Int La Tunisie de Mes Reves

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Lotfi M’raihi

La Tunisie
de mes rêves
Copyright © Lotfi M’raihi, 2019

Tous droits réservés. Toute reproduction totale ou partielle


sur quelque support que ce soit est tributaire d’une
autorisation préalable de l’auteur.

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Téléphone 50791222
Dédicace

A mon pays et son peuple


auquel j’ai dédié
ce qui me reste à vivre.
Sommaire
Avant-propos ............................................................... 5
Le tournant manqué. .................................................. 9
Enseigner & éduquer. ............................................... 33
Moraliser la vie politique.......................................... 41
Une constitution spoliatrice ...................................... 51
de la souveraineté populaire. ................................... 51
Le protectionnisme.................................................... 67
est notre salut............................................................. 67
Pour une diplomatie…économique. ........................ 83
Rien n’est possible sans l’ordre. ........................... 93
La culture : au cœur du projet................................. 99
Femme et femmes .................................................... 111
L’inégalité n’est pas une fatalité. ........................... 119
La toute-puissance des médias. ............................ 125
Et la jeunesse alors ? ............................................... 135
La santé a un coût mais pas de prix. ..................... 147
Le sport, ce grand oublié. ....................................... 161
Les libertés individuelles. ....................................... 165
Écologie…mode de vie. ........................................... 173
Postface .................................................................... 181
Avant-propos

Le rêve, c’est ce hiatus qui sépare le vécu de


la réalité espérée. Il peut rester un vœu pieux ou
se concrétiser. Entre l’accessible et
l’inaccessible il y a d’abord un mot : la volonté.

Chacun d’entre nous porte en lui,


consciemment ou non, des rêves obéissants à un
ordre de priorités. Le rêve est le fruit de
l’espérance, de ce fil qui nous maintient à la vie
même pendant les moments les plus tragiques.
On rêve pour soi comme on rêve pour ceux qui
nous sont chers.

Pour ma part, j’ai choisi depuis janvier 2011


de rêver pour ma patrie. Au milieu de
l’éphémère, j’ai choisi le permanent. Or, plus le
rêve est grand et plus sa charge est lourde. J’ai
décidé de vouer ce qui reste de ma vie pour
l’accomplir. Je m’y emploie avec une
détermination de tout instant. J’en fais le
combat de ma vie.

5
Est-il, encore, permis de rêver après tant
d’espoirs déçus par une révolution avortée ?

Au milieu de la dépression générale, que j’ai


touchée du doigt lors de mes déplacements dans
les gouvernorats à l’écoute de nos compatriotes,
le rêve devient une obligation, un devoir.

Comme tous les grands rêves, sa


concrétisation tient à plusieurs facteurs.
Certains sont personnels et je ne ménage aucun
effort pour les accomplir avec une persévérance
qui ne faiblit jamais et n’accuse aucun répit.
D’autres sont extrinsèques liés à l’évolution de
la conscience collective et de la scène nationale
et internationale.

Ce rêve pour la Tunisie qui m’anime, n’est


pas le mien propre, il est une propriété
indivisible que portent les Tunisiens en leur for
intérieur. Avoué ou inavoué, proclamé ou tu,
conscient ou inconscient, il exprime notre
ardent désir de voir, un jour, notre pays
rayonnant et prospère.

6
Je rêve d’une république, souveraine par le
pouvoir de ses citoyens, dont le mérite, l’effort,
la créativité et la solidarité sont les valeurs
fondamentales. Je rêve d’un pays apaisé avec
une cohésion sociale inébranlable.

Un rêve, à portée de main, que seules nos


fausses divisions, notre soumission à la
médiocrité, aux forces de l’argent, les médias
dévoyés et les ingérences étrangères, nous
empêchent d’atteindre.

Que d’obstacles, diriez-vous, se dressent


face à ce rêve. Aucun d’entre-eux n’est
insurmontable mais paradoxalement, les plus
tenaces, les plus coriaces sont le défaitisme et la
démission collective.

Je suis de ceux qui rêvent dans l’action, de


ceux qui honnissent la facilité et les lieux
communs. Mes rêves me ressemblent. Ils
exigent de la sueur et de la douleur. Ils sont
transcendants et leur aboutissement impose
d’emprunter des parcours originaux et
innovants.

7
Ces rêves expriment, avant tout, mon amour
de ma patrie, de notre peuple dans sa diversité
et avec ses disparités et mon attachement à la
communauté nationale.

Je ne rêve pas pour ma personne éphémère


et transitoire mais pour cette précieuse Tunisie
afin que l’enfant né et celui à naitre soient fiers
de lui appartenir.

De là où je serai, j’apprécierai de les voir


enviés, respectés et honorés pour la qualité de
leur vie, pour leur rayonnement et pour leur
participation à la civilisation universelle.

J’ai choisi de joindre l’action à la réflexion


pour que ce rêve ne reste pas un vœu pieu. La
détermination d’un seul homme, aussi
persévérant soit-il, ne peut transformer ce rêve
en réalité sans une large adhésion pour
l’accomplir.

J’ai besoin de vous tous pour transformer ce


rêve en une réalité de tout instant.

8
Le tournant manqué.
« Il ne peut y avoir de révolution que là où il
y a conscience ».

Jean Jaurès.

Nous traversons, parfois, la vie, sans nous


poser certaines questions, tant elles nous
paraissent faire partie des évidences. Nous
naissons et évoluons au sein de nos familles, de
notre société, de notre pays au milieu de
préceptes et de valeurs qui nous sont inculqués
en nous arrêtant rarement sur leurs sens. Ils font
intrinsèquement partie de nous, déterminent
notre façon d’être et de paraitre sans qu’ils
soient remis en cause. Le plus souvent, nous les
intégrons sans réaliser pleinement ou justement
leurs significations. Il nous arrive de nous
révolter contre certains d’entre eux, de les
rejeter en partie ou en totalité avant de finir par
nous y soumettre ou nous y adapter.

9
Si nous ne mesurons pas toujours la
continuité identitaire qu’ils véhiculent, nous
constatons que s’en écarter, nous expose au
risque de marginalisation. Ils sont les éléments
fédérateurs qui cimentent le vivre ensemble et
sculptent les traits et contours de notre identité
nationale.

Des fondamentaux qui ont traversé le temps,


subi le cours de l’Histoire, se sont adaptés grâce
à un effort continu de remodelage. Il s’agit de
lieux communs avec leur part de rationnel et
d’irrationnel et leurs dimensions matérielles et
immatérielles. Ensemble, ils déterminent ce que
nous conviendrons d’appeler la tunisianité.

Nous en partageons, sans doute, certains


aspects avec notre voisinage immédiat, avec
notre environnement régional voire universel,
mais il n’en demeure pas moins un espace qui
nous est propre et qui fait notre spécificité. Lui-
même est sujet à une évolution continue tout en
reproduisant une ligne de démarcation qui nous
identifie. C’est justement notre ancrage à ce
spécifique qui nous conduit à adhérer à ce qui
est plus large, nourrit notre appartenance à notre

10
patrie, à notre peuple et à nos valeurs, fait de
nous les héritiers d’un legs grandiose qui a
traversé le temps et s’est transmis d’une
génération à l’autre. C’est la source d’une
incommensurable fierté, mais aussi d’une
grande responsabilité qui fait de nous les
légataires de cet héritage avec la charge de le
transmettre aux générations suivantes dans le
meilleur état possible.

Tout un chacun qui a pris le temps de


s’arrêter, de méditer cette question doit en sortir
avec une vision, un projet et un rêve.

Dans les pages qui suivent, je vous livre


mon rêve pour mon pays. Il ne s’agit nullement
d’un songe onirique, débridé, échafaudé dans
un monde virtuel hors de toutes contraintes, ni
d’un exercice de style ponctué d’envolées
lyriques, mais d’un projet formulé à partir d’un
état des lieux, d’une réalité géostratégique et
d’un héritage social et économique.

La Tunisie d’aujourd’hui n’est pas une


création ex nihilo de la révolution du 17
Décembre-14 Janvier. Elle est une continuité

11
historique, sociale, économique et culturelle,
façonnée des siècles durant. La méditation de
notre histoire nous aide souvent à comprendre
notre réalité et à cerner les origines de nos
problèmes. Est-ce un hasard que, absolument,
les mêmes régions du pays ont été de toutes les
révoltes contre le pouvoir central ? Les mêmes
se sont soulevées en soutien d’Ali Pacha, de Ali
Ben Ghedhahom, de Salah Ben Youssef et de la
dernière révolution. Un positionnement qui
traduit, chaque fois, le mécontentement vis-à-
vis de l’autorité centrale. Il fait suite à une
marginalisation et une frustration liées à une
situation économique précaire. L’insatisfaction
actuelle, qui prévaut chez les habitants de ces
régions et qu’ils imputent à une volonté
délibérée des régimes de Bourguiba puis de Ben
Ali, a visiblement une origine bien plus
lointaine. Elle serait même corrélée à un
changement de modèle économique orienté
davantage vers les échanges côtiers et la
dépréciation des denrées produites dans la
Tunisie profonde.

Une historicité qui s’affranchit des


marqueurs événementiels et des dates, même si,

12
les choix et les orientations pris à l’aube de
l’indépendance sont ceux qui impactent le plus.

Il en découle, de fait, que tout rêve qui ne


s’inscrit pas dans la continuité historique, perd
toute prise avec la réalité et s’écroule à la
première confrontation avec elle.

Je l’affirme en pensant à des Hommes qui


ont rêvé la Tunisie avant nous et ont souhaité la
façonner conformément à leurs vœux. Ils ont
réussi chaque fois qu’ils ont collé à la réalité et
échoué quand ils s’en sont écartés. Ma pensée
va particulièrement à l’incontournable
Bourguiba même si j’aurais pu pousser plus loin
en invoquant le général Kheireddine. En effet,
l’exemple de Bourguiba est celui qui offre le
plus de matière à méditation de par la longévité
de son règne et les transformations profondes
qui s’y sont accomplies.

Loin de moi l’idée de me livrer à un


exercice d’inventaire sur la gouvernance, ceci
n’est pas le propos, et d’autres s’en sont
amplement chargés. Reste que Bourguiba en
choisissant d’inscrire la Tunisie contemporaine

13
dans un modèle aux orientations sociales
franches, avec un état providence, a condamné
ses successeurs à ne pas s’écarter de ses jalons.
Toute distance prise avec ce référentiel est de
nature à créer un hiatus entre les attentes
populaires et la gestion publique et sème les
germes de l’instabilité.

Comme tous les visionnaires, Bourguiba


s’est trouvé en situation d’apposer ses rêves à la
réalité du moment. Il a réussi chaque fois que
l’écart, séparant les deux, était menu, mais a dû
opérer un repli stratégique lorsqu’ils étaient en
discordance.

Une des difficultés de l’exercice politique


réside dans l’évaluation de la distance qui
sépare le rêve de la réalité sur laquelle il opère.
Toute réforme, toute transformation doit tenir
compte de l’adéquation de ces deux paramètres
pour lui assurer les chances de réussite et
d’acceptation.

Elle doit intégrer les forces de résistance qui


sont l’expression d’un équilibre établi
déterminant l’état des lieux. Toute tentative qui

14
vise à modifier le statu quo ne manquera pas de
déclencher la levée de boucliers de ceux dont
les intérêts risquent d’être menacés.

Chaque initiative place le politique en face


de sa conscience mais aussi de la réalité. Il se
posera chaque fois la perpétuelle question de
savoir jusqu’où il sera possible d’opérer le
changement sans se renier et sans violenter la
société.

Le changement, une expression récurrente


du discours politique, galvaudée à volonté mais
qui ne s’accompagne pas toujours de la volonté
ou du doigté pour le mettre en exécution.
Certains s’y essayent avant de battre en retraite
devant l’opposition et les réticences qu’ils
soulèvent. Ils remballent leurs projets et
ravalent leur amertume.

D’autres n’y pensent même pas tant leurs


accointances avec les puissants sont grandes et
se gardent de leur porter ombrage, de menacer
leurs intérêts et de perturber l’ordre établi. Seul
un homme libre de toute contrainte, animé
uniquement de l’intérêt général est en mesure

15
de mettre en application son rêve. Encore faut-il
qu’il sache faire preuve de dextérité et de
discernement. Sinon, l’enfer pavera ses bonnes
intentions.

Je rêve d’un pays fort, respecté dans la


communauté internationale. Un pays souverain
dont les dirigeants n’ont de compte à rendre
qu’au peuple dont ils tirent la légitimité. Un
pays rayonnant qui fait la fierté de ses citoyens.

Notre pays a été dans son histoire le centre


du monde, une puissance internationale qui a
marqué l’histoire de l’humanité. Dans
l’Histoire, peu de peuples ont eu des heures de
gloire semblables à celles que la Tunisie a
connues. Nous avons contribué à l’essor de la
civilisation humaine, accompli des avancées
indéniables. Nous avons été un carrefour de
civilisations avec à chaque époque des apports
et des participations dont regorgent les traités
d’histoire.

Même dans les temps décadents et


d’asservissement, nous avons fait preuve de
bravoure et aucune oppression fût-elle la plus

16
impitoyable n’est parvenue à nous briser ni à
étouffer notre soif de liberté.

Nous sommes les légataires d’un grand


peuple et d’une terre féconde qui a enfanté des
femmes et des hommes qui feront à jamais
notre fierté.
Mais nous sommes aussi un peuple qui
refuse d’être conjugué au passé. Nous avons
raté de grands tournants de l’Histoire. Nous
avons vécu des siècles en marge de l’Histoire,
la grande. Néanmoins, nous sommes animés de
la farouche volonté de retrouver une place dans
le concert des pays développés.

La grandeur d’une nation n’est déterminée


ni par sa superficie ni par la taille de sa
population mais par son génie à s’adapter aux
changements, à les anticiper et à les initier.

Aujourd’hui, un fossé nous sépare de ceux


qui font le monde mais nous sommes
déterminés à le combler. Il nous en coûtera un
effort de tout instant et une volonté qui ne
fléchit point, mais nous y parviendrons. Un
peuple fier ne peut accepter longtemps d’être

17
relégué. Sans nous renier, sans nous départir de
nos spécificités, sans mimer les vainqueurs du
moment, nous nous attacherons à acquérir
l’essentiel sans abandonner notre héritage. C’est
en restant nous-mêmes que nous deviendrons
plus forts. En nous délestant du superflu et en
intégrant ce qui nous fait défaut.
Les interrogations sur les choix à adopter et
les orientations à prendre ont été au cœur des
préoccupations de ceux qui nous ont précédés,
ceux que nous appelons aujourd’hui les pères
fondateurs. Une appellation qui suggère que
leur contribution à l’édification des bases d’un
monument qui leur doit son existence. Or, rien
n’est moins certain ! Tous, quelque fût leur
génie, leur créativité et leur dévouement ont
essayé de refaçonner un état des lieux, de lui
imprimer des inflexions qui ont leurs limites
marginales. On ne fonde pas une nation, et
encore moins quand elle se nomme Tunisie.
Tout au plus, on l’accompagne, on l’oriente
avec dextérité. Le changement, le vrai, est une
révolution douce mais déterminée qui s’installe
par touches successives, obéissant à une vision
et une planification.

18
Il importe en premier lieu, et c’est une
évidence, de définir les buts à atteindre et les
moyens d’y parvenir. Or, ceci ne saurait se
concevoir sans un diagnostic préalable et
perspicace de la situation qui prévaut, une étape
cruciale pour identifier ce qu’il convient
d’élaguer et ce qu’il convient de greffer afin de
parvenir à l’édifice harmonieux recherché.

La Tunisie est menacée aujourd’hui par ses


disparités. Les différences criardes entre les
régions et les classes sociales en ont fait un pays
désuni. Ces clivages, source de tensions et de
ressentiments, menacent la cohésion nationale
depuis des décennies et mettent en danger la
stabilité de notre pays.

Le premier grand défi qui se pose à nous est


d’unir notre nation. Il n’est plus possible de
continuer à compter sur notre seul héritage
culturel et historique voire identitaire pour
cimenter la cohésion nationale. Ces thématiques
ont révélé leurs limites à tenir tête à la pression
sociale et économique. Le fait est là, l’édifice
est lézardé. Seule la république peut le
consolider et lui redonner toute sa vigueur. La

19
république est porteuse de valeurs qui nous font
défaut et sans lesquelles il sera difficile de
désamorcer des tensions sociales et de mobiliser
les tunisiens vers un rêve commun.

L’instauration d’une république de l’égalité


des chances, de traitement et de droits où le
mérite prend le dessus sur les recommandations,
et les faveurs et où le tunisien retrouve toute la
dimension de sa citoyenneté.

Une république qui traduit l’expression de la


volonté générale ardente, restituera au peuple sa
souveraineté et aux lois toute leur légitimité.
Une république qui redonne au citoyen la
latitude de façonner son présent et son avenir.

Cette république ne peut s’exprimer dans


sa plénitude sans une démocratie directe et
participative. Nous avons la chance de pouvoir
l’appliquer d’autant plus aisément que notre
population est relativement peu nombreuse,
éduquée et que nous sommes ethniquement et
religieusement homogènes. Tous ces éléments
nous aideront à sortir d’une république
d’apparat vers une république de fait en se

20
remettant à la volonté populaire armée de
l’initiative et la consultation référendaire
populaires.

La Tunisie dont je rêve est peuplée de


citoyens souverains qui se soumettent aux lois
qu’ils auront établies et adhérent au projet qu’ils
auront choisi.

Les institutions prendront alors une autre


signification et une autre représentativité
tranchant avec le système actuel constitué d’une
oligarchie affranchie de la volonté du peuple
qui n’est consulté qu’artificiellement lors des
élections pour être ensuite resoumis à sa
volonté.
J’appelle de mes vœux un peuple
souverain qui décide de sa destinée et veille à
l’application de ses choix.

Pour cela, il est impératif de revoir la


constitution et de l’amender pour y introduire
l’initiative populaire. Celle-ci permettra au
peuple de soumettre des projets de lois ou de
s’opposer à celles votées par le parlement qui
seraient contraires à ses intérêts.

21
Réintroduire le peuple dans l’espace
démocratique comme un acteur constant et
fondamental de l’échiquier politique. Susciter
son adhésion et le réconcilier à la chose
publique en ramenant le politicien légataire de
la volonté populaire à une humilité dont il
n’aurait jamais dû s’en départir. Redéfinir la
mission du politique, celle d’un citoyen qui a
choisi de son plein gré de se mettre au service
de la cité sans qu’il ne s’en serve comme un
ascenseur pour sa promotion sociale ou pour
son enrichissement propre.

L’implication politique est une mission de


service public pour une durée déterminée et non
un plan de carrière. Elle ne doit en aucun cas
servir de tremplin pour l’amélioration des
revenus1 ou de la situation sociale. Il s’agit là
d’un moyen dissuasif pour endiguer les
ambitions déplacées.

Certains pourraient objecter que ces


mesures rendant la situation financière des élus
moins confortable pourraient ouvrir les portes à
la corruption. Je répondrais qu’au-delà des

22
prédispositions personnelles à la corruptibilité
qui, si elle existe, trouvera toujours des alibis et
des voies pour assouvir sa soif de gain facile, il
faudra redoubler les sanctions répressives.

Nous avons, malheureusement, hérité, des


us et coutumes de la vie politique française et
de son modèle de carriérisme politique. Même
balayés par des élections, les Hommes
politiques ne renoncent pas à revenir, au
devant de la scène, animés de velléités de
revanche pathétique. A ce propos, l’exemple
anglo-saxon offre une image empreinte de
davantage de noblesse et d’élégance et devrait,
à ce titre, nous inspirer plus1.

Redonner le pouvoir au peuple impose un


combat sans merci contre les forces qui
usurpent la volonté populaire et la travestissent.
Au premier chef, le pouvoir de l’argent. Ce qui
m’amène à évoquer le financement de l’activité
politique. Certes, la vie politique a un coût qui
dépend du train de vie de la formation politique,
de son activité et de son déploiement national.
1
) ce point sera développé dans le chapitre consacré à la moralisation de
la vie politique.

23
Or, s’il convient de définir les sources de
financement, il convient également de
déterminer les postes de dépense licite.

En Tunisie, il a été décidé de dispenser


l’État du financement des partis politiques. Les
partis se trouvent, de fait, acculés à quêter des
fonds auprès de donateurs qui sont
exceptionnellement encartés. La logique veut
que les donateurs soient intéressés en premier,
sinon exclusivement, par les partis au pouvoir
ou en phase de le devenir dans un avenir
proche. Leur soutien n’est qu’un investissement
ou un placement dans l’attente d’en récupérer
les dividendes.

Quand bien même, ces donateurs seraient-


ils nombreux, la législation plafonne leur
donation annuelle à soixante mille dinars, une
somme relativement élevée surtout comparée à
celle autorisée par d’autres pays. En France elle
est de 7500 Euros soit moins de vingt six mille
dinars. Or, ces donations ne devraient
logiquement pas suffire à assurer le
fonctionnement d’une grosse structure avec ses

24
légions de permanents rémunérés et ses
incommensurables frais.

La contribution des encartés et leurs frais


d’adhésion, particulièrement dans le climat
actuel et le marasme économique que nous
traversons, est si modeste qu’elle reste
marginale.

Tout observateur averti de la scène


politique relèvera l’opulence affichée par
certains partis politiques et le grand train de vie
qu’ils mènent. Et s’interrogera sérieusement sur
l’origine de ce financement. Cette question est
d’autant plus insistante qu’elle concerne des
partis nés de scissions encore sans structures et
sans militants. Toutes ces interrogations font
planer une forte présomption sur l’existence
d’un financement étranger. Le doute ne reste
permis qu’en l’absence de preuves formelles
pour corroborer le faisceau d’indices qui
plaident en faveur.

La législation ne s’est pas dotée des outils


nécessaires à la transparence et à la répression
de la fraude. Cette inadvertance n’est pas le

25
fruit du hasard, elle serait plutôt préméditée tant
ceux en pole position en tirent profit.

La porte ouverte au financement étranger


de notre vie politique n’est rien de moins que
l’asservissement de notre souveraineté
nationale. L’abondance des ressources
financières aux mains des partis politiques
pervertissent l’exercice politique et
entretiennent le clientélisme. Elles relayent une
pratique fort répandue du temps de l’ancien
RCD où le pouvoir contrôlait la volonté et le
vote populaire à coup de cartons de denrées
alimentaires et moult subsides. Profitant de la
vulnérabilité sociale de certaines régions, les
partis se transforment à l’approche des élections
en associations caritatives raflant des votes de la
reconnaissance... du ventre.

Néanmoins, cette manne financière sert


également à s’acheter le service de médias
privés et publics en arrosant les ténors de la
scène médiatique qui se transforment en
propagandistes plus ou moins déguisés.
L’opinion publique se trouve ainsi matraquée à
longueur de journée par un discours qui braque

26
toute la lumière sur certains partis et certaines
personnalités en éclipsant le reste de la scène
politique. Sur ce point également, il est difficile
d’apporter des preuves formelles autres que des
confessions de première main que nous nous
abstiendrons d’étaler ici. En effet, comment ne
pas accorder de crédit aux confidences d’un
politique qui se laisse aller à révéler qu’un tel
animateur lui a énormément coûté en le
conviant toutes les trois semaines au même
plateau politique hebdomadaire pour qu’il se
retrouve en fin de saison ministre.

Heureusement, il persiste encore des


journalistes au-dessus de tout soupçon mais ils
ne sont hélas pas légion et ne bénéficient
toujours pas des espaces les plus suivis.

Dans cette quête du pouvoir, qui fait de


l’argent le nerf de la guerre, tous les
protagonistes sont gagnants. Les politiques qui
briguent les postes, les bailleurs de fonds qui
attendent un retour sur investissement et les
médias qui canalisent l’opinion. Seuls, la
Tunisie et son peuple sont les perdants.

27
Les politiques en acceptant d’être à la
solde de l’étranger ont fait le choix de se lier les
mains pour devenir les agents d’exécution de la
volonté des donneurs d’ordre. Aucune politique
contrevenante aux intérêts des donateurs ne sera
entreprise.

A partir de là, il est clair que la


souveraineté et l’intérêt national deviennent de
vains mots. L’expression du suffrage devient un
acte de dépouillement de la souveraineté
populaire au lieu d’être un exercice pour la
réconforter. Conscient de ce danger, j’avais déjà
alerté l’opinion publique et les autorités de
transition sur les accointances qui sont apparues
très tôt après la révolution entre l’argent
politique et les médias. Des appels qui ont été
superbement ignorés tant on considérait alors
qu’aucune activité politique ne pouvait être
menée sans un renfort conséquent d’argent. On
prenait exemple sur les démocraties
occidentales. Or, c’est justement ce modèle
qu’il me paraissait impératif d’éviter. Comment
espère-je être entendu alors que les
protagonistes les plus influents étaient ceux qui
affichaient le plus d’opulence.

28
D’élection en élection nous avons assisté
à une surenchère dépensière, à l’achat explicite
des voix et à l’interférence étrangère avérée.

Le peuple n’en a récolté que davantage de


déception. Ces échecs ont provoqué un rejet de
la vie politique et de ses acteurs. Une répulsion
qui s’exerce sans discernement sous la formule
de « tous pourris ».

Le peuple dans sa globalité, ceux qui ont


voté et ceux qui se sont abstenus rejettent
l’opprobre sur les politiques et les partis sans se
remettre en cause. Les électeurs pensent avoir
assuré leur obligation et avoir choisi. Ils
s’attendaient à être payés de retour par une
amélioration de leurs conditions de vie. Leurs
choix se sont construits sur des éléments qui
tiennent souvent de l’affectif, du préjugé,
rarement sur un exercice rationnel de
discernement.

Sommes-nous en droit d’exiger un autre


comportement d’un électeur peu rompu aux
joutes électorales et appelé à se prononcer à la

29
suite d’une campagne sans thèmes et sans
projets ?

Autant les élections de 2011 que celles de


2014 se sont déroulées dans un climat
d’hégémonie médiatique surfant sur les peurs et
les fustigations. Il est clair que l’installation
d’une démocratie représentative ne peut
s’accomplir en l’absence d’un choix éclairé.

Ce préalable nécessite une initiation


populaire à la chose publique. Il nous incombe
de combler ce déficit de savoir politique par
l’éducation populaire et par la pédagogie.
L’école se doit d’être aux avant-postes pour
dispenser une éducation civique beaucoup plus
étoffée que celle figurant dans les programmes
actuels. Les médias et les partis politiques sont
également en devoir de vulgariser les éléments
d’analyse du discours politique et de la lecture
des programmes. Un citoyen qui choisit est un
citoyen apaisé et impliqué dans la conduite des
politiques pour lesquelles il a opté. C’est le
premier pas à entreprendre pour réconcilier nos
concitoyens avec la vie publique, lever les

30
appréhensions et la méfiance qu’ils témoignent
vis-à-vis des politiciens.

Alors seulement, les citoyens cesseront de


juger les femmes et les hommes impliqués dans
l’activité politique comme des opportunistes
avides de mandats et de pouvoir. Seule une
compréhension de l’utilité d’une vie politique
riche fera accepter par nos concitoyens la
diversité de l’offre partisane et le pluralisme. Le
tunisien cessera d’appréhender la multiplication
des partis politiques comme une menace à la
stabilité du pays.

Pour tout cela aussi, il faudra que le


tunisien devienne un acteur de la scène
politique. Il importe de rompre avec le statut
d’électeur appelé à se prononcer lors des
échéances électorales, dans les consultations
alibis, pour devenir un acteur permanent doté
du pouvoir d’initiative et de contrôle.

L’accomplissement du statut de citoyen


de plein droit passe obligatoirement par
l’instauration d’une démocratie participative qui
remet au centre de l’exercice le pouvoir

31
d’initiative populaire. Il s’agit de permettre
qu’une pétition citoyenne puisse soumettre un
projet de loi ou s’opposer à une loi votée et
déclencher de fait un référendum populaire pour
trancher entre le projet parlementaire et le
contre-projet citoyen.

32
Enseigner & éduquer.
« L’enseignement : apprendre à savoir, à
savoir faire, à faire savoir. L’éducation :
apprendre à savoir être ».
Louis Pauwels.

La Tunisie n’a pas échappé aux coups de


boutoir de la mondialisation. Or, si les effets
délétères économiques sont réversibles, les
dégâts identitaires et sociétaux risquent de ne
pas l’être. Le bouleversement de l’échelle des
valeurs a désorienté une société en mal de
repères. La mondialisation, avec son corollaire
la libéralisation, a installé l’argent et le profit en
haut de l’échelle des valeurs. Désormais,
l’opulence matérielle détermine le rang social,
déclassant l’effort, le mérite, le savoir et la
culture. Avec la mondialisation, la Tunisie s’est
mise à l’heure du paraitre et du show-off.

Les choix libéraux du pouvoir ont induit un


désengagement de l’État des secteurs sociaux,
jusque-là protégés. En tête de ceux-ci l’école.

33
L’enseignement privé qui, jusque-là, était limité
a été encouragé et s’est fortement développé.

Les établissements privés offrent des


moyens et une qualité d’enseignement dont
l’attrait suscite l’engouement des familles
aisées. La détérioration de l’école publique en
termes d’infrastructure et de gestion contribue à
attirer les élèves issus de la classe moyenne vers
des établissements privés de moindre renommée
mais accessible à leurs bourses. Ne persistent
dans l’école publique que ceux qui n’ont pas les
moyens de la quitter. L’enseignement reste,
pourtant, un des postes de dépense les plus
importants du budget. Un lourd sacrifice
national qui ne réalise que de piètres résultats
comme en témoignent les successifs rapports
PISA. Le secteur privé qui à ses débuts n’offrait
que l’enseignement primaire s’est rapidement
étendu à toute la scolarité. A première vue, le
système privé assure de meilleurs résultats
scolaires que le public. Or, en réalité, les
établissements privés sont fréquentés par des
élèves socialement favorisés à qui on offre plus
de chances de réussir. De ce fait, c’est plus la

34
classe sociale qui détermine la performance des
élèves que l’établissement.

Parallèlement, l’appât du gain a institutionnalisé


les cours particuliers qui sont devenus la règle.
Il ne s’agit plus d’heures de soutien destinées
aux élèves en difficulté mais d’un enseignement
privé parallèle couvrant parfois toutes les
disciplines. Ces cours obéissent à leur tour à
une ségrégation en fonction de la notoriété des
enseignants qui détermine la rémunération et le
droit d’accès.

Le système éducatif qui a été, par le passé, le


moteur de l’évolution sociale de la Tunisie a été
transfiguré. Il n’est plus en état d’alimenter
l’ascenseur social qui se trouve en panne.

Les élèves les plus nantis bénéficient de la


meilleure qualité d’enseignement possible et
décrochent leur baccalauréat avec les meilleurs
scores, ce qui leur ouvre les portes des
meilleures filières universitaires, qualifiantes
pour le marché de l’emploi. Les autres, s’ils
n’ont pas déjà décroché entre temps, réussissent
très moyennement leur baccalauréat et les

35
disciplines qui leur sont accessibles mènent tout
droit à l’antichambre du chômage.

Il en résulte que les enfants issus de familles


pauvres sont condamnés quasi-
systématiquement à la précarité.

Il n’est pas nécessaire d’être un fin sociologue


pour décrypter les raisons des tensions sociales,
des disparités régionales, du désintérêt pour la
chose publique et du déficit patriotique.

En fragilisant l’école publique, nous avons scié


le socle de la cohésion sociale, mis à mal le
principe de base de la république ; celui de
l’égalité des chances et condamné l’ascenseur
social à l’arrêt.

Le rétablissement de l’école de la république est


un préalable majeur à la restauration d’une
échelle des valeurs saine. Il ne s’agit nullement
de reproduire le modèle de l’école publique
telle qu’elle a été à ses débuts, mais de l’adapter
à la marche du temps tout en veillant à
préserver l’essentiel. En faire une école qui
concentre tous ses efforts sur les premières

36
années de l’enseignement, vigilante face au
risque de l’abandon scolaire et n’hésitant pas à
user du redoublement. Une école qui sait
identifier les aptitudes de tout un chacun et les
guide vers les sections et les filières adaptées à
leurs prédispositions. Une école qui focalise sur
le savoir être, qui favorise l’apaisement du
climat social, permet l’échange dans
l’apprentissage, la découverte de soi et de
l’autre. Ce nouveau regard posé sur l’école de
demain, appelle une attention particulière à
l’élève, pas seulement en tant qu’entité
apprenante, mais aussi en tant qu’être humain,
chargé d’émotions et de motivations, de
créativité et de talent.

Pour s’acquitter de sa tâche et soutenir la


concurrence du secteur privé, elle aura besoin
de moyens et de personnel qualifié et
multidisciplinaire, couvrant toutes les sciences
de l’éducation.

Au-delà de l’apprentissage et de l’acquisition


des connaissances c’est une institution dont la
mission devra aboutir à consolider la cohésion
sociale et faire germer la citoyenneté. Or, ceci

37
exige qu’elle redevienne également l’école de
l’éducation ; une attribution tombée en
désuétude et ringardisée au nom du
progressisme et des libertés. Il est de toute
prime instance, de rétablir la discipline et le
respect, restaurer l’image de l’enseignant qui
s’est dépréciée en raison du relâchement des
sanctions disciplinaires mais aussi de sa
condition matérielle. Il faut mettre l’enseignant
à l’abri du besoin pour éviter qu’il ne se
transforme en chasseur de cours particuliers
pour assurer ses besoins. Conjointement,
l’autorité de tutelle devra sévir lourdement pour
sanctionner tout enseignant pris en infraction.
La tenue réglementaire n’est pas un
accoutrement fantaisiste mais un uniforme qui
consacre l’égalité au sein de l’établissement.
L’école n’a pas vocation uniquement à
apprendre à lire, écrire et à compter mais
également à enseigner la discipline et le respect.
Par ce symbole l’être prend le dessus sur le
paraître.

L’école et la famille sont les premiers champs


où nous inculquons à nos enfants les valeurs
fondamentales sur lesquelles nous souhaitons

38
bâtir notre société. Nous les outillons des
moyens qui les aideront à parachever la
glorieuse Tunisie de nos rêves. Rien ne sera
possible si la discipline, l’ordre, le goût de
l’effort, le droit au mérite et le nationalisme ne
sont pas enracinés dans les générations à venir.

Notre pays affronte de grands défis qui affectent


sa souveraineté et sa pérennité, il ne pourra les
relever sans exigence et sans une école chargée
d’une mission clairement définie. L’enseignant
dans la solitude de sa classe doit savoir qu’il a
toute une nation derrière lui qui le soutien et
attend tant de lui.

L’école est un investissement de tout un peuple


dans son avenir qui exige de nous toute
l’attention. Son infrastructure et ses moyens
doivent être entièrement à la charge de la
communauté nationale dont le devoir et
d’assurer une égalité de traitement entre tous les
établissements où qu’ils se trouvent sur le
territoire de la république. Ces obligations ne
peuvent être, d’aucune manière que ce soit et
sous aucun prétexte, déléguées au mécénat et au

39
bon vouloir des donateurs. Autrement, elle ne
serait plus l’école de la république.

40
Moraliser la vie politique.
« La politique est le premier des arts et le
dernier des métiers ».

Voltaire.

Nous avons hérité du modèle français


dans l’exercice de la politique, comme
d’ailleurs bien d’autres pratiques.

L’implication en politique, loin d’être une


décision personnelle de se mettre au service de
la communauté pour un objectif et une durée
déterminée, est devenue un plan de carrière et
une voie d’émancipation sociale. Le paysage
politique est peuplé de personnages venus servir
et se sont trouvés à se servir et même à sévir.

Les divers mandats offrent le pouvoir et


pour beaucoup un moyen de promotion sociale
et un gain de notoriété que peu d’autres
activités permettent. Pour y accéder et durer,
certains font preuve de concessions, de

41
compromis voire de compromissions. Les
diverses pratiques qui ont entaché l’exercice
politique font qu’il dispose dans notre pays de
peu de crédit. Les politiciens sont vus comme
des carriéristes, des opportunistes sur lesquels
plane une forte suspicion. L’opinion publique
est encline à généraliser et s’autorise, rarement
et de manière parcellaire, des exceptions.

L’avènement de la révolution qui a


chambardé le paysage politique n’a pas été
capable de restaurer l’image du politique. Pire,
les frictions, les luttes de position et de
positionnement, les pratiques de sérail et des
instances fermées, se sont étalées au grand jour
aggravant le discrédit de l’aréopage politique.
Des suspicions de prise d’intérêts,
d’enrichissement illicite, voire de
détournements de fonds publics courent sur
toutes les lèvres. Foued M’bazaâ, président
intérimaire avant l’élection de la constituante,
avait majoré ses émoluments par un décret non
publiable, les faisant passer de 21000 à 30000
dinars.

42
Or, aujourd’hui, plus que jamais le pays a
besoin de rétablir la confiance entre le peuple et
ses élus. Il est illusoire, dans un tel climat de
défiance, d’espérer une adhésion populaire aux
politiques engagées dont certaines requièrent un
effort d’austérité et de privation.

Pour restaurer la confiance, il faudrait


réformer la pratique politique. Un exercice qui
rime avec l’argent, où l’importance du
financement mobilisé est la condition sine qua
non de la réussite, ce qui suscite des
interrogations et des inquiétudes sérieuses quant
à la pertinence de la représentativité. La
question du financement de la vie politique n’a
jamais été sérieusement débattue après la
révolution. Sous prétexte de soulager le trésor
public, il a été convenu de laisser aux partis le
soin de lever les fonds nécessaires à leur
fonctionnement. D’autant plus que le nombre
pléthorique des partis autorisés aurait nécessité
l’allocation de sommes colossales. En quelque
sorte, de libéraliser la vie politique. L’écueil
étant de défavoriser les partis naissants qui
n’exercent aucune attractivité sur les donateurs
et dont le nombre réduit de militants génère des

43
cotisations modiques. Cet état de fait place
l’argent au centre d’intérêt des partis et
influence leurs décisions et leurs choix.
L’exercice de la démocratie au sein des
instances des partis devient tributaire de la
participation financière tant au niveau des
délibérations que du choix des candidats. Les
têtes de liste et les places éligibles reviennent
souvent à ceux qui alimentent substantiellement
les caisses du parti et assurent le financement de
leurs campagnes. Ainsi, dès le départ, l’exercice
démocratique est biaisé. Ces pratiques seront
ensuite relayées sur le terrain jusqu’à
l’expression du scrutin où l’argent impactera le
vote de moult façons.

Il est urgent de revoir le mode de


financement des partis. La vie politique est un
bien public sur lequel la communauté nationale
doit veiller, son financement est une obligation
à laquelle elle ne doit pas se dérober au risque
de dépouiller les citoyens les moins nantis de la
capacité de briguer des mandats. Or, ce
financement doit obéir à des règles qui tiennent
de la nature même de l’activité licite des partis.
Ceci commence par mettre gracieusement à la

44
disposition des partis les salles publiques pour
la tenue de leurs meetings, de consacrer
totalement ou partiellement une chaîne
télévisuelle publique à leur communication. Les
frais d’impression des différents supports
doivent être avancés par l’État avec l’obligation
de les restituer au cas où le candidat ne serait
pas élu. Les donations doivent être plafonnées à
cinq fois le Smic et déduites de l’assiette
imposable.

D’autre part, il faut rompre avec l’image


du politique chasseur de sièges pour lui
substituer celle d’un citoyen qui s’est engagé au
service de l’intérêt public. La crédibilité du
personnel politique impose au préalable
l’abandon de tout ce qui pourrait être perçu
comme une prise d’intérêt personnel, à
commencer par la rémunération accordée aux
élus. Leurs émoluments sont souvent supérieurs
aux salaires qu’ils percevaient dans leurs vies
professionnelles. Par conséquent, il serait plus
juste et cohérent qu’ils soient rétribués à la
hauteur de leurs salaires antérieurs pour évacuer
la suspicion légitime de promotion financière.

45
Par ailleurs, les professions libérales
devraient accepter une rémunération alignée sur
les postes équivalents dans la fonction publique
avec l’engagement ferme de renoncer à toute
activité privée pendant le mandat. La
rémunération ne doit pas être un salaire mensuel
fixe, mais devra être calculée sur la base de
l’assiduité effective attestée par des jetons de
présence.

Cette pratique dissuadera ceux qui sont


motivés par l’attrait du gain financier lié au
mandat et obligera les dilettantes à l’assiduité
pour qu’à l’avenir les lois ne soient pas votées
dans une assemblée aux rangs clairsemés.

Bien sûr certains dégaineront l’argument


ressassé qui voudrait que des élus et des
responsables sous-payés soient une proie facile
de la corruption.

Mais alors que faisons-nous des lois qui


encadrent la gestion publique et des divers
organismes de contrôle?
Je ne peux parler des mandats sans
évoquer, d’une part, le cumul des mandats qui

46
vise à concentrer tant de pouvoirs aux mains
d’une seule personne et qui doit être
expressément banni. D’autre part, l’absence de
plafonnement de l’âge d’éligibilité à la
présidence de la république. La constitution doit
être revue pour fixer à 70 ans maximum pour se
porter candidat à la présidence. Il est illogique
de fixer un pallier minimum sans en fixer un
autre maximum. Si nous considérons
arbitrairement que la maturité pour cette
fonction ne peut être qu’après l’âge de 35 ans,
nous sommes en droit de considérer qu’après 75
ans toute personne aura de loin dépassé l’âge de
la retraite et n’aura plus la condition physique
qu’exige l’exercice de la magistrature suprême.

Redonnons à la politique ses lettres de


noblesse, restaurons l’honneur de ceux de nos
concitoyens mus par un idéal républicain et
sociétal qui s’engagent dans l’action au
détriment de leurs propres carrières, de leur
quiétude et de celle de ceux qui les entourent.

Replaçons la responsabilité politique et la


délégation de mandat au centre de la cité au-
dessus de toute suspicion et de toute arrière-

47
pensée. Le politique se doit d’être exemplaire.
Or, si nous sommes incapables de sonder ses
véritables motivations, nous pouvons par
certaines restrictions matérielles dissuader ceux
qui s’invitent à la scène politique par rapacité et
par motivation matérielle.

Ceci étant, l’exercice politique doit être


encadré par une citoyenneté active et
participative qui s’exprime par l’initiative
populaire. Avec le pouvoir d’initiative
populaire qui donne au peuple les moyens de
proposer des lois, de s’opposer à d’autres et de
révoquer des élus. Le peuple retrouvera sa
pleine souveraineté et sera réconcilié avec ses
représentants. Cela sera développé lorsque
j’aborderai les réformes constitutionnelles à
entreprendre.

La démocratie parlementaire, sans ces


gardes fous qui installent en permanence la
souveraineté populaire au cœur du système,
devient une proie facile au lobbying de tous
bords. Les lois deviennent l’expression des
vœux des tout-puissants et les élus les
exécutants de leur volonté. C’est la forme

48
suprême de la corruption, son expression la plus
dangereuse qui s’accomplit par la force de la
loi. Elle se traduit par des niches fiscales, des
exonérations et des exemptions. On fustige
souvent la fraude fiscale en oubliant souvent
que l’essentiel des fraudeurs sont ceux qui
bénéficient des privilèges fiscaux taillés sur
mesure.

La moralisation de la vie politique passe


inéluctablement par la soumission constante des
élus au contrôle populaire. Celui qui accepte un
mandat populaire doit s’y résigner.

49
Une constitution spoliatrice
de la souveraineté populaire.

« Je ne crains pas le suffrage universel, les gens


voteront comme on leur dira ».

Alexis de Tocqueville.

La constitution comme toute œuvre


humaine accomplie souffre d’imperfections.
Quel que soit le modèle de gouvernance adopté,
il se trouvera à un moment ou un autre en deçà
des attentes, ou remplissant insuffisamment le
rôle qui lui est dévolu. Le parfait n’est pas de ce
monde. Nous sommes souvent tentés de
remettre en cause aujourd’hui ce qui a emporté
l’unanimité hier et de regretter demain devant
les premières difficultés, les modifications que
nous avions entreprises.

La sagesse est de respecter les institutions


constitutionnelles, de veiller à ne pas trahir la
répartition des attributions en conformité avec

51
l’esprit de la constitution. La revue des régimes
démocratiques qui ont traversé les siècles avec
pérennité et sérénité est de ce point de vue
largement édifiante.

A peine mise en application, la nouvelle


constitution a subi les assauts de ceux qui pour
des ambitions personnelles ou des manœuvres
conjoncturelles, nous prêchent de revenir sur
certains choix. Au cours des quatre premières
années de son mandat, le président Caïd Essebsi
n’a cessé de louvoyer pour élargir son champ de
compétences au détriment du chef du
gouvernement. Ces manigances sont à l’origine
d’une part importante des difficultés politiques
que connait le pays. Les appels incessants, pour
une modification du système politique et un
retour au modèle présidentiel, ont trouvé un
certain écho dans une opinion publique peu
initiée à ces questions constitutionnelles. La
raison voudrait qu’il n’y ait pas un bon ou un
mauvais modèle de gouvernance, mais plutôt un
modèle dont la philosophie et l’esprit sont
respectés ou pervertis.

52
La constitution procède au partage du
pouvoir et des champs de compétences. En
passant d’un modèle à l’autre, nous élargissons
ou rétrécissons le pouvoir et les attributions
d’une institution au détriment ou au profit d’une
autre.

Indépendamment de la configuration de
sa répartition et de son allocation, le pouvoir
reste dans sa globalité une entité d’égale valeur.
Le débat autour de la révision
constitutionnelle en vue d’élargir les
attributions du président de la république ou de
rétablir une constitution présidentielle ne me
semble pas justifié. En effet, l’actuelle
constitution a délégué au chef du gouvernement
l’essentiel des compétences dont bénéficiait le
président de la république dans l’ancienne
constitution. De ce fait, il importe peu au bon
fonctionnement de l’État que les attributions
reviennent au président ou au chef du
gouvernement, du moment que celles-ci sont
assurées par une institution de l’État. Le débat
dont les finalités sont courtisanes et
conjoncturelles s’avère inutile et préjudiciable à
la stabilité des institutions. A y voir de plus près

53
les compétences relevant des diverses fonctions
ne sont pas scellées. Il appartient à leurs
dépositaires, à force d’ingéniosité et
d’imagination, d’en élargir les horizons.

Le président de la république qu’on dit


aux attributions limitées, peut s’inviter dans
tous les domaines gouvernementaux en usant de
la force que lui confère la constitution
d’introduire des projets de loi. Il est en mesure
de peser sur les choix économiques et sociaux.
Il peut forcer la décision parlementaire grâce à
l’adhésion populaire qui l’a élevé à la
magistrature suprême.

Dans l’actuelle constitution, le président


est destiné à être réellement au-dessus des
partis, surtout si le gouvernement en place
émane d’un parti qui n’est pas le sien. Sa non
implication dans la gestion quotidienne en fait
le premier contre poids au pouvoir
gouvernemental et un relais attentif de l’opinion
publique. Dégagé des obligations de
gouvernement, il a en outre les attributs
nécessaires pour officier en tant qu’arbitre,
disposant d’une autorité morale conférée par le

54
suffrage universel qui l’a porté au pouvoir.

Il sera une force de conseil, de proposition


et de régulation grâce à l’initiative législative
mais encore un pouvoir d’opposition en
renvoyant les textes de loi qui lui sont soumis
pour une deuxième lecture. A ce titre, à lui seul,
il fait office d’une deuxième chambre. Il
bénéficie d’une liberté d’exercice de nature à
encadrer l’exécutif en place et à l’inciter à tenir
compte des attentes de l’opinion publique.

Certes, s’il n’est plus le président


exécutif, omniprésent, auquel nous avait habitué
la constitution de 1959, il est un président
modérateur à l’écoute du pouls populaire et
relayant ses préoccupations, outre qu’il soit le
gardien du temple institutionnel et le garant de
l’exercice démocratique.

La bipolarisation de l’exécutif, perçue


comme une défalcation du pouvoir de nature à
entraver la cohérence de la gouvernance, peut
se révéler un outil d’autorégulation et de
contrôle supplémentaire en conformité avec
l’esprit de la constitution.

55
Néanmoins, toute constitution aussi
minutieuse soit-elle et rédigée avec les
meilleures intentions, n’est pas garante de
l’énoncé de ses principes et leurs applications.
Sans la volonté du peuple d’exiger son respect,
elle restera, tout au plus, un exercice
rédactionnel. Ainsi fût travestie l’actuelle
constitution autant que la précédente. La
démobilisation du peuple et son désarmement
constitutionnel, l’ont réduit au statut
d’observateur passif et frustré face aux
violations perpétrées. Les subterfuges
manigancés par la présidence ont transformé le
régime parlementaire prévu par la constitution
en un régime présidentiel de fait. L’outrage
manifeste à la constitution s’est opéré dans
l’indifférence de l’opinion publique. Le
désintérêt des citoyens, de plus en plus évident,
pour la chose publique explique, pour une large
part, cette démission collective autant que
l’inconscience des enjeux et l’absence de
dispositions constitutionnelles impliquant le
citoyen comme acteur effectif des événements.
La conscience est le fruit d’une éducation sur la
durée dans laquelle baigne le citoyen. Un éveil,

56
une initiation, un apprentissage engrangé au gré
de l’école, de la famille et de l’espace public.

Outre la quête individuelle densifiant les


fondamentaux et développant les axes de
connaissance qui régissent le vivre ensemble
démocratique, il incombe à l’école, à la famille,
aux médias et même ou peut-être surtout aux
politiques, d’entreprendre une action
pédagogique de vulgarisation et d’éveil citoyen.

La démocratie est sans nul doute le


meilleur modèle imaginé par l’humanité pour
gérer et arbitrer nos différences mais elle ne
peut s’accomplir sans démocrates ; c'est-à-dire
sans citoyens impliqués dans son
fonctionnement. Autrement, elle est vouée à
être un exercice d’oligarques qui la détournent
au profit de leurs intérêts et des puissances
qu’ils représentent.

La barrière entre une démocratie


effective, représentative de la volonté populaire
et une démocratie d’apparat et de bienséance,
tient au degré d’engagement et de vigilance
citoyenne.

57
L’avènement d’une révolution, le
dégagement d’un pouvoir autocratique qu’on
pensait indéboulonnable, ont été, un temps,
perçus comme une prise de conscience
collective. En fait, il n’en est rien. Le
soubresaut de rejet ne signifie pas pour autant
l’aptitude à s’engager à la reconstruction. Trop
longtemps maintenu à l’écart de la vie publique,
le peuple ne réalise pas son pouvoir et son
devoir à peser sur le cours des événements. Il
faut reconnaitre à sa décharge que l’assemblée
nationale constituante qu’il a appelée de ses
vœux ne lui a guère prévu de place. L’actuelle
constitution, tout comme la précédente, ne voit
dans le citoyen qu’un électeur déléguant tous
les cinq ans un mandat électif et disparaissant
dans les ténèbres de l’oubli. Une démocratie
apoplectique qui se réveille périodiquement,
tous les cinq ans, pour engranger les votes avant
de s’affranchir de toute tutelle.

Les élections deviennent un blanc-seing


pour des élus au pouvoir incontrôlable, usant et
abusant de la légitimité électorale pour agir à
leur convenance.

58
Ce n’est pas de cette démocratie dont je
rêve mais plutôt d’une implication citoyenne, la
plus large possible, et j’irai même jusqu’à dire
de tout instant. Je veux une vigilance citoyenne
dépositaire du vrai pouvoir où les élus ne
seraient qu’un corps représentatif.

Je ne remets pas en cause la constitution


dans ses grandes articulations mais je prône
l’introduction du pouvoir citoyen celui d’un
contrôle et d’une participation continue.
L’entre-soi ordonnancé par l’actuelle
constitution qui écarte le peuple, le vrai
détenteur du pouvoir, ne me convient pas. Il ne
fait que spolier le peuple du droit de décision et
de regard au profit d’un simulacre de
démocratie.

L’indifférence populaire trouve peut-être


dans ces pratiques une part de son explication.
Comment s’intéresser à une gestion sur laquelle
nous n’avons aucune emprise et aucun pouvoir
décisionnel ou correctif? Le mode de
fonctionnement démocratique en cours est figé.
Il se croit légitime car il a recueilli l’expression
d’un scrutin à un moment donné. Le peuple est-

59
il condamné à subir le résultat de ses choix
exprimés au cours des consultations sans
possibilité de révision ou d’ajustement ? De
quel droit s’autorise-t-on à lui couper tout
recours entre deux élections ? Au nom de quelle
logique est-il condamné aux deux seules
alternatives : reconduire ou chasser le pouvoir
en place ?

Je veux que la constitution soit amendée


pour donner une place de choix au vrai
détenteur du pouvoir qu’elle a oublié : le
peuple.

La démocratie a été prudemment


rebaptisée par le discours officiel « transition
démocratique » comme pour refréner la fougue
populaire, qui faisait de la liberté un des trois
piliers de son leitmotiv révolutionnaire. La
démocratie adoptée a pris l’expression d’un
pouvoir parlementaire. Or, le régime
parlementaire supposé être l’expression de la
souveraineté populaire, se révéla
dramatiquement impuissant. Embourbé dans
des querelles de positionnement politique, son
action s’illustra par le désordre, l’instabilité et

60
l’errance. Une situation qui alimente la
frustration et la déception de ceux qui avaient
reporté leurs espoirs sur la révolution. Le
peuple supposé être souverain se retrouve sans
souveraineté. Celle-ci échoue une nouvelle fois
entre les mains de la féodalité financière, la
même qui constituait le socle sur lequel reposait
le régime de Ben Ali et que le pouvoir
postrévolutionnaire à défaut de la détrôner s’en
est accommodé, s’en est servi avant de pactiser
avec elle.

Devant le constat d’échec, la défiance


populaire a produit une instabilité sociale qui
risque à tout moment de dégénérer en un chaos.
Le lit de la dépression générale, de la passivité
protestataire et du désengagement civique, est
fait. Son expression la plus commune est le rejet
total, sans discernement, de toute la classe
politique qu’elle soit au pouvoir ou dans
l’opposition. Tous les politiques sont des
opportunistes chasseurs de mandats.

Le peuple est-il blâmable pour ce verdict


généralisé et irrévocable ?

61
Même si comme dirait Talleyrand « tout
ce qui est excessif est insignifiant » et que la
généralisation nuit à la justesse du jugement,
n’empêche que cette conclusion expéditive a
certaines excuses.

En effet, nous avons affaire à un exercice


nouveau : le multipartisme, auquel le citoyen
n’est pas habitué, Le peuple est aussi en période
d’apprentissage. Il n’est pas suffisamment
outillé pour décrypter le discours politique si
discours il y a. Son accès à l’information est
délibérément orienté par des médias dont
l’impartialité et l’objectivité ne sont pas les
premières vertus.

Toutefois, au-delà du caractère expéditif


du verdict, certains éléments plaident en sa
faveur. Comment pourrait-il en être autrement,
face à des députés qui se sont affranchis du
contrôle de leurs électeurs et se sont attelés à
préserver et fructifier leurs propres intérêts ? Le
tourisme politique en a été l’une des
expressions les plus manifestes. Des députés
volant d’un groupe parlementaire et d’un parti à
l’autre.

62
Engagés dans des querelles accessoires
sans rapport avec l’intérêt public, friands
d’apparitions médiatiques, où le spectacle qu’ils
offrent défie toutes règles de civilité et de
bienséance au plaisir de journaleux en quête du
buzz.

Tout cela émaillé de bruits sur des


interventions pour des prises d’intérêts pour
eux-mêmes ou pour leurs proches. Les députés
offrent finalement l’image d’une caste venue se
servir au lieu de servir. Par extension, le pas est
allégrement franchi, le constat est étendu à
l’ensemble de la classe politique. Après tout,
pourquoi faire de quartier quand on peut leur
jeter à tous l’opprobre.

Doit-on pour autant reprocher à un peuple


qui n’a jamais connu, expérimenté ou entériné
les soubresauts et les concepts fondamentaux
qui ont façonné le vivre ensemble
démocratique, ce manque de discernement et
l’incapacité à démêler les vrais enjeux des
forfaitures ?

63
Dans notre pays, la république, la
citoyenneté, les droits de l’Homme, l’égalité
des chances et de traitement et la modernité ont
été des acquis décrétés alors qu’ailleurs, ils ont
été arrachés de haute lutte.

Ces concepts n’ont jamais été revendiqués


mais ils ont été ordonnés. Comment s’étonner
qu’ils soient restés au stade de vœux pieux
couchés sur un texte sans être réellement suivis
d’effets ? Ne répondant pas à une exigence
populaire, le peuple n’en intégrait pas les
mécanismes et les retombées jusqu’à en avoir
des interprétations fallacieuses. Ainsi, s’est-on
mis à attendre des partis politiques qu’ils
réalisent et exécutent des projets sans rapport
avec leur mission et leur rôle. Certains partis
profitant d’une manne financière pour le moins
douteuse, ont contribué à alimenter et à
satisfaire une partie de ces revendications
rétablissant les pratiques clientélistes de
l’ancien pouvoir. Un des partis affichait en tête
de ses objectifs de répondre aux besoins des
citoyens, dans les régions, en termes
d’infrastructure routière, scolaire ou sanitaire.
Somme toute, de se substituer à l’État !

64
Avec quelles ressources financières ?

On ne construit pas une démocratie en


parachutant des concepts et en inaugurant des
institutions. Il convient de mener une opération
d’initiation de grande ampleur pour instruire la
population. Un grand effort pédagogique est
indispensable pour inculquer une éducation
civique universelle, qui permettra à tout un
chacun de prendre connaissance et conscience
du cheminement de la pensée universelle qui a
été à l’origine du corpus philosophique de la
démocratie.

La démocratie elle-même est matière à


être repensée car si sa finalité ne souffre pas de
conteste, ses modalités ainsi que les
mécanismes de son exécution doivent être
adaptés à notre réalité historico-socio-
géographique.

65
Le protectionnisme
est notre salut.
« Lorsque souffle le vent du changement,
certains construisent des murs…d’autres des
moulins ».
Proverbe chinois.

Aujourd’hui, le monde où nous vivons est


traversé par deux idées diamétralement
opposées. D’une part, la mondialisation et la
globalisation confortablement installées en
doctrine unique régissant le monde sous la
férule des États-Unis et ses instances
tentaculaires. D’autre part, une approche qui
gagne en audience et en adeptes prêchant plutôt
un développement introverti réinstallant le
protectionnisme au cœur du débat. Une
conséquence logique des effets délétères du
libre échangisme effréné. Ironie du sort, les
chantres de la mondialisation, ceux qui ont
conduit, voire imposé, les règles et les traités
conclus lors des différents rounds des
négociations de l’OMC, sont les premiers,

67
aujourd’hui, à les récuser et à changer de cap.
Ce choix aurait été justifié s’il avait été celui
des pays du tiers monde qui ont fait les frais du
libre-échange et de ses conséquences néfastes.
Or, c’est plutôt les États-Unis et la Grande-
Bretagne suivis par la Hongrie de Viktor Orban
et la Pologne de Kaczynski qui dénoncent les
politiques d’ouverture et adoptent le
protectionnisme.

Aux États-Unis, Donald Trump avait fait


du protectionnisme le thème majeur de sa
campagne électorale. Aujourd’hui, il met en
application ses promesses électorales. Il passe
du multilatéralisme au bilatéralisme. La
Grande-Bretagne, en votant le Brexit, a choisi
de quitter l’Europe et de restaurer ses barrières
commerciales. Ces politiques économiques ne
vont pas sans la résurgence d’un sentiment
nationaliste fort, se propageant visiblement à
partir d’un épicentre situé en Europe centrale.
Même si la mise en application du
protectionnisme reste encore restreinte à
quelques pays, l’idée chemine un peu partout en
occident, au sein des élites politiques. Ainsi,
lors de la dernière présidentielle française, pas

68
moins de quatre candidats prônaient une
politique protectionniste dont Marine Le Pen,
Jean Luc Mélenchon, Arnaud Montebourg et
François Asselineau. La volonté de se protéger
découle de la dégradation de la situation socio-
économique engendrée par une perte de
compétitivité vis-à-vis de la production
étrangère.

Loin du discours culpabilisant du repli sur


soi, de l’immobilisme ou de la frilosité, l’option
d’un repli économique s’impose comme une
politique efficace pour enrayer les effets pervers
de la mondialisation. Les chocs frontaux subis
par l’outil de production, du fait d’un déficit de
compétitivité, se sont répercutés sur les
populations amenant dans leur sillage davantage
de paupérisation et d’inégalités sociales. Le
débat, l’appréhension, voire l’opposition au
libre-échangisme ont été dictés par la réalité.

Entre ceux qui y ont tout à gagner et ceux


qui y ont tout à perdre, il y a conflit d’intérêts et
de choix. En tout état de cause, il y a matière à
débattre.

69
J’en reviens à notre situation interne.
Avons-nous débattu de ces choix cruciaux pour
déterminer nos politiques ?

Aucunement, bien au contraire,


pratiquement toute la classe politique, à
quelques exceptions près, entérine et soutient le
libre échangisme. Une avalisation qui n’est
nullement le fruit d’un choix mûrement
consenti et réfléchi mais plutôt une soumission
fataliste aux accords et aux traités contractés.
Nous en sommes réduits à imaginer des
accommodements au sein d’une souricière ou à
prêcher une fuite en avant dans une voie sans
issue.

Au moment même, où de grandes


puissances économiques révisent leurs choix
stratégiques, le discours politique de nos élites
est pollué d’appel à prendre d’assaut les
marchés étrangers. Alors que nos entreprises
peinent et jettent l’éponge l’une après l’autre,
faute de pouvoir s’imposer dans leur espace
vital qu’est le marché intérieur, nous réduisons
les taxes à l’importation et nous légalisons les
franchises étrangères. Un aveuglement que rien

70
n’explique sauf l’incompréhension du monde
dans lequel nous vivons et la collusion
d’intérêts entre les milieux politique et
affairiste. Le soutien du second au premier est
tributaire de sa docilité et de son empressement
à veiller sur ses intérêts.

Pendant ce temps, le bateau coule. Le prix


en est un endettement insoutenable, une
détérioration de valeur de la monnaie et par
conséquent du pouvoir d’achat. L’économie en
récession entreteint un chômage endémique et
clive la société en une faible minorité prospère
et une majorité appauvrie. Il en découle un
désengagement social de l’État contraint à une
austérité dont font les frais le service public et
les plus défavorisés. Comment s’étonner par la
suite de la médiocrité du niveau scolaire, des
difficultés d’accès à la santé, à la justice ou de
l’insécurité grandissante et de l’instabilité
sociale ?

Rien ne saurait entraver la réflexion et le


questionnement sur les politiques économiques
à suivre. Il importe d’y réfléchir abstraction
faite de toute conjoncture avec un seul et unique

71
souci celui de répondre au mieux à l’intérêt
supérieur de la nation. Il va de soi que ces choix
ne sont pas destinés à être gravés dans le
marbre. A toute période ses contraintes et ses
solutions. Il n’y a pas de bonnes et de
mauvaises politiques économiques, il y a des
choix appropriés ou inappropriés.

Notre finalité ultime est de construire une


économie rayonnante, entreprenante et
innovante. Cet objectif nécessite une
planification à travers un processus long et
laborieux. Il ne va pas sans des réformes
multisectorielles dont la priorité sera accordée à
l’enseignement et à l’éducation, à la
réhabilitation du goût de l’effort et du mérite, à
l’assainissement du climat social et des rapports
au sein de l’entreprise en particulier la relation
employé-employeur.
Il est clair qu’il s’agit d’un immense
chantier qui nécessitera clairvoyance,
persévérance et dextérité.

Néanmoins, il y a un préalable à cette


entreprise qui exige d’abord d’arrêter
l’hémorragie, de stopper le déclin et d’inverser

72
la tendance. Ceci passe par l’instauration d’un
protectionnisme sectoriel que j’appelle de mes
vœux depuis 2012. Libre à certains de le
considérer comme un repli. Dans ce cas
appelons-le repli stratégique. Une étape
nécessaire pour redonner à nos entreprises une
protection à même d’assurer leur pérennité. Elle
mettra en concurrence nos entreprises les unes
avec les autres. A l’issue de cette confrontation,
seules celles qui se seraient montrées
compétitives en maîtrise de coût de production
ou en qualité survivront. Le temps également
pour que nous réapprenons à vivre selon nos
moyens. Le temps est venu de restaurer
l’échelle de valeurs et chasser le bling-bling et
l’ostentatoire, nocif. Le temps est venu de se
focaliser sur l’essentiel et de chasser le superflu.

Se protéger c’est reconnaitre notre


incapacité actuelle à faire face à la compétition.
Réaliser ses limites n’a rien de déshonorant
mais s’entêter dans l’erreur est criminel.

Les ardents défenseurs du libre-


échangisme et ceux qui l’entérinent comme une
fatalité ne savent-ils pas que les pays sous-

73
développés ont été contraints de signer des
accords pipés, voire d’endosser des camisoles
de force pour accepter l’inacceptable ? Un
procédé décrit avec menus détails par Joseph. E.
Stiglitz qui révèle les conditions honteuses
durant lesquelles s’exerce l’escroquerie. Sinon,
comment qualifier la stratégie des États-Unis et
de l’union européenne qui, d’un commun
accord, choisissent un petit groupe de pays en
développement et soumettent leurs ministres du
commerce à une forte pression digne d’une
séance de torture dans la fameuse « salle verte »
de l’OMC ? Ils ne pourront quitter les lieux
qu’après avoir accordé les concessions
souhaitées qui seront ensuite extrapolées aux
autres pays.

L’accord multifibres peut nous servir


d’exemple. Les pays sous-développés ont
négocié bilatéralement les quotas des volumes
qu’ils exportent vers les pays développés alors
que ceux-ci ne sont soumis à aucune restriction.

Joseph. E. Stiglitz : La grande désillusion. Ed Fayard. 2002.


Page 84.1 Ha- Joon Chang : Economics : The User’s Guide. Pelican
Books,-2014 P447
Les pays développés, les États-Unis en
tête, redoublent d’ingéniosité pour tirer le
maximum de bénéfice du commerce mondial
avec des procédés qui laissent peu de place à
une véritable compétitivité même dans les
domaines où les pays sous-développés auraient
un avantage comparatif. Ils recourent à divers
subterfuges pour promouvoir leurs propres
exportations dont l’application de la règle
d’origine. Dès lors, les pays confectionnant des
produits textiles à partir d’un coton d’origine
américaine ont droit à des préférences dont ne
jouissent pas ceux qui recourent à un coton
moins cher et de meilleure qualité tel que
l’égyptien. N’est-ce pas là un protectionnisme
déguisé ?

La multiplication des obstacles non


tarifaires établit de fait une barrière
protectionniste infranchissable pour les pays
sous-développés et les prive de l’accès aux
marchés des pays développés, rendant le libre
échange caduc.

75
Ce constat aurait dû amener les pays sous-
développés à revoir leurs stratégies et leurs
engagements dans les accords de l’OMC.
Encore fallait-il qu’ils aient eu les moyens de le
faire et ce d’autant plus qu’ils y font face en
ordre dispersé.

A l’évidence, cette injustice ne devrait pas


nous inciter à engager une épreuve de force.
Trop de paramètres sont en jeu et trop de cartes
échappent à notre maitrise. L’issue ne
pourrait être qu’en notre défaveur. Il ne reste de
choix que d’agir en douceur et avec ingéniosité.
D’abord en allégeant et en réprimant la frénésie
exportatrice des opérateurs locaux sur lesquels
les moyens de pression sont multiples et
dissuasifs. Ensuite en s’activant
diplomatiquement pour nous soustraire à la
pression extérieure afin de réorienter les
importations sur des activités, des secteurs et
des biens dont nous ne maîtrisons pas le
potentiel ou la rentabilité de
fabrication/production. Il convient de rassurer
les pays développés avec lesquels nous avons
des relations « stratégiques » que nous opérons
un simple changement des postes de dépenses

76
sans affecter l’enveloppe globale des échanges.
De ce fait, leurs intérêts ne seront pas affectés et
nous préserverons et protégerons nos
entreprises.

Une des cartes maitresses en notre


possession pour faire face au rush des
importations et donner de la compétitivité à nos
entreprises est l’application de la TVA sociale.
Une augmentation de la TVA associée à une
baisse des charges sociales, par la réduction des
cotisations patronales et salariales. Il en
découlera une réduction des coûts de production
et une augmentation du salaire net perçu par le
salarié. En conséquence, l’effet de la hausse de
la TVA sur les produits locaux sera annulé par
cette mesure, leur donnant davantage de
compétitivité. Par ailleurs, le salarié percevant
un salaire net supérieur à ce qu’il était avant
l’augmentation de la TVA, aura un meilleur
pouvoir d’achat.

Quant au manque à gagner relatif aux


recettes des caisses sociales engendré par la
réduction des cotisations sociales, il sera

77
comblé par l’allocation d’une part de la TVA
perçue.

Les accords du GATT se sont attelés,


round après round, à lever le protectionnisme
qui protégeait certains secteurs visés par les
exportations qui intéressaient les pays
développés, sans que les pays sous-développés
ne bénéficient de la réciprocité.

Dans cet esprit inéquitable et


discriminatoire, l’agriculture a été écartée des
négociations.

Si les pays développés, qui nous récusent


le droit de nous protéger, ont tous adopté à un
moment de leur histoire le protectionnisme.
Aucun des pays riches, d’aujourd’hui, ne s’est
développé en s’ouvrant simplement au
commerce extérieur.

L’adoption d’une politique protectionniste


est une conséquence logique devant la
détérioration de notre balance d’échanges. Il est
illusoire de tabler sur une augmentation des
exportations pour faire face à ce déséquilibre.

78
Nos exportations sont limitées par notre faible
compétitivité et par leur faible diversité. Nous
devons travailler méthodiquement pour gagner
sur les fronts de la compétitivité, de la diversité
et de la valeur ajoutée. C’est un impératif vital
mais hélas hors de portée dans l’immédiat.
L’urgence est de juguler le déficit et de relancer
l’économie. La seule option qui reste est le
protectionnisme afin de reporter la demande
intérieure sur une offre intérieure.
L’augmentation de la demande reportée sur les
entreprises locales boostera l’emploi et
l’investissement, dopera la croissance et
corrigera le déficit des caisses sociales en
amenant de nouveaux cotisants.

Une véritable dynamique économique


verra le jour avec l’accès de milliers de
chômeurs à l’emploi et qui deviennent à leur
tour des consommateurs et dopent la demande.
L’État enregistrera davantage de recettes et
aura, par conséquent, les moyens d’assurer une
politique sociale efficiente et d’engager les
réformes urgentes. Notamment, celle de
l’enseignement, afin de préparer l’étape
suivante celle de l’ouverture sur la concurrence

79
étrangère tant sur le marché local qu’à
l’internationale.

Depuis sept ans, je n’ai cessé de prôner le


protectionnisme au milieu de l’indifférence
générale. Je constate, aujourd’hui, que, de plus
en plus, de voix m’emboitent le pas. Bientôt,
cela deviendra une évidence. J’espère que d’ici-
là nous aurons réussi à le mettre en application.
Je reste persuadé que c’est la seule voie de salut
pour notre économie et notre pays.

Dans la conjoncture actuelle, le


protectionnisme est plus avantageux que tous
les autres mécanismes dont la subvention. S’il
limite la concurrence extérieure, il lui substitue
une concurrence intérieure. Les entreprises
locales seront mises en compétition les unes par
rapport aux autres, dans chaque secteur
d’activité. Il ne manquera pas d’amener nos
entreprises à hisser la qualité de leurs
productions et à maitriser les coûts et accomplir
leur mise à niveau afin qu’elles soient prêtes à
affronter la compétition à l’internationale. Il
s’agit bien évidement de protéger des secteurs
d’activité et non des entreprises. La finalité
étant de procéder à une sélection naturelle où ne
survivraient que les entreprises saines, capables
d’assurer leur pérennité. Le choix des secteurs
visés par le protectionnisme répond à quatre
critères : être une activité où nous avons un
savoir-faire, offrant une grande employabilité,
nécessitant une faible technologie et un
investissement raisonnable.

Presque comme un corollaire à cette


politique économique, je préconise une mise à
plat du système fiscal. Trop compliqué, truffé
de niches dont l’utilité et l’efficience n’ont
jamais été établies, notre fiscalité doit se réduire
à une imposition progressive par paliers d’une
échelle de douze tranches en privilégiant le
revenu du travail à celui de la rente.

81
Pour une
diplomatie…économique.
« Le passé est toujours présent ».

Maurice Maeterlinck.

Qu’est-ce que la Tunisie ? Ce bout de


terre gagné sur la méditerranée. Un territoire
dont la taille et les contours se sont modifiés au
gré de l’Histoire. Alternant au fil du temps,
souveraineté et vassalité. Quoique proclamé
État souverain depuis 1956, l’indépendance
effective du pays est mise en doute par certains
et pour diverses raisons. Il y a d’abord, les
sceptiques qui fondent leur doute sur des
éléments juridiques ou factuels, dont les
concessions d’exploitation de ressources
naturelles, gracieusement accordées aux
occidentaux et en particulier à l’ancienne
puissance coloniale. D’autres, pour des raisons
doctrinales, ne perçoivent la Tunisie que
comme un composant d’une entité plus vaste.
Les nationalistes arabes et les islamistes la

83
voient comme une partie intégrante du monde
arabe ou du monde islamique.

Si la majorité des tunisiens a intégré et


adhéré au concept de l’État-nation avec une
inébranlable certitude, elle se trouve confrontée
régulièrement aux thèses panarabique ou
panislamique qui se fondent sur des arguments
historiques.

Depuis Carthage, la Tunisie n’a cessé


d’évoluer dans des configurations
géographiques et souveraines variables. Elle a
traversé l’Histoire tantôt comme une province
tantôt comme un État souverain, au point de
prétendre, sous les Hafsides, au statut de califat.

L’avènement de la république marque un


tournant historique dans l’affirmation de la
souveraineté nationale. De par la volonté de
Bourguiba, père fondateur de la république,
mais également du fait d’une conjoncture
internationale de décolonisation, est né l’État-
nation tunisien. Sans revenir sur le débat
légitime et fastidieux sur l’indépendance et sa
relativité, il convient de remarquer que celle-ci

84
est un combat au quotidien dans un monde, où
la loi est celle du plus fort. Les réserves
exprimées, quant à l’effectivité de
l’indépendance de la Tunisie, pourraient se
poser pour des pays autrement plus évolués,
plus riches et mieux structurés, tels que
l’Allemagne et le Japon. J’avalise, pour ma
part, sans réserve, que la Tunisie est un État-
nation indépendant sans pour autant minimiser
les interférences qui entravent sa pleine
souveraineté.

Néanmoins, ce constat, indépendamment


des thèses nostalgiques panarabiques et
panislamiques, n’autorise pas notre pays à se
soustraire de sa réalité géopolitique et
culturelle. L’abord de cette question nécessite
un traitement dépassionné, avec pour unique
souci l’intérêt de notre pays et de son peuple.

Même si la conjoncture internationale se


prête encore peu aux actions bilatérales, la
Tunisie doit savoir tirer profit du passé et du
présent, de l’histoire et de la géographie. Nous
sommes appelés à nous atteler au
développement de nos échanges commerciaux

85
avec les pays du voisinage. Même si l’Union du
Maghreb reste un vœu pieux, il nous appartient
d’impulser les échanges bilatéraux avec
insistance et persévérance. La fructification des
échanges participe, non seulement, à générer
des dividendes économiques, mais aussi à
instaurer un climat de détente, utile à la
prospérité et à la stabilité.

Jusque-là, et depuis l’avènement de


l’indépendance, notre politique étrangère s’est
déterminée uniquement en fonction de l’histoire
et de la géographie. La constitution de la
première république annonçait clairement que la
Tunisie avait à la fois une dimension
maghrébine, arabe et africaine. Une clarté qui
s’apparente à un flou artistique et à force de se
prévaloir de toutes les entités, n’avaient pas
réussi à dégager une vision nette de notre
positionnement stratégique et œuvré à sa
consolidation.

La réalité de notre politique étrangère


était, dans les faits, toute autre et reniait même
les intentions constitutionnellement annoncées.
Le voisinage immédiat était perçu comme

86
source de danger et d’instabilité du fait, d’une
part, d’antécédents historiques qu’on avait du
mal à dépasser et d’autre part, de
positionnements différents durant la guerre
froide.

A l’échelle régionale la Tunisie avait


renforcé ses liens avec le Maroc et l’Égypte
pour parer aux craintes qu’elle appréhendait de
l’Algérie et de la Libye. D’autre part, la
Tunisie, en particulier sous la direction du
président Bourguiba, avait peu d’affinité pour le
monde arabe dont il réprouvait et dénigrait les
luttes intestines pour le leadership et dont une
certaine instabilité orientale des alliances
ponctuées de fréquentes volte-face. Il y eut,
bien sûr, quelques projets de collaboration avec
un nombre réduit de pays arabes du golfe mais
qui restent bien en deçà du potentiel réel de
coopération.

L’occident, quant à lui, se réduisait


globalement à la rive sud de la méditerranée et
d’abord à la France et à moindre degré l’Italie,
l’Espagne et l’Allemagne. L’Histoire y est pour
beaucoup.

87
Il nous appartient, à l’avenir, dans un
monde qui n’est plus celui des pères fondateurs
de revoir substantiellement nos relations
extérieures. Du monde unipolaire, nous
assistons à la reconfiguration des rapports de
force avec l’émergence et la confirmation de
nouvelles puissances. La Chine se hisse
inexorablement au rang de grande nation et la
Russie a rétabli son influence dans la scène
internationale. Certaines puissances de taille
moyenne, comme la Turquie, l’Iran ou Israël,
deviennent des acteurs à l’influence
locorégionale incontournable.

La révision de notre stratégie


diplomatique doit tenir compte de nos atouts et
de nos faiblesses. Nos atouts sont notre position
géographique et particulièrement notre large
ouverture sur la mer qui fait de notre pays un
espace accueillant.

Notre position est charnière au confluant


de l’Afrique et de l’Europe et en plateforme
avancée vers l’Asie mineure. Une Histoire riche
qui nous a légué des liens culturels avec de

88
multiples civilisations : arabe, islamique,
turque, française et romaine. Notre peuple est
jeune, éduqué, ouvert sur le monde et initié aux
technologies de la communication.

Néanmoins, notre situation géographique,


l’étendue de nos plaines côtières et notre faible
profondeur sont source de vulnérabilité. Pour y
pallier, il faudra construire des lignes de
défense basées sur le recours à un matériel
hautement technologique que nous n’avons pas
les moyens de nous offrir dans l’état actuel de
notre économie et de nos finances.

Il convient donc de gérer nos atouts et nos


faiblesses pour en dégager une approche
diplomatique pragmatique au service de l’essor
et du rayonnement de la Tunisie.

Il est clair, que dans l’état des lieux, nous


n’avons aucun poids à l’international. Il serait
hasardeux de s’aventurer dans des coalitions ou
des alliances où nous serons acculés à un rôle
de suivisme et qui de toute façon ne nous
profiteraient en rien.

89
Notre vulnérabilité militaire et de défense
nationale, laquelle nous devons pallier au plus
pressé, nous impose une neutralité de fait
clairement annoncée et assumée. Le parapluie
protecteur français, qui s’est déployé par le
passé et notamment pendant l’affaire de Gafsa,
sous Bourguiba, a un coût diplomatique et
économique que nous continuons à assumer tant
que nous sommes incapables d’assurer notre
invulnérabilité territoriale. C’est un tribut qui se
paye en influence et en « intérêts » français,
opérés, à notre détriment.

La définition claire de notre stratégie


exportatrice et de ses leviers impose à une
réflexion nationale et une concertation
regroupant les centres universitaires, le monde
des affaires et de l’entreprise. La
redynamisation de l’économie par une dose de
protectionnisme dégagera des secteurs
d’activité où nous pourrons identifier des niches
d’exportation. Le déploiement de notre
représentation diplomatique doit être calqué sur
les territoires ciblés par notre activité
économique diversifiée, là où la défense de nos
intérêts économiques l’impose.

90
A côté de cette représentation sédentaire,
il faudra prévoir des équipes mobiles, volantes,
agissant et se déplaçant en éclaireur afin de
soutenir et d’épauler les entreprises
exportatrices dans leur prospection de nouvelles
opportunités. Elle apportera la caution officielle
de l’État et ouvrira l’accès aux décideurs. Par
ailleurs, notre représentation diplomatique est
insuffisamment étendue et adaptée à nos aires
d’intérêts. La diaspora tunisienne, de plus en
plus instruite et qualifiée, doit être associée et
intégrée dans la diplomatie économique. Elle
pourra servir de point de relais en mettant à
disposition son relationnel et en assurant une
représentation diplomatique honoraire là où il
sera peu rentable d’avoir une mission
diplomatique conventionnelle.

91
Rien n’est possible sans
l’ordre.
«L’ordre, et l’ordre seul, fait en
définitive la liberté, le désordre fait la
servitude ».
Charles Péguy.
Les révolutions quand elles aboutissent
suscitent chez les peuples qui les accomplissent
une sensation de surpuissance. Déloger un
régime, qui plus est, lorsqu’il s’agit d’une
dictature considérée comme indéboulonnable,
fait naitre un sentiment d’affranchissement de
toute contrainte. Les gens se sentent libres de
toute injonction, déliés de toute obligation.

Le comportement des tunisiens n’a pas


dérogé à cette règle. Certes, nous avons été
surpris au cours des premières semaines de la
révolution par leur comportement civique en
l’absence de toute autorité publique. Des
automobilistes respectant les signalisations
routières, des queues bien ordonnées pour
s’approvisionner en denrées alimentaires, une

93
surveillance bien organisée des quartiers….
Autant de marques de civilité et de respect
mutuel.

Hélas, ceci n’a duré que le temps de


l’illusion de s’être réapproprié le pays. Dès que
les manigances politiques ont repris le dessus,
les vieux réflexes du chacun pour soi se sont
réactivés et le pays a sombré dans une anarchie
de laquelle il peine à se relever.

La liberté n’a plus de sens quand elle


n’est plus garantie par la communauté, par la
caution de tous. Elle devient désordre voire
anarchie.

L’expression de la caution solidaire de


liberté n’est autre que l’application de la loi. Il
ne s’agit plus de l’arbitraire d’un seul homme
mais de la volonté clairement consentie de se
soumettre aux règles générales telles que
formulées par les lois.

L’État, en appliquant la loi, ne fait pas


régner la terreur mais s’acquitte de sa mission
première, celle de rendre effective la volonté

94
générale. Laisser courir le désordre, c’est faire
preuve de faiblesse et d’incompétence. Pour
remettre de l’ordre dans la maison Tunisie, il est
indispensable d’appliquer la tolérance zéro.

Formulé en ces termes, on pourrait


aisément imaginer que cet énoncé ne souffrira
d’aucune contestation ou opposition.
L’application de la loi rallierait un plébiscite.
Hélas, dans les faits, il en est autrement dès
qu’il s’agit de passer à l’application. La loi est
bonne quand elle sanctionne les autres,
mauvaise quand elle nous est appliquée.

Souvent, seuls les plus vulnérables, les


sans soutiens politiques et sans connaissances
influentes subissent la loi. Les autres y
échappent grâce aux interventions en activant
les pistons. La loi, ainsi appliquée ne peut être
vécue que comme une injustice. Elle perd sa
signification et son rôle et s’inscrit en
opposition avec l’esprit républicain.

Nous devons réhabiliter la loi, restaurer


son pouvoir et son universalité. Pour mettre fin
à l’impunité, il convient d’adopter une totale

95
transparence qui s’applique à toutes les
instances qu’elles soient judicaires ou
policières. La traçabilité des plaintes déposées,
des jugements rendus et de leur ordre
d’exécution doit être la règle. Le citoyen et la
société civile doivent être, sans aucune entrave
possible, sans aucun préalable et sans aucune
forme d’autorisation, en droit de consulter le
cours suivi par toute affaire. Dans ces
conditions, Il est légitime de s’interroger sur le
secret de l’instruction. Dans les faits, le secret
de l’instruction n’est-il pas devenu un énoncé
que peu respectent réellement. L’intensification
de la médiatisation a fait voler en éclat le secret
de l’instruction. Partout dans le monde ce secret
est divulgué par les médias dans les affaires les
plus sensibles sans que ceux qui l’enfreignent
ne soient poursuivis. Les révélations faites n’ont
pas pour autant entravé la bonne marche de la
justice. Parfois même, la vigilance et la ténacité
des médias ont mis la pression sur la justice
l’acculant à la diligence.

Toutefois, lever le secret de l’instruction


c’est aussi exposer la vie des gens, leur intimité
parfois, au vu et au su de tous. Une situation

96
fort désagréable pour celui qui voit certains
détails très personnels de sa vie étalés en public.
Autant de considérations qui imposent de
conditionner l’application de la transparence
totale à l’accord préalable dûment notifié, d’au
moins un des belligérants. Cette réserve ne doit
pas avoir lieu si l’État se trouve partie prenante
d’une plainte ou d’un jugement.

La transparence conditionnée au respect


de la vie privée, torpillera les manigances et
manœuvres qui visent à entraver certaines
plaintes ou à les soustraire. Elle est de nature à
couper court à toute intervention extérieure qui
viserait à favoriser un des belligérants ou à faire
obstruction. Égaux devant la justice, égaux
devant le droit et responsables, ce sont les
préalables nécessaires à l’instauration de
l’ordre.

Nul n’est au-dessus de la loi qui


s’applique sans discrimination de situation, ou
de classe sociale. Ordonnée de la sorte, la force
de la loi ne serait plus vécue comme un
châtiment mais plutôt comme un agent de
cohésion sociale. Elle rétablira l’égalité de

97
traitement, un des fondements essentiels de la
république. Ce projet n’aboutira pas sans une
grande détermination, animée de la volonté de
rétablir l’ordre sous les auspices de la
supériorité du droit et de l’égalité de traitement
des citoyens.

98
La culture : au cœur du
projet.

« La culture, c’est avant tout une unité de


style qui se manifeste dans toutes les activités
d’une nation ».

Friedrich Nietzsche.

La vie est faite d’heureuses et de


fâcheuses rencontres. Le destin contribue à
façonner à sa manière la vie de chacun d’entre
nous. Il imprime à nos vies, des tournants
imprévisibles, les écartant, l’éloignant des
sentiers prévus et des voies balisées.

L’évocation du destin me revient,


particulièrement, quand on m’interroge sur la
source de mon intérêt pour la culture et la
musique. Né de parents analphabètes ou
presque, mon père avait eu à peine le temps
d’apprendre à assembler les lettres de l’alphabet
arabe qu’il s’est trouvé, avant ses douze ans,

99
mineur de fond. Il a dû galérer, et c’est le cas de
le dire, dans diverses mines en Tunisie et en
Algérie avant d’immigrer en France. La culture,
avec tous ses outils et toutes ses expressions,
était étrangère à l’environnement dans lequel
j’ai évolué. Seule la musique s’invitait dans
notre foyer, par la force des choses, grâce à la
radio. Ceci ne tarda pas à soulever, chez
l’enfant que j’étais, un intérêt manifeste pour
les chansons de Abdelhalim Hafedh. Je ne sais
trop pourquoi ? Peut-être en raison du
matraquage radiophonique à l’occasion de ses
fréquentes visites en Tunisie. Toujours est-il
qu’un parent, lui-même travailleur émigré à
Marseille, releva cet intérêt pour la musique et
le rapporta à mon père. Celui-ci, furieux, se
fondit d’une lettre de réprobation (qu’on me lut)
et dont certaines paroles restent encore gravées
dans ma mémoire. Pour lui, la musique se
résumait à l’image peu virile de feu Ali Riahi.

J’avais treize ans quand mon père avait


décidé de regrouper la famille à Marseille.
J’étais angoissé à l’idée de ne pouvoir
m’adapter à la scolarité en France. Au
préalable, j’avais fait un détour du côté des

100
bouquinistes de la rue Zarkoun où j’ai consulté
les livres de 6ème et jugé que les programmes
enseignés ne correspondaient pas à
l’enseignement que j’avais reçu. Ma décision
était prise. Je ne serai pas du voyage. J’en suis
reconnaissant à mes parents d’avoir eu la
sagesse de respecter mon choix et ce d’autant
plus que j’étais leur aîné et l’unique garçon de
la fratrie ce qui faisait de moi un enfant au
statut particulier (précieux et chéri). Il ne restait
plus qu’à me trouver une place d’interne dans
un des lycées Ibn Charaf.

C’est le destin que j’évoquais aux


premières lignes de ce chapitre. Celui-là même
qui avait tout arrangé pour que je me trouve à
baigner dans la culture, à apprivoiser des
questions et des thématiques philosophiques,
grâce à mes surveillants d’internat. De surcroit,
deux d’entre eux jouaient du oud, ce qui ne
manqua pas de réveiller mon intérêt pour la
musique, même s’il m’a fallu attendre quelques
années pour en jouer moi-même.

Le destin, le hasard, la fatalité ont souvent


été heureux pour moi, mais je ne peux me

101
résigner à laisser des millions de jeunes
tunisiens, aux aléas de la providence. C’est pour
cela que jugeant les conditions d’un
engagement politique efficace inexistantes,
j’avais opté pour une activité culturelle
militante en cofondant l’association de soutien à
la création musicale que j’ai dirigée de 2005 à
2010, date de la suspension quasi forcée de son
activité.

A la tête de l’ASCM, j’ai dirigé quinze


festivals internationaux, soutenu la création
tunisienne hors des sentiers commerciaux,
organisé des dizaines d’ateliers et de résidences
sous la direction d’artistes internationaux de
renoms, donné l’occasion à plus d’une centaine
de musiciens en herbe de participer à des camps
musicaux en Suède, en Belgique, en France et
en Turquie. Je n’avais ménagé aucun effort
pour offrir aux jeunes musiciens des
opportunités similaires à celles dont avaient
bénéficié mes propres enfants quelques années
plutôt.

Tout cela n’aurait été possible sans


l’équipe dévouée et déterminée qui m’épaulait.

102
Des femmes et des hommes qui avaient fait don
de leurs deniers, de leur temps, ouvert leurs
maisons pour héberger les musiciens et s’étaient
convertis en hôtes d’accueil et en guides
touristiques pour promouvoir l’image de la
Tunisie et sa légendaire hospitalité. Durant ces
années, ils ont fait montre d’une patience
inouïe, ravalant leur fierté pour quémander un
modique sponsoring et refusant de solliciter
toute aide publique. Notre action se voulait être
un pied de nez au pouvoir et à sa politique
culturelle. Que de fois n’ai-je pas déclaré dans
les médias de l’époque que le ministère de la
culture faisait du divertissement alors que nous
faisions de la culture. Que les festivals officiels
dépensaient des sommes considérables et
étaient déficitaires alors que nous organisions
des festivals de qualité avec de menus subsides
et dégagions un excédent. Certains, après la
révolution, de bonne ou de mauvaise foi,
m’avaient attaqué en pensant que j’avais des
accointances avec le pouvoir déchu pensant à
tort qu’il avait financé nos événements. Pour
s’en convaincre il n’y a qu’à relire les journaux
de l’époque.

103
Je disais que notre action était militante
car j’ai veillé à la maintenir dès les premiers
jours loin de l’immixtion du ministère de la
culture et des représentants du pouvoir. En
2010, ayant refusé la décoration qu’on me
proposait pour le mérite culturel, j’ai décidé de
mettre fin à mon activité car j’ai estimé qu’on
ne me passera pas ce refus. Mais tout cela est
une autre histoire qui sera narrée dans le détail
le jour venu.

Je parle ici de culture avec la conviction


et la délectation de celui qui l’a croisée au gré
du hasard et en est tombée éperdument
amoureux. La culture c’est la pierre de voûte
qui maintient l’édifice identitaire, définit notre
appartenance commune à une seule entité, et
permet à la fois la diversité dans l’être ensemble
et la rencontre et l’unisson autour des repères
fondamentaux. Pour tout cela, j’ai toujours
placé la culture au cœur du projet de société.
Une culture dans le sens anglo-saxon de
KULTUR qui dépasse le conventionnel français
pour embrasser le patrimoine, le mode de vie, le
monde artisanal, le savoir-faire séculaire, bref la
tradition. Il est toutefois hors de question

104
d’envisager la culture comme un champ figé,
momifié dans le temps mais plutôt comme un
état en devenir et en perpétuelle mutation. Je ne
suis pas un adepte de la rupture mais quelqu’un
qui croit en la transition. Autant, je suis attaché
à l’innovation et la création, autant, je reste
persuadé qu’il n’ait d’évolution fructueuse que
celle qui prolonge, diversifie, enrichi le legs
antérieur. Une mutation sans rupture. Une
évolution des individus et de la société
entrainant dans son sillage le modelage du
profil de l’identité. Une transformation fidèle à
l’image de la société et qui évolue sans heurts ni
fractures. C’est dans cette dynamique que je
situe la modernité loin des soubresauts ou du
mimétisme qui violente la société et la divise.
Dans un monde où les spécificités culturelles
sont assiégées, il est impératif de résister à
l’uniformisation en valorisant notre culture et
en soutenant nos créateurs, en préservant mais
en encourageant, en même temps, les
expériences avant-gardistes. La culture comme
la modernité ne sauraient être une et unique,
celle du plus fort du moment, de celui qui parle
le plus fort et tente d’occuper à lui seul tout
l’espace. S’employer à mimer l’autre au

105
prétexte d’être dans le sens de la marche du
progrès est le moyen le plus sûr de sombrer
dans une schizophrénie de nature à déstabiliser
la société et anéantir tout espoir d’évolution
coordonnée et symbiotique.

Avec des tunisiens et en particulier des


jeunes, fiers de leur appartenance, de leur
identité, de leur culture mais ouverts sur le
monde nous sommes adoubés pour aborder
sereinement les défis de ce monde.

Lors de mes déplacements dans le pays, la


visite des maisons de culture et de jeunesse est
une escale incontournable. Partout, mon constat
est le même : la désaffection. Alors que le
minimum en infrastructure et en équipements
est souvent assuré et le personnel pléthorique,
l’activité est bien en deçà des espérances.
Visiblement, il y a une urgence à revoir le mode
de fonctionnement de ces structures. Si les gens
ne vont pas vers la culture, alors c’est à la
culture d’aller vers eux. Que de fois, n’ai-je pas
assisté à des manifestations se tenant devant un
public clairsemé alors qu’en face les cafés
abondaient. Ces événements auraient plus

106
d’audience et d’efficacité s’ils s’étaient invités
dans les cafés, les établissements scolaires ou
sur les lieux de travail.

Il faut repenser la politique culturelle. Les


maisons de culture à la Malraux que nous
avions copiées du temps de Chedly Kélibi, ne
sont plus en mesure d’assurer leurs objectifs. Il
nous incombe de dynamiser l’activité culturelle
et de la faire évoluer en extra-muros. Certes, le
mouvement culturel national, conduit sous la
férule de personnalités valeureuses et brillantes
telles que Salah Mehdi, Taher Chriaa,
Abdelaziz Agrebi, Ali Ben Ayed, Zoubaier
Turki et autres, a réalisé des avancées louables.

Néanmoins, ce mouvement s’est essoufflé


et a sombré dans une gestion boutiquière sans
envergure. Il a, toutefois, posé des jalons qui
constituent des points d’appui pour reprendre le
flambeau et faire rayonner la Tunisie grâce à sa
culture et ses créateurs. Il convient de créer des
réseaux autour des maisons de la culture, qui
couvrent pratiquement toutes les délégations du
pays. Je prône l’aménagement du temps scolaire
afin de transformer les établissements de

107
l’éducation nationale, hors horaires scolaires, en
des écoles artistiques multidisciplinaires,
enseignant aussi bien la musique, que les arts
plastiques, la danse, le théâtre ainsi que des
ateliers d’écriture et des cinéclubs.

Le rôle de l’État est à redéfinir. Sa


mission dans la gestion et l’entretien de
l’infrastructure est indispensable, de même que
son implication directe dans l’organisation
événementielle est à proscrire. Il convient
d’impliquer et de responsabiliser la société
civile et les collectivités locales dans
l’animation de la vie culturelle de la cité.

Je ne crois pas en une culture


subventionnée par l’État mais plutôt en un
soutien à la création. Les subventions
sélectives, dispensées avec des largesses
inégales n’ont pas réussi à insuffler la vie à une
création moribonde. Elles se sont transformées
en aumône et subsides d’assistance sociale pour
des artistes en mal de revenus. Tout se passe
comme si L’État leur disait "je fais semblant de
vous aider, faites semblant de créer". Il serait
opportun de soutenir la création en mettant

108
gracieusement à la disposition des créateurs
l’espace et le matériel nécessaire à la création,
en assurant la promotion et la publicité. Ce n’est
qu’ainsi qu’on fera le tri entre les vrais
créateurs et les chasseurs de subventions. Nous
oublions souvent que la création est le fruit de
longues années de formation et de pratique.
Celles-ci doivent débuter dès l’enfance et être
conduites avec la plus grande rigueur pour
porter leurs fruits. De tous les artistes
talentueux et virtuoses qu’il m’a été donné de
connaitre quasiment aucun n’a débuté son
apprentissage au-delà de l’enfance. J’en ai
acquis la conviction que la création commence
par une formation solide et précoce.

L’État doit rendre la formation artistique


accessible à tous ceux qui le souhaitent et sur
tout le territoire de la république.

109
Femme et femmes
«Quand on veut écrire sur les femmes, il
faut tremper sa plume dans l’arc en ciel ».

Denis Diderot.

Dans mon enfance, j’ai souvent été le


témoin impuissant de violences faites aux
femmes. J’avoue en avoir gardé un souvenir
cauchemardesque. Je les ai vécues comme un
moment de terreur. Au-delà de la victime, c’est
tout l’entourage qui se trouve en quelque sorte
violenté.

Longtemps considéré comme un fait


propre à nos sociétés phalliques et parfois
presque justifiée en raison de traditions
ancestrales, voire religieuses, il est aujourd’hui
clair qu’il s’agit d’une pratique mondialement
répandue qui n’épargne aucun pays ni aucune
culture.

111
Le législateur tunisien n’a pas ménagé ses
efforts pour promulguer des lois de nature à
protéger l’intégrité physique et la dignité des
femmes. Hélas, la violence conjugale reste une
pratique courante dans notre société bien au-
dessus des estimations statistiques révélées.
Souvent elle se perpétue dans le secret des
familles et dans la résignation des femmes. Les
femmes battues, bafouées, le sont d’autant plus
que leurs agresseurs réalisent qu’elles n’ont
d’autres choix que la soumission. Ils abusent de
leur fragilité économique, de leur attachement à
leurs enfants pour s’autoriser l’intolérable.

La violence est une barbarie indigne de


l’être humain civilisé, elle rabaisse autant la
victime que celui qui la commet. Elle est
d’autant plus abjecte et écœurante qu’elle est
commise au sein de la famille. L’exemple
donné aux enfants en bas âge risque de la
banaliser et d’encourager sa reproduction d’une
génération à l’autre.

Ma conviction est qu’il est du devoir du


pouvoir public de lutter efficacement et avec la
plus grande détermination, contre toute forme

112
de violence. Il lui incombe non seulement de
protéger les victimes, de les sécuriser et de les
soustraire à cette condition avilissante, mais
également de prendre en charge l’agresseur, de
l’astreindre à un suivi psychologique et d’user
de la loi pour lui signifier les limites à ne pas
outre passer. La victime doit bénéficier non
seulement d’un abri de refuge mais aussi d’une
allocation et d’un soutien qui restaure son
intégrité brisée ou fêlée et de l’aider à se
reconstruire.

Or, si j’ai abordé la condition de la femme


dans son aspect le plus dramatique, je ne saurai
passer sous silence la situation dans notre
société.

Certes, nous avons été les pionniers de la


libération de la femme dans le monde arabe
avec le code du statut personnel, qui constitue
une avancée remarquable dans le monde arabe
et au-delà, mais la femme n’est pas pour autant
rétablie dans ses droits. Le poids de la tradition
et l’éducation opèrent comme une force
indéniable de résistance et de repli.
Malheureusement, ce sont souvent les femmes,

113
elles-mêmes, qui entretiennent, à travers
l’éducation dispensée à leurs enfants, la
prétendue prééminence masculine. Il en découle
qu’un travail massif de sensibilisation en
profondeur, doit être entrepris dans ce sens. Il
s’agit d’un processus de longue haleine qui
nécessitera un certain temps pour porter ses
fruits. Je suis de ceux qui attachent autant
d’intérêt à l’accompagnement, à la persuasion, à
la pédagogie qu’à la répression.

De ce fait, j’ai une certaine appréhension


vis-à-vis de la facilité qui se contente de
légiférer, d’édicter et de promulguer des lois.
Souvent, l’outil juridique s’il n’est pas
accompagné d’un travail de fond suscitant
l’adhésion générale se révèle plutôt un outil de
clivage. Rien n’est plus cher à mes yeux que
l’union des tunisiens, je parle d’union et non
d’unité. Les tunisiens dans l’union sont à la fois
unitaires autour de l’essentiel et multiples de
par la liberté que leur offre la diversité. Chaque
fois que notre peuple a été uni, il a accompli de
grandes avancées historiques, alors que le
clivage et la division font le lit de la faiblesse et
de l’asservissement.

114
L’injustice est, justement, un des facteurs
les plus clivant, elle favorise le désengagement
et le rejet de l’appartenance à l’entité nationale,
c'est-à-dire au destin commun. En raison de
cela, j’attache un intérêt particulier à combattre
l’injustice qui frappe les femmes. Je n’ai pas eu
la chance d’engendrer une fille, je le regrette
d’autant plus que j’ai eu cinq sœurs qui
m’émerveillent par la générosité, l’amour et la
sollicitude dont elles ont entouré feu mon père
jusqu’à son dernier souffle et continuent d’en
dispenser à toute la famille.

La femme, cet être précieux dans sa


spécificité ne devrait plus souffrir de la
maltraitance de notre société. Je suis épaté par
ces femmes qui n’assurent pas moins de trois
vies. Elles sont des professionnelles actives, des
mères attentionnées, en charge des tâches
domestiques, suivent la scolarité des enfants et
s’engagent dans la vie politique ou associative.
Or quel que soit le champ d’activité, elles
doivent se battre pour combattre le handicap
injuste du genre. Au travail, elles sont sous
rétribuées jusqu’à 30% moins que les hommes,

115
à égalité de compétence et de diplômes. Au
foyer, elles souffrent souvent du manque de
soutien du conjoint. Dans la vie publique, elles
ont du mal à accéder aux premières
responsabilités.

Les lois électorales, en vigueur depuis la


révolution, ont certes permis des avancées
indéniables, pour dégager certains obstacles qui
empêchaient l’accès des femmes aux
responsabilités politiques. Néanmoins, les
exigences de parité ont été établies, sans tenir
compte du réel degré de motivation et
d’aptitude de la femme à la vie publique. Ainsi,
nous avons eu droit à un ratissage largua manu
et à une chasse aux candidates pour combler les
listes. Certaines n’étaient pas nanties pour
assurer des fonctions de cet ordre, ce qui a porté
préjudice à l’image de la femme. Il s’agit d’une
pratique contre-productive et d’apparat,
nuisible, à travers quelques exemples
d’impréparation médiatisés.

A cela, je préfère une démarche sereine,


réfléchie, menée en profondeur qui amènerait à
un changement des mentalités. La bataille sera

116
gagnée le jour où l’entreprise embauchera la
femme sans se soucier de son genre et sans
considérer la maternité comme un drame de
nature à entraver la bonne marche de
l’entreprise. La bataille sera gagnée, le jour où
les conjoints s’impliqueront naturellement dans
l’activité ménagère et dans le suivi de la
scolarité des enfants. Le jour où les femmes se
retrouveront dans les instances dirigeantes des
partis politiques et des associations, en nombre
et en qualité. Un certain chemin a été parcouru
mais il reste encore beaucoup à réaliser toujours
en profondeur mais sans brutalité.

En parlant de la femme et de la condition


féminine nous oublions souvent le pluriel ; celui
de la diversité, de la multitude et des
spécificités tant sociales que régionales. Si
toutes ont droit à notre attention et à notre
soutien, les conditions particulières auxquelles
elles sont confrontées nous invitent à un certain
discernement dans l’approche proposée.
L’adoption d’une démarche uniforme et
universelle, risque de heurter certaines
convictions établies et entérinées par un
héritage ancestral.

117
Il serait plus congru de varier des
approches à la carte, qui répondent aux réalités
locales. Il faut user d’une certaine sagacité au
risque d’être contre-productif et susciter une
levée de bouclier.

118
L’inégalité n’est pas une
fatalité.

« La nature crée des différences ; la société


en fait des inégalités ».

Taher Ben Jalloun.

Si je devais résumer en un mot la finalité


de mon engagement dans la politique ça serait
l’égalité des chances.

Rien ne me révolte autant que de


constater qu’un certain déterminisme scelle dès
la naissance l’avenir et le devenir d’un
nouveau-né. Il m’est intolérable de rester les
bras croisés, impuissant face à l’injustice de
notre société qui condamne d’avance les enfants
des défavorisés à subir inéluctablement le sort

119
de leurs parents. Cette sentence n’a pas toujours
été la règle, sinon des centaines de milliers de
tunisiens n’auraient pas emprunté l’ascenseur
social pour parvenir à une condition et une
situation sociale bien meilleure que celles de
leurs parents.

Je suis de ceux-là, et j’en suis redevable


au modèle qui l’a permis. Quoiqu’on dise de
Bourguiba, et malgré tous les errements qu’a
connus son règne, nous lui devons au moins la
reconnaissance d’avoir été l’initiateur d’une
véritable révolution qui a secoué l’ordre social
établi et amené des jeunes tunisiens de
condition modeste à des échelons sociaux
supérieurs. Cette période est malheureusement
restée une parenthèse dans l’histoire sociale du
pays, avant que le système ne redevienne
cloisonné.

En s’écartant de la république sociale, le


pouvoir politique est devenu incapable
d’assurer l’égalité des chances. De ce fait,
aujourd’hui, il est quasi-impossible que les
aptitudes individuelles puissent se traduire en
réussite scolaire, personnelle,

120
professionnelle et sociale. Aujourd’hui, si tu
viens de « loin » de Tunis, et que tu n’es pas né
dans le « bon » milieu, tu n’iras pas loin. C’est
devenu la règle. Bien sûr chacun d’entre nous
connait quelques exceptions à ce sinistre
verdict. Néanmoins, ce n’est pas avec les
exceptions que l’on construit une société. Cela
reviendrait à dire que le sport tunisien se porte
bien parce Oussama Mallouli est champion
olympique.

Pour remettre l’ascenseur social en


marche, il faudrait un changement de cap et
d’orientations économiques1 qui renouent avec
la croissance, autrement, nous n’aurons pas les
moyens pour donner un sens à la solidarité
nationale.

Je ne suis pas un chantre de


l’égalitarisme ni du nivellement social mais je
pense qu’il est du droit de la communauté
nationale, d’exiger de l’État qu’il dégage les
obstacles qui entravent l’expression des
potentialités individuelles.

121
Un État faible et pauvre n’a à répartir
que l’impuissance et l’indigence.
Ainsi, l’État qui exprime notre volonté
générale se doit d’être non seulement un soutien
de ceux qui débutent dans la vie mais également
de ceux qui aux méandres de leur parcours ont
trébuché et chuté. L’État doit leur tendre la
main et les aider à se relever pour poursuivre
leur route. Celui qui chute peut-être en mesure
de s’en sortir pour peu qu’on lui en offre
l’opportunité.

Indépendamment des considérations


éthiques, morales et religieuses, il n’est pas de
notre intérêt de laisser certains de nos
concitoyens au bord de la route. L’abandon de
ceux qui se trouvent, en raison de certaines
conjonctures, en difficulté de se relever et de
s’insérer dans le sens de la marche de la société,
leur fait subir une double peine, celle de la
blessure morale et celle du désintérêt, voire du
rejet de la société.

Notre combat consiste à décloisonner la


société, à rétablir la solidarité et la générosité
nationales. Transformer ces belles intentions en

122
une politique d’État nécessite des services
sociaux nantis en moyens humains et matériels
par une affectation de ressources tributaire
d’une économie florissante. L’essor
économique, non seulement, permet à l’État une
rentrée fiscale conséquente mais également
booste les opportunités d’emplois. Or, le
chômage et l’absence de perspectives sont
autant de facteurs à la source de la
marginalisation et des handicaps pour en sortir.

L’emploi assure des revenus financiers


et favorise l’insertion sociale et surtout donne
un sens à la vie. De fait, le chômage marginalise
une part importante de notre jeunesse et la voue
de force à l’oisiveté. Il entrouvre la porte de la
délinquance pour certains. Il suffit de trébucher
une fois pour être à tout jamais socialement
fiché et catalogué. Comment espérer une
réinsertion sociale avec un antécédent
judiciaire, quand cela était déjà impossible avec
un casier judiciaire vierge.

Le chômage est, à juste titre, vécu


comme une injustice surtout pour ceux qui ont
accompli leurs cursus scolaires. Il suscite

123
parfois un sentiment de révolte et de rejet de la
société entière. Le chômeur rejette la société qui
lui a fermé ses portes. Comment s’étonner
ensuite de le voir la braver ou retourner les
armes contre elle ?

124
La toute-puissance des
médias.
« Celui qui contrôle les médias contrôle
les esprits ».

Jim Morrison.

J’ai eu la chance de vivre plusieurs vies.


En m’adonnant à diverses activités, je me suis
enrichi de ces expériences. Chaque fois,
l’immersion dans un milieu différent a élargi
mon savoir et ma connaissance des Hommes.
J’ai ainsi côtoyé, tour à tour, le monde du
sport, de la culture, de l’agriculture, de la vie
associative et des médias.

J’ai eu, chaque fois le privilège de les


vivre avec l’engouement et la friandise de celui
qui désirait apprendre, voire maitriser et le
détachement et la distance de celui qui se savait
de passage pour une durée déterminée. J’avais,

125
de ce fait, les libertés de décider quand m’y
inscrire et quand les quitter.

Mon expérience radiophonique de


producteur animateur s’est faite par la grande
porte ; celle de la radio nationale et radio
jeunes. J’aborderai un jour, peut-être, dans un
autre ouvrage, cette expérience plus longuement
et dans le détail. Elle a duré trois années, au
cours desquelles j’ai énormément appris. J’y ai
connu des personnes d’une grande qualité
professionnelle et humaine. J’ai également été
le témoin des débuts de jeunes animateurs qui
sont devenus aujourd’hui des ténors de la place
médiatique.

A une époque, où le paysage était


dominé encore par les médias d’État, les
salaires étaient modestes. J’ai vu des femmes et
des hommes passionnés par leur métier,
conscients de leur mission et l’accomplissant
avec un enthousiasme et une ferveur à toute
épreuve.

L’avènement des médias libres a, depuis,


chamboulé tous les repères. Une liberté

126
médiatique, très peu encadrée par des gardes
fous, qui s’est révélée après la révolution
dramatiquement dangereuse, non seulement
pour les valeurs sociétales mais également pour
la démocratie. Sans être pour le tout
réglementaire et législatif, je pense qu’en la
matière, la citation de Lacordaire1 : « la loi
protège et la liberté opprime » trouve la
plénitude de son sens.

La dérive incontrôlée des pratiques


médiatiques a porté, à la fois, sur les
thématiques abordées, le langage adopté et les
techniques de traitement de l’information. Le
répréhensible est devenu la norme et la marque
du succès.

Dans une société sans repères où


l’échelle des valeurs a été bouleversée, sens
dessus-dessous, les médias les plus côtés sont
ceux qui valorisent le voyeurisme, les jeux de
hasards et le sectarisme. Sous prétexte de braver
les tabous, on n’hésite pas à des heures de
grande écoute, entre deux blagues d’un goût
douteux et des applaudissements commandés du

127
public, à exhiber la pédophilie, l’inceste,
l’adultère et les déviances sexuelles.

Des médias qui font la promotion des


jeux du hasard en faisant miroiter des gains
mirobolants Comment convaincre, ensuite, les
plus jeunes des vertus du travail et du goût de
l’effort ?

Des médias qui ne se sentent pas tenus


de participer à un projet culturel national. Entre
les shows de variétés et les séries controversées,
ils font l’apologie de la marginalité, qui devient
la norme. Ils tablent sur l’illicite, l’interdit, le
provocant pour booster l’audimat, sans égard
pour les effets délétères qui en découlent.

Cette pénétration médiatique est ensuite


exploitée pour promouvoir une ligne éditoriale
politique. Prétextant défendre la modernité et un
projet progressiste de société, une myriade de
chroniqueurs occupe des heures d’antenne pour
étaler leurs propres points de vue. Ils dissertent
sur tous les sujets avec le même leitmotiv
décliné sous diverses versions, haranguant les
téléspectateurs et les auditeurs.

128
Les copains et les coquins sont canonisés
à force d’être cathodisés. Ils font fi du travail
journalistique qu’ils croient réinventer. Le
concept de neutralité de l’information et de la
liberté du commentaire n’a plus cours. Tout est
commentaire et propagande et tout est ordre de
mission au service du commanditaire.

De tous les médias libres, quelques-uns


se partagent la grosse part de l’audimat et donc
de la publicité. Il se trouve étonnement être
ceux qui ont été créés du temps de la dictature.
Leur accointance avec les partis qui se sont
construits sur les décombres du RCD dissout,
ne font aucun doute. Leurs liens avec les forces
politico-financières qui soutenaient le régime de
Ben Ali ne sont invisibles que pour ceux qui
refusent de les voir.

C’est contre cette connivence entre les


médias, la politique et l’argent que j’avais tiré la
sonnette, très tôt après la révolution. Depuis le
mois de juin 2011, comme l’avait rappelé Jeune
Afrique dans un de ses articles, j’avais mis en
garde contre les risques qu’encourait la

129
démocratie naissante, en l’absence de règles
claires, fixant des limites au financement
politique et au rôle et à l’intervention des
médias.

Les forces les plus opérantes du moment,


galvanisées par les moyens dont ils disposaient
et assoiffées de se saisir du pouvoir, n’ont pas
jugé utile de prêter une oreille attentive à cette
mise en garde. Nous en sommes aujourd’hui à
subir un simulacre de démocratie travestie où
les puissances de l’argent ont réussi à
contourner l’expression populaire et à la
soumettre à leur volonté. Faute d’avoir été
perspicaces et clairvoyants, nous avons créé une
vie démocratique atteinte des travers et
distorsions qui affligent les démocraties,
occidentales.

Les témoignages, les indiscrétions et les


divers indices, font planer une lourde suspicion
d’une instrumentalisation médiatique.

Les médias sont loin de remplir leur


mission, celle qui en fait le quatrième pouvoir.
Le journalisme politique du temps de Ben Ali

130
était une activité de propagande assurée aussi
bien par des professionnels permanents que des
intérimaires. Les colonnes des torchons de
l’époque trahissaient les ambitions de certains
dont la prose était des appels du pied au
pouvoir. Les titres de certains articles
meubleraient un musée de satire cynique. Les
uns faisant l’éloge de la démocratie réinventée
par Ben Ali, les autres établissaient le parallèle
entre sa pensée et celle de Nietzche. Inutile de
vous dire que les auteurs de ces excentricités
sont aujourd’hui soit ministres soit tenant le
haut du pavé de la scène médiatique.

Avec la révolution et l’instauration des


plateaux médiatiques, nous avons assisté à la
reconversion instantanée d’animateurs de
variétés en chroniqueurs et politologues de
divers acabits. Leur technique est restée la
même ; la recherche du show et du sensationnel.
Ils usent des mêmes recettes pour dénicher
l’insolite et mettre en scène l’extravagant.

La politique telle qu’elle est traitée par


ces médias est une quête absolue du buzz. Elle
privilégie les faits divers aux débats de fond.

131
Chaque fois qu’ils se trouvent acculés à traiter
une question sérieuse, ils font appel à des
experts. Toujours les mêmes. Ils sont choisis
pour leur conformité avec la ligne « éditoriale »
c'est-à-dire avec leur positionnement politique.

Les médias tunisiens de l’après


révolution ont réinventé le journalisme. La
neutralité est devenue un vain mot désuet
auquel on a substitué la ligne éditoriale. La
chronique est devenue la base de l’exercice
journalistique où des heures durant, nous avons
droit à des personnes venues d’horizons et
d’expériences antérieures diverses, étaler leurs
points de vue sur l’actualité. Le chroniqueur ne
commente plus, il fait part de son intime
conviction et de ses propres choix.

De fin 2012 à 2014, nous avons assisté à


une campagne savamment orchestrée pour
promouvoir Béji Caïd Essebsi, comme l’homme
providentiel qui allait remettre le pays sur les
rails. Ils n’avaient de place que pour lui et ses
acolytes. Quand ils ne faisaient pas son éloge,
ils descendaient en flamme ses adversaires. Il
était clair que la machine médiatique jadis aux

132
ordres de Ben Ali avait conservé ses relais et
opérait en harmonie. Les mea-culpa exprimés
par la profession prétextant la chape de plomb
du régime étaient des regrets de circonstance.
Le profil bas des premiers temps de la
révolution a laissé place à une outrecuidante
arrogance.

Aujourd’hui, la moindre critique des


médias soulève une levée de bouclier
corporatiste. Pointer les dérives ou les
insuffisances de la profession ne veut nullement
les généraliser. Brosser le tableau du paysage
médiatique, c’est décrire la tendance générale,
sans prétendre établir un relevé exhaustif de la
performance des uns et des autres.

Que de fois n’ai-je pas entendu des


journalistes se plaindre des mauvaises
pratiques, de leur impuissance, face à la
rédaction et au propriétaire. Pourquoi alors se
sentent-ils obligés d’afficher une hypocrite
solidarité ?

Le rôle des médias est essentiel. Il est si


important, en l’occurrence pour une démocratie

133
balbutiante, qu’il convient de les protéger à la
fois contre la mainmise extérieure et leur propre
propension à s’égarer.

Les médias, même privés


n’appartiennent pas à leurs propriétaires ; ils
restent redevables et comptables de
l’autorisation publique qui leur a été accordée.
L’État ne délivre pas un blanc-seing mais une
autorisation réglementée. L’encadrement de
l’exercice journalistique ne vise aucunement à
réduire sa liberté ou à rétablir la censure. Son
objectif est d’éviter qu’il ne se transforme en
outil de propagande politique sous l’attrait du
financement facile.

Le rôle des médias est également décrié


dans les démocraties occidentales. Les partis
hors système, dénoncent l’instrumentalisation
des médias au service de l’oligarchie au
pouvoir. En faisant le choix de ne pas penser
notre modèle démocratique et d’emboiter le pas
aux démocraties occidentales, nous ne pouvions
échapper à leurs écueils, dont celui des médias,
sous l’influence des donneurs d’ordre et des
publicitaires.

134
Et la jeunesse alors ?

« La jeunesse est le sourire de l’avenir


devant l’inconnu qui est lui-même ».

Victor Hugo.

Qu’avez-vous fait de votre jeunesse ? La


fleur de l’âge comme il est d’usage de la
désigner avec un sous-entendu de félicité,
d’insouciance ou de détachement. Cela aurait
pu être le cas, il y a très longtemps.
Aujourd’hui, être jeune, c’est être taraudé par
l’inquiétude sur son avenir et sur les possibilités
d’accès au marché du travail.

Jadis au moins, il y avait une sorte de


contrat non écrit, tacitement consenti entre les
familles et l’État. Selon lequel, si les enfants
réussissent leur cursus scolaire, ils auront la
possibilité d’accéder à une situation, souvent
bien meilleure que celle de leurs parents. Ce
pacte se trouve aujourd’hui rompu. Bien au

135
contraire, nous vivons une situation singulière
qui voue 30% des diplômés au chômage avec
des pics régionaux terrifiants.

Je ne m’attarderai pas sur les discussions


portant sur la qualité de l’enseignement, la
valeur des diplômes décernés ou sur le
mismatching entre la demande et l’offre
d’emplois qui n’expliquent pas à eux seuls la
triste réalité du chômage des jeunes.

Après avoir consenti des efforts énormes


et enduré les privations, les jeunes et leurs
familles se trouvent dans une impasse
frustrante. Ce, d’autant plus, que chacun a la
conviction d’avoir rempli sa part du contrat.

Le désenchantement des jeunes diplômés


est d’autant plus pénible à supporter qu’ils ont
acquis les moyens intellectuels et linguistiques
qui leur permettent une ouverture sur le monde.
Ils connaissent virtuellement l’Éden qui leur est
refusé et duquel ne les sépare que l’accès à
l’emploi.
Comment ne pas comprendre, alors, leur
rejet de la société, de la communauté et de

136
l’appartenance nationale ? Au-delà de l’attrait
matériel, bien légitime, que procure l’emploi, ils
aspirent à la reconnaissance, à se sentir utile et à
s’accomplir humainement.

Depuis quelques décennies,


l’enseignement, de plus en plus prolongé à
volonté, s’est transformé, bien souvent, en une
antichambre du chômage. Le désespoir les
gagne et se lit dans leurs regards éteints. Leur
situation, leur entourage, le pays même, leur
deviennent insupportables. Ils ne rêvent plus
que de tout quitter et partir.

Devant ce désarroi, comment s’étonner


que la Tunisie malgré sa petite population,
occupe le deuxième rang des pays pourvoyeurs
en djihadistes, dont environ 60% sont d’un
niveau universitaire ? L’augmentation du
nombre des cas de suicide notamment dans la
tranche d’âge des 26-35 ans témoigne du
désespoir qui se répand dans notre jeunesse.

Je veux redonner espoir à ces jeunes,


rétablir leur confiance dans leur pays. Pour cela,
il faudra un modèle économique orienté vers

137
l’innovation. Il faut rompre avec l’économie de
sous-traitance où il n’y a de place que pour une
main d’œuvre peu qualifiée, à la formation
sommaire et rudimentaire. Les diplômés du
supérieur n’y ont de place que s’ils sont
déclassés.

Nos entreprises nationales confrontées à


une concurrence étrangère insoutenable n’ont
qu’un souci : survivre. Il convient de les
protéger, un certain temps, par une politique
protectionniste volontaire. En même temps,
l’État doit créer des pôles technologiques
sectoriels destinés à la recherche et à
l’innovation selon un programme établi en
concertation avec les entreprises et répondant à
leurs besoins. Le financement de ces pôles sera
paritairement assuré par l’État et les entreprises.

En misant sur l’acquisition et la maîtrise


du savoir-faire, en favorisant l’échange entre
l’entreprise et la recherche appliquée, se
développera l’innovation. Le besoin de cadres
d’expertise deviendra une incontournable
nécessité pour les entreprises. Notre jeunesse

138
trouvera une offre d’emploi conforme à ses
compétences et sa formation.

Toutefois, ceci ne saurait nous dispenser


de la réactualisation de ce fameux pacte tacite
que j’évoquais au début de mon propos. Il faut
dénoncer le laisser- aller et la permissivité qui
au nom de l’égalitarisme et du libre accès
démocratique aux cycles supérieurs, conduit à
des diplômes au rabais. L’égalitarisme tue le
mérite.

Je veux remettre l’effort en haut de


l’échelle des valeurs et je tiens à voir les plus
méritants reconnus et récompensés. Il faut
bannir les différents subterfuges et stratagèmes
mis en place sous Ben Ali, pour brader les
diplômes universitaires et faciliter l’accès aux
cursus longs. Le mérite doit s’accompagner des
exigences les plus rigoureuses. D’ailleurs, les
étudiants les plus brillants, souvent issus des
écoles pilotes, orientés vers les filières les plus
valorisantes, n’ont aucune peine à décrocher un
emploi. Un grand nombre d’entre eux
s’expatrient pour le compte des multinationales;
une perte regrettable pour la communauté
nationale.

La jeunesse, malgré les discours élogieux


des politiques est en réalité vécue comme un
problème. Fêtée en public et fustigée en privé.
Que de fois, n’ai-je pas été le témoin
d’accusations de fainéantise et d’oisiveté à
l’encontre de la jeunesse. On lui reproche son
refus de travailler alors qu’il y a tant de postes
vacants à pourvoir.

Prenons-nous le temps de nous interroger


sur les perspectives des emplois que rejettent les
jeunes ? Souvent, il s’agit d'emplois précaires,
sous-payés, sans perspective de carrière avec
une maigre rémunération couvrant à peine les
frais de transport et de restauration. Bref, des
emplois qui ne permettent aucunement au jeune
d’envisager sereinement l’avenir, de fonder une
famille et de se stabiliser dans la vie.

Des donneurs de leçons, j’en rencontre.


Des personnes de bonne foi, consternées par le
chômage des jeunes et irritées par la tension
sociale qui en découle, j’en ai croisé. Des

140
personnes bien établies dans la vie que
l’instabilité sociale gâche la quiétude. Pour
elles, le coupable est tout désigné : la jeunesse
dilettante.

La jeunesse, un atout, pour toute nation


qui entrevoit l’avenir, est devenue pour nous, un
insupportable fardeau. Je veux en faire une
chance, la carte maitresse de la Tunisie pour un
lendemain qui chante. Il est intolérable de
laisser toute cette énergie en marge de l’effort
national. Un jeune devrait être soit en
formation, soit exerçant une activité
professionnelle.

Je suis absolument convaincu que le


protectionnisme économique sectoriel boostera
l’emploi et l’investissement dans le secteur
privé. Le service public tel que je le conçois est
également demandeur en compétences. Je le
crois, d’autant plus, que je constate
l’insuffisance des ressources humaines dans des
secteurs clefs comme la santé, l’éducation, la
justice ou la sureté.

141
L’air du temps est à la compression de la
dépense publique en arguant que la masse
salariale est une charge excessive pour le
budget de l’État. En application des doxas du
FMI, s’est organisée la chasse au fonctionnaire.
L’objectif à court terme est de ramener la masse
salariale à 12% du PIB. Un combat doublement
perdant. D’abord, on oublie que les salaires sont
une forme d’investissement. Ils rétribuent des
fonctionnaires en charge d’éduquer nos enfants,
de soigner nos malades, de sécuriser nos vies et
nos biens, de résoudre nos différents. Ensuite,
un salaire est in fine un pouvoir d’achat et une
propension à l’épargne et dans tous les cas un
levier à l’entretien de l’activité économique.

La vision comptable qui s’inquiète du


taux des salaires rapportés au PIB, néglige à
l’évidence, que si le PIB était plus élevé le
rapport serait plus modeste. Faisons de la
croissance et le taux se réduira de lui-même.
C’est comme si, vous diluiez trois morceaux de
sucre dans un expresso et que vous le trouviez
trop sucré, mettez-les dans un grand café
américain et il le sera moins.

142
Moins de fonctionnaires c’est moins de
service public de qualité et universel, donc
moins d’État et surtout moins de république.

L’Histoire contemporaine a été


fondamentalement façonnée par l’impact de
deux révolutions, l’industrielle et la numérique.
Deux rendez-vous majeurs que notre pays a
manqués. Il a payé son absence de la première
par une colonisation et la seconde par une
paupérisation. Dans les deux cas, nous n’étions
pas en situation d’anticiper les changements ou
d’épouser les vagues du changement. D’autres
pays ont su le faire et se sont propulsés au rang
des grandes nations. Nous vivons, aujourd’hui,
sous l’ère de l’économie numérique qui rythme
la vie du monde et nous assistons à ses percées
en étant réduits à en être de simples
consommateurs. Les différentes dispositions
prises pour nous atteler à cette révolution nous
en réduit dans le meilleur des cas à être des
sous-traitants pour les donneurs d’ordre
occidentaux. Le résultat décevant des politiques
entreprises dans ce domaine prouve que notre
action a manqué de panache et de vision. La
formation de techniciens et d’ingénieurs de

143
qualité ne s’est pas accompagnée d’une
intégration dans des structures de recherche
capables de réaliser des avancées notables.
Comme dans bien d’autres disciplines, nous
avons voué l’élite de nos informaticiens à l’exil
ou à l’enrichissement des firmes étrangères.
L’autorité publique fait souvent preuve de
schizophrénie en recourant au service de
concepteurs étrangers pour divers marchés
d’informatisation et de conception de
programmes au lieu de les confier à des
nationaux. Nous ne sommes visiblement pas
dans de saines dispositions pour rattraper notre
retard et susciter une loyale et fructueuse
concurrence des opérateurs tunisiens. Pour s’en
convaincre, il n’y a rien qu’à voir les
irrégularités, les conflits d’intérêts voire des
délits d’initiés qui ont entaché la constitution du
conseil stratégique de l’économie numérique.

Nous avons la fausse impression d’être


dans l’ère du numérique parce que nous nous
trouvons derrière nos claviers et manipulons
nos smartphones mais dans les faits nous vivons
à la marge d’un monde à l’évolution effrénée.
Des avancées qui ont transformé le quotidien

144
des pays numérisés en facilitant l’accès aux
services, à la consommation, à l’administration
et au savoir. Des séries d’innovation qui ont
affecté tous les champs de production générant
un gain de productivité et de compétitivité qui
nous accule à un suivisme très distancé. La
robotique est en voie d’accomplir des
bouleversements considérables dans divers
champs de l’activité humaine.

Notre déclassement n’est pas une fatalité.


Nous sommes en mesure de rattraper notre
retard, en misant sur notre jeunesse, mais ceci
ne serait envisageable sans une reprise
économique saine et durable. Alors, seulement,
nous aurons les moyens d’entreprendre les
indispensables et préalables réformes avant la
mise en œuvre d’un projet national qui nous
raccorderait à l’ère du numérique.

145
La santé a un coût mais pas
de prix.
« La santé est une couronne que portent les
bien portants et que ne voient que les
malades ».

Proverbe arabe.

J’exerce un métier qui me donne tous les


jours l’occasion d’être confronté à la souffrance
humaine. Souvent, la technicité nous amène à
aller vers ce qui est pour nous l’essentiel ; un
diagnostic rapide et un traitement efficace.
Nous n’accordons pas toute l’attention
nécessaire à la fragilité morale des patients,
particulièrement quand l’affection est banale.
Bousculés par la charge de travail à accomplir,
nous ne faisons pas suffisamment attention à
l’être qui peut être rongé, ne serait-ce que pour
quelques jours, par l’inquiétude sur son état de
santé. La souffrance est décuplée si la maladie
est chronique ou grave. C’est pourquoi, je
considère l’hôpital, qui a vocation à recevoir
l’essentiel des cas sérieux, comme un lieu de

147
souffrance par excellence où l’affliction
humaine est la plus durement ressentie. Outre la
peine éprouvée, la maladie est vécue comme
une injustice qui se solde inéluctablement par la
question fatidique : pourquoi le sort s’est-il
acharné sur moi ? Autant le condamné de
justice sait ce à quoi il doit son sort, autant le
malade vit sa condition comme une injustice.

Notre système de santé de par son


organisation et sa formation, fait rarement cas
de la tourmente dans laquelle se trouvent les
malades. Malgré des efforts indéniables de la
médecine dans notre pays, nous sommes très
loin d’offrir à nos concitoyens un accès facile et
pertinent à la santé. Ceci relève en grande part
du financement alloué au secteur, dont les coûts
n’arrêtent pas de grimper, mais également d’une
défaillance au niveau des politiques adoptées.

Le clivage social s’approfondit entre une


frange aisée et une majorité démunie,
contribuant à installer de fait une médecine à
deux vitesses. Avec un secteur privé suréquipé
qui offre une prise en charge optimale et un
secteur public, embourbé dans des difficultés

148
interminables, incapable de faire face à la
pression de la demande en soins.

La santé est précieuse mais coûteuse. Si


elle n’a pas de prix, elle a un coût assumé par la
communauté nationale en vertu d’un choix
social solidaire. L’État est ainsi amené à être un
opérateur fondamental du système de santé. Il
lui incombe d’assurer à tous l’accès à la santé.
Par conséquent, de mettre à la disposition du
praticien l’infrastructure et la plateforme
technique qui lui permet d’assurer son
obligation de moyens.

Un challenge auquel sont confrontés les


pays qui comme le nôtre ont fait le choix de la
solidarité nationale. Or, l’attente et la demande
légitimes en matière de santé se heurtent à des
ressources limitées. Les besoins et les coûts
sont en perpétuelle progression face à des
budgets de santé à l’élasticité limitée.

La rationalisation des services et


l’intensification de l’exploitation des moyens
matériels et humains indispensables restent
toujours insuffisantes pour faire face à la

149
demande. Il est impératif de revoir le système
de financement afin de lever davantage de fonds
pour subvenir aux besoins. Il est clair que les
taux de cotisation actuels à la caisse nationale
d’assurance maladie sont insuffisants.
Néanmoins, leur majoration ne va pas sans
occasionner certains préjudices tant au niveau
de la charge sociale de l’entreprise que des
employés. Ceci ne manquera pas de grever les
coûts de production et le pouvoir d’achat des
ménages.

Un des mots clefs de cet imbroglio est la


reprise de la croissance économique et par
conséquent de l’emploi. L’État pouvant alors
disposer de meilleures recettes fiscales et
budgétaires et les caisses d’un nombre accru de
cotisants. A ce titre, et dans l’immédiat,
l’approche économique protectionniste, que je
développerai dans un chapitre dédié, me parait
offrir les conditions de la relance économique
nécessaire.

L’organisation initiale de la santé


publique, conçue dans les années soixante, n’a
pas fait l’objet de révisions structurelles pour

150
répondre à la transformation de la population et
de la demande, et tirer les conséquences des
dysfonctionnements. Nous évoluons toujours
avec un système de santé publique à trois
lignes. Une première constituée des centres de
soins de base ; elle est supposée recevoir
l’essentiel des demandeurs de soins. Elle oriente
les cas non résolus ou nécessitant une prise en
charge complémentaire, à une deuxième ligne
constituée par les hôpitaux régionaux. Une
troisième ligne faite d’hôpitaux universitaires,
où sont aiguillés les cas épineux, requérant une
expertise particulière et une haute technicité.

Il s’agit d’une organisation à la base


rationnelle et intégrée, à même de répondre hors
situation d’urgence à la demande en soins de la
population. Malheureusement, le constat est
tout autre. Aucune de ces lignes ne remplit
pleinement ses objectifs. Ce système articulé est
tributaire de la bonne performance de tous ses
maillons. Le disfonctionnement d’un relais
perturbe inéluctablement la fluidité de la chaine
entière.
La première ligne supporte un poids
considérable lié à la forte médicalisation de la

151
population, de plus en plus avertie. Elle n’est
pas suffisamment nantie en moyens humains et
matériels. Son infrastructure se résume en
locaux basiques, inadaptés et mal entretenus.

Son activité est à mi-temps et


l’absentéisme fréquent du personnel aggrave la
charge qui pèse sur ceux qui assurent les
consultations. Celles-ci sont souvent sommaires
et se font sans écoute réelle ni auscultation. Les
problèmes n'étant pas résolus, poussent les
malades à solliciter de nouvelles consultations.
L’absence de médecins spécialistes ou
compétents dans certaines des affections les
plus fréquentes ou chroniques oblige
l’orientation d’un nombre important de
consultants vers la deuxième, voire la troisième
ligne. Sans parler des urgences pour lesquelles
nous n’avons pas les moyens d’explorer ou de
bilanter.

La seconde ligne destinée à être le cadre


propice pour assurer le suivi et la prise en
charge de l’essentiel des cas d'affections
chroniques ou sérieuses, souffre à son tour des
travers de la première ligne. L’équipement dont

152
elle dispose est souvent en panne ou manque de
consommable, ce qui affecte la prise en charge.

La troisième ligne supposée être le


fleuron de la médecine dans notre pays, peine à
assurer son rôle et à tenir son rang. Outre les
carences qu’elle partage avec les autres
maillons, la troisième ligne a le plus souffert
des mauvais choix politiques ou plus
précisément de leur incohérence. Une partie du
corps enseignant a été contrainte de
démissionner en 1989 lorsque Ben Ali a mis les
chefs de services hospitalo-universitaires devant
le choix cornélien de cesser toute activité privée
effectuée alors en toute légalité en extra-muros,
et se consacrer pleinement à l’activité publique
ou de quitter. Nombre d’entre eux n’ayant pas
résisté à l’attrait d’une situation financièrement
confortable et à un train de vie aisé, ont
présenté leurs démissions.

Indépendamment du bien-fondé de cette


décision, elle a eu pour conséquence de pousser
vers la sortie des compétences qui avaient une
certaine expertise et déstabilisé les équipes de
collaborateurs qui les entouraient et dont

153
certains leur avaient emboîté le pas. En 1995,
nouvelle volte-face du pouvoir qui décide de
réinstaurer une activité privée complémentaire
pour les hospitalo-universitaires. Rapidement,
les gardes fous dressés pour réglementer les
conditions de cet exercice ont volé en éclat.
L’activité privée est devenue principale et la
publique complémentaire. Les missions
d’encadrement et de formation des étudiants
n’est plus convenablement assurée, les services
sont mal tenus et le détournement des patients
et le passe-droit par une consultation privée,
font légions. Tout se passe au vu et au su du
ministère qui laisse faire par impuissance et
hantise de voir les chefs de service
démissionner.

Toutes ces défaillances sont aggravées par


le problème du médicament. Non seulement les
spécialités disponibles sont restreintes en choix
et en quantité mais en sus la mauvaise gestion
des stocks et l’endémique détournement
aggravent la situation.

J’évoquerai plus loin la situation de la


couverture maladie et les travers de l’activité de

154
la caisse nationale d’assurance maladie. Mais
restons didactique pour le moment et voyons
comment remettre de l’ordre dans le
dysfonctionnement du système de santé.

La première ligne doit intégrer, outre les


omnipraticiens, des médecins spécialistes ou
compétents en diabétologie, hypertension,
asthme et broncho-pneumopathie chronique
obstructive, gastroentérologie et radiologie. Elle
doit être organisée en consultation de groupe
avec une plateforme technique comportant au
moins un petit laboratoire d’analyse pour les
fondamentaux, une unité de radiologie de
débrouillage avec un échographe et un
fibroscope gastrique. L’activité devrait se
dérouler en séance double, pour répondre
efficacement à la pression de la demande en
soins

Les patients doivent être rattachés par une


carte de santé à un centre unique de
consultation, avec un dossier consultable à
distance dans le cas où ils se trouveraient en
déplacement et obligés de consulter, par
nécessité, un autre centre. La numérisation du

155
dossier médical doit être la règle pour éviter les
consultations et les prescriptions compulsives.
Cette approche valorisera les médecins de
première ligne et permettra la prise en charge
ambulatoire d’un certain nombre de patients qui
auraient été dirigés vers la seconde ligne. Celle-
ci à son tour devra être mise à niveau en matière
d’équipement et fonctionner en régime de
double séance.

La troisième ligne, faite de praticiens


chevronnés, aura la mission de prendre en
charge les cas les plus difficiles et pointus,
d’assurer la formation des jeunes médecins et
de conduire des travaux de recherche. C’est la
glorieuse carrière hospitalo-universitaire qui fait
la fierté de tout le pays. Des femmes et des
hommes qui, au prix de lourds sacrifices,
parviennent au sommet de leur art et auquel ils
ont choisi de se consacrer. On entre dans la
carrière comme on entre dans les ordres en
choisissant délibérément et en toute conscience
de tourner le dos à l’attrait du gain et l’aisance
matérielle qu’offre une carrière dans le secteur
privé. La carrière hospitalo-universitaire et très
prisée. Ceux qui ont la chance de la poursuivre

156
savent que d’autres l’ont convoitée sans y
parvenir. Elle est un choix et une vocation qui
se gagne théoriquement au mérite et à la
ténacité. Il devient inadmissible que parmi ceux
qui y parviennent, certains veuillent en tirer le
mérite de la position tout en cherchant à
compenser le manque à gagner par une activité
privée parallèle.

Tout en étant exigeant sur le respect du


contrat tacite que suppose l’engagement dans
une carrière hospitalo-universitaire, je plaide
pour une revalorisation des émoluments de ces
praticiens. Des salaires qui leur assurent une vie
digne pour récompenser à sa juste valeur, les
multiples missions qu’ils assument.

Généralement, quand on est nommé chef


de service, c’est pour la vie. Les cas de
révocations des chefs de service sont
anecdotiques. Ils ne sont soumis à aucune
évaluation de leur activité aussi bien
hospitalière qu’universitaire. Je propose que
l’on procède à un audit externe tous les cinq ans
pour statuer sur l’activité conduite et sa
conformité avec les objectifs assignés. La

157
fonction de chef de service, ainsi conditionnée,
exigera de son titulaire une vigilance et une
rigueur décuplée.

Le médecin, comme toute personne en


activité et peut-être plus que toute autre,
puisqu’il a entre les mains le bien-être et la vie
de ses semblables, doit être contraint d’attester
d’une formation continue selon un programme
aux objectifs clairement établis.

J’en viens au médicament, l’un des postes


les plus importants de dépense de santé. Un
effort louable a été accompli dans la promotion
de l’industrie pharmaceutique nationale et dans
son encadrement par des structures de contrôle
et de régulation. Hélas, comme toujours et
partout ailleurs, l’action n’est jamais conduite à
son terme et développée, pour atteindre des
objectifs quantitatifs et qualitatifs précis,
obéissant à une approche stratégique claire, et
mettant de manière synergique en action les
différents intervenants concernés. Pas moins de
44 unités industrielles opèrent dans la
fabrication du médicament, elles couvrent 67%
du volume pour 46% du chiffre d’affaire. Elles

158
sont toutes des resquilleuses sans pratiquement
aucune innovation. De par leurs tailles et leurs
ressources, elles sont incapables d’assurer une
activité de recherche et développement. Elles
s’étripent en se livrant une concurrence parfois
déloyale, pour se partager des parts de marché
sur des créneaux limités. D’où la multiplication
des génériques d’une même classe
thérapeutique, ce qui rend peu de service à la
santé publique. Les exigences sur la qualité et
surtout l’efficacité des produits n’est pas
suffisamment assurée. Les autorisations de mise
sur le marché ont, longtemps, été accordées,
sans égard à la bioéquivalence ce qui laisse
planer un doute sur l’efficacité et empêche
l’exportation de ces produits.

L’implantation des unités de production


est aléatoire. Elles sont très éloignées de la
faculté de pharmacie, dont la plus proche unité
est à soixante-dix kilomètres. N’aurait-il pas été
plus judicieux de leur consacrer un espace dans
la zone industrielle avoisinante, pour stimuler
l’interactivité avec les enseignants et les
chercheurs ?

159
L’État se doit d’entreprendre une action
de régulation et de rapprochement de ces unités,
sous la forme de consortiums, afin de créer des
synergies et de regrouper les ressources du
capital pour maîtriser les coûts de production et
booster la recherche et le développement. Il est
de son devoir de créer des pôles de recherche
dédiés au médicament comprenant des
chimistes, des pharmacologues, des biologistes,
des statisticiens, des juristes et des marketeurs,
afin de répondre aux attentes des industriels en
matière d’innovation et de résolution des
problèmes. Le financement de ces centres
pourra se faire en partie par une imposition des
industriels, sur la production et par une
contribution de l’État, sous la forme d’un
investissement récupérable sur les produits de
l’innovation.

En attendant que ces réformes soient


mises en application et qu’elles portent leurs
fruits, il urge de procéder à une liste limitative
des médicaments restreinte aux 350 produits
réellement efficients, recommandés par l’OMS.

160
Le sport, ce grand oublié.
« Le sport va chercher la peur pour la dominer, la
fatigue pour en triompher, la difficulté pour la
vaincre ».
Pierre De Coubertin.

Enfant et jeune adolescent, que n’ai-je pas


fait pour pouvoir pratiquer mon sport préféré, le
football ? Combien de fois, n’ai-je pas dû
m’ingénier pour tromper la vigilance de ma
mère et aller m’entrainer avec diverses équipes
et m’adonner à ma passion ? Est-il utile de
parler de ma passion de mon équipe favorite le
club africain ? Et pour les joueurs ? De mon
temps la star de l’équipe était Taher Chaïbi,
objet de ma vénération. Tous les lundis, à la
sortie des classes, j’accourais l’admirer alors
qu’il s’exposait à l’adoration du public sur la
terrasse du café de Paris.

Avec le temps, et sans raison particulière,


mon intérêt pour le football s’est
progressivement relâché. Je continue, tout de
même, à apprécier, à l’occasion, les

161
compétitions sportives de haut niveau, où la
prestation des athlètes s’assimile à de l’art. Sur
le tard, je me suis remis, à entretenir ma
condition physique, mais le constat général est
que la pratique d’une activité sportive dans la
population générale est très peu répandue. Elle
relève souvent d’une prise de conscience
personnelle et occasionne toujours pour celui
qui s’y adonne des frais et une disponibilité qui
ne sont pas toujours possibles. Le ministère du
sport n’accorde que très peu d’intérêt au sport
de masse et se focalise presque exclusivement
sur le sport d’élite. Comme toujours et dans la
gestion de tous les domaines, les moyens
manquent mais aussi l’innovation et la stratégie.

Les terrains dédiés au grand public sont


inexistants. Par conséquent, il n’y a ni
infrastructures ni personnels alloués. Il n’est pas
injuste de qualifier le ministère du sport de
ministère de l’élite et peut-être même de réduire
celle-ci au football, tant les autres disciplines
sont marginalisées. Les maigres moyens dont
dispose le ministère sont en large partie
consacrés au football.

162
L’introduction du professionnalisme dans
cette discipline a consacré les disparités entre
les équipes disposant de moyens financiers et
celles qui en sont dépourvues. Elle a drainé des
ressources substantielles de sponsoring aux
équipes les plus en vue et permis des
émoluments mirifiques aux footballeurs. De là
est né un Mercato avec des contrats sans aucun
rapport avec la réalité économique du pays.

L’activité professionnelle sportive dans


les pays industrialisés fait partie intégrante
d’une dynamique économique. Elle est une
vitrine pour la promotion de la production
industrielle. Or, que peut offrir cet usage dans
notre pays outre la promotion des produits
laitiers et des opérateurs téléphoniques ?

Des sommes considérables, parfois en


devises, sont dépensées en émoluments et
déduites des assiettes fiscales au détriment du
trésor public, de l’investissement et des
prestations sociales. Le tout pour des résultats
médiocres, les équipes nationales n’arrivent
même pas à égaler celles des amateurs d’antan.

163
Ainsi, dans le sport comme dans tous les
autres domaines, nous n’avons fait preuve que
de suivisme et de mimétisme. Aucune vision,
aucune originalité ne dicte notre politique
sportive. Alors, comment s’étonner que nous en
soyons acculés à aligner les échecs et les piètres
résultats dans les compétitions internationales
de haut niveau ?

Nous sommes perdants sur tous les


tableaux. Nos chiches moyens financiers sont
accaparés par le football et il n’en reste rien
pour les autres disciplines. La population ne
dispose pas d’espaces publics pour entretenir sa
condition physique et se ressourcer. Nos enfants
squattent le bitume pour s’amuser et jouer avec
tous les risques que cela engendre. L’urbanisme
galopant est conduit sans se soucier de
l’aménagement d’espaces dédiés au sport de
masse dans l’indifférence générale.

164
Les libertés individuelles.
« Il ne s’agit pas de tuer la liberté
individuelle mais de la socialiser ».

Joseph Proudhon.

Que sont les libertés individuelles sinon


des libertés naturelles que nous avions
délibérément cédées au profit de la
communauté, au nom du vivre ensemble et que
nous bataillons ensuite pour en récupérer des
pans.

Cette reconquête se fait par lambeaux, par


étapes, par chapitres ; elle suppose une avancée
qui accrédite l’individu et amenuise le champ
des contraintes qui lui sont imposées. Une
réappropriation qui s’opère sur un ordre
libertaire établi, parfois séculaire. Elle vient
secouer des convictions, des dogmes et des
habitudes ; autant de forces récalcitrantes,
hostiles au changement.
La légitimité de l’ordre entériné est
naturellement exposée à la pression du

165
changement. Il en résulte une opposition, source
de conflit, mettant à mal parfois la paix sociale.
Faut-il, pour autant, par frilosité, abandonner ou
bannir les desideratas de changement ?
Certainement pas, sinon cela reviendrait à figer
la société et entraver son adaptation aux
mutations culturelles et sociales qui façonnent
l’identité évolutive de la société.

Toute société se trouve régulièrement


confrontée à l’émergence de revendications
portées par une frange plus ou moins, large de
la population. Elle amène le débat sur la place
publique et suscite des réactions variables
pouvant déboucher sur des conflits parfois
violents. Le pouvoir en place se doit de créer les
conditions propices et apaisées pour un débat
serein. Il est de son devoir de résorber les
tensions et d’amener la société à gérer ses
conflits en usant de la panoplie d’outils
constitutionnels dont il dispose.

Néanmoins, et cela est fréquemment


observé, le politique, une fois au pouvoir, se
permet au gré de promesses électorales ou par
une inspiration conjoncturelle, d’introduire une

166
question de société dans le débat public. La
légitimité de cette démarche est justifiable, si
elle se fonde sur des engagements pris vis-à-vis
des électeurs et relaie une attente populaire
clairement exprimée ou larvée. Ainsi, le
politique amène le débat sur la place publique et
accompagne son dénouement grâce aux moyens
dont il dispose. La dérive viendrait plutôt du
politique, qui accédant au pouvoir, se sent tout
puissant au point de dicter à la société des choix
et des orientations qui n’ont fait l’objet
d’aucune revendication sociétale relayée par un
mouvement populaire.

Le suffrage exprimé ne délègue pas le


droit de brusquer la société ou de la violenter
avec des choix qui, indépendamment de leur
pertinence, n’emportent pas l’adhésion
générale. Au nom de l’avant-gardisme, du
progressisme et de la modernité, le politique
est-il autorisé à mettre en péril la stabilité de la
société qui n’en demandait pas tant ? C’est à la
limite une infantilisation de la société que de
s’autoproclamer tuteur et guide éclairé.

167
Je préfère, pour ma part, un conservatisme
qui préserve la cohésion sociale et l’harmonie
au progressisme qui divise et désoriente.
Certains ont parfois tendance à amalgamer
conservatisme et immobilisme. C’est une vision
réductrice et inexacte qui ne tient pas compte de
l’évolutivité des valeurs et repères identitaires
qui animent le conservatisme. La société, même
si elle se réclame du conservatisme, évolue
malgré elle car son identité est en perpétuelle
mutation. Il s’agit certes d’un glissement lent
qui n’est franchement perceptible que sur
quelques décennies, mais elle évolue. Aussi
conservatrice soit-elle, elle est travaillée en
profondeur par les mutations qui touchent les
divers champs de l’activité humaine. Elle se
trouve naturellement contrainte de s’y adapter.
Cette transformation progressive a le mérite de
s’accomplir sans heurts et préserve l’unité
nationale. Une telle démarche ne saurait
satisfaire les hérauts des libertés individuelles.
En effet, la quête de l’harmonie sociale laisse
peu de place aux transgressions individuelles de
l’ordre établi. Il y a un choix à faire entre
l’ensemble et l’individu. Pour ma part, mon
choix de responsable, dont la mission est de

168
veiller à la cohésion sociale, me porte à
privilégier la société face à l’individu.
Toutefois, le parti pris de la société doit
aménager un espace de tolérance pour les
minorités, à défaut de déboucher sur un système
totalitaire et liberticide. Or, si le politique au
pouvoir a pour mission de veiller à maintenir la
cohésion sociale, il se doit également de
protéger les minorités. Celles-ci ont le droit de
vivre leurs différences en toute quiétude à
condition qu’elles respectent l’espace public.
Nul ne devrait être sanctionné pour sa
différence tant que celle-ci n’a pas porté
préjudice à un tiers.

Ceci rejoint la conception que je me fais


de l’identité comme un concept ouvert, inclusif,
s’articulant autour des déterminants
unanimement consentis et avalisés par les
membres de la communauté. Au politique de se
saisir du dénominateur commun identitaire,
pour être en phase avec la communauté
nationale. Néanmoins, s’il reste le gardien du
temple de l’unité, il ne s’absout pas pour autant
d’accompagner les courants de pensée
novateurs qui peuvent émerger. Il est de son

169
devoir de veiller à la liberté d’expression et de
revendication et d’assurer que le débat se tienne
dans des conditions apaisées.

J’écris ces lignes en pensant,


particulièrement, à l’incitative du président
Caïd Essebsi en vue de promulguer l’égalité de
l’héritage entre les héritiers indépendamment de
leurs genres. Une décision qui n’a pas manqué
de diviser les tunisiens. Ceux qui la rejettent, la
considérant comme une atteinte aux dogmes
religieux et ceux qui la saluent comme une
avancée indéniable dans la concrétisation de
l’égalité homme-femme. Quelques soient, les
positions et les à priori vis à vis de cette
initiative, il est incontestable qu’elle a heurté la
majorité des tunisiens. Même si elle a recueilli
l’approbation et le soutien d’une frange de la
population, elle n’a pas été dictée par un
mouvement populaire vindicatif, mais bien le
fait de la volonté d’un seul homme. L’accès à la
magistrature suprême autorise-t-elle un Homme
à dicter sa loi à la société, à y introduire la
division et la discorde ?
Pour ma part, je ne conçois pas ainsi le
rôle et la mission du chef d’État.

170
Nul n’a le droit de décider pour les autres,
donc pour la société, ce que devrait être son
mode de vie ou ses choix. Le président de la
république n’est pas le père de la nation, ni
même le premier des tunisiens. Les tunisiens
n’élisent pas un tuteur, mais l’un d’entre eux
qui doit assurer les conditions de leur quiétude,
de leur stabilité et gérer leurs conflits en usant
des prérogatives que lui accorde la constitution.

Une initiative d’autant plus malvenue


qu’elle n’avait pas fait l’objet d’une promesse
électorale et qu’on pourrait être amené à
considérer comme l’exécution d’un engagement
pris devant la nation et cautionné par
l’expression du suffrage.

L’ère des leaders éclairés et paternalistes


est révolue. Elle est incompatible avec l’esprit
républicain, avec des citoyens libres et égaux,
affranchis par essence de tout paternalisme.
L’éclairé et le clairvoyant est celui qui n’arrête
pas de prendre le pouls de la nation et non
l’extravagant narcissique qui considère qu’il est
en charge d’un troupeau, dont il est le seul à
déterminer ce qui lui sied d’adopter. D’ailleurs,

171
moult exemples de par le monde et
particulièrement dans des modèles de société
qui nous sont proches, ont prouvé que certaines
avancées accomplies à force de légalisation
violentant la société, mettent du temps pour être
socialement entérinées. Alors qu’ailleurs, on
parvient au même résultat en laissant
l’évolution et les transformations naturelles
opérer.

Pour revenir à l’initiative du président


Caïd Essebsi, au-delà de la récupération
politique dont il a été accusé, l’accès à l’égalité
d’héritage aurait été rendue possible sans
heurter la société, en facilitant et en
encourageant le legs testamentaire. Ainsi, il
deviendrait possible aux uns et autres de choisir
le mode et les parts transmises aux héritiers en
toute conscience et sans contrainte légale, qui
bien des fois, est en opposition avec les
convictions personnelles. Donc, avec des
libertés individuelles !

172
Écologie…mode de vie.

« Mieux vaut prendre le changement par la


main avant qu’il ne nous prenne par la gorge ».
Winston Churchill.

Innover, sortir des sentiers battus,


s’ingénier en ouvrant de nouveaux horizons,
c’est ainsi et seulement que la Tunisie pourra
espérer renouer avec la prospérité. Nous devons
savoir garder un œil sur le monde et les
soubresauts qui l’animent et l’autre sur notre
réalité. Autrement, nous serons une société
bâtarde qui se sera reniée sans parvenir à
ressembler à celles qu’elle cherche à imiter.
C’est ainsi que je conçois les problématiques
sociétales auxquelles nous sommes confrontés.
Cette approche m’amène à associer le souci
écologique au mode de vie dans lequel nous
évoluons.
Aujourd’hui, une partie du monde accorde
une importance toute particulière à l’écologie.
Le réchauffement climatique, la raréfaction des
ressources naturelles, l’adoption de nouveaux
comportements et mode de consommation sont

173
au cœur des préoccupations des pays
développés. La prise de conscience et la
sensibilisation autour des questions
environnementales sont perçues de ce côté-ci de
la méditerranée comme une lubie de riches.
Elles sont considérées comme étrangères à
notre réalité, sans rapport avec nos soucis
quotidiens. Bref, des inquiétudes de sociétés de
surconsommation sans rapport avec notre
indigence. Certes, nous sommes naufragés d’un
même navire, comme dirait Antoine de Saint-
Exupéry, mais la pression du moment l’emporte
sur des considérations planétaires.

En effet, comment convaincre les


habitants de nos hameaux enclavés de renoncer
à se servir de la forêt pour récupérer du bois de
chauffe ou y pâturer ? Comment convaincre nos
citoyens que l’espace public est une propriété
commune dont la propreté incombe à tous ?
Comment persuader nos industriels, nos
artisans, les professionnels de la santé et même
l’ONAS de ne pas déverser dans la nature leurs
déchets ? Comment convaincre nos pêcheurs de
respecter les périodes de repos biologique et
d’abandonner la surpêche ? Comment

174
réhabiliter notre tradition culinaire plus saine et
moins coûteuse ? Comment réparer les dégâts
causés par l’adoption des semences
génétiquement modifiées qui placent notre
agriculture sous tutelle, détruisent notre
patrimoine génétique, menacent notre sécurité
et souveraineté alimentaire et notre santé ?
Comment convaincre le consommateur et
l’industriel d’abandonner les produits en
plastique jetables et nocifs dont les sacs
d’emballage, les bouteilles en PVC, les pailles,
les couverts, assiettes et plateaux-repas et
autres, qui dégageront notre environnement des
déchets solides irréductibles et réhabiliteront
des supports traditionnels et artisanaux ?
Comment convaincre nos communes d’adopter
des plans d’urbanisme plus respectueux de la
nature et une architecture harmonieuse
conforme à notre climat et à nos traditions ?

Notre quotidien s’en ressent. Notre vie


n’est plus la même. Notre paysage se dégrade à
vue d’œil. Notre pays est devenu une grande
poubelle à ciel ouvert à laquelle nous nous
sommes habitués et résignés. Notre belle
Tunisie se fane. Nos forêts reculent et se

175
clairsement, nos plages se polluent et notre mer
devient un désert liquide, l’air de nos centres
urbains est irrespirable aux heures de pointe.
Notre urbanisme ne respecte ni le paysage ni
l’esthétique. Nos réserves naturelles sont
assiégées et morcelées. Nos côtes sont
défigurées par le béton. Nos terres agricoles
fertiles se transforment en cités. La pierre étant
devenu le seul refuge de placement autant pour
les ménages que pour les entrepreneurs, la
brique rouge a pris la place de la blancheur
légendaire de nos façades.

Qu’avons-nous fait de notre beau pays ?


Le changement climatique n’est pas une
vue de l’esprit, les habitants du sud et les
agriculteurs peuvent en témoigner. La
désertification et la raréfaction de la
pluviométrie rétrécissent l’espace cultivable.
Nous subissons le stress hydrique dans une
inconscience quasi-généralisée, sans nous y
adapter ou modifier nos comportements. La
Tunisie louée par les poètes n’est plus aussi
verte.

176
En l’espace de quelques décennies, nos
comportements ont été chamboulés. Nous avons
acquis de nouvelles habitudes alimentaires. La
pression consumériste et l’introduction de
nouvelles denrées et préparations, nous ont
détourné d’une tradition culinaire séculaire en
phase avec notre terroir. En l’absence de
repères et de valeurs, le tunisien est poussé à
consommer frénétiquement au-delà de ses
besoins et de ses moyens. L’appel des
enseignes, des grandes surfaces, des franchises
et de la publicité devient insoutenable. Nous
avons abandonné une certaine forme de
frugalité apaisante pour nous lancer dans un
mimétisme envieux du voisin. Une course
effrénée pour ne pas être en reste, source d’un
mal être général. Être obligé de dépenser
davantage pour soutenir la comparaison, pour
ne pas décrocher de rang social. Un dilemme
difficile à soutenir, surtout, comme c’est
souvent le cas, les moyens sont limités. Faute
de transport en commun efficient, la voiture est
devenue indispensable avec parfois autant de
véhicules que de personnes actives dans la
famille. Par conséquent, les routes sont
embouteillées dès les premières heures de la

177
journée, la facture énergétique s’emballe et nos
nerfs sont à vif.

Autant dire, chacun des points noirs


évoqués mérite à lui seul une stratégie
nationale. L’inversion de la tendance et
l’adoption d’un nouveau comportement ouvre la
possibilité de nouveaux emplois et de créneaux
de croissance. L’abondant criminel du transport
en commun délaissé au profit de la voiture et de
ses lobbys, nous coûte cher. Outre l’hémorragie
liée à l’importation des voitures et de leurs
pièces de rechange, nous payons lourdement
une facture énergétique d’hydrocarbures, nous
allouons un budget conséquent à
l’aménagement des routes et des ponts à leur
entretien, nous polluons notre environnement,
mais le plus grave est que la majorité de notre
population, et en particulier les moins nantis,
souffrent quotidiennement pour se déplacer.
L’extension de la voie ferrée, de nos lignes de
métro et de notre parc de bus améliorera notre
quotidien et la qualité de notre vie.
L’exploitation rationnalisée de notre parc
forestier et l’intensification de la reforestation
préserveront notre équilibre écologique,

178
endigueront la désertification et développeront
des activités dans l’industrie du bois, les plantes
médicinales, la villégiature et l’écotourisme. La
mer et son économie bleue nous offrent des
perspectives incommensurables de
développement. Notre pays qui est un don de la
méditerranée de par l’étendue de son domaine
maritime et sa position stratégique. Des
domaines comme la biochimie marine, l’énergie
marine (houle, vague et vent), l’aquaculture, la
conchyliculture, le tourisme côtier et de
plaisance, la protection de l’environnement
marin, le transport maritime et logistique, la
construction navale et l’activité portuaire sont
autant d’activités à entreprendre et de leviers de
croissance et d’emplois. La gestion de l’eau par
l’intensification des points de rétention et
l’entretien des barrages et des axes fluviaux est
une urgence nationale. Un retard énorme a été
enregistré dans le développement et
l’application d’une stratégie nationale pour faire
face à la menace de la pénurie en eau que tous
les efforts doivent être conjugués pour y
remédier en exploitant toutes les alternatives
qui s’offrent à nous. Il ne s’agit plus de
privilégier une piste particulière mais de

179
mobiliser les différentes options tout azimut, du
recyclage de l’eau à la désalinisation.

L’énergie verte est pour notre pays une


option sérieuse pour l’autonomie et la sécurité
énergétique avec autant de piste que de
ressource. Néanmoins, dans un pays qui
bénéficie de 280 jours d’ensoleillement, une
attention toute particulière doit être accordée à
l’énergie solaire. Rien ne justifie la timidité des
mesures prises jusqu’ici ni le délai mis à
l’exécution des grands projets annoncés.
Toutefois, il est hors de question de laisser
usurper cette opportunité comme cela a été le
cas de nos réserves naturelles. L’énergie solaire
doit être totalement tunisienne de la conception
à l’exploitation. Aucune collaboration autre que
technique ne serait acceptable.

180
Postface

Ce livre est à présent terminé mais il n’est


pas achevé, tant les sujets évoqués auraient pu
être davantage développés et tant d’autres
auraient dû être traités. Il est inachevé car nos
rêves pour notre pays n’ont pas de limites et se
fécondent les uns des autres. J’expose une
vision d’un projet d’avenir pour mon pays. Elle
est porteuse d’espoir dans un moment crucial où
l’inquiétude grandit et prend le dessus, où les
attentes déçues et les promesses non tenues ont
ruiné la confiance dans l’aéropage politique. La
démocratie sur laquelle ont été fondés tant
d’espoirs s’avère un exercice périlleux qui
exige des pré-acquis et des préalables qui nous
font défaut. La liberté sans un projet de société
qui la canalise expose à l’anarchie.
L’évanescence de l’État et de la république fait
le lit de l’individualisme et du chacun pour soi.
La crise économique combinée au
chamboulement de l’échelle des valeurs ouvre
la porte à la corruption et à déstructuration
sociale. L’argent fait foi et loi.
Le déclassement de notre pays attesté par
les différents indicateurs et instances
internationales n’est pas une fatalité. Il
n’incombe pas uniquement à la gestion
calamiteuse postrévolutionnaire mais tire son
origine de la dérive opérée sous Ben Ali. Le
désengagement de l’État de l’enseignement, de
la formation, de la santé, de la justice, la perte
de la compétitivité, de la corruption, la fuite de
nos compétences, la clochardisation de l’espace
médiatique, traduit l’aggravation d’une situation
déjà précaire.

Mon intime conviction est que rien n’est


perdu, la tendance peut être inversée, nous en
avons les moyens. Nous faisons face à un
problème et à un sinistre. Le problème c’est la
récession économique dans laquelle le pays est
englué. Elle est la conséquence d’une gestion
politique sans vision et qui s’entête à persévérer
dans l’erreur. Elle s’obstine à poursuivre la
chimère d’une mondialisation que n’avons pas
les moyens d’affronter essentiellement par
manque de compétitivité, d’innovation et
d’organisation du travail. Je ne vois d’issue,

182
dans l’urgence, que d’adopter, dans l’immédiat
et pour une durée déterminée, le
protectionnisme sectoriel couplé à l’application
de la TVA sociale pour doper la croissance et
l’emploi. C’est en retrouvant le chemin de la
croissance économique que nous serons en
mesure d’affronter le sinistre. Celui-ci tient à la
déperdition des valeurs fondamentales. Le
rétablissement du respect du travail, de l’effort
et du mérite ne peut se faire que dans une
société apaisée, soustraite à l’angoisse du
quotidien et envisageant l’avenir avec un
minimum de sérénité. Les piliers de cette
action seront le couple famille/école. Une action
qui ne portera ses fruits qu’après une
génération. Alors la Tunisie sera en pole
position pour envisager de rejoindre le concert
des nations développées et entreprendre un
modèle économique extraverti.

Ce livre est le témoignage d’un homme


qui refuse de se résigner. C’est un gage de
détermination pour continuer la lutte pour la
Tunisie rêvée sans relâche et sans concession.
C’est l’engagement formel de se dresser en face
des forces du mal qui opèrent sciemment pour
nous dépouiller de notre volonté et de
s’approprier le fruit de notre labeur. Nous
continuerons notre combat pour une Tunisie
florissante, innovante et fière de sa tunisianité.
Réunie autour des valeurs qui font le socle de sa
cohésion sociale et tolérante pour le droit à la
différence. Républicaine, offrant à tous l’égalité
des chances et de traitement mais encourageant
le mérite et la réussite. Soucieuse de l’ordre et
de la primauté des lois mais conciliante et
miséricordieuse pour ceux qui ont fauté.
Solidaire et protectrice, où nul n’est abandonné
à la marge. Souveraine, où le gouvernement est
celui du peuple, par le peuple pour le peuple
grâce à une démocratie participative directe loin
de toute oligarchie et de toute
instrumentalisation médiatique.

Ce rêve est à portée de main. Il ne nous en


sépare qu’une forte mobilisation et une prise de
conscience des enjeux. Mobilisons-nous,
faisons de sorte que nos rêves deviennent
réalité.

184

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