Cendrillon Pommerat Mini Mmoire Exposé
Cendrillon Pommerat Mini Mmoire Exposé
Cendrillon Pommerat Mini Mmoire Exposé
Cendrillon est originellement un conte, né de centaines de versions orales différentes, et fixé à l’écrit
par Charles Perrault en 1697 dans ses Contes de la mère l’Oye. Il y introduit le personnage d’une
marraine la fée, des personnages peu caractérisé si ce n’est par des traits moraux stéréotypés, des
animaux transformés (dont la fameuse citrouille), la pantoufle de verre perdue au bal, et deux moralités
conclusives. Cependant, la variété des histoires ne s’est pas arrêtée là : les frères Grimm par exemple en
donnent une toute autre version en 1812 : ils renouent avec la violence traditionnelle du conte, avec la
cruauté de la mutilation des pieds des sœurs, leur punition (les yeux crevés), le rôle d’adjuvant des
oiseaux et du noisetier… Ces deux versions ont le plus nourri notre imaginaire, rejointes par l’adaptation
de Walt Disney –une version édulcorée et familiale.
Mais les éléments invariants –une jeune fille, sa mère morte, une belle-famille horrible, des épreuves
ménagères, un père quasi-absent, un bal, un prince, un mariage –laissent la porte ouverte à multiples
interprétations… Ce conte a été adapté en opéras, ballets, comédies, fééries, films, pièces jeune public
etc. maintes fois.
Joël Pommerat est un auteur contemporain dont le goût pour la reprise de contes semble affirmé : c’est
avec Le Petit Chaperon Rouge en 2004 que sa popularité commence. En 2008, il s’attelle à Pinocchio
et enfin en 2011 à Cendrillon.
On est enclin à se demander : comment passer du conte –dont le genre est défini comme narratif, bref,
faisant appel au merveilleux…- aux arts de la scène, supposé représenter ? Comment la scène modifie-
t-elle le conte ; et quelle nouvelle lecture Pommerat en offre-t-il ?
Charles Perrault publiait ses Histoires ou contes du temps passé, plus célèbres sous le nom de Contes
de la mère l’Oye en 1697. Or, dès le 2 mars 1697, Brugière de Barante et Charles-Rivière Dufresny
donnait leur comédie en un acte Les Fées ou Les contes de la mère l’Oye à l’hôtel de Bourgogne. Et
jusqu’en 1800, une trentaine d’adaptations de ces contes de Perrault ont vu le jour. Au XIXème,
l’apparition et le succès de la littérature de jeunesse encouragea cette tendance à adapter les contes.
Jusqu’à nos jours, c’est ainsi que la plupart des contes de Perrault, des Grimm, d’Hoffman et Andersen
ont été portés à la scène –transposés au théâtre, au ballet ou à l’opéra.
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Amoura Inès M2
Les contes appartiennent à une culture populaire et orale ; en cela ils ont longtemps été jugés et campés
comme une forme inférieure de littérature. De plus, malgré le fait qu’ils étaient originellement destiné
aux adultes, depuis leur passage à l’écrit et jusqu’à ce jour, ils sont associés principalement à la littérature
enfantine. Pourtant, cet engouement pour le conte et ses adaptations contredisent cette idée d’un genre
mineur.
Michel Jolivet compare sa place à celle réservée aux arts de la marionnette en exposant comment ils
sont tous deux « victimes du même ostracisme » et réduits aux arts enfantins et populaires. Ainsi, les
dévaluer comme « niaiseries » serait méconnaître la vraie qualité des contes.
Joël Pommerat éloigne lui aussi cette distinction entre « jeune « et « tout public» en assignant son œuvre
à « tout public à partir de 8 ans ». Il considère en effet que les enfants sont un public comme tout autre,
et que son travail doit rechercher la même qualité et soutenir les mêmes ambitions pour tout public. Pour
reprendre ses mots du dossier de presse de son Petit chaperon rouge :
« Au niveau de la forme de mes spectacles (la façon d’envisager le jeu des acteurs, le
rapport à la lumière, du son et de l’espace) et même de l’exigence que nous mettons
dans notre travail, comédiens et techniciens, je suis à peu près sûr qu’il n’y a pas de
différence à rechercher entre les différents publics. Je suis au contraire persuadé que les
enfants ont droit à la même qualité de recherche, à la même volonté de perfection. Je
crois que les enfants ont le droit qu’on ne change pas de façon de faire et d’envisager le
théâtre pour eux. »1
Il précise même dans Joel Pommerat, troubles : « Je leur raconte des histoires d’enfants. Pas des
histoires pour les enfants ». En effet, les expériences que subissent ses personnages et que le public
éprouve en écho –découverte de la peur, la mort, etc.- ne concernent pas que les enfants, et au contraire
elles apportent des émotions résonnant chez l’adulte.
Ce que l’on appelle communément le « théâtre jeune public » était souvent synonyme d’adaptations et
réécritures de contes ; ainsi, les pièces distrayaient et parfois éduquaient. De plus en plus, des œuvres
originales ont été créées et certaines dramaturgies se sont appuyées sur le monde des contes pour mieux
les détourner. Selon la terminologie de Christiane Connan-Pintado, on pourrait ainsi y distinguer
plusieurs types d’adaptations : les « transpositions minimales », qui suivent le conte linéaire en
remplaçant marques du récit par moyens théâtraux ; les « transpositions parodiques » où le conte est
réécrit, détourné à visée ludique ou pédagogique ; enfin, (et c’est à cette dernière catégorie que
Pommerat peut être associé) les « transpositions réappropriations » dans lesquelles le conte est plus un
matériau revitalisé pour et par le théâtre.
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Dossier de presse du Petit Chaperon Rouge
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Amoura Inès M2
Pommerat expliquait dans le programme de l’opéra pour sa pièce Au monde cette année :
« Depuis le début de mon écriture théâtrale je me suis intéressé à ce que l’on pourrait
appeler un retour vers le narratif ou vers le récit, vers la fiction […] Comme si on ne
pouvait pas inventer une histoire sans se mettre dans les pas de toutes les histoires
existantes et, à partir de là, chercher ce qui est possible ».
A l’inverse de la tendance « postdramatique » du fragment, c’est une narration linéaire et des
personnages entiers que semble choisir l’auteur. De plus, il engage l’idée que tout aurait déjà été écrit et
que les écrivains ne feraient que recopier et réécrire : les contes, les récits mythiques pensés aux racines
de notre culture, sont le matériel désigné pour réécrire, et ainsi chercher le nouveau et l’invention de
formes dans un grand récit fondateur.
Cette volonté d’être créatif et novateur correspond à Pommerat en tant qu’écrivain mais aussi en tant
que metteur en scène. D’ailleurs, il ne distingue pas l’un et l’autre : il se dit « écrivain de spectacle », et
crée ses pièces avec écriture de l’histoire et écriture sur le plateau conjointement lors des répétitions.
Même si le conte et son histoire préexiste, c’est ar la scène que son œuvre se construit : dans ce sens, le
renouvellement du récit est assuré.
Ainsi, les contes par Pommerat sont des occasions pour expérimenter en matière de spectacle. Cendrillon
le démontre notamment avec la recherche sonore mêlant bruitages, musique, chant, voix amplifiées ;
mais aussi l’utilisation de « la vidéo pour faire évoluer la couleur sur les murs »…
Transposer un conter relève forcément d’un défi : comment passer d’un genre qui narre et laisse
imaginer à un genre qui donne à voir et entendre ? Comment adapter un récit narratif codifié et oral à la
représentation scénique ? Que peut-il rester du conte sur scène, et comment ne pas détonner ou appauvrir
un spectacle en laissant trop de place au conte ?
Pommerat dit lui-même dans un entretien avec Joëlle Gayot : « on pourrait dire que je fais le même
travail que les conteurs d’autrefois ». Mais comment met-il en place certaines stratégies de
représentation permettant de conserver cet esprit de contage tout en posant sa patte personnelle ?
Pommerat s’amuse à raviver et redonner le plaisir d’une histoire contée à l’aide de personnages
s’addressant directement au spectateur et les introduisant et guidant au sein de la fiction. En effet, un
conteur en chair ou une voix qui raconte attisent la curiosité, activent l’attention, poussent à se laisser
aller …
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Amoura Inès M2
Dans son Petit chaperon rouge, Pommerat avait mis en scène un « homme qui raconte » en même temps
que les personnages évoluaient en silence : son récit oral et l’interprétation parallèle des actrices se
complétaient et s’ajoutaient –conte et théâtre étaient en accord.
Dans Cendrillon, il y a une narratrice dont on n’entend que la voix –elle est à la fois présente et absente
de la scène. Cette voix est celle d’une femme avec un fort accent étranger –de cette manière, en plus de
la distance temporelle propre aux contes qu’elle annonce avec « une histoire d’il y a très longtemps »,
son accent même confère la sensation du pays inconnu et/ou lointain. De plus, un homme muet qui
s’adresse au public avec des gestes l’accompagne. Ce dernier par ailleurs a été filmé, agrandi et projeté
en silhouette sur le mur vidéo du fond (VOIR la vidéo à 5 min ou à 18 min 40 par exemple): cela confère
l’impression que l’histoire représentée est plus grande, née de récits et traditions mystérieux, et plus
profonde qu’il n’y parait. Enfin, par moments, des mots projetés par vidéo passent sur les murs de la
scène –une trace graphique de la culture de lecture des contes.
Ainsi, Pommerat mêle divers indices du mode de réception des contes par le biais de la représentation.
Le rappel de la lecture de ces livres, de sa transmission orale, de sa mise en vie physique par un conteur
–ces éléments séparés en trois endroits et corps mais qui réunis par la réception du public se font écho
et donnent sens.
- La musique
De plus, depuis les bardes celtes et les troubadours médiévaux, la musique est traditionnellement liée au
conte. Or, Pommerat déploie dans ses spectacles des mondes sonores forts ; mais dans Cendrillon, la
musique ne fait pas office d’accompagnement ou d’ornement esthétique –elle est un énième rouage de
la représentation.
La musique créée par Antonin Leymarie, en collaboration avec la troupe Louis Brouillard, est
influencée, comme il l’a confié en interview, par l’univers enfantin. Il pensait même au début du projet
mettre l’accent sur des sons « révélant un peu de simplicité et de naïveté », en allégeant une histoire
«très dark », comme il l’avait fait dans Pinocchio. Mais, en accord avec Pommerat, les sonorités simples
sont mélées à une clarinette travailllée pour amener des dissonances. C’est l’inquiétante étrangeté qui
est mise en exergue par sa musique.
De plus, dans un jeu de références, A. Leymarie s’est aussi attelé à intégrer des sons cristallins : avec du
cristal Bashet, de l’onde Bartenot, du glassharmonica, (instruments rare dont les photographies sont
disponibles en ANNEXE) il obtient des sons particuliers. Ainsi, la musique fait sens ici aussi en faisant
écho, non seulement, au verre matériel (celui de la maison, ou de la chaussure…), mais exhorte aussi à
lire la fragilité de Sandra.
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Amoura Inès M2
Ainsi, dans Cendrillon, cette musique et ces bruits permettent, comme pour les contes autrefois,
d’exciter l’imaginaire du public et rajouter matière à sa soif d’interprétation.
- Et le merveilleux ?
Le merveilleux est évidemment un défi à relever en matière d’adaptation : les éléments surnaturels
semblent formellement difficiles à représenter… Dans Cendrillon, que ce soit à travers la marraine la
fée ou les oiseaux, il est très présent et semble essentiel parce qu’il permet d’aider l’héroïne à résoudre
son histoire. De plus, le merveilleux est extrêmement plaisant…Où retrouve-t-on ces effets insufflant
justement l’émerveillement dans la pièce de Pommerat ?
Il passe d’abord simplement par l’effet de surprise et d’humour avec un certain jeu dans le décalage. Le
spectateur, familier avec le conte, attend en effet certains éléments –merveilleux ou symboliques plus
que d’autres. Ainsi, complice du spectateur cherchant des rapports avec le conte, l’auteur s’amuse à
transformer certaines de ces clés. On peut penser évidemment à la fée ; dans cette Cendrillon, elle est
très humaine : elle fume, conduit (et vole) une voiture, apprend des tours de cartes dans des livres à la
place de ses « vrais pouvoirs », et est présentée comme « à l’allure négligée » « déblatér[ant] des grosses
âneries » et « déprimée » (VOIR la vidéo entre 31min15 et 36min) Ces décalages parodiques apportera
le plaisir au public qui attendait une fée et est surpris par cette nouvelle figure.
De même, le bal royal promet des images de robes, parures, rubans etc. Loin de décevoir ces attentes,
les personnages sont accoutrés façon Louis XIV (VOIR vidéo à 52min15 ou photographie en
ANNEXE). Mais cette image de conte de fée traditionnel est rapidement contrecarrée par la musique
aux sonorités reggae et par les moqueries envers le costume du père entré dans la salle: ici encore, le
décalage étonne agréablement.
Par ailleurs, l’émerveillement et l’espèce de magie qui se dégage des contes semblent ne plus résider
dans la pièce dans des êtres surnaturels, mais sont déplacés au sein même de la représentation scénique.
En effet, il y a grâce de brefs noirs une impression de successions de tableaux magiques sur le plateau.
D’une certaine manière, à la façon des fééries et pièces à machineries en leur temps, la mise en scène de
Pommerat offre des métamorphoses de l’espace scénique, avec de belles images à la suite l’une de
l’autre. Enfin, l’impression d’une fusion complète de tous les arts de représentation (jeu, son, musique,
lumière, vidéo…) apporte une sensation étonnante, magique au sens d’impossible à expliquer
théoriquement –la magie de la représentation exacerbée.
Voici un exemple mêlant les deux éléments étudiés (VOIR la vidéo à 49min): il s’agit de la
transformation de Cendrillon pour le bal dans la « boîte magique » de la fée. Cette boîte est réalisée à
l’aide de deux miroirs, un fond en rideau pailleté, des lumières violettes douces, une légère fumée, des
éclats de lumières accompagnés de bruits cristallins…on sent la magie à l’œuvre. Mais un décalage
parodique pimente la chose, avec deux ratés de la part de la fée habillant Cendrillon d’une tenue de
majorette puis d’un déguisement de mouton.
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Amoura Inès M2
Originellement, le conte était avant tout l’occasion à la réunion d’une communauté écoutant ensemble
une histoire transmise oralement. Pommerat confie sa vision de la chose en ces termes : « un conte, c’est
une durée, celle d’un récit, et c’est un état d’être ensemble. » Or il a compris
« Dès mes premiers spectacles j’ai su que mes histoires étaient des prétextes à créer de
l’instant. […]je crois que lorsque les spectateurs parlent d’intensité au sujet de mes
spectacles, c’est parce qu’ils ont précisément ressenti que les personnages s’inscrivaient
dans le même temps et le même espace qu’eux. Cet espace n’est pas coupé, il n’y a pas
de quatrième mur. Tous, spectateurs, acteurs, personnages, se retrouvent dans un instant
du présent commun. Ce n’est pas n’importe quel instant : c’est du temps présent, c’est-
à-dire du temps qui meurt à chaque instant. Il évolue, sans cesse, il passe, il survient et
il cesse, se renouvelle, disparaît à nouveau »2
Ainsi, l’accent est mis sur la force de « l’instant » qui lie les gens ; or le théâtre est un art vivant par
excellence, l’immédiateté et la présence de corps sont quasi palpable entre acteurs et pour le public ; la
marge de manœuvre et liberté de proposition que Pommerat laisse à ses comédiens nourrit cette
démarche. Il laisse aussi au spectateur cette liberté pour imaginer et co-créer son spectacle…
3. Le conte réinterprété
« Un conte, c’est une durée, celle d’un récit, et c’est un état d’être ensemble. Pour être
ensemble, si je veux intéresser le spectateur et être avec lui, je vais travailler sur ses
représentations. C’est une forme de stratégie. Je suis un conteur, je vais agir sur son
imaginaire ». 3
La narratrice au début de la pièce l’annonce : « Si vous avez assez d’imagination, je sais que vous
pourrez m’entendre ». En lisant cette phrase de façon méta théâtrale, on devine un certain credo du
travail de Pommerat.
Pour Pommerat, le réel ne se limite pas à ce qui est rationnel mais englobe l’imaginaire : « la réalité se
situe aussi dans la tête », il choisit « cette tension entre réalité réelle et réalité perçue ou imaginée ».
On peut le remarquer à travers le traitement qu’il fait de la mère de Sandra qui est à la fois présente et
absente, que l’on voit grâce à l’imagination sur scène. En effet, Sandra ne cesse d’exhiber son album
photo au début : « Tenez ça c’est une photo de ma mère quand elle était jeune » puis « c’est une photo
de ma mère et de mon père quand ils étaient venus me voir à un spectacle », puis « ça c’est une photo
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Dans Joël Pommerat, Troubles, de Joëlle Gayot
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Dans Joël Pommerat, Troubles, de Joëlle Gayot
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Amoura Inès M2
un peu particulière »… Elle la fait vivre à travers des souvenirs : « ma mère était sortie… » « ma mère
elle aimait bien les oiseaux » « tu te souviens, maman elle… » etc. Enfin, sa présence-absence est
rappelée par l’énorme montre sonnant toutes les 5min avec l’air de « Ah ! vous dirais-je maman ». Elle
prend même corps à travers l’accessoire/costume d’une robe. A ce sujet, le père fait un lapsus montrant
l’équivalence entre la robe et la personne pour Sandra (et par là pour le spectateur) : « elle fera sa petite
vie avec sa mère…avec la robe de sa mère et voilà ! », et la belle-mère refuse « jamais ton ex-femme ne
viendra dans ma maison ». Ce vêtement donne quasiment un corps à la mère, il permet de la voir
concrètement –comme un fantôme matérialisé sur scène aux yeux du public.
Par ailleurs, Pommerat attise cet imaginaire en lui laissant tout simplement une place dans sa
représentation : il ne dit pas tout, il ne montre pas tout. En cela, le conte, traditionnellement suivant une
narration simple, des modèles et thèmes connus, est le parfait matériel pour offrir cette marge
d’interprétation au public –: « C’est élémentaire du point de vue des personnages et des relations […]
cette économie permet de ne pas saturer l’imaginaire de celui qui regarde, de lui laisser une grande
place. ».
C’est un point que l’on peut apprécier en étudiant la scénographie de Cendrillon. En effet, elle soutient
un équilibre entre dissimuler et révéler, entre la pénombre qui cache et la lumière qui prend touche par
touche les personnages et les situations. La part d’indétermination, de non-visible, laisse ouverte la porte
au fantasme, aux images etc. trouvées par le spectateur. Eric Soyer, le scénographe, et Pommerat se sont
accordés sur ce point en décidant notamment d’une « lumière qui ne cherche pas à rendre visible, mais
qui sait cacher aussi, et qui accorde une grande importance à l’imaginaire de l’œil ».
Par ailleurs, le « ciel bleu » que la vidéo met en place sur les murs de la scène est une image concrète
de cette ouverture aux horizons d’interprétation possibles. (voir les photos en ANNEXE). Avec la vidéo
projetée, ce sont les limites même de la salle et la scène qui deviennent brouillées : comme le dit Eric
Soyer,
« Il s’agit de fabriquer une boîte dans laquelle on oublie le théâtre et où tout devient
possible au niveau de l’imaginaire. On s’attache à faire disparaître les limites du lieu où
l’on inscrit la représentation ». 4
La compagnie Louis Brouillard a été fondée en réaction au Théâtre du Soleil où selon Pommerat « on
montrait tout, où la vérité et le réel se dévoilait dans la clarté », choix qui lui « paraissait suspect et
contestable ». Ainsi le nom de sa compagnie (avec Louis en référence à Louis Lumière) jour sur « une
opposition entre le montré et le caché, entre la lumière et l’obscurité ». Il a donc fait le choix du
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Dossier de presse de Cendrillon
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Amoura Inès M2
brouillard, de la complexité, de la concordance d’opposés, des contradictions –qui font part entière de
l’être humain.
Cette conception se retrouve par exemple à travers l’élément phare de la scénographie de Cendrillon :
la maison en verre de la belle-mère (VOIR la vidéo à 7min). Dans ses notes, Pommerat se concentrait
sur des matériaux « la cendre, le verre » pour un espace étrange « de lumière sombrement tangible, un
espace clos qui hésiterait entre l’excès et le manque de fenêtres ». Cette maison rappelle bien sûr la
pantoufle de verre de Perrault mais offre surtout la sensation d’un espace fermé (avec des murs
matériels) et en même temps ouvert (parce qu’il est transparent). De plus, il est à la fois supposé être un
foyer chaleureux d’une famille mais donne un aspect effrayant (le verre est froid et peut se briser
devenant dangereux ; les oiseaux s’écrasent dessus ; on devine une végétation étouffante au dehors).
Ainsi, cet espace est complexe et mêle des impressions contraires, en adéquation avec les inclinations
de cette compagnie.
Dès lors, on comprend le refus du manichéisme trop peu humain par Pommerat. Son spectacle est hors
des oppositions polarisées du bien et du mal, de l’agréable et de l’effrayant, du réel et du surnaturel…
Chez ses personnages, il éloigne l’usuelle marâtre et ses méchantes filles contre une Cendrillon à l’âme
bonne de nature. Il confie dans l’interview en fin de vidéo qu’il voulait garder la répartition des rôles
avec une victime et un oppresseur, sa violence ; mais y ramener de l’humanité –en redonnant sa fragilité
et sa souffrance à cet oppresseur. Ainsi, sa belle-mère est arrogante et victime de son obsession pour la
reconnaissance (personnelle et sociale) et à la fin de la pièce, elle en subit les affres et se tourne en
ridicule, apparaissant plus perdue et pathétique que haïssable. Ses filles évitent la caricature de puérilité
perfide quand elles mentent pour protéger leur mère sur l’identité de Cendrillon-Sandra et son histoire
avec le prince. Le prince charmant lui-même était selon lui un mythe et « le plus gros cliché » -il devient
un enfant comme Sandra. Enfin sa Cendrillon dit elle-même au début « Je suis pas du tout gentille ! Si
les gens pouvaient voir comment je suis vraiment en vrai ».
Ainsi, les comportements des personnages sont simplement ceux d’êtres humains, imparfaits, faisant
des erreurs, s’améliorant, essayant…
Avec ce choix du caché et de la complexité, on devine quel traitement Pommerat fait à la fin heureuse
ou la morale qui clôturait le conte original. Perrault offrait deux « moralités » à la fin de son conte, les
frères Grimm châtiaient les méchants et célébraient le mariage des bons ; et bien des versions ou
adaptations de Cendrillon, si elles n’en donnaient pas explicitement, suivaient cette forme de fin close.
Dans la pièce de Pommerat, pas de fin heureuse et pour toujours pour héros exemplaires : le jeune couple
ne se marie pas, au contraire la narratrice apprend au public que « la vie les a éloigné l’un de l’autre ».
La fin ce ne sont que ses mots « Voilà c’est fini […] Alors moi je me tais et je m’en vais », en forme de
conclusion ; mais sur scène, on voit encore l’homme-muet corps du conteur qui marche (on ne sait où),
la projection vidéo montre des lignes se croisant en mouvement et en pendant, les acteurs héros
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Amoura Inès M2
continuent à danser : les chemins de vie restent ouverts pour le spectateur ; sa curiosité et son imaginaire
sont attisés par la représentation.
Pommerat actualise l’histoire de diverses manières ; il refuse de le faire de manière « anecdotique » mais
veut donner un vrai lien avec le monde d’aujourd’hui. Un premier bouleversement est bien sûr celui
touchant le langage : les personnages s’expriment comme le feraient nos contemporains de manière
courante voire vulgaire. Par ailleurs, la situation initiale installe une famille recomposée par un veuf et
une belle-mère qui fait de la chirurgie esthétique, avec des adolescentes obnubilées par leur téléphone,
une Cendrillon qui devient simplement Sandra …une famille très moderne. L’utilisation de la vidéo, par
moments aux motifs abstraits, ou d’une musique aux consonances rock au début et à la fin, de même
que l’inclusion de la chanson de Cat Stevens « Father and son », contribuent à cette transposition dans
un monde actuel.
Ce conte est un des plus connus, donc Pommerat dit qu’il se devait de « ramener de l’étrangeté » dedans
pour ouvrir un nouvel œil au public. Le réalisme et la contemporanéité apportés doivent osciller avec
l’imaginaire et avec une « inquiétante étrangeté » : les sons discordants de clarinette, la vidéo sur les
murs brouillant la perception en mélangeant supposés décors réel (une maison, son jardin) et motifs
abstraits (papier peint du palais psychédélique) en jouent. Des éléments modernes et familiers au public
gardent un aspect étrange/étranger : l’accent de la voix de la narratrice ; les costumes à la fois
identifiables et en décalage (celui du très jeune garçon par exemple ; où le moment ou le père fume
encore accoutré façon Louis XIV dans la cave de sa fille) ; les bruits des oiseaux qui même après qu’ils
aient arrêté de s’écraser sur les vitres perdurent.
Une part de fantastique perturbe l’atmosphère réaliste et actuelle donnée ; tout comme les éléments
modernes trouble l’imaginaire attendu… L’un dans l’autre, c’est ce balancement et cette étrangeté qui
rend la pièce exceptionnelle. Cette difficulté de sentir, cerner vraiment les choses, pousse à poser une
attention nouvelle sur cette histoire qu’on croyait connue.
La mort de la mère de Cendrillon est un élément qui ne varie pas d’une version du conte à l’autre ; c’st
la condition sans laquelle l’histoire ne se déroulerait pas : c’est en quelque sorte son origine… Même si
elles ne lui accordent pas toutes la même importance, on comprend pourquoi Pommerat y lit un
évènement essentiel à l’histoire. En effet, il confiait en entretien :
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Amoura Inès M2
choses d’une nouvelle manière […] peut-être aussi parce que comme enfant, j’aurais
aimé qu’on me parle de la mort » (entretien avec Christian Longchamps)
Sandra porte un lourd sentiment de culpabilité avec la mort de sa mère. Elle a fait la promesse de ne
jamais arrêter de penser à sa mère. Elle pense éviter que cette dernière tombe dans l’oubli, qui à ses yeux
est la vraie mort. Le sentiment de culpabilité, et la peur de l’abandon (déplacée en peur d’abandonner)
sont au cœur de ce décès et ce deuil inaccompli. Elle ne souffre pas qu’à cause de sa belle-mère, elle se
fait souffrir. Pour reprendre les mots de Pommerat : « on n’est plus dans de la bonté gratuite, mais on
est plus proche […] d’une forme de masochisme –un mot moderne pour dire les choses ». On le retrouve
dans son application à accepter les pires tâches ménagères ou de tenir des propos comme « Je crois que
ça va me faire du bien de me sentir un peu mal ! ». Le sac à dos qu’elle refuse de poser matérialise
d’ailleurs ce poids qu’elle fait peser sur ses épaules.
Cette impossibilité à faire le deuil et vivre dans le présent est représentée de diverses manières ; on peut
penser au tiraillement physique de la première scène : Sandra est tirée par son père –figure du présent et
de la vie qui continue- loin du lit mortuaire de sa mère, mais elle lui résiste (VOIR vidéo à 4min20).
Lors de la réception des invitations au bal, la maison entière est animée, mais Sandra est coupée d’eux
par la vitre, elle est à l’extérieur et s’occupe des oiseaux écrasés (liés à sa mère qui aimeit les oiseaux et
à la mort bien sûr) (VOIR vidéo à 38min45). Ainsi, elle est coupée du présent et des autres être humains,
de sa vie même –c’est ce que le deuil et sa promesse l’empêche de dépasser.
Le prince pense, et s’est convaincu, que sa mère reviendrait alors que son père lui dissimule la vérité, sa
mort il y a dix ans. Il s’empêche de vivre le moment présent lui aussi, en attendant les coups de téléphone
supposés de sa mère.
Une opposition est aussi construite avec d’un côté la musique et de l’autre les bruits, afin de suggérer
cette lutte entre présent, vie et passé funèbre. Dans la pièce, la musique va de pair avec la vie et la joie
et est accompagnée de couleurs et mouvement ou danse (comme les ondes de la vidéo pendant la
chanson du prince ou les éclats violets avec la danse finale rythmée). Mais les bruits, comme ceux des
oiseaux s’écrasant sur le verre, morts ; ou les talons très sonores de la belle-mère, ses cris énormes, et
son renfermement à la fin, vont à l’encontre de cette vie ; ils sont liés à la mort et l’impasse.
Ainsi, on assiste à deux deuils différents mais mis en parallèle. En effet, les deux « très jeunes » fille et
garçon fonctionnent en miroir : leurs deux familles sont une espèce de doublon, que la distribution incite
à remarquer. Le père et le roi sont joués par le même acteur ; et c’est une des sœurs (une jeune fille) qui
joue aussi le prince (sorte de réflexion travestie). Et l’absence de la mère les rapproche ; c’est leur
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Amoura Inès M2
rencontre qui les aide à accepter ce vide et à renouer avec le monde duquel ils s’étaient éloignés. (VOIR
vidéo à partir d’1h15min)
Le rapport aux mots est à l’origine des souffrances prolongées des deux héros dans leur deuil. La
narratrice annonce au début de l’histoire « les mots ont failli avoir des conséquences catastrophiques
[…] Les mots sont très utiles mais ils peuvent aussi être très dangereux »
En effet, Sandra s’inflige sa punition parce qu’elle a mal entendu les mots de sa mère mourante. Elle
pense et répète cette phrase : « Ma petite fille, quand je ne serai plus là il ne faudra jamais que tu cesses
de penser à moi. Tant que tu penseras à moi tout le temps sans jamais m’oublier, je resterai en vie
quelque part » ; mais la narratrice ironise : « Ce qui est certain, c’est que cette histoire n’aurait pas été
la même si la très jeune fille avait entendu parfaitement ce que sa mère lui avait dit ». En effet, les
derniers mots de la mère sont découverts en fin de spectacle, la boucle est bouclée : « Ma chérie... Si tu
es malheureuse, pour te donner du courage, pense à moi... mais n’oublie jamais, si tu penses à moi fais-
le toujours avec le sourire ».
De même, le prince est victime des mots mensongers de son père : son deuil est impossible puisqu’on
lui a caché qu’il y avait un deuil à embrasser. Le roi avoue devant Sandra et sa famille : « Comme vous
le savez évidemment, sa mère est morte quand il avait cinq ans. Depuis ce jour, pour lui épargner une
trop grande souffrance, je lui raconte que sa mère est partie en voyage et qu’elle a du mal à rentrer à
cause d’incessantes grèves des transports. Mais chaque soir, je dois trouver un nouveau mensonge pour
justifier qu’elle ne l’appelle pas et ça c’est terrible ».
La compréhension repose sur une perception fragile ; chacun peut interpréter les signes et les mots –
ceux qui sont projetés sur les murs en sont les témoins. De façon plus comique, le père ne comprend pas
non plus les gestes et paroles que fait la belle-mère à travers la vitre à son arrivée. Il comprend aussi mal
l’importance et le danger des idées de Sandra sur sa mère, en les réduisant à des « histoires de gosse ».
La belle-mère se trompe aussi dans la compréhension des mots du roi à propos de celle que recherche
le prince. A chaque fois, il y a des conséquences plus ou moins catastrophique sur ce problème de
mauvaise interprétation des mots, ou de silence forcé.
-Quête de l’humain
Avec Cendrillon, la question du passage de l’enfance à l’âge adulte, du moyen de trouver sa place dans
le monde et au sein des autres, les relations humaines, sont également centrales. La famille est une
micro-société condensée qui permet de raconter la société humaine entière puisque « toute destinée
humaine y prend sa source » selon Pommerat. De plus elle permet d’établir facilement des relations très
fortes entre les personnages, comme il le confie :
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Amoura Inès M2
« La famille est une notion pratique dans le processus de création. Son introduction sur le plateau me
permet des combinaisons élémentaires. J’ai besoin de cette simplicité pour construire. Besoin de ne pas
avoir à expliquer ces liens au spectateur. Ils sont donnés. Lorsqu’on entend quelqu’un sur scène qui dit
« maman » ou « papa », tout est dit. »
Or, des personnages aux relations fortes sont le moteur d’action au théâtre. C’est là encore une vsion
chère à Pommerat et que l’on peut retrouver dans beaucoup de ses pièces :
« Ce n’est pas la personne elle-même qui est importante, c’est ce qu’elle va faire en
rapport avec l’autre. Et ce n’est pas l’autre qui est important, c’est la relation, le récit
qui va naître et exister entre eux ». 5
Bien sûr, le jeu des acteurs repose largement sur cet échange et l’action vient de ce qui vit entre eux. Ce
paradoxe de l’invisible à représenter pose de nombreux défis mais se révèle passionnant. Dans
Cendrillon, la maison de verre dit aussi quelque chose des relations entre les personnages : au début,
quand Sandra et son père arrive à la maison, la transparence donne l’impression qu’ils sont ensemble et
qu’ils partagent le foyer en famille recomposée, mais ils sont séparés par un mur invisible. L’expression
de la belle-mère « on voit mal l’intérieur de l’extérieur » fait écho aux réfléxions méta-théâtrales de
l’auteur sur l’humain : l’intérieur est dissimulé par l’apparence et il s’agit « d’entremêler l’intérieur et
l’extérieur » pour dire la réalité humaine.
La très jeune fille est la seule à porter un nom –plusieurs noms même. Sandra, Cendrier, Cendrillon,
dans différentes bouches. Elle est justement en quête d’elle-même. L’histoire de Pommerat dit aussi
combien il est difficile d’être soi, de se placer par rapport aux autres.
Et c’est la transformation de Sandra, et du prince, qui tient le fil dramatique. Pas une transformation
superficielle comme dans le conte –déplacée avec les travestissements ratés en majorette et moutons-
mais ici le conflit était intérieur et elle était son propre opposant ; le changement se fait donc à l’interne,
rejaillissant sur l’externe. Ainsi, Sandra devient plus femme et plus entière, jusqu’à avoir intégré et
transmettre ce qu’elle a compris au prince (« moi aussi il faut que j’arrête de me raconter des histoires »)
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Dans Joël Pommerat, Troubles, de Joëlle Gayot
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Ainsi, Cendrillon est à la fois l’occasion d’une recherche esthétique du point de vue de la représentation,
de la mise en œuvre d’une certaine manière de jouer sur la perception et l’imaginaire, mais aussi de
raconter une histoire renouvelée aux thèmes et actions fortes.
Il me faut finir sur les mots de Pommerat, qui ne peuvent qu’inciter à découvrir son style au théâtre
même :
« Je n’écris pas des pièces, j’écris des spectacles. […] Le texte c’est ce qui vient après,
c’est ce qui reste après le théâtre […] Le théâtre se voit, s’entend. Ca bouge, ça fait du
bruit. Le théâtre c’est la représentation […] Je me confronte à la parole et les mots. Mais
travailler le geste, l’attitude, le mouvement d’un acteur sera aussi important que
travailler les mots. »6
Si Cendrillon n’est pas monté en ce moment, vous pouvez regarder sa captation disponible sur Arte
VOD (connexion avec le compte : ines.amoura@free.fr ; code : H3e4YPdO)
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Dans Joël Pommerat, Troubles, de Joëlle Gayot
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