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LA TOPOGRAPHIE
LEGENDAIRE
DES EVANGILES
EN TERRE SAINTE
~TUDE DE M~MOIRE COLLECTIVE
PAR
MAuRice HALBWACHS
PRofessen A LA So11bONIU
1941
INTRODUCTION
* **
La litterature du sujet que nous abordons -est conside-
rable. Il y a les recit des pelerins et des voyageurs qui se
sont succede depuis le yve siecle jusqu'a present. 1 ous en
avons lu un grand nombre, en particulier tes plus anciens,
ceux qui sont ecrits en latin, dans les recueils critiques qu'en
ont donnes Geyer (Itinera hierosolymitana, Sreculi IIII-
VIII, 1898), et Tobler (Descriptiones terrre sanctre ex
sreculo VIII-IX-XII et XV). Ces vieux ecrits ont ete l'objet
d'etudes critiques aussi nombreuses et aussi attentives que
les textes classiques. On a recense, classe les manuscrits,
releve les variantes, · multiplie les rapprochements, les
explications geographiques, historiques les plus detaillees.
Ce sont la les temoignages proprement dits qui nous
permettent de saisir directement a chaque epoque l' en-
semble des traditions sur les lieux saints, dans leur diversite
et leurs variations. Les auteurs de ces ecrits rapportent
simplement ce qu'ils ont vu et entendu. Ils ne discutent
pas, ils ne donnent pas une opinion personnelle, ils n'in-
diqucnt pas leurs incertitudes ou leurs reserves. Leur
temoignage n'en est que plus precieux : ce ne sont pas les
opinions d'individus, mais les croyances de groupes de
fideles, naives et vivantes. Nulle reflexion sur ce qu'on a
pu croire avant eux, et qu'ils ignorent ou qu'ils ont oublie.
On peut suivre ainsi l'evolution spontanee des traditions,
et dans certains cas leur persistance naturelle a travers le
temps, sans autre motif qu'un instinct religieux, certains
besoins de l'imaginalion religieuse, dans des groupes
affranchis de toute discipline rationneUe ou scientifique.
Beaucoup d'entre eux sont anonymes. Mais ceux-la
memes dont on connait le nom et dont on peut ecrire la
biographie semblent s'etre depouilles de leur personnalite.
lo LA TOPOGRAPHIE LEGENDAIRE DES EVANGILES EN TERRE SAINTE
femmcs sont reservees par les enncmis aux plus honteux outragcs. • Ibid.,
VII, 8, 7. Ceci montre au moins que l'acces de la ville n'avait pas Cle ators
interdit aux Juifs. • (Vincent, p. 876.) Abel ct Vincent croient qu'il cst irration-
nel de soutcnir • l'impossibilite d'une lransmission de souvcnirs • entre l'eglbe
hierosolymitaine qui a quitte la ville apres Ia ruine de 70, mais dont ccrlains
membres ont pu y revenir entre 70 et 135, ct celle qui suit, apres 1a rondation
d'lElia en 135.
INTRODUCTION 9
LE PELERIN DE BORDEAUX
1. (Vers 670) Arculfe, eveque franc, visita Ia Terre Sainte ct y fil un ~cjour
prolonge sous Ja conduite d'un ermite de Jerusalem nomme Pierrc dc Bour-
gogne. A son retour il fit naufragc, pcrdit ses memoires, et tut contraint de
dcbarquer dans l'lle d'lona, pres des cötes ecossaises, ou il re~tut J'hospilalite
dans l'abbaye de Hy. I! raconta aux moines de vive voix tout ce qu'il avait
vu pendant ses voyagcs, et l'un d'eux, saint Adamnan, devenu abbe du monas-
tere, rCdigea ses ecrits. Adamnani de locis sanclis libri lres, Geyer, p. 221-297.
Pendant son sejour a Ily, Arculle rectigea une sortc de brouillon agremenle
de quelques croquis (reproduils dans Je texte). c Adamnanus revl!tit ce fonds
d'une forme elegante pour l'epoque, y insera quelques donnees etrangeres,
repartit Je tout en livres et chapitres, et alla olTrir cette description au roi
Altred q'Ui en fit faire un grand nombre de copies pour Ia repandre. Cette
relation qui rivalise en interl!t et importance avec celle d'Ethßrie, et qui a
l'avantage sur celle-ci d'l!tre complcte, nous fait connattre !es debuts de l'exis-
tence de Jerusalem sous J'administration arabe • (Abel et Vincent).
2. Vincent et Abel se demandent si Je v• siecle est absolument dcpourvu
de descriptions. I! y a Ia letlre d'Eucher, eveque de Lyon, au prl!lre Faustus.
• Elle est composee surtout de l'epttre de saint JerOme II. Dardanus et d'un
passage de Ia version latine de Josephe connue sous Je nom d'Hegcsippe. Elle
presente un interet restreint. • Quant au Breviarius de Hierosolyma (3 pages),
il se placerait en gros aux environs de 500.
3. Vers 720, saint Becte Je venerable composa un Liber de locis sanctis
qui est une compilation d'Adamnanus, Eucher, Hegesippe. Geyer, p. 301 a 324.
{~ LA TOPOGRAPHIE LEGEXDAIRE DES EVA:'IGILES EN TERRE SAINTE"
1. Theodose non plus, deux siedes plus tard (530). Anloninus Placentinus
(570 environ) parle le premier du lac de Tiberiade : • Deinde venimus in civilale
Tiberiade, in qua sunl lermas ... Ilem venimus in Capharnaum in domo beati
Pelri qure est modo basilica. • Plus loin il dil : • Venimus in loco ubi Dominu-;
de quinque panibus milia populos saciavit, extensa campana, oliveta <'l
palmeta. • Mais il paralt placer ce lieu loul pres de celui ou J .-C. a ete baptise.
Geyer, p. 164.
LE PELERIN DE BORDEAUX 19
J . Tht\odose (annee 530) dit : De Silona u que Emmau, quill nunc Nicopoli~
d icitur, milia Vllll, in qua Ernmau sanctus Cleopas cognovit Domnum in
cunrraclione panis ; ibi et martyrium pertulit. Geyer, 139.
22 LA TOPOGRAPHIE LEGENDAJRE DES ~VA:'IGILES E;'; TERRE SAINTE
I. Taüen (n• s.), sans doule ~ainle Sylvie (•v• s.), saint Augustin, un
moine du Monl des Oliviers (v• s.), Je v. BMe se prononcenl pour l'Emmaos
a 60 slades. Une de raisons qu'invoque Dalman, a l'appui dl' l'Emmaos d6
Ia plaine, c'esl que Je nom d'Emmaos (= khammä), suppose des soUI-ces
ehaudes. Or il n'y a aucune source a EJ-ikb!lb6. II y a deux !onlaines d'eau
tiMe dans l'autre Emmaos. II pense, d'aulre part, que l'indication des 60 stades
repose chez Luc sur une supposilion : pour que les disciples aienl pu aller et.
venir dans Ia meme joumee, Ia dislance ne pouvail etre que celle d'une demi-
joumee ordinaire de marche, soit 12 kilometres. Mais on pouvait parcourir
en une joumee un trajet plus long, surlout si l'on revenait a Jerusalem tard
Je soir. Si, comme Je dit Luc, Je jour decline quand les disciples atteignent
EmmaOs, cela ne signifie pas que Je soleil est coucM. • Peu apres leur arrivee,
les voyageurs prennent leur repas du soir. A supposer qu'ils repartent vers
19 heures, au clair de Ia pleine lune pascale, ils pouvaient se retrouver a Jeru-
salem aux alentours de minuit • (23 kilometres en 5 heures).
•
2/o LA TOPOGRAPHIE LEGE'iDAIRE DES EVA'iGILES E:'i TEnRE SAJ:"'TB
1. Dalman, p. <10~.
LE PELERIN DE BORDEAUX 27
I. Mariti, p. 91-92.
2. Theodose (annee 530) dit: De domo Pilati usque ad piscinam probaticam
passus plus minus numero C. lbi domnus Christus paralyticum curavit, cujus
Iectus adh•Jc ibi est. Juxta piscinam probaticam ibi est ecclesla dornn:e Marire.
Geyer, p. 142.
3. La legende de Salomon Je representera comme Je mallre des demons,
par la vertu d'un anneau sur Jequel est grave le nom de Dieu. Dans les Mille et
une nuits, Histoire d'un p~cheur, Salomon en!erme un dernon geant dans un
vase scelle avec J'empreinte de son anneau.
4. Antoninus Placentinus a vu Ia pierre angulaire dans Ia basilique de Ja
Sainte-Sion (ou elle a ete sans doute transportee, apres que Je pelerin de
Bordeaux J'eut mentionnee pres du temple). • Le seigneur Jesus etant entre
dans l'eglise elle-meme, qui tut Ia maison de saint Jacques (c'est Ja-m~me,
l'emplacement du Cenacle), iJ trouva cette pie.re grassiere (deformem) gisant.
au milieu, il Ja prit, et Ia posa a !'angle (c'est Ia parahole qui devient reallte,
et. prend pied, mais dans un nouveau lieu). Tu peux Ia soulever dans tes mains,
el mettre ton oreille contre !'angle : tu entendras un long murmure comme
d'une mullitude. • Geyer, Anlonini Placenlini itinerarium, p. 173.
28 LA. TOPOGRAPHIE LEGE:oiDAIRE DES EVANGILES EN TERRE SA.IlfTII:
I. Beda (dt' bul du vm• s.) : Extra lemplum locus est, ubi Zachat:ias ftl iu ~
Barachire inler!eclus esl. Geyer, Pdrus diacorws, p. 408.
30 LA TOPOGR \PHIE LEGENDAIRE DES EVANGILES E:'l TERRE SAINTE
die, qui esl sabbalum, in lolum nec nocle, nec die curritl.
Dans saint Jean, 9, 7, u Jesus passaut vit un homme
aveugle de naissanee... II eracha a terre, fit de Ia boue
avee sa salive, et frotta de eette boue les yeux de l'aveugle.
Et il lui dit : Va-t-en, et te lave dans Ia piseine de Siloe
(mot qui signifie l'Envoye). II y alla done, et se Iava, et
recouvra Ia vue. •
D'apres Dalman, Jerusalem possede efTectivement une
source intermittente, dont le mouvement revenant toujours
a bien pu passer pour miraculeux. C'est Ia souree de Gihon
de l'Ancien Testament, voisine de Ia fontaine de Rogel,
comprise autrefois dans Jerusalem qui s'etendait sur les
pentes sud des deux eollines (aetuellement hors des murs).
Lorsque vivait Jesus, l'ecoulement nature! en avait ete
obstrue, et les eaux n'en etaient plus aeeessibles qu'[\
l'extremite sud de Jerusalem, ou se deversait un long canal
ereuse par Ezeehias a travers le rocher. Le bassin primitif
s'etendait dans l'emplacement du quadriporticus dont parle
Je pelerin (que le Chronicon paseale assimile au Tetranym-
phon eleve par Adrien). « C'est Ia qu'un pretre venait eher-
eher dans un vase dore l'eau destinee aux aspersions, lors
de la fete des tabernacles. On y puisait aussi, dans des
recipients de pierre, l'eau vive necessaire pour les eendres
de lavaehe rousse (Nombres, 19, 17) afin de purifier eeux
qui avaient eu eontact avec un eadavre. La vertu purifiante
de eeLte eau ne se pouvait eomparer qu'a eelle des eaux
primordiales de Ia ereation. >>
Le miraele de J esus se rattaehe done a une souree a
laquelle, pour les Juifs, etait attaehee deja une foree
miraeuleuse, qui etait saeree pour eux, qui tenait une plaee
dans leur culte et leur tradition 2 • Le pelerin ne fait pas
1. Theodose (annee 530) dit seulement : Piscina Siloe a Jacu, ubi mi~su.;
e.;t Hieremias propheta, habet passus numcro C, qure piscina intra murum
el. Geyer, p. 142.
2. C'est ce que soulient Jcrcmias, Angelos I, p. 162. Da Iman dit au contrnire,
pour expliquer Ia guerison : • cetle fois il s'agit de Ia rorce miraculeuse attachee
LE PELERIN DE BORDEAUX 33
non pas a Ia source, mais a Ia personne de Jesus • (p. 406). II taut dire plulöL
qu'ici encore Je miracle du Christ se superpose a une force miraculeuse juivr .
1. In cadem, chez Geyer. Nous corrigeons d'apres Tobler. Sur l'identiflca-
tion de Sion el de Ia colline haule, voir ci-dessous.
2. Sauf Ia colonne de Ia flagellalion du Christ, avec Je rappel final d'Esaie,
nous ne sorlons pas du monde juif.
1>1. HALBWACHS 3
3'> LA TOPOGRAPHIE LEGE"\DAIRE DES EVA:-iGILES EN TERRE SAINT&
1. Dans la eile% de Iherusalem, qui dale du x11 1 siecle sans doute, alors que
les croises occupaient encore Ja ville, on trouve cette legende : Adam a son
Jit de mort prie un de ses fils de Jui apporler un rameau de l'arbre dont il a
mange le fruit quand il pecha. Quand ill'eut, i!Je mit dans sa bouche, et on
ne put J'en arracher. Ce rameau enterre avec lui, reprit, devint un beJ arbre,
tut emporte par le deluge sur Je mont Liban, et de Ja porte a Jerusalem quand
on bätit Je temple. Quand Jesus rut mis en croix, Ja t~te d'Adam Ctait dans le
bois, et quand Je sang de J.-C. sortit de ~es pJaies, Ia tUe d'Adam sortit du
bois et recueillit le sang ; • dont il a"ient encore qu 'en tos Ies crucefis c'on fait
en Ia terre de lherusalem, c'au pie de Ia crois a une teste en remembrance
de celi •· Tobler, Descripliones lerr<:e sancla! ex s;eculo V I 11 a XV. 1874, p. 2J6.
LE PELERIN DE BORDEAUX 39
1. ThCodose (530) : Ibi esl vallis Josaphal : ibi Domnum Judas tradidil.
lbi 8Sl ecclesia domnm Marim matris Domini (le pelerin de Bordeaux ne Ja
menlionne pas) ; ibi et Dominus Iavil pedes discipulorum, ibi et cenavil
(l'endroit de Ia Cene a He Iongtemps Iocalise au flanc du mont des Oliviers :
voir ci-dessous) ; ibi sunt quattuor accubita, ubi Domnus cum aposlolis ipse
medius accubuil, qum accubila ternos homincs recipiunt ... Ipse Iocus in
~pelunca est. Geyer, p. 143.
LE PELERIN DE BORDEAUX 45
r
LE PELERIN DE BORDEAUX l9
I. • Et quand ils eurent passe (le Jourdain) le Seigneur dit a JQsu6: ehoisis
douze hommes, un de chaque tribu. Et ordonne leur de prendre au milieu du
neuve du Jourdain, a l'endroit ou !es priltres se sont arriltes, douze pierres
tres dures que vous placerez dans Je camp ou vous dresserez vos tentes cette
nuit. • Josue, IV, 1-3.
54 LA TOPOGRAPHIE LEGE. DAIRE DES EVAi"'GII.ES E:-1 TERRE SAINTB
milia duo a parle sinislra esl Belhleem. Ubi nalus esl dominus
Jesus Christus, ibi basilica facla esl jusso Conslantini;
inde non Longe esl monurnenturn Ezechihel, Asaph, Job, et
Jesse, David, Salomon, el habet in ipsa cripla ad Latus
deorsum descendenlibus hebraeis lilleris scripturn nomina
super scripla.
Au debut de la Vie de Jews, Renan ecrit : « Jesus eit
ne a Nazareth. » Pour lui, « ce n'est que par un detour assez
embarrasse qu'on reussit, dans sa legende, a le faire nattre
a Bethleem1 ,,. Nous etudierons les traditions topographiques
qui se rattachent a cette ville. Notons seulement que le
pelerin de Bordeaux a vu la basilique recemment construite
au lieu qu'on croyait celui de la naissance, mais avant, et
apres, ce sont des localisations purement juives qu'il
mentionne.
Il est dit, dans la Genese, 35, 14, que Rachel, epouse de
Jacob, mourut en mettant au monde un fils, et qu' « elle
fut ensevelie au chemin qui mene [de Bethel) a Ephrata,
qui est Bethleem ,,. Et J acob mit sur son sepulcre une
inscription. En realite, d'apres Dalman, « c'est par erreur
que ce tombeau a ete place la, et non dans la contree de
Rama, au nord de Jerusalem. On peut supposer qu'apres
la disparition d'Ephrath, en Benjamin, ou il s'elevait a
l'origine, Ephrata de Juda ne voulut pas laisser a d'autres
localites le soin de s'approprier ce monument de l'epouse
favorite de Jacob.
« Dans l'antiquite israelite, dit Dalman, une citerne
unique avait proeure a Bethleem l'eau de qualite choisie.
Cela se voit par le souhait de David, lorsqu'etant a Abdoul-
lam, il aspire a boire << a la citerne de Bethleem qui est pres
« de Ia porte » (2 Sam., 23, 15 ). Depuis le xme siecle on
montre comme etant la fontaine de David un groupe de
trois citernes assez profondes creusees dans le rocher, ä
I. Acles de~ Apötres, 8,26. Lcs Aclcs discnt : sur Ia routc qui conduit de
Jerusalem il Gaza, Ia ville desertc. C'est Bethzour, un peu ill'oucst de Ia route
qui conduil :'!. l'llebron.- Renan dit : • Quand Ia question de l'admission des
paiPns dans I' Eglise cbn!tienne devint l'arraire capilale, on trouva ici un pre-
. Jent fort grave. Philippe etail cense avoir agi en toute cette artaire par
in<piration divin . Ce bapU\me, donne parordre de !'Esprit-Saint a un bomme
a pcine juir, notoirement incirconci (un eunuque dc ubie), qui nc croyait
au chrL tianisme que depuis quelque heures, cut une haule valeur dogmatiqur ...
Conclure de Ia (cependant) que toute cette hi. toire a He invcntec par l'auteur
des Acles nous paralt temeraire. • Les Ap~tres, p. 159.
60 LA TOPOGRAPHIE LEGENDAIRE DES EVANGILES EN TERRE SAINTE
BETHLEEM
* **
Le premier qui enlre- S'appelle le grand roi Gaspar. -
Le second qui entre - C'est Ballhasar. -
Puis vienlle roi Afaure- Avec ses yeux loul iraverous.
L'enfanl Jesus ploure- N'oseni pas enlr{)US.
* **
J esus leur fail signe. - Enlrez donc sans ceremonie. -
* **
Je me rappelais ce vieux Noel proven~al, quand j'ai
ete a Belhleem. J'y suis alle en auLo. Que voit-on en auto ?
A J'egli e de la Nativite, nous sommcs descendus, par l'un
des deux escaliers tournants de quinze marches, dans
l'cglise souLerraine placee sousIe chreur. Elle esi irregulicre,
parce qu'elle occupe l'emplacemenL de l'Etable et de la
6~ LA TOPOGRAPHIE LEGENDAIRII DES EVANGILES EN TERRE SAI!'ITK
I. Nous reproduirons ci-dessous !es notes que nous avons pri es, en lisant
le chapitre de Dalman intitule : • Bethleem, Je champ des bergers •·- MichCe,
V, 2 : • Et toi, Belhleem Ephrata, Ia plus petite entre !es villes de Juda, de
toi doit venir celui qui dominera sur Israel, et sa sortie est du commencement
et des jours de I'eternite .•
M. IIALDWACHS 5
66 LA TOPOGRAPHIE LJ:\GE~DAIRE DES EVANGILES EN TERRE SAINTE"
1. Comme tout point de repere fait detaut a cet egard, dit Dalman, on ne
doit pas d6daigner c Ia communion avec !es milliers de chretiens qui, depuis
Je 1v• sioole, ont tour a tour entendu, pieins de ferveur, le chant angelique de
Noel soui !es oliviers de l'eglise des bergers •.
,. LA TOPOGR.HHIE LEGENDAIRS DES EVANGILES EN TERRE SAINTE
• "'*
On a montre longtemps a Bethleem le tombeau de
David. Si l'on a fait nattre Jesus a Bethleem, c'est pour
placer la naissance du messie au lieu oil son ancetre, David,
.est ne lui-mcme. Dans le chapitre suivant, nous verrons
qu'on a fixe a Jerusalem, sur l'emplacement qu'on croyait
etre la Sion de David, le lieu de la Cene, ou a ete ensuite
localise le tombeau de David. 11 faul voir comment l'Ecri-
ture nous reprcsente ce personnage, dont le souvenir a
.exerce une teile influence sur la localisation des faits
.Cvangeliques1 .
Ceci se passemilleans avant la venue du Christ. Samuel,
devenu vieux, ctablit ses fils comme juges d'lsrael. Les
anciens d' Israel lui dcmandent de leur nommer un roi.
Evenement capital dans l'histoire du peuple juif.
Un homme etait dans la tribu de Benjamin, du nom
d.e Cis, et il avait un fils appele Saül. Saül eherehe avec ses
serviteurs les anesses de Cis qui se sont egarees. lls vont
trouver Samuel. Or le Seigneur avait revele a Samuel la
venue de Saül un jour avant son arrivee. II verse l'huile sur
sa tete. llle fait dCsigner comme roi par le sort.
Saül regne deux ans. Et le Seigneur, qui a rejete Saül,
envoie Samuel a Isai Bethleemite, car il a choisi un roi
entre ses fils. Samuel vint a Bethleem. Isai lui amene ses
sept fils qu'il ccarte. Et Samuel dit a Isai : sont-ce Ia tous
tes fils ? Isa! rcpondit : il y a encore un petit enfant, qui
garde lcs brcbis. Et Samuel dit a Isai : envoie, ct amene-le,
car nous ne nous assicrons point a table avant qu'il soit
venu.- II envoya donc, ct l'amena. Or il etait roux, et son
1. • C'cst, dit Dalman, tout a !ait :i. proximite de Bcthleem que devait se
trouver l'emplaeement oil Samuel eclebra le repas saerificiel, pendant lequel
il oignit au milieu de ses Ireres le plus jeune fils d'lsal qu'on elait alle ehereher
aupres de ses brebis •, sans doute pres de l'eglise acluelle de Ia Nativite.
2. • La nature oftre, au sud de Ia vallee de Bethleem, un moyen de descendre
vers Ia cote. C'est par ce chemin que David, portant des provisions de pain et
d1l !romage, se rendit dans Ia vallee de cMnes, ou il allait devenir l'adversaire
de Goliath en combat singulier. • Dalman, p. 42.
76 LA TOPOGRAPIIIE LEGENDAIRE DES EVANGILES E!'i TERRE SAINTE
1. • Voici les dernieres paroles de David : David, fils d'Isal, a parle; cet
homme choisi a cause du messie, du Dieu de Jacob, l'auteur des hymnes qui
font Ia joie d'Israel: !'Esprit du Seigneur s'est fait entendre par moi; sa parole
a ete sur mes levres. Le Dieu d'Israel m'a parle; Je Fort d'Israiil a dit de moi:
le Dominaleur des peuples regnera avec justice; il gouvemera dans Ja crainle
du Tres Haut. Etc. • Rois, Il, 23.
CHAPITRE III
LE CENACLE
ET LE TOMBEAU DE DAVID
les disciplcs de Jcsus se reunirenl iJ. Jcrusalem (Luc 2·1, 33; une chambre baute
d'aprcs !es Actes 1, 13) tut Ia saUe meme ou Je gronier de lo. cene. Hien ne dit
non plus que ce poinl de rassemblemenl des disciples ail constamment ele,
comme do.ns Acles 12, 12, une chambre comprbc dans la maison dc Ja mcre
de Jean Mare. De propos delibere, Jesus n'a fait inlt•rvenir aucune relalion
personneHe dans bOll choix de Ia salle du repa-, sans doute pour n'avoir rien
il craindrc de Ia parl de es ennemis pendanl !'heure a pa,~er Iu, peut-clre
au~si pour que le 1 traltre 1 ne connül pas ce lieu ü l'a,·ance. C'e'l poun{uoi.
plus tard encore, on se trouva depourvu de tout poinl de repere qui eül permis
de d!'terminer Ja maison oll eul lieu Ia cene. :'llais il n'csl pas dnuteux qu'au
1v• siecle !es chrHiens avaient Ia conviction ue pus-(odcr, au suti de Ia Jerusalcm
romaine, un immeuble remontant il l'epoque ues avötre~, qui s'etaient reunis
LE CENACLE ET LE TOMBEAU DE DAVlD 83
Ia, au premier ctage. • • Vers 370, JEtheria connatt unc synagoguc (a Sion),
oü cllo place les apparitions de Jesus apri's sa rcsurrection et l'etrusion de
l'esprit. On nc localise pas encore h'l l'inslitulion de Ia cime, parcc que l'on n'y
communiait pas Je jeudi saint; cette ceromanie avait lieu • derriere Ia crobc: •.
par conscquent sur Gol~otha ... parce qu'on nc dispo~ait d'aucun emplaccment
mieux approprie. 1\lai', pendant le meme ~:>iecle encore, Ia Doctrina Add::ee
fail de l'tiglise de Sion, avec sonetage superieur, lc theatre de Ia ccnc (d'apre"
Vincenl-Abel, 2, p. 4fl3). Ver~ -!60 au moins une c(m'lmonie noclurne s'y cP.Iebn•
Je jeudi saint. A pnrtir du vn• siecle, J'opinion qui place Je lieu du repas ::.
l'inlcrieur de celle eglü;e a definilivemenl prevalu. • Dalman, p. 412-414.
8ft LA TOPOGRAPHIE LEGENDAIRE DES EVANGILES EN TERRE SAINTE
* **
Deux eglises armeniennes sur le mont Sion, la premiere
pres du Cenacle, la seconde dans l'interieur de la ville,
indiquenL, suivant une ancienne tradition, l'emplacement
de Ia maison de Calphe et du grand pretre Anne. L'cglise
dc Ia maison de Calphe porte Je nom de Saint-Sauveur1 •
Elle est isolee au milieu de la cour du couvent. Une petite
chapelle accolee au flanc meridional est con ideree comme
batie sur le lieu ou J .-C. fut garde pendant Ia nuit et
soufTrit les derniers outrages. La tradition qui fixe cet
emplacement remonte au Ive siecle : « in monte Sion, dit
« Je Pelerin de Bordeaux, pareL ubi fuit domus Calphre >>.
Le nom de ces deux eglises se trouve dans toutes les
rclations du Moyen Age. » (Vogüc, 330.)
Ni les cvangiles, ni Josephe ne nous permettent de
localiser Ia maison du grand pretre Ca1phe et le lieu ou
pleura l'apötre Pierre 2 • Le premier temoignage qui nous
LE PRETOIRE DE PILATE
sub~i,tcr, car elle ne se lrouve pas sur In li~tnc de detense de Ia ville. P. 440 et
n. 4. On comprend que Ia tradilion ecch!siastique ne s'esl pas rattachee a Ia
tour d'Hcrode, car de bonne heure Je nom de David y rut subslilue a celui
d'H<.'>rode. On eslimait que Ia s'etait elevc le palais de David (Je pelcrin de
Bordeaux), et que ce roi y avait chante les psaumes. Dalman, p. 441.
I. C'cst celle qu'acceptail Renan : • Les sbires lierent donc Jesus ell'ame-
nerenl au pretoire d'Herode, joignant Ia lour Anlonia. • Dans Ia prerniere
redaclion (manuscrit de Ghazir) : c au prctoire [qui et.ait l'ancien palais
d'llcrode), situc pres [des parvis) du temple el de la tour Antonia • (!es pas-
sagrs entre crochels ont ete ajoules a la redaction initiale). Dans Ia copie cor-
rig~e : • joignant Ia tour Antoma, a l'cndroil ou est encore aujourd'hui le
serai du pacba •· ll s'agit, en realite de Ia rorlere~se bätie par Herode, et
non du palais qui etait sur Ia colline occidenlale. Prosper Alfaric, Les
manu&crils de Ia • Vie de Jesus • d'Erntsl Renan, Paris, 193\l, p. 2\l\l.
\.'.. D'apres Ia localisation probable de I'eglisc dc Sainle-Sophie (on y rnon-
lrail, en 4!:>0, non ~eulernent Je siege de Pilale, ou il s'assit pour ju~er, rnais
au -· un grnnd cul>e de pierre, sur Iequel Jt• us aurait Ia1sse l'emprPinlc de
scs piecls, ct en outre unc image du Sauveur prinlc d'apres nature), on oblient
soit l'emplacement de l'ancienne maison du conseil de Jerusalcm, dans Ia
vallee, immediatement au-dessous do Ja place du Temple [sous le sanclunire,
vers lc pont menanl de Ia a la ville haule, donc a I'cndroil ou siege acluellernent
le tribunal musulman (el Mekkamc) dc Jcru~alem, p. 432], soit l'cxtremito
e~t do Ia colline de Ja ville haute, ou, d'apri's Jo ephe, se trouvait Je palaisdes
Ilasmoncens, qui resla en Ia possession de Ia ramille herodiennc lorsque le
palais d'Herode, a l'extremite ouest, eut He confisque par !es Romains. On
n•• peut admettre que Pilate alt dO resider Ia .... L'erreur de Ia lradition, qui
rcpose peul-iltre sur Je. dires des Juifs de Jerusalem, peul dcpendre du rait
qu 'on lenail ce palais pour cclui d'Herode a proprement parler, et que par suile
on Je considerait aussi comme residence du procurateur rornain, ou bien cel'l
aura rcsulle d'une con!usion entre Je pretoirc des Romains et Ia maison du
Con~il des Juifs. Dalman, p. 443.
96 LA TOPOGRAPHIE LEGENDA!RE DES EVANG!LES EN TERRE SAINTII
* **
J'ai vu, lors du seeond sejour que j'ai fait a Jerusalem,
fin ocLobre 1939, a Notre-Dame de Sion, l'are de l'Eeee
Homo, l'esearpe rocheuse, la piseine et le lithostrotos,
conduit pendant toute une matinee par la Mere superieure,
une Bretonne {mergique et intelligente, qui a elle-meme
dirigc les dernieres fouilles. L'are de l'Eeee Homo passait
arabe dans laquelle Je gonverneur de Ia ville s'installera au xv• siecle. Le
Pretoire prend possession des deux cot6s de la rue. En 1335 l'arc antique
d'JE!ia paralt ratlache au pretoire. Il repre ..ente le Lithostrotos, Gabbalha,
la curia Pilati. A l'instar des Grecs, les Latins tiennent a loger Pilate dans
les appartements du • seigneur de Hierusalern •, tout en reservant Ia partie
nord de Ia rue aux scenes douloureuses du Pretoire. Entre ces deux corps de
logis l'arc antique formait un trait d'union tout indique. •
100 LA TOPOGRAPHIE LEGENDAIRE DES ~VA:'iGILES EN TERRE SAI:"'TE
LA VOIE DOULOUREUSE
passee dans leur palais. Non loin des vestiges tenus par les
voyageurs pour Ia maison de Pilale s'cleva un Oratoire
dit de Ia Flagellation. »
Apres Ia reprise de Jerusalem par les musulmans en
1187, !es chrctiens sont ecartes du Haram et de ses abords
immediats. a Comme on ne peut leur interdire la rue de
Josaphat, seul acces pratique de Ja region Orientale, c'est
le long de cette voie que vont se dcvelopper les episodes
de Ia condamnation de J esus et de sa marche vers le Cal-
vaire, tandis que l'attenlion des pelerins se dctache de
plus en plus du Pretoire de Ia Sainte-Sion. On profiLe de
la treve de 1229-1244 pour clever un oratoire que les Grecs
regarderont longtemps comme Ia maison de Cai:phe, et
un aulre dedie au souvenir de Ia rencontre du Sauveur et
de sa mere. On se preoccupe aussi de Ia localisation des
deux epi odes evangeliques du Cyrcneen et des femmes
de J crusalem, auxquels viennent s'ajouter quelques ele-
ments apocryphes. »
a Le point de depart du portement de Ia Croix se
ratlache :i la le(J'ende de l'invenlion dans la Piseine Pro-
batique du bois dont on confectionna l'instrument du
supplice, legende assez repandue au xne siecle. Suivant
Ia version enregistree par Pierre Comestor, la reine de Saba
apercevant ce bois dans la maison de la foret du Liban1
aurait annoncc a Salomon qu'on l'emploierait a supplicier
quelqu'un dont la mort amencrait Ia ruine d'Israel. Le
roi, rempli de terrcur, le fit enfouir au lieu, prcciscment,
ou l'on devait plus tard creuser Ia Piseine Probatique, et
c'est de la que l'eau tirait sa vertu salutaire. Comme il
flottait, au temps de Ia Passion, a Ia surface du bassin,
-on le recueillit pour en faire la croi:x:. >> (Vincent, p. 613.)
Association d'idees entre Ia Piscine, deja comprise dans
l'histoire de J esus avant Ia Passion, et la Passion elle-meme.
On a voulu, par ce petit roman, rattacher Ia Piseine a ce
1:
De la le cortege descend dans le parvis (du Temple) par
quelque scala sancLa aujourd'hui disparue, traverse
« bas pavement » qui rappeile le Lithostrotos de Josephe,
eL gagne une issue dans l'orientaLion du Calvaire, appelee
Porte Douloureuse. Suivant le systeme topographique
preconise par la Cilez de Jerusalem, XIX, il y avait deux
portes principales dans le mur ouest de l'enceinLe du
Temple, l'une (rue qui mene a la Tour de David), Porte
precieuse, parce que Jesus avait l'habitude d'y passer
pour entrer dans la ville de J erusalem (bab-es-Silsileh) ;
l'autre: Porte Dolereuse; c'est par la qu'il sortit pour aller
au Calvaire. 11 semble que le patriarcat de Jerusalem n'ait
pas voulu se prononcer en faveur de l'une ou l'autre de
ces localisaLions. (Vincent, sq.)
La chapelle medievale du Repos etant devenue ina-
bordable, et ne se trouvant d'ailleurs plus sur le trajet
nouveau auquel on s'etait resigne par le faiL des circons-
tances, Ja halLe de J esus ecrase SOUS le poids de la croix
fut rattachCe a l'Arc de l'Ecce Homo 1 . On montrait, inse-
rees au-dessus de l'architrave de la grande arcade, les deux
pierres sur lesquelles le Sauveur aurait repris haleine. Les
imaginations pieuses se plaisaient a placer des repos aux
portes antiques.
Mais si le point de dcpart esL voisin (comme on crut
1. Une lt!gende du vu• siecle raconle que Veronique, sur le passage d'ou
messager de Tibt\re malade, lui apprend qu'elle possede un Iinge sur lequelle
Sauveur a imprime sa facc, un jour qu'elle lui demandail son portrail. Au
xu• siecle a Rome apparall Iu culle d'un sunire, elc. Circon ·tancc nouvelle:
le mouchoir a scrvi a Jesus au temps de Ia passion. Au x1v• siliele, Jaeques de
Verone plaee entre Sainte-Anne et Ia piseine Probatique (non sur Ia Voie dou-
loureuse) • Je lieu ou Je Christ donna Ia veronique, e'est-a-dire sa faee qui est
maintenant IJ. Horne •· C'cst au moment demareher au suppliee que Ic Sauveur...
mais Ia forme dcrniere de l'episode etait deja cn eireulation. Yeronique allait
au marche vendre un de ces voiles quc !es femmes mcttcnt sur Ieur tele,
quand elle reneontra Je Christ. Emue de pitie ct sc souvenant d'avoir ete gucrie
par lui. .. 0 miraele I Le voile garde l'empreinto de ses traits. Cet epiS\lde
s'introduira dans !es myslercs du xv• sieele. Vineent, p. 620.
2. • Depuis son apparilion, au premicr liers du xv• siecle, Ia maison rte
Veronique n'a ete I'objet d'aueune translalion. Elle est precedee d'un pclit
perron avee quelques degres : eelle particulnrile ne ful pas etran!\"ere au eh ix
de eette fa~ade qui se pretail il Ia seene, imaginec dans Ies mysteres, de l'u -
tension au peuple de Ia ainte Face imprimce sur Ie suaire. • Vineent, p. 637.
LA VO!E DOULOUREUSE 111
tera desormais que l'endroit oil eile aurait etc affichee et.
criee par le heraut au moment oil l'on allait attcindre le-
Calvaire. »
C'est vers le milieu du xve siecle que les localisation&
echelonnees sur ce parcours prirent le nom special de-
stations. Le nom de Saint-Circuit designait, d'aulrc part,
un iLineraire organise vers le milieu du xrve siecle par les
Peres Franciscains (sanctus circulus, santis ime cerche,
saincte serche) : on supposait que, dans les dernieres
annees de sa vie, Marie avait chaque jour visiLe les lieux.
sanctifies par quelque action de son fils. Quant au Chemin
de Ia croix, il s'est constitue en dehors de J erusalem, du
xve siecle jusqu'a nos jours. Le premier, Alvarez, domi-
nicain de Cordoue, mort en 1420, et qui avait ete en Terre
sainte, puis une Clarisse de l\Iessine, Eustochium, decedee
en 1491, eurent l'idee de reconstituer par le monument.
les scenes de Ia Passion. « Ayant perdu les chifTres note&
dans un precedent pelerinage, Martin Ketzel ne craint pa&
d'afTronter un second voyage pour reprendre les precieuse&
mesures. De retour a Nurernberg en 1472, il organise une
replique de la Voie Douloureuse commen~ant par une
maison de Pilate, a l'une des portes de Ia ville, et se ter-
minant au cimetiere de Saint-Jean. Il confie l'execution
des sept sLations intermediaires au maltre sculpteur Adam
Kram ... L'intention evidente etait d'arriver au chifTre
sacramentel de sept si frequent dans la devoLion du temps. >~·
Mais Jean Pascha, de Louvain, qui n'avait jamais ete en
Terre sainte, « coordonna les elemenLs epars qui existaienL
a peu pres tous a J erusalem au xvre siecle )) pour une
construction mystique, dont s'inspira le Hollandais Adri-
chomius dans sa : Descriplion de J er usalern au lemps dtt
Christ, 1584. Cet ouvrage eut un immense succcs. Il fut
traduit dans toutes les langues. «Ce fut le manuel classique-
de Ia topographie sacree jusqu'au xrxe siecle. »
Les Peres de Terre sainte ne tinrent d'abord aucun
compte de ceLLe construction artificielle. Il leur fallut
112 LA TOPOGRAPHIE LlGE:\DAIRE DES EV .\NGILES E!ll TERRE SAI!(TE
1. Vie de Conslanlin, III (41), Heikel, p . 95. • Car c'est la m~me, dans I <.~
grotte precis6ment, que I'histoire veridique tient que le Sauveur de tous initia
ses sectateurs aux mysteres cacht\s. •
2. • Ce n'etait pas une basilique, mais une tour cireulaire enlouree de
eolonnes sur plusieurs rangs. Au milieu l'emplacement de l'asccnsion etait
marque par le sol laisse dans son t'ltat nature!. On croyait y reconnattre la
lraee du pied de Jesus, et l'on y admirait Je gazon vivace en toute saison. •
Dalman, p. 347.
116 LA TOPOGRAPHIE LEGENDAJRE DES EVANG!LES EN TERRE SAINTE
1. • Alors qu'il n'existait qu'une eglise sur Je mont des Oliviers, on pouvaiL
~lre amene a reporter la tout ce qui, dans Ia tradition, se localisait sur 1a
montagne ou a ses pieds... Dans ces conditions pul nattre l'opinion, deja
exprimee par JEtheria, qui veut que !es discours des adieux aient reellement
ete prononces sur le mont des Oliviers. • Dalman, p. 345.
LE HONT DES OLIVIERS 117
* **
Les autres sanctuaires du mont des Oliviers, en parti-
culier Gethsemani, nous permelLent d'ctudier un exemple
curieux d'interversion des localisations 1 •
Au Ive siecle, la tradition distingue nettement deux
endroits: le lieu de la trahison de Judas (etde l'arrestation),
et celui de la priere du Sauveur (et de !'Agonie).
J eröme, qui traduit le traite topographique d'Eusebe,
en 386-391, dit : (( Gethsemani est l'endroit ou le Sauveur
pria avant sa passion ; il est situe au pied du mont des
Oliviers, ad radices montis Oliveti. Maintenant une cglise
y est erigee », c'est-a-dire que les fideles ne prient plus dans
un champ en plein air. L'eglise a ete erigee sans doute sous
Theodose, de 379 a 390.
re6CTY)(l1X'IIE:L OU preSSOir des huiles : }'endroit, 't"07toc;
(Luc, saint Jean) etait un domaine rural, xwpl.ov (Mare,
Mathieu), dans les versions latines, pra'dium, villa, xlj1toc;,
1. L'6pisode de Gelhsemanl esl rapporle chez Malthieu, 26, 36, chez Mare,
14, 32, el chez Luc, 22, 39. Chez Jean, 12, 27, c'esl quelques jours plus tOt,
apr~s le repas chez Simon, que Jesus dil a ses disciples: Mainlenanl mon Ame
esl troublee, elc. Puis une voix au ciel se fait enlendre pour le glorifler, que
Ia foule prend pour un coup de lonnerre, ou pour Ia parole d'un ange. D'apres
Renan • cetle scene, par suile de l'arl inslinctif qui a presid6 a Ia rMaction
des synopliques, et qui leur fait souvent obeir dans l'agencement du recit a
des raisons de convenance ou d'e!Tet, a ete placee a Ia derniere nuil de Jesu~,
et au moment de son arreslation. Si cette version etait la vraie, on ne com-
prendrait guere que Jean, qui aurait ete Je temoin intime d'un episode si
emouyant, n'en parJät pa,s dans Je recit tres circonstancie qu'il fa,it de Ia soir~e
du jeudi • (Yie de Juus, p. 377).
LE MONT DES OLIVIERS 121
-ad minimus infans in Gessemani pedibus cum episcopo descendent ... Legitur
ille locus de evangelio, ubi comprehensus est dominus ... Ex illa hora hitur
ad civilalem pedibus cum ymnis, pervenitur ad portam ea hora qua incipit
.quasi homo hornirrem cognoscere. S. Silvim peregrinatio, Geyer, p. 86.
Le pelerin de Bordeaux ne mentionne que des vignes et la pierre • ou Judas
·S carioth a Iivre le Christ •·
1. C'est TModose aussi qui mentionne le premier en cet endroit l'eglise
-de la Vierge : ibi est ecclesiro domnro Mariro, Matris domini. Sainte Silvie
m'en parle pas. • Des le m• ou le 1v• siecle, dit le P. Vincent, les evangiles
.apocryphes, qui refletent les croyances communes de leur temps, rapportent
.que la Mere de Dieu fut ensevelie au jardin de Gelhscmani, et que, le troisieme
jour, son corps avait ete enJeve au ciel. .. Avant Je concile de ChaJcedoine
(451), peut-Hre mllme avant celui d'Ephese (431), qui donna une extension si
;rapide au culte de Marie, les chretiens avaient eJeye sur Je tombeau vide un
lbeau monument sacre. •
2. Theodosius, Geyer, p. 142.
3. Anonyme de PJaisance, Geyer, p. 170.
LE JIIONT DES OLlVIBRS 123
NAZARETH
D'ou Ia tormute elrange de Matlhieu. Faut-il croire que, pour cette raison,
le nom de lieu : Nazareth fut attribue a une localite gaWeenne, ou mcme ta
flt nallre, comme le croit Burrage? Mais on a pu jouer sur le nom de Ia ville.
Surtout, si cette ville etait et est restee purement juive, et portait un nutr~
nom, on ne coroprend pas comment elle aurait accepte d'en changer.
128 LA TOPOGRAPHIE LEGENDAIRE DES EVANGILES EN TERRE SAINT.
LE LAC DE TIBERIADE
1. lbldem vero super mare est campus herbosus, habens frenum satis et
arbores palmarum multas et juxta eas septem !ontes, qui singuli intlnitam
aquam emittunt, in quo campo Dominus de quinque panibus et duobus
piscibus populum satiavit. Sane Iapis, super quem Dominus panem posuit,
est !actum altarium, de quo lapide nunc !rusta (des morceaux, ou parcelles)
tollunt venientes pro salute sibi et prodest omnibus. Juxta cujus ecclesi::c
parietes via publica transit, ubi Mattheus apostolus teloneum (bureau de
percepteur) habuit. Inde in montem qui juxta est est specula, in qua ascen-
dens beatitudines dixit Salvator. Non Ionge autem indc est synagoga quam
Salvator maledixit. Geyer, Petrus diaconus, p. 113.
LE LAC DE TIBERIADE 137
* **
Relisons maintenant ce que dit Renan sur Ia localisation
de ces cinq villes, 1\lagdala, Dalmanutha, Capharnahum,
Bethsa!de, Choroza1n 1 : << l'afTreux village de Medgdel a
sans doute conserve le nom et la place de la bourgade qui
a donne a J esus sa plus fidele amie. Dalmanutha etait aussi
certainement pres de la. Il n'est pas impossible que Cho-
roza1n fut dans !es terres, du cote du nord. Quant a
Bethsa'ide et Capharnahum, c'est, en verite, presqu'au
hasard qu'on les place a Tell Hum, a A'in-et-Tin, a Khan-
Minyeh, a Ain-Medawara. Tell-Hum semble avoir conserve
le nom de la patrie adoptive de Jesus (Tell entrant dans le
nom de beaucoup de villages, et ayant pu remplacer
Caphar). J'incline [cependant] a croire que Capharnaum
etait a A1n et Tin, pres du chemin creuse dans le roc, et
que les ruines assez monumentales de Tell-Hum nous
representent Bethsa'ide ».- Il ajoute, en note : « les ruines
de Tell-Hum sont bien monumentales pour une bourgade.
juive. Elles conviendraient bien mieux a Bethsa'ide [il est
vrai que Renan a rature ces deux phrases dans la copie
corrigee de son manuscrit ]. Des fouilles a Tell-Hum resou-
draient peut-eLre le problerne ; car il y a des restes de vrais
monuments, en particulier d'une synagogue, qui peut-etre
fourniraient des inscriptions ». [Helas ! Elles n'en ont pas
fourni. Et nous avons vu qu'a deux ou trois siedes pres on
n'est pas d'accord sur la date de cette synagogue.] La
note se termine par : « Je crois maintenant : Bethsa'ide =
= Tell-Hum; Capharnahum = Khan Minyeh. n (Mais il a
CONCLUSION
1. • Cette circonstance, dit Renan, que l'on ne trouve que chez Jean, est
la plus forte preuve de l'exactitude de cet evangeliste dans !es petits details. •
Vie de Jesus, debut du eh. XIX, en note.
150 LA TOPOGRAPHIE LEGENDAIRE DES EVANGILES EN TERRE SAINTK
repand des parfums sur les pieds de Jesus. Chez Jean, e'est
Marie, a Bethanie, dans Ia maison de Lazare. Chez Mare
et ehez Matthieu, e'est une femme, dans Ia maison de
Simon. Chez Mathieu, Jesus, apres sa mort apparait aux
onze une seule fois, en Galilee, suf"une montagne. Chez
Mare et ehez J ean, il se montre une premiere fois a 1\larie-
Madeleine, pres du tombeau. Chez Lue et chez Jean, il
apparatt aux onze une premiere fois, a Jerusalem, ehez
J ean seulement, une seconde fois, a J erusalem encore.
Puis Jean seul le fait apparaitre plus tard sur le bord de
Ia mer de Tiberiade (et non, eomme ehez Mathieu, sur une
montagne en Galilee). L'apparition a Emmaüs n'est que
ehez Mare et ehez Lue. Chez Luc seulement il monte au
eiel a Bethanie. Il semble qu'il y ait eu plusieurs versions
qui difTeraient sur quelques details, mais qui avaient du
se faire bien des emprunts. Les eoncordances, quant aux
lieux, sont eependant Ia regle. Des quatre Evangiles se
degage, sinon quant aux discours (ou Jean, eh particulier,
tranehe tellerneut sur les autres), du moins quant aux lieux
et aux evenements, et a leur signification, un cadre general
semblable. C'est deja un souvenir ou un ensemble de sou-
venirs eommun a un groupe.
Ne nous figurons pas que, paree que peu de temps,
peut-etre, s'etait eeoule entre les evenements, et le moment
OU pour Ja premiere fois ees SOUVenirs (avant meme d'etre
eerits) prirent uneforme colleetive, on peut s'attendre a ee
que le minimum de deformations, d'erreurs et d'oublis s'y
soit introduit. Il n'est point paradoxal de soutenir qu'au
eontraire, bien souvent, e'est aussitöt apres qu'un fait
digne d'etre retenu et rapporte s'est produit, e'est alors
qu'il en existe encore des ternoins directs, qu'il risque le
plus de ehanger d'aspect, et qu'il est le plus difficile d'en
fixer les traits. Il en est ainsi surtout lorsque eet evlmement
est de nature a emouvoir vivement des groupes d'hommes,
et a servir d'aliment a des discussions passionnees.
Ces temoins, que valent leurs declarations, que valent
CONCLUSION 151
emp!\che !es pMerins de s'y rendre, puisqu'ils gravissaieni Je mont des Oliviers,
puisqu'ils allaieni a Beth16em doni Ia grotte leur elail accessible en depii de
l'lntrusion du culte d'Adonis? Un obstacle s'oppo~ait donc a Ia satisraction
de leur piete, c'etall moins Ia presence des autelg palen que l'cnrouissement
complet •, p. 900. Le rail du bois sacre etabli sur l'emplacement du Calvair~
resie une supposilion, en vue d'expliquer qu'on ait perdu Je souvenir de ce lieu.
CONCLUSION 163
* **
Dans tout ce qui precede, nous avons suppose que le
evenements racontes dans les evangiles ont bien eu quelque
r alite. Ces recits, bien qu'ecrits tardi-vement, nous avons
admis qu'ils s'appuyaient sur des traditions orales, et que
celles-ci nous donnaient une image, deformee et confuse,
mais authentique en quelque mesure des evcnements eux-
memes. Point de vue semblable peut-Hre a celui ou se
plagait Renan. Car il a dit lui-meme a quel point il avait
ete emu et surpris de ce que les evenements de l'evangile
se replagaient naturellement dans la Palestine teile qu'elle
s'ofirait a ses yeux, et de l'impres ion de realite, de realite
historique, que lui procurait la vision personneUe et directe
de~ lieux. Mais, lorsque Renan a visite Ia Galilee, la Judee,
Jerusalem, pour y situer les diver'e peripeties de la vie
et de la mort de Jesus, ne s'est-il pas laisse entra1ner
surtout par son imagination, comme un historien-romancier
ou comme un poete ?
<< Le 10 (octobre), de grand matin, dit Chateaubriand,
I. • Quand saint Paul, dit Renan (l'Eglise chrelienne) m~ne une deputation
180 LA TOPOGRAPHIE LlGENDAIRE DES EVANGILES EN TERRE SAINTE
tte ses f:glises ä Jerusalem, c'est au temple qu'illes mbne ; sO.rement, dans son
idealisme, il ne songe ni ä Golgotha, ni ä Bethleem. Maintenant, au contraire
(vers 135), c'est Ia vie de Jesus qu'on eherehe ä retrouver, c'est une topo-
!:f3.phie evangelique que l'on cree. •
CONCLUSION 181
* **
Maintenant, il faut voir comment !es locnlisations chre-
tiennes, ainsi fondecs en beaucoup de cas sur des souvenirs
juifs, ont Lrouve ensuile, a mesure que lcs anciennes tradi-
tions j uives s'efTa~aient, le moyen de subsister par elles-
mcmes et de s'ctendre, de se diversifier, le moyen aussi de
se reparer encore, et de se renforccr. Ici, nous allons a Ia
dccouverte, eL sur un terrain peu explorl·. L'ccole de
l'association des idt!CS en Angleterre (et aillcurs) a eherehe
comment !es rcpresentalions s'appellent, se dis ocient, se
CO:";CLl1SIO:'< 185
.avec eux Ies fideles ne s'epuise pas d'un coup, qu'il lui
taille en quelque sorte plusieurs receptables ou se deverser.
- Quand une de ces Iocalisations secondaires disparait
(ce qui fait dire alors : on montrait autrefois ... ), tout se
passe comme si eile s'etait cgaree en s'eloignant du Iieu
principal. Ainsi Ie souvenir du Pater s'cloignant, se perdant,
.au flanc du mont des Oliviers, detache de la grotte de
l'enseignement. Ou comme si eile s'y etait resorbee, sans
<:onserver une existence independante. Ainsi le Gailicantu,
les pleurs de saint Pierre, fixe longtemps sur la declivite
de la Sion chretienne, dans la direction du Cedron, comme-
more par une basilique qui a disparu, absorbe dans Ie
ouvenir de Ia maison de Calphe, qui contenait deja celui du
reniement.
II est arrive quelquefois, nous l'avons vu aussi, qu'un
fait chretien fut Iocalisc simultanement en deux endroiLs
eloignes. II paratt s'etablir une concurrence entre Ies deux
lieux, chacun essayant non seulement de retenir le fait qu'il
prctend representer, mais encore d'en atLirer d'autres, lies
a celui-ci. C'est ce qui s'est passe, en particulier, pour le
pretoire. Les uns le Iocalisent pres de Ia maison de Cai:phe,
tendent meme a Ie confondre avcc ceile-ci, y rattachent Ia
flagellation, Ia prison de J csus. Les autres le cherchent
pres de l'enceinte du Temple, d'abord dans le Tyropeon,
puis a l'emplacement de Ia forteresse Antonia : la meme on
distingue aussi cc d'une fac;;on vague » Ia maison d'Annc,
ceile de Cai:phe, et la prison ou Jesus fut outrage jusqu'a
l'aube. Cette dualite se prolonge pendant Ia plus grande
dun~e du Moyen Age : on monLrait deux pretoires, deux
maisons de Caiphe, etc. D'ou, encore, deux localisations
difTerentes de la voie douloureuse, et aussi du chemin
suivi par Jesus quand on l'amena du Iieu de Ia Trahison au
Sanhedrin.
Autre exemple : Ie Cenacle, jusqu'au premier tiers du
1ve siecle, est situe sur Ie mont des Oliviers, mais, pour
les uns, a Gethsemani, pour les autres, dans Ia grotte de
188 LA TOPOGRAPHIE LEGE~DAIRE DES EVA:-iGILES E.· TERRE ~Ail'iTE
I. II faul tenir compte, rlcs !es premiers lemps, de ce qu'il y a eu une tra-
dition grccque, une tradition latine, par exemplc en ce qui louche Je pretoire.
Sans rivalilc, pcul-etrc, mais parce que Grecs cl Lalins, bien que compris dans
la meme l'glise, ne lisaienl pas toul iJ. fail !es ml!mes ccrils, ne suivaienl pas
Ies memes guides.
CONCLUSIO:'i 189
est une histoire ; mais les faits visibles sont les symboles de
verites invisibles.
Si, enfin, ont pu subsister durant de tres longue.
periodes des localisations differentes d'un meme fait,
comment s'en etonner? La communaute chretienne com-
prenait des groupes difTcrents, dont chacun avait ses
traditions, et aussi ses textes. Chretiens, judeo-chrctiens de
conversion recente, gentils, Grecs, Latins. Un individu
n'admet pas facilement qu'un meme fait ait eu lieu en
deux endroits difTerents, du moins quand il s'agit d'evene-
ments dont il a eLe le temoin. Les souvenirs qu'il doit a son
experience forment un systeme unique et bien lie. S'il fait
partie a la fois de deux groupes qui ne s'accordent pas sur
le lieu ou s'est produit un fait qu'il n'a pas vu lui-meme,
il est dans le meme etat d'indecision qu'une communaute
formce de groupes qui ont apportc avec eux des traditions
et des Souvenirs di!Terents quant a un meme evenement.
Nous avons rappele l'erreur de la Bible latine, ad Ca1pham
in prretorium. Les Grecs ignoraient la Bible latine, et s'ap-
puyaient peut-etre sur des traditions locales plus anciennes.
Voila pour le pretoire. Quant a La Gene, il suffit de lire les
evangiles. A Ia difTerence des Synoptiques, qui la localisent
dans une maison de la ville, l'evangile selon saint Jean ne la
localise pas : rien, dans son texte, n'empechait de la placer
en quelqu'un des lieux ou Jesus pouvait se trouver frequem-
ment, par exemple sur Ia montagne des Oliviers. On peut
penser d'ailleurs que longtemps beaucoup de chretiens
n'ont pas cru que Sion IO.t la haute ville (ce qui etait
contraire a la tradition juive). Une communaute doit s'ac-
commoder souvent des contradictions qu'introduisent en
elle des groupes divers, tant qu'aucun de ces groupes ne
l'emporte, ou que la communaute elle-meme n'a pas trouvc
une raison nouvelle et dccisive de traneher la question.
Surtout lorsqu'elle se heurte a des rites, auxquels ces
groupes restent attaches.
192 LA TOPOGRAPHIE LEGENDAIRE DES EVA~GJLES EN TERRE SAINTE
* **
L'image que les chretiens se sont faite des lieux saints,
teile qu'elle est figurce par les emplacements consacres et
montres aux fideles, n'a pu correspondre entierement, a
chaque epoque, aux changements qui s'etaient produits
dans Ia doctrine et les croyances. Certes, Ia memoire collec-
tive reconstruit ses souvenirs de fagon a ce qu'ils s'accordent
avec les idees et preoccupations contemporaines. Mais elle
se heurte a des resistances : vestiges materiels, textes ecrits,
aussi bien qu'a ce qui a pris forme de rites et d'institutions.
En Palestine, et surtout a Jerusalem, c'est en un temps
relativerneut court qu'on avait construit les eglises, les
chapelles qui devaient marquer l'emplacement des princi-
paux faits chretiens. Les rites s'etaient adaptcs a ces lieux,
des details du culte, diverses devotions s'y etaient atta-
chees. Tout cela tendait a durer, alors meme que les
representations chretiennes evoluaient.
Apres les premieres constructions d'IIclene et de
Constantin, l'eglise de Bethleem, Anastasis, Martyrion, sous
Constance l'eveque Maxime edifie, vers 340, sur l'emplace-
ment actuel du Cenacle, la basilique des Apötres dite
Sainte-Sion. Un notable d'Eutheropolis, nomme Paul, eleve
en 352 Ia chapelle de Saint-Jacques le Mineur dans le
ravin du Cedron. Apres Julien (363) on batit le Martyrum
de Saint-Jean-Baptiste sur le mont des Oliviers. Pcemenia
couronne le lieu de l'Ascension d'une eglise octogonale. A
partir de 378, les monasteres, hospices et chapelles de
Melanie l'Aieule et de Rufin s'espacent sur les pentes de
l'Olivet. Vers 385, Theodose le Grand eleve a Gethsemani
une eglise en memoire de l' Agonie. Entre 431 et 438, ce
sont les fondations de Melanie la Jeune au mont des
Oliviers (deux monasteres avec trois oratoires consacres
aux apötres et aux martyrs), les fondations de Pierre
l'Ibere (hospice et couvent pres de la tour de David), et
l'erection de la basilique de Saint-Btienne en dehors des
CONCLUSION 193
respect a leur Dieu? Ce qui est sur, c'est qu'ils n'ont jamatis
represente les scenes qui se sont passees entre le Jugement
de Pilate et la Resurrection ... Au contraire les artistes du
Moyen Age se sont plu a representer ces sujets ... prodiguant
les images de la tlagellation et de la mise en croix. » Prome-
nades archeologiques, Rome et Pompei, p. 129 1 •
Renan croit que cela s'explique par l'influence du gnos-
ticisme. « La vie de Jesus que presentent les anciennes
peintures chretiennes est exactement celle quese figuraient
les gnostiques et les docetes, c'est-a-dire que la Passion n'y
figure pas. Du pretoire a la resurrection tous les details
sont supprimes. On se debarrassait ainsi de l'ignominie de
la croix. A cette epoque ce sont les pai'ens qui montrent
par derision le Dieu des chretiens comme crucifie. L'art
chretien etaiL ne heretique. Sessujets sont empruntes pour
la plupart a des livres condamnes (aux apocryphes nes plus
ou moins sous une influence gnoslique). »
Le gnosticisme est venu a Rome d' Alexandrie. « Les
Peres de l'Eglise, dit Renan, veulent que toute cette
vegetation empoisonnee ait eu son principc dans les sectes
samaritaines issues de Sirnon de Gitton (le Magicien). ))
D'apres Duchesne, voici quelles etaient quelques-unes des
idees communes et fondamentales des gnostiques : 1° Le
Dieu crealeur et legislateur de l'Ancien Testament n'est
pas le vrai Dieu. Au-dessus de lui, a une hauteur infinie,
il y a le Dieu-pere, principe supreme de tous les etres ;
2° Le Dieu de l'Ancien Testament ignore le vrai Dieu, et le
monde l'a ignore avec lui avant l'apparilion de J.-C,
lequel, lui, procede du Dieu veritable ... ; 5° L'incarnatioL,
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VERS 1850