Les Écrivains Francs-Maçons de Belgique
Les Écrivains Francs-Maçons de Belgique
Les Écrivains Francs-Maçons de Belgique
DIGITHÈQUE
Université libre de Bruxelles
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http://digistore.bib.ulb.ac.be/2012/i9782930149028_000_f.pdf
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LES ÉCRIVAINS
FRANCS-MAÇONS
DE B E L G I Q U E
Delsemme, Paul.
Les écrivains francs-maçons de Belgique / Paul Delsemme ; préface de
Raymond Trousson. — Bruxelles, Bibliothèques de l'Université libre de
Bruxelles, 2004. — 568 p. ;
1 6 x 2 4 cm.
ISBN 2-930149-02-7 — D.2004/7420/1
1. Franc-maçonnerie et littérature 2. Littérature belge — Histoire et critique
3. Francs-maçons — Belgique — Histoire
I. Titre
366.1
À la mémoire de John Bartier.
TABLE
Préface n
Avant-Propos 23
I. Charles-Joseph de Ligne 59
IL Contemporains du Romantisme 68
Joseph Defrenne, 68. Goswin de Stassart, 68. Louis De
Potter, 72. Louis-Vincent Raoul, 75. Auguste Baron, 76.
François-Désiré Bancel, 79. Théodore Weustenraad, 80.
Edouard Wacken, 81. Antoine Clesse, 82. Félix Bovie, 83.
Victor Lefèvre, 84. Alexandre Henné, 84. Honoré Chavée, 85.
Charles Potvin, 88. La Revue trimestrielle, 92. Charles
Rahlenbeck, 93. Pierre Tempels, 94. Joseph Demoulin, 95.
Charles De Coster, 98.
7
8 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
CONCLUSIONS
Bibliographie 529
Index 545
PRÉFACE
par Raymond Trousson
il
12 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
qui avait fait du bruit et dont le titre devait inspirer chez nous celui de la
revue Van Nu en Straks. C'est le succès de cet ouvrage qui lui ouvrit les
milieux des beaux-arts et le rapprocha de Paul Gauguin. Venu à Bruxelles,
Morice fut accueilli par Octave Maus et Henri de Groux dans les salons de
la Libre esthétique, et y fit nombre de conférences très suivies. Actif et entre-
prenant, il collabore avec Gauguin pour la mise en forme de Noa-Noa
(1901) et enseigne un moment la littérature et l'esthétique à l'Université
nouvelle, issue des conflits idéologiques et politiques qui avaient en 1894
déchiré le Conseil d'administration de l'U.L.B. Dans ce livre solidement
informé, Delsemme a su faire revivre une figure essentielle du symbolisme,
dont Morice fut l'un des théoriciens, et remettre dans un juste éclairage
une personnalité et une œuvre peu à peu tombées dans l'oubli. Déjà s'af-
firmaient ici une réelle maîtrise de l'histoire littéraire, un constant souci de
rigueur et d'information qui se retrouveront dans ses autres travaux.
Comment en vint-il, après Morice, à un autre théoricien du symbo-
lisme, fils d'un médecin polonais émigré et collaborateur assidu de la Revue
wagnérienne et de la Revue contemporaine ? Teodor de Wyzewa et le cosmopo-
litisme littéraire en France à l'époque du symbolisme, paru en 1967, était la
version définitive d'une brillante thèse de doctorat soutenue en 1962, qui
révélait en Paul Delsemme, non seulement l'un des meilleurs connaisseurs
de ce mouvement, mais aussi un maître de la littérature comparée. C o m m e
Charles Morice, dont les poèmes et les romans n'ont pas survécu, Wyzewa
ne s'impose guère comme créateur et ses Contes chrétiens ou Valbert, sans
originalité, n'ont pas laissé de traces. En revanche, son imposante oeuvre
critique — plus d'un millier d'articles — méritait amplement l'examen
attentif. Allant à contre-courant à une époque où la récente défaite de 1870
conduisait à un nationalisme revanchard, Wyzewa n'hésitait pas à révéler
aux Français la pensée de Nietzsche ou le théâtre de Hauptmann et à célé-
brer Wagner. Animées d'une curiosité universelle et foncièrement cosmo-
polite, ses études élargissent les horizons de l'époque : Wyzewa conduit ses
lecteurs vers Ibsen ou Strindberg, leur fait découvrir les représentants des
lettres néerlandaises, Multatuli, Louis Couperus, Pol de Mont ou Henri
Conscience. Il n'ignore ni le domaine italien ni la littérature espagnole, tra-
duit une quarantaine d'oeuvres, d'Emily Brontë à François d'Assise, de la
Légende dorée à Tolstoï. Surtout, il familiarise le public avec les œuvres de
Sienkiewicz, de Wyspiansky et de Mickiewicz, s'enthousiasme pour
Gontcharov, Gogol, Tourgueniev et Tolstoï — quitte à se tromper lourde-
ment sur un Dostoïevski dont il dénonce les " niaiseries " et qu'il compare
à Eugène Sue. L'ouvrage définitif de Paul Delsemme ne laisse rien ignorer
14 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
surprenant que le volume d'hommages que lui offrirent en 1983 ses amis,
collègues et anciens élèves, s'intitule Théâtre de toujours. D'Aristote à
Kalisky. De cet intérêt soutenu témoignent d'importantes études sur la
" dramaturgie du document " (1971), cette forme particulière de représen-
tation dramatique qui se donne pour objet la mise en scène des problèmes
idéologiques ou politiques contemporains. Par ailleurs membre du Conseil
national de l'art dramatique, il est aussi l'auteur d'une étude capitale sur
l'œuvre dramatique, sa structure et sa représentation (1983).
Libéré en 1983 de ses enseignements et de ses soucis de gestionnaire des
bibliothèques, Paul Delsemme fut élu le 10 janvier 1998 à l'Académie
royale de langue et de littérature françaises, dont il est l'un des membres les
plus assidus et où il enchante ses confrères de communications de haute
tenue, nourries du savoir et de l'expérience d'une vie de recherches et de
lectures.
O n se tromperait lourdement en pensant qu'il se borne désormais à
jouir de loisirs où le travail du chercheur aurait peu à peu fait place à la
rêverie du retraité. Il suffirait, pour se détromper, de feuilleter Les grands
courants de la littérature européenne et les écrivains belges de langue française,
un volume publié en 1995 qui rassemble seize études essentielles parues
entre 1966 et 1994. Elles portent, bien entendu, sur le symbolisme et sur
des questions de création et d'esthétique théâtrales, mais aussi sur divers
sujets relevant des lettres françaises de Belgique. S'il fallait opérer un choix,
j'aimerais recommander l'enquête consacrée à La Société nouvelle, la grande
publication cosmopolite et socialiste, voire anarchisante, dirigée de 1884
à 1897 par le Borain Fernand Brouez. Paul Delsemme en analyse minu-
tieusement le contenu, montrant comment la plupart des noms fameux des
lettres européennes trouvent place dans ce périodique d'une rare qualité
qui atteste l'insatiable curiosité des intellectuels belges à la grande époque
de la " renaissance " de nos lettres. Hauptmann et Marlowe, Dostoïevski et
Swinburne, Tourgueniev et Oscar Wilde sont révélés ou expliqués à un
public d'amateurs cultivés par des collaborateurs de choix, d'Eugène Hins
à Léopold Wallner, de Brouez lui-même à Francis Nautet. Je tirerais aussi
hors de pair la remarquable contribution consacrée au " style coruscant ",
cet héritier singulier de " l'écriture artiste " des Goncourt, caractérisé par
la recherche — et l'abus — du néologisme ou de l'obsolète, du rare, du
bizarre et de la torture syntaxique, un style pratiqué chez nous par
Elskamp, Verhaeren ou Lemonnier. Quelle patience et que de lectures ont
été nécessaires pour rassembler tant d'exemples et les analyser afin de met-
tre en lumière un phénomène d'écriture qui, loin d'être exclusivement
l6 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
Même s'ils lui ont inspiré des enquêtes de premier ordre, l'histoire du
symbolisme et le théâtre n'épuisent pas les intérêts de Paul Delsemme. En
1983, à l'occasion de la publication, par les Éditions de l'Université de
Bruxelles, d'un ouvrage collectif qui célébrait le 150 e anniversaire du
Grand Orient de Belgique et intitulé Visages de la Franc-Maçonnerie belge
du XVIII' au XX siècle, il publiait un long article consacré aux écrivains bel-
ges francs-maçons, du prince de Ligne à Fernand Dumont. Quinze ans
plus tard, en octobre 1998, un colloque tenu à l'Université de Bologne sur
le thème Massoneria e cultura lui fournit l'opportunité d'affiner et de pré-
ciser certaines de ses analyses. Rien de surprenant, car Paul Delsemme sait
mieux que quiconque de quoi il parle. Initié en 1933 au " 45 Égalité " du
Droit humain, il appartient depuis 1945 à la loge " Prométhée ", du Grand
Orient de Belgique : Franc-Maçon depuis plus de soixante-dix ans, il est un
des doyens de la confrérie.
S'en tenant d'abord aux belles-lettres, c'est-à-dire aux poètes, roman-
ciers, dramaturges, essayistes, critiques, voire historiens littéraires,
Delsemme avait été frappé du nombre considérable d'écrivains, célèbres ou
oubliés, qui avaient, dès avant l'indépendance, adhéré à la Franc-
PRÉFACE 17
long du XIX e siècle pour découvrir comment s'est faite l'évolution vers une
Maçonnerie rationaliste, affranchie de toute obédience religieuse et fondée
à la fois sur une morale humaniste, un rationalisme hérité du siècle des
Lumières et une volonté de laïcisation de la société. Inutile de dire qu'une
copieuse bibliographie permettra à qui le souhaite de pousser plus loin ses
investigations.
Nombreux, on l'a vu déjà, sont les écrivains qui ont appartenu à la
Franc-Maçonnerie, mais rares ceux qui, dans leurs œuvres, ont incorporé
le symbolisme et les rites de la confrérie. Même Charles De Coster, dont la
Légende d'Ulenspiegel relève indiscutablement de l'esprit des loges, s'est
gardé, quoi qu'en aient dit certains critiques, d'y insérer des signes, évi-
dents ou discrets, à l'usage des initiés. Rien de plus naturel, pour deux
raisons. En premier lieu, De Coster ne souhaitait pas faire de son récit
l'expression d'une société quelconque, si noble fut-elle, ni la transformer,
pour les profanes, en un jeu de devinettes ; en second lieu, l'écrivain qui se
hâte de publier à la fin de décembre 1867 afin de se trouver sur les rangs
pour l'obtention du très officiel et gouvernemental Prix quinquennal ne se
souciait pas non plus de révéler publiquement sa qualité de Maçon. Les
raisons de De Coster valent pour les autres. N o n seulement les initiés
observent une règle de discrétion, mais ils ont aussi quelques raisons de
redouter les désagréments que le monde profane réserve parfois au Maçon
qui se découvre. O n n'en voit donc guère qui, comme Victor Van De Walle
ou Johan Daisne, glissent dans leurs fictions des allusions à la Maçonnerie.
C'est pourquoi, en l'absence compréhensible de professions de foi expli-
cites, Paul Delsemme s'est partout efforcé de relever dans les oeuvres les
traces de l'idéal maçonnique dont il a développé les principes en première
partie et qui rassemble les auteurs cités dans une fraternité intemporelle^
Au-delà de la diversité des individus, des caractères, des talents, se révèle ici,
en effet, une remarquable parenté idéologique qui les réunit dans une
commune volonté d'édification d'un monde meilleur et plus juste.
Son ouvrage aurait pu se présenter sous la forme d'un dictionnaire. Il
eût suffi de classer les écrivains dans l'ordre alphabétique traditionnel pour
faire de l'ouvrage un outil de travail et d'information d'un maniement
commode. Un tel projet était défendable, mais Paul Delsemme franc-
maçon demeure Paul Delsemme historien littéraire et historien des idées.
Aussi a-t-il choisi de répartir la matière en tranches chronologiques signifi-
catives. Peu de chose pour le XVIII e siècle, représenté par le seul prince de
Ligne, mais un important XLXe et un riche XX e siècle, qui le serait davan-
tage encore s'il était permis d'y compter les Maçons toujours en vie. Ce
PRÉFACE 21
que les mauvais esprits de l'époque, jouant sur ses initiales, se plaisaient à
nommer " Le Vieux Radoteur " ? O n en dirait autant, pêle-mêle, pour
Hermann Pergameni, Olympe Gilbart, Robert Frickx, Edmond Kinds,
Georges de Froidcourt, Jean Francis et nombre d'autres. Non seulement
Delsemme retrace au plus près la carrière du personnage, le situe dans son
contexte historique et esthétique, mais il analyse des écrits, cite — large-
ment parfois — des textes : à certains égards, son livre prend ainsi
valeur d'anthologie. Ce qui eût pu n'être qu'une succession de notices bio-
bibliographiques devient ainsi un travail d'histoire littéraire composé
d'études minutieuses informées aux meilleures sources et parfois nourries,
comme dans le cas du journaliste Frans Fischer ou de Serge Brisy, pseudo-
nyme masculin de Nelly Schoenfeld, de rapports personnels et amicaux.
Le résultat est un ouvrage précieux à plus d'un titre, qui intéressera le
profane comme le spécialiste, d'autant plus que son auteur manie la plume
avec un bonheur d'expression qui témoigne à la fois de connaissances sûres
et d'un enthousiasme communicatif. Attentif à rendre son travail utile et
de consultation aisée, il n'a pas jugé bon de l'alourdir par des notes qui en
auraient rendu la lecture moins fluide, mais il a eu soin de procurer à ses
lecteurs une riche bibliographie consacrée tant aux individus qu'à la Franc-
Maçonnerie elle-même et de pourvoir cet impressionnant volume, vérita-
ble mine d'informations, d'un index où plus de treize cents entrées attes-
tent l'ampleur de l'enquête et la richesse de la matière.
Dans ce que Franz Hellens, autrefois doyen de nos gens de lettres, appe-
lait " l'automne de son grand âge ", Paul Delsemme n'a rien perdu de son
ardeur au travail ni de son souci de servir une cause qui lui tient à cœur
depuis près de trois quarts de siècle. O n l'en remerciera par une acclama-
tion qui sonnera familière à ses oreilles : Vivat, vivat, semper vivat !
Raymond Trousson,
Membre de l'Académie royale
de langue et de littérature françaises
AVANT-PROPOS
13
24 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
Franc-Maçonnerie ", a pour but d'aider le lecteur à situer chacun des écri-
vains recensés par rapport à l'évolution de l'institution.
Pour mener à terme notre travail, nous avons eu besoin d'informations.
Nous remercions tout d'abord nos informateurs les plus efficaces et les plus
diligents, parce qu'ils ont la haute main sur des trésors du savoir et qu'ils
sont généreux de leur temps : M M . Frank Langenaken (CEDOM), Jacques
Detemmerman {Bibliographie des écrivains français de Belgique), René Fayt
et Colette De Schutter (Réserve précieuse des Bibliothèques de l'Université
libre de Bruxelles). En ce qui concerne plus particulièrement certains
écrivains, nous avons reçu l'aide de M m e s Mark Braet, Godelieve
Denhaene, Hena Maes-Jelinek, Louis Musin, Katia Petit-Musin, Léon
Somville, Nicole Verschoore, de M M . Jean-Luc Boîgelot, Roland
Brulmans, Jean De Bock, Jean-Jacques De Gheyndt, Michel De Greef,
Jaak Frontier, Roger Grignard, Gaspard Hons, Louis Lingier, Paul Louka,
Jean Rigot, Didier Ruttiens, Henri Ruttiens, Michel Thiery, Jeffrey
Tyssens, Paul van Aken, Jean-Pierre Vanbergen, Jean Vandievoet. Nous leur
réitérons ici notre gratitude.
Notre dette à l'égard d'Alain Esterzon est d'une autre sorte. C'est lui qui
a souhaité que notre documentation sur les écrivains belges francs-maçons
aboutisse à un livre. L'ouvrage serait sans doute resté à l'état de projet s'il
ne nous avait communiqué sa conviction qu'il répond à un intérêt réel,
sinon à une attente. Pendant près de deux ans, il a réglé, avec Muriel
Collart, tous les problèmes matériels d'une édition, sans jamais perdre une
once de son enthousiasme initial.
Accueillant le volume dans la collection des ouvrages édités par les
Bibliothèques de l'Université libre de Bruxelles, le Professeur Jean-Pierre
Devroey ajoute un maillon à la chaîne d'amitié qui nous unit à lui depuis
tant d'années.
PREMIÈRE PARTIE
UNE HISTOIRE C O N D E N S É E
DE LA
FRANC-MAÇONNERIE
I
LE P R E M I E R S I È C L E
D E LA F R A N C - M A Ç O N N E R I E M O D E R N E
27
28 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
Le texte est formel, sans ambiguïté : cette religion sur laquelle tous
les h o m m e s sont d'accord, c'est la religion naturelle que Désaguliers
trouve dans la philosophie de Newton, c'est le déisme avec son corol-
laire, la tolérance religieuse, la grande idée, l'ardente prédication du
siècle des Lumières. À remarquer que la nouvelle Franc-Maçonnerie,
dans son manifeste de 1 7 2 3 , n'invoque ni les saints du Paradis (la
Réforme a agi), ni m ê m e la Trinité (toujours mentionnée dans la tradi-
tion des corporations catholiques).
pas de tous les côtés. Assez paradoxalement, des têtes couronnées et des
princes de sang, moins de vingt ans après la fondation de la Grande
Loge de Londres, firent acte d'allégeance à une organisation qui se pla-
çait au-dessus de l'État et se déclarait internationale. François de
Habsbourg-Lorraine (1708-1765), marié en 1736 à la future impéra-
trice Marie-Thérèse, n o m m é corégent à l'avènement de son épouse en
1740 et en 1745 élu empereur du Saint-Empire romain germanique,
reçut la lumière à La Haye, dans une loge temporaire, le 14 mai 1731,
à une époque où il ne portait encore que le titre de duc de Lorraine : u n
événement mémorable, car c'était la première fois qu'un membre de
famille régnante entrait dans la Maçonnerie. Son frère (par le sang),
Charles de Lorraine (1712-1780), gouverneur général des Pays-Bas de
1744 jusqu'à sa mort, fut comme lui u n Maçon zélé, encourageant les
progrès des Lumières. Le 5 novembre 1737, Désaguliers eut l'honneur
de conférer les deux premiers grades maçonniques à Frederick Lewis
(1707-1751), prince de Galles, d o n t il était le chapelain. Frédéric II le
Grand (1712-1786), roi de Prusse, fut initié le 14 août 1738 (alors qu'il
était encore prince héritier). Des membres de la haute noblesse frappè-
rent à la porte des temples. En Angleterre, le successeur de Désaguliers
à la maîtrise de la Grande Loge fut le duc John de Montagu (1690-
1749). Autre exemple : en 1738, le duc d'Antin, petit-fils du marquis et
de la marquise de Montespan, fut élu " Grand Maître général et perpé-
tuel des Maçons du royaume de France ". Qu'est-ce qui les motivait, les
uns et les autres ? Vraisemblablement, l'attrait d'un mystère, le partage
de certaines idées et le plaisir d'être particulièrement honorés dans une
société où la fraternité, pourtant, est liée au principe de l'égalité ; mais
aussi u n e stratégie : pour s'assurer le contrôle d'une institution d o n t on
peut craindre la tendance subversive, le meilleur moyen est d'y entrer.
Il reste que la Franc-Maçonnerie suscitait de l'hostilité, m ê m e là où
elle jouissait de considération. C'était le cas en Autriche. Bien que la
cour de Vienne comptât de nombreux Maçons, parmi lesquels des
personnalités très proches de l'impératrice — n o t a m m e n t François, son
époux, le prince Wenzel von Kaunitz-Rietberg (1711-1783), son
Chancelier, le Hollandais Gérard Van Swieten (1700-1772), son
premier médecin — , Marie-Thérèse se méfiait d'une société qu'elle
soupçonnait de noirs desseins politiques et, très catholique, elle subis-
sait l'influence d ' u n clergé qui s'appliquait évidemment à entretenir ses
préventions. Elle soudoyait des espions, elle faisait surveiller la cor-
respondance des Maçons. Il lui aurait plu de proscrire la Franc-
34 LES ÉCRIVAINS F R A N C S - M A Ç O N S DE BELGIQUE
la seule raison que l'on n'était pas renseigné sur leurs mystères. Pour
moi, qui les ignore aussi, il me suffit de savoir qu'il est déjà résulté
de ces réunions de Francs-Maçons quelque bien pour le prochain,
pour les pauvres, pour l'éducation, pour que j'ordonne par les pré-
sentes des mesures plus favorables que celles qui ont été promulguées
en d'autres pays. Ignorant moi-même les lois des Francs-Maçons et
leurs délibérations, j'estime cependant qu'il faut les prendre sous la
protection et la sauvegarde de l'Etat aussi longtemps qu'ils feront le
bien, qu'il faut autoriser officiellement leurs réunions.
Joseph II, lorsqu'il légiférait, entrait dans les moindres détails ; par
exemple, réformant la pratique religieuse, il allait jusqu'à fixer le n o m -
bre de cierges qu'il fallait allumer à certains offices. L'édit du 9 janvier
1786 relatif à la Maçonnerie n'a pas échappé à son esprit minutieux.
Pour ne pas nous égarer en le démontrant, bornons-nous à constater
que l'article 1, à lui seul, bouleversait l'institution : " Il ne pourra y
avoir désormais qu'une seule Loge de Francs-Maçons dans chaque pro-
vince, cette Loge ne pourra se tenir dans d'autre ville que la capitale, où
réside le tribunal supérieur. "
Il en résulta que, dans les Pays-Bas autrichiens, vingt loges furent
supprimées et seules subsistèrent les trois autorisées à poursuivre leurs
travaux à Bruxelles : " L'Heureuse Rencontre ", " L'Union " et " Les
Vrais Amis de l'Union ". U n séisme ! Imaginant qu'il la préservait de
toutes dérives, Joseph II brisa la Maçonnerie de chez nous. Elle mit des
années à se reconstituer.
En France
41
41 LES ÉCRIVAINS F R A N C S - M A Ç O N S DE BELGIQUE
En Belgique
par la dissidence des loges de la région liégeoise groupées dans une fédé-
ration d'esprit principautaire qui se maintint jusqu'en 1854.
L'élection d u nouveau G r a n d Maître posa un problème délicat. Pour
Joseph Defrenne, Premier Grand Surveillant faisant fonction de Grand
Maître, il eût été normal d'élire le roi que la nation venait de se donner,
ce prince Léopold de Saxe-Cobourg-Gotha qui avait reçu la lumière
(par communication) en 1813 à la loge bernoise " L'Espérance ". Son
projet se heurta à l'opposition des Frères qui, en souvenir sans doute des
difficiles contacts avec le prince Frédéric, appelaient de leurs vœux une
personnalité absolument étrangère à la famille royale. L'affaire se
termina par u n compromis à la belge : le roi Léopold honora le G r a n d
Orient de Belgique de sa " protection spéciale " et, en 1835, désigna
c o m m e Grand Maître à vie son favori, le baron Goswin de Stassart.
La Belgique indépendante avait maintenu les trois universités d'Etat
fondées par Guillaume 1 e r à Gand, Liège et Louvain, mais elle les avait
amputées chacune de plusieurs facultés, créant des situations impossi-
bles qui appelaient une refonte de l'enseignement supérieur. Les tergi-
versations d u gouvernement unioniste (alliance des catholiques et des
libéraux), qui encommissionna l'affaire, incitèrent l'épiscopat à exploi-
ter l'article de la Constitution garantissant la liberté de l'enseignement
pour lancer l'idée, en 1832, d'une université catholique installée à
Malines. Le cheminement du projet en Belgique et à Rome ayant duré
assez longtemps, c'est le 11 juin 1834 que l'archevêque de Malines p u t
soumettre à la ratification des évêques les statuts de la cléricale institu-
tion. L'événement, bien que prévisible, consterna le milieu libéral, où
l'on avait espéré que l'État déciderait finalement d'établir à Bruxelles la
seule et unique université du pays. Il y eut des émeutes estudiantines à
G a n d , à Liège, à Louvain, et dès le 24 juin 1834, Théodore Verhaegen,
avocat de profession, et Auguste Baron, préfet de l'Athénée de Bruxelles
(initié de toute fraîche date, le 15 mai), proposèrent à leur loge, " Les
Amis Philanthropes ", de faire contrepoids à l'initiative catholique en
soutenant la formation à Bruxelles d'une université libre, u n projet
auquel — soit dit par parenthèse — Baron avait travaillé déjà en
septembre 1 8 3 1 . Les deux complices œuvrèrent avec une efficacité stu-
péfiante, faisant circuler des listes de souscription dans les loges et chez
les libéraux, recrutant des professeurs de préférence bénévoles et obte-
n a n t du bourgmestre de la ville, le Frère Nicolas-Jean Rouppe (1769-
1838), outre u n gros subside, la disposition des locaux d u Musée des
Sciences et des Lettres (hélas ! par pour longtemps). Le 20 novembre
48 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
meilleure " régularité ", neuf loges formèrent le 1 e r juin 1979 la Grande
Loge Régulière de Belgique, la seule obédience belge reconnue par la
Maçonnerie anglo-saxonne. Q u a n t à la Grande Loge de 1959, elle se
maintint et, loin de s'étioler, prospéra.
Les dissidences se répercutèrent au niveau des Hauts Grades. E n
1962, les Frères de ces grades qui voulaient marquer leur fidélité au
Grand Orient suscitèrent u n Souverain Collège du Rite Écossais pour
la Belgique, pratiquant le symbolisme dans u n esprit laïque et libre exa-
ministe. U n G r a n d et Suprême Conseil de Belgique est lié à la Grande
Loge, tandis qu'un Suprême Conseil de Belgique ne travaille qu'avec la
Grande Loge Régulière.
Si l'on s'en tient aux écrivains maçons les plus célèbres (en excluant
ceux d o n t l'appartenance n'est pas solidement attestée), o n constate
qu'il en existe dans chacune des grandes littératures :
— de langue anglaise : Alexander Pope, James Mason, Benjamin
Franklin, Robert Burns, Sheridan, Walter Scott, M a r k Twain, Oscar
Wilde, C o n a n Doyle, Rudyard Kipling ;
— de langue française : M o n t e s q u i e u , Voltaire, Helvétius,
Marmontel, Charles-Joseph de Ligne, abbé Jacques Delille, Chamfort,
Choderlos de Laclos, Joseph de Maistre, Parny, Maine de Biran, Emile
Littré, Pierre Proudhon, Emile Erckmann et Alexandre Chatrian,
Charles D e Coster, E d m o n d About, Jules Vallès ;
— de langue allemande : Friedrich Gottlieb Klopstock, Gotthold
E p h r a ï m Lessing, Christoph M a r t i n Wîeland, J o h a n n Gottfried
Herder, Goethe, August Kotzebue, Johann Gottlieb Fichte, Jean-Paul
Richter, Friedrich Rùckert, Heinrich Heine ;
— de langue italienne : Vittorio Alfieri, Giuseppe Mazzini, Giuseppe
Garibaldi, Giosué Carducci ;
— de langue espagnole : Simon Bolivar, Vicente Blasco Ibanez ;
— de langue russe : Pouchkine.
Les littératures de rayonnement plus faible comptent aussi des écri-
vains maçons c o n n u s internationalement. C i t o n s le Néerlandais
Eduard Douwes Dekker dit Multatuli et le Grec Nikos Kazantzakis.
54
UNE HISTOIRE CONDENSÉE DE LA FRANC-MAÇONNERIE 55
ÉCRIVAINS
DE
LANGUE FRANÇAISE
I
CHARLES-JOSEPH DE LIGNE
Le premier écrivain d o n t nous avons à faire état est aussi le plus ancien
que la littérature belge de langue française puisse revendiquer légitime-
ment. Baptisé à Bruxelles le 2 3 mai 1735, à l'époque où les Pays-Bas
méridionaux étaient autrichiens, m o r t à Vienne le 13 décembre 1814,
au m o m e n t où le Congrès remaniait l'Europe dans u n e ambiance de
fête, le prince CHARLES-JOSEPH DE LIGNE demeura tout au long de son
existence le fidèle sujet des Habsbourg, lié à cette dynastie par u n ser-
ment d'allégeance qu'il ne songea jamais à rompre, quelles que fussent
les circonstances politiques qui auraient p u l'y amener. Mais cette
dépendance d ' h o m m e lige n'affaiblissait en aucune manière son atta-
chement aux h o m m e s et aux choses de la Wallonie ancestrale ; il en
d o n n a des preuves nombreuses. Chassé de son cher Belœil après la
bataille de Fleurus, en 1794, il ressentira jusqu'à sa mort la nostalgie du
pays hennuyer. Il n'est pas abusif de le considérer c o m m e notre compa-
triote et d'inscrire son oeuvre au palmarès de la littérature française de
Belgique.
Deux événements — la m o r t de Charles, son fils préféré, tué le 14
novembre 1792 en Argonne, et la confiscation du domaine de Belœil
en 1794 — sonnèrent le glas de l'existence heureuse, comblée, qu'il
avait connue durant la quarantaine d'années où, avec allégresse, il s'était
partagé entre la guerre et les voyages, la cour et la ville, les salons et la
détente agreste, l'amour des femmes et la passion des jardins. Les sou-
verains de son temps — l'impératrice Marie-Thérèse, la reine Marie-
Antoinette, Joseph II, Frédéric II, Catherine II — l'avaient honoré de
leur amitié et de leur confiance. À l'exception de la gloire militaire d'un
maréchal de Saxe ou d'un prince Eugène qui lui fut obstinément refu-
sée, il avait reçu tout ce qu'il avait demandé à la vie. Réfugié à Vienne
en 1794, quasi ruiné, réduit à subsister tant bien que mal, il accepta le
59
60 LES ÉCRIVAINS F R A N C S - M A Ç O N S DE BELGIQUE
coup du sort avec une résignation souriante. Mettant à profit ses loisirs
forcés, il se consacra à l'édition de tout ce qui était venu sous sa plume
et continuait à y venir. C o m m e n c é e en 1795, la publication des
Mélanges littéraires, militaires et sentimentaires était achevée en 1811 ;
elle comportait trente-quatre volumes in-12. Tour à tour légers et
sérieux, paradoxaux et raisonnables, ces Mélanges sont u n mélange
adultère de tout, c'est u n prodigieux fatras où s'entassent mémoires,
pensées, lettres, souvenirs, anecdotes, portraits, discours, poèmes, chan-
sons, dialogues, saynètes, comédies et tragédies. Pas mal d'écrits du
prince ne figuraient pas dans ce fourre-tout, n o t a m m e n t la quasi-totalité
de sa volumineuse correspondance, chef-d'œuvre de l'art épistolaire, et
les Fragments de l'histoire de ma vie, où il se raconte et raconte son
époque sur le ton de la conversation : " J'ai quelquefois écrit ce que je me
suis rappelé, quelquefois ce que j'ai vu, fait, dit ou pensé dans le moment.
C'est plus commode pour eux [les lecteurs] et pour moi : on peut ouvrir
ce livre-ci, le fermer quand on veut et n'en prendre qu'à son aise. "
D e la masse des textes publiés et des posthumes, on n'a jamais
envisagé jusqu'ici de fournir u n e édition complète, entreprise démesu-
rée et controversable en raison des parties qui sont d'un intérêt trop par-
ticulier ou d'une valeur assez mince. M m e de Staël l'avait compris, qui
publia en 1809 u n choix très judicieux de textes, u n volume de Lettres
et pensées du maréchal prince de Ligne, sans conteste à l'origine de la
renommée universelle du prince c o m m e écrivain. U n ensemble plus
copieux, en quatre tomes, parut en 1860 à l'initiative d'Albert Lacroix
d o n t nous devrons parler plus loin. Il y eut surtout, au lendemain de la
Première Guerre mondiale, la série des ouvrages édités ou réédités sous
l'impulsion de la Société des Amis d u prince de Ligne, constituée en
juillet 1914, lors du centenaire de la m o r t de l'écrivain, et où s'activè-
rent de fervents lignistes (Félicien Leuridant, Henri Lebasteur, Gustave
Charlier). Leur organe, les Annales Prince de Ligne (1920-1938), a repris
vie en 1986 sous le titre Nouvelles Annales Prince de Ligne, auxquelles
collaborent avec zèle les lignistes d'aujourd'hui (notamment Roland
Mortier, Jeroom Vercruysse, R a y m o n d Trousson, Basil Guy, Charles
Bruneel, Bruno Colson, Manuel Couvreur, Philippe Mansel, Daniel
Acke). Il n'y a guère, la Librairie H o n o r é C h a m p i o n a commencé la
réédition, rigoureusement scientifique et en huit volumes, des écrits lit-
téraires et moraux majeurs du prince : ont déjà paru Fragments de l'his-
toire de ma vie (édition Jeroom Vercruysse) et Contes immoraux (édition
Roland Mortier et Manuel Couvreur). En outre, le projet existe de
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 6l
cadavres. C'est ainsi qu'on appelle les bouteilles vides. Je faisais quel-
quefois le chirurgien. Je piquais avec mon cure-dents, et faisais boire
de l'eau chaude, en faisant croire au récipiendaire que c'était son
sang. O n tua un jour innocemment dans une de nos loges, un pau-
vre diable qu'un frère terrible qui n'était pas assez fort, laissa tomber
dans un tournement entier qu'il fit faire à sa personne et dont il ne
put jamais se remettre. Je ne faisais mourir personne que de peur par
tous les tourments que je faisais éprouver. Les bancs sur lesquels je
les élevais jusqu'au grenier les y faisant tenir par les cornes ; les rames
sur les baquets d'eau qui passaient pour la mer : et mille autres cho-
ses pareilles : je faisais faire des confessions générales : je faisais croi-
re qu'il se passait des horreurs, dont on nous a soupçonnés.
les autres que pour lui-même. Aux trois Europe auxquelles il se ratta-
chait — l'Europe des cours et des dynasties, l'Europe des services et
l'Europe des Lumières — vint s'ajouter, à partir des années terribles,
l'Europe de la Contre-Révolution. II y adhéra, c o m m e tous les adversai-
res européens de la violence révolutionnaire, ensuite de l'impérialisme
napoléonien. Mais sans une once de rancœur personnelle et gardant sa
liberté de jugement. Les Anglais avaient beau être d u bon côté, il n'ai-
mait pas leur politique : " Si les Français avaient attaqué le D a n e m a r k
aussi injustement que les Anglais [en 1801] et tué deux mille bourgeois
par le bombardement de Copenhague, c o m m e o n crierait contre eux.
Quels montres, dirait-on. Mais les Anglais sont des anges. "
Mémoire sur les Juifi (1797), s'insurgeait : " Je conçois très bien l'origi-
ne de l'horreur qu'inspirent les Juifs ; mais il est grand temps que cela
finisse. U n e colère de 1800 ans m e paraît avoir duré longtemps assez. "
Il avait eu l'occasion d'observer l'affreuse misère physique et morale
des populations juives de l'Europe centrale et orientale. Quel état de
délabrement par comparaison avec les Juifs nantis et assimilés qu'il ren-
contrait à Vienne, à Prague ou à Berlin ! Avilis, humiliés, exclus de la
société civile, les Juifs sont devenus fatalement ce qu'on leur reproche
d'être : " trompeurs, peureux, menteurs et bas. " Il faut sortir de ce cer-
cle vicieux. Q u ' o n leur accorde d o n c u n statut civique ; o n n'aura pas
à le regretter, car ils ont de grandes vertus, " jamais ivres, toujours obéis-
sants, sujets fidèles au souverain au milieu de révoltes ", c o m m e ils sont
fidèles à leur religion, u n entêtement qui prouve leur courage. O u bien
— autre solution — qu'on leur offre la possibilité de reconstituer une
patrie en Palestine, terre o t t o m a n e que leur génie industrieux mettrait
en valeur, et " Jérusalem, petit trou horrible à présent, qui fait mal au
cœur aux pauvres diables de pèlerins qui y vont de temps en temps,
redeviendrait une capitale superbe ".
La femme a occupé u n e grande place dans la vie du prince. Tout
imprégnée de Yodor di femmina, son œuvre romanesque se distingue
cependant d e la littérature erotique de son époque, de cette masse de
romans où la femme était présentée systématiquement c o m m e un être
voué, par sa faiblesse et sa passivité, en u n m o t par sa nature, à subir la
volonté d u mâle dans une relation de maître à esclave. Ligne aime trop
l'amour pour réduire la femme à l'état d'objet. D a n s le propos limi-
naire de Confessions ou Indiscrétions de mes amis, rééditées récemment par
Roland Mortier et Manuel Couvreur, il déclarait : " Je dis quelquefois
du mal des h o m m e s ; mais au moins je vais dire d u bien des femmes.
Pauvre sexe qu'on perd à force de trouver, qu'on adore, qu'on abhorre,
qu'on persécute, quand on ne réussit pas, et qui est blâmé, quand on
réussit. " L'éducation donnée aux filles détermine ensuite leur condition
inférieure dans la société et tous les stratagèmes qu'elles doivent inven-
ter pour faire face. Il dit ce qu'il en pense dans maints passages de Mes
écarts ou ma tête en liberté, par exemple dans celui-ci :
68
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 69
Le romantique, dans mon idée, est donc celui qui demande à la litté-
rature de représenter le siècle, et, en conséquence, de ne pas admettre
comme règles nécessaires celles qui peuvent résulter de l'exemple des écri-
vains passés ; qui ne reconnaît pas pour principes constitutifs de l'homme
en général ceux de l'homme sous Périclès, sous Auguste, sous Médicis,
sous Louis XIV ; celui enfin, car toute la question est là, qui veut substi-
tuer l'examen à l'autorité, la raison à la foi, l'originalité à l'imagination.
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 77
* Il s'agit des Leçons françaises de littérature et morale, des auteurs Noël et de la Place
(1833), publiées en contrefaçon.
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 79
*
Peintre, aquafortiste et graveur, élève d u Frère Eugène Verboeckhoven,
F É L I X B O V I E (1812-1880) avait u n violon d'Ingres : la chanson. Il la
pratiquait avec une adresse qui reçut de vifs encouragements dans les
milieux auxquels il consacra ses loisirs : la Société vocale d'Ixelles (fon-
dée en 1839), le cercle des Agathopèdes (constitué en 1846) et les loges
maçonniques (il fut initié aux " Vrais Amis de l'Union " le 2 9 juin
1850). Il réunit ses Chansons en 1864 dans u n volume joliment illustré
et gratifié de trois préfaces, dues à Emile Greyson, Charles D e Coster et
Victor Lefèvre. La chanson leste y voisine avec la chanson maçonnique.
Grivois ? D'entrée de jeu, Bovie se disculpe :
1856 pour célébrer la fusion des " Vrais Amis de l'Union " et des " Amis
d u Progrès " :
*
Issu d'une famille namuroise très modeste, HONORÉ CHAVÉE (1815-
1877) fut l'élève successivement du Collège royal de N a m u r (le futur
Athénée), des séminaires de FIorefFe et de Namur. O r d o n n é prêtre en
1838, il avait suivi au préalable des études théologiques à l'Université
86 LES ÉCRIVAINS F R A N C S - M A Ç O N S DE BELGIQUE
question lui tenait à cœur. Il la développa dans " Moïse et les langues
ou Démonstration par la linguistique de la pluralité originelle des races
humaines " que publia la Revue philosophique et religieuse en 1855 et
d o n t il d o n n a une version mûrie dans Les langues et les races (1862). Si
l'on écarte les parties caduques de ce livre — elles sont nombreuses — ,
il reste tout de m ê m e l'ébauche de quelques constatations, n o t a m m e n t
dans le domaine phonétique, que l'école d e Leipzig, dite plus souvent
néogrammairienne, précisera à la fin du XLXe siècle.
Chavée avait gardé des contacts avec la Belgique. Son livre sur la
Lexiologie avait bénéficié d ' u n subside de 4.000 francs accordé par le
ministre Charles Rogier. Il venait à Bruxelles, à Anvers, à Namur, pour
donner des conférences d o n t o n appréciait la chaleur oratoire. D e sa
fidélité à la terre natale témoigne une étude que l'on consulte encore
avec profit, Français et wallon. Parallèle linguistique (1857), où il observe
que les mots wallons représentent souvent la forme archaïque des
vocables français : il en résulte que ce dialecte, traqué par l'instituteur,
discrédité dans le public, h o n n i par la bourgeoisie, est une mine d'in-
formations linguistiques. L'auteur suggérait une représentation gra-
phique des mots wallons ; mais son système était trop compliqué. Il fau-
dra attendre Jules Feller. Son étude retint, n o n sans raisons, l'attention
des maîtres de la philologie romane, n o t a m m e n t Lorenz Diefenbach.
E n 1867, il fonda la Revue de linguistique et de philologie qui se pro-
posait de servir " la science positive des langues ", ainsi que l'ethnologie,
la mythologie et l'histoire. Une publication scientifique, mais très inféo-
dée à la philosophie positiviste et désireuse d'en être la propagandiste.
E n 1 8 7 1 , il épousa — civilement — une Américaine, Harriett
Harrison. Le 8 juillet 1875, il reçut la lumière à la loge " La Clémente
Amitié ", à l'Orient de Paris, en m ê m e temps que Jules Ferry, person-
nalité politique considérable, et Emile Littré (1801-1881), philosophe
positiviste et auteur du fameux dictionnaire, commencé en 1844,
achevé en 1873. Notre compatriote se trouvait en belle compagnie. Aux
yeux du grand public et de la presse, c'est l'initiation de Littré qui consti-
tuait l'événement. Les journaux en parlèrent. O n raconta que, en ce
8 juillet, h u i t à dix mille personnes attendaient devant les portes du
G r a n d Orient. U n banquet précéda la cérémonie proprement dite.
Présidé par le Vénérable Maître, Charles Cousin, grand ingénieur, il
réunit des fleurons d e la Maçonnerie : Léon Gambetta, Emile Arago,
Louis Blanc, H e n r i Brisson, E d m o n d About, Paul Maurice, Jules
Claretie... Si la cérémonie du 8 juillet fit grand bruit, c'est que
88 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
Lemonnier déclarait u n peu plus loin : " Potvin à lui seul fut une
bibliothèque entière. " Q u e peut-on retenir de cette bibliothèque ? Ce
qui relève de la création littéraire est mort, mort depuis longtemps : les
poèmes, prosaïques et grandiloquents, sont devenus illisibles ; les dra-
mes et les comédies, en leur temps déjà, passaient pour injouables,
encore que leur auteur obtînt par trois fois le prix triennal de littéra-
ture dramatique ! Par contre, la moisson est riche dans les autres
domaines labourés par Potvin. Ses écrits de militant et de polémiste
font revivre les débats politiques et moraux de son époque. Témoins de
sa curiosité insatiable, ses contributions à la science historique et à la
philologie sont d'un initiateur qu'on ne peut négliger. Il convient de
faire grand cas de l'historien de nos deux littératures nationales : il en a
dressé un inventaire d'une ampleur exceptionnelle.
Jetons u n coup d'oeil sur cette partie importante de son œuvre.
En 1870, il publia, sous le titre Nos premiers siècles littéraires, u n
choix des conférences qu'il avait données à l'hôtel de ville de Bruxelles
entre 1865 et 1868. Très attaché à la fraternité qui doit régner au sein
d'une nation bilingue, il avait marqué équitablement la place qui
revient aux écrivains flamands.
Il collabora peu après à Patria Belgica, l'ouvrage collectif conçu par
Eugène Van Bemmel et d o n t les trois gros volumes parurent entre 1873
et 1875- C'était notre première encyclopédie nationale ; ce fut aussi le
premier panorama des deux littératures belges, celle de langue française
et celle de langue néerlandaise. Le plan de l'ouvrage lui ayant attribué
l'histoire de la partie ancienne de notre littérature française, Potvin s'at-
tacha à dénombrer et à caractériser les œuvres qui, depuis le moyen âge
jusqu'en 1830, fleurirent entre les frontières changeantes de ce qu'il appelait
volontiers, à l'ancienne mode, les provinces belgiques. O n devine que Van
Bemmel, le maître d'oeuvre, a imposé une limite à sa prolixité bien connue :
son exposé est clair, concentré. Ce qui n'exclut pas la manifestation de son
90 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
patriotisme, ému par les épreuves des Belges d'autrefois et porté à imaginer
les heureuses conséquences d'une histoire différente. Q u ' o n se figure ce qui
serait advenu si le grand État bourguignon avait duré !
En 1880, la Belgique célébra avec faste le cinquantenaire de son
indépendance. Le souvenir des fêtes habitait encore les esprits lorsque
parut Cinquante ans de liberté, offrant en quatre tomes le " tableau du
développement intellectuel de la Belgique depuis 1830 ". Le tome IV,
relatif aux lettres, publié en 1882, avait pour seul auteur Charles Potvin.
O n l'y retrouve tout entier, encyclopédique et remueur d'idées, objectif
par honnêteté intellectuelle et subjectif par tempérament. Il a divisé son
livre (un in-octavo de 4 8 3 pages) en deux parties : la première consa-
crée aux sciences historiques, morales et politiques, la seconde à la litté-
rature entendue stricto sensu. Il a placé côte à côte les auteurs de langue
française et ceux de langue flamande (il ne dit pas « néerlandaise »).
L'index des écrivains belges cités — belges de nationalité et belges
d'avant 1830, répertoriés sur la base de ses critères annexionnistes —
relève près de neuf cents noms. C'est vertigineux ! Si l'on procède à u n
regroupement en fonction des époques et des langues, o n obtient ceci :
*
Journaliste, auteur dramatique, revuiste, chansonnier, poète, romancier,
JOSEPH DEMOULIN (1825-1879), natif de Liège, est une figure
mémorable des lettres belges antérieures au renouveau des années 1880.
Il fut aussi un militant tenace de la laïcité et de la libre pensée, un
Maçon assidu et actif.
Il se trouva à Paris en 1848, aux côtés des révolutionnaires. Il eut des
contacts avec Proudhon, Louis Blanc, Louis Blanqui. Expulsé en 1851
pour avoir écrit une chanson contre Louis-Napoléon, il revint au pays.
Initié aux " Philadelphes ", à l'Orient de Verviers, il demanda le 8
février 1854 à pouvoir fréquenter régulièrement la loge liégeoise " La
Parfaite Intelligence et l'Étoile réunies ". En 1852, il avait lancé à Liège
u n hebdomadaire violemment anticlérical, Le Dimanche, " organe des
intérêts populaires", qui parut jusqu'en 1854. En 1855, il publiait
Réponse d'un franc-maçon aux lettres d'un cagot, signé à la dernière page :
Joseph Demoulin, de la loge des Philadelphes à l'Orient de Verviers. Il
ne se lassait pas de fonder des périodiques : après le Bien-Être et La
Semaine, ce fut Le Petit Courrier (1869-1871), " organe de la démocra-
tie militante ". Paris était resté près de son cœur ; il collaborait au
Rappel. C o m m e il n'était pas h o m m e à rater les rendez-vous de
l'histoire, on le vit sur les barricades de la C o m m u n e en 1871. Il était
bien le " Soldat du droit et de la liberté " que le journaliste et caricatu-
riste Victor Lemaître (1842-1880) avait représenté en D o n Quichotte
dans la publication satirique liégeoise Le Rasoir du 18 décembre 1870 !
Arrêté comme insurgé, il fut expulsé de France, pour u n e seconde fois,
en 1872.
D e retour à Liège, il apparaissait plus que jamais c o m m e une célé-
brité locale. Ce qui ne l'enrichissait pas ; il vivait pauvrement, comme
il avait toujours vécu. Mais il était en relation avec Victor Hugo,
Eugène Sue et Garibaldi. En 1874, il fut appelé à la présidence du cer-
cle littéraire dialectal " Le Caveau liégeois ". Il lui arrivait d'écrire en
wallon, c o m m e en témoignent Es Fond Pirette. Vaudeville en u n acte.
" Riprézinté po l'prumir feie sol theâte di Vervi li 2 3 maïe 1858 " et
Recueil de chansons wallonnes et chansonnettes (1873). Fidèle à " La
Parfaite Intelligence et l'Étoile réunies", il en animait les fêtes par des
96 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
L'étonnant n'est pas la rupture, mais que l'aventure ait duré six ans.
Élisa a cristallisé ses rêves et s'est effacée peu à peu quand sa rivale, la
création littéraire, s'est emparée de son amant. À partir de mai 1856,
les questions, les affres amoureuses, les protestations passionnées recu-
lent devant les confidences sur le travail, les anxieuses demandes de
rendez-vous se font plus rares et moins pressantes. L'œuvre a pris pos-
session de Charles.
de cavalier à la Van Dyck " (Camille Lemonnier, dans La Vie belge) lui
assuraient la faveur des femmes. O n l'enviait !
En 1867, la firme que dirigeait Albert Lacroix et Hippolyte
Verboeckhoven, tous deux Maçons, édita La Légende d'Ulenspiegel,
illustrée d'eaux-fortes dues à une pléiade d'artistes d o n t trois étaient des
Frères : Félicien Rops, Adolf Dillens, Paul-Jean Clays (Louis Artan ne
fut initié qu'en 1872, aux " Amis Philanthropes "). En 1869 parut une
réédition sous le titre que l'ouvrage a conservé : La Légende et les aven-
tures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak
au pays de Flandres et ailleurs. C o m p t a n t 32 eaux-fortes au lieu de 15,
cette prétendue seconde édition devait servir, en vérité, à écouler les
invendus de la première.
C'est entre 1858 et 1867 que D e Coster rédigea l'essentiel de la
Légende, l'aboutissement de dix années d'efforts et de doutes. Pour ce
qui est de la conception initiale, il faut supposer qu'elle est antérieure
au 7 janvier 1858, date de l'initiation de l'écrivain, puisque, le 13 février
1859, il publiait dans l'hebdomadaire Uylenspiegel u n fragment d u cha-
pitre LVII du livre I, titré Comment Uylenspiegel fut peintre, assorti
d'une note de Karl Stur (pseudonyme d'Ernest Parent) précisant que
l'auteur depuis plusieurs années reconstituait la légende du personnage.
Il est d o n c vain d'imaginer que l'initiation déclencha l'inspiration. Mais
il est raisonnable de penser que l'oeuvre, au fil des années, s'enrichit de
l'expérience maçonnique de l'écrivain et, surtout, de l'érudition de
Frères éminents.
Aux " Vrais Amis de l'Union et d u Progrès réunis " et aux " Amis
Philanthropes ", D e Coster rencontra les nombreux historiens et publi-
cistes qui, par intérêt scientifique et pour des raisons de leur temps, étu-
diaient passionnément le XVI e siècle et les guerres de religion : Jean-
Jacques Altmeyer, le maître inoubliable d o n t il exploita spécialement
l'article " U n e succursale d u Tribunal du Sang ", paru dans la Revue tri-
mestrielle en 1853 ; Nestor Considérant (1824-1877), l'auteur ^Études
sur la révolution du XVIe siècle dans les Pays-Bas espagnols ( 1 8 5 1 , réédi-
tées en 1860) ; Alexandre H e n n é , initié le m ê m e jour que lui, déjà évo-
qué ; Charles Rahlenbeck, dont il a été aussi question ci-dessus ; Albert
Lacroix (1834-1903), auquel nous reviendrons, qui, en collaboration
avec le Frère Gustave Jottrand (1830-1906), traduisit d e l'anglais
Fondation de la république des Provinces-Unies. La révolution des Pays-Bas
au XVIe siècle, de J o h n Lothrop M o d e y ; Paul Ithier (1834-1898), tra-
ducteur de 1:'Histoire du règne de Philippe II de W . - H . Prescott en 1859-
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE IOÎ
Quand le septentrion
Baisera le couchant,
Ce sera fin de ruines :
Cherche la ceinture.
les tirades sur Lucifer et l'allégorie des Sept : " O n pourrait en retran-
cher toute cette partie, disait-il, sans que le lecteur y soupçonnât la
moindre amputation. " Revenant à la Légende dans Cinquante ans de
liberté (1882), il ne décelait toujours pas les indices d'un code secret. Il
observait que " la fin de l'œuvre s'éparpille ", que " le dénouement res-
semble aux bouches du Rhin qui se perd dans les sables ". O n est donc
loin, à l'en croire, de l'étape ultime vers la Lumière. Tout en reconnaissant
la place accordée à " l'idéal ", " selon l'usage de l'épopée ", il nommait la
Légende un roman historique et il l'admirait à ce titre : " Telle qu'elle est,
cette création m e semble la forme la plus vivante, la plus pittoresque que
puisse prendre le roman historique. " C'était une vue erronée.
La Légende doit être lue et entendue c o m m e u n texte épique, épique
par son découpage en chapitres disparates d o n t la juxtaposition, désor-
donnée en apparence, répond à un souci aigu de la composition, à la
volonté de créer des effets d'antithèse, de contraste ou d'alternance,
épique aussi par ses répétitions et ses redondances, par son utilisation
fréquente de la parataxe, réminiscence de la Bible et des Paroles d'un
croyant de Lamennais, épique encore par la réduction des caractères aux
dimensions de l'abstraction mythique.
Ce que ce texte épique exprime en priorité, c'est l'objet de la lutte
menée par les libéraux progressistes et les Maçons de l'époque, c'est le
droit à la liberté, opprimé au temps des Gueux, encore brimé au XLXe
siècle et voué sans doute à la persécution jusqu'à la consommation des
siècles. Dans la " Préface du hibou " — addition à la prétendue secon-
de édition de l'œuvre — , le hibou s'écrie :
La liberté est u n droit sacré. Thyl en son jeune âge ayant voulu cap-
turer u n chardonneret, Claes son père lui dit :
Il n'aura pour cela qu'une chose, le grand Rire, exalter le b o n sens uni-
versel. Et maintenant, lance sur lui à l'aise si tu veux, les vieux pétards
de ton excommunication. » Le 11 mai 1867, il révélait à ses Frères « Un
prédicateur comique flamand d u XVI e siècle », u n certain Broer
Cornelis Adriaensen, porte-parole grotesque du fanatisme religieux.
À l'exception de quelques dettes que l'éditeur Lacroix avait accepté
d'effacer, la Légende ne lui avait rapporté aucun argent. Dans l'espoir
d'un résultat pécuniaire plus consistant, il proposa au m ê m e Lacroix u n
roman réaliste, de m œ u r s contemporaines, intitulé Le Voyage de noce.
L'ouvrage fut mis en circulation entre 1870 et 1872. La presse en parla
peu, désarçonnée sans doute par le déséquilibre entre la première et la
seconde partie, troublée aussi par les inégalités de la forme et quelques
invraisemblances psychologiques. Le Voyage de noce, présenté au jury du
Prix quinquennal de littérature, ne fut pas retenu.
Le 1 e r septembre 1870, Charles D e Coster accéda enfin à une
fonction qui aurait dû le tirer d'affaire : il était n o m m é professeur
d'histoire générale et de littérature française à l'École de guerre, qu'on
venait de créer, et répétiteur de belles-lettres à l'École militaire. Beau
sur papier, mais accablant dans la réalité quotidienne ! Les leçons à pré-
parer, la centaine de copies hebdomadaires à corriger et, à l'École mili-
taire, l'humiliante soumission aux directives du titulaire du cours... Il
faisait le calcul : « Je travaille quatre à cinq jours par semaine depuis le
matin jusqu'à trois heures de nuit. » Ses appointements étaient honora-
bles, mais ses créanciers lui en réclamaient une part et, dès le 2 juin
1872, il en perdit près de la moitié, ayant été dépossédé de son ensei-
gnement à l'École de guerre. Son traitement annuel passa de 7.000 à
3.800 francs. Il d u t se remettre à courir le cachet.
Il songea de nouveau à u n prix. En vue d u concours triennal d'art
dramatique (3.000 francs), il remania Crescentius, u n drame historique
en vers composé en 1853, et en fit Stéphanie d o n t il d o n n a lecture à ses
amis u n dimanche après-midi d'avril 1877. Malgré ses ingrédients
romantiques et mélodramatiques, cette pièce manquait de mouvement
et d'envolée. Elle n'avait aucune chance au concours. Elle a été publiée
par Camille Huysmans en 1927.
Depuis u n violent accès de goutte en janvier 1877, Charles se por-
tait de moins en moins bien, épuisé par les bronchites et les crises de
rhumatisme. Il logeait au 114 rue de l'Arbre bénit, dans deux petites
pièces, misérablement meublées. Il était au bout du rouleau. Couvert de
dettes, il survivait en faisant d'autres dettes. Jusqu'à la veille de sa mort,
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE m
112
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE "3
fierté patriotique des Belges d'alors et rédigée dans u n style alerte, animé.
Le dernier ouvrage édité de son vivant témoignait une fois encore de sa
curiosité historique, Bruxelles à travers les âges, deux tomes (1883-1885)
enrichis de ses souvenirs, de ses recherches et — chose extraordinaire —
des innombrables informations que lui communiquèrent les Bruxellois
de souche lorsqu'ils apprirent l'objet de son entreprise.
Libéral doctrinaire, Hymans s'insurgeait contre toute atteinte à la
liberté individuelle, ce qu'étaient, selon lui, le suffrage universel et le
service militaire obligatoire auxquels il était absolument hostile. O n
disait de lui qu'il avait la m o n o m a n i e de la liberté. Son respect des
croyances ne l'empêchait pas de manifester u n anticléricalisme vigilant
et sourcilleux. Par exemple, contestant u n subside accordé à la publica-
tion des Acta Sanctorum, il prononça au Parlement u n discours agressif
qui fit d u bruit. Il prenait à c œ u r sa mission de député. C o m m e
rapporteur ou c o m m e auteur de propositions et d'amendements, il
participa activement à de multiples débats, relatifs à des questions très
diverses, culturelles, éducatives, administratives, électorales, budgétai-
res, économiques, juridiques, sociales. Cela allait des conventions inter-
nationales garantissant la propriété artistique ou littéraire jusqu'aux
péages d u canal de Charleroi en passant par le travail des enfants et la
proposition d'un demi-temps d'école.
Accablé de tâches, il parvenait malgré tout — véritable tour de force
— à cultiver les belles-lettres. Il convient ici d'opérer u n tri.
Il versifiait avec grande facilité. Au Cercle artistique, d o n t il était un
assidu, il lui arriva (le 2 0 janvier 1879) de présenter une conférence en
vers d ' u n b o u t à l'autre. II composa de nombreux poèmes de circons-
tance, tels que La Belgique depuis 1830 (1855), Léopold 1er (1856), la
cantate à l'occasion d u mariage du d u c de Brabant (1853), celle pour
l'inauguration de la Colonne du Congrès (1859). Mais de ce déferle-
ment, il ne reste rien qui réponde à l'idée que l'on se fait de la poésie
depuis la grande mutation de l'époque symboliste. Retenons seulement,
c o m m e u n fait anecdotique, sa refaçon des paroles parfois bizarres de la
vénérable Brabançonne {L'Indépendance belge d u 2 4 août 1852). En
voici le début :
*
N é à Namur, FÉLICIEN RoPS (1833-1898) y fit ses humanités, com-
mencées au Collège N o t r e - D a m e de la Paix, achevées à l'Athénée, après
la mort de son père, survenue le 7 février 1849, et la désignation
comme tuteur de l'oncle Alphonse, un bourgeois conformiste avec qui
il se trouva constamment en conflit et qui, vraisemblablement à contre-
cœur, lui permit de suivre les cours du peintre Ferdinand Marinus à
l'Académie des beaux-arts de la ville. Pour la réalisation de sa vocation
artistique, il lui fallait quitter Namur, et pour rassurer le tuteur, il s'ins-
crivit à la Faculté de Droit de l'Université libre de Bruxelles. Les archi-
ves de l'Université ayant disparu dans l'incendie de la rue des Sols en
1886, il faut supposer que cette inscription eut lieu en 1 8 5 1 , puisque,
dès cette année, Rops — qui ne songeait nullement à décrocher u n
diplôme — participait aux activités de la Société des Joyeux où Charles
De Coster signala son admission en quelques vers chaleureux :
Une maladie d'yeux m'a plongé tout vivant dans les enfers de
Dante-section des Désespérés ! J'ai éprouvé toutes les affres par les-
quelles l'horreur de la Cécité peut plonger un homme qui tire ses
seules voluptés des yeux, et dès que je sens se manifester dans ma vue
quelque trouble anormal, j'en tremble plus que de raison, j'en gagne
une peur enfantine, et je fuis tout travail, même l'écriture ! Je voulais
aller vous voir pour vous serrer la main, vous expliquer que le résul-
tat de mes souffrances, et leur conséquence, était la viduité complè-
te de l'atelier, et l'impossibilité de prendre part à votre exposition, —
à mon grand regret !
1874, d'un " Congrès préhistorique " tenu à Stockholm et d'un " Salon
de Paris " signé " Le Monsieur en habit noir " dans L'Illustration belge en
mai et juin 1881, l'œuvre littéraire de Rops est épistolaire, fondamenta-
lement épistolaire ; elle est constituée des lettres adressées durant une
vingtaine d'années à une trentaine de correspondants. U n e partie seule-
ment a fait l'objet d'une publication en volume : les lettres à Jean
d'Ardenne, pseudonyme de Léon D o m m a r t i n (1870-1887), à Théodore
H a n n o n (1875-1887), à Joséphin Péladan (1883-1893). Sous le titre
Mémoires pour nuire à l'histoire artistique de mon temps (emprunté à Rops
lui-même), Hélène Védrine, en 1998, a proposé u n choix de lettres
annotées judicieusement et classées selon leur objet principal.
Les destinataires de ces lettres et ceux à qui elles étaient c o m m u n i -
quées (car elles circulaient, comme celles de M a d a m e de Sévigné)
subissaient le charme de textes spontanés, aux effets inattendus.
H e n r y Céard, ayant eu sous les yeux une lettre de Rops à Théodore
H a n n o n (celle à laquelle il est fait allusion ci-dessous), écrivait à celui-ci,
le 19 juillet 1 8 7 8 :
Il y a dans ces pages un charme neuf qui m'a étonné et dont j'ai
essayé de me rendre compte. D'où il vient ? Il vient de ce que c'est
là de la littérature qui n'est pas faite par un littérateur et de la critique
écrite par un autre qu'un critique. Cela a une franchise de phrase, un
imprévu de conviction qui manque à tous les écrivains de profession.
Il n'y a pas eu d'Art sans amour. Ce n'est que pour ses amoureux
ardents que la Nature, la mystérieuse Isis, dénoue sa ceinture et lais-
se tomber ses bandelettes, elle ne dit ses secrets qu'aux audacieux qui
soulèvent d'une main frémissante son manteau tout constellé d'étoiles.
Remontez le chemin lumineux des artistes et des poètes : les vers
d'Horace sont encore tout parfumés des roses dont il a couronné Lydie
et les flots de la mer Ionienne murmurent encore les harmonieuses
rêveries d'Anacréon. Allez vous agenouiller sur le tombeau de Beatrix.
Courbez-vous sous les voûtes de la Sixtine. Secouez la poussière des
temples de Minerve, interrogez le sphinx endormi sous le soleil égyp-
tien ; allez de Phidias à Michel Ange, du Tasse à Corneille, de
Cimarosa à Rossini, du Caravage au blond Van Dyck, partout vous
verrez l'amour s'incruster dans le marbre, suivre la cadence poétique,
soupirer dans les mélodies et rayonner dans la couleur et dans la forme.
Quels grands artistes mais quels plus grands amoureux ! Vois-tu,
mon cher Octave, Dieu a taillé l'âme des artistes et des poètes
comme on taille un diamant pour faire refléter la lumière, on a beau
chiffrer et s'abêtir, une ode vaudra toujours mieux qu'une addition,
un baiser de deux belles lèvres est préférable à une sentence d'écono-
mie politique, la coupe et l'élévation d'un vers de Musset valent
mieux que la coupe et l'élévation d'un plan.
" Le n u est la base de tout art " : en 1881, Rops le proclame énergi-
quement dans la lettre où il presse son ami Léon D o m m a r t i n , rédacteur
à La Chronique, de défendre Rimes de joie, l'œuvre de Théodore
H a n n o n qu'il a illustrée et qui scandalise les bégueules.
Quand je dis qu'un peintre doit peindre son temps, je crois qu'il
doit peindre surtout le caractère, le sentiment moral, les passions et
Y impression psychologique de ce temps, avant d'en peindre les costu-
mes et les accessoires. Ces choses-ci jouent certainement un rôle fort
important dans le rendu des scènes de notre vie, il les faut étudier et
les savoir à fond ; mais on ne me persuadera jamais qu'une dame
lisant une lettre (en robe jaune), qu'une demoiselle contemplant un
magot japonais (en robe bleue), qu'une petite fille (en robe blanche)
regardant s'il va pleuvoir et si elle doit prendre son en-tout-cas pour
aller au Bois, qu'une bonne personne (en robe de velours) s'admirant
dans une glace, constituent les côtés les plus palpitants et les plus
intéressants de la " modernité " pour me servir d'un gros mot bête qui
ne signifie rien. D'autant plus ! que la dame, la demoiselle, la petite
fille et la bonne personne n'ont pas été prises sur le fait, mais sont
amenées à cent sous la séance dans l'atelier, revêtues de la robe jaune,
bleue, rose, blanche ou de velours pour représenter des femmes du
monde pour les gens qui n'en ont jamais vu ; tandis que dans leur
vraie vie ces honnêtes créatures sont danseuses à Bullier le soir et
crient « la violette à deux sous » pendant le jour. — Je veux bien qu'en
revanche les robes sont des merveilles d'exécution, qu'on prendrait le
thé avec le magot du Japon et l'en-tout-cas avec la main. Mais la Vie,
la Vie Moderne, la " MODERNITÉ " où est-elle ? Et l'on a là, à quatre
pas de soi, autour de soi, partout, dans le salon, dans la rue, la vraie
Vie Moderne qui crie, rit, s'amuse, se tue, étale au soleil ses dorures
et ses haillons, ses joies et ses douleurs, avec sa physionomie nerveu-
se et surmenée qui n'appartient à aucune autre, où la préoccupation
d'argent et le travail intellectuel exagéré accentuent les masques et flé-
trissent hâtivement les joues roses. Et on ne rend pas tout cela !
Bien qu'il eût adhéré en 1883 au groupe des X X fondé par Edmond
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 127
f
Figure de la petite histoire, ALBERT LACROIX (1834-1903) est entré
dans la grande pour avoir été l'éditeur d'une oeuvre universelle, Les
Misérables de Victor Hugo.
Bruxellois de naissance, neveu de François-Joseph Van Meenen
(Franc-Maçon, fondateur de la Libre Pensée de Bruxelles en 1863, de la
Ligue de l'Enseignement en 1864), il fit des études de philosophie et de
droit à l'U.L.B. sans qu'on sache s'il les mena jusqu'au bout. Quoi qu'il
en soit, il présenta au concours universitaire en 1855 une étude sur l'in-
fluence de Shakespeare en France. Une déclaration imprudente en
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 129
envol, devait frapper les écrivains et les artistes qui, en Belgique, par le
truchement de revues d'avant-garde, L'Actualité à travers le monde et l'art
(1876-1877) et L'Artiste (1875-1880), tentaient d'arracher le pays à sa
torpeur intellectuelle et d'initier l'élite à la modernité. Dans L'Artiste du
11 mai 1878, Camille Lemonnier, alors en pleine évolution et qui
entrerait en naturalisme en 1881 avec Un mâle, salua la bannière sous
laquelle s'était rangé Paul Heusy : " Voici du renfort pour nous autres,
écrivains de la dernière heure. M. P. Heusy s'ajoute à l'école puissante
qui est en train de renouveler le roman moderne. "
L'ouvrage avait fait sensation et on eut l'occasion d'en reparler. En
1883, l'éditeur parisien H. Oriol le republia, enrichi de deux nouvelles,
Anselme l'aveugle et La Femme aux épluchures (récit que Jacques
Vingtras, c'est-à-dire le Frère Jules Vallès, avait accueilli dans La Rue du
7 décembre 1879). Dans La Jeune Belgique du 28 avril 1883, Albert
Giraud fit l'éloge de ce " sixain de récits qui dénoncent un observateur
pénétrant et sûr ". En 1886, trois des nouvelles de l'édition de 1878 pri-
rent place dans la " Bibliothèque populaire ", collection que patronnait
le Parti ouvrier belge. En 1888, Camille Lemonnier, Edmond Picard,
Georges Rodenbach et Emile Verhaeren reproduisaient dans leur
Anthologie des prosateurs belges quelques pages de Jean Benoît, avec ce
compliment pour l'auteur (dont ils révélaient le nom à l'état civil,
mais qu'ils rajeunissaient de dix-sept ans, le faisant naître en 1851, une
erreur qui persisterait) : " Écrivain correct, parfois éloquent, toujours
contenu [...]. "
En 1878, Heusy réside à Sèvres, dans le voisinage de Léon Cladel,
qu'il a mis en relation avec Camille Lemonnier, une rencontre dont
résultera la stupéfiante fortune littéraire en Belgique de l'auteur de
L'Homme de la Croix-aux-Bœufi. Le 15 juin, naissance de Paul, son
second fils. Le 19 octobre, il signale à Lemonnier qu'il travaille à un
roman, " une étude d'enfant adultérin ". Quatre ans plus tard, à
Neuilly-sur-Seine, où il a transporté ses pénates et où un troisième
enfant, Mary Margaret (dite Marguerite), voit le jour, il met la dernière
main à son roman. Le 21 juin 1882, il prie Lemonnier de recomman-
der l'ouvrage à l'éditeur bruxellois Henry Kistemaeckers. Toutes les
démarches échouent, à Bruxelles comme à Paris.
Le roman resta à l'état de manuscrit, et il n'en fut plus question. O n
n'espérait plus retrouver le manuscrit lorsque, en 1955, Marguerite
Guinotte le découvrit dans un recoin de son logis, à Minneapolis, et le
confia à la Bibliothèque Royale pour être joint aux autres inédits de son
136 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
Faire une œuvre où les événements suivraient pas à pas la vie ordi-
naire, telle que nous la voyons ; où rien ne serait sacrifié à l'effet, ni
au drame ; où, du commencement à la fin, l'on sentirait l'odeur
amère de la réalité.
dans le carnet où il notait " les faits de la vie humble et de la vie haute "
(Le Radical, 12 décembre 1892). Il collaborait aussi à la chronique judi-
ciaire d u quotidien, mêlant l'humour à l'observation objective avec une
maîtrise u n a n i m e m e n t reconnue. En novembre 1888, il assista au pro-
cès de Camille Lemonnier, traîné en justice p o u r avoir publié L'Enfant
du Crapaud dans Gil Bios. Il suivit pas mal d'autres affaires, toujours
armé de la solide conviction que le rôle du chroniqueur judiciaire est
d'apprendre à l'opinion " combien la justice des juges diffère souvent de
la justice vraie " (Le Radical, 3 mars 1887).
Journaliste apprécié, écrivain poursuivant dans l'ombre son oeuvre
littéraire, Heusy avait réalisé l'équilibre de l'ambition et de la sagesse
lorsque le malheur vint le frapper brutalement. Le 3 février 1894, à
Saint-Cloud, Paul, son second fils, en nettoyant une carabine, reçut la
charge dans la tête. Il mourait u n e heure plus tard ; il avait quinze ans.
Le 2 janvier 1908, Heusy publie pour la dernière fois u n conte dans
Le Radical. Le 15 mai, il signe encore une chronique judiciaire. Ensuite,
son n o m disparaît des colonnes d u journal auquel il a collaboré pendant
u n quart de siècle. Laure, toujours sensible à l'attrait des États-Unis, le
pays de sa jeunesse, a amené son mari à accepter une nouvelle expatria-
tion. En juin 1908, les Guinotte achèvent leur installation à Saint-Paul
dans le Minnesota. Pour Heusy, c'est une retraite pénible, loin des amis
parisiens, loin des salles de rédaction, loin d u petit cabinet de la presse,
au Palais. Sa piètre connaissance de l'anglais l'isole. Il ne sort de cet iso-
lement que pour donner une causerie à l'Alliance française de Saint
Paul. Les Américains l'indisposent. Il se décharge u n peu de sa mau-
vaise h u m e u r dans des articles aigres-doux qu'il envoie aux journaux de
Paris, n o t a m m e n t à La Petite République.
En juillet 1913, il ne résista plus à la nostalgie. Laissant Laure et
Marguerite là où elles se plaisaient, il retourna en France. Il retrouva
avec délectation Paris, les confrères, les petits restaurants. Logé dans un
hôtel d u LXe arrondissement, il se proposait de regagner l'Amérique au
terme de l'hiver. Mais il s'attarda : en août 1914, il était toujours à Paris.
À quatre-vingts ans, il reprit d u service dans les salles de rédaction,
en remplacement des confrères envoyés au front. À Paris, il avait une
nièce, Berthe, fille de son frère Lucien, mariée à Auguste Vinçotte.
Mais, très secret, il ne parlait jamais de cette nièce à ses amis journa-
listes, qui le croyaient d o n c complètement a b a n d o n n é . Lorsque le mal
d o n t il souffrait — le cancer de la bouche, le cancer des fumeurs de pipe
— le terrassa, ses confrères prirent sur eux de le faire hospitaliser. Le 1 er
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 139
Charles Buis était Lowton : son père, Charles-Jacques, avait été initié
aux " Amis Philanthropes " le 11 février 1841 et affilié aux " Vrais Amis
de l'Union et d u Progrès réunis " le 8 avril 1 8 6 1 .
Initié aux " Vrais Amis de l'Union et d u Progrès réunis " le 15 octo-
bre 1 8 6 1 , sous le vénéralat d'André Fontainas, Charles s'affilia aux
" Amis Philanthropes " le 25 décembre 1869. Il en devint le Vénérable
Maître le 15 mars 1878. Le 1 e r décembre 1890, il démissionna de sa
loge — mais n o n d u Chapitre — à la suite de l'affaire Dwelshauwers.
Rappelons de quoi il s'agissait. La Faculté de philosophie et lettres de
l'U.L.B. avait refusé à u n jeune docteur, Georges Dwelshauwers (1866-
1937), le droit de soutenir une thèse d'agrégation sur u n sujet de psycho-
logie expérimentale qui ne correspondait pas aux vues du professeur de
philosophie, Guillaume Tiberghien. Cette décision, incompatible avec le
principe d e libre examen, suscita une vive émotion. Le conseil d'admi-
nistration de l'Université, composé de nombreuses personnalités étran-
gères au corps professoral, n'écouta pas les protestations et soutint de son
autorité les quatre " anabaptistes ", les professeurs Tiberghien, Alphonse
Willems, J.-C. Vollgraff et Martin Philippson, responsables de l'excom-
munication. Les étudiants, appuyés par l'Union des anciens, manifestè-
rent bruyamment en faveur de la liberté de la science. U n incident mit
le feu aux poudres : le 13 octobre 1890, au cours de la séance de rentrée
universitaire, tenue dans la salle gothique de l'hôtel de ville de Bruxelles,
les étudiants couvrirent de sifflets et de huées la voix de Martin
Philippson qui, entre-temps, avait été n o m m é recteur. En tant que pré-
sident d u conseil d'administration de l'U.L.B., Charles Buis s'alarma et,
en sa qualité de bourgmestre de la ville, fit intervenir la police. À la vue
des agents surgis des coulisses où, en prévision d'incidents, o n les avait
postés, l'assemblée estudiantine, explosant d'indignation, prit d'assaut le
bureau présidentiel. La séance d u t être levée. La presse libérale et plu-
sieurs Frères accusèrent Buis d'avoir une conception d u libre examen " à
la cosaque ". Les meetings se succédèrent, qui mirent en lumière de jeunes
orateurs pleins de fougue et appelés à u n brillant avenir : Paul-Émile
Janson, Emile Vandervelde, Louis de Brouckère. Charles Buis, désavoué
par une partie des siens, prit la décision de rompre avec sa loge. Mais il
restait fidèle à la Maçonnerie. Le 7 mai 1895, il s'affilia aux "Amis
Philanthropes n° 2", loge issue — voir infia — de l'affaire Elisée Reclus
qui survint peu après l'affaire Dwelshauwers.
Charles Buis m o u r u t le 14 juillet 1914, quelques jours avant l'agres-
sion allemande.
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 141
I
Dans leur sombre caverne,
O n voit les Francs-Maçons,
Sous l'éclat des lanternes,
Danser des rigodons :
Puis au sein des ténèbres,
Ils mangent tout vivants,
Dans des banquets funèbres,
De beaux petits enfants.
II
Les Maçons, c'est visible,
Sont des gens sans honneur ;
Leur morale nuisible
Doit pervertir le cœur ;
Dans leur triste demeure,
Je le dis in-petto,
Parfois jusqu'à deux heures,
O n joue aux dominos.
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE
III
Leur chef, dit Vénérable,
Est un affreux coquin,
Q u i fit avec le diable
Un accord clandestin ;
Il lui porte des âmes
À roussir dans l'enfer,
Pour quelques francs infâmes
Fondus par Lucifer.
IV
Regardez donc la mine
De ces affreux bandits :
Le bonheur illumine
Les Frères réunis ;
Ces citoyens honnêtes
Ne feraient pas de mal
Aux plus nuisibles bêtes,
Ministre ou Cardinal.
V
Il me reste à vous dire,
Mesdames, quelques mots :
Vous n'avez plus à rire
Étant de nos complots ;
Si nous allons au diable,
Vous irez avec nous.
Quelle fête agréable
Quand nous rôtirons tous... !
Refrain
Laissez dire,
Laissez rire
D e nos étranges façons ;
Sur la terre
Tout entière
Commandent les Francs-maçons !
(Bis)
15* LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
*
HERMANN P E R G A M E N I (1844-1913), docteur en droit de l'Université
libre de Bruxelles, quitta en 1880 le barreau et les travaux de réflexion
juridique p o u r se consacrer au professorat dans le cadre de son Aima
Mater. N o m m é d'abord à la chaire d'histoire de la littérature française,
il se vit adjoindre par la suite divers cours d'histoire et de géographie,
ainsi que l'introduction aux principales littératures étrangères. Il
compta parmi les maîtres les plus représentatifs de l'Université de la
rue des Sols. Parmi les plus populaires aussi : son savoir encyclopédique,
ses improvisations verveuses, son ardeur juvénile, ses enthousiasmes et
sa célèbre myopie avaient fait de lui u n personnage de légende. C'était,
en outre, u n h o m m e d'action et de progrès : en politique, il défendit
avec ardeur le libéralisme politique (livre révélateur : Le Principe de
liberté en matière politique, 1875) ; vétéran de la Ligue de l'Enseigne-
ment, il ne cessa de se battre p o u r l'instruction laïque et pour une
meilleure organisation scolaire (on retiendra La Liberté de l'enseigne-
ment, 1882).
Son oeuvre volumineuse rappelle les étapes de sa carrière. À l'époque
où il exerçait la profession d'avocat, la littérature d'imagination faisait
ses délices. Il y débuta avec u n long poème (Le Déluge), inséré à la fin
d u recueil Poésies (1870) de son ami Adolphe Prins. L'année suivante, il
publiait une trentaine de pièces de vers (Poésies, 1871), ouvrage d'un
admirateur bien d o u é de Victor H u g o et de La Légende des siècles. O n y
relève de jolies choses, par exemple À un Faune, où la langue poétique
se rapproche d u parler naturel :
*
Pendant quelques années, ADOLPHE PRINS (1845-1919) suivit une car-
rière parallèle à celle de Pergameni, à qui le liait une amitié fondée sur
une c o m m u n a u t é de pensée. Inscrit au barreau en 1868, il flirta avec la
poésie (nous avons cité le recueil de 1870) et le genre romanesque {La
Destinée de Paul Harding, 1874, oeuvre dédiée à l'ami H e r m a n n ) . Mais
tandis que Pergameni persévérait dans la voie littéraire comme conteur
et c o m m e historien, Prins se spécialisa en droit pénal et en crimino-
logie et, devenu u n e sommité en ces matières, répudia ses essais de
jeunesse. O n raconte qu'il préférait ne pas en entendre parler !
154 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
manifestant par des lois, dont l'action, vérifïable par la science, tend
à mettre plus d'équilibre, d'unité, d'ordre, d'harmonie, parmi les
forces aveugles et désordonnées qui s'enchevêtrent dans l'univers.
l'expression " élever autel contre autel " dans le titre du grand article
(Revue de Belgique, juillet 1876) où il évoquait la dissidence religieuse
de Leers-et-Fosteau et de Sart-Dames-Avelines. Au grand scandale des
aristocrates du canton et d'une partie des villageois, le comte Henri
ouvre dans son château une chapelle de vieux catholiques, avec l'aide
d'un prêtre converti, venu de Suisse.
Comprenant que l'entreprise a pour but de décatholiciser la
Belgique, l'Église romaine emploie les grands moyens pour isoler le
comte et le mettre hors combat. La seconde épouse du banquier
Hertog, l'ancienne institutrice-gouvernante de ses deux filles, Adèle et
Florence, femme ambitieuse, rusée et dénuée de scrupules, sera l'exécu-
trice des basses œuvres du clergé. Goblet d'Alviella, romancier habile,
relate avec effets de " suspense " les intrigues de toute nature qui se tis-
sent autour des protagonistes. Le lecteur se réjouit que, malgré les
obstacles dressés entre eux, La Ruelle et Florence, la sœur cadette de la
comtesse, pourront finalement s'unir. Mais l'Église gagne la partie dont
l'enjeu était si important : Henri de Vireilles perd à tout jamais sa
femme, manipulée par des ecclésiastiques de l'ombre et retirée dans un
couvent, son mouvement religieux se désagrège et lui-même, désho-
noré par la calomnie et expatrié, périra aux côtés de combattants
libéraux dans une guerre civile de l'Amérique latine. — Il existe une
traduction de ce roman en néerlandais, Verloren.
L'œuvre écrite d'ALEXIS SLUYS (1849-1936), éparse dans des livres, des
brochures, des articles, est volumineuse. Elle se partage entre deux
sujets polémiques : l'un, qui est de nature scientifique, la nécessité de
certaines innovations pédagogiques ; l'autre, qui est d'ordre politique, la
défense de l'enseignement public d'inspiration laïque. L'auteur de cette
masse d'exposés étrangers aux belles-lettres a pourtant sa place ici, et il
la doit à l'ouvrage où il a raconté sa vie de combat : Mémoires d'un péda-
gogue, édités par la Ligue de l'Enseignement en 1939, trois ans après sa
mort, deux cents pages d'une lecture attachante.
Le père d'Alexis, magasinier à l'Entrepôt royal, et sa mère, qui donna
naissance à six enfants, n'avaient guère fréquenté l'école. Ils étaient
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 171
dans les écoles publiques régies par la nouvelle loi, à moins cepen-
dant de ne pas l'appliquer, de ne faire aucun effort pour recruter
des élèves : ce cynique appel des évêques à la trahison du devoir
professionnel donne la mesure de leur sens moral. Les inspecteurs
civils de l'enseignement ne pouvaient conserver leur fonction et les
parents devaient retirer leurs enfants des écoles laïques et les envoyer
dans les écoles privées catholiques.
La sanction de ces défenses était le refus de l'absolution, aux
parents et aux instituteurs partisans de l'école laïque, peine terrible
pour les croyants, condamnés aux peines éternelles de l'enfer.
Les prêtres devaient lire et commenter le mandement épiscopal à
la messe paroissiale, du haut de ce qu'ils appellent « la chaire de vérité »
et faire réciter par les fidèles, au catéchisme, aux vêpres, des litanies
dans lesquelles ils avaient introduit cette supplication : « Des écoles
sans Dieu et des instituteurs sans foi, délivrez-nous, Seigneur ! »
Mais les punitions spirituelles ne suffisaient pas au clergé fana-
tique pour terroriser les parents ; il eut recours à des sanctions maté-
rielles, forme moderne de la torture. Pour faire déserter les écoles
communales laïques, les commerçants catholiques devaient refuser
de vendre des vivres aux instituteurs restés à leur poste et aux parents
qui continuaient à envoyer leurs enfants « aux écoles sans Dieu ».
Des employeurs, des chefs d'ateliers ou d'usines renvoyèrent les
ouvriers et les employés dont les enfants fréquentaient l'école laïque ;
des propriétaires d'habitations louées sans bail écrit chassèrent leurs
locataires qui ne retiraient pas leurs enfants de l'école communale.
Dans le pays entier, dans les villages et les villes, ce fut la guerre reli-
gieuse, implacable, impitoyable.
S'il avait été élu à l'Académie royale de Belgique (Classe des beaux-
arts, membre correspondant en 1910, effectif en 1914), c'était princi-
palement en h o m m a g e à son analyse d u drame wagnérien et aux appen-
dices de cette analyse, par exemple la traduction française des Lettres de
Richard Wagner à Auguste Roeckel (1894) et, riche d e réflexions sur la
question de l'interprétation, L'art de diriger l'orchestre. Richard Wagner et
Hans Richter : la neuvième Symphonie ( 1 8 9 1 , réédition fort augmentée
en 1909).
Il étendit son étude à d'autres œuvres, à d'autres questions.
O n lui doit u n e précieuse monographie, Henri Vieuxtemps. Sa vie,
son oeuvre (1882), et u n ouvrage qui suscita de vives polémiques,
Musiciens et philosophes (1899), où il passe au crible de sa réflexion et de
son expérience les idées de Tolstoï, Schopenhauer, Nietzsche et Wagner
sur l'art, la musique et la tragédie.
E n raison de la filiation qu'il établissait entre Mozart, Beethoven et
Wagner, il lui parut logique, ayant étudié ce dernier, de remonter aux
deux autres.
Le remaniement arbitraire du texte original des livrets d'opéra et la
traduction française erronée ou abusive de ces livrets avaient le don de
l'excéder. E n 1912, il restitua la version originale de Fidelio et supprima
les récitatifs que Gevaert y avait ajoutés pour la représentation à la
Monnaie en 1898. Il consacra à ce travail tout u n livre, paru en 1913 :
Fidelio de L. van Beethoven, " orné de vingt-neuf illustrations et de nom-
breux exemples de m u s i q u e " . En 1902, il entreprit, en collaboration
avec Lucien Solvay, d e traduire à nouveau le livret de L'Enlèvement au
sérail, l'opéra-comique d e Mozart. C'est la version qui, dès lors, fut
adoptée par les diéâtres de langue française. Q u a n t à La Flûte enchantée,
c'est l'œuvre mozartienne qu'il associait à Parsifal dans u n parallélisme
contestable, mais révélateur de son désir de concilier ses admirations :
190
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 191
C e t article " Chockier " était extrait d ' u n essai " à paraître ", Noël
d'un démocrate, qui parut en volume c o m m e prévu, cette année-là.
Il avait apporté sa contribution à l'hebdomadaire Le Wallon (1878-
1884), d'inspiration socialiste. O n estima évidemment qu'il avait sa
place à la rédaction d u journal Le Peuple. Sa collaboration fut impor-
tante. Ici, o n en retiendra particulièrement les quatre-vingt-dix articles
qu'il consacra à la littérature belge entre 1891 et 1894.
Il était retourné à la politique. Les grands thèmes de ses harangues et
de ses brochures figuraient au programme du Parti ouvrier belge : le
suffrage universel, la journée de huit heures, l'instruction gratuite,
laïque et obligatoire, la séparation de l'Église et de l'État, les lois protec-
trices des travailleurs. Il fut très actif lors de la grève générale de 1893,
aux énormes conséquences politiques.
Il entra au Parlement avec la vague socialiste de 1894, et il y resta
jusqu'à sa m o r t . E n 1895, il était désigné pour donner des cours de
littérature et d'art à l'Université nouvelle, issue d'une dissidence de
l'Université libre de Bruxelles, et, dans le même temps, il était élu
conseiller c o m m u n a l de la ville de Liège.
À la C h a m b r e c o m m e au conseil c o m m u n a l , il se singularisait par ses
interventions fougueuses, génératrices d'algarades, d'invectives, voire de
pugilats. E n janvier 1895, responsable d ' u n tumulte, il fut exclu du
Parlement pendant quinze jours, et il y eut une suite judiciaire, en cor-
rectionnelle, en appel et en cassation. Mais cet h o m m e excessif était
aussi un être cultivé, spirituel, ayant le sens de l'à-propos. C'est lui qui,
au Parlement, le 17 juin 1899, s'exclama — phrase admirable : " Si le
Christ, ce glorieux enfant naturel, revenait ici, il siégerait sur les bancs
de la gauche. "
Installé à Bruxelles en 1910 et forcément écarté de la fonction de
conseiller c o m m u n a l liégeois, il marqua u n e pause pour mener à terme
l'étude d ' u n e énigme historique qui le troublait : o n connaît l'œuvre de
Shakespeare, mais on ne sait quasi rien de l'homme qui s'appelait
Shakespeare. E n 1904, il avait publié chez Lacomblez, avec préface et
notes, une traduction de Macbeth. E n 1912, il livra sa thèse, Lord
Rutland est Shakespeare, u n pavé de 568 pages, auquel il ajouta, en
1914, un autre pavé (435 pages), L'auteur d'Hamlet et son monde. Roger
Manners, cinquième comte de Rutland. Q u ' o n souscrive ou n o n à la
191 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
* Il n'y a pas d'autre trace de son appartenance maçonnique. Cela doit être dit.
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 193
Ce garçon " qui voyait juste " fut directeur de La Wallonie pendant
cinq numéros (du 15 juin au 15 octobre 1886) aux côtés d'Albert
Mockel et de Maurice Siville. Pendant quelques années, sous son vrai
nom ou sous des pseudonymes (Gustave Rapière, Georges Rosmel),
il collabora à La Wallonie, à La Jeune Belgique et à quelques autres
" petites revues " qui témoignaient du réveil littéraire de notre pays.
Dans le même temps, il publiait en volume ses Histoires estudiantines
(1888), suite de récits alertes, parfois rabelaisiens, et de scènes prises sur
le vif, La Bande à Beaucanard (1889), relation d'une épopée d'étu-
diants, précédée du croquis suggestif d'un beuglant liégeois, Gritte
(1889), une nouvelle très sentimentale, parue d'abord dans la Revue de
Belgique, présentée ensuite sous la forme d'une plaquette, et
L'Émerveillée (1896), un recueil de contes mélancoliques, tout impré-
gnés de l'atmosphère éthérée qu'affectionnaient les symbolistes.
Il nous paraît intéressant ici de citer un texte intitulé " Païen ! " qu'il
signait Gustave Rapière dans La Jeune Belgique du 5 juin 1885. Une
exaltation du paganisme dans le style coruscant de l'avant-garde litté-
raire d'alors. En voici les dernières lignes :
Je les hais et je les renie, ces temples et ces cultes, et je suis païen,
païen comme Gautier, païen comme Henri Heine, païen comme
Banville !
Il y avait aussi celui qui " fourrait de l'allemand partout ", celui que
la vieille tradition familiale inclinait vers le m o n d e germanique. Nous
lui devons u n e utile contribution à l'étude de l'immigration allemande
en Belgique : Der praktische Rechtsbeistand fiir Deusche in Belgien nebst
einer Einleitung iiber dos Deutschtum in Belgien und den Einfluss der
deutschen Einwanderung aufBelgiens nationalen Entwicklung (1900), et,
publiée dans La Société nouvelle (en 1887 et 1888) ainsi que dans la
Revue de Belgique (en 1889), la première traduction française d'oeuvres
de l'écrivain norvégien Alexander Kielland.
Au début d u siècle, il se détourna d u travail littéraire (sa biblio-
graphie ne mentionne plus q u ' u n roman, L'Année glorieuse, paru en
1914) pour s'adonner à la politique. Il fournit à la Ligue nationale de
propagande libérale plusieurs opuscules qui nous révèlent ses prises de
position dans les polémiques de l'époque. Pendant peu de temps, en
1919, il représenta à la C h a m b r e l'arrondissement d e Neufchâteau-
Virton.
Gustave Rahlenbeck avait été initié en 1891 à la loge " Les Vrai Amis
de l'Union et d u Progrès réunis ", à l'Orient de Bruxelles.
202
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 203
Mais qui donc n'est pas sorti des fournaises de la guerre autre qu'il
y était entré ? Et, somme toute, lorsque je relis cette page, que j'eusse
voulu reproduire toute entière, sur le suffrage universel, je n'y trouve
pas une philosophie bien différente de celle qui inspire Le Sablier, son
dernier ouvrage. Certes, en 1913, Maeterlinck nous apportait le puis-
sant concours de son adhésion, mais combien cette adhésion était
conditionnelle, réticente et, pour tout dire, provisoire ! Dans le fond de
lui-même, il pensait sans doute, dès alors, ce qu'il pense aujourd'hui :
" Tout ce qui distingue l'élite intellectuelle de la masse qui
grouille dans les bas-fonds, cest quelques observations, quelques
réflexions, quelques hypothèses branlantes sur lesquelles elle se hisse
et se maintient à grand'peine dans le grand vent de l'inconnu. "
Qu'importe, au surplus ! Qu'importe qu'il ait changé ! Qu'importe
qu'à soixante-quinze ans, se survivant à lui-même, il ait marqué le pro-
pos de quitter la France, où l'on doit payer trop d'impôts, pour cher-
cher refuge au Portugal, sous la dictature de Salazar ! Son œuvre reste.
Son Trésor des Humbles ou sa Vie des abeilles. La plus belle partie de son
œuvre. Et, quoi qu'il pense et qu'il dise à présent, cette œuvre, que les
nouvelles générations ne connaissent pas assez, continue à agir dans le
sens de ses idées premières, des idées de sa jeunesse et de son âge mûr.
En un temps où la classe ouvrière de son pays luttait pour
achever sa libération politique, Maeterlinck fut à ses côtés. Avec
Verhaeren, avec Georges Eekhoud, avec Lemonnier, avec Edmond
Picard, avec toute la fleur intellectuelle de la nation. Je ne l'ai jamais
oublié. Les travailleurs belges non plus !
Marius Renard a réuni sous un titre général, La Vie des gueux, son
roman de 1894, et les deux œuvres suivantes, La Ribaude (1895, chez
Kistemaeckers et encore sous le nom de Mary Renard) et Terre de
misère (1900).
Relation dramatique de l'amour désespéré d'un brave péquenot pour
une payse devenue citadine et qui a mal tourné, est tombée dans la
prostitution, La Ribaude n'a pas l'ampleur de Gueule-Rouge. Très cir-
conscrite par son sujet banal, cette histoire débouche, cependant, par
certaines ouvertures, sur le problème du désarroi des déracinés, un pro-
blème qui touche la sensibilité profonde de Renard et qu'il traite avec
toute la panoplie du style coruscant et, apparemment, sans le moindre
espoir de mutations sociales favorables aux déshérités.
Terre de misère, le troisième volet du triptyque La Vie des gueux, est
un recueil de contes, au nombre de neuf. Dès le premier, intitulé Jésus
de misère. Conte futur, on perçoit que l'auteur s'éloigne de son défai-
tisme de naguère. Voici l'histoire. Un jour d'hiver, le pays des houil-
lères a vibré à la bonne nouvelle que l'enfant Dieu allait naître. À l'ap-
proche de minuit, la multitude des gueux s'est rendue au sommet d'une
butte pelée où se dressait une piteuse chaumière. À même le sol de la
pièce unique, sur un peu de paille, il y avait un nouveau-né et, tout
près, le cadavre de la mère, Mélie, la prostituée, la ribaude qui se don-
nait à tout le monde. L'enfant de tous venait de naître ! Un vieux s'est
écrié : « Compagnons, notre enfant est venu. En souvenir de nos
peines, baptisons-le Jésus. » Maintenant, on raconte que Jésus vit parmi
les pauvres gens du pays noir. Certains prétendent l'avoir vu au chevet
des blessés de la mine et dans les meetings où il annonçait de sa voix
douce le bonheur pour tous.
La fiction du Christ présent et agissant au milieu des hommes du
monde moderne avait été mise à la mode, entre 1890 et 1895, par des
peintres, notamment Fritz von Uhde et Léon Lhermine, et la plus célèbre
transposition littéraire de cet anachronisme fut l'œuvre de Jehan Rictus,
l'auteur du fameux poème Le Revenant, publié en 1897 dans Les Soliloques
du pauvre. Entre-temps, l'idée circulait. En 1895 paraissait le roman de
Raymond Nyst, Un prophète. Dans le Mercure de France de juillet 1901,
Louis Dumur poussa un cri d'alarme : " C'est une épidémie ! "
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 213
sectaire que La Revue rouge et d'un plus grand rayonnement. Ses reve-
nus lui permettent de voyager : au contact de l'étranger, il accroît ses
connaissances, il affine son jugement artistique. L'École des arts du des-
sin de Saint-Josse-ten-Noode, à l'exemple de l'Académie liégeoise, le
désigne pour enseigner l'histoire de l'art, et l'Institut supérieur des arts
décoratifs de Bruxelles se l'attache c o m m e secrétaire. E n 1905, il est
initié à la loge " Les Vrais Amis de l'Union et du Progrès réunis ".
L'oeuvre de Sander Pierron est considérable et diverse. Composée de
romans, de contes, de critiques d'art, d'essais historiques, d'impressions
de voyages et d'une pièce de théâtre, elle offre une quarantaine de
titres. Le romancier (notamment Berthille d'Haegeleere, 1896, réédité en
1914 sous le titre Les Rides de l'eau; Le Tribun, 1906, partiellement
autobiographique ; Vieux-Bonheur, 1927 ; La Bataille lorraine ou la
Montagne de la Croix, Wbl} et le conteur (notamment Les Délices du
Brabant, 1900, nouvelle édition en 1913) captivent encore le lecteur.
Écrivain prolétarien demeuré à l'écart d u naturalisme, Sander Pierron
mérite de figurer parmi les meilleurs représentants du réalisme modéré
et sensible.
U n e place à part doit être faite à sa monumentale Histoire illustrée de
la Forêt de Soignes (1935-1938), où, comme l'a dit son biographe Jean
De Boeck, " il est parvenu à poétiser l'érudition ".
*
De tous les poètes que nous avons à recenser, G E O R G E S M A R L O W
(1872-1947) nous semble le plus authentique, celui d o n t l'œuvre, bien
que de petit volume, quatre minces recueils seulement, devrait jouir
d'une longue survie dans les anthologies et les historiques.
N é à Malines d'un père d'origine bruxelloise et d'une mère mali-
noise d'origine wallonne, Georges Marlow, était fort imprégné de sa
ville natale lorsque, étudiant en médecine et signant Paul Alériel, il
donnait au mensuel gantois Le Réveil des vers où il évoquait ses émois
sentimentaux, mais aussi la vieille cité flamande, ses rues silencieuses et
ses eaux dormantes, ses béguinages et ses carillons. C'était entre 1892
et 1896. Auparavant, en 1 8 9 1 , il avait publié sa première plaquette,
Evohé !, d o n t personne, semble-t-il, ne rendit compte. Il l'avait dédiée à
Pierre Iserentant, son professeur de rhétorique latine à l'Adiénée de
Pitzemburg. Il collaborait aussi à La Nervie, qui, dans son numéro du
1 er juin 1894, inséra " Paroles de folie " :
Il8 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
La beauté qui faisait sa gloire et sa joie l'ayant fuie, Hélène est dure-
ment ramenée sous la loi c o m m u n e , le vieillissement et la mort.
peuvent être sensibles que de rares curieux et non moins rares amis.
Pourquoi, dès lors, m'imposer à vos collègues qui, fort justement, me
tiendront toujours rigueur de ma discrétion et de mon obscurité ?
fin. Nous l'avons vu au début de l'année 1944 pour recueillir ses sou-
venirs de l'époque symboliste et d u poète français Charles Morice. Assis
dans un fauteuil, une main quasi invalide tout près d'une sonnerie d'ap-
pel, il répondit à nos questions avec une vivacité que son état physique
rendait surprenante. N o u s avons gardé de cette rencontre une impres-
sion très forte, pathétique. O n dit qu'il continua de lire aussi longtemps
qu'il put, jusqu'au m o m e n t où, ayant perdu la vue, il n'eut plus à solli-
citer une main secourable pour tenir le livre et tourner les pages.
aussi, c'est du socialisme ", toutes les autres notabilités, en cette année
de grâce 1911, considéraient la flamandisation de l'Université de Gand
comme inimaginable ou insensée. Après coup, la cécité des gens en
place fait toujours sourire !
Le Frère Mallieux avait du courage... Pendant la Première Guerre
mondiale, en qualité de membre du comité de défense gratuite des
citoyens belges, il intervint environ quinze cents fois devant les conseils
de guerre allemands. Qui plus est, il fut condamné à trois mois de pri-
son et à 3.000 marks d'amende pour avoir caché un soldat allié et favo-
risé sa fuite, et, une autre fois, pour écrits tendancieux, il fut frappé
d'une amende de 500 marks. Pour de tels faits, vingt-cinq ans plus tard,
l'occupant allemand aura la main plus lourde !
Sous une frileuse brise d'aube la rivière coule, lente entre ses bords
durcis et poudrés de gel. Virent des cycles d'aiguës et s'évaguent des
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 227
volutes et s'ondent de menus flots par l'eau joueuse où, mirés au clair
de cette paresseuse dérive, des peupliers en massif sur la berge pro-
jettent leur ombre d'hiver, noirs troncs grêles et fine ramure. Au mol
voyage alenti des ondes palpite une vie fantasque de colonnes tor-
dues, de piliers secoués, de branches qui girent, ondoient et se dérou-
lent, quand au bord du rivage, un rond soleil levant se pose, et la
paradoxale arborescence échevelée s'active à captiver en ses réseaux la
boule de feu qui ronge leurs mailles.
230
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 231
avec une autorité que personne ne contestait et une efficience que tout
le monde admirait. Encore plus que sa parole incisive et sa moustache
retombante de guerrier gaulois, c'était son aptitude à assumer toute
espèce de tâche qui impressionnait l'équipe des rédacteurs. André
Bâillon a raconté : " [...] Rosy faisait tout. Un conférencier à présenter :
nos gorges se desséchaient à l'idée de prononcer trois mots en public ;
Rosy, déjà sur l'estrade, y allait de son petit discours. Un maître à taper
d'une page inédite qui corsât un sommaire parfois trop mince, un mau-
vais payeur à houspiller, un subside à obtenir de quelque grosse légume
gouvernementale, nous en étions encore aux si et aux mais que déjà
Rosy achevait de signer la lettre. "
Grâce à la fermeté de son directeur, la revue ne s'écarta jamais de son
programme initial : être ouverte à toutes les tendances et à tous les
talents, défendre farouchement la liberté d'expression, mettre en évi-
dence l'originalité des lettres belges, couvrir avec objectivité tous les
domaines où fleurit l'art et souffle l'esprit. Elle donna l'hospitalité aux
débutants comme aux chevronnés, réservant le même accueil à André
Bâillon et à Camille Lemonnier, à Franz Hellens et à Hubert Krains, à
Odilon-Jean Périer et à Emile Verhaeren. Cette belle aventure dura près
de soixante-dix ans ; comme il fallait le craindre, elle se termina peu
après que Rosy, passé à l'Orient éternel, eut cessé de l'inspirer.
Son travail de fonctionnaire et au Thyrse ne parvenait pas à combler son
existence ! Trente ans durant, à Saint-Gilles, sa chère commune natale, il
enseigna la littérature française aux élèves de l'École de musique et il anima
le cercle philanthropique " Le Taciturne ". Pendant dix-sept ans, il prési-
da, à Uccle, la société d'éducation populaire et d'entraide " La Besace ". Il
participait avec assiduité aux travaux de plusieurs comités exécutifs : à
l'Association des écrivains belges, aux Amis de la langue française, aux
Amitiés françaises, à la Ligue pour la défense de la langue française. Initié
en 1919 à la loge " Les Vrais Amis de l'Union et du Progrès réunis ", il y
fut très présent. Et à toutes ces obligations qu'il avait librement acceptées
venaient s'ajouter les inévitables corvées de l'homme en vue, constamment
sollicité pour une conférence, un article, une démarche.
Quelqu'un a dit : " Rosy, ayant fait de sa vie une entreprise sans but
lucratif, y a trouvé le bonheur. Et c'est peut-être la plus belle, la plus
édifiante leçon dont il nous aura gratifiés. " Nous ajouterons : avec la
conception qu'il avait de ses devoirs, il n'aurait pu s'attacher de manière
plus suivie à une œuvre littéraire personnelle. Cette œuvre existe, mais
fragmentaire, éparse dans Le Thyrse et quelques autres revues.
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 235
*
Ancien élève d u maussade collège Saint-Servais de Liège, Isi C O L L I N
(1878-1931) débuta en littérature avec deux modestes plaquettes (Les
Baisers, L'Étang), u n délicieux conte en prose poétique, Pan ou l'exil lit-
téraire (1902), qu'il réédita l'année suivante sous le titre La Divine
Rencontre, et, plus épais que les deux premiers, u n recueil de vers, La
Vallée heureuse (1903), inspiré par celle qu'il allait épouser en 1905.
Cette année-là, il participa avec Henri Vandeputte et Arthur Toisoul
à la fondation de la revue Antée, d o n t Christian Beck avait conçu le pro-
jet et suggéré le titre significatif qui sera caractérisé ci-après.
Isi Collin, marié, d u t songer à la matérielle. Il s'engagea dans le jour-
nalisme, d o n t les tâches quotidiennes, trop lourdes pour un rêveur non-
chalant de son espèce, le détournèrent de la création littéraire. En 1914,
il publia encore Sisyphe et le Juif errant, où s'affrontent les deux person-
nages qui cohabitaient en lui, le sédentaire et le nomade. Ensuite, le
poète se tut. La guerre finie (en majeure partie, il l'avait passée en
Angleterre, dans une usine où, déclaré inapte pour le service armé, il
tournait consciencieusement des obus), il se fixa à Bruxelles pour rem-
plir la fonction de rédacteur à La Nation belge de Fernand Neuray.
Entré quelques années plus tard au Soir, il y publia des billets du jour
pleins de fantaisie qu'il signait " C o m p è r e Guilleri " et d o n t u n choix
parut au lendemain de sa mort {Almanach de Compère Guilleri, 1931).
En 1928, c o m m e Le Soir négligeait son reportage d'une campagne de
pêche dans la Mer Blanche, il l'avait fait éditer à La Renaissance d u
Livre : c'est Quinze âmes et un mousse, une œuvrette exquise.
Attestée par son milieu familial, son appartenance maçonnique n'a
laissé aucune trace dans les archives d u G . O . B . : accident fréquent,
imputable aux ravages des années terribles.
136 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
est née, qui a porté le nom de sa mère. Christian aurait souhaité faire
sa vie avec Louise Gérardy mais elle était mariée, avec quatre enfants.
Mon père a aimé sa première fille, écrivant à Gide qu'elle était un
Memlinc. Ma mère, à propos de ma sœur consanguine, ne me disait
pas la vérité : c'est une cousine très lointaine. Mais avant même de
savoir qu'elle était ma sœur, je l'adorais. J'était une petite fille de
quatre ans quand je l'ai connue. Elle était une belle jeune femme de
vingt ans, qui jouait de la flûte et me racontait des histoires. À l'âge
de douze ans seulement, j'ai appris qu'elle était ma sœur. Ma mère
avait laissé en vue — désir inconscient que je la lise ? — une lettre
de Loulou commençant par " ma chère belle-mère de la main gau-
che ". J'étais au comble de la joie, l'aimant déjà de toutes mes forces.
J'aurais adoré qu'elle fût ma mère, et rêvais d'aller vivre avec elle.
Enfin, considérant que les Poètes (et par ce mot, on entend qui-
conque reconstruit en Beauté, lui-même ou l'univers) sont la plus
haute expression de la race ; considérant qu'une race a des devoirs
devant elle-même comme devant l'univers) ; considérant que ces
devoirs sont au même titre ; considérant qu'ils se confondent, en ceci
que le devoir de la race envers elle et envers l'univers est qu'elle
conserve, développe, fortifie l'intégrité de son âme propre, dans tou-
tes les manifestations essentielles ; considérant que ce qu'elle doit à
elle-même, la race, en tant que note dans une harmonie ultime, le
doit aussi à l'univers ;
Considérant que la langue est la plus haute expression de l'inté-
grité d'une race et le moyen de son unité ; considérant, d'autre part,
que la défense de la race appartient aux Poètes plus qu'à tous autres ;
Vie Nouvelle combattra pour la défense et l'illustration de la lan-
gue française ; notamment par l'institution, dès le courant de cette
année, d'une Union Libre de la Jeunesse des Pays de Langue française
(France, Wallonie, Suisse romande, Canada, Lorraine, îles norman-
des d'Angleterre, Villages Vaudois du Piémont).
C'est surtout dans la Wallonie, spécialement menacée par les
menées du flamingantisme et du pangermanisme, que notre action
s'exercera. Nulle part ailleurs le cœur de la France ne bat plus noble-
ment que dans cette riche et glorieuse province, qui a donné à
l'Occident son plus grand peintre, van Eyck, à la chrétienté son plus
grand empereur, Charlemagne, et à la France presque tous ses grands
musiciens, depuis le premier, Josquin des Prés, jusqu'aux derniers,
César Franck, Érasme Raway. Si les Wallons (ce nom, qui signifie
Gaulois, leur a été donné par les hommes du Nord) ne font pas
aujourd'hui partie de la France politique, c'est que, contrairement
aux autres provinces françaises, ils ont toujours été assez puissants
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 14I
* 1864 est l'année du Syllabus. L'assemblée malinoise des catholiques libéraux avait eu
lieu en 1863. (Note de P. Delsemme.)
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 24J
SATAN
Cesse de m'imaginer, vieillard, à travers d'antiques enseignements,
ou la flamme de tes songes. Ton erreur aura-t-elle été tout ce que
t'inspira la plus merveilleuse des rencontres ? Regarde dans quel lieu
tu te trouves : ne sauras-tu jamais, homme parmi les hommes, quels
prestiges t'entourent ? C'est ici un temple. (Les évêques reculent avec
horreur?) * D e tous les noms que tu m'as donnés, mauvais, serpent,
ennemi, accusateur, je n'en veux retenir qu'un seul : Adversaire. Je
mérite celui-là : Adversaire de Dieu. J'aime Dieu parce qu'en tous
points il définit mon contraire. C'est un fleuve, ou si tu veux une cir-
conférence, ou plutôt, un fleuve en forme de circonférence, et il se
verse incessamment en soi-même. Ne le crois pas libre : c'est sa supé-
riorité sur moi, que pour lui tout soit nécessaire, et pour moi rien. Je
n'ai jamais su pourquoi il a posé son premier acte, ni s'il était libre
de le poser ; mais certainement par ce premier mouvement il s'est
interdit toute imagination. C'est un vieillard si logique et si plein
d'importance qu'il poursuit tout jusqu'aux dernières conséquences :
et pour lui, aucune n'en vaut une autre. Ainsi réalise-t-il le fonde-
ment, la loi, la stabilité, l'ordre, la règle et l'unité.
SATAN
Je vais à présent me louer moi-même. Glaives du plaisir ! Pénétrez
mon esprit tourné vers la diversité ! Monde où jamais deux fleurs ne
brillèrent pareilles, sous ma main puissante résonne comme un cla-
vier. Libre archet de la fantaisie, fais vibrer le cristal de mon cœur.
Suis-je le silence des lacs ? Nul silence jamais n'épuisa le repos de mes
Il avait été initié aux " Vrais Amis de l'Union et d u Progrès réunis "
le 8 février 1908.
" C'est vrai qu'il est d'ici, bien d'ici, avec sa voix, avec son visage
borain, avec toutes ses attitudes. Il a aimé les hommes, les artistes, les
arbres et les paysages de son pays. Ah ! oui, il l'a aimée, sa terre wal-
lonne ! Partout il en a parlé : à Paris, à New-York, à Mexico, à
Londres. Le cher visage de sa Wallonie, il l'a évoqué devant tous les
publics du monde, et avec quelle ferveur, avec quel accent ! Tout son
oeuvre littéraire, si abondant, en est plein. En Wallonie ; Les Trois
Borains ; Images boraines ; Visage de la Wallonie ; Wallonie, terre de
poésie. Cela ne l'a pas empêché d'aimer les autres : Verhaeren, Gorki,
Elskamp, Van Gogh. Il a écrit La vie tragique de Vincent an Gogh, une
sorte de reportage rétrospectif qu'on dirait romancé tant il est atta-
chant. Ce livre nous apporte du neuf sur l'existence du grand colo-
riste hollandais, fou de couleur et de fraternité ; et notamment sur
son séjour au Borinage, où il évangélisa les mineurs, où il peignit, en
attendant d'être entraîné, comme tant d'autres peintres, sur les rou-
tes du soleil.
Louis Piérard est aussi l'auteur de La Maison des serpents, de
Rimouski-Puebla (un voyage du Canada au Mexique), de La Peinture
belge contemporaine et de bien d'autres ouvrages, plus ou moins volu-
mineux. Mais c'est quand il a parlé de son pays natal qu'il a donné
le meilleur de lui-même. C'est, je le crois, dans ce modeste recueil de
contes, Les Trois Borains, qu'il s'est montré un écrivain wallon singu-
lièrement ému et qui trouve, pour s'exprimer, une adorable et tendre
ironie, un accent de sa race. C'est dans ce livre-là que Piérard —
homme d'aujourd'hui, globe-trotter, maître reporter, essayiste,
poète, politicien, romancier, critique d'art, conférencier — c'est dans
ce livre-là qu'il s'abandonne à la joie d'être soi : un conteur pitto-
resque, tendre, un peu ironique. Son style y est plus sûr et plus serré
que partout ailleurs, et sans perdre ni son allant, ni sa souplesse.
Il y a dans ces pages, d'inspiration folklorique, une concision qui
rappelle Flaubert. C'est d'ailleurs bien à Flaubert et à l'école réaliste
que se rattache l'écrivain Louis Piérard. O n trouve chez lui le même
souci de rendre la couleur vraie, de soigner la forme sans tuer le natu-
rel, une de ses plus sûres qualités.
Le plus beau des quatre contes des Trois Borains, c'est Icare.
Comme Louis Piérard a dû l'aimer, le héros de ce récit, un pauvre
menuisier qui s'était fabriqué des ailes pour voler ; comme il a dû
l'aimer cet Icare de Wallonie, cet humble poète de village dont se
moquent les petits rentiers et les boutiquiers satisfaits, et qui, même
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE *55
*
La Maçonnerie mixte n'existe en Belgique que depuis 1912 : c'est le 2 4
mai de cette année que fut installée solennellement la première loge
belge d u Droit H u m a i n , " 45 Égalité ". Il n'est donc pas surprenant que
deux Sœurs seulement, passées à l'Orient éternel et répondant à notre
définition de l'écrivain, apparaissent dans notre relevé. La première s'ap-
pelait Nelly Schoenfeld, mais il lui plaisait d'écrire et de se manifester
en public sous le n o m de S E R G E B R I S Y (1886-1965), le prénom
masculin correspondant, pensait-elle, à sa force de caractère et Brisy
marquant sa volonté de se vaincre soi-même, « brise-toi, Brisy », disait-elle.
Issue d'une famille bourgeoise très respectueuse de la liberté de pen-
sée, elle était prédestinée à choisir sa voie hors des sentiers battus. Le
hasard d'une visite à l'Institut naturiste à Overysche (aujourd'hui
Overijse), créé par le docteur Eugène Nyssen (initié en 1912 aux " Vrais
Amis de l'Union et du Progrès réunis " et appelé à devenir le Vénérable
Maître de la loge " 8 8 8 Latomia " d u Droit H u m a i n ) , lui fit découvrir
la théosophie. Elle fut conquise par le syncrétisme de ce système qui
tend à rapprocher les religions, les philosophies et les sciences et, plus
particulièrement, par son idéal de fraternité, associé à la conviction que
tout être h u m a i n dispose de pouvoirs latents d o n t il doit prendre cons-
cience. En 1913, elle demanda son admission à la Société théoso-
phique, et, en 1 9 2 1 , elle se joignit à la c o m m u n a u t é laïque " Monada "
qui venait de se constituer à Uccle. C o m m e d'autres membres de cette
c o m m u n a u t é , elle souhaita entrer dans l'Ordre maçonnique mixte
international Le Droit H u m a i n . Initiée le 8 mai 1927 à la loge " 45
Égalité ", elle s'affilia à la loge " 888 Latomia ", plus spiritualiste, dès sa
fondation en décembre 1927. En 1930, elle créa avec quelques Sœurs
théosophes u n nouvel atelier, " 924 A m o n Râ ", où elle assuma la
fonction de Vénérable Maître. En 1938, elle prit l'initiative de deman-
der la mise en sommeil d e cette loge, d o n t les membres s'intégrèrent à
" Latomia " ou la réintégrèrent. Mais auparavant, en 1935, montée en
grade dans l'obédience, c'est elle qui présida l'inauguration du beau
temple de la rue de l'Ermitage, o ù les loges bruxelloises du Droit
H u m a i n , installées jusque-là dans des locaux de fortune, trouvèrent
enfin une résidence neuve, bien adaptée à leurs besoins et agréable.
256 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
AMIS ET FRÈRES,
Pas plus que dans le tableau troisième, je n'ai voulu attaquer une
religion ni soutenir une croyance ou une philosophie au détriment
d'une autre. Le fanatisme est bien plus dans les cœurs que dans les
dogmes et c'est la " lettre qui tue " quand on ne veut point s'en écar-
ter pour prendre son vol vers l'infini. L'homme ne peut concevoir la
vérité dans son entier. Comment la concevrait-il d'ailleurs — lui, être
limité — puisque la Vérité illimitée ne se repose, absolue, que dans
l'Absolu ? Dès que l'irritation gronde au fond des âmes, la vision
s'obscurcit. Et tous ceux qui croient posséder la vérité en la refusant
à leurs frères, risquent de ne pas comprendre le langage de Celui qui
sera toute Tolérance et tout Amour, car II ne viendra pas pour une
religion, pour une morale ou pour une secte, mais pour l'humanité.
258 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
Ouvrons donc les yeux et regardons tout ce qui nous est offert en
nous élevant vers l'Impersonnel, sachons entendre toutes les voix qui
s'adressent à nous afin de ne pas perdre une parcelle de Sa Lumière.
« Il reviendra comme un voleur dans la nuit. » Nul n'en connaît
l'heure ! Tenons-nous prêts. La théorie n'est que le premier degré de
la connaissance. Elle ne peut rendre une foi vivante. Les mots sont
vides lorsqu'ils ne s'appuient pas sur des actes, et rien ne se dissipe
plus vite qu'une discussion frivole. Mais la parole, fécondée par le
Verbe Divin, marque son empreinte ineffaçable sur les âmes et c'est
le Verbe qui vivifie l'esprit.
Qu'on me pardonne d'avoir choisi des hommes ordinaires et
non l'élite, — des hommes pareils à ceux que le Seigneur croisera
comme il y a 2.000 ans et auxquels II apporta la clarté de Son
Immense Sacrifice. Et soyons heureux de songer que partout, dans
tout mouvement religieux, philosophique ou social, l'élite existe,
représentée par des âmes éclairées qui, brisant leurs entraves, osent
rayonner la pureté des enseignements primitifs dont elles sont les
dépositaires.
La Divinité des choses est l'ouvrage de Serge Brisy qui nous paraît le
plus accessible à notre positivisme invétéré. C'est une originale réhabi-
litation d u travail manuel et des humbles tâches ménagères. Le temps
qu'on leur consacre n'est jamais détourné d'activités qui pourraient être
plus importantes ou plus enrichissantes, car le moindre geste qui met
en contact avec les choses établit une relation avec l'essence des choses.
Par exemple, enlever les poussières ? Mais c'est merveilleux !
Travail trop banal pour qu'on s'y arrête, travail machinal entre
tous, travail quelconque et monotone accompli rapidement et sans
réflexion.
Banal ce travail ? monotone ? quelconque ? Non. Symbolique et
très important, occulte aussi puisqu'il représente une prière active
dans le logis et qu'il est, en quelque sorte, un principe de sa vie pro-
fonde.
La main, légère et douce, passe sur un meuble avec le chiffon. Et
la main s'anime au contact de la pensée et devient vivante de la vie de
l'esprit réveillé. Elle prie, cette main, parce que l'âme prie et que l'âme
se manifeste dans la main qui agit ; elle aime parce que le cœur est
ouvert à l'amour des choses ; elle est consciente parce que l'esprit la
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 259
Une fois par mois, je fréquentais chez mon futur patron du bar-
reau, Raoul Ruttiens, qui avait fondé le groupe artistique de La
Soupente. Que de reconnaissance je lui dois ; je voudrais lui payer ici
un hommage ému ! Plusieurs fois, il nous reçut dans sa maison du
Petit Sablon où je revois un certain Schwartz qui signait Jeniello,
Germain Berthe qui peignait et abandonna le pinceau pour la
Bourse ; il y avait aussi le cher Colinet arrivé frais émoulu d'un
village du Brabant wallon et qui nous lut des poèmes si sages et si
billets-de-caramel que Germain Berthe osa en quelques mots
définitifs passer condamnation ! Le pauvre Colinet pleura et, sous la
puissance du choc libérateur, se transforma peu à peu, au point de
devenir notre dadaïste le plus renommé.
Juppiter deist en les recebvant " Joe zelle ", ce qui veult dyre " Ce
est bien mets de Dieu et plat de Juppiter savez-vous ", ce que
Khabbalistiquement se dyct " Choesels ".
guerre, ces paroles et le fait d'avoir dialogué avec les amis de l'ennemi
furent hargneusement reprochés à l'auteur de La Nouvelle Carthage. Le
Thyrse se montra particulièrement agressif. Touché par cette campagne,
le collège échevinal de la ville d e Bruxelles s o m m a Eekhoud de se
démettre de sa fonction de professeur à l'Académie des beaux-arts et
dans les deux écoles normales.
Ruttiens, avec une ardeur filiale et l'éloquence d'un avocat, se
porta au secours d'un maître qu'il vénérait. Il rappela, il proclama ce
que la Belgique littéraire lui devait. " Georges Eekhoud au pilori " :
c'était le titre de la " conférence de combat " qu'il fit le 1 e r février 1920
à la Maison du Peuple de Bruxelles, sous les auspices du Cercle bruxellois
d'éducation ouvrière, et qu'il refit inlassablement : dix fois à Bruxelles,
deux fois à Arlon, deux fois à G a n d , deux fois à Liège, une fois à Mons.
Le texte parut en mars 1920 dans l'éphémère mensuel Le Geste., que
nous mentionnons infra à propos d'Aimé Declercq.
La presse parla évidemment de cette conférence. Le Pourquoi pas ?
du 13 février 1920, dans sa rubrique " Le coin d u Pion ", toujours
piquante, citait quelques lignes d ' u n des comptes rendus (sans indiquer
le titre du journal) :
Ce n'est pas nous seulement qui demandons qu'il vive, s'écrie
l'orateur en terminant ; derrière nous, c'est le Christ, c'est Camille
Lemonnier, Max Waller, Charles De Coster, Emile Verhaeren,
Eugène Demolder, tous ces grands morts qui crient avec nous : " Vie
et gloire à Georges Eekhoud. "
Souffrez que je vous dise que le coupable dans l'aventure est tout
simplement le rédacteur du journal, et qu'à propos d'Eekhoud, je
n'ai pas parlé du Christ. J'ai évoqué le " grand roux ", et seulement
après l'avoir décrit en quelques phrases rapides, j'ai cité son nom.
C'est Camille Lemonnier.
Cette affaire Eekhoud, nous avons émis sur elle une opinion que
nous maintenons. Laissons le Christ de côté... Lemonnier, tout
géant roux qu'on le désigne, s'il a admiré l'œuvre d'Eekhoud, aurait-
il eu une égale admiration pour l'Eekhoud qui refusait de se pro-
noncer entre des Flamands et des autres Flamands ? Nous ne disons
pas qu'il aurait condamné. [...]
Eekhoud s'est dérobé devant une question sournoise à laquelle il
ne se sentait pas prêt à répondre. Est-ce une raison pour le jucher sur
l'âne de Buridan et le mener en triomphe à travers la ville ? [...]
C'est admirable d'avoir écrit Escal-Vigor... Ce n'est pas admirable
de n'avoir dit, un jour, ni oui, ni non, de n'avoir rien dit du tout. [...]
* Chevecier : chanoine qui, dans quelques églises, avait la charge du chevet, du luminai-
re et du trésor. Ce vieux mot figure dans Trésor de la languefrançaise,mais est absent du
Grand Robert. Ruttiens a pu le voir dans Bescherelle et dans le Grand Larousse univer-
sel du XLX* siècle. Il lui a donné la forme féminine chevecière, que les dictionnaires igno-
rent, et pour cause : la fonction revenait à un prêtre ! N'aurait-il pas pris le mot dans le
sens de chaisière ?
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 265
J'ai pu, quant à moi, lire, méditer et aussi m'entretenir avec maints
docteurs. Et plus d'un s'est trouvé convenir de ma thèse sur l'esprit de
liberté. Je suis persuadée que si le Créateur fit l'homme de deux parties
distinctes : la terre qu'il modela et l'âme qu'il insuffla dans cette enve-
loppe grossière, il ne s'est pas abusé au point de tolérer que de cette
connivence pût résulter un avilissement pour cette âme. Dieu ne dit-il
pas à Job : " Ta substance n'est rien devant moi. Tais-toi. " Et s'il a per-
mis à cette lie de conserver tous ses instincts, en quoi aurions-nous l'im-
pudence et la présomption de les vouloir faire servir malgré eux, comme
malgré Lui, à des fins supérieures ? J'élève mon âme vers Dieu, je me
réjouis de la divine présence en moi de mon Créateur et de mon Maître
dans la prière, la contemplation, le Saint Sacrement de l'Eucharistie. Et,
je vous le demande, que peut faire à cette âme que, par exemple, des
vents mauvais parcourent sa fragile enveloppe, que des humeurs nocives
ou malodorantes s'assemblent en quelque vaisseau caché dans ce corps,
que certains prurits ou que des spasmes...
s'égare dans la forêt. Lui apparaît alors un nain vêtu d'une bure. Ce n'est
pas un moinillon ; c'est Faunet, fils de la Terre et hôte des bois. " Je ne
connais pas Notre-Dame, dit-il, mais j'aime la vérité. Je vous aiderai,
mon Père, dans votre entreprise. " Par malheur, Benoît a présumé de ses
forces : arrivé dans une clairière vaste comme une cathédrale, il tombe
et expire sous le regard intensément ému de Faunet, qui ne dit pas :
" Ainsi soit-il. "
Ce conte, assurément philosophique, fut la dernière œuvre littéraire
publiée par le légiste Raoul Ruttiens, dont on ne trouve pas trace dans
les archives maçonniques, mais des membres de sa famille détiennent
les preuves matérielles de son appartenance.
Il correspondit avec Gustave Vanwelkenhuyzen pendant près de trente
années. Il admirait vivement les travaux de l'historien de la littérature
française de Belgique. Son avant-dernière lettre au " cher Van Welk ",
comme il disait, révèle qu'il eut une fin de vie douloureuse : " Vous ai-
je en son temps remercié d'idoine façon pour vos vœux de l'an ? Je me
prends à en douter, écivait-il en février 1965. J'ai connu en 64 de si cui-
sants mécomptes : amputation de ma jambe gauche, ouverture de mon
flanc droit à la recherche d'une très malencontreuse vésicule biliaire et,
conséquence de cela, un invraisemblable capharnaiim domestique des-
tiné à centrer et à limiter mon habitat au premier étage de mon logis !
Vous m'excuserez donc de ne pas vous avoir une nouvelle fois dit ma
gratitude pour toutes vos attentions et vos envois de travaux. "
Liège, il se fixa définitivement dans cette ville en 1922, son atelier l'ac-
crédita comme garant d'amitié auprès de la loge " La Parfaite Intelligence
et l'Etoile réunies ", aux travaux de laquelle il participa jusqu'en 1929.
C'est alors qu'il fonda, presque en m ê m e temps, la loge " Tolérance " au
Droit Humain et la loge " Hiram " au Grand Orient de Belgique.
Nous ne résistons pas à l'envie de reproduire ici ce que disait de ce
Maçon exemplaire le Bulletin de la Fédération belge du Droit Humain,
dans sa livraison de septembre-octobre 1957 :
*
En faisant abstraction de Zigs-zags littéraires. Le roi du désert qu'il écri-
vit en 1902, alors qu'il était élève de sixième latine à l'Athénée royal de
Charleroi, et que son oncle, imprimeur à Fleurus, édita avec fierté... et
des " illustrations de l'auteur ", nous dirons qu A L E X P A S Q U I E R (1888-
1963, Alix Pasquier jusqu'en 1924), docteur en droit de l'Université
libre de Bruxelles (1911), débuta dans la carrière des lettres en 1912
avec Une rédemption, un roman dont les maladresses juvéniles —
notamment le manque d'équilibre entre les parties — n'affectent pas le
réalisme pénétrant des descriptions : le Bruxelles des années 1910, la
bruyante société estudiantine et le petit monde de l'intelligentsia locale.
En janvier 1919, Pasquier fonda avec le poète catholique Désiré-
Joseph D'Orbaix (1889-1943, Désiré-Joseph Debouck jusqu'en 1921)
La Bataille littéraire, une revue hebdomadaire la première année, men-
suelle ensuite, d'excellente tenue et révélatrice de l'état de la littérature
française de Belgique au lendemain de la " grande guerre ". Selon ses
animateurs, une renaissance intellectuelle et artistique s'imposait au
moment o ù le pays se relevait de ses ruines et il fallait quelle fût digne
des souffrances que la population avait endurées. Ce beau projet se
heurta évidemment à la coutumière indifférence des Belges à l'égard de
la littérature et, conçu dans l'exaltation de l'immédiat après-guerre, il
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 269
*
27^ LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
O D E U R D E GARE
Au-dessus de la gare
Un pont de fer,
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE
La flûte de Pan
Du vent.
Mon pas, sur la tôle usée,
Pour scander ma pensée.
FOSSÉS
R O U T E S D U CIEL
*
JEAN-MARIE CULOT (1895-1958) fut bibliographe. C'est un métier :
il en fit un art, un titre de noblesse, un sacerdoce. Il avait de l'esprit, la
parole aisée, un joli brin de plume (en témoignent ses articles de cri-
tique et d'histoire littéraires dans Le Thyrse, La Revue nationale) ;
comme s'il en faisait fi, il passa la majeure partie de sa vie courbé sur les
fiches o ù il consignait la bibliographie des œuvres d'autrui. Ce travail
de bénédictin, il l'accomplissait bénévolement, pour la seule satisfaction
de pouvoir se dire : c'était utile, je l'ai fait.
L'unique objet de sa passion documentaire fut la littérature belge de
langue française. Ses premiers relevés, publiés entre 1945 et 1957,
concernaient Auguste Marin, Albert Mockel, Emile Verhaeren, Henry
Carton de Wiart, Gustave Vanzype. Dans sa préface à la Bibliographie
de Emile Verhaeren (1954), Henri Liebrecht disait : " Une bibliographie
aussi judicieusement établie constitue une véritable biographie intellec-
tuelle, dans laquelle le lecteur peut suivre l'évolution de la pensée et de
la vie secrète de l'œuvre. " En 1958 parut le tome I (de Gustave Abel à
Olivier-Georges Destrée) de sa Bibliographie des écrivains français de
Belgique (1881-1950), couronnement de son labeur. Le 6 septembre,
quelques jours après la sortie du volume, il mourait, laissant l'énorme
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 28l
dans Le Sucre filé, son livre de souvenirs, notre magasin était le plus
beau. Deux comptoirs se faisaient face, les flancs ornés d'amours d'ivoi-
re, de guirlandes, les colonnes torses entrelacées d ' u n fouillis de feuilles
d'or, les marbres luisaient ; sur l'un, des étagères alignaient des bocaux
de pralines disposées en cercles concentriques et piquées de noix de
Grenoble ou de violettes de Parme. [...] Aux enfoncements des murs
capitonnés de soie, des colonnes de pierre ouvragée encadraient les
bocaux de friandises ; les amandes dorées par le soleil inspiraient le
respect. Les vitrines, où les lettres de notre n o m étaient dorées à la
feuille, présentaient au passant les gâteaux aux noms historiques, les
Vatel, Saint-Louis, Montpensier, Marie-Antoinette, le Brillât-Savarin. "
Paul-Aloïse, enfant, regardait son père manier les platines avec dex-
térité, régler savamment la cuisson, étirer le sucre en fils ténus ou, le
front plissé, sculpter de ses gros doigts les délicates fleurs de sucre.
C'était admirable ! Plus tard, il s'interrogea sur la place que le geste arti-
sanal peut ou devrait occuper dans la hiérarchie artistique. Cette
réflexion lui inspira la jolie fin du chapitre II du Sucre filé (" U n e famille
d'artisans au début d u siècle ") :
ces années, en tout cas, qu'ils se lièrent d'une amitié dont la remarqua-
ble longévité est attestée par leur correspondance : on a retrouvé 183
missives de Ghelderode à D e Bock (la dernière datée du 1 e r février
1962) et 164 missives de D e Bock à Ghelderode.
En 1919, Paul-Aloïse D e Bock, porteur d u certificat du Jury central
pour les humanités gréco-latines, entra à l'U.L.B. et il en sortit en juillet
1923 avec le diplôme de docteur en droit. Il s'inscrivit immédiatement
au barreau de Bruxelles. Il se distingua c o m m e avocat d'affaires, mais
aussi comme avocat politique.
Le socialisme, selon lui, manifestait le plus fermement la volonté de
mettre tout en œuvre pour que la guerre de 1914—1918 fût la der des
ders. Il se fit membre de la Ligue ouvrière de Schaerbeek, et il fut
conseiller c o m m u n a l socialiste du 14 janvier 1927 jusqu'en 1932. Nous
l'avons connu à l'époque où, arrivé au terme de son mandat, il conti-
nuait à fréquenter, avec sa pipe, les réunions de la Maison du Peuple de
la place Colignon.
Peu avant, très exactement le 22 octobre 1929, il avait reçu de
l'anarchiste Marcel Dieu, alias H e m Day (voir infrd), u n petit m o t où
il lui était demandé de se rendre d'urgence à la prison " afin de tâcher
de s'entretenir avec D e Rosa pour sa défense ". Fernando D e Rosa,
jeune socialiste italien, avait tiré sur Umberto, prince hériter d'Italie et
fiancé de la princesse de Belgique Marie-Josée, au m o m e n t où il dépo-
sait des fleurs sur la t o m b e d u soldat inconnu, à la Colonne d u
Congrès. D e Rosa, issu de la bourgeoisie de Milan et entré dans l'oppo-
sition clandestine à la dictature mussolinienne, avait rejoint à Paris la
" Concentration antifasciste " qui l'avait désigné et armé pour assas-
siner Umberto. Au m o m e n t de tirer, pris de scrupules, il avait volontai-
rement manqué sa cible.
Accouru à la prison, D e Bock p u t parler au jeune Italien, d o n t le
visage tuméfié attestait la brutalité de son arrestation et d u premier
interrogatoire au commissariat de la rue de Ligne. Ce qui allait compli-
quer la tâche de ses avocats, c'est que, voulant un grand procès politique
qui mettrait en accusation le régime fasciste, il déclara, au début de
l'instruction, que son geste était réellement meurtrier. Aux assises, en
1930, défendu par trois avocats, Paul-Aloïse D e Bock, Paul-Henri
Spaak et Eugène Soudan, il fut condamné à cinq ans de prison. Lors de
sa libération, fascistes et antifascistes s'affrontaient en Espagne. Son
ardeur politique était intacte. Il s'engagea dans les rangs républicains et
périt au combat.
288 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
Cher Paul, tu es venu chez moi et j'ai été bien fâché de n'avoir pu
te voir, au retour des Allemagnes. Or, je ne sais à quel numéro ton
domicile conjugal ! Tu avais dit de revenir. Mais je savais bien que tu
ne serais pas revenu. Ce n'est rien. O n se verra. J'attends ce moment.
Tu m'as beaucoup manqué. Peut-être écris-tu. J'en suis certain. Il faut
avant tout mettre ton livre militaire debout. Je travaillerai cet hiver à
te trouver un éditeur. C'est possible — sans dépenser des cens. Tu
entends, ce livre avant tout — il est large, robuste, humain. Plus tard
tu ne l'écriras plus. Le plus beau d'ailleurs en est fait. Je te rappelle :
Hans Millier,
Beverloo
*
AIMÉ D E C L E R C Q (1899-1978) fut u n h o m m e de théâtre par excel-
lence. Il dirigea à Bruxelles, en 1930-1932, le second Théâtre du Marais
(le premier étant celui de Jules Delacre, 1921-1926), ensuite le Théâtre
royal des Galeries avec Lucien Fonson. En 1949, il d o n n a aide et appui
au jeune comédien Jean-Pierre Rey qui mettait sur pied les spectacles de
Beersel, dans la périphérie bruxelloise.
H o m m e d'initiatives, il fut le promoteur des premiers journaux
lumineux.
Auteur dramatique, il c o n n u t le succès. La presse l'atteste pour trois
de ses pièces.
L'envers vaut l'endroit, " spectacle " en trois actes créé au Théâtre du
Marais le 3 mai 1932, repris (vivement applaudi) à Paris, au Théâtre des
Arts le 31 mars 1933 avec les comédiens de la création, a pour cadre les
coulisses d'un théâtre, le soir d'une générale. Il s'agit d o n c d'un specta-
cle dans le spectacle, une mise en abyme que Jean Anouilh exploitera à
son tour dans la plus belle de ses " pièces brillantes ", La Répétition ou
l'Amour puni, écrite en 1947, créée en 1950 par Jean-Louis Barrault.
L'envers vaut l'endroit, d o n t La Petite Illustration recueillit le texte —
confirmation de la réussite auprès du public parisien — , devait être la
première partie d'une trilogie intitulée La mécanique du théâtre. La
seconde, Hors série, fut représentée aux Galeries, mais sans être impri-
mée. La troisième, Spectacle interrompu, resta à l'état de projet ou dans
les cartons de l'auteur.
Le 27 avril 1937, les Galeries créèrent Le Circuit de Minuit, une
pièce en quatre actes et cinq tableaux. C'est le drame de Gabriel,
constructeur d'automobiles, menacé de faillite alors qu'il est sur le point
292 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
Nous avons sous les yeux une demi-douzaine d'opuscules (d'une centaine
ou de quelques dizaines de pages) consacrés dans le courant des années
1970 à l'œuvre et à la personnalité de G E O R G E S LlNZE ( 1 9 0 0 - 1 9 9 3 ) .
L'admiration d o n t ils témoignent, partagée par u n vaste cercle d'écri-
vains et d'artistes, contraste avec la place modeste que les grands inven-
taires des lettres françaises de Belgique réservent à celui que Claudine
Cassart et René Moirant appelaient " citoyen d u m o n d e poétique " et
avec le silence qui s'épaissit autour de lui. Bien que très fréquente en
littérature et le plus souvent justifiable, l'irrévocable perte d'audience
étonne toujours, u n peu ou davantage selon les cas.
Liégeois de naissance, formé dans les écoles de sa ville natale,
Georges Linze, porteur d u diplôme d'instituteur, enseigna d'abord à
Angleur et dès 1920 à Liège, où il avait toutes ses racines. U n inspec-
teur, ayant lu ses premiers écrits, le mit en garde : « Si vous continuez,
vous allez faire le plus grand tort à votre avenir. Je vous conseille de ces-
ser ce genre d'activité assez subversive. » Il ne tint aucun compte de ce
bienveillant conseil, fit néanmoins carrière d'instituteur, devint direc-
teur d'école lorsqu'il se trouva en ordre utile. Il se retira en 1959.
Attiré dès l'âge de douze ans par l'écriture poétique, il n'est pas éton-
nant qu'il soit entré précocement dans le m o n d e des lettres et des arts.
En 1919, il fonda le " Groupe moderne d'art de Liège ", qui rassemblait
des peintres, des architectes, des écrivains d'avant-garde et qui se d o n n a
bientôt u n organe, Anthologie du Groupe moderne d'art de Liège, u n tri-
mestriel (irrégulier) d o n t le premier n u m é r o parut en mars 1921 et le
dernier en mars-avril 1940.
294 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
Nous avons dit en Wallonie les mots nouveaux. Mais ici, — petit
pays — , il fait si doux, il fait si bon que les choses graves de l'esprit
passent sans s'arrêter.
Nous voici forcés de répéter : Il y a une sensibilité nouvelle, une
vision nouvelle, une conception artistique nouvelle, des moyens
artistiques nouveaux et surtout un but, qui sont les fruits fécondés
d'une humanité décadente.
Notre industrie fatiguée souffre d'être démodée.
La poésie ne se complaît plus dans les lieux communs. [...] Tout
est poétisé et poétisable.
LA MINE
Lointainement
des sons de trompe
montent,
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 295
O n voit le roc nu
et des hommes fébriles, dessus.
Tout à coup,
comme en un remous de la carrière,
la mine saute...
Pourquoi ce soir
où se promène un fanal,
est-il si doux ?
D'où nous allons,
viennent en respiration,
des bouffées de bonheur,
puis,
un silence profond des eaux
environne notre vie de procession.
Les réverbères
ont des piquants de lumière.
La vitesse
devient si régulière
qu'elle semble s'annuler.
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 297
Ici, là,
des hommes pâles d'électricité
nous voient.
P O È M E D U REFUS SUPRÊME
Écoutez,
c'est clair
net
définitif...
* Une édition fragmentaire des recueils depuis Ici jusqu'à Pohne de la patience de
VUnivers existe sous le titre Poèmes 1920-1963 (Liège, Éditions Anthologie, s.d.).
298 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
je refuse d'admettre
l'univers
tel qu'il est.
Et si l'on veut
et si l'on peut,
qu'on en prenne note
en haut lieu.
Des années durant, Linze lança des " manifestes poétiques ", qui
répondaient à son besoin de prendre position et d'agir, d'affirmer et de
s'affirmer, de définir et de se définir. René Debresse, à Paris, en édita
deux séries, Manifestes poétiques (1930-1936), Manifestes poétiques
(1951-1961). Les titres de ces " manifestes ", c o m m e ceux des poèmes,
révèlent ce qui le touchait, indiquent la diversité de ses théories, de ses
prédilections, de ses passions : Manifeste du comique, Manifeste de la
peinture, La justification du désordre, Manifeste de l'obscurité créa-
trice, Manifeste de la dévaluation, Manifeste de la révolution, Manifeste
des arts plastiques ou de la poésie indispensable, Appel à l'insurrection,
Manifeste d u reproche aux poètes fatigués, Manifeste de la guerre et de
la paix ou le destin du p o è t e . . .
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 299
Sa formule " poésie = béton " a été souvent citée. Elle apparaît dans
le manifeste qui se termine par ces mots :
Les vrais poètes de cette génération ont fait l'union des h o m -
mes et de la poésie. Équation à deux inconnues. Poésie = Béton.
Il peut arriver que les lignes architecturales, les ordres de la tech-
nique cernent notre vie d'un univers très suffisant.
D ' o ù le titre de ce Manifeste.
S'il est admis que
POÉSIE = BÉTON
Les " manifestes " linziens interpellent, plutôt sur le ton de l'affirma-
tion que sur le ton de l'interrogation, car ils constituent le plus souvent
une profession de foi. Pour qu'on s'en fasse une idée, nous reprodui-
sons, extrait de la série 1930-1936, Manifeste de la poésie, de l'homme et
de la poésie, de la vitesse et de la poésie :
Plusieurs phénomènes politiques ou sociaux sur lesquels nous ne
nous étendrons pas ont permis à l'esprit réactionnaire et conservateur de
se ranimer un peu. Donc d'accentuer encore sa nuisance et son erreur,
car on ne peut aller contre ce qui est la logique même d'une époque.
L'hostilité s'est laite plus grande : Les poètes ont vu leur tâche devenir
plus ardue et plus dangereuse. Ce qui n'est pas pour nous déplaire.
Nous n'expliquerons rien. Chacun sait que ce qui aujourd'hui
brime la pensée libre n'a guère de prestige et que ses jours sont
comptés.
D'un autre côté, on a dit que le style était une fatalité historique,
entendant par là qu'il est issu des mille figures du siècle et que rien
ne peut l'empêcher. Or, une culture, une poésie, une littérature, une
plastique, un sens de la vie et du bonheur se préparent en marge de
ce qui subsiste anachroniquement. Dans ces heures pénibles et pro-
phétiques, on a beau s'intéresser aux pauvres lois humaines, on a
beau admettre tacitement l'inutilité de l'art, il n'en est pas moins vrai
qu'une germination s'effectue...
Les vieilles villes changeront, leurs chaos " pittoresques " dispa-
raîtront, les machines abhorrées seront de plus en plus nombreuses,
les audaces lyriques de plus en plus intenses.
300 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
Car:
1. Nous voulons la rapidité de l'image.
2. La Poésie va de cime en cime sans transition apparente.
3. La Poésie procède par affirmations irrésistibles.
4. La Poésie ne prétend à aucune durée.
5. La Poésie va des confins de la conscience, aux oeuvres de l'in-
dustrie humaine.
6. La Poésie ne s'intéresse à rien d'autre qu'à elle-même ; elle n'a
ni rythme, ni musicalité, ni développement préconçus.
7. N'existe réellement que ce qui tombe sous sa lumière.
La lutte se simplifie de plus en plus. Ne sont plus face à face que
deux formes de l'humanité : une très basse, très sinistre, très réduite,
une autre créatrice qui participe de la grandeur d'être et de la vraie
tradition et qui tend à la force mystérieuse de la vie.
Le spectacle qu'on nous donne chaque jour est significatif: ce
n'est pas impunément qu'on applaudit à la mort de la pensée indé-
pendante, que des gens à tête de gorille rient et se détournent de l'in-
tolérable prodige de l'art.
Mais les Machines sont tombées comme des tisons dans les gla-
ces du vieux monde.
Livré aux vitesses chantantes, l'Homme cherche à se définir et
rien ne résistera à sa fièvre.
Je croyais que les vérités des villes étaient parvenues à cacher les
vérités éternelles. Et je me trompais car ce qui nous entoure ou ce
que nous créons n'est qu'une figure des secrets que nous pressentons.
La vie est toujours splendide mais je l'ai su trop tard.
{Marthe, p. 45.)
fou, a brûlé ses billets de banque, légué ses terres au curé et s'est retiré
dans u n asile. À la ferme, il y a aussi Jeanne, la jeune servante, qui aime
Roger à la folie. Roger s'imagine-t-il que s'il rejoint ses amis en ville, ce
sera dimanche tous les jours ? Il tente l'aventure. Il quitte le village. Il y
retournera au terme d'une longue et morose expérience urbaine. Il
retrouvera Jeanne. C'est la femme de sa vie, autrefois il ne le savait pas.
Les thèmes récurrents du roman régionaliste traditionnel — la
confrontation d u citadin et d u rural, l'attrait de la ville, l'abandon de la
terre suivi d u retour — traversent Les Dimanches. Mais ils sont secon-
daires par rapport au sujet central d u récit : le bonheur est fragile et
fugace c o m m e les beaux dimanches du temps où nous étions jeunes.
U n e réflexion de moraliste que Linze traite en poète.
Le Fantôme de Paris ou l'Homme malade (1958) se situe aux confins
de l'humour et de la poésie, du rire et de l'émotion. U n soir, au bas de
la rue Lepic, le narrateur (aucun n o m ne lui est donné) rencontre un
fantôme causeur, assez sentencieux, qui devient son ami et dont les
absences, sporadiques et jamais annoncées, le désespèrent. Cette relation
insolite, qu'il garde secrète, trouble évidemment ses relations avec ses
proches, son épouse, son directeur, ses collègues de bureau, qui s'inquiè-
tent et bientôt le traitent avec les ménagements réservés au malade men-
tal. Ce qu'il est ! Mais cette folie, d o n t il n'est pas conscient, l'intronise
dans u n univers magique où il se plaît. O n veut le guérir. Il proteste :
Il serait injuste de passer sous silence les romans que Linze destinait
aux enfants et aux adolescents. Il y a mis beaucoup de talent, et ils ont
conquis les jeunes lecteurs : Aventures de Riquet en Ardennes (1931), Les
Vainqueurs de l'Océan (1931), La Peuplade inconnue (1934), Vers le
Nord mystérieux (1937), Les Aventures de Gilles Loiseau en Amérique
(1949). L'instituteur qui divertissait les enfants par des récits bien trous-
sés, songeait aussi à les instruire : il leur concocta u n Dictionnaire fran-
çais, u n usuel de l'enseignement primaire !
Il serait injuste aussi de ne pas englober dans son œuvre son action
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 305
sur tous les fronts de l'art. Par exemple, il faut rappeler qu'il fut le rédac-
teur en chef de L'Équerre, revue de la jeune architecture, fondée à Liège
en 1929, et que, toujours sur la brèche, il voulut que Le Corbusier
supervisât la conception de l'Exposition de l'Eau, à Liège, en 1939.
Jacques-Gérard Linze a dit : " Bien sûr, Georges Linze est écrivain. Mais
j'ose à peine ajouter qu'il l'est avant tout. Avant tout, je crois, il est u n
ferment. "
Georges Linze fut initié le 14 décembre 1930 à la loge " H i r a m ", à
l'Orient de Liège. À la reprise des travaux après la guerre, il semble qu'il
n'a pas retrouvé le chemin de son atelier. Il se fit mettre en sommeil en
août 1947. Cela n'empêcha pas ses amis personnels, membres de loges
du Grand Orient, de lui garder leur affection. Le Frère Hyacinthe
Brabant, l'éminent stomatologue et le talentueux écrivain (voir infrd),
fut le premier président de l'a.s.b.l. Les Amis de Georges Linze, fondée
en 1973.
qui avait été son élève à l'athénée et qui allait occuper une place
capitale dans le secteur éditorial flamand en fondant dès 1932 les
éditions A. Manteau. Les Closset s'étaient établis à Bruxelles après leur
mariage.
En marge de ses nombreuses publications philologiques et histo-
riques spécifiquement universitaires, la plupart rédigées en néerlandais,
François Closset prend place parmi les essayistes de langue française
avec les deux ouvrages que m e n t i o n n e élogieusement le Charlier-
Hanse : Aspects et figures de la littérature flamande (1943) et La Litté-
rature flamande du moyen âge (1946), auxquels il est juste d'associer
Joyaux de la littérature flamande du moyen âge (1949), u n chef-d'œuvre
dans le domaine de la traduction.
En 1952, il participa à la fondation de la loge " L'Amitié Victor
Bohet ", à l'Orient de Bruxelles. Il en fut le premier Vénérable Maître.
Hem Day et Léo Campion. Il serait peut-être juste de leur associer leur
ami Ernestan, pseudonyme d'Ernest Tanrez (1898-1954), moins
célèbre qu'eux, mais comme eux libertaire et Maçon (initié à " Action
et Solidarité n° 2 " en 1948).
Sa boutique n'était jamais fermée à clef. Dans son esprit, c'eût été
injurieux pour la conscience individuelle de ses locataires (locataire
étant un euphémisme car très peu payaient leur loyer). Aussi les
consciences individuelles s'en donnaient-elles à coeur joie et fau-
chaient-elles maint bouquin. Ce dont M. God se réjouissait, lui qui
plaçait la pâture intellectuelle avant l'autre. Et pourtant, il ne cra-
chait pas sur l'autre. Loin de là. Il avait été végétarien tant qu'il vivait
chez ses parents qui étaient bouchers, et il avait cessé de l'être dès
qu'il avait connu d'autres végétariens. Au point qu'il pesait (avec les
os, il est vrai) dans les deux cent quarante livres.
Un jour, M . God se trouvait en prison pour un délit politique et
faisait, depuis neuf jours, la grève de la faim *. Quoique affaibli, il
avait encore fort bel aspect. Un monsieur de cinquante kilos qui a
perdu dix kilos change beaucoup, mais un monsieur de cent vingt
kilos qui n'en pèse plus que cent dix est encore très présentable. Aussi
lorsque M . God reçut, dans sa cellule d'infirmerie, la visite d'un
jeune médecin des services pénitentiaires, désireux comme tous les
néophytes de faire du zèle, le morticole, qui croyait rencontrer un
jeûneur ascétique, sembla trouver au prisonnier meilleure mine qu'il
ne s'y attendait. Il eut le tort de manifester sa déception. Alors,
superbe d'indignation, le doux M. God eut, en brandissant le lourd
Quand M . God rentrait tard, il trouvait souvent dans son lit des
copains qui ne savaient pas où loger ; alors, quand il désirait dormir
seul, il allait coucher ailleurs.
M . God ouvrait son magasin à des heures très irrégulières. Quand
il n'avait pas envie de l'ouvrir, il ne l'ouvrait pas. Auquel cas un bel
écriteau annonçait : Fermé pour cause d'absence.
Il affichait dans sa boutique ses slogans favoris : Ni Dieu ni maî-
tre !, Vive l'Anarchie !, Mort aux vaches ! Et sa vitrine fourmillait de
livres subversifs.
M. God servait les clients qui lui plaisaient. Il ignorait ceux dont
la tête ne lui revenait pas. D'autres s'enfuyaient effrayés par la mine
patibulaire des pensionnaires en perpétuelle discussion dans le maga-
" Par mesure de discipline ", les deux contestataires furent rappelés
sous les armes. Ayant refusé par écrit, ils furent portés déserteurs.
Arrêtés et incarcérés, ils passèrent en conseil de guerre. Ils avaient trois
* Le parti libéral désirant que la Belgique eût une armée forte, Albert Devèze avait
déposé un projet de loi interdisant toute propagande pacifiste et toute diffusion d'idées
antimilitaristes.
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 311
for intérieur, d'y puiser une force qui lui permettra d'asservir les
autres. L'esclave d'un tyran, s'il n'est un esclave plein d'une sourde
révolte, a toujours, avec parfois quelque chose de plus vil, souvent de
moins éclairé, l'âme d'un tyranneau. Et, de ceci, le livre le plus libre
qui soit, le Contr'un ou de la servitude volontaire, qu'Etienne de la
Boétie, tout jeune, composa au seuil de ce siècle de jeunesse, le XVIe,
nous fait déjà sentir l'étendue.
Initié le 30 juin 1928 aux " Amis Philanthropes n° 3 ", Armand Abel
s'est affilié à la loge " Prométhée ", le 11 avril 1930. Il a été une figure
éminente de la Maçonnerie belge.
Le 20 février 1938, la loge " Prométhée " présenta en tenue blanche,
dans le Grand Temple de la rue de Laeken, à Bruxelles, Antigone, tragé-
die antique du Frère A r m a n d Abel (musique du Frère Marcel Poot),
créée par le Jeune Théâtre de l'Université de Bruxelles sous la direction
du Frère Louis-Philippe Kammans. Le bénéfice de la soirée fut versé
aux œuvres de secours à l'enfance espagnole. U n e autre représentation
eut lieu au Palais des Beaux Arts, à Bruxelles, le 15 janvier 1939.
L'inspiration de cette Antigone était liée aux événements qui plon-
geaient les démocrates dans une inquiétude extrême : le nazisme en
Allemagne, la victoire de la dictature en Espagne, la montée du rexisme
en Belgique. Président du C o m i t é antifasciste et l'un des fondateurs du
journal Combat, A r m a n d Abel était sur la brèche, il sonnait l'alarme, il
dénonçait la passivité en face d u danger. Son Antigone, refusant de se
soumettre aux mauvaises raisons de ceux qui se prétendent raisonna-
bles, exhorte à rester libre quel que soit le prix de la liberté.
le sang et l'histoire, que Hitler a créé le III e Reich. Sa " mission pro-
videntielle " a consisté à incarner dans sa personne l'âme du peuple
entier, à passer à ses yeux pour son intermédiaire et son intercesseur
auprès du Tout-Puissant. Par là s'est justifié le fait que toute l'auto-
rité s'est concentrée sur lui.
Dans les régimes authentiquement démocratiques, l'autorité n'a
qu'une valeur fonctionnelle : elle se délègue par libre choix de la
masse aux mandataires et de ceux-ci à d'autres élus, pour se redistri-
buer ensuite des plus haut placés aux plus humbles titulaires. Ici, au
contraire, elle se fixe d'emblée et totalement sur l'unique
Représentant de tous, qui choisit à sa guise ses lieutenants, lesquels
lui proposent à leur tour d'autres féaux, responsables non pas devant
le peuple, mais directement devant son Maître : hiérarchie infini-
ment plus solide et plus stable, et qui a l'avantage de conserver à la
volonté d'obéissance un caractère personnel et concret qu'elle perd
immanquablement dans le circuit compliqué des autres régimes.
Par malheur, il est fatal que ces " communautés naturelles ", sou-
dées en blocs sans fissure, soient soumises, pour ainsi dire sans
recours, à la rigueur des lois biologiques, qui sacrifient les individus
à l'espèce et vouent les espèces à une lutte sans merci. La restriction
des droits individuels, la guerre toujours imminente : telles sont,
dans ces sociétés, les perspectives quotidiennes.
La Belgique occupée, moi qui avais deux cordes à mon arc, mes
collaborations de presse et mon numéro de cabaret, me retrouvai
avec un arc sans corde. En effet, les journaux auxquels je collaborais
ne paraissaient plus et je ne pouvais plus dessiner sur scène Staline,
Hitler ou Léon Blum. J'avais écrit quelques textes pour présenter
mes dessins, lors j'écrivis des textes sans dessins et ce fut mon pre-
mier numéro de chansonnier.
Sans Hitler cela ne serait pas arrivé !
Je suis devenu chansonnier grâce au chancelier.
Petite cause, grands effets.
Telle fut la vie du Marquis de Sade qui subit vingt-sept ans de pri-
son pour avoir fouetté une mendiante à Arcueil et donné à des filles
publiques de Marseille des dragées à la cantharide qui leur donnèrent
la colique. Il avait soixante-quatorze ans lorsqu'il mourut, et avait
passé le tiers de son existence en détention.
Sa légende de monstre abominable avait été créée de son vivant
même.
Sade a produit une œuvre considérable dont la plus grande par-
tie est perdue et dont celle qui survit a été, jusqu'à ce jour, condam-
née à la réclusion perpétuelle dans l'enfer des bibliothèques.
Quel destin !
Qui écrit fait son propre portrait. Je ne sais pas de livre qui fasse
mieux que Dialectique du Hasard au Service du Désir le portrait de
son auteur, à la fois candide et roué, gamin et gentilhomme, ouvert
et secret, pratique et romantique, précis comme l'enfant et inspiré
comme celui qui a tout vu tout entendu, vivace, nerveux, plein de
projets pour l'immédiat et de longues espérances. Dumont me lais-
sait pantois, aussi à l'aise qu'il était avec ses confrères du barreau et
32-8 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
En février 1942, son Traité des fées paraît à Anvers, aux éditions Ça
ira. Le 2 5 mars, dans une lettre à sa première femme, il parle de la
Dialectique, " cette marâtre qui m'en fait voir depuis plus de trois ans ".
Le 15 avril, il est arrêté comme suspect par la Gestapo et incarcéré
à M o n s . Envoyé à la prison de Louvain, puis à la citadelle de Huy, il
semble, dans ses lettres, n'avoir qu'une préoccupation : son œuvre
littéraire, l'édition de la Dialectique, les textes qu'il écrit dans sa cellule.
Idéalisme émouvant ! Le 5 septembre 1944, il est transféré au camp de
Sachsenhausen. En octobre, il est envoyé à N e u e n g a m m e . Après son
passage au camp de Belsen, plus de trace de lui à partir du 16 mars
1945.
Initié en 1934 à la loge " Hiram ", à l'Orient de Liège, Albert Baiwir
en fut u n m e m b r e assidu. Établi à Bruxelles, il s'associa à François
Closset et à quelques autres Frères d'origine liégeoise pour fonder en
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 331
Les années 1930 allaient assister à son envol littéraire. Son premier
livre, paru en 1933 à Paris, fut u n essai : Étude sur Marcel Proust, dont
le sous-titre Sensation, souvenir, art : un même rêve résumait la table des
matières. D e cet ouvrage, il d o n n a en 1947 (éditeur Richard-Masse,
Paris) une version remaniée, intitulée simplement Marcel Proust, fort
bien accueillie par les critiques belges (Adrien Jans, Georges Sion,
Frédéric Denis), alors que la première édition n'avait pas éveillé l'atten-
tion, semble-t-il. En 1936, le jeune écrivain publiait son premier
roman : Le Point mort. Le sujet est mince : Pierre, étudiant parisien,
doit se rendre dans le midi pour raison de santé, y rencontre Lucie, en
séjour c o m m e lui, éprouve pour elle u n sentiment d'amour, qui
s'estompe à son retour à Paris et que la faculté d'oubli voue à l'efface-
ment total ; c'est le point mort. L'auteur applique à cette situation
banale une analyse fouillée, que lui inspire le modèle proustien dont il
est tout imbibé. Albert Ayguesparse, tout en reconnaissant les qualités
du roman, fort bien écrit (Le Rouge et le Noir, 2 9 avril 1936), contestait
le procédé narratif :
C'est par des petites touches de ce genre que Kinds instruit le procès
du colonialisme. Le procédé produit l'effet d'un réquisitoire sans
encombrer de discours systématiques la progression du récit.
Son personnage narrateur, Julien Linon, a l'occasion d'observer
l'agitation que provoque, chez les blancs et chez les indigènes, le m o u -
vement kimbanguiste. Ouvrier dans les huileries de Kinshasa, Simon
Kimbangu (±1889-1950) avait été touché, vers 1920, par la parole
d'Américains anticolonialistes. Il se mit à annoncer le retour du Christ
sur terre et l'avènement d'un nouvel âge d'or. O b t e n a n t des guérisons,
il acquit très vite la réputation d'un thaumaturge. N k a m b a , son village
natal dans la province de Léopoldville, devint le centre d'un pèlerinage
permanent et reçut de Kimbangu lui-même l'appellation de Nouvelle
338 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
Les sièges des places fortes comptent assurément parmi les événe-
ments les plus pathétiques de l'histoire. Etat de tension extrême des
partis en présence ; périls et crises éprouvant et révélant les caractè-
res ; problèmes et conflits de responsabilités dans l'âme des chefs ;
attente quotidienne et toujours renouvelée de l'issue, l'espoir deve-
nant résignation et vice versa ; la gloire, l'honneur en cause, et en
pâture à la curiosité du monde ; les heurts d'une fraternité forcée ; le
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 341
Plus loin, avec la sobre éloquence qu'il ne lui déplaît pas — lui, le
moqueur, le caustique — de pratiquer en certaines matières, il démon-
tre le caractère tragique de la situation, il montre la solitude du héros.
En quelque sorte, il raconte la pièce...
* Khartoum (1966), réalisé par Basil Dearden, avec Charlton Heston (Gordon Pacha)
et Laurence Olivier (le Mahdi).
344 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
*
Sous l'impulsion des sections de philologie romane créées à Liège, à
Louvain, à Bruxelles, à Gand, l'érudition universitaire produisit, pen-
dant l'entre-deux-guerres, des études qui comblaient les lacunes de l'his-
toire des lettres françaises de Belgique. Citons-en trois, restées jusqu'à
ce jour des ouvrages de référence. Joseph Hanse, docteur de l'Université
catholique de Louvain, publia en 1928 son importante thèse sur
Charles De Coster. À l'Université libre de Bruxelles, le professeur
35* LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
Gustave Charlier orienta des disciples vers l'étude des deux grands cou-
rants littéraires qui émergèrent d u Romantisme et qui s'opposèrent à
l'époque de la Jeune Belgique : l'art social, l'art p o u r l'art. Ces disciples
étaient Gustave Vanwelkenhuyzen, auteur, en 1930, de L'influence du
Naturalisme français en Belgique de 1875 à 1900, et Robert Gilsoul,
auteur, en 1936, de La théorie de l'art pour l'art chez les écrivains belges
de 1830 à nos jours.
R O B E R T G I L S O U L (1910-1992) était M a ç o n . Il fut initié le 17 octo-
bre 1962 à la loge " Les Amis du C o m m e r c e et la Persévérance réunis ",
à l'Orient d'Anvers.
Entré à l'Université libre de Bruxelles en 1929, il en sortit en juillet
1933 avec le titre de docteur en philosophie et lettres. Il termina sa car-
rière comme professeur à l'Université d'Anvers, après voir enseigné éga-
lement à l'École de la Cambre (Arts décoratifs, Institut d'Architecture),
à l'École coloniale, à l'École d'administration des Affaires étrangères,
puis de la Coopération, au Lycée et au Collège français d'Anvers.
Ses charges professorales pesaient évidemment sur son activité de
chercheur. C'est le sort de tous les enseignants qui ont l'ambition et le
courage de poursuivre une carrière scientifique. Le début d'une lettre de
Robert Gilsoul à Gustave Vanwelkenhuyzen, envoyée d'Uccle, datée du
15 juin 1954, évoque la fatigue des journées passées à interroger :
L'auteur anonyme des Quinze Joies de mariage (vers 1450) s'en prend
aux femmes et à l'institution d u mariage. C'est u n dième satirique dont
l'époque médiévale ne se lassait pas. Le titre, ici, fait allusion, par anti-
phrase, à une prière très populaire au XV e siècle, " les Quinze Joies de
Notre-Dame ". Enfilant, à plaisir et avec la totale partialité d'un anti-
féministe, des histoires de maris bernés, bafoués, humiliés, ridiculisés,
le conteur n'en est pas moins u n observateur pénétrant de la vie bour-
geoise. En 1947, Gilsoul fournit de ce classique une transcription
nouvelle, publiée aux éditions Terres latines que le Frère Jean-Robert
Delahaut administrait avec un goût raffiné.
Gustave Charlier donnait à ses disciples l'envie de placer la littérature
française dans la perspective d u comparatisme. Penché sur les sources de
la théorie de l'art pour l'art, Gilsoul s'était intéressé aux Préraphaélites
anglais, Dante-Gabriel Rossetti, William Morris, Edward Burne-Jones,
Swinburne, et aux philosophes John Ruskin, Walter Pater. Là se trouve
sans aucun doute le point de départ de son excellente contribution à la
littérature comparée, Les Influences anglo-saxonnes sur les lettres
354 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
(1965), Les "Dits "du clerc de Vaudoy (1969), " Le Besant de Dieu "de
Guillaume le clerc de Normandie (1973), " L'Esope " de Julien Macho
(1982). Sa dièse de doctorat, Huon de Bordeaux, avait été publiée dès
1960. Convaincu que des textes sans valeur littéraire peuvent présenter
autant d'intérêt philologique que des oeuvres saluées par les historiens
de la littérature médiévale, il s'intéressa, par exemple, à un recueil de
recettes de beauté féminine, L'Ornement des dames (Ornatus mulierum),
composé au XIII e siècle en dialecte anglo-normand ; il le publia en
1967.
C'est dans les revues scientifiques, les ouvrages collectifs et les volu-
mes de mélanges qu'il déposa les fruits, très nombreux, de son activité
philologique. Elle s'exerçait surtout dans deux domaines : la linguis-
tique historique du français et l'étude du dialecte borain. Retenons que,
n o m m é en 1965 m e m b r e de la Commission royale de toponymie et de
dialectologie, il y fit u n e dizaine de communications, notamment celle
qui constitua tout u n tome des Mémoires de cette société savante : Les
noms de veines de charbon dans le Borinage (XV-XVP siècles).
Mentionnons aussi son recueil des Proverbes borains (1969). Il en souli-
gnait évidemment la valeur philologique. Mais une réflexion au sujet de
l'opération de la récolte révélait le lien sentimental du savant avec les
recherches qui le ramenaient à ses origines :
Un jour, voici cinq ou six ans, j'ai mis sur fiches tous les prover-
bes borains que j'ai pu me rappeler. Curieux exercice ! Je les voyais,
je les entendais prononcer par des lèvres depuis longtemps muettes.
Et puis, mois après mois, au hasard des évocations, des associations
d'idées ou de mots, l'un ou l'autre remontait du fond de ma jeunesse
et je le saisissais aussitôt.
Certains discours, des articles publiés dans Wallonie libre et son ouvrage
Un certain amour de la France (1988) o n t affirmé clairement son
adhésion au mouvement rattachiste.
Il fut initié en 1946 à " La Parfaite Union ", à l'Orient de Mons.
C'est dans Poisons des profondeurs, recueil publié tard, deux ans avant
sa mort, que Kammans a déposé ses poèmes les plus troublants —
la fascination de la mer et des abysses — et les plus émouvants —
l'attente de l'heure ultime par u n h o m m e qui sait que le ciel est vide et
qui se prépare, depuis toujours, à rejoindre le néant :
Allez
prenez donc le chemin de la dernière escale
vous n'irez pas plus loin que ce havre de paix
vous êtes fatigué d'apprendre ce dédale
où tant de nœuds de fils d'haussières vous tenaient
vous êtes fatigué de lire un trop gros livre
une langue étrangère où vous êtes quinaud
vous aurez le repos dans ce port qui délivre
voici le grand moment du monde qui se clôt
Allez
ne craignez pas de passer la frontière
au-delà c'est tranquille et parfaitement beau
c'est le noir du néant c'est la tombe dernière
la Grande Profondeur le monde sans oiseaux
d'une étude " Les villas du Zoute ou les vacances d u linguiste ", parue
à Gôteborg en 1952, dans les Mélanges de philosophie romane offerts à
M. Karl Michaelsson par ses amis et ses élèves.
Pour continuer à enrichir sa connaissance de la langue espagnole, il
se rendait en Espagne plusieurs fois par an. Il suivit des cours d'été dans
les universités de Barcelone, de Ségovie, de Santander. Il parcourut
l'Amérique latine, o n le vit à Cuba. Il s'intéressait aux autres langues
romanes, l'italien, le portugais, le roumain.
En 1957, il fut n o m m é professeur d'espagnol à l'Institut supérieur
de Commerce de l'État à Anvers (institution devenue en 1965
Université de l'État). À ses cours de langue espagnole on ajouta bientôt
l'enseignement de trois matières : dialectologie générale, sociologie du
langage et (à destination des futurs traducteurs et interprètes) stylistique
générale.
En 1964, l'Université libre de Bruxelles l'invita à occuper la chaire
qu'elle venait de créer : Arts et traditions populaires d'Europe. Par la
suite, ce cours — le premier de ce genre en Europe — s'enrichit d'un
" séminaire " qui servait de cadre aux enquêtes des étudiants dans tous
les coins de la Wallonie. Ayant sous la main u n chercheur et un péda-
gogue aux diverses facettes, l'U.L.B. lui confia, au fil des années, plu-
sieurs cours : Lecture de textes espagnols, Sociologie du langage,
Technique du rapport et d u mémoire.
En quoi consistait la particularité d u cours consacré aux arts et
traditions populaires, Claire A n n e Magnés l'a m o n t r é excellemment
dans les " Mélanges Albert D o p p a g n e " publiés en 1987 par
Tradition wallonne, la revue annuelle de la Commission royale belge de
Folklore :
Victor Bohet, François Closset et Albert Baiwir ne sont pas les seuls
écrivains belges francs-maçons qui, spécialistes d'une littérature étran-
gère, ont parfois traité de leur matière favorite en français et avec un
bonheur de style.
était calquée sur celui de notre " Jeune Belgique ". O n retiendra
également " Slowacki et l'héritage baroque " publié dans Julius Slowacki
(Londres, 1951). Tous les écrits de Claude Backvis se distinguent par la
finesse des analyses et l'élégance de la forme. L'homme, inoubliable,
était d ' u n commerce délicieux, avec des délicatesses qui semblaient d'un
autre âge. Il avait été inité en 1932 à la loge " Prométhée ", à l'Orient
de Bruxelles.
T'en souvient-il ?
T'en souvient-il ?
Pierre était un homme " concret " dans le sens le plus positif qu'on
peut donner à cet adjectif. Il désirait entrer directement et immédia-
tement dans les problèmes et il attendait des réponses concrètes, sans
discussions inutiles.
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 379
Temps en allé
Temps qui s'en va
Temps qui vient.
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 381
La vie
passant et sans cesse passée
Riche de souvenirs qui s'estompent.
Pierre Vanbergen fut initié en 1949 à la. loge " Les Vrais Amis de
l'Union et du Progrès réunis ", à l'Orient de Bruxelles.
Ils lui ont même fait subir ces dernières années la plus odieuse
persécution qui fut jamais infligée en Belgique à un écrivain indé-
pendant, et qui n'est comparable qu'aux sévices que durent suppor-
ter en d'assez semblables circonstances et de la part des mêmes indi-
vidus le pauvre et grand Georges Eekhoud et l'irréductible Edmond
Picard, au lendemain de la précédente guerre.
En fait, tout au long de ces années, ce sont deux religions qui s'op-
posent. Celle des dogmes et de l'allégeance inconditionnelle à Rome,
trop encline à confondre pouvoir spirituel et pouvoir temporel, et celle
de l'homme et de l'allégeance raisonnée aux principes civiques et démo-
cratiques. Certains réduisent ce conflit à sa plus simple expression en le
limitant à une agression contre l'Eglise catholique, agression conçue et
menée par la Franc-Maçonnerie.
Ce qui est vrai, c'est que, depuis des années, depuis la Révolution
brabançonne, la Franc-Maçonnerie, face à une Église se confondant
avec le pouvoir, avait pris en charge la défense des droits de l'homme et
du citoyen. Inspiratrice de la Révolution de 1789, elle ne pouvait, en
Belgique, demeurer insensible à la sujétion de l'État à la religion. C'est
dans les Loges que les Vonckistes se retrouvaient ; c'est dans les Loges
que fut conçue la revendication de l'enseignement public. Cette reven-
dication-là représentait d'ailleurs la suite logique de la doctrine poli-
tique de ceux qui renâclaient devant la mainmise de l'Église sur l'État.
Pour eux, et tout naturellement, l'émancipation du citoyen par
l'instruction devait le conduire à une plus juste notion de ses devoirs
civiques. L'instruction obligatoire et organisée par l'État était le complé-
ment indispensable de la démocratie.
Parallèlement, cette instruction généralisée devait, par raisonnement
logique, porter à la défense et à la promotion du suffrage universel
contre le suffrage censitaire, réservé aux seuls possédants.
Tout naturellement, l'Église et son parti s'opposèrent, avec une rare
violence, à la fois à l'enseignement public et au suffrage universel. Si la
Franc-Maçonnerie ne s'était pas levée pour défendre les principes de
l'État, celui-ci, pendant des années encore, eût été aux mains de la clé-
ricature.
L'auteur ne croit pas que sa ligne de vie passionne assez pour qu'il
en propose le dessin. Il avait tenté un petit portrait naïf, mais ses inti-
mes qui ont plus d'humour que lui, ont fait la moue.
Il a vu le siècle refermer la porte sur un passé qui avait été sa jeu-
nesse. Les charnières grinçaient.
Les valeurs qu'il tenait pour sûres n'ont plus cours, ou sont si mal
cotées.
Il est né pauvre et il aime toujours les pauvres.
La guerre a saccagé ses belles années. Il hait la guerre.
L'école, qui avait été son marchepied et son piédestal, n'est plus
ce qu'elle était. Il s'en est consolé.
Ce n'est pas rendre indifférence pour indifférence. Dans les
recueils suivants, qui n'attendent que l'édition, il prendra plus de
risques que de sûretés. L'instabilité de ce monde lui importe, et pas
pour savoir de quel côté il tomberait. S'il venait à basculer, il tendrait
la main pour le retenir.
La fleur qu'il préfère (comme dans le questionnaire Proust) est la
rose. L'homme qu'il déteste le plus s'appelle Smith.
Il dédie ce livre à la mémoire de Maurice Gauchez, qui fut son
bon maître.
* Le Frère Louis Musin est décédé en 1981. Sa maison d'édition a gardé son nom.
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 391
ÉLOGE
ULTIMA, PROXIMA
à Françoise Wacken
À l'horizon
chante l'appel
391 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
Tabou
Ta gueule
T'as pas fini
de vomir la lave visqueuse
et déjà froide
des soupirs
bouche molle
épouvantail triste
Tamerlan des coffres-forts
avarié de sueur
à cheval
sur le chevalet
Fais-tu le beau
est-il possible !
Est-il permis
394 LES ÉCRIVAINS F R A N C S - M A Ç O N S DE BELGIQUE
petit lambeau
d'avoir ainsi
à soi tout seul
de si grands
rêves ?
(Extrait de Demi-deuil.)
" J'ai poussé m o n premier cri — strident — à l'aube d ' u n jour faste
pour m o n père, dans u n e grande maison de briques rouges, entourée de
vergers, de pâtures et d e bois ", a raconté L o u i s M u s i N (1924-1981)
dans Ma guerre et mes dentelles, ajoutant : " J'en ai conservé un timbre
de voix assez puissant et une âme de paysan enraciné dans sa glèbe
nourricière et vibrant au rythme des éléments et des saisons. " Le lieu
évoqué ainsi est le village d'Audregnies (province d e Hainaut), à moins
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 395
Le tic-tac sublimé
D ' u n cadran de papier
Scande les contes bleus
D u fuyant livre d'heures.
*
Tous ceux qui ont eu l'occasion et le b o n h e u r de connaître SERGE
CREUZ (1924-1996) gardent de lui un souvenir ineffaçable. Il se déga-
geait de sa parole et de toute sa personne u n e chaleur communicative
qui engendrait, c o m m e par miracle, une ambiance amicale, favorisant
le libre échange des opinions et des sentiments.
Quelle était la source de cette chaleur qui avait le pouvoir de rassem-
bler et d'unir ? Pour nous, il est clair que c'était l'élan spontané vers les
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 399
Oui, je revendique le mot " tendre ". Il est mon étoile. Fussent-ils
les plus intelligents des hommes et des femmes, les amputés de la ten-
dresse n'ont aucun attrait pour moi. Seule, elle n'est rien. Isolée, elle
n'est que bêtasse mollesse. Avançant main dans la main, avec d'autres
facultés, avec d'autres vertus, avec d'autres défauts, même de forte
taille, la tendresse reste le plus vibrant secret des animaux et des hom-
mes. Sans elle, il n'est pas d'intelligence pleine et entière. Sans elle, les
plantes fanent, les êtres sèchent sur pied. Le cerveau sclérose dès que
le cœur est racorni.
Pour le jeune peintre que j'étais dans les années 40-50, je navi-
guais comme beaucoup d'autres dans un chenal. Il y croisait des voi-
liers de tonnages variés, des barcasses et des navires de haut-bord.
Leurs noms : Rembrandt et Ensor, Le Titien et Fra Angelico, Dufy
et Botticelli, Bonnard et d'autres, au hasard des heureuses rencontres,
des reproductions douteuses, des expositions trop rares... Dominant
le tout, au bout des deux rives : à bâbord, Permeke trouait les
brumes, Picasso, à tribord, irradiait.
Le jus, la puissance, la liberté de Permeke. Cette façon de balayer
les grands ciels de Flandre. Peinture évidente comme la terre. Partage
inégal pourtant où le ciel occupe le plus grand espace de la toile pour
écraser tout en bas la pesante argile. Le souffle impérial du
Septentrion commande la brosse. Mélange de fumier et d'or, le brun
fécal, boue originelle, le putride d'où surgit le printemps, la lumière.
Picasso lui aussi était notre grand fanal sacrilège. Picasso et
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 401
Creuz excellait dans l'art d u portrait. Analysant une de ses plus bel-
les toiles, le portrait d'Anne Molitor (1976), Stéphane Rey — le n o m
4°2 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
Les dessins de Creuz sont d'une nature qui les distingue absolument
des huiles. Charles Bertin estimait avec raison que l'artiste, en recourant à
la forme dépouillée du dessin, livrait u n autre aspect de sa personnalité :
C'est la grâce du trait qui règne ici en maîtresse. Dans ces paysa-
ges, ces arbres, ces fleurs, ces ravissants visages de jeunes filles qui
s'offrent à nous sur la nudité du papier, une pureté souveraine se fait
jour. Et la valeur d'émotion qui s'en dégage provient autant de
l'extrême dépouillement de la pensée que de la rigoureuse économie
des moyens employés. Le combat du peintre avec son sujet dont je
parlais tout à l'heure, semble avoir pris fin, ou, du moins, il est deve-
nu invisible. Nous accédons, purifiés, à l'essentiel, par la simple vertu
d'une ligne qui semble ignorer l'hésitation et le repentir.
Dites-moi, vous qui suivez mes " aller-retour ", pourquoi je vais
ainsi de Bruxelles à Rennes, de Paris à Strasbourg, de l'Alsace à la
Principauté de Liège, des bords de Meuse aux bords de l'Escaut
d'Anvers, de Gand ? Dites-moi si vous avez deviné l'irrésistible appel
des théâtres de ces villes. Appel d'au-delà la fragile mémoire des
spectateurs. Peut-être. Appel qui frémit, retentit, se clame et se tonne
dans le silence d'exil où je suis tenu. À vrai dire, quel trésor cette cer-
titude " d'en avoir été " à part entière, sans retenue, sans épargner
404 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
Dans le propos liminaire (" Bienvenue à bord ") des Peintres de mon
chemin, Creuz annonce : " J'écrirai ceci comme je peins. Pour celles et
ceux qui ont des yeux en face du cœur. Q u e les autres n'aillent pas plus
avant. Ceci ne les concerne en rien. Il s'agira, je le répète, de conniven-
ces, ce qui suppose que l'on ne se souciera guère de chronologie ou de
méthode. "
C'est tout de m ê m e une contribution considérable à l'histoire de la
peinture contemporaine et de son environnement culturel. Avec un
index comportant plus de six cents noms, cet ouvrage est une mine
4°8 LES ÉCRIVAINS F R A N C S - M A Ç O N S DE BELGIQUE
Charles vous regardait, ses yeux vous fixaient comme ceux de l'aigle
de l'héraldique du gotha. Il scrutait comme le moyenâgeux Albrecht
de Hohenlohe, par la fente de son heaume, hypnotisant un baron
ennemi. Ce regard du prince m'emmenait, je l'avoue, sous le rocher
de la Lorelei, voire en plein cœur de la pinacothèque de Munich, dans
la mêlée où Altdorfer peignit le choc des armures d'Alexandre.
Ainsi, un fils de la duchesse de Bavière, Elisabeth Wittelsbach,
par sa conviction, emportait l'imagination de ce fier descendant que
je suis d'un compagnon ouvrier [...]
* Titres de poèmes : " Dans l'âme de l'aorte ", " Les gisants de neuro-chirurgie ", " Tachy-
cardie ".
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 411
CORPS À CŒURS
LES ENFANTS
L'Amour se mange a d û faire les délices des lecteurs triés sur le volet
et tous à m ê m e d'entrer dans le jeu subtil des allusions. Q u e Georges
Graive ait fait de recettes culinaires une table des matières ne les aura
pas étonnés. Ils savaient que Georges D e Greef cuisinait avec art et
qu'il avait une relation privilégiée avec le grand restaurateur Pierre
Romeyer.
L'originalité de Révérence parler est d'une autre espèce. C'est l'histoire
d'un amour racontée au fil de treize messages de l'amant à la femme
aimée. Cinquante-deux pages seulement, mais d'une grande densité.
L'histoire ne retient que les faits majeurs, les m o m e n t s intenses, les sou-
venirs lumineux, les peurs qui ne se raisonnent pas, les obsessions qui
ne se dissipent pas. Les messages changent de forme au gré de l'évolu-
tion de la liaison et d u sentiment : la lettre dans les premiers temps
(" Sans doute ne suis-je pour vous, M a d a m e , que le souvenir flou d'une
rencontre fortuite... "), le petit m o t qui dit très vite une chose
très importante, la confidence qui pourrait être la page d'un journal
intime, l'aveu délirant, le poème en prose, le poème en vers libres, la
méditation qui confère à l'individuel les dimensions de l'universel...
C'est le treizième et dernier message :
Georges D e Greef fut initié le 8 mars 1971 à la loge " Les Amis
Philanthropes ", à l'Orient de Bruxelles.
Il était membre d u Conseil d'administration de la C.G.E.R. lorsque
celle-ci accueillit la très belle exposition sur la Franc-Maçonnerie (mars-
juillet 1983) d o n t le principal artisan fut le Frère André Uyttebrouck,
professeur à l ' U . L . B .
Mes souvenirs du service militaire étant encore assez frais, je dois dire
que l'idée de faire appel à un homme en uniforme, et de plus à un adju-
dant, me semblait un dernier recours. J'avais tort. Je me souviens des
trois minutes nécessaires et suffisantes pour mettre au point une colla-
boration de plus de quinze ans et une amitié de près de trente.
Pour Julot, nous avons appelé cette émission " Vol 12-14 ". Jo Van
Wetter nous a composé un indicatif spécial, style " La Playa " avec cara-
velle à réacteurs. Une hôtesse de la Sabena est venue enregistrer des mes-
sages introduisant les différentes rubriques de l'émission sur un ton
" invitation au voyage ".
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 417
Tout cela pour qu'à 12 heures 55, le 2 octobre 1967, les auditeurs
entendent, un peu surpris, un message ouaté, énigmatique comme ceux
de Londres pendant la guerre, destiné peut-être à ne pas être répété deux
fois : " Et à présent, nous nous tournons vers la tour de contrôle pour
écouter Monsieur Météo ", " Bonjour Monsieur Valet ", qui devait se
poursuivre, non seulement le midi, mais aussi le matin dans " Musique
au petit déjeuner " et plus tard dans " Point de mire ".
Puis, Jules Metz vint conquérir les téléspectateurs en 1983. Son stock
de proverbes à propos du baromètre parut longtemps inépuisable. Puis
l'on s'aperçut que Monsieur Météo était poète et qu'il en inventait, en
vers bien entendu.
Comment croire à la possibilité d'un tel succès alors qu'en 1967, nous
avions tremblé une bonne semaine ? Mais le raz-de-marée enthousiaste
fut tel qu'il balaya les dernières barricades élevées par les plus intégristes.
Il nous plaît de garder pour la fin de notre aperçu d'une œuvre volu-
mineuse et variée trois livres et une " lettre ouverte " dont nous sentons
très fort l'esprit maçonnique.
La publication aux éditions Racine de Histoire de la Poste. Trait
d'union universel (1999) a coïncidé avec le 150 e anniversaire du premier
timbre belge. Admirablement écrite et illustrée, cette histoire se hausse
bien au-dessus d u traditionnel ouvrage de circonstance. Outre son pas-
sionnant intérêt documentaire, c'est un h y m n e à la communication
entre les hommes, à " la chaîne d'union ", pour reprendre l'expression
maçonnique que Renoy emploie dans son avant-propos :
42-6 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
1980), il déclare : " J'ai gardé de tout cela la haine la plus farouche du
fanatisme et la foi en la tolérance s'est installée en moi. Chaque jour que
l'occasion m'en est donnée, je dénonce l'un et prône l'autre. U n jour
viendra où celle-ci l'emportera définitivement sur celui-là. Ce jour-là, il
sera inutile d'encore parler de Hitler. "
Le quatrième texte que nous retenons, c'est la " Lettre ouverte à Paul
Louka : Portrait d'un saltimbanque ", vingt-cinq pages que Georges
Renoy a fait insérer immédiatement après la préface de Raymond
Devos au recueil de Paul Louka, Chansons. L'intégrale chronologique de
1958 à 1984. Textes et poèmes (Bruxelles, Présence et Action culturel-
le, 1984). C'est le témoignage d'une amitié, de la seule espèce d'amitié
que concevait Georges : solide, franche, fidèle à l'engagement, respec-
tueuse de la liberté de l'autre.
Nous avons dit que c'était u n h o m m e d'images. Il l'était dans toute
la force du terme. Il peignait avec giand talent. Ses toiles fuient expo-
sées en divers lieux : à Bruxelles (à la Galerie Border et à La Truffe
Noire), à Saint-Idesbald (L'Aquilon) et au château d'Opheylissem.
*
R O B E R T F R I C K X (1927-1998), alias Robert Montai, né d'un père
instituteur, puis directeur d'école, et d'une mère institutrice, choisit la
carrière avec laquelle ses parents l'avaient familiarisé. Après des huma-
nités gréco-latines commencées à l'École moyenne B de la ville de
Bruxelles (le futur Athénée Léon Lepage) et achevées à l'Athénée Robert
Catteau, il parcourut le cycle de la philologie romane à l'U.L.B., qui lui
délivra le diplôme de licencié en 1949. Surveillant à Nivelles, puis
enseignant à C o m i n e s , il retourna, en septembre 1950, à l'Athénée
Robert Catteau, où sa désignation comme professeur s'inscrivait dans
une tradition de la ville de Bruxelles, portée à favoriser la candidature
des anciens élèves de ses écoles.
Le goût de la littérature lui était venu très tôt. À quatorze ans déjà,
il composait des poèmes, ébauchait des romans. Dès 1945, il se fit
connaître du milieu littéraire bruxellois. Il collabora à des revues (Le
Faune, Le Thyrse, La Revue nationale) sous le pseudonyme Robert
Montai, qu'il réserva généralement à ses écrits de pure littérature, gar-
dant son patronyme pour les travaux qu'il associait à sa fonction de pro-
fesseur de lettres.
En avril 1948, alors qu'il était encore étudiant, les éditions Le
428 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
MADRIGAL
Voici le madrigal
Des amours en allées
Robes de premier bal
À jamais déchirées
Ariettes oubliées
Feux follets carnaval
Voici le madrigal
Des amours en allées
Voici le madrigal
Des larmes oubliées
Monsieur Robert Montai
Quoi déjà tant d'années
Les lettres sont brûlées
Allons venez au bal
Dans ce cœur de cristal
Toutes les fleurs sont nées
* Louveteau : fils d'un Maçon ; mais le titre n'existe que s'il a été conféré, au cours d'une
cérémonie, par la loge qui adopte l'enfant.
** Rafiq (turc refik) : mot arabe signifiant camarade, compagnon de voyage.
432 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
Après avoir publié en 1968 son second récit pour la jeunesse, Le Jeu
* Dans Voyage en Orient, Nerval, tombé amoureux de la fille d'un cheik druse, tente de
montrer à celui-ci la similitude entre la religion druse et la Franc-Maçonnerie. Il exhibe,
comme preuve, un beau diplôme maçonnique qu'il a dans ses papiers ! Terrassé par une
maladie mystérieuse, il renonce au mariage, dégage la parole donnée au cheik. Sans
doute une fabulation, mêlant rêve et réalité. (Note de P. Delsemme.)
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 433
J'ai une amie qui s'appelle Youne. Elle a treize ans, un cœur
pointu comme une étoile et des cheveux qui sentent la mer. Elle sait
parler aux oiseaux et aux chats. Parfois, elle capture la lune au filet et
s'amuse à la peler comme une orange.
D'un doigt subtil, elle ouvre un bouton de coquelicot et déplie
savamment les pétales. Elle dit :
— Regarde : je suis l'hirondelle qui fait le printemps.
Un jour, elle a tracé deux cercles dans le sable et m'a dit :
— O n va jouer aux oiseaux. Je serai l'hirondelle. Et toi ?
J'ai choisi l'alouette. Mal m'en a pris. Elle a sauté dans le plus
grand des cercles, puis m'a dit en riant :
— Alouette ? Je te plumerai.
Et je me suis laissé prendre au miroir de ses yeux.
Robert Frickx, c'est qu'il s'agissait d'un livre de professeur : une mono-
graphie présentant les œuvres dans l'ordre chronologique et répartissant
les fondements de l'inspiration dans des chapitres distincts. Clarté,
agencement méthodique et intention pédagogique ne g o m m e n t cepen-
d a n t pas la nature essentielle et troublante d'un " anti-théâtre " qui
débouche sur les abîmes de la déréliction. Ionesco n'a pas m a n q u é d'ap-
précier, disant avec h u m o u r dans la lettre-préface au " cher Monsieur
Frickx " : " [...] je peux constater ceci : j'ai très bien compris ce que
vous avez dit sur moi, vous avez très bien compris ce que j'ai dit. Cela
n'est pas une chose si courante. "
En 1974, la Librairie Saint-Germain-des-Prés (Paris) éditait La
Courte Paille dans sa collection " Nouvelles de poètes ", où figuraient
déjà des ouvrages belges : Le Partage des jours d'Albert Ayguesparse,
L'Étranger intime de Renée Brock (Prix Victor Rossel 1971), Contes du
dragon blanc d'André Miguel, La dernière Journée de Marianne
Pierson-Piérard. Robert Montai excellait dans le genre de la nouvelle, et
il l'avait pratiqué très tôt : Les Mains du fleuve (1946), Le moindre Mal
(1951). Deux recueils succédèrent à celui de 1 9 7 4 : La Main passe
(1988), Sortie des artistes (1996).
Montai nouvelliste puise à la m ê m e source que Montai poète. Il abo-
lit la frontière entre le réel et l'imaginaire, il prend de grandes libertés à
l'égard de la vraisemblance, il se m o q u e de la logique. Puisque tout est
permis, il ouvre la porte au fantastique et, sous couvert de réalisme, à
l'érotisme, u n érotisme mécanique et sans joie. Les traits d'humour,
nombreux, sont ambigus : camouflent-ils u n e angoisse existentielle,
expriment-ils la volonté de vivre malgré tout, consistent-ils plus simple-
m e n t à mettre toutes choses à leur vraie place ? Le lecteur a l'embarras
d u choix.
Par leurs sujets, les nouvelles de Montai se situent dans u n univers
où règne l'esprit d e Marcel Aymé q u a n d ce n'est pas celui d'Ionesco.
Quelques exemples...
Jean-Maxime, à quinze ans, s'est mis à manger du papier, et il y a pris
u n tel goût que sa passion, devenue de plus en plus dévorante (c'est le
cas de le dire), lui vaut les pires ennuis. Adulte, il découvre que la papy-
romanie est très répandue et que la police la pourchasse. Il n'en conti-
nue pas moins à battre sa coulpe, à se voir sous les traits d ' u n monstre.
Désespéré, il décide de se constituer prisonnier, pour en finir. Le com-
missaire bon enfant qui le reçoit lui fait valoir que la société lui demande
une seule chose, c'est de dissimuler ; il l'engage à tricher, b o n n e règle de
ÉCRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE 439
GENÈSE
Pont-Aval de la nouvelle " Les débuts dans la vie ", d u recueil La Main
passe). Les autochtones n'aident guère Antoine. Cependant, il a cherché
à détourner tout soupçon en racontant qu'il se documente pour u n
roman. Montai, dans cette œuvre-ci, crée l'insolite par la juxtaposition
de séquences appartenant à des entités narratives différentes. C'est u n
exercice d'équilibre, une opération de dosage.
arriva à Yverdon, il avait fait trois des quatre chants du poème en prose
où il traite, à la manière de Gessner, le sombre récit qui se trouve à la
fin du livre des Juges. Sombre ? Le mot est trop faible. Cette histoire est
une des plus épouvantables que contienne la Bible. — En un temps où
il n'y a pas de roi en Israël, u n Lévite, habitant des monts d'Éphraïm,
est abandonné par sa concubine, qui retourne chez son père, à
Bethléem. Au bout de quatre mois, le Lévite se rend à Bethléem pour
convaincre la jeune femme de reprendre la vie commune. Elle y
consent. Sur la route du retour, le couple est surpris par la nuit tombante
à Gabaa (graphie de Rousseau), ville appartenant à la tribu de
Benjamin. Personne n'accepte d'héberger les deux voyageurs, excepté
un vieillard, originaire lui aussi des monts d'Éphraïm. Pendant la nuit,
des Benjamites pervers somment le vieillard de livrer le Lévite à leur
vice. Finalement, ces homosexuels se contentent de la concubine. Ils en
abusent toute la nuit. Le matin, le Lévite la trouve morte devant la
porte de son hôte. Il transporte le cadavre chez lui, le coupe en douze
morceaux qu'il envoie aux douze tribus d'Israël. Les Benjamites refusant
de livrer les coupables, les Israélites organisent une expédition punitive
contre les rebelles. C'est un massacre, après lequel il ne reste de
Benjamin que six cents hommes, qui seront pourvus de femmes afin
que soit assurée la renaissance d'une nouvelle tribu de Benjamin.
Quatre cents reçoivent des filles vierges de Jabès d o n t tous les autres
habitants sont exterminés, c'est le châtiment de Jabès qui n'a pas parti-
cipé à la guerre contre Benjamin. Les deux cents Benjamites restants
obtiennent des compagnes grâce à u n rapt collectif, u n stratagème pour
contourner le serment qu'avaient fait les tribus de ne pas donner volon-
tairement leurs filles en mariages aux Benjamites.
Van Laere reconnaît que Le Lévite d'Éphraïm, poème en prose de
quelques pages, est u n ouvrage médiocre. Mais il est intrigué par le
choix du sujet et par la discordance stylistique entre ce sujet tiré de la
Bible et la forme empruntée aux Idylles de Gessner.
Il entreprend de montrer que l'histoire d u Lévite biblique devait
rappeler à Rousseau certains moments de sa vie ou certains traits de
sa personnalité. Sans le suivre dans les méandres de sa subtile démons-
tration, retenons le paragraphe où il suppose que Rousseau établissait
un rapprochement entre les Benjamites infâmes et ses propres per-
sécuteurs :
ÉCRIVAINS
DE
LANGUE NÉERLANDAISE
Le nombre des écrivains belges néerlandophones dont nous avons repéré l'at-
tache maçonnique est impressionnant ; la qualité de leurs écrits ne l'est pas
moins. Dans notre recensement apparaissent, en effet, des auteurs qui figu-
rent parmi les plus éblouissants au palmarès des lettres néerlandaises de
Belgique : Cyriel Buysse, Herman Teirlinck, Raymond Brûlez, Johan
Daisne. Quant aux autres, on peut dire que tous, presque tous, retiennent
l'attention pour un mérite : la faveur dont ils jouirent de leur temps,
l'image qu'ils nous donnent de leur présent devenu notre passé, ou pour une
particularité qui étonne (une pratique qui ne se pratique plus, un usage qui
est sorti de l'usage, une mode qui est passée de mode...). Ces mérites, ces
particularités prennent parfois une couleur exotique sous le regard du
francophone dépaysé. Ce francophone doit accommoder sa vue ; cela en vaut
la peine.
I
DÉMOCRATIE ET LANGUE
455
456 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
Grand Orient des Pays-Bas. La loge " Le Septentrion " lui conféra le
titre de Vénérable Maître d'honneur.
S'il a été dit que Hendrik Conscience apprit à lire à son peuple, on a pu
écrire que JAN VÀN BEERS (1821-1888) fut le premier qui amena son
peuple à connaître et aimer la poésie.
Après des études en français au Petit Séminaire de Malines, il par-
courut les étapes d'une carrière rectiligne : en 1 8 4 1 , professeur au
Collège Pitzemburg (Malines), plus tard Athénée royal ; en 1844, atta-
ché à la Bibliothèque de la ville d'Anvers ; en 1849, professeur de néer-
landais à l'École normale de Lierre ; en 1860, professeur de néerlandais
à l'Atliénée d'Anvers, fonction qu'il cumula plus tard avec celle de
professeur de déclamation à l'École d e musique d'Anvers, appelée à
devenir le Conservatoire.
Parallèlement, il évoluait d u catholicisme vers le laïcisme et l'anti-
cléricalisme. Écrivain de langue française t o u t au début, il passa à la
langue flamande pour accomplir l'oeuvre qui lui valut une grande popu-
larité aux Pays-Bas c o m m e en Flandre.
Pour lui comme pour beaucoup d'écrivains flamands du XLXe siècle,
l'action culturelle allait de pair avec l'action politique : conseiller com-
munal libéral à Anvers en 1875, il fut réélu en 1881 et en 1887. Il agit
en faveur d u théâtre flamand, du Conservatoire de musique et de la
néerlandisation de l'enseignement anversois. Il échoua aux élections
législatives de 1880.
Poète, Jan Van Beers est l'auteur de recueils qui font date dans l'his-
toire des lettres néerlandaises de Belgique: Jongelingsdromen (1853),
tout imprégné d'une sentimentalité r o m a n t i q u e d o n t les pièces les plus
connues sont révélatrices, " D e zieke jongeling ", " Eene bloem uit het
volk" et " Bij 't kerkportael ", Levensbeelden (1858) et Gevoel en leven
(1869) où se manifeste la progression vers u n réalisme timide ; Rijzende
blaren (1884) qui confirme le rejet d e la sentimentalité larmoyante et
cède parfois au pessimisme. Écrits en hexamètres, De Bestedeling (1858)
et Begga (1868) mettent en valeur le talent d ' u n délicieux conteur.
D a n s des poèmes tels que " D e stoomwagen ", " Maerlant " et
" Confiteor ", Van Beers a évoqué sa rupture avec le catholicisme et
exprimé en libre penseur sa vision de la vie.
Il était m e m b r e de la loge anversoise " Les Élèves de Thémis ".
ÉCRIVAINS DE LANGUE NÉERLANDAISE 457
wieg tôt in het graf, son oeuvre poétique la plus curieuse, un essai origi-
nal d'épopée moderne. Deux fils du peuple et un jeune patricien croi-
sent leurs destinées dans u n récit enjoué, parfois pathétique, d o n t la
trame est constituée par les conceptions morales et sociales de l'auteur.
La même année, il participe à la fondation du Nederduitsche Bond, la
première association électorale flamingante. C o m m e les catholiques y
exercent u n e influence grandissante qui n'est pas à son goût, il démis-
sionne et, en 1866, il fonde le Libérale Vlaamsche Bond. En 1873, il
compose son célèbre chant de guerre : De Vlaamsche Leeuw en de
Geuzen. En 1874, il d o n n e de Reinaert de Vos une adaptation moderne
qui fait date. Son dernier ouvrage important, Keizer Karel en het Rijk
der Nederlanden (1855), vaste poème versifié à l'ancienne, est de
l'histoire rêvée, rêvée par u n nostalgique de la Grande-Néerlande.
Le petit instituteur, devenu successivement journaliste, commis-
greffier et avoué, atteignit le sommet de sa progression sociale lorsqu'il
reçut, en 1874, la direction du Mont-de-piété d'Anvers, fonction qui
lui laissait pas mal de loisirs pour le travail littéraire. En 1903, on le pro-
posa pour le Prix Nobel ; la tentative échoua, mais elle constituait en soi
un bel hommage à l'homme et à l'œuvre.
*
Aujourd'hui encore, les Schaerbeekois nés natifs s'obstinent à appeler
« place Pogge » le lieu qui porte officiellement le n o m d'Emmanuel
Hiel. Triste sort d'un poète célèbte en son temps et à ce point oublié du
nôtre que m ê m e la modeste gloire de la plaque de rue lui est partielle-
ment refusée !
EMMANUEL H I E L (1834-1899) mériterait cependant que la postérité
lui manifestât quelques égards. Tout d'abord, quelle belle leçon de courage
que l'histoire de sa vie ! N é à Sint-Gillis-Dendermonde, issu d'une famille
plus que pauvre, indigente, lancé dans l'existence sans la moindre forma-
tion intellectuelle, obligé, pour survivre, de pratiquer d'obscurs métiers, il
se donna, à force de persévérance, la vaste culture qui lui permit de faire
œuvre d'écrivain et de traduire en sa langue Goethe et Schiller, Heine et
Uhland, Shakespeare et Shelley, Charles d'Orléans et Victor H u g o . . . Cette
irrésistible ascension d'un homme du peuple tenait du conte de fées.
Emmanuel Hiel entra vivant dans la légende, une légende que, à dire vrai,
son passé exemplaire n'eût pas suffi à créer s'il n'avait été aussi un person-
nage haut en couleur, u n orateur breughelien, un prophète d'estaminet.
460 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
Né à Gand comme son ami Vuylsteke, la même année que lui, KAREL
VERSNAEYEN (1836-1910) eut un parcours professionnel sinueux:
employé au gouvernement provincial de la Flandre occidentale, ensuite
marchand de tableaux à Paris, enfin journaliste à Bruxelles. Il mourut à
Etterbeek, faubourg de la capitale.
Initié au "Septentrion" en 1860, il s'affilia en 1866 à "La
Flandre ", également à l'Orient de Gand.
Il s'engagea très jeune dans la voie du libéralisme radical et flamin-
gant. En 1856, il fonda, avec Emiel Moyson, une association de cette
tendance, Het Jonge Gent, qui se désagrégea assez vite. Cela ne le
découragea pas. Au début de 1862, il apporta son soutien à Moyson qui
constituait le Vlaamsche Broederbond. À Bruges, il collabora, en com-
pagnie de Moyson, à un journal populaire, Peper en Zout, sans apparte-
nance politique, mais qui s'efforçait de rattacher le Vlaamsche
Broederbond au mouvement ouvrier international.
Avec Vuylsteke, il fut élu membre du comité de la Vlaamsche
Gezelschap, créé à Gand en 1846 plus particulièrement dans le but de
mettre sur pied un parti flamand indépendant.
Toujours dans la ligne qu'il avait choisie, Versnaeyen participa acti-
vement aux Nederlandsche Taal- en Letterkundige Congressen, spécia-
lement dans le domaine théâtral.
Ses œuvres publiées relèvent de genres différents : Douze romances
(1855), Liefde, Vreugde, Vaderland (1860, poèmes), Jacob van Maerlant
en zijn werken (1861), De Slekker (1863, comédie en trois actes), Het
Wbud (1867, cantate).
t
466 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
47ï
471 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
Ce ne doit pas être une coïncidence due au hasard. Après son entrée
en Maçonnerie, il manifeste, plus nettement encore, sa solidarité avec
les opprimés, son hostilité aux cléricaux, son anticonformisme. En
1903, le Multatuli's Kring, socialiste, crée à Gand Het Gezin van
Paemel, son drame des petits paysans exploités honteusement. En 1906,
't Bolleken, qui dépeint la déchéance des alcooliques, est dédié aux
" compatriotes ". Ceux-ci s'indignent : les prend-on tous pour des poi-
vrots ? En 1910, Het Ezelken décrit avec un humour féroce la bigoterie
474 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
*
Engagé volontaire en 1914, n o m m é " docent " à l'École royale militaire
à son retour d u front, F R A N Z DE B A C K E R (1891-1961) conquit en
1923 le diplôme de docteur en philologie germanique à l'U.L.B. et, dès
1925, se voyait attribuer par l'Université de Gand les cours de langue et
de littérature anglaises, ainsi que l'enseignement de l'histoire des lit-
tératures modernes. Auteur déjà d'un roman d'analyse psychologique,
Het Dochterke van Rubens, il publia ses souvenirs de guerre en 1934,
sous le titre symbolique de Longinus. Longinus est le centurion romain
qui perça le flanc d u Christ d'un coup de lance et, pour ce crime,
condamné par Dieu à se réincarner jusqu'à la consommation des siècles
afin d e répéter indéfiniment le geste sacrilège. Le héros du récit s'ima-
gine qu'il s'identifie avec ce personnage frappé de damnation. Le. Frère
de Backer a donné là le chef-d'œuvre de la littérature flamande inspirée
par la guerre. Initié à " Marnix van Sint-Aldegonde ", il fut l'un des
fondateurs de la loge " D e Zwijger ", à l'Orient de Gand, en 1935.
*
Avec Het Huis der Smart (1920), F R A N S S M I T S (1891-1968), profes-
seur dans l'enseignement normal, directeur (à partir de 1945) des écoles
477
478 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
22 juin 1944
Notre vie est pire que la mort. Le contraire de la vie n'est pas la
484 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
mort, mais l'état dans lequel sont tombés tant de mes malheureux
compagnons : apathie, absence de tout désir, indifférence.
Finalement, ils ne mangent plus. Ils vendent leur pain pour des ciga-
rettes. Malades, sans force, ils fixent d'un regard perdu l'horizon
d'un monde indéfinissable. Puis, ils meurent, ils sont dénudés et
portés au four crématoire.
[...] Nous avons faim, nous sommes fatigués, nos pieds font mal
et parfois nous sommes si tristes. Sur quoi pourrions-nous encore
réfléchir ? Nous ne pensons absolument plus. Que sera la soupe
aujourd'hui ? Q u e recevrons-nous avec le pain ? Des cigarettes
seront-elles distribuées ? Comment doit-on s'y prendre pour obtenir
un petit travail tranquille ? Et parfois, comme une vision lointaine et
imprécise, le souvenir de notre foyer et de nos proches passe soudai-
nement devant nos yeux, et nous sommes sur le point d'éclater en
sanglots. Mais cela, nous ne pouvons nous le permettre. Ici, on ap-
prend à être dur.
[...] Je ne suis plus qu'un numéro. Les civils allemands nous
regardent avec mépris, parfois avec compassion. Personne ne nous
demande jamais notre nom ; on regarde le morceau d'étoffe cousu
sur notre défroque, du côté gauche de la poitrine, et on connaît
notre nationalité et notre numéro de prisonnier, cela suffit. Il me
semble que je n'ai plus de visage. Je dois ressembler totalement à
ceux qui partagent mon sort et dont le visage a perdu tout caractère,
toute particularité. Ce sont des faces décharnées, dont le regard est
angoissé, tourmenté. Je ne me suis plus vu dans un miroir depuis
mon arrivée en Allemagne, et mon miroir intérieur se tait. Je pense
par bribes et morceaux au passé, aux amis et connaissances ; mais
tout paraît si loin dans cette vie-ci pleine de dangers, dans cette insé-
curité menaçante.
24 juin 1944
[...] J'ai pensé à une phrase de Pascal : Le Christ est perpétuelle-
ment crucifié *. Je l'ai entendu haleter et soupirer, exprimant sans fin
Après une marche qui commença le 10 avril 1945, suivie d'un trajet
en bateau, quasi sans nourriture, Leopold fut libéré par l'Armée rouge
le 8 mai 1945 à Lobovitz sur l'Elbe, dans les Sudètes. Le 2 0 mai, il était
à Bruxelles.
Sa carrière reprit son déroulement. Plus que jamais, il croit que l'in-
tellectuel a le devoir de s'engager. Les événements l'ont rapproché à la
fois du marxisme, qu'il rattache aux philosophies d o n t la grandeur,
selon lui, tient au fait qu'elles insistent sur " le sens de la vie ", et des
mouvements fondés sur le principe que la quête individuelle de la
vérité ne peut subir aucune entrave. Il fut initié dès 1946 à la loge néer-
landophone " Balder ", à l'Orient de Bruxelles. Plus tard, il d e m a n d a
son affiliation à la loge francophone " Les Amis Philanthropes n° 2
Alpha ", également à l'Orient de Bruxelles.
Professeur à l'Athénée royal de Bruxelles, il fut n o m m é en 1955
inspecteur de l'enseignement secondaire et normal p o u r le cours d'his-
toire, une charge qu'il assuma jusqu'en 1968. Dès 1956 et jusqu'en
1969, il enseigna à l'Université libre de Bruxelles. En 1969, il passa à la
Vrije Universiteit Brussel, où il avait sa place c o m m e éminent philoso-
phe de langue néerlandaise. Il y dirigea le C e n t r u m voor de Verlichting
en de Vrije Gedachte.
C o m m e son confrère et son Frère, le philosophe Léo Apostel, dont il
sera question infra, Leopold Flam publia énormément et, comme lui, il
passait aisément du néerlandais au français. Nous ne mentionnons ici
que les ouvrages qui nous semblent correspondre aux thèmes majeurs de
la réflexion de l'écrivain. Notre énumération est chronologique : De
morale crisis van onze tijd (1958), Ontbinding en protest. Van marquis de
Sade tôt Sartre (1959), Ethisch socialisme (1960), Zelfbewust-zijn (1961),
Filosofie van de geschiedenis (1961), La philosophie au tournant de notre
temps (1961, réédition 1971), Verleden en toekomstvan de filosofie (1962),
L'homme et la conscience tragique. Problèmes du temps présent (1964),
Je ne veux pas convaincre les autres par des arguments qui prou-
veraient la vérité de ce que je dis, je ne veux pas être prophète, mais
provocateur ou plutôt inspirateur, d'une façon telle que je provoque
la réflexion chez les autres, dont la liberté qui agit sur moi-même fait
l'essence de ma liberté.
1. La m o r t de Dieu
L'homme n'a pas tué Dieu, car il serait plus fort que Dieu, ce qui
contredit la notion même d'un Dieu unique ; Dieu s'est éteint de
lui-même, c'était dans sa nature que de s'éteindre car il n'était que
Législateur d'un monde sans loi. La différence entre Nietzsche et
ÉCRIVAINS DE LANGUE NÉERLANDAISE 489
Kafka est très importante. Chez Nietzsche, la mort de Dieu est due
à la révolte de l'homme qui voulait prendre son propre destin en
mains. Pour Kafka par contre, Dieu est d'abord allé en exil et puis,
il s'est lentement défait. Le sort du peuple juif est une préfiguration
de la mort de Dieu. Dieu a délaissé le monde, il s'est enfui, il n'est
nulle part, il ne faut même plus le chercher, car il est introuvable.
[...] L'angoisse de Kafka n'est pas celle de Heidegger, elle est plutôt
le sentiment de l'absurde dont parle Albert Camus, mais avec une
différence, l'angoisse de Kafka ne menant nulle part, car elle est la
conscience qu'il n'y a pas d'issue, qu'il ne faut pas et qu'on ne peut
prendre aucune décision en rien. Kafka se trouve dans un couloir et
il attend qu'un maître l'appelle. C'est l'image la plus terrible et la
plus parfaite de l'abdication humaine. Quand on est arrivé si loin, il
n'y a plus rien à faire que de se laisser aller. Cet état d'esprit rend
l'homme apte à n'importe quel saut, et en premier lieu le fascisme.
Le nihilisme négatif de Kafka et de tant d'autres peut préparer
l'homme à accepter et à subir l'état totalitaire. Était-ce le but de
Kafka ? Non, car il était encore un survivant de l'humanisme clas-
sique ; mais il voyait arriver le temps de la fin de l'homme ou de la
fin de cet humanisme. [...] Pour Nietzsche, la mort de Dieu signifie
bien la fin du Législateur et la fin de la morale comme distinction du
bien et du mal. Le monde double que cela suppose, s'est écroulé.
C'est la petite raison qui s'est enfuie. Au fond, la mort de Dieu, évé-
nement catastrophique, c'est pas si grave : c'est maintenant que
l'homme est arrivé à une toute nouvelle tâche. Avec la mort de Dieu,
l'homme aussi est mort, cet homme dont Zarathoustra porte le cada-
vre, ce saltimbanque qui se meut sur une corde. Une tâche toute
nouvelle se dessine. Celui qui a passé par la nuit frémissante de la
grande déception, qui a vu la lueur s'enfuir des choses, devenues ter-
nes, ne reste pas là, il ne reste pas près du Dieu dont l'agonie est
terminée. La mort de Dieu signifie pour l'homme le réveil pour sa
grande tâche qui consiste à devenir le sens de la terre. À l'ombre de
la mort de Dieu se lève le Surhomme. Il n'est certainement pas le
grand chef politique avec des intuitions infaillibles, il n'est pas non
plus le génie ou le grand homme, car alors Nietzsche n'aurait rien dit
et il n'aurait pas connu la mort de Dieu. Car celui qui croit au héros,
croit à l'idéal. O r la déception est telle qu'il n'y a plus d'idéal, qu'il
n'y a plus que le continuel dépassement de soi-même, l'inquiétude
infinie qui ne s'apaisera plus jamais. Pour Nietzsche aussi, le temps
49° LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
s'est arrêté, car l'éternel retour de tout fait que rien ne se meut,
qu'une destinée éternelle est introduite pour tout le monde, que tout
progrès abolit toute idée de révolte et annonce, comme chez Kafka,
la grande résignation.[...]
Marx aussi connaît la mort de Dieu. Il ne l'a pas formulée ainsi,
mais il a constaté l'échec de tout fondement du monde par un sur-
monde (JJeberweli), car cela mystifie la réalité et la falsifie en même
temps. Le fétichisme de la marchandise est un exemple frappant en ce
sens. La prise de conscience consiste à démystifier la société qui règne
sur les relations humaines comme un Destin inexorable et à donner à
l'homme la tâche grandiose de se fonder et de se construire soi-même.
Cette nouvelle tâche signifie la fin de l'histoire jusqu'à présent, qui est
donc préhistoire, et le début d'une nouvelle histoire surhumaine, car
elle dépassera de loin le stade humain ou l'histoire humaine caracté-
risée par l'homme déchiré (lutte des classes) et angoissé. Vient un
espoir tout nouveau qui sera la grande joie de l'homme nouveau.
Il y a néanmoins une différence profonde entre Nietzsche et
Marx. Nietzsche veut dépasser la mort de Dieu par l'individu qui
pense et qui fait appel, comme maître de la vie et de la pensée, à
d'autres. Ce sera l'individu, libéré de toute morale bourgeoise qui
refondra l'humanisme. Pour Marx, par contre, l'établissement d'un
nouvel humanisme se fera par la libération de la classe dans laquelle
l'homme est aliéné, par elle-même, par sa propre lutte, grâce à la phi-
losophie qui s'alliera à la misère. Pour Nietzsche, l'individu qui pense
n'a rien à voir avec la masse qui, elle, reste dans ses mythes. [...]
(La philosophie au tournant de notre temps, 1970.)
2. La conscience tragique
qu'un puisse obtenir quelque chose. Le succès d'un individu lui ôte
son innocence et le rend coupable aux yeux du monde, mais la rai-
son profonde le disculpe sans l'innocenter.
L'homme tragique n'est pas coupable et il n'est pas innocent, voilà
sa souffrance réelle et profonde qu'il tâchera d'écarter en payant son
dû. Il faut payer chèrement tout ce qu'on obtient, ainsi l'homme
tragique pense redevenir innocent. Il s'est bien disculpé par la raison
profonde, mais, pour s'excuser, il a besoin d'une existence créatrice.
Peut-être la philosophie, elle-même, n'est-elle qu'une excuse pour un
homme qui ne se sait pas coupable, mais qui ne se sent pas innocent
non plus.
(L'homme et la conscience tragique.
Problèmes du temps présent, 1964.)
3- La révolte
Lorsqu'il fut enlevé à l'affection de ses Frères de la loge " Balder ",
R E M Y V A N D E K E R C K H O V E (1921-1958) avait déjà publié six
recueils : De Andere Weg (1941), Gebed voor de kraaien (1948), De
Schim van Memling (1950), Een kleine ruïnemuziek (1951), Veronica
(1952), Gedichten voor een Kariatide (1957). C'était un poète-prophète,
dit Louis-Paul Boon dans la préface de l'anthologie posthume publiée
en 1964 ; et de citer ces vers de Een kleine ruïnemuziek :
*
Philosophe de réputation internationale, auteur de 31 /ivres et de 322
articles (en néerlandais, en français ou en anglais, les trois langues qu'il
pratiquait couramment), membre-fondateur de trois revues de haut
niveau, Logique et Analyse, Communication and Cognition et
Philosophica Gandensia, LEO APOSTEL (1925-1995) n'imaginait sans
doute pas qu'on p û t songer à lui faire une place dans le m o n d e des let-
tres. Il nous semble cependant qu'il s'y est trouvé de manière indirecte
toutes les fois où, en marge des matières et des techniques relevant de
ses spécialités de philosophe (la logique, la philosophie des sciences, la
dialectique), il a traité en termes quotidiens les questions morales,
philosophiques ou religieuses que se pose le c o m m u n des mortels et qui
alimentent souvent la littérature. Écarter Léo Apostel d'une étude
c o m m e celle-ci est impensable. La langue néerlandaise étant celle dont
il usa plus fréquemment, il apparaît, cela va de soi, aux côtés des écri-
vains flamands que nous avons recensés.
Il fît une carrière brillante. Issu de l'Athénée royal d'Anvers, sa ville
natale, il s'inscrivit, après la libération, à l'Université libre de Bruxelles
— francophone et unilingue — , y obtint en octobre 1948 le titre de
licencié en philosophie et, l'année suivante, reçut u n m a n d a t d'assistant
auprès du professeur Chaïm Perelman (pour le cours de logique en lan-
gue néerlandaise). Une bourse de la Belgian-American Educational
Foundation lui permit, en 1951-1952, de participer à des travaux de
logique à l'Université de Chicago, sous la direction du professeur
Rudolf Carnap, et à l'Université de Yale, sous la direction d u professeur
Cari Hempel. U n e étape importante de sa carrière.
Aspirant d u Fonds national de la Recherche scientifique (FNRS) de
1952 à 1954, il fut proclamé docteur en philosophie en 1954, après
soutenance d'une thèse sur " La Loi et les Causes ". Chargé de recher-
ches au F N R S de 1954 à 1956, il résida à Genève en 1955-1956
comme m e m b r e d u Centre international d'Épistémologie génétique,
dirigé par le professeur Jean Piaget. U n e autre étape déterminante. Il
resta attaché à ce centre jusqu'en 1980.
À l'occasion d u dédoublement linguistique de la section de philoso-
phie, l'U.L.B. attribua à Léo Apostel, à partir d'octobre 1956, et avec le
ÉCRIVAINS DE LANGUE NÉERLANDAISE 495
J'ai bien reçu votre lettre, et je me sens honoré par votre sug-
gestion d'écrire un article concernant l'importance du libre examen
dans la recherche scientifique et la vie universitaire. Toutefois,
Monsieur Hacquaert, avec qui je suis entré en contact, m'a fait savoir
qu'il lui faudrait l'article pour octobre. Or, vous n'ignorez pas que
nous commençons notre nouvelle candidature et licence en morale
cette année-ci (nous espérons d'ailleurs vous voir à cette Séance
Académique et vous recevrez très bientôt une invitation personnelle
à ce sujet). Pour cette séance académique, je dois préparer un expo-
sé sur " Fondements Pluralistes d'une Morale Scientifique ". Si vous
ajoutez à ce travail, les charges que j'ai comme secrétaire de Faculté
et les multiples demandes d'inscription et d'information pour notre
nouvelle section, vous ne m'en voudrez pas d'avoir répondu au pro-
fesseur Hacquaert qu'il m'était impossible de lui fournir l'article dans
un délai utile. Toutefois, je ne voudrais pas qu'on interprète ce refus
496 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
J'appelle " religieuse " une attitude qui place la totalité de l'indi-
vidu et de sa collectivité devant l'ensemble de l'univers, de sa propre
histoire et en présence de sa propre intimité. Le Juif, le Chrétien ou
le Musulman adopte cette attitude d'une manière immédiate, en se
fondant sur des mythes que je crois falsifiés et des croyances que
je crois fausses. Il se place en effet dans le champ de la providence
divine (la totalité de l'histoire est confusément présente), devant
ÉCRIVAINS DE LANGUE NÉERLANDAISE 503
d'immoralité. Tout cela est absurde. Ce qui n'est pas absurde, c'est la
distance qui reste étonnante entre des idéaux élevés, de grande valeur
et très spécifiques (que l'on ne trouve nulle part ailleurs avec une
telle transparence et une telle profondeur) et la pratique, bien sou-
vent décevante. Lorsqu'on entre en maçonnerie sans y être préparé,
on risque d'éprouver les pires désillusions. O n retrouve là, mutatis
mutandis, l'écart qui sépare la dignité du christianisme et l'indignité
des chrétiens. *
* Les citations, ici, viennent de la traduction française, dans Cahiers marxistes n° 193,
du dernier chapitre de Vrijmetselarij.
ÉCRIVAINS DE LANGUE NÉERLANDAISE 507
Les adresses doivent être connues pour que les personnes intéres-
sées puissent facilement s'adresser aux ateliers situés près de chez
eux.
Les listes des membres doivent être connues parce qu'un groupe
qui s'arroge le droit d'agir publiquement dans un État de droit
démocratique (même si l'action extérieure n'est qu'exceptionnelle)
doit combattre à visière ouverte. De plus, les personnes qui ne sont
psychologiquement pas prêtes à faire savoir qu'elles adhèrent aux
idées maçonniques, ou qui seraient socialement trop faibles pour
pouvoir se le permettre ne sont pas les membres qu'il convient.
Les idées de la franc-maçonnerie sont suffisamment élevées pour
que nul n'éprouve de honte à ce que son adhésion devienne de
Jo8 LES ÉCRIVAINS F R A N C S - M A Ç O N S DE BELGIQUE
Bourgeois, —
vermoord of kerker me,
maar zwijgen zal ik niet.
O f snoer mijn jonge hais,
doorscheur mijn borst met kogels :
toch zwijg ik nimmer niet.
[...]
Bourgeois, —
de dag vlekt rood,
en gans de wereld wordt getooid
met vlaggen als voor Eerste Mei :
en ik — Rebel,
geknecht of vrij,
zwijg nooit, nooit, nooit !
HET WONDER
L E MIRACLE
Ses titres littéraires et son action politique occultent, dans les notices
qui lui sont consacrées, les métiers qu'il exerça. À l'âge de vingt ans, il
travailla dans l'entreprise d e son père à Nieuport ; il s'agissait de travaux
concernant les voies navigables. En 1954, il fut attaché à un grand
magasin de Bruges c o m m e décorateur. En 1958, il démissionna de cet
emploi et devint importateur de disques classiques de la D.D.R. En
i 9 6 0 , il s'occupa pendant peu de temps de la librairie " D u Monde
Entier " à Bruxelles.
Il faut signaler qu'il fut mêlé à la fondation et à la rédaction de diver-
ses publications : Voorpost (1948), Kruispunt (qu'il fonda en 1959 avec
Georges van Acker), Vlaams Marxistisch Tijdschrift (1966).
5^3
5M LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
En dernière analyse, ce qui unit les écrivains que nous avons recensés,
c'est leur convergence vers les valeurs fondamentales auxquelles se
réfère la Franc-Maçonnerie depuis trois siècles : la liberté de pensée, la
tolérance, la fraternité. Chacun d'eux a subi, complémentairement, l'at-
trait des courants d'idées qui touchaient la Maçonnerie de son époque :
le laïcisme, le positivisme, la démocratie élargie, les droits du travailleur,
la justice sociale. U n ensemble d'aspirations découlant des principes
fondateurs : liberté, égalité et fraternité.
C e mouvement idéologique, qui progresse au XIX e siècle et atteint
des aboutissements au XX e , a divisé l'opinion publique et parfois
les loges elles-mêmes. Les écrivains francs-maçons o n t adopté —
généralement bien avant leur initiation — le comportement d'intel-
lectuels engagés. Nous employons là deux mots qui sont anachroniques
si o n les applique à des écrivains d u XIX e siècle. Dans le dictionnaire
(édition 1889) de Littré — d u Frère Emile Littré — , intellectuel figure
uniquement c o m m e adjectif " qui appartient à l'intellect ", c'est-à-dire
à l'esprit. Le mot, employé c o m m e n o m , apparut seulement à la fin du
CONCLUSIONS 525
FRANC-MAÇONNERIE
52.9
530 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
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INDEX DES N O M S CITÉS
Abel, Armand, 18, 315-318, 344, 373 Antin (duc d'), 33, 34
Abel, Gustave, 280 Antoine, Jacques, 289, 405, 411
About, Edmond, 54, 87 Antoine, Marcel, 324
Acke, Daniel, 60 Apol, Armand, 284
Adams, John Quincy, 77 Apollinaire, Guillaume, 296, 359, 450
Adenet le Roi, 261 Apostel, Léo, 18, 485, 486, 494-512, 524,
Adriaensen, Cornelis (broer), 110
Alary, Pierre Joseph, 39 Apulée, 376
Albe (duc d'), 144 Arago, Emile, 89
Albert 1 er (roi des Belges), 205 Aragon, Louis, 331
Albert Edouard, prince de Galles (futur Aristote, 15, 483
Edouard VII), 157 Arland, Marcel, 359
Albert et Isabelle (archiducs), 88, 105, 144 Arnold, Paul, 383
Albrecht de Hohenlohe, 409 Arnould, Victor, 133, 145. i o 1
Alchar, Louis (pseudonyme de Aron, Paul, 200, 290
Moureaux, Charles) Artan, Louis, 104
Alcibiade, 347, 348 Artevelde, Jacques van, 71,129
Alériel, Paul (pseudonyme de Marlow, Artois, Robert d', 7 1
Georges) Ascaso, Francisco, 3I2> izl
Alfieri, Vittorio, 54 Attila, 184
Alphonse XIII (roi d'Espagne), 312 Aubanel, Edouard, 2.64
Altmeyer, Jean-Jacques, 80, 92, 100, 103, Auguste (empereur), y6
104 Ayguesparse, Albert, 332, 438
Anacréon, 125 Aymé, Marcel, 438
Anciaux, Robert, 315
Anderson, James, 28, 29, 63 Bach, Jean Sébastien, 181, 184
André, Edgard, 288 Bachelard, Gaston, 379
Anneessens, François, 273 Backvis, Claude, 373-374
Anouilh, Jean, 291 Baekelmans, Lode, 47ï
Ansel, Franz, 209 Bâillon, André, 234, 263, 362
545
546 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
Bonaparte, Napoléon, 35, 37, 69, 71, 99, Breton, André, 317, 331
103, 319, 349. 419 Breydel, Jan, 71
Boniface, Joseph (pseudonyme de De Brion, Marcel, 359, 482
Fré, Louis) Brisson, Henri, 87
Bonnard, Pierre, 400 Brisy, Serge (pseudonyme de Schoenfeld,
Boon, Louis-Paul, 493 Nelly), 22, 255-159. 374. 5*7
Boone, Félix Alfons, 457 Brock, Renée, 438
Bopp, Franz, 86 Broeckaert, Jan, 468
Borde, Frédéric, 201 Broeckx, Jan, 498
Borremans (député de Nivelles), 231 Brontë, Emily, 13, 374
Bosquet de Thoran, Alain, 401 Broodcoorens, Pierre, 269
Bossi, Joseph (pseudonyme de Beck, Brouez, Jules, 201
Christian) Brouez, Fernand, 15, 201
Bost, Théophile, 149, 163 Brueghel, Pierre, 388
Botticelli, Sandro di Mariano Filipepi, Brûlez, Raymond, 454, 476, 478-479
dit, 400 Brulmans, Roland, 24
Bouchery (ministre), 232 Bruneel, Charles, 60
Bouddha, 483 Brunschvicg, Léon, 484
Bougeard, Alfred, 132 Buddingh, C , 517
Boumal, Louis, 271 Buis, Charles, 18, 43, 92,139-141,147,
Bourbon-Condé, Louis de, 34 174, 175, 249, 52$
Bouré, Félix, i n Buis, Charles-Jacques, 140
Bourgeois, Pierre, 269, 293, 294 Burne-Jones, Edward, 353
Bourgeois, Victor, 292, 293, 300 Burniaux, Constant, 253, 254, 255, 269,
Bourgeois Gielen, Hélène, 366 294
Bourgues, Paul (pseudonyme occasion- Burniaux, Robert : voir Muno, Jean
nel de De Bock, Paul-Aloïse) Burns, Robert, 54
Bourguignon, Arthur, 271 Buron, Joseph, 416
Bournouf, Eugène, 86 Buschmann, J.-E., 264
Bovesse, François, 18, 270-271, 525, 526 Butler, William, 328
Bovie, Félix, 18, 79, 83-84, 150 Buysse, Cyriel, 19, 454, 472-474, 478, 527
Brabant, Hyacinthe, 18, 305, 345-346 Buysse, Maddy, 482
Brachet, Pierre, 335
Bracops, Joseph, 308 Cahen, Michel, 372
Bracquemond, Félix, 121 Cain, Henri, 179
Braet, Mark, 512-516, 526 Cambacérès, Jean-Jacques Régis de, 35
Braet, Mark (Madame), 24 Cambier, Guy, 369
Braun, Thomas, 269 Campert, Jan, 517
Braun, Volker, 514 Campion, Léo, 18, 307, 308, 309, 310,
Brecht, Bertolt, 514 311, 312, 320-326, 527
Breitkopf et Hârtel (éditeurs), 181 Camus, Albert, 380, 489
Brel, Jacques, 428 Capelle, Aristide, 228
548 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
Huysmans, Camille, 19, 101, 102, 235, Josquin des Prés, 240
474. 47». 52.5 Josz, Marcel, 358, 386
Huysmans, Joris-Karl, 128, 429, 434 Jottrand, Lucien, 91, 92
Hymans, Louis, 85, 112-119, 202, 525, Jouret, Léon, 102,120
526 Joyce, James, 374, 448
Hymans, Paul, 18, 201-203, 205, 525 Juin, Hubert, 344
Juvénal, 76
Ibsen, Henrik, 13, 147, 148
Iglésis, Roger, 383, 384 Kafka, Franz, 489
Indy, Vincent d', 183 Kâlidâsa, 146
Ionesco, Eugène, 437, 438 Kalisky, René, 15
Iserentant, Pierre, 217 Kammans, Louis-Philippe, 318, 357-361
Ithier, Paul, 92,104 Kant, Emmanuel, 488, 493
Iwaszkiewicz, Jaroslaw, 514 Karr, Alphonse, 279
Karsky, Ceslaw, 120
Jacobs, Alfons, 311 Kaunitz-Rietberg, Wenzel von, prince,
Jacquemart, Jules, 121 33.37
Jacques (les Frères), 381, 403 Kazanrzakis, Nikos, 54
Jakobson, Roman, 450 Kennedy, John Fitzgerald, 388
Jaloux, Edmond, 242, 331 Kerchove, Oswald de, 92
Jamar (éditeur), 113 Kerenski, Alexandre Feodorovitch, 206
Jamati, Paul, 429 Khubilai Khan, 419
Jammes, Francis, 241, 242 Kielland, Alexander, 196
Janin, Jules, 279 Kierkegaard, Sôren, 501
Janne, Betty, 413 Kimbangu, Simon, 337, 338
Janne, Henri, 18, 346-351. 377. 4io, 413, Kinds, Edmond, 22, 331-345
515 Kinker, Johannes, 80, 247
Jans, Adrien, 332 Kipling Rudyard, 54, 55
Janson, Paul, 92, 133,161, 203, 224 Kipphardt, Heinar, 387
Janson, Paul-Émile, 140, 290 Kistemaeckers, Henry, 16,135, 211, 212
Jarry, Alfred, 237 Klinkenberg, Jean-Marie, 437
Jaspar, Henri, 206 Klopstock, Friederich Gottlieb, 54
Jaspar, Marcel-Henri, 347 Koenig, Théodore, 344
Jaspers, Karl, 488 Kornell, Lore, 288
Jaurès, Jean, 230 Kotzebue, August, 54
Jeanson, Francis, 487 Krains, Hubert, m , 198, 201, 224, 228,
Jeniello, 260 234. 269
Joiret, Michel, 437 Kropotkine, Piotr Alexeïevitch, prince,
Joly, Robert, 379 159, 201
Jonckheere, Tobie, 249 Kufferath, Ferdinand, 180
Jongen, Joseph, 184 Kufferath, Maurice, 18,180-188, 526
Joseph II (empereur), 19, 37, 38, 59, 143 Kuypers, Julien, 478
556 LES ÉCRIVAINS FRANCS-MAÇONS DE BELGIQUE
L’usage des copies numériques d’œuvres littéraires, ci-après dénommées « copies numériques », mises à
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utilisation et reproduction.
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ligne et leur utilisation dans les conditions régies par les règles d’utilisation précisées dans le présent
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numérisé sont précisées sur la dernière page du document protégé.
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numériques mises à disposition par eux.
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l’adresse physique ou logique des fichiers étant elle sujette à modifications sans préavis. Les A&B
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Utilisation
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Quiconque souhaitant utiliser les copies numériques à d’autres fins et/ou les distribuer contre
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sa requête, l’auteur, le titre de l’œuvre, le titre de la revue ou de l’ouvrage dont l’œuvre est extraite, et
l’éditeur du (ou des) document(s) concerné(s).
Demande à adresser au Directeur des Archives & Bibliothèques CP 180, Université Libre de Bruxelles,
Avenue Franklin Roosevelt 50, B-1050 Bruxelles. Courriel : bibdir@ulb.ac.be.
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6. Citation
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l’œuvre est extraite, date et lieu d’édition).
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Reproduction
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