Philo La Vérité
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20 dissertations
avec analyses et commentaires
sur le thme
La vrit
Sous la coordination de
Anne Staszak
Par
Mode demploi
Le corpus
Une dissertation nest pas un discours dans le vide ; pour nourrir votre r-
flexion et vos dveloppements, vous devez possder un corpus de rfrences
bien comprises. Pour aborder dans de bonnes conditions les cours de votre
professeur, qui seront votre principale source dides, nous vous conseillons
de lire ds lt la prsentation du thme (page 23) ainsi que quelques livres
tirs de la bibliographie commente (page 33). Passons la dissertation pro-
prement dite.
La mthode
Lisez dabord la mthode (page 7), qui vous expliquera ce que les correc-
teurs attendent de vous concrtement (capacit raisonner et argumenter)
et comment les satisfaire. Nesprez pas y trouver des recettes miracles quil
suffirait dappliquer servilement : au contraire, vous apprendrez pourquoi et
comment dvelopper une pense autonome qui dpasse toutes les recettes.
5
Sommaire
Sujet 1
Quest-ce que la vrit ? 69
Sujet 2
La vrit nest-elle quune erreur rectifie ? 77
Sujet 3
Le savant, le juge, le prtre ont-ils affaire la mme vrit ? 85
Sujet 4
De quelle vrit lart est-il capable ? 93
Sujet 5
Limagination est-elle une matresse derreur et de fausset ? 101
Sujet 6
Sensibilit et vrit. 109
Sujet 8
Peut-on tout dmontrer ? 125
Sujet 9
La vrit est-elle toujours convaincante ? 133
Sujet 10
Interprter, est-ce renoncer la vrit ? 141
Sujet 11
La vrit est-elle une question de culture ? 149
VRIT ET MORALE
Sujet 12
La force de la vrit. 157
Sujet 13
La vrit, quel intrt ? 165
Sujet 14
Faut-il vouloir la vrit tout prix ? 173
Sujet 15
La curiosit est-elle un vilain dfaut ? 181
Sujet 16
Le mot desprit. 189
VRIT ET SOCIT
Sujet 17
qui appartient la vrit ? 197
Sujet 18
La tolrance impose-t-elle de laisser les autres dans lerreur ? 205
Sujet 19
Peut-on dire des socits de linformation quelles sont propices
lavnement du rgne de la vrit ? 213
Sujet 20
Le mensonge dtat peut-il tre lgitim ? 221
La mthode
pour russir ses dissertations
Bibliographie commente
20 extraits duvres
prts lemploi
ceux qui la suivaient. La conscience ne se limitait plus aux relations avec les
prit. Pour le peuple au front haut, ctait une poque de fermentation intel-
lectuelle.
Tous les peuples que nous connaissons sur Terre en sont au mme degr
de dveloppement biologique cognitif : depuis la rvolution symbolique (il y a
environ 40 000 ans) notre connaissance est capable des mmes performances,
mme si les contenus sont plus ou moins volus, plus ou moins complexes,
plus ou moins vrais. Cette rvolution, qui se manifeste par un foisonnement
artistique de reprsentation (art parital, sculpture), des outils plus perfec-
tionn, la prsence de spultures, est un moment dterminant dans lvolu-
tion de Sapiens Sapiens, prsent peut-tre depuis dj deux cent mille ans.
Bien quil sagisse de reconstructions hasardeuses, on peut penser que cette
rvolution bouleversa les reprsentations de ces peuples pour quils accdent
un niveau qui leur permet plus de performances. On est donc fort tent de
69
Sujet 01
Quest-ce que la vrit ?
I Analyse du sujet
1 Analyse des termes du sujet
Linterrogation : quest-ce que... ? par laquelle Socrate mettait en veil
ses interlocuteurs est minemment philosophique. On ne saurait attendre
une rponse simple, directe, dfinitive la question : quest-ce que la vrit ?
Si quelquun demande par exemple : quest-ce qui est l-bas ? , on peut lui
rpondre directement : cest un arbre . Mais sil pousse le questionnement :
quest-ce que cela, un arbre ? , il est dj plus difficile de le dfinir. De mme
est-il difficile de dfinir la vrit. La dfinition traditionnelle de la vrit la
dtermine comme une adquation. Pourtant, il ne suffit pas de dfinir la v-
rit pour tre quitte avec elle. Dabord parce que la dfinition est nominale,
cest--dire quelle ne donne pas rellement la vrit. Mais ensuite parce que
le quest-ce que... ? interroge encore (et principalement) sur le sens de la
vrit, autrement dit sur sa possibilit, sa lgitimit, ou encore sur sa valeur.
On ne peut se contenter ici de chercher une dfinition comme si la vrit tait
une chose bien connue.
Autre prsuppos non moins philosophique interroger : larticle la de
la vrit, comme sil y avait une vrit, cest--dire un seul sens possible de la
vrit. Car une vrit qui ne serait pas unique, ou qui ne serait pas susceptible
dtre reconnue par tous, pourrait-elle encore tre considre comme vrit ?
Ce serait une opinion relative. moins que la notion de vrit puisse voluer
historiquement soit au sens o la vrit serait de mieux en mieux connue,
soit au sens o ce qui est recherch sous le nom de vrit varierait au fil du
temps. Mais dans lun ou lautre cas, comment articuler cette historicit de la
vrit avec lide quelle est la vrit ?
2 Problmatique
Quest-ce que la vrit ? La question interroge lessence ou ltre de la v-
rit. Donner lessence, cest dfinir quelque chose. Donner lessence de la v-
rit, ce serait donc la dfinir par un caractre stable et immuable. Mais dans
le cas de la vrit, la question se heurte une difficult. Le vieux problme du
critre de la vrit en tmoigne : on ne peut donner un critre pralable de ce
70 PARTIE I QU EST-CE QUE LA VRIT ? QUELLES FACULTS SONT L UVRE ?
II Plan dtaill
I La reprsentation courante de la vrit
1. Lvidence sensible
2. Lopinion commune
3. Relativisme et scepticisme
II La conception philosophique
1. Le regard sur lessence
2. La vrit en tant que certitude
3. Ladquation de la chose lintellect
III Art, religion, philosophie
1. Lhistoricit du vrai
2. Le nihilisme
3. La vrit et le dvoilement de ltre
Q UELLE est la vrit de la vrit ? Telle est en somme le soupon qui sur-
git chaque fois que nous demandons : Quest-ce que la vrit ? La v-
rit, les philosophes la disent une, inaltrable, ternelle. Platon, par exemple :
Aussi nombreux que soient les lits et les tables, il ny a jamais que deux ides,
lune pour le lit, lautre pour la table. Il vise donc la vrit une et inaltrable
du lit ou de la table. Mais quelle est cette vrit ? Cest la vrit de leur essence,
que Platon nomme : lIde. Philosopher, cest prendre en vue lessence, cest--
dire ressaisir la vrit sous laspect de lternit, selon lexpression de Spinoza.
SUJET 1 71
Quest-ce alors que la vrit philosophique ? Car si je dis : Il fait nuit , cette
vrit nest vraie que la moiti dun jour. Heidegger remarquait devant ses tu-
diants : Prenons une feuille de papier, et inscrivons-y la vrit : Ici est la
craie . Soit. Mais supposons que le cours fini, quelquun are la salle ; voici
qu la faveur dun courant dair, le papier senvole dans le couloir. Quiconque
lit le papier : Ici est la craie peut constater quil nen est rien. Un coup de
vent suffirait-il balayer la vrit ternelle et supratemporelle ? moins que
la vrit au sens philosophique ne soit dj une comprhension toute parti-
culire de la notion de vrit : lessence de la vrit est-elle dtre la vrit de
lessence ?
Nous verrons, dans un premier temps, en quoi la reprsentation courante
de la vrit semble dnier lide mme de vrit. Nous nous demanderons en-
suite comment la philosophie oppose cette reprsentation un autre mode
de vrit sur lequel doit se rgler le savoir. Nous nous interrogerons alors sur
le sens des mutations historiques de la notion de vrit.
P OUR beaucoup de gens, la vrit nest pas une essence dont on se deman-
derait par ailleurs ce quelle pourrait bien tre, o elle se trouve, et com-
ment la saisir, mais elle reposerait dans lvidence immdiate du sensible :
le monde est l, la ralit est ce qui sobserve, la vrit se tient dans le concret,
le rel. Quest-ce donc que la vrit ? Cest ce quon veut analyser et dont on
discute, mais cest dabord ce qui est l, ce qui se donne sous la forme de
preuves tangibles. Comme saint Thomas, dans les vangiles, le bon sens a be-
soin de toucher pour voir. Cependant, Hegel ltablit au dbut de sa Phnom-
nologie de lesprit, la certitude de limmdiatet sensible semble la plus abs-
traite et la plus pauvre vrit ; elle exprime seulement que ceci est dune
manire indtermine et gnrale. Elle ne peut fixer une vrit stable, le
ici et le maintenant tant toujours passagers, cest--dire pris dans le
flux des apparences changeantes. Aussi, pour la plupart des gens, la vrit
demeure-t-elle insaisissable, mouvante, et toujours rvisable.
Cette reprsentation de la vrit fonde le rgne de lopinion. Lopinion nest
pas sotte, mais elle rgle ses jugements sur le cours des vnements et des ap-
parences. Or, comme les choses napparaissent pas toujours identiquement
elles-mmes, elle dclare que la vrit est multiple. Et comme chacun ne
voit pas les apparences sous le mme angle, lopinion considre que la v-
rit est aussi diverse que celle des opinions. Dans lAntiquit dj, Protagoras
soutenait : telle la chose tapparat, telle elle est . Autrement dit : cha-
cun sa vrit. La vrit est ce qui se tient dans la multitude miette des
avis, aussi contradictoires soient-ils. Elle devient lobjet dinnombrables dis-
cussions, dinterminables disputes et controverses. Protagoras avait dailleurs
72 PARTIE I QU EST-CE QUE LA VRIT ? QUELLES FACULTS SONT L UVRE ?
verne, Platon dcrit comme une conversion de lme tout entire lascen-
sion progressive vers la vrit : partant de ce qui se manifeste premire vue,
cest--dire partant de la vision sensible, le regard doit percer jusqu ce qui,
de soi-mme, est plus dvoil , vraiment vrai , cest--dire percer jusqu
ltre sans lequel aucune vision sensible ne reconnatrait quoi que ce soit. Pla-
ton dtermine cet tre comme ide au sens de ce qui est proprement
vu dans le visible. Cest par lide du beau que toutes les belles choses sont
belles. Or, ne peut-on en dire autant de la vertu, du courage ou de la justice ?
On reconnat lacte courageux une certaine ide du courage. Platon est fidle
sur ce point son matre Socrate. En revanche, voulant constituer la philoso-
phie comme un savoir vritable, il va un peu plus loin que lui : il subordonne la
vrit la rectitude du regard, oprant une profonde mutation dans lessence
de la vrit. Platon est en somme le premier mtaphysicien. La philosophie
sera dsormais ce regard qui, sous le nom de vrit, visera prcisment ltre,
ou comme on dira plus tard lessence.
Un tel savoir de la vrit de lessence est-il toutefois possible ? Que le savoir
soit possible, cest dvidence ce que semble prouver le savoir mathmatique,
dont les thormes rayonnent dune impeccable majest. Bien plus, quand un
gomtre dessine une figure, comme un triangle ou un carr, ses raisonne-
ments portent en vrit sur la figure idale quil intuitionne sans trop y penser.
Les mathmatiques sont donc pour Platon une indispensable propdeutique
la philosophie par leur manire de tourner le regard vers la vrit. Mais, avec
le dveloppement de la scientificit moderne, elles deviendront plus encore le
modle absolu de vrit : Je me plaisais surtout ltude des mathmatiques,
cause de la certitude et de lvidence de leurs raisons crit Descartes dans
le Discours de la mthode. Grce aux mathmatiques et leur manire de rai-
sonner, Descartes pense la vrit comme certitude de lvidence rationnelle.
Les mathmatiques ont en effet une telle lumire de vrit que la raison ne
peut quy reconnatre sa propre lumire naturelle . Avec Descartes et lav-
nement des sciences, la vrit nest plus tant question dexactitude du regard
que de certitude dune raison assure delle-mme dans ses reprsentations.
Mais sur quoi peut bien alors se fonder cette certitude dtre la vrit ?
crte connivence, qui donne sens lexistence. Sur cette voie, Heidegger rap-
pelle que les anciens Grecs dsignaient par un privatif : a-lthia ce que lon
nomme aujourdhui, depuis les Romains, par un positif : la vrit . Au sens
grec, la vrit tait donc initialement un dvoilement , une manifestation ,
une pure apparition dont lclat et la plnitude nous comblent sans jamais
spuiser. Lautre nom de la vrit de ltre serait-il alors la beaut ?
Q U EST- CE
que la vrit ? Au-del dune dfinition formelle de la vrit,
il sest agi de mditer sur sa dtermination initiale par la philosophie
comme vrit de lessence et qute dune vrit absolue. Lessence de la
vrit serait donc elle-mme chercher dans le sens de ses mutations succes-
sives : progrs ou nihilisme, ce qui nest peut-tre pas si diffrent, il revient
chacun den dcider, et par l mme de faire de son existence, ou bien le lieu
dun combat contre le monde ou celui de la rvlation dun accord qui sonne
juste. Loin de dsesprer dune ralit qui ne serait jamais assez bonne pour
nous, la vrit manifeste que nous sommes faits pour le monde, que nous pou-
vons accueillir ltre.
IV viter le hors-sujet
La question du sujet problmatise la notion du programme tout entire.
Le candidat peut donc tre dcontenanc lide davoir rassembler dun
coup tout ce quil a pu tudier durant lanne. Plus que jamais, il est donc n-
cessaire de fixer dlibrment un problme prcis, de fixer un axe de recherche
en mettant de ct la tentation de tout dire, difficilement matrisable.
On recommande en gnral dviter les plans chronologiques : cest lgi-
time, sauf si, comme ici prcisment, cest de lhistoire mme que lon dgage
la problmatique. Ce qui est dconcertant avec la vrit, cest la multiplicit de
ses dfinitions successives : russir saisir le sens de ce qui apparat comme
un pur divers, cest manifester une comprhension du problme et de ses so-
lutions, cest parvenir sorienter dans la pense, et cest exactement ce que
lon attend dun candidat.
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Citations choisies
Si on ne suppose pas que les hommes ont tous la mme intelligence, et lont
toute, il ny a plus ni vrit ni erreur.
(mile-Auguste Chartier, dit Alain, Cahiers de Lorient)
Nous connaissons la vrit non seulement par la raison mais encore par le
cur, cest de cette dernire sorte que nous connaissons les premiers prin-
cipes, et cest en vain que le raisonnement, qui ny a point de part, essaie de
les combattre. (Blaise Pascal, Penses)
Le vrai consiste simplement dans ce qui est avantageux pour notre pense,
de mme que le juste consiste simplement dans ce qui est avantageux pour
notre conduite. (William James, Le pragmatisme)
Pour nous, lart nest plus le mode suprme dans lequel la vrit se procure
existence. (Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Esthtique)
Les vrits sont des illusions dont on a oubli quelles le sont, des mtaphores
qui ont t uses et qui ont perdu leur force sensible, des pices de monnaies
qui ont perdu leur empreinte et qui entrent ds lors en considration, non plus
comme pices de monnaie, mais comme mtal.
(Friedrich Nietzsche, Le livre du philosophe)
Lexique
Absolu (6= relatif ) Dsigne ce qui ne dpend que de soi et nest donc relatif
rien. La vrit absolue ne dpend pas de la subjectivit humaine, elle serait la
mme que pour Dieu, correspondrait au rel, la chose en soi.
Axiologique / pistmologique / ontologique Vous devez matriser ces
termes techniques bien utiles pour btir une problmatique, construire un
plan et rdiger une transition. Laxiologie pose la question de la valeur et de la
hirarchie morale, lpistmologie celle de savoir comment on peut connatre
quelque chose, lontologie quant elle se demande ce quest ltre, lessence
de la chose. Savoir si on ne doit jamais mentir est une question axiologique ;
savoir quelle facult permet de dcouvrir la vrit est une question pist-
mologique ; savoir si lunivers prsente une structure compatible, accessible
lesprit humain, est une question ontologique.
Cause finale (6= cause efficiente) Deux types essentiels de causalit, la pre-
mire renvoyant la prsence dun but, la seconde, qui correspond ce que
lon entend par cause tout court de nos jours, cest--dire le fait de produire
automatiquement, aveuglment, un effet : la chute dune pierre sur ma tte est
la cause de son crasement, la pierre navait pas ce but. En revanche, le dsir
de sabriter de la pluie est la cause finale qui explique lexistence du parapluie.
La science prtend vacuer le recours aux causes finales pour trouver la vrit.
Convaincre (6= persuader) Amener quelquun croire quelque chose vrai
en se fondant sur des raisons, des preuves ; la persuasion, elle, joue sur des
sentiments, sur de la rhtorique, relve de la sduction.
Erreur (6= illusion) Ce sont deux catgories diffrentes de la fausset. Il est
important de les diffrencier. Lerreur, qui vient dun manque de savoir ou
de concentration, comme dans un exercice de mathmatique, ou dune igno-
rance, qui disparat ds que lon se concentre ou que lon acquiert de la con-
naissance. Lillusion a une force de subsistance mme quand on la repre
comme errone : lillusion doptique est un dfaut consubstantiel la vision.
Pour Kant, lillusion consubstantielle la raison est de vouloir connatre la
chose en soi, lillusion consubstantielle au dsir amoureux rend aveugle aux
dfauts de laim.
Essence (6= existence) Ce quest la chose considre, sa dfinition, diffren-
cie du fait dtre dans lespace et le temps, dexister dans un ici et maintenant.
Expliquer (6= comprendre) On explique avec des causes (comment ?), on
comprend des raisons (pourquoi ?). Utilis pour distinguer par exemple la dif-
frence entre connatre lhomme ou connatre la nature.
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Index