Constructions Meconnues Du Francais Tellier Valois
Constructions Meconnues Du Francais Tellier Valois
Constructions Meconnues Du Francais Tellier Valois
DU FRANÇAIS
parametres
CHRISTINE TELLIER
DANIEL VALOIS
CONSTRUCTIONS MECONNUES
DU FRANÇAIS
C'est un fait bien connu des scientifiques que la théorie non seule-
ment dirige l'observation, mais la provoque, en guidant l'œil vers des
domaines encore inexplorés. Une nouvelle théorie peut ainsi mener à la
découverte de faits qui n'auraient pas pu être observés auparavant. En
contrepartie, la découverte de faits qui auraient pu sembler anodins ou
mystérieux peut acquérir une tout autre signification lorsqu'elle est reliée
à une théorie. On peut même affirmer que c'est de cette manière que
la science a pu franchir ses pas les plus importants. À titre d'exemple,
citons les hypothèses et les lois formulées par Mendel au xixe siècle —
théories ignorées et jugées trop abstraites à l'époque — qui ont mené par
la suite à la découverte des gènes et du rôle qu'ils jouent dans l'hérédité.
De manière analogue, on a observé, dans les années 1950, que les conti-
nents occupent une position différente par rapport au pôle Nord selon
la période étudiée. Or, c'est en vertu de la théorie de la dérive des conti-
nents, formulée par Wegener une quarantaine d'années auparavant, que
cette observation a pu prendre tout son sens, car elle venait confirmer
des hypothèses jugées fort peu plausibles à l'époque.
En 1821, l'astronome français Alexis Bouvard publie le calcul des tables pour
la planète Uranus. Constatant que les observations sur Uranus ne sont pas
conformes aux lois de la mécanique, il émet l'hypothèse qu'il existe une
masse perturbatrice - une planète - non encore observée. Son hyp
thèse n'est pas prise au sérieux et ce n'est qu'une vingtaine d'années plus
tard qu'elle sera reprise en Angleterre par John Couch Adams et en France
par Urbain Le Verrier. Ce dernier effectue des calculs prédisant ta position
exacte que devrait occuper cette planète inconnue et finît par persuader ses
collègues astronomes de la chercher dans le ciel. Résultat : en septembre de
la même année, une huitième planète, Neptune, est observée, à un degré de
l'endroit exact où les calculs d'Adams et de Le Verrier avaient prédit qu'elle
devrait se trouver. (Sur l'histoire de la découverte de Neptune, voir entre
autres Ronan 1988 et Sheehan étal, 2004.)
I N T R O D U C T I O N * 11
Questions de méthodologie
1. En bref
les « pronoms relatifs » ne sont pas des pronoms du tout : il s'agit soit de
conjonctions (que, qui), que les nouvelles grammaires appellent doré-
navant, suivant la terminologie générativiste, des complémenteurs, soit
de syntagmes prépositionnels (à qui, de quoi, sur lequel), soit d'adverbes
(quand, où). En ce qui concerne que, qui et peut-être dont, nous allons
voir qu'il existe des arguments très convaincants à l'effet qu'ils consti-
tuent des variantes du même complémenteur.
Ensuite, les travaux en grammaire générative ont permis de trouver
de nouveaux tests pour faire la distinction entre les relatives en que et les
subordonnées introduites par que, distinction illustrée par les phrases
suivantes :
2 a. Le fait que nos invités relatent rend tout le monde heureux.
(relative)
b. Le fait que nos invités arrivent rend tout le monde heureux,
(subordonnée complément du nom)
Dans ce contexte, nous serons amenés à examiner les propriétés d'un
certain type d'inversion du sujet, que l'on trouve avec les relatives mais
non pas avec les complétives.
2. Propriétés
Une autre façon de formuler ce critère serait de dire ceci : une propo-
sition relative contient un « trou » ou un « vide », c'est-à-dire une fonc-
tion grammaticale qui n'est pas remplie par un constituant dans sa
position normale. Ainsi, dans la phrase (3a) ci-dessus, le verbe relater,
un verbe transitif, appelle un objet direct. Mais cet objet direct n'est
pas exprimé dans sa position normale — c'est-à-dire derrière le verbe.
La fonction d'objet direct est plutôt remplie en quelque sorte par que,
qui est interprété comme étant identique, du point de vue de sa réfé-
rence, à l'antécédent nominal, le fait. (Attention, nous allons nuancer
ceci un peu plus loin, car nous verrons qu'à strictement parler, ce n'est
pas que qui remplit la fonction d'objet direct.)
Dans la phrase (3b), la proposition enchâssée est une simple
subordonnée: elle ne contient pas de vide, car le verbe arriver est
intransitif. Ainsi, que ne correspond à aucune fonction à l'intérieur
de la proposition.
• Les pronoms relatifs ont un genre, un nombre, une personne, même s'ils
n'en portent pas visiblement les marques. Les conjonctions de subordina-
tion, quant à elles, sont invariables.
Grevisse fait ici allusion au fait qu'un « pronom relatif» comme que,
même s'il ne porte pas explicitement la marque du genre et du
nombre, déclenche néanmoins l'accord dans certains cas — notam-
ment celui du participe passé. Voici des exemples. Les premières
phrases (4a, b) sont des relatives ; la phrase (4c) est une subordonnée
complément du nom :
4 a. Les tables que j'ai repeintes l'an dernier ont été vendues
à l'encan.
b. Les murs que j'ai repeints l'an dernier ont perdu leur belle
couleur.
c. Le fait que tu aies repeint ces tables n'intéresse personne.
20 * C O N S T R U C T I O N S M E C O N N U E S DU F R A N Ç A I S
Nous faisons abstraction ici des relatives sans antécédent qui sont
archaïques et que l'on trouve principalement dans les expressions figées
ou les proverbes : qui dort dîne, qui m'aime me suive, etc. Ce troisième
critère renvoie à la présence obligatoire d'un antécédent nominal dans
la relative. En revanche, la proposition introduite par une conjonction
de subordination n'a pas d'antécédent: elle fonctionne tout simple-
ment comme complément d'un verbe, d'un nom, d'un adjectif ou d'un
adverbe. Voici des exemples de chacun de ces cas de figure pour la pro-
position subordonnée :
6 a. Je crois que les invités arriveront plus tard.
b. Le fait que les invités arrivent rend tout le monde heureux.
c. Mathieu est déçu que sa candidature n'ait pas été retenue.
d. Heureusement que nous sommes partis à temps !
Nous pourrions ajouter un quatrième critère qui permet de dis-
tinguer une proposition relative d'une subordonnée complément du
nom. Cette distinction concerne le mode du verbe de la proposition.
Alors que les relatives appellent, en général, le mode indicatif (mais
voir encadré ci-dessous), les propositions complément du nom appel-
lent soit le mode indicatif, soit le subjonctif, selon les cas. Pour s'en
convaincre, il suffit de comparer les phrases suivantes :
LE M Y T H E DU P R O N O M R E L A T I F « 21
Cédric vous dit qu'il cherche un chat au poil gris. Qu'allez-vous comprendre?
Il y a deux possibilités. Ou bien Cédric a perdu un chat en particulier (et il se
trouve que ce chat a le poil gris), ou bien il espère trouver n'importe quel
chat, pourvu que son poil soit gris. Dans le premier cas, ce chat existe bel et
bien ; dans le second, rien n'atteste de l'existence d'un tel chat.
Depuis longtemps, les philosophes et les linguistes se sont intéressés à
ces deux types d'interprétation, qu'ils nomment respectivement de re (à
propos de la chose elle-même) et de dicto (à propos de ce qui est dit, c'est-à-
dire en gros à propos de ses propriétés). On trouve ce type d'ambiguïté avec
certains verbes, par exemple chercheront vouloir, que l'on appelle des verbes
«intensionnels».
Dans les relatives, on observe aussi cette ambiguïté lorsque l'antécédent
nominal de la relative est complément d'un verbe intensionnel. Mais dans ce
cas, chacune des interprétations correspond à un mode bien précis: l'indi-
catif pour l'interprétation de reet le subjonctif pour l'interprétation de dicto.
Comparez les deux phrases ci-dessous:
je cherche un chat qui a le poil gris / qui sait attraper des souris,
je cherche un chat qui ait le poil gris / qui sache attraper des souris.
Dans la première phrase, il s'agit d'un chat bien réel, dont on énonce les
caractéristiques. La seconde phrase exprime plutôt une éventualité: l'exis-
tence d'un chat possédant ces caractéristiques est purement hypothétique.
22 * C O N S T R U C T I O N S M E C O N N U E S DU F R A N Ç A I S
Dans les interrogatives en (19), que et qui sont des « pronoms » interro-
gatifs, appellation bien choisie ici, puisqu'ils remplacent des noms ou des
groupes nominaux. À première vue, on pourrait penser que les mots que
et qui dans les relatives sont identiques, c'est-à-dire qu'il s'agit également
de pronoms qui remplacent le groupe nominal. Aussi surprenant que
cela puisse paraître à première vue, les travaux en grammaire générative
ont montré qu'il n'en est rien et qu'en fait, que et qui dans les relatives
sont plutôt des complémenteurs. Cette conclusion est appuyée par de
très solides arguments que nous allons passer en revue dans ce qui suit.
2.4.7. Que
• Dans une proposition relative comme Le livre quej'ai acheté, il doit y avoir un
déplacement puisque le complément d'objet direct de acheter ne figure pas
dans sa position normale, c'est-à-dire derrière le verbe.
• Le constituant déplacé est-il que lui-même, ou bien autre chose?
SYNTAGME QU-OI?
Ceci nous ramène aux deux observations faites au début de cette sec-
tion. S'il y a déplacement dans la relative et si que est un complémenteur,
où se trouve le constituant déplacé ? Les premiers travaux sur ce sujet
supposaient le déplacement d'un syntagme Qu- nominal vers la position
initiale de la proposition relative ; ce constituant était par la suite effacé.
22 a. Le meuble que Julien a dessiné quoi
b. Le meuble quoi; que Julien a dessiné t;
c. Le meuble quoi4 que Julien a dessiné t;
23 a. L'homme que Katia a épousé qui
b. L'homme qui; que Katia a épousé t;
c. L'homme qtrij que Katia a épousé tj
Dans les analyses plus récentes, on adopte une représentation quasi
équivalente, mais qui ne suppose pas d'effacement. Puisque dans les
relatives objet le syntagme Qu- n'est pas exprimé, on suppose l'existence
d'un syntagme Qu- implicite (c'est-à-dire inaudible) que nous notons à
l'aide du symbole Op (pour « opérateur »). Cet opérateur occupe la posi-
tion d'objet, et est ensuite déplacé en tête de la relative. La représentation
des relatives en (21) se présentera donc comme suit :
28 * C O N S T R U C T I O N S M É C O N N U E S DU F R A N Ç A I S
Le français n'est pas la seule langue qui fait appel à un syntagme Qu- impli-
cite pour former des relatives objet. On trouve cette stratégie dans bien des
langues du monde. En anglais, par exemple, lorsque l'objet direct relativisé
est animé, on peut utiliser le syntagme Qu- who (ou encore whom) ou rien
du tout:
t. The mon whoyou saw is my brother.
ii. Themanyousawismybrother.
« L'homme que tu as vu est mon frère. »
Le « rien du tout » en (H) a exactement la même valeur que le who en (I) :
on peut donc supposer qu'il s'agit de la contrepartie inaudible de
who, c'est-à-dîre un Op.
2.4.2. Qui
Alors que les grammaires traditionnelles traitent qui dans les relatives
comme un pronom relatif, les travaux en grammaire générative ont
montré qu'il n'en était rien. De plus, nous allons voir que le qui de la
relative en (273) ci-dessous est entièrement différent du qui interrogatif
que l'on trouve en (2/b) :
27 a. La femme qui a écrit ce livre s'appelle Marguerite,
b. Qui a écrit ce livre ?
Alors, qu'est-ce donc que ce qui de la relative? Les travaux de Moreau
(1971) et de Kayne (1976) montrent de manière convaincante qu'il s'agit
d'une variante morphologique du complémenteur que. Cette variante est
conditionnée, c'est-à-dire qu'elle n'apparaît que dans certains contextes.
Nous verrons bientôt lesquels.
Pour comprendre le comportement de qui, notons tout d'abord qu'il
n'est pas toujours un qui interrogatif ou relatif. Voyons les deux exem-
ples en (28) ci-dessous, qu'il convient de comparer avec ceux de (29) :
28 a. Quelle femme prétends-tu qui a écrit ce livre ?
b. Le problème que je crois qui se pose est le suivant.
29 a. Quelle femme prétends-tu que Max aime ?
b. Le problème que je crois que tu résoudras est le suivant.
De toute évidence, le qui, tout comme le que, introduit ici une pro-
position subordonnée. Ce n'est donc ni un pronom relatif ni un pronom
interrogatif.
On peut d'ailleurs constater, à l'aide d'un argument analogue à celui
utilisé dans la section précédente, que ce qui n'a pas les mêmes caracté-
ristiques que le pronom interrogatif. Comme chacun sait, le qui interro-
gatif est doté du trait [+animé] : on n'a pas *Qui as-tu déchiré? Or le qui
dans les relatives peut prendre pour antécédent soit un [+animé], soit
un [-animé] : La femme qui a écrit ce livre ou le problème qui se pose. Voilà
qui exclut l'hypothèse que ce qui soit le même pronom que l'on utilise
dans les interrogatives.
Mais il y a plus. Dans un registre familier du français parlé en France,
au Québec et dans d'autres pays francophones, un syntagme interrogatif
peut être suivi du complémenteur. En voici des exemples, tirés de Gadet
(1992: 82), qui décrit le français populaire parlé en France :
30 * C O N S T R U C T I O N S M É C O N N U E S DU F R A N Ç A I S
Nous avons vu que les propositions relatives sont introduites soit par un
syntagme de type interrogatif (à qui, de quoi, sur lequel, etc.) soit par un
complémenteur (que, qui et à pour les infinitives). Qu'en est-il des relatives
en dont, où l'élément relativisé est un complément du nom ou du verbe ?
42 a. C'est un livre dont il faut vraiment lire la préface,
b. La personne dont je parle, c'est Julie.
Notons d'emblée certaines particularités de dont qui le distinguent de
desquels, de qui, etc. Premièrement, dont ne figure jamais dans les inter-
rogatives en français moderne :
43 a. Desquels parlez-vous ?
b. Je ne sais pas desquels vous parlez.
c. Vous parlez de qui ?
d. * Dont parlez-vous ?
e. * Je ne sais pas dont vous parlez.
f. * Vous parlez dont ?
34 * C O N S T R U C T I O N S M É C O N N U E S DU F R A N Ç A I S
• Comme l'ont fait remarquer Huot (1977) et Godard (1986: 721), dont,
contrairement à de qui, ne pourrait pas introduire une relative à l'infinitif:
Dans la perspective d'un débat sur le statut de dont (syntagme Qu- ou com-
plémenteur), on peut se demander si la phrase (ii) ci-dessous est acceptable
au même titre que (i) - dans le registre familier qui permet la cooccurrence
entre le syntagme Qu- et le complémenteur, bien entendu :
i. Va voir la fille de qui que je parle,
îi. Va voir la fille dont que je parle.
Les avis là-dessus sont partagés, car certains locuteurs acceptent (ii)
et d'autres non. Si la phrase est grammaticale, elle pourrait appuyer l'hy-
pothèse selon laquelle dont est un syntagme Qu- ; si elle ne l'est pas, elle
appuierait plutôt l'hypothèse selon laquelle dont est un complémenteur.
Mais en réalité, quels que soient les faits, nous ne pouvons en tirer un argu-
ment probant pour aucune de ces hypothèses, et voici pourquoi.
Dont a ceci de particulier qu'il appartient à un niveau de langue sou-
tenu. Dans la langue familière, il tend, plus que tout autre relativisant, à
disparaître au profit de que (ex. l'homme que son frère est malade,..). Si (ii)
est agrammatîcale, ce fait pourrait donc être simplement dû à une incom-
patibilité de niveaux de langue puisque, rappelons-le, la cooccurrence entre
syntagme Qu- et complémenteur appartient au registre familier.
En revanche, si (ii) est acceptable, elle pourrait simplement relever de
l'hypercorrectïon. On appelle hypercorrection le fait pour un locuteur de
tenter de «mieux parler» en situation formelle ou de «mieux écrire», c'est-
à-dire d'utiliser un niveau de langue jugé prestigieux, mais qu'il ne maîtrise
pas bien. Ceci donne lieu à nombre d'erreurs, et c'est particulièrement vrai
en ce qui concerne l'usage de dont. En voici des exemples :
36 * C O N S T R U C T I O N S M É C O N N U E S DU F R A N Ç A I S
Dont a pour origine l'expression latine de unde, qui signifie « d'où », En ancien
français, il était utilisé dans les interrogatives pour poser une question sur
l'origine:
Et dont estes vous ? (Adam de La Halle, Le jeu de la feuillée [13* s.]),
cité par Hasenohr (1993:113)
« Et d'où êtes-vous ? »
Le dont interrogatif était d'emploi courant jusqu'au xvie siècle. Au xvne siècle,
cet usage avait à toutes fins pratiques disparu (Haase [1965: 90], Grevisse
[1993:1057]).
52 Complément de préposition :
Un compositeur dont il est clair qu'on te reproche ton influence
sur lui.
Une des particularités de cette construction est que la proposition
doit comprendre un pronom ayant la même référence que l'antécédent
(respectivement, dans les phrases ci-dessus, il, le, y et lui). Ce pronom
ne peut pas être omis, comme le montre l'agrammaticalité des exemples
ci-dessous :
53 a. * C'est un livre dont je sais qu'aura du succès.
b. * Un professeur dont l'inspecteur sait que les élèves
chahutent.
c. * Une difficulté dont il serait souhaitable qu'on remédie
rapidement.
d. * Un compositeur dont il est clair qu'on te reproche
ton influence sur.
Une autre caractéristique de cette construction est qu'elle n'est pos-
sible qu'avec un sous-ensemble de verbes ou de prédicats : selon Gross
(1968: 65-66), ce sont les prédicats qui expriment une opinion. Ils sont
pour la plupart à sujet humain (constater, vouloir, supplier, raconter, dire,
penser, etc.) ou à sujet impersonnel (paraître, s'avérer, se pouvoir, sembler,
être évident, être clair, etc.).
Cette propriété est à relier au fait que, dans ces constructions, la
relation entre la proposition et le syntagme nominal en tête de phrase
n'est pas la même que dans les relatives avec vide. Dans une relative dite
«normale» - c'est-à-dire restrictive -, la proposition relative restreint
la référence de l'antécédent. Ici, le syntagme nominal fonctionne plutôt
comme un topique et dont a plus ou moins une signification équivalente
à « à propos duquel ».
3. Conclusion
complémenteurs (que, qui, dont, à). Nous avons vu aussi que lorsque
le complémenteur est présent, c'est que le français fait usage d'un syn-
tagme Qu- implicite, déplacé comme les autres syntagmes Qu- à partir
de sa position de base (sujet, objet direct ou, dans le cas de dont, com-
plément du nom).
Chemin faisant, nous avons aussi décrit de nouveaux tests fort utiles
pour distinguer les relatives des complétives complément du nom : l'in-
version stylistique et le mode du verbe.
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2
LA CLASSIFICATION DES VERBES
1. En bref
2. Propriétés
etc.) à ses arguments. Un verbe qui admet comme sujet le pronom /'/
impersonnel est un verbe qui n'assigne aucun rôle thématique à son
sujet. En contrepartie, la présence d'un sujet il impersonnel nous signale
que le verbe n'assigne pas de rôle thématique à son sujet.
Nous allons voir dans ce qui suit qu'à part les verbes atmosphériques,
d'autres verbes peuvent faire partie de la classe des verbes qui n'assignent
pas de rôle thématique à leur sujet.
Ce que nous montrent ces exemples, c'est que les verbes vouloir, pré-
tendre et promettre demandent un sujet agentif (c'est-à-dire un sujet
animé et pour prétendre, plus spécifiquement un sujet humain). Cette
exigence dépend du verbe principal: la nature du verbe de la subor-
donnée n'y change rien. Par contre, les verbes sembler et paraître n'im-
posent aucune exigence sur la nature de leur sujet : dans ce cas, c'est le
verbe de la subordonnée qui sélectionne le type du sujet, par exemple un
sujet animé (et de sexe féminin) avec accoucher en fec). C'est là une diffé-
rence très importante, que nous traduisons ainsi : les verbes vouloir, pré-
tendre et promettre assignent un rôle thématique d'Agent à leur sujet; les
verbes sembler et paraître n'assignent pas de rôle thématique à leur sujet.
Une autre raison de penser que sembler, paraître, s'avérer, etc. n'assi-
gnent pas de rôle thématique au sujet est, bien entendu, que ce sujet peut
être le /'/ impersonnel :
4 a. Il semble que...
b. Il paraît que...
c. Il s'avère que...
En grammaire générative, l'analyse des phrases veut que les argu-
ments soient placés au départ dans les positions où ils reçoivent un rôle
thématique, et qu'ils soient par la suite déplacés, s'il y a lieu, vers une
autre position. Ces opérations de déplacement s'appellent des transfor-
mations. Pour conserver l'historique des transformations appliquées à
une phrase, c'est-à-dire pour voir d'emblée d'où vient l'élément déplacé
et où il a été déplacé, nous supposons que toute transformation laisse
une trace dans la position de départ. Comme nous l'avons vu au cha-
pitre i, nous utilisons le symbole [t] pour représenter les traces, et nous
assignons à la trace et à l'élément déplacé un même indice, pour faire
ressortir le lien entre les deux.
Étant donné que le sujet des verbes sembler, paraître, s'avérer, etc. prend
visiblement son origine en position sujet du verbe de la proposition subor-
donnée (ou « enchâssée »), nous aurons la représentation qui suit (consti-
tuant déplacé en caractère gras, infinitive enchâssée entre crochets) :
5 Cet arbrCj semble [t{ mesurer plus de deux mètres].
Nous appelons les verbes sembler, paraître, s'avérer, etc. des verbes à
montée, parce que leur sujet «monte» à partir d'une position de sujet
enchâssée.
LA C L A S S I F I C A T I O N DES V E R B E S * 45
Les phrases contenant un verbe transitif peuvent, sans que le sens pro-
fond change, être transformées de telle sorte que le complément d'objet
devient le sujet, le sujet devient complément d'agent, et le verbe prend une
forme spéciale, au moyen de l'auxiliaire être et du participe passé. C'est la
voix passive.
Nous allons voir dans la prochaine section que ce type d'analyse — c'est-
à-dire le déplacement depuis la position postverbale vers la position
sujet — n'est pas justifié uniquement pour former le passif, mais qu'il
s'applique également à certaines classes de verbes.
essere (« être »). Cependant, en français, la division entre les deux classes
de verbes ne recoupe pas exactement la distinction être/avoir. Ainsi, cer-
tains verbes sont considérés comme inaccusatifs en français alors qu'ils
se conjuguent avec avoir ou qu'ils alternent entre être et avoir (par ex.
passer, monter, descendre, disparaître, etc.). Est-ce à dire que le choix de
l'auxiliaire n'a rien à voir avec l'inaccusativité en français ? Pas tout à
fait: selon Ruwet (1988), tous les verbes qui se conjuguent avec être (ou
qui peuvent se conjuguer avec cet auxiliaire) sont inaccusatifs ; s'ils se
conjuguent avec avoir, il faut avoir recours à d'autres tests pour déter-
miner la classe à laquelle ils appartiennent. Dans les rubriques qui sui-
vent, nous passerons en revue certains de ces tests.
Les deux propriétés suivantes ont parfois été utilisées pour établir la dis-
tinction entre verbes inergatifs et inaccusatifs (voir Zribi-Hertz 1987:28).
• Parmi les verbes à un argument, seuls les inergatifs peuvent servir de base à
la nominalisation en -eur (voir aussi Keyser et Roeper 1984, pour l'anglais) :
La propriété décrite ici est l'une des plus souvent utilisées pour distinguer
les verbes inaccusatifs des verbes inergatifs. Comme l'a montré Burzio
(1986), en italien, ces deux classes de verbes se comportent différemment
du point de vue de la cliticisation avec ne (l'équivalent du en français).
Cet argument est, à peu de choses près, transposable au français et nous
allons l'examiner en décrivant les cas où la pronominalisation par en est
possible ou impossible.
LA C L A S S I F I C A T I O N DES V E R B E S « 49
chapitre, il n'est pas nécessaire d'en dire plus sur ces conditions : nous y
reviendrons en détail au chapitre 9.
À partir de l'inversion stylistique, Pollock (1986: 218-219) formule un
argument pour montrer que les verbes inergatifs et les verbes inaccusa-
tifs se comportent de manière différente du point de vue de la pronomi-
nalisation par en. Commençons par établir que dans les phrases en (19)
et (20), le sujet figure derrière le verbe :
19 a. J'aimerais que me téléphone l'auteur de ce livre.
b. Quel butin a rapporté le chef de la bande ?
20 a. Quand a été imprimé le premier tome de ce livre ?
b. Il aurait fallu que disparaisse le chef de la bande.
On notera que les phrases en (19) mettent en jeu des verbes inergatifs
et transitifs, alors que celles en (20) comportent un verbe au passif et un
verbe inaccusatif.
Or, Pollock (op. cit.] note que la pronominalisation par en n'est pos-
sible qu'à partir des phrases de (20) et non celles de (19) :
21 a. * J'aimerais que men téléphone l'auteur. en - de ce livre
b. * Quel butin en a rapporté le chef? en = de la bande
22 a. Quand en a été imprimé le premier tome ? en = de ce livre
b. Il aurait fallu quen disparaisse le chef. en = de la bande
On peut donc penser ceci : dans le cas des verbes inergatifs et tran-
sitifs, comme en (19) et (21), le sujet prend son origine dans la position
sujet, devant le verbe : l'inversion stylistique le place derrière le verbe.
Comme il ne s'agit pas d'un complément sélectionné du verbe, la prono-
minalisation par en est impossible. En revanche, avec les verbes passifs
et inaccusatifs, le constituant nominal situé derrière le verbe n'a pas été
déplacé : il est au départ un objet sélectionné par le verbe, et en (20) et
(22), il demeure tout simplement dans sa position de base. Voilà pour-
quoi la pronominalisation par en est possible en (22).
Nous avons dit que dans les constructions impersonnelles comme // est venu
quelqu'un, le SN postverbal quelqu'un est un objet direct et non un sujet
inversé. Voici un autre argument pour le montrer, mais il est un peu plus
complexe.
Ici, nous allons faire appel aux propriétés d'une construction que Milner
(1982) appelle l'«incise qualitative», sur laquelle nous reviendrons au cha-
pitre 7. Cette construction met en jeu un constituant à valeur généralement
péjorative (l'imbécile, te pauvre, l'idiot, le crétin, etc.), qui qualifie un SN dans
la phrase. Une des contraintes sur cette incise est qu'elle peut cibler un SN
sujet, mais non un SN objet, comme le montre le contraste entre (i) et (ii) :
i. Jean a cassé la tasse, l'imbécile,
ii. *Tu connais Jean, l'imbécile.
Or, Mîlner (1982: 241) observe que dans les constructions imperson-
nelles, le SN postverbal se comporte de ce point de vue exactement comme
un objet:
iii, * H a été condamné deux promoteurs, les canailles,
iv. * II est tombé une dizaine de piétons, les pauvres.
54 * C O N S T R U C T I O N S M E C O N N U E S DU F R A N Ç A I S
II faut faire remarquer qu'ici, les sujets, dérivés ou non, s'opposent aux
objets. Ainsi, les sujets des verbes au passif et des înaccusatifs, bien qu'ils
prennent leur origine en position objet, sont compatibles avec la construc-
tion qualitative :
v. Deux promoteurs ont été condamnés, les canailles,
vi. Une dizaine de piétons sont tombés, les pauvres.
Qu'en conclure ? Que dans cette construction, la qualification doit porter
sur un SN qui occupe à un moment donné de la dérivation la position de sujet,
D'ailleurs, la grammaticalité de la phrase (vii-b) ci-dessous le prouve :
vii. a. Voilà des livres que Jean n'a pas lus, l'ignorant
b. Voilà des livres que n*a pas lus Jean, l'ignorant.
En (vii-b), le sujet prend son origine en position préverbale, mais est
inversé grâce au processus d'inversion stylistique. Comme le SN Jean a,
avant ce déplacement, occupé la position de sujet, il est compatible avec la
construction.
En comparant (vii-b) aux phrases (iii) et (iv), on peut conclure que dans
ces dernières, te SN postverbal n'est pas un sujet inversé et qu'il n'a jamais
occupé la position sujet à quelque point de la dérivation que ce soit.
Les phrases ci-dessus ont amené bien des linguistes à conclure que les
verbes inergatifs ne peuvent pas se trouver dans les constructions imper-
sonnelles — ce en quoi ils s'opposent aux verbes inaccusatifs. Cependant,
cette affirmation a été mise en doute par d'autres chercheurs. Ceux-ci
ont fait remarquer que des phrases comme celles de (28) ci-dessous, qui,
tout comme celles de (27), mettent en jeu des inergatifs, sont accepta-
bles — les jugements varient selon les sources, mais en général ce type de
construction est considéré soit marginal, soit parfaitement bien formé
(voir entre autres Hériau 1980: 245-246, Rivière 1981: 20 et 46 sqq., Jones
1996:125, Hulk 1989: 59, Cummins 2000, Legendre et Sorace 2003, d'où
sont tirés certains des exemples ci-dessous).
28 a. Il a dormi des tas de gens célèbres dans ce lit à baldaquin.
b. Il courait beaucoup d'enfants dans cette ruelle.
c. Il a résidé plusieurs étrangers aux États-Unis.
d. Il mange toujours une dizaine de linguistes dans
ce restaurant.
Comment pouvons-nous concilier les exemples agrammaticaux en
(27) et les phrases acceptables en (28) ? On peut notamment observer
que les phrases de (28) comportent toutes un syntagme prépositionnel
locatif. Ainsi, on pourrait poser l'hypothèse (comme le font Hoekstra
et Mulder 1990: 47) que ce syntagme prépositionnel est une condition
nécessaire à l'occurrence d'un verbe inergatif dans la construction
impersonnelle. Cette hypothèse est compatible avec les contrastes ci-
dessous, tirés de Guéron (1986: 165), qui propose toutefois une autre
analyse :
29 a. Il court des enfants dans le pré.
b. * II court des enfants après moi.
30 a. Il mange beaucoup de gens dans ce restaurant,
b. * II parle beaucoup de gens à Marie.
Mais la question est loin d'être résolue : d'autres auteurs citent des
exemples qui vont à l'encontre de l'hypothèse qui vient d'être évoquée
(par ex. Cummins 2000, Legendre et Sorace 2003). Toutefois, la discussion
dans cette section — et dans la précédente — nous montre deux choses :
i) il est indéniable que les verbes inaccusatifs ont un comportement diffé-
rent des inergatifs (rappelez-vous le contraste entre [26] et [27] : le tout
est de déterminer dans quelles circonstances exactement les inergatifs
56 * C O N S T R U C T I O N S M É C O N N U E S DU F R A N Ç A I S
3. Conclusion
1. En bref
qui que ce soit, âme qui vive, etc.). La différence entre ces deux types
tient en bonne partie à leurs caractéristiques syntaxiques : alors que les
opérateurs de négation peuvent apparaître seuls (nous ferons abstrac-
tion, ici, de la présence de ne qui est facultative, surtout à l'oral), les élé-
ments de polarité négative nécessitent généralement l'appui d'un autre
mot de négation. C'est la différence entre Je ne connais personne et *Je
n'ai embauché qui que ce soit (comparer cette dernière phrase avec Je n'ai
jamais embauché qui que ce soit). Finalement, il y a la négation exceptive
(ou restrictive) qui s'exprime par la locution ne... que (Je n'ai lu que trois
chapitres de ce livre}. Nous rassemblerons ces trois cas sous l'étiquette
négation de phrase.
Mise à part la phrase, la négation peut également toucher une sous-
partie de la proposition, le plus souvent par le biais des éléments non,
point ou pas. Il s'agit de la négation de constituant. Par exemple, Grevisse
(1993:1446) cite les cas suivants, où la négation porte sur un adjectif ou
un nom :
1 a. Des débiteurs non solvables
b. Une leçon non sue
c. La contestation [...] était restée non sanglante.
(Le Roy Ladurie, Carnaval de Romans, p. 150)
d. Julien était silencieux et point trop troublé.
(Stendhal, Rouge, II, 20)
e. Le digne homme n'avait jamais aimé personne,
pas même un chien. (Sand, Homme de neige, 1.1, p. 148)
Comme le souligne Gaatone (1971), le fait que ce type de négation puisse
parfois s'exprimer morphologiquement, du moins en ce qui concerne
les adjectifs, montre qu'elle porte bien sur le constituant lui-même:
2 a. Quinze ans de travail non interrompu
b. ... quinze ans de travail ininterrompu
Dans ce chapitre, nous nous pencherons sur les cas de négation totale
et partielle telle qu'exprimée par les forclusifs (pour employer la termino-
logie de Damourette et Pichon 1969) pas et personne respectivement. La
raison de ce choix est simple : ce sont ces éléments qui ont fait l'objet de la
grande majorité des études récentes sur la négation en grammaire géné-
rative et qui, par conséquent, ont permis de mettre au jour les données les
plus intéressantes. Nous étudierons l'adverbe de négation pas en regard
LA N É G A T I O N DE P H R A S E * 63
2. Propriétés
En ce qui concerne les verbes composés, c'est l'auxiliaire qui doit pré-
céder la négation (6a, c). En d'autres mots, le comportement de l'auxi-
liaire, du moins dans sa forme fléchie, s'apparente à celui du verbe en se
plaçant obligatoirement devant pas :
6 a. Il n'a pas compris.
b. * II ne pas a compris.
c. Il n'est pas venu.
d. * II ne pas est venu.
En effet, les éléments qui peuvent se placer devant le sujet sont juste-
ment ceux-là mêmes qui peuvent se trouver à la gauche de l'adverbe de
négation (les auxiliaires en français et en anglais et les verbes simples en
français):
v. Je n 'ai pas mangé une pomme.
vi. Je ne mange pas une pomme.
vii. / hâve not eaten an apple.
vîii. *leat not an apple.
Selon Jean-Yves Pollock, ces faits s'expliquent facilement si l'on suppose
que l'ordre de base des phrases négatives en français et en anglais est le
même et que les permutations syntaxiques des éléments de la phrase sont Je
résultat du simple déplacement du verbe ou de l'auxiliaire vers la gauche :
Ordre de base :
Sujet pas/not (Aux) V syntagme nominal (SN)
Déplacement à gauche:
ix, Je n'ai pas mangé une pomme.
Ainsi, la présence des éléments verbaux devant le sujet dans les interro-
gatives n'est que le résultat de leur capacité générale à se déplacer vers la
gauche.
TABLEAU 1
Position du verbe ou de l'auxiliaire par rapport à la négation
pas-X X-pos
Verbe fléchi
Auxiliaire fléchi
Verbe infinitif
Être existentiel
Auxiliaire infinitif
Être-avoir pleins
Modaux infinitifs
• L'opposition fléchi/non fléchi est la plus saillante ; elle établit une distinction
très nette: si un élément (verbe simple ou auxiliaire) est fléchi, il doit pré-
céder l'adverbe pas.
• Si l'élément verbal est non fléchi, l'opposition se transporte le long de l'axe
verbe/auxiliaire. S'il s'agit d'un verbe simple (y compris être existentiel), seul
l'ordre pos-Vest possible ; s'il s'agit d'un auxiliaire (y compris être attributif
et les verbes modaux), l'ordre pas-Vest l'ordre préféré, mais l'ordre inverse
est aussi possible.
LA N É G A T I O N DE P H R A S E « 69
On ne sera alors pas étonné de constater que la même chose vaut pour
les interrogatives à interprétation écho : là où les syntagmes interrogatifs
ne pouvaient pas se déplacer, leur présence, en version écho, est parfai-
tement acceptable.
4. Conclusion
1. En bref
C'est à la linguiste suédoise Elisabet Engdahl que l'on doit les premières
descriptions des constructions à vides parasites, parues au début des
années 1980. Depuis, les études sur ces constructions ont été très nom-
breuses. Elles ont surtout porté sur les langues germaniques, en particu-
lier l'anglais, mais il existe aussi des travaux sur les vides parasites dans
d'autres langues, entre autres le polonais, le roumain et l'espagnol. Ces
constructions existent aussi en français où, comme nous le verrons, elles
présentent des propriétés un peu différentes de celles de l'anglais. De
plus, ces études nous ont menés à découvrir et à décrire les propriétés
d'une construction spécifique au français, qui met en jeu le relativisant
dont (par ex. Voilà quelqu'un dont l'honnêteté se voit dans les yeux). Bien
qu'on trouve des exemples de cette construction dans les grammaires
traditionnelles, ses propriétés n'ont été étudiées en détail qu'à la fin des
années 1980 dans le cadre de la grammaire générative.
Les constructions à vides parasites se caractérisent par la présence de
deux positions de compléments vides ou implicites. Le premier com-
plément implicite est identifié par son antécédent (un syntagme Qu-).
Le second complément implicite a une interprétation identique à celle
du premier. La particularité de ces constructions est que le second vide
ne peut pas exister sans la présence du premier : il est donc en quelque
80 « C O N S T R U C T I O N S M É C O N N U E S DU F R A N Ç A I S
sorte parasite par rapport au premier vide. Voici des exemples tirés de
Engdahl (1983: 5) pour l'anglais :
1 a. Which article did John file without reading ?
QUEL ARTICLE DO JOHN RANGER SANS LIRE
« Quel article John a-t-il rangé sans avoir lu ? »
b. * Which article did John speak to Max without reading ?
QUEL ARTICLE DO JOHN PARLER À MAX SANS LIRE
« De quel article John a-t-il parlé à Max sans avoir lu ? »
II en va de même pour le français, où les locuteurs perçoivent les
contrastes indiqués en (2) ci-dessous :
2 a. Voilà les dossiers que tu as résumés avant de classer .
b. * Tu as résumé ces dossiers avant de classer .
Il est certain que les locuteurs préfèrent la phrase en (2a) avec un
pronom objet (avant de les classer). Ceci n'est pas pertinent, toutefois,
car ce qui nous intéresse, ce sont les cas où l'objet peut être ou ne pas
être omis. Or, les locuteurs s'entendent pour dire que si le complément
d'objet de classer peut être omis en (za), il ne peut pas l'être en (ib).
Que tous les locuteurs partagent les mêmes jugements sur ces phrases
est un fait extrêmement étonnant, parce que la quasi-totalité d'entre eux
ne les a jamais entendues ni lues auparavant (et c'est justement ce qui
fait leur intérêt aux yeux des linguistes générativistes — voir encadré ci-
dessous). De fait, la construction en (ia) n'est mentionnée dans aucune
grammaire traditionnelle du français. Dans ce chapitre, nous décrirons
les propriétés des constructions à vides parasites. Cette description sera
sommaire, car les nombreuses études menées sur ces constructions font
appel à des outils et concepts théoriques avancés qui dépassent le cadre
du présent ouvrage. Le lecteur trouvera en fin de chapitre une liste des
différents titres à consulter sur la syntaxe des vides parasites.
Nous décrirons aussi une construction propre au français qui, elle, a
été notée par les grammairiens traditionnels. Cette construction, basée
sur la relativisation avec dont, comporte deux compléments du nom
implicites ayant la même interprétation. Elle est illustrée en (3) :
3 Voilà un enfant dont on voit l'innocence dans les yeux bleus .
Nous verrons qu'un examen approfondi des propriétés de la construc-
tion en (3) nous amène à la rapprocher des constructions à vides para-
sites comme celles de (la).
LES V I D E S P A R A S I T E S * 81
2. Propriétés
Pour bien expliquer cette contrainte, il nous faudrait avoir recours à des
notions techniques que nous n'exposerons pas ici. Nous allons plutôt
illustrer la relation de manière très schématique. En gros, la voici : nous
savons que le vide parasite dépend de la présence d'une trace qui, elle,
a un antécédent (le syntagme Qu- déplacé). Or, cet antécédent ne peut
pas se trouver enchâssé dans une proposition qui ne contient pas aussi
le vide parasite. Essentiellement, cela revient à dire que l'antécédent ne
peut pas être plus enchâssé que ne l'est le vide parasite.
Pour bien comprendre cela, commençons par examiner des construc-
tions qui ne contiennent pas de vide parasite. Considérons la phrase
suivante, qui contient une trace (objet direct du verbe déchirer) et un
pronom (objet direct du verbe lire}.
12 Emilie a rangé le rapport que Mathieu a déchiré t sans l'avoir lu.
Cette phrase est ambiguë, car le sujet de l'infinitive sans l'avoir lu peut
être interprété comme étant soit Emilie, soit Mathieu. Ces deux inter-
prétations sont paraphrasées en (13) :
13 a. Emilie a rangé le rapport que Mathieu a déchiré sans qu'elle,
Emilie, l'ait lu.
b. Emilie a rangé le rapport que Mathieu a déchiré sans que
lui, Mathieu, l'ait lu.
86 * C O N S T R U C T I O N S M É C O N N U E S DU F R A N Ç A I S
Par contre, le vide parasite ne peut pas être contenu dans une propo-
sition relative, ni même dans une relative réduite (v. [r/a] - pour plus de
clarté, la proposition relative et son antécédent nominal sont en carac-
tères gras). De même, le vide parasite ne peut pas être inclus dans une
complétive complément du nom (voir [r/b]) :
17 a. * Voilà une théorie Op; qu'il faut assimiler ts avant
d'interroger les experts aptes à expliquer ;.
b. * Voilà une théorie Op; qu'il faut assimiler t; sans égard au fait
de comprendre ;.
Cette contrainte vaut autant pour l'anglais que pour le français.
18 a. This is thé report Op; that you filed t; after John had read ;.
b. * Voilà le rapport Op; que tu as rangé t; après que Jean ait lu ;.
De plus, il faut noter que si les vides parasites en français ne sont pos-
sibles que dans les propositions infinitives, on ne les trouve pas dans
toutes les propositions infinitives. Ainsi, bon nombre de locuteurs rap-
portent les contrastes suivants :
19 a. Voilà les documents Op; que tu as rangés t; avant de
consulter ;.
b. Voilà les livres Op; que tu as déchirés t; au lieu de
consulter ;.
c. * Voilà les livres Op; que tu as rangés t; de manière
à retrouver ; facilement.
d. * Voilà les documents Op; que tu as rangés t{ quitte
à reprendre ; plus tard.
Ces contrastes permettent de supposer que le temps n'est pas en réa-
lité le facteur en jeu dans les constructions à vides parasites. Une hypo-
thèse avancée dans l'étude de Tellier (2001), d'où sont tirés les exemples
de (19), est que ces contrastes sont attribuables aux propriétés du com-
plémenteur : dans cette analyse, les complémenteurs que (propositions
88 * C O N S T R U C T I O N S M E C O N N U E S DU F R A N Ç A I S
2. Le premier vide doit être une trace laissée par le déplacement d'un syn-
tagme Qu-; il ne peut pas être une trace laissée par le déplacement du SIM
objet dans les cas de passivisation :
3. Le vide parasite ne peut pas être moins enchâssé que ne l'est l'antécédent
de la trace dont il dépend. Comparons les phrases suivantes :
4. Conclusion
Nous avons décrit dans ce chapitre des constructions qui n'ont que
très peu — sinon pas du tout — été étudiées dans les grammaires tradi-
tionnelles. Les travaux en grammaire générative ont contribué à déter-
miner exactement dans quels contextes syntaxiques les vides parasites
LES V I D E S P A R A S I T E S * 91
Les travaux sur les vides parasites sonttrès nombreux. Pour un aperçu global
des propriétés des constructions à vides parasites et un résumé des diffé-
rentes analyses proposées, on pourra consulter Culicover (2001). Le lecteur
pourra aussi se reporter à différentes études (portant surtout sur l'anglais)
- mais attention, tous ces travaux sont très techniques et requièrent u
bon bagage de connaissances théoriques. Parmi beaucoup d'autres, citons
Engdahl (1983; 1985), Taraldsen (1981), Chomsky (1982), Contreras (1984),
Kayne (1984), Cinque (1990), Frampton (1990), Postal (1993; 19943), Nissen-
baum (2000), Culicover et Postal (2001), Nunes (2001), et Hornstein et Nunes
(2002).
Sur les vides parasites en français et les constructions à vides parasites en
dont, voir Godard (1986) et Tellter (1991 ; 2001).
Page laissée blanche
5
QUANTIFICATION A DISTANCE
ET QUANTIFICATEURS FLOTTANTS
1. En bref
La raison pour laquelle nous avons recours aux verbes composés pour déter-
miner la position préverbale des QAD et des QF est la suivante : rappelez-
vous notre discussion du chapitre 3 concernant la position de l'adverbe de
négation pas par rapport au verbe. Nous avions alors établi que la position
postverbale de pas avec les verbes fléchis était le résultat du déplacement
du verbe vers la gauche (Emonds 1978, Pollock 1989).
Étant donné ce déplacement des verbes fléchis, l'utilisation de verbes
simples dans les phrases avec beaucoup ne nous permettrait pas de distin-
guer le quantificateur nominal du quantificateur à distance. En effet, si on
admet que le QAD beaucoup occupe la position normalement réservée aux
adverbes, c'est-à-dire immédiatement devant le syntagme verbal, l'ordre de
surface obtenu après le déplacement du verbe vers la gauche est le même
pour le QAD que pour le quantificateur nominal.
Beaucoup à l'intérieur du SN :
Les critiques voient lsv t {SN beaucoup de films JJ.
Par contre, avec les verbes à temps composé, c'est l'auxiliaire qui se
déplace vers la gauche ; le verbe (qui prend la forme participiale) reste sur
place. Ceci nous permet donc de faire la distinction entre beaucoup dans sa
version nominale et le QAD puisque l'ordre de surface ainsi obtenu n'est pas
le même dans les deux cas.
Beaucoup à l'intérieur du SN :
Les critiques ont (svt [SN vu beaucoup de films J],
Q U A N T I F I C A T I O N A D I S T A N C E ET Q U A N T I F I C A T E U R S FLOTTANTS * 95
2. Propriétés
Dans la langue adulte, la quantification par beaucoup ne peut porter que sur
l'objet du verbe. Cependant, dans une recherche portant sur 32 enfants âgés
entre 3 et 5 ans, Labelle et Valois (2004) notent que ce n'est que vers l'âge de
5 ans que les enfants commencent à maîtriser la syntaxe et la sémantique
du QAD beaucoup. En effet, ces chercheurs ont constaté que les enfants de
ans acceptent la quantification de beaucoup sur le sujet dans une proportion
de 78 %. À 5 ans, le taux d'acceptation tombe à 36 %.
Comme beaucoup, tous peut se placer soit à l'intérieur d'un SN, soit
devant le verbe :
11 a. Tous les chapitres sont terminés,
b. Les chapitres sont tous terminés.
On appelle tous dans la position préverbale (ou, plus généralement,
dans une position non canonique) un quantificateur flottant (QF).
Bien qu'ils puissent tous deux occuper une position préverbale, tous
diffère de beaucoup sous plusieurs aspects. Tout d'abord, contrairement
à beaucoup, tous n'est pas invariable. Il s'accorde en genre et en nombre
avec le SN qu'il quantifie (i2a, b). Deuxièmement, il peut quantifier soit
le sujet (lia, b) soit l'objet du verbe (mais seulement quand cet objet
est pronominalisé ou relativisé, v. le contraste entre [i2c, d] et [i2e]).
Troisièmement, il peut se trouver dans une proposition différente du SN
qu'il quantifie (nf). Enfin, il n'est pas sensible au type de verbe devant
lequel il se place (i2g, h) :
Q U A N T I F I C A T I O N À DISTANCE ET Q U A N T I F I C A T E U R S FLOTTANTS * 99
12 a. Les enfants (masc. plur.) ont tous (masc. plur.) fait leur
devoir.
b. Les filles (fém. plur.) ont toutes (fém. plur.) fait leur devoir.
c. Julie les a tous lus.
d. Les amis de Sylvie, que j'ai tous connus à l'âge de sept ans,
sont sympathiques, (exemple de Junker 1995)
e. * Julie a tous lu les livres.
f. Il faut tous [qu'ils s'en aillent].
g. Les enfants ont tous vu le film.
h. Les enfants ont tous impressionné l'auditoire.
Notons que, bien que le SN quantifié par le QF tous soit généralement
un sujet défini pluriel, ce n'est pas toujours le cas : une liste d'individus
distincts ou un pronom personnel pluriel sont également possibles :
13 a. Jean, Jules et Julie sont tous partis.
b. Ils sont tous partis.
Cependant, ni l'un ni l'autre de ces deux types de sujets ne permet à
tous d'apparaître en position non flottée:
14 a. * Tous (de) Jean, Jules et Julie sont partis.
b. * Tous ils sont partis, (à ne pas confondre avec Tous, ils sont
partis}
Contrairement à beaucoup, le QF tous peut se placer à différents
endroits de la phrase, soit à la gauche, soit à la droite du SN qu'il
quantifie. Plusieurs analyses ont été proposées au cours des trente der-
nières années pour rendre compte des faits. Ces analyses tentent toutes
de mettre en relation la position canonique de tous (dans le SN) et les
autres positions, y compris la position flottée. On peut regrouper ces
analyses en deux types : i) celles qui déplacent tous à partir de sa posi-
tion canonique à l'intérieur du SN; et 2) celles où tous n'est jamais
déplacé. Nous renvoyons le lecteur aux travaux de Kayne (1975), Belletti
(1982), Jaeggli (1982) et Sportiche (1988) pour plus de détails. Nous nous
contenterons ici de relever les principaux faits.
1. Comme nous l'avons déjà mentionné dans la section 2, l'objet doit être pro-
nominalisé ou relativisé (206, c); il ne peut pas demeurer dans sa position
debase(2od):
2. Contrairement à tous à droite, tous à gauche peut se trouver dans une pro-
position autre que celle qui contient le SN quantifié :
Cette situation n'est pas sans rappeler celle qui prévaut dans la néga-
tion partielle dont nous avons discuté au chapitre 3 : les mêmes condi-
tions qui régissent la relation entre tous et le SN quantifié régissent celle
entre ne et personne.
25 a. Jean ne veut voir personne.
b. Il ne faut voir personne.
c. * Jean n'a certifié avoir rencontré personne.
d. * Maxime ne croit connaître personne.
e. * Élie ne pense connaître personne.
Notons finalement que tous peut se placer à gauche au-delà de plus d'une
frontière de proposition, dans la mesure où tous les verbes concernés sont
du type approprié. Rochette (1988) donne, entre autres, l'exemple suivant :
26 Jean a tous osé vouloir les rencontrer.
Ceci complète notre discussion du quantificateur flottant tous. Dans
la prochaine section, nous examinerons un autre QF du français, c'est-
à-dire chacun, dont les propriétés sont quelque peu différentes de celles
de tous.
4. Conclusion
1. En bref
2. Proprietes
2.2.2. Localite
Ici, le possesseur est un objet direct, et il peut être réalisé soit comme un
pronom, c'est-à-dire un clitique accusatif (exemples de [30], soit comme
un SN plein (exemples de [31]). L'objet possédé, quant à lui, est un com-
plément de type circonstanciel, précédé d'une préposition non locative :
par, à, etc.
30 a. Je Fai prise par le bras.
b. Ils l'ont blessé à la tête.
118 * C O N S T R U C T I O N S M E C O N N U E S DU F R A N Ç A I S
Les contraintes auxquelles le verbe est sujet sont, ici, d'un ordre
différent de celles décrites jusqu'à maintenant. Encore une fois, ces
contraintes sont difficiles à identifier de manière précise. En guise de
généralisation très approximative, nous dirons que, de manière géné-
rale, le verbe doit dénoter non pas une action posée délibérément par le
possesseur, mais un mouvement involontaire de l'objet possédé. Ainsi,
les phrases suivantes, où le verbe dénote un geste délibéré sont exclues :
39 a. * Elle remue de la tête.
b. * II gesticule du bras.
c. * Les participants ont bougé de la tête.
Les tours décrits ci-dessus ont beaucoup de points communs avec cer-
taines constructions attributives qui mettent en jeu une relation de pos-
session inaliénable. Ces constructions sont traitées à part, car elles ont
ceci de particulier qu'elles contiennent toujours le verbe avoir. Ainsi, le
SN possesseur occupe la position sujet de avoir et le SN possédé suit le
verbe. Contrairement aux constructions possessives (par ex. Marie a un
stylo}, le verbe avoir n'a pas ici de sens possessif: son rôle est d'assurer
le lien entre un objet possédé et son possesseur. Ces constructions dites
attributives ont fait l'objet de très nombreuses études et la description qui
suit ne constitue qu'un très bref aperçu de leurs principales propriétés.
Le lecteur intéressé pourra consulter les travaux, générativistes ou non,
qui y sont consacrés, entre autres Hatcher (1944), Gaatone (1972), Kliffer
(1984), Haïk (1985), Furukawa (1987,1996), Riegel (1988,1998), Tremblay
(1991), Tellier (1992,1994) et Kupferman (2000).
Dans les exemples ci-dessous, l'objet possédé est obligatoirement
modifié soit par un attribut (adjectival, prépositionnel), soit par un consti-
tuant qui ressemble à une relative. Commençons par illustrer les cas où
l'attribut est un syntagme adjectival (4oa-g) ou prépositionnel (4oh, i) :
40 a. Marie a les yeux fermés.
b. Marie a les yeux verts.
c. Ce prisonnier aura la tête tranchée.
d. Julie a la langue bien pendue.
e. Maxime a le dos large.
f. Ce chanteur italien a la voix rauque.
LA P O S S E S S I O N I N A L I É N A B L E * 121
5. Conclusion
1. En bref
Une première caractéristique qui distingue les noms de qualité des noms
ordinaires est que seuls les premiers peuvent apparaître dans une excla-
mative simple. C'est ce que montrent les contrastes entre (9) et (10).
9 a. Son imbécile de mari nom de qualité
b. Imbécile !
10 a. * Son médecin de mari nom ordinaire
b. * Médecin!
LES G R O U P E S N O M I N A U X : Q U A L I T É S ET INSULTES * 129
Les noms de qualité peuvent s'employer sous forme vocative dans des
exclamatives du type de celles en (13) :
13 a. Venez, imbécile !
b. Venez, canaille !
Cela n'est pas possible pour les noms ordinaires :
14 a. * Venez, médecin !
b. * Venez, étudiant !
130 * C O N S T R U C T I O N S M E C O N N U E S DU F R A N Ç A I S
Seuls les membres de la classe des noms de qualité peuvent s'insérer dans
des expressions du type espèce de, traiter quelqu'un de (v. [17]) ; les noms
ordinaires ne le permettent pas (v. [18]).
17 a. Espèce de crétin
b. Traiter Jules d'imbécile.
18 a. * Espèce de médecin
b. * Traiter Jules de médecin.
Nous avons mentionné ci-dessus que les incises qualitatives ne sont pas sans
rappeler les constructions disloquées. Revoici les exemptes en question :
i. a. Jean a cassé la tasse bleue, l'imbécile, (construction qualitative)
b. Jl a cassé la tasse bleue, le médecin, (construction disloquée)
Toutefois, là s'arrêtent les similitudes. Ces deux tours se distinguent sous
plusieurs aspects.
132 * C O N S T R U C T I O N S M É C O N N U E S DU F R A N Ç A I S
Les expressions en italique dans les phrases de (24) sont toutes deux
des SN. Elles peuvent, par exemple, être remplacées par un pronom
sujet, comme en (25) :
25 a. Il prescrit trop de médicaments,
b. Il est très précis.
La question est maintenant de savoir si, étant donné cette similitude
de forme, ces deux constructions ont la même structure interne. Milner
propose que ce n'est pas le cas. En effet, un examen attentif de ces tours
fait ressortir d'importantes différences entre les deux.
Les suites à compléments de nom N de N comportent généralement
les composantes suivantes : un déterminant, un nom recteur (ou « tête »,
voir ci-dessous) et un complément de nom composé d'un SN précédé de
la préposition de:
26 Déterminant - nom recteur -de + SN complément
Les constructions qualitatives ont, en surface, une structure similaire :
27 Déterminant - nom - de + N
Or, Milner fait l'observation suivante : si ces deux constructions N
de N avaient la même structure interne, on s'attendrait à ce que chacun
des divers éléments qui les composent aient les mêmes propriétés syn-
taxiques. Or, ce n'est justement pas le cas (v. aussi Ruwet 1982, qui remet
cependant en question certaines des conclusions de Milner 1978). Nous
examinerons dans les prochaines rubriques quelques-unes des diffé-
rences qui caractérisent les composantes de chacune des deux construc-
tions. Ces différences concernent: i) les déterminants; 2) la possibilité
de modifier le premier nom par un adjectif; 3) la possibilité de prono-
minaliser le deuxième nom; et 4) l'identité du nom recteur ou «tête».
Quand ils le peuvent (par ex. Paul est pauvre, Jean est foutu), ils ont
un sens différent de celui véhiculé dans les constructions qualitatives,
comme le montre le caractère non contradictoire de l'exemple (35) :
35 Ce pauvre imbécile de Paul n'est pas pauvre.
2.3.3. La pronominalisation
2.4. L'accord
3. Conclusion
Dans ce chapitre, nous avons fait un tour d'horizon des propriétés des
constructions qualitatives et avons mis au jour certaines caractéristiques
des noms qui les composent. Dans les expressions qualitatives Ni de JVJ2,
les restrictions portent surtout sur la classe des noms qui peuvent fonc-
tionner comme Ni. Sur le plan sémantique, ces noms doivent exprimer
un jugement de valeur, positif ou négatif, par le locuteur. Sur le plan syn-
taxique, ils doivent être en mesure de s'insérer dans un certain nombre
de contextes précis (quoique la plupart de ces contextes n'acceptent que
les noms à valeur négative).
Ensuite, nous avons comparé les expressions qualitatives et les
constructions à complément de nom N de N. Un examen systématique
des divers éléments qui composent ces deux constructions (les détermi-
nants, Ni, Ni, la suite de + SN, etc.) nous ont menés à conclure que ces
deux tours ont des structures internes différentes.
Finalement, nous avons montré comment les structures qualitatives
pourraient nous permettre, dans la mesure où l'analyse de Hulk et Tellier
(2000) est juste, de départager les rôles respectifs du genre grammatical
et du genre intrinsèque dans les processus d'accord morphologique en
français.
Page laissée blanche
8
LA SYNTAXE DE « EN »
1. En bref
2. Propriétés de « en »
• En génitif
• En quantitatif
• En partitif
2.2. La distribution de en
ÊTRE ET LE EN GÉNITIF
Les tours comportant le verbe être suivi d'un adjectif attribut du sujet (les
« constructions attributives ») ne sont pas au passif. Pourtant, du point de
vue de la pronominalisation avec en génitif, ces constructions se compor-
tent de manière tout à fait analogue. Voici des exemples :
i. La préface en est peu flatteuse. génitif (= de ce livre)
ii. Le prix en est trop élevé. génitif («de ce tableau)
En somme, du point de vue du en génitif, le sujet se comporte comme s'il
était dérivé, et c'est exactement là l'analyse qu'a proposée Couquaux (1981).
La plupart des linguistes admettent maintenant que la copule être dans ces
tours prend pour complément une proposition à contenu prédicatîf, que
l'on appelle une proposition réduite. Cette proposition est un argument
du verbe être: elle est constituée d'un SN et, dans le cas ci-dessus, d'un
syntagme adjectival. Le SN est ensuite déplacé vers la position sujet de la
phrase, ce qui donne lieu, en gros, aux représentations suivantes ;
iii. [La préface de ce tivrejjest [ t, peu flatteuse],
iv. [Le prix de ce tableau], est [ tj trop élevé].
On pourra noter que des faits indépendants appuient ce type d'analyse.
En effet, certains contextes permettent de faire émerger ces propositions
réduites à valeur prédicatîve. Voyons les exemples suivants :
v, François a trouvé [cette préface très flatteuse],
vi. Notre client estime [le prix de ce tableau trop élevé].
Du point de vue sémantique, le constituant entre crochets se comporte
comme une proposition à valeur prédicative (= j'ai trouvé que cette préface
était très flatteuse). C'est cette proposition (et non les SN cette préface ou te
prix de ce tableau) qui est complément des verbes trouver et estimer.
Étant donné cette analyse, la distribution du en génitif dans les tours
avec être est parfaitement compatible avec la généralisation que nous avons
établie dans ce chapitre. Dans ces constructions également, le en génitif
provient d'un constituant (la proposition réduite) qui est un argument post-
verbal du verbe (ici, ta copule être).
Mais en même temps, c'est ici que commence le mystère, car nous
allons observer que en génitif et en quantitatif/partitif ont un com-
portement très différent dans les contextes où un sujet est dérivé.
LA SYNTAXE DE « EN » * 151
TABLEAU 2
Distribution de en génitif, quantitatif et partitif
Objet direct
SN postverbal en construction
impersonnelle (verbes au passif
et verbes inaccusatifs)
SN postverbal non argument
Sujet dérivé (verbes au passif,
verbes inaccusatifs)
Sujets non dérivés (verbes
inergatifs, verbes transitifs)
Nous allons voir dans la prochaine section que les choses se compliquent
davantage lorsqu'on considère le comportement de dont, la contrepartie
relative de en.
i. Dont génitif
23 a. C'est un livre dont l'auteur écrit depuis longtemps.
b. Voilà un homme dont la fille a beaucoup voyagé.
c. Nous avons rencontré des gens dont la bonne humeur nous
a réjouis.
154 * C O N S T R U C T I O N S M É C O N N U E S DU F R A N Ç A I S
2. Dont quantitatif
3. Dont partitif
Le lecteur aura sans doute remarqué que dans les exemples (23), (24) et
(25), les trois types de dont remplacent une partie du sujet; qui plus est,
il s'agit dans tous les cas de sujets non dérivés, c'est-à-dire de sujets de
verbes transitifs ou inergatifs. Or, on se rappellera que justement dans
ce cas, les trois types de en étaient exclus. Dans ce contexte, donc, la
relativisation par dont et la pronominalisation avec en donnent exacte-
ment des résultats contraires. C'est donc là une première différence fort
inattendue entre en et dont.
Qu'en est-il maintenant des objets directs ? On se souviendra que en
peut reprendre un sous-ensemble du SN objet direct et ce, pour les trois
types de en. Or, ici encore, dont fonctionne très différemment, comme
l'on fait remarquer entre autres Milner (1978: 76) et Couquaux (1981).
Le dont génitif (26a) et le dont partitif (26c) semblent aller de pair et
se comportent exactement comme en. En revanche, et c'est là un fait
étonnant, le dont quantitatif (26b) est exclu dans ce contexte — et fait
contraste avec le en quantitatif (J'en ai lu trois) qui, lui, est permis.
LA SYNTAXE DE « EN » * 155
TABLEAU 3
Distribution de en et dont génitifs, quantitatifs et partitifs
4. Conclusion
Mises à part les études citées dans ce chapitre, beaucoup de travaux ont été
consacrés à la syntaxe de en. On pourra consulter entre autres Haïk (1982),
Hulk (1983), Burzio (1986), Bouchard (1988) et Postal (19946).
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9
L'INVERSION DU SUJET
1. En bref
Pour notre inventaire des cas d'inversion du sujet en français, nous nous
baserons sur l'excellent travail de Riegel et al (1994), qui ont développé
une grammaire incorporant plusieurs faits relevés par les travaux en
grammaire générative. Nous augmenterons leur nomenclature de nos
propres exemples et en commenterons certains aspects là où nous le
jugerons approprié.
• Inversion pronominale
• Inversion nominale
• Inversion complexe
Ces cas d'inversion sont limités aux phrases contenant certains verbes
au subjonctif. L'inversion pronominale (ja) alterne alors avec l'inver-
sion nominale (jb). L'inversion complexe (je) est exclue:
162 * C O N S T R U C T I O N S M É C O N N U E S DU F R A N Ç A I S
7 a. Puissiez-vous réussir !
b. Veuille le ciel qu'il ne lui arrive rien !
c. * Julie puisse-t-elle réussir !
• Subordonnées relatives
• Subordonnées comparatives
Ici également, seule l'inversion nominale est possible (i2b-d) :
12 a. * Ce jeune auteur écrit comme écrivaient-ils.
b. Ce jeune auteur écrit comme écrivaient les auteurs
classiques.
c. Jean est moins courageux que ne l'était son père.
d. J'ai ramassé plus de champignons que ne pouvait en
contenir mon panier.
e. * Ce jeune auteur écrit comme les auteurs classiques
écrivaient-ils.
• Juxtaposition conditionnelle
• Juxtaposition concessive
Dans les termes de Riegel et al. (p. 139), « II s'agit [...] de la tendance à post-
poser au verbe les sujets volumineux. » À part une apparente restriction
dont nous discuterons ci-dessous, il s'agit de la seule condition imposée
à ce type d'inversion: ni le temps ni le mode du verbe n'interviennent.
18 a. Vint le moment où il lui sembla être entouré de rayons
et s'élever doucement au-dessus de la table.
b. C'est ainsi que se sont succédé à ce poste [...] peu enviable
les militaires à cause de la défaite, les paysans du fait de
la disette, les commerçants en raison de la vie chère, les
syndicats grévistes, les patrons faute d'emplois, les ensei-
gnants pour mauvais résultats scolaires ou les policiers
quand il y a des bavures.
c. Seront engagés tous ceux qui pourront présenter un
dossier respectable.
d. Se présenteront à l'examen tous les étudiants qui ont été
acceptés au programme de maîtrise.
Les termes «lourd» ou «volumineux» restent difficiles à définir de
façon précise mais on sera d'accord pour admettre une nette diiférence
entre, par exemple, les phrases (i8c, d) et les exemples suivants :
19 a. * Seront engagés ces hommes.
b. * Sera engagé Luc.
c. * Se présenteront à l'examen les étudiants.
d. * Se présentera à l'examen Lise.
Par définition, l'inversion pronominale et l'inversion complexe sont
exclues de ces contextes :
20 a. * Se présentera à l'examen elle.
b. * L'étudiante se présentera-t-elle à l'examen?
Le lecteur astucieux aura remarqué que les exemples d'ISNL que nous
avons fournis contiennent tous des verbes qui s'emploient avec l'auxi-
liaire être (venir, se succéder à, être engagé, se présenter). Ces exemples
contrastent avec les suivants, qui contiennent des verbes se conjuguant
avec avoir aux temps composés :
21 a. * Ont téléphoné les étudiants de la classe de M. Untel.
b. * Ont échoué les étudiants qui n'ont pas bien étudié.
Il ne fait aucun doute que le sujet des verbes des exemples ci-dessus
est « lourd » au même titre, à tout le moins, que celui des exemples en
(i8c, d). Pourtant, l'inversion du sujet est impossible.
Nous avons vu au chapitre 2 que les verbes qui s'emploient avec être
(les passifs et les inaccusatifs) ont ceci de commun que leur sujet est
dérivé. En d'autres mots, dans des phrases comme La neige tombe et La
pomme a été mangée, les sujets de surface la neige et la pomme sont, en
réalité, des objets directs déplacés en position sujet par transformation.
Puisque les cas d'ISNL ne se produisent qu'avec des verbes se conju-
guant avec être, on pourrait faire l'hypothèse qu'il ne s'agit pas vraiment
de cas d'inversion du sujet mais plutôt de constructions où l'objet du
verbe demeure dans sa position de base. Ceci permettrait d'expliquer
les contrastes entre les exemples en (18) et ceux en (21). Toutefois, une
telle analyse ferait tout de suite face à de nombreux problèmes. Pour n'en
citer que quelques-uns, notons tout d'abord que les SN postverbaux en
(18) s'accordent en nombre avec le verbe. Or, nous avons vu au chapitre 2
que dans les cas où l'objet d'un verbe à la voix passive ou celui d'un verbe
inaccusatif demeure dans sa position de base, il n'y a pas d'accord entre
le SN et le verbe. Nous obtenons alors la construction impersonnelle :
L I N V E R S I O N DU S U J E T * 167
L'INFINITIF DE NARRATION
L'inversion du sujet est également possible dans les infinitives de narra-
tion, normalement lorsque la proposition infinitive est en incise (exemples
tirés de EnglebertiggS ; voir aussi Barbaud ig88) :
Et les Champs-Elysées l de renchérir celle-ci. (Carso, Nostalgie, p. 13)
«À ce compte, aussi bien abolir le Sénat», de renchérir le sénateur
libéral Pierre de Bané. (te Devoir, 3 janvier 1986)
« Et aujourd'hui, de s'exclamer le Bon Dieu à l'adresse de sa
confidente, savez-vous ce qui lui arrive, à Jean-Baptiste? »
(La Presse, 4 janvier 1986)
Dans les rares cas où l'infinitif de narration permet l'inversion du sujet
dans les propositions autres que les incises, celle-ci s'apparente aux cas d'in-
version dans certaines propositions assertives discutés en 2.6, en ce sens
qu'elle ne permet que l'inversion nominale :
Aussitôt de venir un prêtre. (Gide, Paiudes, p. 40)
Aussitôt vint un prêtre.
168 * C O N S T R U C T I O N S M É C O N N U E S DU F R A N Ç A I S
3. L'inversion stylistique
Par contre, pour des raisons mal comprises, tous les compléments de
catégorie SP ne sont pas admis. Par exemple, les phrases suivantes sont
agrammaticales, que le sujet figure avant ou après le SP :
33 a. * Je me demande quand ira Clara à Montpellier.
b. * Je me demande quand ira à Montpellier Clara.
c. * Je sais à quel point parle Simone de Jean-Paul.
d. * Je sais à quel point parle de Jean-Paul Simone.
La situation est différente avec les complétives. Alors que les complé-
tives tensées ne permettent pas l'inversion stylistique, peu importe la
position occupée par le sujet (v. les exemples [b] et [c] en [34], [36], et
[38]), certaines complétives infinitives le permettent. Cela est vrai des
trois tours où l'inversion stylistique est possible (les interrogatives par-
tielles directes et indirectes et les propositions relatives). Cette fois, le sujet
se place derrière la complétive (v. les exemples [c] en [35], [37] et [39]
• Propositions relatives
Mais il existe une autre possibilité : plutôt que de supposer que les
syntagmes Qu- se déplacent, de façon générale, en tête de phrase, nous
pourrions plutôt dire qu'ils se déplacent en tête de proposition. Par
exemple, c'est ce que nous retrouvons dans les interrogatives indirectes :
50 Marie sait quand Paul est parti.
Nous pourrions alors proposer une dérivation différente pour la
phrase en (48). Plutôt que de supposer que le syntagme Qu- se déplace
d'un seul bond, on pourrait imaginer un déplacement en deux étapes,
où le syntagme Qu- « fait escale » en tête de la proposition subordonnée.
Cette hypothèse est illustrée en (51) :
51 Quand; Marie sait-elle [ t; que Paul est parti t; ] ?
nous suffit de dire que l'inversion stylistique est déclenchée par un syn-
tagme Qu- ou sa trace dans la proposition où le sujet est inversé. Étant
donné ceci, le syntagme Qu- en (46a) ne peut avoir pour point d'origine
que la subordonnée (comme c'est le cas en [52]). Par le fait même, la
phrase n'est pas ambiguë : le syntagme Qu- quand renvoie nécessaire-
ment au moment du départ de Louise.
En revanche, puisque aucun des sujets du verbe n'est inversé en (46b)
(rappelons que l'inversion stylistique est facultative en français), deux
dérivations sont possibles : une où le syntagme Qu- provient de la pro-
position principale (53a) et l'autre où il a pour point d'origine la subor-
donnée (53b) :
53 a. Quandj Marie a-t-elle dit tj [ que Louise était partie ] ?
4. Conclusion
1. En bref
• Sujet
• Complément circonstanciel
Selon Riegel étal., ces tours servent à manifester une Insistance sur le
sujet propositionnel, que l'on ne retrouve pas quand celui-ci est dans sa
position canonique:
Manquer le tram me gêne.
Que Pierre soit tombé amuse Sylvie.
Boire un chocolat espagnol est tenir toute l'Espagne dans sa bouche.
Qu'il ne soit pas venu est dommage.
La savoir malade n'ennuie.
Fait intéressant, ces auteurs notent que le détachement est obligatoire
dans les tours positifs mais non dans les tours négatifs :
Partir, c'est mourir un peu.
* Partir est mourir un peu.
Souffler, ce n'est pas jouer.
Souffler n'est pas jouer.
Autre fait noté par les mêmes auteurs : « [..,] la structure de la phrase avec
être ressemble à celle de la phrase impersonnelle. » Par exemple, aux deux
premières phrases ci-dessous, on peut ajouter la troisième :
Manquer le train est gênant.
Manquer le train, c'est gênant.
Il est gênant de manquer le train.
Du point de vue syntaxique, ces trois tours manifestent une différence
syntaxique importante. On notera en effet que seule la construction imper-
sonnelle exige la présence de la préposition de devant la complétive. Sans
elle, la phrase est impossible:
* // est gênant manquer le train.
En revanche, les deux autres tours peuvent se construire avec ou sans le
de, bien que les résultats soient quelque peu marginaux avec de. Ainsi, à nos
phrases précédentes, on ajoutera les suivantes :
De manquer le train est gênant.
De manquer le train, c'est gênant
Nombre de travaux récents se sont penchés sur les éléments qui compo-
sent la périphérie gauche d'une proposition et sur les implications théo-
riques qui en découlent (par exemple Rizzi 1997). Nous examinerons ici
quelques-uns des faits soulevés dans les travaux récents.
Signalons tout d'abord que le constituant disloqué doit suivre le com-
plémenteur (que ou si) dans une subordonnée (nous en avions déjà vu
un exemple en [170]) :
19 a. Je crois qu'à Paul, elle lui a écrit hier.
b. * Je crois, à Paul, qu'elle lui a écrit hier.
c. Je crois que Paul, elle lui a parlé hier.
d. * Je crois, Paul, qu'elle lui a parlé hier.
e. Je me demande si, à Paul, je lui dis la vérité.
f. * Je me demande, à Paul, si je lui dis la vérité.
(Notons que la situation est passablement plus complexe que ce que
suggèrent les exemples en [19]. Par exemple, Blasco-Dulbecco est d'avis
que la phrase [191"] est acceptable lorsque le syntagme disloqué est non
pas un SP mais un SN: Je me demande, Paul, si je lui dis la vérité; nous
renvoyons le lecteur à la discussion dans Blasco-Dulbecco 1999:152-161.)
En ce qui concerne les interrogatives directes, Hirschbùhler (1975) et
Rizzi (1997) notent que le constituent disloqué doit, cette fois, précéder
le syntagme Qu- :
20 a. Le prix Nobel, à qui vont-ils le donner ?
b. * À qui, le prix Nobel, vont-ils le donner ?
c. Paul, qui lui a parlé ?
d. * Qui, Paul, lui a parlé ?
e. A Paul, qui lui a parlé ?
f. * Qui, à Paul, lui a parlé ?
g. Paris, quand crois-tu que nous y habiterons ?
h. * Quand, Paris, crois-tu que nous y habiterons ?
Curieusement, cette contrainte semble moins stricte dans les inter-
rogatives indirectes. Bien que, encore une fois, les auteurs ne soient pas
unanimes quant à l'acceptabilité des différents exemples ci-dessous
(v. Blasco-Dulbecco, op. cit.], il semble que Tinterrogative indirecte
188 * C O N S T R U C T I O N S M É C O N N U E S DU F R A N Ç A I S
Labefle et Valois ont relevé 343 cas de verbes conjugués sans sujet exprimé,
par exemple des expressions du type Dort pour signifier la troisième per-
sonne du singulier du verbe au présent de l'indicatif (// dort) sur un total de
1409 occurrences de verbes, soit un pourcentage de 24%. Il n'est donc pas
étonnant que l'omission du pronom chez les jeunes enfants s'étende aux
constructions disloquées»
Un regard attentif sur la structure syntaxique des phrases du type Dort
bébé confirme l'hypothèse de la dislocation.
Tout d'abord, dans tous les cas de séquence verbe + «sujet» postverbal, le
SN est défini. Autrement dit, il n'a été relevé aucun cas de structures verbe +
«sujet» postverbal indéfini du type Dort un monsieur. Il s'agit pourtant d'une
séquence à laquelle on devrait s'attendre si le SN était le véritable sujet du
verbe, puisque le français admet les SN sujets indéfinis. Or, ce résultat est
prévisible selon l'hypothèse de la dislocation du sujet puisque que seul un
SN défini peut être disloqué :
II dort, le monsieur,
* // dort, un monsieur.
Ensuite, il existe des cas de cooccurrence de SN postverbal et de locutions
adverbiales pour lesquels seule l'hypothèse de la dislocation est plausible.
Par exemple, Labelle et Valois ont relevé six occurrences de la séquence tout
seul avec un sujet postverbal. Dans tous ces cas, le SN suit la locution :
Dort tout seul bébé.
* Dort bébé tout seul.
Or, il s'agit encore une fois de l'ordre attendu dans une structure où le SN
serait un sujet disloqué, l'ordre inverse étant impossible :
II dort tout seul, le bébé.
* II dort, le bébé, tout seul.
Nous avons vu qu'un constituant peut être disloqué soit à gauche, soit
à droite. Il existe cependant certaines différences syntaxiques entre la
dislocation à gauche et la dislocation à droite. Notre objectif sera, dans
ce qui suit, d'en examiner quelques-unes.
190 * C O N S T R U C T I O N S M É C O N N U E S DU F R A N Ç A I S
5. Conclusion
Dans cet ouvrage, nous avons fait un tour d'horizon d'un certain nombre
de constructions du français qui n'ont pas été — ou très peu — décrites
dans les grammaires traditionnelles.
Bien entendu, les descriptions et analyses que nous avons présen-
tées ne sont pas exhaustives. Les recherches en grammaire générative
ont permis de découvrir et de décrire les propriétés d'une foule d'autres
constructions dont il n'a pas été question dans ce livre. Mais il nous fal-
lait faire des choix, soit en vue de limiter le contenu, soit dans le but de
simplifier l'exposé. Quoi qu'il en soit, nous espérons que la lecture de cet
ouvrage aura éveillé la curiosité du lecteur et lui aura donné l'envie de
réfléchir davantage sur l'extrême complexité de la grammaire du fran-
çais.
Nous n'avons pas non plus abordé les concepts fondamentaux de
la théorie syntaxique générative. C'était à dessein, car nous voulions
orienter ce livre davantage sur la description des faits que sur les ana-
lyses. Néanmoins, nous avons fait appel à l'occasion à des termes spé-
cialisés et à certaines notions de base, comme celles du déplacement et
des traces, qui étaient essentiels au développement d'une argumentation
cohérente. Au terme de cet ouvrage, peut-être le lecteur voudra-t-il, et ce
serait tant mieux, se familiariser davantage avec le modèle théorique uti-
lisé dans les travaux en grammaire générative. Certains articles ou livres
d'introduction à la théorie, relativement récents et portant sur la langue
196 » C O N S T R U C T I O N S M É C O N N U E S DU F R A N Ç A I S
française, pourront remplir cet office, entre autres Rouveret (1987), Jones
(1996), Pollock (1997), Brousseau et Roberge (2000) et Tellier (2003).
L'objectif de ce livre, au départ, était double. Tout d'abord, il s'agissait
de rassembler des faits du français qui sont disséminés ça et là dans les
articles spécialisés. En les regroupant ici, nous avons pu faire le point sur
l'ensemble des propriétés de chacune des constructions abordées. Cette
entreprise, nous l'espérons, sera utile non seulement aux étudiants et aux
chercheurs, mais à quiconque s'intéresse de près à la grammaire du français.
Notre deuxième objectif était d'illustrer comment une approche
théorique particulière peut mener à des découvertes surprenantes. En
effet, la théorie adoptée nous aura permis d'examiner les faits du fran-
çais sous un angle nouveau, ce qui, par le fait même, nous a amenés
à poser des questions qui n'auraient pas pu être soulevées auparavant.
Pour y répondre, l'approche générative a recours aux jugements des
locuteurs natifs. La prise en considération des phrases agrammaticales
d'une langue constitue un apport majeur de l'approche générative. C'est
un des aspects qui la différencient des autres approches théoriques de
l'étude de la langue. Bien plus que de simplement décrire les faits, l'ob-
jectif de la théorie générative est de décrire la connaissance qu'ont les
locuteurs de la syntaxe de leur langue. Or, la connaissance d'une langue
implique tout aussi bien connaître ce qui est possible que reconnaître ce
qui ne l'est pas.
L'approche adoptée par la grammaire générative nous permet aussi
— et c'est très nouveau par rapport aux grammaires traditionnelles —
d'établir des généralisations qui permettent de relier des constructions
non apparentées à première vue. La grammaire générative, en effet, ne
se limite pas à dresser des inventaires. Elle vise plutôt à cerner les pro-
priétés (parfois abstraites) qu'ont en commun différentes constructions,
et donc à expliquer pourquoi elles se comportent de manière analogue
dans tel ou tel contexte.
Si les grammaires traditionnelles servent souvent aux théoriciens,
ces derniers peuvent, comme nous l'avons vu tout au long de ce livre,
apporter une foule de faits nouveaux et enrichir de beaucoup les des-
criptions existantes. Mais ces faits et leur analyse demeurent, même
aujourd'hui, très peu connus hors du cercle des linguistes générativistes.
En faisant état de certaines des découvertes importantes faites au cours
des quelque quarante dernières années en grammaire générative, nous
espérons avoir réussi à faire le pont entre grammaire et théorie.
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BIBLIOGRAPHIE * 203
INTRODUCTION g
Quand la théorie guide l'observation 10
Une révolution dans l'étude du langage 11
Des résultats méconnus 12
Questions de méthodologie 13
3 LA NEGATION DE PHRASE 61
1. En bref 61
2. Propriétés 63
2.1. Pas et placement du verbe et de l'auxiliaire 64
2.2. Contraintes sur la distribution de personne 69
2.3. Contraintes intra-propositionnelles 70
3. Parallèles entre négation et interrogatives partielles 72
3.1. Point d'origine du syntagme interrogatif 72
et distribution de personne
3.2. La négation contrastive 75
4. Conclusion 78
10 LA DISLOCATION 179
1. En bref 179
2. Typologie et caractéristiques syntaxiques de la dislocation 180
2.1. Dislocations multiples 185
2.2. La dislocation dans les complétives 185
2.3. Dislocation et autres éléments périphériques de la phrase 187
3. De quelques différences entre dislocation à gauche 189
et dislocation à droite
4. Comment les structures disloquées sont-elles dérivées? 191
5. Conclusion 194
CONCLUSION 195
BIBLIOGRAPHIE 197
quebec Canada
2006