont en lger dveloppement. Plusieurs segments du fret
arien seront amens se dvelopper, dont celui des produits frais spcifiques (pche,
fruits et lgumes, etc.).
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IPL
Rang mondial
France
3,85
12
Espagne
3,70
20
Italie
3,67
24
Turquie
3,51
27
Portugal
3,50
28
Tunisie
3,17
41
Malte
3,16
43
Maroc
3,03
50
gypte
2,98
57
Grce
2,83
69
Albanie
2,77
78
Liban
2,58
96
Algrie
2,41
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la facilitation des transports et du commerce dans les pays du Maghreb. Cest pour
rduire ces obstacles et intgrer les accords de lOMC et des zones de libre-change
que ces pays se sont attels rendre leurs systmes douaniers conformes aux conventions internationales et aux directives de la Communaut europenne.
Le contrle douanier physique et le contrle phytosanitaire sont les grands obstacles
la fluidit des changes agricole. Le contrle physique a pour objet de vrifier
ladquation entre la dclaration des marchandises prsentes et la prsence ventuelle de marchandises prohibes. La dclaration lectronique est thoriquement
possible dans tous les pays du Maghreb (ou le sera court terme), mais pour quelle
prsente un rel intrt, il faudrait quelle se substitue totalement aux procdures
traditionnelles, et quelle soit anticipe. En effet, elle devrait prcder la marchandise
afin que la douane prenne sa dcision en amont, mme si la marchandise nest
annonce quau moment de lentre (ou de la sortie) du territoire douanier, quelle
sappuie sur une nomenclature accessible en ligne , et que seules les rfrences
des pices justificatives soient fournies par voie lectronique. La dclaration lectronique faite par un dclarant agr dot dun identifiant doit dispenser du dpt
physique de la dclaration. rception de la dclaration lectronique, la douane
peut dcider de laisser ou non passer la marchandise sans contrle, cette dcision
ntant annonce quau dernier moment. En cas de contrle documentaire, on peut
soit exiger lindication des rfrences des pices manquantes ou la prsentation des
pices justificatives elles-mmes ; soit demander la prsentation de la marchandise
pour contrle physique. Cette dernire demande doit rsulter dun ciblage partir
dun profil de risque (risk management) afin de rduire le nombre de contrles
physiques qui freinent considrablement les flux, et de rduire, voire de supprimer,
les contrles arbitraires. La dcision de contrle physique est alors communique
via le systme de traitement et de transmission de linformation aux douaniers de
terrain qui lexcutent (CETMO, 2003 et 2004b ; Ghzala, 2011).
La mise en uvre de la dclaration lectronique rencontre des rsistances, de la part
des agents de la douane prsents localement et des innombrables courtiers qui vivent
du transfert physique des documents, plus que de la part des administrations centrales ou des socits de commissionnaires de transport. Dans de nombreux pays,
les contrles visuels (le conteneur est ouvert), voire physiques (les cartons sont
ouverts), des marchandises dpassent 50 % des units en transit, et les contrles
documentaires sont systmatiques. Comme dans les autres domaines, les avances
sont trs variables dun pays lautre : la Tunisie dispose dj dun systme relativement performant, le Maroc est galement avanc dans ce domaine.
Si les oprateurs sont unanimes dire que le principal handicap douanier se situe aux
frontires des pays du Maghreb (Ghzala, 2011), la douane maghrbine a toutefois fait
des progrs notables, alors que les autres composantes de la chane logistique sont
toujours en retard. La technologie de linformation permet de rduire le temps de
ddouanement tout en amliorant la qualit des activits de contrle. Les trois pays du
Maghreb ont leurs propres systmes : BADR (Maroc), SIGAD (Algrie) et SINDA
(Tunisie). Les difficults se situent au niveau des contrles sanitaires et phytosanitaires
et, ces derniers temps, au niveau de la sret et de la scurit (application des ISPS et
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ICS). Dans ce domaine, les procdures sont lourdes, non coordonnes et gnratrices
de cots que les efforts louables de la seule douane ne peuvent rsoudre.
Encadr 1 : Les plates-formes dagro-commercialisation au Maroc
Les plates-formes dagro-commercialisation constituent une rponse au besoin de
rationaliser les flux agricoles entre bassins de production et bassins de consommation
(groupage des collectes des bassins de production, clatement vers les rseaux de
distribution et les bassins de consommation). Nouvelles stations pour le passage des
produits agricoles et vritables bourses des produits frais, ces plates-formes offriront
des infrastructures (stockage, capacits importantes dentrepts frigorifiques, etc.) et
de nombreux services (manutention, contrle qualit et traabilit des produits,
administratifs, bancaires, etc.), et doivent contribuer la rduction et lhomognisation des cots de commercialisation, la continuit de la chane de froid, la
traabilit et un meilleur respect des conditions dhygine. La mise en uvre de
ce rseau de plates-formes dagro-commercialisation dans les principales villes
saccompagnera dune mise niveau des marchs de gros dans les autres villes. Ces
plates-formes, couvrant une superficie de 535 hectares lhorizon 2015, concernent
les villes suivantes (voir le tableau 2).
Tableau 2 - Principales villes retenues pour le dveloppement de
plates-formes dagro-commercialisation lhorizon 2015
Villes
Grand Casablanca
80
Rabat
40
Tanger-Ttouan
45
Mekns
42
Fs
30
Marrakech
55
Agadir
55
Oujda
25
Khouribga
12
Settat
23
Nador
17
El Jadida
35
Safi
21
Beni Mellal
22
Taza
18
Dakhla
15
Total
535
Source : Royaume du Maroc, Stratgie nationale de dveloppement de la comptitivit logistique, Rabat, ministre de lquipement et du Transport, 2010.
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Rflexions prospectives
Quelles solutions devrait-on proposer pour amliorer et matriser les chanes logistiques agricoles et les flux des changes agricoles (maghrbins ou euro-maghrbins) ?
Si lobjectif est bien dassurer la disponibilit, la qualit et la rduction des cots, il
est indispensable de se placer dans une logique de scurit et de qualit car les
produits agricoles exigent des soins particuliers tous les niveaux, de la production
jusqu la consommation.
Les chanes logistiques agricoles sont constitues de flux multiples en fonction de la
nature des produits (multi-produits). Mais la logique est toujours la mme : rduire
la vulnrabilit et les risques inhrents aux activits agricoles (risque face lincertain,
gestion des stocks, stabilisation des prix face aux fluctuations des marchs, matrise
de lespace-temps pour contrer les spculations tout en matrisant les sources
dapprovisionnement supply chain mastery et marchs terme des produits et des
affrtements des navires, des conteneurs, etc.).
Les marchs des crales doivent faire partie dune stratgie logistique globale (approvisionnement, transport, stockage, transformation) (Banque mondiale et FAO, 2012 ;
Abis, 2012b). Cest dans ce but que ltat marocain a sign le contrat programme
avec le patronat (la Confdration gnrale des entreprises du Maroc, CGEM) pour
crer des zones logistiques ddies aux crales importes, et dautres pour les crales
nationales. De mme, les problmes de matrise de la chane du froid, concernant
les fruits et lgumes, ont amen lautorit marocaine dans le cadre du plan Maroc
vert crer des zones dactivits logistiques pour les produits prissables (fruits,
lgumes, etc.). La mme stratgie de chane du froid est suivie en Tunisie.
Ces zones dactivits logistiques destines aux produits agricoles, existantes ou en
cours de ralisation, sont gnralement adosses une zone dactivit conomique
multiforme et multi-industries, non loin dune zone portuaire et/ou de production.
Elles ont besoin dun ensemble de services collectifs spcifiques pour donner naissance des plates-formes flux multiples et multi-produits agricoles : 1) douanes et
contrles phytosanitaires et mesures de suret ; 2) accs un systme dinformation
communautaire qui intgre douanes, autorit portuaire et aroportuaire, zones
dactivits conomiques, etc. ; 3) accs des formations professionnelles pour les
mtiers de base (caristes, conducteurs dengin, chauffeurs, chef de quai, etc.) ; 4)
prsence dun bassin de main-duvre et dun march dintrim ; 5) prsence dquipements spcialiss (manutention, emballage, conditionnement, chane du froid,
etc.) ; 6) accs des services de gestion des conteneurs, de maintenance des entrepts
frigorifiques, de rparation des vhicules, aux stations-service, restaurants, assurances, banques, services mdicaux, etc.
La cration de plates-formes demande en outre une offre locative harmonise : bail
(cinq dix ans) pour les exploitants des entrepts avec des renouvellements ou
ruptures de bail calqus sur les pratiques europennes. Elle fait intervenir plusieurs
oprateurs privs et publics, do la ncessit dune troite coopration entre ces
intervenants pour aboutir des choix judicieux et bien tudis (Royaume du Maroc,
2008b ; El Khayat, 2008).
Encadr 2 : Les autoroutes de la mer,
facteur dintgration europenne
Sinscrivant dans le concept des autoroutes de la mer, les exportations des fruits et
lgumes des pays du Maghreb vers lUnion europenne relvent de chanes logistiques du froid multimodales, moins consommatrices de carburant et privilgiant
lintermodalit (route, chemin de fer, mer, etc.).
Les pr-acheminements et post-acheminements portuaires sont des lments cls
dans la matrise de toute cette chane logistique pour garantir la fluidit du trafic,
viter les ruptures de charges et les immobilisations des moyens de transport (navires,
camions, trains et outils de manutention), ainsi que la sous-utilisation des interfaces
de transfert intermodal, plates-formes logistiques et ports secs.
Aussi la mise en place des autoroutes de la mer doit-elle comprendre une logistique
globale qui en intgre toutes les composantes, des chargeurs au point de dpart
jusquaux destinataires au point darrive. Pour optimiser cette chane et viter freins
et dysfonctionnements, chaque tape doit tre scurise et harmonise par la cration
dun rseau dintervenants sur toute la chane, dans un esprit communautaire, autrement dit dune communaut de chane logistique effective.
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> Le projet Logismed TA dans son chapitre sur la formation en logistique pour le
rseau des plates-formes logistiques de la rive sud de la Mditerrane. Ce programme stalera sur six ans, de 2013 2019. La premire phase de 2013 2016
concernera deux pays du Maghreb, le Maroc et la Tunisie. Elle verra galement
la cration dobservatoires du transport et de la logistique.
> LUPM finance aussi les infrastructures de connexion entre les autoroutes dans le
Maghreb central (Maroc, Algrie et Tunisie) : une tranche de 22 km entre Oujda
et la frontire algrienne et une autre de 80 km entre Bou Salem et la frontire
algro-tunisienne (Alfonso, 2013). LUPM financera aussi le corridor dAgadir
Ras Jedi. Elle envisagera par la suite dpauler les projets dintgration des autoroutes de la Libye et de la Mauritanie.
2) Une logique conditionne par les conflits dclars ou latents entre les pays du
Maghreb leurs frontires au sud (le Sahel saharien et autres). Face ces actions
concrtes de dveloppement de linfrastructure transport et logistique au niveau des
pays du Maghreb, des rivalits politiques et des tensions aux frontires restent
dactualit. La frontire terrestre algro-marocaine est ferme alors que la rgion
dOran se trouve dans lhinterland de Tanger-Med et de Nador. Les flux physiques
et la mobilit des personnes sont impossibles par voie terrestre.
Encadr 3 : Le Liban et la guerre en Syrie,
une alternative logistique rechercher
La guerre en Syrie a rvl une fois de plus la fragilit du Liban sur le plan gopolitique.
La bipolarisation de ses composantes politiques sen trouve nouveau renforce. Sur
le plan gographique, le conflit rvle un certain enclavement du pays du Cdre : un
comble pour un pays dont le commerce maritime a fait sa gloire passe.
Un pays exportateur sur le march rgional
Mais force dinsister sur cette histoire, on perd de vue que ce pays est aussi tourn
vers son hinterland arabe. Entre mars et mai 2013, la fermeture des frontires
syriennes a ainsi rendu le territoire du croissant fertile (Jordanie, Syrie, Irak) inaccessible aux camions libanais. Habituellement, le trafic passe par les axes BeyrouthDamas, Baalbeck-Homs ou encore Tripoli-Homs, la route reliant les deux capitales
du Levant tant celle qui permet de convoyer les plus forts tonnages annuels en dpit
du franchissement du col de Bedar au Mont-Liban. Mais avec la dgradation de la
situation tous ces points de passage sont devenus plus difficiles daccs avant dtre
bloqus par la Syrie, au prtexte de prvenir les trafics darmes.
Les produits agricoles sont parmi ceux qui ont t les plus affects par cette fermeture
car ils partent vers les pays du Croissant fertile (Syrie, Jordanie, Irak) et vers le Golfe.
Si Beyrouth a longtemps t le passage oblig pour certaines marchandises syriennes
du moins tant que les ports de Lattaqui et de Tartous navaient pas pris limportance
quils ont pris dans les annes 1960 la suite de la rupture de lunion douanire entre
le Liban et la Syrie , la Syrie tait devenue depuis cette mme poque le passage oblig
pour les marchandises agricoles du Liban en direction des pays du Proche-Orient et
de la pninsule Arabique. Ce sont dailleurs certaines de ces exportations qui avaient
fait la renomme des produits agricoles libanais avant la guerre civile. Partout dans le
Golfe, mais aussi en Jordanie et en Syrie, les pommes libanaises taient trs renommes
pour leurs qualits organoleptiques. En dgradant considrablement le tissu social et
en affectant les territoires agricoles ainsi que les filires, la guerre civile, entre 1975
et 1990, est venue interrompre cet essor. Puis la reconstruction du pays, axe sur les
secteurs tertiaires, plus que sur les secteurs productifs na pas permis cette agriculture
de retrouver sa renomme dans la rgion. Mais bien que fortement dficitaire et malgr
tous les obstacles qui entravent son accroissement, le commerce agricole libanais nen
compte pas moins des exportations trs utiles certaines filires (pommes, abricots,
lgumes, agrumes, bananes et pommes de terre).
Une stratgie agricole de niche contrarie par la guerre syrienne
Avant que la crise en Syrie ne prenne sa tournure gravissime, lheure tait la reconqute
des marchs avec la mise en uvre dune stratgie quinquennale (2010-2014) manant du
ministre de lAgriculture afin de doper lemploi agricole et agro-industriel. Jouant sur sa
diversit agro-climatique, le Liban souhaite dvelopper une production de niches capables
de sinsrer dans le march arabe autant que de chercher satisfaire les consommateurs
libanais. Dans cette vision, le budget du ministre de lAgriculture a t augment, sachant
que dautres ministres interviennent par ailleurs dans le soutien lagriculture. Ainsi du
ministre de lconomie qui vient en appui de la filire crale ou de celui des Finances
pour le tabac ; ainsi galement de lAutorit de dveloppement des investissements (IDAL)
rattache au Premier ministre dont les moyens ont t renforcs pour subventionner les
produits agricoles lexportation pour soutenir la stratgie dagriculture de crneau. Dans
le cadre de cette relance, des accords ont mme t signs avec certains pays, linstar de
laccord sur les ventes de bananes la Jordanie. Cette stratgie savrait assez bien conduite
puisquentre le dbut de sa mise en uvre et le dbut de lanne 2013, les exportations
libanaises avaient augment de 20 % selon le ministre de lAgriculture libanais (il resterait
savoir comment les importations ont volu de leur ct).
La fermeture des frontires syriennes au printemps 2013 a marqu un coup de frein pour
lagriculture libanaise. La rgion pauvre du Akkar, fortement agricole, est particulirement
expose. Au printemps 2013, les producteurs de pommes de terre dans cette zone taient
trs inquiets lapproche de la priode de rcolte. On percevait les mmes inquitudes dans
la Bekaa, principale rgion agricole du Liban ou encore au Sud-Liban, une rgion galement marque par limportance prise par lagriculture.
Dans ce contexte, le Liban a dcid de mettre en place de nouvelles voies dexportation de
ses marchandises. Une ligne maritime a t ouverte au dpart de Beyrouth au dbut du
mois de mai 2013 pour assurer le transport de produits agricoles vers lArabie Saoudite et
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vers la Jordanie via lgypte, autre march important pour le Liban. Trois navires rouliers
encore nomms Ro-Ro (pour roll on, roll off, roule dedans, roule dehors ) ont t
mobiliss par la compagnie Falcon Shipping SAL, raison dune frquence de deux
quatre navettes par semaine. Une autre voie a t tablie en direction de Mersin en Turquie
pour atteindre ensuite lIrak. Ce recours lcoulement par voie maritime nest pas sans
poser problme ; en particulier, celui du cot qui demeure plus lev que celui du
transport routier. Cet aspect doubl dune certaine lourdeur du dispositif pourrait faire de
cette voie dcoulement une solution provisoire ou au moins secondaire.
Pierre Blanc, Bordeaux Sciences Agro et Sciences Po Bordeaux (France).
Conclusion
Les chanes logistiques euro-maghrbines en construction peuvent attirer des groupes
puissants, dominante amricaine et asiatique, si ces derniers trouvent leur compte
dans les bnfices futurs de ces chanes logistiques agro-alimentaires (FMES, 2011 ;
Gharbi, 1993 ; Cheriet et Rastoin, 2010). Faute de matrise du rseau par des intrts
euro-maghrbins, la Mditerrane occidentale serait alors soumise aux influences
extra-mditerranennes, devenant un bassin pour des firmes mondialises non
mditerranennes.
Devant lhypothse dun tel scenario, il est urgent de trouver une solution mditerranenne alliant acteurs publics et privs afin de mettre au point un rseau dintrt
logistique agro-alimentaire mditerranen dont lobjectif sera de faciliter une intgration juste et russie des intrts des oprateurs privs et publics des deux rives
de la Mditerrane.
Les solutions sont possibles (BEI, BAD, banques prives euro-mditerranennes,
fonds publics et privs, etc.), les innovations financires sont rechercher et la
cration dune Communaut logistique agro-alimentaire euro-mditerranenne est
encourager pour unifier les intrts divergents des deux rives de la Mditerrane
(El Khayat, 2008). Les pays du Maghreb sont invits trouver leur place au sein de
lespace mditerranen et dans le cadre de la zone euro-mditerranenne en particulier. Nanmoins, la structure des changes entre les pays du Maghreb et les pays
mditerranens de lUE, mme si un certaine changement par rapport aux tendances
passes apparat, ne favorise pas pour autant lmergence dune zone complmentaire
division internationale et horizontale du travail, ni change gal.
ce titre les infrastructures et moyens logistiques constituent le pari dune intgration effective des pays du Maghreb dans une Mditerrane productive de richesses
et qui ne se restreindra pas un simple espace de transit du trafic Est-Ouest. Le
financement des infrastructures et des facilitations commerciales des pays du Maghreb se rvleront inutiles si ils nentranent pas lmergence dun ple de dveloppement susceptible dassurer la scurit alimentaire.
Lhistoire nous enseigne que le dveloppement passera ncessairement par la volont de
construire une zone conomique euro-maghrbine intgre, matresse de ses systmes
productifs et de ses surplus mis la disposition de ses citoyens euro-maghrbins.
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