Le Bonheur Est Dans Le Village
Le Bonheur Est Dans Le Village
Le Bonheur Est Dans Le Village
Nicolas Hazard
de nos campagnes
Flammarion
© Flammarion, 2021.
ISBN : 978-2-0802-3403-2
Introduction
Introduction
Je suis bien au contraire convaincu que nos territoires ruraux vont ringardiser
les métropoles. Leur potentiel est gigantesque et il serait grand temps que
nous investissions massivement en eux. Nos campagnes ne sont pas des
boulets que l’on se traîne mais portent en elles, comme nous le ver-rons tout
au long de cet ouvrage, des outils concrets pour construire le monde et
l’économie de demain. Et j’irai même plus loin : elles sont pour beaucoup
une composante essentielle d’une meilleure qualité de vie, d’une économie à
visage humain et d’une forme de bonheur recouvré.
Le bonheur est dans le village Le bonheur, c’est un bien gros mot pour
certains.
Nous y avons presque renoncé. Car notre quotidien est souvent très dur, et
nous sommes plus que conscients des défis qui nous attendent. Chacun est à
la fois bénéficiaire et victime d’une société de consommation prédatrice. La
majorité des citoyens est prise dans une forme d’immobilisme ou d’atten-
tisme. Tout résignés que nous soyons, « en vrai » nous souhaitons pourtant
tous être utiles à nos proches, à nos enfants, à notre ville, à notre pays, à notre
planète.
Nous pressentons bien que se rendre utile sera le premier pas vers un bonheur
authentique nous permet-tra de retrouver un sens à son métier, à sa vie. Il faut
juste en trouver l’occasion, le cadre, le courage.
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Introduction
Depuis près de dix ans, mon combat est de soutenir tous ceux qui souhaitent
construire un autre monde. Un autre horizon économique où chacun peut
trouver une juste place, où notre planète est protégée. J’ai ainsi créé INCO,
un groupe qui finance et accompagne à travers le monde des entrepreneurs
qui montent des projets créant des emplois pour demain tout en respectant les
individus et l’environnement.
Le bonheur est dans le village reste persuadé que pour être utile, il faut
commencer par être heureux.
Pour donner aux autres, il faut se poser la question du bonheur pour soi-
même. L’éprouver et le vivre dans son intériorité. Nous sommes de plus en
plus nombreux à suivre cette quête de sens, à chercher à savoir quel
environnement nous serait le plus favorable, non pas pour sauver le monde,
mais déjà pour redonner du sens à notre vie. Voilà sans doute le pendant de
l’individualisme vers lequel notre civilisation néolibérale nous a
progressivement menés. Elle nous a laissés orphelins de l’intérêt général, de
la notion de collectif, de ses valeurs de partage et de solidarité. Alors faisons
comme au judo, appuyons-nous sur la force de notre adversaire pour mieux le
faire vaciller.
Trouvons les conditions d’un réel bonheur individuel réel. Et de fait, elles
s’éloignent de plus en plus de l’eldorado urbain.
toutes simples, et qui fonctionnent déjà. Mises bout à bout, elles dessinent un
autre avenir. Elles démontrent que nous pouvons tous à notre échelle être
acteurs du changement.
Ces personnages ont le plus souvent des itiné-raires en dehors des grandes
métropoles mondialisées. Pourquoi ? Parce qu’il semblerait bien que
l’espace, le temps et la nature retrouvés soient une condition de la liberté, de
la coopération et de l’innovation sociale véritable. Cela ne signifie pas que les
grandes villes ne peuvent pas abriter de projets intéressants, mais je suis
intimement convaincu qu’elles ne pourront à elles seules dessiner notre
horizon.
RETROUVER LE SENS
« Celui qui possède un pourquoi qui le fait vivre peut supporter tous les
comment. »
Friedrich NIETZSCHE
(108 habitants)
Jeune diplômée des Arts déco de Paris, Tulipe gagnait sa vie en concevant les
vitrines des grands magasins de luxe. Avec son sens aigu de l’esthé-tique, son
métier consistait à chercher le meilleur moyen de mettre en valeur des sacs à
main et des bijoux aux prix mirobolants. Susciter l’envie, la curiosité ou le
besoin d’un simple regard est loin d’être évident. Elle savait pourtant créer
une parfaite harmonie entre la lumière, les couleurs et les produits, si bien
que son travail était reconnu dans toute l’Europe.
Les attentats de Paris du 13 novembre 2015 ont, pour elle, été un révélateur.
Le climat général pesant qui s’en est suivi, entre les souvenirs des bains de
sang et la cacophonie européenne autour 17
Elle va finir par sauter le pas. C’est décidé, elle sera boulangère ! Mais
attention, forte de convictions écologiques chevillées au corps, elle ne veut
pas faire n’importe quoi. Elle se forme donc à l’agriculture biologique en
même temps qu’elle passe son CAP de boulangerie dans la prestigieuse École
Ferrandi. Pendant toute cette période, Tulipe vit à un rythme effréné. Elle
manie colliers et articles de maroquinerie le jour, et pétrit la pâte la nuit
pendant ses stages de boulangerie.
Son diplôme en poche, elle quitte tout pour s’installer avec son compagnon
dans les Pyrénées, dans la sauvage vallée de la Barousse. Pourquoi là-bas ?
Tout simplement parce que c’est la région des farines bio qu’elle utilisait à
Paris… Il lui a fallu un peu de temps pour se faire pleinement accepter dans
cette contrée enclavée, mais elle a finalement réussi à convaincre de la
pertinence de son projet.
Avec cinq autres boulangères, Tulipe a créé une société coopérative. Son idée
est de planter des variétés de blé et de légumes anciens, souvent quasiment
disparues, pour refaire des pains que l’on 18
Se reconnecter à soi faisait autrefois. Une boulangerie d’un nouveau type qui
remet au goût du jour les traditions de nos ancêtres. Et ça a marché, elle a
obtenu le soutien de son village pour construire un fournil communal au feu
de bois, comme à l’époque. Les habitants sont ravis. Eux qui n’avaient même
plus de boulangerie voient désormais les touristes et les gens des alentours
affluer pour goûter à ces produits intemporels.
**
*
Comme les attentats pour Tulipe, la crise du coronavirus et les mois de
confinement ont été pour nous tous l’occasion de reconsidérer notre modèle
de société et ce que l’on peut en attendre.
Mais aussi plus profondément, individuellement, pour les années qui nous
restent à vivre.
Et nous avons tous des désirs profonds ancrés en nous. Pour Tulipe c’était le
pain, pour d’autres c’est l’envie de créer un potager, de faire de la pote-rie, de
travailler le bois… Le point commun : se reconnecter au corps, à soi. Se
poser, s’enraciner, reprendre le contrôle de choses simples. En ville, 19
Le bonheur est dans le village ce n’est pas facile : tout est complexe,
changeant, codé. On manque d’espace. Tout sollicite davantage notre raison
que nos émotions profondes.
La
tertiarisation
de
l’économie
concentre
aujourd’hui dans les grandes villes des métiers dont 1. G. Simmel, Les
Grandes Villes et la Vie de l’esprit, in Philosophie de la modernité, Payot,
1989, trad. J. L. Vieillard-Baron et F. Joly.
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(613 habitants)
Aurélie veut donner plus de sens à son métier, convaincue que son savoir-
faire peut faire la différence et améliorer le quotidien de ceux qui sont le plus
en souffrance. Elle se rapproche dès lors de plusieurs organismes qui
proposent des formations médicales pour obtenir le diplôme d’État de socio-
esthéticienne. L’idée est d’apporter des soins aux 23
**
*
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Souvenons-nous que les congés payés pour tous ne datent que de 1936… Et
c’était quinze jours, et non pas cinq semaines comme aujourd’hui.
Si écrire un mail nous prend cinq fois moins de temps qu’écrire une lettre,
trouver une enveloppe, acheter un timbre et poster le pli, nous ne nous
contenterons pas de profiter du temps libéré pour nous prélasser. Nous
écrirons cinq fois plus de mails à deux fois plus de gens, et nous recevrons
trois fois plus de réponses ! Si une technique nouvelle permet à une
esthéticienne d’effectuer un soin plus vite, on lui demandera de prendre
davantage de clients…
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Avide de rentabilité, elle efface le progrès technique et les gains que nous
pourrions en tirer en qualité de vie, en capacité de réflexion, de création ou de
contemplation. En résultent stress, hyperactivité, dépression, troubles de
l’attention, tous en augmentation sensible depuis le début de notre siècle, tout
particulièrement en milieu urbain. D’où les fameux burn out que j’ai peine à
constater de plus en plus souvent.
Les maux et désordres collectifs ont de violentes retombées sur nos corps,
nos cœurs et nos esprits.
Entre Marie-Claire et son village, c’est l’histoire d’un amour fou, jamais
déçu. Un amour né sous de bons auspices, puisque sa naissance coïncide avec
le jour où son père est élu maire de Saint-Bertrand-de-Comminges pour la
première fois, ce jour donc où il est devenu père et maire à la fois, comme
elle s’en amuse. Marie-Claire a grandi dans cette cité médiévale sur le
chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, sur laquelle est perchée une
magnifique cathédrale semblant surgir de nulle part. Un décor de carte
postale classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, pourtant bien éloigné
des grandes routes touristiques. Après des études d’agriculture à Toulouse,
elle démarre sa carrière avec l’ambition de contribuer à faire émerger la
ruralité de demain. Ses vingt premières 29
30
**
*
Marie-Claire a une force de conviction incroyable.
Pourtant, il s’agit pour moi d’un enjeu stratégique national tout à fait
prioritaire ! Il est indispensable de construire une alternative réelle et crédible
à la métropolisation à marche forcée, à une mondialisation trop inégalitaire et
écocide. Réussir à inventer des solutions locales innovantes issues des
territoires notamment ruraux sur ces sujets clés, inverser les dynamiques
économiques : voilà l’ambition !
Le bonheur est dans le village quelques mois au sein de cette ancienne ferme
réha-bilitée. Ils testent leur idée sur le territoire du Comminges, en binôme
avec des acteurs locaux. Une Silicon Valley de l’innovation rurale, pour des
projets qui ont du sens.
C’est d’autant plus précieux que bien des gens ont aujourd’hui du mal à
expliquer leur métier à leurs enfants. Tant de personnes doutent de l’utilité
sociale de ce qu’ils font entre 9 heures et 18 heures !
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Donner un sens à sa vie La possibilité même de ces métiers absurdes est liée
au triptyque de la financiarisation et la juridicisation de l’économie où le
contrôle (ou l’évitement) des règles est en soi une activité et un revenu, à
l’attachement viscéral au travail comme identité sociale et à la compensation
par la consommation. Conscients à chaque minute de nos journées de
l’absurdité ou de l’obscurité de nos tâches, nous sommes incapables de nous
en délivrer par nous-mêmes, nous estimant heureux d’avoir une position
sociale et de pouvoir nous oublier dans la consommation. Les phénomènes de
bore out, ou d’ennui profond au travail, démontrent à quel point nous
sommes prisonniers d’un modèle de performance abstraite, sans égard pour la
valeur humaine du processus de production. Ces considéra-tions ne sont pas
que politico-morales : la souffrance au travail est en pleine augmentation en
France, avec plus de 3 millions de personnes en danger d’épuisement, surtout
dans les métiers intellectuels jusque-là épargnés, comme le montrent les
consultations spé-cialisées et les reconnaissances officielles par l’assurance
maladie, qui ne sont sans doute que la pointe émergée du phénomène 1.
33
Le bonheur est dans le village Retrouver le sens dans son travail est
absolument essentiel. Se sentir utile à la société, contribuer à construire un
autre monde, c’est une tendance lourde que je constate, en particulier auprès
des jeunes générations.
Se reconnecter à la nature Tristan, Gers/Haute-Garonne
Tristan a grandi dans les Pyrénées. Dès son plus jeune âge, il aimait se perdre
dans les montagnes à la découverte de la faune et de la flore qui l’entou-
raient. La liberté c’est ce qu’il a toujours chéri le plus, une évidence pour lui,
une boussole dans ses choix de vie. Exercer une profession qui a du sens, en
contact avec la nature, c’est toute l’ambition de Tristan, ce qui le caractérise.
Alors quand il voyait passer les bergers devant sa maison, cela a très vite été
une évidence pour lui : il en fera son métier.
C’est aujourd’hui le plus jeune éleveur berger de son village. Il déplace son
troupeau en fonction de la pousse de l’herbe, suivant ainsi la ressource là où
elle se trouve. Chaque année, au printemps, il part du piémont pyrénéen, où il
est né, pour gagner la haute montagne où il passe l’été avec son troupeau.
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Le bonheur est dans le village C’est l’estive. En haute montagne, dans une
cabane souvent très rustique, sans réseau téléphonique, Tristan passe douze à
quatorze heures par jour à prendre soin de ses bêtes. L’année dernière, il a
emmené ses brebis sur un territoire déserté par les bergers, du côté espagnol,
car d’ordinaire très fré-quenté par l’ours. Il s’y est préparé. À ses yeux, tout
est une question d’équilibre, l’important c’est l’avenir du pastoralisme, que
l’on se doit de préserver. À l’automne, sa saison préférée, il redescend avant
de regagner en fin d’année le Gers et ses terres céréalières.
36
Se reconnecter à la nature
**
« occupent une chambre d’hôpital avec vue sur un paysage naturel plutôt que
sur un mur en briques ».
37
Au-delà du cas français, c’est un clivage pro-noncé qui se dessine entre pays
de tradition catho-lique et de tradition protestante. Nous n’avons pas chez
nous l’équivalent d’un président amoureux de la nature comme l’Américain
Theodore Roosevelt (1858-1919), à qui l’on doit la sanctuarisation du
premier parc naturel du monde, Yellowstone, créé 38
Nous sommes nombreux à vouloir changer de vie. Après avoir été jugée
archaïque et rétrograde, la campagne fait rêver. Non pas tant pour son décor
reposant que comme une véritable alternative.
Et ce d’autant plus que le modèle est validé par les ruraux eux-mêmes : seuls
5 % de ces derniers disent vouloir quitter leur environnement. Ainsi, quelles
que soient les trajectoires de vie (néoruraux, ruraux natifs, ruraux de retour),
l’immense 1. IFOP pour Familles rurales, 2018.
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Marie-Lucie et Hugues sont tous les deux médecins. Après leur externat en
Auvergne, on leur a proposé de belles opportunités professionnelles à
Toulouse, dans de prestigieux services. Alors ils ont essayé, mais se sont très
vite rendu compte que leur truc c’était de vivre à la campagne. La vie en ville
ne leur convenait pas, malgré les défis professionnels qui leur étaient offerts.
Contrairement aux idées reçues, certains territoires ruraux ont ainsi réussi à
devenir attractifs dans le domaine de la santé. L’Aveyron peut se targuer
d’être l’un des départements français à pouvoir afficher un solde positif de
médecins généralistes. On y compte actuellement 41 projets d’installation
pour 12 départs à la retraite ! C’est le fruit d’un volontarisme sans faille du
conseil départemental dans l’accueil des internes, alliant aides financières à
l’hébergement, aides logistiques pour la recherche du logement, ou encore
aide à l’installation professionnelle du conjoint (peut-être le critère le plus
décisif ). Un stage « médecin pompier », unique en France, permet de
valoriser les compétences des internes. Les réseaux sociaux sont alimentés
régulièrement pour maintenir le sentiment de communauté et un week-end «
Adrénaline » est organisé pour découvrir le département et renforcer les liens
42
**
L’idylle entre ruraux et néoruraux n’est pas non plus gagnée d’avance. Ainsi,
pour une partie des élus ruraux, l’arrivée d’urbains leur fait craindre des
demandes excessives en matière d’équipements et de services. Ces nouveaux
résidents peuvent en effet être habitués à disposer de certaines facilités en
ville, pas toujours compatibles avec la vie à la campagne. Sans compter les
histoires ubuesques de voisinages qui parfois se multiplient : procès pour
chant de coq trop matinal, conflit autour de l’épandage de lisier ou de 43
44
45
Christine et Nicolas ont passé vingt ans dans la banque et la pub, et un beau
jour, ils se sont rendu compte qu’ils avaient fait le tour de leurs univers
professionnels respectifs. C’était à un moment où la folie « start-up nation »
commençait à émerger en France. Ils trouvaient insensé que l’on soit obsédé
par la Silicon Valley à laquelle on voulait absolument ressembler alors même
que le monde entier recherchait des artisans français, souvent formés dans
des écoles parmi les meilleures du monde ! Pourtant eux, on ne les soutient
pas…
Christine et Nicolas constatent autour d’eux que ces artisans galèrent pour
s’installer. Entre les locaux, la mise aux normes, les outils et machines, le
coût d’entrée est souvent trop élevé… Les 47
Make Ici s’installe partout dans les territoires, comme à Lormes, dans le
Morvan, pour porter un pôle d’excellence autour de la filière du bois. À la
fois centre de formation aux métiers de la transformation du bois et fabrique
pour artisans, Ici Morvan a pour vocation d’être un lieu d’hébergement et de
préparation à l’installation pour ceux qui veulent faire leur vie « ici ». Un
important travail de mise en relation entre les TPE et PME et des potentiels
repreneurs est également organisé.
48
**
Les métropoles sont considérées comme le lieu des possibles où chacun peut
trouver sa place ; des lieux de brassage multiculturels où exprimer ses
compétences et poursuivre ses rêves. Elles offri-raient les plus grandes
opportunités d’emplois, des plus qualifiés aux tâches subalternes, mais
principalement dans les services ! L’industrie, l’artisanat ou l’agriculture,
c’est pour les pays en développement.
Christine et Nicolas ont dès le départ été confrontés à ces stéréotypes, et ils
sont légion.
Chaque ville travaille son image, son logo, son slogan, pour attirer les
investisseurs, les habitants, les entreprises, les touristes 1. Chacune se veut
ainsi connectée, innovante, jeune, verte, créative… Chacune puise dans
l’arsenal des bonnes pratiques pour développer son pôle de start-up, sa
végétalisa-tion, son centre commercial, ses gratte-ciel. Le 1. Benoît Bréville,
« Quand les grandes villes font séces-sion », Le Monde diplomatique, mars
2020.
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Le bonheur est dans le village modèle absolu étant une ville où le numérique
gère au mieux les flux de personnes, de véhicules, de marchandises, de
déchets, de chaleur, d’énergie et d’informations ; grâce à des millions de
capteurs, de caméras, d’automatismes, des QG de surveillance, des
algorithmes, des drones et des satellites.
Il est vrai que toutes ces villes ont été le creuset historique des libertés, de
l’épanouissement individuel, des échanges, de l’ouverture à l’autre et des
brassages de cultures. On quittait la campagne pour aller en ville, s’en sortir,
réaliser ses solutions, être indépendant, vivre sa sexualité, s’épanouir…
Pourtant, je suis convaincu que les choses ont changé. Cette urbanité rêvée
n’est plus la réalité vécue par la majorité d’urbains qui s’est dessinée sur la
planète au début du siècle. Être heureux dans les métropoles reste surtout le
privilège de quelques-uns, d’une classe hypermobile, à l’aise avec le rythme
et les codes de la mondialisation, et disposant des revenus nécessaires. Où en
sont les autres ? Très souvent englués dans une réalité beaucoup plus
précaire, subie, et avec peu de perspective si ce n’est d’en réchapper.
Les millions de mètres carrés de bureau qui font l’orgueil des métropoles ont
déjà perdu une bonne partie de leur raison d’être. Certes, elles auront 50
Un sondage a révélé que sept Franciliens sur dix souhaiteraient quitter leur
région 1 !
On grandit mieux, on vieillit mieux en milieu rural ou dans des petites villes.
Le projet de Christine et Nicolas correspond à une véritable aspiration
nouvelle. Alors qu’on nous annonce des innovations perpétuelles, des métiers
en mue, des 1. Étude réalisée par l’Observatoire société et consommation
pour le Forum Vies mobiles en 2018.
51
Le bonheur est dans le village compétences à actualiser sans cesse, aux yeux
de beaucoup le cadre de vie devra redevenir un élément de stabilité, apaisant
et accueillant. Passer d’une tour de bureaux à une tour de logements
moyennant un trajet de métro bondé devient le cauchemar absolu. J’ai
l’intime conviction que nous allons connaître un retournement de l’histoire et
que les métropoles vont devenir has been.
Installé depuis une dizaine d’années dans la Drôme, il élève des porcs bio de
plein air sur une petite exploitation. Christian a toujours eu le sens de
l’engagement, dans son travail bien sûr, mais aussi pour la collectivité. Il a
été adjoint au maire de la commune dans laquelle il vivait précédem-ment
dans l’Hérault. C’est ce même ADN que partage Geneviève. Elle a aussi
commencé dans le domaine agricole, en créant une ferme d’élevage laitier
avec vente en circuits courts, avant de lancer une association de services à la
personne écores-ponsable. Alors quand ces deux-là se rencontrent, avec
d’autres habitants de Dieulefit, ils décident de créer une liste citoyenne
représentant tous les âges 53
Le bonheur est dans le village et horizons, rassemblés autour d’idées et non
pas d’une personne. Leur programme est simple : développer une croissance
verte, créer des emplois, mais surtout impliquer l’ensemble des citoyens dans
les grandes décisions et dans la vie de la commune.
**
Quelle que soit l’ampleur de leur victoire, le socle électoral des élus ne cesse
de s’éroder, minant leur légitimité et leur capacité à entraîner le pays.
55
Le bonheur est dans le village Le « dégagisme » tire sur tout ce qui bouge.
Très rapidement, des mouvements de protestation, de blocage, se mettent en
place après les élections, comme l’ont montré les Gilets jaunes. Certes, la
démocratie ne se réduit pas aux dimanches d’élection, mais cela ne peut
impliquer une contestation permanente des pouvoirs élus. Quelque chose ne
tourne pas rond, qui fait que, par contraste, des expériences comme celle de
Christian et Geneviève à Dieulefit semblent tomber de la lune.
Tout cela est vrai. Mais à mes yeux, une autre cause majeure semble à
l’œuvre : la métropolisation et la création d’une France à deux vitesses avec
d’un côté les gagnants de la mondialisation, qui concentrent richesse et
potentialités ; de l’autre, 56
Le bonheur est dans le village prendre part aux décisions sur les sujets qui
l’intéressent 1 ».
Ce qui est vrai pour la démocratie représentative l’est aussi dans son
fonctionnement au quotidien.
Il a donc lui aussi été élu maire de Loos-en-Gohelle à partir de 2001. Parmi
ses nombreuses 59
Ainsi, quand on a voulu toucher au skatepark pour des raisons de sécurité, les
jeunes de la ville n’ont pas tardé à manifester leur mécontentement 60
**
Je pense qu’une ville obsédée par la sécurité est une ville malade, qui ne fait
que lutter contre les conséquences de ses travers, pas contre leurs causes.
La réalité est que la mondialisation n’est heureuse que pour une poignée
d’individus, et ne cesse de creuser les inégalités. Cela crée légitimement des
peurs. On a bâti une véritable ségrégation spatiale, en repoussant et en
entassant la majorité (les moins aisés) qui se sent souvent abandonnée. Et à
juste titre. Dans un tel contexte, si l’on estime ne pas pouvoir ou ne pas
vouloir changer de choix politiques, la priorité absolue est la sécurité. À
défaut d’une politique visant la cohésion sociale, comme le fait Jean-
François, c’est la course aux technologies de surveillance.
62
Retrouver le sens du collectif Face à la montée des risques urbains, qu’ils
soient sanitaires ou terroristes, la tentation est grande de répondre par un
surcroît de technologies, à commencer par la vidéosurveillance massive,
qu’on appellera charitablement vidéoprotection…
Ces caméras ne se contentent pas de filmer. Elles sont déjà ou seront à terme
reliées à un système de reconnaissance faciale. Cette tentation d’une société
de surveillance « bienveillante » est très forte auprès des opinions
occidentales urbanisées, hantées par le déclassement économique, l’insécurité
sociale ou physique, la crainte de vagues incessantes de migrants… Entre
sécurité et liberté, bien des gens de bonne foi préfèrent la première, estimant
« ne rien avoir à se reprocher » et heureux de contribuer à la lutte contre le
terrorisme. Nice, marquée par l’attentat du 14 juillet 2016, n’est-elle pas dans
son bon droit en devenant la première ville française à expérimenter la
reconnaissance faciale ?
63
Les territoires ruraux dans leurs différences infinies sont pour moi un
laboratoire privilégié pour tester et diffuser une autre société, une autre
relation aux autres, une autre démocratie, pour tous les âges et tous les
milieux.
VIVRE LA CAMPAGNE
Jean-Jacques ROUSSEAU
Elle n’a pas envie que son mari reste des heures durant dans les couloirs des
urgences, il doit rester auprès des siens. Jean-Sébastien se laisse convaincre et
décide alors d’appeler Didier, le médecin du coin. En quelques coups de
téléphone, l’affaire est 67
Le bonheur est dans le village entendue, ils organisent une prise en charge
coor-donnée et évitent une hospitalisation inutile et pénible.
Elle fonctionne comme un site internet classique, avec une double entrée pour
les patients et pour les professionnels. Tout le monde travaille en réseau et
l’information circule rapidement, permettant une plus grande réactivité (des
tablettes numériques font office de cahier de suivi). Cette organisation est
particulièrement efficace concernant les personnes âgées, surtout pendant des
périodes difficiles comme 68
**
69
Le bonheur est dans le village Le travail, certes, mais comme facteur de bien-
être et d’épanouissement ; la production, évidemment, mais compatible avec
des objectifs à long terme et la préservation de la planète. C’est pourquoi je
crois que la santé comme le lien à la nature seront des valeurs et des secteurs
économiques toujours en hausse. Des valeurs qui auraient tendance à nous
pousser hors des mégalopoles.
Il nous faut remettre à leur juste place tous les métiers du care, du service
personnalisé, de l’attention à autrui, qu’il s’agisse du livreur ou du chirur-
gien en passant par l’infirmière ou la puéricultrice.
Ces métiers ne sont pas délocalisables, leur efficacité ne se laisse pas mesurer
par des chiffres. Cette certitude de la primauté de l’humain n’implique pas le
refus de la technologie, au contraire, comme on peut le vérifier avec la
maison e-médicale de Saint-Julien-les-Villas. Mais cette ère anthropocen-trée
nécessitera toujours plus de temps, d’écoute, d’empathie. Les nouvelles
technologies seront des outils au service des individus, même s’ils ne résou-
dront pas tout à leur place.
Redevenir attractif
73
Mais bon, c’était certes bien joli, mais on se plai-gnait qu’on ne puisse même
pas boire un coup.
Gilbert n’avait pas les sous pour investir dans un bistrot, mais Guillaume qui,
rappelons-le, est très bricoleur, lui propose de l’aider et les habitants du
village se portent volontaires pour donner un coup de main. La mairie poste
une annonce pour trouver un exploitant, c’est finalement un couple de cadres
souhaitant changer de vie qui va prendre l’affaire. Ils ont entendu parler de ce
village, l’aventure les passionne. Et de fil en aiguille, un jardin partagé en
permaculture est aménagé, une épicerie de petits producteurs bio s’est
montée, un gîte, un jardin pédagogique et même une école et un col-lège
Montessori (l’Éducation nationale ayant refusé de rouvrir l’école) !
**
C’est une dynamique fascinante quand elle se produit, comme chez Gilbert. Il
suffit d’appuyer habilement sur une touche du clavier territorial pour
déclencher un accord, une consonance, un cercle vertueux qui fait boule de
neige. Que cette première note soit l’énergie citoyenne, la santé, la mobilité
partagée, l’éducation alternative, l’alimentation ou l’écologie, elle peut
produire un effet systémique qui active les autres secteurs les uns après les
autres.
C’est une prise de conscience qui fait tache d’huile. Les territoires se
réconcilient avec leur histoire, leur nature, leur centre de gravité. Ils rede-
viennent attractifs, parlent à nouveau aux investisseurs, aux familles, aux
salariés, aux touristes, aux institutions. Comme Mouans-Sarthoux, dans les
Alpes-Maritimes, et sa fameuse cantine scolaire 75
Le bonheur est dans le village 100 % bio, ils deviennent même pionniers et
inspirent des collectivités bien plus grandes. Parce qu’il y a de l’inventivité,
de la liberté, un sentiment d’urgence. Et toujours cet amour du lieu, aussi
petit et isolé soit-il. On y retrouve quelque chose de l’énergie des premiers
fondateurs.
Redevenir attractif concentrés. Pourtant, malgré leur taille, les dix premières
régions urbaines concentrent 6 % de la population, mais représentent 40 à 50
% du PIB
Parler de l’attractivité des villes, c’est laisser entendre que tout le reste n’est
que faire-valoir. De même que le Larousse a longtemps défini la femme
comme le complément de l’homme, de même la ruralité est toujours définie
en creux par rapport à la ville. Ce serait immanquablement un lieu de
manques multiples, enclavé, isolé et attardé. Les territoires ruraux sont perçus
comme peu dynamiques, peu attractifs, cumulant des difficultés liées à la
faible densité de population, aux moindres opportunités d’emploi et à l’accès
aux services publics. L’expérience de Gilbert montre que cela n’a rien de
définitif, et que de nouvelles dynamiques peuvent être créées.
L’offre s’adapte à chacun des villages dans lesquels elle s’implante, afin de
ne pas entrer en concurrence avec des acteurs déjà présents. Chaque
Comptoir est un réel lieu de vie, où des animations (pour les enfants comme
pour les grands) sont régulièrement organisées. Derrière chaque Comptoir de
campagne, il y a tout un réseau de fournisseurs locaux, des producteurs de la
région ou des départements limitrophes, dans un rayon de 50 kilomètres :
maraîchers, éleveurs, viticulteurs… Comptoir de campagne est aujourd’hui
implanté sur les territoires du Forez (42), de Saône-Beaujolais (69) et des
Vals du Dauphiné (38). Et l’ouverture de nombreux nouveaux magasins se
prépare…
80
Mettre fin aux inégalités territoriales
**
On voit que souvent, les territoires sont le bon échelon démocratique, le bon
échelon écologique, le bon échelon social. Ils répondent au « désir de village
» de la plupart d’entre nous, désir que les grandes villes arrivent de moins en
moins à satis-faire. Ils sont de plus en plus le bon échelon pour entreprendre,
à l’image de ce que fait Virginie. Les territoires sont les lieux
d’expérimentation d’un nouveau monde éloigné des exigences de rentabilité
et de concurrence, soucieux d’une qualité de vie où l’on prend soin de soi
plutôt que de se comparer aux autres.
82
On ne peut dès lors s’étonner que le vote pour Marine Le Pen augmente à
mesure que l’on s’éloigne des centres-villes, ou même d’une offre de
transport (bus, RER, train). La virulence du mouvement des Gilets jaunes a
été proportionnelle à leur éloignement du centre 1. Dans l’ensemble, le
mouvement a été particulièrement violent dans les métropoles, contrairement
aux villes moyennes (Limoges, Amiens, Clermont, Reims), comme si une
revanche symbolique avait eu lieu.
Face à de telles tensions, il est à nouveau tentant pour les décideurs de jeter le
bébé avec l’eau du bain, et de laisser ces territoires se vider de leurs habitants.
Pourtant, le problème est largement dans les visions des aménageurs du
territoire, de nombreux décideurs économiques ou des journalistes accaparés
par une métropolisation conçue comme un fait providentiel.
Le bonheur est dans le village simplement en attirant des jeunes couples pour
qu’ils viennent s’installer dans sa commune… Michel décide alors d’acheter
du terrain, de le rendre constructible et de le céder à des nouveaux arrivants
pour 1 euro symbolique. En contrepartie, ils s’engagent à résider au minimum
dix ans dans la commune, sous peine de pénalité. Les cinq lots mis à
disposition sont tous occupés par de nouvelles familles dès la première année.
Seize autres lots construits sont eux aussi rapidement investis. En 2008,
Parlan comptait 280
86
**
*
À la racine des difficultés rencontrées par les territoires ruraux, comme chez
Michel, qui ne sont pas dans l’orbite des grandes métropoles, il y a bien sûr
cet exode économique avant tout. Quand il n’y a pas de boulot, les jeunes
partent dans une grande ville. La conséquence est désastreuse. C’est ainsi que
ces villages se meurent peu à peu. Ils ferment le tabac, la boulangerie, le
coiffeur, l’école, puis tel ou tel service public. Un cercle vicieux qui rend ces
territoires encore moins attractifs. Je trouve qu’on marche sur la tête : quand
les centres-villes battent des records en matière de prix au mètre carré,
certains villages sont en pleine déshérence !
Si l’on prend le cas français, le coût du mètre carré d’un logement ancien à
Bordeaux a augmenté en vingt ans de 248 %, à Lyon de 203 %, à Toulouse
de 198 % 1 ! Bien plus que l’évolution des 1. Guillaume Errard, « Immobilier
: voici les métropoles où les prix ont le plus flambé en vingt ans », Figaro
immobilier, 27 février 2018.
87
Le bonheur est dans le village salaires ! À Paris, c’est une progression de plus
de 300 % sur la même période, pour un revenu des ménages qui n’a entre-
temps progressé que de 40 %. Sans héritage ni apport, un couple doit gagner
près de 11 000 euros par mois pour espérer acquérir 75 m2 dans la capitale en
2020 1 ! Rappelons que le revenu médian d’un couple sans enfants en France
est d’environ 3 000 euros par mois 2.
Les villes historiques deviennent des clubs privés, avec Stéphane Plaza dans
le rôle du videur.
« Être pauvre à Paris, c’est être pauvre deux fois », écrivait déjà Zola dans La
Curée. Malgré les efforts de la maire de Paris en faveur du logement social,
vivre à Paris quand on a un faible revenu deviendra en 2025 ou 2030
pratiquement impossible.
88
(7 786 habitants)
Le bonheur est dans le village à leur si vaste territoire. Les lignes de bus
traditionnelles qui existaient jusqu’alors, personne ne les prenait ! Elles ne
correspondaient pas aux besoins de la population, il fallait inventer autre
chose…
**
La mobilité est bien sûr un des points noirs des territoires ruraux. Comme
chez Sylvie, la forte présence de la nature et la faible densité démographique
rendent difficile une offre de transports adaptée. Vouloir adapter les
infrastructures des grandes villes n’a aucun sens. Comment cependant assurer
une mobilité des habitants, en dehors de l’hégémonie de la voiture
individuelle ?
Car elle n’est pas la solution à tous les problèmes : nombreux sont les seniors
qui ne veulent ou ne peuvent plus conduire, les personnes en situation de
précarité n’ont pas tous les moyens d’acquérir une voiture, les jeunes n’ont
pas tous le permis, tandis que pour la grande majorité des Français le prix du
carburant menace leur budget du mois.
93
94
L’investissement dans ces technologies partout et pour tous est une priorité,
au même titre que la santé, les écoles ou les services de proximité. Tous les
décideurs partagent, parfois mollement, cette opinion, mais derrière les
grands discours, les choses sont loin d’avancer assez vite. Plus que jamais, les
territoires ont une place prépondérante dans la construction du monde
d’après, donnons-leur-en les moyens !
Roger est le fils de l’ancien maire de Gap, qui compte un peu plus de 40 000
âmes. Il a grandi dans cette ville moyenne à la jonction des Alpes et de la
Provence. Comme son paternel, un temps pharmacien, il a exercé cette
profession avant d’être lui-même élu maire de sa commune. Gap est
l’archétype de la ville petite ou moyenne, hors du giron d’une grande
métropole, qui a besoin de continûment innover pour rester attractive. Et
comme pour nombre de ses consœurs, un des gros écueils est la
désertification des centres-villes.
Nombreuses sont les petites villes qui ont tout fait pour attirer les grandes
enseignes afin qu’elles s’installent dans leur périphérie. Pullulent ainsi des 97
C’est ce que Roger a absolument voulu éviter, car il s’est fixé pour objectif
que le centre-ville de Gap reste dynamique. Une vitrine indispensable pour
continuer à attirer des touristes et de l’activité économique. Pourtant, Gap n’a
pour un temps pas échappé à la désertification de son centre-ville
concurrencé par les grandes surfaces de la périphérie. Mais elle a su redresser
la barre à travers une démarche proactive. Le dispositif phare mis en place
par la mairie est une aide au loyer pour les commerçants qui souhaitent
s’installer. La première année, l’aide s’élève à 50 % du montant, la deuxième
25 % et la troisième 10 %. De quoi encourager ceux qui hésiteraient à se
lancer. Mais ce n’est pas tout. Des bus gratuits font la navette entre le centre
et les communes périphériques toutes les heures en journée. Cinq parkings
gratuits sont par ailleurs mis à disposition des habitants aux portes de la ville.
Redonner vie aux commerces des centres bourgs fait pour procurer une
seconde jeunesse à certains bâtiments. Roger est par ailleurs vigilant sur le
fait de conserver une vraie qualité des produits proposés, c’est une question
d’image de marque. La population de Gap ne cesse ainsi de grandir depuis
quelques années. C’est une commune qui est reconnue pour sa qualité de vie.
Le dynamisme de son centre-ville est apprécié du plus grand nombre.
**
Le bonheur est dans le village urbains, notamment des personnes âgées et des
jeunes couples avec enfants.
Le débat entre des urbanistes comme Le Corbusier, dont les « cités radieuses
» offrent un habitat concentré dans des immeubles collectifs, et les tenants de
la maison individuelle dupliquée à perte de vue, a été tranché. Aujourd’hui, le
rêve collectif qui l’emporte est celui d’une maison individuelle, mais dans un
cadre villageois, même au prix d’un temps de transport allongé. Nous voilà
face à une hyperurbanité subie et non ardemment désirée.
Redonner vie aux commerces des centres bourgs leurs services publics
s’éloigner les uns après les autres à la faveur de « regroupements » divers et
variés. Les néoruraux les boudent car elles n’offrent pas assez de nature.
Enfin les commerces du centre sont concurrencés par les centres
commerciaux de périphérie dont la France a le secret.
Thomas a grandi sur l’île d’Oléron. Depuis tout petit, il s’intéresse aux
questions environnementales.
Tous les deux veulent agir, pour développer des solutions d’avenir. Ils
décident de créer Ecov !
Ecov, c’est d’abord un pari osé : utiliser les voitures des particuliers comme
moyen de transport 103
Le bonheur est dans le village collectif dans les zones peu denses. Tous les
sièges libres dans les voitures sont de vraies ressources pour développer le
transport de personnes, constate Thomas. Mais les dispositifs de covoiturage
existants ne conviennent pas à tout le monde, notamment ceux qui n’ont pas
de Smartphone et sont globalement pour certains encore trop difficiles à
utiliser au quotidien. À mi-chemin entre le stop organisé et le covoiturage
courte distance, Ecov développe des lignes de covoiturage en temps réel avec
des bornes qui ressemblent à des arrêts de bus, dans le périurbain et les
territoires ruraux. Le piéton peut renseigner sa destination par SMS ou bien
via l’appli, et Ecov calcule en simultané le temps d’attente et le prix du trajet
en fonction de la distance parcourue. Et généralement, ça va très vite !
Aujourd’hui, il raconte avec passion les belles amitiés qu’il a pu tisser avec
des habitants des alentours qu’il ne connaissait pas. Outre l’impact
environnemental indéniable, l’objectif de Thomas et de ses équipes est bien
de créer du lien dans tous les territoires ruraux les plus enclavés.
**
*
Créer des services, diminuer la consommation énergétique en misant sur les
territoires : des solutions comme celle de Thomas seraient générali-sables
partout où cela est nécessaire, pourvu que nous soyons convaincus que les
campagnes ou les zones périurbaines ne sont pas condamnées au manque de
services, au manque d’attractivité, aux oubliettes de l’histoire. C’est pourtant
le récit qui nous est servi par l’idéologie dominante.
Le bonheur est dans le village et les territoires. Que pensent les élites de la
mondialisation heureuse des ruraux attachés à leur paysage, leurs villages,
leurs petits chemins ? Certains les considèrent comme des bouseux, des
ploucs, estiment que leur mode de vie est obsolète, ringard, en sursis.
Sûrement un choix contraint réservé à ceux qui n’ont pas pu prendre le train
en marche, vite soupçonnés d’archaïsme et de repli sur soi.
Des services accessibles à tous ceux qui sont repoussés hors des centres-
villes mais doivent s’y rendre pour leur travail.
On s’offusque de l’idée d’un péage urbain pour les voitures, mais le marché
de l’immobilier l’a inventé pour les piétons. Il est invisible et à toute
épreuve…
Je suis stupéfait par la transformation galopante des grandes capitales en
parcs de loisirs, résidences secondaires, centres commerciaux de luxe,
placements financiers, musées à ciel ouvert… Avec leurs zones de «
vidéoprotection », elles deviennent pour moi tout sauf des villes intelligentes,
tout sauf des symboles de démocratie. Il ne faut pas s’y tromper : la smart
city n’est en aucune façon l’expression de l’intérêt général ; des
multinationales puissantes ont intérêt à densifier, à bâtir, à équiper, à creuser
des parkings, à construire des tours, à poser des caméras, à traiter une masse
toujours plus considérable de déchets, car plus la ville dense s’écroule sous
son propre poids et pose de problèmes, plus elles ont de solutions à vendre.
Éric, Guéret, Creuse (13 492 habitants) Éric est infirmier anesthésiste de
formation. À la naissance d’Internet, celui qui deviendra rapidement élu local
s’interroge sur la manière d’utiliser cette nouvelle technologie pour les
habitants de son département, la Creuse. Il en parle avec André, le maire de
Guéret. Leur département est fragile, globalement assez peu dynamique, avec
un fort vieillissement de la population. Ils ont pourtant envie de montrer que
leur territoire peut innover, être à la pointe.
Ainsi germe l’idée de devenir une référence mondiale dans la domotique, tout
particulièrement dans le domaine de la dépendance. L’or gris, comme
certains l’appellent communément, ce sont toutes les opportunités
économiques qui existent dans le domaine du grand âge. L’intercommunalité
109
Le bonheur est dans le village de Guéret a ainsi créé Odyssée 2023, un pôle
domotique et santé pour faciliter le maintien des personnes âgées à leur
domicile. 2023, c’est une année symbolique : celle où il y aura dans la Creuse
autant d’habitants de plus de 65 ans que de moins de 25 ! Par le biais d’une
licence professionnelle, le pôle forme les professionnels de demain. Un
showroom pour présenter toutes les innovations du secteur a également été
construit, tout comme un cube immersif pour que les architectes puissent
travailler sur l’habitat du futur, ainsi qu’un incubateur pour accompagner les
jeunes entrepreneurs qui souhaitent se lancer dans ce domaine.
Trois mille foyers ont par exemple été équipés de marquages lumineux pour
indiquer la nuit le chemin vers les toilettes, et ce afin de limiter les risques de
chute. C’est en effet une cause très fré-quente de la détérioration de l’état de
santé, une chute
évitée
permet
d’économiser
jusqu’à
La santé pour tous démographie européenne sera la même, d’ici vingt ans,
que celle de la Creuse ! Une bonne raison pour Guéret de prendre un temps
d’avance et de devenir une véritable référence dans le domaine de la
dépendance ! Éric, lui, ne souhaite pas s’arrêter là. Son nouveau projet : faire
de la Creuse le territoire d’expérimentation pour le can-nabis à usage
thérapeutique, la France ayant beaucoup de retard en la matière sur ses
voisins européens qui, pour beaucoup, ont déjà reconnu ses effets positifs
contre la douleur…
**
Pour Éric, la santé tout au long de la vie est plus qu’un enjeu de politique
publique, elle est devenue dans nos sociétés vieillissantes une véritable
valeur.
112
La santé pour tous L’offre de santé est un critère décisif dans le choix
d’installation, que l’on soit un jeune actif, une famille avec enfants ou un
couple de retraités.
Cela démontre une nouvelle fois que rien n’est inéluctable et que la ruralité
n’est pas inexorablement condamnée. Et qu’elle peut même être un vivier
d’innovation, comme le montre l’exemple de Guéret.
Salomé a galéré, mais elle finit par faire de brillantes études. Elle décide alors
de créer l’association Chemins d’avenirs, pour aider les jeunes issus de
milieux ruraux qui, comme elle à son 115
**
Il est indispensable de dépasser les craintes et les préjugés sur le milieu rural.
Et ça commence dès aujourd’hui. Si je défends l’idée qu’il faut attirer les
urbains dans le monde rural, le rendre attractif, inverser le solde
démographique, il ne faut pas oublier ceux qui sont nés là-bas. C’est le
constat de Salomé et c’est une priorité. À quoi bon attirer des urbains quand
on est déjà incapable d’offrir un avenir à ceux qui grandissent dans ces
territoires !
Le bonheur est dans le village sociales 1. Les classes populaires sont les
seules à prendre réellement en charge, pour le meilleur ou pour le pire, les
tensions réelles induites par la mixité sociale et ethnique, par les flux de
personnes et de marchandises de la mondialisation 2.
118
J’ai été agréablement surpris de voir que certains territoires ruraux ont réussi
à prendre le contre-pied de cette tentation de repli, notamment pendant la
crise des migrants. De nombreux villages d’Auvergne se sont ainsi portés
volontaires pour accueillir chaque année des migrants venus de Syrie,
d’Éthiopie, d’Afghanistan… Si les réactions étaient
farouchement
opposées
au
départ,
1. Ceci rejoint les analyses du journaliste anglais David Goodhart dans Les
Deux Clans, Les Arènes, 2019.
PRÉSERVER L’ENVIRONNEMENT
George SAND
Pris par l’engouement général, les appétits se sont aiguisés. Anna et ses
camarades ont eu envie de passer à l’étape suivante, celle de l’action. Avec
123
Le bonheur est dans le village du soleil toute l’année et des citoyens motivés,
pourquoi ne pas devenir producteur d’énergies renouvelables ? D’autant plus
que la mairie a des toits communaux qu’elle est prête à mettre à disposition.
Luc, le maire de l’époque, se montre vite intéressé pour soutenir le projet.
Ainsi naquit Sén’helios, une coopérative de citoyens ouverte à tous ceux qui
partagent cette belle ambition.
Comme de plus en plus de citoyens, Anna et ses amis ont eu envie d’en
produire. Pour eux-mêmes, pour leurs enfants. On sait pourquoi : notre
espèce, plus que notre planète, est menacée par un réchauffement de
l’atmosphère sans précédent. La hausse de 2 voire de 4 °C qui nous attend
pourrait être dramatique. Elle sera très inégale, selon les régions du monde
concernées. Certaines connaîtront des températures avoisinant les 50 °C, seuil
auquel la vie sociale s’arrête. Confinement obligatoire pour cause de chaleur
insupportable. Elle s’accompagnera d’événements extrêmes, inondations,
tornades, raz-de-marée, incendies géants comme en Australie lors de l’été
2020. Sans parler des impacts majeurs sur la biodiversité, la baisse de
rendement des cultures ou les nouvelles épidémies. Nous ne pourrons nous
125
Dans une telle urgence, je suis intimement convaincu que les territoires hors
des villes ont un rôle crucial à jouer. Tout simplement parce qu’ils disposent
de l’espace nécessaire. Le solaire, l’hydrau-lique et l’éolien sont certes
propres, mais très gour-mands en espace, et ils viennent concurrencer les
zones habitables, les cultures ou les paysages.
En ville, l’espace est rare et cher, les toitures sont plus petites, moins
accessibles, des zones patrimo-niales sont intouchables. Et en dehors du
symbole, on ne se voit pas installer une éolienne place de la Concorde ou une
centrale géothermique au centre de Bordeaux !
Par ailleurs, à cause de leur bâti en hauteur, les villes sont des îlots de
chaleur, avec une différence allant jusqu’à 5 °C par rapport à une zone rurale.
(229 habitants)
129
Le bonheur est dans le village Par le biais d’un appel à projet de la région
Languedoc-Roussillon, aujourd’hui Occitanie, la commune postule pour la
création d’un parc solaire à taille humaine, à la dimension du village.
**
Ils nous mettent à distance et nous déresponsabi-lisent sur une question qui
devient de plus en plus 131
Ces énergies sont des énergies de flux, pas de stock. Des énergies issues
d’espaces ouverts accessibles à tous, pas des poches de gaz ou de pétrole
enfouies à des milliers de mètres d’eau ou de terre.
Leur format même invite à une transparence et à une réappropriation par les
citoyens, les communes et les régions. Toutes les innovations et les 1. The
European Energy Atlas 2018, Heinrich Böll Stiftung.
132
Ces initiatives fonctionnent d’abord à une petite échelle, celle des villages et
des petites villes qui 133
Pierre est agriculteur dans le Lot, une histoire de famille. Niché sur les
hauteurs du piémont du Massif central, son hameau, il le partage avec ses
deux fils récemment installés. L’histoire de sa région, le pays de Figeac, c’est
celle d’un territoire rural enclavé, qui a subi de plein fouet l’ouverture des
marchés des productions agricoles basiques.
Le bonheur est dans le village pour mutualiser les outils et les engrais
agricoles, sous l’enseigne Gamm Vert. Mais cela ne suffit pas.
pour
tout
l’aspect
technique,
des
Sur l’exploitation de Pierre, ses belles vaches laitières sont bien à l’abri dans
un hangar couvert de panneaux solaires. De là, elles assistent, stoïques, à
l’agitation causée par la construction d’un métha-niseur. Ce procédé, qui
consiste à utiliser la matière organique (principalement le lisier agricole) pour
produire de l’énergie, est un des nouveaux projets 136
**
Le bonheur est dans le village sur les toitures de sa maison, de ses élevages
ou de ses granges, ou en plein champ, à claire-voie au-dessus des cultures ou
des élevages ; avec le solaire thermique qui lui fournira de l’eau chaude
sanitaire ; avec la méthanisation qui lui permet de transformer ses déchets en
ressources et de produire du biogaz.
**
*
Le bonheur est dans le village se tromper de combat. Car dans cette quête du
monde d’après, certains sont tentés de préserver l’environnement et la survie
de l’humanité en appelant au repli sur soi. Même dans la Drôme, les combats
politiques sont parfois très durs. Tout le monde n’est pas convaincu et les
affrontements idéologiques avec les conservateurs peuvent être violents.
Le bonheur est dans le village cache la haine de tout horizon universel. Sous
le rejet du McDo, il y a la haine du kebab. Le « grand épuisement »
écologique est parallèle au « grand remplacement » de la civilisation
chrétienne par des populations immigrées, principalement de culture ou de
religion musulmanes.
Salomé et Pierre, c’est l’histoire d’un couple qui veut changer le monde. Elle
est diplômée en sciences politiques, lui est ingénieur dans l’industrie
agroalimentaire. Par leurs expériences professionnelles et leurs voyages, ils
prennent conscience de l’immense quantité de déchets que nous produisons
quotidiennement, notamment du plastique, et de toutes ces ordures dont nous
encombrons les pays les plus pauvres… Fervents défenseurs du concept
d’économie circulaire, ils croient dur comme fer qu’il nous faut considérer
nos déchets comme des ressources, tout en gardant en tête que le meilleur
déchet est celui qu’on ne produit pas !
Ils lâchent tous les deux leur job en 2017 et décident alors de tenter
l’aventure entrepreneuriale.
147
Le bonheur est dans le village Pour faire changer les mentalités et les
habitudes de consommation, ils montent le Drive tout nu, le premier drive
alimentaire zéro déchet. Tous ceux qui habitent à la campagne, ou en
périphérie des villes, savent à quel point il est pratique de faire ses courses en
ligne et de passer prendre directement sa commande à la sortie de son travail
plutôt que de se perdre des heures dans les allées des hypermarchés. L’idée
de Salomé et Pierre est de proposer le même service, mais uniquement avec
des produits dans des emballages réutilisables (bocaux, sacs en toile). Les
clients n’ont qu’à rapporter les contenants et emballages réutilisables, qui
seront nettoyés et remis dans le circuit. Plus on en rapporte, plus on gagne de
bons d’achat pour ses futures emplettes.
Le concept fait fureur. Le premier drive ouvre à Beauzelle, près de Toulouse.
On y retrouve tous les produits nécessaires, la priorité étant donnée aux
producteurs qui sont dans un rayon de 100 kilomètres. Des produits en circuit
court donc, et majoritairement bio. Le plus intéressant, c’est que les prix sont
tout à fait compétitifs par rapport aux hypermarchés du coin, avec une qualité
de produits bien supérieure. Pourquoi ? Tout simplement parce que
l’emballage représente en général 10 à 148
**
149
Le bonheur est dans le village Mais dans le même temps, le cœur de ces
métropoles est bien souvent pollué (à Paris, mais également à Lyon, Lille ou
Marseille) par le trafic de transit, les livraisons incessantes et les engorge-
ments des débuts et fins de journées. Cela rattrape largement la vertu des
transports publics. L’air dans certaines stations de métro parisiennes est
d’ailleurs plus pollué qu’à la surface.
150
Consulté le 23 octobre 2020, avec deux points de vue opposés. Cf. J.-P.
Orfeuil, D. Soleyret, (2002). « Quelles inter-actions entre les marchés de la
mobilité à courte et longue distance ? » Recherche Transport Sécurité no 76,
p. 208-221.
151
La réalité est que la France dispose de place pour l’extension des villes ».
Sans compter les maisons aujourd’hui abandonnées et qui ne demandent qu’à
être rénovées.
NOURRIR LA PLANÈTE
Nicolas GOGOL
Audrey est une petite-fille d’agriculteurs née à Niort. Diplômée d’une école
de commerce, elle a connu de près les puissants de ce monde, les ors de la
République et les graviers qui crissent. Audrey a pris part au mouvement En
Marche dès ses débuts, et est devenue la première conseillère Agriculture du
président de la République Emmanuel Macron.
Auparavant, elle avait bourlingué à travers le monde, via les différents postes
qu’elle a occupés chez Baron de Rothschild, Bic, Heineken, avant de devenir
déléguée générale de l’association Vins et Société, le lobby qui défend les
intérêts des vignerons.
Après ces deux années au plus haut niveau, pal-pitantes à bien des égards,
Audrey avait envie de 157
Le bonheur est dans le village passer à autre chose. Elle voulait être
davantage dans l’action. Elle a donc racheté La Boissière, une exploitation
agricole de 600 hectares dans les Yvelines, en région parisienne. Audrey
souhaite prouver par l’exemple qu’il est possible d’innover dans le secteur
agricole, qu’une nouvelle page est en train de s’écrire. Elle crée donc une
ferme pilote à égale distance entre la grande exploitation intensive dopée aux
pesticides et aux engrais, et les petites surfaces de la permaculture dont le
modèle économique est encore fragile. Pour elle, une échelle intermédiaire
est souhaitable, respectueuse des sols, de l’environnement et des travailleurs.
Audrey veut démontrer qu’une autre agriculture est possible : la bataille des
prix a de moins en moins de sens. Il faut réinventer le métier d’agriculteur et
aller là où se crée le plus de valeur, c’est-à-dire dans la transformation de
produits agricoles.
C’est pour cela qu’en plus de la mise en culture, 50 hectares sont ouverts aux
expérimentations et 5 000 m2 de bâtiments utilisés pour former aux métiers
de l’agriculture de demain. L’objectif est à la fois d’aider des agriculteurs
déjà en exercice pour qu’ils repensent leur activité, mais aussi d’attirer des
néophytes pour leur offrir les bases nécessaires à une installation réussie !
158
**
Dans les pays riches, les produits bio connaissent une croissance
remarquable, même si l’agriculture biologique ne représente qu’une faible
fraction de la production : 7 % des surfaces cultivées en France contre 24 %
en Autriche, pays le plus avancé dans le domaine. Parfois cette croissance
peut se faire au prix d’un certain dumping écologique, car le bio peu cher est
le plus souvent importé et générateur d’émissions de gaz à effet de serre.
Vanter la banane bio de la République dominicaine plutôt que la banane
conventionnelle de Guadeloupe, c’est de plus oublier 159
Pourtant, je pense que nous n’avons pas d’autre choix. Bien des solutions du
XXe siècle ont été mises en œuvre sans qu’on puisse les réitérer indéfiniment
: les arbres ne grandissent pas jusqu’au ciel ! Les terres agricoles ne peuvent
indéfiniment être boostées par des engrais, on ne peut indéfiniment inonder la
nature d’herbicides ou de pesticides, à moins d’opter pour un environnement
sans oiseaux, sans insectes ni mammifères 1, ce qui est l’esquisse du monde
qui se prépare.
160
Certes, les trente prochaines années, il va nous falloir trouver les moyens de
nourrir 3 milliards d’êtres humains en plus. Nous n’allons empêcher personne
de naître. Mais comment espérer réussir alors que le réchauffement global,
les sécheresses, les inondations, l’appauvrissement des sols font déjà baisser
le rendement des cultures vitales que sont le blé, le riz, le soja et le maïs ?
161
163
Le bonheur est dans le village Attachés à leur territoire, ces deux marmules
décident pourtant de revenir dans la région qui les a vus naître. Une envie de
transmettre tout ce que la vie leur a apporté. La fratrie perpétue l’amour du
haricot tarbais, le produit noble du pays. Riche en protéines, le haricot
remplaçait autrefois la viande. L’une de leurs sœurs, Véréna, a repris
l’exploitation familiale. Les autres frères donnent des coups de main lors des
pics d’activités.
Leur but est d’apporter tout ce qu’ils ont appris à travers leurs études, leurs
voyages et leurs expériences aux agriculteurs de leur territoire. La maî-trise
des outils de gestion modernes est aujourd’hui indispensable pour repenser
nos modèles de production. Les deux frères savent à quel point leur région
regorge de produits d’exception. Mais rares sont ceux qui ont su structurer
leur filière et réussi à se faire connaître. Aujourd’hui, ils travaillent pour
l’AOC Porc noir de Bigorre, un jambon remarquable d’Occitanie qui n’a rien
à envier au pata negra espagnol. Grégoire et Marc-Antoine ont ainsi
entièrement revu les circuits de distribution, l’histoire et le marketing. Leur
credo : le monde 164
Donner un avenir au métier d’agriculteur agricole regorge d’opportunités
économiques qui ne demandent qu’à éclore !
**
Les campagnes sont toujours plus vides et toujours plus uniformes, les
cultures toujours plus mécanisées et dominées par la chimie. Beaucoup
d’agriculteurs, qui n’arrivent plus à vivre de leur travail acharné, qui
souffrent de cancers professionnels, sont les premiers à remettre en cause les
certitudes de l’enseignement agronomique reçu durant leurs études.
ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Farm
s_and_farmland_in_the_European_Union_-_statistics#Farms_in _2016
165
À mes yeux, aucun métier n’est pourtant plus noble et plus vital que celui
d’agriculteur. Aucun n’a plus d’avenir. Lors du confinement, on a pu voir une
vraie ruée sur les « drive » fermiers, les 166
169
170
**
Tous ont cru s’en sortir en faisant du volume, avec des marges toujours plus
réduites. Mais le volume ne change rien au rapport de force qui fait que le
transformateur et le distributeur continuent à s’octroyer la part du lion. En ne
faisant que produire, l’agriculteur se prive de l’essentiel de la valeur ajoutée.
Avec la mécanisation, il est à la portée de n’importe qui de produire du lait.
C’est dans la transformation et la valorisation (signes de qualité, labels…)
que l’on peut affirmer sa spécifi-cité et celle du territoire que l’on met en
valeur.
171
Le bonheur est dans le village Tout le monde peut produire du lait, seuls
quelques territoires peuvent produire du roquefort ou du rocamadour. Et
surtout du comté, véritable réussite des producteurs de lait dont les
coopératives fruitières ont créé une AOP puissante ! En arrêtant
les
productions
interchangeables
et
C’est à ce niveau local que l’on trouvera les nouveaux avantages comparatifs,
au plus près des ressources d’une région ; pour poursuivre la lutte contre la
politique des prix bas, au détriment de ceux qui vivent de leur travail, ressort
honteux de la mondialisation.
Il voulait le meilleur, le local et le plus sain. Pour la viande, il n’a rien trouvé
qui lui permettait de consommer en circuits courts, et n’avait pas le temps de
faire les longues files d’attente chez son boucher de quartier.
175
Babacar lance donc une application innovante pour mettre en lien les
consommateurs directement avec les bouchers. La Coterie française permet
ainsi au client de choisir ses produits depuis son portable pour les récupérer à
l’heure qu’il le souhaite, ou de se les faire livrer. Si j’ai envie d’une bonne
côte de bœuf d’Aubrac, je peux directement commander chez Alexandre, le
boucher charcutier de Saint-Germain-du-Teil en Lozère.
176
L’image du paysan arriéré ne traduit pas la réalité. Même constat pour toute
la filière alimentaire, comme nous le montre Babacar. On savait que les
agriculteurs avaient eu un usage pionnier du Minitel pour connaître au plus
près la météorolo-gie, on ignore qu’ils sont bien plus connectés à Internet que
la moyenne de la population. Ils le seront toujours davantage, car un nouvel
horizon s’ouvre devant eux, l’agriculture connectée.
Les jeunes agriculteurs de demain auront un quotidien qui n’aura rien à voir
avec celui de leurs parents. Pour eux, l’agriculture sera un métier de haute
technologie, productif et connecté. À cela s’ajoutent bien sûr de vraies
compétences de gestion et de vente, à l’instar des entreprises classiques.
Il est aujourd’hui déjà possible de suivre son exploitation via les nouvelles
technologies. Une exploitation agricole est un ensemble complexe de
machines (tracteurs, moissonneuses, trayeuses…), d’espaces de stockage et
d’êtres vivants (animaux, 177
pour
laquelle
le
numérique
est
aujourd’hui incontournable.
entre eux à distance, ils deviennent des objets connectés. Leur utilisation est
optimisée, les capteurs sur les animaux ou les plantes l’avertissent et
permettent de repérer au plus tôt les anomalies, d’apporter la bonne dose
d’eau, d’engrais ou de nourriture, ou encore d’enclencher une procédure de
soins. Les dernières générations de moissonneuses-batteuses sont à la fois des
outils agricoles et des centres de données bourrés de capteurs renseignant sur
le rendement de chaque parcelle. La robotisa-tion, déjà bien présente en
milieu fermé (étables, granges), va gagner le milieu ouvert, plus hostile aux
mécanismes. Les robots aideront à réduire la pénibi-lité des tâches agricoles
(charges, nettoyage, désher-bage, toxicité de certains produits), tout en
récoltant des données sur leur activité et le milieu. Oz, le petit robot français
de la firme toulousaine Naïo, fait ainsi merveille pour désherber les parcelles
des exploitations maraîchères bio.
Henry FORD
Stéphane et Rémi sont deux copains d’école. Ils ne se sont jamais vraiment
perdus de vue. Chacun a suivi des chemins bien différents aux quatre coins
du monde ! Stéphane a quant à lui rencontré Christophe au Mali alors que
tous deux y effec-tuaient une mission. Ce qui unit aujourd’hui ces trois-là,
c’est une passion pour les sujets d’agroalimentation. Mais surtout, cette
farouche volonté de vouloir changer les choses, car trop conscients des
terribles injustices engendrées par la mondialisation. C’est à Fleurance, dans
le Gers, qu’ils ont ensemble créé Ethiquable, une entreprise pionnière dans le
commerce équitable alimentaire.
L’idée est simple, tout du moins sur le papier : acheter à des producteurs
locaux les produits 183
Le bonheur est dans le village exotiques que nous importons (thé, café,
chocolat, sucre…), et ce à un prix juste qui leur permette de vivre dignement.
L’histoire de ces produits d’importation est souvent celle d’un échange inégal
entre pays pauvres et pays riches, entre petites structures et multinationales.
Une histoire d’exploitations et d’injustices sur laquelle plane l’ombre de
l’esclavage, dont le sucre était le principal moteur économique. Pour chacun
de leurs agriculteurs, un prix adapté aux coûts de production et aux besoins
financiers est préalablement défini sans qu’il soit soumis aux aléas des
marchés. Le succès de leurs produits n’est aujourd’hui plus à démontrer, ils
sont sur toutes les têtes de gondole des grandes surfaces.
les paysans français (label Paysans d’ici), avec les mêmes principes et les
mêmes exigences. Le global et le local se sont confondus dans un ordre inat-
tendu. C’est que l’échange injuste, comme on le sait, caractérise également
les liens entre producteurs et grande distribution en France, même en bio. À
travers le monde, ce sont plus de 35 000 familles de petits producteurs qui
vivent de 184
**
La fantastique épopée de nos trois amis prouve au moins trois choses à mes
yeux : qu’il est possible d’entreprendre dans un département aussi excentré
que le Gers, qui offre une remarquable qualité de vie, ce qui n’est pas sans
rapport avec la philosophie du projet. La rue du siège social a même été
rebapti-sée, sur décision du conseil municipal de Fleurance, Allée du
Commerce équitable. Deuxièmement, qu’il est possible de rémunérer
décemment les petits paysans du monde entier, contrairement à la logique de
mondialisation qui vise à maximiser les profits tirés des écarts de niveaux de
vie. Enfin qu’on peut vendre cette plus-value éthique qui marie le bio et
l’équitable : depuis 2013, la coopérative est passée de 19
185
186
La nouvelle exigence de justice ne doit pas pour autant être le prétexte à une
guerre économique, à un boycott ou à un repli sur soi, mais favoriser
coopérations et complémentarités. D’exception qu’il est toujours, le
commerce équitable doit devenir le modèle vers lequel tendre. Et ce n’est pas
un propos de Bisounours. Stéphane, Rémi et Christophe ont prouvé sa
viabilité. Concernant des denrées exotiques qu’on ne peut produire nous-
mêmes, il permet de favoriser un « local à distance », autrement dit une
production favorable au développement endogène assurant une juste
rémunération et le respect de l’environnement sans que la richesse soit captée
par les intermédiaires en surplomb ou par la spéculation sur les matières
premières.
Avec cette recherche d’équité, on remet en cause aussi bien le partage inégal
de la valeur entre producteur et distributeur que la dictature du global sur le
local que représente la cotation des matières 188
(40 habitants)
Une terre d’ouverture, qui a toujours su accueillir les autres, avant d’en faire
de fiers ambassadeurs de ce pays de traditions séculaires. Sa mère était une
cuisinière hors pair, elle préparait des plats typiques régionaux pour sa
famille, mais s’occupait aussi du restaurant de la commune. Son père,
agriculteur, lui répétait dès son plus jeune âge qu’un jour il devrait aller sur
Toulouse pour monter un restaurant de poule farcie.
Le bonheur est dans le village son terroir. La particularité, c’est que tout est
fait en circuits courts. De grands posters sont affichés sur les murs, avec le
portrait de chacun des producteurs qui fournit le restaurant, avec l’histoire de
chaque produit. Les artistes ce sont les paysans, comme il aimait à le raconter
à chacun de ses convives. Les vins du terroir et les produits de la ferme
embaument de toutes leurs senteurs les allées de son bistrot, surtout quand on
refait le monde le soir des matchs du Stade toulousain.
Pour Denis, sa cuisine paysanne est celle qui a le plus d’avenir. C’est dans les
Hautes-Pyrénées, à Hachan, qu’on transforme les produits et qu’on teste
toutes ses recettes, dans un local spécifique-ment dédié. C’est de là que tout
part, pour émous-tiller nos papilles. Les gens sont à la recherche
d’authenticité, de bon, de proximité. Sa cuisine respecte les saisons, ne gâche
rien (y compris les os pour les bouillons et le pain rassis pour les desserts),
utilise le sel et le sucre avec parcimonie, use de bons gras et repose sur des
méthodes de conservation douces et économes en énergie comme le confit, la
conserve, la lactofermentation. Malheureusement, Denis nous a quittés
récemment. Mais ses enseignements et sa passion sont une véritable 192
**
Le bonheur est dans le village cette période, la nécessité d’écouler les stocks
malgré le manque de main-d’œuvre a poussé nombre d’exploitants à inventer
des solutions de commercialisation à l’aide de SMS, de coups de téléphone
ou de sites internet improvisés.
Tout le monde y trouve son compte : le producteur évite les intermédiaires et
le temps de transport, les consommateurs achètent des produits frais et
découvrent les richesses de leurs régions tout en les payant à leur juste valeur.
C’est aussi une façon de voter avec son assiette, de refuser les produits
standardisés et importés de la grande distribution.
Depuis plus de dix ans, les circuits courts sont encouragés par les collectivités
locales, il est temps de passer à la vitesse supérieure.
Pour l’agriculture comme pour les autres secteurs économiques, ce n’est pas
avec les vieilles croyances que l’on préparera l’avenir. Notre foi en un grand
partage du travail à l’échelle mondiale où les Occidentaux auraient bien sûr la
part la plus noble, constituée de recherche et développement, une économie
de la connaissance, est complètement erronée. Non contente d’être devenue la
première puissance industrielle, c’est la Chine qui est devenue un pays de
chercheurs, le premier pays du monde en matière de publications
scientifiques et 194
Les Chinois n’ont donc pas dû comprendre le destin que nous avions choisi
pour eux. Rien ne serait plus dangereux que d’entrer dans notre siècle avec
les théories des années 1970 ou 1980. La théorie libérale des « avantages
comparatifs » et de la spécialisation, où chaque pays ne produit que ce qu’il
sait le mieux faire, s’applique très mal à une époque où le carburant de
l’économie n’est plus l’abondance en ressources naturelles ou tel savoir-faire
ancestral, mais la connaissance et l’innovation, actifs qui circulent aussi vite
que la lumière.
195
Le bonheur est dans le village ne peut pas vendre des milliards de téléphones
portables et ne pas assister à des mouvements de mobilisation et de partage
d’informations.
Nous découvrons que les Trente Glorieuses, dont nos dirigeants continuent
d’avoir une nostal-gie aveugle, ont été une exception économique et le début
d’une casse environnementale majeure 1.
Thomas est un grand sentimental. Il a passé des journées entières à jouer dans
la demeure familiale de ses grands-parents à Romans-sur-Isère. Alors quand
la maison est menacée d’être vendue, ce Grenoblois décide de la racheter et
de s’y installer à son tour. Diplômé en informatique, il quitte rapidement le
poste qu’il occupait pour faire quelque chose qui soit en accord avec ses
valeurs et ses convictions : Thomas crée d’abord une bou-tique de mode
éthique juste en face de Marques Avenue, ce centre commercial qui vend
toutes les grandes marques à prix d’usine.
Le bonheur est dans le village les conséquences de nos achats sur l’homme et
l’environnement. Quelques années plus tard, il décide d’aller encore plus loin
et de lancer l’entreprise à succès 1083, le premier jean 100 % made in
France. Le jean, cet emblème de la mondialisation, a une empreinte
écologique très lourde, entre la culture du coton conventionnel très polluante
et son cycle de vie qui représente près de 30 000
Thomas se rend vite compte qu’entre deux paires de jeans les prix peuvent
varier de 10 à 150 euros, souvent à qualité et à coupe comparables. Ce ne
sont pas les salaires qui font la différence, mais surtout les intermédiaires et la
communication. En moyenne, près de 20 % du coût des jeans qu’on achète
sont dus exclusivement à la publicité achetée sur Google ou Facebook. Lui ne
fait pas de pub, mais ça lui permet de tout produire en France, en créant des
emplois 198
**
*
199
En relocalisant, nous ne faisons pas que faire monter les salaires, nous avons
l’opportunité, nous aussi, de mettre en valeur notre capital humain, nos
infrastructures, notre recherche et nos pôles d’excellence. D’imposer nos
solutions et nos normes, donc de retrouver une souveraineté à l’échelle du
pays comme des territoires.
climatique.
Impossible
de
polluer
ou
d’émettre du CO2 comme cela se fait dans les pays en développement, où les
normes et les contrôles sont bien moins rigoureux. On sait que l’empreinte
carbone de nos importations est considérable.
Bien sûr, une nécessaire subsidiarité doit s’appliquer : ce qui peut être
relocalisé doit l’être, ce qui ne peut pas ne doit pas l’être à tout prix. Comme
l’explique Rob Hopkins 1, l’alimentation est la production la plus
relocalisable au plus près des consommateurs. Il n’en va pas de même pour le
textile ou les matériaux de construction qui appellent un niveau national en
raison de la diversité des ressources nécessaires et de la technicité requise.
Pour les voitures (si possible électriques !), le niveau de la chaîne de
production est continental, et pour des objets de très haute technologie
comme les puces électroniques ou les téléphones portables, le niveau mondial
est incontournable, ne serait-ce qu’en raison des métaux rares.
Nicolas, Joigny, Yonne (9 580 habitants) Le petit Nicolas jouait avec ses
amis le long d’immenses champs engrillagés, non cultivés, sur les bords de
l’Yonne. Pendant longtemps, il s’est demandé pourquoi ils se voyaient
refuser cette magnifique aire de jeux. Plus tard, il a compris : ces champs
immenses étaient préservés en leur qualité de zone de captage de l’eau que
boivent quatre Parisiens sur dix. Ils appartiennent toujours à la ville de Paris,
plus gros propriétaire foncier de l’Yonne ! Nicolas est depuis devenu maire
de Joigny. Aujourd’hui, lorsqu’il se promène le long de ces champs, il y voit
des cultures de lentilles bio qui nourrissent les cantines scolaires et
municipales du 11e arrondissement de Paris. Demain, ce sera aussi des pois
chiches.
205
Un système gagnant-gagnant, dont les agriculteurs ont bien besoin, eux qui
en bavent pour boucler leurs fins de mois.
Ainsi ils cultivent sur les terres de la Ville de Paris des lentilles bio à un prix
et pour des volumes fixés à l’avance, et ce pour toute la durée de la
mandature. Chose parfaitement exceptionnelle pour eux ! Le tout en faisant
sauter les intermédiaires. Mais ce n’est pas tout. Les outils de transformation
ayant disparu du territoire alors qu’ils permettent une réelle plus-value du
produit cultivé, Nicolas a impliqué la Ville de Paris aux côtés des acteurs
territoriaux dans le financement d’une machine d’ensachage des pois chiches
que les agriculteurs n’arrivaient pas à financer. Un bel 206
Inventer de nouveaux équilibres entre villes et campagnes exemple de vrai
partenariat entre les villes et les territoires.
**
Le mode de vie citadin est tout sauf autosuffi-sant, pas seulement pour
l’alimentation, mais pour toutes productions. Il engendre des externalités
négatives (bruit, pollution, criminalité, déchets…) et surtout possède une
empreinte écologique considérable, liée à son extrême dépendance extérieure.
Les politiques de verdissement des villes sont tout à fait louables, mais ne
doivent jamais faire oublier que l’autonomie alimentaire d’une ville comme
Paris n’est que de quelques jours, et que le trajet moyen d’un aliment qui
parvient aux Parisiens est en moyenne de 650 kilomètres ! Aucun jardin
partagé, aucun mur végétal, aucune forêt urbaine ne pourra nourrir une
agglomération de 12 millions d’habitants et les millions de touristes qu’elle
attire chaque année. Même en généralisant 207
On nous justifie souvent le déclin des territoires ruraux par le fait que les
villes seraient plus créa-trices de richesses. Mais la richesse urbaine est
souvent mesurée avec des critères qui la survalorisent, et qui sont surtout
monétaires. Oui, les métropoles ont un PIB par habitant de 50 % plus élevé
que la moyenne, mais selon quel calcul ? L’économiste Frédéric Gilli invite à
ne pas confondre création et concentration de richesses : « Il y a une
différence entre créer la plupart de la richesse et concentrer la plupart de la
richesse créée. Disposant des fonctions stratégiques pour l’accès aux
marchés, les métropoles sont en situation de capter une part de la valeur créée
dans les territoires avec lesquels elles sont en relation 1. »
208
209
Conclusion
Nous sommes entrés dans l’ère des points de bascule. Nous vivons sur une
planète vivante, et le vivant fonctionne grâce à des seuils au-delà desquels les
équilibres s’effondrent. Une eau à 80 °C reste de l’eau, mais à 100 °C elle
devient de la vapeur. Deux ou trois degrés de plus dans l’atmosphère, et ce
sont des réactions en boucle qui se mettent en marche, et nous changeons de
planète. Deux ou trois degrés de plus dans l’atmosphère, et c’est la fonte du
perma-frost qui va libérer non seulement des millions de tonnes de CO2
supplémentaires, mais également 211
Le bonheur est dans le village des virus ou des bactéries inconnus, des
insectes et des maladies dont nous ne savons rien.
Le tout urbain fait partie de ces totems du XXe siècle qu’il est temps de
déboulonner. Plus de la moitié de l’humanité vit aujourd’hui dans les villes.
Ils n’étaient encore qu’une poignée au début du siècle dernier. Il s’agit là
d’une des transforma-tions sociales les plus importantes de l’histoire de
l’humanité. Le lien à la terre a pourtant longtemps 212
Conclusion
Tout notre imaginaire, notre sagesse, nos dictons, nos métaphores sont hérités
d’un fonds paysan. La ville a toujours été l’exception, la zone franche des
bourgeois et des marchands. Elle est devenue la règle, l’horizon commun, la
norme culturelle.
Force est de constater que ce récit ne tient plus la route. Nous sommes allés
beaucoup trop loin.
Je ne crois donc plus au mirage d’une métropole qui à elle seule rendrait un
pays riche et heureux.
Il est temps non pas de revenir en arrière, mais d’inventer autre chose.
Comme nous l’avons vu, l’heure est à bien plus de liberté et de qualité de vie.
C’est le sens de l’Histoire.
Pour moi, les territoires ruraux seront au centre de cette révolution. Les
enjeux démographiques qui nous attendent, avec toujours plus d’individus
qui vont peupler notre planète et nos énormes défis écologiques, vont
remettre nos campagnes au centre du jeu.
Les trente pionniers que nous avons suivis n’auraient pas pu voir naître leurs
projets s’ils n’étaient pas autant portés par leur territoire et par ses habitants.
Ce sont trente villages (ou parfois un peu plus grands) qui ont su prendre à
contre-pied le destin qu’on leur avait assigné, celui d’être à la 214
Conclusion
Non seulement ils ont réussi à renverser les choses, à créer de nouvelles
dynamiques, mais surtout ils bousculent
nos
croyances
et
révèlent
nos
potentiels.
Non, l’avenir n’est pas le tout urbain. Non, nos campagnes ne sont pas
condamnées au déclin. Elles sont, bien au contraire, précurseures d’un autre
monde pour demain. Elles proposent de vraies alternatives qui ne demandent
qu’à être systé-matisées.
Les trente histoires que je vous ai racontées démontrent qu’à leur échelle, on
peut s’organiser différemment et être à la hauteur des défis qui nous
attendent. Une économie différente est possible, au service de l’homme et de
la planète.
Le bonheur est dans le village monde rural peut nous enseigner et ce qu’il a à
nous transmettre. Il a tant de cordes à son arc pour faire émerger ce nouveau
paradigme.
Et comme vous l’avez sans doute constaté, nous pourrions tous reproduire à
notre échelle au moins une de ces trente initiatives, qu’importe qui nous
sommes, ce que nous avons fait comme études et où nous vivons. J’espère
donc que ces trente histoires sauront vous inspirer, et vous donneront l’envie
et le courage de devenir à votre tour prota-goniste ! Si nous réussissons à
essaimer ces solutions pour construire un nouvel horizon, alors oui, nous
aurons réussi à changer le monde. La ruralité offre un terrain de jeu inespéré
pour les dupliquer et procéder à de nouvelles expérimentations. Tant d’idées
restent encore à être pensées, et transfor-mées en réalisations concrètes.
Laissons-nous inspirer par notre environnement, et n’ayons pas peur
d’entreprendre. Nous pouvons TOUS le faire vivre à notre niveau. Pour la
planète, pour nos enfants et pour nous-mêmes.
Bibliographie
Romain BERTRAND, Le Détail du monde. L’art perdu de la description de
la nature, Seuil, 2019.
217
Rob HOPKINS, The Transition. Start Here, Now and Together, Actes Sud,
coll. « domaine du possible », 2017.
Charles MASSY, Call of the Reed Warbler, Chelsea Green Publishing, 2017.
218
Bibliographie
Table
Introduction .........................................................
RETROUVER LE SENS
17
23
29
41
47
53
59
221
67
73
85
91
Redonner vie aux commerces des centres bourgs, Roger, Gap (Hautes-Alpes)
................................
97
PRÉSERVER L’ENVIRONNEMENT
222
Table
NOURRIR LA PLANÈTE
de
demain,
Babacar,
Saint-
Démondialiser,
relocaliser
et
réindustrialiser,
Bibliographie.................................................... 217
<
>
No d’édition : L.01ELKN000850.N001