Les Enfants Exceptionnels

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Premier et deuxime cycles universitaires

Collection Amphi Psychologie


dirige par Annick Weil-Barais

Enfants exceptionnels :
prcocit intellectuelle,
haut potentiel et talent

Sous la coordination de Todd Lubart

1, rue de Rome, 93561 Rosny-sous-Bois Cedex


Remerciements Prsentation des auteurs
Maud Besanon, Doctorante en psychologie lUniversit Ren Descartes
- Paris V, Laboratoire Cognition et Comportement (CNRS)
Nous remercions toutes les personnes qui ont contribu la ralisation de Valrie Camos, Professeur de psychologie du dveloppement lUniversit
cet ouvrage, et en particulier : Genevive Blaquire, Michle Carlier, Bruno de Bourgogne, LEAD (CNRS)
Facon, Pierre-Yves Gilles, Dominique Hureaux, Michel Huteau, Anne-Yvonne Xavier Caroff, Matre de Confrences en psychologie diffrentielle
Jacquet, Paulette Rozencwajg, Scania de Schonen et Annick Weil-Barais.Nous lUniversit Ren Descartes - Paris V, Laboratoire Cognition et Comportement
remercions galement le Fonds Inkermann, sous l'gide de la Fondation de (CNRS)
France, pour son soutien aux recherches sur les enfants haut potentiel. Michle Emmanuelli, Matre de Confrences en psychologie clinique
lUniversit Ren Descartes - Paris V, Laboratoire de psychologie clinique et
de psychopathologie
Jacques-Henri Guignard, Doctorant en psychologie lUniversit Ren
Descartes - Paris V, Laboratoire Cognition et Comportement (CNRS)
Isabelle Jambaqu, Matre de Confrences en neuropsychologie lUniversit
Ren Descartes - Paris V, Laboratoire Cognition et Comportement (CNRS)
Masha Jilinskaya, Doctorante en psychologie, lUniversit de Nantes
Jacques Lautrey, Professeur mrite de psychologie diffrentielle
lUniversit Ren Descartes - Paris V
Laurent Lebihain, Psychologue clinicien, Centre de Ressources pour Enfants
Surdous en Difficult, Service Hospitalo-Universitaire de Psychiatrie de
lEnfant et de lAdolescent de Rennes, Centre Hospitalier Guillaume Regnier
Raphalle Lpine, Docteur en psychologie, lUniversit de Bourgogne,
LEAD (CNRS)
Todd Lubart, Professeur de psychologie diffrentielle lUniversit Ren
Descartes - Paris V, , Laboratoire Cognition et Comportement (CNRS)
Christophe Mouchiroud, Matre de Confrences en psychologie diffren-
tielle lUniversit Ren Descartes - Paris V , Laboratoire Cognition et
dition : Christine Serin Comportement (CNRS)
Mise en page : Isabelle Veillon Maria Pereira-Fradin, Matre de Confrences en psychologie diffrentielle
lUniversit Ren Descartes - Paris V, Laboratoire Cognition et
Comportement (CNRS)
Willy Peters, Docteur en psychologie, Psychologue coordinateur du Center
Bral 2005 for the Study of Giftedness lUniversit de Nijmegen Pays Bas
ISBN 2 7495 0435 X Sylvie Tordjman, Professeur en Pdopsychiatrie, Centre de Ressources pour
Toute reproduction mme partielle interdite Enfants Surdous en Difficult, Chef du Service Hospitalo-Universitaire de
Dpt lgal : dcembre 2005
Psychiatrie de lEnfant et de lAdolescent de Rennes, Centre Hospitalier
Guillaume Regnier et Universit de Rennes 1
Avant-propos
Laurence Vaivre-Douret, Professeur de psychologie du dveloppement Depuis des sicles, les enfants hors normes , prsentant des capacits
lUniversit Paris X et neuropsychologue clinicienne AP-HP Cochin (INSERM cognitives nettement suprieures la moyenne ont t remarqus.
Unit 669)
Les conceptions de lenfant exceptionnel ont volu au cours du temps
Pierre Vrignaud, Professeur de psychologie du dveloppement lUniversit (Vauthier, 1997, 2003). A lpoque grco-romaine, on considre quil sagit dun
de Nantes, Laboratoire de Psychologie - Education, Cognition, Dveloppement adulte en miniature ayant reu un don par intervention divine. Platon, par
(LabECD) exemple, exprimait lide que lingalit tait naturelle, les dieux se mlaient
Catherine Weismann-Arcache, Matre de Confrences associ Universit dassigner telle ou telle qualit aux hommes, lintelligence tait un don, elle faisait
de Reims, chercheur associ au Laboratoire de psychologie clinique et de psycho- partie du lot (Durazzo, 1997, p.22). Dans la priode mdivale, les dviations
pathologie (Universit Ren Descartes Paris V ) par rapport la norme taient vues comme pathologiques et ventuellement
Franck Zenasni, Docteur en psychologie, chercheur lInstitut Gustave associes aux dmons. Au moyen ge, un tel enfant trouvait ventuellement sa
Roussy place en consacrant son nergie une vie spirituelle dans lglise. la renais-
sance, des enfants talentueux comme Michel Ange et Raphal, puis la priode
romantique, des musiciens de gnie comme Mozart et Schubert, ont capt
lattention et suscit lmerveillement du public. La priode romantique sest
illustre par laccent mis sur la fragilit et le tourment de ces enfants excep-
tionnels et contre-nature .
De nos jours, ces diffrentes conceptions persistent diffrents degrs et
ctoient une conception de lenfant reprsent comme un tre en devenir dont
le potentiel bio-psychologique se dveloppe en fonction de lenvironnement
socioculturel et ducatif. Au dbut du xxe sicle, dans ses travaux sur lintelli-
gence, Alfred Binet, inventeur avec Thodore Simon dun des tests dintelligence
le plus clbre, a port un intrt particulier aux diffrences individuelles obser-
ves chez des enfants et ladaptation de ceux-ci dans le systme scolaire. Dans
son livre de 1911 intitul Les ides modernes sur les enfants , il fait tat de ses
observations : Voici encore lcolier qui ne profite pas de lenseignement, pour
une raison qui est vraiment paradoxale : il est trop intelligent . . . (p. 109). Il
serait dommage, ajoute-t-il, que lhumanit ne bnficie pas de ces individus
lintelligence suprieure dont il fait lhypothse quils participeraient au progrs.
Les travaux de Binet ont eu un certain succs outre-atlantique. Lewis Terman
a mis au point le Test dintelligence Stanford-Binet partir des travaux de Binet
et Simon. Puis, il commena, en 1922, une vaste tude concernant 1800 enfants
prsentant des scores trs levs aux preuves intellectuelles, ralise en
Californie. Ces participants ltude, actuellement dans le 3me ge, font toujours
lobjet dinvestigation, avec des recherches longitudinales assures par les colla-
borateurs de Terman. Cette tude a eu un impact important, conjointement
dautres recherches - principalement anglo-saxonnes- portant sur ces enfants
qualifis de surdous . Les spcificits de cette population denfants et le dve-
loppement de diffrents types de programmes ducatifs adapts leurs besoins Bibliographie
ont commenc tre abords sur le plan psycho-ducatif.
Binet, A. (1911). Les ides modernes sur les enfants. Paris : Flammarion.
Les ides modernes de Binet taient, en France, en avance sur leur temps.
Delaubier, J.-P., (2002). La scolarisation des enfants intellectuellement prcoces.
En effet, il y a encore une trentaine dannes (dans les annes 1970), ces enfants
Rapport Monsieur le ministre de lducation nationale. http://www.educa-
prsentant un haut potentiel cognitif taient peu connus : ils faisaient rarement
tion.gouv.fr
lobjet de travaux scientifiques francophones ou dune prise en charge pdago-
gique spcifique. Grce, en grande partie, aux actions dassociations de parents Durazzo, F-M. (1997). Les reprsentations mythiques de lintelligence dans
denfants surdous et de psychologues cliniciens, la ncessit de prendre en le dbat sur lenfant prcoce . In J-C Grubar, M. Duyme, S. Cte (Ed) : La
considration ces enfants a t reconnue. En 2005, le Ministre de lducation prcocit intellectuelle (2me Ed) (pp. 17-25). Lige : Mardaga.
Nationale, la suite des travaux dune commission (Delaubier, 2002) a reconnu Vauthier, J. (1997). Les enfants prcoces : une tude historique. In J-C
officiellement lexistence de cette population dlves et de leur besoins : Des Grubar, M. Duyme, S. Cte (Ed) : La prcocit intellectuelle (2me Ed)
amnagements appropris sont prvus au profit des lves intellectuellement (pp. 7-15). Lige : Mardaga.
prcoces ou manifestant des aptitudes particulires, afin de leur permettre de Vauthier, J. (2003). Les enfants prcoces : une perception diffrente suivant
dvelopper pleinement leurs potentialits. La scolarit peut tre acclre en les sicles, Journal des Professionnels de lenfance, 25, 25-28.
fonction du rythme dapprentissage de llve (Loi 2005-380 du 23-4-2005,
JO du 24-4-2005, article 15 ter et article 17 bis du Code de lducation).
Cet ouvrage a pour objectif de prsenter les grands axes des recherches inter-
nationales sur les enfants haut potentiel. Louvrage est compos dune premire
partie centre sur les concepts, les dfinitions, les thories rcentes et la descrip-
tion gnrale du haut potentiel . Dans la seconde partie, plusieurs thmes
sont approfondis : la question de lidentification des enfants exceptionnels,
lapproche cognitive illustre par le phnomne du haut potentiel dans le
domaine des mathmatiques, lapproche neuropsychologique et socio-motion-
nel, la comprhension de ces enfants au moyen dune approche clinique et
psychopathologique, ainsi que leur insertion dans le systme ducatif et les
problmes qui en rsultent, telle que la sous-ralisation de leur potentiel et mme
lchec scolaire.
Les auteurs des chapitres de cet ouvrage sont des spcialistes, des ensei-
gnants-chercheurs en psychologie et en psychiatrie qui prtent une attention
particulire ces enfants hors normes depuis plusieurs annes dans leurs travaux.
Leur objectif est de prsenter une synthse de la littrature scientifique destine
un public divers dtudiants de psychologie et des sciences de lducation, de
psychologues et de professionnels de lducation et de la sant, ainsi que de
parents qui sinterrogent sur les diffrences individuelles chez lenfant, voire sur
leur propre enfant. Allant plus loin quune simple synthse, chaque chapitre
essaie de soulever des questions importantes, de rvler les lacunes de nos
connaissances actuelles et douvrir sur des pistes de rflexion pour de futurs
travaux.
- Interprtation sur les processus dveloppementaux en jeu . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Sommaire - Fonctionnement crbral chez les enfants "hautes potentialits" . . . . . . . . . . . .
Chapitre 6 : Aspects socio-motionnels du phnomne du haut
potentiel (F. Zenasni et C. Mouchiroud) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
- Lintelligence motionnelle et lintelligence sociale
chez les enfants haut potentiel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
- Les composantes conatives et affectives des enfants haut potentiel . . . . . . . . . .

Partie 1 Se reprer Chapitre 7 : Approche clinique des enfants haut potentiel (M.
Emmanuelli et C. Weismann-Arcache) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Chapitre 1 : Concepts, dfinitions et thories (T. Lubart) . . . . . . . . . - Elments thoriques et ouvertures cliniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
- De quoi parle-t-on ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . - Approche clinique et mthodologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
- Approches thoriques des enfants haut potentiel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Chapitre 8 : Approches psychopathologique et thrapeutique des
- Le dveloppement du haut potentiel au cours de la vie : tudes empiriques . . . .
enfants surdous (L. Lebihain et S. Tordjman) . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Chapitre 2 : Les diffrences individuelles chez les enfants haut - De la clinique la psychopathologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
potentiel (M. Pereira-Fradin) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . - De la psychopathologie au projet thrapeutique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
- Les diffrences individuelles comme base des thories de lintelligence . . . . . . . .
Chapitre 9 : Modes de scolarisation des enfants intellectuellement
- Origine des diffrences individuelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
prcoces (J. Lautrey et P. Vrignaud) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
- Diffrences inter-individuelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
- Les mesures pdagogiques pour
- Diffrences intra-individuelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . les enfants intellectuellement prcoces en France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
- Diffrences inter-groupes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . - Les effets des diffrents modes de scolarisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Partie 2 Approfondir Chapitre 10 : Sous ralisation chez les enfants haut potentiel :
approches, conseils et solutions. (M. Besanon et W. Peters) . . . . .
Chapitre 3 : L'identification des enfants haut potentiel : vers une - Qu'est-ce que la sous ralisation ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
approche multidimensionnelle (X. Caroff, J-H. Guignard et M. - Les diffrentes causes possibles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Jilinskaya) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . - Remdiations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
- Les diffrentes conceptions de l'identification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
- Principes d'une approche multidimensionnelle de l'identification . . . . . . . . . . . .
- Illustration d'une approche multidimensionnelle du haut potentiel . . . . . . . . . . .
Chapitre 4 : Approche cognitive : Ltude de calculateurs prodiges
et denfants haut potentiel en mathmatiques (R. Lpine et V.
Camos) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
- Les calculateurs prodiges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
- Les enfants prsentant un haut potentiel en mathmatiques . . . . . . . . . . . . . . . .
Chapitre 5 : Approche dveloppementale et neuropsychologique
des enfants hautes potentalits (L. Vaivre-Douret et I.
Jambaqu) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
- Contexte dveloppemental . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
- Donnes dveloppementales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Se reprer
Chapitre 1
accder des apprentissages de concepts mathmatiques rservs habituelle-
ment des enfants de 8 ans, ce qui peut tre conu comme une avance sur le plan
intellectuel. Cependant, ce mme enfant pourra plus tard perdre cette avance.
Enfin, la sortie du parcours dveloppemental de lenfance et de ladolescence,
les diffrences intellectuelles plus stables, mais non figes peuvent tre releves.
Concepts, dfinitions Le systme ducatif franais favorise actuellement cette conception. En sautant
une classe (ou deux) les enfants intellectuellement prcoces pourraient, en
thorie, trouver leur place dans le systme scolaire actuel (voir chapitre 9).
et thories Le terme haut potentiel met en exergue la diffrence entre une aptitude ou
une capacit pouvant tre mise en uvre si la situation sy prte, et une performance,
qui est la concrtisation dune aptitude dans la ralisation dune activit. Un haut
Dans ce chapitre, de multiples conceptions des enfants exceptionnels sont potentiel peut rester latent ou peut sexprimer et donner lieu des productions et des
prsentes. Sont abordes la difficult de trouver une dfinition consensuelle du performances excellentes, voire exceptionnelles. En Europe, le terme high ability ,
phnomne, les thories rcentes concernant les facteurs dterminants lmer- traduit littralement comme aptitude leve, est utilis prfrentiellement et se
gence du haut potentiel et du talent et, enfin, les questions du dveloppement rapproche de la notion du haut potentiel. Le terme talent est employ dans le cas
du haut potentiel chez lenfant et son devenir lge adulte. o un individu a fait preuve de hautes performances plusieurs occasions. La popu-
lation denfants haut potentiel est certainement plus importante que celle des
enfants talentueux, parce que chaque enfant na pas forcment les conditions opti-
1. De quoi parle-t-on ? males pour le dveloppement et/ou lexpression de son potentiel. Il est important de
noter que la notion de haut potentiel nimplique pas une prise de position concer-
Diffrents termes sont utiliss afin de dcrire la population denfants hors
nant les sources de ce potentiel (gntique, environnementale ou une association
normes : surdous, intellectuellement prcoces, enfants haut potentiel, enfants
des deux) ou la stabilit et lvolution du potentiel.
talentueux, prodiges ou gnies. Le choix des termes nest pas neutre parce que
ceux-ci recouvrent diffrentes connotations et concepts thoriques. Le phnomne des enfants prodiges peut tre considr comme un cas extrme
du talent dans une tche ou une domaine bien prcis. Par exemple, certains
a. Une terminologie riche enfants prodiges dans le domaine mathmatique peuvent accomplir rapidement
des calculs trs complexes qui ne sont pas la porte de beaucoup dadultes.
Le terme anglais gifted est souvent traduit en franais par le mot surdou . Lenfant prodige semble avoir une expertise gale ou suprieure celle des adultes
Ce terme voque lide que lenfant a reu un cadeau, un don, que la plupart des actifs dans un champ professionnel.
enfants nont pas eu. Pour certains auteurs, il sagit dun cadeau des dieux; des concep-
Les cas de gnie chez lenfant sont encore plus rares. Lexemple du jeune Mozart
tions modernes voquent plutt le patrimoine gntique. Ainsi, tre surdou reprsente
illustre bien les composantes habituellement retrouves : un niveau dexpertise trs
un statut relativement stable et permanent. Une deuxime notion voque par le
lev coupl avec la capacit faire avancer, souvent de faon transculturelle, un
terme surdou est celle dun excs, dun surplus. Le don est plus important que
champ artistique, technique ou scientifique. Le gnie est exceptionnel, aussi bien
dhabitude. Ce qui pourrait tre gnant dans un systme qui favorise lgalit des
chez lenfant que chez ladulte, et devra probablement tre distingu du phno-
chances . Dans le continuum allant de lenfant normal lenfant surdou, les enfants
mne du haut potentiel et du talent, abord dans cet ouvrage.
dous , et bien dous sont parfois distingus. Au Qubec, on parle de douance .
Lappellation intellectuellement prcoce prend sens par rapport un modle b. Considrations thoriques
linaire du dveloppement intellectuel qui suppose que lenfant passe par une
srie dtapes dacquisition de comptences intellectuelles. Il savre que certains Lapproche de lenfant exceptionnel conduit le mettre en rapport avec
enfants font leurs acquisitions plus rapidement que dautres et sont capables de lenfant typique ou moyen (ces deux termes sont employs dans louvrage).
certains types de pense avant lge habituel. Par exemple, un enfant de 6 ans peut Elle mobilise la notion dune distribution du potentiel, de la prcocit ou de la

12 Partie 1 - Se reprer Chapitre 1 13


douance (terme utilis au Qubec), allant des enfants faible potentiel, ou
en retard, ou moins dots que la moyenne lautre extrme qui nous intresse - Grande curiosit ; un grand intrt pour les livres
dans ce livre. Cette diversit nest pas en soi exceptionnelle. En effet, chaque - Pose beaucoup de questions, y compris des questions existentielles
attribut mental ou physique se caractrise par une distribution avec ses valeurs - Besoin de comprendre, recherche de la prcision, recherche de la matrise
extrmes. Par exemple, pour la taille des enfants de 10 ans, on observe des enfants
- Prfrence pour la complexit/ peu dintrt pour des tches simples, faciles
relativement petits, dautres de taille moyenne et encore des trs grands. En ce et routinires
qui concerne la personnalit, on observe certains enfants trs introvertis et
dautres trs extravertis, avec tous les niveaux intermdiaires de ce trait. - Ne pense pas comme les autres, modes de calcul et du raisonnement diff-
rents, stratgies mentales diffrentes
On relvera quun enfant peut avoir un potentiel, du talent, une prcocit ou
- Une pense riche activant simultanment plusieurs canaux de rflexion, favo-
un don dans un ou plusieurs champs dactivit. Pour des raisons historiques, ces
risant la crativit, limagination et la flexibilit mentale
termes sont associs fortement lintelligence acadmique et des conceptions
de lintelligence qui favorisent un facteur gnral jouant un rle dans toute acti- - Vitesse et efficacit de traitement de linformation suprieure la norme
vit cognitive. Mais il est tout fait possible de concevoir les comptences - Forte capacit de mmorisation
artistiques, musicales, sociales, et sportives, parmi dautres, de la mme faon. En - Niveau lev dattention, bonne capacit de concentration
effet, diffrentes conceptions rcentes sur le plan thorique proposent un
- Forte capacit de gnralisation et de transfert dinformations avec la mobili-
largissement du concept dintelligence dans ce sens. Par exemple, Gardner (2000)
sation du raisonnement analogique permettant des mises en relation pertinentes
dans la perspective de sa thorie des intelligences multiples indique quil est possible
davoir un haut potentiel logico-mathmatique, verbal, spatial-artistique, musi- - Un bon niveau de mtacognition permettant de connatre ses capacits, ses
cal, inter- et intra-personnel, scientifique, et kinesthsique. De son ct, Sternberg faiblesses et deffectuer une auto-regulation efficace de ses activits cognitives
(1988, 1999), dans sa thorie triarchique de lintelligence, propose trois aspects : Caractristiques socio-affectives
lintelligence analytique, lintelligence pratique, et lintelligence crative. - Sens de lhumour
La dfinition officielle retenue par le dpartement de lducation aux Etats- - Forte sensibilit et ractivit affective
Unis prcise que ces enfants manifestent une capacit leve de performance
- Refus des rgles et des consignes
dans le champ intellectuel, cratif, et/ou artistique, quils ont une capacit hors
du commun dtre un leader, ou se distinguent dans un champ acadmique spci- - Attir par des camarades plus gs et les adultes
fique. Ces enfants ont besoin dactivits qui ne sont pas habituellement proposes - Tendance travailler seul, autonomie dans les situations dapprentissage
lcole. Le talent exceptionnel peut tre observ chez les jeunes de tout milieu - Capacit faire des observations perspicaces concernant autrui
culturel et socio-conomiqueet dans tous les domaines dactivit humaine.
- Ne dispose pas des mmes conceptions implicites que tout le monde
N.B. Cette liste de caractristiques nest pas exhaustive. Les tudes empiriques
existantes ne permettent pas de confirmer que toutes les caractristiques pro-
Portrait Robot des enfants haut potentiel :
poses diffrencient les enfants haut potentiel des autres enfants. Il existe
caractristiques cognitives et socio-affectives souvent cites dailleurs une importante variabilit individuelle chez les enfants haut poten-
dans les observations cliniques tiel qui limite lintrt de dresser un profil gnral de cette population.

(Daprs : Adda et Catroux (2003), Blandonu (2004) ; Planche (2000, 2005) ;


Revol, Louis, et Fourneret (2004) ; Rogers (1986) ; Siaud-Facchin (2002) ; En France, il est habituel de distinguer, dune part, les enfants ayant un haut
Vaivre-Douret (2004) ; Vrignaud (2003)) potentiel sportif, musical ou artistique et dautre part, des enfants ayant un haut
potentiel intellectuel . Le systme scolaire comprend ainsi des filires spci-
Caractristiques cognitives fiques, comme les sections sports-tudes, pour le dveloppement de certains
- Acquisition rapide du langage oral, accs spontan la lecture types de haut potentiel.

14 Partie 1 - Se reprer Chapitre 1 15


c. Une prise de position examine dans le deuxime chapitre. La variabilit intra-individuelle peut tre
trs importante ; un enfant na pas forcment le mme potentiel dans tous les
La revue de la littrature scientifique montre quil nexiste pas encore de prise
secteurs dactivit intellectuelle.Les questions concernant la mesure et lidentifi-
de position consensuelle tant au plan terminologique que dfinitoire. Par
cation du haut potentiel est le sujet du chapitre 3.
exemple, Zeigler et Raul (2000) font le constat que les tudes empiriques ne
mettent pas en vidence de consensus dans le choix des critres utiliss. De
nombreux auteurs estiment quil est ncessaire de prciser au mieux la dfinition 2. Approches thoriques des enfants
et les contours de cette population denfants afin de promouvoir la fois les
recherches et la prise en charge ducative. En effet, si la population varie dune haut potentiel
tude une autre, il est difficile de tirer des conclusions et de comprendre les
Plusieurs thories permettent de rendre compte du haut potentiel. Elles font
divergences de rsultats entre les tudes. En ce qui concerne la prise en charge
appel un ensemble de variables cognitives, conatives et environnementales qui
ducative, lefficacit des programmes pdagogiques et mme le type de
interagissent Les thories rcentes mettent en avant lide que de multiples
programme propos sera dautant plus adapt que la nature de la population
facteurs doivent intervenir simultanment.
denfants est bien circonscrite. Cramond (2004) considre cependant que propo-
ser une seule dfinition nest pas une ncessit si chacun (chercheur ou ducateur)
a. Une confluence de facteurs
explicite les critres retenus. Compte tenu du caractre volutif de ce champ
dtude il serait dommage, daprs elle, de figer lapproche de ces enfants excep- Tannenbaum (1986) a propos lexistence de cinq catgories de facteurs :
tionnels en ne retenant quune seule dfinition. (a) la capacit intellectuelle gnrale avec un seuil de haut niveau variable selon
Indpendamment de la difficult cerner les contours de la dfinition les domaines dexcellence, (b) des capacits spcifiques qui varient selon le type
conceptuelle de la population particulire denfants qui nous intresse ici, souli- dactivit, (c) des variables de personnalit et de motivation telles que la pers-
gnons galement que la spcification de critres prcis est galement source du vrance, la force du moi, et la capacit se satisfaire de gratifications diffres,
dbat. Le score du QI (Quotient intellectuel) est trs souvent utilis. Cependant, (d) un environnement (familial, ducatif et culturel) stimulant, (e) la chance qui
ce score peut tre obtenu au moyen de diffrents tests dintelligence, certains intervient par le biais dvnements, de rencontres de personnes qui dclenchent
mettant laccent sur le raisonnement logique, dautres tant plus centrs sur les ou permettent le dveloppement du talent.
capacits verbales. Le WISC, un test dintelligence propos par Wechsler, est le Selon cette approche, lmergence du haut potentiel et du talent dpend du
plus couramment utilis mais ce test nest pas le seul disponible et son choix contexte socioculturel. Tannenbaum distingue notamment : les scarcity talents ,
reprsente galement une prise de position sur la nature fondamentale de talents rares et recherchs dont on a toujours besoin et qui contribuent lavan-
lintelligence. Une fois obtenu, quel score de QI considrer ? Selon les seuils cement de la science et de la qualit de vie ; les surplus talents , talents
retenus (120, 125, 130, 135 ou 145), le nombre denfants concerns est trs diff- correspondant des activits contribuant enrichir la culture comme lart et la
rent. Par exemple, le seuil de 130 amne identifier environ un enfant sur musique ; les quota talents comptences professionnelles spcialises associes
quarante (2,28 % de la population), tandis que le critre dun QI gal ou sup- des mtiers contingents (mdecin, avocat, enseignant) ; et les anomalous
rieur 145 rendra le phnomne nettement plus rare, avec environ un enfant talents , talents tranges, qui se traduisent par des comptences hors du commun
repr sur mille (0,13 % de la population). dans des tches singulires, comme la capacit manger une grande quantit
Dans ce livre, lexpression haut potentiel sera utilise prfrentiellement. de saucisses ou celle de lire haute voix un grand nombre de mots en une minute.
Elle prsente lavantage de la neutralit et dtre la moins entache de prsupposs. Feldman (1982, 1992) met laccent sur la convergence de plusieurs condi-
Le choix dune expression nexclut pas lintrt ou lutilit des autres, les diffrentes tions permettant lmergence du talent. Les capacits cognitives doivent tre
expressions se recoupant diffrents degrs. Dans le chapitre concernant le associes la possibilit daccder des connaissances au bon moment au cours
contexte scolaire, exceptionnellement lexpression enfant intellectuellement du dveloppement. Est galement dterminante la prsence dun environne-
prcoce est galement employe puisque cest celle retenue par lducation natio- ment qui investit dans lenfant. De fait, le haut potentiel et le talent sont assez
nale. La question de la nature plutt spcifique ou gnrale du haut potentiel est spcifiques, la coordination optimale des diffrents facteurs variant en fonction

16 Partie 1 - Se reprer Chapitre 1 17


des domaines. Pour le talent, la concidence des facteurs est relativement grands domaines de capacits naturelles (ou dons) sont proposs : les domaines
rare. Si Mozart tait n fils dun berger dans la campagne profonde plutt quun intellectuel, cratif, socio affectif et sensorimoteur. Cette conception cherche
enfant dans une famille intresse par la musique, avec un pre musicien, aurait- ainsi rendre compte de la manifestation de capacits exceptionnelles et du
il dvelopp son talent et crit des symphonies clbres ? Les cas denfants haut potentiel dans les champs scolaires comme les mathmatiques et la
prodiges illustrent bien la concidence de capacits extraordinaires de lenfant, littrature mais aussi dans le champ sportif ou interpersonnel (le leadership, par
la rencontre avec un champ assez structur et accessible aux enfants (comme la exemple).
musique), un contexte familial qui reconnat et valorise le talent, et laccs un Daprs Gagn, le dveloppement du talent serait sous la dpendance de la
enseignement adapt aux besoins de lenfant. maturation naturelle des capacits et du systme cognitif, mais aussi de
Renzulli (1978, 2002) propose une conception, the three-ring model (litt- lapprentissage informel et de lapprentissage formel dans des institutions pda-
ralement : modle en trois anneaux), selon laquelle trois facteurs jouent un rle gogiques. Trois types de facteurs interviennent comme catalyseurs de la
important : aptitude(s) intellectuelle(s) leve(s), crativit, et engagement. transformation de capacits en talent . Tout dabord des facteurs intra-person-
Laptitude intellectuelle leve peut prendre la forme soit dun fort facteur gn- nels, cest--dire les caractristiques physiques et mentales de lindividu, y
ral (facteur g) impliquant le raisonnement, la pense abstraite, la mmoire et compris son profil de personnalit et sa motivation. Secondement, des facteurs
dautres capacits mesures par certains tests dintelligence, soit dune aptitude environnementaux englobant le milieu physique et socioculturel dans lequel se
lie un champ plus spcifique, comme laptitude mathmatique, littraire, trouve lindividu, les personnes qui lentourent (famille, amis, enseignants,
musicale, kinesthsique ou artistique. La crativit rfre la capacit produire idoles), le systme ducatif qui offre potentiellement des ressources pour le dve-
des penses originales. Elle comprend la fluidit, la flexibilit mentale, la curio- loppement du talent, et les vnements de la vie (dcs dun proche,
sit, la pense divergente, louverture, et la prise de risque. Lengagement ( task dmnagement dans une nouvelle ville, etc.). Ces facteurs peuvent contribuer
commitment ) est une composante motivationnelle qui stimule lindividu positivement ou ngativement au dveloppement du talent. Le hasard joue
mettre en uvre ses capacits dans un domaine particulier. Lengagement galement un rle dans le dveloppement du talent par le biais dvnements
implique lintrt et lenthousiasme, la persvrance, lendurance, beaucoup de critiques, comme la rencontre dun artiste connu ou la maladie dun proche qui
travail, la confiance en soi, le besoin daccomplissement. Selon Renzulli, le change la vie familiale. Pour Gagn, les diffrentes composantes voques inter-
contexte environnemental exerce une influence sur le dveloppement et agissent ensemble dans une chorgraphie complexe et, de ce fait, nont pas
lexpression dune aptitude intellectuelle leve, sur la crativit et lengagement. forcment le mme poids dans le dveloppement du talent. Il propose lordre
Cest pourquoi les variables telles que lducation et la personnalit des parents dcroissant suivant pour les quatre composantes de son modle : les capacits
ainsi que le niveau socioprofessionnel et le contexte culturel jouent un rle. intellectuelles, les facteurs intra personnels, le processus de transformation de
La prsence des trois catgories de facteurs mentionns prcdemment est capacits naturelles en talent, et les facteurs environnementaux.
ncessaire pour les ralisations exceptionnelles. Selon le profil de lenfant, certains Sternberg (1988, 2001, 2003), dans ses travaux concernant la thorie triar-
facteurs peuvent cependant tre plus dvelopps que dautres. Pour cette raison, chique de lintelligence a abord la question des enfants haut potentiel. Dans
Renzulli distingue deux sous-types de haut potentiel : dune part, le haut poten- un premier temps, trois formes de haut potentiel ont t distingues :
tiel acadmique qui implique surtout laptitude intellectuelle et lengagement les enfants prsentant une forte capacit analytique - cet aspect dintelli-
et, dautre part, le haut potentiel cratif qui fait davantage appel la crati- gence est valoris dans les tests mesurant le QI et par le cadre scolaire ;
vit et lengagement.
les enfants ayant des capacits exceptionnelles traiter la nouveaut et
b. Approches dveloppementales formuler des ides originales lintelligence crative, dveloppe chez ces
enfants, est prsente de faon plus dtaille dans lencadr 2 (Sternberg
Gagn (2004) distingue, dune part, giftedness (douance) en tant quap- et Lubart, 1993) ;
titudes naturelles exceptionnelles permettant un apprentissage rapide dans au
les enfants prsentant une capacit exceptionnelle sadapter aux contextes
moins un domaine dactivit et, dautre part, le talent qui signifie une matrise
pratiques, capter, par exemple, des rgles sociales implicites dans une
exceptionnelle des comptences et des connaissances dans un champ. Quatre
situation de travail collectif.

18 Partie 1 - Se reprer Chapitre 1 19


Les formes du haut potentiel les plus rares impliquent la combinaison de
capacits analytique, crative et pratique. Haut potentiel et talent cratif
Dans un deuxime temps, Sternberg a propos une approche complmen- La crativit rfre la capacit de raliser des productions originales et adap-
taire fonde sur le concept de dveloppement de lexpertise. Chaque personne tes aux contraintes dune situation, dune tche ou dun problme (Lubart et al.,
est suppose sengager dans un processus de dveloppement dexpertise quand 2003). Selon un premier point de vue, la crativit est une capacit de base pour
elle travaille dans un champ. Les individus dous sont ceux qui dveloppent toute forme de haut potentiel ou de talent. Selon un deuxime point de vue, il
une expertise plus rapidement, ou un niveau plus lev, ou de nature diff- existe diffrentes formes de haut potentiel et de talent dans chaque champ disci-
rente que la majorit des personnes. Le dveloppement de lexpertise dpendrait plinaire (Lubart et Georgsdottir, 2004 ; Sternberg et Lubart, 1993). Par exemple,
dans le domaine de la musique, un enfant pourra tre talentueux dans sa ma-
de linteraction de cinq facteurs : les capacits mtacognitives, les capacits
trise dun instrument et sa capacit jouer des partitions difficiles ou bien tre
dapprentissage, les capacits intellectuelles gnrales, les connaissances, et la
cratif en inventant de nouvelles compositions pour son instrument. En math-
motivation. La mtacognition fait rfrence la comprhension et au contrle matiques, Burjan (1991) distingue des enfants qui sintressent la rsolution de
de sa propre faon de traiter des informations. Dans ce groupe de capacits nous problmes difficiles poss par dautres et des enfants qui prfrent poser leurs
trouvons, par exemple, laptitude dfinir et reprsenter un problme, formu- propres problmes et inventer le moyen de les rsoudre. Freeman (1997), dans
ler une stratgie, et valuer lefficacit de sa propre stratgie de rsolution du une tude longitudinale ayant concern169 enfants anglais haut potentiel,
problme. Les capacits dapprentissage permettent lextraction rapide des infor- suivis pendant 27 ans, a identifi deux sous-groupes denfants : les enfants
mations explicites et implicites. Les capacits cognitives de performance font diplms et les enfants cratifs . Il a relev plusieurs diffrences entre ces
rfrence lanalyse, lvaluation, linvention, la dcouverte, la pense hypoth- groupes concernant leurs motivations (respectivement : plaisir dans la russite
tico-dductive, lapplication, et la mise en oeuvre dune ide. Les connaissances scolaire vs plaisir dans les activits cratives), leurs traits de personnalit (com-
ncessaires pour devenir un expert, peuvent tre du type dclaratif (savoir ptition vs ouverture), leur intgration lcole (bonne vs mauvaise), et leur envi-
ronnement familial (valorisation de la russite scolaire vs intrt pour les arts).
quelque chose) ou procdural (savoir comment faire). En dernier lieu, la
motivation joue un rle important dans le dveloppement de lexpertise. Un La crativit dpend la fois de facteurs cognitifs, conatifs et environnementaux
type de motivation souvent cit est celui de la motivation daccomplissement qui (Lubart et al., 2003). Plusieurs capacits intellectuelles sont considres comme
attire des individus vers des tches qui prsentent un dfi, une prise de risque importantes pour la crativit, telles que la capacit reprer des informations
intellectuelle pour des tches ni trop faciles, ni trop difficiles leur permettant lies une tche, la capacit engager la pense mtaphorique, la capacit
ainsi de progresser vers lexpertise. combiner divers lments, la flexibilit mentale et la pense divergente afin de
produire de nombreuses ides dont certaines seront, par la suite, slectionnes
Lenvironnement dans lequel ces facteurs oprent peut valoriser certains
et dveloppes. On relvera que les capacits cognitives impliques dans la
types dexpertise plutt que dautres. Par exemple, lenvironnement scolaire favo-
crativit ne sont pas toujours mesures dans les tests classiques dintelligence,
rise le dveloppement dexpertise en mathmatiques plutt quune expertise ce qui expliqueles corrlations faibles souvent observes entre les mesures de
interpersonnelle. Un enfant eskimo qui dispose dune expertise pour la pche sera crativit et le QI mais nexclut pas que des capacits cognitives spcifiques
reconnu dans son environnement tandis quen France il risque de ne pas tre puissent jouer un rle important dans le haut potentiel cratif. Certains traits de
spcialement valoris. Lenvironnement social, par le biais des parents, des ensei- personnalit et certains facteurs de motivation contribuent galement la cra-
gnants, ou des responsables de programmes pour les enfants haut potentiel, joue tivit. En particulier, les recherches menes mettent en valeur les traits de prise
un rle important dans la reconnaissance et le dveloppement de lexpertise chez de risque, douverture de nouvelles expriences, dindividualit, de persv-
lenfant. En conclusion, selon Sternberg, le phnomne du haut potentiel est rance, de tolrance lambigut, ainsi que la motivation intrinsque.
reli celui du talent exceptionnel par le processus du dveloppement de
Lenvironnement physique et social de lenfant est un autre facteur influenant le
lexpertise. Lexpertise est, dans la plupart des cas, assez spcifique un champ dveloppement de la crativit. Par exemple, lenvironnement familial peut
dactivit et parfois mme spcifique une tche. apporter une stimulation intellectuelle et un soutien affectif. Concernant
linfluence du milieu scolaire, une tude portant sur 91 personnes cratives (en
littrature, en musique, en commerce, en science), a montr que presque

20 Partie 1 - Se reprer Chapitre 1 21


chaque participant a eu un ou deux enseignants ayant jou un rle important Une tude longitudinale
dans le dveloppement de leur talent, alors que lcole est, de faon gnrale,
dcrite par ces personnes comme ennuyeuse et rpressive (Csikszentmihalyi, Gottfried, Gottfried, Bathurst et Wright-Guerin (1994) ont men une tude lon-
1996). Les recherches sur les conceptions quont les enseignants de llve idal gitudinale sur 130 enfants et leurs familles qui ont t suivis pendant 8 ans. Les
suggrent que ceux-ci valorisent souvent les caractristiques de rapidit, de enfants ont t recruts dans la ville de Fullerton Californie lge de un an.
concentration, dintrt pour les matires acadmiques, dattitude respectueuse Ils ont t test aux ges suivants : 1 an, 1 an et demi, 2 ans, 2 ans et demi,
et de capacit travailler dune manire bien pose aux dpens de celles impli- 3 ans, 3 ans et demi, 5 ans, 6 ans, 7 ans, et 8 ans. A lge de 8 ans, un test
ques dans la crativit et qui vont lencontre des normes. Plusieurs recherches dintelligence (WISC-R) a permis didentifier les enfants QI lev (QI Total >
ont montr comment le milieu culturel influence la quantit de productions cra- 130) au sein de la cohorte, soit 20 enfants avec un QI total dau moins 130
tives ainsi que les champs disciplinaires dans lesquels la crativit est valorise (QI moyen 137,8 ET=5,6), 87 enfants avec un QI infrieur 130 (QI moyen
(Lubart et al, 2003). Par exemple, la prsence dactivits artistiques, littraires 110,9, ET = 10,2) (23 enfants ont quitt ltude). Les auteurs ont ensuite
et scientifiques stimulent la production crative. Les tudes portant sur la crati- procd une comparaison entre ces deux groupes denfants en utilisant les
vit au cours des sicles montrent que la prsence de modles de crativit (par donnes recueillies pendant les huir annes de la recherche. Ils ont constat
exemple, de grands scientifiques et crivains) dans une gnration (g) prdit que le groupe denfants QI lev avait des rsultats suprieurs au groupe
modrment la quantit daccomplissements cratifs dans les gnrations contrle pour les mesures cognitives, notamment pour les comptences linguis-
suivantes (g + 1, g+ 2) dans le mme domaine dactivit (Simonton, 1984). tiques, et ce ds lge dun an et demi. Cependant, ils nont dgag aucun
profil spcifique en rapport avec les capacits intellectuelles permettant de dis-
tinguer les deux groupes, except la meilleure russite scolaire. En effet, les
parents denfants du groupe QI lev ont peru les capacits leves de leurs
3. Le dveloppement du haut potentiel enfants, ds le plus jeune ge lesquels ont mieux russi leur scolarit lcole
lmentaire que les autres. Les enseignants ont aussi remarqu quils taient de
au cours de la vie : tudes empiriques bons lves, se montrant travailleurs. Le groupe QI lev a prsent une plus
forte motivation intrinsque pour lapprentissage et les tches scolaires
a. Lmergence du haut potentiel compar au groupe contrle. Ltude du dveloppement social et conatif (per-
sonnalit) na pas mis en vidence de diffrences entre les deux groupes de
Plusieurs recherches ont commenc explorer les premiers signes manifes-
sujets, lexception dune certaine maturit sociale rapporte par les parents
ts par des enfants haut potentiel et les conditions favorables au dveloppement du groupe denfants QI lev. Lenvironnement familial sest avr plus
de ce potentiel. stimulant pour le groupe denfants QI lev. Le groupe QI lev compar
Les tudes de cas denfants gs de 3 5 ans montrent que leurs parents et leurs au groupe contrle a bnfici, en moyenne, dun contexte familial caractris
enseignants de lcole maternelle tendent noter certaines caractristiques : dve- par un niveau socioprofessionnel suprieur, une implication des parents plus
loppement du langage oral relativement prcoce avec des premiers mots souvent avant importante dans lducation de leur enfant, de plus grandes attentes quant
lge dun an et laccs prcoce la lecture, une grande capacit de mmoire, un esprit leur devenir, une exposition plus importante des activits culturellement et
intellectuellement stimulantes, et enfin une cohsion familiale avec relativement
veill et une vive curiosit, la pense abstraite et des questionnements philoso-
peu de conflits.
phiques , un sens de lobservation ainsi quun sens de lhumour (Harrison, 2004).
Citons ainsi les cas de Ryan qui un an et demi tait capable de montrer correcte-
ment tous les animaux dans un livre (32 au total), Nicole qui a mmoris deux ans Concernant le dveloppement du talent, Bloom (1985), dans une tude des
presque chaque phrase dans une dizaine de livres enfantins, et Hattie qui a formul facteurs contribuant des accomplissements exceptionnels dans diffrents champs
trois ans des thories sur la vie et la mort, avanant que lesprit humain tait assi- (mathmatiques, sciences, arts plastiques, musique, et sports), a trouv que les
milable celui des oiseaux. Certaines enqutes concernant les enfants amens par parents et les enseignants avaient reconnu le potentiel des enfants dans un contexte
leurs parents avant lge de cinq ans dans les centres didentification du haut poten- ludique et que ceux-ci ont apport un environnement permettant le dveloppe-
tiel constatent que plus de 40 % de ces enfants montrent, en effet, des capacits ment de ce potentiel. Dautres recherches, comme ltude approfondie de Feldman
exceptionnelles selon des critres objectifs tels quun test du QI (Robinson, 1987). et Goldsmith (1991), montrent que le soutien parental est un facteur trs

22 Partie 1 - Se reprer Chapitre 1 23


important dans les cas denfants prodiges, avec un investissement important dans sur la possibilit de transformer un haut potentiel acadmique valoris
le dveloppement de lenfant pouvant impliquer, par exemple, le dmagement de chez lenfant en haut potentiel cratif , valoris chez ladulte.
la famille dans le but de se rapprocher dune cole spcialise. Le troisime rsultat concerne limportance des facteurs conatifs, notam-
ment les traits de personnalit. Terman et Oden (1959) ont compar les
b. Le devenir des enfants haut potentiel 150 sujets qui avaient le mieux russi leur vie professionnelle aux 150 sujets
Une des questions importantes qui est souvent pose propos des enfants qui lavaient le moins bien russie. Ils nont pas observ de diffrence au
haut potentiel est celle de leur devenir. Une fois identifis est-ce que ces enfants plan du QI. Par contre, compar au second groupe, le premier groupe se
dexception deviennent des adultes galement exceptionnels ? En 1922, Terman caractrise par certains traits de personnalit (ambition, confiance en soi,
commena une tude longitudinale afin de dcouvrir les caractristiques et le persvrance dans la poursuite des buts, intgration des objectifs fixs) et
devenir de 1528 enfants (671 filles, 857 garons) slectionnes par leurs scores par un niveau dducation familiale et socioconomique suprieur. Une
au test du QI (Terman, 1925)1. Terman a dabord demand aux enseignants des des conclusions de ces travaux est que lintelligence est certes importante
coles de Californie didentifier les trois enfants les plus intelligents de leurs mais qugalement un environnement familial et scolaire ainsi quune moti-
classes ainsi que lenfant le plus jeune de la classe et celui qui a le mieux russi vation russir sont des facteurs essentiels de russite.
lanne scolaire prcdente. Le QI de ces enfants a t mesur au moyen du test Les rsultats de Terman et de ses collaborateurs font cho aux rsultats de
Stanford-Binet. Les lves ayant un QI dau moins 135, cest--dire plus de recherches plus rcentes. Par exemple, Subotnik (2003) a tudi 250 personnes
deux carts-types suprieurs au QI moyen, ont fait partie de ltude. Le QI ges de 30 50 ans ayant frquent une cole lmentaire pour enfants haut
moyen de lchantillon ainsi constitu tait de 150 (QI de 135 200) et un ge potentiel pendant leur enfance. Il savre quelles ne prsentent pas daccomplis-
moyen de 11 ans au dbut de ltude. Un groupe tmoin denfants (n=600) qui sements exceptionnels. Goldsmith (2000), dans une srie dtudes de cas, constate
ntaient pas identifis par leurs professeurs a t galement tudi mais na pas que la plupart des enfants exceptionnels reviennent la normalit au cours de
fait lobjet dun suivi longitudinal comme pour les enfants QI lev. leur dveloppement. De son ct, Freeman (2001) a tudi longitudinalement
Trois rsultats majeurs se dgagent de cette tude : (pendant 27 ans) 70 enfants identifis comme dous ( gifted ) par leurs parents
qui taient affilis une association britannique pour familles ayant un enfant
Dans lensemble, les sujets ont eu une bonne russite scolaire (environ
dou. Chez ces enfants, elle a identifi cinq types de parcours de dveloppement.
70 % dentre eux ont obtenu des diplmes suprieurs)2. Par ailleurs, ils ont
Un premier groupe denfants a dvelopp une expertise dans un champ profes-
exerc des professions telles que mdecin, avocat, professeur ou ingnieur
sionnel spcifique (mdecine, droit, musique, etc). Un second groupe denfants
et ont t des membres respects dans leur domaine. Daprs eux, leur vie
a t marqu vie par le label gifted au point que cest devenu pour eux
professionnelle et familiale tait stable et heureuse.
une sorte de mtier en soi, leur sujet de conversation privilgi et leur raison
tant donn la nature hors du commun de leur QI, relativement peu de dtre. Un troisime groupe a rencontr des difficults, voire des checs scolaires.
ces sujets ont eu des accomplissements exceptionnels. Ils se caractrisent Un quatrime groupe na pas obtenu de rsultats suffisamment levs au test du
cependant par une tendance devenir trs comptents, experts dans un QI pour tre maintenus dans le groupe denfants exceptionnels. Le cinquime
champ professionnel donn. Ceci rejoint une observation faite par Winner groupe, le plus rare, est compos de sujets ayant fait preuve daccomplissements
(2000) o elle relve quun enfant exceptionnel a parfois tendance rester notables et de crativit dans leur champ professionnel.
fig dans ses comptences. Elle cite ainsi lexemple dune fillette de six ans
qui tait capable de multiplier des chiffres impressionnants et de rsoudre
des quations algbriques complexes dans sa tte. Elle recevait beaucoup Conclusion
dattention ce sujet de la part de son entourage mais, plus tard, elle na
pas russi inventer de nouveaux concepts ou rsoudre des problmes Ce chapitre a prsent diverses conceptions de lexceptionnalit chez lenfant.
susceptibles de faire avancer ltude de mathmatiques. En restant dans le Nous avons cherch mettre en valeur les divergences et les points communs
champ de leurs comptences, de tels sujets deviennent plus tard comp- concernant les dfinitions, la comprhension des sources du haut potentiel et
table, ingnieur, ou professeur de mathmatiques. De tels faits interrogent du talent, ainsi que les tendances dveloppementales. Cette vue densemble,

24 Partie 1 - Se reprer Chapitre 1 25


dans une perspective gnraliste , sera complte dans le prochain chapitre FELDMAN, D. H. et GOLDSMITH, L. T. (1991). Natures gambit : Child prodigies
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1. Il sest avr ultrieurement que cette recherche prsentait certains problmes
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2. La faiblesse de ce pourcentage sexplique par le fait quune proportion de femmes Association.
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(pp.117-121). Rennes, Presses Universitaires de Rennes.

28 Partie 1 - Se reprer Chapitre 1 29


Chapitre 2 1. Les diffrences individuelles comme base
des thories de lintelligence
Les diffrences individuelles peuvent constituer la base de certaines thories
de lintelligence. En intgrant au niveau conceptuel lide que des individus diff-
rents peuvent avoir des aptitudes ou des domaines de comptences spcifiques, les

Les diffrences auteurs de ces thories remettent en question les modles moyens fonds sur la
notion dintelligence gnrale. Auprs des spcialistes des enfants haut poten-
tiel, la thorie des intelligences multiples de Gardner (1997, 2004) rencontre
individuelles chez les un succs certain et permet dillustrer cette conception pluraliste de lintelli-
gence. Gardner dcrit huit formes dintelligence indpendantes les unes des

enfants haut potentiel autres. Selon lui, les apprentissages scolaires classiques font essentiellement appel
lintelligence verbo-linguistique et lintelligence logico-mathmatique au dtri-
ment des autres formes, ce qui pourrait masquer lexistence de haut potentiel
dans dautres domaines dexpression de lintelligence.
1. Intelligence Verbo-linguistique : il sagit de la capacit utiliser efficace-
Les enfants haut potentiel ne forment pas un groupe homogne, cette consta- ment les mots. Cette forme dintelligence sexprime dans des activits
tation doit souvent tre rappele car aucune liste de caractristiques ou dhabilets telles que la lecture, lexpression orale ou crite.
ne peut prtendre dcrire tous ces enfants sans exception. Les spcialistes les plus 2. Intelligence Logico-mathmatique : au-del de laptitude mathmatique, il sagit
prudents ou les plus expriments associent aux listes descriptives quils diffusent de la capacit utiliser efficacement les nombres mais aussi percevoir les
une mention prcisant quen raison dune variabilit inter-individuelle impor- relations logiques et les rgularits dans des ensembles abstraits ou physiques.
tante, un enfant haut potentiel peut ne possder ou ne manifester que certaines
des caractristiques numres. Mme si, lexception de certains enfants sous- 3. Intelligence Visuo-spatiale : il sagit de la capacit visualiser , crer et trans-
ralisateurs1 (voir chapitre 10), on constate un niveau lev de performance dans un former mentalement des informations, mais aussi savoir utiliser lespace
ou plusieurs domaines, dimportantes diffrences quantitatives et qualitatives exis- et sorienter dans son propre environnement.
tent dun enfant lautre et doivent tre prises en compte. 4. Intelligence Musicale-rythmique : il sagit de la capacit percevoir, distin-
guer, transformer et exprimer des formes musicales.
Trois grandes formes de diffrences seront exposes dans ce chapitre. La
5. Intelligence Corporelle-kinesthsique : il sagit de la capacit se servir de son
premire est consacre aux diffrences inter-individuelles dont ltude peut conduire
propre corps pour exprimer des ides, pour fabriquer des objets ou dve-
des typologies certes rductrices mais qui fournissent de prcieuses informations
lopper des aptitudes physiques. Cette forme dintelligence dcrit galement
sur les caractristiques des enfants haut potentiel. Dans une seconde partie, les
des habilets telles que la coordination des mouvements ou la dextrit.
diffrences intra-individuelles seront abordes. Mme si leur tude est difficile,
lhtrognit des performances observes chez un mme individu a fait lobjet 6. Intelligence Interpersonnelle : il sagit de la capacit percevoir et distin-
de quelques travaux bass notamment sur lanalyse des scores aux chelles de guer les humeurs, les intentions, les motivations et les sentiments dautrui.
Wechsler. Nous terminerons par la prsentation de diffrences inter-groupes illus- 7. Intelligence Intrapersonnelle : il sagit de la capacit se comprendre soi-
tres par les comparaisons entre filles et garons et des tudes inter-culturelles. mme et de sadapter en fonction de cette connaissance.
Pralablement, nous aborderons deux points fondamentaux : la prise en compte
8. Intelligence Naturaliste : Cette forme dintelligence est dfinie comme la
des diffrences individuelles dans llaboration de thories de lintelligence et la
capacit explorer et apprcier diffrents aspects de la flore et de la faune,
question de lorigine des diffrences individuelles dans le domaine de lintelligence.
diffrentes facettes du monde.

30 Partie 1 - Se reprer Chapitre 2 31


Pour laborer sa thorie et identifier ces huit formes dintelligence, Gardner dterminer ensuite si ce qui diffrencie les groupes peut expliquer les diffrences
a travaill principalement partir dtudes de cas et danalyses biographiques inter-individuelles observes. Les conclusions tires de ces tudes sont gnrali-
de personnalits telles que Mozart, Freud ou Gandhi. La reconnaissance de sables tous les niveaux dintelligence, y compris celui du haut potentiel.
lexistence de nombreuses diffrences inter-individuelles dans la nature du haut
a. La mthode des jumeaux
potentiel va dans le sens de cette approche thorique. Le fait quun individu
puisse manifester des dispositions hors normes dans un domaine unique sans La forme la plus classique de cette mthode consiste comparer des groupes
avoir de performances remarquables par ailleurs constitue un argument fort en de jumeaux monozygotes (MZ) et des groupes de jumeaux dizygotes (DZ). Lorsque
faveur de lindpendance de ces huit formes dintelligence, ce que Gardner a cette comparaison est ralise sur la base du Q.I., il apparat que les performances
trs bien su utiliser pour tayer sa thorie des intelligences multiples. obtenues par les jumeaux monozygotes se ressemblent davantage que celles des
Actuellement, on peut simplement regretter que lapproche mthodologique jumeaux dizygotes. Dans une revue de la littrature trs complte (Loehlin, 1989),
adopte par Gardner limite la porte scientifique de sa thorie et sa mise en lauteur indique que la mdiane des coefficients de corrlation intra-classe est gale
application grande chelle dans le cadre de lidentification des enfants haut 0,86 chez les MZ, alors quelle est de 0,60 chez les DZ. A premire vue, il semble-
potentiel. Nanmoins, cette conception du haut potentiel a fait lobjet de rait que plus la proximit gntique est leve plus les performances aux tests
quelques tentatives doprationnalisation ralises notamment par June Maker dintelligence sont lies. Cependant il convient de prciser que proximit gntique
dans le cadre dun programme ducatif intitul DISCOVER ou par le Ministre et proximit environnementale ne sont pas des caractristiques totalement distinctes.
de lducation de la province de lAlberta au Canada travers le programme Sur quelques tudes ralises sur des fratries de jumeaux monozygotes levs spa-
Alberta Learning. Ce dernier programme a donn lieu llaboration dun ques- rment, on observe une mdiane des corrlations gale 0,78 (Plomin et al., 1999).
tionnaire didentification bas, entre autres, sur la thorie de Gardner. Cest Mais ces dernires tudes sont souvent ralises sur des effectifs faibles et certains
notre connaissance, un des seuls outils construits directement partir de la tho- biais possibles comme lge de la sparation ntant pas toujours pris en compte, il
rie des intelligences multiples, mais ce jour aucune donne psychomtrique convient de relativiser ce dernier rsultat.
na t publie son sujet.
Les jumeaux monozygotes sont issus de la division dun ovule fcond par un
2. Origine des diffrences individuelles spermatozode. Ces individus disposent donc du mme patrimoine gntique.
Les jumeaux dizygotes sont issus de deux ovules diffrents fconds chacun
Ds que lon parle de lintelligence, il est rare que la question de son origine ne par un spermatozode. Chez ces jumeaux, la proportion de patrimoine gn-
soit pas pose : est-elle inne, est-elle acquise? Nat-on avec un haut potentiel tique commun est quivalente celle dune fratrie non gmellaire.
intellectuel, en hrite-t-on comme de la couleur de nos yeux ou bien les caract- Il est noter que cette catgorisation peut tre affine. On peut, par exemple,
ristiques de notre environnement expliquent-elles les diffrences dintelligence entre diffrencier plusieurs types de jumeaux monozygotes selon quils partagent ou
les individus ? Depuis des sicles ces questions font dbat mais, depuis plusieurs non le mme sac amniotique ou quils partagent ou non le mme chorion
dcennies, des donnes scientifiques fournissent des lments de rponse, mme si (Leroy, 1995). Mais si cette typologie est prise en compte dans les recherches
leur lecture diffre parfois selon les courants thoriques. Il est ncessaire de prci- les plus rcentes, elle napparat pas dans les tudes classiques cites dans le
ser que nous sommes encore loin davoir identifi le ou les gnes de lintelligence cadre de ltude de lorigine des diffrences individuelles.
tant les relations entre les gnes et leur expression sont complexes (cf. Carlier, 2001).
Et quand bien mme cette qute du gne dun concept dont la dfinition est loin b. La mthode des adoptions
dtre consensuelle aurait un sens, cela ne suffirait certainement pas rpondre
La mthode des adoptions a pour objectif dtudier si le changement envi-
la question du poids respectif de lhrdit et de lenvironnement dans le dvelop-
ronnemental vcu par les enfants adopts manifeste un effet sur le
pement de lintelligence.
dveloppement de leur intelligence. Ces tudes trs lourdes sont nettement
Les deux principales mthodes utilises sont la mthode des jumeaux et la moins nombreuses que celles ralises avec la mthode des jumeaux, sans doute
mthode des adoptions. Ces deux mthodes consistent comparer des groupes parce que leur ralisation ncessite des prcautions mthodologiques consid-
particuliers sur des variables comme les performances aux tests dintelligence et rables telles que la prise en compte de lge de la sparation, de celui de

32 Partie 1 - Se reprer Chapitre 2 33


ladoption ou encore lidentification des caractristiques socio-culturelles des
Ces tests comportent des preuves de nature verbale et des preuves non
milieux. Aux Etats-Unis, les recherches de Scarr et Weinberg sont parmi les
verbales. Lchelle verbale comporte les subtests Information, Similitudes,
plus connues. Ces chercheurs ont montr plusieurs reprises que le fait dvoluer Arithmtique, Vocabulaire, Comprhension. Il est possible dajouter une
dans un milieu adoptif plus favoris que le milieu biologique sur le plan socio- preuve facultative appele Mmoire des Chiffres . Les scores obtenus ces
ducatif se traduisait par des performances aux tests dintelligence suprieures preuves permettent le calcul du QIV (Quotient Intellectuel Verbal).
la moyenne du groupe dorigine. En France, Schiff et col. (1978) ont ralis
une tude comparant des enfants, ns dans un milieu socialement dfavoris et Les preuves non verbales sont regroupes dans lchelle Performance :
adopts dans un milieu social favoris, leur frres ou surs rests dans leur Compltement dimages, Code, Arrangement dimages, Cubes, Assemblage
milieu dorigine. Les diffrentes mesures ralises (QI et russite scolaire) indi- dobjets. Les preuves symboles et labyrinthes sont facultatives. Cette
chelle permet le calcul dun QIP (Quotient Intellectuel Performance) .
quent que la diffrence moyenne entre les Q.I. tait de lordre de 12 points et
que le taux dchec scolaire, valu par le nombre de redoublements, est bien Le QI Total est dtermin partir des scores lensemble des subtests non facul-
infrieur chez les enfants adopts. Ces rsultats montrent leffet des facteurs tatifs. Cependant les versions rcentes des Echelles de Wechsler tiennent compte
environnementaux sur le dveloppement de lintelligence mesure par le QI. de lvolution des modles de lintelligence et des mthodes danalyse. Par
exemple, le WISC-IV permet, en partant de certains subtests, de recueillir les
c. Autres sources dinformations indices suivants : Indice de Comprhension Verbale (ICV), Indice de
Raisonnement perceptif (IRP), Indice de Mmoire de Travail (IMT) et Indice de
Mme si la mthode des jumeaux et la mthode des adoptions sont les plus Vitesse de traitement (IVT).
utilises, dautres sources dinformation nous renseignent sur le lien entre
intelligence et facteurs environnementaux. Plusieurs tudes de grande ampleur
menes par des organismes tels que lINED (Institut National dEtudes Dans une autre tude ralise par lINETOP sur un chantillon de 10 000
Dmographiques) ou lINETOP (Institut National dEtude du Travail et de collgiens de 3me, plusieurs tests ont t administrs parmi lesquels les PMA2
lOrientation Professionnelle), mettent en vidence un lien entre la catgorie [AWBI] de Thurstone. Les rsultats indiquent un effet de la catgorie socio-
socioprofessionnelle des familles et certaines mesures dintelligence. La mthode professionnelle (CSP) des parents variable selon la nature de laptitude mesure,
utilise consiste administrer des tests dintelligence gnrale ou des tests laptitude verbale tant la plus sensible au milieu dorigine. Ce rsultat confirm
daptitude des chantillons de trs grande taille, reprsentatifs de la popula- par dautres tudes contribue relativiser les rsultats obtenus uniquement
tion des lves de 6 14 ans. Les rsultats indiquent quen moyenne, les rsultats partir de tests verbaux. On ne peut en effet considrer que la mesure effectue
des enfants varient selon le niveau socio-conomique des parents. Par exemple, est pure , au sens o elle nvaluerait quun potentiel, puisque la performance
la diffrence de Q.I. moyen va de 93,5 chez les enfants douvriers agricoles est sensible aux caractristiques du milieu socio-conomique.
111,5 chez les enfants de cadres suprieurs (Vallot, 1973), soit un cart de
18 points. Catgorie
Aptitude Aptitude Aptitude
Socio conomique
Verbale Numrique Spatiale
Depuis 1939, le dveloppement des chelles de Wechsler na pas cess. Il des parents
existe actuellement 3 versions rgulirement rvises et r-talonnes : Professions librales 31.8 16.68 23.14
Wechsler Pre-School and Primary Scale of Intelligence (WPPSI), destine aux Contrematres /
29.37 16.47 22.17
enfants g de 3 7 ans. La version WPPSI-III a t rvise en 2004. Commerants-artisans

Wechsler Intelligence Scale for Children (WISC), destine aux enfants de 6 16


Ouvriers 28.06 16.43 21.54
ans. La dernire version appele WISC-IV a t dite en 2005.
En 1978, Tuma et col. ont compar deux groupes denfants apparis sur des
Wechsler Intelligence Scale for Adults (WAIS), destine aux adultes. La dernire variables comme lcole frquente, lorigine ethnique, lge et le sexe : un groupe
version a t dite en 2000, il sagit de la WAIS-III. denfants issus de classes sociales conomiquement favorises et un groupe

34 Partie 1 - Se reprer Chapitre 2 35


denfants issus de classes sociales conomiquement dfavorises. Les mesures (1) Groupe 1 : enfants potentiel normal (QIT compris entre 105 et 131)
ont t ralises partir du WISC et du WISC-R. Ltendue des valeurs de QI (2) Groupe 2 : enfants haut potentiel modr ou lev (QIT compris entre
Total observes vont de 67 118 dans le groupe dfavoris et de 108 152 dans 132 et 163)
le groupe favoris. Les QI moyens diffrent de presque 30 points pour lchelle
(3) Groupe 3 : enfants Trs Haut Potentiel (QIT suprieur 164).
Verbale et 20 points pour lchelle Performance. Mme si, du fait de la taille
rduite de lchantillon (N = 36), cette tude a une porte limite, les rsultats laide de questionnaires, les auteurs de ltude ont demand aux parents
vont dans le sens de ceux obtenus dans des enqutes de grande ampleur. quels indices les avaient amens penser que leur enfant tait intellectuellement
prcoce. Les patterns de rponses savrent presque identiques pour les deux
Lexistence de ces diffrences particulirement marques dans les tests de
premiers groupes : une excellente mmoire, des capacits langagires dvelop-
nature verbale ou support verbal ont conduit llaboration de tests non-
pes, lutilisation de la pense abstraite sont massivement voqus par les parents.
verbaux qui sont moins influencs par des variables environnementales comme
Les parents des enfants trs haut potentiel voquent galement ces trois indices,
le niveau socio-conomique des familles. Dans le cadre de lidentification des
mais soulignent aussi avoir remarqu que leur enfant possdait des connais-
enfants haut potentiel dans lobjectif dintgrer des programmes ducatifs
sances trs pousses dans un ou des domaines spcifiques, ce qui tait inattendu
spcifiques, les spcialistes privilgient une approche multivarie o le QI nest
compte tenu de lge de leur enfant . Une autre diffrence apparat au niveau de
pas le seul indicateur , mais o diffrentes sources dinformations sont prises en
la capacit couter les autres et prendre en compte leurs ides, les parents
compte (questionnaires aux parents, enseignants, pairs, projet personnel, etc.).
des enfants trs haut potentiel nvoquant jamais cet aspect alors quil est
prsent dans les rponses des parents des deux autres groupes.
3. Diffrences inter-individuelles
b. Typologies des enfants haut potentiel
a. Diffrences entre niveaux de haut potentiel Quelques typologies des enfants haut potentiel sont proposes dans la litt-
Chez les enfants haut potentiel, ltude quantitative des variations de rature, particulirement dans le domaine de lducation, o de nombreux
performances aux tests dintelligence nest pas sans intrt. Effectivement, la programmes ducatifs prennent en compte ces diffrences individuelles ds
limite pour dfinir le haut potentiel peut varier selon les tudes mais le critre ltape de lidentification.
gnralement admis correspond un QIT suprieur 130 (soit 2 cart-types au
Raisonnement convergent et raisonnement divergent
dessus de la moyenne). Partant de l, on peut distinguer des sous-groupes
dindividus prsentant des diffrences individuelles importantes. Meeker (1979) propose de diffrencier les lves selon quils privilgient le
raisonnement divergent ou le raisonnement convergent. La classification des
Normes communment admises dans la littrature caractristiques prsentes dans le tableau ci-dessous est videmment rduc-
pour dsigner les diffrents niveaux de haut potentiel trice ; de mme certaines distinctions pourraient tre interprtes dans un autre
cadre thorique, comme celui des styles cognitifs. Dans certains pays, comme le
Q.I.T. compris entre 115 et 129 Lgre supriorit Canada, cette typologie est utilise pour lintgration denfants dans des
Q.I.T. compris entre 130 et 144 Haut Potentiel modr programmes ducatifs spcifiques, une identification base uniquement sur les
Q.I.T. compris entre 145 et 159 Haut potentiel lev tests dintelligence tant rpute favoriser les enfants haut potentiel qui privi-
lgient le raisonnement convergent.
Q.I.T. suprieur 160 Trs Haut Potentiel
Profils scolaires

Pour identifier ces diffrences en dehors du contexte de lvaluation psycho- Betts et Kercher (1999) soulignent limportance de prendre en compte les
mtrique, McGuffog et col. (1987) ont constitu trois groupes denfants tests diffrences individuelles dans le contexte scolaire. Selon ces auteurs, la variabi-
la demande de leurs parents. Ces derniers pensaient tous que leur enfant avait lit individuelle observe chez les enfants haut potentiel pourrait conduire
un haut potentiel intellectuel : des erreurs didentification ou bien une reprsentation rductrice du haut

36 Partie 1 - Se reprer Chapitre 2 37


Type 1 : lves haut potentiel performant. Cette catgorie reprsenterait la
Liste de caractristiques en fonction du type majorit des enfants haut potentiel. Plus prcisment, daprs les auteurs,
de raisonnement privilgi (daprs Meeker, 1979) 90 % des enfants haut potentiel identifis correspondraient cette dfi-
nition. Il sagit denfants ayant un niveau de russite scolaire lev, plutt
Elves qui privilgient le raisonnement divergent conformistes et perfectionnistes.
sensibilit lgard des personnes et des problmes Type 2 : lves haut potentiel cratifs et extravertis. Outre un niveau de
crativit lev, ces enfants se caractrisent par une attitude non confor-
rapidit dans la conception dides ; ides nombreuses
miste qui peut se traduire par des relations difficiles avec les adultes.
rapidit verbaliser et rcuprer des ides
Type 3 : lves haut potentiel inhibs. Daprs Betts, ces lves font le choix
rapidit ragir et sadapter au changement
de cacher leurs capacits exceptionnelles quils considrent comme tant
souplesse vis vis des concepts abstraits un facteur de mauvaise intgration sociale. Ils manifestent souvent une
grande curiosit envers des sujets varis mauvaise estime de soi.
facilit redfinir des problmes Type 4 : lves sous-ralisateurs. Ces enfants se caractriseraient par un dsin-
grande nergie et forte persvrance trt voire une phobie vis vis de lcole. Ils possdent une estime de soi
originalit quant aux rponses humoristiques trs faible et ont beaucoup de difficults fonctionner dans un groupe. On
habilet exceptionnelle laborer des rponses trouverait dans cette catgorie beaucoup plus de garons que de filles.
facilit dlaboration de concepts et de dductions correctes Type 5 : lves haut potentiel prsentant des troubles. Les troubles manifests
rapidit transformer de linformation en reprsentations graphiques par ces enfants peuvent concerner la sphre affective ou bien les appren-
tissages. Les auteurs de cette typologie relvent que ces enfants craignent
originalit dans la rsolution de problmes inhabituels
les situations dchec et prfrent souvent ne pas aller au bout des tches
habilet synthtiser linformation
effectues. Leur niveau de motivation est plutt faible.
motivation seulement quand le sujet prsente de lintrt pour llve
Type 6 : lves haut potentiel autonomes. Ces enfants se caractrisent par
Elves qui privilgient le raisonnement convergent une grande indpendance, le got du risque et une capacit apprendre par
eux-mmes en utilisant des ressources varies. Leur estime de soi est trs
mmoire exceptionnelle et rapide
leve et leur intgration sociale est excellente.
prfrence pour le travail individuel
satisfaction rsoudre des problmes mme avec des mthodes imprcises Aptitudes dominantes : aptitude verbale ou aptitude spatiale
motivation, mme si les sujets ne les intressent pas vraiment Chez les enfants haut potentiel intellectuel trs performants sur le plan
respect et acceptation de lautorit scolaire, on constate frquemment que les profils daptitude sont htrognes
intrt pour les matires scolaires et, quentre autres, les niveaux de performance verbale et spatiale sont contras-
ts (Benbow et Minor,1990). Les donnes bibliographiques dont nous disposons
intrt pour les activits extra-scolaires
au sujet de certaines personnalits illustrent cette mme tendance. Mann (2005)
habilets valuer et choisir les meilleures options cite les exemples dEinstein dont les biographes soulignent quil na parl qu
prfrence pour des situations o les actions sont immdiatemment suivies de lge de 4 ans, dEdison ou Rodin qui ont connu des checs scolaires retentis-
rponses. sants ou encore de Picasso qui rencontrait dimportantes difficults dans le
domaine verbal crit. Shurkin (1992) voque les cas de William Shockley et
potentiel. La typologie quils proposent est base sur le degr de russite scolaire, Luis Alvarez qui nont pas t retenus par Terman pour sa clbre tude longi-
des facteurs de personnalit et sur certaines caractristiques dapprentissage. Six tudinale sur les surdous en raison de leurs rsultats insuffisants aux tests
profils scolaires sont ainsi dgags : didentification. Prcisons que Terman utilisait des tests o le poids du facteur

38 Partie 1 - Se reprer Chapitre 2 39


verbal tait massif (comme le Standford-Binet) et que ces deux recals ont
obtenu le Prix Nobel de Physique : Shockley, en 1956 et Alvarez, en 1968. Manipule avec facilit A du mal apprendre par cur
les reprsentations visuelles

Laptitude spatiale est dfinie par Thurstone (1958) comme laptitude se Cratif Est mal laise sur le plan social
reprsenter des objets dans deux ou trois dimensions. Elle peut tre mieux Matrise bien les concepts Matrise mal la communication
dcrite comme laptitude imaginer comment un objet ou un dessin appara- mathmatiques verbale
tra lorsquil aura subi une rotation, et saisir les relations spatiales dun arran-
gement dobjets . Cette aptitude est en ralit plus complexe, elle englobe
Utilise efficacement Est mal laise avec les
les mtaphores rgles de composition acadmique
la fois la capacit manipuler visuellement des objets ou traiter des infor-
mations visuelles et la capacit comprendre des relations entre des objets ou A une bonne comprhension Peut avoir des faiblesses
des ensembles dobjets. en lecture en arithmtique

Laptitude Verbale est dfinie par Thurstone comme laptitude comprendre Possde une imagination vive Ne sait pas tre concis lorsquil
sexprime oralement
des ides exprimes par des mots . Cette aptitude peut tre mesure partir
de tches de vocabulaire, de dcouverte de synonymes ou de compltement de Connat les proprits et prouve des difficults pour
phrases. Elle dcrit lhabilet traiter efficacement des informations de nature les modles de la physique transcrire des histoires sous forme
verbale. crite

Certains spcialistes considrent que laptitude verbale est survalue dans Labsence de prise en compte de ce contraste entre niveau daptitude verbale
les apprentissages scolaires et joue un rle trop important dans les procdures et niveau daptitude spatiale peut avoir pour consquence de considrer que
didentification des enfants haut potentiel ce qui pnalise les enfants qui poss- certains enfants haut potentiel ont des difficults dapprentissage alors quen
dent une aptitude spatiale trs dveloppe et un faible niveau daptitude verbale. ralit ils possdent tout simplement un style dapprentissage diffrent
Pourtant, laptitude spatiale joue un rle vident dans certains domaines scolaires (Silverman, 1989).
comme les mathmatiques, la chimie ou la physique. De ce fait, les diffrences
individuelles font lobjet dtudes spcifiques destines identifier les caract-
ristiques des enfants ayant un haut potentiel en terme daptitude spatiale. A
4. Diffrences intra-individuelles
partir de la synthse de plusieurs tudes amricaines, Mann (2005) propose un
La variabilit intra-individuelle dcrit lhtrognit des performances dun
inventaire des champs o les enfants dominante spatiale prsentent des
mme individu, elle peut tre dordre quantitatif comme dordre qualitatif. Son
faiblesses et des points forts.
existence et limportance de ses manifestations soulignent limpossibilit de
considrer les enfants haut potentiel comme un groupe homogne.
Caractristiques des enfants haut potentiel
dans le domaine spatial (Traduit de Mann, 2005) a. Les dyssynchronies ou asynchronies
Points forts Points faibles Ces termes dsignent le dcalage observ chez de nombreux enfants haut
potentiel entre le dveloppement intellectuel, le dveloppement psychomoteur
Saisit facilement les relations A des difficults pour traiter des et le dveloppement socio-affectif. De nombreux spcialistes considrent ces
entre des ensembles informations isoles
dcalages dveloppementaux comme une caractristique de cette population.
Trs laise avec des savoirs A du mal avec les savoirs basiques Dans ses travaux, Terrassier (1981) distingue la dysynchronie interne qui
complexes ou trop simples
concerne avant tout la sphre cognitive et ses articulations avec la motricit ou
Possde une excellente mmoire Peut sembler rveur laffectivit, de la dysynchronie sociale qui se manifeste dans les relations de
pour des informations spcialises lenfant avec son entourage (parents, enseignants, pairs). Terrassier souligne que

40 partie 1 : Chapitre 2 41
les dysynchronies ont des effets importants sur les apprentissages scolaires. Clampit en concluent que cette variabilit intra-individuelle ne doit donc pas
Lexemple le plus souvent cit tant celui du dcalage entre lge assez prcoce tre considre comme rare chez les enfants haut potentiel intellectuel et ne
dapprentissage de la lecture chez les enfants haut potentiel et celui plus tardif doit pas ncessairement tre associe une quelconque pathologie.
de la matrise de lcriture, cette dernire activit faisant appel des habilets Dautres tudes comme celle de Hollinger et Kosek (1986) confirment et
motrices qui apparaissent plus tard dans le dveloppement. enrichissent ces rsultats. Leur tude porte sur un chantillon de 26 enfants
Chez certains enfants, ces dcalages entranent galement une vulnrabilit dont le QI Total est suprieur 130. Ils observent que chez 34 % des enfants,
socio-affective difficile grer pour eux mais aussi pour leur entourage car leur il existe un cart significatif entre les deux chelles. Cependant, la nature de cet
importance varie beaucoup selon les situations et implique des ajustements cart varie selon les enfants, dans 15 % des cas le QI Verbal est suprieur au QI
frquents de la part des enseignants ou des membres de la famille (Morelock, Performance alors que dans 19 % des cas, linverse est observ.
1992). Des adaptations de nature psycho-sociale sont alors ncessaires pour que
les asynchronies ne deviennent pas une source de problmes psychologiques
Les talonnages
particulirement marqus ladolescence (Alsop, 2003).
Les talonnages sont des techniques qui permettent dtablir des normes pour
b. Diffrences intra-individuelles observes partir des scores pouvoir comparer la performance dun individu celles de son groupe, ou bien
aux chelles de Wechsler comparer des rsultats obtenus par un mme individu mais des tests diffrents.
Sans talonnage, on ne peut interprter un rsultat brut obtenu dans un test.
cart entre QI Verbal et QI Performance
La dmarche gnrale des talonnages comporte les tapes suivantes :
Parmi les tests dintelligence gnrale les plus utiliss pour identifier le haut
potentiel, on trouve les chelles de Wechsler et particulirement le W.I.S.C. 1. recueil de rsultats sur un groupe dindividus reprsentatif de la population
adapt aux enfants dge scolaire (de 6 16ans). Ces outils prsentent la parti- gnrale. Cette notion de reprsentativit est fondamentale dans le cadre dune
cularit de mesurer distinctement un QI Verbal (QIV) et un QI Performance dmarche comparative. Lorsquun test comme le W.I.S.C. est talonn, le
groupe utilis pour construire les normes comporte un pourcentage de filles et
(QIP). Le calcul du QI Total qui sert de trs souvent dindicateur du haut poten-
de garons identique celui observ dans la population gnrale ; on contrle
tiel ntant thoriquement possible que si lcart observ entre QIV et QIP
galement que tous les ges sont reprsents. Dautres variables peuvent tre
nexcde pas une certaine valeur (12 points). Au del de cette valeur, on considre prises en compte si on estime quelles psent sur les performances, par exemple
que le fonctionnement cognitif nest pas homogne et que le calcul dun indice la profession et la catgorie sociale du chef de famille. Les talonnages vieillis-
global na pas de sens. Chez les enfants haut potentiel, un cart de cette impor- sent et il est ncessaire de les refaire rgulirement, certains phnomnes
tance, voire suprieur, nest pas systmatiquement constat. Cependant, il est trs comme leffet Flynn (voir le chapitre 3 dans cet ouvrage) pouvant fausser leur
souvent soulign et mme parfois prsent comme une caractristique des enfants lecture et leur interprtation.
haut potentiel (Mueller, Dash, Matheson et Short, 1984), ce qui est discutable.
2. ordonner les performances obtenues et construire des classes en nombre plus
Afin dtudier la frquence dobservation dcarts significatifs entre QI Verbal ou moins important selon le degr de diffrenciation des niveaux que lon sou-
et QI Performance selon les niveaux de performance, Silver et Clampit (1990) haite obtenir.
ont utilis les donnes des talonnages amricains du WISC-R. cette occa-
sion, un chantillon reprsentatif de 2200 enfants gs de 6,5 16,5 ans a t Techniquement, on distingue les talonnages normaliss et les quantilages,
constitu, ce qui reprsente une base de donnes tout fait considrable. La appels galement talonnages rectangulaires. Les talonnages normaliss sont
mthode utilise par ces auteurs consiste comparer la frquence dobservation raliss en construisant des classes dont les limites sont dfinies partir de
dcarts significatifs selon le QI Total. Leurs rsultats indiquent que, en compa- proportions dfinies grce la table de la loi normale (par exemple : pour un
talonnage normalis en 5 classes, les proportions sont de 6,7%, 24,15%,
raison avec ce qui est observ dans les sous-groupes ayant un QI Total moyen,
38,30%, 24,15 % et 6,7%). On obtient ainsi des talonnages qui discriminent
cette frquence est quatre fois plus leve chez les enfants avec un QIT sup-
finement les groupes extrmes et regroupent dans une classe moyenne un effec-
rieur 130, et cinq fois chez les enfants avec un QIT suprieur 140. Silver et tif beaucoup plus important. Les quantilages consistent construire des classes

42 partie 1 : Chapitre 2 43
de taille identique : un dcilage compte dix classes (10% de leffectif) , un quintilage Dautres explications cette htrognit intra-individuelle sont possibles.
compte 5 classes (20% de leffectif). Cette technique dtalonnage discrimine davan- Kaufman (1992) met en cause les critres de cotation appliqus dans les sub-tests,
tage les niveaux de performance moyens et discrimine moins les groupes extrmes. en particulier lattribution de points bonus en fonction de la vitesse de rponse.
Pour les tudes sur les enfants haut potentiel, les talonnages normaliss sont plus Il souligne que ces sub-tests appartiennent tous lchelle Performance. Daprs
utiles car ils diffrencient mieux les diffrents niveaux daptitude levs lui, certains enfants haut potentiel seraient sous-valus dans ces preuves,
non pas en raison dun niveau de performance brut infrieur, mais simplement
Htrognit des profils de performances aux chelles de Wechsler parce que, pour eux, la vitesse de rponse nest pas importante. En consquence,
leur potentiel rel serait partiellement masqu par la nature de lvaluation.
Lhtrognit des performances peut tre tudie un niveau de dtail et
dinformation plus fin que la simple observation des carts entre chelle verbale
et chelle Performance. En restant dans le cadre des chelles de Wechsler, il est Calcul des scatters
possible danalyser la dispersion intra-individuelle des scores aux diffrents
sub-tests laide de mthodes que lon appelle analyse de scatter. Plusieurs mthodes existent pour valuer la dispersion intra-individuelle dans
les tests dintelligence. La mthode la plus frquemment utilise peut tre
En utilisant une de ces mthodes, Hollinger et Kosek relvent que, chez 86,
illustre partir de lexemple suivant : prenons le cas dun enfant dont la
4 % de leurs sujets, les scores de certaines preuves sont significativement sup- moyenne des notes standard aux subtests verbaux du WISC serait gale 10.
rieurs ou significativement infrieurs au score moyen du sujet. Cette analyse leur Dans ce cas, si cet enfant obtient un score au subtest verbal Vocabulaire
permet didentifier les preuves pour lesquelles la variabilit intra-individuelle gal ou suprieur 13, on considrera quil prsente une supriorit dans cette
est la plus marque, cest--dire celles pour lesquelles on constate des pourcen- preuve (+3). Si son score est gal ou infrieur 7, on considrera quil pr-
tages levs de variation entre le score observ et la moyenne individuelle. Dans sente une faiblesse dans cette preuve (-3). Par construction, 3 est la valeur de
le graphique n1, on peut voir que les preuves suscitant le moins de variabilit lcart-type pour les notes standard de ce test.
intra-individuelle ont en commun de faire appel au raisonnement. A linverse,
Lanalyse du scatter permet de dterminer les points forts et les points faibles
celles qui sont associes une grande variabilit intra-individuelle appartien-
dune personne en termes de performances. Elle peut tre ralise sur des
nent lchelle Performance et font appel la mmoire visuelle et laptitude rsultats recueillis laide de tests de nature diffrente mais la condition de
traiter visuellement des stimuli abstraits. ramener les mesures la mme chelle, tout simplement pour rendre les
performances directement comparables les unes aux autres. On peut ainsi
valuer les points forts dune personne dont on aura, par exemple, mesur
Graphique n1 lintelligence gnrale, des aptitudes spcifiques et des performances scolaires.

5. Diffrences inter-groupes
a. Diffrences inter-genre
Avec la question de lidentification, les diffrences inter-genre chez les enfants
haut potentiel sont actuellement un des thmes de recherche les plus dvelopps,
notamment par les psychologues de lducation. Sachant que, dans la population
gnrale, des diffrences entre hommes et femmes ont t mises en vidence dans de
nombreux domaines comme la russite scolaire ou les capacits artistiques (Reuchlin,
1991), on comprendra aisment que ces questions soient particulirement explores
chez les enfants haut potentiel. Par ailleurs, certaines tudes dveloppementales
indiquent que parmi les jeunes enfants identifis comme intellectuellement prcoces,

44 partie 1 : Chapitre 2 45
on trouve davantage de filles que de garons. Cette particularit tiendrait au fait, quen Diffrences inter-genre dans les performances aux tests
moyenne, les filles matriserait plus tt et mieux le langage, quelles apprendraient plus
Les diffrences inter-genre ne sexpriment pas massivement dans les perfor-
rapidement lire et crire - une forme de prcocit facilement reprable. Dautres
mances aux tests dintelligence. Soulignons dailleurs que la plupart de ces tests ne
donnes modrent cette observation. Winner (1996), analysant les effectifs selon le
proposent pas dtalonnages diffrencis pour les filles et les garons. Nanmoins,
genre et selon le niveau des programmes ducatifs amricains rservs aux enfants
certains outils font tat de diffrences notables. Dans une tude ralise laide du
haut potentiel, constate que dans les programmes proposs aux trs jeunes enfants, les
DAT (Differential Aptitude Test), Stanley et col. (1992) observent que les filles
effectifs sont quilibrs mais quau niveau collge , on ne trouve plus que 30% de
haut potentiel russissent mieux les preuves bases sur lorthographe (effet
filles et que ce pourcentage diminue encore au niveau lyce . Il reste que les ques-
moyen = .50), alors que les garons haut potentiel russissent mieux les preuves
tions poses par ltude des diffrences inter-genre sont bien plus varies et complexes
faisant appel au Raisonnement Mcanique (effet moyen = .89).
que ne le laissent supposer ces quelques observations. En effet, les diffrences inter-
genre ont t particulirement tudies aux tats-Unis et la plupart des donnes dont
nous disposons proviennent dtudes ralises dans ce pays. Ceci pose videmment le Le DAT (Differential Aptitude Test) a t dit pour la premire fois en 1947 par
problme de la gnralisation des observations dautres pays ayant des systmes Bennett, Seashore et Wesman. Au dpart, ce test tait destin lorientation scolaire
et professionnelle des lves du secondaire. Il sagit dune batterie factorielle qui
ducatifs ou bien des habitudes socioculturelles diffrents. Ces dernires annes cepen-
permet de mesurer huit aptitudes : Raisonnement Verbal, Raisonnement Numrique,
dant, quelques recherches internationales permettent de prciser les possibilits de
Raisonnement Abstrait, Vitesse de Perception et Prcision, Raisonnement
gnralisation (Freeman, 2004). Mcanique, Relations Spatiales, Franais Orthographe et Franais Grammaire. La
La majorit des tudes amricaines menes sur ce thme lont t dans le dernire rvision du test date de 2002.
cadre dune tude longitudinale appele SMPY, conduite actuellement par
Benbow. Les diffrences inter-genre les plus marques concernant les math- Dans le cadre de ltude longitudinale SMPY (Benbow et Lubinski, 1993,
matiques et les sciences, une population identifie sur la base de scores dans des cits par Freeman, 2003), il apparat quen moyenne, les garons slectionns ont
preuves de cette nature se prte naturellement bien ce type dtude. obtenu des scores plus levs que ceux des filles dans les preuves de raisonne-
ment mathmatique ainsi que dans les preuves de raisonnement mcanique et
Ltude longitudinale SMPY (Study of Mathematically Precocious Youth) a t mise spatial. Les filles, quant elles, obtiennent des scores plus levs que les garons
en place aux Etats-Unis par lUniversit John Hopkins en 1971. Son principal objectif dans les preuves de calcul ou darithmtique (Lubinski et Benbow, 1992). De
est de suivre pendant 50 ans des personnes haut potentiel afin didentifier les nombreux chercheurs, dont Freeman (2004), soulignent que ces diffrences ne
facteurs contribuant au dveloppement du haut potentiel dans le domaine math-
se retrouvent pas dans des tudes ralises dans dautres pays comme la Grande
matique. Les facteurs tudis sont trs varis : ils concernent le domaine ducatif mais
Bretagne ou lAllemagne et que ces diffrences ne sexpliquent pas par lutili-
aussi les choix dorientation, les valeurs et les intrts. Actuellement, environ 5000
individus participent la recherche, cet effectif se composant de cinq cohortes diff-
sation de supports dvaluation diffrents mais par la spcificit des systmes
rentes recrutes environ 5 ans dintervalle. Au dmarrage de ltude, lidentifica- ducatifs et certains facteurs socioculturels (ce point sera dvelopp plus loin
tion ntait ralise que sur la base des aptitudes en mathmatiques mais, depuis les dans ce chapitre). Par ailleurs, aucune diffrence notable entre garons et filles
annes 80, des individus haut potentiel dans dautres domaines participent napparat dans les scores au SAT-Verbal (Lubinski et col. 2000).
ltude. Lidentification est ralise sur la base des rsultats au SAT-V (Scholastic
Achievement Test Verbal) et au SAT-M (Scholastic Achievement Test Mathematics),
Diffrences inter-genre dans les apprentissages scolaires
ces deux preuves tant utilises pour les concours dentre dans les universits Pendant de trs nombreuses annes, la plupart des pays occidentaliss ont
amricaines. Pour participer ltude SMPY, nont t retenus que les individus soulign les diffrences de performance moyenne entre garons et filles dans le
appartenant au centile le plus performant (cela signifie que leur performance est domaine scolaire, principalement dans les matires dites scientifiques, les garons
suprieure celles ralises par 99% de la population). Ces tests ayant t construits y russissant mieux. En France, plusieurs enqutes ralises linitiative du
et valids pour des individus plus gs (de 4 5 ans environ) que les participants
Ministre de lEducation Nationale, montraient quen moyenne les garons
la SMPY (ge moyen au moment de lidentification = 13 ans), les performances sont
avaient de meilleurs rsultats que les filles en mathmatiques et en physique,
encore plus remarquables.
alors que linverse tait observ en franais ou pour les langues vivantes. Le mme

46 partie 1 : Chapitre 2 47
phnomne tait constat dans dautres pays occidentaux o les systmes duca- filles, et ces diffrences sobservent galement en dehors du contexte scolaire
tifs sont assez comparables au systme franais. Cependant, les tudes rcentes puisque les garons sont plus nombreux choisir de participer des activits
ralises sur les enfants haut potentiel montrent que, dans la plupart de ces extra-scolaires lies aux mathmatiques (coles dt ou bien comptitions
pays, ces diffrences inter-genre ont disparu. Ce rsultat manifeste depuis les comme les olympiades de mathmatiques). Il semblerait que les filles sous-
annes 1990 amne sinterroger au sujet du dsquilibre des effectifs observs valuent leur potentiel dans cette matire alors que le phnomne inverse est
dans les cursus suprieurs en mathmatiques, en physique ou encore en biologie. observ chez les garons (Freeman, 2004). Certaines tudes tmoignent de
Si pendant de nombreuses annes, lexplication en termes de diffrences de rsul- linfluence de facteurs socioculturels sur le ratio filles-garons dans les formations
tats pouvait expliquer ce phnomne, il est maintenant ncessaire dexplorer plus suprieures. En Isral, Zohar et Sela (2003) ont ainsi constat que si dans les
loin les raisons de ce dsquilibre. Dans la plupart des tudes, les explications programmes de physique de trs haut niveau, le ratio classique tait de lordre
avances sont dordre socioculturel et motivationnel (Subotnik et Arnold, 2000). dune fille pour trois garons, un changement stait opr dans les annes 1990
De trs nombreuses tudes sur les diffrences inter-genre ont t ralises chez larrive massive des immigrants russes, les effectifs filles-garons stant alors
les enfants haut potentiel en mathmatiques et la plupart porte sur des compa- quilibrs. Par la suite, les auteurs ont constat quau fur et mesure que les
raisons deffectifs. En se basant sur des donnes recueillies au cours des vingt annes vagues dimmigrants taient intgres dans la socit isralienne, la supriorit
prcdant la publication de leur article, Lubinski et Benbow (1992) relvent que le en effectifs des garons revenait.
dsquilibre des effectifs augmente avec le niveau de performance valu par le Dans une tude longitudinale amricaine (Lubinski et Benbow, 1992) , 786
SAT-Mathmatique (score maximum = 800). Dans le groupe des enfants ayant garons et 461 filles haut potentiel (identifis daprs leurs scores au SAT-V
obtenu un score suprieur 500 points, on trouve une proportion de deux garons ou au SAT-M) ont t suivis de lge de 13 ans jusqu lge de 23 ans. Les
pour une fille. Si on considre les scores suprieurs 600 la proportion passe 4 analyses indiquent que 85 % dentre eux ont suivi des tudes suprieures. La
garons pour 1 fille et si le score au SAT-M est suprieur ou gal 700 la propor- rpartition entre les diffrents domaines de formation diffre notablement selon
tion passe 13 garons pour une fille. Ces donnes globales ne sont pas toujours le genre (voir graphique n2). Cest ainsi que lon peut constater que 50,4 % des
reprsentatives de lensemble de la population amricaine ; cest ainsi quen isolant garons ayant un diplme dtudes suprieurs viennent des filires scientifiques
les lves dorigine asiatique, les auteurs ont pu constater que dans ce dernier sous- alors que cette proportion nest que de 30,8 % chez les filles.
groupe le ratio garons-filles tait de 1 pour 4. Lanalyse de ces diffrences
inter-culturelles sera dveloppe plus loin dans ce chapitre. Graphique n2
Les diffrences mises en vidence peuvent galement tre de nature quali-
tative. Dans une tude publie en 1989, Linn et Hyde (cits par Wieczerkowski
et col., 2000) ont analys les stratgies de rsolution des problmes mathma-
tiques poss dans le SAT-M. Leurs rsultats indiquent que les filles et les garons
nutilisent pas les mmes stratgies. En gnral, les filles prfrent utiliser les
algorithmes classiques et les procdures de rsolution conventionnelles tandis que
les garons privilgient des solutions rapides et plus intuitives. Certaines attitudes
sociales contribuent galement aux diffrences inter-genre, on note ainsi que
les filles haut potentiel manifestent une faible confiance en soi dans le
domaine des mathmatiques (Pajares, 1996) et quelles possdent un niveau
danxit suprieur celui des garons (Catsambis, 1994).

Diffrences observes au niveau des orientations professionnelles


Wieczerkowski et col. ( 2000) notent que les diffrences dans le domaine
mathmatique influencent galement les choix dorientation : la proportion de
garons choisissant dtudier les mathmatiques est plus leve que celle des

48 partie 1 : Chapitre 2 49
Une analyse plus fine des rsultats de cette tude permet de mieux comprendre professions scientifiques, tandis que la valeur Social est ngativement corrle
lampleur du phnomne. Prenons lexemple de la biologie : en moyenne, tous avec lintrt pour de domaine professionnel.
diplmes confondus, les filles sont plus nombreuses que les garons. En ralit, dans
cette filire 2,2 % des garons et 5,4 % des filles ont arrt leurs tudes au niveau Le S.O.V. (Study of Values)3 mesure six chelles de valeur :
de la licence, et 1,1 % des garons et 1,5 % des filles sont alls jusquau doctorat.
1) T (Thorique) : valeurs tournes vers la recherche de vrit, vers lempirique
A ce niveau de diplme et lexception de la filire lettres , on observe, soit des
et le rationnel
effectifs pratiquement quilibrs, soit une proportion suprieure de garons. Dans
la littrature, on trouve des explications trs classiques ces diffrences. Subotnik 2) E (conomique) : valeurs tournes vers lutile, le pratique. Les connaissances
et Arnold (2000) estiment que les strotypes sociaux sont encore trs vivaces et abstraites sont considres comme inutiles
que de nombreuses filles privilgient des valeurs trs traditionnelles au dtriment 3) P (Politique) : recherche du pouvoir, de la renomme, de linfluence
parfois de leur formation ou de leur carrire professionnelle. 4) A (Esthtique) : valorisation des aspects artistiques
Quelques pays affichent une attitude trs volontariste en matire de rduc- 5) S (Social) : valorisation de laltruisme, de la sympathie lgard des autres
tion des diffrences inter-genre dans les choix de formation des personnes
6) R (Religieux) : valeurs tournes vers la spiritualit.
haut potentiel. Cest le cas de la Grande-Bretagne (Freeman, 2004) ou encore
du Canada (Lupart et col., 2004).
Dans une tude plus rcente, Lubinski, Benbow et Morelock (2000) ont mesur
Diffrences inter-genre dans le domaine des intrts et des valeurs les intrts dun groupe de 215 garons et de 129 filles identifis comme possdant
En psychologie, et notamment dans le domaine de lorientation scolaire et un haut potentiel dans le domaine mathmatique. Ces enfants sont gs de 13 ans
professionnelle, la distinction entre valeurs et intrts nest pas toujours vidente. environ au moment de lvaluation et leurs scores au SAT-M les situent dans le
Une valeur peut tre dfinie comme une croyance stable en la supriorit dun percentile le plus performant. En se basant sur le modle de la personnalit de
type de conduite ou dun style de vie (Huteau, 2002, p. 140). Dans cette optique, Holland, les auteurs mettent en vidence des profils diffrents selon le groupe
les intrts reprsentent une des expressions possibles des valeurs. Dans le champ (Tableau 5). Les rsultats indiquent que le profil moyen des garons met en avant
dtude des enfants haut potentiel, de plus en plus dtudes sintressent ces les intrts de type Intellectuel et Raliste tandis que le profil moyen des filles
dimensions qui dterminent en partie les comportements et influencent ladap- indique une certaine homognit des intrts de types Intellectuel , Artiste ,
tation de lindividu son environnement. On considre en effet que la mesure Social et Conventionnel . Cette diversit des intrts professionnels plus
des valeurs et des intrts fournit des informations importantes intgrer dans marque chez les filles expliquerait galement, selon les auteurs, que les orientations
lapproche ducative dans la perspective dune bonne adquation entre les apti- professionnelles soient plus diversifies chez ces dernires.
tudes de lindividu et lorientation professionnelle envisage. Mesures (moyennes et cart-types) des intrts professionnels dfinis selon la
De 1988 1991, Lubinski et Benbow (1992) ont administr huit cohortes thorie de Holland pour un groupe de garons et un groupe de filles haut
potentiel (daprs Lubinski et col. 2000).
diffrentes un test de mesure des valeurs appel le S.O.V. (Study of Values). Ltude
a t ralise sur des lves, gs denviron 13 ans, participant des programmes Dimensions Garons (n = 215) Filles (n = 129)
dt pour enfants haut potentiel. Au total, 468 garons et 317 filles ont t tests. selon Holland Moyenne Ecart-Type Moyenne Ecart-Type
Des diffrences inter-genre systmatiques ont t observes. Les valeurs Thorique,
Raliste 48.9 8.8 44.1 7.9
conomique et Politique apparaissaient plus importantes pour les garons que
pour les filles, ces dernires accordant plus dimportance aux valeurs Social et Intellectuel 54.1 7.8 54.9 8.2
Esthtique que les garons. Pour la valeur Religieux , les choses sont nettement Artiste 44.5 10.1 54.4 9.5
moins claires. Pour six cohortes (values entre 1988 et 1990) cette valeur est plus Social 39.6 9.4 50.7 10.4
importante pour les filles mais, pour les deux cohortes values en 1991, cette valeur Entrepreneur 44.1 9.0 46.5 10.5
est au mme niveau pour tous les lves. Ces rsultats peuvent tre mis en relation
avec les orientations professionnelles puisque la valeur Thorique est lie aux Conventionnel 47.1 9.4 49.2 10.2

50 partie 1 : Chapitre 2 51
systmes ducatifs, des pratiques culturelles, des pratiques socio-ducatives, des
Le modle de Holland (1966) dfinit six dimensions de la personnalit valeurs, etc. Dans ce contexte dinteraction entre de multiples facteurs, il devient
1) Raliste (R), cette dimension dcrit les personnes qui ont un mode de rela- difficile dinterprter les diffrences inter-culturelles observes.
tion concret et physique avec lenvironnement. Leurs choix professionnels sont
souvent en rapport avec lagriculture, lindustrie ou lartisanat. Les outils didentification

2) Intellectuel (I), correspond des personnes qui aiment manipuler les ides De simples approches comparatives permettent de distinguer les pays pour
ou les symboles et qui nont pas de got particulier pour les activits en groupe. lesquels lidentification se fait principalement sur la base dun indice global tel
Elles sont plutt attires par les domaines scientifiques. que le Q.I. comme cest actuellement le cas en France, et des pays o cette
3) Artiste (A), dcrit des individus originaux et cratifs, attirs par les domaines dmarche se base sur lanalyse de critres multiples : grilles dobservation remplies
artistiques. par lentourage (parents, enseignants, pairs), projet personnel prsent par
lenfant, utilisation de listes dadjectifs4, etc. Cette utilisation doutils didenti-
4) Social (S), indique la recherche et le got des interactions sociales. Ces personnes
fication varis est notamment beaucoup plus rpandue dans les pays dAmrique
vont de prfrence vers des activits comme lenseignement ou laide sociale.
du Nord.
5) Entrepreneur (E), cette dimension correspond un certain got pour la
Les principaux tests dintelligence, comme les Echelles de Wechsler, sont
dominance ou laventure qui se traduit notamment par une orientation vers les
professions de la vente ou du management. adapts pour chaque pays, mais de nombreux psychologues comme Saccuzzo
et col. (1994) (cits par Hernandez de Hahn, 2000) soulignent que seuls des
6) Conventionnel (C), ces personnes recherchent des activits sociales valori-
outils non-verbaux comme les Matrices de Raven permettent une identification
santes mais font preuve de manque doriginalit et dun certain conformisme
qui ne soit pas trop influence par les facteurs socioculturels. Quelques tenta-
social. Les professions qui les attirent correspondent plutt des activits de
bureau ou de comptabilit. tives dlaboration doutils multi-culturels ont t ralises sans grand succs.
On peut citer lexemple dun essai de transposition, lInde, dune batterie
partir de questionnaires, on peut dterminer les facettes dominantes chez
doutils didentification denfants haut potentiel, construite aux Pays-bas
chaque individu, il est ensuite possible de les mettre en relation avec des sec-
(Bleichchrodt et col., cits par Hernandez de Hahn, 2000). Les diffrences en
teurs professionnels.
termes de mode de scolarisation (plus prcoce aux Pays-Bas) et les diffrences
En principe, on considre que ces mesures ne sont pertinentes que pour des indivi- en termes de reprsentation sociale notamment pour les filles indiennes ont
dus gs dau moins 17 ans, les intrts professionnels tant alors suffisamment
rendu cette dmarche totalement inefficace.
stables pour pouvoir tre pris en compte dans le cadre dune orientation scolaire
ou professionnelle. Cependant Lubinski, Benbow et Ryan, (1995) ont montr que, Les mthodes didentification sont en partie indissociables des conceptions
chez les enfants haut potentiel, la stabilit des dimensions de la personnalit, va- du haut potentiel, or celles-ci varient considrablement selon les cultures. Des
lues une premire fois 13 ans et une seconde fois lge de 28 ans, tait remar- tudes australiennes illustrent de faon trs claire ces diffrences (Vasilevska,
quable et autorisait une utilisation prcoce de ce type doutil. 2005). laide de questionnaires et dentretiens, les auteurs ont interrog
plusieurs gnrations daborignes propos de leur dfinition des enfants
surdous ; les rponses recueillies tmoignent de diffrences culturelles mais
b. Diffrences inter-culturelles
galement de diffrences gnrationnelles. Dans une premire tude, Kearins
Les tudes inter-culturelles permettent de connatre les diffrents approches (cit dans Vasilevska, 2005) relve que les traits les plus souvent voqus par les
thoriques et pratiques des enfants haut potentiel, sur un plan descriptif ou adultes comme caractrisant les enfants surdous sont : lautonomie et le sens
analytique. Dans labsolu, un des principaux intrts des tudes inter-culturelles du service aux autres (pour 25 % des personnes interroges), ladaptation aux
est daider mieux comprendre les mcanismes dintervention des facteurs contraintes environnementales (20 %), les aptitudes sportives (15 %) et enfin
socioculturels ainsi que leur rle et leur poids dans le dveloppement indivi- les aptitudes cognitives (13,5 %). Dans une autre tude, ralise sur un chan-
duel. Cependant, les difficults dordre mthodologique sont si nombreuses que tillon de jeunes aborignes et de leurs parents, Harslett (cit dans Vasilevska,
la porte des conclusions que lon peut en tirer est trs relative. Il est effective- 2005) a obtenu les rsultats suivants : les parents plaaient les aptitudes artistiques
ment difficile de comparer des populations qui diffrent la fois sur le plan des et sensori-motrices au dessus des aptitudes intellectuelles, tandis que les enfants

52 partie 1 : Chapitre 2 53
aborignes scolariss considraient ces dernires comme la forme dexpression Notes
du haut potentiel la plus intressante.
1. Les enfants sous-ralisateurs sont des enfants chez qui on observe un grand dcalage
Comparaison en termes de performances scolaires entre le potentiel et lexpression de ce potentiel. Dans les situations les plus graves,
Pour une grande partie des recherches inter-culturelles menes dans ce ce dcalage peut mener jusqu une situation dchec scolaire complet, dans des cas plus
lgers lenfant se contente de rsultats moyens sans utiliser tous les moyens intellec-
domaine, il est difficile de dissocier compltement ltude des diffrences inter-
tuels dont il dispose.
genre de ltude des diffrences inter-culturelles. Lexemple des ratios
2. Les Primary Mental Abilities ( PMA) ont t labors par Thurstone en 1947.
filles-garons haut potentiel dans le domaine mathmatique illustre bien cette
Llaboration de cet outil repose sur une conception factorielle de lintelligence.
interaction. Comme nous lavons vu dans ce chapitre (partie 5.2.1.), on observe Thurstone soppose lide dune conception gnrale de lintelligence (dfendue par
des ratios diffrents selon lorigine socio-culturelle des enfants, Lubinski et des psychologues comme Binet, Spearman ou Wechsler) et dfinit lintelligence comme
Benbow (1992) ayant mis en vidence un meilleur quilibre des effectifs filles- un ensemble daptitudes relativement indpendantes les unes des autres. Les PMA
garons chez les lves dorigine asiatique. mesurent cinq aptitudes primaires : signification verbale (V), spatiale (S), numrique
(N), raisonnement (R) et fluidit verbale (W). Les preuves Signification Verbale et
Chen et Stevenson (1995) ont compar les performances scolaires en math-
Raisonnement sont de bons prdicteurs de la russite scolaire.
matiques de trois groupes dlves dorigine ethnique diffrente. Les auteurs
3. Une version franaise de ce test appele Echelle pour ltude des valeurs a t dite
constatent que les Amricains dorigine asiatique ont de meilleurs rsultats que
aux ECPA en 1972. Il sagit de ladaptation franaise de :Allport, G.W., Vernon, P.E.
les Amricains dorigine caucasienne mais quils natteignent pas le niveau de et Lindzey, G. (1970) Manual, Study of values, Grade 10-Adult (3rd ed.). Boston :
performance des lves chinois ou japonais. Selon Chen et Stevenson, des diff- Houghton Mifflin Co.
rences dans linvestissement des parents ou dans la valorisation de la formation 4. Les listes dadjectifs sont des outils utiliss dans les tudes sur la personnalit. Le plus
en mathmatiques expliqueraient les rsultats observs. connu est doute lACL (Adjective Check List) de Gough et Heilbrun (1985). Le sujet
doit choisir parmi 300 adjectifs ceux qui le dcrivent le mieux. On dfinit ensuite des
profils descriptifs en comparant des groupes constrats (exemple : enfants haut poten-
Conclusion tiel intellectuel et et enfants typiques).

La mise en vidence de nombreuses diffrences individuelles souligne Bibliographie


lhtrognit de la population des enfants haut potentiel et les limitations
dune dmarche visant dfinir un profil unique et consensuel de lenfant dit ALSOP, G., (2003). Asynchrony : Intuitively Valid and Theoretically Reliable.
surdou . La diversit lintrieur de ce groupe est aussi importante que celle Roeper Review, 25 (3), 118-127.
observe dans le reste de la population et les gnralits lues par ci par l ne BENBOW, C.P., MINOR, L.L., (1990). Cognitive profiles of verbally and mathe-
reposent que sur une analyse globale loigne de toutes les ralits pourtant matically precocious students : Implications for identification of the gifted.
mises en vidence par les chercheurs ou les quipes ducatives. On constate en Gifted Child Quaterly, 34, 21-26.
effet que la variabilit inter et intra individuelle apparat tant sur le plan des BETTS, G.T. et KERCHER, J. K., (1999). Autonomous learner model : optimizing ability.
aptitudes cognitives dominantes que sur le plan des profils scolaires ou des formes Greeley, Colorado, Autonomous Learning Publications and Spcialists.
de raisonnement privilgies. Une des consquences de ce constat porte sur les CARLIER, M. (2001). Inn-acquis, hrdit de lintelligence. Quelques rponses
mthodes didentification des enfants intellectuellement prcoces : il parat des questions mal poses. In M. H UTEAU (Ed.). Les Figures de
vident que lon ne peut se contenter dune mesure globale et unique pour dfi- lIntelligence (pp. 117-135). Paris, EAP.
nir le haut potentiel ds lors quau sein du mme groupe on trouve des enfants CATSAMBIS, S. (1994) The path to math: Gender and racial-ethnic differences
aussi diffrents. Les mthodes didentification sont traites spcifiquement dans in mathematics participation from middle school to high school. Sociology
le chapitre suivant, qui est le premier thme dapprofondissement prsent dans of Education, 67, 199-215.
cet ouvrage.

54 partie 1 : Chapitre 2 55
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Approfondir

58 partie 1 :
prcdente, cette approche vise tendre le diagnostic du haut potentiel
Chapitre 3 dautres domaines que celui de lintelligence et nhsite pas utiliser plusieurs
techniques pour mesurer les comptences des enfants. Ces principes seront
illustrs par un exemple de recherche conduite auprs denfants de niveau intel-
lectuel lev.

L'identification des 1. Les diffrentes conceptions de


l'identification
enfants haut
potentiel : a. L'identification partir du QI
Les auteurs du rapport remis au Ministre de lducation Nationale

vers une approche (Delaubier, 2002) indiquaient que lchelle dIntelligence de Wechsler pour Enfants
(W.I.S.C. : Wechsler Intelligence Scale for Children ; Wechsler, 1996) est le test le
plus utilis en France par les psychologues et les tablissements scolaires

multidimensionnelle accueillant des enfants haut niveau intellectuel. Le constat est le mme dans
les autres pays de la communaut europenne, ainsi quaux Etats-Unis o lon
utilise cependant bien dautres tests dont le Stanford-Binet, adaptation amricaine
du test de Binet et Simon et, plus rarement, le test des Matrices Progressives
(PM38 ; Raven, 1965). Compte tenu de la frquence dutilisation du WISC, il
On reproche souvent aux procdures didentification des enfants haut importe de vrifier que les mesures de QI sont fiables et pertinentes pour liden-
potentiel de privilgier un diagnostic psychomtrique et, cette occasion, de tification du haut potentiel.
nutiliser quun nombre limit doutils dvaluation. Force est de constater, en
effet, que lidentification partir du QI est de loin la dmarche la plus rpan- Intelligence gnrale et QI
due dans la pratique psychologique comme dans la recherche scientifique. Une mesure obtenue partir dun test est toujours le reflet dune certaine
Cette dmarche postule, plus ou moins implicitement, quun enfant prsen- conception de la caractristique psychologique mesure, du moins celle propo-
tant un niveau intellectuel lev pourra russir pareillement dans de nombreux se par le constructeur du test. Pour tre pertinente, linterprtation des rsultats
domaines de comptence. Elle admet aussi dutiliser des tests mesurant le QI au test doit donc sy rfrer. Selon Wechsler, Lintelligence est la capacit globale
ou dautres tests analogues, tout en reconnaissant quils prsentent de nombreux ou complexe de lindividu dagir dans un but dtermin, de penser dune manire
inconvnients dans ce contexte : en particulier, labsence de sensibilit de leurs rationnelle et davoir des rapports utiles avec son milieu (Wechsler, 1956, p.3).
normes pour les niveaux de performance extrmes et le fait que leurs qualits Pour autant, lintelligence nest pas, selon lui, une seule aptitude particulire ;
psychomtriques sont insuffisamment tudies auprs denfants haut poten- elle rsulte, au contraire, de lorganisation de diffrentes aptitudes. Selon cette
tiel. Mais linconvnient majeur de cette approche est quelle ne tient pas conception, assez proche de celle de Binet, la meilleure faon de construire un
suffisamment compte de la diversit des conceptions de l'intelligence, ni des test susceptible de mesurer lintelligence est dutiliser plusieurs preuves qui
nombreux autres domaines de comptences suggrs par les conceptions solliciteront chacune un aspect diffrent du fonctionnement intellectuel du sujet.
actuelles du haut potentiel. Ce principe de construction, trs pragmatique, peut tre illustr par les subtests
Dans ce chapitre, nous montrerons que l'identification du haut potentiel qui composent la troisime version du WISC (Wechsler, 1996). Lencadr 1
au moyen des tests de QI comporte de srieuses difficults. Les principes dune prsente ces diffrents subtests et les activits intellectuelles quils sont suppo-
approche multidimensionnelle seront ensuite prsents. Contrairement la ss mesurer.

60 Partie 2 - Approfondir Chapitre 3 61


Selon le principe de construction de lchelle de Wechsler, un score compo-
Description des subtests du WISC-III (daprs Wechsler, 1996, p.6). Les num- site rsultant de lagrgation des performances mesures dans chaque subtest
ros indiquent lordre dadministration de chaque subtest.
fournit la meilleure estimation du niveau intellectuel dune personne. Mais,
Subtests de la partie verbale contrairement ce que pourrait laisser penser lintitul de QI, les rsultats au
2. Information. Lenfant rpond oralement une srie de questions valuant la
WISC, ne sont pas exprims sous la forme dun quotient intellectuel (le rapport
connaissance de faits ou dobjets ordinaires, dendroits ou de gens connus. entre lge mental et lge chronologique), comme lavait propos W. Stern, en
1912. Le QI dun enfant est obtenu en situant sa performance parmi celles dun
4. Similitudes. Lenfant doit expliquer la similitude entre des objets ou des
groupe denfants appartenant la mme tranche dge (encadr 2). Ltalonnage
concepts prsents oralement, par paire et de niveau de difficult croissant.
de la version franaise du WISC-III (Wechsler, 1996) a t ralis il y a une
6. Arithmtique. Lenfant doit rsoudre mentalement une srie de problmes dizaine dannes. Il a t construit partir des rsultats dun chantillon de 1120
arithmtiques de complexit croissante prsents sous forme verbale. enfants, gs de 6 16 ans, reprsentatifs de la population nationale. Selon les
8. Vocabulaire. Lenfant doit dfinir oralement une liste de mots prsents de indications fournies par l'INSEE, diffrents critres ont t utiliss pour assu-
manire orale et par ordre de difficult. rer la reprsentativit de lchantillon dtalonnage : lge et le sexe des enfants,
leur filire scolaire, la profession et la catgorie sociale du chef de mnage, la
10. Comprhension. Lenfant doit rsoudre une srie de problmes emprunts
la vie quotidienne ou doit comprendre des rgles ou des concepts relatifs densit dmographique de leur commune et la rpartition gographique.
la vie sociale. Ltalonnage du test a t construit de telle sorte que le QI moyen soit gal 100
et que lcart-type des notes soit gal 15. Ainsi, un enfant dont la performance
12. Mmoire des chiffres (subtest optionnel). Lenfant doit rpter dans le
globale dpasse la moyenne de son groupe dge obtiendra un QI suprieur 100,
mme ordre, puis dans lordre inverse, des sries de chiffres de longueur
dautant plus lev que sa performance est suprieure.
croissante.

Subtests de la partie performance


1. Compltement dimages. Lenfant doit indiquer la partie manquante sur des Principe de calcul des notes en QI et des indices factoriels
images, prsentes en srie, reprsentant chaque fois des objets ou des dans le WISC-III
situations familires.
Les diffrentes tapes permettant daboutir au calcul des notes en QI et des
3. Code. Lenfant doit crire le plus rapidement possible une suite de symboles
indices factoriels seront illustres partir dun exemple fictif emprunt au
simples correspondant une srie de formes gomtriques (partie A) ou de
manuel du WISC-III.
chiffres (partie B).
5. Arrangement dimages. Lenfant doit arranger une srie dimages prsen-
tes dans le dsordre pour quelles racontent une histoire logique.
7. Cubes. Lenfant doit reproduire une srie de figures gomtriques de plus en
plus complexes laide de cubes bicolores.
9. Assemblage dobjet. Lenfant doit assembler les pices dune srie de
puzzles reprsentant des objets courants.
11. Symboles (subtest optionnel). Lenfant doit dcider si oui ou non il retrouve
un symbole isol dans une srie de trois symboles (partie A ; 6-7 ans), ou
un des deux symboles isols dans une srie de cinq (partie B ; 8-16 ans).
13. Labyrinthes (subtest optionnel). Lenfant doit rsoudre avec un crayon une
srie de labyrinthes de difficult croissante imprims sur un cahier.

62 Partie 2 - Approfondir Chapitre 3 63


entache de trop derreurs (fidlit). Pour finir, il importe de vrifier empiri-
(1) Cotation des rponses et calcul des notes brutes. Pour chaque subtest du
quement la signification de la mesure obtenue partir dun test (validit). Les
WISC-III, lexprimentateur commence par coter les rponses de lenfant aux
qualits mtriques du WISC sont bien connues lorsquil sagit dvaluer le niveau
diffrents items en suivant scrupuleusement les principes indiqus dans le
manuel. Il calcule ensuite les notes brutes des subtests en additionnant les rsul-
intellectuel denfants typiques ; mais elles ont t insuffisamment tudies
tats aux diffrents items (tableau C). auprs denfant prsentant une intelligence extrme. A la lumire des quelques
recherches disponibles, nous montrerons que l'identification des enfants au
(2) Conversion des notes brutes en notes standard. Les notes standard sont des moyen du WISC nest pas entirement satisfaisante. Pour la plupart, ces limites
notes talonnes de telle sorte que, par construction, leur moyenne est gale peuvent dailleurs tre gnralises aux autres tests susceptibles dtre utiliss
10 et leur cart-type est gal 3. Des tables de conversion, prsentes en pour le diagnostic du haut potentiel.
annexe du manuel, permettent de lire directement les notes standard corres-
pondant chaque note brute. Aprs avoir calcul lge de lenfant (tableau B), Seuil d'identification, normes des tests et sensibilit du QI
il suffit de se reporter la table de conversion correspondant sa tranche dge
Si lidentification partir dun QI est une procdure communment admise,
pour obtenir les diffrentes notes standard.
le seuil au-del duquel le diagnostic dun niveau intellectuel suprieur sera pos
(3) Calcul des diffrentes sommes de notes standard. Six notes globales peuvent est nettement moins consensuel (cf. chapitre 1). Selon les points de vue et les
ensuite tre calcules. La note Verbale (Verb.) et la note Performance (Perf.) cor- objectifs poursuivis par la dmarche didentification, ce seuil peut varier de
respondent respectivement aux sommes des notes standard pour les cinq sub- 120 points de QI 140, voire plus. Dans certaines recherches, on constate mme
tests verbaux et les cinq subtests performance du test. De mme, la note totale une grande tolrance quant lapplication de ce seuil. Leurs auteurs considrent
de lchelle correspond la somme des dix notes standard prcdentes. En quun enfant prsente une intelligence suprieure lorsque le QI dune seule chelle,
outre, trois indices factoriels facultatifs peuvent tre calculs partir des sommes soit Verbale soit Performance, dpasse le seuil fix. On note cependant quune
des notes standard des subtests inclus dans ces indices. Ces indices sont intitu-
majorit de psychologues et dinstitutions sont favorables un seuil de 130 concer-
ls Comprhension verbale (CV), Organisation perceptive (OP) et
nant lchelle globale, ce qui correspond aux enfants dont le QI est situ au
Vitesse de traitement (VT). Les diffrentes sommes de notes standard appa-
raissent dans les deux dernires lignes du tableau C et sont reportes dans le moins deux cart-types au-dessus de la moyenne de leur groupe de rfrence.
tableau D. Selon le modle statistique sur lequel reposent la plupart des talonnages (courbe
de Laplace-Gauss), les enfants dont le QI dpasse 130 reprsenteraient 2,3% de
(4) Calcul des QI et des indices factoriels. Les notes en QI et les indices facto- la population gnrale. Ce seuil tant dfini par convention, cela na pas grand sens
riels sont des notes talonnes de telle sorte que, par convention, leur moyenne de dbattre de la pertinence dune limite plus souple ou au contraire plus rigou-
est gale 100 et leur cart-type est gal 15. En se reportant aux tables de reuse. Tout ce que lon peut dire, cest quun seuil de 120 conduit identifier un
conversion correspondant la tranche dge de lenfant, prsentes en annexe
trs grand nombre de personnes (environ 10 % de la population) ; par comparai-
du manuel, on peut lire directement les valeurs des diffrents QI et indices fac-
son, un seuil de 145 correspond un groupe denfants vritablement trs rares (un
toriels quivalant respectivement aux sommes de notes standard calcules
ltape prcdente (tableau D).
pour mille).
La variabilit du seuil didentification nest pas le seul inconvnient dun
D'aprs le manuel de l'chelle d'intelligence de Wechsler pour enfants diagnostic fond sur le QI. Depuis les travaux de Flynn (1984, 1987), il est bien
(Wechsler, 1996, p.52-56)
connu que les performances dans les tests dintelligence augmentent rgulire-
ment travers les gnrations. Cet effet a t constat partir de lanalyse des
Lutilisation largement rpandue des tests dintelligence ne doit pas laisser rsultats de plusieurs tudes amricaines comparant le QI obtenu dans un test
dans lombre la question de savoir si une mesure de QI prsente bien toutes les dintelligence gnrale, soit lune des chelles de Wechsler soit le Stanford-Binet,
qualits psychomtriques requises pour lidentification du haut potentiel. Ces celui obtenu dans une version du mme test mais plus rcemment talonn.
qualits sont au nombre de trois. Toute mesure en psychologie doit tout dabord une exception prs, Flynn (1984) a constat que les notes des sujets taient,
diffrencier suffisamment les individus (sensibilit). Elle doit ensuite permettre en moyenne, gnralement plus leves pour la version dont l'talonnage tait
dvaluer les personnes avec une certaine prcision, cest--dire ne pas tre le plus ancien. C'est cette diffrence de score qui permet d'estimer le gain de

64 Partie 2 - Approfondir Chapitre 3 65


QI par gnration. Dans l'article princeps, Flynn (Ibid.) a calcul que cette soit ncessaire dappliquer aux enfants haut potentiel la mme correction que
augmentation rgulire correspondait 1/3 de point de QI par anne pour des celle utilise pour les enfants de la population gnrale (ajouter 1/3 de point par
sujets amricains. Cet effet a t retrouv auprs d'autres populations (Flynn, anne sparant la date de construction de ltalonnage de la date dexamen), on
1987) et, plus rcemment, pour d'autres tests d'intelligence, tels que les preuves doit conclure quavec cette version de lchelle, le seuil minimum de QI pour
piagtiennes de niveau de dveloppement (Flieller, 1999). Si cet effet semble lidentification du haut potentiel ne serait plus aujourd'hui de 130 points mais d'un
aujourd'hui bien tabli, son interprtation reste controverse (pour une synthse peu moins de 133 points.
rcente, voir Grgoire, 2004, pp. 123-137). En outre, les tudes de Flynn ont Mais, de lavis des praticiens, linconvnient majeur des normes des tests
seulement port sur les QI denfants typiques . Mais les rsultats de la dintelligence, concernant lidentification du haut potentiel, est leur manque de
recherche de Larrabee et Holroyd (1976 ; voir aussi, Wheaton et Vandergriff, sensibilit lorsquil sagit des QI extrmes. Il est frquent de constater, en effet,
1978 ; Wheaton, Vandergriff et Nelson, 1980) permettent dattester lexistence que des enfants particulirement brillants russissent tous les items dun subtest
dun effet Flynn auprs denfants haut potentiel intellectuel. Ces auteurs du WISC voire de plusieurs dentre eux. Ceci sexplique par le fait que cette
ont compar la version rvise de lchelle dintelligence de Wechsler pour chelle tant normalement destine la population gnrale, ses subtests prsen-
enfants, publie en 1974, la version originale de 1949 auprs dlves amri- tent peu de difficults pour des enfants de niveau intellectuel lev. Mais, pour
cains de niveau intellectuel lev. Les corrlations entre les QI obtenus au WISC analyser les consquences de cet effet plafond , il importe de distinguer plus
et ceux obtenus au WISC-R taient trs leves (tableau 1), ce qui indique que clairement que de coutume deux objectifs poursuivis par lvaluation : il sagit,
les tests mesurent bien une mme aptitude. Toutefois, les rsultats montraient dune part, didentifier les enfants haut potentiel, ceux dont le QI dpasse la
que le QI global au WISC tait suprieur dun peu plus de 10 points, en valeur communment admise de 130 et, dautre part, de mesurer leur niveau
moyenne, par rapport celui obtenu avec le WISC-R. Une diffrence de mme intellectuel avec une relative prcision (Kaufman, 1992a). Le premier objectif
sens tait constate pour les QI Verbal et Performance. Il est intressant de implique que les notes standard de chaque subtest puissent nettement dpasser
constater que les rsultats moyens au WISC ont permis dassimiler les sujets le seuil didentification. Si on leur applique le mme critre que pour le QI, ce
un groupe denfants haut niveau intellectuel (QI global moyen > 130) ; or, ces seuil doit tre gal la moyenne des notes standard (10 points), plus deux fois
mmes sujets nauraient pas atteint le seuil didentification avec le WISC-R. la valeur de lcart-type (3 points), soit une valeur de 16 points. Cette premire
contrainte est satisfaite pour chaque subtest aux diffrentes tranches dge
couvertes par ltalonnage (voir les tables de conversion dans le manuel du test ;
Statistiques descriptives des rsultats au WISC selon la version du test Wechsler, 1996, p. 217-249). Pour atteindre le second objectif, mesurer avec
(daprs Larrabee et Holroyd, 1976) prcision les QI suprieurs, il faudrait que les enfants haut niveau intellectuel
puissent obtenir la note standard maximale (19 points), sans quil leur soit nces-
WISC (Ed. 1949) WISC-R (Ed. 1974) saire de russir tous les items du subtest. Cependant, comme le montre le
Moyenne cart-type Moyenne cart-type Corrlation tableau 2, les normes de certains subtests prsentent un effet plafond . On
QI Verbal 131.2 9.5 121.6 12.0 .955 constate, en outre, une diffrence entre les deux chelles du WISC. Pour lchelle
QI Performance 127.1 12.5 118.7 13.9 .871 Performance, il nest pas possible dobtenir la note de 19 dans les subtests
Compltement dimage, Cubes et Assemblage dobjet au-del de 14 ans et dans
QI Global 132.0 10.0 122.6 12.2 .951 le subtest Labyrinthe ds lge de 10 ans. Par comparaison, les subtests de
lchelle Verbale sont plus discriminants. Comme consquence de ce faible
Le constat dun effet Flynn affectant aussi bien lestimation du QI pouvoir classant de certains subtests, le QI maximum est de 155 pour les chelles
denfants typiques que denfants haut niveau intellectuel impose d'adapter Verbal et Performance et de 160 pour l'chelle Globale (Wechsler, 1996,
la valeur du seuil d'identification en tenant compte de lamplitude de cet effet. pp.251-254). En conclusion, si les talonnages des subtests du WISC permet-
La qualit de la construction de ltalonnage nest pas ici en cause, seulement le tent didentifier, avec une relative prcision, les enfants dont le QI dpasse 130,
fait quil date dune dizaine dannes (WISC-III). Plus prcisment, consid- l'tendue des scores au-del de ce seuil n'est pas suffisante pour diffrencier les
rant quil a t ralis entre novembre 1994 et octobre 1995 et en supposant quil enfants prsentant un niveau intellectuel suprieur.

66 Partie 2 - Approfondir Chapitre 3 67


Effets plafond des subtests de lchelle dintelligence rsultats ainsi obtenues. La fidlit de la mesure est alors estime au moyen
de Wechsler pour enfants d'un coefficient de corrlation ; elle sera d'autant plus forte que la valeur de cet
(daprs le manuel du WISC-III, Annexe A, pp. 217-249) indice tend vers 1.
Les chercheurs ont privilgi la mthode du test-retest pour prouver la
Subtests du WISC-III Notes standard maximales fidlit du QI auprs denfants haut niveau intellectuel. Ellzey et Karnes
Echelle Verbale : (1990), par exemple, ont fait passer deux reprises la version rvise du WISC
Information 18 points 16 ans des enfants inscrits dans des programmes denseignements adapts. Les
enfants taient gs de 6 9 ans au moment du premier examen. Le dlai entre
Similitudes 19 points les deux examens variait de un deux ans. Les rsultats de cette recherche sont
Arithmtique 18 points 16 ans prsents dans le tableau 3, o il apparat que les QI corrlent assez peu entre
Vocabulaire 19 points le test et le retest. Dans une autre recherche, Cahan et Gejman (1993), avec
Comprhension 19 points des dlais infrieurs (1 mois 48 mois selon les sujets), trouvent des corrla-
tions test-retest plus leves : .64 pour le QI Total, .66 pour le QI Verbal et .61
Mmoire * 19 points
pour le QI Performance.
Echelle Performance :
Compltement dimages 18 points 14 ans ; 17 partir de 15 ans
Code 19 points Statistiques descriptives des rsultats au WISC
Arrangement dimages 19 points selon le moment de lexamen
Cubes 18 points 14 ans ; 17 partir de 15 ans (daprs Ellzey et Karnes, 1990)
Assemblage dobjets 18 points 14 ans ; 17 partir de 15 ans Test Retest
Symbole * 18 points 16 ans Moyenne cart-type Moyenne cart-type Corrlation
Labyrinthes * 18 points 10 ans ; 15 points 16 ans QI Verbal 132.37 7.79 133.87 8.30 33
Lgende : (*) Subtests optionnels QI Performance 127.93 10.20 128.13 9.48 57
QI Global 134.17 7.73 134.67 7.88. 49
Fidlit du QI pour lidentification du haut potentiel
La quasi-totalit des tests utiliss pour le diagnostic du haut potentiel repo-
sent sur la thorie classique de la mesure en psychologie. On en trouvera un titre indicatif, le manuel de la version franaise du WISC-R indique que
expos dans les ouvrages de Dickes, Tournois, Flieller et Kop (1994), Huteau et ces corrlations sont suprieures .90 pour des enfants de la population gn-
Lautrey (1999) ou encore Laveault et Grgoire (2002). Cette thorie postule rale (Wechsler, 1981, p.44-45). En outre, pour des dlais bien plus importants
quune mesure obtenue partir dun test est compose de deux parties ind- que ceux de Ellzey et Karnes (1990), ces corrlations se maintiennent hauteur
pendantes : le score vrai qui correspond au niveau de la personne pour la de .80 pour des enfants de la population gnrale (Reuchlin et Bacher, 1989,
dimension psychologique mesure et l'erreur qui affecte alatoirement la mesure p.77-78). Compte tenu de ces diffrents lments, il nest pas permis de conclure
du score vrai. Il importe donc destimer cette part d'erreur pour vrifier la fiabi- une bonne stabilit du QI pour des enfants de niveau intellectuel lev.
lit de la mesure. Si diffrentes techniques permettent dtudier la fidlit (formes Toutefois, cette conclusion doit tre nuance si lon considre les biais statistiques
parallles, test-retest, consistance interne), le principe gnral consiste toujours et mthodologiques qui affectent habituellement les recherches conduites auprs
rpliquer la mesure auprs dun chantillon de personnes, places dans les denfants haut potentiel et qui tiennent aux caractristiques de cette popula-
mmes conditions dexamen psychologique, puis corrler les deux sries de tion (pour un expos plus complet sur cette question, voir Caroff, 2004).

68 Partie 2 - Approfondir Chapitre 3 69


Validit du QI pour lidentification du haut potentiel slection) 160. Ces auteurs ont constat que la corrlation entre les deux tests
La validit est la troisime proprit que l'on doit vrifier et, sans nul doute, dintelligence (validit concurrente) tait quasi nulle. Il faut prciser cependant
la plus importante. Elle est dfinie comme la capacit d'un test mesurer rel- que les conclusions des recherches sur la validit de critre du QI, comme celles
lement ce qu'il doit mesurer, selon l'utilisation que l'on veut en faire. Il sagit, ayant port sur la fidlit de cette mesure, sont limites par diffrents biais statis-
pour le psychologue, de vrifier les infrences quil pourra faire partir dune tiques et mthodologiques (Caroff, 2004).
mesure. On dispose de diffrentes mthodes de validation empirique (Standards b. Diversit des conceptions actuelles de l'identification
for educational and psychological testing, 1999) ; mais les recherches ayant port
sur la validit du WISC auprs denfants haut potentiel ont principalement Les conceptions du haut potentiel et du talent ont considrablement volu
employ deux approches. Les unes ont cherch tablir la structure factorielle depuis les travaux de Terman (1926) consacrs la prcocit intellectuelle (voir
des subtests (validit de structure) ; les autres ont mis lpreuve les relations aussi le chapitre 1 dans le prsent ouvrage). Ces volutions ne sont pas sans
entre le QI et d'autres mesures (validit de critre). consquence, dans la pratique, sur la faon de conduire un diagnostic auprs
Plusieurs recherches ont prouv la structure factorielle du WISC-R auprs denfants aux comptences extrmes.
d'chantillons d'enfants de haut niveau intellectuel (Brown, Hwang, Baron et Les conceptions centres sur l'intelligence et sa mesure
Yakimowski, 1991 ; Brown et Yakimowski, 1987 ; Karnes et Brown, 1980 ;
Louvrage de Huteau et Lautrey (1999) prsente les dveloppements concep-
Greenberg, Stewart et Hansche, 1986 ; Macmann, Mueller Plasket, Barnett et
tuels et mthodologiques qui ont ponctu lhistoire des tests dintelligence. Pour
Siler, 1991 ; Sapp, Chissom et Graham, 1985). Leurs rsultats valident gnra-
rsumer lun des aspects de cette volution rappelons que, dans le domaine de
lement la distinction entre les chelles Verbale et Performance du test. Pour la
lvaluation de intelligence, lon est progressivement pass dune conception prag-
dernire version de lchelle, la structure qui a t valide pour la population
matique de lintelligence et de sa mesure (lge mental ou le QI ; Binet et Simon,
gnrale amricaine comporte quatre facteurs de mme niveau, intituls :
1905, 1908 ; Wechsler, 1956) des thories unidimensionnelles (le facteur g ;
Comprhension verbale, Organisation perceptive, Vitesse de traitement et
Spearman, 1904, 1927) ou bien pluridimensionnelles (les aptitudes primaires ;
Attention/concentration et un facteur gnral sur-ordonn qui justifie le calcul
Thurstone, 1938), voire des thories postulant des dimensions certes diffrentes
d'un QI global (par exemple, Keith, 1997). Par comparaison, Watkins,
mais hirarchises (Carroll, 1993, 1997 ; Horn et Noll, 1997). Plus rcemment,
Greenawalt et Marcell, (2002) nont retrouv que les deux premiers facteurs en
la thorie des intelligences multiples de Gardner (Chen et Gardner, 1997 ;
analysant les rsultats denfants haut potentiel intellectuel. Le fait que, pour
Gardner, 1996) propose de distinguer au moins sept formes dintelligence diff-
ces enfants, la structure factorielle des subtests du WISC-R et celle du WISC III
rentes : logico-mathmatique, langagire, spatiale, musicale, kinesthsique,
soient diffrentes de celles tablies pour la population gnrale est habituelle-
interpersonnelle et intrapersonnelle. Comme consquence de ces dveloppements,
ment interprt en termes de diffrences de traitements cognitifs entre ces deux
les thories auxquelles il est actuellement fait rfrence dans la littrature scien-
populations.
tifique proposent des conceptions bien diffrentes de l'intelligence et de sa mesure
Deux recherches ralises auprs denfants haut potentiel illustrent une (Ziegler et Raul, 2000). Cette diversit implique qu'un consensus ne peut tre
dmarche de validation du QI par apport un critre externe. Saccuzo et trouv que sur une dfinition pragmatique du haut potentiel intellectuel (Pfeiffer,
Johnson (1995) ont utilis le WISC-R et les Matrices Progressives de Raven, 2001), telle que la capacit dun enfant raliser, dans un certain nombre d'acti-
test de facteur g qui sera dcrit plus loin dans ce chapitre, dans une procdure vits intellectuelles, des performances que ne parviennent pas accomplir la plupart
didentification des enfants haut potentiel. Durant la mme anne, ces enfants des enfants de son ge. En outre, une mesure de QI ne reflte ni la diversit ni la
passaient ensuite une preuve standardise de performance scolaire. Les corr- complexit des thories actuelles de lintelligence.
lations entre les rsultats dans les deux tests dintelligence et la performance
scolaire (validit prdictive) taient trs faibles, de lordre de .20. Dans la seconde largissement dautres domaines de comptence
recherche, Green et Kluever (1991) ont administr le Stanford-Binet, dont le Outre la diversit des conceptions de lintelligence, on constate actuellement
principe est assez proche du WISC et, dans le mme temps, la version colore que certaines conceptions du haut potentiel et du talent font rfrence bien
des Matrices Progressives des enfants dont les QI variaient de 120 (seuil de dautres domaines de comptence qu lintelligence ou la russite acadmique.

70 Partie 2 - Approfondir Chapitre 3 71


Les modles proposs par Renzulli (2002) et Gagn (2000), prsents de faon volont, personnalit, etc.) et des facteurs environnementaux (milieu social et
synthtique dans le chapitre 1 du prsent ouvrage, illustrent ces dveloppements culturel, parents et enseignants, vnements de vie, activits suivies, etc.) qui
conceptuels et leurs implications quant lidentification du haut potentiel. interviennent comme autant de variables modratrices au cours de ce dve-
Renzulli (2002) fait reposer lidentification du haut potentiel sur loppement. Dans le cadre de ce modle, le constat dun talent particulier
lvaluation de trois composantes essentielles qui interagissent. Laptitude implique quune aptitude naturelle, bien suprieure la moyenne, ait t
intellectuelle, gnrale ou spcifique un domaine de connaissance, doit tre prsente un moment donn ; inversement, une aptitude leve ne dter-
suprieure la moyenne. Lengagement (task commitment), dfini comme mine pas ncessairement lexpression dun talent particulier si elle nest pas
lnergie susceptible dtre mobilise pour raliser une tche, doit tre lev. systmatiquement dveloppe. Concernant le seuil didentification, Gagn
Tout comme la crativit qui correspond une combinaison de caractris- (Ibid.) propose de le situer 1,3 carts-types au dessus de la moyenne du
tiques telles que la fluidit, la flexibilit, loriginalit de la pense ou encore groupe de rfrence ; ce qui correspond aux 10 % des individus prsentant
la curiosit. Selon Renzulli (Ibid.), aucune composante nest plus importante un niveau daptitude naturelle (don) ou de russite (talent) suprieurs. Cette
quune autre dans la dtermination dun haut potentiel. Cependant, si relative souplesse des critres didentification est compense par la recon-
laptitude gnrale est implique de faon peu prs constante, la crativit naissance de diffrents degrs de don et de talent (modr, lev,
et lengagement sont plus ou moins sollicits selon les domaines de comp- exceptionnel et extrme).
tence. Dans le cadre de cette conception, Renzulli (1997) a propos une
procdure pour slectionner les participants des programmes dducation
spcialiss. Il sagit, tout dabord, de reprer les enfants dont le niveau mesur
2. Principes d'une approche
par des tests dintelligence, daptitude ou de performance est au moins gal multidimensionnelle de l'identification
au 92me percentile. En leur proposant des expriences appropries, lcole
dveloppera la crativit et lengagement de ces enfants intellectuellement Plusieurs chercheurs plaident actuellement en faveur dune approche
suprieurs, ce qui devrait favoriser lmergence dun haut potentiel. Toutefois, multivarie de lidentification du haut potentiel ou du talent (par exemple,
lidentification par la mthode des tests nest pas la seule approche prconi- Jarosewich, Pfeiffer et Morris, 2002 ; Pfeiffer, 2001, 2002 ; Ziegler et Heller,
se par Renzulli (Ibid.). Selon lui, on doit ensuite solliciter les enseignants 2000). Cette approche repose sur trois principes essentiels ( Jarosewich, Pfeiffer
pour quils dsignent, parmi leurs lves, ceux prsentant un haut niveau pour et Morris, 2002). Le diagnostic doit, tout dabord, tre relativement exhaustif ;
une ou plusieurs composantes postules par le modle, mais qui nauraient il faut donc chercher llargir aux diffrents domaines o peut sexprimer un
pu tre dtectes par des tests. Une dmarche alternative consiste solliciter haut potentiel. Il faut ensuite utiliser, dans une mme procdure, plusieurs outils
les parents, les pairs ou lenfant lui-mme. dvaluation dont les qualits auront t pralablement prouves, si possible
Compar celui de Renzulli, le modle diffrenci du don et du talent auprs denfants haut potentiel. Pour finir, il ne faut pas hsiter solliciter diff-
(Differentiated model of giftedness and talent), propos par Gagn (2000), est rentes sources dinformations, telles que les enseignants, les parents et les pairs.
bien plus complexe. Sans entrer dans une prsentation dtaille de ce modle, Ces principes ne sont pas sans voquer lapproche multitraits-multimthodes de
rappelons seulement quil distingue clairement le don et le talent . Le Campbell et Fiske (1959 ; voir lencadr 3) - mme si cette rfrence nest jamais
don dsigne lexpression spontane daptitudes naturelles suprieures, explicite -, dans laquelle on cherche mesurer chaque trait psychologique par au
dont le dveloppement et le niveau sont partiellement contrls par des moins deux mthodes diffrentes. Lavantage dune telle procdure est double.
facteurs gntiques, dans quatre domaines diffrents : intellectuel, cratif, Dune part, les comptences dune personne tant mesures de diffrentes faons,
socioaffectif et sensorimoteur. Par contraste, le talent dsigne la matrise lidentification ne reposera plus sur une seule mesure (par exemple, le QI) mais
daptitudes et de connaissances suprieures, systmatiquement entranes ou sur plusieurs pour chacune delles, ce qui permettra au praticien dtablir un
dveloppes, dans au moins un domaine (acadmique, artistique, social, spor- diagnostic plus contrast du ou des potentiels. Pour le chercheur, dautre part,
tif, etc.). Selon Gagn (Ibid.), le processus dveloppemental par lequel le une telle procdure offre la possibilit destimer les diffrentes qualits psycho-
don se transforme en talent repose sur lapprentissage et la pratique mtriques (fidlit, validits convergente et discriminante) des outils dvaluation
systmatique. Il est catalys par des facteurs intrapersonnels (motivation, utiliss (Campbell et Fiske, 1959).

72 Partie 2 - Approfondir Chapitre 3 73


a. Evaluer les comptences dans diffrents domaines
Lapproche multitrait-multimthode
Cependant, sil faut largir le diagnostic du haut potentiel dautres dimen-
Selon Campbell et Fiske (1959), la note obtenue par une personne dans une preuve sions que lintelligence, la question est de savoir quelles sont les plus pertinentes.
quelconque reflte bien videmment la caractristique psychologique (trait) que lon Un premier lment de rponse peut tre apport par la littrature scientifique.
cherche valuer mais aussi leffet de la mthode de mesure. Pour tenter de disso- Aprs avoir analys le contenu de nombreux articles publis dans des revues
cier ces deux aspects, ils proposent dvaluer plusieurs traits (multitrait) au moyen de
spcialises, Ziegler et Raul (2000) ont isol cinq grands domaines didentifi-
diffrents dispositifs de mesure (multimthode). Pour prendre un exemple dans le
cation : lintelligence, les performances extrmes, la personnalit, la crativit
domaine de lidentification du haut potentiel, le niveau intellectuel dun enfant pourra
tre valu une premire fois par un test de QI et une seconde fois par un enseignant
et les intrts. Il est inutile de revenir ici sur les diffrentes conceptions de
qui compltera une chelle dvaluation standardise. Selon le mme principe, le lintelligence et de sa mesure. Une seconde dimension, la crativit, prend une
potentiel cratif pourra tout aussi bien tre mesur par un test puis par lenseignant. part de plus en plus importante dans la littrature scientifique consacre la
La validation dun tel dispositif didentification repose sur lanalyse de la matrice des prcocit et au talent (Lubart et Georgsdottir, 2004). Elle peut tre dfinie
corrlations qui seront calcules entre toutes les notes dont on disposera. Pour ce comme la capacit de raliser des productions originales et adaptes aux
faire, Campbell et Fiske (Ibid.) proposent plusieurs critres qui sappliquent aux contraintes dune situation, dune tche ou dun problme (Lubart, Mouchiroud,
quatre catgories de corrlations que lon peut reprer dans une mme matrice : Tordjman et Zenasni, 2003). Les autres dimensions sont moins prgnantes dans
la littrature consacre au haut potentiel et au talent.
1. Les corrlations monotrait-monomthode : elles sont calcules entre deux
mesures du mme trait obtenues par une mme mthode ; par exemple, entre deux Le constat de critres didentification variables contraste avec la pratique
scores dans un test dintelligence. Ces corrlations correspondent aux coefficients psychologique o lon se contente habituellement dadministrer un seul test
de fidlit de la mesure. Elles doivent donc tre les plus leves possible (en tho- dintelligence gnrale. Il correspond pourtant aux recommandations du
rie, proches de 1) pour confirmer que lerreur de mesure est relativement faible. Dpartement de lEducation des Etats-Unis qui suggre de diagnostiquer les
enfants prsentant un niveau extrme dans un ou plusieurs domaines tels que
2. Les corrlations monotrait-multimthode : elles sont calcules entre deux
lintelligence, la russite acadmique, la crativit, les arts et le leadership (US
mesures du mme trait obtenues par des mthodes diffrentes ; par exemple,
entre un score dans un test dintelligence et une valuation de ce mme trait par
Department of Education, 1993). Mais la frquence dapparition dans les revues
lenseignant. Ces corrlations correspondent aux coefficients de validit spcialises et les prescriptions ministrielles ne sont pas les seuls principes qui
convergente. Elles doivent donc tres relativement leves si les deux notes doivent guider le choix de faire reposer lidentification sur telle ou telle dimen-
mesurent bien le mme trait. sion. Rappelons que, pour tre valide, le diagnostic doit sappuyer sur une
conception prouve du haut potentiel. De ce point de vue, certains critres
3. Les corrlations multitrait-monomthode : elles sont calcules entre deux didentification auxquels il est souvent fait rfrence dans la littrature, tels que
traits diffrents mais mesurs par une mme mthode ; par exemple, entre un la crativit et les intrts, sont cohrents avec les conceptions les plus rcentes
score dans un test dintelligence et un autre dans un test de crativit. Ces cor-
du haut potentiel que nous avons voques (Gagn, 2000 ; Renzulli, 2002).
rlations correspondent aux coefficients de validit discriminante. Elles doivent
tre les plus faibles possibles (en thorie, proches de 0) si les deux traits sont
thoriquement indpendants. Dans tous les cas, ces corrlations doivent tre
b. Utiliser plusieurs mthodes d'valuation
significativement infrieures aux coefficients de validit convergente. Dans leur article de synthse, Ziegler et Raul (2000) constatent que six cat-
gories doutils dvaluation sont plus ou moins frquemment utilises pour
4. Les corrlations multitrait-multimthode : elles sont calcules entre deux traits
lidentification du haut potentiel : l'entretien, les tests dintelligence et de perfor-
diffrents respectivement mesurs par des mthodes diffrentes ; par exemple,
entre un score dans un test dintelligence et une valuation de la crativit par mance, les questionnaires et check-list utilises surtout pour valuer la
lenseignant. Ces corrlations correspondent une autre forme de validit personnalit, les chelles standardises qui sont habituellement proposes aux
discriminante. Elles doivent donc tre les plus faibles possibles et, en thorie, enseignants, les productions de l'enfant (cahiers d'cole, dessins, etc.) et, pour
infrieures aux corrlations multitrait-monomthode. finir, les observations directes des comportements de l'enfant. Lidal serait de
pouvoir mesurer chaque comptence pertinente de deux faons diffrentes. Entre

74 Partie 2 - Approfondir Chapitre 3 75


les diffrentes techniques disponibles, il convient cependant de privilgier celles aux niveaux intellectuels levs (Raven et al., 1998b). Au contraire, les Progressive
dont les qualits mtriques auront t empiriquement prouves. Or, nous lavons Matrices Couleurs (CPM ou PM47) ont t conues pour de jeunes enfants (ds
rappel, celles-ci sont assez rarement tudies auprs denfants haut potentiel. 4 ans) et des dficients mentaux (Raven et al., 1998c). Cependant, le problme
Parmi les nombreux outils dvaluation susceptibles dtre utiliss, nous ne prsen- pos par lutilisation de ces tests de matrices est la faible reprsentativit de leur
terons ici que ceux disponibles en France ou en cours dadaptation. chantillon dtalonnage et lanciennet de leurs normes (Grgoire, 2004).
Les preuves standardises Une autre possibilit, apparemment peu exploite en France comme
ltranger, serait dutiliser des chelles de dveloppement pour le diagnostic du
En France, le diagnostic du haut potentiel est presque exclusivement ralis haut potentiel. Contrairement aux tests dintelligence gnrale, ou factoriels,
partir de tests mesurant lintelligence gnrale . Nous avons rappel que le qui situent les performances dun enfant dans son groupe de rfrence (talon-
plus utilis est la troisime version de l'chelle d'intelligence de Wechsler desti- nage), ces chelles prsentent lavantage dexprimer les rsultats en termes de
ne des enfants gs de 6 16 ans (Delaubier, 2002). Mais certains stade de dveloppement. Le critre communment admis dune performance
tablissements scolaires accueillant des enfants haut niveau intellectuel utili- suprieure celle denfants du mme ge (par exemple, un QI suprieur la
sent aussi la batterie K-ABC (Vrignaud, 2003). Ce test sapplique des enfants moyenne du groupe plus deux carts-type), suggre que les enfants haut poten-
gs de 2 ans _ 12 ans _. Contrairement aux chelles de Wechsler qui valuent tiel pourraient prsenter une avance dveloppementale (Carter, 1985 ; Keating,
deux grands domaines de contenus, verbal et non-verbal, le K-ABC cherche 1975). Lchelle de dveloppement de la pense logique (EPL : Longeot, 1974-
mesurer lefficience de deux types de processus mentaux (Kaufman, 1992b ; 1979), par exemple, sinspire des travaux de Piaget concernant le dveloppement
Kaufman et Kaufman, 1993). Lchelle des Processus Squentiels mesure la de l'intelligence. Elle peut tre administre des enfants gs de 8 16 ans ;
capacit dun enfant rsoudre des problmes en traitant mentalement des cest--dire des enfants dont le niveau de dveloppement se situe, par rfrence
stimuli selon un ordre sriel, tel que rpter dans lordre une srie de chiffres la thorie de Piaget, entre les stades propratoires et le stade formel. Cette
prsente par lexprimentateur. Lchelle de Processus Simultans mesure la batterie comporte cinq preuves : permutation de jetons (oprations combina-
capacit rsoudre des problmes ncessitant lorganisation et lintgration de toires), quantification des probabilits, oscillation du pendule (logique des
nombreux stimuli de manire parallle ou simultane, tel que choisir limage ou propositions), courbes mcaniques (coordonner deux systmes de rfrence
le dessin qui complte une matrice de relations analogiques prsentes visuel- distincts dans l'espace), conservation du poids et du volume. Pour illustrer
lement. Une troisime chelle value les connaissances acquises par lapplication lintrt de lEPL pour lidentification du haut potentiel, rappelons que Planche
de ces processus mentaux. et Gicquel (2001) ont montr que les enfants haut niveau intellectuel se diff-
Outre ces deux tests dintelligence gnrale , certains tests factoriels sont renciaient des enfants moyens dans les preuves de quantification des
eux-aussi trs utiliss, aux Etats-Unis, pour lidentification du haut potentiel probabilits uniquement.
intellectuel. Cest le cas, en particulier, des Matrices progressives de Raven qui Dans le domaine de la crativit, il existe diffrentes faons dvaluer le
mesurent lintelligence fluide (facteur Gf ). Ce test prsente des problmes de potentiel cratif dun enfant (Lubart, Mouchiroud, Tordjman, et Zenasni, 2003).
compltement de matrices. Chaque matrice comporte 9 figures gomtriques Certaines preuves visent mesurer la pense divergente, dfinie comme la
dont une est oblitre. Leur construction rpond des rgles qui permettent de capacit gnrer un grand nombre de solutions possibles pour un mme
passer d'une figure l'autre, en ligne comme en colonne. Le sujet a pour consigne problme. Une preuve caractristique est celle de la Bote en carton , extra-
de dcouvrir ces rgles pour trouver la figure manquante. Chaque problme ite de la batterie de Tests de Pense Crative de Torrance (1976), qui value la
sinspire de ceux qui lont prcd et leur difficult est croissante, do leur nom capacit trouver des ides originales. Dans cette preuve, on demande len-
de Matrices Progressives. Trois versions de ce test sont disponibles. Les fant de trouver, en un temps limit, toutes les utilisations possibles de la bote.
Progressive Matrices Standard (SPM ou PM38) peuvent tre administres des Une autre mthode dvaluation de la performance crative consiste juger des
enfants ds lge de 7 ans (Raven, Court, et Raven, 1998a) ; on se contente productions ralises par lenfant. On peut, par exemple, lui demander de
cependant de les utiliser auprs des adolescents et des adultes. En outre, elles se produire un dessin partir dune amorce constitue de figures gomtriques
sont rvles beaucoup trop faciles pour certains sujets. Pour remdier cette (Urban et Jellen, 1996), ou bien lui demander dinventer une histoire partir
limite, Raven a publi les Progressive Matrices Advanced (APM ou PM48) destin

76 Partie 2 - Approfondir Chapitre 3 77


dun titre (par exemple, Les baskets du mille-pattes ). Pour un expos plus et son exprience professionnelle en matire de bilan psychologique denfants
complet des mthodes dvaluation de la crativit, on pourra consulter lou- haut potentiel, mais aussi le motif de la demande. Or, il nest pas rare que cette
vrage de Lubart et al. (2003). demande soit lie la scolarit. Elle peut tre motive par le souhait de scola-
riser un enfant avant le terme fix par la loi, de solliciter un passage anticip en
Les chelles d'valuation classe suprieure ou bien lentre dans un programme d'ducation spcialis.
Outre les tests, l'une des rares preuves utilises en France, est l'Inventaire
d'identification dvelopp par Terrassier (1999) qui est utilis pour poser l'hy- Rgles de dcision
pothse d'un haut potentiel chez des enfants de 6 12 ans. Mais, notre Dans la recherche scientifique, mais aussi lorsquil sagit de slectionner des
connaissance, cet inventaire na jamais fait lobjet dune validation empirique. enfants susceptibles d'intgrer des programmes d'ducation spcialiss, la
Aux Etats Unis, plusieurs chelles dvaluation ont t dveloppes dans le but dmarche la plus rpandue consiste sappuyer sur des rgles de dcision. Ces
daider au diagnostic du haut potentiel. Elles se rvlent tre particulirement utiles rgles permettent de guider le diagnostic partir des diffrentes valuations
parce quelles mesurent des caractristiques pour lesquelles il existe peu dpreuves disponibles concernant les comptences dune personne. Sternberg et Subotnik
standardises. Les trois chelles les plus connues sont destines tre renseignes (2000) dcrivent cinq rgles diffrentes, de plus en plus complexes.
par les enseignants. La premire, intitule Scale for Rating the Behavioral Rgle 1 : Cest la rgle la plus simple parce quelle repose sur un seul critre
Characteristics of Superior Students (SRBCS ; Renzulli, Smith, White, Callahan, didentification. Elle consiste vrifier que le niveau dune personne dpasse un
Hartman et Westberg, 1997), existe depuis plus de trente ans (Renzulli et Hartman, certain seuil de comptence prtabli. Cest la mthode privilgie pour liden-
1971 ; Renzulli, Hartman et Callahan, 1971). Les deux autres, intitules Gifted tification du haut potentiel intellectuel o lon vrifie, par exemple, que le QI est
Evaluation Scale (GES-2 ; McCarney et Anderson, 2000) et Gifted and Talented suprieur dau moins 2 carts-type par rapport la moyenne de la tranche dge
Evaluation Scale (GATES ; Gillian, Carpenter et Christensen, 1996), sont plus de lindividu (soit QI > 130).
rcentes. Ces trois chelles ont en commun de mesurer les comptences acad- Rgle 2 : On postule cette fois quil existe diffrents domaines o un enfant
miques, la crativit, laptitude artistique et le leadership. Les chelles GATES et peut rvler un haut potentiel. Mais, comme pour la rgle prcdente, on fait
GES-2 mesurent en plus le fonctionnement intellectuel ; les chelles GES-2 et reposer chaque fois lidentification sur un seul critre dont le seuil est fix. Cette
SRBCSS mesurent la motivation. Elles ont toutes t conues pour tre utilises dmarche correspond, par exemple, la procdure prconise par Gagn (2000)
ds la maternelle et jusquau collge et prsentent des qualits psychomtriques qui considre quune personne prsente un haut potentiel si soit son aptitude
tout fait acceptables (pour une synthse, voir Jarosewich, Pfeiffer et Morris, 2002). intellectuelle soit son niveau de crativit, pour ne citer que deux aptitudes, le
Une version franaise de lchelle SRBCSS est en cours dadaptation. situe parmi les 10% des individus suprieurs de son groupe dge.
c. Intgration des informations et diagnostic dun haut Rgle 3 : Plus complexes que les prcdentes, elle postule quun haut poten-
potentiel tiel est dtermin conjointement par plusieurs caractristiques psychologiques.
De ce point de vue, une personne haut potentiel doit prsenter un niveau de
Dans le cadre dune approche multidimensionnelle du haut potentiel et du comptence lev pour chaque caractristique considre ; par exemple, un niveau
talent, le psychologue dispose de plusieurs valuations pour tablir son diagnos- daptitude intellectuel et de crativit respectivement suprieurs aux seuils fixs.
tic. La question est donc de savoir comment il va sappuyer sur ces diffrentes
Rgle 4 : Cette fois encore, on sappuie sur plusieurs critres didentification
informations pour identifier la prsence dun haut potentiel chez un enfant. Il
qui seront envisags simultanment au moment de poser le diagnostic. Mais,
existe plusieurs faons daborder cette question de lintgration des informa-
contrairement la rgle 4, on considre quun niveau de comptence lev dans
tions en un diagnostic psychologique.
un domaine peut tre compens par un niveau plus faible dans un autre. Dans
Diagnostic clinique ce cas, lidentification est opre partir dun score composite : la somme des
valuations obtenues pour les diffrentes comptences ou leur moyenne.
Dans la pratique des psychologues, cest videmment le diagnostic clinique
qui est privilgi (voir chapitre 7). Diffrents aspects guident lintgration des Rgle 5 : Contrairement aux quatre rgles prcdentes qui sappuient sur une
informations dans ce cas (Sultan, 2004) : lorientation thorique du psychologue valuation statique , o lon dcrit les comptences dune personne un

78 Partie 2 - Approfondir Chapitre 3 79


moment donn, la dernire repose sur une valuation dynamique (Grigorenko chercheurs (par exemple, Parker, 1997 ; Speirs Neumeister, 2004). Hewitt et
et Sternberg, 1998 ; Kanevsky, 2000), o lon cherche mesurer la capacit dune Flett (1991) qui le dfinissent comme un style de personnalit qui serait asso-
personne bnficier dun apprentissage, plutt que ses comptences actuali- ci un grand nombre de difficults prouves tant sur le plan psychologique que
ses. Pour ce faire, il existe deux types de procdures : dans lune, le test est dans les relations interpersonnelles ou dans le rapport au succs. Ces auteurs
administr une premire fois, puis une seconde aprs que lenfant ait bnfici distinguent trois dimensions : le perfectionnisme envers soi-mme reflte la
dun apprentissage ; dans lautre, lenfant passe le test une premire fois seul, propension se fixer des standards de russite personnelle levs, voire inattei-
puis une seconde fois avec laide de lexprimentateur qui lui indique comment gnables ; le perfectionnisme orient vers autrui se rapporte des attentes leves
rsoudre les items. Dans tous les cas, lvaluation dynamique repose sur la compa- de lindividu par rapport lentourage ; le perfectionnisme social concerne les
raison des performances entre les deux examens. attentes de lentourage, le sentiment que les proches ou bien les enseignants
fixent des standards de russite levs.
3. Illustration d'une approche Il sagira donc de comparer les profils psychologiques denfants haut poten-
tiel et denfants typiques , partir de plusieurs valuations portant sur
multidimensionnelle du haut potentiel lintelligence, la crativit et le perfectionnisme.

Nous avons vu que lutilisation combine de plusieurs outils dvaluation a. Description de ltude
devrait permettre de mieux prciser la nature des potentialits leves prsentes
chez certaines personnes. De telles potentialits rsulteraient du jeu dinterac- Ltude a t ralise, en France, auprs dlves de 6me provenant dun tablis-
tions complexes entre plusieurs caractristiques psychologiques diffrentes sement classique mais qui accueille des enfants haut potentiel. La mthode de
(Gagn, 2000). Lune des mthodes utilises pour reprer les caractristiques slection retenue par cette cole consiste administrer deux tests collectifs. Il
pertinentes pour le diagnostic consiste vrifier si les enfants haut potentiel sagit du subtest Matrices , tir de la batterie Culture Fair de Cattell et
se distinguent des enfants typiques par un profil psychologique particulier. Cattell (1965), qui est destin mesurer le fonctionnement intellectuel gnral
Lobjectif de ltude prsente ici tait de comparer ces deux groupes denfants en rduisant le plus possible linfluence du facteur verbal, de lenvironnement
partir de plusieurs valuations portant aussi bien sur des aspects cognitifs que culturel et du niveau dinstruction. Dans ce test, les enfants doivent complter
conatifs, c'est--dire lis la personnalit. des suites logiques en choisissant la partie manquante dune matrice de symboles.
Ce test est complt par une preuve de comprhension verbale, le Test de Lecture
Comme nous lavons rappel, certains chercheurs proposent de faire repo-
Silencieuse, dans lequel on demande aux enfants de lire neuf histoires courtes et
ser lidentification des individus haut potentiel sur une valuation du niveau
de rpondre chaque fois une srie de cinq questions portant sur le texte. Lcole
de crativit qui viendrait complter une mesure daptitude intellectuelle
slectionne les lves obtenant les meilleurs rsultats aux tests quelle regroupe
(Treffinger, 1980 ; Naglieri et Kaufman 2001). Cette proposition est justifie
ensuite dans une mme classe. Une partie de ces enfants haut potentiel intel-
par le fait que la plupart des tests dintelligence et daptitudes cognitives solli-
lectuel ont t compars un groupe contrle compos denfants typiques
citent largement un type de pense, dite convergente, qui sapplique dans tous
provenant de la mme cole. Chaque groupe comprenait 22 enfants (11 garons
les cas o il faut, partir de faits donns, parvenir une conclusion exacte unique.
et 11 filles) gs en moyenne de 10 ans et demi.
Un individu engag dans un tel mode de pense orientera ses efforts pour trouver
la solution un problme donn. Par comparaison, la pense divergente Les enfants de chaque groupe ont t tests individuellement laide de
permet, partir de faits donns, de parvenir plusieurs ides ou solutions diff- plusieurs preuves mesurant lintelligence, la crativit et le perfectionnisme.
rentes pour un mme problme. Elle ouvre un champ de conscience plus large Intelligence fluide et intelligence cristallise. Elles sont conues comme des
qui permet de se dcentrer des contraintes dune tche ou dune situation et, de aspects diffrents de lintelligence gnrale. Lintelligence fluide correspondrait
ce fait, elle est troitement lie au processus cratif (Lubart et al., 2003). plus au substrat biologique de lintelligence alors que lintelligence cristallise
La plupart des chercheurs saccordent sur le fait que les enfants haut poten- reflterait lducation et lexprience. Ces composantes ont t mesures par
tiel se distinguent galement sur tout un ensemble de facteurs conatifs. Lun de deux subtests emprunts la batterie P.M.A. (Thurstone, 1948) : le subtest
ces facteurs, le perfectionnisme, a rcemment retenu lattention de plusieurs Fluidit verbale (W), dans lequel les sujets doivent trouver le plus de mots

80 Partie 2 - Approfondir Chapitre 3 81


commenant par une lettre donne en un temps limit (intelligence cristallise) Intelligence. Pour lpreuve de Raisonnement du PMA, on constate que les
et le subtest Raisonnement (R), o ils doivent complter en un temps limit des enfants haut potentiel ont, en moyenne, des rsultats suprieurs ceux des
sries de lettres qui suivent une progression logique (intelligence fluide). enfants typiques . Par contre, il ny a pas de diffrence pour lpreuve de
Pense divergente crative. Cette caractristique est mesure par une preuve Fluidit verbale. Ces rsultats indiquent une supriorit des enfants haut
o lon demande aux sujets de produire et d'exprimer oralement, en temps limit, potentiel dans le domaine de lintelligence fluide mais pas dans celui de
autant d'ides que possible pour rsoudre un problme de manire crative. Le lintelligence cristallise.
problme choisi concerne la dcouverte de nouvelles faons d'utiliser une bote Pense divergente crative. Aucune diffrence de performance significative na
en carton (Torrance, 1976). Lobjectif est de mesurer une performance tradui- t constate entre les scores de crativit des enfants haut potentiel et
sant la pense divergente. Dans cette preuve, trois indices sont calculs : le typiques .
nombre dides mises (fluidit), le nombre de catgories dides (flexibilit) et Perfectionnisme. On constate que les enfants haut potentiel ont un score
la frquence statistique des ides (originalit). moyen suprieur celui des enfants typiques pour la dimension perfec-
Perfectionnisme. Nous avons utilis une adaptation franaise dun question- tionnisme centr sur soi ; mais il ny a pas de diffrence significative sur la
naire (Children and Adolescent Perfectionist Scale) de 22 items permettant dimension perfectionnisme social .
dvaluer deux dimensions du perfectionnisme (Hewitt et Flett, 1991) : le perfec- Les rsultats prsents ici illustrent bien la complexit du concept de haut
tionnisme centr sur soi et le perfectionnisme social. Ce questionnaire a t potentiel et plaident en faveur dune approche multidimensionnelle. En effet,
conu pour tre utilis auprs denfants et dadolescents. des facteurs conatifs semblent tre eux-aussi impliqus dans ce phnomne,
notamment le perfectionnisme centr sur soi, et on peut se demander si ces
b. Rsultats et discussion
caractristiques sont prsentes ds la procdure didentification par les tests
La figure 1 prsente les scores moyens des deux groupes denfants pour les dintelligence, ou si elles ne dcoulent pas plutt de ladmission dans un ensei-
trois domaines de comptence. gnement spcialis. Pour ce qui concerne la crativit, labsence de diffrence
de performance entre les enfants typiques et les enfants haut potentiel
Comparaison des profils des enfants haut pourrait sexpliquer par le fait que ces derniers ont t identifis selon une proc-
potentiel intellectuel et des enfants typiques dure qui reposait uniquement sur lvaluation de lintelligence. Les premiers
rsultats, sils taient confirms, contribueraient non seulement enrichir nos
connaissances sur le haut potentiel et le talent, mais ils permettrait aussi de
diversifier les possibilits diagnostiques.

Conclusion
Lidentification des enfants haut potentiel occupe une place minoritaire
dans la littrature scientifique (Heller et Schofield, 2000), ce qui ne manquera
pas de surprendre compte tenu de la complexit des problmes soulevs par cette
question. Pour illustrer lune des difficults rencontres, nous avons rappel que
la notion mme didentification comporte plusieurs facettes (Koren, 1994). Force
est de constater que les publications scientifiques font rfrence diffrentes
conceptions thoriques, plus ou moins contrastes, du haut potentiel et du talent.
On constate, par consquence, que les dimensions sur lesquelles porte le diagnos-
tic, les mthodes dvaluation utilises et les critres retenus pour lidentification
Lgende : * = Diffrence statistiquement significative prsentent une grande variabilit dans la littrature scientifique. Mme si, dans

82 Partie 2 - Approfondir Chapitre 3 83


la pratique des psychologues, il semble que lon continue privilgier la mesure CARROLL, J.B. (1993). Human cognitive abilities: A survey of factor analytic studies.
dun QI comme seul critre didentification, tout en reconnaissant les limites New York, Cambridge University Press.
dune telle approche, on peut considrer que la diversit des dmarches diden- CARROLL, J.B. (1997). The three-stratum theory of cognitive abilities. In D.P.
tification constitue actuellement un obstacle pour le dveloppement de la FLANAGAN, J.D. GENSHAFT, P.L. HARRISON (Eds.), Contemporary intel-
recherche (Caroff, 2004 ; Pfeiffer, 2002). Elle nous incite cependant dvelop- lectual assessment: Theories, tests and issues. New York, Guilford Press,
per, dans lavenir, une approche rsolument multidimensionnelle. Les conceptions pp. 122-130.
les plus rcentes plaident en effet pour que lon largisse le diagnostic dautres CARTER, K. R. (1985). Cognitive development of intellectually gifted: A
caractristiques que le niveau intellectuel de lenfant ou ses comptences scolaires. Piagetian perspective. Roeper Review, 7, 180-184.
Cette nouvelle approche, dont nous avons prsent les grands principes, propose CHEN, J.K., et GARDNER, H. (1997). Alternative assessment from a multiple
de faire reposer le diagnostic du haut potentiel et du talent sur plusieurs carac- intelligences theoretical perspective. In D.P. FLANAGAN, J.D. GENSHAFT,
tristiques personnelles, relevant de diffrents domaines (intelligence, crativit, P.L. HARRISON (Eds.), Contemporary intellectual assessment: Theories, tests
motivation, personnalit, environnement, etc.) et, si possible, mesures de diff- and issues. New York, Guilford Press, pp. 105-121.
rentes faons. A lvidence, une telle approche ncessite de dvelopper des DELAUBIER, J.-P. (2002). La scolarisation des enfants intellectuellement prcoces.
procdures dvaluation bien plus coteuses que la dmarche, plus pragmatique, Rapport Monsieur le Ministre de l'Education Nationale. Rapport tl-
qui consiste faire passer un seul test de QI. chargeable sur le site :
<http://www.education.gouv.fr/rapport/delaubier.pdf>
Nous conclurons ce chapitre en rappelant une vidence : beaucoup denfants
DICKES, P., TOURNOIS, J., FLIELLER, A., et KOP, J.-L., (1994). La psychomtrie.
pour lesquels on a diagnostiqu un haut potentiel ne deviendront pas des adultes
Paris, PUF.
surdous ; inversement, beaucoup dadultes surdous nont pas t identifis
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84 Partie 2 - Approfondir Chapitre 3 85


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88 Partie 2 - Approfondir Chapitre 3 89


1. Les calculateurs prodiges
Chapitre 4
a. Un intrt ancien pour les prodiges
Ds 1894, Binet sest intress aux capacits exceptionnelles des calculateurs
prodiges, en tudiant plus particulirement le cas de J. Inaudi, jeune calculateur
Approche cognitive : prodige de 24 ans, qui avait fait de ses capacits extraordinaires de calcul mental
sa profession. Il donnait des reprsentations de son talent au thtre : chaque

Ltude de calculateurs reprsentation, il fait simultanment et de mmoire les oprations suivantes :


une soustraction entre deux nombres de vingt et un chiffres ; une addition de cinq
nombres de six chiffres chacun ; le carr d'un nombre de quatre chiffres ; la divi-

prodiges et denfants sion de deux nombres de quatre chiffres ; la racine cubique d'un nombre de neuf
chiffres ; la racine cinquime d'un nombre de douze chiffres. [...] Des personnes
de l'assistance disent les chiffres. M. Inaudi les rpte mesure, pour s'assurer
haut potentiel en qu'il est d'accord avec toutes ces personnes, et l'impresario crit sur de grands
tableaux noirs les chiffres dits, sous la dicte de M. Inaudi. M. Inaudi ne se

mathmatiques tourne pas une seule fois vers les tableaux noirs; il reoit les chiffres et les nombres
par l'audition, [...] il se sert de la mmoire auditive. (Binet, 1894).
Ainsi, Binet (1894) a suggr de distinguer les calculateurs prodiges audi-
tifs , comme J. Inaudi, qui disent entendre les nombres lors des calculs, et les
calculateurs prodiges visuels , qui rapportent plutt mmoriser une image
Dans ce chapitre, travers le domaine mathmatique, une approche cogni-
mentale des nombres et des calculs crits. Les calculateurs auditifs utilisent prf-
tive des enfants exceptionnels sera illustre. La premire partie est consacre
rentiellement des codes verbaux. Ils verbalisent les diffrentes tapes des calculs
ces enfants qui se distinguent des individus ordinaires par une habilet excep-
et se livrent en mme temps des activits motrices exagres (e.g., tics nerveux,
tionnelle raliser rapidement des calculs mentaux complexes. Pour la plupart
mouvements des mains, balancement du corps). Ils manifestent dailleurs souvent
des tres humains, effectuer une multiplication telle que 25671 x 34785 sans
une tendance plus gnrale l'hyperactivit, et sont parfois dsigns par les termes
utiliser une feuille de papier et un stylo ou une machine calculer est impossible.
auditif-moteur ou acoustique-rythmique-moteur du fait de leurs mouve-
Ce nest pas le cas des individus que lon nomme calculateurs prodiges . Ils
ments spcifiques. Enfin, ils ont trs frquemment appris calculer avant mme
sont capables de rsoudre mentalement, trs rapidement et sans commettre der-
de savoir crire les nombres. Au contraire, les calculateurs visuels ont souvent
reur, des problmes aussi complexes que celui-ci, voire mme plus complexes. Ils
appris calculer aprs l'acquisition de l'criture des nombres ; certains ne mani-
peuvent calculer mentalement nimporte quelle racine carre ou cubique, retrou-
festent leur talent pour les calculs complexes que tardivement (aprs l'ge de
ver le jour de la semaine correspondant nimporte quelle date du calendrier. A
20 ans). Lors de leurs calculs, ils ne verbalisent pas et produisent peu de mouve-
ct des calculateurs prodiges, on distingue une autre population prsentant des
ments, mais ils utilisent plutt des codes imags. Dans leurs rcits, ils rapportent
comptences exceptionnelles en mathmatiques, celle des enfants haut poten-
qu'ils voient les calculs s'inscrire sur un tableau ou sur une page (comme
tiel en mathmatiques. Ces enfants se distinguent des lves ordinaires par une
S. Finkelstein, dcrit par Bousfield et Barry, 1933). Les diffrences entre ces deux
capacit nettement plus importante comprendre les problmes, les symboles
grands types de calculateurs prodiges se refltent notamment dans la mthode
et les mthodes utilises en mathmatiques, les apprendre, les reproduire,
quils utilisent pour rsoudre des multiplications de grands nombres (Figure 1) :
les combiner entre eux et les rutiliser dans des tches similaires (Werderlin,
les calculateurs auditifs effectuent les calculs de gauche droite alors que les calcu-
1958). Les caractristiques de ces enfants et les mthodes denseignement qui
lateurs visuels utilisent la mthode des multiplications croises (Camos, 2004).
leur sont proposes sont prsentes dans la seconde partie de ce chapitre.

90 Partie 2 - Approfondir Chapitre 4 91


Enfin, il faut noter que certains calculateurs prodiges ne peuvent tre qualifis ni b. Les caractristiques des calculateurs prodiges
d auditifs ni de visuels . Par exemple, L. Fleuret, aveugle, utilisait des infor-
Qui sont les calculateurs prodiges ? Dans quelles circonstances se dvoilent
mations ni visuelles ni verbales, mais tactiles : il bougeait ses doigts sur des
leurs capacits de calcul exceptionnelles ? Comment se dveloppent ces capaci-
cubarithmes (i.e., dispositifs composs de ranges de cubes utiliss par les aveugles
ts ? Les rponses ces questions proviennent essentiellement des rcits des
lors du comptage) imaginaires (Tocquet, 1957). Malgr ces distinctions, il semble
calculateurs prodiges eux-mmes ou de leurs proches, et de nombreux cher-
que tous les calculateurs prodiges, quils soient auditifs, visuels ou tactiles, prsen-
cheurs se sont attachs regrouper ces informations. Ainsi, nous disposons dun
tent des caractristiques communes.
certain nombre de biographies de ces individus exceptionnels. Parmi celles-ci,
Smith (1983) a ralis un travail considrable en dcrivant les cas de 41 calcu-
lateurs prodiges et en dveloppant une thorie pour rendre compte des
Mthodes utilises pour rsoudre les multiplications de grands nombres mcanismes qui permettent l'apparition des capacits exceptionnelles de calcul
par les calculateurs prodiges auditifs et visuels, daprs Camos (2004). mental. Selon Smith (1988), ces capacits seraient bases sur la mme facult que
le langage. En effet, l'activit crbrale des calculateurs prodiges se caractrise
Rsolution de 479 x 276 par une nette prvalence de l'hmisphre crbral gauche, dans lequel se trou-
vent les aires crbrales qui sous-tendent les activits langagires. Daprs Smith
Calculateurs prodiges Calculateurs prodiges (1983, 1988), un enfant prcocement capable de langage serait par consquent
auditifs : visuels : un calculateur prodige potentiel. Cependant, aucune tude ne vient actuelle-
De gauche droite Multiplications croises ment appuyer cette thorie optimiste et la question de l'origine des capacits
exceptionnelles des calculateurs prodiges reste ouverte. On sait nanmoins que
400 x 200 = 80000 79 x 76 = 6004 ces capacits ne sont pas hrditaires. Les calculateurs prodiges sont le plus
70 x 200 = 14000 retenue = 60 souvent les seuls de leur famille prsenter des comptences exceptionnelles en
calcul mental.
somme = 94000 maintenu en mmoire : 04
Dans la littrature rcente, ltude la plus systmatique et la plus informa-
9 x 200 = 1800 79 x 2 = 158
tive est probablement ltude du cas de Rdiger Gamm (calculateur prodige
somme = 95800 somme = 218 allemand n en 1971) ralise par Pesenti et ses collaborateurs (Pesenti, Seron,
400 x 70 = 28000 4 x 76 = 304 Samson et Duroux, 1999 ; Pesenti, Zago, Crivello, Mellet, Samson, Duroux,
somme = 123800 somme = 522 Seron, Mazoyer et Tzourio-Mazoyer, 2001 ; Zago, Pesenti et Tzourio-Mazoyer,
2001). Cette quipe a dcrit en dtails le cas de ce calculateur prodige, non seule-
70 x 70= 4900 retenue = 5
ment en se basant sur ses rcits, mais aussi en lui faisant passer des preuves en
somme = 128700 maintenu en mmoire : 2204 laboratoire et en utilisant les techniques actuelles dimagerie crbrale afin de
9 x 70 = 630 4x2=8 dgager ce qui serait l'origine de la spcificit de cet individu. R. Gamm est
somme = 129330 somme = 13 aujourdhui un professionnel du calcul mental. Il se produit en spectacle ou dans
des missions tlvises. Il raconte avoir toujours eu une bonne mmoire pour
400 x 6 = 2400 rsultat final = 132204
les nombres. Il a toujours aim apprendre des dates en histoire. Cependant, il
somme = 131730 naimait pas les mathmatiques lcole, parce quil ne comprenait pas bien les
70 x 6 = 420 concepts expliqus par ses professeurs. Dans ses rcits, il semble que ce soit vers
somme = 132150 l'ge de 20 ans que sont apparues ses capacits de calcul mental. cette poque,
9 x 6 = 54 il a trouv la description d'un algorithme permettant de retrouver le jour de la
semaine correspondant nimporte quelle date du calendrier. Il s'est alors
rsultat final = somme = 132204
entran lutiliser de plus en plus rapidement. Un peu plus tard, loccasion de

92 Partie 2 - Approfondir Chapitre 4 93


sa participation un jeu tlvis, il a appris tous les carrs et tous les cubes des prsentent souvent une vitesse de traitement de l'information normale, voire
nombres composs de deux chiffres. partir de ce moment-l, il sest mis faible. Ainsi, ds 1894, Binet avait compar la vitesse de calcul de J. Inaudi celle
apprendre de plus en plus de faits arithmtiques. [AWBI] des caissiers dun grand magasin (cf. tableau 1). Ne disposant pas de caisses enre-
Ce genre de pratique compulsive du calcul mental semble tre une caract- gistreuses, les caissiers passaient cette poque leur journe raliser des calculs
ristique commune tous les calculateurs prodiges. Cest, dailleurs, une hypothse mentaux. Binet ne trouva pas de diffrence entre leur rapidit de calcul et celle
rpandue au sujet de leurs capacits. Le surentranement leur permettrait de de J. Inaudi. Un des caissiers mettait mme presque deux fois moins de temps que
disposer doutils mentaux surdvelopps. Pour Dehaene (1997) notamment, J. Inaudi effectuer un calcul tel que 638 x 823 (Tableau 1). Par contre, pour les
leurs performances exceptionnelles en calcul mental ne proviennent pas dun calculs plus complexes, J. Inaudi tait plus rapide que les caissiers. Plus rcem-
don. Au contraire, les calculateurs prodiges sont avant tout des individus suren- ment, Jensen (1990) a observ que, malgr sa rapidit exceptionnelle lors de la
trans, qui concentrent leur attention sur les chiffres et y consacrent plusieurs multiplication de trs grands nombres, S. Devi une des rares femmes calcula-
heures par jour, souvent encourags par leur environnement familial. En accord teurs prodiges1 se montrait nettement plus lente que la normale lors de la
avec cette ide, des travaux suggrent que lentranement joue un rle trs impor- recherche dune cible sur un cran ou lors de la recherche dun nombre en
tant dans lmergence dun talent exceptionnel pour le calcul mental. mmoire. Le temps ncessaire S. Devi pour dtecter un flash lumineux ou pour
Notamment, Staszewski (1988) a observ qu'aprs trois cents heures d'entra- choisir un mouvement parmi huit tait proche de la moyenne, de mme que ses
nement des stratgies de calcul rapide, la vitesse de calcul dtudiants moyens performances un test dintelligence (les matrices progressives de Raven).
avait quadrupl. Avec une motivation exceptionnelle et un travail intensif, tout De faon gnrale, les capacits de calcul mental exceptionnelles des calcula-
calculateur ordinaire serait donc potentiellement capable de raliser des perfor- teurs prodiges ne sont pas associes des capacits exceptionnelles d'intelligence
mances exceptionnelles semblables celles des calculateurs prodiges. Il parat gnrale, ni mme des performances exceptionnelles en arithmtique. Ainsi, R.
par consquent difficile dopposer clairement dun ct des individus qui dispo- Gamm raconte avoir t un lve assez mdiocre en mathmatiques. J. Inaudi
sent dun don inn pour le calcul mental et, dun autre ct, des individus dont quant lui russit difficilement apprendre lire et crire et sa culture tait trs
les capacits de calcul mental proviendraient d'un entranement particulire- peu dveloppe. Il tait pourtant capable de multiplier mentalement des nombres
ment important. Leur pratique intensive du calcul permettrait aux calculateurs de cinq chiffres ds lge de sept ans, sans connatre la table de multiplication.
prodiges dautomatiser le droulement dalgorithmes complexes qui deviennent Dans leurs rcits, les calculateurs prodiges rapportent frquemment que cest en
trs rapides mettre en uvre et trs srs. recherchant par eux-mmes des mthodes de comptage de plus en plus efficaces et
rapides qu'ils ont dvelopp leur capacit de calcul mental (comme A. Griffith
Temps de rsolution mentale de multiplications de Jacques Inaudi dcrit par Bryan et Lindley, 1941). La pratique du comptage peut, par exemple,
et de caissiers (en secondes), daprs Binet (1894). les amener dcouvrir la multiplication, en organisant les objets qui doivent tre
compts en lignes et en colonnes. Elle participe plus gnralement au dveloppe-
3x7 63 x 58 638 x 823 ment de leurs capacits de calcul mental. Comme mentionn plus haut, certains
J. Inaudi 0,6 s 2s 6,4 s calculateurs prodiges ont une intelligence normale, dautres une intelligence sup-
1e caissier 4s rieure, dautres encore prsentent un dficit intellectuel. Parmi ces derniers, que lon
nommait autrefois idiots savants , mentionnons le cas des calculateurs prodiges
2e caissier 0,7 s 4s 12 s
autistes, capables, par exemple, de retrouver prcisment le jour correspondant
3e caissier 0,7 s 4s nimporte quelle date lointaine du calendrier, tout en tant incapables deffectuer
de simples oprations arithmtiques (Hurst et Mulhall, 1988). Ces calculateurs
Conformment cette ide, R. Gamm se montre plus rapide que les sujets prodiges autistes manifestent un intrt dmesur pour les nombres ou pour le
contrles pour effectuer des oprations complexes de multiplications de nombres calendrier (comme Michal, jeune autiste sans langage, dcrit par Hermelin et
plusieurs chiffres (de 2 4 chiffres). Par contre, pour les oprations lmentaires, OConnor, 1984 ou Dave, dcrit par Howe et Smith, 1988). Daprs Dehaene
ses rsultats diffrent peu des rsultats des sujets contrles. Plus gnralement, (1997), cet intrt serait symptomatique de leur dsintrt pour les contacts
il semble quen dehors de leur domaine de prdilection, les calculateurs prodiges humains2. Nanmoins, tous les idiots savants ne sont pas autistes. Il peut

94 Partie 2 - Approfondir Chapitre 4 95


galement sagir de personnes qui prsentent un dficit intellectuel ou qui ont subi Il parat aujourdhui probable que lors de la rsolution de calculs mentaux,
une atteinte crbrale. Malgr la diminution de certaines facults intellectuelles, les calculateurs prodiges ont recours une autre forme de mmoire, dont la capa-
ces individus sont capables de raliser rapidement des calculs mentaux complexes cit de stockage est illimite. Ainsi, R. Gamm a mmoris les nombres 2 et 3
(Sacks, 1985). Deux interprtations sont envisages pour expliquer ces capacits chiffres levs la puissance 2, 3, 4 et 5. Ces connaissances dclaratives stockes
(Matthyse et Greenberg, 1988). Tout dabord, latteinte crbrale, quelle que soit en mmoire long terme lui permettent dlever trs rapidement (en 710 milli-
son origine, rduisant l'ventail des activits possibles, les activits accessibles secondes) tous les nombres 2 et 3 chiffres au carr et de reconnatre rapidement
seraient surinvesties. La pratique intensive de ces activits augmenterait les perfor- des nombres plusieurs chiffres comme le rsultat de plus petits nombres levs
mances des sujets. Il est galement possible que la maladie gntique ou la la puissance 2, 3, 4 ou 5. Il est possible que tous les calculateurs prodiges aient
restructuration aprs latteinte crbrale conduise une organisation crbrale stock en mmoire long terme de nombreuses connaissances dclaratives rela-
particulire. Certaines rgions crbrales spcialises, comme le gyrus angulaire tives aux faits arithmtiques, comme les carrs, les produits de nombres
gauche, particulirement impliqu lors des activits arithmtiques, stendraient aux plusieurs chiffres, la liste des nombres premiers, etc. Ils pourraient, par cons-
dpens d'autres rgions, et leur rendement sen trouverait augment quent, rcuprer directement en mmoire long terme le rsultat d'oprations
(Ramachandran, 1998). Les deux hypothses ne sexcluent nullement. qui demandent aux individus ordinaires des calculs mentaux complexes. Par
Les calculateurs prodiges ne peuvent donc pas tre caractriss par une vitesse exemple, lors de la rsolution mentale de 459 x 567, il faut simultanment effec-
de traitement de linformation globalement trs suprieure la normale, ni par tuer des calculs, garder en mmoire les oprandes multiplier, mmoriser les
une intelligence suprieure, ni mme par une connaissance des oprations rsultats intermdiaires et les retenues. Les nombres se bousculent en
arithmtiques suprieure la normale. Do proviennent alors leurs capacits mmoire de travail, dont la dure et la capacit de stockage est limite. Cela
exceptionnelles ? Une caractristique importante des calculateurs prodiges semble explique que pour la plupart des individus, lutilisation dun support externe
tre leurs capacits mnsiques exceptionnelles lorsquil sagit de mmoriser des (une feuille de papier) savre souvent ncessaire lors de la rsolution de tels
chiffres. Ainsi, J. Inaudi aurait t capable de rappeler sans erreur 36 chiffres calculs. Les calculateurs prodiges pourraient rsoudre rapidement et sans erreur
alatoires quil avait entendus et rpts une seule fois. R. Gamm prsente lui- de telles oprations parce quils auraient stock en mmoire long terme, dont
aussi un empan mmoriel lev pour les chiffres. Lorsquil doit rappeler dans la capacit de stockage est illimite, les rsultats de nombreux calculs complexes.
lordre une liste de chiffres prsents visuellement, il peut en restituer 11, alors Ils pourraient rcuprer directement ces informations en mmoire long terme.
que les sujets contrles en rappellent en moyenne 7,2. Lorsque les chiffres ont Les rsultats de ltude de Pesenti, Zago, Crivello, Mellet, Samson, Duroux,
t prsents auditivement, le prodige peut en rappeler 10, la moyenne des sujets Seron, Mazoyer et Tzourio-Mazoyer (2001) supportent cette interprtation
contrles tant de 7,8. Les diffrences sont encore plus marques lorsquil sagit pour R. Gamm. Pesenti et al. (2001) ont utilis l'imagerie crbrale afin
de rappeler une liste de chiffres dans lordre inverse de lordre de prsentation, dobserver les patterns dactivation des aires crbrales de R. Gamm pendant la
cest--dire en commenant par le dernier chiffre lu ou cit. Dans ce cas, R. ralisation de calculs mentaux. Ils ont mis en vidence que les aires crbrales
Gamm peut rappeler en ordre inverse 12 chiffres prsents visuellement et 9 associes la mmoire de travail taient actives chez R. Gamm comme chez
chiffres prsents auditivement (moyenne des sujets contrles : 5,8 en visuel, 6 des calculateurs ordinaires, mais que dautres aires crbrales, habituellement
en auditif ). Par contre, son empan mmoriel pour les lettres ou pour les infor- associes la mmoire pisodique (i.e., les aires prfrontale droite et temporale
mations visuo-spatiales ne diffre pas de celui des sujets contrles (e.g., il peut mdiane, Figure 2), taient fortement actives seulement chez R. Gamm. La
restituer 6 lettres dans lordre et en ordre inverse). De la mme faon, il ne mmoire pisodique est une mmoire long terme qui sert retenir les vne-
prsente pas de diffrence dans les tches de mesure de la capacit de mmoire ments marquants de notre vie. A la diffrence des calculateurs ordinaires,
de travail qui ncessitent simultanment le stockage et le traitement dinfor- R. Gamm utiliserait des connaissances en lien avec son vcu pour rsoudre les
mations (e.g., lempan de lecture ou reading span qui ncessite de traiter la calculs mentaux complexes. Cette observation est conforme au fonctionnement
signification de phrases tout en mmorisant leur dernier mot en vue dun rappel cognitif expert tel que le dcrivent Ericsson et Kinstch (1995) dans leur modle
ultrieur). Cette observation fragilise la conception de certains auteurs qui avaient de mmoire de travail long-terme. En effet, daprs ces auteurs, lutilisation de
propos par le pass que les habilets en calcul mental des calculateurs prodiges connaissances pisodiques pour dpasser les limitations de la mmoire de travail
proviendraient de capacits suprieures en mmoire de travail (Barlow, 1952). court terme pourrait expliquer en partie les phnomnes dexpertise.

96 Partie 2 - Approfondir Chapitre 4 97


Aires crbrales actives chez six calculateurs ordinaires et comme nous lavons dj mentionn plus haut, ces enfants se distinguent des
lves ordinaires par leur capacit comprendre les problmes, les symboles et
chez R. Gamm (en vert) et aires crbrales actives seulement
les mthodes utiliss en mathmatiques, les retenir en mmoire et les repro-
chez R. Gamm (en rouge), daprs Pesenti et al. (2001). duire, les combiner avec d'autres problmes, symboles et mthodes et les
rutiliser dans des tches similaires (Werderlin, 1958), et pas seulement par une
habilet effectuer rapidement des calculs mentaux. Comme le soulignent
Rotigel et Fello (2004), les enseignants ressentent parfois de la frustration quand
un lve haut potentiel arrive la rponse correcte par des mthodes non tradi-
tionnelles, ou quand les questions de cet lve vont bien plus loin que le contenu
de la leon en cours. Parce que les enfants haut potentiel peuvent souvent
interprter, prdire et analyser des situations mathmatiques mieux et plus rapi-
dement que leur enseignant, une approche ducative diffrente est ncessaire.
Pour rsumer, les connaissances actuellement disponibles supportent plutt Nanmoins, avant de pouvoir envisager une mthode spcifique, il faut tre en
lide que lexpertise observe chez les calculateurs prodiges, et plus particulirement mesure didentifier les lves qui pourront en bnficier. Dans cette partie, nous
chez R. Gamm, ne peut pas tre explique par lacclration de processus existant tenterons tout dabord de dfinir le haut potentiel en mathmatiques. Nous nous
chez les individus ordinaires ou par des capacits intellectuelles suprieures. Cette intresserons aux caractristiques des enfants haut potentiel, avant dvoquer
expertise en calcul impliquerait plutt de nouveaux processus qui reposent sur des les mthodes denseignement qui leur sont proposes.
aires crbrales diffrentes et le passage de stratgies de stockage court terme, qui
ncessitent beaucoup defforts, des stratgies hautement efficaces dencodage et a. Les caractristiques des enfants prsentant un haut
de rcupration en mmoire pisodique. Nanmoins, il convient de rester prudent potentiel en mathmatiques
quant la gnralisation de ces conclusions lensemble des calculateurs prodiges,
car elles proviennent principalement de ltude dun cas isol. Dailleurs, R. Gamm Dabord, il est important de prciser que tous les enfants haut potentiel en
ne rapporte pas utiliser des connaissances pisodiques lorsquil calcule, ni mme mathmatiques ne semblent pas fonctionner de la mme manire. Krutetskii (1976)
compter spontanment les objets qui lentourent lorsquil ne sentrane pas. Il pour- a ainsi propos de distinguer trois grands types d'enfants. Les enfants dits analy-
rait notamment tre intressant de comparer les performances et les activations tiques prfrent utiliser le code verbal-logique. Ils nont pas besoin de support
crbrales de R. Gamm avec celles dun calculateur prodige dont le talent est apparu imag, mais utilisent des mots et des chanes de raisonnement logique, analysent
un ge trs prcoce, afin de dterminer si lutilisation des aires crbrales associes une tche en concepts, symboles ou termes spars et la dcomposent en diffrentes
la mmoire pisodique est effectivement un facteur qui diffrencie les calcula- sous-tches et tapes. Les enfants dits gomtriques ou synthtiques utilisent
teurs prodiges des individus normaux (Butterworth, 2001). Ainsi, mme si les plutt le code visuo-imag. Ils forment des images mentales et les utilisent pour
connaissances disponibles sont de plus en plus tendues, dautres travaux savrent raisonner, mme si la tche ne requiert pas lemploi de telles images. Enfin, les enfants
ncessaires avant de pouvoir affirmer do proviennent les capacits exceptionnelles dits harmoniques ne manifestent pas de prfrence. Ils utilisent facilement les deux
des calculateurs prodiges. codes et les combinent de manire flexible. Burjan (1991) a quant lui propos de
distinguer dun ct les enfants rsolveurs de problmes qui se montrent trs
performants en rsolution de problme et excellent dans les tches en temps limit,
2. Les enfants prsentant un haut potentiel par exemple lors d'olympiades mathmatiques et, dun autre ct, les enfants cher-
en mathmatiques cheurs qui prfrent les problmes ncessitant de longues dmonstrations et
rencontrent des difficults pour travailler en temps limit. Alors que les premiers
Les enfants et adolescents haut potentiel en mathmatiques prsentent sintressent particulirement rechercher des solutions des problmes poss par
eux aussi des performances en mathmatiques bien suprieures la moyenne, d'autres personnes, les seconds prfrent rsoudre des problmes qu'ils se posent
mais leurs capacits sont diffrentes de celles des calculateurs prodiges. Ainsi, habituellement eux-mmes et inventer leurs propres mthodes de rsolution.

98 Partie 2 - Approfondir Chapitre 4 99


Au-del de ces possibles distinctions, tous les enfants haut potentiel en math- intermdiaires dans un argument logique, penser dans des formes mathmatiques
matiques prsentent nanmoins des caractristiques communes et certains auteurs abrges et mmoriser des relations mathmatiques, des types de problmes et des
ont propos des dfinitions qui peuvent aider au dpistage de ces enfants. Comme le formes de raisonnement gnraliss. Selon Krutetskii (1976), la vitesse de traitement
souligne McClure (2001), certains considrent que le haut potentiel en mathmatiques de l'information, les capacits de calcul et de mmorisation des nombres, des symboles
pourrait tre identifi prcocement par le fait que ces jeunes enfants aimeraient les ou des formules et les capacits spatiales ne sont pas les caractristiques les plus impor-
nombres et les utiliseraient dans les histoires quils racontent. Ils pourraient argu- tantes du talent en mathmatiques. Nanmoins, il faut prciser que ces enfants se
menter, questionner et raisonner en utilisant des connecteurs logiques comme si , montrent souvent capables datteindre la rponse avec une vitesse et une efficacit
alors , parce que . Ces jeunes enfants prendraient particulirement plaisir dans inhabituelles, ce qui leur permet probablement de mieux intrioriser les concepts
les jeux de construction. Ils se montreraient galement prcis pour arranger des objets mathmatiques (Wieczerkowski, Cropley et Prado, 2000).
et utiliseraient lquilibre et la symtrie (par exemple, ordonnant leurs poupes selon
leur taille). Ils pourraient utiliser des critres sophistiqus pour mettre ensemble et clas- Caractristiques cognitives des lves prcoces en mathmatiques et des
ser. McClure (2001) ajoute que Paula Iley, enseignante anglaise spcialise dans la lves non-prcoces (Krutetskii, 1976, cit par Benbow, 1988).
prise en charge ducative des enfants haut potentiel, note que les enfants haut
potentiel en mathmatiques prennent plaisir discuter de mathmatiques concrtes
et abstraites, quils montrent une grande habilet estimer et prdire correctement lves prcoces en mathmatiques lves non-prcoces
des rsultats. Ils se montrent persvrants et flexibles dans leur recherche de solutions Percevoir les informations . Percevoir les informations mathmatiques
et peuvent appliquer le mme mode de rsolution de problme dans une grande ten- mathmatiques d'un problme d'un problme comme des donnes
due de contextes. De plus, Iley indique quils peroivent les applications pratiques et de faon analytique et synthtique non-relies ; avoir des difficults
quotidiennes des mathmatiques et se montrent holistiques dans leur approche synthtiser les donnes.
des problmes mathmatiques. Ils ont une approche globale des problmes et peuvent Gnraliser rapidement le contenu Gnralisations lentes.
intgrer simultanment diverses informations (Iley, 2000). d'un problme et la mthode
Une analyse qualitative des processus utiliss par les enfants prsentant un haut de rsolution.
potentiel en mathmatiques a amen Krutetskii (1976) conclure que le talent math- Transposer les processus de rsolution Transposer les processus de rsolution
matique se dfinit par des processus cognitifs qualitativement diffrents de ceux des des problmes similaires aprs des problmes similaires aprs un long
lves ordinaires. Entre 1955 et 1966, lauteur a tudi 192 enfants gs de 6 16 quelques exemples entranement
ans, dont 34 taient jugs comme prsentant un haut potentiel en mathmatiques.
Passer facilement d'un processus Manquer de flexibilit dans la pense.
Les participants taient observs pendant quils rsolvaient quatre types de problmes
cognitif un autre.
mathmatiques inhabituels, diffrents des problmes traits lcole et de difficult
varie (e.g., Explique-moi pourquoi les carrs de deux nombres pairs diffrent par Ne pas dpendre de techniques . tre fix sur des techniques connues.
un multiple de 4 ). Lexprimentateur interrogeait les enfants sur la faon dont ils conventionnelles
taient parvenus la solution. A la suite de ces tudes, Krutetskii a pu dcrire des Rechercher des solutions lgantes. Se satisfaire de n'importe quelle solution.
caractristiques qui distinguent les enfants haut potentiel en mathmatiques des Pouvoir facilement mener Avoir de grandes difficults travailler
enfants typiques (Tableau 2). Les enfants haut potentiel en mathmatiques pour- un raisonnement inverse .partir de la solution d'un problme.
raient saisir la structure formelle dun problme, gnraliser rapidement partir partir de la solution d'un problme
dexemples, raisonner logiquement et, par consquent, dvelopper des chanes de
tudier les diffrents aspects tre dirig par le but.
raisonnement. Ils seraient galement capables de penser de manire flexible, cest--
d'un problme difficile avant
dire dadapter leur faon dapprhender les problmes et de passer dun mode de
de chercher le rsoudre.
pense un autre. Ils se caractriseraient aussi par la rversibilit du raisonnement
Se souvenir des structures gnrales . Se souvenir de dtails contextuels.
mathmatique (i.e., ils seraient capables de travailler vers lavant et vers larrire
des problmes et des solutions
lorsquils tentent de rsoudre un problme). Ils pourraient aussi omettre des tapes

100 Partie 2 - Approfondir Chapitre 4 101


notamment lhmisphre crbral gauche. Ainsi, daprs Geschwind et Behan
tre moins fatigu pendant des tre facilement fatigu par un problme
(1982), qui ont observ des frquences leves de dsordres immunitaires chez
activits mathmatiques que pendant difficile ou ncessitant un grand nombre
les individus gauchers, le fait dtre gaucher et lexistence associe de dsordres
toutes autres activits. d'tapes.
immunitaires pourraient tre dus une forte exposition ou une haute sensibi-
Voir le monde de faon . N'avoir aucune tendance mathmatiser lit la testostrone pendant la priode ftale, qui ralentirait le dveloppement
mathmatique ses expriences quotidiennes. de lhmisphre crbral gauche, augmenterait celui de lhmisphre droit et
perturberait le dveloppement de structures immunitaires importantes (i.e., le
Les travaux mens par Benbow et ses collaborateurs dans le cadre du vaste thymus). Un taux plus important de testostrone aurait donc pour consquence
programme de recherche S.M.P.Y. ( Study of Mathematically Precocious Youth ) un dveloppement plus symtrique des deux hmisphres crbraux et permet-
leur ont permis de dgager un certain nombre de caractristiques des adoles- trait par consquent la construction de reprsentations plus bilatrales (Benbow,
cents extrmement prcoces en mathmatiques quils tudient. Lobjectif de ce 1986). En effet, laptitude extrme au raisonnement mathmatique et/ou verbal
programme amricain est didentifier les adolescents haut potentiel en math- pourrait tre associe une participation conjointe des deux hmisphres cr-
matiques et de leur apporter une aide ducative adapte. Pour slectionner les braux. Afin dtudier cette possibilit, Benbow et ses collaborateurs se sont
adolescents qui participeraient ce programme, les auteurs ont utilis un test intresss aux relations entre un haut potentiel en mathmatiques et des mesures
standardis daptitude scolaire ncessaire aux Etats-Unis pour postuler physiologiques et neuropsychologiques (Benbow, 1986 ; O'Boyle, Alexander et
ladmission dans les universits, le Scholastic Aptitude Test (S.A.T.), au sein duquel Benbow, 1991 ; O'Boyle et Benbow, 1990 ; O'Boyle et Hellige, 1989).
on distingue une partie mathmatique, le S.A.T.-M, et une partie verbale, le Notamment, OBoyle, Vaughan, Cunnington, Puce, Syngeniotis et Egan (2002)
S.A.T.-V.. Leurs scores placent les adolescents prcoces en mathmatiques et ont observ lactivation crbrale dadolescents haut potentiel en mathma-
en verbal tudis dans le 1% suprieur de la population de leur ge sur le domaine tiques lors dune tche de rotation mentale3. Non seulement lactivation crbrale
valu. Dabord, lobservation de lchantillon ainsi slectionn rvle des diff- tait globalement plus importante chez les adolescents haut potentiel que chez
rences avec la population gnrale. Comme nous avons vu dans le chapitre 2 du des adolescents ordinaires, mais, lors de la rsolution de la tche, lactivation
prsent ouvrage, les nombreuses recherches menes dans le cadre du S.M.P.Y. conjointe des deux hmisphres crbraux taient plus frquente pour les premiers.
suggrent que les adolescents haut potentiel en mathmatiques sont plus Les donnes neuropsychologiques actuellement disponibles suggrent donc que
souvent des garons que des filles et, parmi les adolescents extrmement prcoces lors du traitement d'informations verbales et visuelles, les adolescents haut
en mathmatiques, les garons obtiennent souvent de meilleures performances potentiel en mathmatiques utilisent davantage leur hmisphre droit que les
en mathmatiques que les filles (Benbow, 1988 ; Benbow, Lubinski, Shea et adolescents ordinaires et que la collaboration entre les deux hmisphres crbraux
Eftekhari-Sanjani, 2000 ; Benbow et Stanley, 1983 ; Dark et Benbow, 1990, est plus importante chez les adolescents haut potentiel. Des donnes compor-
1991 ; Stanley, 1993). Nanmoins, ces diffrences pourraient tre spcifiques tementales viennent appuyer ces conclusions. Ainsi, Singh et OBoyle (2004) ont
aux adolescents amricains tudis dans le cadre de ce programme. compar des adolescents prsentant un haut potentiel en mathmatiques et des
adolescents prsentant un potentiel moyen lors dune tche de comparaison de
Autre diffrence avec la population gnrale, les adolescents extrmement
deux stimuli. Il sagissait de dire si les deux stimuli taient identiques ou diff-
prcoces (en mathmatiques ou en verbal) tudis par Benbow (1986) savrent
rents. Deux grandes lettres formes de petites lettres taient prsentes soit toutes
tre quatre fois plus souvent myopes que les lves ordinaires. La proportion de
deux dans le champ visuel droit, soit toutes deux dans le champ visuel gauche, soit
troubles immunitaires est aussi plus importante chez les adolescents haut poten-
une dans chacun des champs visuels. Les participants devaient comparer les
tiel que chez les adolescents ordinaires. Ils sont notamment deux fois plus souvent
grandes lettres (i.e., utiliser un critre global) ou les petites lettres (i.e., critre
sujets des allergies. Enfin, la proportion de gauchers et d'ambidextres est plus
local) des deux stimuli (Figure 3). Conformment la littrature concernant cette
importante chez les adolescents qui ont un niveau trs lev (en mathmatiques
preuve, les participants moyens se montraient plus rapides pour effectuer des
ou en verbal) que dans la population ordinaire (Benbow et Benbow, 1984 ;
comparaisons locales lorsque les deux stimuli taient prsents gauche
Benbow, 1986). Lexplication de ces diffrences entre la population des enfants
(lhmisphre crbral droit tant spcialis dans le traitement local) et plus rapides
haut potentiel et celle des enfants ordinaires serait biologique. Lhormone prna-
pour effectuer des comparaisons globales lorsque les stimuli taient tous deux
tale qui dtermine le sexe du foetus influencerait certains organes en formation,

102 Partie 2 - Approfondir Chapitre 4 103


prsents droite (lhmisphre gauche tant spcialis dans le traitement global). Enfin, il a t montr dans le cadre du programme S.M.P.Y. que le haut
Au contraire, les performances des adolescents fort potentiel ne rvlaient pas potentiel en mathmatiques saccompagne chez les enfants tudis de scores
de diffrence hmisphrique. En outre, alors que les adolescents moyens taient levs aux tests de raisonnement non-verbal et verbal, aux tests de raisonne-
plus rapides pour effectuer des comparaisons lorsque les deux stimuli taient ment abstrait, ainsi quaux tests d'habilets spatiales (Benbow, Stanley, Kirk et
prsents dans le mme champ visuel, les adolescents fort potentiel taient au Zonderman, 1983). Benbow et Minor (1990) ont prcis le profil cognitif des
contraire plus rapides lorsque les deux stimuli taient prsents chacun dans un adolescents haut potentiel en mathmatiques en comparant leurs perfor-
champ visuel. Ces rsultats suggrent encore que les adolescents haut poten- mances divers tests dhabilets cognitives celles dadolescents haut
tiel en mathmatiques coordonnent mieux lactivit des deux hmisphres potentiel en langage (caractriss par un score trs lev au S.A.T.-V). Les
crbraux. Daprs Singh et OBoyle (2004), cette caractristique pourrait tre performances des adolescents ne pouvaient tre expliques par un seul facteur
une caractristique fonctionnelle spcifique aux cerveaux des individus haut dintelligence gnrale, mais taient expliques par trois facteurs, lun relatif
potentiel en mathmatiques. au raisonnement verbal, un autre au raisonnement non verbal, et le troisime
la vitesse. Alors que les adolescents haut potentiel en langage obtenaient
Stimuli utiliss par Singh et OBoyle (2004) de meilleurs scores aux tests de raisonnement verbal et de connaissances gn-
rales, les adolescents haut potentiel en mathmatiques obtenaient de
meilleures performances aux preuves de raisonnement non verbal, dhabile-
ts spatiales et de vitesse. Dark et Benbow (1990, 1991) ont elles-aussi compar
des adolescents haut potentiel en mathmatiques et des adolescents haut
potentiel en langage pour dterminer sils diffraient relativement la compr-
hension dun problme (il sagissait de rdiger un texte partir dune quation),
ou la traduction dun problme en quation. Elles cherchaient aussi dter-
miner si leurs capacits maintenir et manipuler des informations spatiales,
des informations numriques ou des mots en mmoire de travail taient diff-
rentes. Dabord, les adolescents haut potentiel en langage taient meilleurs
dans le maintien de mots en mmoire et les deux groupes ne diffraient pas
concernant leur comprhension du problme. Nanmoins, relativement aux
adolescents haut potentiel en langage, les adolescents haut potentiel en
Champ Visuel Gauche Champ Visuel Droit
mathmatiques tmoignaient dune plus grande capacit en mmoire de travail
pour reprsenter et manipuler les informations spatiales et numriques, et
Hmisphre Crbral Droit Hmisphre Crbral Gauche dune meilleure habilet traduire linformation mathmatique prsente sous
forme linguistique en quations. Ces rsultats ont amen Dark et Benbow
(1990) proposer dajouter ces deux caractristiques la liste tablie par
Benbow en 1988. Cette dernire avait en effet dj rpertori les caractris-
tiques cognitives qui avaient t suggres comme relies aux habilets
importantes des adolescents haut potentiel en mathmatiques : habilets
spatiales, indpendance lgard du champ, utilisation dimages, logique, intui-
tion, flexibilit, habilet reconnatre les stratgies non appropries, excellente
mmoire, comptences verbales et de raisonnement importantes.
Lensemble des recherches prsentes jusquici suggre que les adolescents
haut potentiel en mathmatiques diffrent qualitativement des adolescents
Bilatral-Coopration ordinaires, aussi bien au niveau de leurs performances et des processus mis en

104 Partie 2 - Approfondir Chapitre 4 105


uvre quau niveau de l'activation de leurs aires crbrales. Nanmoins, il est Caractristiques des stratgies utilises par les enfants ordinaires
important de rappeler que les adolescents tudis dans le cadre du programme et par les enfants haut potentiel pour rsoudre
S.M.P.Y. se trouvent vraiment l'extrmit suprieure de la population haut des additions lmentaires, daprs Geary et Brown, 1991.
potentiel en mathmatiques. Leur score au S.A.T.-M les situe dans le 1%
Frquence Temps de rponse
suprieur de la population gnrale. Par consquent, il est possible que les Taux derreurs (%)
dutilisation (%) moyen (sec.)
rsultats exposs jusquici ne soient pas gnralisables l'ensemble des enfants Enfants Enfants Enfants
haut potentiel en mathmatiques. Dailleurs, les rsultats de Benbow et ses Enfants Enfants Enfants
Stratgie haut haut haut
ordinaires ordinaires ordinaires
collgues concernant les performances et les activations crbrales des adoles- potentiel potentiel potentiel
cents haut potentiel en mathmatiques nont toujours pas t rpliqus. Comptage
10 2 4.0 3.2 6 6
Dautres recherches suggrent, au contraire, que les enfants haut potentiel en sur les doigts
mathmatiques ne sont pas qualitativement diffrents de leurs pairs, mais qu'ils Comptage
29 10 2.6 2 13 11
dveloppent strictement les mmes habilets un rythme plus rapide (Geary verbal
et Brown, 1991 ; Lubinsky et Humphreys, 1992 ; Shavinina, 1999). Les struc- Rcupration 61 88 1.5 1.3 11 2
tures cognitives des enfants haut potentiel en mathmatiques seraient
identiques celles des enfants moyens, mais elles fonctionneraient de faon Pour rsumer, deux approches du haut potentiel en mathmatiques co-exis-
plus efficace (Geary, 1994). tent actuellement. Ainsi, les diffrences de performances entre les enfants haut
Les enfants haut potentiel en mathmatiques semblent, en effet, se montrer potentiel en mathmatiques et les enfants ordinaires sont considres par certains
plus matures que les enfants ordinaires essentiellement pour trois dimensions auteurs comme la manifestation de diffrences qualitatives, et par dautres, comme
cognitives (Sternberg et Davidson, 1986). Ils tmoignent dabord dune meilleure la manifestation de diffrences quantitatives en termes davance dveloppemen-
comprhension conceptuelle des mathmatiques. Leur vitesse de traitement de tale. Le dbat reste donc ouvert. En outre, le dveloppement des comptences
linformation est aussi plus importante que celle des enfants ordinaires. La des enfants haut potentiel en mathmatiques est encore mal connu. La plupart
plupart dentre eux traitent l'information aussi vite que des adultes moyens ds des recherches portent sur l'tude des diffrences individuelles entre des enfants
la fin de l'cole lmentaire (Keating et Bobbitt, 1978). Enfin, lors de la rso- haut potentiel en mathmatiques et leurs pairs, ou sintressent aux consquences
lution de problmes, ils utilisent des stratgies qui ne sont pas qualitativement lge adulte du haut potentiel en mathmatiques identifi vers lge de 13 ans
diffrentes, mais qui sont plus matures que celles de leurs pairs (Siegler et (Bleske-Rechek, Lubinski et Benbow, 2004 ; Richardson et Benbow, 1990 ; Webb,
Kotovsky, 1986). Les stratgies quils mettent en oeuvre sont similaires celles Lubinski et Benbow, 2002). Nous ne disposons malheureusement pas dtudes
des adultes ou des enfants plus gs. Notamment, Geary et Brown (1991) ont dveloppementales de cette population. Les connaissances disponibles ont nan-
montr que les enfants haut potentiel gs de 10-11 ans utilisent plus souvent moins dj permis la mise en place de mthodes denseignement particulires
et plus efficacement la rcupration directe en mmoire que leurs pairs moyens pour les enfants et adolescents haut potentiel en mathmatiques.
pour rsoudre des additions lmentaires (Tableau 3). Daprs ces auteurs, la
supriorit des enfants haut potentiel pourrait tre explique par une organi- b. Les mthodes denseignement
sation des faits arithmtiques en mmoire long terme proche de celle des Concernant tout dabord lenseignement des mathmatiques dans le circuit
adultes. En effet, mme si la vitesse de la rcupration en mmoire est plus lente ordinaire, de nombreux travaux ont mis en vidence des diffrences de performances
chez les enfants haut potentiel que chez les adultes, la frquence laquelle en mathmatiques entre les lves selon les pays (Stevenson, Chen et Lee, 1993 ;
cette stratgie est utilise et son efficacit est similaire dans les deux popula- Stevenson, Lee, Chen, Lummis, Stigler, Liu et Fang, 1990 ; Stevenson et Stigler,
tions. La diffrence dveloppementale entre les enfants haut potentiel et leurs 1992). Notamment, lenqute internationale Trends in International Mathematics
pairs normaux pourrait provenir du fait que les enfants haut potentiel appren- and Science Study mene par l' International Association for the Evaluation of
nent plus vite et quils ont une plus grande capacit mettre ensemble les Educational Achievement (Mullis, Martin, Gonzalez et Chrostowski, 2003) conclut
informations pour construire prcocement de nouvelles stratgies (Sternberg et la supriorit en mathmatiques des lves des pays asiatiques (i.e., Singapour,
Davidson, 1986). Core, Chine et Japon) par rapport aux lves europens et amricains (Tableau 4).

106 Partie 2 - Approfondir Chapitre 4 107


Quelques rsultats de lenqute internationale T.I.M.S.S.: Ces programmes se distinguent selon le cadre institutionnel dans lequel se
Scores moyens obtenus lchelle dvaluation des mathmatiques droule l'enseignement (i.e., dans la classe ou lextrieur de la classe), selon le
par les lves de 10 et 14 ans de diffrents pays, type de regroupement effectu (i.e., enfants regroups selon leur niveau d'habi-
daprs Mullis, Martin, Gonzalez et Chrostowski, 2003. lets ou selon leurs intrts) et surtout, selon l'approche adopte. On distingue
en effet essentiellement deux types de programmes d'enseignement, qui repo-
Groupe dge 4th Grade Groupe dge 8th Grade
sent sur les deux approches distingues plus haut (cf. aussi Wieczerkowski et al.,
Pays ge moyen Score moyen ge moyen Score moyen 2000). Les enfants haut potentiel en mathmatiques sont considrs soit comme
Moyenne quantitativement diffrents des lves ordinaires (i.e., ils sont plus rapides, ils
10.3 495 14.5 467
internationale ont plus de connaissances), soit comme qualitativement diffrents (i.e., ils
Singapour 10.3 594 14.3 605 utilisent des stratgies de rsolution, des processus cognitifs diffrents).
Japon 10.4 565 14.4 570 Dans le premier cas, les enfants haut potentiel se verront prsenter le mme
programme que dans le circuit ordinaire, mais en un temps plus court
tats-Unis 10.2 518 14.2 504
(programmes dits d acclration ), soit en passant directement la classe
Italie 9.8 503 13.9 484 suprieure, soit en entrant dans une classe spciale qui propose un rythme plus
Norvge 9.8 451 13.8 461 rapide. Par exemple, le Center for Talented Youth (Universit John Hopkins)
Angleterre 10.3 531 14.3 498 propose aux lves ayant obtenu des scores levs au S.A.T.-M des stages inten-
sifs de 3 semaines. Les lves sont regroups en fonction de leur niveau de
connaissances dans le domaine sur lequel portera le stage. La progression se fait
Lexistence de diffrences entre les mthodes d'enseignement des math- un rythme acclr correspondant celui des lves et le programme est celui
matiques utilises dans ces pays pourrait tre une des causes des diffrences de de lcole dont ils sont issus (Barnett et Corazza, 1993). L'approche sous-jacente
performances des lves. En effet, la comparaison des mthodes utilises dans est donc essentiellement quantitative. Les enfants haut potentiel en math-
le circuit ordinaire au Japon, en Allemagne et aux Etats-Unis rvle lutilisation matiques sont conus comme possdant de nombreuses connaissances et comme
de deux mthodes distinctes. Alors que les enseignants japonais incitent leurs tant capables de rsoudre plus rapidement des problmes.
lves trouver leurs propres solutions aux problmes poss et discutent ensuite Dans le second cas, lorsque les enfants haut potentiel sont perus comme
avec eux de lapplication possible de ces solutions dautres problmes, les ensei- tant qualitativement diffrents des lves ordinaires, les mthodes d'enseigne-
gnants allemands et amricains communiquent des savoir-faire standards. Ils ment vont chercher dvelopper principalement leurs capacits de raisonnement.
dmontrent des solutions des problmes, puis donnent aux lves dautres Plus prcisment, dans les programmes dits d' enrichissement , les enfants sont
problmes qui ncessitent dappliquer les mmes solutions. Ltude de Stevenson, exposs un matriel diffrent de celui du programme ordinaire, par exemple
Lee et Mu (2000) souligne limpact important des facteurs motivationnels, en lors de classes d'approfondissement. Comme le soulignent Rotigel et Fello
plus des facteurs cognitifs, sur le dveloppement des comptences mathma- (2004), certains enfants haut potentiel peuvent en effet bnficier de la modi-
tiques. Ces auteurs ont compar des lves chinois et amricains suprieurement fication et de lenrichissement du programme classique de mathmatiques.
performants en mathmatiques ou de niveau moyen. Leurs rsultats rvlent Lenrichissement est conu pour exposer les enfants une grande varit de
que parmi les adolescents chinois, tous semblent avoir la mme motivation pour thmes relis ceux du programme ordinaire et leur permettre des investiga-
les tudes et la mme attitude critique face leurs performances. Parmi les lves tions plus approfondies de ces thmes. Dans les cas o les lves sont regroups
amricains au contraire, seuls ceux appartenant au groupe suprieurement perfor- selon leur niveau de comprhension des concepts mathmatiques, des opportu-
mant tmoignent de cette motivation. Daprs les tudes interculturelles, certains nits supplmentaires dapprentissage peuvent tre proposes, comme la
systmes ducatifs savrent donc plus appropris au dveloppement des comp- ralisation de projets individuels ou dactivits de groupes qui mettront en rela-
tences mathmatiques que dautres. la suite de cette observation, des tion les concepts mathmatiques avec des vnements et des scnarios du monde
programmes d'enseignement ont t conus pour les enfants haut potentiel rel (Rotigel et Fello, 2004). Par exemple, le programme dvelopp par la
en mathmatiques. William Stern Society for Research on Giftedness (Universit de Hambourg)

108 Partie 2 - Approfondir Chapitre 4 109


privilgie la qualit des stratgies utilises pour rsoudre les problmes. Les Comme nous lavons dj soulign, la plupart des tudes sont essentiellement
lves sont placs dans des situations de mini-recherches afin de dvelopper descriptives, et les recherches menes sur ces populations exceptionnelles ne
leurs capacits de raisonnement logico-mathmatique. sont que faiblement relies avec celles menes sur le fonctionnement cognitif
[TL2] Daprs Rotigel et Fello (2004), puisque de nombreux lves haut poten- au niveau de la population gnrale. En outre, lorigine et le dveloppement des
tiel en mathmatiques matrisent dj les habilets lmentaires, les activits comptences exceptionnelles des prodiges et des enfants haut potentiel restent
proposes dans les programmes denrichissement peuvent savrer ne pas constituer aujourdhui mal connus. Par consquent, des recherches devront encore tre
des dfis suffisants pour eux, et un certain degr dacclration est alors ncessaire. menes dans ce domaine pour permettre une prise en charge optimale de tous
Dailleurs, dans les faits, les deux types de programmes sont trs souvent combins. les individus aux comptences exceptionnelles en mathmatiques.
Par exemple, les lves travaillent sur le programme ordinaire plus rapidement, ce
qui libre du temps qui peut tre consacr des activits d'approfondissement Notes
(Winebrenner, 2003). En effet, bien qu'il soit possible de faire suivre aux lves un
1 Il semble en effet que les calculateurs prodiges sont plus frquemment des hommes.
programme d'acclration sans enrichissement ou un programme denrichissement Nanmoins il est possible que cette diffrence ne soit quapparente (Smith, 1983).
sans acclration, la combinaison des deux types d'enseignement semble tre la Elle pourrait provenir du fait que les descriptions de cas de femmes prodiges sont
formule qui permet d'obtenir les meilleurs rsultats (Wieczerkowski et al., 2000). rares. Il est possible galement que les femmes disposent de moins dopportunits
pour dvelopper ce talent et quelles reoivent moins d'encouragements que les
hommes, par exemple de leur entourage familial.
Conclusion 2 noter que de faon assez gnrale, les calculateurs prodiges sont frquemment dcrits
comme des individus au temprament plutt solitaire.
L'examen des recherches menes sur les comptences exceptionnelles en 3 Dans les preuves de rotation mentale, on prsente des paires de figures gomtriques
mathmatiques nous a permis de prsenter dans ce chapitre les connaissances complexes constitues soit de deux figures identiques prsentes dans deux orienta-
actuelles concernant les caractristiques cognitives des calculateurs prodiges et tions spatiales diffrentes, soit de deux figures diffrentes. Les participants doivent
des enfants haut potentiel. La comparaison entre les deux populations dcrites dterminer pour chaque paire si les deux figures sont les mmes ou non en effectuant
permet assez immdiatement de constater que certaines caractristiques ont t mentalement la rotation des figures.
soulignes dans les deux cas. Dabord, les deux populations semblent essentiel-
lement masculines. En outre, il existe des similitudes dans les reprsentations Bibliographie
censes tre utilises lors dun calcul ou de la rsolution dun problme. Comme
BARLOW, F. (1952). Mental prodigies. New York, Greenwood Press.
les calculateurs prodiges auditifs , les enfants haut potentiel analytiques
sappuieraient plutt sur des codes verbaux et, comme les calculateurs visuels , BARNETT, L.B. et CORAZZA, L. (1993). Identification of mathematical talent
and programmatic efforts to facilitate development of talent. European
les enfants gomtriques privilgieraient les codes visuels. Enfin, limpor-
Journal of High Ability, 4, 48-61.
tance des capacits mmorielles a t souligne pour les deux populations. Les
capacits en mmoire de travail pour les informations numriques sont ainsi BENBOW, C.P. (1986). Physiological correlates of extreme intellectual precocity.
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plus importantes que chez les individus ordinaires, et le stockage et la rcup-
ration directe de faits arithmtiques en mmoire long terme semblent jouer un BENBOW, C.P. (1988). Neuropsychological perspective on mathematical talent.
rle important dans les performances des prodiges et des enfants haut poten- In L.K. OBLER et D. FEIN (Eds.), The exceptional brain: Neuropsychology
of talent and special abilities (pp. 48-69), New York, The Guildford Press.
tiel. Nanmoins, des diffrences fondamentales entre les deux populations
doivent aussi tre soulignes. Malgr leurs comptences exceptionnelles pour le BENBOW, C.P. et BENBOW, R.M. (1984). Biological correlates of high mathe-
calcul mental, les calculateurs prodiges rencontrent souvent des difficults lors matical reasoning ability. In G.J. DE VRIES, J.P.C. DE BRUIN, H.B.M.
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contraire, le talent des enfants haut potentiel se manifeste par une compr-
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hension et une manipulation exceptionnelles des concepts mathmatiques.

110 Partie 2 - Approfondir Chapitre 4 111


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teur prodige. La Recherche, 344, 66-68.

hautes potentalits
Depuis de longues dates, il existe un intrt pour la prcocit et/ou les capa-
cits hors normes chez certaines personnes mais ce nest que de faon rcente
quune approche neurocognitive merge concernant les capacits spciales et/ou
parfois ingales constates chez certains enfants.

Nous prsenterons dans ce chapitre une approche de la neuropsychologie


dveloppementale qui permettra de faire les liens entre le dveloppement des
enfants hautes potentialits et lorganisation crbrale.

Lorganisme de tout individu au cours de son volution, depuis la vie intra-


utrine, reoit des informations issues tant de lenvironnement que de ses propres
affrences. La premire phase du processus de maturation crbrale au cours de
la premire moiti de la grossesse est principalement sous contrle gntique,
alors que les affluences lies lenvironnement sont prpondrantes pendant la
deuxime phase (deuxime moiti de la grossesse), qui plus particulirement
offre un potentiel important de rorganisation du dveloppement (plasticit). La
redondance transitoire des connections pendant lenfance et leur slection secon-
daire permettent de soulager le dterminisme gntique de lorganisation
crbrale. travers celle-ci, se construit le support neurobiologique de
lapprentissage et aussi de la variabilit inter-individuelle.

116 Partie 2 - Approfondir Chapitre 5 117


Nous rappelerons dabord succinctement le contexte dveloppemental et mettant disposition des mcanismes de traitement de linformation et permet-
son support neurobiologique , et les difficults concernant la terminologie tant au bb dorganiser des rponses sensori-motrices et perceptivo-motrices.
employe autour de lenfant hautes potentialits , avant dexposer les donnes Sous l'angle neuro-anatomique, il n'y a pas seulement congut des cellules
dveloppementales dont nous disposons actuellement sur la priode prscolaire. et intrication dans leurs connexions, mais il existe entre elles des faisceaux d'as-
Nous rapporterons une tude longitudinale sappuyant sur des donnes prina- sociations au niveau des centres corticaux et des centres sous-corticaux
tales, qui nous permet douvrir le dbat en amont du syndrome de dyssynchronie thalamiques, impliqus dans les secteurs de l'affectivit et de la motivation. Une
entre fonctions intellectuelles et fonctions psychomotrices souvent constat unit physiologique thalamo-corticale et cortico-thalamique se traduit dans le
lge scolaire (Vaivre-Douret, 2004a). Lensemble des donnes dveloppemen-
dveloppement psychomoteur du nourrisson. Des rcentes tudes en sciences
tales sera discut ensuite et interprt avant daborder le fonctionnement crbral
cognitives (Berthoz et al., 2002, 2003) mettent en vidence le rle du cingulum
de lenfant hautes potentialits partir de travaux suggrant certaines parti-
dans le contrle motionnel comme structure amodale .
cularits concernant la spcialisation hmisphrique et le dveloppement
neuro-cognitif en lien avec la maturation crbrale ( Jambaqu, 2004)
b. Terminologie employe propos de lenfant hautes
potentialits
1. Contexte dveloppemental La terminologie employe pour dsigner les enfants hautes potentiali-
ts , plus communment dnomms sous le terme de surdous ou d'enfants
a. Neuropsychobiologie intellectuellement prcoces (EIP), ou encore enfants haut potentiel (H.P.),
reste sujet controverse. Dans ce chapitre, nous employons le terme d'enfant
Lorganisme de tout individu reoit au cours de son volution des informa- hautes potentialits ou d'enfant aux aptitudes hautement performantes ,
tions issues tant de ses propres affrences sensorielles (tact, quilibration, etc.) l'aptitude n'tant pas lie l'apprentissage et les potentialits renvoyant une
que de lenvironnement. La mise en oeuvre des systmes sensoriels (tact, vesti- diversit de dispositions potentielles susceptibles de recevoir, dans certaines
bulaire, gustation, olfaction, auditif, visuel) et moteurs seffectue selon une conditions d'exercice et de motivation, les impulsions ncessaires leur dve-
hirarchie fonctionnelle in utero. Ces systmes senrichissent mutuellement et loppement (Vaivre-Douret, 1999a, 2002, 2004a).
progressivement pour raliser de vritables coordinations sensori-motrices et
Certaines dfinitions, comme celle du rapport Marland (1972) aux tats-
perceptivo-motrices la naissance (Vaivre-Douret, 1997, 2003). On peut donc
Unis, mettent en vidence les aptitudes refltant des traits qui pouvent tre isols
souligner que lorganisation temporelle de lexprience acquise dj in utero parti-
ou associs, telles que l'aptitude intellectuelle gnrale, l'aptitude commander,
cipe lorganisation des structures neurophysiologiques crbrales.
l'aptitude psychomotrice, etc. Daprs ce rapport, les enfants dous et talentueux
Une activit crbrale dauto-stimulation neuro-physiologique permanente sont ceux qui sont reconnus par des personnes professionnellement qualifies,
maintient le niveau dactivation lctrique des neurones, y compris pendant le et, en vertu daptitudes hors pair, capables de grandes performances. Alors que
sommeil (exemple des mouvements oculaires), ce qui permet de maintenir ces les tests classiques, comme ceux de Wechsler (exemple du Wisc III) ne mesu-
systmes fonctionnels. Ceci a t tabli depuis longtemps par les expriences de rent que certains types d'intelligence : langagire, spatiale, logico-mathmatique.
privation et de dprivation chez lanimal (Held et Hein, 1963). Gardner (1983) et dautres auteurs ont dcrit plusieurs formes d'intelligence :
Des travaux mettent en vidence un modle interne de la perception (Vaivre- langagire, logico-mathmatique, spatiale, musicale, somato-kinesthsique, inter-
Douret, 1997 ; Vaivre-Douret et Burnod, 2001 ; Vaivre-Douret, 2002), qui se individuelle, introspective, naturaliste, motionnelle (cf. chapitre 2).
construit sur les bases physiologiques des systmes sensoriels et moteurs. En effet, Cette dmarche est assez rcente et encourage ne pas isoler le Q.I. mais
la hirarchisation importante de lorganisation corporelle et crbrale, ainsi que la le confronter la mesure d'autres tests abordant la sphre psycho-affective. Ainsi
mise en jeu des diffrents systmes sensoriels et moteurs, seffectuent de faon ht- des investigations complmentaires systmatiques devraient inclure des tests de
rogne et progressive, en fonction de la corticalisation de chaque systme en rseaux personnalit, et, en fonction des difficults certains subtests, des valuations
neuronaux ; celle-ci est lie lexercice de la fonction en jeu, exercice qui maintient neuropsychologiques plus fines.
une activit slective crbrale dauto-stimulation physiologique permanente

118 Partie 2 - Approfondir Chapitre 5 119


ct, ou avec des saccades oculaires rapides qui donnent cette continuit au
2. Donnes dveloppementales mouvement. Leur neuromotricit axiale est dj mature.
On constate entre le premier mois de vie et deux ans (Vaivre-Douret, 2004a) :
a. Introduction une disparition prcoce des rflexes archaques, aprs un mois de vie, tels
Nous nous proposons de faire tat des donnes dveloppementales prina- que le rflexe de Moro et de la marche automatique ;
tales et de la petite enfance dont nous disposons sur des enfants hautes une avance de la maturation axiale cphalo-caudale et de la maturation
potentialits . proximo-distale, respectant le passage rapide par les diffrentes acquisi-
Ces donnes (Vaivre-Douret, 2004a) sont totalement absentes de toutes les tions des coordinations transitoires squentielles qui permettent une
descriptions autour de l'enfant surdou qui est souvent dcrit un ge scolaire o autonomie de mouvement (Vaivre-Douret, 1997 ; 1999b ; 2004a et b).
une dyssynchronie (Terrassier, 1979, 1999) des fonctions intellectuelles/psycho- Ces donnes confrontes aux chelles dvaluation dveloppementale
motrices/affectivit/ sociabilit est observe. L'apport original de ces donnes (Brunet-Lzine, 1951-1997) et lchelle de dveloppement moteur fonction-
peut nous permettre de mieux comprendre le dveloppement spcifique de ces nel (DF-MOT, Vaivre-Douret, 1997-1999b) montrent (Tableau I) une prcocit
enfants et leurs processus de traitement de l'information, en interaction avec leur du dveloppement moteur, avec respectivement une avance moyenne dau moins
environnement (Encadr I). 1 2 mois ou de 1 2 carts-type par rapport la moyenne. Il existe une varia-
bilit autour de la moyenne (Vaivre-Douret, 2004a) qui nexclut pas des cas
tude longitudinale dveloppementale particuliers de dviation du dveloppement en cas de dysfonctionnements neuro-
(Vaivre-Douret, 2004a) psychologiques ou psychopathologiques associs (Vaivre-Douret, 2002). Cette
avance apparat dveloppementale, sans stimulation spcifique : sur le plan du
Cette tude concerne une population denfants tout venants bien portants suivis langage, la prcocit est paralllement notable (Vaivre-Douret, 2004a).
en longitudinal dans le cadre dune consultation de pdiatrie (PMI). Votre propo-
sition ne me convient pas car ils reprsentent 2 5% de la population gnrale Normes dveloppementales franaises sur les deux premires annes
de vie compares aux rsultats des items de dveloppement moteur
Les dossiers des enfants ont t slectionns par tirage au sort (N = 60) lge pr- obtenus dans lchantillon denfants hautes potentialits suivis en
scolaire ou scolaire en fonction du test de QI (suprieur ou gal 130) et sans longitudinale (N = 60) (Vaivre-Douvret, 2004a)
diffrence significative entre le QI de performance et le QI verbal. De plus, ces
enfants ne devaient avoir prsent aucune difficult dans leur dveloppement avant Items observs chantilons N = 60 Normes DF-MOT Normes
3 ans et devaient rpondre des critres dinclusion tels que tre ns terme, tre en moyenne dge et (ECPA 1997) Brunet-Lzine
indemnes de troubles dveloppementaux et avoir rpondu une valuation no- cart-type* moyenne dge russite
natale satisfaisante dun point de vue neurologique et neuropsychomoteur. (mois, semaines) et cart-type 50-90 %
(mois, jours) (mois)
Lensemble des donnes dveloppementales recueilli rtrospectivement dans le - Tient sa tte dans laxe 1 m + 1 sem 2m4j+1m1j 3m
dossier a t analys sachant que tous ces enfants sont passs par les mmes
valuations du domaine neuromoteur, postural de la coordination visuo- - Prhension volontaire 3 m + 1 sem 4 m 10 j + 1 m 2 j 4m
manuelle et du domaine cognitif. - Retournements 4 m + 4 sem 6 m 10 j + 1 m 9 j 8m
- Station assise sans soutien 6 m + 3 sem 8m6j+1m2j 10 m
b. Dveloppement neuromoteur et moteur - Se met assis seul 7 m + 3 sem 8 m 24 j + 1 m 6 j 10 m
Nous relevons que, ds la naissance, ces enfants prsentent une mobilit - Se hisse debout avec appui 8 m + 4 sem 10 m 18 j + 1 m 18 j 10 m
dexploration trs active, par le regard, sur leur environnement. Leur oculo- - Quatre pattes 8 m + 3 sem 10 m 12 j + 1 m 3 j 9m
motricit est efficace avec une fixation et une poursuite oculo-cphalogyre, (ramp ou
4 pattes)
cest--dire une participation des yeux et de la tte ensemble sur 90 de chaque

120 Partie 2 - Approfondir Chapitre 5 121


tion de traits, configuration mentale). Tout ceci leur confre facilit et rapidit
- Saisit la perle entre
8 m + 2 sem 9 m 10 j + 1 m 6 j 9m de comprhension qui facilitent la mmoire de travail qui est aussi souligne
le pouce et lindex
par de Groot (1974) comme remarquable. OK pour la reformulation
- Marche autonome 12 m + 4 sem 14 m 20 j + 2 m 6 j 14 m
- Commence manger Lavance de la mise en place des pr-requis de la parole et du langage est
12 m + 2 sem 18 m 14 j + 1 m 2 j 17 m remarquable dau moins 3 mois en moyenne. De plus, ces enfants ne passent
seul la cuillre
- Monte et 15 m + 2 sem 17 m 4 j + 1 m 10 j -
pas par un langage bb. Leur vocabulaire est demble prcis, trs ajust, avec
un langage ais et une bonne utilisation prcoce de la syntaxe et des temps des
- Descend un escalier
avec aide sans changer 16 m + 3 sem 19 m 1 j + 1 m 2 j - verbes (moyenne 22 mois + 2 semaines).
de pied De faon spontane, ils relvent dans leur environnement et identifient des
- Tour dau moins 8 cubes 23 m + 4 sem 29 m 1 j + 1 m 2 j 30 m lettres et des chiffres quils vont demander connatre ou quils vont spontan-
- Monte seul sans support ment recopier.
24 m + 1 sem 34 m 1 j + 2 m 1 j -
en changeant de pied Ils prendront plaisir rapidement utiliser des synonymes ou des contraires.
- Met ses chaussons seul 24 m + 3 sem 30 m 8 j + 1 m 5 j 30 m Des simulacres du langage crit (criture) sont rapports par les parents ou
- Fait du tricycle ou du vlo observs autour de 34 mois de faon trs prcoce sans pour autant connatre les
24 m + 3 sem 36 m 3 j + 1 m 1 j -
(avec stabilisateurs) lettres ou avoir eu un apprentissage de lcrit.
* [ Items significatifs (t de Student, ddl = 118), p < .001, compar aux normes DF-MOT]
d. Dveloppement affectif et comportement
c. Dveloppement cognitif et hmisphrique
Les tapes du dveloppement psycho-affectif se rfrant aux principaux
Autour de 2 ans 4 mois, on constate une connaissance des notions de base de la repres freudiens vont se succder rapidement avec une certaine avance.
structuration spatiale, avec les notions de dedans-dehors, dessus-dessous, grand-petit, Paralllement des questions existentielles proccupent ces enfants sur la vie et
etc., ainsi que de la structuration temporelle : vite-doucement, hier-demain, etc. la mort, la sexualit. Souvent seul face ses questionnements, lenfant hautes
Et entre 2 ans 1/2 et 4 ans, la latralit tonique et fonctionnelle est mise en potentialits risque de rester dans un dsarroi proccupant, jusqu lanxit,
place, avec une prdominance segmentaire de l'hmisphre droit. pouvant engendrer des affects dpressifs ou un dni de ses propres sentiments.
Les activits visuo-perceptives (loto images) et visuo-spatiales (encastre- Il est capital dobserver de quelle manire toutes les caractristiques spci-
ments complexes) sont performantes sur le plan dune russite rapide avec un fiques de l'enfant hautes potentialits modlent les premires interactions et
balayage oculo-moteur rapide. prennent leur place, se ngocient par rapport aux caractristiques maternelles qui
Les tests des fonctions excutives (labyrinthe) mettent en vidence une ne vont pas obligatoirement dans le mme sens, jusqu leur paratre trangres.
avance de une deux annes dge en moyenne. Ces enfants semblent souvent devancer et anticiper les donnes objectives de
Sur le plan perceptif et cognitif : toutes les sensorialits et les perceptions la tche, avec une sorte dacuit qui leur donne intuitivement une solution globale,
(pidermiques, tactiles, gustatives, olfactives, auditives et visuelles) semblent freinant parfois llan de laction et la ralisation. Ceci dautant plus quils sont
fleur de peau du fait de mcanismes endognes trs dvelopps et dune rcep- sensibles leur diffrence, ce quils prouvent vis--vis de lautre les rendant
tivit importante, alimentant la ractivit sensitive motionnelle et affective, hostiles toute prise de risque. Ces comportements peuvent tre interprts
ainsi quun sens de lintuition comme sixime sens li une grande capacit de tort comme une immaturit affective alors quon pourrait parler dhypermaturit.
rseaux neuronaux associatifs. Lune des caractristiques fondamentales, ct des aptitudes sensori-perceptives
On peut les qualifier de Mmoire dlphant et oeil de lynx , ils prsen- trs dveloppes des enfants hautes potentialits , consiste en un rel besoin de
tent des aptitudes au raisonnement, sappuyant sur de hautes capacits de sinvestir pour sapproprier des savoirs qui fait quils ne sengluent pas dans lennui,
traitement de linformation (dtection, discrimination perceptive, stockage et tant en perptuelle activit mentale. Ils laborent des vocations mentales sous divers
rappel). Les processus analytiques sont puissants (comparaisons et mises en rela- registres (kinesthsique, visuel, auditif ) qui peuvent tre associs. Un tat dalerte

122 Partie 2 - Approfondir Chapitre 5 123


continu, une qute du monde environnant de faon trs soutenue, captivante, sorga- ce qui lui donne des atouts considrables sur le plan de la plasticit, mais il nen
nise en activits de type attentionnel ds le dbut de la vie. est pas moins vrai quil est dautant plus vulnrable.
Il a t dcrit quune cintique du dveloppement prsente des priodes
e. Dyssynchronie ou synchronie entre les diffrentes fonctions sensibles de capacits optimales dapprentissage qualifies de priodes critiques
dveloppementales o il y a une focalisation maturative de tel rseau cortical, selon Changeux (1977)
La notion de dyssynchronie avance par Terrassier (1979, 1999) consiste (Encadr II). Ces priodes sont celles o un comportement peut tre acquis
penser que les niveaux de dveloppement des fonctions intellectuelles, psycho- avec le minimum deffort et le maximum defficacit, alors que ce nest pas le
motrices, affectives et sociales sont htrognes avec un dveloppement cas pour dautres priodes.
intellectuel trs avanc par rapport aux autres fonctions qui restent lies lge
rel du sujet plutt qu son ge mental. Cependant, cette dyssynchronie est Priodes sensibles, priodes critiques (Changeux, 1977)
releve chez lenfant scolaris et napparat pas nos yeux comme un fait primaire
de dveloppement, mais plutt en tant que dgradation, dtrioration des fonc- Ces priodes de croissance fonctionnelle et structurelle, maximale correspon-
tions non exerces et non reconnues socialement par la famille, ou/et par lcole, dent des intervalles de temps privilgis (variables pour chaque fonction)
ou/et par les pairs. Nous constatons, en effet, que les enfants hautes poten- pour des stimuli particuliers (priodes sensibles dans lesquelles le sujet se
montre particulirement rceptif aux influences de lenvironnement, rendant les
tialits peuvent, en bas ge, prsenter une synchronie relative au niveau de la
effets de lenvironnement et de lexprience beaucoup plus importants qui ne
prcocit des fonctionnements du dveloppement psychomoteur et psycholo-
le sont dautres priodes). Ces priodes permettant dacqurir un comporte-
gique (motricit, langage, cognitif, socio-affectif ). ment avec le minimum deffort et le maximum defficacit, les effets en sont
Relevons que la non reconnaissance de ses capacits, ou la non optimisation durables et inducteurs de changements ultrieurs. Il existerait une sorte de foca-
de ses comptences induisent un sentiment dincomprhension accompagn de lisation maturative de telle zone corticale un moment donn. Ces focalisa-
souffrance psychique, voire un dsordre psycho-affectif suscit par limpossibi- tions de maturation organique peuvent expliquer les bonds en avant , les
lit de se raliser et de produire. Le mal-tre peut se manifester par des troubles rgressions ou les pauses (Vaivre-Douret, 1997).
du comportement et le dsintrt pour les apprentissages, qui peut aller jusqu
linhibition intellectuelle, la perte du got de leffort et de lestime de soi voire Ainsi daprs les donnes dveloppementales dont nous disposons, nous
la dpression (voir les chapitres 7 et 8 dans le prsent ouvrage). mettons lhypothse que, pour ces enfants, ces priodes sensibles marques par
De plus, si lentourage ne valorise que lavance de lenfant sur le plan intel- le dsir et la volont dagir semblent plus prcoces.
lectuel, dans une sorte de sublimation, lentrane dans ce sens et lalimente Lensemble des indicateurs no-natals au cours des premiers mois de vie
exclusivement sur ce plan, lenfant deviendra dautant plus boulimique que atteste dune maturation prcoce des voies de la motricit volontaire en cours
ses capacits peuvent rpondre, que son plaisir de fonctionnement se trouve de mylinisation, que lon retrouve dans lavance du dveloppement neuro-
renforc par la fascination ainsi que par limage positive du plaisir prouv par moteur, posturo-moteur et locomoteur (Vaivre-Douret, 2004a).
lentourage. Ceci au dtriment de prserver ses capacits psychomotrices et ses
Linterprtation de ces avances de maturation motrice chez ces enfants
capacits de ralisation cratives, ce qui lamnera sisoler dans sa bulle intel-
ncessite de prendre en compte la fois la motivation propre de lenfant, son
lectuelle, laissant la place son imaginaire.
dsir de se mouvoir, de se dplacer, dacqurir une autonomie ou un pouvoir sur
lenvironnement et la fois lenvironnement de lenfant qui peut encourager,
3. Interprtation sur les processus inciter ou au contraire, mettre des contraintes (Vaivre-Douret, 1997, 2002).
Cette avance neuro-dveloppementale apparat sur le plan de la maturation
dveloppementaux en jeu cphalo-caudale (de la tenue de la tte vers la station debout) et de la matura-
tion proximo-distale (de lpaule vers la main), sans stimulation spcifique
Lenfant hautes potentialits dispose dun fonctionnement crbral (Vaivre-Douret,et Burnod, 2001). Ce qui nest pas assimiler lavance sensori-
spcifique avec de hautes capacits de traitement de linformation son service, motrice des enfants africains. En effet, lavance des enfants africains concerne

124 Partie 2 - Approfondir Chapitre 5 125


seulement certains items valoriss par le contexte et les pratiques culturelles (de Les diffrences individuelles d'intelligence pourraient galement tre lies
soins avec massages, tirements, etc., dapprentissages moteurs spcifiques en la faon dont les aires corticales sont actives durant les performances cogni-
fonction des normes culturelles attendues, etc.), (Bril et Lehalle, 1988 ; Kilbride, tives. Ainsi, nous allons tayer le fonctionnement crbral de lenfant hautes
1980 ; Werner, 1972). potentialits et aborder lorganisation hmisphrique et le dveloppement
Sur le plan cognitif, conformment aux tudes cites prcdemment neurocognitif en lien avec le cortex prfrontal ( Jambaqu, 2004) .
(DAgostino et al, 2001 ; Bessou, Yziquel, 2002), nous observons que le langage
oral apparat prcocement avec apparition de la 1re phrase en moyenne vers
18 mois. Un facteur prcurseur du langage que lon retrouve prcocement chez
4. Fonctionnement crbral chez les
ces enfants, est le babillage prcoce en moyenne vers 4 mois et plus tard les capa- enfants hautes potentialits
cits praxiques buccales prcoces avec limitation de bruits danimaux vers 22 mois
en moyenne. Selon Vaivre-Douret (2004a), il est intressant de faire un lien avec
la latralit qui saffirme prcocement sur lhmicorps droit dans cette population
a. Caractristiques biologiques
denfants, donc en faveur dune prdominance hmisphrique crbrale gauche, Dun point de vue mdical, la mesure du primtre crnien est considre
qui correspond une zone du cortex produisant le langage chez lhomme (aire comme cruciale pour apprcier la maturation du cerveau. Toutefois, sil existe
de Broca), montrant un lien troit avec la mise en place du langage prcoce. indiscutablement un seuil minimal du volume de la tte pour le dveloppe-
Les autres preuves cognitives mettent en vidence des capacits praxiques ment crbral, il sagit par contre dune mesure beaucoup trop primitive pour
et visuo-spatiales performantes ainsi que des fonctions excutives efficaces. Ces tre prise en compte dans la quantification de lefficience intellectuelle (Wickett
rsultats soulignent les capacits spcifiques de traitement de linformation de et al, 1994 ; Willerman et al, 1991). Le cerveau dun enfant hautes potentia-
ces enfants que lon peut envisager, dune part, au niveau de lorganisation des lits se caractrise peut tre davantage par son efficacit et sa plasticit. Un
rseaux neuronaux mis en jeu et, dautre part, au niveau de la vitesse de conduc- certain nombre dtudes envisagent ainsi un fonctionnement crbral spcifique
tion de linformation, en rapport avec un balayage visuel rapide (frquence chez ces enfants.
oculo-motrice) qui augmentent les capacits de perception visuelle (Vaivre- Tout dabord, les enfants hautes potentialits bnficient dun taux de
Douret, 2004a). De faon gnrale, l'intelligence suprieure est associe une sommeil paradoxal particulirement lev (Grubar, 1997 ; Huon, 1981) et ceci
excution plus rapide des processus cognitifs lmentaires. suggre une relation entre cette particularit et leur facilit de mmorisation
La vitesse de conduction de linflux nerveux suppose une conductance spci- voire mme une plus grande plasticit crbrale ( Jouvet, 1972). Par ailleurs, on
fique qui peut sexpliquer la fois par des caractristiques temporelles des a fait lhypothse dune diffrence de rapidit dans le traitement des informa-
dcharges neuronales, lies aux proprits membranaires neuronales (Vaivre- tions en faveur des enfants hautes potentialits grce des connexions plus
Douret, 2004a) au niveau des canaux membranaires et au niveau de la synapse nombreuses entre neurones. Une vitesse de conduction nerveuse plus rapide
(Delord et al., 2000), et par la myline qui entoure les axones, favorisant la vitesse chez les sujets hautes potentialits pourrait rendre compte de lexcution
de propagation du signal lectrique. La vitesse de transmission rapide dans ce plus rapide des processus cognitifs lmentaires (Reed et Jensen, 1992). Ltude
type de population est atteste par diffrents travaux (Eysenck, 1982 ; Reed et de lactivit crbrale laide de llectro-encphalographie (EEG) suggre gale-
Jensen, 1992), de mme que la vitesse de traitement (Cohn et al, 1985 ; Planche, ment une maturation physiologique plus avance chez certains enfants hautes
1985 ; Bjorklund et al, 1994). potentialits (Alexander et al, 1996). Enfin, quelques tudes dimagerie fonc-
tionnelle crbrale ont rapport chez des sujets hautes potentialits une
Vaivre-Douret (2004a) fait lhypothse que ces proprits temporelles spci-
consommation de glucose plus faible en tomographie par mission de positons
fiques jouent un rle important dans lencodage pour la mmoire (mmoire
(TEP) lors de la ralisation de tches verbales et non verbales (Haier et al, 1988,
dlphant chez ces enfants) et entranent ainsi des proprits spcifiques
Parks et al, 1988). Ainsi, le cerveau des personnes hautes potentialits
dapprentissage et de plasticit crbrale (ces capacits dapprentissage tant en
consommerait moins dnergie car la ralisation des tches cognitives ncessi-
lien avec les processus dintgrations temporelles, comme le soulignent les travaux
terait moins deffort et une moindre activation des circuits neuronaux.
de Planche (1985) et de Geary et Brown (1991).

126 Partie 2 - Approfondir Chapitre 5 127


b. Asymtrie hmisphrique et hautes potentialits particulires des sujets dous en mathmatiques dans des preuves de reconnais-
sance de visages et de chimres. Ces donnes vont, dune part, dans le sens dune
Le concept de spcialisation hmisphrique (hmisphre gauche spcialis
association entre aptitudes spatiales exceptionnelles et don en mathmatiques et,
dans le domaine du langage versus hmisphre droit spcialis dans le domaine
dautre part, dune implication plus importante de lhmisphre droit dans le
du traitement spatial) est un concept fondamental en neuropsychologie.
traitement de linformation (OBoyle, 2000).
Toutefois, la recherche actuelle vise mieux rendre compte des variations obser-
ves dans le pattern de spcialisation des deux hmisphres. Ces variations dans Comme nous avons vu dans le chapitre 4, OBoyle et collaborateurs (2002)
la direction et dans lamplitude de la spcialisation hmisphrique pourraient ont ralis une tude en imagerie par rsonance magntique fonctionnelle
tre lies des diffrences individuelles - en particulier la latralit manuelle (IRMf ) au cours de la ralisation dune tche de rotation mentale. La ralisa-
(environ 10% de gauchers) et le sexe - mais galement les valeurs extrmes de tion de cette preuve de performance spatiale sest associe une activation
lefficience intellectuelle. Ainsi, chez les sujets hautes potentialits, on prdominante hmisphrique droite chez les sujets contrles tandis que celle-
rapporte davantage de sujets masculins, de mme qu'une prpondrance de ci tait finalement davantage bilatrale chez les sujets hautes potentialits .
gauchers (Annett et Turner, 1974 ; Annett et Kilshaw, 1982, OBoyle, Benbow Enfin, Singh et OBoyle (2004) ont utilis des stimuli hirarchiques verbaux
& Alexander, 1995)), ceci tant particulirement vrai pour les gnies math- afin de mieux rendre compte du pattern de spcialisation hmisphrique et de
matiques (Casey et al. 1992). linteraction interhmisphrique chez des adolescents surdous en mathma-
tiques et droitiers. Les stimuli hirarchiques (la lettre que dfinit la forme globale
Les travaux de Benbow et collaborateurs se rfrent directement au modle de
est compose de lettres diffrentes plus petites, par exemple, un T global est
latralisation crbrale propos par Geschwind et Behan (1982) dans le cadre
compos de petits H) permettent danalyser la confrontation entre un traite-
dune thorie triadique des troubles de lapprentissage (association entre dyslexie,
ment analytique/local (de type hmisphrique gauche) et un traitement
non dominance de la main droite et dsordres immunitaires). Selon ces auteurs,
holistique/global (de type hmisphrique droit). Dans cette tude, les sujets
un excs de testostrone in utero aprs la vingtime semaine de gestation pourrait
devaient effectuer une tche de jugement entre paires de stimuli prsentes unila-
inhiber le dveloppement de certaines aires postrieures de lhmisphre gauche
tralement (hmichamp visuel droit ou gauche) ou simultanment de faon
(planum temporale) et conduire une organisation crbrale atypique. Benbow
bilatrale. Les sujets contrles ont prsent une plus grande rapidit de juge-
(1986, 1988) a tout dabord rapport un nombre plus important de garons,
ment pour le jugement local par lhmisphre gauche et pour le jugement global
gauchers, souffrant de myopie, dallergie et de migraine dans une population de
par lhmisphre droit. En revanche, les sujets hautes potentialits nont
jeunes surdous en mathmatiques. Ces particularits physiologiques lont conduit
pas montr de diffrences de traitement hmisphrique. Par ailleurs, les sujets
faire lhypothse dun lien entre ce type de capacit intellectuelle et un dvelop-
contrles se sont montrs plus lents traiter les stimuli hirarchiques en condi-
pement plus important de lhmisphre droit (peut tre en relation avec linfluence
tion simultane. Au contraire, les sujets haut potentialits se sont montrs
dune exposition prnatale particulire la testostrone) par rapport lhmisphre
plus rapides effectuer un jugement de type local/global en condition de coop-
gauche (voir le chapitre 4 de ce volume). En 1990, OBoyle et Benbow ont ainsi
ration des hmisphres que lors de la prsentation dans un seul hmichamp.
utilis une tche dcoute dichotique (des messages concurrents sont prsents
Ainsi, les auteurs ont conclu quune plus grande interaction interhmisphrique
dans chaque oreille) pour comparer les spcialisations hmisphriques dans la
pourrait donc caractriser le cerveau des sujets haut potentiel en mathma-
perception auditive. Ils ont test des enfants gs de 12 14 ans, droitiers, prsen-
tiques. Finalement, il faut donc retenir que lensemble de ces travaux semble
tant ou non des capacits exceptionnelles en mathmatiques. Comme attendu, les
donc en faveur dune architecture fonctionnelle cognitive diffrente la fois
enfants contrles ont montr un avantage de loreille droite refltant la latralisa-
qualitativement et quantitativement chez les sujets hautes potentialits .
tion hmisphrique gauche du langage. En revanche, les enfants hautes
potentialits nont pas rapport avec plus de prcision les informations prsen- c. Cortex prfrontal et dveloppement neurocognitif
tes loreille droite. OBoyle et Benbow ont donc mis en vidence une certaine
forme dquipotentialit hmisphrique pour traiter linformation verbale qui Le cortex prfrontal est ncessaire la ralisation des comportements
pourrait galement suggrer une meilleure communication interhmisphrique humains les plus complexes : attention et mmoire de travail, anticipation et
chez ces sujets. Dans dautres travaux, ces auteurs ont rapport les comptences planification, pense abstraite, processus dapprentissage et de rcupration de

128 Partie 2 - Approfondir Chapitre 5 129


linformation, liaison entre cognition et motion, mdiation sociale du compor- QI suprieur 130. Ils ont montr une corrlation entre le volume de substance grise
tement. Aujourdhui, les neurosciences cognitives permettent de mieux envisager et le QI avec une implication plus particulire du gyrus cingulaire antrieur. Ces
limportance des fonctions sous tendues par le cortex prfrontal dans le dve- donnes neuroanatomiques et neurofonctionnelles sont cohrentes avec lide que
loppement intellectuel (Houd, 2005). Tout dabord, sur le plan phylogntique, le cortex prfrontal joue un rle crucial dans les capacits de raisonnement et dabs-
lextension du cortex prfrontal semble en relation avec lvolution des aptitudes traction mme si la dynamique de lintelligence implique des rseaux neurocognitifs
cognitives (la moiti du cortex frontal dans lespce humaine). Sur le plan onto- plus largement distribus.
gntique, l'imagerie crbrale fonctionnelle montre un gradient de maturation
assez tardif du cortex prfrontal (Chiron et al. 1997; Chugani et al. 1987) refl-
tant le lent dveloppement des fonctions excutives de la fin de la premire anne Conclusion
jusqu' l'adolescence. Par ailleurs, la forme optimale de lintelligence correspond
classiquement au stade formel rendant possible un raisonnement hypothtico- Lenfant hautes potentialits dispose dun fonctionnement crbral
dductif vers 14-15 ans (Piaget et Inhelder, 1966). Ce type de raisonnement spcifique avec de hautes capacits de traitement de linformation son service,
implique une laboration des capacits de conceptualisation et des stratgies ce qui lui donne des atouts considrables sur le plan de la plasticit, mais il nen
dans la rsolution de problmes complexes. De plus, les travaux de Houd (2000) est pas moins vrai quil est dautant plus vulnrable. Cela mrite de sinterroger
revisitent cette conception purement logique de lintelligence en mettant laccent sur lajustement de lenvironnement ds le dbut de la vie en prenant en compte
sur le rle majeur du processus d'inhibition sous la dpendance du cortex prfron- la maturation dveloppementale prcoce et les processus de traitement de
tal. Ainsi, un dfaut dinhibition pourrait rendre compte de nos erreurs de linformation spcifiques.
raisonnement en rapport avec un manque de filtrage des informations perti- Des perspectives de recherche clinique devraient souvrir systmatises,
nentes ou non. rigoureuses et coordonnes en prcisant soigneusement les populations tudies.
Les enfants hautes potentialits semblent justement se caractriser par Les enfants qui restent en dtresse gagneraient ainsi tre identifis le plus tt
une plus grande efficacit de leur capacit d'inhibition qui leur permettrait de mieux possible, avant dentrer plus au moins dans des orientations pathologiques. Toute
focaliser leur attention lors de la rsolution de problmes. Planche (2000) a ainsi la difficult pour ces enfants est aussi de conserver un dveloppement sans
rapport une capacit leve de planification chez ces enfants lors de lexcution morcellement prcoce des fonctions crbrales sollicites ou dhypertrophie
de la tour de Hano. De mme, au test de Wisconsin, les enfants ayant un QI sup- dune seule fonction notamment cognitive qui risquerait dentraner la disso-
rieur 130 savrent tous capables d'effectuer le classement en six catgories ds lge ciation du corps et de lesprit.
de 9 ans et font moins d'erreurs persvratives que les sujets contrles (Arffa et. al. La neuropsychologie dveloppementale offre un apport important. Des
1998). Par ailleurs, les nouvelles techniques dimagerie crbrale offrent dsormais tudes sont encourager dans la perspective dune meilleure comprhension des
dautres possibilits pour aborder la question des relations entre cerveau et intelli- liens entre la maturation crbrale et le dveloppement des architectures fonc-
gence. Rcemment, Duncan et collaborateurs (2000) ont effectu une tude de tionnelles cognitives.
tomographie par mission de positons (TEP) sur la rsolution de problmes lors
dun test dintelligence gnrale. Ils ont rapport l'activation de l'aire frontale lat- Bibliographie
rale dans les deux hmisphres lors de tches verbales et non verbales fortement
ALEXANDER, J.E., O'BOYLE, M.W., et BENBOW, C.P., (1996). Developmentally
satures en facteur g . Dans une autre tude utilisant la TEP, Houd et collabo-
advanced EEG alpha power in gifted male and female adolescents.
rateurs (2000) ont mis en relation les capacits linguistiques et de dduction logique
International of Journal of Psychophysiology, 23 (1-2), 25-31.
avec limplication de l'activation du cortex prfrontal infrieur gauche. Enfin, des
ANNET, M., et KILSHAW, D., (1982). Mathematical ability and lateral asym-
travaux mergent actuellement concernant ltude des corrlations cognitivo-
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volume crbral (VBM pour voxel-based mophometry). Wilke et collaborateurs ANNET et TURNER 1974 .Laterality and the growth of intellectual abilities.
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(2003) ont ainsi ralis conjointement une valuation de lefficience intellectuelle
et une tude IRM anatomique chez 146 enfants dont 20 dentre eux avaient un

130 Partie 2 - Approfondir Chapitre 5 131


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veur des travaux sur dautres formes daptitudes, comme lintelligence sociale
efficiency. The influence of task content and sex on the brain. Intelligence, 30 (6), 515-
536. ou lintelligence motionnelle, qui reprsentent chacune moins de 1 % des
articles publis dans des revues comit dexpertise et rpertoris sur la base
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intellectuellement prcoce. LAnne Psychologique, 100 (3), 503-525. de donnes internationale Psychinfo. Si lon examine les travaux les plus rcents
VAIVRE-DOURET, L. (2002). Le dveloppement de lenfant aux aptitudes haute-
(de 2000 2005), on observe cependant un plus fort ratio en faveur de lintel-
ment performantes (surdous) : importance des fonctions neuro-psychomotrices. ligence motionnelle (4,7 % des articles comportant le mot-clef intelligence
Approche Neuropsychologique des apprentissages de lenfant., 67, 14, 95-110. portent en partie sur la notion dintelligence motionnelle), la part consacre
VAIVRE-DOURET, L. (2004) Les caractristiques dveloppementales dun chantillon lintelligence sociale restant la mme1. Ce dsquilibre est galement visible
denfants tout venant hautes potentialits (surdous) : suivi prophylactique. dans le champ des tudes sur le haut potentiel, les parts des travaux sur lintel-
Neuropsychiatrie de lEnfance et de lAdolescence, 52, 129-141. ligence sociale et motionnelle dans ce domaine restant du mme ordre. Ainsi,
rares sont les chercheurs ayant tent didentifier des enfants surdous sur la base
de ces types dintelligence, ou encore dexaminer si les enfants surdous prsen-
taient, en plus dune intelligence acadmique exceptionnelle, des aptitudes hors
normes dans dautres cadres que celui des matires scolaires.

136 Partie 2 - Approfondir Chapitre 6 137


Par ailleurs, au del des spcificits intellectuelles de ces enfants, se pose les spcificits affectives et conatives des enfants haut potentiel. Nous verrons
galement la question de leur diffrenciation sur le plan de leurs caractristiques ainsi que ceux-ci pourraient prsenter une tendance ressentir et/ou vivre inten-
conatives ou affectives. Cette interrogation sinscrit dans le cadre dune trilo- sment leurs expriences motionnelles. Cette mme tendance modulerait alors
gie de lesprit explicit par Kant selon laquelle la personnalit se diviserait en leur ractivit aux situations motionnelles et expliquerait en partie certains tats
trois composantes: la cognition, la conation, et lmotion (Hilgard, 1980). La danxit parfois observe chez eux, parfois accompagnes de difficults dans leur
cognition fait ici rfrence lensemble des activits intellectuelles et des proces- ajustement social.
sus qui se rapportent la connaissance, la conation des faons prfrentielles
et/ou habituelles de se comporter, et lmotion plusieurs notions incluant ltat Quelques dfinitions
motionnel et lhumeur. Ltat motionnel se dcrit comme un tat trs transi-
toire, une raction courte et intense, en rponse un stimuli externe. Lhumeur Intelligence cristallise : forme acquise travers la culture, par opposition
lintelligence fluide.
est en partie similaire ltat motionnel, cependant sa dure est plus longue
(de quelques heures quelques jours), et son intensit beaucoup plus faible. Intelligence motionnelle : capacits identifier, utiliser, comprendre et rguler
Selon certains compte-rendus provenant principalement dobservations les motions et/ou les informations motionnelles issues de soi ou dautrui.
cliniques (Ajuriaguerra de, 1970 ; Coleman, 1985 ; Spivack et Shure, 1974 ;
Intelligence sociale : capacits comprendre les autres et agir dune faon
Terrassier, (1999/1991), cest toute la personnalit des enfants haut potentiel
approprie dans les relations interpersonnelles.
qui serait spcifique. Ces enfants ne se distingueraient donc pas simplement par
leurs performances cognitives , mais aussi suivant leurs caractristiques cona- Motivation : processus physiologique et/ou psychologique responsable du
tives et motionnelles. Ainsi, il serait possible dobserver chez ces enfants des dclenchement, de lentretien et de la cessation dun comportement.
traits de personnalit atypiques, des conduites motionnelles inhabituelles, dter-
Styles affectifs : ensemble des diffrences individuelles qui modulent la raction
minant des comportements sociaux spcifiques ces enfants : inhibition sociale,
dune personne face un vnement motionnel.
ou linverse des formes dhyperactivit parfois accompagnes de conduites
dviantes. A partir dune revue de la littrature portant sur une priode de plus Styles cognitifs : manires avec lesquelles les individus prfrent raliser leurs
de 60 ans, Janos et Robinson (1985) avancent que 20 25 % des enfants haut actions mentales.
potentiel intellectuel prsentent des difficults dordre motionnel et social. Ce
chiffre plutt proccupant est cependant considrer avec prudence, au regard Traits de personnalit : patrons de comportements/conduites constants dans le
temps et consistants dans lespace.
de la difficult quil y a de comparer les diffrentes tudes, en particulier sur le
plan de lhtrognit des enfants examins.
Possder des caractristiques cognitives, conatives et affectives diffrentes 1. Lintelligence motionnelle et
de celles des autres enfants pourrait donc en soi entraner des difficults
sengager dans certains contextes sociaux. Ces difficults sont susceptibles
lintelligence sociale chez les enfants
dengendrer leur tour un sentiment dinadaptation sociale, et mme dexclu- haut potentiel
sion dans un groupe social htrogne.
Ces diffrents points illustrant les caractristiques socio-affectives des enfants a. Description des diffrentes intelligences
haut potentiel seront dtaills dans les parties suivantes. Dans un premier temps,
nous examinerons les caractristiques intellectuelles des enfants haut potentiel Lintelligence gnrale rfre, en thorie, l'ensemble du fonctionnement
concernant leurs capacits traiter les informations motionnelles et/ou sociales. intellectuel. Cependant, plusieurs approches ont cherch scinder cette intelli-
Les concepts dintelligence sociale et dintelligence motionnelle, comme possible gence gnrale en plusieurs sous composantes, correspondant soit des aptitudes
indicateur du haut potentiel, seront prsents suivant plusieurs perspectives spcifiques (aptitude verbale, aptitude numrique), des groupes d'aptitudes
thoriques et psychomtriques. Dans la seconde partie, nous tenterons de dcrire (intelligence fluide, intelligence verbale), ou encore des intelligences spci-
fiques (intelligence sociale, intelligence pratique, intelligence acadmique).

138 Partie 2 - Approfondir Chapitre 6 139


Plus prcisment, nous discuterons, lintrieur de ces diffrentes approches, approche mixte des aptitudes intellectuelles, acceptant la fois lide dune apti-
du statut de lintelligence motionnelle et de lintelligence sociale. tude commune luvre dans chacune des conduites intelligentes, et de facteurs
plus ou moins spcifiques, utiles dans chacun des diffrents domaines dexpres-
Approche globale de lintelligence
sions de ces conduites (verbal, logique, spatial, ).
Pour Binet, lorigine de la premire vritable approche psychomtrique, Quel peut tre alors le statut de lintelligence sociale ou de lintelligence
lintelligence est dfinie par la meilleure adaptation possible de l'individu son motionnelle dans lapproche hirarchique ? Leur part dans ces modles est faible
milieu (1911, p172). Cette conception a t largement retenue par la suite pour pour des raisons la fois thoriques et empiriques. Ces capacits sont tout dabord
inclure ce psychologue parmi les tenants dune conception globale de l'intelligence. contestes dun point de vue thorique, selon lequel ces intelligences relve-
Pourtant, rien ne nous permet daffirmer que Binet concevait lintelligence comme raient de composantes plus conatives que cognitives. Ainsi, les diffrents degrs
une entit unitaire. Celui-ci nest pas en effet linventeur du Quotient Intellectuel, ou facilits dadaptation des personnes aux contextes sociaux et motionnels
mais plutt lorigine de la notion de quotient de dveloppement. Dans dautres seraient dus des diffrences dans la force de certains traits de personnalit, ou
parties de ses crits, sa vision des aptitudes intellectuelles peut prendre une forme encore lis des aspects motivationnels. Cette approche a conduit de nombreux
modulaire, particulirement lorsquil aborde les niveaux de comptences levs, chercheurs ne pas inclure dans leurs travaux sur lintelligence de mesures des
comme le montre le passage suivant : on ne tient pas compte de la diversit capacits sociales et motionnelles. Par ailleurs, lorsque des mesures de ce type
des aptitudes.Tel littrateur, tels politiciens que nous connaissons ne comprennent sont intgres, les donnes empiriques ne parviennent pas toujours mettre en
rien en Mathmatiques ; ce ne sont pourtant pas des sots. (ibid, p177) . Aujourdhui, vidence une variance propre lintelligence sociale (Keating, 1978) ou lintel-
lapproche globale de lintelligence est souvent associe au nom de Wechsler (1958), ligence motionnelle (Matthews, Zeidner, et Roberts, 2002). Ces formes
auteur dun des tests dintelligence les plus usits en France, mais dautres psycho- dintelligences relveraient alors principalement de lintelligence verbale, formant
logues sinscrivent galement dans cette perspective (voir par exemple Raven, 1998). elle-mme une composante de lintelligence cristallise (Horn et Cattell, 1966).
Selon Weschler, une srie de performances intellectuelles effectues dans des situa-
Un tel rsultat ne permet cependant pas denvisager lintelligence motionnelle
tions standardises permettent de situer lintelligence de chaque individu par rapport
et lintelligence sociale comme des aptitudes de nature purement verbale. En effet, le
sa tranche dge, sous la forme dune valeur numrique, le QI. Mme si, dans ses
mode non verbal (tel que par exemple la comprhension et lexcution des mimiques,
formes les plus rcentes, apparaissent des moyens plus diffrencis dapprhender
des postures ou des gestes expressifs) fait partie intgrante de lintelligence sociale et
lintelligence (cf. les indices factoriels dans les WISC-III et IV), cest encore aujour-
motionnelle, et il est probable que les capacits dexpression non-verbales soient
dhui le plus souvent en simple terme de QI que sopre lidentification du haut
difficilement mesurables par des procdures dvaluation classiques (i.e., par des tests
potentiel intellectuel (cf. chapitre 3). La question des potentialits intellectuelles
papier-crayon). Ainsi, la recherche sur la structure de lintelligence souffre peut-tre
dans le domaine social et affectif nest ni mesur, ni envisag.Tout au plus Wechsler
de navoir que trop rarement mis en place des procdures d'valuation plus colo-
reconnat-il lexistence daptitudes sociales, mais pour les fondre aussitt dans son
giques, plus valides, mais plus coteuses d'un point de vue logistique. En effet, lorsque
approche gnraliste de lintelligence. Lintelligence exprime dans les interactions
des mthodes de ce type sont employes, on observe une variance commune parti-
sociales nest selon lui autre que de lintelligence gnrale applique des contenus
culirement faible entre comptences sociales et intelligence gnrale (Ford et Tisak,
sociaux (1958, cit dans Kihlstrom et Cantor, 2000).
1983; Frederiksen, Carlson, et Ward, 1984, voir encadr).
L'intelligence comme une structure hirarchique d'aptitudes
Lapproche hirarchique des aptitudes intellectuelles est le fruit dune contro- Lintelligence sociale est-elle soluble dans lintelligence
verse toujours vive entre conceptions unitaire (issue des travaux de Spearman) gnrale ? Une tude sur les comptences sociales
et multi-factorielle (cf. Thurstone) de lintelligence. Le succs socital actuel du chez de jeunes adultes
QI, ou de sa variable associe, le facteur gnral dintelligence (facteur g), semble
indiquer que lapproche gnrale lemporte aujourdhui sur lide daptitudes Frederiksen, Carlson et Ward (1984) ont valu les comptences sociales chez
indpendantes. Cependant, les synthses de donnes empiriques les plus 91 tudiants nord amricains en quatrime anne de mdecine par une mise
en situation. Chaque participant devait raliser une srie de 10 consultations
compltes (voir par exemple Carroll, 1993) penchent plutt en faveur dune
denviron 20 mn chacune avec des personnels dun hpital jouant le rle de

140 Partie 2 - Approfondir Chapitre 6 141


chelles de mesure de l'intelligence sociale ont t dveloppes dans les annes
patients ou de clients. Par un examen indpendant des enregistrements audio 20 et 30. Un des test les plus utiliss est le George Washington University Social
des consultations, des valuateurs ont ensuite not la frquence et jug la qua-
Intelligence Test (Moss, Hunt, Omwake et Ronning, 1927). Cette preuve,
lit de 32 conduites qui ponctuent habituellement un entretien mdical (par
comme beaucoup d'autres mesures d'intelligence sociale de l'poque, contient des
exemple, saluer, mettre le patient laise, obtenir des informations, en donner,
conseiller, ou encore reconnaitre et aborder la dimension affective). Les auteurs tches qui sont actuellement utilises pour mesurer l'intelligence motionnelle.
regroupent alors cet ensemble de variables suivant trois catgories : (1) orga- Ces preuves mesurent la capacit reconnatre les motions partir de dessins,
nisation de lentretien, (2) chaleur/cordialit, et (3) contrle de lentretien. Ces de photos d'expression faciale, ou encore de personnages impliqus dans un
scores sont compars aux performances obtenues dans une batterie dpreuves scnario.
standardises dintelligence, de tests de pense divergente et de connaissances
scientifiques et mdicales. Les rsultats ne vont alors plus dans le sens dun
modle de lintelligence, au sommet duquel se trouverait un facteur gnral : les
Structure des aptitudes intellectuelles selon Thorndike (1920)
coefficients de corrlation entre les trois dimensions comportementales, repr-
sentant lintelligence sociale, et les diffrents indices cognitifs (raisonnement,
verbal, fluidit, flexibilit, connaissances mdicales et scientifiques) sont tous Intelligence globale
proches ou infrieurs zro. Parmi une majorit de coefficients ngatifs, les
auteurs observent mme une relation inverse significative entre la dimension
chaleur/cordialit et le niveau de connaissances scientifiques. Bien que cette
tude ne sintresse qu un chantillon trs limit des conduites sociales intel-
ligentes, la question de la place des aptitudes sociales dans les thories glo- Intelligence
bale et hirarchiques de lintelligence se voit ici pose. Intelligence Intelligence
sociale analytique mcanique
(Thonrndike, 1920)
Ces recherches, ainsi que dautres travaux dobservations cliniques et neurolo-
giques ont abouti des propositions rcentes visant faire une place spcifiques
aux aptitudes sociales et motionnelles dans la structure des aptitudes intellectuelles.

Diffrentes formes d'intelligences Intelligence Intelligence


motivationnelle emotionnelle
Divers auteurs ont propos que certaines formes daptitudes soient traites
dans une perspective modulaire. Ainsi, lide dune aptitude intellectuelle spci- (Wargner et (Mayer et
fique aux relations humaines est ancienne (voir de Bonis et Huteau, 1994). Sternberg, 1985) Salovey, 1985)
Thorndike (1920) dcrit trois formes d'intelligence : l'intelligence abstraite
(analytique, verbale), l'intelligence synthtique (mcanique, visuo-spatiale) et Au cours des annes 1940 1960, l'intrt pour l'intelligence sociale va
l'intelligence sociale (pratique) (Voir Schma 1). Lintelligence abstraite corres- saffaiblir, du en partie aux apports empiriques de lapproche hirarchique de
pond lhabilet dun individu comprendre et utiliser des ides. L'intelligence lintelligence. Cronbach (1960) affirme ainsi que les donnes empiriques ne
synthtique rfre lhabilet dun individu comprendre et utiliser des objets montrent pas d'indpendance entre l'intelligence gnrale et l'intelligence
concrets. Enfin lintelligence sociale correspond lhabilet comprendre et sociale. Dans les annes 1980, le concept d'intelligence sociale (ou de concepts
agir sagement avec les autres. Mme si lide dintelligence motionnelle proches) va rapparatre. Cantor et Khilstrom (1987) suggrent que lintelli-
nest pas encore aborde par ce psychologue (lintelligence motionnelle est un gence sociale ait un statut propre, mais quils rduisent un ensemble de
concept rcent (Salovey et Mayer, 1990)), on peut sans doute dun point de vue connaissances sociales souvent tacites , car procdurales. Ces connaissances
conceptuel la rattacher lintelligence sociale dans la structure propose par se rapportent la notion de schma ou de script (voir Schank, 1977, pour une
Thorndike. Loprationnalisation de ces dimensions intellectuelles va en tous prsentation de ce concept). Un script peut tre considr comme une repr-
cas dans ce sens. A la suite limpulsion donne par Thorndike, des premires sentation mentale prototypique d'une exprience familire. On peut en effet

142 Partie 2 - Approfondir Chapitre 6 143


considrer que les interactions sociales habituelles, et ainsi les comptences psychiques ainsi que les motivations dautrui. Lintelligence intrapersonnelle est
sociales, sont souvent guides, chez l'enfant comme chez l'adulte, par l'activa- dfinie comme la capacit des individus tre conscients de leurs propres tats
tion semi-automatique de scripts sociaux (Butler et Meichenbaum, 1981). internes et leurs motivations personnelles.
La notion dintelligence sociale va galement apparatre dans dautres Concernant lintelligence motionnelle, notion propose par Salovey et
modles thoriques, mais sous des appellations diffrentes. Wagner et Sternberg Mayer (1990), on distingue gnralement deux approches : une approche
(1985) suggrent, par exemple, lexistence d'une intelligence pratique , dont mixte et une approche pure . La conception mixte , essentiellement
le dveloppement sopre par des apprentissages implicites. Selon ces auteurs, dveloppe par Goleman (1995) ou Bar-On (1997), intgre un certain nombre
cette forme dintelligence serait tout particulirement implique dans la rsolu- de composantes conatives telles que des dimensions motivationnelles , ou bien
tion des problmes de la vie de tous les jours, dont les problmes motionnels encore des aspects lis aux traits de personnalit. Lapproche dveloppe par
et sociaux constituent une large part. Lintelligence pratique contient galement Salovey et Mayer (1990) et Mayer et Salovey (1997) dcrit lintelligence
la comprhension des motivations, comme par exemple le besoin de russite motionnelle comme un ensemble de comptences motionnelles qui n'impli-
(achievement motivation). Dans lapproche triarchique de Sternberg, lintelli- quent pas daspects conatifs. Selon ces auteurs, lintelligence motionnelle est un
gence pratique se distinguerait la fois de lintelligence analytique, lie au facteur terme qui recouvre un ensemble de qualits et de dispositions individuelles
gnral de lintelligence et aux performances acadmiques (pense convergente), (qualifies habituellement de comptences non techniques ou de qualits inter-
ainsi qu lintelligence crative, comprenant la capacit slectionner les personnelles et intrapersonnelles) qui dbordent des domaines traditionnels
problmes rsoudre, faire face la nouveaut, et gnrer des ides nouvelles dont font partie les connaissances particulires, l'intelligence gnrale et les
et intressantes (pense divergente). qualits techniques ou professionnelles (Salovey et Mayer, 1990). Par analogie
Lide de spcificit des aptitudes intellectuelles a galement t soutenue par avec le concept daptitude, nous pouvons dfinir les comptences motionnelles
Gardner (1983). Cet auteur postule lexistence de domaines distincts, auxquels comme les capacits traiter et rpondre aux informations motionnelles et
il fait rfrence sous le terme d intelligences , associant ainsi aux connais- aux motions en gnral. Mayer et Salovey (1997) proposent alors un modle
sances dans chaque domaine des aptitudes spcifiques. Gardner a formul sept, de lintelligence motionnelle constitue de quatre facteurs dont chacun repr-
puis huit types dintelligences : lintelligence langagire, logico-mathmatique, sente une catgorie de comptence spcifique (voir Schma 2 ci-dessous).
spatiale, kinesthsique, musicale, inter-personnelle, intra-personnelle, et enfin Nous notons pour chaque dimension une composante intra et interpersonnelle.
lintelligence naturaliste-scientifique (cf. chapitre 2). Son approche nest pas sans
rappeler celle de Thurstone et de ses Aptitudes Primaires, bien que Gardner ne
Modle de lintelligence motionnelle en quatre dimensions,
sappuie pas uniquement sur des donnes psychomtriques dans llaboration
de sa thorie des intelligences multiples. Son approche se fonde en partie sur Mayer et Salovey (1997)
des donnes neurologiques, en particulier les tudes portant sur des patients
atteints de lsions crbrales. Ces tudes montrent que les accidents crbraux
affectent de manire diffrentielle les comptences intellectuelles. A la suite dun
traumatisme crbral ou dune lsion, certaines capacits peuvent tre dtruites
ou pargnes, indpendamment les unes des autres. Selon Gardner, ces connais-
sances du fonctionnement modulaire du cerveau seraient une indication de
lvolution du systme nerveux humain, aboutissant ainsi certaines formes
distinctes dintelligences. Dautres donnes sont invoques pour soutenir cette
thse, comme les tudes portant sur des individus autistes ayant des perfor-
mances trs diffrencies selon les modes dexpression. Parmi les formes
dintelligences postules, deux sapparentent respectivement lintelligence
sociale et lintelligence motionnelle. Lintelligence interpersonnelle corres-
pond la capacit des individus communiquer et comprendre les tats

144 Partie 2 - Approfondir Chapitre 6 145


b. Les enfants haut potentiel et lintelligence motionnelle
Description des 4 facteurs de lintelligence motionnelle
Si les enfants haut potentiel prsentent des capacits hors normes trai-
selon Mayer et Salovey, 1997
ter les informations en gnral, nous pouvons nous demander sils prsentent
Capacit percevoir, apprhender et exprimer ses motions propres et celles aussi des comptences particulires traiter les informations motionnelles.
dautrui Le peu dtudes empiriques menes jusqualors ne permettent pas pour le
Cette dimension peut tre divise en deux sous-facteurs : lun se rapportant
moment de rpondre cette question. Cupertino et Ancona-Lopez (1992) ont
soi et lautre se rapportant autrui. Le premier sous-facteur est fortement li men une tude sur un groupe denfants haut potentiel gs de 7-8 ans prove-
lalexithymie, c'est--dire linaptitude percevoir et discriminer les diffrentes nant de classes spcialises intgrant des enfants identifis comme gifted. Elles
motions. Le second sous-facteur correspond laptitude dempathie et donc examinent la prsence ou l'absence des comptences motionnelles en laborant
la capacit dterminer prcisment ltat motionnel ressenti par autrui. un matriel bas sur l'utilisation de bandes dessines. Les enfants voient diff-
rentes vignettes reprsentant des personnages en action ou en interaction. Leur
Capacit accder et gnrer des sentiments lorsquils facilitent les activi- tche consiste (1) identifier le profil de personnalit des personnages des
ts cognitives
vignettes, (2) identifier leurs expressions faciales et verbales, (3) dvelopper
Cette dimension implique une reprsentation de toutes les caractristiques motion- l'histoire des personnages. Ces trois tches valuent les comptences pour iden-
nelles (valence, intensit, nature ) qui prsentent une corrlation positive avec des tifier et dcrire les expriences motionnelles en gnral. Les performances des
performances cognitives. Ce facteur inclut donc la capacit des individus utiliser enfants obtenues ces tches sont trs htrognes, indiquant labsence dune
certains tats motionnels, pour amliorer la ralisation de tches cognitives. intelligence motionnelle hors norme chez ces enfants. Bien qu'intressantes, les
conclusions issues de cette recherche restent cependant limites car l'tude est
Capacit comprendre les informations de nature motionnelle, et utiliser
circonscrite un groupe d'enfants haut potentiel (absence de groupe contrle).
les connaissances se rapportant aux motions
On peut ainsi se demander si une telle htrognit des scores pour la popula-
Cette dimension reprsente principalement la capacit des individus nommer tion tudie est spcifique de cette population. Dans une tude ralise par Corso
les motions, et reconnatre les mots dimension affective. Ce facteur inclut (2001) qui compare un groupe d'adolescents haut potentiel et un groupe
aussi la capacit reconnatre les transitions entre les motions, soit le passage d'adolescents non identifis comme tel, appari sur lge, les adolescents haut
dune motion une autre. potentiel (N = 100) avaient de 12 16 ans et avaient t recruts dans une cole
d't (Universit de Western Kentucky). L'intelligence motionnelle tait value
Capacit rguler les motions chez soi-mme et autrui afin de promouvoir
ici avec une chelle d'auto-valuation des comportements motionnels, l'inven-
le dveloppement motionnel et intellectuel ainsi que le bien- tre
taire de quotient motionnel de Bar-On (Emotional Quotient Inventory, 1997).
Cette dimension reprsente lensemble des capacits des individus utiliser des L'intelligence motionnelle des participants a galement t value via l'htro
stratgies pour grer leurs motions. Lexemple le plus connu est la stratgie de valuation des comptences motionnelles par les parents de ces adolescents. Les
rgulation de lhumeur qui permet aux individus dans un tat motionnel nga- rsultats de cette recherche indiquent que les adolescents haut potentiel prsen-
tif de revenir un tat motionnel plus neutre, moins douloureux. tent, en moyenne, une intelligence motionnelle significativement plus importante
que celle du groupe contrle. Par ailleurs, ils apparaissent comme significative-
ment plus comptents pour grer les situations de stress. Cette tude complte
celles menes par Cupertino: elle intgre un groupe contrle qui permet de
conclure un niveau de comptence motionnelle plus important chez les enfants
En ce qui concerne les enfants haut potentiel, deux questions peuvent se
haut potentiel que chez les enfants issus de la population gnrale. Elle permet
poser concernant leurs caractristiques intellectuelles : (1) les enfants identifis
donc de relativiser les conclusions formules jusqu'alors. Nanmoins il est noter
comme surdous selon les critres dune intelligence acadmique, prsentent-ils
que les deux tudes incluent des enfants qui nont pas du tout le mme ge, les
aussi des comptences motionnelles et sociales hors normes ? ; (2) existe-t-il
rendant de ce fait difficilement comparables.
des enfants prsentant uniquement un haut potentiel motionnel et ou social ?

146 Partie 2 - Approfondir Chapitre 6 147


Comme nous lavons indiqu prcdemment, une autre question est de savoir Cette tude de Mayer et al. est intressante dans la mesure o elle suggre
sil existe des enfants prsentant uniquement un haut potentiel motionnel. une forme dvaluation du haut potentiel qui ne se limite pas lintelligence
Ainsi, Mayer, Perkins, Caruso et Salovey (2001) postulent l'existence d'enfants acadmique. Cependant, elle reste dcevante quant la procdure et aux analyses
haut potentiel motionnel (emotional giftedness). Leur approche se base essen- menes. Premirement, avec seulement onze participants, la taille de lchantillon
tiellement sur les ides de Dabrowski et Piechowski (1977). Selon ces auteurs, est trop faible pour que les rsultats soient fiables. Par ailleurs, les auteurs ne
certains enfants prsenteraient un haut potentiel qui impliquerait de hautes contrlent pas le niveau d'intelligence non verbale (QI performance, par
capacits d'empathie ainsi quune sensibilit leve la justice et la morale. exemple) de ces adolescents. Or cette mesure aurait t utile pour contrler
Mayer et al (2001) se proposent d'tudier les relations entre le haut potentiel l'absence d'effet de l'intelligence non verbale (intelligence fluide) dans les rsul-
motionnel ainsi dfini et l'intelligence motionnelle telle que leurs propres tats obtenus.
instruments permettent de l'valuer. Ils procdent pour cela des tudes de cas En conclusion de cette partie, il est utile de rappeler que la recherche sur
sur un chantillon de onze adolescents gs de 13 17 ans. Ils supposent, sans l'intelligence motionnelle est trs rcente et que les tudes ralises sont encore
le tester, que ces adolescents ne sont pas intellectuellement hors norme. Le dans une phase exploratoire. Cependant, l'tude du degr dintelligence motion-
niveau d'intelligence motionnelle de ces adolescents est valu partir d'une nelle chez les enfants haut potentiel intellectuel pourrait permettre denrichir
version rduite de la mesure d'intelligence motionnelle pour adolescents (Mayer, la notion de haut potentiel. Les quelques tudes menes jusqu' aujourd'hui sont
Salovey, et Caruso, 1996). partir des scores obtenus aux diffrentes chelles, peu concluantes et la plupart prsentent des faiblesses mthodologiques (absence
ils calculent un quotient motionnel en adoptant la mme mtrique que celle du de groupe contrle). Notons par ailleurs que les rsultats seraient peut-tre diff-
QI (Quotient intellectuel motionnel moyen = 100, cart-type = 15). Ils valuent rents avec un chantillon denfants haut potentiel intellectuel en situation
par ailleurs le QI verbal des participants en administrant le Peabody Picture dchec scolaire. Ces enfants pourraient tre ceux qui ne savent pas grer les
Vocabulary Test (Dunn et Dunn, 1981). Enfin, pour oprationnaliser la notion expriences motionnelles induites par leur niveau de comptence en gnral,
de haut potentiel intellectuel telle quelle est dfinie par Dabrowski et Piechowski ou par leur inadaptation au systme scolaire.
(1977), les auteurs ont propos une tche permettant d'observer comment les
participants grent les situations motionnelles difficiles. Pour cela, ils leur c. Les enfants haut potentiel et lintelligence sociale
ont propos la tche suivante : penser la dernire fois o vous tiez avec des
amis qui voulaient faire des choses avec lesquelles vous n'tes pas l'aise (i.e. Bien que la notion dintelligence sociale soit plus ancienne que celle
choix risqu ou mauvais choix) . Ils devaient dcrire la situation en gnral, les dintelligence motionnelle dans le champ de la psychologie, ces aptitudes nont
lments qui les rendaient mal l'aise et comment ils avaient essay de grer la pas pour autant fait lobjet dinvestigations pousses auprs denfants haut
situation. Ils devaient ensuite spcifier comment la situation s'articulait par potentiel intellectuel. Un test dintelligence sociale a bien t adapt en fran-
rapport leur but, en gnral (long terme) et comment les parents avaient ragi ais partir des travaux psychomtriques de Guilford et collaborateurs (Mille,
la faon dont la situation avait t gre. Aprs la collecte des rponses, les O'Sullivan, et Guilford, 1977), sappuyant sur des principes de mesure semblables
auteurs ont men une tude cas par cas en comparant le QIE, le QIV et les ceux du George Washington University Social Intelligence Test voqu prc-
rponses aux diffrentes questions poses. Pour Mayer et al., les analyses confir- demment (questionnaire choix multiples), mais cet outil na pas t ractualis
ment les liens attendus entre le niveau d'intelligence motionnelle et le haut depuis sa publication. De plus, ce test na, notre connaissance, jamais t
potentiel motionnel. Ils observent que les adolescents avec un haut niveau de employ des fins didentification des enfants haut potentiel. La controverse
comptence motionnelle (haut QIE) organisent mieux et de manire plus voque prcdemment sur la position thorique de lintelligence sociale dans
complte les informations motionnelles lies aux relations avec les pairs que une structure hirarchique des aptitudes intellectuelles explique en partie cette
ceux prsentant un QIE plus faible. De plus, les adolescents haut QIE dcri- absence. Des outils de mesure fiables et utilisables grande chelle font toujours
vent les situations motionnelles de manire plus prcise et plus riche (impliquant dfaut, et la prise en compte dun haut potentiel social dans lidentification
des sentiments en conflit) que les adolescents QIE moins lev. Enfin, de cette population fait ainsi figure dexception (Maker, 1996; Sarouphim, 1999).
l'intelligence motionnelle et l'intelligence verbale semblent contribuer, ensemble Plusieurs auteurs ont nanmoins soulign lintrt de ltude du haut potentiel
(mais de faon distincte), une meilleure planification des buts personnels. social, en avanant lide de prcocit sociale ( Jones et Day, 1996; Porath,

148 Partie 2 - Approfondir Chapitre 6 149


2000) ou psychosociale (Abroms et Gollin, 1980), mais les mesures propo- meilleures aptitudes sociales chez les filles comparativement aux garons (Miller,
ses - des valuations par des jeux de rle - nont pas encore t talonnes et Danaher, et Forbes, 1986; Rose et Asher, 1999), alors une approche multiple
ne permettent donc pas de mesurer le degr dcart la norme de chaque perfor- dans lidentification des enfants haut potentiel, incluant les aptitudes de nature
mance individuelle. sociales (et motionnelles), permettraient non seulement une meilleure htro-
Par ailleurs, il savre tout aussi difficile de savoir si les enfants haut poten- gnit socio-culturelle (Sarouphim, 1999), mais aussi dencourager un
tiel ont galement des aptitudes sociales hors du commun, ou au contraire, des rquilibrage entre sexes dans les programmes dducation spcialise.
difficults interagir avec leurs pairs. Quelques tudes empiriques ayant explor
lajustement social de ces enfants apportent quelques lments de rponse. Dans 2. Les composantes conatives et affectives
lensemble, que ce soit par le biais dauto-valuations ou de mesures sociom-
triques examinant leur degr de popularit, ces travaux donnent, pour la plupart, des enfants haut potentiel
limage dune adaptation sociale de lenfant haut potentiel plutt positive, bien
quici encore les donnes empiriques ne puissent pas apporter de conclusions Lenfant haut potentiel ne fait pas exclusivement rfrence des perfor-
tranches (voir Mouchiroud, 2004, pour une revue de la littrature). Dans mances intellectuelles cognitives exceptionnelles. Certains auteurs suggrent
lintgralit des tudes, les participants appartiennent toujours des groupes que les enfants haut potentiel diffrent des autres enfants sur d'autres carac-
denfants haut potentiel reconnu et participant des programmes duca- tristiques individuelles, conatives (traits de personnalit, ...) et affectives
tifs spcialiss, et les questions concernant les enfants prcoces non identifis (expriences motionnelles, sensibilit aux motions, ...).
ou scolariss dans une filire classique restent sans rponse. De plus, les QI
moyens se situent autour de deux cart-types au dessus de la performance
a. Caractristiques individuelles stables lies aux motions
moyenne (QI = 130) et correspondent environ 3% de la tranche dge. Quen En plus des aptitudes traiter les informations motionnelles, nous pouvons
est-il des cas extrmes, aux performances beaucoup plus exceptionnelles , identifier des traits de caractre stables lis au vcu et au ressenti des motions.
visibles dans quelques cas seulement ? Depuis les observations de Hollingworth Deux types de caractristiques stables peuvent tre examines : les styles affec-
(1942), de nombreux travaux ont soutenu lexistence dun lien ngatif entre QI tifs et les traits motionnels. Conformment la description de Davidson (1994),
(lev trs haut) et ajustement social (voir Neihart, Reis, Robinson, et Moon, les styles affectifs sont conus comme lensemble des diffrences individuelles
2002). Ainsi, Hollingworth dfinit lintelligence correspondant des QI situs qui modulent la raction dune personne face un vnement motionnel. Un trait
entre 125 et 155 comme une forme de prcocit socialement optimale , les motionnel se dfinit comme une reprsentation moyenne de lensemble des tats
enfants dans cette tranche apparaissant quilibrs, confiants en eux-mmes, motionnels vcus par une personne travers une varit de situations, repr-
sociables, et capables dinstaurer des relations amicales durables avec des pairs sentatives de celles rencontres dans la vie quotidienne (Mehrabian, 1996). Dans
du mme ge. Au del, au dessus dun QI de 160, les aptitudes des enfants le cas des enfants haut potentiel, un style affectif - lintensit motionnelle - et
haut potentiel, trs diffrentes des pairs, entraneraient alors les problmes un trait motionnel - lanxit - semblent particulirement les caractriser.
dajustement social et motionnels, particulirement avant 9 ans.
Intensit affective
Chez les enfants haut potentiel, on pourrait considrer linteraction entre
niveau de performance et type de performance. Certaines aptitudes extrmes Lintensit affective est dfinie comme la tendance des individus vivre et
seraient en effet plus susceptibles dengendrer des difficults sociales que dautres. ou ressentir intensment les diffrentes expriences motionnelles (Larsen et
Dauber et Benbow (1990) montrent ainsi que des comptences verbales excep- Diener, 1987). Concernant les enfants haut potentiel, il existe un certain
tionnelles sont plus mme dentraner un isolement social que les aptitudes consensus pour signifier que ces enfants prsenteraient frquemment cette
mathmatiques, car celles-ci savrent plus difficiles masquer vis--vis des pairs. tendance. Il est mme parfois suggr que cette intensit affective est lie une
hyper sensibilit , source de leur grand potentiel.
Enfin, les diffrences inter-sexes sont galement examiner dans une pers-
pective plurielle du haut potentiel. Si certaines tudes dans la population gnrale Dabrowski (voir Dabrowski et Piechowski, 1977), via sa Thorie de la
semblent mettre en vidence, contrairement aux performances acadmiques, de Dsintgration Positive , accorde un rle prpondrant lintensit avec laquelle
lindividu va vivre des expriences, et souligne limportance des composantes

150 Partie 2 - Approfondir Chapitre 6 151


motionnelles dans le processus dveloppemental. Les facteurs hrditaires pren- Ainsi, Robert et Lovett (1994, cits par Robinson et Clinkenbeard, 1998) ont
nent en compte cinq lments caractristiques de la personnalit regroups sous induit exprimentalement une situation d'chec dans trois groupes de vingt
le terme gnrique d hyperstimulabilits2 , et qui correspondent des rac- adolescents de la mme tranche d'ge (entre 12 et 14 ans) : un groupe denfants
tions extrmes et constantes en rponse des stimuli internes ou externes. Une identifis haut potentiel, un groupe denfants ayant de bonnes performances
des cinq formes dhyperstimulabilits est de nature strictement motionnelle. scolaires, et un groupe denfants situs dans la moyenne. Les rsultats montrent
Ainsi, les relations motionnelles, ngatives ou positives, sont ressenties et expri- que les adolescents du groupe haut potentiel ont tendance montrer plus de
mes de manire plus intense que la moyenne. ractions motionnelles ngatives et de ractions physiologiques au stress que ne
Les successeurs de Dabrowski, saccordent dire que cette hyperstimulabi- le font les deux autres groupes face lchec.
lit motionnelle se retrouve particulirement chez les individus haut potentiel. Nanmoins la plupart des recherches empiriques ne rpliquent pas ce rsultat.
En administrant un questionnaire spcifique lvaluation de ces cinq formes Ainsi, Reynolds et Bradley (1983), Roome et Romney (1985) ne trouvent pas un
dhyperstimulabilit, Piechowski, Silverman et Falk (1985) comparent ainsi les degr d'anxit des enfants haut potentiel significativement suprieur celui des
profils d'hyperstimulabilit de personnes haut potentiel ceux dadultes exer- autres enfants (voir galement Vrignaud, 2003). Dans ltude de Roome et
ant une activit professionnelle et ceux dtudiants universitaires de diffrentes Romney, trente enfants haut potentiel (gs de 11 14 ans) issus dun programme
disciplines. Les rsultats montrent que les artistes et les adultes haut poten- dducation spcial sont valus au niveau de diffrentes dimensions psycholo-
tiel intellectuel se distinguent du groupe contrle par des scores significativement giques dont lanxit. Le questionnaire utilis est lchelle danxit pour enfants
plus levs sur les chelles dhyperstimulabilit intellectuelle, motionnelle et de Spielberger et al. (1973). Les rsultats indiquent que comparativement un
imaginaire. Piechowski et Colangelo (1984) montrent, avec des paradigmes groupe reprsentatif denfants issus de la population gnrale (N = 602)3, les enfants
exprimentaux plus ou moins similaires, que ces rsultats sont gnralisables haut potentiel ne sont pas significativement plus anxieux (anxit trait comme
aux adolescents et aux enfants, lhyperstimulabilit motionnelle apparaissant anxit tat).
donc comme un facteur caractristique du haut potentiel.
b. Les styles cognitifs et les traits de personnalit
Lanxit
Sur le plan conatif, Parker et collaborateurs (Mills et Parker, 1998; Parker,
Lanxit-trait (Spielberger, 1971) se dfinit comme la tendance (constante
1997; Stumpf et Parker, 2000) ont examin certains styles cognitifs et traits de
ou consistante) ragir avec apprhension. Il est une forme latente de ltat
personnalit. Les recherches de Parker sont bases sur l'utilisation d'instruments
danxit, qui correspond lexpression motionnelle, dans un contexte bien
valids comme le Minnesota Multiphasic Personality Inventory (MMPI), le NEO
spcifique, du trait anxit. Dune manire gnrale, lanxit est dfinie comme
PI R ou encore le Myers-Briggs Type Inventory. Ces outils ont pour fonction
lanticipation apprhende dun danger futur ou dune infortune, accompagne
didentifier les caractristiques de personnalit des individus. Parker analyse dune
par un sentiment de dysphorie ou de symptmes somatiques de tension (DSM
part des auto-valuations des individus haut potentiel et, dautre part, les htro-
IV, American Psychiatric Association, 1994). Pour Spielberger (1966), le trait
valuations faites par les parents des participants. Dans ces recherches, les profils
motionnel anxit reflte la probabilit quun tat danxit se manifeste
conatifs des enfants haut potentiel sont compars ceux de groupes contrles.
dans des conditions impliquant diffrents degrs de stress. Ainsi, un individu
possdant un niveau danxit-trait lev se verra plus dispos rpondre aux Parmi des rsultats significatifs mergeant de ces travaux, il apparat que les
situations stressantes par un tat anxieux. adolescents haut potentiel diffrent des enfants tout venant quant aux styles
cognitifs tudis : dans le cadre de la typologie de Myers et Briggs, ces adoles-
L'anxit accrue des enfants haut potentiel a surtout t dcrite dans le
cents adoptent plus souvent un style de pense intuitif, et montrent une
cadre dobservations non systmatiques. Les enfants haut potentiel, compa-
prfrence pour les concepts abstraits et thoriques.
rativement aux enfants "tout venant", auraient besoin de traitements et
dattentions particuliers en raison de leur forte tendance tre tendus et anxieux. Parker (1997) montre que les enfants et adolescents peuvent manifester deux
Dirks (1983) pense que les enfants haut potentiel prsentent, face un certain diffrentes formes de perfectionnisme : en plus des enfants non perfectionnistes ,
niveau de stress, des ractions anxieuses qui peuvent engendrer des effets nga- on observerait des perfectionnistes adapts (healthy) et des perfectionnistes inadap-
tifs. Certaines donnes exprimentales confirment en partie ces hypothses. ts (unhealthy). Dans le premier cas, le perfectionnisme permet aux

152 Partie 2 - Approfondir Chapitre 6 153


enfants/adolescents haut potentiel de russir aux niveaux acadmique et social. susceptibles daffecter lajustement social des individus haut potentiel. Les
Les individus surdous manifestant ce perfectionnisme sain prsentent des interactions, en particulier avec les pairs, vont jouer un rle important dans la
traits de personnalit et des attitudes bien spcifiques : ils sont significativement ralisation/manifestation du haut potentiel. Enseignants et psychologues font
plus stables au niveau motionnel, plus extravertis, plus agrables, plus conscien- parfois en effet tat de difficults dadaptation sociale de ces enfants (Neihart et
cieux, plus dpendants et prsentent des comptences sociales plus leves que al., 2002). Certains peuvent aller jusqu mettre en chec le dveloppement de
celles des autres enfants haut potentiel. Dans le second cas, le perfectionnisme leur potentiel. On parle alors de sous-ralisation , lorsque lenfant ou
se traduit par une inadaptation au contexte social et acadmique. Globalement ladolescent ne parvient pas sintgrer au systme scolaire classique et subit
les enfants/adolescents haut potentiel manifestant un perfectionnisme inadapt ainsi des checs significatifs (voir le chapitre 10). Pour plusieurs auteurs, la sous-
prsentent les scores les plus levs sur les traits de personnalit nvrosisme et ralisation pourrait tre une consquence de facteurs principalement sociaux
ouverture et les plus faibles sur le trait de personnalit agrabilit . Ils sont (Coleman et Cross, 2000). Le phnomne Big Fish Little Pond 4 dcrit par
anxieux, et dtachs socialement. Marsh (1987) illustre cette inadaptation. Les hypothses lies ce phnomne
indiquent quen raison des processus de comparaison sociale, un lve/tudiant
c. La motivation scolaris avec des individus autant ou plus comptents que lui aura une plus
Ce facteur tient une place centrale dans la notion de haut potentiel (Amabile, mauvaise reprsentation de ses performances acadmiques (petit poisson dans
1996; Renzulli, 1999), les aptitudes intellectuelles nayant aucune utilit sans le un grand bassin) par rapport llve/tudiant scolaris avec des individus moins
dsir dapprendre ou de raliser son potentiel quelle que soit la direction choi- comptents (grand poisson dans un petit bassin). Or la situation o lenfant est
sie (cf. chapitgre 1). Suivant Rea (2000), une motivation optimale va gnrer plac avec des individus dune classe suprieure est assez frquente chez les
une sensation agrable (flow experience) durant laquelle lindividu devient inten- enfants haut potentiel. Daprs Schwarzer (1984), cette situation aurait un
sment absorb dans sa tche, jusqu perdre conscience du temps pass, avec un effet anxiogne sur ces enfants. Zeidner et Schleyer (1999) ont ralis une tude
sentiment deffort dnu de toute peine (p187) . sur le niveau de stress denfants haut potentiel placs dans une telle situation.
Dans cette recherche, des enfants haut potentiel de niveau CM1 6me
Les chercheurs dans ce domaine distinguent gnralement la motivation (N = 1020) ont particip deux programmes ducatifs distincts, un programme
extrinsque de la motivation intrinsque . La motivation intrinsque se avec des classes homognes denfants haut potentiel, et un programme clas-
caractrise par une attention tourne sur les tches accomplir et sur le plaisir sique avec des classes mixtes. Tous ces enfants ont rpondu des chelles de
que procure lactivit intellectuelle. Au contraire, la motivation extrinsque est perception de leurs performances acadmiques (Academic Self-concept Subscale ;
centre sur des gains externes, comme par exemple des rcompenses matrielles Zeidner, 1995), de perception de leur capacit tablir des relations sociales
ou des compliments. Les donnes et les observations concluent gnralement (Social Self-concept Subscale, Zeidner, 1995) ainsi qu un inventaire danxit
un effet positif de la motivation intrinsque sur la ralisation du potentiel intel- (Zeidner, Nevo, et Lipschitz, 1988). Par ailleurs, la moyenne de leurs notes
lectuel. Le sens de leffet des motivateurs extrinsques est beaucoup moins clair, scolaires (Grade Average Point) a t calcule. Leffet Big Fish Little Pond appa-
le facteur clef tant peut-tre la capacit rester concentr sur la tche lorsque rat, conformment aux hypothses des auteurs, et les rsultats indiquent que
celle-ci est extrinsquement motive. les enfants haut potentiel suivant une scolarit en classe mixte ont une meilleure
Enfin, la motivation daccomplissement (achievement motivation), une forme reprsentation de leurs performances acadmiques, une anxit moins leve et
avance par McClelland (1965) et se rapportant au besoin de russir, est galement de meilleurs rsultats scolaires. Ils mettent galement en vidence un lien entre
susceptible daffecter favorablement les individus haut potentiel. Selon Sternberg le niveau danxit et la reprsentation des performances acadmiques : plus les
et Lubart (1995), ce type de motivation aurait la fois des caractristiques intrin- enfants haut potentiel sont anxieux, moins bonnes sont leurs performances
sques (le sentiment de russite) et extrinsques (la reconnaissance sociale). scolaires. Ce genre dtude soulve la question de la prise en charge des enfants
haut potentiel au niveau ducatif : quelle types de scolarisations leur sont les
d. Lajustement social mieux adapts (voir le chapitre 9) ? Un dispositif ducatif particulier sera-t-il effi-
Les performances acadmiques exceptionnelles, combines aux traits spci- cace pour lensemble des enfants haut potentiel (haut potentiel intellectuel,
fiques prsents ci-dessus tels que lanxit ou le perfectionnisme, sont haut potentiel acadmique, haut potentiel cratif, etc.) ?

154 Partie 2 - Approfondir Chapitre 6 155


Conclusion et perspectives Notes
1. Cet intrt rcent pour lintelligence motionnelle sexplique en partie par le succs
Lensemble des thmes et des recherches prsents dans ce chapitre montre mdiatique actuel du concept (voir en particulier Goleman, 1995)
que le haut potentiel ne peut se rduire la notion de haut quotient intel-
2. Overexcitability (OE)
lectuel . Les enfants haut potentiel semblent aussi prsenter des spcificits
3. Notons quaucune information supplmentaire concernant le groupe contrle nest
conatives affectives et sociales. Nanmoins, au del des observations et des tudes
donne, ni sur les aptitudes intellectuelles des enfants haut potentiel, si ce nest quils
dj menes, il est encore difficile de dterminer avec exactitude le degr et la prsentent une intelligence suprieure trs suprieure (p. 177) .
nature de ces particularits. Certaines donnes restent contradictoires. Ainsi,
4. Grand poisson dans un petit bassin
pour lintelligence motionnelle par exemple, les recherches disponibles ne nous
permettent pas de dire si les enfants haut potentiel ont plus de facilit trai- Bibliographie
ter les informations motionnelles que les autres enfants. Par ailleurs, de
nombreuses donnes restent descriptives et ne permettent donc pas didentifier ABROMS, K. I., et GOLLIN, J. B. (1980). Developmental study of gifted preschool
les origines de ces spcificits conatives, motionnelles et sociales de ces enfants. children and measures of psychosocial giftedness. Exceptional-Children, 46
Notamment, nous connaissons encore mal la nature de larticulation entre haute (5), 334-341.
intelligence et les dispositions non cognitives des enfants surdous . Ainsi, leur AJURIAGUERRA DE, J. (1970). Manuel de psychiatrie de l'enfant. Paris, Masson.
personnalit diffre-t-elle de celle des autres enfants parce quils sont extrme- AMABILE, T. M. (1996). Creativity in context. Boulder, CO, Westview.
ment intelligents, ou leur personnalit est elle tout fait indpendante de leur
Association, A. P. (1994). Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorder IV
grande capacit cognitive ? Une partie des recherches prsentes montrent que
(DSM IV). Washington, D. C., American Psychiatric Association.
des tendances motionnelles et sociales de ces enfants sont lies leur haut
BAR-ON, R. (1997). The emotional quotient inventory : Technical manual.
potentiel en interaction avec une situation spcifique. Cest ainsi quils prsen-
Unpublished manuscript, Toronto.
tent des difficults dajustement social, source danxit. Cependant, rien ne
nous permet de dire que leur tendance vivre intensment les situations BINET, A. (1911). Nouvelles recherches sur la mesure du niveau intellectuel chez
les enfants des coles. L'Anne Psychologique, 17, 145-201.
motionnelles, ou bien encore leur perfectionnisme, soient lis leur haute intel-
ligence. Par ailleurs, si une corrlation existait entre ces diffrents aspects, il BUTLER, L., et MEICHENBAUM, D. (1981). The assessment of interpersonal
problem-solving skills. In P. C. KENDALL et S. D. HOLLON (Eds.), Assessment
resterait dterminer les relations causales : leur extrme sensibilit est-elle une
strategies for cognitive-behavioral interventions. New York, Academic Press.
source de leur intelligence, ou leur grande intelligence explique-t-elle leur grande
sensibilit ? Les rponses cette question sont loin dtre identifies. Nanmoins, CANTOR, N., et KIHLSTROM, J. F. (1987). Personality and social intelligence.
Englewood Cliffs, NJ, Prentice Hall.
des tudes empiriques sur la synchronie entre le dveloppement des dimensions
cognitive, motionnelle et sociale permettraient didentifier ces relations causales CARROLL, J. B. (1993). Human cognitive abilities: A survey of factor-analytic studies.
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160 Partie 2 - Approfondir Chapitre 6 161


Chapitre 7 Les enfants haut potentiel, prcoces ou surdous retiennent en effet, aujour-
dhui, lintrt des mdias, tout comme les enfants agits ; les uns et les autres
ont fait lobjet de plusieurs missions et articles qui nont pas toujours contribu
clarifier la situation. La notion de surdon condense, pour certains parents, les
explications aux inadaptations et aux difficults de lenfant ainsi que les insa-
tisfactions provoques par le systme scolaire. Elle fait souvent lobjet dune
assimilation inapproprie : lenfant est agit, donc il est surdou. Les concepts
Approche clinique des de surdon ou de prcocit, insuffisamment explicits, offrent soudain une expli-
cation au malaise de lenfant et aux proccupations des parents. Les consulta-
tions se multiplient aux fins dobtenir un diagnostic permettant de prendre
enfants haut potentiel des mesures adquates, la demande explicite tant assez souvent de mettre en
vidence des aptitudes exceptionnelles rvles par lagitation de lenfant.

Si les enfants haut potentiel ont exist de tout temps, cest depuis quelques linverse, les capacits de haut niveau de certains enfants et adolescents sont
annes seulement que les demandes de consultations et de bilans psychologiques ignores et si certaines sinscrivent dans un fonctionnement harmonieux, la pratique
ont pour motif frquent lvaluation du surdon suppos des enfants. Deux motifs clinique nous amne parfois les mettre en vidence au cours dun bilan psycho-
expliquent cette volution : la pression sociale reporte de manire insistante logique men pour dautres motifs difficults scolaires, troubles psychiques divers.
sur la russite scolaire et la mdiatisation rcente de la notion. Aprs une priode Dans la pratique, le psychologue clinicien est donc essentiellement amen
o la question a t peu tudie, voire nglige, les dbats portant sur les carac- rencontrer des enfants et adolescents haut potentiel dans une vise dvaluation
tristiques et les difficults spcifiques de ces enfants sont prsent largement de leurs capacits intellectuelles initie par la famille, par lcole ou par un pdo-
diffuss et relays dans lopinion publique. Cest surtout la haute efficience intel- psychiatre, ou mettre celles-ci en vidence au cours dun bilan men pour
lectuelle qui est mise en avant, dans les demandes de bilan comme dans les comprendre les troubles quils prsentent. Pour ce faire, il sappuie sur lutilisation
mdias ; la question du haut potentiel cratif noccupe pour linstant, en France, doutils cliniques tels que lentretien et les tests, inclus dans une dmarche de bilan.
aucune place. Linterprtation des donnes ncessite le recours une thorie du fonctionnement
Dans la socit actuelle, le souci de russite, troitement li dans le systme psychique permettant de leur donner sens : parmi les thories utilises en psycho-
scolaire franais lentre sur concours dans des filires slectives, et accentu logie clinique, cest la thorie psychanalytique qui nous sert de rfrent dans
aujourdhui par la crainte du chmage li au manque de qualification, contribue lapproche prsente ici. Elle permet de comprendre les manifestations psychiques
mettre au premier plan des proccupations des parents et de certains tablis- de manire holistique, en mettant en rapport les donnes concernant la pense
sements la question de la performance de lenfant. Sera-t-il mme de suivre avec lensemble du fonctionnement psychique, et offre une perspective qui claire
au collge un cursus ouvrant au lyce sur une terminale scientifique, susceptible, les aspects normaux et des manifestations de troubles psychopathologiques de
dans lesprit de la majorit des gens, de lui donner lventail de chances le plus la personnalit partir des alas du dveloppement psychosexuel.
large pour entamer des tudes suprieures prestigieuses ? Ces ambitions trou- Afin dclairer la comprhension des sujets haut potentiel, nous commen-
vent souvent un cho parmi les enseignants eux-mmes, qui traitent les enfants cerons par prsenter les donnes thoriques concernant la naissance et le
de sections slectives comme de futurs lves de classe prparatoire - avec les dveloppement de la pense et de la crativit : ceci permettra dvoquer des
exigences que cette attitude implique, et en leur proposant parfois le programme hypothses quant la source de dispositions intellectuelles ou cratives de haut
de la classe venir afin de les stimuler. Cet tat desprit, prsent rpandu en niveau, et dvoquer les issues positives et les troubles ventuels de ces disposi-
France, a particip, au cours des dix dernires annes, la focalisation de lint- tions. Nous ne pouvons toutefois, compte tenu de la complexit de la question,
rt pour les enfants dits surdous et surtout la gnralisation de ce que lon en approfondir les implications dans cet ouvrage. Une rflexion sur le normal et
entend par ce terme. le pathologique permettra de clarifier sur ce point la question.

162 Partie 2 - Approfondir Chapitre 7 163


Nous voquerons ensuite certaines particularits prsentes dans la clinique En ce qui concerne la crativit, les voies suivies, aprs les travaux de Freud
du bilan des enfants haut potentiel, en montrant la ncessit dune approche sur la sublimation de la pulsion sexuelle et, plus tardivement, de la pulsion de
comportant une batterie de tests trs diversifis. Sur ce point galement il nous mort, ont t surtout celles de llaboration ncessaire de lagressivit, et de la
faut faire une slection des donnes : pour suivre la dmarche clinique dun bilan, perte dobjet, ouvrant la voie la rparation (M. Klein) et celle du narcissisme,
nous renvoyons aux chapitres dun ouvrage collectif comportant des prsenta- explore par de nombreux psychanalystes.
tions de cas de bilans denfants haut potentiel (Emmanuelli, 2004).
Un cadre pour la pense : contenant, rle de lenvironnement
Les travaux psychanalytiques les plus rcents soulignent que lactivit mentale
1. lments thoriques et ouvertures est issue du corps et doit tre taye, dans ses premires bauches, par un autre
cliniques appareil psychique : la pense nat partir des sensations, des perceptions, et
des motions, interprtes et mtabolises pour le nourrisson par la psych
maternelle. Cest en effet la mre, interprtant pour le jeune enfant les ressen-
a. Approche psychanalytique de la pense et de la crativit tis qui sont pour lui impensables, qui leur donne sens, leur permet de devenir
La thorie psychanalytique de la pense ne constitue pas un corpus unitaire moins angoissants, et de se transformer en lments susceptibles dtre penss.
: on trouve chez S. Freud, M Klein, D. W. Winnicott, des travaux pars, visant Comme pralable ltablissement de la pense, il faut celle-ci un cadre
expliquer la naissance de la pense intelligente, son dploiement et les diffi- dans lequel elle se dploie : quel que soit le terme retenu selon les auteurs, lespace
cults quelle rencontre1. Dautres crits concernent les activits de cration, psychique, lappareil penser les penses, les contenants de pense sont distin-
sous-tendues par la sublimation. Ces propositions se chevauchent ou se compl- guer des contenus, quils prcdent. Pour Bion, cest lappareil penser maternel
tent, selon la perspective dveloppe par lauteur. Par la suite, quelques qui sert de premier contenant : il transforme les projections de lenfant, ses
psychanalystes dont W. R. Bion, D. Meltzer, D. Anzieu, A. Green, ont pour- premires expriences motionnelles et sensorielles, de telle sorte que la fonc-
suivi, chacun sa manire, un travail original dans ces domaines. Un certain tion de symbolisation de celui-ci puisse spanouir.
nombre daxes explicatifs ont ainsi t mis en travail, au del des propositions Winnicott propose une thorie qui articule ncessit propre au nourrisson et
freudiennes et kleiniennes. Ils dveloppent, par exemple, les questions du rle rle de lenvironnement pour poser les bases de ce qui peut constituer le cadre le
pour la pense : plus favorable au dveloppement de la pense et de la crativit. Cette perspec-
- des impressions des sens et des motions (W. R. Bion) ; tive permet dexpliquer tout la fois le dploiement russi de la pense par certains
- de la fonction maternelle, dj mise en vidence par Winnicott (W. R. sujets haut potentiel, et linvestissement dfensif le surinvestissement - dont
Bion) ; elle fait lobjet par dautres ; elle claire aussi certains dysfonctionnements. Selon
- des enveloppes psychiques (D. Anzieu) ; lui, au dbut, il y a le soma, puis une psych qui sancre peu peu dans le soma ;
- du ngatif (A. Green). plus tard apparat lintellect, ou esprit.
Ces travaux permettent de faire des hypothses sur ce qui soutient la Dans larticle Lesprit et ses rapports avec le psych-soma , Winnicott lie
naissance de la pense et lui offre son premier contenant, puis sur ce qui favo- les premires modalits du dveloppement mental de lenfant la manire plus
rise son volution. Avant dextraire de ces crits quelques points utiles pour notre ou moins module dont la mre sajuste aux besoins de ce dernier. Il expose
sujet, rappelons que la question de lorigine du haut potentiel intellectuel na lide que la sant, le bon dveloppement du psych-soma, dans les tous premiers
jamais fait lobjet de recherches psychanalytiques : on ne trouve son sujet que temps, ncessite une continuit dexistence, qui aide constituer le self2. Cette
des allusions chez Freud et Winnicott. Les travaux sur le processus crateur, continuit implique une adaptation parfaite aux besoins de lenfant : dabord
portant sur des artistes adultes, offrent parfois des hypothses concernant la fournie par lenvironnement, elle est peu peu relaye par lenfant lui-mme. Le
source de leur crativit : Freud en donne un exemple en consacrant Lonard besoin dun environnement parfait quprouve tout individu est un facteur crucial
de Vinci un ouvrage qui explore les deux versants de ses activits, la recherche du dveloppement de lintellect.
scientifique et la cration artistique.

164 Partie 2 - Approfondir Chapitre 7 165


Ladaptation maternelle, dabord absolue, doit rapidement devenir relative : maternels dsordonns, peuvent produire une hyper-activit du fonctionnement
la capacit introduire un cart adapt, donc progressif, entre les besoins de mental avec le risque de voir lintelligence se couper du reste du fonctionne-
lenfant et leur satisfaction, caractrise la mre suffisamment bonne ( La ment psychique dans son articulation avec le corps, lintellect tant surinvesti
bonne mre ordinaire , crit Winnicott, est suffisamment bonne ). Cet cart, pour se substituer la fonction de lenvironnement dfaillant. Cest un des types
gnrateur de frustration, oblige lenfant pallier les dficiences de la mre par de troubles que lon peut rencontrer chez certains enfants haut potentiel. Le
son activit mentale, qui transforme lenvironnement suffisamment bon en envi- fonctionnement mental devient une chose en soi, remplaant pratiquement la
ronnement parfait. Il sagit dun systme interactif : la mre essaie de ne pas bonne mre, ce qui nouvre pas pour autant la voie lautonomie : un tel fonc-
introduire dans lunivers du bb des complexits dpassant sa capacit les tionnement peut aller de pair avec la dpendance et un faux dveloppement
comprendre et les admettre, tout en assurant la dfaillance graduelle de ladap- personnel fond sur la soumission aboutissant la constitution dun faux-self.
tation, mesure que le bb peut compenser les checs relatifs par lactivit Anzieu, dans un article consacr au fonctionnement psychique propre
mentale ou la comprhension ; dautre part, lactivit mentale du nourrisson lintellectuel, prolonge cette thorie. Cet article offre lintrt de montrer la
libre la mre de la ncessit dtre parfaite. Si les caractristiques propres diversit des destins, chez ladulte, de lintelligence et/ou de la crativit inves-
lenfant jouent un rle important dans ce jeu dajustements, la capacit mater- tis dans des activits intellectuelles ou artistiques, en les reliant des diffrences
nelle tre suffisamment bonne (cest--dire, rappelons le, ni trop dfaillante de modalits de stimulation de lenvironnement dans lenfance et linterven-
ni trop prvisible, ni, surtout, anticipant trop les besoins avant leur ressenti par tion de la fonction paternelle. Ainsi, des stimulations fortes mais diverses, donc
lenfant) a des consquences sur les modalits dinvestissement par lenfant de nigmatiques, prdisposeraient devenir un intellectuel ; les surstimulations
son fonctionnement mental et sur le rle, positif ou essentiellement dfensif, maternelles peuvent conduire lhyperfantasmatisation qui sert de source la
que ce dernier occupera au cours de sa vie. On peut donc supposer que le haut crativit artistique lorsquelles sont abondantes, sductrices ; enfin, elles risquent
potentiel intellectuel est stimul par un environnement favorable - au sens o de conduire linhibition lorsquelles sont contradictoires, discordantes : Anzieu
lentend Winnicott cest--dire porteur de frustrations progressivement adap- retrouve dans lanalyse de patients intellectuels prsentant des pisodes
tes, qui introduisent toujours une marge nouvelle combler par le jeu de la dlaborations intellectuelles dfensives, des stimulations maternelles ou fami-
pense, marge qui va ouvrir sur lintrt pour le jeu des ressemblances et des liales excessives : trop nombreuses, trop agrables pour que lenfant sen dtourne
diffrences ainsi que sur la curiosit et le plaisir de penser, donnant celui-ci ou sen protge, ce qui les conduit surinvestir la pense, en la coupant de
une haute valeur narcissique. Cet environnement favorable implique aussi lexis- linconscient. La fonction paternelle, quant elle, fournit laccs aux codes gn-
tence dun pre prsent dans la tte de la mre, et soutenant le retrait des rateurs dnoncs ou denchanements de consquences dans un domaine
investissements maternels en temps voulu. symbolique. Si linhib ne peut utiliser ensemble les fonctions maternelle et
Pour Winnicott, une haute intelligence nest pas synonyme, en tant que telle, paternelle du psychisme, lartiste les utilise toutes les deux mais en des temps
de troubles ; linvestissement positif des activits de pense permet le dvelop- diffrents ; lintellectuel les fait fonctionner simultanment, substituant des ides
pement harmonieux de la personne, lorsquil se fait au rythme de lenfant : les abstraites aux personnages de la scne dipienne.
stades du dveloppement affectif, dcrits par la thorie psychanalytique, doivent
Quest ce qui favorise le dveloppement de la pense ?
tre atteints en leur temps. Mais, sil souligne quun nourrisson dintelligence
exceptionnelle peut librer sa mre plus tt quun autre de la dvotion absolue Tous les travaux font natre la pense dune ncessit, voire dune souffrance.
ncessaire les premiers temps, il voit dans les inadaptations de lenvironnement La naissance de la pense sinstaure sous lemprise du besoin et du dsir, corr-
aux besoins de lenfant la source de diverses formes de troubles. le labsence de lobjet : pour Freud, cest la ncessit de re-trouver lobjet rel
Il suppose par exemple quune mre tardant assurer la dfaillance graduelle (le sein) susceptible de satisfaire le besoin qui fait natre limpulsion psychique
de ladaptation peut avoir un nourrisson dont le QI sera faible ultrieurement. appele dsir et conduit par un long dtour la mise en place de la pense. Penser
On voit ici lillustration de leffet potentiel dune trop bonne mre. consiste donc tout dabord penser labsence ce qui entrane une opration
complexe qui part de la perception (lobjet rel) pour sen dgager (la reprsen-
Inversement, la ncessit pour lenfant de suppler trop tt et trop intens-
tation psychique). La pense nat vritablement en substituant le symbole la
ment aux dysfonctionnements de lenvironnement, ou des comportements
perception.

166 Partie 2 - Approfondir Chapitre 7 167


La problmatique dipienne, source de proccupations douloureuses, peut tion des investissements intellectuels (1971, p. 141). Lintelligence en effet ne
ensuite tre un stimulant pour la pense tout comme elle peut tre la source constitue pas un domaine nettement spar du reste de la vie psychique et
dinhibitions : Freud souligne dans plusieurs textes le lien qui existe entre le lactivit intellectuelle, tout en sen nourrissant, est soumise limpact des conflits
destin de la curiosit sexuelle (et en particulier des interrogations portant sur inhrents celle-ci, des angoisses qui en dcoulent, et au jeu des mcanismes de
les origines et la diffrence des sexes) et celui de la pense. La pense s'taie sur dfense destins sen protger. Elle peut donc subir des atteintes dautant plus
la pulsion d'investigation, elle-mme nourrie par la curiosit sexuelle. L'interdit fortes et durables quelles surviennent tt dans le dveloppement. Ceci nous
oppos celle-ci dtourne la pulsion voyeuriste de son but initial (voir ce qui se incite mener une rflexion sur le normal et le pathologique, dans la rencontre
passe entre les parents). Elle se transforme alors en dsir de connatre ce qui est avec les enfants et les adolescents haut potentiel.
cach, et par dplacement, au dsir d'explorer l'espace, au maniement des Tout dabord : doit-on considrer que haut potentiel et pathologie vont
symboles et la curiosit scientifique. frquemment de pair ? En ce qui concerne le haut potentiel intellectuel, plusieurs
Le dsir de savoir est troitement li la configuration dipienne et porte recherches dmentent cette croyance, qui repose sur un biais frquent : de
essentiellement sur la question des origines. Ce dsir de savoir est trs tt au nombreuses tudes sont menes sur des enfants surdous qui consultent pour des
cur du fonctionnement des enfants haut potentiel : il a, dans les premiers troubles psychologiques. On conviendra quils ne sont pas reprsentatifs de len-
temps de leur dveloppement, dautres causes que celle-ci, dont en particulier semble des enfants haut potentiel. Roux-Dufort (1982) recense sur ce point
comme le donne comprendre Winnicott - un haut souci danticipation et une bibliographie consistante dont beaucoup dcrits dmentent la prvalence
demprise sur lenvironnement, mais par ailleurs, chez ces enfants, la proccu- de la psychopathologie dans cette population.
pation dipienne peut parfois sinstaurer trs tt. Une autre caractristique de Parmi les enfants surdous consultants, les troubles semblent avoir la mme
la configuration dipienne explique, pour Freud, ce qu'il tudie longuement varit de registres que chez les enfants defficience normale ou infrieure la
chez Lonard de Vinci, et retrouve en lui-mme : la capacit mettre la sexua- moyenne (Prat, 1979). On peut leur sujet complter la phrase de Mac Dougall
lit au service des activits sublimes plutt qu' se laisser dominer par elle. (1996) concernant lartiste : la vie des artistes clbres est aussi varie sur le plan
ses yeux, la certitude de possder l'amour maternel, assortie de la capacit de historique ou psychologique que peut ltre celle des banquiers, bouchers,
reconnatre l'interdit dipien tout en manifestant une insoumission dplace plombiers ou politiciens (p. 82) : leurs troubles galement.
sur un autre objet, dtermine l'attitude positive et hardie de l'investigateur. Il
Toutefois, compte tenu de certaines particularits de leur dveloppement
sagit ici dune organisation particulire, qui repose sur un lien troit entre lenfant
psychique, dont une frquente avance du moi par rapport la libido, les mani-
et sa mre lien que lon retrouve souvent chez les crateurs, et quillustre fort
festations psychopathologiques chez les sujets haut potentiel relvent souvent
bien lenfance de Marcel Proust.
du registre obsessionnel. Les fixations anales et linvestissement des dfenses
rigides que lon peut attribuer pour partie aux modalits relationnelles avec la
b. Rflexions sur le normal et le pathologique propos du haut
mre favorisent, on le sait, les activits de pense, et ce dautant mieux lorsque
potentiel
le fonctionnement est marqu par le bon ancrage dans lidentit et par la recon-
Les perspectives psychanalytiques comme les donnes de la pratique clinique naissance de la triangulation.
montrent la proximit des issues positives et ngatives dans la constitution et le Prat (1979) montre comment inhibition et haut potentiel peuvent parfois tre
fonctionnement de la pense, et dans la cration artistique. Le plus souvent, les considrs comme les deux faces dune mme ralit. La recherche, portant sur
travaux sur lintelligence sont consacrs aux difficults rencontres dans la une cohorte de 600 enfants accepts en internat pour difficults de comporte-
clinique, telles que linhibition intellectuelle, les troubles psychotiques, le dfaut ment dorigine essentiellement nvrotique, montre dans un nombre notable de
de crativit au sens que donne Winnicott ce terme. Ceci nempche pas de cas une volution du QI qui fait passer les enfants dun niveau defficience normal
considrer, comme le fait M. Klein, que le destin normal de lintelligence est de un niveau gal ou suprieur 130.
spanouir. Pour C. Chiland, un mauvais niveau intellectuel est souvent une
On rencontre toutefois des cas pathologiques, qui voient dfensivement sins-
cicatrice des souffrances infantiles, une forme de stabilit aprs des phases de
taurer une coupure entre la pense et le reste du fonctionnement psychique. Cette
dsquilibre, lapaisement des tourments de la vie affective au prix dune restric-
coupure permet parfois le maintien dune efficience intellectuelle de haut niveau,

168 Partie 2 - Approfondir Chapitre 7 169


au sein dune personnalit dont les troubles appartiennent au registre limite (les psychique. Il sagit, dans la rencontre avec lenfant, de se donner les moyens de
faux-selfs) et parfois au registre psychotique. Il devient difficile ici de distinguer rpondre aux questions qui se posent, de dterminer sil existe, du fait de ses parti-
si le haut niveau intellectuel sest maintenu malgr une angoisse massive, grce cularits et/ou du fait de la situation extrieure (environnement, cole) une
cette dfense qui protge le fonctionnement de la pense des interfrences souffrance actuelle ou des difficults prvisibles, puis de sinterroger sur les solutions
fantasmatiques qui la suscitent, ou sil provient de la massivit mme de cette proposer. cet effet, le recours aux donnes dun bilan comportant divers moyens
angoisse. Ces enfants, dont la fragilit narcissique est fondamentale, parviennent dapproche nous semble indispensable : il convient dutiliser, au cours des rencontres
en effet parfois maintenir, grce au surinvestissement de leur pense, utilise avec lenfant, une palette varie dpreuves (tests defficience, tests piagtiens, dessins,
comme prothse et comme bouclier vis--vis des sollicitations externes et internes, tests projectifs) que compltent les donnes de lentretien clinique et de lobserva-
une adaptation de surface la vie relle par le biais dune adaptation voire dune tion. Il est en effet utile de, non seulement dvaluer quantitativement le niveau
russite scolaire. Les tapes du dveloppement psycho-sexuel et les conflits quelles intellectuel lefficience, ce que lenfant est capable de faire au moment o nous le
apportent risquent de bousculer cette organisation fragile. Cest en particulier le rencontrons mais aussi dapprhender la varit de ses ressources, de ses poten-
cas de ladolescence. Les plus dous peuvent russir des concours difficiles, tialits diverses, den saisir les limites et de comprendre le motif de celles-ci. La
leffondrement survenant parfois au-del, du fait de labandon du soutien narcis- suite de ce chapitre illustre cet effet les apports respectifs des chelles Wechsler
sique apport par le surinvestissement de lactivit de pense, mais aussi par le et des preuves piagtiennes. En ce qui concerne le niveau defficience partir
systme tayant du cadre scolaire ou universitaire. Mais certains enfants dont duquel on parle de haut potentiel intellectuel : nous considrons que llargisse-
lefficience intellectuelle est excellente, en particulier lchelle verbale, prsen- ment de cette catgorie des sujets dont le QI est compris entre 120 et 129 na
tent trs tt des troubles majeurs, assortis dune telle inadaptation la ralit et gure de sens, et prfrons suivre les positions de Terman, ou de Roux-Dufort, qui
dune telle souffrance quelles excluent la possibilit du maintien poursuivi dans sen tient aux termes de bien dous pour les enfants dont le QI est suprieur ou
un cursus scolaire normal. Le bilan psychologique et la rencontre clinique abou- gal 130 et surdous pour les enfants dont le QI est suprieur ou gal 140.
tissent alors proposer le placement dans une structure de soins, ce qui nest pas Les avantages et les difficults rencontres par les enfants dintelligence trs sup-
sans poser problmes. Commence en effet, pour lenfant et sa famille, un parcours rieure ont des particularits qui nexistent qu partir dun certain niveau defficience,
parfois hallucinant qui le ballotte de lcole - qui le refuse pour son inadaptation impliquant un dcalage important avec les autres enfants et avec le niveau des
sociale, son incapacit se plier aux rgles rgissant le groupe et linstitution - aux apprentissages auxquels ils sont soumis dans la classe correspondant leur ge rel.
hpitaux de jour qui ne lacceptent pas parce que son niveau intellectuel est tel En effet, le dcalage vis--vis des autres que peut ressentir un enfant situ en ge
quils ne pourraient lui offrir une scolarit adapte ses besoins. mental une ou deux annes de plus que les enfants de sa classe est sans commune
En ce qui concerne lvolution des troubles troubles du comportement, mesure avec celui que ressent un enfant pour lequel il sagirait dune diffrence de
difficults scolaires, qui appartiennent majoritairement, semble-t-il, un registre cinq six ans, ou plus, si tant est que cela ait encore un sens.
nvrotique - certains travaux soulignent une volution plus favorable chez les Certaines associations de parents denfants surdous refusent lutilisation de
consultants montrant un niveau intellectuel suprieur, les enfants dintelligence tests de personnalit aux psychologues quelles sollicitent. Une approche complte
suprieure la normale semblent mieux capables que les autres de rsoudre les est pourtant ncessaire pour deux raisons.
conflits ayant donn naissance des troubles du comportement. Dans une tude Apprhender la personnalit dans sa globalit permet de comprendre la place
longitudinale mene auprs denfants non consultants, Chiland (1971) constate quy occupe la fonction intellectuelle, et de mettre en vidence, sils existent, des
que si plusieurs des enfants intelligents et russissant scolairement sont pertur- troubles psychopathologiques sous-tendant les symptmes prsents par lenfant
bs, ce sont aussi les plus accessibles aux techniques psychothrapiques (p. 287). (agitation, difficult scolaire). Lorsque cest le cas, quoi quil en soit du poten-
c. Quelques remarques sur la pratique du psychologue tiel intellectuel et cratif, lattention porte ses troubles et la prise en charge
quils requirent peuvent permettre dviter les dcompensations ultrieures.
clinicien avec les enfants haut potentiel
Par ailleurs, le recours aux preuves de personnalit offre une approche des
Quels que soient la situation et le motif voqu en pralable, nous rencontrons
processus de pense qui complte de manire irremplaable lclairage des
lenfant au dcours dune dmarche individuelle, avec pour but llucidation de son
preuves dintelligence. Le Rorschach en particulier met en vidence la qualit
mode de fonctionnement, non seulement intellectuel mais, plus largement,

170 Partie 2 - Approfondir Chapitre 7 171


des processus de pense : la manire dont la pense peut oprer un compromis Il sagit de retrouver la question du dsir et des conflits que ce dernier
entre principe de ralit et principe de plaisir pour rpondre la consigne en engendre, conflits qui peuvent tre propices pour certains lengagement dans
voquant tout ce quoi fait penser ce matriel non figuratif. On peut ainsi voir la sublimation, alors quils deviendront pour dautres une source dinhibition.
apparatre une crativit qui se soutient du jeu avec le fantasme sollicit par les En tant que psychologue clinicien, notre valuation non pas de lintelligence,
planches, sans se laisser dborder par lui ou, tout au contraire, constater les diffi- mais de lenfant, pris dans un processus dynamique, peut ouvrir sur un dialogue
cults du sujet se laisser aller au jeu de limaginaire, entrer dans cet espace avec les parents et lenfant afin denvisager pour ce dernier la solution la meilleure
dillusion qui lui est ainsi propos. Pour reprendre la diffrence faite par Winnicott celle-ci ntant jamais prvisible, pr-formate et exclusive, quel que soit le
entre play et game , il sagit ici du play, un jeu sans les rgles qui sapparente niveau dintelligence et les ventuels troubles (Emmanuelli, 2004).
ce qui est en question dans lespace transitionnel, o cet auteur situe les origines
de la crativit. La comparaison entre donnes des tests dintelligence et donnes
des preuves projectives est, sur ce point, dune infinie richesse et rvle parfois 2. Approche clinique et mthodologique
de grandes surprises. Le contraste entre un haut niveau defficience et la diffi-
cult voire limpossibilit jouer le jeu projectif renseigne sur la fonction de
a. Les questions existentielles des enfants haut potentiel
lintelligence ici essentiellement dfensive et en dit long sur la pauvret des
capacits cratives. Inversement, certains sujets defficience dans la norme peuvent
Lucas, 9 ans, se demande comment le premier homme est apparu sur terre ;
montrer des capacits tonnantes se saisir de cette situation non scolaire, qui les
Louis, 4 ans, connat par cur le nom des dinosaures et a appris lire seul,
place dans une position nouvelle pour eux, et leur permet de changer les donnes
laide douvrages traitant de ce sujet ; Jules, 3 ans et demi, nous raconte en
habituelles et mme dinnover chaque moment de lpreuve, en trouvant de dtail les aventures du dieu Osiris, tandis que sa sur, Ariane, ge de 8 ans
nouvelles images, en utilisant les planches selon des positions varies. voque les figures mythologiques comme autant de personnages familiers.
En dernier lieu nous pouvons voquer une question que se posent souvent Quant Hubert, 10 ans, il sintresse beaucoup aux momies, mais aussi aux
les psychologues cliniciens aujourdhui : quel rle faut-il jouer dans la clinique plantes sur lesquelles il est imbattable
des enfants haut potentiel ?
Nous avons parfois le sentiment quon vient chercher chez le clinicien un Le point commun de ces thmes rcurrents - la mythologie, lgypte avec
label dbouchant sur la rsolution magique des problmes de lenfant, sans ses pharaons et ses momies, les dinosaures, lunivers et les plantes - cest la
vouloir en savoir plus sur la ralit de ce dernier. Certains dentre nous en sont question de lorigine, troitement imbrique avec celle de la mort : ainsi, les
gns. Mais ces consultations motives par le dsir de confirmation du surdon momies reprsentent une figuration condense du mort dans son tombeau et
nen peuvent pas moins se transformer en bnfice pour les enfants : condition du bb emmaillot, condensation de la naissance et de lexhumation (de
de la mener selon une perspective qui doit inclure lapproche intellectuelle et Mijolla, 2002, p. 70.). Les dinosaures, animaux prhistoriques, symbolisent
lapproche de la personnalit. Une valuation rigoureuse et approfondie permet la fois lorigine de lunivers et sa fin puisquils ont disparu mystrieusement.
de comprendre le fonctionnement de lenfant sous ses diffrents aspects ainsi O tais-je avant ma naissance ? O serais-je aprs ma mort ? sont les ques-
que sa position dans lconomie familiale. Elle est loccasion de parler avec len- tions qui mobilisent la pense de ces enfants. Si, comme le montre Freud, la
fant, de lenfant, et de laisser la famille sexprimer sur ce que vhicule cette ide curiosit sexuelle est le levier de la pulsion de savoir, la question des limites
de surdon. Lessentiel est, en retournant la clinique, de savoir pour qui et au lies la condition humaine est galement trs prgnante chez les enfants
bnfice de qui les enfants investissent leurs processus de pense, leur intelli- surdous, particulirement angoisss par la problmatique de la perte versus
gence, leur crativit, question qui nest certes pas sans lien avec le maintien ou disparition ou versus castration, en fonction de leur dveloppement psychique.
leffondrement de leur efficience au fil des annes, ou avec leffritement de leurs En tmoignent aussi les projets identificatoires glans au cours de nos rencontres
capacits cratrices. Par exemple, on a pu remarquer que certains enfants tiquet- avec les enfants haut potentiel : gologues, palontologues, chercheurs, archo-
ts surdous vers 7 ou 8 ans devenaient souvent, lors dun retest ultrieur, des logues, gyptologues. Ces destines possdent une filiation commune et
enfants intelligents particulire du ct de lorigine, qui sapparente une recherche du temps perdu.
Lenfant sinvente en outre souvent des origines diffrentes de la ralit, par la

172 Partie 2 - Approfondir Chapitre 7 173


cration dun roman familial o les parents fictifs sont idaliss. Les crations, et clinique est dsormais bien repr en ce qui concerne la thorie piag-
fantaisies, rveries ou projections dans lavenir, permettent en effet de lutter tienne, et force est de constater quil existe une grande variabilit
contre les incertitudes des situations menaantes, tout en dveloppant la pulsion intra-individuelle qui permet rarement de situer un sujet dans un seul stade.
dinvestigation. Or, les enfants surdous sintressent souvent la lecture de Nous allons maintenant dvelopper davantage notre point de vue clinique
contes et de romans et toutes productions et fictions humaines auxquelles le (Weismann-Arcache, 2004) et les apports de deux tests piagtiens que nous utili-
roman familial sert de base. On peut citer Louis, cinq ans onze mois, qui se sons prfrentiellement en fonction de lge de lenfant : LUDN II (Utilisation
passionne pour Tintin, adolescent qui na jamais eu de parents rels [et qui] vit et construction Du Nombre) partir de 3 ans, et LEPL (Echelle de Pense
constamment et uniquement avec des personnages du roman familial (Soul, 1984). Logique), utilise en principe partir de 9 ans, mais que nous proposons ds lge
Ces exemples tmoignent des liens serrs entre le besoin de savoir et une de 6 ans aux enfants prsentant un QI lev aux chelles de Wechsler.
sensibilit accrue aux limites temporelles et spatiales inhrentes ltre humain.
Cette sensibilit, qui est aussi celle que lon retrouve chez les artistes et les adoles-
UDN II (1999) Construction et utilisation des premiers
cents, pourra trouver des issues varies, parfois entre gnie et folie.
(Weismann-Arcache, 2003). nombres, enfants de 4 11 ans
OPRATIONS INFRA-LOGIQUES : conservations des quantits discontinues,
b. Lintelligence des enfants haut potentiel : quelles des longueurs, de la substance, du poids ; dissociation poids-volume.
particularits ? preuves dorigine spatiale.

valuer lintelligence OPRATIONS LOGICO-MATHMATIQUES : logique lmentaire classifi-


cations, sriations, inclusion, transitivit ; utilisation du nombre.
Considrant que lintelligence est indissociable dun travail psychique fond
sur la pulsion de savoir, nous proposons ici une approche clinique de lvalua- - TABLISSEMENT DUN NIVEAU SCOLAIRE : connaissances scolaires ;
tion de lintelligence. En clinique infantile, cette valuation passe ncessairement
par une double lecture : gntique en rfrence au dveloppement, et psycha-
nalytique, en rfrence lorganisation psychique incluant les processus cognitifs. EPL chelle de Pense Logique de Longeot (1974),
Lutilisation conjointe des tests de Wechsler et des preuves piagtiennes est, de de 9 15-16 ans
notre point de vue, la meilleure faon de rendre compte de la complexit du
psychisme infantile en gnral, et constitue une approche rigoureuse et appro- OPRATIONS INFRA-LOGIQUES : courbes mcaniques, conservation du
fondie du fonctionnement mental des enfants haut potentiel. Nous pensons poids, du volume ; dissociation poids-volume.
que la complmentarit de ces preuves est la mme que celle qui runit laxe
OPRATIONS LOGICO-MATHMATIQUES : permutations, quantifications de
synchronique (lorganisation mentale) et laxe diachronique (le dveloppement). probabilits.
En clinique infantile :
Les tests de QI refltent une organisation un moment donn, avec ses OPRATIONS HYPOTHETICO-DDUCTIVES : preuve du pendule.
points forts et ses faiblesses. Les performances de lenfant seront compa-
res celles de sa classe dge en rfrence la variabilit inter-individuelle,
puis en fonction de sa propre organisation cognitive, selon un profil de Ces preuves sont construites en rfrence la thorie piagtienne, et leurs
variabilit intra-individuelle. fondements thoriques reposent sur la notion de stades et de linarit chrono-
logique du dveloppement cognitif. Cette approche gntique permet dvaluer
Les tests piagtiens se rclament davantage dune rfrence au dveloppe-
si un stade est atteint ou non, et dapprhender lvolution du sujet en termes
ment qui suppose une chronologie dans lordre de construction des structures
davance ou de retard. Cette rfrence au dveloppement constitue une approche
de pense logique, dans diffrents domaines qui doivent squilibrer pour
intressante pour valuer les enfants haut potentiel car elle renvoie analogi-
atteindre un stade de dveloppement, puis le suivant. Le hiatus entre thorie
quement la notion de prcocit intellectuelle, dans la mesure ou chaque stade

174 Partie 2 - Approfondir Chapitre 7 175


correspond approximativement une tranche dge : sensori-moteur avant 4 ans, son gard, car les bonnes expriences lont emport sur les mauvaises.
propratoire de 4 7 ans, stade des oprations concrtes de 7 11 ans, stade Lenfant a ainsi dvelopp une vision du monde stable et relativement
prformel de 12 14 ans, formel au-del. Un stade est atteint quand les diff- positive, qui va influencer son jugement. Les perceptions sont intriori-
rentes structures de raisonnement impliques atteignent ce stade. La clinique ses sous forme de reprsentations, et lenfant peut faire preuve de
montre cependant que lintelligence logique procde de plusieurs voies de dve- jugement. Ces oprations sont souvent rvlatrices dune fragilit affec-
loppement qui atteignent rarement une homognit permettant de situer un tive car elles ncessitent des repres bien intrioriss, une scurit interne
enfant dans un stade bien circonscrit. Deux de ces voies ont t identifies qui peut faire dfaut certains enfants haut potentiel qui vont surinvestir
(Huteau, 1995, p.62) et peuvent se prter des lectures diffrentes en fonction le domaine logico-mathmatique dans une vise compensatoire. Elles
des auteurs et de leurs options thoriques : les oprations logico-mathmatiques sont souvent corrles lchelle Performance du WISC III, et sont gn-
et les oprations infra-logiques. ralement lobjet dune moindre russite chez les enfants haut potentiel
Les oprations logico-mathmatiques portent sur des quantits disconti- car elles sont soumises la perception qui peut leurrer lenfant et lem-
nues que lon peut dnombrer ; elles mettent en uvre des oprations de porter sur le raisonnement verbal et la reprsentation mentale : lenfant
conservation du nombre, de classification, de sriation. Les soubassements croit ce quil voit.
motionnels et affectifs du raisonnement sont ici sollicits dans la mesure Chez un mme sujet, la concordance de ces voies de dveloppement est rare,
o les oprations de classification et de sriation renvoient respectivement et il existe une grande varit de profils, depuis la relative homognit des
aux ressemblances et aux diffrences, et mobilisent les investissements processus de raisonnement jusqu la dysharmonie cognitive dcrite par
identificatoires, dipiens : tre comme ou tre diffrent de , premires Gibello (1984) qui implique un retard dans lorganisation de certaines struc-
catgorisations du monde qui soprent partir de la diffrence des gn- tures de raisonnement cotoyant un niveau normal dans dautres. Nous
rations et des sexes. partir de ces diffrenciations lmentaires sorganise considrons que le diagnostic de haut potentiel ne doit sappliquer quaux enfants
la pense catgorielle avec laccs des discriminations de plus en plus ayant un QI suprieur 130 et ne prsentant pas de dysharmonie cognitive
fines, ncessaires aux apprentissages et surtout ici la construction du pathologique. En revanche, si la dysharmonie est due une relle avance du
nombre. Accepter les diffrences suppose de tolrer le manque et la perte : dveloppement de la pense logique dans certains domaines, sans retard avr
renoncer avoir les deux sexes, remettre plus tard le bnfice des prro- dans dautres, nous ne la considrons pas comme un signe de dysfonctionne-
gatives des adultes. Est-ce la grande sensibilit au manque, ment cognitif.
lincompltude, des enfants haut potentiel, qui fait que leurs rsultats les
plus levs sont obtenus ce type dpreuves ? Le maniement ais des
nombres permet la fois un raisonnement cartsien, du ct des certi- HAUT POTENTIEL ET RAISONNEMENT
tudes, et un accs la notion dinfini, dillimit. Ces notions sont trs LOGICO-MATHMATIQUE
investies par les enfants haut potentiel car elles correspondent au carac-
- chez les 3-5 ans, les rsultats les plus levs aux preuves piagtiennes sont
tre abstrait et mtaphysique de leurs proccupations.
obtenus lpreuve de conservation du nombre, dans laquelle deux collections
Les oprations infra-logiques concernent des lments non quantifiables comportant le mme nombre dlments, des bouteilles et des bouchons, sont
mais mesurables en termes de poids, de volume, et de longueur. Il sagit places en terme terme, puis rapprochs spatialement : on demande len-
de dterminer si un objet qui change de forme ou de place garde son iden- fant sil y a toujours la mme chose, ou plus, ou moins. Le comptage comme
tit et ses proprits. Cette construction dinvariants ncessite laccs aux argument est utilis trs tt.
notions de rversibilit et de permanence de lobjet au sens piagtien du
terme. En termes psychanalytiques, cest la stabilit et la cohrence de - Tous les enfants haut potentiel de la priode de latence atteignent un stade
suprieur une preuve, les Quantifications de Probabilits : il sagit de com-
lenvironnement maternel qui assure lenfant sa propre continuit, grce
parer deux tas comportant des jetons avec croix et des jetons sans croix, dans
deux types de certitudes : lassurance que sa mre continue dexister
un systme de fractions qui ncessite de prendre en compte deux systmes de
mme pendant ses absences, et la certitude quil ne peut la dtruire avec rfrence, les numrateurs et les dnominateurs.
son agressivit, tout comme elle ne peut exercer dagressivit destructrice

176 Partie 2 - Approfondir Chapitre 7 177


Ces tapes constituent les fondements affectifs de toute dmarche intelli- ralit qui privilgie la logique, les repres, les expriences dj vcues, et laisse
gente. La mise en perspective de ces preuves contribue mettre en vidence les peu de champ lalatoire, limprvisible. Le jeune enfant haut potentiel privi-
diffrences interindividuelles, mais surtout intra-individuelles. La rfrence au lgie la rfrence au connu qui passe cependant imprativement par la
dveloppement sy articule avec les processus psychiques complexes en jeu dans reprsentation mentale ; linverse, les subtests les moins russis sont ceux qui
les conduites intelligentes imposent un modle externe, comme Carrs et Damier des Animaux.
Lpreuve de Sriation de baguettes lUDN, celle de Conservation du
c. Lintelligence des enfants haut potentiel : htrognit ou nombre, puis les Classifications, sont celles qui prsentent le plus davance ; or il
dysharmonie ? faut ordonner des lments distincts en fonction de leurs diffrences, de leurs
Nous examinerons ici les rsultats dune recherche (Weismann-Arcache, ressemblances, ou bien comparer des collections dobjets : toutes ces oprations
2003) portant sur 24 enfants haut potentiel, gs de 3 12 ans. Une partie des permettent de matriser le manque, la diffrence, grce au raisonnement logico-
enfants de cet chantillon a t rencontre lcole maternelle ou lmentaire, mathmatique. Il en va autrement pour la conservation de la substance, qui en
dans le cadre dune demande de passage anticip dans la classe suprieure. Les appelle davantage aux proprits de lobjet, sa permanence malgr les transfor-
autres sujets haut potentiel qui composent cet chantillon ont t reus en mations, dautant plus quil sagit de pte modeler. Le raisonnement infralogique,
consultation pour des troubles divers. Tous ont bnfici dun examen psycho- pour lequel la notion de mesure remplace celle de nombre, savre limit par la
logique complet comportant les chelles de Wechsler (WPPSI-R et WISC III), dpendance perceptive, lprouv, qui lemporte sur le jugement, le connu.
les preuves dinspiration piagtienne (UDN 2 et EDPL), des dessins libres et Le recours au raisonnement logico-mathmatique, surdvelopp chez len-
imposs, et les preuves projectives (CAT ou TAT, et Rorschach). La double fant haut potentiel, traduit sa lutte contre lincertitude. Il tente ainsi trs tt
rpartition des sujets en populations non consultante et consultante a permis de contrler et de rguler lintensit de ses prouvs en donnant un sens ses
de montrer la grande varit des profils psychologiques qui recouvre peu prs expriences. Cette recherche du sens et de la matrise peut parfois aboutir des
toute la gamme des organisations psychiques, du normal au pathologique. Ce mcanismes dintellectualisation, de rationalisation qui paralysent paradoxale-
recueil de donne permet nanmoins de mettre en vidence les particularits de ment la vie affective.
lintelligence et de linvestissement de la pense chez les enfants haut poten-
tiel, en termes dhtrognit ou de dysharmonie. Afin de maintenir la rfrence
au dveloppement et dtudier lvolution de ces enfants, nous prsentons ces
Le Cas de Ben
caractristiques communes en distinguant deux tranches dge : les sujets de la
priode dipienne (3-6 ans), et les sujets de la priode de latence (6-12 ans). Ben, g de 4 ans, est scolaris en Petite Section de Maternelle. Le bilan est motiv
par des difficults dadaptation scolaire, ce qui provoque des crises dangoisse chez
Enfants haut potentiel gs de 3 6 ans ce petit garon qui vit lcole comme un milieu perscuteur. Les parents signalent des
Lextrme sensibilit aux petites diffrences ou narcissisme des petites diff- troubles du sommeil ayant persist jusqu lge de deux ans. Ben est un petit gar-
rences (Freud, 1929, p.56) imprgne les conduites cognitives de ces enfants on tout en contrastes : ses joues rondes et son zozotement contrastent avec un lan-
qui prsentent des particularits dans le mode mme dinvestissement des proces- gage chti, recherch, employant adverbes et locutions de causalit. Son QI Verbal
sus de pense. Ainsi la pense catgorielle apparat trs investie, tant la WPPSI est de 141 et son QI Performance de 123, avec un QI Total de 140. Les subtests aux
rsultats les plus levs sont Similitudes et Comprhension , signifiant un inves-
qu lUDN II, bien que les applications en soient diffrentes. La pense cat-
tissement important de la pense catgorielle et une hyperadaptation aux conven-
gorielle est ncessaire pour ordonner la perception du monde, et stablit partir
tions sociales, relationnelles, bien refltes par le caractre adultomorphe du
des grandes dualits qui structurent le dveloppement psychique, depuis les langage. La pense logique est galement trs performante, avec 2-3 ans davance
oppositions intrieur/extrieur, plaisir/plaisir, pour nen citer que deux, jusqu aux preuves de sriation, de classification, et de conservation du nombre, illustrant
la diffrenciation des sexes et des gnrations qui ouvre la voie des discrimi- bien la corrlation entre la pense catgorielle et le domaine logico-mathmatique,
nations de plus en plus fines. Les subtests Information, Similitudes, travers le besoin de classer et dordonner. En revanche, la conservation de la sub-
Comprhension et Arithmtique obtiennent en moyenne les meilleurs rsul- stance nest pas acquise, rendant compte dune dpendance au perceptif conforme
tats. Il sagit de classer, dordonner, de rsoudre en fonction dun principe de lge rel de Ben, mais surprenante compte-tenu de ses capacits intellectuelles.

178 Partie 2 - Approfondir Chapitre 7 179


mnsiques, dapprentissage et de concentration. Or la majorit de nos sujets
Cette brillance cognitive ne sexprime pas non plus aux preuves projectives qui sont performants lcole, ce qui nous a incit chercher dautres paramtres
montrent un touffement de la vie affective, favoris par des mcanismes de
de comparaison entre ces deux preuves : elles ne mobilisent pas le raisonne-
dfense qui inhibent laccs au monde interne. La pauvret fantasmatique, qui
ment, ncessitent lapplication stricte dune rgle alatoire qui ne peut tre ni
transparat aussi dans le caractre sommaire des dessins, est ponctuellement
traverse par des mergences dsorganisantes. Les conflits sont impossibles induite ni dduite, et impose par un adulte. Le refus ou la difficult se
ngocier en raison dune fragilit identitaire qui apparat dans la prcarit de soumettre un modle, et le relatif dsinvestissement pour des tches qui solli-
la reprsentation de soi. citent peu la pense, rendent compte des liens entre la manire de penser les
situations et la gestion des conflits intra-psychique, lie ici la possibilit de
Le caractre dfensif obsessionnel de linvestissement intellectuel ne permet pas sidentifier, de faire comme . Nous pensons que les difficults de type dysgra-
dassurer une rgulation de langoisse et un plaisir de fonctionnement nces- phie ou dysorthographie parfois voques chez les enfants haut potentiel, et
saires lpanouissement et la crativit. Suite ce bilan, Ben bnficiera
touchant dailleurs davantage les garons que les filles, relvent dune difficult
dune prise en charge psychothrapique, et ce nest quun an plus tard, aprs
assumer les contraintes et frustrations inhrentes lapplication de codes
une amlioration notoire, quil sautera la Grande Section de Maternelle
pour aller au Cours Prparatoire.
communs et de conventions collectives quexigent les activits de lecture, cri-
ture, orthographe, etc

De lhtrognit la dysharmonie
Enfants haut potentiel gs de 6 12 ans
Dans le groupe des plus gs, 9-12 ans, la disparit des chelles verbale
Contrairement une ide parfois prsente dans la littrature, les QI les plus
et de performance du WISC III, peut parfois rpondre lhtrognit des
levs ne correspondent pas obligatoirement aux organisations les plus patho-
procdures de raisonnement lEPL : ainsi, pour deux sujets de notre recherche,
logiques. Dautre part, lhtrognit inter-chelles au WISC III semble tre
les carts trs importants au WISC III correspondent des dysharmonies
une constante, toujours au profit de lchelle verbale : 9-12 ans, les carts les
cognitives pathologiques mises en vidence lEPL, et telles que Gibello les a
plus importants se trouvent chez les garons. Grgoire (1992) voque linfluence
dcrites. Ces dysharmonies cognitives pathologiques peuvent aboutir des
de la valeur du QI total sur la diffrence QI Verbal/QI Performance : plus le QI
troubles dyspraxiques ou dyslexiques. Elles correspondent en fait des moda-
augmente et plus la diffrence significative est frquente. On peut attribuer cet
lits de raisonnement archaques (en de de lge de rel de lenfant) qui se
cart au fait que lchelle verbale, plus sature en facteur scolaire et culturel, offre
manifestentt certaines preuves comme les Conservations ou les Courbes
galement davantage dautonomie par rapport lge rel de lenfant : elle repose
mcaniques, mettant en jeu des fantasmes qui altrent les procdures de raison-
sur lintelligence cristallise, qui se dveloppe avec un effet boule de neige ,
nement. Ces altrations de la pense peuvent tre en lien avec des organisations
les apprentissages anciens attirant les nouveaux apprentissages. Lchelle perfor-
psychopathologiques, limites pour la plupart, la dysharmonie cognitive pouvant
mance sollicite les repres spatio-temporels, et partant, le corps comme axe
sintgrer une dysharmonie volutive. Le retard dans certaines structures de
organisateur des relations spatiales. Engageant le corps et la motricit, les subtests
pense logique conduit alors remettre en question le diagnostic de prcocit
de cette chelle se font donc plus contraignants dans leur fonction de rappel de
intellectuelle.
limmaturit neuro-physiologique : motricit fine, coordination visuo-motrice
et habilet manuelle y sont mises lpreuve. Ce rappel des limites ramne le Nous distinguons ces dysharmonies cognitives pathologiques des dyshar-
sujet son statut denfant, et sa dpendance aux adultes. Est-ce la raison pour monies cognitives que nous qualifierons de normales, et qui sont dues une
laquelle, toutes proportions gardes compte-tenu de notre chantillon, nous extrme avance dans le raisonnement, co-existant avec des structures de pense
relevons nanmoins une htrognit inter chelles plus importante chez les logique en rapport avec lge rel de lenfant. De plus, cette htrognit ne
garons, laquelle une explication fonde uniquement sur les limites des tests respecte pas non plus la chronologie dun dveloppement cognitif linaire, tel
ne saurait suffire. La dispersion intra-chelles permet de confirmer ce constat et celui dcrit par Piaget : la succession des stades implique en principe une
de le complter : toujours chez les garons, les deux preuves qui varient signi- constance dans lordre des acquisitions. Dans cette perspective, dvelopper
ficativement par rapport aux moyennes individuelles, sont les preuves Mmoire certaines structures de pense avant lheure -et parfois dans le dsordre- relve-
des chiffres et Code , habituellement mises en corrlation avec les capacits rait vritablement de la ncessit et de la crativit.

180 Partie 2 - Approfondir Chapitre 7 181


7 bouteilles et 7 bouchons ! De mme, matriser les probabilits consiste comparer
Le cas dIris deux systmes de rfrence pour les utiliser avec le plus de certitude possible, et donc
pouvoir contrler ce qui relve de lalatoire. Le fait que les jetons soient retourns,
Iris, 6 ans et demi est scolarise en CE1 avec un an davance, mais participe
et que labsence ou la prsence de croix devienne invisible contribue dvelopper
aux apprentissages du CE2 puisquelle est dans un cours double CE1-CE2. Le
bilan est demand en dbut danne afin dvaluer la pertinence dune cette capacit dabstraction qui veut que lon puisse se passer de lobjet pour le
seconde anne davance. Iris se montre trs intresse par les situations penser , les relations et les systmes, gnralisables et convocables volont, venant
proposes au cours du bilan, plus investies que la relation en elle-mme. le remplacer. Ainsi linvestissement de la pense logico-mathmatique dpasse large-
Lefficience intellectuelle est trs leve, avec un QI total de 148, et relativement ment celui du domaine infralogique car elle donne accs un objet qui ne saurait
homogne inter-chelles avec un QI Verbal de 146 et un QI performance de manquer. Ce processus la fois dfensif et adaptatif contribue dvelopper de manire
134. La qualit exceptionnelle du raisonnement (19 en Similitudes) est confir- caractristique les capacits de reprsentation mentale et dabstraction des enfants
me par lEPL qui situe globalement Iris au stade Concret (9-11 ans). haut potentiel. Lhtrognit du fonctionnement mental serait aussi la condition de
Lhtrognit des procdures de raisonnement sy donne voir entre les la crativit selon Anzieu (1981) qui prcise que Le moi du crateur est caractris
diffrentes oprations cognitives sollicites, et lintrieur dune mme par une grande dnivellation des modes de fonctionnement .
preuve : ainsi la dissociation poids-volume est acquise (stade Formel : 12-13
ans), alors que la conservation du poids, qui dpend pourtant dune tape
antrieure du dveloppement de la pense logique, nest pas intgre : lgalit
de poids entre deux boules de pte modeler identique est conteste lorsquon
Conclusion
en transforme une en boudin ou en miettes. Dans ce cas, la ralit perceptive
La mdiatisation actuelle qui entoure les enfants haut potentiel, si elle a le
et les transformations de lobjet ont sans doute un impact fantasmatique qui
mrite dattirer lattention des diffrents intervenants sur une population jusque
vient dstabiliser le raisonnement, alors que la dissociation poids-volume,
situation plus abstraite autorise une plus grande autonomie de la pense par
l peu tudie en tant que telle, brouille parfois les questions les plus importantes
rapport laffectif. Cette permabilit psychique ponctuelle tmoigne cepen- qui se posent dans la clinique. La question essentielle est celle de la place occupe
dant du fait que la pense nest pas coupe des affects, ce qui est de bon pro- par la pense dans lconomie psychique du sujet, question qui permet de distin-
nostic 6 ans. guer lhyperinvestissement dfensif des activits intellectuelles, fonctionnant au
dtriment du reste de la personnalit et masquant parfois des troubles psychiques
Les preuves projectives vont dans ce sens : laspect dfensif ne strilise pas la graves, de linvestissement quilibr et positif, source de plaisir et de crativit.
pense, au contraire Iris est rceptive aux problmatiques proposes quelle Dans cette perspective, il ne faut pas sarrter au seul chiffre de QI pour prendre
peut traiter grce des compromis astucieux et cratifs, qui autorisent les
une dcision qui engage le futur du sujet : une valuation globale est ncessaire,
changes entre imaginaire et ralit. Le plaisir de fonctionnement de cette
pour comprendre comment lefficience constate senrichit des apports de la vie
fillette haut potentiel se retrouve dans ses crations picturales : des bandes
dessines qui sont aussi lexpression dun compromis harmonieux entre le des- fantasmatique ou trouve un frein dans celle-ci et dans les conflits de linconscient.
sin comme expression affective et lcriture comme investissement intellectuel. La dmarche clinique, qui consiste non seulement suivre lenfant dans ses
Ces lments montrent que le haut potentiel peut aussi avoir un caractre adap- avances et ses reculs, mais mettre en rapport toutes les donnes issues du bilan
tatif mis en vidence par le bilan psychologique. Dans ces conditions, Iris pour- (entretien, observation, tests defficience, preuves piagtiennes, dessins, preuves
suivra brillamment sa scolarit avec deux ans davance. projectives) pour construire en aprs-coup un corpus de donnes dont la confron-
tation constituera un ensemble cohrent et significatif, permet dvaluer non pas
une intelligence mais un enfant, dans le plus grand respect de ce dernier.
Rsoudre le conflit cognitif en contredisant les apparences trompeuses et matri-
ser les probabilits quivaut fantasmatiquement retrouver le paradis perdu de Les recherches sur les enfants haut potentiel menes dans cette optique
lvidence (Mijolla de, 1992), nostalgie du temps mythique o les limites de la condi- apportent paradoxalement un clairage sur les difficults dapprentissage et les
tion humaine taient inconnues. Cest cette nostalgie dun monde sans incertitude qui troubles de lintelligence, en montrant larticulation du dveloppement cogni-
soutient lactivit de pense de lenfant haut potentiel, tout comme celle du cher- tif avec les autres processus mentaux et la place occupe par la pense au sein de
cheur dailleurs : bien que lon ait modifi la configuration des collections, il y a toujours lorganisation psychique globale.

182 Partie 2 - Approfondir Chapitre 7 183


Notes MIJOLLA (de) S., (2002). Le besoin de savoir, thories et mythes magico-sexuels dans
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2. Self (Soi) et Faux Self : terme utilis avec des sens diffrents selon les auteurs. Pour
Winnicott, le Self senracine dans les sensations corporelles et constitue une organi-
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intrusions de lenvironnement et vise en protger le vrai Self. temporalit psychique lpreuve de la prcocit intellectuelle, Paris, Thse de
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attribue un moindre appel la crativit par cette preuve. Descartes.
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184 Partie 2 - Approfondir Chapitre 7 185


question du dsordre mental. Dailleurs, de nombreuses tudes (Roux-Dufort,
Chapitre 8 1982) ont depuis longtemps dmontr quil nexistait pas de prvalence psycho-
pathologique dans cette population. Toutefois, et cest lobjet de ce chapitre, il
apparat au travers de notre pratique clinique quun certain nombre de ces enfants
prsentent des difficults psychologiques et affectives, qui vont trouver leur
Approche expression sous formes de symptmes voire de syndromes. De plus, ces troubles
prennent une coloration particulire chez les enfants surdous, ce qui nest pas
sans rapport avec les particularits de leur dveloppement et du rythme de celui-
psychopathologique ci. Nous prsenterons dans un premier temps ces aspects symptomatologiques,
ainsi que la question des troubles mentaux. Puis, nous nous intresserons aux

des enfants surdous rponses thrapeutiques proposes, en considrant diffrents aspects de la souf-
france psychique observe chez certains de ces enfants et adolescents surdous,
souffrance souvent mconnue.

Ce chapitre traitant plus particulirement des troubles psychiques associs


au surdon, nous avons pris parti dutiliser prfrentiellement ladjectif surdou , 1. De la clinique la psychopathologie
en nous intressant plus particulirement la question du trop . En effet,
lobjet de notre rflexion est ici de savoir en quoi le haut potentiel intellectuel Comme nous lavons soulign, le haut potentiel intellectuel ne sassocie pas
peut tre la fois la cause et la consquence de troubles ou de dsquilibres ncessairement la question dune souffrance psychopathologique. De mme quil
psychiques, et ce dans le sens dune inhibition ou dun surinvestissement des serait parfaitement rducteur de considrer systmatiquement le problme dun
diffrentes sphres du fonctionnement mental. Une premire question est celle dsquilibre chez les enfants surdous. Notre propos vise essentiellement rendre
du surdveloppement de lactivit intellectuelle de ces enfants. Terrassier (1981) compte de deux choses: dune part de la diversit des symptmes et des structures
a mentionn la prcocit et le rythme de leur dveloppement mental, qui ne de personnalit rencontrs, et dautre part il sagit de prciser en quoi ces troubles,
correspondent pas forcment au rythme propos dans le cursus scolaire clas- plus ou moins spcifiques, peuvent tre entendus comme cause ou consquence
sique. Nous sommes renvoys la question de linadaptation, suggrant un dune comptence laquelle et par laquelle lenfant aurait du mal sadapter. En
dcalage entre un sujet et lenvironnement dans lequel il volue. Dans le domaine ce sens, nous entendons cet abord smiologique sous diffrents angles : laspect
qui nous intresse ici, cette notion dcart nous amne envisager plus particu- motionnel, social, comportemental, la notion de la dfense par lhyper-investis-
lirement les troubles qui en rsultent, et cela du point de vue de lenfant sement, la question du corps et lhyperactivit. Puis, cest travers de ladolescence
lui-mme. Mais, parler de prcocit ne suppose pas ncessairement de situer un que nous nous intresserons plus prcisment aux troubles des conduites.
enfant dans le champ de la psychopathologie. De ce point de vue, on ne peut
gure considrer un enfant seul (Winnicott, 1971), cest--dire en dehors de a. Aspects motionnels
son entourage proche et en particulier sa famille. De la mme faon, nous esti-
Lanxit
mons indispensable de repenser la prcocit intellectuelle en tenant compte de
ce qui se joue galement sur le plan affectif. Une des premires caractristiques de lenfant surdou est quil possde
Dans cette approche des troubles mentaux chez les enfants et les adoles- souvent la capacit de percevoir vite et finement lensemble de stimulations
cents surdous, lactivit intellectuelle ne constitue pas un secteur distinct du auxquelles il est expos dans son environnement. Cette aptitude frquemment
fonctionnement psychique dans son ensemble. En effet, cest dans les inter-rela- associe une grande curiosit se vrifie dans les apprentissages bien sr, mais
tions entre les diverses lignes de dveloppement que la question du normal et aussi dans tout phnomne supposant une implication motionnelle. Cette acuit
du pathologique peut se comprendre le mieux. En ce sens, une erreur serait de permettrait lenfant de saisir rapidement une situation, comprenant vite les
croire que le haut potentiel intellectuel sassocierait systmatiquement la vnements de la vie extrieure, mais aussi ce qui se passe lintrieur de lui-

186 Partie 2 - Approfondir Chapitre 8 187


mme. Il nen reste pas moins que pour lenfant surdou, la mise distance du surdou tend rationaliser, intellectualiser, mettant ainsi distance sa souffrance
vcu interne ne lui permet pas toujours une laboration suffisante; nous serions psychique mme sil parvient dcrire prcisment ce qui lui fait dfaut. Cest
tents de dire que le potentiel intellectuel engendre un effet de loupe , donnant un facteur de gravit lorsquil sagit dune dpression, passant souvent inaperue
lmotion une coloration particulire qui tend hypertrophier le ressenti ladolescence.
affectif, et entrainer une angoisse plus marque et diffuse. La notion d hyper- Plusieurs facteurs peuvent tre avancs quant lexistence dune humeur
sensibilit motionnelle dcrite dans ce livre (voir le chapitre 6) rend compte dpressive, ou linstallation dune dpression chez un sujet surdou. Tout
de cette propension, chez les enfants surdous, ressentir leurs motions avec dabord, il arrive frquemment quun enfant soit marginalis au sein de sa
une grande intensit. Il y aurait de ce fait une plus forte ractivit motionnelle famille, les parents eux-mmes restant dsempars devant telle qute existentielle,
aux stimuli environnementaux, quils soient de nature positive ou nga- autour des questions fondamentales, des origines et de la mort, associ un
tive , en particulier dans les situations mettant en jeu des facteurs de stress. besoin permanent de savoir pourquoi, quand et comment. Un pre dpass par
Ainsi, lanxit peut tre dfinie comme lanticipation psychique dun danger, son petit garon la curiosit frntique, demande lors dune consultation :
associe divers facteurs de stress (environnementaux, relationnels ou intra- Comment faire ? On ne nous a pas fourni le mode demploi Il arrive
psychiques). Nous rencontrons beaucoup denfants surdous, pour lesquels les aussi que ce soit une marginalisation lgard de lentourage social et scolaire,
situations relationnelles aussi bien que les phnomnes sociologiques ou poli- ce qui peut conduire un vritable sentiment de rejet et dabandon dpressio-
tiques sont source dune grande anxit. Bien sr, il peut en tre de mme pour gnes. En rponse cela, lenfant peut, dans un but dfensif, attaquer ses
ce qui est des apprentissages et de la russite scolaire. En ce sens, nombre comptences intellectuelles en y renonant pour palier son inscurit affec-
denfants surdous tmoignent dune grande ractivit lchec, lanxit pouvant tive. L encore, la perte des performances peut tre vcue de faon trs
alors conduire une inhibition derrire laquelle se cache souvent une grande douloureuse, face un deuil parfois inacceptable. Comme le souligne Siaud-
fragilit narcissique. A ce sujet, les rsultats de Schwarzer (1984) ont dmontr Facchin (2001), il peut sagir dun vritable vide qui sert ne plus penser, ne
les consquences anxiognes de leffet grand poisson dans un petit bassin , o plus se confronter son monde interne, la seule rponse nos questions tant :
lenfant surdou qui lon fait sauter une classe se trouve au milieu denfants Je ne sais pas, je ne peux rien en dire . La relative toute puissance qui carac-
ayant, malgr un moindre potentiel, une meilleure russite acadmique. En effet, trise lenfant surdou, avide dides et de projets, peut se confronter la
beaucoup de ces enfants ont dmontr une difficult sadapter au groupe, dans douloureuse ralit de la perte de ses idaux familiaux, sociaux et personnels, en
lequel il tend se noyer du fait dune moindre russite ; ceci est vcu comme particulier ladolescence. Les questions du deuil et de la culpabilit (indisso-
un vritable chec, facteur dun stress important (voir galement le chapitre 6 ciables du tableau dpressif ) prennent une ampleur parfois plus inquitante chez
dans le prsent volume). les surdous, lorsquils sont confronts lchec ou la perte.
Cette hyper-vigilance anxieuse peut bien videmment voluer sur un mode Terrassier (1981) a dcrit le syndrome de dyssynchronie sobservant la fois
symptomatique plus permanent. Il peut sagir de lhyperactivit que nous dve- dans les registres intellectuels, sociaux, psychomoteurs et motionnels. En effet,
lopperons plus loin, mais aussi des diffrentes formes de phobie ou dobsessions. cette notion prcise en quoi le haut potentiel intellectuel peut tre analys sous
Lobsession et les rituels qui y sont associs peuvent tre compris comme une langle dun dcalage multiple entre lenfant et son environnement, entre son
faon de tenter de matriser langoisse lie aux questionnements incessants (la corps et linvestissement intellectuel, mais aussi entre les diffrents aspects de son
question du temps, de la mort, de la fin du monde), mais aussi de contrler fonctionnement cognitif et conatif (ou affectif ). Rappelons dabord, comme nous
et de mettre distance une activit motionnelle qui met en pril les assises lavons voqu plus haut, que lenfant intellectuellement prcoce serait galement
narcissiques. Lvolution vers linstallation dune nvrose obsessionnelle lge dou dune grande sensibilit aux stimulations motionnelles internes et externes.
adulte est souvent redouter. Nous sommes ici dans le champ spcifique des Certains parleraient dintelligence motionnelle, dautres comme Guignard et
troubles mentaux, dvelopp plus loin. Zenasni (2004) voquent la notion dhyperstimulabilit motionnelle, supposant
La dpression et lhumeur dpressive une tendance vivre plus intensment les expriences affectives. Le paradoxe,
selon Terrassier, est que cette grande intelligence sassocie une assimilation plus
Il convient, ce propos, dinsister sur le caractre souvent masqu des troubles intense des informations (sensorielles, motionnelles, relationnelles) qui sont
durant lenfance. En effet, plus encore que pour nimporte quel enfant, lenfant

188 Partie 2 - Approfondir Chapitre 8 189


source danxit. Le mcanisme de dfense privilgi consisterait alors en une ladolescence. Lenvironnement, les aptitudes cognitives et affectives, ltayage
intellectualisation, dveloppe ultrieurement, permettant la mise distance de la social et scolaire, ou bien encore les aspects dveloppementaux sont autant
vie affective au profit dun discours et dune pense rationnaliss, ce qui peut dlments en interaction dans une dialectique entre lenfant et la ralit
entraver le dveloppement affectif. La fragilit des assises motionnelles expose extrieure.
tout moment lenfant surdou une angoisse qui sera rapidement soumise une
La dyssynchronie sociale
matrise omnipotente, peu accessible lchec ou la perte.
Terrassier (1981) dissocie, par son approche de la dyssynchronie, l'enfant
b. Les difficults sociales et la prcocit intellectuelle dans ses rapports aux parents et dans ses rapports aux pairs.
Cette dyssynchronie peut tre observe chez les sujets avides de connais-
Le dveloppement social de lenfant surdou
sance, en perptuel questionnement existentiel. Cela ne va pas sans l'mergence
Depuis les tudes de Terman, lopinion sest quelque peu dtache dune d'une certaine inquitude chez des parents qui ne comprennent pas toujours
association systmatique entre haut potentiel et inadaptation sociale. Toutefois, leur enfant. Est-ce normal son ge ? Ses interrogations ne supposent-elles pas
se pose la question des difficults dintgration chez les enfants surdous. En un trouble psychologique ? La communication peut elle-mme tre difficile si
effet, il semble que ces problmes revtent une certaine spcificit dans le l'on considre l'cart entre llaboration motionnelle et llaboration intellec-
contexte dune prcocit intellectuelle. Mouchiroud (2004) fait remarquer la tuelle de l'enfant. On constate souvent un paradoxe entre une solidit brillante
multiplicit des hypothses concernant linadaptation sociale ou scolaire. Une sur le plan des connaissances ou de la rsolution d'un problme, et l'incapacit
premire approche environnementale considre lentourage de lenfant prcoce. relative soutenir une situation mettant en jeu les assises affectives. Bien sr, le
Ainsi, les attentes parentales lgard de lenfant peuvent influencer linvestis- milieu socio-conomique est susceptible dinfluer sur l'expression du potentiel
sement du potentiel intellectuel. Certains parents, dun niveau socio-culturel intellectuel de l'enfant. Ainsi, les possibilits d'tayage de la famille peuvent ne
modeste et dstabiliss par les comptences de leur progniture, peuvent mini- pas tre suffisantes, ce qui questionne les possibilits didentification, par exemple
miser ou freiner linvestissement des connaissances par une faible stimulation ; lorsque les parents dmissionnent de leurs fonctions parce quils ne parvien-
lenfant peut alors choisir de dsinvestir son potentiel pour ne pas perturber nent plus sadapter aux particularits et au rythme dveloppemental de leur
lquilibre familial, ou par manque de soutien valorisant. linverse, des parents enfant. Le sentiment d'impuissance et d'incomprhension peut amener certains
dont lidal alimente des attentes excessives, peuvent favoriser une inhibition parents se culpabiliser. En retour, l'enfant peut galement se culpabiliser de ce
chez un enfant se considrant souvent comme ntant pas la hauteur . Par qu'il peroit chez ses parents, et du coup se sentir rejet, d'autant plus s'il doit
exemple, un enfant de 11 ans, qui se dfinissait comme un cancre incapable trouver sa place au sein d'une fratrie ; un pre propos de son petit garon
dobtenir un jour un diplme avait remarqu quil obtenait des notes brillantes surdou disait : Je ne le comprend pas sa petite sur, elle, est normale.
lorsque ses parents navaient pas t informs au pralable dun contrle. Son Du point de vue de son environnement, il semble donc que la question des
estime de soi le mettait systmatiquement en position dtre rejet par ses pairs, ajustements entre l'enfant surdou et les diffrents protagonistes de sa vie sociale
et il sen dfendait en jouant le rle du clown mal aim. Bien videmment, la ne coule pas de source. C'est un parcours parfois chaotique, jalonn de choix
question de lanxit dans le rapport autrui peut influer sur lattitude de retrait difficiles, de rgressions, de renoncement et de culpabilit. Certains le valori-
parfois observ: comment me juge-t-on ? Serai-je considr de la mme faon sent dans l'expression de ses comptences tandis que d'autres l'amnent se
si jchoue ? si je russis ? Limage de soi, en lien avec le regard des pairs, peut normaliser, abandonnant un don au profit d'une adaptation sociale moins
amener lenfant camoufler ses comptences et ses rsultats, voire dimi- complexe. Les camarades de classe sont, il faut le rappeler, un appui important
nuer quelquefois consciemment ses performances. Comme le suggre Grolami dans les identifications successives de lcole primaire au lyce, et dans les possi-
(2004), il sagirait dune automutilation pour se conformer la norme, en bilits de se construire par rapport un groupe ou plusieurs groupes
simposant une barrire lexpression de son potentiel. Le conflit psychique dappartenance. Et ce nest pas facile pour les sujets haut potentiel. En effet,
rside ici entre lacceptation des uns (camarades) et la dception ou le rejet des si le dialogue familial peut faire dfaut dans la dissymtrie entre les aspects cogni-
autres (parents, enseignants). Ce paradoxe vcu douloureusement atteint gn- tifs et affectifs, lenfant surdou a souvent du mal sajuster dans les relations
ralement son acm lorsque la question de la construction identitaire merge ses pairs. Comme le prcise Terrassier, la vie scolaire et sociale comporte plusieurs

190 Partie 2 - Approfondir Chapitre 8 191


secteurs interactifs o lenfant partage, labore, sidentifie et se construit au gr attention et par consquent achever certaines tches (ce qui peut expliquer lchec
de son dveloppement psychique et corporel. En ce sens, lcart est ici envisag scolaire, Guenther 1995, Leroux et Levitt-Perlman, 2000) relevant dun travail
entre lge mental, qui suppose que lenfant ou ladolescent ajuste ses besoins quotidien lcole et la maison ou bien de projets long terme (Kalbfleish,
cognitifs en recherchant des partenaires souvent plus gs, et lge rel par rapport 2000 ; Zentall et al., 2001).
auquel les relations avec des enfants du mme ge sinscriront dans des activi- Si le syndrme dhyperactivit avec dficit attentionnel est frquemment
ts ludiques et sportives. On sinterroge ici sur la stabilit des repres identitaires, voqu chez les enfants surdous, il comporte nanmoins certaines caractris-
en tenant compte des fragilits dj voques du point de vue de ltayage fami- tiques quil convient de connatre. Une des particularits de ces troubles, chez
lial. Lenfant peut-il tenter dharmoniser diffrents types de relations ? Ne le ces enfants, est leur expression diffrente selon les lieux avec lexistence de
fait-il pas au risque dtre exclu dun groupe ? Lenfant surdou peut en effet tre contrastes importants (notamment la maison et lcole). Ainsi, il nest pas rare
vite repr comme ne frquentant, prtentieusement, que des plus grands, voire dobserver chez les enfants surdous des troubles de lattention ou une hyper-
des adultes. Il devra alors faire ses preuves pour dmentir cette ide reue du activit lcole mais pas la maison (Lind et SiIverman, 1994, Revol, 2005),
cerveau malhabile , condition quil puisse sintgrer des activits motrices alors que les autres enfants prsentent des TDAH aussi bien la maison qu
et sportives. Il peut purement et simplement tre rejet par le groupe, mais il lcole (Barkley, 1990). Ces troubles de lattention chez lenfant surdou dpen-
peut lui-mme sexclure de ses propres possibilits dexploiter le champ psycho- dent donc de la situation, ce qui constitue une de leur spcificit et permet de
moteur. Cette question sera dveloppe plus loin. Les orientations pdagogiques les distinguer du TDAH des autres enfants qui interviendrait quelque soit le
sont envisager en tenant compte de ces lments, mais aussi des choix de contexte environnemental (Webb et Latimer, 1993). De mme, les enfants
lenfant, si tant est quil puisse les exprimer. Lintgration dans une classe spcia- surdous, tout comme les enfants prsentant un classique TDAH, ont souvent
lise peut permettre lenfant de trouver un certain quilibre relationnel entre des niveaux dactivit levs et des problmes de contrle de limpulsivit. Mais
ge mental et ge rel, bien quelle peut aussi renvoyer un vcu dexclusion au lhyperactivit des surdous est habituellement focalise et dirige (Webb et
regard de la normalit . Latimer, 1993), ce qui nest pas le cas des enfants ayant un diagnostic de TDAH
(Leroux et Levitt-Perlman, 2000). Quant aux comportements impulsifs, les
c. Les troubles du comportement, les conduites et le corps enfants surdous tendent rpondre aux questions impulsivement mais correc-
tement, alors que les enfants avec TDAH y rpondraient incorrectement
Hyperactivit et dficit attentionnel1
(Lovecky, 1994).
Le Trouble Dficit de lAttention/Hyperactivit (TDAH) est observ chez
un certain nombre denfants surdous (pour une rcente revue de la question, voir
Hartnett et al., 2004). Le TDAH est dfini comme un regroupement de symp- Comment interprter ces comportements dhyperactivit
tmes qui se rpartissent selon deux axes principaux, savoir le dficit de avec dficit attentionnel chez lenfant surdou ?
lattention, et lhyperactivit - impulsivit. Pour que le diagnostic de TDAH
puisse tre pos selon la classification Amricaine du DSM-IV-TR, un certain En tayant notre rflexion sur notre exprience clinique ainsi que sur la littra-
nombre de critres (au moins six symptmes) doivent tre prsents sur lune ou ture scientifique, on peut penser que ces troubles relveraient dun besoin de sti-
mulations externes et internes. Plusieurs hypothses tayent cette ide
lautre de ces deux dimensions, pendant une dure de plus de six mois, et provo-
(Tordjman, 2005). La premire hypothse est que lhyperactivit permettrait
quer une gne fonctionnelle dans au moins deux types denvironnement
lenfant surdou daugmenter son niveau de vigilance et dveil, ce qui corres-
diffrents (par exemple lcole ou la maison). On peut ainsi retrouver chez pondrait un besoin physiologique. La thorie psychophysiologique de Hans
certains enfants surdous les comportements suivants qui relvent du TDAH : Eysenck (1970), applique au trait de personnalit extraversion-intraversion,
le fait de parler tout le temps (logorrhe), une incapacit rester assis, une rve- apporte un clairage intressant notre hypothse chez les enfants surdous.
rie diurne qui peut faire voquer une inattention de la part de lenfant mais qui En effet, selon Eysenck, il y aurait une rponse aux simulations sensorielles
lui permet en fait une pense crative (Cramond, 1994), une immaturit sociale, moins leve chez les extravertis que chez les introvertis, avec un niveau de
des difficults respecter et suivre les rgles, et enfin des troubles de lattention base dexcitation insuffisant. Cela induirait chez les extravertis une tendance
se refltant par des difficults se concentrer, focaliser et soutenir son rechercher des excitations sensorielles par des stimuli environnementaux (par

192 Partie 2 - Approfondir Chapitre 8 193


exemple, des stimulations sonores), mais aussi par une agitation psychomotrice de recherche biographique, clinique et empirique auprs de crateurs ou
qui nest pas sans rappeler les comportements observs chez certains enfants dindividus talenteux minents de tous ges, ce qui explique sa pertinence
surdous. Chez les extravertis, lexcitation se produirait lentement et le niveau quant ltude des individus haut potentiel (Miller et al., 1994). Selon
dexcitation resterait faible. Les individus introvertis, par contre, auraient un Dabrowski, il existerait plusieurs formes dhyperstimulabilit, dont deux formes
niveau dexcitation de base suffisant pour leur systme nerveux, et cherche- qui nous intressent ici plus particulirement :
raient se protger dun excs de stimulation. Les diffrences qui sous-tendent
la dimension extraversion-introversion sont lies au systme rticulaire ascen- lhyperstimulabilit psychomotrice : couramment envisage comme un besoin
dant contrlant le niveau dexcitation corticale. Il sagit de la boucle de dactivit physique et de mouvement qui peut aussi se traduire par des diffi-
neurones qui relie le cortex la formation rticule, et dont le niveau dexcita- cults rduire lactivit crbrale pour sendormir. Elle se reflte travers
tion dpend des stimulations sensorielles. Une des implications de cette thorie une nergie physique dbordante accompagne de mouvements, de ges-
psychophysiologique est que le niveau de stimulation le plus adapt au sujet tuelles, tics nerveux, logorrhe ;
dpendrait du trait extraversion-introversion. Chaque situation est une source
et lhyperstimulabilit intellectuelle : besoin lev pour comprendre et cher-
de stimulation qui lve le niveau dveil cortical de base. Les personnes intro-
cher la vrit, pour acqurir des connaissances, analyser et synthtiser, asso-
verties rechercheraient des situations de faible stimulation (mais pas trop faible
ci une intense activit intellectuelle (curiosit, capacit pour soutenir leffort
car cela serait ennuyeux mme pour un introverti). Les personnes extraverties
intellectuel, avidit de lecture).
prfreraient des situations stimulantes ; mais des situations dhyperstimulation
peuvent tre excessives mme pour des extravertis. Plusieurs tudes viennent Notre deuxime hypothse est que le dficit dattention et lhyperactivit
corroborer la thorie psychophysiologique de Eysenck. Geen (1984) a ainsi seraient en rapport avec lennui rsultant dun environnement scolaire non
mis en vidence que les sujets extravertis choisissent spontanment un niveau stimulant pour lenfant . En effet, les troubles attentionnels chez lenfant intel-
sonore plus lev que les introvertis. Par ailleurs, ladministration de psychosti- lectuellement prcoce prsentant un TDAH sont majors par des activits peu
mulants aux extravertis leur permettent datteindre un niveau dexcitation lev intressantes et peu stimulantes, alors que son attention est meilleure (et mme
et les rendent de faon temporaire plus introvertis. Ceci est pour nous particu- bien meilleure que la normale avec une capacit maintenir son attention sur
lirement intressant par rapport lefficacit apparente de la Ritaline (mthyl- de longues priodes) si on stimule ses intrts avec des dfis relever dans les
phnidate) dans lhyperactivit. En fait, une adaptation du milieu scolaire et tches proposes (date limite pour rendre le travail, etc). Cette opinion est
familial pourrait aider les enfants surdous augmenter leur niveau de vigi- partage par beaucoup dauteurs comme Gallagher et collaborateurs (1997)
lance, et donc moins avoir besoin de recourir une agitation psychomotrice. qui ont men des entretiens auprs de 871 tudiants surdous. Daprs Webb
Ainsi, un environnement riche en stimuli environnementaux est souvent plus et Latimer (1993), les enfants surdous passeraient un quart la moiti de leur
cadrant pour les enfants surdous hyperactifs quun milieu appauvri en sti- journe scolaire attendre que leurs camarades de classe les rattrapent dans
muli et qui serait suppos pourtant rduire leurs distractions (Moon et al., les diffrentes tches et activits entreprises. Cette hypothse explicative est
2001). De faon surprenante, ltude de Moon et collaborateurs met bien en galement avance par les auteurs du DSM-IV-TR qui crivent linattention en
vidence que ces enfants russissent mieux se concentrer sur leur travail la classe peut aussi survenir quand les enfants avec un haut niveau dintelligence
maison en coutant de la musique ou en regardant la tlvision. A lcole, ils voluent dans un environnement acadmique insuffisament stimulant pour
apprennent mieux dans des situations o leur attantion est focalise sur un ordi- eux (American Psychiatric Association, 2000, p.91).
nateur, ou lorsque leurs mains sont occupes, ou encore dans le cadre dune
relation individualise avec un adulte (Zentall et al., 2001). Ceci permet La troisime et dernire hypothse que nous avanons est que lhyperactivit,
douvrir un rflexion sur des perspectives importantes, tant sur un plan pda- et les troubles attentionnels qui peuvent en rsulter, pourraient aussi tre consi-
gogique que thrapeutique. drs comme des symptmes relevant dune dfense maniaque ou hypoma-
niaque permettant lenfant surdou de lutter contre un syndrome
La thorie de Dabrowski (Guignard et Zenasni, 2004), loppos de anxio-dpressif. Ceci nous renvoie aux aspects motionnels (anxit, humeur
lhypothse psychophysiologique que nous venons de dvelopper, fait de la dpressive et dpression) traits prcdement dans ce chapitre.
notion dhyperstimulabilit un concept important pour mieux comprendre
lhyperactivit chez les enfants surdous. Cette thorie se fonde sur un travail

194 Partie 2 - Approfondir Chapitre 8 195


Les troubles des conduites, le corps et la question de ladolescence comprennent en eux et autour deux les confrontent lincontrlable. Ceci nest
Outre lhyperactivit dcrite ci-dessus, les difficults de lenfant surdou pas sans poser problme ces adolescents qui sont souvent dans un matrise
peuvent se manifester galement sous des formes visibles ou bruyantes. On tend omnipotente, et qui parfois rejets ou incompris, ne peuvent pas toujours tirer
penser que ces enfants, grce (ou cause de) leur maturit prcoce, abor- profit des assises identificatoires apportes par leurs pairs. Les troubles de
deraient les questions touchant ladolescence plus tt que les autres. Ainsi, mme conduites ont alors pour vocation lvitement du conflit psychique et relation-
si la maturation physiologique lie au dveloppement pubertaire napparait pas nel, source dune grande souffrance affective. Nous les rencontrons souvent dans
plus tt, ce nest pas toujours le cas en ce qui concerne les processus de spara- notre travail clinique, la fois dans ce que ladolescent peut en dire, mais aussi
tion-individuation propres ladolescence. Les besoins dautonomie et par rapport ce qui est observ dans le contexte scolaire ou familial.
dappartenance sociale sexprimeraient plus prcocement, ce qui nest pas tran- Lchec scolaire peut, en ce sens, tre la marque dune vritable attaque de
ger leur dsir et leur capacit dobserver, de simprgner et de comprendre tout lintellect, ce pouvoir dont lenfant ne sait pas quoi faire et qui est la source
ce qui se passe autour deux, de sen faire leur propre opinion. Cest le cas vis mme de ses avatars affectifs et sociaux. Mais le surdou peut aussi entrer en
vis des figures parentales, par rapport auxquelles ils peuvent avoir un compor- guerre contre son propre corps qui, lorsquil accde la possibilit gnitale,
tement dopposition parfois massif, revendiquant leur position de dsaccord. devient le lieu dune bataille pulsionnelle venant troubler la fois lordre int-
Mais, ce qui peut tre entendu de faon acceptable et normale 15 ans, lest rieur tabli par le clivage affectivo-intellectuel , mais aussi lidale srnit
beaucoup moins 8 ou 9 ans. Lattitude opposante est ici vcue comme une infantile dun corps inoffensif.
agression par et de lentourage. De plus, le support social groupal qui existe habi-
tuellement ladolescence fait ici souvent dfaut, do un repli dans des c. Prcocit intellectuelle, inhibition et dfenses
investissements narcissiques qui accompagnent cette agressivit.
Linhibition intellectuelle et lchec scolaire
Les conduites dcrites prcdemment peuvent apparatre comme une
rponse aux agressions et aux railleries des camarades, dans le contexte scolaire. Le dcalage entre le potentiel intellectuel des enfants surdous et les activi-
L encore, la fragilit des assises narcissiques et identitaires entrane un repli, soit ts scolaires proposes vont engendrer deux problmes majeurs (voir galement
sur un mode dpressif, soit sur un mode agressif dans le rapport autrui. Comme le chapitre 10 dans le prsent volume). Dune part, la question de lennui va vite
lont soulign certains auteurs tel que Lebovici et Braunschweig (1967), amener lenfant se distraire (oisivet, rverie, agitation) des activits
limmaturit affective peut sassocier une angoisse mal labore. Au regard de ennuyeuses pour ne se concentrer que sur ce qui le stimulera intellectuelle-
leurs grandes comptences intellectuelles, les amnagements dfensifs sont ment. On pourra retrouver ainsi une grande htrognit entre diffrentes
souvent trop fragiles pour contenir psychiquement langoisse issue de la conflic- disciplines, les tches les plus simples pouvant tre choues. La demande de
tualit interne. De ce point de vue, ladolescence est un terrain propice une russite manant des parents ou des enseignants peut tre de plus en plus oppres-
mergence pulsionnelle souvent inacceptable, la dialectique corps-psych tant sante pour lenfant qui se culpabilise et se dvalorise, entrant ainsi dans une
au premier plan de lconomie conflictuelle. Lintellectualisation, dcrite par Anna spirale inhibitrice renforant ce sentiment dchec. Dautre part, au regard des
Freud (1937), est un recours privilgi pour mettre distance la question des enfants surdous en difficult que nous sommes amens recevoir dans nos
affects et des pulsions dun corps qui se manifeste. Il peut apparatre alors un consultations de CMP, il semble exister une proportion non ngligeable den-
refoulement de la vie motionnelle au profit dun hyper-investissement intel- fants haut potentiel non reconnus , souvent durant une grande partie de la
lectuel, ne permettant pas son laboration constructive par la voie de la scolarit. Les attentes et demandes des enseignant se limitent des perfor-
mentalisation. Le passage lacte et les troubles des conduites sont ici entendus mances scolaires qui se situent bien en de de leurs comptences. Dune certaine
comme lexpression des pulsions agressives sous-tendant langoisse. Cest manire, leur potentiel est frein dans ses possibilits dexploitation, ce qui consti-
lattaque plus ou moins permanente des lments qui viennent bouleverser une tue leffet dcrit par Terrassier (1981) Pygmalion ngatif ; pour le dire
apparente quitude et un idal sans cesse remis en question. En effet, les trans- autrement, lenfant adapte ses performances ce quon attend de lui, rodant
formations, tant psychiques que corporelles, inhrentes cette priode peuvent ainsi ses potentialits pour ne pas se marginaliser. Se conformer aux attentes
exacerber certains comportements violents; ce que ces adolescents peroivent et pdagogiques, cest aussi se conformer celles des camarades, comme nous
lavons vu plus haut, ce qui renforce dautant leffet de normalisation. Cette

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normalisation ne lui procurerant pas lassurance ncessaire pour utiliser son prix cette fois dune frustration culpabilisante pouvant lentraner dans une voie
potentiel, elle peut tre source dun conflit intrapsychique. Dautre part, il est dpressive. Renoncer ce don qui protge, cest--dire une part de soi, peut
important de nous intresser la faon dont lenfant lui-mme se reprsente reprsenter une mutilation psychique intolrable, mais qui permet dabandon-
lintelligence, ses propres comptences et leurs enjeux, et donc ce qui alimente ner en mme temps cette hyper-acuit angoissante car trop -mme de saisir ce
ses motivations scolaires (voir encadr) qui se passe en soi.
Si certains enfants assument le relatif fardeau de leur intelligence, dautres
prfrent consciemment ou inconsciemment inhiber leurs comptences pour ne
pas tre confondus par leur entourage. Cest dune certaine faon choisir Thories implicites de lintelligence et buts
dadhrer une ralit qui tend pourtant les rejeter : peut-tre quainsi, vous daccomplissement scolaire : perspectives de recherche
maccepterez mieux La richesse et le don suscitent une jalousie qui peut lais-
La question de la prcocit intellectuelle, lie aux notions de prcocit et de per-
ser, pour reprendre les termes dAlice Miller, lenfant pauvre riche enferm dans
formance, peut trouver une voie dinvestigation dans le champ de la psycholo-
sa prison intrieure . Une tude de Gauvrit (2001) a pu mettre ainsi en vidence gie de la motivation. Les travaux mens par Da Fonseca, Cury, Bailly et Rufo
une leve de linhibition intellectuelle aprs une priode dintgration dans un (2004) sintressent plus spcifiquement aux thories portant sur les buts dac-
cadre adapt (enseignement spcialis ou structure mdico-pdagogique). complissement, se rapportant ici au domaine scolaire.
Identifi auparavant comme lve mdiocre, difficile, lenfant peut soudainement
se rvler sous un jour brillant, dvoilant des capacits le plus souvent ignores Cette tude a permis danalyser, sur une population de 695 adolescents gs
par lentourage. Car il sagit l dun problme tout fait majeur lorsque lenvi- de 13 16 ans, les rapports existant entre trois concepts distincts: La thorie
ronnement, familial ou scolaire, ne peut reconnatre (par ignorance ou par dni) implicite de lintelligence, la comptence perue, et les buts daccomplissement.
La thorie implicite de lintelligence suppose deux points de vue diffrents, lun
les qualits mentales de lenfant; l o la stimulation intellectuelle fait dfaut,
dfinissant lintelligence comme un trait stable et fixe (thorie de lentit), lautre
dautres sources dexcitation peuvent lui permettre de lutter contre lennui et tre
accordant lintelligence un caractre mobilisable et contrlable (thorie incr-
lorigine de troubles du comportement, qui vont remplir le vide au point mentielle). La comptence perue correspond la reprsentation du sujet sur
parfois denvahir le sujet: agitation psychomotrice, turbulence ou passage lacte. sa propre habilet rsoudre un problme pos , ce qui est aussi troitement
On sinterroge alors sur le parcours intellectuel de lenfant surdou. En li la question de lestime de soi. Enfin, les buts daccomplissement compor-
effet, la question est de savoir ce quil inhibe vritablement et quel moment. tent trois dterminants: le but de matrise de la tche demande et damliora-
Si lon suppose linhibition des facults intellectuelles, on peut aussi considrer tion des comptences, le but dapproche de la performance fond sur la
lintellectualisation ou le surinvestissement de cette sphre cognitive comme dmonstration dune comptence normative, et enfin le but dvitement de la
performance poussant lenfant viter la dmonstration dincomptence ou
lobjet dune autre inhibition. Plus prcisment, il peut sagir, comme nous lavons
dchec. Les rsultats de ltude confirment ce modle tri-dimensionnel. Ainsi,
vu dune mise lcart de la vie affective, mais galement de la prservation ou
un enfant se faisant une reprsentation de lintelligence instable , savoir
plutt de la rtention dun secret, dun savoir indicible. On pense, par exemple, mobilisable et donc amliorable, peut poursuivre un but de performance et
aux secrets de famille, aux abcs psychiques transgnrationnels dont lenfant damlioration de ses comptences, en faisant des efforts et en acceptant dtre
est porteur. Il est frquent, dans notre travail thrapeutique, de voir se drouler soutenu. En revanche, un sujet ayant une conception stable de lintelligence
au cours de nos entretiens, des secrets familiaux dont lenfant na pas connais- (intelligence fixe pour reprendre le terme des auteurs) tend moins pers-
sance mais quil exprime nanmoins par son symptme, symbole mme de ce qui vrer dans leffort, mme sil poursuit un but de performance, et sera moins
nest pas verbalisable entre lui et sa famillle. Il na alors dautres moyens que de enclin demander de laide. Cest aussi la question de la comparaison des
sen dfendre, comme le souligne Tisseron (1985), par le repli et lenfermement, capacits de lenfant par rapport ses pairs, et celle de lvitement de lchec.
le coupant ainsi des moyens de communiquer ce qui nest pas transmissible. De Si lenfant considre quil ne peut pas amliorer ses comptences, il vitera
quoi lenfant surdou doit-il faire le deuil douloureux, voire impossible ? Soit il davantage, en se comparant aux autres, de se confronter une situation de non
russite. Le but dvitement de la performance, en ce sens, implique des strat-
choisit de cliver en lui son secret et le secret de ses affects, parfois au prix dune
gies de protection narcissique, face des positions affectives ngatives
dsocialisation, soit il exclut ses potentialits, remparts contre sa souffrance, au
lgard des tches dapprentissage (stress, anxit). Il semblerait donc que la

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propres besoins. Lenfant surdou, parfois couronn dun savoir et dune mission,
comptence perue par llve, selon quelle soit leve ou mdiocre, le
ne peut dcevoir. Son image de soi est finalement alimente par des figures
conduise poursuivre un but de matrise et dapproche de la performance
parentales internes idalisantes. Plutt que de jouir harmonieusement de ses
(comptence perue leve), ou viter la performance (faible niveau de
comptence perue), chaque stratgie dpendant implicitement de la reprsen-
atouts, lenfant tend se replier dans une sur-intellectualisation visant satis-
tation individuelle de lintelligence (fixe ou amliorable). faire cet idal, renonant du mme coup lexpression de ses pulsions vitales :
lagressivit, la colre, langoisse mobilisatrice, et dune certaine faon ses propres
Les auteurs suggrent des liens qui pourraient tre faits entre les troubles de besoins narcissiques. Lebovici et Braunschweig (1967) ont propos que lenfant
lapprentissage, au regard des buts daccomplissement et des croyances, et les surdou, dans la construction de ses dfenses par lintellect, parvient trs prco-
troubles psychopathologiques. En particulier, il pourrait sagir de dterminer les cement organiser une nvrose contre lmergence inacceptable de langoisse.
buts daccomplissement, les croyances individuelles sur lintelligence et sur les Ainsi, selon Lebovici, lenfant pourrait mettre en place des mcanismes de type
comptences, chez des enfants ou adolescents prsentant des troubles dpres-
obsessionnel sans angoisse relle , celle-ci tant dune certaine faon masque
sifs et des troubles anxieux; cela pourrait aussi permettre de mieux expliquer les
par lintellectualisation. Ces dfenses obsessionnelles se caractrisent par une
troubles de lapprentissage. Si ces perspectives se vrifient, elles pourraient tre
applique la question des difficults rencontres chez les enfants surdous au certaine rigidit dans le fonctionnement psychique et social, une rationalisation
regard des spcificits affectives et du rapport lenvironnement (estime de soi, quasi-permanente associe une grande mticulosit, ces lments ayant pour
adaptation sociale, inhibition). Enin, cela permettrait galement de rflchir but de neutraliser toute potentialit affective, sur un mode psychasthnique.
aux modalits de prise en charge de ces enfants, tant du point de vue pdago- Lvolution de ces symptmes peut aboutir une nvrose grave lge adulte.
gique (renforcement motivationnel) que thrapeutique. De la mme faon, Revol et al. (2004) recense une proportion non ngligeable
(2 3%) de troubles obsessionnels compulsifs (T.O.C) chez les enfants surdous;
ces troubles se manifestent sous forme dobsessions envahissantes sur des thmes
De la nvrose la psychose chez lenfant surdou divers (propret, craintes, rangements), associs des rituels compulsifs et rp-
lheure actuelle, peu dtudes se sont intresses aux spcificits psycho- titifs, vise conjuratoire. Une inhibition intellectuelle importante, avec un chec
pathologiques des enfants surdous observs notamment dans les institutions scolaire culpabilisant, ou bien encore des troubles de ladaptation peuvent
psychiatriques. Les travaux de Terman et al. (1959), et ceux de Kohler et Maer conduire une vritable phobie scolaire; lcole devenant le lieu de toutes les
(1963) font tat dun moindre taux de troubles psychiques avrs ou de troubles angoisses, celles des autres, de lchec, des pulsions et de la dsidalisation. Le
psychiatriques chez ces enfants, prcisant nanmoins que ceux-ci consultent dsinvestissement progressif de la scolarit, des apprentissages et des pairs risque
moins que la population gnrale denfants et adolescents. Aucun consensus ne demmurer encore davantage lenfant ou ladolescent dans un repli dpressif,
permet actuellement de statuer sur une sur-reprsentation de psychopatholo- parfois suicidaire.
gies chez les enfants surdous, et il y a tout lieu de penser que certains dentre Lhyperinvestissement intellectuel peut apparatre trs tt, et risque de ne
eux, au regard de leurs extrmes capacits, ont de meilleurs atouts pour rsoudre laisser que peu de place la fantasmatisation et au jeu, activits psychiques indis-
leurs conflits. Toutefois, ceci ne fait pas lconomie de la question de ladapta- pensables la construction du Moi. Vaivre-Douret (2004) observe, par exemple,
tion un environnement donn; ce dernier ntant ni choisi, ni forcment plus une tendance parentale orienter lenfant, ds les deux premires annes de vie,
favorablement dot. Il semble en effet quon ne puisse concevoir la question des vers des apprentissages strictement cognitifs. En effet, cest travers la capacit
inhibitions, entre autres, sans y voir les rapports lentourage et les fragilits qui de jouer que le jeune enfant organise sa personnalit autour de la question des
en dcoulent. limites entre le soi et le non-soi, entre la ralit et limaginaire. La prcocit et
La question parentale est ici cruciale dans le dveloppement et lquilibre le caractre volutif de cette inhibition au fantasme, laffectif et dune certaine
psychique de lenfant. Si bon nombre de parents ignorent ou refusent les hautes faon au social, peut entraner lenfant vers un repli o il se construit un monde
comptences de leur enfant, parce que trop embarrassantes ou, comme nous lui, en dehors de la ralit, non plus sur un mode fantasmatique mais avec un
lavons vu prcdemment, trop culpabilisantes, dautres en revanche sont isolement allant parfois jusqu un retrait de type psychotique. Tout se passe
porteurs, consciemment ou inconsciemment, dune exigence parfois tyrannique. comme si lenfant ne parvenait plus prserver une certaine harmonie, un
Lidal parental est pied doeuvre. Et il faut y rpondre, souvent au prix de ses dialogue entre lui et lextrieur, entre son intellect et ses affects, cela laissant

200 Partie 2 - Approfondir Chapitre 8 201


place au cloisonnement et au clivage, qui peuvent dailleurs sinscrire dans des certain nombre de travaux ont pos lhypothse dun dveloppement prcoce des
mcanismes obsessionnels dvelopps trs prcocment. En ce sens, il semble processus de pense, des aptitudes labstraction et la symbolisation. Pour le
important daccorder une attention aux troubles de la petite enfance, ainsi quaux dire autrement, il sagirait dun Moi qui sest construit trs tt, ouvrant une large
relations prcoces entretenues entre lenfant et ses figures parentales. Le problme porte linstallation de mcanismes dfensifs. L encore, cest la question dun
ntant pas seulement de connatre le potentiel intellectuel de lenfant et ce quil hyper-investissement de lactivit mentale, supplant une fragilit motionnelle
en fait, mais aussi de savoir quels en sont les enjeux psychiques et ses articula- ou un dysfonctionnement de lentourage. Ceci nous amne dailleurs envisa-
tions avec la structuration de la personnalit. ger une intrication entre la question du dveloppement affectif et celle du
dveloppement cognitif. En effet, si certains auteurs, tels que Hartman, Kris et
Loewenstein (1975), ont dcrit une partie distincte du Moi voluant pour le
2. De la psychopathologie au projet compte de la pense, et dissocie des conflits affectifs, nous pensons que lmer-
thrapeutique gence de la pense intelligente se situe au carrefour somato-psychique du
fonctionnement de lenfant, cest--dire en considrant une interaction entre les
Comme nous lavons dj soulign plusieurs reprises, il nest pas question aspects affectifs (incluant la sphre environnementale), cognitifs, langagiers et
ici de prjuger de lexistence de troubles et de symptmes qui soient spcifiques psychomoteurs. En ce sens, on peut se demander dans quelle mesure certains
des enfants surdous. Dailleurs, comme le prcise Diatkine (1999), et cela est vrai enfants surdous noprent pas de faon prcoce une opposition entre lesprit et
pour tout autre enfant ou adolescent, la prsence plus ou moins manifeste dune la dialectique psych-soma. Les perturbations peuvent dautant mieux se
symptomatologie ne prsuppose pas ncessairement lvolution de lenfant surdou comprendre quil existe une diffrence entre laspect linaire du fonctionnement
vers un avenir marqu du sceau de la pathologie. Ceci reviendrait rduire la intellectuel, dcrit notamment par Piaget (1959), et le dveloppement affectif qui
question de la haute comptence intellectuelle la seule rgle du trop : trop cr- suppose des points de fixation et de rgression de faon plus ou moins transitoire.
bral, trop fragile ou trop inhib. On serait alors tent, comme on peut dores et dj Mais, faire taire ses affects au profit de linvestissement intellectuel, ou touf-
lobserver, dassocier de faon systmatique une dfaillance, un comportement fer celui-ci pour sadapter lAutre, cest finalement renoncer une part de soi,
(hyperactivit) ou un chec, la prsence dun haut potentiel. On imagine les qui dans les deux cas est dpressiogne. Il est donc important de prvenir le plus
drives qui consisteraient simplifier, souvent en se rassurant, la question dun tt possible la survenue de tels symptmes, notamment devant toutes manifes-
trouble derrire lequel se cacherait une intelligence brillante dont le potentiel ne tations de rupture avec lenvironnement (scolaire, familial et plus largement
pourrait sexprimer ou sexprimerait mal. Cest la fois prendre le risque de se social), mais aussi avec des activits antrieurement investies par lenfant, quil
dsengager, en tant que parent, enseignant ou consultant, dune responsabilit qui sagisse dapprentissages scolaire ou de loisirs sportifs, sociaux ou culturels.
nincomberait quau fonctionnement psychique de lenfant, et ne pas reconnatre Rflchir des perspectives thrapeutiques implique donc une identifica-
les possibilits de lenfant dexprimer ses difficults, ou ne pas couter ce quil a tion prcise et complte de lenfant haut potentiel, et ce en considrant
dire de son intelligence et de ses affects. Il est important daccorder la souffrance lensemble des apports thoriques sur le fonctionnement cognitif et neuro-
(quelle que soit la manire dont elle se manifeste) une place primordiale, avant de psychologique du sujet. En ce sens, identifier un enfant surdou ne suppose pas
la renvoyer htivement une origine dj tablie. Il sagit en fait daccueillir dans seulement de le mesurer laide dun quotient intellectuel, mais de sintresser
un premier temps la souffrance du sujet, puis lui permettre ensuite de la dpasser. lensemble de sa personnalit. Grolami (2004) souligne la ncessit
Car mme si la prcocit intellectuelle ne sous tend pas toujours un trouble mental daccompagner lannonce du diagnostic dun Q.I. significativement lev, en
ou une dysharmonie, elle peut donner aux symptmes une tonalit particulire. rapportant les propos dune jeune adolescente de 15 ans : Jai pass les tests et
Avant den venir trop vite des conclusions rationnelles, il semble ncessaire, le verdict est tomb : enfant prcoceEt curieusement, au dpart, cela ma fait extr-
tout dabord, de privilgier une observation et une coute attentives des difficul- mement mal de lapprendre et je lai trs mal vcu : pourquoi tais-je diffrente ?
ts souvent discrtes chez ces enfants. En effet, linhibition de lintellect ou par Pourquoi moi ? Mais je me suis aperue que cela mapportait de nombreuses rponses
lintellect renvoie au paradoxe de ce en quoi ce systme de dfense est la fois un toutes ces questions que je me posais : jai compris pourquoi je me sentais si mal dans
vitement de la souffrance morale, en particulier la dpression, et en mme temps ma peau () . Devant la prsence de troubles, quils soient anxio-dpressifs,
le motif mme de cette souffrance. Dans une perspective psychanalytique, un comportementaux ou encore psycho-moteurs, il est souvent ncessaire de vrifier

202 Partie 2 - Approfondir Chapitre 8 203


la particularit du potentiel intellectuel afin de porter le plus tt possible, si le de deux familles culturellement et intellectuellement opposes, ou tout du moins
doute existe, un diagnostic. Cette valuation, au moyen dune chelle dintelli- trs diffrentes? Le conflit oedipien et le choix des identifications se trouvent alors
gence telle que le WISC, aura un double intrt : tout dabord, celui de prciser accentu par un autre conflit de loyaut l'gard des deux parents. Un enfant
davantage les hypothses sur lorigine dun ventuel chec scolaire, ou de diffi- surdou se demandera alors s'il met ses comptences au service de l'idal non assouvi
cults dapprentissage, puis dobtenir des informations essentielles sur la nature de l'un : ma mre aurait bien voulu que je sois artiste , ou s'il peut sans culpa-
des comptences cognitives et du fonctionnement mental de lenfant ou de lado- bilit s'identifier aux performances scientifiques de l'autre : mais moi, je voulais
lescent. Ces tests peuvent apporter un clairage tout fait important sur la ralit tre physicien. Ceci place lenfant dans un paradoxe douloureux entre ses poten-
dun dficit attentionnel, associ ou non une hyperactivit. De plus, lintrt tialits et la possibilit de ralisation de celles-ci. De la mme faon, des
est ici de pouvoir spcifier lhomognit ou lhtrognit des secteurs de perturbations relationnelles dans lentourage proche (divorce parental, ruptures,
comptence intellectuelle, cest dire les domaines les plus investis de la sphre mode de garde) ont un impact non ngligeable sur le vcu motionnel et linves-
mentale, et ceux qui le sont moins voire trs peu (voir chapitre 7). tissement intellectuel. ce sujet, Roux-Dufort (1982) pose, entre autres, la question
De ce point de vue, le dbat subsiste quant au caractre dveloppemental des de labsence relle ou symbolique de la figure paternelle, par exemple dans les cas
dysharmonies ou dyssynchronies observes chez les enfants surdous. En effet, de sparation. On peut alors se demander en quoi le surinvestissement de la sphre
les travaux de Vaivre-Douret (2004) se positionnent en faveur dune dgrada- intellectuelle na pas pour fonction de palier ( son propre compte ou celui de la
tion des fonctions mentales qui ne sont pas ou peu exerces par lenfant au cours famille) une carence dans les interactions, et ce de faon plus ou moins prcoce.
de son dveloppement, contrastant avec une relative synchronie des sphres Tout ceci nest videmment pas sans consquences sur lorganisation psycho-
psychomotrices, affectives et sociales observe durant les trois premires annes affective de lenfant, ce qui nous conduit considrer un autre secteur
de vie. Un autre type de dysharmonie a t dcrite par Lautrey (1980), en termes dinvestigation, lui-mme soutenu par lapproche psycho-dynamique dvelop-
de dcalage horizontal ; cet auteur a pu en effet mettre en vidence une varia- pe dans ce chapitre. En effet, si un enfant ne se conoit jamais seul, il est aussi
bilit intra-individuelle dans le dveloppement cognitif, cest--dire entre vrai que la permanence des interactions sociales et familiales avec lenfant nest
diffrentes tches piagtiennes supposes tre impliques dans une mme struc- en rien dissociable des particularits de son dveloppement motionnel. Nous
ture cognitive, notamment dans les domaines logique et infra-logique. La sommes l amens considrer lunit corps-psych. Winnicott (1970) a souli-
spcificit de ces processus, chez un mme individu ne prsentant pas de trouble gn la fonction de contenance maternelle permettant au jeune enfant de
particulier, et le rythme de leur dveloppement, semblent tre lis, selon Lautrey, mtaboliser ses premires sensations, par le jeu des interactions sensorielles et
la nature des pratiques ducatives familiales et du contexte culturel et socio- verbales avec la mre. Les interactions prcoces entre lenfant et son entourage,
conomique; ainsi, la souplesse de lorganisation ducative favoriserait la qualit dveloppes dans le chapitre 7 du prsent volume, doivent tre aussi comprises
du dveloppement cognitif de lenfant. Ceci nous amne envisager limpor- comme le berceau potentiel dune ralisation par procuration. Les aspirations
tance dune investigation complmentaire des investissements sociaux et familiaux et idaux parentaux ont en ce sens un rle jouer dans les rponses apportes
de lenfant surdou. Il sagirait de mieux comprendre, y compris dans les inter- par lenfant, quelque soit le domaine dans lequel il pourra dvelopper ses comp-
actions prcoces, en quoi lentourage peut induire (consciemment ou non) une tences et sa crativit. Le dveloppement de lintelligence, du Moi et les capacits
sur-stimulation de certaines comptences (par exemple cognitives) au dtri- de symbolisation des affects vont permettre lmergence de la pense abstraite
ment dautres types de sollicitations (corporelles ou artistiques). et du dsir de savoir. Freud a parl de pulsions pistmophiliques .
La famille, lcole ou encore lentourage social peuvent ne pas reconnatre les Pour les psychanalystes, lintelligence trouve donc ses sources dans le dvelop-
comptences de lenfant, parfois parce quelles ne correspondent pas aux critres pement de lactivit pulsionnelle et affective dun sujet. On pourrait dire que lenfant
culturels du groupe dappartenance. L'enfant ou l'adolescent peut se trouver alors se construit une intelligence partir de ses expriences sensorielles et motion-
confront un choix douloureux entre la culture familiale qu'il prfrera prserver nelles, et de leur reprsentation mentale. Freud (1915), ou plus tard Klein et Riviere
par loyaut, parfois au dtriment de ses potentialits, ou une culture environnante (1978) ont explor de faon trs dtaille ce en quoi les sollicitations sensorielles
(scolaire, sociale, politique ou musicale) laquelle il peut s'identifier, mais au risque, de lenvironnement, les motions pulsionnelles tayes sur les besoins primaires du
comme le souligne Terrassier (2004), d'endosser une culpabilit non moins inhi- jeune enfant, trouvent une voie de mentalisation dans llaboration dune pense.
bitrice et sinscrire dans une problmatique dpressive. Que dire des enfants issus Dans le cas dun enfant surdou en difficult, on ne peut faire lconomie dun

204 Partie 2 - Approfondir Chapitre 8 205


certain nombre de questions : quel est son profil motionnel ? Quelle intensit et la culpabilit. Il parat, en outre, tout aussi fondamental dinformer les parents
revt-il dans la vie psychique de lenfant ? Cherche-t-il le mettre distance et et les enseignants sur les caractristiques essentielles du haut potentiel, en leur
pour quelles raisons? Toutes ces questions supposent que lon sintresse aussi aux expliquant galement en quoi peuvent sy associer des difficults dordre psycho-
diffrents domaines de la vie affective, et plus particulirement aux capacits de affectif. Cela permettrait, dune part de considrer ces enfants surdous comme
rgulation et dexpression des motions, mais aussi aux aptitudes les reconnatre. pouvant tre en souffrance, au mme titre que tout autre enfant, et dautre part
On peut ici considrer deux points de vue quant la notion de pense intelli- dviter de retarder le constat dun haut potentiel, ce qui bien souvent majore le
gente. Un premier, dcrit par Freud (1910) en terme de sublimation, propose sentiment dincomprhension chez lenfant, et le risque de laisser sinstaurer des
lengagement de lenfant dans une recherche de connaissance. Il sagit l du dsir dysfonctionnements relationnels. Ce dcalage peut dailleurs tre accentu par
(au sens libidinal du terme) de construire un savoir, lui mme issu dune curiosit certaines orientations scolaires. On ne peut occulter les difficults rencontres
propos du vcu des sens et des motions. Dans cette perspective, lenfant pourra par certains enfants ayant saut une classe, ou bnficiant dun programme adapt
alors faire fructifier cette pulsion du savoir dans une activit mentale cratrice. dans une classe spciale; cela peut crer un effet de marginalisation, entrant en
Certains enfants prennent le chemin de la crativit, faisant fructifier cette sensibi- rsonnance avec lapprciation sociale des filires spcifiques, ainsi quun senti-
lit motionnelle, mais dautres (et cest le cas chez un certain nombre denfants ment de mise lcart par rapport aux enfants du mme ge. On peut ici imaginer
surdous) mettent part ces expriences, trop dangereuses, au profit de lintellect. les rpercussions motionnelles, en particulier dans le dveloppement de troubles
Ceci ouvre la voie linhibition qui pourrait entraner une vritable immaturit affec- anxio-dpressifs. De ce point de vue, lapprentissage social peut-il faire lcono-
tive en dcalage avec les potentialits intellectuelles, en dautres termes la mie de certaines frustrations et limites que suppose ladaptation un systme
dyssynchronie. Dans une perspective cognitive, la question du dcalage souvent normal ? Dautant que lenfant surdou peut parfois entretenir un sentiment
observ dans les investissements socio-affectifs et intellectuels peut sentendre dans de toute puissance, source dangoisse sil contribue sa mise lcart par rapport
le rapport entretenu entre lenfant surdou et son environnement proche. En ce sens, un entourage qui a du mal tablir des limites.
Vygotski parle de zone de dveloppement proximal qui reprsenterait lespace de
potentialit dveloppementale, situ entre le niveau de dveloppement cognitif de
lenfant (modalits individuelles) et le niveau de dveloppement atteint en consid-
Conclusion
rant les stimulations environnementales (parents, famille, pairs). De ce point de vue, En dfinitive, ne sommes nous pas invits rflchir une prise en charge
les apprentissages et les processus cognitifs en jeu ne suggrent plus un tat mais qui puisse sadapter au mieux lensemble des besoins de lenfant, et pas seule-
bien une potentialit plus ou moins exploitable, cela tant troitement li aux encou- ment ses besoins intellectuels? Nous avons pu voir quel point tous les aspects
ragements et au soutien de lentourage. Lenfant surdou peut se trouver confront de la personnalit de lenfant sont troitement lis, dans des interactions neuro-
des stimulations paradoxales des adultesde son environnement familial, scolaire psycho-socio-affectives. Il est important de considrer un partenariat entre les
ou social, cest--dire non adaptes ses propres potentialits et comptences, ce diffrents acteurs : sil revient aux professionnels de sant didentifier et de soute-
qui rejoint la notion de dyssynchronie sociale dveloppe par Terrassier. nir les difficults psychiques de lenfant (par exemple, dans lanalyse des secteurs
Nous ne pouvons que souligner, au travers de ces rflexions, la ncessit dune dinhibition), il appartient aussi lentourage social et scolaire de reprer les
valuation multiple et cohrente du fonctionnement de lenfant, y compris de signes de cette souffrance, et de permettre alors de rpondre ses besoins socio-
son environnement. En cela, il parat justifi de considrer une complmentarit ducatifs, y compris dans un enrichissement des investissements extra-scolaires.
des diffrentes approches psychodynamique, cognitive et neuro-psychologique. Cette question sinscrit en ce sens dans nos perspectives quant au dveloppe-
Lenfant, dont les difficults psychiques ncessitent au pralable lidentification ment dun ple de recherche et de prise en charge thrapeutique des enfants et
dun haut potentiel, doit pouvoir tre aid dans la comprhension de sa souffrance, adolescents surdous, confronts des difficults psychologiques et affectives, ou
mais aussi dans les moyens pouvant tre mis en oeuvre pour rtablir un certain des troubles psychopathologiques. Il sagit pour nous, dune part de privil-
quilibre, lorsquil existe une dyssynchronie. Dune certaine faon, il sagit de gier le partenariat avec les acteurs du systme de lducation, et dautre part de
considrer lintelligence et le savoir comme des atouts, condition quils soient favoriser limplication des familles dans le cadre de nos offres de soin. Cohrence
reconnus par lentourage, et quils ne soient pas dissocis des notions de dsir et et concertation semblent tre les meilleurs atouts pour aider ces enfants mieux
de plaisir. Encourager la crativit sans quelle ne soit supplante par linhibition tre et surtout devenir.

206 Partie 2 - Approfondir Chapitre 8 207


Notes GAUVRIT, A. (2001) Le complexe de lalbatros ; linhibition intellectuelle chez len-
fant intellectuellement prcoce : se dfendre ou sinterdire ? Communication
1. Cette partie est dveloppe de faon plus approfondie dans Tordjman (sous presse). prsente la confrence-dbat organise par le GARSEP; Haute-
Garonne, 25-04-2001.
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210 Partie 2 - Approfondir Chapitre 8 211


Pour aller plus loin Intellectualisation : (*)
HARTNETT, D. N., NELSON, J. M., RINN, A. N. (2004). Gifted or ADHD : The possi- Mcanisme de dfense (notamment dfini par A. Freud) permettant de
bilities of misdiagnosis, Roeper Review, 26 (2), 73-76. matriser les motions ou les conflits psychiques en adoptant une formulation
TERRASSIER, J-C. (2004). Les enfants surdous ou la prcocit embarrassante. (6me dition). distancie, rationnelle, abstraite, labore et dtache de leur contexte libidinal
Issy-les-Moulineaux, ESF. (dsir sexuel, agressivit). Elle vise donc neutraliser certains affects en leur
TORDJMAN, S. (Dir.) (2005). Enfants surdous en difficult : de l'identificaion une donnant une dimension gnrale. Ce mcanisme de dfense du Moi est prsent
prise en charge adapte. Rennes, Presses Universitaires de Rennes. de manire normale certaines poques du dveloppement en particulier
ladolescence o il sert combattre la pousse pulsionnelle qui menace le Moi.
Cest un phnomne qui sobserve trs souvent associ des troubles des
conduites alimentaires, notamment lanorexie.
Quelques dfinitions
Sublimation : (*)
Dysharmonie cognitive : Pour S. Freud, la sublimation de la pulsion sexuelle consiste en une driva-
tion des buts sexuels vers dautres buts non sexuels, en particulier les activits
Elle dfinit un ensemble de perturbations plus ou moins localises de la artistiques, culturelles et cratrices. On peut nanmoins largir ce champ
pense et du raisonnement, compatible avec une efficience intellectuelle satis- dinvestissement aux activits de pense et de travail. La sublimation joue un
faisante, voire leve, mais entranant des difficults ou un chec dans certains rle organisateur important dans le dveloppement, notamment aprs loedipe
apprentissages, certaines tches scolaires ou sociales (calcul, lecture, situation et ladolescence, priodes de remaniement des pulsions sexuelles. Elle se
concrte de la vie courante, exigeant par exemple observation, rflexion, raison- distingue des mcanismes comme lintellectualisation et la rationalisation, dans
nement et intervention prcise). Les preuves inspires par des travaux de Piaget le sens o elle ne cherche pas mettre distance la vie affective et libidinale.
(type chelle EPL) montrent une matrise non harmonieuse des diffrentes
oprations mentales concrtes et formelles. Par exemple, contraste dans certaines Dfense - mcanismes de dfense : (*)
oprations complexes abstraites / et la non-rsolution doprations concrtes.
Le terme de dfense dsigne lensemble des oprations mises sen oeuvre
Nvrose : par le Moi dans le but de rduire ou viter ce qui pourrait le mettre en danger,
sur le plan de sa continuit ou dans son intgrit. Les diffrents mcanismes
Durant son dveloppement, lenfant traverse des conflits invitables, lis qui le constituent seraient en grande partie, voire totalement, inconscients et
sa grande dpendance vis--vis de ses parents et son dsir progressif dauto- visent rduire les conflits intra-psychiques.
nomisation. Il y ragit par la mise en place de mcanismes de dfense plus ou
moins rigides (tels que le refoulement, lintellectualisation ou la sublimation). Pulsion : (**)
Cette organisation physiologique du fonctionnement psychique de lenfant est
ncessaire son dveloppement (nvrose infantile). Certaines manifestations Processus dynamique consistant en une pousse (charge nergtique, facteur
reprables y sont lies et restent transitoires : manifestations phobiques (petits de motricit) qui fait tendre lorganisme vers un but. Selon Freud, une pulsion
ou gros animaux, peur du noir ou de personnes) ou obsessionnelles (rptitions a sa source dans une excitation corporelle (tat de tension) : son but est de suppri-
ou rites obsessionnels du coucher, du rangement...). mer ltat de tension qui rgne la source pulsionnelle ; cest dans lobjet ou
grce lui que la pulsion peut atteindre son but.
Toutefois, au sens psychopathologique, la nvrose de lenfant est une vri-
table pathologie avre, non transitoire, issue de la trop grande rigidit des
mcanismes de dfense ou de leur inefficacit comme garantie contre langoisse.
Elle nmerge gnralement pas avant 3 ou 4 ans et provient de la non-rsolu-
tion des conflit.

212 Partie 2 - Approfondir Chapitre 8 213


1. Les mesures pdagogiques pour les EIP
Chapitre 9 en France
a. Rticences lencontre des mesures spciales pour les EIP
La question des mesures ducatives adaptes aux EIP est aussi ancienne que
le concept de prcocit du dveloppement intellectuel. Dj, Binet, en 1911,
Modes de scolarisation sinterrogeait sur ce quil convenait de faire pour les enfants obtenant les meilleurs
rsultats son test (voir chapitre 1). Les rponses cette question ont subi bien

des enfants des avatars en fonction des poques et des pays, depuis des positions extrmes
visant mettre en place des programmes didentification systmatiques en vue
dintgrer dans des programmes spciaux tous les enfants prsentant des perfor-

intellectuellement mances exceptionnelles des batteries de tests, jusquau refus systmatique


denvisager des mesures spcifiques pour les EIP. En fait, la question est souvent
obscurcie par des dbats idologiques qui rendent parfois difficile la distinction
prcoces entre les positions affirmes dans les publications et la ralit du terrain. Par
exemple, lidentification systmatique des EIP sur lensemble dune gnration,
na sans doute, jamais t mise en place dans aucun pays bien que quelques pays
sen soient rclam. De mme, les pays qui peuvent paratre les plus rfractaires,
offrent souvent des mesures adaptes pour les EIP, mme si ces mesures ne sont
Lexpression enfants haut potentiel qui est employe dans le reste de cet pas explicitement mises en place leur intention. Cest par exemple le cas de la
ouvrage tant moins usite, dans le systme ducatif, que celle d enfants intel- France, dont le systme ducatif est souvent prsent dans la littrature inter-
lectuellement prcoces , nous conviendrons dutiliser cette dernire dans la suite nationale (Rieben, 1991) comme offrant peu de possibilits pour les EIP, alors
du chapitre, et plus prcisment son sigle (EIP) pour faire plus court. que, comme nous allons le voir, il existe autant de mesures spcifiques que dans
bien des pays dclarant avoir une politique volontariste dans ce domaine.
Quelles mesures ducatives adopter en faveur des enfants intellectuellement
prcoces ? Cette question est centrale pour les professionnels du systme scolaire Il est galement important de distinguer, parmi les diffrentes mesures, celles
(pdagogues, psychologues de lducation), pour les parents et bien sr pour les qui sadressent spcifiquement aux EIP et celles qui sadressent des enfants
EIP eux-mmes. En effet, une fois quun diagnostic de prcocit a t pos, et prsentant des talents dans dautres domaines (en gnral, sportifs et artistiques).
surtout lorsque cette prcocit saccompagne de sous-ralisation scolaire ou de Vrignaud, Bonora et Dreux (2005) ont fait remarquer que la France a une poli-
difficults dadaptation, en particulier au milieu scolaire, quelle(s) remdiation(s) tique volontariste et explicite didentification des talents dans les domaines
proposer ? Par ailleurs, des programmes pdagogiques spciaux pour les EIP sportif et artistique, pour offrir aux jeunes qui en sont porteurs des conditions
sont parfois mis en place dans lobjectif de leur permettre, comme on le ferait optimales pour leur permettre de dvelopper leur talent tout en suivant des
pour les espoirs sportifs ou artistiques, de dvelopper de manire plus rapide et parcours scolaires amnags. Il nen est pas de mme en ce qui concerne les EIP
efficace leurs capacits cognitives. Quels sont ces programmes ? Sont-ils efficaces identifis par un potentiel exceptionnel aux chelles de niveau de dveloppe-
? Certains sont-ils plus efficaces que dautres ? Tels sont les principaux points ment intellectuel. Pourtant, les trois principales mesures acclration,
qui seront traits dans ce chapitre. La situation en France sera dabord prsen- enrichissement et classes spciales - cites dans la littrature internationale pour
te avant dexposer, dans un second temps, les rsultats de mta-analyses publies lducation des EIP existent en France, mais elles ne sont pas prsentes comme
dans la littrature internationale sur les effets des diffrents modes de scolari- telles. Bien au contraire, la politique du Ministre de lducation Nationale
sation expriments. (MEN) apparat plutt oppose lide de mettre en place des programmes
spcifiques une population comme celle des EIP.

214 Partie 2 - Approfondir Chapitre 9 215


Cependant, cette position a parfois localement et dans de courts laps de 2) la scolarisation dans des sections offrant le curriculum normal en un nombre
temps t assouplie pour permettre la cration dun tablissement particulier. dannes moindre (programme tlescop). Le premier type dacclration est
Rcemment, la question de la scolarisation des EIP a donn lieu la demande, prvu dans les textes rgissant la scolarit pr-lmentaire et lmentaire, le
de la part du cabinet du Ministre Jack Lang, de deux rapports commands lun second type a fait lobjet de quelques tentatives qui seront prsentes dans le
lINETOP - Institut National dtude du Travail et dOrientation paragraphe consacr aux classes et programmes spciaux.
Professionnelle (Vrignaud et Bonora, 2000) et lautre lINRP - Institut Lorganisation actuelle de lenseignement pr-lmentaire et lmentaire en
National de Recherche Pdagogique (Bouthors, 2000). Suivant la recomman- trois cycles de respectivement 2 ans (petite et moyenne section de maternelle), 3
dation de ces rapports, le MEN a mis en place une commission de rflexion sur ans (grande section de maternelle, cours prparatoire, cours lmentaire 1) et 3
la scolarisation des EIP. Cette commission, prside par Monsieur lInspecteur ans (cours lmentaire 2, cours moyen 1 et 2) saccompagne de la possibilit de
dAcadmie Jean-Pierre Delaubier, a publi un rapport prsentant ltat des lieux parcours dun cycle plus rapidement. En gnral, il sagit du cycle 2, lenfant int-
et des propositions aprs avoir entendu les reprsentants des associations de grant le cours prparatoire cinq ans sans effectuer la troisime anne
parents dEIP, des experts et les reprsentants des acteurs institutionnels (ensei- denseignement pr-lmentaire (grande section de maternelle). Avant lorgani-
gnants, psychologues de lducation). Ce rapport (Delaubier, 2002) est sation actuelle en cycles, ce saut de la grande section de maternelle sappelait
consultable et tlchargeable sur le site du MEN (httt://education.gouv.fr). dailleurs passage anticip en cole lmentaire . Il est toutefois possible
Cette action a conduit une prise de conscience brisant les tabous qui semblent deffectuer ce parcours acclr dans tous les cycles. La demande dacclration
avoir longtemps entour cette question. En effet, ces trois dernires annes, ont peut tre prsente par la famille ou par lquipe pdagogique. La dcision est
vu davantage dinitiatives se mettre en place, en particulier dans lenseignement prise au vu dun ensemble dinformations sur laptitude de lenfant russir ce
public (par exemple, louverture dune classe pour EIP prsentant des troubles du parcours. Le plus souvent, lenfant est examin par le psychologue scolaire sans
comportement au lyce Janson de Sailly Paris la rentre scolaire 2004). Il faut que celui-ci procde de manire systmatique un examen du dveloppement
surtout noter que la loi dorientation et de programme sur lavenir de lcole de intellectuel. Lavis du mdecin scolaire peut galement tre requis. En cas de refus,
2005 (Loi n 2005-380 du 23-4-2005. JO du 24-4-2005) prvoit explicitement les parents peuvent faire appel de la dcision auprs de lInspecteur dAcadmie
la possibilit doffrir des amnagements spcifiques pour les EIP : et, en dernier recours, auprs du mdiateur travaillant auprs du rectorat.
Art. L. 321-4 - Dans les coles, des amnagements particuliers et des actions de Ce type dacclration est la mesure la plus connue en France.
soutien sont prvus au profit des lves qui prouvent des difficults, notamment les Statistiquement, elle reprsente de faibles effectifs : en 1999, 1.5 % des enfants
lves atteints de troubles spcifiques du langage oral et/ou crit, telle la dyslexie. Lorsque sont entrs en premire anne dcole lmentaire (CP) cinq ans au lieu de
ces difficults sont graves et permanentes, les lves reoivent un enseignement adapt. six ; 2.7 % des enfants entrent au collge (sixime anne) dix ans au lieu de
Des amnagements appropris sont prvus au profit des lves intellectuellement onze2. Il faut noter que cette frquence passe du simple au double entre le public
prcoces1 ou manifestant des aptitudes particulires, afin de leur permettre de dvelopper et le priv pour lentre cinq ans en cours prparatoire : 1.1 % vs 2.5 % ainsi
pleinement leurs potentialits. La scolarit peut tre acclre en fonction du rythme que pour lentre en sixime dix ans (2.4% vs 4%). Ce fait ne se laisse pas
dapprentissage de llve. interprter de manire univoque car le milieu social des enfants scolariss dans
Il faudra, pour apprcier la porte de ces propositions, attendre les dcrets lenseignement priv est en moyenne nettement plus favoris que celui des
dapplication qui devraient davantage expliciter ce que recouvriront ces amna- enfants scolariss dans lenseignement public o lhtrognit sociale est plus
gements de programmes et/ou de cursus ainsi que les procdures mises en uvre grande. Il est donc difficile de savoir si cette augmentation de la frquence des
pour lidentification des EIP susceptibles de bnficier de ces amnagements. lves ayant bnfici dune acclration est lie la prsence dune proportion
plus importante dlves prcoces dans le priv ou des demandes plus
b. tat des principales mesures en France frquentes et plus souvent satisfaites des familles.
Lacclration Ces mesures sont en diminution rgulire depuis une cinquantaine dannes.
Pour lentre moins de six ans en CP, lvolution des pourcentages est la
Il faut distinguer deux types de parcours acclrs : 1) le fait de parcourir un suivante : 1960 : 20,1% ; 1970 : 5,4% ; 1980 : 2,1% ; 1990 : 1,8% ; 1999 : 1,2% ;
cycle dtudes plus rapidement que ne le prvoient les curriculum (saut de classe),

216 Partie 2 - Approfondir Chapitre 9 217


pour lentre moins de dix ans en CM2, elle est la suivante : 1960 : 8,9% ; quils avaient mis en place des mesures spciales pour les EIP ont t identifis.
1970 : 6,9% ; 1980: 3,4% ; 1990: 2,8% ; 1999: 2,6%. Cette diminution peut tre Un questionnaire a t envoy tous ces tablissements. Environ une vingtaine
mise en relation avec une rticence du corps ducatif et des dcideurs envers ces ont rpondu quen fait ils navaient pas mis en place de programme spcial pour
mesures. Leur attitude est plutt ngative et il semble que, malheureusement, les EIP. Une autre vingtaine a retourn le questionnaire souvent incomplet, en
les arguments des acteurs en prsence se rfrent plus des cas rencontrs au particulier sur les questions relatives aux mthodes pdagogiques. Un peu moins
cours de leur carrire denseignants qu des documents scientifiques ou des de la moiti des tablissements signals accueillait donc rellement des EIP ! Par
statistiques. Ceci est dautant plus regrettable que les statistiques publies par le ailleurs, notre participation aux travaux de la commission Delaubier, nous a
MEN montrent un effet plutt positif de lacclration. Parmi les tudes rali- conduits tre informs de lexistence dtablissements publics ou privs sous
ses par le dpartement de lvaluation et de la prospective (DEP) du MEN, le contrat que notre recherche documentaire navait pas recenss. Cette difficult
suivi longitudinal pendant dix ans dune cohorte dlves permet davoir des pour obtenir des informations exhaustives et fiables sur les tablissements propo-
informations sur le devenir des lves en avance compar celui des lves dge sant des classes ou des filires spcifiques pour les EIP est une relle difficult
normal. Les lves en avance obtiennent en moyenne un score de 7% suprieur pour le travail de conseil aux familles. Les choses changent vite dans ce domaine,
celui des lves lge normal aux preuves dvaluation nationale en franais cest pourquoi, nous ne citerons, uniquement titre dexemple, que quelques
et mathmatiques passes lentre en sixime. Le baccalaurat est obtenu aprs tablissements et programmes.
sept ans de scolarit (cest--dire sans redoubler) chez 44% des lves admis au Pour l'enseignement public, rappelons l'exprience des classes-pilotes
CP 5 ans contre 25% chez les lves admis 6 ans. Ces lments statistiques permettant un cursus tlescop, l'cole Las Planas Nice, de 1987 1991
doivent tre interprts avec prudence : 1) il ne sagit pas seulement denfants (interrompue lorsque la rforme des cycles scolaires sest mise en place). Le
intellectuellement prcoces (on ne dispose pas dvaluation de leur dveloppe- collge du Cdre au Vsinet (92) accueille chaque anne une centaine dEIP
ment intellectuel) mais denfants ayant une excellence scolaire et/ou ayant ralis slectionns partir dun examen psychologique et dun entretien en les
les apprentissages fondamentaux (en particulier la lecture) plus tt que la regroupant dans une filire spcifique comprenant une classe de chaque niveau
moyenne des jeunes de leur classe dge ; 2) ces statistiques ne permettent pas de la sixime la troisime. Les EIP bnficient dans cette filire dapports
dapprcier rellement leffet de lacclration car, comme on le verra dans la dapprofondissements et denseignements complmentaires. Les tablissements
partie suivante un dispositif permettant de rpondre cette question devrait lyonnais (dont le collge Joliot-Curie) intgrent des EIP dans leurs classes ordi-
sappuyer sur la comparaison entre cette population dlves acclrs une naires en leur proposant un suivi psycho-pdagogique personnalis et des
population quivalente ayant, elle, suivi un cursus un rythme normal. On peut enrichissements du programme.
nanmoins conclure de ces lments statistiques que lacclration na en gn-
Dans le secteur contractuel, coexistent des tablissements qui annoncent un
ral pas port prjudice aux lves auxquels elle a t accorde.
accueil des enfants prcoces , mais sans que cela donne systmatiquement
Les classes et programmes spciaux lieu un projet original, et des tablissements qui conduisent de vritables exp-
riences avec des proccupations proches de celles que lon peut observer dans les
Il est ncessaire de distinguer les tablissements publics et privs ainsi que,
collges publics (le collge Fnelon de Lyon est reprsentatif de cette catgorie).
parmi ces derniers, ceux qui sont sous le rgime du contrat dassociation avec
Le questionnaire envoy ces tablissements (Vrignaud, 2003) a montr quils
ltat (obligation de respecter les programmes et les rgles de passage et dorien-
intgrent simplement les EIP dans des classes normales. Peu dtablissements
tation des lves en vigueur dans le public) et les tablissements hors contrats qui
pratiquent une politique didentification explicite, peu galement ont mis en
ont davantage de latitude mais, ne recevant pas daide de ltat, sont plus onreux.
place une pdagogie spcifique lattention des EIP.
Par ailleurs, un recensement exhaustif et srieux des classes et programmes
spciaux est une mission impossible dans la mesure o il nexiste pas de liste offi- Le secteur hors-contrat est trs divers : on trouve des coles lies aux
cielle des tablissements offrant de tels programmes mme dans les tablissements associations et qui en mettent les options en pratique : lassociation Europa, par
publics ! Lun de nous (voir les rfrences dans Vrignaud, 2003) a entrepris une exemple, elle-mme lie Eurotalent et GESPARE (Groupe Emprise de
enqute sur ces cursus offerts aux EIP. A partir de diffrents sites Internet (asso- Sociopsychologie, Action Recherche ducation), gre une cole accueillant 70 enfants
ciations de parents dEIP, tablissements) soixante dix tablissements indiquant de la maternelle la cinquime ; lcole maternelle Madison Institute affiche

218 Partie 2 - Approfondir Chapitre 9 219


un lien avec lISFER (Institut du Surdouement, Formation, Education, Recherche). recueillies chez des EIP et chez les enfants dun groupe tmoin appari sur les
Dautres, semblent avant tout conues autour dun projet commercial. Tel tablis- critres de lge et du milieu social (Vrignaud, 2003).
sement, par exemple, annonce sur internet sa cration en prcisant quil accueillera
500 lves surdous de la maternelle la terminale partir de 2002 sur un Lenrichissement
programme multilingue avec un internat de 300 places. Plusieurs descriptifs Lenrichissement ou plutt lindividualisation du parcours est la mesure qui
ou offres dinscription voquent labsence de structures adaptes dans len- est considre comme la rponse la mieux adapte aux besoins des EIP par le
seignement public. Il faut, bien sr, souligner le cas particulier du lyce-collge MEN. Cette position est longuement dveloppe dans le rapport Delaubier
Michelet de Nice o a t cre, en 1988, la premire classe de 6e/5e en un an dont nous reprenons les principales conclusions ci-dessous.
et qui forme des bacheliers rgulirement classs parmi les plus jeunes de Loffre ditinraires diffrencis et de vritables possibilits denrichisse-
France en pratiquant une acclration systmatique des parcours scolaires, ment des contenus est inhrente, en primaire, au fonctionnement par cycles et
parfois au dtriment de certains domaines denseignement. aux modalits de gestion de la classe ; dans le second degr, elle sinscrit dans
Des tablissements comprenant des classes spcialises existent en petit des dispositifs particuliers dfinis pour chaque niveau et chaque type de besoin
nombre dans l'enseignement priv. On peut citer, par exemple : le collge Jeanne ou de choix (travaux croiss, itinraires de dcouverte, TPE, ensemble des ensei-
d'Arc Melun (en liaison avec l'AFPEIP, association franaise pour les enfants gnements optionnels, ateliers artistiques, sections europennes, ).
intellectuellement prcoces), dans lequel certaines classes regroupent des EIP en En collge, le principe de diversification est prcis larticle 5 du dcret
avance souvent de plusieurs annes sur le cursus normal, et l'cole ENIXIA 96-465 du 20 mai 1996 : Ces rponses qui ne sauraient se traduire par une orga-
Courtaboeuf (Essonne), cole prive hors contrat, qui recrute de la maternelle nisation scolaire en filires, peuvent prendre la forme dactions diversifies relevant
au CM1. Citons galement l'association Jeunes Vocations (Paris 14me) qui reoit, de lautonomie des tablissements. Elles peuvent galement prendre dautres formes,
hors temps scolaire, des EIP de 6 17 ans et leur offre un approfondissement dans un cadre dfini par le ministre charg de lEducation nationale, notamment : un
dans certaines disciplines, incluant les activits artistiques et sportives. encadrement pdagogique complmentaire de lenseignement ; des dispositifs spci-
Il faut enfin, regretter labsence quasi-totale de suivi scientifique des lves fiques comportant, le cas chant, des amnagements dhoraires et de programmes ; ces
ainsi que dvaluation objective de lefficacit des mesures adoptes. On peut, dispositifs sont proposs llve avec laccord des parents ou de son responsable lgal ;
cependant, signaler que, dans la foule du rapport Delaubier, deux Inspecteurs []Des formations, partiellement ou totalement amnages, organises le cas chant
Gnraux ont t chargs de faire un bilan des expriences pdagogiques dans le dans des structures particulires, pour rpondre par exemple des objectifs dordre
second degr sur la scolarisation des EIP(Dugruelle et Le Guillou, 2003). Ils ont linguistique, artistique, technologique, sportif ou des besoins particuliers notamment
enqut dans cinq tablissements scolarisant des EIP. Ce travail est intressant dordre mdical ou mdico-social. Les orientations du 5 avril 2001 dveloppent
par la description des tablissements, des cursus et des mthodes mis en place des possibilits nouvelles de diffrenciation des itinraires : Bien videmment,
lintention des EIP ainsi que par les tmoignages des personnels ducatifs, EIP et ces enseignements choisis contribuent la formation des collgiens, dans toutes les
parents dEIP quil rapporte. Mais ces analyses ne reposent pas sur des approches facettes de leur personnalit. En ce sens, ils participent de la pluralit des chemine-
et des mthodes scientifiques et leurs conclusions restent un niveau descriptif. ments que je veux introduire au collge pour que les lves puissent aller plus loin,
approfondir certains thmes ou objets dtude, mais aussi exprimer et valoriser leurs
Une autre question cruciale, celle de lidentification des enfants intellec-
talents, prouver le plaisir de chercher et de crer.
tuellement prcoces, semble galement traite de manire disparate et souvent
Il faut aussi rappeler lapport des activits priscolaires dans lenrichisse-
sans sappuyer sur des lments scientifiquement significatifs. Par exemple, on
ment des parcours ducatifs, par exemple travers les contrats ducatifs
trouve dans certains ouvrages des questionnaires ou des procdures pour liden-
locaux : La manire dont un enfant met profit son temps en dehors des heures de
tification des surdous qui auraient demand tre soumis une validation
classe est importante pour sa russite scolaire, lpanouissement de sa personnalit et son
scientifique avant dtre proposs aux psychologues. Ainsi, la plupart des ques-
apprentissage de la vie sociale. Il convient donc de prvoir en particulier pour ceux
tions dun questionnaire cens identifier les EIP partir dune anamnse et de
qui ont le plus de difficults accder aux diffrentes formes de culture une organi-
traits de comportement de lenfant ne permettent pas de distinguer les EIP
sation de ce temps propre favoriser leur dveloppement harmonieux. (Circulaire
denfants tout venant quand on effectue des comparaisons entre les rponses
n 98-144 du 9 juillet 1998).

220 Partie 2 - Approfondir Chapitre 9 221


Il faut signaler que ces dispositions rglementaires sont davantage penses du dbat sur le regroupement des EIP dans des classes (ou des tablissements
pour une meilleure intgration des enfants rencontrant des difficults dap- spciaux), la diminution de la frquence des cursus acclrs en primaire
prentissage du fait de leur origine sociale et/ou culturelle que du fait de la peuvent, sans doute, sexpliquer en partie par la crainte du MEN de voir ces
prcocit de leur dveloppement. Elles ne pourront sappliquer avec pertinence mesures dtournes de leur finalit pdagogique au profit dune stratgie litiste
aux EIP qu condition que les enseignants soient sensibiliss, voire forms, des familles allant lencontre de lintrt de lenfant.
la prise en charge des EIP. Elles prsentent un intrt surtout pour les EIP
Les associations
adapts ou du moins ceux qui ne sont pas dans un comportement de sous-
ralisation voire dinadaptation scolaire trop important. Les associations de parents dEIP jouent un rle important, dune part par
Un phnomne intressant constater est labsence de problmes signals au des actions de lobbying auprs des media et des politiques3, dautre part par leurs
niveau du lyce. On peut faire lhypothse que cette absence tient dune part au fait actions dinformation et de conseil auprs des familles. Ces associations jouent
que les difficults potentielles des EIP se manifestent en primaire et surtout en galement un rle de diffusion des connaissances par lorganisation de colloques
collge, dans les filires htrognes et que, soit elles sont compenses (par exemple et surtout, par la publication douvrages, de revues et louverture de sites inter-
par lintgration dun tablissement priv) avant larrive au lyce, soit elles ne le net. Les associations ont, en gnral, des positions plutt extrmes quant aux
sont pas et les EIP rencontrant des difficults naccdent pas au lyce. On peut difficults dadaptation des EIP dans le systme scolaire : gnralisation des
galement faire lhypothse que le systme de filires hirarchises, les contenus dangers de sous-ralisation, prconisation de louverture de classes spciales.
des diffrentes sections du lyce et la possibilit de suivre un nombre plus ou moins Elles offrent une premire rponse aux demandes des familles par courrier
important doptions offrent aux EIP la possibilit de rencontrer un environnement postal, courrier lectronique, voire tlphone et renvoient des psychologues
satisfaisant. Le systme de sectorisation et de slection a permis dans certains cas spcialiss pour une consultation. Par cette activit, elles apparaissent comme
lmergence de ples dexcellence (par exemple, les grands lyces du quartier latin une premire source de conseils pour les parents dEIP.
Paris) regroupant des lves dont les russites scolaires sont exceptionnelles et Les associations participent souvent lorganisation pdagogique des classes
qui ont souvent une deux annes davance. De tels tablissements existent gale- spciales directement par la mise en place de ces structures ou indirectement par
ment dans lenseignement priv sous contrat. Il est certain que les lves frquentant la formation des enseignants. On peut dire que presque toutes les expriences
ces tablissements ne sont sans doute pas tous des EIP et quils sont identifis pdagogiques ont t inities par des personnes dirigeant ou participant une
uniquement partir de leurs performances scolaires ; cependant, ce fonctionnement association. Les associations contribuent aussi largement au recrutement dans
aboutit, de fait, un regroupement dEIP adapts. On peut faire les mmes obser- les tablissements quelles mettent en place, dans la mesure o les psychologues
vations propos des classes prparatoires aux grandes coles qui fonctionnent sur auxquels elles adressent les familles, conseilleront les tablissements corres-
la base dune slection (10 % des dossiers des sections scientifiques). pondants. Malheureusement, les associations sont souvent en dsaccord entre
Ce systme des classes prparatoires, sans tre explicitement ddi aux EIP, elles, ce qui ne facilite pas les changes avec le Ministre de lducation natio-
est cependant une forme de regroupement des lves les plus performants afin nale et les instances officielles. Un second lment dinterrogation est la
de les faire bnficier dun enseignement plus complet, avec un rythme reprsentativit de ces associations. En effet, mme calcul gnreusement,
dapprentissage trs rapide. Ce systme a par ailleurs une consquence impor- leffectif des adhrents de lensemble des associations natteindrait pas la dizaine
tante sur la manire dont les mesures spcifiques pour la scolarit des EIP a t de milliers de membres alors que, la population des EIP en ge de scolarisation
envisage en France. La recherche de la meilleure stratgie pour permettre obligatoire est de plus de 600 000 jeunes si lon retient le critre dun QI sup-
leurs enfants dintgrer les grandes coles, est une proccupation majeure pour rieur 130 pour dfinir cette population (Delaubier, 2002).
certaines familles. Lacclration de la scolarit a longtemps t et est encore
Lidentification
parfois mais dans de moindres proportions une solution recherche dans cette
optique. Les familles faisant lhypothse quune anne davance permettrait Il ny a jamais eu en France de politique didentification systmatique des
dviter dventuelles limites dge pour linscription aux concours et facilite- EIP partir de tests de niveau intellectuel. Il faut cependant rappeler que dans
rait laffectation dans des tablissements regroupant les meilleurs lves. Ces le cadre de leur activit en milieu scolaire, les Conseillers dOrientation
stratgies ont souvent t perues comme une recherche de llitisme. Le refus Psychologues (COP) faisaient passer dans les annes soixante/soixante-dix des

222 Partie 2 - Approfondir Chapitre 9 223


batteries de tests comprenant des tests de facteur g et de facteurs daptitudes psycho-motrices peuvent tre prises en charge dans le cadre des rducations
gnrales (verbal, spatial, numrique). Ces passations avaient lieu diffrents (RASED, Rseaux dAide Spcialise aux lves en Difficult), les difficults
niveaux du collge, et de manire systmatique, en classe de troisime. Les rsul- relationnelles par les psychothrapies.
tats des lves taient utiliss pour le conseil en orientation ce moment cl de On peut gnraliser une partie de ces rflexions aux examens raliss par des
la fin de la scolarit obligatoire. On peut considrer que des lves, dont les psychologues privs exception faite des psychologues spcialiss sur ces ques-
performances taient particulirement leves ces tests, correspondaient des tions et souvent forms par les associations ou membres de celles-ci.
populations dEIP. Dans le cas o les rsultats scolaires taient en dcalage avec
les performances aux tests defficience intellectuelle, le COP intervenait auprs
de llve, de sa famille et de lquipe ducative pour pousser le jeune vers des 2. Les effets des diffrents modes de
tudes en rapport avec ses possibilits, par exemple tudes longues conduisant
un baccalaurat plutt qutudes courtes vers un diplme professionnel en deux
scolarisation
ans. Cette procdure a eu une action implicite sur lorientation de certains EIP Comment choisir entre les diffrentes formules pdagogiques qui ont t
sous-ralisateurs. Elle a eu galement des effets sur lquit du systme duca- essayes pour adapter lenseignement aux EIP? Quelles sont les plus efficaces ?
tif dans la mesure o les COP ont ainsi encourag des lves de milieu dfavoris Il faut, pour le savoir, valuer et comparer leurs effets. Lvaluation doit cepen-
poursuivre des tudes longues vers lesquelles les familles, voire les enseignants, dant satisfaire certains principes mthodologiques pour tre concluante.
ne les encourageaient pas. Lobservation dun changement dans un groupe qui a bnfici dun mode de
Le diagnostic dEIP est en gnral port lors dun examen au cours dune scolarisation donn (groupe exprimental) nest pas en soi suffisante pour
consultation individuelle (voir chapitre 7). Cet examen a pu tre demand du fait conclure un effet de ce mode scolarisation. Ce changement ne peut tre inter-
dune suspicion de difficults lies la prcocit, dune demande dacclration, prt que sil peut tre compar celui qui est observ dans un groupe semblable
de difficults dapprentissage ou comportementales en milieu scolaire. Il faut en tous points, except le mode de scolarisation (groupe contrle). notre
distinguer les situations selon que lexamen est fait par un psychologue appar- connaissance, aucune des expriences pdagogiques passes en revue dans la
tenant une institution ducative (psychologue scolaire, COP), de la sant partie consacre la situation en France na fait lobjet dune valuation qui
(CMPP, consultation en pdo-psychiatrie) ou libral. respecte ce principe de base.
En ce qui concerne les psychologues institutionnels, il nexiste pas dins- On peut nanmoins trouver quelques exemples dexpriences dvaluation qui
tructions gnrales (mises part les recommandations du rapport Delaubier) ni satisfont cette exigence mthodologique dans la littrature scientifique inter-
dinformations concernant lattitude face des demandes dexamens pour prco- nationale et ce sont donc les rsultats de ces tudes pour la plupart amricaines
cit. On peut faire lhypothse qutant donne la charge de travail induite par - qui seront rapports dans ce qui suit. Il sagit, dans la grande majorit des cas,
les lves rencontrant des difficults dapprentissage pour dautres raisons que la dtudes ponctuelles dans lesquelles un groupe exprimental et un groupe
prcocit, ce type de demandes nest sans doute pas privilgi. Cependant, contrle, lun et lautre composs dEIP, ont t compars en dbut et en fin
certains professionnels sont maintenant sensibiliss ces questions. Mais il danne scolaire, en gnral avec des preuves standardises de connaissances. Les
manque, ici, une formation systmatique sur les spcificits de lexamen rsultats de ces tudes ponctuelles montrent certains effets mais on aimerait
conduire. Le diagnostic de prcocit, ou plutt le constat dune performance savoir sils sont durables. Seul un suivi longitudinal peut permettre de rpondre
exceptionnelle un test de QI, peut tre fait lors dune demande dacclration cette seconde question, mais les tudes longitudinales sont beaucoup plus
ou lors dun examen pour des difficults. Ce second cas, correspond un diagnos- coteuses en temps et plus difficiles conduire que les tudes ponctuelles. Elles
tic de sous-ralisation. Les rponses sont certainement donnes au cas par cas sont donc encore plus rares.
et trs variables selon les connaissances de ces questions par le psychologue Les tudes ponctuelles sur les effets des diffrents modes de scolarisation
responsable de lexamen. La transmission de ce diagnostic lquipe ducative des EIP seront prsentes dans un premier temps et les trs rares tudes longi-
peut certainement contribuer modifier limage du jeune pour lui-mme et sa tudinales disponibles sur cette question seront prsentes ensuite.
famille et contribuer augmenter lestime de soi. Les difficults grapho- ou

224 Partie 2 - Approfondir Chapitre 9 225


a. Les tudes ponctuelles Les enfants identifis comme ayant un haut potentiel intellectuel sont mainte-
nus dans leur classe mais en sont extraits une partie du temps scolaire pour
Parmi les diffrents modes de scolarisation qui ont t expriments avec
participer des activits denrichissement. Ils se voient offrir diffrents services
les enfants haut potentiel, certains ne sont pas spcifiques cette population,
dont le compactage du programme scolaire, qui consiste liminer toutes les
cest le cas des regroupements par niveaux, quil sagisse des classes de niveaux,
parties du programme qui ont dj t vues un moment antrieur du cursus
des groupes de niveaux intra-classe (au sein dune mme classe) ou des regrou-
et aussi celles qui, quoique nouvelles dans le programme, sont dj matrises par
pements inter-classes par niveaux (regroupements temporaires, par niveau dans
lenfant. La partie qui est ainsi limine peut aller jusqu 50 % du programme.
une discipline, dlves appartenant des classes diffrentes). Dautres modes
Le temps gagn est utilis pour les activits denrichissement qui, dans le SEM,
de scolarisation sont plus spcifiques cette population, cest notamment le cas
comportent trois tapes. Les activits de type I sont des activits dveil qui
des programmes denrichissement et des programmes dacclration. Les diverses
visent stimuler et largir les intrts des lves (par exemple, assister des
modalits pdagogiques qui ont t exprimentes seront dabord brivement
confrences, faire des visites, auditionner des cassettes, etc.). Les activits de
prsentes et leurs effets seront ensuite compars.
type II visent les entraner aux modes de fonctionnement cognitif quil faut
Les diffrents modes de scolarisation mettre en uvre pour mener bien une recherche personnelle (par ex. entra-
nement la crativit, lesprit critique, la mthodologie, la communication
Les regroupements par classes de niveaux. Lobjectif de cette pratique est de
orale et crite). Lenrichissement de type III, auquel conduisent les types prc-
constituer des classes de niveaux homognes. Le programme enseign dans les
dents, est la ralisation dun projet personnel. Chaque enfant doit alors adopter
diffrentes classes reste cependant le mme. Le niveau des lves est valu en
une dmarche analogue celle dun chercheur pour produire, dans le domaine
dbut danne, parfois avec un test dintelligence, mais le plus souvent avec des
dintrt qui est le sien, un travail personnel. Un bilan des recherches sur les
preuves standardises de connaissances. Des classes de niveaux fort, faible et
effets de ce programme peut tre trouv ailleurs (Reis et Renzulli, 2003).
moyen sont constitues en regroupant respectivement, par exemple, les 20 %
dlves ayant les scores les plus levs dans ces preuves, les 20 % ayant les scores Lacclration. Le principe des programmes dacclration est de tirer parti
les plus bas et les 60 % ayant les scores intermdiaires. du rythme dapprentissage plus rapide des EIP non pas pour leur proposer des
activits hors programme, comme cest le cas des programmes denrichissement,
Les regroupements intra-classe. Dans ce cas, les classes sont htrognes mais
mais pour leur faire parcourir plus vite le cursus scolaire. La pratique la plus
chaque enseignant fait au sein de sa classe des sous-groupes de niveaux diff-
courante est celle du saut de classe (cf. la premire partie de ce chapitre). Une
rents pour lenseignement de certaines matires, gnralement la lecture et les
mthode dacclration plus sophistique consiste compacter les programmes,
mathmatiques, et enseigne de faon diffrencie ces diffrents sous-groupes.
de telle sorte que le cursus habituellement parcouru en quatre ans soit parcouru
Nanmoins, le programme de la classe est le mme.
en trois ans, ou bien en tendant lanne scolaire de telle sorte quune anne soit
Les regroupements inter-classes. L encore, les classes sont htrognes mais gagne, par exemple en participant des coles dt pendant les vacances
elles clatent certains moments de la semaine pour lenseignement dune disci- scolaires.
pline, par exemple la lecture. Cet enseignement se fait alors dans le cadre de
groupes de niveaux qui ne dpendent pas de la classe mais du niveau dans la Les effets de ces diffrents modes de scolarisation.
discipline considre. Les rsultats prsents ci-dessous sont ceux dtudes qui ont toutes port sur
Lenrichissement. Le principe des programmes denrichissement est de tirer la comparaison de deux groupes denfants haut potentiel : un groupe exprimental
profit de la progression plus rapide des EIP pour leur proposer des activits qui (ayant bnfici dun mode de scolarisation particulier) et un groupe contrle (qui
ne figurent pas dans les programmes scolaires, mais dont on pense quelles leur a suivi le mode de scolarisation habituel). Ces rsultats sont tirs de mta-analyses
seront utiles pour raliser leur potentiel. Ces activits denrichissement sont agrgeant les donnes de lensemble des tudes comparables. On appelle mta-
variables selon les programmes. Elles peuvent avoir pour objectif le dveloppe- analyse une forme danalyse qui sappuie sur les mthodes statistiques pour intgrer
ment de la crativit, de la socialisation, de la sensibilit artistique, la ralisation et rsumer les rsultats dun large ensemble dexpriences qui portent sur la mme
dun projet personnel, etc.. Le plus rpandu des programmes denrichissement question (cf. par ex. Glass, Mc Gaw et Smith, 1981). La taille moyenne des effets
aux Etats-Unis est le schoolwide enrichment model (SEM) (Renzulli, 2003). observs dans lensemble dexpriences considr est exprime en units dcart-type

226 Partie 2 - Approfondir Chapitre 9 227


(on considre en gnral quune taille deffet est importante lorsquelle dpasse (groupe contrle). On peut voir en ordonne que la diffrence moyenne entre
80 cart-type, moyenne autour de 50 cart-type et faible en-dessous de 20 cart- ces deux sortes de groupes, dans un test standardis de connaissances pass la
type). Une discussion de lintrt quil y a sappuyer sur des mta-analyses plutt fin de lanne scolaire, est de 0,03 cart-type, cest--dire pratiquement nulle. Le
que sur les rsultats dtudes singulires dans le domaine de lducation des EIP, ainsi regroupement en classes de niveau, sans modification du programme, est donc
que la liste des mta-analyses effectues dans ce domaine peuvent tre trouves sans effet sur les acquisitions, du moins sur les EIP (car il faut rappeler que toutes
dans Asher (2003). Dans la mesure o les mta-analyses les plus compltes sur le ces tudes ne comparent que des EIP qui ont t soumis des modes de scola-
sujet (Kulik et Kulik, 1992 ; Slavin, 1987, 1990) ont abouti des rsultats compa- risation diffrents).
rables, la figure 1 se limite une prsentation rsume des principaux rsultats de En continuant lanalyse de la figure 1, on peut voir que les modes de grou-
la plus rcente (Kulik et Kulik, 1992). pement intra-classe et inter-classes ont un effet de taille faible, de lordre dun
quart dcart-type. Leffet des programmes denrichissement est un peu plus
Taille moyenne des effets des diffrents modes de scolarisation important (0,41 cart-type) mais nous y reviendrons car il est difficile inter-
(daprs Kulik et Kulik, 1992). prter. Quant leffet de lacclration, il est de 0,87 cart-type, donc important,
lorsque le groupe exprimental et le groupe contrle ont t compars ge gal
(ce qui a t le cas dans 11 tudes) et de 0,02 cart-type, donc nul, lorsque le
groupe exprimental et le groupe contrle ont t compars cursus gal (ce
qui a t le cas dans 12 autres tudes).
Quelques prcisions supplmentaires sont ncessaires pour interprter ce
dernier rsultat. Les 23 tudes (11+12) prises en compte dans cette mta-analyse
ont port sur des programmes dans lesquels un gain dun an a t obtenu en
effectuant par exemple en trois ans un cursus dhabitude effectu en quatre ans.
Lorsque la comparaison entre le groupe exprimental a t effectue au bout
trois ans, cest dire lorsque le groupe exprimental avait termin le cursus, les
deux groupes taient alors ge gal, mais le groupe contrle navait pas termin
le cursus. Dans la mtrique des scores aux tests standardiss de connaissances
utiliss dans ces tudes, la diffrence moyenne de 0,87 cart-type trouve dans
ce cas se trouve correspondre une diffrence de un an (Kulik et Kulik, 1997,
p. 268). En dautres termes, au moment o le groupe acclr terminait le
cursus, son niveau de performance dans les tests de connaissance correspondait,
dans la mtrique des scores ces tests de connaissances, une anne davance
sur le groupe qui suivait le cursus un rythme normal.
Par contre, dans les douze tudes o la comparaison entre le groupe expri-
Les diffrents modes de scolarisation figurent en abscisse et la taille moyenne
mental et le groupe contrle a t effectue cursus gal, cest--dire entre les
de leffet, exprime en fraction dcart-type, figure en ordonne. Dans la lgende,
scores aux tests de connaissance passs la fin du cursus de chacun des groupes,
entre parenthse aprs chaque mode de scolarisation, figure le nombre dtudes
donc au bout de trois annes pour le groupe exprimental et de quatre annes
sur lequel a port la mta-analyse. Ainsi, le nombre 1 en abscisse correspond au
pour le groupe contrle, le niveau de performance tait alors le mme (-0, 02
mode de scolarisation en classes de niveau. Dans la lgende, il est indiqu entre
cart-type). On peut en conclure quen moyenne, les EIP qui nont pas particip
parenthses que la mta-analyse sur les effets de ce mode de scolarisation a inclus
aux expriences dacclration values dans cette mta-analyse ont termin leur
51 tudes dans lesquelles un groupe constitu denfants haut potentiel runis
cursus avec un niveau de connaissances comparable celui quavaient atteint,
dans une classe homogne de niveau fort (groupe exprimental), ont t compa-
la fin du cursus, leurs camarades ayant parcouru celui-ci en un an de moins.
rs un groupe denfants haut potentiel scolariss dans des classes htrognes

228 Partie 2 - Approfondir Chapitre 9 229


Avant de comparer les effets des diffrents modes de scolarisation, il convient certaines autres activits, comme la ralisation dun projet personnel ou len-
de souligner les avantages mais aussi les limites de ces mta-analyses. Un avan- tranement la crativit aient aussi un effet positif sur lacquisition des
tage vident est de rduire les risques de biais de toutes sortes auxquels on sexpose connaissances qui sont au programme. Cette mta-analyse ne permet pas de
lorsque des conclusions sont tires dune seule tude. Un autre avantage appr- trancher entre ces deux hypothses.
ciable est lconomie qui permet de dgager une tendance gnrale sans se perdre Ces rserves tant faites, les rsultats rsums dans la figure 1 suggrent une
dans les fluctuations des rsultats de dizaines dtudes ayant port sur la mme interprtation assez simple des effets des diffrents modes de scolarisation exp-
question. Linconvnient, en contrepartie, est de perdre de vue certaines des spci- riments. Le mode de regroupement ne semble pas avoir deffet sensible en
ficits des tudes, qui pourraient permettre daller plus loin que le rsultat moyen. lui-mme (effet nul dans le cas du simple regroupement en classes de niveaux).
Dans le cas prsent, cette limite est particulirement gnante pour linter- Lorsquil existe des effets, ceux-ci semblent tenir aux modifications des
prtation du rsultat concernant les programmes denrichissement. La difficult, programmes ou du rythme denseignement de ces programmes et, de plus, ils
ici, vient de ce que les diffrents programmes denrichissement font des choix semblent proportionnels lampleur de ces modifications. Ces effets sont faibles
trs variables quant la nature des activits proposes. Certains proposent la lorsque le programme est inchang, mais son enseignement diffrenci en fonc-
ralisation dun travail personnel, mais dautres proposent des approfondisse- tion du niveau atteint dans telle ou telle discipline spcifique (regroupements
ments du programme scolaire, dautres des activits artistiques, etc. De telle intra-classe et inter-classes) ; ils sont intermdiaires lorsque le programme est
sorte quil est bien difficile dinterprter leffet de taille modre (.41 cart-type) compact et lorsque sont apports des enrichissements (on peut faire lhypo-
qui est trouv dans la mta-analyse portant sur les programmes denrichisse- thse que les effets sont dautant plus marqus que les enrichissements portent
ment. Si les activits denrichissement ne portaient que sur des activits sur des approfondissements du programme) ; ils sont importants lorsque le
extra-scolaires, ce rsultat serait remarquable car il signifierait que les enfants rythme dacquisition du programme est fortement acclr. Dans ce dernier cas,
dont on compacte une partie du programme ont malgr cela en plus du bn- lacclration du rythme dacquisition (qui ne va pas au-del du gain dune anne
fice de lenrichissement - un niveau de connaissances suprieur celui de leurs dans les expriences incluses dans la mta-analyse) na pas de rpercussions sur
pairs qui ont suivi le programme dans leur entier. Mais si les activits denri- le niveau des connaissances acquises lissue du cursus : celles-ci ne sont en
chissement ont port principalement sur des approfondissements du programme, moyenne ni meilleures ni moins bonnes que celles des EIP qui nont pas parti-
cet effet de taille modre est alors plutt modeste au regard de leffet des cip des programmes dacclration.
programmes dacclration. Les informations donnes dans la mta-analyse ne Ces rsultats ne sont en fait pas trs surprenants dans la mesure o les effets
sont pas assez prcises pour trancher sur ce point. valus dans ces mta-analyses sont ceux qui sont observs dans les performances
Un lment dapprciation est cependant donn par le rsultat dune tude des tests standardiss de connaissances : il est en somme assez logique que
qui a spcifiquement port sur leffet du compactage du programme sur les connais- limportance de ces effets soit fonction de limportance des modifications faites
sances scolaires (Reis et al., 1998). Deux groupes denfants haut potentiel ayant dans les programmes ou dans leur rythme dacquisition. Mais quels sont les
des rsultats comparables dans les tests standardiss de connaissance en dbut effets des diffrents modes de scolarisation sur les autres aspects du dveloppe-
danne scolaire ont t constitus, et lun dentre eux a bnfici dun compactage ment des enfants ?
de lordre de 50 % du programme scolaire, selon la procdure dj dcrite plus La question se pose notamment propos des programmes denrichissement
haut propos des programmes denrichissement. Les scores de ces deux groupes dont on peut se demander sils ont rellement un effet sur les qualits quils visent
dans des tests de standardiss de connaissances ont t de nouveau compars la entraner. Peu dtudes exploitables ont port sur ces acquisitions, plus diffi-
fin de lanne scolaire : ils ne prsentaient pas de diffrences significatives. ciles cerner que les connaissances scolaires. Un lment de rponse est apport
Le compactage ne porte donc pas prjudice lacquisition du programme, par une mta-analyse de programmes de type pull-out , cest--dire de
ce qui est dj remarquable, mais ce nest pas lui qui peut rendre compte de lef- programmes dans lesquels les EIP sont scolariss dans des classes htrognes
fet positif modr sur le rsultat aux tests de connaissance qui est observ dans mais extraits de leur classe certains moments de la semaine pour participer des
la mta-analyse des effets de lenrichissement. Il est possible que cet effet soit activits denrichissement. Les auteurs (Vaughn, Feldhusen, et Asher, 1991) nont
d linclusion dtudes dans lesquelles les activits denrichissement incluaient cependant trouv que neuf tudes conduites avec une rigueur mthodologique
un approfondissement du programme scolaire, mais il est aussi possible que suffisante, ce qui est peu pour une mta-analyse et, en outre, comme toutes nont

230 Partie 2 - Approfondir Chapitre 9 231


pas port sur les mmes variables (car toutes navaient pas donn le mme contenu prsentes et discutes ci-dessous, lune concernant les effets du saut de classe
aux activits denrichissement), les tailles moyennes des effets nont pu tre calcu- dans lenseignement primaire, lautre concernant les effets dun programme
ls, pour chacune des variables suivantes, que sur deux ou trois tudes : estime de dacclration du cursus dans lenseignement secondaire.
soi (.11), lecture et vocabulaire (.65), pense critique (.44), crativit (.32).
Une tude longitudinale de leffet du saut de classe dans les coles
lexception de leffet sur lestime de soi, qui est trs faible, on peut donc conclure
primaires du canton de Genve.
que dans ces quelques tudes, les activits denrichissement ont eu un effet modr
dans les domaines sur lesquels elles ont port. La faon dont lentre dans le cycle primaire tait rglemente dans le canton
Il existe peu de mta-analyses portant sur les effets des modalits de scola- de Genve dans les annes quatre-vingts a donn loccasion dun suivi longitu-
risation sur la personnalit. On en trouve cependant un exemple dans la dinal des effets du saut de classe. cette poque, lentre dans le cycle primaire
mta-analyse que Kulik et Kulik (1992) ont effectue sur les effets du regrou- ntait pas autorise avant lge lgal de 6 ans, si bien que la seule solution qui
pement en classes de niveaux. Dans 13 des 51 tudes incluses dans leur tude, restait aux familles souhaitant faire prendre une anne davance leur enfant
les enfants du groupe exprimental et du groupe contrle avaient pass un ques- tait de demander ce que celui-ci soit exempt de la premire primaire (lqui-
tionnaire permettant dvaluer lestime de soi. La taille moyenne de ces effets valent du cours prparatoire en France). Cette exemption tait subordonne
tait quasiment nulle (.03), mais elle variait en fonction des niveaux : elle tait un bilan obligatoire de ses aptitudes intellectuelles et de ses connaissances
respectivement de -.15, -.09 et .19 pour les niveaux fort, moyen et faible. Ces scolaires tabli par un psychologue. Sur la base de ce bilan, une commission
effets sont tous trois de taille faible, mais de sens diffrents selon les groupes de donnait ensuite un avis, favorable ou dfavorable (Rieben, 1980). Un avis favo-
niveaux : la fin de lexprience, lestime de soi est en moyenne un peu moins rable ntait donn que si lenfant faisait preuve la fois dun dveloppement
forte dans le groupe exprimental que dans le groupe contrle (sens ngatif de intellectuel prcoce et de connaissances en lecture, numration et criture compa-
leffet) dans les classes de niveau fort alors quelle est en moyenne un peu plus rables celles normalement acquises en premire primaire.
forte (sens positif de leffet) dans les classes de niveau faible. Les familles demandant lexemption ne reprsentaient que 1 % (environ 150
Si on dcide dinterprter un effet de taille aussi faible, il ne va pas dans le enfants par an) de la population concerne. Il sagissait en gnral de familles de
sens de lhypothse dun effet de stigmatisation mais plutt dans le sens de niveau socio-culturel lev, suffisamment informes de la rglementation de la
lhypothse dun effet de comparaison sociale. Lhypothse de stigmatisation scolarit dans le canton de Genve pour connatre cette possibilit dacclra-
laisse attendre que lappartenance une classe stigmatise comme tant de niveau tion du cursus et faire les dmarches correspondantes. En moyenne, 60 % des
faible entrane une perte destime de soi (et inversement pour lappartenance enfants dont les familles faisaient la demande passaient avec succs le bilan pra-
une classe de niveau fort). Lhypothse de comparaison sociale laisse au contraire lable et taient autoriss sauter la premire classe.
attendre que lappartenance une classe de niveau faible entrane un accroisse- Les enfants qui ont pass ce bilan entre 1979 et 1982 ont t suivis jusqu
ment de lestime de soi d ce que les lves ont, dans ce cas, plus de chances la fin du cycle primaire. Lanalyse des donnes recueillies cette occasion a
de se comparer plus faibles queux. Pour des raisons symtriques, cette hypo- permis de faire une valuation des effets du saut de classe sur la russite scolaire
thse laisse attendre une baisse de lestime de soi dans les classes de niveau fort. (Rieben, 1991). Le tableau 1 permet de comparer les pourcentages denfants
Le sens des effets observs dans ces treize tudes est compatible avec la seconde dont les performances scolaires ont t classes comme trs bonnes, bonnes,
de ces deux hypothses, mais non avec la premire. moyennes , ou faibles la fin du cycle lmentaire, dans deux groupes denfants
dont les familles avaient demand lexemption : dune part, le groupe des enfants
b. Les tudes longitudinales. qui celle-ci a t accorde - et qui ont donc saut la premire classe - dautre
part, le groupe de ceux qui elle na pas t accorde - et qui ont donc suivi le
Est-ce que les effets observs de faon ponctuelle ds la fin de lexprience
cycle lmentaire au rythme normal. Le rsultat donn dans le tableau 1 est
se maintiennent avec le temps, ou disparaissent, ou saccroissent ? Autrement dit,
celui de lvaluation qui a eu lieu quatre ans aprs lentre dans le cycle lmen-
quels sont les effets long terme des diffrents modes de scolarisation ? Peu de
taire pour les exempts et cinq ans aprs pour les non exempts.
donnes fiables sont disponibles pour clairer cette question. Les donnes de
deux tudes longitudinales apportant quelques lments de rponse sont

232 Partie 2 - Approfondir Chapitre 9 233


Pourcentages denfants dont les rsultats scolaires sont classs le commentaire du tableau 1, que le saut de classe na sans doute pas port de
comme trs bons, bons, moyens ou faibles par les enseignants prjudice important la scolarit des enfants qui ont eu lautorisation de le
en fin de cycle primaire dans chacun des deux groupes faire . Le fait que 88% de ces enfants aient eu de bons ou trs bons rsultats
(daprs Rieben, 1992). permet en effet dcarter lhypothse de prjudices importants, mais le plan
dexprience ne permet pas dcarter lhypothse que les rsultats de ces enfants
Rsultats scolaires en fin de cycle aient pu tre encore meilleurs (ou beaucoup moins bons) sils navaient pas saut
de classe.
Trs bons Bons Moyens Faibles
Groupe exempt (N = 70) 68% 20% 9% 3% Un exemple dtude longitudinale de leffet dun programme dacclra-
tion dans lenseignement secondaire.
Groupe non exempt (N = 25) 24% 26% 36% 24%
Il existe aux tats-Unis un programme dacclration de grande ampleur qui
tait initialement destin aux enfants identifis comme ayant un haut potentiel
Il sagit donc de deux groupes qui ne sont pas quivalents au dpart, les uns
en mathmatiques et qui a t tendu par la suite aux enfants prsentant un haut
ayant t jugs suffisamment prcoces pour sauter une classe, les autres non.
potentiel dans des domaines plus varis (littraire, artistique, informatique, etc.).
Deux conclusions peuvent nanmoins tre tires de lexamen de ce tableau. La
Seul le programme destin aux EIP en mathmatiques sera dcrit ici, car cest le
premire est que le bilan psychologique effectu lentre du cycle a une bonne
seul pour lequel existent, ce jour, des tudes longitudinales sur le long terme.
validit prdictive puisque les russites scolaires observes quatre ou cinq ans
aprs sont nettement diffrentes dans les deux groupes. La seconde est que le saut Ce programme a t initi en 1971 par Julian Stanley lUniversit John
de classe na sans doute pas port de prjudice important la scolarit des enfants Hopkins sous le nom de Study of mathematically precocious youth (SMPY).
qui ont eu lautorisation de le faire puisque la quasi-totalit dentre eux (88%) a Les tablissements scolaires, fort nombreux, qui adhrent ce programme, font
de bons ou trs bons rsultats scolaires en fin de cycle. passer chaque anne des tests standardiss de connaissances en mathmatiques
aux enfants qui frquentent le 7me degr (qui correspond au niveau de la 5me
Il faut cependant mettre en garde contre la tentation de tirer de cette tude
en France et un ge moyen de 12-13 ans). Les lves dont les scores se situent
des conclusions quelle nautorise pas. Lune serait de croire quun haut poten-
dans les 3 % suprieurs de la distribution se voient ensuite proposer de passer la
tiel intellectuel permet de sauter une classe sans problme. Il faut garder lesprit
partie mathmatique et la partie verbale du scholastic achievement test (SAT),
que, dans cet exemple, les enfants nont t autoriss sauter une classe que lors-
le test de connaissances qui est utilis aux Etats-Unis pour la slection len-
quils avaient la fois un dveloppement intellectuel prcoce et les connaissances
tre des universits. Cette preuve permet dvaluer des connaissances dont le
scolaires pr-requises pour passer directement au niveau suivant. Il nest pas non
niveau se situe largement au-del de celui couvert par les tests de connaissances
plus possible de conclure de cette tude que les enfants ayant saut une classe
portant sur le programme du 7me grade et donc daffiner la slection.
ont eu une scolarit meilleure (ou aussi bonne, ou moins bonne) quelle net
t sils avaient suivi le cursus normal (et rciproquement pour le groupe nayant Les lves finalement retenus sont ceux qui ont les scores les plus levs dans
pas saut de classe). Pour pouvoir tirer ce type de conclusion, il aurait fallu que cette dernire preuve. Ils se voient proposer un certain nombre de formules
le plan dexprience croise le groupe avec le mode de scolarisation. leur permettant dacclrer leur scolarit (cours par correspondance, cours sur
Internet, coles dt). Dans les coles dt, il est possible de sinscrire un
Plus prcisment, il aurait fallu que les enfants du groupe ayant reu un avis
cours intensif de mathmatiques qui parcourt en trois semaines le programme
favorable lexemption soient affects de faon alatoire dans deux sous-groupes,
de lanne scolaire suivante (toutes disciplines confondues, ces coles dt
lun sautant la premire classe et lautre suivant le cursus normal ; de mme pour
accueillent environ 10 000 participants chaque anne). Lobjectif de ces diff-
les enfants du groupe ayant reu un avis dfavorable. Ce type de plan expri-
rentes formules est daider les lves acclrer leur scolarit. Selon les possibilits
mental nest videmment pas envisageable pour des raisons thiques mais, du fait
offertes par leur tablissement, ils peuvent sauter une classe, ou suivre par
que les enfants prcoces qui ont saut une classe ne peuvent tre compars des
exemple en deux ans un programme qui stend normalement sur trois annes,
enfants tout aussi prcoces qui auraient suivi le cursus normal, il nest pas possible
ou encore entrer plus tt luniversit.
de conclure sur ce point. Cest la raison pour laquelle il tait dit plus haut, dans

234 Partie 2 - Approfondir Chapitre 9 235


Depuis sa cration, ce programme a permis didentifier de nombreux enfants Cette unique diffrence est en un sens triviale il est normal que ceux qui
ayant un haut potentiel en mathmatiques et un chantillon plus limit dentre ont acclr leur cursus dun an aient atteint un niveau dtudes dun an plus
eux, environ 5000 actuellement, fait lobjet dun suivi longitudinal planifi pour avanc que ceux qui ne lont pas acclr mais elle ne lest pas autant quelle
une dure de 50 ans. Un questionnaire de suivi est envoy tous les dix ans aux en a lair. Elle signifie aussi que ceux qui ont acclr le parcours de leur cursus
participants inclus dans cet chantillon. Une description plus complte de cette dans lenseignement secondaire nont pas perdu cette avance dans lenseigne-
recherche longitudinale et de ses objectifs peut tre trouve ailleurs (Benbow ment suprieur. Toutefois les rsultats de ce suivi longitudinal ont globalement
et Lubinski , 1997) et les rsultats de certaines des tudes qui en ont t tires, la mme allure que ceux observs plus haut propos de la mta-analyse des
notamment sur les diffrences entre les garons et les filles ayant t identifis tudes ponctuelles sur les effets de lacclration. Ceux qui ont pris de lavance
comme ayant un haut potentiel en mathmatiques, ont t prsents prc- lont conserve et il ne semble pas quelle ait port prjudice (ou apport un
demment (voir les chapitres 2 et 4 de ce volume). gain) la qualit de leurs tudes. Mais dun autre ct, ceux qui nont pas pris
La question laquelle on se limitera ici est celle de leffet long terme du davance parviennent un peu plus tard au mme niveau dtudes, sans que ce
programme dacclration. Elle suppose la comparaison, parmi les participants rythme plus lent semble avoir non plus port prjudice (ou apport un gain)
identifis comme ayant un haut potentiel en mathmatiques, entre ceux qui ont la qualit de leurs tudes.
suivi le programme dacclration et ceux qui ne lont pas suivi. A notre connais- Il semble que lon soit ici en meilleure posture que dans ltude longitudi-
sance, une seule tude longitudinale a port jusquici sur ce point dans le cadre nale de Genve pour conclure sur les effets de lacclration puisque, cette fois-ci,
de ce programme. Il sagit des rsultats dun suivi dix ans publi par Swiatek les participants haut potentiel qui ont suivi un programme dacclration sont
et Benbow (1991). Au moment de ce suivi, les participants avaient entre 23 et compars des participants qui leur sont apparis du point de vue du potentiel,
25 ans. Un questionnaire a t envoy 1455 dentre eux et le taux de rponse mais qui nont pas suivi de programme dacclration. En fait, la posture nest
a t de 75 %. A partir des rponses reues, les auteurs ont form deux groupes gure meilleure, parce que laffectation des participants chacun des deux
apparis de 107 participants chacun (69 hommes et 38 femmes), lun constitu groupes (avec ou sans acclration) ne sest pas faite au hasard (et l encore ceci
de sujets ayant bnfici dune forme ou une autre dacclration (la plus grande ne peut tre fait pour des raisons thiques). Ceux qui ont suivi le programme
partie dentre eux avait acclr le parcours du cursus secondaire de un an et une dacclration ont pu le faire et ont eu envie de le faire (ou au moins leur famille
minorit lavait acclr de deux ans ou plus), lautre constitu de sujets ayant eux en a eu envie pour eux). Ceux qui ne lont pas suivi ne lont pas pu ou nen ont
aussi t identifis comme ayant un haut potentiel en mathmatiques, mais pas eu envie. Rien ne permet donc de dire que ceux qui ont acclr leur cursus
nayant pas suivi le programme dacclration. Les deux groupes taient appa- auraient eu daussi bons rsultats si on les en avait empchs ; rciproquement,
ris notamment sur leur score au SAT dix ans plus tt. rien ne permet non plus de dire que ceux qui nont pas acclr leur cursus
Le questionnaire incluait de nombreuses variables du domaine acadmique auraient eu daussi bons rsultats sils avaient t contraints de le faire.
(niveau dtudes atteint, notes moyennes obtenues, distinctions, publications, Quoi quil en soit, labsence de diffrence significative entre les deux groupes
projets) et du domaine psychosocial (estime de soi, internalit du contrle, semble contredire lide souvent avance que les EIP qui suivent le cursus scolaire
attitudes vis a vis de luniversit, vis a vis des mathmatiques et des sciences, au rythme normal sennuient tellement en classe quils finissent par se retrou-
activits extra-scolaires). Lanalyse des rponses ce questionnaire a montr ver en situation dchec. Il faut sur ce point aussi tre prudent dans les
que dans lensemble, les participants des deux groupes avaient frquent des conclusions car, dans ce programme, le potentiel intellectuel a t identifi avec
universits prestigieuses, o ils avaient fait dexcellentes tudes universitaires des tests de connaissances scolaires. Tous les participants slectionns se situaient
(moyenne des valuations entre A- et B+), avaient en majorit pris leur domi- au moins dans les 3% suprieurs de la distribution des scores dans des tests de
nante en mathmatiques et en sciences (59 % dans le groupe avec acclration connaissances en mathmatiques au dbut de lenseignement secondaire. Ils
et 61 % dans le groupe sans acclration), avaient commenc la prparation dun taient donc dj dexcellents lves dans lune au moins des disciplines scolaires.
doctorat (75 % dans le groupe avec acclration et 63 % dans lautre groupe). Ils ne sont donc pas reprsentatifs de lensemble des EIP.
Mais la seule variable sur laquelle existait une diffrence significative tait que Il nempche quil serait intressant de savoir si, pour les sujets qui ont parti-
les participants du groupe avec acclration avaient atteint un niveau dtudes cip ce programme, lacclration dune ou deux annes de leur cursus scolaire
plus lev (dun an en moyenne ) au moment de lenqute4.

236 Partie 2 - Approfondir Chapitre 9 237


leur a apport dautres avantages que celui de terminer leurs tudes une ou deux cest--dire lorsque les enfants prsentent la fois une forte avance du dvelop-
annes plus tt. Seul un suivi vingt ans ou trente ans - une fois les partici- pement intellectuel et les connaissances scolaires pr-requises (ce qui tait le cas
pants entrs dans la vie active - pourrait donner des lments de rponse cette dans les diffrentes tudes passes en revue), le cursus peut tre acclr dun an
question en comparant la russite professionnelle et la qualit de la vie dans les ou deux sans inconvnient apparent sur le niveau des connaissances acquises.
deux groupes. A notre connaissance, cette tude na pas encore t faite. Le suivi Un rsultat plus surprenant est que les enfants comparables qui suivent le cursus
longitudinal de ce programme a pourtant continu depuis 1991, date de publi- normal atteignent le mme niveau de russite scolaire au terme du cursus.
cation du suivi dix ans, et des rsultats sur le suivi vingt ans ont dj t Il est plus difficile dvaluer les effets sur dautres variables que les perfor-
publis, notamment sur les diffrences de trajectoire lies au genre (Benbow et mances scolaires. Les effets sur la personnalit et lestime de soi ont t moins
al., 2000). Affaire suivre donc souvent pris en compte dans les mta-analyses passes en revue, mais lorsquils
Un exemple dtude rtrospective des jugements ports par ceux qui ont lont t, ils se sont avrs faibles ou inexistants. On manque aussi dinforma-
particip des programmes spciaux de scolarisation pour EIP. tions sur les effets long terme. Dans ltat actuel des choses, le suivi nest jamais
Une tude rcente (Hertzog, 2003) a port sur les jugements que all au-del des tudes universitaires o les conclusions ci-dessus restent valables.
50 tudiants, ayant particip des programmes denseignement spcial pour Pour linstant, aucune tude ne permet de savoir si les diffrents modes de scola-
enfants prcoces lorsquils taient dans lenseignement primaire ou secondaire, risation expriments ont des effets diffrents sur la russite professionnelle et
portent rtrospectivement sur ces programmes. Il sagit dune tude qualitative la qualit de vie aprs lentre dans la vie active.
des rponses donnes au cours dun entretien. Trois points principaux ressortent Il faut rappeler que les tudes sur lesquelles reposent ces conclusions ont t
de cette tude. Le premier est que la majorit des tudiants interrogs ont mal pour la plupart conduites en Amrique du Nord. Diverses expriences pda-
vcu le fait davoir t spars des autres lves (il sagissait de programmes dans gogiques ont t menes en France mais aucune na donn lieu une valuation
lesquels ils taient regroups dans des classes spciales ou des tablissements scientifique, le rapport command par le ministre sur le bilan des expriences
spciaux). Ils ont dit stre sentis de ce fait stigmatiss et auraient aim, du point pdagogiques lintention des EIP (Dugruelle et Le Guillou, 2003) est, comme
de vue de leur formation sociale et de leurs relations amicales, tre en contact nous lavons crit supra, uniquement descriptif et ne sappuie pas sur des
avec un milieu de plus grande diversit culturelle. Le second point est que la mthodes scientifiques permettant dvaluer objectivement les effets de ces
plus grande diffrence entre ces classes spciales et les classes normales leur a dispositifs. Dans le systme ducatif franais, le cadre rglementaire gnral
paru tenir au fait que les enseignants taient meilleurs et plus enthousiastes. Le du systme ducatif offre des possibilits dassouplissement (parcours plus
troisime est que le bnfice principal quils pensent avoir tir du programme rapide des cycles de lcole lmentaire, activits denrichissement). Ces possi-
est davoir t mieux prpars lentre luniversit et apprendre leur vie bilits ne sont utilises quavec parcimonie, mais utilises avec discernement
durant. Dans lensemble, ils ont estim que ce bnfice lemportait sur lincon- elles pourraient permettre de fournir une solution adapte aux cas les plus
vnient signal plus haut. courants de prcocit intellectuelle. La rfrence explicite aux EIP dans la Loi
dOrientation et de Programme sur lavenir de lcole de 2005 devrait rendre
plus facile la mise en uvre de ces dispositions. Il parat de toute faon prf-
Conclusion rable de traiter le problme en adaptant le systme ducatif gnral aux
diffrences de rythme dacquisition plutt quen crant des classes spciales,
Daprs les mta-analyses disponibles sur la question, les effets du mode de cest du moins ce que suggrent les jugements rtrospectifs des participants de
scolarisation des EIP sur le niveau des acquisitions (valu en gnral par des ltude de Hertzog (2003).
tests de connaissances) dpendent moins du mode de regroupement des lves
que des modifications opres dans le rythme dacquisition du programme. Ces Du point de vue des applications pratiques, les mesures les plus urgentes
effets sont nuls lorsque le programme nest pas modifi, faibles modrs lorsque consistent sans doute introduire dans la formation des professionnels concer-
celui-ci nest que lgrement amnag et importants lorsque le rythme ns (enseignants, psychologues scolaires, conseillers-psychologues) une formation
dacquisition en est fortement acclr (cf. figure 1). Ce rsultat nest pas surpre- - actuellement absente - la prise en compte des problmes particuliers que
nant mais il indique tout de mme que lorsque les conditions sont runies, posent les EIP.

238 Partie 2 - Approfondir Chapitre 9 239


Du point de vue de la recherche, la mise au point doutils scientifiquement BENBOW, C.P., LUBINSKI, D, (1997). Intellectually talented children : How can
valides et appropris lidentification des EIP devrait tre entreprise rapide- we best meet their needs. In COLANGELO N., DAVIS, P. (Eds.), Handbook
ment afin de pallier un manque dans ce domaine. Les instruments actuellement of Gifted Education (2nd Edition). Allyn et Bacon , Boston, pp. 155-169.
utiliss, essentiellement les chelles de QI, ne portent que sur lintelligence BENBOW, C.P., LUBINSKI, D., SHEA, D.L., et EFTEKHARI-SANJANI, H. (2000).
acadmique. Cest bien entendu un aspect important de lintelligence dans une Sex differences in mathematicl reasoning ability. Their status 20 years later.
socit qui donne un tel poids la russite scolaire, mais le dveloppement intel- Psychological Science, 11, 474-480.
lectuel est multidimensionnel et davantage defforts devaient tre consacrs BINET, A. (1911). Ides modernes sur les enfants. Paris, Flammarion.
identifier et prendre en charge les autres formes de prcocit. Une autre mesure BOUTHORS, M. (2000). Le traitement des surdous dans les systmes ducatifs.
urgente serait dentreprendre des tudes longitudinales au long cours sur les Rapport rdig la demande du Ministre de lEducation Nationale. Paris,
effets des diffrents modes de scolarisation sur les diffrentes formes de prco- INRP.
cit intellectuelle et de talent. En labsence dinformations sur les effets qui CLARK, C., et SHORE, B. (1998). Educating students with high ability. Paris,
pourraient tre observs au-del de la sortie du systme scolaire et universitaire, UNESCO.
le choix de tel ou tel mode de scolarisation risque de rester longtemps affaire de DELAUBIER, J.-P. (2002). La scolarisation des lves intellectuellement prcoces .
conviction personnelle. Rapport Monsieur le Ministre de lEducation Nationale. Paris, Ministre
de lEducation Nationale. [tlchargeable surhttp://www.education.gouv.fr].
Notes DUGRUELLE, C., LE GUILLOU, P. (2003). Bilan des expriences pdagogiques
dans le Second degr sur la scolarisation des leves intellectuellement
1. Cest nous qui soulignons. prcoces. Rapport monsieur le ministre de la jeunesse, de lducation
2. Lavance de plus dune anne est thoriquement impossible, quelques centaines denfants nationale et de la recherche. Ministre dlgu l'enseignement scolaire.
(400 en 1999) parviennent cependant en sixime avec deux annes voire pour quelques Rapport n 2003-018. Paris, Ministre de lducation Nationale.
uns (30 en 1999) avec trois annes davance.
GLASS, G.V., MCGAW, B., et SMITH, M.L., (1981). Meta-analysis in social
3. Ainsi, le rapport demand lINETOP (Vrignaud et Bonora, 2000) a t la raction de research. Sage, Beverly Hills, CA.
Jack Lang, alors Ministre de lducation, une demande des associations de parents
HERTZOG, N.B. (2003). Impact of gifted programs from the students perspec-
sur ce quil envisageait de faire lintention des EIP. Il faut galement rappeler que les
associations sont, en grande partie, lorigine de ladoption de la recommandation 1248 tive. Gifted Child Quarterly, 47, 131-143.
(1994) par lAssemble Parlementaire du Conseil de lEurope relative lducation des KULIK, J.A., KULIK, C.-L. C., (1992). Meta-analytic findings on grouping
enfants surdous, recommandation qui incite les tats membres prendre en consi- programs. Gifted Child Quarterly, 36 (2), 73-77.
dration les besoins spcifiques de ces enfants au nom dune ducation quitable. KULIK, J.A., et KULIK, C.-L. C., (1997). Ability grouping. In COLANGELO, N.,
4. Aucune diffrence significative ntait non plus trouve entre ceux qui avaient acclr DAVIS, G.A. (Eds.), Handbook of Gifted Education (2nd Edition). Allyn et
leur cursus dune anne (n = 84) et ceux qui lavaient acclr de deux annes ou plus Bacon, Boston, pp. 230-242.
(n = 23), lexception dun score dinternalit du contrle plus important chez les
LUBINSKI, D., et BENBOW, C.P., (1994). The study of mathematically preco-
premiers. Concernant le terme internalit du contrle , le lieu du contrle peru
cious youth (SMPY ): The first three decades of a planned 50-year study
interne ou externe - est une variable de personnalit qui tient aux croyances des indi-
of intellectual talent. In Subotnik, R., Arnold, K. (Eds.), Beyond Terman :
vidus quant au lien entre un renforcement donn (par ex. russite ou chec) et ses causes
Longitudinal studies in contemporary gifted education. Ablex, Norwood, NJ,
possibles. Les sujets de style cognitif interne tendent attribuer les renforcements
(par ex. leurs russites ou checs) des causes internes, tandis que les sujets de style (pp. 225-281).
cognitif externe tendent les attribuer des causes qui leur sont extrieures. Ministre de lEducation Nationale. (2000). Repres et rfrences statistiques sur les
enseignements, la formation et la recherche, dition 2000. Paris, Auteur.
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240 Partie 2 - Approfondir Chapitre 9 241


Recommandation 1248 (1994) relative lducation des enfants surdous de Pour aller plus loin
lAssemble Parlementaire du Conseil de lEurope, adopte le 7 octobre 1994,
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242 Partie 2 - Approfondir Chapitre 9 243


tre exprims nest formule, ni lampleur de la divergence qu'il est nces-
Chapitre 10 saire d'observer afin de pouvoir parler de sous-ralisation.
La seconde catgorie regroupe les approches qui prennent en compte un
critre d'intelligence et/ou un indice spcifique de la performance comme
indicateurs de la sous-ralisation. Cest par exemple le cas d'un enfant ayant
Sous-ralisation un QI gal 130 et dont la moyenne scolaire est infrieure ou gale 10
(sur une chelle de 0 20). Dans cette approche, il nexiste pas de consen-

chez les enfants haut sus sur les critres quil convient dutiliser mme sil en existe de trs prcis.
Par consquent, chaque auteur choisit les indicateurs qui lui conviennent
et les variations peuvent tre trs importantes.

potentiel : approches, La troisime catgorie est celle dans laquelle la ralisation est prdite
partir dune mesure de potentiel. Par exemple, les rsultats que lenfant

conseils et solutions devrait obtenir l'cole sont estims sur la base de son QI. Dans ce cas, la
diffrence entre cette estimation et le score ralis est une mesure de la
sous-ralisation. Thorndike (1963, cit par Tannenbaum, 1991) relve que
la distance entre la prvision et la performance relle est reprsentative du
Un enfant haut potentiel ne mettra pas obligatoirement en uvre ses capa- phnomne tudi mais quil faut prendre en compte les facteurs externes
cits. Dans ce chapitre, nous nous intressons aux enfants haut potentiel en ainsi que les erreurs de mesure qui influencent galement l'indice de sous-
situation dite de sous-ralisation . Leurs performances ne sont pas la hauteur ralisation. Daprs cet auteur, en intgrant ces facteurs dans une quation
de ce quon pourrait attendre compte tenu de leurs capacits. Pour de nombreux de rgression, il est possible dobtenir une mesure fiable de la sous-rali-
auteurs, ces enfants doivent faire lobjet dune attention particulire. Mme si sation. Toutefois, cette procdure est trs peu utilise par les chercheurs
aucune tude psychologique sans biais de slection na t ralise ce jour, les (Peters et al., 2000).
recherches scientifiques ainsi que les pratiques cliniques et ducatives apportent
Dans la quatrime et dernire catgorie, la sous-ralisation est simple-
un certain nombre de connaissances sur les causes, les consquences et les rem- ment tudie comme un frein au dveloppement de l'individu. Ici, la
diations possibles de ce phnomne (Peters, Grager-Loidl et Supplee, 2000). faiblesse des rsultats n'est pas le critre important ; l'attention se porte
Dans un premier temps, nous dfinirons la sous-ralisation. Puis, nous nous sur les effets nuisibles de la sous-ralisation qui empchent lexpression du
intresserons aux origines diverses de ce phnomne avant denvisager les haut potentiel.
rponses apporter. Span (1988) souligne que la sous-ralisation ne signifie pas ncessairement
que les rsultats obtenus l'cole soient infrieurs au niveau moyen de la classe
1. Qu'est-ce que la sous-ralisation ? d'ge laquelle les enfants haut potentiel appartiennent. Mme si les rsultats
scolaires correspondent au niveau moyen de la classe, ou se trouvent au-dessus,
La description la plus lmentaire de la sous-ralisation correspond un il est encore possible de se trouver face un problme de sous-ralisation lorsque
dcalage entre le potentiel et son expression (Peters et al., 2000). Toutefois, dans le niveau de russite reste assez loign de ce que lindice de potentiel prdit
la littrature, il nexiste pas de consensus sur cette oprationalisation. (Pluymakers et Span, 1999).
Reis et McCoach (2000) ont essay de regrouper les diverses approches en VanTassel-Baska (1992) indique que la sous-ralisation correspond un
quatre catgories. schma comportemental qui, avec le temps, se fixe chez lindividu et sintgre
La premire catgorie correspond aux approches qui voquent simplement progressivement la structure de sa personnalit, au point quil devient difficile
une divergence entre le potentiel et les performances. Aucune exigence de le changer.
concernant la mesure par laquelle le potentiel et les performances doivent

244 Partie 2 - Approfondir Chapitre 10 245


partir de son exprience clinique auprs denfants et dadultes haut
potentiel , Richert (1991) met en vidence trois profils de personnalit pouvant Exemple dun parcours dun enfant haut potentiel en sous-ralisation
contribuer au phnomne de sous-ralisation : Sally Reis (2000) donne lexemple dun garon Mark qui a connu une priode de
lindividu conformiste qui accepte les espoirs que les enseignants mettent sous ralisation au moment de ladolescence. Mark tait un enfant avec un potentiel
en lui un tel type dlve montrera ses capacits, mais seulement si exceptionnellement lev, mais dont les rsultats taient trs htrognes tant en
lenvironnement scolaire le lui permet et le lui demande ; il manifeste gn- primaire, quau collge ou au lyce. Mark prenait des cours de mathmatiques avan-
ralement peu de crativit et de motivation ; ces et a obtenu un score presque optimal au SAT-Mathmatiques durant sa premire
anne de collge. Malgr cela, il tait tiquet en chec en raison de son irrgula-
lindividu repli sur lui-mme essayant dviter autant quil le peut les situa- rit lcole. Lanalyse de cette situation ntait pas trs complique. Si Mark aimait son
tions dans lesquelles sa performance peut tre observe ou value ; il ne professeur, il avait de bon rsultats, quel que soit le contenu du cours. Si Mark aimait
manifestera pas son potentiel, quel que soit le domaine (scolaire, sportif, le contenu du cours mais pas le professeur, il faisait en sorte de passer avec des rsul-
cratif, ), encore moins lorsque lenseignant le sollicite ; tats moyens. Mais si Mark naimait ni son professeur ni le cours quil faisait, ou que le
contenu du cours tait bien en-dessous de son niveau, soit il chouait, soit il sen sortait
le rebelle qui proteste activement contre toute exigence son gard ; son
potentiel est utilis des fins ngatives. tout juste avec la moyenne. Il a toujours russi ses examens, mme lorsquil ne faisait
aucun des exercices demands en classe. Il perdait simplement des points pour tous les
Ces profils sont caractriss par diffrentes composantes : les capacits et travaux scolaires ou devoirs quil ne faisait pas.
habilets dans la ralisation, les valeurs auxquelles adhrent les individus, la cra-
tivit, lestime de soi, les relations sociales et limpact motionnel des expriences Nous pourrions penser en voyant ce tableau que Mark tait paresseux . Mais il
vcues. tait capable de passer des heures entires lire des livres sur lintelligence artifi-
cielle ou programmer des logiciels et construire des ordinateurs. Pendant son
Comme la sous-ralisation peut se manifester de diffrentes faons, Schultz
anne de terminale, Mark a reu des lettres de recrutement des meilleures univer-
(2002a, 2002b) propose dadopter une perspective multivarie pour dcrire ce sits du pays en raison de ses scores au SAT mais malheureusement de mauvais
phnomne, au lieu dutiliser uniquement une approche quantitative dans rsultats en histoire et en anglais lont empech dobtenir son diplme de fin
laquelle la diffrence entre le potentiel et la performance est lie aux caractris- dtude. Dans ces matires, il naimait pas ses professeurs et le travail lui semblait
tiques du comportement. Lapproche alternative quil propose consiste tenir trop facile dans les groupes de niveau faible o on laffectait en raison de son
compte de la fonction que le comportement de sous-ralisation joue pour manque deffort dans ces matires au cours des annes prcdentes. Mark a
lindividu dans son environnement personnel. La sous-ralisation peut corres- essay de demander son professeur danglais des devoirs plus intressants et plus
pondre un dcouragement lorsquelle survient un moment o l'individu a difficiles mais cela na pas fonctionn. Ne pas tre admis au diplme de fin dtude
perdu toute confiance en lui-mme (Kaufmann, 1999). Dans ce contexte, la tait pour Mark un moindre mal. De son point de vue, le pire tait de faire sem-
sous-ralisation devient une voie par laquelle lindividu sadapte certaines situa- blant dtre intress par un cours ennuyeux, qui ne linspirait pas, avec un ensei-
gnant dont il pensait quil ne se sintressait pas lui. Mark, au cours de sa
tions. Dans ce cas, l'individu et lenvironnement ncessitent dtre pris en
scolarit, na pas russi se fondre dans le modle du bon lve.
considration.
Le phnomne de sous-ralisation peut prendre deux formes : transitoire Mark a fini par travailler comme ingnieur la cration de logiciels de pointe. Il lui
ou chronique. Dans la forme transitoire, la chute des performances des enfants a fallu quelques annes au cours desquelles il est pass dun travail lautre avant
est conscutive des difficults particulires rencontres la maison ou l'cole. de sengager dans un cursus universitaire o il a valid une Licence et un Master din-
Les interventions visant aider lenfant faire face ces difficults conduisent gnierie informatique. Le phnomne de sous-ralisation a disparu lorsque Mark a
dcid quil tait temps de russir acadmiquement et quil a trouv le cursus qui lui
gnralement une amlioration des performances. Dans la forme chronique,
convenait. Il na pas obtenu des notes leves dans toutes les disciplines, mais il a
les difficults des enfants rsistent la remdiation. Il peut sagir dune diffi-
fourni les efforts ncessaires la validation des cours ne portant pas sur ses
cult ancienne qui na pas t rsolue auparavant. domaines de prdilection de faon pourvoir poursuivre ses tudes.

Extrait de REIS, S. M. (2000) Underachievement of gifted students :


Many frustrations and few solutions. Promise, 8(3), 4-16.

246 Partie 2 - Approfondir Chapitre 10 247


Malgr le manque de dfinition consensuelle, dans ce chapitre nous parlons b. La famille
de comportement de sous-ralisation lorsque la performance relle dun lve
La situation familiale influence de manire prpondrante le phnomne de
diffre de manire notable de ce que son potentiel permettrait denvisager. Ce
sous-ralisation. Le comportement de sous-ralisation est souvent concomit-
phnomne affecte non seulement le degr de russite mais aussi le dveloppe-
tent avec lincapacit de la famille encourager de manire adquate leur enfant
ment de la personnalit de lindividu.
dans la ralisation de son potentiel. La structure de lenvironnement familial
parait dsorganise notamment dans le suivi du comportement scolaire.
2. Les causes possibles de La prsence dune perturbation ou dun conflit dans les familles denfants en
la sous-ralisation situation de sous-ralisation est frquemment observe (Hebert, 2001 ; Peterson,
2001a, 2002). Ainsi des changements radicaux comme un dmnagement ou
Les origines de la sous-ralisation sont multiples. On envisagera successi- un divorce, sont rapports (Roux-Dufort, 1982). Limplication parentale peut
vement les facteurs lis la personnalit de lenfant, la famille, l'cole et galement jouer un rle important. Comme cela a dj t mentionn
linfluence des pairs (Baker, Bridger, et Evans, 1998; Peters et al., 2000). Chaque (cf. chapitre 8), certains parents peuvent exercer des pressions sur leurs enfants
facteur peut lui seul expliquer ltiologie de lchec scolaire, indpendamment afin quils obtiennent de meilleurs rsultats (pour satisfaire limage quils se font
des autres facteurs. Mais la combinaison de ces diffrents facteurs est un prdic- de leur enfant). Ces pressions peuvent exercer un rle ngatif du fait de la sensi-
teur encore plus puissant. bilit aux plans affectifs et motionnels et du perfectionnisme des enfants haut
potentiel. La recherche de la perfection peut engendrer un retrait de lenfant
a. La personnalit de lenfant qui nosera pas sexprimer de peur de ne pas donner la rponse attendue. Par
La sous-ralisation est un phnomne souvent associ certaines caract- exemple, un enfant qui pense avoir la rponse mais qui a peur de se tromper,
ristiques de personnalit et de motivation. La littrature scientifique concernant prfrera se taire plutt que de risquer de dplaire ses parents. Ce comporte-
la sous-ralisation tend montrer que ces enfants se caractrisent, entre autre, ment dinhibition peut progressivement amener un comportement de
par une faible estime de soi (Peters et al., 2000). Cette faible estime de soi pour- sous-ralisation. A linverse, des parents trs peu impliqus dans lducation de
rait tre lie leurs performances infrieures ce quelles pourraient tre. Des leurs enfants pourront galement crer une situation dfavorable (Peterson,
tudes montrent que si lon propose aux lves un entranement visant amlio- 2001b). En effet, limplication des parents, surtout dans les activits extra
rer leurs performances dans diffrents domaines (acadmique ou non), alors le scolaires, fournit de nombreuses occasions de faire merger certaines capacits
score gnral dimage de soi augmente (Hay, Byrne, & Butler, 2000). Il savre essentielles la russite, peut-tre autant que lcole (Feldman et Piirto, 2002).
que lestime de soi est influence de manire positive par lapprentissage et le Les lments rapports conduisent relever limportance de la prise en
dveloppement de connaissances. compte des informations concernant la situation familiale des enfants en situa-
La motivation joue galement un rle important dans le phnomne de tion de sous-ralisation. Ainsi, l'cole et plus particulirement les enseignants
sous-ralisation. Il semblerait que la motivation des lves qui russissent se seront en mesure daider ou du moins de mieux comprendre pourquoi un lve
retrouve peut tre plus dans la matrise dune capacit, dune comptence ou se trouve en sous-ralisation. Il sagit dinformations essentielles dans un objec-
encore dans lacquisition de connaissances dans certaines matires, tandis que tif de planification dinterventions.
celle des lves en situation dchec scolaire est plutt oriente vers les aspects
sociaux (reconnaissance par les pairs, par lenvironnement ducatif ou par len- c. Lcole
vironnement familial, recherche de liens avec les personnes de lentourage) De nombreuses diffrences individuelles peuvent tre observes lcole aux
(Albaili, 2003). La motivation de ces derniers a donc une orientation diffrente plans quantitatif et qualitatif (Lubart, 2004). Au plan quantitatif, on note, entre
de celle que lon observe habituellement. Par ailleurs, en comparant la person- autres, de grandes diffrences quant la rapidit avec laquelle les enfants vont
nalit des enfants haut potentiel qui ralisent leur potentiel ceux qui sont en assimiler de nouvelles connaissances. En effet, pour certains lves, comme les
sous-ralisation, Gonzalez et Hayes (1988) ont montr que les sous-ralisateurs enfants haut potentiel, une leon va tre intgre en une journe alors que pour
sont plus agressifs, plus hostiles et moins persvrants. dautres, il faudra beaucoup plus de temps. Ainsi, dans une mme classe,

248 Partie 2 - Approfondir Chapitre 10 249


les enseignants se trouvent confronts des lves qui excutent les tches plus expriences plutt que la familiarit et la dcontextualisation des enseignements.
ou moins rapidement, ce qui nest pas sans leur poser problme. Les diffrences Enfin, la comprhension de la part de lenvironnement correspond au besoin de
qualitatives concernent des aspects trs diffrents : les modes de traitement privi- reconnaissance de lexistence des enfants haut potentiel de la part du systme
lgis de linformation, les voies daccs la connaissance, les reprsentations, scolaire. Si lenseignant ignore les besoins de tels enfants, un sentiment
les gots ou encore les intrts. dexclusion par rapport lcole est susceptible de sinstaller.
De nombreux chercheurs font lhypothse que les tudiants brillants Lattente des enseignants
perdent leur intrt et leur motivation cause de lenvironnement scolaire lui-
mme. Pour mieux comprendre ce point de vue, nous nous intresserons Les enseignants ont des attentes spcifiques des lves : ils se forment une
essentiellement aux attentes des enfants haut potentiel et celles des adultes reprsentation de chacun deux en fonction des capacits quils manifestent, de
de leur entourage. leurs comportements, parfois mme en fonction de leur connaissance de lhistoire
familiale (par exemple, la scolarit du grand frre ou de la grande sur). Cette
Lattente des enfants haut potentiel face lcole attente est transmise aux lves de manire inconsciente. Cest ce que Rosenthal
Les enfants haut potentiel attendent beaucoup de lcole : ils viennent y cher- et Jacobson (1971) ont appel leffet Pygmalion . Cet effet correspond la
cher les connaissances quils nont pas encore. Si, ds les premiers jours, ils se rendent tendance des lves se conformer aux attentes de lenseignant. Or, Terrassier
compte que lenseignement fourni ne va pas combler leur apptit de connaissances, (2002) indique quil est difficile pour les enseignants didentifier les enfants haut
une dception peut sinstaller. Ceci est corrobor par une tude qui montre que potentiel : soit ils ne les identifient pas, soit ils en indiquent qui ne le sont pas.
labsence de dfi surmonter engendre lennui, dans le cadre scolaire (Kanevsky et Ainsi, leur attente nest pas toujours adquate aux capacits des lves.
Keighley, 2003 ; voir galement le chapitre 8 du prsent ouvrage), ce qui suggre Lattente des enseignants peut contrecarrer les potentialits des lves haut
que la sous performance proviendrait dun dficit doccasion de ralisation des potentiel, dautant plus que lcole ne cherche pas forcment dvelopper des
potentialits disponibles. Ainsi certains enfants qui pourraient spanouir dans un gnies mais plutt permettre la majorit des enfants dobtenir un niveau
programme scolaire enrichi et adapt leur haut potentiel, dcrocheraient parce moyen. Certains considrent que cela va lencontre de la pleine expression
quils sennuient et quils manqueraient de motivation. des potentialits des lves (par exemple, Lombroso, cit par Roux-Dufort,
Une tude mene par Kanevsky et Keighley (2003) a examin les attentes 1982) puisque les enseignants nattendraient pas une efficience plus importante
denfants haut potentiel sous-ralisateurs par rapport aux enseignements de la part des enfants haut potentiel. Lenfant cherchant se conformer aux
auxquels ils sont confronts, partir dune srie dentretiens avec des enfants attentes des enseignants et aussi ne pas sortir de la norme (faire comme tous
sous-ralisateurs . Cinq caractristiques interdpendantes ( les cinq C ) ont les enfants de son ge), lenfant haut potentiel ne raliserait pas tout son poten-
t mises jour: contrle, choix, challenge (dfi), complexit et comprhension tiel. Terrassier (2002) nomme cet effet : effet Pygmalion ngatif puisque
de la part de lenvironnement. Ces lves expriment un besoin de contrle de lenfant va tendre renoncer exprimer son vritable potentiel pour rpondre
leurs expriences dapprentissage. La majorit du temps, ils doivent copier, rp- une attente de lenseignant qui le sous-estime.
ter, couter de manire passive alors quils aimeraient dcouvrir par eux-mmes. Par ailleurs, certains enseignants pourraient se sentir menacs par les
Il leur parat donc impossible deffectuer des choix puisque pour choisir, il est lves haut potentiel et de ce fait continueraient leur assigner des travaux
ncessaire davoir un minimum de contrle et de pouvoir, ce qui nest gnrale- ennuyeux et rptitifs plutt que de leur soumettre des activits cratives
ment pas le cas. Ces lves ne peuvent donc pas agir en fonction de leurs (Pirozzo, 1982). De plus, comme le suggre Banks (1979), la structure formelle
prfrences et de leur motivation. De plus, ils ont le sentiment dtre cantonns de lcole pourrait ne pas encourager limagination et la crativit, laissant de
dans une norme et de ne pas pouvoir sortir du cadre. Il ny a donc pas de challenge ct les lves brillants peu disposs russir dans un tel environnement.
pour eux. Ils ont besoin de se crer leurs propres dfis pouvant ainsi introduire
une dimension crative leur travail bien que cela ne leur soit pas demand. La d. Les pairs
complexit dune tche varie dun lve lautre car elle dpend de la perception En dehors de la famille et de lcole, les pairs constituent le quatrime facteur
que les lves ont de la tche, laquelle dpend de leurs expriences prcdentes. qui peut influencer la sous-ralisation des enfants haut potentiel.
Ces enfants recherchent la nouveaut, lauthenticit et louverture de nouvelles

250 Partie 2 - Approfondir Chapitre 10 251


Il a t montr que, face une tche, les sujets avaient de moins bonnes Cette forme de rflexion sur soi-mme a t labore partir dun protocole pouvant
performances si une personne agrable, sociable tait prsente et ne russissait tre utilis par les enseignants en charge dlves en chec scolaire (ou en sous-rali-
pas dans cette mme tche (White, Sanbonmatsu, Croyle et Smittpatana, 2002). sation par rapport aux attentes). Lobjectif de cette mthode est de dcouvrir les
Lorsque la personne prsente tait peu agrable et moins performante, le score projets qui sont dominants dans la vie de llve, et de placer ces projets dans une
du sujet augmentait. Les individus tendent ainsi adapter leur niveau de perfor- perspective relle. Cela signifie que llve devra apprendre faire des choix, valuer
mance la personne prsente, avec laquelle ils se sentent lis (ami, mme groupe les problmes ayant une relle importance et dterminer des priorits. Il est conseill
culturel). Ces rsultats suggrent que les pairs influencent la performance ; quand que llve et son tuteur ne se fixent pas uniquement sur le travail qui leur a t
ils restent lintrieur dun groupe, les enfants haut potentiel en situation de assign mais, au contraire, gardent du temps pour des activits plus libres, inatten-
sous-ralisation subissent une pression de la part de leurs pairs qui va jusqu dues et spontanes. Ces activits permettent dexplorer les points forts de llve et
influencer leurs performances de faon se conformer au niveau du groupe damliorer ainsi son estime de soi (Baum, Renzulli, et Hebert, 1994). Dans un
auquel ils appartiennent (Baum, Renzulli et Hebert, 1994 ; Hebert, 2001 ; voir tel dispositif, limplication du tuteur semble essentielle (Peterson, 2001b).
galement les chapitres 6 et 8 du prsent ouvrage).
Nous venons dtudier les principales origines possibles du comportement b. Lducation familiale
de sous-ralisation. Une tude mene par Baker, Bridger et Evans (1998) sest Nous avons vu que la famille peut jouer un rle dans les conduites de sous-
intresse linfluence de la personnalit de lenfant, la structure familiale et ralisation. Cest pourquoi un certain nombre dauteurs prconisent des
lenvironnement scolaire sur le comportement de sous-ralisation. Leur tude interventions au niveau des parents. Plusieurs programmes ont t exprimen-
comparait 26 enfants haut potentiel en sous-ralisation 30 enfants haut ts visant dvelopper la comptence ducative des parents (pour des synthses
potentiel ralisant pleinement leur potentiel. Leurs rsultats montrent que en langue franaise, voir Durning, 1998 ; Pourtois et alli, 1984, 2000 ). Par
chacun des facteurs explique une part importante du comportement de sous- exemple, un programme conu par Gordon (1998) vise aider les parents dans
ralisation mais que linteraction de ces trois facteurs est encore plus puissante. la communication avec leur enfant. Les tudes dimpact de ces programmes sont
Cest pourquoi, comme le proposent les auteurs, la remdiation doit porter simul- cependant dcevantes. Les chercheurs sinterrogent maintenant sur ladqua-
tanment sur ces diffrents facteurs. tion entre les systmes de valeur luvre dans les diffrents contextes (lcole,
la famille et le programme dducation) qui pourrait expliquer linefficacit des
actions ducatives, quelles concernent lenfant ou sa famille.
3. Rmediations
c. Des mthodes pdagogiques mieux adaptes
lappui de ce que nous venons dexposer, il savre que la sous-ralisation
est un problme complexe ncessitant dtre tudi sous diffrents angles. La Diffrentes mthodes pdagogiques sont actuellement prconises, elles
prise en charge de la sous-ralisation requiert donc que prendre en considra- permettent une meilleure prise en charge des spcificits des enfants et des diff-
tion la personnalit de lenfant, la famille, lcole, ainsi que linfluence que les pairs rences individuelles ; elles prennent leurs sources dans le courant de lEducation
peuvent exercer (Baker, Bridger, et Evans, 1998; Peters et al., 2000). En Nouvelle comme, par exemple, les pdagogies actives o lenfant est considr
Amrique du nord o ont t dveloppes des tentatives de conception de comme lacteur principal de ses apprentissages et de son dveloppement. Ce
programmes de remdiation pour traiter la sous-ralisation, force est de consta- sont de telles pdagogies qui sont souvent recommnandes pour les enfants
ter que cette approche multivarie nest pas employe. Nous ne disposons donc haut potentiel. Toutefois, on manque dtudes pour apprcier les effets des
que dtudes qui ne se sont intresses qu une seule composante du systme. mthodes employes auprs de ces enfants (cf. chapitre 9). Nanmoins, un
On envisagera ici que les orientations principales qui sont prconises. consensus semble se dgager quant lintrt dutiliser une pdagogie diffren-
cie (Meirieux, 1999 ; Tomlinson, Brighton, Hertberg, Callahan, Moon,
a. Amliorer la connaissance de soi Brimijoin, Conover et Reynolds, 2003). Celle-ci est suppose pouvoir prvenir
la sous-ralisation du fait que les activits mises en place prennent en compte
Lamlioration de la connaissance de soi est le but de certaines approches psycho-
les attentes personnelles de chaque lve.
thrapeutiques comme la mthode dauto-confrontation (Hermans et Poulie, 2000).

252 Partie 2 - Approfondir Chapitre 10 253


d. Le tutorat Dans les coles secondaires, les difficults dapprentissage peuvent gale-
ment tre voques propos de certains lves haut potentiel. Au cours de
Une autre piste envisage concernant la prise en charge des enfants sous-
leur scolarit lcole primaire, ces derniers nont souvent pas eu loccasion de
ralisateurs, est celle du tutorat (Hebert et Olenchak, 2000). Le tutorat consiste
faire face des tches difficiles pour eux et peuvent connatre leurs premires
en un enseignement individualis, bas sur des tches clairement dfinies (un
difficults dapprentissage au collge ou au lyce. Par manque d'exprience, en
ensemble de devoirs faire, par exemple), ou sur un projet raliser. Le tuteur
raison des facilits scolaires qui leur taient habituelles prcdemment, ils ne
est un expert dans la matire, son rle tant dapporter une aide mthodologique
possdent pas les capacits et les stratgies ncessaires pour se confronter des
et mtacognitive llve : comment rassembler les informations, comment les
difficults nouvelles. Cest une des explications de la sous-ralisation, souvent
organiser, quels moments et dans quelles circonstances faut-il les travailler ?
avance pour les lves de lenseignement secondaire.
Selon Hebert et Olenchak (2000), pour quun tuteur soit efficace, trois caract-
ristiques sont ncessaires. Le tuteur doit avoir une attitude douverture et ne doit Indpendamment de l'amlioration de la capacit dficiente, il est aussi
pas juger les comportements et intentions des lves concerns. De plus, le tuteur ncessaire de chercher des activits dans lesquelles les enfants peuvent exceller,
doit tre proche de llve et le soutenir dans les moments o cela est ncessaire. dans ou en dehors de lcole. Ainsi, sa propre image ne dpendra pas unique-
Enfin, il est indispensable de prendre en considration les points forts et les points ment des difficults quil prouve lcole. En prenant conscience de ses
faibles de llve afin de laider faire face ses difficults. Lobjectif du tuteur vise capacits, lenfant amliore la confiance quil a en lui-mme (Reis et McCoach,
lamlioration de lefficacit propre de llve. Pour ce faire, il est recommand 2002).
que le travail se droule dans un environnement libre de tout jugement, tout en
maintenant lobjectif du tuteur que celui-ci doit sattacher faire partager llve.
En parallle ces mthodes de remdiation cible sur un
De cette manire, llve est suppos apprendre devenir responsable de ses
conduites personnelles et des consquences qui en dcoulent. facteur causal prcis, Whitmore (1980) dcrit trois strat-
gies susceptibles de contre-carrrer le processus de sous
e. La remdiation des troubles de lapprentisage ralisation :
Pour un suivi adquat des enfants haut potentiel prsentant des troubles La stratgie de soutien ( Supportive Srategies ) - Il sagit de pratiques
dapprentissage, il est ncessaire dadapter le traitement aux deux phno- denseignement qui permettent lenfant de se sentir dans un environnement
mnes (trouble dapprentissage et haut potentiel) de telle sorte quils ne se empathique ; par exemple, les enseignants prennent le temps de discuter de
contrecarrent pas mutuellement. Prenons, par exemple, le cas dun enfant haut choses concernant les enfants, proposent des activits bases sur les besoins et
potentiel prsentant une dyslexie. La dyslexie va notamment entraner des dfi- les intrts des enfants, etc. ;
cits dans la lecture. Or, les enfants haut potentiel sont caractriss par une
La stratgie tourne vers les caractristiques motionnelles et conatives de
capacit trs importante sur le plan du fonctionnement intellectuel, de la mmo-
l'enfant ( Intrinsic Strategies ) - Elle repose sur lide que lenvironnement
risation et de lassimilation dinformations. Ainsi, un enfant haut potentiel scolaire doit permettre une attitude positive encourageant la russite et la satis-
dyslexique pourra masquer ses troubles jusqu un certain point dans son faction personnelle . ceci passe par le respect des rgles, la responsabilisation
parcours scolaire alors que diffrentes mthodes peuvent tre utilises afin de ainsi que par la possibilit pour les lves de pouvoir valuer leur travail avant
remdier la dyslexie (voir Dole, 2000 ; Hettinger et Knapp, 2001 ; Fischer, que ce ne soit fait par les enseignants ;
1998,). Lapproche de Lindamood-Bell (Cooper, Ness et Smith, 2004) semble
particulirement intressante dans le cas des enfants haut potentiel parce que La stratgie de remdiation ( Remedial Strategies ) - Elle repose sur lide
cette mthode aide dvelopper les processus cognitifs ncessaires la lecture quaucun lve ntant parfait , il est important pour les enseignants de
reconnatre les points faibles et les points forts de leurs lves, que ce soit au
en sappuyant sur les capacits leves de lenfant. Dans une tude de cas, Cooper
niveau social, motionnel ou intellectuel ; elle prconise que les enfants aient
et col. (2004) citent lexemple dun enfant dont les fortes capacits dans le
la possibilit d'exceller dans leur domaine de prdilection et quils reoivent
domaine spatial ont pu tre mises en oeuvre dans le domaine des connaissances galement des aides dans des domaines o ils ont plus de difficults.
verbales et amliorer de cette faon ses rsultats scolaires globaux.

254 Partie 2 - Approfondir Chapitre 10 255


sils chouent lcole comme les autres, ils ont de fait les ressources qui leurs
Conclusion permettent dentretenir une relation dobjet, condition indispensable tout
apprentissage. Mme si, en apparence, les enfants sous-ralisateurs et les enfants
Dans ce chapitre, nous avons vu que la sous-ralisation est un phnomne
inefficients intellectuels se ressemblent, du fait de performances scolaires parfois
qui peut tre expliqu par de nombreux facteurs familiaux, scolaires et sociaux.
voisines, il convient de ne pas les confondre, ce que permettent les investigations
La prise en charge des enfants qui en sont victimes ncessiterait de bien connatre
psychologiques approfondies. Le diagnostic et la prise en charge des uns et des
lorigine de leurs difficults. Les recherches ralises jusqualors sont peu prcises
autres reposent ncessairement sur des mthodes spcifiques que seuls les psycho-
sur ce point. De fait, ces enfants sont le plus souvent reprs parce que, la plupart
logues sont normalement aptes utiliser. Un des enseignements de ce livre est de
du temps, ils posent des problmes aux enseignants. Or, il est possible que
montrer que tout cela prend du temps et quil ne faut pas attendre de test miracle
dautres enfants touchs par le phnomne de sous-ralisation passent inaper-
qui permettrait dadministrer rapidement un diagnostic ; de mme que, contrai-
us. Selon certains auteurs, cela pourrait tre le cas de certaines filles qui
rement ce qui se rpand dans lopinion, relaye par des dcideurs politiques, il
sadaptent mieux au systme scolaire que leurs homologues masculins. De fait,
ny a pas de solution ducative qui simpose par son efficacit.
chaque cas de sous-ralisation est spcifique. Il est donc impossible de faire des
gnralisations, do limportance de la prise en considration des besoins des Comme pour tout ce qui relve de lhumain, la question des enfants haut
lves de manire individualise et de bien connatre le dossier de llve pour potentiel (expression prfre prcoces , surdous , prodiges , pour sa
lui apporter laide adquate. neutralit) continuera proccuper les esprits, dfaut de proccuper les
instances ducatives. Nous esprons toutefois que ce livre, par la masse des
On peut esprer que les recherches futures prcisant la fois les diffrentes
donnes quil apporte, permettra den parler avec davantage de raison et de
formes de ralisation du haut potentiel et leurs origines ainsi que les facteurs de
sagesse Les enfants ont tout y gagner !
sous-ralisation permettent lavenir de progresser dans la prise en charge de
ces enfants.
Notes

pilogue1 1. Cette partie a t rdige par Annick Weil-Barais, directrice de la collection Amphi
Psychologie.
Le fait de sintresser aux raisons qui font que des enfants peuvent tre en
chec scolaire alors quils ont les moyens intellectuels de la russite interroge Bibliographie
bien entendu les conditions de la russite pour tous les enfants. Dune certaine
ALBAILI, M. A. (2003). Motivational goal orientations of intellectually gifted
manire, ces cas de surdous qui chouent scolairement mettent en lumire
achieving and underachieving students in the United Arab Emirates. Social
les mcanismes extrment complexes luvre dans linvestissement des objets Behavior and Personality, 31 (2), 107-120.
que la socit, travers lcole, offre aux enfants dapprendre (voir louvrage sur
BAKER, J. A., BRIDGER, R., et EVANS, K. (1998). Models of underachievement
les Apprentissages scolaires, dans la mme collection, Weil-Barais, 2004). Bien
among gifted preadolescents: The role of personal, family, and school
quayant un haut potentiel attest par leurs russites des tests, les enfants factors. Gifted Child Quarterly, 42 (1), 5-15.
peuvent se dtourner des activits scolaires, si les conditions ne sont pas runies
BANKS, R. (1979). How would you like it if you were gifted ? Special Education
eu gard leur personnalit et leurs milieux de vie. Cest pourquoi il y a lieu in Canada, 53 (2), 12-14
de sinterroger sur la diversit de loffre ducative dans une socit qui tend
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Lelivre, 2005) qui eux chouent aux tests defficience, est le fait que leur appa-
DOLE, S. (2000). The implications of the risk and resilience literature for gifted
reil psychique a pu se dvelopper dans des conditions normales (au plan biologique students with learning disabilities. Roeper Review, 23 (2), 91-96.
et social) au cours de la petite enfance, ce qui nest pas le cas des autres. Mme

256 Partie 2 - Approfondir Chapitre 10 257


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compactage
Comptence
Conceptions multidimensionnelles
contenants de pense,
cortex
Cortex prfrontal
Crativit /talent cratif / haut potentiel cratif
Dfense

260 Partie 2 - Approfondir 261


Dficit attentionnel expertise,
Dpression Fidlit
Dveloppement affectif, dveloppement motionnel fonctionnement crbral
Dveloppement cognitif Gnie
Dveloppement social gifted / giftedness
Diagnostic
Diffrences individuelles, Haut potentiel, Hautes potentialits
Diffrences inter-culturelles, Htrognit des performances,
Diffrences inter-genre, Htrognit socio-culturelle,
Diffrences inter-groupes, Hyperactivit
Diffrences inter-individuelles Hyperstimulabilit
Diffrences intra-individuelles Identification
Don Inhibition
Dysharmonie intellectuellement prcoce,
Dyssynchronie Intelligence
Echec scolaire Intelligence acadmique
Echelle de Wechsler / Epreuves de Wechsler intelligence corporelle-kinesthsique
Intelligence cristallise
Education spcialise Intelligence motionnelle
Effet Flynn Intelligence fluide
Effet plafond intelligence interpersonnelle
Emotion intelligence intrapersonnelle
intelligence logico-mathmatique
enrichissement Intelligences multiples
Enseignants intelligence musicale-rythmique
Environnement (rle de l) Intelligence naturaliste
Environnement (rle de l) Intelligence sociale
environnement familial intelligence verbo-linguistique
environnement scolaire intelligence visuo-spatiale
environnement social Intelligences multiples,
Epreuves piagtiennes, Intensit affective
Etalonnage Intensit motionnelle
Etiologie, Intrts
Etude longitudinale Mathmatiques
Etude rtrospective Matrices Progressives
Evaluation clinique, maturation,

262 263
Mmoire de travail remdiation
Mesure Rsolution de problmes
mta-analyse SAT-M (mathmatiques)
mtacognition, SAT-V (verbal)
Mthodes d'enseignement saut de classe
Motivation scatter
Motivation extrinsque Schoolwide Enrichment Model
Motivation intrinsque scolarisation
Motricit Sensibilit
Neuropsychologie Seuil d'identification
Nvrose sexe
Nourrisson sous-ralisation, sous-ralisateurs
Nouveau-n Study of Mathematically Precocious Youth
Organisation hmisphrique Styles affectifs
Orientation professionnelle Styles cognitifs
Origine des diffrences individuelles, Sublimation.
Over excitability surdou,
Pairs Talent
Parents Tests dintelligence
Pense (thorie psychanalytique) Tests de QI
personnalit, Traits de personnalit
perspectives thrapeutiques, Traits motionnels
Potentiel, Troubles du comportement
Prcoce , prcocit Troubles d'apprentissage
prodige, Typologies,
Profils scolaires, Valeurs
Psychopathologie Validit
Pulsion Variabilit
QE WISC,
QI
Questionnaire SRBCS
Raisonnement convergent,
Raisonnement Divergent,
Regroupements intraclasse
Regroupements interclasses

264 265

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