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UNIVERSITÉ « DUNĂREA DE JOS » DE GALAȚI

FACULTÉ DES LETTRES


Département de Langue et Littérature Françaises

Registres et variétés régionales du français


- guide théorique et pratique à l’usage des étudiants de master –

Maître de conférences dr. Mirela Drăgoi

2017
Table des matières

Introduction

Chapitre 1. La pluralité de la langue française


 Dialecte, patois, langue
 Variété vs. Variation
 L’« accent » des autres
 Application : L’Accent de Miguel Zamacoïs, in La fleur merveilleuse
 Les régionalismes : origine, évolution, traits lexicaux et grammaticaux

Chapitre 2. Bref historique du français en tant que langue nationale


 L’ancien français
Groupements de textes à analyser :
o Le premier texte littéraire en langue d’oïl: La Cantilène de Sainte Eulalie (881)
o La Vie de Saint Alexis (vers 1040)
o L’autre jour, sous une haie… (Marcabru, 1130-1150)
 Le moyen français
 Application : L’Ordonnance de Villers-Cotterêts (1539)

Chapitre 3. Langues et dialectes de la France métropolitaine


 Les langues d’oïl : picard, wallon, lorrain, normand, champenois (Hauts-de-France et
Grand-Est), bourguignon, franc-comtois (zone burgonde) (Bourgogne - Franche-Comté),
francien (Ile-de-France), gallo, angevin, tourangeau, berrichon, poitevin-saintongeais (Pays de la
Loire), etc.
 Les langues d’oc (l’occitan, le français méridional) : gascon, languedocien, guyannais,
béarnais, provençal, vivaro-alpin, auvergnat, limousin, etc.
 Le franco-provençal
 Le breton
 Le corse
Groupements de textes à analyser :
o Le cas particulier du patois roman (le gallo) de Haute-Bretagne.
o Les mots de la pluie dans la chanson « Il pleut, il pleut, bergère » de Fabre d’Eglantine
(1780)

Chapitre 4. Le français de Belgique et le suisse romand


 La constitution socio-linguistique de la Belgique
 Caractéristiques phonétiques : l’accent bruxellois/picard/wallon
 Traits lexico-sémantiques du français de Belgique
Groupements de textes à analyser
o Appréhender la terminologie gastronomique belge
o Bruno Coppens, Plan langue spécial anniversaire de la Belgium (mini-dialogue)
o Belgicismes vs. Erreurs de français
 La Suisse, un pays quadrilingue
 Traits distinctifs du romand
 Application : Yapaslefeuaulac! Le blog d’une expat suisse
Chapitre 5. Le français hors d’Europe
Le français au Canada : bref historique, caractéristiques du français québécois (la
prononciation dans la langue soutenue / populaire, lexique.
 Application : A l’office de tourisme (mini-dialogue)
Le français dans les TOM (le français des îles) : le français à Tahiti
Le français dans les DOM (la Guadeloupe et la Martinique, la République d’Haïti, la
Guyane, la Réunion et l’île Maurice)
Le français en Afrique : le parler pied-noir en Afrique du Nord et le français en Afrique
Noire
Groupement de textes à analyser
o Marianne Meunier, Les parlers français au Liban
o Pierre Cherruau, Le Sénégal est-il encore un pays francophone?
o Moustapha Fall, Le français d’Afrique noire : problématique d’un « héritage linguistique
»

Chapitre 6. Aspects écrits et oraux du français contemporain


 Registres (niveaux) de langue en français. Le français familier / courant / soutenu
Groupements de textes à analyser
o Bernard Friot, Façon de parler
o Jacques Dutronc, Fais pas ci, fais pas ça
 Phénomènes langagiers actuels
 Application : Renaud, Dans mon H.L.M.
 L’argot, un jeu rhétorique sur la langue : procédés d’élaboration et de codage
Groupements de textes à analyser
o David Cairol, Initiales
o Team BS, Fierté
o Pierre Bachelet, L’amour en verlan
o Langue djeunz : Comment tu tchaches !
Introduction

Les régionalismes du français sont des faits de langue qui varient selon la position
géographique. Mesurer le degré de proximité des dialectes avec le français, c’est trouver les
éléments permettant d’illustrer les rapports réciproques des patois régionaux.
L’objectif essentiel de ce support didactique consiste à mettre en évidence les variétés
culturelles et linguistiques des variétés régionales et des registres du français par rapport au
français standard, leurs variations, mais aussi la dynamique linguistique et l’image que le
français garde dans ces régions.
Aborder l’histoire d’une certaine langue s’avère un travail minutieux et très difficile qui
sollicite une grande capacité de synthèse, de reformulation et d’analyse. Il s’ajoute aussi le fait
qu’on ne peut pas être originel dans ce domaine strict et rigoureux représenté par la grammaire
linguistique, parce que les faits ont déjà été identifiés et interprétés par les linguistes et les
historiens.
Dans le Dictionnaire historique du français (coord. Alain Rey), il y a la distinction nette
entre le français européen (la Belgique, le Luxembourg, la Suisse) et le français hors
d’Europe (le français québécois, aux Iles, aux Indes, aux Antilles, en Guyane, Martinique et
Guadeloupe, à la Réunion et à Maurice, au Liban, en Syrie, en Afrique : en Algérie, au Maghreb,
en Asie du Sud-Est : au Vietnam, le Las et le Cambodge, etc.). Nous nous proposons de
déchiffrer les traits du français parlé par les groupes de ces zones géographiques.
CHAPITRE 1
La pluralité de la langue française

 Dialecte, patois, langue


 Variété vs. Variation
 L’« accent » des autres

« Un patois est un dialecte qui a eu des malheurs,


une langue est un dialecte qui a eu de la chance. »
(Alain Rey)

Le français est la langue maternelle de plus de 100 millions de francophones (41% en


Belgique, 18,4% en Suisse), sa diffusion étant réalisée grâce à la colonisation qui lui a permis de
s’imposer sur les autres continents (23,2% au Canada). En Europe, le français est la langue
officielle en France, au Luxembourg et dans la principauté de Monaco et co-officielle en
Belgique, à coté de néerlandais et de l’allemand.
Le français a une histoire très vaste, un rôle bien défini dans le monde entier et une grande
capacité d’assimilation et de renouvellement, ce qui explique sa richesse. De plus, le modèle des
écrivains, les directions dressées par les puristes et les dirigistes ont conduit à la formation du
français et à son prestige. La langue française n’a jamais arrêté de s’enrichir avec des mots qui
proviennent de l’Europe, mais aussi des autres continents.
Le français s’enrichit avec des éléments dialectaux, entre en contact avec des langues de
diverses familles linguistiques et tend vers le statut d’une langue standard, qui deviendra ensuite
une langue nationale. Après une longue histoire, le français a été standardisé par les normes,
devenant ainsi une langue de culture. Après le Traité de Rastadt (1714), le français est
officiellement déclaré la langue de culture internationale de l’Europe grâce à son expansion
culturelle. Il est employé pour la première fois dans la rédaction d’un document juridique
international et il garde sa titulature jusqu’à la Première Guerre Mondiale. Par conséquent, si l’on
veut établir les raisons de l’avènement du français en tant que langue internationale, il faut dire
que ces raisons premières sont d’ordre démographique, économique et militaire. C’est par ces
moyens que le français est devenu la langue aristocratique parlée dans presque toutes les
chancelleries d’Europe et employée dans les traités diplomatiques détrônant le latin, même si
celui-ci demeure encore d’usage courant.
On considère le français comme une « langue pluricentrique »1, qui se caractérise par
l’existence de plusieurs « bons usages », spécifiques aux divers pays d’expression française.
La langue est le moyen de communication officiel d’une communauté socio-politique
importante.
Le dialecte est la variété régionale d’une langue. Exemple: les dialectes de la Grèce
antique (attique, dorien, éolien, ionien); le wallon, le normand, le picard etc. Le mot « dialecte »
date du XVIe siècle dans la langue française, étant emprunté au grec dialektos. Il a été d’abord
utilisé par les poètes pour désigner les mots du terroir grâce auxquels ils pouvaient donner une
certaine tonalité à leur style. (ex. : Ronsard usait du dialecte de son Vendômois natal)

1
Oana Păstae, Le lexique des variétés du français en Belgique, dans Annales Universitatis Apulensis, Séries
Philologicam, Universitatea 1 Decembrie 1918, Alba Iulia, tome 3, 2007, p. 141,
http://www.ceeol.com/aspx/publicationdetails.aspx?publicationid=eb4aa597-2725-4640-98d3-682cc17a36aa, site
consulté le 17.01.2015.
Le patois est la sous-division d’un dialecte ; c’est un idiome local parlé dans une région
très restreinte du point de vue géographique par une population généralement peu nombreuse,
souvent rurale et dont la culture et le niveau de civilisation sont inférieurs à ceux du milieu
environnant (elle emploie la langue commune).

La variation géographique fait partie de la


langue au même titre que les variations
sociolinguistique, historique ou stylistique.
 Variété vs. variation
Une langue est un ensemble de variations
et de variétés dialectales et sociologiques. Afin de
mieux comprendre la notion de la diversité
linguistique, il faut expliquer la taxonomie des
termes « variété » et « variation ».
Le mot « variété » désigne le « caractère
de ce qui est varié, qualité d’un ensemble dont les
éléments sont différents. Synon.: diversité.
Extraordinaire, extrême, grande, immense,
inépuisable, riche variété; jolie, magnifique, merveilleuse variété; manquer de variété; sans
variété; d’une grande variété » 2.
Dans une communauté linguistique, on distingue trois types principaux de variétés :
régionales, sociales et individuelles.
Pour mieux comprendre les variétés régionales, il est nécessaire de donner des
exemples : le français parlé en Belgique diffère de celui parlé à Paris, au Canada ou en Afrique ;
dans la Communauté française, située au sud de la Belgique, le français parlé à Namur se
distingue nettement du français parlé à Bruxelles, à Liège ou dans la province de Hainaut du
point de vue de la prononciation, du lexique et de la morphosyntaxe. Ainsi, la plupart des
Bruxellois diront boule là où les Liégeois diront chique, pour désigner en français standard un
bonbon. L’exclamation oufti marque la surprise, l’étonnement à Liège, tandis que tof signifie la
même chose à Bruxelles. Une couque signifie chez les Liégeois un biscuit fait de miel et de
farine, un spéculoos signifie chez les Bruxellois un biscuit traditionnel, croquant et avec une
texture granuleuse due à la présence de la cassonade.
Les variétés sociales : les personnes ne parlent pas de la même façon en fonction de leur
couche sociale et se distinguent par leurs particularités linguistiques.
Le dernier type de variété, celle individuelle, fait référence au fait que chaque individu a
une manière particulière de s’exprimer en fonction de son histoire, son expérience de vie, ses
particularités physiologiques etc. Par exemple, pour juger et éventuellement annoncer qu’une
chose arrivera par clairvoyance, intuition ou raisonnement logique, un individu dira : « je
m’attend à… », « je prédis que…», « je pressens que… ».
Si on analyse les variétés linguistiques dans de divers pays, c’est-à-dire la possibilité de
dire la même chose de différentes manières, sous l’influence de divers facteurs (notamment
sociaux), alors on observe que chaque pays est caractérisé par l’emploi des régionalismes, des
archaïsmes et des accents particuliers. Par exemple, le français de Belgique est caractérisé par
des belgicismes, des wallonismes, des termes bruxellois locaux, le français de Suisse est

2
Trésor de la langue française informatisé, http://www.cnrtl.fr/definition/variete.
caractérisé par des helvétismes et des germanismes, le français du Québec se caractérise par des
archaïsmes, des québécismes (ou acadianismes en Acadie) et des anglicismes :

« En Europe même, deux pays comportent de fortes communautés francophones en


dehors de la France : la Belgique et la Suisse. Les variétés de français parlées dans ces deux
pays forment un continuum avec le français de France. En effet, ces français résultent du
même processus historique qui a permis, à travers des siècles, au français parisien de déloger
les parlers locaux et autres français populaires en France. On retrouve dans ces parlers les
traces de ces usages antérieurs, mais il n’en reste pas moins vrai que le français belge et le
français suisse demeurent des cousins germains très proches de celui de France »3.

Le terme « variation »4 renvoie à un « changement d’aspect, de degré ou de


valeur. Synon. : modification. Présenter des variations; subir des variations ; LING. Propriété
d’un système linguistique de présenter des différences d’une part entre des états successifs
(variation historique) et d’autre part entre des emplois dus à la localisation géographique, des
emplois sociaux, institutionnels ou situationnels. Variation diachronique, géographique, sociale;
variation linguistique ».
La variation est un concept de la sociolinguistique en opposition avec le français du
« bon usage » qui prétend qu’il n’y a qu’une manière de dire ce que l’on veut dire, qu’un seul
français est correct, celui normalisé. La variation se manifeste à tous les niveaux de la langue
(phonique, morphologique, syntaxique et lexical), mais le lexique constitue sans aucun doute le
niveau le plus privilégié.
Selon l’usager, les linguistes distinguent trois types de variations :
- diachronique (historique) - vise l’évolution de la langue à travers le temps. Ainsi, une langue
parlée à un moment donné ne sera pas la même quelques années après et davantage après
quelques siècles ;
- diatopique (géographique/variation régionale) - permet d’établir la localisation
géographique d’une personne en fonction de sa manière de parler, du vocabulaire qu’elle utilise
et qui est spécifique à la région dans laquelle elle vit (France / Canada / Afrique) ;
- diastratique (situationnelle, sociale/registres) – renvoie aux différences sociales et
démographiques qui peuvent exister entre les locuteurs (jeunes/personnes âgées ;
ruraux/urbains ; professions différentes ; niveaux d’études différents). Par exemple, le français
populaire désigne la manière de parler de la classe sociale économiquement défavorisée.
Si l’on a en vue le critère de l’usage, alors on peut parler d’une variation diaphasique /
variation situationnelle, c’est-à-dire une même personne parle différemment selon la situation de
communication et en fonction de ses particularités physiologiques. Il s’agit donc de registres :
standard, soutenu, familier et vulgaire.

 L’« accent » des autres


Le mot « accent » renvoie globalement à l’autre (ce sont toujours « les autres » qui ont un
accent) et, plus particulièrement, aux façons de parler le français dans le midi de la France
(Henriette Walter, Le français dans tous ses états).

3
Le français dans le monde, Revue de la Fédération Internationale des Professeurs de français, Ed. CLE
International, Paris, n˚ 333, mai-juin 2004, p. 50.
4
Trésor de la langue française informatisé, http://www.cnrtl.fr/definition/variation.
« Au fond, se dit-il, tous les Français ont un accent, les Parisiens, les Alsaciens, les
Marseillais, les Nivernais, les Lyonnais. Et encore… en cherchant bien ! Les thiernois, les
Sanflorains, on les distingue des autres ! » (J. Anglade, Un temps pour lancer des pierres, 1974,
p. 93)
« Il [un étranger du dehors] arrivait on ne savait d’où, mais certainement du Nord, car il
avait cet accent ridicule qui supprime les ‘e’ muets, comme dans les chansons de Paris. » (M.
Pagnol, Jean de Florette, dans Œuvres complètes, Paris, éd. de Fallois, 1995, t.3, p. 678)
« Rue d’Aligre, des natifs – avec cet accent qui pour moi n’est pas un accent – crient que
leurs choux sont beaux et pas chers et qu’elles sont fraiches leurs salades. » (R. Forlani, Quand
les petites filles s’appelaient Sarah, 1989, p. 46)
« Le a bien rond du terroir parisien, ample et gras, tourne en bouche, glycériné comme un
vieux bordeaux, est un phonème perdu. On dit lacet [lase] et non plus laaaçait [lɑsƐ], comme le
bon goût le commanderait. » (A. Schifres, Les Parisiens, 1990, p. 65)
« Il me semblait choquant que mes cousines parisiennes critiquent mon accent ardennais,
comme si ce n’était pas là l’unique façon de parler connue et le chant primordial de la pensée. »
(A. Dhôtel, Lointaines Ardennes, 1979, p. 25)
« Au temps pas si lointain où des provinciaux tous les jours s’installaient chez nous, il y
avait un grand mélange d’accents dans les transports en commun. Nous en avons perdu
l’habitude : les intonations du terroir sonnent désormais d’une façon bizarre à nos oreilles et les
parlers étrangers nous sont plus familiers. » (A. Schifres, Les Parisiens, 1990, p. 76)

Application : Miguel Zamacoïs, L’Accent (in La fleur merveilleuse)

De l’accent ! De l’accent ! Mais après tout en ai-je ? Non, je ne rougis pas de mon fidèle accent !
Pourquoi cette faveur ? Pourquoi ce privilège ? Je veux qu’il soit sonore et clair, retentissant !
Et si je vous disais à mon tour, gens du Nord, Et m’en aller tout droit, l’humeur toujours pareille,
Que c’est vous qui pour nous semblez l’avoir très Et pourtant mon accent fièrement sur l’oreille !
fort… Mon accent ? Il faudrait l’écouter à genoux…
Que nous disons de vous, du Rhône à la Gironde, Il nous fait emporter la Provence avec nous,
« Ces gens-là n’ont pas le parler de tout le monde ! » Et fait chanter sa voix dans tous mes bavardages,
Et que, tout dépendant de la façon de voir, Comme chante la mer au fond des coquillages !
Ne pas avoir l’accent, pour nous, c’est en avoir…
Ecoutez ! En parlant, je plante le décor :
Eh bien non ! Je blasphème, et je suis las de feindre ! Du torride Midi dans les brumes du Nord !
Ceux qui n’ont pas d’accent, je ne puis que les Mon accent porte en soi d’adorables mélanges,
plaindre ! D’effluves d’orangers et de parfum d’oranges ;
Emporter de chez soi les accents familiers, Il évoque à la fois les feuillages bleu-gris
C’est emporter un peu sa terre à ses souliers ! De nos chers oliviers aux vieux troncs rabougris,
Emporter son accent d’Auvergne ou de Bretagne, Et le petit village ou les treilles splendides
C’est emporter un peu sa lande ou sa montagne ! Eclaboussent de bleu les blancheurs des bastides !
Lorsque, loin du pays, le cœur gros, on s’enfuit, Cet accent-la, mistral, cigale et tambourin,
L’accent ? Mais c’est un peu le pays qui vous suit ! A toutes mes chansons donne un même refrain ;
C’est un peu, cet accent, invisible bagage, Et quand vous l’entendez chanter dans ma parole
Le parler de chez soi qu’on emporte en voyage ! Tous les mots que je dis dansent la farandole !
C’est pour les malheureux à l’exil obligés,
Le patois qui déteint sur les mots étrangers !
Avoir l’accent enfin, c’est, chaque fois qu’on cause,
Parler de son pays en parlant d’autre chose !…
 Les régionalismes : origine, évolution, traits lexicaux et grammaticaux
Il y a :
- des régionalismes de toujours : bibet (moustique, Normandie), darne (pris de vertiges,
champagne et Ardennes), finage (territoire d’une commune, Bourgogne et Franche-Comté) ;
- des archaïsmes du français qui se maintiennent ici ou la, depuis l’ancien ou le moyen
français : à c’t heure = maintenant ; éclairer = faire des éclairs, allumer ; échapper = laisser
tomber ; rester = habiter ; village = hameau) ;
- des emprunts à d’autres langues que le français :
 à l’alsacien ou à l’allemand (bibeleskaese = fromage blanc ; bredelle = petit four de
Noël, foehn = sèche-cheveux ; mamama = mémé ; winstub = débit de vins) ;
 au basque (chipiron = encornet ; ttoro = plat de poisson ; kougn-amann = gâteau
très riche en beurre ; penn-ti = petite maison traditionnelle) ;
 au flamand (wassingue = serpillère ; waterzoï = plat à base de poisson ou de
poulet) ;
 à l’occitan (banaste = grand panier, imbécile ; bougnette = tache ; caraque = gitan ;
cèbe = oignon ; draille = chemin de transhumance ; esquicher = comprimer, écraser ;
fenestron = lucarne ; mamé = mémé ; papé = grand-père ; pouton = bisou) ;
- des innovations (biniou = ballon pour mesurer le taux de l’alcoolémie ; bras de Vénus =
biscuit roulé au citron ; cervelle de cahut = fromage blanc ; dialectophone = locuteur alsacien ;
guenilles = beignets ; tartiflette = dés de pommes de terre, avec lardons et oignons, que l’on fait
dorer, et sut lesquels on laisse fondre du reblochon).

Comme tous les autres faits de langage, leur vie connait des fortunes diverses :
- certains perdurent depuis des siecles : clairer, finage, mique ;
- d’autres sombrent dans l’oubli : dail (masc.), daille (fem.) = faux ; drapeau = lange ;
- d’autres pénètrent le français standard de toute la France : chichi, frégi, coucouner,
fougassette, laguiole (couteau) fromage, pan bagnat.

 Le lexique est le domaine qui offre le champ d’observation le plus vaste.


Exemples :
 à Toulouse, le verbe « porter » est employé avec le sens d’« apporter » : Je vous ai porté
un livre de classe terminale ;
 il y a des mots empruntés à l’occitan par le francais de Sud-Ouest : « bouffe » -
l’équivalent du standard « gifle » : « Parle doucement, il va t’entendre et il te foutra une bouffe. »
(H. Soum, Chronique des bords de Garonne. La Pigasse, 1992, p. 261-262) ;
 « gnac » (m.), « gnaque » (fém.) – l’équivalent du standard « mordant », « envie de
vaincre » : « Je n’ai jamais connu un mec qui avait autant la gnaque, c’était un partenaire en or. »
(P. Dessaint, Du bruit sous le silence, 1999, p. 191) ;
 la locution « c’est plié », toujours dans le Sud-Ouest, indique qu’une action est
accomplie de façon expéditive : « […] une césarienne de convenance est aussi le fait du
médecin. Parce que, admet crûment l’un d’eux, c’est plié en une demi-heure. On n’y passe pas la
nuit. » (L’Express, 27 nov. 1997) ; cette locution est passée dans le langage des compétitions et
des chroniqueurs sportifs pour indiquer l’issue inattendue d’un match : « Le Danemark face au
Nigeria ? deux buts en onze minutes, affaire pliée. » ;
 selon les régions, on nomme les vents : cers, cisampe, grec, joran, pontias, labech,
traverse, lombarde, verne, marin, matinière, montagnière, bise (à Lyon : vent du Nord).
 le syntagme « manquer l’école » (synonyme de l’expression « faire l’école
buissonnière) connaît toute une série de versions, à savoir :
- gâter l’école (Suisse romande);
- mouiller l’école (Afrique);
- faire l’école bis (Antilles);
- faire le renard, foxer l’école (Québec) ;
- faire la fouine (Berry) ;
- faire le plantier, faire la cancosse (Auvergne) ;
- faire mancaora (Algérie).
 « bavarder » :
- bacouetter (Normandie, Berry-Bourbonnais) ;
- bagouiller, bagouler, bagousser, bavasser, berdasser, berlauder, jaboter (Sarthe) ;
- beurdasser, cancaner, tatasser (Pays Gallo) ;
- blaguer (Marseille) ;
- marner (Lorraine) ;
- placoter (Acadie et Québec) ;
- ramager (Auvergne).
 « la serpillère », en français standard, a comme correspondants les termes suivants :
bâche, cinse, emballage, loque,
panosse, patte, peille, pièce, toile
d’emballage, torchon de plancher,
vadrouille, wassingue/wasseringue.

 pour « fête annuelle » il y a :


assemblée, ducasse, fête patronale,
fête / votive, frairie, kilbe, reinage,
vogue, vote.

L’un des principaux diffuseurs


des régionalismes du français est le
commerce, surtout dans le domaine de
la cuisine. La restauration inscrit
parfois dans ses Menus du terroir des
spécialités souvent disparues de la
table des autochtones :
- le touron et les rosquilles
catalans,
- les tourteaux fromagers poitevins,
- la tapenade et l’anchoïade provençales,
- des plateaux de fromages (cabécous, caillades, chabichous, picodons, et autres
pélardons), la cébette (jeune oignon encore vert – mot usuel dans le sud de la France,
principalement en Provence et dans le Languedoc),
- la mique (plat du Périgord ; mets paysan basé sur du pain rassis dont on forme une
boule avec de la graisse d’oie et d’œuf, préparation qu’on enveloppe de farine et qu’on cuit
lentement dans une eau ou nagent les légumes du jardin et/ou des morceaux de cochon salé ; son
équivalent breton est le far / le kig-ha-fars ; son équivalent limousin est la farcidure),
- faire chabrol, avec la variante chabrot (boire dans son assiette ; attesté dans le français
de Terrasson, en Dordogne).

 Traits spécifiquement régionaux liés à la grammaire


Si l’« accent » est ce qui frappe en premier lieu, la grammaire réserve bien des surprises,
car beaucoup de faits de micro-syntaxe manifestent une certaine liberté par rapport au standard :
- le passé surcomposé au sud de La Rochelle : « C’est sûr, l’usine… j’y ai eu été moi, à
l’usine, c’est pour ça qu’j’en ai une sainte horreur… » (L. Semonin, La Madeleine Proust, 1990,
p. 157) ;
- un emploi particulier du verbe dans la partie méridionale de la France : « La Tante
corrigeait leurs fautes, leurs tournures vicieuses, avec gentillesse mais fermeté. Elle dirigeait une
rubrique permanente : ‘Ne dites pas… mais dites’. On ne dit pas : ‘Je suis été chercher à boire.’,
mais : ‘Je suis allé chercher à boire.’ » (Cl. Duneton, Le Diable sans porte, 1981, p. 95) ;
- une construction vivante en Alsace et dans certaines régions de la Lorraine et de la
Franche-Comté voisines : « Les vacances se sont bien passées ? – Oh, maintenant j’attends sur
l’année prochaine. »
CHAPITRE 2
Bref historique du français en tant que langue nationale

L’ancien français

« L’origine du français se trouve dans le latin parlé. »


(Ferdinand Brunot, Histoire de la langue française,
Armand Colin, Paris, 1966)

Le proto-indo-européen (l’indo-européen primitif) – une langue-mère qui précède celle


des peuples romains ; la plus grande famille de langues du monde.
Le celtique – une sous-famille indo-européenne - comprend le gaulois et le ligure. Avant
l’arrivée des Romains, sur le territoire de l’actuelle France il y a eu des peuples dont les plus
importants sont : les Ligures, les Ibères et les Celtes.
Le gaulois :

mots latins mots gaulois


decimus decametos
deus devo
iovinic juvencus
medium medio
novus novio
rex rix
senex seno
tres tri

La romanisation de la Gaule a lieu entre -50 – 58. Après 476, (la chute de l’Empire
romain), le latin vulgaire en Gaule n’était plus du « vrai » latin. C’était le roman – une langue
aux variantes nombreuses, selon qu’elle était parlée dans les différentes parties de la France :
francien, picard, lorrain, normand, berrichon, champenois, franc-comtois, bourguignon,
bourbonnais, tourangeau, angevin, poitevin, saintongeais etc. L’influence francique sur les
parlers romans de la Gaule s’est manifestée dans trois directions : la prononciation, la syntaxe et
le vocabulaire. Le français oral se forme, sous l’influence germanique, entre le Ve et le Xe
siècle.
Les langues vernaculaires (vulgaires) – du latin vulgus, « peuple » - idiomes employés
dans la communication de tous les jours, à partir du IX e siècle, qui remplacent le latin pour
exprimer les idéaux et les valeurs d’une culture profane. Les premiers textes écrits dans une
langue vernaculaire sont des documents juridiques (Les Serments de Strasbourg, 842) et des
récits hagiographiques (Vie de saint Alexis, vers 1040, ou Sermon sur Jonas, vers 940).
Les langues vernaculaires comprennent trois catégories :
 La langue d’oc – parler dérivé du latin vulgaire, correspondant à la période féodale
ancienne, dans le Midi de la France. Les Français de la distinguaient de la langue d’oïl. Les deux
termes en question proviennent de la façon différente d’exprimer l’adverbe d’affirmation : « oïl »
et « oc » (aujourd’hui « oui) du latin « hoc ille ». On peut la diviser en plusieurs dialectes très
proches les uns des autres: le provençal, le languedocien, l’auvergnat, le périgourdin, le
dauphinois, le gascon (avec le béarnais) et le catalan (jusqu’au XIIIe siècle, le catalan est une
branche de la langue d’Oc).
 La langue d’oïl – parler dérivé du latin vulgaire, correspondant à la période féodale
ancienne, dans la moitié Nord du pays. Les dialectes de la langue d’oïl sont : le francien, le
normand (avec sa variété anglo-normande depuis la fin du XIe siècle), le picard, le wallon, le
champenois, le lorrain, le bourguignon, le berrichon, l’angevin et le poitevin.
 Les dialectes franco-provençaux (« le croissant »).
Dans la période qui s’étend du Xe au XIIIe siècle, les différents textes officiels et littéraires
attestent la constitution sur le territoire du nord de la Loire d’une seule et même langue écrite
commune, nuancée selon les régions par certains traits dialectaux. C’est la langue qu’on appelle
« l’ancien français ».
Dès le XIIIe siècle, le francien – dialecte de l’Ile-de-France, variante parlée de Paris,
langue de l’autorité politique – devient le modèle.
Groupements de textes à analyser

Observez le mélange des formes qui voisinent dans les poèmes ci-dessous. Repérez les formes
graphiques purement latines et les formes spécifiques à l’ancien français.

o Le premier texte littéraire en langue d’oïl: La Cantilène de Sainte Eulalie (881)

1 Buona pulcella fut Eulalia, 15 Elle’ent aduret lo suon element.


Bonne pucelle fut Eulalie, Et à abjurer sa doctrine.
2 Bel auret corps, bellezour anima. 16 Melz sostendreiet les empedementz,
Elle avait beau corps, âme plus belle encore. Elle supporterait les tourments plutôt
3 Uoldrent la ueintre li Deo inimi, 17 Qu’elle perdesse sa uirginitet.
Voulurent la vaincre, les ennemis de Dieu, Que de perdre sa virginité.
4 Uoldrent la faire diaule seruir. 18 Por o’s furet morte a grand honestet.
Voulurent la faire servir le diable. Pour cela, elle mourut en grande honnêteté.
5 Elle non eskoltet les mals conseilliers, 19 Enz enl fou la getterent, com arde tost,
Elle n’écoute pas les mauvais conseillers, Dedans le feu, ils la jetèrent façon qu’elle brûle bientôt
6 Qu’elle Deo raneiet chi maent sus en ciel. 20 Elle colpes non auret, pour o no’s coist.
(Qui veulent qu’elle renie Dieu qui demeure là-haut, Elle n’avait aucune coulpe, aussi ne brûla-t-elle pas.
au ciel. 21 A czo no’s voldret conereidre li rex pagiens :
7 Ne por or ned argent, ne paramenz, A cela le roi païen ne voulut se fier :
Ni pour or, ni argent, ni parure, 22 Ad une spede li roueret tolir lo chief.
8 Por manacte regiel ne preiement, Avec une épée, il ordonna de lui ôter la tête.
Ni menace royale, ni priere, 23 La domnizelle celle kose non contredist ;
9 Niulecose non la pouret omque pleier, La demoiselle à cette chose ne s’opposa pas ;
Ni aucune chose ne put jamais plier 24 Uolt lo seule lazsier, si ruouet Krist.
10 La polle sempre non amast lo Deo menestier. Elle veut quitter le siècle, si le Christ l’ordonne.
La jeune fille (au point) qu’elle n’aimât pas le service 25 In figure de colomb uolat a ciel.
de Dieu. En forme de colombe, elle s’envola au ciel.
11 E por o fut presentede Maximiien 26 Tuit oram que por nos degnet preier,
Et pour cela fut présentée à Maximilien, Souhaitons tous que pour nous elle daigne prier,
12 Chi rex eret a cels dis soure pagiens. 27 Qued auuisset de nos Christu mercit
Qui était en ces jours roi sur les païens. Que le Christ ait de nous merci
13 Il li enortet, dont lei nonque chielt, 28 Post la mort, et a lui nos laist uenir
Il l’exhorte, mais peu lui chaut, Apres la mort, et à lui nous laisse venir
14 Qued elle fuiet lo nom christiien. 29 Per souue clemencia.
À renoncer au nom chrétien. Par sa clémence.

o L’autre jour, sous une haie… (Marcabru, 1130-1150)

Texte original Transcription moderne


L AUTIËR, JOST UNÀ SEBISSA (Marcabru) I. L’autre jour, près d’une haie, je trouvai une bergère
I L’autrier, jost’una sebissa. de pauvre condition, pleine de gaieté et d’esprit ; elle
Trobei pastora mestissa, était fille de vilaine : vêtue d’une cape, d’une gonelle
De joy e de sen massissa ; et d’une pelisse, avec une chemise de treillis, souliers
E fon filha de vilana : et chausses de laine.
Gap’e gonel’e pelissa 5
Vest e camiza treslissa, II. Vers elle je vins par la plaine : « jouvencelle, lui
Sotlars e caussas de lana. dis-je, créature enchanteresse, j’ai grand deuil que le

II Ves leis vinc per la planissa :


« Toza, fi m’eu, res faitissa,
Dol ai gran del ven que*us fissa ». 10
— « Senher, so dis la vilana, vent vous pique. » — « Sire, dit la vilaine, grâce à
Merce Deu e ma noyrissa, Dieu et à ma nourrice, peut me chaut que le vent
Pauc m’o pretz si’l vens m’erissa m’échevèle, car je suis joyeuse et saine ».
Qu’alegreta sui e sana ».
III. « Jouvencelle, lui dis-je, créature charmante, je
III — « Toza, fi* m eu, causa pia, 15 me suis détourné du chemin pour vous tenir
Destoutz me suy de la via compagnie ; car une jeune vilaine telle que vous ne
Per far a vos companhia, peut pas, sans un aimable compagnon, paître tant de
Quar aitals toza vilana bétail en un
No pot ses plazen paria pareil endroit, seule comme vous l’êtes ! »
Pastorgar tanta bestia 20
En aital luec, tan soldana ! » IV. — Sire, dit-elle, qui que je sois, je sais
reconnaître sens ou folie. Réservez plutôt votre
IV — « Don, dis ela, qui que-msia, accoiutance,
Ben conosc sen o folia ;
La vostra parelharia, 25
Senher, so dis la vilana,
Lai on se tanh si s’estia, Seigneur, dit la vilaine, à ceux auxquels elle sied ; car
Que tais la cuj’en bailia tel croit en avoir la tutelle, qui n’en a que l’apparence
Tener, no n’a mas Fufana î » ».

V — « Toza de gentil afaire, V. — « Jeune fille de noble condition, c’est un


Cavaliers fon vostre paire 30 chevalier qui fut votre père, qui vous engendra en
Que*us engenret en la maire, [votre] mère, tant il en naquit courtoise vilaine; car
Tan fo*n corteza vilana, plus je vous regarde, plus vous me semblez belle et
C’on plus vos gart m’etz belaire, votre possession me rend joyeux, si seulement vous
E per vostre joy m’esclaire, étiez plus humaine ! »
Si fossetz un pauc humana ! » 35
VI. — Sire, tout mon lignage et toute ma famille, je
VI — « Senher, mon linh e mon aire vois retourner et revenir à la bêche et à la charrue.
Vey revertir e retraire
Al vezoig e a l’araire.
Senher, so dis la vilana,
Mas tais se fai cavalgaire 40
C’atrestal deuria faire Mais, Seigneur, [me] dit la vilaine, tel se donne pour
Los seis jorns de la setmana ». chevalier, qui devrait faire comme eux pendant les six
jours de la semaine ».
VII — « Toza, frm eu, gentils fada
Vos adastret, quan fos nada, VII. — Jouvencelle, dis-je, gentille fée vous fit don, à
D’una beutat esmerada 45 votre naissance, d’une beauté parfaite, supérieure à
Sobre tôt’ autra vilana. [celle de] toute autre vilaine; et vous seriez
E séria* us ben doblada doublement belle, si je vous voyais une fois sous moi
Si*m vezi’ una vegada ».
Sobiran e vos sotrana ».
VIII. — Sire, vous m’avez fait tant de louanges
VIII — « Senber, tan m’avetz lauzada 50 depuis que vous avez exalté mon mérite que votre
Pois en pretz m’avetz levada, amour me plaît maintenant, Seigneur, me dit la
Qu’ar vostr’ amor tan m’agrada, vilaine,
Senher, so dis la vilana,
Per so n’auretz per soudada
Al partir « bâcla, fol, bâcla », 55 IX. — « Jouvencelle, cœur cruel et sauvage
E la muz’ a meliana ! » s’apprivoise par l’usage. Je m’aperçois, d’après ce
court passage auprès de vous, qu’on peut d’une jeune
IX — « Toza, felh cor e salvatge vilaine telle que vous se faire une précieuse
Adomesg’ om per usatge. compagnie, quand les cœurs sont liés d’amitié, et que
Ben conosc, al trespassatge, l’on ne se trompe pas l’un l’autre ».
Qu’ab aital toza vilana 60
Pot hom far rie companhatge
Ab amistat de coragte, X. — Sire, homme pressé de folie jure, garantit et
Quan Tus l’autre non engana ». promet gage ; c’est bien ainsi que vous me feriez
hommage, Seigneur, médit la vilaine; mais, en
X — « Don, hom cochatz de folatge échange
Jur’ e pliu e promet gatge. 65
Si*m fariatz homenatge;
Senher, so dis la vilana,
Mas ges, per un pauc d’intratge
au point que vous aurez pour salaire, an départ :
" baye, fou, baye ", et la perte de l’après-midi ».
No vuelh mon despiuzelhatge d’une petite récompense, je ne veux point sacrifier
Camjar, per nom de putana ! » 70 ma vertu, pour prendre le nom de fille perdue ».

XI — « Toza, tota creatura XI. — « Jouvencelle, toute créature retourne à sa


Revertis a sa natura : nature; nous devons nous préparer à faire un couple,
Parelhar parelhadura vous et moi, vilaine, en cachette, le long de ce
Devem, eu e vos, vilana, pâturage, car vous serez plus en sûreté pour faire la
A Fabric lonc la pastura, 75 douce chose ».
Que mielhs n’estaretz segura
Per far la causa doussana ». XII. — « Sire, oui ; mais, selon raison, le fou cherche
occasion de faire folie, et le courtois courtoise
XII — « Don, oc ; mas segon dreilura aventure, et le vilain recherche la vilaine; où mesure
Cerca fols la folatura,
Cortes cortez’ aventura, 80
El vilas ab la vilana ;
En tal loc fai sen fraitura
On hom non garda mezura, n’est pas observée le bon sens fuit défaut, prétend la
So ditz la gens anciana ». gent ancienne ».

XIII — « Belha, de vostra figura 85 XIII. — « Belle, de votre figure je n’en vis une autre
No*n vi autra plus tafura plus friponne, ni ayant le cœur plus perfide ».
Ni de son cor plus trefana ».
XIV. — « Sire, vous êtes sous le signe de la chouette
XIV — « Don, lo cavecs vos ahura, (?), car tel reste bouche bée devant la peinture taudis
Que tais bad’ en la peintura qu’un autre attend la manne (réalité) ».
Qu’autre n’espéra la mana ! » 90
o La Vie de Saint Alexis (vers 1040)

Ancien français Français contemporain


1. bons fut li secles al tens ancïenur 1. Le monde fut bon au temps passé,
2. quer feit iert e justise et amur, 2. Car il y avait foi et justice et amour,
3. si ert creance, dunt ore n’i at nul prut; 3. Et il y avait crédit ce dont maintenant il n’y a plus
4. tut est müez, perdut ad sa colur: beaucoup;
5. ja mais n’iert tel cum fut as anceisurs. 4. Tout a changé, a perdu sa couleur:
6. al tens Nöé et al tens Abraham 5. Jamais ce ne sera tel que c’était pour les ancêtres.
7. et al David, qui Deus par amat tant, 6. Au temps de Noé et au temps d’Abraham
8. bons fut li secles, ja mais n’ert si vailant; 7. Et à celui de David, lesquels Dieu aima tant.
9. velz est e frailes, tut s’en vat remanant: 8. Le monde fut bon, jamais il ne sera aussi vaillant;
10. si’st ampairet, tut bien vait remanant 9. Il est vieux et fragile, tout va en déclinant:
11. puis icel tens que Deus nus vint salver 10. Tout est devenu pire, bien va en déclinant (?)
12. nostra anceisur ourent cristïentet, 11. Depuis le temps où Dieu vint nous sauver
13. si fut un sire de Rome la citet: 12. Nos ancêtres eurent le christianisme.
14. rices hom fud, de grant nobilitet; 13. Il y avait un seigneur de Rome la cité:
15. pur hoc vus di, d’un son filz voil parler. 14. Ce fut un homme puissant, de grande noblesse;
16. Eufemïen -- si out annum li pedre -- 15. Pour ceci je vous en parle, je veux parler d’un de
17. cons fut de Rome, des melz ki dunc ieret; ses fils.
18. sur tuz ses pers l’amat li emperere. 16. Eufemïen -- tel fut le nom du père --
19. dunc prist muiler vailante et honurede, 17. Il fut comte de Rome, des meilleurs qui alors y
20. des melz gentils de tuta la cuntretha étaient
21. puis converserent ansemble longament, 18. L’empereur le préféra à tous ses pairs.
22. n’ourent amfant peiset lur en forment 19. Il prit donc une femme de valeur et d’honneur,
23. e deu apelent andui parfitement: 20. Des meilleurs païens de toute la contrée.
24. e Reis celeste, par ton cumandement 21. Puis ils parlèrent ensemble longuement.
25. amfant nus done ki seit a tun talent. 22. Qu’ils n’eurent pas d’enfant; cela leur causa
beaucoup de peine.
23. Tous les deux ils en appellent à Dieu parfaitement
24. «Ô! Roi céleste, par ton commandement,
25. Donne-nous un enfant qui soit selon tes désirs.»

Le moyen français

Périodisation: le début de la Guerre de Cent Ans (1328-1453) et la fin des guerres de


religion (1598)
Contexte socio-historique et culturel: les guerres civiles entre les Bourguignons et les
Armagnacs et entre les catholiques et les protestants ; la prise de Constantinople par les Turcs
(1453) ; les grandes découvertes géographiques ; les grandes inventions ; la Renaissance
italienne ; la décadence de la féodalité ; le progrès de la bourgeoisie ; la centralisation du pouvoir
et de l’autorité royale ; le contact avec le grec ancien.
Prononciation et orthographe : la non-observation des anciennes règles : la réduction des
diphtongues (chief, bergier); la réduction des voyelles en hiatus (eage – âge, reond – rond,
gehene – gêne); l’amuïssement du [e] interconsonantique et la perte du graphème correspondant
a l’orthographe (poliement – poliment) ; la fermeture de [o] pretonique en [o] (torment –
tourment, doleur – douleur).
Morphologie et syntaxe : la disparition de la déclinaison bicasuelle ; les adjectifs
qualificatifs deviennent variables, recevant une forme de féminin en « e » ; l’article défini porte
les marques de genre et de nombre du substantif ; bon nombre de verbes régularisent leur
flexion ; la présence du pronom sujet commence à être indispensable ; le pronom « il »
commence a apparaitre devant les impersonnels (il sembloit) ; la phrase devient plus nuancée
grâce à l’agencement logique de ses propositions ; le rapport de subordination est plus explicite,
par l’emploi plus précis des conjonctions.
Lexique : une inflation des synonymes, qui a comme conséquence le rejet des anciens
termes (antif – antique, batoier – baptiser, beneiçon – benediction, esmer – estimer) ; la langue
s’enrichit par des moyens internes et surtout par la composition (saige-femme – sage-femme,
bégueule – bouche bée, aigrevin – vinaigre), la suffixation (-erie : maconnerie, -eresse :
venderesse, demanderesse, -er+on : moucheron, -aille : marmaille, trouvaille); on observe une
entrée massive de termes abstraits et de termes populaires (l’emprunt) : l’allemand – chenapan,
Huguenot, trinquer ; le latin : cadavre, évidence, faciliter, fragile, hôpital, peureux ; le picard et le
normand : abeille, bourgade, cabane, cadeau, cigale, escargot.

o Application: L’Ordonnance de Villers-Cotterêts (10 août 1539) de François 1er

L’Ordonnance de Villers-Cotterêts a été rédigée en moyen français par le chancelier


Guillaume Poyet (connu aussi sous le nom de Guilelmine ou Guillemine), avocat et membre du
Conseil privé, premier personnage du royaume après le roi. C’est dans son château de Villers-
Cotterêts (à 75 km au nord de Paris, à l’ouest de Reims) que François Ier signe, entre le 10 et le
15 août 1539, l’« Ordonnance générale sur le fait de la justice, police et finances » qui impose le
français comme langue administrative au lieu du latin.
L’ordonnance royale a été enregistrée au Parlement de Paris, le 6 septembre 1539. Elle
limite la justice ecclésiastique aux causes purement religieuses, instaure de nouvelles règles pour
la procédure pénale, désormais écrite et secrète (l’accusé ignorant même jusqu’au jour de son
procès les charges pesant sur lui). Elle oblige également les curés de chaque paroisse à tenir un
registre des naissances: c’est le début de l’état civil. L’histoire a retenu ces deux mesures très
importantes : la création de l’état civil et l’emploi du français comme langue d’usage obligatoire
pour tous les actes administratifs. Même si, depuis 1490 jusqu’en 1535, plusieurs ordonnances
royales avaient également traité de la langue dans des termes plus ou moins similaires; seule
l’ordonnance de 1539 est demeurée dans l’imaginaire collectif.
L’ordonnance de Villers-Cotterêts fait partie d’un ensemble de lois ; ses dispositions sont
contenues dans 192 articles. Voici les articles 110 et 111 dans leur version originale et en
transcription moderne:

Texte original Transcription moderne

110. Que les arretz soient clers et entendibles. Et affin 110. Afin qu’il n’y ait cause de douter sur l’intelligence
qu’il n’y ayt cause de doubter sur l’intelligence desdictz des arrêts de nos cours souveraines, nous voulons et
arretz. Nous voulons et ordonnons qu’ilz soient faictz et ordonnons qu’ils soient faits et écrits si clairement, qu’il
escriptz si clerement qu’il n’y ayt ne puisse avoir n’y ait ni puisse avoir ambiguïté ou incertitude, ni lieu à
aulcune ambiguite ou incertitude, ne lieu a en demander demander interprétation.
interpretacion. 111. Nous voulons donc que dorénavant tous arrêts, et
111. Nous voulons que doresenavant tous arretz ensemble toutes autres procédures, soient de nos cours
ensemble toutes aultres procedeures, soient de nous souveraines ou autres subalternes et inférieures, soient
cours souveraines ou aultres subalternes et inferieures, des registres, enquêtes, contrats, testaments et autres
soient de registres, enquestes, contractz, commisions, quelconques actes et exploits de justice ou qui en
sentences, testamens et aultres quelzconques actes et dépendent, soient prononcés, enregistrés et délivrés aux
exploictz de justice ou qui en dependent, soient parties en langage maternel françois et non autrement.
prononcez, enregistrez et delivrez aux parties en langage
maternel francoys et non aultrement.
CHAPITRE 3
Langues et dialectes de la France métropolitaine

Les langues d’oïl : picard, wallon, lorrain, normand, champenois (Hauts-de-France et


Grand-Est), bourguignon, franc-comtois (zone burgonde) (Bourgogne - Franche-Comté),
francien (Ile-de-France), gallo, angevin, tourangeau, berrichon, poitevin-saintongeais (Pays de la
Loire), etc.

Le français du Nord Le français standard


brindezingue légèrement ivre
wassingue serpillère
drache averse violente
chercher misère chercher dispute
bac à ordures poubelle
On y voit clair assez On y voit assez clair
Tomber dans le beurre Avoir de la chance
Etre dans le beurre Etre dans l’aisance
bistouille Café additionné d’alcool
chicon endive
Il veut comme pleuvoir On dirait qu’il va pleuvoir
Il fait cru Il fait froid et humide
Ce plat vous goûte-t-il ? Ce plat vous plaît-il ?

Le berrichon Le français standard


goûter repas de midi
mitan milieu
pochon sac en papier ou en plastique
à des points d’heure très tard dans la nuit
le senti-bon le parfum

Le poitevin Le français standard


barrer la porte fermer à clef
à matin ce matin
asteure maintenant
mouiller pleuvoir
lichette petite quantité
Il fait frette Il fait froid
surveiller la télévision regarder la télévision

Les langues d’oc (l’occitan, le français méridional) : gascon, languedocien, guyannais,


béarnais, provençal, vivaro-alpin, auvergnat, limousin,
etc.
Le français méridional se remarque par l’accent,
tout d’abord : les méridionaux prononcent le « e final »
ou médiane des mots, ce qui fait que les mots en
questions acquièrent une syllabe de plus. Parallèlement,
il y a une tendance à raccourcir les mots par
l’enlèvement de certains préfixes : venir pour devenir,
porter pour emporter ou apporter, sembler pour
ressembler, etc.

Le français méridional Le français standard


blaguer avec qqn bavarder
ça bouffe il fait du vent
brave gentil, grand, important
il parle bravement il parle beaucoup

Le languedocien Le français standard


Il tombe des rabanelles Il pleut à verse
Ça marque mal Ça fait mauvaise impression

Le provençal Le français standard


avoir les trois sueurs avoir peur
donner d’air à quelqu’un ressembler à qqn

Le marseillais Le français standard


patin-couffin et patati et patata
faire peine apitoyer
Conservez-vous ! Portez-vous bien !

Autres expressions provençales et marseillaises


 le suc – le sommet de la tête
 le boucan – le lieu où on fume les viandes ou encore le bruit, le vacarme
 le fada – qui converse avec les fées
 le cacou – du provençal cacoua (cadet=militaire, élève officier) ou de l’espagnol caco (voleur)
 le gobi – un petit poisson de la Méditerranée
 la pègue - la poix (matière collante), la colle
 emboucaner : sentir mauvais, empuantir, mais aussi répandre de la fumée, empoisonner.
 faire le cacou : faire le beau, frimer.
 être ensuqué : manquer de vivacité, d’esprit.
 être fada : être simplet, fou
 être empégué : être saoul, ivre.
 avoir des yeux de gobi : faire l’étonné.

L’auvergnat Le français standard


se coucher content rentrer ivre
prendre du souci s’apprêter à partir
se mettre en malice se mettre en colère

Le bordelais Le français standard


adieu bonjour ou au revoir, à une personne que l’on tutoie
aste et cot, respectivement courçon long et courçon court ce qu’il reste après la taille de la vigne en hiver
aubarède plantation de peupliers sur les terres alluvionnaires du
val de Garonne
barragane poireau sauvage poussant dans les vignes
échoppe bordelaise maison urbaine, de plain-pied, à façade en pierres de
taille calcaires
estey affluent de la Dordogne ou de la Garonne en aval de
Bordeaux, dont la particularité est de se trouver à sec à
marée basse. (La marée se fait sentir jusqu’à 50 km en
amont de Bordeaux.)
guenille à grigonner serpillère
goudale chabrot
gueilles chiffons
guite petite amie, terme familier
pichadey parler bordelais, par extension Bordelais
pitey tour pour la chasse aux grives
plier pour compte mort
sangogne lézard des murailles
Tâcher moyen de faire en sorte de

Le lyonnais Le français standard


gone enfant
grandoise bêtise
godiveaux petites saucisses
Ficelle Funiculaire de la Croix-Rousse

Le beaujolais Le français standard


cabauchon entêté
il est arrivé quand moi en même temps que moi
être colère être en colère
mettre à coin mettre de côté
prendre du souci se préparer à sortir
entrez seulement entrez, s’il vous plaît
ce tantôt cet après-midi
tartifle pomme de terre
il tombe des têtes de capucin Il pleut à verse

Le franco-provençal
La zone franco-provençale est une zone de transition entre les dialectes du Nord et les
dialectes du Midi qui dépasse les frontières de la France et s’étend dans les régions de Suisse
romande et d’Italie (le Val d’Aoste) lesquelles ont le français comme langue officielle.

Le franco-provençal Le français standard


blaguer bavarder abondamment
agassin cor au pied
tuber fumer
taillon morceau
brailles (n.f.pl.) pantalon
viron petit tour
tailler l’école faire l’école buissonnière

 Le dialecte breton

Le breton Le français standard


à tantôt à cet après-midi
chiffé froissé
comment euh (hésitation)
être dans le lagen être dans le pétrin, être fatigué-e, avoir la langue de bois
manger comme une gouelle avoir de l’appétit
mic café
truc en distribil truc en désordre, en vrac, en morceaux
ribine petite route ou petit chemin
lichouserie sucrerie
Pikez nom affectueux pour désigner une chipie, une coquine
pierre de sucre sucre en morceaux
pochon sac à provisions
aller en riboul sortir faire la fête, aller en soirée, ou encore partir en
virée
grignous pleurnichard, râleur, quelqu’un de grognon
cruche queue de cheval

 Le Corse

Le corse Le français standard


la porte sbatouille la porte bat
se charber se planter, échouer

Groupements de textes à analyser

o Le cas particulier du patois roman (le gallo) de Haute-Bretagne

« Dès la fin du Ve siècle, la population de l’Armorique parlait, dans les villes, un latin déjà un
peu modifié et tendant à devenir une langue romane, mais la prise de conscience de cette
évolution ne devait être effective qu’avec le Concile de Tours en 813, lorsqu’il avait été
recommandé aux prêtres de dire leurs homélies « en langue romane rustique ». C’est cette forme
évoluée du latin qui poursuivra son existence dans la langue romane de Haute-Bretagne (partie
orientale de la Bretagne), que l’on connait aujourd’hui sous le nom de gallo.
Diversement orthographié : gallo ou gallot – mais la graphie sans -t emporte dans les
usages contemporains – ce nom est à l’origine un mot breton qui signifie « français », ou plutôt
« non breton ». C’est probablement ainsi qu’on nommait autrefois ceux qui ne parlaient pas
breton. Ils ne parlaient évidemment pas encore le français, mais la forme particulière qu’avait
prise le latin dans cette région de France : le gallo.
Entre français et breton. Le gallo a eu une double malchance : celle de se trouver pris
entre deux voisins tres encombrants et qui l’ont progressivement étouffé. D’un côté, il y a le
français, une langue composite qui, partie de la région parisienne, a fini par être imposée au reste
du pays pour devenir langue officielle.
De l’autre côté, il y a le breton, seule survivance en Europe continentale du souvenir de
« nos ancêtres les Gaulois ». Or, cette langue celtique bénéficie du fait d’être reconnue, en
Bretagne et hors de Bretagne, comme une langue régionale à part entière et comme le symbole
d’une identité bretonne. Si bien que, même en Bretagne, on n’est pas loin de penser que, pour
être un vrai Breton, il faut parler breton. L’autre langue régionale de Bretagne, le gallo,
diversement nommée par la population, est ainsi rejetée dans l’oubli, à la fois parce que le
français est aujourd’hui la langue parlée quotidiennement par tous les Bretons et parce qu’une
autre langue régionale – le breton – lui fait de l’ombre.
Cette langue gallèse survit aujourd’hui, côte à côte avec le français, en Haute-Bretagne, à
l’est d’une ligne qui traverse, du nord au sud, les départements des Côtes-d’Armor et du
Morbihan (de Plouha, au nord, à la presqu’île de Rhuys, au sud) et on l’entend aussi dans les
départements d’Ille-et-Vilaine et de Loire-Atlantique. Le français régional de Haute-Bretagne lui
est redevable d’un grand nombre de mots et d’expressions, ainsi que de prononciations
particulières.
Mots entendus au pays gallo. Parmi les expressions le plus souvent entendues en pays
gallo, il en est une qui peut passer inaperçue au visiteur temporaire mais qui peut aussi devenir
une sorte de marqueur permettant de reconnaître un habitant de Bretagne et surtout de Haute-
Bretagne. Il s’agit du mot comment…, qui s’intercale au beau milieu d’une phrase lorsque celui
qui parle hésite sur un mot : une autre façon de dire euh… Toujours dans les échanges au cours
d’une conversation familière, on entendra aussi sans doute dame oui ! pour acquiescer, dame
non ! pour dire « bien sur que non ! » et à tantôt pour « à cet après-midi ».
Dans des contextes plus spécifiques, on entendra parler d’un enfant qui pigne (« qui
pleurniche ») ou d’une maman qui demande à son fils de ne pas mettre son pantalon en bouchon
(« en tas ») car il risquerait d’être tout chiffé (froissé) le lendemain matin. On peut se voir
proposer un mic (un café) accompagné de pierres de sucre (« sucre en morceaux ») ou de la
goutte (« eau-de-vie de pommes ») après avoir apprécié une galette, c’est-à-dire, très
spécifiquement, une crêpe de sarrasin, qu’il n’est pas question d’appeler une crêpe, car, en
Bretagne, une crêpe est toujours faite avec de la farine de froment. Enfin, dans une boutique, on
ne vous offrira pas un sac pour transporter vos achats, mais surement un pochon.
De la Bretagne vers le Maine : une transition en douceur. Une partie du domaine du
gallo a été progressivement gagnée sur le breton, dont la limite orientale a reculé depuis le IX e
siècle de près de 100 km au nord et de 40 km au sud du pays. Le domaine où l’on parle
aujourd’hui le gallo est divisé en une partie bretonnante et une partie qui ne l’a jamais été. En
particulier, le breton n’a jamais été parlé, ni à Rennes, ni à Nantes.
Mais si, à l’ouest, la frontière actuelle avec le breton semble stabilisée, elle est beaucoup
plus difficile à tracer avec les parlers voisins, bas-normands, mayennais ou angevin. »
(WALTER, Henriette, Le français d’ici, de là, de là-bas, Jean-Claudes Lattes, 1998, pp. 265-
269).
o Les mots de la pluie dans la chanson « Il pleut, il pleut, bergère » de Fabre d’Eglantine
(1780)

Il pleut, il pleut, bergère, Soupons: prends cette chaise,


Presse tes blancs moutons, Tu seras près de moi ;
Allons sous ma chaumière, Ce flambeau de mélèze
Bergère, vite, allons. Brûlera devant toi :
J’entends sur le feuillage Goûte de ce laitage ;
L’eau qui tombe à grand bruit ; Mais tu ne manges pas ?
Voici, voici l’orage, Tu te sens de l’orage ;
Voici l’éclair qui luit. Il a lassé tes pas.

Bonsoir, bonsoir, ma mère, Eh bien, voici ta couche ;


Ma sœur Anne, bonsoir ! Dors-y jusques au jour ;
J’amène ma bergère Laisse-moi sur ta bouche
Près de nous pour ce soir. Prendre un baiser d’amour.
Va te sécher, ma mie, Ne rougis pas, bergère :
Auprès de nos tisons. Ma mère et moi, demain,
Sœur, fais-lui compagnie ; Nous irons chez ton père
Entrez, petits moutons. Lui demander ta main.
CHAPITRE 4
Le français de Belgique et le suisse romand

 La constitution socio-linguistique de la Belgique

Fig. 1 Les communautés et les régions de la Belgique5

La Constitution6 belge décrit la Belgique de la façon suivante :


Art. 1 « La Belgique est un État fédéral qui se compose des
communautés et des régions.
Art. 2 La Belgique comprend trois communautés: Communauté
française, Communauté flamande et Communauté germanophone (Fig.
1).
Art. 3 La Belgique comprend trois régions : la Région wallonne, la
Région flamande et la Région bruxelloise (Fig. 1).
Art. 4 La Belgique comprend quatre régions linguistiques: la région de
langue française, la région de langue néerlandaise, la région bilingue de Bruxelles-Capitale et la
région de langue allemande.
Art. 5 La Région wallonne comprend les provinces suivantes : le Brabant wallon, le Hainaut,
Liège, le Luxembourg et Namur. La Région flamande comprend les provinces suivantes :
Anvers, le Brabant flamand, la Flandre occidentale, la Flandre orientale et le Limbourg » (Fig.
Fig. 2 Régions et provinces de la Belgique,
2).
http://fr.wikipedia.org/wiki/Belgique#Politique

Après la Première Guerre Mondiale, une nouvelle


région, celle de la langue allemande, a été annexée
à la Belgique dans la partie orientale.
Les Communautés sont responsables de la
culture et de l’éducation (théâtres, bibliothèques),
de l’emploi des langues, ainsi que de l’aide aux
personnes (l’accueil des immigrés, l’aide sociale),
de la recherche scientifique, tandis que les Régions
s’occupent de problèmes territoriaux et
économiques, en exerçant leurs compétences en matière d’économie, d’emploi, d’agriculture, du
transport, d’environnement, d’urbanisme etc. Ainsi peut-on affirmer que la division en
Communautés se fonde sur la langue et la culture et celle en Régions, sur les intérêts
économiques. Depuis le 27 septembre 2011 la Communauté française a été surnommée
Fédération Wallonie-Bruxelles, mais ce changement de dénomination n’apparaît pas encore dans
la Constitution Belge.
La Belgique compte trois langues officielles: le néerlandais, le français, l’allemand, mais
aussi quelques dialectes. Étant divisée en aires linguistiques, qu’on peut les observer dans la Fig.
3, le français est parlé dans les cinq provinces wallonnes du sud (la Communauté française), qui

5
http://www.accueil-francais-anvers.be/documents/VivreetTravaillerenBelgique.pdf.
6
La Constitution Belge du 7 février 1831, disponible sur http://www.senate.be/doc/const_fr.html#t1.
occupe la plus grande partie du territoire de la région Wallonne (Hainaut, Liège, Luxembourg,
Namur et Brabant wallon).
Le flamand est parlé au nord et au nord-est, dans la province de Flandre (Anvers, la
Flandre-Orientale, Brabant flamand, Limbourg et la Flandre-Occidentale) et l’allemand est parlé
à l’est de la Wallonie. La ville de Bruxelles est officiellement désignée comme une région
bilingue. Toutefois, il y a des tensions entre les différentes communautés linguistiques par
rapport à d’autres pays où la cohabitation de plusieurs langues officielles ne pose pas de
problème.
Le français de Belgique représente une variante régionale du français et est caractérisé
par des termes qui sont considérés comme archaïques en France, par des wallonismes, des
belgicismes, des innovations lexicales et par des termes bruxellois locaux. Le français de
Belgique est un synonyme de la langue d’oïl, ce qui signifie que tous les dialectes romans du
domaine d’oïl sont des variétés dialectales du français.

 Caractéristiques
phonétiques :
l’accent
bruxellois/picard/wallon
En Belgique on retrouve principalement trois grandes familles d’accents : l’accent
bruxellois, l’accent picard et l’accent wallon. Si les accents français (provençal, parisien,
alsacien etc) sont jugés comme les plus raffinés, alors les accents belges sont perçus comme les
plus grossiers. On ajoute aussi l’idée tirée de l’article de Jacques Pohl qui s’avère très
importante : « Celui qui franchit la frontière franco-belge, en n’importe quel point, remarque une
différence d’« accent » […]. Le Parisien ou l’habitant des départements du nord qualifient de
« belge » assez indistinctement cet « accent » qui les surprend au premier abord.
Symétriquement, le Belge identifie en général le « Français », plus rapidement peut être
encore, à sa façon de parler. Pour lui, à vrai dire, trois « accents » se partagent en gros en
France : l’accent français proprement dit (« pincer son français » est l’équivalent belge de
« parler pointu »), l’accent du Midi et l’accent alsacien.
L’accent bruxellois est le fameux accent belge généralement parodié, mais jamais égalé
par les humoristes français. C’est en fait du français prononcé avec un accent flamand brabançon
et il est très différent par rapport aux accents trouvés dans la partie francophone du pays. Le
parler de Bruxelles est donc une variété de flamand, la ville étant majoritairement francophone,
car les citoyens se sont francisés. Au milieu du XIX-ème siècle, Bruxelles était une ville
d’expression flamande. C’est pourquoi on retrouvait ici l’utilisation du diminutif flamand « -
ke » (Marieke pour Marie), un vocabulaire flamand (eten pour désigner le repas, laaren pour
faire référence au verbe apprendre) ou la traduction littérale des expressions flamandes. Le
français de Bruxelles est très distinct du français de différentes régions de la Wallonie. Donc, il y
a deux variétés de français en Belgique : celui des Bruxellois et celui des Wallons. Quand on
parle de la « prononciation belge », on imagine souvent celle de Bruxelles qui fait l’objet de la
parodie des humoristes français, mais il y en a d’autres, car on ne parle pas de la même façon à
Charleroi, à Liège ou à Tournai. Même en Suisse romande, l’accent constitue une source
d’imitation et de parodie par les Français, car l’accent tombe sur l’avant dernière syllabe
(maison, tomate).
Le deuxième type d’accent trouvé en Belgique est celui picard, qui est le même que celui
qu’on retrouve dans le nord de la France. En Belgique, on peut le retrouver dans la partie
occidentale de la Province de Hainaut (Ath, Tournai, Mouscron, Mons).
Concernant l’accent wallon, on peut distinguer plusieurs types : l’accent carolorégien,
l’accent namurois, l’accent ardennais et l’accent liégeois. Les Wallons ont tendance à ne pas
prononcer la dernière syllabe et à allonger les voyelles : prente pour prendre et tîk pour tigre. Les
groupes [ti] et [di] précédés d’une consonne et suivis d’une voyelle se prononcent [tch] ou [dj] :
Tcherè pour Thierry et Didjé pour Didier. De plus, les consonnes finales sont assourdies : [d] se
prononce [t], [b] se prononce [p] etc.
La prosodie. Les Belges font des pauses plus nombreuses que les Français, qui recourent
aux procédés supplétifs. Les Belges parlent plus lentement et allongent les voyelles de la syllabe
pénultième et finale et ils font des accentuations et des contours intonatifs inattendus. La lenteur
du débit remarquée surtout dans le centre de la Wallonie est en corrélation avec le grand nombre
des voyelles longues ou semi-longues. On constate aussi la disparition des phrases inachevées,
les allongements vocaliques ou bien l’accent sur l’avant dernière syllabe : « écartés aussi des
usages qui relèvent de l’orthoépie : Anvers, Roulers, Villers-la-Ville, prononcés avec [s];
Wagon, Watteau, Wagram, Walter, etc., avec [w]; Verhaeren, Laeken, Beethoven, etc., avec
l’accent sur l’avant-dernière syllabe, etc. ».
La manière de s’exprimer des Belges est naturelle, spontanée, pas sophistiquée, ils ont un
accent moins aigu, tandis que les Français s’expriment de façon pédante, ils ont un accent plus
pointu, une manière sèche de parler, ils s’écoutent parler, ils ont un vocabulaire très riche, une
fluidité verbale, ils ne cherchent pas leurs mots. Les critiques littéraires affirment que le meilleur
français est celui parlé par les Français et que la France est le pays où on parle mieux le français
qu’ailleurs. La Belgique est vue comme un pays où on parle moins bien le français qu’ailleurs,
l’opinion soutenue par Marie-Louise Moreau et al. étant objective : « Ainsi, d’une part, ce qu’on
appelle « l’accent belge » est présenté comme un attribut plutôt honteux ; le locuteur qui parle
avec « l’accent belge » n’est jamais proposé comme un modèle de bon langage. Mais d’autre
part, la majorité des francophones belges estiment que la langue des Belges ne doit pas se
calquer sur celle des Français, qu’il ne faut pas fransquillonner. Qui veut bien parler ne doit donc
parler comme les Français ; il ne doit pas non plus parler comme les Belges7.
On constate aussi que la proximité géographique et les rapports fréquents entre les
francophones et les néerlandophones a donné naissance à une façon propre de parler, caractérisée
par la tendance à ne pas poser l’accent tonique sur la dernière syllabe non muette, comme on le

7
M-L Moreau, H. Brichard, C. Dupal, Les Belges et la norme. Analyse d'un complexe linguistique, Ed. Duculot,
Bruxelles, 1999, p. 28.
fait généralement en France, mais plutôt sur la première syllabe, comme dans le cas de nombreux
mots flamands.
Quant à l’intonation, c’est-à-dire la répartition des accents et des tons sur les diverses
syllabes, elle se distingue sans doute de celle du français norme. Par exemple, à l’est de la
Wallonie, on retrouve dans l’intonation de la phrase énonciative une chute de hauteur sur la
dernière syllabe.

 Traits lexico-sémantiques du français de Belgique


En effet, plusieurs mots ou expressions n’ont pas les mêmes connotations en France et en
Belgique. Par exemple, le mot sacoche désigne en Belgique un sac à main de femme, alors qu’en
France ce mot est employé pour faire référence au sac du facteur ou de l’écolier, donc on
observe qu’il s’agit d’une restriction au niveau du sens. Tout comme en Suisse romande, le mot
duvet désigne en Belgique ce qu’on appelle en France une couette. D’autres exemples de
belgicismes sémantiques sont : banlieu (= omnibus), calepin (= cartable d’écolier), cour (=
toilettes), doubleur (= élève qui redouble la classe), farde (= chemise), mallette (= cartable),
pantoufle (= chaussure de toile pour la gymnastique), pistolet (= petit pain rond), place (= pièce
d’habitation), préfet (= directeur d’un lycée), proviseur (= adjoint au directeur d’un lycée),
quartier (= petit appartement), ramassette (= pelle à poussière), torchon (= serpillière), vidange
(= récipient consigné).
De plus, beaucoup de Belges considèrent que les termes épouser et marier sont
synonymes. Si le premier signifie prendre quelqu’un pour époux / épouse, alors marier signifie
unir deux êtres par le mariage, célébrer leur union. Donc, il est correct de dire « le maire marie
les fiancés ». L’erreur fréquente chez les Belges, mais aussi chez Proust consiste à employer
marier dans le sens d’épouser, la confusion venant, sans doute, de la forme pronominale se
marier qui est synonyme d’épouser : « Je ne sais plus qui m’a dit qu’un de ceux-là avait marié
une cousine au Duc » (Proust, Á la recherche du temps perdu, t. II, p. 22).
Dans son étude intitulée Le français de Belgique et les locutions verbales figées, Béatrice
Lamiroy nous révèle les variétés à travers la francophonie : en Belgique, en France, au Québec et
en Suisse. Dans ce sens, l’expression française coûter les yeux de la tête a comme équivalent
belge - coûter un os / un point, comme équivalant québécois - coûter un bras et comme
équivalant suisse – coûter le lard du chat / un saladier. De plus, elle soutient que « la variation
notée pour chacune des expressions porte non seulement sur la variation lexicale, mais aussi sur
celle qu’on observe parfois pour la préposition, le nombre ou le déterminant »8. Les exemples ci-
dessous, synonymes avec être enceinte, s’avèrent illustratifs :
a. attendre famille (en Belgique) ;
b. attendre la famille (au Québec) ;
c. attendre de la famille (en Suisse romande) ;
L’utilisation des belgicismes varie en fonction de la région et du milieu culturel. Certains
belgicismes sont toujours utilisés9, d’autres sont utilisés la plupart du temps (septante, nonante)
et d’autres sont rarement utilisés, dans des régions restreints. Dans la troisième catégorie

8
Béatrice Lamiroy, Le français de Belgique et les locutions verbales figées, dans Revue belge de philologie et
d'histoire, t. 84, Ed. Delcourt, 2006, p. 832, http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rbph_0035-
0818_2006_num_84_3_5046.
9
C’est le cas des belgicismes administratifs (bourgmestre, échevin), des belgicismes qui ont des connotations
différentes et des belgicismes pour lesquels il n’y a pas d’équivalent exact en français, par exemple les noms de
spécialités culinaires et des boissons belges : le kriek, le peket, le spéculoos etc.
s’inscrivent les mots qui sont exclusivement employés dans la région liégeoise : bonbon (=
biscuit), chique (= bonbon), bouquette (= crêpe faite avec de la farine de sarrasin pure ou
mélangée à de la farine de froment), méhin (= ennui de santé), balter (= plaisanter) ou
l’expression avoir pour faire (= être dans l’aisance). Plusieurs belgicismes ne sont en usage que
dans la région bruxelloise et c’est le cas des mots empruntés au flamand : zinneke (= chien sans
race), cocher (= nettoyer), blinquer (= faire briller), brol (= désordre), snul (= individu sans
valeur). Toutefois, il y a des mots qui sont utilisés en France, mais aussi dans d’autres pays
francophones : septante, nonante (en Suisse, au Congo, au Burundi), déjeuner, dîner, super (en
Belgique, en Suisse romande et au Québec), le nom auditoire est également utilisé en Suisse etc.
On peut rencontrer des belgicismes dans tous les domaines : administration, alimentation,
enseignement, vie quotidienne, terminologie économique et juridique etc.
Pour illustrer la première catégorie, celle de l’administration, on dit qu’à la mairie,
appelée en Belgique maison communale, travaille le maire (bourgmestre ou maïeur) et ses
adjoints (échevins). Le Registre de l’État civil ne fournit pas aux nouveaux mariés le livret de
famille comme en France, mais le livret de mariage. Les communes accordent des subventions
(subsides) et empêchent le collage des affiches sur d’autres (surcollage). Pour faire référence au
périphérique, le français de Belgique se sert du germanisme ring et une allée carrossable bordée
d’arbres est appelée drève.
Dans le français de Belgique, on découvre plusieurs particularités lexicales dans le
domaine de l’alimentation : spéculoos (= biscuit à la cassonade), filet américain (= steak tartare),
chicon (= endive), cramique (= pain au sucre et aux raisins de Corinthe), craquelin (= pain au
lait et au sucre), pistolet (= petit pain), gosette (= chausson aux pommes) etc.
Un nombre important de belgicismes est employé dans l’enseignement. Pour désigner
l’école maternelle, les Belges utilisent école gardienne ou école froebel. Le nom lycée est
remplacé en Belgique par athénée, la salle de cours s’appelle auditoire et l’année universitaire
s’appelle année académique. Les étudiants qui redoublent une année sont appelés bisseurs, ceux
qui sèchent les cours sont brosseurs, la guindaille est la fête après les examens, le blocus désigne
la période qui permet aux étudiants de préparer l’examen, la fourche est la pause entre deux
cours, le copion est un document préparé pour frauder un examen et la buse est un échec à un
examen. Si le mot lycée est propre au français de France, alors athénée est propre au français de
Belgique et gymnase, au français de Suisse.
Il existe aussi un nombre important de spécificités lexicales dans tous les domaines de la
vie quotidienne. Dans la terminologie d’habitation, par exemple, on a les belgicismes suivants :
clenche (= poignée de porte), femme à journée (= femme de ménage), maison bel-étage (=
maison avec rez de chaussée surélevé), unifamiliale (= maison qui n’est destinée qu’à une seule
famille), posture (= statuette) etc. Si les Belges emploient le mot fréquenter à propos de fiancés,
les Français utilisent courtiser, si la formule s’il vous plaît est utilisée en Belgique pour présenter
un objet, chez les Français c’est une formule de politesse, si le mot imbécile est une injure
anodine à Paris, elle est assez grave chez les Belges.
Beaucoup de belgicismes sont aussi utilisés dans le monde économique et juridique, par
exemple : jober (= exercer un travail occasionnel), colloquer (= emprisonner), prester (=
accomplir un travail), collocation (= emprisonnement) etc.
Dans son étude intitulée Des belgicismes sur les sites d’information, Antoine Jacquet10
fait un top des belgicismes journalistiques les plus utilisés sur les sites lesoir.be et dhnet.be.
Ainsi, il montre leurs fréquences et leurs formes par rapport au français de référence: pension (=
retraite), ring (= périphérique), à la côté (= sur la côté), subside (= subvention), à disposition de
(= à la disposition de), en rue (= dans la rue), sur base de (= sur la / une base de), GSM (=
portable), goal (= but) etc.

Autres belgicismes :
 Passer la nuit à l’amigo - Passer la nuit au poste de police, passer une nuit en prison.
« Coffrer un voleur à l’amigo. » Un amigo est aujourd’hui un local du commissariat de police, où l’on
enferme les prévenus pour une détention momentanée.
 Avoir la clope - avoir peur. « J’ai eu une clope monstre avant cet examen. » Une clope : une
angoisse avant une prestation, une rencontre importante.
 Il drache - Il pleut à verse. « Une cérémonie gâchée par la drache. » « Notre promenade a dû
être écourtée à cause d’une drache. » Une drache : pluie battante, forte averse.
 Aller à guindaille -aire la fête. « Les 24 heures vélo de Louvain-la-Neuve, la plus grande
guindaille de l’année. » Une guindaille est une sortie joyeuse et bien arrosée (surtout pour des étudiants).
Être en guindaille, faire une guindaille.
 Ça plèque - Ça colle, c’est poisseux. « Ça plèque aux doigts, cette confiture ! » « La table est
toute plèquante, avec la bière qui a été renversée. » On peut aussi plèquer des timbres.
 Rappliquer volle pétrol - Arriver à toute vitesse, à toute allure. « Tu as intérêt à rappliquer volle
pétrol. » « Le voleur a filé volle pétrol par la Galerie de la Reine. »

Groupements de textes à analyser :

o Appréhender la terminologie gastronomique belge

« Après avoir fréquenté l’athénée, il suivit sa candidature aux études académiques à l’alma mater, mais il
l’avait dur, bloquait peu, brossait et il a busé. Il fit assez bien de petits boulots. Il tint une aubette, une
friture, un lavoir et une échoppe puis par après il tira son plan comme ardoisier, légumier, taximan tout un
temps et baes dans un estaminet où il servait des bistouilles, des krieks, des pils, des péquets et des thés,
mais comme il battait le beurre avec les pignoufs, il l’eut mauvais. Il se mit à cuisiner des cannibales, des
carbonades, des couques, des gosettes, des cramiques, des croustillons, des waterzoois, des fricassées, des
filets américains, des oiseaux sans tête, des vitoulets, des fricadelles ou des flamiches avant de remettre
son restaurant. Il fut même échevin mais il se méconduit avec le maïeur rattachiste, taiseux, frotte-manche
et mêle-tout qui faisait de son nez et qui lui cherchait misère et qui l’instigua à renoncer. Il prit quelques
pauses-carrières avant d’être pensionné et vécut dans un flat à rue au bel-étage d’une seigneurie jusqu’à la
nonantaine. » (http://didiertougard.blogspot.ro/2011/10/petit-dictionnaire-belge-les.html)

o Bruno Coppens, Plan langue spécial anniversaire de la Belgium (mini-dialogue)

Dring
- Allô. Ici Pamela Burningan, chief executive officer de la société Success an Fun, je voudrais briefer le
responsable « 175 ans de la Belgique » à propos de mon package deal.

10
Antoine Jacquet, Des belgicismes sur les sites d’information, article publié dans Le discours et la langue, t. 6,
2014, pp. 177-193 (http://www.academia.edu/8192232/Les_journalistes_en_Belgique_causent-
ils_belge_une_fois_Des_belgicismes_sur_les_sites_d_information).
- Heu... vous voulez babeler avec Georges ? C’est assez dire que comme c’est bientôt son heure de table,
il est déjà parti en stoemelings et moi... Moi, c’est Paul Brugnon du service courrier. Je faisais la navette
dans les couloirs et bardaf, ça sonne chez Georges ! Alleï, je décroche ! Et...
- Je vous propose un business plan Paul, pour booster votre event.
- Oufti ! J’suis désolé, Madame l’officier, mais je suis un peu lent de la comprenure, vous comprenez.
- Dites, vous voulez pas résonner après dîner ? Là j’ai déjà mal à ma tête à vous écouter.
- Je cherche le Who’s who belge et je dispatche les personnalités les plus trendy dans les lieux de la city
avec des webcams partout. Le must !
- Dites, madame Paméla, vous zwanzez comme dans le poste quand je tombe sur CNN ! Ca à l’air tof,
votre paquage de guindaille-là, et vous savez, je suis pas contre, que du contraire ! Mais je sais que
Georges a déjà bien sukkelé pour ces fêtes ! Ils ont même fait une réunion pour pondre des idées, là
c’était...
- Brainstorming ?
- Non, Braine-l’Alleud. Mais. Attendez, je vais regarder dans ses fardes, voir si je trouve pas son plein
castard à lui... Ah ! J’ai trouvé ! Alors... Il y aura un pot le 21 juillet puis barbecue pour les hommes sauf
s’il y a la drache bien sûr... et un ballotin de Léonidas pour les femmes. Il y aura aussi tout l’été une
fancy-fair dans plein de quartiers de Bruxelles avec une kermesse pour la marmaille et des buvettes...
- Mais Paul, la Belgique est très fashion, vous savez ! Alors 175 ans ! Il faut customizer ce moment !
- Ça, c’est sûr que ça s’fête ! Et pas de chipot ! Faut que tout blinque et que les drapeaux flottent ! C’est
peut-être la dernière alors...
- Ho ?!?... Vous voulez dire que la Belgique pourrait splitter avant la dateline ?
- Heu... C’est vrai qu’on a des brettes avec les flamouches. Toujours été en brisbrouille d’ailleurs et à
force de nous mettre en rote, ça pourrait bien finir par sketter ! Des arsouilles pareils. On a les pépettes
bon... Mais on n’est pas si biesses, hein, Paméla. On va pas lâcher le morceau pour des carabistouilles !
Pas avant les fêtes !
(D’après Bruno Coppens, Plan langue spécial anniversaire de la Belgium, dans le Journal Le Soir du 17
février 2005)

Belgicismes vs. Erreurs de français

Surlignez en rouge les belgicismes et en jaune les erreurs de français retrouvables dans le texte ci-
dessous :
« Ce matin-là, Claire s’éveilla en souriant : elle était de bonne humeur à cause qu’elle avait congé. Elle
sauta bas de son lit et courut dans la salle de bains. Après le petit déjeuner, elle décida de mettre de
l’ordre : il faisait trop déjeté dans son appartement. Comme le temps était cru, elle augmenta le chauffage.
Ensuite elle lava la vaisselle sale : les assiettes plates, les assiettes profondes, les verres et les couverts
furent bientôt rangés dans l’armoire. Avec une chamoisette, elle prit les poussières et fit blinquer les
potiquets au-dessus de la cheminée. Pour les meubles, elle employa une loque couverte de cire. Après
avoir utilisé une ramassette pour récolter les quelques déchets jonchant le sol, elle passa le torchon dans
les pièces carrelées et l’aspirateur sur le tapis plain. Quand tout fut propre, elle répara la lichette de son
manteau et fit ses chaussures. Il était treize heures elle décida de se rendre en ville. Elle hésita : en vélo
ou en voiture. Vu que le temps était maussade, elle choisit la voiture. Elle s’installa dans sa nouvelle Polo,
cadeau de ses parents. Heureusement qu’ils étaient là pour l’aider au plan pécunier : Claire n’en pouvait
rien, elle avait difficile pour économiser et l’argent lui filait entre les doigts malgré qu’elle faisait des
efforts. Elle prit sa sacoche et, avant de sortir, la main sur la clinche de la porte, elle admira le travail
accompli.
De nombreux enfants jouaient sur la rue et Claire conduisit avec prudence. Dans les magasins, il y
avait assez bien de monde mais il ne faisait pas malade à cause des ventilateurs. Claire essaya de
nombreux vêtements mais rien ne lui plaisait et elle avait envie d’embêter la vendeuse qui faisait de son
nez et pinçait son français. Elle finit par se décider pour une petite merveille en cachemire. La vendeuse,
énervée par cette cliente qui avait fait sortir presque l’entièreté du magasin, lui tendit son achat sans un
mot, même pas un « s’il vous plaît ». Claire s’en fichait car elle était heureuse : à dix-neuf heures, ce soir,
Alexandre serait chez elle pour souper en amoureux ! Encore bien qu’elle l’avait rencontré car elle
commençait à désespérer de trouver l’homme de sa vie.
Claire avait déjà courtisé avec un autre garçon mais elle avait rompu après deux ans. Ses parents lui
avaient rabattu les oreilles de leurs conseils car ils se faisaient mal du jeune homme. Mais il n’y eut pas
d’avance : Pierre était trop taiseux et Claire aimait les gens spitants. Alexandre était sensationnel : beau,
intelligent, cultivé. De plus, c’était un vrai castar. Depuis la rupture avec Pierre, Claire avait décidé de
vivre seule : ses parents devenaient trop mêle-tout et elle était assez grande pour tirer son plan. C’était
l’heure de se rendre au coiffeur. Claire avait envie de laisser ses cheveux libres, partagés par une ligne au
milieu et retombant en belles crolles sur les épaules. Le résultat fut magnifique : Claire ne trouva rien à
redire. Hélas ! Le temps de rejoindre sa voiture, elle fut prise sous la drache ! Ca, c’était le dernier de
tout ! Si elle aurait écouté les prévisions météorologiques, elle aurait pris un parapluie.
A sept heures moins quart, Alexandre était là ! Claire lui ouvrit, souriante, et lui dit de rentrer. Son
amoureux lui tendit un ballotin de ses pralines préférées avant de la complimenter pour la jolie table qui
les attendait. Ils mangèrent et Alexandre trouva le repas délicieux. Claire était contente que cela lui
goûtait. Ils bavardèrent longuement en se rappelant de leur première rencontre : si vite qu’ils s’étaient vus,
ils étaient tombés amoureux ! Soudain, le jeune homme se mit à genoux et lui demanda sa main.
Emotionnée, Claire faillit tomber faible ! Le cœur ravi, elle accepta. Pour fêter l’événement, ils burent
toutes les réserves de Claire : elle aurait beaucoup de vidanges à rapporter au magasin !
Quatre mois plus tard, Claire mariait Alexandre. Très vite, elle attendit famille. Beaucoup de travail
en perspective : le bac à linge serait souvent plein. Mais Claire ne pouvait mal de se laisser déborder, elle
engagerait une femme à journée.
Et un matin, Claire devint maman… » (http://www.etudier.com/dissertations/Quelques-
Belgicismes/66984469.html)

 La Suisse, un pays quadrilingue

En Suisse, on ne parle pas le suisse, mais l’allemand (64% de la population), le français


(19%), l’italien (8%) et le romanche (le rhéto-roman – 1%). La carte de la Suisse est une
mosaïque de régions séparées par des frontières linguistiques plus ou moins nettes, sources
parfois de tensions.
Le français est donc parlé par un peu moins de 20% de la population,
principalement dans les canons de Genève, Vaud, Neuchâtel et Jura, ainsi
que dans les parties francophones des cantons bilingues de Fribourg,
Valais et Berne.

L’histoire linguistique de la Suisse romande commence à l’époque


des Celtes ; ceux-ci ont passé sous domination romaine au cours du Ier
siècle avant J.-C. et ont adopté le latin, d’abord à l’écrit, puis à l’oral. Les
populations germaniques arrivées par la suite (Burgondes, Alamans) n’ont
pas laissé de traces linguistiques, excepté la toponymie. La fragmentation
dialectale qui a suivi la chute de l’Empire romain a également touché la Suisse. Sept des huit
canons qui la composent ont alors développé des dialectes qui appartiennent au groupe franco-
provençal, alors que le Jura relève des dialectes d’oïl. Tous ces dialectes ont été largement
utilisés pour la communication orale jusqu’au XVIIIe siècle ; c’est à cette époque que s’amorce
un déclin considérable des dialectes d’origine gallo-romaine. De nos jours, seules les personnes
âgées de quelques villages connaissent encore le patois de leur région.
 Traits distinctifs du romand
Le français de Suisse se repère tout d’abord par des traits lexicaux. Il ressemble au
français de France ; il y a juste quelques différences : par exemple, pour compter, les Suisses
utilisent « septante, huitante ou octante, nonante » à la place de soixante-dix, quatre-vingts et
quatre-vingt-dix. Le nom des repas aussi est différent : le petit déjeuner s’appelle le déjeuner, le
déjeuner, le dîner et le dîner, le souper.
Autres exemples :
 Avoir son fond : Il n’aime pas quand il n’a pas son fond à la piscine : il ne sait pas nager.
 Se réduire : Il se réduit très tôt tous les soirs, il aime dormir !
 Donner un coup de panosse : Sa maison est vraiment plus propre depuis qu’il a donné un coup de
panosse.
 Mettre sa cuissette : Mets ta cuissette, on part faire du sport !
 Gagner une channe : C’est un champion de ski, il a gagné une channe l’année dernière.
 Rester croché : Il est resté croché à la poignée de porte, il a déchiré son t-shirt.
 Se monter le bobéchon : se monter la tête
 Poser les planques : baisser les bras
 Se mailler : se tordre de rire
 Faire la poutze : faire le ménage
 Faire tartir quelqu’un : déranger, importuner quelqu’un.
 Faire la bringue : revenir sans cesse sur le même sujet en Suisse et faire la fête en France.

Les particularismes morphologiques et syntaxiques sont plus rares :


- l’emploi du verbe « vouloir » comme auxiliaire du futur : Il veut pleuvoir. / Il va pleuvoir.
- le placement particulier de certains pronoms, observable surtout dans le canon de Vaud :
J’ai personne vu.
- l’emploi du passé surcomposé exprimant l’idée de révolu et d’éloignement temporel : Il a
eu fait plus chaud.
- certains suffixes, ée en particulier, avec une valeur exprimant la quantité : gelée, pellée,
éreintée.
- dans certaines régions, on assiste à l’allongement de la dernière voyelle ;
- dans le domaine de la phraséologie et des usages pragmatiques : lorsqu’un Romand
demande s’il peut payer là où le Français va directement au but : L’addition, s’il vous plaît !

 Application : Yapaslefeuaulac! Le blog d’une expat suisse

« Catelle, plectre, doucette, sous-voie… Voici ces expressions suisses qu’il vaut mieux ne pas prononcer en
France car personne ne les comprend. Je découvre ces helvétismes au hasard des conversations, lorsqu’un regard
interloqué fait écho à un de mes mots. Depuis, je tente sans succès d’éviter de les prononcer… En voici une
sélection!
Des plectres
Il y a quelques temps, je me suis rendue dans un magasin de musique avec mon petit ami français. Il a demandé au
vendeur:
« Bonjour, je voudrais des plectres et une fourre de guitare. »
« Pardon? »
« Heu…!! Je veux dire, des médiators et un étui à guitare. »
« Ah. »
À force d’entendre mes mots suisses, il les avait intégrés, et zappé le fait que ses compatriotes ne les comprenaient
pas. Un « plectre » est donc un synonyme de « médiator », ce petit bout de plastique cher aux guitaristes. Les deux
s’utilisent en Romandie. Quant à fourre…
Une fourre
Ce mot hyper courant en Suisse, qui signifie à la fois taie, étui et chemise, n’est pas utilisé par les Français! Pas
pratique, hein, quand on a l’habitude de dire: une fourre de guitare, une fourre en carton (pour mettre des fiches à
l’école), une fourre de natel, une fourre de duvet…
Il faut se concentrer!
Un duvet
« Tu veux que je lave la fourre du duvet? »
« ?!! » Pour être compris d’un Français, mieux vaut parler d’une « housse de couette ». Un duvet s’utilise pour un
sac de couchage.
Une catelle
Si vous entendez un Suisse dire: « Je vais putzer les catelles de la salle de bain » traduisez par « je vais astiquer les
carreaux de la salle de bain ». Bon, je vous l’accorde, « putzer » est un vrai cliché suisse – un mot issu de
l’allemand putzen, nettoyer, évidemment incompris de l’autre côté de la frontière. Cela ne surprend personne…
Un sous-voie
Ce mot suisse désigne un passage souterrain, qui sert à rejoindre l’autre côté d’une route par un tunnel. « Quand tu
descends du bus, tu prends le sous-voie et tu arrives près de ma maison. »
Je prépare une vinaigrette pour la doucette
Vous aurez plus de chance en tentant de dire « je prépare une vinaigrette pour la salade de mâche. » Eh oui, la
doucette, au joli nom, ne se dit pas ici… Quand les Français en mangent, ils l’appellent mâche. « Alors, tu mâches ta
mâche?!! »
J’ai eu une pêche à l’école (à force de courber les cours)
Une pêche est une mauvaise note. Mais bon, quand on courbe les cours de l’école secondaire… Enfin, on y
reviendra. Courber un cours, c’est le sécher en Suisse et sécher un cours c’est le courber en français de France.
Un costume de bain ou un calosse de bain
Se dit en France uniquement « un maillot de bain ». Souvent, les équivalents français sont aussi compris en Suisse –
mais pas l’inverse! On utilise donc aussi « maillot de bain » en Romandie.
De la moque
Berk! C’est de saison, comme les premiers rhumes: la moque est un synonyme de morve. « T’as plein de moque ».
C’est droit ce que je voulais dire!
Le sens? Cela semble évident: « C’est droit ce que je voulais dire » = « c’est tout à fait ce que je voulais dire. » Cette
construction ne sonne pas très français hexagonal, comme quand mon amie jurassienne s’exclame : « C’est monstre
bien!«
Elle est grinche.
« Qu’est-ce que t’es grinche aujourd’hui! Arrête de faire la tronche. » On est grinche quand on s’est levé du mauvais
pied.
E aigu, A grave
« Tu écris ce mot avec un e aigu? » (prononcé « heu aigu »)
« Un quoi? »
« Ben, un e avec un accent aigu, quoi. (sans blague, cela semble évident!) »
« Ah! un é! » (prononcé comme « et »)
En Suisse, on appelle ce caractère é: e aigu, à: a grave. Des Français prétendent que cela ne se dit pas en
France. Votre verdict? » (https://www.yapaslefeuaulac.ch/taisez-ces-mots-interdits-incompris-hors-de-romandie/)
CHAPITRE 5
Le français hors d’Europe

On peut trouver des variétés remarquables du français régional dans les quatre coins du
monde. A partir du XVIIe siècle, la langue française s’est implantée très loin de France à la
faveur de la colonisation dans des pays où elle reste, sous des formes diverses, le mode de
communication d’une partie de la communauté humaine.
Certains de ces pays, devenus territoires d’outre-mer (TOM) ou Départements d’Outre-
mer (DOM), font partie de la République Française.

 Le français au Canada

Bref historique
Le français québécois est un français national au même titre que le français de Belgique ou
le français de Suisse. Ce n’est ni un dialecte ni un patois. Il est différent de la langue parlée en
France pour des raisons historiques faciles à expliquer. De nombreux colons qui ont immigré au
Québec à partir du XVIIe siècle parlaient des patois de différentes régions de France. Ils ont
rapidement éprouvé le besoin d’une langue commune pour se comprendre. Ils ont tout
naturellement choisi la plus prestigieuse, le « françois », c’est-à-dire la langue parlée à la cour du
roi de France.
Cette langue s’est répandue dans toute la colonie, en particulier grâce aux femmes qui,
souvent plus instruites que leur mari, enseignaient cette langue aux enfants. Les Québécois de la
première génération née ici parlaient le patois à la maison et employaient le français au travail
ainsi que dans les rapports sociaux. C’est ainsi que l’unification linguistique s’est réalisée plus
rapidement au Québec qu’en France. À la fin du XVIIe siècle, tout le monde parlait français en
Nouvelle-France. À la même époque, 40% des Français ne comprenaient pas le français et
seulement 10% d’entre eux maîtrisaient cette langue; les autres parlaient des dialectes et des
patois.
La conquête de la Nouvelle-France par les Anglais en 1759 a contribué à l’isolement du
Québec par rapport à la mère patrie. Le français du Québec a commencé à s’angliciser. Après la
Révolution française en 1789, la norme linguistique a changé en France: le français de la cour du
roi a cédé la place au français de la bourgeoisie. Au Québec, c’est le français du roi qui a
continué d’évoluer, ce qui explique la présence de nombreux mots anciens dans le français
québécois d’aujourd’hui.
Les autres langues européennes transplantées en Amérique par les colonisateurs sont
l’anglais, l’espagnol et le portugais. Elles ont évolué d’une façon différente de la langue
d’origine. En ce qui concerne les trois premières, le fait que le nombre de locuteurs américains
est supérieur au nombre de locuteurs européens confère une certaine prépondérance à la variété
américaine. Dans le cas du français, c’est l’inverse: cette langue s’est principalement développée
sur le continent européen et le français du Québec a évolué en vase clos. Par rapport à leurs
cousines européennes, les quatre langues américaines comportent des différences sur les plans
phonétique et sémantique. Le français québécois ne constitue pas une exception à cet égard.
Caractéristiques du français québécois : la prononciation dans la langue soutenue
Tout d’abord, signalons que le Québécois parle plus lentement que le Français: deux cent
cinquante mots à la minute comparativement à plus de trois cents. Le débit du Québécois moyen
est comparable au débit de l’Américain moyen. On dit du Québécois qu’il ne parle pas « pointu »
comme le Français, ce qui en réalité décrit certaines caractéristiques phonologiques du parler
québécois:
- lorsque le « t » et le « d » sont suivis d’un «i» ou d’un « u », la consonne subit une affrication,
c’est-à-dire qu’un son « s » ou « z » s’intercale entre la consonne et la voyelle. Le mot « petit »
se prononce [pətsi] et le mot « dur » se prononce [dzyʀ]. Ce phénomène est généralisé et accepté
dans la société québécoise.
- le français de France comporte les voyelles « i », « u » et « ou ». Au Québec, à chacune de ces
voyelles dites fermées correspond une voyelle dite ouverte. Les Québécois utilisent deux « i »,
deux « u » et deux « ou ». En position finale, la voyelle est fermée. Lorsqu’elle est suivie d’une
consonne qui se prononce, elle s’ouvre. Exemples : tout [tu] et toute [tʊt],
vit [vi] et vite [vɪt], lu [ly] et lutte [lʏt]. C’est un phénomène qu’on rencontre également en
Belgique. Ce système à deux voyelles existe en anglais. Comparez le « i » de « neat » (fermé)
[ni:t] à celui de « knit » (ouvert) [nɪt].
-les Français ne distinguent pas brin [bʀɛ]̃ et brun [bʀœ̃]. Au Québec, la distinction entre ces
deux phonèmes est toujours bien vivante.
La prononciation dans la langue populaire
La langue populaire du Québec présente d’autres caractéristiques qui rendent parfois la
compréhension difficile pour des personnes habituées à d’autres variétés de français parlées en
Europe. Certaines contractions sont un peu surprenantes:
- « Je suis allé » devient [ʃtale], «Sur la table » devient [sɥa tab], « Il mange » se prononce [imãʒ]
et « elle mange » se dit [amãʒ] ;
- pour poser une question, on ajoute un « tu » après le verbe: Est-ce que tu peux? se dit « Tu
peux-tu? »
- comme dans le « français du roi », « moi » se prononce [mwe] ;
- un « t » d’autrefois persiste dans les expressions « il fait [fʀɛt] » (il fait froid), « mon [lɪt] »
(mon lit), « viens [isɪt] » (viens ici) ;
« -oir » en fin de mot est souvent prononcé [wɛʀ] : [avwɛʀ] (avoir), [a swɛʀ] (ce soir).
- en fin de mot ou de phrase, le son [ɑ] est prononcé [ɔ]: le [kanadɔ], « c’est par [lɔ].
Le lexique
Il existe de nombreuses différences entre les mots qu’on utilise en France et ceux qu’on
emploie au Québec, surtout aux niveaux familier et populaire. Quand ils voyagent, les
francophones ont tout intérêt à utiliser une langue appelée « français international » qui fait appel
à un vocabulaire de niveau neutre, celui des dictionnaires. Les légères différences de
prononciation sont rapidement aplanies et la communication s’établit.
- archaïsmes : pour des raisons historiques, le français québécois a conservé des mots anciens,
souvent empruntés à la langue des marins. « Embarquer dans un char » signifie monter dans une
voiture. On appelle une voiture un « char » (ancien véhicule rural tiré par des animaux) et au lieu
d’y monter, on « embarque » (comme sur un bateau).
- anglicismes : en contact avec l’anglais depuis des siècles, le français du Québec a emprunté de
nombreux mots à cette langue et a adopté un grand nombre de tournures. Ces « anglicismes »
sont surtout présents dans la langue parlée populaire. Exemples : « arachide », « cacahuète » se
dit [pinɔt] (de peanut) ; « garçon de café » se dit « waiter » (prononcé [wetœʀ], avec l’accent
tonique sur la dernière syllabe.
- mots d’origine amérindienne : les langues amérindiennes ont fourni des mots à la langue
québécoise, surtout en ce qui concerne les réalités qui n’existent pas en Europe. Exemples:
achigan (mot algonquin): perche noire, caribou (mot algonquin): renne nordique, mocassin (mot
algonquin): chaussure souple en cuir, ouananiche (mot montagnais): saumon d’eau douce de la
région du Saguenay, ouaouaron (mot iroquois): grenouille de très grande taille.
- néologismes : les Québécois sont créatifs et ils ont appris à se défendre contre l’envahissement
de l’anglais. Souvent, au lieu d’emprunter un mot à cette langue, ils préfèrent fabriquer un
néologisme et essayer de le répandre. C’est grâce à eux que le mot « logiciel » a remplacé le mot
« hardware » que les Français ont longtemps utilisé. Ils ont aussi inventé le mot « courriel » pour
décrire le courrier électronique qui fait pendant au mot mél (mail) employé en France. Les
Québécois préfèrent le mot « traversier » au mot « ferry-boat » utilisé en France. Autres
exemples: acériculteur: producteur de sirop d’érable, motoneige: petit véhicule sur chenilles,
avec skis à l’avant, bleuetière: lopin de terre où on cueille des bleuets (airelles sauvages).
- les trois repas s’appellent le déjeuner, le dîner et le souper ;
- « pantoute!» (signifie «pas du tout!») ;
- je suis « tanné », c’est « plat » - le t final se prononce - (j’en ai marre, c’est ennuyeux).

un « bazou »: une vieille auto des « bebelles »: des jouets ou des babioles

un « bec » un bécot, un baiser une « bibitte » un insecte ou un animal


inconnu
un « maringouin » un moustique ma « blonde » mon amoureuse
des « bobettes » un slip, un caleçon, un mon « chum » mon ami, mon copain ou
sous-vêtement mon amoureux
une « débarbouillette » une petite serviette, un un « dépanneur » un petit magasin général
gant de toilette
une « liqueur » une boisson gazeuse des « mitaines » des moufles
des «patates pilées» des pommes de terre en une « piastre » (prononcer un dollar
purée « piasse »)
« quétaine » moche, passé de mode, un « siffleux » une marmotte
kitsch
une « tabagie » petit magasin où l’on vend une « tuque » un bonnet d’hiver en laine
cigarettes et journaux
« barrer » la porte fermer à clé « capoter » paniquer, devenir fou
« chauffer » conduire un véhicule « ecrapoutir » écraser, broyer
« faire la baboune » bouder « faire dur » avoir mauvaise mine,
mauvaise apparence
« magasiner » faire du shopping, du « pogner » agripper, empoigner,
lèche-vitrine attraper (un rhume) ou
avoir du succès en amour
(intransitif)
« se faire passer un sapin » se faire rouler « sacrer son camp » partir, s’en aller
subitement
« tirer la pipe à quelqu’un se moquer, agacer, « i mouille » il pleut11
» taquiner

11
http://ml.hss.cmu.edu/fol/fol4/modules/module3/F4M302/langue_quebecoise_debut.htm,
http://www.youtube.com/watch?v=o0hWstasZDE, http://www.youtube.com/watch?v=v-DqZ2l84SU
 Application : A l’office de tourisme (mini-dialogue)
A l’office de tourisme de Blois. Un touriste québécois et une employée française.
- Bonjour, monsieur, je peux vous aider ?
- Oui, je fais du cyclotourisme avec ma femme. On vient d’arriver à Blois à matin. On aimerait bien rester un
peu icitte et visiter des attractions cette fin de semaine, enfin ce week-end, comme vous dites, vous autres ! Qu’est-
ce qu’il y a d’intéressant à faire et à voir ? Nous autres, on adore l’histoire de la France.
- Alors, ce qui serait très intéressant, c’est d’aller voir la cité de Beaugency. Vous verrez, il y a un magnifique
donjon qui date du XIe siècle et un jardin médiéval.
- Très bien, c’est parfait. Pouvez-vous me dire s’il y a des chambres d’hôtes près du donjon ?
- Bien sûr, je vais vous dire ça. Oui, il y en a deux à côté du château.
- Vous ne savez pas si on pourra souper chez eux ?
- Non, je ne sais pas s’ils font aussi table d’hôtes. Voici les coordonnées. Vous pouvez les appeler.
- Merci beaucoup pour votre aide, madame.
- Bonjour.

 Le français dans les TOM (le français des îles)

Dans les TOM il y a les îles suivantes :


- Tahiti (Polynésie française), où l’arrivée des Français date de 1842) ;
- la Nouvelle-Calédonie (1853) ;
- les Iles Marquises et Tuamotu (Polynésie française, 1880), les Gambier, les Australes et
les Iles de la Société ;
- Wallis et Futuna (1886) ;
- Mayotte, restée elle aussi collectivité territoriale de la République Française (elle fait
partie des îles Comores, petites îles de l’Océan Indien au nord-ouest de Madagascar, qui ont
partiellement repris leur indépendance en 1975).

Le français à Tahiti
65% de la population de la Polynésie française vivent sur l’île de Tahiti, se trouvant sous la
domination française depuis 1880.
Le français régional a assimilé de nombreux emprunts à l’anglais, tels que :
- nice, good et fine = bien, excellent ;
- gas [gaz] = essence ;
- store = magasin ;
- pie [paj] = pâtisserie ; ex. : pie-banane = tourte aux bananes.
Certains mots français y ont été abandonnés au profit d’autres :
- four = fourneau ;
- paletot = veste, veston ;
Certains mots ont pris de nouveaux sens :
- sucré = délectable ;
- aigre = acide et amer ;
- long = grand ;
- il pleut tafait = il pleut beaucoup et fort
 Le français dans les DOM

La Guadeloupe et la Martinique
Les premiers colons qui s’y installent venaient en majorité de l’ouest et du nord de la
France. On constate de nombreuses formes régionales d’oïl dans les particularités du français de
ces départements d’outre-mer.
 arrimer = ranger
 dalle = rigole, caniveau
 grafigner = égratigner
Certains adjectifs ont pris un sens différent par rapport au français standard :
 grand-grec = savant
 savant = rusé
 il a la tête dure = il a une intelligence limitée
 tèbè, ababa = débile mental
 découdre = perdre la tête, devenir sénile
 être crabe = être timide
 être hardi = être insolent, effronté
 être comparaison = se mêler de ce qui ne le regarde pas ; être prétentieux
 un syndicat = un bon ami, une personne sur qui on peut compter
 ravet = cafard
 almanach = calendrier
 giraumon = potiron
 bélangère = aubergine
 pistache = cacahuète
 pois tendres = haricots verts
 figues = bananes
 ti punch = une boisson
Ce sont des transpositions du créole, la langue parlée par l’ensemble des Antillais.
Noms de produits spécifiquement antillais :
 le ouasson = sorte de grande crevette
 le blaff = potage très épicé à base de poissons
 le tourment d’amour = pâtisserie à base de noix de coco ou de banane
 le CRS (un gendarme) = un punch typique fait de citron vert, de rhum et de sucre de canne
 les Zombis = esprits, fantômes

Le français en Haïti
Cette île a été découverte en 1492 par Christophe Colomb. Sa partie occidentale devient
française en 1697 sous le nom de Saint-Domingue, puis indépendante le 1er janvier 1804 pour
devenir Haïti. Le français y est encore aujourd’hui langue officielle, bien que le créole soit la
langue usuelle de la population.
Certains termes sont venus du créole : le macoute = sac ; le clairin = alcool de canne à
sucre.
D’autres ont modifié le sens des mots français :
 le bandit / le petit bandit = un enfant turbulent ou entreprenant
 la figue / la figue-pomme = banane à peau épaisse et jaune, qu’on mangue crue
 figue-France = figue
 le chadèque = variété de pamplemousse très sucré, en forme de poire
 le morne = la colline
 un boss = un ouvrier qualifié dans une branche technique (plomberie, menuiserie)
 un blocus = un embouteillage, une circulation difficile des véhicules
 arriver en rue libre = arriver en auto-stop
 déchouquer = destituer qqn de son poste

La Guyane française
Les Français s’y installent vers 1605. Pendant le XVIIe siècle, elle connaît diverses
occupations : espagnole, hollandaise, anglaise et même brésilienne ; c’est en 1814 qu’elle
devient définitivement française. Utilisée comme lieu de déportation politique, elle a été
surnommée « la guillotine sèche » pendant la Révolution française. Du milieu du XIXe siècle au
milieu du XXe, on y établit le bagne de Cayenne. Kourou devient en 1983 une base de lancement
de fusées pour le Centre National des études spatiales (CNES).
De nombreux termes attestes en Guyane le sont également aux Antilles :
 Zombi = fantôme, revenant
 pipiri = oiseau très matinal
 carbet = hutte, case
 matoutou = sorte de crabe

La Réunion et l’île Maurice


Ce sont des îles voisines dans l’Océan Indien, qui ont perpétué des créoles à base lexicale
française, même si c’est l’anglais qui est la langue de l’administration et de la vie publique. La
Réunion – appelée autrefois Isle Bourbon – a été découverte par un navigateur portugais en
1513. Elle devient française en 1946.
Dans la Réunion, la caractéristique phonétique la plus frappante est la prononciation de la
consonne « r » très faible devant une voyelle et le plus souvent presque inaudible devant une
consonne ou à la finale.
Particularités lexicales : le français régional de la Réunion comporte à la fois des
néologismes, des archaïsmes et des formulations inusitées en France.
Exemples :
 grever = faire grève
 greveur = gréviste
 Malabar = Indien non-musulman
 Zarabe = Indien musulman
 pitaclé = marqué de taches
 bougre = individu, homme
Le français mauricien représente une île colonisée par les Français à partir de 1721 (Isle de
France), qui a été progressivement peuplée par des populations diverses (des esclaves venus
d’Afrique, de Madagascar et de l’Inde) et qui a été prise par les Anglais en 1810, lorsqu’elle
devient « Mauritius ». Le français a un aspect exotique, car il contient en même temps :
- des emprunts au créole :
 anneaux = boucles d’oreilles
 bague = anneau de rideau
 brise = vent
 affiche = annonce dans un journal
 casser = cueillir
 cassé = déprimé, vieilli
- des emprunts à l’anglais :
 overtime = heures supplémentaires
 flat = appartement
 fancy fair = fête foraine, kermesse
 application = demande d’emploi, candidature
 syllabus = programme d’études
 licence = permis de conduire
 degré = diplôme universitaire
 sonner qqn = appeler qqn au téléphone

 Le français en Afrique

Entre la France et l’Afrique il y a plus de quatre siècles de contacts. Le français y devient la


langue officielle grâce à l’école (il y a eu d’abord l’école des otages : les fils des chefs étaient
obliges d’y aller). Le français est devenu ensuite un instrument de promotion pour les Africains.

Le français d’Afrique relève du métissage : on y observe des interférences phonétiques et


syntaxiques, des emprunts et calques du lexique africain : cardimissien = académicien ; mizou =
maison ; dires = durer ; coungolo = tête ; chocobi = la manière affectée de parler chez les
Blancs.
 avoir une grande bouche = être bavard
 camembérer = sentir des pieds
 faire caïman, caïmanter = travailler beaucoup
 mordre le carreau = être vaincu
 cadonner = offrir un cadeau
 aller au pas de caméléon = marcher lentement
 Qui mord le carreau avale de la poussière ! = proverbe qu’on emploie quand une personne s’attaque à
trop forte partie. Il signifie qu’on prend des risques à s’attaquer à un adversaire trop fort, c’est un peu
comme « Qui s’y frotte, s’y pique » ou « Qui sème le vent, récolte la tempête ».
 aller au pas de caméléon = marcher lentement. Ex. : C’est en allant au pas de caméléon qu’on trouve son
chemin.

Le français en Afrique du Nord (dans les pays du Maghreb et au Liban)


Le français a été implanté au Maghreb au XIXe siècle (en Algérie en 1830, en Tunisie en
1881 et au Maroc en 1912). La maîtrise du français est considérée au Maroc comme une
condition d’ouverture au monde et de réussite sociale. Les Français nés dans les régions
maghrébines ont reçu le surnom / le nom générique de « Pieds-noirs ».
Le parler pied-noir : particularités lexicales
 kif = plaisir
 kiffer = prendre du plaisir
 bessif = par force
 bezef = beaucoup
 balek = attention
 le chitane = diable
 Tape cinq = d’accord
 Marche la route ! = en avant !
 La Kemia = amuse-gueule, servis avec l’apéritif, de l’arabe « kemya » = bouchée
 Manger des coups = prendre des coups
 Cinq dans ton œil ! / Cinq dans l’œil du chitan ! = formule pour conjurer le mauvais œil

 Le français en Afrique noire (Cameroun, Congo, Côte-D’ivoire, Niger, Djibouti,


Gabon, Sénégal, Zaïre, etc.)
Quelques formes lexicales du français qui y est parlé :
 confiturer = tartiner avec de la confiture
 doigter = montrer du doigt
 droiter = tourner à droite
 motamoter = traduire mot à mot
 boulotter = travailler
 amender = infliger une amende
 cigaretter = donner une cigarette
 chameauser = faire une faute de français

Groupement de textes à analyser

o Marianne Meunier, Les parlers français au Liban

À l’ombre des pentes hérissées d’immeubles, poudrées d’oliviers et


parfois de neige qui glissent jusqu’aux rives libanaises de la
Méditerranée, la langue française peut compter sur les services d’un
gardien zélé : Fadi Hawa, les yeux rieurs, la barbe soignée, l’oreille
vigilante au moindre accroc infligé au français. Bienveillant « référent
culture » et responsable du Centre de connaissances et de culture, la
bibliothèque riche et connectée du Collège protestant français (1), à
Beyrouth, il se renfrogne à l’intérieur lorsque ses compatriotes
s’apprêtent à « couper » la route au lieu de la « traverser » ou quand,
n’en pouvant plus de fierté, ils applaudissent aux exploits scolaires de
leur fils, « brave » plutôt que « bon » en français. Leur manie d’empiler
les superlatifs l’amuse, celle, un rien précieuse, de servir du « à
vous ! » à qui leur dit « merci ! » l’agace – « Mais je n’ai rien à avouer,
moi ! », ironise-t-il. Le pire tient peut-être à cette amabilité réservée au
visiteur étranger : « Vous avez aimé le Liban ? » Elle l’indigne : « On
vous parle au passé et pourtant, vous n’êtes pas parti, vous êtes
toujours là ! »
« C’était les bombardements, et je récupérais des ouvrages français, Flaubert, Aragon »
Fadi Hawa, 46 ans, n’était pas prédestiné à ce rôle de vigie dévouée au français. « Je croyais que j’étais bon en
français mais j’ai compris que ce n’était pas le cas en classe de troisième, quand une copine m’a proposé de
m’inscrire à la natation et que je n’ai pas compris !, confesse-t-il. J’ai alors décidé de m’améliorer. » La
perspective d’un aimable compagnonnage ne fut pas le seul aiguillon de son apprentissage. Pour lui comme pour
beaucoup de ses congénères, le français a tenu lieu de refuge imaginaire pendant la guerre qui a déchiré le Liban
entre 1975 et 1990. « C’était les bombardements, et je récupérais des ouvrages français, Flaubert, Aragon, qui me
permettaient de m’échapper de ce monde fou », se souvient-il.
Hors de toute institution, par amour ou reconnaissance, ils ne sont pas rares les Libanais qui, comme Fadi
Hawa, défendent sans se lasser le « bon » français. Leur mission ressemble pourtant à une gageure au pays du Cèdre,
si singulier laboratoire d’un croisement entre trois langues. La formule est la suivante. Déterminée par la
Constitution, la langue officielle est unique ; c’est l’arabe. La langue de l’enseignement primaire et secondaire est
quant à elle triple, à cette subtilité près que les cursus sont bilingues. Les parents ont en effet le choix entre deux
combinaisons : français et arabe ou anglais et arabe. Si l’arabe est la langue de la vie quotidienne – utilisée dans les
magasins, les transports, un grand nombre de foyers et souvent les cours d’écoles francophones –, les Libanais ne
partagent donc pas tous la même langue maternelle et maîtrisent souvent deux, parfois trois langues.
Ce trilinguisme produit de savoureux mélanges. Ils relèvent du « franbanais » lorsque le français s’invite dans
une conversation en arabe libanais. On peut ainsi entendre « merci ktir » (« merci beaucoup »), « les enfants sont bil
piscine » (« à la piscine »), ou encore « chift el camion »(« tu as vu le camion ? »). Parfois, ce sont même les trois
langues qui se donnent la main dans une même phrase – « Hi kifik, ça va ? » (« Salut, comment ça va ? »).
« Mon style léché en agace plus d’un »
À l’inverse, l’arabe peut se glisser dans le parler francophone. Il est alors absent par les mots mais résonne
sous une autre forme, donnant lieu à des « libanismes ». « La langue arabe n’a pas peur des pléonasmes, ce qui
explique que certaines fautes du type“je monte en haut” ou “tu m’emmènes avec toi”soient particulièrement
fréquentes en français au Liban », indique Fifi Abou Dib, rédactrice en chef du magazine de mode L’Officiel Levant
et traductrice.
Aussi, l’arabe libanais imprime son rythme au français. Les phrases grimpent et redescendent, certains mots
se précipitent, d’autres traînent, parfois les syllabes finales s’accentuent et vibrent. « Nous doublons les consonnes,
nous ne disons pas ”super” mais “supper” », précise ainsi Fifi Abou Dib. Maniant un verbe élégant, mesuré, tantôt
suranné dans une chronique pour L’Orient-Le Jour, l’unique quotidien francophone du Liban, cette plume reconnue
de l’intelligentsia beyrouthine déclare une flamme reconnaissante à la langue française : « Elle m’a tant apporté, la
nuance, l’articulation de ma pensée, la possibilité de savourer des textes d’une beauté inouïe. » Mais aimer sans
risque étant bien rare, Fifi Abou Dib ajoute : « Mon style léché en agace plus d’un et je reçois souvent des
remarques cinglantes. Les gens se sentent parfois pris de haut. »
À juste titre le plus souvent, le français passe pour la langue d’une classe sociale aisée et éduquée au Liban.
« D’une manière générale, on peut dire que les francophones ici appartiennent à la bourgeoisie chrétienne,
explique Michel Touma, rédacteur en chef de L’Orient-Le Jour. L’homme de la rue n’est pas francophone. »
« On s’interdit de parler le français »
S’il l’était, oserait-il seulement effleurer la langue de Molière en public ? Celle-ci pâtit d’une image exigeante
et élitiste, qui peut impressionner les moins assurés. « Même lorsqu’on le maîtrise, dans certaines classes sociales,
on s’interdit de parler le français », relève Rosalie Vigouroux, chargée de projet à l’Agence universitaire de la
francophonie. La raison tient peut-être à l’enseignement, poussiéreux selon les spécialistes. « On enseigne le
français comme autrefois le latin, l’approche se fait par la grammaire et les textes classiques », poursuit Rosalie -
Vigouroux.
Outre pour sa difficulté, le français en tétanise certains car il leur évoque des salons mondains, d’épais
romans ou le portrait en pied d’un académicien posant devant des rayonnages chargés. « Le français est doté d’une
puissance institutionnelle qui peut entraîner l’autocensure, relève Nayla Tamraz, chef du département des lettres
françaises à l’université Saint-Joseph. Soit on parle un bon français, soit on ne le parle pas. Au contraire, l’anglais
permet des usages différents. » (Marianne Meunier, envoyée spéciale à Beyrouth, Liban) (https://www.la-
croix.com/Monde/Moyen-Orient/Au-Liban-gardiens-devoues-francais-2017-07-31-
1200866684?from_univers=lacroix)

o Pierre Cherruau, Le Sénégal est-il encore un pays francophone?


A Dakar, le français recule au profit du wolof. Un phénomène de fond qui n’est pas sans conséquence sur la
vie quotidienne.
«Kaay ndékki !» Lorsque l’on se balade au petit matin dans les quartiers populaires de Dakar, difficile de ne
pas entendre cette invitation à venir déguster le petit-déjeuner. Une offre sympathique, émanant souvent de gens
modestes, qui ont le goût du partage, de la teranga (l’hospitalité à la sénégalaise).
Si cette invitation est formulée en wolof et non pas en français alors qu’elle s’adresse à un toubab (un blanc),
n’y voyez pas l’expression d’une quelconque défiance. C’est tout simplement dû au fait que dans ces immenses
banlieues dakaroises, l’usage du français est des plus limités.
Le wolof règne en maître. Un grand nombre d’habitants des banlieues sont bien incapables de formuler des
phrases en français. Certains n’ont jamais été à l’école. Parmi ceux qui y sont allés, beaucoup n’ont guère entendu la
langue de Molière, bien des enseignants préférant s’exprimer en wolof, même pendant les cours.
Parlez-vous wolof?
Dans nombre de capitales d’Afrique francophone, la langue de Voltaire a pu s’imposer comme lingua franca,
permettant à des centaines d’ethnies de se mettre d’accord sur l’usage d’une langue, d’avoir un terrain d’entente. A
Abidjan, la capitale économique ivoirienne, l’on préfère parler le français plutôt que de donner la primeur à telle ou
telle autre langue. Tout est différent à Dakar, la capitale du Sénégal, où le wolof s’est imposé. Même dans les
milieux intellectuels, cette langue gagne du terrain.
«Mon patron impose l’usage du wolof dans toutes les conversations. Même si cette langue n’est pas vraiment
adaptée aux discours techniques», explique Aissata, cadre dans une grande compagnie d’assurance.
A Dakar, les autres Africains francophones sont très souvent désarçonnés par cette omniprésence.
«J’ai demandé à des Sénégalais de m’indiquer le chemin. Ils m’ont répondu qu’il fallait s’exprimer en wolof,
alors même que je leur avais expliqué que je ne parle pas cette langue», s’étonne un Ivoirien, qui a dû abandonner la
conversation avant qu’elle ne tourne au pugilat.
«Nombre d’Ivoiriens, de Béninois et autres expatriés se sentent de moins en moins à l’aise à Dakar, à cause
de l’omniprésence de cette langue uniquement en usage au Sénégal», explique Alphonse, un enseignant d’origine
béninoise.
Même des Sénégalais s’agacent du poids croissant de cette langue.
«Très longtemps, le chanteur Baaba Maal a été boudé par les radios sénégalaises parce qu’il chantait en
pulaar (la langue des Peuls) et non pas en wolof. Moi aussi je veux défendre ma culture. A la maison, avec mes
enfants je ne parle que le français et le pulaar. Je veux leur transmettre cet élément essentiel de l’identité», affirme
Assan, un haut fonctionnaire d’origine peule.
En Casamance, dans le sud-ouest du Sénégal, comme dans les autres régions, le poids du wolof irrite parfois.
«Au tribunal, les conversations se font le plus souvent dans cette langue. Les populations locales sont défavorisées.
Ce n’est pas leur idiome. Comment peuvent-elles se défendre dans une langue qu’elles ne maîtrisent pas?», regrette
Savané, un haut fonctionnaire, même s’il reconnaît que des interprètes sont présents dans la plupart des juridictions.
Le français n’a plus la cote
A la télévision et à la radio, le wolof domine aussi. Les programmes en français ou dans les autres langues
sont très minoritaires. Les débats politiques, sociétaux ou culturels ont généralement lieu en wolof. Un wolof mâtiné
de français. Seules les telenovelas, les films américains ou les séries indiennes sont doublés en français. Mais inutile
d’espérer le commentaire d’un combat de lutte dans la langue de Molière. On un quelconque sous-titrage en français
des débats en wolof. Par certains côtés, beaucoup d’Occidentaux éprouvent moins un sentiment d’altérité dans le sud
du Nigeria où le pidgin-english (encore appelé broken english) sert de langue véhiculaire.
Au Sénégal, nombre d’enseignants se plaignent d’une baisse générale du niveau en français. «Il a
considérablement diminué au cours des dernières années. Les professeurs parlent très souvent en wolof. Dans la
vie de tous les jours, le wolof domine», explique Oumar Sankharé, enseignant à l’université de Dakar. Il ajoute une
explication politique:
«Lorsque l’on demande à certains Sénégalais pourquoi ils ont autant de réticence à s’exprimer en français,
ils donnent des justifications politiques. Ils affirment que ce n’est pas la langue du Sénégal. Un étrange
nationalisme s’est développé ces dernières années.»
Après Léopold Sedar Senghor, Oumar Sankharé est le deuxième agrégé de grammaire du Sénégal. Il vient de
décrocher ce précieux titre. Mais, selon Oumar Sankharé, les médias dakarois en ont peu parlé. «Ici, on préfère faire
les gros titres sur des lutteurs et des politiciens», constate l’un de ses collègues.
Même les enseignants du primaire s’alarment du niveau des élèves. «Il a considérablement baissé. C’est pire
chaque année», s’inquiète Cheikh, un instituteur dakarois. Cheikh constate lui aussi que les enseignants préfèrent
parler à leurs élèves en wolof. Même les élites ont pris le parti de s’exprimer de plus en plus souvent en wolof. Le
français pratiqué est parfois devenu hésitant ou académique. Comme s’ils parlaient une langue étrangère. Ou même
une langue morte. Le vocabulaire est quelques fois daté, ancien, figé.
Une situation d’autant plus étonnante que le Sénégal s’enorgueillit d’être le berceau de la francophonie.
Léopold Sedar Senghor (chef de l’Etat de 1960 à 1980) a été un grand défenseur de la francophonie. Il prétendait
même au titre de «père de la francophonie». Le président poète a toujours proclamé son amour de la langue
française. Son successeur, Abdou Diouf (au pouvoir de 1980 à 2000), dirige désormais la francophonie.
A l’image de Jacques Diouf, à la tête de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture
(FAO) jusqu’à l’été 2011, les Sénégalais sont omniprésents dans les organismes internationaux. Traditionnellement,
ils étaient réputés pour leur maîtrise de la langue française. Des Ivoiriens avaient d’ailleurs pour coutume de dire que
les Sénégalais parlaient le «gros français», à savoir le français des Français. Mais de plus en plus, le «gros français»
donne l’impression de décliner. Il laisse place à un français créolisé, un mélange de français, de wolof et aussi
d’anglais. (Pierre Cherruau; http://www.slateafrique.com/21377/linguistique-senegal-est-il-encore-un-pays-
francophone)

o Moustapha Fall, Le français d’Afrique noire : problématique d’un « héritage


linguistique »
Introduction
Le français d’Afrique noire n’a jamais cessé de faire, au cours des décennies, l’objet de plusieurs
préoccupations. Nombreuses sont aussi les initiatives qui, aujourd’hui, tentent de décrire ce français comme du
« français créole » ou simplement comme un français qui s’écarte largement de la norme métropolitaine.
D’emblée, le linguiste Mudimbé dresse un tableau peu reluisant de ce français en ces termes : « […] prononciation
approximative, syntaxe réprimée, vocabulaire boursouflé ou supplicié, intonation, rythme et accent englués à
l’écoulement de la langue originelle du locuteur africain ; en tout cas des africanismes phonétiques,
morphologiques, syntaxiques et lexicaux […] ».
La formule de Mudimbé est brutale et me paraît très générale en ce sens que si ce français qu’on parle en
Afrique noire donne parfois aux européens l’impression de « sonner creux », c’est que le système employé par
Mudimbé est lui-même inadéquat. Il ne s’agit pas de comprendre le français de l’africain à l’aune du système
linguistique métropolitain, mais de le comprendre dans son contexte socio-historique, dans sa situation de
communication. Sous ce rapport, je partage plutôt la remarque de Manessy qui, en parlant du français parlé
d’Afrique noire, soutient que « son emploi n’est jamais tout à fait neutre ; le fait d’y recourir, quand un choix
différent serait possible, et la forme imposée au message sont par eux-mêmes chargés de significations intelligibles
à l’interlocuteur africain, mais insaisissables pour l’étranger ». Même si Manessy et Mudimbé semblent tous
vouloir reléguer ce français au contexte africain de son usage, leur désaccord sur la nature du français parlé en
Afrique noire démontre toute la controverse qui a entouré le français d’Afrique noire pendant longtemps.
Ainsi, il ne s’agit pas donc dans ce travail, de s’étendre outre mesure sur cette controverse, mais plutôt de
situer ce français africain dans son contexte actuel d’usage et de poser sa problématique en tant que « héritage
linguistique » pour mieux l’examiner et l’analyser dans ses varietés et dans sa représentation à l’echelle nationale
et internationale.
Aujourd’hui, ce que nous appelons l’Afrique « d’expression française » compte dix-sept états dont les
territoires occupent une zone qui s’étend des côtes occidentales du continent à la région des Grands Lacs. Ces états
sont le Sénégal, la Mauritanie, le Mali, La Guinée, la Côte d’Ivoire, le Burkina-Faso, le Niger, le Togo, le Benin, le
Tchad, le Cameroun, la République Centrafricaine, le Congo, le Gabon, le Zaïre, le Rwanda et le Burundi.
Parmi ces états, il y a ceux qui sont linguistiquement homogènes comme le Rwanda et le Burundi où la
langue dominante est la langue maternelle malgré le fait que le français soit la langue de l’administration. Il y a les
Etats qui sont linguistiquement hétérogènes, mais possédant une langue dominante, soit démographiquement, soit
sociologiquement, comme le Sénégal où le wolof est la langue dominante, la Mauritanie avec l’arabe, le Mali avec
le malinké- bambara, le Niger avec le haoussa, le Gabon avec le fang. Enfin, il y a les Etats linguistiquement
hétérogènes sans langue dominante au niveau national comme la Guinée, le Cameroun, la Côte d’ivoire, le
Burkina Faso, le Togo, le Benin, le Tchad, le Congo et le Zaïre.
Cette classification peut être aussi contestable à bien d’égards parce que le haoussa, langue vernaculaire du
Niger, superposée au son-Hay-djerma dans l’ouest, n’y joue pas le même rôle que le wolof, langue assimilatrice au
Sénégal. Le Cameroun, où règne dans le nord une grande langue de commerce , le peul, n’est pas hétérogène au
même titre que le Burkina Faso, où la prétention des Mossi à l’impérialisme linguistique suscite la méfiance de
leur compatriote de l’ouest , du sud , et de l’est.
Malgré la nature complexe du statut du français dans ces Etats africains, il est incontestable que tous ont en
commun le fait que le français remplit des fonctions de langue officielle, de langue d’enseignement et de langue
internationale. Il s’agit là bien évidemment d’un héritage linguistique direct de la colonisation ; le fait remarquable
est que cet héritage du français a bien survécu en Afrique noire malgré la destitution de l’élément colonial qui l’a vu
naître. C’est donc cet « héritage linguistique » que je propose d’examiner et d’analyser dans sa nature problématique
de ses variétés et de sa representation dans et hors du continent africain.
Depuis quelques années, la situation du français d’Afrique est devenue la préoccupation de bon nombre de
linguistes et de sociolinguistes en Afrique et surtout en Europe. Chaque année, en Afrique et en Europe, plusieurs
tables rondes et débats sont organisés pour essayer de comprendre ou discuter des variétés de français qui sont
utilisées chaque jour. Il est important de noter que le français en Afrique, malgré le fait qu’il constitue la langue de
fonction, c’est-à-dire utilisé partout au niveau national, est en contact permanent avec d’autres langues
vernaculaires. Par exemple, au Sénégal, le français est la langue officielle, la langue administrative. Par conséquent,
son usage devient une nécessité pour les besoins de la communication quotidienne, mais aussi il y a plus de vingt
langues vernaculaires dont la plus dominante est le wolof qui sont souvent utilisés parfois avec ou sans le français.
Cet exemple du Sénégal s’applique également au Cameroun, au Mali, à la Mauritanie et aux autres pays africains
francophones où la cohabitation entre le français et les langues vernaculaires crée nécessairement les conditions
d’un parler local.
La remarque de Manessy sur le français au Zaïre est très pertinente dans la mesure où elle dessine
clairement les contours de la cohabitation entre français et langues vernaculaires en ces termes : « […] le français
surtout oral, est tellement mêlé aux parlers autochtones qu’on a parfois peine à déterminer si on a affaire à une
langue locale bigarrée de vocabulaire français ou à du français bigarré de vocable locaux »
En raison de cette cohabitation, cette problématique du français ne se pose pas ici en termes de norme par
rapport à la Métropole, mais elle se pose souvent en termes de contenu énonciatif et de symboles linguistiques
souvent incompris dans la métropole. Par exemple, un Camerounais né dans un environnement où le hibou est
considéré comme un oiseau totémique ne peut jamais avoir, face à celui-ci, les mêmes réactions psychologiques
qu’un français natif de la France. Par conséquent, ces deux individus distincts ne peuvent pas avoir la même
définition du mot hibou même s’ils parlent la même langue.
Sous ce rapport, je partage la pensée de Pierre Dumont qui soutient que ce que nous exprimons à travers
notre langage quotidien n’est que le résultat d’une vision du monde qui nous entoure. Sans doute cette pensée est
pertinente parce que ce français africain n’est rien d’autre qu’un processus de différenciation linguistique qui fait
que l’africain s’approprie la langue et en fait un instrument de la communication linguistique adaptée à la
satisfaction de ses besoins. Mais pour mieux comprendre cette problématique du français et pourquoi l’africain en
fait usage à sa manière, il faudra nécessairement retourner au passé colonial de l’Afrique d’où ce français a pris
racine.
Durant la colonisation, l’implantation du français en Afrique a correspondu à une période où le français
symbolisait le pouvoir, la domination, voire toute une civilisation. Les peuples autochtones furent obligés
d’apprendre la langue pour mieux communiquer avec le pouvoir colonial. Aussi fut-il de l’intérêt du pouvoir
colonial de faire apprendre le français aux autochtones pour mieux communiquer avec eux. Il n’en reste pas moins
qu’en bien des endroits, la variété de français employée a été le seule modèle d’imitation des africains. Les africains
qui apprenaient ce français dans quelques écoles publiques qui avaient été construites dans quelques zones (Bakel,
Kita, Bamako) furent obligés de parler en imitant de façon correcte ce qu’ils entendaient de leur enseignant (es).
Mais malgré cette tentative de faire parler les africains qui étaient formés dans ces écoles publiques, l’écart
entre leur parler et celui de l’enseignant(e) pouvait être toujours perçu dans la prononciation, dans l’usage du
français par les africains. Souvent dans le discours des premiers africains formés, on décèle un français vulgaire avec
des termes comme « torcher » : éclairer avec une torche ; « flécher » : percer avec une flèche ; « grever » : faire la
grève. Mais toujours est-il que ce français avec « une dose d’africanité » de l’époque, pour emprunter les termes de
Blondé, fut sans doute un français scolaire, ou une imitation d’un français scolaire qui a subi l’influence d’autres
langues vernaculaires.
Il faut aussi remarquer que ce français parlé par cette élite africaine entre eux est, pour la plupart du temps,
ressemble à celui qu’on parle dans la métropole et qui est connu sous le nom de « langue de dimanche ». Comme
la métropole, l’élite africaine aussi parle un français qu’on pourrait qualifier de « langue de dimanche » en se sens
que ce français peut être très régional.
Comme dans la métropole, en Afrique aussi la journée du dimanche représente un moment où les familles se
réunissent, s’amusent et discutent dans une atmosphère très relaxe où le parler des uns et des autres n’est pas
toujours surveillé. A titre d’exemple, ce dialogue entre une grande dame du gouvernement ivoirien et son
domestique qu’elle avait embauché récemment, lève un coin du voile sur un des aspects de cette « langue de
dimanche » que seuls les initiés ou ceux- qui sont « dedans » semblent comprendre.
Madame: […Brahima apporte le vin s’il te plait ?
Madame : Qu’est-ce que c’est ça, Brahima ?
Brahima : c’est lévain-là que tu démandé, Madame ?
Madame : Non, non Brahima ; tu m’as mal compris : j’ai demandé d’apporter le vin, pas de la levure….
Brahima : Véritablement, véritablement quelle est la chose on s’appelle lévain ? Je ne connais pas lui.
Madame : pas possible ! Tu n’as jamais bu du vin ?
Brahima : Ah bon !… Lé du- vin ? , je connais ça bien bon même ; comme vous le dit « lévain » je ne
comprends pas ton bouche-parole …]
A travers ce court entretien, on voit, tout au début, qu’il y a une incompréhension entre la grande dame et
son domestique. En effet, il y a une différence de taille entre « levure » e « le vin », mais dans la prononciation, ces
deux termes peuvent être source de confusion sonore. A travers le terme « le vin » prononcé par la grande dame
dans la manière la plus relaxe, le domestique n’a pas pu déceler la prononciation et son locuteur, Brahima, entend
« levure » à la place du mot « vin ».
Deux éléments me semblent être donc d’une importance capitale à travers cet échange. D’abord, madame
n’est pas consciente qu’elle utilise « une langue de dimanche » et son locuteur n’est pas familier à cette façon de
parler qui est très limité aux fréquentations habituelles (familles, proches parents et amies). Ensuite, Brahima
semble être quelqu’un qui comprend la langue dans la manière dont il l’a apprise (prononciation correcte) c’est
pourquoi, à mon avis, toute prononciation qui s’écarte un peu de la règle métropolitaine semble créer un problème ;
et c’est ici le cas de Brahima. Ce qui est très intéressant dans « la langue de dimanche » chez les certaines élites
africaines, c’est que ces dernières respectent souvent le côté lexical et ont tendance à négliger le côté phonétique, le
niveau de la prononciation.
En revanche, parmi ces élites africaines aussi, il y a ceux qui veulent toujours parler le français
correctement à tous les niveaux dans tous les endroits. C’est ainsi que, durant toute l’histoire coloniale de
l’Afrique, il y avait des tentatives et des initiatives de faire parler au « négre » un français qui respecte les règles
de la métropole partout et à tous les niveaux du discours oral.
Ce qui est paradoxal c’est que ce désir de vouloir parler comme on parle dans la métropole a créé, au cours
de l’histoire, un complexe d’infériorité linguistique exemplifié dans les discours souvent pompeux d’imminents
hommes de lettres et penseurs comme Léopold Sédar Senghor, ancien président du Sénégal et premier noir admis à
l’académie française qui, faisant référence à la bonne maîtrise du français, dit ceci : « […] pour pouvoir
bousculer, sans dommage, la langue française, il faut, d’abord, l’avoir maitrisée dans de longs exercices, comme le
cavalier qui a dompté une pouliche rebelle »
Cette pensée de Senghor révèle l’importance que les Africains accordaient à la maîtrise du français durant
l’époque coloniale. Mais malgré cette tentative de bien parler le français de la métropole, la plupart des linguistes
qui ont étudié ce parler africain ont dû conclure que ce français africain reste toujours adapté aux structures déjà
établies par les langues vernaculaires.
Ce qui n’a pas été bien clarifié dans la plupart des recherches est de savoir si ce français africain est bien
représenté dans d’autres régions francophones du monde ?
Il me paraît important de poser cette question pour la bonne et simple raison que durant les années quatre
vingt, le GFRL ( Groupe de Recherche en Formalisation Linguistique à l’université de Québec à Montréal ), créé par
Jacques Labelle dans le but d’élaborer le lexique-grammaire du français de Québec, a dû étudier plusieurs variétés
de français dans le monde francophone mais le français de l’Afrique noire n’a jusqu’à présent fait l’objet d’aucune
représentation ou considération par rapport aux autres variétés de français parlés un peu partout dans le monde ,du
moins on peut noter cela dans les travaux de Jacques Labelle.
Pourtant ce français d’Afrique noire est bien représenté dans la sous-région. Ce manque de représentation du
français africain est-il le résultat de la difficulté à pouvoir caractériser ce français ? Ou est-il le simple fait d’une
façon pour les africains de vouloir se débarrasser de cet outil du colonisateur ? Sous ce rapport, il me paraît
nécessaire de jeter un coup d’œil sur le contexte postcolonial de son usage et ce qu’il représente pour les africains
qui l’utilisent.
Après les indépendances, parler français comme un natif n’est plus resté l’idéal de l’Africain. La plupart de
ces africains ne s’identifient plus à cette langue française et leurs revendications d’indépendance furent aussi
marquées par le sentiment de disposer d’eux mêmes, de revendiquer leurs cultures et leurs langues. On voit qu’au
cours de ce processus, il y a une dialectisation du français, une « indigénisation » du français pour reprendre
Calvet et même un refus catégorique de parler cette langue qui symbolise le pouvoir, la culture, voire les valeurs du
colonisateur.
Dans ses études du français camerounais, Paul Zang souligne cet aspect où il y a une prise de conscience de
l’Africain et il note une « rancœur » vis-à-vis du Blanc et de sa langue en ces termes : « l’Africain qui parle comme
un toubab (Blanc) est rejeté par son groupe : « il est ridicule [….]. Les entorses faites à la langue – et
volontairement – sont considérées par leurs propres auteurs comme une manière de manifester leur révolte vis-à-vis
d’un ordre social qu’ils désapprouvent. […]. Il y a un refus de se conformer à la règle, qui chez les jeunes, par
exemple, se manifeste par une attention particulière pour les matières scientifiques et un délaissement accru des
matières dites littéraires ».
Dans ses études sur le français d’Afrique, Paul Zang montre, encore, qu’au cours d’une intervention dans
l’émission télévisée « le français tel quel », une Française actuellement enseignante à l’Université de Yaoundé
(Cameroun), Madame COLLOD, a révélé qu’à la suite d’une remarque qu’elle avait faite à un des étudiants pendant
le cours, celui-ci lui répondit : « Madame, je parle français comme un Camerounais ».
(…) En revenant sur ce français africain postcolonial, on peut aussi schématiquement distinguer deux
grandes catégories de variétés de français parlés en Afrique noire par des gens qui n’ont pas l’occasion de faire de
longs séjours outre-mer et dont ni la profession ni le statut social ne les mettent en contact permanent avec la
communauté de langue française. Le français parlé de cette première catégorie (illettrée) est caractérisée, à des
degrés divers par la confusion des codes linguistiques, c’est-à-dire entre la langue maternelle et la langue véhiculaire
dominante que constitue le français. Aussi y a-t-il une autre variété de français parlé par ceux qui sont éduqués dans
des écoles (les lettrés).
Cette première catégorie a tendance à ne pas respecter la syntaxe ou la phonologie parce que ces individus
semblent disposer d’un stock de mots en français qu’ils assemblent selon ses schémas syntaxiques ou qu’ils
prononcent selon les règles phonologiques de leurs langues maternelles. Comme le souligne Duponchel, dans une
réponse d’un domestique congolais illettré à une question posée en Kikango par un compatriote, « Pasiki la mama
wayele ku vilazé » (Parce que la maman est allée au village »), observe que « il s’agit dans l’esprit des
interlocuteurs d’une phrase en langue africaine, d’autant plus que la question est posée en cette langue… ». Qu’en
aurait-il été si la question avait été posée en français ? Il faut noter que ce français parlé par les illettrés africains est
souvent appelé le « petit français ».
En revanche, beaucoup plus difficile à définir est cette variété de français que parlent nombre de « lettrés »
africains. Dans cette variété de français parlé, on note qu’il y a un mélange de français et de la langue maternelle du
locuteur. Ce mélange de deux ou de plusieurs langues dans une conversation donnée est souvent ce que le célèbre
linguiste Sigwart appelle codeswitching ou même une diglossie pour citer le linguiste américain Ferguson.
Ce terme de « codeswitching » ou mélange n’a pas le même sens sous la plume de plusieurs linguistes parce
que certains pensent qu’il est souvent difficile de mesurer à quel niveau du discours on peut dire qu’un locuteur
change de registre volontairement ou involontairement. Ce qui est sûr est que les variétés de français qui sont parlés
par les « lettrés » africains portent sans aucun doute l’empreinte de la langue maternelle.
La réaction d’un dignitaire sénégalais qui a été critiqué dans sa manière de parler français non seulement
montre comment l’influence de la langue maternelle est très présente dans le français parlé du « lettré africain » mais
aussi l’attitude que celui-ci a envers une langue qu’il embrasse et rejette en même temps :
« … Tu parles français mais tu peux mettre du Wolof. Devant un Français, ça me plairait beaucoup de
parler comme ça pour lui montrer que vous nous avez donné le français, mais nous ne sommes pas obligés de
l’utiliser comme vous le voulez…
Cette pensée de ce dignitaire sénégalais résume toute l’atttidue de certaines étites africaines vis-à-vis de la
langue française après les indépendences. Et Leopold Sedar Senghor n’a pas dérogé à la règle pour promouvoir
cette langue que nous avons heritée du colonisateur : « […] Dans les décombres de la colonisation nous avons
ramassé cet outil merveilleux qui est la langue française […] »
Conclusion
Le français d’Afrique noire pose une problèmatique en tant que « héritage linguistique » à deux niveaux.
D’abord au niveau national dans le continent africain où les africains eux-même oublient souvent que le français est
une langue mais pas une culture. Les expressions « tu parles mal le français, tu prononces mal le français ou tu dois
rouler les « r » comme un français » ne doivent pas celles que nous tenons à nos étudiants ou à nos enfants dans
nos discours quotidiens. If faut donc simplement comprendre que le français africain n’est qu’un « butin de guerre »
pour reprendre les termes de l’écrivain algérien Kateb Yacine.
Ce français pose égalment une problématique au niveau international dans sa comprehension même hors du
continent car on se référe souvent à ce français d’Afrique noire comme une seule variété de français alors que il y a
autant de variétés de français distinctes aussi bien au niveau phonologique, lexical, accentuel qu’au niveau
syntaxique voire stylistique. Il devient donc très crucial de tenir compte de trois facteurs essentiels pour mieux
comprendre ce français d’Afrique noire.
D’abord, il faut le situer dans son contexte historique parce que ce français a subi de profondes
transformations depuis les indépendances jusqu’à nos jours, et il continue d’évoluer en fonction des données
géographiques, sociopolitiques voire économiques.
Ensuite, il faut tenir compte du contexte sociolinguistique qui l’a vu naître, parce que ce français d’Afrique
noire est souvent le mélange avec d’autres langues vernaculaires qui l’influencent à tous les niveaux.
Enfin, il ne faut pas le comprendre en dehors de son contexte sociologique car ce français africain est l’objet
d’usage en fonction de la formation scolaire, du degré d’éducation et des attitudes vis-à-vis de cet outil qui, pour
certains Africains, est un symbole du néo-colonialisme.
En tenant compte de tous ces paramètres, il s’agira maintenant de rechercher la différence de ces variétés de
ce français d’Afrique noire dans la diversité culturelle et non dans la diversité linguistique. Par exemple, un
Sénégalais né dans une région sahélienne et qui n’a jamais vu la neige de sa vie, ne comprendra jamais
véritablement l’expression « blanc comme neige ». Il peut cependant la retenir, voire en faire usage, mais pour lui
c’est le coton qui reste toujours le symbole de la blancheur. (Moustapha Fall; http://xalimasn.com/le-francais-
d%E2%80%99afrique-noire-problematique-d%E2%80%99un-%C2%AB-heritage-linguistique-%C2%BB-par-
moustapha-fall/)
CHAPITRE 6
Aspects écrits et oraux du français contemporain

 Registres (niveaux) de langue en français


Le registre de langue utilisé par l’émetteur dépend de la situation d’énonciation, et de la
relation qui existe entre l’émetteur et le destinataire.
Il existe trois registres de langue:

le registre familier: il est employé dans les conversations privées, entre amis ou
personnes qui se connaissent bien. Il se caractérise par une prononciation qui avale certaines
syllabes, un vocabulaire familier et des incorrections grammaticales.

le registre courant: c’est le registre le plus


fréquent; on l’emploie dans la vie quotidienne, lorsque
l’on s’adresse à un proche ou à ses parents. Il se
caractérise par une prononciation correcte et un
vocabulaire courant. Il respecte les règles grammaticales.

le registre soutenu: on l’emploie quand on


s’adresse à un supérieur ou à quelqu’un d’important. Ce
registre est particulièrement soigné: la prononciation est
parfaite, la grammaire correcte et le vocabulaire recherché.
Groupement de textes à analyser

o Bernard Friot, Façon de parler


« Papa, il est prof de français... Oh, pardon : mon père enseigne la langue et la littérature françaises. C’est pas
marrant tous les jours ! Je veux dire : parfois, la profession de mon père est pour moi cause de certains
désagréments. L’autre jour, par exemple. En sciant du bois, je me suis coupé le pouce. Profond ! J’ai couru trouver
papa qui lisait dans le salon.
- Papa, papa ! Va vite chercher un pansement, je pisse le sang ! ai-je hurlé en tendant mon doigt blessé.
- Je te prie de bien vouloir t’exprimer correctement, a répondu mon père sans même lever le nez de son livre.
- Très cher père, ai-je corrigé, je me suis entaillé le pouce et le sang s’écoule abondamment de la plaie.
- Voilà un exposé des faits clair et précis, a déclaré papa.
- Mais grouille-toi, ça fait vachement mal! ai-je lâché, n’y tenant plus.
- Luc, je ne comprends pas ce langage, a répliqué papa, insensible.
- La douleur est intolérable, ai-je traduit, je te serais donc extrêmement reconnaissant de bien vouloir m’accorder
sans délai les soins nécessaires.
- Ah, voilà qui est mieux, a commenté papa, satisfait. Examinons d’un peu plus près cette égratignure.
Il a baissé son livre et m’a aperçu, grimaçant de douleur et serrant mon pouce sanguinolent.
- Mais t’es cinglé, ou quoi ? a-t-il hurlé, furieux. Veux-tu f... le camp, tu pisses le sang ! Tu as dégueulassé la
moquette ! File à la salle de bains et dém... -toi ! Je ne veux pas voir cette boucherie !
J’ai failli répondre : « Très cher papa, votre façon de parler m’est complètement étrangère. Je vous saurais donc gré
de bien vouloir vous exprimer en français ». Mais j’ai préféré ne rien dire.
De toute façon, j’avais parfaitement compris. Je suis doué pour les langues, moi. » (Bernard Friot, « Façon de
parler» in Histoires Pressées, 2005.)

o Jacques Dutronc, Fais pas ci, fais pas ça

Fais pas ci, fais pas ça Fais pas ci fais pas ça


viens ici, mets-toi là à dada prout prout cadet
attention prends pas froid à cheval sur mon bidet
ou sinon gare à toi tu me fatigues je n’en peux plus
mange ta soupe, allez, brosse-toi les dents dis bonjour dis bonsoir
touche pas ça, fais dodo ne cours pas dans le couloir
dis papa, dis maman sinon panpan cucul

Fais pas ci, fais pas ça Fais pas ci fais pas ça


à dada prout prout cadet viens ici ôte toi de là
à cheval sur mon bidet prends la porte sors d’ici
mets pas tes doigts dans le nez écoute ce qu’on te dit
tu suces encore ton pouce
Qu’est-ce que t’as renversé Fais pas ci fais pas ça
ferme les yeux ouvre la bouche à dada prout prout cadet
mange pas tes ongles vilain à cheval sur mon bidet
va te laver les mains tête de mule tête de bois
ne traverse pas la rue tu vas recevoir une beigne
sinon panpan cucul qu’est-ce que t’as fait de mon peigne
je ne le dirai pas deux fois
Fais pas ci fais pas ça tu n’es qu’un bon à rien
à dada prout prout cadet je le dis pour ton bien
à cheval sur mon bidet si tu ne fais rien de meilleur
laisse ton père travailler tu seras balayeur
viens donc faire la vaisselle
arrête de t’chamailler Fais pas ci fais pas ça
réponds quand on t’appelle à dada prout prout cadet
sois poli dis merci à cheval sur mon bidet
à la dame laisse ta place vous en faites pas les gars
c’est l’heure d’aller au lit vous en faites pas les gars
faut pas rater la classe moi aussi on m’a dit ça
fais pas ci fais pas ça
fais pas ci fais pas ça
et j’en suis arrivé là
et j’en suis arrivé là
et j’en suis arrivé là
la la la la la la la la la la .........

 faire dodo : dormir (cf. chanson enfantine : « dodo, l’enfant do, l’enfant dormira bientôt »)
 faire panpan cucul : donner la fessée
 vilain : méchant
 arrête de t’chamailler : arrête de te disputer (avec qqn) ; ici : usage hypocoristique de se chamailler ; cf. aussi « Il
m’a disputé / je vais me faire disputer » dans le sens de « Il m’a grondé / je vais me faire gronder »
 une beigne : une gifle, une baffe, un beignet, une mandale.

 Phénomènes langagiers actuels

Les abréviations / Les mots tronqués


Les aphérèses: blème, gol, scope, tiags, zique, jour, man, pa, tites oreilles
Les apocopes:
abdo, accro, ado, chimio, biblio, apéro, facho, agreg, alloc, bon ap, clito- La Libé, un
chipo, choco, claustro, conso, coke, prolo, proprio appart, assoc, clito, comme McDo, un
écolo, expo, hebdo, hélico, gastro, beaujo, compil,e, d’hab Nes
héro, hétéro, impro, labo, magnéto, disserte, doc,
maso, mélanco, nympo, mégalo, from, fac, instit,
pédago, rando, schizo, parano intox, kiné,
spermato, thalasso, traumato, médics
vibro (médocs),
muscul,e, récup,
scénar, somnos
La féminisation: directrice, pharmacienne, institutrice, écrivaine
Les graphies:
barmène, bifetèque, campingue, coctel, coule, joguingue, merketingue, achélème, bédé, cédé, béhèmevé, ca-oui,
parkingue, postère, sandouiche, spiqueur hachesse
L’hyperbole et l’exagération: c’est géant, génial, trop, + adj. méga-, giga-
Le ludique: Ca roule, ma poule? Cool, Raoul! Un peu, mon neveu! Un doigt, Benoit!
La suffixation (neutre, péjorative, hypocoristique): une petite coupette, une
gendarmette, cantoche, cinoche, variétoche, coolos, débilos, hardos.
Le verlan: Laisse béton (Renaud), La chétron sauvage, magefro, biledé, ouf
Les emprunts: hard, gay, computer, walkman, n’est-il pas?
Les barbarismes: se rappeler de qqch., voir même, plus bonne, C’est nous qu’on paye.
Quelle heure qu’il est? A quoi que tu penses? Ophtalmo

 Application : Renaud, Dans mon H.L.M.


Au rez d’chaussée, dans mon HLM, Au premier, dans mon HLM,
y’a une espèce de barbouze y’a l’jeune cadre dynamique,
qui surveille les entrées, costard en alpaga,
qui tire sur tout c’qui bouge, c’lui qu’a payé vingt briques
surtout si c’est bronzé, son deux-pièces-plus-loggia.
passe ses nuits dans les caves Il en a chié vingt ans
avec son Beretta, pour en arriver là,
traque les mômes qui chouravent maint’nant il est content
le pinard aux bourgeois. Mais y parle de s’casser.
Y s’recrée l’Indochine Toute façon, y peut pas,
dans sa p’tite vie d’peigne cul. y lui reste à payer
Sa femme sort pas d’la cuisine, le lave-vaisselle, la télé,
sinon y cogne dessus. et la sciure pour ses chats,
Il est tell’ment givré parc’que naturellement
que même dans la Légion c’bon contribuable centriste,
z’ont fini par le j’ter, il aime pas les enfants,
c’est vous dire s’il est con ! c’est vous dire s’il est triste !

Putain, c’qu’il est blême, mon HLM ! Putain, c’qu’il est blême, mon HLM !
Et la môme du huitième, le hasch, elle aime! Et la môme du huitième, le hasch, elle aime !
Au deuxième, dans mon HLM ! Au troisième, dans mon HLM,
y’a une bande d’allumés y’a l’espèce de connasse,
qui vivent à six ou huit celle qui bosse dans la pub’,
dans soixante mètres carrés l’hiver à Avoriaz,
y’a tout l’temps d’la musique. le mois d’juillet au club.
Des anciens d’Soixante-huit Comme toutes les décolorées,
y’en a un qu’est chômeur, elle a sa Mini Cooper,
y’en a un qu’est instit’, elle allume tout l’quartier
y’en a une, c’est ma sœur. quand elle sort son cocker.
Y vivent comme ça, relax, Aux manifs de gonzesses,
y’a des mat’las par terre, elle est au premier rang,
les voisins sont furax, mais elle ne veut pas d’enfants
ils font un boucan d’enfer. parc’que ça fait vieillir,
Ils payent jamais leur loyer, ça ramollit les fesses
quand les huissiers déboulent, et pi ça fout des rides,
ils écrivent à Libé, elle l’a lu dans l’Express,
c’est vous dire s’ils sont cools ! c’est vous dire si elle lit !

Putain, c’qu’il est blême, mon HLM ! Putain, c’qu’il est blême, mon HLM !
Et la môme du huitième, le hasch, elle aime ! Et la môme du huitième, le hasch, elle aime !
Au quatrième, dans mon HLM, Pi y’a aussi, dans mon HLM,
y’a celui qu’les voisins un nouveau romantique,
appellent "le communiste". un ancien combattant,
Même qu’ça lui plaît pas bien, un loubard, et un flic
y dit qu’il est trotskyste ! qui s’balade en survêtement,
J’ai jamais bien pigé y fait chaque jour son jogging
la différence profonde, avec son berger all’mand,
y pourrait m’expliquer de la cave au parking,
mais ça prendrait des plombes. c’est vach’ment enrichissant.
Depuis sa pétition, Quand j’en ai marre d’ces braves gens
y’a trois ans, pour l’Chili, j’fais un saut au huitième
tout l’immeuble le soupçonne pour construire un moment
à chaque nouveau graffiti, avec ma copine Germaine,
n’empêche que "Mort aux cons" un monde rempli d’enfants.
dans la cage d’escalier, Et quand le jour se lève
c’est moi qui l’ai marqué, on s’quitte en y croyant,
c’est vous dire si j’ai raison ! c’est vous dire si on rêve !
Putain, c’qu’il est blême, mon HLM ! Putain, c’qu’il est blême, mon HLM !
Et la môme du huitième, le hasch, elle aime ! Et la môme du huitième, le hasch, elle aime !

Explication du vocabulaire de cette chanson

Noms
H.L.M. – n.m., habitation à loyer modéré, dans la banlieue
Barbouze – n.m., agent secret
Beretta – n.m., marque de revolver
Pinard – n.m., vin rouge ordinaire
Peigne-cul – n.m., homme mesquin, ennuyeux ; grossier, inculte
Alpaga – n.m., tissu mixte de bonne qualité
Loggia – n.f., balcon spacieux, souvent couvert, fermé sur les côtés
Sciure – n.f., déchets de bois pour mettre dans le bac des chats
Contribuable – n.m., celui qui paie des contributions
Instit’ – n.m., instituteur
Boucan – n.m., du bruit
Huissier – n.m., officier ministériel chargé de signifier les actes de procédure et de mettre à exécution les décisions
de justice et les actes authentiques ayant force exécutoire
Conasse – n.f., féminin de con, conard
Plombe – n.f., une heure
Loubard – n.m., jeune homme vivant dans la banlieue, appartenant à une bande et affectant un comportement
asocial
Survêtement – n.m., vêtement de sport ou de détente composé d’un blouson et d’un pantalon.

Adjectifs
Givré : fou
Blême : pâle, il ne s’y passe rien
Costard : un costume d’homme
Centriste : indique la couleur, conviction politique
Allumé : fou, illuminé
Furax : furieux
Décoloré : qui a perdu sa couleur (ici des cheveux – ils n’ont plus leur teinte naturelle)

Verbes
Chouraver : voler, chiper
Cogner : taper
Débouler : descendre précipitamment
Bosser : travailler
Ramollir : rendre mou, faire perdre sa forme
Foutre : faire, ficher, fabriquer

Conjonctions/prépositions/interjections
Pi : puis

 L’argot, un jeu rhétorique sur la langue

L’argot est un vocabulaire spécial qui transforme et crée des mots plus amusants ou
expressifs que les mots normaux, en raison de leur forme ou de leurs sonorités bizarres. Il existe
l’argot des étudiants, de certaines professions, et surtout l’argot des criminels. Ce phénomène est
international ; il évolue très vite, mais voici quelques exemples que vous risquez d’entendre
quand vous irez en France.
Soutenu Familier Argot
parler causer jacter, jactancer, rouscailler
comprendre piger capter (argot étudiant)
un homme un type, un gars, un mec un zig
l’argent le fric, le pognon l’oseille, le grisbi
manger bouffer, ("la bouffe") becter, bectancer
un alcoolique un alcoolo, un tubard un pochtron

o Je suis dans la dèche / fauché, je n’ai même pas de sous pour m’acheter des clopes. Peux-tu
me prêter un peu de fric ?
 La dèche : manque d’argent
 Etre fauché : ne plus avoir d’argent
 Des sous : de l’argent
 Une clope : cigarette (à l’origine : mégot de cigarette)
 Le fric / le pognon / le blé : l’argent
o Arrête, tu ne penses quand même pas que je vais te donner du blé/pognon, tu ne m’as même
pas rendu les 500 balles que tu m’as tapé la semaine passée.
 Le fric / le pognon / le blé : l’argent
 Balles : des sous, des francs (à utiliser combiné avec un chiffre)
 Taper : emprunter de l’argent à quelqu’un
o Tiens donc, tu en as des fringues ! Regarde cette jupe et ce jean ! Elles sont belles ces
godasses, c’est quelle pointure ? 38, tu me les prêtes ?
 Des fringues : des vêtements
 Une godasse : une chaussure
o Cool, tu changeras de look, ce sera en tout cas moins ringard que ce que tu as sur le dos !
 Cool : agréable, détendu, chouette
 Relax : détendu
 Ringard : démodé ou mediocre
o T’as vu le mec, là-bas avec sa tignasse rouge, il est mignon !
 Un mec : un homme, un individu, un type
 Une tignasse : chevelure, cheveux
o Ah non, je n’aime pas sa tronche, t’as pas vu son pif ? En plus il a une nana, je peux pas la
sentir.
 Un pif : une nez
 Une nana : une fille, une gonzesse
o Ecoute, le gosse est malade, il faudrait appeler le toubib.
 Un gosse / un môme : un enfant
 Un toubib : un médecin
o Ah ces mômes, ils nous coûtent la peau des fesses, en plus ils chialent sans arrêt !
 Chialer : pleurer (vulgaire et méprisant)
o Tu viens avec nous, on va au cinoche, puis on va se bourrer/ se prendre une cuite. Et après on
va s’éclater en boîte. Pierre, le copain de Sylvie, prend sa bagnole, il va venir avec ses potes, mon
frangin sera également de la partie et Sophie avec son Jules.
 Le cinoche : le cinéma
 Se bourrer / se prendre une cuite : se saouler, boire beaucoup, trop
 S’éclater : se défouler, s’amuser sans retenue
 Une bagnole : une voiture
 Un pote : un ami, un copain
 Un frangin / une frangine : un frère, une sœur
 Jules : amant, amoureux, mari
o J’veux pas d’emmerdes avec les flics. Les poulets sont partout. Je ne viens pas.
 Des emmerdes : des problèmes
 Un flic : un policier
 Un poulet : un policier
o Laisse beton, tu racontes des salades/ conneries. Allez viens, on se casse.
 Laisse beton : laisse tomber (verlan)
 Raconter des salades / conneries : raconter des bêtises
 Se casser : s’en aller, partir
o Putain alors, ma bagnole est encore en panne, ça me fait chier. Je ne pourrai pas sortir ce soir,
à moins de prendre la guimbarde de mes parents. Mais si un chauffard me rentre dedans, je suis dans
de beaux draps ! On prend ta bécane ? S’il ne pleut pas évidemment!
 Putain : zut (expression de surprise ou de colère considérée comme très vulgaire par beaucoup de gens mais très
couramment employée), à l’origine : une pute, une prostituée
 Une bagnole : une voiture
 Chier : faire chier quelqu’un : l’embêter ; se faire chier : s’embêter ; c’est chiant (vulgaire mais courant !)
 Une guimbarde : vielle automobile délabrée
 Un chauffard : mauvais conducteur
 Une bécane : bicyclette ou mobylette
o Je peux venir pieuter chez toi ce soir ?
 Pieuter (se) : se coucher
o Ben quoi, et ta piaule alors, qu’est-ce qu’il lui manque ? Pas question, je me mettrai le proprio
sur le dos. T’as qu’à aller crécher ailleurs. Démerde-toi !
 Une piaule : une chambre
 Le proprio : le propriétaire
 Crécher : habiter, loger
 Se démerder : se débrouiller
o Hé, les potes, on va prendre une chope au bar ?
 Un pote : un ami, un copain
 Une chope : une bière
o Non, je crève de faim, je veux bouffer d’abord.
 Bouffer : manger
o Alors, on va au « Café du sport », la bouffe est bonne et Jean y fait la plonge.
 Faire la plonge : faire la vaisselle
o Non, je ne rentre pas dans ce boui-boui, ça pue le poisson et la bouffe est dégueulasse. Si on
aller se goinfrer au resto chinois du coin ?
 Un boui-boui : un restaurant de dernière classe
 Dégueulasse : mot assez vulgaire que l’emploi a rendu presque banal : dégoûtant
 Se goinfrer : manger avec excès et salement
 Un resto : un restaurant
o - Allez, tu viens ? - Ecoute, fous-moi la paix, j’suis crevé, j’ai un coup de pompe.
 Fous-moi la paix : laisse-moi tranquille
 Avoir un coup de pompe : être fatigué soudainement
o Moi, par contre, j’ai la pêche, c’est la forme.
 Avoir la pêche : être en pleine forme, se sentir bien
o Y’a pas le feu, on ne peut pas y aller plus tard ? En fait, elle est nulle ton idée, c’est vachement
con.
 Nulle : qui ne vaut rien
 Vachement : très (s’utilise dans des situations très variées)
 Con : stupide
 Oh, t’es casse-pieds, j’en ai plein le dos/le cul de ta mauvaise humeur. Fous le camp, j’veux
plus te voir !
 Etre casse-pieds : être agaçant, embêtant
 Ca va, j’ai pigé, je me casse, salut !
 En avoir plein le dos/le cul : en avoir marre/ assez
 Foutre le camp : s’en aller, partir
 Piger : comprendre
 Se casser : s’en aller, ficher le camp, partir

Exemples de termes d’argot parisien


 Argent : artiche, as, aspine, aubert, avoine, balles, beurre, biftons, blanquette, blé, boules,
braise, bulle, caire, carbure, carme, craisbi, douille, fafiots, fifrelins, flouze, fourrage, fraîche, fric,
galette, galtouse, ganot, gibe, graisse, grisbi, japonais, love, maille, mornifle, némo, os, oseille, osier,
pépètes, pèse, picaillons, pimpions, plâtre, pognon, radis, ronds, sauce, soudure, talbins, trêfle, thune...
 Femme : bombe, frangine, gerce, gisquette, gonzesse, greluche, greluse, grognasse, meuf,
nana, nière, polka, poupée, sœur, souris, star, taupe...
 Manger : becqueter, bouffer, boulotter, briffer, casser la croûte, casser la graine, claper,
croûter, galimafrer, grailler, jaffer, mastéguer, morfiler, tortorer...
 Policier : archer, bignolon, bourdille, cogne, condé, flic (->keuf), matuche, pandore, perdreau
(->drauper), poulet (->poulagas, poulardin, pouleman), royco...
 Siège de la PJ : grande volière, maison parapluie, maison poulaga, maison pullmann...
 Faire l’amour : baiser, niquer, forniquer, troncher, enfourner son pain, procréer, bourrer,
défoncer, copuler, harponner, tringler, limer, fourrer, bouillave...

Il n’existe pas un argot, mais des argots (ou des parlures argotiques). Différents groupes
sociaux ont développé, à des époques différentes, leur propre parler. À l’origine, l’argot désignait le
parler des voyous et des militaires. Des argots se sont également développés dans d’autres groupes
sociaux, et chaque profession, chaque quartier possède son propre « argot ». En France le concept
apparait au XIIIe siècle et est identifié en provençal sous le nom de « jargon ».
François Villon utilise au XVe siècle le terme de « jobelin », puis au siècle suivant apparaissent
« baragouin », « narquois » ou « blesquin », notamment. Le premier texte français entièrement centré
sur l’argot et les groupes sociaux qui le parlent est publiée à Lyon en 1596 chez Jean Jullieron. Il
s’agit de la La vie genereuse des Mercelots, Gueux et Boesmiens signé par Pechon de Ruby. Ce texte
sera à l’origine du développent de la littérature argotique. Il contient au final un lexique de 150 mots
d’argot qui évoluera d’une édition à l’autre. Ce n’est qu’en 1628 que l’argot trouve son nom avec
l’ouvrage publié par Olivier Chéreau, Le jargon ou Langage de l’argot déformé. C’est surtout la
littérature qui diffuse « la langue verte », des Mémoires de l’ex-bagnard Vidocq au Mystères de Paris
d’Eugène Sue en passant par Victor Hugo, « L’argot, c’est le verbe devenu forçat ! », et Les Mohicans
de Paris de Balzac, et plus encore sous la Troisième République avec Emile Zola. Notons qu’à travers
ces ouvrages c’est plutôt l’argot « parisien » qui est mis en lumière. L’argot « parisien » reste très
vivace à Paris jusqu’aux années 1950.
L’évolution sociologique de la population parisienne explique en grande partie cette « mort » de
l’argot parisien qui ne se pratique plus vraiment dans la rue mais qui fit longtemps la joie des lecteurs
de romans comme San Antonio, des spectateurs de films dialogués par Michel Audiard ou des
auditeurs de chansons de Pierre Perret, de Renaud, ou de sketches de Coluche. Aujourd’hui, des
jeunes auteurs de romans tels qu’Anthony Michel et son personnage Toni Truand reprennent ce genre
de langage.

Procédés d’élaboration de l’argot

Procédé syntaxique : changement de classe lexicale des mots : en général, il s’agit de


l’utilisation d’un adjectif à la place d’un adverbe. Exemple: « il assure grave » pour « il est vraiment
très bon ».
Procédés lexicaux-sémantiques : métaphore, métonymie, polysémie, synonymie
Procédés lexicaux-formels : composition lexicale :
 Dérivation ou resuffixation de mots existants au moyen de suffixes populaires (-ard, -asse, -
oque, -ax, -ouille...). Exemples : connard et connasse dérivés de con, pourrave dérivé de pourri,
matos dérivé de matériel.
 Apocope : troncation d’une ou plusieurs syllabes finales d’un mot. Exemples : pèt pour pétard
(joint), tox pour toxicomane.
 Aphérèse : troncation d’une ou plusieurs syllabes initiales d’un mot. L’aphérèse, très rare
jusqu’à présent en français, est particulièrement présente en français contemporain des cités.
Exemples : blème pour problème, zik pour musique (après un passage par le verlan zikmu).
 redoublement, éventuellement après troncation, d’une syllabe. Exemple: zonzon pour prison.

Les systèmes de codage les plus connus sont :

 Le verlan, procédé très utilisé depuis 1980, est un jeu de mots populaire qui consiste à dire
les syllabes des mots à l’envers (« verlan » - « l’envers »!), un peu comme le piglatin en anglais. Par
exemple, « manger » devient « géman », « pétard » devient « tarpé », etc.

Soutenu Familier Verlan


un policier un flic flic = fli + que
verlan = que + fli
-li tombe
un keuf
un homme un mec mec = mè + que
verlan = que + mè
-è tombe un keum
une femme une gonzesse femme = fa + me
verlan = me + fa
-a tombe
une meuf
nu à poil poil = p + oil
verlan = oil + p
à oilpé
une voiture une bagnole bagnole = ba + gnol(e)
verlan = gnol(e) + ba
une gnolba
pétard = pé + tard
une cigarette de cannabis un joint, un pétard verlan = tar(d) + pé
un tarpé
disque = di + sque
verlan = sque + di
un disque
le i tombe
un skeud
 Le javanais, consistant à rajouter le son av (ou tout autre son) entre les consonnes et les
voyelles. Par exemple Marcel -> Mavarçavel.
 Le louchébem (ou largonji), consistant à remplacer la consonne initiale par un L, et la
reporter à la fin du mot avec une terminaison (initialement créé par les louchébems de Laripette).
Boucher -> loucherbem ; À poil -> à loilpé . Le mot loufoque est entré dans le vocabulaire courant.
Fou -> loufoque
 Emprunts à d’autres langues. Exemples : maboul de l’arabe mahbûl « fou », bédo (joint) du
tzigane, go (fille) du wolof.

 La siglaison : dénomination d’une réalité par un sigle, et éventuellement création de dérivés à


partir de ce sigle. Exemples :
LBV : Libreville
TDC : tombé du camion (volé).
Une CB : une carte bleue.
Le BA ba : la base d’un apprentissage, ce sont les premières lettres que l’on apprend à lire.
L’EPO : érythropoïétine, hormone quelquefois utilisée pour le dopage.
Une BA : bonne action, une action effectuée pour aider quelqu’un.
Le triple A : note accordée à un pays pour évaluer ses capacités financières.
BB = bébé ; NRV = énervé ; NRJ = énergie ; ID = idée
JV = j’y vais ; GHT = J’ai acheté ; LHO : elle a chaud. Etc.

Groupements de textes à analyser

Identifiez les sigles et les initiales qui parsèment les paroles des clips musicaux ci-dessous :

o David Cairol, Initiales


I. Initiale DC
Voici mon bébé
Je donne la vie sur CD ce n’est pas un avis de décès
Je n’ai pas cédé, non.
Loin de moi l’idée je grave en lettres capitales mon tout nouvel essai et pas le dernier
Je ne vais pas cesser lettres capitales pour moi
Je ne suis pas athée
La musique est ma déesse, ma seule tasse de thé
Tu peux dire adieu à mon CV
J’ai connu les CDI, les CDD, interim à mi-temps et les contrats aidés puis l’ami RMI et les interdits de CB
Je suis pas intermittent mais j’essaie
Ya pas de statue érigée pour moi
Pour eux je suis un cas
Et comme I je reste droit
Je ne vais pas baisser les bras
Refrain : Oui j’ai un statue de la liberté
J’obéis à mes idéaux le poing levé, la flamme dans les yeux je sais où je vais
J’agis et vis ma vie sans lâcheté
II. J’aime mon pays et je viens du Berbé
C’est le BA Ba de savoir d’où l’on vient pour pouvoir s’élever
Je suis d’ici et d’ailleurs. J’aime me casser.
Pas besoin d’EPO, j’ai de l’énergie pour m’agiter
et de quoi m’énerver devant la TV à croire que l’homme est SM quand on regarde le JT
qu’avons-nous fait de nos QI pour autant s’abaisser sans être âgé j’ai du vécu
pour ne pas végéter ; assez il faut que je m’aère. DJ passe-nous un bon LP je préfère le dub de Lee Perry au leader
de l’UMP
Et comme dirait Marley allias BMW je ne bosse pas pour la CIA
Et le FMI comme DSK à chacun sa BA je n’ai pas besoin du triple A
Pour avoir un sourire béat
Refrain : Oui j’ai un statue de la liberté
J’obéis à mes idéaux le poing levé, la flamme dans les yeux je sais où je vais
J’agis et vis ma vie sans lâcheté
III. Dès que me vient un air je me jette à l’eau
Je réagis à chaud.
Je suis pas du genre à me foutre en l’air dès que je prends l’eau
J’écris ma BO. J’aime croquer la vie comme un bout de cacao
Toujours OK jamais KO
Je ne suis qu’un homme pas un super héros
J’essaie de me hisser vers le haut
Refrain : Oui j’ai un statue de la liberté
J’obéis à mes idéaux le poing levé, la flamme dans les yeux je sais où je vais
J’agis et vis ma vie sans lâcheté
(http://enseigner.tv5monde.com/fle/initiales)

 Un CDI : contrat à durée indéterminée.


 Un CDD : contrat à durée déterminée.
 Le RMI : le revenu minimum d’insertion.

o Team BS, Fierté


Refrain : Et peu importe ta couleur de peau
Non, ma différence n’est pas un défaut
Quand les promesses et les sourires sonnent faux
J’n’oublie pas d’où j’viens

Les ignorants veulent ma chute


Comme j’embaucherai Scorsese
Loin d’être mort dans le film, ma couleur reste en scène
Si je me retourne pas, c’est que le passé m’enchaîne
Tout fier de mes racines faut pas que leur haine m’engrène

Maman a fait le ménage et son fils ne voulait pas se ranger


A neuf autour d’un plat, on t’invite à manger
Les uns sur les autres, lit superpo
J’ai vu des frères en BEP rêver de faire Science Po

Refrain

Zone de turbulence, je traverse des calvaires


Moi j’veux me tenir droit, on me regarde de travers
Souvent plus bas que terre, on espère un salaire J’ai trouvé de la force même dans de grosses galères

Révoltes et manifs, ça veut plus dire grand-chose


Comme ton baveu moi j’ai plaidé tant de causes
Accusé comme John Coffey mais je leur pardonne
Menotté pour X raison dites-le à Malcom

Refrain

J’ai connu la misère, maman flirtait avec un balai


Je sort le cœur couvert, trop fier pour tout déballer
Je suis venu marquer mon temps, je partirai comme Bob Marley
Si le silence est d’or 50 000 pour leur parler

Team BS avec l’équipe on s’entraide


J’ai trouvé ma route et j’avance sans peine
Sèche tes larmes, aller viens j’t’emmène
Toutes ces couleurs c’est ma team sur scène

Refrain
(https://www.youtube.com/watch?v=V8_o_7NNzPI)
 BEP = Brevet d’études professionnelles, voie « professionnel » proposé dans les parcours scolaire après le
collège.
 Science Po = institut d’études politiques reconnu en France pour son rôle dans la formation des élites du
système.
 Lit superpo = lits superposés, c’est-à-dire, deux lits l’un au-dessus de l’autre, utiliser pour gagner de la
place dans une chambre.
 Un baveu = un avocat.

o Pierre Bachelet, L’amour en verlan

Tu causes en verlan Tu m’aimes en verlan T’as bien le temps On s’aime en verlan


T’as dix sept ans Du bout de dents De retourner tous les mots Le cœur tout blanc
Un corps tout blanc Sourire d’enfant Tous les mots de la vie La vie devant
Des jeux d’enfants Caresses de grands Oui t’as bien le temps Tendresse d’enfants
Tu me dis jour bon Tu me dis comme ça De découvrir qu’à l’endroit T’es si li-jo
Je me gratte le front Je veux faire mourl’a Ça ne veut rien dire Que c’est trop beau
Et je te réponds J’en reviens pas J’en suis barjo
Tu me dis me je t’aime Tu m’appelles ta Viens faire mourl’a
Je comprends quand Petite gueule mourd’a Petite gueule mourd’a
même Et j’adore ça Petite gueule d’amour
Et surtout je t’aime
Tu causes en verlan On s’aime en verlan
On s’aime en verlan
On s’aime en verlan

o Langue djeunz : Comment tu tchaches !


- Viens tu boire une binouze avec nous? On va s’en jailler!
- Non, j’ai la tête dans le cul, je me prends une caisse…
- C’est ballot; on s’tient au jus pour s’faire une p’tite bouffe?
- Ouais ce soir ch’suis naze! Et en plus j’me suis fait barber mon phone; j’vais me faire lyncher par mon daron…
- Salut!

- Tu l’connais ce mec?
- Ouais c’est un mytho, un neuch; il est grave ce mec!
- Un mec zarbi, il est chtarbé, et relou d’ chez relou!
- J’ai la dalle; on va grailler?
- Ouais.
- J’ai revu deux potes du lycée; on s’est tapé une barre; c’était trop dard!
- Et t’as pécho une meuf l’aut’soir?
- T’es perché! Que dalle! J’me suis pris un râteau, pas même un findus; j’ai le seum. Franchement j’avais les boules!
- LOL! TKT!

- Wesh Louis ! On s’ boit une binouze, on se prend un tarpé, un bédo et après on décare?
- T’as du swagg…
- J’ai rancard avec une gazelle…
- Dis donc ça caille ici…C’est trop cheum. File moi une clope! Z-y-va on s’arrache!
Bon, tu y es…T’es ouf ou quoi? T’es archi light, tête à mon père!... T’es un boloss!
Putain tu prends grave la tête!...
Bon je serre, j’me tire! Zyva comment j’suis trop à la bourre !

- Bon t’accouches?
- Il est trop mystique le prof de français, il vient à vélo!
- Allô ? Non mais allô, quoi
- Il est space! Un jour y va se scratcher!MDR!
- Il a pas de bagnole?
- Faut croire que non!
- C’est quoi ce clébard dans la salle? Portenawak! Y s’tape l’incruste ou quoi? ça l’fait pas!
Tu captes pas? T’es un Cassos ! Sors moi ce clebs!
- Mais cheulaouam… Eh relax, keep cool man !!

Matte le mec, il déchire sa race !!! Comment j’le kiff trop !


On s’est fait jarter du Leclerc ! Comment c’est relou, ça m’vénère !

Wesh ! T’as la propal pour le client ? Non ? C’est portenawak ! T’es sûr que t’es vraiment déter ? Fais au moins un
mock-up, sinon on va passer pour des boloss et moi j’ai pas envie d’avoir le seum. Et fais-nous des slides chanmé, tu
seras trop saucé après la prèz ! En attendant, si tu veux qu’on fitte, file-moi une clope - et je préfère les indus’!”

Ses compétences de marketer capable de booster les ventes était reconnue. Son job était de s’occuper du
direct marketing. Il avait mis en place dans la société les techniques du mailing, du phoning et même du spamming
pour atteindre le maximum de prospects. C’était la base du marketing-mix de la maison.
Avant de quitter son bureau, il mit en marche son PC et composa son login et son password. Le hard-disk
contenait une data-base confidentielle qu’il fallait protéger. Il lut ses mails et les dispatcha dans les directories de
son soft de messagerie.
Sa voiture refusa de démarrer. Il emprunta celle de son fils, tunée et customisée par ce dernier. Les baffles
émirent une musique bruyante.
Bibliographie

BOURGEOIS, René, EURIN, Simone, La France des régions. Paysages, patrimoine et art de
vivre, Presses Universitaires de Grenoble, 2001.
CALVET, Louis-Jean, L’Argot, P.U.F., Paris, 2007.
*** Dictionnaire d’argot et des locutions populaires, édition critique par Denis Delaplace,
Editions Classiques Garnier, Paris, 2010.
*** Dictionnaire du français régional de Velay, sous la dir. de Claudine Fréchet et Jean-Baptiste
Martin, Editions Bonneton, Paris, 1993.
*** Dictionnaire historique de la langue française, coord. Alain Rey, le Robert, Paris, 2006.
*** Dictionnaire des expressions idiomatiques françaises, coord. Mahtab Ashrab et Denis
Miannay, Librairie Générale Française, Paris, 1995.
*** Dictionnaire des locutions françaises, coord. Maurice Rat, Librairie Larousse, Paris, 1957.
*** Dicționar de științe ale limbii, coord. Angela Bidu-Vrânceanu, Nemira, București, 2005.
DIMA, Sofia, Histoire des Français et de leur langue, Ars Longa, Iași, 2002.
DUNETON, Claude, La puce a l’oreille. Anthologie des expressions populaires avec leur
origine, Ed. Stock, Paris, 1978.
ETIEMBLE, Parlez-vous franglais ?, Gallimard, Paris, 1991.
FRANCARD, Michel, Dictionnaire des belgicismes, Ed. du Boeck, 2010.
HAGEGE, Claude, Combat pour le français. Au nom de la diversité des langues et des cultures,
Odile Jacob, Paris, 2006.
*** Le français dans tous ses états, coord. Bernard Cerquiglini, Flammarion, Paris, 2000.
GUIRAUD, Pierre, Les gros mots, PUF, Paris, 1975.
GUIRAUD, Pierre, L’Argot, PUF, Paris, 1969.
LAGARDE, A., Michard, L., Moyen âge, Renaissance, Bordas, Paris, 1970.
PICOCHE, J., Marchello-Nizia C., Histoire de la langue française, Nathan, Paris, 1989.
PIERON, Agnès, Voulez-vous caresser l’Angoulême avec moi ? Dictons locaux, expressions
regionales et proverbes historiques, Ed. du Seuil, Paris, 1998.
RAY, Alain, Le français, une langue qui défie les siècles, Gallimard, Paris, 2008.
SIBILLE, Jean, Les langues régionales, Flammarion, Coll. « Dominos », Paris, 2000.
TANDIN, Traian, Dicționar de argou al lumii interlope. Codul infractorilor, Editura Meditații,
București, 2009.
VIAN, Boris, Je ne voudrais pas crever – N-aș prea vrea ca s-o mierlesc, trad. De Linda-Maria
Baros și Georgiana Barbu, Paralela 45, 2004.
WALTER, Henriette, Le français d’ici, de là, de là-bas, Jean-Claudes Lattes, 1998.

Sitographie
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1954_num_6_1_2059
http://lesamisdelatour.info/index.php?z=45 (petit lexique du berrichon)
http://www.berry-passion.com/petit_glossaire_berrichon.htm
http://www.lexilogos.com/oil_langues.htm
https://archive.org/details/lalangueetlestyl00vincuoft
https://francaisdenosregions.com/2015/08/09/comment-appelez-vous-la-piece-de-tissu-que-lon-
utilise-pour-nettoyer-par-terre/
https://www.buzzfeed.com/bullo/voici-ce-quil-se-passe-quand-des-gens-essaient-dexpliquer-
de?bffbfrance&utm_term=.etm4K5rDWV#.mlalrPL8zq

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