MARIN, Louis. Le Descripteur Fantaisiste.
MARIN, Louis. Le Descripteur Fantaisiste.
MARIN, Louis. Le Descripteur Fantaisiste.
Evrnnclosp 2 mots ? Comment les faire voir dans et par le texte écrit qui en
<<parle>>? Comment justement parler de ces tableaux, de ces objets
Le descripteur fantaisiste absents
- et sans doute à jamais absents pour les faire reve-
-
nir en image, comme des images dans l'écriture d'abord, dans
la lecture ensuite du texte dans cette autre forme de présence
Diderot, Salon de 1765, Casanove, no 94, intérieure, fantornatique, imaginaire avant d'être fantastique, ima-
<< (Jne marche d'armée >>, description. ginale ou idéale : présence en représentation, dite <<image>>, de
représentations de peinture? Autrement dit, quels pouvoirs de
langage convoquer et mobiliser pour qu'à la lecture à voix
haute, basse ou à voix silencieuse
-
une image apparaisse, flot-
-
tante d'abord, errante comme une ombre élyséenne, puis insis-
tante, obsessive, bientôt envoûtante, envahissant l'âme, occupant
<< How to do things with words ? > demandait Austin au titre d'un l'esprit, travaillant le sens et les sens, prête à franchir les frontiè-
ouvrage fondateur : <<Comment faire des choses avec des mots r>, res de I'intérieur et de I'extérieur, en voie de vision ou d'halluci-
traduction plus precise et, dans son paradoxe, plus conforme à une nation.
très ancienne tradition rhétorique que celle, plus élegante, qui fut Voilà pourquoi la question, ou I'instruction, austinienne (que
adoptée il y a quelques lustres par l'éditeur français : Quand dire, nous avons détournée de son champ sémantico-pragf,natique dans
c'est fairer. Comment faire des choses avec des mots.-. Comment celui de la rhétorique et de I'esthétique) peut être aisément retour-
faire avec des mots une image ou encore, pour déplacer quelque née : quel langage trouver ou construire, suffisamment docile ou
peu ce qui est à la fois une <<questionr> et une <<instruction>r, plastique, qui, en mettant en mots I'image dans sa représentation
comment donner, à une image construite dans et par les mots, leur peinte ou sculptée, en capte les pouvoirs propres? Lesquels, à vrai
puissance propre, ou I'inverse, comment transférer aux mots, à dire? Il se pourrait que ce travail de transfert ou de transposition,
leur agencement et à leurs figures le pouvoir que I'image recele par en un mot de glose, entre image et langage nous en apprenne davan-
sa visualité même, l'imposition de sa présence. tage à nous qui, à notre tour, en tentons la glose, sur I'une et sur
Comme on le sait, Diderot ecrit ses Salons pour les abonnés de I'autre, leurs forces, leurs puissances, leurs pouvoirs, et sur le sujet
la Correspondonce littéraire de Grimm, des grands seigneurs pour qui les met en ceuwe.
la plupart, des princes, des rois d'Europe et surtout d'Europe du Ce qui, dans Diderot, est donné de fait (il écrit lui-même sans
Nord (ils étaient une quinzaine) qui neverront pas les tableaux publi- voir les tableaux dont il écrit à des correspondants qui ne les ver-
quement exposés dont parle Diderot dans ses lettres-comptes ren- ront pas; il écrit une constellation de souvenirs fies tableaux qu'il
dus à Grimm, ou qui, en tout état de cause' ne participeront pas a vus, ce jour-là, le lendemain, il Y a une semaine, prêt à aimer
aa Salon où ils se trouvent2. Comment faire ces tableaux avec des ou à hait, dont il a parlé avec les uns et les autres, sur lesquels
il a pris des notes, dont il a entendu parler ici ou là...1, il transcrit
l. J. L. Austin, Quand dire, c'estfaire, traduction et introduction de Gilles le soir, la nuit, le lendemain, sa mémoire d'objets << absents >> pour
Lane, Paris, Éd. du $euil, 1970 (Howlo do things with worals, Oxford University des absents qui désirent voir ces objets et les investir de toutes les
Press, 1962).
2. Sur l,institution du Salon et son histofue et sur les détails de son organisa-
tion, voir Jean Adhémar, <<Les Salons de I'Académie au xvlile siècle>>, ir Dide- correspondance littéraire de Grimm, sa production et sa distribution, voir Jeanne
ror'salons I,éd. J. Seznec et J, Adhémar,2'éd., Oxford, 1975,p.8-15' Sur la R. Monty, La Critique littéraire de Melchior Grtmm, Genève, Paris, 1961, p. 2G31.
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LES POUVOIRS DE L'IMAGE ET LA POSITION DU MOI LE DESCRIPTEUR FANTAISISTE
passions imaginables3: quels échanges, quels transits, quelles semblable à Poésie soit aussi Peinture, chante, en latin, Du Fres-
lransactions entre mémoire et désirs, I'un et les autres, écriture et noy en commentant Horace. Chacune des deux sæurs se rapporte
lecture, production et réception : entre les deux sinon << rien >>, du à I'autre en rivale et à tour de rôle leurs noms vont alternant ; Poésie
moins I'invisible et I'indicible, I'indicible du visible, I'invisible du muette, dit-on de I'une, Peinture parlante, a-t-on coutume d'appeler
dicible, des virtualités en travail : texte-image), ce qui, dans Dide- I'autre6.> Le double et très antique désir, ici, se redouble et se
rot, est donné de fait, contraintes de conception et règles d'écri- réfléchit : Diderot, ou le désir de poème des tableaux conservés,
ture, pose ainsi la question théorique, le problème philosophique invisibles, dans sa mémoire; Grimm son correspondant (le corres-
et j'irais jusqu'à diré ta difficulté technique de discours et de regard, pondant idéal qu'il suppose, le << vous >> des Salons), ou le désir de
des pouvoiri de l'i-ug", et de leurs << sens >' dans leur intermina- voir, le désir de tableau des tableaux absents. Comment décrire,
ble et essentielle (qui tient à leur essence même) négociation avec pour surmonter cette double absence dans les sens et le sentiment,
le discours, les mots, les phrases, les figures. le cæur et l'âme, l'æil et I'esprit? En un mot, comment décrire?
La réponse à ces questions et instructions, problèmes et diffi- Diderot va nous apprendre ses apprentissages.
cultés, éxigences, défis et contraintes est apparemment simple : Il suffit de comparer les ouvertures des premiers Salons. Celui
décrire. Pour écrire l'image, il suffît de la décrire. Sans doute ! Mais de 1759, d'abord : un mot de Grimm, le billet de Diderot.
comment décrire ? Est-ce une image que je décris ? Un tableau, une
sculpture, une gravure, un dessin même ceux du Salon sont- Après tous les éloges prodigués par nos journalistes sans goût et
Ma description des tableaux
- à supposer que je - sans jugement, aux tableaux exposés cette année par I'Académie
ils dls images ? -
n'a-t-elle pas pour objectif de faire avec des royale de peinture et de sculpture, vous ne serez pas fâché de vous
sache décrire
-
tableaux des images, c'est-à-dire des objets de communication, des
former une idée moins vague et plus juste de cette exposition. Ce
que vous allez lire s'adresse à moi, et vous fera sans doute plus de
messagers, des go-betweenentre les langages silencieux de I'art (pein- plaisir que tout ce que j'aurais pu écrire à ce sujet,
ture, sculpture) et les arts parlants du langage (discours él9et19njs
et poèmei) a? Ôomment décrire pour répondre à ce double désir, écrit Grimm le l"'novembre 1759 aux abonnés de la Corres-
qui semble irrésistiblement animer le tableau et le poème, parler pondance1.
6u plutôt se dire en langage pour I'un, accéder au regard, à la visua-
lité, se donner à voir pour I'autre : peinture, poésie muette; poé- A MoN AMI MoNSIEUn Gnuuu
sie, peinture parlantet. <<Comme Peinture, Poésie sera; que Voici à peu prà ce que vous m'avez demandé' Je souhaite que vous
puissiez en tirer parti. Beaucoup de tableaux, mon ami, beaucoup
de mauvais tableaux. J'aime à louer, je suis heureux quand j'admire,
3. Sur I'activité de Diderot pendant la période du Salon, voir les textes réu-nis
-Otaeit
et t'Art de Bouôher à David, les Salons : 1759-1781, J. Chouillet
aalni
je ne demandais pas mieux que d'être heureux et d'admirer...
éd.,
-- Paris, 1984.
i. C"ité remarque sur la différence entre image et æuwe d'art n'est en l'occur- Il s'agit seulement d'admirer ou de blâmer, ainsi la toute première
t.n.r qué I'un dei aspects d'une distinction fondamentale entre I'une et I'autre note : < Michel Van Loo : c'est un portrait du maréchal d'Estrées
oni triu"truit à deuxàttitudes épistémologiques différentes : celle de l'historien
;;d;l;ilhr;pofoÈ"" qui étudié les foncti,orinements et les fonctions des images qui a I'air d'un petit fou ou d'un spadassin déguisé8.>
ii..Ur â" piritos[ptre qui s'attache à la dimension esthétique des æuvres
et à son retentissemènt dâns I'ordre de la culture. Le texte de Diderot est à ce
titre une occasion < historique > exceptionnelle de confrontation entre ces deux 6. Charles Du Fresnoy, De arte graphica, 1667' v. l'4.
7. Diderot, CEuvres complètes, éd. chronologique, R. Lewinter, Club français
- j.'ôf.
attitudes.
mon étude <<Mimêsis etdescription>>, dans Word and Image, Londres' du livre, lnû, L lll, Salon de 1759, p. 561.
Taylor et Francis, janvier-mars 1988, p. 25-36. 8. rbid.
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LE DESCRIPTEUR FANTATSISTE
LES POWOIRS DE L'IMAçE ET LA POSITION DU MOI
papier et mière question est posée à I'orée du Solon de 1763,mars pour signa-
Dans celui de 1?61, même souci primesautier de liwer au
ler I'impuissance de l'écrivain. Le passage est bien connu :
à la correspondance la premiere impression de réaction ou d'humeur...
Après avoir payé ce léger tribut à celui qui institua le Salon, venons
A VTON AMI MONSIEUR GRIMM
à la description que vous m'en demandez.
Voici, mon ami, les idées qui m'ont passé par la-tête à la vue
les jette sur Pour décrire un Salon à mon gré et au vôtre, savez-vous' mon
des tabl;aux qu,on a exposés cette année au Salon. Je
ami, ce qu'il faudrait avoir? Toutes les sortes de goût, un cæur
lè papier, sanJ me souciér ni de les trier ni de les écrire. Il en aura
y
trouverez trop ,"niibl" à tous les charmes, une ârne susceptible d'une infinité
diviaies, il y en aura de fausses. Tantôt vous me
d'enthousiasmes différents, une variété de style qui répondît à la
sévère, tantdt trop indulgent. Je condamnerai peut-être où- vous
variété des pinceaux; pouvoir être grand ou voluptueux avec Des-
appio,ro.ti"t; je ferai grâle où vous condamneriez; vous exigerez hays, simplè et wai avec Chardin, délicat avec Vien, pathétiqueavec
que j'ai
Ëor" où je seiai contànt. Peu m'importe' La seule chose
"t quelques instants que vous emploie- Greuze, produire toutes les illusions possibles avec vernet; et dites-
à cæur, c'ést de vous épargner
moi où est ce Vertumne-là ? Il faudrait aller jusque sur le bord du
i., *i"*, dussiez-vous làs pasier au milieu de vos canards et de
e' Léman Pour le trouver Peut-être-
u* àinaoitt lGrimm est chèz Mme d'Épinay] Encoie si I'on avait dôvant soi le tableau dont on écrit; mais il
est loin, et tandis que la tête appuyée sur les mains ou les yeux éga-
La première qualité du tableau, ou tout au moins la première rés en I'air on en recherche la composition, I'esprit se fatigue' et
remaryue sur le iableau qui permet d'entrer dans son écriture, est loon ne trace plus que des lignes insipides et froides13'
d'arrêtèr le regard. Diderot se souvient de Roger de Piles : << Louis
Michel Van Lto : le premier tableau qui m'ait arrêté est le Por- Impuissance de l'écrivain née de I'absence de I'objet dont il
trait du roiro. il est beau, bien peint et on le dit très ressem- écrit comme si tout objet dont on écrit ne s'enfonçait pas,
blantrr.>> Ce <<on le dit> mériterait toute une glose: comment
-
pour y disparaître, dans l'écriture où il se dit en se parant des
puis-je, moi' dire ce Portrait du roi ressemblant puisque je n'ai Éraces du langage. Impuissance de l'écrivain à
se faire absent
ju-uir uu le roi en < chair et en os )). Pour moi, il a seulement I'air moi, t se faire devenir autre, non dans une compétition
ressemblant : défaillance de mimêsis dont les pouvoirs sont creu- "o*-"
de langage, le jeu s'appelle alors plagiat, pastiche ou citation,
t2. Mon humeur, mon impression, ma deux langages ; est-il pos-
sés de I'absence du réel mais dani une rivalité étrange entre << >>
réaction ne suffisent pas : il faudrait pouvoir, par l'écriture, flire sible de plier l'écriture à des forces et à des formes infiniment
revenir le réel, je veux dire l'être, la présence, le présent deui fois diverses dans leurs intensités et leurs aspects ? Et comment rester
dans le peintre et son æuvre : il faudrait écrire comme il
peint; soi, se dire en disant Chardin ou Deshays, Vien ou Greuze? Para-
peint). Il faudrail pou- celui du
il faudrait décrire ce qu'il peint (comme il le doxe du critique d'art qui n'est pas sans analogie avec
de l'âme et du pin-
voir faire lire dans l'ècriture les mouvements comédien ra.
ceau, les exclusions et les plaisirs des tempéraments et des_styles; En 1765, Diderot semble avoir trouvé sa manière, la manière
i que l,écriture décrivante fasse voir le tableau. La pre-
iuoatuit de décrire, mais cette pseudo-réussite n'a-t-elle pas pour rançon
la perte de cette génialité qui fait rester le poète-critique un dans
la diversité des manières, et identique à soi dans la dispersion et
9. Diderot, op. cit., t. Y , Salon de 1761' p' 5l I'altérité de ses effets d'écriture?
iô. ôi. n"L*-de Piies, coiis de penture pàr principes, Pps'-170i,-ré919fl-
fit;;, i'
i;;i;:is,s, p. iz-{a- voii eealement Lichtenstein, La Peinture élo'
quente, Flammarion, Paris, 1989. 13. Diderot, op. cit., P.394.
I I . Diderot , oP. cit., P- 52. 14. Cf. J. Chôuilet dats Diderot et I'Art..., op' cit,
ii. ôr. *on étude Le Portrait du roi, Paris, Éd' de Minuit' 1981'
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76
LE DESCRIPTEUR FANTAISISTE
LES POUVOIRS DE L'IMAGE ET LA POSITION DU MOI
ce Casanove, il a de I'irnagination, de la verve, il sort de son cer-
qu'avec veau des chevaux qui hennissent, bondissent, mordent, ruent et
Je vous décrirai les tableaux, et ma description sera telle
un peu d'imagination et de goût on les réalisera dans l'espace' et combattent; des hommes qui s'égorgent [...]; des crânes entrou-
qu'àn y pot"o les objets à peu près-comme nous les avons vus sur verts16. >> Nous voici avertis, par prétérition, de I'infirmité du lan-
Ë toite;'"t afin qu'on juge du fond qu'on peut faire sur-ma cen- gage i quand tu dis < chariot >, un chariot ne traverse pas la barrière
sure ou sur mon éloge, jè finirai le Salon par
quelques réflexions
de tes dents. Le référent n'est pas le signifié, il s'absentera tou-
suila peinture, la scirlpiure, la gravure et l'architecture' Vous me
jours du mot qui le re-présente, alors qu'un cheval hennissant peut
qui I'on passe une page commune
lirez comme un auteur ancien à bondir du cerveau de Casanove sur sa toile, sans autre forme de
en faveur d'une bonne ligne.
procès : puissance d'une image qui < immédiatement >> se réalise,
Ilmesemblequejevousentendsd'icivousécrierdouloureuse-
ment : Tout est pàrdu. Mon ami arrange' ordonne'- nivelle : on
<<
non point magiquement certes, mais par la technique, I'art du pein-
n'empruntelesbéquiliesdel'abbéMorelletquequandonmanque dre et par << quelques-unes des parties les plus importantes du tech-
de génie' > nique, qui, comme le déclare Diderot, ne manquent pas à
Ilest vrai que ma tête est lasse. Le fardeau que j'9r porté pen- Casanove r7 >>. Nous voici donc avertis, même si Grimm ajoute
aa"t ui"gt ani m'a si bien courbé, que je désespère de me redres- cette note hargneuse, une note de critique mâtiné d'historien de
ser. Quo-i qu'il en soit, rappelez-vous mon épigraphe :
I'art que je ne peux m'empêcher de lire :
Noi fumum ex fulgcre, sed u fumo dare lucem'
Laissez-moi fumerlrn moment èt puis nous verrons15'
Je trouve l'éloge que le philosophe en fait trop magnifique. Je doute
que Casanove parvienne jamais à la réputation d'un peintre de la
Fume, fume, mon ami, et nous essaierons de discerner dans la première force. Les érudits en peinture reconnaissent ses groupes
fumée non seulement la lumière du sens, rnais peut-être aussi l'éclat èt ses lambeaux pillés, ses larcins de toute espèce; et les tableaux
ou l'éclair d'origine. qu'il a exposés dans ce Salon n'ont pas fait la sensation qui pré-
(Jne marche d'armée
J'ai choisi dans le solon de 1765, auno 94,
18.
cède la réputation d'un grand peintre
de Casanove, pour la simple raison que ce peintre ne m'est-pas
que son tableau est, pour moi, danS Soit. Voici le no 94 : Une marche d'armée.
autrement connu et surtout
i. ,.guta et la mémoire, un oblet satts doute à jamais perdu' Ah !
comment Voici une des plus belles machines et des plus pittoresques que je
mon ami, dirai-je à Diderot, fumez, fumez, montrez-moi
le connaisse. Le beau spectacle ! La belle et grande poésie ! Comment
vous allez lui faire accomplir ce retour de votre mémoire dan3 vous transporterai-je au pied de ces rochers qui touchent le ciel?
fantôme' ce reve-
regard de mon âme; montrez-moi comment ce Comment vous montrerai-je ce pont de grosses poutres soutenues
nalnt de discours, fait de vos mots' de vos phrases, de vos éloquen- en dessous par des chevrons, etjeté du sommet de ces rochers vers
à ce vieux château ? Comment vous donnerai-je une idée vraie de ce
tes figuresn va me <<donner dans l,émotion et l,enthousiasme>>
me jet- vieux château, des antiques tours dégradées qui le composent, et
l,intensité des vôtres. Pour que l'épreuve soit complète, ie
(ou en de cet autre pont en voûte qui les unit et les sépare ? Comment ferai-
terai dans la description tête la première, en négligeant je descendre le torrent des montagnes, en précipiterai-je les eaux
qui
essayant de négliger) son petit morceau d'introduction
<<cadre>>
sous ce pont, et les répandrai-je tout autour du site élevé sur lequel
le teie, et du mâme coup, son image (l'image
qu'il fait sortir, qu'il
la masse de pierre est construite? Comment vous tracerai-je la mar-
pro-duit du tableau), dans une certaine qualité d'émotion' A lire'
èr, puur"rrt et du coin de l'æil, voici : << C'est un
grand peintre que
16. Ibid., p. 114-119.
17. Ibid." p. 114-115.
18. Ibid., p. 115.
15. Diderot, op. cit., t. Yl, Salon de 1765, p' 19'
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LES POUVOIRS DE L'IMAGE ET LA POSITION DU MOI LE DESCRIPTEUR FANTAISISTE
che de cette armée, qui part du sentier étroit qu'on a pratiqué sur ture. Ce n'est pas I'objet-tableau qui est décrit; ce n'est pas non
le sommet des roches, et qui conduit laborieusement et tortueuse- plus le sujet de l'æuvre. Tous les effets du tableau seraient per-
ment les hommes du haut de ces roches sur le pont qui les unit au dus, toutes les forces de l'æuvre exténuées, et ce qui est vraiment
château? Comment vous effraierai-je pour ces soldats, pour ces I'enjeu de la description et de l'æuvre force, puissance, pou-
lourdes et pesantes voitures de bagages qui passent, de la monta- voir du visible dans et
-
par l'art, perdu à
-
jamais. Ce qui est décrit
gne au château, sur cette tremblante fabrique de bois ? Comment
ious ouvrirai-je entre ces bois pourris des précipices obscurs et pro-
ou plutôt travaillé par la description, c'est la relation du specta-
fonds? Comment ferai-je passer tout ce monde sous les portes d'une teur au tableau ou, plus précisément,le désir de voir du lecteur
des tours, le conduirai-je de ces portes sous la voûte de pierre qui dans et par le texte qu'il lit du tableau2l.
les unit, et le disperserai-je ensuite dans la plaine? Dispersé dans Il est remarquable que la première interrogation << prétéritive >r
la plaine, vous exigerez que je vous peigne les uns baignant leurs porte, avant toute instruction de voir, sur un transport : << Comment
chévaux, les autres se désaltérant, ceux-ci étendus nonchalamment vous transporterai-je ? >> Comment vous déplacer du lieu de votre
sur le bord de cet étang vaste et tranquille; ceux-là, sous une tente regard au pied de ces rochers qui touchent le ciel ? La mauvaise
qu'ils ont formée d'un grand voile qui tient ici au tronc d'un arbre,
question ! Le regard n'est-il pas en un instant à ce qu'il regarde ?
là à un bout de roche, buvant, causant, riant, mangeant, dormant,
assis, debout, couchés sur le dos, couchés sur le ventre, hommes, Bonne question, cependant, car il ne s'agit pas de ce déplacement-
femmes, enfants, armes, chevaux, bagages
le. là, mais de cet autre qui est le ravissement enthousiaste de I'imagi-
nation : il s'agit d'êtretransporté par I'effet de ces rochers qui tou-
Suite de l'éloge trop magnifique : < Voici une des plus belles chent le ciel, à leur pied, à leur pied seulement et non à leur sommet :
machines et des plus pittoresques que je connaisse >, mais c'est une effet sublime de I'absolue grandeur, dirait Kznt22. Et c'est une
machine, de théâtre, << le beau spectacle )), une machine à produire fois cette < métaphore >> effectuée par la prétérition, c'est dans cette
des effets, stupéfaction, sidération, éblouissement du regard, étour- métaphore de transport que la dimension ostensive de la descrip-
dissement, vertige : des effets, on I'a compris, qui ne tiennent pas
au ( texte ), mais au décor et à ses surprenantes animations"' << Le
beau spectacle ! La belle et grande poésie ! > Voici les effets - de 2l . Cf . les remarques aiguês de J . Starobinski , Diderot dans I'espace des pein'
qui surgissent au bout de la plume : deux tres,Paris, Réunion des musées nationaux, 1991, p. 15. Cf. P. Fontanier, Zes
langage, de discours Figures du discours, Paris, Flammarion, 1968, p. 143 : <Des tropes, figures
-
exciamations, et voici les effets de ces effets, une cascade d'inter- d'èxpression par opposition. Jusqu'où notre esprit ne porte-t-il pas I'artifice du
rogations qui disent, en les disant, I'impossibilité de les dire : discôurs. Il va jusqu'à énoncer à peu près tout le contraire de ce qu'il pense; ou
pied de ces rochers qui tou- il fait comme stil ne disait pas ce qu'il ne saurait en effet mieux dire; ou il affecte
<< Comment vous transporterai-je au
de vouloir, de conseiller ou même de prescrire ce qui, souvent, est le plus loin
chent le ciel20? >> D'un seul élan, nous y voici... Pour répondre au de sa pensée; bien sûr, dans tous ces cas, par la manière dont il s'y prend' qu'on
défi du tableau et de ses muettes et indicibles puissances, le dis- se ferà un plaisir de l'interprétation, et que I'interprétation sera conforme à ses
vues [...]; èlles sont les figures d'expression par opposition I...1' !f prétérition
cours découvre les siennes dans le geste rhétorique de la prétéri- 1...1 cbniiste à feindre de ne pas vouloir dire ce que néanmoins on dit très claire-
tion. Apparente humilité : il est impossible de dire; triomphante .ment, et souvent même avec force. >>
22. Cî. E. Kant, La Critique de lalacultë deiuger, Paris, Vrin, trad. Philo-
arrogunci : en disant I'impossible discours, je le tiens et le réalise. lenko, 1982, < Du sublime mathématique >, 25, p. 87, et surtout p. 91, 26 : < Ainsi
La description trouve ici à se déployer, avec une extrême préci' s'expiique que Savary remarque dani ses lettres d'Égypte qu'il ne failleni trop
sion, sous le couvert de ces interpellations << rhétoriques > de lec- s'approcher, ni être trop éloigné des pyramides pour ressentir toute l'émotion que
procure leur grandeur [...]. Si I'on est trop près, l'æil a besoin d'un certain temps
pour achever I'appréhension depuis la base jusqu'au sommet; dans cette opéra-
t9.Ibid. iion les premières perceptions s'évanouissent toujours en partie avant que I'ima-
20. Ibid., p. ll5-116. gination ne saisisse les dernières. >
80 8l
LES POWOIRS DJ L'IMAGE ET LA POSITION DU MOI LE DESCRIPTEUR FANTAISISTE
tion peut s'avouer, mais toujours sur le mode rhétorique de la pré- sublimes catastrophes, mêlees, cataractes, tous ces précipices et alti-
térition: <<Comment vous montrerai-je [...]. Comment vous tudes, par une séquence de rePos :
donnerai-je une idée vraie de ce vieux château?>>
L'étape suivante de la description esquisse, toujours sur le mode Dispersé dans la plaine, vous exigerez que je vous peigne les uns
interrogatif et prétéritif, I'identification de l'écrivain et du pein- baignant leurs chevaux, les autres se désaltérant, ceux-ci noncha-
tre, mais en confiant aux << forces >> de I'acte de langage ce qui relè- hmlment étendus sur les bords de cet étang vaste et tranquille2a'
verait du <technique>> de I'artiste. Comment fate couler en
cascades de peinture ce torrent ? se demande Casanove. << Comment Le jeu très serré des interrogations de la prétérition dans la des-
ferai-je descendre le torrent des montagnes, en précipiterai-je les cription a eu, en fin de compte (douze questions), un double effet,
eaux sous ce pont et les répandrai-je tout autour du site élevé? > textuel et de lecture : le premier est d'achever la métamorphose,
s'interroge Diderot, mais ce disant, il le fait : le torrent de langage déjà esquissée, de l'écrivain en peintre : << Vous exigerez que je vous
descend, se précipite, se répand... L'ecrivain comme écrivain exploi-
peignelesuns... >>; la puissance imaginale de la description est suf-
tant les ressources et les puissances du discours esl le peintre, mais lisamment assurée dans ses << forces > rhétoriques pour que l'écri-
un peintre qui nous demanderait d'assister à la genèse du tableau vain réponde au désir de voir de son lecteur en se substituant, dans
et à celle de ses effets de naturel et de pathétique, mais un peintre son écriture même, au peintre; et, une fois de plus, disant qu'il
qui n'aurait qu'un mot à dire pour que le tableau se construise et peint (l'armée dispersée dans la plaine), il peint Qes uns baignant
ses effets s'accomplissent... leurs chevaux, etc.) 2s. L'autre effet est de faire glisser la descrip-
Le paradoxe < rhétorique > de la prétérition (dans la description) tion à la narration, le descriptif au récit, la nature à I'histoire.
n'est dès lors point seulement une machination discursive sémantico- D'abord, un décor : les rochers qui touchent le ciel, le vieux châ-
pragmatique en vue de certains effets de contrainte persuasive teau, le pont, les antiques tours, le torrent qui cerne de ses eaux
discours, j'accepte plus impérativement l'image d'une chose le site élevé sur lequel la masse de pierre est construite. Ensuite,
-dontd'un
on a commencé par me dire qu'elle est indicible; il recouvre la marche de I'armée qui part du sentier étroit qu'on a pratiqué
le travail du peintre, il en est le symbole rhétorique. Il ne fait pas sur le sommet de ces roches, passe sur le pont, puis sous les portes
en langage ce que le peintrefarT en peinture : il I'emblématise. Ainsi
des tours et enfin se disperse dans la plaine. En parcourant de ces
des effets pathétiques : figures I'ensemble du décor ou plutôt en faisant parcourir par
I'armée (laquelle ? où ? dans quelle guerre ?) le décor de nature et
Comment vous effraierai-je pour ces soldats, pour ces lourdes et d'histoire. C'est le décor tout entier, par grands pans de rochers,
pesantes voitures qui passent de la montagne au château sur cette de châteaux, de tours et de ponts qui est articulé en récit, mais cette
tremblante fabrique de bois ? Comment vous ouvrirai-je entre ces métaphore-métamorphose, cette transformation déplacée n'apparaît
bois pourris des précipices obscurs et profondsB? comme telle qu'à la fin de la description, Qû est aussi celle du récit,
avec la halte de I'armée exigée par le << lecteur-spectateur >> au
La description peut alors se conclure sur la feinte demande de terme de son << transport
-
>> enthousiaste par l'éloquence du descrip-
I'interlocuteur, Grimm, vous ou moi, qui a été I'objet de cet inces- teur dans le <<tableau>>, c'est-à-dire dans le texte. Toute descrip-
sant bombardement rhétorique, sur une exigence, celle de conclure
tout ce mouvement, toute cette sombre confusion, toutes ces 24.Ibid.
25. Sur ce point, voir notre étude << La déposition du temps d.ans la représenta-
tion de peintui e>>, Nouvelle Revue de psychanalyse, n" 4l ; L'Epreuve du temps,
23. Diderot, op. cit., t. VI, p. 115-116. Paris, Gallimard, printemps 1990' p. 55-68'
82 83
LE DESCRIPTEUR FANTAISISTE
DU MOI
LES POUVOIRS DE L'IMAGE ET LA POSTTION qui sont
et des plantes parasites; hérissez-en la cime des montagnes
ont formé à droite' sup-
tionn,implique-t-ellepasrrnenarrativitévirtuelleparsonêtremême a g"r":fri. Au-àelà de l'étang, que les eaux
arï""g"ôtôral ou eô, p"r lanécessaire linéarité et de son exposi-
d'épreuves'
pJ*t q""iq"es ruines lointainès,
' et vous aurez une idée du local'
;;;-; ;;it potentiel scânde de transformarions Voici maintenant la marche de I'armée' par un
;;tp.;t putltt"tiqu.t et de résolutions heureuses' qu'il serait aisé Elle défile du sommet des montagnes qui sont 1$ott"t'
genre plus le pont de bois jeté des plus basses
de retrouver dans cette <imarche d'armée -
>> tableau de ,.n-tio escarpé; elle se rend sur
pied d'une dés tours du château; elle toume
expose de ces montagrr",
q".ï;rrit .ire - dont on conviendra que la représentation de I'armée
"o
le monticuleiur feqrief le château est élevé; elle gagne la-voûte
pariaite simuhànéité le départ elle passe sous cette voûte' et
au regard et dans une à. pi.itt lui unit lËs deux tours;
descente dans la
et son arrivée, ,u *orrie" vers le château et sa de là elle se repand,-àe gauche et de drdiæ' autour du monticule'
d'être partie? Et le
;É;;: une armée qui est arrivée-avant
sur sa propre
*t f"t Uotat de feianglet arrive, en se repliant'au-bas-des hau-
iiagicien_ecrivain de donner, par réflexion critique i". ,norrt"gnes au somilet desquelles elle est partig' En levant.les
il
t;r*., la formule de i'acte Aeiangagetableau
descripteur' avant de fournir
;-J;;chôe soldat peur mesurer avec effroi la haureur d'où
de Casanove : est
u" i..té"t une deuxième image du descendu.
---purio",
aux détails. on voit au sommet des roches
quelques sol-
sentier escarpé'
dats en entier; a Àesrrt" qu'ils s'engagent dans le
Maispeut-êtrequ,endésespérantderéaliserdansvotreimagina- pont
sur le
i"""imés' ils le sont; et je l'ai f"tj' Si ils disparaissent; on les rJtrouve lorsqu'ils débouchent
tion tant d'objetl quitte' Lais- de bois; ce pont est chargé d'une voiiure de bagages; une-grande
""iÀ?t,
pi",, tôiir""é't"iendant, je ne m'en tiens pas voûte
son p*ti. Aé farmée a;éja fait te tour du monticule' passé soussurla lequel
""ru i"rpir", f" *"r" O" ôurutronJ"t la mienne, et regardons
,or*"rt, 26' de pierre, et se repoie. SuppgY autour du monticule
et vous
ouvrage Plus froidement le cfrâteau s'élèveious les incidents d'une halte d'armée'
d'entrer dans
aurez le tableau de casanove. Il n'est
pas possible
<froide> après puis, que j'en
Car il est une deuxième description : description varient à 1tinfini ; et ce
Ë ,.Èâi O" ces inaàLnis ; ils se
après I'enthousiaste' Cette A dans les premières lignes suffit2T'
h àescription << chaude >>, la technique première; celle-ci "tquitte
la
deuxième image, toul"fol, prend
place dans
primitive du <<bonheur>> de la la toile :
est en quelque r"coo ia.ottbitiott Le spectateur est là, posé par le geste descriptif devant
faut avoir été ( trans- I'espace du tableau
,.r""0Ë,'0" sa réussite ou de son efficaciæ. Il c,est un personnage-r.pèr" qui permet d'orienter
gauche... Ce spectateur ne parti-
po.t po.luoir précisément imaginer' il '*Ë; à l'æ'il t a atoiæ... à
;ortét spatiale' En revanche'
iip. pât au discours; une simple référence mais
i"-.oir"rpondant (Grim., uo,,, ou moi),le voici interpellé'
grandes roches de
A droite du spectateur, imaginez une-masse de
hauteurs inegareiîiu Ë;Ë basses
un pont de bois plus, dans la des-
sur te môae de I'instruction. Il ne s'agit
de ces roches' comme
piêd d'une tour; cette tour' unie et séparée qu'il faut transporter > par les
jeté de l"urcom,,iei au
fabrique' d'ancienne .iiptior, << enthousiaste >>, de celui <<
d'une autre toutpar nnô vote de pierre; cette qui des- iortt des figures de langage < au pied de ces rochers qui touchent
un monticule; des eaux,
architecture militate, bâtie sur
le pont de bois-'^sous la-voûte le ciel >, mùs qui est pârfois oublié dans l'élan du discours -
cendent des montuËË, tt t"ndent sous qui,
de pierre, rt"t iJi"ti par-Oérriere le mônticule' et forment à sa iico*-*t rerai;e descendre les eaux sous ce pont? >> -,-ou
que l'écrivain soit peintre
gauche or, uurta étu"g' Suppose" un arbre au pied du monticule; à la fin, reçoit la parole pour exiger -
couvrez te monticute-d" -o"tte et de verdure;
appliquez' contre << Vt"tË"iglt., qu"
j" uons peigne"' >>'-Il-s'agit seulement de I'inter-
d'entre les pier- de la let-
la tour qui est à d;it", ;"; chaumière;
sortir
faites
locuteur d,une correspondàn"i, d" celui auquel I'auteur
,".Gi"àe", a" ***"t de I'une et I'autre tour des arbrisseaux
paris] Fsthé- bien, Entretiens sw lo vie des plus excellents peintres, éd. David Mortier, Lon-
î,;;;;;i?88;trad. française, cattimard,tggl,Laptaceduspectatan dres, 1705, t. IV, p. lll-112. Cf. nos remarques à ce sulet dans Détruire la peinture,
jiq*'r;-oigi"r, de la peinire moilerne, et en particulier le chapitre III, < Le tabieau Paris, Galilée , 1977 , p. 10-81.
et le spectateur>, P. ll3 sq.
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86
LE DESÇRTPTEUR FANTAISISTE
POSITION DU MOI
LES POUVOIRS DE L'IMAGE ET LA
une campagn e, de loin,c'est une ville et une cÉlmpagne'
notait Pas-
y a laissé son image virtuelle,
le texte-tableau de Diderot-casanove, en cal, mais à mesure qu'on s'opproche, ce sont des maisons'
des
;;;;;; potentie[e qui se marque à l'<< arrivée >> de I'armée jam-
peut *Ut"t, des tuiles, dei feuilles, des herbes, des fourmis' des
ffiierr ae r'epos : <<Enievant les yeux' chaque soldat ryesu-
Ues Ae îourmi s à l,infîni.Tout cela s'enveloppe
sous le nom de cam-
>> C'est ainsique
rer avec effroi fa nauæur d'où il est descendu' pugta ". >> D'autani qu'en I'occurrence cette infinité n'est pas du
mais au titre- des
i" a"i.trpîir narratirïonsÀe potentiellement' l'identification enthou- id, -4, du tableau, de sa représentation de peintre : que dire
ài, recit, I'effet paitrétiquè sublime de au-âeb du <petit pan de mur jàune*>>? Mais, comme le
tableau
siaste: <<Comment ;;;; ;if'"ieroiie
".r.*, pour ces soldats? t"'l plus belles machines de peinture que
bois pourris des précipices obs- àe casanove était I'une des
Comment vous ouvriraiit Diderot connaissait, I'imaginâtion du lecteur, transportée d'abord,
""tt"ces
curs et Profonds?>
des roches quelques travaillee ensuite par le texte descriptif narratif de I'ecrivain-peintre,
<<Passons aux détails' On voit au sommet est désormais capable de < machiner >> du détail, de
produire des
paradoxalement signi-
soldats [...]; on les Àoune"' >> De façon incidents, des événements à I'infini, de pousser sans-cesse plus
lorsque le spectateur
il;i".; c'est lorsque le regardpluss'affine' vue de près' c'est pré- complètement I'esquisse donnée initialement par l'écrivain. cela
,;"ofroctte a,, taut"âu po"' titt
précise
qui le s" rrô**" rêver sur un texte, un récit, sur I'image d'une æurre;
cisément a *o*.it'G, dans le texte en rend^compte' parfaite objec- produire idéalement, imaginalement I'image dans son indéfinité
"e d'une
r"j#; r"gutd s'effale àans I'anonymat
"; ào te taUt"a.t dans f image virtuelle qui en est construite
par l'écri-
tivité:<<onvoit...",tpt.tutt"rabstraitqui'enaccomplissantles tout vain et dont les vertus, les puissances, les pouvoirs vont incessam-
g.ri* a" d,art-et de I'amateur (regarder avec attention
"*ique pour discerner le ment animer I'imaginaire du lecteur'
le tableau, le tout àu tableau, s'approcher La chute de farticle de Diderot étonne : bien à tort, nous suppG'
par défaut-d'un
àitJr-i;, fait du taùr."" oo ôuj"f àutonome son élnotion' <<On voit"'>>' serions une palinodie du critique sous les remal'gues acerbes 99
crimm
spectateur qui y engagerait sasensibilité'. (u f" ttoonè l'éloge que le philosophe en fait trop magnifique >) :
cela veut dire<toutie monde peut voir... > et, en fin de compte'
>>' Mais' en même
;;;l y ;;"sommet des rocttes quelques soldats"' Ah ! si la partie technique de cette composition répondait à la
par-
;p;,;; retrait, dans I'indifference d'un on voit >>' d'une énon-
<<
cription défaille douloureusement dans son écriture, dans I'inten- l'âme comme ce sol heureux dont elle naît, mais C'est par un mou-
sité de sa représentation : < Voilà à peu près toute cette prodigieuse vement d'anaphore ou de relève de l'être - rnes yeux étaient atta-
composition. Mais que signifient mes expressions exagérées et froi- chés sur un paysage admirable - que I'idée peut s'avancer'
des, mes lignes sans chaleur et sans vie, ces lignes que je viens de anekplêktos. intrépide et imperturbable, qu'elle peut se déployer
tracer les unes au-dessous des autres ? Rien, mais rien du tout; il dansie monde des choses devenu (et comme < halluciné > dans) celui
faut voir la chose a3. >> La phantasia, ici, s'efface devant la mimê- de I'art.
<< un bruit entendu au loin, c'élutle coup
de battoir d'une blan-
sls, le conte est terminé. qu'elle vienne ici seu-
chisseuse, frappa subitement mon oreille [...]
En guise de contrepoint (ou de contre-glose), ce dialogue de Phi-
lement, qu'elËm'apparaisse, que je revoie ses grands yeux, qu'elle
lostrate dans sa Vie d'Apollonius de Tyane : << Les Phidias et les
pose doucement sa main sur mon front, qu'elle me sourieas'>>
Praxitèle, disait Thespésion, lorsqu'ils représentaient les dieux par
bette femme qui semble avoir, dans le texte, la stature et le com-
leur art, étaient-ils montés aux cieux pour faire des copies de leur phanto-
portement de la muse pourrait être comme la figure dela
apparence extérieure, ou bien y avait-il quelque chose d'autre qui
iia, delavisio. N'est-L[e pas une apparition dont on ne sait s'il
les assistait lorsqu'ils sculptaient ?
- Il y avait quelque chose le poète
s,alit de la blanchisseuse dont le coup de battoir ramène
d'autre, répondait Apollonius, une chose pleine de sagesse. ? Pour-
de f existence divine à I'existence humaine, ou de son amie <<
donc? demanda-t-il. Assurément vous ne direz pas
-qu'ilQu'est-ce
s'agissait d'autre chose que I'imitation lmimêsisl ? quoi suis-je seul ici? écriraDiderot quelques lignes plus bas' ["'l
- C'est
Phantasia, répondit Apollonius, qui faisait tout cela; c'est une ii rnr rrtnUle que si elle était là, dans son vêtement négligé, que
je tinsse sa main, que son ad.miration se joignît à la mienne, j'admi-
ouvrière plus sage que Mimêsis. Car la mimêsis représente ce qu'elle je
voit tandis que la phantasia représente ce qu'elle ne voit pas. En ierais bien davantage. Il me manque un sentiment que cherche,
et qu'elle seule peui m'inspirer. Que ce bouquet d'arbres vigou-
effet, celle-ci prend pour base [pour hypothèse] la réalité en vue
de sa relève. De plus, le choc de I'enthousiasme, l'ekplêxis, sou- reux et touffu fait bien à droite ! Cette langue de terre ménagée