Les Écarts Du Cinéma - Jacques Rancière
Les Écarts Du Cinéma - Jacques Rancière
Les Écarts Du Cinéma - Jacques Rancière
La fabrique
éditions
© La Fabrique éditions, 2011
www.lafahrique.fr
lafahrique@lafahrique.fr La Fabrique éditions
Conception graphique: 64, rue Rébeval
Jérôme Saint-Loubert Bié 75019 Paris
Impression: Floch, Mayenne lafabrique@lafabrique.fr
ISBN: 978-2-35872-022-9 Diffusion: Harmonia Mundi
Sommaire
Prologue -7
1. Après la littérilture - 23
Le v ertige cinématographique:
Hitchcock-Vertov et retour 25 -
Le corps du philosophe:
les films philosophiques de Rossellini 92
-
Notes - 157
Prologue
20
Prologue
�.
! presente pas un monde que d'autres auraient à trans-
Il conjoint à sa propre manière la mutité des
faits et l'enchaînement des actions la raison du visible
t sa sim le identité à lui-même L'efficaçité po IqU�
des formes de� l'art, c'est
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à la politi ue de la construire
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dans ses prop��céI?-ario.§. Le même cmema qw Ii
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une mine. Pour que son fils Zushio puisse s'enfuir afin
de retrouver la mère captive et d'accomplir la parole
donnée en libérant les esclaves, la sœur de Zushio,
Anju s'enfonce lentement dans les eaux d'un lac. Mais
cet accomplissement de la logique de l'action est aussi
sa bifurcation. D'un côté le cinéma participe au com
bat pour l'émancipation, de l'autre il se dissipe en
cercles à la surface d'un lac. C'est cette double logique
que Zushio reprendra à son compte en se démettant
de ses fonctions, sitôt les esclaves libérés, pour aller
retrouver la mère aveugle sur son île. Tous les écarts
du cinéma peuvent se résumer dans le mouvement
par lequel le film qui vient de mettre en scène le grand
combat pour la liberté nous dit en un dernier pano
ramique: Voilà les limites de ce que je peux. Le reste
vous appartient.
22
1. Après la littérature
Le vertige cinématographique:
Hitchcock-Vertov et retour
d' obj ets : les rails d'un train, le vol d'un avion, les
ailes d'un moulin, une femme qui brandit une brosse
ou serre un sac à main, une bouteille qui tombe, un
homme qui monte un escalier . . . En somme , il traite
les images d'Hitchcock comme des images de Vertov.
Mais l' analogie formelle souligne l'hétérogénéité des
éléments et de l ' op ération elle -même . Ce ne sont
plus les atomes de la grande danse des énergies du
monde qui sont mis en connexion par une machine
qui coupe et colle de la pellicule . Ce sont des images
de rêve qui glissent les unes sur les autres, se fon
dent ou se séparent à nouveau dans le continuum
des métamorphoses numériques. Vertov congédiait la
fascination des regards et celle des histoires. Godard
défait les histoires d' Hitchcock au profit des images
fascinantes. Et c ' est ave c ces images de fascination
qu'il entend faire l ' histoire du cinéma et celle de
son siècle . Deux formules résument cette histoire .
La première nous parIe de l'usine de rêve hollywoo
dienne : « Des usines comme ça, le communisme s'est
épuisé à les rêver. » La seconde porte un diagnos
tic sur le devenir du cinéma, emprunté au critique
Michel MourIet : « Le cinéma substitue à notre regard
un monde qui s' accorde à nos désirs. » Godard noue
ainsi deux thème s . L' un est celui du déplacement
de l'utopie : l'usine de rêve hollywoodienne serait la
retombée ou la captation de l'utopie du xx8 siècle :
celle du nouveau monde machinique . L'autre est celui
de la trahison du cinéma : celui-ci aurait abdiqué sa
vocation de machine de vision mettant en rapport les
phénomènes pour se transformer en machine à pres
tiges au service des « histoires » : celles des scénarios
hollywoodiens ou celles des dictatures dévastatrices
occupées à refaçonner des peuples. L'entreprise des
Histoires est alors une entreprise de rédemption : la
fragmentation godardienne veut délivrer le poten
tiel des images de sa soumission aux histoires . En
43
Les écarts du cinéma
74
Il . Les frontières de l ' art
Ars gratia artis : la poétique de Minnelli
91
Le corps du philosophe:
les films philosophiques de Rossellini
1 08
III . Politiques des films
Conversation autour d ' un feu:
Straub et quelques autres
De la nuée à la résistan ce ,
D anièle Huillet, Je an-Marie Straub , 1 9 7 9 .
136
Politique de Pedro Costa
1 53
Origine des textes
155
Les écarts du cinéma
156
Notes système fondé s u r un rapport
équilibré e n tre l e s pre stiges de
l ' apparence et l e r é cit qui l e s dissi p e .
2 . Gilles Deleuze , L'lmage
Mouvemen t , Editions de Minuit, 1 9 8 3 ,
p. 1 17.
3 , « Crayonné au thAâtre » in Œuvres
1 . Cc compromis est bien mis en complètes, Paris , Gallimard, 1 9 4 5 ,
évidence a con trario par un mm p . 300.
rpccnt, Road to Nowhere d e Monte 4 . Maeterlinck, « Le tragique
H e llman . Le film, e n inversant la quotidien » in L e Trésor des humbles.
logique fictionnell'l de Vertigo , Bruxelles , Labor, 1 9 9 8 , p . 1 0 1 . Les
rend la logique du déploiement des documents de la mise en scène
apparences proprempnt ve rtigin e us e . d 'fIam let p ar E dward Gordon Craig
R o a d t o Nowh ere se p r é sente e n en 1 9 1 2 à Moscou sont conservés
effet c o m m e l ' histoire d ' u n film fait dans le fonds Craig de la BNE
sur une affaire de détournement Du même on pourra aussi lire
de fonds t,)rminée p ar un double « The Ghosts in the tragedies of
suici d e . Mais l e r é cit du tournage Shakespeare » , in On the Art of the
est e n fait entrecoupé de séquences Theatre, London, Heinemann, 1 9 8 0 ,
que le spe ctateur attrihue au film p . 264- 288.
tourné alors qu' elles racontent 5 . Voir Robert Bresson, Notes sur
la machination meurtrière - l a le cinématograp h e , Paris, F olio/
m i s e e n scène d ' u n faux film - qui Gallimar d , p. 1 :1 5 .
a permis au couple criminel de 6 , Nouvelle Histoire d e Mouchette,
fuir en faisant croire à son double PlonIPocket, Paris , 1 9 9 7 , pp. fi S et 6 7 .
suicide . Vers la fin du tournage du 7 . André Bazin, « Le Journal d ' un
« vrai film » , l ' actrice principale curé de campagne et la stylistique
dont l e metteur en scène était de Robert Bresson » in Qu 'est-ce que
tombé éperdument amoureux est le cin éma ?, Paris , E ditions du Ce rf,
tuée p ar un p e rsonnagü qui joue 1 9 9 7 , p. 1 1 0 .
l e s conseillers sur le tournage et 8 . Nouvelle Histoire d e Mouchette,
que l e metteur e n scène tue à son p. 1 1 - 1 2 .
to ur. Le spe ctateur est alors invité 9 . Notes sur l e cinématographe, P aris ,
à déduire ce qui n ' est j amais dit ni Folio/Gallimard, 1 9 9 5 , p. 1 8 .
moutré comme tel dans le fi l m : la 1 0 . Ibid. , p . 9 3 - 9 4 .
prétendue actrice était e n fait la 1 1 . Ibid. , p . 2 4 .
complice du vrai crime qui avait 1 2 , Ibid. , p . 22.
usurpé l' identité de l' actrice que le 1 3 . Ibid.
criminel avait e m b auchée pour le 1 4 . Ibid. , p. 4 1 - 4 2 .
faux film ct assassinée pour faire 1 5 , Ibid. , p. 41.
croire au suicidf' de sa c o m p agn e . 1 6 . Ibid" p . 7 7 .
Mais aucun indice ce rtain ne permet 1 7 . NO/welle Histoire d e tvfouchette,
de détacher du fil m qUfl nous voyons p. 1 29.
tourner ce qui s ' est << réellement 1 8 . !bid" p . 1 4 1 .
passé » . La ré alité de la machination 1 9 , fbid. , p . 5 9 .
et le rêvé' du metteur e n srime 2 0 . Ibid. , p . 1 5 4 .
fasciné par un visage d eviennent 2 1 . cf. Jacques Ranci ère, La Fable
effeetivement indiscernab l e s . Le cin ém a tograph ique, Paris, Editions
rapport entre ré alité , fi etion et fiction du Seuil, 2 00 1 .
dans la fietion devient entiilrement 2 2 , L' effe.t d e cette performance
indécidable au prix de faire du passive est d ' autant plus se nsible que
film Ull obj e t non identifiable pour le rôle est interprété par le m ê m e
l ' industrie hollywo odienne ou - cc enfant acteur, Tommy Rettig, qui dans
qui revient au même - l e man ifeste Rieer of n o ret/Hn incarnait u n fils qui
d ' u n metteur e n seène exelu d ' u n s ' agitait infiniment plus et devait tupr
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Les écarts du cinéma
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