Manuel Cooperation Steiner

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Claude Steiner

Traduit par Anne-Marie Scherrer

Manuel de coopration

1979

CLAUDE STEINER : psychologue clinicien et psychothrapeute,


est lun des spcialistes de lAnalyse Transactionnelle de rputation
internationale. Il fut lami et le plus proche collaborateur dEric
Berne dont il approfondi les principes, en particulier le concepts des
signes de reconnaissance. Fondateur du mouvement de psychiatrie
radicale aux Etats Unis, il est lauteur notamment des ouvrages Des
scnarios et des hommes, A quoi jouent les alcooliques, lautre face
du pouvoir et de lABC des motions.
L'dition de ce texte, traduit par Anne-Marie Scherrer, a t tablie par Marc
Devos, l'un des complices francophones de Claude Steiner.

Ce Manuel de coopration date de la fin des annes soixante-dix. Revenant sur


ce qui tait un dossier pour la revue Issues in Radical Therapy and Cooperative Power
, pour en prparer l'dition franaise, Claude Steiner disait Marc Devos : il ny a pas
eu de changement fondamental dans cette srie de concepts qui se sont avrs
d'une validit exceptionnelle au cours du temps .

Le parti pris de cette dition est donc de prsenter ce texte sans chercher
gommer les quelques passages dats , sans tenter une quelconque et laborieuse
mise jour : nous le livrons tel qu'il ft publi il y a plus de vingt ans aux tats Unis.

Alors nous laissons les rfrences la gauche radicale, et mme la citation de


Mao la fin du livre... Tout cela porte tmoignage d'une priode historique, avec ses
rfrences, ses valeurs, et ne peut qu'encourager une lecture active, qui tente de
comprendre, qui cherche l'cho de ses questions dans la parole d'un autre, une
autre poque.

Ainsi, ce que Claude Steiner dit en S'appuyant sur des exemples tirs de la vie en
communaut, est-ce que cela ne reste pas d'une formidable actualit quand on se
proccupe de la qualit de la coopration dans toutes sortes de groupes, de la famille
l'entreprise en passant par les associations ou la vie quartier et de voisinage?

C'est ce titre que l'dition franaise de ce texte prsente des enjeux trs
actuels.

L'diteur

Nous, les Blancs d'Amrique du Nord, appartenons une socit profondment


conditionne par l'individualisme et l'esprit de comptition - traits qu'on nous a
prsents comme dsirables depuis notre petite enfance. On nous dit que, si nous les
pratiquons ardemment, ils nous conduiront au bonheur et la russite.

Les aspects positifs qu'on attribue l'esprit de comptition et l'individualisme


sont une tromperie dangereuse quant leur ralit. On croit, par exemple, que seuls
ceux qui "ont l'esprit de comptition" s'investissent fond, que comptition est
synonyme de ralisation et de productivit, et par consquent, on encourage l'esprit
de comptition chez les enfants, car on le considre comme un lment ncessaire
leur ducation pour russir plus tard dans la vie.

Pourtant, l'esprit de comptition et l'individualisme ne sont pas les vraies raisons


pour lesquelles les gens s'investissent fond ; la motivation relle de ces comportements,
c'est d'obtenir de la satisfaction et des rcompenses. Certes, ceux qui russissent dans la
comptition sont richement rcompenss. Mais ceux qui ont des aptitudes la
coopration peuvent galement obtenir des rcompenses, voire mme plus facilement,
par ce biais de la coopration. Ces rcompenses ne sont pas aussi spectaculaires que
celles obtenues par ceux qui ont russi dans la comptition, mais le prix payer n'est
pas non plus aussi lev. L'individualisme et l'esprit de comptition nuisent aux gens
long terme, tandis que la coopration permet de rcompenser le plus souvent un
maximum de gens.

L'individualisme
L'individualisme donne aux gens l'impression que lorsqu'ils mnent quelque chose
bien, c'est tout seuls et sans l'aide de personne, et que lorsqu'ils chouent, c'est,
encore une fois, tout seuls et sans l'influence des autres. Croire en la valeur de
l'individualisme empche de comprendre l'influence, positive ou ngative, qu'on exerce
les uns sur les autres. Le rsultat de l'individualisme, c'est que les tres humains sont isols
les uns des autres et ne peuvent pas se regrouper pour s'organiser contre les forces
oppressives bien structures qui les exploitent. A cause de leur individualisme, les gens
sont facilement influenables et deviennent une cible facile lorsqu'ils dvient, ou
commencent remdier leur oppression individuellement, sans le soutien d'autrui. En
fin de compte, l'individualisme empche les gens de communiquer entre eux, alors
mme qu'ils deviennent de plus en plus conscients de leur oppression ; les soupons
lgitimes qu'ils ont l'gard de leur gouvernement, de leur employeur, de leur clerg, de
leurs ducateurs et de leurs fonctionnaires ne sont pas reconnus. Livr lui-mme et
conscient d'une oppression aussi subtile qu'vidente, l'individu risque de perdre l'esprit ;
les gens sont rduits l'alination, chaque individu enferm dans son systme, lui ou
elle, impuissant et paranode.

L'individualisme comme mode de relation avec les autres, tout en tant


extrmement valoris, peut en fait tre un mode de comportement des plus
destructeurs.

Il ne faudrait pas confondre individualisme et individualit et penser que l'action


individuelle ou le comportement centr sur soi est mauvais. Il est clair que certains
individus, par leurs actions individuelles, ont t trs utiles beaucoup de gens ainsi
qu' eux-mmes. Par l'individualisme, l'individu est encourag agir de faon
indpendante et spare et, de ce fait, n'est plus responsable devant personne
d'autre. Au contraire, l'individualit dsigne l'unicit et l'altrit de chaque individu ; son
caractre ou sa manire d'tre particulire. L'individualisme est incompatible avec la
coopration tandis que l'individualit en constitue l'essence.

Esprit de comptition et jeux de Pouvoir


L'individualisme va de pair avec l'esprit de comptition. Du moment que nous
nous tenons debout ou que nous tombons, uniquement par nos propres efforts, il nous
faut envisager que tout le monde autour de nous s'investit de la mme manire pour
devenir suprieur ou avoir l'avantage sur nous. Etre infrieur est intolrable ; la seule
autre option dans notre socit est d'essayer de garder l'avantage. Nous ne
comprenons pas ce qu'est l'galit et souvent nous ne l'envisageons mme pas. Dans
notre culture, les tres humains sont forms trs tt l'esprit de comptition. Toutefois,
tous ne sont pas levs selon un mode de vie comptitif et dans certaines socits,
comme celle des Indiens d'Amrique, il n'est pas vu d'un bon oeil.

Dans une socit individualiste et comptitive, celui dont l'esprit de comptition


n'est pas trs dvelopp, ne peut pas se maintenir. Il se verra mis en position d'infriorit
de manire rpte et finira par tre profondment alin. C'est ce qui explique que
l'esprit de comptition continue d'apparatre comme positif ; il est pratiquement
impossible dans notre socit d'atteindre un bien-tre quelconque sans avoir de trs
solides aptitudes la comptition. La seule autre option face l'individualisme et
l'esprit de comptition susceptible de conduire au bien-tre, c'est la collectivit et la
coopration entre pairs. Mais, tandis que nous sommes bien forms la comptition,
nous savons trs peu de choses sur la manire de cooprer et d'tre galit avec les
autres. Des situations, dans lesquelles les gens se sont efforcs de cooprer et d'tablir
une galit entre eux, dgnrent souvent au profit des comportements habituels, bien
ancrs dans l'individualisme et la comptition.

Le capitalisme se nourrit de l'individualisme, de l'esprit de comptition et de


l'ingalit. La collectivit, la coopration et l'galit, au contraire, ont beaucoup de
mal s'implanter chez les gens levs dans notre socit.

L'esprit de comptition est stimul par la ralit ou l'hypothse que ce dont on a


besoin n'existe pas en quantit suffisante. Lorsque les moyens de satisfaire les besoins
matriels sont extrmement rares, alors la comptitivit devient un comportement de
survie privilgi. S'il n'y a qu'un pain par jour pour nourrir 20 familles, il est assez vident
que ces 20 familles vont avoir faim. Si dans le sous-groupe, quelqu'un de comptitif
s'arrange pour avoir le pain entier pour sa famille, cette famille-l va survivre alors que
les autres auront faim. Le rsultat de la comptitivit en cas de pnurie est nettement
positif pour les vainqueurs et mme pour la survie de l'espce. Mais dans la mesure o il
y a abondance, la comptitivit cre effectivement la pnurie et la faim. La
consquence de la thsaurisation qui va de pair avec la comptitivit, est que certains
ont plus que ce dont ils ont rellement besoin tandis que beaucoup d'autres, qui se
contenteraient de leurs restes, doivent s'en passer.

L'esprit de comptition nous est enseign un ge prcoce, par nos parents


mais surtout l'cole. Tous les sports, les notes, les examens, constituent un entranement
la matrise de la comptition - simulacres de situations de pnurie, pour nous prparer
au monde des affaires, au travail la chane, au march de l'emploi.
Jeux de Pouvoir. L'opration relationnelle fondamentale par laquelle
l'individualisme et l'esprit de comptition sont mis en pratique, est le jeu de pouvoir. Un
jeu de pouvoir est une transaction ou une srie de transactions visant amener les
autres faire ce qu'ils ne feraient pas autrement.

Les jeux de pouvoir peuvent tre brutaux et impliquer une relle coercition
physique. Ils peuvent aussi se jouer par une pression mutuelle subtile, verbale ou
mentale, que les gens vont exercer, pour obtenir ce qu'ils veulent.

Le jeu de pouvoir le plus brutal, c'est tout simplement celui o quelqu'un


s'empare du pain de quelqu'un d'autre, et lui fait du mal physiquement s'il essaie de le
rcuprer. Un effet identique, savoir prendre le pain, peut s'obtenir par des moyens
mentaux ou psychologiques qui sont tout autant des jeux de pouvoir et qui ont le
mme rsultat. Ce type de jeu de pouvoir pourrait s'appuyer sur la peur prouve par
la victime plutt que sur la force, puisque aucune force physique ne s'exerce vraiment,
ou bien il peut se jouer en suscitant la culpabilit ou la honte de la victime afin qu'elle
renonce de son plein gr ce qui lui appartient. De toute faon, le rsultat des jeux de
pouvoir, c'est qu'on enlve quelqu'un ce qui lui revient lgitimement et qu'on le met
entre les mains de quelqu'un d'autre.

Coopration
Comment alors, allons-nous, nous qui vivons dans une socit d'abondance,
bnficier de cette abondance et la rpartir quitablement entre tous ceux qui la
mritent ? Rponse : par la coopration. La coopration est un mode de relations
interpersonnelles bases sur l'hypothse que la pnurie n'existe pas en ce qui concerne
ce dont nous avons besoin (nourriture, signes de reconnaissance, protection, espace)
et que tout le monde a un droit gal la satisfaction de ces besoins.

Si on accepte ces hypothses, la coopration a pour objet de fournir une


satisfaction maximum la plupart des gens, la plupart du temps. La coopration peut
se pratiquer dans les relations ou au travail, en petits groupes ou dans des collectivits
entires.

Coopration et famille
Etre, vivre ou travailler avec d'autres, ncessite une certaine comprhension et
des rgles pour grer ces relations. Le modle relationnel le plus accessible est celui de
la famille. Donc, lorsque les gens sont en relation dans un groupe, l'hypothse
immdiate est que les mmes rgles qui s'appliquaient dans leur famille d'origine,
s'appliquent ou devraient s'appliquer dans leurs relations actuelles.

Il n'est pas rare que les gens dcrivent leur lieu de travail, leur foyer ou leur groupe
de thrapie comme une grande famille, et en gnral on voit cela comme un
compliment. Quand on dit qu'un groupe est "une famille", on veut gnralement dire
que dans ce groupe les gens s'aiment, qu'ils travaillent bien ensemble et qu'ils ont un
but commun. Il peut y avoir d'autres aspects dans un groupe qui se comporte comme
une famille, qui ne sont peut-tre pas aussi souhaitables que ceux que nous venons de
mentionner. Par exemple, le groupe peut tre domin par un homme qui se comporte
comme un pre bienveillant. Bien que son attitude soit, la plupart du temps, juste et
quitable, long terme, ce n'est pas ncessairement quelque chose que les gens
apprcient.

Une approche familiale des relations de groupe implique probablement des


ingalits et du favoritisme o les chouchous du patriarche (le responsable) vont
obtenir des faveurs particulires tandis que les autres, qui sont en quelque sorte mal vus,
deviennent les boucs missaires et sont mis l'cart

En gnral, cette conception n'implique pas de prise de dcision dmocratique


ni l'tablissement d'un ensemble de rgles labor par l'ensemble du groupe. Elle a
plutt tendance considrer que les lois sont tablies par le patriarche et ceux qui
l'entourent et qui ont du pouvoir. II existe peut-tre une apparence de dmocratie et
d'galit en gnral, mais lorsque le fonctionnement harmonieux du groupe se heurte
des difficults, celle-ci disparat, et les dcisions sont prises autoritairement au sommet .

C'est au moment o le groupe affronte la tempte que les rgles rgissant le


groupe mergent. Les dcisions prises alors sous la pression laissent une empreinte
indlbile sur l'avenir du groupe, en crant des prcdents. Si par exemple, stress par
le fait de devoir prendre une dcision importante, quelqu'un a tendance prendre le
pouvoir, et s'il est enclin se montrer suprieur et autoritaire dans des jeux de pouvoirs,
alors, une fois la difficult traverse, la supriorit et l'arbitraire des jeux de pouvoir
deviennent des comportements acceptables au sein de ce groupe. Si le leader, au
contraire, utilise de subtiles manipulations et des mensonges, alors les manipulations
subtiles et les mensonges deviennent galement acceptables au sein de la culture du
groupe.

Il va de soi pour la plupart des gens, qu'en priode de stress, il est bon et mme
souhaitable que quelqu'un, un homme fort de prfrence, prenne le pouvoir et guide
le groupe pour prendre les dcisions ncessaires. Ds que nous sommes capables de
comprendre les histoires qu'on nous raconte pour nous endormir ou que nous regardons
la tlvision, on commence nous montrer des situations d'urgence o un homme
prend le pouvoir et conduit les autres en scurit.

Cet homme en gnral s'est vu assigner cette position de leader par une
convention pralable, comme dans l'arme o chaque fois qu'un chef tombe,
quelqu'un d'autre, dj dsign, le remplace. Mais parfois, quelqu'un prend la tte
d'un groupe en vertu de ses "capacits suprieures tre leader". Ces capacits de
leader sont vaguement dfinies mais on peut supposer qu'elles sont surtout reconnues
par le reste du groupe lorsque le leader en fait la preuve, en prenant les dcisions les
meilleures "dans le feu de l'action".

Nanmoins, le fait est que celui qui devient habituellement leader dans le feu de
l'action, sauf s'il a t dsign d'avance, se trouve tre justement le plus ambitieux, le
plus puissant, celui qui sait le mieux contrler les autres.

Nous nous trouvons rarement en face de ce genre de catastrophe o on a


besoin d'un leader. Certes, lorsqu'un thtre est en feu, il est souhaitable que quelqu'un
soit la hauteur de la situation et donne des consignes efficaces, d'une voix calme,
pour vacuer les lieux. Dans ce cas, on n'a pas le temps de s'asseoir ni de faire une
runion pour dcider qui va donner ces consignes. Mais mis part ce cas de figure o il
faut prendre des dcisions immdiates pour viter la panique, pratiquement aucune
situation ne ncessite un tel processus. Si un groupe de gens se perd en fort ou se
trouve abandonn sur un bateau ou sur une le dserte, il y a toujours une possibilit de
prendre une dcision en groupe, ce qui peut impliquer d'assigner temporairement la
responsabilit du leadership certains, si ncessaire.

Ce mythe du besoin de leader est un mythe puissant que beaucoup d'entre


nous avons, grav dans la conscience, et auquel nous avons du mal renoncer car il
est ancr dans des sicles d'histoire familiale patriarcale.

Cette tendance instinctive des gens s'organiser en groupes refltant des


schmas familiaux prsente des avantages. L'organisation en famille est
incontestablement un mieux par rapport au chaos. Un leadership exerc par un
patriarche plutt bien inform, est prfrable un leadership exerc par le plus
puissant physiquement ou le plus manipulateur du groupe. Il y a eu maints exemples de
groupes de gens qui, aprs avoir rejet le modle familial, voulaient crer des conditions
de vie et de travail dpourvues de toute hirarchie et de toutes rgles, et qui soient la
ngation absolue de la structure familiale. De tels regroupements sont clbres pour leur
manque de russite, leur vie phmre et leur incapacit grer une crise. Le
mouvement communautaire des annes 60 o des milliers de jeunes ont fui leur famille,
se sont retrouvs et ont essay de vivre et de travailler ensemble, s'est caractris par un
rejet absolu de tout ce qui pouvait leur rappeler leurs antcdents familiaux abhorrs.
Ils rejetaient toutes les rgles, abolissaient l'intimit et la proprit prive et essayaient de
crer un contexte o personne ne "faisait marcher" personne, o tout appartenait
tout le monde, avec des pices sans portes et des lits sans bords. Ces expriences ont
en gnral tourn la catastrophe, avec comme dominante le plus petit
dnominateur commun, chacun tant contraint de faire son truc. On ngligeait les
rgles d'hygine lmentaires, on abusait du sexe et de l'alcool. Les seules
communauts ayant survcu, ont t celles qui avaient un fort leader patriarcal et qui,
en fin de compte, ressemblaient plus une famille que les familles que les gens avaient
fuies.

Il existe aujourd'hui des dizaines d'expriences de vie communautaire en


Amrique, diriges par des hommes, dans lesquelles les gens exercent des rles familiaux
et sexus, o le pouvoir se rpartit de manire ingale et o ceux qui dirigent
s'emparent de la loi, utilisant de subtiles mthodes manipulatrices ou des jeux de
pouvoir, usant de confrontation violente toutes les fois qu'ils le jugent ncessaire.

Il existe toutefois dans les groupes, des manires de faire accordant chaque
membre des droits gaux, tout en partageant et en optimisant le potentiel du groupe
au bnfice de chacun, galit. Dans ces groupes, il n'est pas ncessaire de
renoncer son intimit ni ses biens personnels ni ses traits particuliers pour vivre en
coopration. Il n'est pas ncessaire non plus de renoncer sa volont propre et de se
laisser influencer sans rflchir par un gourou ou par un leader bien-aim qui se met
alors en devoir de prendre toutes les dcisions importantes, tout en laissant aux
membres l'illusion qu'ils ont leur mot dire dans ce qui se passe. Il est possible, en un mot,
de vivre et de travailler efficacement et dmocratiquement dans de grands groupes,
mais la plupart des gens sont persuads que ce n'est pas possible et ont peur de
s'impliquer dans des expriences collectives de travail coopratif.

Vivre et travailler en coopration est possible mais c'est le comment qui n'est pas
clair pour la plupart. Beaucoup de gens aux Etats-Unis exprimentent des mthodes
coopratives de vie et de travail ; la revue Communities (PO Box 4260, Louiba, Virginia
23093) traite prcisment de ce sujet et sert de source d'information aux gens qui fuient
la famille unique ou la rsidence unique. Une approche raliste de la coopration se
dveloppe peu peu, par essais et erreurs, aboutissant des rsultats toujours plus
importants et plus satisfaisants.

Cette conception se dveloppe chez les membres de la communaut de


psychiatrie radicale, aprs des annes de lutte propos de la vie et du travail en
commun. Ce travail a conduit un ensemble de rgles qui, jusqu' un certain point,
s'avrent extrmement efficaces pour supprimer la hirarchie, protger les droits et
clarifier les responsabilits de chacun.

La coopration telle que nous la dfinissons, repose sur une hypothse et trois
directives qui dfinissent avec succs le degr de comprhension ncessaire minimum
que les gens doivent atteindre afin de crer les conditions qui garantissent l'harmonie et
l'galit des relations de vie et de travail.

Directives pour la Coopration


Egalit. L'hypothse fondamentale dans les situations de coopration est
l'galit. Quand nous disons que tous sont gaux, nous ne voulons pas dire que tous
sont pareils, qu'il n'y a pas de diffrences entre les individus; mais qu'on s'efforce
d'atteindre une galit de droits. Aucune personne ni aucun groupe de personnes, en
vertu d'une qualit, d'une caractristique ou d'une russite individuelle particulire, ne
peut prtendre quelque chose si tout autre membre du groupe ne peut galement y
prtendre. Ce concept d'galit signifie simplement que les gens ont des droits gaux
en ce qui concerne les avantages provenant de la collectivit. Si la communaut
possde un vhicule, chacun a galement le droit de l'utiliser. S'il y a de la nourriture sur
la table, chacun a galement le droit de la manger. Si la collectivit bnficie d'un
avantage financier, chacun a le droit d'en avoir une part gale. Si on dbat d'un sujet
et que les gens ont des avis diffrents, chacun a le droit de faire entendre son avis et de
voir ses voeux se raliser. Ni le plus g, ni le plus gros investisseur financier, ni celui qui
parle le plus vite ou le plus brillamment, n'a davantage de droits que n'importe qui
d'autre.

Le groupe peut choisir d'accorder certains privilges rvocables certains


membres pour une raison particulire. Par exemple, un malade peut se voir accorder le
droit d'tre servi table en premier. Ou quelqu'un de particulirement habile aura le
privilge d'utiliser un appareil coteux jusqu' ce que les autres apprennent s'en servir
aussi. Mais ce qu'il faut surtout retenir, c'est que ces privilges particuliers sont accords
par le groupe et qu'ils ne sont que temporaires.

A partir de cette hypothse fondamentale d'galit, les trois directives suivantes


s'avrent extrmement efficaces pour mettre en ceuvre des relations galitaires entre les
gens. Toutes ont pour but essentiel, d'interdire certains comportements considrs
comme destructeurs de cette galit. Ces directives ne dfinissent pas ce qu'on doit
faire, mais ce qu'on ne peut pas faire si on veut maintenir des relations de coopration
galitaires. Regardons de plus prs ces comportements facilement identifiables que
n'importe quel groupe peut comprendre et mettre en oeuvre son gr avec une
relative facilit.

I, Pas de jeux de pouvoir. Les jeux de pouvoir sont pour les gens une manire
d'essayer d'obtenir quelque chose qu'ils n'auraient pas autrement. Plus spcifiquement,
un jeu de pouvoir est une manuvre (qui peut tre brutale -par exemple, hurler,
frapper, jeter des objets et profrer des menaces- ou bien subtile -bouder, cancaner,
parler trs vite ou couper la parole, former un clan et mentir) qui aboutit au rsultat
voulu contre la volont de l'autre. Ces jeux de pouvoir sont souvent utiliss en dsespoir
de cause ou comme ultime recours aprs avoir essay des mesures plus coopratives. Il
faut toutefois interdire les jeux de pouvoir afin de maintenir les relations de coopration.
Celui qui n'obtient pas ce qu'il dsire n'a pas d'autre recours, dans une situation de
coopration, que de continuer de rclamer ce qu'il veut, aussi souvent qu'il pense en
avoir besoin, et partout o c'est possible. Mais l'utilisation du jeu de pouvoir ne se justifie
jamais et ne devrait jamais tre accepte dans une situation de coopration.

II, Pas de mensonges. Les mensonges sont une autre forme de comportement
qu'il est ncessaire d'carter des situations o les gens veulent travailler et vivre
ensemble en cooprant galit. Ce concept de mensonge ne recouvre pas
seulement les mensonges honts ou de commande mais aussi les mensonges par
omission, le retrait ou la rtention d'informations importantes. Font partie des mensonges
par omission, toutes sortes de secrets que les gens ont vis--vis les uns des autres. Un
secret peut tre un sentiment ngatif (ou mme positif) envers quelqu'un d'autre.
Souhaiter ou dsirer quelque chose et ne pas l'exprimer, constitue galement un secret
et doit tre vit. En un mot, tout ce qui se passe d'important dans la conscience de
quelqu'un et qui a trait aux gens du groupe ne doit pas tre tenu secret. En
consquence, il est ncessaire que les gens disent ce qu'ils ressentent par rapport aux
autres, surtout si ces sentiments sont forts, qu'ils soient positifs ou ngatifs ; les gens
doivent galement "demander 100% de ce qu'ils veulent 100% du temps". Par contre,
dcider jusqu'o les gens devraient sincrement partager leur vie avec les autres sans
omissions - leurs joies, leur sexualit, leurs proccupations, leurs peurs et leurs haines, leurs
secrets honteux, leurs amours - est quelque chose qui ne peut pas s'inscrire dans une
rgle. Permettez-moi de dire toutefois, que dans mon esprit, il est souhaitable qu'existe le
plus grand degr de sincrit et que, mme si c'est difficile la plupart des gens, des
relations de coopration vraies ne sont pas vraiment compltes si elles n'incluent pas
une totale sincrit.

Cette directive est un complment ncessaire la directive I (pas de jeux de


Pouvoir) dans la mesure o si l'on ne veut pas utiliser de jeu de pouvoir pour obtenir ce
qu'on veut, la seule autre option possible, c'est d'obtenir ce qu'on veut en demandant
et en disant ce qu'on ressent. L'absence de jeux de pouvoir ouvre la voie un accord
rciproque sur ce que les gens vont faire l'un pour l'autre, dans une ambiance de
bonne volont et d'amour mutuel. Ceci peut certes prendre beaucoup plus de temps
et de rflexion que lorsqu'on prend simplement ce q on veut. De toute vidence
pourtant, le rsultat de ces deux approches sera radicalement diffrent long terme.
La coopration sera en fin de compte celle qui satisfera le plus souvent un maximum de
gens.

III, Pas de sauvetage. Cette troisime directive vise viter que ne s'tablissent
des ingalits travers un autre processus appel Sauvetage. Les jeux de pouvoir
crent des ingalits cause de l'gosme des gens qui obtiennent ce qu'ils veulent en
s'en emparant. Le Sauvetage fonctionne l'inverse, c'est--dire qu'il cre une ingalit
dans une situation o l'on donne sans avoir rflchi. Un Sauvetage c'est quand
quelqu'un ou bien fait plus que sa part de travail ou bien quelque chose qu'il ne veut
pas faire.

En faisant plus que sa part, il renonce l'galit volontairement. Tandis que cela
peut plaire celui qui le reoit ou qui bnficie de l'ingalit (peut-tre mme celui
qui donne), cela ne sert pas ncessairement l'ensemble du groupe. De plus, le
Sauvetage a tendance faire boule de neige. Si A fait plus que sa part pour B, alors B
risque de penser qu'il devrait faire plus que sa part pour C qui, son tour, suppose que
faire plus que sa part pour F, G et H est acceptable. Ceci cre un schma de
Sauvetage au sein du groupe pouvant aboutir des ingalits importantes. Certains
affirment que ce pinaillage propos des responsabilits des gens est une atteinte
minime au sentiment d'amour positif et nourricier qu'on souhaite dans une
communaut. Cela peut effectivement apparatre ainsi ; en fait, lorsque les gens
commencent apprendre cooprer, ils pinaillent quelquefois, mais mesure qu'ils
acquirent davantage de matrise, comme dans tout autre apprentissage, les
problmes se clarifient et on vite facilement et automatiquement le Sauvetage. Les
circonstances importantes o les gens font plus que leur part ne sont jamais difficiles
identifier et, en pratique, ce n'est pas un problme.
Le second aspect du Sauvetage apparat lorsque quelqu'un fait quelque chose
qu'il ne veut pas faire. Ce comportement va de pair avec avoir des secrets et mentir.
Trs souvent, on fait des choses qu'on ne veut pas faire par obligation ou par sens du
devoir ou parce qu'on ne peut pas dire clairement ses prfrences. Faire quelque
chose qu'on ne veut pas faire sans dire qu'on ne veut pas le faire, est une violation de
la directive sur les mensonges et pour cette raison on devrait l'viter. Mais, mme si aprs
avoir dit qu'on ne voulait pas le faire, on le fait quand mme, cela aussi cre un
problme en empchant de trouver celui qui le ferait peut-tre avec plaisir. On peut
supposer que, dans un groupe relativement important de gens qui veulent vivre et
travailler en coopration, certaines tches apparaissent parfois ingrates certains.
Pourtant, lorsqu'il y a assez de gens, il se trouvera un volontaire pour faire pratiquement
tout ce qu'il y a faire. Si Paul a horreur de faire la vaisselle, il se peut que Benot ait
rellement du plaisir la faire. Si Martine dteste nettoyer la salle de bain surtout autour
du W-C, Didier peut tre tout fait d'accord de le faire. Etienne adore peut-tre
s'occuper des poubelles et Pierre couper du bois. Il est rare, mais cela arrive, qu'il faille
accomplir une tche et que personne ne soit volontaire. Alors, tout le monde refusant
de s'impliquer, on peut supposer que cette tche ne sera pas accomplie, ce qui arrive
parfois. Si personne ne se sent dispos nettoyer le sous-sol, alors c'est peut-tre que le
sous-sol n'a pas besoin d'tre nettoy. Peut-tre que c'est OK d'avoir un sous-sol en
pagae et qu'aprs avoir support un sous-sol en dsordre pendant deux ou trois
semaines ou mois, quelqu'un voudra le ranger. Mais supposons que ce sous-sol en
dsordre prsente un risque d'incendie et qu'en fait il faille le ranger : nous nous
apercevons qu' une runion de toutes les personnes concernes, o la ncessit de
ranger le sous-sol a t clairement exprime ainsi que le refus de chacun le faire, les
gens sont prts aller plus loin dans la discussion, et quelqu'un ngocie avec le reste du
groupe pour effectuer cette tche, pour une raison ou une autre. Par exemple, on peut
effectuer une transaction avantageuse, ou bien l'inquitude cause par le risque
d'incendie est plus sensible chez l'un parce qu'il en a fait l'exprience, ce qui lui donne
une motivation plus forte que celle des autres. Le groupe en tant que tel peut tre
d'accord pour un tirage au sort, et alors celui qui est dsign est satisfait d'une situation
qui fait prvaloir la justice. Ces tches ingrates peuvent s'effectuer tour de rle et tout
le monde acceptera de le faire. Tout le monde peut s'y mettre ensemble ou bien une
heure de cette tche ingrate quivaudra trois heures d'une tche plus agrable. De
toute faon, il s'agit de ragir d'abord ce qu'on ne veut pas faire en le disant et non
pas en le faisant. Aprs avoir manifest clairement son refus, le groupe peut alors passer
la ngociation des options. Aprs un certain entranement, les Sauvetages
deviennent minimes parce que faire preuve de bonne volont, c'est--dire vouloir
parvenir un compromis sur ce qu'on veut mutuellement, c'est en fait le produit d'une
vie en coopration. Ce mode de vie transforme les besoins des gens de sorte que le
plaisir de partager et d'arriver un compromis remplace le plaisir que procurent les
choses matrielles et le confort. Ce qui serait un Sauvetage dans une autre situation
(parce que c'est faire quelque chose qu'on ne veut pas faire) devient un acte de
coopration gnrateur de plaisir.

Plusieurs de ces directives semblent encourager ce qui paradoxalement pourrait


apparatre comme un comportement trs goste. Nous recommandons par exemple
que chacun rclame en permanence tout ce qu'il veut et que personne ne fasse ce
qu'il ne veut pas faire. En apparence, quiconque se comporterait ainsi apparatrait
d'un gocentrisme affligeant. En fait, s'il ne faisait que cela, on pourrait en toute
honntet le traiter d'goste. Toutefois, ces directives font partie d'un ensemble plus
vaste. Le fait que je demande en permanence tout ce que je veux ne signifie pas que
les autres vont le faire, dans la mesure o il y a aussi une autre rgle de la collectivit qui
veut que personne ne fasse ce qu'il ne veut pas faire ou qu'il ne fasse pas plus que sa
part. Ces trois directives s'quilibrent en crant une situation o les gens expriment et
ngocient leurs souhaits et leurs dsirs de manire juste et quitable plutt qu' partir
de jeux de pouvoir et de coercition.

Suivre ces directives de la coopration, c'est laisser aux gens le champ libre pour
qu'ils exercent pleinement leur pouvoir. Une atmosphre d'galit o chacun se voit
considr part entire dans toute sa valeur et o il a toutes les occasions de
s'exprimer de son mieux sans empiter sur les droits d'autrui, est une atmosphre idale
o les gens peuvent dvelopper et augmenter leur pouvoir. Protgs des abus de
pouvoir qui nous oppriment, nous sommes alors en mesure d'tre pleinement aimants,
de dvelopper notre intuition, de communiquer et d'exercer notre sagesse. La
coopration constitue un terrain fertile pour que le pouvoir se dveloppe dans le
monde sans exploiter autrui.
Vivre en collectivit
La possibilit de vivre en collectivit offre aux gens des avantages conomiques
et affectifs importants. Non seulement cela cote beaucoup moins cher de vivre
ensemble cinq ou six dans une grande maison que sparment dans un
appartement ou dans un foyer, mais en plus, cette vie collective satisfaisante procure
de trs nets avantages affectifs, souvent inesprs, particulirement spectaculaires pour
les gens qui ont des enfants.

Malheureusement, notre ducation individualiste et comptitive d'Amricains du


Nord nous a inculqu un grand nombre de tendances et d'attitudes rendant la vie
collective trs difficile. La plupart des gens hsitent s'engager dans une vie collective
cause de solides peurs concernant les ennuis rencontrs dans ce genre de vie. Les
communauts ( moins de s'appuyer sur un mouvement autoritaire patriarcal comme
une religion ou d'tre diriges par un gourou) ont tendance se dsintgrer au bout de
six mois ou un an par manque de connaissance de la vie collective.

Lorsqu'on dcide de vivre ensemble et de former un groupe, on n'a en gnral ni


recueil de rgles ni traditions s'appliquant cette nouvelle condition de vie. On
s'organise pour vivre, sans s'entendre sur le niveau de propret souhait, sur qui se
charge de quelles tches, comment se grent le bruit, l'intimit, etc. L o il n'y a pas
de rgles prcises, les gens ont tendance supposer que leurs prfrences, ou leurs
expriences familiales, ou leur origine, sont la rgle. Dans de telles situations, on prvoit
rarement des assembles pour dbattre de ces sujets et les traiter, et trs vite, on glisse
vers un comportement des moins coopratifs. On peut en gnral juger de l'tat de
choses qui existe dans ce genre de situation, en faisant un tour la cuisine et dans les
zones communes qui sont, soit dsertes et en dsordre, soit envahies par des femmes
amres, en train d'effectuer les tches des hommes, leur place.

Pourtant, vivre en groupe peut tre une russite. On peut vivre dans une grande
maison en partageant les installations communes, en faisant les courses en commun et
o les gens sont disponibles les uns pour les autres, sur le plan affectif ou pour les besoins
quotidiens comme garder les enfants, rpondre au tlphone ou tout simplement tre
l en cas de besoin. Les gens peuvent ainsi se rendre la vie beaucoup plus facile et plus
agrable que l'individu isol moyen qui doit se dbrouiller avec sa voiture, son grille-
pain, sa machine laver, sa cuisine, toutes choses dont le prix et l'entretien lui
incombent exclusivement.

Assembles
La dcision la plus importante prendre lorsqu'on dcide de vivre en collectivit
c'est, je pense, que les rgles de vie sont ncessaires et qu'il est ncessaire de les clarifier
constamment. Pour cela, il est ncessaire de tenir des runions rgulires qui devraient
commencer avant le moment o l'on doit prendre des dcisions comme acheter une
maison, signer des baux ou rpartir les dpenses et le loyer. Au del, ces runions
devraient continuer d'avoir lieu rgulirement.

Lorsqu'on s'est install ensemble sans avoir pris ces dcisions, il convient de les
prendre ds que possible. En plus des runions rgulires, des runions ad hoc peuvent
tre convoques par n'importe quel membre de la maison, en partant de l'hypothse
que si quelqu'un veut une runion, les autres membres ragiront de manire
cooprative.

Il arrive quelquefois dans des situations de vie en groupe, que ceux qui ont le
pouvoir et les privilges n'acceptent pas volontiers l'ide des assembles de crainte que
dans ce genre de runion on ne conteste leur pouvoir et qu'on ne prenne des dcisions
allant l'encontre de leurs intrts. Il n'est donc pas inutile que ds le dpart, ceux qui
veulent vivre en collectivit, se rendent compte que l'institution d'assembles fera l'objet
d'une rsistance ouverte ou subtile de la part de certains. Une telle rsistance peut tre
due au dsir d'empcher ceux qui ont moins de pouvoir de s'organiser pour satisfaire
leurs besoins et peut effectivement freiner l'panouissement du groupe.

Bon nombre de rgles domestiques banales -ou "Mickey Mouse", comme nous les
appelons - s'laborent relativement facilement lors d'une de ces runions. Par exemple :
"Faut-il verrouiller la maison en permanence ?", "Faut-il faire la vaisselle aprs chaque
repas ?", "Faut-il arrter de faire du bruit partir de 10 heures du soir ?" Ces points sont
facilement abords, discuts et traits et sont importants pour le fonctionnement
harmonieux d'un foyer collectif.
Par contre, il y a un grand nombre de questions qui ne sont pas abordes ni
traites avec autant de facilit, du genre "Les habitants de cette maison sont-ils libres
d'entamer des relations sexuelles entre eux ?", "Les aliments consomms collectivement
doivent-ils tre biologiques ou bien peuvent-ils inclure des aliments non nutritifs ?",
"Qu'est-ce que a veut dire, propre ?", "Faut-il modifier la rpartition du loyer ?", "Que
fait-on par rapport l'alcoolisme de Jacques ou aux bagarres entre Batrice et Marie
?", "Est-ce qu'on demande quelqu'un qui ne veut pas cooprer de quitter la maison
?", "Comment grons-nous le sentiment que nous prouvons par rapport la manire
dont Suzanne lve son fils Jason, est-ce qu'elle le gte trop ou est-ce qu'elle le
maltraite ?"

Afin de parvenir des dcisions collectives et coopratives sur des points plus
complexes, les modalits, en gnral vagues et non structures qui rgissent la plupart
des assembles, ne suffisent pas. Trs souvent on en arrive des affrontements et des
dsaccords insolubles et les ngociations chouent. Invariablement, en cas d'chec
des ngociations, les choses dgnrent : on s'affronte en camps ennemis ou on
cherche un bouc missaire. De telles situations peuvent durer des mois, causant des
souffrances atroces, et amnent beaucoup de gens tourner le dos la vie en
groupe.

Les directives pour la Coopration dcrites plus haut s'avrent trs efficaces pour
rsoudre la plupart des problmes que nous avons affronts dans les groupes au sein
desquels j'ai vcu et elles ont contribu amliorer notre qualit de vie de manire
spectaculaire.

Egalit. L'hypothse d'galit signifie que les gens doivent tre prts aborder
leur comportement discriminatoire, qu'il soit fond sur le sexe, l'ge ou le fait d'tre en
couple. Il existe chez tous sans exception remplissant leur vie d'a priori flagrants ou subtils
d'ingalit. Le sexisme est la forme d'ingalit la plus vidente et comme dans toutes les
autres formes d'injustice, elle est en gnral galement partage par tous ceux qui sont
partie prenante de la situation. Il est typique que dans une maison o le sexisme existe:
les femmes n'y font pas face de manire critique et finissent par accomplir davantage
de tches lies au nettoyage et la cuisine alors que les hommes vont effectuer
davantage de tches lies aux installations, aux rparations et aux aspects techniques
de la direction d'une maison. Dans la mesure o, par ncessit, les femmes effectuent
leurs tches plus rgulirement, cette rpartition signifie en gnral plus de travail pour
les femmes que pour les hommes, sauf en de rares occasions temporaires o il y a
beaucoup de construction et de rparations. Ce type d'ingalit n'est pas
ncessairement valoris seulement par les hommes ; les femmes en gnral s'y habituent
et semblent mme prfrer cela dans certaines situations, du moins pendant un temps.
Toutefois, il faut affronter cette tendance l'ingalit et la combattre, sinon elle finit par
constituer une tension et une difficult dans la maison. De la mme manire, les a priori
sur les droits ingaux des enfants (en raison de l'ge) ou de ceux qui sont en couple par
opposition aux clibataires, sont aussi source d'injustice et doivent tre traits. L'ge
ainsi que l'appartenance un couple ou le fait d'tre un homme ou une "grande
personne" servent souvent de fondement l'ingalit au foyer.
L'une des sources importantes d'une ingalit a priori est la manire dont s'est
organis le bail d'origine ou l'achat de la proprit qui abrite la communaut. Trs
souvent, une personne ou un couple, en gnral celui qui a le plus d'argent, soit
achte la proprit, soit signe le bail. En vertu du fait qu'il a t le premier dans les lieux,
il (c'est en gnral un homme) s'attribue et/ou se voit attribuer des droits et des
privilges qui crent une ingalit fondamentale au foyer. Il est donc important de
clarifier ces a priori et de parvenir un accord sur les droits de ceux qui ont sign le bail
et des propritaires, ou de ceux qui ont rsid le plus longtemps dans la communaut
ou dans la maison. Il est parfois impossible de mettre ces situations galit totale mais il
est important d'au moins les clarifier et d'en dbattre ouvertement. Si quelqu'un par
exemple possde la maison o tout le monde vit, il n'est pas possible de rpartir le
pouvoir dans la mesure o, si au bout du compte les choses en viennent au pire, le
propritaire a incontestablement le pouvoir et les moyens lgaux d'exercer ce pouvoir.
Pourtant, sauf dans ces circonstances extrmes, il est possible d'quilibrer les droits et
privilges des membres, des couples, des anciens, des propritaires de maisons ou de
terrains, ou des signataires du bail. Il est extrmement important de dbattre de ces
sujets de manire cooprative ds le dpart. Il est galement important, si la personne
qui possde la maison ou le terrain est particulirement gnreuse - ce qui est souvent
le cas - qu'elle exprime clairement ce qu'elle attend. Attend-elle des autres que rgne
un sentiment "de famille" ? Attend-elle du travail en change ? Ou sa gnrosit est-elle
gratuite ?
Les communauts peuvent effectivement se dvelopper sur la proprit prive
d'un individu, condition que cette proprit soit suffisamment dveloppe et que les
membres du groupe ne finissent par se retrouver fournir un travail important qui au
bout du compte bnficiera au seul propritaire. Si c'est le cas, il faudrait lui demander
de rembourser ceux qui effectuent ce travail.

Un problme particulirement difficile est li ceux qui signent le bail. Mon


exprience est que ce point artificiellement soulev, est une base trs relle pour les
luttes de pouvoir. Il vaut mieux se mettre d'accord ouvertement sur le fait que le
signataire du bail n'a pas de droits ni sur, ni au-dessus de quiconque ; qu'il renonce
tout droit lgal attach la signature du bail, dans l'intrt de la vie cooprative, de
sorte que si on dcide de se sparer, on est dmocratiquement d'accord sur qui reste
et qui part. Cette base doit toutefois tre dcide avant le conflit sinon tous ne
l'accepteront peut-tre pas. Cela peut se faire par vote (y compris celui des enfants) et
tirage au sort en cas d'galit.

L'hypothse d'galit inclut les enfants ; en fait, c'est avec les enfants qu'il est
ncessaire de dfinir trs prcisment ce concept d'galit. Egalit ne signifie pas
identit (tout le monde est pareil) mais fait rfrence des droits et obligations
semblables (y compris pour les enfants). Les grandes personnes n'ont pas davantage
droit l'intimit que les enfants. Les droits des enfants d'tre pris en charge quivalent
leur obligation de prendre les autres en charge au mieux de leurs possibilits. Les
couples ne sont pas exempts des droits et obligations de donner et de prendre qu'on
attend des clibataires.
L'galit inclut l'galit d'effort. Nettoyer la table, pour un petit de quatre ans,
peut se comparer, en termes d'effort, au petit djeuner que sa mre a prpar pour lui.
Pour les enfants, galit signifie qu'on attend d'eux qu'ils assistent aux assembles et
que ces runions sont adaptes leur participation. On leur demande de participer et
il est ncessaire d'entendre leurs commentaires et d'y ragir en les considrant comme
vrais et importants et non pas mignons ou bizarres mais sans valeur concrte. Les
enfants sont tout aussi intresss et capables que les adultes de respecter l'ordre du jour
et d'animer les runions, et lorsqu'on les traite en gaux, ils montrent des capacits
surprenantes de pntration et de prise en charge.

Il est clair que les enfants ne sont pas capables de participer d'une manire
identique celle des grandes personnes ; il y a des choses qu'ils ne peuvent pas faire.
Mais on attend d'eux qu'ils soient capables, c'est--dire qu'ils fournissent un effort gal
celui des grandes personnes. Ceci a pour rsultat que les enfants dveloppent des
comptences de niveau adulte une rapidit surprenante et gratifiante (pour eux-
mmes et pour les autres). Ce qu'il y a de plus gratifiant pour eux dans ce cas, c'est
qu'on les traite comme des personnes et non comme des "gamins". Dans notre maison,
on recherche leur prsence pour leurs signes de reconnaissance, leur spontanit, et
l'clairage neuf qu'ils apportent certaines situations.

Comprendre clairement les jeux de pouvoir et les abus de pouvoir individuels est
tout aussi difficile, et demande tout autant de clarification que comprendre la
discrimination due au sexe, l'ge, au fait d'tre ou non en couple et les autres formes
d'abus de pouvoir des institutions. Seule, une lutte acharne peut rsoudre la question
de ces forces destructrices. Encore une fois, ceci s'effectue mieux lors des assembles o
les dbats sont structurs, disciplins et autocritiques.

L aussi, il faut inclure les enfants dans ces dbats. Souvent, les questions qu'ils
posent ("Qu'est-ce qu'un jeu de pouvoir ?" ou "Pourquoi est-ce qu'il faut que je lave les
assiettes de Marie ?") suscitent le dbat et rvlent des contradictions ou une absence
de clart.

Vote et consensus
Si on doit prendre des dcisions dmocratiquement et sans violer les droits ni les
souhaits de quiconque, il ne suffit pas toujours d'un vote la majorit simple sur un sujet
donn, car la minorit peut tre systmatiquement maltraite par la majorit. Par
consquent, il est trs important que la dmocratie ne s'exerce pas de manire brutale
mais plutt de manire cooprative et bienveillante, ce qui empche les autres
d'exercer une oppression mme s'ils forment la majorit. Ainsi, une dcision par
consensus (tout le monde est d'accord) est prfrable dans la plupart des cas.
Pourtant, il faut se rappeler que l'approche par consensus peut tre impossible pour
traiter certaines dcisions de fond sur lesquelles on ne peut arriver un consensus et, au
bout du compte, il doit tre entendu qu'on se pliera un vote dmocratique. Prenons
comme exemple les conflits qui existaient dans une rsidence o un homme, autoritaire,
sexiste, aimait bien se saouler et jouer avec des armes feu. Dans cette maison, la prise
de dcision s'effectuait par consensus bienveillant. Lorsque aprs de longs mois de lutte
strile, certains ont dcid qu'ils ne voulaient plus vivre avec cet homme, il y a eu un
vote la majorit pour lui demander de partir. Ce vote tait considr comme
contraignant mme par ceux qui ne partageaient pas la dcision. Dans une situation
semblable o les gens insistaient pour fonctionner par consensus, celui-ci n'a jamais t
atteint. Au contraire, le conflit a tellement dmoralis les gens qu'ils se sont mis
dmnager. La maison est partie vau-l'eau et a t cde celui dont le
comportement ngatif avait t l'origine de la difficult.

Permettez-moi de vous dcrire brivement maintenant, des conditions de vie


cooprative o huit personnes vivent Berkeley, en Californie, dans une maison, vaste
et spacieuse, comprenant huit chambres. Les loyers de chaque chambre
s'chelonnent entre 85 et 145 dollars selon leur taille et leurs avantages. La maison
appartient l'un des membres, et le montant de son loyer est valu sur la mme base
que celui de tout le monde, et il est entendu que ses droits dans la maison ne sont pas
diffrents de ceux des autres. En cas de dgradation importante de la communication,
il est clair toutefois, que le propritaire lgal de la maison a des pouvoirs vidents et tout
le monde espre qu'il ne sera jamais ncessaire de les utiliser. Les fonds accumuls
provenant des paiements pour la maison, sont distribus ceux qui y vivent et le
capital investi au dpart par le propritaire pour acheter la maison, produit un intrt
de 7% qui fait partie du loyer global. Aucun autre bnfice ne revient au propritaire
hormis des avantages fiscaux.

A mesure que les gens emmnagent, on leur demande de se joindre aux autres
membres de la maison dans un contrat de coopration.

Les achats sont faits en commun et deux repas par semaine sont pris en commun
auxquels chacun est cens participer. Les autres repas sont organiss et prpars par
les membres eux-mmes et en sous-groupes, leur gr. Chacun a une tche
particulire comme passer l'aspirateur dans l'entre, faire les courses, nettoyer la
chaudire, s'occuper des ordures, tondre la pelouse, etc.

On demande ceux qui n'ont pas de relations sexuelles antrieures leur entre
dans la maison, de ne pas en entamer avec d'autres membres avant d'avoir dbattu
de leurs intentions lors d'une assemble. L'intimit est considre comme l'un des
aspects les plus importants de la vie de la maison et elle fait l'objet d'un trs grand
respect. Les membres de la communaut mnent tous une vie d'une totale
indpendance, y compris les enfants, gs de 11 et 13 ans. Les assembles ont lieu
environ deux fois par mois et on les convoque quand c'est ncessaire. Le degr de
sincrit y est trs lev, le degr de Sauvetage rduit et les jeux de pouvoir quasi
inexistants. Dix ans aprs, cette vie s'est tout fait stabilise et elle est devenue trs
agrable et beaucoup de gens ont eu envie d'y participer ou bien ils ont cr des
conditions de vie similaires. En tout, vingt-cinq personnes diffrentes y ont vcu,
certaines jusqu' cinq ans, d'autres seulement six mois.

Je connais une autre communaut cooprative, situe sur un terrain d'environ


360 hectares prs d'Ukiah en Californie, essentiellement constitu de collines demi
arides, avec un lac de taille moyenne qui peut irriguer 25 hectares de terre agricole de
premire qualit. C'est le premier membre de la communaut qui s'est procur ce
terrain, qui a vers des arrhes puis a invit les autres le rejoindre dans cette aventure
et acheter le terrain en commun. Encore une fois, on demande aux nouveaux
membres de se joindre aux autres dans un contrat coopratif. Ceux qui veulent devenir
membres ont une priode d'essai de six mois pour se familiariser avec l'endroit et les
membres de la communaut. Au bout de six mois, une personne peut devenir membre
permanent si elle est accepte par tous les autres membres permanents. Les membres
fondateurs ont labor des statuts et des directives dtaills que chacun s'engage
respecter. 11 y a des runions communautaires rgulires tous les quinze jours, le nombre
total final de membres est de vingt-cinq et les gens finissent par construire eux-mmes
leur rsidence.

On leur demande de payer leur part du terrain, proprit commune, les


montants qu'ils doivent, d'assister trois runions sur quatre, de donner 20 heures par
mois de leur temps pour du travail communautaire et de respecter les statuts et les
directives qui comportent un systme de critique, de mdiation, et si ncessaire, une
censure ou le renvoi pour ceux qui les enfreignent de manire rpte.

Cette communaut existe depuis deux ans et il y a eu environ seize membres


permanents dont dix sont rests.

Les directives et les statuts de cette communaut sont scrupuleusement suivis et


amends selon les besoins.

Problmes courants. La coopration en fait se dtriore lorsque l'une ou l'autre


de ces directives est viole. Toutefois, aucune situation n'tant parfaite, ces rgles sont
par consquent toujours violes. Mais quand c'est trop, la situation empire pour aboutir
parfois une rupture sans quivoque dont voici les symptmes: on s'vite, on se sent
mal lorsque les circonstances obligent empiter sur l'espace mutuel, on forme des
sous-groupes pour parler encore et encore de certaines personnes ou de certains sujets,
on cancane, on rate des runions ou on les vite jusqu' ce qu'une bagarre clate,
souvent propos d'un dtail insignifiant mais rvlateur. Cette bagarre peut se limiter
un change verbal charg de colre, ou bien aller jusqu' l'affrontement physique rel,
avec des jeux de pouvoirs comme hausser le ton, claquer les portes, taper du poing,
crire des messages vengeurs au tableau d'affichage, balancer des objets et des
insultes, le tout suivi d'un retrait dans son domaine personnel ; les Sauvetages, les secrets
et les jeux de pouvoir augmentent. Ceux qui sont neutres dans la situation ont un rle
trs important jouer dans ce cas rester neutres et exiger une runion o la situation
sera traite. Si ncessaire, on demande un mdiateur de rencontrer les deux parties,
pour qu'elles expriment leurs rancunes, leurs peurs paranodes et qu'enfin elles
renouvellent le contrat. De toute faon, il faut faire quelque chose pour restaurer l'esprit
coopratif au sein de la communaut. J'ai vcu un certain nombre de situations de ce
genre, et c'est pourquoi, avec d'autres personnes qui vivent en coopration, nous
sommes devenu trs sensibles aux signes annonciateurs de la dgradation de la
communication (violation des rgles) et nous nous faisons un devoir de prendre soin de
notre communaut et de dbloquer la situation en confrontant ces choses de faon
aimante avant l'escalade.
Voici quelques situations que nous avons vcues difficilement et qui ont abouti
la dgradation de la coopration : une sexualit inconsidre entre membres de la
maison, une intgration irrflchie d'invits, d'amis ou d'amants, l'instauration d'une
relation de couple trs forte entre un membre et quelqu'un de l'extrieur, la rupture d'un
couple existant ; les Sauvetages chez un couple existant ou entre des parents et leurs
enfants peuvent galement tre source d'ennuis. Les hommes et leur tendance la
ngligence ainsi que les femmes et leur tendance nettoyer derrire eux (pendant un
temps), ont t un problme, et nous avons aussi dcouvert que les hommes et les
femmes avaient du mal partager une salle de bain, et nous essayons d'viter cela
autant que possible. Des conflits ont aussi clat propos de certains hommes ayant
tendance tre autoritaires et dominateurs.

Les enfants qui ont vcu dans des conditions de vie o l'ingalit, les jeux de
pouvoir, les secrets et les Sauvetages taient de rgle, ont en gnral des problmes
pour entrer en coopration. Ils peuvent tre drouts face ces nouveaux droits et
obligations qui leur arrivent d'un coup, mais ils apprennent vite et avec un vif dsir. Le
problme, quand il y en a un, c'est qu'en gnral, les grandes personnes ne sont pas
cohrentes, elles n'arrivent pas croire que les rgles de coopration ont un sens,
mme avec les enfants. Et donc, elles vont constamment les Sauver, entrer dans des
jeux de pouvoir avec eux, leur mentir et les embrouiller. Il semble que les enfants
apprcient autant que les adultes les avantages de la coopration et ils changent
avec bonheur les Sauvetages de l'enfance contre le traitement gal, la libert et le
respect qu'ils gagnent dans une situation de coopration.

Runions coopratives
A partir de notre exprience des principes de la Psychiatrie Radicale appliqus
des conditions de travail coopratif, nous avons labor un processus pour les
runions de travail que nous avons trouv fort efficace pour augmenter la productivit
et la satisfaction affective. Voici un rsum de ces rgles.

Les principes qui rgissent nos runions de travail sont les mmes principes de
coopration que nous avons prsent plus haut sur le fait de vivre et de travailler en
coopration, en un mot, 'il n'y aura pas de Sauvetage, pas de jeux de Pouvoir ni de
Secrets. Ces trois rgles prsupposent que chacun fera une part de travail gale, que
personne ne fera ce qu'il ne veut pas faire, qu'il n'y aura pas d'attentes caches ni de
secrets entre les partenaires de travail, c'est--dire qu'on ne dira pas de mensonges et
qu'on ne dissimulera pas non plus d'informations relatives au travail, et en dernier lieu,
l'utilisation de jeux de Pouvoir est inacceptable.

La runion commence gnralement par le choix d'un animateur. Une fois ce


choix fait, on fixe la dure de la runion et l'animateur recense les points discuter. Une
fois l'ordre du jour dtermin, il vrifie le temps dont chacun a besoin pour traiter
chaque point de l'ordre du jour. Avant d'aborder ce dernier, il invite les gens "se
prsenter" et partager les sentiments inhabituels qu'ils peuvent prouver. (Ce
processus "de prsentation" a t labor par Hogie Wychoff . Puis il "met les choses
plat" en demandant : "Y a-t-il des ressentiments, des sentiments confus ou paranodes
qui vous empchent de travailler en coopration pendant cette runion ?" Cette
question porte spcifiquement et uniquement sur ce qui pourrait empcher les gens de
travailler efficacement. En faisant cette distinction, nous vitons dans les runions de
travail le genre de discussion vhmente qui se produit ncessairement entre des gens
qui sont en conflit un niveau plus intime. Dans la plupart des cas, ce genre
d'claircissement prend de une dix minutes et fait place nette pour pouvoir effectuer
du bon travail. Au cas o deux personnes ou plus ont des ressentiments ou des
sentiments paranodes qui ne peuvent tre rsolus en un temps relativement court au
dbut d'une runion, nous assumons nos responsabilits et nous dcidons que l'une
d'elles se retirera de la runion et qu'avant la prochaine runion, les personnes
impliques auront eu recours une mdiation o ces difficults auront t rsolues, de
sorte que le travail du groupe (considr comme primordial) puisse continuer sans
entraves. Gnralement parlant, nous ne souhaitons pas dans les runions de travail,
faire de mdiation ni batailler pour dmler les embrouillaminis des relations intimes
entre membres du groupe.

Chaque fois que nous prouvons un ressentiment ou un sentiment paranode


l'gard de quelqu'un d'autre, nous exprimons notre dsir d'en faire part et nous
demandons l'autre la permission de le faire. Une fois celle-ci accorde, nous formulons
notre ressentiment, notre sentiment confus ou paranode de la manire habituelle et
prescrite dont nous avons dcouvert l'efficacit au cours des annes.

Ressentiments : les ressentiments sont des formulations conjuguant l'action de


l'autre et le sentiment qu'elle a suscit chez moi. Exemple : "Quand tu t'es lev pour aller
rpondre au tlphone dans une runion prcdente, j'ai t agac." Ce qui est la
manire correcte de formuler le ressentiment : "Quand tu (action), j'ai prouv
(sentiment)." Les analyses, les accusations, les qualificatifs ne sont pas des lments
lgitimes de l'expression du ressentiment. Par exemple, la formulation "J'ai le sentiment
que tu te dsintresses de la runion et je t'ai trouv impoli d'aller rpondre au
tlphone", impliquant de fait une analyse du comportement de l'autre plutt qu'un
sentiment (tu te dsintresses) et une accusation (l'impolitesse), n'est pas un
ressentiment exprim correctement. Les sentiments sont la colre, la joie, la honte, la
culpabilit, la peur, la tristesse et quelques autres motions de base. "Je me sens
insatisfait" ou "Je sens que tu me dtestes", ou "Je sens que j'ai envie de me tirer", ne sont
pas des sentiments correctement exprims.

La raction qu'on attend de celui qui a reu l'expression d'un ressentiment, c'est
seulement qu'il le reconnaisse, ce qui implique qu'il le comprend mme s'il n'est pas
ncessairement d'accord avec. La bonne manire de recevoir un ressentiment, c'est
d'essayer honntement de comprendre la fois ce que l'autre a peru de vous dans
ce que vous avez fait, et sa raction affective cela. Cela suffit.

Parfois une personne n'est pas dans un tat d'esprit lui permettant d'aborder les
ressentiments ou les sentiments paranodes ; elle devrait le dire et dans ce cas,
l'animateur peut vrifier si la runion peut effectivement continuer sans que la personne
ne s'exprime. Si ce n'est pas le cas, et ceci arrive trs rarement, la personne pourrait tre
amene quitter la runion jusqu' ce que la question soit rgle.

Sentiments paranodes. Ce sont des sentiments de suspicion ou de crainte par


rapport l'autre. L encore, il faut viter les analyses. Seuls, ses sentiments soi et les
soupons lis ces sentiments doivent s'exprimer dans ces sentiments paranodes. Par
exemple "J'ai peur que tu ne te prpares quitter le groupe" est un sentiment
paranode qui peut s'toffer ainsi : "La raison pour laquelle j'ai peur, c'est que tu as l'air
de te dsintresser, tu rponds au tlphone pendant les runions et tu avais l'air de lire
le journal quand je parlais, la semaine, dernire." La raction adapte un sentiment
paranode, c'est de le comprendre et ensuite, de donner une explication reconnaissant
la justesse du soupon un certain niveau. Pour nous, c'est reconnatre " le grain de
vrit " contenu dans tout sentiment paranode et ceci est ncessaire afin de pouvoir
travailler librement. Une raction approprie serait de dire "Au fait, tu as raison, je ne
voulais pas tre l, la dernire runion parce que j'avais trop de travail au bureau,
mais non, je n'envisage pas de partir. Je vais me librer du temps pour pouvoir tre plus
l'aise ici." Ce serait une mconnaissance inopportune que de dire "Je n'envisage pas
de partir et je lisais le journal uniquement parce que je m'ennuyais" car cela n'est pas
une reconnaissance du sentiment paranode. Il est ncessaire d'approfondir ce grain
de vrit jusqu' ce que le sentiment paranode soit dissip.

L'change des ressentiments, des sentiments confus et paranodes a pour but de


maintenir la fluidit d'un processus qui thoriquement devrait tre constant. C'est--dire
que les ressentiments, les sentiments paranodes et les sentiments confus aussi bien que
les signes de reconnaissance, les critiques et les autocritiques devraient tre exprims
rgulirement tout au long des runions, chaque fois qu'ils sont appropris. Comme
cette situation idale ne peut s'obtenir dans la plupart des cas, le dbut de la runion
y est consacr.

Une fois rgls les prliminaires, la runion se droule selon l'ordre du jour,
l'animateur veille ce que les gens restent dans le sujet, ne dpassent pas leur temps
de parole, expriment leurs ressentiments, leurs sentiments confus ; leurs sentiments
paranodes, leurs signes de reconnaissance et leurs critiques tout au long de la runion,
chaque fois que c'est possible. Le rle d'animateur ncessite une habilet que tous
devraient acqurir et, par consquent, cette responsabilit est assume tour de rle
chaque runion. Lorsqu'on s'attend des runions difficiles, on peut demander
d'animer ceux qui ont une plus grande comptence pour le faire. On attend de
l'animateur qu'il domine la situation, et le cas chant, qu'il demande de l'aide ou
mme qu'il demande une autre personne d'assurer ce rle lorsqu'il est fatigu,
submerg ou personnellement impliqu. Il est bon de prendre un court moment en fin
de runion pour que les gens puissent changer des signes de reconnaissance et
formuler leurs critiques, en ce qui les concerne ou en ce qui concerne les autres, sur le
travail du jour.

Principales dgradations de la Coopration


Lorsque la coopration est mise en oeuvre dans un groupe, elle amliore sans
commune mesure, une communication aimante et un travail efficace parmi les
membres de la communaut.

Pourtant, il faut s'attendre ce que, dans les meilleures circonstances, la


coopration se dgrade, non seulement du fait des petites violations des directives mais
aussi cause de perturbations plus importantes comme la recherche d'un bouc
missaire ou les scissions.

Les scissions. Elles se forment en gnral autour d'une ou deux personnes de


pouvoir qui, pour une raison ou une autre, se brouillent propos de problmes
personnels comme la rupture d'une relation, le leadership, leurs opinions sur la sexualit,
les biens, le territoire, ou toute autre forme de comptition brutale ou subtile. Les
antipathies entre deux personnes de pouvoir peuvent devenir des foyers de
perturbation, qui se nourrissent de ce que les gens se disent, et qui se transmettent
ensuite par le biais d'une deuxime ou troisime personne. Ces transmissions sont
invariablement dformes de sorte que deux systmes paranoaques parallles se
dveloppent, un pour chaque camp. Par exemple, un collectif de femmes et
d'hommes travaillent ensemble. A la suite de la prise de conscience cre par le
mouvement de libration des femmes, certaines font scession. Certaines dans cette
association dcident qu'elles ne veulent pas avoir de relations avec les hommes, tant
personnellement que sexuellement, et qu'elles veulent tre des femmes qui s'identifient
des femmes. Il s'ensuit un processus douloureux pour clarifier qui est qui. Soit certaines
ont des relations avec des hommes, soit tout simplement, elles n'en veulent pas ou bien
cela ne les intresse pas de renoncer la possibilit d'avoir des liens personnels ou
sexuels avec des hommes. Elles aimeraient pourtant maintenir un contact personnel,
voire sexuel, avec les femmes du groupe sparatiste et elles se sentent blesses et
exploites dans cette situation. Deux trs proches amies, l'une lesbienne et l'autre,
essentiellement htrosexuelle (bien qu'elle se considre comme bisexuelle), ont une
violente dispute et se sparent. Appelons-les Marie et Jeanne. En rentrant la maison,
Marie, bouleverse et en larmes, dit Suzanne, membre du collectif "C'est bien ce que
je pensais ; tant qu'elle aura une relation avec Jacques, c'est toujours vers lui qu'elle se
tournera. Elle est avec lui en ce moment. Je ne vois pas du tout comment elle et moi
pouvons travailler ensemble tant qu'elle est entiche de Jacques ce point."
Suzanne, jalouse depuis quelque temps de la relation entre Marie et Jeanne,
tombe bientt sur Michel, un ami de Jeanne et lui dit "Marie m'a dit qu'elle ne peut plus
tre amie avec Jeanne tant que celle-ci est en relation avec Jacques." Michel va
maintenant s'adresser Jeanne "Marie a dit qu'elle ne voulait rien avoir faire avec toi
tant que tu ne mettras pas fin ta relation avec Jacques." Ceci bouleverse
profondment Jacques et Jeanne, surtout que leur relation ne va pas si bien que a.
Jeanne aime Marie mais elle trouve que Marie prend l une dcision arbitraire et
injuste. En colre, elle dit Michel "Bon, si c'est a qu'elle ressent, et bien, je crois qu'on
ne va plus pouvoir travailler ensemble." La prochaine fois que Michel rencontre
Suzanne, il lui dit "Jeanne est vraiment en colre et elle est dcide ne plus travailler
avec Marie." Suzanne va alors voir Marie et lui dit "Jeanne a dit qu'elle te dteste et
qu'elle va quitter le collectif."

Lors de leur prochaine rencontre, Jeanne et Marie fonctionnent toutes les deux
sous l'emprise de systmes paranodes (fonds chacun sur une once de vrit), suscitant
tellement de colre et de suspicion entre elles, qu' la runion suivante du collectif, elles
se disputent violemment et la runion prend fin dans le plus grand tumulte. La dispute
porte sur le sparatisme et sur le fait de savoir si les sparatistes et les femmes qui sont en
relation avec des hommes peuvent travailler ensemble. Certes, elles aimeraient
poursuivre le dbat mais les dbats suivants dgnrent encore plus, la colre et la
paranoa augmentent. A la fin, Marie et Jeanne se trouvent la tte de deux factions,
en scission complte, y compris des idologies opposes et pendant les deux annes
suivantes, elles s'asticotent, se blessent, interviennent dans le travail l'une de l'autre et
finissent par faire honte aux autres membres de la collectivit.

Il est clair que ces deux femmes sont des femmes bien, qui pensent qu'un conflit
de principes vaut qu'on s'y engage. Pourtant, parce qu'elles n'ont aucune exprience
(et personne d'autre ne l'a rellement) de la manire dont volue une faction qui se
dveloppe, - phnomne si courant dans les groupes coopratifs d'o la hirarchie est
absente, - et en raison de leur tendance respective la comptition et
l'individualisme, elles sont incapables de poursuivre ce conflit de principes. Le fait qu'il y
ait d'autres situations semblables, avec des scissions semblables, dans d'autres groupes,
nourrit la notion que ce genre de rupture ( propos du sparatisme ou de toute autre
diffrence) est prdtermin, qu'il se produit invitablement et qu'il est inutile d'essayer
de travailler en coopration.

Le bouc missaire. La situation entre Marie et Jeanne volue vers une scission
parce qu'elles ont toutes les deux un pouvoir peu prs gal. Mais si, disons Marie,
n'avait aucun pouvoir (ni aucun soutien) au sein du collectif, elle pourrait facilement
devenir un bouc missaire plutt qu'tre la tte d'une faction. En d'autres termes, les
scissions et le bouc missaire rsultent souvent de luttes de pouvoir dguises.

Les spectateurs. Ceux qui prennent parti pour l'un ou l'autre ct sont souvent
des gens qui se sentent impuissants dans l'association et qui y voient une occasion de
jouer un certain rle dans les vnements venir. Leurs dformations, alimentes par
leurs motivations personnelles, nourrissent directement la scission.

Les spectateurs qui refusent de prendre parti se voient souvent reprocher leur
objectivit. On les traite de "libraux", et leur refus de participer cette inimiti entre les
groupes est vu comme un acte hostile de bienveillance envers l'ennemi. Ces gens
partent souvent d'eux-mmes, dgots, ou parce qu'ils y sont contraints
effectivement, par les deux camps.

A mesure que la barrire entre les deux groupes augmente, que le foss se creuse
dans leur communication, les systmes paranodes prennent plus d'ampleur, fonds sur
des "grains de vrit" incontestables, et le cercle vicieux s'intensifie et se renforce. Une fois
ces barrires difies, il est difficile de se rconcilier, sauf peut-tre au bout d'une longue
priode de retrait (pouvant durer des mois ou des annes). Il reste souvent suffisamment
de bonne volont entre les adversaires pour que celle-ci prvale en fin de compte. J'ai
vu des rconciliations satisfaisantes aprs de telles ruptures, des annes aprs le conflit
de dpart. Nanmoins, dans l'intervalle, le travail des participants en a pti et les gens
ont perdu leur crdibilit et leur capital confiance aux yeux de la communaut.

Signes annonciateurs. Une dgradation significative de la coopration


s'accompagne en gnral d'un certain nombre vnements observables.
1 - Cancans. Beaucoup de vagues discussions en dehors des runions sur ce que
les gens font ou disent. Des histoires qui ont l'air incroyable ; des rcits d'actions si
tranges et scandaleux qu'ils stupfient l'imagination. Le bruit court que les gens font
des choses qui ne leur ressemblent pas, ou que vous-mme, vous ne feriez pas.

2 - Coteries. On dbat et on prend des dcisions en dehors des runions du


collectif ou mmes peut-tre lors de runions secrtes.

3 - Insultes et injures. Les conversations regorgent d'insultes politiques ou


personnelles, d'tiquettes ou de qualificatifs. "Libral, phallocrate, raciste, sexiste,
Sauveteur, Victime, joueur ( des jeux de pouvoir), non coopratif, mec typique, hostile
aux hommes, rvisionniste, rac, salaud, sans principes, individualiste." (Ajoutez-y vos
termes favoris).

4 - Responsabilit des difficults presque exclusivement attribue l'autre camp.


Aucune autocritique quant son propre rle dans la situation.

5 - vocation de diffrences "politiques" ou " de principe" qui ne sont jamais


prcises. Comportements d'autojustification n'envisageant pas que les points de vue
de l'autre camp puissent tre valides - mconnaissances de l'autre camp.

6 - Pressions exerces sur ceux qui sont neutres pour les obliger prendre parti et
intimidation quand ils ne le font pas.

7 - change par les deux factions, d'accusations comparables, de plus en plus


vives et expression de sentiments paranodes identiques.

8 - Importante diminution de la productivit. On fait des runions interminables


pour trouver une unit et on n'aboutit rien. En dehors des runions, on s'implique
fond dans une lutte personnelle et dans de l'agitation.

9 - Arrt de la communication personnelle et chaleureuse. Le dbat politique en


runion fait place des discussions guindes o rgne la crainte. En runion, les gens
sont assis consciemment ou involontairement en fonction de leur camp.

Faire que la coopration russisse. Dans les organisations hirarchises, c'est--


dire celles o une personne ou un petit groupe prend les dcisions auxquelles la
majorit obit ensuite, il y a peu de chance que ce genre de situation se dveloppe.
On attend des gens qu'ils obissent une direction et, dans le cas contraire, ils sont
limins d'une manire ou d'une autre. Ceci sert souvent pour justifier le besoin d'une
direction forte d'une part, et le besoin d'obissance de la base des organisations
militantes d'autre part. Pourtant, certaines personnes croient que ce type
d'organisation opprime fondamentalement, et ne peut qu'aboutir l'oppression, et
alors, elles prfrent travailler partir d'un fondement dmocratique sans hirarchie.
Dans ce cas, elles rencontrent des tendances que la socit a imprimes dans leur
personnalit, rendant pratiquement impossible toute coopration. Nous ne sommes pas
comptents pour travailler en tant qu'gaux, et lorsqu'on nous en donne l'occasion,
notre esprit de comptition, notre individualisme, notre tendance mentir, entrer
dans des jeux de pouvoir et nous mettre en position de supriorit ou d'infriorit par
rapport aux autres, conspirent l'anantissement de nos efforts. Et pourtant, on peut
apprendre cooprer et viter les dgradations les plus graves.

Le remde ce genre de scissions consiste organiser une runion anime par


quelqu'un de capable, pour dcider si la rupture est due un comportement
individuel indisciplin de la part des membres du groupe, ou si la cause en est une
divergence d'opinion lgitime pouvant ncessiter une division du groupe en sous-
groupes. Ces divergences lgitimes se dveloppent quelquefois au sein d'organisations
dont la sensibilit politique est Gauche, comme nous allons le voir ci-dessous.

Scissions Gauche. Permettez-moi de dire, pour commencer, que je crois tout


fait possible que deux lignes diffrentes, l'une thorique, l'autre pratique, se
dveloppent au sein d'une organisation, deviennent de plus en plus contradictoires et
finissent par agir l'encontre de leurs valeurs et de leurs buts respectifs. Dans ce cas, il y
des chances que ces deux factions au sein de l'organisation se considrent comme
ennemies, dans la mesure o les objectifs de l'une sont effectivement anantis par
l'autre. On peut alors comprendre que leurs voies se sparent et qu'elles manifestent
une certaine hostilit politique mutuelle dans la mesure o leurs divergences manent
d'une profonde contradiction.

Par ailleurs, j'ai observ maintes reprises le dveloppement de factions au sein


d'une organisation, la malveillance et l'hostilit qui ont suivi, alors que les aspects
thoriques et pratiques qui les caractrisaient, ne justifiaient certainement pas quelles
soient ennemies ; parfois mme, elles ne comportaient pas de relles contradictions. Ces
divergences taient souvent fondes sur une exagration de contradictions minimes ou
simplement sur des intrts diffrents. Malgr cela, on gaspillait une norme quantit
d'nergie en manoeuvres et contre-manuvres, en agitation, en mdisance, en
cancans et en mensonges, tout cela la grande honte de l'organisation aux yeux de
la communaut de gauche sur le plan local et de la communaut en gnral.

Quiconque se considre comme partie prenante de la politique de gauche, et


se trouve pris dans un conflit semblable celui que j'ai dcrit ci-dessus, a intrt
s'assurer que son comportement est correct, et ne contribue pas au dveloppement de
factions qui affaiblissent tellement notre travail.

Ces conflits portent le sceau d'une pense indiscipline, comptitive, purement


thorique, hautaine, rigide, d'o toute dialectique est absente, et il est ncessaire que
les participants soient trs critiques l'gard de leurs comportements tant individuel
que rciproque, par gard pour ceux d'entre nous qui travaillent faire de ce monde
un lieu de vie meilleur.

Sincrit. Le niveau de sincrit qui existe dans ces situations est particulirement
important. Les mensonges sont extrmement nuisibles aux organisations, surtout celles
qui travaillent partir d'une hypothse de sincrit. Nous sommes levs dans une
atmosphre de mensonge et nous y ragissons un niveau ou un autre. De plus, des
groupes ennemis ont utilis les mensonges en toute conscience et avec une grande
efficacit pour dstabiliser des groupes militants. La connaissance et le contrle du
mensonge dans nos organisations constituent des armes puissantes pour lutter contre
de telles tentatives de dstabilisation et contre notre tendance nous en faire les
complices.

Nous sommes parvenus un niveau de conscience important concernant les


dformations qu'une personne introduit lorsqu'elle rapporte un vnement une autre,
qui le relate une autre, toujours plus dform au fur et mesure. Nous avons pris
l'habitude, et ceci fait partie de notre engagement d'tre sincre, d'indiquer dans
chaque rapport, si l'on a t effectivement tmoin de l'vnement ou s'il s'agit de ou-
dire. Nous demandons aux gens de veiller rpter avec exactitude ce dont ils ont t
tmoins, sans l'embellir, qu'il y ait eu ou non des gens prsents, et de dire s'ils rapportent
un ou-dire ou non et de quel niveau (deuxime, troisime ou quatrime). Notre
hypothse est que toute chose est perue diffremment de ce qu'elle est en ralit et
que chaque adjonction d'un nouveau degr de ou-dire comportera une dformation
de plus, qu'elle soit volontaire ou involontaire.

Lorsque nous rapportons un vnement dont nous avons t tmoin, nous le


dformons probablement, mme si ce n'est pas notre intention. Si nous rapportons le
vcu de quelqu'un d'autre, nous sommes en terrain dangereux. Un troisime niveau de
ou-dire (un rapport sur le rapport de quelqu'un d'autre) ne vaut quasiment rien.
Rapporter fidlement ce qui se passe et vrifier les ou-dire font partie de notre
responsabilit d'tre sincre. Si nous prenons l'exemple dvelopp plus haut, il est
ncessaire que Jeanne appelle Marie : "Marie, j'apprends par Michel que tu as dit que
tu me dtestes et que tu vas quitter le collectif. Est-ce que c'est vrai ?"

L'obligation de ne pas Sauver implique qu on demande des dtails, qu'on


cherche vrifier les rumeurs et les rapports pour traquer et dnoncer des dformations,
des demi-vrits ou des mensonges ventuels. Nous pensons galement qu'il est
important, pour tre sincre, de rendre publique toute conversation importante qui s'est
droule hors runion - y compris le contenu d'ensemble et la date, afin que chacun
sache qui fait bloc avec qui, et quelles dcisions ont t prises si c'est le cas.

Jeux de pouvoir. Les jeux de pouvoir ou les abus de pouvoir se multiplient dans
les scissions sous forme brutale ou subtile. Des jeux de pouvoir brutaux comme "je laisse
tomber" (si tu ne fais pas comme je veux) ou "tu ne fais plus partie du groupe" (sauf si tu
me suis), ou hurler ou cogner (si tu ne veux pas "couter la voix de la raison, tu vas
couter celle de la violence") ou bouder ("tu ne me feras pas faire cela") ou couper la
parole, sont des manoeuvres assez videntes de non-coopration. Des manoeuvres
plus subtiles, comme abuser du pouvoir dcoulant de nos liens, parler trop longtemps
ou trop vite ou en termes trompeurs, ou abandonner le pouvoir et la responsabilit (afin
de laisser aux autres toute latitude pour "se planter"), sont infinies et doivent tre
surveilles de prs.

Critique constructive. Un aspect essentiel du travail coopratif, c'est l'ouverture


l'change de critiques, et cet aspect devient trs important en priode de crise dans
les runions habituelles ou spcifiques convoques pour la circonstance. Garder pour
soi un feed-back critique est un mode de comportement des plus perturbant dans les
situations de coopration, parce que c'est un mensonge qui sape la confiance et qui
suscite des sentiments paranodes. Mao fait rfrence ce comportement, avec
dsapprobation, dans un essai "Combattre le libralisme".

Se laisser aller une critique irresponsable en priv au lieu de faire activement


des propositions l'organisation. Ne rien dire aux gens en face mais cancaner dans leur
dos, ou ne rien dire une runion mais cancaner aprs coup.

D'autre part, refuser d'entendre, d'tre disponible, d'accepter avec


reconnaissance un feed-back critique et y rflchir, pose galement problme. On
peut aussi faire un mauvais usage de la critique pour blesser ou intimider plutt que
dans le but d'clairer, auquel cas, cela devient un jeu de pouvoir.

On remarquera une bonne relation de travail en coopration dans une


meilleure qualit de la critique et de son acceptation. Dans ce cas, les gens sont tout
fait d'accord pour entendre une critique qui, parce qu'elle est formule de manire
nourricire, est aussi accepte avec plaisir. Finalement, une critique devient une forme
de communication aimante plutt que cet change effrayant de pilules amres
qu'elle est souvent au dbut. La capacit l'autocritique se dveloppe paralllement.

La critique constructive est un art prcieux qu'on a besoin d'apprendre et de


pratiquer. (cf. le livre de Gracie Lyon Constructive Criticism publi chez IRT Press pour
une description approfondie de ce processus.)

Grce la sincrit, l'analyse et l'limination des jeux de pouvoir, la critique


constructive et l'absence de recours aux Sauvetages utilises conjointement, on russit
gnralement viter la plupart des occasions o la coopration se dgrade. La lutte
contre nos tendances comptitives et individualistes est difficile mais les rcompenses
sont riches : l'amour du travail accompli ensemble dans un but commun.

Le matriel contenu dans ces pages est le rsultat de nombreuses annes d'laboration
thorique, accompagne d'une pratique quotidienne au sein d'une communaut de psychiatrie
radicale. De nombreuses personnes ont contribu ce travail, en particulier Bob Scbwebel qui a
t le premier ranimer notre intrt pour la coopration travers des jeux coopratifs, et Hogie
Wyckof, j; dont la contribution aux dbuts de la psychiatrie radicale et l'laboration de
directives viables concernant la coopration a t d'une importance capitale.

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