Islam Today 31 FR
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N 31 - 30me anne
1436H/2015
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l Prix du numro : 60 Dh au Maroc, 10 $ dans les autres pays
Directeur responsable
Dr Abdulaziz Othman Altwaijri
Rdacteur en Chef
Abdelkader El-Idrissi
Vous pouvez lire
dans ce numro ...
Construire lavenir
Lanalyse des grandes crises que traverse lhumanit et ltude des facteurs tant
subjectifs quobjectifs qui ont conduit leur mergence ne peuvent empcher les
penseurs libres et les chercheurs srieux, dsirant sinformer des changements
fulgurants que connat le monde, dtendre leur regard sur lhorizon pour dpasser
les barrires matrielles et morales qui les empchent de faire preuve daudace
intellectuelle et dentrevoir lavenir, partant de leur profonde connaissance des
problmes du prsent et de leur parfaite assimilation des expriences du pass.
Ne devraient-ils pas se laisser porter par cette forte volont de se librer et
dengager leur rflexion dans un espace grand comme lunivers pour chercher,
explorer, tudier et analyser. La science est un outil essentiel dans cette qute
de la vrit et une lumire qui les guidera vers les chemins de la comprhension
objective et rationnelle des transformations actuelles et des facteurs qui
les sous-tendent. Le but ultime est darriver tracer une feuille de route de
lavenir, en sclairant par la foi en Dieu Tout-Puissant dont la grce aide Ses
cratures se grer et par la science qui ne dsavoue pas la foi ni ne la supplante.
Rflchir lavenir ne signifie pas la ngligence du prsent et ne justifie pas
la rupture avec le pass. Car la vie humaine est une succession de cycles
qui ne sinterrompent pas comme les grains dun chapelet lis par un fil qui
jamais ne se distend, quand bien mme il semblerait quil y ait une rupture
entre le temps prsent et le temps pass. A mesure quon approfondit notre
lecture de lhistoire, quon en mdite les faits et quon sattarde sur les tapes
saillantes qui jalonnent celle des peuples et des nations, on trouve que le
temps emprunte une courbe ascendante et que la volont de Dieu est celle
qui domine son et dtermine le destin des cratures car rien nest le fruit du
hasard. Lenseignement doit tre tir des volutions que connaissent les gens
dans leur vie malgr leurs diffrences, quelles soient bonnes ou mauvaises.
La rflexion profonde des solutions aux problmes et aux crises dangereuses
dont souffrent les gens en cette poque de lhistoire fait partie de la construction
172 Construire lavenir
aux valeurs spirituelles et aux principes moraux. Devant cette situation qui
est vague et porte la rticence, il devient impossible de trouver des sorties
la crise civilisationnelle que vit lhumanit actuellement. Les horizons
sont bouchs devant les penseurs pris de paix, qui veulent construire un
avenir humain sr, stable et prospre et qui consentent des efforts pour
entrevoir cet avenir dont ils rvent - et dont rve lhumanit tout entire-
et pour librer lesprit humain des jougs du totalitarisme intellectuel, du
repli culturel, de la surestimation des capacits et des ressources qui ne
sont pas utilises bon escient, cest--dire pour le bien de lhumanit.
De l, toute limportance des intellectuels qui rendent justice la vrit,
ceux qui sont fidles lhumanit, qui apportent de lespoir et qui ne sont
pas dfaitistes, en cette priode critique que traverse le monde ; une priode
o se tlescopent les intrts des superpuissances, o tombent les feuilles
de vigne qui cachent la vrit et qui donnent limpression la socit civile
que samenuisent les obstacles ont t aplanis et que les distances entre
Orient et Occident, dans le sens idologique et politique et non dans le
sens gographique. Cest alors une ncessit que de renforcer la mission des
intellectuels pour construire la civilisation et la paix. Les efforts des lites
intellectuelles, toutes tendances confondues, doivent sintensifier pour
laction humaine collective et conjointe qui vise liminer les facteurs qui
empchent la construction de lavenir avec tolrance, innovation et crativit.
Cest l le message de la libre pense qui rsiste la sclrose, au fanatisme,
lopinitret, lextrmisme et au repli et qui se garde de dvier de la raison,
de lquilibre, de la logique, de la valeur de la vie et du droit de lhomme de
vivre dans la dignit, la libert, la scurit, la paix et la fraternit avec ses
semblables. Cest ce qui fait que lapprhension de lavenir est une entreprise
part entire qui a toutes les chances de russir par la grce de Dieu.
(LIslam Aujourdhui)
Vers un renouveau de la pense islamique
stagnation et, ce faisant, ils auront manqus les chances de suivre le train
du progrs et du dveloppement, qui sont dailleurs en harmonie avec les
constantes immuables de la religion, que la rnovation ne saura effleurer, ainsi
quavec les mutations de la vie, dans toutes leurs dimensions.
Dans cette confrence, jai prcis que la rnovation de la pense islamique
ne se limite pas un seul aspect de la vie. Elle englobe, en effet, la rnovation
de la jurisprudence islamique, la pense politique islamique, les systmes
administratifs des pays islamiques, le systme conomique islamique, et
surtout, la rnovation du systme global et intgr de la vie, qui est lpine
dorsale de lindividu et de la collectivit. Et cest dans cette conception globale
que la rnovation de la pense islamique moderne est traite dans ce contexte.
Jai tenu publier la prsente confrence dans les trois langues (arabe, anglaise
et franaise) dans une seule et mme dition afin den gnraliser lintrt,
clairer lopinion publique et inciter les scientifiques et les intellectuels
poursuivre la recherche et lcriture dans ce domaine, combien vital(1).
Le concept de rnovation
La rnovation, au sens large, cest rnover ce qui est ancien. En dautres
termes, redonner une vie nouvelle tout en veillant ce que ce caractre de
nouveau se poursuit en ligne ascendante. Le terme Tajdid, en arabe, drive
du verbe Jadda, qui signifie ce qui devient nouveau ou qui retrouve un
tat nouveau. Le verbe peut galement se conjuguer au sens de prserver le
caractre nouveau dune chose.
Le terme nouveau est mentionn huit fois dans le saint Coran, et est associ au
trois significations que sont la Rsurrection, la Renaissance et la Restauration,
principalement en parlant de cration, ainsi quil apparat dans le Hadith suivant:
Dieu envoie la Oumma tous les cent ans quelquun pour renouveler sa
religion(2). De ce Hadith, les thologiens ont compris ce qui suit :
Le Renouveau de la religion : c..d. la revivification et la rforme de la
relation que les musulmans entretiennent avec la religion, et non la religion
elle-mme, car Dieu, glorifi soit Son nom, a su parfaire Sa religion ;
Le concept de lIjtihad
Du fait que lapproche mthodologique nous interpelle mditer chacun
de ces trois concepts, arrtons-nous - aprs avoir examin le concept de
rnovation - celui de lIjtihad, afin de mieux cerner la signification de la
rnovation que nous ciblons.
LIjtihad, sur le plan linguistique, drive du verbe Ijtahada, qui signifie
exercer un effort maximal. Le terme rfre, dans son acception pratique, aux
tentatives quun thologien entreprend en vue de dgager une disposition
juridique lgard dun vnement, en ce basant sur les preuves et moyens
lgaux. Il implique donc ltude minutieuse des textes en vue daboutir des
solutions aux problmes suscits par les mutations acclres auxquels les
individus et les groupes sont confronts, le but tant de grer leurs affaires et
de rendre leur vie meilleure et plus simple.
LIjtihad, linstar de la rflexion, est une ncessit indispensable la vie, tout autant
que la rnovation. Une vie sociale ne peut trouver la rectitude si elle sabandonnait
la stagnation, de mme quune socit islamique ne peut se dvelopper sans
lIjtihad et la rnovation continue, conformment aux rgles jurisprudentielles et
dans le cadre des principes, des valeurs et des enseignements de lIslam.
Par ailleurs, si lIjtihad est un impratif au dveloppement des socits islamiques
et leur lvation aux niveaux suprieurs de la dignit humaine, il devient vident
que lIjtihad, qui difie et enrichit la vie humaine et lui ouvre les horizons du
Dr Abdulaziz Othman Altwaijri 183
progrs et de la croissance, doit tre rgi par des rgles fondes la fois sur la
jurisprudence, la raison et lintrt, sinon lIjtihad perdra toute signification.
Nous pouvons constater, de lexamen des sources de lhritage du Fiqh
islamique, que les thologiens fondamentalistes ont dfini lIjtihad comme
leffort suprme dploy par lrudit pour atteindre une opinion lgale
spculative, convaincu quil lui est impossible de faire mieux.
Ibn Hazm dfinit lIjtihad comme leffort suprme exerc pour juger
un vnement sur la base dune disposition existant dj, puisque les
dispositions de la Charia ont t pleinement et entirement prvues et
explicites par Dieu Tout-puissant et que tous les thologiens peuvent
consulter. Et quand bien mme la comprhension de ces dispositions
ne soit pas la porte de certaines gens, il est impossible quelles soient
incomprhensibles de tous. Car Dieu ne nous impose que ce que nous
pouvons supporter, et ce qui nest pas la porte de tout un chacun,
alors nous pouvons nous considrer comme tant dispenss . Ces deux
dfinitions nous clairent suffisamment sur la conception jurisprudentielle de
lIjtihad et donnent ainsi la signification gnrale de lIjtihad.
LIjtihad, par ailleurs, revt deux formes, en loccurrence, lIjtihad absolu,
qui utilise lensemble des sources connues pour dgager certaines dispositions
par le biais de rgles bien tablies ou qui cite les sources accessibles. Lautre
forme dIjtihad consiste dgager certaines rgles sur un cas spcifique qui
nest tay par aucune disposition. Dans ce cas de figure, le chercheur (Mujtahid)
doit tre pleinement inform de ce qui se rapporte ladite disposition, et tre
surtout convaincu que la disposition quil dgage nest pas en contradiction
avec un quelconque texte ou rgle consensuelle. Le Mujtahid, cependant,
nest pas tenu de tout connatre lgard de ces dispositions.
Les thologiens fondamentalistes considrent galement que toute disposition
lgale objet de lIjtihad nest pas ncessairement appuye par une preuve
irrfutable. LIjtihad na point lieu dexister dans les cas irrfutables, tels
que lobligation des cinq prires quotidiennes, la Zakat ou les autres piliers
de lIslam. Dans le domaine de lIjtihad rnovateur, ou de la rnovation
en matire dIjtihad, les portes sont grandes ouvertes aux thologiens et
juristes, pour peu quils possdent les capacits requises, la connaissance et
la comprhension des prceptes de la Charia et des mutations de lpoque.
184 Vers un renouveau de la pense islamique
lIjtihad ne peut tre une violation des prceptes de la religion ou une raction
aux pressions, quels que soient les motifs.
Il serait donc aberrant dadopter le modernisme occidental aveuglment dans
tous ses aspects. Car la raison nous incite tre clectiques dans nos choix
et nen prendre que ce qui nous est convenable et utile, et dviter ce qui ne
lest pas, sans compter le prjudice ventuel quil pourrait nous occasionner.
par rapport un autre. LIjtihad doit tre gnral et exhaustif, lattention tant
donn aux priorits selon leur ordre dimportance.
De l on peut constater limportance de lIjtihad dans lIslam et la relation quil
entretient avec la rnovation et la modernisation. En ralit, lIjtihad est, dans sa
substance et son dessein, une rnovation des affaires religieuses dans le sens de la
comprhension des dispositions et des desseins de la Charia, de lapplication de ses
prceptes et enseignements, de la modernisation des choses de la vie, du peuplement
de la terre, de la rforme de lindividu et de lamlioration de son existence.
Telle est la signification profonde et prcise dont les premiers penseurs
musulmans ont pris conscience lorsquils ont jet les fondements de la
renaissance intellectuelle du monde islamique, qui a donn llan ncessaire
la libration des nations islamiques du joug du colonialisme tranger.
Lon peut donc dire, la lumire de cette analyse du triple concept dIjtihad, de
rnovation et de modernisation et dautres questions connexes, que la vision
islamique de la vie courante procde de lassimilation consciente des objectifs
de la Charia, des principes religieux et culturels et des valeurs civilisationnelles,
mais aussi dune grande connaissance des exigences de la vie et des dfis et
dangers qui guettent les musulmans. Et cest avec une comprhension profonde
et rationnelle des ralits de la vie et de notre poque que nous avanons vers
lavenir, guids par les principes immuables de notre religion, alliant lIjtihad la
rnovation en tant que moyens indispensables la modernisation et le renouveau.
Or le but de cette modernisation et ce renouveau est de nous assurer que nous
restons en harmonie avec les progrs de lpoque, sans toutefois remettre en
cause les constantes religieuses et les spcificits culturelles et civilisationnelles,
ou compromettre les intrts suprmes de la Oumma, qui ne sont autres que la
somme des intrts nationaux de chacun des Etats du monde islamique.
Ds lors que notre vision et notre prparation lavenir sont fondes sur une
assise solide, les efforts que nous entreprendrons pour rformer la situation
gnrale, grce cette coordination judicieuse, savreront utiles et bnfiques
au prsent et lavenir de la Oumma.
3) Al-Baqara : 143.
Dr Abdulaziz Othman Altwaijri 191
Il est aussi les appels de Jamal Eddine al-Afghani et ses disciples directs ou
indirects, toutes origines, moyens et modes daction confondus, tels que
Cheikh Mohamed Abdou, Abderrahmane al-Kawakibi, Abdellah al-Nadim,
Rifaa al-Tahtawi, Khair Eddine al-Tounsi, Hussein al-Jisr, al-Taher al-Jazari,
Mohamed Rachid Reda, Mohamed Farid Wajdi, Abdelhamid ben Badis,
Abderrahmane al-Thaalibi, Badii al-Zamne Sad al-Nourusi, Mohamed
Mustafa al-Maraghi, Abdelaziz Jawich, Mohamed al-Taher ben Achour, et
Mohamed al-Khader Husssein. Autant drudits qui se sont engags dans la
rnovation de la pense islamique, chacun sa manire et selon ses moyens.
Et lpoque qui les a vus natre tait une re de rsurrection, dveil, de
renaissance et de renouveau de la pense islamique.
192 Vers un renouveau de la pense islamique
Nous convenons avec Dr Mohamed Amara lorsquil crit, dans son ouvrage
Crise de la pense islamique moderne que le vaste mouvement de
renouveau et de renaissance de la pense islamique concentrait des groupes
largement htrognes, en termes dintrts, de niveaux ou de critres de
rnovation. Le mouvement de renaissance et de rnovation de la pense
islamique puise ses origines dans les sources suivantes :
- Les principes de lIslam, tels quils figurent dans les sources pures
authentiques que sont le Message coranique et son interprtation par le
Prophte (PSL), reprsente par la Sunna immuable du Prophte (PSL) ;
- Les fondements du patrimoine arabo-islamique, reprsentant les
spcificits de lidentit civilisationnelle de la Oumma, laquelle a permis
aux diffrentes gnrations de prserver leurs liens et unit civilisationnels
en tant quOumma travers le temps et lespace ;
- Lensemble des crations de lesprit humain travers les diffrentes
civilisations, telles quelles sont exprimes par les faits et les lois
reprsentant les sciences, dont les thmes restent invariables quelles que
soient les civilisations et les croyances, cest--dire les sciences objectifs
neutres qui sont communes lhumanit, par opposition aux sciences
humaines, et qui comprennent la culture qui sinsre dans le cadre des
spcificits propres chacune des civilisations. Cette vrit est exprime
par le Hadith du Prophte qui dit : La sagesse est le bien perdu du
croyant. Il la puise l o il la trouve .
Dans son ouvrage Les rformistes en Islam entre les 1er et 14me sicles,
Cheikh Abdel Moutal al-Sadi prcise que lIslam est ouvert la rnovation,
quelle que soit lpoque. Car si le dveloppement gnral de lhumanit est son
objectif majeur, il doit lvidence adopter les moyens adapts sa progression
tout en liminant les barrires, contrairement aux rituels. Cette progression
sappuie, en effet, sur la science et la connaissance, et ltre humain ne peut
atteindre la perfection dans la science, mme sil la poursuivait toute sa vie
durant. Le Tout-puissant dit, ce propos : Et on ne vous a donn que
peu de connaissance (4), laissant ainsi grande ouverte la porte de lexcellence
et de la rnovation la science, mais barrant par la mme occasion la voie
larrogance que la science imprime lesprit humain, car cest justement
4) Al-Israa : 85.
Dr Abdulaziz Othman Altwaijri 195
de six confrences donnes par Mohamed Iqbal aux tudiants des villes de
Madras, Hyderabad, et dAligarh. La deuxime dition a t publie en 1934
par lOxford University Press. La traduction arabe de la premire dition a
t publi au Caire en 1955 par le Comit de publication, de traduction et
ddition, sous le titre de Tajdid al-Fikr al-Dini fi al-Islam (Renouveau
de la pense islamique en Islam(5)), le terme Tajdid tant, de toute faon,
synonyme de reconstruction en langue arabe. Louvrage de Mohamed Iqbal
peut tre considr, en tout tat de cause, comme une tentative avant-gardiste
dans le domaine de la rnovation de la pense islamique.
La rnovation de la pense islamique constitue, donc, une r-comprhension
de cette pense, le but tant de renouveler ldification civilisationnelle du
monde islamique.
5) Une seconde traduction a t publie par la Bibliothque dAlexandrie, Egypte, 2011 faite
par Muhammad Yusuf Adas.
Dr Abdulaziz Othman Altwaijri 199
Sources et rfrences
- Abdel Mutal al-Sadi, Les rnovateurs dans lIslam entre les 1er et 14me
sicles, Librairie al-Adb, le Caire, 1996.
Mohamed Iqbal*
2) Cette ide est incarne dans le Saint Coran par la Parole divine suivante : Mohammad
na jamais t le pre de lun de vos hommes, mais le messager dAllah et le dernier
des prophtes (Al-Ahzab : 40).
Mohamed Iqbal 203
dont le Coran aborde le terme Wahyi (en arabe, au sens dinspiration) est
une indication que celle-ci est une caractristique gnrale de la vie,(3) mais que
la nature et la spcificit de cette inspiration varie selon les tapes dvolution
de la vie. Les plantes, par exemple, poussent librement partout, et les animaux
qui voluent en sadaptant lenvironnement o ils vivent, et ltre humain
qui reoit la lumire des trfonds de son me, sont autant de cas de Wahyi
dont la nature diffre selon les besoins du rcipiendaire ou du type auquel il
appartient.
Il est vident que pendant son enfance, lhumanit avait acquis une nergie
psychique que jappellerais la conscience prophtique . Il sagit, en
loccurrence, dun mode dconomie sur le plan de la pense et du choix
individuel, pendant lequel ltre humain se prvaut de jugements, de choix
et de comportement prfabriqus (probablement les prdispositions dont
Dieu a gratifi ltre humain).
Mais avec la naissance de la raison et de la facult critique, la vie sattela inhiber
la formation et le dveloppement des modes irrationnels de la conscience,
travers lesquels lnergie psychique stait coule une tape antrieure
de lvolution de lhumanit. Or ltre humain est rgi essentiellement par
la passion et linstinct, et cest la raison inductive qui le rend matre de son
environnement. Celle-ci est donc une facult acquise qui doit, de ce fait,
tre renforce, car elle intervient pour inhiber le dveloppement dautres
modes de connaissance. Il est indubitable que lancien monde a produit
quelques grandes doctrines philosophiques lorsque ltre humain tait encore
relativement primitif, gouvern alors plus ou moins par linspiration. Mais il
faut garder prsent lesprit, nanmoins, que ces doctrines tait le fruit de
rflexions abstraites qui ne pouvaient aller au-del de la systmatisation de
3) Bien que le Wahyi rvl est strictement rserv aux prophtes, le Coran parle du Wahyi
relatif la terre :
Selon ce que ton Seigneur lui aura rvl [ordonn] (al-Zalzalah : 5). Pour ce qui
est du ciel, le Seigneur dit : [Il] rvla chaque ciel sa fonction (Fussilat : 12).
Sagissant des abeilles : [Et voil] ce que ton Seigneur rvla aux abeilles : Prenez des
demeures dans les montagnes, les arbres, et les treillages que [les hommes] font.
Puis mangez de toute espce de fruits, et suivez les sentiers de votre Seigneur,
rendus faciles pour vous. De leur ventre, sort une liqueur, aux couleurs varies,
dans laquelle il y a une gurison pour les gens. Il y a vraiment l une preuve pour
des gens qui rflchissent (Les Abeilles : 68-69).
204 Lesprit de la culture islamique
croyances et de traditions vasives, et sans nous donner une emprise sur les
situations concrtes de la vie.
Vu sous cet angle, le Prophte de lIslam nous apparat comme situ entre
deux mondes, lancien et le nouveau. Lancien lorsquil sagit de la source de sa
rvlation, et le nouveau, pour ce qui est de lesprit de sa mission. Avec lui, la
vie a dcouvert dautres sources de savoir adapt ses nouvelles orientations.
Ainsi, la naissance de lIslam nest-il autre que la naissance de la rflexion
inductive. Cest ce que je vais mefforcer de dmontrer de faon convaincante.
Dans lIslam, la caractristique de prophte atteint sa perfection simultanment
avec la dcouverte de la ncessit de mettre fin la srie des prophtes, de
sorte quelle devient le sceau des prophtes, au sens quil ny aura plus
jamais dautres prophtes.(4) Dans cette conjoncture, on acquiert la profonde
perception que la vie ne peut demeurer indfiniment maintenue par des ficelles,
car ltre humain doit atteindre la perfection dans le savoir et sappuyer sur ses
propres ressources intellectuelles. Labolition de la prtrise, associe lappel
continu la raison et lexprience, tel quil est prconis par le Coran, qui
insiste par ailleurs sur la contemplation de lunivers et de lhistoire comme
sources des connaissances humaines, reprsentent tous autant daspects de la
mme ide de finalit introduite par lIslam, savoir le sceau des prophtes
. Mais cette ide nimplique pas pour autant que lexprience mystique, qui
qualitativement ne diffre pas de lexprience prophtique, a cess dexister en
tant que ralit vitale. Il est certain, en outre, que le Coran prpare et lesprit et
lunivers la dcouverte de la connaissance.(5)
Dieu nous rvle Ses signes tant dans lexprience intrieure quextrieure.
Il est donc du devoir de ltre humain de mesurer sa capacit acqurir la
connaissance dans tous les aspects de lexprience.
Mais il ne faut pas que cette ide de finalit de la prophtie suggre que le
sort final de la vie est de remplacer lmotion par la raison, parce quune
telle chose nest pas plus possible que souhaitable. En ralit, lide revt une
4) Il est fait ici allusion une seule expression, mais qui est la dernire des versets rvls dans
le saint Coran, exprime dans la parole divine suivante : Aujourdhui, Jai parachev
pour vous votre religion, et accompli sur vous Mon bienfait. Et Jagre lIslam
comme religion pour vous (Al-Madah : 3).
5) Nous leur montrerons Nos signes dans lunivers et en eux-mmes (Fussilat : 53).
Mohamed Iqbal 205
10) Voir Lewes, The Biographical History of Philosophy, 1957, p. 306, o il dit : Cet ouvrage,
Revivification des sciences de la religion, ressemble normment au Discours de la
Mthode, de Descartes. Il y a eu effectivement une traduction de louvrage de Ghazali
lpoque de Descartes. Nombreux taient ceux qui auraient probablement contest ce
plagiat littraire.
11) Voir Al-Qists al-Mustaqm (La balance juste), chapitres 2-6. Voir galement E. I. Marmora,
Essays on Islamic Philosophy and Science, publi par Hourani, Chap. 2, pp. 102-103, ainsi que
lexpos exhaustif labor par Suzanna Dewland, sur al-Qists dans son ouvrage lIslam,
publi en 1961, pp. 171-174.
12) Pour dcouvrir la critique dal-Ichraqi pour la logique grecque figurant dans louvrage
Hikmat al-Ichraq, voir S. Hussein Nasr, traitant de Chehab al-Din al-Sahrawardi, rapport
dans A History of Muslim Philosophy, Vol. 1, pp. 384-385.
208 Lesprit de la culture islamique
Prtendre que la mthode exprimentale est une dcouverte europenne est donc
une aberration. A cet gard, Dhring (1833-1921) soutient que les rflexions de
Roger Bacon (1220-1292) sur la science sont plus prcises que celles du clbre
philosophe dont il partage le nom. Et do est-ce que Roger Bacon a-t-il reu sa
formation scientifique, si ce ntait dans les universits islamiques dAndalousie.
13) Voir louvrage Development of Metaphysics, in Peraia, publi en 1974, p. 64, qui dmontre
qual-Biruni et ibn al-Haytham ont tous deux contribu la psychologie exprimentale
moderne dans la dcouverte du temps de raction. En bas de cette page, lrudit Iqbal
Hachmine prsente un extrait de louvrage History of Philosophy in Islam, de T.J. de Boer, pp.
146-150, traitant de lexprience sensorielle chez al-Biruni et ibn al-Haytham.
14) Voir Opus Majus, Vol. 2, Chap. 5, pp. 419-482. Il convient de noter la remarque de
Sarton sur louvrage de Roger Bacon, sur loptique, qui est trs proche de celle de lrudit
Iqbal. Sarton dit, en effet : Loptique, cest--dire la science de la lumire, chez Bacon est
essentiellement axe sur lOptique dibn al-Haytham, assortie de certains ajouts simplistes
et applications pratiques.
Mohamed Iqbal 209
rjouir, et ce, tant sur le plan de lintellect pur que de la psychologie religieuse,
cest--dire le Soufisme lev. Pour une culture ayant une telle attitude, le
problme de lespace et du temps devient alors une affaire de vie et de mort.
Dans une prcdente confrence, jai parl de la manire dans laquelle le
problme de temps et despace se prsentait aux penseurs musulmans, en
particulier aux Acharites. Lune des raisons pour lesquelles la thorie atomique
de Dmocrite na jamais gagn en popularit dans le monde islamique rside
dans le fait que sa thorie comporte lhypothse dans lespace absolu. Aussi
les Acharites sappliqurent-ils dvelopper une nouvelle forme de thorie
atomique. Ils ont tent, cet effet, de surmonter les difficults poses par
lespace perceptif dune manire similaire la thorie atomique moderne.
Sagissant des mathmatiques, il convient de rappeler que depuis Ptolme
(87-165 aprs J.-C.), et jusqu lpoque de Nasir al-Dine al-Tousi (597-
672H/1201-1274), nul na srieusement rflchi aux difficults intrinsques
la dmonstration du postulat dEuclide sur les parallles (troisime sicle
avant J.-C.) sur la base de lespace perceptif.(15)
Ctait al-Tousi qui perturba la tranquillit qui rgnait dans le monde des
mathmatiques depuis quelque mille ans, car dans sa tentative de corriger la
thorie dEuclide, il se rendit compte de la ncessit dabandonner lespace
perceptif. Ce faisant, il venait dtablir une assise (toute fragile quelle ft)
au mouvement moderne de lhyperespace.(16) Mais cest al-Biruni qui, dans
son approche lide mathmatique moderne sur la notion de fonction, dun
point de vue purement scientifique, scarte l encore de la pense grecque en
constatant linsuffisance de la vision statique de lunivers.
15) Pour discuter le postulat dEuclide sur les parallles, appel galement le postulat du
paralllisme, voir le Trait dal-Tousi sur lincertitude dans les lignes parallles, Vol. 2, Chap.
8, pp. 1-40. Dans son commentaire sur cet ouvrage, Sarton (Ibid., Vol. 2, p. 1003) souligne
que le commentaire de Nasir al-Dine tait on ne peut plus exhaustif et judicieux.
16) Il existe une corrlation entre ce paragraphe et lobservation faite par lrudit Iqbal sur
al-Tousi dans le discours quil a donn Lahore, la la 5me Confrence orientale le 20
novembre 1928 sur le thme Appel ou Invitation pour une tude plus approfondie sur
les savants musulmans. Il a dit, dans cette circonstance, que les efforts dal-Tousi pour
amliorer le postulat dEuclide sur les parallles a permis lEurope de rsoudre le
problme de lieu, qui a abouti en fin de compte aux thories de Gauss et Ricmann. Voir
Speeches, Writings and Statements of Iqbal, p. 138.
212 Lesprit de la culture islamique
17) Voir le texte extrait par Iqbal de louvrage de Spengler Decline of the West, Vol. 1, p. 75, dans
son discours Appel pour une tude plus approfondie sur les savants musulmans ,
ainsi que sur la mthode quil a adopte pour lintgration de lide dal-Biruni sur la fonction
mathmatique : Speeches, writings and statements of Iqbal, pp. 135-136.
18) Voir M.A. Kadem, in Al-Biruni et la trigonomtrie, Exemplaire commmoratif sur al-
Biruni, notamment pp. 167 et 178, et dans la traduction anglaise de lextrait provenant de
louvrage Al-Qann al-Massaoudi dal-Biruni.
19) Voir M.R. Sadiqi, in Les mathmatiques et lastronomie, dans louvrage A History of
Muslim Philosophy, rdig par M.M. Chrif, Vol. 2, p. 1280.
20) Voir Al-Fawz al-Asghar, pp. 78-83. Voir galement dans Development of Metaphysics in Persia,
un rapport sur la thorie de lvolution dibn Maskawaih, telle quelle a t rsume par
Chebli Noamani dans son ouvrage Ilm al-Kalam, pp. 141-143.
Mohamed Iqbal 213
Mais alors que llment de distance nest pas entirement absent, la possibilit
de rsistance mutuelle dans lespace de la lumire est quasiment nulle. La lumire
dune bougie, par exemple, ne peut dpasser un quelconque point, et les lumires
de cents bougies ne sentremlent pas dans la mme chambre sans se dplacer
mutuellement.
Ainsi, et aprs avoir dcrit les espaces des corps physiques subtilit variable, Iraqi
procde la description de principales varits despaces occups par les diffrentes
classes dtres immatriels (les anges, par exemple). Llment de distance nest
pas entirement absent de ces lieux, car bien que ces tres puissent facilement
se dplacer travers les murs de pierre, ils ne peuvent renoncer entirement au
mouvement qui, selon Iraqi, dmontre limperfection de la spiritualit.
Le niveau le plus lev sur lchelle de la libert spatiale est celui que ltre
humain peut atteindre. Celui-ci, grce son essence unique, nest ni au repos
ni en mouvement. Il peut ainsi passer travers les diffrents espaces infinis
jusqu atteindre lespace divin, qui est absolument dnu de toutes dimensions et
constitue le point de convergence de tous les infinis.
Vous pouvez ainsi constater, de notre rsum de lopinion dIraqi, la manire dont
un musulman soufi cultiv explique intellectuellement son exprience spirituel
en matire de temps et despace, et ce, une poque o les thories et concepts
mathmatiques et physiques modernes taient encore inconnus.
Iraqi tente rellement daboutir au concept despace en tant quapparence
dynamique. Son esprit semble tre vaguement aux prises avec le concept despace
dans sa qualit de continuum infini. Mais il tait incapable dapprhender
pleinement les implications de sa pense, dune part parce quil ntait pas
mathmaticien et, dautre part, cause de son prjug naturel en faveur de lide
aristotlicienne traditionnelle dunivers immobile.
L encore, la compntration de lici super-spatial et du maintenant super-
ternel dans la Ralit ultime suggre la notion moderne de lespace-temps que
le Professeur Alexander (1806-1883) traite, dans ses confrences sur lEspace, le
Temps et la Dit, comme la matrice de toutes choses.
Iraqi, grce un regard plus attentif sur la nature du temps, a conclu que
le temps est le plus essentiel des deux ; et ce ne serait pas une mtaphore
Mohamed Iqbal 217
que dvoquer le Professeur Alexander qui dit que le temps est lesprit de
lespace (21).
Iraqi tablit une analogie entre le rapport de Dieu avec lunivers et lesprit
humain avec le corps. Mais plutt que daboutir cette conclusion de manire
philosophique travers la critique des aspects spatiaux et temporels de
lexprience, il la suggre sur la base de sa propre exprience spirituelle. Il
ne suffit pas de rduire lespace et le temps un point-instant phmre, car
la voie philosophique menant Dieu, en tant que psych omniprsent (ou
omnipsych) de lunivers, procde de la dcouverte de la pense vivante, en
tant que principe ultime de lespace-temps.
Bien que lesprit dIraqi aille dans le bon sens, ses prjugs aristotliciens,
associs une analyse psychologique insuffisante, entravaient ses progrs.
Lopinion quil avait de labsence de tout changement dans le Temps divin se
fondait clairement sur une analyse inadquate de lexprience consciente. Il
lui tait donc impossible de dcouvrir la relation existant entre le Temps divin
et le temps sriel, dcouverte qui lui aurait permis daboutir lide islamique
essentielle concertant la prennit de la cration et, par voie de consquence,
lexistence dun univers en perptuelle expansion.
Ainsi, toutes les lignes de la pense islamique convergent vers la conception
dun univers dynamique et changeant, opinion que renforcent respectivement
la thorie dibn Maskawaih sur la vie en tant que mouvement volutif et la
thorie dibn Khaldoun sur lhistoire.
Lhistoire, dsigne par le Coran comme Les jours de Dieu , constitue
la troisime source de la connaissance humaine, selon le Coran. Cest lun
des enseignements coraniques essentiels en vertu desquels les nations sont
juges collectivement et subissent le chtiment pour les mfaits commis ici-
bas. Pour affirmer ce prcepte, le Coran rapporte constamment des exemples
historiques et interpelle le lecteur rflchir sur lexprience passe et prsente
de lhumanit.
21) Lexpression mtaphorique de Samuel Alexander que le temps est lesprit de lespace se
retrouve dans dautres dclarations, telles que le temps, par rapport lespace, est la fois
le tout et les ingrdients et leurs contraires, et comporte une relation semblable celle
entretenu avec le cerveau. En bref, le temps est lesprit de lespace, et lespace le corps
du temps.
218 Lesprit de la culture islamique
Nous avons certes, envoy Mose avec Nos miracles [en lui disant]:
Fais sortir ton peuple des tnbres vers la lumire, et rappelle-leur
les jours dAllah.
[Ses bienfaits]. Dans tout cela il y a des signes pour tout homme plein
dendurance et de reconnaissance (Ibrahim : 5)
Parmi ceux que Nous avons crs, il y a une communaut qui guide
(les autres) selon la vrit et par celle-ci exerce la justice. Ceux
qui traitent de mensonges Nos enseignements, Nous allons les
conduire graduellement vers leur perte par des voies quils ignorent.
Et Je leur accorderai un dlai, car Mon stratagme est solide (Al-
Aarf:181-183) ;
Avant vous, certes, beaucoup dvnements se sont passs. Or,
parcourez la terre, et voyez ce quil est advenu de ceux qui traitaient
(les prophtes) de menteurs (Al-Umrn : 137) ;
Si une blessure vous atteint, pareille blessure atteint aussi lennemi.
Ainsi faisons-Nous alterner les jours (bons et mauvais) parmi les
gens (Al-Umrn : 140) ;
Pour chaque communaut il y a un terme (Al-Aarf : 34).
Le dernier verset constitue, en quelque sorte, lun des exemples dune
gnralisation historique spcifique qui, dans sa formulation pigrammatique,
voque la possibilit dtude scientifique de la vie des socits humaines,
considres comme des organismes. Ce serait donc une grossire erreur de
croire que le Coran est dpouill de toute mthode historique. En vrit, lesprit
des Prolgomnes, dibn Khaldoun, semble lui tre (lauteur) entirement
inspir par le Coran. Il est redevable au Coran mme dans son jugement sur les
caractres et la morale. A preuve, ce long paragraphe quil a crit sur le caractre
des Arabes en tant que nation. Le paragraphe, dans son ensemble, nest quune
explication dtaille des versets coraniques suivants : Les Bdouins sont
plus endurcis dans leur impit et dans leur hypocrisie, et les plus
enclins mconnatre les prceptes quAllah a rvls Son messager.
Et Allah est Omniscient et Sage. Parmi les Bdouins, certains prennent
leur dpense (en aumne ou la guerre) comme une charge onreuse,
et attendent pour vous un revers de fortune. Que le malheur retombe sur
eux! Allah est Audient et Omniscient (Al-Tawba : 97-98).
Mohamed Iqbal 219
22) Voir les Prolgomnes, Ch. 3, Vol. 51, Les Fatimides, traduit par Rosenthal, Vol. 2,
pp. 156-200. Ibn Khaldoun numre 24 hadiths portant sur la doctrine de Mehdi (dont
aucun ne provient dal-Boukhari ou de Muslim) et met en doute leur authenticit. Il
indique que tout ce qui se rapporte au Mehdi est le produit de limaginaire perse et non-
arabe, soulignant quen dfinitive ils nont aucun rapport avec lesprit vridique du Coran.
Voir Iqbal Nameh, Vol. 2, p. 231.
Lidentit culturelle musulmane entre authenticit,
modernit et dfis
Dr Mohammed Imara*
* Membre des Grands Oulmas dAl Azhar Al Charif et Rdacteur en chef du magazine
mensuel Al Azhar.
1) Jourjani attarifat , dition du Caire, 1938 et Abou Al baqa Al kafawi, annotation du Dr
Adnan Darwish Mohamed Al misri, dition de Damas, 1982.
226 Lidentit culturelle musulmane entre authenticit, modernit et dfis
2) Ibn Abdel Hakim, Futuhu misra wa akhbariha , p 46, Edition Leiden, 1920 ; ainsi que
lensemble des documents politiques de lpoque du prophte et du califat pp 72-73,
annotation Mohamed Hamid Allah ; dition du Caire, 1956.
Dr Mohammed Imara 229
Cest ainsi que sest forge lidentit de la nation musulmane et que lIslamit
est devenue une constante unificatrice dans cette identit civilisationnelle.
Nous sommes des Arabes et nous devons affirmer en cette re que nous
demeurerons des Arabes, les souffrances et les esprances nous ont unis, les
catastrophes et les afflictions ont resserr nos liens, les injustices et les alas
du temps nous ont permis de fusionner. Nous sommes donc arabes de ce
point de vue mais galement du point de vue de lhistoire de la civilisation
arabe en Egypte et le prolongement de notre origine smite qui remonte aux
smites venus chez nous de la Pninsule arabique. Lunit arabe est une ralit
bien prsente mais a besoin dtre organise pour sriger en un bloc uni et
permettre nos pays de sintgrer dans un nationalisme unique (5).
Cest en ces termes que Makram Pacha parlait de larabit de lidentit civilisationnelle
de la nation. Il disait galement propos de lislamit de cette identit des Coptes
dEgypte : Nous sommes musulmans dans notre patrie et chrtiens dans notre
religion. Nous timplorons O Dieu de faire de nous des musulmans pour toi et pour
la patrie des chrtiens et des chrtiens pour toi et pour la patrie des musulmans (6).
Parmi les membres du Saint-Synode de lEglise orthodoxe copte dAlexandrie,
Anba Moussa, vque de la jeunesse, a de son ct, soulign larabit de lidentit
culturelle et son islamit : Du point de vue de lidentit arabe : nous sommes
des Egyptiens de par notre ethnie mais la culture musulmane est celle qui
prvaut actuellement ; la culture copte tait la plus courante avant lavnement
de lIslam. Chaque Copte utilise dans son discours de nombreuses expressions
musulmanes quil utilise en toute simplicit sans prendre conscience quil sagit
demprunts. Ces expressions font au contraire partie intgrante des composantes
qui le constituent. Nous vivons larabe car cest notre identit culturelle et nous
sommes convaincus que la notion darabit est une notion politique conomique
et culturelle en plus de constituer notre destine commune. La relation entre
les racines et larabit est une relation de soutien et dappui mutuels. Il sagit
de cercles concentriques interdpendants. LEgypte a toujours t un pays
musulman pratiquant mais sans extrmisme. Si nous arrivons coexister en tant
que musulmans et coptes, dans le cadre dun renouveau religieux accompagn
dune renaissance nationale lavenir serait radieux (7).
8) Anba Yuhanna Qalta, interview suite une confrence que jai donne devant une audience
constitue dune lite chrtienne reprsentant les diffrentes communauts, Commission
gyptienne de la justice et de la paix, htel Al Houriyya ; nouvelle Egypte , le Caire, 9
novembre 1991.
9) Journal Al wafd , n 21-1 1933, le Caire.
234 Lidentit culturelle musulmane entre authenticit, modernit et dfis
12) Jamal Badawi, discorde communautaire (Al fitna attaifiya) : ses racines, ses causes, tude
historique et vision analytique , pp137-141, Edition le Caire, 1992.
13) Michel Aflaq, Ecrits politiques complets , vol. 3, pp 33-269, vol. 5 p 68, dition Bagdad,
1988. Voir aussi notre ouvrage : Courant nationaliste musulman dition Dar al Charq,
le Caire, 1417 H/ 1997.
14) Sondage de lopinion publique en Egypte sur lapplication des dispositions de la Charia
islamique en ce qui concerne les crimes contre la loi de Dieu (al hodoud), dition le Caire,
1985.
236 Lidentit culturelle musulmane entre authenticit, modernit et dfis
sereins. Telle fut leur situation par le pass lorsque la Charia prdominait.
Nous aspirons jouir des mmes droits et tre soumis aux mmes
obligations . LEgypte na de cesse dimporter des lois de lextrieur et nous
les imposer, alors que nous navons pas toutes les lois qui sont dtailles dans
lIslam. Comment alors pouvons-nous accepter les lois importes et refuser
les lois de lIslam (15)!
Ayant soutenu le principe de la gnralisation de la loi islamique tous les
fils de patrie , le pape Chenouda III a dit loccasion de ldiction de la loi
sur le divorce qui est demand par la femme (le Khooul) : Le principe
du Khul existe depuis toujours dans la loi islamique, et trs peu de gens le
connaissent. En vertu du principe de Khoul, une femme a le droit de demander
la sparation de son mari pour des raisons que le tribunal explicite, y compris
limpossibilit de la vie conjugale entre les poux. Si la loi sur le divorce permet
la femme musulmane de profiter de cette disposition, pourquoi la femme
chrtienne naurait-elle pas le droit den profiter galement. Il est patent quen
droit que la rgle qui prvaut est la gnralit de la loi. Une loi ne peut bnficier
certains dans une situation donne et pas dautres dans une autre situation.
Le Khoul permet donc aux femmes quelles soient chrtiennes ou musulmanes
de se sparer dun mari fatigu lexcs, surtout sil ya des raisons qui font
que la poursuite de leur vie conjugale savre impossible (16).
5. Attitude de rejet
Certaines voix nationalistes et sectaires se sont leves la suite du recul du
caractre runificateur de lIslam, de la fragmentation du pays et de la monte de
lextrmisme national et sectaire initi par les accords Sykes-Picot de 1916, ainsi
qu la suite de lexacerbation du sentiment nationaliste et communautariste raviv
par le succs de limprialisme et du sionisme par la cration de lentit sioniste en
17) Mohamed Al Sammak, minorits entre arabit et Islamit , p : 144, dition de Beyrouth ; 1990.
18) Sminaire sur la position dIsral face aux minorits ethniques et communautaires dans
le monde arabe , p 6, traduction Dar al arabiya li addirasat wa anachr, le Caire, 1992.
238 Lidentit culturelle musulmane entre authenticit, modernit et dfis
qui unifie les peuples dans le cadre dun panislamisme, et non pas revenir en
arrire et fragmenter ce qui est dj miett et morcel dans la patrie de larabit
et le monde de lIslam. Cest dailleurs cette mme voie que les partisans de
lamazighit politique empruntent au Grand Maghreb.
Sur cette mme voie, certains coptes gyptiens ont appel substituer lidentit
copte lidentit arabe et musulmane runificatrice.
6. Identit et droit
Si lidentit arabe et musulmane reprsente les traits, les caractristiques
et les constantes du champ commun la nation, et si dautre part, le droit
des transactions et comportement civil (fiqh al muamalat) est ce qui rgit le
mouvement de la socit, lidentit musulmane est lesprit et le rfrentiel qui a
gouvern le droit dans notre pays tout au long de lhistoire de lIslam. Par le pass,
avant que le rfrentiel intellectuel occidental et le positivisme lac ne viennent
concurrencer lidentit musulmane et le rfrentiel de la loi islamique (Charia),
le caractre islamique des textes de lois navait pas besoin dtre soulign, car
il ny avait pas dautre alternative pouvant rivaliser avec cette islamit. Le droit
et la jurisprudence dans notre pays nont jamais t historiquement qualifis
dislamique. Cest bien avec la pntration du droit positif occidental venu dans
le sillage de linfluence coloniale et de la conqute du monde musulman au
dix-neuvime sicle, que le besoin daffirmer la ncessit de lIslamit de notre
rfrentiel juridique en prenant partie fait et cause pour lidentit musulmane
dont les lois se distinguent des autres droits positifs occidentaux sest fait sentir.
Lorientaliste italien David De Santillana (1845-1931), professeur de la loi
islamique (Charia) et du droit romain a dit propos de la distinction de lidentit
juridique musulmane compare aux identits juridiques occidentales : Selon
une opinion courante, il est inutile dessayer de trouver un terrain commun
pour le droit de lOrient et de lOccident islamique et romain. Enferm
lintrieur du cadre rigide du dogme, le systme de lIslam ne peut pas tre
rduit nos formules et nos lois. En tant que systme de loi religieux, il est en
contradiction avec nos ides. La signification de la loi et de la jurisprudence pour
nous comme pour nos prdcesseurs est lensemble cohrent de rgles dictes
directement par le peuple ou par ses reprsentants. La loi puise sa lgitimit
de la volont, de la perception et des comportements des tres humains et de
leurs coutumes ; sauf que la loi, selon les anciens et nous-mmes, est la norme
Dr Mohammed Imara 239
juridique approuve par le peuple, directement ou travers les organes qui les
reprsentent et tire son autorit de la raison et de la volont de lhomme, sa
nature morale et ses coutumes .
La conception musulmane est tout fait diffrente. Se soumettre cette loi
est la fois un devoir social et un prcepte de la foi.Quiconque la viole, porte
non seulement atteinte lordre juridique, mais commet un pch. Le systme
permet cependant, une grande latitude la volont humaine et attache une
grande importance lesprit plutt qu la lettre. Cette loi gale pour tous, repose
essentiellement sur la foi solide. La volont humaine, quel que soit son expression,
est suffisante pour crer un lien juridique. Il narrive que rarement que la validit
ou la nullit dun acte dpendent de la forme. Partout la limite de la loi et de ses
mesures est trace par la morale. La loi islamique (Charia) est une loi volutive
et non rigide. Ce que les musulmans ont t unanimes considrer comme
bien, est bien selon le jugement de Dieu . Cette Loi pourrait par consquent,
lgitimement revendiquer un rang lev dans lapprciation des experts (19).
Au nom de cette distinction de la Charia et du droit musulman, Rifaa Al
Tahtaoui (1216-1290H/1801-1873) a adopt une attitude de rejet vis--vis de la
pntration du droit positif europen dans les tribunaux des ports commerciaux
sous le Khdive Said (1279-1279H/1822-1863) en avril 1855. Dfendant le
fiqh et le droit musulman qui reprsentent lidentit de la nation, Tahtaoui a
dit : les transactions jurisprudentielles si elles taient organises et suivies,
nenfreindraient aucunement les droits, car rconciliant temps et situation. Il
suffit dexaminer de prs les ouvrages du fiqh pour se rendre vite compte quils
comportent une organisation des questions utiles lies lintrt public. Ils
ont ainsi consacr des parties entires aux transactions juridiques y compris
les dispositions relatives au commerce. En effet, cet ocan quest la Charia na
laiss, malgr la multiplicit des desseins, aucune question importante, petite ou
grande sans lapprofondir et la consolider. Les dispositions politiques ne font
pas abstraction des doctrines lgales, car il sagit du fondement (asl) et toutes les
doctrines politiques en constituent les rgles drives ou branches (furou)(20).
19) Santillana Loi et socit livre Islamic heritage , pp 431-435-438-439 traduction Jijiss
Fath Allah ; Beyrouth, 1975.
20) Tahtaoui, uvres compltes vol. 1 pp : 544-369-370, tude et vrification, Dr
Mohamed Emara, Beyrouth, 1973, dition maktabat al ousra, le Caire 2010.
240 Lidentit culturelle musulmane entre authenticit, modernit et dfis
21) Abel Razzaq Sanhouri : Islamiyat Sanhouri Pacha , vol. 1 pp 133-145-160, vol. 2, pp 704-707,
tude et annotation Dr Mohamed Emara, dition Da assalam, le Caire, 2010.
242 Lidentit culturelle musulmane entre authenticit, modernit et dfis
Il se languissait tant de la Mecque quil implorait Dieu, alors quil tait Mdine,
de lui faire aimer cette ville comme il aimait la Mecque, ou plus encore. Cet
amour pour sa ville natale est rest vivace jusqu son retour la Mecque,
conqurant et clment pour ces habitants qui lavait perscut et opprim.
Telle est la place de la patrie dans la vision islamique : un sens dappartenance
et de loyaut qui prserve lhomme de la dperdition, et une destination vers
laquelle les curs brulent de dsir et daffection. LImam et Cheikh Abduh
(1266-1323H/1849-1905) disait ce propos en expliquant la parole divine :
[Considre le cas de ceux qui, par milliers, furent contraints de fuir leurs
foyers, par crainte de la mort, et auxquels Dieu a dit : Mourez donc !
Puis Il les rappela la vie. ] (Sourate la vache, verset 243).
Il a dit : quitter le pays dans le sens de compromettre son indpendance est une
mort, alors que prserver son indpendance est une vie et une rsurrection (22) .
Partant de cette vrit relative la place prominente de lamour de la patrie et
de la loyaut envers le pays, les pionniers de la renaissance Islamique moderne
ont accord la notion de partie en gnral et lEgypte en particulier, une
trs grande importance. Ils ont lanc les slogans dun Panislamisme et ont
affirm lidentit musulmane. La patrie tenait une place de choix dans leurs
curs. Jamal Al Din Al Afghani (1254-1314 H/ 1838-1897) reprsentant
emblmatique de ces pionniers, lana le slogan du Panislamisme (al Jamia
al Islamiyya) et celui de lEgypte aux gyptiens . Cest galement lui qui
cra le parti national libre . Evoquant son attachement fort lEgypte et
la place de celle-ci dans son cur, dans sa raison et dans son militantisme,
il a dit : Parmi les pays de Dieu lEgypte est celle que jaime le plus, cest
lendroit le plus important de lOrient. Les musulmans la considrent lune
des terres saintes et lui rservent une place particulire dans leurs curs tant
donn son importance dans lempire musulman. Elle est la porte qui donne
sur les Deux lieux Saints (la Mecque et Mdine). Si cette porte est scurise,
les musulmans se sentent alors rassurs sur la scurit de ces lieux et sur lun
des piliers de lIslam .
22) Imam Mohamed Abduh, uvres compltes , analyse et annotation par Mohamed
Emara, Beyrouth, 1972 et Dar Al Charq, le Caire, 1993
Dr Mohammed Imara 245
Lorsque Al Afghani regardait vers lavenir, il mettait tous ces espoirs dans
le leadership de lEgypte pour renouveau de lIslam et la renaissance de
lOrient : Il nest pas exclu que la capitale de lEgypte devienne la ville la
plus consquente de lempire de lorient. Bien au contraire, cela a toujours
t chose acquise dans lesprit des peuples voisins des pays mitoyens. Cest
leur unique espoir chaque fois quils courent un danger ou font face une
situation difficile (23).
Que dire de Mustapha Kamal (1291-1326 H/ 1874-1908) qui a milit sous la
bannire du Panislamisme, lui le pote du nationalisme gyptien lorigine du
slogan : Si je ntais pas gyptien jaurai aim ltre .
Que dire aussi de Hassan Al Banna (1324-1368H/ 1906-1949) qui a beaucoup
tudi les champs dappartenance qui commencent par lappartenance au
pays. Il a dit ce propos : LEgypte est un morceau de la terre de lIslam,
cest le leader de ses nations. Elle est au premier rang des pays et des peuples
musulmans. Nous esprons ltablissement en Egypte dun Etat musulman
qui embrasse lIslam et unifie la voix des Arabes, qui protge les musulmans,
partout, des agressions de leurs ennemis et qui propage la parole de Dieu et
diffuse son message. Nous aimons notre pays lEgypte, nous sommes attachs
son unit. Il ny a pas de honte pour un homme tre loyal son pays,
se sacrifier pour son peuple, dsirer le progrs et la prosprit pour ce pays,
lui donner la prsance en toute action et prfrer la personne la plus proche
en parent et en voisinage. Nous sommes partisans de ceux qui appellent au
nationalisme, et du zle quils y mettent lorsque ce zle est bnfique pour le
pays et les peuple. Le nationalisme nest gure autre chose quune partie des
enseignements de lIslam. Le champ du nationalisme dans notre appel est le
premier fondement de la renaissance et le nationalisme arabe (Panarabisme)
est le second maillon dans la chane de cet veil. Le Panislamisme constitue,
quant lui, lenceinte qui entoure la nation musulmane dans sa totalit. Ces trois
maillons ne sopposent aucunement car ils sont solidaires, et compltent les uns
les autres pour la ralisation de leur finalit (24).
23) Jamal Al Din Al Afghani, uvres compltes , analyse et annotation par Mohamed
Emara, pp479-486-467, le Caire 1968.
24) Hassan Al Banna, ensemble des lettre du martyr Hassan Al bana , la lettre Cinquime
congrs et la lettre notre appel , pp 19-176-178, dition Dar Al chabab, le Caire, non dat.
246 Lidentit culturelle musulmane entre authenticit, modernit et dfis
Dr Mohamed Kettani*
arabes adjacentes ces terres jouaient un rle capital dans ces raids. La rivalit
entre ces deux puissances politiques a largement influenc le commerce
caravanier transitant du Sud au Nord et de lEst lOuest, tant sur le plan de
leur protection et organisation que des services leur permettant de poursuivre
leurs chemins. La Mecque tait le plus grand centre urbain du Hedjaz et le
vritable pouls du commerce. Plus encore, les seigneurs de la Mecque taient
les vrais bnficiaires de ce commerce rythm, hiver comme t, par les
voyages caravaniers. Ils avaient conscience de la ncessit de prserver le
statut et les traditions de cette ville, o taient rassembles lensemble des
statues quadoraient les tribus arabes dans leur totalit, et qui tait considre
comme un march saisonnier ouvert au commerce de tout bord, ainsi quun
dpt de richesses et lun des haut-lieux de lathisme arabe.
Dans cette atmosphre, les seigneurs de la ville navaient dautre proccupation
que de prserver leur prestige, leurs fortunes et les coutumes tribales. Il est
probable quils aient song tablir une sorte dunit qui constituerait une
force dissuasive face toute tentative visant bouleverser ces intrts et
coutumes. Mais nous ne devons pas tre induits en erreur par le sentiment
furtif qui mergeait sporadiquement quant au besoin dtablir des relations
de solidarit et dalliance, telle la Ligue dAl-Fudul (des vertueux), qui sest
tenue avant lre de la Nubuwwah (prophtie), laquelle le Prophte (PSL),
encore enfant, a pris part, et organise prtendument pour protger le pauvre
contre le riche et lopprim contre loppresseur.(1) La socit mecquoise, tant
disloque et ployant sous la sujtion de ses coutumes et sa cupidit matrielle,
tait contrainte dtablir des alliances tribales fondes sur lgalit des forces
respectives et lquilibre de linfluence des statues adores.
La socit mecquoise tait ronge par les vices, o les riches et les usuriers
exploitaient les pauvres et les ncessiteux, aveugls par la cupidit et les
traditions athistes qui les empchaient de voir la lumire, insuffle par le
ciel travers le message de lIslam ainsi que par lappel fait par un jeune de la
Mecque pour adorer le Dieu Unique, ne rien Lui associer et rejeter les vices
rpandus. Le Coran regorge dindices sur les vices et les croyances. Certains
seigneurs de Qurach, par exemple, foraient leurs servantes se prostituer
1) Ibn Hicham, Al-Rawd Al-Unuf Fi Tafsir Al-Sira Al-Nabawiyya, Abu Al Qasim As-
Souhali, Vol. 1/155.
Dr Mohamed Kettani 249
2) Pour plus de dtail sur ces classes, voir Dr Jawad Ali, Al-Mufassal Fi Tarikh Al-Arab
Qabl Al-Islam, Vol. 4, pp. 541 et suivantes.
3) Op. cit., p. 543.
250 Le Coran, fondement du dialogue
5) Tahqiq Ma Lil-Hind Min Maqula, Maqboulah Fil Aql Aw Mardhoula, de Abu Al-
Rayhan Al-Biruni (Etude des ides de lInde, quelles soient conformes la raison ou rejetes
par celle-ci).
252 Le Coran, fondement du dialogue
par le fait que ces idoles symbolisent les mdiateurs entre lhomme et ses dieux,
le rapprochant deux et intervenant dans des questions lies la richesse, la
progniture, la sant, le statut, la chance, la victoire ou la dfaite.
Ils croyaient aussi aux djinns et aux archanges, convaincus que les dieux les
ont dots de pouvoirs spciaux parce quils sont plus proches deux. Aussi
qutaient-ils leurs faveurs au moyen dincantations et damulettes. Le prtre
tait leur reprsentant. Dautres croyaient que les archanges sont les filles des
dieux, notion rpandue dans les tribus de Qurach, de Juhana, de Bni Salma
et de Khozaa. Cest dans cette conjoncture que le Tout-Puissant a dit : Pose-
leur donc la question : Ton Seigneur aurait-Il des filles et eux des fils ? Ou
bien avons-Nous cr des Anges de sexe fminin, et en sont-ils tmoins ?
Certes, ils disent dans leur mensonge : Allah a engendr ; mais ce sont
certainement des menteurs! (6).
Sagissant des croyances de ceux-l, le Seigneur dit : Et un jour Il les
rassemblera tous. Puis Il dira aux Anges : Est-ce vous que ces gens-l
adoraient ? Ils diront : Gloire Toi! Tu es notre Alli en dehors deux.
Ils adoraient plutt les djinns, en qui la plupart dentre eux croyaient (7).
Les prtres, mages et devins nont videmment pas hsit tirer parti de cet
athisme aux doctrines multiples, si bien que le cerveau tait devenu lotage
des coutumes, hermtique toute lumire venue du ciel. Pis encore, il avait
perdu toute efficacit, proccup par des choses autres que la rflexion et
lexploration.
Lorsque le Saint Coran appart au sein de ce concert htroclite de religions,
il tait ncessaire quil sadresse tout un chacun de leurs adeptes, y compris
les Chrtiens partisans de la Trinit, les Juifs falsificateurs du Livre, les Sabens
adorateurs des toiles ou anges, les Mages adorateurs du feu, les associateurs
ou les paens, ou les ngateurs de lexistence du Tout-Puissant qui rfutent
lensemble des prophties, et les adorateurs des statues et icones, linstar de
leurs parents.
Le Saint Coran sadressait ainsi lensemble de ces catgories, en connaissance
de cause, tant le miroir qui reflte toutes les croyances en cours lpoque de
6) Al-Saft : 149-152.
7) Sabaa : 40-41
Dr Mohamed Kettani 253
8) Al Imrane : 103.
9) Al-Anfl : 62-63.
10) Al-Baqara : 113.
11) Al-Taba : 30.
254 Le Coran, fondement du dialogue
Tahrim, prononc au nom de Dieu sans intermdiaire, est invalide parce quil
na pas t dict par Dieu ou par le biais dun messager. Aucun messager ne
leur tant venu avant le Prophte (PSL), tout ceci est donc invalid. Ainsi, le
plaignant aura gain de cause ; en dautres termes, tout ce quils ont dit ntait
quaberration et une diffamation lencontre de Dieu.
4. Type de mesure dexemple : Dans ce cas de figure, le Mustadil (raison
claire) mesure llment quil plaide par rapport un autre lment
connu et dmontre le point commun aux deux. Les versets correspondant
cette approche sont nombreux, et nous nen prendrons pour lexemple
que la parole divine suivante : hommes! Si vous doutez au sujet
de la Rsurrection, Cest Nous qui vous avons crs de terre, puis
dune goutte de sperme, puis dune adhrence puis dun embryon
[normalement] form aussi bien quinforme pour vous montrer
[Notre Omnipotence] et Nous dposerons dans les matrices ce que
Nous voulons jusqu un terme fix. Puis Nous vous en sortirons [
ltat] de bb, pour quensuite vous atteigniez votre maturit. Il en
est parmi vous qui meurent [jeunes] tandis que dautres parviennent
au plus vil de lge si bien quils ne savent plus rien de ce quils
connaissaient auparavant. De mme tu vois la terre dessche: ds
que Nous y faisons descendre de leau elle remue, se gonfle, et fait
pousser toutes sortes de splendides couples de vgtaux. Il en est
ainsi parce quAllah est la vrit; et cest Lui qui rend la vie aux
morts; et cest Lui qui est Omnipotent. Et que lHeure arrivera; pas
de doute son sujet, et quAllah ressuscitera ceux qui sont dans les
tombeaux (Al-Hajj : 5-7).
Ne voyez-vous pas que le Seigneur a mesur la question de retour de ltre
humain travers sa parfaite recration dans lau-del, ce qui suscitait la
dsapprobation des Arabes, par rapport ce qui ne soulve aucun doute :
la premire cration. Aussi cette mesure est-elle pas une approche qui est
au fate de la majest, de la perfection et de la beaut !
Le Tout-Puissant produit souvent des exemples pour rapprocher les vrits
de lintellect de ltre humain. Dieu dit, par exemple, en rpondant ceux qui
adorent les statues : Et ils adorent, en dehors dAllah, ce qui ne peut leur
procurer aucune nourriture des cieux et de la terre et qui nest capable
260 Le Coran, fondement du dialogue
de rien. Nattribuez donc pas Allah des semblables. Car Allah sait,
tandis que vous ne savez pas. Allah propose en parabole un esclave
appartenant [ son matre], dpourvu de tout pouvoir, et un homme
qui Nous avons accord de Notre part une bonne attribution dont
il dpense en secret et en public. [Ces deux hommes] sont-ils gaux?
Louange Allah! Mais la plupart dentre eux ne savent pas. Et Allah
propose en parabole deux hommes: lun deux est muet, dpourvu de
tout pouvoir et totalement la charge de son matre; Quelque lieu o
celui-ci lenvoie, il ne rapporte rien de bon; serait-il lgal de celui qui
ordonne la justice et qui est sur le droit chemin ? (Al-Nahl : 73-76).
Dans ces versets, Dieu a dmontr la nullit de ladoration des idoles, car elles
ne possdent aucune attribution et ne peuvent ni tre utiles ni nuisible. Il a
donn deux exemples pour dmontrer que lon ne peut comparer que deux
choses de mme pouvoir. Comment donc lathe peut-il comparer entre le
Tout-Puissant et des pierres qui ne peuvent ni tre utiles ni nuisible ?(13)
Les thologiens ont cit dautres types dapproches coraniques pour le dialogue,
tels que la discussion positiviste, la rsignation, la transition, la contradiction,
et lalignement. Nul besoin danalyser ces approches ds lors que ces types
seront abords travers lanalyse de quelques dialogues coraniques.
Par ailleurs, lexamen du Coran sur le plan de la contexture, nous constatons
quil se compose de nouvelles, dassentiments, dinterrogations, dinjonctions et
dinterdits. Mais sur un plan gnral, il apparat comme un dialogue continu contre
le Crateur et lensemble de Sa cration, commencer par ltre humain, Son
lieutenant sur terre charg dincarner cette lieutenance. Plus encore, on trouvera
les formes de ce dialogue reprsentes souvent dans la parole et ses drivs, les
questions et les rponses. Le Coran contient, par exemple quelque huit cents
formes du verbe qla (dire), qlou (ont dit), contre peine la moiti,
voire moins, de la forme ql (dis), par laquelle le Prophte a t enjoint de
transmettre lordre de son Dieu. Quant aux drivs du verbe qla , ils figurent
plus de mille huit cents fois dans le Coran. Cela est amplement suffisant pour
dmontrer que le Coran sappuie principalement sur le mode du dialogue
dans lorientation de lappel distinguer entre le vrai et le faux.
13) Muhammad Abou Zahra, Tarikh Al-Jadal (Histoire de la dialectique), Dar Al-Fikr
Al-Arabi, 1980, pp. 62-71.
Dr Mohamed Kettani 261
Parmi les exemples dinterrogation dngatoire, qui est galement lun des
traits du dialogue, on peut lire les paroles divines suivantes :
- Allah nest-Il pas le meilleur savoir ce quil y a dans les poitrines
de tout le monde ? (Al-Ankabout : 10) ;
- Celui qui a cr les cieux et la terre ne sera-t-Il pas capable de crer leur
pareil ? Oh que si ! et Il est le grand Crateur, lOmniscient (Yacine : 81) ;
- Allah ne suffit-Il pas Son esclave (Al-Zumar : 36) ;
- Cela nest-il pas la vrit? Ils diront: Mais si ! Par notre Seigneur !
(Al-Anam ; 30) ;
- Celui-l (Allah) nest-Il pas capable de faire revivre les morts?
(Al-Qiyama : 40).
Quant aux formes interrogatives, il est difficile de les recenser, notamment sur
le plan du raisonnement en matire de Rububiyya ou dincitation la rflexion
et lobservation, en mettant laccent sur lintensification argumentaire
autour du ngateur de la Vrit en le confrontant lultime et unique rponse.
Les paroles divines suivantes sont des exemples parmi dautres : Dis :
Parmi vos associs, qui donne la vie par une premire cration et la
redonne [aprs la mort] ? Dis : Allah [seul] donne la vie par une
premire cration et la redonne. Comment pouvez-vous vous carter
[de ladoration dAllah] ? (Yunus : 34) ;
Dis : Est-ce quil y a parmi vos associs un qui guide vers la vrit ?
Dis: Cest Allah qui guide vers la vrit. Celui qui guide vers la vrit
est-il plus digne dtre suivi, ou bien celui qui ne se dirige quautant
quil est lui-mme dirig ? Quavez-vous donc? Comment jugez-vous
ainsi ? (Yunus : 35).
262 Le Coran, fondement du dialogue
Parmi les autres approches du dialogue dans le Coran figure le discours que Dieu
adresse Ses sujets sous forme de compte Lui rendre sur leurs actions, soit
directement soit par le truchement de Ses prophtes, et dans quelle mesure ces
actions mriteraient le chtiment dAllah. Les paroles divines suivantes en sont
des exemples :
- Dis : Informez-moi : si le chtiment dAllah vous vient, ou que
vous vient lHeure, ferez-vous appel autre quAllah, si vous tes
vridiques? (Al-Anam : 40) et
- Dis : Voyez-vous ? Si Allah prenait votre oue et votre vue, et scellait vos
curs, quelle divinit autre quAllah vous les rendrait ? (Al-Anam : 46).
Cette forme se retrouve plus de vingt fois dans le Coran.
Il est aussi le type de Muhajaja (largumentation taye par la preuve), ainsi
quil appert des paroles divines suivantes :
- Vous avez bel et bien disput propos dune chose dont vous
avez connaissance. Mais pourquoi disputez-vous des choses dont
vous navez pas connaissance ? Or Allah sait, tandis que vous ne
savez pas (Al Imrane : 66) ;
- A ceux qui te contredisent son propos, maintenant que tu
en es bien inform, tu nas qu dire: Venez, appelons nos fils
et les vtres, nos femmes et les vtres, nos propres personnes et
les vtres, puis profrons excration rciproque en appelant la
maldiction dAllah sur les menteurs (Al Imrane : 61) ;
- Dis: Discutez-vous avec nous au sujet dAllah, alors quIl est
notre Seigneur et le vtre ? A nous nos actions et vous les vtres !
Cest Lui que nous sommes dvous (Al-Baqara : 139).
Le Coran prvoit galement, entre autres types de dialogue, celui dinviter
avec bienveillance ladversaire discuter, ou faire appel sa conscience pour
distinguer, tout seul, le bien et le mal.
Dieu dit, cet gard : Dis : Qui vous nourrit du ciel et de la terre? Dis :
Allah. Cest nous ou bien vous qui sommes sur une bonne voie, ou dans
un garement manifeste . Dis : Vous ne serez pas interrogs sur les
crimes que nous avons commis, et nous ne serons pas interrogs sur ce
Dr Mohamed Kettani 263
que vous faites. Dis : Notre Seigneur nous runira, puis Il tranchera
entre nous, avec la vrit, car cest Lui le Grand Juge, lOmniscient
(Saba : 24-26).
Ce verset exprime pleinement limpartialit dans le dialogue. En effet, bien
que nulle personne doue de raison ne conteste la ralit des moyens de
subsistance et leurs sources, le Tout-Puissant a inspir Son Prophte pour dire
aux ngateurs que le droit ne peut procder que de la foi dans cette ralit de
lun des deux groupes, et son dsaveu par lautre. Il convient ici de mditer sur
la faon dont le Coran sadresse aux ngateurs de la Vrit, adoptant la manire
la plus loquente pour atteindre leurs curs. Lorsquil a dmontr que lun
des deux groupes tait dans le vrai et lautre dans lerreur et que le crime est
une dviation du droit, il a tranch en dcidant quaucun ne sera responsable
des actes de lautre. Mais par souci de bienveillance et dincitation lauto-
responsabilisation, il a imput les crimes au comportement des croyants,
alors quau groupe de mcrants, il a opt pour le seul critre de laction.
Transcendant ensuite le dbat, le Coran a dcid que celui qui rassemblait les
gens au Jour Dernier tait leur Dieu, cest--dire leur Crateur, qui connat
bien le contenu de leurs poitrines et qui interviendra pour trancher entre eux
sur les points de divergence. Trancher , dans le verset, signifie le dpartage
par le biais de la vrit. Ainsi, le dbat passe de la suggestion et de linspiration
laffirmation, qui met laccent sur la franche conclusion au Jour Dernier que
les mcrants sont les gars. Dans la dialectique, cette progression sappelle la
transcendance. Aprs cela, le Coran passe ltape suprieure en demandant
aux interlocuteurs ce quils seront incapables daccomplir : Dis: Montrez-
moi ceux que vous Lui avez donns comme associs (Saba : 27).
Cette transition de la mthode justifiant linvalidit du caractre divin des idoles
celle de son invalidit par la mthode dinterrogation pour la recherche de
lvidence a incit au retour la mthode de raisonnement quant la ngation
de lexistence du possible.(14) Aussi le Coran procde-t-il la dngation sur
la base de la constatation de la ralit lorsquil leur demande de lui prsenter
ces personnes, associateurs de Dieu. Ils nauront alors dautre alternative que
de lui indiquer les statues. Mais quelles sont les spcificits de ces statues
qui dsigneraient le caractre divin ? Est-ce la pierre inanime dont elles se
14) Mohamed Tahar ben Achour, Tafsir Al-Tahrir Wal Tanwir, Vol. 22/193/1.
264 Le Coran, fondement du dialogue
Ce qui est demand dans ce verset, cest de peupler la terre et dy installer une
civilisation la fois au sens spirituel et matriel.
Toute civilisation, nayant pas pour socle ces deux piliers ou qui se contente de lun
ou de lautre, ne peut prtendre tre une vraie civilisation. Il ne sagirait tout au plus
que dune civilisation aveugle sinon boiteuse.
Aucune civilisation ne nat dun vacuum, il est impratif quil y ait des motivations
fortes pour inciter les personnes travailler activement pour raliser le progrs
matriel et spirituel des peuples et des nations.
Avec lavnement de lislam les choses ont compltement chang et la vie des
Arabes a subi, partout, une profonde mutation jamais gale dans lhistoire.
Lislam leur a insuffls une nouvelle nergie et les a transports vers les vastes
horizons de la science et du savoir. Grce lislam ils ont pu fonder une
glorieuse dynastie qui stendait de la Chine en extrme Orient lAndalousie
en extrme Occident.
Une telle contemplation de lunivers des royaumes des cieux et de la terre entraine
la prosprit et lpanouissement spirituel ; Dieu na-t-il pas dit : { Nous leur
montrerons Nos signes dans lunivers et en eux-mmes, jusqu ce quil leur
devienne vident que cest cela (le Coran), la Vrit. Ne suffit-il pas que ton
Seigneur soit tmoin de toute-chose ?} (Sourates les versets dtaills, verset 53)
Nest ce pas l autant de motivations qui incitent lhomme difier une civilisation
suprieure aux fondements solides, y travailler comme sil allait vivre ternellement
tout en prparant lau-del comme sil allait mourir demain ou comme le veut
ladage : uvre pour la vie ici-bas comme si tu allais vivre ternellement et pou
lau-del comme si tu allais mourir demain . Leffort de lhomme daprs lislam,
doit concerner ces deux aspects la fois dans un parfait quilibre.(4)
Cest dailleurs lessence mme du verset coranique : {Et recherche travers ce
quAllah ta donn, la Demeure dernire. Et noublie pas ta part en cette
vie.} (Sourate les rcits, verset 77)
Le rle essentiel de lislam dans le dveloppement de la pense civilisationnelle
chez les musulmans apparait donc clairement la lumire de ces enseignements du
Coran. Le Coran na jamais trait la civilisation en tant que question marginale, au
contraire il en a fait un devoir, non moins important que les autres obligations, pour
le musulman. Cest cet aspect que nous allons essayer de montrer travers le noble
coran et la tradition du prophte (saws).
Boucler la boucle
Dieu tout puissant a voulu que lislam vienne parachever la srie des autres
messages divins adresss lhumanit. Dieu dans sa sagesse a tenu ce que les
prceptes du noble coran renferment tous ce qui peut permettre aux musulmans
dtre de vrais pionniers dans les domaines de la science et de la civilisation afin
de faire bnficier lhumanit des fruits des fondements de leur religion tels que
consigns dans le noble Coran et la tradition du prophte. La rvlation de parole
divine envoye au prophte (saws) a boucl la boucle et fut la meilleure expression
du dessein dune civilisation intgre. Cest dailleurs ainsi que les cinq premiers
Le noble coran a trac la voie de faon claire lhomme pour quil puisse utiliser
toutes ses capacits intellectuelle et de raisonnement pour une lecture approfondie
du texte sacr, ce texte ouvert qui est le noble coran pour. La voie pour lui
permettre ddifier une civilisation dans cet univers que Dieu a cre et mis sa
disposition pour devenir le champ o il dploie tous ses efforts pour fonder une
civilisation pour le bienfait de lhumanit entire.
Le coran met laccent sur le fait que lorsque Dieu a voulu quAdam descende sur
terre il lui a donn pour arme la science qui va lui permettre de prparer la terre
recevoir lhumanit, comme en tmoigne la parole divine : { Et Il apprit Adam
tous les noms (de toutes choses)} (sourate la vache, verset 31) Le sens de ce
verset est que Dieu a donn les cls du savoir lhomme et il lui incombe ainsi
qu ses descendants, une fois sur terre duvrer et dutiliser ces cls pour sonder
les arcanes de cette science ; chose qui ne peut se raliser que par lutilisation de
toutes les capacits intellectuelles et scientifiques que Dieu a octroyes lhomme.
Le noble coran ne sest pas limit explorer les trsors cachs de la science et en
divulguer les secrets dans un seul domaine, il a, bien au contraire, ouvert les vannes
pour que lhomme puisse disposer de lunivers, en faire son champ dexploration
et y puiser tout ce qui peut laider matriellement et spirituellement. Les cieux
et la terre et ce qui se situe entre eux sont mis la disposition de lhomme dont
Dieu a fait son reprsentant sur terre. Lunivers est, encore une fois, le champ
dexploration par excellence de lhomme, Dieu a dit : {Et Il vous a assujetti tout
ce qui est dans les cieux et sur la terre, le tout venant de Lui. Il y a l des
signes pour des gens qui rflchissent.} (sourate lagenouille, verset 13)
Les miracles de Dieu sont dissmins partout dans ce vaste univers, ceux qui
russissent en percer le mystre sont ceux qui utilisent au maximum leurs
capacits scientifiques et leurs et leurs facults mentales.
270 Le rle de lislam dans le dveloppement de la pense civilisationnelle chez les
musulmans
peuple afin quils soient sur leur garde ?} (Sourate le repentir, verset 122).
Il est demand aux musulmans daller jusquen Chine en qute de savoir et
de ne pas hsiter chercher ce savoir mme auprs des non musulmans. Le
savoir appartient tous et lislam, non seulement, exhorte acqurir le savoir
mais promet une grande rtribution au dtenteur du savoir. Et le Messager
(bndiction et salut soient sur lui) nous a informs que la recherche du savoir
balise la voie vers le paradis. Cest ce propos quil dit : Quiconque sengage
dans la voie de la recherche du savoir, Allah lengage facilement dans la voie du paradis (6).
De mme que les anges dploient leurs ailes celui qui cherche le savoir pour
montrer leur satisfaction. Lislam a galement compar lencre quutilisent
ceux qui sont en qute du savoir et les dtenteurs de ce savoir au sang vers
par les martyrs. Si les martyrs dfendent aux prix de leurs vies leur Oumah,
les savants la dfendent avec leurs penses et leur raisonnement, contribuant
ainsi au dveloppement de leur pays. Les musulmans ont prouv par le pass
quils ntaient pas ferms aux civilisations passes, ils taient ouverts et ont
su tirer profit du patrimoine de lhumanit. Le noble coran nous exhorte
tudier le monde, les rcits des peuples anciens et de tirer des leons de ce
patrimoine humain : {Dans leurs rcits il y a certes une leon pour les
gens dous dintelligence.} (Sourate Joseph, verset 111)
Lminent philosophe Averros estimait que ltude des livres des prdcesseurs
est un devoir dans lislam : Nous tudions leurs propos et examinons les
lments quils ont prouvs dans leurs livres. Les choses qui correspondent
la vrit, nous les acceptons, les utilisons en les remerciant mais nous attirons
lattention et alertons propos des choses qui sont contraires la vrit tout
en les excusant .(7)
6) Rapport par Tirmidi, livre du savoir, vol. 6, Dar Al Marifa, Beyrouth, 1972.
7) Fasl Al Maqal, Ibn Ruchd, P. 17, 5 dans le Livre : la philosophie dIbn Ruchd (Averros).
272 Le rle de lislam dans le dveloppement de la pense civilisationnelle chez les
musulmans
8) Les rformateurs du monde moderne, Dr. Ahmed Amine, P. 102, Dar Al Kitab Al Arbi,
Beyrouth.
Dr Mahmoud Hamdi Zaqzouq 275
pas dire quils les ignorent compltement. IL est donc important pour que
les musulmans regagnent confiance en eux et en leurs aptitudes et capacits,
que les curricula et programmes scolaires focalisent sur ces apports la
civilisation des savants musulmans et leur place reconnue dans ldification
de la civilisation musulmane.
Le but de cette prise de conscience est dinciter les jeunes gnrations suivre
lexemple de ces minents savants musulmans dans les diffrents domaines
de la civilisation. Il faut par ailleurs, que les programmes enseigns dans nos
universits comportent les sources et enseignements de la civilisation tels que
contenus dans le noble coran et dans la tradition du prophte (saws). Les
programmes culturels dans les media crits et audiovisuels doivent galement
avoir un contenu attractif lorsquils traitent des ralisations et apports la
civilisation des savants musulmans toutes spcialits confondues.
Il va sans dire que le but nest pas de sarrter de faon fige toutes les
innovations et apports raliss, mais plutt de permettre aux musulmans
de regagner confiance en eux et en leurs aptitudes afin que leurs savants et
penseurs puissent, nouveau, accompagner avec fermet et dtermination les
volutions scientifiques dans tous les domaines de la vie.
Les jeunes chercheurs pleins de talents ont besoin dtre pauls. Ils ont besoin
quon les encourage afin ces bourgeons quils sont puissent clore et quils puissent
apporter leur pierre la construction de ce nouveau difice de la civilisation
musulmane : {et cela nest nullement difficile pour Allah.} (Sourate Abraham,
verset 20) Les sources qui ont inspir les minents savants de lislam, leurs
inventions et leurs uvres de civilisation qui ont merveill le monde existent
toujours dans le noble coran, et dans la tradition du prophte (saws). Leur clat
continue illuminer la voie aux les indcis et lever le voile qui assombrit les yeux
et lentendement. Cest dans ce rayonnement que les nergies et les innovations
dploient tout leur potentiel dans une comptition quitable avec les autres dans
tous les domaines du progrs. Dieu nous exhorte ce propos, : {Rivalisez
donc dans les bonnes uvres.} (Sourate la vache, verset 148) Nous pouvons
implorer et compter sur lassistance de Dieu, mais il nous faut faire un effort
surhumain pour russir ; Dieu na-t-il pas dit :{ Allah ne modifie point ltat
dun peuple, tant que les [individus qui le composent] ne modifient pas ce
qui est en eux-mmes.} (Sourate le tonnerre, verset 11)
La morale, fondement de toute rforme
Dr Abbas Jirari*
Les peuples ont connu, tout au long de leur histoire, des mouvements
contestataires ou rvolutionnaires luttant pour leurs droits de vivre dans la
dignit, sur une base de justice, dimpartialit et dgalit, et sopposant
toutes les formes de corruption qui entravent la ralisation de ces objectifs,
quil sagisse des institutions publiques ou des structures du pouvoir et
responsables, et des consquences ngatives de leurs actions sur les citoyens.
Les vnements qui continuent de se succder, en particulier dans les pays
du Tiers monde, et notamment dans les pays arabes et islamiques, sont
rvlateurs des difficults que les citoyens doivent supporter pour jouir de
leurs droits pour une vie digne et autres droits lgitimes.
Ces droits concernent diffrents aspects politiques, conomiques, sociaux et
culturels de la vie des individus et des groupes mais sarticulent, en gnral,
autour de la libert, considre comme un droit naturel, inhrent chaque
tre humain. En dautres termes, la vie de lindividu ne peut saccomplir, dans
le cadre de cette libert, sans les droits, la coexistence et la tolrance, cest--
dire sans lacceptation de lAutre et du droit la diffrence.
Il sagit l, lvidence dun problme la fois ancien et nouveau, qui a
proccup les penseurs et lhumanit en tous temps et lieux. Ltre humain
aspire depuis toujours la libert et la dignit. Or lhumanit traverse, en
permanence, des situations doppression et de perscution, que ce soit entre
un peuple et un autre, quentre une catgorie et une autre au sein dun mme
peuple, mais invariablement suscites par labsence de justice sociale, les
disparits catgorielles et les vellits hgmoniques et despotiques de certains.
Ces situations peuvent galement rsulter dune crise de confiance provoque
pour les uns par ltau familial qui les resserre et dans une perspective plus
large pour les autres, par celui que reprsentent les autorits publiques.
celui qui la profane ou la dprcie par les pchs et les mauvaises actions en
la contournant pour servir ses caprices et ses passions, celui-l sera vou
lchec.
Sagissant de sa signification idiomatique, la morale est une science thorique
qui se cristallise dans les vnements pratiques. Cest la science qui sintresse
au comportement humain et ses relations avec les autres, non seulement
de la manire dont elles se droulent au prsent, mais aussi de la faon dont
elles devraient ltre, ainsi quelles sont dictes par la volont de lindividu,
mais surtout lducation acquise dans le cadre de la libert, de la dignit,
de la tolrance et de la solidarit, sans toutefois omettre lensemble de
connaissances et des valeurs sacres et constantes de la socit.
Cette science est perue dans le contexte dune philosophie en relation avec
la moralit qui apprcie les rgles et critres qui rgissent les actions manant
de sa volont, mesures par rapport aux actions involontaires que ltre
humain est appel entreprendre, spontanment et instinctivement, cest-
-dire conformment sa propre nature, mettant ainsi en vidence limage
apparente de lindividu tel quil a t cr.
La morale reprsente un systme intgr qui prend en considration des valeurs
spcifiques mises en place par tout un assortiment dindividus et de groupes,
toutes diffrences, diversits et divergences ducatives, cognitives et causales
confondues. Ces valeurs procdent galement des paradigmes adopts par les
diffrentes catgories, selon les conditions de vie qui leurs sont propres ainsi
que des objectifs quelles poursuivent, dans une soumission systmatique
leurs croyances et leurs influences, quand bien mme ces croyances nont rien
de religieux.
Cest ainsi que la morale a suscit lmergence dcoles rpondant aux
philosophies de lpoque, conformes notamment aux enseignements
religieux en raison de linfluence que la religion exerce sur ladaptation des
comportements de ses adeptes respectifs. Dans ce contexte, lIslam revt une
importance capitale en ce sens quil prne les bonnes manires, incarnes
par les actions vertueuses copies sur le modle du Prophte, modle qui
fera sans doute lobjet dautres communications dans le cadre de ce colloque.
Ces actions vertueuses constituent, en effet, les piliers qui supportent la vie
de lindividu et de la socit, dans une harmonie parfaite entre ce que lesprit
humain quilibr dcide et ce que Dieu lui commande.
Dr Abbas Jirari 281
Plus encore, la ville de Rosette, construite sans plan prdtermin par les
autorits locales, possde une voirie qui reflte lexcellence de lamnagement
urbain. A titre dexemple, Al-Charii Al-Azam (Grande avenue) traverse la ville
du Sud au Nord avec, en parallle, plusieurs rues telles que les rues dAl-Sagha
et de Cheikh Kandil. Elle est intersecte par lavenue Dahliz Al-Malik, qui relie
la ville dEst en Ouest. Lextension de la ville vers lEst, lOuest et le Nord entre
le 10me et le 13me sicle H (XVIe - XIXe sicles de lre chrtienne), reflte le
mode de constitution des voiries de la ville, tel quil a t not prcdemment
et que confirment les cartes. Ces rseaux de voirie continuent dtre utiliss
encore aujourdhui par les habitants, quoique lgrement modifis, indiquant
ainsi quils rpondent aux besoins de la population.
Mais il est cependant un Hadith prophtique qui dtermine la largeur de la rue.
Ibn Wahb rapporte, sur Ismal ibn Ayyach qui cite Rabia ibn Abdul Rahmane
et Zayd ibn Aslam, que lEnvoy de Dieu (PSL) dit, cet gard : Si les gens
disconviennent en matire de rue, sa limite est de sept coudes . Ibn Wahb
rapporte lEnvoy de Dieu (PSL) disant : Tout chemin travers par les gens
est de sept coudes. Les gens doivent construire sur ses bords. Toute personne
qui construit sur une parcelle, la construction est lui, ou qui lagrandit, elle est
lui ; et toute parcelle non construite demeure la proprit dAllah et de Son
Prophte, et ne sera pas toi .(4)
Sur le plan de la largeur des rues, les juristes musulmans ne sont pas rests
inertes, mais traitaient la question avec une souplesse adapte aux conditions
de lpoque et de lenvironnement propres chaque ville. Citant louvrage
dibn Abdous, ibn Kinana crit : Les gens bnficient pour leurs rues dautant
de largeur quil leur est ncessaire ou quil faut pour laisser passer les choses
les plus volumineuses, quil sagisse de btails ou de ce quils transportent
dutile .(5)
4) Issa ibn Moussa Al-Tutaily, Al-Qadaa bil Murfaq fil Mabni wa Nafiyu Al-Darar.
Authentifi par Mohamed Al-Numaynij, Organisation islamique pour lEducation, les
Sciences et la Culture (ISESCO), Rabat, 1999, pp. 170-171. Voir aussi ibn Al-Rami et Abu
Abdullah Mohamed ibn Ibrahim Al-Lakhmi, Al-Iln bi Ahkm Al-Bunyne, Centre
ddition universitaire, Tunis, 1999, pp. 192-193.
5) Al-Tutaily, Al-Qadaa bil Murfaq fil Mabani wa Nafiyu Al-Darar, p. 171. Ibn Al-
Rami, Al-Iln bi Ahkm Al-Bunyne, p. 193.
288 Rle du Fiqh dans lamnagement urbanistique des villes islamiques
Il nest de meilleur exemple que le plan damnagement adopt par les Compagnons
pour ldification de la ville de Bassorah, quils voulaient une grande ville lpoque
dOmar ibn Al-Khattab et un modle de planification pour les diffrentes tribus.
Cest ainsi quils ont fix une largeur de 60 coudes pour les artres principales,
de 20 coudes pour les avenues et de 7 coudes pour les ruelles. Ils ont galement
conu un vaste espace pour attacher les chevaux, un autre pour le cimetire. Les
maisons, par ailleurs, sappuyaient les unes contre les autres. Et ces plans taient
tablis par un consensus gnral que nul ne devait enfreindre.(6)
Les juristes ont labor une rgle pour lutilisation des routes, exprimant une
maturit jurisprudentielle manifeste en matire damnagement des villes dans la
civilisation islamique. Il sagit, en loccurrence, de ce qui suit :
ce qui satisfait son imam, sinon il devra sabstenir .(9) Chez les Chafites et les
Hanbalites, lautorisation de limam nest plus ncessaire, selon la parole suivante
du Prophte (PSL) : Celui qui prcde un autre Musulman dans ce quil fait y
a la prsance . Quant la condition de ne pas prjudicier les passants en
empruntant une voie publique, celle-ci fait lobjet dun consensus des juristes.
Abou Hanifa ajoute quaucune plainte ne peut tre dpose contre un tiers, dans la
mesure o laction entreprise ne nuit personne.(10)
Kassani souligne que : Si un homme souhaite tablir un tal ou autre commerce
dans la rue, la question revt deux aspects, savoir, obstrue-t-il ou non la
rue. Sil cet tal (ou commerce) est nuisible pour les passants, il convient de
sabstenir, car chacun peut exprimer au commerant concern son opposition.
Dans le cas contraire, il peut en jouir ds lors quaucun ne soulve quelque
objection. Dans ce cas de figure, il devra y renoncer, selon Abou Hanifa, que
Dieu lait en Sa Misricorde. Ceci sapplique dans la plantation des arbres, la
construction de magasins et loccupation des bords de la rue aux fins de vente
et dachat. La libre disposition du droit dautrui nest pas une fin en soi, car il
sagit de veiller ce que le passant ne subisse aucun prjudice. Daprs Abou
Hanifa, ltablissement dun commerce sur la voie publique est tout aussi un
droit, celui doccuper lespace ncessaire pour ltal ou le commerce, cet espace
leur revenant de droit.
Mais occuper cet espace revient galement intervenir dans le droit dautrui, et
cette intervention ne saurait tre sans laccord du(des) concern(s), quelle lui/
leur soit nuisible ou non. Do la ncessit dobtenir lautorisation pralablement
toute jouissance du lieu, si loccupant veut viter toute opposition future ventuelle.
Dautant que la jouissance dun bien dont le droit est collectif, et sans lapprobation
de tous les concerns, peut tre invalide la demande de ces derniers.(11)
9) Cit dans Tuhfat Al-Ahwathy dans Kitab Al-Ahkm, dans le chapitre traitant de la
commmoration des morts. Le texte a t qualifi de faible , 4/524. Rapport par Tabari
dans le Kabir du Hadith de Muz qui note : Lindividu doit accepter ce qui satisfait son
imam , Vol. 4/3533.
10) Maryam Mohamed Saleh Al-Zofari, Mawqif Al-Charia Al-Islamiya min Mushkilat
Nudrat Al-Miyah, Centre Jomat Al-Majed pour la culture et le patrimoine, Duba, 2008,
pp. 210-211.
11) Aluddine Abu Bakr Messaoud Al-Kassani, Badi Al-Sani fi Tartib Al-Charai, Dar
Al-Kutub Al-Ilmiyya, Beyrouth, pp. 194, 195 et 265.
290 Rle du Fiqh dans lamnagement urbanistique des villes islamiques
Les Malkites disent que celui qui tente de construire sur la voie des
Musulmans ou dajouter quelque chose de cette voie sa proprit doit tre
empch par convention.(12)
Il en est de mme des Chafites et des Hanbalites qui interdisent toute action
susceptible de nuire aux passants dans la voie publique. Cherbini dit, ce
propos : Il est interdit de construire de banc ou de planter un arbre, si celui-
ci nuit au voisin .(13)
Il serait utile de mditer quelque peu sur cette narration dAl-Kami, lun des
derniers juristes hanafites, qui raconte ce qui suit : Un homme a tabli une
construction sur lavenue principale, sans lautorisation du grand imam. Cette
construction serait prjudiciable lavenue et constituerait un dlit, le cas
chant. Par contre, si elle peut prvenir la chute dun individu ou la blessure
dun animal, elle deviendrait un lment de garantie. Mais tout individu a le
droit de rclamer son interdiction ou son retrait.(14)
Cette narration dmontre, si besoin est, lincapacit de lEtat dans les priodes
historiques tardives contrler lenvironnement urbanistique. Elle rappelle par
la suite, cependant, un rglement jurisprudentiel qui atteste de la maturit des
communauts musulmanes et de leur prise de conscience quant la ncessit de
prserver lenvironnement urbanistique de la ville, voire amliorer leur implication
dans ce sens. Il cite : Un homme a fait lacquisition dun espace pour en faire une
route, quil adjoignit la voie des Musulmans. Jen tmoigne que cette histoire est
vraie. Comme condition, il rclama quun seul des passants la traverse avec son
autorisation, conformment aux conditions du Waqf (nue proprit) qui font un
parallle entre la route, le cimetire et les autres proprits du Waqf.(15)
La grande Kasbah du Caire est un bel exemple de voies publiques. La Kasbah
relie Bab Al-Foutouh Bab Zewila ; son extension ayant t la consquence
12) Abou Abdullah Mohamed bin Ahmed ibn Juzayy, Al-Qawanine Al-Fiqhiyya, Dar Al-
Kitab Al-Arabi, Beyrouth, 1989, p. 333.
13) Chams Al-Dine Mohamed ibn Al-Khatib Al-Charbini, Mughni Al-Muhtj ila Maarifat
Mani Alfdh Al-Minhj, Vol. 3. Authentifi par Cheikh Ali Mohamed Moawwad et
Cheikh Adel Ahmed Abdel Maaboud, Dar Al-Kutub Al-Ilmiyya, Beyrouth, 1995, p. 172.
14) Le Qadi (juge) Kami, de son nom Mohamed ibn Ahmed ibn Ibrahim Al-Adernawi Al-
Hanafi Efendi, Riyad Al-Qasimine. Authentifi par Mustafa ibn Hammouch, Dar Al-
Bachar, Damas, 2000, p. 214.
15) Qadi Kami, Riyad Al-Qasimine, pp. 214-215.
Dr Khalid Mohamed Azab 291
16)Registres du Tribunal dAl-Bab Al-li, registre 73, Article 13, pp. 5-6.
17) Abdul Rahmane Al-Jarullah, Thula, lun des centres urbains du Ymen lpoque
islamique, ministre de la Culture, Sanaa, 2004, p. 17.
18) Voir larticle dAl-Sayouti, intitul Al-Bri fi Iqt Al-Chri, dans Al-Hwi fil Fatwi. Al-
Sayouti est un rudit gyptien de la fin de lpoque des Mamelouks. De ses crits, on peut
tablir les niveaux et rglements des voieries de lpoque et le contrle que les habitants y
exeraient. Al-Sayouti, Al-Hwi fil Fatwi, Vol. 2, pp. 198 et 208. Voir galement Abou
Zakariya Yahya ibn Charaf Al-Dine Al-Nawawy Al-Dimashqy, Rawdat Al-Tlibine, Vol.
4, pp. 204-206, publi par Al-Maktab Al-Islami. Non dat.
19) Ali Pacha Mubarak, Al-Khutat Al-Tawfiqiyya, Vol. 3, p. 142. Andr Raymond, Les villes
arabes lpoque ottomane. Trad. Latif Faraj, Dar Al-Fikr lil Dirasst, le Caire, 1991, p. 160.
292 Rle du Fiqh dans lamnagement urbanistique des villes islamiques
Le troisime niveau : Il sagit des voies prives dont le meilleur exemple est la
rue sans issue. Ce type de chemin appartient aux seuls habitants qui y rsident,
do son appellation de priv , quoique le public ait le droit de lemprunter.
Selon les thologiens, le chemin priv est une impasse et appartient ceux
qui y accdent par la porte, et non ceux qui le longent par une faade sans
porte. Ces habitants sont les propritaires et partenaires dans les choses qui
concernent la voie. Chez les Malkites, les Chafites et les Hanbalites, nul
ne peut donc tablir un tal ou ouvrir une porte daccs la rue sans leur
consentement. Les Hanafites, quant eux, en ont fait un droit public.
La rgle adopte par les juristes au regard de ce type de voies stipule quaucun
habitant ne peut intervenir sur ce chemin sans laccord des partenaires.(20)
Nous pouvons ainsi claircir les expressions figurant dans les registres des
tribunaux religieux (de la Charia) concernant ce type de voies, telle les rues
utilit commune .(21) Ce type de sentiers, ou de voies sans issue (impasses),
tait rpandu au Caire et Rosette.(22)
20) Pour un complment dinformations sur les rgles de ce type de voies, voir : Abou
Mohamad Abdullah ibn Ahmad ibn Qudama, Al-Mughni, Vol. 4, p. 553. Voir galement,
Ibn Abidine, op. cit., Vol. 5, p. 466.
21) Registre du Tribunal dAl-Salihiyya Al-Najmiyya, Registre 533, Article 145, p. 34.
22) Voir Ali Pacha Mubarak, Al-Khutat Al-Tawfiqiyya, Vol. 2, pp. 72, 75 et 184. Ce type
de voies sans issue est trs souvent cit dans les registres des tribunaux religieux du Caire.
Dr Khalid Mohamed Azab 293
Les juristes insistent cependant sur lgalit du droit pour tous daccder au
passage priv (ou sans issue). Le Qadi Kami indique quaucun des habitants
de la rue ne peut prtendre une plus grande part de la rue, quand bien mme
sa maison est plus grande que celles des autres, car laccs, cest--dire le droit
de passage, est le mme pour tous, quil sagisse dune grande maison ou
dune petite maison, contrairement au droit de puisage (de leau).(23)
Lattention que nous portons ici ce type de voiries est due au fait quelles
sont trs frquemment cites dans les registres des tribunaux religieux. A titre
dillustration, le taux des voies sans issue dans la ville dAlger atteint 45,7% de
la superficie totale de lensemble de la voirie.(24)
Lun des meilleurs exemples de btiments urbains construits dans une voie
sans issue au Caire est la maison dAl-Sunnary, au quartier Sayyida Zeinab
(1209 H / 1794 de lre chrtienne) dans la Hara (rue) de Mang.
Ces diffrents niveaux de voiries, quil sagisse du Caire, de Rosette ou dautres
villes, ont entrain des spcificits qui sinscrivent dans lun ou lautre niveau.
Le contrle, par les familles matresses, des voies et de leurs spcificits se
refltait dans leur cohsion en vue dassurer la scurit de la voie par le biais
des portes tablies dans les haras et les sentiers.
Les spcificits des rues procdent de leur qualit dunit sociale soude.
La vie dans la rue se droule, en effet, comme sil sagissait dune seule et
mme famille, o les membres sont solidaires les uns des autres. Plus encore,
lorsquun tranger sinsre dans cette communaut hermtique, il est suivi
par les enfants pour le remettre lordre et lui rappeler que lon ny entre pas
sans raison valable.(25)
Neibuhr, le voyageur hollandais qui visita lEgypte de 1761 1762, met laccent
sur cette spcificit dans le rcit suivant, qui dcrit ce quil considre comme
un phnomne naturel pour le Caire de lpoque : Il nest pas raisonnable
que lon se rende dans lun de ces quartiers dans la journe pour trouver un
homme son domicile, pas plus quil nest habituel dans les pays dOrient que
lon rende visite lpouse ou la fille dun ami. Un tranger ou un inconnu qui
pntre dans lune de ces ruelles est peru comme un gar, auquel on attire
lattention que la voie est une impasse et quil devrait retourner sur ses pas.
Aussi est-il difficile pour un tranger de visiter toutes les ruelles du quartier (26).
Les niveaux et rgles rgissant les voies refltent le degr de solidarit et de
cohsion sociale qui caractrisaient la ville islamique.
La construction de portiques pour fermer les impasses, ruelles et sentiers
visait, outre laspect scuritaire, attirer lattention du passant sur les limites
de la coproprit de lendroit. Les portiques des villes et des voies demeuraient
gnralement ouverts pendant la journe, et sont ferms la nuit immdiatement
aprs la prire de lIcha, ou dAl-Maghrib pour quelques uns. Ils sont galement
ferms pendant la journe en cas de troubles ou de guerres civiles, comme ce
fut le cas au Caire en 791 H et en 923 H.(27)
Les habitants dsignaient un gardien au portique dont les fonctions taient
dcrites par Sebki comme suit : Il devait conseiller les habitants de la ruelle,
veiller leur scurit lorsquils dorment, les rveiller en cas dincendie ou autre et
ne laisser jamais personne troubler leur quitude. . Ceci atteste ainsi du rle du
gardien dans la protection de la hara ainsi que son autonomie administrative.(28)
Les habitants exagraient gnralement lpaisseur des portiques protgeant
les haras et les maisons, ainsi que le dcrit Ali Pacha Mubarak : Ils (les
habitants) revtent les portes darmures mtalliques au moyen de grands clous,
aplatissent les bords, les ceignent de chaines solides et ajoutent des ferrures
tant lextrieur qu lintrieur. La porte est renforce de lintrieur par un
long pne en bois qui vient se reposer dans une cavit du mur, de sorte qu la
fermeture ou en cas durgence, le pne est libr au moyen de lanneau situ en
son extrmit pour bloquer le portique dans toute sa largeur (29).
26) Carsten Niebuhr, Voyage en Egypte. Traduit par Mustapha Maher, le Caire, 1977, p. 206.
27) S.D. Goitein, Cairo: An Islamic City in the light of the Geniza Documents, Middle
Eastern Cities. Ed. Ira M. lapidus, Berkeley: University of Califormia Press. 1969. pp. 80 et 96.
Voir aussi Hassan Abdel Wahab : Takhtit Al-Qahira wa Tanzimuha munthu Nashatuha,
Revue de lAcadmie scientifique gyptienne, n 27, 1954/ 1955, pp. 35-36.
28) Taj El-Dine Abdel Wahab Al-Sebki, Mud Al-Niam wa Mubd Al-Niqam, Librairie Al-
Khneji, le Caire, 1993, p. 145.
29) Ali Pacha Mubarak, Al-Khutat Al-Tawfiqiyya, Vol. 1, p. 197.
Dr Khalid Mohamed Azab 295
Cordoue et Fs. Dans les villes o les prcipitations sont importantes, les
chemins ont t pavs afin de prvenir la formation de la boue, lexemple
de Sanaa dont les routes comportent galement des rigoles pour lvacuation
des eaux pluviales.(41)
Aussi les Ottomans ont-ils accord le mme intrt la ville dAlger, dont le
revtement des rues se faisait en parallle avec lvacuation des eaux. La raison
revient probablement au fait que lentretien des gouts tait li lvacuation
des eaux et la ncessit douvrir constamment les rigoles lorsquelles sont
obstrues, notamment aprs de fortes prcipitations. Cette corrlation se
rvle efficace pour la prservation des routes, mais aussi pour prvenir toute
ngligence procdant des excavations ou du cumul de terre (ou de sable) que
la sparation des deux fonctions peut susciter.(42)
On trouve, cet gard, dans un manuscrit intitul Awad Al-Souk(43)[recettes
du march], quil existe une redevance de revtement verse par les habitants
des rues en change des services de carrelage et dentretien des routes. Le
montant varie selon la position de lhabitant par rapport la rue. La loi
stipule, par exemple, que pour ce qui est du carrelage, le paiement seffectue
de rue en rue ; lhabitant en amont payant le double du montant vers par
lhabitant en aval et ce, du fait que les ordures venant de lamont peuvent
passer par quelquun qui nen a pas. Cette loi a t adopte par le magistrat
hanafite Al-Sayed Mahmoud et le capitaine Sidi Al-Haj Mustafa au mois de
Safar 1177 H (1763 de notre re). A noter que cette loi trouve son pendant
dans la jurisprudence hanafite et malkite.(44)
Les Musulmans se sont proccups de lclairage des voies publiques dans les
villes islamiques, et ce pour viter tout prjudice que les voies sombres sont
susceptibles de causer. Ainsi les villes islamiques auraient-elles prcd les villes
europennes sur ce plan. A Cordoue, par exemple, lindividu pouvait marcher sur
41) Mohamed Abdel Sattar Othman, Les routes et chemins de la ville islamique, Revue Al-
Ousour, Vol. II, 2me partie, Le Caire juillet 1987, p. 223.
42) Mustapha Hammouch, La ville et le pouvoir, p. 146.
43) Awad Al-Souk, manuscrit dun inconnu. Bibliothque nationale algrienne portant deux
numros : 1378 et 2331.
44) Mustapha Hammouch, La ville et le pouvoir, p. 146.
298 Rle du Fiqh dans lamnagement urbanistique des villes islamiques
une dizaine de kilomtres la lumire des rverbres, alors que, sept cents ans
plus tard, on ne trouvait pas encore un seul rverbre Londres.(45)
45) Risler, La civilisation arabe. Traduit de larabe par Ghanim Abdoun et Ahmed Fouad
Jacques. C. Al-Ahouani, Maison gyptienne de rdaction, de traduction et ddition, le
Caire, 1967, p. 155.
46) Ramziyya Al-Atraqji, La vie sociale Bagdad depuis sa cration jusqu la fin de
la premire priode abbasside, Bagdad, 1982, p. 217. Voir galement Mohamed Abdel
Sattar Othman, Dans les rues de la ville islamique, p. 222.
47) Al-Maqrizi, Al-Mawaith wal Iitibar bi Dhikr Al-Khitat wal thr, Vol. 2, p. 108.
Egalement, Abdel Rahmane Zaki, Al-Foustat wa Dahiyatouha Al-Qataee wal Askar,
Librairie culturelle, le Caire, 1964, p. 217.
Voyage avec le livre
Orientalisme : Dfinition, coles et effets
Le phnomne de lorientalisme
Lauteur a entam son ouvrage en affirmant que, pour apprhender le
mouvement et ses contradictions, le phnomne de lorientalisme doit
sinscrire dans un contexte holiste qui intgre le mouvement culturel et
intellectuel, dans le cadre de sa compatibilit et de lexpression quil se fait des
situations psychologiques que ltre humain a consciemment cumules (p. 7).
En vrit, lorigine de lorientalisme ne commence pas avec la naissance de la
civilisation islamique, mais des sicles plus tt, bien avant lre chrtienne. En
effet, les relations entre lOrient et lOccident ne se sont jamais interrompues
depuis le temps des anciennes civilisations des deux rgions gographiques,
et ce, depuis que lhomme, dans lune ou lautre civilisation, ait dcouvert
les moyens de transport et de communication terrestre et maritime ainsi
que linstitution dEtats comportant diverses races, langues et doctrines, soit
par invasion ou par voie commerciale(1). Le clbre historien et gographe
Hrodote (484-425 avant J.-C.) - Pre de lhistoire - fut le premier chercheur
scientifique examiner les conditions et circonstances et collecter
dinestimables informations sur les pays quil a visits. Dans son ouvrage
La Msopotamie, lEgypte, le Levant et la Pninsule arabique , il traite de la
population, des coutumes, des expriences et des marchandises que ces pays
importent ou exportent.(2)
Dautre part, et grce Alexandre de Macdoine (365-323 av. J.-C.), qui a
entrepris sa campagne militaire historique pour envahir lOrient, le contact
entre les deux continents tait direct. Alexandrie, construite par Alexandre,
tait probablement la principale tribune par laquelle seffectua lchange
intellectuel entre lOrient et lOccident.(3)
Selon Dr Mustafa Najib Fawaz, si lorientalisme constitue une unit objective
sur le plan de lnonc, de la substance, des institutions et de la gographie,
1) Dr Mohamed Meqdad, Histoire des tudes arabes en France. Srie Alam al-Maarifa,
n 167, Kowet, 1992, p. 16.
2) Dr Sami Salem el-Hadj, Lorientalisme et son incidence sur les tudes islamiques,
Vol. I, premire partie, Centre dtudes du monde islamique, Malte, 1re d., 1991, p. 27.
3) Dr Michel Geha, Etudes arabes et islamiques en Europe. Institut arabe du dveloppement,
Beyrouth, 1re d., 1982, pp. 28-29.
Dr Abdel Jabbar Mahmoud al-Samarraei 301
Dfinition de lorientalisme
Lauteur considre que lorientalisme, dans son acception troite, sous-entend
ce qui suit: Lintrt des savants occidentaux pour les tudes islamiques et
arabes, ainsi que les mthodes, coles, orientations et desseins de ces savants
dans ce sens . En dautres termes : Lorientalisme implique la vision que
lOccident a de lOrient et les tudes effectues selon cette vision dans une
poque qui commence par lantiquit et se poursuit encore aujourdhui .(5)
Motifs de lorientalisme
Lauteur estime que lorientalisme avait, pour premier motif, celui de dcouvrir
lAutre. Il sagit dun phnomne tout fait naturel en vertu duquel toute chose
cherche son pendant, o chaque partie semploie explorer sa contrepartie
qui, en loccurrence, incarne lAutre , cet Autre tant dans tous les cas,
ladversaire, le concurrent et le contraire (p. 13). Mais pour que lOccident
puisse explorer la nature de la civilisation islamique, il lui fallait tudier la culture
de cette civilisation et ses composantes en vue dattendre les deux desseins
suivants :
Le premier dessein des fins explicatives : afin de dcouvrir les
fondements de la civilisation islamique ;
Il avait rang dofficier dans larme dOrient, avant dentrer Jrusalem (al-
Qods) en 1917 sous le commandement de Lord Allenby.(7)
Massignon poursuivait un double objectif : susciter la sensibilisation pour le
dialecte et lcriture en caractre latin. Il est lamentable que son appel au dialecte
ait trouv un cho favorable chez certains mercenaires se rclamant des Arabes,
qui semployrent saper la langue arabe, considre comme principal lien
commun entre les membres de la Nation arabe, afin de faciliter la ralisation des
plans colonialistes et sionistes visant disloquer cette nation. Massignon mettait
galement laccent sur le soufisme islamique, faisant lapologie du soufisme
philosophique et des notions contraires lunit islamique, telles que wahda al-
wujd wal hulul (unicit de lexistence et de lesprit intrieur). Son attention resta
focaliser pendant plus de tente ans sur al-Hallaj, rassemblant et propageant tout
ce quil pouvait recueillir dinformations et dopinions.(8)
Le professeur Mahmoud Qassem souligne que : La colonisation franaise de
lAlgrie a pu, grce sa toute-puissance et sa rpression, imposer sa langue
sur un grand nombre dintellectuels en Algrie, voire en Afrique du Nord,
sans pour autant entamer la foi islamique, en dpit de tous les efforts dploys
par les spcialistes des affaires culturelles pour glorifier le pseudo soufisme et
rpandre les mythes et les mensonges en vue de briser la mentalit algrienne.
Cest ce que lon dduit de la lecture des ouvrages de Louis Massignon, qui a
consacr sa vie al-Hallaj, quil transforma en un Messie pour lIslam. Mais
mon sens, Massignon sintressait davantage la mise en uvre dun plan
colonialiste judicieusement prpar qu al-Hallaj .(9)
Dans son ouvrage, cest peine si lauteur aborde Charles Pellat, Maxime
Rodinson, Leconte, Michael Andrew, Jacques Berque, Bosquet, Laouste,
Blachre, Lvi-Provenal.
chef militaire, prtendant quil tait dnu de tout talent militaire. Glubb prenait
parti pour les juifs et accusait les Arabes dtre des imprialistes.(10)
Lcole germanique, quant elle, se caractrise par le fait que les orientalistes
allemands sont, de faon gnrale, meilleurs que les orientalistes europens ou
occidentaux, dautant que lAllemagne na colonis aucun pays arabe.
De cette cole, lauteur cite, respectivement, Carl Brockelmann (1868-1956),
Joseph Schacht (1902-1969), Theodor Nldeke (1836-1930), Karl Eduard
Sachau (1845-1930), Julius Wellhausen (1844-1918), Martin Hartmann (1851-
1918) et August Fischer (1865-1949).
Theodor Nldeke sest distingu par ses attaques contre le Coran dans son
ouvrage intitul Histoire du Coran , traduit vers larabe par Georges Tamer.
Cet orientaliste sen est galement pris au Prophte (PSL) et aux mres des
croyants (pouses du Prophte).
Pour ce qui est des autres coles orientalistes, lauteur ne mentionne pas
lorientaliste et linguiste russe Thodore Chomovski (n en 1913), qui occupe une
place part parmi les orientalistes russes. Il tait, en effet, le premier traduire les
sens du saint Coran sous une forme versifie et tudier de manire approfondie
le rle des Arabes en matire de navigation, tant une grande nation maritime.
Thodore Chomovski a parcouru les cartes du navigateur arabe Ahmad ibn
Majed (821-906 H / 1418-1500) et traduisit dans ce contexte trois lettres
anonymes. En 1965, il soutena une thse de doctorat es-sciences intitule
LEncyclopdie maritime arabe au XV sicle , en sappuyant sur la
traduction de louvrage dibn Majed Kitab al-Fawad fi Usl Ilm al-Bahr wal
Qawaed. Son ouvrage, de mme que ses deux autres ouvrages, Dans locan
de lorientalisme (1975) et Mmoires dun orientaliste, un vaste dbat dans
les milieux universitaires scientifiques sovitiques, car Chomovski proposait
de nouvelles ides sur lvolution de lorientalisme dans lex-Union sovitique.
Chomovski publia en 1986 une dition rvise de lEncyclopdie maritime
arabe, ainsi que les ouvrages Sur les pas de Sinbad le Marin et Les derniers
lions des mers dArabie, en 1999, de mme quune nouvelle traduction versifie
des sens du Saint Coran, qui a t rdite cinq fois entre 1999 et 2008.
11) Salama Moussa est un auteur gyptien dcd en 1958 de tendance chrtienne
occidentaliste et ne cache pas son hostilit et son dnigrement tout ce qui est oriental et
arabe. Il poursuivait un dessein spcifique, et la maison ddition Dar al-Mustaqbal au Caire
et en Alexandrie sest attele diffuser et rpandre ses crits sous le slogan Hritage de la
lutte objective . On peut y trouver certaines indications dans louvrage de M. Mahmoud
Mohamed Chaker, Abatl wa Asmr qui met laccent sur la nature, lobjectif et les desseins
de lauteur. Voir galement Dr Abdel Azm Mahmoud al-Dibe, Al-Minhaj fi Kitabt al-
Gharbiyne, p. 60.
308 Voyage avec le livre
Orientalisme : Dfinition, coles et effets
12) Mahmoud Mohamed Chaker, Lamh min Fasd Hayatuna al-Adabiya (Aspect de la
corruption de notre vie littraire), in lintroduction son livre Al-Mutanabby, Librairie
al-Madany, le Caire, 1977, p. 122.
13) Dr al- Dibe, op. cit., pp. 37-36.
Dr Abdel Jabbar Mahmoud al-Samarraei 309
Lorientaliste Dr Gloor prend, quant lui, une position franche du Coran, que
nous prsentons notre vnrable auteur, ainsi qu nos aimables lecteurs. En
effet, dans son ouvrage, Les progrs de lvanglisation mondiale, publi
en 1960, il crit : Lpe de Mohammed et le Coran sont les plus grands
ennemis de la civilisation, de la libert et du droit, et reprsentent les lments
les plus destructeurs que le monde ait jamais connu . Et dajouter : Le
Coran est un trange mlange derreurs historiques et dillusions malsaines
mais, plus que tout, il est on ne peut plus ambigu et ne peut tre compris
quassorti de sa propre interprtation .(14)
Le distingu auteur souligne, dautre part, que les orientalistes ont adopt une
position ngative lgard de la Sunna, mettant en question la vracit et la
prcision des justifications tout en accusant les rapporteurs des Hadith den
tre responsables (p. 48).
Sunna), qui est une cole traditionnaliste attache aux textes. Cet attachement
religieux, disent-ils, est associ au naturel arabe qui rejette la philosophie tout
autant que ses mthodes.
Cheikh Mustapha Abdel Razeq (1885-1947) tait lun de ceux qui ont rpondu
aux orientalistes dans son ouvrage intitul Introduction lhistoire de la
philosophie islamique, publi en 1944. De mme que Dr Ibrahim Madkour
(1902-1996), dans son ouvrage La philosophie islamique : Mthode et
application, et Dr Mohamed Abed al-Jaberi (1936-2010) dans une tude
sur La vision orientaliste de la philosophie islamique : Nature et
composantes idologiques et mthodologiques, publi dans le cadre de
louvrage intitul : Approches des orientalistes pour les tudes arabes
et islamiques, publi Riyadh en 1985 en deux parties pour le compte de
lOrganisation arabe pour lducation, la culture et les sciences (ALECSO) et
le Bureau arabe de lducation pour les Etats du Golfe (p. 56).
Abordant la question du droit islamique, lauteur souligne que les orientalistes
prtendent que le droit islamique a t influenc par le droit romain, et que des
amendements ont t apports pour satisfaire lenvironnement islamique,
ide colporte notamment par lorientaliste italien Carusi. Un autre groupe
dorientalistes examine le droit islamique par gard sa valeur juridique,
reconnaissant de facto lauthenticit de ses fondements, la grandeur de sa
vision lgislative qui traduit fidlement la conscience de la socit islamique.
Nol Colson tait lun des principaux orientalistes avoir embrass cette
notion (p. 59). Citons, parmi les autres orientalistes qui se sont intresss au
droit et la Charia islamiques :
1. Lorientaliste allemand Schacht 1902-1969 ;
2. Lorientaliste allemand Bergstrsser ;
3. Lorientaliste anglais Anderson ;
4. Lorientaliste anglais Reuben Levy ;
5. Lorientaliste franais Vattier.
A rappeler que lorientaliste juif hongrois Goldziher (1850-1921), a crit un
livre intitul Doctrine et histoire du Zahirisme, ouvrage qui constitue une
recherche sur le droit islamique et ses fondements. Dans cet ouvrage, lauteur
Dr Abdel Jabbar Mahmoud al-Samarraei 313
Mais il convient dajouter ce que lhonorable auteur a crit que cet orientaliste
sest fait une spcialisation de jeter les soupons sur la Sunna, le Fiqh et la
Charia islamiques, mettant en question la valeur des hadiths du Prophte (PSL).
A cet gard, il prtend que la transcription de la Sunna na commenc que
quatre-vingt dix ans aprs le dcs du Prophte. De nombreux chercheurs
arabes musulmans ont rfut ces allgations, en particulier lcrivain syrien Dr
Mustapha Seba, lrudit gyptien Cheikh Mohamed al-Ghazali et le chercheur
indien Prof Suleinman Nadawi.
Conclusion
Il va sans dire que lorientaliste est un tranger et ne peut, de ce fait, tre meilleur
quun simple tudiant de larabe. En dautres termes, aucun deux ne pouvait
prtendre matriser la mthode. Mieux encore, la langue tant en soi le creuset
de la culture , les deux deviennent ainsi interdpendants. Ainsi, lorientaliste
ne peut tre vers dans notre culture. Et comme dit ladage : Nul ne connat
mieux la ville que ses habitants .
Il nous incombe donc, nous les musulmans, de susciter notre propre prise
de conscience, car nous sommes les hritiers dun grand patrimoine, et il
est illogique que nous demeurions les otages des coles de lorientalisme
occidental, car nous sommes plus mme de connatre nos propres patrimoine
et culture.
Connaissance des
Pays islamiques
Carte de la Rpublique du Soudan
La Rpublique du Soudan
Dans la longue histoire du Soudan moderne, les coups dEtat ont continu
se succder. En 1989, le gnral Omar Al-Bachir renverse, par un coup
dEtat militaire, le gouvernement civil de Sadiq Al-Mahdi, leader du Parti de la
Oumma et prend la tte du Conseil du Commandement rvolutionnaire pour
le salut national avant de devenir Prsident de la Rpublique, jusqu ce jour.
324 Connaissance des pays islamiques
Lhistoire antique
Le Soudan fut habit ds lge de pierre, il y a 6.000 ans (3200 avant J.-C.) ; des
cranes appartenant une race noire civilise qui stait installe dans la rgion
de Khartoum ayant t dcouverts, ainsi quun autre crne Shehinat sur la
rive occidentale du Nil. Les deux civilisations ont prospr il y a 3800 ans avant
J.-C. Un autre crane a t dcouvert accidentellement en 1928, Singa, dans la
province du Nil Bleu, connu dsormais du nom du crane de Singa, celui-ci
date du Palolithique et concide avec lhomme de Neandertal.
La rbellion dAl-Mahdi
La rbellion a clat au Soudan sous la houlette dAhmed Al-Mahdi, qui sest
proclam le Mahdi annonc (le Guid), prtendant que Dieu la envoy pour remplir
la mission de justice sur terre aprs les perscutions quelle a connues. Rassemblant
le peuple soudanais autour de lui, il na cess de remporter des victoires sur les
Turcs et les Egyptiens, jusqu la libration de Khartoum en 1885. Il fonda lEtat
Mahdiste, mais celui-ci ne tarda pas seffondrer en 1898 aprs sa dfaite face aux
forces britanniques et gyptiennes dans la bataille de Karari (Omdurman) et la
mort, peu de temps aprs, du calife Abdullah Al-Taaisha lors de la bataille dUmm
Diwaykarat, Kordofan ; et cest avec cette bataille que dbuta lre colonialiste.
La domination gypto-britannique
En 1896, les troupes gyptiennes, sous le commandement de Lord Herbert Kitchener,
envahissent le Soudan et le colonisent sous la double couronne gypto-britannique.
Omdurman, la capitale de lEtat mahdiste, tombe en 1898, et en vertu de laccord de
1899, le Soudan est plac sous la double autorit anglo-gyptienne, tant entendu que
la direction militaire et civile du pays sera confie un gouverneur gnral anglais,
propos par le gouvernement britannique mais nomm par le Khdive dEgypte. Ce
gouverneur bnficiait des pleins pouvoirs dans ladministration du Soudan.
La problmatique du Sud-Soudan
Lannexion du Sud au Nord tait un sujet de proccupation pour ladministration
britannique sous prtexte que les Nordistes, plus instruits, opprimeraient les Sudistes
analphabtes et isols. Mais le dfi qui se posait au Sud tait plutt la pnurie
des ressources associe labsence dun dbouch sur la mer. Les Britanniques
tranchrent finalement, la Confrence de Juba, en faveur de lunification des deux
pays. Mais les relations entre les deux parties restaient tendues et, jusqu la signature
de laccord global de paix et de sparation du Sud en 2011, le conflit arm qui les
opposait reprsentait la plus longue guerre civile que lAfrique ait connue.
La crise constitutionnelle
La priode prcdant lindpendance na pas abouti un quelconque accord
sur un type spcifique de rgime de gouvernement. Le dbat tait trs
anim entre les partisans de la dmocratie reprsentative, qui prnaient le
type britannique, et la dmocratie prsidentielle, qui prfraient le modle
amricain. Lavnement de lindpendance a rendu caduque la constitution
de lautonomie en vigueur. Le poste de Chef de lEtat se retrouvait alors
vacant aprs suppression de la fonction de Gouverneur gnral colonialiste,
suite la rvocation du Condominium. La Constitution relative la priode
de transition a donc t amende et rendue compatible avec la priode
postindpendance, dans lattente de ladoption dune nouvelle Constitution.
La Constitution provisoire prvoyait, en particulier, la formation dun Conseil
de souverainet (Conseil suprieur de la prsidence), qui sera lautorit
constitutionnelle suprme et assumera le commandement de larme.
Le drapeau
Le drapeau du Soudan se compose de trois rectangles, rouge sur la partie
suprieure, suivie dun rectangle blanc, et le troisime noir, le tout bord dun
triangle vert. Ces couleurs ont t expliques comme suit : la couleur rouge
symbolise le sang des martyrs de la nation, la blanche incarne la puret de la
conscience, la noblesse du caractre, la paix et la concorde ; le noir, quant
lui, est la couleur dont le Soudan tire son nom (Ndt. : le terme arabe de noir
est Aswad et Soud, au pluriel), et cette couleur exprime le courage, la
fiert dappartenance la nation et son patrimoine, mais symbolise galement
lappartenance au continent noir. La couleur verte symbolise la fertilit du
sol et, le drapeau, dans son ensemble, vient dans la ligne de continuit du
panarabisme.
Date Evnement
Lconomie
Le Soudan est un vaste pays, riche par la diversit de ses ressources naturelles,
telles que les terres agricoles, les ressources animales, minrales, forestires
et halieutiques, ainsi que leau douce. Le Soudan sappuie principalement sur
lagriculture qui reprsente 80% des activits de la population, ainsi que sur
lindustrie, en particulier lagro-industrie.
Le ptrole au Soudan
Depuis les annes 90, le Soudan uni produisait le ptrole, notamment dans
les rgions attenantes aux frontires sparant actuellement les deux Etats
soudanais. Mais depuis la sparation en juillet 2011, le Soudan du Sud dispose
de la plupart des puits de ptrole, tandis que le Soudan conserve les raffineries
et lexportation, ainsi que les pipelines qui transportent le ptrole aux ports
de la Mer Rouge. Le Soudan du Sud a interrompu sa production du ptrole
en janvier 2012 aprs lchec des ngociations avec le Nord sur les frais de
transport ptrolier lexportation et son accusation que le gouvernement
du Soudan volait le ptrole. Lexportation du ptrole a repris en 2013 aprs
conclusion de laccord avec le Nord, mais de nombreux problmes persistent,
menaant la poursuite et de laccord et des exportations. Selon les estimations
du Fonds montaire international, le ptrole reprsente environ 57% du
revenu du gouvernement du Soudan et 98% de celui du Sud (2011). Les
rserves ptrolires confirmes des deux pays sont estimes, au 1er janvier
2013, cinq milliards de barils, principalement dans les champs ptroliers
dAl-Majlad et de Melut, champs communs aux deux pays. Quant au gaz, ses
rserves sont estimes 3 trillions de m3 et son exploitation est trs limite,
tant principalement brul par les torchres et dans les puits. On estime que
le Soudan a gaspill 11,8 milliards de m3 de gaz bruls inutilement.
Les transports
Le rseau ferroviaire soudanais est assez important et relie toutes les zones
urbaines, lexception de celles de lextrme Sud. Le rseau routier nest pas,
quant lui, trs dvelopp. Il existe galement des routes fluviales traversant
le Nil et ses affluents. A ces infrastructures sajoutent les lignes ariennes
locales et internationales.
334 Connaissance des pays islamiques
Linformation et la communication
La gographie du Soudan
La gologie du Soudan
La population
Le recensement aprs la sparation :
Population totale : 33.419.625 habitants
Population compare aux autres pays du monde : 35me au niveau mondial,
3me au niveau arabe et 9me au niveau africain.
Croissance dmographique entre les recensements de 1993 et 2008 : 52%.
Les variations dmographiques :
Tranche dge (0-14 ans) = 43,2%
Tranche dge (15-65 ans) = 53,4%
Tranche dge (> 65 ans) = 3,4%
Lenseignement
La sant
La mdecine moderne a t introduite au Soudan pendant le rgne turco-
gyptien vers 1899, par les units mdicales accompagnant les armes
de Mohamed Ali Pacha, lors de leur invasion du Soudan. Conformment
son projet urbanistique, des hpitaux ont t construits, en particulier
Khartoum, de mme quune campagne de vaccination contre la variole,
organise la mme poque. Pendant le condominium anglo-gyptien, les
services de sant du pays taient confis des administrations autonomes, tel
le Conseil central de sant en 1905, jusqu la cration du ministre de la Sant
en 1949. Aprs lindpendance, le gouvernement commena dispenser
gratuitement les services de sant par le biais des conseils municipaux, ruraux
et les administrations rgionales. Les problmes de lmigration, tant interne
quexterne en raison des guerres civiles successives et de la scheresse, ont
exerc des pressions telles sur les services sanitaires du pays quelles ont
rduit drastiquement les services mdicaux disponibles lextrieur des
zones urbaines. Nanmoins, lamlioration dans la vaccination des enfants
est notable.