Anecdotes Sur W G Mozart

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| | 4 /? !

AN ECDO TES

W. G. M O Z A R T,
A PARIs , de l'Imprimerie de CH. FR. CRAMER ,
rue des Bons-Enfans , n°. 12.
lt.a, t Esºtº !
ANECDOTES
S U R

W. G. M O Z A R T.

Traduites de l'Allemand,

P A R

CH. X'R. C R A M E R.

«-a-a-a-di-a-a

LÉDERER futº ,
KÖNYYT À BAECL .
A P A R I S,

Chez l'ÉDITEUR, rue des Bons-Enfans, n°. 12,


et les Marchands de Nouveautés.

A N I X. — 18o1
|

A
- LE dernier voyage que Mozart fit à
Berlin , il arriva le soir dans cette ville. -

A peine descendu de voiture, il s'adressa


au marqueur de l'auberge : «Y a-t-il aujour
d'hui opéra ?» -«Oui, M., l'opéra allemand
ne fait que commencer. » — « Quelle pièce
donne-t-on» ?— «L'Enlèvement du Sérail.»
— «C'est bon.» — «Oui, vous faites bien d'y
aller , car c'est une fort jolie pièce, elle
est de....... chose....... je ne me rappelle plus
du nom....» -- Mozart ne change pas même
d'habits ; le voilà parti ; il se met tout à
l'entrée du parterre, dans le dessein de jouir
du spectacle à son aise , sans être connu
de qui que ce soit. Mais bientôt il ne tarde
pas à s'extasier sur un passage bien rendu,
ensuite à montrer de l'humeur contre le
mouvement que l'on donnait à différens
morceaux ; il s'emporte contre les brode
ries des chanteurs ; enfin l'intérêt crois
sant par degrés , il se trouve entraîné in
A
)
· ·(2 ) : | : ,
sensiblement vers l'orchestre, murmurant
entre ses dents, tantôt une chose , tantôt
une autre; et il apprête beaucoup à rire
au parterre qui s'étonne et se moque des
ridicules de ce petit homme de peu d'ap
parence. Personne cependant ne se doute
de rien. Enfin on arrive à l'air de Pe
drillo. L'administration, ou ayant une par
· tition défectueuse, ou bien croyant corriger
Mozart, avait donné à la partie du second
violon, aux mots si souvent répétés Frisch
rum, etc. un Re dièse au lieu d'un Re natu
rel. Ici Mozart ne peut plus se contenir, il s'é
crie avec des expressions très peu mesurées :
« S. D 'prenez donc le RE naturel ! » Cette
sortie fixe l'attention ; chacun se met à se
regarder , quelques musiciens le reconnais
sent, et la nouvelle en vole sur le champ
dans tout l'orchestre : « c'est Mozart !
Mozart est ici !» Quelques acteurs, et sur-,
tout M". B. ..... qui remplissait le rôle de
la Blondine, ne voulaient plus paraître sur
la scène. Dans cet embarras, le directeur
s'adresse à Mozart qui se transporte aussi
tôtdans les coulisses. « Comment, madame,
dit-il a l'actrice,..... mais vous n'y pensez
( 3 )
pas ! vous avez divinement, mais divine
ment chanté ! la première fois vous chàn
terez mieux encore , parce que c'est moi
qui veux vous apprendre votre partie. »

I I.

Lorsqu'on sut que Mozart était à Berlin,


tout le monde, jusqu'au roi Fréderic-Guil
laume , lui fit le plus grand accueil. On
sait que ce prince , non-seulement récom
pensait magnifiquement les musiciens ,
mais qu'il pouvait même , passer pour un
virtuose ou au moins pour un amateur
distingué sur le violoncelle. Mozart fut
obligé, tant qu'il fut à Berlin, de venir im
| proviser tous les jours à la cour ; souvent
même le roi l'engagea à faire sa partie
dans les Quatuor que l'on exécutait dans
son cabinet. Un jour qu'il était seul avec
lui, Guillaume lui demanda, ce qu'il pen
sait de la chapelle de Berlin ? Rien n'était
plus étranger au caractère de Mozart que
•.

la flatterie ; il répondit au roi : « Sire , votre


chapelle possède une foule de virtuoses
distingués, et nulle part je n'ai entendu
A 2
| (4)
exécuter des Quatuor comme ici ; mais
ces messieurs réunis pourraient faire beau
coup mieux encore. » Fréderic-Guillaume
fut charmé de sa franchise , et il lui dit
en souriant : « Eh bien ! restez avec moi ;
vous seul pouvez effectuer ce que vous
avancez. Je vous offre par an un honoraire
de 5,ooo rixdalers, » ( environ 12,ooo fr.)
— « Quoi ! il faudra donc que je quitte
mon bon empereur ? » répondit Mozart ,
pensif et attendri ; et il garda le silence.
On saura qu'alors l'empereur laissait ce
grand artiste dans le dénuement le plus
absolu. Le roi fut touché de son em
barras ; et ajouta : « Eh bien , pensez-y,
mes offres subsistent toujours, quand même
vous ne viendriez ici que dans un an. » De
puis le roi a raconté lui-même cette anec
dote à la veuve de Mozart, lorsque, quatre
ans après la mort de son mari , elle se
rendit à Berlin, où elle fut généreusement
aidée par ce prince. -

I I I.

Plein de cette idée, Mozart partit pour


Vienne, où il savait que l'envie, l'intrigue
( 5 )
de tout genre, l'ingratitude et l'indigence
l'attendaient ; car il n'avait presque rien
d'assuré auprès de l'empereur. Ses amis
le pressèrent , il chancela. Enfin une cer
taine considération le détermina. Il : alla
donc trouver Joseph II. et lui demanda
sa démission. Ce prince si calomnié , et
dont les défauts ont été si exagérés par
ses sujets , goûtait beaucoup la musi
que, et surtout aimait celle de Mozart
à la folie. Il le laissa parler tant qu'il
voulut, puis il lui répondit : « Mon cher
Mozart, vous savez ce que je pense des
Italiens, et cependant vous voulez me
quitter ! » Mozart le regarda avec atten
drissement et lui dit : eh bien, Majesté.....
je me recommande à vos bontés..... je reste
à votre service.— Il revint chez lui. « Com
· ment ! lui dit un ami, à qui il raconta
cette audience : pourquoi donc n'as-tu pas
profité de la circonstance pour demander
au moins des appointemens fixes ?» —« Qui
diable pense à cela dans un moment
pareil ? » reprit Mozart, presqu'indigné.

A 3
( 6 )

I V.

Cependant quelque tems après, l'em


pereur songea de son propre mouvement
à lui faire un sort; car jusques - là il n'avait
eu qu'un simple titre à l'expectative de
ses appointemens. Joseph II consulta en
cette occasion le seigneur de sa cour
qu'il aurait dû le moins consulter là
dessus. Sur la demande du souverain qui,
comme tant d'autres, ne savait pas trop
ce qu'il faut pour une subsistance hon
nête et à qui un zéro de plus ou de
moins ne coûte rien , le protecteur des
beaux-arts proposa une pension de 8oo
· florins par an ; l'empereur l'accorda , et
la chose fut conclue. Mozart eut donc 8oo
· florins ; à Vienne !.... Je crois que cette
somme suffisait à peine pour son loyer.
Et cependant Mozart resta toujours au
service de l'empereur, sans jamais ouvrir
la bouche sur la modicité de ses appoin
teInenS.

Il n'y a peut-être pas d'artiste au monde
· qui ait été plus exempt que Mozart de
ce défaut commun à presque : tous les
virtuoses, de ne se faire entendre qu'après
que l'on a épuisé auprès d'eux toutes les sol
licitations et toutes les instances imagi
nables. Au contraire , quelques grands
seigneurs de Vienne lui ont plusieurs fois
fait : un reproche de l'extrême facilité
avec laquelle il se prêtait à tous ceux qui
désiraient jouir du talent presque unique
qu'il avait, indépendamment de son génie,
d'exécuter à livre ouvert ses propres ou
vrages et ceux des autres. Mais il souffrait
beaucoup , et il ne s'en cachait pas , de
ce que souvent on ne cherchait qu'à le
voir sur son instrument, et qu'on se plaisait
surtout à lui demander et à entendre ce
qu'il appelait des tours de force et des
gambades de danseurs de cordes. Il se
fâchait tout de bon , lorsqu'il s'aperce
vait qu'on suivait mal le vol de son ima
gination , et ses grandes idées , souvent
A 4
( 8)
rendues avec une extrême simplicité.
Un jour étant à N., ( nous supprimons
les noms dans cette anecdote et dans celles
qui suivent, pour ne pas choquer des per
sonnes encore existantes) M. P"., amateur
estimable, pria Mozart de venir jouer du
piano devant une assemblée de personnes
les plus distinguées de la ville qu'il avait
chez lui, et auxquelles il voulait le faire
entendre. Dans sa bonhomie, Mozart, ne
connaissant de ce cercle que deux ou
trois individus, les prit tous pour des con
naisseurs, ou au moins pour des amateurs
éclairés. Il commença donc , à son ordi
naire , dans un tems très-lent , avec une
mélodie extrèmement simple , et une har
monie plus simple encore qu'il rendait
peu-à-peu intéressante; tant pour se mettre
lui-même en train que pour élever par
degrés ses auditeurs à la hauteur de ses
conceptions. Assise autour de lui , toute
la société formait un cercle brillant. . On
ne trouva d'abord rien d'extraordinaire
dans son jeu. Mozart commença à s'é
chauffer par degrés ; on le trouva assez
joli. Bientôt il se montra grand, solem
( 9 ) -

nel, et son harmonie était savante et su


blime , cela parut ennuyeux à la société.
Plusieurs dames commencèrent à chu
chotter , quelques-uns se mirent à le cri
tiquer tout bas ; un très - petit nombre
l'admirait dans un silence respectueux.
Au bout de quelques instans chacun se
mit à faire conversation avec son voisin,
le maître de la maison était sur les épines.
Enfin Mozart vint à s'apercevoir du peu
· d'effet de sa musique. Il fut très sensible à
cet affront : d'abord comme tout artiste l'est
en pareil cas, et plus encore parce qu'il com
mençait déja à s'animer par l'exécution ;
cependant, il ne quitta pas son motif.
Il commença à le travailler avec toute
cette vivacité qu'un sang allumé de dépit
pouvait lui donner.Voyant que la société ne
l'écoutait pas davantage , il se mit à s'em
porter, premièrement tout bas, ensuite tout
haut, contre son auditoire, et ne ménagea
plus les termes et les invectives. Heureu
sement que la langue, dans laquelle il
s'exprimait, ( la première qui lui vint à
l'idée) était l'italienne ; et peu de per
sonnes de la compagnie entendaient assez
( 1o )
cette langue , pour comprendre le sens
de ses paroles , et des apostrophes qu'il
leur adressait. Enfin on s'en aperçut , et
chacun de rougir.Alors Mozart qui dans
sa colère avait toujours continué de jouer,
commença à se calmer , et riant en
lui - même des vivacités auxquelles il
s'était abandonné, il donna à ses idées un
tour plus agréable, et tomba insensible
ment sur le motifd'une chanson populaire : -

Ich klage dir, etc. qui alors était dans


la bouche de tout le monde. ll la varia avec
tant de grace et d'élégance ; la retourna en
tant de manières; enfin, avec un persiflage
marqué, il montra ces tours de force qu'on
demandait, et mit dans son jeu une cer
taine sensiblerie doucereuse qui faisait la
satire la plus complète du goût de l'audi
toire. Il finit par ce morceau et se leva.
| Alors toute la compagnie s'extasia et le
combla d'éloges. ll n'y eut que très-peu de
personnes qui comprirent que, par cette
condescendance affectée, il s'était réelle
ment vengé de ses auditeurs de la ma
nière la plus cruelle. Il quitta de bonne
heure l'illustre société : rentré chez lui, il
( 11 )
fit monter dans sa chambre l'aubergiste
et quelques musiciens du lieu, et continua
d'exécuter, devant eux, bien avant dans
la nuit, les plus beaux morceaux de sa
haute musique.
-

(,
V I. *
" ", " . |.

De tous ses opéra, ceux dont il faisait


le plus de cas, étaient l'Idomenéo et Don
Giovanni. Je sais bien que très-souvent
les auteurs les plus distingués dans tous
les genres, ne sont pas les meilleurs juges
de leur mérite ; leur amour-propre se plaît
souvent à donner une prédilection marquée
aux enfans les moins intéressans de leur
verve ; il entre, quelquefois, dans le juge
ment qu'ils en portent, la conscience de la
peine qu'ils leur ont coûtés , tandis que
cette considération n'est pour rien dans le
plaisir du connaisseur qui ne regarde que
l'ouvrage en lui - même. Ajoutez à cela ,
que tel ou tel ouvrage d'un artiste, a été
composé dans des circonstances particu
lières qui, dans sa mémoire, en rehaussent
le prix à ses yeux, et dont la réminiscence se
( 12 )
mêle, d'une manière indécise, à l'idée, au
mérite qu'il lui donne : on peut expliquer
par-là, p.e., pourquoi le Titien, sur la fin de
sa vie , était d'une indifférence extrême sur
plusieurs de ses meilleurs tableaux, tandis
qu'il donnait un prix excessif à d'autres
ouvrages très-imparfaits de sa jeunesse ; et
pourquoi Milton mettait l'enfant de sa vieil
lesse, le Paradis reconquis, au dessus de
son chef-d'œuvre, le Paradis perdu. Mais
il n'en était pas ainsi de Mozart ; ceux
qui ont fait une étude approfondie de tous
ces ouvrages , ne peuvent disconvenir ,
que par le jugement que nous venons de
citer , il avait su apprécier les enfans de sa
muse selon leur juste valeur. C'est de lui
même que je tiens ce jugement, quoiqu'il
lui arrivât très-rarement de parler de sa
personne ou de sa musique. -

Je reviendrai sur l'Idomenée. Quant à


Don Giovanni, il m'a dit : « cet opéra n'est
pas fait pour Vienne ; je l'ai écrit pour
moi et mes amis. » Ce qu'il y a de remar
quable, c'est qu'il a composé l'ouverture
de cet opéra qui passe pour la plus ex
cellente de toutes celles qu'il a faites, dans
\

( 13 )
l'espace d'une seule nuit ; savoir celle qui
précéda la première représentation. Il
attendit pour la faire jusqu'à cette extré
mité , au point que les copistes eurent
bien de la peine à achever de la transcrire
pour la première représentation ; et qu'il
fallut que l'orchestre l'exécutât, sans avoir
pu faire la moindre répétition. Don
Giovanni , d'abord , fit peu d'effet à
Vienne. Après une ou deux représenta
tions, le prince R*., connu par son amour
pour les beaux-arts , voulut en donner
une répétition, devant une nombreuse com- .
pagnie. La plupart des connaisseurs de la
capitale y étaient présents ; entr'autres
le célèbre Haydn. Mozart n'y vint pas. On
parla beaucoup de cette nouvelle produc
tion. Après que les gens comme il faut et les
jolies femmes eurent beaucoup parlé pour et
contre , plusieurs connaisseurs prirent la
parole. Ils convinrent tous que cet ouvrage
était de la plus grande richesse, que c'était
la production d'un génie etd'une imagination
inépuisables; mais l'un le croyaittrop plein,
l'autre le trouvait confus , un troisième
y désirait plus de mélodie, un quatrième
( I4 )
plus de contraste, etc., etc. Chacun avait
émis son petit jugement, mais le célèbre
Haydn n'avait pas encore prononcé. Enfin
on lui demanda son avis. Haydn répondit,
avec sa réserve ordinaire : « Messieurs, il
me serait difficile de rien décider sur vos
différentes opinions. Mais... mais... ce que
je sais, ajouta-t-il, avec beaucoup de vi
vacité, c'est que Mozart est le plus grand
compositeur que l'univers possède aujour
d'hui ! » — Et nos élégans et les belles
dames ne dirent plus un mot.

V I I.

Mozart montrait pour Haydn la même


estime. On sait qu'il lui a dédié un des
recueils de ses Quartetti qui passe non
seulement pour ce que ce compositeur a
fait de plus sublime, mais même pour ce qui
existe de plus beau dans ce genre. Ses
Quartetti d'une époque postérieure sont
dans un stile plus fleuri, plus concertant ;
mais ces premiers offrent, dans chaque
note, une pensée ; et ils doivent être exé
cutés ponctuellement, comme il les a
( 15 )
écrits; sans s'y permettre le moindre chan
gement de phrase ou de figure musicale.
La dédicace qui est à la tête, donne un
monument précieux de la modestie de
son auteur et du respect senti qu'il por
tait au célèbre Haydn. « Je me suis fait
un devoir, disait-il, de lui rendre cet hom
mage; car c'est de Haydn que j'ai appris
à faire des Quartetti. » Jamais il ne parlait
de ce grand maître qu'avec le plus pro
fond respect ; quoique ces deux composi
teurs vécussent dans la même ville et que
plus d'une occasion eût pu faire naître
entre eux quelque rivalité. Un autre
compositeur de Vienne , assez habile et
savant, mais sans génie, et qui n'a acquis
quelque réputation qu'après la - mort de
Mozart , se plaisait, dans toute rencon
tre , à rogner la gloire de Haydn ;
il venait souvent importuner Mozart ,
en lui apportant des Symphonies et des
Quartetti de ce compositeur, qu'il s'était
donné la peine de mettre en partition pour
les éplucher ; il montrait à Mozart, avec
complaisance, toutes les petites négli
gences de stile, qui avaient pu échapper
( 16 )
à ce grand maître. Mozart détournait ou
interrompait toujours la conversation à ce
sujet. Cependantunjour il perdit patience et
il lui repliqua, avec la plus grande vivacité :
« Sachez, monsieur, que si l'on nous fondait
touslesdeux ensemble, il n'en résulterait pas
encore un Haydn. » — Il est beau de voir
que les grands hommes se rendent justice ;
seulement il est fâcheux que ces exemples
soient si rares! L'homme de génie devrait-il
jamais s'avilir à rabaisser ceux qui lui
ressemblent ? Le défaut de vouloir mettre
tout au dessous de soi-même, ne devrait
appartenir qu'aux esprits médiocres.

| V I I I.
/ -

L'opéra d'Idomenée fut écrit dans des


circonstances particulièreset très-favorables
au génie de Mozart. Il le destinait exclusi
vement au théâtre de Munich,qui était alors
dans tout son éclat. Ce fut l'Electeur de
Bavière qui lui demanda cette composi
tion ; il l'en récompensa d'une manière
magnifique. Mozart travaillait pour un des
théâtres les plus distingués de l'univers,
- dont
- - ( 17 )
dont il pouvait tout exiger , et il était libre
de s'abandonner, sans réserve , à tout le
vol de son imagination. Alors il était à
la fleur de son âge , à 25 ans, orné des
plus vastes connaissances, plein d'enthou
siasme pour son art, doué d'un physique
auquel aucun écart n'avait encore donné
d'atteinte ; plein d'une imagination tout-à
neuve , et , ( ce qui faisait plus encore )
brûlant d'amour pour une jeune personne
qui, dans la suite, est devenue son épouse.
Cette passion, qui était traversée par lafa
mille de celle qu'il recherchait, servait à lui
donner encore plus d'intérêt à cette com
position. Ce sentiment tout- puissant, in
fluait impérieusement sur son imagination;
il regardait son travail comme le prix
auquel était attachée la réussite de ses
vœux , enfin comme devant le venger
des mépris de ceux qui faisaient difficulté
d'accorder leur fille à un artiste sans place
et dont la gloire était incertaine. Ces
motifs auraient suffi pour donner du
talent à tout autre qu'à ce , coriphée
du Parnasse vocal et instrumental de
l'Allemagne ; aussi se surpassa-t-il lui
B
( 13 )
même. Cet opéra fut toujours son enfant
de prédilection. Il le fit voir, en tirant
de cette pièce quelques-unes de ses con
ceptions, pour en faire la bâse de plusieurs
de ses meilleurs ouvrages postérieurs. Afin
de s'en convaincre, on n'a qu'à comparer
l'ouverture de l'Idomenée avec celle de la
Clemenza di Tito; et la scène incomparable :
Volgi intorno lo sguardo o Sire dans
Idomenée, avec la Finale également su
perbe du premier acte de la Clemenza
di Tito ; l'air touchant de la première
pièce : Se il padre perdei ; avec l'air de
la Flûte enchantée : Diess Bildniss ist
bezaubernd schon , et avec l'Andante de
l'air : Zum Leiden bin ich auserkohren ;
enfin, la Marche du troisième acte de l'Ido
menée , avec celui du commencement
du second acte de la Flûte enchantée. On
a voulu lui en faire un reproche. Mais il me
semble qu'il est d'autant plus excusable sur
ce plagiat, fait à lui-même, que cet opéra
l'Idomenée, est resté, toute sa vie, enfoui
comme un trésor caché.

ADDITIoN. Longtems avant la représentation des


Mystères d'Isis, on avait déja, dans plusieurs cercles
( 19 )
d'amateurs jeté les hauts cris sur la licence qu'al
5

laient prendre les cit. Lachnitt et Morel, au zèle


infatigable desquels le public français doit tout le
plaisir dont il jouit à la représentation de ce chef- .
d'œ uvre. On savait qu'ils voulaient substituer à
plusieurs morceaux de l'original de la Flüte enchantée,
d'autres pièces détachées , prises dans plusieurs
oeuvres de Mozart. On annonçait d'avance que par-là
cette musique ne formerait qu'un tissu bigarré ,
composé de fils hétérogènes ; et n'offrirait qu'une
espèce de Pasticcio que certainement aurait désa
voué l'auteur , et qui ne manquerait pas de déplaire
aux vrais connaisseurs des ouvrages de ce grand
homme. Cette, objection a été exposée, dans toute
sa force, dans l'excellente analyse qu'a donné de
cette pièce , (voyez la feuille 337 du Moniteur , ) un
amateur distingué , qui sait allier à une critique
sage et modérée la justice qu'on doit à ceux qui
concourent si éminemment à nos plaisirs : » Il ré
» sulte de cet assemblage, dit le cit. S**, que l'on
» n'entend pas dans les Mystères d'Isis un morceau
» faible ; mais , en voulant servir l'art , n'en-a
» t-on pas méconnu la bâse essentielle ? En poésie,
» en peinture, en musique, l'unité du stile n'est
» elle pas rigoureusement exigée ? Croit-on que
» Mozart n'ait pas eu l'intention de donner une
2D
couleur différente, un cachet particulier à cha
» cune de ses compositions ? Cependant on en pré
» sente ici d'un genre très-différent, conſondues
» dans le même cadre. Peut-être Mozart vivant
B a
( 2o )
» eût trouvé étrange un tel assemblage. Il attachait
» sans doute à la distinction , à la séparation du
2) genre , l'importance que nous y trouvons nous -
» mêmes : sans cela il faudrait bien le reconnaître
» encore pour un grand harmoniste , mais non
» pour un compositeur dramatique , digne de ri
» valiser avec ceux que nous possédons. »
· Ces observations sont d'une grande justesse , et prou
vent beaucoup de sagacité : répondons cependant an
cit. S**, en défense du cit. Lachnitt, que quel qu'eût
été le jugement de l'auteur même de l'opéra alle
mand, ( peut-être par un pur motif d'amour-propre )
sur cette licence du poète et du musicien , il est
presque impossible à un tiers , je veux dire à nous
autres amateurs , de prononcer définitivement sur ce
point; surtout lorsqu'on voit par l'anecdote ci-dessus
que Mozart lui-même ne s'est fait aucun scrupule de
pareils déplacemens, et de faire entrer, jusque dans la
Flüte enchantee, des morceaux empruntés de plu
sieurs de ses ouvrages qui semblaient appartenir
exclusivement au genre sérieux et héroïque. Sans
doute il faut craindre de porter atteinte à l'unité
dans toute production d'esprit ; mais en musique
surtout, le public serait - il toujours juge compétent
sur ce point ? Que serait-ce, si le poème original qu'ac
compagne et qu'embellit la musique , contenait
déja dans sa contexture primordiale toute cette bi
garrure, cette desharmonie, tous ces contrastes
de tons, qui semblent justifier encore davantage
ce qu'ont fait MM. Lachnitt et Morel; et ce que peut
· · ( 21 )
être ils ont dû faire, (vu les circonstances du local,
des personnes exécutantes , etc.) pour que nous ne
fussions pas entièrement privés du plaisir d'entendre
sur nos théâtres la musique de Mozart ? En effet , le
poëme allemand de cette Flûte enchantée ( qu'on
est parvenu, sinon à revêtir d'un grand intérêt,
au moins à rendre supportable en français , (non
ex quovis ligno ſit Mercurius ! ) ce poème , dis-je,
n'offre qu'un détestable salmigondis de personnages,
de scènes , de momens tantôt tragiques ou héroï
· ques, tantôt du plus bas comique et de cette bouf
fonnerie niaise des Italiens qui depuis longtems
sont malheureusement en posession de n'avoir pas
le sens commun à cet égard. Ajoutez que n'ayant été
composé que pour un théâtre secondaire de Vienne,
il manque dans l'original teuton de cette liaison
de scènes, de ces transitions, etc. qu'y a introduit
le poëme français , entièrement mis en musique , et
combinant les chœurs , les duo et les airs, par des
récitatifs simples ou obligés. Et l'on prétendrait
après cela que Mozart eût ambitionné de faire
entrer dans la partie de l'ouvrage qui était de son
ressort, cette sublime unité, que l'on exigerait peut
être avec raison d'un chef-d'œuvre de Guillard , tel
qu'Œdipe à Colone, etc ! Mozart dont la mélodie
neuve et divine savait faire oublier aux Alle
mands jusqu'à l'insipidité et les platitudes des pa
roles de ce pauvre Schickaneder , ( auteur du
poéme ) n'a certainement songé à rien moins qu'à
obtenir cette unité ; et si l'on pouvait faire un re
B 3
( 22 )
proche fondé aux auteurs des Mystères d'Isis , ce
serait plutôt, qu'ils se sont donné trop de peine pour
l'obtenir, et rapprocher cet opéra du genre noble,
au détriment même de cette varieté et de cette bigar
rure de tons, qui règne dans l'original, d'après
tous ceux qui le connaissent et qui l'ont vu repré
senter sur les théâtres d'Allemagne.
Au reste il n'est pas rare que les compositeurs
allemands fassent de pareils plagiats à leur propre
muse. Gluck p. e. ( ce sont-là des anecdotes peu ou
point connues en France, ) a pris l'air si justement
célèbre d'Iphigénie en Tauride : O malheureuse Iphi
genie, d'un de ses très - anciens opéra , composés
à Naples ; ( Ezio ) c'est celui qui commence
par ces mots : Se mai senti spirarti sul volto etc.
Un voyageur m'a raconté à ce sujet des faits très-cu
rieux. Cet air de ce réformateur de l'opéra , à qui les
Piccinistes ont voulu contester si souvent le don
d'une mélodie suivie et chantante, faite pour plaire à
des oreilles italiennes , ( quoique dans les tems pos
térieurs il s'en soit défendu l'usage pour rapprocher
davantage sa musique du goût des Français, encore
enthousiastes de Rameau à cette époque , et pour don
ner une marche plus rapide à la tragédie lyrique, )
cet air emporta tous les suffrages des connais
seurs italiens d'alors , et fit une sensation presque
inouie ; on en payait à Naples des copies au poids
de l'or. Le petit choeur si simple et si touchant,
qui dans la partition française, précède cet air,
semble presque n'y avoir été introduit que pour
| ( 23 )
préparer l'air d'Iphigénie même, dans lequel la voix de
la fille d'Agamemnon , devenue orpheline, cette voix
annoncée par toute la douceur, ( si je ne me trompe)
du haut-bois plaintif et accompagnée d'une basse qui
s'y mêle avec une uniformité , pour ainsi dire
mélancolique et mélodieusement traînante , va tou
jours croissant en intérêt et en passion; et parvient
enfin , dans ces mots : melez vos cris plaintifs, àl'expres
sion la plus forte et la plus déchirante de la douleur.
C'est à ce moment que le chœur des prêtresses, dans
un passage harmonique d'une hardiesse et d'une nou
veauté rares, se joint à l'exclamation douloureuse
d'Iphigénie, qui enfin se termine par celle du
désespoir le plus complet. Dans ce passage le sol
qui se trouve comme une suspension sur le la be mol
de la basse, aurait dû , d'après les principes de l'har
monie , se résoudre sur fa , au lieu qu'il reste !
immobile ; et ce passage, en fait d'harmonie, ne
saurait autrement se défendre , qu'en le considé
rant comme point d'orgue. Gluck avait hasardé cette
innovation harmonique dont après lui on trouve un
exemple approchant dans l'air d'OEdipe : Du malheur
auguste victime, où la voix tient de même le mi vers la
fin comme point d'orgue. (1)L'exécution de ce passage

(1) J'ai tiré cette anecdote de la préface d'un recueil


de pièces choisies des plus grands maîtres d'Allemagne ,
C. Gluck , C. P. E. Bach , A. et F. L. Ae.
Kunzen , Reichardt , Schwanenberger ) que j'ai pu
bliée l'an 1787 sous le titre de Flore, à Leipsic, Qu'il mo
B 4
( 24 )
*

se trouva être tellement hérissé de difficultés que les


plus fameux castrati de l'Italie commençaient par

soit permis d'ajouter ce passage dans ma propre langue ,


tel qu'il a été approuvé par M. Schulz même , sous les
yeux duquel jc l'ai mis par écrit. Le voici :
« Von dieser Stelle ist mir etwas Historisches bekannt ,
» das gewusst werden verzuent die. Eigentlich hätte darinn
das obenliegende G, nach dem vorkommenden As des
Basses als Dissonanz heruntertreten müssen , anstatt
dass es hier nicht von dem Plate eriickt; und die ganze
Sache lässt sich nach den Regeln des reinen Satzes nicht

anders vertheidigen, als dadurch , dass man die Stelle
77
als einen Orgelpunct ansche, wobey die Grundnoten in
, diè Oberstimme gelegt sind. Gluck hatte indess, um den
>

halbkreischenden Ausdruck des höchsten Schmerzes her


vorzubringen , diese musicalische Neuerung gewagt, die
obgleich in verschiedener Rücksicht , mit jenem berühmten
No ! in dem Furienchore des Orpheus verglichen werden
kann , etc. »
A l'égard de ce que j'ai dit de l'inconvénient qui a failli
nuire peut-être à la musique de Mozart, dans la rédaction
française , —- je veux dire de la trop grande unité à la
quelle s'est assujetti le poète, — je trouve qu'un de mes
compatriotes ( M. Engel, Journal de Paris , n°. 346) en a
été frappé de même , quoiqu'il l'ait un peu exagéré. « La
» flûte enchantée , dit-il , est (dans l'original ) un mélange
» de bouffon , de sérieux et de tragique : il me semble que
» l'auteur français n'a été que sérieux : cela est si vrai , que
» le rôle du citoyen Laïs (en allemand Papageno) est une
» espèce de Sancho-Pança, une bouffonnerie continuelle,
» et que dans la nouvelle pièce c'est un personnage tout-à
» fait différent. L'exemple de Panurge et de Calpigi eussent
( 25 )
détonner , en voulant le rendre. Les antagonistes de
Gluck le critiquaient; ils disaient : che aveva messo
l'acuto al pedale ; ses amis le défendaient ; on se
disputa pour et contre. Enfin on eut recours à la

permis de conserver Papageno au théâtre de l'Opéra. Le


rôle de Mlle. Armand (Papagena ) aussi très-gai, a été
traité de même. Or , comment se peut-il que la musique
faite sur des paroles extrêmement gaies , produise son
effet, adaptée à des lieux communs philosophiques dont
» l'auteur moderne vient de l'affubler ? » — Il est vrai que ,
par cette dernière observation , le critique entre dans le
sens de l'auteur de l'analyse que je viens de citer. Aussi
n'ai - je eu principalement en vue que de défendre le
citoyen Lachnitt quant aux morceaux tragiques que , pour
nous dédommager d'une perte inévitable , il a emprunté
d'autres opéra de Mozart ; morceaux qui ne me semblent
pas sortir de l'unité du sujet.
Cependant, sous ce point de vue même , je ne laisse
pas que de regretter plusieurs parties de l'original que l'on
a omises et supprimées sans urgente nécessité.Je croirais qu'à
de nouvelles représentations il serait aisé au cit. Morel ,
de nous rétablir plusieurs airs, surtôut celui coupé par l1Il

chœur : O Isis und Osiris, schenket , etc. , ainsi que le célèbre


Tercet, vers la fin de la dernière Finale. Enfin, l'opéra allemand
se termine par une intention théâtrale, qui pourrait, au moyen
de légers changemens, être adaptée à la représentation fran
çaise.C'est que les deux amans subissent tous les deux les preuves
redoutables et rigoureuses de l'initiation aux Mystères dc la
Déesse. Cette circonstance ajoute sans contredit à l'intérêt de
l'action ; on y gagnerait en outre l'avantage de pouvoir em
ployer l'hymne sacré imité par Mozart , et le Duo délicieux
des deux amans : Wir wandelten durch Feuerfluthen , etc.
( 26 )
décision d'un des plus savans harmonistes dont l'Italie
ait eu à se glorifier. C'était Francesco Durante , le
quel regarda attentivement le passage , l'examina ,
et répondit enfin : Non decido si questa nota sia

in regola o no; ma quel che posso dire , é, che se


l'avessi scritta io, mi conteret grand'uomo.
Cette même licence , je veux dire d'employer
dans ses opéra français des morceaux de ses
opéra italiens de plus ancienne date , Gluck l'a
prise " plusieurs fois aussi. - P. e. dans cette
même Iphigénie, le chœur : Contemplons ces tristes
appréts, que l'on omet ordinairemerit , je ne sais
trop pourquoi , dans les représentations d'aujour
d'hui, de cette tragédie lyrique, n'est que le chœur
d'Iphigénie en Aulide, transposé dans un autre ton :
Que de grâces, que de beautes ! De même on retrou
vera le chœur : Les dieux longtems en courroux etc.
dans la Finale de son opéra : Paride et Elena : Vieni
al mar; l'air de ce même opéra : Le belle immagini ,
avec un léger changement, dans son Echo et Narcisse
et le chœur : Della ºggia rilucente, dans sa Cythère

assiégée , etc. Je dis plus : Il s'est quelquefois per


mis d'emprunter à d'autres compositeurs certains
accords sublimes de sa lyre tragique ; et il a pris le
motif d'un des airs les plus énergiques de son
Iphigénie en Tauride : Je t'implore et je tremble, etc.
d'une pièce où on le chercherait le moins , d'une
très-ancienne Gigue du père de la Fugue allemande,
Sebastien Bach , dont les ouvrages profonds , pres
que inconnus à Paris , forment à jamais une source
-
-
|
|
· *
(.

>
A.

( 27 )
abondante et un trésor inépuisable de grande et
savante harmonie. C'est de mon ami SCHULz, har
moniste le plus célèbre de l'Allemagne après Sébastien
Bach , auteur des CHoEURs D'ATHALIE , et un des
rédacteurs du traité le plus complet d'harmonie
qui existe : KIRNBERGERs KUNST DEs REINFN
sATzEs , que je tiens cette petite découverte in
téressante. Pour prouver la vérité du fait, je m'en
presse de joindre ici la Gigue en question. C. F. C.
I X.

On a souvent reproché à Mozart de n'a


voir pas connu le prix de l'argent, et de
s'être toujours conduit, en matière d'in
térêt , d'une manière inconsidérée , et
avec la légèreté d'un enfant. On ne sau
rait disconvenir du fait ; c'est un défaut
dont sont rarement exempts les hommes
d'un talent distingué. Mais puisque la ma
lignité, pour se venger en quelque sorte
de l'éclat de son génie, se plaît à raconter
mille anecdotes puériles à ce sujet , je veux
citer de lui certains traits d'une noblesse,
d'un désintéressement et d'une libéralité
rares. Ce sont des choses peu importantes,
mais je crois qu'elles peuvent contribuer
à faire ressortir son caractère et à le mettre
( 28 )
dans un jour favorable. J'ai recueilli moi
même ces faits, pendant son dernier sé
jour à Leipsic ; et je ne doute nullement
que plusieurs autres, non moins intéres
sans, ne me soient échappés. Lorsqu'il fut
au collége de St.-Thomas , on exécuta ,
· en son honneur , plusieurs motets à huit
voix. ll en fut enchanté, et avoua, que ni à
Prague ni à Vienne on ne pouvait se vanter
d'avoir un chœur aussi parfait. Parmi les
quarante chanteurs qui le composaient,
il remarqua, surtout , une basse taille ,
qui lui fit le plus grand plaisir. Il lia con
versation avec lui ; et sans que personne
s'en aperçût, il lui glissa, dans la main,
un présent assez considérable.
Un vieil accordeur de clavecin était venu
mettre quelques cordes à son piano de
voyage. — « Bon viellard! lui dit Mozart. —
combien vous faut-il ? je pars demain. » —
Ce pauvre homme , regardant Mozart
pour ainsi dire comme un Dieu , lui
répondit , déconcerté , anéanti , et en
balbutiant : « Majesté impériale ! ... ..
Monsieur le maître de chapelle de sa majesté
impériale!.. je ne puis,.. il est vrai que j'ai
( 29 )
été plusieurs fois chez vous.... eh bien ,
vous me donnerez un écu.... » — « Un écu ?
répondit Mozart, allons-donc ! un brave
homme, comme vous , ne doit pas se dé
ranger pour un écu... » ( 1 ) et il lui donna
quelques ducats. — « Ah ! majesté impé
riale !.... » reprit de nouveau l'accordeur.....
« Adieu ! brave hommel adieu!» — Et il s'en
fut.
On l'avait prié, à Leipsic, de jouer dans
un concert public. Il y consentit. Cependant
la société fut , je ne sais pas par quel
hasard , très - peu nombreuse ; ajoutez
que la plupart des auditeurs étaient en
trés avec des billets donnés dont Mozart
n'était pas chiche. Comme il n'y avait pas
de chœurs dans ce concert, les choristes
n'avaient pas leur entrée libre ce jour-là.

(1) Il demandait cependant ce qu'il fallait. On


me doit pas juger des prix d'Allemagne d'après
ceux de Paris. Ici on paie un écu et même davan
tage pour accorder un piano. Dans les villes de
Saxe on ne paierait guère que six, douze ou seize
sous. Vingt francs pour seize heures de leçon , est
le plus haut
maîtres prix que l'on donne aux plus célébres
de piano, • - -
( 5o )
Plusieurs, cependant, se présentèrent chez
le distributeur, qui répondit : je consulterai
M. le Maître de chapelle. Mozart répondit :
« faites entrer ! faites entrer ! allons, il ne
faut pas être rigoureux là-dessus...... »
X.

Personne n'abusa davantage de cette in


souciance de Mozart pour l'argent que
les marchands de musique et les directeurs
de théâtres d'Allemagne. La plupart de
ses sonates pour le piano, ne lui ont
pas rapporté un sol. Il les écrivait par
complaisance pour des amis, et pour d'au
tres personnes, qui désiraient avoir quel
que chose de sa main pour « leur usage
particulier. » On peut expliquer par-là,
pourquoi, parmi ces productions , il s'en
trouve quelques-unes qui ne sont pas tout
à - fait dignes de sa plume. Il était obligé
trop souvent, de descendre et de s'abaisser
à la capacité ou au talent de ceux qu'il
cherchait à obliger ; et il jetait ces sortes
d'idées avec la plus grande rapidité sur
le papier. Les faiseurs de spéculations mer
cantiles savaient, par la suite, se procurer
-
( 51 )
des copies de ces opuscules, et les faisaient
graver de toutes parts. Je connais un des
plus fameux marchands de musique qui a
fait, de ces diverses pièces, des affaires im
portantes, sans jamais en demander même
l'aveu de Mozart. Un de ses amis lui
dit un jour : « il vient de paraître , sous
votre nom, une suite de variations , chez
M. un tel... sans doute vous le savez ? » —
« Moi? — non ! » — « Et pourquoi donc ne
vous y opposez-vous pas ? »— « Que voulez
vous que je vous dise ? cela ne vaut pas la
peine d'y faire attention. C'est un gredin ! »
— « Mais ce n'est pas tant de l'intérêt,
qu'il s'agit ici ; il y va de votre honneur.
— « Bah ! malheur à qui me jugera sur ces
pauvretés ! n'en parlons plus ! » +

X I.

Un directeur de théâtre qui mériterait


que je le nommasse, étant très-mal dans
ses affaires, partie par sa faute, partie
parce qu'il n'était pas aimé du public ,
vint, dans son désespoir, trouver Mozart
et lui dit qu'il n'y avait que lui qui pût le
tirer de ce mauvais pas. « Comment cela ? »
( 32 ) ,
répondit Mozart. — « En me donnant un
opéra de votre composition, tout-à-fait dans
le goût du public de D.... Je n'entends
pas que vous fassiez rien au dessous de
vous, mais je désirerais que vous voulussiez
avoir quelque condescendance pour le goût
actuel. Si vous me l'accordez , je vous
donnerai une pièce et je commanderai des
décorations dans un genre nouveau. » — « Je
le veux bien, répondit Mozart , je vous
le ferai. » — « Mais combien me deman
derez-vous pour vos honoraires !» — « Mes
honoraires ? Vous m'avez dit , tout
à-l'heure , que vous n'aviez pas le sol !
Allons, je tâcherai que vous fassiez vos
affaires; et je tirerai parti de cela d'une
autre manière. J'écrirai d'abord pour
vous seul ma partition, vous m'en don
nerez ce que vous pourrez; mais à condi
tion qu'elle ne sera copiée pour qui que
ce soit. Si l'opéra réussit , je la donnerai
à d'autres , et je bornerai là mes émolu
IIlGI1S. X

On pense bien que le directeur con


sentit avec joie à ces conditions; il fit les pro
messes les plus solemnelles. Mozart com
- posa
( 55 )
posa l'opéra ; il se prêta à tout ce que cet
homme exigea de lui ; la pièce se donna,
elle eut un succès brillant ; à peine la re
nommée l'eût-elle annoncée en Allemagne,
qu'elle parut sur plusieurs autres théâtres
sans qu'aucun eût reçu la permission de
Mozart.

X I I.

Mozart ne se plaignait de rien si amè


rement que de la manière dont les musi
ciens souvent massacraient (c'était son ex
pression favorite ) ses compositions, surtout
en précipitanttrop la mesure.—« Ils s'imagi
nent par-là, disait-il, y mettre de la cha
leur.... mais! si la chaleur n'est pas dans l'ou
vrage... par dieu ! en le sabrant ainsi, ils
ne l'y mettront pas davantage !» Il était
surtout très-mécontent de la plupart des
chanteurs italiens; - « tout l'art de ces ma
zettes, disait-il, consiste à galopper, à bro
der, à faire des cadences, et cela, ajoutait-il,
parce qu'ils n'étudient pas , et qu'ils ne
savent que détonner !... « La veille même
du concert qu'il donna à Leipsic, je l'en
tendis déclamer là-dessus, dans l'orches
C
- ( 54 )
tre, avec beaucoup de chaleur. Le lende
main, me trouvant à la répétition, je remar
quai cependant à mon grand étonnement
que dans le premier allegro de la sympho
nie, il fit prendre d'abord un tems extrê
' mement accéléré. A peine au bout de
vingt mesures, l'orchestre commença à ral
lentir le tems. Mozart arrêta tout court les
musiciens, en leur criant ancora ! et les
fit recommencer avec le même mouvement.
Ils retombèrent de nouveau ; il fit tout ce
qu'il put pour conserver le tems marqué,
et frappa si fort du pied , qu'il brisa une
très-belle boucle d'acier qu'il portait. Il rit
beaucoup de cet accident, et recommença
pour la troisième fois dans le même tems.
Enfin les musiciens montrèrent de l'hu
meur de se voir traiter si rudement, mais
cette humeur même les échauffa , et l'in
dignation les fit aller à merveille. Alors
il les fit jouer plus lentement tout le reste
de la symphonie. Je ne pus m'empêcher
de lui en témoigner mon étonnement ,
croyant que c'était par esprit de contra
diction , et seulement pour soutenir son
autorité musicale qu'il avait si fort insisté
( 55 )
sur la rapidité du tems. « Non, me ré
pondit-il ; ne soyez point surpris de ceci.
J'ai jugé mes gens, je les voyais tous d'un
certain âge ; jamais je ne serais venu
à bout de vaincre leur lenteur, si je ne les
eusse piqués ! C'est l'humeur seule qui les
a fait réussir. »
Mozart n'avait encore rien entendu exé
cuter par cet orchestre ; cette anecdote
montre combien il connaissait les hommes,
et que lorsqu'il s'agissait de l'art, il n'était
pas un enfant, comme on l'a si souvent
| prétendu. )

X I I I.

Dans le concert dont nous venons de


parler, il ne donna que des compositions
manuscrites. Madame Duschek de Prague,
chanteuse célèbre à si juste titre, s'y pré
senta et chanta une scène de Mozart, qui
par la suite est devenue si fameuse, et qu'il
avait accommodée exprès pour sa voix. Dans
la seconde partie du concert il joua le
concerto le plus difficile qu'il ait jamais fait,
celui en ut majeur qui après sa mort a été
publié par son épouse; il n'existe peut-être
C 2
( 56 )
point de composition de ce genre plus gran
diose que celle - là. Jamais je n'oublierai
· la jouissance délicieuse que Mozart me
fit éprouver , soit par l'esprit qui règne
dans cette pièce, soit par le brillant , le
charme , la délicatesse inexprimable de
l'exécution. Pour éviter qu'on ne lui dé
robât la marche de ses idées, (ce qui s'est
fait si souvent ) il les joua sur une feuille
· singulièrement écrite où, au dessus d'une
- basse chiffrée , il n'avait que légèrement
indiqué quelques idées, les cadences, et
différentes figures de la partie princi
pale de l'instrument. Il n'y avait que lui
qui pût en venir à bout , parce qu'il
pouvait se reposer autant sur sa mé
moire que sur son goût et son sentiment
sûr et exquis. Après le concert, plusieurs
personnes montrèrent le desir de l'en
tendre encore jouer seul, et sa complaisance
fut telle qu'il s'y prêta sans faire la moindre
difficulté ; quoiqu'il eût déja joué deux
concerts et une scène obligée ; il s'assied
devant le piano pour se faire tout à tous.
Il commença d'abord par un andante sim
ple et majestueux, en ut mineur,.... ici
( 37 )
je m'arrête , ce serait folie que d'entre
prendre de décrire son jeu. Comme dans
cette circonstance il voulait plutôt satis
faire les amateurs que se montrer aux ar
tistes , il ne suivit point le vol de son ima
gination ; en modérant son jeu sur la ca
pacité des auditeurs, il finit par les varia
tions en fa qui se trouvent dans la collec
tion de ses œuvres publiés par Breitkopf
et Härtel, page 45, 56 du XI cahier.
X I V.

On a souvent fait à Mozart le reproche


de ne s'être occupé que de ses propres
ouvrages, sans avoir cherché à connaître
le mérite des autres compositeurs célè
bres. Si l'on fait à cette inculpation les
exceptions que l'on doit, il peut y avoir
quelque chose de vrai à cet égard , et
nous ne chercherons pas à l'excuser. Ce
pendant la faute retombe moins sur lui
que sur les circonstances et les diffé
rentes relations de sa vie ; en ce qu'étant
presque toujours en voyage ou occupé de
ses productions , il ne pouvait guère en
tendre ou connaître celles d'autrui. Mais
C 3
( 58 )
lorsqu'il rencontrait un ouvrage d'un véri
table mérite , ancien ou nouveau , il l'ac
cueillait avec le plus grand plaisir , et il
savait l'apprécier avec la plus exacte im
partialité. Il n'était ennemi juré que de
la médiocrité, de l'imitation servile, et du
maniéré qui n'offre ni idées ni nourriture
au sentiment. Toute composition où il ne
trouvait pas d'originalité, il la rejettait
loin de lui : « il n'y a rien là-dedans ! »
disait-il, ( c'était son expression favorite. )
Mais aucune beautéréelle ne lui échappait, il
louait ingénuement tout ce qui pouvait offrir
la moindre étincelle de génie, et prenait hau
tement sous sa protection les plus jeunes
artistes qui promettaient du talent. Il con
tribuait de bon cœur à leur avancement
par ses encouragemens et ses recommen
dations. J'en pourrais citer un foule d'exem
ples, si je ne craignais à cause de leur noto
riété même, de dire des choses superflues.
L'ingratitude même, dont se sont souvent .
rendus coupables envers lui plusieurs de
ceux qu'il avait obligés, n'a pu l'empê
cher de suivre en cela son penchant ; il
oubliait plus facilement les torts que les
( 59 )
autres avaient à son égard, qu'eux le bien
qu'il leur avait fait. Il fut un de ceux qui
contribuèrent le plus à déraciner en Al
lemagne le préjugé que le siège de la vraie
musique est encore à présent en Italie. Il
se gendarmait souvent contre la plupart
des compositeurs modernes de cette con
trée ; encore plus contre leurs chanteurs,
qui parcourent l'Allemagne ; et surtout con
tre la frivolité du goût qui règne mainte
nant en Italie, telle qu'il l'avait remarquée
dans le pays même. Cependant, rien de
plus faux que ce que disent ses critiques ;
savoir, qu'il ne faisait cas, dans la mu
sique, que d'une harmonie savante et re
cherchée. Il rendait justice à la musique
la plus simple, pourvu qu'il s'y trouvât
quelques traits de génie et d'originalité.
C'est ainsi que je l'ai entendu parler très
avantageusement de Paesiello , dont il
savait apprécier les ouvrages. « Quand ,
disait-il, on ne cherche qu'un plaisir léger
en musique, je ne connais rien de mieux
que les compositions de cet artiste. » Parmi
les compositeurs italiens, il estimait sin
gulièrement les anciens, tels que Durante,
C 4
( 4o )
Léo, Porpora, Scarlatti, mais par dessus
tous notre compatriote, le célèbre Haendel.
Il savait par cœur les ouvrages principaux
de ce grand homme que dans plusieurs
genres on n'a pas encore égalé; il semblait
qu'il eût été toute sa vie directeur de la
société établie à Londres pour le maintien
de l'ancienne musique. « De nous tous,
disait-il, Handel sait le mieux ce qui est
d'un grand effet. Lorsqu'il le veut, ajou
tait-il, il va et frappe comme la foudre ! »
Cette prédilection pour Händel était chez
lui si forte que, malgré le soin qu'il prenait
à se déguiser, il écrivait souvent dans son
| stile et dans sa manière. On en trouvera
des preuves dans ses ouvrages posthumes.
Je dirai même qu'il portait cette vénération
pour Händel bien plus loin encore que la
plupart de nos artistes et compositeurs
d'aujourd'hui , il aimait non-seulement ses
chaeurs, mais encore beaucoup de ses airs
et de ses Solo. « Si quelquefois, disait-il,
ce grand maître se laisse aller à la mode
et aux formes de son tems, il y a toujours
là quelque chose d'excellent, au point que
nous autres nous ne réussirons jamais
( 41 ) .
à le faire oublier de tous ceux qui savent
ce que c'est que la musique. » Il a fait
l'honneur à Handel d'écrire un air de
Don Giovanni dans son stile , et de le
marquer dans l'intitulé de cet air, quoique
dans la suite il le fit presque toujours passer
à la représentation de cet opéra. Il faisait
un peu moins de cas de Hasse et de
Graun que ces deux maîtres ne le mé
ritent; mais peut-être ne connaissait-il pas
la plus grande partie de leurs ouvrages.
Il estimait encore beaucoup Jomelli. « Cet
artiste, disait-il, a certaines parties où il
brille et brillera toujours , seulement il
n'aurait pas dû en sortir, et vouloir faire
de la musique d'église dans l'ancien stile. »
Quant à Martini , ( auteur de la Cosa
rara , qui alors enchantait l'universalité
des amateurs,) il disait : « Il a bien des
choses fort jolies ; mais dans vingt ans
d'ici, personne n'y fera attention ; » et sa
prédiction ne s'est déja que trop accomplie.
« Mais , ajoutait-il, personne n'a en même
tems le don de badiner et d'émouvoir, de
produire les ris et l'attendrissement , comme
Joseph Haydn ! » -
( 42 ) • --

X V.

Pendant son séjour à Leipsic, le feu maître


de musique de l'église de Saint-Thomas,
Doles, lui fit une agréable surprise en fai
sant exécuter devant lui un motet à deux
voix qui commence par ces mots : Singet
dem Herren ein neues Lied, du père de
l'harmonie allemande , Sébastien Bach.
Mozart ne connaissait guère cet Albrecht
Durer de la musique germanique que par
oui-dire, tous ses ouvrages étant devenus
très rares, même en Allemagne.A peine le
chœur eût-il chanté quelques mesures, que
Mozart fut saisi d'étonnement ; après quel
ques notes il s'écria : « Quelle musique ! »
Toute son ame semblait être passée dans
ses oreilles. Lorsque le chant fut fini , il
dit : « Enfin, voilà un morceau où je puis
apprendre quelque chose ! » On lui ra
conta que le collège de Saint-Thomas, où
autrefois Sébastien Bach avait été maître
de chant, possédait un manuscrit complet
de ses motets, et qu'on les y gardait
comme une relique sacrée, « C'est bien !...
( 45 )
admirable ! « s'écria-t-il ; » qu'on me les ap
porte ! » Mais on ne les avait point en parti
tion. Il se fit donc donner les parties à
part. Quel plaisir pour l'observateur, que de
voir Mozart s'asseoir sur le champ, prendre
ces morceaux dans ses mains , mettre les
autres sur ses genoux , étaler d'autres sur
des chaises autour de lui, les examiner , et
de ne plus lever le siège qu'il ne les eût
étudiés d'un bout à l'autre , et qu'il n'eut
dévoré tout ce qui se trouvait des ouvrages
de Sébastien dans ce collège. Il en de
manda une copie , on la lui accorda. Il
l'a toujours soigneusement gardée; et si je
ne me trompe, on trouvera des preuves
de l'étude profonde qu'il en a faite, dans
le Requiem dont nous parlerons tout-à
l'heure, et surtout dans la grande Fugue
de cet ouvrage : Christe eleison. Les ar
tistes jugeront combien le génie de Mozart
s'est nourri des idées et du faire de cet
ancien créateur du contrepoint.
( 44 )
X V I.

Il était plus sévère qu'on ne le croit


communément sur ceux de ses ouvrages
dont il faisait cas ; même peut-être davan
tage qu'il ne souhaitait intérieurement
que les autres ne le fussent. Par exemple , il
avait écrit dans sa jeunesse l'Enlèvement
du Sérail, opéra encore très-estimé : dans
la suite, il le revit avec soin ; il y changea,
coupa beaucoup de choses , et supprima
même plusieurs de ses morceaux favoris.
Je l'ai une fois entendu jouer l'air de
Constance dans cet opéra, d'après les deux
versions, et j'ai regretté plusieurs pas
sages qu'il avait condamnés. « C'est bon
pour le piano, dit-il, mais non pas pour
le théâtre. Lorsque j'écrivais cela, j'aimais
trop à m'entendre, et je ne savais jamais
finir. » Il n'était rien moins que récalci
trant sur des objections qu'on pouvait lui
faire ; il ne se montrait rebelle que sur
un seul point ; savoir , lorsqu'on attaquait
des traits d'originalité qui tenaient à son
génie particulier , et que l'on nommait
quelquefois des écarts d'imagination.Alors
( 45 )
il s'échauffait, et il avait raison ; car ces
critiques, souvent très-mal fondées, pros
crivaient ce qu'il y a précisément de plus
distingué dans ses sublimes productions.

X V I I.

Souvent j'ai entendu dire de Mozart,


par des personnes qui croyaient le con
naître, que rien au monde ne l'intéressait
que la musique. Je ne sais si ce défaut là
est un reproche qui puisse diminuer la
gloire d'un artiste; mais ce que je puis assu
rer, c'est que dans le fait il est entièrement
destitué de fondement.Il faut mettre cela au
nombre de ces assertions vagues qui ne por
tent que sur la superficie des choses; il nefaut
jamais oublier que les beautés de la nature et
des arts ne peuvent frapper un esprit pro
fondément pénétré de l'objet qui l'occupe,
que lorsqu'elles sont, pour m'exprimer
ainsi, revêtues des formes de son art. Sans
doute Mozart n'était pas d'une extrême
délicatesse sur tout ce qui tenait aux plai
sirs physiques. A cet égard, les moyens les
plus courts étaient pour lui les meilleurs.
( 46 )
Il en a quelquefois porté la peine; mais
chacun sait combien, en récompense, chez
lui était vif et actif le sentiment de l'amitié
et de la bienveillance universelle : nous
en avons déja donné quelques preuves, et
nous en pourrions donner bien davantage,
si nous ne craignions de trop nous étendre,
et si nous avions permission de citer les
personnes que ces actions concernaient, etc.
Combien de fois n'a-t-il pas travaillé par
pure complaisance pour de simples con- .
naissances, et plus souvent encore pour
ses amis plus intimes ! Combien de sacri
fices n'a-t-il pas faits pour de pauvres vir
tuoses voyageurs ! Souvent il leur écrivait
des concerts dont il ne gardait pas même
de copie , afin qu'ils eussent quelque
, chose de particulier à faire entendre de
lui et qu'ils pussent intéresser par là le
public. Il partageait avec eux son exis
tence , lorsqu'ils arrivaient à Vienne
sans argent et sans connaissances; il payait
pour eux table, loyer etc., nulle ingra
titude ne l'arrêtait; sa colère, quand on le
trompait, durait à peine quelques minutes.
Lorsqu'il apprit la friponnerie du Direc
( 47 )
teur de théâtre dont j'ai parlé au n°. XI.
toute.sa vengeance se réduisit à dire : le
coquin ! L'observation que je viens de faire,
par rapport à la forme que prenait chez
lui le sentiment de la nature , sera plus
intelligible par ce qui suit : Lorsqu'en
voyageant avec sa femme, il était frappé
de quelque beau site, ou d'un paysage
pompeux , il faisait arrêter la voiture,
et le fixait sans dire un mot ; mais tous
les traits de sa physionomie , ordinairement
sombre et pensive , s'animaient et deve
naient plus rians ; alors il se mettait à
chanter, ou plutôt à fredonner ; et il
ajoutait : « Ah ! si j'avais ce motif-là sur
le papier ! —. « Rien de plus facile ! » lui
disait quelquefois son épouse. — « Oui !
répondait-il, mais avec tous ces accessoi
res !.... en vérité ! il est bien malheureux
que nous soyons forcés de ne travailler
jamais que dans notre cabinet ! » — Je
crois que ce faible trait est un de ceux qui
peignent le mieux le génie sentimental et
enthousiaste de Mozart.
( 48 )
X V I I I.
•.

Sur la fin de sa vie, déja affaibli par la ma


ladie, et surtout par l'irritation du systême
nerveux; doué d'un caractère en général
craintif, il était continuellement assiégé
par des idées lugubres de destruction et
de mort. Il se mit alors à travailler avec tant
d'activité qu'il semblait vouloir se sauver
du monde sensible , pour se réfugier
au milieu des créations de son génie. Il
porta cela si loin que non-seulement il
oubliait tout ce qui l'environnait , mais
que quelque fois il s'anéantissait presque
lui-même , et retombait accablé dans son
fauteuil, de manière qu'il fallait le porter
sur un lit de repos. Tout le monde voyait
que par cette fatigue il allait 1 ir par
s'épuiser entièrement. Les exhortations de
son épouse et de ses amis ne faisaient rien
sur lui ; tous les efforts pour le distraire
étaient inutiles. Quelquefois il se rendait
aux vœux de personnes qui lui étaient
chères, et il consentait à faire un tour en
voiture, etc. ; mais il ne prenait part à
rien , sans cesse il restait absorbé dans ses
imaginations ,
( 49 ) -

· imaginations, dont il n'était tiré que par


le frissonnement involontaire de la mort
qui serpentait déja dans ses veines. Son
épouse faisait venir chez lui des amis
comme pour le surprendre ; d'abord cela
semblait lui faire plaisir, mais il ne quit
tait point son travail. On causait autour
de lui; il ne prêtait point l'oreille ; on lui
adressait la parole, il ne s'en fâchait point;
mais il répondait par monosyllabes , tou
jours continuant à écrire.
X I X.

C'est alors et dans cet état qu'il écrivit


sa Flûte enchantée, sa Clemenza di Tito,
et une foule d'autres petites compositions
dont la plupart sont peu connues , et
n'ont pUint été publiées. Pendant qu'il fai
sait le premier de ces opéra, il se livrait
à son génie et ne connaissait ni jour ni
muit ; mais il tomba souvent pendant le
travail dans l'épuisement le plus absolu
et dans des défaillances qui duraient
plusieurs minutes. Il aimait beaucoup la
Flûte enchantée , quoiqu'il se donnât
• quelquefois l'air de se moquer lui-même de
- D
( 5o )
tel et tel passage auquel on accorde les
applaudissemens les plus universels. ( 1 )
· On sait qu'à Vienne on a donné de suite
cet opéra aussi souvent qu'à Paris le
Mariage de Figaro ; mais la langueur
de Mozart augmentait déja tellement ,
qu'il ne put assister tout au plus qu'à
dix représentations. Lorsqu'il ne pou
vait plus se rendre au théâtre, il se cha
grinait, et mettant devant lui sa montre,

(1) Je ne citerai qu'un trait. On a remarqué dans


plusieurs analyses de cet opéra la bisarrerie de
l'air que chantent les hommes cuirassés au mo
ment où les deux amans se préparent à subir les
épreuves, et où le prince Tamino , héros de la
pièce, mène son épouse Pamina à travers les
flammes; surtout on s'est étonné de la singularité de
plusieurs transitions de la mélodie, et finales de ses
phrases, mais je ne crois pas qu'on se soit aperçu
d'où procédait proprement la source de ces sin
gularités. C'est que Mozart fait chanter à ces
hommes cuirassés , avec un accompagnement
extrêmement pathétique, un ancien cantique al
lemand , qui commence par les mots : Ach, Gott
vom Himmel sieh doch drein, und lass dichs doch
erbarmen. ( Ah , Dieu du ciel, vois-y et prends en
miséricorde ! ) "
( 51 )
il entendait sa musique en imagination.
Souvent en regardant l'heure , il disait :
| « Ah! voilà le premier acte fini! à présent
on en sera à l'air : Die grosse Koeniginn
der Nacht .... » Tout d'un coup l'idée que
bientôt tout allait finir avec lui, s'emparait
de son ame , il frissonnait , et retombait .
dans le plus profond accablement.
4

X X.

Un jour, tandis qu'il était assis, absorbé


dans ses idées lugubres, une voiture s'ar
rête à sa porte , et on lui annonce un
étranger. Un homme d'un certain âge et
de grande apparence , que ni lui ni sa
femme ne connaissaient, entre d'un air
imposant. « Je viens, lui dit-il, de la part
d'une personne de grande distinction.... »
« De qui ? » reprend Mozart.... « Je ne puis
vous le dire , » répond-il; elle ne veut pas
être connue. » —Eh bien, Mr., que veut-elle
de moi? » — Elle a perdu une personne qui
était très-chère et qu'elle n'oubliera ja
mais ; elle voudrait célébrer annuelle
ment le jour de sa mort, d'une manière
convenable et solemnelle, et desirerait que
D 2
. ( 52 )
vous lui fissiez un Requiem. — Mozart
fut singulièrement frappé du mystère que
l'inconnu mettait à cette visite , et dont
l'objet avait tant de rapport à l'état actuel
de ses sensations. Cela fit le plus grand
effet sur son esprit ; il consentit sur-le--
champ à la demande de l'étranger. Celui-ci
ajouta : « travaillez-y avec tout le soin pos
sible, car celui qui m'envoie est un très
grand connaisseur. - « Tant mieux ! » —
« On ne vous fixe aucun tems ; » — « A
merveille ! »... « Mais combien à-peu-près
vous en faudrait-il? — Mozart qui calculait
rarement son tems, répondit : « J'y met
trai à peu près un mois. » — « Bon !
je reviendrai alors chercher la partition.
Combien demandez-vous pour vos hono
raires?— « Cent ducats | » répondit Mozart
sans grande réflexion. — « Les voilà ! dit
l'étranger ; » il mit la somme sur la table et
disparut. Enseveli dans ses idées sombres,
Mozart ne fit aucune attention aux obser
vations de sa femme sur cette avanture ,
au bout d'un quart - d'heure il demande
plume, encre et papier; et se met à l'ou
· vrage, A chaque mesure son intérêt semble
( 55 )
augmenter ; il travaille jour et nuit. Son
corps ne pouvait suffire à cette fatigue ;
plusieurs fois pendant cette composition
il tomba en faiblesse. Tout ce qu'on put
lui dire pour modérer son ardeur , fut
inutile; la seule chose que son épouse put
obtenir, fut de l'engager à faire une petite
promenade en voiture au Prater. ( 1 ) Il
était toujours muet et renfermé en lui
même. Enfin, il finit par se mettre tout de
bon dans l'esprit, qu'en travaillant à cet
ouvrage , il composait l'hymne de ses
propres funérailles. Il ne quittait point
cette idée ; et travaillait à cet ouvrage,
comme Raphaël absorbé dans le sentiment
de sa mort prochaine, croyait exprimer sa
propre transfiguration , en peignant celle
du Sauveur. ll s'abandonnait aux imagi
nations les plus singulières sur la mission
· de cet inconnu, qu'il regardait comme un
être fantastique. Quand on s'efforçait de
lui faire entendre le contraire, il se taisait ;
mais il restait dans sa persuasion.

(1 Les Champs Elysées de Vienne.

} , D 3
( 54 )
X X I.

Cependant le jour approchait où l'em


pereur Léopold allait se faire couronner
à Prague. La direction de l'Opéra de cette
ville qui dans cette occasion avait pensé un
peu tard à ajouter à ces fêtes un nouvel
opéra, s'adressa à Mozart. Cela fit un grand
plaisir à sa femme et à ses amis, parce
qu'ils se figuraient que cette nouvelle
occupation le distrairait de ses pensées
lugubres. Flatté de l'honneur qu'on lui
faisait, et cédant aux instances de cèux
qui lui étaient chers, il consentit à cette
demande , et mit en musique la Cle
menza di Tito de Métastase. Ce sujet
avait été choisi par les états-généraux de
la Bohême. Mais le terme qu'on lui avait
fixé était si court qu'il ne put pas écrire
les récitatifs non-obligés, et qu'il fut forcé
de mettre en partition chaque passage à
mesure qu'il le composait , et de le donner
aux copistes, même sans avoir pu le revoir.
Il se vit donc contraint, ou de faire un
ouvrage médiocre, ou bien de se borner
aux morceaux les plus importans, en Ile
( 55 )
jetant sur le papier que les idées princi
pales , pour les accommoder au goût qui
dominait alors. Il s'arrêta au dernier parti.
Cependant, il donna une preuve de la
| justesse de son goût et de la connaissance
qu'il avait du théâtre et des spectateurs,
en retranchant les quiproquos qui, dans
cet opéra , remplissent presque tout le
second acte. Par-là , il donna à l'action
une marche plus rapide ; en concentrant
l'intrigue dans l'espace de deux actes, il
· trouva le moyen de mettre plus de variété
dans les airs et les récitatifs, et d'amener
la finale du premier acte, qui est un de
ses chef-d'œuvres. Il en avait pris l'idée
dans une scène de son Idoménée. Cette
finale a été généralement goûtée. Si nous
en exceptons la superbe finale du premier
acte de Don Giovanni, Mozart n'a peut
être jamais déployé, avec plus d'avantage,
son génie pour ainsi dire Shakespéarien, et
la puissance de cette musique grandiose et
sublime, qui va quelquefois jusqu'à faire
dresser les cheveux aux auditeurs.

D 4
· ( 56 )
X X I I.

Mozart était parti pour Prague avec une


santé très-délabrée. La multiplicité de ses
travaux avait exalté toutes les facultés de
son ame, et en avait redoublé l'activité.
Les distractions avaient ranimé son cou
rage; il avait presque repris son ancienne
gaieté; mais ce fut la dernière lueur d'un
reste de vie sur le point de s'éteindre.
Affaibli d'ailleurs , par l'excès du travail,
il revint à Vienne plus malade que jamais,
et lassé de l'éclat et du luxe des spectacles.
Il se remit, avec une énergie presqu'in
croyable, à terminer son Requiem. Le
tems qu'il avait fixé était écoulé ; il ne
faisait qu'arriver à Vienne quand l'inconnu
revint chez lui. — « Je n'ai pas pu vous
tenir ma parole, » lui dit Mozart. — « Je
le sais. .. Vous avez bien fait de ne pas
vous y asservir , mais quel terme mettez
vous désormais à votre travail ? » — « En
core un mois; ce travail est plus que jamais
intéressant pour moi, et je m'y livrerai avec
plus d'ardeur que je n'ai encore fait jus
qu'ici. » — « Bien; mais alors il vous faut
( 57 )
un nouveau témoignage de reconnaissance :
voici encore cent ducats.» — « Mais..., M'.,
vous me cacherez donc toujours quel est
celui qui vous envoie ? » — « La personne
veut rester inconnue. » — « Eh bien ! qui
êtes vous donc vous - même ? » — « Ceci
importe encore moins à l'objet dont il
s'agit. Dans un mois, je reviendrai vous
trouver. » — Là-dessus le voilà parti! On fit
suivre l'inconnu pourvoir où il se rendrait ;
mais ceux qui se chargèrent de ce soin y
mirent de la négligence, ou furent déroutés.
Mozart ne put rien savoir, et il demeura
plus que jamais persuadé que cet homme lui
venait de l'autre monde , et que c'était
l'ange de sa mort. Cette idée l'exalta encore
plus, et l'aiguillonna pour ériger à sa mé
moire un monument immortel , il pour
suivit sa tâche. On ne s'étonnera plus qu'il
ait produit un chef-d'œuvre. Cependant,
tout en travaillant il s'affaiblissait, et décli
nait visiblement. Au bout du mois, il avait
terminé l'ouvrage , mais en même tems
fourni sa carrière.... il était dans le tombeau !
En étudiant cet admirable ouvrage ,
on s'appercevra peut - être que Mozart ,

( 58 )
comme tant d'autres hommes célèbres ,
pendant toute sa vie a été hors de sa véri
table destination. C'était bien à lui qu'il
appartenait de donner un nouvel éclat à
la musique la plus sublime, je veux dire à
celle qui s'occupe à célébrer dans nos tem
ples les grandeurs de Dieu et les mystères
de la religion ; genre presqu'entièrement
perdu par la dégradation et l'abâtardisse- .
ment de l'art. C'était là le champ où ,
d'après le sentiment unanime des connais
seurs , même des détracteurs de ses com
positions théâtrales, il a brillé dans tout
son lustre , et qu'il a laissé un monument,
-

qui est le dernier effort et le chef d'œuvre de


la musique moderne. Il existe de lui des
Antiennes d'un tems antérieur ; mais il
n'en faisait pas grand cas , et il disait
quelquefois qu'il était à desirer qu'on les
oubliât. Je donnerais volontiers ici une
analyse de ce Requiem qui fait tant d'hon
neur à Mozart, et que l'on peut regarder
comme le chant de cygne de ce grand
homme, si ces analyses n'offraient toutes,
· pour ainsi dire, que le squélette d'un en
semble dont l'esprit et la vraie nature ne
( 59 )
peut s'exprimer par des mots ou décrire par
les termes de l'art; et si elles n'aboutissent
presque toujours qu'à ennuyer ceux qui
n'ont pu entendre l'ouvrage même. — En
terminant ici le recueil des anecdotes que
j'ai pu moi-même recueillir pendant ma
longue liaison avec ce grand artiste , je me
contenterai d'ajouter quelques traits que je
tire d'une petite biographie de mon ami, par
Mr. le professeur Niemtscheck, de Prague,
et quelques notices que je tiens de son
épouse. -

X X I I I.

Dès sa jeunesse, Mozart montra un ca


ractère liant, et qui savait s'attacher au
mérite, partout où il le rencontrait. Étant
à Florence, il conçut l'amitié la plus tendre
pour un jeune Anglais, nommé Thomas
Linley qui n'avait encore que quatorze
ans. C'était un jeune élève du fameux
IWardini, et déja distingué sur le violon.
Bientôt ils s'entendirent ; ce n'était point
chez eux un attachement friyole ; c'était
la tendresse de deux ames faites pour l'har
monie, et dont le sentiment profond était .
fondé sur les mêmes bases, le perfection
( 6o )
nement de l'art. Tous les deux s'estimaient
comme artistes, et la manière de se com
porter l'un et l'autre aurait honoré l'âge
viril. Ils furent forcés de se séparer; ce
jour fut pour eux un jour de douleur. La
veille de son départ, Linley apporta à
Mozart des vers qu'il avait fait faire, sur leur
séparation, par la fameuse Corilla, et accom
pagna son ami, avec toutes les marques de la
plus vive affliction, hors les portes de la ville.
X X I V.

Lorsque Mozart composa, en 1782, par


ordre de l'empereur Joseph, l'Enlèvement
du Sérail, et que cet ouvrage reçut l'ac
cueil le plus distingué , les Italiens ne
doutèrent pas un moment que le génie nais
sant de ce jeune artiste ne fît tort à leurs
compositions, en général vides et futiles.
Quelque charmé que fût l'empereur d'une
musique dont l'effet était aussi frappant,
il lui dit cependant : « Trop beau pour
nos oreilles ! c'est trop beau , mon cher
Mozart : il y a et terriblement de notes ! »
— « Majesté, répondit Mozart : précisément
autant qu'il en faut ! » — L'empereur ne
( 61 )
se fâcha pas de cette répartie vive et
franche d'un artiste, à qui le faste des
grandeurs n'en imposa jamais.
X X V. *

Citons encore, à l'appui de ce que nous


avons dit de la haute estime qu'avait
Haydn pour le nom et le mérite de Mo
zart, une lettre qu'il écrivit, en 1787, à un
de ses amis de Prague, qui lui demandait
un de ses opéras pour le théâtre de cette
ville. Voici comme il s'exprimait ; nous
avons devant nous l'original de sa lettre :
« Vous me demandez un opéra buffa de
ma composition; je ne me refuserais pas à
vos desirs, s'il n'était question que de vous
complaire, en vous donnant quelque chose
de moi qui pût vous être agréable; mais
comme votre intention est de vous en servir
sur le théâtre de Prague, je ne saurais
vous obliger à cet égard, attendu que mes
opéra sont spécialement destinés pour la
chapelle, dont j'ai l'honneur d'être le di
recteur, et qu'ils perdraient de leur effet,
qui tient beaucoup aux circonstances et
à la localité. La chose serait différente,
( 62 )
si l'on m'appelait à Prague pour y écrire
une pièce d'après un cannevas fait exprès ;
| et alors mème je redouterais de courir les
hasards de la tentative , et d'entrer en lice
· avec le grand Mozart, avec lequel il est
difficile de jouter. Ah ! combien je voudrais
inspirer aux véritables amateurs de la mu
sique, mais surtout à nos grands, toute la
vénération que j'ai pour le génie de cet
artiste et pour ses productions inimitables !
Que ne puisje leur communiquer tout ce
que j'éprouve et que je conçois à son égard !
Alors toutes les nations se disputeraient la
gloire de posséder cet homme incompa
rable. Que votre Prague fasse tous ses
efforts pour le conserver ; mais il faut .
qu'elle sache le récompenser ! C'est faute
d'encouragement que les grands génies
languissent, et nous perdons par là tout le
fruit que nous pourrions en attendre. C'est
une chose honteuse, et dont je suis vive
· ment indigné, de voir que ce grand homme
ne jouisse dans aucune cour d'un sort digne
de son talent. » -
( 63 )
X X V I.

Dans un concert qui avait lieu le di


manche chez M""., il se trouva un comte
Polonais qui fut, comme tous les autres
auditeurs, enchanté d'un nouveau quin
tetto de la composition de Mozart, avec un
accompagnement de clavecin et d'instru
mens à vent. Il témoigna à son auteur qu'il
· desirait qu'il lui fit à loisir un Ter
zetto pour la flûte traversière. Mozart
promit de s'en occuper. De retour chez lui,
le comte lui envoya cinquante souverains
d'or, avec une lettre très-obligeante, dans
laquelle il le remerciait de nouveau du
plaisir que sa musique lui avait causé.
Mozart, pour lui témoigner sa reconnais
sance, lui envoya en échange la partition
du Quintetto, et raconta à tous ses amis
la générosité de cet illustre amateur. Le
comte s'en fut, et revint un an après chez
Mozart, auquel il demanda le Terzetto.
Mozart lui répondit qu'il ne s'était pas
encore senti assez en verve pour faire
quelque chose digne de lui. Le comte lui
répondit : « Apparemment donc que vous
( 64 )
ne vous sentirez pas non plus en humeur
de me rendre les cinquante souverains
d'or que vous avez reçus ? » — (On se rap
pellera que cette somme n'avait été envoyée
à Mozart, d'après les expressions de la
lettre, que comme un témoignage volon
taire du plaisir que le comte avait goûté; )
Mozart fut indigné de cette grossièreté ,
et lui rendit sur le champ cette somme ,
que celui-ci eut la bassesse de recevoir ,
tout en gardant la partition du Quintetto.
Peu de tems après, ce Quintetto parut sous
la forme de Quartetto pour le clavecin ,
avec un accompagnement de violon, d'un
violon a braccio, et d'un violoncelle, chez
Artaria, marchand de musique à Vienne,
et, cela sans l'aveu de Mozart.
X X V I I.

Mozart avait promis à madame Strina


sacchi ( à présent madame Schick , à
Gotha ) de lui écrire une sonate pour le
, clavecin avec le violon obligé ; mais dé
daignant souvent de s'occuper de ces ba
gatelles, il différa cette composition jus
qu'à la veille du concert où cette sonate
V devait

:
( 65 )
devait se donner. C'était au théâtre de la
cour. Mozart écrivit à la hâte la partie du
violon ; mais quant à la sienne ( c'était
lui-même qui devait l'exécuter ), il n'en
eut point le tems. L'empereur Joseph II,
qui de sa loge regardait en bas dans l'or
chestre, crut s'apercevoir que Mozart n'a
vait point de notes devant lui. Il envoya
, quelqu'un pour en savoir la cause , et fit
venir le compositeur, qu'il pria de lui mon
trer sa partition. Mozart sourit, et l'empe
reur fut étonné de ne voir sur son manuscrit
que des mesures tracées sans aucune note.
X X V I I I.

L'avant-veille que l'opéra de Don Gio


vanni fut donné à Prague, Mozart dit le
soir à son épouse, après la répétition gé
nérale, qu'il voulait passer la nuit à en
-
faire l'ouverture. Il la pria de lui faire du
punch, et de rester auprès de lui pour
l'empêcher de dormir. Elle y consentit; et
tandis qu'il composait, elle lui faisait des
contes de fées, tels que le Prince Aladin
et sa lampe, et autres pareils. Quelquefois
il y prêtait l'oreille tout en travaillant, et
' E
( 66 )
tantôt il fondait en larmes, tantôt il riait
aux éclats. Cependant, la boisson et l'ex
cès du travail affectant trop ses nerfs, il
s'assoupissait et travaillait alternativement.
Son épouse l'engagea à dormir un peu sur
une chaise longue, en lui promettant de
l'éveiller au bout d'une heure ; mais il
s'était endormi si profondément qu'elle
ne put prendre sur elle de lui faire perdre
son sommeil. Elle ne le réveilla qu'au bout
de deux heures. Il étoit environ cinq heures,
et le copiste devait venir à sept. Malgré ce
retard, l'ouverture fut prête quand il ar
riva. Il y a des personnes qui croient trouver
des traces de cet assoupissement et de ce
réveil précipité dans quelques passages de
Cette OUlVerture.

- x x I x.
Un jour qu'il allait signer le reçu des
appointemens de huit cents florins que lui
· avait assigné l'empereur , Mozart dit :
« C'est trop pour ce que l'on me de
mande en retour, mais trop peu pour ce
que je pourrais faire. » Il est à observer que
· la cour de Vienne ne lui demanda jamais
•, ( 67 )
, une note en sa qualité de compositeur de
chambre. -

X X X.

Le trait suivant prouve l'extrême com


plaisance avec laquelle il se prêtait à toutes
les demandes qu'on lui faisait. Un certain
musicien, que sa place obligeait à fournir
tous les ans douze Duo pour le violon,
se trouva tout d'un coup manquer d'idées
et dans l'impossibilité de composer les deux
derniers. Mozart se chargea de cette be
sogne, et il les fit pour lui. Ces Duo ont
été dans la suite reconnus pour être de sa
composition ; mais il ne les a jamais pu
bliés ni avoués comme étant de lui.

X X X I.

Pendant que sa femme était malade, il


recevait tous ceux qui venaient lui faire
des visites, un doigt sur la bouche en disant :
chut ! Ce geste et cette interjection lui
étaient devenus tellement familiers, que
pendant quelque tems même après la con
valescence de son épouse , il faisait ce
signe à ses amis quand il les rencontrait
( 68 )
A ,
dans la rue, en s'avançant vers eux sur la
pointe du pied.
X X X I I.

Souvent , pendant la même maladie


de cette personne chérie , il allait seul
se promener à cheval; mais il ne sortait
jamais sans laisser de sa main un petit
bulletin auprès de la malade. Je m'en rap
pelle un qui était conçu en ces termes :
« Bon jour, chère mie; je souhaite que tu
aies bien dôrmi, que rien ne t'ait troublé ;
prends garde de ne pas te lever trop tôt,
de ne pas te refroidir, de ne paste baisser,
de ne pas t'étendre, de ne pas te fâcher
contre tes gens, de ne pas te heurter à la
porte. Diffère tout chagrin jusqu'à mon
retour. Que rien ne t'arrive ! Je serai ici
à . ... heure, etc. »
)
• \/

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