Histoire Du Minihy Du Léon
Histoire Du Minihy Du Léon
Histoire Du Minihy Du Léon
Roscoff
Santec
Saint-Pol de Léon
· I - Introduction
· II - Etude physique
· A - Le pays
· A1 - L’intérieur
· A2 - La côte
· A3 - La zone sous-marine
· B - Le climat
· IV - Etude humaine
· A - L’habitation rurale
· B - Villes et population
Introduction
Le Minihy du Léon qui comprend les communes actuelles de Saint-Pol de Léon, Roscoff, Santec, forme une
petite région nettement individualisée, ayant son cachet spécial et sa vie propre. Depuis la Révolution ses
habitants se sont livrés à la culture des primeurs, et ce mode d’activité les a différenciés de leurs voisins : A
l’Ouest, ce sont les paysans-goémonniers de Kerlouan, Plouguerneau ; au Sud ce sont les grands éleveurs
de chevaux de Landivisiau, Saint-Thégonnec ; à l’Est, ce sont les cultivateurs du Trégorrois qui, depuis
quelques années, ont essayé de les imités.
Le Minihy est un pays riche qui appartient à la Ceinture dorée de Bretagne et dont la réputation a passé au-
delà des mers. L’unité administrative, avant l’unité économique, avait rendu solidaires ces trois communes
du Léon.
L’histoire ancienne
Cette région fût habitée dès l’époque préhistorique comme l’attestent les nombreuses stations découvertes
autour de Roscoff et de Saint-Pol. En particulier, on retrouve les traces de passage de peuples primitifs dans
les tombeaux maçonnés en pierres sèches recouvertes de dalles dolméniques à Kérestat. Ces sépultures
semblent dater du néolithique. Plus tard la région fût habitée par une tribu gauloise : les “ Osismii ” qui
détenait les côtes depuis Bréhat jusqu’à la rivière de Landerneau et s’étendait en profondeur jusqu’aux
Monts d’Arrée.
Puis les Romains campèrent dans la région. On a découvert récemment à Keravel, sur le territoire de Ros-
coff quelques bronzes de Gallien, Claude II, Dioclétien ; des fragments de briques romaines sur la grève
entre Bloscon et le port de Roscoff. Il semble que Bloscon ait été un oppidum ( fortification romaine ).
Une légion séjourna dans le pays auquel elle laissa son nom. De l’expression “ Pagus Légionensi ”, on
tirerait Leonensis, puis Léon. Les habitants se seraient appelés les legionenses, puis les Leonenses. Cette
étymologie serait aussi celle du Léon en Espagne où résida la 7ème légion double. Certains auteurs doutent
de cette étymologie et disent que César appelait indifféremment les habitants des Léonices ou des Osismii.
Près de l’emplacement de la ville de Saint-Pol aurait été bâti le castellum romain.
Le Haut Moyen Age est entouré de ténèbres assez épaisses. Comme tout le littoral armoricain, le Minihy a
du être la proie des pirates saxons. Puis ce fût, au 5ème siècle, l’émigration bretonne vers l’Armorique. Au
vieux fond gallo-romain préexistant se superposa l’élément breton. Vers 518, arrivèrent au Minihy le moine
Cambrien ( Cambria, ancien nom du pays de Galles ), Pol Aurélien et ses compagnons venus de Grande-
Bretagne. Ils fondèrent un monastère à l’Ile de Batz. La légende raconte qu’à l’arrivée de Saint-Pol à l’Ile, la
plage était infestée par un énorme dragon que Saint-Pol lia avec son étole et précipita dans un gouffre,
encore appelé “ Toul ar Sarpant ” ( le trou du serpent). Saint-Pol fût le fondateur de l’Évêché du Léon et
après sa mort, au monastère de l’Ile de Batz, les habitants donnèrent son nom à la capitale auquel on
associa le nom de Léon.
Les agglomérations se créent autour de la mer ; toutes dépendantes de paroisses rurales qui étaient sous la
domination de l’Évêque de Saint-Pol. Puis vinrent les invasions des Normands. Ceux-ci retranchés dans l’Ile
de Batz, de 810 à 893, pillaient et tuaient. Chassés en 939, ils revenaient encore en 960, et détruisaient le
petit village de pêcheurs installés près de Roc’h Kroum.
Ce fût ensuite les guerres du 12ème siècle et les batailles incessantes avec les Anglais, la guerre de succes-
sion de Bretagne. Les débarquements ennemis affligeaient à chaque instant la population. L’Ile de Batz et
Tisaoson étaient occupés par les Anglais.
Du Guesclin s’emparât de Roscoff en 1363 pour le Comte de Charles de Blois et il mit garnison à Bloscon.
Malheureusement en 1375, le Comte d’Arundel, gouverneur anglais de Brest incendia le Vieux Roscoff ou
Rosko Goz établi sur le bord Est de l’anse de l’Aber.
Beaucoup de ses habitants furent passés au fil de l’épée. Un riche bourgeois, affolé, cacha son trésor et cinq
siècles plus tard on découvrit, en creusant le sol, des pièces d’or françaises et anglaises au nom de Charles
VI, et à l’effigie d’Édouard III. Rosko Goz était mort, mais Roscoff allait renaître près du lieu-dit du Théven (
place actuelle du phare au fond du port ). Cet exode vers l’Est permit aux Roscovites de construire un
meilleur port, l’Aber s’ensablant sans cesse.
Le pouvoir religieux
Le Minihy formait alors une unité administrative et religieuse. A côté de l’Évêque qui exerçait la juridiction
spirituelle, il y eut pendant longtemps, le seigneur du pays, le Comte du Léon qui en avait la juridiction
temporelle. Ce Comte du Léon avait un droit féodal assez singulier, celui de motte. Ses vassaux, appelés
serfs de motte, ne pouvaient quitter la terre du seigneur ; s’ils le faisaient celui-ci ou ses officiers pouvaient
les saisir, leur mettre la corde au cou, les ramener à leur motte ou leur infliger une peine corporelle ou
pécuniaire.
Au 12ème Siècle, le Comte de Léon avait du à la suite de ses folles dépenses céder ses magnifiques domai-
nes au Duc de Bretagne ; son titre passa aux évêques qui, à partir de cette époque, reçurent le titre d’
“ Évêque – Comte ”. Le Minihy devint donc une sorte de principauté ecclésiastique gouvernée par son évê-
que. Cette organisation devait durer jusqu’à la révolution. A Saint-Pol, se trouvait l’église paroissiale : la
Cathédrale, et à Roscoff et Santec il n’y avait qu’une église tréviale ( La trêve en Bretagne est une subdivi-
sion ecclésiastique du lieu ).
Roscoff à la fin du Moyen Age, était un trou de flibustiers, un vrai nid à corsaires, et ses maisons de granit à
lucarnes saillantes et à cave sur rue ont abrité bien souvent des marchandises de contrebande. Saint-Pol au
contraire, protégée peut-être par son caractère religieux, fût préservée des pillages et des luttes qui dévas-
tèrent le Léon.
Au 13ème siècle, elle était le centre de la vie de toute la contrée. La fête annuelle de Saint-Pol Aurélien était
le rendez-vous de tout le clergé et de toute la noblesse. Au début de la Renaissance, elle devint la capitale
intellectuelle du Léon, un centre de corporations florissantes, une pépinière d’artistes, de maître des œuvres.
Elle rayonna dans la province et attirait “ clercs et escholiers ”.
Tandis que Santec allait demeurer un “ plou ” sans grande importance ( 90 feux vers 1774 ). Roscoff ne
cessait de prospérer. Si bien que le groupement roscovite au cours de plusieurs siècles de luttes intestines
essaya de se détacher de Saint-Pol. Ces deux villes tendaient de plus en plus à avoir des intérêts opposés.
Saint-Pol après le déclin de son port, Pempoul, se tournait plutôt vers la culture et Roscoff se lançait vers le
commerce. L’une devenait de plus en plus terrienne, l’autre de plus en plus maritime.
Rapidement l’Assemblée Nationale donna une réponse favorable à Roscoff. En vertu du Décret du 14 dé-
cembre 1789, Roscoff qui est dit-on, une ville de 1.500 habitants a le droit de former une municipalité
particulière. Saint-Pol n’insista pas plus longtemps sur sa prétention.
Roscoff devenait donc une ville administrée par une municipalité et pourvue d’un budget. Son territoire à
l’Ouest englobait une partie de Santec et s’étendait au Sud à mi-route de Saint-Pol.
De même que Roscoff avait mené une lutte acharnée pour se détacher de Saint-Pol, de même Santec
essaya de se séparer de Roscoff. Sous la révolution, les habitants de Santec s’appuyant sur le Décret du 14
décembre 1789 se réunissaient eux aussi, en assemblée pour former une municipalité. Comme pour Ros-
coff, Saint-Pol s’opposa vigoureusement, mais en vain. Cette première commune de Santec devait être très
éphémère et une partie de son territoire fût attribuée à Roscoff, l’autre à Saint-Pol.
Santecois et Roscovites avaient des intérêts trop distincts pour former une communauté unie. Le 31 mai
1835, les habitants de Santec redemandèrent l’érection de leur section en commune. Ils prétextaient l’éloi-
gnement du Chef-lieu, les pertes de temps que cela entraînait, les difficultés des communications, les préju-
dices portés à leurs intérêts par les deux communes qui se partageaient leur territoire.
Saint-Pol fût favorable, mais Roscoff préféra maintenir l’union qui était avantageuse pour elle. Comme nous
le verrons plus loin, la question primordiale dans cette région est celle du goémon qui à cette époque servait
d’engrais et de combustible. Santec avait un grand développement de côtes et le goémon y était abondant…
Le 14 mai 1910, Santec demandait à nouveau son indépendance. Après bien des pourparlers sur le principe
de la séparation puis sur la fixation des limites, Roscoff se résigna à accepter la Loi du 4 août 1920, qui
érigeait Santec en commune.
Il est intéressant d’étudier les limites de Roscoff et Santec. A cause de la question du goémon, il a fallu
partager équitablement la côte. La presqu’île de Perharidy qui ne présente du point de vue économique
aucun intérêt ( elle ne possède que l’hôpital - sanatorium ) fût coupée en deux ; la partie Est fût conservée
par Roscoff, l’Ouest fût donnée à Santec. Le sanatorium se trouve même à cheval sur la frontière. Cette
limite, en certains points, longe la côte Ouest et n’accorde à la nouvelle commune qu’une mince bande de
terrain. L’unité administrative du Minihy était détruite. Il comprend désormais trois communes distinctes.
La communauté des intérêts allait créer entre elles un lien plus fort, parce que plus naturel, plus logique.
Sous l’influence de Roscoff, la région s’est spécialisée dans la culture des primeurs. Les deux villes du
Minihy ont pourtant gardé leur cachet spécial. Roscoff, depuis son affranchissement, est devenue la capitale
maritime de la région, le port exportateur de l’arrière pays producteur de légumes.
Saint-Pol, au contraire est resté la métropole religieuse, la ville sainte, “ Kastel Santel ”. La Cathédrale et
surtout le Kreisker du 14ème, la perle du Léon que Vauban venant en Bretagne en 1671, déclarait être “ l’ouvrage
le plus hardi qu’il eût jamais vu ”, l’ont fait appeler la ville des clochers. L’une représente l’ancienne cité
épiscopale qui vivrait facilement sur ses souvenirs, l’autre représente un groupe de commerçant et entrepre-
nant. Sur ses armes Roscoff n’a-t-elle pas en effet un vaisseau ? Et n’a-t-elle pris comme devis “ Ha rei, ha
skei atao ”? “ Elle donne et frappe toujours ”
Si l’unité administrative a fait quelques fois de ces villes deux rivales, l’unité économique en fait deux asso-
ciées. Roscoff se spécialisant dans les exportations de légumes, et Saint-Pol dans les expéditions.
II – Etude physique
A 1 - L’intérieur
L’ancien Minihy du Léon se compose d’une presqu’île largement attachée au continent au Sud, et limitée à
l’Est par la rivière de la Penzé, au Sud-ouest par la rivière de l’Odern, au Nord par la Manche. A peu de
distance vers le large, le bouclier formé par les îles de Batz et de Tisaozon, flanquée chacune d’une satel-
lite ; île Verte et Pighet, semble protéger cette région.
Allons par la route de Morlaix à Roscoff, et de Roscoff à Santec. Ce rapide voyage nous donnera une idée
d’ensemble du relief. Lors de notre premier parcours, nous observons que la côte Est de la péninsule est très
tourmentée et tombe en abrupt sur la mer. Nous traversons un plateau légèrement accidenté. Ce n’est qu’à
mi-chemin entre Saint-Pol et Roscoff que se dresse une petite butte qui domine tout le paysage ; c’est
Créac’h ar Vilin, le point culminant de Santec – Roscoff.
En approchant de Roscoff vers le village de Kerguennec, le relief s’abaisse assez brusquement et, du haut
de la côte, se découvre tout à coup Roscoff et son clocher pittoresque, le port et la chapelle Sainte Barbe à
l’Est, la presqu’île de Perharidy à l’Ouest, et l’île de Batz qui semble barrer l’horizon. En allant de Roscoff à
Santec, nous constatons au contraire que la côte occidentale est basse. Vers l’intérieur des terres se dresse
une falaise qui domine une région plus plate descendant en pente douce vers la mer. L’altitude est si faible
que les sables chassés par le terrible vent d’Ouest qui sévit dans ces parages menace d’envahir progressi-
vement la côte. L’impression d’ensemble est celle d’un plateau aux horizons doucement mamelonnés et
incliné vers le Nord-ouest.
L’altitude moyenne de la presqu’île est de 50 à 60 mètres. Les altitudes qui atteignent 70 mètres au Sud de
Saint-Pol ( à Plouénan ) s’abaissent progressivement vers le Nord où Roscoff est à 10 à 20 mètres, et vers
l’Ouest où Santec et ses dunes ne sont plus qu’à 10 à 15 mètres. Tandis qu’elles s’abaissent assez brusque-
ment vers l’Est qui a été profondément buriné par la Penzé. Vers le village Tréguintin ( à 3 ou 4 km de Saint-
Pol ), on descend de 55 mètres sur une distance de 500 mètres environ. Tandis qu’à l’Ouest, vers le village
de Kéraugon ( au Sud-est de Santec ), nous descendons de 24 mètres sur une distance de 2 km. A l’Ouest
de Saint-Pol, nous remarquons une dépression aux pentes insensibles, vers Lagallach, nous avons une
altitude de 41 mètres, 1 km plus à Saint Michel à 58 mètres, et 1 km au Sud, vers Kervent 34 mètres.
Cette dépression qui se marque à peine dans le paysage est orientée S.E / N.O et est parallèle au chenal qui
sépare la côte de l’île de Batz. Les vallées se marquent assez nettement dans le paysage, en particulier celle
de Léoden aux flancs assez abrupts mais peu étendu du village de Sainte Anne à celui de Kergréguin. De
même la petite rivière de Saint Jean serpente au fond d’un vallon. Ce plateau, fragment du plateau du Léon,
se prolonge en pente douce sous la mer, si bien que l’estran ( portion du littoral entre les plus hautes et les
plus basses mers ) est assez développé autour de la presqu’île. L’Aber, Pempoul et la baie de Morlaix
assèchent presque complètement à marée basse. L’isobathe ( une isobathe, reliant sur une carte les points
d’égale profondeur ) de 10 mètres rattache à la terre ferme les rochers épars sur l’estran et même l’île de
Batz. La profondeur des eaux est faible.
L’histoire géologique de cette région se rattache à celle du Finistère. Ici, nous retrouvons le vieux socle
primitif. Ces roches primitives et cambriennes ( première période de l’ère primaire ) injectées verticalement
de roches éruptives et recouvertes de sédiments ont été plissés, soulevées, disloquées. Ces roches sont
des gneiss ( roche métamorphique à grain grossier, où alternent les plages claires (quartz, feldspath) et
foncées (mica, amphibole)), des granites ( roche magmatique dure, formée de cristaux de feldspath, de
quartz et de mica ou d’amphibole ), des schistes ( roche ayant acquis une structure feuilletée sous l’influence
de contraintes tectoniques ), micacés ( de la nature du mica ; qui contient du mica ) et grenatifères et des
amphibolites ( groupe de silicates à deux clivages faciles et parfaits ).
Le sous-sol du Finistère se compose essentiellement de bandes successives orientées E.O qui paraissent
dans leur ensemble converger vers l’Ouest. Ces directions correspondent aux axes d’une série de syncli-
naux ( plis concaves ) et d’anticlinaux ( plis convexes ) parallèles. Les principaux anticlinaux sont celui des
Montagnes Noires au Sud, celui des Montagnes d’Arrée au Nord, celui du Léon dont le prolongement pré-
sumé est vers les Roches Douvres au Nord-est. A l’époque primitive et carbonifère ( époque géologique de
la fin de l’ère primaire, précédant le permien ), il y eut deux périodes de paroxysme pendant lesquels se
formèrent les plis. Plusieurs mouvements assez complexes qui se sont terminés vers l’époque houillère ont
contribué à donner le vrai visage de cette partie de la Bretagne.
D’abord, il y a eut un premier mouvement de ridement à la fin de l’époque primitive. Un second après le
cambrien fait du Léon et de la Cornouaille deux massifs de terre entourés par les eaux. Par un troisième
mouvement, à l’époque silurienne ( Se dit des terrains représentatifs d’une période de l’ère primaire et de ce
qui s’y rapporte ) et un quatrième plus important au début du carbonifère, cette région est envahie par la mer.
La disposition du pays en rides s’accentue tandis que le bord Nord du bassin se relève progressivement. Un
cinquième mouvement fait émerger définitivement le Finistère. Aussitôt cette région subit l’érosion subaérienne
( qui est au contact de la couche inférieure de l’atmosphère ) qui transforme l’axe anticlinal du Léon en
pénéplaine ( surface faiblement onduleuse portant des sols résiduels ) vers la fin du tertiaire ( ère géologi-
que, environ 70 millions d’années qui a succédé à l’ère secondaire ). Les formations secondaires et tertiaires
manquent totalement. Le travail d’usure ne s’est pas accomplit d’une façon uniforme. Plusieurs cycles d’éro-
sion se retrouvent dans cette pénéplaine, ce qui prouvent que le niveau des océans à subit des fluctuations
et que les rivières ont vu leur niveau de base se modifier.
Au début du quaternaire ( ère géologique la plus récente comprenant l’époque actuelle, d’une durée approxi-
mative de deux à quatre millions d’années ) le rivage de la région était situé plus au large qu’actuellement
comme l’indique les vallées actuellement sous-marines qui sont sculptées dans la plate-forme littorale. A la
fin du Pliocène ( se dit de l’étage supérieur (partie la plus récente) du tertiaire, qui succède au miocène ) le
continent était bordé d’une falaise à pic vers les courbes bathymétriques de – 40 et de – 50 mètres. De cette
époque à nos jours, l’histoire de cette région se résume en une suite de mouvements épeirogéniques (
ensemble des mouvements lents de descente - transgression ou de montée - régression des continents ),
les uns positifs, les autres négatifs qui ont apportés des modifications au littoral.
Au pliocène supérieur par un mouvement positif, la mer a envahi la contrée abrasant la côte jusque vers sa
limite actuelle. Elle a même dépassé cette limite car actuellement en arrière de la côte on reconnaît distinc-
tement la falaise fossile qui dans le Léon va de Kerlouan à Roscoff laissant devant elle une plate-forme
littorale. C’est probablement à cette époque que l’île de Batz à été détachée de la côte. Pour la Minihy, cette
falaise fossile passe vers les villages de Kergréguin, celui de Santec, du Poulduff, de l’Aber, du Pratérou
pour aboutir au fond du port de Roscoff. On en retrouve quelques traces à l’Est vers Kersaliou, Kerarbronnec
et Saint Jean.
Ce mouvement positif a permis l’inondation des vallées d’érosion qui depuis l’ère primaire s’étaient creusées
dans la pénéplaine et leur transformation en rias ( vallée fluviale étroite et allongée noyée par la mer ). La
Penzé en particulier est devenue une large vallée ennoyée qui subit l’influence des flots qui se fait sentir
encore actuellement de la pointe de Saint Jean jusqu’au village de Penzé à 6 km en amont. Aux fortes
marées, le flux remonterait plus haut dans la vallée verdoyante et boisée si le barrage du moulin situé à ce
point ne rendait nette la limite. Après un autre mouvement positif de faible ampleur eut lieu un mouvement
négatif qui fit émerger la plate-forme littorale et qui permit la formation de plages soulevées. Ces plages
soulevées forment un cordon régulier depuis Saint-Pol jusqu’à Ouessant. Au flandrien ( ), la mer a gagné un
peu partout autour de la Bretagne. L’aspect actuel de la côte est de ce fragment du plateau Léon résulte de
cette série d’oscillations du niveau de base et de l’action de la mer.
Les granites et les gneiss affleurent rarement sur le plateau. Ils ne se dégagent que le long des rivières de
l’Odern à l’Est et de Saint Jean à l’Est. Les micachistes ( roche composée de mica et de quartz ) apparais-
sent le long de l’embouchure de la Penzé. Un grand dyke ( roche éruptive qui fait saillie à la surface du sol et
qui affecte la forme d’une épaisse muraille ou d’une colonne ) de granulite ( roche métamorphique granitoïde,
à grain fin, contenant, à côté de quartz et feldspaths dominants, des grenats, spinelles...) de l’île Grande
traverse le plateau du S.O – N.E. jusqu’à la grève de Saint-Pol. Partout ailleurs ces terrains cristallins sont
recouverts d’un manteau de limons ( roche mixte argilo-siliceuse contenant du quartz détritique, formée
d’éléments plus gros que ceux des vases ) quaternaires.
Ce limon qui recouvre entièrement le Trégorrois ne s’étend dans le Léon que sur une bande côtière de la
baie de Morlaix jusqu’à l’embouchure de l’Aber Benoît et ne pénètre pas très en avant dans l’intérieur. Il
disparaît à 15 ou 20 km du littoral. Le Minihy est donc entièrement compris dans cette zone du limon.
C’est une roche d’un brun jaunâtre très fin, très tendre, ayant une forte ressemblance avec le lœss ( dépôt
pulvérulent d’origine éolienne, formé de quartz, d’argile et de calcaire, appelé aussi limon des plateaux ). ;
elle est argile sableuse, calcareuse, composée de petits grains de quartz très anguleux et de petites paillet-
tes blanches micacées et colorées par le fer à l’état de peroxyde ( combinaison renfermant le plus grand
nombre d’atomes d’oxygène ). Quelle est l’origine de ce limon qui plus que la douceur du climat, fait la
richesse de tout le pays ? Les savants n’ont pas toujours été d’accord sur ce point. Il y a quelques années,
ces formations quaternaires étaient reconnues dans d’autres régions de Bretagne. Elles étaient signalées
aux environ de Paimpol par Monsieur Raynaud qui en faisait un dépôt d’eau douce et à Bréhat par Monsieur
Tribolet, vers 1878 qui avait reconnu leur origine glaciaire. D’autres savants lui attribuaient une origine éo-
lienne ou fluviatile ( qui vit ou pousse dans les eaux douces courantes ou au bord des fleuves, des rivières ).
Monsieur Barrois invoquait un régime de pluies diluviennes amenant un transport de matériaux du centre de
la Bretagne vers son littoral. Monsieur Baulig posait ensuite l’hypothèse d’une reprise par les vents des
boues et des vases calcaires que le retrait de la Manche avait pu laisser à sec au moment des grandes
extensions glaciaires. Ce qui aurait pu expliquer la répartition de ces dépôts plus épais et plus continus sur
le littoral septentrional de la Bretagne que sur le littoral méridional, à cause des vents du Nord.
En 1913, Monsieur Collin pensait à une origine marine et le livre de Beauchamp sur les grèves en 1914
venait appuyer sa théorie. Les études de Monsieur Milon et Dangeard ont apporté une thèse plus neuve et
plus plausible. Pour la première fois en 1928, ils ont attiré l’attention de l’importance des phénomènes de
solifluxion ( glissement de terrain consistant en un lent écoulement de boue ) en Bretagne. Ils attribuent aux
phénomènes périglaciaires une part importante dans la formation des ces limons quaternaires qui procèdent
ainsi du “ head ”.
Au quaternaire, la Bretagne a été soumise à des conditions de climats périglaciaires ( climat froid et humide
) comme dans les régions de Bear Island qui ont donné naissance au head, sorte de coulées boueuses et
pierreuses qui ont glissé sur les terres glacées. Ce head présente généralement des pentes douces qui
diffèrent des pentes d’éboulis et des pentes d’avalanches. Ce head est formé de petits cailloux anguleux ou
légèrement usés, de taille variable, enrobées dans une boue jaune. Souvent à l’intérieur de cette boue, on
rencontre des blocaux craquelés, fendus par le gel. Ces cassures sont antérieures à la formation du head
que l’on retrouve à l’intérieur de ces fentes. A une période relativement sèche, sous l’influence des vents, il
s’est produit un vannage : des éléments fins ont été emportés et déposés à une distance plus ou moins
grande. Voilà, ce qui donne au limon, accumulation de ces éléments fins, une si grande ressemblance avec
le lœss. Monsieur Milon dans une étude aux environs de Brignogan a montré que ce head pouvait être
d’origine locale. Les limons du littoral sont formés de minéraux provenant de l’arrière pays. Cela est confirmé
par le fait que les éléments lourds sont de moins en moins nombreux du Sud vers le Nord. L’étude
pétrographique ( science qui décrit les roches et étudie leur structure et leur composition ) de ces limons
conclut à leur origine locale.
Ces limons d’origines glaciaires sont parfois très épais comme dans la région de Roscoff où ils atteignent 5
à 6 mètres d’épaisseur. Ils enrobent l’ossature de granite, de gneiss et de granulite de la presqu’île en
laissant simplement à nu quelques pitons qui semblent émerger de ces dépôts. Ces coulées ont une in-
fluence capitale sur la morphologie de la région. Ce sont elles qui donnent aux paysages des contours
adoucis car la solifluxion est un agent de pénéplanation. Elles tendent à réaliser un nivellement ; les dépres-
sions sont colmatées, les collines sont en parties noyées. Actuellement elles ont été remaniées par le travail
des eaux courantes, mais elles sont toujours facilement reconnaissables. Les limons jouent un rôle impor-
tant dans la vie économique de la région. Leur richesse qui peut se comparer à celle des limons picards a
contribué à créer la légende de la ceinture Dorée de Bretagne. L’étude du littoral offre plus de variété et
d’intérêt que celui de l’intérieur. Sur la côte l’érosion actuelle dégage les traits du relief préglaciaire en
dépouillant le vieux socle cristallin de ces limons plus meubles. L’aspect du littoral du Léon résulte en grande
partie de ces phénomènes glaciaires.
A 2 - La côte
Le tracé de la côte de toute la région résulte à la fois du travail de l’érosion continentale sur la pénéplaine, de
l’action de la mer et de l’action des coulées de head qui ont comme fossilisé ce tracé.
On a longtemps exagéré l’influence de la mer sur les granites en expliquant la succession des baies, anses,
pointes par l’attaque de celle-ci sur les roches granitiques d’inégale dureté. Monsieur Pruvost en 1897 expli-
que ainsi les modifications du rivage. Il constate que la côte actuelle est partout en retrait sur le rivage primitif
ainsi qu’en témoigne la bordure d’innombrables îles. Les vagues et les courants de marée ajoutant leurs
actions transforment le rivage. Le courant de marée d’une vitesse égale à 12 km / heure a une plus grande
force érosive deux heures avant et deux après la pleine mer. La zone qui est soumise aux frottements les
plus intenses est de 6 ou 6,50 mètres au-dessus du zéro des cartes marines. Les algues, les fucus ( algue
brune (phéophycées) de la famille des fucacées, constituant la plus grande partie de ce qu’on nomme
communément goémon et improprement varech ) sont moins nombreux à ce niveau. Le choc des vagues et
les alternances d’humidité et de dessèchement et l’érosion aérienne finissent par débiter la roche qui n’est
nulle part homogène. Les falaises s’éboulent et à leurs pieds s’entassent des blocs qui sont repris par la mer
qui se charge de les user et de les transformer en galets de plus en plus fin pour aboutir au sable. Le courant
dépose ce sable au fond des anses où sa vitesse diminue. Les masses granitiques cassées en tous sens se
débitent en boules séparées par des cavités que la mer ne cesse d’agrandir. Monsieur Prouvost comme
Monsieur Cayeux constate néanmoins que le taux séculaire de désagrégation des granites est faible. Il
essaye d’expliquer que ces roches sont protégées de l’usure par des himanthalia ( ??? ), des laminaires et
des petites balanes ( Animal crustacé (cirripèdes), qui vit enfermé dans une loge cylindrique calcaire et
accroché aux rochers sous-marins, aux mollusques, aux coques des navires ).
Cette théorie ne peut plus s’appliquer exactement à la région du Minihy. Sans doute la mer est toujours le
principal agent d’érosion, et le travail de désagrégation est facilité par le manque d’homogénéité des roches.
Ce la mer attaque journellement ce ne sont pas tellement les masses granitiques que ces formations quater-
naires dont nous avons parlé plus haut. Le travail de la mer se borne à exhumer le relief préglaciaire de la
région qui a été fossilisé sous ces coulées quaternaires et tandis que le relief reste empâté dans les zones
intérieures, il se trouve mis à nu le long du littoral et presque totalement découvert dans les zones de
battement des marées. Les anses s’arrondissent et se creusent dans le head plus tendre tandis que reste-
ront en saillie les contreforts rocheux entre les quels le head avait coulé. Les galets qui recouvrent le haut
des plages proviennent presque totalement des cailloux roulés dans le head. On retrouve des blocs de
granits et de gneiss enfouis dans la falaise qui sont parfois importants. L’estran n’est plus alors que le reflet
de la falaise ; plus le head sera riche en éléments grossiers, plus la plage sera recouverte de galets. La
disposition de ces galets dépend naturellement du régime général des courants. Sur la plage à marée
basse, on observe très bien ce remaniement. La falaise montre encore de gros blocs engagés dans le head.
La base est creusée de quelques grottes qui montrent le travail de sapement de la mer. A ses pieds des
blocs rocheux, souvent anguleux, s’accumulent. A mesure que l’on se dirige vers la mer, les blocs devien-
nent plus petits, plus arrondis et on aboutit aux galets, aux graviers et aux sables fins ; la mer affouille (
action de creusement des eaux, due à la butée des courants sur une rive, aux remous et tourbillons sur les
piles de pont, les jetées, etc ) les falaises, les fait reculer. Elle met en relief des îlots, les presqu’îles qui se
trouvaient ensevelis sous le head et qui servaient d’appui aux falaises. Des îlots rocheux continuent d’être
reliés entre eux par des coulées de blocaux de solifluxion. Ils seront un jour séparés complètement du
continent et deviendront des écueils aux formes fantastiques. La mer attaque sur la côte les formations
quaternaires et n’a pas encore atteint, sauf en quelques endroits exposés, le vrai rivage préglaciaire ou
monastirien. Les dépressions se creusent dans les dépressions préexistantes et non dans le granite ; nous
assistons actuellement qu’à l’exhumation d’un relief fossile pour comprendre le tracé de cette côte.
Parcourons à pied la côte du Pont de la Corde, situé à l’embouchure de la Penzé, jusqu’aux dunes de Sieck.
Le long de ce rivage vers le Pont de la Corde, Kériven jusqu’à la digue de Saint-Pol, les schistes micacés
affleurent, redressés à la verticale. Ces schistes abrités du choc de la haute mer ont leurs fentes bourrées de
parties décomposées qui se laissent détacher en plaquettes. Ils forment des murailles étroites, des crêtes
dentelées, véritable paysage alpestre en miniature. Parfois les micaschistes en raison de leur obliquité par
rapport au rivage forment des grottes longues, étroites dont les parois sont tapissées d’une faune spéciale.
Des fragments de head recouvrent parmi ces schistes.
Après avoir passé la digue qui protège la route en corniche du Champ de la Rive, nous arrivons à la plage
Sainte Anne, qui est reliée à la ville de Saint-Pol par la route du Calvaire. Sainte Anne est un tombolo (
cordon littoral constitué par une levée de galets ou de sable, reliant une île au continent ) simple qui s’appuie
sur l’île du même nom. Cette île est formée de deux rochers granitiques réunis par une plate-forme de head
qui se rétrécit jusqu’à disparaître complètement au Nord-Est de l’île où la roche plonge à pic dans la mer. Sur
le côté Sud-Est et Nord de cette île, on observe une plage soulevée jusqu’à 1,50 mètre au-dessus des plus
hautes mers et posée à même sur la plage actuelle. On retrouve des fragments de plage soulevée qui sont
toujours à la même hauteur et qui sont séparés par des fragments de head. Cette île est rattachée à la côte
par une levée de galets en arc de cercle, orientée vers le Nord-Est et qui est assez élevé pour qu’on ait pu
établir toute une rangée de cabines.
Comment peut-on expliquer l’existence de cette levée de cailloux ? Est-ce un tombolo normal édifié sous
l’action des courants marins ? Sans doute que non, les galets sont usés et polis par la mer ; mais sous ce
placage plus ou moins épais, on retrouve des blocs enrobés de head. Ainsi l’origine de ce tombolo est plus
ancienne ; elle est en rapport avec les phénomènes de solifluxion. Au monastirien, entre le bastion rocheux
et la côte une chaussée naturelle de head s’est installée. La mer a remanié depuis sur place la couche
superficielle de cette coulée. Elle a libéré les cailloux anguleux et les a arrondis, les laissant aux pieds et au-
dessus de la coulée pour former une digue naturelle. La mer n’a pas édifié cette chaussée, elle n’a fait que
la sculpter. A la pointe Sud-Ouest de l’île Sainte Anne, des flèches de galets reposent sur du sable et de
forme assez compliquée tendent à fermer le port de Pempoul qui est très envasé et complètement à sec à
mi-marée. Entre la base du tombolo et le rocher du fer à Cheval, la côte présente les mêmes particularités
qu’autour de l’île Sainte Anne. Le Fer à Cheval est fait de deux pointements rocheux unis à la côte par une
plate-forme de head.
Poursuivons notre excursion vers le Nord ; nous arrivons à une grève assez étendue en forme d’arc de
cercle. C’est la grève du Mans ou Troméal. Elle est entourée d’une ceinture de head très attaquée par
l’érosion. On essaye de la protéger en construisant des muretins que le flot a complètement défoncés par
endroits. Cette falaise a environ 3 mètres de haut, sauf aux deux extrémités de la grève où débouchent deux
petits ruisseaux qui ont entamé le head. La falaise correspond à la section d’une plate-forme de head en
pente douce qui s’étend en avant de la falaise fossile de Kersaliou.
Du Mans, nous arrivons à la plage de Créac’h André. La côte est ici formée de head de 8 à 10 mètres. Cà et
là, on retrouve des fragments de plage soulevée formée de galets cimentés par du sable, à une hauteur de
1 à 1,50 mètre environ. La puissance de ces plages est en moyenne est en moyenne de 0,50 mètre, la
falaise est en de nombreux endroits, surtout au fond de l’anse, recouverte d’un épais manteau végétal qui
montre que la mer l’atteint rarement. Aux environs de Créac’h André des filons d’aplite ( ??? ) et de pegmatite
( roche magmatique dont les cristaux granitoïdes de grande taille peuvent contenir des éléments rares
(lithium, uranium) dans les granites roses de Saint-Pol sont parallèles à la côte ; ce qui donne en avant de la
falaise de head des éboulis de grosses boules. Des boules qui se dégagent dans la falaise soit de la roche
en place qui apparaît en bas soit dans le head. Dans la falaise, on observe des lignes de grains de quartz (
forme cristalline commune de la silice (SiO2), appelée à l’état pur cristal de roche ; élément constitutif fré-
quent des roches cristallines (granites, rhyolithes, etc.), de certaines roches sédimentaires (grès) et de la
plupart des sables ) plus ou moins gros. Lorsque le head repose sur la plage ces lignes sont parallèles.
Lorsqu’il repose sur la roche non nivelée, elles convergent vers le sommet de la roche.
On voit nettement que le head venant de l’intérieur s’est moulé sur la roche préexistante. On retrouve la
même disposition, lorsqu’un gros bloc rocheux est enclavé dans la falaise de head. Dans cette partie de la
côte, on observe souvent des couches noirâtres. Ces couches se trouvent généralement à la base, reposent
sur la roche en place. A Créac’h André, elles enserrent des fragments de plage soulevée. Cette terre noirâtre
aurait-elle une origine marine ? Parfois elle se trouve à une certaine hauteur entre les couches plus épaisses
de head jaunâtre. Monsieur Dreyfus pense que cette terre doit sa coloration à des restes de végétation. La
superposition type de ces couches peut se résumer ainsi : de bas en haut, plage soulevée = couche peu
épaisse de terre noirâtre – head jaunâtre.
La Pointe Béron au Nord de Créac’h André contient un gisement préhistorique de la fin de l’âge de Bronze,
décrit par Monsieur Fischer et consistant surtout en coquillages. Aux pointes, le head disparaît complète-
ment rongé par la mer ; il réapparaît au fond de l’anse de Penprat. L’extrémité de dette anse recèle une
plage soulevée d’un mètre d’épaisseur parfois. On y trouve également quelques gisements coquillers entre
la terre végétale et le head qui résulte de la forte consommation de coquillages de peuples préhistoriques.
Ces gisements sont désignés sous le non de “ kjoekkenmoedings ”. La mer pendant l’hiver de 1931 a telle-
ment attaqué la falaise qu’il a fallu construire une défense afin de rétablir un chemin complètement détruit.
Entre le piton de Roc’h Heviec et Roscoff on retrouve par place des couches de head. Les falaises n’attei-
gnent pas ici la même importance qu’à Troméal et Créac’h André. C’est que la mer est plus violente et a
déblayé vigoureusement les roches en emportant presque que partout le head. Ici les gros blocs rocheux
s’entassent : granulite de l’île Grande, granite rose de Saint-Pol. C’est un véritable chaos difficile à escala-
der. La côte se fait plus sauvage, puis nous atteignons la Chapelle Sainte Barbe, juché sur un petit tertre (
petite éminence isolée à sommet aplati ) à l’Est de Roscoff t d’où se découvre un panorama splendide. Cette
butte formée de granite est recouverte de head, les blocs de granite s’entassent autour d’elle. La mer a
retrouvé ici le vrai visage monastirien.
Descendons de Sainte Barbe et poursuivons notre excursion vers l’Ouest ; nous arrivons au port qui n’offre
aucun intérêt pour l’instant, puisque les formations naturelles ont été complètement remaniées par les hom-
mes. Pour retrouver la côte, il nous faut rejoindre Roc’h Kroum, plage de Roscoff située près du Vieux
Roscoff ou Rosko Goz. C’est une plage de sable fin, sable que nous allons retrouver jusqu’au fond de l’anse
de l’Aber, jusqu’à la digue. Ces sables assez importants pour former de courtes dunes ont été menaçants
pour Roscoff et même Saint-Pol. Les vents d’Ouest qui sont prédominants les ont poussés vers l’intérieur.
En 1741, les habitants de Roscoff se plaignaient de voir leurs rues envahies. En 1794, l’avance était à ce
point menaçante que l’on décida de planter des sapins grâce à quoi le mouvement fut enrayé.
La falaise fossile se dessine maintenant ; nous la retrouverons jusqu’au Sud de Santec. En avant s’étend
l’ancienne plate-forme littorale fortement abrasée et qui se continue sous le marais jusqu’à l’île de Batz. Le
sol où se sont bâties, au début du 16ème siècle, l’église actuelle de Roscoff et les maisons de Rosko Goz n’est
qu’une ancienne plage. A part quelques roches qui dépassent le niveau des terres, la côte est plate et pour
rencontrer une crête, il faut aller à près d’un kilomètre vers l’intérieur. Longeons la côte par le chemin vicinal
ordinaire qui a été souvent mis en péril par la mer ; nous arrivons au fond d’une échancrure profonde ; l’anse
de l’Aber, qui autrefois s’étendait jusqu’au village du Poulduff. Cette ancienne baie du Poulduff, asséchée
par la construction d’une digue de 600 mètres de long en 1832, est transformée en polder d’une centaine
d’hectares. Au fond de l’anse de l’Aber, une sorte de tourbe se dégage sous les sables.
Passant par le château de la digue, nous arrivons à la presqu’île de Perharidy où s’élève le sanatorium.
Cette presqu’île est une chaussée de sable reliant toute une série de roches de granite, de petits îlots épars
qui se dégagent surtout à la pointe vers la Roche au Loup, en face du petit fort Jacopin. A cette pointe, la mer
est hérissée de rochers apocalyptiques. Pouvons-nous expliquer la formation de cette langue sableuse de la
même façon que le tombolo de Sainte-Anne à Saint-Pol ? Il est à présumer que oui, car nous avons relevé
quelques placages de head sur certains rochers arasés. Nous aurions ici une coulée de head sur la plate-
forme littorale qui aurait relié l’îlot Jacopin au continent. La mer étant plus violente ici qu’à sainte Anne à
attaquée plus sérieusement la coulée, ce qui a libéré de gros blocs de roches qu’elle a ensuite sculptée avec
fantaisie. En outre, les vents d’Ouest qui ont amoncelé des sables le long de la côte Est de l’Aber ont pu
recouvrir cette coulée de head, déjà attaquée, de sables qui ont noyé les roches à l’intérieur de la presqu’île.
Ce sable est fixé par des plantations récentes de sapins, de tamaris. Ainsi pourrait peut-être s’expliquer la
formation de Perharidy, plutôt que par des courants marins.
Nous avons suivi au Registre de délibérations de Roscoff du 13 avril 1919, les inquiétudes du Conseil
Municipal, à la suite du raz de marée d’équinoxe du 22 septembre 1918 qui occasionna des dégâts impor-
tants et dégrada la dune sur les bords Nord et Est de la presqu’île. Le côté Nord surtout, exposé au vent et
à la mer du large, menaçait de s’ébouler. On demanda d’exécuter le plus tôt possible des travaux de défense
et de protection de la dune car l’existence d’une presqu’île était en péril. Un mur de maçonnerie a été
construit depuis. Le 10 avril 1927, le Conseil Municipal interdisait l’enlèvement du sable des dunes de Perharidy,
car il y aurait à craindre la disparition des dunes et l’immersion des terres du voisinage. Cette presqu’île est
donc fortement menacée par la mer. Sur la côte Ouest, Monsieur Dreyfus a découvert un gisement préhisto-
rique de coquillage analogue à celui de la Pointe de Béron.
Nous gagnons ensuite le hameau du Poulduff. L’anse du Poulduff possède un estran ( portion du littoral
entre les plus hautes et les plus basses mers ) très développé parsemé de rochers plus ou moins couverts
d’algues. Elle est entourée de dunes, dont l’épaisseur du sable est faible. En certains endroits, apparaît au
bas des dunes, le head surmonté d’une corniche de sable. L’épaisseur du sable est presque nulle parfois,
notamment au village de La Palud. Le head apparaît sous le sable surtout vers l’Ouest. Monsieur Dreyfus
croit se trouver en présence de “ plages sableuses soulevées ” reposant sur l’argile rouge. Nous devons
avoir plutôt le même processus qu’à Perharidy ; installation de sables au-dessus d’une région couverte de
head. La pointe du Guerzit battue par les vents s’est dégagée de sa gangue de head et de sable et ne
présente qu’un amoncellement de gros blocs de granite, de granulite avec des filons importants de mica. Les
extrémités de ces roches émergent seulement à marée basse. Sur les deux flancs de la Pointe du Guerzit,
on a retrouvé des niveaux de coquillages préhistoriques et quelques poterie datant de l’âge de Bronze ou du
début de l’âge du Fer.
Contournons la pointe du Guerzit ; nous atteignons l’anse de Santec et son joli village perdu au milieu des
dunes. Cette anse s’appuie sur les pointes rocheuses du Guerzit et d’Ar Biou ; elle est entourée de dunes de
sable reposant souvent, surtout vers le centre, sur une épaisseur de head. La grève à marée basse est
formée de pierres amoncelées, elle est couverte de graviers, de sable. A mi-marée, des plaques de terres
compactes d’un brun jaunâtre, striées de veines noires sont mises à nu. Parfois on extrait des racines
enchevêtrées, partiellement décomposées, des fragments de troncs d’arbres couchés et noircis. Nous som-
mes sans doute en présence d’une tourbière dont l’épaisseur serait épaisse de 20 centimètres. Cette tour-
bière s’explique par une avancée de la mer au moment d’un mouvement positif. Elle s’étend sous les sables
en face de l’hôte “ Gulf Stream ” ; on la retrouve en creusant un peu le sable jusqu’au pied de la falaise de
head ou jusqu’au pied des dunes. La pointe d’Ar Biou dégagée du sable et du head ressemble à celle du
Guerzit. Elle possède également un gisement préhistorique étendu, mais pauvre.
En contournant l’Ar Biou, nous arrivons aux dunes de Santec : le Dossen, qui s’étale face à l’île de Sieck.
C’est une magnifique plage de sable blanc, longue de trois kilomètres et sur laquelle ont lieu chaque année,
les courses hippiques de Santec. C’est une côte rectiligne jusqu’à l’embouchure de l’Odern, de direction
Nord-Sud, perpendiculaire à la direction des vents dominants. La falaise fossile s’écarte de la côte actuelle ;
elle est taillée en pente douce vers la mer ; il n’y a pas d’abrupt ; on passe insensiblement de la falaise fossile
à la plate-forme littorale.
Les sables se sont emparés de cette région, provoquant des ravages au 17ème et 18éme siècle, jusqu’à
Saint-Pol de Léon. Ils ont provoqué à cette époque l’abandon d’une centaine d’hectares cultivés. En 1699,
un vent de Nord-Ouest souleva le sable de la grève et engloutit en peu de jours près de 500 journaux de
terres cultivées ainsi que les métairies et leurs habitants et le manoir de Brigné. Il ne resta aux habitants
d’autres ressources que la mendicité. La force du vent était telle que les sables menaçaient aussi de couvrir
la ville de Saint-Pol. Les Etats de Bretagne essayèrent de remédier rapidement à cette situation : on cons-
truisit sur le rivage que la mer ne recouvrait que lors des fortes marées une digue de genêts repliés en demi-
cercles et cet expédient réussit. A mesure que le sable venait à couvrir cette digue, on en formait une autre
au-dessus de la précédente et l’opération était renouvelée avec succès tous les ans. Il fallut sévir contre les
habitants pour les empêcher de contrarier ces efforts. Un Arrêt du Parlement de Batz du 12 juin 1758
défendait aux riverains de laisser vaquer leurs bestiaux dans les terres ensablées, et d’arracher les herbes
qui y croissaient sous peine d’amende de 500 livres, de vingt-quatre de prison et en cas de récidive du
carcan (Collier de fer fixé à un poteau pour y attacher par le cou un criminel condamné à l’exposition publique
). Les riverains devaient entretenir les talus de terre qui bordaient les sables et les ensemencer de landes.
Ces sables devaient encore plus tard provoquer une grande misère dans le Minihy, comme en témoigne une
lettre du curé de Santec à l’Evêque du Léon datée du 1er décembre 1774.
Une lutte énergique entreprise sous Louis XVI, puis sous la Restauration, aboutit à la fixation de ces dunes
au moyen de barrières de fascines ( fagot serré de branchages, employé dans les travaux de terrassement,
de fortification, d’hydraulique ) et de piquetage d’ajoncs. Plus récemment le gouvernement à fait des planta-
tions de pins vers le Sud, sur 143 hectares environ. La végétation naturelle contribue surtout à cette fixation ;
le “ Carex Arénaria ”, l’ “ Eryngium Campestre ”, le “ Juncus Maritimus ”, les ajoncs et les bruyères.
Ces sables forment une falaise continue de 4 mètres de hauteur, en arrière de laquelle se creuse une
dépression. Les sables chassés par les vents d’Ouest ont formé une première barkhane ( dune en forme de
croissant ) Nord-Sud, perpendiculaire au vent. La mer attaque si violemment cette falaise qu’on en a protégé
la base par une série de piquets épais, plantés dans le sable d la plage. Vers le Sud, vers l’embouchure de
l’Odern on peut reconnaître la formation de petites barkhanes de même direction, mais de faible longueur et
hauteur en raison de la grosseur des grains de sables dont le diamètre moyen est de 0,5 mm. Vers Sieck, les
barkhanes n’existent plus ou n’ont jamais existées. En arrière de cette dépression, les dunes sont décou-
pées en parcelles rectangulaires ou carrées séparées les unes des autres par de petits muretins de pierre
sèches. Ce sont sans doute d’anciens champs que les cultivateurs ont du abandonner à cause de l’avancée
des sables. Dans certaines parcelles, on distingue encore la trace de sillons. Ces dunes pénètrent assez
profondément dans l’intérieur des terres, à 800 mètres environ, formant une bande inculte et dénudée tout
autour de la commune de Santec. Actuellement elles servent à sécher le goémon. Le sable qui les constitue
est extrêmement riche en calcaire, jusqu’à 70%. Ce calcaire provient de débris facilement visible de coquilla-
ges et d’algues encroûtées.
A l’embouchure de l’Odern, limite de cette région étudiée, quelques alluvions fluviales, des vases argileuses
se superposent aux sables.
Face au Dossen, se dresse la petite île de Sieck, toujours accessible à pied sec à marée basse. Son sous-
sol est constitué uniquement par la granulite de l’île Grande, avec quelques filons d’aplite et de pegmatite
exploités justement dans l’île. La granulite a mieux résisté à l’érosion que le granite. Sieck est entourée au
Nord de gros blocs de granulite sur lesquels la mer vient se briser en écumant et qui forme un saisissant
contraste avec le petit port calme et quasi-provençal, situé sur l’autre versant. A l’Est, la côte est formée
d’une falaise de head au pied de laquelle s’entassent les cailloux roulés. A l’Ouest, près du port, on distingue
nettement des fragments de head. Au monastérien, cette île a du être reliée au continent par des coulées de
solifluxion. Ce head s’est bien conservé dans les endroits abrités Est et Sud-Ouest, tandis qu’il a presque
disparu des endroits exposés “ vers le large ” en libérant de gros blocs granitiques.
Dans cette étude de la côte du Minihy, nous avons fait souvent appel au phénomène de solifluxion pour
expliquer les déchirures actuelles du rivage, nous avons constaté que la mer ne fait généralement qu’exhu-
mer le relief préexistant. La topographie sous-marine ne peut aussi se comprendre qu’en faisant intervenir
des faits géologiques anciens.
A 3 - La zone sous-marine
Les isobathes qui contournent la presqu’île sont très sinueuses et irrégulières. Elles sont en rapport avec la
nature du fond ; elles sont plus ou moins concentriques et circonscrivent les plateaux rocheux. L’isobathe de
10 mètres rattache à la terre ferme tous les rochers émergeant de la région occidentale, l’île de Batz avec
tous les écueils qui en dépendent, les rochers de Menk, les Bisayers. Les lignes entre –40 et – 50 mètres
sont très rapprochées ; nous avons à cette profondeur un talus en pente rapide au-delà duquel les lignes
sont plus régulières et plus espacées. Nous avons vu, d’après Monsieur Collin, que cette ligne de – 50
mètres marquait l’ancien rivage antépléistocéne ( antérieur au début de l’ère quaternaire, période correspon-
dant au paléolithique ). La plate-forme littorale qui s’étend jusqu’à la profondeur d’environ 50 mètres est
assez vaste ; la ligne des – 50 mètres passe bien au-delà de l’île de Batz. A 18 kms de cette île la profondeur
n’est que de 100 mètres.
Entre Roscoff et Batz, un chenal étroit de 400 mètres de large et de 1,50 à 2 mètres de profondeur subsiste
et continue à séparer Batz et le continent. Ce chenal qui se rétrécit à l’île Verte pour d’élargir ensuite vers
l’Est et vers l’Ouest, peut être quelquefois franchi à pied aux cours des très grandes marées. Il est une trace
d’une ancienne vallée qui avait creusé son cours dans la pénéplaine avant l’époque pléistocène. Les rivières
de cette région avaient alors pour niveau de vase la courbe de – 50 mètres. La Penzé dont on suit nettement
le cours sous-marin jusqu’aux Foirons, devait recevoir comme affluent de gauche, à la hauteur de Pighet,
cette rivière de Batz et sans doute comme affluent de droite la rivière de Morlaix. A la suite d’un mouvement
positif ces rivières ont été noyées dans leur partie inférieure et Batz est devenue une île. On suit nettement
sur la carte le tracé de ces vallées sous-marines. Cette hypothèse d’une rivière de Batz se jetant dans la
Penzé se trouve en partie confirmée par le réseau hydrographique de la région. La direction est fréquem-
ment Ouest-Est ; cours supérieur et inférieur de l’Odern, cours moyen de la rivière de Plougoulm. Ce tracé
est sans doute du aux influences tectoniques.
Si le niveau de la mer s’abaissait de 35 mètres environ, la dépression que nous avons signalée plus haut à
l’Ouest de Saint-Pol donnerait une situation semblable à celle qui s’est produit au pliocène supérieur ; le
Nord-Est du Minihy serait une île, que séparerait du continent, un chenal orienté Nord-Ouest vers le Sud-Est.
D’après l’étude de cartes de différentes époques, on voit que ce chenal tend à se rétrécir par l’apport des
sables. Si les conditions ne changeaient pas, l’île pourrait un jour être rattachée au continent. L’île de Tisaozon
est rattachée à Batz, à marée basse, par une plage en dos d’âne.
La mer est peu profonde autour de la presqu’île de Roscoff. Ceci a un certain intérêt pour la pêche et aussi
pour le climat ; car la mer plus facile à échauffer sous une faible épaisseur est en outre séparée du large par
de grandes îles qui la transforme ainsi en une sorte de mer fermée.
Les courants marins qui atteignent 12 kilomètres / heures lors des fortes marées d’équinoxe mettent en
mouvement la masse des eaux et empêche la vase de se former au Nord de la presqu’île. Les sondages
effectués à différentes profondeurs ne ramènent que du sable, des graviers et des débris de coquillages,
parfois des blocs de granites assez volumineux comme dans le Trou aux Raies ( 18 km au Nord-Est de l’île
de Batz ). Ce sable renferme du quartz et du mica, un peu de feldspath ( silicate double d’aluminium et d’un
métal alcalin ou alcalinoterreux, à faible coloration ), de l’amphibole ( groupe de silicates à deux clivages
faciles et parfaits ), souvent des fragments de silex, et une grande proportion de coquillages. En certains
endroits, les coquilles accumulées forment presque la totalité du fond. Ces amas bien délimités se trouvent
de préférence contre les plateaux rocheux, surtout contre le Rocher d’Astan, contre les Roches Duon, et les
Bisayers.
Certains fonds sont couverts de maerl. C’est un sable grossier formé de deux espèces de lithothamnium (
algue marine incrustée de calcaire ) qui se développent sans support, sous des formes de petites masses
rameuses, fragiles, ne dépassant guère 2 centimètres de diamètre. Ce maerl qui depuis le début du siècle
est employé comme amendement ne se rencontre qu’à l’Est de la presqu’île. Il forme deux bandes étroites
allongées du Nord au Sud ; l’une longeant le rivage du côté de Saint-Pol, depuis Penpoul jusqu’au Rocher
d’Astan ; l’autre, un peu moins étendu mais plus dense, s’étendant du Château du Taureau jusqu’aux Bisayers ;
c’est à dire le long du chenal de la rivière de Penzé et de la rivière de Morlaix, parce que ces algues ne
peuvent vivre que dans les endroits où se présentent des apports d’eau douce. Ce maerl ne croit générale-
ment qu’en eau peu profonde, jamais au-dessous de 25 mètres et il ne remonte jamais jusqu’à la zone qui
assèche à marée basse. Il est souvent mélangé de débris de coquillages, de fragments de roches. Il est très
riche en calcaire, c’est ce qui fait sa valeur comme amendement.
Dans la Penzé, il y a quelques vases fines résultant de la décomposition de schistes, descendant le lit de la
rivière jusqu’à la mer où toute apparence vaseuse disparaît à la hauteur de Roc’h Heviec et de la Pointe de
Callot. Sur les parties sablonneuses et vaseuses se développent des herbiers de Zostères ( plante
(potamogétonacées) qui forme des prairies sous-marines ) assez touffus : les Zostéra Marina. Entre les
feuilles et les rhizomes ( tige souterraine des plantes vivaces qui porte des racines adventives et des tiges
feuillées aériennes ) du zostère se fixent des particules de sable. On trouve ces herbiers surtout dans la
rivière de Penzé de chaque côté du cordon de maerl et aussi dans le chenal de l’île de Batz.
Sous cette vase, on trouve une sorte de tangue analogue aux tangues ( sable vaseux, calcaire, très fin,
grisâtre, du littoral de la Manche, qu’on utilise comme engrais ) des marais de Dol. C’est un mélange d’allu-
vions argileuses, de coquilles brisées, de sable. La plate-forme littorale du Minihy est recouverte vers le Nord
et vers l’Ouest de galets roulés, parfois de gros blocs, de graviers et de sable. Vers l’Est de maerl et d’un
sable légèrement vaseux ( 15% de vase ) sur lequel poussent les zostères.
B – Le climat
Le Minihy par sa situation géographique providentielle à l’extrémité d’une pointe entourée par la mer subit au
maximum l’influence marine. Ce qui caractérise son climat, c’est la modération.
Nous savons que la mer est un élément régulateur. Pendant l’hiver elle refroidit beaucoup moins que la terre
et joue, par rapport à celle-ci, le rôle d’un réservoir de chaleur. Les expériences de Monsieur le Docteur
Renard au Havre en 1888 ont prouvé que lorsque la température variait en hiver de +7°C à –7°C ; celle de la
mer était presque constamment aux environ de +8°C. Pendant la saison chaude, au contraire, elle s’échauffe
moins vite que le continent qu’elle vient alors rafraîchir. En août 1888, alors que la terre enregistrait des
extrêmes de 30à 35 °C, la mer se tenait à 15°C. Le Minihy, entouré d’eau de trois côtés, a le privilège d’avoir
une mer peu profonde, plus facile à chauffer et une mer abritée des grandes vagues du large par la présence
des nombreuses îles qui la bordent au Nord.
C’est dans cette région de Bretagne que les températures les moins basses l’hiver sont enregistrées. L’hiver
est très doux. Rarement le thermomètre descend au-dessous de 0°C. le minimum absolu moyen est un peu
plus élevé à Roscoff qu’à Nice, -1,1°C, en février. L’action de l’océan amène un retard des moyennes men-
suelles extrêmes : dans nos régions, février est généralement le mois le plus froid de l’année. Les tempéra-
tures moyennes de 1851 à 1900, réduites au niveau de la mer, donnent pour les mois les plus froids, les
températures suivantes : 7,6°C en décembre, 7,2°C en janvier, 7,1°C en février, 7,8°C en mars. Ces chiffres
sont comparables et même légèrement supérieurs avec ceux obtenus pour Perpignan, Marseille et Nice
pendant cette même période. Les extrêmes absolus enregistrés sont faibles : le 2 décembre 1889 - -2°C, et
exceptionnellement par une année de très grands froids qui sévissent en France pendant l’hiver 1890-1891
où la température s’était abaissée souvent jusqu’à –15 ou – 20°C, Roscoff enregistrait –7°C, le 18 janvier
1891. C’était une douceur relative. Les neiges sont presque inconnues à Roscoff et ne tiennent au sol qu’en
s’éloignant de la côte ; la neige bien souvent arrive à demi - fondue et elle disparaît rapidement. Il gèle très
rarement, 12 jours en moyenne par an à Roscoff, pour 12 à 13 jours à Nice. C’est cet hiver exceptionnel qui
permet, pendant cette saison, la culture en pleine terre des légumes, la floraison des camélias et la crois-
sance de plantes subtropicales dont s’ornent les petits jardins de RoscofF.
On a souvent mentionné comme une curiosité un figuier géant dans le couvent des capucins à Roscoff et qui
fut dit-on planté lors de la fondation de ce couvent en 1621. Il couvre avec ses branches soutenues par de
nombreux piliers une superficie de plus de 600 m².
L’été est également très doux. Les fortes chaleurs sont ici inconnues, elles seraient d’ailleurs tempérées par
la brise qui souffle constamment. La température maxima à l’ombre atteint rarement 24°C ; exceptionnelle-
ment, le 16 août 1892, elle fut de 29°C, mais ce même jour on enregistrait en France des températures de 37
à 38°C. Suite à l’influence de la mer qui introduit un retard dans la moyenne mensuelle, le mois le plus chaud
est ici en août et non pas en juillet. A Roscoff, les températures moyennes de 1851 à1900, réduites au
niveau de la mer sont pour les mois chauds : juillet – 16,4°C, août – 16,7°C, septembre – 15,1°C. La compa-
raison avec les températures de Dunkerque ou de Lille montre que la température est plus faible en été que
dans ces villes bien plus au Nord.
Dans ce climat qui ne connaît pas d’extrême, on passe insensiblement de la moiteur de l’hiver à la tiédeur de
l’été. les amplitudes annuelles sont faibles. A Roscoff, l’amplitude entre les températures vraies extrême est
de 9,5°C, tandis qu’à Nice elle est de 14°C. Les variations d’amplitude de température inférieures à 10°C
caractérisent les climats tempérés maritimes. Les amplitudes journalières sont également modérées, 1 à
2°C, parfois et exceptionnellement 3°C par des nuits claires. La température moyenne annuelle est de11,4°C,
pour 10,3°C à Paris et 11,5°C à Nantes. Le Minihy du Léon connaît des températures stables, des oscilla-
tions lentes, des extrêmes modérés.
Pour expliquer la douceur de ce climat, il n’est pas besoin de recourir à la “ légende du Gulf Stream ”, comme
on le fait souvent. Monsieur Le Danois pense que le Gulf Stream en tant que courant chaud ne va du Golf du
Mexique qu’aux parages des Bermudes, où arrivé à bout de souffle, il s’infléchit vers le Sud. Ce qui se
produit à la fin de l’hiver, c’est une transgression d’eau chaude de la zone tropicale. Ces couches superficiel-
les d’eau plus chaudes et plus salées s’étendent progressivement vers le Nord. En août, elles atteignent
Penmarc’h. En septembre et octobre, elles s’avancent comme une poche dans la Manche, mais elles ne
dépassent généralement pas la longitude d’Ouessant. Ce n’est que dans les étés exceptionnellement chauds
que cette poche s’étend jusqu’à la longitude de Batz et de Roscoff. Dès le mois de novembre ces eaux
refluent vers le Sud. Ces transgressions semblent détruite nos anciennes conceptions des courants marins.
Dans ce cas l’attiédissement des côtes bretonnes ne pourrait être attribué au Gulf Stream. Il viendrait que
l’absence sur toutes les côtes d’Europe d’une dérive glaciaire capable de bloquer la marche des transgres-
sions estivales ( dérive qui se produit sur la côte orientale de l’Amérique du Nord ). Les avis sont encore
partagés sur cette question. Nous nous expliquons, en partie, la douceur habituelle du climat par le régime
des vents dominants d’Ouest qui apportent sur la côte la température “ du large ” qui à nos latitudes descend
rarement au-dessous de 8°C.
Comme toute la région bretonne, le Minihy connaît les vents d’Ouest : vents tièdes apportant la pluie fine,
vents furieux soufflant en tempête. Il est relativement protégé des vents du Nord-Ouest par l’île de Batz,
tandis que les vents d’Ouest balayent le Dossen. En hiver, soufflent surtout les vents d’Ouest et de Sud-
Ouest ( suroît ) qui ayant passés sur l’océan, sont plus chaud et humides. Avec eux la température la
température s’adoucit et une pluie fine et pénétrante commence. Parfois les vents du Nord-Ouest ( noroît )
souffle en tempête. Les arbres sur la côte Ouest du Minihy sont presque dépourvus de branches ou de
feuilles sur la partie exposée à ces vents. Ces vents sont préjudiciables aux plantes fragiles ; à Roscoff, par
exemple, les arbres fruitiers peuvent pousser à l’abri des murs. Pour protéger les cultures, on sème de
l’ajonc ou l’on plante des tamaris sur les talus. Plus rarement, soufflent les vents du Sud-Est, de l’Est et du
Nord-Est. Ils viennent du continent glacé et apportent avec eux un froid sec mais ensoleillé. On a alors, une
belle journée d’hiver. A Roscoff, pour 1.000 heures de vent, le vent souffle du Sud-Ouest pendant 464
heures et du Nord-Ouest pendant 186 heures. Les trois directions principales des vents sont : Nord, Nord-
Ouest, Sud-Ouest et Sud-Est. En été la brise marine ou vent de l’Ouest, souffle constamment mais généra-
lement sans violence. Le vent se calme assez souvent dans l’après-midi. Les directions dominantes des
vents sont au printemps – Nord-Est, Sud-Ouest, Nord-Ouest puis en été Sud-Ouest, Ouest et Nord-Ouest.
L’absence dans cette région du Minihy de brusques changements de température réside aussi, en partie
dans l’humidité de l’air qui vient atténuer les contrastes. L’air n’est pourtant jamais saturé d’eau. Pendant la
belle saison, on voit souvent à l’aube se former un brouillard qui empêche le refroidissement qui suit le lever
du soleil. On s’étonne de la tiédeur de ce brouillard qui se lève vers les 8 ou 9 heures. Les gens de la côte
disent que c’est un signe de beau temps. Pendant l’été, 3 ou 4 fois par mois, il se forme un brouillard qui se
dissipe dans la matinée contre 1 ou 2 par mois qui persiste toute la journée. Les vents d’Ouest apportent une
ample provision de pluie. Roscoff est cependant moins pluvieux que Brest ; en moyenne 760 mm contre 803
mm à Brest. Aucun mois n’est sec, mais les pluies tombent surtout au début de l’automne et en hiver,
d’octobre à mars. C’est toujours l’automne qui est le plus pluvieux et l’on peut écrire ainsi la formule de
répartition des pluies : Automne, Hiver, Printemps, Eté.
Observons les chiffres de pluviosité. Nous remarquons que pour Roscoff, les pluies sont relativement cons-
tantes de janvier à septembre, puis qu’elles montent brusquement en octobre pour redescendre doucement
vers janvier. Brest offre un régime plus capricieux avec néanmoins la montée brusque en octobre. Ce qui
importe pour analyser ce climat, ce n’est pas tellement le chiffre brut des pluies tombées que de la façon dont
elles se produisent. Le chiffre des eaux recueillies pendant les mois d’été peut-être plus élevé parfois que
dans certains mois d’hiver. Comme en août 1917 où il tombait à Batz 89 mm de pluie contre 86 mm en
octobre ( 2ème mois pluvieux ), et 68 mm en janvier (3ème mois pluvieux ). Parfois en hiver, après une pluie fine
et pénétrante qui a duré toute la journée, le pluviomètre ne marque presque rien, tandis qu’en été une
grosse averse d’orage qui dure une demi-heure ou une heure, le fait monter de plusieurs millimètres. En été
les pluies sont plus abondantes dans un temps donné, mais leur durée est plus courte. Pendant la belle
saison il n’y a guère à Roscoff que trois jours par mois complètement pluvieux contre 20 à 25 belles journées.
Il y a en moyenne par an 162 jours de pluie.
Le ciel est moins souvent couvert que dans d’autres régions de Bretagne. A Roscoff, l’air marin est le plus
pur qui soit ; il est dépourvu de bactéries et contient encore moins de gaz carbonique que l’air des monta-
gnes et des forêts. Il est imprégné d’iode que diffusent les goémons. La luminosité est la conséquence de la
pureté de l’atmosphère. Les qualités thérapeutiques d’un tel climat devaient nécessairement y provoquer
l’éclosion d’établissements médicaux.
Nous y trouvons, l’Institut Marin du Docteur Bagot, l’Etablissement d’hydrothérapie marine et la Villa Saint
Luc – Clinique Bagot, voisins tous deux de la principale plage de Roc’h Kroum ; la clinique Kerlenna du
Docteur Lefranc qui traite les maladies osseuses, l’Aérium de Ker Isa. Le Sanatorium marin de Perharidy,
situé à 4 kilomètres de la ville, dans la presqu’île du même nom et son annexe, le Château de la Digue sont
assez importants. Construit en 1901, grâce à la Marquise de Kergariou, le sanatorium était reconnu d’utilité
publique en 1902. Depuis cet établissement n’a fait que s’agrandir : en 1904, on quadruplait les 10 lits du
début et on créait une cure d’air à la grève. En 1932, on édifiait une école de 5 classes et on créait 2 jardins
d’enfants. Actuellement ( 1941 ) le sanatorium et ses annexes comptent 600 lits
III - A 1
Le régime des terres
Le Minihy du Léon a été de bonne heure le domaine de la petite et moyenne propriété. Sous la Révolution
les propriétés ecclésiastiques qui étaient assez importantes furent transformées en biens nationaux et ache-
tées par des bourgeois de Morlaix. Ceux-ci les revendirent par lots ou par exploitations si bien qu’au 19ème
siècle et actuellement le régime de la petite propriété domine, sauf aux environ de Saint-Pol où la grande
propriété subsista plus longtemps et où elle est encore représentée par des domaines importants, en parti-
culier par ceux de Monsieur de Guébriant, d’une contenance de 444,38 hectares.
Le morcellement n’a fait que s’accentuer depuis 1847. Le nombre de grandes exploitations est allé en
diminuant depuis cette date. Prenons comme exemple la commune de Roscoff où le fait est plus remarqua-
ble. En 1847, il y avait 25 propriétés supérieures à 10 hectares. Le maximum étant de 54 hectares 15 ares 41
centiares. En 1913, il n’y avait plus que 10 propriétés supérieures à 10 hectares, le maximum étant de 24
hectares 94 ares 60 centiares. En 1938, il n’y avait plus que 2 propriétés supérieures à 10 hectares. Il
faudrait y ajouter la section de Santec où il n’y a qu’une seule propriété supérieure à 10 hectares dont 6 ou
7 hectares seulement sont labourables. Il ne reste plus que 3 propriétés supérieures à 10 hectares. Cette
diminution des grands domaines s’explique par les partages successifs dans une région d’assez forte nata-
lité. Les propriétés se trouvent parfois fragmentées à l’excès.
Il y a lieu de distinguer Roscoff - Santec où l’émiettement est presque absolu, à Saint-Pol les propriétés sont
plus étendues. Les exploitations sont de plus en plus petites à mesure que l’on s’approche de la pointe de
Roscoff. A Plouénan l’étendue moyenne des fermes est de 15 hectares, à Taulé de 12 hectares, à Plouescat
entre 5 et 12 hectares, elle n’est plus que de 3 à 10 hectares à Saint-Pol. A Roscoff et Santec se morcelle
encore davantage, l’étendue moyenne des fermes est de 1 à 2 hectares. Dans ces deux communes, en
1938, près de 90% des fermes sont inférieures à 1 hectare.
Avant 1913, on était déjà arrivé à un émiettement parcellaire exagéré dans la région de Roscoff - Santec, par
suite des partages et héritages suivant le décès du propriétaire. Les exploitations inférieures à 1 hectare
sont toujours les plus nombreuses et tendent à se multiplier. En 1847, dans cette région, il y avait 66% des
propriétés qui étaient inférieures à 1 hectare ; en 1913 la proportion était de 71% ; et actuellement ( 1941)
elle atteint 89% à 90%. On voit toujours des propriétaires de 0,75 are 0,95 are de terre labourable. Pour ces
gens la terre n’est plus qu’une ressource d’appoint. C’est souvent un journalier qui place ainsi ses écono-
mies ; c’est aussi le Johnny qui revenant d’Angleterre après avoir réalisé une “ bonne saison ” peut enfin
réaliser son rêve, devenir propriétaire en achetant “ un petit morceau de terrain ”. La fragmentation des
parcelles est si exagérée que l’on peut citer le cas d’un cultivateur ayant 67,84 ares répartis en 37 parcelles.
Cet émiettement tend à se poursuivre à Roscoff - Santec par suite de partages.
Il y a quelques timides essais de regroupement chez les paysans enrichis qui désirent agrandir leurs lots.
Les divisions se font toujours aux héritages ; à Santec on aboutit à des parcelles minuscules. Parfois un des
héritiers conserve l’exploitation et indemnise les cohéritiers. L’indivision étant fréquente autrefois avant la
guerre de 1914. Par exemple un fils qui se mariait ne pouvant se procurer une ferme dans les environs où
elles étaient fort chères et toujours occupées, demeurait dans la ferme paternelle où il était intéressé aux
bénéfices, généralement dans la proportion d’un tiers. La coutume locale faisait que souvent le fils qui se
mariait allait à la ferme de ses beaux-parents. L’indivision se pratique moins souvent. Parfois les partages se
font du vivant des parents qui continuent à exploiter la terre ou qui reçoivent une rente.
A Saint-Pol, les propriétés sont moins petites. En 1937, 35% des fermes ont de 1 à 5 hectares, 55% de 5 à
10 hectares ; et 10% sont supérieures à 10 hectares. Les grands propriétaires n’exploitent pas directement
leurs terres. Ils les divisent en un certain nombre de fermes, toutes ces fermes ont une superficie de 8 à 10
hectares. En 1940, sur 264 exploitants ( fermiers, métayers, propriétaires ) ayant déclarés des ensemence-
ments de blé, un seul a une exploitation inférieure à un hectare, 167 ont une exploitation de 1 à 5 hectares,
85 de 5 à 10 hectares et 11 supérieures à 10 hectares.
Les grands domaines ne sont pas inconnus. Le plus étendu est celui de 444,38 hectares appartenant au
maire de Saint-Pol et qui représente 19% de la superficie totale de la commune. Cette famille possède
encore d’autres terres à Plouescat, Plounevez-Lochrist, etc… L’émiettement des propriétés se fait aussi
sentir dans cette commune. Comme les fermes sont plus étendues et que parfois les fils de cultivateurs sont
attirés par la ville ou la marine, le morcellement n’est pas exagéré. Il risque de le devenir au bout de quelques
générations, si l’état actuel reste inchangé. Les grandes propriétés n’échappent pas toujours au morcelle-
ment. Les droits de succession étant tellement élevés sur les grosses fortunes, il arrive depuis quelques
années que les héritiers soient obligés de vendre une partie plus ou moins importante des fermes.
Un remembrement des propriétés serait-il à désirer et serait-il réalisable ? Le morcellement exagéré comme
à Santec et Roscoff aboutit à la ferme très petite. Le propriétaire ou l’exploitant doit pouvoir faire vivre sa
famille sur ce coin de terre. La fertilité extraordinaire des terres les aide grandement à réaliser ce tour de
force. Le cultivateur doit alors travailler comme “ une bête de somme ” pour obtenir dans un même champ
deux ou trois récoltes par an ; il doit émigrer temporairement pour apporter un supplément de ressource à la
famille. Les conséquences qui pourraient résulter de cet état de chose serait une diminution de la natalité. Le
Minihy n’échappe pas complètement à ce fait qui a affecté toute la France depuis quelques années. Le
remembrement ne semble pourtant pas facile à réaliser. Il faudrait le faire en force. La terre dans cette région
est si fertile qu’elle atteint des prix exorbitants. Nul ne voudrait en ce cas abandonner sa part de terre au fils
aîné contre des billets de banque qu’ils considèrent, peut-être avec raison, comme étant d’aucune valeur.
On a vu dernièrement à Santec, à la suite d’une succession partager un unique champs entre trois héritiers.
L’autre fait remarquable depuis le début du 20ème siècle avec l’émiettement parcellaire est l’accession du
fermier à la propriété. Le nombre des propriétaires n’a fait qu’augmenter depuis 1847. A à Roscoff en 1847,
il y avait 443 propriétaires, en 1913 - 1.074 et en 1938 - 1.148, sans compter la section de Santec. Presque
tous sont originaires de la région, on cherche à évincer de plus en plus l’étranger ( Étranger = ne pas être né
dans la commune ). Prenons comme exemple Roscoff où en 1847, il y avait 222 propriétaires étrangers dont
214 ayant des domaines inférieurs à 10 hectares et 8 de 10 à 50 hectares. Tous étrangers étaient d’ailleurs
bretons à quelques exceptions près. En 1938, il y avait 110 propriétaires étrangers ayant des domaines
inférieurs à 10 hectares, et ces étrangers sont souvent de souches roscovites. En 1919-1920, beaucoup de
cultivateurs ayant réalisés de superbes bénéfices pendant la guerre voulurent devenir propriétaires des
terrains dont ils avaient la ferme. Le prix des terres était exorbitant, si bien que le fermier qui désirait les
acheter se voyait souvent dans l’obligation de s’endetter.
Parfois c’était la nécessité qui l’avait contraint à acheter et à s’endetter. Les propriétaires mettant leur ferme
en vente, le fermier de crainte d’être évincé à l’issue du bail par le nouveau propriétaire achetait à haut prix,
en espérant que les gains réalisés pendant la guerre se poursuivraient. Dans la période qui va de 1920 à
1930 les hypothèques ont été très nombreuses dans le canton de Saint-Pol. A Roscoff et à Santec, plus des
2/3 des exploitations appartiennent aux paysans, tandis que dans la commune de Saint-Pol, le rapport est
de 50%. A Saint-Pol très souvent l’exploitant est locataire d’une ferme et en même temps propriétaire d’une
autre qu’il loue. Ce cas est particulier à Saint-Pol, car le plus grand propriétaire Monsieur de Guébriant, loue
à un taux peu élevé. Ses fermiers peuvent devenir propriétaires en achetant une ferme avec leurs écono-
mies. Ils trouvent que leur intérêt est de louer leur propriété et de continuer à être locataire, leur ferme leur
assure tous les avantages du propriétaire sans en avoir les inconvénients.
Les modes de tenures les plus fréquents sont le fermage et le faire-valoir direct. Il n’y a jamais eu de mé-
tayage, ni de domaine congéable. La terre est ici une rente pour le propriétaire. Les baux avant-guerre
étaient conclus pour 9 ans et même parfois au-dessus par multiple de trois. Ce bail assez long était un
avantage pour le fermier qui pouvait en toute sécurité entreprendre des améliorations dont il était sur de
profiter ; mais étant donné l’instabilité des cours, depuis le début du 20ème siècle, le propriétaire n’avait aucun
intérêt à ce bail à longue échéance. Le prix fixé lors de la signature vers 1900/1910, par exemple était
dérisoire une quinzaine d’année plus tard. Le propriétaire “ donnait ” alors sa terre qui rapportait des bénéfi-
ces appréciables au fermier. Le phénomène inverse devait se produire vers 1933/1935 en pleine période de
crise, lorsque les fermiers avaient du mal à s’acquitter de baux conclus en pleine prospérité. Faudrait-il alors
envisager le bail à brève échéance qui permettrait un ajustement des prix ? Non, car le paysan n’étant pas
assuré de demeurer dans la même ferme ne cherchera pas à l’exploiter minutieusement, ni à faire des
améliorations qui pourraient profiter à son successeur et non à lui-même. Les terrains ne donneront pas
alors leur plein rendement. Les paysans sont hostiles à ce bail de courte durée, comme le montrent quelques
réclamations tirées du Registre des délibérations du Conseil Municipal de Roscoff.
Actuellement les propriétaires essaient d’imposer un bail assez court de 3 ou 6 ans qui leur permet de suivre
un peu les fluctuations du cours de la vie. Monsieur de Guébriand est un des rares propriétaires de la région
à donner un bail en nature à ses quarante fermiers. Le propriétaire et le fermier associent ainsi leur sort dans
le bénéfice comme dans la perte. Ce bail en nature permet le retour au bail de longue durée en laissant le
prix de la ferme suivre les circonstances économiques. Ce genre de bail n’est pas appliqué dans la zone
Roscoff - Santec, qui est celle de la spéculation et où le paysan concevrait mal ce mode paiement en nature.
Avant la guerre de 1914, il existait un régime spécial au pays qui s’appelait “ la société de ménage ”. Ce
système a disparu depuis ; il était assez répandu chez les fermiers pauvres. C’est une association de fa-
milles qui exploitent en commun des terrains leur appartenant ou affermés par eux. Deux familles pauvres
pouvaient ainsi s’unir pour louer des terres dont le prix était assez élevé. Les bénéfices étaient répartis
comme les pertes au prorata de chaque associé. La durée de cette association était illimitée car elle survivait
au décès de l’un de ses membres qui pouvait être remplacé par un de ses fils ou un autre représentant. Pour
la bonne marche de cette société l’entente parfaite devait exister entre ses membres. Les dissentiments
étaient assez fréquents ; ce qui amena la disparition de cette forme d’exploitation.
Le faire-valoir direct est le régime le plus souvent appliqué dans cette région du Léon. A Roscoff, le cas le
plus fréquent est celui du petit cultivateur qui est en même temps propriétaire et locataire, son propre terrain
étant trop petit pour nourrir sa famille. Le sens de la hiérarchie sociale ne s’impose pas ne s’impose pas dans
ces pays de petites et moyennes propriétés entre le propriétaire et le fermier. Vers le milieu du 19ème siècle à
Saint-Pol, il y avait encore quelques propriétaires qui dominaient indirectement la région. Vers 1860, le
propriétaire y imposait à ses fermiers des coutumes somptuaires. Par exemple, il surveillait de près la toilette
des filles de ses fermiers et exigeait qu’elle ne fût pas trop luxueuse. Mais ces habitudes ont complètement
disparu. La noblesse était pourtant assez nombreuse aux environs de Morlaix ; mais à part quelques excep-
tions, elle était peu riche. Il y a trop de petits et de moyens propriétaires pour qu’une solide hiérarchie
foncière puisse se constituer. Les nobles à Saint-Pol dominent leurs ouvriers et leurs fermiers mais n’ont
aucune action sur les propriétaires et la majorité des ouvriers.
La culture des primeurs et leur vente à un prix avantageux a amené une augmentation de la valeur des
terres. Vers 1815, elles avaient atteint déjà un prix excessif à cause des grandes facilités de vente des
produits. Le Léon ravitaillait la Flotte à Brest pendant la guerre de 1814/1815. Après la guerre, le prix était
tombé annuellement comme le signale les Archives Roscovites à la date du 18 mai 1822. Par suite de
l’achèvement de l’ancienne route royale Lorient - Roscoff ( actuellement Route Nationale n° 189 ) et de la
création du chemin de fer Morlaix - Brest et Roscoff - Morlaix, le commerce s’est développé à nouveau et les
terres ont repris de la valeur. Vers 1900, l’hectare de terre légumière valait de 6.000 à 8.000 francs ; il
atteignait même 15.000 en 1914. Picard dans “ L’ouvrier agricole ” cite un terrain de Santec vendu 26.250
francs à l’hectare. A Saint-Pol, une petite ferme de 2 hectares onze ares atteignait le chiffre de 28.000
francs.
Depuis la grande guerre, le prix n’a fait qu’augmenter jusqu’à 1923 où il a subit un court moment d’arrêt pour
reprendre sa marche ascendante. Le maximum fut atteint vers 1930 dans la région de Roscoff. En 1922-
1923, l’hectare à Saint-Pol variait de 7.000 à 30.000 francs et dans une vente parcellaire, il atteignait 40.000
francs. Dans les pays voisins les terres ne montaient pas au-delà de 10.000 francs l’hectare. Vers cette
même époque à Santec, 2 hectares furent adjugés 120.000 francs, tandis qu’à Plouénan, une ferme de 14
hectares de bonnes terres étaient vendues 120.000 francs. En 1931 à Roscoff, l’hectare était couramment
180.000 francs dans une vente parcellaire. Les terrains à légumes très petits s’achetaient fort cher, surtout
lorsqu’ils étaient mis en adjudication. Les Johnnies revenant d’Angleterre les achetaient alors à très haut
prix. A Roscoff, en juillet 1941, l’hectare montait à 467.000 francs dans une adjudication. La terre à Saint-Pol
et dans certaines parties de Santec est vendue moins cher qu’à Roscoff. En août 1941 à Saint-Pol, on
mettait en vente à 800.000 francs un terrain d’un hectare et demi environ.
Ce prix s’explique par la richesse du terrain et les forts rendements de la culture. La rareté des ventes fait
également monter les prix et d’autre part, le grand comme le petit cultivateur du pays achète au prix fort pour
évincer le nouveau venu. Nous assistons à un phénomène analogue dans une autre région de primeurs du
Finistère, Plougastel-Daoulas où le terrain ne se cède qu’à prix d’or et demeure toujours entre les gens du
pays. Il est bien difficile à l’étranger de devenir acquéreur de fermes dans ces régions. L’augmentation
exagérée des terrains est due aux circonstances actuelles. Les paysans préfèrent acheter à n’importe quel
prix que de garder des billets susceptibles de perdre leur valeur.
L’augmentation du prix des terres a produit l’augmentation du taux de location. Cette augmentation n’a pas
suivi une courbe parallèle aux prix de vente. Des baux assez longs aux tarifs anciens étaient souvent établis
et les propriétaires n’osèrent pas augmenter la location de ces fermes exploitées quelquefois depuis très
longtemps par les mêmes fermiers.
Ce n’est que depuis 1923, que de nouveaux baux étant conclu, que l’on note une sensible augmentation du
loyer. Au début du 19ème siècle quand les terres de l’intérieur étaient louées de 5 à 30 francs l’hectare, celles
du Léon atteignaient 80 francs. En 1868, l’hectare de terres maraîchères était loué 180 à 300 francs à
Roscoff. En 1922-19223, l’hectare à Roscoff et Santec était loué de 1.000 à 1.500 francs l’hectare et à Saint-
Pol 800 francs lorsque c’était une terre maraîchère, 200 à 400 francs lorsque c’était une terre ordinaire.
Actuellement les prix sont très variables, à Roscoff – 2.000 / 2.500 francs environ. Malgré ce prix assez
élevé, la vente assez rémunératrice des légumes permet encore aux fermiers de retirer d’assez beaux béné-
fices.
Les champs sont assez petits, surtout à Roscoff et Santec, puisque les propriétés ne sont pas d’un seul
tenant. Ils sont carrés ou rectangulaires ou même parfois de forme assez bizarre. Cela résulte de l’habitude
des partages qui découpent les terrains d’une façon plus ou moins arbitraire. Tous les champs sont entourés
d’un étroit talus de terre appelé “ fossé ” dans toute la région. Les grands talus plantés d’ajoncs ont souvent
été abaissés et sur ces talus ou turons qui servent de limite plus que de défense on plante des tamaris, des
fusains, on sème de l’ajonc servant de nourriture au bétail. La terre est ici trop précieuse pour qu’on en
sacrifie inutilement une parcelle. Ces talus jouent également un rôle de protection contre les vents. Vers
Santec et l’Ile de Sieck, ce sont des petits murs de pierres sèches qui délimitent les champs.
La petite et la moyenne propriété s’étant constituée bien souvent par apports successifs, les terrains sont
disséminés autour de la ferme. Deux cas se présentent. Le plus rarement cette dissémination est toute
relative ; les terrains se groupent au tour de la ferme. C’est le cas de la ferme située à Kergadiou en Roscoff.
Toutes les parcelles au nombre de 21, sont groupées autour des bâtiments. A Saint-Pol, on rencontre ce cas
un peu plus souvent sur les fermes louées par le grands propriétaires qui ont découpé leurs domaines en
plusieurs fermes, chacune formant un bloc assez homogène. Le plus souvent, les parcelles sont dissémi-
nées dans un rayon plus ou moins étendu. Un champ que l’on a recueilli par héritage se trouve isolé des
autres et très éloigné de la ferme, parfois tout à l’autre extrémité de la commune. Les fermes se sont géné-
ralement constituées et agrandies au fur et à mesure par les achats réalisés avec les économies du cultiva-
teur. Il ne se trouvait pas toujours un champs situé près de la ferme. Et attendre cette occasion, c’était risquer
de ne jamais la voir paraître. Presque partout dans le Minihy, les fermes ont leurs terrains situés parfois à 2
ou 3 kilomètres. C’est le cas de la ferme du Run, dont certaines parcelles se trouvent à Pen A Lan, d’autres
disséminées le long de la voie ferrée, d’autre au Moguérou et sur la limite de Santec.
Le cultivateur ne cherche pas à grouper ses parcelles car la commune n’est pas très étendue qu’il ne puisse
se rendre rapidement à bicyclette à son champ ; d’autre part, il ne tient pas du tout à échanger sa terre contre
une autre car il serait persuadé d’avoir cédé un terrain excellent et bien fumé contre un autre qui n’a pas la
même valeur et qui n’a pas reçu les mêmes soins. Il a tendance à croire que sa terre est meilleure que celle
du voisin. Voilà pourquoi les échanges sont très rares.
Pour éviter des pertes de temps, il serait peut-être souhaitable que les parcelles soient groupées. Mais cet
état de dispersion se maintiendra encore, sans doute, bien longtemps.
III - A 2
A certains moments de l’année, ces jardiniers nés, que sont les paysans du Léon, ne peuvent accomplir
seuls tous les travaux de la ferme. Ils ont alors recours aux ouvriers agricoles qu’ils embauchent générale-
ment à la journée. Ce n’est qu’exceptionnellement que certains sont embauchés toute l’année car la culture
maraîchère demande un travail variable. Pour le travail de la terre, l’hiver est une période de morte-saison,
de ralentissement ; tandis qu’au printemps et en été c’est la “ campagne ” des légumes. L’acquisition et
même la location des terrains légumiers n’est pas à la portée de toutes les bourses ; aussi trouve-t-on sur
place une main-d’œuvre nettement suffisante ; il est inutile ici de faire appel aux ouvriers agricoles d’autres
régions.
Les travailleurs du sol sont divisés en deux catégories : d’une part les propriétaires et les fermiers et d’autre
part les ouvriers agricoles. Ces derniers n’ont pas espoir de devenir un jour propriétaires, du moins dans la
Minihy. Il existe par suite un véritable prolétariat rural qui d’ailleurs ne regarde pas le “ patron ” avec hostilité
bien que la distance sociale qui les sépare soit assez grande. Le cultivateur sait traiter sans mépris ses
ouvriers agricoles ; il les considère comme des amis de la maison. L’ouvrier jouit d’une situation morale
relativement élevée, quoique sa condition économique soit en général déplorable. Il n’existe pas d’office de
placement dans le Minihy ; un curieux marché dit “ le marché d’hommes de Saint-Pol ” en tient lieu, ce
marché qui date d’une époque fort reculée, a été réglementé par l’arrêté municipal du 8 avril 1907 (modifié
par l’arrêté du 2 juin 1920).
Chaque matin, un peu autant le lever du soleil, l’ouvrier agricole ne rend à la place du parvis de Saint-Pol.
Ces ouvriers s’appellent “ les placenners ”. Ils viennent à pied ou à bicyclette d’un village parfois assez
éloigné : 6 ou 7 km : Plouénan, Plougoulm, Sibiril, Mespaul, Henvic, etc… Ils sont là de 140 à 400 hommes
suivant la saison. Ceux qui habitent trop loin ne retournent pas chez eux tous les soirs. Ils louent une pièce
ou restent dormir dans une grange. C’est un spectacle curieux de voir ces hommes à la figure hâlée, portant
un pantalon de teinte douteuse, de grands sabots de bois garnis de paille. Ils attendent les loueurs qui
arrivent à l’aube. Le loueur s’entend avec un placenner, chef de file qui est connu et qui a pour mission de
choisir les ouvriers nécessaires à la journée. De ce fait, il reçoit un supplément de paye. Lorsque le travail ne
presse pas, les loueurs font baisser les prix à un taux parfois dérisoire, et plusieurs de ces hommes qui ont
fait quelquefois jusqu’à 7 et 8 kilomètres le matin pour venir à Saint-Pol, s’en retournent chez eux sans avoir
trouvé à s’employer.
Leur vie est vie est assez dure. Ils commencent leur travail de bonne heure pour ne le finir souvent 8 heures
du soir. Picard cite le cas d’un ouvrier qui travaillait de 2 heures ½ heures du matin à 8 heures du soir et
rentrait chez lui à Plouénan, à 8 kilomètres environ ; il a fait cela pendant 9 ans. Voici quel est l’emploi d’une
journée de juillet d’après Picard. L’ouvrier est sur la place entre 2 et 3 heures du matin, il est au champ entre
2 heures ½ et 3 heures ½, il travaille jusqu’à 6 heures ½. Là on lui apporte son petit déjeuner qui consiste
bien souvent une soupe ou une bouillie de blé, noir ou d’avoine. Puis il reprend le travail jusqu’au moment du
“ gortozen ” (petite collation du matin) de 10 heures. A midi on lui apporte son déjeuner au champ, à moins
que la ferme ne soit pas trop éloignée, ce qui est le cas le plus fréquent. Ce déjeuner consiste souvent en
bouillie ou pommes de terre avec du lait. Il fait une sieste de ¾ d’heure environ et reprend son travail jusqu’à
4 heures, où on lui apporte sa collation. C’est à dire du café noir ou du thé avec au pain. Puis il reprend son
travail jusqu’à la nuit, 8 heures ou 8 heures ½. Il prend alors un autre repas appelé le souper. Actuellement
l’ouvrier travaille de 7 heures du matin à 8 heures ½ du soir suivant la durée de repos qu’il s’octroie à midi.
Ce qui empêche une séparation trop profonde entre ces hommes et leurs patrons, c’est que ces derniers
peinent autant que leurs ouvriers, qu’ils sont au champ avec eux, qu’ils partagent avec eux leurs repas, car
tout le monde mange les mêmes mets à la même table. En particulier le premier domestique que l’on appelle
le “ mevel-bras ”, est presque l’égal du maître. Rien ne distingue ces hommes, ni l’habit, ni le langage, ni la
nourriture, ni le genre de vie. Ces travailleurs se savent condamner à travailler toute leur vie dans cette
situation car leur pauvreté leur interdit tout espoir d’accéder un jour à la propriété. Ces placenners se savent
très malheureux, mais ils considèrent sans hostilité ces fermiers, ils s’en prennent plutôt aux rentiers et aux
bourgeois des villes. Ils ne se sentent nullement solidaires, ils se considèrent sans colère mais en concur-
rent, au point que lorsqu’ils logent sous un même toit Ils ne se rendent même pas le service de se réveiller
mutuellement. Le placenner ne se repose que les jours de pluie. Son gain était autrefois très minime. Le curé
Trémeur dans une lettre de 1774 note que “ les journées de ces travailleurs sont si modiquement payées
qu’ils se trouvent dans l’obligation de mendier ou de faire mendier leurs enfants ”. Pourtant les habitants de
cette trêve sont très laborieux et “ il n’y a peut-être pas dans la province, de plus endurcis sur le travail ”. En
1797, ils gagnaient de 1 à 1 franc 50 par jour ; les gages annuels d’un domestique étaient de 75 à 120 francs,
ceux d’une domestique de 36 à 75 francs. La situation n’était pas meilleure avant la guerre de 1914. Picard
étudie le salaire moyen d’un ouvrier qui a travaillé 274 jours dans l’année et Il arrive au salaire moyen de 1
franc 18 par jour.
Comme les jours de chômage étaient nombreux en hiver, c’était la misère la plus affreuse qui s’installait
souvent dans cette classe des travailleurs. Le développement du commerce des légumes et l’enrichissent
des cultivateurs ont eu pour conséquence l’amélioration du sort des ouvriers, sans que cette amélioration
soit proportionnelle à l’enrichissement du pays.
En 1932, le placenner gagnait 20 à 30 francs par jour avec la nourriture. En 1940-1941, les gages ont
augmentés énormément. Le journalier pendant la saison des pommes de terre et des artichauts en mai -
juillet 1941 gagnait de 140 à 150 francs plus sa nourriture aux cinq repas. Cela ne dure qu’une saison.
L’hiver les salaires tombent très bas, lorsque les offres de service sont supérieures aux besoins.
Le Minihy connaît aussi les ouvrières agricoles. Ce sont des femmes mères de famille ou épouses de
placenners qui vont sur la place du Parvis chercher du travail ou qui trouvent directement à se louer près de
chez elles. Ce sont les “ placennerez ”. Actuellement on en compte encore une douzaine, dans chaque
commune. Elles sont employées aux sarclages, à la plantation des oignons, et des choux, à la récolte des
légumes. Elles portent sur les bras une petite houe et un tablier destiné à les protéger de l’humidité du sol
puisque leur travail se fait souvent à genoux. Picard écrit à cette époque, au moment de la plantation des
oignons de décembre à avril, elles ne venaient pas sur la place, ce travail exigeant des aptitudes spéciales.
Le loueur s’adressait alors à une placennerez qui se chargeait de recruter à domicile les placennerez. C’était
“ l’ar-vam ”. Ces ouvrières touchent un salaire bien inférieur à celui du journalier.
La situation de cette classe ouvrière est assez précaire, malgré les hauts salaires actuels, parce que le
travail n’est pas régulier, et que l’ouvrier ne sait pas toujours économiser en période d’abondance pour les
jours mauvais. La misère est persistante à la campagne et à la ville, mais le bureau de bienfaisance, la
Société de Saint Vincent de Paul, les mairies et les établissements de divers ordres leurs viennent en aide.
Saint-Pol a toujours été le suprême espoir des malheureux des pays environnants qui autrefois se disaient
entre eux : “ Deomp da Castel-Paol ” - ( allons à Saint-Pol ). Le marché attirait aussi les indigents. A Saint-Pol
en 1904, plus de 2.000 individus sur une population de 7.846 habitants, dont 3.325 agglomérés deman-
daient l’assistance médicale. Les 4/5ème n’étaient pas originaires de la commune. Car la mairie de Saint-Pol
étant assez généreuse, les familles nombreuses et pauvres des pays voisins : Plouénan, Mespaul et Sibiril
venaient sur son territoire pour bénéficier, elles aussi des secours et allocations. Le mouvement s’est un peu
ralenti depuis l’extension des assurances sociales. Il y a néanmoins en 1940, plus de 1.300 assistés sur une
population de 8.347 habitants, à peu près 15% de la population. A Roscoff on compte aussi 300 assistés sur
une population totale de 3.676 ; la proportion est bien moins forte de 8% environ.
A Roscoff et Carantec ces assistés ne se recrutent pas uniquement dans les milieux ouvriers agricoles, il y a
aussi une forte proportion de marins pêcheurs, car dans ces communes les journaliers sont moins nom-
breux, les exploitations étant plus exiguës. Les ouvriers qui en automne et en hiver ne sont pas retenus aux
champs se transforment souvent pour cette partie de l’année en emballeurs dans les maisons d’expédition
de légumes ; certains s’en vont en Angleterre pour vendre des oignons. D’autres émigrent temporairement
vers Pithiviers pour la ,campagne sucrière. Leur situation précaire offre un saisissant; contraste avec celle
des propriétaires et des fermiers
III - B 1
Et pourtant Cambry chargé en 1790 par la Constituante de faire un voyage d’étude dans le Finistère, remar-
quait que les champs “ n’offrent à l’œil que des légumes, du grain, des rochers et des landes. Les légumes
sont si beaux et si nombreux qu’ils nourrissent le Finistère ... L’artichaut vient toute l’année en pleine terre ”.
Un peu plus loin, il précisait “ La terre est riche et féconde surtout à Roscoff. On y cultive des légumes, des
choux-fleurs, des asperges et des artichauts ”. Nous pouvons donner créance aux dires de Cambry et af-
firmé que le Léon s’était, déjà à cette époque, orienté vers la production légumière. Avant la révolution, on
introduisait la pomme de terre, qui s’appelait alors “ patate ”. Dans le Registre de Correspondance de Ros-
coff, on trouve en particulier, des lettres du 14 août 1790 et du 5 Thermidor an 3, où les habitants se
plaignent de vol de “ patates ” dans les champs et un arrêté du 6 Thermidor An 3 où l’on décide d’organiser
des patrouilles de nuit pour empêcher ces déprédations.
On réquisitionnait de quantités de pommes de terre qui étaient envoyées à Brest et à Morlaix pour les
soldats. Le 10 Thermidor An 3, Roscoff a fourni 2.000 -futailles de “ patates ”, pour la flotte et la garnison de
Brest. En 1794, les paysans, durant la saison chargeaient chaque jour 10 à 12 charrettes de légumes qu’ils
allaient vendre à Morlaix, Brest, Landivisiau, Landerneau, voire même Quimperlé et Lorient. Désormais le
blé et le lin étaient délaissés au profit des légumes. Une lettre du 3 Floréal An 3, aux citoyens administrateurs
du district de Morlaix, déclarait à propos des réquisitions de grains, que “ Roscoff ne peut fournir ce qui lui est
demandé par Pol de Léon ”. Roscoff est un pays maraîcher qui ne cultive pas de blé et n’a pas assez de
grains pour sa subsistance. De même dans une autre lettre du 18 Prairial An 4, “ Roscoff ne peut fournir en
grains, fourrages, bêtes de boucherie ce que l’administration lui demande ”. Le territoire de Roscoff avait
donc commencé la première la culture des légumes ; Saint-Pol, sous la Révolution produisait encore princi-
palement du blé sauf sur le territoire de Santec où les sables gagnaient sur les terres labourées. A Santec on
récoltait de large et du seigle.
La culture des légumes se répandit petit à petit sous l’influence des Pères Capucins qui les premiers firent la
grande culture de légumes. Les Roscovites leur avait donné en 1662, une belle propriété qu’ils aménagèrent
en terrasses. Choux-fleurs, artichauts, oignons, pommes de terre et asperges se cultivaient en grande quan-
tité. Vers 1845, on fait mention de choux à piquer qui faisaient l’objet d’un commerce très important pour
Roscoff et Saint-Pol. Ils étaient transportés sur le marché de Morlaix, Guingamp et Lannion ; pendant les
trois mois que dure la saison, plus de 3.000 voitures défilaient sur la route de Morlaix. La culture légumière
était donc prospère et s’étendait maintenant à Saint-Pol.
Ce développement était entravé par les difficultés de créer des débouchés et par la médiocrité des voies de
transport. Les habitants du Léon s’en plaignaient fort. Il fallait envoyer les légumes à Morlaix d’où ils partaient
par la route ou en bateau ; ce qui introduisait de nombreux déchargements, et une perte de temps qui
pouvaient être préjudiciables la fraîcheur des légumes. Vers 1860, Saint-Pol demandait la création d’un
embranchement de chemin de fer Morlaix - Roscoff. Après de nombreuses discussions cet embranchement
était réalisé en 1883. L’amélioration des moyens de transport permit une culture intensive. La route fit,
concurrence au rail, les marchés extérieurs s’ouvrirent. On négligea le blé même à Saint-Pol. Le centre
maraîcher du Léon était créé et jouissait d’une réputation assez solide.
Pour satisfaire la clientèle, on produit surtout des choux-fleurs, des pommes de terre, des artichauts et
abandonne complètement les asperges. Les touristes qui visitent Roscoff l’été, peuvent assister à la beso-
gne de repiquage des choux-fleurs, aux derniers arrachages de pommes de terre et sur la port à l’embarque-
ment des oignons pour l’Angleterre leur donne une pittoresque note locale ; ils peuvent contempler les
champs, entiers d’artichauts en pleine floraison à cette époque. S’ils visitent la région l’hiver, ils voient avec
étonnement ces charrettes de choux-fleurs qui arrivent par toutes les routes sur le marché de Saint-Pol.
C’est un va-et-vient qui donne l’impression d’un pays débordant de vie. Jusque, vers 1939, le Minihy et en
particulier Roscoff se sont orientés vers la production des “ primeurs ”. Le cultivateur tentait sa chance se-
mait plus tôt pour avoir une récolte hâtive qui se vendait assez cher sur les marchés de France et de l’étran-
ger. Le jeu de l’offre et de la demande faisait monter rapidement le prix du peu de légumes qui arrivait sur la
place ; la spéculation jouait donc un grand rôle : à quinze jours près les bénéfices ou les pertes étaient
énormes. Pour profiter de l’avantage offert aux primeurs le paysan arrachait ses pommes de terre avant
maturité pour qu’elles puissent devancer celles des autres régions. Il abandonnait les espèces tardives.
Par son travail incessant, il obtenait dans un même champ deux récoltes par an ; quelquefois trois par les
années favorables. Mais depuis 1940, par suite de la taxation des prix le paysan a tendance à négliger le
“ primeur ” pour le “ légume ”. Il tente moins le temps, il plante plus tard et laisse mûrir ses produits car cette
mesure lui assure une certaine sécurité. Il est certain de vendre ses produits tel prix à telle date. Cela
augmente, par suite le rapport de la terre, car il laisse ses produits se développer davantage. Les paysans
des environs de Roscoff - Saint-Pol voulurent de bonne heure profiter de ce nouveau mode de culture très
rémunérateur. C’est ainsi que la zone légumière pure, limitée à Roscoff au 19ème siècle, s’est progressive-
ment étendue en longueur sur le littoral et en profondeur vers l’intérieur, à mesure que les chemins conver-
geant vers la mer s’amélioraient et à mesure que les chemins de fer et les transports routiers ce dévelop-
paient.
On distingue deux zones : la zone légumière pure et la zone mixte où à la culture des légumes s’adjoint celle
du blé et des racines pivotantes. Cette seconde zone se livre également un peu plus à l’élevage. La zone
légumière pure s’est moins étendue que la mixte. En 1905, elle englobait déjà les communes de Roscoff,
Santec et les 2/3 de St. Pol. En 1940, elle s’étendait un peu plus au Sud, en comprenant en outre les
communes de Sibiril, Plougoulm, entièrement celle de Saint-Pol, Cléder, Plouescat, Carantec, Henvic, Taulé.
Ce qui fait un développement de côte de 40 à 50 km sur une largeur maxima de 5 à 6 km . Saint-Pol et
Roscoff sont restées les deux centres principaux ; un phénomène assez curieux fait que Roscoff jouit pres-
que seule à l’étranger de cette réputation ; à tel point que les exportateurs qui voulaient en particulier traiter
avec les Anglais devaient installer des bureaux et des succursales à Roscoff.
La zone mixte enserre cette première zone. En 1905, la limite passait par Plougoulm et le Sud de la com-
mune de Saint-Pol. En 1912, elle avait reculé jusqu’à Plouescat, Plouénan. En 1940, elle avait pénétré
encore plus en avant vers l’intérieur, outre la zone pure, les communes de Tréflaouénan, Mespaul, Plouénan,
Plouzévédé, Plounevez-Lochrist, Tréflez, Goulven Plounéour-Trez, Brignogan. La limite passe approximati-
vement par Brignogan, Plouider, le Nord de Lanhouarneau, à deux kilomètres au sud de Sainte Catherine
pour rejoindre presque directement Morlaix ou Saint Martin des Champs où ont fait encore des cultures de
choux-fleurs et d’artichauts. C’est une bande de terrain qui s’étend donc de Brignogan à la Rivière de Morlaix
sur une longueur approximative de 50 km et sur une largeur maximum de 15 à 18 km. La région du Minihy du
Léon qui nous occupe seule, a une superficie totale de 3.664 hectares dont 2.183 sont sous légumes. La
superficie cultivée étant de 3.054 hectares. La surface sous légumes occupe donc 56,70% de la surface
totale du Minihy ou 71,4% de la surface cultivée. La zone maraîchère pure à l’inverse de la zone mixte ne
semble plus devoir s’étendre. La question de la culture des primeurs est en effet liée assez intimement à
celle des engrais marins.
Le sol assez fertile par lui-même voit sa valeur augmenter par une fumure assez abondant. Les amende-
ments et les engrais les plus employés et les moins chers, ce sont les amendements et les engrais marins :
goémons, varechs, maerl, cendre de goémons, coquillages brisées, sables calcaires.
A une époque assez éloignée, les cultivateurs du pays se servaient déjà du goémon pour améliorer leurs
terres ; car on retrouve déjà dans les archives de Saint-Pol pour le 21 avril 1577, l’interdiction de couper et
d’emporter des goémons. On distingue 3 sortes de goémons. ;
celui de rive ou noir, celui de coupe, celui d’épaves.
· Le goémon noir ou de rive est celui qui tient au sol et que l’on peut atteindre à pied aux basses mers.
· Le goémon rouge ou corret ou goémon de coupe poussant en mer est celui qui est situé dans une
zone plus éloignée de la côte, il a toujours les pieds dans l’eau. On va le chercher en barque et on le
monte à bord à l’aide d’une grande gaule.
· Le goémon d’épave est celui qui, détaché par la mer des endroits où il vivait, est rejeté sur la côte par
le flot. Il est formé de goémons rouges, noirs, de fucus, de laminaires, de zostères, etc… Car le corret
et goémon noir, arrivés à maturité, se détachent seuls et, grâce à leur flottabilité, ils sont poussés à la
côte par les courants et les vents. Les drageons qu’ils ont semés servent à la reproduction. Le
goémon d’épave est la propriété du premier occupant et, par suite, peut se ramasser toute l’année.
Le goémon de rive est la propriété de la commune. Le législateur dut donc intervenir pour fixer les
modalités de la coupe et de la récolte.
Ce fut une source de conflits dont nous retrouvons les traces dans les Archives ou dans des lettres de
particuliers. Au début, la récolte fut libre, puis réglementée de plus en plus strictement dès le 16ème siècle ou
17ème siècle. Les paroisses avaient leur autonomie pour décider avec les riverains sur les mesures à prendre
pour s’emparer et jouir sans gaspillages “ mais en bon père de famille ” de cette fenaison océanique. Les
riverains tiraient même une partie de leurs ressources de la vente de cet engrais aux paroisses avoisinantes.
Les mesures restrictives et draconiennes de l’Amirauté du Léon, avant la Révolution, soulevèrent des pro-
testations indignées et des cris de douleurs. Nous en retrouvons les échos dans une lettre du curé Trémeur
de Santec à l’Évêque de Léon en date du 1er décembre 1774. Il est dit, en effet que “ la permission d’acheter
le goémon est une nécessité absolue pour les habitants des terres adjacentes parce qu’ils trouvent en les
achetant des engrais qu’ils ne peuvent se procurer dans leurs paroisses ”. Cette vente est nécessaire aux
Santecois parce que sans cela il leur est impossible de payer le prix des terres qu’ils tiennent en ferme. On
mentionne le nouveau règlement qui fixe et limite le temps de la coupe, et interdit la vente du goémon. A la
même époque le curé Moysan de Plouescat se plaignait des mesures à Monseigneur de La Marche. La
vente fut rétablie, mais la coupe resta strictement limitée aux habitants de la paroisse, les autres paroisses
ne pouvant y venir comme le signale un mémoire rédigé par les notables de Santec le 31 mars 1790,
quelques jours après l’érection de leur commune éphémère.
La question du goémon étant vitale pour les cultivateurs, on comprend pourquoi Saint-Pol s’acharna à em-
pêcher Roscoff de séparer d’elle, de même que, Roscoff fit tout son possible pour conserver une notable
partie de la côte lorsque elle dut donner à Santec son indépendance. De ce goémon viennent de nombreu-
ses disputes pour la délimitation du territoire. En particulier le 15 mai 1825, on dut établir une ligne. De
démarcation dans la grève de Kerfissiec pour éviter que les habitants de Saint-Pol viennent troubler ceux de
Roscoff dans leur coupe de varech.
On ne s’accorda pas toujours sur le nombre de coupes à faire dans l’année. Roscoff en particulier vers 1819
fut divisé en deux quartiers. Le quartier de Roscoff ou paroisse de Toussaint n’avait que deux coupes par an,
l’une en février pour l’engrais, l’autre en septembre pour le chauffage. Roscoff manquant de bois, se servait
de goémon comme combustible et pour avoir une provision assez importante pour l’hiver, elle avait supprimé
la coupe de mai. Cette coupe de septembre pour le chauffage était autorisée depuis l’édit du roi de juin I687.
L’autre quartier ce Santec ou paroisse de Saint Pierre disposant d’une forte quantité de goémon à cause de
la longue presqu’île de Perharidy dont le littoral abonde en herbes marine, pouvait faire trois coupes par an.
Celle de février pour l’engrais ; celle de mai, vendue aux cultivateurs de l’intérieur était la plus importante et
la plus nécessaire pour cette paroisse, car le produit de cette coupe servait à payer les fermes des pauvres.
Et le percepteur attendait avec impatience pour recouvrer les impôts. Enfin celle de septembre pour le
chauffage. La durée, de ces coupes variait légèrement ; en février 2 à 4 jours pour tout le monde et les
pauvres pouvaient qui ne disposaient que de paniers pouvaient venir trois jours avant ou 1 jour avant et un
jour après s’ils avaient réussi à se procurer un cheval. En mai, la coupe à Santec durait de 6 à 10 jours avec
les mêmes dispositions pour les pauvres. En septembre dans les deux quartiers, elle durait de 2 à 3 jours.
D’autre part la coupe était interdite de nuit. On ne devait pas arracher la plante ce qui empêchait sa repro-
duction, mais la couper. On interdisait d’employer des ouvriers étrangers à la commune pour couper et
transporter le goémon. La veuve, chef de ménage, et le père de famille empêché pouvaient seuls se faire
représenter.
Les décrets de février 1868 et janvier 1890 autorisent actuellement deux coupes par an dans les trois
communes, les époques et les jours étant fixés par chaque autorité municipale ; généralement l’une se fait
en février pendant trois ou quatre jours et l’autre en mai pendant tout le mois. Depuis 1939 le lichen ou
goémon blanc est autorisé à être arraché toute l’année, bien que propriété communale, pour remédier au
manque d’engrais chimique. Cette coupe a donné lieu à des descriptions très pittoresques. Le jour de la
coupe, tous les gens de la ferme, hommes, femmes, enfants, descendent sur la plage. On procède au
partage de la grève et bientôt chacun se met à l’ouvrage ; généralement le goémon coupé est mis en tas et
il est emporter au fur et à mesure sur des charrettes spéciales. Parfois, il faut s’avancer dans l’eau jusqu’à
mi-corps, ce qui est très pénible l’hiver.
Le goémon de coupe se récolte en barque de mai à octobre. Seuls les Inscrits Maritimes ont droit d’aller en
mer couper ce corret qui est propriété de tous et non de la commune. Le goémon est pour ces gens de mer
une ressource supérieure à la petite pêche. Il est destiné aux champs ; on le vend par charrettes jusqu’à 20
à 25 km à l’intérieur ou encore par bateaux spéciaux appelés “ gobars ”. Les communes sont à défendre ce
bien aussi précieux et à empêcher les coupes illégales en mer. En août 1904, le Conseil Municipal de
Roscoff fut saisi d’une plainte des pilotes, des marins et des marins pêcheurs de Roscoff qui protestaient
contre des coupes illégales du corret faites par les goémoniers de Plouguerneau et de Callot qui se servant
de faucilles emmanchées sur de longues gaules de 5 à 6 mètres coupaient les goémons au-dessous de
l’eau à une assez grande profondeur. Ces goémons, ils les emportaient chez eux pour être brûlés et vendus
aux fabricants de soude. Le Maire appuyé par l’autorité supérieure arrêta qu’il était « défendu de récolter ces
goémons en dehors des jours fixés ». Il donna comme raison que le corret coupé avant maturité ne peut ne
reproduire. Les parties restant au fond de l’eau sont perdues et par suite les racines meurent et ne repous-
sent plus ? Voilà pourquoi on interdisait aux goémoniers de Plouguerneau qui ont dévasté. les rivages de
Plouguerneau au Conquet de venir ravager les grèves de Roscoff en arrachant les goémons qui sont la
richesse des riverains et le pain assuré pour les malheureux qui les vendent ou s’en servent comme combus-
tible. D’autre part les poissons ne trouvent plus d’herbiers favorables à la reproduction.
Mais les goémoniers de Plouguerneau revinrent un peu plus tard. Le 24 avril 1927, on retrouvait encore des
réclamations contre eux ; ils venaient par bandes de 25 à 30 bateaux se livrer à la coupe du corret. Les
communes leur donnèrent la chasse pour sauvegarder les intérêts des habitants. La commune de Roscoff
ne pouvait se fonder sur aucun droit pour interdire ces coupes, puisque le goémon au-delà de la zone
atteinte à pied lors des périodes d’équinoxe, appartient à tout le monde. L’affaire n’eut pas de suite puisque
les goémoniers ne revinrent que rarement dans ces parages, sauf ceux de Batz qui au début de la guerre
1939-1940 profitèrent de la nouvelle législation sur le goémon blanc ou lichen.
Actuellement le goémon récolté dans le Minihy est insuffisant pour ses besoins et il faut en importer de fortes
quantités des environs. Roscoff en achète aux marins de l’île de Batz parce que le goémon de l’île est
meilleur et plus développé, cause de l’unique coupe par an.
Le goémon n’est pourtant pas un engrais très riche. A l’état frais, il renferme 70 à 80% d’eau.
· Dans les fucus frais voilà la proportion des principaux éléments fertilisants :
· Azote - 0,35%
· Acide Phosphorique – 0,35%
· Potasse – 0,75%
· Chaux – 0,75%
· Dans les laminaires
· Azote - 0,30%
· Acide phosphorique – 0,25%
· Potasse – 1,20%
· Chaux – 0,75%
· Dans les goémons séchés à l’air. les proportions sont un peu plus fortes :
· Goémon d’épave
· Azote - 1,30%
· Acide phosphorique – 0,36%
· Potasse – 1,50%
· Chaux – 3,01%
· Dans les goémons de coupe. .1
· Azote - 1,10%
· Acide phosphorique – 0,20%
· Potasse – 1,50% à 2,00%
· Chaux – 1,24%
Ce qui fait la valeur de ces goémons pour les paysans du Minihy, c’est qu’ils disposent de quantités énormes,
ils peuvent en répandre beaucoup sur leur terre et obtenir ainsi des résultats excellents. Ils suppléent à la
qualité par la quantité. Ces goémons, sont répandus humides sur les champs. Assez souvent on les fait
sécher, on les brûle et ce sont les cendres qui sont étalées sur le terrain.
Les paysans emploient également les sables coquillers, plus riches en calcaire, dits “ trez ” ou “ heaz ” dans
le pays ; ils emploient des sables madréporiques plus riches en calcaire (75%) dit “ maerl ”. Les trez sont pris
à proximité des plages aux environs de Plougoulm près de Saint-Pol et de Sieck. Le maerl s’extrait surtout
de la baie de Morlaix, près de l’embouchure de la Penzé. Ce vaste dépôt est exploité par les dragueurs de
Locquénolé et de Roscoff. Ils ont recueilli en 1902,en bateau .16.049 mètres cubes et à pied 9.120 mètres
cubes. Actuellement, on en extrait de 30 à 40.000 mètres cubes par an. Ce maerl d’excellente qualité est un
des plus riches de Bretagne. Les riverains emploient aussi le sable des grèves des environs de Roscoff,
notamment de Laber. Ces sables des grèves sert plutôt comme diviseur. Le sable de la grève de Sieck ,
assez riche en calcaire est utilisé dans la région de Saint-Pol et expédié vers l’intérieur. En 1868, la Chambre
de Commerce de Morlaix note que sur les routes à certaines époque, il passe plus 1.500 charrettes transpor-
tant du sable à 20 et 30 kilomètres pour chauler les terrains de l’intérieur. Tous ces engrais peu concentrés
doivent être employés en abondance.
Le fumier de ferme est également dilué ; on le mélange parfois aux goémons et aux sables. Le fumier est en
quantité insuffisante car le Minihy n’est pas un pays d’élevage. Depuis ces dernières années on se sert de
plus en plus des engrais chimiques car en s’est rendu compte du meilleur rendement obtenu grâce à eux. Le
docteur Stéphan de Roscoff citait le cas d’un cultivateur possesseur de 2 hectares de terre et qui employait
2.000 kilos d’engrais chimiques et 30.000 kilos de goémon et fumier qui lui coûtaient la moitié de son béné-
fice d’exploitation, en général la proportion est bien moins forte. On emploie surtout la sulfate d’ammoniaque
et l’engrais complet qui est un savant dosage comprenant de l’azote et de la potasse et des phosphates.
Certains cultivateurs préfèrent l’engrais complet pour les légumes car il est judicieusement équilibré. D’autres
préfèrent le sulfate d’ammoniaque auquel ils ajoutent les superphosphates et les chlorures de potassium
mais pour réaliser ce dosage il faut une certaine pratique et connaissance chimique car l’engrais azoté
employé en trop grande quantité décalcifie le sol ce qui occasionne plusieurs maladies sur les plantes, en
particulier la hernie du chou-fleur. Ceux qui emploient l’engrais complet ne connaissent pas ces inconvé-
nients,,
La fertilité du sol dans le Minihy du Léon est grandement augmentée par l’emploi des engrais naturels et
chimiques. La proximité et l’abondance de ces engrais marins lui créent une situation exceptionnelle.
III - B 2
La production agricole
La terre du Léon s’est révélée d’une telle richesse que les landes et les bruyères ont reculé de bonne heure
pour faire place aux cultures. En 1841, il y avait 199 hectares de landes et bruyères sur le territoire de Saint-
Pol et 68 sur celui de Roscoff - Santec. En 1940, ces surfaces sont réduites respectivement à 53 et 25
hectares. Presque toutes les bonnes terres sont défrichées et Il ne reste plus que quelques “ menez ” ou
collines pierreuses sans terre végétale. Les landes demeurent alors sur ces croupes battues par les vents
d’où la terre limoneuse a glissé ne laissant que la roche sous-jacente quelque fois à nu, comme à la pointe
Saint Jean au sud de Saint-Pol. Les bois sont rares dans la région. Le 26 Floréal An 4, Saint-Pol constatait
que “ les cultivateurs sont épuisés par les charrois de bois tout l’hiver ”. Ce bois demandé par les militaires
étaient pris à deux ou trois lieues du Minihy. Le curé Trémeur de Santec mentionnait en 1774 “ La cherté du
bois dans ce pays est excessive ”. En 1841, il y avait à Saint-Pol - 65,42 hectares de 2 de bois et à Roscoff
15 hectares. Actuellement les bois qui s’étendent à Saint-Pol et à Roscoff font parties des grands domaines
privés ; ils sont respectivement de 16 hectares et 1,22 hectares. A Santec, pour retenir les sables, on a
planté depuis le début du siècle 143 hectares de pins.
Santec est la seule commune où la proportion de terres incultes soit restée très forte à cause des dunes, qui
ne peuvent être gagées aux cultures. Il y a actuellement 300 hectares de terrains vagues et de dunes sur
une totale de 780 hectares. On a essayé bien souvent de transformer ces terrains comme, par exemple, du
côté du Pouduff. Les résultats ont été infructueux. Pour l’ensemble du Minihy l’étendue des terres cultivées
est allée augmentant. En 1841, elle était de 2.853 hectares ; actuellement, elle est de 3.054 hectares.
Depuis une époque fort reculée, les terres en bordure de mer ne chômaient jamais. Tous les textes du 19ème
siècle nous signalent cet état de choses. Limon en 1852 précise que partout dans l’arrondissement de
Morlaix, le 1/5ème des terres est en jachère, excepté dans les vingt communes de littoral. Actuellement la
jachère est encore inconnue. On pratique un assolement qui n’a aucun caractère obligatoire ; le cultivateur
fait succéder les cultures comme bon lui semble. L’assolement dans la zone est combiné pour obtenir un
maximum de rendement. Les légumes appauvrissant la terre, il faudrait des quantités énormes d’engrais si
on voulait maintenir avec succès la même culture dans un même champ. Il faut, aussi laisser le moins
possible en repos une terre aussi riche et aussi grasse où les mauvaises herbes se développent facilement.
En outre chaque ferme possédant un peu de bétail, il faut fournir une certaine quantité de fourrages.
Voici un genre d’assolement qui se pratique dans la zone mixte et dans les environs de Saint-Pol ; il est
combiné sur 5 ans, alors que l’assolement le plus répandu dans le Finistère est basé sur 3 ans. La 1ère
année, on sème du trèfle incarnat qui sert à la nourriture des bêtes. La 2ème année, les choux-fleurs et les
pommes de terre tardives se succèdent sur toute l’étendue de la sole ; les pommes de terre servant de
culture intercalaire. La 3ème année, la sole est divisée en deux parties ; l’une contient les artichauts, l’autre
des oignons. La 4ème année la division persiste ; artichauts et pommes de terre hâtives. La 5ème année, la
division cesse et deux récoltes l’une de navets – fourrages, l’autre d’oignons occupent successivement toute
la sole. En 5 ans on obtient donc 7 récoltes dont 4 peuvent servir comme fourrage : trèfle, navets, feuilles de
choux-fleurs, et artichauts. Le blé se fait quelquefois en 1ère année.
Dans la région légumière pure, l’assolement est un peu différent ; on donne moins d’importance au trèfle, les
terres étant plus riches et le bétail moins nombreux. Comme la terre donne au moins deux récoltes par an, il
faut compter ici par demi-année. L’assolement est basé également dur 5 ans. Voici un genre de rotation
assez répandu à Roscoff : la 1ère année on plante les pommes de terre et les brocolis hâtifs, se succédant sur
toute l’étendue de la sole. La 2ème année des pommes de terre et des brocolis demi hâtifs. La 3ème année des
oignons d’été et des brocolis demi hâtifs. Pendant que poussent les brocolis, les oignons finissent de mûrir
et de sécher. La 4ème année, des oignons sur toute la sole, avec des drageons d’artichauts comme culture
intercalaire. La 5ème année, des artichauts occupent seuls toute la sole. On réserve tous les ans un coin pour
les betteraves, les carottes, le trèfle ; ces plantes n’occupent jamais un champ, sauf parfois les carottes qui
à Santec surtout s’étendent sur des parcelles assez vastes. Cet assolement se trouve modifié dans chaque
ferme mais le principe reste le même. On laisse parfois les artichauts 3 et 4 ans et même 6 ans sur un même
terrain.
La culture maraîchère demande des soins constants et minutieux. Ce travail ne peut se faire qu’à la main.
L’emploi des machines est impossible étant donné la petitesse des champs et le travail minutieux de binage
ou de sarclage que réclame chaque légume. Cambry en 1790 notait que dans les communes dépendant de
Saint-Pol on ne travaillait pas la terre avec les bœufs. Les charrues étaient traînées par trois chevaux, deux
de front et un en arbalète. C’est encore le mode actuellement employé. Les travaux ne manquent donc pas
à la ferme pendant toute l’année ; il n’est pas une période de repos complet. Outre le soin des champs, le
paysan s’occuper à transporter ses produits au marché, à la gare ou au port. Il s’occupe du charroi des
engrais, de la récolte du goémon.
Voici un plan de l’année dressé par la Coopérative “ La Bretonne ” indiquant pour chaque mois les produits
que les maraîchers de Saint-Pol sont en état de fournir :
· Fin avril : Pommes de terre nouvelles ( début )
· Mai : Pommes de terre nouvelles, artichauts ( début )
· Juin : Pommes de terre nouvelles, artichauts ( grosses quantités )
· Juillet : Pommes de terre nouvelles, artichauts ( grosses quantités )
· Août : Pommes de terre nouvelles ( fin de la saison ), artichauts ( fin de la saison )
· Septembre : Artichauts ( fin de la saison )
· Octobre : Choux-fleurs ( début de la saison )
· Novembre : Choux-fleurs et brocolis hâtifs
· Décembre : Choux-fleurs et brocolis hâtifs
· Janvier : Brocolis ( grosses quantités )
· Février : Brocolis ( grosses quantités )
· Mars : Brocolis tardifs ( fin de la saison )
Toute l’année des oignons, des aulx, des échalotes, des choux pommes.
D’après les dates de production, par exemple avril pour les pommes de terre, on se rend compte de l’effort
fait par le cultivateur pour produire de bonne heure. Le fait inverse se produit pour les bricolis, qu’il s’efforce
de donner plus tard, après la récolte de Saint Malo et Paimpol. Actuellement, nous avons vu que cette
tendance disparaît un peu à cause de la taxation des prix.
III - B 3 - a
La pomme de terre
La pomme de terre fut l’un des premiers légumes cultivés avec succès dans le Minihy. De la famille des
solanées ( solanum tuberosum ), originaire du Pérou, elle fut importée en Espagne vers 1534. D’abord
cultivée comme une curiosité, elle se répandit et ne fut admise dans l’alimentation que vers 1770 sous
l’influence de certains hommes comme Parmentier.
On raconte qu’avant cette date la pomme de terre était cultivée dans Léon et une vieille tradition en attribue
I’introduction à Saint-Pol à un ancien évêque du Léon, Monseigneur de La Marche. Elles étaient, paraît-il,
distribuée par l’évêque aux enfants pauvres. Une espèce du pays avait même conservé le nom de “ patates
an escop ” ( pommes de terre de l’évêque ). Cette légende reçue, par La Borderie, doit être fausse car
Monseigneur de La Marche ne fut nommé évêque du Léon qu’en 1772. Or, on connaissait et on cultivait la
pomme de terre dans le Léon à cette date. On prétend même qu’elle était cultivée au 16ème siècle et qu’elle
avait été introduite comme une curiosité par les marins venant d’Irlande et d’Angleterre et auxquels elle
servait de provision de mer. On en doute un peu quand on connaît les préjugés qui dressèrent les hommes
contre cette plante, soi-disant capable d’apporter des épidémies et dont les “ 99/100ème de l’humanité n’en
voudrait pas ” - ( Arthur Young ). Ce n’est que dans les pays pauvres qu’on la cultivait comme un pis-aller. Or
Arthur Young appelle la région du Minihy “ le jardin de la Bretagne ”. Les habitants avaient donc de quoi se
suffire sans s’adonner à la culture d’un produit de consommation qui ne leur était pas nécessaire et qui
n’était pas encore un article de vente. Néanmoins, on peut dire qu’avant la Révolution, la pomme de terre
était un peu cultivée dans le Léon, et Monseigneur de la Marche qui s’occupait avec zèle de ses administrés
à du en favoriser la culture comme Parmentier l’a fait dans d’autres régions de France.
On cultive dans le Minihy un nombre assez limité de variétés de pommes de terre. Il y a une dizaine ou une
quinzaine d’année, on cultivait la “ Hollande jaune ” spéciale à Saint-Pol et que les paysans appelaient en
breton la “ camelen ”, l’ “ Early rose ”, la “ Marjolin ”. Les variétés de pommes de terre dégénérant au bout de
dix ans, il a fallu les changer. Actuellement, l’espèce la plus employée est la “ Royale ”, à tige noire ; c’est une
variété précoce et qui donne de gros rendements ; on la sème après la saison des brocolis demi hâtifs ; elle
fournit la première récolte de pomme de terre. On emploie également le “ Duc d’Albany ” qui a un rendement
assez fort de 11.000 kilos à l’hectare ; l’ “ Up to date ” ( fin de siècle ) à chair blanche qui donne jusqu’à
15.000 kilos à l’hectare.. Ce sont deux variétés tardives qui fournissent la seconde récolte de pomme de
terre de l’année. Aux environs de Saint-Pol, on sème une variété nouvelle l’ “ Étoile du Léon ”, née et sélec-
tionnée dans le pays. Depuis deux ou trois ans, on emploie à Roscoff une spécialité tardive pour la deuxième
récolte, l’ “ Abondance de Metz ”. C’est une pomme de terre blanche, à chair jaune, qui se conserve bien t qui
donne de gros rendements. Elle se sème en mai – juin quand les pommes de terre primes ont été arra-
chées ; en fleurs en août, elle est mûre au début octobre.
Chaque ferme fait deux récoltes de pommes de terre par an, celle des primeurs à laquelle succède celle des
tardives ; parfois ces deux récoltes se font sur le même champ parfois dans deux champs différents quand
dans le terrain qui a porté les primes, on préfère planter le brocoli plutôt que les tardives.
Ces espèces et celles employées auparavant sont toutes à gros rendements. Elles ont naturellement une
saveur moins appréciée que celle de la Hollande jaune par exemple. Toutes les années ne sont pas aussi
rémunératrices ; néanmoins, le cours élevé dans les années de récolte moyenne permet aux paysans de
retirer un bénéfice appréciable, comme le prouvent les comptes-rendus de la Chambre de commerce de
Morlaix en 1890, 1894, 1908, etc…
Il y a quelques années les paysans se croyant assurés de bien vendre leurs produits ont dédaigné d’en
améliorer la qualité. Ils s’aperçoivent alors, que les clients devenus plus difficiles vont se pourvoir ailleurs. On
relève quelques plaintes nomme en 1889 ; année où Paris, ayant peu demandé de pommes de terres les
prix étaient tombés rapidement. On comprend alors que la culture ne s’est pas perfectionnée dans le Minihy
malgré les conseils pratiques qui ont été donnés aux cultivateurs. Ceux-ci ne voient qu’un but qui est le gain
immédiat : mais ce gain disparaît parce que le produit devient de plus en plus inférieur an qualité à ce qu’on
trouve dans d’autres contrées, notamment : à Jersey et à Guernesey. En 1890, les paysans ne vendent
même plus leurs pommes de terre d’hiver, car l’espèce bien que bonne est devenue trop petite, est peu
appréciée pour cette raison des principaux clients les Anglais. Dès cette époque, quelques cultivateurs
songent à faire avec de nouvelles espèces des essais de semence. D’autres, vers 1900-1905, ont recours à
des procédés de jardinage. Stimulés par l’exemple que leur donnent les Iles Anglo-Normandes, ils font
germer leurs pommes de terre dans des boites remplies de terre végétale et qu’ils exposent dans leur cour
et dans leurs allées. Il y aussi à Roscoff quelques essais pour pratiquer la culture sous serres. Vers 1930, on
constatait que la clientèle habituelle d’Algérie allait s’approvisionner dans d’autres pays. Le coup avait été
rude, il fallait de toute urgence remédier à la situation.
La vraie solution de ce problème n’était pas dans des travaux de jardinage ; il fallait améliorer la race et voilà,
pourquoi depuis quelque temps des travaux de sélection généalogique de la pomme de terre se poursui-
vent. D’heureux résultats furent obtenus à Saint-Pol. Les pouvoirs publics s’en occupèrent et un syndicat de
producteurs de semence de pomme de terre fut formé. Les amateurs ne pouvaient arriver à ce travail de
longue haleine : 5 années de labeur et d’attente ont en effet été nécessaires pour obtenir un résultat. La 1ère
année est consacrée au marquage des touffes – mères, au moyen de fortes baguettes de bois de 1,50
mètre, fichées en terre. A l’époque voulue, on arrache les tubercules – mères qui sont ainsi marquées ; puis
on les numérote à l’encre ou au crayon à encre, et on les met en clayettes pour les conserver. La 2ème année
comprend des travaux de plantation, de sélection, de récolte, et de conservation. Les 3ème et 4ème année, on
applique avant la plantation, quelques traitements spécifiques aux tubercules sélectionnées. La 5ème année,
on plante les meilleures tubercules et cette récolte donne une quantité de plants généralement suffisante
pour, entreprendre la vente des semences généalogiquement sélectionnées
La sélection conduit un assainissement presque parfait de la variété ; ce qui donnera au cultivateur un plant
sain. A Saint-Pol, un homme se dévoua pendant les cinq années proscrites. Ce fut un cultivateur de Kéronvel-
Kérantraon qui suivit point à point les instructions du professeur Dubois de l’Ecole nationale d’agriculture de
Rennes et des inspecteurs des services agricoles et du syndicat des semences. Vers 1934, ce cultivateur
plantait sur ses terres 30 pommes de terre de la variété “ Étoile du Léon ”, devant donner naissance chacune
à une famille. Dès la deuxième année de la plantation, 15 familles étaient éliminées par la commission de
contrôle puisqu’elles ne présentaient pas tous les signes distinctifs de la variété. En 1939, en procédant par
élimination successive, il ne restait que 8 familles formant 8 lots de qualité parfaite et couvrant une surface
globale d’an 1,50 hectare, capable de donner d’excellente semence. Ces résultats n’ont pas été obtenus
sans peine. Les paysans peuvent trouver chez, eux des variétés de pommes de terre de semence, toutes
aussi saines que celles de Hollande et de Belgique qui leur font une rude concurrence.
En mai 1941, il est créé à Saint-Pol une coopérative agricole de producteurs de plante de pommes de terre
de semence. Son but est d’effectuer ou de faciliter les opérations concernant la conservation, la préparation
pour la vente et la vente en commun du plant de pomme de terre provenant exclusivement des exploitations
des associés et des cultures acceptées au contrôle officiel. Les adhérents sont soumis à certaines obliga-
tions telles que le traitement contre le mildiou.
La plantation de la pomme de terre se fait suivant le temps de janvier à la fin de février pour les pommes de
terre primes et jusqu’en mai - juin pour les pommes de terre de conserve. Une controverse s’est élevée pour
savoir s’il convenait de planter la pomme de terre entière ou coupée en morceaux, en ayant soin naturelle-
ment de laisser un germe. Ayant fait des expériences Monsieur de Villeroy se prononce pour le découpage
préalable, mais sa théorie est loin d’être admise. Les paysans préfèrent planter la pomme la terre en entier,
sauf lorsqu’elle est trop forte et possède plusieurs germes. A Roscoff, on plante souvent ainsi les pommes
de terre, au moyen d’un cordeau tendu transversalement sur les sillons, une partie des ouvriers range les
tubercules sur le sol ; d’autres, agenouillés entre les rangs, les y plantent à la houe. Ils placent la semence
debout, le germe en haut et ne la couvrent que d’une faible couche de terre soigneusement pulvérisée. Ce
mode de plantation est expéditif et faciliter la germination. La plantation se fait par rangées séparées lorsque
le terrain ne reçoit que des pommes de terre ; par rangées accolées par deux lorsqu’il doit recevoir en même
temps des artichauts. La distance entre les rangs est de 30 centimètres dans le premier cas, et 67 ou 75
centimètres dans le second. La distance entre chaque plant dans un rang doit être de 20 centimètres au
moins pour que les plantes ne se gênent pas mutuellement. A Roscoff et Saint-Pol, on plante en même
temps que ces tubercules destinées à la récolte normale, ce qu’on appelle les pommes de terre précoces,
ayant déjà subies un commencement de germination.
Pour obtenir ce résultat, on les dispose dans l’obscurité sur des clayettes de bois. Généralement le long du
talus surmonté de landes et de genêts et bordant le champ au nord et nord-ouest, on ménage une plate-
bande de 1 à 2 mètres destinée à recevoir ces tubercules spécialement triées. Parfois, on leur réserve des
champs entiers exposés à l’Est. Ainsi préparés ces plants qui sont en outre protégés des vents par le talus
des champs, mûrissent 15 ou 20 jours avant les autres. Les pentes bien exposées et platées à la mi-janvier
commencent à produire à la mi-avril, mais ne donnent leur récolte avec abondance qu’au 15 mai. Certains
paysans, par des années favorables, comptent 50 jours après l’ensemencement. L’arrachage se poursuit
pendant 5 mois jusqu’à la fin octobre, quant aux pommes de terres tardives, elles sont mûres vers le premier
septembre ou début octobre suivant la variété.
La pomme de terre demande assez de soins. Il faut en effet la biner plusieurs fois pour ameublir la terre, il
faut la sarcler et quand les pousses sont suffisamment sorties, on les butte, c’est à dire qu’on accumule de
la terre à leurs pieds pour que la tige ne soit pas trop haute, et pour que les tubercules soient bien recouver-
tes, car la pomme de terre exposée à l’air verdit.
Autrefois les variétés et les maladies des pommes de terre étaient moins nombreuses. On employait une
fumure abondante qui faisait une sélection à la mode spartiate. Actuellement la maladie la plus grave qui
affecte la pomme de terre c’est le mildiou. C’est un champignon qui pousse sur les feuilles et arrête par suite
la croissance des tubercules. Le mildiou se développe par temps orageux et chaud, vers le 15 mai assez
souvent. A Roscoff, il apparaît un mois avant Plouénan. Une autre maladie appelée dans le pays “ la jambe
noire ” apparaît sur les plantes par période de grand froid en avril surtout ; c’est un champignon qui se
développe sur la tête de la tige ; la plante décapitée meurt au bout d’une quinzaine de jours. On lutte contre
ces maladies par l’emploi de produits anticryptogamiques.
Cette année un nouvel ennemi a fait son apparition : c’est le doryphore. Ce parasite venu d’Amérique s’est
propagé assez rapidement dans toute la France. Débarqué à Bordeaux en 1921, il atteignait la région de
Rennes en 1932. Son apparition dans cette région avait servi de prétexte au Gouvernement anglais pour
arrêter les exportations des légumes français. Ce n’est qu’en 1941 qu’il a fait son apparition dans le Léon.
Cet insecte de la famille des coléoptères ronge toutes les feuilles de la plante et empêche par suite la
formation des tubercules ; comme il se reproduit assez rapidement la lutte est difficile, surtout lorsque les
cultures s’étendent sur des grandes surfaces. Jusqu’ici Saint-Pol et Roscoff ont été protégés et les dégâts
de cette année sont insignifiants car sur les “ hâtives ”, les doryphores ne prennent pas, la pomme de terre
étant arrachée avant que les larves ne sortent de terre. Il est à craindre qu’ils se développent sur les spécia-
lités tardives, en particulier sur l’ “ abondance de Metz ”. L’année prochaine enregistrera peut-être des rava-
ges importants.
Depuis deux ou trois ans, l’Ile de Batz s’est spécialisée dans la production de pomme de terre précoce qui
arrivent sur le marché parfois un mois avant celles Roscoff. Quand le climat a été plus frais, elles arrivent à
peu près à la même époque ; ce qui crée alors une concurrence gênante dans le Minihy.
La pomme de terre tend à se développer de plus en plus à Roscoff. En 1910, on en cultivait sur 177 hecta-
res, en 1918 sur 213 hectares et en 1940 sur 280 hectares, sans compter la section de Santec devenue
indépendante. En 1940, 25% de la surface de la commune sont occupés par ce légume, les 3/11ème de
cette étendue étant en pommes de terre précoce. Part rapport aux terres cultivées, la proportion est de
49,60%. A Saint-Pol, on cultive surtout de la pomme de terre de conserve ; la pomme de terre précoce
n’occupe que 18,45% de la surface de la commune ou les 19% des terres cultivées. A Santec, la proportion
est encore bien plus faible, à peine 4%. Les terres incultes sont beaucoup plus étendues que sur les autres
communes ; par rapport aux surfaces labourables, la pomme de terre n’occupe que 10% environ La terre est
ici beaucoup trop sablonneuse pour convenir parfaitement à cette plante. La pomme de terre est donc
surtout cultivée à Roscoff et à Saint-Pol où elle trouve les conditions naturelles optimales.
III - B 2 – b
Le brocoli et l’artichaut
LE BROCOLI
Le chou-fleur et l’artichaut sont les deux légumes typiques de la région du Minihy de Léon ; ils ont fait en
grande partie sa réputation et sa fortune. Le chou-fleur de la famille des crucifères est une variété dont les
pédoncules et les fleurs naissantes forme une masse charnue et grenue qui est comestible. Ce n’est pas un
produit spontané. Il fut introduit dans la région de Roscoff avant la Révolution. Il existe deux espèces de
choux-fleurs. Le chou-fleur proprement dit, appelé autrefois le “ Prime Coal-Fleur ”, se cultive encore dans la
région Saint-Politaine. Il est presque entièrement abandonné à Roscoff et Santec. C’est une plante qui
commence à donner ses fruits vers le 15 juillet, mais elle, donne son plein rendement en octobre et novem-
bre.
Les variétés les plus tardives de cette espèce finissent de produire pour le 15 décembre. Il y a quelques
années la région de Saint-Malo et de Paimpol se mirent à cultiver ce chou-fleur. La fertilité du sol et la plus
grande douceur du climat firent que leurs produits devancèrent ceux de Roscoff et de Saint-Pol. Cette
concurrence nouvelle fut impossible à soutenir. Les marchands - expéditeurs allaient à Saint-Malo s’appro-
visionner ; Roscoff ne pouvait plus envoyer que des chargements incomplets.
Cette mévente ne découragea pas le cultivateur. Il choisit la meilleure qui était de s’adapter aux conditions
nouvelles : il supprima le chou-fleur et le remplaça par le brocoli. Le brocoli est une espèce tardive de chou-
fleur qui se distingue de la précédente par un fruit plus blanc, des feuilles plus longues. Il donne à Roscoff
une pomme très serrée et très dure qui supporte bien le transport et peut rester 8 à 10 jours sans se faner.
C’est une plante rustique qui résiste bien aux gelées printanières et qui s’est rapidement adaptée au climat
marin. Il y a quatre sous-variétés de brocoli suivant l’époque de leur maturité : les hâtifs commencent à
produire en décembre, et les tardifs se récoltent encore en mars – avril. Actuellement les surfaces sous
choux-fleurs sont presque insignifiantes par rapport à celles qui portent des brocolis. En 1924, Roscoff avait
encore 55 hectares de choux-fleurs pour 306 de brocolis. En 1928, elle n’avait plus que 2 hectares de choux-
fleurs pour 355 de brocolis.
La culture se fait en pleine terre et sur de vastes étendues. Le terrain ne doit pas être trop fumé car alors la
plante elle-même se développe exagérément au dépens de la “ fleur ” ; on met quelquefois un peu de fumier
de ferme, du goémon ou des engrais chimiques. Le chou-fleur demande surtout une terre compacte et
fraîche. Il y a trois phases principales dans cette culture qui exige un travail assidu et minutieux, nécessitant
une main d’œuvre considérable, car il faut débarrasser la terre soigneusement des mauvaises herbes. On
commence en février - mars par faire des semis dans un jardin ou dans un coin de champ particulièrement
riche en terreau ou en humus, exposé au midi et abrité des vents d’ouest. Parfois on recouvre le semis d’un
filet pour empêcher les oiseaux de manger la graine et les jeunes pousses. Un mois ou six semaines après,
généralement dans la 2ème quinzaine de mars ou au début avril, on met ces semis en pépinière.
Cette opération, qui d’après le vieux dicton doit se faire avant le dernier quartier de la lune, se fait par temps
frais, le soir de préférence. On met le plant au plantoir à 25 ou 30 centimètres d’intervalle, dans une terre
fraîche, quand les plants ont atteint un certain développement. On les repique en ligne au cordeau dans un
sol préalablement ameubli à la charrue la bêche, et travaillé jusqu’à 20 centimètres de profondeur. Ce repi-
quage se fait dans la première quinzaine de juillet pour les brocolis hâtifs, et en fin août et septembre pour
les tardifs. La plantation ne se fait plus en quinconce, mais en lignes perpendiculaires distantes d’un mètre
les une des autres. Ce procédé permet de biner la terre à la charrue. Avant la plantation, il faut débarrasser
les choux des vers qui se logent dans la tige et au-dessus de la racine. On trie aussi les sauvageons qui se
trouvent dans les semis et qui ne produisent que des feuilles. Le mois de juillet est celui de la sécheresse et
les arrosages sont alors nécessaires pour faciliter la reprise des choux. Plusieurs binages sont aussi utiles
au cours de la végétation pour aérer la terre et faciliter l’infiltration des eaux. A la fin d’avril et au début de
septembre un profond sarclage s’impose car les choux ne se développent bien qu’après cette opération. La
maturité a lieu d’octobre à décembre pour le chou-fleur et le brocoli hâtif et demi hâtif et de janvier à mars
pour le brocoli demi tardif et tardif. Le chou-fleur doit être coupé aussitôt que la pomme a atteint son dévelop-
pement, sans quoi, il perd rapidement son apparence de fraîcheur, tandis que coupé, il peut se conserver
quelques jours. Il faut veiller à la glace qui noircit la pomme et à la gelée qui lui fait perdre sa couleur de lait
crémeux. En mars - avril, on arrache les brocolis qui sont alors remplacés par des pommes de terre tardives
ou du blé.
Le brocoli apparaît en grande quantité sur le marché en décembre - janvier, à une époque où tous les autres
légumes de choix ont disparus. C’est ce qui fait son succès, cette arrivée du brocoli roscovite devance de
beaucoup celle du brocoli des environs d’Angers par exemple. Le brocoli angevin ne fait son apparition
qu’en mars au moment où le roscovite disparaît ; ce qui a permis au deux centres d’Angers et de Roscoff de
coopérer pour mettre en commun leur clientèle. Le brocoli roscovite apparaît après le chou-fleur de Saint-
Malo et de Paimpol. Comme il vient en plein hiver, il n’y a presque pas de concurrence, il a des chances de
se vendre à un assez bon prix et assez facilement. Voilà pourquoi, on continue à le cultiver, bien que sa
culture réclame des soins constants.
Le brocoli et le chou-fleur peuvent être atteints d’une maladie que l’on appelle la “ hernie du chou-fleur ”.
C’est un renflement anormal du pied qui est provoqué par un champignon. Cette excroissance sur les raci-
nes et près du collet est parfois volumineuse. Elle est provoquée par l’emploi d’engrais chimiques non
appropriés, en particulier le sulfate d’ammoniaque. Le chou est toujours comestible, mais la plante dépérit
car ses racines sont remplacées par des tubercules. On lutte contre cette maladie qui est assez courante en
détruisant par le feu les plantes malades ; en variant l’assolement pour modifier un peu la constitution du
terrain en employant d’autres engrais. Il existe un parasite la petite chenille blanche ou la piéride du chou qui
fait quelques ravages.
Le rendement à l’hectare varie de 9 à 10.000 têtes de choux d’un poids moyen de 1,500 kilo ; soit un
rendement de 13 à 15.000 kilos à l’hectare. La récolte est généralement abondante, sauf lorsque l’hiver a
été trop rude comme en 1940.
Les surfaces en choux-fleurs et en brocolis n’ont fait qu’augmenter à Roscoff depuis le début du siècle. En
1910, il y avait 197 hectares ; en 1940, 340 hectares qui représentent les 58,5% de la commune ou les 60%
de la surface cultivée. Pour Roscoff, il ne faut pas s’étonner que les surfaces cultivées soient supérieures à
la surface de la commune, car certaines cultures étant intercalaires la même surface est comptée deux fois.
Plus de la moitié de la commune est donc cultivée en brocolis. Comme pour les pommes de terre, Saint-Pol
a une proportion plus faible, 22,5% de la surface totale ou 23,8% de la surface cultivée. A Santec étant
donnée l’étendue des terrains incultes, la proportion tombe à 5% environ ou à 12% des surfaces cultivées.
Roscoff fait donc environ trois fois plus de brocolis que Saint-Pol et cinq fois plus que Santec.
L’ARTICHAUT
Un autre légume fait encore la fortune du Minihy de Léon. C’est l’artichaut. Ce légume est une conquête de
savants horticulteurs et jardiniers qui doit remonter très loin, puisque paraît-il les Grecs mangeaient de
l’artichaut sous le nom de “ Kinara ”. On raconte que vers 1466, il fut rapporté en Italie ; ce qui est certain
c’est qu’il était en vogue en France dès la 1ère moitié du 16ème siècle. Pendant longtemps, il fut un légume rare
et cher comme le dit Bruyrin-Champier ( 16ème siècle ) “ il ne va pas sur la table des pauvres ”. La médecine
lui a attribué de bonne heure des propriétés “ réchauffantes ” dit Brantôme et La Framboisière, médecin de
Louis XII, écrivait “ Les artichauts eschauffent le sang et incitent nature… ils sont bons à l’estomach et
donnent appétit ”.
Ce légume fut introduit dans le Minihy du Léon avant la Révolution, mais on ignore dans quelles circonstan-
ces. Il devait trouver là des conditions de climat très doux, des hivers peu rigoureux. En 1890, le thermomètre
étant tombé jusqu’à -5°c à Roscoff, la récolte des artichauts fut ruinée. Il ne faut pas non plus à cette plante
une trop grande chaleur : une perpétuelle fraîcheur lui convient. Or dans le Minihy, les étés ne sont jamais
très chauds à cause des brises marines. Il lui faut aussi beaucoup d’humidité, d’autre part les terres de
consistances moyennes comme le limon lui conviennent parfaitement. L’artichaut est une plante vivace de 1
mètre de hauteur aux feuilles découpées et verdâtres et dont la fleur
Avant de s’ouvrir forme une tête composée d’écailles charnues à leur base et comestible. Il existe plusieurs
variétés, mais la plus cultivée dans le Minihy est l’espèce dite “ camus breton ” dont la tête est ronde et très
serrée. L’artichaut de Roscoff a une forme plus ovoïde. Cette plante ne revient dans les mêmes terres que
tous les 5 ou 6 ans. Elle peut jusqu’à. 8 ans en terre ; généralement, on ne la laisse que 2 ou 3 ans sauf dans
les grandes exploitations qui disposent de terrains très étendus. C’est une plante épuisante qui pour donner
un bon rendement exige une grande dépense d’engrais, de goémon généralement. Ce légume prélève en
effet dans le sol une quantité imposante de sels de potasse.
A l’inverse du brocoli sa culture est simple et ne demande pas beaucoup de travail. L’artichaut de reproduit
par semis mais dans la région du Minihy on procède par éclatage. On enlève des éclats de pieds ou œilletons
que l’on appelle encore drageons et qui se forment autour de la souche quand la tige a donné sa fleur. On les
repique comme une simple bouture. La culture de l’artichaut se fait assez souvent avec cultures intermédiai-
res de pommes de terre ou d’oignons Dans ce cas, on plante les drageons en lignes croisées à angle droit
les unes suivant la longueur des sillons, les autres disposées entre les rangs de pommes de pommes de
terre. Parfois on remplace la pomme de terre par le panais ou la betterave. Même sans culture intercalaire la
plantation ne se fait plus en quinconce mais en lignes droites pour permettre le sarclage à la charrue. On met
entre les plants une longueur de 1 mètre. La plantation des drageons se fait en mars, avril et mai à raison de
10.000 pieds à l’hectare. Généralement on le plante le long des talus et entre les pieds de pommes de terre
primes. En mai - juin, les pommes de terre étant arrachées le champ reste libre pour les artichauts. On butte
les drageons à la charrue à 0,15 mètre de hauteur. Vers septembre ou octobre, ces drageons fournissent
une première récolte avec des fruits assez petits.
A la fin d’octobre ou répand une couche assez épaisse de goémon entre les plans : 110 à 120 mètres cubes
à l’hectare. Le transport doit se faire à bras et avec les précautions voulues, pour ne pas endommager les
plants. Ceux-ci sont relevés en faisceaux et liés ; ainsi protégés, ils résistent bien à l’hiver. A la fin février, le
goémon est entièrement consommé, il forme plus qu’une matière brune, pâteuse facilement absorbable.
C’est le moment de bêcher légèrement la terre pour faire pénétrer davantage l’engrais jusqu’au racines. De
ce moment jusqu’à la récolte, il n’y a simplement qu’à se défendre contre les taupes et les mulots qui rongent
les pieds d’artichauts. Ces plants donnent une seconde récolte plus abondante en juin juillet et août. Cer-
tains cultivateurs les arrachent après cette seconde récolte, ils refont la terre et plantent des brocolis hâtifs.
D’autres laissent produire encore deux ou trois ans. Le rendement est de 1,5 kilo environ par pied à raison
d’une capitule axiale et de trois ou quatre latérales de poids inférieurs. Certains pieds peuvent donner jus-
qu’à trois kilos. Un hectare donne donc de 15 à 20.000 kilos. Cette culture tend à s’étendre toujours, surtout
à Saint-Pol, au détriment des choux-fleurs et oignons pour lesquels l’exportation était devenue difficile quel-
ques années avant la guerre de 1939. L’artichaut ne s’exporte presque pas. Il faut chercher la raison de ce
développement dans la facilité relative de la culture qui n’exige pas beaucoup de travail et par suite de main
d’œuvre. Ce légume prend depuis quelques années une place honorable auprès des toniques du foie. Des
feuilles on extrait des préparations vendues sous le nom d’extrait d’artichaut.
En juillet 1939, cette culture faillit subir un péril : ce fut une invasion de chenilles dans les champs d’arti-
chauts du Nord-Finistère. Les dégâts furent considérables dans la région de Tréflez, Plouescat, Sibiril, Cléder,
et Santec. L’Est du Minihy fut relativement protégé. Une nuée de papillons s’était abattue sur toute la con-
trée, ils durent laisser des œufs qui ne tardèrent pas à éclorent 5 ou 6 semaines pros sous forme de myria-
des de petites chenilles noires qui passèrent d’un plant à l’autre avec une rapidité déconcertante. Des larges
feuilles bien grasses, il ne restait plus que les fibres dont l’assemblage formait une sorte de dentelle couleur
de rouille. Désormais le plant était perdu. Le fléau s’étendait rapidement en 4 ou 5 jours ; on réussit à
l’endiguer non sans peine en faisant usage d’une solution nicotine. Santec seul fut gravement touchée. A
Roscoff et Saint-Pol les dégâts furent localisés à quelques champs. Contrairement à certaines croyances
ces papillons vivent d’une façon constante dans la région. Mais leurs œufs ne se développent que par temps
favorables. Les dégâts sont alors considérables, comme en 1905 - 1906,et en 1939. Généralement au
moment de la ponte, les pluies sont assez fréquentes ; elles entraînent alors les œufs. L’artichaut est relati-
vement plus cultivé à Roscoff où il occupe 14,50% de la superficie de la commune ou 15% des terres
cultivées. A Saint-Pol, la proportion est légèrement plus faible : 11,70% de la surface totale ou 12,40% des
terres cultivées. De même à Santec, où ce légume occupe 5,50% de la surface de la commune ou 13% des
terres cultivées. Par rapport aux terres cultivées les proportions sont donc à peu près semblables dans les
trois communes.
III - B 2 - c
Les autres cultures : Oignons, carottes, ail, échalote, blé,...
Le Léon se livre encore à la culture d’autres légumes. Ceux-ci ne rapportent pas d’aussi beaux bénéfices
que la pomme de terre, le brocoli et l’artichaut. Les plus importants sont l’oignon qui, pour Roscoff et Santec
principalement, donne naissance à un trafic particulier et la carotte qui, à Santec, est cultivée sur d’assez
grandes étendues. Les choux-pommes se plantent dans les coins inutilisés du champ. Les asperges ont
complètement disparues depuis 1890. A cette époque le manque d’acheteurs avait l’abandon de cette cul-
ture qu’on n’a pas essayé de reprendre. Quant au blé et aux céréales secondaires, la place fait défaut pour
les cultiver.
L’oignon
L’oignon est un légume connu depuis très longtemps dans le Minihy, comme en témoignent les documents
antérieurs à la Révolution. Cette plante a un bulbe arrondi ou ovale, variable de grosseur et de couleur. Il est
formé de tuniques concentriques, charrues, recouvertes d’une tunique membraneuse très fine rouge ou
blanche. On ne cultive dans le Minihy que deux variétés dites d’oignons d’été et d’oignon d ‘hiver ; ce sont
des espèces à membrane rouge peu appréciées à Paris, uniquement à cause de la présentation ; mais
l’oignon à membrane blanche donne de très mauvais rendements dans les terrains du Léon. On cultive
surtout, l’oignon rouge d’hiver.
Cette culture est compliquée et exige beaucoup de main d’œuvre. On sème les graines à la volée à raison de
500 à 600 grammes par are, du 15 août au 15 septembre dans un terrain bien exposé au midi, bien labouré
et bien fumé. L’abri est de rigueur pour garantir les jeunes oignons de la grêle. Les sarclages doivent être
fréquents. Les petits plants obtenus sont repiqués en janvier et février dans un terrain préalablement en-
graissé au fumier de ferme ou au goémon, à raison de 20 mètres cube par hectare ; certains fermiers mettent
jusqu’à 50 mètres cubes. Généralement on les plante en planches de 70 centimètres de large, chaque plant
étant distant de 10 centimètres pour les oignons d’été et de 12 centimètres pour les oignons d’hiver. L’oignon
redoutant l’humidité, on donne aux plates-bandes une forme arrondie et aux allées une pente telle que l’eau
de pluie s’écoule de suite.
Les ouvriers chargés du repiquage s’agenouillent dans les allées sur un petit paillasson et vont toujours à
reculons. Chacun a devant lui des oignons dans un petit panier. Il en prend une poignée qu’il éparpille sur le
sol : le plant est pris entre le pouce et l’index ; une pression du pouce le fait entrer à la profondeur voulue et
un autre mouvement rapide du même doigt le recouvre d’un peu de terre. Les oignons se trouvent être
souvent une culture intercalaire dans un champ d’artichauts ou de choux-fleurs. L’oignon réclame plusieurs
binages et sarclages. Pour les oignons d’hiver, on fait deux sarclages ; l’un au début d’avril, l’autre au mois
de mai; un troisième est quelquefois nécessaire avant l’arrachage. L’oignon d’été mûrit vers la fin de juillet et
celui d’hiver en septembre.
Le rendement est de 20.000 kilos à l’hectare pour l’oignon d’hiver et de 18.000 kilos. pour l’oignon d’été.
Certains cultivateurs de Roscoff ont même parfois obtenu des rendements de 30 et 40.000 kilos à I’hectare.
Quelquefois la vente commence immédiatement, mais lorsqu’elle se fait attendre, on met les oignons au
soleil dans la cour de la ferme ; puis on les places dans de grandes caisses à claires-voies placées en plein
air et recouvertes de paille. Avant la guerre de 1939, ils étaient tout de suite expédiés en Grande-Bretagne.
L’ail et l’échalote
A Saint-Pol on cultive encore l’ail et 2 variétés d’échalote : l’échalote - oignon et l’échalote de .Jersey. Cette
culture ressemble à celle de l’oignon, la seule différence venant d’une fumure moins importante : 15 mètres
cubes à l’hectare.
Les surfaces cultivées en oignons et échalotes représentent pour Roscoff 12% de la surface totale, pour
Saint-Pol - 6,5% et pour Santec - 5,5%. Mais part rapport aux surfaces cultivées, les proportions sont à peu
près les mêmes pour Roscoff et Santec où elles sont respectivement de 12,25% et de 13% ; elle plus faible
de moitié pour Saint-Pol – 6,85%.
Les carottes
Les carottes n’offrent un intérêt que dans la région de Santec. Les terrains sablonneux leur conviennent
parfaitement aussi les dunes sont-elles parsemées de champs enclos de pierres sèches où, sur un terrain
d’une blancheur éblouissante, poussent des carottes aux racines et aux feuilles très développées. Santec a
32% de ses terres cultivées occupées par ce légume, ( 12% de la surface totale ). A Roscoff, la proportion
tombe a 2,60% des terres cultivées et à Saint-Pol à 0,68%.
Le blé
Santec produit relativement plus de blé que les autres communes du Minihy. Les proportions par rapport aux
terres cultivées sont de 20% pour Santec, 8,85% pour Roscoff et 14,25% pour Saint-Pol. Le blé ou froment
a toujours été cultivé dans le Léon, pays riche, qui s’opposait aux ségalas ( terre à seigle ) de l’intérieur.
Autrefois, il occupait une place primordiale tandis qu’actuellement, il est supplanté par les légumes qui sont
d’un rapport plus avantageux. La surface emblavée est toujours allée en diminuant ; ce phénomène s’ob-
serve particulièrement à Roscoff.
En 1841, avec la section de Santec, il y avait 167 hectares sous blé ; en 1938, avec la section de Santec 87
hectares. A Saint-Pol, en 1841, il y avait 474 hectares emblavés ; en 1938, 400 hectares. Ce sont surtout les
céréales secondaires qui ont disparues. En 1841, la surface sous orge, avoie, sarrasin, méteil était de 877
hectares pour le Minihy ; en 1940, elle est de 32 hectares. Depuis la guerre de 1939, les surfaces emblavées
se sont légèrement étendues. A Roscoff par exemple, il y avait 27 hectares de blé en 1938, 35 en 1939 et 50
en 1940 ; cet effort ne s’est pas maintenu, en avril 1941, on enregistre une diminution des surfaces embla-
vées. Les primeurs ont donc repris leur ancienne importance au détriment du blé.
Les surfaces en friches sont donc très rares sauf à Santec. Les surfaces cultivées occupent 83% du Minihy
du Léon. Les légumes couvrent plus de 71% de cette surface cultivée. Le blé se trouve donc réduit au
minimum, chaque ferme en cultivant uniquement pour ses besoins personnels.
III - C
L’élevage
L’élevage est actuellement peu important dans le Minihy de Léon et ceci depuis le développement des
cultures maraîchères. Les légumes absorbent toute l’activité du cultivateur et la terre est trop précieuse pour
qu’on la mette en herbage.
Déjà sous la Révolution Roscoff- Santec avait abandonné l’élevage tandis que Saint-Pol l’avait maintenu.
Dans une lettre du 13 nivôse An 3, à propos des réquisitions, nous relevons le passage suivant : “ Les
habitants de Roscoff sont obligés d’avoir recours aux cordonniers de Saint-Pol de Léon pour se procurer des
souliers, l’élevage étant insignifiant, la presque totalité du terrain étant pour les légumes et les pommes de
terre ”. Pour la réquisition des chevaux, le Minihy se récuse également “ notre canton ne fournit que de
chétifs chevaux qui servent à nos cultivateurs pour transporter les légumes au marché avoisinant ”. Le bétail
a diminué progressivement depuis le 19ème siècle comme nous montrent les statistiques anciennes. Ainsi en
1841, le Minihy élevait 1.330 chevaux, 2.420 bovins, 1.700 porcs et 300 chèvres. En 1940, il n’élève plus que
1.070 chevaux, 1.318 bovins, 409 porcs et 8 chèvres.
La diminution s’est surtout fait sentir pour les bovins, les porcs et les chèvres. Le cultivateur ne les élève plus
maintenant que pour ses besoins personnels ; chaque ferme à son porc et sa vache qui vit toute l’année en
étable. Depuis la guerre de 1939, on a même tendance à élever moins de vaches car il est très difficile de
s’approvisionner en fourrage, tourteaux, etc… , que le paysan doit faire venir, sa terre ne lui donnant pas
assez de nourriture pour les animaux. A Roscoff, il y avait 600 vaches en 1938 et 278 en 1940.. Le paysan
est dans l’impossibilité d’entretenir un bétail plus nombreux. Les surfaces réservées uniquement à la nourri-
ture des bêtes occupent une faible partie de l’exploitation. Comme on devait le prévoir, ces surfaces utilisées
en panais, luzerne, trèfle, prés herbages, etc… n’ont fait que diminuer depuis le milieu du 19ème siècle par
suite de l’extension des légumes. En 1841, Saint-Pol disposait de 679 hectares et Roscoff – Santec de 325
hectares pour le bétail. En 1940, Saint-Pol n’a plus que 321 hectares. La réduction est de moitié. Cette
surface réservée au bétail ne comprend que 13% de la surface totale du Minihy.
L’élevage du cheval a seul survécu sur la commune de Saint-Pol. On élève bien le cheval à Roscoff et
Santec pour servi aux labours et aux charrois. Mais toutes les fermes n’en ont pas. A la fin du 19ème siècle, il
existait un usage particulier au canton de Saint-Pol. Quelques cultivateurs achetaient des chevaux jeunes et
maigres qu’ils plaçaient chez des fermiers. Ces derniers s’en servaient pour les travaux ruraux, ils les nour-
rissaient et les soignaient comme s’ils étaient leur propriété. Lorsqu’ils étaient vendus à trois ou quatre ans,
le profit était partagé moitié entre bailleur et preneur. Cet usage semble avoir disparu du canton. Il existe
actuellement une coutume assez curieuse. La culture de légumes ne nécessite pas la présence d’un cheval
toute l’année dans une ferme, d’autre part le petit exploitant passe souvent l’automne en Angleterre pour
vendre ses oignons. Dans ces conditions, il est inutile de nourrir un cheval qui ne travaille que quelques
mois. Les Santecois et quelques Roscovites louent pour quelques mois des chevaux aux gros maquignons
de Landivisiau. Dans le pays, on les appelle “ les chevaux de la Loi Loucheur ”. la période des labours
terminée ou avant le départ pour l’Angleterre, le paysan se défait de son cheval.
A Saint-Pol au contraire, l’élevage du cheval est en progrès depuis la Révolution. Le paysan ne l’élève pas
toujours dans un but intéressé. Il est effet curieux de noter cet amour du cheval, cette passion même qui se
trouve uniquement chez les cultivateurs de cette commune. Il faut voir leur enthousiasme lors d’une épreuve
d’obstacle à Saint-Pol ou d’une épreuve montée sur les dunes de Santec.
Avant la Révolution, l’Évêché du Léon était réputé pour ses chevaux qu’il vendait facilement en Normandie.
La race était celle du Bidet breton qui vers le 18ème siècle avait subit un croisement avec le cheval arabe.
Cette race se dégénérait peu à peu par manque d’étalon de choix. En 1790, on fait venir une douzaine du
Holstein. A la fin du 18ème siècle, on créait trois dépôts d’étalons dans le Léon : un à Lannilis, l’autre au
Conquet, le troisième à Saint-Pol de Léon. Au 19ème siècle on voulut transformer la race en envoyant des
étalons royaux dans ces haras d’État. Ces étalons étaient de race percheronne ou ardennaise et leurs
produits ne s’adaptèrent pas au pays qui ne possédaient pas des herbages assez gras.
Vers 1850, on tenta alors l’élevage de sang. L’expérience ne fût pas heureuse et on revint à la race du pays.
On l’améliora par l’introduction d’étalons anglais, le Norfolk ; le résultat fût satisfaisant et donna des animaux
musculeux près de terre. Le Postier breton sortit de cet alliage du Bidet breton avec le Norfolk. Puis on fit
vers 1888 des croisements inconsidérés, on s’adressa un peu à toutes les races. On tenta un croisement
avec le pur-sang arabe ; les premiers produits étaient petits, ce ne fût qu’au bout de deux ou trois ans qu’ils
s’améliorèrent. On tenta également un croisement avec le Normand qui donna un produit lourd. Vers 1890,
tous les éleveurs ne voulaient que l’étalon normand ; certains le considèrent bientôt comme un élément
“ détériorateur ” de la race. On revint alors au Postier breton qui domine actuellement dans tout le Léon.
Ce Postier breton est le cheval aux multiples aptitudes, à la carriole, sous la selle et au besoin sur l’obstacle,
partout il se distingue. C’est un cheval de 1,45 à 1,63 mètre de haut, à forte encolure, large, musclé, aux
pattes courtes. Il possède les qualités d’énergie, d’endurance, de docilité, de sobriété et de facilité d’acclima-
tement sous toutes les latitudes.
L’éleveur de Saint-Pol ne produit pas uniquement des chevaux. C’est un cultivateur qui s’occupe de cultures
maraîchères comme le paysan de Roscoff. Son exploitation étant plus étendue que celle du Roscovite, il
peut élever facilement plusieurs animaux. Ce n’est pas un éleveur qui, parmi son bétail, entretient exclusive-
ment sa jument en vue de la reproduction et son produit en vue de la vente. Le Saint-Politain est un cultiva-
teur qui fait travailler sa poulinière et attelle son jeune cheval à la charrue. Le cheval de qualité comme le
plus humble bidet, la poulinière de grande classe comme la plus vulgaire jument de service, tous les chevaux
contribuent par leur travail à la prospérité de l’exploitation.
Saint-Pol élève 192 chevaux au-dessous de trois ans et 560 au-dessus de trois ans ; alors que la population
chevaline du Finistère est de 135.000 têtes. L’apport de Saint-Pol est assez faible ; il est assez important si
l’on regarde la place que tient l’élevage dans les autres communes productrices de légumes. Le haras de
Saint-Pol possèdent actuellement une douzaine d’étalons de choix ; en 1932-1935, il possédait 17 ou 18
étalons. Il existe trois sociétés hippiques dans le Finistère dont une à Saint-Pol qui organise tous les ans des
concours où les meilleurs chevaux de la région sont primés.
Les chevaux du Léon étaient très recherchés par les dépôts d’étalons nationaux et par l’armée ( le Postier
breton est un excellent cheval d’artillerie ) ; les maquignons de Landivisiau venaient également se fournir
dans la région. Certains de ces chevaux étaient expédiés sur l’étranger : Espagne, Italie, Brésil, Argentin,
Suisse, etc…
Le centre de Saint-Pol est moins important que celui de Landivisiau, Saint Thégonnec, mais au cœur d’une
région légumière, il prend tout de suite une certaine valeur.
III – D
La pêche fut certainement pratiquée de bonne heure dans cette région. Les études de Camille Jullien ont
montré que la tribu gauloise des Ossianismes qui s’étendait sur cette contrée était purement maritime or les
gaulois étaient déjà friands de poissons. La pêche a traversé des siècles sans jamais disparaître complète-
ment de la vie économique du pays. Les richesses de la mer firent la prospérité relative de la côte avant la
révolution et aux environ de 1845-1890. A Sieck avant 1789, on faisait des pêches miraculeuses de sardines
en tendant des filets non loin de la côte. Ce qui avait déterminé la construction d’une usine de conserve à
Sieck. En 1765, Roscoff employait aussi beaucoup de barques à la pêche de la sardine et du maquereau et
le transport du sel pour la conservation occupait quelques bâtiments. Quant à Pempoul, le port de Saint-Pol,
il s’ensablait sans cesse. A la veille de la révolution, il n’y avait plus que quelques rares bateaux ancrés près
de la digue, s’occupant davantage du transport du goémon que de la pêche.
Cette activité de Sieck - Roscoff était en grande partie abandonnée en 1790, comme le signale Cambry.
L’usine de Sieck était fermée. Ce ne fut que vers 1845, qu’elle reprit avec une certaine intensité, selon un
compte-rendu de la Chambre de Commerce de Morlaix. En 1865, le capitaine au long cours Chevalier faisait
un vivier au pied de la Chapelle Sainte Barbe. En 1864 la pêche se développait au point que Sieck qui avait
obtenu depuis quelques années auparavant la construction d’une digue brise-lames pour procurer un abri
provisoire à quelques bateaux, réclamait une extension de cet ouvrage.
La même année, le maire de Roscoff se préoccupant de faire parvenir rapidement le produit de la pêche à
Morlaix, demandait à Monsieur le Préfet la création d’une cale - débarcadère à la pointe de Pen ar Vil. Au
début de 1864, des démarches étaient entreprises pour obtenir l’autorisation d’établir un atelier de salaison
à l’Ile de Sieck. De longue date, on avait constaté que la sardine abondait par bancs sur les plages couvertes
de méduses. Monsieur de Penanros qui demandait la création de cette usine faisait remarquer que de temps
immémorial cette pêche de la sardine s’était pratiquée par trois ou quatre pauvres pêcheurs privés de rogue
( La rogue est employée comme appât dans la pêche à la sardine est préparée avec des œufs de morue. La
meilleure rogue vient de Norvège.). Avec des vieux filets, ils faisaient néanmoins des pêches miraculeuses
mais manquant de sel ils ne pouvaient pas conserver le poisson et le rejetaient à la mer.
Les courants violents empêchaient les pêcheurs de Batz d’aborder l’île de Sieck, il y avait donc intérêt à
favoriser une usine de salaison à Sieck et à Batz. Cette industrie était destinée à réussir étant donné la
présence de nombreux marchés : Morlaix, Guingamp, etc .. Ces démarches aboutirent, les ateliers de Sieck
se remirent à fonctionner apportant un nouvel élément de richesse à cette région déjà si prospère. Cette
usine allait embaucher les ouvrières parmi les femmes de Douarnenez, connaissant le métier, et auxquelles
furent adjointes des paysannes du pays et même des paysans. Les bateaux de Douarnenez, Tréboul, Morgat
et ceux du pays travaillaient pour cette usine. La pêche se pratiquait à la senne ( filets disposés en nappe et
formant un demi-cercle ).
Cette usine fabriquait également des conserves de petits pois et d’asperges dans les bâtiments situés sur
l’emplacement actuel de la clinique du Laber. L’île de Sieck était devenue prospère ; elle avait à cette épo-
que 80 habitants.
La pêche continua à se développer : vers 1875-1876, 40 bateaux apportaient à Roscoff 127.126 kgs de
poissons par an dont 105.126 kgs étaient expédiés sur Paris et 22.000 kgs sur l’étranger. En 1876, Roscoff
demandait encore la construction d’un débarcadère à la pointe de Pen Ar Vil qui permettrait aux pêcheurs de
livrer leurs poissons 3 heures plus tôt. La Chambre de Commerce de Morlaix déclarait que si ce quai n’était
pas construit, Roscoff risquait de perdre une industrie florissante qui occupait 200 à 250 marins. Les pêche-
ries de Roscoff et de Sieck occupèrent constamment 20 bateaux pendant toute l’année 1977. L’île de Sieck
prenait surtout une importance croissante. En 1878, elle demandait la création d’un abri car l’ouvrage actuel
était insuffisant en raison du nombre croissant des bateaux armés ; le conseil municipal de Roscoff insistait
auprès de la Chambre de Commerce de Morlaix pour créer un abri sérieux car “ ces pêcheries de Sieck
seront pleines d’avenir lorsque Roscoff sera relié au chemin de fer existant ”.
On pratiquait la pêche côtière ( sardines, maquereaux, raies, etc .. ) et même la pêche plus lointaine. Des
bateaux langoustiers allaient vers les côtes d’Espagne, au Portugal pour alimenter le vivier en crustacés
d’Espagne et surtout de jeunes homards car les langoustes de France diminuaient en qualité et en grosseur
à la suite d’une épidémie qui avait ravagé tous les viviers du littoral. L’écoulement de ces crustacés devenus
adultes se faisait facilement vers Ostende en Belgique. La pêche était bonne, le commerce florissant. La
sardine ayant disparue un moment des parages et la concurrence victorieuse de l’Espagne, de l’Angleterre,
des États-Unis et surtout du Portugal, dans la conserve des sardines, amenèrent une nouvelle fermeture de
l’usine de Sieck vers 1882. Vers 1887, la sardine revenait en abondance ; les bateaux faisaient bonne pêche
et les bateaux étrangers venaient même se joindre à eux. On peut évaluer à 5.000.000 le nombre de sardi-
nes prises pendant cette saison dans les baies de Sieck et de Moguériec. Une partie de ces sardines fut
expédiée sur les usines de conserve du Finistère, tandis que l’autre était expédiée en “ vracs ”. L’usine de
Sieck resta néanmoins fermée.
Par contre la pêche du gros poisson tendait à donner déjà des résultats déplorables. A partir de 1887, les
comptes-rendus de la Chambre de Commerce de Morlaix font l’écho des doléances des pêcheurs de la
région. C’était la fin de l’âge d’or pour la pêche. Désormais celle-ci allait occuper un nombre de plus en plus
réduit de bateaux. La décadence ne se fit pas sentir tout de suite. Le 3 mai 1888, le Conseil Municipal de
Roscoff demandant la création d’une voie ferrée Morlaix - Roscoff, invoquait les motifs suivants : “ le trans-
port de quantité considérable de légumes et de poissons … actuellement de 150.000 kgs de poissons sont
transportés à la gare de Morlaix. Ce volume pourrait doubler facilement. Le poisson frais expédié par char-
rettes chaque jour de Roscoff et des environs est évalué à 50.000 francs ”.
La construction de cet embranchement de Morlaix à Roscoff ne devait pas arrêter la décadence. L’activité du
pays se tournait de plus en plus vers la production de primeurs. La pêche du poisson commun et du poisson
fin ne rendait pas, la surveillance pour la conservation du poisson et la reproduction n’était pas suffisante.
Les crustacés se faisaient de plus en plus rares sur nos côtes, et la vente à l’étranger était plus difficile
pendant l’hiver 1887-1888 , elle fut 30% moins productrice que l’hiver précédent. En 1893, les journaux ne
lançaient-ils pas des bruits d’empoisonnement qui occasionnaient la mévente. Quant à la vente du poisson,
elle était de plus en plus mauvaise par suite de son état défectueux à son arrivée sur le marché. La Compa-
gnie de l’Ouest ( chemin de fer ) ne voulait pas affecter sur cette ligne des wagons spéciaux à persiennes et
à double fond. Les paniers étaient empilés pêle-mêle dans les fourgons, ceux du dessous arrivaient complè-
tement écrasés avec des marchandises invendables. Les frais de transport et de commissions aux halles de
Paris étaient trop élevés par rapport à la valeur de la marchandise. Les expéditeurs anglais et allemands
envoyaient du poisson sur le marché de Paris à des conditions telles que le plus souvent nos nationaux ne
pouvaient soutenir la lutte. Les tarifs de chemin de fer étaient trop élevés pour les denrées notamment pour
la marée. Il arrivait que le port était plus cher que le prix du poisson lui-même. Ainsi vers 1890, la raie et le
congre se payait 0,10 franc le kilo, alors que le port pour Paris était de 0,12 franc par kilo. Pour toutes ces
raisons la pêche perdit de plus en plus d’importance. Actuellement, elle se maintient un peu à Santec et à
Roscoff où les pêcheurs forment une petite caste que n’envient pas avec raison les maraîchers ni les mar-
chands de la ville.
Il y a 63 pêcheurs, à Roscoff, 65 à Sieck - Santec ou la population totale est plus faible d’un tiers environ et
15. à Saint-Pol où la population est deux fois plus forte. Ce sont donc, 143 individus qui vivent uniquement
du produit de leur pêche comme on le voit, la proportion est faible en face de celle des cultivateurs et des
journaliers. Santec possède 43 bateaux de pêche répartis dans les petits ports de Sieck, du Dossen, du
Poulduff, du Théven. Roscoff en 41 et Saint-Pol 9. Sieck et Roscoff sont de même importance. Le quart
seulement des bateaux possède un moteur (24%). Leur production totale par an est de 47.750 kilos de
poissons et 13.500 kilos de crustacés.
On pêche dans les environs immédiats de la côte les crabes, les merlans, les merlus, les raies, les plies, les
congres, les maquereaux, les sardines, quelques homards et langoustes. La pêche en mer se fait au filet, à
la senne, à la ligne sur place ou traînante. On pose des casiers à homards et des palangres. La pêche à pied
sur la grève lorsque la mer se retire des étendues ensablées de l’Aber et de Pempoul procure aussi aux
pêcheurs ou aux enfants de paysans qui habitent tout près de la côte. On récolte des coquillages, des
crabes, parfois des congres ou des plies qui se réfugient sous les roches dans les anfractuosités remplies
d’eau. On pêche également la crevette le long du rivage à mesure que la mer monte et descend près des
rochers et dans les bandes des zostères ( Plante –potamogétonacées- qui forme des prairies sous-mari-
nes.) et le mulet à marée descendante en tendant des filets de barrages.
Sieck est le seul port du Minihy qui pêche la sardine. En 1930, Roscoff avait encore des bateaux sardiniers,
mais la difficulté de s’approvisionner de rogue qui venait surtout de Norvège et qui était fort chère fit qu’elle
abandonna cette pêche. Malgré ce maintient de la pêche à la sardine Sieck a fermé définitivement son usine
qui s’était réouverte quelque temps avant la guerre de 1914.
Comment peut-on expliquer cet échec ? La sardine aurait t’elle tendance à disparaître de cette région ? Non,
mais les bancs de sardines sont extrêmement capricieux. A la suite de multiples et patientes observations,
l’Office Scientifique des Pêches est parvenu à déterminer dans ses grandes lignes le mouvement des bancs
sardiniers au cours de l’année.
En Atlantique la sardine apparaît au fond du golfe de Gascogne vers Saint Jean de Luz dès le mois d’octo-
bre et sa pêche se poursuit jusqu’en avril. En mai, le poisson apparaît près d’Arcachon. A la même époque,
on le signale dans les parages des Sables d’Olonnes et de Saint Gilles. Puis, il gagne progressivement vers
le nord : l’île d’Yeu, Saint Nazaire, le Croizic, la Turballe. Au début juin, la sardine apparaît dans les eaux de
Quiberon et de Belle-Ile. Puis vers le Guilvinec et Penmarc’h. Enfin de juin, elle monte sur la côte Ouest du
Finistère : Audierne, Douarnenez ; puis en juillet plus au Nord, vers Camaret et Brest. Et ce n’est qu’en août
qu’elle arrive sue la côte Nord, vers Roscoff et en Baie de Lannion. C’est la sardine de rogue. Les bancs
venus avec constance et abondance vers la 2ème moitié du 19ème siècle et qui avait déterminé la création de
la conserverie de Sieck, se firent plus capricieux. Ce fut la misère après des années d’abondance. L’usine se
ferma.
Certaines années la sardine abonde encore dans cette région. En particulier, le 13 février 1939 ( la sardine
se voit rarement sur les côtes à cette période ) les riverains de l’estuaire de la Penzé avaient une heureuse
surprise : des sardines par milliers poursuivies sans doute par leurs voraces ennemis, fuyaient la mer pour
se réfugier dans la rivière. C’était un grouillement inimaginable. Ce fut plus impressionnant encore lorsque
les premières arrivant aux abords du Pont de la Corde tentèrent de fuir l’eau douce pour retourner vers la
mer. Le banc était si long et si dense qu’elles se heurtèrent à celles qui les avaient suivies. Et ce fut un
“ embouteillage ” à la surface de l’eau toute miroitante de reflets argentés, c’était un bouillonnement sans fin.
L’affolement était tel que de quantités de poissons vinrent s’échouer sur la grève de Pors Doun en Saint-Pol.
La nouvelle se répandit et de Carantec, Pempoul, Henvic, les pêcheurs s’empressèrent d’arriver. mais ils
devaient à chaque coup limiter leurs prises à la résistance de leurs filets.
Cependant les barques se remplissaient à tel point que l’une d’elle coula sous sa charge. Sur la rive, pour
tirer parti de l’aubaine on accourut avec des sacs, des brouettes, des charrettes et même des camions.
Malgré cet empressement le banc ne semblait pas s’épuiser ; les jours suivants les pêcheurs de Santec,
Sieck, Moguériec et d’ailleurs arrivèrent et emportèrent eux aussi de grandes quantités de sardines. Pour
écouler cette pêche miraculeuse les mareyeurs avaient du s’organiser en hâte et après avoir dirigé le pois-
son sur les divers marchés de la région, ils en expédiaient à certaines usines du Sud Finistère. Jusqu’à la fin
d’avril, on pêcha de la sardine sur cette côte ; les captures n’étaient pas moins abondantes que les premiè-
res. Une demi-douzaine de pinasses de Douarnenez s’installèrent dans le pays. Ce fait est assez rare mais
montre bien combien la pêche à la sardine est soumise à de brusques variations. Les pêcheurs et les
usiniers de Douarnenez connaissent ces moments d’abondance et de disette. Néanmoins ces usines conti-
nuent à fonctionner. Mais, Sieck est une trop petite usine, d’importance toute locale ne pouvait supporter ces
changements de fortune.
Pourtant cette raison n’eut pas été suffisante pour provoquer la fermeture de l’usine. En effet sont les trans-
formations des conditions économiques qui devaient l’amener. Ces conditions ne pouvaient plus assurer
comme autrefois la marche d’un établissement industriel si petit. Tout d’abord, la grave question de la rogue
arrêta la pêche ; la meilleure rogue venant de Norvège se trouvait très difficilement. Puis lorsque la pêche
reprit, l’usine dont l’activité était limitée à la conserve des sardines ne pouvait plus subsister. Il y avait bien eu
l’essai de Laber pour installer une usine de conserves de légumes. Cet, essai avait échoué ; les bénéfices
réalisés durant la trop courte campagne de pêche était loin d’être suffisants pour couvrir les frais d’une
année entière. L’éloignement de l’île des centres d’expédition et le renchérissement toujours croissant des
prix de transport ne permettaient plus d’entreprendre la fabrication d’autres conserves. Ce fut la fin d’une
industrie qui avait longtemps animé le pays.
Le poisson pêché dans le Minihy dépasse de beaucoup, les besoins locaux ; une assez forte quantité est
expédiée soit sur les Halles Centrales de Paris, où les ventes se font généralement à la commission soit sur
les marchés de Bretagne. Avant la guerre de l939, les envois étaient individuels ; chaque pêcheur expédiant
ou livrant à un revendeur attitré. Depuis 1939,le principal mareyeur propriétaire des viviers de Roscoff,
concentre toutes les expéditions.
Les crustacés donnent lieu à une pêche et à un trafic de semblable importance. Ce fut en 1863, que Mon-
sieur Chevalier, capitaine au long cours obtint de l’état la permission de construire un “ Vivier ” dans une
petite baie située au-dessous des rochers que domine la chapelle Ste Barbe et adossée à la pointe ro-
cheuse sur laquelle est bâti le fort Bloscon. Monsieur Chevalier fit l’acquisition du terrain puis après arrange-
ment avec la commune, il fit pratiquer un chemin qui lui permit d’accéder plus facilement à son vivier. Le
vivier est isolé de la mer par une digue en demi-cercle appuyée à la base par de gros blocs rocheux. Cette
digue haute de 10 mètres et large d’environ 3 mètres est percée de portes - vannes qui permettent de laisser
entrer et sortir à volonté les eaux de la mer dans ce bassin ainsi formé. Le bassin a une superficie d’un
hectare et il contient plusieurs milliers de mètres cube d’eau de mer renouvelée deux fois par jour par le jeu
des marées. Le vivier peut contenir, jusqu’à 80.000 crustacés. Le fond est rocheux sans vase avec de gros
blocs de pierre constituant pour les animaux un abri naturel. Tout autour de la digue circulaire est suspendu
un plancher à claire-voie large d’environ 4 mètres et soutenu par des piliers en pierre qui permet aux crusta-
cés de se réfugier à l’ombre, lorsque la lumière solaire est trop vive. Les homards et les langoustes peuvent
y séjourner plusieurs années en toute prospérité. Ils sont nourris en hiver seulement de poissons frais et de
coquillages fournis tous les jours.
Certains de ces crustacés proviennent de la pêche locale. Mais l’épidémie qui s’abattit sur eux vers 1878
détruisit la race presque complètement pendant plusieurs années. La langouste surtout devait disparaître de
nos côtes ; le homard se trouve encore en abondance, malgré que les fonds soient dévastés par les pieu-
vres. D’ailleurs les bêtes pêchées près des côtes ne sont pas aussi vigoureuses que celle que l’on va
chercher au large dans les grands fonds de l’Atlantique.
Pour faire face à la déficience de la pêche locale les pêcheurs de Roscoff, Santec, Moguériec vont chercher
leurs crustacés aux îles Sorlingues, sur les côtes du Portugal, de l’Espagne et jusqu’en Mauritanie. Les
bêtes jeunes qu’ils apportent sont gardées et élevées au vivier qui ne les vend que lorsqu’elles ont atteint
une certaine taille. Les bateaux viviers qui se livrent à cette pêche sont originaires de Roscoff, Moguériec,
Porsall, Camaret, Brest, Audierne et des ports du Sud-Finistère. Ils apportent par campagne de 5 à 6.000
langoustes pesant jusqu’à 5 kilos pièce. Cette petite flotte de navires homardiers part à une époque détermi-
née et revient porter le produit de sa campagne à Roscoff. Depuis 1935 environ, les bateaux du Sud Finis-
tère ne viennent pas à Roscoff livrer leurs marchandises : les camions du vivier vont les chercher dans leur
port d’attache.
Le vivier était aménagé aussi pour conserver les poissons qui pouvaient vivre dans une captivité relative à
l’intérieur d’un bassin séparé. C’étaient surtout des bars, des mulets, des turbots. Jusqu’en 1939, il ne s’est
occupé uniquement que des crustacés ; depuis I940, il se charge de ramasser par camion tout le poisson
pêché sur la côte. Le commerce des homards et des langoustes a subi depuis 1863 quelques fluctuations,
moins graves néanmoins que celles du commerce des poissons. Vers 1871, c’était la pleine prospérité.
Annuellement, les expéditions se montaient par chemin de fer de 45 à 50.000 kgs de crustacés vivants. Mais
en 1887, une épidémie qui sévit sur tout le littoral occasionna de graves pertes.
Il fallait reconstituer la réserve. Heureusement que les langoustes d’Espagne donnaient avec abondance et
permettaient un approvisionnement facile. Les homards se vendaient en Belgique, à Ostende en particulier.
En 1876, le port de Roscoff expédiait 186 kgs, 50 de homards à destination d’Ostende, chargés sur 9
navires belges, entrés sur lest. Mais les prix étaient peu rémunérateurs et dans les autres contrées les
crustacés étaient très peu demandés. Depuis 1892-1893, les ventes sont meilleures et les prix plus élevés.
Le commerce n’a donc fait que s’étendre depuis cette date. Le vivier expédie aux particuliers ses bêtes
vivantes dans toute la France, vers Cannes, Toulon, l’Hérault, le sud de la France et surtout aux environs de
Paris, en Suisse et même quelquefois en Italie.
On a essayé d’expédier en Algérie, ce fut un échec, les bêtes n’arrivant pas vivantes. Les expéditions se font
par chemin de fer. On emballe les bêtes vivantes dans des caisses en bois contenant de la sciure de bois, en
hiver, et de la sciure et de la glace en été. Ces caisses arrivent en pièces détachées des Landes de la
Girondes et sont montées sur place. Les expéditions qui se font très souvent contre remboursement, sont
plus nombreuses en été qu’en hiver. L’hiver c’est la morte saison sauf à l’époque des Grandes Fêtes. Les
bêtes arrivent très vivantes chez le destinataire. Aux Halles de Paris, le vivier de Roscoff a des mandataires
auxquels il envoie ses langoustes fatiguées, car il se fait scrupule de n’expédier que des bêtes très vigoureu-
ses. Le vivier occupe 5 à 8 personnes. La famille Oulhen, propriétaire du vivier de Sainte Barbe possède
également en Bretagne d’autres établissements similaires, en particulier à L’Aber Wra’ch, à Camaret, au val
André. Elle s’est entendue ( avant la guerre 1939 ) avec les chemins de fer pour bénéficier de, trains de
marées. Le transport reste toujours cher, alors que le kilo de langouste valait 32 francs en 1938, le transport
pour Paris était de 15 francs par kilo. Actuellement les expéditions aux particuliers se sont grandement
ralenties.
La pêche n’est donc pas une ressource essentielle pour le Minihy. Le vivier seul possède une certaine
importance ; il faut noter qu’il fait vivre plus de pêcheurs étrangers au Léon que de pêcheurs roscovîtes.
D’autre part, la pêche attire moins en moins les jeunes, les fils de pêcheurs, lorsqu’ils le peuvent ils préfèrent
s’engager dans la Marine Nationale ou devenir journaliers. Ils voient le contraste frappant entre leur classe et
celle des cultivateurs : la leur végète, tandis que l’autre vit très largement. Dans ces conditions, ils ont aban-
donnent ce métier dont le profit n’est pas en rapport avec les peines et les fatigues endurées.
III – E
Saint-Pol qui, au moyen âge avait des marchés importants, vit son influence décliner rapidement à une
époque où les relations maritimes l’emportaient. La position géographique de son port est très mauvaise.
Pempoul à marée basse est presque complètement à sec, ce qui est cause de retard pour la rentrée ou
sortie de bateaux. La Penzé qui débouche 1 km environ plus au Sud lui envoie des alluvions qui causent son
envasement progressif. Si bien que Saint-Pol perdit de plus en plus d’importance au point de vue commer-
cial, tandis que Roscoff au contraire mieux situé, directement vers la pleine mer, s’accaparait tout le trafic.
L’historique du commerce dans cette région se confond avec celui de Roscoff. Au 6ème siècle le port de
Rosko Goz situé au nord-est de la baie de l’Aber était un emplacement propice pour la navigation et présen-
tait le double avantage de recevoir des grands bateaux dans la rade de Batz et d’offrir aux plus petits un abri
dans sa baie.
La Pêche, la petite navigation et les escales constituaient toute l’activité de vieux Roscoff. En 1378, Rosko
Goz était pillé et incendié. L’aber s’ensablant, les roscovites allèrent rebâtir leur ville plus à l’Est. Dans cette
cité nouvelle, le commerce prit faveur. Un siècle plus tard, vers 1480-1500, Roscoff possédait des armateurs
“ qui faisaient mettre en mer plusieurs corsaires ”. Vers cette même époque, on construisait le premier quai
de Roscoff qui s’appuyait au Rocher du Grand Quellen et qui devait par la suite subir de nombreuses
modifications.
Durant trois siècles, l’unique richesse de la ville fut le commerce de mer. Roscoff était exclusivement mari-
time. De 1612 à 1754, la Confrérie de St Ninien, sorte de syndicat religieux et professionnel groupait les
armateurs et les commerçants. Le commerce était alors l’unique préoccupation de tous. Les nobles même y
participaient et voyaient leurs privilèges maintenus par une ordonne de Pierre Duc de Bretagne. Bien mieux,
des commerçants étaient anoblis. Roscoff eut pu imiter Venise, s’il s’était constitué une aristocratie mar-
chande héréditaire.
Quelles étaient donc les marchandises qui fournissaient une matière à ce trafic si florissant ? Tout d’abord,
il y avait le sel que l’on exportait. La Bretagne n’était pas soumise à la gabelle et 40 à 50 bateaux dieppois,
gênés par cet impôt venaient acheter leur sel à Roscoff qui le faisait venir du Croisic. Puis le blé et les toiles
constituaient les principales marchandises à la sortie. Les toiles s’expédiaient jusqu’en Espagne : il reste un
souvenir de ces relations anciennes dans le nom de la pièce de 25 centimes qui s’appelle le “ réal ”. Roscoff
recevait les eaux de vie, les vins, l’huile d’olive, les grains de lin. D’autre part, ce port se livra de bonne heure
au commerce interlope ( navire marchand trafiquant en fraude ), qui acquit une certaine ampleur avec le thé
et les merrains ( menues planches de chêne dont on fait notamment des douves de tonneaux). Les barils
ainsi fabriqués à Roscoff étaient utilisés pour la contrebande des vins et spiritueux. La situation était favora-
ble à la contrebande : la situation de Roscoff à l’extrémité d’une avancée rocheuse, la proximité de l’Angle-
terre et de l’Ecosse qui imposaient des droits exorbitants à l’entrée de ces marchandises. Il y avait aussi
l’histoire de la ville et mentalité de ses habitants qui étaient des commerçants dans l’âme. Les eaux de vie de
vins et le genièvre étaient mis dans ces petits barils fabriqués à Roscoff. ; ceux-ci liés par un cordage et
mouillés sur un câble étaient jetés à la mer à l’approche des côtes. On les dérobait ainsi à la vue des commis
des douanes anglaises. La nuit venue, les marchands anglais venaient les chercher.
Vers 1760, une cinquantaine de lougres, de sloops faisaient la navette entre Roscoff et la côte britannique.
Il était impossible d’évaluer les quantités d’alcool passées par Roscoff ; cependant la valeur des marchandi-
ses transportées devait excéder 4 ou 5 millions de livres.
Mais bientôt l’industrie du textile de Bretagne s’effondra car un traité de commerce franco-anglais du 27
septembre 1785, abaissait les taxes sur les passementeries ( ensemble des ouvrages de fil -passements,
franges, galons destinés à l’ornement des vêtements, des meubles, etc.) et tissus anglais. En contrepartie,
l’Angleterre allégeait ses droits sur les vins et spiritueux.
La contrebande n’avait plus de raison d’être et elle cessa. Les troubles engendrés par la Révolution ache-
vaient le port de Roscoff. Nous extrayons des archives municipales de Roscoff en date du 12 fructidor An 4 :
“ la misère des habitants est affreuse par suite de la suppression de tout commerce ”. Le quai menaçait
ruine, les chemins étaient en mauvais état ; depuis 1781, le Conseil Municipal de Roscoff demandait à
Messieurs les Administrateurs des départements la construction d’une route entre Roscoff et Saint-Pol de
Léon. Roscoff courbé sous le despotisme affreux de Saint-Pol voyait enfin cette route s’ouvrir en 1795. Le
Conseil Municipal entonnait un chant d’espoir de voir renaître son commerce, mais pour cela il aurait fallu
améliorer le port qui était négligé.
Cette seconde décadence de Roscoff qui rappelle celle de 1387 allait se poursuivre jusqu’au milieu de
l’Empire. Le blocus continental de Napoléon 1er fit renaître les jours d’or du commerce illicite. Qui dit blocus,
dit contrebande… Elle dura 8 ans de 1806 à 1815. Les barils de vins et d’eau de vie retraversèrent la
Manche. Des corsaires comme “ Le point du jour ” et “ L’embuscade ” brillèrent dans la guerre de course. De
grosses fortunes s’édifièrent. Mais la surveillance anglaise dépista les fraudeurs et la chute de Napoléon
marqua la fin du trafic de contrebande.
C’était la 3ème décadence du commerce roscovite. La Chambre de Commerce de Morlaix dans une lettre de
1875, constate amèrement que ce commerce d’eau de vie a cessé d’être un aliment à l’emploi des capitaux
à Roscoff, “ cette petite ville si florissante en combattant ou trafiquant contre l’Angleterre ”, était devenue
déserte, son port était abandonné.
Mais Roscoff se lançait dans une autre voie : ce que la guerre lui avait donné ; ce que la paix lui avait retiré,
l’agriculture allait le lui rendre. La culture maraîchère prenait de plus en plus d’importance. Il fallait écouler les
produits.
En 1828, une gabarre chargée de sacs d’oignons quittait le port désert. Le chargement appartenait à quatre
paysans dont l’un s’appelait Henri Ollivier. Il revint quelque temps après la cale vide et les poches pleines de
livres sterling. Une ère nouvelle commençait, le commerce maraîcher était né.
Henri Ollivier, né à Roscoff en 1808 décida de faire fortune. Tout jeune avant son départ pour l’Angleterre, il
se rendait en charrette à Rennes pour vendre ses légumes. Un jour hardiesse incroyable, il arriva à Paris sa
charrette pleine d’oignons. Il réussit à se faire une clientèle qui lui demeura fidèle et à laquelle il expédiait
chaque année ses légumes par mer par le port de Morlaix. Un service régulier était établi entre Morlaix et Le
Havre. Le voyant s’enrichir rapidement, les roscovites s’empressèrent de l’imiter. Ils entassaient leurs pro-
duits dans leur charrette, mettaient leur chapeau à large bord et leur ceinture de flanelle bleue et partaient en
faisant le signe de la Croix pour aller quelque fois à cent lieues vendre directement aux consommateurs leurs
artichauts, leurs asperges, etc.
C’était en outre une époque favorable pour entreprendre le commerce de légumes avec l’Angleterre. Celle-
ci en effet se transformait rapidement en une puissance industrielle. Il lui fallait chercher en dehors l’appoint
indispensable à sa subsistance et les primeurs de Roscoff avaient de fortes chances d’être bien vendues
puisqu’ils venaient 5 ou 6 semaines avant la récolte anglaise. Le débouché était sûr. Ce fut une série de
succès. A partir de 1850, Le port de Roscoff étant toujours en très mauvais état deux services réguliers de
cabotage fonctionnaient à Morlaix ; l’un allant vers Liverpool transportait des légumes du Léon et des fraises
de Plougastel ; l’autre allant vers le Havre transportait les mêmes produits pour les cargos de Brême, Ham-
bourg, et les pays du Nord. Une partie de ces légumes débarquées au Havre restait dans cette ville ou était
dirigée vers Paris.
Le nombre de caboteurs s’accroissait toujours en raison directe de la production maraîchère. La vente des
produits n’était plus limité que par la production insuffisante à répondre à toutes les demandes. Jusqu’à là
les expéditions s’étaient surtout limitées aux oignons et aux pommes de terre. Le développement des arti-
chauts et des choux-fleurs qui exigeaient un transport assez rapide allait obliger Saint-Pol à demander la
construction de chemin de fer Roscoff - Morlaix qui permettrait aux produits d’arriver à Morlaix plus rapide-
ment qu’en charrette.
Dès 1865, le Conseil Municipal de Roscoff réclamait cet embranchement. On faisait valoir que bien qu’éloi-
gnée de grands centres, dépourvue de routes faciles, la population industrieuse et active de la région sur-
montant des difficultés de transport presque innombrables, écoulait les produits de ses terres dans toutes
les directions. Le passage à Morlaix de la voie ferrée Paris - Brest économisait aux cultivateurs de grands
frais en les affranchissant en partie des inconvénients et des risques inséparables aux expéditions par mer.
Les difficultés de transport jusqu’à la gare de Morlaix étaient les mêmes et les grandes routes étaient aussi
impraticables que par le passé. L’embranchement proposé offrirait donc une économie de temps et de frais :
les rouliers portaient leurs légumes au prix de 2,50 francs par charrette portant de 600 à 700 kilos. Ces
voitures étaient accompagnées de 1 à 3 personnes dont la présence serait plus utile aux champs. Pour
arriver au marché de Brest par exemple vers 5 ou 6 heures du matin, il fallait souvent quitter Roscoff la veille
au soir. Les femmes se chargeaient souvent des transports à Brest. Cet embranchement permettrait égale-
ment de faire parvenir le sable calcaire des grèves pour amender les terrains siliceux de Carhaix. Il permet-
trait aussi au Minihy d’être relié rapidement à Brest qui était le principal port exportateur du Finistère. De
nombreuses lignes de bateaux à vapeur reliaient Brest à Bordeaux, à Dunkerque, au Havre, à la Belgique,
à la Hollande.
En 1872, Roscoff seul expédiait annuellement sur Brest 50.000 kilos de choux-fleurs, 50.000 kilos d’arti-
chauts et 2.000 kilos d’asperges. D’autres part les expéditions sur Paris seraient aussi facilitées. La majorité
de la population était favorable à la construction de ce chemin de fer. Certains cultivateurs soit par esprit de
contradiction, soit par attachement aux vieilles traditions, soit par méconnaissance de leurs intérêts manifes-
tèrent de différentes façons leur mécontentement. Le jour de l’inauguration en 1883, des paysans mirent des
blocs de pierre sur la voie pour faire dérailler le train.
Vers 1872, après bien des pourparlers, on admettait le principe d’une voie ferrée ; on hésitait à faire passer
la “ ligne centrale de Bretagne ” par Morlaix ou Landivisiau, Roscoff restant toujours tête de ligne. L’embran-
chement Roscoff - Landivisiau avait un moindre intérêt. Les expéditions vers cette ville se bornaient aux
petits choux. Les nombreuses charrettes se dirigeaient sur Brest, passaient bien par Landivisiau, mais s’il y
avait pour ces transports une économie de temps et de frais à passer par Morlaix, les gens du Léon donne-
raient sans nul doute préférence à Landivisiau. Ce ne fut qu’après 1880 qu’on se décidait pour le passage
par Morlaix. Le 10 juin 1883, on inaugurait enfin l’embranchement Morlaix - Roscoff. C’était la première voie
ferrée construite par l’Etat dans le Finistère.
Désormais les expéditions de choux-fleurs et d’artichauts sur Paris ne firent qu’augmenter. Les oignons et
les pommes de terre s’exportaient par le port de Roscoff ou de Morlaix. Le chemin de fer devait porter un
coup très grave à la ligne maritime de Morlaix, alors qu’à Roscoff, le rail et le bateau s’équilibraient. Les
navires de Roscoff étaient toujours sur trois rangs le long du quai accostable. En 1907, le port recevait 35
vapeurs et 236 voiliers qui exportaient vers l’Angleterre 16.575 tonnes de marchandises diverses, principa-
lement des légumes. En 1909, on inaugurait un service régulier Roscoff - Southampton ( Cie South-Western
) qui devait expédier des beurres salés et des marchandises destinées au Marché de Londres ou transitées
par l’Angleterre pour les Antilles. Cette ligne avait été décidée parce que le trajet Roscoff - Southampton était
plus court que celui du Havre ou de Saint-Malo à Southampton.
La guerre de 1914-1918 ralentit les expéditions sur l’Angleterre et les arrêta même un moment en 1913. En
1921 le trafic anglo-roscovite reprenait de plus belle. En 1922, 4.104 tonnes de pommes de terre et 3.042
tonnes d’oignons passaient la Manche, tandis qu’en 1911 on avait expédié 5.211 tonnes de légumes. Les
choux-fleurs commençaient aussi à devenir l’objet d’un trafic important, signalé pour la 1ère fois dans les
statistiques en 1926, 581 tonnes. En 1928, elle passait à 7.189 tonnes et en 1931 à 19.864 tonnes. Le trafic
vers l’intérieur était des plus florissant. Pendant la campagne 1922-1923, les expéditions par chemin de fer
se monteront à 5.530 tonnes pour les pommes de terre et à 10.571 tonnes pour les choux-fleurs. Le camion
prit également de plus en plus d’importance, la route fit concurrence au rail.
La situation économique paraissait stable. Cette production privilégiée répondait à des nécessités alimen-
taires. Les prévisions les plus optimistes étaient permises, mais l’inattendu arriva. Une crise vint obliger
l’Angleterre à abandonner ses principes de Libre Echange vers 1931-1932. La crise de surproduction qui
secoua la plupart des Etats après la guerre de 1914, la détermina à défendre ses propres productions contre
l’invasion des produits étrangers. Les autres pays l’imitèrent, des barrières douanières s’élevèrent et les
exportations d’oignons et de pommes de terre devinrent irrégulières, prêtes à cesser du jour au lendemain.
Puis ce furent les décrets anglais interdisant aux produits français l’accès du territoire britannique. Le pré-
texte fut l’apparition du doryphore dans l’Est de la France. L’Angleterre voulait se défendre contre la propa-
gation de cet insecte dangereux et par le décret Gilmour du 15 décembre 1931, elle interdit l’entrée de
pommes de terre en toute saison et l’entrée de choux-fleurs après le 14 mars ; le chou-fleur se développant
en hiver ne peut être atteint par le doryphore. Mais ces choux-fleurs importés devaient néanmoins être
accompagnés d’un certificat des Services Agricoles attestant que le produit venait d’une région éloignée
d’au moins 200 kilomètres d’une région “ doryphorée ”. Jusqu’en mai 1932, le Minihy remplissait ces condi-
tions puisque le doryphore était aux environ de Rennes. En 1933, le gouvernement demanda de laisser
ouvert le marché anglais après le 14 mars, puisque la récolte des choux-fleurs était cette année là retarda-
taire. Après bien des pourparlers, où on montrait en particulier que l’arrivée de ces choux-fleurs bretons ne
pouvait gêner la production anglaise, le Décret Gilmour, maintenu pour les pommes de terre fut levé pour les
choux-fleurs.
En 1932-1933, pas une seule pomme de terre fut débarquée en Angleterre ; quant aux choux-fleurs, ils
étaient frappés de lourdes taxes à l’entrée : 6 shilling ( 22,50 francs environ ) par cageot de 24 choux-fleurs.
C’était une taxe prohibitive quand à cette époque le chou-fleur était payé à la culture 35 à 40 francs le cent.
Le but de l’Angleterre était de défendre sa monnaie en réduisant ses achats à l’étranger et de défendre ses
cultures qu’elle essayait de développer. Dans ces conditions il n’y avait pas d’espoir de voir le marché
anglais s’ouvrir à nouveau.
La Hollande et l’Allemagne prirent des mesures semblables contre l’importation des légumes français. Ce fut
en 1932 une catastrophe pour notre exportation de pommes de terre qui passa de 12.355 tonnes en 1931 à
99 tonnes en 1932, puis à 35 tonnes en 1936. De même les exportations de choux-fleurs tombaient de
19.864 tonnes en 1931 à 11.000 tonnes en 1932. Cette chute n’était pas seulement due aux taxes anglai-
ses ; elles étaient redevables en partie à la concurrence redoutable de l’Italie pour ce légume. Les Italiens
bénéficient en effet de tarifs de transport inférieurs d’un tiers aux nôtres. Par une standardisation vigou-
reuse, ils ont su imposer un produit impeccable qui possède une qualité nationale imposée par le gouverne-
ment ; les emballages sont parfaits et la présentation soignée ; les transports se font en wagons frigorifi-
ques. Ce produit à commencer à gagner par le marché allemand.
Depuis 1930, les exportations italiennes de fruits et légumes s’intensifient ; elles augmentent de 39% sur
1929 et de 52% sur 1928, tandis que les exportations françaises diminuaient de 10% en 1929 et de 15% en
1928. Les exportations italiennes se faisaient particulièrement redoutables pour le marché de Saint-Pol en
Allemagne, Suisse et Hollande. En Hollande les importations de choux-fleurs italiens étaient en 1930, 35 fois
plus forte qu’en 1929. Le chou-fleur breton était invendable pendant la saison du chou-fleur italien, de
janvier à mars. Après nous avoir chassé du continent, le chou-fleur italien nous chassait de Grande-Breta-
gne. Pourtant par sa position géographique ce pays semblait hors d’atteinte ; logiquement les produits du
Léon devaient bénéficier de l’avantage de la proximité. Il n’en fut rien. Nos exportations de choux-fleurs en
Angleterre étaient tombées de 13.900 tonnes en 1936 à 5.421 tonnes en 1937 et à 2.488 tonnes en 1938.
Les importations italiennes dans ce pays passaient de 45 tonnes en 1929 à 2.450 tonnes en 1931. C’était la
ruine pour le Minihy du Léon. Les commerçants surent redresser la situation et s’adaptèrent à ce nouvel état
de chose. Roscoff avait connu bien d’autres périodes sombres dans son histoire. L’esprit entreprenant de
ses fils l’avait toujours sauvé. Cette fois encore, ils opérèrent un rapide redressement qu’il est important de
noter, car généralement le paysan breton ne sait pas s’adapter aussi rapidement. Le marché extérieur étant
fermé, on entreprit d’élargir la clientèle française et tandis que la courbe de nos exportations tombait de plus
en plus pour tendre vers zéro, la courbe du marché français prenait une direction ascendante.
Depuis 1932 le marché intérieur s’est développer intensément pour absorber les quantités de légumes que
l’on ne pouvait plus exporter. La consommation française qui en 1925-1926 était de 35,50% de la production
et 1927-1928 ( année de gelée) de 17,70%, passait en 19333 à 50% et en 1940 à 100%. Les expéditions sur
Paris et la province s’équilibraient, en 1935 – 14.932 tonnes de légumes sur Paris et 15.128 tonnes sur la
province.
Non sans mal le Léon avait donc réussi à redresser la situation. Ce fut alors la guerre de 1939… Actuelle-
ment il est impossible de prévoir le sort de ce commerce. Roscoff verra t’il encore son port encombré de
navires venant chercher des cargaisons de légumes ? Assistons-nous à sa 4ème décadence ? Il y a 150 ans
les roscovites auraient pu s’adonner à cette contrebande qui leur fut si chère. Mais la police maritime mo-
derne est trop bien faite, Roscoff ne verra plus ses contrebandiers célèbres et les grandes caves de ses
vieilles maisons n’abriteront plus de marchandises interdites.
III - E 1
Le marché n’est ouvert qu’aux artichauts et aux choux-fleurs. Pendant la “ saison ” les charrettes traînées
par un ou deux chevaux et les camions se pressent en rangs serrés. En hiver par exemple pendant la saison
des choux-fleurs, le paysage est animé par le va-et-vient des voitures portant la récolte au marché. A cette
époque, il n’y a pas moins de 2.000 charrettes chaque jour à Saint-Pol. Quelques kilomètres avant la ville les
routes ont été pavées de granit pour résister à ces charrois d’hiver. Les paysans des environs subissent
l’attraction de Saint-Pol et préfèrent venir à ce marché, bien qu’il en existe un parfois dans leur propre
commune ( Plouescat, Cléder, Taulé, Plouénan ). Le marché de Saint-Pol est réglementé par arrêté munici-
pal du 19 mars 1934. Avant cette date, le marché se tenait toute la journée ; les légumes exposés à l’air toute
une journée perdaient de leur fraîcheur, les paysans protestèrent. Actuellement, le marché à lieu tous les
matins de 07 h 00 à 14 h 00 et de 14 h 30 le lundi et les lendemains de fête légale. La ville de Saint-Pol
perçoit un droit de place par charrette, ce qui est pour elle une ressource important de revenus.
L’expédition des légumes se fait de deux manières : par chemin de fer ou camion, par mer à partir du port de
Roscoff. Le transport ferroviaire a pris de l’importance depuis 1932-1933, à mesure que les exportations
diminuaient à cause des décrets prohibitifs de certains Etats européens. En 1930, les gares de Saint-Pol et
de Roscoff expédiaient 11.346 tonnes de légumes ; en 1936 - 55.836 tonnes. Saint-Pol expédie annuelle-
ment 45.000 à 50.000 tonnes et Roscoff de 8.000 à 10.000 tonnes. En 1939, les 9/10ème de la production du
Léon prenait la voie de terre.
Le chemin de fer était le seul moyen utilisé jusqu’en 1932. Les grands magasins - expéditeurs possédaient
des entrepôts près de la gare de Saint-Pol. Depuis cette date, l’automobile lui a fait concurrence, le camion
a souvent été préféré pour les expéditions de choux-fleurs et d’artichauts pour plusieurs raisons. Le trans-
port est plus direct et plus rapide. Le camion prend au magasin de Saint-Pol sa charge pour la porter direc-
tement soit aux Halles centrales de Paris, soit aux différents centres de consommateurs. Ce sont des opéra-
tions de chargement et de déchargement qui sont supprimées. La marchandise subissant moins de manipu-
lations arrive en meilleur état. Le chemin de fer avait bien essayé de fournir des wagons frigorifiques mais les
résultats n’étaient pas satisfaisants.
D’autre part les frais sont moindres : le transport d’un cageot de choux-fleurs ( 30 kg ) pour Paris était en
1935 de 9,50 francs par chemin de fer et de 7,50 francs par camion. Le 1/5ème des expéditions se faisait par
camion. L’Etat a du prendre des mesures contre ce nouveau moyen de transport qui risquait de ruiner les
chemins de fer. Le Décret-Loi de 1935 sur la coordination du rail et de la route oblige les transports par route
à prendre comme fret de retour des marchandises apparentées au commerce ou à l’industrie qui a organisé
le transport aller. Or que pourraient transporter au retour, les camions de choux-fleurs et d’artichauts à
l’aller ? Le retour s’effectue le plus souvent à vide, ce qui augmente les frais de transport.
Le chemin de fer ou le camion expédie les légumes vers les centres français et vers les villes de Brest et de
Saint Malo où des bateaux se chargent de les exporter ; à Brest, c’est la Compagnie Nantaise qui expédie
vers Londres et en Algérie. A Saint Malo, c’est la Walford and Care’s Line qui fait le trafic avec les ports
anglais de la côte sud. Depuis 1939, le camion est abandonné. Le chemin de fer n’est plus que le seul
moyen de transport, moyen assez aléatoire étant donné l’état actuel de la France ( 1941 ). Le transport de
légumes s’est fait également par mer jusqu’en 1939. Le port exportateur étant Roscoff et non plus Morlaix
comme à la fin du 19ème siècle.
Le port actuel de Roscoff est construit au fond d’une anse naturelle entre le Fort Bloscon et le Vil à l’Ouest.
La première jetée construite vers 1500 n’était d’abord qu’une chaussée de pierre appuyée au Rocher du
Grand Quelen et qui aurait du avoir 143 toises (278,85 mètres). Le projet ne fut que partiellement réalisé
faute de crédits et Henri IV, puis Louis XIII autorisèrent la perception d’un droit d’ancrage dont le produit
servirait à l’allongement de la jetée. En 1649, la jetée fut terminée ; elle n’avait que 90 toises de longueur. En
1713, par une tempête de décembre, elle fut partiellement détruite et quand il fallut la reconstruire ce fut une
interminable dispute entre Saint-Pol qui détenait les crédits et ne voulait pas laisser sa rivale prendre de
l’extension, étant donné que son propre port de Pempoul était en pleine décadence, et Roscoff qui désirait
s’agrandir et secouer cette tyrannie.
Enfin les crédits furent alloués et la jetée fut reconstruite en 1718, et définitivement terminée 25 ans plus
tard. On l’avait agrandie de 60 toises, elle atteignait maintenant le Grand Quellen. Cette jetée est celle qui
existe aujourd’hui, elle mesure 300 mètres de long, 14 mètres de large ; face à la mer sa hauteur est de 8,64
mètres, du côté du port, elle est de 5,44 mètres. Elle abrite 4 hectares de sable et de vase qui assèchent
complètement à marée basse. On ne trouve à mi-marée que 0,50 mètre d’eau à l’extrémité du môle. La
hauteur des pleines mers au-dessus du niveau moyen varie à Roscoff de 1,50 à 5 mètres ou plutôt 1,40 à 4
mètres en écartant les marées extraordinaires. On voit donc que bien que pouvant recevoir exceptionnelle-
ment des navires de 300 tonneaux calant 4,50 mètres, le port n’est accessible en général qu’à des navires
de 3,50 mètres à 4 mètres de tirant d’eau jaugeant au maximum 150 à 200 tonneaux.
L’assèchement complet du port à marée basse devait amener les autorités à réclamer la construction d’une
autre jetée plus à l’Ouest, s’étendant plus en avant vers la mer et destinée à donner de la profondeur au port.
Cette jetée permettrait ainsi aux navires de charger et de décharger à toutes les marées. Cette réclamation
d’une nouvelle jetée apparut en 1882, à une époque où les navires qui chargeaient sur 5 ou 6 rangs obs-
truaient l’entrée du port. Les travaux furent déclarés d’utilité publique par Décret du 16 juin 1911. L’ouverture
du chantier eu lieu en août 1912 et les travaux furent poursuivis jusqu’en 1916, époque à laquelle ils furent
interrompus en raison de l’état de guerre.
Après la guerre la nécessité de reprendre les travaux inachevés et de les terminer se fit d’autant plus sentir
que la mer rongeait progressivement l’extrémité des murs et que l’activité du port augmentait d’année en
année. Les pourparlers engagés entre les collectivités intéressées en vue du financement des travaux furent
longs. En 1922, à cause de la dévaluation monétaire et le renchérissement de la vie, les frais fixés à 300.000
francs étaient passés à 2.000.000 de francs. Le projet financier fut approuvé par une décision ministérielle
en date du 15 octobre 1925.
Les travaux reprirent, mais une tempête devait apporter une perturbation en détruisant une partie de la jetée.
La première commission parlementaire, le 31 août 1930 constatait que tout le monde critiquait la durée de
ces travaux dont on ne voyait pas la fin. Ceci risquait d’amener un déclin du commerce ; plusieurs compa-
gnies anglaises de navigation demandaient tous les ans quand le port serait terminé pour y envoyer des
bateaux. Cette jetée était achevée en 1934-1935.
Au bas de l’échauguette de Marie Stuart baignée autrefois par les flots, se dresse un terre-plein qu’agrandit
l’ancien quai. Le quai limite la chaussée au Sud. Cette digue longue de 380 mètres, de direction générale
Ouest - Est, ferme le bassin à l’ouest et crée ainsi le nouveau port. Le deuxième bassin a sur le premier
l’avantage d’un plus grand tirant d’eau : 6,30 mètres par grandes marées et 3,30 mètres par petites marées
de mortes-eaux ; il est donc accessible plus longtemps, ce qui permet un chargement rapide ce qui est
primordial pour les primeurs. Par habitude sans doute les navires se pressent plus nombreux le long de
l’ancienne jetée. C’est là que se font presque tous les embarquements d’oignons pour l’Angleterre.
Le vieux port qui s’envase a besoin d’être dragué ; le dernier dragage date de 1930. Pourtant cette question
de dragage est importante ; dans les mortes-eaux les cargos ne peuvent que prendre une quantité très
minime de marchandises afin d’assurer leur départ. Il résulte qu’une grande partie de cette marchandise
achetée pour l’expédition ne peut être expédiée et reste dans les magasins. D’où encombrement et perte
dont la répercussion se fait sentir chez le cultivateur. Il est arrivé, assez fréquemment, que certains vapeurs
n’ont pu assurer leur départ en raison du manque d’eau. Certains commerçants ont eu de ce fait de très
grosses pertes se chiffrant par plusieurs milliers de francs. L’état actuel du vieux port est plutôt défectueux.
Le nouveau port, au contraire, aurait pu prendre une certaine importance, mais quand il était achevé la
période de trafic intense était terminée. Réclamé en 1882 à une époque ou sa nécessité se faisait grande-
ment sentir, il était achevé en 1935 à un moment ou l’exportation était mortellement frappée… depuis la
guerre de 1939, seuls les petits bateaux de pêche viennent ancrer à l’abri du vieux môle. L’expédition des
primeurs donnant un trafic saisonnier irrégulier, il est impossible au port de Roscoff de posséder un arme-
ment propre pour ses transports. L’armement Roscovite est presque nul. Il n’y a plus d’armateur, un seul
propriétaire de navire marchand faisait vers 1920, le trafic d’oignons et de charbon vers Cardiff, au pays de
Galles. Tous les voiliers qui font du cabotage ou qui transportent des légumes vers l’Angleterre appartien-
nent à des armateurs des Côtes du Nord. Les Anglais envoient des petits cargos à vapeur pour prendre
livraisons de leurs achats. Avant la guerre de 1914, il existait une ligne régulière de transport “ Southampton
– Roscoff ”. Après la guerre, ce sont des vapeurs appartenant à la Compagnie anglaise “ Walford and
Care’Line ” qui assurent le trafic entre Roscoff et Weymouth et Southampton. Cette compagnie a également
des vapeurs à Saint-Malo.
Jusque 1925-1926, les exportations de légumes de Saint-Pol et Roscoff passaient encore par Morlaix et
Saint-Malo pour se diriger vers l’Angleterre. Depuis cette date on préfère la voie maritime de Roscoff qui
offre l’avantage d’être plus rapide puisque les transports ferroviaires sont supprimés et d’être moins coû-
teuse également puisque l’on supprime des manipulations. En 1928, le prix de la tonne de légumes pour
Londres en passant par Saint-Malo était de 461,25 francs et en passant par Roscoff de 322,40 francs.
Malgré l’état défectueux du port roscovite, les bateaux y venaient de plus en plus chercher leur charge au
centre même de la production. Le tonnage des produits exportés par Roscoff n’a fait qu’augmenter à mesure
que diminuait celui de Saint-Malo. Le cas est typique pour les choux-fleurs. En de hors de la Grande-Breta-
gne, le cabotage international est à peu près inexistant. Les bateaux belges viennent encore quelquefois
prendre des crustacés.
Le tonnage net des navires, entrée et sortie, donne les moyennes annuelles suivantes :
· A l’entrée
· pour 100 tonneaux français chargés, 46 sont sur lest
· pour 100 tonneaux anglais chargés, 75 sont sur lest.
· A la sortie
· pour 100 tonneaux français chargés, 14 sont sur lest
· pour 100 tonneaux anglais chargés, 0,90 sont sur lest.
Nous observons que jusqu’en 1931, pour les navires la courbe va à peu près en croissant. En 1931, chute
rapide qui est du à la fermeture des marchés extérieurs et surtout du marché anglais, tandis que le nombre
de caboteurs se maintient. A l’entrée, la houille est toujours mentionnée ; c’est la houille anglaise qui sert de
fret d’aller aux navires anglais. La quantité augmente toujours ; en 1886, 853 tonnes et en 1936, 7.000
tonnes. Le port reçoit encore des crustacés, des engrais marins, des superphosphates, des bois du nord,
des sacs de jutes vides, du ciment de Boulogne, et au cabotage des pommes de terre de semence jusqu’en
1939.
Il exporte surtout des légumes : choux-fleurs, oignons pour l’étranger, pommes de terre et artichauts au
cabotage, des œufs, du beurre salé et quelques crustacés. Ces échanges étaient très fluctuants. Vers 1883,
ils avaient atteint la valeur maximum puis ont diminués progressivement à cause de la concurrence du train.
Une certaine stabilisation s’était produite vers 1891, entre le rail et le bateau. Les exportations avaient même
repris et dépassé leur ancienne importance vers 1909 ; après cette date, elles ont progressivement dimi-
nuées jusqu’à la guerre de 1914. Elles reprenaient une importance qu’elles n’avaient atteinte de 1920 à
1931 ( 40.579 tonnes ). La baisse de 1926 correspond aux grèves anglaises qui ont entravées le trafic.
Depuis 1931, la chute a été brusque et irrémédiable, marquant seulement une légère reprise en 1936. Cette
année là, les sanctions économiques prisent contre les Italiens pendant la guerre d’Ethiopie profitèrent aux
cultivateurs du Léon. La concurrence italienne était éliminée en Angleterre et d’autre part la récolte étant
déficitaire en Pays de Galles, les exportations de choux-fleurs connurent un regain d’activité : 13.900 tonnes
contre seulement 5.000 tonnes en 1935. Les oignons également profitèrent de cet état des choses : 4.500
tonnes expédiées contre 638 tonnes en 1935.
Mais les décrets protectionnistes Gilmour - Bruncmann empêchèrent l’exportation de pommes de terres.
Seulement 35 tonnes quittèrent au cabotage pour aller au Havre où elles furent vendues sur le marché de
cette ville et l’intérieur du pays. Les sanctions contre l’Italie ne durèrent pas et à partir de 1937, le trafic est
allé en constante diminution jusqu’en 1939 où il a cessé complètement.
III - E 2
Plus tard la culture légumière prenant de l’extension, le marché journalier de Saint-Pol prit de l’importance ;
et cet achat sur pied fut presque complètement abandonné. La production et le trafic intense des primeurs
devaient naturellement entraîner la spécialisation et la séparation du travail et du négoce. Cette spécialisa-
tion n’est pas complète ; quelques fermiers vendent encore directement aux consommateurs locaux, ou
viennent même jusqu’à Brest et Morlaix pour écouler quelques sacs de pommes de terre ou d’oignons. Le
Santécois vient vendre ses carottes en brouette à Roscoff. Le producteur est rarement marchand et jamais
expéditeur. Il a besoin d’un intermédiaire. Il existe donc à côté d’une masse d’ouvriers sédentaires, un groupe
important de commerçants de profession. Actuellement le cultivateur peut vendre ses produits soit aux
commerçants, soit aux coopératives.
Le commerçant en gros qui s’appelle expéditeur à Saint-Pol, vient au marché qui se tient place de l’Évêché.
Là, il examine les produits, discute les prix ; lorsqu’il est d’accord avec un cultivateur pour lui acheter sa ou
ses charretées de choux-fleurs ou d’artichauts, il lui délivre un coupon à souche sur lequel il inscrit le prix
convenu. Autrefois, le marché était conclu lorsqu’on se frappait dans la main ; c’était un engagement sacré.
Le cultivateur n’a plus alors qu’à se rendre au magasin de cet expéditeur pour déverser ses produits et
recevoir généralement au comptant, le prix de sa vente. Là on procède immédiatement au triage et à l’em-
ballage des têtes par caissettes de 24 généralement, qui sont ensuite dirigées sur la gare. Ce commerçant
a son utilité ; jusqu’en 1909, il fut le seul acheteur sur le marché. Il offrait au cultivateur l’avantage d’écouler
tout de suite ses produits et d’en recevoir immédiatement le prix. Mais il s’est multiplié à l’excès, bien souvent
n’importe qui s’improvisait expéditeur, un simple valet de ferme quelquefois.
Ce commerce rapportait énormément, le commerçant faisait une fortune rapide, ce qui amena de la mé-
fiance et de la jalousie du cultivateur qui peinant plus durement à longueur d’année n’aboutissait pas au
même résultat. Le but du commerçant était en effet d’acheter au plus bas prix pour revendre avec un large
bénéfice ; cette marge assez large entre le prix d’achat et le prix de vente s’explique facilement car le
commerçant à de gros risques à courir ; les légumes achetés sont des denrées périssables, la mévente peut
se produire, l’emballage est très onéreux, les frais de transport et les frais généraux assez lourds ; il faut
également payer un personnel emballeur. D’autre part comme le commerçant paie comptant, il doit disposer
d’une certaine avance de fonds avant de pouvoir récupérer le prix de ses expéditions. Prenons le cas d’un
expéditeur moyen qui ne charge que deux wagons par jour, ce qui représente une valeur de 13.000 à 16.000
francs par jour. Le produit ne rentrera qu’une quinzaine de jour après. On peut donc compter une valeur de
200 à 230.000 francs qui est expédiée par terre ou par mer aux risques de l’expéditeur, avant qu’il ne rentre
dans ses débours. Le cultivateur qui a tendance à considérer le commerçant comme une personne qui ne
travaille pas beaucoup, s’estimait lésé devant la grande différence entre le prix d’achat et le prix de vente.
Voilà pourquoi en mai 1909, les producteurs se groupaient en formant le Syndicat Rural du Léon. Ce n’était
qu’un syndicat professionnel pour la défense des intérêts du groupe. Depuis la Loi de mars 1920, il peut
acheter et revendre à ses membres les produits et les machines nécessaires à leur travail pourvu qu’il ne
réalise aucun bénéfice. Le syndicat ainsi conçu n’avait pas d’action propre sur le commerce et la vente des
légumes ; cependant il groupait la presque totalité des producteurs et cultivateurs, il fut considéré comme un
corps hostile par les commerçants qui boycottèrent les syndiqués. Aussi ceux-ci se groupèrent ils en 1910
pour fonder une Coopérative de vente “ La Bretonne ”. A l’origine, elle avait 30 membres et le capital s’éle-
vait à 20.000 francs. Les débuts de cette coopérative furent très pénibles car les marchands lui firent la
guerre. D’autre part, l’année de sa création fut une mauvaise année.
Les pommes de terre primes se vendaient difficilement, la campagne de choux-fleurs était désastreuse,
celle des artichauts s’annonçait mauvaise. La Bretonne s’allia alors à l’Union des Maraîchers d’Angers,
coopérative florissante, pour mettre en commun leur clientèle. La Coopérative La Bretonne est aujourd’hui
prospère.
Les cultivateurs qui en font partie viennent apporter directement leurs produits à ses magasins qui ont été
aménagés auprès de la gare de Saint-Pol de Léon. La quantité et la qualité des apports sont mentionnés sur
le carnet que possède chaque adhérent. Cet organisme évite au cultivateur une perte de temps en ne lui
imposant pas le stationnement sur le marché et lui donne la certitude de vendre ses produits. Le désavan-
tage, c’est que le cultivateur n’est pas payé immédiatement. On le paye un peu plus tard au cours moyen du
marché et en fin d’année on lui verse une ristourne qui est proportionnelle à ses apports. Le bénéfice réalisé
par le cultivateur est donc certain mais il n’est pas aussi élevé que celui du paysan qui pratique le marché.
Cet organisme stabilise les cours et met fin à la lutte économique entre producteurs et commerçants.
La Coopérative calcule le prix de vente de façon à ce que le cultivateur retire un bénéfice et à ce que les frais
d’expéditions soient couverts. La Bretonne groupe 60 membres et son chiffre d’affaires était de 2.600.000
francs en 1932. Elle a un personnel de 15 ouvriers qui s’occupent du triage des produits, de leur emballage
et de leur expédition. Elle vend également à ses adhérents les produits nécessaires à leur exploitation,
comme la paille, les engrais, etc… Au début Coopérative et expéditeurs ne pouvaient s’entendre et es-
sayaient de convaincre les agriculteurs de leur utilité et leurs avantages respectifs ; le paysan Saint-Politain
hésita avant de savoir où se trouvait son véritable intérêt. La Bretonne refuse depuis longtemps de s’agran-
dir ; elle n’accepte plus de nouvelles adhésions, car elle craint de posséder plus de produits qu’elle ne
pourrait en vendre. Lorsque l’apport de ses adhérents est insuffisant, elle achète sur le marché à des non-
adhérents qu’elle paye immédiatement et qui ne participent pas à la ristourne. Le mot “ coopérative ” ne peut
donc plus lui être appliqué rigoureusement. C’est plutôt une association commerciale considérée comme
une personne civile et qui est imposée comme telle sur le chiffre d’affaires des expéditions vers l’intérieur (
les exportations n’étant pas soumises à l’impôt ).
Il existe à Saint-Pol une douzaine de coopératives similaires. Le Syndicat Agricole du Léon, créé le 2 février
1910 est un peu différent. C’est un dépôt de l’Union des Syndicats du Finistère et des Côtes du Nord dont le
siège est à Landerneau. Cet organisme puissant groupe 320 syndicats, 42.000 adhérents et possède 45
magasins. L’Union possède un Office Central à Landerneau qui est le trait d’union entre les syndicats com-
munaux rendus obligatoires par la Loi du 2 décembre 1940 et l’Union Nationale. Le syndicat du Léon re-
groupe 1.000 adhérents. Depuis la Loi du 2 décembre 1940, la Charte paysanne, il a pris le nom de Syndicat
Agricole Coopératif, ses statuts ont été modifiés dans le but de lui donner davantage d’extension. Il vend des
machines, des outils, des aliments pour le bétail, des engrais, etc… en somme tous les produits indispensa-
bles à l’agriculture.
Le Syndicat s’étend de plus en plus, les paysans y amenant volontiers leurs primeurs. Son chiffre d’affaires
était de 5.000.000 de francs en 1932. Le Syndicat Agricole Corporatif, à la différence de la Bretonne, ne paie
pas d’impôts sur le chiffre d’affaires, car il écoule les produits de ses membres en ne gardant pour lui aucun
bénéfice. Il ne joue que le rôle d’intermédiaire non payé et ne fait en somme qu’un groupage de commande.
Pour l’expédition des pommes de terre, artichauts, choux-fleurs, le nombre de commerçant est assez réduit,
45 à 50 à Saint-Pol et 10 à Roscoff. Mais leur chiffre d’affaires varie entre 7 à 12 millions par an.
Le commerce des oignons, au contraire, est pratiqué par un plus grand nombre de petits commerçants qui
groupent leurs achats et affrètent en commun un voilier. Leur nombre est environ de 200 pour Saint-Pol et
Roscoff. Depuis les difficultés nées de la crise de 1931-1932, les expéditeurs et les coopératives ont du
s’entendre.
Les ventes se font suivant les acheteurs à “ ferme ” ou à “ la commission ”. Pour l’étranger lorsque la vente
est faite à la commission, un représentant de la maison étrangère achète lui-même sur place et se charge de
l’expédition. Avant 1930, la vente se faisait à la commission en Angleterre. Un agent anglais pour La Bre-
tonne contrôlait les ventes des commissionnaires. Ces sortes d’expéditions ne se pratiquent plus beaucoup,
car elles offrent trop de risques à l’expéditeur. Depuis 1930, les ventes se font à ferme en Angleterre, Hol-
lande, Allemagne, Suisse. Les Allemands achètent à la gare de départ. Seule une faible proportion des
produits est vendue à la commission ( ¼ environ).
En Allemagne, on pratique aussi la vente par représentants, auxquels on expédie des légumes, ceux-ci
s’efforcent de les vendre dans les meilleures conditions. En Allemagne, Hollande, Belgique, les membres de
La Bretonne étaient en relation avec trois grandes maisons israélites. En Belgique, les expéditeurs envoient
difficilement leurs produits car les ventes dans les principales villes se font à la criée. Dans les pays étran-
gers, les expéditeurs et les coopératives auraient intérêt à avoir des agents français pouvant les renseigner
immédiatement sur les facilités de vente et le besoin du marché. Les commerçants doivent faire leurs offres
par télégramme et les commandes parviennent de même.
Pour les marchés français, les modes de vente sont plus variés. Certains cultivateurs vendent sur place à
des courtiers qui parcourent la campagne et qui se chargent de l’expédition. D’autres ont des acheteurs
attitrés pour lesquels, ils réservent leur récolte à un prix convenu d’avance. Mais ce procédé est aléatoire
pour les deux parties.
D’autres, pour les pommes de terre et les oignons expédient directement sur les bourses ou criée, mais les
risques sont également fort grands. Aux halles centrales de Paris, il y a trois catégories de demandeurs : les
mandataires qui vendent au nom d’un commerçant de Saint-Pol, les commissionnaires qui vendent moyen-
nant une remise et les approvisionneurs qui agissent pour leur propre compte. Les exportateurs choisis-
sent un intermédiaire et envoient leurs marchandises en tenant compte du prix du marché à Paris. Les
ventes aux mandataires et aux commissionnaires sont aléatoires aussi les commerçants préfèrent-ils les
ventes à ferme avec acceptation du prix du départ. En Normandie, dans les villes et les bourgades, le
commerce des légumes est souvent accaparé par les Roscovites et les Saint-Politains, à l’exemple des
Espagnols tiennent un magasin de primeurs. Dans les autres régions françaises, c’est une clientèle de détail
qu’il faut satisfaire, négociants en légumes ou coopératives de consommation qui achète à ferme.
Le commerçant doit être vigilant pour contenter sa clientèle ; il lui faut s’adapter à ses besoins et à ses goûts.
Ces expéditions exigent surtout beaucoup d’honnêteté et de loyauté sur la qualité, la quantité et la présen-
tation des produits. Pour l’étranger, les expéditeurs devraient imiter certains procédés de publicité employés
par leurs concurrents. Jusqu’ici la publicité est livrée aux initiatives individuelles. Il faudrait aussi un grand
nombre d’agents français sur place pour donner en temps utile des renseignements soit pour décongestion-
ner un marché encombré, soit pour expédier vers d’autres centres moins favorisés. Il faudrait éviter l’anar-
chie qui règne trop souvent sur nos procédés de vente.
La standardisation serait peut-être aussi à désirer. Elle a l’inconvénient de tuer toute initiative individuelle ;
ce qui répugne aux français. Pourtant, elle offre de sérieux avantages qui permettraient de lutter plus effica-
cement contre la concurrence étrangère. La standardisation a pour but de présenter toujours sous la même
forme, le même produit dont on connaît ainsi à l’avance la qualité et la grosseur. Elle permet aux producteurs
de se rendre compte des produits préférés par la clientèle, donc des produits qu’ils s’appliqueront à cultiver.
Elle permet aux marchands en gros de vendre sur simple désignation de la marchandise ; aux détaillants
d’être assurés d’avoir une marchandise triée ; aux transporteurs de connaître le poids total de l’expédition
par le nombre de caisses toutes de même dimensions et de même poids ; aux consommateurs d’acheter en
toute confiance un produit toujours identique à lui-même. La question de la standardisation fut abordée en
France en 1930-1931. Un comité national dirigé par Monsieur de Guébriand voulut l’appliquer en France
pour les fruits et les primeurs. Mais on y renonça pour ne pas heurter le tempérament individualiste du
Français.
Le résultat fut qu’à l’étranger nos primeurs étaient refoulées et remplacées par les produits italiens qui, eux
étaient standardisés. En 1932, les commerçants ont obtenu auprès de la Chambre de Commerce et de
l’Industrie des départements bretons la création d’une marque “ Bretagne ”. En 1934, chaque maison de
commerce a ajouté sa marque propre à cette marque de garantie ; c’est un timide pas vers la standardisa-
tion. Ces réformes qui sont dans l’intérêt du commerçant et par suite du cultivateur ne seraient pas à négliger
le jour où le commerce reprendra normalement.
Le chou-fleur
Le chou-fleur est le légume expédié et exporté le plus loin et en plus grandes quantités. Pourtant son
exportation est assez récente puisqu’elle date de 1936. Les choux-fleurs arrivent en vrac au marché de
Saint-Pol ; ils sont vendus à la tête et non au poids. L’expéditeur ou la coopérative les trie suivant la grosseur
en trois catégories, puis les met dans des cageots : 12 têtes pour la taille supérieure, 18 pour la moyenne et
24 pour la petite. C’est un essai de standardisation. La campagne de choux-fleurs et des brocolis commence
en octobre pour se terminer en avril. En janvier le brocoli donne son plein rendement ; il apparaît sur le
marché après le chou-fleur hollandais et celui de la région malouine et avant celui d’Angers.
Le chou-fleur italien fait à cette époque une rude concurrence à l’étranger. Jusqu’à la crise de 1932 les
principaux acheteurs étrangers étaient l’Angleterre, la Belgique, la Hollande, la Suisse et l’Allemagne. Pour
l’Angleterre, on cueillait les plus petites têtes, les « moudet ». Les produits partaient surtout de Roscoff ; une
faible quantité passait par St Malo ou Brest. L’exportation vers ce pays commencée vers 1926 où elle était de
581 tonnes, montait rapidement à 19.864 tonnes en 1931, pour s’effondrer après les Décrets Gilmour à
3.020 tonnes en 1934 et à 2.488 tonnes en 1938.
Sur la Belgique, la Hollande, la Suisse et l’Allemagne, on expédiait le gros et le moyen chou-fleur. Les
expéditions se faisaient par chemin de fer bien que l’on ait songé vers 1932 à les faire passer par la voie de
mer : Roscoff - Anvers ; c’était une voie plus économique mais plus lente. Dirigée vers l’Allemagne sur Berlin
et Cologne, vers la Hollande sur Amsterdam et Rotterdam, vers la Belgique sur Bruxelles et les villes frontiè-
res, les primeurs sont ensuite réparties dans les régions avoisinantes. Parfois même de Berlin, les envois
sont dirigés jusque sur la Russie. La concurrence des produits hollandais et italiens nous gêne dans ces
pays. En 1930 alors que les exportations étaient de 16.870 tonnes, elles étaient de 14.000 tonnes dans ces
pays. Elles n’ont fait que diminuer jusqu’à 1938. Par contre le marché intérieur s’est ouvert de plus en plus.
En 1928 pour 30.000 tonnes exportées sur l’étranger, 11.000 tonnes restaient en France ; en 1935 pour
6.527 tonnes exportées, il restait 44.060 tonnes sur le marché national. De 1929 à 1935 les expéditions
avaient donc quadruplé. Elles se répartissent à peu près également sur Paris et la province : en 1935, Paris
absorbait 22.932 tonnes et la province 21.128 tonnes.
La pomme de terre
La pomme de terre donnait lieu avant 1932 à un trafic important. La presque totalité des pommes de terre
était exportée sur l’Angleterre, surtout sur les ports du sud et du sud-ouest où se trouvaient de nombreux
bretons qui se chargeaient de la vente au détail. Elles arrivaient en Angleterre à partir de la fin avril, à une
époque où les pommes de terre anglaises n’étaient pas encore mûres. La vente au début de la saison était
donc excellente. Le décret Gilmour en décembre 1931 en interdisant l’exportation après le 15 mars, ruinait
complètement ce trafic. Nos exportations tombaient de 12.355 tonnes en 1931 à 99 tonnes en 1932. L’Alle-
magne, l’Espagne, la Hollande et la Belgique devaient prendre des mesures semblables en avril 1932. Les
paysans bretons s’orientèrent alors vers une autre voie ; l’expédition de pomme de terre de semence en
Algérie. En effet, ce pays ne peut se fournir de semence chez lui car la pomme de terre y dégénère.
Depuis 1910, ce trafic était amorcé ; l’Algérie achetait à Saint-Pol à cette époque 2.000 tonnes de semence
de l’espèce hollandaise jaune. Vers 1933, ces envois s’intensifièrent après une judicieuse réclame faite par
les cultivateurs du Léon. Ces expéditions se font par chemin de fer jusqu’à Brest, puis par bateau. En Juin -
juillet 1935, 10.000 tonnes étaient ainsi expédiées pour les semences. Le Léon subit la sérieuse concur-
rence de Pont l’Abbé. Depuis 1932, le marché français absorbe la presque totalité de la production. Les
expéditions se font par chemin de fer sur Paris et les différents centres de Bretagne, et par cabotage jus-
qu’au Havre qui garde une partie des produits et envoie le reste à l’intérieur du pays. En 1937, 1.429 tonnes
étaient ainsi expédiées par mer.
L’artichaut
Les artichauts ne donnent pas lieu à l’exportation. Les essais effectués sur l’étranger ont tous donné des
résultats défectueux. On a vainement tenté d’en expédier en Amérique en fin de saison. Les envois se font
seulement sur la Belgique : 32 tonnes en 1936. Le marché national est donc seul à absorber cette produc-
tion de 35.000 tonnes. Les artichauts arrivent en vrac sur le marché de Saint-Pol. L’expéditeur les trie et le
met pat cageots suivant leur grosseur. Comme la saison des artichauts coïncide avec celle des pommes de
terre primes, le trafic ferroviaire et routier est intense. L’artichaut est expédié vers les grands centres de
consommation et notamment vers Paris qui en absorbe une quantité important ; en 1936 on expédiait 21.374
tonnes sur Paris et la province. Les touristes qui passent l ‘été sur la côte du Léon augmentent en outre la
consommation locale. Saint-Pol et Bordeaux se sont entendus pour mettre en commun leur clientèle ; au
printemps l’artichaut de Bordeaux est sur le marché, en été c’est celui de Saint-Pol.
Cette culture est toujours en faveur malgré les difficultés de ventes et malgré l’impossibilité de l’exportation.
Le Léon a essayé de faire quelques réclames pour vanter les bienfaits de ce légume. Il s’est même prêté à
la réclame de produits pharmaceutiques à base d’extrait de feuilles d’artichaut, de produits toniques du foie.
Dans une de ces notices, il montre la valeur alimentaire de l’artichaut composé d’azote, d’acide phosphori-
que, de potasse, de chaux …
Les oignons
Quant à l’oignon, il donne naissance à un commerce tout à fait différent ; son expédition par mer est à
l’origine de la prospérité du Minihy. La presque totalité de la récolte s’expédiait sur l’Angleterre. Ce légume
n’apparaît jamais sur le marché de Saint-Pol. Pour ce commerce il n’est plus besoin de coopérative, ni de
syndicats ; car très souvent le producteur lui-même va vendre ses produits, la petite exploitation ne fournis-
sant pas assez de travail toute l’année ; de janvier à juin, tout le monde à la ferme est occupé ; mais de juillet
à décembre, c’est la morte saison. Les paysans traversent alors la Manche avec leurs sacs d’oignons. Cette
“ émigration périodique ” de producteurs est unique en France. On peut voir là une survivance de l’instinct
migrateur des Roscovites. Leurs ancêtres n’allaient-ils pas vendre leurs pièces de toiles dans les ports
espagnols ?
Le commerce est donc organisé par les producteurs ou de petits commerçants. Ils se réunissent à 4 ou 7
pour former à l’aide d’un certain nombre d’employés ( 4 à 5 par patrons ), ce qu’on appelle une compagnie.
En 1909, il y avait 67 compagnies qui groupaient 1.273 vendeurs dont 400 étaient originaires de Roscoff.
Chaque compagnie faisait ses provisions d’oignons, puis affrète un voilier. Le chargement est envoyé en
charrette sur la jetée de Roscoff. Les oignons sont mis en sacs ou en vrac au fond de la cale. Le bateau avec
sa charge et les commerçants que l’on appelle les Johnnies fait voile sur l’Angleterre. Les enfants jusqu’à 11
ans sont pris comme vendeurs ; ces dernières années les femmes accompagnaient de plus en plus leurs
maris pour s’occuper uniquement des soins du ménage. Les premiers départs ont lieu vers la mi-juillet.
Chaque compagnie se fixe un centre ; elle loue un magasin et quelques pièces qui servent de logement
provisoire pour tous. Chaque matin ou chaque semaine, c’est le départ des Johnnies portant des bottes
d’oignons sur l’épaule pour entreprendre la vente de porte en porte, à l’exemple des marchands de chinoise-
rie ou d’étoffes orientales.
C’est la vente à la “ chine ”; leur insistance auprès de leur clientèle anglaise les a fait surnommer “ les
casseurs de sonnettes ”. Certains vont même, paraît-il, jusqu’à mendier pour arrondir leurs bénéfices. Autre-
fois, ils partaient à pied vers les villages voisins du centre ; maintenant les tournées se font à bicyclette, en
camion ou en chemin de fer, ce qui permet de rayonner jusqu’à 20, 40 ou 50 kilomètres du point d’attache.
Au début les Johnnies ignoraient ou oubliaient le nom des villes et villages anglais voisins de leur centre.
Aussi pour s’orienter, ils avaient convenu d’appeler “ Saint-Pol ” leur centre, et de baptiser Morlaix, Brest,
Lannion, etc. les points voisins suivant leur orientation. Le soir, c’est au centre la préparation des bottes
d’oignons ( on attache ceux-ci avec du raphia pour former une botte allongée ). Ce métier est assez difficile,
il n’est pas entaché de routine, car pour vendre bien et vite, le marchand est obligé d’exercer son intelli-
gence. Les Johnnies savent tous parler l’anglais bien ou mal. Aussi retors en affaire que les Plougastels, ils
sont plus communicatifs, plus déliés, plus souples que ceux-ci.
Lorsque la provision d’oignons s’épuise, la compagnie demande un autre envoi soit à un commerçant de
Saint-Pol, soit le plus souvent à un membre de la famille resté au pays. De petits voiliers roscovites ou
étrangers leur apportent ainsi de nouvelles provisions.
Les Roscovites actifs et industrieux tirent des profits notables de ce commerce, en comparaison des maigres
salaires des journaliers dans ces dernières années ; aussi l’immigration temporaire s’est-elle développée
malgré le préjugé qui régnait autrefois sur les “ garçons d’Angleterre ”. Jusqu’en 1930, on comptait plus de
1.000 vendeurs : 1.076 passeports avaient été délivrés dans ce but. Mais devant les lourdes taxes imposées
par l’Angleterre depuis 1930 et qui rendaient difficile l’écoulement des marchandises à un prix intéressant et
aussi devant la concurrence des oignons égyptiens, les Roscovites ont du reculer. En 1935, le nombre de
passeports était tombé à une quarantaine. En 1936, une soixantaine de Johnnies avait cru bon quand même
de faire le déplacement. Les années suivantes, ce chiffre a augmenté et en 1938-1939, 780 partaient pour
l’Angleterre. Roscoff et Santec fournissent toujours le plus fort contingent. On trouvait jusqu’en 1939, des
Johnnies à Londres, Manchester, Newcastle, Aberdeen, Cardiff, Nottingham, Glasgow, Birmingham, etc..
Les employés des compagnies sont payés au mois, ils sont nourris et logés par leur patron qui leur fournit en
outre leur tabac et leur bière. Ils connaissent assez souvent la misère car ils ne savent pas bien s’organiser
ou dépensent presque tout ce qu’ils gagnent au fur et à mesure. Ils ignorent les règles d’hygiène et vivent
souvent dans une promiscuité révoltante. Actuellement, le Johnny n’est pas toujours honnête et vend des
produits hollandais, par exemple comme produit du Léon.
Les Roscovites, malgré leur instinct voyageur, ne sont pas des déracinés ; ils aiment par-dessus tout leur
clocher, aussi leur campagne terminée, ils retournent au pays, généralement pour Noël, quelquefois pour
février - mars. Ils ne reviennent pas sur les bateaux qui ont porté leurs cargaisons d’oignons, car ces bateaux
sont revenus aussitôt à Roscoff après le déchargement. Les vendeurs reviennent sur des vapeurs qui font le
service Southampton - Jersey - Saint Brieuc. Certains se fixent pourtant en Angleterre pour quelques an-
nées. Ils montent alors un magasin au lieu d’aller vendre au porte à porte ; ils vendent les oignons et les
produits de leur pays et des produits similaires qu’ils trouvent sur la côte anglaise. Fortune faite, ils retour-
nent au pays.
L’exportation des oignons en Angleterre est très importante. Elle atteignait 5 à 6.000 tonnes pour l’oignon et
1.000 tonnes pour l’ail et l’échalote de 1923 à 1932. Depuis 1932 le trafic s’est ralenti, surtout en 1935 où on
n’expédiait que 638 tonnes. En 1936, par suites des sanctions économiques contre l’Italie, les exportations
reprenaient et se maintenaient jusqu’en 1938 où elles étaient de 5.601 tonnes. Le Léon expédie le reste de
sa récolte sur les marchés français. L’expédition sur Paris est presque nulle, car l’oignon rouge cultivé dans
le Minihy n’y est pas recherché. Les ventes se font surtout en Bretagne où les produits sont envoyés aux
détaillants. Parfois vers le mois d’octobre, le cultivateur vient lui-même avec sa charrette dans les centres
peu éloignés de Roscoff ( Morlaix - Brest ) où de maison en maison, il offre ses produits. Ceci est un
avantage pour le producteur qui réalise sa marchandise à un prix plus élevé. Mais l’oignon roscovite a bien
du mal à soutenir sur le marché français la concurrence des oignons de St Brieuc, Auxonne. Cette culture
tend à diminuer.
Nous avons vu que la production et le commerce des légumes est la seule préoccupation des habitants du
Minihy et leur seule source de richesse. Tout tend vers ce but, et tandis que les uns se chargent uniquement
de produire, les autres s’enrichissent par l’exportation ou l’expédition.
IV – A
L’habitation rurale
Les fermes de Minihy de Léon ont toujours été mieux conçues et plus propres que celles d’autres régions
bretonnes. Avant la Révolution les maisons étaient encore de torchis recouvert de deux doigts de mortier,
sauf quelques riches gentilhommières faites en pierres. Actuellement les fermes sont toutes construites en
pierre, en granite généralement, puisque cette pierre se trouve partout dans la région ; on exploite même
quelques carrières comme à Créac’h Vilin sur le territoire de Roscoff.
La ferme est allongée et basse, un rez-de-chaussée le plus souvent. Pourtant les maisons d’un étage de-
viennent de moins en moins rares ; ce sont les maisons récemment construites par le cultivateur enrichi par
la vente de ses primeurs et qui a voulu embellir sa ferme et la rendre plus confortable. L’étage est donc un
signe de bien-être croissant dans la région. En 1905, Vallaux remarque qu’il est occupé par les maîtres,
tandis que le rez-de-chaussée est laissé aux domestiques. La construction d’un étage est, avec l’agrandis-
sement des ouvertures, le fait le plus caractéristique du début de ce siècle. Le toit est à double pente
symétrique, comme dans tous pays de climat pluvieux. Le chaume a du être utilisé autrefois, comme le
montre quelques vieilles masures inhabitées servant de remises ; mais ce devait être un mode de recouvre-
ment assez rare. Actuellement le toit est fait d’ardoises qui viennent de Locquirec ou de Châteaulin. Les
pièces étaient autrefois éclairées par des fenêtres minuscules garnies de barreau de fer. Dans les maisons
construites depuis 50 ans environ, les ouvertures sont plus larges, sans rien d’excessif toutefois et elles sont
protégées par des volets de bois plein. Généralement, la façade offre deux fenêtres symétriques par rapport
à la porte d’entrée. Dans les vieilles fermes, la porte est rejetée de côté et la maison n’a qu’une seule fenêtre.
La ferme s’orne assez souvent d’un petit parterre de fleurs, des soucis, des pâquerettes, des violettes ; à la
porte, un rosier grimpant. Les couleurs et les décorations sont inconnues et choqueraient d’ailleurs sous ce
climat. Parfois une porte plus ancienne s’ouvre en plein cintre ou en arc brisé. La maison est souvent orien-
tée vers le Sud ou le Sud-est, tournant le dos aux terribles vents du Nord et du Noroît. Elle regarde rarement
du côté de la route ou du chemin ; elle préfère lui tourner le dos et regarder vers l’intérieur d’une cour autour
de laquelle se répartissent les divers bâtiments. Le type appelé par Monsieur Demangeon “ maison-bloc à
terre ”, où à la ferme basse s’appuie l’étable, ne se retrouve plus que dans de très vieilles constructions et
surtout sur les communes de Saint-Pol et Santec. Autrefois, même dans le Minihy, bêtes et gens vivaient
sous le même toit, un simple mur séparait l’étable de l’habitation. C’est le type de la “ maison-cour ”. Les
bâtiments qui consistent en une ferme pour le cultivateur, une écurie, une étable, une grange, une soue à
porcs sont disposés en un carré dont la maison forme un côté ; le quatrième est fermé par un petit mur ou un
talus en terre. L’intérieur du carré servait d’aire à battre ; il est parfois occupé en son milieu par l’inévitable tas
de fumier, qui est de plus en plus relégué dans un coin de la ferme, dans une espèce d’auge en maçonnerie.
Le type le plus parfait de cette “ maison-cour ” est réalisé par la ferme Cabioch au Pontigou en Roscoff.
La maison d’habitation qui est récente ( 47 ans ) a néanmoins été conçue en s’inspirant du vieux modèle de
la ferme du Minihy, c’est à dire que le principal corps de bâtiment est flanqué à droite d’une aile débordante
appelée “ appotis-daol ” ou “ cache-table ”, servant de salle à manger. Cette aile n’existe que dans la région
de Morlaix.
La maison de 17 mètres sur 6 mètres ( largeur qui ne comprend pas l’aile ), orientée vers le sud, a un étage
avec quatre fenêtres. Sur le pignon de l’aile débordante, on a construit un clapier et un poulailler. Un tas de
fagots de bois leur fait suite. A l’Ouest, le long de la route nationale de Saint-Pol à Roscoff, on a bâti un
hangar couvert et une remise qui servent d’abri à la charrette et aux outils. Tout au fond de la cour qui est
assez vaste et le long du mur de clôture au sud, s’appuient une remise, une écurie, une étable et une soue
à porcs.
De l’étable à la maison d’habitation, il y a une haie de fusains qui cache la fosse à fumier qui fait suite à la
soue à porcs. Le long de cette haie se trouve le tas de charbon et la provision de bois.
A l’Est, s’étend le premier champ de cette ferme, dans le coin sud-est de la propriété, un mulon de paille (
petit tas de foin) lié à la manière du pays pour empêcher qu’il ne soit soulevé par les vents. Tout cet ensem-
ble, bâtiments et champs, est enclos d’un mur de pierre de 2 mètres de haut environ. La porte d’entrée est
percée dans ce mur. La “ maison-cour ” est ici parfaitement réalisée.
Sur la base de ce type de ferme, il existe d’autres variantes. Les bâtiments ne se touchent pas aussi nette-
ment, ils forment néanmoins une cour à laquelle on accède souvent par un petit sentier serré entre deux
talus. La porte est ici constituée par une barrière de bois. Ce qui oppose encore ces fermes à la ferme
“ Cabioch ”, c’est qu’elles sont souvent closes d’une manière imparfaite et qu’au lieu d’un mur de clôture, il y
a ici un talus de terre surmonté de genêts, fusain ou autres arbustes.
Généralement les étables, les écuries ont un toit de tuiles rouges, tandis que le hangar plus moderne à un
toit de tôle soutenu par des piliers en ciment armé.
Le Léon est un pays qui s’est enrichi ces dernières années ; aussi le cultivateur - propriétaire a-t-il voulu
transformer sa ferme ; au lieu de surélever la vieille ferme d’un étage comme on le faisait vers 1900, il bâtit
une maison d’un étage mansardé et il abandonne la vieille ferme qui sert alors de remise. On y met les
oignons à sécher, la provision de carottes et de pommes de terre pour l’hiver. Là aussi on a laissé quelques
vieux meubles ou quelques vieux bibelots que l’on a trouvé trop démodés pour figurer dans la nouvelle
habitation. Elle a généralement 4 ou 5 pièces ; au rez de chaussée, il y a une grande cuisine pourvue des
conforts modernes que pourrait envier plus d’un citadin et une petite salle à manger où manquent trop
souvent les meubles anciens. Au premier étage, ce sont les chambres.
Les habitations des pêcheurs et des cultivateurs que nous rencontrons sur les dunes de Santec ou à l’Ile de
Sieck sont différentes de celles décrites plus haut qui présentent déjà un progrès assez net sur le type
classique de la ferme bretonne. Cambry disait que la demeure de ces gens de Santec était un trou formé par
le rocher que des goémons recouvrent à peine. Il y a là sans doute une forte exagération ; pourtant les
fermes ici sont généralement plus pauvres. Sur les dunes de Santec, nous avons remarqué plusieurs “ fer-
mes-bloc à terre ”, une maison basse au toit à double pente, deux minuscules fenêtres et une porte, deux
appentis ; devant un petit champ ; le tout entouré d’un mur de pierres sèches. C’est un type que l’on rencon-
tre à Santec.
A Sieck, les maisons qui entourent le port sont très particulières. Elles ressemblent aux “ maisons-blocs ” en
hauteur. La façade est étroite et peinte à la chaux ; au rez de chaussée, c’est une remise ; au premier étage
les pièces d’habitation; une ou deux seulement. On accède au premier par un escalier de bois extérieur.
Devant la maison une minuscule cour où se trouve un poulailler peu banal, la coque renversé d’un bateau.
Un mur de pierre délimite chaque habitation. La maison est donc réduite au strict minimum.
D’une façon générale, les fermes du Minihy du Léon sont plus modernes et plus propres que celles du
Centre Finistère, par exemple Cambry en 1790 le remarquait déjà : “ Les maisons dans les campagnes sont
moins sales, mieux entretenues, mieux meublées que dans le reste du district ”. Les raisons sont simples :
c’est la richesse et l’aisance relative chez les cultivateurs ; c’est la présence d’un élément migrateur, les
habitudes du pays se trouvent bousculées par les habitudes nouvelles venues d’Angleterre ou d’autres
régions françaises.
On note également un progrès sur la distribution intérieure des pièces. La maison ancienne n’avait au rez de
chaussée qu’une seule et immense pièce qui servait à tous les usages. Le sol était ni planché, ni pavé ;
simplement de la terre battue qui en hiver tenait quelques flaques d’eau. Les murs étaient nus. Les meubles
disposés tout autour de la pièce ; près de l’entrée une grande armoire ou un lit-clos divisait cette immense
pièce en deux parties ; les long des murs se succédaient les armoires massives, les lits-clos, les vaisseliers,
les bancs ; à côté de l’unique fenêtre, la longue table ; une colossale cheminée qui apportait plus de froid
que de chaleur avait été presque entièrement fermée dans sa partie supérieure pour protéger les gens de la
pluie. La fumée qui se répandait dans la pièce étouffait et aveuglait.
Maintenant presque toutes les fermes ont plusieurs pièces. Voyons le cas de la ferme Cabioch. Un corridor
avec une cloison de planches divise le rez de chaussée en deux parties. D’un côté, c’est la pièce dite
moderne, celle où l’on reçoit le visiteur ; le sol est couvert de carrelage rouge, les meubles sont modernes.
De l’autre côté, c’est la pièce où vit toute la famille et qui a conservé son cachet ancien avec l’appotis-daol
qu’un lit-clos prolonge encore vers l’intérieur de la pièce ; le sol est de terre battue recouvert de sable,
suivant la mode du pays ; l’appotis-daol près de la grande cheminée a sa longue table et ses bancs. Il est
éclairée par une fenêtre normale et une toute petite fenêtre en hauteur, ouverte dans la masse de la maçon-
nerie ; cette petite fenêtre qui possède un long rebord servait autrefois à placer la cruche d’eau pour qu’elle
reste fraîche et le livre des Évangiles ou le livre des Saints qu’on lisait à chaque repas.
Le long du mur, face à la fenêtre, sont le buffet et les lits-clos. Les lits-clos ne sont plus maintenant utilisés
comme lits mais comme armoire. Au premier étage, ce sont les chambres, les pièces sont assez larges et
hautes.
On retrouve à peu près les mêmes dispositions dans les fermes moyennes. Les murs sont toujours blanchis
à la chaux, les poutres sont apparentes ; l’électricité se trouve presque partout, sauf à Saint-Pol qui n’a pas
encore réalisé l’électrification dans les campagnes. Les vieux meubles ont disparus, achetés bien souvent à
vil prix, par des touristes ou des antiquaires.
Toute cette région s’est dépouillée peu à peu de son caractère ancien et s’est adaptée heureusement aux
progrès modernes. Sans tapages, elle s’est transformée, ses fermes pouvant s’opposer aux fermes breton-
nes trop souvent décrites et qui représentent le stade le plus primitif de l’habitation.
IV – B
Villes et population
Les fermes s’éparpillent à travers toute la campagne du Minihy ; il n’y a pas un endroit vraiment désert.
Pourtant cette dispersion est toute relative, car généralement les fermes se groupent à 4 ou 5, parfois
davantage pour former un petit hameau. Ce sont des petits noyaux de cristallisation entourés de champs.
Quelques maisons isolées servent de liens pour passer de l’un à l’autre. Cet habitat dispersé s’explique
aisément dans un pays où l’eau n’a pas une influence tyrannique, comme dans les pays calcaires par
exemple ; il s’explique peut-être aussi par les habitudes d’indépendance des Celtes : aucune rotation obliga-
toire pour les cultures, aucune habitude de vie commune ; chacun entend vivre auprès de ses terres, de ses
terres bien encloses pour en marquer la possession.
A Saint-Pol de Léon, les 3.667 habitants qui vivent à la campagne sont répartis en 130 hameaux ; la moyenne
par hameau est donc de 28 habitants. Les 4/10ème de la population totale de la commune sont épars. A
Roscoff, les hameaux sont moins petits qu’à Saint-Pol. Ils ont en effet une moyenne de 37 habitants. La
population de la campagne répartie en 41 hameaux, compte 1.551 habitants sur une population totale de
3.676 habitants ; soit donc à peine la moitié de la population. Les hameaux de 1 à 10 feux sont les plus
nombreux, on en compte 31, pour 7 de 10 à 20 feux et 3 de 20 à 30 feux ; chaque feu groupant de 6 à 12
personnes, quelquefois 3 à 4 seulement. A Santec, au contraire, la campagne absorbe presque tous les
habitants : 1.885 sur 2.231, soit plus de 80% répartis en 24 hameaux. Chaque groupe est donc ici plus
important et fait parfois figure de petit village, comme le Poulduff avec ses 166 habitants. Le hameau à une
moyenne de 77 habitants.
L’éparpillement est donc moins absolu que dans les deux autres communes. Tandis qu’à Saint-Pol et Ros-
coff les maisons sont disséminées au hasard dans la campagne, et sont assez difficilement accessibles
parfois par des chemins tortueux, étroits et qui doivent être peu praticables l’hiver, à Santec presque toutes
les fermes se pressent le long des chemins vicinaux. Ainsi le long de la route Roscoff - Santec s’étire toute
une série de petits hameaux : Poulduff, Palud, Jugan, Traonmeur, Perrugant. Santec n’est qu’un hameau,
un peu plus grand que les autres, établi au carrefour des chemins de Roscoff et de Saint-Pol. C’est un bourg
en rues.
Roscoff est construit un peu de la même façon ; ses maisons se groupent le long de la route nationale et le
long du port ; la campagne serre de très près la ville. Les champs de primeurs s’étendent même entre les
maisons : entre le Moguérou et la gare par exemple. L’ancien Roscoff avait été construit près du grand
rocher ; le nouveau Roscoff s’est installé au fond d’une anse dans un terrain plat.
Saint-Pol étant une agglomération plus importante donne moins l’impression d’être étirée en rues ; tout est
centré autour de la Cathédrale ; les principales rues y aboutissent. Le Kreisker étant rejeté vers le Sud. Le
Kreisker ne doit pas signifier ici le milieu de la ville, puisque ce monument est construit à la limite méridionale.
Le Minihy est une région très peuplée. En 1905, sa densité était de 270 habitants au km² ; actuellement, elle
atteint 390 habitants au km². C’est une proportion très forte même sur la côte. Mais, c’est surtout à Roscoff
que la population est dense : 633 habitants au km², contre 362 à Saint-Pol et 286 à Santec. On comprend
facilement qu’avec une telle densité les propriétés soient si peu étendues à Roscoff. Depuis la Révolution où
nous avons des chiffres précis, la population n’a fait que grandir dans le Minihy où les familles étaient encore
très nombreuses , il y à quelques années. En 1790, le Minihy groupait 7.418 habitants ; en 1939, 14.254.
Les familles de 10 et même 12 et 16 enfants n’étaient pas rares à la fin du 19ème siècle ; mais depuis le
début du 20ème siècle, on observe une diminution progressive des naissances. Ainsi à Roscoff, pendant la
période de 1875 à 1885, il y avait 518 naissances pour 100 mariages. De 1925 à 1935, il n’y a que 258
naissances sur 100 mariages. La proportion est donc tombée de moitié en un ½ siècle. Les naissances sont
mêmes plus faibles que les décès de 1870 à nos jours (1940). Dans la période de 1870 à 1900, on voit
clairement la supériorité des naissances sur les décès ; de 1900 à 1940, ce sont les décès qui ont tendance
à l’emporter. Le recensement de 1936 à Roscoff montre que près de 47% des ménages du bourg sont sans
enfants, que 22% n’en ont qu’un et que 34% des ménages dispersés à la campagne n’ont pas d’enfants,
que 22% n’en ont qu’un.
Les familles nombreuses sont donc devenues assez rares et dans ces conditions la population du Minihy
tend à se stabiliser, sinon à diminuer légèrement. Deux cas particuliers se présentent pour Saint-Pol d’une
part, et pour Roscoff - Santec d’autre part.
En effet la population de Saint-Pol tend à augmenter toujours ; mais ceci n’est pas du à un excès de naissan-
ces sur les décès, mais à un mouvement d’immigration qui a poussé les habitants des campagnes voisines
( Plouénan, Mespaul, etc..) à venir s’établir en ville où ils trouvent davantage de travail, soit comme embal-
leurs, soit comme ouvriers agricoles. En outre la municipalité de Saint-Pol accueillait généreusement les
familles nombreuses et nécessiteuses qui venaient lui demander secours. Ce mouvement a été un peu
enrayé depuis l’extension des assurances sociales.
A Roscoff- Santec, au contraire, la population totale diminue légèrement ; à Roscoff en 1926, elle était de
3.809 habitants et en 1936 de 3.676 habitants ; pourtant le total général se maintient car la population
comptée à part croit sans cesse. Cette population comptée à part comprend les malades et le personnel des
cliniques. Alors qu’en 1896, elle n’était que de 35 personnes, en 1936, elle est de 618. Observons de plus
près le mouvement de la population résidant habituellement dans la commune de Roscoff. De 1876 à 1886,
la population générale a perdu 12 habitants. Or pour cette même période, il y avait un excédent de 485
naissances sur les décès. C’est donc que 497 habitants ont quitté la commune. Opérons de même pour la
période de 1886 à 1896, nous trouvons que 251 habitants ont du quitter la commune. Nous aboutissons au
même résultat pour la période 1926-1936.
Il existe donc un mouvement d’émigration de la zone Roscoff - Santec. Ce mouvement a des causes diver-
ses ; la surpopulation et l’enchérissement des terres et des fermages qui obligent le petit fermier ou l’ouvrier
agricole à se fixer ailleurs. ; l’instinct migrateur chez les Roscovites surtout, qui sont des commerçants par
excellence et qui essaiment de tous les côtés par l’appas du gain. Il s’est produit depuis 1914 une rupture
d’équilibre entre les offres et les demandes d’exploitations à louer ou à acquérir. Le cultivateur depuis cette
époque a réalisé des bénéfices inespérés dans toute cette région, il n’est donc pas décidé à céder son
terrain même à prix d’or. A la suite de partages inconsidérés, le paysan se trouve parfois à la tête d’une
exploitation minuscule qui ne lui permet pas de faire vivre sa famille. Il voudrait bien acheter des terrains,
mais dans le Minihy, il est d’un prix inabordable pour lui et très rare également. Il se résigne à acheter dans
d’autres régions. Ce n’est pas sans regrets qu’il part ; on le voit dans une adjudication surenchérir jusqu’à
l’extrême limite de ses ressources ; celui qui n’a pas assez de capital pour s’expatrier reste au pays comme
journalier.
C’est ainsi que le Minihy a été touché par le mouvement d’émigration qui au lendemain de 1918 portait les
Bretons à coloniser les régions dépeuplées de France ; le Sud-Ouest en particulier. La partie Nord du canton
de Saint-Pol a été atteinte par ce mouvement vers la Dordogne. Un autre courant d’émigration s’est fait vers
les Côtes du Nord ( à Ploujean, dans le Finistère, 500 cultivateurs se sont installés ) ; d’autres originaires de
Saint-Pol sont allés à Perros-Guirrec, Lannion et d’autres villes du Trégorrois où ils ont apporté avec succès
leurs procédés de culture ; ils sont partis depuis 1890 environ et ils forment dans le pays un groupe à part, ne
se mêlant pas aux autres paysans. Dans la région, on les appelle les “ chemineaux ”. Ils conservent leurs
habitudes et continuent, par exemple, à aller vendre leurs oignons en Angleterre. Au Havre s’est établi une
colonie de Bas-Bretons, tous originaires de la zone côtière allant de Saint Brieuc jusqu’à Batz ; ils exercent
des professions variées. Ceux de l’Ile de Batz vont sur les chalands de la Seine, les gens de Roscoff montent
des petits établissements de commerce. Tous forment au Havre une véritable colonie, un groupe déterminé
qui occupent deux faubourgs, le faubourg Saint François et la Plaine de l’Eure, où la langue bretonne est fort
répandue.
Vers 1920, on pouvait suivre à travers les journaux locaux, une vive polémique entre Monsieur Choleau qui
préconisait une émigration vers la Normandie et le maire de Saint-Pol qui soutenait un mouvement d’émigra-
tion vers l’Aquitaine.
A côté de ce mouvement définitif, il existe un mouvement saisonnier, soit des ouvriers agricoles restant en
France, soit des petits propriétaires et des ouvriers agricoles allant en Angleterre. En effet, d’octobre à
janvier, c’est dans le Minihy le chômage ou le demi-chômage. La récolte des pommes de terre et des arti-
chauts est terminée et celle des brocolis est encore assez éloignée. Aussi pour résoudre ce problème du
chômage saisonnier, la Confédération des Travailleurs Chrétiens de Saint-Pol s’est appliquée à trouver du
travail aux ouvriers agricoles et aux ouvriers emballeurs. Le Syndicat organise en octobre des convois impor-
tants de chômeurs qui sont dirigés vers Pithiviers et Toury pour les campagnes sucrières.
Le premier essai fut organisé en 1937. Les Bretons ayant produit la meilleure impression auprès de la
direction des usines, celle-ci demanda l’envoi de contingents plus importants. En 1938 plus de 700 ouvriers
ont trouvé du travail pour les trois lois de la campagne sucrière de Pithiviers (Loiret), Toury (Eure et Loire) et
Brienon ( Yonne). Partis vers le début ou la mi-octobre, ils sont rentrés vers la mi-janvier, époque où la
campagne des brocolis bat son plein et où ils trouvent du travail au pays. Cette même année, une centaine
d’ouvriers sont partis à Saint Malo pour la campagne des choux-fleurs de cette région qui précède toujours
celle de Roscoff et se termine quand celle-ci commence. Ce mouvement pour la campagne sucrière n’a pas
été arrêté par la guerre en 1939.
Pour remédier à ce problème de la morte-saison, d’autres ouvriers préfèrent partir en Angleterre pour vendre
les oignons. Nous avons vu plus haut comment s’organisent ces Johnnies.
Si l’hiver dans le Minihy est accompagné d’une diminution de la population, l’été au contraire, voit le phéno-
mène inverse se produire. La côte du Léon est en effet fréquentée par de nombreux touristes qui viennent
profiter de l’air marin. Roscoff jouit à cet égard d’une situation privilégiée. La plage de sainte Anne à Saint-
Pol est trop étroite et trop éloignée de la ville pour y attirer de nombreux estivants ; les dunes de Santec et de
l’Ile de Sieck, à cause des vents qui y soufflent constamment, ne sont pas recherchées. Roscoff a au con-
traire l’avantage de nombreuses petites plages différemment orientées. Depuis 1890 environ, les touristes
affluent pendant quatre mois chaque année, de juin à octobre. Plus de 5.000 personnes fréquentaient cette
station. Roscoff concurrençait même Carantec assez sérieusement situé sur la pointe entre la rivière de la
Penzé et la rivière de Morlaix. Les Anglais qui étaient très rares dans cette ville étaient au contraire très
nombreux à Roscoff. Néanmoins, la présence des cliniques de Roc’h Kroum avait un peu ralenti son exten-
sion.
Le Haut-Léon est appelé le pays des “ Julots ” à cause de ses paysans aisés. Ceux-ci sont généralement
plus instruits que les autres Bas-Bretons. Il existe une sorte d’aristocratie paysanne qui tient à ce que ses fils
fassent des études secondaires au Collège de Lesneven ou au Collège du Kreisker à Saint-Pol, collèges
religieux car la piété est un trait dominant du pays. Il n’est pas un fermier qui ne soit fier d’avoir un fils prêtre
ou une fille religieuse. Les prêtres comme au temps des évêques-comtes sont les maîtres dans cette région ;
l’esprit catholique s’y est conservé intégralement. Il est curieux de voir ces riches Léonards, cultivateurs ou
commerçants, pleins d’initiatives, être en même temps les plus traditionalistes et les plus soumis des Bre-
tons. Le prêtre a toujours une certaine influence dans la vie politique, surtout en période d’élections, c’est lui
qui désigne le “ bon candidat ”. Pourtant cette région est assez démocrate ; Roscoff l’est davantage que
Saint-Pol, à cause de ses pêcheurs, de ses ramasseurs de goémons, de ses retraités de la marine et de ses
journaliers. Il n’est pas paradoxal de dire que le pays “ Julot ” est une “ démocratie cléricale ” ( Siegfried –
État politique de la France de l’Ouest – 1913 ).
Le parler breton du Léon, qui est le plus pur, plus sonore et plus élégant que celui des autres cantons, est
encore fréquemment employé à la campagne. Mais il tend à se perdre de plus en plus, surtout chez les
jeunes. Le français n’a été répandu qu’à une époque assez récente. L’anglais est parlé couramment dans
certaines fermes dont les membres se livrent au commerce des oignons en Angleterre. On citait encore au
début du siècle le cas assez curieux d’un paysan de Roscoff qui parlait le breton et l’anglais et ne savait pas
un mot de français. Les costumes locaux tendent aussi à disparaître. On ne voit plus le Léonard avec son
habit noir et sa ceinture de flanelle bleue. La coiffe est abandonnée de plus en plus par les jeunes. Cette
disparition n’est pas à regretter, car le costume est sombre et n’offre pas les couleurs et les riches broderies
chatoyantes de la Cornouailles.
Deux types d’hommes se trouvent facilement dans ce centre maraîcher. C’est d’une part le Saint-Politain et
le paysan de Roscoff, assez graves, réfléchis, laborieux et qui quittent rarement le sol qui les a vus naître.
D’autre part, à ces paysans fixés à la terre s’oppose le Roscovite, mobile et voyageur. Roscoff n’oublie pas
son passé : repaire de corsaires et de contrebandiers, elle eut une population assez mélangée, avide au
gain de quelques source qu’il provint. Si bien que dans la Bretagne voisine le nom de “ Roscovite ” était
souvent pris comme synonyme d’homme sans mœurs et sans religion. Cette mauvaise réputation ne se
justifie plus maintenant. Le Roscovite possède des qualités rares en Bretagne : l’esprit d’entreprise, le génie
du commerce, une adaptation remarquable aux conditions de la vie moderne et aux brusques changements
de fortunes. Il a l’esprit positif, pratique, audacieux et même aventureux.
C’est lui qui le premier trouva la source de la fortune du Minihy du Léon. C’est lui qui se lança vers Paris et
vers l’Angleterre. Les Saint-Politains ont suivi simplement le mouvement. C’est encore lui qui à la suite de
ses nombreux séjours en Angleterre a contribué à donner aux habitants une teinte anglaise. Ainsi la con-
sommation du thé qui est très rare dans la campagne bretonne, est ici courante. Dans les fermes, il n’est pas
rare de trouver quelques chromos anglais : calendriers, portrait des souverains britanniques, …
Cette région si débordante de vie que nous venons d’étudier, n’est qu’un exemple assez sympathique pris
parmi les nombreuses régions bretonnes qui se livrent entièrement soit à la culture des primeurs comme le
Trégorrois, soit à la culture des fruits comme Plougastel, soit à la pêche comme Douarnenez. Leur richesse
enviée des paysans de l’intérieur n’est pas uniquement due aux conditions naturelles. Il y a bien toujours à
la base des avantages du sol, de climat ou de situation mais il est un facteur que l’on ne peut négliger et qui
est l’initiative, l’intelligence et la ténacité des habitants. Le Minihy en offre un cas assez remarquable.
Le Minihy du Léon est aussi une région intéressante, tout en contrastes subtils. Contraste par exemple,
entre l’esprit conservateur de ses habitants et leur facilité d’adaptation à la vie moderne ; contraste entre
Roscoff, cité pleine de dynamisme, et Saint-Pol qui après sa période de domination du 12ème et 15ème siècle,
semble se réveiller pour participer aux bénéfices d’une culture rémunératrice.