J'ai Pas Lâché L'affaire

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AU QUOTIDIEN

« J’AI PAS LÂCHÉ L’AFFAIRE… »


Par: Yvan Amar

« Les Anglais n’ont pas lâché l’affaire » Voilà une expression que j’ai entendue hier au
journal de RFI, ce qui m’a convaincu que cette façon de parler se répandait, gagnait des
adeptes et se présentait de façon légèrement familière certes, mais acceptable par exemple
dans un journal d’information.

Le sens est simple : cela veut dire je n’ai pas abandonné, je n’ai pas laissé tomber…
Expression à la mode donc, entendue surtout dans un premier temps parmi les jeunes.
L’expression, de toutes façons, est facile à comprendre, et l’image est transparente. Et il
faut dire aussi que ce verbe « lâcher » est assez productif dans un langage familier. Et
dans des significations assez différentes : « Il ne m’a pas lâché » peut signifier plusieurs
choses : ou bien, il n’a pas cédé, il n’a pas cessé de me harceler jusqu’à ce qu’il obtienne
ce qu’il souhaitait. Ou simplement on peut dire ça d’un gêneur, d’un sans-gêne qui ne
sent pas qu’il est de trop, et qui vous importune… ce qu’on appelait du temps de Molière
un fâcheux. Et le français argotique contemporain recourt largement à ce verbe : lâche-
moi ! c’est laisse-moi tranquille, ne m’ennuie pas, cesse d’être sur mon dos, de vérifier
tout ce que je fais. L’idée c’est que tu m’étouffes, et que j’aimerais bien que tu me laisses
un peu d’air pour respirer… Ce qui peut se décliner ou s’intensifier ; et en général
l’expression devient de plus en plus forte et argotique à mesure qu’elle se décline :
Lâche-moi les baskets, lâche-moi la grappe.
Notre formule de départ, « j’ai pas lâché l’affaire » est différente. On peut noter d’abord
qu’elle est presque toujours exprimée à la négative… On dira peu « Il a lâché s’affaire, il
a fini par mâcher l’affaire… » même si ça peut s’entendre. D’autre part, on a noté
l’aspect très orla de la phrase. Elle n’est pas de celles qu’on écrit. Et si on l’écrit, ça tient
presque de la transcription du langage parlé… la preuve : nous n’avons pas écrit « je n’ai
pas… » mais « j’ai pas… »

Pourtant, ce qui est le plus troublant dans cette expression, c’est bien l’affaire… Qui veut
dire quoi ? Le sujet, la chose, le problème parfois… le sens en est très général. Mais, ce
mot fort vague évoque souvent un français assez soutenu. Son étymologie dit bien son
premier sens : une affaire, c’est ce qu’on a à faire… donc ce qui vous occupe. Et le mot
désigne souvent une situation… un peu compliquée, embrouillée… Se tirer d’affaire,
c’est bien se sortir d’une passe difficile. Le mot renvoie également souvent à un conflit,
ou même à une action en justice : l’affaire Untel, l’affaire Dreyfus. Une affaire est même
parfois une situation délicate, illégale, scandaleuse : l’affaire pétrole contre nourriture…
Mais, dans tous ces emplois, le mot renvoie presque à un euphémisme : c’est avec
élégance qu’on reste dans le vague.
Pourtant, le même mot peut être utilisé de façon plus populaire : tout bonnement, l’affaire

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est ce qui vous concerne : « Mêle-toi de tes affaires ! » Et là, on est vraiment dans le
langage familier.

18 BRUMAIRE
Par: (pas credité)

On aime les commémorations ? En voici une, ou tout au moins


un anniversaire, qu'on a parfois un peu de mal à dater :
c'est celui du "18 Brumaire", jour où Bonaparte s'est emparé
du pouvoir par un coup d'Etat, mettant du même coup fin au
Directoire. C'en était fini du roman de la Révolution.

"Brumaire" correspond en gros à Novembre. C'est l'un des mois


du calendrier révolutionnaire, poétiquement inventé par Fabre
d'Eglantine.

Ce calendrier, adopté en Octobre 1793, était rétroactif, puisqu'il


faisait commencer l'ère de la République le 22 septembre 1792,
jour de la proclamation de la première République et équinoxe
d'automne, qui plus est.

Il se décompose en 4 saisons - 12 mois de 30 jours chacun, plus


5 jours supplémentaires (6, les années bissextiles).

Les mois riment entre eux 3 par 3 et font une référence explicite
à la nature :
Automne : Vendémiaire = les vendanges, Brumaire = les brumes,
Frimaire = les frimas.
Hiver : Nivôse = la neige, Muviôse = la pluie, Ventôse = le vent.
Printemps : Germinal = la germination, Floréal = les fleurs,
Prairial = les prairies.
Eté : Messidor = les moissons, Thermidor = la chaleur, Fructidor =
les fruits.

Quant aux fêtes, elles deviennent laïques : on les appelle les Sans-
Culottides.

2 CV
Par: (pas credité)

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C'est bien beau d'avoir 100 ans, mais est-ce que ce n'est pas encore mieux
d'en avoir 50 ? Et si l'on fête avec éclat le centenaire du Salon de
l'auto - rebaptisé depuis quelques années "Mondial de l'Automobile", on
fête avec non moins de jubilation le jubilé de la deux-chevaux Citroën (et
c'est normal : les jubilés font jubiler).

Mais l'heure est venue de se poser la question : pourquoi Deux chevaux ? Et


de quel cheval s'agit-il ?

Le cheval, en fait, outre le sympathique quadrupède que nous connaissons,


est une unité qui mesure la puissance d'une machine, en particulier d'un
moteur. Et c'est le plus souvent quand il s'agit de véhicule qu'on parle de
cheval… pour être très précis de "cheval-vapeur", c'est le nom complet de
cette unité, traduction de l'anglais horse-power.

Et c'est à partir de ce cheval-vapeur qu'on a imaginé le cheval-fiscal -


unité proportionnelle à la puissance réelle du véhicule, qui va permettre
d'évaluer la taxe qui le frappe. Le prix des vignettes automobiles est en
effet variable selon le nombre de chevaux-fiscaux des voitures.

Et de fil en aiguille, on s'est servi de ça pour nommer les voitures -


ainsi la Deux chevaux - en abrégé 2 CV, voiture populaire et bon marché par
excellence, qui a connu bien des surnoms : Deuche, Dodoche, mais aussi 2
pattes, même 2 lapins…

Jamais ses concurrentes un peu plus puissantes (3 CV ou 4 CV Renault) n'ont


connu un aussi riche glossaire. Il y a pourtant un cousinage qu'on pourrait
signaler : en Allemagne, la voiture populaire , dont la forme ovoïde
pourrait faire penser à la 2 CV, a été elle aussi comparée à un animal
(mais pas à deux !) : c'est la Coccinelle. Mais cette comparaison n'est
venue que sur le tard, et surtout après le succès de quelques films
américains un peu enfantins, qui accréditaient ce surnom.

Mais la tradition en anglais ne se fait pas littéralement puisqu'on parle


là-bas de "Beetle", c'est-à-dire scarabée.

Et il faut croire que l'anglicisme progresse puisque la toute nouvelle


version - encore non commercialisée - de cette coccinelle est connue en
français sous son nom américain "New Beetle".

ÇA
Par: (pas credité)

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On adapte au théâtre du Rond-Point, à Paris, les "Histoires comme ça" de Rudyard
Kipling. Je sais bien que c'est une traduction mais ce "comme ça" fait diantrement
idiomatique : histoires à ma manière, comme on se les raconte…

"Ça" de toute façon est un drôle de mot, une contraction du pronom "cela" qui appartient
d'abord (et encore maintenant dans la plupart des cas) à la langue orale, et qui est assez
récente (XVIIème probablement, bien qu'il soit très difficile de dater la langue orale).

Pourtant le profil du mot a changé avec le temps. Aujourd'hui, "ça" a quand même sa
place dans la langue écrite et on a oublié le temps où il appartenait au bas-parler" à la
langue vulgaire. (Cf. Hugo et le kekcéksa de Gavroche qui anticipe Queneau).

Pour autant, on ne peut pas le considérer comme un simple équivalent de "cela".


Parfois oui, en particulier lorsqu'il remplace réellement un nom ou une série de noms
clairement identifiés : ces arbres, ces prairies, ces vergers, tout "cela" (tout "ça") va être
rasé à l'arrivée de l'autoroute. "Cela" et "ça" reprennent une idée de globalité.

Mais bien souvent, "ça" n'est pas un vrai pronom qui remplace mais un opérateur
grammatical qui fait fonctionner le verbe qui a bien besoin d'un sujet.
Notamment pour des verbes impersonnels ou météorologique : "ça se couvre", "ça va se
dégager". De même quand on dit "ça avance", "ça va barder", "ça va être ta fête", "ça
s'arrange, ton affaire ?" "Il n'y a pas à dire, un chien ça tient compagnie"…

Parfois, "ça" renvoie à un réel vivant qu'on évite de nommer et qu'on remplace par ce tour
indéfini. C'est très souvent péjoratif dans ce cas-là : "ça prend des manières à 15 ans et ça
les garde à 30". Cette tournure est un peu ancienne. "Ça naît un beau soir sur la Butte, ça
pousse on ne sait pas trop comment, et puis d'cabrioles en culbutes, ça tombe dans les
bras d'un amant".

Enfin, "ça" fait partie d'expressions figées où il n'a jamais remplacé "cela" : "c'est comme
ça" (= "c'est ainsi" ; Cf. "les Histoires comme ça"), "ça suffit comme ça".
On a aussi avec "ça" = par-dessus le marché, ironique, pour renchérir sur une qualité ou
un défaut ; souvent ironique : "et modeste avec ça !" "Comme ci, comme ça" = à peu
près, pas fameux, qu'on module souvent de façon familière en "couci couça".

A FORTIORI
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

E.LATTANZIO : J'ai peur de rouler en bicyclette, a fortiori sur


une route à grande circulation.

Y.AMAR : Donc, vous avez toujours peur, mais encore plus sur une
grande route, à plus forte raison sur une grande route. C'est le
sens de cette expression, a fortiori.

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E.LATTANZIO : C'est même le sens littéral de l'expression en
latin, puisque c'est du latin, qui est passé tel quel en français.

Y.AMAR : Cela garde un parfum latinisant : le "a" s'écrit sans


accent, car c'est le "a" latin. Sur le même modèle on entend des
expressions comme "a priori" ou "a posteriori".

E.LATTANZIO : "A fortiori" sert donc à renforcer, à surenchérir


sur une raison, sur une cause. Mais d'autres tournures sont
possibles. Vous voulez aller au théâtre ? Vous trouverez
facilement une place, d'autant plus que vous connaissez le
directeur de la salle.

Y.AMAR : Ou encore, vous serez d'autant mieux reçu que vous êtes
le cousin du directeur.

E.LATTANZIO : Autre possibilité l'expression "qui plus est". Je


sais que je vais passer une excellente soirée chez Suzy. Elle est
charmante, excellente cuisinière qui plus est.

Y.AMAR : Là, on surenchérit sur une qualité, non pas sur une cause
: Suzy est très jolie, excellente nageuse qui plus est. En plus
d'être ravissante, elle nage bien.

E.LATTANZIO : Si l'on veut intensifier une même idée, on peut


utiliser l'adverbe "voire", dans le sens "ou même". Cela prendra
bien trois semaines, voire un mois.

Y.AMAR : Deux remarques : "voire" n'a rien de commun avec le verbe


"voir" et prend un "e" final. D'autre part, on entend souvent
"voire même" : il est difficile de s'entendre avec Anatole, voire
même impossible. Mais les deux mots sont de même sens. C'est donc
un pléonasme, et l'un d'entre eux pourrait avantageusement être
supprimé. C'était Parler au Quotidien, une émission proposée par
le Centre National de Documentation Pédagogique ...

E.LATTANZIO : ... Et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.

A LA SIX QUATRE DEUX


Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Je suis venu en courant, j’ai monté les escaliers quatre à quatre, je suis arrivé en moins de
deux, et je n’ai fait ni une ni deux, je lui ai mis une bonne claque." On le voit bien à l’aide
de cet exemple purement fictif : on a en français de nombreuses expressions qui pour
exprimer la rapidité en recours à des nombres. Des nombres en général petits (un seul
chiffre pour les écrire), mais qui excluent le plus souvent le 1.
Quatre à quatre se comprend facilement ; l’image est presque toujours confinée à
l’escalier : on monte, on descend, le plus souvent d’ailleurs, on dévale – c’est le verbe
consacré, dans une image un peu figée. Au début du 20ème siècle, l’expression a eu la
tentation de s’autonomiser, quatre à quatre signifiant très rapidement, dans n’importe quel

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contexte… mais ça n’a pas tenu…
En moins de deux signifie plus rapidement que si l’on compte jusqu’à deux…. En un
mot, c’est l’équivalent de « en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire ». Et
probablement l’abréviation de « en moins de deux secondes ».
Ne faire ni une ni deux s’emploie à propos d’une décision qu’on prend rapidement, mais
aussi sans balancer, sans état d’âme, sans hésitation.
En deux temps trois mouvements est un terme d’escrime au départ, qui donne une idée
d’efficacité : faire trois mouvements en deux temps est en effet une bonne façon de
gagner du temps sur le temps.
Pour finir, une étrange expression s’écrit ( et se prononce) de deux façons différentes : en
cinq sets ou en cinq sec. Il faut en chercher l’origine dans un ancien jeu de cartes,
l’écarté. Il s’agissait de faire cinq points de suite sans en perdre un seul : cinq coups
gagnants sec ! La locution a également pu s’attester du fait que sec pouvait passer pour
l’abréviation de seconde (en cinq secondes. Et l’usage actuel fréquent sous la forme « en
cinq sets » dénote une influence anglaise qui est passée par le sport, le tennis en
particulier… ce qui est paradoxal, car un match gagné en cinq sets est plutôt un match
long, par rapport à un match gagné en trois sets…

A L'ITALIENNE OU A LA RUSSE
Par: (pas credité)

A l'Odéon se tient en ce moment un colloque sur les théâtres à l'italienne. Les théâtres, ou
les scènes à l'italienne désignent une certaine architecture théâtrale qui, au départ, nous
vient d'Italie. Mais le plus intrigant est la formule. Pourquoi à ? Pourquoi ce féminin ? A
l'italienne est une ellipse de l'expression à la mode italienne, à la manière italienne, et
cette tournure est d'ailleurs une spécialité que nous partageons avec la langue italienne
(Cf la sonata alla turca, c'est-à-dire à la turque, que nous appelons, nous, la marche
turque).

Pour renvoyer à des usages ou des choses qui, au départ, ne sont pas de chez nous,
l'habitude s'est répandue d'utiliser ce genre de locution. Et elles déterminent soit un nom,
soit un verbe :
- Boire à la russe (en lançant, après l'avoir lampé, son verre par dessus son épaule)
- Un baiser à la russe (sur la bouche, notamment pour les hommes)
- Question à l'américaine
- Jardins à la française (symétries de Le Nôtre) opposés aux jardins à l'anglaise, qui
miment une certaine idée du naturel, avec vallonnements, points de vue surprise et salles
d'ombrage…
- Socialisme à la suédoise, etc.

Ces modes sont facilement culinaires : œufs à la belge, homards à l'américaine,


champignons à la grecque…
La formule sort du domaine géographique, pour pointer le style de quelqu'un, notamment

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en matière artistique : des traits à la Chopin, un dessin à la Greuze, un raccourci à la
Tacite. Mais ce modèle prend facilement de l'extension : une conduite à la Fangio. A
remarquer que les noms propres ne changent pas, qu'on n'essaie pas de les féminiser, mais
que l'article féminin ne choque pas : on est habitué.
Souvent de façon un peu familière, on utilise ce tour à la … dans des locutions toutes
faites qui se veulent expressives par leur côté bricolé : A la 6,4,2 (=à la hâte), à la va vite
(= vite fait, bien fait), à la va comme je te pousse (sans ordre, ni méthode, ni projet), à la
manque, à la noix, à la flan, etc.

Enfin, citons à la hussarde, souvent pour faire allusion à un comportement brusque et


brutal, surtout dans les rapports homme/femme, et notamment avec une connotation
sexuelle.

A PIED
Par: (pas credité)

La journée sans voiture, qu'est-ce que ça vous évoque ? Le fait qu'on va


marcher à pied. "Marche à pied", est-ce un pléonasme ? En tout cas, il
n'est pas vraiment condamnable et on entend souvent cette expression.

Elle a quelques synonymes plaisants qui indiquent qu'on veut insister :


aller pédestrement, qui ne s'emploie jamais que par plaisanterie, tant
l'adverbe est peu courant. Et le latinisme de fantaisie "pedibus cum
jambis", souvent simplifié en "pedibus" tout court.

Mais, non seulement "pedibus" est une forme de l'ablatif latin (à l'aide de
ses pieds), mais sa terminaison évoque d'autres mots relatifs au transport :
autobus, omnibus, en particulier.

Les pieds servent aussi à bien d'autres expressions : "à pied" n'est pas
"en pied".
"En pied" signifie à peu près des pieds à la tête, en entier, en
particulier quand il s'agit de l'image qu'on donne : un miroir "en pied" vous
renvoie votre image en entier. Et un portrait "en pied" représente également
tout le sujet.

Cette locution en évoque une autre, "de pied en cap", où cap représente
la tête (capot en latin), et qui s'emploie volontiers à propos
d'habillement, voire de déguisement.

Et, bien sûr, pied est associé à la marche dans bien d'autres tournures :
partir du pied gauche (et paradoxalement, à l'origine, l'expression voulait
dire qu'une affaire était bien engagée : les soldats, marchant au pas,
partaient du pied gauche. Aujourd'hui, la superstition liée péjorativement

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à la gauche, a renversé le sens de la formule).

Et "à cloche-pied", pour finir, qui signifie sur un seul pied, et dont le
sens figuré se rapproche de "en boitant".

A PLAT, CREVE et DEGONFLE


Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

E.LATTANZIO : Est-ce que vous êtes à plat ?

Y.AMAR : Mon Dieu, pas trop, pourquoi ?

E.LATTANZIO : Durant le mois de décembre, en tout cas, pendant les


grèves qui ont perturbé les transports en commun, beaucoup de gens
étaient très fatigués par les marches forcées qu'ils ont dû
entreprendre pour aller travailler. Ils étaient "à plat".

Y.AMAR : Moi, ces derniers jours, j'ai aussi beaucoup fréquenté


les bouchons, pas forcément les mêmes, j'ai beaucoup festoyé et
maintenant je suis un peu à plat. Il faut que je me remette.

E.LATTANZIO : L'expression "à plat", qui date du 18ème siècle,


signifie que l'on est fatigué, un peu déprimé. Mais cette
expression a connu un regain de faveur avec l'automobile et donc
les pneus.

Y.AMAR : Et même avant l'automobile, c'est la petite reine, la


bicyclette, qui a beaucoup fait pour cette expression. Lorsqu'un
pneu est à plat (pour le vélo comme pour la voiture) c'est qu'il
n'a plus assez d'air. Il est dégonflé.

E.LATTANZIO : On comprend aisément le sens figuré, qui s'utilise


d'ailleurs au physique comme au moral : une bonne grippe vous met
à plat, un échec amoureux aussi.

Y.AMAR : Filons la métaphore, notamment la pneumatique, et


envisageons un pneu lorsqu'il a un trou. Il est à plat, mais il
est aussi "crevé". Et bien un être humain peut aussi être "crevé",
au sens figuré. C'est l'image, de nouveau, du pneu qui a perdu son
air. Etre crevé, c'est être épuisé.

E.LATTANZIO : Et être claqué, c'est pareil. Et ces expressions


n'ont exclusivement qu'un sens physique.

Y.AMAR : Sur le même modèle on dit parfois "je suis pompé!". Comme
si une pompe vous avait aspiré toute votre énergie. Mais on parle
plus souvent de "coups de pompe", avec l'idée que c'est soudain et
temporaire.

E.LATTANZIO : La pompe pourtant s'utilise dans les deux sens et en


particulier, pour remettre de l'air dans un pneu. Le coup de pompe
est donc tout à fait paradoxal. Plus logiquement on dit de
quelqu'un qu'il est gonflé, regonflé, gonflé à bloc, etc ...

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Y.AMAR : Gonflé à bloc, c'est-à-dire plein de culot et d'audace. A
l'inverse, le dégonflé, c'est celui qui n'ose pas, qui a peur.
C'est familier mais pittoresque : "Va donc, eh, dégonflé!".
C'était Parler au Quotidien, une émission proposée par le Centre
National de Documentation Pédagogique ...

E.LATTANZIO : ... Et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.

A QUOI ON JOUE ?
Par: Yvan Amar et Anne-Cécile Bras

Noël et les jours qui suivent… période bénie pour les fabricants de jouets… La racine est-
elle productive? Pas tant que cela.
Mais on peut noter déjà que le verbe donne naissance à deux substantifs, jeu et jouet.

Apparemment, pas de difficultés pour savoir comment on utilise l’un et l’autre. Le jouet
est un objet, conçu pour qu’on joue avec. Un bilboquet, un train électrique, ou même un
ours en peluche sont des jouets. Pourquoi ? Parce qu’avec, on s’amuse. Tout ça très en
rapport avec le monde de l’enfance. Et même la langue en témoigne, puisqu’on a formé le
mot familier joujou à l’aide d’un procédé de redoublement qui est l’un des ressorts
principaux de ce qu’on reconnaît comme langage enfantin (papa, pipi, dodo…).

Le mot jouet a quelques échos particuliers, en relation avec la façon dont on joue. Car
jouer, c’est essentiellement faire semblant, faire comme si, mimer le réel : on joue au
papa et à la maman quand on n’est ni l’autre ; on joue au cow boy quand on n’en est pas
un. Le jouet est donc souvent un objet miniature, qui imite une fonction sans la remplir :
un pistolet, une dînette, une « petite voiture ». Et si, par ironie, on dit de quelque chose «
c’est un jouet ! », c’est pour en rabaisser le statut. « Cet ordinateur de poche ? Peuh ! un
jouet ! »

A noter enfin que le mot peut avoir une signification particulière quand il renvoie à une
idée d’instrumentalisation, de manipulation. « J’ai été le jouet des circonstances » ( = je
n’ai pris aucune décision, aucune initiative réelle dans cette affaire ; tout s’est décidé en
dehors de mon contrôle, malgré ou contre ma volonté…). Et on l’utilise également dans
le cas d’une manipulation délibérée. « Ce roi sans pouvoir est un jouet entre les mains de
son Premier ministre »…

Mais, en tout cas, le jouet, quelles que soient ses significations, est toujours concret.

Et c’est là sa principale différence avec le jeu. Le mot est bien trop riche pour qu’on en
évoque en quelques minutes tous les sens mais pour l’opposer au jouet, on peut dire que
le jeu, c’est donc le fait de jouer, et non l’objet avec lequel on joue. Le fait de jouer et
l’ensemble des règles qui vont déterminer un univers clos où se « joue » la partie.

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Ainsi, jouer aux cow boys et aux indiens, c’est un jeu… Jouer aux échecs, c’est un jeu.
On parle des jeux de société. Et justement, parfois, tous les objets qui servent à jouer sont
dénommés jeu : prendre un jeu d’échecs pour partir en voyage, un jeu de cartes pour faire
une belote, un jeu de monopoly pour passer une longue soirée, un jeu électronique intégré
dans un téléphone… Ce dernier est-il encore un objet ? C’est, en tout cas, un système
électronique qui rend possible une interaction entre le joueur, un ensemble d’éléments
concrets et un ensemble de règles. Et même quand le jeu est un objet, il n’est pas façonné
à l’image d’une réalité qu’il imite. Trente-deux soldats de plomb sont trente-deux jouets.
Trente-deux pièces d’échecs sont un jeu.

ABIME
Par: Yvan Amar et Anne-Cécile Bras

On reprend, en ce moment, un charmant petit opéra de Benjamin Britten, ce célèbre


compositeur anglais, intitulé « Faisons un opéra ». Et, en effet, le sujet de cet opéra est
l’élaboration et la mise en scène d’un opéra. Il y a, donc, un opéra dans l’opéra. Et c’est
un procédé qu’on retrouve très souvent : on ne compte plus les films dont le sujet
principal est le tournage d’un film, de Helzapoppin, chef d’œuvre burlesque, à la Nuit
Américaine de François Truffaut : c’est du cinéma dans le cinéma. Et au théâtre, la
situation se retrouve peut-être plus souvent encore… C’est ce qu’on appelle le théâtre
dans le théâtre, dont on trouve des exemples dans de nombreuses pièces de Shakespeare,
(Hamlet, Le Songe d’une nuit d’été…).

Cette sorte de répétition en miroir est parfois dénommée mise en abyme… une expression
qui n’est pas si ancienne : on en connaît l’origine et l’auteur : c’est le romancier André
Gide qui l’a inventée, et qui la cite dès 1893. Ses préoccupations littéraires en donnaient
un bon exemple, puisque le roman Les Faux-Monnayeurs met en scène un écrivain en
puissance qui s’escrime sans grand succès à mener à bien un roman intitulé « les Faux-
Monnayeurs ».

Gide, cultivé et parfois un peu précieux , retourne à l’étymologie et orthographie sa


trouvaille avec un y. Mais cette abyme a la même origine que l’abîme, qui désigne la
profondeur de l’océan et, par extension, un gouffre très profond. L’image grecque est
plus saisissante encore, puisqu’elle évoque un trou non seulement profond, mais sans
fond : a-bussos.

C’est, bien sûr, de là que nous vient notre verbe abîmer : s’abîmer, c’est au départ tomber
dans un gouffre, et notamment dans le gouffre du mal ou du vice. Le mot a souvent été
moralisé, de même que l’abîme a souvent désigné l’Enfer, en ancien français.
Hélas, le mot s’est largement affaibli, puisque abîmer a voulu dire précipiter dans un
gouffre sans fond, ruiner, puis simplement endommager… « Arrête ! Tu vas m’abîmer
mes affaires ! »

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ABOI, CLABAUDAGE, CLATISSEMENT
Par: (pas credité)

Qui serait aujourd'hui à Helsinki - l'une des patries du soleil de minuit - entendrait à coup
sûr clabauder, clatir et japper d'importance. Belle Evelyne, je ne vous le cacherai pas plus
longtemps, c'est en ce lieu septentrional qu'on a décidé de se réunir (hasard, instinct,
complot ?) 15 000 chiens (quinze mille - je précise en toutes lettres comme sur les
chèques) de races diverses qui vont tenir congrès (blague dans le coin, c'est une
exposition canine). Comment donc résister plus longtemps à la tentation d'explorer
l'exquis lexique (avez-vous noté l'anagramme phonologique ?) d'une expression orale à
l'ambitus large et aux nuances variées.
Commençons avec un rappel de notions simples : le chien (tous les chiens) aboie(nt).
Comme on pouvait s'y attendre, ce terme générique est une onomatopée, on y entend
clairement le ouah ouah qui sous-jace. De même, et c'était à prévoir, le verbe est passé
dans le vocabulaire des humains, tout en gardant de façon péjorative le souvenir de son
animalité : aboyer, c'est crier, protester bruyamment, prendre un ton revêche, brusque,
agressif : aboyer un ordre ou une injure.
Autre verbe expressif : hurler qui a également une origine onomatopéique (à rapprocher
de hululer, etc.), et qui, au départ, s'applique au chien aussi bien qu'au loup, puis à
l'homme. L'idée est davantage celle d'un cri prolongé, et même quand il s'agit des
humains, il peut rester dans l'infra-verbal : on hurle une insulte, mais on hurle aussi de
douleur, sans phrase et sans mot.
On est encore chez les chiens, lorsqu'on gronde et qu'on grogne (le premier verbe est né
chez les chiens, le second chez les cochons). L'onomatopée, là encore, est évidente, mais
différente, plus sourde, plus menaçante, comme un prélude à l'action violente. Et ces
deux mots ont connu chez les hommes une fortune certaine.
Par contre, quelques autres n'ont jamais vraiment quitté la niche : japper par exemple, qui
évoque un aboiement plus clair, plus aigu, plus jeune souvent et, en tout cas, plus joyeux.
Mais j'aimerais finir sur deux mots que l'usage moderne confine hélas dans une semi-
retraite où ils se morfondent : clatir, mot assez technique qui rappelle la chasse à courre :
clatir, c'est pousser des cris répétés pour annoncer que le gibier est pris ; et clabauder, qui
viendrait de Clabaud, nom propre de chien jadis aussi fréquent qu'aujourd'hui Méder ou
Mirza - qui signifie aboyer fort, d'où médire (dans une langue familière un peu jaunie).
Mais aboyer fort, n'est-ce pas le propre du chien ? Et songeant à cela, je ne peux
m'empêcher d'imaginer quelque relation probable, mais non certaine entre clabaud
(d'origine vraisemblablement néerlandaise, clébard et clebs (de kalb, le chien de l'arabe
classique), voire cabot, à l'origine si mystérieuse, qui viendrait peut-être du latin caput,
sans que personne ait très bien compris comment une tête pouvait dégénérer en chien…

ABREGE DE TOPONYMIE
Par: (pas credité)

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E.LATTANZIO : Voilà qu'on fête les 700 ans de règne de la famille
Grimaldi sur la principauté de Monaco. Excellente occasion de se
demander, sinon d'où vient cette famille, du moins d'où vient le
nom de leur capitale.

Y.AMAR : Monaco ne vient pas des princes mais des moines. Le grec
"monakhos" était passé en latin d'église et le mot a alors évolué
différemment selon les environnements linguistiques où il a vécu :
Monaco, c'est logique, dans une zone sous influence italienne,
mais Munich ailleurs, ou plus exactement "Munichen" à l'origine,
qui a donné "Munchen" en allemand et Munich dans la transcription
française.

E.LATTANZIO : En France en général, la toponymie est très diverse,


lieu de mémoire enfouie, où s'inscrivent et se renouvellent les
histoires du pays.

Y.AMAR : La chrétienté évidemment est très présente, avec des


saints patrons de villes aux prénoms souvent inusités : Cloud, Lô,
Nectaire ou Flour ... D'autres formes à écho religieux : Donrémy
(Don = saint), La Trinité, Moustier, etc ...

E.LATTANZIO : Parfois, l'origine des noms est évidemment


transparente : Pontoise, Le Havre, Clermont (= mont visible de
loin). Quant à Lille, le nom a bien un rapport avec une île, bien
qu'elle ne fût entourée que de marécages.

Y.AMAR : Parfois, l'étymologie la plus connue est totalement


fantaisiste : on a cru longtemps que Montpellier était le mont des
pucelles (puellarum = jeunes filles). On sait bien aujourd'hui que
c'est faux, mais on ne sait quelle explication mettre à la place
de celle-ci : Mons Pistillarius (du petit moulin), ou Pessulanus
(du petit verrou, à cause du célèbre verrou de l'église Saint
Firmin auquel on attachait ceux qui ne payaient pas leurs dettes)

E.LATTANZIO : Parfois on ne sait rien du tout : Marseille remonte


bien à Massilia ou Massalia, mais personne ne sait dire avec
certitude à quoi correspond ce nom grec que les Phocéens donnèrent
à la colonie qu'ils fondaient.

Y.AMAR : Ou bien alors on ne connaît que la moitié de l'histoire :


Bordeaux par exemple. Est-ce le pluriel de bordel ? Tout le monde
y a pensé! Mais l'affaire est moins chaude qu'il n'y paraît :
d'abord un bordel est à l'origine une petite ferme. D'autre part,

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l'appellation "Burdigala" est plus ancienne que le nom bordel dans
cette région. Il y a donc interférence entre le bordel récent
qu'on connaît, et le "burdigala" qui se perd dans la nuit des
temps.

E.LATTANZIO : Terminons avec deux remarques : la toponymie


française fait ressortir une présence gauloise bien plus
importante que dans la moyenne du vocabulaire français ( et le cas
est fréquent de cette résistance toponymique des peuples vaincus :
souvenez-vous de l'omniprésence indienne dans les noms de lieux
des Etats-Unis).

Y.AMAR : D'autre part, les villes importantes, capitales des


tribus gauloises ont souvent pris le nom des habitants, en
détrônant des denominations plus anciennes : Nantes élimine
Condevincum à cause des Namnètes (et non à cause d'un prétendu
Namnète, descendant de Japhet, et qui aurait fondé la ville trois
cents ans avant le Déluge).

E.LATTANZIO : Rennes, habité par les Redones (=ceux qui


chevauchent).

Y.AMAR : Paris élimine Lutèce et se souvient des Parisii qui y


vivent. Tant pis donc pour Lutèce qui ne dérive pas d'un vieil
adjectif signifiant "blanc" (et Rabelais prétendait que cette
blancheur était celle des cuisses des donzelles du lieu) mais
renvoie à un site marécageux.

ABROGATION
Par: Yvan Amar

Abrogera ? Abrogera pas ? La question revient souvent à propos d’un article de loi. Il
s’agit de l’article 4 de la loi du 23 février 2005. On en a déjà largement parlé, ici comme
ailleurs : il s’agit de ce texte qui évoque un rôle positif de la colonisation qui ne devrait
pas être passé sous silence dans l’enseignement de l’histoire. L’intéressant, pour nous,
c’est de savoir si cet article va demeurer dans la loi ou s’il va être supprimé… ou
remplacé… ou amendé… ou modifié… On voit que les possibilités ne manquent pas, ni
les mots… Mais, enfin, on parle de la possibilité de son abrogation : va-t-on l’abroger ?
Pas besoin de grand discours pour comprendre le sens du mot « abroger » : il signifie, en
effet, retirer… Mais, c’est un mot particulier, dont le sens est assez restreint. En effet, on
parle d’abroger une loi ou un article de loi qui sont en vigueur. Si l’on était encore dans
l’étape précédente du processus, si la loi n’était encore qu’un projet, on parlerait de retirer
le projet… C’est bien plus facile : on arrête un processus en cours. Alors que là, il faut
effacer quelque chose qui est déjà officiel.

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Il est vrai que le mot a toujours eu un sens officiel. Déjà en latin, où il a deux sens : il
peut d’abord s’appliquer à une personne à qui on retire sa charge. Il s’agit d’un geste
symbolique fort : il y a quelque chose de rituel dans le fait d’investir quelqu’un d’une
charge officielle : un magistrat, par exemple, à qui on confère le pouvoir de condamner,
de dire si un accusé est coupable ou innocent... Lui retirer ce pouvoir, c’est le désacraliser
d’une certaine façon, le défaire de cette charge qui l’élevait, le ravaler au rang de citoyen
comme les autres. Et ça équivaut d’une certaine façon à une dégradation… mot très fort
en français, qui s’est par exemple appliqué à Dreyfus. Une fois qu’il avait été condamné,
à tort, rappelons-le, pour haute trahison, il avait été publiquement dégradé… Il n’avait
pas été abrogé. En français, le mot ne s’utilise que pour les lois. Pas les lois qu’on
dégrade… n’exagérons pas… mais les lois qu’on supprime, sur lesquelles on revient.

Alors, différents mots correspondent à différentes situations. Une loi s’abroge ; elle ne
s’abolit pas. Mais la conséquence d’une loi, la pratique qui en résulte peut s’abolir : la
peine de mort, par exemple, a été en France abolie, et non abrogée. L’esclavage a été
aboli et non abrogé…
Et ce verbe abolir apparaît plus fort encore que le verbe abroger : abolir, c’est détruire, et
non seulement supprimer. Et là encore, le sens du mot en latin nous éclaire sur les
résonances qu’il peut avoir en français d’aujourd’hui : il s’agit de supprimer jusqu’au
souvenir d’une chose, le rayer de la mémoire presque. Et il s’emploie en latin à propos de
quelque chose de honteux dont on tâche d’effacer la trace. Comme si on voulait retrouver
une certaine virginité… Ce qui est en relative contradiction avec les emplois qu’on fait
aujourd’hui du mot, puisque la plupart du temps, on veut abolir, mais garder la mémoire
de l’infamie, en faire de l’histoire. Ce qui nous renvoie indirectement au contenu de
l’article de loi qu’on va abroger … ou pas.

ABSENCE
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Les directives gouvernementales en matière d’absentéisme suscitent de nombreux


commentaires : fera-t-on payer les familles ? Les mettra-t-on à l’amende si les enfants
désertent trop l’école ? Car c’est cela le sens du mot absentéisme. On parle d’absentéisme
dans un milieu scolaire, ou d’ailleurs professionnel, en cas d’absences répétées. Mais le
mot est toujours péjoratif. Il sous-entend que ces absences n’ont pas de motif valable. En
cas de maladie grave, on ne parlera jamais d’absentéisme. On n’en parle que si, en cas
d’absence, on invoque une mauvaise excuse, qu’on se fait passer pour malade, qu’on
s’écoute, qu’on se dit plus malade qu’on est. L’absentéisme donc, consiste à tirer sur la
corde.
L’origine du mot n’est pas scolaire du tout. Il s’agissait au départ des grands propriétaires
terriens anglais qui avaient des terres en Irlande dont ils ne s’occupaient nullement. Ils
n’y vivaient pas, se contentant d’empocher les dividendes de leurs terres. Ce qui n’était
pas très populaire auprès des travailleurs de la terre.
En tout cas le sens du mot est très clair : être absent, c’est ne pas être là, du latin ab esse.

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Ne pas être là physiquement ou ne pas être là avec sa tête. On peut souvent dire à
quelqu’un « Tu as l’air absent », pour lui dire « tu as l’air ailleurs, tu ne suis pas la
conversation, tu n’es pas avec moi, ton esprit bat la campagne »
Quant à « avoir une absence », c’est encore différent. Ca s’apparente à un trou de
mémoire, mais c’est plus général. Tout d’un coup, je ne me suis plus souvenu à qui je
parlais, ou de qui je parlais. J’étais transporté ailleurs. Comme on peut dire aussi : je n’y
étais plus : c’est exactement la même image.

ABUS
Par: (pas credité)

Y.AMAR : "Y a de l'abus !" Formule familière qu'on entend parfois,


bien qu'elle fasse un peu aujourd'hui argot à l'ancienne. Y a de
l'abus, c'est-à-dire, de façon vague, "il exagère" ou "ils
exagèrent".

E.LATTANZIO : "Abus" est en tout cas un mot qu'on entend


particulièrement souvent en ce moment, dans le vocabulaire des
"affaires", c'est-à-dire des scandales qui mêlent finances et
politique : abus de biens sociaux, recel d'abus de biens sociaux,
abus de crédit, mais aussi abus de confiance, de domination, de
majorité, de blanc-seing ...

Y.AMAR : Tous ces termes qualifient des délits ou des crimes et


appartiennent donc au langage juridique. Un point commun à tout
cela : on utilise une position, un pouvoir, un mandat au-delà de
ce que pour quoi il vous est conféré.

E.LATTANZIO : Ne donnons qu'une seule explication, en ce qui


concerne l'expression la plus employée en ce moment : l'abus de
biens sociaux consiste pour des responsables (de biens publics
comme de sociétés privées) à faire un usage des crédits ou des
biens de ces sociétés ou institutions contraires aux instances en
question (par exemple cinq billets d'avion pour la Guadeloupe pour
prendre des vacances en famille).

Y.AMAR : L'abus est donc un mot qui implique toujours une idée
d'excès, même s'il se fait parfois au détriment de celui qui
abuse. Cf. vieux proverbe : "il ne faut pas abuser des bonnes
choses", Cf. aussi "abus dangereux". En tout cas, cet excès est
toujours senti comme condamnable. "Tout abus sera puni", lit-on
au-dessus du signal d'alarme dans le train.

E.LATTANZIO : Cette idée d'excès condamnable se retrouve dans le

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verbe "abuser", formé, dès le latin, à partir du verbe "user"
(= utiliser, se servir) auquel on adjoint le préfixe "ab-" dont les
sens sont nombreux, et qui ici sert d'intensif. Parfois les deux
verbes sont utilisés ensemble pour se renforcer mutuellement : "il
a usé et abusé des plaisirs de la vie" (formule toute faite et un
peu populaire).

Y.AMAR : Ainsi, abuser signifie souvent aller trop loin, profiter


d'une situation au-delà de ce qui est admissible : il a abusé de
ma patience, de ma générosité, de ma gentillesse = il a utilisé
tout mon crédit de patience et il a voulu aller au-delà.

E.LATTANZIO : Deux sens particuliers : "abuser d'une femme" est un


euphémisme pour signifier la violer (avec l'idée qu'on abuse de
son innocence ou de sa confiance).

Y.AMAR : "Abuser quelqu'un", c'est le tromper, là encore en


profitant de sa candeur ou de sa confiance. Et on retrouve un écho
de ce sens dans l'expression "si je ne m'abuse" = si je ne me
trompe pas. L'expression exprime qu'on est à peu près sûr de ce
qu'on avance, mais qu'on surprendra peut-être son auditoire qui ne
s'attendait pas à ce qu'on soit au courant. Mine de rien, on crée
la surprise.

ACADEMIE
Par: (pas credité)

E.LATTANZIO : Aujourd'hui est prévue une élection à l'Académie


française, au fauteuil antérieurement occupé par J.L. Curtis.
L'Académie, au départ, c'est ce jardin d'Athènes où Platon
dispensait son enseignement. L'établissement devait lui survivre
largement, et véhiculer la pensée du maître, largement remaniée
par ses successeurs jusqu'à l'époque chrétienne de l'empire
romain.

Y.AMAR : En Italie, dans la seconde moitié du XVème siècle, le mot


est réutilisé pour désigner des cercles de gens lettrés,
d'humanistes, qui sont à la pointe de la recherche et véhiculent
les idées nouvelles.

E.LATTANZIO : La mode des académies se répand dans toute l'Europe


à partir du XVIème siècle (date d'apparition du mot français),
elles forment de véritables universités parallèles, mais
d'avant-garde (à l'inverse du sens du mot aujourd'hui).

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Y.AMAR : Mais comme en Italie, les académies sont récupérées par
le pouvoir politique qui les institutionnalise. En France, c'est
la création de l'Académie française à l'initiative de Richelieu,
grand centralisateur, en 1635. A l'origine, seuls les hommes y
sont admis, d'où le fait que le mot "académicien" ne s'emploiera
qu'au masculin jusqu'à l'élection de Marguerite Yourcenar,
première femme "académicienne"! Il existera des académies un peu
partout en province dans divers domaines, notamment les
belles-lettres. Aujourd'hui encore, l'Institut de France regroupe
cinq académies (dont l'Académie française) fondées à diverses
époques, entre Richelieu et la Révolution.

E.LATTANZIO : Le mot en est venu à désigner par extension un lieu


où l'on apprend, et où l'on pratique un art, un sport : une
académie de billard, de danse, etc ... et il désigne aussi une
subdivision universitaire en France, qui a à sa tête un recteur.

Y.AMAR : Dans une acception particulière, il désigne en art une


figure dessinée d'après un modèle vivant et nu. D'où l'usage
familier et plaisant pour désigner un corps nu : ce monsieur ou
cette dame a une "belle académie" = un beau corps (nu).

E.LATTANZIO : L'adjectif académique a conservé lui aussi l'idée de


modèle, d'imitation, comme le dérivé "académisme". Dans les deux
cas, il s'agit de dénoncer l'imitation sans originalité de modèles
officiels. "Un style académique, une peinture académique" n'ont
rien de piquant.

ACCESSOIRE
Par: (pas credité)

Le Salon de l'accessoire de mode a, au moins, ce mérite de poser une question


essentielle : "Qu'est-ce qu'un accessoire ?". "Qu'est-ce que l'accessoire ?".

Dans le cadre de ce Salon, il s'agit d'objets de mode qu'on ne considère pas


exactement comme de simples vêtements ; c'est de l'en plus : chaussures,
gants, ceintures, sacs ; essentiellement cuir et peaux, skaï et feutrine,
plutôt que tissu.

Mais au-delà de l'accessoire de mode, l'accessoire -en général- désigne le


plus souvent un objet pas très grand, mais surtout amovible. On l'apporte
lorsque l'essentiel est déjà en place comme une touche finale.

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Dans le vocabulaire de l'automobile, par exemple, on parle, ou plutôt on a
parlé d'accessoires à propos de tous les détails qu'on peut adapter sur un
modèle pour le rendre plus performant, plus agréable, plus impressionnant,
etc. Pourquoi en a-t-on parlé ? Parce qu'aujourd'hui, on parlerait volontiers
d'option. Le sens des deux mots n'est pourtant pas équivalent : le choix
des options se décide souvent à l'achat ; "en option" s'oppose alors à
"en série".
Mais qu'importe, les mots ont leur mode, et l'accessoire pour
la voiture a un peu "rouillé". Etymologiquement, l'accessoire, c'est ce qu'on
rajoute. Le mot s'est très tôt spécialisé en théâtre : il s'agit des petits
éléments du décor (flambeaux, écritoire, table, etc.) et il est passé à la
peinture, à la photo, et, bien sûr, au cinéma : toutes les petites choses
dont on peut avoir besoin pour parachever un décor. Il faut un gars
débrouillard pour les trouver, l'accessoiriste qui règne sur le magasin des
accessoires.

Pourtant, on bascule vite dans le péjoratif, avec l'expression "remis au


magasin des accessoires" qu'on imagine facilement comme un bric à brac
hétéroclite et poussiéreux. La tournure s'emploie donc à propos d'une
personne, d'une chose, d'un style dont l'heure de gloire est derrière : ça
veut dire "passé de mode".

ACIER ET FER
Par: (pas credité)

Krupp et Thyssen ne feraient plus qu'un ? De cette fusion, on


reparlera... En attendant, parlons de la matière première qui les
occupe, l'acier.

L'acier, alliage de fer et de carbone, c'est solide : c'est le caractère


qui domine dans toutes les expressions figurées où on le rencontre.
Etymologiquement, le mot est associé au vocabulaire de la guerre, puisqu'il
dérive du latin "acies", pointe d'arme, notamment d'épée. Quel que soit le
destin du mot, il a d'emblée l'image de ce à quoi il vaut mieux ne pas se
frotter. Les qualificatifs techniques qu'on lui accole servent parfois, au
figuré d'intensif : moderne, "acier inoxydable", ou ancien, "acier trempé",
d'où dérive l'image d'"un caractère bien trempé", d'"un homme de forte trempe".
L'expression s'utilise donc surtout pour la volonté ("volonté d'acier" ;
moins souvent, "homme d'acier"). Mais plus encore, peut-être dans
l'expression "des nerfs d'acier", c'est-à-dire des nerfs qui ne flanchent
pas. On ne cède pas à la panique, on ne se laisse pas déborder par
l'émotion quand on a des "nerfs d'acier" : maîtrise de soi et sang-froid
dominent. C'est une qualité, et pourtant l'image peut évoluer vers un
registre où elle est parfois perçue négativement : "un regard bleu d'acier"

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est froid à vous faire froid dans le dos.

Face à cette détermination sans affect, le fer, s'il n'est pas plus
flexible, est plus fruste, plus brut, moins secondarisé : "une santé de fer".
Mais le sens général est quand même identique, et parfois, les deux images
sont interchangeables : "une volonté de fer" s'emploie plus fréquemment qu'"une
volonté d'acier". Et, sans que l'acier soit possible dans les expressions
suivantes, on a "la main de fer" (éventuellement dans "un gant de velours")
et "la poigne de fer" pour désigner une autorité très sévère.
Mais le fer suit une pente qui l'amène plus volontiers à la métonymie qu'à
la métaphore. Le mot vient, bien sûr, du latin où il a le même sens, mais il
arrive en français avec cette première signification d'épée. Il commence
donc par le figuré ; et il reste bien des traces de ce premier sens
("croiser le fer", "par le fer et par le feu", etc.). Mais il a acquis bien
d'autres significations, dans la mesure où il symbolisait nombre d'objets
fabriqués en fer. Certains sont liés à la violence : les fers sont l'image
des chaînes des prisonniers ("être dans les fers") depuis le XIIème siècle,
et cette image est déjà présente en latin. D'autres sont bien plus
pacifiques : fer à cheval, à repasser, à friser…

ACTEUR
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Les jeunes, acteurs dans leur ville et dans leur région… c’est l’intitulé d’une conférence
donnée au Conseil de l’Europe…, et qui montre bien le succès et la fréquence de ce mot
d’acteur dans un sens particulier…

Tous les acteurs du monde éducatif… comprenez, élèves, enseignants, parents, personnel
administratif, collectivités locales, etc. Tous ceux qui, de près ou de loin, sont concernés
par le monde éducatif, et participent à sa vie. Sens très fréquent aujourd’hui, toujours
masculin, parce que vague (jamais les actrices du monde de la sidérurgie, par exemple, ni
de celui de la photo de mode…) et mot qui fait un peu hexagonal. J’entends par là, que le
mot appartient plutôt au vocabulaire bureaucratique, administratif, un peu guindé. Un
vocabulaire souvent écrit, ou qui mime l’écrit… en tout cas surveillé, pas spontané, et
surtout, qui tente d’être à peu près correct d’un point de vue politique : en effet, parler des
acteurs de l’éducation, c’est ne vouloir exclure personne, ne rien oublier, de peur de
choquer, et réserver, du moins dans la forme, le même traitement à tout le monde.
C’est ainsi que, d’ailleurs, s’explique la périphrase toute faite, elle aussi, « le monde
éducatif ». Non pas l’éducation, mais toute la sphère décrite par cette activité. De même,
les acteurs du monde sportif vont des athlètes aux soigneurs en passant par les
entraîneurs, les directeurs de club et les journalistes.

Mais ce mot d’acteur, avant d’en arriver là, a eu, et a toujours de nombreuses autres
significations.

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L’acteur c’est, en général, celui qui joue un rôle, au cinéma et au théâtre, concurrencé par
comédien. Et, par extension, celui qui sait faire un rôle de composition, ou contrefaire un
personnage. Mais étrangement, ce sens n’apparaît qu’au XVIIè siècle. Le mot existait
pourtant auparavant, avec des sens totalement différents : demandeur en justice (donc
proche de plaideur… celui qui déclenche une « action » en justice), et même auparavant,
malfaiteur. Celui qui agit, donc (c’est l’étymologie), mais qui agit mal, et commet de
mauvaises actions.

ACTEUR
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

E.LATTANZIO : Acteurs du monde éducatif, de la protection sociale,


du transport aérien ... on ne parle plus que d'acteurs depuis
quelques temps ...

Y.AMAR : Le mot est à la mode, en particulier dans le langage


journalistique. Au-delà de la mode, le mot recouvre quand même un
sens précis.

E.LATTANZIO : En ce qui concerne le monde éducatif, par exemple,


ses acteurs désignent les enseignants bien sûr, et les personnels
administratifs des différents établissements. Mais aussi les
élèves, leurs parents ainsi que les élus locaux, les
fonctionnaires du ministère de l'Education Nationale ... Tous ceux
qui ont à voir avec la vie éducative dans notre pays ... à quelque
titre que ce soit, professionnel ou pas. Ce mot d'acteur du monde
éducatif est donc très englobant.

Y.AMAR : L'emploi du mot acteur s'élargit parfois aussi : les


acteurs du processus de paix au Proche-Orient, sont les
représentants des populations concernées, mais aussi les
diplomates d'autres pays qui rendent les négociations possibles,
les Américains par exemple.

E.LATTANZIO : Ce mot d'acteur a un rôle qui, donc, s'élargit.


Retour à l'étymologie ? Acteur vient d'"agere", verbe latin qui
signifie "faire". Mais je ne crois pas que l'étymologie explique
grand'chose à cette mode que nous remarquons.

Y.AMAR : Les acteurs dans ce sens contemporain sont tous ceux qui
tiennent un rôle, qui ont un rôle à jouer. L'image vient du
vocabulaire théâtral, comme le mot acteur. C'est davantage par là
qu'on va expliquer cette dérive de sens.

E.LATTANZIO : Au Moyen-Age l'acteur, c'était celui qui agissait,


mais mal : le malfaiteur. Puis, au 17ème siècle, l'acteur est
devenu le comédien.

Y.AMAR : Aujourd'hui on parle plus d'acteurs au cinéma et plus de


comédiens au théâtre. Mais comédien est un mot général pour
désigner cette profession. Je suis comédien, de métier, dira
Jean-Paul Belmondo. Et non, je suis acteur.

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E.LATTANZIO : Et pourtant comédien n'est pas toujours un mot plus
valorisant qu'acteur : d'un personnage peu sincère, qui exagère
ses émotions et ses pensées, on dira facilement qu'il manque de
naturel, qu'il est "comédien".

Y.AMAR : C'était Parler au Quotidien, une émission proposée par le


Centre National de Documentation Pédagogique ...

E.LATTANZIO : ... Et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.

ACTION
Par: Yvan Amar

Journée d’action aujourd’hui en France… Mais qu’est-ce que ça veut dire… ? C’est
vague… et pourtant précis. On a déjà compris que c’est une journée de grogne… Et que
de nombreux mécontents vont manifester leur mécontentement. Sous des formes
diverses… Grèves, débrayages, défilés, manifestations, déclarations… Une panoplie
large et disparate… d’actions justement… Un mot intéressant par son vague justement : il
ne se remplit que de ce qu’on veut bien mettre dedans… Et de la mémoire qu’il porte…

On voit bien que, dans ce contexte, l’action dont il s’agit est politique. Et le mot est
souvent utilisé avec un arrière-goût politique… Pourtant, c’est loin d’avoir été son
premier sens, puisqu’il apparaît d’abord, semble-t-il, en français, dans le vocabulaire
religieux… Une action représente le fait de rendre grâce à Dieu… Et l’action de grâce
n’est pas loin de la prière…

L’action est ensuite entrée dans le lexique juridique… Intenter une action contre
quelqu’un c’est encore maintenant porter plainte et lancer, en tout cas, la machine
judiciaire contre son ennemi. Dans un cas comme dans l’autre, on voit que ces actions se
situent dans le cadre d’une institution, fortement ritualisée, qui les entoure, les rend
possible, leur donne une forme.
Mais, l’une des choses remarquables, à propos de ce mot, est que ce n’est pas le seul nom
à dériver du verbe « agir » : on a aussi acte… Alors quelle différence fait-on entre un acte
et une action.
Ce n’est pas du tout la même chose. L’acte, jusque dans la brièveté de sa prononciation,
donne l’impression de quelque chose de ponctuel et de solitaire. Un acte est relativement
isolé. Le mot « action » donne bien davantage l’idée d’une suite d’actes coordonnés, là où
l’acte est bien plus proche du geste… Ce qu’illustre parfaitement l’expression qui nous
sert de point de départ… Journée d’action… en général écrit sans « s » à « action ». Mais,
le pluriel n’est pas nécessaire… On sait que l’action est multiple. Qu’elle se décline sous
mille formes…

Mais, l’action c’est aussi le mouvement délibéré, fait exprès, qu’il soit réflexe ou
réfléchi… Cela correspond à une profonde volonté. Alors que l’acte a quelque chose de
plus mécanique, de plus hasardeux…
Et, en particulier, l’action correspond souvent à la volonté de ne pas se laisser faire, de

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réagir, de ne pas rester le jouet d’une situation. Comme si l’action correspondait au désir
d’agir sur la réalité… Aussi bien dans un rapport de forces que dans la volonté de faire
avancer les choses.

ACTUEL
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Y.AMAR : "Actuel", ça a été le titre d'un journal qui se voulait à


la dernière mode, fidèle reflet de l'air du temps. Et ce titre
était bien choisi : ce qui est actuel, c'est ce qui est dans la
note.

E.LATTANZIO : Cet usage est bien éloigné du sens étymologique.


Actuel dérive de "acte", et au 16ème siècle, actuel signifiait
"qui agit", en particulier dans un sens médical : un remède actuel
était un remède qui avait de l'effet ...

Y.AMAR : Ce qui était rare. Mais aujourd'hui, actuel peut avoir


cette nuance de sens : "qui existe" et notamment qui est en
vigueur, en exercice. L'actuel Président de la République, c'est
Jacques Chirac, ce qui s'oppose à "ancien" Président. Si l'on
parle de l'actuel Bénin, c'est pour souligner le nom de ce pays
aujourd'hui, et faire une allusion indirecte au fait que, jadis,
on l'appelait le Dahomey.

E.LATTANZIO : On parle de préoccupations actuelles pour souligner


qu'elles sont dans le sens du vent, à la mode, contemporaines.

Y.AMAR : Attention : actuel et contemporain ne sont pas exactement


synonymes : contemporain a souvent une spécialisation esthétique,
on parle d'art contemporain, de musique contemporaine, pour
désigner un certain type d'art et de musique. La musique actuelle,
c'est plus vague : c'est celle qui se fait aujourd'hui, tous
domaines confondus. La musique contemporaine, c'est la musique
savante d'aujourd'hui.

E.LATTANZIO : On parle également d'actualité : ce qui se passe au


jour le jour. Mais au pluriel (les actualités) le mot renvoie à la
façon dont les événements sont présentés par les médias : il y a
les actualités télévisées (le journal) et il y avait naguère les
actualités que l'on voyait au cinéma, avant que la télévision ne
se popularise.

Y.AMAR : Sur actuel, on a forgé le verbe "actualiser",


c'est-à-dire "moderniser", "remettre à jour". Cela s'emploie pour
un fichier, ou un ouvrage documentaire dont les données doivent
être rectifiées au fur et à mesure qu'elles se modifient.

E.LATTANZIO : Et si cette activité se répète régulièrement, on


dira "réactualiser".

Y.AMAR : C'était Parler au Quotidien, une émission proposée par le

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Centre National de Documentation Pédagogique ...

E.LATTANZIO : ... Et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.

ADAM ET EVE
Par: (pas credité)

Adam et Eve, quel a été le destin de ces deux personnages, et surtout celui de leur nom.
On sait que d'après la Bible, ce sont les deux premiers êtres humains, donc nos aïeux
mythiques. C'est cette parenté lointaine qui explique l'expression " je ne le connais ni
d'Eve ni d'Adam " qui signifie " je ne le connais pas du tout ", ni directement, ni de
réputation, par on-dit, par personnes interposées, etc. Je ne le connais donc par aucune de
mes relations, aussi loin que je remonte, à la limite, ni par Eve ni par Adam. Déformation
populaire et un peu lourde : " je ne le connais ni des lèvres, ni des dents ".

Adam et Eve ayant vécu au Paradis terrestre jusqu'à ce que tentés, ils pêchassent, ils
commencèrent leur vie nus, inconscients de l'être, donc innocents. Leur nom est ainsi
parfois associé à la nudité : en costume d'Adam pour un homme, en costume d'Eve pour
une femme (mais c'est plus rare), sont deux expressions plaisantes, synonymes de tout nu.
Le nom d'Adam est également associé à une idée de nature un peu fruste et bon enfant
(genre bon sauvage) : le peigne d'Adam, la fourchette d'Adam, c'est les doigts.

Eve, dit-on, fut créée à partir de la côte d'Adam. On a donc une expression rare et elle
aussi plaisante, parallèle à la cuisse de Jupiter : il se croit sorti de la côte d'Adam pour
dire il se croit de haute naissance, il ne se prend pas pour n'importe qui. Les expressions à
partir du nom d'Eve sont plus rares, mais on peut noter quand même la fille d'Eve, qui
désigne une femme frivole, stéréotype de la féminité écervelée et superficielle.

L'image qui, bien sûr, représente le mieux la destinée tragique de ce couple fondateur,
c'est celle de la Pomme, symbole de la Tentation. Nos deux tourtereaux ont succombé :
ils ont croqué la pomme - le verbe est consacré, et il faut dire qu'il est beau, tout pétri
d'onomatopées pour évoquer ce fruit sonore, qui claque franchement sous la dent, acide,
astringent et frais, plein d'une santé juvénile - à dire le vrai, le contraire de la sensualité
mystérieuse et tentatrice. Dernier paradoxe, alors que c'est Eve qui croque la première,
c'est le syntagme pomme d'Adam qui l'a emporté pour désigner notamment un attribut
purement masculin : l'excroissance cartilagineuse du larynx.

ADAM, EVE & Co


Par: (pas credité)

Y.AMAR : Adam et Eve : c'est le titre d'une pièce de théâtre qui se joue
actuellement. Vaste sujet, titre ambitieux !

23
E.LATTANZIO : Adam et Eve : personnages célèbres, passés dans
l'inconscient collectif et dans le langage, avec leurs attributs
et leurs manques.

Y.AMAR : Ce sont nos parents les plus anciens, d'après la légende


: "Je ne le connais ni d'Eve ni d'Adam", expression illogique et
bizarre pour dire : je ne le connais pas du tout, c'est-à-dire
aussi loin que je remonte dans ma famille, mes ascendants, mes
amis, etc ... je ne le connais pas, personne autour de moi ne le
connaît.

E.LATTANZIO : Adam et Eve, avant de croquer, se caractérisent par


leur innocence et, par exemple, par leur nudité : "en costume
d'Adam, un costume d'Eve, une tenue d'Eve" = nu(e).

Y.AMAR : Pas de vêtement donc, pas d'ustensiles non plus. Il


existe quelques expressions vieilles et charmantes : "le peigne
d'Adam, la fourchette d'Adam" = la main, les doigts, quand on s'en
sert pour manger, ou pour se peigner.

E.LATTANZIO : Eve est spécialement connue pour avoir succombé à la


tentation sans trop résister, pense-t-on : elle se laisse séduire
et séduit avec enjouement et sans culpabilité apparente. Encore
actuel : "une fille d'Eve" est une femme frivole et coquette et
futile et écervelée.

Y.AMAR : Adam et Eve, dans un premier temps, vivent donc au


Paradis, qui lui aussi laisse des traces en français. Ce Paradis
s'appelle l'Eden, nom du lieu en hébreu biblique. Il se trouve
qu'un autre mot hébreu, très proche, "adanim", mais paraît-il sans
rapport étymologique signifie "délices, voluptés". D'où un
amalgame des deux mots de la part des traducteurs et commentateurs
: Eden = jardin d'Eden = jardin des délices = paradis.

E.LATTANZIO : Paradis au départ veut dire jardin d'agrément. Mais


le mot français s'est spécialisé dans le sens de séjour des
bienheureux. En particulier le premier paradis, le paradis
terrestre avant le pêché originel, qui s'oppose au paradis
post-mortem où se retrouvent les âmes des bons chrétiens.

Y.AMAR : L'histoire biblique explique bien sûr des expressions


comme "paradis perdu" = passé en général plus ou moins idéalisé et
éventuellement regretté.

E.LATTANZIO : Toutefois le mot paradis est encore très productif

24
pour désigner un lieu idéal, par rapport à telle ou telle
activité. Hawaï, paradis des surfeurs, la baie de Somme, paradis
des amateurs d'oiseaux.

Y.AMAR : Et paradis fiscal : lieu propice pour établir le siège


social d'une société, car la fiscalité y est bien plus tolérante
que le pays d'origine des actionnaires majoritaires ...

ADDITION, NOTE, DOULOUREUSE

Par: (pas credité)

Est-ce qu’on peut traduire Bill Gates par les portes de l’addition ? Osé. C’est pourtant ce
qu’ose Eric Vigneron, conseil en entreprise, qui a déposé, à l’Institut National de la
Propriété Industrielle, le nom de Bill Gates, au titre de traduction des Portes de
l’addition, afin d’en nommer un projet d’hôtel-restaurant.. Plainte du patron de Microsoft.
Le Tribunal de Fort-de-France décide aujourd’hui…

Et nous, on se penche sur ce terme d’addition, dont le sens ne pose pas problème : il
s’agit de ce qu’on a à payer, et le terme est presque réservé à ce qu’on doit au restaurant,
après un repas, ou au café, à la rigueur chez l’épicier. « Garçon, l’addition s’il vous plait !
» Le sens est transparent : on additionne les prix de tout ce que vous avez consommé ou
acheté. Mais au lieu de dire le total, on dit l’addition, privilégiant ainsi l’opération elle-
même à son résultat. Cf. la plaisanterie bien connue : « Garçon, la soustraction ! » De
toute façon, l’addition se voit souvent : petit calepin et opération faite au crayon… je sais
bien, la machine a tué tout ça.

Hors de ce contexte, utilise-t-on ce mot ? Parfois de façon figurée et ironique (ou


expressive) : l’addition, c’est le coût total d’un événement, d’une opération, c’est son
bilan, mais uniquement dans le cas où ce bilan est négatif , voire désastreux ; quelques
mois après une marée noire, on fait tous les comptes, et l’addition est souvent
catastrophique.

Addition a un synonyme approximatif, qui est note. Pourquoi note ? Le mot désigne
d’abord un petit écrit, puis le détail d’un décompte qu’on a couché par écrit. Donc une
addition. Le mot d’ailleurs désigne très souvent le petit papier sur lequel on a porté cette
addition, le ticket de caisse. L’usage de note paraît plus large que celui d’addition : la
note du garage, la note du plombier – dans ces cas-là, on ne parlera pas d’addition.

Equivalent plaisant et familier : la douloureuse, dont le sens se comprend sans effort. Si


c’est vraiment trop douloureux, on dira que la note (ou l’addition) est salée. C’est-à-dire
lourde, excessive avec souvent l’idée qu’elle est fallacieuse, qu’on essaie de vous abuser
et de vous faire payer plus que de raison. Comment comprendre l’image ? Probablement

25
parce qu’on a l’idée d’une note arrangée, « cuisinée », on dit aussi assaisonnée. Le sel
relève le goût du plat ; de même on aura voulu relever l’addition…

Mais la note est souvent entendue comme note de frais, celle qu’on se fait rembourser par
son employeur, ou qu’on fait passer dans les frais généraux, lorsqu’il s’agit de dépenses
professionnelles.

Terminons avec l’ardoise, une addition différée, un crédit chez un commerçant ou un


limonadier, qui inscrit sur une ardoise accrochée au mur toutes les dépenses que vous
faites chez lui, et que vous paierez (espère-t-il) d’un coup.

ADEQUAT, AD HOC et IDOINE


Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

E. LATTANZIO : Yvan, lâchez donc ce couteau. Pour fixer ce petit


miroir au mur, il vous faut un tournevis en croix. C'est
l'instrument "adéquat" : il est prévu pour ça. On pourrait même
dire qu'il est "ad hoc" ou "idoine". Faites bien attention à
l'orthographe du mot. Quant à sa prononciation, elle a ceci de
particulier que parfois, on fait sonner le "t" final, mais presque
toujours avec une intention plaisante.

Y. AMAR : Mais au féminin pas de problème "adéquate". Là, on


entend ce "t" de façon tout à fait normale. Et, très régulièrement
s'est formé le dérivé "adéquation". On emploie l'adjectif
"adéquat" pour préciser ce qui convient : par exemple, pour un
homme, envoyer ses sentiments distingués à une femme, alors qu'il
n'est pas adéquat pour une femme de se faire agréer ses
sentiments. Elle se compromet moins avec ses salutations.

E. LATTANZIO : "Ad hoc" est synonyme. En latin, ça signifie "pour


cela", "en vue de cela". Attention, cette formule latine s'écrit
en deux mots.

Y. AMAR : L'expression nous arrive par la voie juridique : un


tuteur ad hoc représentait jadis un enfant mineur, en cas de
conflit avec son tuteur légal.

E. LATTANZIO : L'expression juridique est aujourd'hui perdue de


vue. Et si le mot a un écho souriant, c'est qu'il est l'homonyme
d'un poisson (fumé en général) et d'un capitaine : il s'agit bien
sûr du "haddock", avec une orthographe toute différente.

Y. AMAR : "Idoine" est aussi un mot plaisant, un peu ironique. Le

26
mot vient droit de l'ancien français. Il a connu une très longue
éclipse avant que quelques linguistes, et locuteurs avisés ne le
ressucitent assez récemment, et souvent pour rire.

E. LATTANZIO : Le mot le plus courant pour dire la même chose est


probablement "approprié". Ni désuet, ni ridicule, ni familier.
Attention, il ne se module pas : quelque chose est ou non
approprié, pas de demi-mesure.

Y. AMAR : Alors que l'adjectif "adapté" se module beaucoup mieux :


tout à fait adapté, à peu près adapté, etc ... Le verbe "convenir"
a un sens qui se loge facilement dans ce carré de significations,
mais attention, l'adjectif "convenable" n'a pas du tout le même
sens : est convenable ce qui est conforme à la bonne éducation, et
aux usages du monde.

C'était "Parler au Quotidien", une émission proposée par le Centre


National de Documentation Pédagogique ...

E. LATTANZIO : ... et par Radio France Internationale.

ADIEU
Par: (pas credité)

E. LATTANZIO : A Hong-Kong vient d'avoir lieu le premier déjeuner


d'adieu, offert par la Chambre de Commerce britannique au
gouverneur, Chris Potter.

Y. AMAR : Ce sera le premier d'une longue série : on sait en effet


que le premier août 1997, Chris Potter, pour de bon, fera ses
adieux à Hong-Kong.

E. LATTANZIO : Il dira donc (en anglais, ou en chinois peut-être,


mais certainement pas en français, mais qu'importe ! c'est le
français qui nous intéresse), il dira donc adieu à cette Chine
qu'il aura tant aimée.

Y. AMAR : Adieu est une formule de séparation fort ancienne dont


on comprend facilement l'origine : "à Dieu".

E. LATTANZIO : C'est au Moyen-âge une formule de recommandation à


Dieu, qui sert aux rencontres comme aux séparations. La formule

27
s'est soudée assez tôt puisqu'au 15ème siècle on parle déjà de
"dire adieu", "faire ses adieux" etc.

Y.AMAR : Ce n'est qu'au 19ème siècle qu'on invente la nuance qui


oppose adieu à au revoir.

E. LATTANZIO : Au revoir sanctionne une séparation provisoire,


exprimée comme telle (cf."A la revoyure, familier).

Y. AMAR : Adieu a été faussement compris comme signifiant "nous ne


nous reverrons que devant Dieu".

E. LATTANZIO : "Faire ses adieux", "les adieux", désignent non


seulement un acte mais tout une scène - voire une scène de genre,
codifiée.

Y.AMAR : Souvent amoureuse, toujours affective et touchante, elle


apparaît dans l'histoire (Napoléon et Fontainebleau) comme dans la
littérature.

E. LATTANZIO : Faire ses adieux signifie également qu'on abandonne


officiellement quelque chose - en particulier une carrière
artistique : une dernière pièce pour faire ses adieux à la scène ;
un dernier tour de chant pour faire ses adieux au music-hall.

AERIEN
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Air France et KLM fusionneront-ils ? L’OPE (offre publique d’échange) réussira-t-elle ?


En tout cas, la compagnie KLM a cette particularité d’avoir un nom qui échappe à la
règle la plus commune des compagnies aériennes : on ne trouve pas le mot « air » dans
son nom ! Ce qui est l’ordinaire : Air France, Air Inter, Air Afrique… les compagnies
existantes ou ayant existé présentent le plus souvent cet élément : l’air, associé au pays où
elles sont basées. Surtout quand il s’agit de compagnies nationales. D’ailleurs, c’est bien
simple, dès qu’un nouvel Etat apparaît, on voit que l’un de ses premiers gestes est
souvent une compagnie aérienne. Pour asseoir son nom, son orgueil, ses communications
et sa visibilité. Air France, Royal Air Maroc, Swissair, etc. L’anglais étant la langue la
plus courante dans le monde des liaisons aériennes, on trouve la même chose en anglais :
Airways ou Airlines… ou en espagnol, Aerolineas… ou en russe même, Aeroflot…

Ce qui nous rappelle que l’air, ce gaz qu’on respire pour vivre, est en même temps
synonyme de ce qui est au-dessus de nous. Et le français l’atteste bien avec l’expression «
en l’air », c’est-à-dire, qui ne repose pas sur terre. Ça paraît si évident qu’on ne

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l’interroge même plus. Et pourtant, rien n’est spécialement logique là-dedans. Mais, le
mot « air » s’est très vite dégagé de son seul sens chimique. Et, en ce sens, il a pris assez
vite la marque du pluriel : « dans les airs ».

Ce qui est « aérien » a donc un rapport avec l’air, mais plus encore avec l’idée du vol.
Donc que les appareils s’élèvent parce qu’ils sont plus légers que l’air (donc pour des
raisons physiques) ou bien qu’ils soient plus lourds que l’air (parce qu’ils ont une
propulsion mécanique), c’est par rapport à cet air que tout se joue. Ce qu’on retrouve
dans le nom d’un certain nombre d’inventions : « aérostat » (1783), ou même « aéronaute
», mot qu’on trouve dès 1794. Quant à l’« aéronautique », qui désigne aujourd’hui l’art et
l’industrie qui s’emploient à construire des engins volants, elle apparaît en 1784
également. On aura ensuite « aéronef », puis « aéroplane », éclipsé par « avion ». Mais le
préfixe « aéro » reste très vivant avec « aérodrome », « aéroport », « aéronaval », et au-
delà, « aérospatial »…

AEROPORT & CO
Par: (pas credité)

Aéroport, aérodrome, aérogare : 3 mots pour désigner à peu près la


même chose : l'endroit d'où les avions décollent.
Pourtant les différences sont sensibles.

"Aéroport" est le plus fréquent et le plus général. Il a


probablement bénéficié de sa symétrie avec l'anglais "airport". Il
désigne l'ensemble de toute l'installation : tout le complexe, des
pistes aux boutiques et aux restaurants.

Il convient particulièrement aux grosses structures : Roissy,


Orly. Il a un nom lié à la localisation (Marignane, Fiumicino), à l'aire
desservie (Nice-Côte d'Azur), à une personnalité à qui il était
dédié (Ch. de Gaulle, J.-F. Kennedy...).

L'image du "port" est en général oubliée, mais, c'est elle qui est
à l'origine du mot, en liaison avec d'autres images similaires
(navigation aérienne, etc.).
"Aéroport" qui date des années 20, a un frère cadet né dans les
années 50, l'héliport, base d'hélicoptères.
"Aéroplace" n'a pas survécu.

"Aérogare" est encore en usage mais avec un sens plus restreint


qu'aéroport : il s'applique plus spécialement à toutes les
installations qui accueillent les passagers. C'est l'équivalent de
la gare ferroviaire mais plus encore, routière ou maritime : la

29
gare maritime n'est pas le port.

"Aérodrome" n'est pas obsolète non plus; mais il a changé de sens.


Il désigne plus qu'une petite installation qui abrite, soit un
aéro-club, donc à vocation privée (pas pour les avions de ligne)
et qui, par conséquent n'accueille pas de passagers, soit une
installation militaire.

A l'origine, il désigne une machine volante (1870 - époque des


ballons. Cf. aérostat...) puis la piste d'où partent ces machines
(1903, toujours à propos de ballons) puis le lieu où les avions
décollent et se posent. Le sens d'aérodrome n'est pas parallèle
à celui des autres mots formés sur le même modèle.

Dromos = course et ce suffixe s'est spécialisé pour des lieux où


se déroulent des compétitions : hippodrome (très ancien :
ypodrome : 1190... repris au 16ème siècle, puis au 19ème siècle) ;
vélodrome (courses sur pistes... vel d'hiv...) autodrome
(sorti d'usage), cynodrome (rare) et boulodrome (original).

Revenons à nos avions ; d'où décollent-ils ?


Terrain (d'atterrissage) évoque un équipement plus ou moins de
fortune; piste est davantage employé, et va avant tout y compris
avec les plus modernes des installations.

Mais il est un anglicisme qui commence à prendre, même si on


l'entend surtout de la part des snobs qui prennent beaucoup
l'avion, et les professionnels de l'aviation : c'est "tarmac".
Mot à la consonance bizarre qui désigne uniquement la piste, du
nom de son revêtement : tarmac = abréviation de "tar macadam" :
macadam en goudron.

AEROPORT et AERODROME
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Y.AMAR : Les pilotes d'essai décollent, en général, d'aérodrome,


n'est-ce pas lieutenant Lattanzio ?

E.LATTANZIO : Alors que les civils, lorsqu'ils prennent l'avion


fréquentent plutôt les aéroports. Les deux mots, aérodrome et
aéroport, se ressemblent. Et pourtant, ils ne sont pas exactement
synonymes.

Y.AMAR : Aéroport est le mot le plus fréquent (il ressemble


d'ailleurs à l'anglais "airport") et désigne l'ensemble des
installations, des pistes aux boutiques d'objets détaxés, aux
restaurants, aux hangars à avions, aux bureaux multiples, etc ...

30
Le mot convient tout particulièrement aux grosses structures :
Orly est un aéroport international, par exemple.

E.LATTANZIO : Le mot garde l'image du "port", et les voyages


aériens se prêtent à toutes les images de navigation.

Y.AMAR : Aéroport a eu un frère cadet dans les années 50,


l'héliport, installation qui sert de base à des hélicoptères.

E.LATTANZIO : Aéroport a une longue histoire et il a supplanté


aéroplace, mot synonyme, aujourd'hui tout à fait disparu. En
revanche le mot aérogare existe toujours. Au lieu de l'image du
port on a celle de la gare. Le mot est réservé à toutes les
installations plus spécialement réservées à l'accueil des
voyageurs. L'aéroport comporte un aérogare.

Y.AMAR : Mais le sens d'aérodrome est différent. Le mot a d'abord


désigné une machine volante, un ballon, puis à partir du début du
siècle, la piste d'où partaient ces ballons. Puis la piste d'où
s'envolaient les avions.

E.LATTANZIO : Et aujourd'hui aérodrome a gardé ce sens, en


particulier pour les petites structures, lorsque la notion de
service public n'est pas en cause. On parle d'aérodrome dans un
contexte militaire, ou pour des clubs d'aviation privée, des
aéroclubs.

Y.AMAR : Aérodrome est formé sur "air", bien sûr, et sur "drome",
un suffixe grec, qui veut dire "course", au départ. On retrouve le
suffixe dans "hippodrome", piste où courent les chevaux,
"vélodrome" et même parfois "cynodrome", endroit où l'on organise
des courses de chiens. C'était Parler au Quotidien, une émission
proposée par le Centre National de Documentation Pédagogique ....

E.LATTANZIO : ... Et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.

AFRO-AMERICAIN
Par: (pas credité)

C'est cette semaine que se tient un sommet afro-américain, à Harare, au Zimbabwe. Le


sens de cette phrase est très clair : au Zimbabwe vont se rencontrer des personnalités de
premier plan, africaines et américaines. Avec deux adjectifs, on en fait un mixte, qui
pointe justement la liaison des deux sens.

Une formation d'ailleurs assez égalitaire, qui ne minore ni les Africains ni les Américains.
Il est important de le noter, car la langue anglaise ne voit pas toujours cela du même oeil :
ainsi les Noirs Américains, lorsqu'on pense trop embarrassant, trop direct, de les appeler
les noirs, ont été appelés d'abord Afro-Américains, puis Africains, Américains. Comme si
l'expression afro-américain ne rendait pas justice à l'Afrique, comme si la réduction

31
syllabique de "afro" était dévalorisante.

Il faut signaler cette tendance américaine car elle a parfois une légère propension à
s'infiltrer chez nous. Pourtant, ce genre de formation est d'ordinaire très égalitaire,
notamment dans son usage géographique, et l'on s'en rend compte en retournant les
formules. Les relations franco-russes sont bien les mêmes que les relations russo-
françaises. Et quand on parle de l'ancien Empire austro-hongrois, des ex-relations sino-
soviétiques, on ne privilégie aucun côté. Si d'ailleurs on devait penser à un désavantage,
ce serait bien souvent le deuxième élément qui semblerait en pâtir : l'adjectif
tchécoslovaque par exemple, a parfois été senti comme donnant le côté tchèque
dominant.

Petite remarque concernant ces adjectifs géographiques : ils sont parfois formés sur un
autre radical que la région d'origine. Pour l'Allemagne, on dit germano - ou bien le radical
qui se termine en "o" subit quelques modifications, anglo-normande, hispano-italien etc...
Le premier élément est en général le plus proche de celui qui parle, ou le plus simple : on
dit "franco-suisse", plutôt que "helvéto-français".

Ce genre de formation déborde d'ailleurs très largement le vocabulaire géographique, et


on le trouve beaucoup notamment dans le langage administratif ou technologique -
mettons technocratico-administratif : affaire politico financière, institut médico-
pédagogique. Pour finir, signalons un cas ou le premier élément est traité de façon
péjorative : "socialo-communiste". C'est un adjectif qu'on a entendu au moment de
l'union de la gauche, qu'on a réentendu dans le récente campagne électorale, mais
toujours de la part des adversaires des socialistes et des communistes.

AGE
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Une conférence anti-âge s’est tenue à Paris le week-end dernier, réunissant de nombreux
spécialistes médicaux qui tous tâchent de lutter contre les méfaits de l’âge qui vient :
dermatologues, chirurgiens, esthétiques ou pas, nutritionnistes etc ont fait le point sur
leurs connaissances. Comme si l’âge était finalement considéré comme une maladie
qu’on pouvait guérir, ou tout au moins, dont on pouvait retarder les effets.

Anti-âge… La formation du mot prouve bien que l’âge est l’ennemi. Et un ennemi
particulier : on ne parle pas de lutte anti-cancer. En revanche, on parle bien de campagne
anti-tabac. Ce qui montre que l’âge est presque considéré comme une substance nocive.
A tel point d’ailleurs que l’on parle en ce moment, dans ces sphères autorisées de «
l’esprit antiaging »…. Ah ! nous y voilà ! C’est donc un anglicisme. Cette croisade vient
d’Amérique.
Oui, mais on s’y associe volontiers. Notre passé linguistique nous y pousse : on parlait il
y a bien longtemps déjà de crème anti-rides.

Mais qu’est-ce donc que l’âge cet ennemi masqué qu’on voudrait réduire ?

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Ce mot, qui dérive du latin aetas au départ le temps, désigne le temps qu’on a déjà vécu,
et se rapporte donc à l’évaluation du temps de vie. Quel âge as-tu ? Bizarrerie du langage
: on questionne sur l’âge. Et on répond toujours sur les ans, et sur leur nombre. Quel âge
as-tu ? Douze ans. Jamais on ne demandera « Combien d’ans as-tu ? » Le mot clé de la
réponse n’est donc pas exprimé dans la question.
Par ailleurs, on emploie le mot, qualifié par différents adjectif, en rapport avec toutes les
périodes de la vie : Premier âge, bas âge, âge tendre, le bel âge, âge mûr, le grand âge etc.

Mais le mot a un emploi particulier, quand il est employé sans adjectif. Quand on parle de
l’âge sans préciser, on sous-entend souvent l’âge accumulé. Et même qu’il s’en est
accumulé un peu trop. Avec l’âge qui vient… A mon âge… Et l’adjectif qui en découle
signifie toujours « vieux », mais avec une vague volonté d’euphémisme : on arrondit les
angles. Etre âgé semble plus supportable qu’être vieux. Ou tout au moins, on peut se
permettre de dire de quelqu’un qu’il est âgé, voire, très âgé alors qu’on aurait scrupule à
dire qu’il est vieux.

AGENDA, MEMENTO, CARNET, CALEPIN


Par: (pas credité)

Janvier : le mois où l'on achète son nouvel agenda. Le mot vient de


l'adjectif verbal latin, agendus : "ce qui doit être fait". Le mot a
gardé dans une certaine mesure ce sens originel, puisque sur l'agenda, on
note ses rendez-vous, ses obligations, enfin toutes ces choses "qui devront être
faites".
En fait, le mot a eu assez vite le sens de registre : de l'idée des
obligations, on est passé à l'idée du "support", en l'occurrence d'un
registre, sur lequel on va garder en mémoire tous ses devoirs. Le mot a été
employé dans ce sens dans le vocabulaire de l'Eglise.
Ensuite, l'usage de l'agenda s'est sécularisé ; l'agenda, c'est le carnet
contenant normalement un feuillet pour chaque jour sur lequel on note ce que
l'on a à faire.

Pour la fonction repérage du temps, le calendrier (de calendae, calendes,


premier jour du mois et donc échéance). Tout comme l'agenda, mais sous une
présentation plus compacte, le calendrier présente le tableau de la
succession des jours, des mois, des saisons.

Plus proche de l'agenda, l'éphéméride du latin ephemeris, qui signifiait :


"récit d'événements quotidiens". Dans l'Antiquité, l'éphéméride était
la relation quotidienne des événements de la vie d'un personnage ("les
éphémérides d'Alexandre"). Le mot renvoie aussi aux ouvrages indiquant
pour l'année à venir les faits astrologiques ou météorologiques sujets à
calculs et à prévisions.

33
Autre mot latin, ayant à peu près le même sens et d'une utilisation plus
familière, le mémento. Mot latin, il signifiait au sens propre
"souviens-toi". Il apparaît en français au XIVème siècle, il appartient alors
plutôt au vocabulaire religieux, dans la liturgie catholique, le mémento,
c'est le nom de deux prières du canon commençant par ce mot, "le mémento
des vivants" et "le mémento des morts". Le mot a ensuite élargi son
domaine de référence, pour désigner à son tour le carnet où l'on inscrit ce
qu'on veut se rappeler. Mais signalons qu'il a un autre sens également :
un mémento, c'est aussi un "aide-mémoire", destiné à rappeler les notions
essentielles d'une science ou d'une technique : "mémento de géographie",
seul reste ici le sens de facteur de mémorisation.

AGORA
Par: (pas credité)

1 - Agora : En Grèce antique, la place où se réunissaient les citoyens pour


parler des affaires publiques. Spécialement à Athènes.
L'idée qui en est restée est celle d'un espace ouvert, large où l'on se
rencontre.
Exemple : Chinagora : vaste complexe commercial et culturel en proche
banlieue, consacré à la Chine et à l'Asie avec restaurant, commerce, salles
de réunion, etc.
L'idée d'espace se retrouve dans le terme agoraphobie, qui désigne la peur
de se trouver dans un espace ouvert (contraire de claustrophobie).

2 - Forum : équivalent romain de l'agora, lieu où se réunissaient les


comices et où l'on discutait des affaires politiques de la ville.
On en a retenu l'idée d'un lieu de rencontre : un forum au sens figuré est
une manifestation où des personnes se rencontrent pour échanger des idées
ou comparer des pratiques : exemple le " forum de l'Expansion ", organisé
par ce journal autour de thèmes économiques, on parlera de forum des arts,
etc.
A comparer avec carrefour, qui est aussi utilisé pour désigner cette idée
de rencontres avec la notion d'échanges de vue. Cf le célèbre "carrefour
du développement", au centre d'un scandale politique et l'hypermarché
Carrefour.
L'idée qui préside à ces notions est celle de rencontre informelle de gens
différents et sur des thèmes différents. On peut l'opposer à des termes qui
désignent des rencontres entre gens d'une même catégorie et sur un thème
défini : congrès, assises, symposium, colloque, etc. On parlera du congrès
ou des assises d'un parti, les deux autres termes désignent plutôt des
assemblées intellectuelles.

3 - Place publique

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Terme équivalent en français aux précédents. S'utilise notamment dans
l'expression mettre, (porter) le débat, (la question, le problème) sur la
place publique = faire sortir une question du cercle restreint dans lequel
elle se tenait jusque-là afin d'en informer l'opinion et de susciter un
large débat. Se dit notamment pour des politiques et d'intérêt général (ou
supposées telles).

AIR
Par: Yvan Amar

150 A320 vendus à Pékin ? Joli contrat, qui met à l’honneur Airbus et ses avions. Airbus
? C’est le nom d’un « avionneur », comme on dit, une compagnie européenne qui
conçoit, fabrique et, accessoirement, vend des avions. Mais, ne les fait-elle pas voler ?
Que nenni ! Elle les livre et ensuite, les fait voler qui veut ! C’est qu’Airbus n’est pas une
compagnie aérienne. Elle n’organise pas de transport aérien. Ce qui peut prêter à
confusion, c’est son nom, qui commence par « air ». Le nom n’est pas mal choisi : on
sent que sa vocation est de fabriquer essentiellement de gros avions, qui sont susceptibles
de proposer un transport de masse… enfin, en tout cas, pour de nombreux passagers, et
donc peut-être de démocratiser et de banaliser la voie des airs. On prend l’avion comme
l’autobus. Et c’est le radical « bus », qui occupe cette fonction.

L’autre partie du nom « air » est souvent associée à des noms de compagnie aérienne
justement : Air France, Royal Air Maroc, Tunisair… un mot qu’on va retrouver dans bien
des langues : British Airways, Finnair, Aeroflot. Alors, bien sûr, de très nombreuses
expressions font partie du vocabulaire de l’aviation : conquête de l’air, armée de l’air,
hôtesse de l’air, pirates de l’air.

Mais, pourtant, « air » est un mot assez spécial en français : il a des sens extrêmement
différents. Au sens propre, on peut dire que c’est le nom d’un gaz, d’une combinaison de
gaz qui permet la vie sur Terre, et qui nourrit la respiration des êtres vivants. Mais, l’air
représente aussi l’atmosphère, tout ce qui nous entoure, qui est autour de nous, et
surtout… au-dessus de nous… Et bien d’autres choses encore : l’allure qu’on peut avoir :
« il a un drôle d’air celui-là » ; une mélodie musicale : « quand un air vous trotte dans le
tête, c’est bien difficile de s’en séparer »…
Mais, c’est plutôt l’air qui plane sur nos têtes qui m’intéresse, celui qui évoque à la fois la
hauteur et la légèreté. Et souvent, pour ne pas le confondre avec d’autres, on le met au
pluriel : on dit qu’un oiseau vole dans l’air. Plus fréquemment encore, on dira qu’il vole
dans les airs. Ce pluriel donne peut-être une tournure plus raffinée à la phrase… pluriel
poétique, disait-on jadis. En tout cas, il n’a, en aucune façon, un sens pluriel, et renvoie
juste à une certaine idée de la hauteur.
… Idée qu’on trouve précisée dans de nombreuses expressions : « en l’air » est
probablement la plus évidente : ce qui est en l’air c’est ce qui n’est pas en bas, en tout
cas, pas par terre. Et c’est souvent le simple synonyme de « en haut ». Comme dans des

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expressions telles que « mettez les mains en l’air » synonyme de « haut les mains ». Il ne
s’agit pas de les élever bien haut… Et l’expression prend même parfois le sens de « tout
dérangé », voire « tout cassé, tout raté ». Notamment dans des expressions familières : «
tout envoyer en l’air », ou même « ça va tout fiche en l’air » : c’est-à-dire ça va tout faire
rater…

AJOURNER, DIFFERER, RETARDER


Par: (pas credité)

La menace que l’âge et la santé peut-être chancelante de Maurice Papon font courir à son
procès est sans cesse celle d’un « ajournement ». C’est-à-dire d’une interruption de la
procédure, que l’on reprendra plus tard, quand les conditions le permettront. « Ajourner
», c’est donc remettre à un autre jour, à plus tard. Ce sens actuel, qu’on trouve en général
dans un vocabulaire juridique ou administratif, est en contradiction avec la première
signification de cette famille de mots : en ancien français, et toujours dans un langage
juridique, « ajourner » quelqu’un, c’était l’assigner à comparaître un jour particulier. «
Ajourner », c’était donc à l’époque, fixer un jour -pratiquement l’inverse du sens actuel,
hérité de la langue anglaise, qui nous avait emprunté le mot. Aujourd’hui, « ajourner »,
c’est remettre à plus tard, en évaluant parfois le délai -« ajourner à huitaine »- mais le
plus souvent sans donner de date précise : ajourner à une date ultérieure ou même «
ajourner sine die », c’est-à-dire, sans donner de jour. Et cette expression latine indique
bien que le délai sera long, qu’il n’est même pas nécessaire de le préciser, et qu’il sera
peut-être bien le prélude à un abandon pur et simple. (Cf calendes grecques, bien que «
sine die » n’ait pas le caractère familier, ni l’effet ironique de cette dernière expression).

« Ajourner » n’est pas exactement synonyme de « différer ». D’abord, ce verbe ne fait


pas partie du vocabulaire technique du Droit ou de l’Administration. Ensuite, il ne
s’emploie pas lorsqu’un processus est déjà en cours : différer un événement quand il n’a
pas encore eu lieu, et qu’on repousse la date à laquelle il avait été envisagé.

Attention, là aussi, des nuances de sens : on ne « diffère » quelque chose que pour un
temps assez bref, dont on connaît presque toujours la durée ; l’événement est décalé,
simplement. Cf les retransmissions sportives « en différé » -on précise parfois « en différé
».

Et attention, on ne parle pas de « différence » mais de « différance » (à part Derrida, les


bons jours).

Quelques synonymes de « différer : repousser, remettre, reporter ». Ces derniers mots


appartiennent à un langage courant -« repousser » est d’ailleurs légèrement plus familier-
alors que « différer », d’un emploi plus rare, est bien plus recherché.

Un point commun à « ajourner » et à « différer » : il s’agit toujours d’événement, jamais


de personnes ou de choses : on ne dit pas « le train a été différé », mais « retardé ».

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Enfin, « ajourner » et « différer » s’emploient toujours lorsqu’il s’agit d’une décision
délibérée, et non d’un résultat, ou d’un concours de circonstances : « l’arrivée de l’étape a
été retardée par la pluie (on n’y peut rien). Et en conséquence, la cérémonie a été différée
par le Maire ».

ALLIANCE
Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 01 OCTOBRE 2001

On parle en ce moment beaucoup de l’Alliance du Nord, qui tente de s’opposer au


pouvoir taliban de Kaboul. Mais qu’est-ce qu’une Alliance. Dans ce cas il s’agit d’une
union militaire voire politique entre différents groupes de guérilla ou de partisans.
Diverses factions ou divers mouvements dont certains intérêts convergent, se mettent
ensemble pour combattre. Des synonymes ? On peut parler d’union, mais le mot est loin
d’être toujours militaire. On peut parler d’entente : on s’entend, on s’accorde (sous-
entendu sur le dos de quelqu’un d’autre… enfin contre quelqu’un d’autre…). Certains ont
des échos plus stratégiques. Ligue, pacte.

Attention : quand on parle de ligue, on sous-entend parfois un accord qui lie des pays.
Mais ce sont plutôt des particuliers, des individus, ou même des conspirateurs, comme ce
fut le cas durant les guerres de religions en France – la Sainte Ligue. C’est aussi le nom
qu’ont pris certains groupes politiques souvent extrémistes, qui en général ne sont pas
exactement des partis politiques au sens classique du terme : ligues d’extrême-droite dans
les années 30 ; ligue Communiste Révolutionnaire en France depuis les années 70.

Le mot pacte est plus ambigu. Il s’agit parfois d’un accord de non-agression : non pas
attaquer ensemble, mais ne pas s’attaquer mutuellement. Et ces pactes sont souvent
secrets, pour tromper l’adversaire…

Et l’alliance alors ?
Terme mystérieux, qui évoquent la diplomatie mythique du moyen âge ou les âges
légendaires : ça fait un peu Guerre des Etoiles, version George Lukas…
Le mot a eu un sens religieux : il renvoie à l’Arche d’Alliance entre l’Eternel et son
peuple élu .
De là les expressions, un peu anciennes, qui ne sont plus guère usitées, mais qu’on trouve
souvent dans la littérature ; l’ancienne alliance – le judaïsme, qui renvoie à l’Ancien
Testament ; et la nouvelle, le christianisme, qui revoie au Nouveau Testament.
Maintenant ce mot d’alliance a bien d’autres acceptions. Il a désigné l’union par mariage
entre deux familles. Ce sens est sorti d’usage, mais on en a gardé le sens d’anneau
symbolique du mariage.

On en a aussi dérivé le mot mésalliance, qui même si lui aussi est un peu vieilli, désigne

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une alliance entre deux familles de statut social différent – toujours du point de vue de la
famille supérieure bien sûr… Ou bien le mariage entre deux conjoints dont on peut croire
l’un des deux déchus par cette union : un baron et une boulangère.

ALLIANCE
Par: Yvan Amar et Anne-Cécile Bras

C’est le mot qu’on entend beaucoup au lendemain des élections régionales en France…
Puisqu’il faut souvent s’allier pour vaincre, s’allier avec… mais, la plupart du temps,
s’allier contre ! Une alliance est donc une union de circonstance, tactique, plutôt
provisoire, non sans arrière-pensée parfois, un accord passé dans un but précis.
Le mot est donc politique, mais aussi diplomatique ou militaire avec des synonymes :
Union, on l’a dit, mais aussi entente.

Et ce mot d’alliance a désigné aussi des genres de pactes d’assistance et de non agression,
qui allaient presque parfois jusqu’à une même confédération d’états.
Les sens du mot sont pourtant multiples, puisque, depuis longtemps et surtout ,dans une
langue un peu ancienne, « alliance » a été un terme religieux : l’ancienne alliance, qui
repose sur l’Ancien Testament représente la religion juive, et la nouvelle alliance, sur le
Nouveau Testament, la religion chrétienne. Et cette idée de lien symbolique est tout à fait
forte, puisqu’elle se retrouve dans un sens tout à fait différent du mot : l’alliance, on le
sait, est aussi une bague de mariage… et d’un point de vue plus abstrait, une alliance est
un mariage…

Mais le terme « allié », de la même famille, bien sûr, reste davantage dans un giron
politique ou historique…
Les Alliés, c’était les puissances opposées, pendant les Guerres mondiales, aux
Allemands et à leurs alliés à eux. Notamment à ceux qu’on appelait, pendant le deuxième
conflit, les puissances de l’Axe.
On a donc pris l’habitude d’appeler les Alliés, ceux qui se joignent à une union
américano-britannique. Ainsi, on a entendu le terme à propos de la dernière guerre du
Golfe … et cet emploi a parfois, d’ailleurs, été critiqué.

Attention, « s’allier avec quelqu’un », ce n’est pas « se rallier à quelqu’un ». Déjà, on voit
que la construction grammaticale n’est pas exactement la même. « S’allier » peut se
construire avec « avec », ou avec « à ». « Se rallier » ne supporte que « à ».
Et si vous vous ralliez à un groupe ou à une opinion… c’est que ce n’était pas votre
premier mouvement. On se rallie… si on change d’idée… ou, à la rigueur, après mûre
réflexion… Cela signifie, qu’en fin de compte, on se range sous telle bannière, on se
place dans tel camp…

ALPINISME

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Par: (pas credité)

1) "Alpin". Lorsque l'escalade se développe, sous l'impulsion des


Britanniques au XIXème siècle, l'adjectif désigne les activités de loisir
en montagne. Apparaît, par exemple, l'expression "club alpin" en 1865.
A la fin du siècle, est créé un corps d'infanterie spécialisé dans les
exercices de montagne les "chasseurs alpins".
L'adjectif dans le vocabulaire du sport, sert à distinguer certains types
de compétition : le "ski alpin", par exemple s'oppose au "ski de fond", appelé
aussi "ski nordique". On opposera "les disciplines alpines" (descente,
slaloms) qui sont liées à la montagne, et "les disciplines nordiques"
(courses de fond, biathlon, saut à ski), ainsi dénommées en raison de leurs
origines scandinaves, liées essentiellement au climat.

2) Les mots "alpiniste" et "alpinisme" sont attestés peu après (respectivement


en 1874 et 1876) au sens de "ascensionniste" en montagne et nom donné à
l'activité. On notera que le mot "ascension" et son dérivé "ascensionniste"
apparaissent antérieurement. Le premier mot est attesté dès l'époque de
Saussure (1786) lorsqu'il réussit la première ascension du Mont Blanc. Le
second a été remplacé en grande partie par "alpiniste".

3) Le mot "escalade" a pris un sens nouveau à partir du moment où il a été


utilisé au sens figuré dans le domaine stratégique : on parle d'"escalade"
pour désigner des interventions graduées, destinées à faire monter
progressivement l'importance d'actions destinées à persuader ou dissuader
un adversaire. On parlera de l'"escalade" dans un conflit où l'un des
protagonistes fait monter en puissance l'emploi de ses moyens militaires
afin d'impressionner son adversaire.
Dans un sens affaibli, on utilisera le mot comme quasi synonyme de
surenchère, de processus qui s'amplifie : l'"escalade" de la violence au
Proche-Orient, dans les banlieues, etc.
Dans ce contexte, on utilisera le terme de "désescalade" : synonyme de baisse
de la tension belliqueuse entre deux protagonistes, de diminution graduelle
de la tension.

ALTERMONDIALISTE
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Le sommet de Cancun, qui s’ouvre aujourd’hui au Mexique intéresse, inquiète, fait


jaser… mais surtout a réuni toute une cohorte d’altermondialistes. Le mot est
relativement neuf, on ne le trouve encore dans aucun dictionnaire : ni le Larousse ni le
Robert, millésime 2004, n’en font état… Alors qu’est-ce que c’est que ça ?

Le mot est intéressant car on a déjà parlé souvent d’anti-mondialisation. Là, les opposants

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se placent davantage dans une perspective de proposition, pour tenter d’élaborer une autre
politique, une autre économie mondiale, un autre développement.
C’est tout le sens du préfixe alter, qui signifie « autre » en latin.
Déjà, ce mot « autre » a été employé pour évoquer ce qu’on aurait tendance à oublier, ce
qui ne se voit pas, ne se fait pas remarquer, mais qui existe bel et bien. : l’autre journal,
l’autre gauche.

Mais, on trouve également les mots « alternatif » et « alternative » sous bien des
plumes…
« Alternative » est un mot contesté. Il existe, depuis longtemps, avec le sens de situation
où deux solutions sont envisageables : être devant une alternative…
Mais un autre sens est extrêmement fréquent, bien qu’il soit critiqué : l’ « alternative »
c’est l’autre solution, la solution de rechange. Et c’est par rapport à cet emploi, qui dérive
de l’utilisation d’un mot semblable en anglais, qu’on comprend la formation de ce mot
long et étrange qu’est « altermondialisation ».

AMBULANCE
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

On ne tire pas sur une ambulance… Dicton à la fois humaniste et populaire, qui signifie
que même dans une situation conflictuelle, on ne s’oppose pas à ceux qui tentent de
secourir les blessés : quelle que soit la cruauté de la guerre, il y a des règles à respecter…
Et l’ambulance est le véhicule qui transporte des malades ou des blessés… Blanc à croix
rouge, en général et en Occident, car bien sûr c’est un code qui change selon les époques
et les régions… De là, ambulancier, conducteur d’une ambulance, ou parfois brancardier,
ou infirmier qui travaille dans une ambulance. Mais l’origine du mot laisse un instant
perplexe : pourquoi anbulance, pourquoi ce mot qui évoque a priori le mouvement…
N’importe quel véhicule pourrait, au même titre, être qualifié d’ambulant…

Le mot dérive de l’expression « hôpital ambulant », qui apparaît au XIXè siècle, dans le
lexique des armées, pour désigner en gros une infirmerie de campagne… On a parlé à la
suite de ça du service d’ambulance, puis des chariots d’ambulance, et enfin des voitures
de l’ambulance…

Pourtant, le mot « ambulant » existe encore dans un sens proche de sa signification


d’origine : on parle de marchand ambulant, de commerçant ambulant. Encore
aujourd’hui, on a des camionnettes qui vont d’un village à l’autre : épicerie, boulangerie,
boucherie… On parlait de comédien ambulant à propos des troupes itinérantes qui
montaient leurs tréteaux de ville en ville, ou même de cinéma ambulant, quand les
montreurs d’images promenaient leur écran et leur projecteur pour organiser les séances
dans tous les lieux où ils passaient…
Un ambulant, à la fin du XVIIIè siècle était même un postier que sa tournée emmenait sur
les chemins.

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De nos jours, l’adjectif « ambulant » est assez employé, mais dans un sens particulier :
souvent à la place de vivant, pour désigner un humain – et le plus souvent de façon très
ironique : « c’est une catastrophe ambulante »… c’est-à-dire… où qu’il aille, il crée des
désastres…

AME
Par: (pas credité)

Les chercheurs d'âme. C'est le nom d'un festival de films qui se déroule chaque année à
Bénodet. On peut y voir des œuvres qui traitent de sujets élevés, et vous remuent dans la
bonne direction. Chercher son âme, même si ce n'est pas une expression figée, est donc
perçue positivement. Ce qui paradoxalement, est assez rare avec ce mot qu'on assaisonne
souvent d'une sauce ironique.

Un état d'âme, par exemple, c'est bien à la mode à condition qu'on en ait pas. Un état
d'âme, c'est donc un scrupule, un problème de conscience. Un homme d'Etat progressiste
par exemple qui réprime un mouvement social peut avoir un état d'âme, c'est à dire une
culpabilité, un malaise lié au fait qu'il agit en contradiction avec ses convictions, par
tactique ou par nécessité. L'expression s'utilise souvent au pluriel (avoir des états d'âme),
et vient au départ du vocabulaire romanesque et romantique (Mme Bovary et consorts).

D'autres expressions avec âme sont péjoratives ; vendre son âme au diable: faire quelque
chose d'impardonnable par intérêt. La référence nous replonge dans de nombreuses
légendes médiévales chrétiennes et méphistophéliques. Mais dans un vocabulaire
politique plus récent, perdre son âme, c'est se compromettre avec un parti ou des idées
honteuses (Cf il vaut mieux perdre les élections que son âme).

L'âme damnée de quelqu'un est le mauvais conseiller qui est dans l'ombre, hypocritement,
le pousse au crime ou lui inspire de noirs desseins. Le sens s'élargit parfois à celui
d'éminence grise, voire d'exécuteur des basses œuvres.
Quant à la bonne âme, elle n'a pas eu de chance. Au départ, c'est vraiment une personnes
pleine de bons sentiments. Mais on n'emploie plus l'expression qu'à propos de celui qui
dit du mal du voisin ou répète méchamment des ragots : il ne manquera pas de bonnes
âmes pour lui répéter qu'on a vu sa femme en grande conversation avec Léopold.

AMEN
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Polémique autour d’Amen, film de Constantin Costa-Gavras, à deux semaines de sa


sortie en France, après qu’il a été présenté au festival de Berlin.

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Mot unique… Bon titre… Car le mot est souvent utilisé comme une phrase… Comme
écho, comme réponse, comme signe qui indique qu’on est d’accord… Même si cet accord
est simulé, imposé, ou ironique…
Le mot est d’origine religieuse et toujours perçu comme tel, même lorsqu’il est employé
dans le langage tout à fait profane.
Amen est le mot par lequel se terminent presque toutes les prières catholiques. Il
appartient donc à un code traditionnel et liturgique qui signifie la fin de la prière, le fait
qu’elle est été bien énoncée, comme une clé qui a posteriori, lui donne son sens et son
orbe. Pour ainsi dire, le mot divinise les phrases qui l’ont précédé.
Linguistiquement, on peut noter cette bizarrerie : Amen suit un texte en latin, alors que le
mot lui-même n’est pas latin. Il est emprunté au grec, qui lui même tient le mot de
l’hébreu. Et Amen signifie au départ « vrai, certain »… Et dans un vocabulaire qui sent
encore l’encens, on le traduit en français par « ainsi soit-il… »
Mais comme un certain nombre de mots du lexique religieux, il passe en français laïque
avec un sens ironique et un emploi familier : dire amen, c’est approuver, dire oui, et bien
souvent dire oui avec une certaine cautèle.
Il peut donc souligner une approbation : « Je lui ai dit que je voulais un bureau pour moi,
un ordinateur et une secrétaire… Il a dit Amen » C’est à dire, il a accepté, il a entériné.
Mais c’est souvent utilisé pour souligner que quelqu’un ne s’oppose pas à un autre, n’a
pas le front, le culot, le courage de dire non. Signe de faiblesse ?… « Il rackette ses
camarades et l’administration dit amen… » De temps en temps, c’est presque synonyme
de « fermer les yeux », faire semblant de ne pas remarquer quelque chose de
condamnable, mais qu’on n’ose pas condamner…
Et puis le mot a eu des usages quasiment perdus aujourd’hui : L’expression de pater à
amen, qui signifiait du tout début jusqu’à l’extrême fin, de a à z… Jusqu’à amen :
jusqu’au bout, jusqu’au dernier mot.
Enfin un amen a désigné jadis un crétin, celui qui ne sait dire qu’amen…

AMOUREUX
Par: Yvan Amar

14 février… Saint-Valentin… Fête des amoureux… Une fête très prisée, très médiatisée
depuis quelques années… Non pas peut-être remise à l’honneur, mais mise à l’honneur
pour la première fois, portée par une certain enthousiasme et peut-être un certain intérêt
commercial… Ce genre de choses fait toujours vendre…

Si les « amoureux » sont à l’honneur… profitons-en pour nous interroger sur le mot lui-
même… même si rien ne vaut l’expérience vécue.
Ce mot d’« amoureux » est soit un adjectif, soit un nom… En tant qu’adjectif pas de
problème : il n’a jamais connu la crise… Et son sens est connu de tous. « Etre amoureux
» c’est donc être dans cet état particulièrement agréable (en général… sauf situation
particulièrement adverse, rejet, sentiments non partagés, dédain, froideur, indifférence…)
En tout état de cause, c’est un état provisoire, ponctuel… même s’il peut durer…
Etat de projection intense vers l’autre, qui fait que très naturellement, on le décline : «
amoureux de… »

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L’arrivée plus ou moins subite de cet état s’exprime également : « tomber amoureux »…
Et le mouvement, la chute expriment bien cette idée à la fois de soudaineté et disposition
contre laquelle on ne peut rien… Tout ça, en apparence se fait contre votre gré… en tout
cas, pas vraiment sur commande…
« Tomber amoureux »… et non pas « tomber en amour »… tout au moins en France,
puisqu’au Québec, l’expression est fréquente et rappelle exactement l’image de
l’expression anglaise « to fall in love ».

Maintenant, le nom « amoureux » est bien moins fréquent. La Saint-Valentin peut y faire
penser car elle a souvent été symbolisée par les amoureux de Peynet, petits dessins, un
peu mièvres qui représentaient deux silhouettes assez niaiseuses qui roucoulent.

Ce nom « amoureux », presque enfantin, désigne à l’élu de son coeur. Et on évoque


aussitôt des phrases un peu désuètes : « c’est mon amoureux », « j’ai un amoureux », « je
vais voir mon amoureux »… Pas au féminin ? Bien moins en tout cas… « C’est mon
amoureuse »… Là, c’est un mot de cour de récréation, et c’est presque réservé aux
amours enfantines…
Alors, le mot donne l’impression d’une certaine chasteté, de sentiments forts mais… qui
ne se traduisent pas en actes très concrets… « Un amoureux fait sa cour »… C’est-à-dire
qu’il s’approche… mais n’est pas arrivé au but… Et on peut trouver certains synonymes
à ce mot léger… Un soupirant… celui dont le cœur soupire… D’amour… De ce qu’il n’a
pas. Le mot n’est pratiquement plus employé aujourd’hui sinon de façon plaisante…
Mais, le mot avait un concurrent : prétendant… C’est moins impliqué dans la vie
sentimentale… Il s’agit de celui qui pense prétendre à la main (plus d’ailleurs qu’aux
simples faveurs) d’une femme. Moins sentimental, mais plus sérieux, donc… Galant est
plus vieux encore… mais le galant est beaucoup plus près du but que les deux autres... Et
c’est souvent déjà l’ « amant »…
A propos d’ « amant »… on peut revenir sur le couple des deux mots « amoureux » et «
amant »… Aujourd’hui, la différence est fort claire : l’ « amoureux » est désigné par ses
sentiments… l’ « amant » a une relation amoureuse, et sexuelle avec la femme qu’il
convoite… qu’elle soit mariée ou pas d’ailleurs… Mais, dans la littérature classique, on
nous explique que l’ « amant » est celui qui aime et est aimé en retour… alors que l’ «
amoureux » est celui qui aime à sens unique… Pyrrhus, amoureux d’Andromaque…
Rodrigue, amant de Chimène.
Cela dit, ce mot « amoureux » est revenu en force, avec presque un sens d’euphémisme,
dans le français contemporain… C’est une façon un peu chic, et un peu plaisante en
même temps de parler de son homme… Et ça prétend mettre un peu de poésie dans tout
ça !

AN ET ANNEE
Par: (pas credité)

L' "an" 2000, c'est pour bientôt. On en parle assez pour qu'on s'arrête quelques secondes

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sur cette dénomination : pourquoi l' "an" 2000, et pas 2000 simplement, d'autant qu'il y a
une ambiguïté possible avec la formule "en" 2000. Pourquoi l' "an" 2000 et pas l' "année"
2000 ? Et quelle différence fait-on entre "an" et "année" ?

L'expression l' "an" 2000 a une charge symbolique importante, c'est évident.
Techniquement, on ne change ni de siècle ni de millénaire (c'est pour 2001), mais le
passage d'une ère à l'autre va se faire là quand même.

D'ailleurs, cet "an" 2000 change de face au fur et à mesure qu'il se rapproche. Pendant
longtemps, disons la majeure partie du XXème siècle, il a symbolisé l'avenir, de façon un
peu futuriste, un peu comme un avenir de science-fiction auquel on faisait une référence
fantasque et imaginaire. Jusqu'au premier traiteur de luxe ouvert jusqu'à 2 heures du
matin qui, dans les "années" 50, s'appelait déjà "À l'an 2000". C'est que bizarrement ce
mot "an" qui, dans cette expression, est résolument tourné vers l'avenir est un mot assez
archaïque, qu'on trouve en français d'aujourd'hui dans des formules figées qui fleurent
bon le passé : l' "an" 2000 est un calque de l' "an" mil. Aujourd'hui, pour parler des
millésimes, on parle d' "années" : "l'année 1967 a été bonne pour le Bordeaux"…

Mais jadis, on parlait d' "an", voire, dans une langue plus marquée qu'aujourd'hui par la
préoccupation religieuse, d' "an de grâce". Mais, cet usage se retrouve pour le calendrier
révolutionnaire ("Ô soldats de l'an II"…), et s'est transmis lorsqu'il s'agit d'entamer une
nouvelle ère (Cf. le film "L'an 01").

Mais, on trouve également ce mot "an" lorsqu'on est à la frange de deux "années" : "le
nouvel an", "le jour de l'an", "au gui l'an neuf", etc. Ou dans de vieilles expressions du
genre "bon an mal an" qui signifie en gros, l'un dans l'autre, si l'on fait la moyenne entre
les bonnes et les mauvaises "années".

Mais, il serait faux de penser que le mot "an" est réservé à des expressions toutes faites :
c'est encore un mot très usuel et très vivant qu'on emploie tout le temps. Alors quelle est
la différence de sens qui le distingue de son doublet "année" ?
Et bien, comme c'est souvent le cas en français, il n'y a pas vraiment de règle, mais des
usages variés.
On peut quand même noter quelques grandes tendances : "année" pointe davantage un
contenu, une durée, alors que "an" s'utilise plus pour marquer l'âge ou l'écoulement du
temps.
Pour l'âge, c'est évident : "il a trois ans", "il a quarante ans", etc.
Pour dater, marquer le temps qui s'écoule : "depuis trois ans", "dans dix ans", "dans trois
cents ans", "j'ai vécu douze ans à Bécons"…

Mais voyez comme c'est une question d'habitude et non de bon sens : il suffit d'une
préposition pour tout faire basculer : on dit "il y a 300 000 ans" ; "il y a trois millions
d'années"… mais on ne dirait jamais "il y a trois millions d'ans". De même, on dit "une
dizaine d'années", et non "une dizaine d'ans".

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ANARCHIE
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Y.AMAR : Pendant la récente grève du mois de décembre, on a vu


beaucoup de piétons dans les rues, beaucoup de voitures et même
beaucoup de voitures garées n'importe où : au milieu des rues, sur
les trottoirs, devant des portes cochères. Certains jours, la
situation était assez "anarchique".

E.LATTANZIO : "Anarchique", c'est le mot! Un mot d'ailleurs dérivé


d'"anarchie", qui lui-même vient du grec. On y retrouve la racine
"-arché", le pouvoir, précédé du préfixe "an", qu'on dit privatif
et qui exprime la négation. L'anarchie c'est donc l'absence de
pouvoir.

Y.AMAR : Le mot a dérivé bien sûr. Et aujourd'hui, anarchie évoque


le désordre. Deux sens prévalent donc nettement : absence
d'autorité et absence d'ordre.

E.LATTANZIO : Un pays sans gouvernement fixe, une classe sans


professeur sont souvent livrés à l'anarchie.

Y.AMAR : Mais ça, c'est l'anarchie au petit pied. Le mot a des


sens beaucoup plus nobles ou beaucoup plus politiques : à partir
du 19ème siècle l'anarchie était synonyme d'un certain ordre
naturel auquel on croyait. Les anarchistes prônaient un ordre
social libéré de toute contrainte. Ni Dieu, ni maître.

E.LATTANZIO : C'est une belle utopie, une conception du monde qui


repose sur une certaine confiance et qui a ses théoriciens :
Kropotkine, Bakounine, etc ...

Y.AMAR : ... Et Proudhon en France. A la fin du 19ème siècle, il y


a eu en France une vague d'attentats, par exemple l'assassinat de
Sadi Carnot. C'était l'époque mythique de l'anarchiste aux yeux
bleus qui prétendait préférer se faire sauter avec sa bombe que de
blesser un innocent.

E.LATTANZIO : Quant au drapeau noir, emblème des anarchistes, on


raconte que c'est un souvenir du jupon noir de Louise Michel, qui
l'avait fixé à un bâton, pour en faire un drapeau improvisé.

Y.AMAR : On parle encore des anarchistes aujourd'hui et plus


encore des "anars", en abrégeant. Mais cette abréviation ne
désigne pas, le plus souvent, des militants politiques : bien
plus, ce sont des gens qui se méfient de toute convention et de
tout conformisme. On peut penser à deux chanteurs célèbres : Léo
Ferré et Georges Brassens. C'était Parler au Quotidien, une
émission proposée par le Centre National de Documentation
Pédagogique ...

E.LATATNZIO : ... Et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.

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ANE
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

E.LATTANZIO : "J'aime l'âne si doux Marchant le long des houx"...

Y.AMAR : Vous me rappelez l'école primaire et la récitation du


vendredi, qu'on avait tout le jeudi pour apprendre ... Et
pourtant, l'âne n'est pas toujours si doux, en français. Il a
mauvaise réputation. Et malgré toute la sympathie que j'éprouve
pour ce délicieux quadrupède, je suis bien obligé de reconnaître
qu'il est souvent symbole de bêtise.

E.LATTANZIO : Et parfois d'obstination dans l'erreur : "Espèce


d'âne!" est une insulte qui pointe votre stupidité tenace,
profonde et permanente.

Y.AMAR : Et si vous dîtes "Ane bâté!" c'est plutôt pire ... L'âne
bâté est celui qui porte un bât, un appareillage qui permet qu'on
vous mette un lourd fardeau sur le dos.

E.LATTANZIO : Et l'âne bâté est renforcé dans sa position servile,


sans liberté et sans autonomie.

Y.AMAR : La comparaison "comme un âne" n'est pas non plus


spécialement flatteuse. Elle sert d'intensif : crier "comme un
âne", c'est crier fort, bêtement et sans grâce.

D'autres expressions existent, où l'âne n'a pas la meilleure place


: "faire l'âne pour avoir du son" c'est-à-dire faire l'idiot.
Quant au bonnet d'âne, fort utilisé par les instituteurs de jadis,
c'était le symbole de l'élève bête et cela servait aux cancres
d'accessoire fort humiliant.

E.LATTANZIO : L'âne a parfois la réputation d'être lâche : "le


coup de pied de l'âne" est l'attaque du faible contre le fort
tombé à terre.

Y.AMAR : Terminons en latin : le proverbe "asinus asinum fricat"


signifie l'âne frotte l'âne et indique que les imbéciles se
congratulent les uns les autres et que leurs compliments mutuels
sont ridicules et inutiles. C'était Parler au Quotidien, une
émission proposée par le Centre National de Documentation
Pédagogique ...

E.LATTANZIO : ... Et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.

ANE
Par: (pas credité)

- Encore un salon ? Oui ! - Et un salon de quoi, s'il vous plaît ? - Du cheval

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- Déjà vu ! - Du cheval et du poney. - Réchauffé ! - Du cheval, du poney et de l'âne.
- De l'âne ? Intéressant !
Evidemment, triple buse que c'est intéressant, l'âne. Qu'est-ce que c'est
qu'un âne ? Un mammifère quadrupède domestique. Mais encore ? Un crétin. Et
bien sûr, c'est ça qui nous intéresse : l'âne, au figuré, et ça ne date pas
d'hier, désigne un imbécile, comme si l'âne était bête.
Il ne l'est pas pourtant, mais il n'est pas rebelle, convient aux tâches
serviles et quand il ne veut plus jouer au bon garçon, refuse simplement
d'obéir. De là, sa réputation d'obstination (têtu comme un âne, moins
fréquent pourtant que têtu comme une mule). Si l'âne porte des fardeaux
plus volontiers que des cavaliers, c'est qu'il galope moins que le cheval.
Le cheval est donc une figure de noblesse et d'arrogance, alors que l'âne
est la monture des humbles (Jésus entrant à Jérusalem).

Mais revenons à la qualité qu'on lui prête le plus volontiers : la


stupidité. Si l'on traite quelqu'un d'âne bâté, on redouble l'injure, ce
qui manque de logique : le bât est un genre de selle grossière, où l'on
peut assujettir le faix de l'âne. Rey souligne le fait que le mot est
totalement démotivé, qu'on en oublie même sa signification lorsqu'il
renforce le sens injurieux d'âne. C'est vrai, mais on peut aussi se
souvenir :
- que cet appareillage symbolise la servitude ;
- que d'autre part, l'assonance â/â aide à redoubler le sens initial de
l'expression.

La bêtise est si profondément liée à l'animal que l'on ne s'étonnera pas de


trouver dans son sillage images et dérivés.
Le bonnet d'âne stigmatisa longtemps le cancre dans les écoles de la
République. Faut-il en voir l'origine dans le mythe de Midas ? J'aimerais
en narrer l'histoire, mais toujours le temps nous presse.
On a aussi l'ânerie, c'est à dire la sottise. Non pas le défaut de celui
qui est bête, mais son résultat : une ânerie est une bêtise qu'on dit
(le plus souvent), ou qu'on fait (plus rarement). Familier sans être
vulgaire, le mot sert souvent de substitut acceptable à connerie.

Anonner veut dire lire, réciter ou simplement prononcer un texte en


bredouillant, sans assurance, sans maîtrise.
Quelques expressions qui font intervenir l'âne pour finir (et si on a le
temps) :
- beugler ou hurler comme un âne : récriminer, manifester bruyamment son
désaccord.
- faire l'âne pour avoir du son : faire le naïf ou le "bêta" pour avoir
davantage que ce qu'on vous donne.
- il est comme l'âne de Buridan : il ne sait pas se décider. (Cf. anecdote
de ce célèbre logicien).

47
ANGES
Par: (pas credité)

Y.AMAR : On parlait hier de l'Annonciation, c'est-à-dire de cette


scène où l'archange Gabriel annonce à la Vierge sa future
maternité. L'archange (c'est-à-dire l'"ange archonte", l'ange en
chef) est ici ange à double titre : le messager de Dieu a un
message précis à délivrer.

E.LATTANZIO : L'ange est un personnage qui appartient à la culture


chrétienne qui, bien que monothéiste, fait droit malgré tout à
quelques créatures entre l'humain et le divin. Le mot vient du
grec "angelos" : le messager, en l'occurence messager de Dieu.

Y.AMAR : Il est souvent représenté sous la forme d'un personnage


humain, jeune, beau, ailé. Par conséquent, il a souvent servi de
terme de comparaison, pour désigner des humains : "Mon ange!",
exclamation affectueuse.

E.LATTANZIO : Il sert souvent à qualifier quelqu'un qu'on veut


faire apparaître comme parfait, pas d'intention méchante, pas
d'arrières-pensées : bonté naïve et pureté, opposé à toute idée de
violence ou d'agressivité, le mot "ange" n'évoque que de bonnes et
douces attentions.

Y.AMAR : On le trouve dans des expressions toutes faites (une


patience d'ange) ou dans des références à l'imagerie chrétienne :
ange gardien, bon ange.

E.LATTANZIO : L'ange gardien, parfois, a été utilisé ironiquement


avec le sens de garde du corps (synonyme de "gorille"), mais cette
expression est un peu vieillie.

Y.AMAR : Les anges servent aussi à former des expressions imagées:


sourire, rire aux anges, c'est rire tout seul, sans que ce
contentement s'adresse à quelqu'un.

E.LATTANZIO : "Etre aux anges", c'est être dans un état de


ravissement parfait, être comblé.

Y.AMAR : En revanche, on dit qu'"un ange passe" lorsque, dans une


assemblée, il y a soudain un silence, parfois un peu gêné, avant
que la conversation reprenne.

48
ANNÉE
Par: (pas credité)

C'est l'année Sissi ! Et l'avantage, avec l'année Sissi, c'est qu'elle nous
permet de faire une émission sur " année ". Chère Sissi ! Depuis l'année
Beethoven - on s'en souviendra de l'année Beethoven - on a pris l'habitude
de vouer nos années à un personnage particulièrement marquant (Sissi) dont
la mémoire, douce et exigeante, hantera douze mois qui eussent été bien
ternes sans le rappel d'une figure lumineuse. La formation linguistique est
intéressante, avec ce nom propre qui sert d'apposition - bien plus
séduisante que si l'on utilise l'article, ce qui se fait aussi quand il ne
s'agit pas du nom d'un personnage : année du Japon (Japon est bien un nom
propre, mais on dit le Japon), année de la femme, de l'enfance, de la
liberté de la presse, etc.

Cette utilisation de l'apposition se trouve également pour désigner non


plus une seule année, mais plusieurs : une époque, une période : les années
twist (titre d'une comédie musicale), les années Mitterrand, etc. Cela
renvoie en général à un souvenir collectif, parfois vaguement nostalgique,
et souligne le style d'une époque à travers un accessoire, une
particularité qui la symbolise (et ça va de la figure d'un Président de la
République à la Dauphine rose qui représente les années twist sur
l'affiche)…

D'ailleurs, tout le vingtième siècle a ainsi été découpé en années, et plus


encore en décennies, depuis les années 20 jusqu'aux années 90. Des
exceptions ? Peut-être, mais elles s'expliquent : pour la première
décennie, on ne parle pas des années 00, mais on a une expression
spécifique : la Belle Epoque, souvent critiquée de façon cinglante du fait
que cette période, si elle a effectivement bercé une bourgeoisie hédoniste
et quelques artistes novateurs, est l'une des pires du point de vue de la
condition ouvrière.

On parle parfois, mais peu, des années 10. En effet, coupée par la Grande
Guerre, cette décennie n'a pas d'unité, et les années 10 ne vont réellement
que jusqu'en 14. On retrouve un phénomène similaire avec les années 40.
L'expression existe mais renvoie plutôt à la période 45-50 qu'à la période
de l'occupation. En revanche, l'entre-deux-guerres se prête à ce type de
dénomination : années 20 et années 30, avec en plus les années folles qu'on
a davantage tendance à situer dans les années 25 : garçonnes, Coupoles et
Charleston.

Les puristes vont sourciller : j'ai bien dit les années 25, et d'aucuns
prétendent que cette tournure ne doit s'employer que pour les années toutes

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rondes, éponymes de la décennies qu'elles inaugurent. Remarquons, en ces
temps trentenaires, qu'on parle beaucoup des années 68 avec une certaine
logique, dans la mesure où mai 68, en quelques semaines a représenté une
brisure dans l'histoire des mentalités d'après-guerre, et que tous les
comportements et les attitudes culturelles se sont situés dans l'écho de
cet ébranlement.
Cf. aussi la mode du ot et du concept génération.

ANNIVERSAIRE
Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU…

Bon anniversaire Elizabeth ! Happy birthday to you queen, darling. En effet c’est
aujourd’hui l’anniversaire de la Reine d’Angleterre. Ou plutôt non, c’était en avril, mais
c’est aujourd’hui qu’on le fête, puisque dans sa grande mansuétude, et sa grande
pénétration de la psychologie et de la météorologie britanniques, cette Reine d’Angleterre
a décidé qu’on fêterait ça en juin : moins de chance qu’il pleuve ; plus de chance que son
bon peuple ait la joie de l’honorer en plein air.

Joyeux anniversaire ! Happy birthday to you !. S’il y a bien une phrase – toute
anglomanie mise à part – que les Français savent en anglais, c’est bien celle-ci. Grâce à
une chanson célèbre. Qui a donné lieu au plus célèbre des à peu près orthographiques.
Car tout le monde connaît le pluriel de petit beurre.
Est-ce une excuse à cette faiblesse pour Albion, il faut reconnaître que l’anglais est plus
riche que nous en cette matière, puisqu’il bénéficie de deux mots, là où nous n’en avons
qu’un. Birthday et anniversary. Les Anglais ont donc un mot spécial pour l’anniversaire
de naissance.

On s’en passe en français, et on parle d’anniversaire chaque fois que dans le cours de
l’année revient une date symbolique, l’année étant considérée comme une grande roulette
cosmique à 365 trous ; l’année (annus) tourne (vertere) et cette révolution fait que
reviennent cycliquement des jours qui furent marqués par des événements: anniversaire
de naissance (et quand on ne précise pas, c’est de ça qu’il s’agit. Malheur à ceux qui,
comme le petit Jésus, sont nés le jour de Noël : un seul cadeau pour deux fêtes),
anniversaire de mariage, de rencontre etc… Et souvent, lorsqu’il s’agit d’un anniversaire
qui ne marque pas un jour de naissance, on précise, en se servant du mot comme adjectif :
date anniversaire. Le 18 juin est la date anniversaire de l’Appel du Général de Gaulle et
de la bataille de Waterloo.

Ce mot d’anniversaire est donc très lié à une idée de fête. Pourtant son premier usage était
funèbre : il s’agissait d’une messe dite pour le repos d’un défunt, et dite au jour
anniversaire de sa mort.
Il arrive souvent, quand il s’agit de célébrer le souvenir d’un événement, qu’on ne parle

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pas d’anniversaire, mais de commémoration. Là encore, le mot est religieux au départ,
mais il n’est devenu d’usage courant qu’après le Révolution, ce qui l’a infiniment laïcisé.
Et il sert surtout de nos jours, dans des contextes historiques ou politiques : rappelons-
nous 1989 et la commémoration du bi-centenaire.L Le doublet, commémoraison est sorti
d’usage.
Ce n’était pas pourtant sa vocation première :

ANNUAIRE ET BOTTIN
Par: (pas credité)

Les nouvelles technologies progressent à pas de géant. Surtout dans le


domaine des communications. Et pourtant, les anciennes habitudes ne
s'évaporent pas toutes en un clin d'œil. Ainsi, on vient d'avoir
confirmation de la pérennité de nos bons vieux annuaires, malgré le
développement des Minitel, Internet et Compagnie...
En effet, dans le langage courant, l'annuaire, c'est celui du téléphone,
dans lequel on peut trouver alphabétiquement tous les abonnés, hormis ceux
qui se sont fait mettre sur liste rouge.
Autre jargon colorié et assez récent : les pages jaunes, c'est-à-dire
professionnelles.
L'annuaire est remis à jour chaque année, ce qui permet de comprendre
l'origine du mot : annuel.

Longtemps, le mot a été synonyme d'almanach ou de bottin.


Premier sens du mot annuaire : publication qui reprend et résume les
événements de l'année écoulée. Le premier date en France de 1532, et s'est
successivement appelé Livre Commode, puis Almanach Royal. Chronique
officielle de l'histoire immédiate, il contenait aussi des notices
biographiques, etc.
1794 : Annuaire de la République française.
1871 : Annuaire météorologique et agricole de l'observatoire de Montsouris.
On voit donc se dessiner quelques soucis scientifiques.
Passons maintenant à l'Almanach : calendrier qui s'agrémente de tout un tas
d'indications astronomiques, pratiques, économiques et même moraux. Le
calendrier finit par devenir secondaire.
Citons l'un des plus connus : l'Almanach Vermot, qui émaille chaque jour
d'une plaisanterie ou d'un calembour.
Il y en eut bien d'autres, Citons seulement l'Almanach du Bonhomme Richard,
(1732), décrit comme un "bréviaire de morale simple, de savoir utile,
d'hygiène pratique".
Enfin, l'Almanach de Gotha - alias le Gotha -. Celui-ci est généalogique et
diplomatique, et donne des détails sur les familles princières. Le mot est
passé dans le langage courant : il y avait tout le Gotha = toutes les
têtes couronnées et les familles nobles.

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Le Bottin mondain tourne un peu la même sauce en moins élitiste.
Mais nous voici en possession d'un troisième mot : le Bottin, qui est
également un répertoire de noms, en général, classés alphabétiquement. Et
lorsqu'on parle (ou parlait…) du Bottin, sans préciser, on pensait
généralement au Bottin du téléphone, qui concurrençait l'Annuaire. Mais
Bottin du téléphone n'est pas l'appellation officielle. Un peu d'histoire :
Sébastien Bottin, d'abord Secrétaire Général de la Préfecture dans le
Bas-Rhin, puis le Nord, établi une liste alphabétique des commerçants des
départements où il officiait. En 1819, il s'attaque à Paris. L'entreprise
fusionne en 1857 avec le célèbre Firmin-Didot, et voilà notre Bottin devenu
Annuaire du commerce. Le mot s'est, par la suite, répandu comme un synonyme
d'annuaire, et tous les petits enfants de bonne famille s'en sont servi
pour surélever leur tabouret de piano.

ANNUITE
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Les récentes déclarations fracassantes de François Fillon sur les retraites ont ému. Et on a
donc agité ce problème dans tous les sens, en parlant notamment d’annuités. Un
fonctionnaire qui par exemple en ce moment doit s’acquitter de trente sept annuités et
demi pour pouvoir faire valoir complètement ses droits à la retraite devrait travailler deux
ans et demi de plus. Aller jusqu’à quarante annuités ?

De quoi se demander déjà ce que c’est exactement qu’une annuité. Un troisième mot qui
entre en concurrence avec an et année ? Vous n’y êtes pas : le sens est plus précis que
cela. Et plus financier. L’annuité, c’est la cotisation annuelle qu’on doit payer. La
traduction en euros de ce qu’une année de travail doit consacrer au fond de pension pour
la retraite.

Mais annuité a un autre emploi et désigne également ce qu’on doit payer par an pour
rembourser une dette. Par exemple, si vous avez emprunté une certaine somme sur dix
ans, on calcule combien vous devez rembourser chaque année. C’est l’annuité.
On voit que ce mot correspond exactement à la mensualité, mais sur une durée d’un an, et
non pas d’un mois.

Et ces mots s’emploient donc beaucoup dans le contexte d’une vente à crédit, puisqu’ils
décrivent les échelons de remboursement. Oh, je vous l’accorde, on ne dit pas les
échelons de remboursement, mais on parle bien d’une dette échelonnée, c’est à dire
morcelée sur une durée établie. On peut donc convenir des termes, littéralement des
limites auxquelles il faut s’acquitter d’un remboursement. Ces termes qu’on peut nommer
aussi échéance. Et le mot renvoie au moment ou le terme échoit, c’est à dire où il tombe.
c’est l’image étymologique pour un mot qui est entré dans cet usage financier : on parle
même d’un échéancier : un calendrier des échéances successives. Cet échéancier est-il

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toujours fixé définitivement ? Oh presque toujours, mais pas toujours toujours ! On peut
parfois essayer de renégocier une dette (quand la situation financière a changé par
exemple, si les taux d’intérêt ont baissé. Et avec un peu de chance, vous arriverez alors à
rééchelonner votre dette…

ANONYME
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Y.AMAR : Connaissez-vous le "jeu du corbeau" ? Vous prenez dix


noms au hasard dans l'annuaire et vous écrivez aux dix adresses :
"Filez, tout est découvert!". Ne signez pas et attendez la suite
des opérations.

E.LATTANZIO : Pourquoi appelez-vous cela le jeu du corbeau ? Parce


qu'en français familier, un corbeau est un auteur de lettres
anonymes, c'est-à-dire non signées, en général insultantes ou
dénonciatrices.

Y.AMAR : Mais il n'y a pas que les lettres pour être anonymes :
nombre de manuscrits du Moyen-Age sont anonymes par exemple, et
des tableaux, en quantité : on ne sait pas qui les a peints.

E.LATTANZIO : Quant à la société anonyme, c'est autre chose; c'est


la dénomination officielle d'une société répartie entre plusieurs
propriétaires, qui en possèdent des parts ou des actions.

Y.AMAR : L'adjectif anonyme désigne aussi souvent des gens que


rien ne distingue les uns des autres, qui ne sont pas saisis dans
leur individualité : une foule anonyme, des passants anonymes. Le
mot "anonymat" se trouve souvent dans l'expression toute faite
"garder l'anonymat". Pour un généreux donateur, pour un gagnant à
la loterie, le cas peut se présenter, s'ils veulent éviter la
publicité ou les importuns.

E.LATTANZIO : Et lorsqu'une personne très célèbre ne veut pas être


reconnue, on dit qu'elle garde l'"incognito", en utilisant cette
délicieuse expression italienne. C'est ce que faisait Louis XI à
une époque où l'expression n'était pas encore en vogue. C'est ce
que font aujourd'hui les vedettes de l'écran lorsqu'elles vont se
baigner avec leurs lunettes noires, pour éviter les autographes.

Y.AMAR : C'était Parler au Quotidien, une émission proposée par le


Centre National de Documentation Pédagogique ...

E.LATTANZIO : ... Et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.

ANTHRAX
Par: (pas credité)
PARLER AU QUOTIDIEN DU 16 OCTOBRE 2001

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L’anthrax ou le charbon ? Est-ce là une fausse interrogation du genre « la peste ou le
choléra » ? Non. Car dans le cas qui nous intéresse, l’anthrax et le charbon, c’est la même
chose. Ces deux mots qui font peur, et spécialement en ce moment où l’on a peur que le
terrorisme bactériologique suscite une épidémie.

Même si ces deux mots recouvrent la même maladie, ils n’ont pas le même écho : on a
l’impression que le premier est très savant, alors que le second est bien plus populaire, en
tout cas plus courant. Ce n’est pas faux, mais étymologiquement, il n’y a pas grande
différence entre les deux mots : en effet, anthrax veut dire charbon en grec.

Notons, au passage, que le mot n’est donc pas dérivé d’un mot grec : c’est le mot grec
lui-même, tel quel. Il est pourtant passé par le latin savant, qui l’a légué au français
médical. Mais aucun suffixe ne vient modifier le mot. Et cette finale en –ax sonne
diablement grecque.
Néanmoins, le mot a eu des dérivés. Le mot signifie donc charbon, et même charbon
ardent . Ce qui explique qu’en ancien français, l’anthracite (là, nous avons affaire à un
vrai dérivé) désigne une pierre précieuse qui brille, autant qu’un charbon ardent. Puis, ce
mot d’anthracite renvoie à une certaine qualité de charbon qui sert à se chauffer, et enfin
à une couleur, très sombre, bien sûr.

Revenons à notre maladie. Pourquoi anthrax ? Parce que c’est un syndrome à pustules
noires – encore une chose qui fait peur, comme si ça évoquait le diable aux noirs
desseins.

ANTICORPS

Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

« Anticor »… C’est le nom d’une toute nouvelle association politique dont le but avoué
est de lutter contre la corruption en politique. Louable idée qu’on doit à trois élus
socialiste qui veulent inviter à les rejoindre les élus qui appartiennent à la droite comme à
la gauche dans un même souci d’honnêteté et de moralisation de la vie publique. Anticor
comme anti corruption donc. Mais si ce nom est bien choisi, c’est qu’il fait calembour
avec anticorps, un mot qui appartient au vocabulaire de la biologie et de la médecine. Ce
mot qui date de 1900 désigne une substance qui sert à protéger un organisme, en luttant
contre des effets toxiques éventuels, en luttant contre des organismes qui attaquent.
Comment comprendre le mot ? L’anticorps lutte contre des corps préjudiciables.
Et bien souvent tout le vocabulaire médical recourt à des images qui sont celles de la lutte
et de la guerre. On trouve ainsi à plusieurs reprises le préfixe anti : on a aussi l’antigène –
même si le mot est plus spécialisé et qu’il n’apparaît quasiment jamais dans le
vocabulaire courant. Et anti, dans cet emploi signifie clairement « qui lutte contre… » un
peu comme dans antichar ou antiaérien. On est dans le langage de l’armée et dans un sens
multiple : à la fois neutraliser ce qui existe et qui attaque, le détruire ou, plus en amont,
l’empêcher de se construire et donc d’attaquer.
Parallèlement à anticorps, on peut se souvenir du contre poison. Un mot beaucoup moins

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savant, mais qui lui se situe clairement dans l’après-coup : le contre poison étant censé
annuler ou effacer les effets d’un poison absorbé précédemment.
Il y a d’autres mots dont l’origine, plus ou moins transparente, font appel à ce genre
d’images. La prophylaxie par exemple. Puisqu’en grec, phulax signifie garde, celui qui
veille sur la sécurité (d’un lieu ou d’une personne) et qui empêche qu’on y pénètre ou
qu’on l’attaque. Les mesures prophylactiques sont donc celles qui vont sauvegarder la
santé de quelqu’un. Mais là on est toujours dans une idée de prévention : non pas
combattre le mal, mais empêcher qu’il arrive.

ANTIQUAIRES, BROCANTEURS
Par: (pas credité)

Y.AMAR : Un salon des antiquaires s'ouvre aujourd'hui.


D'antiquaires ? C'est-à-dire ceux qui font commerce d'objets
anciens et de valeur : mobilier, bijoux, objets d'art, etc ...

E.LATTANZIO : Ils vendent donc des "antiquités" et non des


"antiquailles", dérivé qui appartient à la même famille de mots
mais qui est plaisant ou péjoratif.

Y.AMAR : L'antiquaire vend des antiquités. Le brocanteur, lui,


vend un peu n'importe quoi. L'origine du mot est obscure, mais il
est probablement formé sur "brok", qui en vieux néerlandais
signifie "morceau". Cela évoque donc des objets dépareillés,
vendus à la pièce.

E.LATTANZIO : Ils sont parfois présents dans un "bric à brac",


expression qui évoque un amoncellement d'objets divers.

Y.AMAR : Ce qui fait penser à "de bric et de broc" : fait de


pièces et de morceaux. C'est ce qu'on appelle des formations
expressives, qui au fil du temps, associent un sens à un son.

E.LATTANZIO : A côté des brocanteurs, il y a aussi les


ferrailleurs et les chiffonniers qui récupèrent de la ferraille
pour la vendre au poids ou des objets, des matériaux divers. On
voit bien en tout cas qu'entre les antiquaires, les brocanteurs,
les ferrailleurs, il y a toute une hiérarchie.

Y.AMAR : Terminons avec les marchés aux puces, dans la banlieue


parisienne qui, au départ, étaient des marchés de brocanteurs.
Mais avec le succès, ils sont en général devenus plus chers, plus
chics, et on y trouve aujourd'hui beaucoup d'antiquaires.

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APARTHEID
Par: (pas credité)

Les élections en Afrique du Sud ont bien montré que, si tous les problèmes raciaux n'ont
pas disparu dans cet état, une page est radicalement tournée : on n'est plus dans l'" après-
apartheid ", on est dans l'" après-Mandela ". Il n'empêche : on peut quand même revenir
sur ce mot terrible qui a marqué l'Afrique du Sud des années durant.

Il s'agit d'un mot " afrikaans ", c'est-à-dire qu'il appartient à la langue néerlandaise parlée
en Afrique du Sud. Sa traduction officielle en français est développement séparé, ce qui
ne signifie pas grand-chose si l'on ne précise pas qu'il s'agit du développement séparé de
différents groupes humains d'origines ethniques différentes : les blancs et les noirs,
pourrait-on dire, pour faire court - mais c'est compter sans l'affreuse manie classificatrice
des bureaucrates d'Afrique du Sud qui recensaient tout un éventail de statuts liés à
l'origine des gens (métis, Indiens, etc.). Tous les racismes y trouvaient leur compte,
sachant bien sûr que rien n'était censé être supérieur au blanc protestant. L'apartheid était
donc la séparation des " races " dans la vie sociale.

Le mot est bien senti comme étranger en français. Comment le prononcer ? On aurait
tendance à le prononcer " à l'anglaise " alors qu'en fait, on ferait mieux de le prononcer
tel qu'il s'écrit.

Bizarrement la transparence linguistique qu'il évoque n'est pas illusoire : il vient bien du
français à part auquel on a rajouté un suffixe qui sert à former des noms abstraits. C'est, si
l'on veut " l'apartitude ". Comme presque tous les mots qui appartiennent au vocabulaire
des pratiques racistes, le mot, pris dans son sens propre, ne pointe pas de supériorité d'un
groupe humain sur un autre : il se présente comme neutre. Ce n'est que replacé dans les
circonstances historiques qui l'ont vu se développer qu'on comprend qu'il recouvre une
oppression particulièrement odieuse.

" Apartheid " est-il synonyme de " ségrégation " ? Oui et non. " Apartheid " est d'abord
réservé au contexte sud-africain alors que " ségrégation " est plus général. D'autre part, l'"
apartheid " était officiellement un mode de vie politique, alors que la " ségrégation " est
plus un état de fait.
Ce mot à l'origine désigne la séparation du troupeau de certains animaux (même famille
que " grégaire "). Son sens politique est né avec le colonialisme et s'est d'abord appliqué
aux colonisateurs : eux-mêmes se séparaient du reste de la population et isolaient leur
habitat et leur vie. Puis le mot s'est appliqué, non plus à ceux qui s'isolaient
volontairement, mais à ceux qu'on écartait, qu'on reléguait. (Cf notamment le sud des
Etats-Unis).
Et, à cause probablement de la similitude des suffixes, on a opposé la " ségrégation " à
son symétrique opposé, l'" intégration ".
Un troisième mot exprime également un comportement dicté par le préjugé racial : la "

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discrimination ".

APERITIF
Par: (pas credité)

Boisson alcoolisée qu'on prend "avant" le repas parce que, en


principe, ça "ouvre" l'appétit (apério = ouvrir).
Au départ, "médicament apéritif" : pour ouvrir les voies
naturelles (sudorifiques, diurétiques, etc...) C'était donc pour
éliminer. Ça a bien changé.

Ça désigne donc une boisson. Certains sont uniquement des


apéritifs : vins cuits, muscats, gentiane, Suze, etc. Certains
d'ailleurs sont marqués par une époque et tombés dans l'oubli :
Claquesin, Picon, etc. C'est en général plus alcoolisé que des
boissons consommées aux repas mais moins que ce qu'on appelle des
digestifs, le symétrique d'après le repas (Cognac, marc, Calvados, la
goutte, une petite prune, etc.) l'eau de vie...

Ceci dit, il y a des boissons qui ne sont pas considérées comme


des apéritifs à proprement parler mais qui peuvent en tenir lieu :
"comme apéritif, je prendrai un verre de vin rouge (l'apéritif du
paysan), un whisky, une coupe de champagne...

De façon élargie, "l'apéritif" désigne la réunion de gens qui


boivent un verre ensemble avant le repas, ou même l'heure : passez
donc à l'apéritif, dimanche. En général, ça évoque le moment qui
précède le déjeuner, bien que ce soit également utilisé pour le
dîner.

"Apéro" : abréviation populaire, courante, s'emploie aussi bien


pour la boisson que pour la réunion ou le moment.

A l'apéritif, on boit mais on mange aussi ou, tout au moins, on


"grignote", le mot consacré pour ce genre de petites choses : on
grignote des "biscuits apéritifs" - le mot est utilisé comme une
opposition - en général, petits biscuits salés qui contrebalancent
les effets de l'alcool, olives et graines séchées : cacahuètes,
noix de cajou, amandes, etc. ; mendiants : mélange amandes,
figues, noisettes et raisins mais ça, ce serait plutôt du
dessert. Allusion aux couleurs des robes des 4 ordres mendiants
apparus au 13ème siècle : Augustiniens, Franciscains, Carmes et
Dominicains.

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On mange aussi des chips. Anglicisme. D'abord chip = copeau puis
copeau de pommes de terre : très fines rondelles de pommes de
terre. D'abord pomme chip (début du siècle vers 1910) cf pomme
vapeur puis au pluriel et tout seul : des chips.

APOCALYPSE
Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 13 SEPTEMBRE 2001

C’est un mot qu’on a beaucoup entendu, ces derniers jours, à propos de la vague
d’attentats terribles aux Etats-Unis. Vision d’ « apocalypse », spectacle « apocalyptique »
– c’est-à-dire dans le langage courant, qui passe la mesure, qu’on a du mal à décrire, et
surtout qui est extraordinaire, au sens étymologique du mot.

Non seulement ça passe l’ordinaire, mais on a même l’impression que ça passe l’humain,
qu’on entre dans un autre ordre. Les images de terreur, mais aussi de cataclysme et de fin
du monde : l’explosion finale, la catastrophe qui met un point final à l’histoire de
l’humanité. Alors, bien sûr, l’expression est souvent utilisée un peu abusivement, comme
un intensif facile. Pourtant parfois, on se dit que c’est l’image qui convient …

Au départ, le mot vient du grec, et signifie simplement révélation, découverte. Ça a


d’abord été un nom propre, dérivé du latin ecclésiastique, et désignant des textes
bibliques. On a donc les « Apocalypses » qui prédisent les derniers jours du monde,
signées (et apocryphes) par Hénoch, Esdras, Noé, etc.

La plus connue évidemment est celle de Saint Jean, qui présente sept visions : les 7
étoiles et les 7 chandeliers ; les 7 sceaux du livre avec les 7 trompettes ; la femme, le
dragon et la bête ; les 7 coupes de la colère et la grande Babylone ; le grand banquet de
Dieu ; Satan lié pour mille ans et la terre nouvelle ; la Sainte Jérusalem.

Visions extraordinaires qui préfigurent la fin des temps, donc quelque chose qui échappe
à l’entendement humain et aux catégories de notre intelligence, puisqu’on sera au-delà de
l’espace et du temps.

APPEL
Par: (pas credité)

L’"appel de Valence" a été lancé par deux personnalités qui


souhaitent l'unification de leurs deux partis :

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l'UDF et le RPR. Ils parlent d'"appel" comme si cette demande se
situait au-dessus de la communication politique ordinaire,
court-circuitait les habitudes et créait un genre d'état de choc.

Certains appels sont historiques : l'appel du 18 juin est le plus


célèbre de tous, lancé à la radio anglaise par le Général de
Gaulle en 1940, pour appeler les Français à continuer le combat
contre l'occupant. D'autres appels ont marqué : appel des 121
durant la guerre d'Algérie, des 343 pour légaliser l'avortement.

Et dans ces trois cas, on voit que ce sont des appels à la


désobéissance civique. Ceux qui en sont à l'origine considèrent
que le légitime prime sur le légal.

L'idée principale est celle d'un recours, qui se comprend à partir


du sens juridique du mot : à l'issue d'un procès, si on n'est pas
d'accord avec la décision juridique, on peut dans certains cas
"faire appel", c'est-à-dire demander un nouveau procès, qui se
déroulera devant une cour d'appel.

Attention : faire appel n'est pas faire l'appel = prononcer à


haute voix tous les noms d'une assemblée pour vérifier les
présents.

ARBITRE
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

E.LATTANZIO : Lorsqu'on parle d'arbitre, on pense d'abord aux


sports : quand deux sportifs ou deux équipes s'affrontent, il faut
un arbitre.

Y.AMAR : Et il faut être impartial quand on est arbitre, quand on


doit arbitrer un match. Un arbitre, lors d'un match international,
est d'une nationalité différente de celles des deux équipes.

E.LATTANZIO : Ce sens d'arbitre ne remonte pas à l'origine. En


latin, "arbitrer" c'est le témoin ou l'autorité qui fait respecter
une décision, ou tranche un différend.

Y.AMAR : En France ça a été longtemps le rôle du roi de France. Et


aujourd'hui, on parle encore, en économie libérale, de l'Etat
arbitre : pas trop interventionniste, mais qui refroidit des
conflits s'ils deviennent trop chauds.

E.LATTANZIO : Quant à l'expression "libre-arbitre", elle a un tout


autre sens. Au 16ème siècle, la religion est au centre des
conflits idéologiques et politiques. Et il y a une vive
controverse entre les tenants du libre-arbitre et ceux de la
prédestination : ceux qui pensent que l'homme peut sauver son âme

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s'il mène une bonne vie et ceux qui pensent que tout est joué en
dehors de sa volonté.

Y.AMAR : L'adjectif "arbitraire" n'a que peu à voir avec tous ces
sens : c'est ça l'étonnant. L'attitude arbitraire est le contraire
de l'attitude impartiale, c'est celle de quelqu'un qui a du
pouvoir et qui l'exerce sans demander l'avis de personne, sans
raison, sans argument. Le pouvoir arbitraire, c'est un pouvoir
absolu qui agit selon ses caprices. C'était Parler au Quotidien,
une émission proposée par le Centre National de Documentation
Pédagogique ...

E.LATTANZIO : ... Et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.

ARBITRE
Par: (pas credité)

L'un des mots du vocabulaire politique qu'on a beaucoup entendu cette semaine, c'est
arbitre et son cousin arbitrage, puisque c'est en arbitre que veut se poser le Front national,
pour peser sur l'élection d'un certain nombre de présidents de région. Que veulent dire
dans ce cas-là les mots arbitre et arbitrer ? Décider, tout simplement, ou en tout cas, avoir
une influence suffisante pour imposer ses conditions, et déterminer le résultat final de
certaines élections.

Cet emploi du mot dérive en fait de certains emplois du mot arbitrage, ou du verbe
arbitrer. Il s'agit de trancher un différend, de décider, là où deux adversaires s'opposent,
sans que l'un l'emporte réellement sur l'autre par la force où le droit. Mais on peut quand
même parler d'une dérive de sens, dans la mesure où l'arbitrage, au départ, implique un
jugement dépassionné, et impartial, par quelqu'un qui se situe au-dessus de la mêlée :
l'arbitre, c'est Salomon, le vrai juge. Sans aller si loin, on parle par exemple de l'arbitrage
de la Cour de justice européenne, pour régler des conflits économiques entre certains
pays, de l'arbitrage de la Cour de justice européenne, pour régler des conflits
économiques entre certains pays, de l'arbitrage d'un juge, dans une querelle de
voisinage… Alors que dans le cas qui nous occupe, le Front national " arbitrera " en
fonction de ses intérêts propres.

Le mot arbitre a, de toute façon, en ancien français le premier sens d'autorité qui fait
respecter sa décision et observer la loi. De là dérive directement le sens sportif, apparu à
l'extrême fin du XIXème : arbitrer : veiller à ce qu'une partie, un match se déroule
conformément aux règlements acceptés au départ par les deux équipes. L'arbitre, si ses
décisions sont sans appel, se doit d'être absolument impartial, sans parti pris et sans
intérêt dans l'affaire : on est presque à l'inverse de l'usage électoral qu'on constate
aujourd'hui.

Mais de toute façon, ce mot est bien étonnant : d'un côté, il a donné naissance à
l'expression libre-arbitre : faculté de se déterminer librement, sans contrainte, ni influence

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extérieure. De l'autre, il a donné arbitraire, dont la signification a fini (à partir du début du
XVIIème siècle) par devenir contraire à son origine. Une décision arbitraire est une
décision que rien ne justifie, qui découle du caprice plus que de la raison. L'adjectif
s'applique en particulier à un pouvoir qui s'exerce pour son seul plaisir, et l'arbitraire (le
mot s'emploie souvent sous une forme substantivée) est le fait du despote, le "fait du
prince", comme on dit. Alors qu'au départ, un arbitrage est censé dire le droit et rendre
justice, l'arbitraire est devenu synonyme d'injuste.

ARBITRE
Par: (pas credité)

1) L'arbitre est, au départ, une notion juridique. C'est une personne qui est choisie par un
tribunal ou par les intéressés eux-mêmes pour trancher un différend : "on s'en rapporte à
un arbitre". C'est donc une personne qui a pour trait dominant de prendre une décision
dans un litige qui reçoit le pouvoir de choisir entre des avis divergents lequel doit être
suivi. Elle a aussi généralement pour caractéristique d'être neutre et désintéressée par
rapport au litige. Cf le rôle du roi dans la tradition médiévale et, par extension, la notion
d'"Etat arbitre" (entre les particuliers), dans la théorie politique libérale : l'Etat est conçu
comme une institution neutre, au-dessus des intérêts privés, il est censé réguler seulement
les rapports entre individus. Ceci est conforme à l'étymologie latine "arbitror" : je décide.

La notion d'"arbitre" s'est étendue à des domaines variés. On a pu parler ainsi au siècle
dernier de "l'arbitre des élégances" pour désigner en matière de goût celui qui fait
autorité, dont on suit les avis.

La notion s'est popularisée aujourd'hui par le biais du sport. Dans de nombreuses


disciplines, en effet, qui mettent aux prises deux adversaires (boxe) ou deux équipes
(sports de ballon), on a recours à un (ou plusieurs) arbitre(s) chargé(s) de diriger la
rencontre, en faisant respecter les règles du jeu sans lui-même y participer. Il est
également choisi de façon à être neutre (par exemple en compétition internationale, il
n'appartiendra à aucune des deux nationalités qui sont en compétition).

2) Le mot a produit des dérivés :


- "arbitrage" : qui désigne soit l'action d'arbitrer, soit la sentence, la décision elle-même.
On dit souvent aujourd'hui "rendre son (ou ses) arbitrage(s)" pour désigner les mesures
prises par une instance qui a le pouvoir de décision. Par exemple, on dira qu'au moment
de l'élaboration du budget, le Premier ministre "a rendu ses arbitrages" entre les différents
ministères : il a tranché pour savoir quel(s) ministère(s) aurai(en)t une priorité.
- "arbitrer" : avec un sens voisin de diriger un match, de rendre des arbitrages, de réguler
les rapports entre intérêts différents.

3) Par extension et abus, le mot arbitre en est aussi venu à désigner, en raison du pouvoir
qui est conféré à cette fonction, une personne qui jouit d'un pouvoir sans limite : on dira
de quelqu'un qui dispose du droit de vie et de mort qu'il est "arbitre" de la vie et de la

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mort. Cette expression peut être rapprochée d'une acception philosophique et
métaphysique du mot (étymologie légèrement différente : "arbitrer" alors que l'arbitre au
sens précédent vient de "arbitrium") : l'arbitre désigne alors la faculté de se déterminer
librement dans son action ou si l'on préfère la volonté.

Dans ce sens, l'expression "libre arbitre" a connu une grande faveur dans la tradition
chrétienne médiévale et classique : le libre arbitre est en effet un sujet de débat qui
engage en particulier la responsabilité du pécheur dans ses actes. Au XVIème siècle, à
l'époque de la Réforme, il y eut une vive controverse sur le "libre arbitre" (Erasme) et le
"serf arbitre" (Luther) entre ceux qui pensent que l'homme est libre et ceux qui pensent
qu'il est prédestiné.

Quoiqu'il en soit, la notion d'"arbitre" comprise comme action autonome de la volonté qui
implique l'idée de liberté, implique aussi l'idée de "pouvoir faire" sans être déterminé par
des causes, d'où l'idée de "faire sans motif" : exemple la notion d'acte gratuit (sans cause)
vulgarisé par Gide (Lafcadio dans les Caves du Vatican), qui peut être considérée comme
le degré ultime du libre arbitre (le plus haut et le plus bas).

On voit alors comment on peut passer d'"arbitre" à "arbitraire" (et "arbitrairement") : quoi
de plus "arbitraire" qu'un acte gratuit ? Trois acceptions se recoupent dans ce mot :
- pouvoir de décider
- décision sans motif
- par extension, pouvoir despotique, c'est-à-dire où la volonté sans limite aboutit à la
tyrannie.

ARC
Par: (pas credité)

L'arc républicain. C'est le nom qu'on a récemment donné à l'accord


électoral qui a finalement permis l'élection d'une Présidente de la région
rhône-alpine et qui a mobilisé une majorité courte et hétéroclite autour de
l'idée d'une opposition au Front national et à ses alliés. Pourquoi cette
expression ? L'image est plutôt originale, même si la manœuvre a été
laborieuse. L'adjectif "républicain" se comprend et s'inscrit dans une vogue
générale du mot. Et on a probablement souhaité éviter le mot "front" à cause
de l'opposition au Front national. Quant à l'"union républicaine", elle
aurait été un peu fade, à moins qu'on ait simplement jugé le mot trop fort,
trop unitaire, à propos d'un accord tactique, somme toute, assez acrobatique.

Il ne s'agit, en fait, que d'une alliance mais ce mot ne pouvait être retenu,
puisque trop marqué par l'usage récent qu'en fait la politique.
Alors, va pour l'"arc", dont les deux extrémités peuvent toucher des
sensibilités bien différentes et bien éloignées : c'est cette image qui
semble primer, d'autant que la forme courbe de l'arc rappelle peut-être

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celle de l'hémicycle de l'Assemblée Nationale.

L'imaginaire de l'arc évoque souvent d'ailleurs l'idée d'alliance : on a


l'arc-en-ciel, beau phénomène d'optique et symbole poétique de l'alliance
entre le ciel et la terre, les dieux et les hommes, etc. L'expression "arc
d'alliance" n'existe pas, mais on ne peut s'empêcher de penser à l'Arche
d'alliance, ce coffre qui renfermait les tables de la Loi, données par
l'Eternel à Moïse sur le Mont Sinaï.
Attention, ce mot d'"arche" n'a pas de rapport avec l'"arc" (d'arcus, en latin),
et n'est qu'un homonyme de hasard de l'"arche" qui évoque une forme semi-
circulaire, mot qui lui dérive bien d'"arc", par analogie de forme.

Revenons maintenant à cet "arc" dont on est parti. Il désigne, au départ,


l'arme que tout le monde connaît et qui nous a donné une expression
figurée courante : "avoir plusieurs cordes à son arc". Au départ, cela veut
dire exercer plusieurs métiers, mais plus couramment, cela veut signifier
aujourd'hui avoir plusieurs moyens d'arriver à ses fins, ou même avoir
plusieurs compétences, maîtriser plusieurs savoir-faire, être expert en
plus d'un domaine.

Les autres sens du mot sont anciens, toujours par analogie de forme et il
est très employé en architecture, un arc est d'abord une voûte (arc en
plein cintre, par exemple), avant de désigner un monument à lui tout seul : on pense
évidemment aux arcs de triomphe de toute sorte.

ARC-EN-CIEL
Par: (pas credité)

Le roi des Belges a nommé un Premier ministre qui devrait réunir un nouveau
gouvernement qu'on appelle déjà un gouvernement arc-en ciel. Il comportera en effet des
Verts, des libéraux, dont la couleur est le bleu, et des socialistes dont la couleur varie
entre le rose et le rouge. On a donc cette idée de couleurs qui coexistent, et sont
juxtaposées, comme dans un arc-en-ciel. Et trois couleurs au moins sont nécessaires pour
que l'expression puisse fonctionner, même si l'arc-en-ciel en comprend traditionnellement
sept. Mais deux couleurs seraient insuffisantes : tout juste un domino.

C'est également en Afrique du Sud qu'on a également utilisé cette image récemment, à
propos de la culture post-apartheid ; on se côtoie, on s'accepte, l'image évoque la
multiplicité des cultures, des traditions et des couleurs. C'est l'opposé du melting pot,
cette expression américaine employée telle quelle en français, qui signifie littéralement le
creuset où se fondent les métaux, et qui évoque l'Américain type, unique, quelle que soit
son immigration d'origine.

Mais, cette métaphore n'a plus très bonne presse aux Etats-Unis. On lui préfère par
exemple celle du saladier (salade bowl) où sont censées cohabiter toutes sortes de

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légumes de formes et couleurs différentes.

Mais l'arc-en-ciel a sur cette comparaison l'avantage d'une symbolique ancienne qui
évoque la paix puisque ce phénomène d'optique a toujours représenté l'alliance du Ciel et
de la Terre, notamment dans la mythologie grecque, où l'arc-en-ciel passe pour l'écharpe
d'Iris, la messagère des Dieux.

ARCTIQUE, ATLANTIQUE, PACIFIQUE


Par: Yvan Amar et Anne-Cécile Bras

Je me suis laissé dire que des Russes allaient effectuer le premier (oui, le premier !) tour
motorisé de l’Arctique. Quelle n’a pas été ma surprise et mon admiration ! De là le désir
légitime d’en savoir un peu plus sur l’Arctique, région délaissée parce que réfrigérante.

Le continent arctique (oh, c’est suffisamment grand pour qu’on parle de continent) est
donc une région située à l’intérieur du cercle polaire nord.

Pourquoi ce nom bizarre et difficile à prononcer d’arctique ? Il dérive d’arktos, qui


signifie ours en grec. Est-ce parce qu’on y trouvait des ours ? Du tout ! Mais les premiers
astronomes qui ont imaginé que la Terre était ronde ont conçu l’existence des pôles, au
Nord et au Sud. Et ont envisagé un axe imaginaire qui les joint, et traverse le globe, de
part en part. Or, cet axe semble plus ou moins pointer vers l’étoile polaire, et la
constellation que les Grecs, déjà, appelaient l’Ourse… arktè… Ce mot a donc été associé
à l’idée du nord… les régions arctiques étaient nées.
Suivies plus tard par leur symétrique au sud, l’Antarctique.

Ce couple arctique/antarctique a un double : boréal/austral qui signifie à peu près la


même chose. Et l’adjectif austral est peut-être plus utilisé que celui d’antarctique.
Boréal et austral sont deux mots formés sur d’anciens noms de vents : Auster, vent du sud
et Borée, vent du nord.

L’Arctique et l’Antarctique sont donc des noms qui s’appliquent à des continents, mais
aussi des océans (océan glacial arctique… Brrrr !). Alors, voyons rapidement d’où
viennent les autres noms des océans principaux, le Pacifique et l’Atlantique (l’Indien,
c’est trop facile).
L’Atlantique tire son nom d’Atlas, géant mythologique, censé supporter les colonnes qui
maintenaient le ciel au-dessus de la terre. Et certaines de ces colonnes, les colonnes
d’Hercule, passaient pour être situées juste au-delà du détroit de Gibraltar. La mer, qui
s’étendait au-delà, a donc pris le nom d’Atlas, dont on disait aussi qu’il régnait sur une île
mystérieuse et invisible, l’Atlantide…

Quant au Pacifique, au nom étonnamment tranquille, il a été baptisé comme ça, en


souvenir du premier voyage que Magellan y fit en 1520-1521, voyage sans tempête qui

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donna au navigateur une idée flatteuse et fausse de cet océan apparemment bienveillant.

ARDOISE
Par: (pas credité)

"Ardoise" monumentale... C'est l'une des conclusions de la tempête qui a soufflé en


France le 26 décembre. Et cette "ardoise" désigne le prix à payer, les conséquences
financières. D'où vient l'image ?

L' "ardoise" est au départ une pierre fragile, mais imperméable qui se débite aisément en
plaques, et dont on se sert communément pour couvrir les maisons. Les toits d'"ardoise"
sont donc une réalité courante du paysage français. Mais ce n'est pas parce que les
toitures ont été endommagées qu'on parle d' "ardoise" après la tempête.

L' "ardoise" a d'autres propriétés : instrument typique de l'écolier, elle a été très utilisée
dans les écoles (elle évoque l'école à l'ancienne...) pour que les élèves puissent inscrire
leur réponse dessus à la craie, et les effacer ensuite ; c'était donc une sorte de tableau noir
portatif.

Mais on utilisait aussi les "ardoises" dans les bistrots pour noter les consommations à
crédit des clients, avoir une trace de ce qu'ils devaient, et tout effacer lorsqu'ils réglaient
leur dette. "Ardoise" est donc devenu synonyme de crédit ouvert chez un commerçant :
"j'ai une ardoise chez Camille".

D'où quelques expressions aujourd'hui désuètes : "tenir l'ardoise" = tenir les comptes, et
par extension, être chargé de compter les points au jeu. Et même "faire l'ardoise" : noter
les écarts des coureurs cyclistes.

Mais le mot sert souvent aussi à désigner le total de ce qu'on a à payer = synonyme de la
note de l'addition (ces dernières images viennent aussi du vocabulaire des restaurants,
mais sans idée de crédit). Ainsi, parle-t-on de l' "ardoise" de la tempête : son coût
financier.

ARGENTIER
Par: Yvan Amar et Anne-Cécile Bras

Après Bombay, c’est Davos… les forums succèdent aux forums, l’économique au social,
et on voit se réunir, dans cette paisible bourgade suisse (paisible et cossue), un certain
nombre de décideurs économiques et de ministres des Finances des pays les plus riches
de la planète. Les grands argentiers… comme on dit en plaisantant. En plaisantant et
aussi pour reprendre un cliché très utilisé par les médias, toujours friands de ce genre

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d’images…

Pourquoi grand argentier ? Le mot, on s’en serait douté, dérive d’argent. Il existe depuis
longtemps et au XIIème siècle, il désigne en ancien français l’ancêtre du banquier. Celui
qui change de l’argent, qui fait office de trésorier, et même qui prête de l’argent. Au
XIVème siècle, il a désigné l’officier payeur, celui qui distribue les salaires, pour le
compte du roi de France, ou d’un puissant seigneur.. Puis bien plus près de nous
(XIXème siècle), le mot a pris un usage satirique pour désigner un homme riche, un
capitaliste (cf. les caricatures des premiers patrons d’industrie de la révolution industrielle
et du début du XXème siècle… l’homme ventripotent, à chaîne de montre en or, chapeau
haut de forme, et plus tard, cigare…). Mais cet usage n’a pas duré. Aujourd’hui, on parle
donc de grand argentier, pour parler du ministre des Finances comme si on singeait une
fonction officielle d’une monarchie passée. Et le modèle linguistique est clair dans nos
têtes : on se souvient du grand moutardier, du premier moutardier du Pape, cité pour la
première fois au XVIIIème siècle, et dont on a cru qu’il correspondait à une charge
authentique créée par Jean XXII au XVème siècle. Sans grand moutardier, il n’y aurait
peut-être pas de grand argentier.

Y a t-il d’autres sobriquets pour désigner un ministre des Finances ? On parle parfois,
toujours sur le même modèle, de grand financier… Mais sans ça, pas grand chose.
Mentionnons quand même Bercy, métonymie récente qui renvoie au ministère des
Finances français. Récente, parce que le ministère est localisé à Paris, dans ce quartier,
depuis 1989. Si « Bercy » a succédé à la « rue de Rivoli », on peut noter que l’expression
est vague, et qu’elle renvoie la plupart du temps à un ensemble d’énarques anonymes qui
constitue l’entourage du ministre, plutôt qu’à la personne du ministre de l’Economie lui-
même.

ARGUS
Par: (pas credité)

On fête les 70 ans de l’Argus de l’automobile. Un bail ! Ce pourrait être mon père.
L’Argus de l’automobile est un journal qui répertorie (presque) tous les modèles de
voitures disponibles sur le marché français, et donne à chacun un prix moyen, une
cotation estimée. Ainsi l’Argus est un observateur du marché. Mais attention, vous ne
trouverez pas de cotation pour une Peugeot 1961 : c’est trop vieux et la voiture n’est plus
cotée à l’Argus. Cette dernière expression sert plaisamment pour désigner quelque chose
de très vieux, voire quelqu’un (en général plaisanterie machiste pour parler d’une
femme), et pourtant une rose d’automne est plus qu’une autre exquise.

Auparavant encore, nous remontons dans l’histoire de la langue, on appelait un argus


quelqu’un de particulièrement clairvoyant, qui ne se laissait pas abuser. Ou même parfois
simplement quelqu’un dont la vue était particulièrement perçante.

Pourquoi ce nom d’Argus était-il lié de si près à l’oeil ? Une fois encore, c’est un

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vaudeville olympien qui va nous fournir la clé.

Argus est un personnage qui a laissé des images de lui assez contrastées. Parfois on le
représente avec un oeil unique, mais extrêmement efficace ; parfois il en a quatre (deux
devant, deux derrière), parfois, répartis sur tout son corps. En tout cas, il est d’une force
prodigieuse, et ne rechigne pas à faire la police, il délivre l’Arcadie d’un taureau
monstrueux, puis d’un méchant satyre qui ravageait les troupeaux, enfin d’Echidné, fille
monstrueuse de Tartare et de Gaïa.

Mais, surtout, il fut geôlier d’Io, sa lointaine parente (notez comme c’est difficile à
prononcer).

Io est une jeunesse dont Zeus s’amourache. Mais, le hasard n’est rien auprès du Destin ;
Zeus a beau être Zeus, il y est soumis. Et un rêve prémonitoire avait averti Io que Zeus
devait l’aimer, et qu’à cette fin, elle devait se rendre au bord du lac de Lerne pour l’y
rencontrer. Les devins, interrogés, lui enjoignent d’obéir, sinon, toute la famille sera
foudroyée. Bon, bon...

Mais Héra, femme jalouse, veille et Zeus transforme Io en génisse pour la protéger. Héra
soupçonne la vérité et ordonne que la génisse soit surveillée jour et nuit par Argus, qui ne
dormira jamais que de la moitié de ses yeux. La guerre continue et Zeus dépêche Hermès
qui tue Argus en lui jouant une musique mortelle.

Et Io ? Elle fuit, laissant partout des traces de son passage et de son nom : elle longe les
côtes du golfe qui, depuis, s’appelle Golfe Ionien, puis passe en Asie Mineure par un
détroit que depuis, on appelle le Bosphore : passage de la vache.

ARMADA
Par: (pas credité)

1) Terme issu de l'espagnol. Désigne à l'origine une flotte armée. Le mot s'est répandu au
XVIème siècle lorsque le roi d'Espagne Philippe II organisa une expédition maritime
composée d'une flotte géante destinée à envahir l'Angleterre (1588). Elle fut dénommée
"l'invincible armada". Elle fut détruite par la tempête, et les derniers vaisseaux furent
anéantis par les Anglais.

2) A noter que: "armée" est, au XIVème siècle, en français, synonyme de "flotte de


guerre". Il est possible qu'il y ait influence du verbe "armer", au sens d'"équiper un navire
pour la navigation", qui a aussi comme dérivé "armateur" et "armement" (et
"désarmement") dans ce sens restreint (l'"armement d'un navire"). Ce sens de "armer"
existe déjà dans l'étymon latin "armare".
Employé d'abord au sens militaire, le mot s'est ensuite étendu à la navigation de
commerce.

3) Par extension "armada" désigne toute flotte nombreuse, mais aussi, plus largement, et

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plus récemment toute quantité élevée : une "armada de bagages", une "armada de
serviteurs", etc. Souvent avec l'idée d'un assemblage hétéroclite, un peu désordonné, où la
quantité n'est synonyme d'efficacité et de bonne organisation, sans doute par référence à
l'échec de l'"armada" historique.
D'où le fait que le mot soit souvent employé avec une nuance de moquerie, de dérision.

ARMES A FEU

Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Y.AMAR : Mon amie Suzy est ingénue. Elle arrive derrière moi, met
ses mains sur mes yeux et crie "Boum c'est moi !" Elle arrive
"comme un boulet de canon". C'est-à-dire qu'elle est très
impétueuse, Suzy !

E.LATTANZIO : Est-ce qu'elle tire sur vous "à boulets rouges" ?

Y.AMAR : Du tout ! Voilà une autre expression héritée du maniement


des armes à feu, mais qui a un sens particulier. A l'origine, on
tirait des boulets préalablement rougis au feu, pour incendier le
camp ennemi.

E.LATTANZIO : Aujourd'hui, on emploie la formule au figuré, pour


dire qu'on attaque une personne ou une idée de façon concertée,
répétée, déterminée. C'est l'idée d'acharnement qui domine, en
particulier dans le vocabulaire de la politique.

Y.AMAR : Rien à voir avec l'expression "faire long feu",


expression souvent commentée, plus ou moins bien.
Etymologiquement, c'est la mèche d'un canon qui faisait long feu,
lorsqu'elle brûlait trop lentement, qu'elle finissait par
s'éteindre, et qu'elle ne mettait pas le feu aux poudres.

E.LATTANZIO : Dans ce sens-là, au figuré, "faire long feu" veut


dire "ne pas donner de bons résultats". Mais bien sûr,
l'expression a aussi hérité d'autres images : le feu de paille,
rapide et très éclairant. On l'a donc employée à la négative : "ne
pas faire long feu" c'est-à-dire ne pas durer. Cet emploi, parfois
condamné, est probablement une autre image, plutôt qu'une première
expression mal comprise.

Y.AMAR : Terminons avec une dernière expression : à


brûle-pourpoint, expression charmante, un peu ancienne, un peu
littéraire ...

E.LATTANZIO : ... qui signifie "abruptement, sans qu'on s'y


attende, sans préméditation". Au départ il s'agissait d'un
agresseur qui tirait à bout portant sur sa victime, de telle sorte
que le coup de feu pouvait brûler son vêtement, son pourpoint.

Y.AMAR : Mais ce sens est oublié depuis longtemps. C'était Parler


au Quotidien, une émission proposée par le Centre National de
Documentation Pédagogique ...

68
E.LATTANZIO : ... Et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.

ARMISTICE
Par: Yvan Amar

Le 11 novembre est un jour férié en France, on le sait. Pourquoi ? Parce qu’il


commémore l’armistice qui mit fin aux hostilités de la guerre de 14-18. Mais souvent, on
a tendance à confondre les sens précis des mots « armistice », « cessez-le-feu » et «
capitulation ».

« Armistice »... le mot n’est pas si facile à prononcer. Construit sur le modèle de solstice,
son étymologie est un peu étrange : il est formé à partir de deux racines latines, arma, les
armes, et stare qui signifie, entre autres choses : se tenir, se tenir debout, et qu’il faut
comprendre ici plutôt dans le sens se tenir immobile, être à l’arrêt… C’est donc l’arrêt
des armes. Est-ce la paix ? Presque… pas encore. Cela veut dire qu’on ne se tue plus, ce
qui est déjà beaucoup, que l’on arrête les hostilités, et qu’on va ensuite négocier la paix,
signer les traités, etc. Est-ce un synonyme de trêve ? Non, car la trêve est souvent
comprise comme un moment sans guerre… au milieu d’une guerre. La trêve est
provisoire ; l’armistice est définitif.

Et le « cessez-le-feu » alors ? Le sens est proche ; mais les emplois sont différents :
armistice s’emploie essentiellement pour celui du 11 novembre. Cessez-le-feu est bien
plus fréquent dans le vocabulaire journalistique et militaire d’aujourd’hui. Mais, il a un
côté moins solennel, moins officiel aussi qu’armistice. Le mot est aussi très récent : il
n’apparaît pas avant 1945, et c’est la traduction littérale d’une expression anglaise : cease
fire. Au départ, il ne désigne pas un accord entre deux parties, mais un ordre donné par un
commandant à ses hommes. Donc une décision unilatérale… Sait-on jamais si la
réciproque va se déclencher, et au même moment, et en face… ? Mais de nos jours,
l’expression renvoie quand même à l’idée d’un accord…

Quant à « capitulation », il indique une relation encore différente entre les deux parties…
L’une reconnaît explicitement qu’elle a perdu la partie… Ça n’a d’ailleurs absolument
pas été toujours le cas. Au Moyen-âge, le mot capitulation était synonyme de convention,
pacte. Puis, il a signifié « convention qui règle les conventions auxquelles se rend une
place » On a encore l’idée d’une négociation, d’une reconnaissance de la défaite à
certaines conditions.
D’autre part, cette capitulation ne symbolise pas la fin d’une guerre, mais plutôt la fin
d’une étape dans la guerre… c’est une bataille perdue, l’organisation de ce qu’on
appellerait aujourd’hui une reddition… Alors que depuis la fin de la Seconde Guerre
mondiale, le mot capitulation est presque toujours assimilé à l’idée de capitulation sans
condition… sens qu’on donne à celle du 8 mai 1945, lorsque les Nazis ont reconnu la
victoire totale des alliés.

ASCENSION

69
Par: (pas credité)

L'Ascension ! Chic, on chôme, pour se souvenir qui Jésus-Christ, apparu après sa mort à
ses disciples et aux Apôtres, s'était élevé dans le ciel. De ce dernier miracle, il est peu fait
mention dans les Evangiles (sinon celui de Luc), mais les Actes des Apôtres l'attestent ;
c'est assez pour chômer, chômons donc ! Cet exploit a de toute façon le mérite de nous
familiariser avec le sens du mot ascension : élévation verticale, de la Terre vers le Ciel.

Le mot d'ascension a particulièrement servi à désigner le fait de s'élever avec un aérostat.


C'est un peu vieux, mais on peut profiter de l'Ascension pour se souvenir également de
cette première ascension, due aux frères Montgolfier, dans leur patrie d'Annonay, le 5
juin 1783. A peine moins verticale, une ascension constitue l'essentiel de l'activité des
alpinistes : si la pente est bien pentue, qui les souliers sont des croquenots cloutés, qu'on a
le piolet à la main et la corde autour de la ceinture, si de surcroît on a la chance de
s'appeler Frizon-Roche, le doute n'est plus permis : c'est une ascension, même si les gens
du métier, faux modestes à l'accent rocailleux, disent une course.

Soyons pour finir plus urbains : loin du miracle ou du jarret d'acier, prenons pour un fois
l'ascenseur. Mot et choses sont français, dus au cerveau inventif d'Edoux, qui en 1867,
met au point un appareil d'élévation pour personnes, avec autant d'à-propos comme
inventeur qui comme linguiste. Succès pour l'engin et le vocable, sans concurrence
menaçante, malgré l'anglais lift qui tenta sa chance et nous laissa liftier (garçon
d'ascenseur).

L'ascenseur est aujourd'hui si ancré dans notre monde qu'il a généré. La pittoresque
expression de renvoyer l'ascenseur : rendre service, une fois venu le succès, à ceux qui
vous ont aidé avant que le succès soit au rendez-vous ; et plus généralement rendre un
service pour une autre. L'expression devrait très positive, illustrant des valeurs de
solidarité et de fidélité ; pourtant elle est souvent péjorative, à propos de ceux qui utilisent
leur pouvoir pour favoriser leurs amis - à propos par exemple, dénominations qui ne sont
pas dictées par la compétence, mais des dettes de reconnaissance. Mais l'expression se
comprend d'autant mieux si on se rappelle les ascenseurs de jadis, qui ne servaient qu'à
monter, et qu'il fallait, une fois en haut faire redescendre à vide, pour que le prochain
utilisateur le trouve tout prêt.

ATELIER
Par: (pas credité)

Une exposition intitulée « Ateliers » s’ouvre au musée de la vie romantique à Paris. Et, en
effet, ce mot d’ « atelier » est à sa place dans un musée. Il évoque le lieu de travail d’un
artiste, notamment d’un peintre ou d’un sculpteur. Mais, ce n’est pas le premier sens du
mot : revenons donc en arrière.

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Le mot – et il est impossible de le deviner – dérive d’attelle, et d’estelle, mots qui
signifient copeau, petit morceau de bois, en ancien français. C’est d’ailleurs cette attelle
qui va donner l’attelle qu’on connaît encore aujourd’hui en médecine, cette languette de
bois qui permet de maintenir droit provisoirement un membre cassé, dans la position la
plus propre à sa guérison (pendant que l’os se ressoude par exemple).

Mais, au départ, astelle, ou attelle, ou estelle, etc. appartient davantage au lexique du


menuisier qu’à celui du rebouteux : c’est un éclat de bois, un simple copeau. L’ « atelier »
n’est donc au départ rien d’autre qu’un tas de bois, puis l’endroit où l’on peut en trouver :
le lieu de travail d’un charron, d’un tonnelier, d’un menuisier, puis de n’importe quel
artisan.

D’un côté, le mot va continuer à faire partie du vocabulaire de la production ; c’est un


lieu de fabrication, qui peut être grand et collectif : « ateliers » nationaux en 1848. Et
avec la Révolution industrielle, le mot ne va pas disparaître, puisqu’il désigne encore
aujourd’hui tout un secteur au sein d’une usine : l’ « atelier » peinture à Flins…

Petit retour en arrière : vers le XVIe siècle, le mot va s’employer à propos d’artisanat,
d’art, comme on dirait aujourd’hui. En tout cas, Rey le relève sous la plume de Bernard
Palissy, dont on sait qu’il brûlait ses meubles pour chauffer ses fours. Les attelles étaient
donc de luxe. Et dans le langage des artistes, et aussi de la critique d’art, l’ « atelier »
finira par renvoyer non seulement au lieu de travail du peintre, mais à un lieu collectif,
sous l’autorité d’un maître, et par extension, presque à une école. En particulier,
lorsqu’on parle de la peinture italienne (ou flamande) : Telle œuvre est de l’ « atelier » de
Michel-Ange, c’est-à-dire faite par l’un, ou plusieurs de ses élèves, avec éventuellement
des conseils, voire un coup de main du maître. C’est cette connotation collective
d’entraide et de convivialité qui permet de comprendre les emplois qu’on peut en faire
aujourd’hui, dans le milieu scolaire, en particulier : un « atelier » est un genre de séance
de travaux pratiques, en petits groupes. De même que dans un colloque, après les grand
messes des séances plénières, on peut se retrouver en « ateliers », pour plancher sur tel ou
tel sujet précis.

ATELIER
Par: (pas credité)

Conférence au théâtre de l’Atelier. Voilà qui remet à l’honneur ce théâtre et son nom -
atelier- aux significations multiples. D’abord, pourquoi ce nom pour un théâtre ? Il
évoque un travail collectif et modeste, de comédiens qui se considèrent un peu comme
des élèves, en tout cas comme des artistes qui travaillent, tentent, apprennent sans cesse.
Depuis longtemps, le mot a eu un sens particulier dans le domaine artistique : l’atelier
d’un peintre représente l’endroit où il travaille : grande pièce, très claire, mais toujours
exposée au Nord. Mais il représente également l’ensemble des élèves du peintre. Il fait
alors référence à une époque, la Renaissance, et à un travail collectif et anonyme de la

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part des élèves qui travaillent sous la direction du Maître.

Le mot est, par ailleurs, assez en usage. Souvenez-vous de ces vacances de rêve que nous
passâmes l’an dernier au Club Chèvre et Nature : on ne voyait pas les enfants de la
journée : le matin, Emilie allait à l’atelier de percussions incas, l’après-midi, avec
Quentin, c’était ravaudage de voiles et légendes locales. Quant à Josette et moi (plus
Anne-Ingrid qui nous collait), on s’était trouvé des penchants communs à l’atelier «
Retrouvons en nous l’art primitif ».

Atelier est donc un mot très actuel, et à la mode, qui implique : une activité en petits
groupes, qui ressemble un peu à des « travaux dirigés » (il y a la plupart du temps un
meneur de jeu, un animateur) ; ça s’emploie (dans ce sens) plutôt hors contexte scolaire.

Le sens de travail en petits groupes semble d’ailleurs l’emporter : on trouve le mot lié à
des activités (parfois) plus sérieuses, en tout cas plus intellectuelles, et moins liées aux
loisirs. Dans un congrès, ou un colloque, les ateliers rivalisent avec les commissions,
sous-commissions, tables rondes...

L’étymologie est inattendue : le mot vient d’attelle = petit morceau de bois, puis par
dérivation, tas de bois. Son premier sens a donc été celui de menuiserie, puis il a
représenté tout lieu de travail artisanal.

Le mot a, aujourd’hui, gardé ce sens local, lié à l’artisanat : lieu où un artisan fabrique,
répare, transforme. Ce peut être aussi une arrière-boutique, communiquant avec un lieu
de vente qui a pignon sur rue. Mais le mot est lié au travail manuel : atelier de couture, de
confection ; atelier de garage (chef de garage, etc.).

Sans quitter la production et le monde ouvrier, on utilise ce mot dans les usines. Mais il
s’agit là des secteurs, des étapes de la production, et ça évoque alors des salles immenses
où l’on effectue tel ou tel type de travail. Chez Renault, atelier de peinture, atelier tôlerie,
etc.

ATMOSPHERE, AMBIANCE, CLIMAT


Par: (pas credité)

"Atmosphère", mensuel sur l'art de vivre, sera distribué chaque


mois avec le quotidien La Tribune. Ce mot d'atmosphère a des
évocations nombreuses, et le titre de ce nouveau périodique joue
bien sûr sur cette polysémie. Le sens principal auquel il renvoie
dans cet emploi est en gros celui d'impression générale que dégage
un lieu ou une réunion de gens. Mais, cette impression peut
concerner une entité plus ou moins importante : une soirée, une
ville, ou même une époque ou tout un milieu : "l'atmosphère
dissolue du Versailles de la Régence, ou celle de l'ébullition
intellectuelle qui caractérisait la Vienne du tournant du siècle".

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Au premier sens, il s'agit de l'enveloppe gazeuse qui entoure le
globe terrestre. C'est de la vapeur humide. L'atmosphère est donc
associée à ce qu'on respire - ce qui explique l'évolution
sémantique : impression diffuse qui émane d'une situation : c'est
l'inexplicable; c'est l'air qu'on y respire.

Pour saisir le sel de ce titre, il faut se souvenir d'"Hôtel du


Nord", film de Carné, où Louis Jouvet, las d'Arletty sa maîtresse,
lui annonce qu'il veut quitter Paris : "J'ai besoin de changer
d'atmosphère". La grisette au parler faubourien se méprend (ou
comprend trop bien), et le prend pour elle. D'où la réplique
célèbre.

Climat a bien des points communs avec atmosphère, bien que le mot
au figuré soit moins employé.

Ambiance est aussi un synonyme d'atmosphère - même l'étymologie en


est parallèle : le mot vient d'"ambire = aller autour. Pourtant
son sens également plus restreint : on parlera difficilement de
l'ambiance d'une époque ou d'une ville. (Ou alors en utilisant le
mot de façon moins libre : on dit plutôt l'ambiance qui règne dans
cette ville). Comme atmosphère, le mot peut avoir un sens positif
ou négatif : on parle d'une ambiance à couper au couteau. Et on
entend même le mot, de façon familière et ironique, prononcé à la
manière d'une exclamation : "Jojo est arrivé alors que personne ne
l'attendait. Il a déclaré que puisqu'on attendait Zaza, il
l'attendrait avec nous. Et que d'ailleurs, il resterait pour le
dîner. Ambiance !"

Mais on dira aussi bien : "Il y avait de l'ambiance à la fête de


Jojo !" En Afrique, une ambiance est une fête, et le verbe
"ambiancer" signifie mettre de l'animation. "Pour ambiancer un
dîner, il n'y a personne comme Fatou".

ATOME
Par: (pas credité)

Les travaux de restauration de l'Atomium vont commencer… L'Atomium ? C'est


le nom d'une construction édifiée pour l'Exposition universelle de
Bruxelles en 1958. Une époque où ce mot d'atome était fort à la mode. Il
l'est moins aujourd'hui, mais il persiste dans le langage courant, en
particulier, au travers d'expressions figurées.

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"Avoir des atomes crochus" : façon familière et pittoresque d'évoquer des
sympathies avec d'autres personnes, et souvent liées à des ressemblances,
à une certaine identité. C'est un peu la version prosaïque des fameuses
"affinités électives". (L'expression est la tradition française de l'œuvre
célèbre de Goethe : "affinités profondes entre deux personnes qui font
qu'elles se choisissent mutuellement". Notons que cette expression, Goethe
l'avait tirée du Dictionnaire de Physique de Gehler et qu'à l'origine, elle
renvoie à un phénomène chimique d'échange moléculaire).

Les physiciens de notre temps ont une définition un peu plus précise de
l'atome. Au sens moderne, l'atome, c'est une partie insécable (qu'on ne
peut pas couper) de la molécule.

A part dans l'expression "atomes crochus", le mot atome a des


connotations un peu sinistres car la chose qu'il désigne ou ce qu'on peut
faire avec, fait peur, la "bombe atomique" par exemple. L'adjectif
atomique, dans l'esprit des non-spécialistes de la physique, est en effet
le plus souvent associé au mot bombe : l'un appelle l'autre. La bombe
atomique, c'est une bombe chargée d'un explosif nucléaire (uranium,
plutonium), où l'énergie explosive est tirée de la fission des noyaux de
l'atome.

On parle aussi d'énergie atomique (là encore libérée par la fission de


l'atome), mais on a tendance à lui préférer l'adjectif nucléaire, qui veut
dire à peu près (pour le vulgaire ) la même chose et qui a peut-être des
connotations moins terribles. Nucléaires - du latin nucleus "noyau". En
physique, c'est du noyau de l'atome qu'il est question. Est nucléaire tout
ce qui est relatif au noyau de l'atome :
*énergie nucléaire
*particules nucléaires (protons, neutrons)
*physique nucléaire : partie de la physique atomique qui étudie le noyau
*centrale nucléaire : qui produit de l'énergie, en l'occurrence de
l'électricité à partir de manipulations sur le noyau de l'atome.

Notons que l'on parle couramment "du nucléaire" ("le nucléaire, non
merci" : slogan écologiste de ces dernières années), mais jamais de
l'atomique.

Notons enfin d'autres dérivés du mot atome qu'on emploie de plus en plus
fréquemment dans le langage courant :
*atomiser : au sens propre, "réduire un corps en particules extrêmement
fines". Dans un sens plus large, on dira par exemple qu'une "ville
nouvelle est atomisée" : qu'elle se dissémine, qu'elle semble éclatée en
éléments hétérogènes.
*atomiseur : au sens de pulvérisateur (cf. parfum, flacon ou atomiseur).

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ATTENTAT
Par: Yvan Amar et Anne-Cécile Bras

Dieu sait qu’on l’entend ce nom ! Hélas, il est lié à une actualité presque quotidienne…
Et on sait bien ce qu’il veut dire. C’est une agression criminelle dirigée contre une ou
plusieurs personnes, ou contre un lieu. Mais, la particularité du mot tient à ce qu’il n’est
pas employé dans le cas de violences privées. Si un homme veut tuer sa belle-mère qu’il
ne supporte pas, ou sa femme pour croquer l’héritage, ou le mari de sa belle pour couler
des jours heureux, on parlera de crimes, mais pas d’attentats.

Les attentats sont des violences publiques. Parfois ciblées : attentat contre un chef
d’Etat… Les meurtres de Kennedy, de Sadate, d’Henri IV, si on veut prendre des
exemples historiques, plus ou moins lointains, sont des attentats. Parfois, la violence est
aveugle, et l’attentat frappe au hasard : c’est le propre des attentats terroristes.

Et on précise souvent le moyen par lequel l’attentat est perpétré : attentat à la bombe, au
plastique, à la voiture piégée…

Lorsqu’on parle d’attentats suicide, on comprend aussi facilement de quoi il est question :
le terroriste perd délibérément la vie dans l’attentat, se tue en tuant les autres. On
l’appelle parfois « kamikaze », et ce mot désigne davantage le tueur que l’acte lui-même.
C’est un mot japonais qu’on a d’abord utilisé, en dehors de la langue japonaise, durant la
Seconde Guerre mondiale : les « avions kamikazes » étaient ces petits avions bourrés
d’explosifs, qui venaient s’écraser sur les porte-avions américains pour les couler.
Le mot japonais signifie « les vents supérieurs » ou « les vents du Seigneur » et font
référence à un épisode ancien de l’histoire japonaise : à la fin du XIIIème siècle, deux
typhons ont successivement détruit les flottes mongoles qui venaient envahir le Japon. Et
ils ont été nommés comme s’ils étaient des éléments envoyés par la Providence pour
sauver la nation japonaise. On se rend compte du glissement sémantique qui a fait utiliser
ce mot pour désigner les « avions-suicide »… Mais il s’agissait aussi de motiver les
pilotes… en les comparant à des instruments providentiels.

Si l’on revient aux mots du terrorisme contemporain, on parle aussi souvent de bombe
humaine, et parfois de human bomb, en anglais, en référence à la menace qui avait pesé
sur une école maternelle de la banlieue parisienne. Le terroriste, lui-même, s’était appelé
HB, Human bomb.

Terminons avec des exemples moins dramatiques : on parle aussi d’attentat à la pudeur,
aux bonnes mœurs. Notons que la construction grammaticale est la même que pour «
attentat à la bombe », mais que la formule précise le domaine de l’outrage, et non pas
l’arme du crime. D’ailleurs, quand il s’agit d’attentat à la pudeur, l’arme du crime est
souvent pudiquement passée sous silence.

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ATTITUDE
Par: (pas credité)

Attitude 18ème : c'est le nom d'un Festival culturel qui se déroule


actuellement dans le 18ème arrondissement de Paris. Drôle de nom ?
Peut-être, mais qui rend bien compte d'une effet de mode autour de ce mot
d'attitude. On pourrait à la limite traduire cet intitulé par "Fier d'être
du 18ème" (cf le slogan "fier d'être Marseillais"), et on se souviendra
avec profit que le 18ème est un arrondissement populaire de la capitale aux
quartiers parfois défavorisés. On y reviendra.

Le mot attitude n'a au départ rien à voir avec tout ça. Emprunté à
l'italien, il entre en français par l'intermédiaire du vocabulaire de la
peinture, vers le XVIIème siècle. L'attitude est la pose d'un personnage dans
un tableau, d'autant plus significative qu'elle est codée, notamment chez
Poussin, l'un des premiers à employer le mot. Une façon de se tenir, une
prosternation, une supplication sont alors des attitudes. Et encore
aujourd'hui, dans le lexique du dessin et de la danse, on appelle attitude
la position du corps. Le mot déborde dans le langage pictural et peut
désigner la façon de se tenir d'un être vivant. Bien entendu, très vite, le
terme se pare d'un manteau psychologique : une attitude désinvolte
tient-elle plutôt à un déhanchement, à un regard, à une intention ? Une
attitude désinvolte, c'est aussi ne pas répondre à un courrier ou afficher
son insouciance. L'attitude est donc un comportement et plus encore une
façon de réagir et une disposition mentale par rapport à quelqu'un : une
attitude indolente, insolente ; untel a changé d'attitude à mon égard… Avec
l'idée qu'il s'agit le plus souvent d'une façon d'être délibérément adoptée :
quelle attitude adopter ? fermer les yeux, réprimer, laisser faire, etc.
On parle ainsi de l'attitude des groupes sociaux, de gouvernements, d'états :
l'attitude d'un pouvoir par rapport à l'intégrisme, des Etats-Unis par
rapport à Israël, etc.

Pourtant tout cela n'éclaire guère notre lanterne quant au Festival


Attitude 18ème. Il s'agit là d'un américanisme. Le mot attitude qui existe
en anglais, avec d'ailleurs souvent le sens de pose, un peu théâtrale et
affectée, a trouvé une acception nouvelle. Il est en particulier lié à des
groupes sociaux ou ethniques qui ont un passé d'oppression, et renvoie
d'une certaine manière à une façon de contre attaquer. Las d'adopter un
profil bas, on revendique son identité. Et si l'on remarque qu'attitude
rime avec négritude, on aura en gros compris le processus : dans une
arrogance joyeuse, on se réapproprie les mots de l'oppresseur. Cette
acception anglo-saxonne a filtré vers la France par le biais de la musique
(rapattitude), aussitôt adoptée par une jeunesse mal aimée, et récupérée
par une municipalité aux aguets : Attitude 18ème est né.

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ATYPIQUE
Par: Yvan Amar

Mot bizarre, qui longtemps a été rare et plutôt scientifique, atypique est devenu en
quelques années l’un des mots les plus à la mode, dans un certain vocabulaire qui veut
faire chic. Les Nuits atypiques de Langon, près de Bordeaux, dans le Sud-Ouest de la
France, l’un des festivals de « musiques du monde » les plus originaux, en témoigne avec
éclat..

Le sens du mot est simple ! atypique signifie original, qui s’écarte de la norme, de la
moyenne. En clair, est atypique, ce qui n’est pas représentatif d’un ensemble, et difficile à
cataloguer. La décomposition du mot est d’ailleurs éclairante : a typique… ce qui n’est
pas typique. Il ne reste plus qu’à expliquer le mot typique et le tour est joué.

Typique est l’adjectif qui correspond à type. Et le mot type a des sens divers, mais il en
est un qu’on peut retenir : tupos en grec désigne le relief qu’on applique à une pièce de
monnaie, à l’aide d’un moule ou d’un système de frappe. Et ce relief est donc toujours le
même pour toutes les pièces frappées du même sceau. Le mot type a donc évolué vers le
sens de « genre » « catégorie ». Ce qui est typique est donc ce qui représente le modèle
d’une série d’identiques… Mais attention, le sens général du mot typique est plus souple
que cela… Si tous les objets en question sont réellement identiques, aucun n’est plus
représentatif que l’autre… En revanche, pour des éléments qui ne sont pas absolument
semblables, mais qui sont des caractéristiques communes, on peut dégager celui qui sera
tout à fait typique, c’est à dire qui représente une sorte de moyenne. Ainsi peut-on parler
de la fermette normande typique, du fonctionnaire typique etc…

On pourrait donc penser que ce mot correspond toujours à ce qui ne se fait pas remarquer,
ce qui ne présente aucune originalité, ce qui est couleur muraille… Et pourtant,
l’évolution du mot suit un cheminement bien différent. On évoque souvent ce qui est
typique de ce qu’on connaît mal, de ce qui est lointain, exotique. . Typique est alors
proche de pittoresque : c’est la couleur locale : le costume typique des bretonnes, c’est la
coiffe., la grande robe noire et les sabots… Le mot typique est parfois presque synonyme
de folklorique. Au point que ce qu’on appelle la musique typique, c’est la musique
d’Amérique Centrale ou d’Amérique du Sud…Attention, il y a un autre adjectif avec
lequel il ne faut pas confondre typique : le fonctionnaire typique, n’est pas le
fonctionnaire typé.

Et cet autre mot a suivi une évolution de sens particulière… Par rapport à ceux qui
habitent en France, par exemple, on parlera d’un méridional typé pour parler de
quelqu’un au teint basané, à la chevelure très noire. Ou bien (même si c’est plus rare…)
de quelqu’un dont l’origine nordique est très typée : cheveux très blonds, yeux très
clairs… Celui qui est typé correspond donc fortement à un genre d’image toute faite de
son origine géographique, mais en s’éloignant d’autant plus d’un modèle central : le
nordique très typé est bien différent du « Français moyen ».

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ATYPIQUE/TYPIQUE
Par: (pas credité)

Les Nuits atypiques de Langon (Gironde) est un festival musical et culturel qui a pris un
nom original et pourtant assez à la mode. Que sont ces nuits atypiques ? Des nuits ou des
soirées qui vont mêler des genres de musiques fort différentes, sans soucis d'unité de
style, de genre ou de géographie. Seule la fantaisie du programmateur est responsable de
ces assemblages.

En ces temps où les festivals se multiplient, il était normal que l'un d'entre eux veuille se
singulariser par son côté unique, original. Et c'est là le sens de cet adjectif : "atypique",
mot assez rare, mais bien en cour et qu'on entend de plus en plus. Ce qui est atypique,
c'est ce qui ne se compare à rien, ne ressemble à rien. Ça a un côté un peu inexplicable et,
en tout cas, ça sort de la norme. C'est, en fait, l'opposé du mot représentatif : l'atypique ne
représente que lui-même et ce n'est en rien le modèle d'un genre. C'est l'exception, le cas
isolé et bizarre, unique, de son espèce.

Ce mot s'utilise volontiers en sociologie où l'on essaie, justement, de repérer des


tendances, des évolutions, des comportements qui concernent des groupes de personnes,
des strates de populations. L'atypique échappe à la loi générale. Linguistiquement, c'est
bien sûr le négatif de l'adjectif typique. Et les deux opposés ont parfois un sens médical :
une maladie atypique est celle qu'on n'identifie pas, qui ne ressemble à rien de connu.
Alors que la maladie typique est, au contraire, celle qui suit toutes les étapes annoncées
par la science médicale.

"Typique" a un usage courant qui est un peu différent : il renvoie à un bon exemple du
comportement de quelqu'un : il te recommande 100 fois d'être ponctuel, et lui arrive avec
1/2 heure de retard. Ca, c'est typique de Ferdinand ! Ou : "c'est typiquement Ferdinand !".
Ca veut dire "c'est tout lui", c'est un comportement qui donne bien une image de lui. La
signification profonde de l'adjectif est : ça peut paraître bizarre mais c'est habituel chez
lui. Un couple essaie vainement d'avoir un enfant pendant 10 ans. En désespoir de cause,
les époux décident d'en adopter un. Trois mois plus tard, Suzanne est enceinte : c'est
typique, c'est à dire : c'est étrange mais, en fait, c'est classique, ça se passe souvent
comme ça.

Attention, le mot "typique" a aussi d'autres emplois, notamment lorsqu'il s'applique à des
phénomènes culturels, dans un vocabulaire touristique : un petit village, une église, une
coutume, une danse folklorique. Il s'agit de ce qui est étrange aux yeux de l'observateur
mais qui correspond bien à la culture qu'il découvre. Y a-t-il une influence du mot
pittoresque (familièrement abrégé en pitto dans les années 70) ? C'est possible, d'autant
que les deux mots se ressemblent un peu : inversion de consonne entre "typique" et
"pitto".

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AU PIED DE LA LETTRE
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Au pied de la lettre… c’est le nom d’un festival de la correspondance qui vient de


s’achever à Périgueux dans le Sud-Ouest de la France… Ce n’est pas le seul puisqu’on
sait qu’à Grignan, dans le Sud-Est, s’en déroulera un autre, début juillet. Mais avec celui-
ci, on a un concours de la plus belle lettre, des expositions, du cinéma (Lettre d’amour de
Somalie, Jour de fête avec le célèbre facteur de Tati qui fait sa tournée à l’américaine…)

Pourquoi au pied de la lettre ? Parce que c’est une expression toute faite, figée, qui
signifie, littéralement, sans tenir compte du sens figuré. Si, par exemple, vous étrennez un
bureau tout neuf, et que vous vous frottiez contre des murs fraîchement repeints, qui
laissent quelques traces sur votre veste… vous pourrez dire… j’ai essuyé les plâtres, et je
prends l’expression au pied de la lettre… puisque essuyer les plâtres signifie supporter les
petits désagréments d’une situation toute neuve, et donc qui n’est pas encore vraiment
rôdée… En effet, à la fin d’un chantier, les plâtres doivent bien sécher, pour que les
surfaces soient réellement fixées.

Cette expression « au pied de la lettre », est ancienne en français… on la trouve dès le


XIVème siècle, et il s’agit au départ d’une allusion biblique : Saint Paul, dit dans la
seconde lettre aux Corinthiens que Dieu nous a rendus capables d’être ministres d’une
nouvelle alliance, non de la lettre, mais de l’esprit : car la lettre tue, mais l’esprit vivifie.
La lettre s’oppose donc à l’esprit, l’image utilisée, à l’intention qu’on veut qu’elle
exprime…

Alors s’agit-il d’une image de calligraphie, ou d’imprimerie ? Non : le pied de la lettre


n’est pas à comprendre comme si c’était le bas, la base de la lettre, (bien que l’expression
le pied de la lettre existe dans ce sens). Mais c’est que le pied a longtemps été une unité
de mesure… Et ici, le mot pied est à comprendre comme désignant la mesure,
précisément : au pied de la lettre, c’est à la mesure, à l’aune de la lettre.

Mais parfois, « au pied de la lettre » signifie plutôt scrupuleusement, rigoureusement,


avec la plus grande attention : il a suivi mes instructions au pied de la lettre, indique qu’il
n’a rien oublié, qu’il a été extrêmement soucieux des détails… Et, dans le même sens, on
dit aussi « à la lettre ».

Mais avec le mot lettre, on a de nombreuses expressions comme, par exemple, avant la
lettre…. C’est-à-dire par anticipation, avant que telle ou telle chose soit réellement
ancrée… Le Greco… peintre cubiste avant la lettre… c’est-à-dire avec une logique qui, à
cette époque ne se nommait pas, ne correspondait pas à une école clairement théorisée…

AUDIT

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Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 29 NOVEMBRE 2001

On a prévu un audit sur la présomption d’innocence. Un audit ? C’est-à-dire ? Une étude


d’évaluation. Pour voir si ça marche ou pas ; pour voir si cette disposition juridique
correspond à l’esprit du législateur, remplit son office, ou si au contraire elle développe
des effets pervers, des retombées imprévues au départ..

Un audit est donc un examen, un genre d’inspection, suivi d’un diagnostic sur les causes
de ce qui ne marche pas bien, et de conseils sur la façon de remédier au mal, quand mal il
y a. Mais la plupart du temps, quand on commande un audit, c’est que l’on subodore que
tout ne se passe pas parfaitement. C’est déjà presque mauvais signe. Et lorsqu’on parle
d’audit, bien souvent, même si on veut guérir une situation, il y a comme une intention de
sanctionner. On a comme l’impression que tout ça n’est pas clair, qu’on va découvrir du
pas joli joli, qu’on va mettre au clair ce qui veut se cacher…

Le mot est assez étonnant, et d’ailleurs il surprend. D’abord par sa prononciation, « audite
», avec un « t » final qui se fait entendre. Ce n’est pas dans la tradition de la langue
française. Alors comment l’expliquer ? C’est que le mot est un anglicisme. Et en anglais,
on prononce les consonnes finales : il n’y en a pas de muettes. Mais les choses sont plus
compliquées car audit n’est pas un simple anglicisme, ou tout au moins pas un anglicisme
simple. Il vient du latin et on ne sait pas exactement quand on l’entend si cette
prononciation doit plus à l’anglais (et le mot ne sonne nullement anglais) ou au latin.
Le mot est entendu en français depuis une trentaine d’années, mais il s’est beaucoup
répandu récemment.

Son domaine d’emploi est d’ailleurs en extension. Il est, au départ, presque uniquement
financier (c’est d’ailleurs encore son sens majoritaire). Un audit est un examen des
comptes, une vérification comptable, destiné à voir si un établissement est bien géré, s’il
n’y a ni malversation, ni gâchis, ni mauvaise gestion. Mais maintenant, on audite à peu
près tout. Oui, on audite. Car le verbe auditer existe, dans le sens de « faire un audit ».
Ces mots viennent, on l’a dit, du latin, et plus précisément du verbe audire = entendre,
écouter, puis comprendre.

On comprend donc bien le glissement de sens : on est à l’écoute de quelque chose pour
savoir comment il va, comment il fonctionne. Et la métaphore est bien proche d’une
image médicale. On ausculte. Le rapport du médecin au malade est au départ très
sensoriel : il regarde, palpe, écoute. Il écoute un souffle, un cœur, un pouls… C’est ça
ausculter. Et l’audit n’est pas loin.
Rappelons pour finir que la famille audio a donné quelques autres rejetons dans le
domaine juridique : auditeur de justice. Ou dans le domaine de l’évaluation : on parle
d’audimat pour connaître (même approximativement) le nombre des auditeurs d’une
chaîne de radio ou des spectateurs d’une chaîne de télévision.

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AUDIT
Par: (pas credité)

De quoi parle-t-on aujourd'hui ? De l'audit du financier du gouvernement, c'est-à-dire


d'une espèce d'expertise sur l'état des finances françaises, ou du moins de l'Etat français.

Audit ? Un mot bizarre, un mot d'ailleurs anglo-latin. Anglo-latin ? Oui, puisque c'est un
emprunt à la langue anglaise qui date de la première moitié du 20ème siècle, mais qui
s'est surtout répandu à partir de 1970. Mais c'est également un mot qui dérive du latin, et
qui d'ailleurs a gardé une manière d'étrangeté orthographique et sonore : il se termine par
un "t" prononcé, comme si la consonne finale était suivie d'un "e" muet. Notons en
passant que ça correspond à une tendance du langage technocratique actuel. Cf coût.
Audit dérive donc directement du latin audio - un verbe qui signifie écouter, mais qui
n'est pas sans lien avec quelques significations voisines : ausculter, estimer, évaluer. Il
débouche ainsi facilement sur l'image de l'augure, ou du médecin qui écoute, déduit,
comprend et interprète. Ca tient du Savant et du magicien ; ça tient de la science et du
prodige.

Le mot, dans la langue contemporaine, s'est donc spécialisé dans le sens d'expertise dans
le domaine de la gestion comptable et de la santé financière. Un audit est une sorte de
bilan en ce qui concerne une société ou une activité. S'il s'agit de l'affaire France, la chose
est d'importance. Audit désigne à la fois l'expertise et l'expert ("Le gouvernement a
nommé un audit ..."). Et il faut se souvenir que le nom, plus complet, d'auditeur a désigné
et désigne encore un haut fonctionnaire: auditeur du Châtelet - dès le 13ème siècle,
auditeur à la Cour ou du Conseil d'Etat, de nos jours.

Le français moderne s'est volontiers accommodé de termes qui dérivent de cette même
origine, ainsi audimat. L'audimat est au départ la marque déposée d'une technique pour
évaluer l'audience de programmes de télévision. On procédait à l'aide d'un appareil
nommé audimètre. L'audimètre s'étant perfectionné, on l'a fait fonctionner
automatiquement. Et c'est ce croisement d'audimètre et d'automatique qui a donné
audimat. Audimat est aujourd'hui un mot courant qui s'utilise comme un nom commun.

Mais la mode d'un tel nom explique le renouveau de certains autres, dans certains de leurs
sens : audience par exemple, fleur du même arbre, et qui désigne bien souvent le public
touché par une émission et par conséquent le taux d'écoute. Et du sens de taux d'écoute,
on passe à celui d'impact, d'écho, de répercussion.

AUSTRALIE
Par: (pas credité)

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Référendum en Australie sur le type de régime politique souhaité par les Australiens.
Australie, Australiens, c'est bien beau, mais d'où ça vient tout ça ? Du latin, évidemment.
Et ça ne date pas d'hier, puisque le nom était inventé bien avant que la contrée ne fût
découverte.

Dès l'Antiquité, on soupçonne l'existence d'une "terra incognita australia", c'est-à-dire


d'une terre inconnue au sud - c'est le sens d'"australis". Mais il faut attendre le XVIIème
siècle pour que des navigateurs hollandais abordent sur l'île, qu'ils appellent en 1626
Nova Hollandia. Puis, ce sont des Anglais qui découvrent une autre partie de l'île ; ce
seront les New South Wales (comme toujours, on ramène l'inconnu au connu). Enfin, en
1814, Matthew Flinders prouve que les deux territoires appartiennent à la même terre,
qu'il propose, dans "A voyage to Terra Australis" d'appeler Australia, "mot agréable à
l'oreille, et qui s'harmonise avec les noms des autres parties du monde". L'Australie,
enfin, était née, après une gestation de plus de 20 siècles.
Pourquoi "Australis" ? L'adjectif latin dérive d'"Auster", le nom d'un vent qui souffle du
sud.

L'Australie n'a donc aucun rapport linguistique avec l'Autriche, qui symbolise au
contraire le pays de l'est - Oster Reich. Mais, l'expression latine "orientalis regnum" ayant
été abrégée en "Austria", un croisement illogique semble avoir quand même eu lieu.
Et ce radical se retrouve dans d'autres mots géographiques : l'"Austronésie" - mais ce mot
est sorti d'usage, supplanté par "Océanie".
Plus actuel, l'Afrique australe (le sud du continent africain) - où l'on trouva d'ailleurs des
restes d'"australopithèques" ; l'hémisphère austral, l'hémisphère sud, qui s'oppose à
l'hémisphère boréal -cette désignation n'est pas courante, mais intéressante en ce que
Borée est un vent du nord, symétrique d'"Auster".

A côté d'Australie, est-ce qu'on trouve d'autres termes qui évoquent ce point cardinal et
qui finissent par désigner une région. Oui.
Le Midi. Le mot déjà ne désigne cette direction que par image : le "midi" étant le milieu
du jour, et le soleil étant à cette heure orienté au sud. En France, toute la partie sud du
pays peut être désignée par ce mot, avec des expressions toutes faites (l'accent du midi),
et des plaisanteries (Limoges ? midi moins le quart…)
Quant au Sud, il peut désigner des régions différentes, qu'on identifie selon le contexte,
en particulier le Sud des Etats-Unis (et les Sudistes : référence à la guerre de Sécession).
Mais, on parle plus souvent aujourd'hui du dialogue Nord/Sud, de la coopération
Nord/Sud. Les deux mots opposent davantage les pays nantis au Tiers-Monde.

AUTHENTIQUE

Par: (pas credité)

Elf Authentique Aventure. C'est le nom d'une course internationale qui se déroule dans le
nord-est du Brésil. 800 km à parcourir par des moyens très divers : cheval, VTT,
escalade, kayak, bateau à voile… rien apparemment qui utilise le pétrole. L'image qu'Elf
veut donner d'elle-même ne serait-elle pas légèrement entachée d'hypocrisie ? En tout

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cas, Elf se veut propre, et authentique. On se souvient que ce même adjectif est employé
dans des publicités qui mettent en avant de beaux hommes tannés, broussards durs à
cuire, décalqués de l'Harrison Ford aventurier, célèbre il y a quelques années.

Cet adjectif "authentique", parfois orthographié à l'américaine, "authentic", est donc à la


mode, et porteur d'une image spécifique : brut, pas trafiqué, pas frelaté, pas édulcoré. Un
homme, un film très "authentique"… c'est-à-dire sincère, pas mondain, et même un peu
sans concession.

Dans le genre jargon américanoïde apprécié des jeunes, à signaler l'amusant roots,
littéralement racines, qui s'emploie comme synonyme de rude, rugueux, mal dégrossi, qui
n'a pas le poli de la sophistication : une musique, un hébergement de fortune, un vieil
oncle un peu "roots". Ça correspond un peu à "nature" -parfois modulé en "nature aux
pommes".

Revenons à notre "authentique", un vieux mot dont le premier sens est original,
notamment en matière juridique : un document "authentique", c'est-à-dire qui n'est pas un
faux, et dont l'autorité est reconnue.

L' "authentique" n'est donc ni une imitation ni une copie. Une "authentique "montre 1930.
Un "authentique" Stradivarius.

Et le mot signale que l'objet auquel il s'applique non seulement n'est pas une copie mais
n'est pas un faux qu'on essaie de faire frauduleusement passer pour le vrai : un
"authentique" Van Gogh. De là le sens du mot "authentifier" : certifier "authentique".

"Authentique" n'a pas les mêmes emplois que véridique, qui plus qu'à un objet ou une
personne s'applique à une histoire, à un récit : une anecdote véridique (ou "authentique"),
mais pas un Van Gogh véridique.

Quant à véritable, mot plus courant et plus neutre, il atteste lui aussi la vérité de quelque
chose. Il peut s'appliquer au Van Gogh. Parfois à une histoire, mais dans une expression
toute faite : la véritable histoire de Godefroy de Bouillon. Et de toute façon, dans cet
emploi, il sera plutôt placé après le nom, pour que son sens ait plus de force : c'est un
rubis véritable.

AUTOCARISTE

Par: (pas credité)

Les taxations pétrolières font des mécontents : ambulanciers, transporteurs routiers,


"autocaristes"… "Autocariste" ? Eh oui, eh oui… Le mot n’est pas très fréquent, mais
assez transparent : il dérive du nom du véhicule : un ambulancier conduit une ambulance,
et un "autocariste", un autocar. A moins qu’il n’exploite une compagnie d’autocars, et
qu’il ne règne derrière son bureau, plus que derrière son volant.

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Et pourtant, "autocariste" n’est pas très fréquent, et le mot a un côté un peu rétro. De
même simplement qu’autocar, dont il dérive. Mais, l’autocar subsiste pourtant. Le mot
désigne un mode de transport collectif, grand véhicule qui transporte des passagers d’une
ville à l’autre. Et souvent, il est abrégé en car, simplement. Mais, il a tenu bon, face à bus,
qui reste le spécialiste du transport à l’intérieur d’une ville, alors qu’en anglo-américain
par exemple, le bus a pris toute la place, ou que s’en faut : coach est quasiment sorti
d’usage, face à bus, en tout cas en Amérique. Et pourtant, l’autocar venait du monde
anglo-saxon. Autocar est né en anglais, et le mot désigne d’abord une voiture, rapidement
abrégée en car, ce qui reste le mot usuel en anglais d’aujourd’hui. Mais il est passé en
France avec la signification qu’on lui connaît, et qu’il a gardée.

AUTORITÉ
Par: Yvan Amar

Après la réalité du retrait israélien, on accentue le fait que la bande de Gaza est
maintenant passée sous le contrôle de l’autorité palestinienne… On sent bien que cette
expression est vague, et que le vague de sa signification est révélateur d’une certaine
situation politique… D’ailleurs, le flou ne rôde pas uniquement autour de ce mot
d’autorité… La bande de Gaza n’est pas plus précise… Et si l’on parle de territoires… on
voit bien que la langue, la langue des médias notamment, mais pas uniquement,
s’embourbe un peu dans l’imprécis… sachant que tout ça n’a pas de position, de statut
officiel, et reconnu de la même façon par tous… Alors, on nage dans le provisoire…
même si ça dure des années…

Le territoire donc n’est pas un état… Et l’autorité… n’est pas un gouvernement… Qu’est-
ce qu’on lui reconnaît alors ? Le fait d’exister… Non pas une reconnaissance officielle…
mais juste celui de se rendre à l’évidence… Il y a un pouvoir palestinien, même s’il est
parfois menacé ou ébranlé, ou contesté... Et pour faire avancer une situation provisoire, il
faut pouvoir se parler… donc avoir des interlocuteurs… L’autorité est un interlocuteur
international…

Pourquoi ce mot ? Il est particulièrement ambigu. D’abord, on l’a déjà noté, il est
officieux.. Contrairement au mot pouvoir qui représente une puissance indubitable, même
s’il n’est pas toujours légitime. Le mot d’autorité ne porte aucune idée de pérennité… Il
donne l’impression d’être employé pour une organisation vague qui remplace un pouvoir
inexistant, un pouvoir vacant. Comme si l’autorité, c’était du temporaire, du « en
attendant »… du provisoire, parce qu’il faut bien expédier malgré tout quelques affaires
courantes… Cette autorité est-elle là pour parer au plus pressé ? En tout cas, ça fait
longtemps que ça dure… et c’est avec elle qu’on traite, quand on a à traiter…

Mais, pourquoi parler d’ambiguïté à propos de ce mot ? Parce que, en même temps
qu’elle est transparente, presque inexistante d’un point de vue protocolaire, elle n’a rien
du n’importe comment… Le mot autorité évoque quelque chose d’assez administratif…

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Non pas une gestion des affaires publiques à la sauvette, sans trace et sans protocole…
Mais, au contraire, de la paperasse, de la signature, du tampon, des traces… Puisque, par
exemple, c’est un mot qui s’est utilisé en France pour désigner certains organismes
officiels : Haute autorité de l’audiovisuel, etc.

Et le mot, lui-même, en impose… L’auctoritas en latin, évoque un ascendant naturel, que


nul pouvoir justement n’a besoin d’adouber. Et le mot en français, quand il est utilisé
dans un contexte psychologique et non politique, renvoie à une certaine disposition qui
donne à quelqu’un une possibilité de s’imposer à quelqu’un d’autre… Un professeur, un
parent, un chef a de l’autorité, dit-on.. Et c’est parfois vrai… même si ce n’est pas une
règle absolue.

AUX ARMES
Par: (pas credité)

L'association guadeloupéenne "Aux arts citoyens !" organise un festival de cinéma ("Noir
tout couleurs").

"Aux arts citoyens !", c'est bien sûr une citation et un clin d'œil : on entend en filigrane
"Aux armes citoyens !", fragment célèbre de la sanglante antienne qui fait notre hymne
national. C'est donc une référence à "La Marseillaise". Et cette exclamation martiale a un
sens précis, évoque un danger imminent et une nécessité de s'armer pour y faire face.
Cette exclamation a d'ailleurs un statut linguistique particulier : elle est relativement
anonyme et le locuteur est dans la position du "un pour tous" qui parle ? Peu importe !
Mais il s'adresse indistinctement à tous ceux qui sont susceptibles de l'entendre. Cet appel
à s'armer, et par delà, à combattre, est ancien (XIXème siècle : "as armes !"), et noté par
Alain Rey comme ayant une utilisation figurée (du courage !). Une citation de Stendhal
l'atteste, mais cette acception me semble rare .

On peut noter d'autres exclamations d'un type voisin de celle-ci, exhortant au combat, ou
au contraire encourageant la débandade. Et nombre d'entre elles ont une origine maritime.
"Branle-bas de combat !" Cette exclamation est parfois employée (mais presque toujours
de manière un peu plaisante) comme un appel à la mobilisation : tout le monde doit se
préparer à quelque chose ("on annonce l'inspecteur ; branle-bas de combat !"), et on n'est
pas si loin de "tout le monde sur le pont !". Mais, en même temps, cette interjection
évoque le plus grand désordre, la panique générale. A l'origine, le "branle-bas" est la
manœuvre qui consiste pour l'équipage à installer ou ranger les hamacs pour la nuit.
"Sauve qui peut !" exprime plus encore l'affolement et entérine la règle du "chacun pour
soi". Ce subjonctif à valeur impérative signifie : que celui qui peut se sauver le fasse,
mais l'expression est figée, au point qu'on l'utilise parfois à la manière d'un nom : un
"sauve-qui-peut" général est une panique collective.
Quant à "SOS", si cette expression n'est pas plus rassurante, elle évoque quand même un
appel à l'aide et non un appel à la fuite. "SOS" correspond à un code rythmique
facilement identifiable dans l'alphabet morse : …---…, c'est-à-dire trois points, trois

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traits, trois points. On a bâti tout un roman séduisant, autour des initiales des mots "Save
Our Souls" (sauvez nos âmes), qui n'a pas le commencement d'un début de preuve, mais
permet de briller en société.

AVALANCHE

Par: (pas credité)

1) L'étymologie du mot résulte du croisement de deux sources :

a) "Avaler" qui, au sens premier désigne l'action de descendre, d'aller


vers le "val", l'"aval". Les dérivés anciens de "avaler", "avalasse",
"avalaison", qui signifiaient "torrent qui descend des montagnes" ont
dû influencer la création du mot "avalanche". Ils expriment la même idée que
"descendre vers l'aval".
Aujourd'hui, le verbe "avaler" garde le souvenir de "descendre" par le
gosier, mais le rapport conscient à l'étymologie s'est perdu.

b) L'ancien provençal "lavanca" (avec la racine "labi" = glisser )


devenu en langue des populations alpines "lavanche". Au XVIème siècle
(1572), c'est le mot "lavanche" ou "lavange" qui est attesté en français. Au
XVIIème (1614), ce sont "avallanche" (avec deux "l") et "avallange" qui
sont attestés, peut-être par métathèse. "Avalanche" s'impose au XIXème siècle.

2) "Avalanche"/"coulée de neige". "Avalanche" est souvent remplacée, lorsqu'il


s'agit de lui trouver un synonyme, par "coulée de neige", construit sur
le modèle de "coulée de lave" pour une éruption volcanique, à laquelle
l'"avalanche" est souvent implicitement assimilée en tant que catastrophe
naturelle. On dira volontiers : "deux skieurs ont été emportés par une
coulée de neige". La différence est sans doute liée à l'importance :
l'"avalanche" est plus importante quantitativement, donc plus grave dans ses
conséquences que la "coulée de neige", plus limitée.
Le mot a donné lieu à la création de syntagmes "couloir d'avalanche", qui
désigne une voie ordinairement empruntée par les "coulées de neige" ("couloir"
et "coulée", même étymologie) de "cône d'avalanche", zone où s'entassent
des débris résultant d'une "avalanche", de "mur d'avalanche", mur de
protection destiné à arrêter la chute.

Il existe aussi un adjectif "avalancheux" qui peut s'appliquer à une


notion de météo ou à un espace = une zone, une situation avalancheuse, etc.
"Avalanche" est associée souvent au verbe "déclencher", notamment lorsque
l'"avalanche" est volontairement provoquée par les équipes de sécurité afin
de prévenir une "avalanche" plus importante.
Dans le vocabulaire actuel, on utilise souvent pour expliquer le
déclenchement d'"avalanches" ou de "coulées de neige", le phénomène de la

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"plaque à vent" = plaque de neige instable formée par amoncellement dû au
vent (d'où son nom) qui se détache parfois et entraîne les skieurs dans
sa chute.

3) Au sens figuré, le mot est fréquemment utilisé pour désigner une


succession brutale, un entassement avec une idée de violence :
recevoir ou donner une "avalanche" de coups, d'injures…
Par extension, le mot désigne simplement l'idée d'amoncellement ou de
surcharge : une "avalanche" de résultats sportifs à la fin du week-end,
une "avalanche" de buts dans un match… "Le juge X croule sous une
avalanche de dossiers à instruire", etc.

AVALER SON CHAPEAU


Par: (pas credité)

Roxane Decore a-t-elle « avalé son chapeau » avec la ficelle quand elle a appris que
Philippe Séguin se présentait à la première place de sa liste aux élections municipales ?
C’est ce qu’imagine le quotidien Libération, qui suppute que la candidate, rétrogradée de
fait à la deuxième place, a dû en éprouver un certain dépit, qu’elle a malgré tout été
contrainte de cacher.

Elle aurait donc « avalé son chapeau », comme elle aurait pu avaler la pilule, ou avaler
des couleuvres. Ces deux expressions sont, en effet, assez voisines pour leur sens : il
s’agit de supporter, sans protester, sans se plaindre, en feignant même la bonne humeur,
des affronts ou des humiliations. Pourquoi la pilule ? Parce que les médecines sont
censées être mauvaises au goût, pour être efficaces. C’est faux, bien sûr, mais c’est ce
qu’on dit.

Et pourquoi « avaler des couleuvres » ? Ce serpent est inoffensif, mais c’est malgré tout
un serpent, sinueux et gluant, qui évoque peut-être l’hypocrisie et le mensonge. Cette
valeur péjorative est renforcée par la proximité du mot couleur. Faire « avaler des
couleurs » alors ? Cela signifiait faire croire des choses fausses, inventées ; peintes ?
comme des couleurs ? C’est peut-être l’origine de l’expression, aujourd’hui sortie
d’usage. Mais, les couleurs étaient des mensonges, des sornettes. Un sens dont on sent la
trace dans l’expression « sous couleur de… »

Quant à « avaler », l’image est évidente : il s’agit d’ingérer, d’accepter quelque chose. On
peut l’avaler, mais aussi ravaler sa fierté, son orgueil, sa fureur, quand, au dernier
moment, ce sentiment est sur le point de s’exprimer, on l’étouffe et le rentre au plus
profond de soi : on le ravale.

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AVENT
Par: (pas credité)

Avent/Carême : deux dénominations des périodes du calendrier religieux :

1) Le terme d'"avent", oublié à une certaine époque, a été remis en


circulation avec la diffusion des calendriers de l'Avent à l'intention des
enfants. Ces calendriers, qui débutent au 1er décembre, représentent à peu
près le temps de quatre semaines qui précèdent la fête de Noël. La durée
de quatre semaines correspond à la durée effective de l'Avent dans le
calendrier liturgique.
Avent vient du latin adventus (même étymologie que le mot aventure : ce qui
doit arriver), et signifie "arrivée" (rien à voir avec avant/après) : il
est le temps de l'attente qui précède la naissance (Noël = natalis, en
latin, -né) de Christ dans la liturgie catholique. Période de méditation et
de prière, d'où quelques expressions :
"L'avent de Bourdaloue (ou Bossuet)" : l'ensemble des prêches, des sermons
prononcés pendant les quatre dimanches de l'avent par un prédicateur de
renom.
"Jeûner son avent" : observer le jeûne pendant la période.

2) Comparable à la période qui précède Pâques : le carême.


Comparable à l'avent, en ce qu'il s'agit d'un temps précédant une fête de
calendrier liturgique. Carême est plus connu, peut-être en raison des
contraintes qui l'accompagnaient jadis.
Carême : étymologie, "quadragesimus" = quarantième jour (avant la date de
Pâques). Période marquée par l'observance d'un jeûne, d'où une série
d'expressions :
"Carême prenant" : expression signifiant "carême commençant", qui désigne
les trois jours du début du carême qui s'achève sur le Mardi-Gras. Par
extrapolation, signifie joyeux drille, bon vivant (il n'a pas encore
commencé le jeûne).
"Face de carême" = à l'inverse de l'expression précédente = pâle et livide,
liée à l'idée du jeûne.
"Arriver comme Mars en carême" : arriver de manière inévitable, de façon
régulière, impossible à éviter (Mars tombe inévitablement dans la période
de carême, quelle que soit la date de Pâques.
Curieusement, par oubli de son sens littéral, l'expression prend parfois
pour certains usagers le sens contraire : mal tomber, tomber de manière
imprévue, inopinée, inopportune. Peut-être parce que le carême, période
d'abstinence, est senti comme mal venu, quelque chose dont on se passerait.

AVENTURE

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Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

E.LATTANZIO : Dites-moi Yvan, on m'a dit que vous aviez eu une


aventure avec Brigitte Bardot ...

Y.AMAR : Et pourquoi pas avec Lucrèce Borgia pendant que vous y


êtes ? Ou avec la femme de Cro-Magnon ... Une aventure dîtes-vous
? C'est-à-dire un court épisode amoureux, qui ne laisse pas
réellement de traces.

E.LATTANZIO : L'aventure, étymologiquement, c'est ce qui arrive,


qui "advient" avec parfois un petit parfum d'imprévu, d'inespéré.
Le mot s'emploie en-dehors du vocabulaire amoureux, pour désigner
quelque chose de tout à fait inattendu : Ginette est tombée en
panne d'essence dans la campagne, elle a dû dormir à la belle
étoile, quelle aventure !

Y.AMAR : Si en plus elle a été détroussée par des voleurs, on


pourra dire qu'il lui est arrivé une étonnante "mésaventure" ...
c'est-à-dire regrettable, déplaisante, mais somme toute pas
gravissime.

E.LATTANZIO : Et l'aventure a été le miel préféré de tout un genre


littéraire : on aime à la raconter et à la lire et Rouletabille ou
Sherlock Holmes sont les héros de célèbres romans d'aventures ...

Y.AMAR : Souvent le mot figure dans le titre : les aventures de


Tintin et Milou, et c...

E.LATTANZIO : On retrouve le mot "aventure" dans certaines


expressions toutes faites : errer à l'aventure (sans but précis),
partir à l'aventure (sans organisation fixe).

Y.AMAR : Jadis les expressions pouvaient avoir des sens qu'elles


ont perdu : partir à la grosse aventure, en français du 17ème
siècle, c'était envisager de traverser l'océan en bateau. Le
risque était gros, l'enrichissement possible aussi.

E.LATTANZIO : Le verbe "aventurer" n'est pas si loin de cette


expression puisqu'il signifie "risquer" : on aventure sa fortune
dans une entreprise hasardeuse.

Y.AMAR : On s'aventure également, c'est-à-dire qu'on se rend dans


une région dangereuse, on s'aventure derrière les lignes ennemies
...

E.LATTANZIO : Mais le sens du verbe est souvent figuré et ironique


: si l'on aborde un sujet très controversé, on s'aventure sur un
terrain glissant.

Y.AMAR : C'était Parler au Quotidien, une émission proposée par le


Centre National de Documentation Pédagogique ...

E.LATTANZIO : ... Et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.

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AVENTURE
Par: (pas credité)

Une "aventure" ? Une petite histoire qui "arrive" (= qui advient -


c'est l'étymologie). C'est en général imprévu, ça sort un peu de
l'ordinaire.

Pendant les vacances, il nous est arrivé plein d'aventures : le


bateau a failli couler, on a dormi à la belle étoile, on a
rencontré des bandits au grand coeur qui nous ont invités...

Si l'on accentue l'aspect fâcheux de l'affaire, on parlera de


"mésaventures" : incident regrettable, déplaisant ; mais somme
toute pas bien grave.

FICTION - L'aventure sort du train-train quotidien : elle est donc


digne d'être racontée. Parfois, elle n'existe que pour ça : souvent
les aventures sont fictives : Rouletabille, Bibi Fricotin, Sherlock Homes.
"Romans d'aventures" : Les Trois Mousquetaires, etc.
Expression toute faite dans les titres : les aventures de Tom
Sawyer, de Tintin, etc. Dans ce cas-là, le mot est au pluriel.

EXPRESSIONS - Le mot existe dans certaines expressions : errer à


l'aventure : sans but - Partir à l'aventure : sans prévisions
précises, sans que rien ne soit organisé d'avance : on verra sur
place.

Vieux : "à la grosse aventure" : pour un bateau qui partait


commercer au loin : gros risque, gros enrichissement si tout se
termine bien. - le verbe "aventurer" existe, mais surtout
"s'aventurer" qui est usuel.

Sens propre : se rendre dans une région dangereuse et qu'on


connaît mal, à ses risques et périls.

"Se risquer" : s'aventurer derrière les lignes ennemies.


Sens figuré, souvent ironique. En abordant le problème des
attributions de logements sociaux, le ministre s'est aventuré sur
un terrain glissant = se hasarder. L'aventure est d'ailleurs
souvent liée au hasard. Cf. l'expression : "si d'aventure..." = si
par hasard (littéraire et un peu vieillie...).

SENS NEGATIFS - Aventure : parfois péjoratif. L'aventure


boulangiste : épisode de la popularité croissante et de la

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tentative de la prise de pouvoir du général Boulanger.

Aventurisme : politique de la fuite en avant : expédients


spectaculaires et décisions hâtives, sans stratégie d'ensemble.

Aventurier : l'un des premiers sens : mercenaire, flibustier.


Personne aux origines mal connues qui intrique et se rapproche du
pouvoir par des chemins de traverse : Caglostro, Raspoutine.

Aventurière : intrigante qui se pousse dans les milieux qui ne


sont pas les siens (cette aventurière qui a réussi à se faire
épouser par un fils de la Falaise...), joue souvent de ses
charmes.

Cf. Aventure (amoureuse) : histoire brève sur fond de séduction et


de plaisir plus que sentiment.

AVEUGLEMENTS

Par: (pas credité)


PARLER AU QUOTIDIEN DU 13 JUILLET 2001

La conférence de l’ONU sur le sida s’est achevée par une déclaration étrange : un certain
nombre de mots n’y figurent pas comme « homosexualité », « prostitution », « droit des
hommes », « droit des femmes ». Un certain nombre de pays, en général, religieux
islamistes, mais pas seulement, s’y sont opposés. Et ces absences s’expliquent en fonction
des idéologies portées par certains pouvoirs. Si l’on veut voir dans le sida, non pas une
maladie épidémique, mais un fléau venu de l’étranger, ou même le signe d’une punition
divine, on évitera en effet de trop parler des causes objectives de son existence. Il y a
donc un certain nombre de tabous autour de certains mots.

Est-ce que par là, on n’hésite à appeler un chat un chat ? L’expression est ancienne en
français. Il s’agit, quand on appelle un chat un chat, de ne pas avoir peur d’appeler les
choses par leur nom : « J’appelle un chat un chat et Rollet un fripon », disait-on déjà au
XVIIème siècle. Métaphore obscène, mais dont l’obscénité est bien cachée. Le chat était,
au départ, un chas, c’est-à-dire un trou, notamment celui d’une aiguille. Et le mot était
souvent utilisé comme image du sexe féminin. L’expression voulait donc dire « parler
crûment des choses crues ». Et la proximité d’une autre image, celle de la chatte, qui
représente aussi le sexe féminin, a aidé au changement orthographique : du chas, on passe
au chat.

On parle parfois aussi de la politique de l’autruche. La légende veut que cet animal,

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quand il est effrayé, se cache la tête dans le sable. Il ne voit plus le danger, et imagine
alors qu’il a disparu. On dit également « faire l’autruche », ou même se mettre la tête
dans le sable.
Dernière expression, se voiler la face (= refuser d’affronter la réalité, et même de
l’envisager) est moins pittoresque, mais elle a le même sens.

AVEUGLES

Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 3 JANVIER 2002

Ce n’est pas vraiment le jour des aveugles, mais c’est le World Braille day. Laissons
tomber l’acrimonie que pourrait provoquer cet anglicisme : c’est comme ça que ça
s’appelle. Et c’est le jour du Braille. Le Braille ? Le système d’écriture et de lecture
destiné aux aveugles, basé sur des signes en relief, des points saillants qu’on peut
reconnaître au toucher. Ne cédons pas à la tentation mal placée de plaisanter sur le nom
Braille, en pensant que c’est plutôt l’inventeur d’un alphabet pour sourds – un alphabet
qui crie. Non ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Louis Braille, aveugle à trois ans et
nostalgique de ce qu’il avait vu, inventa en 1825 un alphabet toujours en vigueur
aujourd’hui. Et à partir de ce système, on peut donc construire une image tactile de la
langue, de même qu’on peut écrire des partitions musicales que les aveugles peuvent lire
et apprendre par cœur avant de jouer la musique ainsi notée.

Le 3 janvier est donc un jour pour les aveugles, et aussi pour les malvoyants ou les non
voyants...
Un mot sur ces mots… Aveugle : beau mot, vrai mot populaire, bien différent de son
origine, qui est latine. Pas un mot, mais deux : Ab oculis – expression abrégée puisque
vraisemblablement, il s’agissait au départ de l’expression orbus ab oculis, littéralement
privé de ses yeux. A moins que cela vienne d’alboculus, dérivé d’albus, blanc. Cet
adjectif désignait un malade atteint de cataracte. Et, en fait, ce qui est bizarre c’est que la
couleur associée à la cécité est bien plus souvent le blanc que le noir. Le très blanc, le très
brillant indique ce qu’on ne voit pas parce que c’est trop facile à voir. Ça crève les yeux,
dit-on, à propos d’une évidence extrême. Mais, on ne dit ça qu’à propos de quelque chose
qu’on devrait voir, et qu’on ne voit pas. Ou que tout le monde ne voit pas. L’image est
facile à comprendre : « ça vous rentre de force dans les yeux » ; donc, ou bien on le voit
très bien… ou bien on ne voit plus rien car les organes de la vue sont trop sollicités…
Mais, on parle aussi bien de clarté aveuglante (au sens propre : si vous sortez d’une pièce
obscure en plein soleil, il faut attendre que les yeux s’accommodent…) et au sens figuré :
quelque chose de si évident qu’on n’en a pas conscience…

AVIAIRE
Par: Yvan Amar

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La grippe aviaire poursuit son chemin, et l’inquiétude aussi, puisqu’on ne sait pas
exactement quels sont les risques d’épidémie. Et quel est le danger exact représenté par
les propagateurs de la maladie, les oiseaux, et notamment les oiseaux migrateurs.
Car la grippe aviaire, c’est bien la grippe des oiseaux. Tout au moins la grippe dont le
virus est transmis par les oiseaux… Car la peur dont on témoigne est celle de voir les
humains menacés sur une grande échelle… pas les oiseaux…

L’adjectif « aviaire » se comprend facilement, même si son emploi est rare : il signifie «
qui se rapporte aux oiseaux ». Et il ne date pas vraiment d’hier. On a parlé de « peste
aviaire », de « grippe aviaire », de « maladie aviaire » depuis l’extrême fin du XIXème
siècle. Le mot est resté savant. Mais, le risque d’épidémie qu’on semble courir
aujourd’hui fait que le mot est infiniment plus courant. Une autre expression, peu
employée car technique est « péril aviaire », qui désigne les dangers que les oiseaux
représentent sur les aéroports : se prendre dans une turbine d’avion, par exemple… Et ce
n’est pas un pléonasme. Et pourtant, « avion » et « aviaire » sont de même racine. «
Aviaire » a donc un rapport direct aux oiseaux… En effet, avis veut dire oiseau en latin.
Mais, bizarrement, la racine est restée assez stérile jusqu’au XIXème siècle : personne ne
s’était avisé de dériver des mots français de cette origine. Enfin… soyons sérieux : si on
fait réellement de l’étymologie, on s’avise que le mot oiseau lui-même dérive (oh,
lointainement !) d’avicellus, petit oiseau. Mais, c’est une dérivation populaire qui nous
ferait remonter au plus ancien Moyen-âge… Une pie n’y reconnaîtrait pas ses petits. Et le
français contemporain a bien du mal a reconnaître son ancêtre latin. Mais, le siècle
industriel arrive, et soudain. Hop ! On s’intéresse à la science… et la science s’intéresse
aux oiseaux.
Là encore, attention ! : c’était déjà le cas auparavant. Mais, les scientifiques, souvent
snobs et en quête de reconnaissance et de sérieux, s’adressaient au grec plus qu’au latin.
Donc, on avait des dérivés d’ornithos : ornithologie, ornithomancie (divination d’après le
vol des oiseaux) apparaissent au XVIIème, XVIIIème… Mais au XIXème, on fait de la
science appliquée : on invente donc l’aviculture, l’élevage des oiseaux, et l’aviculteur,
celui qui la pratique. On n’élevait donc pas les oiseaux avant ? Si si… mais de façon bien
plus épisodique, presque familiale… On parlait d’oisellerie, d’oiseleur… pas
d’aviculteur. Papageno, par exemple, dans l’opéra « la Flûte enchantée de Mozart » est un
« gai pipeur d’oiseaux »… Charmant… mais pas industriel !

Mais là, où l’histoire de la langue déjoue les calculs les plus astucieux, c’est lorsque le
inventions s’en mêlent. La magie de l’oiseau… c’est qu’il vole. Et c’est en voulant voler
que l’homme a le plus emprunté à l’oiseau, je veux dire à l’avion… qui dérive
directement d’avis. Le mot a été créé par Clément Ader qui mettait ses pas dans ceux de
La Landelle et de Ponton d’Amécourt, visionnaire du langage qui, vers 1860, anticipait
sur les inventions à venir, et créait les mots d’aviateur et d’aviation.

AVION
Par: Yvan Amar et Anne-Cécile Bras

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On vient de fêter le centenaire du premier vol de l’histoire. Ou presque… En fait, il s’agit
du premier vol des frères Wright, alors que Clément Ader avait volé avant eux ! Mais ils
avaient volé plus longtemps et plus haut, le bond était peut-être plus convaincant…
alors… !
En tout cas, le mot avion ne leur est pas attribué. Il revient à Ader, qui emploie le mot dès
1875, avant de déposer en 1890 le premier brevet officiel d’un « appareil ailé pour la
navigation aérienne ». Quand Ader forge ce nom d’avion, c’est beaucoup plus à titre de
nom propre, pour baptiser ses appareils : Avion I, Avion II, etc. Le mot n’a pas de
véritable sens générique. Et de toutes façons, avant même que l’invention soit bien
assurée, le terme perd de la vitesse : on ne parle pas d’avion, mais d’aéroplane. Et
Apollinaire le déplore, en célébrant le premier inventeur, Ader l’aérien : « Il lui restait un
nom, il n’en reste plus rien ».

Ce n’est pas qu’aéroplane soit laid ou mal formé : on comprend bien d’ailleurs son
origine : qui plane sur l’air. Le mot est populaire à tel point qu’on l’abrège : on dit « aéro
» pour aéroplane, comme on dit auto pour automobile. Et le mot se décline : biplan,
monoplan, etc.
En revanche, l’origine du mot avion est moins transparente : il vient du latin avis, qui
signifie oiseau. Et la création du mot fait suite à celle d’un autre, aviation, inventé vers
1863 par un nommé La Landelle, un visionnaire, qui parle d'aviation avant qu’on ait
construit le premier avion ! Et vers 1930, Dieu sait pourquoi, le mot aéroplane, à son tour
devient désuet, et il cède la place à « avions ». Alors même que le mot d’aéroplane reste
aujourd’hui utilisé pour désigner les vieux « coucous » de l’époque héroïque.

AVION
Par: (pas credité)

Comme la langue est hasardeuse, et comme c'est là son charme : en


ce qui concerne les objets volants, une racine nous tendait les
bras : "air" (le plus lourd que l'air). C'est une autre qu'on a
choisie : "avis" = oiseau en latin - les hommes volent sur de
grands oiseaux.

Pourtant, la racine "air" était bien partie. Rousseau parle de


navigation "aérienne", puis, au début du 19ème siècle, cette
famille inspire les sectaires du ballon : aérostat (= ballon),
aéronef (qui peut naviguer), aéronaute, aéronautique, qui nous
est resté : l'industrie aéronautique.

Seconde moitié du 19ème siècle, aéroplane (= qui se soutient grâce à


ses plans, i.e. ses ailes). Ce mot fait un début de carrière
très honorable et pousse même la notoriété jusqu'à l'apocope :
"aéro", qui aurait pu rester, comme auto, métro, moto, etc.,

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toutes les abréviations en "o" qui nous transportent.

Quelques rejetons sont encore, d'ailleurs, de solides gaillards :


aéroclub, aéroport, aérospatial... Mais les faits sont là, "aéro"
a vécu, bousculé par "l'avion".

D'où nous vient-il celui-là ?

Joseph de la Laudelle et Penton d'Amicourt, inventifs olibrius


qui, un soir de déraison indolente créèrent une série de mots
tirés du latin "avis" : avier, aviateur et aviation (1863) (ils
créèrent aussi le mot hélicoptère), anticipant par les mots sur
les choses.

Sur les traces de leurs pas, Clément ADER, l'aérien, en 1875,


construit et nomme du même mouvement "l'avion". Nom propre,
d'abord, qu'il donne à ses modèles : Avion I, II, III...

40 ans plus tard, pendant la guerre 14, le nom se répand à tire


d'aile et supplante aéroplane.

Des dérivés ? Oui, il y en a quelques-uns : avion-cargo,


avion-taxi, hydravion...

Et aussi "avionneur" : constructeur d'avions (industriel qui


construit des avions), mots qui semblaient désuets et qu'on a vu,
par exemple, refleurir partout à la mort de Marcel Dassault.

En tout cas, avion tient bon, par exemple, face à des anglicismes
: "jet" par exemple (= avion à réaction, = à turbine) qui a eu un
certain succès dans les années 60, quand cette technique s'est
répandue.

Mais on ne nomme spécifiquement que l'exception.

Lorsque les "jets", les avions à réaction, sont devenus la norme,


on a cessé de les appeler des jets. On dit des avions, tout
simplement. Et maintenant, c'est lorsqu'ils ne sont pas équipés de
turbo-réacteurs qu'on peut préciser : avions à hélices (pour les
petits avions de tourisme, ou certains avions militaires
particuliers).

De l'argot, du familier ? Pas tellement.

"Zinc" est resté d'un emploi limité (pour les connaisseurs, les
vrais amateurs, ceux qui pilotent).

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"Coucou", familier également, renvoie à une machine antique et
petite.

A noter que le mot technico-bureaucratique est un terme très vague


: "appareil".

Sans ça, on utilise des termes qui évoquent leur longueur de vol :
long courrier, moyen courrier (moyen de transporter les dépêches),
ou leur capacité : gros porteur, moyen porteur, petit porteur.

AVORTEMENT
Par: (pas credité)

1) Etymologie : ab-ortare. Ortare = naître, ortus = né et préfixe privatif ab = Expulsion


accidentelle ou provoquée du produit de la conception, avant qu'il ne soit viable.

L'étymologie est perceptible avec l'adjectif abortif, où l'on retrouve le " b ", qui a été
remplacé par " v " dans les autres termes, pilule abortive : pilule dite aussi pilule du
lendemain qui a été expérimentée, puis, plus ou moins abandonnée, et qui permettait une
contraception après l'acte sexuel et non avant comme la pilule contraceptive classique.

2) IVG : Lorsque l'avortement a été légalisé en 1974 (loi Weil) le terme technique officiel
retenu a été " interruption volontaire de grossesse ", très vite abrégé en IVG. L'usage de
cette expression peut s'expliquer à partir de deux considérations :

IVG met l'accent sur le caractère volontaire de l'accent (choix de la femme). Alors que
l'avortement peut être accidentel. Le langage courant a une locution pour désigner
l'avortement accidentel : la " fausse couche ".
Le langage courant a donc tendance aujourd'hui à différencier nettement les deux
interruptions.
Le mot avortement avait pris un sens péjoratif. IVG, par son caractère d'appellation
technique, rétablissait la neutralité morale et juridique de l'acte.
On parlera de " commandos anti-IVG " pour désigner les militants " anti-avortement ".
Dans les expressions faisant référence aux personnes hostiles à la loi en vigueur on
retrouve concurremment les deux expressions.

3) Mots de la même famille : avorteur, avorteuse. Personne qui pratique l'avortement


volontaire. Exemple : " médecin avorteur " = médecin qui pratique l'avortement. A noter
une expression qui avait cours lorsque l'avortement était interdit et donc clandestin, pour
désigner une femme qui pratiquait l'avortement : la " faiseuse d'anges " l'expression joue
sur plusieurs allusions :

L'ange est un être purement spirituel = allusion à la disparition physique du fœtus,

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l'absence physique du nouveau-né.
Les enfants morts sont censés devenir des anges dans la mythologie populaire (image de
pureté et d'innocence).
L'expression a tendance à devenir " historique " avec l'évolution des mœurs.

Avorter : outre le sens propre le verbe est couramment employé au sens figuré pour
désigner une action qui échoue. Un complot avorté, une entreprise avortée. = qui ne
parvient pas à terme. Expression assez voisine, mais plus imagée : " étouffé dans l'œuf " :
le coup d'état a été étouffé dans l'œuf. Œuf = embryon.

Avorton : animal né avant terme, d'où au sens figuré et de façon méprisante, gomme petit,
mal fait, laid.

Auxiliaires ETRE ou AVOIR


Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

E.LATTANZIO : Je mets ma clarinette sous mon bras et je pars à la


répétition.

Y.AMAR : Ça, c'est au présent. Moi qui ai démissionné la semaine


dernière, vendredi, pour la dernière fois, j'ai mis ma clarinette
sous mon bras et je suis parti à la répétition.

E.LATTANZIO : Vous utilisez, vous, le passé composé. Vous utilisez


donc l'auxiliaire. Et l'on voit que le français dispose de deux
verbes auxiliaires pour former ses temps composés : "avoir" ou
"être". Vous avez mis votre clarinette sous votre bras et vous
êtes parti. Mais est-ce qu'on a le choix ? Bien sûr que non :
"avoir" est de loin le plus fréquent : j'ai soupiré, j'ai
frissonné, j'ai transpiré, j'ai sangloté ... Mais quels sont les
verbes qui utilisent "être" ?

Y.AMAR : Ils ne sont pas si nombreux que ça : tous les


pronominaux, c'est-à-dire qui se conjuguent avec deux pronoms de
même personne : je me lave, je me suis lavé, tu te regardes, tu
t'es regardé, il se demande, il s'est demandé.

E.LATTANZIO : Un certain nombre de verbes intransitifs,


c'est-à-dire qui n'ont pas besoin de complément d'objet : on
vient, on part, on est venu, on est parti.

Y.AMAR : La plupart de ces verbes intransitifs qui se conjuguent


avec l'auxiliaire "être" ont un sens qui évoque soit le
déplacement, soit un changement d'état : il est arrivé, il est
allé ... ou bien il est mort (changement d'état), il est né ...

E.LATTANZIO : ... Il est resté imperturbable, il est tombé dans


mes bras . Certains verbes sont traîtres et se construisent tantôt
avec "avoir", tantôt avec "être" : je suis monté voir ma
grand-mère mais j'ai monté les escaliers à toute vitesse.

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Y.AMAR : Mais ça s'explique : chaque fois que "monter" pourra
avoir un complément d'objet, que son sens soit ou non figuré, il
se conjuguera avec l'auxiliaire "avoir".

E.LATTANZIO : Ça s'explique même autrement : quand monter a un


sens intransitif il se conjugue avec "être". De même "descendre" :
je suis descendu tout en bas, mais j'ai descendu les valises.

Y.AMAR : C'était Parler au Quotidien, une émission proposée par le


Centre National de Documentation Pédagogique ...

E.LATTANZIO : ... Et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.

B. A. BA et ABC
Par: (pas credité)
"Lire en fête", nous dit-on… Soit. Encore faut-il pouvoir. C'est-à-dire
"savoir" lire, et donc associer les lettres aux syllabes, et les sons aux
sens. Bref, savoir son B.A. BA.

Voici une expression beaucoup plus orale qu'écrite, qui vient tout droit
du vocabulaire de la lecture, et qui désigne les premières choses qu'il
faut connaître dans une activité : "je ne suis pas très fort avec
l'Internet, mais je connais le B.A. BA" ; je connais donc les rudiments.

Moins lié à la langue orale, on a l'ABC - expression faite, bien sûr, avec
les trois premières lettres de l'alphabet. Elle a parfois le même sens que
le B.A. BA, mais désigne souvent un petit livre , un manuel d'initiation,
dont le titre imite celui d'un livre d'apprentissage de la lecture : ABC de
la photographie, du petit électricien, etc.

Plus algébrique, on a l'expression "démontrer par A et B", qui signifie


"de manière à la fois irréfutable et scientifique". C'est incontestable car
c'est fait sur un modèle mathématique.

Enfin, on se sert de l'alphabet pour désigner une totalité : "j'ai lu le


rapport de A à Z" : en entier, sans rien sauter, sans abandonner avant la
fin. Comme l'alpha et l'oméga de l'alphabet grec, A et Z, bornes du nôtre,
indiquent qu'on a fait quelque chose en totalité.

BABEL
Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 8 JANVIER 2002

Un vent mauvais souffle sur Babelsberg, studio de cinéma allemand, situé près de Berlin,

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et racheté par la société Vivendi. Il paraît qu’on va licencier… En tout cas, le nom de ces
studios fait rêver : Babelsberg. Le Mont Babel ? Ce n’est pas exactement la tour de
Babel, mais ça y fait penser. Et Babel, pour l’histoire des langues, c’est un mot-clé… A
cause de la tour de Babel…

Encore une malédiction dont l’Eternel, dans l’Ancien Testament a frappé les humains.
L’étonnant est que ces malédictions fondent l’humanité. Après l’exil hors du Paradis
Terrestre (enfanter dans la douleur et gagner son pain à la sueur de son front), voici la
dispersion du genre humain sur toute la surface de la terre et la multiplication des langues
qui fait que les peuples ne s’entendront plus, ne se comprendront plus, et par voie de
conséquence, se feront la guerre…

Pourquoi ? Parce qu’ils ont construit la Tour de Babel, grande tour qui prétend aller
jusqu’au ciel, donc faire concurrence à la puissance divine.
Cet épisode légendaire se place, dans la Bible, juste après le Déluge, et mérite quelques
explications.
Ce temple-tour était probablement apparenté aux ziggourats, temples à étages, sortes de
pyramides babyloniennes qu’on trouvait en Mésopotamie.
Et le nom de Babel signifierait peut-être bab-ili – la porte de Dieu… ce qui, en effet,
accrédite l’image d’une tour reliant l’homme au ciel. On a voulu y voir également un lien
avec la racine ballal qui, en hébreu, signifie brouiller, confondre. Puisque les langues ont
été confondues… Mais, rien n’est moins sûr.

Ce qui semble attesté, certain, c’est que Babel et Babylone sont deux formes du même
nom, et désignent la même ville – même si la légende n’a pas toujours placé cette ville au
même endroit. Et Babylone, dans la Bible, n’a pas une bonne image. Capitale des
Mésopotamiens, elle représente l’ennemi, le païen : elle symbolise non seulement la
vanité de l’homme, mais la grande ville en ce qu’elle représente le vice, et la corruption :
la Grande Babylone, c’est la Grande Prostituée. Ce fut Rome, et plus récemment, New
York.

BABY
Par: (pas credité)

C'est le nom du salon "du tout jeune enfant…" qui s'est tenu à Paris et qui met en vedette
un terme anglais, très bien compris en français et depuis assez longtemps, mais qui
d'ailleurs est presque un peu désuet.

"Baby" évidemment signifie "bébé", et c'est même de ce mot anglais que dérive notre mot
français. Dont acte. Mais, dans les années 50, dans une langue familière et amusée, on a
commencé à employer le mot "baby" avec un sens que les Américains lui donnaient
parfois : de façon un peu machiste, un peu nonchalante aussi, "baby" est l'équivalent de
"poupée" : c'est une façon pour un homme d'appeler une femme. Et ce genre d'emploi
bien sûr est très en rapport avec la mode de l'Amérique et même du rock naissant : "baby"

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traîne derrière lui un parfum de roman policier et de paroles de chansons.
Aujourd'hui, même si ce genre de jargon fait partie du cabinet des curiosités d'après-
guerre, on retrouve "baby" dans quelques emplois, notamment en composition.

"Baby-sitter" est très courant, ainsi que son dérivé "baby-sitting", pour désigner la garde
d'une jeune enfant en l'absence de ses parents. Et le salaire du "baby-sitter" sert très
souvent d'argent de poche à de jeunes étudiants ou étudiantes.

Le "baby boom", l'explosion démographique qui a suivi la deuxième Guerre mondiale


replace de nouveau ce terme dans cette période (le mot apparaît en 1953…), mais il
semble assez bien intégré dans le vocabulaire contemporain, au point qu'il peut
aujourd'hui désigner ce type de phénomène, quelle que soit la période où on le remarque.

Enfin le "baby-foot" est devenu très français. Lui disparaît progressivement des arrière-
salles des cafés, mais au moins, sa prononciation avait perdu tout accent : "baby" et non
"béby"…

BACCALAUREAT

Par: (pas credité)

Y.AMAR : Ça y est : c'est le baccalauréat ! Etymologiquement du bas


latin "bacca lauri" = baie de laurier. Allusion à l'habitude
romaine de donner une couronne de laurier aux vainqueurs de
différents types d'épreuves (dans les concours sportifs ou
culturels) et même aux généraux (cf. Astérix : les lauriers de
César).

E.LATTANZIO : A comparer avec la palme, autre manière de signifier


la victoire (cf. Festival de Cannes), d'où le "lauréat", celui qui
l'emporte = couronné de lauriers, d'où aussi toutes les
expressions autour des lauriers : "cueillir les lauriers" =
réussir dans une entreprise, "tresser des lauriers à quelqu'un" =
allusion à la couronne, louer quelqu'un pour ses mérites, le désigner
comme vainqueur, "s'endormir sur ses lauriers" = se
contenter d'un premier succès et ne plus rien entreprendre, "se
reposer sur ses lauriers" = jouir d'un succès mérité. Mais ces
deux dernières expressions ont tendance à se confondre, avec le
sens de l'expression précédente.

Y.AMAR : Baccalauréat est le plus souvent apocopé en "bac". Le mot


s'est d'autant mieux imposé qu'il repose sur un malentendu
étymologique. Le bac désigne, en français, une embarcation
destinée à franchir un fleuve, ou un bras de mer, pour aller sur
l'autre rive. Or le "bac" est un passage quasi obligé pour accéder

100
à l'université ou dans les grandes écoles. Cette coïncidence à
fait la fortune du mot : préparer, passer son bac : le terme est
devenu très usuel.

E.LATTANZIO : A noter l'expression "Passe ton bac d'abord",


devenue presque un syntagme figé (cf. le titre d'un film) : cette
expression que l'on place dans la bouche des parents du futur
bachelier est censée symboliser la volonté des parents de voir
leur enfant obtenir un diplôme (= une assurance, un "bagage")
avant de le laisser s'engager éventuellement dans une voie où la
réussite n'est pas assurée. Le bac étant pensé comme une garantie.

Y.AMAR : Le bac obtenu donne droit au titre de "bachelier". Autre


diminutif : "bachot". Un peu vieilli, ne s'emploie plus guère,
mais a des dérivés très vivants : bachoter, bachotage.

E.LATTANZIO : Ces deux mots, péjoratifs, signifient travailler et


réviser de manière intensive et en même temps superficielle. Ils
dénoncent une forme de travail uniquement destiné à réussir à un
examen, et non destiné à vraiment former l'esprit de la personne.
Il y a donc un côté étroit et borné dans l'action de bachoter, le
bachotage.

BACCHUS
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

C’est aujourd’hui que se termine le 39ème congrès mondial bachique, congrès qui permet
de déguster tour à tour des vins du Lubéron, du Ventoux, du Châteauneuf du Pape… et
un colloque sur les vins du Nouveau-Monde… Une réunion, somme toute, plutôt
sérieuse, ce que ne laissait pas forcément augurer l’adjectif bachique, qui n’évoque pas
une manifestation sobre ou bien pensante.

Bachique, en effet, évoque un usage du vin immodéré (contrairement aux slogans anti-
alcoolique – « consommez avec modération »…), évoque les délires de l’ivresse, et
l’oubli de soi. Une fête bachique fait donc penser à une truculence qui se lâche, à un
temps qui va suspendre les bonnes manières et les bons usages.

Car bachique vient de Bacchus, le dieu du vin latin, qui n’allait pas seul, en général, mais
avait toute une suite de Silènes, de satyres, et de bacchantes, un mot qui, avant de
désigner familièrement en français, de grosses moustaches, renvoyait à des déités
féminines, inquiétantes, dépoitraillées, d’une force extrême et dangereuse, qui se
livraient, sous l’empire de l’alcool, à des danses folles et désordonnées.
Et, en plus de Bacchus et de bacchantes, on a aussi le mot bacchanale – fêtes antiques et
très populaires, qui correspondaient à un genre de carnaval débridé qui permettait qu’on
se vengeât des avanies du quotidien.

101
Si le nom de Bacchus n’a pas d’histoire personnelle à proprement parler, il n’en est pas
de même avec son homologue grec, Dionysos qui signifie deux fois né. Car Dionysos
était, comme beaucoup d’autres, fils de Zeus, et de la belle Sémélé, qui aurait eu
mauvaise grâce à refuser les œillades d’un soupirant, qu’on connaissait dans le civil, pour
le dieu des dieux. Mais Sélémé était coquette et, un jour, elle se permet de demander à
Zeus de lui apparaître dans toute sa splendeur, avec tous ses attributs. Zeus, qui avait juré
de lui exaucer son souhait, quel qu’il fût, dut s’exécuter et apparut environné de tous les
éclairs qui lui servaient d’apparat ordinaire. Mal en prit donc à la belle qui fut foudroyée
sur le champ. On a beau s’appeler Zeus, on ne ressuscite pas toujours les morts, et le dieu
se contenta de retirer du ventre de sa bien-aimée, l’enfant qu’elle portait. Mais l’enfant
n’était pas prêt encore à naître. Zeus s’ouvrit donc la cuisse, y fourra son fils, qui en
ressortit quelques mois plus tard… Deux fois né, donc, et pour de bon sorti de la cuisse
de Jupiter.

BACCHUS
Par: Yvan Amar et Anne-Cécile Bras

Savez-vous qu’il existe un congrès mondial bachique ? Mais oui ! C’est un congrès qui
permet de déguster tour à tour des vins du Lubéron, du Ventoux, du Châteauneuf du
Pape… Une réunion, somme toute, plutôt sérieuse, ce que ne laissait pas forcément
augurer l’adjectif « bachique », qui n’évoque pas une manifestation sobre ou bien
pensante.

« Bachique » en effet, évoque un usage du vin immodéré (contrairement aux slogans anti-
alcoolique – consommez avec modération…), évoque les délires de l’ivresse, et l’oubli de
soi. Une fête bachique fait donc penser à une truculence qui se lâche, à un temps qui va
suspendre les bonnes manières et les bons usages.

Car « bachique » vient de Bacchus, le dieu du vin latin, qui n’allait pas seul, en général,
mais avait toute une suite de Silènes, de satyres, et de bacchantes, un mot qui, avant de
désigner familièrement en français, de grosses moustaches, renvoyait à des déités
féminines, inquiétantes, dépoitraillées, d’une force extrême et dangereuse, qui se
livraient, sous l’empire de l’alcool, à des danses folles et désordonnées.

Et, en plus de Bacchus et de « bacchantes », on a aussi le mot « bacchanale » – fêtes


antiques et très populaires, qui correspondaient à un genre de carnaval débridé qui
permettait qu’on se vengeât des avanies du quotidien.

Si le nom de Bacchus n’a pas d’histoire personnelle à proprement parler, il n’en est pas
de même avec son homologue grec, Dionysos qui signifie deux fois né. Car Dionysos
était, comme beaucoup d’autres, fils de Zeus, et de la belle Sémélé, qui aurait eu
mauvaise grâce à refuser les œillades d’un soupirant, qu’on connaissait dans le civil, pour
le dieu des dieux. Mais, Sélémé était coquette, et un jour elle se permet de demander à

102
Zeus de lui apparaître dans toute sa splendeur, avec tous ses attributs. Zeus, qui avait juré
de lui exaucer son souhait, quel qu’il fût, dut s’exécuter et apparut environné de tous les
éclairs qui lui servaient d’apparat ordinaire. Mal en prit donc à la belle qui fut foudroyée
sur le champ. On a beau s’appeler Zeus, on ne ressuscite pas toujours les morts, et le dieu
se contenta de retirer du ventre de sa bien-aimée, l’enfant qu’elle portait. Mais l’enfant
n’était pas prêt encore à naître. Zeus s’ouvrit donc la cuisse, y fourra son fils, qui en
ressortit quelques mois plus tard… Deux fois né, donc, et pour de bon sorti de la cuisse
de Jupiter.

BADMINTON
Par: (pas credité)

Les championnats de « badminton » ont commencé. Le jeu paraît rétro, mais après tout, il
pourrait devenir à la mode, comme il l’a été, un peu, en France, dans les années 60. Son
succès relatif avait coïncidé avec celui des maisons de campagne chez les cadres,
fermettes normandes & Cie, et comme le terrain de tennis était trop onéreux à construire
derrière les pommiers, on se rabattait sur le badminton : un filet planté dans le pré, deux
raquettes et un volant... le tour est joué. Le nom est pourtant plus ancien que cela. On
l’entend d’abord en 1873, aux Etablissements de bains de Badminton House, dans le
Gloucesteshire. L’origine anglaise semble donc bien établie.

Pas si vite ! C’est comme le thé : rien de plus britannique et c’est pourtant un emprunt
aux Indes. C’est d’ailleurs là que le jeu a été le plus en faveur, et qu’il est né, d’un
croisement du « poona » malais et du « volant » français. Français ? Mais oui, Madame,
c’est comme j’ai l’honneur de vous le dire : le volant est une vieille tradition française,
même si Jean-Jacques Rousseau prétend que c’est un jeu de femmes... Déjà en 1611, on
vous explique l’essentiel : « le volant est un petit tuyau farci de trous où l’on met des
plumes, et dont on se sert pour jouer avec une palette ou une raquette ».

Vous voyez donc que ce genre de jeu pratique avec aisance l’aller-retour linguistique,
comme le tennis d’ailleurs. Tout le monde sait que le nom de ce sport est emprunté au
français « tenetz », exclamation traditionnelle au Jeu de Paume, lorsqu’on envoie la balle
à son adversaire.

D’autres jeux proches de ceux-là ont aussi des histoires linguistiques originales et
voyageuses, comme « ping-pong », onomatopée anglaise, dont on a faussement imaginé
par la suite qu’elle avait une consonance extrême-orientale, sous prétexte que les Chinois
excellent dans cette discipline. Il paraitrait que le jeu doit son nom à une chanson à la
mode dans les music-halls londoniens de la moitié du XIXème siècle. En tout cas, même
si le terme officiel est « tennis de table » (après une brève tentative de « tabular tennis »),
il nous laisse le très français, et très étrange « pongiste ».

Le « pong-ball » a vécu, après un feu de paille dans les années 30-40 : tennis miniature,

103
sur un terrain plus petit, avec un filet moins haut.

Mais le « squash » fait rage chez les jeunes urbains qui rêvent de le rester, et ne craignent
pas l’accident cardio-vasculaire. Et là, l’onomatopée ne peut renier son origine anglaise
(squash = écraser, presser).

BAISER
Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 6 MARS 2001

L’exposition Rodin qui se donne à voir actuellement à Paris aurait pu nous suggérer de
gloser le mot « penseur ». Mais, finalement, le « baiser » l’a emporté : belle sculpture de
l’artiste, bel acte, beau symbole, beau mot, il a recueilli nos suffrages.

Ce « baiser » qui nous vient du basium bas-latin a dès le départ quelques échos érotiques.
Ce mot évoque, tour à tour, le respect, l’affection, l’amour, mais l’image du « baiser »
amoureux semble l’emporter aujourd’hui. Ce qui a redynamisé des mots un peu enfantins
comme bise ou bisou lorsqu’on insiste sur le caractère non amoureux du mot : ces dérivés
chastes évitent l’équivoque.

Mais « baiser » est aussi un verbe.


Premier sens : donner un baiser. Par un euphémisme métonymique, le verbe s’est utilisé
pour dire « faire l’amour ». Mais, cet euphémisme s’est renversé : au lieu de désigner
avec délicatesse l’acte sexuel, il est devenu vulgaire, dans ce sens-là. Et par contrecoup, il
a presque interdit qu’on l’utilise qu’on l’emploie dans son sens littéral, surtout depuis une
trentaine d’années. Avant, encore… dans un contexte assez soutenu, on pouvait utiliser le
mot sans craindre l’ambiguïté : « Il la baise au front… » Le mot « baisemain » ne prêtait
nullement à rire.

Mais le verbe « baiser » a des sens vulgaires de plus en plus répandus.


On l’emploie à la forme transitive : « baiser » quelqu’un. Et le verbe ne renvoie plus à un
acte réciproque. Il se double donc d’un rapport de force et s’emploie dans des contextes
différents, en signifiant escroquer, avoir quelqu’un.
Autre glissement étonnant : au sens littéral, « baiser » a été supplanté par embrasser qui,
au départ, ne signifie que « prendre entre ses bras ».

BALADE ET BALLADE
Par: Yvan Amar et Anne-Cécile Bras

104
« Cela commence comme une balade… ». C’est le titre, très bucolique, d’un négligé
étudié, travaillé par un impitoyable marketing politique, que Laurent Fabius a donné à
son dernier livre. Il nous permet, au moins, de nous demander ce qu’est une balade. Oh,
c’est une simple promenade, une flânerie, le plus souvent sans but bien précis et, en tout
cas, sans but utilitaire : on fait ça pour le plaisir, à son rythme. Et le mot sert même, de
façon ironique, pour désigner un voyage qui s’est bien passé, qui n’a pas été trop fatigant
: Paris-Nice en une étape ? Aujourd’hui, avec l’autoroute, c’est une balade. Et le verbe se
balader trouve exactement les mêmes échos. Toutefois, on peut remarquer que ce verbe
est pronominal : se balader. Existe-t-il, à une forme qui ne soit pas réflexive, qui se passe
du double pronom ? Oui, mais c’est nettement plus rare, et uniquement avec une intention
péjorative : balader quelqu’un, ce peut être au sens propre : lui faire faire un trajet qu’il
n’avait pas l’intention d’accomplir : un chauffeur de taxi vous balade si, pour aller de la
Tour Eiffel à Notre-Dame, il vous fait passer par Montparnasse et la Porte
d’Aubervilliers. Et, par extension, quelqu’un vous balade s’il vous fait des promesses
qu’il ne pourra tenir, s’il vous raconte des bobards en vous faisant espérer des choses que
vous ne pourrez jamais obtenir.

Alors attention, il ne faut pas confondre ce mot de balade avec la ballade avec deux « l ».
Le mot est ancien, et appartient à la langue artistique : une ballade est une chanson, en
particulier, une chanson à danser : le mot est de la même famille que « bal », et que les
verbes qui signifient danser en italien et en espagnol, par exemple. Puis, c’est un poème
d’une forme particulière, avec des strophes, dont la dernière s’appelle un envoi, qui est
généralement dédié à un personnage particulier, que l’on appelle Prince… Mais, le mot
était resté dans le vocabulaire musical (souvenons-nous des ballades de Chopin…), et il
est encore très utilisé, sous influence anglo-américaine, pour désigner un air lent…

Alors, bien sûr, il ne faut pas confondre les deux mots, avec leurs deux orthographes
différentes. Mais, rappelons quand même qu’ils appartiennent à la même famille (se
balader au Moyen-âge, c’était, pour des musiciens de rues, des baladins précisément, aller
de village en village en demandant l’aumône).
Et les deux mots se voient réconciliés avec la création baladeur, mot français
recommandé pour que les francophones évitent le mot walkman…

BALKAN ET FINLANDE
Par: (pas credité)

Une conférence balkanique sur la stabilité et la coopération


vient de commencer. L’adjectif semble un peu ancien, même
s’il est vrai que depuis quelques années - en particulier depuis les
changements de régimes politiques à l’Est et la guerre en ex-
Yougoslavie, on ait souvent réemployé non seulement le mot
« Balkan », mais le mot « balkanisation ».

105
Le point, donc, sur deux mots qui dérivent d’une dénomination
géographique, et qui, tous deux, ont désigné un processus politique
compliqué, et d’une façon péjorative : balkanisation et finlandisation.

« Balkan » vient d’un mot utilisé par les Turcs, mais d’origine
persane, qui veut dire montagne. La chaîne des Balkans est en
Bulgarie, mais quand on parle des Balkans, on entend une réalité
géographique bien plus large : toute la région péninsulaire qui englobe
la Grèce, la Macédoine, l’Albanie, la Bulgarie, la Roumanie, la partie
européenne de la Turquie, et encore, parfois on remonte bien plus
au Nord.

Le mot « balkanisation » ne s’est pas employé avant 1941, et pourtant,


il désigne surtout un processus qui s’est déroulé au lendemain de la
Première Guerre mondiale : toute la redéfinition et le découpage en Etats
des restes de l’Empire austro-hongrois, et même des reliquats de l’Empire
ottoman. Dans cette partie de l’Europe, qui est une mosaïque extrêmement
compliquée de peuples, de langues, de coutumes et de religions, on plaque
une logique d’Etats souverains, avec des frontières inviolables, au travers
de laquelle s’expriment sourdement les appétits masqués des grandes puissances.
Le mot, on l’a dit, est péjoratif et met l’accent sur le côté artificiel, imposé,
hypocrite et explosif de ce découpage.

Ce terme de « balkanisation » a repris du service en Afrique au moment


des Indépendances (début des années 60), alors que les puissances coloniales
quittant le continent (officiellement) laissaient se dessiner des frontières pour
faire exister des Etats généralement composites. Et cette notion de frontière
et d’état -peut-être indispensable- était plus héritée de l’histoire européenne
que de l’africaine. Là encore, « balkanisation » est un mot péjoratif qui
évoque un découpage avec arrière-pensées.

Quant à la « finlandisation », le mot, évidemment est forgé sur Finlande


(un mot qui n’a rien à voir avec la « fin des terres » comme on le croit
souvent, vu la position très septentrionale du pays - mais Finlande n’est
pas symétrique de Finistère). Ce mot de « finlandisation » désigne
l’alignement plus ou moins forcé de la politique étrangère finlandaise
sur les positions soviétiques - une sorte de complaisance diplomatique, alors
même que la Finlande n’avait pas un régime politique comparable à celui
des « pays satellites ». En 1948, signature d’un traité d’assistance mutuelle,
puis promotion sur la scène internationale d’une thèse très favorable au bloc
soviétique : dénucléariser l’Europe du Nord, sans toucher à la péninsule de
Kola, où étaient les bases nucléaires soviétiques. Depuis quelques années,
les choses ont bien sûr changé et le traité de 1948 a été remplacé en janvier
1992 par un autre, signé avec le CEI, d’inviolabilité des frontières.

BALLON

106
Par: (pas credité)

Le ballon est encore à la mode aujourd'hui, comme le prouve l'engouement


pour la course autour du monde sans escale, dotée à la manière des romans
de Jules Verne, d'un prix d'un million de dollars, promis par la bière
Budweiser.

Ballon est donc bien le nom générique encore utilisé pour désigner ce genre
d'engins (enveloppe + nacelle) qui vole.
Au sens figuré, on a au moins une expression, "envoyer", "lancer", parfois même
"tenter un ballon d'essai", c'est-à-dire faire une manœuvre d'approche pour
sonder quelqu'un, évaluer ses dispositions par rapport à une idée, un
projet. Cette locution se comprend aisément si l'on se souvient que les
ballons ont depuis longtemps servi -et servent encore- à des expériences
scientifiques dans l'espace. En même temps, le ballon une fois lancé ne se
contrôle plus et ne se laisse pas ramener au sol à volonté. Un peu
d'histoire maintenant : si le principe du ballon fascine depuis longtemps,
il faut passer rapidement au-dessus de Gusmao, cet intrépide et malchanceux
prêtre brésilien et attendre le 5 juin 1783 pour voir le premier ballon
s'élever majestueusement avec Etienne et Joseph Montgolfier à bord. La
montgolfière était née (et en passant, n'oublions pas une acclamation
spéciale pour Joseph Montgolfier, inventeur prolifique et héros du langage
qui réussit à donner son patronyme à une invention, la montgolfière et son
prénom à un autre, le Joseph étant un papier chimique filtrant).

Petite typologie des appareils : on a donc le ballon "libre" et le ballon


"captif" (relié au sol par des câbles), mais on a aussi le "dirigeable" qui
possède le plus souvent un moteur et une hélice et de quoi se diriger. Le
plus connu d'entre eux, le Zeppelin, un type d'appareils plus qu'un modèle
unique, a survécu un certain temps à son inventeur, mort en 1917. Et tout
cela forme des "aérostats". On sait que durant une longue période, la
conquête du ciel a divisé les conquistadores entre les tenants du plus
léger que l'air et ceux du plus lourd que l'air. Si les derniers l'ont
emporté (et on sait bien, comme Bachelard que le progrès scientifique doit
tourner le dos au sentiment du bon sens), le plus léger que l'air a eu ses
heures de gloire et c'est tout le sens du mot "aérostat", qui tient dans
l'air, à quoi s'opposera, au début du siècle la logique de l'aéroplane :
qui repose sur l'air (grâce au plan de ses ailes) . L'utilisateur d'un
"aérostat" est donc un "aérostier" et le premier corps d'aérostiers (ou
"aérostatiers") fut créé militairement le 13 germinal, an II, par le comité
de Salut public et commandé par Coutelle à la bataille de Fleurus (1794),
lui-même à bord de l'Entreprenant. Mais le Monde d'il y a quelques jours
utilisait encore ce terme d'"aérostier". Le terme "aérostat" a été concurrencé
par l'"aéronef" qui a donné naissance à l'"aéronautique". Et ce dernier mot a
largement débordé l'univers du plus léger que l'air.

107
BALLON D'OR
Par: (pas credité)

Y.AMAR : La fin du mois de décembre est traditionnellement la


période de la remise du "Ballon d'or" au meilleur footballeur, élu
par un jury de spécialistes et par le vote des lecteurs d'une
revue spécialisée dans ce sport.

E.LATTANZIO : Dans le monde sportif, il est d'usage de décerner en


diverses occasions une récompense de ce type : le ballon d'or
n'est qu'un exemple. Sur France Télévision, il est habituel, à la
fin d'un match de rugby retransmis en direct d'élire le "talon
d'or", le meilleur joueur de la partie (désigné par les
téléspectateurs). Les jockeys remettent aussi une "cravache d'or"
au meilleur jockey de l'année. Il y a toujours une symbolique de
l'objet par rapport à l'activité sportive pratiquée.

Y.AMAR : Ceci est bien sûr à rapprocher des grandes compétitions


(Jeux Olympiques, championnat du monde) où le vainqueur reçoit la
médaille d'or. L'habitude existe aussi dans un autre type de
compétitions, par exemple les festivals de cinéma : "palme d'or" à
Cannes, "Lion d'or" à Venise. On remarquera que dans ces
festivals, les récompenses combinent au principe de l'attribution
d'un objet symbolique en or celui des prix (à la manière des
écoles).

E.LATTANZIO : On connait aussi dans le monde de la musique


l'habitude des "disques d'or". En ce domaine, il existe même une
surenchère sur le métal puisqu'on décerne des "disques de
platine". Cela correspond à un record de ventes : un disque d'or
est un disque vendu à 100.000 exemplaires.

Y.AMAR : On peut aussi évoquer la pratique du "livre d'or", dans


les hôtels, dans certaines cérémonies où les personnages officiels
viennent inscrire une dédicace et apposer leur signature, en
souvenir de leur passage ou de l'évènement.

BAN
Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 12 OCTOBRE 2001

108
L’Afghanistan ne saurait être considéré comme au ban des nations. En revanche le
régime actuellement en place là-bas pourrait bien l’être. Et la rime ban/taliban ne joue pas
en la faveur de ceux-ci.

Mais comment comprendre cette expression « mettre au ban » ? Le ban a d’abord été une
proclamation, un commandement dont la non-observation entraînait une peine. On
comprend ainsi qu’en français, le mot se soit spécialisé dans le sens d’exil, l’un des
châtiments envisageables pour le coupable. Et de là viennent des mots comme bannir ou
bannissement. Mais ce verbe bannir a une histoire très complexe et il a en ancien français
deux sens principaux différents : proclamer et expulser. De ces deux significations
dérivent deux séries de mots, différents, presque opposés.

Bannir a voulu dire proclamer par ban (encore aujourd’hui on proclame les bans d’un
mariage), et par extension, convoquer. De là la tournure : convoquer le ban et l’arrière-
ban, c’est-à-dire convoquer tout le monde jusqu’au plus modeste. C’était aussi convoquer
une armée.. Mais c’est l’autre sens qui a fini par s’imposer : exclure, chasser d’un
territoire. Le bannissement est donc une sanction juridique.

L’expression « mettre au ban » existe donc encore aujourd’hui. La sanction est plus
morale que pénale, même si elle correspond souvent à des conséquences très concrètes.
On peut mettre quelqu’un au ban de la société, comme on peut mettre un gouvernement
et l’État qu’il représente au ban des nations, en raison de sa politique ou de ses méthodes.

BANALISER

Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

E. LATTANZIO : Feuilletons violents, images horribles ... On peut


dire que la télévision a banalisé la violence.

Y. AMAR : Comme hier avec cette fiction sanglante : "Les


tronçonneuses du crépuscule". Le danger, c'est la distinction de
plus en plus difficile à faire entre violence fictive et violence
réelle, entre le feuilleton et les informations.

E. LATTANZIO : La télévision rend donc la violence banale et en


même temps, elle supprime le caractère insupportable, inadmissible
de cette violence. Et ces deux sens sont inclus dans le verbe
banaliser, dans son emploi actuel.

Y. AMAR : On parle également de racisme ou d'antisémitisme


banalisés, pour souligner que certaines prises de position ou
attitudes qui n'osaient pas se montrer au grand jour, il y a
quelques années, sont aujourd'hui de plus en plus fréquentes. Ca
tend à se banaliser.

E. LATTANZIO : Ce terme "banaliser" a aussi un sens moins


inquiétant. Par exemple, l'usage des répondeurs téléphoniques se
banalise. C'est beaucoup plus répandu, surtout en ville et chez
les gens seuls. Il existe également ce qu'on appelle des voitures
banalisées. Elles ne sont pas si fréquentes que ça : le sens du

109
mot "banalisé" est ici particulier. Il s'agit de voitures de
police qui n'ont aucun signe distinctif. On ne peut donc pas les
reconnaître.

Y. AMAR : Des voitures sans uniforme pour ainsi dire. Des voitures
qui épient sans képi. On parle parfois aussi d'ambassade
banalisée, c'est-à-dire des ambassades qui n'en sont plus, qui ont
perdu leurs avantages d'extraterritorialité. De même un campus
universitaire, lorsqu'il cesse d'être universitaire est banalisé.
Il redevient un terrain comme un autre.

E. LATTANZIO : Quant aux voies de chemin de fer banalisées, c'est


un sens du mot tout à fait spécial. Il s'agit de voies ferrées
simples : il n'y en a qu'une, pour l'aller et le retour. Deux
trains, donc, ne peuvent s'y croiser, et c'est le même convoi qui,
alternativement, roule dans un sens puis dans l'autre.

Y. AMAR : C'était parler au Quotidien, une émission proposée par


le Centre National de Documentation Pédagogique ...

E. LATTANZIO : ... et par RADIO FRANCE INTERNATIONAL.

BANANE
Par: (pas credité)

Banane : mot portugais venu lui-même du guinéen.

1) Expression (mettre, glisser sur) une "peau de banane" (sous les pieds, les
pas de quelqu'un) : manœuvre déloyale tendant à provoquer la chute de
quelqu'un (au sens imagé). Allusion au caractère glissant de la peau du
fruit.

2) Expression liée à l'origine exotique du fruit : "république bananière" :


expression péjorative désignant un état dont la souveraineté est plus
fictive que réelle, et qui est en fait une colonie déguisée d'un état
développé. Les républiques d'Amérique centrale, des Antilles, sous
influence nord-américaine, sont le type des républiques bananières (voir
encore assez récemment l'affaire du général Norriega au Panama).
L'appellation vient du fait que ces états satellites, avec des
gouvernements fantoches à la solde de la puissance étrangère, sont souvent
à la fois agricoles et tropicaux, avec une économie pauvre, d'où le fait
qu'ils produisent des bananes comme principale ressource (aspect
caricatural). L'expression est assez méprisante. Voir aussi l'un des
premiers films de Woody Allen, Bananas, qui parodiait ce genre de situation
vers 1970.

3) Le "français banane" : le français créolisé (peut-être intéressant


pour RFI). Ainsi, dans LE MONDE, on lit "C'est cette troisième langue, le

110
'français-banane', ou plutôt une version francisée par l'acte littéraire
qu'emploie Raphaël Confiant" (sous la plume de P. Lepape, LE MONDE
du 18 juin 1993).

4) Emplois imagés liés à la forme du fruit : "sac-banane, ceinture banane"


puis banane seule pour désigner un sac qui se porte depuis quelques
années à la ceinture, en général sur le devant du corps, dans lequel on
range des papiers ou de l'argent. Tient lieu de porte-monnaie ou de
pochette.

- "avoir la banane" : être en forme, de bonne humeur, être souriant en


raison de la forme du sourire, peut-être à rapprocher d'avoir la pêche, par
le biais des fruits.

5) Expression vulgaire : "se faire bananer" (à noter la transformation


substantif/verbe) argot un peu vieilli (années 70) : se faire avoir, se
faire posséder. Je crains que ceci ne soit synonyme du moderne "se faire
entuber" : synonymie héritée de la forme phallique du fruit considéré
(banane = pénis). D'où "avoir la banane" dans le petit Perret illustré =
être en érection et non pas avoir le sourire.

Expression ambiguë : "se prendre pour une banane", à un examen, par


exemple = subir un échec. Peut aussi bien se rapprocher de la peau de
banane, que l'expression précédente, et de "tomber en banane" = être dans
une situation critique.

BANANE
Par: (pas credité)

Ah ! que la banane nous soucie en ce moment ! Ce n'est pas un conflit


bananier mais pourquoi est-elle à ce point décriée ?
Le fruit est apprécié mais ses amateurs s'en sont souvent moqué - peut-être
parce que les singes sont souvent représentés la banane à la main.
D'où vient le mot ? De Madagascar pour certains (TLF) ; du bantou de Guinée
pour d'autres (Colin, Rey). En tout cas, il transite par le portugais et le
latin renaissant. Et en français, on a d'abord parlé de figue-banane, puis
de banane tout court. Sous les tropiques, on distingue bien sûr la banane
plantain (à cuire) de la banane douce, ou banane dessert, mais pas en
France.

Il y a de très nombreuses utilisations métaphoriques du mot. Son doux arrondi,


spontanément sympathique a fécondé à loisir l'inconscient linguistique.
Jusqu'à sa couleur qui a enrichi notre nuancier familier : les murs banane
étaient jaune clair - mais revenons à sa forme.

111
La banane, c'est au choix un kayak fatigué, un meuble déjeté, une médaille
militaire, une prise électrique (fiche banane), un butoir vertical de
pare-chocs. L'art capillaire la caresse dans le sens du poil : c'est une
longue mèche souvent gominée qui s'enroule sur elle-même et pendouille sur
le front d'adolescents pensifs ; ou bien c'est le chignon qui forme un
rouleau vertical à la Grace Kelly (la banane a toujours été plus distinguée
que la choucroute - enfin, à mon avis).

Et c'est surtout dans un argot assez récent, le symbole de la bonne humeur,


et du sourire permanent ("Tony ? Toujours la banane !").
Et pourtant, que d'échos péjoratifs : Va donc, eh, banane ! = andouille,
crétin, etc. Est-ce à la mollesse progressive de la chose, à l'indécision
de sa courbure ? Qu'importe, c'est injuste !
Et la peau de banane, adhésive d'un côté (comme du crêpe), très glissante
de l'autre est le symbole bonhomme et indépassable de la chute.
La peau de banane figurée n'est pas toujours là par hasard : suivez mon
regard.
"Il m'a jeté une peau de banane" = il a semé une embûche sous mes pas pour me
nuire. Il se voyait déjà député, mais avec cette malheureuse affaire de
fausses factures, il a glissé sur une peau de banane.
On finit sur la république bananière ? C'est-à-dire un pays ou un
gouvernement où priment l'ambition personnelle ou la corruption ; fausse
république qui évoque certains pays du Tiers-Monde, notamment en Amérique
Centrale (Cf. le film de Woody Allen Bananas).

BANQUETTE, BANDE CHANTANTE, GENDARME


COUCHÉ
Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 4 SEPTEMBRE 2001

Modifications de la voirie et de la circulation parisienne : multiplication des banquettes.


Qu’est-ce que c’est ? Des « lignes jaunes » améliorées. Oui ! Des éléments qui séparent
les couloirs réservés aux voitures particulières des couloirs prévus pour les « transports en
commun » – ce qu’on appelle parfois les transports (Je suis venu en transports… sous-
entendu en commun…).

Est-ce que c’est nouveau ? C’est plus haut. Et l’interdiction se double d’une impossibilité.
Avant, il y avait une ligne tracée. Et les « lignes continues » se devaient d’être comme
des murs que les voitures au grand jamais ne devaient franchir. Les « lignes discontinues
», on pouvait, si ce n’était pas dangereux. Les « lignes continues »… mon Dieu. Il y a
longtemps, ces lignes étaient jaunes. C’est la couleur qui est restée dans l’imaginaire
linguistique. Une « ligne jaune », même de façon imagée, c’est un interdit. Le flirt,

112
d’accord, mais attention, il y a une ligne jaune à ne pas franchir.

Les lignes sont maintenant blanches, pour correspondre à des normes nationales ou
européennes, mais on ne parle jamais de ligne blanche. Et l’expression « ligne continue »
est assez administrative : c’est celle du Code de la route, ou du gendarme qui vous dresse
un procès-verbal.

Mais l’automobiliste, et notamment le Parisien, est indiscipliné. L’interdit symbolique ne


suffisait pas : place donc à la banquette, ce gonflement vaguement cylindrique qui
empêche vraiment une voiture de passer d’une file à une autre. Pourquoi une banquette ?
Mon Dieu, parce que c’est long, et vaguement rembourré…

Mais on a aussi les « bandes chantantes », ces bandes qui, lorsqu’on roule dessus,
émettent un bruit plus ou moins mélodieux qui doit avertir le conducteur qu’il s’écarte du
droit chemin. Mais c’est plus pour l’informer que pour le sanctionner ou le sermonner.

Et enfin le « gendarme couché », charmante métaphore, qui désigne des genres de


banquettes –et même parfois presque des dos d’ânes- placées en travers de la route pour
ralentir les voitures. Vous prenez trop vite un « gendarme couché », et c’en est fait de vos
amortisseurs.

BAPTEME
Par: Yvan Amar et Anne-Cécile Bras

La Reine d’Angleterre va baptiser le paquebot Queen Elizabeth II. (Et on le dit ainsi en
français, en gardant le nom anglais et en traduisant l’adjectif numéral).
Alors qu’est-ce que c’est que ce baptême ? Une cérémonie, avec une série d’actes rituels
obligés, parmi lesquels, le plus souvent, on arrose le bateau avec une bouteille qu’on
casse sur sa coque. Champagne ou alcool de prix… cela, en tout cas, s’apparente à un
sacrifice, et symbolise un aval, une bénédiction donnée au bateau : tu existes, tu es un
grand maintenant, tu peux aller affronter les dangers de la mer. Ce rituel, même s’il est
encore souvent teinté de religiosité, dérive d’une pratique beaucoup plus explicitement
religieuse.

Mais, comme le mot baptême a plus d’un sens, il convient de bien s’orienter…
En effet, ce nom baptême renvoie à trois significations principales : la bénédiction, la
nomination et la première fois.

Premier sens religieux, donc. C’est le sacrement administré pour purifier un être humain
– le plus souvent un enfant – du pêché originel, et l’admettre ainsi dans la communauté
chrétienne. Baptizein signifie en grec immerger, plonger, et renvoie au rituel de l’eau
purificatrice. On a, donc, le nom baptême, le verbe baptiser (administrer le baptême), le

113
participe baptisé (pour celui qui a reçu le baptême)…

Deuxième sens : baptiser signifie donner un « nom de baptême », donc nommer, puisque
la cérémonie du baptême sanctifie et entérine le nom que les parents (ou les parrain et
marraine) donnent à l’enfant. Mais, le verbe s’emploie plus couramment quand il s’agit
de donner à quelqu’un un surnom (J’ai un nouveau briquet que j’aime déjà comme un
fils. Je l’ai baptisé Jojo). On a également formé débaptiser (changer le nom) et rebaptiser.
La rue de Leningrad à Paris a été débaptisée après la chute du régime soviétique, et
rebaptisée Saint Petersbourg, comme la ville qu’elle célèbre.

Troisième sens, qui se raccorde au premier : de même que le baptême correspond


symboliquement à une première entrée dans la vie, on parle, plaisamment de baptême
pour désigner une première fois particulièrement marquante, même si elle est tragique :
baptême du feu, baptême de l’air…

BARON
Par: Yvan Amar et Anne-Cécile Bras

Après les barons du gaullisme et les barons de la finance, voilà que les barons de la
drogue occupent la scène médiatique. Il s’agit, donc, à l’évidence de personnages
importants, plutôt les gros poissons que le menu fretin. Et il est étrange que ce mot de «
baron » ait pu prendre un tel sens alors qu’il occupait l’avant-dernier rang dans la
hiérarchie nobiliaire : Chevalier, baron, vicomte, comte, marquis, duc, prince, et
ensuite… mon Dieu, irons-nous jusqu’aux princes du sang, au roi, etc.

Pourtant, à l’origine, le baron n’a rien d’obscur : dans la première hiérarchie féodale, et
désigne un grand seigneur du royaume.

Voilà l’un des rares mots empruntés au francique ; et dans cette langue, à l’origine, le
baron est un « homme libre ». La tradition nobiliaire a pu ensuite lui réserver un sort plus
modeste. Mais la langue anglaise, et même américaine, a redoré son blason : un baron est
un magnat, c’est-à-dire un personnage tout puissant, et surtout dans la presse et
l’industrie.

On notera également qu’en France, et dans une langue argotique, le baron est un
comparse, un compère.
Au jeu du bonneteau, par exemple, c’est un complice du maître du jeu, qui feint d’être un
passant, un joueur comme un autre. Il va jouer, et bien souvent gagner. Et donner ainsi
confiance aux autres, qui ainsi vont imaginer que gagner n’est pas si difficile, que le jeu
est honnête, que tout le monde a sa chance.
Ou alors c’est celui qui fait semblant d’être le passant choisi au hasard pour répondre au
magicien, à l’illusionniste : « Prenez une carte ; ne me la montrez pas, remettez-la dans le
paquet… »

114
BAROQUE
Par: (pas credité)

Rétrospective du Centre de musique "baroque" de Versailles : coup


d'oeil, et coup d'oreille sur toutes les musiques "baroques" qui
ont été jouées et souvent redécouvertes par des musiciens de ce
centre : beaucoup de Lully, de Rameau, de Couperin, de Gilles, de
Charpentier... des musiciens français des 17ème et 18ème siècles.

Pourquoi donc appeler cette musique "baroque" ? L'histoire du mot


est passionnante et compliquée.

Commençons avec le mot portugais "barroco" qui désigne une perle


irrégulière. C'est sous cette influence qu'en français (et en
allemand) le mot signifie "bizarre" ou "insolite".

Mais attention : son sens se croise avec le souvenir d'un autre


mot, plus étrange encore, inventé au Moyen-Age. Et inventé de
toute pièce, arbitrairement "baroco", dont les sonorités
rappellent vaguement les formules magiques : Abracadabra.
"Baroco" est donc une sorte de formule qui désigne moqueusement
un raisonnement absurde et inutilement compliqué. Et sa résonance
donne à "baroque" sons sens péjoratif.

Tout en conservant un aspect légèrement péjoratif, le mot prend un


sens esthétique à partir du 18ème siècle. Une architecture baroque
est celle qui s'écarte de la norme classique, par un excès de
raffinement. Et en particulier par un certain goût de
l'ostentation : le baroque multiplie les facettes et en montre le
plus possible.

Au 20ème siècle, "baroque" ne signifie plus seulement un style, un


mauvais goût mais également une époque. Celle qui précède le
classicisme : la poésie baroque est celle du début du 17ème siècle
: Saint-Amand, Théophile de Vian... ou même Corneille, dont le
théâtre n'a pas la gourme classique de ses successeurs.

Le "baroque" est donc une sorte de premier romantisme.


Maintenant, en musique, on parle beaucoup de baroque depuis les
années 70 et on désigne par là non seulement la musique composée
entre 1600 et 1750 environ, mais aussi une certaine manière de
l'aborder.

Les recherches historiques, les tentatives de retrouver le style

115
de l'époque, les instruments de ce temps-là font partie de tout un
courant musical qui, depuis une trentaine d'années, s'efforce de
replacer la musique dans son contexte.

BARQUE, EMBARQUER, DEBARQUER


Par: (pas credité)

Septembre : première manifestation pour célébrer l'an 2000. 20 "barges" sur la Seine sur
lesquelles prennent place des orchestres de percussions.

"Barge" ? C'est-à-dire des péniches, des bateaux à fond plat, destinés à transporter de
lourdes charges, en général, en eau douce (mais pas toujours : "barges du
débarquement").
"Barge" est de la famille de barque, mot ancien, hérité du latin probablement, mais qui
vient du grec et avant de l'egyptien.
"Barque" : le mot est encore courant mais ne désigne que de modestes esquifs,
notamment utilisés pour la pêche.
Usages figurés : "mener sa barque" (conduire sa barque), familier et positif = (bien)
mener sa vie, avec intelligence et adresse.

Dérivés très courants avec des sens figurés spécifiques. 2 séries : (s') "embarquer" et
"débarquer".

Un "embarquement" au sens propre, c'est le fait de monter à bord (d'une "embarcation",


au départ). C'est encore utilisé : dans les aéroports, on vous indique "embarquement
immédiat".

M' "embarquer", ou plus souvent "s'embarquer" ont été utilisés dans des sens différents
particuliers : être engagé dans une affaire, une entreprise, une aventure : "Tu as signé un
contrat avec Jules ? Mon Dieu, dans quelle histoire tu t'embarques !" Avec l'idée que,
quand on est parti, on est parti, engagé. On ne peut plus descendre, abandonner sur une
simple impulsion. C'est comme si on était en pleine mer.
Transitif, le verbe "embarquer" a un autre sens familier, proche de l'un de ses sens
propres : "embarquer", c'est prendre avec soi, dans le bateau : "j'ai embarqué son briquet"
= je l'ai pris, je suis parti avec son briquet (soit exprès, soit par mégarde). Mais c'est
toujours partir avec quelque chose qui ne vous appartient pas, qu'on n'aurait pas dû
prendre.

Quant au verbe "débarquer", il a plusieurs sens figurés : "Tu débarques !" signifie tu es
nouveau venu, tu n'es au courant de rien - comme si tu débarquais sur une terre inconnue.
"Ils ont débarqué à quatre, sans prévenir" veut dire "ils sont arrivés à l'improviste" avec
l'idée que ces quatre-là étaient un peu envahissants et importuns.
Enfin, - et toujours de façon familière, très familière, "débarquer" quelqu'un, c'est le
congédier.

116
BARRE
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Les édiles de Deuil-la-Barre veulent secouer le cocotier… Quoi quoi quoi ! ! Quel
cocotier ? ? Deuil-la-Barre, il faut d’abord le savoir, est une charmante localité de la
région parisienne. Mais pêcherait-elle par son nom? C’est que les responsables de la
mairie de Deuil-la-Barre ont décidé d’un référendum pour connaître le sentiment de leurs
administrés sur le nom de la commune. Alors, on ne veut plus de Deuil-la-Barre ? Trop
funèbre ? Justement pas… C’est ça l’étonnant : ce n’est pas « Deuil » qui gêne : c’est la
barre ! ! ! Parce que la barre évoque une barre d’immeubles, que ça fait un peu peuple, un
peu cité de banlieue mal famée, et que donc le standing et, par conséquent, le prix du
mètre carré s’en ressent. C’est donc une affaire tout à la fois d’image et de gros sous : les
promoteurs immobiliers voudraient que ces parages ne voient pas leur responsabilité
entamée.

Il est vrai que, depuis quelques années, (mettons une vingtaine, pas plus…) on parle de
barre d’immeubles… Pour désigner des blocs immobiliers, construits en général entre les
années soixante et les années quatre-vingt, fort laids, fort compacts, où peuvent s’entasser
des milliers d’occupants. Ce sont souvent des HLM (habitations à loyer modéré), établis
dans des banlieues populaires… Et il est vrai que cet urbanisme sauvage n’a rien fait pour
établir une tranquillité sereine chez ses habitants. Le mot « barre » dit bien ce qu’il veut
dire : c’est bien en forme de barre – quoiqu’on pourrait objecter que la plupart du temps,
une barre évoque plutôt quelque chose d’horizontal, qui s’étend en largeur. Alors que les
immeubles, en question, sont le plus souvent construits en hauteur. La naissance des
codes barres auraient-elles un impact là-dessus ? Pas sûr… Et pourtant… On parle donc
également de tours. Et souvent, on a parlé méchamment de cages à poules, ou de cages à
lapins… notamment dans les années soixante, quand c’était nouveau, et que les
moqueries étaient neuves également. Et ces expressions renvoyaient à la fois à une idée
d’enfermement, de passivité, et à une idée de grégarisme, c’est-à-dire d’uniformité : tous
pareils dans nos petits appartements. Et tous conditionnés.

La barre est donc l’unité de construction de la cité… qui est aussi le mot par lequel on
désigne un ensemble de barres… Et selon le contexte, on voit bien si on est encore ou
non dans le cadre de la cité médiévale ou antique, ou dans un univers moderne et plus
terrible. Quant à cet ensemble de barres, il est planté en général sur une dalle, nom par
lequel on désigne l’esplanade nue et éteinte où l’on ne peut pas faire grand chose d’autre
que traîner…

BARRE
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Y.AMAR : Henriette a eu un peu de mal à entrer au lycée : ils


avaient placé la barre très haut.

117
E.LATTANZIO : C'est-à-dire qu'ils demandaient un niveau très élevé
pour admettre les élèves. "Placer la barre très haut", l'image
bien sûr vient du sport, du saut en hauteur. La barre est celle
au-dessus de laquelle il faut sauter. Chaque fois qu'un sauteur a
réussi à la franchir, on la remonte. Si, au départ, elle est
placée très haut, il est difficile de concourir. Et au figuré, le
sens est évident.

Y.AMAR : Dans le même ordre d'idée, on "atteint" la barre, ou on


"franchit" la barre. Ça renvoie souvent à un contexte de chiffres
et de calcul. Le nombre de chômeurs a atteint la barre des trois
millions, par exemple, dans tel ou tel pays.

E.LATTANZIO : C'est donc une sorte de triste record. Mais être


"au-dessous" de la barre est une autre image, qui vient, elle, de
la viticulture. Jadis, en effet, une barre de bois transversale
étayait les tonneaux par le milieu. Le vin qui était au-dessous de
cette barre risquait donc d'être de médiocre qualité.

Y.AMAR : Mais "avoir barre sur quelqu'un" a un sens différent :


c'est avoir un moyen de pression, comme un chef du personnel qui,
à la fin de l'année, note chacun des employés. Et grâce à cela, il
a barre sur eux, comme s'il faisait peser sur eux une sourde
menace.

E.LATTANZIO : Cette barre-là vient encore d'autre part, d'un


ancien jeu de poursuite, où l'on avait "barre" sur son adversaire
lorsqu'on franchissait une certaine limite, une barre, pour le
poursuivre.

Y.AMAR : Terminons avec "être à la barre", image maritime : la


barre commande le gouvernail, sur un bateau. Etre à la barre,
c'est donc diriger.

C'était Parler au Quotidien, une émission proposée par le Centre


National de Documentation Pédagogique ...

E.LATTANZIO : ... Et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.

BAS ET HAUTS : UNE METAPHORE VERTICALE POUR DIRE LE VETEMENT

Par: (pas credité)

Le petit "haut" est à la mode - ou plutôt le "p'tit haut". Le mot ne s'écrit pas, ou très peu.
Il se prononce dans un langage spécialisé et probablement éphémère. Et il traduit le mot
anglais "top" somme toute peu utilisé tel quel.

Ajusté, minimal, "tendance" et juvénile, le "p'tit haut" vit actuellement de belles journées
et remplit les armoires des jeunes filles, à moins qu'il ne couvre légèrement le haut de
leur corps. Le haut ? Oui, le haut ! Et voilà tout justement l'origine du mot, qui est censé
recouvrir la peau, approximativement du nombril jusqu'au cou.

118
Pourquoi insister sur "p'tit" ? Peut-être parce que le "haut" est déjà utilisé avec d'autres
significations, et désigne alors la partie supérieure d'un vêtement double : "haut" de
pyjama, "haut" de maillot de bain, voire de jogging… Mais les yeux plongent vers le sol,
ils seront parfois arrêtés à mi-pente, par les "bas" : ainsi se nomme le voile transparent ou
opaque qui enveloppe la jambe et s'arrête en haut de la cuisse, le collant étant réservé aux
"bas" qui prennent toute la taille. Ces indications par rapport à l'espace ne datent pas
d'hier, puisque jadis, les hommes (alors que les "bas" et les "hauts" d'aujourd'hui sont
généralement réservés aux femmes) portaient des chausses, et que ce vêtement se divisait
en "haut" et en "bas" de chausses.

Maintenant, on sait qu'au-delà du "bas" et du "haut", le lexique de l'habillement a


beaucoup donné du côté des dessus, des dessous, des sous-pulls aux surchemises, en
passant par le pardessus et le survêtement.

BASILIQUE

Par: (pas credité)

Inaugurer des "basiliques", ça fait partie du travail des papes. Et c'est encore plus facile
quand il s'agit d'une "basilique" un peu ancienne, comme la Saint-Pierre, dont on
inaugure guère que la nouvelle façade enfin restaurée. Mais pourquoi "basilique" ? C'est
peut-être la seule vraie question.

La "basilique" nous vient du grec : on sent bien qu'elle est de la même famille "due le
basileus", le roi, ou tout au moins celui qui détient le pouvoir (le mot n'est pas
symboliquement monarchique).

La "basilique" est donc au départ le siège de l'Archonte Roi à Athènes, le siège du plus
haut magistrat de la cité.
Le mot passe ensuite à Rome, et la "Basilique" est le nom d'un grand édifice romain où se
pratiquent pêle-mêle le droit et les affaires. On s'y retrouve donc.
Et à partir du IVème ou du Vème siècle, "basilique" commence à désigner des églises
chrétiennes. Pourquoi ? Ça reste encore une relative énigme, mais la grande "basilique"
Constantine, construite à Jérusalem sur l'emplacement du tombeau du Christ n'y est pas
pour rien.

Une "basilique" est donc restée une église qui avait la faveur du pape. Mais ce n'est pas le
nom qu'on donne à n'importe quelle grande église ? La raison en est simple : les grandes
églises sont, en général, le siège des évêques et des archevêques et, par conséquent,
bénéficient d'une appellation spéciale : nous sommes dans une "cathédrale". La
"cathédrale" est à l'origine un trône royal, puis une chaire d'évêque, ce qui explique
quelques expressions franco-latines encore courantes en français : un cours "ex cathedra"
est fait en chaire par un professeur. On s'oppose là aux travaux pratiques et on est dans
l'exemple type du cours magistral.

BASQUE

119
Par: (pas credité)

C'est le festival de la culture basque. Parlons un peu de cette langue étrange, bizarre.
Elle est parlée par près de 800 000 personnes, et ses huit dialectes tentent de s'unifier en
un seul " Euskara batua " (" Euskara " désigne la langue basque en basque).

La langue est étrange car c'est la seule langue régionale parlée en France qui ne soit pas
d'origine indo-européenne. D'où vient-elle ? Peut-être du Caucase, c'est le plus
vraisemblable ; mais on a aussi parlé du berbère. En tout cas, on est sûr de rien. Peu
d'emprunts du français au basque ; les accents, les racines sont trop différentes. On a
quand même quelques réalités locales : l'izard, sorte de chamois. Alors que l'orignal
(appelé parfois, à tort, l'original) est un élan d'Amérique - le mot vient d'orein, cerf, en
basque.

On a déjà parlé de bizarre, vu qu'en basque, bizar, c'est la barbe, le poil. Le mot a de
toutes façons transité par l'espagnol, et peut-être l'italien. Un long voyage, donc.
Terminons par bagarre, dont la terminaison est proche de bizarre, et qui rend hommage
au caractère fier et indépendant de cette langue basque.

BASQUE
Par: (pas credité)

C'est le festival de la culture basque. Parlons un peu de cette langue étrange, bizarre.
Elle est parlée par près de 800 000 personnes, et ses huit dialectes tentent de s'unifier en
un seul " Euskara batua " (" Euskara " désigne la langue basque en basque).

La langue est étrange car c'est la seule langue régionale parlée en France qui ne soit pas
d'origine indo-européenne. D'où vient-elle ? Peut-être du Caucase, c'est le plus
vraisemblable ; mais on a aussi parlé du berbère. En tout cas, on est sûr de rien. Peu
d'emprunts du français au basque ; les accents, les racines sont trop différentes. On a
quand même quelques réalités locales : l'izard, sorte de chamois. Alors que l'orignal
(appelé parfois, à tort, l'original) est un élan d'Amérique - le mot vient d'orein, cerf, en
basque.

On a déjà parlé de bizarre, vu qu'en basque, bizar, c'est la barbe, le poil. Le mot a de
toutes façons transité par l'espagnol, et peut-être l'italien. Un long voyage, donc.
Terminons par bagarre, dont la terminaison est proche de bizarre, et qui rend hommage
au caractère fier et indépendant de cette langue basque.

BATON
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

120
E.LATTANZIO : A l'occasion de l'un des derniers voyages du
Président Chirac, la presse a dit qu'il avait repris son "bâton de
pèlerin".

Y.AMAR : L'expression renvoie aux anciens pèlerinages,


spécialement à celui de Compostelle. Et les pèlerins de
Compostelle avaient un certain nombre d'emblèmes, de signes qui
permettaient de les identifier : le chapeau orné d'une coquille
Saint-Jacques, le manteau et le bâton de marche. En même temps,
l'idée du pèlerinage évoque un voyage lent, qui explore chaque
détour de la route. Cela implique donc que le Président connaîtra
bien les français.

E.LATTANZIO : Ce bâton, on le prend, ou on le reprend,


c'est-à-dire qu'on renoue avec une vieille habitude, une
tradition. Rien à voir avec le "retour de bâton", autre expression
qui évoque un contrecoup. L'expression est issue d'un croisement.
Elle se rappelle une ancienne tournure : "le tour de bâton", qui
signifiait profit illégal et secret. Et le "retour de manivelle"
est une autre expression, dont le sens est évident pour tous ceux
qui ont fait démarrer des voitures à la manivelle. Elle revient
très fort en sens inverse et ce peut être assez dangereux. Ce
retour de manivelle ou retour de bâton est donc la réaction
brusque et imprimé dans la direction opposée à celle qui était
prise au départ.

Y.AMAR : Rien à voir non plus avec le "bâton de chaise". On trouve


cette locution lorsqu'on parle de quelqu'un qui mène une vie
dissolue,dissipée.Une vie de bâton de chaise ... à cause
probablement des chaises à porteur. Les bâtons qui les
maintenaient passaient pour avoir une existence agitée, d'autant
qu'ils étaient entre les mains de laquais qui passaient pour
débauchés.

E.LATTANZIO : Terminons avec un drôle de mot, "baston", dont le


"s" évoque la langue classique et qui pourtant appartient
aujourd'hui à l'argot des banlieues : une baston, c'est une
bagarre, une rixe.

Y.AMAR : C'était Parler au Quotidien, une émission proposée par le


Centre National de Documentation Pédagogique ...

E.LATTANZIO : ... Et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.

BATONNIER
Par: (pas credité)

C'est en ce moment qu'a lieu la Conférence des Bâtonniers. Bâtonnier :


vient de bâton. Désignait celui qui avait en dépôt le bâton d'une confrérie
et le portait aux processions ; le bâton est en effet souvent l'insigne de
l'autorité, comme le sceptre ou la crosse (bâton de Maréchal). Mais
l'origine du bâton des avocats est juridico-religieuse : tous les ans, il

121
fallait, lors d'une cérémonie porter au Doyen choisi par la confrérie
religieuse et juridique de Saint-Nicolas, la bannière (ou bâton) du Saint.
Première mention du bâtonnier : 1602.

Aujourd'hui, avocat choisi par ses confrères comme chef de l'ordre ; il


exerce alors le bâtonnat, pendant un an, convoque et préside le Conseil de
discipline.

Le Bâtonnier n'a donc pas de rapport direct avec le barreau, terme


désignant l'ordre des avocats (allusion à l'espace réservé aux avocats dans
un prétoire, et autrefois fermé par une barre de bois ou de fer). Par
extension, le barreau est souvent synonyme de la profession d'avocat (se
tourner vers le barreau). Quant à la barre, c'est une image qu'on trouve en
français quelques dizaines d'années avant le barreau (milieu 16ème), pour
désigner non pas l'espace des avocats, mais plutôt celui des juges : cette
barre les isolait du reste du prétoire, et c'est devant elle que venaient
parler avocats ou témoins.

Procureur : le mot vient de procurer au sens d'agir à la place de


quelqu'un, cf. la notion encore vivante de "procuration" (dans un vote,
droit donné à quelqu'un de représenter une autre personne).
Procureur de la République : membre du parquet qui représente le ministère
public dans les tribunaux d'instance et de grande instance.

Procureur général, la même chose, mais auprès de la Cour de cassation ou


les cours d'appel.

Substitut du procureur : magistrat placé sous l'autorité des précédents,


chargé de les suppléer ou de les remplacer respectivement en première
instance ou en appel.

Parquet : a désigné la partie d'une salle de justice où se tenaient les


juges. Aujourd'hui, le terme désigne l'ensemble des magistrats du ministère
public. Cette image du Parquet est filée dans une métaphore pittoresque :
on distingue la magistrature debout, le Parquet, de la magistrature assise,
composée des magistrats qui prononcent les jugements.

BAVURE
Par: Yvan Amar

La libération sanglante de Juliana Sgrena a marqué le week-end… Et, avant même de


savoir ce qui s’était exactement passé, tout le monde a parlé de la bavure américaine…
Bavure… c’est le moins qu’on puisse dire… Le mot, dans ce sens, apparaît après guerre,
vers 1950, mais il s’est surtout répandu à partir des années 80. Et le film où jouait
Coluche, Inspecteur La Bavure, même s’il était un peu grossier, a beaucoup fait pour

122
accréditer l’expression… Pour désigner une erreur grave, souvent tragique, effectuée par
des services de la police ou de l’armée… en tout cas par des forces de l’ordre, qui ont les
moyens d’exercer leur pouvoir.

Alors, on voit bien que le mot est ce qu’on appelle un « euphémisme »… qui en dit le
moins possible pour minimiser une réalité…
Et ce mot, au départ, porte le point de vue des forces qui sont en faute… Elles
reconnaissent leur faute… Avec embarras… Ou plutôt, il s’agit de reconnaître son erreur,
plutôt que sa faute… Parler d’une bavure ce n’est pas se déclarer coupable, c’est
reconnaître qu’on a fait une erreur d’appréciation.

L’image est, d’ailleurs, très parlante… Qu’est-ce que c’est qu’une bavure ? Le fait de
baver… Mais aussi, et c’est déjà au figuré, le fait de colorier au-delà du trait… C’est un
mot de peintre… La peinture a un peu dégouliné… Elle a dépassé la limite… L’image
renvoie, donc, a une idée de « tolérance » qui a été mal gérée… : Comme si on pouvait se
permettre certaines choses, certaines privautés, certaines rudesses… mais pas trop… Et la
bavure… c’est d’aller un peu trop loin dans ce qui n’était pas permis, pas officiel… mais
qui était une pratique admise… Alors, on peut parler de bavure, lorsque la victime est
plus fragile qu’on pensait… On malmène un cardiaque… Un infarctus ? C’est la bavure !

Ou plus souvent encore, quand on se permet une privauté… avec la mauvaise personne…
Un questionnement un peu brutal, un tutoiement… avec quelqu’un qui se révèle être….
un président de Tribunal… un membre du personnel diplomatique… C’est la bavure…
Ou bien … on tire sur une voiture anonyme… et c’est celle de l’otage libérée… En
admettant que ça se soit passé comme ça… !

BEATLE
Par: Yvan Amar

Aujourd’hui, s’ouvre à Paris, à la Cité de la musique de la Villette, une exposition


consacrée à John Lennon : « John Lennon Unfinished music », rétrospective autour de ce
musicien, qui se poursuivra jusqu’au 25 juin 2006. On a donc le temps d’aller à la
rencontre de cette manifestation qui correspond à la fois au 25ème anniversaire de la mort
de Lennon et au 65ème anniversaire de sa naissance. Alors penserez-vous, tout ça est
bien anglophone, et on entend parler d’unfinished music plutôt que de musique
inachevée. Certes. Mais, notons au passage que le musicien était britannique et qu’il
vivait aux Etats-Unis. Et puis le groupe dont il était l’un des membres principaux a connu
une telle célébrité qu’il vaut bien une chronique : les Beatles font partie de l’imaginaire
français. Il se prononce, d’ailleurs, sans difficulté, et à la française… Et il accepte bien
volontiers l’article : on dit les Beatles… et ça passe. Nul besoin de dire The Beatles. On
s’approprie le mot. Et il faut convenir qu’on a fait la même chose pour tous les groupes
qui ont réussi… Les Rolling Stones, les Shadows, les Beach Boys, etc. Seulement voilà,
qu’est-ce que c’est que ce mot étrange de « beatles ». C’est le nom que le groupe s’est
donné en 1960, après s’être rapidement appelé Silver Beatles. L’intéressant, c’est que le

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mot ne veut rien dire en anglais. Il est vraiment inventé. Mais avec des évocations
indirectes.

D’abord, il se prononce sensiblement comme le mot beetle écrit b-e-e-t-l-e, qui signifie
scarabée. Les quatre jeunes gens dans le vent voulaient-ils passer pour des scarabées,
après avoir été des scarabées d’argent (silver beetles) ? Probablement pas. Et on peut
penser que c’est de façon très délibérée qu’ils ont choisi un nom qui n’existait pas tel quel
dans le dictionnaire de leur langue maternelle. Mais, cette proximité reste dans l’esprit de
tous les anglophones. Pour les Français, évidemment, c’est différent.

Le mot de « beatle » évoque autre chose : le beat, c’est-à-dire le battement, ce qui évoque
le tempo, le rythme. On dit davantage aujourd’hui, chez les musiciens, la pulse, la
pulsation. Le mot n’est peut-être pas si courant en français, d’abord parce qu’il peut
évoquer un calembour grivois. Mais, en anglais, il évoque la musique. Et en 1960, on
parle en Angleterre de beat music, musique rythmée, genre de rock à la mode ! Mais, il y
a aussi ce qu’on a appelé la beat generation. Qui, elle, a déjà atteint son apogée lorsque
les Beatles se font connaître. C’est ainsi qu’on a appelé tout un mouvement culturel,
surtout littéraire, qui a secoué l’Amérique d’après-guerre avec des poètes comme Allen
Ginsberg ou des romanciers comme Jack Kerouac, par exemple : mouvement libertaire et
révolte, dont le nom joue sur une autre ambiguïté du mot beat : la beat generation ce
serait plutôt la génération épuisée. Mais enfin, son influence n’est pas tout à fait éteinte
lorsque naissent les Beatles, et dans l’esprit du public en tout cas (même s’il n’y avait rien
de volontaire de la part des Beatles), on fait le lien.
Et à partir du succès phénoménal de ce groupe, on créera enfin des mots, diffusés tant
dans les pays de langue anglaise qu’en France ou dans les pays francophones, de
beatlemania : La folie Beatles !

BEAUTE
Par: (pas credité)

Ces quatre derniers jours, on a vu fleurir à Pantin, dans la Région parisienne, un salon
intitulé "Afro'dit", un salon de la beauté noire.
Tout commence bien sûr par un jeu de mots. Aphrodite était en Grèce la déesse de
l'amour et réputée pour sa beauté.
Et "afro" est un radical dérivé d'Afrique qui évoque non seulement ce qui est africain,
mais plus encore peut-être ce qui est "à l'africaine", ou d'origine africaine. Ainsi, toujours
dans le domaine de l'apparence extérieure, parle-t-on des "coiffures afro", d'une "mode
afro". D'autre part, on sait que les Noirs des Etats-Unis sont souvent appelés afro-
américains (terme prétendument neutre, qui est censé faire pièce à toute forme de
racisme, et dont l'efficacité n'est pas parfaitement avérée).
En tout cas, "Afro'dit" est un salon de la beauté où on a pu avoir un aperçu de toutes les
techniques, toutes les modes d'embellissement, de maquillage des visages et des corps
féminins (il y a encore un relatif tabou sur le maquillage masculin).

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Et le mot "beauté", dans une acception particulière, recouvre précisément ce domaine.
Dans les magazines féminins, la rubrique "beauté" est consacrée à tous les conseils qui
aideront les lectrices à être fières de leur apparence. De même, on peut aller dans un
Institut de beauté pour différer l'outrage des ans.
Pourtant, cette expression "Institut de beauté" paraît parfois un peu vieillie. On parle plus
facilement aujourd'hui d'"espace beauté", de "club beauté" ou de "centre d'esthétique".
Car ce mot d'"esthétique" est aussi très utilisé. Les femmes qui y travaillent sont des
"esthéticiennes".

Et si on a vraiment le besoin ou les moyens d'aller se refaire la fois une beauté et une
santé, on peut se tourner vers la "thalassothérapie" ("thalassa" veut dire mer, en grec) qui
utilise des moyens en rapport avec cette mer régénératrice qui nous fait rêver : un bon bol
d'iode, des bains d'algues ou à remous, quand ce n'est pas "l'épilation laser
bioélectronique".

BELLIQUEUX, BELLICISTE, BELLIGERANTS


Par: (pas credité)

Les événements du Kosovo remettent à l'honneur ces mots qui viennent


tous du latin "bellum" = la guerre, mot qui n'a pas donné de dérivé direct
en français. "Belliqueux" désigne au départ quelqu'un qui aime la guerre, qui la
recherche. On peut ainsi parler de nation "belliqueuse" (les Allemands dans les années
30), de parti, de gouvernement "belliqueux", ou même d'intentions de discours, de
formule, de déclarations "belliqueuses".
Pourtant, aujourd'hui, l'usage courant donne au mot un sens plus individuel et
psychologique que géopolitique. Quelqu'un de "belliqueux" cherche continuellement
la bagarre.

"Belliciste" désigne un partisan de la guerre et s'oppose à pacifiste. (On a d'ailleurs


"bellicisme" qui s'oppose à "pacifisme"). Il s'applique d'abord à Bismarck, dès le
milieu des années 1860 (donc avant la guerre avec la France, à propos de l'attitude de
Bismarck face à l'Autriche), mais le mot se répand durant la Première Guerre
mondiale.

On a bien sûr d'autres images équivalentes : "les faucons et les colombes", par
exemple "Hawks and doves" qui naissent aux Etats-Unis, en 1966, au début de la
guerre du Vietnam, puis qui s'exportent en Israël autour de la Guerre des Six Jours.

Mais on parle aussi de "va-t-en-guerre", et même de "boutefeu". Ce dernier mot


désignait un incendiaire (XVème siècle), et même au départ un bâton garni d'une
mèche pour mettre le feu à une pièce d'artillerie.

125
Quant aux "belligérants", ce sont simplement ceux qui sont impliqués dans un conflit
armé. Le mot est un peu abstrait, journalistique, peu fréquent dans la langue courante
parlée. Il ne dérive pas directement de "bellum", mais de toute la locution latine
"bellum gerere" (faire la guerre), ou plus précisément de la contraction qui existait
déjà en latin : "belligerare".

BEMOL
Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 29 MAI 2001

Le bémol fait partie de ces images à la mode depuis quelques années.


Notamment dans l’expression « mettre un bémol ». « Il a mis un bémol à ce bel
enthousiasme collectif, en déclarant que les nouveaux bureaux ne seraient disponibles
qu’à l’automne prochain ». L’expression signifie : il a jeté un froid, douché l’assistance,
et mettre un bémol, c’est souvent gâcher la fête, ou tout au moins la figer.

Mais on va voir que l’expression peut avoir plusieurs sens figurés :


Au sens propre, un bémol est un signe musical, une altération qui modifie la hauteur
d’une note en la baissant d’un demi-ton. Symétrique du dièse qui la monte d’autant. En
rapport avec le bécarre qui l’annule.

L’étymologie du mot est un peu compliquée. Le signe du bémol est rond, avec une petite
queue ; donc il ressemble un peu à un b minuscule. Pourquoi mol ? Le mot hérité de
l’italien, puis de l’allemand est, bien sûr, de la même famille que mou (mollis) qui
signifie, entre autres, mineur. Le mode mineur est parfois considéré comme « adouci », «
émollient », par rapport au majeur. Et il se caractérise par l’abaissement d’un demi-ton du
troisième degré de la gamme. On a donc, dans la gamme de do par ex., un mi bémol pour
faire une gamme mineure.

Le premier des sens figurés est donc très facile à comprendre. Le bémol permet de «
baisser le ton ». Et mettre un bémol a voulu dire, veut parfois encore dire « baisser le ton
», le prendre sur un autre ton, se radoucir. « Au début, il s’est énervé ; mais quand Jojo
est sorti de la voiture et l’a toisé du haut de ses 2m07, il a mis un bémol ». De même, on
dit « mettre la pédale douce », si l’on veut utiliser une autre image musicale (la pédale
douce, dite « una corda », permet, au piano, une frappe plus enrobée de la corde. Elle
s’oppose à la pédale d’expression).

Dernier sens figuré assez souvent entendu : revoir à la baisse, corriger par défaut : le
directeur financier a mis un bémol au financement du projet.
Et dans ce dernier sens comme dans d’autres, on entend même l’étonnant néologisme
bémoliser.

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BENOIT
Par: Yvan Amar

C’est donc Benoît qu’il se nomme, le nouveau Pape… Et quand je dis « qu’il se nomme
», je l’entends, au sens propre. Car l’un des premiers avantages de la papauté, l’un des
premiers au sens chronologique, l’un des premiers actes d’un Pape, sinon le premier
(après j’imagine une rapide action de grâce), c’est de se prendre un nom de pape. On ne
s’autoproclame pas… mais on se nomme.
Cette nomination ne saurait s’entendre comme une vanité. Ce n’est pas de l’auto-
engendrement… c’est, au contraire, se relier au passé, à une tradition, à un référent…
Peut-être le saint qui porte ce nom… ou le précédent pape qui l’a porté… Mais
l’étymologie, le premier sens du nom ne saurait être tenu pour tout à fait négligeable…
Le Pape défunt comme celui qui l’avait très brièvement précédé, s’appelait Jean-Paul, ce
qui les plaçait dans la continuité des deux papes précédents, Jean XXIII et Paul VI. Nom
assez étonnant pour un pape : c’était inaugurer une possibilité de noms doubles… C’était
également prendre un prénom qui correspondait à une génération, à une époque… En
français, tout au moins, le prénom Jean-Paul est un vrai prénom de la deuxième moitié du
XXème siècle. Au lieu que ce nom le mette un peu à l’écart de la communauté séculière,
il semblait l’y plonger plus profondément… Jean-Paul c’est d’abord le nom de votre
voisin, de votre cousin, de votre collègue, de votre ancien patron… de mille personnalités
dont on a les noms en mémoire…, de Sartre à Belmondo, que du pape.
Pour Benoît, l’affaire est différente. Non que Benoît ne soit un prénom courant dans le
français d’aujourd’hui (on a tous un ancien patron qui s’appelle Benoît…), mais c’est un
vrai nom de pape… avec une longue lignée derrière soi (une bonne quinzaine).

Et un sens !
Rappelons-nous d’abord que Benoît n’est qu’un nom français… qui dérive de benedictus,
en latin, « béni ». Et « bénir » est un verbe difficile à comprendre, qui rassemble deux
idées : le dire… et le bien. Bénir quelqu’un, c’est donc… non pas dire du bien de lui
(c’était le sens premier du verbe latin… louer…), mais prononcer une formule qui lui
attirera les bienfaits de Dieu, invoquer la puissance divine en faveur de quelqu’un. Etre
béni… c’est donc peut-être être placé sous le regard bienveillant de Dieu…
Mais, si ce participe a donné quelques prénoms français… (Bénédicte, Benoîte), il a aussi
donné des adjectifs. Benoît… qui n’est guère usité… et dont le sens a dérivé de
l’étymologie… qui ne signifie plus « béni », mais confit en dévotion… et parfois un peu
Tartuffe… De toute façon, il n’est pratiquement jamais utilisé… alors que « benoîtement
», l’adverbe qui en dérive, l’est parfois… avec le sens de « naïvement »… ou alors avec
une fausse, une feinte naïveté…
Quant à « benêt », autre adjectif de la même famille, il a tourné le dos à sa signification
d’origine pour signifier simplement béta, niais…

BERCER
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

127
E.LATTANZIO : Cessez donc de vous bercer d'illusions!

Y.AMAR : C'est pourtant bien reposant parfois, d'être bercé


d'illusions, ou d'autre chose. Et souvent on utilise des images
liées au sommeil pour décrire notre rapport au monde, la façon
dont on voit la réalité, la plus ou moins grande lucidité.

E.LATTANZIO : "Bercer", au sens propre, c'est balancer


régulièrement un enfant pour qu'il s'endorme. "Se bercer"
s'emploie surtout au sens figuré ...

Y.AMAR : ... Et se bercer d'illusions, c'est entretenir des idées


naïves ou bêtement optimistes, alors que la réalité est bien
amère.

E.LATTANZIO : Mais on peut bercer quelqu'un de paroles, de vaines


paroles, de trompeuses espérances, une expression assez littéraire
mais imagée.

Y.AMAR : Il s'agit de promettre une chose qu'on n'a pas


l'intention de tenir et cette attitude est tout à fait hypocrite.

E.LATTANZIO : Le verbe "endormir" peut avoir une utilisation


voisine : on endort la méfiance, les soupçons de quelqu'un ...

Y.AMAR : ... Et toujours pour le mauvais motif : si un employé


"endort" la méfiance de son patron, cela implique qu'il en
profitera. C'est que la méfiance du patron était justifiée. Si par
contre l'employé n'a aucune mauvaise intention ...

E.LATTANZIO : ... On ne dira pas qu'il endort la méfiance du


patron, mais qu'il la "désarme" ou qu'il la "dissipe".

Y.AMAR : De même, s'il endort la vigilance du gardien, c'est qu'il


a de mauvais desseins. L'expression est très logique, puisque
bercer évoque la recherche du sommeil et que vigilance évoque,
étymologiquement la veille. A l'inverse, si cet employé indélicat
est maladroit, il "éveillera" les soupçons.

E.LATTANZIO : Le vocabulaire de l'éveil correspond souvent en


effet à une certaine intelligence, une ouverture au monde.

Y.AMAR : On parle d'un enfant "éveillé", pour dire un enfant vif,


malin.

E.LATTANZIO : Et de même on parle d'éveiller un intérêt ou même


d'éveiller quelqu'un à quelque chose, c'est-à-dire de susciter son
intérêt.

Y.AMAR : Mon oncle m'a éveillé à la peinture et ma tante à la


musique.

C'était Parler au Quotidien, une émission proposée par le Centre


National de Documentation Pédagogique ...

E.LATTANZIO : ... Et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.


y

128
BERNE
Par: Yvan Amar

« Drapeaux en berne » ! Laïcité en berne ! Deux titres relevés dans la presse d’hier, et qui
tous les deux font références au grand battage officiel qui fait suite à la mort du Pape.

« Drapeaux en berne » ? L’expression signifie qu’en signe de deuil, les drapeaux


officiels, au lieu de flotter au vent sont « hissés à mi-drisse »…. Qu’est-ce que ça veut
dire « hissés à mi-drisse » ? La « drisse » est un terme maritime qui désigne le cordage
qui sert à hisser une voile ou un pavillon. Le drapeau en berne est donc assujetti à mi-
hauteur du mât, et non pas tout en haut. La plupart du temps d’ailleurs, on le roule pour
éviter qu’il se déploie. La symbolique est donc très claire. En signe de deuil, de repli, de
tristesse, on empêche le drapeau de claquer… Symbolique assez claire, et grammaire de
l’image en mouvement qui associe la vie, la fierté d’être à la visibilité du drapeau qui
claque, et la mort, le deuil, au repli sur soi. Image concrète d’une idée abstraite donc,
lorsque de vrais drapeaux sont en berne…

Image figurée lorsqu’on parle de laïcité en berne… comme l’ont fait ceux qui pensent
qu’on en faisait un peu trop pour la mort de ce pape, et que l’église et l’Etat se mêlaient
d’un peu trop près… Le mot n’est jamais employé que sous cette forme adverbiale, « en
berne », et on l’entend parfois, appliqué à divers usages : une mine en berne, le chapeau
en berne… ce qui veut dire… souvent triste, mais parfois aussi déconfit, minable, la
queue entre les jambes…

L’origine du mot « berne » est peu claire. Même si l’on est sûr que le sens actuel est
hérité du vocabulaire maritime néerlandais. Le mot signifierait bord, ourlet, comme si le
drapeau, roulé sur lui-même évoquait un ourlet…

Alors attention : il ne faudrait pas confondre ce mot avec le verbe berner et sa famille : il
s’agit de deux tribus différentes.
« Berner » veut dire duper, tromper quelqu’un avec l’idée qu’on l’a bien eu, qu’on l’a
joué, mené en bateau, qu’on lui a fait croire ce qui n’était pas… Il s’agit, au départ, d’une
brimade très spéciale qui consiste à faire sauter quelqu’un dans une couverture… et hop !
et hop ! Le même mot servait, d’ailleurs, à désigner le vannage du blé, qu’on faisait
sauter au-dessus d’un crible. Et le « berne », ou « bren », désignait la partie grossière du
son, celle qui ne passait pas à travers les mailles du crible, le rebut.
Et c’est vraisemblablement de ce verbe qu’est dérivée l’expression « bernique », désuète,
plus guère en usage, mais amusante, qui veut dire… des clous ! des nèfles ! autrement
dit… rien du tout… Qu’est-ce que j’ai gagné dans cette histoire ? « Bernique ».

BEURRES
Par: (pas credité)

129
Le petit beurre, le biscuit est l'orgueil de la ville de Nantes. Notons d'abord
que ce mot est le pluriel irrégulier le plus célèbre du français, grâce à cette
vieille blague de potaches : un "petit beurre", des touilloux. Mais par delà
la fantaisie du calembour, doit-on s'étonner que le petit beurre soit une
mine d'or ? Oui et non, puisque le beurre a toujours entretenu une relation
très équivoque à la richesse, symbolisant tantôt la faiblesse et l'absence,
tantôt l'abondance, la prospérité et le luxe.

Inconsistance du beurre ? Hélas oui, car le beurre fond. Aucune confiance à


avoir dans sa masse, sa densité, sa résistance. "On est rentré là-dedans
comme dans du beurre". Belle et vieillie, une autre expression témoigne de
cette fusibilité : "avoir des mains de beurre" = laisser tout échapper. Et on
s'explique par cette mollesse concrète le peu de cas qu'on fait du beurre :
"compter pour du beurre", c'est ne compter pour rien. Surtout à propos de
quelqu'un dont l'avis, l'intérêt, l'existence même est négligeable. Et moi,
je compte pour du beurre ?

Paradoxe donc, du fait que presque toutes les autres locutions qui font
intervenir cette matière en exaltent le prix : le beurre, c'est le gras du
riche, le signe cossu du bourgeois : "ici, on fait la cuisine au beurre".
Dans cet ordre d'idée, le beurre représente d'abord le petit superflu :
c'est ce qui transforme la tranche en tartine (une tranche de pain/une
tartine de beurre).

Cela commence pourtant de façon assez modeste : "le beurre dans les épinards",
c'est un peu de luxe dans une vie ardue. Et l'expression s'utilise presque
toujours pour désigner un revenu de complément, un "en plus" par rapport
au revenu de base qui permettra de se payer un petit extra. Déclaré ou pas
au percepteur, "le beurre dans les épinards" n'a rien d'illégal. Mais
"l'assiette au beurre" est beaucoup plus louche : expression plutôt désuète
mais parlante, elle évoque une situation qui permet des profits indirects,
pas forcément licites, ni déclarés (commissions, pots-de-vins, avantages
en nature, tout est bon). Souvent liée à la corruption politique,
l'expression est devenue le titre d'un célèbre journal satirique du début
du siècle. (Cf. les radis/radicaux ). En tout cas, on voit bien que le
beurre, c'est la richesse, l'argent.
On comprend donc facilement que "faire son beurre", c'est amasser une fortune
personnelle.

BIBENDUM
Par: (pas credité)

Les "bibs" font la Une ? Pour répondre à cette question, il faut savoir ce que c'est qu'un

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"bib", mot familier qui désigne (ou a désigné - c'est peut-être un peu ancien) les
travailleurs de chez Michelin, à Clermont-Ferrand. Pourquoi "bib" ? Parce que c'est
l'abréviation de "bibendum" qui est la mascotte et l'emblème de la marque. "Bibendum"
est en effet un gros petit bonhomme rigolard, représenté sous la forme d'un empilement
de pneus, et qui représente depuis plus d'un siècle ce fabricant de pneumatiques.

Alors, pourquoi "bibendum" ? On avait d'abord pensé à un personnage sympathique qui


incarnerait le produit ; donc un bonhomme-pneu. Puis on avait trouvé un slogan pour ces
premiers pneumatiques qui devaient rendre bien plus confortable la conduite automobile.
Et on avait trouvé "Michelin boit l'obstacle". Il restait à faire comprendre que le
bonhomme-pneu avalait sans effort les cahots de la route. Et "bibendum" est le gérondif
du verbe latin "bibere", et signifie, entre autres, destiné à boire. D'autre part, la sonorité
du mot, tout en b, évoque facilement quelque chose de gonflé (cf. ballon, boursouflé,
baudruche, bâfrer, etc. Mais d'autre part, ce "bibendum" venait d'un vers du poète latin
Horace : "nunc est bibendum", c'est-à-dire c'est le moment de boire, c'est le moment de
célébrer notre bonheur d'avoir vaincu. En effet, Horace écrit ce vers après avoir raconté la
victoire, à Actium d'Octave (futur empereur Auguste), sur Antoine. Et cette victoire
ouvre à Antoine le chemin vers le trône et la maîtrise de l'Empire romain. Il y avait donc
de quoi célébrer.

"Bibendum" est donc un mot d'origine à la fois plaisante et latine, prononcé comme le
latin d'autrefois (bibendome) et qu'on peut mettre sur le même plan que quelques autres
mots qui, en français, dérivent de cette forme gérondive : "mémorandum" (ce qu'il faut se
rappeler), et "référendum" qui évoque la nécessité de demander un avis, d'opérer une
consultation populaire.

BIBLIO
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

A Cahors se déroule en ce moment un salon des livres anciens. Endroit rêvé pour
rencontrer des bibliophiles. Et les bibliophiles sont ceux qui aiment les livres, cela se
comprend aisément, puisque biblios signifie livre en grec, et que -phile vient du verbe
philein, aimer. Mais il ne suffit pas d’aimer les livres pour être bibliophiles. Il faut aimer
les livres anciens, les livres rares, les livres précieux, parce qu’ils sont célèbres et qu’il
n’en reste que peu d’exemplaires, parce qu’ils sont fabriqués dans des matériaux nobles
et beaux. Enfin il y a mille raisons pour qu’un livre ancien soit recherché. Mais le
bibliophile en général n’est pas seulement celui qui aime les livres : il les connaît, il s’y
connaît, et bien souvent, il les collectionne.
Le mot bibliomane existe aussi, plus rare, et presque toujours ironique, pour pointer le
côté fétichiste ce celui qui aime un peu trop les livres. Le bibliomane non seulement aime
les livres, mais il les adore, il en est fou : c’est pour lui une manie.
Le mot bibliographie est un peu savant, mais quand même beaucoup plus fréquent : il
s’agit d’une liste de livres, avec parfois un commentaire critique, qui indique une série de

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livres portant sur un même sujet. Et on en trouve à la fin d’ouvrages ou d’articles qui
traite du sujet en question. Vous avez lu un court article sur la disparition des dinosaures.
Si vous voulez en savoir plus, la bibliographie vous aidera à vous orienter à travers les
principaux livres qui exposent ce problème.
Bibliothèque enfin est un mot à sens multiples. Ce peut être l’endroit où l’on va
emprunter, ou consulter des livres. Mais ce peut être aussi l’ensemble de livres que l’on
possède. Ou encore le meuble qui les contient, ou encore la pièce où ils sont conservés.

BIBLIOTHEQUE
Par: (pas credité)

E.LATTANZIO : C'est l'inauguration aujourd'hui de la bibliothèque


"du Haut de Jardin" à Tolbiac. Cela prouve que malgré la
diversification des supports de savoir, le mot "bibliothèque"
reste encore vivant.

Y.AMAR : Origine grecque du mot : "biblios" = livre, "thèkè" =


boîte, coffre. Logiquement, la bibliothèque est donc l'endroit où
l'on serre les livres. C'est encore le sens actuel, avec quelques
significations annexes, certaines appartiennent au passé :
ensemble de livres écrits sur le même sujet, catalogue, etc ...

E.LATTANZIO : Aujourd'hui, on appelle "bibliothèque" : un meuble


qui contient ou qui est fait pour contenir des livres ou l'ensemble
des livres possédés par quelqu'un (Michel Butor a fait
don de sa bibliothèque à la Ville de Nice).

Y.AMAR : Enfin, le bâtiment, ou l'institution qui regroupe une


grande quantité de livres (Cf. les bibliothèques très connues : la
Nationale, alias BN, Sainte-Geneviève, Mazarine, Très Grande
Bibliothèque, TGB, etc ...)

E.LATTANZIO : Mais ce qui domine, dans ce dernier emploi, c'est la


notion que les livres sont à la disposition du public (même si ce
public est trié sur le volet).

Y.AMAR : C'est ce qui explique le dynamisme du suffixe "-thèque"


et la prolifération de mots qui désignent un système de prêt ou de
consultation : "discothèque" (avec un sens spécial, hérité de
l'anglais : boîte de nuit où l'on danse), "cinémathèque" puis
"vidéothèque" (conservation et projection, mais pas de prêt).

E.LATTANZIO : "Médiathèque", et tous les néologismes, qui ne sont

132
pas vraiment des mots entrés durablement dans la langue française,
mais qu'on forge, entend, comprend sans problème : BDthèque,
CDthèque, cassetothèque, partothèque (partitions musicales),
multimédiathèque, etc ...

BIDON
Par: (pas credité)

Reportages "bidonnés" ! On n'entend plus parler que de ça, tellement les


médias peuvent être malhonnêtes, tellement ils aiment parler et faire
parler d'eux, même en mal. Un reportage "bidonné", c'est un reportage
fabriqué de toutes pièces, mis en scène, avec décors prémédités, acteurs de
métier ou d'occasion, couleur locale ou pittoresque. Le monde de la
télévision fait donc grand usage de cette expression, et de ce qu'elle
recouvre. Oh, je sais ! Ça ne date pas vraiment d'hier : mais l'information
spectacle prend davantage d'importance chaque jour, et les sujets qu'on
"bidonne" sont aussi macabres (Timisoara & Co) que facétieux (le crapaud
hallucinogène). Ce mot de "bidon" a pris ce sens assez récemment, avec son
dérivé verbal "bidonner" qui fait très jargon dans le coup, et il a
rapidement et largement débordé l'argot du métier, justement parce que ce
métier et ses ficelles fascinent. Avant, on parlait de document truqué -
mais pas de truc : le substantif n'avait pas cette coloration de tromperie
volontaire - ou parfois de montage, de document monté - et là, on faisait
référence à des techniques photographiques ou sonores qui permettent de
fabriquer un document avec deux, de mettre la tête de quelqu'un sur le
tronc de quelqu'un d'autre, etc.

Le mot "bidon" a depuis longtemps un destin interlope, mais les sens


familiers ou argotiques qu'il a eus naguère, et qu'il a toujours
d'ailleurs, sont assez différents. Même s'ils permettent de comprendre
l'évolution du mot. Ce qui est "bidon", c'est ce qui n'a pas de valeur, pas
de contenu, juste une apparence (et là comprend la suite). C'est la
frime, la poudre aux yeux : ce type-là, il est "bidon", ce stage , c'est
"bidon". On notera qu'on est passé de l'expression "c'est du bidon" (image
peut-être de la bouteille vide, ou de quelque chose de qui est gonflé
d'air, qui ne contient rien de réel) à des expressions où "bidon" est
employé comme apposition : une annonce "bidon" (et c'est invariable
bien sûr). De là à l'information "bidon", il n'y a qu'un pas, et à l'information
"bidonnée", il y en a un deuxième.

"Bidon" et "bidule" sont-ils frères ? Pas sûr, il semble que les origines
soient différentes. Mais en tout cas les deux mots se ressemblent, et si
c'est "bidule" qui a donné "bidouille", l'inconscient linguistique a évidemment
relié "bidouille" et "bidon". C'est pourtant d'un autre sens qu'il s'agit :

133
"bidouiller", c'est bricoler avec ingéniosité et bouts de ficelle un objet
technologique pour le réparer ou lui donner des capacités qu'il n'a pas ou
n'a plus. On "bidouille" un vieux moteur, un ordinateur, ou une moulinette à
carottes pour en faire un pommeau d'arrosage.

BILLARD
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Y.AMAR : Dieu que mon appendice me lance ! J'espère ne pas passer


sur le billard.

E.LATTANZIO : Vous voulez dire que vous redouteriez d'être opéré.


Le billard est une image familière pour désigner la table
d'opération.

Y.AMAR : Oui, parce qu'un billard, c'est plat, et grosso modo de


la même taille qu'une table d'opération. Mais le billard nous a
livré d'autres images.

E.LATTANZIO : Et d'abord, "c'est du billard!", c'est-à-dire c'est


très facile. Non qu'il soit facile de jouer, mais parce que les
boules roulent facilement sur le tapis de la table de billard.

Y.AMAR : Facilement et même très vite, si on les attaque "bille en


tête", sans donner d'effet en frappant la boule sur le côté.

E.LATTANZIO : En tout cas, attaquer bille en tête c'est éviter les


préambules lorsqu'on veut aborder un sujet ou une négociation : on
va droit au but.

Y.AMAR : Pour aborder ce sujet, on sera d'autant plus à l'aise


qu'on touche sa bille ... c'est-à-dire (et c'est très familier)
s'y connaître, être très compétent : Zacharie, en plomberie, il
touche sa bille !

E.LATTANZIO : Et le verbe "caramboler" vient également du billard.


Caramboler, c'est toucher du même coup deux autres billes. Le
verbe est passé dans le langage de l'automobile : quand deux
voitures se heurtent, elles se carambolent.

Y.AMAR : Mais vous savez que l'art du billard est celui du


ricochet : les boules rebondissent sur les rebords du billard
qu'on appelle les "bandes". Et si, en français, on apprend quelque
chose par la bande, c'est qu'on l'a appris indirectement, par
rebond. C'était Parler au Quotidien, une émission proposée par le
Centre National de Documentation Pédagogique ...

E.LATTANZIO : ... Et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.

BILLETS

134
Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 2 JUILLET 2001

Un frou-frou journalistique braque, en ce moment, les projecteurs sur le mot « billet ».


Billets d’avion ; billets de banque… des billets, quoi.

Alors qu’est-ce que c’est ? L’étymologie du mot est un peu obscure et controversée, mais
le billet est presque toujours un objet, matérialisé par un petit bout de papier ou de carton.
Le mot s’utilise d’abord pour ce qu’il y a d’écrit dessus. Il a, paraît-il, désigné une lettre
de cachet (c’est-à-dire un ordre d’emprisonner), puis une formule magique – mais ça,
c’est du passé lointain.

Puis, apparaît la spécialisation amoureuse : le billet doux, expression désuète, mais


encore comprise, et parfois même utilisée, de façon plaisamment vieillotte.
Mais, le billet est surtout un papier qui atteste, tient lieu, certifie.

On parle encore de billet pour le spectacle. Il sert à entrer dans la salle, prouve que vous
avez payé votre place. A partir de là, quelques expressions : billet de faveur (vx pour
invitation, « exo »). Billetterie, ensemble des opérations de guichet, lors d’un spectacle :
on parle des recettes de billetterie.

On parle aussi des billets qui servent de bons de transport : billets de train, d’avion, etc.
Là encore, ils servent de récépissé, et attestent qu’on a payé son passage.
Et puis bien sûr, les billets de banque.

Mais, cette expression est loin d’être la première. On a parlé d’abord de lettre (lettre de
change, etc.) puis de billet d’épargne, de billet de change, avant que ces espèces fussent
monnaie courante. (Un mot sur les assignats, ces billets dont la valeur était gagée par une
assignation sur les biens nationaux ?).

En tout cas, les billets représentent, au départ, une représentation symbolique de la


richesse (par rapport à l’or, par exemple, qui semblait être la richesse elle-même). Le
billet est donc, au départ, une richesse quasi-virtuelle. Ce qui a bien changé : maintenant
qu’on s’est étonnamment habitué à leur usage, on a presque tendance à considérer qu’ils
sont de la richesse réelle, anonyme et qui ne laisse pas de trace (ou si peu), par rapport à
toute la richesse virtuelle, qui n’existe que par des jeux d’écriture, qu’aucun objet ne
vient matérialiser.

BIO
Par: (pas credité)

135
Le salon Biovision a ouvert ses portes récemment (le 26 à Lyon). Biovision ! Pensez un
peu, on n'allait pas s'en priver. Ce salon a un sous-titre plus ou moins éclairant : premier
forum international des sciences du vivant. C'est dire qu'on nous propose tout à la fois
une vision panoramique sur le bio et une vision bio du monde.

"Bio" est donc un nom, un adjectif ? Dans son usage actuel et jargonnant, oui, plus ou
moins. Et il évoque le naturel, l'écologique, le sain. Le sens est plutôt vague et fait penser
globalement à une façon de retrouver un accord harmonieux avec la nature, au-delà de
toutes les pollutions et métamorphoses liées à la technologie moderne. Et au-delà de la
simple référence à la nature, ce préfixe fait allusion à des énergies terriennes, voire
cosmiques, avec lesquelles il faudrait se remettre en phase (on oriente son lit vers Vesoul,
on est sensible aux mauvaises vibrations du radiateur, les montres à quartz vous donnent
de mauvais rêves). Le mot n'a rien de vulgaire, mais ainsi abrégé (car il dérive de
"biologique", on va le voir), il sous-entend comme une connivence entre celui qui
l'emploie et celui qui l'entend. On va comme ça, le samedi matin, au marché "bio", c'est-
à-dire où l'on vend des produits issus de l'agriculture "biologique". Et même si tout le
monde sait qu'il s'agit d'un langage un peu relâché, et soumis aux caprices de la mode, il
arrive d'entendre des phrases telles que : "il est assez bio, il mène une vie très bio, on a
passé des vacances super bio". On est donc tenté de guetter ses biorythmes, cycles
occultes en rapport avec les marées, les éclipses, les planètes et l'éternel retour du tiers
provisionnel. On n'achète que des sacs biodégradables faits dans des matières que les
micro-organismes peuvent détruire.

Et tout cela dérive de la biologie, une science assez récente, puisque le mot n'apparaît
qu'en 1802, mis au goût du jour épistémologique par Lamark. La discipline a d'abord été
globalisante, regroupant toutes les études des êtres et phénomènes vivants, y compris la
zoologie et la botanique. Quand des dernières disciplines ont pris suffisamment
d'importance pour être totalement autonomes dans le champ scientifique, la biologie s'est
spécialisée dans l'observation de la vie même dans ce qu'elle a de plus spécifique, à
travers ses manifestations les plus isolables, et donc les plus ténues; tissus, cellules. On
parle ainsi de biologie cellulaire, moléculaire, etc.

Le préfixe a eu tant de succès qu'il a même servi à composer le nom d'un héros
transformable, aux pouvoirs imprévus, qui hante une bande dessinée japonaise : Bioman
qui, par un retournement plaisant, dans l'argot des jeunes, désigne parfois le père (celui
qui vous a donné la vie) : "Mon bioman, hier, il n'était pas de bon poil, il ne fallait pas lui
marcher sur les pieds.

BIODIVERSITE
Par: Yvan Amar

136
C’est le mot qu’on entend depuis quelques jours. On l’entendait déjà avant… mais sa
présence s’est fait nettement plus insistante ces jours derniers, grâce d’ailleurs au
Président de la République française… La « biodiversité » mot à mot, c’est la diversité du
vivant. Puisque bios, c’est la vie en grec. Et par « biodiversité », on entend la multiplicité
infinie des espèces, les millions d’herbes différentes, les millions d’insectes différents qui
vivent sur notre planète, dans l’air comme dans l’eau. Ce préfixe grec, on en a déjà parlé
souvent… Car il est productif… « Biologie », mais aussi « biodégradable », « bioéthique
»… Non seulement, il est productif, mais on voit qu’il est à la mode… Attention, ce mot
de mode n’est pas péjoratif… Mais, cela veut dire que ce qu’il évoque correspond bien à
des préoccupations ou même à des inquiétudes qui sont celles d’aujourd’hui, et qui
n’étaient pas celles, d’il y a une génération ! Là où jadis, à l’école, on apprenait les
sciences naturelles (après d’ailleurs la leçon de choses des années 50…), on apprend
maintenant les SVT, sciences de la vie et de la terre… On voit bien que c’est sur ce
terrain que la science avance, et qu’en même temps la technologie avance… On en sait de
plus en plus… Mais ce savoir est de plus en plus une menace possible… Donc, on
réfléchit sur cette « bios ».
Et on s’aperçoit que sa richesse tient en grande partie à sa diversité… Au fait qu’elle
prend mille formes… Et la diversité est aujourd’hui très appréciée…

Mais l’histoire du mot est étrange. Le sens premier de « divers », et de diversus en latin
est : qui va dans des directions opposées… Verto veut dire d’abord tourner…, mais s’est
souvent compris dans le sens de changer. Le verbe s’emploie, par exemple, à propos du
sort, de la fortune, de la vie… qui est changeante, imprévisible… Première « biodiversité
» qui insinuerait que la vie d’un même être vivant est variable…
Ce qui est « divers » est donc ce qui part dans tous les sens. Mais justement ce qui part
dans tous les sens est imprévisible… Donc… le mot « divers » a connu un destin
changeant… Il a fait peur… Il a signifié imprévisible dans le sens… qui peut changer
pour le pire… qui peut mal tourner… Et donc méchant, cruel… La diversité a été
synonyme de bizarrerie et même de méchanceté jusqu’à la fin du Moyen-âge…
Alors que, maintenant, le mot « diversité » évoque non seulement ce qui est différent,
mais ce qui est très différent, presque opposé… Si l’on parle de la « diversité » du talent
d’un artiste, cela signifie qu’il s’illustre dans des domaines très divers, très différents…
que parfois on ne peut comparer les différentes formes qu’il aborde…
Quant aux faits divers… ce sont justement les petites nouvelles inclassables,
intéressantes, mais imprévues, qui ne sont pas la conséquence d’une situation qu’on avait
déjà largement exposée ou analysée…

BIS
Par: (pas credité)

L'Olympia, le plus célèbre des music-halls parisiens, a été démoli


il y a quelques mois, mais sous l'active pression des milieux
artistiques, il a été reconstruit à l'identique, à quelques

137
dizaines de mètres de son emplacement d'origine. Et voilà qu'on
inaugure un "Olympia bis" (c'est ainsi que les médias l'ont
présenté).

C'est-à-dire un deuxième Olympia, puisque ce latinisme, passé tel


quel en français, veut dire "pour la deuxième fois". L'expression
ne méssied pas totalement à une salle de concert, puisqu'elle est
spécialement employée dans le langage musical. Depuis le 18ème
siècle, lorsque le public, ravi, veut la reprise d'un morceau, il
crie "bis!", c'est-à-dire "une deuxième fois, encore!"

Le verbe "bisser" en dérive : jouer pour la seconde fois, "le


final a été bissé". Mais le nom "bis" en a hérité un sens dérivé :
lorsqu'à la fin d'un concert, le public est très enthousiaste, au
bout de plusieurs rappels, quand les artistes sont revenus
plusieurs fois sur scène pour saluer, ils exécutent en morceau en
plus du programme prévu, "un bis". Parfois ils reprennent un
morceau déjà joué durant le concert, mais la plupart du temps, il
s'agit d'une autre pièce, souvent brillante et difficile, donc qui
suscite l'admiration d'une salle déjà chaude.

Ce mot de "bis" est donc tout à fait implanté en français, mais on


l'utilise aussi en tant que mot latin, notamment dans l'expression
"bis repetita" ou intégralement "bis repetita placent" = les
choses répétées plaisent. La citation s'utilise pour souligner le
fait qu'une situation se répète, ou pour excuser, expliquer une
répétition. La phrase n'est pas exactement une citation, mais elle
dérive de l'Art Poétique d'Horace, où le poète soutient qu'une
vraie belle pièce peut être répétée dix fois sans lasser
l'auditeur, là où un texte médiocre lasserait une deuxième fois.

Enfin, mais c'est familier, l'expression "bis" peut être employée


ironiquement pour souligner qu'une chose se recommence, ou qu'il
va falloir la recommencer. C'est dans ce sens-là l'équivalent de
l'expression plus familière encore : "Rebelote!"

BIZUTH
Par: (pas credité)

La rentrée scolaire évoque toute une série de mots familiers, liés à l’école, dans toutes les
mémoires de ceux qui ont passé l’âge d’y aller.

On pourrait donc penser que l’argot des écoles, essentiellement oral et proféré par de
jeunes bouches, est quelque chose de volatile, changeant, incessamment renouvelé… Il

138
n’en est rien, en tout cas pour une partie de cet argot, qui a parfaitement intégré le
langage stable.

Ainsi en est-il du "bizuth", élève de première année d’une Grande Ecole, et par extension,
nouveau venu au lycée, ou au collège…
Le h final est longtemps resté facultatif, et l’origine du mot est obscure : peut-être le
"bésu", le "niais" en patois de Genève, lequel se serait légèrement transformé, pour
sembler plus mystérieux, ou plus savant (un peu comme dans le mot "khâgne", qu’on
aurait pu écrire "cagne" – la paresse : le mot désigne par ironie une classe préparatoire à
l’entrée à l’Ecole Normale Supérieure où l’on travaille beaucoup, et son orthographe est
artificiellement compliquée pour mettre en scène et railler l’érudition à laquelle sont
confrontés les "khâgneux").

Revenons à notre "bizuth", qui a donné quelques enfants : "bizuter" et "bizutage". Le


"bizutage" est en fait une sorte de brimade, sous forme de rite d’initiation. Pour avoir
prétendument le droit de faire partie de l’Ecole, pour être adoubé, il faudrait en passer par
quelques épreuves humiliantes et volontiers assez sadiques, pendant lesquelles les
anciens, parfois avec l’assentiment complice des enseignants, font subir aux nouveaux
arrivants quelques sévices. Les victimes pourront ainsi reproduire ce genre de
comportement quelques années plus tard, étant eux-mêmes devenus des anciens, et se
vengeant sur leurs cadets des traitements qu’ils ont subis en entrant.

BLACK - BLANC - BEUR


Par: (pas credité)

Résidence de culture hip hop à Bollène, à laquelle vient


s'accrocher l'étiquette : "black - blanc - beur".
Dénominations étranges, d'origines diverses ... Sont-elles
françaises ? En tout cas, ce sont des mots employés en France,
décrivant une situation bien française et assez révélateurs de
notre fin de siècle.

Commençons par cette "étiquette" "black - blanc - beur". Le sens


est simple : noir - blanc - arabe. Ca mêle les origines et les
couleurs de peau et ça fait allusion essentiellement aux mélanges
de populations qu'on trouve surtout dans les banlieues des grandes
villes.

D'où viennent ces trois mots ? Blanc ? pas de problème. Black :


mot anglais qui veut dire noir. Le mot n'a jamais, en France, été
senti comme méprisant. Au contraire, il s'y attacherait plutôt une
certaine fierté. La référence est clairement faite aux Etats-Unis.
Et même si le problème noir est loin d'être réglé, la lutte des
mouvements anti-racistes, la culture noire et la citoyenneté

139
américaines leurs confèrent un certain prestige.

"Beur" est un mot bizarre, à la construction peu rationnelle,


produit d'une manipulation complexe de "verlan" : à partir
d'arabe, on arrive à "Beur", ce qui permet les jeux de mots sur
"petits beurres", et même le féminin "beurette". Mais le sens est
clair : il s'agit d'un jeune né en France, dont les parents sont
immigrés. Le langage officiel ne propose que la lourde et longue
périphrase : "jeune issu de l'immigration".

"Black - Blanc - Beur" trilogie tricolore est, bien sûr,


symétrique du bleu, blanc, rouge et cette symétrie est
phonétiquement très présente.
Mais si les parents de ces "black, blanc, beur" sont aussi "black,
blanc, beur", qu'eux, il reste que l'expression s'applique aux
jeunes, considérés comme appartenant à la même génération, le
génération dite "hip-hop", dans un certain langage branché.

BLACK-OUT
Par: (pas credité)

Y.AMAR : "Black-out" sort aujourd'hui, c'est un film d'Abel


Ferrara. Au départ, terme anglais, d'usage technique qui signifie
faire le noir absolu en prévision d'une attaque aérienne, afin
d'éviter de donner des repères aux bombardiers grâce aux lumières
de la ville. On a utilisé aussi le verbe français "occulter" (et
occultation) pour désigner cette opération de défense passive.

E.LATTANZIO : D'où au sens figuré "censurer", "imposer le silence"


sur les informations et plus généralement conserver secrètes les
informations relatives à des négociations, des tractations, etc.
On dit "faire le black-out" mais on entend parfois aussi un
verbe francisé "black-outer" (avec une prononciation "aouter").

Y.AMAR : A rapprocher d'autres mots d'origine anglaise francisés


sur le même modèle à partir d'une formation initiale identique :
"lock-outer" (pour un patron, fermer l'usine pour contraindre ses
ouvriers à cesser un mouvement de grève) ou "knock-outer" (terme
de boxe) = envoyer son adversaire au tapis pour plus de dix
secondes.

E.LATTANZIO : L'étymologie anglaise de "black-out" fait référence


au "noir". On trouve quelque chose de ressemblant en français au
sens figuré avec le mot "caviar" et "caviarder" : le premier

140
désigne l'encre noire avec laquelle les censeurs occultent les
passages censurés dans les journaux. Allusion au caviar, de
couleur noire. L'expression d'ailleurs vient de Russie, elle a été
employée la première fois pour désigner la censure tsariste.
L'idée de noir = caché se retrouve dans l'idée du travail au noir.

BLED
Par: (pas credité)

"Djurassic bled", titre humoristique d'une sortie qui, au TNP de Villeurbanne, change le
contexte géographique des ambitions hollywoodiennes. Calembour, bien sûr avec
Jurassic park, mais c'est le mot "bled" qui nous intéresse.

Le nom a émigré depuis longtemps de l'arabe algérien, mais sa caractéristique est d'avoir
fait une sorte d'aller retour avec les référents d'Afrique du Nord : d'abord très lié à ses
origines, il s'en est ensuite presque totalement éloigné pour y revenir en ce moment, et
marquer le vocabulaire des jeunes beurs.

Au départ donc, le mot vient de l'arabe "blad", qui signifie contrée, pays. Déformé en
"bled", il intègre l'argot militaire, puis le jargon colonial, pour désigner tout ce qui, dans
le pays colonisé (en l'occurrence l'Algérie), n'est pas une grande ville. C'est donc autant la
rase campagne que les villages (cf. ailleurs en Afrique, l'utilisation du mot "brousse", qui
n'est pas totalement sans rapport).

Mais le mot passe en français pendant la guerre de 1914, avec le sens très francisé du
petit village. Le "bled" se détache assez bien de ses origines et évoque volontiers un
hameau bien français mais qui a gardé de son étymologie le mépris du colonisateur. Le
mot devient donc assez péjoratif pour désigner une très petite localité, à l'écart, privée des
commodités des grandes agglomérations : "C'est un bled", c'est-à-dire il n'y a rien à y
faire, ni commerces rares ni lieux culturels, etc.

Le mot a été récemment remotivé du fait du développement d'un argot jeune parfois
marqué au coin du "petit beurre". Le "bled" renoue avec ses origines algériennes, et on
entend même une expression plaisante et bizarre : "bledman", qui désigne soit un
immigré de fraîche date, soit quelqu'un qui est resté fortement attaché aux traditions
algériennes et ne souhaite pas spécialement toutes les abandonner au profit de la vie
"moderne".

Des synonymes ? Pas tant que ça ! A part l'image encore plus péjorative du "trou", du
"trou paumé". Alors, c'est vrai, on a le "patelin", beaucoup plus neutre, dérive à partir de
"pâtis" : petit pâturage médiocre, terre inculte où l'on met les bêtes à paître pour reposer
les pâturages plus gras.

Quant à "hameau", le mot vient du "ham" francique, lui-même apparenté au mot "home".

141
Ça renvoie à une image de maisons à l'écart d'un village, rassemblées en petites grappes.
Attention, en France, un "hameau" n'est pas une commune. Et le mot est neutre, sans
aucun écho péjoratif.

S'il reste du temps, on peut évoquer tous les noms péjoratifs qui s'attachent aux habitants
des "trous" qui ne sont pas troués. Mais plutôt des "bouseux", des "cul-terreux", des
"ploucs".

BLEU
Par: Yvan Amar et Anne-Cécile Bras

« Banlieues bleues » est le nom d’un célèbre festival de musique qui se déroule, en ce
moment, pour la vingtième année, dans la banlieue nord parisienne.

Pourquoi « banlieues bleues » ? Deux raisons à ce titre :


D’abord, il s’agit d’un festival de jazz, ce qu’évoque cette couleur : à cause du blues,
forme musicale qui est à l’origine du jazz ; et à cause de nombreuses images présentes en
anglais : blue note, etc.

Mais aussi parce que « banlieue bleue » est le pendant de « banlieue rouge »… façon dont
on qualifiait une partie de la ceinture urbaine parisienne, qui votait à gauche et était un
bastion de la culture ouvrière parisienne.

Cette couleur est porteuse de significations bien différentes.


D’abord, elle est référée à de grandes étendues bleues : la mer et le ciel. La grande bleue,
c’est la Méditerranée. Et « être dans le bleu », « nager dans le bleu », « voir tout en bleu
», c’est vivre dans le rêve et l’illusion que tout va bien (l’image correspond à « être au
ciel »).
Expressions où la couleur a pu être remplacée par le rose (Cf. « je vois la vie en rose »).
Mais ces expressions sont anciennes et plus guère utilisées.

En revanche, le bleu est plus souvent synonyme du noir, de l’obscurité : « Je suis dans le
bleu » signifie « je n’y comprends rien », « je ne distingue rien de précis », « je ne
m’oriente pas ». C’est ce que pourra dire le Commissaire dans une enquête qui n’avance
pas. L’image est encore en usage, bien que là encore, elle soit un peu ancienne.
Comme « je n’y ai vu que du bleu… » reformulation probable de « je n’y ai vu que du
feu ».
« Etre bleu » signifie également être extrêmement surpris, stupéfait, sidéré. Parfois, en
mauvaise part, quand on a été pris de cours, pris de vitesse, qu’on n’a pas eu le temps de
réagir (Suzy a pris le volant et a décidé qu’ils iraient manger au Grand Véfour. Il en est
resté bleu et s’est laissé faire »).
Mais, parfois aussi pour exprimer l’admiration (être bleu d’admiration). Dans les deux
cas, on a l’idée qu’on reste muet et immobile : être bleu, c’est rester pétrifié.

Et dans ce catalogue d’expressions un peu désuètes, on peut finir par « en voir de bleues

142
» qui est un genre de modulation d’une autre expression colorée : « en voir des vertes et
des pas mures ».

BLINDER
Par: (pas credité)

Le détroit de Gibraltar "blindé" ? C'est en cours, nous dit-on, puisque les autorités
espagnoles s'efforcent de contrôler le trafic clandestin qui s'y déroule (immigration,
drogues, etc.). Ce canal, a priori permettant un passage est-ouest, Méditerranée-
Atlantique, est en fait un point clé de la communication Sud-Nord. D'où l'intérêt de le
"blinder", c'est-à-dire d'en faire une porte qu'on ne force pas. Car c'est bien cette image
qui est à l'œuvre, celle de la porte "blindée", dont les serruriers dans leurs publicités nous
ont rebattu les oreilles, avec leurs cinq points, leurs cornières et leur prétendue
inviolabilité. On dit parfois aussi "cadenassé", mais plus souvent "verrouillé". La
métaphore fait appel à un système presque archaïque, apparemment pas très solide, le
verrou. Mais on parle bien de "verrouiller les frontières", ou même de "verrouiller un
service" quand on envisage d'en resserrer la discipline et surtout d'empêcher les fuites :
nul n'a à savoir ce qui se passe ici - surtout pas la presse (ça s'est entendu à propos de
police, de justice ou d'armée notamment).

Revenons à notre "blindage" : comment est-il arrivé là ?


Le mot apparaît en français au XVIIème siècle et dans l'art militaire. Nous l'avons
emprunté à l'allemand qui l'utilisait aussi dans un vocabulaire stratégique. Il renvoyait,
semble-t-il, à un ouvrage destiné à masquer ou dissimuler des fortifications. Ça relève un
peu du trompe-l'œil, du camouflage et ça a signifié parfois fausse porte ou fausse fenêtre.
L'étymologie est à chercher du côté du mot qui comme le "blind" anglais signifie
"aveugle". Et en français, les "blindes" ont d'abord été des armatures de bois consolidant
des tranchées, et on a ainsi parlé d'un "ouvrage de blindes".
Puis "blinder" a voulu dire couvrir un ouvrage de blindes, et par extension le renforcer
pour amortir le choc des projectiles. "Blinder", c'est donc désormais "cuirasser", pour un
navire, puis un véhicule. On parle encore de "voiture blindée", c'est-à-dire à l'épreuve des
balles. Mais les "blindés", dans les armées modernes désignent les unités motorisées et
cuirassées, les chars et leur cohorte, susceptibles d'avancées rapides.
Le glissement du mot vers un sens figuré au pronominal est facile à comprendre : "se
blinder", c'est se constituer une carapace, se tanner le cuir, en un mot s'endurcir, à la
faveur des coups, cicatrices, de l'expérience. C'est être moins vulnérable et moins facile à
déstabiliser.
"Etre blindé", familier et argotique, c'est être complètement ivre, matelassé probablement
par une armure de liqueur.
Quant à "blinder au volant", par un glissement hyperbolique un peu étrange, c'est
conduire très vite.

143
BLUES
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

E. LATTANZIO : "Les consommateurs ont le blues!". On lit ça dans


les journaux, ce qui veut dire ...

Y.AMAR : ... Qu'ils consomment peu et sans plaisir.

E.LATTANZIO : Et que leur pouvoir d'achat diminue.

Y.AMAR : Blues! Un mot américain, assez courant, au moins dans le


vocabulaire journalistique. Le blues est donc un sentiment plutôt
négatif. Le mot sort du vocabulaire musical : le blues, musique
des noirs américains, évoque la tristesse ou la nostalgie, ou
parfois exorcise cette nostalgie. Héritière des chants de travail,
cette musique emprunte son nom à une vieille expression : "to have
the blue devils" = avoir les diables bleus. C'est-à-dire avoir le
cafard, les idées noires. De là ce mot de "blues" pour désigner au
bout du compte, une tristesse vague, en anglo-américain, et même
parfois en français , tout au moins en France.

E.LATTANZIO : On entend donc dire qu'on a le blues, qu'on a "une


vieux coup de blues", c'est encore plus familier. Et cela vaut
pour l'individu comme, parfois, pour le collectif : les
consommateurs ont le blues.

Y.AMAR : Et on ne dirait pas "les consommateurs ont le spleen".


Spleen est un autre mot d'origine anglaise, qui désigne aussi la
nostalgie, mais toujours individuelle et même assez solitaire. Le
mot est très littéraire et c'est Baudelaire qui l'a mis à la mode
en lui réservant une place de choix dans ses poèmes ("Le spleen de
Paris").

E.LATTANZIO : A l'origine, il désigne la rate ... ça a changé,


mais si on pense à la "bile" en français, on saisit mieux son
évolution. Avoir le spleen, c'est être mélancolique, sans raison
précise.

Y.AMAR : La mélancolie et d'ailleurs la dépression, sont des mots


qui ont deux ordres d'emploi assez différents : la langue
courante, même recherchée ... on dira facilement quand ça ne va
pas, je suis déprimé, je suis mélancolique ... Mais dans un
vocabulaire plus psychologique, voire psychiatrique, dépression et
mélancolie sont des affections assez graves. C'était Parler au
Quotidien, une émission proposée par le Centre National de
Documentation Pédagogique ....

E.LATTANZIO : ... Et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.

BOITE
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

144
E.LATTANZIO : Aujourd'hui débute le week-end "Sciences en fête".
Dans le cadre de ces manifestations le Musée du Temps de Besançon
organise un concours de "boîtes à temps".

Y.AMAR: De petites boîtes en carton, avec petits casiers aménagés


ont été distribués à des adolescents et doivent être rapportées
durant le week-end au Musée, garnies d'objets divers qui
symbolisent le temps qui passe, le temps de la vie des candidats à
ce concours, l'époque contemporaine ... On est très libre, à
chacun de trouver son style. Les meilleures boîtes seront bien sûr
présentées au Musée du Temps.

E.LATTANZIO : Boîtes à temps! Qu'est-ce qu'ils ne vont chercher !


Boîte à temps, c'est-à-dire susceptible de recueillir du temps ou
des objets qui l'expriment.

Y.AMAR : Car ce mot de boîte, dont tout le monde connaît le sens


est susceptible d'avoir deux constructions : "boîte à ..." ou
"boîte de ..."

E.LATTANZIO : A priori, ces deux constructions correspondent à


deux sens différents : une boîte d'allumettes n'est pas une boîte
à chaussures. Pourquoi ? Parce qu'une boîte d'allumettes est une
boîte pleine d'allumettes. On se la représente plutôt pleine :
vide, on la jette, en général, elle ne ressert pas. En un mot,
l'important est le contenu.

Y.AMAR : Une boîte à chaussures, au contraire, est une boîte


susceptible de contenir des chaussures. Elle a été faite pour ça
mais l'important c'est la boîte.

E.LATTANZIO : Et si vous dites au petit Emile "Rapporte-moi une


boîte d'allumettes" vous vous attendez à ce qu'il vous rapporte
une boîte d'allumettes pleine. L'important ce sont les
allumettes.

Y.AMAR : Si vous lui dites "Rapporte-moi une boîte à chaussures"


c'est que vous avez besoin d'une boîte, d'une boîte vide, vous
n'avez pas besoin de chaussures. L'important c'est la boîte.

E.LATTANZIO : Ainsi, boîte se décline de mille façons, selon la


forme, la grandeur ou la destination première de la boîte : boîte
à chaussure, boîte à camembert, boîte aux lettres, avec bien
souvent un glissement vers l'abstrait ou le sens figuré : boîte à
gants boîte à musique, boîte à punaises (argot de métier pour
accordéon), boîte à sel (dans les théâtres), boîte à idées ...

Y.AMAR : Le mot même de boîte a connu récemment une fortune


magnifique pour désigner toutes sortes d'édifices, au propre comme
au figuré. L'origine est à chercher au 15ème siècle lorsque la
"boîte aux cailloux" désignait la prison. De là l'extension en
argot scolaire, boîte = lycée ou collège et plus tard, une
nouvelle extension : boîte = entreprise où l'on travaille.

E.LATTANZIO : Le mot a gardé une couleur familière, mais a perdu


toute connotation péjorative : il travaille dans une grosse boîte,
il a monté sa propre boîte, une boîte d'édition, une boîte de prod

145
...

BONHOMME
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Après le discours du Premier ministre français devant le Parlement, voilà qu’on parle à
propos de son style, de « libéralisme bonhomme ». Cela correspond assez bien à tout ce
qu’on a dit depuis sa nomination, de son allure, de sa figure, de son attitude… c’est-à-dire
peut-être pas de la politique qu’il va mettre en œuvre, mais de l’image qu’il veut donner.
Bonhomme… c’est-à-dire simple et modeste, peu intimidante, mettant en avant des
apparences de bon sens.

Bonhomme est un vieux mot français, aisément décomposable : un bon homme… en


ancien français, le mot va assez tôt s’appliquer à la figure du paysan. Le prénom Jacques
le désigne… Le patronyme Bonhomme va le suivre : Jacques Bonhomme, c’est le
croquant. Et le bonhomme, bien sûr, est le symétrique inverse du gentilhomme.

Puis, le mot va glisser d’une allusion sociale à une autre plus individuelle : le bonhomme
est un homme d’un certain âge : il s’oppose au jeune homme… c’est l’homme naïf, puis
facilement le mari trompé.

Aujourd’hui, le mot s’emploie encore couramment, mais souvent avec un sens plus
neutre : le bonhomme est le quidam, l’inconnu : « un bonhomme qui passait m’a indiqué
mon chemin ».
Mais, le mot a pris également un autre sens : le bonhomme évoque une silhouette : un
bonhomme de neige, un bonhomme dessiné en trois coups de crayon, un petit bonhomme
vert qui incarne un martien… et dans ce sens, le mot est vraiment d’un seul tenant : au
lieu, au pluriel de dire des bonshommes, on dira plus souvent (et de façon un peu
enfantine) des bonhommes.

Enfin, la bonhomie correspond à une certaine bonne humeur, un peu fataliste : une façon
de prendre les choses du bon côté, mais avec un air de dire… ça passera…

BOOMERANG
Par: (pas credité)

On donne le "boomerang", pièce de Bernard Da Costa, mise en scène par Myriam Boyer,
au studio des Champs-Elysées.

Le mot vient de l'anglais d'Australie (1823, Sydney Gazette). Probablement, le nom d'une
ethnie de la Nouvelle Galle du Sud (Australie) qui a fini par désigner un genre de massue
de jet dont se servaient lesdits Boomerangs.

146
Puisque précisément, sa particularité est de revenir à l'envoyeur quand il a raté sa cible
(bois, courbure, sûreté du geste millénaire y sont pour beaucoup).

Mais dans l'emploi métaphorique du terme, (expressions "effet boomerang", "revenir


comme un boomerang"), l'idée du retour à l'envoyeur se charge d'un contenu négatif.
On parle d' "effet boomerang" lorsqu'un acte, une parole pernicieuse se retourne contre
son auteur : effet de l'arroseur arrosé.

D'autres expressions donnent la même idée :


- Retour de bâton : à l'origine obscure : cela proviendrait peut-être de la locution "tour de
bâton" qui renvoie aux occasions de l'illusionniste, croisée avec l'image du "retour de
manivelle".
- Le retour de manivelle est une image familière à tous ceux qui ont possédé des autos qui
précédaient la maîtrise du démarrage électrique : même principe que le kick d'une moto :
on entraîne le moulin avec un bon coup de manivelle. Ou ça part, ou la manivelle tourne
avec force dans l'autre sens, et risque de vous démettre le poignet.
Ce retour de manivelle ou le mot "retour" joue à la fois sur son sens littéral et abstrait (cf.
juste retour des choses) est à mettre en relation avec le choc en retour. Au sens propre, il
s'agissait des effets imprévus de la foudre (XIXème siècle). Le sens figuré de cette
expression peut être un peu différent, est d'évoquer le balancement d'un mouvement
pendulaire : trop d'espoirs déçus peuvent provoquer, par un choc en retour une terrible
amertume ou une terrible colère.

Une dernière expression, au sens voisin, bien qu'un peu différent : les effets pervers :
effets secondaires négatifs, imprévus, opposés à l'effet général escompté (les effets
pervers du progrès, d'une loi sociale, etc.).

BOTTES, SANTIAGS, CHAUSSURES…


Par: (pas credité)

Un article tout récent du Monde soulignait (déplorait ?) le déclin des « santiags ».


« Santiags » ? « bottes » d’origine américaine ou mexicaine ; bout pointu, talon de biais.
L’un des symboles du look cow-boy, en vogue chez les amateurs de rock et de cuir.
Accessoire de celui qui a une monture – un cheval ou plus récemment une moto – et c’est
cette monture qui fait mieux comprendre l’assimilation cow-boy/motard.
La « santiag » vient d’où ? Nul ne sait trop, mais probablement d’une ville nommée
Santiago. Laquelle ? Ce toponyme est assez partagé.

Les « santiags » sont des « bottes ». Et la « botte », objet et nom, n’est pas neuve. Mais
cette « chaussure » montante a depuis longtemps évoqué un univers particulier. La « botte
», c’est une « chaussure » d’extérieur, solide, qui protège. « Chaussure » de chasseur, de
guerrier, de cavalier souvent, elle est associée à un comportement considéré comme très

147
masculin, voire viril, et viril au sens de brutal : on n’entre pas au paradis avec ses « bottes
».

A propos de « bottes », c’est sans à propos (allusion à un esprit un peu rustre, qu’on prête
à ceux qui ont des « bottes » ? bavardage de corps de garde ?).
Les « bottes » représentent aussi le pouvoir, le pouvoir arrogant, le pouvoir qui fait peur
et qu’on courtise : lécher les « bottes » = complimenter, flatter dans un but intéressé. Etre
à la « botte » de quelqu’un, c’est être à sa disposition absolue, servile. Etre sous la « botte
», c’est être sous la domination, mais là, en général, pour une collectivité plus que pour
un individu : la Pologne, sous la « botte » allemande en 1940.
Et les bruits de « bottes » évoquent des risques de guerre, ou même plus souvent des
coups d’état militaires.
Quant à « botter », le verbe évoque aussi une évidente rudesse : c’est donner un coup de
pied, chaussé de « bottes », c’est en général « botter » le train, « botter » le cul,
expression familière, mais figée qui, là encore, évoque l’autorité musclée et méprisante.
Mais, on avait aussi « graisser ses bottes », et « laisser ses bottes » : se préparer à partir, à
mourir.

BOUC EMISSAIRE
Par: Yvan Amar

Des associations accusent le plan Villepin de faire des étrangers « des boucs émissaires ».
C’est un titre que j’ai relevé dans le Monde daté d’aujourd’hui… Je ne souhaite pas du
tout me prononcer sur le fond du débat, mais simplement éclairer le sens et l’usage de
l’expression bouc émissaire… Le plan du ministre de l’Intérieur français a suscité des
réactions contrastées dans le monde politique et associatif… Certains le critiquent donc,
en disant qu’il pourrait avoir une conséquence fâcheuse : faire des étrangers des boucs
émissaires, c’est-à-dire faire porter aux étrangers des responsabilités qui ne sont pas les
leurs, les rendre responsables de certains malheurs ou points noirs de la vie actuelle alors
qu’ils n’y sont pour rien… Mais, ce n’est pas tout… Dans l’idée qu’il y a des boucs
émissaires, on a aussi l’idée qu’on cherche à détourner l’attention… On pointe le doigt
sur de faux coupables, pour que le public… en s’y intéressant, oublie d’autres problèmes,
se focalise sur un point… et donc en oublie d’autres… Double fonction donc de ces
boucs émissaires.

L’histoire de l’expression nous fait remonter loin dans le temps, puisqu’elle trouve son
origine dans la Bible. Et dans un geste symbolique, un rituel d’absolution, de purification.
Tous les ans, au jour de l’Expiation, le grand prêtre du peuple d’Israël déchargeait les
pêcheurs de leurs pêchés. Et tout un rituel sacré permettait d’en charger un animal, un
bouc… qui se retrouvait coupable pour tout le monde… On n’avait plus ensuite qu’à
chasser le bouc dans le désert… Il quittait la tribu emportant tous les pêchés avec lui…
On a donc compris pourquoi il s’agissait d’un bouc ! Mais pourquoi « émissaire »… Le
mot est difficile… Il signifie, en effet, envoyé (il est de la même racine que le mot
mission, missionné…) et, en effet, le bouc est envoyé… dans le désert. Mais, ce mot

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d’émissaire, dans l’expression qui nous occupe a une autre origine, même si les deux se
sont confondues… Il traduit un mot latin qui signifie « qui écarte les fléaux, les
catastrophes… et ce mot était la traduction d’une expression de l’ancien hébreu qui
signifiait « destiné à Azazel… », le mauvais ange.

Mais, les animaux de cette famille ont souvent mauvaise presse… Bizarre, pour des bêtes
souvent très pacifiques… Le mouton noir, par exemple. Que citait, il y a à peine quelques
jours, Jacques Chirac… Pourquoi est-il montré du doigt… Parce que les moutons sont
blancs, en général. Et que le blanc est la couleur de l’innocence, et le noir, celle de la…
noirceur… des mauvaises pensées… Peut-être parce que le mouton noir évoque
justement le bouc… mauvaise odeur, mauvais caractère qu’on lui prête…

Mais, au-delà de tout ça, on a également l’image de la brebis galeuse… celle qu’il faut
éloigner du troupeau pour qu’elle ne le contamine pas… puisqu’elle est malade et qu’on
la dit contagieuse… Image strictement inverse du bouc émissaire qui part avec les maux
des autres…

BOUCLIER
Par: (pas credité)

Le "bouclier humain" fait-il partie des tactiques mises en place par Milosevic ? Cette
expression qu'on a déjà entendue pendant la guerre d'Irak renvoie à un dispositif de
défense : placer autour des cibles stratégiques des civils, étrangers au conflit, ou en tout
cas à la nation ou à un groupe attaqué. Le dispositif se veut dissuasif, susceptible d'éviter
l'attaque ou le bombardement.

On comprend le sens de l'expression : il s'agit d'un bouclier, parce qu'il protège la cible en
la rendant intouchable. Il ne s'agit pas d'amortir le coup qui serait porté, mais d'interdire
ce coup. Cette idée de dissuasion, on la retrouve plus ou moins dans d'autres expressions
récentes : "bouclier nucléaire" …

L'image est ancienne puisque, pendant longtemps, la locution "faire un bouclier de son
corps" a été utilisée, pour dire protéger à ses risques et périls, avec un dévouement
extrême. Elle est hors d'usage aujourd'hui, mais on comprend et utilise encore "faire un
rempart de son corps", même si l'image est parfois un peu théâtrale. Le sens est tout
différent avec "la levée de boucliers", expression fréquente qui renvoie à une protestation
véhémente, collective, presque unanime et un peu institutionnelle (députés, syndicats,
personnalités…). L'origine est à chercher dans l'histoire romaine : "lever son bouclier"
était le signe qu'on refusait d'obéir à un ordre (cf. avec un autre sens dont la symbolique
est plus claire, mettre la crosse en l'air).

Il est un autre "bouclier" qui poursuit sa carrière dans le langage médiatique et


diplomatique, c'est l'"égide". Sous l'"égide" de l'OTAN , de l'ONU etc. , c'est-à-dire sous

149
la protection, et d'une certaine façon avec la bénédiction, l'assentiment de l'ONU, etc. Il
s'agit donc là d'une opération couverte et mise en route par l'ONU. Et au sens propre,
l'"égide" est aussi un "bouclier", celui de Jupiter d'abord, puis de Pallas Athéna, arme
défensive redoutable : en effet, Persée, après avoir coupé la tête de la Méduse (hideuse
Gorgone), l'avait offerte à Athéna qui l'avait fixée au centre de son bouclier. Et cette tête
pétrifiait ceux qui posaient sur elle leur regard.

On finit avec l'"écu", moins mythologique et plus médiéval, et dont la postérité est plus
économique que militaire. Ce "bouclier" de chevalier, souvent symbolique de l'identité de
son possesseur est devenu souvent une partie importante de son blason. Donc "écu" a fini
par signifier "armoiries", et comme l'"écu" du Roi de France était représenté sur certaines
pièces de monnaie, l'"écu" est devenu la pièce. De là, de nombreuses expressions, sorties
d'usage aujourd'hui (avoir des "écus" moisis, cela ne lui fait pas plus peur qu'un "écu" à
un avocat, etc.) Devenu sigle de l'European currency unit, l'"écu" a failli devenir la
monnaie européenne. Mais l'euro veillait au grain.

BOUCLIER FISCAL
Par: Yvan Amar

La réforme des impôts présentée récemment par l’administration des Finances, en France,
a soulevé des inquiétudes et suscité des commentaires. Mais, l’un des points les plus
commentés concerne ce fameux bouclier fiscal qu’on nous propose. Drôle d’expression
en vérité. Que recouvre-t-elle ? En deux mots, ce bouclier fiscal viserait à limiter à 60%
des revenus du contribuable les impôts cumulés suivants : impôts sur le revenu, impôt sur
la fortune (le fameux ISF), taxe d’habitation et taxe foncière.

Comment expliquer cette image ? Elle est inattendue, certes, mais on peut mieux la
comprendre en explorant les évocations qu’elle fait naître : un bouclier sert d’abord à se
protéger. On veut donc répandre l’idée que cette disposition protègera le contribuable.
Contre des effets pervers possibles du calcul de l’impôt qui pourrait lui faire payer trop
par rapport à ce qu’il gagne. En d’autres termes, l’administration des impôts veut faire
passer l’idée qu’elle protège ses administrés contre des débordements dont elle pourrait
être la cause. Le recours à cette formulation montre le désir qu’a le gouvernement de
frapper les esprits en employant une image totalement inattendue. D’ailleurs, cette image,
elle semble étonnante parce qu’elle en supplante une autre : celle du plafond, du
plafonnement.

C’est comme ça qu’on dit, en général : on plafonne les impôts. C’est-à-dire qu’on leur
met une limite supérieure pour éviter qu’ils ne montent trop haut. Mais là, c’est comme si
on assistait à un bouleversement de perspective : au lieu de placer un rempart en haut,
empêcher l’impôt de monter inconsidérément, on plaçait le rempart de façon frontale. Ce
n’est pas seulement qu’on empêche l’impôt d’aller trop haut, c’est qu’on l’empêche de
venir frapper le contribuable au cœur… Enfin, certains contribuables, puisque cette
mesure par sa nature même, ne pourra favoriser tout le monde.
Et, du même coup, on évoque tout un univers de chevalerie, de tournoi. On transporte la

150
logique fiscale au Moyen-âge… Enfin, n’exagérons pas : on sait que cette image du
bouclier a été récemment employée dans un domaine qui n’avait rien de médiéval : on se
souvient de l’opération « bouclier du désert » lancée par les Etats-Unis en prélude à la
première guerre du Golfe, en 1990.

Et on a beaucoup entendu également l’expression « bouclier humain », à propos de ceux


qui sont exposés les premiers au feu de l’ennemi, et qui sont souvent utilisés en manière
d’otages.
Mais quand même le bouclier, en général, ça fait un peu arme à l’ancienne.
Puisque le bouclier est cette pièce d’armement du chevalier qu’il place devant sa poitrine
pour parer les attaques, soit de l’épée, soit des flèches. Pourquoi « bouclier » ? Au départ,
le mot était plutôt un qualificatif : on parlait d’écu bouclier, c’est-à-dire garni d’une bosse
centrale qui le renforçait. Et puis, on a progressivement perdu le premier terme, le mot
écu s’est presque endormi, laissant la place au seul bouclier.

BOUFFON
Par: (pas credité)

Rigoletto repris à l'Opéra Bastille ! Excellente occasion de


parler du bouffon, puisque c'en est un, puisque d'ailleurs,
Rigoletto ne fait que reprendre, transposée en Italie la tragique
histoire du "Roi s'amuse", de Victor Hugo. Triboulet, bouffon de
François Ier finira par causer la mort horrible de sa fille, alors
même qu'il voulait la venger.

Le personnage du bouffon est très particulier dans les hiérarchies


des cours royales. Précisément, il échappe aux hiérarchies. Sans
pouvoir, sans rival, c'est une ludion qui échappe à l'ensemble
des contraintes sociales en les court-circuitant. Il ne commande,
ni n'obéit, et peut se permettre de tout dire au monarque sur le
mode de la dérision. Il correspond au joker - mot qui le traduit en
anglais, et en même temps qui désigne une carte susceptible de
prendre n'importe quelle fonction, n'importe quand. D'ailleurs, le
joker des cartes à jouer est représenté avec les mêmes attributs
que certains bouffons, en particulier, une petite cornette à
clochettes.

Ce nom de bouffon, qui vient de l'italien buffone est au départ un


sobriquet, lié au caractère rondouillard du bonhomme : petit,
bossu, difforme, en tout cas, fort laid.

Or, ce nom est l'un de ceux qui mettent en perspective


l'illustrissime théorie de l'arbitraire du signe. En effet, le mot

151
vient peut-être d'un pléonasme expressif, puisque la syllabe
"bouff" évoque souvent les joues gonflées, à cause de sa
prononciation. C'est peut-être ce genre de formation expressive
qui a abouti à des mots comme bouffer, bouffi, bulle, ballon.

Bizarrerie de ces étymologies, le mot fou qui, parfois, a


exactement le même sens (le fou du Roi) aurait une histoire
étymologique semblable, avec ce son Fff..., lié à l'image de l'air
qui gonfle un ballon.

Revenons à bouffon. Au delà du personnage de Cour, le mot a servi


à désigner certains personnages grotesques du théâtre - comme
ceux, par exemple, de la Comédie Italienne. Et comme son origine
italienne était encore sentie, et qu'au XVIIe siècle, les
comédiens, musiciens, etc. d'origine italienne étaient nombreux à
Paris, les bouffons sont restés évocateurs de l'art à l'italienne.
Ainsi, l'Opera buffa - Opéra bouffe en français est-il plus
plaisant et souriant que l'opera seria (opéra sérieux). Mais, il
représente aussi la tendance italienne, et c'est ainsi qu'il faut
entendre la Querelle des Bouffons, polémique esthétique qui
déchaîna les passions vers 1750, et qui opposa les italianisants
(Rousseau et Grimm en particulier) aux tenants de l'opéra à la
française.

Un mot sur le jargon des jeunes d'aujourd'hui, où le bouffon est


devenu une insulte sévère : le bouffon, c'est le nul !

Yvan Amar

BOUGER
Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 13 FEVRIER 2002

C’est aujourd’hui que se déroule en banlieue parisienne l’opération « Bouge la science »,


journée de rencontres autour de la science qui réunira 300 collégiens des quartiers dits
sensibles des Ulis, Trappes, Massy et Cergy-Pontoise, le tout organisé par des étudiants
de Grandes Ecoles.

Ce qui montre bien que cette expression « ça bouge » est à la mode, et même qu’elle
représente, qu’elle est symbolique du parler des jeunes…

Le mot s’emploie dans des emplois divers… On n’a qu’à se souvenir de la célèbre

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chanson « Bouge de là » popularisée par le chanteur MC Solaar. Bouge de là, c’est-à-dire
dégage, tire-toi, va-t-en ! C’est bien sûr de l’argot.

Mais si l’on regarde ce genre d’expressions à la mode, on peut se souvenir également du


slogan « Bougez avec la Poste », qui devait servir à renouveler l’image un peu
poussiéreuse de cette vénérable institution. Ça bouge, en effet, est une locution qui
signifie que les choses changent, et qu’on est pour ainsi dire à la pointe du progrès, aux
avant-postes du changement. Ça bouge dans la musique techno… c’est-à-dire c’est là que
ça se passe… Ou même « Ça bouge dans le prêt-à-porter ! », titre de presse maintes fois
repris, au point qu’il était devenu le titre d’un livre qui se moquait de ces phrases-clichés.

Le verbe peut contenir d’autres évocations : les syndicats n’ont pas bougé. Ça veut dire
qu’ils n’ont pas réagi, qu’ils ne se sont pas manifestés, qu’ils ont laissé faire, en fait… Et
« se bouger », dans une langue plus familière encore… veut dire se donner soudainement
du mal, réagir : « Faut que tu te bouges si tu veux trouver du travail cet été » – sous-
entendu, ça ne te tombera pas « tout cuit » dans la bouche.

Quelques dérivés : on avait bien bougillon, mais hélas, le mot a totalement disparu, alors
qu’au milieu du XIXème siècle, le bougillon était un jeune enfant très remuant, incapable
de se tenir tranquille.

En revanche, « avoir la bougeotte » existe encore, et s’emploie à propos de quelqu’un


agité d’un mouvement continuel, qui ne peut se tenir tranquille, un peu comme la danse
de Saint-Guy… Ou alors, de façon figurée, l’expression s’emploie à propos de quelqu’un
qui déménage constamment, et ne peut rester longtemps au même endroit, dans la même
ville, le même pays, ou même la même entreprise…

BOULANGER
Par: (pas credité)

On discute en ce moment une loi pour décider qui a le droit de se faire


appeler boulanger. On voit là que la préoccupation linguistique rejoint la
préoccupation sociale.
Le boulanger est au départ un artisan-commerçant : dans un même lieu, il
fabrique le pain et il le vend. Mais une grande surface qui vend du pain
a-t-elle le droit à l'enseigne de boulangerie ? Ou même une petite boutique
qui vend du pain fabriqué ailleurs ; ou une boutique qui vend du pain qui a
été congelé… La mention dépôt de pain existe, mais n'est en général
utilisée que quand cette activité est tout à fait accessoire (une épicerie,
par exemple). On voit que les cas de figures sont nombreux et que ce
problème de dénomination est lié à des changements de mentalité et des
mutations technologiques.
Mais d'où vient-il, ce boulanger ? C'est un mot picard, pour nommer celui

153
qui fabrique les boulenc, sortes de pains ronds, dérivés de la bolle
néerlandaise. Est-ce que ces pains ronds sont des boules ? Non, c'est le
hasard : la bolle ne semble pas avoir de rapport avec l'origine bulla.
La boulangerie est en général associée à d'autres activités : le plus
souvent, les enseignes précisent : boulangerie-pâtisserie, et souvent même
confiserie.
Pâtisserie et pâtissier dérivent bien sûr de pâte, donc de pasta, mais par
l'intermédiaire du provençal pastiz, dont on a déjà vu que l'histoire était
extrêmement compliquée.
De toute façon, au départ, le pâtissier, c'est celui qui fait des pâtés. Il
est donc beaucoup plus proche de celui qu'on appelle aujourd'hui le
charcutier, voire le traiteur. La pâtisserie a d'ailleurs eu mauvaise
réputation en ce qu'elle faisait aussi office de cabaret, et qu'elle était
souvent synonyme de lieu mal famé. Furetière lui-même déclare qu'il était
"honteux de les fréquenter, que les gens prudes n'y entraient que par
derrière et que c'était une effronterie d'y entrer par le devant". Mais
Furetière met tout cela au passé. Au XVIIème siècle, c'est déjà de
l'histoire ancienne. Toutefois ce n'est qu'au XIXème siècle que le pâtissier
délaisse pour de bon la charcutaille pour ne plus embrasser que les
gâteaux.
Quant à la confiserie, elle fait un peu désuète aujourd'hui dans la mesure
où cette activité (fabriquer des bonbons, des sucreries, et des chocolats…)
est presque exclusivement industrielle : La pie qui chante, Mars et Nestlé
ont eu raison de l'artisan confiseur.
Les viennoiseries, ces spécialités du petit déjeuner auraient leur origine
à Vienne, après la victoire des Austro-Hongrois sur les Turcs, en 1689.
Elles auraient imité les pâtisseries orientales, d'où la forme et le nom
du croissant, emblême, par ailleurs, des états musulmans, vaincus mais
inspirateurs, Et puisqu'on parlait d'enseigne, saluons, en cette matière
un néologisme : la croissanterie.

BOULEDOGUES & PITBULLS


Par: (pas credité)

Le mot et l'animal sont sinon à la mode, du moins largement glosés


par l'actualité. Les pitbulls sont réputés féroces attaquants ; en
avoir vous pose et vous expose d'ailleurs aux rigueurs de la loi,
si vous maîtrisez mal cette dangereuse arme à pattes. On garde en
français le nom anglais de la race, comme c'est le cas pour bien
d'autres : teckel, fox, pointer, boxer, setter, cocker...

Mot à mot, le pitbull ne renvoie d'ailleurs pas à un chien, mais


à un taureau : bull = taureau, qu'on trouve déjà dans d'autres
noms de race de chiens costauds et patibulaires : le bulldog est

154
un chien-taureau, soit qu'on se souvienne qu'il gardait
efficacement les troupeaux de bovidés, soit que son cou puissant
évoque celui du taureau - les deux origines sont probablement
vraies toutes les deux.

Voici beau temps que ce bulldog a traversé la Manche, prenant au


passage une orthographe plus française : bouledogue, et frôlant du
même coup un troisième à peu près étymologique : le bouledogue
évoque la boule. Ce mot accrédite donc l'image d'un aboyeur peu
aimable, et s'applique facilement à l'être humain : un bouledogue
est un homme hargneux. (Bien que son aspect court sur pattes,
agressif et bruyant lui ait valu une autre fonction : au début du
siècle : un bouledogue était un pistolet à canon court, qu'on
appelait aussi un aboyeur).

Pourtant, c'est surtout la deuxième partie du mot dogue qui


concentre ces sémantismes depuis la Renaissance. Le mot semble
moins fréquent aujourd'hui, mais on le retrouve dans l'expression
"être d'une humeur de dogue", qui signifie non seulement qu'on est
de mauvaise humeur, mais qu'on le montre. C'est synonyme de
"n'être pas à prendre avec des pincettes".

L'hostilité du chien se retrouve surtout dans sa fonction de


gardien des biens de son maître, et, par conséquent, de sa porte.
L'expression "chien de garde" doit beaucoup à Nizan dans son
utilisation politique. Mais cette image, expressive,
(intellectuels : chiens de garde de la bourgeoisie) prouve bien
qu'elle était déjà prête à l'emploi dans les années 30.

Enfin, le "Cerbère" représente l'image traditionnelle et


mythologique du gardien cruel et intraitable, et s'emploie
aujourd'hui à propos d'un portier (ou d'un concierge), qui a toute
latitude de filtrer les entrées.

BOURREAU
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Il y a peu de jours, à l’hôtel Drouot à Paris – et on sait que l’hôtel Drouot est un hôtel des
Ventes important, on a vendu aux enchères les quatorze carnets d’Anatole Deibler. De
quoi parle-t-on dans ces fameux carnets qui se sont arrachés pour une somme assez
rondelette ? Les souvenirs du bourreau ; les souvenirs de 395 exécutions capitales, 395
têtes tranchées, 395 guillotinnages – je sais que le mot n’existe pas, mais vu le nombre de
ces actions, on aurait aussi bien pu le créer pour Deibler. Car Anatole Deibler a été
bourreau de 1885 à 1939, sinistre longévité pour un sinistre métier.
Mais est-ce un vrai métier que d’être bourreau ? Aujourd’hui, heureusement, cette charge

155
– pas un métier, certainement mais ce mot de charge, qui est celui qui convenait sent
encore son ancien régime n’existe plus en France.
Le mot bourreau dérive du verbe bourrer, dont un des sens était maltraiter, taper, faire
mal à quelqu’un. On a encore l’expression « bourrer de coups », par exemple pour
attester ce sens. Quant au mot bourru, on l’emploie de nos jours dans le sens « peu
aimable, toujours de mauvaise humeur » et souvent avec un sous-entendu positif : il est
bourru, mais sous cette carapace se cache un grand cœur. Mais le vieux personnage du
moine bourru (popularisé par Sganarelle qui en parle à Dom Juan) rappelle que bourru
était souvent associé à terrifiant dans la langue classique.
Revenons à notre bourreau. On le sait, c’est l’exécuteur des hautes œuvres, c’est celui qui
tue un condamné à mort, qui comment donc cet assassinat légal. On peut remarquer
qu’on ne dit jamais que le bourreau tue. C’est pourtant vrai, mais ça répugnerait à la
langue administrative. On dit qu’il exécute. Qu’il exécute quoi ? La sentence. Et par un
glissement de sens exécuter quelqu’un a signifier le tuer, sur ordre, suite à une décision.
Alors les bourreaux sont toujours vivants, avec des sens différents. Le mot est parfois
employé comme synonyme de tortionnaire, celui qui torture.
Et on le trouve dans des expressions imagées et bien moins effrayantes :
Le bourreau des cœurs – séducteur impénitent, employé pour des hommes uniquement
qui réduisent les cœurs féminins à leur merci, mais aussi qui les brisent . A la chaîne, ils
séduisent et abandonnent. Bourreau de travail et cette expression est encore plus étrange.
Le bourreau de travail est celui qui traille énormément. Pourquoi bourreau. Il exécute son
travail ? Ou le met à mort, en vient à bout alors que d’ordinaire on s’attend à ce que ce
soit le travail qui vienne à bout du travailleur. Tout cela est possible mais bizarre. Encore
un des charmes de la langue française.

BOURSE
Par: (pas credité)

A propos du salon de la Bourse "Actionnaria ", que dire du vocabulaire boursier


d'aujourd'hui ?
1- Actions : titre de propriété, représentant une part déterminée qu'une entreprise met en
vente auprès du public, des " investisseurs ". Elles font l'objet d'une cotation journalière,
qui indique la valeur, fonction de nombreux paramètres, dont les résultats et les
perspectives de l'entreprise.

L'ensemble des entreprises cotées forme le marché boursier. Le particulier qui a des
actions en bourse achète et vend. Lorsqu'il s'agit d'une personne qui a un " portefeuille "
assez réduit, on dit qu'il " boursicote " : le mot, comme celui de bourse vient d'un petit
sac, le boursicot où l'on plaçait ses petites économies. Expression dérivée. Ses actions
sont en hausse, en baisse : expressions imagées pour dire que quelqu'un a plus ou moins
de chance de réussir, qu'il a aussi plus ou moins de " crédit " dans une affaire, qu'on lui
fait ou non confiance, qu'il est plus ou moins bien vu des personnes dont il sollicite les
faveurs ( monde du travail ou de la vie privée ).

156
2- A la baisse, à la hausse. Traditionnellement on parle de cours de Bourse en hausse ou
en baisse. Cette terminologie décrit un état de fait objectif : les cours sont en hausse ou en
baisse aujourd'hui, à l'heure considérée. La valeur des actions, dans sa globalité est en
hausse ou en baisse. Cette terminologie a donné naissance aux mots " haussier et baissier
" pour désigner les attitudes des investisseurs qui spéculent sur l'une des deux possibilités
de la côte.

Depuis quelques années, on a vu s'amplifier l'expression " orienter à la hausse, ou à la


baisse ", qui n'exprime pas un état de fait constaté mais une tendance des marchés
boursiers : les bourses européennes sont à la hausse = elles évoluent selon une tendance
positive sur une certaine durée. Il s'agit ici d'une prévision à terme. D'où la généralisation
de l'expression dans le registre économique : " revoir, réviser, corriger à la baisse ou à la
hausse " des prévisions. " Les chiffres du chômage ont été révisés à la baisse " (ou
l'inverse) etc … Contamination probable de la météo : températures à la hausse ou à la
baisse. Bourse et météo = spécialistes du délicat domaine de la prévision.

BOUTEILLE
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

E.LATTANZIO : Caresser la bouteille, téter la bouteille, être


porté sur la bouteille ... Ces expressions ont en commun leur sens
: avoir un penchant pour les boissons alcoolisées, mais elles ont
aussi en commun l'usage du mot bouteille, qui renvoie à l'image
d'une bouteille de vin. Et ces bouteilles ont souvent des formes
différentes. Et d'ailleurs des noms différents selon les régions.
On parle de "bourguignonne", plus renflée dans sa partie
inférieure, ou de "bordelaise", plus étroite, au col un peu plus
long.

Y.AMAR : Quant à la "champenoise", elle a plus de ventre, une


forme assez généreuse et un verre beaucoup plus épais. Ces
appellations et ces formes datent en général du 19ème siècle, même
si, bien sûr, il y en eut bien d'autres à une époque plus
ancienne.

E.LATTANZIO : Est-ce que vous savez par exemple ce qu'on appelle


"avoir son jeune homme" ?

Y.AMAR : C'est simplement être fin saoul. Ce n'est pas d'une jeune
femme grisée par son cavalier qu'on parle ici : le jeune homme est
une expression ancienne qui désigne une bouteille contenant entre
trois et quatre litres. Donc, lorsqu'on avait son jeune homme ...
on avait bu plus que de raison.

E.LATTANZIO : Mais la bouteille, en général, contient 75


centilitres, sauf les champenoises qui en contiennent 80. En
dessous de cette contenance, on parle de "fillette". La fillette
correspond à une demi-bouteille, 37,5 centilitres. Et le mot
s'utilise surtout dans le bordelais. Et quand on multiplie la
contenance par deux, on obtient un "magnum". Le mot est latin au
départ, mais ce sont les anglais qui ont les premiers eu recours à

157
ce terme pour désigner une bouteille à double contenance.

Y.AMAR : Mais si l'on vise plus grand encore, on arrive à une


admirable série biblique : connaissez-vous Jéroboam ?

E.LATTANZIO : C'est un roi d'Israël, fort et vaillant, mais dont


on dit aussi qu'il a fait commettre des pêchés à son peuple. C'est
peut-être pour cela qu'on appelle "jéroboam" une très grande
bouteille, quatre fois plus volumineuse qu'une bouteille
ordinaire.

Y.AMAR : Et on a décliné toute la série : le Rhéoboam fait six


fois la normale, le Mathusalem fait 8 bouteilles, le Salmanazar en
fait douze ...

E.LATTANZIO : ... Un Balthazar en fait 16, et la palme revient à


Nabuchodonosor : le Nabuchodonosor est une gigantesque bouteille,
de champagne en général, qui contient autant que vingt bouteilles
normales !

Y.AMAR : C'était Parler au Quotidien, une émission proposée par le


Centre National de Documentation Pédagogique ...

E.LATTANZIO : ... Et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.

BOUTEILLE
Par: (pas credité)

Parlons "bouteille". Et la "bouteille", en français a une place de choix. "Caresser", "téter",


"être porté sur la bouteille" = avoir une tendance à l'alcoolisme. C'est normal : le
contenant est facilement assimilé au contenu, donc la bouteille au vin, l'un des contenus
qu'on retient le plus en France.

Et le vocabulaire de la "bouteille" est dûment spécialisé ; il s'y attacherait même un


certain snobisme.

"A chaque vin sa bouteille" : la bourguignonne, la bordelaise, la champenoise sont les


principales (différences de forme).

Ces appellations ne datent que du XIXème siècle. Mais c'est surtout selon les contenances
qui vont changer les mots - avec des dénominations anciennes ou encore actuelles qui
donnent lieu parfois à des expressions :
"Avoir son homme" = être complètement ivre (le jeune homme était une grande
"bouteille" contenant quatre litres environ).

La "bouteille" la plus fréquente contient elle (75 à 80 cl). Il n'y a guère que le vin très
ordinaire qu'on avait coutume de vendre par litre - et on parlait alors de "litron", mot qui a
une connotation un peu peuple. Quand la contenance est moindre, on a des noms

158
particuliers : "le pot Lyonnais" = 50 cl, la "fillette" notamment en Anjou et dans la région
nantaise. Ou encore le "magnum", et là on est au-dessus de la "bouteille" standard (150 cl
pour le Bordeaux, 160 pour le Champagne). Bien sûr, cet emploi dérive du latin grand,
mais, honte à l'orgueil national, il a été emprunté à l'Angleterre, où il est attesté fin
XVIIIème, bien avant d'être en usage en France.

On a aussi la "Marie-Jeanne" (225 cl), et le double magnum (300 cl). Mais, il existe une
autre série utilisée pour le Bordeaux, et le Champagne. Là encore, merci les Anglais.
Jeroboam, roi d'Israël est décrit comme fort et vaillant . Il n'en faut pas plus pour que les
Anglais désignent par là une grande bouteille de boisson alcoolisée.

Au début du XXème, les Français s'y mettent, et systématisent la typologie :


"Jeroboam" : 320 cl de Champagne (quatre bouteilles ordinaires), ou 500 de Bordeaux.
Et ensuite "Rheoboam" (480), "Mathusalem" (640), "Salmanazar" (960), "Balthazar"
(1280), et "Nabuchodonnosor" (1600), pour le Champagne uniquement. Mais on est là
dans le jargon des spécialistes contents d'eux : c'est bien artificiel.

BOYCOTT
Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 20 AVRIL 2001

Boycott ou boycottage. On a beaucoup entendu les deux ces jours derniers. On aurait pu
croire que, le mot se répandant, il est senti comme de plus en plus français, et donc
spontanément francisé. Il n’en est rien : boycottage existe depuis de XIXème siècle,
depuis que le mot nous est arrivé d’Irlande. Mais, le nom boycott, à l’anglaise, est
également utilisé. Une nuance ? Boycott pour le procédé, et boycottage pour l’opération ?

C’est donc un mot irlandais ?… Enfin c’est plutôt un mot anglais, passé par l’Irlande.
Le sens d’abord : boycotter veut dire refuser systématiquement toute transaction
commerciale avec un producteur, une firme, un magasin, dans un but de rétorsion. A la
question, maintes fois posée, faut-il boycotter Lu, nous allons donc répondre : voyons
d’abord l’histoire de ce mot.

Charles Cunningham Boycott (1832-1897), méchant officier anglais, intendant du Comte


Erne, qui s’occupait de ses domaines dans le Comté Mayo.
Il était si dur, qu’il ne trouva pas un seul ouvrier pour s’engager chez lui pour moissonner
à l’été 1879. A l’appel de la ligue agraire, dirigée à l’époque par Charles Parnell, tout le
monde avait refusé de travailler pour lui. Le gouvernement anglais lui envoie donc des
mercenaires moissonneurs, protégés par l’armée. Mais entre temps, les récoltes avaient
pourri.
Le sens a donc changé. Aujourd’hui, on boycotte une marque, quand on l’évite, un

159
magasin quand on n’y va pas.

Synonyme ? Quarantaine, mise en quarantaine : période d’isolement, pour éviter qu’une


épidémie se propage. Au bout de quarante jours, on n’est plus contagieux.
Mise à l’index. Blocus ?

BRADER
Par: Yvan Amar

Va-t-on brader EDF ? Oui pour les uns ; non pour les autres. Il s’agit, en tout cas,
d’évaluer la façon dont le gouvernement va opérer la privatisation de cette société du
service public, qui gère, vend, distribue l’électricité en France. Car, on le sait, c’est ça le
sens du sigle EDF : électricité de France. Et EDF est sur le point d’ouvrir son capital,
c’est-à-dire de se vendre par fragments, et par conséquent, d’entrer en bourse… ce qu’on
appelle une privatisation, puisque des titres pourront être acquis par des investisseurs
privés. Ce qui est, en gros, le mouvement inverse d’une nationalisation.

Privatiser, soit. Encore faut-il que le bien public ne soit pas vendu au-dessous de son prix.
Et donc que son propriétaire actuel, l’Etat, ne soit pas lésé. On peut donc se demander s’il
est opportun de privatiser, si on le fait au meilleur moment, et dans les meilleures
conditions. Autrement dit, si on n’est pas en train de brader EDF. Et c’est le mot-cliché
qui revient sans cesse. Son sens est clair : céder à vil prix, au-dessous du prix. Et le mot
ne s’emploie jamais que dans une intention polémique : si on le prononce, c’est pour
accuser le gouvernement : personne n’irait se vanter de brader le service public ! On peut
donc proposer divers synonymes : dilapider, gaspiller, solder, se débarrasser de… De
toute façon, on dénonce ! Qui dénonce ? Si on est bien dans le vocabulaire de la
polémique, ce vocabulaire n’appartient pas définitivement à une famille politique . La
plupart du temps, c’est vrai, on entend parler de braderie lorsqu’un gouvernement, de
tendance plutôt libérale, veut faire passer un opérateur du service public entre des mains
privées. On est donc enclin à penser que brader est un mot des tribunes de la gauche, qui
fustigent la droite. Mais, il y a un peu plus de quarante ans, où trouvait-on se mot ? Il
émanait des rangs de la droite et de l’extrême droite qui s’insurgeaient contre la
décolonisation : De Gaulle brade l’Algérie ! C’est donc un mot qui voyage dans les
idéologies.
Il est vieux d’ailleurs, ce mot. On le trouve dès le XVème siècle en français, qui
l’emprunte à la langue flamande : braden veut dire rôtir ! On est bien loin du sens actuel.
Et si l’on suit le dictionnaire historique d’Alain Rey, on découvre que le mot a vu son
sens évoluer : flamber, rôtir… puis brûler, laisser brûler… donc laisser perdre, gâter ! Le
mot s’utilise en français, mais surtout semble-t-il, en français de Belgique, restant
relativement proche de ses origines. Et capter par les brocanteurs et chiffonniers : brader,
c’est casser le prix du marché et se débarrasser d’une marchandise à tout prix : liquider,
en quelque sorte.

160
Et là, le mot peut être récupéré avec un écho tout différent, et plutôt positif : on organise
des braderies… c’est-à-dire des opérations de soldes extrêmement avantageux pour les
acheteurs, dans le but de se débarrasser des fins de stock.
Et on parle de plus en plus de braderie, soit quand un magasin ferme, soit même
lorsqu’une foire convie tous les particuliers qui veulent faire un peu de place à vendre,
sans vraiment de désir de profit, tout ce qui les encombre : la braderie n’est plus très loin
du vide-grenier.

BRAGUETTE
Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 4 MAI 2001

Télébraguette… C’est clair : il s’agit de programmes qui vous flattent par vos bas
instincts. Qu’on imagine vulgaires, grivois, suscitant des intérêts et des excitations
douteuses. Laissons aux programmateurs leurs responsabilités. C’est cette expression qui
nous intéresse, comme si ce qu’on montrait à la télévision s’adressait plus à la braguette
qu’à la tête.

Notons d’abord l’étrange machisme de ces expressions : la braguette est une pièce
d’habillement masculin, (et les dessous de ceinture n’évoquent pas plus les femmes) alors
que les programmes de la télévision, pour vulgaires qu’ils soient, s’adressent aux
hommes comme aux femmes, et qu’il n’est pas sûr que ces émissions soient regardées par
une forte majorité masculine.

Tout ça se passe au-dessous de la ceinture, autre expression indirecte qui évoque une
sexualité assez mécanique et basse : rires gras et érections hâtives. On parle souvent de
plaisanteries qui se situent au-dessous de la ceinture… Et la braguette se situe
évidemment dans ce même registre : elle évoque une sexualité fruste, et donne même lieu
à des expressions peu ragoûtantes telles qu’escaladeuse de braguette ou braguetteur
(séducteur brutal, d’après Rey).
Deuxième remarque : la braguette est métonymique, et l’expression fait allusion au
contenu, même si elle ne désigne que le contenant.

Au fait ! La braguette aujourd’hui est la fente pratiquée dans les pantalons masculins, qui
s’ouvre ou se ferme à l’aide de boutons ou de dangereuses fermetures éclair, et sert (le
plus souvent) à faire pipi rapidement et à peu de frais : clic clac. Maintenant, on
s’expliquera facilement combien le ricanement est facile et l’imagination vagabonde.

La braguette a une longue histoire : avant d’être l’ouverture qu’on connaît, c’était une
petite poche attachée à la ceinture. Et en fait, la braguette est une pièce de la brague, ou
braie.
La brague a été, au Moyen-Age, la partie saillante de la cuirasse, située au dessous de la

161
ceinture : la localisation de la braguette se dessinait déjà. Mais encore auparavant, la braie
ou brague était le pantalon des Gaulois.

BRAS DE FER
Par: Yvan Amar

Un nouveau préfet vient d’être nommé à la tête de la Préfecture de Paris. Ce sera Pierre
Mutz, et non pas Claude Guéant. C’est-à-dire que ce sera la personnalité soutenue par le
Président de la République et non celle qui avait les faveurs du ministre des Finances. Et
pour citer la presse d’hier, cette nomination a fait l’objet d’un long bras de fer entre
Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. Un bras de fer ! En voilà une expression imagée…
qui exprime bien l’idée d’un affrontement vif entre les deux hommes politiques. Vif et
qui dure…. Quand chacun campe sur sa position. Quand aucun des deux ne veut céder.
Pas de dialogue, pas de discussion, pas de négociation. Et, d’ailleurs, l’expression
s’emploie souvent dans des cas où il est impossible d’abandonner un pouce de terrain…
ou deux ou trois… On cède ou on ne cède pas … On est donc dans une logique du tout ou
rien. On l’emporte ou l’on plie… Et c’est bien l’image… Il y a celui qui fait plier et celui
qui plie.

« Plier » ou « faire plier »… C’est bien de cela qu’il s’agit dans le jeu… ou l’épreuve
physique qui est à l’origine de l’expression. On l’a tous fait… ou presque ; on a tous
lancé ou relevé ce défi un peu bête : les adversaires s’assoient face à face, posent leur
coude sur la table, avant-bras contre avant-bras, main contre main. Et on pousse…
Jusqu’à ce que l’un des duellistes fasse pencher l’autre, amène son avant-bras contre la
table.

Pourquoi « bras de fer » ? L’image est fréquente pour évoquer la force, la solidité… le
fer, c’est solide… L’image du bras est-elle aussi fréquente ? On la trouve à plus d’un
détour de phrase, représentant l’autorité et la force, le bras symbole de la personne…
Rappelons-nous le Cid : « Ce bras qu’avec respect toute l’Espagne admire/ Ce bras qui,
tant de fois, a sauvé cet empire/ Tant de fois raffermi le trône de son roi/ trahit donc ma
querelle, et ne fait rien pour moi ? Il s’agit ici du bras qui tient l’épée, d’un bras à deux
bouts, pourrait-on dire… D’un côté, il aboutit à l’épée qui est son prolongement… De
l’autre, il aboutit à la volonté qui l’anime… Il est donc comme le moyen terme entre
l’arme et l’esprit…, vrai symbole de la force…

Mais, le bras, plus souvent encore, est symbole de l’activité… quand il s’anime, et de la
passivité ou de l’abandon quand il reste inerte… : les bras ballants (= sans avoir rien à
faire)… les bras croisés (quand on n’a rien à faire.. ou qu’on refuse délibérément de faire
quoi que ce soit, en particulier, de travailler, de s’activer…) Ou même baisser les bras :
renoncer à lutter, reconnaître qu’on ne pourra rien faire contre une situation qu’on
déplore…

162
BRAVO !
Par: (pas credité)

Bravo ! L’exclamation sert à témoigner son admiration. Le mot nous vient de l’italien.
On l’entend encore, d’autant qu’on a gardé le superlatif italien, même s’il est un peu
emphatique, ou employé par ironie: bravissimo. Le nom s’accorde à la française (les
bravos fusaient – et non les bravi) alors que jusqu’à la fin du 19è siècle, on utilisait
encore le féminin brava lorsqu’on acclamait une femme. Homme ou femme, le mot
renvoie en tout cas au rituel de la scène, et les bravos du public s’adressent aux
comédiens et aux musiciens, à la fin d’une pièce, d’un morceau de musique, d’un concert.
Et c’est par rapport à ce mot de bravo qu’on comprend mieux ce qu’est un morceau de
bravoure : pièce musicale ou scène de théâtre, ou encore tirade qui permet d’exhiber, de
faire valoir au mieux ses qualités. Il s’agit en général de montrer une exécution brillante,
virtuose, spectaculaire, dans un morceau à effet, un peu démonstratif, où on se met en
valeur.

Mais attention, bravo est un mot bizarre : souvent cri d’enthousiasme, il peut être
prononcé de façon tout à fait calme : jeune homme, je vous dis bravo. En même temps, il
correspond à un geste : l’applaudissement. C’est donc un mot qu’on dit et qu’on fait. On
peut applaudir avec plus ou moins de chaleur, et on en module l’expression : applaudir à
tout rompre. Applaudir des deux mains est un pléonasme pittoresque et expressif, dont
l’emploi a un sens un peu particulier : il signifie qu’on exprime avec force – mais dans un
langage un peu ampoulé, son approbation. On est là tout à fait sorti du monde du
spectacle. Le député a applaudi des deux mains en apprenant que le gouvernement allait
augmenter le Smic. On exprime donc un accord plus que des félicitations.
L’applaudimètre nous fait revenir dans la salle de spectacle. Le mot est un peu ancien –
radio-crochet etc. Le chanteur l’a emporté à l’applaudimètre (l’appareil, bien sûr est
imaginaire).

Quant à l’ovation, c’est le stade suprême des acclamations, qui réunit applaudissements et
exclamations d’enthousiasme. L’anglicisme standing ovation, porté par un effet de mode,
est d’ailleurs de plus en plus employé par des benêts, le plus souvent ignares. L’ovation
au départ, est une cérémonie romaine où l’on acclamait un général victorieux qui allait
sacrifier une brebis (ovis) pour rendre grâces aux dieux. A moins qu’ovation ne vienne
d’une onomatopée grecque, ancêtre de notre hourrah, qui exprimait le plus haut degré de
l’enthousiasme : Euhoï !

BRETZEL
Par: (pas credité)

163
PARLER AU QUOTIDIEN DU 16 JANVIER 2002

Le bretzel est à l’honneur. Enfin, à l’honneur, cela me plaît à dire. Mettons « en vedette ».
A-t-on failli parler du bretzel maudit ? A-t-il manqué coûter la vie au président des Etats-
Unis ? Est-il la cause de l’ecchymose que celui-ci arbore au haut de la pommette gauche
?
C’en est assez, en tout cas, pour qu’on s’interroge sur le passé de ce mot modeste, qui
désigne un petit gâteau apéritif. La pratique de l’étymologie suscite d’étranges
comportements. On ne peut s’empêcher au bout d’un temps d’avoir une sorte de réflexe
intuitif, quand on évalue, soupèse, scrute un mot. On se fait sa petite idée… Parfois
juste… Et parfois, on tombe complètement à côté.

Bretzel, par exemple. « J’ai tout de suite vu le « bret », « bread », « bröt » »… Le pain
était là. Restait le zel. Le sel. Un petit pain salé…c’est tout à fait ça.
Une rapide interrogation circulaire pour savoir ce qu’en pensent ceux qui m’entourent…
Vous ne devinerez pas les trésors d’imagination que telle interrogation pouvait susciter.
Bretzel ? Bien sûr, c’est une ville autrichienne. Ne vous y fiez pas : aucun rapport.
Bretzel ? Alfred Bretzel ? Ce sera quelque ancêtre du grand pianiste. Mon Dieu, quel
manque de rigueur !

Alors qu’en pense Alain Rey, dont on peut espérer qu’il ne se livre pas à ce genre de
gamineries ? Eh bien d’après lui, la première attestation du mot se situe en 1492. Ça ne
vous dit rien ? Et la découverte de l’Amérique, alors ? Troublant. Le bretzel apparaît à
l’horizon de l’Ancien Monde au même moment que le Nouveau. Amérique et bretzel, la
main dans la main…
Le bretzel balbutie encore : c’est la forme bréchale qu’on trouve à Neufchâtel. Le haut
allemand disait « brezitella », emprunt au bas-latin ; le haut allemand est parfois si haut
qu’il touche le bas-latin qui est parfois si bas… « brachitella ». Tout ça dérive de
brachium, le bras. Cette gâterie est donc un genre de pâtisserie aux petits bras. Ainsi, se
comprend la forme de cette croustillade légère, saupoudrée de sel ou de cumin en Alsace.

On en servait jadis dans les brasseries pour accompagner la bière. Aujourd’hui, on les sert
avec des boissons apéritives, en concurrence avec des noix de cajou, des cacahuètes, des
olives ou parfois des petits morceaux de fromage. Les boulimiques peuvent même se
payer le célèbre « mélange apéritif » qui propose une intéressante compilation de tout ce
qui se fait de mieux en la matière. Mille goûts dans la bouche ? Tout ça ne vaut pas un
bon bretzel.

BRICOLAGE
Par: (pas credité)

Quel bonheur d'avoir un mari bricoleur… etc.

164
Bricoler, c'est faire de petits travaux plutôt accessoires, non
spécialisés, que tout le monde peut faire, (ou presque), pour réparer une
panne, aménager la maison. L'idée qui prime est celle de travail non
professionnel. Donc avec les moyens du bord, un outillage parfois
approximatif, et beaucoup d'imagination et de sens de la débrouille. Il
s'agit au départ de récupérer et de détourner outils et matériaux de leur
fonction première.

Dans son sens ancien, le verbe bricoler s'applique au


jeu de balle et de billard, à la chasse et à l'équitation, mais toujours
pour évoquer un mouvement incident : celui de la balle qui rebondit, du
chien qui divague, du cheval qui s'écarte de la ligne droite pour éviter un
obstacle, comme dit magnifiquement Lévi-Strauss. On comprend donc bien
comment on peut remonter à l'origine du mot : il vient de bricola, la
catapulte, et s'est dirigé vers deux sens dérivés :
La sangle du déménageur (à cause des cordes qui tendaient la catapulte).
L'idée de ricochet, donc de zigzag, et par là, d'incidence.
Mais le mot a eu d'autres emplois : des sous-entendus érotiques (bricoler
une fille) ; des futilités, des objets sans importance (j'ai acheté deux
trois bricoles… à rapprocher de babioles ? ). C'est en tout cas un mot à
tout faire, comme ce qu'il désigne.

Pourtant, si le mot est souvent positif, il peut être utilisé de façon


péjorative : un projet de loi bricolé évoque un projet fait à la va-vite,
et en même temps rafistolé, fait de pièces et de morceaux, sans unité.
Enfin, bricoler évoque une action de peu d'envergure, sans ambitions ni
moyens.

BRICOLE
Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 3 SEPTEMBRE 2001

Avez-vous le bonheur d’avoir un mari qui bricole, ou une femme qui bricole ? Ça vous
change la vie. C’est ma vraie idée du bonheur – ou presque – d’avoir quelqu’un qui, à la
maison, puisse changer le joint d’un robinet qui fuit, réparer la prise ou repeindre la salle
de bains.

Bricoler, c’est en effet savoir effectuer une petite réparation, alors que ce n’est ni votre
métier, ni votre spécialité. Ça nécessite d’être adroit, inventif, débrouillard…
Et surtout, il faut utiliser des matériaux à des fins qui ne sont pas leur destination
première : on cale une pile avec une pièce de monnaie, on fixe un pied de chaise avec un
vieux bout de fil de fer…

165
Bricoler peut être transitif, et dans cet emploi, il a souvent le sens de réparer, à condition
que cette réparation soit faite avec des moyens de fortune… « Je t’ai bricolé ton poste de
radio : il remarche… mais pour combien de temps ? »

Ce sens s’est installé en français depuis la moitié du XXème siècle, ou un peu avant…
mais le mot, lui-même, est bien plus ancien, et on l’a longtemps trouvé avec des sens
différents.

La bricole est, au départ, une arme de guerre, un genre de catapulte. Puis, il a désigné la
bretelle d’un portefaix, c’est-à-dire, en gros, d’un déménageur. Aujourd’hui encore, le
mot appartient au vocabulaire technique de ceux qui déménagent les appartements, ou
transportent des meubles.

Enfin, le verbe bricoler, dans un sens tout à fait moderne, signifie qu’on se livre à divers
petits travaux, pas vraiment suivis, pas vraiment importants : on s’occupe à droite à
gauche, on bricole…

BRONZETTE
Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 26 JUIN 2001

Vive les vacances ! Voici que revient le temps du bronzage. Se faire bronzer : obsession
de quelques vacanciers – c’est-à-dire exposer sa peau au soleil pour lui faire prendre une
teinte agréablement caramélisée. Ce n’est qu’une mode esthétique, qui fait penser qu’un
corps bruni est plus joli. Jadis, au contraire, on se protégeait du soleil, et rien n’était plus
désirable qu’une peau laiteuse, pour les canons de la beauté occidentale. Mais
aujourd’hui, on aime se faire bronzer – enfin surtout les blancs, car lorsqu’on bénéficie
d’une couleur naturelle, cet avantage vous dispense des tracas du bronzage.

Bronzer, c’est donc se rapprocher de la teinte du bronze, cet alliage de cuivre et d’étain.
Souvenons-nous en passant que ce verbe a eu, au temps passé, un autre sens figuré :
rendre résistant comme le bronze, ce que nous rappelle cette formule qui eut son heure de
gloire : il faut que le cœur se brise ou se bronze.

Mais revenons aux vacances : pour soigner son bronzage, plusieurs expressions plus ou
moins familières : on pratique la bronzette, le bronzing, la grande bronze (familier, sur le
modèle de la grande bouffe, ou de la glisse… Il y a toute une mode de formation de
substantifs féminins à partir de verbes du 1er groupe, en –er), le tournedos, etc.

Un début de bronzage, qui hésite entre bonne mine et léger fonçage de la peau, est un
hâle, et le verbe hâler s’emploie couramment, suite plutôt à un séjour au grand air qu’à
une exposition délibérée au soleil cuisant.

166
Le mythe du bronzage a donné naissance aux « bronzés », personnages comiques,
satiriques et un peu vulgaires d’une série de films populaires. Mais ne pas confondre avec
l’euphémisme déplaisant à connotation raciste : il est bronzé, (variante de basané) pour
dire il a un type d’Afrique du Nord.

Depuis quelques années, le bronzage n’a plus si bonne presse, et on parle beaucoup des
dangers du soleil sur la peau. Se sont donc beaucoup développés les produits qui
protègent des méfaits des rayons du soleil : après avoir activé le bronzage, ils le freinent.
Ainsi a-t-on parlé de crème solaire, d’huile solaire, d’ambre solaire (marque déposée), et
aujourd’hui, l’expression écran total (même si elle est techniquement fallacieuse, paraît-
il) s’est généralisée. Et la formule est si répandue qu’elle sert de façon figurée, pour faire
un titre d’émission consacrée au cinéma, ou faire comprendre que quelqu’un laisse son
répondeur téléphonique branché en permanence pour ne pas être dérangé : l’écran total
est devenu l’intensif du filtrage.

BROUILLON
Par: (pas credité)

On expose des brouillons de grands écrivains. C’est-à-dire ?


C’est-à-dire des manuscrits ou tapuscrits de travail, un tapuscrit étant dans un jargon
d’éditeur et d’écrivain un manuscrit tapé à la machine . Et ces deux mots renvoient
simplement à la notion de non édité : il s’agit donc de documents privés. Mais
intéressants, en ce qu’ils permettent d’entrer dans la genèse de l’œuvre, de voir comment
un écrivain a travaillé, quelles sont les étapes de la rédaction : ratures, corrections,
repentirs, strates…

Mais, le mot brouillon n’appartient pas en propre (passez-moi cette coquetterie) au jargon
littéraire ; il est bien plus souvent relié au monde de l’école : les élèves ont un cahier de
brouillon, pour travailler, s’exercer, mais pas pour remettre à leur professeur un travail
fini. Le brouillon est donc destiné à être recopié, mis au propre. On oppose donc le propre
et le brouillon.

Brouillon dérive évidemment de brouiller : idée d’un travail dont l’inscription témoigne
d’hésitations d’essais, d’améliorations… donc qui n’est pas net, pas fixé.

Des synonymes ? Oui, mais qui sont moins propres (encore ce jeu de mots stupide !) à
l’école, et nous font revenir davantage à la création artistique.

Une esquisse, une ébauche, par exemple. Mais, on pense plus à un plan, un projet, les
grandes lignes (des linéaments, disait-on), qu’au premier état d’une réalisation.
Ces deux mots semblent appartenir, pour leur sens littéral, au domaine de la peinture ou
des arts graphiques. Etymologiquement, ce n’est pas tout à fait vrai.

167
L’esquisse vient d’un mot italien qui signifie tache d’encre, tache d’un liquide qui gicle.
Au-delà de la symbolique éjaculatoire, l’image nous renvoie à une image d’une création
jaillissante et incontrôlée, qui précède la forme que lui donnera le travail. Et on retrouve
cette même image lorsqu’on parle d’un premier jet, première rédaction d’un texte.

L’ébauche, elle, vient d’un verbe qui signifie au départ dégrossir, émonder, en parlant
d’un tronc dont on veut faire une poutre.

A noter que les deux verbes ébaucher et esquisser signifient aujourd’hui commencer,
n’avoir pas fini : ébaucher un geste, esquisser un refus : on comprend l’intention, bien
que son expression ne soit pas achevée.

BROUILLON ET PALIMPSESTE
Par: (pas credité)

Pour la première fois, ceux qui le souhaitent vont pouvoir voir


successivement une représentation de "Léonore" et le lendemain,
une autre de "Fidélio", deux opéras de Beethoven. Pourquoi en
faire un évènement ? Parce qu'il s'agit en fait de deux états de
la même oeuvre qu'on pourra donc comparer. Unique opéra de
Beethoven, cette pièce sous-titrée "L'amour conjugal" a été
inlassablement modifiée et retouchée entre 1805 et 1814, tout en
restant réellement la même. La peuve en est que le changement de
titre ne change pas le personnage-titre. Il s'agit de la même
femme Léonore, qui se travestit en homme - Fidélio, le bien nommé,
pour secourir son mari Florestan, injustement emprisonné.

Peut-être peut-on donc parler d'étapes, de "versions" du


manuscrit. Mais "Léonore" est un opéra construit, et terminé, bien
que son auteur l'ait remanié. On évitera donc les termes
d’"ébauche" ou d’"esquisse", empruntés à la peinture, et qui
désignent des travaux préliminaires, support du travail final, et
qui n'ont qu'un caractère d'inachèvement. "Ebaucher", à l'origine
est un terme de menuisier et veut dire ébrancher un arbre,
dégrossir une poutre avant de pouvoir l'utiliser. Quant à
"esquisse", qui renvoie au premier état d'un dessin, son sens
étymologique est "tache faite par un liquide" - il s'agit vraiment
du premier geste de la création. Mais ces deux mots n'ont pas de
caractère péjoratif, alors que "brouillon" garde de ses origines ;
(brouiller) un aspect sale ou confus, embrouillé.

Deux autres termes, plus rares, évoquent des changements effectués

168
sur un même matériau de départ : "repentir" d'abord. Au-delà de
son sens religieux, le mot désigne les changements qu'un artiste
peut opérer sur une oeuvre, une fois que celle-ci est terminée.
Parfois, on utilise de façon technique, le terme italien
"pertimento", notamment en peinture, lorsqu'un peintre a recouvert
un fragment de toile déjà peint par autre chose. Et on ne parle de
"pentimento" que si l'on devine, grâce au travail du temps, le
premier état sous le deuxième.

Ce phénomène à plusieurs couches nous amène à notre dernier mot,


savant lui aussi : "palimpseste". Etymologiquement, il s'agit d'un
manuscrit dont on a gratté la première écriture pour pouvoir le
réutiliser. Mais l'écriture est têtue, et comme les ruines d'une
ville dont on voit se profiler l'ancien plan sous la campagne
moderne, sur les photos aériennes, on reconnaît sur le
palimpseste, un premier texte. Le mot a connu son succès grâce à
Hugo et Baudelaire, qui l'ont employé à propos de la mémoire et,
en particulier, de la mémoire affective.

A leur manière, les représentations de "Léonore/Fidélio" nous


offrent un palimpseste.

BÂTIR – CONSTRUIRE
Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 17 SEPTEMBRE 2001

Voici deux mots, à peu près synonymes, mais qui pourtant ne s’emploient pas toujours
dans les mêmes contextes, ni avec les mêmes nuances.

« Bâtir » peut parfois s’employer sans complément, de façon « absolue ». Mais, à part ça,
on peut bâtir une maison ou, au figuré, un projet…

Au départ, le mot veut dire « fortifier » – et même auparavant, « tisser » : on retrouve une
séquelle de cette signification encore aujourd’hui, lorsqu’en couture, on parle de « bâti
»…
Enfin, c’est presque toujours lui qu’on emploie dans l’expression « bâtir des châteaux en
Espagne », c’est-à-dire imaginer des projets grandioses, un avenir radieux, tout cela hors
de la réalité…).

« Edifier » est un autre verbe de sens assez proche, quoiqu’il indique une certaine
envergure : on « édifie » un château, une ville, un immeuble… pas une hutte, bien que ce
soit le sens étymologique : aedem aedificare : construire une hutte, en latin.

169
« Elever » est moins concret encore. Et l’image de verticalité que comprend le mot
correspond souvent à un hommage rendu.

Le verbe « ériger » a, lui aussi, des sens très voisins, mais il s’emploie essentiellement en
ce qui concerne des statues, qui pointent vers le ciel.

BUDGET
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Ah Dieu sait qu’on en parle des budgets en ce moment, des arbitrages budgétaires, des
choix budgétaires du gouvernement français, qui semble avoir favorisé les ministères du
maintien de l’ordre : surveiller et punir comme disait Michel Foucault. Mais tout ça ne
nous explique pas ce qu’on appelle un budget. C’est la somme d’argent allouée à un
service, à une institution ou même celle dont dispose une personne privée, un ménage,
une famille. Si je vous dis mon budget mensuel est de mille euros, cela veut dire que j’ai
mille euros qui rentrent par mois. Tout compris : salaire, allocations familiales, bourse
d’étude pour les enfants. Et qu’avec ça, je devrai me débrouiller pour payer le loyer, les
vêtements, le cinéma, l’assurance de la voiture et les vacances des enfants. On voit donc
que le mot budget indique non seulement la somme dont on dispose, mais aussi son
organisation, la répartition des différents postes budgétaires comme on dit. Alors le mot
fait un peu administratif. Mais il est, surtout dans le langage des bureaux, assez productif
: on dit budgéter ou budgétiser. Les mots sont du bout des lèvres dans le Robert 2002. On
leur donne à peu près le même sens.. Pour moi, il semble qu’il y ait une petite différence,
dans leur emploi : budgétiser, c’est inscrire une dépense au budget. Alors que budgéter
peut être employé dans le sens d’ évaluer le coût d’une opération, et voir comment ces
sommes vont se répartir. A l’inverse, on a formé débudgéter pour signifier qu’on
supprime un poste du budget. Et en particulier qu’on transfère une dépense publique vers
un organisme privé.
Et on a même entendu l’adjectif plaisant budgétivore : qui grève le budget, qui dévore le
budget à belles dents, qui coûte cher.
Budget, est un mot que le français a emprunté à l’anglais, qui l’avait auparavant emprunté
à l’ancien français. Aller retour fréquent. La bougette est en effet un petit bouge, c’est à
dire un petit sac de cuir qui peut servir de bourse
Et en Angleterre, comme le rappelle Alain Rey dans son dictionnaire, le Chancelier de
l’Échiquier, chargé des finances, était chargé d’ouvrir le Budget (open the budget)

BUDGET
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

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Ah Dieu sait qu’on en parle des budgets en ce moment, des arbitrages budgétaires, des
choix budgétaires du gouvernement français, qui semble avoir favorisé les ministères du
maintien de l’ordre : surveiller et punir comme disait Michel Foucaut. Mais tout ça ne
nous explique pas ce qu’on appelle un budget. C’est la somme d’argent allouée à un
service, à une institution ou même celle dont dispose une personne privée, un ménage,
une famille. Si je vous dis mon budget mensuel est de mille euros, cela veut dire que j’ai
mille euros qui rentrent par mois. Tout compris : salaire, allocations familiales, bourse
d’étude pour les enfants. Et qu’avec ça, je devrai me débrouiller pour payer le loyer, les
vêtements, le cinéma, l’assurance de la voiture et les vacances des enfants. On voit donc
que le mot budget indique non seulement la somme dont on dispose, mais aussi son
organisation, la répartition des différents postes budgétaires comme on dit. Alors le mot
fait un peu administratif. Mais il est, surtout dans le langage des bureaux, assez productif
: on dit budgéter ou budgétiser. Les mots sont du bout des lèvres dans le Robert 2002. On
leur donne à peu près le même sens. Pour moi, il semble qu’il y ait une petite différence,
dans leur emploi : budgétiser, c’est inscrire une dépense au budget. Alors que budgéter
peut être employé dans le sens d’ évaluer le coût d’une opération, et voir comment ces
sommes vont se répartir. A l’inverse, on a formé débudgéter pour signifier qu’on
supprime un poste du budget. Et en particulier qu’on transfère une dépense publique vers
un organisme privé.
Et on a même entendu l’adjectif plaisant budgétivore : qui grève le budget, qui dévore le
budget à belles dents, qui coûte cher.
Budget, est un mot que le français a emprunté à l’anglais, qui l’avait auparavant emprunté
à l’ancien français. Aller retour fréquent. La bougette est en effet un petit bouge, c’est à
dire un petit sac de cuir qui peut servir de bourse.
Et en Angleterre, comme le rappelle Alain Rey dans son dictionnaire, le Chancelier de
l’Echiquier, chargé des finances, était chargé d’ouvrir le Budget (open the budget).

BUDGET
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Y.AMAR : Budgetivores, va! Drôle d'injure adressée aux


fonctionnaires qui mangent le budget de l'Etat.

E.LATTANZIO : Ce budget associe l'idée d'une égale répartition des


dépenses et des recettes. "Budget" évoque "gestion". Il y a calcul
et souci de gestion. Le mot vient de l'ancien français "bouge"
puis "bougette", petit sac de cuir. L'anglais emprunte le mot, qui
finit par signifier "bourse".

Y.AMAR : Au 18ème siècle, le terme devient officiel : le


chancelier de l'Echiquier "opens the budget", c'est-à-dire "ouvre
la bourse", lorsqu'il présente au Roi et au Parlement le projet
financier de l'année qui vient. Budget a trouvé son sens actuel,
avec lequel il revient en France, à l'époque de la Révolution.

E.LATTANZIO : Mais petit à petit, le mot est entré dans la vie


quotidienne. On parle du budget de l'Etat, mais aussi du budget
des familles, des ménages. On parle aujourd'hui de

171
budget-vacances, de budget-transport avec le sens "somme d'argent
réservée à un certain usage".

Si vous voulez acheter une maison, on vous demandera "De quel


budget disposez-vous ?" c'est-à-dire quelle somme pouvez-vous
mettre ?

Y.AMAR : Le mot a des dérivés. Certains sont évidents :


"budgétaire", d'autres amusants : "budgetivore", dont on parlait
tout à l'heure. Et puis on trouve deux verbes, "budgéter" et
"budgétiser".

E.LATTANZIO : Ils ont le même sens : allouer une somme à une


dépense précise, mais dans le cadre d'un budget d'Etat, plus que
d'un budget individuel : il faut budgétiser ce dernier tronçon
d'autoroute ...

Y.AMAR : C'était Parler au Quotidien, une émission proposée par le


Centre National de Documentation Pédagogique ...

E.LATTANZIO : ... Et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.

BUG ET BOGUE
Par: (pas credité)

On sait que la plupart des ordinateurs ont été programmés pour que seuls les deux
derniers chiffres d'un millésime changent lorsqu'on passe à une nouvelle année.

Or, le 1er janvier 2000, ce sont les quatre chiffres qui changent... Alors bug ? ou bogue ?

"Bug" est bien sûr un anglicisme. Ce mot anglais désigne un insecte qui a ordinairement
mauvaise presse : une punaise.

Pour la petite histoire, on raconte qu'à l'aube de la révolution informatique, des


chercheurs avaient eu des problèmes avec de petites bêtes qui se seraient introduites dans
les circuits pour dévorer quelques bribes de microprocesseurs.
Vraie ou pas, cette histoire se croise avec une incertitude linguistique : "bug" en anglais
familier désigne un virus ("the flu bug" : le virus de la grippe). Ça a certainement
accrédité ce nouveau sens de "bug" : problème de fonctionnement informatique. Et le mot
est passé dans le jargon informatique français.

Avec une ambiguïté : un "bug" informatique n'est justement pas un virus informatique :
un "bug" est un défaut de conception, alors qu'un virus est un élément perturbant introduit
délibérément pour gêner ou détruire un programme.

En français, "bug" senti comme un anglicisme à cause de son origine et de son


orthographe est fréquemment (mais pas toujours) remplacé par "bogue", un mot bien
français qui, à l'origine, désigne l'enveloppe d'une châtaigne.

172
Cette francisation se confirme au niveau des dérivés du mot : "déboguer", "débogage"
n'ont plus rien d'anglais.

BULLE
Par: (pas credité)

Qui "bosse", qui "bulle" ? C'est le thème d'une enquête récente menée par un grand
hebdomadaire français, et qui pose la question du sens de ces mots, familiers tous les
deux. "Bosser", c'est travailler. "Buller" - puisque le verbe existe, c'est le contraire, à peu
près, c'est ne rien faire, ou pas grand chose, sans que le mot soit réellement péjoratif. Ça
évoquerait plutôt une oisiveté tranquille et heureuse, de même que l'expression "coincer
la bulle", qui semble plus familière encore, et qui bizarrement est plus ancienne, et
semble même à l'origine de la tribu.

Et cette origine est, paraît-il, militaire. Dans l'artillerie, il convient (il convenait peut-être
: les progrès sont constants dans ce domaine) que l'affût de certaines armes fût bien
précisément horizontal pour que le tir pût être soigneusement ajusté. Il fallait donc
vérifier cette horizontalité, à l'aide d'un "niveau", petit appareil qui indique qu'il est à
l'horizontale lorsque la "bulle" qui surmonte une certaine quantité d'eau est comprise
entre deux repères précis. Il faut donc coincer cette "bulle" dans le logement adéquat -
une corvée qui n'est pas trop pénible à accomplir.

"Bulla", en latin, évoque une petite boule, en particulier celle qui est accolée au sceau
d'une lettre ou d'un parchemin. Par extension, la "bulle" a désigné le sceau lui-même ;
puis la missive, d'où l'usage d'appeler ainsi les décisions du pape. Un recueil de "bulles" a
été appelé un "bullaire", et le mot "bulletin" est de la même origine.

Maintenant, le mot a pris d'autres sens, à partir de son image légère et transparente. En
particulier, la "bulle" des prématurés, milieu clos et aseptisé, dans une maternité, où ces
nouveau-nés, arrivés un peu tôt sont mis à l'abri des agressions extérieures, et protégés
contre les attaques infectieuses.
De là, l'expression "être dans sa bulle" : être dans son monde à soi, isolé, sans grand souci
du monde extérieur, de la foule, du bruit, de "la vie qui va", au profit d'un repli protecteur
et un peu frileux.

BUNKER
Par: (pas credité)

173
Henri Konan Bédié, ancien dirigeant ivoirien, récemment déposé par Robert Gueï, s'est -
paraît-il -réfugié dans son "bunker" de Daoukro, qu'il a ensuite quitté.

Un "bunker" ? C'est un terme militaire qui désigne une fortification, et en particulier un


abri enterré et blindé. C'est, en fait, une protection ultime, dont on pense qu'elle peut
résister à un assaut. Le mot est apparu durant la Grande Guerre, et s'est répandu plus
encore durant le deuxième conflit mondial. Le mot est allemand, mais la langue
allemande l'a emprunté à l'anglais, où il désigne d'abord un entrepôt à charbon, puis la
soute à charbon d'un navire.

Au sens figuré, on emploie parfois le terme pour désigner un endroit très difficile d'accès,
bien défendu, à la manière d'un camp retranché : "Le patron se terre dans son bunker.
Impossible d'avoir un rendez-vous".

"Blockhaus" a un sens légèrement différent. Au départ, ce mot allemand désigne une


maison fortement charpentée, faite de troncs d'arbres. Puis, c'est un ouvrage militaire fait
de poutres et de rondins ensuite, bien sûr, de métal et de béton armé. Le mur de
l'Atlantique, monté par les Nazis pendant la dernière guerre, était parsemé de "blockhaus"
qui devaient aider les Allemands à résister à un débarquement allié.

Quant à la "casemate", c'est un mot qui nous vient de l'italien, mais dont le sens n'est pas
très éloigné. Camouflées souvent, cuirassées puis bétonnées, c'étaient aussi des abris
défensifs, où l'on pouvait nicher des batteries d'artillerie, et qui étaient aménagées à flanc
de coteau.

OPA
Par: Yvan Amar

Une OPA sur Danone ? La rumeur inquiète… Ce fleuron de l’agro-alimentaire français


pourrait-il passer sous contrôle américain ? Et cette possibilité suscite toute une levée de
boucliers… Mais, qu’est-ce, au juste, qu’une OPA ? Un sigle, d’abord… Ce qui s’entend
tout de suite. En effet, malgré la facilité, nul ne prononce jamais OPA comme un
acronyme… un mot en deux syllabes… mais on garde la succession des lettres : O, P, A.
Alors même qu’à l’écrit, dans la presse notamment, on l’écrit en un seul mot, sans
marquer les initiales par des points.

Alors sigle de quoi ? C’est la première question qu’on se pose. Une OPA est une offre
publique d’achat… Et c’est la plus célèbre opération de toute une série qui se décline en
quatre possibilités : OPA, OPE (offre publique d’échange), OPRA (offre publique de
rachat d’actions), OPR (offre publique de retrait). Quatre actions économiques qui nous
font entrer dans le monde mystérieux de la haute finance… sans qu’on sache trop à quoi
ça nous expose…

174
Et, en fait, bien que le mot OPA évoque le plus souvent une opération de conquête
économique, on distingue entre OPA hostile ou pas, OPA amicale ou inamicale. Je vous
l’accorde, l’OPA amicale est plutôt rare… Ou simplement, on n’en parle peu… Si elle est
si cordiale, elle ne fera pas couler beaucoup d’encre. Et, donc, le terme ne se répandra pas
hors du jargon économique. En revanche, celle qu’on dit inamicale suscite commentaires
et polémiques. Non contente d’être publique, elle est à la une de l’actualité. Et alors en
quoi ça consiste ? Simplement à ce qu’un investisseur propose de racheter toutes les
actions de ce groupe, à n’importe quel possesseur, et à un prix plus haut que celui qui est
au même moment coté en Bourse... A quelle fin ? C’est simple : pour prendre le contrôle
de l’action. Ce côté agressif, presque militaire, en tout cas stratégique de ce mouvement
se sent jusque dans la grammaire qui permet de l’exprimer : on dit « lancer » une OPA
comme on dit lancer une attaque.

Et, comme le mot a eu du succès, il a largement débordé le cadre financier… On dit


couramment d’un collègue de bureau, par exemple, qu’il a fait une OPA sur le seul
ordinateur de la pièce… s’il a tenté de se l’approprier, d’en avoir l’unique usage… Ou à
la fin d’un repas, qu’on va tenter une OPA sur le fromage de chèvre… Bien sûr, c’est
plaisant, et ce sont des allusions, des plaisanteries qui se comprennent essentiellement
entre des locuteurs qui ont une petite expérience économique… Et l’image est plus
fréquente encore en politique, lorsqu’un homme politique tente d’assurer son influence
sur un parti…
De même pour le chevalier blanc… Une image économique qui évoque le Moyen-âge, et
peut faire sourire par son côté naïf. Le chevalier blanc étant le financier (ou l’association
de financiers) qui s’opposera à l’OPA en rachetant lui-même un certain nombre de parts
pour éviter que le prédateur ne contrôle la société convoitée… A l’image du preux
chevalier qui vole au secours de la veuve et de l’orphelin, de la pure jeune fille, en tout
cas de l’innocence menacée. Et c’est cette dernière image qui compte… celle qui oppose
l’idée de l’innocence à celle du prédateur…

ETAT D'URGENCE
Par: Yvan Amar

L’expression a été prononcée beaucoup depuis quelques jours, et elle émeut. Elle est faite
pour, ne nous étonnons pas ! En effet, l’état d’urgence renvoie à une loi qui date de 1955,
qui a été promulguée durant la guerre d’Algérie, appliquée une seule fois depuis, en
Nouvelle-Calédonie. Elle évoque, donc, une situation particulièrement grave, qui
permettrait au pouvoir exécutif d’avoir des pouvoirs étendus, et de prendre rapidement
des mesures qui, en temps normal, ne peuvent l’être qu’après consultation d’élus, de
représentants du peuple… Donc le mot en impose, ne serait-ce que parce qu’il évoque
une situation d’exception : un état d’urgence, ça se déclare, ça se décrète. Et ça fait donc
immanquablement penser à ces états exceptionnels : on décrète l’état de siège ; on décrète
la Patrie en danger… Il y a là une solennité qui, au-delà même des dispositions que
permet cette déclaration, fait ressortir la situation comme grave. C’est la magie du mot.

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Car à y regarder de plus près, l’expression est extrêmement vague, même si elle recouvre
des implications juridiques précises.
Elle est vague parce qu’elle manque de complément : de quelle urgence s’agit-il.
L’urgence de faire quoi ?
Car l’urgence elle-même ne désigne que le fait qu’on soit pressé, qu’on se trouve dans la
situation de faire quelque chose sans retard. Vous rappelez-vous la célèbre scène du Dom
Juan de Molière, où Elvire vient voir chez lui le séducteur ? Voilà un état d’urgence : le
sujet dont Elvire veut entretenir Dom Juan (le salut de son âme) ne supporte pas de
retardement ! Il y a, donc, urgence lorsqu’il y a péril en la demeure… Au sens propre.
Puisque, dans son premier sens, cette expression signifie qu’il y a péril à rester sans agir,
sans rien faire : il y a danger à demeurer sans rien faire. Le nom urgence a donné le verbe
urger, peu usité, et souvent de façon un peu plaisante ou ironique : ça urge… A part ça, le
nom s’emploie souvent dans l’expression « en cas d’urgence ». C’est-à-dire s’il se
produit quelque chose qui nécessite une intervention, une décision immédiate, pour régler
un problème grave. Car, en fait, le mot prend son sens à la jonction de ces deux idées :
c’est à la fois pressé et important. Et en général imprévu, qui dérange le train-train, la
routine : le docteur Dupont n’est pas là : on l’a appelé pour une urgence.
Et si cet exemple mettait en scène un médecin, ce n’est pas totalement pour rien : c’est
que le mot urgence a souvent un usage médical. Et même qu’on appelle « urgences » un
service particulier des hôpitaux : on va aux urgences : le service où l’on peut arriver sans
rendez-vous, car un problème de santé rend nécessaire le recours à des soins spécialisés.
Et les séries télévisées ont d’ailleurs beaucoup fait pour populariser le mot.

CA PASSE OU CA CASSE
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

E.LATTANZIO : "Ca passe ou ça casse !", une expression beaucoup


entendue en décembre 95.

Y.AMAR : Avant aussi : je répare un moteur, il me manque la vis


qui tenait l'ensemble et j'essaie avec une autre, un peu plus
grosse. Je cours un risque : ça passe ou ça casse, ça tient ou
j'abime tout définitivement. On est dans une logique du tout ou
rien.

E.LATTANZIO : Comme la logique de ces grèves du mois de décembre :


les négociations étaient dures à entamer, chacun voulait dire "ça
passe ou ça casse". L'expression a une allure de slogan ...

Y.AMAR : ... Et ce qui assure son succès, c'est la rime


intérieure. Mais l'image est également intéressante : quand ça
passe, c'est tout juste ... il s'en faut d'un cheveu ... mais
lorsqu'on est passé, tout va bien.

E.LATTANZIO : L'expression "ça passe" manque souvent


d'enthousiasme. Un professeur qui dit "ça passe" fait presque la
moue : ça passe mais tout juste, c'est passable.

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Y.AMAR : L'idée contenue dans "ça casse" est différente. On peut
la comparer à "ça coince", mais dans cette dernière phrase, on n'a
pas l'idée du quitte ou double. Si ça coince (une voiture qui
manoeuvre par exemple) on s'arrête, on recule, on braque ... puis
ça passe.

E.LATTANZIO : Si l'on dit "ça passe ou ça casse" on joue son


va-tout, on passe en force parfois. Il s'agit de bousculer
l'adversaire et l'image est empruntée au monde sportif.

Y.AMAR : C'est un terme de basket-ball ou de hand-ball, au départ


: on se fraye un chemin, on s'impose physiquement, on intimide, on
essaie de créer une faute chez l'adversaire.

E.LATTANZIO : Seulement c'est une faute de jeu et donc un risque


que l'on prend si l'arbitre s'en aperçoit : on joue son va-tout,
ça passe ou ça casse.

Y.AMAR : C'était Parler au Quotidien, une émission proposée par le


Centre National de Documentation Pédagogique ...

E.LATTANZIO : ... Et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.

CA VA
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Y.AMAR : Ca va Evelyne ?

E.LATTANZIO : Ca va ... Et vous Yvan, ça va ?

Y.AMAR : Oh, ça va ... Ca peut aller.

E.LATTANZIO : "Ca va!" On voit bien que cette formule de politesse


est souvent une manière de dire bonjour. C'est un signal de
communication convenu, qui correspond presque à "allo" au
téléphone.

Y.AMAR : Et pourtant, au-delà de cette fonction, un peu mécanique,


l'expression ouvre parfois sur un sens réel : comment vont votre
santé, votre travail, votre moral, etc ...

E.LATTANZIO : On a d'abord l'idée d'un bon fonctionnement : ce qui


va, c'est ce qui marche, qui fonctionne. Et donc on peut répondre
de façon plus variée à cette interpellation : "on fait aller", "ça
va comme un lundi ..."

Y.AMAR : Ca c'est l'humour du bureau. C'est une dérision qui fait


semblant de prendre l'expression au pied de la lettre. De même que
parfois, pour regonfler de sens l'expression, on dira, non pas "ça
va" mais "tu vas ?". Ca donne une impression plus directe.

E.LATTANZIO : A la négative, l'expression a parfois un tout autre

177
sens. Si quelqu'un par exemple oublie de vous tenir la porte, vous
pouvez lui crier énergiquement "Ca va pas ? Ca va pas la tête ?"
C'est-à-dire "qu'est-ce qui vous prend ?" On voit (et l'omission
de la négation le prouve) que l'expression est bien familière.

E.LATTANZIO : Autre sens encore, et là, on revient à la forme


affirmative : pour couper court à des moqueries, on dira, d'un ton
sec "Ca va!", c'est-à-dire "Il suffit!".

Y.AMAR : Les sens figurés sont multiples, le plus fréquent étant


"ça cadre, ça rentre". Un piano doit rentrer tout juste entre deux
pans de mur : "ça va ... mais ça va tout juste".

E.LATTANZIO : "Ca convient" en quelque sorte. Si vous me donnez


rendez-vous à quinze heures et que rien ne s'y oppose dans mon
emploi du temps, je vous dirai "ça va".

Y.AMAR : Et si je vous trouve ravissante avec votre chemisier


rouge et votre jupe noire, je pourrai vous dire : "Oh, comme ça
vous va bien!" D'ailleurs le rouge et le noir, ça va toujours bien
ensemble. C'était Parler au Quotidien, une émission proposée par
le Centre National de Documentation Pédagogique ...

E.LATTANZIO : ... Et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.

CAÏD
Par: (pas credité)

On en parle beaucoup, de ces "caïds", notamment en ce moment dans les banlieues. Les
"caïds", ce sont les chefs de bande, ceux qui, dans un milieu où la loi peut avoir du mal à
se faire respecter, commandent ou se font respecter. Il s'agit là d'une loi parallèle non
écrite et officieuse, bien sûr : une loi hors-la-loi, parfois loi des hors-la-loi. Mais, dans des
circonstances difficiles, les autorités peuvent parfois avoir des échanges avec ces "caïds",
lorsque ceux-ci sont susceptibles d'exercer un contrôle que la police n'arriverait pas à
faire accepter. Jeu dangereux en tout cas.

Mais, le mot "caïd" a été employé bien avant que l'on se préoccupe des quartiers
difficiles. Dans les prisons en particulier, la discipline imposée par le système
pénitentiaire est souvent doublée par une autre hiérarchie, interne et clandestine. Et les
"caïds" font régner leur pouvoir. Ça ne veut pas forcément dire que l'administration
carcérale se repose sur ce système : on n'est pas dans le système des kapos (emprunt à
l'allemand ; référence aux camps de concentration).

Mais, on parle aussi des "caïds" de la pègre, puisque ce mot est présent depuis longtemps
en argot, pour désigner les grands chefs de bande.

Mais, le mot "caïd" vient de l'arabe, langue dans laquelle il n'a aucunement un sens
argotique. C'est un chef, simplement, et le mot dérive -paraît-il- d'une forme d'un verbe

178
qui signifie commander. Dans les pays arabes, il a désigné un notable officiel. Le mot
arabe a peut-être transité par l'espagnol, mais a probablement été remotivé par l'argot
colonial.

Maintenant, il existe d'autres dénominations plus ou moins argotiques, pour désigner un


chef du milieu : un gros bonnet (qui peut d'ailleurs renvoyer à un personnage important et
tout à fait honnête : un gros bonnet de l'administration). Ou un parrain, mot d'importation,
qui renvoie plus à une réalité américaine, et en particulier à la Mafia.

CADEAU, DON, PRESENT


Par: (pas credité)

Bientôt Noël ? Tout de suite des cadeaux. Avec un arrêt perplexe sur ce mot
dont l'évolution sémantique a été inattendue et sinueuse. "Cadeau" vient du
provençal "cabdel", de la même famille que le latin "caput" = "tête", puis chef,
etc. Et "cabdel" a d'abord signifié lettre capitale, majuscule. Dans les
manuscrits, en effet, les capitales étaient souvent décorées d'ornements à
la plume, parfois d'ailleurs de têtes de personnages. Pour toutes ces
raisons, on parlait de lettres cadelées, puis de cadeaux. Le sens du mot a
évolué, pour désigner des fioritures, tous les "en-plus" dont les maîtres
de calligraphie ornaient les exemples qu'ils donnaient à leurs élèves. De
là, on est passé au sens de paroles superflues mais mielleuses, qui
enjolivaient le discours et tournaient la tête de l'auditeur. Au XVIIe siècle,
le sens change encore, et le cadeau devient un artifice de
séduction pour gens aisés : c'est une partie de plaisir offert à des dames,
avec repas somptueux et accompagnement musical (Cf. le moderne "et mon petit
cadeau ?"). On attendra enfin la fin du XVIIIème pour trouver le sens moderne.

Aujourd'hui, le mot est simple et fréquent, et il a même entraîné quelques


expressions toutes faites dans son sillage :
"Ils ne se font pas de cadeaux", dans le cadre d'un affrontement, d'une
rivalité dure. C'est un peu synonyme de "tous les coups sont permis".
"Ginette, c'est pas un cadeau" : elle est difficile à supporter.
"C'est cadeau": familier et faussement enfantin pour dire c'est gratuit.

La question qu'on se pose donc est simple : pendant toutes ces années,
comment faisait-on pour parler de ce qu'on offrait à quelqu'un ? Deux mots
principaux : "don" et "présent", avec, en gros, deux sens différents : le "présent"
est l'objet offert, et le "don" est plutôt le geste d'offrir.

"Présent" est aujourd'hui extrêmement littéraire et vieilli. Il évoque un


cadeau de prix offert de façon formelle (Rois Mages, etc.). On a, plus

179
fréquente, l'expression "faire présent" = "donner".

"Don" est également assez rare, avec souvent un sens juridique (mais
attention, on a aussi "dation" et "donation") ou plutôt officiel. Dans un
musée, par exemple: "don" de l'artiste.

Mais le mot a un autre sens quand il évoque une qualité, une disposition
naturelle, et qu'il renvoie alors non pas à donner mais à être doué (mais
les deux verbes sont au départ de la même famille): "don" du ciel, "don" des
langues…

Quant à "offrande", c'est un dernier synonyme dont le sens est clairement


symbolique et religieux.

CAFÉ
Par: (pas credité)

"Il a le dos large le café"… Si l'on en parle aujourd'hui, c'est qu'on a le prétexte d'une
renégociation compliquée des accords commerciaux qui le concernent. Mais si l'on dit
qu'"il a le dos large", c'est qu'il accueille la plus large des métonymies et qu'il désigne
toute une série de choses différentes.

Une graine d'abord, celle du "caféier" - il faut bien commencer par le commencement - et
l'on sait que ce grain, torréfié comme il faut et moulu comme il se doit, permet qu'on y
fasse passer de l'eau chaude qui prendra sa couleur, son arôme et son charme. Le "café"
est donc essentiellement une boisson : ce n'est pas le seul sens du mot, ni le premier mais
c'en est pour ainsi dire la signification centrale, celle d'où fusent toutes les autres.

Ce "café" boisson peut passer du partitif au comptable : on dit du "café" (en général) -
"Balzac buvait du café, beaucoup de café"… - mais "je peux aussi commander un café ou
deux ou trois", c'est-à-dire une, deux ou trois tasses.

Mentionnons au passage l'expression "ça, c'est un peu fort de café !" qui joue sur la "force
du café" : plus la boisson est concentrée en "café", plus on dit qu'il est "fort". Et cette
locution signifie simplement "c'est exagéré, abusif…".
Et passons tout de suite à la couleur qui se module avec le lait : "café au lait" désigne en
général une couleur de peau, sans que l'expression soit nullement péjorative, méprisante
ou raciste. C'est assez rare pour être signalé, tant la langue a mauvaise réputation.

Mais le "café" est une affaire sociale : il peut se boire seul ou à plusieurs, et bien qu'on en
boive à peu près quand on veut, on le considère traditionnellement plus à sa place à
certains moments - notamment après le repas, et spécialement le déjeuner. Le "café" est
donc devenu une heure de la journée et désigne même un type d'habitation : "Passe pour
le café", signifie "passe après le déjeuner" (sous-entendu : "je ne t'invite pas pour le

180
déjeuner, mais à venir me voir juste après").

Enfin, le "café" est un lieu, bien sûr, celui où l'on sert, où l'on boit du "café", mais celui
où l'on se rencontre, où l'on parle. Au départ, le mot a été dissocié d'estaminet, de cabaret,
lieu où l'on buvait du vin, lieu de rencontre considéré comme plus trivial, alors qu'au
"café", les discussions étaient plus relevées. Mais, bien vite, le "café" est devenu plus
large et plus usuel : on y boit ce qu'on veut, et la notion de lieu de convivialité est
toujours très vivante à travers des expressions récentes ou même assez nouvelles, qui
renvoient au spectacle ou à l'activité qu'on pratique dans ces établissements : "café-
concert", "café-théâtre", "café-musique", et même "cybercafé".

CAISSE
Par: (pas credité)

Y.AMAR : L'affaire de la caisse noire du Sporting Club de


Toulon est à la une de l'actualité.

E.LATTANZIO : "Une caisse noire" ? Ne jouons pas les innocents, on


sait bien ce que c'est:c'est une réserve d'argent accumulée à
l'insu du fisc et géré selon une comptabilité clandestine à partir
de rentrées financières non déclarées (par exemple, pour les
entreprises de spectacle, une double billeterie ...).

Y.AMAR : Dans cet emploi, l'adjectif "noir" a un sens évident,


celui de clandestin, de même que dans "marché noir", "travail
noir" (ou "au noir"), etc ... Mais ce sujet a déjà été abordé.

E.LATTANZIO : Aujourd'hui, c'est plutôt "caisse" qui nous


intéresse, mot qui vient du latin, avec étape provençale, et qui
désigne, de nos jours comme à l'origine, un "coffre". Le sens
propre s'est donc conservé, non sans acquérir, au fil du temps, un
certain nombre de significations métaphoriques :

Y.AMAR : Au début du siècle, la caisse c'est la poitrine, et "s'en


aller de la caisse", dans un argot imagé, c'est être atteint de
phtisie, pour parfois en mourir. Mais, vers 1970, la caisse, c'est
la voiture, ce qui explique certaines expressions encore plus
familières, comme "à fond la caisse" (= à toute allure).

E.LATTANZIO : Néanmoins, depuis bien longtemps, la caisse, c'est


le coffre, ou le coffret où l'on serre l'argent, et c'est de loin
cette série de sens qui est la plus riche.

181
Y.AMAR : Au sens le plus littéral, d'abord : on se sert d'une
caisse, ou d'une petite caisse (une cassette) pour y ranger ses
biens : argent, bijoux, etc ... Cf. Molière et "les beaux yeux de

ma cassette". La caisse devient donc le lieu de la trésorerie, de


la réserve d'un particulier, d'une entreprise ou même d'un Etat :
les caisses sont vides, sont pleines ...

E.LATTANZIO : En même temps, la caisse devient un objet


indispensable à l'échange commerçant, du point de vue du vendeur,
comme de celui du client.

Y.AMAR : "Passer à la caisse" = payer et cette tournure est bien


souvent figurée. Et ce qui rapporte "fait sonner le tiroir-caisse"
: souvenir des caisses enregistreuses (chaque fois que sa chanson
passe à la radio, ça fait sonner le tiroir-caisse).

E.LATTANZIO : Plus abstrait, la caisse, par métonymies


successives, désigne un organisme de gestion financière, qui
s'occupe la plupart du temps des deniers publics : Caisse primaire
d'assurance-maladie, Caisse d'allocations familiales, Caisse
d'Epargne. Une caisse, à l'origine un coffre, c'est presque une
banque, à l'origine un banc.

CAISSE
Par: (pas credité)

C'est en ce moment que se déroule un procès, en Italie, qui met en cause


Bettino Craxi et Arnaldo Forlani, entre autres, pour constitution de caisse
noire, au sein du groupe industriel Montedison.
C'est en français, bien sûr, qu'on parle de "caisse noire", et ça signifie
qu'une réserve d'argent secrète, officieuse, échappant à la comptabilité
officielle, a été constituée quelles qu'en soient les fins - c'est souvent pour
financer un parti politique ou une campagne électorale. L'expression, dans ce
sens, apparaît autour de 1880, à cause de la souscription auprès de particuliers
lancée par le comte de Chambord au milieu des années 1870, alors que
celui-ci, chef du parti légitimiste, tentait de remonter sur le trône de
France.

La "caisse" au départ, c'est un simple coffre, mais très vite, le mot s'est
spécialisé pour désigner le coffre où l'on serrait les biens les plus
précieux : argent et bijoux.
Ce qui explique le glissement de sens : une "caisse" est devenue un

182
établissement financier qui reçoit, administre et parfois distribue des
fonds : "caisse d'assurance maladie", "caisse d'épargne" ….

De là certaines expressions : "livre de caisse", "garçon de caisse", "faire la


Caisse", "partir avec la caisse", "passer à la caisse" qui a signifié être
renvoyé (et donc toucher son dernier salaire).
"Encaisser" veut dire, au sens propre, recevoir de l'argent, mais souvent
aussi, au figuré, recevoir un coup. Soit physique (en boxe, par exemple),
soit moral (chômage, divorce, maladie… "Cette année, il a encaissé").

"Caisse" a évidemment d'autres sens, qui viennent en particulier de ses


propriétés acoustiques : "caisse de résonance", et donc nom donné à divers
instruments de percussions, du genre tambour : "caisse claire", "grosse
caisse", etc. De là, l'assimilation familière à la cage thoracique, qu'on
trouve dans une expression qui s'est beaucoup raréfiée avec les progrès de
la médecine : "la Dame aux Camélias, c'est comme Mimi : elle s'en va de la
caisse" - c'est-à-dire elle meurt de la tuberculose.

Enfin, dernier emploi argotique qui date des années 70 : une "caisse" c'est
une voiture. D'où les expressions : c'est pas pour dire, mais il y a de la
"caisse" ( = la circulation est difficile), ou bien, plus courant : "à fond
la caisse" (= pied au plancher).

CALCUL, CALCULATRICE, CALCULETTE


Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 14 JANVIER 2002

L’avenir est-il à la calculette ? Mystère ! L’avenir nous le dira. Mais, en tout cas, le
présent est à la calculette : l’arrivée de l’euro et le relatif désarroi qu’il peut provoquer
chez eux (ils sont nombreux) qui ont encore un peu de mal à savoir ce que valent les
choses avec cette nouvelle monnaie. Donc, on calcule, on convertit. Et pour calculer, on
peut s’en remettre à sa tête, mais on peut aussi avoir recourir à quelque béquille
électronique : la calculette.

On parle plus correctement de calculatrice. Le mot existe depuis longtemps. Il désigne


une machine qui sait faire des opérations arithmétiques : additionner, soustraire,
multiplier, trouver un pourcentage et, bien sûr, transformer des francs en euros ou des
euros en francs.

La calculatrice existe donc depuis un certain temps. D’abord, machine de bureau, assez
importante, et au fonctionnement mécanique, on l’a appelée machine à calculer, sur le
modèle machine à écrire, ou machine à coudre. Comme sa taille se réduit ; qu’elle
s’autonomise, on en réduit aussi le nom : calculatrice, féminin de calculateur. Une

183
seconde en compagnie de ce calculateur, mot qui existe encore, avec un sens très
particulier. Il s’applique à un homme, pour préciser non seulement que c’est quelqu’un
qui calcule bien, qui connaît le calcul (Cf Beaumarchais : « Il fallait un calculateur ; ce
fut un danseur qui l’obtint »), mais quelqu’un qui manque de spontanéité, dont les
réactions et les attitudes sont dictées par l’intérêt, l’ambition, le calcul, froid, rapide et
cynique.

La calculatrice, machine bête et sans âme, est exempte de tous ces vices : on disait qu’elle
se réduisait ; en effet, et au fur et à mesure qu’elle devient « de poche », son nom se
réduit aussi, et devient plus familier : on parle de calculette.

Remontons encore dans le temps pour parler du boulier, l’ancêtre de notre calculette. Très
ancien moyen de compter, petite machine formée de tringles sur lesquelles coulissent des
boules qui représentent des unités, des dizaines et des centaines… mais dont bizarrement,
le nom n’apparaît en français que tardivement, vers le XIXème siècle.

CALENDRIER
Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 12 NOVEMBRE 2001

Une exposition sur les calendriers met ce mot à l’honneur, alors même qu’on l’emploie
souvent dans le sens tout à fait particulier d’emploi du temps : « on a un calendrier chargé
» quand les activités se succèdent sans pause ou presque. C’est évidemment ce qu’on
appelle une métonymie. Le calendrier qui aide à organiser le temps est mentionné à la
place du temps organisé. Et la métonymie va bon train peut-être parce que le mot
commence comme « calepin » ou « carnet », qui plus encore que le « calendrier » servent
à mémoriser les choses à faire.

Le calendrier est, en tout cas, un objet – souvent un rectangle de carton qu’on peut
accrocher au mur, et sur lequel il est loisible d’écrire, de colorier, de marquer, de quelque
façon les moments occupés et ce qui les occupera.

On parle souvent de calendrier des Postes – ceux qui, avec leurs belles et naïves images
sont distribués en fin d’année par les facteurs à qui on en profite pour donner leurs
étrennes…

Mais, le mot vient du latin calenda. Ce mot désignait le premier jour du mois, alors que le
quinzième était appelé « ides ». Et les Calendes étaient connues parce que
traditionnellement, c’était le jour choisi pour qu’on paye se dettes.

Mais ce n’est pas seulement ce qui explique l’expression « renvoyer aux calendes… »
c’est-à-dire « à jamais ». Cette locution ne se comprend que si l’on sait qu’elle est
tronquée. Il faut comprendre « renvoyer aux calendes grecques ». Or, le calendrier grec

184
ne connaissait pas les Calendes. C’était donc renvoyer à une date imaginaire.

CALENDRIER
Par: (pas credité)

Y.AMAR : C'est l'année nouvelle. On s'est procuré un nouveau


"calendrier", c'est l'une des joies du changement de millésime et
une bonne occasion de fraterniser avec le facteur.

E.LATTANZIO : Calendrier : le mot est ancien, et dérive bien sûr


de "calendes", nom du premier jour du mois chez les Romains. On
comprend donc bien qu'un calendrier est un tableau de
l'organisation de l'année (en mois, semaine, etc ..., calendriers
julien, grégorien, révolutionnaire).

Y.AMAR : Mais la dérivation étymologique est plus compliquée :


"calendarium" en latin, désigne le registre où l'on inscrit les
dettes, car le terme, pour payer, était fixé au premier du mois.

E.LATTANZIO : Donc, depuis bien longtemps, le calendrier désigne :


le tableau qui représente le déroulement de l'année,
l'organisation de cette année, la façon dont les gens organisent
leur temps et leurs activités.

Y.AMAR : Ce dernier sens est particulièrement vivant dans la


langue d'aujourd'hui : on parle du calendrier d'une saison (pour
les spectacles), d'un festival, etc ... (synonyme de programme).

E.LATTANZIO : On parle aussi de calendrier lorsqu'on a fixé un


certain nombre d'étapes pour arriver à un certain résultat : pour
retirer graduellement une présence militaire ("se désengager"),
pour arriver à la monnaie unique, pour rembourser une dette (et
là, on parle, sur le même modèle, d'échéancier, de calendrier
d'échéances).

Y.AMAR : Par glissements successifs, "calendrier" est même devenu


synonyme d'emploi du temps : j'ai un calendrier très chargé, mais
en gardant l'idée qu'il s'agit d'un emploi du temps prévisionnel.
Là encore on peut utiliser le synonyme "programme".

E.LATTANZIO : On utilise aussi l'anglicisme "planning", critiqué


comme anglicisme dans les années soixante, époque où il était en
vogue : souvenons-nous du "planning familial", mouvement pour le

185
contrôle des naissances qui tendait à développer les méthodes
contraceptives. Ça date de cette époque. Mais le terme a été
traduit par "régulation" ou "contrôle" des naissances et non
"calendrier des naissances", qui serait trop déterministe.

CALENDRIER
Par: (pas credité)

Y.AMAR : C'est l'année nouvelle. On s'est procuré un nouveau


"calendrier", c'est l'une des joies du changement de millésime et
une bonne occasion de fraterniser avec le facteur.

E.LATTANZIO : Calendrier : le mot est ancien, et dérive bien sûr


de "calendes", nom du premier jour du mois chez les Romains. On
comprend donc bien qu'un calendrier est un tableau de
l'organisation de l'année (en mois, semaine, etc ..., calendriers
julien, grégorien, révolutionnaire).

Y.AMAR : Mais la dérivation étymologique est plus compliquée :


"calendarium" en latin, désigne le registre où l'on inscrit les
dettes, car le terme, pour payer, était fixé au premier du mois.

E.LATTANZIO : Donc, depuis bien longtemps, le calendrier désigne :


le tableau qui représente le déroulement de l'année,
l'organisation de cette année, la façon dont les gens organisent
leur temps et leurs activités.

Y.AMAR : Ce dernier sens est particulièrement vivant dans la


langue d'aujourd'hui : on parle du calendrier d'une saison (pour
les spectacles), d'un festival, etc ... (synonyme de programme).

E.LATTANZIO : On parle aussi de calendrier lorsqu'on a fixé un


certain nombre d'étapes pour arriver à un certain résultat : pour
retirer graduellement une présence militaire ("se désengager"),
pour arriver à la monnaie unique, pour rembourser une dette (et
là, on parle, sur le même modèle, d'échéancier, de calendrier
d'échéances).

Y.AMAR : Par glissements successifs, "calendrier" est même devenu


synonyme d'emploi du temps : j'ai un calendrier très chargé, mais
en gardant l'idée qu'il s'agit d'un emploi du temps prévisionnel.
Là encore on peut utiliser le synonyme "programme".

E.LATTANZIO : On utilise aussi l'anglicisme "planning", critiqué

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comme anglicisme dans les années soixante, époque où il était en
vogue : souvenons-nous du "planning familial", mouvement pour le
contrôle des naissances qui tendait à développer les méthodes
contraceptives. Ça date de cette époque. Mais le terme a été
traduit par "régulation" ou "contrôle" des naissances et non
"calendrier des naissances", qui serait trop déterministe.

CALIFE A LA PLACE DU CALIFE


Par: Yvan Amar

C’est aujourd’hui que sort en France un nouveau film intitulé « Iznogoud »… Film, on le
sait, tiré d’une bande dessinée célèbre, dont les personnages font maintenant partie de
l’imaginaire français. Si le petit monde d’Iznogoud a eu du succès, cela se mesure à cela
seul que certains traits de ces histoires sont même connus de ceux qui ne les ont jamais
lues. Ainsi, la phrase qui est devenue un cliché figé : « Il veut être calife à la place du
calife. » Son sens est simple. Il exprime le désir profond de celui qui veut prendre le
pouvoir. Et donc éliminer celui qui le possède. Mais, la phrase est amusante : Le
malheureux vizir ne dit pas qu’il « veut être calife »… ni qu’il « veut prendre la place du
calife »…

Mais, il utilise cette répétition délibérément maladroite : être calife à la place du calife…
Ce qui donne un caractère à la fois sot et enfantin à ce dessein à la fois noir et naïf.
Régression, envie, mauvais sentiments… ce qui fait rire est justement l’exagération du
trait. Iznogoud est un stéréotype, méchant et prévisible, en même temps qu’il est bête et
inefficace… Car le malheureux n’arrive jamais à ses fins. Et sa phrase récurrente est
souvent citée lorsqu’on veut mettre à nu les intentions profondes de quelqu’un, qu’on
révèle ainsi être aussi basses et primaires que celles d’Iznogoud.

Et dans cette phrase, le mot « calife » symbolise le pouvoir, et même le pouvoir absolu,
sans partage, sans limite, pouvoir du caprice d’un seul. Et, de turbans en babouches,
l’imagerie d’Iznogoud se situe dans un Orient de bazar et de pacotille : on sait que «
calife » est le nom de certains souverains musulmans, mais il évoque cet Islam ancien qui
séduisait, fascinait, faisait peur… cet orient mystérieux que révèle ces mots de « calife »,
de vizir (conseiller du souverain… le grand Vizir faisant fonction de Premier ministre
dans l’empire Ottoman, il est par définition celui qui tente t’être calife à la place du
calife…)… tout ce monde d’intrigues que recèle, pense-t-on, le sérail. « Sérail », c’est-à-
dire palais du sultan de Constantinople, ou palais des potentats orientaux en général, qui
renvoie à toute une rêverie de Schéhérazade… « Nourri dans le sérail, j’en connais les
détours », dit Racine déjà dans Bajazet, au XVIIème siècle.

CAMION
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

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Sévérité accrue et enquête sur les excès de vitesse montrent du doigt certaines catégories
de véhicules : les motos et les camions, peut-être plus que les véhicules dits légers.
Mais si les camions roulent trop vite, on peut quand même se demander ce que c’est
qu’un camion. Chose récente (début 20ème), mais mot ancien puisqu’il apparaît au
14ème siècle.
D’où vient-il ? Un régal pour le chroniqueur, un cauchemar pour l’étymologiste : on n’en
sait rien, rien n’est concluant, mais les pistes sont nombreuses.
Reportons-nous au point fait par Alain Rey dans son dictionnaire historique..
Est-ce à rapprocher du provençal ou espagnol caminar – cheminer ? Peu probant.
Notamment parce que la syllabe ca- ne s’est pas transformée en cha- (Ce qui se produit
par exemple pour les mots de la famille de chemin).
Le bas-latin chamulcus (chariot bas) est-il plus concluant ?Pas sûr ! (Et c’est le fragment
–mulcus qui risque de poser problème).
Alors le toujours étonnant Pierre Guiraud (cité aussi par A. Rey) propose de se concentrer
sur l’idée de petitesse, et renvoie au petit chat.(chamion).
En tout cas, le mot a eu plusieurs significations et a désigné plusieurs objets (petit chariot,
petite épingle, petit vase à délayer le badigeon. Voiture sans roue, il a été le véhicule dans
le quel les vinaigriers paraît-il transportaient la lie du vin utilisé. . Puis ça a désigné une
charrette. Enfin un véhicule utilitaire servant au transport des marchandises, qui en est
l’acception courante et actuelle.
On a parlé d’abord de camion-auto. Et aujourd’hui, on parle on adjoint encore souvent
une apposition au mot: camion-citerne… pour préciser son usage.
Alors il y en a de gros… et on parle de poids-lourds, de gros-culs de façon tout à fait
familière. On parle aussi de remorque (ou de camion-remorque) ainsi que de semi
remorque, lorsque la remorque est directement attachée et articulée à la cabine qui la
tracte. Ou bien on a les petits modèles, fort différents. Et il y a plus de différences entre
une camionnette et un camion qu’entre une savonnette et un savon.
Quant à ceux qui les conduisent, ce sont des camionneurs (vieux et lié à une idée de gros
bras) ou des routiers (plus professionnels).
Et l’expression « beau comme un camion » n’est pas récente puisque, toujours d’après A.
Rey, on la trouve dès 1955 sous la plume de René Fallet.
A noter surtout sa féminisation, qui n’est en rien péjorative, et qui montre plutôt le fait
qu’elle soit une expression figée : belle comme un camion

CAMOUFLET
Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 7 JUIN 2001

Il semble que les camouflets que les Etats-Unis infligent à la Chine populaire soient, en
ce moment, de plus en plus nombreux : réception du Dalaï-lama, visite du président
taïwanais, etc. Mais, si l’on entend fréquemment ce mot de camouflet, on peut se
demander ce qu’il signifie vraiment.

188
On comprend qu’il s’agit d’un affront, d’une vexation humiliante pour celui qui la subit.
Et pour celui qui l’inflige, il s’agit d’un geste délibéré, provoquant et ostentatoire. Le
camouflet n’a donc rien d’une gaffe.

Le mot est d’usage soutenu, littéraire même. Et il apparaît au XVIIème siècle, une époque
où on ne badine pas avec l’honneur.
D’autant qu’à l’origine, le geste est franchement déplaisant : on soufflait dans un cornet
de papier qu’on avait enflammé, et un gros panache de fumée allait suffoquer votre
interlocuteur. Une blague de carnaval, notamment dans le nord de la France, dont la
symbolique rappelle les fameux pieds de nez. D’ailleurs, au XVIème siècle, au lieu de
camouflet, on parlait de nasarde : une chiquenaude sous le nez de quelqu’un, qui
correspondait un peu au soufflet.

Parmi les synonymes de camouflet, on trouve aussi l’avanie, mot à l’histoire compliquée
et intéressante : Au XVIème, on parlait de vanie, imposition infligée par les Turcs aux
Chrétiens. Les Italiens en ont fait l’avania, qui est devenue avanie. Aujourd’hui, le mot
signifie plutôt outrage qu’on a fait subir, outrage mortifiant.

Ce qui nous amène naturellement à la mortification, blessure d’amour-propre


aujourd’hui, alors que jadis (et même encore de nos jours, dans un langage surveillé), la
mortification est une pratique douloureuse et délibérée, une souffrance qu’on s’inflige à
soi-même pour lutter contre son orgueil et être plus près de Dieu.

CAMPAGNE
Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 5 MARS 2001

« Campagne électorale »… drôle d’expression. Il s’agit de la période qui précède une


élection, et durant laquelle les candidats multiplient les actions d’information et de
propagande, pour susciter un vote favorable : réunions, actions sur les médias, discours,
confrontations, collages d’affiches, diffusion de tracts, etc.

La « campagne » est une période officiellement délimitée : on l’ouvre, et on la clôt. Mais,


bien sûr, le mot est utilisé bien au-delà de son strict sens officiel : Jospin et Chirac sont
peut-être déjà en campagne pour la présidentielle de 2002.

L’usage du mot dérive d’une image militaire : une « campagne » est une expédition, un
projet stratégique mis en œuvre et géographiquement orienté, et même le plus souvent
géographiquement dénommé : « campagne » de Russie, de France, d’Italie. Elle se
caractérise par un certain nombre de moyens déployés et d’objectifs à atteindre, au-dessus
desquels plane le plus souvent une idée de conquête.
Ce qui explique les extensions de sens : « campagne » électorale, mais aussi

189
publicitaire…

Mais pourquoi « campagne » ? C’est que le mot, en français, mais avant en italien, a
d’abord eu le sens de « terrain d’opérations militaires » : la « campagne », c’était d’abord
le champ de bataille.

Revenons maintenant plus tranquillement aux premiers sens du mot : « Campagne »


dérive de campanea, et de campus. C’est au départ un terrain plat – quasi une plaine.
Aujourd’hui, « campagne », plus qu’à montagne, s’oppose à ville, et s’attache à des idées
d’air pur et de calme (se retirer à la « campagne », vivre à la « campagne »…) mais aussi
de vacances (maison de « campagne »).

Et à partir de là, l’expression de « campagne » sert souvent de marque du naturel et de la


simplicité : andouille de « campagne », pâté de « campagne », pain de « campagne »…

CAMPAGNE
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

E.LATTANZIO : La campagne, bien sûr, s'oppose à la ville : plus


naturelle, plus authentique, moins raffinée, plus rustique ... on
y trouve du pain de campagne, du pâté de campagne, de l'andouille
de campagne ... autant de produits qui se veulent traditionnels et
font penser qu'ils sont artisanaux, ou moins industriels que
d'autres.

Y.AMAR : La campagne est donc un signe de rusticité et de naturel.

E.LATTANZIO : La campagne s'oppose aussi à la ville, en ce qu'elle


nous détend ...

Y.AMAR : On s'y dépayse. Dans les années 30, on faisait une partie
de campagne et dans les années 60 les cadres supérieurs allaient
dans leur maison de campagne.

E.LATTANZIO : C'est un synonyme moins bureautique que "résidence


secondaire". Mais cette campagne, en plus de s'opposer à la ville,
s'opposé à la montagne. La campagne, au départ, est liée au champ.

Y.AMAR : Et même au champ de bataille. Puisque c'est attesté par


toute une série d'expressions militaires : faire campagne, se
mettre en campagne ... On pense aux campagnes d'Italie, de Russie
...

E.LATTANZIO : Le plan de campagne d'ailleurs, désigne toute une


stratégie qui peut être militaire ou pas : elle peut être par
exemple électorale.

Y.AMAR : Et le mot de campagne électorale est officiel : on


l'ouvre, on la ferme et les hommes politiques, pendant cette
campagne, ont toute latitude pour faire passer leur message, faire

190
comprendre leurs idées et convaincre leurs électeurs.

E.LATTANZIO : La campagne publicitaire, de même, dure un certain


temps, pendant lequel on va mobiliser plusieurs médias, plusieurs
supports (radio, télévision, presse écrite, affichage, etc ...)
pour donner envie d'acquérir un certain produit.

Y.AMAR : Et on parle de plus en plus de campagne d'information qui


ne cherche pas à promouvoir une marque mais à faire passer un
message d'intérêt public : les campagnes anti-tabac par exemple.
C'était Parler au Quotidien, une émission proposée par le Centre
National de Documentation Pédagogique ...

E.LATTANZIO : ... et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE .

CAMPAGNE
Par: (pas credité)

Le principal sens de "campagne" s'oppose à "ville" en français


contemporain. On rit à la ville ou à la campagne.

"Si on pouvait construire les villes à la campagne", disait, en


son aimable paradoxe, Alphonse Allais.

Donc, question d'urbanisation.

De fait, la campagne opposée à la ville, est encore porteuse d'un


certain nombre de valeurs liées à "l'authentique, au naturel, au
non raffiné".

Pâté de campagne, pain de campagne, andouille de campagne, ça


correspond à l'idée de "rusticité", un peu grossier mais pas
manipulé. Souvent c'est utilisé sur le même mode qu'un ingrédient
: pain de seigle, pain de son, pain de campagne, pâté de tête, de
lapin, de grives, de campagne...

La campagne opposée à la ville est synonyme, non seulement, de


"nature", mais de "détente" : partie de campagne (un peu vieux,
genre congé payé, Renoir...).

Maison de campagne : ce n'est pas si récent que ça non plus, même


si le marché de la maison de campagne a explosé chez les cadres
des années 60 (fermettes normandes...), à tel point que le langage
technique et bureaucratique (et fiscal) l'a redoublé avec
"résidence secondaire".

191
Mais étymologiquement, la campagne, c'est ce qui est "plat", comme
un "champ". Ça s'opposerait plutôt à la montagne.

A partir de là, "campagne" développe des sens qui dérivent de


l'acception "champ de bataille" : se mettre en campagne = sur le
pied de guerre. Depuis le XVIIème siècle, campagne = opérations
militaires d'envergure : on lève une armée, on se déplace vers un
territoire donné qui, en général, désigne la campagne (campagne
d'Italie). L'opération n'est pas toujours un succès (campagne de
Russie), ni toujours lointaine (campagne de France).

A partir de là, on comprend l'expression : plan de campagne


(= plan de campagne, à un échelon supérieur : stratégie).

Le vocabulaire de la stratégie se retrouvant dans plusieurs


pratiques contemporaines, on retrouve aussi bien le mot de
campagne :

"Campagne électorale". Ce mot est officiel : la campagne est


déclarée ouverte, fermée, etc... = tous les moyens mis en oeuvre
pour faire passer son message politique et mobiliser les électeurs
sous son nom ...

"Campagne publicitaire". Là encore, tous les moyens mis en oeuvre,


pendant une "période donnée", pour faire connaître un produit, sur
différents médias en général, mais avec un thème, une image, un
slogan unique (le "concept" de la campagne ...).

Au-delà de la publicité, campagne d'information. Souvent utilisé


pour des messages d'intérêt public : campagne anti-tabac, campagne
pour le préservatif, etc.

CAMPING
Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 25 JUIN 2001

Les vacances approchent. Voici que s’en revient le temps des migrations saisonnières.
Mais ces migrations sont chères. Comment les aborder ? Le camping est souvent une
solution économique, pittoresque, inconfortable et d’un aimable grégarisme. Le principe
en est simple : on plante sa tente, et voilà un hébergement tout trouvé. Le mot désigne
une pratique (on fait du camping, on part en camping), mais désigne également le site qui
accueille les campeurs : un camping en bord de mer.

192
Le mot a d’ailleurs fait quelques petits : camping-car (mot qui n’existe pas en anglais),
camping gaz (marque déposée) ou caravaning, dont la formation et la terminaison
viennent, bien sûr, en droite ligne de camping.
La terminaison ne fait pas de doute : le mot est anglais d’origine. Mais il est parfaitement
intégré au lexique français : personne ne se hasarderait à employer, ou même à
recommander le campage ou la campaison.

La pratique du camping est, en effet, d’abord anglaise et correspond à l’avènement du


scoutisme. Et chez Baden-Powell, les parfums d’aventure se conjuguent avec les parfums
militaires : le mot camping existe déjà en anglais, avec le sens de campement :
installation provisoire d’un groupe de soldats qui peut aller de l’escouade à l’armée, pour
une nuit, une semaine ou une saison…

Camper, c’est donc s’installer à la fortune du pot, « à la guerre comme à la guerre »… « Il


n’y avait plus de métro : Charlie a campé dans le salon ». « On a campé dans la petite
chambre pendant qu’on refaisait les peintures »…

Campement et camper (et camping évidemment) dérivent de campus. Camper c’est donc
s’installer en pleine campagne et s’établir à la fortune du pot. Quand on part, on lève le
camp, on décampe, et ce dernier mot a pris une nuance de rapidité expéditive, pressée par
les événements. Ce qui donne de manière familière : fiche le camp, foutre le camp.

Le camp finit par être assimilé à l’armée elle-même, et par extension, à prendre le sens de
parti, de côté, dans le contexte d’un conflit : il faut choisir son camp, changer de camp, le
camp des europhobes et celui des europhiles…

CAMPING
Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 25 JUIN 2001

Les vacances approchent. Voici que s’en revient le temps des migrations saisonnières.
Mais ces migrations sont chères. Comment les aborder ? Le camping est souvent une
solution économique, pittoresque, inconfortable et d’un aimable grégarisme. Le principe
en est simple : on plante sa tente, et voilà un hébergement tout trouvé. Le mot désigne
une pratique (on fait du camping, on part en camping), mais désigne également le site qui
accueille les campeurs : un camping en bord de mer.

Le mot a d’ailleurs fait quelques petits : camping-car (mot qui n’existe pas en anglais),
camping gaz (marque déposée) ou caravaning, dont la formation et la terminaison
viennent, bien sûr, en droite ligne de camping.
La terminaison ne fait pas de doute : le mot est anglais d’origine. Mais il est parfaitement
intégré au lexique français : personne ne se hasarderait à employer, ou même à
recommander le campage ou la campaison.

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La pratique du camping est, en effet, d’abord anglaise et correspond à l’avènement du
scoutisme. Et chez Baden-Powell, les parfums d’aventure se conjuguent avec les parfums
militaires : le mot camping existe déjà en anglais, avec le sens de campement :
installation provisoire d’un groupe de soldats qui peut aller de l’escouade à l’armée, pour
une nuit, une semaine ou une saison…

Camper, c’est donc s’installer à la fortune du pot, « à la guerre comme à la guerre »… « Il


n’y avait plus de métro : Charlie a campé dans le salon ». « On a campé dans la petite
chambre pendant qu’on refaisait les peintures »…

Campement et camper (et camping évidemment) dérivent de campus. Camper c’est donc
s’installer en pleine campagne et s’établir à la fortune du pot. Quand on part, on lève le
camp, on décampe, et ce dernier mot a pris une nuance de rapidité expéditive, pressée par
les événements. Ce qui donne de manière familière : fiche le camp, foutre le camp.

Le camp finit par être assimilé à l’armée elle-même, et par extension, à prendre le sens de
parti, de côté, dans le contexte d’un conflit : il faut choisir son camp, changer de camp, le
camp des europhobes et celui des europhiles…

CANARD
Par: (pas credité)

On sait que l'affaire Papon qui défraye en ce moment la chronique,


a été révélée en mai 81, par le Canard Enchaîné, journal satirique
bien connu, mais au nom bien étrange. Quelle est donc l'histoire
du mot "canard" ?
En français, le canard se mange à toutes les sauces et ce qui
renvoie au départ à ce volatile de basse-cour est d'un usage
métaphorique très large.

Au départ ? Justement pas, c'est là le plus surprenant. On ne


compare pas un humain à l'animal, on compare l'animal à des gens.
En ancien français, canard est un sobriquet, un surnom moqueur,
péjoratif, appliqué à quelqu'un de trop bavard. Ce n'est qu'à
partir du 13ème siècle que le nom désigne l'animal.

Pourquoi ce glissement ? D'abord pour éviter une confusion. En


effet, ce volatile, on l'appelait (jusque-là) "ane" (de "anas" en
latin). D'où confusion avec "âne" (de "asinus"). "Canard" donc,
rendait service, mais le mot garda une grande souplesse de sens,
dans le registre péjoratif et injurieux : le canard n'est pas
comme les autres, mais il vaut mieux préciser : "canard boiteux",
celui qui ne marche pas au pas (au pas de l'oie ?), qui ne fait

194
pas comme tous les autres, qui fait tache, dans un groupe, une
communauté, une famille. Chez les Deloeil, tous les enfants ont
fait de brillantes études : un à Polytechnique, un à Normale Sup',
un à l'ENA. Il n'y a que Gaspard qui a raté son CAP, c'est le
canard boiteux, ou le vilain petit canard.

On dit la même chose de celui qui ne fait pas chorus, qui émet un
autre son de cloche : à la soirée chez Untel, tout le monde a fait
l'éloge de Chose. Il n'y a que Gégé, qui est toujours le vilain
petit canard, qui a rappelé que sous sa direction le chiffre
d'affaires avait commencé à chuter, qu'il avait été compromis dans
une négociation douteuse, etc.

Le vilain petit canard renvoie au conte d'Andersen : en fait,


c'est un cygne qui, d'abord rejeté par tous, fait éclater enfin sa
supériorité. Mais cette dernière partie de l'histoire ne joue pas
sur le sens général de l'expression. Le vilain petit canard c'est
celui dont on a honte.

C'est d'ailleurs le sens de l'expression dans un autre contexte :


le canard, le "couac", c'est plus que la fausse note, la note
ratée, en particulier par un instrument à vent (hautbois,
clarinette, saxophone, en général un instrument à anche).

On comprend bien la liaison avec une autre signification du mot :


un canard, c'est un faux bruit, une fausse information. D'où par
extension un mauvais journal. Et aujourd'hui, en langue bien
familière, un journal tout court. Ce qui nous renvoie, bien sûr,
au Canard Enchaîné.

CANCAN
Par: (pas credité)

Féerie... Un spectacle dont on nous promet monts et merveilles. Féerie : 100 artistes, dont
60 Doriss girls, dont la filleule de Line Renaud, Michelle Rushowi...
On nous assure que la grande tradition du lieu -Le Moulin Rouge- sera respectée. Mais,
j'espère au moins que les règles élémentaires du "cancan" seront respectées, car le Moulin
Rouge sans le "cancan"...

Mais le "cancan", qu'est-ce ? Etymologiquement, c'est la danse des canards. En effet, le


mot est formé par la duplication de la première syllabe de "cancaner", verbe qui exprime
le cri du canard, et qui par delà évoque bien sûr son dandinement, sa gaucherie supposée
et sa façon de tortiller du croupion. Mais, le mot "cancan" qui existe bien avant la danse,
a une autre signification et croise son origine avec une autre : il s'agit de la déformation
plaisante de quamquam, conjonction latine qui signifie quoique, néanmoins et qui

195
symbolise l'argutie inutile et la péroraison cuistre.

Mais revenons au mouvement : de quoi s'agit-il ? D'une danse, héritée du quadrille, qui
devient à la mode à partir de 1830 à Paris dans les bals populaires. Ce sont ces pas
tapageurs et excentriques qui seront illustrés à la fin du siècle et à la Belle Epoque dans
les revues que présentent les grands cabarets parisiens.

Le "cancan" devient donc danse de spectacle : les danseuses costumées sont en ligne,
lèvent, étendent et montrent leurs jambes, leurs caleçons, leurs froufrous, leurs plumes,
faisant ainsi des "révélations intéressantes", et poussant des cris aigus qui excitent,
semble-t-il, au plus haut point les spectateurs. Toute cette musique et cette chorégraphie
sont assez précisément réglées, profitant des contributions de musiciens savants, comme
Offenbach évidemment avec "La Vie parisienne", mise en abîme de tout ce petit monde,
et auparavant avec le "cancan" fort entraînant de la fin d' "Orphée aux Enfers".

C'est donc toute une image du plaisir et de la bourgeoisie qui s'encanaille au tournant du
siècle que symbolise le "cancan", qu'on appelle d'ailleurs volontiers le "french cancan"
pour souligner de façon publicitaire le succès qu'il a parmi les riches voyageurs étrangers
(les Anglais, traditionnellement, mais aussi l'image du Brésilien de "la Vie parisienne").

On anglicise à plaisir dans ce monde qui se revendique justement comme l'illustration


d'une certaine France. Sur scène, on voit des girls, les danseuses de la troupe, opposées
aux vedettes. Et tout ça se passe au music-hall, mot anglais à la prononciation fluctuante
pour la première syllabe (music ou miousic), mais dont la fin est prononcée à l'anglaise
sans problèmes, comme si la deuxième syllabe comportait un o fermé.

CANNIBALE ET ANTHROPOPHAGE

Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Actualité tragique : on parle de cannibalisme. Encore faut-il savoir ce qu’on entend par
là. Le cannibalisme, c’est le fait pour un humain de manger un autre humain.

Le mot date des grandes découvertes ; il semble même qu’on doive son importation à
Christophe Colomb, qui aurait découvert non seulement le Nouveau Monde, mais aussi le
cannibalisme. Enfin, c’est aller un peu vite en besogne : il a peut-être simplement
découvert le mot. Et encore, le mot préexistait. Mais il a pu le ramener en Europe. D’où ?
De ces îles qu’il avait découvertes, et sur lesquelles il avait découvert des Indiens, dont il
ne reste aujourd’hui aucun survivant ? Ces Indiens parlaient Arawak, et ce mot de
cannibale était peut-être d’ailleurs celui qui les désignait. Cannibale serait alors de la
même famille que Caraïbe, et le mot n’aurait au départ rien de sanguinaire. Mais comme
les explorateurs de ces nouvelles contrées imaginaient souvent les pires pratiques de la
part de ceux qu’ils découvraient, cannibale a pris le sens de mangeur d’homme et le mot
est rentré en Europe, par l’espagnol, qui l’a cédé au latin, qui l’aurait lui-même cédé à
l’italien, d’où le français l’aurait tiré. Tout un voyage en somme…

196
Le mot a eu du succès, a parfois été utilisé dans un sens affaibli, pour dire simplement
cruel, sanguinaire, mais ce n’est plus vraiment le cas maintenant. En revanche, il arrive
qu’on le voit utilisé comme un adjectif : un festin cannibale, lit-on à propos par exemple
du festin de Thieste, qui commença à manger son fils ! Quand ça ? Où ça ? Oh ! C’était il
y a bien longtemps, puisqu’il s’agit d’une légende de la mythologie grecque, qui met en
scène la fameuse famille des Atrides. Preuve que le cannibalisme n’est pas l’apanage des
Arawaks.

On a un autre mot, d’origine bien plus européenne : c’est anthropophage. Il apparaît


presque au même moment que cannibale en français, mais existait depuis longtemps en
latin et en grec, d’où il est originaire. Lui aussi au connu quelques dérives de sens : on l’a
utilisé pour dire exploiteur, et même bourreau durant le Révolution française. Mais
aujourd’hui, son sens semble être retourné à son étymologie.

CANOE/KAYAK
Par: (pas credité)

Canoë/Kayak : nom composé désignant une forme de compétition


sportive utilisant des types d'embarcations d'origines très
différentes mais qui ont été rapprochées pour les besoins de la
compétition. Se pratique seul ou à deux (canoë/kayak monoplace ou
biplace).

Différents types de course : en ligne sur des plans d'eau, en


slalom sur des rivières naturelles ou artificielles comportant des
rapides, des rochers. Courses "en eaux vives" en descente de
rivière sportive.

Différence entre les deux : Canoë se pratique avec une pagaie à


une seule pelle et le ou les concurrents sont à genoux dans
l'embarcation. Kayak se pratique avec une pagaie à deux pelles et
le ou les concurrents sont assis dans leur embarcation.

Canoë/canot/kayak : les deux ont la même étymologie "canoa" d'une


langue indienne des Bahamas. Il désigne un type d'embarcation
répandue dans toute l'Amérique du Nord chez les populations
indiennes permettant la navigation sur les lacs ou les rivières
(popularisées par les westerns avec la présence des Indiens).

Canot s'est imposé d'abord en français, pour désigner en fait


toutes sortes de petites embarcations. Exemple : le "canot de
sauvetage", dans les grands navires du type paquebot, le "canot
pneumatique" utilisé sur les plages.

197
Dérivés : le verbe canoter et "canotage" qui désigne l'activité
consistant à faire du canot en rivière pour le plaisir.
Distraction rendue célèbre par les plaisanciers du XIXe siècle sur
la Seine ou la Marne.

Dérivé connu : canotier, celui qui fait du canot : cf. le déjeuner


des canotiers, tableau classique chez les impressionnistes.

Par métonymie, le mot en est venu à désigner le chapeau en paille


qu'ils avaient coutume de porter (immortalisé plus tard par
M. Chevalier...

Canoë est venu de l'anglais à la fin du XIXe siècle lorsque ce type


d'embarcation s'est répandue pour la compétition. Le terme ne
s'emploie que pour ce type d'usage.

Kayak : origine inuit (esquimau). Type d'embarcation utilisée dans


les pays polaires par les populations locales. Embarcation
masculine opposée à l'"umiak" (pour les femmes). Se répand en
Angleterre et en France à l'époque de Napoléon III.

Point commun aux deux sports, l'usage de la pagaie (avec la


différence des pelles). A la différence de l'aviron, la pagaie
n'est pas fixée sur le bateau, mais manoeuvrée librement par le
rameur.

Mot d'origine malaise qui aurait donné aussi en français pagaille


(ou pagaïe) : allusion aux mouvements désordonnés et irréguliers
que l'on fait avec ce type de rames.

"Mouiller en pagale" (puis pagaîe) signifie dans le langage de la


marine à voile : jeter l'ancre sans carguer les voiles ou les
serrer : mouiller en hâte, en catastrophe.

D'où jeter en pagale : jeter les marchandises en désordre dans la


cale. L'expression "en pagaille" est devenue synonyme plus général
de "en désordre", avant de s'imposer comme substantif : la
pagaille.

Yvan Amar

CANTINE
Par: (pas credité)

198
C'est la rentrée scolaire cette semaine pour beaucoup d'enfants et pas mal
d'adultes, et voilà qu'on se pose des questions sur les cantines,
relativement désertées par les élèves des milieux défavorisés.

La cantine, c'est l'endroit où l'on mange, dans les écoles ou même les
collectivités.
Cette cantine ("cantoche" en argot scolaire) rassemble les "demi-
pensionnaires", ceux qui sont inscrits à la demi-pension, qu'on distingue
des pensionnaires (mais ils sont aujourd'hui bien peu nombreux) et des
externes, ceux qui rentrent déjeuner chez eux. Et pour manger, on va au
réfectoire - mot d'origine latine qui s'inscrit, au départ, dans le monde des
monastères. L'étymologie en est pittoresque puisque le mot vient du latin
"reficere" = refaire. Au réfectoire, donc, on se refait - on refait ses
forces.

Revenons à la cantine qui, au départ, est une caisse où l'on range les
bouteilles, pendant les campagnes militaires. Le sens de coffre s'est
conservé pour désigner une grosse malle solide, qu'on utilise le plus
souvent dans le cas de déplacement long et lointain : la cantine fleure bon
l'outremer.

Mais le mot est resté proche de l'armée pendant longtemps, la cantine a été
la buvette mobile, où les soldats pouvaient s'abreuver, ce qui nous a
donné la "cantinière".
Quant à la restauration collective "sur le terrain" - en particulier pour
nourrir des équipes en déplacement, elle s'exprime souvent par un
anglicisme le catering, que, par plaisanterie, on entend souvent transformé :
on va déjeuner "chez Catherine".

CAOUTCHOUC
Par: (pas credité)

Un mot aux sonorités insolites, dont on parle aujourd'hui car des esprits sérieux se sont
réunis pour remettre à jour les modalités de son commerce international.
Mais que nous évoque ce "caoutchouc" ? des bottes, des gommes ou des pneus…
En tout cas, une idée de souplesse et d'élasticité. "Il est en caoutchouc", "Il a un corps en
caoutchouc", dit-on parfois de quelqu'un - souvent un enfant- qui a un corps extrêmement
souple. Le "caoutchouc" est la matière "facile" par excellence.

Ce mot étrange vient d'Amérique du Sud, d'une langue qui est ou fut parlée au Pérou -on
ne sait même pas exactement laquelle. Le "c" final se prononce rarement, et d'ailleurs
disparaît lorsqu'on forme un adjectif dérivé du mot : "caoutchouteux"…

199
Mais attention, le "caoutchouc" n'est pas l'"élastique," un mot qui lui vient du grec, et qui
veut dire "qui s'étire". En effet, est "élastique" un corps qui peut se déformer pour
reprendre ensuite sa forme initiale. Et au sens figuré, on parlera par exemple d'"horaires
élastiques", pour désigner des horaires qui peuvent s'étirer. C'est le contraire de "rigide",
ça a à voir avec souple, en plus ironique et familier peut-être.

Le sens figuré peut être plus abstrait également : une "morale élastique" est celle qui ne
s'embarrasse pas trop de scrupules, peut se déformer en fonction des intérêts de celui qui
la met en avant, grâce à des raisonnements tortueux ou sophistiqués.

Enfin, un "élastique" est un petit ruban "caoutchouteux" qui sert à réunir des objets -
notamment des billets de banque. Est-ce à cause de ça qu'existe l'expression familière "il
les lâche avec des élastiques" ? Elle signifie "il est avare", "dur à la détente". L'image
peut s'expliquer de plusieurs manières. Soit notre économe a bien du mal à sortir ses
billets de la liasse qui les retient grâce à ce fameux "élastique", soit il souhaite les faire
revenir dans sa poche, et les attache avec un "élastique" qui permettra ensuite qu'on les
récupère mécaniquement.

CAPITAL
Par: (pas credité)

L'anniversaire d'un magazine réputé, ça se célèbre : "Capital" a dix ans. Révélateur ?


Peut-être d'une certaine oscillation des modes. Ce magazine en tout cas, dont le nom se
fait l'écho du célèbre "Fortune" américain, apparaît à un moment où le terme "capital"
n'est plus diabolisé comme il l'a été durant des années. En effet, les mots de cette famille
ont été presque tabou pendant toute une époque, en particulier de la fin de la guerre au
milieu des années 80. On ne les utilisait que pour les stigmatiser. Depuis 10-15 ans, les
choses ont bien changé : on le sait, on a assisté à la chute des régimes communistes de
l'est, quelques années après qu'en France on eût assisté à "l'alternance" : la gauche n'était
plus dans l'opposition. Ces deux phénomènes inverses ont eu un effet inattendu : la droite
osait se dire la droite : le libéralisme osait se revendiquer comme tel ; et "capital",
"capitalisme", "capitaliste" devenaient autre chose que des mots sulfureux ou insultants.

Alors qu'est-ce que le "capital" ? Le mot dérive d'un terme latin désignant la tête. Et dès
le XVIème siècle, dans un emploi que les Français empruntent aux Italiens, le "capital"
est la partie la plus importante d'un bien financier. D'abord, le "capital" représente l'argent
qu'on a emprunté : c'est la dette qu'on rembourse, à l'exclusion des intérêts. Et le mot dans
ce sens est en concurrence avec principal -c'est la partie principale de ce qu'on doit
rendre. Cf. La Fontaine : "Je vous paierai, lui dit-elle/Avant l'août foi d'animal/Intérêt et
principal".
Le "capital", bien vite, a aussi désigné la somme investie dans une entreprise, sans
qu'aucun caractère péjoratif s'attache au vocable.

200
Mais enfin Marx vint. Le "capital" est publié en 1867, et le mot y prend un sens
particulier : c'est la richesse considérée comme moyen de production. A partir de là, on
va opposer "capital" à travail, "capitaliste" à prolétaire, "capitalisme" à socialisme. Les
bases de tout un vocabulaire sont jetées, avec certaines expressions plus saillantes que
d'autres : le grand "capital", "capitalisme" sauvage, etc.

Au sens figuré, de façon bien plus récente, le mot "capital" est employé, souvent en
domino avec une apposition, dans le sens d'un avoir qu'on a au départ, qu'on ne doit pas
gaspiller, et éventuellement faire fructifier, ou tout au moins conserver en bonne
condition le plus longtemps possible : "capital-santé", "capital-beauté", ou même
"capital" de confiance, de sympathie.

CAPTER
Par: Yvan Amar et Anne-Cécile Bras

« Ah pardon, j’avais pas capté ! ». « On capte très mal, ici. Je te reçois très mal, sur mon
téléphone ! »… Le verbe capter est très utilisé de nos jours, avec des sens et des usages
fort différents. Mais bizarrement, avec un éventail de sens qui n’ont rien à voir avec ceux
auxquels on nous avait habitués.

Le verbe latin captare, qui signifie prendre, attraper, nous a donné des mots qui évoquent
l’emprisonnement et la détention : capture, captif, captivité…

Mais, cette racine a également donné des mots au sens plus positif : captiver, qui signifie
d’abord faire prisonnier, mais aussi retenir l’attention de quelqu’un. Et captivant, c’est-à-
dire passionnant – un livre, un film captivant…

La famille de mots a évolué vers des sens différents :


Sens technologique. Un capteur est un appareil qui attrape une certaine énergie, et la
transforme, pour la rendre utilisable, « domesticable » : on parle ainsi de capteurs
solaires.

On appelle aussi de cette façon des instruments qui relayent une information : sur les
voitures modernes, on parle des capteurs qui, lorsqu’il pleut, font mettre en marche les
essuie-glace, lorsque le soir tombe, allument les phares.

Et puis, on parle de capter à propos de ces appareils qui captent des ondes : on capte bien
RFI à Ouagadougou. Les téléphones mobiles utilisent aussi ce vocabulaire (enfin… ceux
qui parlent dans les téléphones, plutôt que les téléphones eux-mêmes…).

Enfin, l’argot contemporain emploie le verbe capter pour dire comprendre. Mais, plus
pour dire comprendre une situation, une signification générale qu’un mot particulier…
Jojo m’a fait un signe discret, et j’ai tout de suite capté : il valait mieux partir sans
demander notre reste…

201
CARDINAL
Par: (pas credité)

Les cardinaux vont avoir du renfort : le Prima des Gaules,


archevêque de Lyon va être nommé cardinal, et vingt-deux autres
avec lui, dont deux "in petore", c'est-à-dire en secret, pour les
protéger des dangers auxquels leur nomination pourrait les
exposer. Etymologie : cardo (latin) = gond, pivot.

Sens premier : adjectif signifiant principal, premier.


Deux exemples : - les vertus chrétiennes dites cardinales :
justice, prudence, tempérance, force. Ces vertus sont considérées
comme premières. Toutes les autres peuvent leur être rapportées.
(Mais attention, les vertus théologales ne comptent pas exactement
pour du beurre : ce sont celles qui ont Dieu pour objet : la foi,
l'espérance et la charité).
Les points cardinaux : à l'horizon, les quatre points permettant
de s'orienter (nord, sud, etc.). On parlait à l'origine des
"vents cardinaux", qui soufflaient de ces quatre directions.

Nombre cardinal : qui exprime la quantité, par opposition par


exemple à l'ordinal qui exprime le rang. Opposition entre un,
deux, trois, etc. (cardinal) et premier, deuxième, etc.
(ordinal). C'est intéressant mais on ne sait pas trop pourquoi on
a donné à ces nombres ce qualificatif de cardinal.
Cardinal : Haut Dignitaire de l'Eglise, membre du Sacré Collège,
qui élit le pape depuis le concile de Latran de 1179. Selon le
droit canon, le Sacré Collège est "le sénat du pontife romain :
ils (les cardinaux) l'assistent comme ses principaux conseillers et
aides dans le gouvernement de l'Eglise).
La dignité de cardinal n'impliquait pas à certaines époques (au
XVIIème siècle par exemple) d'être ordonné prêtre. Ainsi, Mazarin
qui était seulement tonsuré (tonsure = premier degré seulement
de la cléricature). Son mariage secret avec Anne d'Autriche est
donc possible. (Bien que les historiens modernes s'accordent à
dire que tout ça, c'est faribole, et que la reine et le cardinal
se sont contentés de vivre tranquillement dans le péché).
Aujourd'hui, les cardinaux sont tous évêques.

Le cardinalat = dignité du cardinal; accéder au cardinalat.


Sur "cardinal", on a forgé l'adjectif "cardinalice" : attaché à la
dignité de cardinal. S'emploie surtout dans l'expression "pourpre
cardinalice". La pourpre était chez les anciens le colorant rouge
foncé dont on teignait les vêtements de hauts magistrats, le

202
cardinal en a bénéficié pour son manteau. La pourpre cardinalice
est donc le signe de la dignité de cette fonction, ce qui
occasionna la bourde célèbre de Jules Janin : " Le homard, ce
Cardinal des mers...".

Expressions anciennes (XVI et XVIIèmes siècles) liées à la


couleur rouge :
"faire cardinal" et plus explicitement "être fait cardinal en
place de grève" : être décapité. Allusion au cou tranché (on
disait aussi chapeau rouge, faire porter le chapeau rouge).
"avoir son cardinal" (XVIIème siècle) : avoir ses règles pour une
femme.
"boire un cardinal".

CARNAGE
Par: Yvan Amar et Anne-Cécile Bras

Le mot s’est, hélas, beaucoup, entendu et beaucoup lu ces derniers jours. Comme si
c’était un mot horrible, superlatif, destiné à exprimer l’horreur superlative. Et le mot
évoque deux choses : l’ « assassinat » en grand nombre (la plupart du temps). Et la fureur
de tuer, ou la folie de tuer… qui se manifeste par une sorte de désordre de l’horreur. Et
par l’ « horreur » montrée… sang, blessure, mutilation, corps qu’on ne reconnaît plus
pour ce qu’ils sont, ou ce qu’ils étaient. L’extrême violence dissout l’identité des corps.
Et l’horreur vient de ce qu’on ne voit plus un corps, ou des corps, même souffrants : on
ne voit plus que de la chair… ce qui nous fait retrouver l’étymologie du mot, encore
sensible sous la prononciation.
On peut remarquer, d’ailleurs, que ce sens actuel et terrible n’est nullement le sens
d’origine. « Prendre carnage », au Moyen âge signifiait s’incarner. Puis, le mot a désigné
les périodes où la religion catholique autorisait qu’on mangeât de la viande (hors carême
et hors vendredi… ou l’on mangeait « maigre »).

Le sens actuel a quelques synonymes.


« Massacre ». « Massacrer » signifie, au départ, « tuer avec acharnement »… Et le mot
est, d’ailleurs, de la même famille que massue. Le sens de « tuer en grand nombre »
s’impose progressivement. (Cf. le massacre des Innocents : non seulement scène de
l’Histoire sainte, mais souvent titre de tableau). Et au sens figuré, depuis longtemps déjà,
« massacre » signifie travail très mal fait, bousillé. Un « massacre » désignait, d’ailleurs,
un mauvais ouvrier, comme en témoigne un exemple du Petit Larousse 1905.
« Tuerie » retrouve à peu près les mêmes usages. A ceci près que le mot a également
désigné un abattoir pour bovins.
Ce qui permet de comprendre comment le mot « boucherie », au sens figuré uniquement,
peut lui aussi s’employer plus ou moins à la place de massacre, de tuerie, ou de carnage.

203
CARNAVAL
Par: (pas credité)

E.LATTANZIO : Ça y est, c'est le carnaval : vieille fête


populaire, encore vivante et pas uniquement touristique dans des
endroits très divers (Nice, Lille, Bâle, Antilles, Rio...). Et le
carnaval évoque des images de déguisement, de liesse populaire
débridée.

Y.AMAR : Etymologie tortueuse, inhabituelle mais intéressante :


mot à mot, ça vient du bas-latin "carne levare = ôter la chair",
ce qui est parfois faussement expliqué du fait qu'on se déguise,
qu'on se masque, donc qu'on change sa physionomie, "qu'on s'ôte sa
chair".

E.LATTANZIO : Bien trop séduisant pour être authentique,


évidemment! La vérité est autrement compliquée. Le carnaval se
situe à l'orée du carême rituel des chrétiens et pendant ce carême
il convient de jeûner : "jejunum levare = soutenir, respecter le
jeûne". Par plaisanterie, on a pu inverser la phrase : "carne
levare = respecter la viande, la bonne chère".

Y.AMAR : En tout cas le premier sens du carnaval est l'entrée en


carême. Il s'agit de la ripaille qui précède l'abstinence.
L'imagerie en est bien connue : masques, défilés, parades, chars
décorés, grandes marionnettes que parfois, à la fin du carnaval,
on brûle. La marionnette (mannequin, figurine) étant le symbole de
la fête, c'est le nom de la fête qui finit par la désigner : on
brûle Carnaval (personnification) ou même aux Antilles on brûle
Vaval.

E.LATTANZIO : L'adjectif "carnavalesque" existe, mais semble-t-il,


est récent et d'usage plutôt savant (il apparaît paraît-il dans le
sillage des travaux de Bakhtine).

Y.AMAR : Le mot "carême", lui aussi a une étymologie populaire,


moins compliquée que celle de carnaval. Il dérive de "quaresima",
déformation de "quadragesima" = le quarantième (jour avant
Pâques). Mot ancien, qui aujourd'hui, sans être archaïque, sent
bon le Moyen-Age. D'ailleurs on le trouve dans de nombreuses
expressions anciennes ou sorties d'usage.

E.LATTANZIO : "Carême-prenant", après avoir désigné les trois


jours qui précèdent le Carême (c'est-à-dire en gros le Carnaval) a

204
désigné une personne grotesquement accoutrée, comme déguisée pour
le carnaval. On trouve notamment l'expression dans le Bourgeois
Gentilhomme.

Y.AMAR : Et puis on a de nombreuses expressions savoureuses :


tomber comme mars en Carême = se produire inévitablement, arriver
comme marée en carême = tomber à pic.

CARNAVAL
Par: (pas credité)
E.LATTANZIO : Ça y est, c'est le carnaval : vieille fête
populaire, encore vivante et pas uniquement touristique dans des
endroits très divers (Nice, Lille, Bâle, Antilles, Rio...). Et le
carnaval évoque des images de déguisement, de liesse populaire
débridée.

Y.AMAR : Etymologie tortueuse, inhabituelle mais intéressante :


mot à mot, ça vient du bas-latin "carne levare = ôter la chair",
ce qui est parfois faussement expliqué du fait qu'on se déguise,
qu'on se masque, donc qu'on change sa physionomie, "qu'on s'ôte sa
chair".

E.LATTANZIO : Bien trop séduisant pour être authentique,


évidemment! La vérité est autrement compliquée. Le carnaval se
situe à l'orée du carême rituel des chrétiens et pendant ce carême
il convient de jeûner : "jejunum levare = soutenir, respecter le
jeûne". Par plaisanterie, on a pu inverser la phrase : "carne
levare = respecter la viande, la bonne chère".

Y.AMAR : En tout cas le premier sens du carnaval est l'entrée en


carême. Il s'agit de la ripaille qui précède l'abstinence.
L'imagerie en est bien connue : masques, défilés, parades, chars
décorés, grandes marionnettes que parfois, à la fin du carnaval,
on brûle. La marionnette (mannequin, figurine) étant le symbole de
la fête, c'est le nom de la fête qui finit par la désigner : on
brûle Carnaval (personnification) ou même aux Antilles on brûle
Vaval.

E.LATTANZIO : L'adjectif "carnavalesque" existe, mais semble-t-il,


est récent et d'usage plutôt savant (il apparaît paraît-il dans le
sillage des travaux de Bakhtine).

Y.AMAR : Le mot "carême", lui aussi a une étymologie populaire,


moins compliquée que celle de carnaval. Il dérive de "quaresima",
déformation de "quadragesima" = le quarantième (jour avant

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Pâques). Mot ancien, qui aujourd'hui, sans être archaïque, sent
bon le Moyen-Age. D'ailleurs on le trouve dans de nombreuses
expressions anciennes ou sorties d'usage.

E.LATTANZIO : "Carême-prenant", après avoir désigné les trois


jours qui précèdent le Carême (c'est-à-dire en gros le Carnaval) a
désigné une personne grotesquement accoutrée, comme déguisée pour
le carnaval. On trouve notamment l'expression dans le Bourgeois
Gentilhomme.

Y.AMAR : Et puis on a de nombreuses expressions savoureuses :


tomber comme mars en Carême = se produire inévitablement, arriver
comme marée en carême = tomber à pic.

CARTE
Par: (pas credité)

A Londres, s’ouvre le procès de 2 trafiquants et faux-monnayeurs modernes, qui


fabriquaient de fausses cartes bancaires. Ces cartes ouvriraient-elles la porte du monde de
demain ? Ce mot de carte, pourtant ancien, recouvre de nombreux emplois tout à fait
contemporains.

Le mot vient d'un mot grec qui signifie au départ rouleau de papyrus. D’où vient ce mot
grec ? Nul ne semble trop le savoir aujourd’hui, mais une carte, en français moderne, est
essentiellement un rectangle de papier plus ou moins rigide (sauf dans le cas, où ce mot
de carte désigne un plan, une représentation géographique).

C’est le sens de carte à jouer qui a donné naissance au maximum d’expressions figurées
qui font apparaître le mot : brouiller les cartes (rendre une situation, a priori claire,
difficile à comprendre en en modifiant la donne), le dessous des cartes (les enjeux cachés,
secrets d’une situation), jouer cartes sur table (ne pas masquer ses intentions), jouer sa
dernière carte (opérer son ultime manœuvre)…

Mais, tous ces emplois sont plutôt anciens, renvoient à des images et des pratiques
anciennes. Et la carte a connu des avatars multiples en des périodes plus récentes, ou
même tout à fait contemporaines.

La carte est d’abord un document officiel, qui souvent témoigne d’une qualité, et d’abord,
de qui on est : c’est la carte d’identité. Cette carte, bien plus récente que tous les
passeports ou sauf-conduits qui ne servaient qu’en cas de voyage, marque l’avènement
d’une société bureaucratique, où le tampon, le timbre sont le signe nécessaire et suffisant
de qui on est. Et ce tampon, qui donne son sens à tout document officiel, est comme une
signature anonyme d’une administration souveraine.

206
La carte, imposée par l’administration sert donc à compter, recenser pour dominer. Cf la
réglementation de la prostitution avec les filles en cartes, c’est-à-dire fichées.
Mais, si la carte est le signe de la soumission à l’administration, elle est souvent aussi le
signe qu’on est quelque chose dans cette administration. Elle peut donc devenir symbole
de droit, de devoir, de pouvoir: carte d’électeur, carte tricolore, carte de presse… une
carte en impose, coupe les files et ouvre les portes. Et la carte est un symbole
profondément laïque (Il a sa carte du Parti ; il a rendu sa carte, déchiré sa carte ;
cérémonie de la reprise des cartes…).
La carte a également servi de support à toute une série d’objets technologiques. Voisinant
dans le portefeuille avec la carte d’identité, les cartes contemporaines servent de passe-
partout.

Pour payer d’abord, avec ce qu’on appelle – et c’est purement français – la carte bleue.
Quand on est plus riche, elle est dorée, mais l’expression carte bleue, bien qu’en perte de
vitesse, est toujours comprise et employée comme synonyme de carte bancaire. Les
initiales, CB étant les mêmes, ça facilite. On dit souvent aussi carte de crédit, qui fait plus
administratif.

Pour voyager en ville, on utilise une autre carte, l’orange, à la fois pendant de la carte
bleue et nique à la carte grise qu’elle voulait éclipser de sa gaieté.

CARTE ET PLAN
Par: Yvan Amar et Anne-Cécile Bras

En Allemagne, dans la ville de Halle, on expose actuellement la plus vieille carte du ciel
que nous connaissions.

Alors qu’est-ce qu’une « carte » ? Une représentation. De la terre, du paysage qui nous
entoure, le plus souvent. Mais aussi parfois du ciel… la preuve… Et à quoi sert une «
carte » ? A s’orienter, à se reconnaître… Comment permet-elle qu’on se reconnaisse ? En
représentant le réel en miniature.
Ce mot de « carte » vient du grec khartès, qui signifie, au départ, rouleau de papyrus, puis
feuille, document écrit…

« Carte » est concurrencé par « plan »…. Le sens est-il le même ? Le mot « plan »
s’utilise plus volontiers lorsqu’il s’agit d’une zone plus petite… et plus contrastée…
On parle de carte de France, de carte d’une région…
On parle du plan d’une ville, d’un quartier… ou même d’une maison.

Si le mot « carte » met l’accent sur le support (le papier… on notera d’ailleurs que carte
est de la même famille que carton…), « plan » accentue l’idée qu’il s’agit d’une
représentation en deux dimensions : un plan, c’est plat. Là encore, les deux mots sont de
la même famille. « Plan » signifie, en effet, au départ, lisse, sans aspérité, sans relief….
On ne peut donc pas représenter les montagnes, sinon par des codes graphiques : cotes,
courbes de niveau… Mais, on ne peut pas non plus représenter la courbure de la terre.

207
Est-il pour autant impossible de faire un plan de toute la planète… ou même d’une large
partie de la planète à cause de cette difficulté… ? Non. Il y a des systèmes, imparfaits
bien sûr, mais bien pratiques quand même, de projections : on représente donc de façon
plane une sphère. Et, en toute logique, on appellera ça un planisphère, c’est-à-dire une
carte du monde…
Longtemps, ces cartes du monde ont été également appelées mappemondes. L’origine est
simple : mappa est un autre mot latin pour dire carte ; le mot représente quelque chose de
plat… la mappa mundi est donc la carte du monde, et souvent la mappemonde
représentait, l’un au-dessus de l’autre les deux hémisphères.
Mais un glissement de sens a fait qu’on entend, en général, autre chose par «
mappemonde », aujourd’hui : c’est la représentation du globe terrestre, c’est-à-dire une
petite sphère sur laquelle sont dessinés océans et continents, et qui parfois peut tourner
autour d’un axe oblique, à l’image de la Terre qui tourne sur elle-même, autour d’un axe
oblique par rapport au plan orbital de sa révolution solaire.

CARTON
Par: (pas credité)

La Coupe du monde nous inonde de cartons : jaune pour la menace, rouge pour
l'expulsion, vert pour faire entrer les soignants sur le terrain lorsqu'un joueur à terre ne se
relève pas... Si bien qu'une nouvelle expression voit le jour : un joueur a été cartonné,
c'est-à-dire qu'on a brandi un carton à son encontre.

Néologisme de sens, mais pas de mot, car cartonner existe déjà, et déjà avec un sens
figuré expressif : cartonner, c'est très bien réussir : j'ai cartonné à mon examen (j'ai eu 14
aux trois premières épreuves, et 17 à la dernière). Le sens se comprend à partir de faire un
carton qui vient du vocabulaire du tir : le carton, c'est la cible : faire un carton, c'est tirer
dessus, et en particulier ne pas la manquer. Bien sûr, dans un langage expressif, faire un
carton sera utilisé dans un contexte plus réel : "Jo la gachette a fait un carton sur la belle
Susie, un peu câline avec Gégène". L'idée de tir bien ajusté est vite remplacée par celle de
tir violent, et le mot est passé dans le lexique du football avec ce sens : cartonner, c'est
souvent "tirer un boulet", "fusiller"... Et par extension (et en dehors du football),
cartonner a été utilisé au passif, un peu dans le sens d'"allumer". "Il roulait à 80 dans le
couloir du bus, et sans lumière... Il s'est fait cartonner par les flics". On voit bien qu'on est
dans un registre familier.

Carton vient bien sûr de carte, qui est un emprunt à l'italien. Et carton a gardé un sens
plus près de l'étymologie que carte : carta signifie papier, et cartone papier renforcé,
comme carton. Tout naturellement, carton devient donc synonyme de carte à jouer,
notamment dans l'expression taper le carton, mais aussi moins courant aujourd'hui, battre
: manier, tripoter le carton. Enfin, le carton qui avait dans les années 60 le sens familier
de cartable (par ressemblance) a été immortalisé par Linda de Souza, avec sa valise en
carton, symbole un peu convenu du pauvre immigré perdu dans le nouveau pays où il
arrive.

208
CAS
Par: (pas credité)

Mot bref, ancien, très idiomatique et plutôt atypique. Et le mot est difficile à définir, tant
ses utilisations sont nombreuses, diverses, et liées à la phrase où il apparaît. Le cas , c’est
ce qui arrive, ce qui se produit. Et ça correspond souvent à une éventualité, une
hypothèse, une possibilité. Si c’est fermé, qu’est-ce que tu fais ? Dans ce cas-là, je garde
mon sang-froid, je sors mon rossignol et je crochète la porte.

Le mot est donc parfois tout bonnement synonyme d’hypothèse : plusieurs cas sont à
envisager. Et il s’utilise aussi lorsqu’on anticipe sur un futur possible, et sert à exprimer
une idée de condition : en cas de mauvais temps, nous rebrousserons chemin. En cas de
malheur, prévenez ma famille. De même la tournure au cas où, qui introduit une
proposition circonstancielle, et qui correspond un peu à si, ou si jamais : il introduit une
idée d’hypothèse peu probable : j’ai pris mon imperméable au cas où il se mettrait à
pleuvoir. Parfois même, on abrège : j’ai pris mon parapluie, au cas où… = pour parer à
toute éventualité (Cf. anglais just in case).
L’expression le cas échéant est intéressante : littéralement, c’est une manière de
pléonasme : si cette chute tombe. D’ailleurs, les deux mots cas et échéant sont de la
même famille. Cela signifie donc si cette possibilité vient à se réaliser, et en fait, ça
revient à dire si c’est nécessaire : Réglez-moi l’allumage ; le cas échéant, remplacez les
bougies.

Et en aucun cas veut dire en aucune façon.


Maintenant, cas glisse facilement vers le sens de raison, cause, motif : c’est un cas de
légitime défense, un cas de divorce (une motif suffisant pour demander le divorce). On
rappellera à l’occasion le casus belli.
Mais le mot est souvent plus concret et désigne une situation, une affaire : le cas est
exceptionnel.
A signaler, le cas de force majeur : je me suis arrêté sur la bande d’arrêt d’urgence,
brigadier : c’était un cas de force majeur ; un dromadaire klaxonnait pour me doubler, et
ensuite je l’ai vu attaquer une fermière dans un champ.

Le cas est donc une affaire, y compris dans un vocabulaire précisément juridique : dans le
cas Gerber, le procureur a requis 20 ans. Dans le cas Tristano, Maître Billard est l’avocat
de la défense.
Ou dans un lexique médical : le cas de Monsieur Douglas n’est pas bien grave ; celui de
Monsieur Caine semble bien plus inquiétant.
Mais Zorn… c’est un cas.

CASINO
Par: Yvan Amar

209
Faut-il créer un casino à Lille dans le Nord de la France ? Y a-t-il un crise du personnel
des casino en ce moment… ? Pour une raison ou pour une autre, on parle beaucoup des
casinos en ce moment…

On sait ce qu’est un casino : un maison de jeu… un établissement public destiné à


accueillir et organiser des jeux de hasard et d’argent…. Tout le monde peut y aller à
condition d’être majeur, et de n’être pas interdit par l’administration du casino…
Précision utile car il ne faut pas confondre casino et cercle de jeu privé.. les cercles étant
des associations dont il faut être membre pour les intégrer… Des cercles de jeu, il y en a
un peu partout… et en tout cas, il peut en exister partout… Même si tous les jeux n’y sont
pas systématiquement autorisés. Mais les casinos… c’est différent… Les jeux d’argent
étant à la fois très prisés, et attirants comme des drogues… on veut éviter de multiplier les
tentations… même si l’état prélève sa dîme… un honnête pourcentage sur les gains du
casino. Aussi ne sont-ils autorisés qu’en certains endroits… suffisamment éloignés des
grandes villes… Paris notamment… et situés dans des villes d’eau en général… On
considérait en effet jadis que les curistes… ceux qui vont prendre les eaux… faire une
cure… avaient des loisirs, et quelques moyens… On pouvait donc les distraire, et parfois
les aider à se ruiner…

Le mot casino, comme sa terminaison le laisse supposer est d’origine italienne… Il dérive
de casa, la maison…. C’est donc au départ un petite maison. Maison de campagne
d’abord… puis le mauvais esprit s’en mêle, et la maison devient plus sulfureuse…
maison close, maison de prostitution, et en italien d’aujourd’hui, c’est encore l’un des
sens du mot. Puis le mot désigne une maison de jeu… et il a beaucoup de succès au 19è
siècle. Mais à l’époque , on ne fait pas que mettre sa fortune en jeu dans les casinos… On
y boit, on y danse, on y regarde danser… Et le mot envoie aussi à un lieu de spectacle,
notamment à partir du Second Empire, et des débuts de la Troisisème République. C’est
de cette époque que datent certains établissements qui font fait la gloire du gai Paris, et
dont certains existent encore… Moulin Rouge allez-vous dire… Certes mais aussi le
casino de Paris, qui présente encore aujourd’hui des revues et des spectacles.

Ces endroits sont faits pour les joueurs… Et ce mot pris dans un certain contexte, évoque
immanquablement ceux qui viennent jouer de l’argent. Il est jouer signifie il joue
régulièrement… ou simplement il est enclin à jouer, il pourrait facilement s’y laisser
prendre… Mais bien sûr il y a des degrés dans cette inclination…. Tout jouer n’est pas
flambeur… Et par flambeur, on entend celui qui joue gros jeu… Car le verbe flamber qui
signifie depuis longtemps dépenser beaucoup, a signifié auparavant jouer gros jeu..
Pourquoi ? Parce que être flambé voulait dire être ruiné, et en particulier s’être ruiné au
jeu. Mais aussi parce que le flambeau pendant longtemps a été le nom des jeux d’argent.

CASSEURS
Par: Yvan Amar

« Sarkozy ressort la loi anticasseurs ». C’est le titre du quotidien Libération d’hier, qui
fait réentendre un néologisme, un mot inventé dans les années 70 : anticasseurs… Et le

210
mot était né avec cette loi du 8 juin 1970, abrogée en 1981, et directement issue des
événements de mai 68 et de l’agitation étudiante endémique qui avait suivi durant
quelques années. Ce nom officieux, bien sûr, mais largement popularisé à l’époque, avait
beaucoup fait pour établir dans l’usage le mot de casseur, qui lui existait déjà avant.

Qu’est-ce qu’on appelle un casseur à la fin des années 60 ? C’est celui qui commet des
déprédations au cours d’une manifestation publique. Des déprédations ? C’est-à-dire qu’il
abîme, qu’il détériore, qu’il brise… Qu’il brise quoi ? Ce peut être une vitrine, une cabine
téléphonique, une voiture… un peu tout et n’importe quoi, il est vrai… tout ce qui se
trouve dans la rue à portée des manifestants qui expriment ainsi leur rage, leur colère, leur
exaspération, en s’en prenant tout autant au mobilier urbain, à des propriétés publiques
qu’à des biens privés. Un geste, donc, qui est fait pour donner corps à une fureur, mais
aussi qui est fait pour être vu, ou tout au moins pour laisser une trace. Pour manifester
comme on dit… Et ces « casses » s’opéraient dans le cadre de manifestations politiques
ou sociales, collectives en tout cas, où tout un groupe manifestait. C’était, d’ailleurs,
l’une des dispositions les plus contestées de cette loi anticasseurs que d’engager une
responsabilité collective : un individu pouvait être tenu responsable de faits commis lors
d’une manifestation du fait d’avoir participé à cette manifestation au moment même où
les actes étaient commis.

On voit bien donc que ces mots de casseurs et d’anticasseurs on été imaginés par ceux qui
voulaient lutter contre ces manifestations et rétablir l’ordre sans états d’âme : ces mots
sont marqués par le pouvoir de l’époque, et on se rappelle les slogans tels que « les
casseurs seront les payeurs ! ». Quand on emploie ce mot de casseur, c’est qu’on veut
casser du casseur : on utilise une sorte d’effet boomerang, d’effet symétrique, qui
préfigure déjà la fameuse formule de Charles Pasqua, « nous allons terroriser les
terroristes…»

L’image du mot « casse » est assez différente de celle du mot « casseur ». Ce mot, un peu
familier, est toujours vague : il évoque une dégradation consécutive à une certaine
violence… des dégâts quoi ! Mais, souvent, des dégâts inévitables ou en tout cas qu’il
faut accepter : gare à la casse dit-on. Ou après une opération, voire une bataille: il n’y a
pas eu trop de casse : c’est-à-dire « on n’a pas à déplorer trop de pertes…» Mais on sent
bien qu’on les met les pertes dans un des plateaux de la balance, qu’on les compare avec
les gains…

Quant au verbe casser, lui, il a presque toujours, au sens figuré, un sens vraiment violent :
c’est détruire de façon définitive. Non pas neutraliser, mais anéantir : casser un
mouvement de grève, et non négocier. Ou l’expression figée, un peu langue de bois «
casser le service public », formule très syndicale qui évoque les appétits supposés de
l’industrie privée de démolir les patients acquis du secteur public (Poste, SNCF, écoles
publiques, etc.)

CASSEURS ET VANDALES
Par: (pas credité)

211
Les lycéens attirent les casseurs - pas toujours, mais ça s'est produit
récemment, lors des manifestations lycéennes. Les casseurs, c'est-à-dire
ceux qui cassent, qui -à la faveur d'une manifestation revendicative-
brisent des vitrines ou brûlent des voitures. Ce sont en général les fins
de manifestations qui sont les plus propices à ce qu'on considère souvent
comme des débordements " d'éléments incontrôlables " . Pour le coup, ça
s'est passé avant l'heure prévue pour le rassemblement, et ça montre bien
que casseurs et manifestants appartiennent à deux populations différentes.
Le terme de casseurs dans ce sens apparaît au début des années 70, et il
est même entériné par la loi dite anticasseurs (juin 70 - souvenez-vous
de la formule : les casseurs seront les payeurs).

Casseur est à peu près synonyme de vandale, si ce n'est que les vandales
ont une activité moins systématiquement collective, et moins liée à la vie
politique. Toutefois, casseurs et vandales saccagent ou détériorent des
biens, publics ou privés sans raison apparente, et de façon gratuite. La
gamme est assez étendue, depuis le noircissage des dents des belles filles
sur les affiches, jusqu'aux incendies volontaires, en passant par
l'arrachage des fleurs des jardins publics. Même si le pillage est parfois
au bout du chemin, la plupart de ces actes donnent l'impression d'une
violence gratuite, et ils expriment souvent, de façon brute leur colère et
leur frustration. Le vandalisme n'est donc pas sans signification.
C'est l'Abbé Grégoire, sous la Révolution, qui a répandu l'usage du mot
vandale, et de son corréla vandalisme, pour désigner et stigmatiser
l'attitude de certains révolutionnaires à l'égard du patrimoine artistique
et religieux. Le mot existait auparavant, mais avec le sens vague de
pillard, voleur, etc.

Mais, son origine est bien plus ancienne. Les vandales formaient un peuple,
souvent associé aux Goths, Ostrogoths, Wisigoths… tous ceux qu'on a
appelés les barbares et qui déferlèrent sur l'Europe du sud-ouest pour
mettre à sac l'Empire Romain décadent.
Pour les Romains, c'étaient déjà de vieilles connaissances : Pline puis
Marc-Aurèle ainsi que Tacite, en font mention. Venus des bords de la
Baltique, ils s'étaient installés en Dacie, avant de pousser vers la Gaule,
l'Italie, et l'Afrique du Nord…
Pourquoi cette réputation de déprédateur ? En 455, les vandales s'étaient
emparés de Rome, avaient pillé la ville, puis commencé à persécuter les
premiers Chrétiens.
Si le mot vandale reste aujourd'hui à la limite du langage familier,
vandalisme appartient surtout au jargon administratif : "des actes de
vandalisme ont été commis".

CATALYSEUR

212
Par: (pas credité)

Ce mot de "catalyseur" ou le verbe "catalyser" semblent être le plus souvent employés


dans un sens précis, différent de leur sens d'origine.

A propos, par exemple, des conditions de travail qui, c'est vrai, semblent se détériorer,
des conducteurs de bus ou de métro, on entend régulièrement dire que le dernier incident,
même anodin, souvent grossi, déformé, voire inventé par la rumeur, a catalysé le
mécontentement et donc provoqué une grève surprise, un débrayage imprévu.

Alors quel est ce premier sens de ce mot savant ?


"Catalyseur" appartient au vocabulaire de la chimie, apparaît en 1836 sous la plume de
Jakob Berzelius, chimiste suédois. Un "catalyseur" intact, une fois la réaction opérée. Il
n'est donc pas exactement partie prenante dans les opérations, mais il les déclenche. Et le
mot s'utilise aujourd'hui dans des contextes différents, et pas nécessairement politiques, ni
publics : "Leurs difficultés financières ont été le catalyseur de leur séparation".

On se sert presque du mot au sens de révélateur, de cause accidentelle, presque de


prétexte... comme une sorte de phénomène superficiel qui mettrait à jour quelque chose
de plus profond, mais jusque-là invisible.

Des synonymes ?

Le "déclencheur", une image mécanique dont l'emploi est voisin. Mais le "déclencheur"
est la première étape, même minime, de la série d'événements déclenchés : il n'a pas ce
caractère un peu magique du "catalyseur" qui ne participe pas vraiment à l'action.

Dans le même genre, on a "déclic", mais dont l'image est souvent positive : levée d'un
blocage, d'une inhibition, d'une amnésie ("J'étais sûr de connaître cette grande brune, dans
la file du téléski, mais... Et perplexe, je continuais de la fixer... Et elle, agacée, à la fin :
"Mais qu'est-ce qu'il veut le monsieur ?" Ça a été le déclic : c'était ma crémière".

On terminera avec deux images : la goutte d'eau (qui fait déborder le vase) et l'étincelle
(qui met le feu aux poudres).
On a l'idée d'une série de petits faits qui, progressivement, se sont accumulés, empilés
sans produire d'effets spectaculaires, jusqu'à ce que...

CAUSE TOUJOURS...
Par: Yvan Amar et Anne-Cécile Bras

« Cause toujours… » C’est le titre d’un film de Jeanne Labrune qui vient de sortir en
France, et reprend avec, à propos, une expression assez courante, un peu vieillie
d’ailleurs… Et dont la formule complète est « Cause toujours, tu m’intéresses… » Phrase
ironique qui signifie « Tu peux toujours parler, je ne t’écoute pas… » mais qui signifie

213
surtout « Je ne ferai pas ce que tu veux que je fasse, je ne tiendrai aucun compte de ce que
tu me conseilles de faire, ce que tu me demandes de faire… »
« Couvre-toi bien, mon chéri, ne prends pas froid… Fais attention en traversant… Ne
parle pas à des inconnus… N’accepte pas de cadeaux de ceux que tu ne connais pas…
- Cause toujours, tu m’intéresses ! »
Phrase familière, bien sûr, et peu aimable.

« Causer » est un vieux mot français dont le sens principal est s’entretenir avec
quelqu’un, discuter… Le mot est, bien sûr, relié au mot cause, qu’il faut comprendre dans
son sens juridique : une cause est un procès. Causari, en latin, signifie plaider. Et, en
ancien français, causer signifie faire comparaître quelqu’un en justice, plaider, et par
extension, raisonner, expliquer.
Ce sens est totalement oublié du français moderne, qui utilise ce verbe dans le sens
général de discuter. Le mot était plus utilisé jadis. Il est plutôt en perte de vitesse, mais
encore bien présent dans la langue d’aujourd’hui. « Asseyons-nous et causons, comme dit
Monseigneur le Cardinal… » est une phrase bien significative du style d’Alexandre
Dumas…
Mais au XXème siècle, le verbe a acquis une réputation un peu peuple. On le disait
vulgaire. Et surtout, on ne se privait pas de montrer du doigt une tournure incorrecte, et
très courante : causer à quelqu’un… sur le modèle de parler à quelqu’un… Or, il faut dire
« causer avec quelqu’un »... L’expression « causer à quelqu’un » est donc devenue
symbole de la faute de français populaire, faite par celui qui n’a pas assez fréquenté
l’école (« Je t’ai pas causé à toi… » « Eh, là, on vous cause quand même ! ». « Je lui
cause plus à lui : c’est plus mon copain ! »
D’ailleurs, ce mot de causer est souvent associé à un bavardage excessif. On n’est pas
loin du « parler pour ne rien dire… » et on frôle le caquetage incessant… « Tu causes, tu
causes, c’est tout ce que tu sais faire… »

Deux substantifs en sont issus, eux aussi, un peu vieillots : « causette » (un brin de
causette, c’est-à-dire quelques mots échangés ; une conversation banale, imprévue,
spontanée…)
Et « causerie », peu usité également qui évoque une conversation familière, à l’ancienne.
Souvenons-nous des causeries au coin du feu dont Pierre Mendès-France avait fait un
instrument de communication politique.

CAVALE
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

E.LATTANZIO : Vous vous souvenez de l'actualité récente : la


cavale de Khaled Kelkal s'est tragiquement terminée. Un peu plus
loin de nous la cavale de Mesrine s'était terminée de façon
également tragique.

214
Y.AMAR : L'un comme l'autre sont tombés sous les balles des
policiers; c'est ça qui a mis fin à leur "cavale". Qu'est-ce que
c'est que ce mot familier mais très employé ?

E.LATTANZIO : Il est en particulier très employé dans le


vocabulaire journalistique et donc il est sorti du strict argot
des malfaiteurs. Néanmoins, il reste familier, ce qui est assez
remarquable dans la mesure où il n'a pas de synonyme.

Y.AMAR : Pas de synonyme dites-vous ? En effet, cavale a un sens


assez différent de fuite ou d'évasion. La fuite ou l'évasion
désignent le fait qu'un prisonnier fausse compagnie à ses
geôliers. On scie les barreaux, on se fait passer pour mort, comme
Edmond Dantès dans le Comte de Monte-Cristo. Ou bien un
hélicoptère vient vous chercher, ce fut le cas il y a quelques
années. Mais un fois l'évasion réussie, on est recherché. La
clandestinité à laquelle est contraint le fuyard, le fait de
devoir fuir toujours et s'échapper sans cesse, cet état qui dure,
même si c'est plus ou moins long, c'est ça qu'on appelle une
cavale.

E.LATTANZIO : Le mot vient bien sûr du vocabulaire équestre. Au


départ une cavale était une jument de race. Mais l'expression
"faire cavale" est apparue assez vite pour signifier "s'enfuir".
"En cavale", sur le modèle d'"en fuite" apparaît après. Et c'est
plus récemment qu'on a utilisé ce mot comme un nom commun : "la
cavale".

Y.AMAR : Systématiquement, on parle de la "traque". Ce mot est


également familier et sonne de façon un peu similaire. Il désigne
tout le système qui est mis en place pour arrêter le fuyard et il
dérive du verbe "traquer", de même que cavale évoque le verbe
"cavaler".

E.LATTANZIO : Est-ce que celui qui est en cavale est un "cavaleur"


? Non ! Ce mot existe mais le cavaleur est un coureur de femmes,
ce qui s'explique à travers l'un des sens un verbe cavaler :
cavaler veut dire courir très vite. On dit aussi "se cavaler" qui
signifie "partir à toutes jambes". Mais dans un langage encore
plus familier et vulgaire, "cavaler les filles" ou "cavaler
derrière les filles" est une version de l'expression "courir les
filles", être à l'affût des aventures amoureuses.

Y.AMAR : C'était Parler au Quotidien, une émission proposée par le


Centre National de Documentation Pédagogique ...

E.LATTANZIO : ... Et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.

CEINTURE
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

215
Avec les vacances qui se rapprochent, et les grandes migrations qu’elles entraînent,
reviennent les conseils de prudence sur les routes et en voiture. L’inventivité n’a pas
manqué : « Un petit clic vaut mieux qu’un grand choc… » En particulier, les injonctions
de boucler sa ceinture de sécurité. Aucun slogan n’a encore dit « bouclez-la ! ». Ça serait
mal venu.

On a aussi évité « Ceins-toi »… Parce que le verbe ceindre n’est pas si fréquent, qu’il
sonne de façon un peu archaïque. Mais aussi parce que le pluriel en serait « Ceignez-vous
», slogan encore plus malheureux, dans la mesure où il évoque davantage saigner que
ceindre.
Ceindre est donc un vieux mot , qui vient du latin cingere, signifiant entourer. Et, en
particulier, s’entourer. Et assez vite, le mot, même s’il a donné ceinture, s’est spécialisé
dans des emplois plutôt nobles, et symboliques : on ceint l’épée… ce n’est pas qu’on
s’entoure de l’épée, mais on le porte, et on s’entoure du dispositif, du baudrier qui la
retient. D’ailleurs, on ne se ceint pas uniquement la taille : on peut ceindre une couronne,
une tiare, un diadème – dans un langage ancien… Et plus récemment, on a ceint l’écharpe
municipale, celle qui symbolise l’autorité et le prestige du maire.

Quant à la ceinture… elle aussi a plus d’un tour dans son sac, et plus d’un sens à ses
passants. On trouve le mot dans des expressions diverses, sans grand rapport les unes
avec les autres : se serrer la ceinture veut dire se priver par nécessité, par manque
d’argent… vivre chichement, par la force des choses, se priver du superflu… et même
parfois du nécessaire : quand on se sert la ceinture, c’est littéralement qu’on maigrit, faute
d’avoir suffisamment à manger… Alors, on passe au trou suivant.

A l’inverse, on se souvient du proverbe, parfois encore utilisé : bonne renommée vaut


mieux que ceinture dorée…. Une bonne réputation est préférable à l’aisance matérielle, à
la richesse. Mais pourquoi, dans ce proverbe moralisateur, c’est la ceinture qui est dorée,
pourquoi la ceinture est-elle le signe extérieur de la richesse ? Il faut se souvenir que la
ceinture tenait lieu de bourse.

CENT
Par: (pas credité)

La mise en place de l'euro fait resurgir la polémique sur l'appellation non


de cette monnaie, mais de son fifrelin - je veux dire de sa fraction.
Comment prononcer ? Voilà déjà un problème épineux et les francophones
répugneront pour le principe à prononcer "à l'anglaise", en faisant
sonner le cent comme la centième partie du dollar. C'est bien
compréhensible, d'autant que seul un pays de l'eurolande, l'Irlande est de
langue anglaise. Mais, ce mot pourra sans dommages être prononcé à peu près
de cette façon pour les Néerlandais, les Allemands, etc. Pour les Français,
l'affaire est différente.

216
On a en fait un triple écueil : le mot est homonyme de monnaie déjà
existante (Etats-Unis, Pays-Bas…), la prononciation pose un problème,
enfin le mot en français est homonyme du nombre cent.
Et cette dernière question est multipliée du fait que le nombre comme
l'unité monétaire se comptent et se multiplient eux-mêmes : "Puisque c'est
vous, Madame Lattanzio, je vous les fais à cinq cents…". Vous imaginez le
casse-tête.

L'Académie Française, jamais avare de conseils sentencieux s'est donc


saisie de la question et a proposé comme unité le centime - le centime
d'euro, bien sûr. Ça vaut ce que ça vaut - à mon avis pas cher. L'ambiguïté
subsiste avec un même mot pour deux unités différentes. Mais le problème
c'est vrai, valait qu'on le soulève et de toutes façons l'autorité de
l''Etat, qu'elle soit politique, économique ou linguistique a toujours eu son
mot à dire sur ces questions. Le centime n'est-il pas fils de la
Convention, porté par elle sur de laïques fonds baptismaux le 24 août 1793,
avec leurs grands frères les décimes ?

Ce préfixe centi-, moteur sémantique de mot centième, a de toutes façon été


omniprésent dans le vocabulaire décimal de la Révolution (centimètre,
centilitre, centigrade, etc.). Voilà pour le centime, mais revenons au cent,
ce mot aux usages multiples.
Bien que ce soit un peu vieillot, on l'utilise encore comme nom commun pour
désigner un ensemble de cent unités : un cent d'œufs, un cent de bûches.
Mais c'est peu courant. La différence entre le cent et la centaine est donc
d'usage, mais aussi de précision : un cent est toujours précis, alors
qu'une centaine de bûches renvoie à une estimation approximative. Mais
attention, c'est encore une question de contexte. L'article défini peut
venir préciser le nombre. Si je dis : "le père Duisenberg vend ses bûches
cinq euros la centaine", il ne s'agit plus du tout d'une évaluation à la
louche.

Il n'empêche : cent évoque souvent la simple idée du grand nombre, en


particulier dans de vieilles expressions toutes faites : les quatre cents
coups, les cent pas… Exactement comme mille : "j'étais à cent lieues, ou à
mille lieues de me douter que"… Et on trouve cette équivalence clairement
présentée dans l'expression : "il gagne des mille et des cents".
S'il nous reste encore quelques secondes, on pourra évoquer l'étrange
destin de l'expression pour cent. Mathématique au départ, elle a évolué
dans le langage courant : cent pour cent veut dire complètement ("je suis à
cent pour cent d'accord avec vous" - et même par exagération plaisante : "je
suis à cent cinquante pour cent d'accord".

CENTIMES ET SOUS

217
Par: (pas credité)

Opération « pièces jaunes » organisée par les Hôpitaux de Paris. On comprend de quoi il
s’agit : chacun mettra de côté, chaque fois qu’il y pensera des pièces jaunes, c’est-à-dire
des pièces de peu de valeur : 5, 10, 20 centimes. Son train de vie n’en sera nullement
modifié, mais l’amas de toutes ces pièces jaunes constituera une somme non négligeable,
versée aux Hôpitaux... Dans les systèmes français actuels, ces pièces jaunes sont donc
celles qui ont le moins de valeur. On voit que les images changent, puisque jadis les «
jaunets », c’étaient les pièces d’or, celles qui valaient beaucoup, au contraire. Mais, les
unités monétaires ont souvent des subdivisions qui évoquent dans l’inconscient collectif,
et dans de multiples expressions, ce qui ne vaut pas cher. Le « centime » n’est peut-être
pas assez vieux pour tenir cette place, bien qu’il date de la Révolution, et que parfois on
l’emploie dans les mêmes circonstances que sou (« Je n’ai plus un centime, ça ne vaut pas
un centime). On verra qu’il en sera de « cent », centième du futur euro. Mais le denier ou
le sou sont bien plus riches et plus évocateurs.

Le « denier » n’évoque ni une monnaie récente, ni même une monnaie française (bien
qu’elle le fût), mais plutôt l’Antiquité, et les « trente deniers », prix de la trahison du
Christ. Il n’est donc pas si étonnant de le retrouver dans des expressions religieuses, avec
souvent le sens d’obole, de don gratuit : « denier de Saint-Pierre » (destiné à la Papauté),
« denier du culte », dons des fidèles destinés à subvenir aux besoins des prêtres depuis
qu’ils ne sont plus rétribués par l’Etat.

Ce qui est paradoxal car le « sou », au départ, dérive de « solidus » en latin, qui
correspond au français massif, pur.

Et les premiers sous sont d’or chez les Romains, puis les Mérovingiens. Ensuite, on en
fait en argent, puis en cuivre, et le sou ou le sol, puisque les deux formules cohabitent,
finit par se dévaluer terriblement. Il vaut un douzième de livre, et sous la Révolution,
même s’il survit au système décimal, il ne vaut pas plus de cinq centimes. Il gardera très
longtemps cette valeur, même fantomatique, alors qu’aucune pièce ne l’atteste plus. Mais,
il y a quelques années, on parlait encore de pièces de vingt sous, de quarante sous, de cent
sous, après avoir parlé des « petits sous » (cinq centimes), et « des gros sous » (dix
centimes).

Le mot est encore très employé dans de nombreuses expressions familières, pour évoquer
par exemple la pauvreté : « je suis sans le sou », « je n’ai pas un sou ». Mais aussi pour
évoquer le compte avaricieux de son pécule : « être près de ses sous », « une fortune
amassée sou après sou ».

Le mot est également une métaphore familière et à la manière enfantine, de l’argent, quel
qu’en soit la quantité.

« Ça vaut beaucoup de sous », « c’est une affaire de gros sous » (avec un sous-entendu,
méprisant, voire suspicieux).

218
Enfin, les sous, lorsqu’il n’y en a pas ou peu, servent simplement à exprimer une négation
renforcée et expressive. « Ça ne vaut pas un sou » ; il n’est pas psychologue pour deux
sous.

CERCLE
Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 7 SEPTEMBRE 2001

On connaissait le « cercle vicieux » – expression ancienne, qui désigne un enchaînement


pervers de causes et de conséquences qui, chaque fois, aggravent une situation : plus ça
me gratte, plus je me gratte, et donc plus ça me gratte…

Mais, le « cercle vertueux », ça vient de sortir. C’est une expression forgée de façon
inversement symétrique sur la précédente, qu’on utilise en économie, pour parler d’une
conjoncture favorable, et même d’un enchaînement positif et cumulatif de bonnes phases
: plus ça va, mieux ça va, et mieux ça va, plus ça s’améliore (on ne voit pas pourquoi ça
s’arrêterait…).

Alors, l’image du « cercle » est un peu bizarre, car il s’agit d’une situation évolutive, et
non d’une situation qui se mord la queue. On aurait pu donc penser que la spirale
convenait mieux.
Mais, cette image du « cercle » désigne aussi un réseau : on parle d’un « cercle d’amis ».
Souvent, on parle aussi d’un « cercle » très fermé – ce qui est étonnant : un « cercle » est
nécessairement fermé, sinon ce n’est plus un « cercle ». Mais, dans cette circonstance, le
« cercle fermé » est un cercle sélectif, où l’on entre difficilement. Un « cercle » est
d’ailleurs également un club privé : « ce soir, je dîne à mon cercle ».

Et si l’on veut « élargir le cercle », on fait référence à une situation imaginée de gens qui
se parlent en formant un « cercle » : on l’élargit dès qu’on admet une personne de plus.

CEREALES
Par: (pas credité)

"Au petit déjeuner, un grand bol de "corn flakes", et je suis en forme pour toute la journée
!"

"Corn flakes" : "odieux" anglicisme rentré dans la langue française, tout comme la rentrée

219
dans l'alimentation des Français qui ont troqué au petit déjeuner la traditionnelle tartine
de pain beurrée pour ce qu'on traduit joliment en français par des "pétales maïs".

Car les "corn flakes" sont en effet à base de maïs, c'est-à-dire de "céréales". Les
"céréales" sont redevenues à la mode dans l'alimentation de l'homme moderne et si on les
consomme sous forme de "pétales" ou sous des formes les plus improbables, ("céréales"
pour enfants), elles sont extrêmement anciennes et ont longtemps constitué la base de
l'alimentation humaine.

Le mot "céréale" lui-même vient de loin. En ancien français, c'est sous la forme d'un
adjectif qu'il apparaît et il désigne tout ce qui est relatif au blé. Il vient du nom propre
Cérès qui était le nom latin de la déesse des moissons. Il ne prend son sens moderne qu'au
XVIIIème siècle. Il a donné à son tour l'adjectif "céréalier" qui renvoie à la culture des
"céréales".

Les "céréales" sont, pour la plupart, des plantes dont les grains peuvent servir à
l'alimentation des hommes et des animaux domestiques. Parmi les plus connues le blé,
cultivé en France à date très ancienne. Mot dont l'étymologie reste obscure. (Rien à voir
avec "produit d'un champ"). En ancien français, "blé" désignait non seulement le "blé"
mais aussi "champ de blé". On entend d'ailleurs encore ce sens dans le mot "déblayer",
qui, à l'origine, signifiait "enlever le blé du champ" et d'où sont dérivés les substantifs
"délayement" et "déblai", sur lesquels on a forgé parallèlement "remblayer" et "remblai".

Le mot latin qui désignait le blé, "fromentum" n'a pas été totalement évincé par le mot
germanique, blé, il a donné "froment". Il est difficile de définir nettement les rapports
entre le blé et le froment. Ce dernier apparaît comme un synonyme littéraire de blé, mais
désigne aussi une meilleur qualité de blé (farine de froment).

La plupart des autres noms de "céréales" consommées en France viennent du latin. Le


"seigle", par exemple, que l'on trouve dès le XIIIème siècle et qui redevient à la mode
avec le pain de seigle issu du latin "secale", littéralement "ce qu'on coupe". Très répandus
aussi, l'orge et l'avoine, le mil.

Mais bien des "céréales" sont d'origine exotique, et leur nom garde cette empreinte
exotique. Le "sarrasin" par exemple : il fait son apparition au XVe siècle, et son nom n'est
autre que le nom du peuple. Le mot latin "Sarraceni" (d'où est issu "Sarrasin") désigna
d'abord un peuple de l'Arabie ; puis il a été étendu au haut Moyen Age, à tous les peuples
de l'Orient de religion musulmane. Le nom a été donné à la "céréale", peut-être à cause de
son origine orientale, peut-être à cause de la couleur foncée de son grain, qui lui valu
aussi le nom de "blé noir".

Le "maïs", lui, a été importé d'Amérique au début du XVIe siècle. Il porte le nom que lui
ont donné les Espagnols, emprunté par ceux-ci à la langue d'un peuple indigène de l'île
d'Haïti. Cette dénomination propagée sans doute par les agronomes, a évincé les noms
populaires de "blé de Turquie", "blé d'Espagne".

220
Le "riz" est mentionné depuis le XIVe siècle sous la forme "ris". C'est un emprunt à
l'italien "riso", issu du latin "oryza" lui-même emprunt d'un mot grec d'origine orientale.
Le "Z" qui termine le mot français sert surtout à distinguer "riz" des divers mots "ris",
parmi lesquels le "ris de veau".

Aujourd'hui, les "céréales" sont à la mode : "pain 7 céréales", "pain complet", "barre
céréales", etc. Le mot s'emploie sans plus de précision pour désigner les mélanges de
"céréales" que l'on mange, par exemple, au petit déjeuner : flocons d'avoine, pétales de
maïs, müesli…

CERVEAU
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Un cerveau d’Al Qaïda arrêté par les autorités américaines. C’est ainsi que certains
journaux français ont rendu compte de l’arrestation, il y a quelques jours de Ramzi Ben
Al Shaïda au Pakistan. Et dire de lui qu’il est un cerveau, c’est envisager qu’il fait partie
de l’Etat-major de l’organisation terroriste, qu’il est un de ceux qui élaborent et mettent
en œuvre sa stratégie.
Le mot cerveau dans cet emploi n’est pas récent : on peut presque le dater et remonter
alors au milieu des années 60, à la fameuse attaque du train postal en Angleterre. Le fait
divers avait marqué l’époque : une bande organisée avait réussi, avec une précision toute
militaire a arrêté et dévalisé un train qui convoyait une énorme somme d’argent.
L’attaque avait été minutieusement préparée et exécutée. Après, il faut bien dire que les
choses s’étaient gâtées, et la plupart des malfaiteurs s’étaient fait prendre assez vite. Mais
le chef de la bande n’avait pas été repéré tout de suite, et les journaux l’avaient appelé «
le cerveau ». Ce qui renvoie à l’idée d’une intelligence calculatrice, froide, et qui ne se
mêle pas d’exécution.
Mais le mot renvoie parfois à une simple idée d’intelligence scientifique : on a parlé de
fuite des cerveaux quand les chercheurs désertaient certains pays pour être accueillis dans
d’autres, où on leur offrait de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail.
Et ne confondons pas le cerveau avec la cervelle. Au figuré, cette dernière, au lieu
d’évoquer l’intelligence, évoque toujours l’étourderie ou la sottise : tu n’as pas de
cervelle… cervelle d’oiseau, de linotte. Quant à se brûler la cervelle, c’est ce qu’on ne
fait qu’à la dernière extrémité.

CESAR
Par: (pas credité)

Nom propre devenu nom commun et racine de plusieurs mots dérivés


en raison de la personne et de la conception du pouvoir qui lui
est attachée.

221
Jules César est considéré comme le fondateur de la monarchie
impériale romaine. En effet, après avoir un temps constitué une
triumvirat avec Pompée et Crassus, il obtient le gouvernement de
la Gaule cisalpine (Italie du Nord) et de la Narbonnaise (la Gaule
méridionale). C'est de là qu'il entreprendra la conquête de la
Gaule entière. Après cette victoire, sa rivalité avec Pompée le
conduit à la guerre civile. Vainqueur définitif en 1945 des
dernières résistances, il manoeuvre alors pour garder le pouvoir.
Nommé plusieurs fois consul, il est également dictateur à
plusieurs reprises, avant d'être nommé dictateur à vie en Février
1944.

César, fort de ses victoires militaires et du soutien de la plèbe


(il était chef du parti populaire) projetait semble-t-il de se
faire nommer roi mais la royauté était honnie à Rome, donc César
reste César. D'où "césarisme" : méthode de gouvernement héritée de
César, fondée sur deux principes : le pouvoir de l'armée acquis
par des victoires militaires, la démagogie fondée sur le
clientélisme, le soutien de la "plèbe", la partie populaire de la
société, la foule. D'où le rapprochement qu'on a pu faire en
France avec le "bonapartisme".

Ce n'est qu'après la mort de Jules César que le mot va devenir un


titre lié à une fonction : les empereurs romains (imperators, mais
c'est là une autre histoire) seront des Césars. Cf. Vie des douze
Césars.

A partir de Doclétien (286), l'empire est devenu trop vaste pour


être gouverné par un seul homme. Doclétien choisit de confier la
partie orientale à un "Auguste", tandis qu'il s'associe en
Occident un aide : un "César". L'Auguste d'Orient fera de même.
Ainsi naît la "tétrarchie", mode de gouvernement de l'Empire
finissant, composée de deux augustes qui s'associent deux césars
(cf. le groupe des "tétrarques", en pierre rouge, incrusté dans la
façade de la basilique de Saint-Marc à Venise, rapporté par les
croisés du sac de Constantinople, capitale de l'Orient, et
figurant les tétrarques de l'Empire). Ceci permettra à l'Empire
d'Orient de survivre à celui d'Occident, jusqu'en 1453 (date de la
conquête turque).

Postérité du sens précédent : "tsar" qui se disait czar. Ce mot


est d'origine bulgare : il est utilisé en 919, par Syméon de
Bulgarie qui se proclame czar et veut affirmer son indépendance,
rivalisant avec l'empire Bysantin. Après son échec, le titre sera
repris par les rois de Bulgarie entre 1187 et 1396. En Russie, le

222
titre, plusieurs fois introduit, ne s'impose qu'avec le fameux
Ivan le Terrible en 1547, qui se fait introniser tsar dans
l'église de l'Assomption du Kremlin (encore existante). Par souci
de modernisme, Pierre le Grand lui substitue le titre
d'"imperator"! mais le mot tsar se maintient dans le langage
courant avec les termes de tzarine (épouse) et tsatévitch
(héritier) jusqu'en 1917.

NB : Anecdote sportive : A l'époque de l'Union soviétique, un


athlète spécialiste du saut à la perche, Serguei Bubka, actuel
détenteur du record du monde du saut à la perche, six fois
champion du monde, avait été surnommé le "tsar". On continue à
l'appeler ainsi (il est toujours en activité) bien que, depuis, il
ait retrouvé sa nationalité d'origine : Ukrainien...

Dernier avatar de César, le mot "kaiser" qui en dérive, et


signifie empereur en allemand. Le mot a été utilisé en français
entre 1870 et 1918, et s'est particulièrement appliqué à
Guillaume II.

C'EST DE MA FAUTE
Par: (pas credité)

"C'est pas ma faute"… Titre d'un film qui honore en ce moment les écrans français…
Mais est-ce une faute de dire "c'est pas ma faute" ? Oui, disons-le franchement ; c'est une
syntaxe relâchée et familière qu'on rencontre à l'oral bien plus qu'à l'écrit. Il faudrait dire
pour être correct : "ce n'est pas de ma faute". L'usage de la préposition est obligatoire. Le
plus curieux de l'affaire est que la norme correcte s'est inversée avec le temps. En français
classique, en effet, la préposition non seulement n'est pas obligatoire mais elle était
considérée comme fautive - du bas langage comme on disait - mais cette manière de
parler a fini par se généraliser plus ou moins, et l'emporter : la règle a changé.

Peut-on dire qu'il reste une trace dans une sorte de français d'église, traduit du latin
d'église ? Il s'agit de la prière mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa,
traditionnellement traduite par "c'est ma faute, c'est ma faute, c'est ma très grande
faute"… Il s'agit plus d'une traduction spécifique que d'un souvenir de l'ancienne syntaxe,
dans la mesure où le sens est un peu différent : il ne s'agit pas de désigner une
responsabilité, sens de l'expression actuelle c'est de ma faute - "ce sera de ta faute si on
rate le train" = "ce sera à cause de toi" - mais plutôt de montrer la faute elle-même, voici
ma faute, en quelque sorte, pour la reconnaître (et l'expier ? Dieu ! expie-t-on jamais une
faute originelle…). D'ailleurs le latin, sans verbe, est mille fois plus elliptique et
expressif. A tel point d'ailleurs que cette expression latine est passée en français avec un
sens affaibli et spécifique : faire son mea culpa, c'est reconnaître qu'on a eu tort, regretter
publiquement qu'une action ou une attitude n'était pas fondée.

223
Si nous revenons à l'expression actuelle courante, on remarque qu'elle est en concurrence
avec une autre forme considérée comme incorrecte : celle qui sait utilise la préposition à
au lieu de la préposition "de" : "c'est la faute de ma mère". L'exemple typique de la faute
de français.

Rappelons pourtant que c'est un trait du langage populaire fort ancien, et que tout
populaire qu'il soit, il a acquis des lettres de noblesse, en particulier grâce à un refrain
célèbre, "c'est la faute à Voltaire", "c'est la faute à Rousseau", rendu plus célèbre encore
par Victor Hugo qui le fait chanter par Gavroche juste avant sa mort : "Je suis tombé par
terre, c'est la faute à Voltaire, le nez dans le ruisseau, c'est la faute à Rousseau".

Cette tournure a donné lieu à quelques expressions toutes faites, familières elles aussi :
"c'est la faute à personne, c'est la faute à pas de chance"…

Et étrangement, mise à la forme interrogative, elle ne remplace par aucune autre, et n'a
plus réellement de caractère familier ; "à qui la faute" ?

C'EST MA CROIX
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Y.AMAR : Nous sommes aujourd'hui le vendredi saint.

E.LATTANZIO : Et c'est un jour important dans le temps de la


passion : c'est cette période qui marque le supplice et la mort du
Christ. On parle donc de passion et on retrouve dans ce mot le
verbe "patior" qui en latin veut dire "souffrir". Et il s'agit
d'une souffrance subie ... Une idée qu'on retrouve dans les mots
passif, patient, etc ...

Y.AMAR : Le patient en effet souffre : il est malade puisqu'il va


chez le médecin. D'autres expressions sont sorties d'usage :
"souffrir mort et passion" qui voulait dire éprouver de grandes
douleurs ou de grandes contrariétés.

E.LATTANZIO : Vous savez que Jésus, condamné à être mis en croix,


a été obligé de porter sa croix jusqu'au lieu du supplice. D'où
les expressions "chemin de croix" ou "porter sa croix" ou même
"c'est ma croix", avec l'idée que l'on doit supporter une
situation particulièrement douloureuse. L'expression s'est
affaiblie, dans un langage qui n'est plus du tout religieux, elle
renvoie souvent à une situation terrible et apparemment injuste,
inexplicable.

Y.AMAR : Bien souvent, l'expression est employée ironiquement : si


votre secrétaire est très distraite et très paresseuse, je dirais
: "Ah, Marie-Céleste, c'est ma croix!"

E.LATTANZIO : Le lieu de la mise à mort du Christ, c'est le


calvaire et ce mot est aussi passé en français avec une

224
utilisation figurée. Un calvaire, c'est une situation éprouvante.
Marie-Céleste me fait éprouver un calvaire, prendre le métro aux
heures de pointe, c'est un calvaire ...

Y.AMAR : Là encore, l'expression est très affaiblie, par rapport à


la passion du Christ. Et le Christ avait gravi le Golgotha, la
colline au sommet de laquelle Jésus a été crucifié.

E.LATTANZIO : On a même parfois utilisé le verbe "golgother",


souffrir le martyr, verbe rare, employé par certains écrivains du
19ème siècle et qui est employé de façon ironique et fantaisiste.
Le mot, de nos jours, n'existe plus ... croyez bien que je le
regrette.

Y.AMAR : C'était Parler au Quotidien, une émission proposée par le


Centre National de Documentation Pédagogique ...

E.LATTANZIO : ... Et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.

Les programmes radio de RFI sont diffusés 24h/24 sur INTERNET.

Pour les écouter : WWW.FRANCELINK.COMM (service payant)

CHABADABADA
Par: (pas credité)

Y.AMAR : La convention nationale du PS a ratifié la


liste des 167 circonscriptions qui seront réservées à des femmes
candidates pour les prochaines élections importantes
(législatives, régionales, sénatoriales).

E.LATTANZIO : Il s'agit donc de faire une certaine part aux femmes


dans la vie politique. On sait qu'elles y sont sous-représentées ;
la féminisation n'est pas très avancée. Il est donc bien vu de
s'en préoccuper, mais on ne parle plus en ce moment des listes
"chabadabada" .

Y.AMAR : De toute façon, ça ne marchait que pour les scrutins par


listes, où l'on avait décidé, aux dernières municipales, de faire
alterner un homme et une femme sur toute la liste, pour, par
exemple, éviter de coller toutes les femmes en queue de liste, là
où on n'est jamais élu.

E.LATTANZIO : Un homme et une femme ... vous voyez ce que je veux


dire ... Pierre Barouh, Claude Lelouch, liste "chabadabada" ...

Y.AMAR : Au delà de la mixité, il faut donc envisager la parité.

225
E.LATTANZIO : "Mixte"! Ce mot seul évoque le mélange. Ne nous
montrons pas trop vite voluptueux : il est des mélanges de toutes
sortes. Est mixte ce qui est formé d'éléments appartenant à des
structures différentes. Le "mixte", vers 1250, c'était par exemple
ce repas rituel fait de pain et de vin à l'Abbaye de Citeaux,
mais on a aussi des sculptures mixtes : bois et cuivre, etc ...

Y.AMAR : Puis le mot s'est spécialisé pour les humains. En


particulier dans le sens "qui comporte des hommes et des femmes" :
école mixte, double mixte. Attention ! Un mariage mixte n'est pas
le mariage d'un homme et d'une femme mais celui d'un homme et
d'une femme de cultures ou d'origines différentes.

E.LATTANZIO : La parité c'est autre chose : c'est l'égalité dans


la mixité.

Y.AMAR : Parité vient de "par" (latin) = pareil, égal et le mot


parité, au départ, appartient au vocabulaire financier : parité
monétaire = égalité de valeur d'échange.

E.LATTANZIO : Assemblée, Commission paritaires : qui comprend un


nombre égal de représentants issus de deux ensembles différents ou
opposés.

CHAGRIN
Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 11 DECEMBRE 2001

Voilà un mot bien ancien, mais encore tout à fait employé en français d’aujourd’hui. Un
gros chagrin, par exemple, expression qui appartient souvent au vocabulaire enfantin…
Le chagrin évoque bien un sentiment de tristesse et ses manifestations. Avec quelques
spécialisations, comme le chagrin d’amour, expression convenue (et néanmoins fort
utile), qui a d’ailleurs des équivalents : on parle aussi de peines de cœur. Mais attention,
la nuance n’est pas exactement la même : le chagrin d’amour est un mot sérieux, voire
compatissant. Si l’on parle de peines de cœur, on est plus volontiers ironique. Non que
l’on considère que ces peines sont inventées… mais on les raille. D’ailleurs, le pluriel ne
correspond à rien de particulier : « Il a des peines de cœur » ne signifie pas spécialement
qu’il en a souvent, à répétition : le mot a valeur de singulier. Mais les expressions sont
figées : on ne parle pas de peine d’amour (ou rarement) : il est vrai qu’on a quand même
le titre de la pièce shakespearienne « Peines d’amour perdues ». Et on ne parle jamais de
chagrin de cœur…

226
Chagrin s’utilise parfois en tant qu’adjectif : être un peu chagrin, avoir un esprit chagrin.
Mais le sens n’est pas toujours le même : l’esprit chagrin voit toujours les choses en noir,
voit le mal partout et se désespère de toute chose. Et c’est plus une disposition d’esprit
qu’une tristesse dont la cause est précise. On dit également, en employant une expression
au féminin « avoir l’humeur chagrine ».

Terminons avec le verbe chagriner, d’un emploi peu fréquent, mais assez distingué…
parfois synonyme euphémistique d’ennuyer : « Ça vous chagrinerait de recommencer ce
travail ? »
Attention, ne pas confondre avec la peau de chagrin, celle dont parle Balzac, par
exemple, dans le roman du même nom. C’est là une réelle peau tannée, dont on se servait
en maroquinerie.

CHAIR
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Y. AMAR : "Chair à canon" ! Voilà une expression marquante pour


désigner les escadrons que les généraux ou les politiques
envoyaient tranquillement au front, se faire trouer la peau. Bien
sûr, l'expression est anti-militariste qui dénonçait le cynisme et
la froideur des gouvernants par rapport à la vie humaine.

E. LATTANZIO : Bizarrement, on dit que l'expression a été inventée


par Napoléon qui, pourtant, n'était pas vraiment anti-militariste.

Y. AMAR : On voit, en tout cas, que le mot "chair" a de nombreux


emplois. Souvent, il renvoie à un homme dépossédé de son humanité,
de sa dignité humaine.

E. LATTANZIO : Il y a aussi un emploi religieux qui oppose "la


chair" (le corps, la matière) à l'"esprit".Et quand on dit qu'on a
vu quelqu'un en "chair et en os", on accentue également cette
réalité matérielle. Je l'ai vu en chair et en os, c'est-à-dire :
je l'ai vu en personne. Ce n'était ni une photo, ni un leurre.

Y. AMAR : En langue classique, la chair, étrangement, désignait la


peau. Et, aujourd'hui encore, le mot renvoie à une couleur : celle
de la peau également.

E. LATTANZIO : "Bien en chair" signifie un peu gras, mais le mot


n'est pas forcément négatif. Pensez aux toiles de Rubans où l'on
voit des jeunes filles qui ne sont ni maigres, ni laides : elles
sont bien en chair...

Y. AMAR : ... Et ce mot fait encore référence à l'extérieur du


corps. Alors que parfois le mot renvoie au plus profond de l'être

227
humain. Souffrir dans sa chair, c'est souffrir physiquement,
matériellement ... pas seulement de façon intellectuelle.

E. LATTANZIO : Et de façon plus ironique, on parle de la chair de


sa chair pour parler de ses enfants. Ne nous quittons pas sans
évoquer le plaisir de la chair, le pêcher de chair, c'est-à-dire
la sexualité.

Y. AMAR : C'était "Parler au quotidien", une émission proposée par


le Centre National de Documentation Pédagogique ...

E. LATTANZIO : ... et par Radio France International.

CHAMBRE - HEMICYCLE
Par: (pas credité)

E. LATTANZIO : Après leur élection, les députés vont se réunir en


Assemblée nationale. Il leur faut pour cela un lieu. En France on
sait que c'est le Palais Bourbon, le Palais du Luxembourg étant le
lieu où se réunissent les sénateurs. Ils vont donc "siéger" à
l'Assemblée : certains vont "retrouver leur siège", d'autres vont
le découvrir.

Y. AMAR : Traditionnellement on appelait "Chambres" les deux


Assemblées, en référence au lieu où elles se réunissaient. On
utilise encore le mot pour certains pays étrangers, par exemple la
Grande-Bretagne, pour laquelle on utilise les termes de "Chambres
des Lords" et "Chambre des Communes" pour désigner les deux
instances. En France on a appelé "Chambre des députés" l'Assemblée
nationale. Du reste, la station de métro "Assemblée nationale"
s'est appelée "Chambres des députés" jusqu'à une date récente.

E. LATTANZIO : C'est M. Laurent Fabius, lorsqu'il a été Premier


ministre,qui a demandé le changement d'appellation pour mettre en
conformité cette dénomination avec la constitution, qui, depuis
1946 parle d'Assemblée nationale. C'est pourquoi le Président
dissout aujourd'hui l'Assemblée (et non la Chambre).

Y. AMAR : Cette appellation de Chambre explique certaines


expressions historiques, citons en deux : la "Chambre
introuvable", expression désignant l'écrasante majorité
ultra-royaliste de 1815, expression qui avait été utilisée par un
ministre pour indiquer le caractère incroyable, inimaginable de
cette Assemblée qui devait être dissoute l'année suivante.

E. LATTANZIO : La Chambre "bleu horizon", après la première guerre

228
mondiale qui fait référence à l'uniforme des soldats français,
Assemblée qui reflétait l'état d'esprit patriotique des Français
après le conflit.

Y. AMAR : La disparition du terme "Chambre" a donné l'occasion à un


autre terme de s'imposer pour désigner le lieu où siègent les
députés. Mais ce mot a un sens nettement plus technique, c'est le
mot "hémicycle".

E. LATTANZIO : Il désigne la salle des séances où les gradins


disposés en amphithéâtre semi-circulaire (d'où le mot qui signifie
étymologiquement, en grec "demi-cercle") servent de "sièges" aux
députés lorsqu'ils sont en Assemblée. Dans un premier temps,
l'hémicycle désigne le lieu lui-même : on dira que peu (ou
beaucoup) de députés sont "présents dans l'hémicycle" pour tel
débat parlementaire. Le centre de l'hémicycle est occupé par le
président de séance et le "perchoir" du président de l'Assemblée,
troisième personnage de l'Etat. On sait que c'est par rapport à ce
repère que l'on parle de "droite" et de "gauche".
Traditionnellement, en effet, cette dénomination était liée à la
place occupée par les groupes dans l'hémicycle. Et même si ces
notions sont périodiquement déclarées obsolètes par ceux qui ne
s'y reconnaissent pas, la tradition demeure.

Y. AMAR : Par extension, on parlera de la "composition de


l'hémicycle", par exemple pour parler de la répartition des sièges
entre les différents courants politiques représentés. L'hémicycle
désigne ici, par métonymie, l'Assemblée elle-même.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS, ASSEMBLÉE


NATIONALE
Par: (pas credité)

Deux siècles qu'ils sont au Palais-Bourbon, les députés ! Ça


s'arrose ! Tout au moins, ça se timbre ! Un nouveau vient d'être
émis pour commémorer cet emménagement dans l'ancien palais de la
Duchesse de Bourbon. Entre celui-ci et celui du Luxembourg qui
abrite le Sénat, on voit bien que la République aime ses ors. Mais
ces locaux ne sont que des bocaux. S'ils se font remarquer, c'est
par la fonction qu'on y exerce.

Devant la Seine, pratiquement symétrique de la Place de la


Concorde, on a "l'Assemblée Nationale" qu'on appelait avant la

229
Vème République, "Chambre des Députés". La topographie
parisienne n'a suivi le changement politique qu'avec un retard certain,
puisque ce n'est que dans le courant des années 80 , sous
l'impulsion de Laurent Fabius, que la station de métro "Chambre
des députés" a pris le nom "d'Assemblée Nationale".

Pourtant, on voit bien que c'est du passé, et que "la Chambre"


renvoie à une réalité politique historique (Vive interpellation à
la Chambre - c'est tout le folklore de la IIIème République). Ça
fait longtemps que le mot désigne le lieu où une assemblée
officielle se réunit, et par extension, cette assemblée elle-même :
chambre de Justice, et aujourd'hui encore, chambre de Commerce,
d'Industrie, etc.

Le sénat, lui, est une institution qui remonte à la République


romaine (SPQR, etc). On sait que le langage familier assimile
facilement le sénateur à un vieux birbe (un train de sénateur), et
il n'a pas tort, puisqu'étymologiquement, sénat dérive de senex,
vieux. Le Sénat est donc d'abord le Conseil des Anciens.

Un représentant de la Nation, ça cause. C'est pourquoi,


probablement, l'ensemble de ces élus, au suffrage direct ou
indirect, s'appelle le "Parlement". Il renvoie donc, en France, à
l'ensemble des députés et des sénateurs. Mais on a relativement
peu l'habitude de parler du Parlement, à propos de la vie
politique de notre pays, vraisemblablement parce qu'on n'a pas
tellement besoin de considérer cet ensemble en tant que tel, vu
qu'il est divisé en deux entités tout à fait distinctes. Mais, le
mot n'est pas désuet pour autant ; la preuve, on parle du
Parlement européen. Ce mot de Parlement, qui dérive de parler, a
brièvement signifié en très ancien français, une conversation.
Mais dès le XIIème siècle, il désigne une assemblée délibérante, et
notamment une Cour de Justice, avant de prendre son sens actuel
sous l'influence de l'anglais Parliament, bien évidemment emprunté
au français.

Et quand on parle au Parlement, c'est qu'on est un parlementaire.

CHAMEAU
Par: (pas credité)

E.LATTANZIO : Dans la steppe aride de l'information quotidienne,


il est bon parfois d'apercevoir une nouvelle dont l'ardeur
imprévue réveille en vous le goût de l'aventure et de la vraie

230
vie. Ainsi viens-je d'apprendre que se déroule actuellement à
Laayoune (localité marocaine) la plus grande course de dromadaires
du monde, organisée dans le cadre de la semaine sociale et
culturelle de Laayoune.

Y.AMAR : Nous nous sommes donc plongés dans l'histoire palpitante


du mot "dromadaire" et celle de son rival, le "chameau". Le b-a ba
consiste déjà à être clair sur le nombre de bosses : une, c'est un
dromadaire, deux, c'est un chameau. Si vous vous trompez, les
puristes vous reprendront : "Une bosse, voyons, ce n'est pas un
chameau, c'est un dromadaire !" Ne vous laissez pas impressionner,
vous n'avez pas vraiment tort : chameau est plutôt considéré comme
un mot générique, qui désigne l'espèce en général, et le
dromadaire est un genre de chameau.

E.LATTANZIO : D'ailleurs, au départ, dromadaire est un adjectif


qui vient préciser le mot chameau. Le chameau dromadaire est un
chameau de course puisque dromadaire renvoie à "-drome", la course
(Cf. hippodrome, vélodrome ...).

Y.AMAR : On a plus rapide encore avec le "méhari", en Afrique du


Nord, qui a donné naissance à "méhariste" (militaire montant un
méhari), mot sorti d'usage qui rappelle l'imagerie coloniale.

E.LATTANZIO : Chameau est plus intéressant. La forme de l'animal a


semblé si étrange en France (où on ne connait pas l'animal) qu'il
est devenu très vite un terme injurieux, peu après la conquête de
l'Algérie. D'abord, il est devenu un synonyme populaire de
prostituée (par référence à la monture, "la femme qu'on monte" dit
Alain Rey, mais c'est peu convaincant). Puis la référence sexuelle
s'est affaiblie, et chameau a désigné une femme hargneuse,
méchante.

Y.AMAR : Ce sens a presque disparu aujourd'hui, mais il est encore


compris, comme un argot désuet, et n'ayant plus spécialement de
connotation féminine. Le chameau a désigné un homme rusé et cupide,
puis un parfait goujat, un malappris, notamment avec les femmes.

E.LATTANZIO : En même temps, le mot, dans des jargons spécialisés,


a désigné des choses très diverses, mais toujours avec le trait
commun de la grosseur et de la puissance : grosse artillerie au
16ème siècle (c'est le premier sens figuré connu), grosse
locomotive pour train de marchandises, combinaison de caissons à
air servant à relever des bateaux coulés.

Y.AMAR : Le mot aujourd'hui n'est plus guère productif, si ce

231
n'est qu'il évoque une couleur : manteau en "poils de chameau"
(là, c'est aussi la matière) ou pull-over "camel". Le mot anglais
a pris le relais, d'autant mieux compris en France qu'il a été
popularisé par une marque de cigarettes (dont l'effigie est
précisément un dromadaire).

CHAMEAU
Dans le Nord du Niger, à Ingal, une grande et internationale foire aux chameaux vient de
se dérouler.
Aux "chameaux" ? Et oui. Mais qu'est-ce exactement qu'un "chameau" ? Dans la langue
courante, le mot est générique, et il désigne tous les animaux qui appartiennent à ce
genre. Parfois, pour être plus précis, on regimbera si l'on entend parler d'un "chameau" à
une bosse alors qu'il en faut deux pour accréditer ce terme, et qu'une seule bosse nous
conduit immanquablement au "dromadaire".

Depuis le XIXème siècle, ce mot de "chameau" a été une insulte sexiste, méprisante et
fort désagréable à l'égard des femmes. Elle n'est plus guère en usage actuellement, mais
elle a en gros correspondu à "salope" ou "putain". On voit que l'intention insultante est
très lourde et très grossière (allusion au fait qu'un chameau "se monte" ? à la difformité
de la bosse ? les deux probablement, mêlés d'un peu d'exotisme - l'injure est d'ailleurs
sensiblement contemporaine des conquêtes coloniales).
Au XXème siècle, l'injure est toujours en usage, mais elle s'affaiblit, perd plus ou moins
son caractère sexuel pour devenir l'équivalent de "peste", ou "vipère". Aujourd'hui, son
usage est bien désuet, mais le plus étonnant a été l'utilisation de ce mot masculin pour
insulter des femmes.

La sobriété proverbiale des "chameaux" a parfois servi d'image métaphorique ("il est
sobre comme un chameau"), mais ce n'est pas si fréquent.
Quant au "dromadaire", on l'a d'abord pris comme adjectif : un "chameau dromadaire"
était celui qui courait très vite. En effet, "dromadaire" est de la famille de "dromè", la
course en grec, mot qui est à l'origine de l'hippodrome, ou du vélodrome… Pour autant,
les "camelodromes" ne se sont pas installés dans la langue française.

CHAMPIGNON

Est-ce la saison ? C’est toujours, plus ou moins la saison des « champignons », mais au
début de l’automne, après la pluie, il est bien agréable d’aller en ramasser en forêt…

« Champignon », un drôle de mot, bien français, sans cousinage dans les langues
européennes. Le mot vient du latin, mais d’une ellipse latine : en effet, on parle en latin,
de fungus campaniolus, de « champignon campagnard ». Et c’est l’adjectif qui a survécu :
un « campagnard ».

232
Le végétal est bien connu, formé, en général d’un pied et d’un chapeau – d’une pédicule
et d’un bulbe si on veut conserver un langage technique. Certains sont comestibles,
d’autres non. Non seulement ça, mais ils sont parfois mortels ; en tout cas vénéneux – et
non pas venimeux comme les serpents.
Les variétés en sont nombreuses, dont les noms sont comme une promenade dans la
musique du français : vessie de loup, pleurotes, oreilles de lièvre, cèpes, morilles,
chanterelles… jusqu’aux trompettes de la mort, qui paradoxalement sont exquises. Quant
à la truffe, ce diamant de la cuisine, comme disait Brillat-Savarin, elle pousse sous la
terre, mais a donné quelques rejetons à la langue française : truffé de… signifie bourré
de… Un terrain truffé de mines peut-on dire, ou un texte truffé de fautes d’orthographe.

Le mot grec mukos nous a également laissé quelques traces, mais plutôt dans le
vocabulaire dermatologique : une mycose est une infection , caractérisée par des parasites
qui font leur nid sous l’épiderme : comme on dit couramment, on a des « champignons ».
CHANCELIER

Par: Yvan Amar

L’Allemagne en mal de Chancelier !… C’est ce qui ressort des élections législatives qui
ont eu lieu dimanche dernier, et dont le résultat serré empêche l’émergence incontestée
d’une majorité gouvernante, et d’un leader pour la conduire. A la proclamation des
résultats, on attendait donc encore le Chancelier… Quel drôle de mot, quel drôle de
titre… C’est ainsi qu’on appelle en Allemagne, le chef du Gouvernement. Depuis
relativement longtemps : depuis 1871, puisque le premier Chancelier fut Otto von
Bismarck. Mais, Bismarck était un Chancelier bien différent de ceux que nous
connaissons aujourd’hui : Chancelier impérial, il n’était ni élu directement, ni issu d’un
vote : il était nommé par l’Empereur. Mais, la fonction de Chancelier a survécu à
l’Empire. En 1919, la République de Weimar succède à cet Empire mais garde ses
chanceliers. Et Hitler, en 1933, sera (brièvement) Chancelier de la République. Avec le
Troisième Reich, le Chancelier disparaît, mais cette fonction de Kanzler réapparaît à
partir de 1949, et Konrad Adenauer est le premier Chancelier fédéral.

En fait, le mot est bien vieux, en français comme en allemand et il a désigné des fonctions
très diverses à travers les époques. Encore maintenant, selon les pays, il est associé à des
situations variées.

Le mot vient du latin, cancellarius. Cancelli, pluriel de cancellus, c’est la grille,


l’ensemble des barreaux. Le cancellarius est le préposé aux barreaux, le gardien, le garant
de cette séparation entre deux espaces. Et, en particulier, à partir du IVème siècle, en latin
déjà tardif, la grille qui sépare la Cour de justice du public. Une charge symbolique, donc,
qui dès l’origine est responsable de l’autonomie de la justice, de son indépendance peut-
être : on peut voir la justice rendue. Mais on n’y touche pas. Et cette relation étroite avec
le monde judiciaire se maintiendra jusqu’à nos jours. En France, et en français tout au
moins. Puisqu’on appelle encore aujourd’hui Chancellerie, l’administration centrale du
Ministère de la Justice, en France, sous la Cinquième République.
Le Ministre de la Justice français n’est pas appelé Chancelier mais on l’appelle encore le

233
Garde des Sceaux. Et précisément, la garde du sceau, d’abord sous la monarchie, était
l’apanage du Chancelier. Ce qui explique qu’on parle encore de chancellerie dans les
ambassades… où l’on délivre des documents qui portent le sceau de la République.
Le mot s’est retrouvé dans les administrations religieuses ou même universitaires.
Mais, aujourd’hui, on le trouve surtout à l’étranger, pour désigner des fonctions bien
précises.
En Grande-Bretagne, le Chancelier de l’Echiquier est le Ministre des Finances. Pourquoi
Echiquier ? Au départ, à cause du tapis à carreaux, comme un échiquier, qui recouvrait la
table où se faisaient les comptes. Et, en Allemagne, on l’a vu, c’est le chef du
Gouvernement.

CHANDELLE

« Tenir la chandelle » : expression familière et très ancienne. Au sens propre (Littré) : «


avoir des complaisances honteuses pour un commerce de galanterie ». En des termes plus
actuels : « tenir la chandelle », c’est assister avec plus ou moins de satisfaction à des
ébats amoureux. A l’origine (1830) cette expression n’impliquait pas l’intention de voir :
il suffisait d’éclairer. Parmi les coutumes qui entouraient de prescriptions déplaisantes la
nuit de noces, figurait celle qui imposait à un garçon d’honneur la tâche d’éclairer le
coucher des mariés ; ce « chandelier » humain devait néanmoins tourner le dos.

La chandelle est une sorte de mèche tressée enveloppée de suif qui était autrefois le
système d’éclairage des pauvres, les gens fortunés lui préférant la bougie faite d’une cire
plus délicate qui venait de Bougie sur la côte algérienne (on disait une chandelle de
Bougie, puis simplement une bougie). C’est peut-être parce que l’objet en lui-même a eu
tant d’importance dans l’histoire des hommes que le mot chandelle a eu une telle fortune
dans notre langue. On le retrouve dans quantité d’expressions.

La chandelle était, comme le vin et le pain, un objet essentiel de la vie quotidienne, il est
donc lié à l’idée de valeur : la chandelle est précieuse, comme le pain et le vin. « Brûler la
chandelle par les deux bouts » : dépenser à tort et à travers, gaspiller, mais aussi plus
largement « se dépenser », « vivre avec excès ». Expression très ancienne qui date du
XVIème.

A l’inverse, on peut vouloir faire des « économies de bouts de chandelle », c’est-à-dire


des économies insignifiantes. Il est possible que l’expression vienne de l’habitude pour
certains domestiques de revendre aux ciriers les bouts de chandelle et de bougies non
consumées. L’idée de l’expression est non seulement celle d’économies inefficaces mais
aussi de mesquinerie un peu sordide. (Cf Balzac : le Père Grandet, qui faisait des «
économies de chandelles ».

Autre expression « le jeu n’en vaut pas la chandelle » qui dans l’usage courant signifie «
cela n’en vaut pas la peine ni les frais envisagés ». Cette expression date du XVIème
siècle, le jeu en question est à l’origine « toute activité où l’on a besoin de s’éclairer »

234
(jeu de cartes ou de table…), : si le jeu n’est pas intéressant, il ne vaut pas la chandelle
qu’on dépense pour l’éclairer. On est passé du domaine du jeu à tout type d’activité : «
pour obtenir ce travail, il faudrait faire la cour au patron et au sous-chef : le jeu n’en vaut
pas la chandelle ».

Et puis quand quelqu’un vous a rendu un grand service, vous a délivré d’une charge, d’un
problème, a réglé une situation difficile, vous direz que vous lui devez une « fière
chandelle ». Cela signifie que vous avez une dette de reconnaissance envers lui. A
l’origine de cette expression, une pratique religieuse qui consiste à faire brûler un cierge à
l’église pour remercier un saint de l’« aide » qu’il vous a apportée. Pourquoi « fière », le
mot ne vient pas de l’adjectif fier, mais de fidare : confier, vouer, se fier, est il a une idée
de fidélité, de foi : une fière chandelle : une chandelle que l’on fait brûler pour témoigner
de sa foi en un saint.

Enfin pour finir en lumière : « voir 36 chandelles » : « être ébloui », « sonné », « j’ai fait
une chute à skis, j’ai dévalé la pente les quatre fers en l’air, j’en ai vu 36 chandelles ! ».

CAVALE
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

E.LATTANZIO : Vous vous souvenez de l'actualité récente : la


cavale de Khaled Kelkal s'est tragiquement terminée. Un peu plus
loin de nous la cavale de Mesrine s'était terminée de façon
également tragique.

Y.AMAR : L'un comme l'autre sont tombés sous les balles des
policiers; c'est ça qui a mis fin à leur "cavale". Qu'est-ce que
c'est que ce mot familier mais très employé ?

E.LATTANZIO : Il est en particulier très employé dans le


vocabulaire journalistique et donc il est sorti du strict argot
des malfaiteurs. Néanmoins, il reste familier, ce qui est assez
remarquable dans la mesure où il n'a pas de synonyme.

Y.AMAR : Pas de synonyme dites-vous ? En effet, cavale a un sens


assez différent de fuite ou d'évasion. La fuite ou l'évasion
désignent le fait qu'un prisonnier fausse compagnie à ses
geôliers. On scie les barreaux, on se fait passer pour mort, comme
Edmond Dantès dans le Comte de Monte-Cristo. Ou bien un
hélicoptère vient vous chercher, ce fut le cas il y a quelques
années. Mais un fois l'évasion réussie, on est recherché. La
clandestinité à laquelle est contraint le fuyard, le fait de
devoir fuir toujours et s'échapper sans cesse, cet état qui dure,
même si c'est plus ou moins long, c'est ça qu'on appelle une
cavale.

E.LATTANZIO : Le mot vient bien sûr du vocabulaire équestre. Au


départ une cavale était une jument de race. Mais l'expression
"faire cavale" est apparue assez vite pour signifier "s'enfuir".
"En cavale", sur le modèle d'"en fuite" apparaît après. Et c'est

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plus récemment qu'on a utilisé ce mot comme un nom commun : "la
cavale".

Y.AMAR : Systématiquement, on parle de la "traque". Ce mot est


également familier et sonne de façon un peu similaire. Il désigne
tout le système qui est mis en place pour arrêter le fuyard et il
dérive du verbe "traquer", de même que cavale évoque le verbe
"cavaler".

E.LATTANZIO : Est-ce que celui qui est en cavale est un "cavaleur"


? Non ! Ce mot existe mais le cavaleur est un coureur de femmes,
ce qui s'explique à travers l'un des sens un verbe cavaler :
cavaler veut dire courir très vite. On dit aussi "se cavaler" qui
signifie "partir à toutes jambes". Mais dans un langage encore
plus familier et vulgaire, "cavaler les filles" ou "cavaler
derrière les filles" est une version de l'expression "courir les
filles", être à l'affût des aventures amoureuses.

Y.AMAR : C'était Parler au Quotidien, une émission proposée par le


Centre National de Documentation Pédagogique ...

E.LATTANZIO : ... Et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.

CHANGER DE BRAQUET
Par: Yvan Amar

« Il faut changer de braquet. Le ‘non’ progresse sur des arguments simples, le ‘oui’ doit
faire de même ». Cette phrase toute récente de Jacques Chirac est un excellent indice de
la vivacité de l’expression « changer de braquet », qui existe depuis quelques dizaines
d’années, mais se répand dans la langue journalistique, politique, et dans la langue
courante, assez rapidement. Elle fait partie de ces expressions à la mode qui s’entendent
quelque temps, puis ne s’entendent plus, ou alors s’ancrent durablement dans les façons
de parler…

En gros, la plupart du temps, la formule signifie à peu près la même chose que « passer à
la vitesse supérieure ». Alors, ça ressemble à accélérer, mais l’image est différente… Il ne
s’agit pas d’une accélération continue, progressive… Mais du passage à un autre rythme,
à un autre fonctionnement… La phrase évoque un changement d’attitude : c’est tout un
fonctionnement qui doit être plus rapide, plus énergique… La phrase, souvent, représente
une volonté de remuer l’interlocuteur… réveille-toi, secoue-toi, bouge-toi… ! Ça doit
servir d’électrochoc !
Les deux expressions ont un point commun, ce sont des images empruntées au
fonctionnement de moyens de transports : voiture (changer de vitesse), vélo (changer de
braquet). Et ces images représentent un principe de transmission de l’énergie, et un
moyen de démultiplier cette énergie.

On sait que les voitures ont, en général, une boîte de transmission qui s’échelonne selon
plusieurs paliers, plusieurs vitesses… sauf si la boîte est dite automatique… Et on passe,
en général, de la première à la quatrième… Anciennement, les voitures peu puissantes

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n’avaient que trois vitesses. Les camions, les tracteurs ont bien souvent plus que quatre
rapports. Et aujourd’hui, les voitures ont, le plus souvent, cinq vitesses. Mais, l’idée qu’il
n’y en a que quatre est restée dans l’expression « en quatrième vitesse… »
Et quand on conduit, on démarre en première (vitesse), on passe en seconde quand on a
atteint une certaine vitesse, puis en troisième, etc. Changer de vitesse correspond donc à
une allure particulière.
De même, le verbe « rétrograder »… passer à la vitesse inférieure est également utilisée
de façon figurée.
Et pour le braquet, c’est la même chose, à peu près, de façon mécanique, sur le pédalier
d’un vélo… Le petit ou le grand braquet correspondent à un rapport différent du
développement du coup de pédale. Et on ne peut passer sur le petit braquet que si l’allure
est suffisante et le pédalage pas trop difficile… Quand on a de l’élan, quand on est en
pente, par exemple…

Mais, il est intéressant de revenir à la citation de Jacques Chirac. Il semble qu’il utilise
l’expression avec un sens différent. Comme s’il ne s’agissait pas vraiment de changer de
rythme, mais de changer de registre, de ton d’argumentaire… On passe du quantitatif
(plus ou moins vite) au qualitatif.

CHANGER DE BRAQUET
Par: Yvan Amar

« Il faut changer de braquet. Le non progresse sur des arguments simples, le oui doit
faire de même ». Cette phrase toute récente de Jacques Chirac est un excellent indice de
la vivacité de l’expression « changer de braquet », qui existe depuis quelques dizaines
d’années, mais se répand dans la langue journalistique, politique, et dans la langue
courante, assez rapidement. Elle fait partie de ces expressions à la mode qui s’entendent
quelques temps, puis ne s’entendent plus, ou alors s’ancrent durablement dans les façons
de parler…

En gros, la plupart du temps, la formule signifie à peu près la même chose que « passer à
la vitesse supérieure ». Alors ça ressemble à accélérer, mais l’image est différente… Il ne
s’agit pas d’une accélération continue, progressive… Mais, du passage à un autre rythme,
à un autre fonctionnement… La phrase évoque un changement d’attitude : c’est tout un
fonctionnement qui doit être plus rapide, plus énergique… La phrase souvent représente
une volonté de remuer l’interlocuteur… réveille-toi, secoue-toi, bouge-toi… ! Ça doit
servir d’électrochoc !
Les deux expressions ont un point commun, ce sont des images empruntées au
fonctionnement de moyens de transports : voiture (changer de vitesse), vélo (changer de
braquet). Et ces images représentent un principe de transmission de l’énergie, et un
moyen de démultiplier cette énergie.

On sait que les voitures ont, en général, une boîte de transmission qui s’échelonne selon
plusieurs paliers, plusieurs vitesses… sauf si la boîte est dite automatique… Et on passe,

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en général, de la première à la quatrième… Anciennement, les voitures peu puissantes
n’avaient que trois vitesses. Les camions, les tracteurs ont bien souvent plus que quatre
rapports. Et aujourd’hui, les voitures ont le plus souvent cinq vitesses. Mais, l’idée qu’il
n’y en a que quatre est restée dans l’expression « en quatrième vitesse… ».

Et quand on conduit, on démarre en première (vitesse), on passe en seconde quand on a


atteint une certaine vitesse, puis en troisième, etc. Changer de vitesse correspond donc à
une allure particulière.
De même, le verbe rétrograder… passer à la vitesse inférieure est également utilisée de
façon figurée.

Et pour le braquet, c’est la même chose, à peu près, de façon mécanique, sur le pédalier
d’un vélo… Le petit ou le grand braquet correspondent à un rapport différent du
développement du coup de pédale. Et on ne peut passer sur le petit braquet que si l’allure
est suffisante et le pédalage pas trop difficile… Quand on a de l’élan, quand on est en
pente, par exemple…

Mais, il est intéressant de revenir à la citation de J. Chirac. Il semble qu’il utilise


l’expression avec un sens différent. Comme s’il ne s’agissait pas vraiment de changer de
rythme, mais de changer de registre, de ton d’argumentaire… On passe du quantitatif
(plus ou moins vite) au qualitatif.

CHANSON
Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 23 AVRIL 2001

Le prix Richelieu attribué à Jean Amadou, un chansonnier. C’est-à-dire ? Quelqu’un qui


chante ? Eh bien non ! Mais un comédien humoriste, qui peut éventuellement chanter,
mais fait surtout de courts sketches : satire politique ou sociale, parodie, etc.

C’est un genre qu’on trouve dans les cabarets, assez en déclin par rapport à ce qu’il a été,
mais qui survit, après de grandes années aux XIXème et XXème siècles, entre fantaisistes
et music-halls.

Si le chansonnier ne chante pas, il chansonne. Chansonner : vieux verbe qui signifie


railler, se moquer, lorsqu’il s’agit d’un personnage public : Edouard Balladur, comme
Louis-Philippe, se sont fait chansonner.

Et la chanson elle-même a une histoire qui montre qu’elle n’est pas toujours chantée.
Chansons(s) (surtout au pluriel), signifie souvent « histoires », « sornettes », donc
invention, mensonge. Avec, parfois, cette vague idée que ces histoires sont
invraisemblables. Le mot peut d’ailleurs être compris dans le sens de « version d’une

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histoire ». « C’est une nouvelle chanson qu’il nous a chantée là. ».

Et au sens propre, la chanson est distincte du chant.


Le chant, c’est essentiellement le fait de chanter - même si le mot peut parfois désigner ce
qu’on chante (un chant d’allégresse). Et l’existence d’un texte n’est pas nécessairement
évoquée : l’important, c’est la voix qui module, éventuellement psalmodie. Le chant est
d’ailleurs, étymologiquement une parole de louange.

Alors que la chanson, c’est tout différent. C’est une pièce chantée, courte, modeste,
souvent populaire, qui associe paroles et musique, avec souvent une structure fixe,
refrain/couplet. On a à l’esprit une forme à cellules répétées et mémorisables.

Le mot s’emploie dans le cadre d’un répertoire populaire (ce qu’on appellerait
aujourd’hui « variétés ») alors que dans la musique classique, on parlera de mélodie,
d’air, voire en empruntant à l’allemand, de lied.

CHANSONNIER
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Avec la mort de Maurice Horgues, c’est un chansonnier à l’ancienne qui disparaît.


Maurice Horgues, en effet, a été l’un des piliers de ces théâtres de la satire politique que
sont le Théâtre de Dix-Heures ou le Caveau de la République qui présentent des
spectacles humoristiques qui, en général, se moquent de l’actualité politique et, en
particulier, du personnel politique. C’est en genre assez large que la satire politique, qui
se manifeste avec des styles et dans des canaux différents : le dessin de presse et la
caricature s’y rattachent, le journalisme – Le Canard Enchaîné est, en France, le plus
connu de ses représentants. Et le cabaret… qui, parfois, se prolonge à la radio ou à la
télévision. La célèbre émission des Guignols montre d’ailleurs la vitalité du genre… mais
Maurice Horgues faisait partie d’une autre génération.

De toutes façons, la satire est un genre littéraire qui existe depuis longtemps. Attention à
l’orthographe : il ne faut pas confondre satire et satyre : rien à voir, même si la proximité
peut se prêter aux jeux de mots de toutes sortes. Le satyre (du latin) est un demi-dieu très
porté sur les nymphes qui symbolisent la libido rustique qui semble puiser sa force dans
la nature même.
Alors que la satire, avec un « i » et non un « y », vient de la satura latine, qui désigne
d’abord une salade. Et oui, une macédoine de légumes, voire de fruits.
Et bizarrement, pratiquement tous les mots désignant ce genre de préparations ont donné
lieu à des sens dérivés : quelle salade, quel salmigondis… c’est-à-dire quelle situation
compliquée, emberlificotée, mélangée. Comme s’il y avait dans le fait de mélanger des
éléments disparates une audace suspecte et vaguement comique.

Le pastiche, c’est la même chose, lié au pastis qui dérive de pâte, désigne un pâté
mélangé, puis une situation incompréhensible, puis une boisson mélangée elle aussi, et

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qui se trouble…

Quant à la farce… ce mot concentre en lui toutes les situations qu’on vient d’évoquer…
Et bien, la satire, elle aussi, est un méli-mélo, puis une danse, puis encore une pièce de
théâtre qui mélangeait les genres : vers, prose, musique, danse… C’est toujours l’idée du
mélange, de quelque chose qui résiste à la définition, à l’étiquette, qui est à cheval sur
plusieurs domaines. C’est enfin un genre littéraire qui parodie, imite en forçant le trait,
caricature pour dénoncer en faisant rire… C’est ainsi qu’on parle encore maintenant de
journal satirique (c’est ainsi que se présente le Canard… paraissant le mercredi) ou de
trait satirique, ou d’intention satirique…

CHANTER – CHANTAGE
Par: Yvan Amar et Anne-Cécile Bras

Chantage affreux, ignoble, terrifiant… Les adjectifs ne manquent pas pour qualifier
l’opération de chantage dont sont victimes, en ce moment, les pouvoirs publics français.
On connaît l’affaire : un groupe inconnu exige de l’argent… faute de quoi, il menace de
se livrer à un certain nombre d’attentats terroristes. Est-ce une rançon qui est demandée ?
Ça s’apparente à ça, (demande d’argent exigée, remise de l’argent dans un endroit précis,
qui sera récupéré par des mains anonymes etc…) mais on n’utilise pas toujours ce mot
qui appartient au vocabulaire du rapt : les malfaiteurs demandent de l’argent et
s’engagent à rendre quelque chose.
Dans le cas de figure qui nous occupe, ils demandent de l’argent en échange de quoi ils
s’engagent à NE PAS FAIRE quelque chose. C’est donc de l’extorsion sous la menace.

Et des chantages, il y en a maintenant ; pourquoi parle-t-on de chantage ? L’origine de


l’image n’est pas très claire. Au XVIIème siècle, on fait chanter quelqu’un quand on lui
soutirait des aveux par la menace ou, plus souvent, par la torture. On imagine aisément la
chanson que ça faisait. Chanter, c’est alors se plaindre, crier de douleur, ou implorer
grâce… avant d’avouer tout ce que le tortionnaire veut entendre.

Mais, le sens actuel est sensiblement différent. Il s’apparente plutôt à « faire cracher » (de
l’argent) bien que cette expression soit fort vulgaire. L’image s’est enrichie d’un mot,
courant, pour désigner celui qui fait « chanter » sa victime : c’est le maître chanteur –
construction logique pour celui qui « apprend à chanter » à quelqu’un, le fait chanter… Et
pourtant le maître chanteur, le Meistersinger allemand n’est pas le professeur de chant
mais le chanteur expérimenté, et même celui qui se rapproche un peu de l’aède antique, le
poète qui chante et déclame ses vers. Là, encore, l’image est un peu obscure. A noter
enfin le vide linguistique dont s’agrémente cette image. Il y a bien un mot pour désigner
celui qui menace (le maître chanteur) mais aucun pour désigner la victime : on ne dit pas
le « chanté », mais seulement la victime du chantage. On ne dit pas « il s’est fait
chanter… » mais « il a été victime d’un chantage… »

L’image du chant a quelques autres sens, en français. « Si ça me chante » signifie « si ça

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me dit »… au sens de « si ça me plaît »…
Et c’est comme « si je chantais » signifie c’est comme si je n’avais rien dit : l’expression
s’emploie à propos de paroles, d’ordres, de conseils absolument pas suivis d’effet :
comme si on n’avait rien fait.

CHARBONNIER
Par: (pas credité)

Malgré ses allures un peu rudes, le «charbonnier» vient d’une illustre famille, dérive de
carbo (le résultat d’une combustion), et compte dans sa parentèle aussi bien le carburateur
que l’hydrocarbure. On pourrait croire que la vie n’a pas toujours été tendre avec lui, que
la dureté de son travail lui colle à la peau.

En effet, celui «qui fait ou vend du charbon» en porte la trace. Noir comme un
«charbonnier» en est le signe, et l’expression s’applique souvent, par plaisanterie à celui
qui a besoin d’un bon récurage. Mais réduire le mot à cette seule fonction serait bien
réducteur.

Le «charbonnier» a été, par exemple, un soldat chargé de préparer de la poudre à canon


(et donc d’abord de fabriquer le charbon de bois nécessaire à cette préparation). Un
officier de marine habitué à braver le mauvais temps (moqueur et affectueux). Un renard
au pelage foncé et au museau noir.

L’un des aspects pour lequel le «charbonnier» est le plus connu est sa foi. Naïve, qui ne
s’interroge pas sur ses fondements, a-t-on dit bien souvent, et un peu vite. Mais surtout
inébranlable, solide comme le roc, de celle qui déplace les montagnes.
Mais ce dont le «charbonnier» est peut-être le plus fier, c’est d’être maître chez soi. Et
au-delà de l’affirmation, un peu machiste, il est vrai du pouvoir que le maître de maison a
sur sa maisonnée quel que soit son statut social, ce dicton bonhomme trace la frontière de
la sphère publique et de la privée : ce n’est pas seulement que l’humble travailleur trouve
toujours quelqu’un chez lui à commander. C’est aussi que le regard d’autrui n’a pas à
juger de ce qui ne le regarde pas, et qu’on n’a pas à se laisser tyranniser par la
conformisme et le qu’en dira-t-on. C’est enfin l’affirmation d’un mur au-delà duquel le
protocole se renverse : à l’extérieur je peux n’être qu’un pauvre «charbonnier». A
l’intérieur, je suis le maître de maison, commandant le même respect que n’importe quel
autre maître de maison. Pour illustrer le proverbe, se raconte une anecdote probablement
inventée, mais révélatrice : François Ier ayant passé la porte d’une cabane de
«charbonnier» se serait fait traiter de façon très libre et très cavalière par le maître des
lieux qui ne l’avait pas deviné. Le roi, royal, ne lui en aurait pas tenu rigueur, et aurait
prononcé la phrase historique.

Aurons-nous le temps de parler de la charbonnerie, cette société secrète née en Italie, qui
essaima en France sous la Restauration ? On parle plus de l’Italienne que de la Française,

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et les carbonari sont restés dans l’histoire.

CHARCUTERIE
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Y.AMAR : Saucisson, boudin, andouille, pâté de tête ...

E.LATTANZIO : Arrêtez tout de suite. J'ai compris : nous sommes


chez le charcutier, étymologiquement celui qui vend de la chair
cuite.

Y.AMAR : Et en général de la chair de porc. Souvent de nos jours,


le charcutier est associé au traiteur qui va préparer et vendre
toutes sortes de plats cuisinés à emporter, à moins qu'il
n'organise lui-même un grand repas. Mais là il est beaucoup plus
traiteur que charcutier.

E.LATTANZIO : Le charcutier se différencie du boucher, qui lui,


vend de la viande fraîche, sans la cuire.

Y.AMAR : On pourrait croire que ce nom de "boucher" vient de


"bouche" ... Pas du tout. Au départ, il vient de la viande de
bouc, voilà l'origine du mot.

E.LATTANZIO : Revenons à notre charcutier. Au sens figuré, il a


mauvaise réputation. C'est par exemple un mauvais chirurgien. Mais
c'est plutôt le verbe "charcuter" qu'on emploie de façon
péjorative. Un mauvais dentiste par exemple, peut vous charcuter
les gencives. Mais attention ! on peut tout aussi bien charcuter
un gigot ou un poulet si on le découpe mal.

Y.AMAR : Très souvent le vocabulaire de la charcuterie est ancien


en français. Et non seulement il est péjoratif, mais de plus, il
est facilement injurieux. .

E.LATTANZIO : "Va donc saucisse! Va donc andouille!". La première


injure est plutôt physique, la seconde, plus intellectuelle. Une
andouille est un imbécile. Et si vous traitez quelqu'un
d'andouille pelée, c'est pire encore.

Y.AMAR : Terminons avec le boudin, injure particulièrement


phallocrate, pour désigner une jeune femme que l'on trouve laide.
Je vous déconseille l'emploi de ce mot, je vous en déconseille
même l'idée. C'était Parler au Quotidien, une émission proposée
par le Centre National de Documentation Pédagogique ...

E.LATTANZIO : .. Et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.

CHARISME
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

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Mot à la mode, c’est sûr… Depuis, disons quinze ans… De plus en plus utilisé dans le
langage courant, et souvent dans un contexte politique ou médiatique. Qu’est-ce que c’est
? Un genre de séduction, un magnétisme personnel, une aura, qui fait qu’on séduit son
entourage, ou qu’on le stimule, qu’on le galvanise… On fait une impression, quoi… Et en
général, une impression collective, sur un public, ou un groupe, bien plus souvent que sur
une seule personne. C’est donc bien différent de la séduction individuelle…

Le mot vient du grec charisma, mot qui, au départ, désigne des dons spirituels
extraordinaires : miracles, prophétie, visions… octroyés par la grâce divine. Le charisme
est donc d’abord un terme de théologie. On parlait, jadis, du charisme d’infaillibilité du
Pape, censé avoir reçu de Dieu, en tant que chef de l’Eglise catholique, ce don admirable
de toujours juger juste, et de ne jamais se tromper. Mais, on parlait aussi bien du charisme
de Sainte-Thérèse d’Avila, qui avait reçu le don de communiquer avec Dieu, ou de
Bernadette Soubirou, dont les entretiens avec la Vierge Marie sont restés célèbres…

Actuellement, le sens a largement dévié : on est passé du sacré au profane… Et le


charisme se restreint souvent à la capacité d’entraîner des gens derrière soi et de fédérer
les bonnes volontés… Et la mode dont le mot bénéficie a profité du même coup à
l’adjectif charismatique, souvent employé, à propos d’un personnage.

Le charisme ainsi redéfini rejoint donc un peu l’idée du « charme ». Ces deux mots ont la
même origine, font partie de la même famille. Et charme, qui dérive de carmen, avait lui
aussi, au départ, un sens sacré : chant sacré, oracle, sens qu’il a gardé assez longtemps. Et
jusqu’au XVIIè siècle, il a clairement renvoyé à une idée d’influence divine.

Peu à peu, le mot a perdu cette référence, gardant pourtant de façon plus ou moins
confuse l’idée de sortilège, d’envoûtement : exercer un charme, être sous le charme, un
charme opère… « Sous l’effet d’un charme, il avait passé la nuit à chasser avec le
Diable… et il ne s’était pas aperçu que cette chasse avait duré cent ans… »

CHARRETTE
Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 9 MAI 2001

LU, AOM, Moulinez… La liste des licenciements planifiés, qu’on appelle souvent
pudiquement plans sociaux s’allonge… Et on entend souvent le mot charrette, pour
désigner chaque nouvelle étape de ces licenciements collectifs.
Image étrange dont l’origine est à chercher dans l’histoire de France. L’expression fait
allusion aux charrettes des condamnés à mort de la Terreur . Dans le courant de l’année
1793, la guillotine fonctionnait beaucoup et les condamnés étaient transportés de leur
prison jusqu’au lieu de l’exécution dans des charrettes. C’était pratique peut-être… c’était

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surtout symboliquement humiliant : beaucoup de ces condamnés étaient des ci-devant,
c’est-à-dire des aristocrates, plus habitués au carrosse qu’à la charrette. Et la charrette ,
cette voiture à deux roues, tirée ordinairement par un homme, parfois par un animal
(cheval ou bœuf) était un objet rustique : la voiture du paysan, ce qu’on utilise pour
transporter son foin… Alors pensez ! pour des marquises…
On voit comment le nom a pu être usité plus tard, pour désigner des paquets d’hommes
dont on brise l’avenir sans s’émouvoir.
Mais ce mot de charrette a un autre sens figuré : Etre charrette, c’est être pressé de finir
un travail, c’est être presque hors délais : débordé, aux abois parce qu’il faut que tout soit
fini à temps. Et cette expression a une origine toute différente : elle vient de l’Ecole des
Beaux-Arts. Les étudiants en architecture, pour passer leur diplôme, devaient présenter au
jury une maquette correspondant à un plan précis. Cette maquette était réalisée dans des
ateliers, et non à l’Ecole elle-même. Le jour de l’examen, on devait la transporter. Mais
comment ? Sur une charrette pardi, l’affaire étant fragile et encombrante. Et cette
charrette, traditionnellement, était (paraît-il) tirée par des bizuths de l’Ecole, de jeunes
élèves de première année. N’empêche ! la maquette devait être prête à temps, quand la
charrette arrivait. L’apprenti architecte était donc « charrette ». Le mot s’est conservé,
mais ne s’emploie bien sûr que dans un usage assez familier.

CHASSE A COURRE
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Y.AMAR : La chasse est ouverte depuis un certain temps maintenant,


mais ce n'est pas pour cela qu'on voit couramment "la chasse à
courre".

E.LATTANZIO : C'est-à-dire des choses qui se pratiquent en groupe,


à cheval, avec également des meutes de chien, ainsi que toute une
infanterie de rabatteurs, de piqueurs, etc ...

Y.AMAR : On a compris que la chasse à courre était une chasse de


luxe, un vestige de l'Ancien Régime.

E.LATTANZIO : Mais pourquoi "à courre" ? C'est que courre est un


infinitif ancien qui correspond à peu près à notre "courir"
moderne. Pourquoi "courre" ? C'est aussi parce que les chasseurs
sont secondés par des chiens courants.

Y.AMAR : On chasse en général de l'assez gros gibier : cerf,


biche, chevreuil. Et ces bêtes, quand elles finissent par être
traquées, entourées par les chiens, sont "aux abois".
L'expression, qui évoque l'aboiement des chiens est aussi utilisée
au figuré : on est aux abois lorsqu'on est cerné par ses ennuis
(ou par ses ennemis), lorsqu'on est sur le point de céder à la
panique, car on n'a plus de solution de rechange.

E.LATTANZIO : C'est alors que retentit "l'hallali", une sonnerie


de cor, qui prélude à la fin du cerf. Ce mot peut également être
entendu au sens figuré, mais le cas n'est pas très fréquent : ça

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fait un peu image journalistique forcée.

Y.AMAR : Enfin, une fois que la bête est dépouillée, c'est la


"curée", la distribution des bas morceaux aux chiens, et au
figuré, la lutte pour arracher quelques avantages rendus
disponibles par la disgrâce ou la mort de quelqu'un d'important.

CHASSEUR
Par: (pas credité)

Et pour la Saint-Hubert ? On va parler des chasseurs, c'en est le saint


patron, puisqu'il partage avec Nemrod, et le malheureux Actéon, le
privilège d'être l'un des chasseurs les plus connus et les plus talentueux.
Tous les hommes, ceux-là, et la chasse restent une activité
particulièrement masculine, et partant, phallocratique. Conséquence
linguistique, chasseur n'a pas de féminin, ou peu s'en faut : chasseuse est
tout à fait hors d'usage (bien que le mot existe), et chasseresse est
réservé à un usage légendaire (Actéon encore, et cette chasse de malheur !
Le Diable, à l'époque, eût existé qu'il s'en tirait à meilleur compte).

Si chasseur n'a pas de féminin, il s'utilise comme adjectif, ce qui peut


donner des résultats bizarres : lapin chasseur. Non, ce n'est pas carnaval,
et ce n'est pas le lapin qui chasse, c'est le nom de la sauce.

Le verbe vient du lapin captiare, de la famille de capere - prendre, donc


de la famille de capter et de capturer en français. Et les mots de chasse
et chasser sont souvent utilisés au figuré, dans des expressions où il
s'agit de rechercher quelque chose ou quelqu'un. Parfois, en gardant le
souvenir de l'instinct meurtrier de la chasse proprement dite - chasse à
l'homme, chasse aux sorcières, au propre (à Salem) comme au figuré (avec le
sénateur McCarthy) - et les chasseurs de primes, genre Steve McQueen…
parfois de façon aussi passionnée mais plus pacifique : chasseurs de sons,
chasseurs d'images… L'expression se mettre en chasse d'ailleurs signifie
simplement commencer une recherche quelle qu'elle soit.

Enfin, l'expression chasser sur les terres de quelqu'un veut dire qu'on
lui fait concurrence sur un terrain qu'il considère comme lui appartenant -
une chasse gardée pour ainsi dire.

CHASSEURS DU FREICHUTZ
Par: (pas credité)

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On reprend le Freischütz à l'Opéra de Nancy, illustre opéra de Weber, dont le titre,
quoiqu'on en dise pose un petit problème à l'auditeur français : traditionnellement, on ne
le traduit pas, avec ce clin d'oeil de connivence entre mélomanes avertis : on sait de quoi
on parle.

Créé en Allemagne en 1821, le Freichütz fut présenté peu de temps après en France, en
1824, sous le titre "Robin des Bois". L'adaptation n'était pas mauvaise, mais convenait
essentiellement pour un opéra chanté en français. Quand il est chanté en allemand, ce qui
est le cas général, on garde le titre allemand, d'autant qu'il n'a pas de réel équivalent en
français. Littéralement, il signifie "tireur d'élite", mais cette expression évoque plutôt des
policiers actuels, planqués sur des toits, que les chasseurs de légende qui vendent leur
âme au diable, et participent à un concours de tir pour gagner la main de la fille du prince.
N'aurait-on pas pu trouver un meilleur synonyme que "tireur d'élite" ? Difficile, il n'y en a
pratiquement pas, à part peut-être un "bon fusil", une "bonne gâchette", (métonymie
comparable à "fine lame"), assez peu usités et qui n'ont pas le caractère superlatif du
"tireur d'élite", a fortiori du Freischütz.

Mais c'est toute la culture alémanique (Guillaume Tell et compagnie : là encore, l'opéra
rôde) qui est friande de ce genre d'adresse : il faut viser juste, lièvre, pomme ou cible.

"Viser" est un verbe important dans le sens figuré "chercher à atteindre" : "je me sens
visé" ; "c'est le Premier ministre qui est visé par ces propos". Le verbe a même souvent
un sens carrément abstrait, qui le rapproche de tenter (= avoir pour objectif) : "cette
manoeuvre vise à déstabiliser le Gouvernement". "Vous visez bien haut en courtisan,
Marinette" (= vous êtes ambitieux, vous voyez grand).

Quant au mot "cible", pour revenir à nos tireurs, il est souple et productif actuellement.
Au départ, il vient du vocabulaire du tir à l'arc, et de l'alémanique, passant par le
fribourgeois (que vous disais-je ?). Ce carreau qu'on doit toucher de son projectile est à
l'origine de nombre d'expressions figurées (pan dans le mille !). Depuis longtemps, on dit
que quelqu'un est la cible (des railleries ou des attaques), c'est-à-dire qu'il est visé.
Le mot est très utilisé dans le jargon commercialo-médiatique.

Mais attention, ne nous méprenons pas ; la "cible" c'est qui on vise, non pas ce qu'on vise
et "cible" est en fait l'abrégé de l'expression "public-cible". Il s'agit du public qu'on veut
toucher, atteindre avec plus ou moins de précision dans le processus : cette émission
s'adresse aux jeunes, avec un coeur de cible représenté par les lycéens urbains de 15-18
ans.

CHAUFFARD
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Un chauffard en justice ! C’est ainsi qu’on présente le procès, qui se déroule aujourd’hui,
de celui qui a tué un piéton Avenue de la Grande-Armée à Paris avant de prendre la fuite,

246
le 14 décembre 2001.

Chauffard et non chauffeur ! Et on voit parfaitement que ce changement de suffixe est


péjoratif : le chauffard est le mauvais chauffeur, c’est à dire le mauvais conducteur.
Bon exemple donc de ce que cette terminaison en –ard peut avoir en français de négatif.
Même si ce n’est pas le suffixe le plus courant, même s’il sonne un peu vieillot, il
fonctionne encore.
Il est pourtant rare de voir exactement sur le même modèle, un changement de « eur » en
« ard ». On en trouve.
Père fouettard, ce genre d’ogre, de croque mitaine dont on menace les enfants, est formé
d’après le verbe fouetter. Mais on peut à le rigueur l’opposer à fouetteur. Enfin ce n’est
pas très concluant mais ça nous permet de parler du frère Frappard, bien oublié
aujourd’hui, sorte de moine bourru. Et là, le mot frappeur existe bien (souvenons-nous de
l’esprit frappeur).

Mais indépendamment de ces couples, on trouve nombre de mots construits avec cette
terminaison, et péjoratifs, plus ou moins.
En effet, motard, conducteur de moto, ne l’est pas du tout au départ. Fêtard – celui qui
aime faire la fête – ne l’est pas tellement plus. Un peu ironique tout au plus. Quoique
souvent il s’emploie au sens de celui qui exprime bruyamment et un peu vulgairement sa
joie des agapes, souvent de nuit et dans des lieux publics avec petits chapeaux de rigueur
et refrains braillés fort.

Et puis il y a l’ironie de celui qui emploie le terme et veut montrer son désaccord : Le
patriotard est un patriote excessif, dont on veut dénoncer l’excès. Le soixante-huitard, qui
succède d’ailleurs au quarante-huitard est celui dont on se moque parce que longtemps
après que la mode en est passée, il s’affuble encore des oripeaux des événements de 1968.
Le ramenard est le frimeur, celui « qui la ramène ». Le cornard – et là, c’est plus vieux
mais aussi plus méchant et plus populaire est le cocu, celui à qui on a fait porter les
cornes. Et bien sûr ce dernier mot en évoque un autre, encore plus vulgaire, mais qui n’a
rien de vieilli, et que la peur du scandale me retient de prononcer ici.

CHEMIN DE FER
Par: (pas credité)

On parle de la SNCF puisqu'il est question de "réformer la


réforme" de la SNCF..., c'est-à-dire de la Société Nationale des
Chemins de Fer français.

On voit que le "chemin de fer" est une expression absolument figée


aujourd'hui. Elle date du 19ème siècle bien qu'on la trouve pour
la première fois en 1784.

Ping-pong linguistique : l'expression française est empruntée par

247
les Anglais (railway) puis réempruntée par les Français au moment
du développement des trains.

Pas de dérivé direct : on ne dit pas "chemin de feriste" comme on


dit "fil de feriste", mais des dérivés indirects, par retournement :
"ferroviaire" intervertit les deux racines - fer et chemin - et
remplace le mot français "chemin" par son équivalent latin :
"via". Cette pirouette est d'ailleurs empruntée à l'italien.

"Voie ferrée" existe aussi, comme synonyme mais "voie ferrée"


s'applique plus concrètement aux "rails", c'est-à-dire au fer
lui-même, alors que "chemin de fer" désigne toute l'infrastructure :
train, wagon, voie, et même administration : c'est l'ensemble du
moyen de locomotion qui recouvre ce terme.

CHEQUE
Qui sont les "sans-chéquier" ? L'enquête du CREDOC sur ce sujet a au moins l'avantage
de nous familiariser avec ce mot nouveau, construit sur le modèle des héros de la
précarité : "sans-papier", "sans-domicile fixe", "sans abri", etc. Bien sûr, "sans chéquier"
n'est pas dans le dictionnaire, et il y a peu de chances qu'il y soit jamais, mais le mot est
formé sur un modèle productif, et il est aisément compréhensible. En tout cas, les "sans-
chéquier" dont on parle ne sont pas exactement ceux qui n'ont pas de "chéquiers", mais
ceux qui n'en ont plus, ceux à qui leur banque leur a interdit d'en avoir. "Sans" a donc à
double titre un sens privatif (indiquant ce qu'on n'a pas, parce qu'on en a été privé).

Le "chéquier", c'est évidemment le "carnet de chèques". Le premier mot est plus rapide,
plus moderne, plus technique, et tend plus ou moins à s'imposer : le "carnet de chèques"
fait vieux.

Quant au "chèque", inutile de s'étendre, tout le monde sait ce qu'est ce récépissé qui
permet de débiter au profit d'un créditeur une certaine somme de son compte en banque.
Le mot s'installe en français au début du XVIIIème siècle, et on l'emprunte à l'anglais
"cheque" ou "check". Mais, l'origine du mot anglais est compliquée et controversée. Le
"chèque" semble bien venir de l'"échec" qui, au départ, représente le jeu stratégique qu'on
connaît, et qui nous vient de Perse (Shakh mat = le roi est mort = "échec et mat").Le "jeu
d'échecs" a donc donné l'"échiquier" et comme, semble-t-il, les banquiers du Moyen âge
avaient coutume de compter leurs sous sur de petits tapis à carreaux, l'"échiquier" est
devenu à la fois la métonymie de trésor (trésor royal anglais - chancelier de l'Echiquier)
et également de vérification. D'où cette idée du "chèque", bordereau de crédit.
L'idée de vérification est encore primordiale en anglais, et le franglais, si jargonnant qu'il
soit, nous en fournit des exemples : (checklist, checkpoint Charlie, etc.).

Quelques expressions bancaires techniques : "chèque barré" (obsolète, tous les "chèques"
sont automatiquement barrés. Le "chèque barré" ne peut être endossé par quelqu'un
d'autre que celui à l'ordre duquel il est émis). "Chèque sans provision", et familièrement

248
dans le même sens, "chèque en bois". Cette dernière expression est curieuse, mais elle
semble se comprendre en référence à quelques expressions qui font du bois un synonyme
de fausseté ou d'artifice ("sabre de bois", "langue de bois"… N'importe, c'est quand même
curieux).
L'expression "chèque en blanc" s'est vu confier un sens figuré, au-delà de son sens propre
("chèque signé", sans indication d'ordre ou de somme, qu'on remet à quelqu'un qui aura
soin de remplir les indications manquantes en fonction de ses besoins). Cela nécessite
bien sûr la plus grande confiance, et l'expression s'emploie souvent dans un contexte
politique et électoral. Nous ne donnerons pas un "chèque en blanc" à nos députés, à la
gauche, au gouvernement, etc. C'est-à-dire, nous leur donnons pouvoir de nous
représenter à condition qu'ils rendent des comptes, qu'ils défendent un certain
programme, et les intérêts de ceux qui les ont portés là où ils sont.
L'usage des "chèques" s'est étendu à d'autres pratiques que bancaires, "chèque-
restaurant", "chèque repas", "chèque emploi-service"… Avec, en général, une forme du
document bien spécifique : plus large que haut.

CHEQUE EN BLANC - BLANC SEING - CARTE BLANCHE

Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

E. LATTANZIO : Blanc-seing, chèque en blanc, carte blanche : 3


façons de marquer sa confiance, à l'aide de cette image du blanc.

Y. AMAR : Et cette image a un sens précis : elle indique qu'on


laisse le choix à la personne qui a notre confiance. "Le premier
ministre a obtenu un blanc- seing du Président de la république"
a-t-on entendu. C'est que Jacques Chirac lui a renouvelé sa
confiance sans lui demander de comptes immédiats.

E. LATTANZIO : Ce seing - notez son orthographe - est à rapprocher


du signe et dérive du latin signum. Le blans-seing est donc un
document "signé en blanc" et son possesseur a tout pouvoir.

Y. AMAR : C'est souvent un mot employé à la négative dans le


langage politique. A l'époque de l'union de la gauche, par
exemple, les syndicats se défendaient de donner un blanc-seing au
gouvernement. Ils lui accordaient une confiance conditionnelle,
autour d'un contrat assez précis.

E. LATTANZIO : Les syndicats, de même, refusaient de donner un


chèque en blanc au gouvernement. L'expression a une valeur très
proche, bien que l'image fasse référence à l'argent. Un chèque en
blanc est signé sans qu'aucune somme soit portée sur le chèque.

Y. AMAR : Et la carte blanche va dans le même sens. Pourtant, le


sens d'origine est bien différent : la carte blanche au 16ème
siècle indiquait qu'on se rendait sans condition. On donnait donc
tout pouvoir à quelqu'un, mais contre son gré, contre son intérêt.
Aujourd'hui, donner carte blanche à quelqu'un, c'est lui laisser
le libre-choix des moyens à mettre en oeuvre pour atteindre un
objectif précis.

249
C'était Parler au Quotidien, une émission proposée par le Centre
National de Documentation Pédagogique ...

E. LATTANZIO : ... et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.

CHEVAL
Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 21 MARS 2001

Vive le cheval ! On y revient. Les boucheries « chevalines » ont le sourire. Mais,


l’expression « boucherie hippophagique » fait plus chic, alors que le sens est exactement
le même. On y vend de la viande de cheval, propre à la consommation.

Mais le « cheval » est présent dans bien des domaines de la langue.


Comme intensif : « fièvre de cheval », « remède de cheval », « niveau de cheval ». Car le
cheval est l’animal de trait par excellence, jusqu’au « cheval-vapeur ».

Comme synonyme de l’énergie, mais plus encore de la résistance : un vrai « cheval de


labour » (travailleur infatigable). Ou si l’on dit de quelqu’un qu’il est un vrai « cheval »,
ça renvoie plutôt à une stature massive. Et la locution s’applique presque toujours à une
femme. Nouvelle preuve de la misogynie linguistique.

« Tu as mangé du cheval » est une expression familière qui correspond à peu près à « tu
as mangé du lion » : « tu débordes d’énergie ».

Le « cheval », c’est homme, de façon familière : C’est pas le « mauvais cheval » ( = le


mauvais bougre).

Quant au « cheval de retour », c’est un récidiviste dans l’argot des prisons, et par
extension, un politicien qui revient inlassablement, malgré toutes les casseroles et le
discrédit qui l’accompagnent.

Et le « cheval de bataille », c’est le thème de prédilection auquel on revient


inlassablement. Seule expression (de l’émission) dans laquelle le « cheval » ne représente
pas un homme.

CHEVAL
Par: (pas credité)

250
PARLER AU QUOTIDIEN DU 25 MAI 2001

Vive le cheval ! On y revient. Les boucheries chevalines ont le sourire. Mais, l’expression
« boucherie hippophagique » fait plus chic, alors que le sens est exactement le même. On
y vend de la viande de cheval, propre à la consommation.

Mais le cheval est présent dans bien des domaines de la langue.


Comme intensif : « fièvre de cheval », « remède de cheval », « niveau de cheval ». Car le
cheval est l’animal de trait par excellence, jusqu’au « cheval-vapeur ».
Comme synonyme de l’énergie, mais plus encore de la résistance : un vrai « cheval de
labour » (travailleur infatigable). Ou si l’on dit de quelqu’un qu’il est un « vrai cheval »,
ça renvoie plutôt à une stature massive. Et la locution s’applique presque toujours à une
femme. Nouvelle preuve de la misogynie linguistique.

« Tu as mangé du cheval » est une expression familière qui correspond à peu près à « tu
as mangé du lion » : tu débordes d’énergie.
Le cheval, c’est homme, de façon familière : « C’est pas le mauvais cheval » ( = le
mauvais bougre).
Quant au « cheval de retour », c’est un récidiviste dans l’argot des prisons, et par
extension, un politicien qui revient inlassablement, malgré toutes les casseroles et le
discrédit qui l’accompagnent.

Et le « cheval de bataille », c’est le thème de prédilection auquel on revient


inlassablement. Seule expression (de l’émission) dans laquelle le cheval ne représente pas
un homme.

CHEVAL DE BATAILLE
Par: Yvan Amar

Durant cette journée mondiale de lutte contre la drogue, il a été dit et redit que cette lutte
était le « cheval de bataille » de nombreux chefs de gouvernements… plus encore de
nombreuses personnalités politiques pendant leur campagne électorale (quelle que soit,
d’ailleurs, leur politique une fois leur campagne terminée).

Pourquoi « cheval de bataille » ? Quelle drôle d’image… comprise de presque tous, mais
dont l’origine est surprenante !
Le sens de l’expression est donc bien connu : il s’agit d’un sujet de prédilection, dont
quelqu’un parle souvent : « On s’est mis à discuter du temps qu’il faisait… Et hop !
Pedro a enfourché son cheval de bataille, et s’est mis à assassiner le réchauffement
climatique ». On l’a compris, le réchauffement climatique est le cheval de bataille de
Pedro… Non seulement, il en parle tout le temps, mais il en parle avec passion,
exubérance… même peut-être avec excès… Car, si on souligne le fait que le

251
réchauffement climatique est son cheval de bataille… c’est qu’on en est presque agacé…
Qu’on s’en moque un peu, en tout cas… Et qu’on considère qu’il en parle trop… trop
souvent… en manquant de distance… sans se rendre compte qu’il se répète, qu’il ennuie
peut-être ses interlocuteurs. Un dernier mot sur les sujets qui peuvent être des chevaux de
bataille : ce sont le plus souvent des réquisitoires… non seulement une idée qu’on a
plaisir à exprimer, mais un sujet, une réalité, une menace qu’on veut combattre, dont on
veut décrire tous les vices, qu’on aimerait terrasser comme Saint-Georges son dragon.

On a remarqué aussi que c’est pratiquement toujours le même verbe qu’on emploie avec
cette image : enfourcher son cheval de bataille. Qui file la métaphore cavalière. Et donne
bien cette idée de départ galopant : ça y est … c’est reparti… Le discours coule comme
un cheval qui court…

Pourquoi « de bataille » ? C’est un peu mystérieux… On peut se dire, bien sûr, que pour
la bataille on gardait son cheval le plus fougueux. On est loin du percheron… Et on
aboutit aussi à cette idée que l’image évoque une discussion enflammée, batailleuse : on
est dans le registre de la polémique.
… Et étymologiquement, polémique renvoie bien à l’idée de bataille… « polémos » en
grec… L’expression vient-elle de l’anglais ? C’est possible ! En tout cas, elle existe dans
cette langue… On y enfourche son cheval de bois, son hobby horse… comme si,
justement, cette compulsion à parler toujours du même sujet était d’autant plus ridicule
qu’on est dans le faux, le faire semblant, le jeu enfantin… Comme le cheval de bois qui
imite le vrai…

En français, le dada… mot enfantin et familier qui, justement, représente un cheval


jouet… Et qui est utilisé exactement dans les mêmes usages que « cheval de bataille ».

CHEVEU
Par: (pas credité)

Une récente étude économique a déterminé l'évolution des prix


depuis une trentaine d'années. L'une des choses qui a le plus
augmenté est la coupe de cheveux masculine. Bonne occasion de
faire le point sur le cheveu.

D'abord, le cheveu exprime, par image, ce qui est très petit,


infinitésimal. En particulier, dans les expressions qui signifient
que quelque chose "ne s'est pas produit", mais qu'il s'en est
fallu de bien peu. Cela correspond à l'idée d'"à un poil près" :
"il s'en est fallu d'un cheveu que je sois renversé par cette
voiture". Mais on utilise toujours l'expression quand l'évènement
ne s'est pas produit.

252
L'idée du cheveu comme synonyme du "très peu" se retrouve
d'ailleurs dans l'idée de "couper en 4", c'est-à-dire "raffiner à
l'excès", "chinoiser", "chercher la petite bête".

Le mot "cheveu" se retrouve dans des expressions où il est associé


à un problème ou à un désagrément : non seulement quand "on a un
cheveu sur la langue", c'est-à-dire qu'on zézaye, mais aussi quand
on arrive "comme un cheveu sur la soupe"... locution savoureuse et
étonnante qui exprime essentiellement l'incongruité ou la gêne :
cette scène d'amour dans un film politique assez austère vient
"comme un cheveu sur la soupe".

Terminons avec les soucis : "se faire des cheveux", c'est se faire
du souci, du mouron..., c'est probablement une abréviation de
l'image "se faire des cheveux blancs".

Alors que "s'arracher les cheveux", c'est tantôt se désespérer d'une


situation catastrophique, tantôt se torturer la cervelle pour
essayer de trouver une solution à une situation désespérée.

CHEZ
Par: (pas credité)

Maxim's : cent ans de vie parisienne. Tel est le sujet d'une conférence que Pierre Cardin a
donnée le 20 janvier (pour ceux que ça intéresse), chez Maxim, ce célèbre restaurant
parisien de la rue Royale. C'est que "chez Maxim's" a été l'une des adresses chics par
excellence.

Mais, en fait, c'est la préposition "chez" qui nous intéresse spécialement. "Chez" indique
souvent une désignation commerciale : une entreprise, une marque : "chez" Renault, on
fait des voitures, et "chez" Danone, des yaourts. Il s'agit donc des voitures de la maison
Renault et des yaourts de la maison Danone -et ce n'est pas tout à fait par hasard que je
parle de la maison Renault : c'est en effet l'image qui est à l'origine de la préposition.

"Chez" dérive du bas-latin "casa" : la maison. Il indique une idée de domiciliation et


d'appartenance. Et la préposition peut même se souder au pronom à l'aide d'un trait
d'union : "chez-moi", "chez-soi" (invariable) : J'ai mon petit "chez-moi". A partir de là,
l'expression s'élargit aux lieux du commerce ou de l'artisanat, tout en restant très liée à la
personne du patron ou de la patronne. Ainsi, des restaurants, tavernes, estaminets : "Chez
Julien", "Chez Françoise", "Chez Maxime"... même si l'établissement est important et
chic, et que cette modestie n'est plus rien qu'une coquetterie commerciale.

Revenons quand même à Maxim's le célèbre restaurant de la rue Royale à Paris. Il a une
enseigne à l'anglaise avec cette apostrophe s qui est l'équivalent anglais de notre "chez".

253
"Je vais dîner chez Maxim's" est donc un pléonasme. Ce pléonasme déclasse-t-il celui qui
s'en rend coupable ? Il classe tout autant parmi les cuistres méprisants celui qui le relève.
Le piège à rats socio-linguistique a enfermé dans la même cellule cette victime et ce
bourreau.

D'une faute l'autre : on sait bien que la tarte à la crème du bon usage consiste à conspuer
ceux qui disent "au dentiste" pour "chez le dentiste", "au docteur" pour "chez le docteur".
C'est qu'il ne faut pas confondre le lieu lui-même et celui qui l'occupe : on dit "chez
l'épicier", mais on dit "à l'épicerie" ; "chez le médecin", mais "au dispensaire", ou "à
l'hôpital". On sait aussi que l'ancien français usait sans vergogne de la préposition "à"
devant un nom de personne, dans un cas particulier : on disait "aller à l'évêque", "au
ministre", pour dire s'adresser, avoir recours "au ministre" ou "à l'évêque", de même
qu'aujourd'hui, dans un français familier on dit "aller aux flics", pour dire porter plainte.

En veut-on encore qu'en voilà un peu : "chez" a bien d'autres emplois, en particulier à
l'époque de "chez les Romains", dans l'oeuvre de "chez Turner", dans la personnalité de
"il y a chez Evelyne une grâce que j'aime tout particulièrement".

CHEZ
Par: (pas credité)

"La dame de chez Maxim", pièce de boulevard réputée, reprise en ce moment,


pose le problème de la préposition "chez" : que veut-elle dire et comment
l'utilise-t-on ?
Première remarque : on croit souvent à tort que deux prépositions ne
peuvent se suivre. Voici l'exemple du contraire, et c'est tout à fait
correct : (cf. Du côté de chez Swann ; je veux un suaire de chez Dior ;
derrière chez moi, il y a une cabane à lapins).

Maintenant, qu'est-ce que ça signifie ? On vient de le voir, "chez" indique


souvent une désignation commerciale : une entreprise, une marque : "chez
Renault, on fait des voitures, et chez Danone, des yaourts". Il s'agit
donc des voitures de la maison Renault, et des yaourts de la maison Danone
- et ce n'est pas tout à fait par hasard que je parle de maison : c'est, en
effet, l'image qui est à l'origine de la préposition.

"Chez" dérive du bas latin casa : la maison. Il indique une idée de


domiciliation et d'appartenance. Et la préposition peut même se souder au
pronom à l'aide d'un trait d'union : chez-moi, chez-soi (invariable) :
J'ai mon petit chez-moi. A partir de là, l'expression s'élargit aux lieux
du commerce ou de l'artisanat, tout en restant très liée à la personne du
patron ou de la patronne. Ainsi des restaurants, tavernes, estaminets :
chez Julien, chez Françoise, chez Maxime …même si l'établissement est

254
important et chic, et que cette modestie n'est plus rien qu'une coquetterie
commerciale.

D'une faute l'autre : on sait bien que la tarte à la crème du bon usage
consiste à conspuer ceux qui disent *au dentiste, pour chez le dentiste,
*au docteur, pour chez le docteur. C'est qu'il ne faut pas confondre le
lieu lui-même et celui qui l'occupe : on dit chez l'épicier, mais on dit à
l'épicerie ; chez le médecin, mais au dispensaire, ou à l'hôpital. On sait
aussi que l'ancien français usait sans vergogne de la préposition à devant
un nom de personne, dans un cas particulier : on disait "aller à" l'évêque,
au ministre, pour dire s'adresser, avoir recours au ministre ou à l'évêque.
De même qu'aujourd'hui, dans un français familier, on dit "aller aux" flics,
pour dire porter plainte.

En veut-on encore qu'en voilà un peu : "chez" a bien d'autres emplois, en


particulier à l'époque de (chez les Romains) dans l'œuvre de (chez
Turner) dans la personnalité de (il y a chez Evelyne une grâce que
j'aime tout particulièrement).

CHEZ LE COIFFEUR
Par: (pas credité)

Tous, ruons-nous au Grand Hôtel, pour voir l’exposition des dessins de coiffure de
Christophe Carita (30 ans de dessins de coiffure... rendez-vous compte !). Et un mot pour
rappeler qu’on dit « chez le coiffeur », plutôt qu’« au coiffeur » : l’enfance de l’art.

Quel beau métier d’être coiffeur ! Et quelle belle sociabilité que celle des salons de
coiffure où l’on se parle sans se connaître, anonymes sous les mêmes blouses. C’est peut-
être cette habitude du bavardage qui allonge l’attente des clients, et permet de
comprendre cette expression qui berça mon enfance : « cinq minutes de coiffeur » (c’est-
à-dire bien souvent une bonne demi-heure).

La coiffure est quand même un métier d’artisanat qui a pris soin parfois de rechercher une
certaine respectabilité dans la façon de se dénommer. Ainsi, pour se démarquer du
populaire, les coiffeurs chics affichaient souvent à leur devanture « Haute Coiffure ».
Affichaient, disons-nous, car l’expression fait un peu années soixante. Aujourd’hui, le
coiffeur qui veut se pousser du col se dit « visagiste », cet esthète-créateur qui est au
coiffeur de base ce que le paysagiste est au jardinier (et le calque entre les deux est
évident).

Plus modeste parfois, les enseignes calembours : « diminue-tifs, évolue-tifs, ou hair du


temps ».

Le vocabulaire de la coiffure change également avec les années, mais certaines formules

255
se sont si bien implantées qu’elles sont encore dans les mémoires, même si elles sont plus
rarement appliquées à nos cheveux : « indéfrisable, mise en plis, permanente ». D’autres
sont plus modernes : « minivague, balayage, brushing », seul anglicisme de cette liste.

Un peu d’histoire maintenant, pour revenir aux noms du coiffeur. L’argot l’appelait -
l’appelle encore parfois, mais c’est plus rare- le « merlan ». Merlan était au départ un
sobriquet donné aux perruquiers qui, poudrant leurs postiches se poudraient avec (1744).
Tout au moins y a-t-il mimétisme entre l’ouvrier et l’objet qu’il travaille qui fonde la
comparaison avec le merlan, poisson saupoudré de farine avant qu’on le frie (c’est bien la
première fois que je me vois contraint d’employer le subjonctif de frire - mais pas moyen
de faire autrement).

Encore antérieur au merlan, et pas argotique du tout, le « barbier ». Jusqu’au 19ème


siècle, il fait la barbe, avant de faire les cheveux, est souvent, en même temps, chirurgien
et parfois arracheur de dents. Attention, alors que le chirurgien d’aujourd’hui est un
aristocrate de la médecine, celui d’antan n’était pas un médecin du tout, et ne se situait
pas bien haut dans l’échelle sociale. Simplement, il maniait le scalpel comme on manie le
rasoir. Et cette identité d’instruments induisait une identité de savoir-faire.

Aujourd’hui encore, au Québec, on appelle barbier un coiffeur pour hommes.

CHINE
Par: Yvan Amar et Anne-Cécile Bras

Visite d’Etat du Président chinois, année de la Chine en France, défilé du Nouvel an sur
les Champs-Elysées… On en parle, en ce moment, de la Chine. Mais, d’où vient le mot ?
… C’est une autre paire de manches…
Ce qu’on sait, en tout cas, c’est que ce n’est pas un mot chinois. Mais, son origine se perd
un peu dans la nuit des temps car ce radical, on le connaît depuis fort longtemps. Cette
racine semble être d’origine indienne. Sa première apparition semble pouvoir être datée
du IIIème siècle avant notre ère : c’est comme ça qu’était nommé, par les Indiens, le
royaume unifié par la dynastie des T’sin. Les géographes grecs parleront ensuite de «
Sinai »… Marco Polo -au XIIIème siècle- parle, lui, de Cathay, mot qui dérive
probablement de la même veine. Et les mots Chine et chinois se stabilisent en moyen
français.

En tout cas, les habitants du pays, eux-mêmes, n’ont jamais eu recours à cette famille de
mots : Chung Kuo, Tchong Ha… ; ne nous hasardons pas trop dans des prononciations
qu’on maîtrise mal… mais ça veut, en général, dire le jardin du milieu ou l’Empire du
milieu. Les Chinois, comme presque tous les peuples, ont ordonné la représentation du
monde autour d’eux. A la semblance de l’univers pascalien, l’ethnocentrisme est partout.

L’adjectif « chinois » a pris un certain nombre de sens figurés en français, souvent


péjoratifs, il faut bien le dire… mais cette dérive est très fréquente pour les pays lointains
qui représentent l’inconnu ; l’autre, parfois le danger : la méfiance de l’étranger s’inscrit

256
presque toujours dans le langage.
Et la Chine, étant fort loin de ce qu’on appelle l’Occident, mais constituant en même
temps une civilisation organisée et incontestable (contrairement à l’Amérique par
exemple, continent découvert mais considéré comme à coloniser, à exploiter et à
christianiser, un point c’est tout), elle a d’abord servi à exprimer l’inconnu et
l’incompréhensible. A commencer par sa langue, dont la structure et l’écriture sont si
différentes des langues européennes. De là l’expression « C’est du chinois » c’est-à-dire «
on n’y comprend rien ». Non pas pour parler d’un texte chinois, mais pour parler de
quelque chose d’incompréhensible. Et, en général, incompréhensible parce que
compliqué. « L’informatique, pour moi, c’est du chinois ! » Comme on le voit, il ne s’agit
même pas forcément de langue.

Le chinois est donc associé à une complication extrême et parfois à une recherche de
complication inutile : « chinoiser », c’est chercher la petite bête, être trop pointilleux,
ergoter…

Et le chinois est enfin parfois associé à l’excès de raffinement : un supplice chinois.

CHINE
Par: (pas credité)

Y.AMAR : Notre Président était récemment en voyage en Chine.


Peut-être en a-t-il profité pour nous ramener quelques bons mots chinois ?

E.LATTANZIO : Parce que les mots chinois, en français,


franchement, ça manque, incroyable ce qu'il y en a peu ...

Y.AMAR : A part "thé" ... Et encore, il est passé par le malais et


a subi mille transformations. Mais enfin, il est d'origine
chinoise.

E.LATTANZIO : Quelques rares mots font entendre leur accent :


"shantung" (étoffe de soie, du nom d'une province), "kung-fu", art
martial bon enfant, qui fait chinois de pacotille, "litchi" ou "kumkwat"
(bassement alimentaire). Un mot technique "kaolin" (=
haute colline), c'est là qu'on extrayait l'argile, dont on a fait
la porcelaine.

Y.AMAR : Un mot sort du lot, c'est "ketchup", qui ne correspond


nullement à "catch up" bien que pour les Français il rappelle plus
l'Amérique que la Chine. Pourtant, via la Malaisie, il vient du
chinois "ke tsiap", saumure de poisson, condiment probablement
assez éloigné de la célèbre sauce à la tomate et au vinaigre qui

257
accompagne hamburgers et steak tartares.

E.LATTANZIO : Ce qui est intéressant aussi, c'est le mot "chine"


et ses dérivés. D'abord "Chine", pour désigner le pays, n'est pas
un mot chinois, mais indien ("Tsinta"). Ce nom est celui d'une
dynastie chinoise du IIIème siècle, et ce sont les Indiens qui ont
imaginé qu'il pourrait désigner l'Empire que les Chinois eux,
appelaient, dans leur langue, le pays du milieu.

Y.AMAR : Les habitants de la Chine sont les Chinois et cet


adjectif a des échos bien souvent négatifs en français. D'abord
on sait bien qu'il n'a aucun rapport avec chiner, chineur,
vocabulaire de brocanteur et d'antiquaire qui vient probablement
d'échiner.

E.LATTANZIO : Mais la xénophobie linguistique étant à l'oeuvre, on


entend souvent (enfin, parfois ...) parler de "supplice chinois" =
cruel et raffiné, qui s'étire en longueur et en subtilité.

Y.AMAR : D'après ses utilisations en français, la pensée chinoise


serait donc à la fois avisée, sophistiquée et machiavélique, avec
souvent, un excessif goût du détail : les chinoiseries
administratives en sont la preuve : méandres tortueux,
complications infinies. Essayez par exemple de trouver les Assedic
comme intermittents du spectacle après avoir déménagé ...

E.LATTANZIO : Quant à "chinoiser", c'est être pointilleux à


l'excès, chercher la petite bête (votre clignotant gauche tire sur
l'orange alors que le droit est franchement ocre ...), et bien
l'agent qui verbalise pour ça, il chinoise, il est chinois.

CHINE
La semaine culturelle chinoise organisée à Paris par l'Unesco nous donne l'occasion de
parler de la Chine, et même du chinois.

Pourtant, peu de mots en français sont issus de cette langue. "Thé", bien sûr, mais il a fait
un si grand voyage, transitant par la langue malaise… Quelques autres rares mots font
entendre un souvenir de leur accent comme "shantung", une étoffe de soie, du nom d'une
province ; "kung-fu" ou "kumkwat", encore très liés à leur origine exotique. "Ketchup",
par contre, a pris une forte autonomie, alors qu'à l'origine, il signifie saumure de poisson,
et que le produit de base est probablement assez éloigné du condiment favori des steaks
tartares et hamburgers.

Mais c'est le mot "Chine" lui-même qui est intéressant, et d'origine indienne.
Enfin, c'est un peu plus compliqué : "Tsinta" est le nom d'une dynastie chinoise du IIIème

258
siècle. Mais ce sont les Indiens qui ont fini par nommer le pays d'après le nom de cette
famille régnante, alors qu'en Chine, on parlait d'Empire du Milieu.

L'adjectif "chinois" a bien des sens péjoratifs en français : un "supplice chinois" est censé
être cruel, raffiné, s'étirer en longueur et en subtilité. Les "chinoiseries administratives"
sont des méandres tortueux, des complications infinies et inutiles. Quant à "chinoiser",
c'est être pointilleux à l'excès, chercher la petite bête avec un certain mauvais esprit.

CHOC

Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

E.LATTANZIO : Le poids des mots, le "choc" des photos ...

Y.AMAR : Le slogan est célèbre, pour un journal qui l'est aussi,


Paris-Match.

E.LATTANZIO : On voit tout de suite que ce mot "choc" contient


deux idées : violence et soudaineté.

Y.AMAR : Pour comprendre le sens de ce mot, il suffit de l'écouter


: choc ! Bien sûr, c'est une onomatopée qui vient du francique
(langue germanique qui a contribué à la naissance du français).
Mais le mot a été emprunté par les anglais avec un sens bien
précis et médical. Nous avons remprunté ce mot avec ce sens
médical et d'ailleurs, bien souvent le vocabulaire de la médecine
y a recours.

E.LATTANZIO : On parle de choc opératoire, cet état d'abattement


physique consécutif à une opération. On parle d'électrochoc, en
général en psychiatrie, c'est une méthode controversée qui
consiste à soumettre le patient à un influx électrique.

Y.AMAR : On parle aussi d'état de choc, un hébétement qui succède


à un événement traumatisant. Et on en a parlé en particulier
pendant la guerre de 14, lorsque les soldats étaient gravement
perturbés par la sauvagerie des scènes dont ils étaient témoins.

E.LATTANZIO : Cet état de choc peut donc concerner un individu ou


une population. Récemment, on a dit par exemple que les Israéliens
étaient en état de choc dans les heures qui ont suivi l'assassinat
d'Itzak Rabin.

Y.AMAR : Vous avez bien dit "état de choc". L'expression "de choc"
s'est répandue : traitement de choc, thérapie de choc, etc ...

E.LATTANZIO : Le mot perd donc souvent de sa force, à proportion


de la fréquence de son emploi : on parle de "prix-choc", par
exemple .

Y.AMAR : Et là, pas de préposition : prix-choc et non "prix de


choc" et de même on parle d'images-choc, de slogans-choc ...

E.LATTANZIO : ... Et d'idées-choc!

259
Y.AMAR : C'était Parler au Quotidien, une émission proposée par le
Centre National de Documentation Pédagogique ...

E.LATTANZIO : ... Et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.

CHOCOLAT
Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 22 OCTOBRE 2001

« Chocolat » est un mot si fréquent qu’on ne se pose guère de questions sur son origine :
il sonne français depuis longtemps. Il vous vient pourtant de loin : c’est l’un des rares
mots que nous ayons empruntés à la langue Nahuatl, une langue indienne, encore parlée
au Mexique, qui, en plus du chocolat, nous a livré la tomate…

C’est donc le « chocolatl » qu’on a connu au départ, dans une langue où « atl » signifie
eau. Le chocolat est bien considéré au départ comme une boisson.
Le mot est passé par l’Espagne, arrivé en France vers le XVIIème siècle, et a ondulé
autour de Louis XIV : sa mère, Anne d’Autriche, avait du goût pour ce breuvage, et sa
première femme, née Infante d’Espagne, avait amené avec elle ses habitudes…

Le chocolat n’a pas totalement éclipsé le cacao. Le mot vient aussi du nahuatl, et désigne
spécifiquement la graine. Aujourd’hui, on peut acheter du cacao en poudre, mais le mot
chocolat est réservé à la dénomination du produit élaboré, transformé, comme la pâte
qu’on mange où la boisson onctueuse qu’on boit.

Chocolat, c’est aussi une couleur – celle du produit, marron foncé… et même un mot
qu’on retrouve dans une expression familière : « nous sommes chocolat », c’est-à-dire, «
nous avons fait chou blanc », « nous nous sommes fait avoir », « nous n’avons récolté
aucun des bénéfices qu’on attendait ».

CHOCOLAT
Par: (pas credité)

Salon du chocolat, inauguré par notre ministre Le Pensec, et


chacun sait que le chocolat, ça améliore Le Pensec.

D'où nous vient-il le chocolat ? De loin, des Aztèques, et même de


la langue Nahmalt.

Origine un peu obscure, due à l’opacité de la langue : l'espagnol

260
du 16ème siècle dit "chocolat", restitution approximative,
probablement de "cacaualt", "alt", c'est l'eau, cacaualt, c'est
l'eau de cacao, i.e. la boisson en cacao.

Le cacaoyer : révélation mexicaine pour les conquérants européens.


Déjà pour les Aztèques, c'est le plus bel arbre de la création...

L'introduction en France se fait par voie extrêmement


aristocratique, voire royale (comme pour le café et le tabac,
d'ailleurs).

Plusieurs étapes :
Anne d'Autriche (femme de Louis XIII) introduit le goût de cette
boisson.
Puis, c'est la reine Marie-Thérèse, femme de Louis XIV, infante
d'Espagne qui le redouble et introduit les chocolatières en métal
précieux. L'habitude se fixe sous la Régence.

Le chocolat aujourd’hui désigne plus souvent la "pâte" que la


boisson et le mot a pris quelques autres sens.

Il renvoie à la couleur marron du chocolat, mais surtout,


expression délicieuse et désuète, le mot s'emploie pour renvoyer
au dépit d'avoir été joué : je suis chocolat". C'est-à-dire : je
n'ai tiré aucun bénéfice d'une opération en laquelle je croyais.

Il paraît que ça vient du nom de l'un des clowns du duo célèbre :


Foolit et Chocolat : leitmotiv de l'un d'eux, grimé en noir (en
"chocolat") : "je suis chocolat = je suis berné".

D'après Rey, l'expression était bien antérieure et chocolat était


synonyme d'appât (friandise) pour attirer les gogos : ainsi dans
l'argot des joueurs de bonneteau, on appelait chocolat le compère
qui pouvait appâter les autres. Par glissement sémantique, on
pouvait comprendre que les naïfs fussent alors "chocolat".

L'image "être chocolat" = être refait est à mettre en rapport avec


l'expression être marron = même image et même origine ?

Bien sûr, le mot marron, par homonymie, renvoie à la couleur.

Mais le mot marron utilisé aux Antilles n'a rien à voir à


l'origine. Il désigne un esclave en fuite et prend, par
glissement, le sens d'"illégal". De là, des expressions : un
médecin, un avocat marron... et par un étrange (et mal expliqué)
retournement de sens, je suis marron : je suis pris, je suis

261
fait... (le sort du fugitif ?). En tout cas, le même sens que "je
suis chocolat", avec probablement une influence mutuelle.

CHOEUR
Par: (pas credité)

En ce moment commence le Festival Chorus des Hauts-de-Seine qui,


atomisé sur tout un département, va permettre durant plusieurs
week-ends successifs de découvrir de jeunes talents de la chanson
d'expression française. Si ce mot de chorus est lié au chant,
c'est à cause de son étymologie (toute sa famille est vocale),
mais aussi à la suite d'une influence anglo-américaine - comme
quoi, nul n'est à l'abri. Chorus signifie choeur en anglais, et
les expressions "chorus girls & boys", pour choristes, sont bien
comprises en français. D'autre part, dans le jazz, et à ma grande
surprise, cette acception est attestée dans le Petit Robert, un
"chorus" est une improvisation sur une structure harmonique.

Mais foin du puritanisme : le mot de chorus existe bien en français,


dans des emplois qui n'ont que de lointains rapport avec
la musique : "faire chorus" signifie qu'un groupe de gens abondent
dans le sens de quelqu'un, qu'ils surenchérissent, et sont
bruyamment et ostensiblement du même avis. Ce qui permet
d'ailleurs de bien comprendre l'expression "tous en choeur", qui
veut dire tous ensemble, avec un ensemble touchant, selon la
formule consacrée. Et dans ce cas, l'action peut largement
déborder le contexte musical ou même verbal : "Tous en choeur, on
est allé se baigner".

Alors, quel est ce choeur dont il est question ? Dans le théâtre


antique, c'est un groupe d'acteurs - les "choreutes" - qui
déclament, présentent et commentent l'action, sortes de médiateurs
théâtraux.

Mais aujourd'hui, le mot est plus musical que théâtrale : il


s'agit des chanteurs présents dans un orchestre, ou plutôt qui
viennent s'adjoindre à l'orchestre.

Parfois, les choeurs se produisent seuls "a cappella",


c'est-à-dire à la manière de la chapelle, de l'Eglise.

On a toute une série de mots qui dérivent de Choeur : "Chorale"


(presque synonyme, mais renvoie souvent à un choeur amateur),
"choriste" etc, et on voit bien que ces pratiques ont tout à fait

262
échappé à la tradition religieuse. Pourtant, le mot choeur y est
encore bien souvent associé - par exemple dans enfant de choeur -
les enfants qui servent la messe, censés être purs et innocents,
ce qui explique l'utilisation goguenarde qu'on fait de
l'expression "ce ne sont pas des enfants de choeurs" = ils
connaissent la vie, et bien souvent ils ne sont pas exempts de
reproche.

Enfin, le "choeur" est un lieu de l'Eglise (après avoir été un


lieu dans le théatre grec) : c'est la partie de la nef située
devant le maitre-autel, donc le centre même de l'Eglise. Ce qui
permet de mieux comprendre l'ambiguïté fréquente choeur / coeur.

CHOEUR/CHORALE
Par: (pas credité)

1. Origine : latin chorus, (cf aussi l'expression faire chorus = se joindre


à d'autres personnes pour dire la même chose) lui-même issu du grec choros.
Désigne à l'origine, dans la tragédie grecque du Vème siècle avant JC , un
groupe qui joue un rôle majeur dans le spectacle. De groupe joue et chante
en parallèle de l'action des héros de la tragédie. Le chœur symbolise plus
ou moins le point de vue de la cité, des citoyens, (qui regardent l'action
sans y participer (la tragédie était un spectacle civique, on en est même
arrivé à payer leur place aux citoyens pauvres afin qu'ils assistent au
spectacle).
Le chœur commente l'action, s'inquiète, se lamente, ou se réjouit selon le
déroulement de l'action. Il n'agit pas mais commente, représentant une
sorte de pont de vue lyrique des spectateurs. Il s'agit d'un personnage
collectif dont l'importance est très grande dans les premières tragédies
(Eschyle) puis devient une sorte de contrepoint à l'époque de Sophocle, et
tend à passer au second plan à l'époque l'Euripide au profit des héros.
Le chœur est dirigé par un chef, le coryphée. Ce mot est encore utilisé
avec un sens figuré à l'époque classique (XVII et XVIII siècles) pour
désigner le chef d'un groupe. Avec un sens voisin de l'actuel "chef
d'orchestre". Exemple dans Lesage (Gil Blas) : "Je passerais pour le
coryphée des domestiques" = leur chef, celui qui les dirige.

2. Le rapprochement avec l'orchestre est doublement justifié :


Le chœur était aussi un groupe musical, il chantait. D'où la notion de
chœur moderne : groupe d'hommes et de femmes qui chantent, et dansent
éventuellement, collectivement : les chœurs de l'armée rouge, de la
cathédrale X etc.
Au sens figuré : "en chœur" = ensemble, dans une même intention
("reprendre en chœur" = répéter les paroles de celui qui a parlé avant

263
nous).
Le mot orchestre à la même étymologie grecque que chœur. Orchestre : lieu
de la scène où se tenait le chœur à l'origine. Aujourd'hui lieu où se
tiennent les musiciens (la fosse d'orchestre). Cf aussi le verbe orchestrer
au sens figuré (= diriger).

Cf. aussi l'expression familière "le chœur des vierges" : allusion au fait
que les chœurs étaient autrefois composés de jeunes filles. Signifie sur le
mode ironique, le fait que plusieurs personnes font cause commune en
protestant, en s'offusquant excessivement d'une décision anodine.

3. Chœur = partie d'une église où l'usage architectural du mot pour


désigner la partie centrale à la croisée du transept.
Enfant de chœur : enfant employé au chant et au service des offices divins.
Image familière en parlant de quelqu'un : "ce n'est pas un enfant de
chœur" = c'est un personnage sans scrupule, retors, ou simplement
expérimenté, qui ne s'en laisse pas conter, à qui on ne la fait pas.

4. Chorale : ensemble de personnes qui exécutent la l'unisson ou à


plusieurs voix une oeuvre musicale. La chorale de l'église, de l'école etc.
Un choral : musique qui accompagne ce type de chant : les chorals de Bach .
Chorégraphie, chorégraphie : relatif à la composition de ballets, de danse,
même étymologie à partir de chœur, avec cette fois l'accent mis sur la
danse.

CHOMEUR
Par: (pas credité)

On parle beaucoup, en ce moment, de révolte des chômeurs qui


s'organisent comme ils le peuvent, en association, comités, etc...
Un "chômeur", c'est quelqu'un qui est sans emploi, contre son gré,
qui a perdu son emploi, et n'en retrouve pas.

On a souvent utilisé, ces derniers temps, l'expression "demandeur


d'emploi", euphémisme qui sert à adoucir la réalité, ainsi qu'à
présenter le chômeur de façon active. On insiste sur le fait qu'il
demande un emploi, donc qu'il en cherche, donc qu'il est envisagé
qu'il pourra en trouver.

Alors que le mot de "chômeur" souligne ce


dont le chômeur est privé, et le présente plus comme une victime
d'une certaine situation sociale que comme acteur de sa vie.
Le mot "chômeur", dans son sens actuel n'apparaît que
relativement tardivement - en 1876 - et son usage social

264
correspond, bien sûr, à l'apparition de la Révolution
industrielle.

Mais le verbe "chômer" est très ancien. Il nous vient d'une


réalité rurale. En bas-latin, "cauma" signifie forte chaleur, et
"caumare" se reposer quand la chaleur est trop forte. A partir du
XIIIème siècle, on emploie, en ancien français, le verbe "chômer",
qui vient, bien sûr, de "caumare" pour signifier qu'on ne
travaille pas parce que ce jour est férié. L'Eglise, en effet,
interdisait qu'on travaillât durant les très nombreux jours
chômés. Il faut se souvenir qu'en ce temps-là, les vacances
n'existaient pas, et que l'organisation du travail était bien
différente de celle que l'on connaît aujourd'hui. En tout cas, si
l'on chômait, ce n'était pas parce que l'on était privé d'emploi.

Précisons enfin, qu'un jour "chômé" s'opposait à un jour "ouvré"


c'est-à-dire travaillé, qui a donné de nos jours l'expression
"jour ouvrable" - c'est-à-dire jour "travaillable", où l'on
"travaille" - et non où l'on "ouvre la boutique".

CHOREGRAPHIE
Par: (pas credité)

1) Le mot apparaît au XVIIIème siècle, dans le titre d'un ouvrage "La


chorégraphie ou l'art d'écrire la danse par caractères, figures et signes
démonstratifs" (1701) où il désigne la méthode de transcription des pas et
figures de la danse. A ce moment, il s'agit d'un système de notation. Par
la suite, on a utilisé l'expression "notation chorégraphique" pour exprimer
ces techniques. On trouve aussi à cette époque "chorégraphie".

Au XIXème, "chorégraphie" se répand avec le sens différent de pratiquer


l'"art de composer des ballets, d'en régler les pas et les figures", "art de
la danse", sens qu'il a gardé jusqu'à nos jours.

2) Le substantif "chorégraphe" désigne la personne (le danseur) qui crée,


règle les pas et les figures de danse. En raison de son ambiguïté
étymologique (celui qui note, transcrit les pas) ; un chorégraphe fameux,
Serge Lifar, avait forgé le mot de "choréauteur" qui ne s'est pas imposé.

3) L'étymologie : le mot est formé à partir du grec "choros" (latin


"chorus"), qui désigne, dans l'une de ces acceptions à la fois la danse, les
danseurs et le lieu où l'on danse, et de "graphein", écrire, ce qui est
conforme au premier sens du mot au XVIIIème siècle.

265
Ceci est lié à son origine récente et savante. En français, le vocabulaire
de la danse est d'une autre origine.

Le mot "danse" qui s'est imposé en français a sans doute une origine
germanique, dont il est malaisé de trouver l'étymon. Le verbe "danser"
s'impose cependant au XIIème siècle, il désigne une danse à caractère
solennel ou élégant, par opposition à "baller" qui vient de la langue d'oc
(plus anciennement du bas-latin) et désigne les danses populaires. Ce verbe
"baller" a disparu au XVIIème siècle, il a survécu en espagnol ("danser" se
dit "bailar") mais aussi en français sous forme de "bal" : ce mot a été
synonyme de "danse" jusqu'au XVIème (ou XVIIème) siècle.

"Ballet" (emprunté à l'italien "baletto" : petite pièce chorégraphique) et


"ballerine", comme dans un autre registre, "baladin", sont aussi des mots de
même étymologie.

CHRONIQUE D’UNE MORT ANNONCÉE


Par: Yvan Amar

Parmi tous les clichés qui ont la faveur des médias ou du monde des spectacles, il en est
un qu’on a entendu à peu près à toutes les occasions, et avec toutes les variantes possibles
: « Chronique d’une mort annoncée »… qui est, au départ, le titre d’un roman du grand
romancier colombien Garcia Marquez… et qu’on a retrouvé sous les formes « Chronique
d’une défaite annoncée », « d’une victoire annoncée », « d’une éviction annoncée »…. Ce
titre, étrangement, a eu un retentissement et un succès infiniment plus grands que le
roman lui-même. Plus étrange encore, on l’a relativement peu entendu, ces derniers
jours… alors que, pour une fois, on est dans l’exacte situation où cette formule serait
pertinente, au sens littéral. Mais, on peut noter, de façon très compréhensible d’ailleurs,
l’embarras journalistique entourant les derniers jours de Yasser Arafat : une mort
annoncée, au futur (elle est inévitable, le coma est irréversible…) alors qu’elle n’était pas
encore annoncée au présent : « Yasser Arafat EST mort ».

Alors comment les journaux s’y sont-ils pris ?


Habileté du Figaro, par exemple, qui titrait vendredi dernier sur « la fin d’Arafat »… ce
qui pouvait être interprété de diverses manières… fin de vie, fin de règne, fin d’une
époque… et qui n’impliquait pas qu’on était arrivé jusqu’au bout de la « fin »… La fin
justement, était en cours…
L’Humanité s’en tire bien également , en titrant sur le « dernier combat » d’Arafat : on dit
bien que c’est le dernier… pas d’équivoque sur l’issue du combat, puisqu’on déclare qu’il
n’y en aura plus d’autres après.
Quant au Monde, il a utilisé plusieurs fois le terme d’agonie (Confusion et bataille autour
de l’agonie d’Arafat…). Mot un peu étonnant, puisqu’à l’ordinaire, il est réservé à une
lutte ultime contre la mort, lorsque le corps, même perdu, se défend… Mais, me direz-
vous, il en est de même pour le « dernier combat » dont on parlait à l’instant…. Soit…
mais il n’y a pas que ça. L’agonie évoque une souffrance, une mort douloureuse…

266
beaucoup plus que l’inconscience que suppose un coma…
Alors, aujourd’hui, c’est bien davantage l’après Arafat qui est évoqué. Et là encore, c’est
un cliché que l’on retrouve souvent, pour marquer qu’on s’interroge sur ce qui a suivi une
période donnée. Surtout quand elle était très marquée par un homme, une personnalité…

CHUCHOTER - SUSURRER - MURMURER


Par: (pas credité)

1) Chuchoter : vient de l'ancien français "chucheter" = parler à voix basse, qui s'est
maintenu pour désigner le cri du moineau. Apparaît au XVIIe mais ne s'emploie vraiment
qu'à partir du XVIIIe.

Au sens figuré, avec un sens péjoratif : jaser, faire courir le bruit.

Former sur l'onomatopée "chu" qui suggère l'idée d'un sifflement assourdi.

Cette onomatopée est également à la racine de :


Chut ! Interjection utilisée pour réclamer le silence.
Chuinter : désigner le cri de la chouette et, par extension, le sifflement de certains gaz ou
liquides lorsqu'ils s'échappent.
Chuintant à une acception technique en phonétique et désigne la prononciation de
certaines consonnes.
Chouette : le nom de l'animal, a lui aussi une origine onomatopéique.

2) Susurrer - du latin susurrare = murmurer, bourdonner, en parlant des abeilles. Ce latin


est lui-même issu d'une racine sanscrite svarati, à laquelle se rattache les mots de la
famille de sonare. A une valeur onomatopéique.

Introduit d'abord comme emploi intransitif, devient transitif au XVIIIe, avec un sens
péjoratif parfois : susurrer des mots doux, des conseils intéressés, etc., souffler, glisser
discrètement pour séduire ou tromper.

3) Murmurer / murmure. Etymologiquement : émettre un bruit sourd, un grondement.

S'est employé au sens "gronder, se plaindre confusément". Au sens figuré, par exemple,
murmurer = gronder, protester pour le peuple, on parlait aussi du murmure populaire,
pour désigner un mécontentement diffus mais perceptible (même sens que gronder).

Par la suite, il en vient à désigner le fait de parler à voix basse et par analogie, il désigne
le bruit léger que font le vent, l'eau qui coule, etc. Evolution sans doute liée à l'évolution
de la prononciation de "ou" en "u".

267
A la période moderne - "faire des commentaires à mi-voix" et "répandre des bruits". "On
murmure dans les couloirs de l'assemblée que…".

CHUT !
Par: (pas credité)

A l'occasion du Salon de la protection contre le bruit, il convient de


s'interroger sur les moyens d'obtenir le silence - les moyens linguistiques,
bien entendu.

Un mot, à cet égard, est bien utile : "Chut !". Ce mot se situe à
mi-chemin entre le son et le geste : un doigt vertical au travers de la
bouche, qui symbolise la bouche fermée, qui ne parle plus.

C'est donc l'image sonore du silence qu'exprime ce "chut", qui nous fait
frôler l'onomatopée : ce chuintement est bien silencieux, évoque le bruit
assourdi.
Et le verbe "chuchoter" en dérive, avec son substantif "chuchotement",
parfois transformé en chuchotis, sur le modèle de gazouillis.

"Susurrer" suit le même chemin, mais son sens est parfois différent :
"chuchoter", c'est parler à voix basse. "Susurrer", c'est parler pour n'être
entendu que de quelqu'un qui est très près de vous : la voix, totalement
détimbrée, ne porte pas.

Dans "murmurer", on retrouve le redoublement expressif qu'on a dans les


autres verbes cités, mais là aussi, le sens peut être particulier : cela
évoque une rumeur, un "on-dit", liés soit à une sourde réprobation, soit
à une récrimination : "Le Directeur s'enferme bien souvent avec sa
secrétaire : on commence à murmurer" ; ou bien, c'est la première étape
d'une révolte qui gronde : "Deux jours de retard dans le paiement des
salaires… on commence à murmurer…".

CHUT
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Y. AMAR : Chut, chut ! Moins de bruit ! Vous allez réveiller les


enfants! Sans parler des malades. Chut !

E. LATTANZIO : Dites ce "chut" moins fort Yvan ! Sinon, c'est vous


qui allez réveiller tout le monde.

Y. AMAR : En tout cas vous m'avez compris. "Chut" est une


interjection qui exige qu'on se taise et qu'on soit silencieux.

268
E. LATTANZIO : Et d'ailleurs, vous avez joint le geste à la parole
: vous avez posé verticalement le doigt sur vos lèvres, pour
m'indiquer que je devais me taire, comme si vous vouliez sceller
vos lèvres et m'inviter à en faire autant.

Y. AMAR : J'ai donc dit "chut", en prononçant la voyelle "u".


Mais, en parlant moins fort, je pourrais dire "cht", en ne
prononçant à mi-voix que les consonnes. Le "u" est donc une
voyelle instable dans ce mot. Selon les contextes, on la prononce
ou pas.

E. LATTANZIO : A cette onomatopée "chut" ne correspond pas de


verbe. "Chuter", bien sûr, a un tout autre sens. En revanche, le
verbe chuchoter, sans en dériver directement, est de la même
famille. Il a à peu près le même sens qu'un autre verbe
"susurrer", qui lui aussi est né d'une onomatopée. Chuchoter est
chuintant, susurrer est sifflant. Mais dans les deux cas on a bien
des tonalités expressives. On chuchote ou on susurre lorqu'on
parle bas, qu'on se dit des secrets.

Y. AMAR : On pourrait même se les murmurer, ces secrets. Murmurer


! Encore un verbe de sens voisin. Là, nous avons affaire à un
vieux verbe, dont la racine remonte au latin. Mais en latin,
justement, "murmur" représentait un grondement sourd et
indistinct. Plutôt un bruit de tonnerre. Avec les siècles, sa
signification s'est beaucoup adoucie puisqu'aujourd'hui, murmurer,
c'est dire quelque chose très bas, sur le souffle, sans timbre.

E. LATTANZIO : Au sens propre, le mot renvoie donc à la voix


humaine. Mais on dit aussi qu'une source murmure. Et, de plus, il
existe de nombreux sens figurés ou imagés, où "murmurer" évoque
une rumeur : on murmure que le directeur adjoint pourrait être
licencié dans la semaine.

Y. AMAR : On le dit tout bas, c'est-à-dire qu'on le dit à des


interlocuteurs choisis, sans être entendu de trop de monde.
D'autant plus qu'on est pas sûr de ce qu'on avance. On est dans le
domaine de la rumeur et du ragot. Je vous le dis sous le sceau du
secret. Ne le répétez que sous le sceau du secret.

E. LATTANZIO : Murmurer peut enfin avoir un autre sens dérivé :


"Dans le personnel on commence à murmurer contre les dernières
décisions du patron !" C'est-à-dire qu'on n'est pas content et ce
mécontentement grossit.

Y. AMAR : "A l'annonce de cette punition, il n'y a eu aucun


murmure parmi les élèves". C'est-à-dire aucune protestation. Mais
on sous-entend que si personne n'a protesté, c'était par crainte.
Certains auraient bien aimé protesté.

C'était "Parler au Quotidien", une émission proposée par le Centre


National de Documentation Pédagogique ...

E. LATTANZIO : ... et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.

269
CHUTE
Par: Yvan Amar

La chute… C’est le titre d’un film qui vient de sortir en France, après être sorti en
Allemagne, et qui relate les derniers jours de la vie d’Hitler, jusqu’à son suicide dans son
bunker… Et le film, d’ailleurs, suscite une polémique autour de la façon dont la personne
d’Hitler est traitée et montrée. Rien, dans ce titre, ne laisse imaginer a priori le sujet
historique du film : il pourrait s’agir de n’importe quelle chute… On peut, d’ailleurs,
noter au passage que ce titre a déjà été utilisé par Camus pour l’un de ses plus beaux
récits.

Alors de quelle chute s’agit-il ? Celle d’Hitler ? Celle du IIIème Reich tout entier ? L’un
se confondant avec l’autre ? On peut remarquer que ce mot de « chute » est souvent
utilisé pour désigner la fin d’un régime : la chute de la royauté. Ou d’un chef d’Etat, en
général d’ailleurs un potentat… la chute de Napoléon, de Mussolini. Voire d’une ville,
quand elle symbolise un certain pouvoir : la chute de Saïgon. Et, dans ces emplois, «
chute » est toujours ou presque synonyme de disparition violente, tumultueuse, brutale…
Un effondrement. La chute n’est donc pas l’échec… Sauf s’il s’agit d’un échec
retentissant…
Mais, par exemple, parlerait-on de chute à propos de l’échec à l’élection présidentielle de
1981 de V. Giscard d’Estaing ? Une défaite, un échec… mais pas une chute.. même s’il
était président sortant.
Toutefois, on peut faire une exception en se rappelant les régimes parlementaires des
IIIème et IVème Républiques, par exemple… On parlait de la chute d’un gouvernement,
de la chute du Président du Conseil… On disait même « Telle affaire pourrait bien faire
chuter le Président du Conseil ! » Et l’image était parlante, car ces échecs pouvaient être
très soudains…

Cela dit, la chute est souvent une forme accélérée de la décadence… Ce qui se trouve
dans d’autres domaines que la politique : souvenons-nous de la Chute de la maison
Usher, belle nouvelle d’Edgar Poe.

Au sens figuré toujours, la chute peut évoquer une baisse brutale et inattendue : chute de
température, de popularité…

Mais, au sens propre, le mot « chute » évoque souvent ce qui tombe alors que ça ne
devrait pas tomber (la chute d’une statue, de quelqu’un qui tombe, ayant glissé sur le
verglas… Mauvaise chute !)
Pourtant, le mot s’applique également à ce qui tombe de façon tout à fait naturelle : chute
d’eau, chute de neige, chute des feuilles… Ce qui tombe du ciel… quoi.

Alors, terminons avec un peu d’étymologie… D’où vient-il ce mot « chute » ? Du verbe «
choir »… Mais, le bizarre de l’affaire est que le verbe est presque sorti d’usage… En tout
cas, il n’est pas d’usage courant. « La bobinette cherra » n’est plus compris aujourd’hui
alors que le Petit Chaperon rouge comprenait parfaitement la phrase au XVIIème siècle. «

270
Il a chu dans le ruisseau… » est plaisant… Il n’y a guère que l’infinitif « choir » qui soit
encore employé… « Il m’a laissé choir »… pour « il m’a laissé tomber »… Là encore,
c’est plaisant… mais on comprend !

CIEL
Par: (pas credité)

La convention des astrologues fait qu'on interroge plus que jamais


le "ciel".

Mais avant qu'on l'interroge, le ciel sert à exprimer de façon


très expressive, des émotions fortes : le ciel sert à s'exclamer :
"ciel, mon mari !".

Au delà de cette surprise horrifiée, le ciel s'utilise pour les


jurons pas très graves. Pourquoi ? Le ciel n'est pas Dieu, même
s'ils sont étroitement associés : jurer par le ciel est moins
compromettant.

Et puis, le ciel est lié à bien d'autres religions que la chrétienne,


en particulier les religions antiques de la Grèce et
de Rome. Les dieux vivent au sommet du Mont Olympe, i.e. déjà
quasiment dans le ciel. En effet, le Ciel est la demeure divine,
et ça, également dans la représentation de la divinité chrétienne :
Gloire à Dieu au plus haut des cieux - la louange humaine monte
vers Dieu - Dieu est "là-haut".

Si le ciel n'est pas Dieu, qu'est-il alors ? Deux choses


essentiellement : le Paradis - le Destin.

Le Paradis, le séjour des âmes bienheureuses. Ainsi, au cancre


orphelin dira-t-on : "Si tu apprends bien ta leçon, ta maman, qui
te voit du ciel, sera fière de toi". "Le ciel peut attendre", "il
est déjà au ciel"...

Parfois, cette idée de Paradis est associée à une idée de plaisir


plus terrestre : quand il a appris qu'il était admis au
conservatoire, Léonard était au ciel = extrêmement heureux.

Parfois, l'idée est même plus concrètement érotisée : le 7ème ciel


qui, au départ, représentait un grand bonheur, est de plus en plus
associé à la jouissance. L'expression est ancienne : cosmogonie
antique : univers = 7 sphères concentriques (parfois 11).

271
D'ailleurs le nombre n'a pas tant d'importance : on a dit "au 3ème
ciel..." et les chiffres sont symboliques. Se souvenir de Boris
Vian : "envoie-moi au ciel !" (fais-moi mal Johnny !).

Le Destin : "Aide-toi, le ciel d'aidera". Ciel = la divine


providence. Cf vieille expression : "plût au ciel...". J'étais dans
une situation financière catastrophique, et ces 2 000 F me sont
tombés du ciel : bonne surprise ; c'est arrivé à point nommé,
inopinément, sans que je fasse rien pour le provoquer.

Ecrit dans ou au ciel : c'est inéluctable = c'est la destinée qui


s'accomplit. Il a fini par l'épouser : c'était écrit dans le ciel.

A la forme négative, ça signifie : "Attention, on peut faire


autrement". "Tu sais, je peux toujours demander le divorce. C'est
pas écrit dans le ciel qu'on vivra ensemble toute notre vie !".
"Si le ciel est avec nous, il ne pleuvra pas du week-end."

CIGARE ET PIPE
Par: (pas credité)

Y. AMAR : On célèbre aujourd'hui, à grand renfort


de congratulation, les 30 ans de la maison Cottiba,
illustre fabrique de cigares cubaine.

E. LATTANZIO : Tout le monde sait qu'on peut


également fumer des cigares, des cigarettes ou bien la
pipe. Mais si les mots ont laissé quelques trace dans la
langue française, ce n'est pas à cause de leur forme
oblongue, mais de leur usage, de leur mode d'emploi : on
les porte à la bouche et ils ont donc désigné assez
couramment la bouche et plus en core la tête... Enfin
pour deux d'entre eux, car, la cigarette n'a bizarrement
rien donné.

Y. AMAR : "En avoir dans le cigare", c'est être


intelligent, de façon bien sûr familière.

E. LATTANZIO : Mais dans l'argot des années 50, le


cigare, c'est la tête en général : ce méchant gangster a
pris deux pruneaux dans le cigare, lors d'un réglement
de compte entre Pigalle et Blanche. Pipe vient du verbe
piper : en raison de sa forme (usage d'un tuyau pour
aspirer la fumée.

272
Y. AMAR : Casser sa pipe : expression familière
attestée dès le XVIIème siècle mais avec le sens de
"enrager". Le sens "mourir" apparaît au XVIIIème , Cf le
titre d'un journal le jour de la mort de G. BRASSENS :
"G. BRASSENS casse sa pipe", allusion au fait que le
chanteur fumait la pipe.

E. LATTANZIO : Expresion qui s'est figée : on ne


peut la mettre au pluriel, ni faire varier le détermi-
nant "sa". Et on ne l'emploie guère qu'au présent ou au
passé composé.

Y. AMAR : En revanche, on trouve l'expression le


"casse-pipe" qui désigne familièrement "la guerre". Voir
le titre d'un livre de L.F. CELINE : Casse-pipe :
"Envoyer (aller) au casse-pipe" = aller au combat avec
l'idéd sous-jacente de mourir = aller se faire tuer.

E. LATTANZIO : Dans cette expression, on peut


penser que pipe est resentie comme une désignation
imagée de "tête" = cf "aller se faire casser le gueule -
cf les anciens combattants de l'aviation qui avaient
pris por nom "les gueules cassées", ou encore l'expres-
sion c'est "casse-gueule".

Y. AMAR : L'emploi de pipe comme synonyme de tête


est attestée par l'expression "se fendre la pipe" pour
signifier "rire - rigoler" - "se fendre la gueule".

E. LATTANZIO : Une autre expression nous révèle


l'origine de cette analogie : "par tête de pipe". A
l'origine Tête de pipe siginfie "visage aux traits
grossiers" comme ceux qui décoraient ou constituaient
les fourneaux des pipes en terre rustiques. Par la
suite, l'expression a perdu cette valeur et, par conta-
mination avec l'expression "par tête", en est venue
simplement à signifier "par personne" dans un décompte.
"On a une bouteille par tête de pipe". Là encore, c'est
très familier.

CINEMA
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

E.LATTANZIO : On s'achemine tout doucement vers la fin de l'année

273
du cinéma puisque c'est en 1995 que l'on a fêté son centenaire.

Y.AMAR : En effet, il y a cent ans qu'a eu lieu la première


projection publique de cinéma, par les frères Lumière. Mais en
1895, on savait donc déjà fabriquer, "tourner" des films puisqu'on
en a fait un spectacle. D'ailleurs le mot de cinématographie
existait déjà : on le voit apparaître en 1892.

E.LATTANZIO : Il a été formé à partir d'éléments grecs : "kinema"


c'est le mouvement, "...graphe" qui vient de "graphein", écrire,
indiquer l'inscription. Il s'agit donc de donner l'image d'un
mouvement. Le cinématographe désigne, au départ, l'appareil, ce
que l'on appellerait aujourd'hui une caméra ...

Y.AMAR : Mais très vite, le mot s'applique aussi au processus de


fabrication d'un film puis, sous sa forme allégée, "cinéma", à la
salle où l'on pouvait assister à la projection. On sait que le
cinéma se divise en deux grandes périodes, qu'on appelle le "muet"
et le "parlant". Mais bien sûr, jusqu'en 1929 ou 1930, on ne
parlait jamais de cinéma muet : on n'imaginait pas qu'il pût être
autrement. L'expression "cinéma muet" est née avec le cinéma
parlant et grâce à lui.

E.LATTANZIO : Et le mot cinématographe a mué, lui-même, très vite


: en 1893, un an après son invention, on commençait déjà à
l'abréger en "cinéma". Le cinéma, à son tour, peut s'abréger en
"ciné", on l'entend à partir de 1905, mais cette abréviation est
toujours restée familière et un peu plaisante. Alors que cinéma
est devenu le mot courant qui a carrément remplacé cinématographe.

Y.AMAR : Pourtant le ciné ne suffit pas aux adeptes du 7ème art.


En 1935 apparaît le "cinoche" avec cette suffixation populaire qui
se marque par la terminaison "oche". "Ciné" et "cinoche" sont un
peu vieillis aujourd'hui. Mais le préfixe est très productif, plus
que cinéma.

E.LATTANZIO : En effet, cinéma n'a donné qu'un seul dérivé :


cinémathèque, c'est-à-dire un lieu où l'on conserve les vieux
films et où on les projette. Mais la plupart des autres dérivés
proviennent de "ciné", plus court et plus maniable : "ciné-club",
association qui projette des films pour ses adhérents,
"cinéphile", grand amateur de cinéma, "cinéaste", personne dont la
profession est de réaliser des films.

Y.AMAR : C'était Parler au Quotidien, une émission proposée par le


Centre National de Documentation Pédagogique ...

CINEMATHEQUE
Par: Yvan Amar

Une nouvelle cinémathèque à Paris, inaugurée avant-hier officiellement, et qui ouvre ses
portes aujourd’hui… c’est un événement, qui fait entendre plus souvent qu’à l’ordinaire
le mot compliqué de cinémathèque. Qu’est-ce que c’est donc que cette nouvelle

274
cinémathèque ? Un lieu culturel, un peu mondain en ce moment parce qu’il est tout neuf,
où l’on se presse pour voir l’exposition consacrée aux Renoir père et fils, le père, peintre
impressionniste et le fils cinéaste… Mais sans ça, la cinémathèque… c’est un cinéma,
tout simplement. Un cinéma comme les autres ? Pas vraiment… Un cinéma du service
public qui montre des films anciens ou modernes mais réputés relativement rares, qu’on
ne voit pas souvent, et qu’on projette, en général, autour de différentes thématiques… Un
cinéma donc qui, d’abord, n’est pas soumis aux aléas de la rentabilité, ni aux caprices du
marché, ou aux sorties des films récents. Mais qui montre des films, un peu comme un
musée montre ses collections et organise des expositions temporaires. La cinémathèque
est donc le temple des cinéphiles et de la cinéphilie… C’est-à-dire ? De l’amour, que dis-
je de l’amour, de l’intérêt qui se transforme en culte, pour le cinéma. On y voit donc des
maniaques, qui arrivent en avance, s’assoient toujours à la même place, savent déjà tout
sur le tournage, les acteurs, le troisième assistant au montage… du film qu’ils ont déjà vu
sept fois…

Ils sont à la Cinémathèque, non pas dans une cinémathèque : la Cinémathèque française,
historique, qu’on a connue Avenue de Messine, au Palais de Chaillot, et qui est
maintenant rue de Bercy, dans l’est de Paris.

Pourquoi « cinémathèque » ? On a formé ce mot, qui n’est pas récent (il apparaît en
1921) sur le modèle de bibliothèque, bien sûr. Bibliothèque : endroit où l’on conserve des
livres, et où le public peut les consulter, les emprunter parfois. Mais, le mot s’emploie
également à propos d’une bibliothèque personnelle… et il signifie alors collection de
livres, ensemble des livres que l’on possède. Enfin, le même mot peut voir son sens
s’étendre à la pièce, voire au bâtiment où ces livres sont gardés.

Le mot « bibliothèque » est formé à partir du grec. « Biblios » c’est le livre. Quant à «
théqué », c’est un mot qui signifie, au départ, coffre, case, endroit de rangement, et même
parfois, tombe… un endroit où l’on garde des objets pour longtemps donc... qui a permis
de former ce mot qui évoque le rangement des livres. Ou le rangement, la possession, la
conservation des films pour cinémathèque…

Cette formation à partir de –tèque est très productive aujourd’hui. On a fait médiathèque,
depuis que les bibliothèques prêtent à leurs usagers des revues, des journaux, des disques,
des films… La vidéothèque est l’officine spécialisée dans le prêt des cassettes de films :
on ne voit pas les films, comme à la cinémathèque : on les emprunte seulement.

Quant à la discothèque, son destin est plus libre encore : le mot peut désigner un service
de prêt de disques. Mais, le plus souvent, il désigne le lieu où l’on va écouter de la
musique, danser, passer ses nuits blanches.

CIRCUITS, COUPE et COURT


Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Y.AMAR : "Cantona a pété les plombs!". On a entendu l'expression

275
plusieurs fois quand ce footballeur a agressé un spectateur qui
soutenait l'équipe adverse. Il a pété les plombs, c'est-à-dire
qu'il a perdu le contrôle de lui-même et s'est laissé aller à une
conduite inacceptable.

E.LATTANZIO : L'expression est familière, ne serait-ce qu'à cause


de l'emploi du verbe "péter" pour casser, faire sauter ... Et
"péter" c'est de l'argot, bien sûr. Mais l'expression appartient
au langage de l'électricité. Les plombs sont des fils, en plomb,
qui fondent quand la tension est trop forte et donc coupent le
circuit électrique, et évitent les incidents.

Y.AMAR : C'est donc un système de protection. Et le verbe


"disjoncter" a à peu près le même sens et le même emploi : Cantona
a disjoncté. Et le disjoncteur est aussi un appareil qui permet de
couper un circuit électrique, pour éviter les incidents en cas de
surchauffe. Mais l'emploi de "disjoncter" au figuré est peut-être
un peu différent. Ca a un sens moins ponctuel, plus permanent.
Celui qui disjoncte n'a plus les pieds sur terre, il n'a plus le
sens des réalités.

E.LATTANZIO : Mais dans les deux cas on a comparé un excès de


tension nerveuse à un excès de tension électrique.

Y.AMAR : Autre image, qui vient de l'électricité, le fusible.


Fusible est le nom plus technique du "plomb" (qui aujourd'hui
n'est plus toujours en plomb). Mais ce mot a une utilisation bien
différente : "Ce Premier Ministre est un fusible qui protège le
Président de la République" entend-on parfois.

E.LATTANZIO : Cela signifie qu'en cas de crise politique, le


Premier Ministre peut remettre la démission de son gouvernement,
en protégeant ainsi le Président et en assurant la continuité de
l'Etat.

Y.AMAR : L'expression est un peu familière, mais journalistique.


Et le court-cicuit ? C'est encore une image électrique, moins
immédiatement compréhensible.

E.LATTANZIO : Court-circuiter quelqu'un c'est ne pas s'adresser à


lui et l'empêcher d'intervenir. Vous voulez un rendez-vous avec le
grand patron, mais sa secrétaire vous déteste ... Et bien vous
évitez de vous adresser à elle et vous vous débrouillez pour
rencontrer le patron dans l'ascenseur ... Vous avez court-circuité
la secrétaire!

Y.AMAR : C'était Parler au Quotidien, une émission proposée par le


Centre National de Documentation Pédagogique ...

E.LATTANZIO : ... Et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.

CIRE
Par: (pas credité)

276
PARLER AU QUOTIDIEN DU 10 JUILLET 2001

La réouverture récente du musée Grévin ne nous laisse aucune échappatoire :


aujourd’hui, pleins feux sur la cire, dût-elle en fondre d’émoi. On sait, en effet, que le
musée Grévin expose des figurines de cire, grandeur naturelle, qui représentent les
célébrités de ce monde, sous les traits qu’on leur prête (Vercingétorix) ou qu’on leur
connaît (Loana ? un jour peut-être ?). De façon un peu caustique, un « musée de cire »
peut désigner une assemblée de vieilles personnes : une réunion de famille chez ma tante
; une commission de travail au Sénat…

Mais la cire, alors… Le mot vient du latin cera, et désigne d’abord la cire naturelle,
matière un peu grasse, produite par les abeilles, dont on a fait longtemps des bougies et
qu’on a utilisée pour cacheter les lettres. On l’utilisait aussi, dans la première moitié du
XXème siècle pour y graver les premiers enregistrements sonores. D’où l’expression (peu
employée, il est vrai, sinon dans un jargon un peu spécialisé) vieille cire, pour dire vieil
enregistrement, historique, et qui gratte : Caruso et Cie.

L’encaustique est une pâte qui sert à l’entretien ou à la peinture. Elle était faite, au départ,
d’un mélange de cire fondue et d’essence de térébenthine. On l’a donc souvent nommée
«cire».
Et de cet emploi, on a tiré le verbe cirer : nettoyer, frotter, faire briller avec de la cire. Et
cette activité s’est d’abord appelée le cirage. Mais le mot de cirage a débordé ce premier
emploi pour désigner bien vite une cire teintée, destinée notamment à l’entretien du cuir.

De là quelques expressions figurées : « être dans le cirage » : allusion au caractère pâteux


et souvent noir du cirage = être à moitié endormi, n’avoir pas une conscience claire de ce
qui se passe.
Le premier sens argotique était être ivre (glissement de l’expression être noir). L’image a,
paraît-il, été utilisée par des aviateurs : « être dans le brouillard ». Aujourd’hui, elle
signifie plutôt qu’on est mal réveillé, peu rapide d’esprit. Cf « être dans le coltar, dans le
gaz », etc.

Autre expression : « cirer les pompes de quelqu’un ». L’image est parlante : la position
semble servile, et singe une marque de respect hyperbolique : on nettoie ce qui chez
l’autre est le plus sale. Ça veut dire, bien sûr, flatter obséquieusement, fayoter.

A l’inverse, « rien à cirer » signifie familièrement « je m’en moque ». Ne sous-estimons


pas pour comprendre cette locution le croisement avec une autre image, plus sexuelle, du
cirage/frottage : « rien à cirer » équivaut, en un peu moins cru, à « rien à foutre ».

CIRQUE
Par: (pas credité)

277
Avec toutes ses célébrations et rétrospectives, le cirque est en
ce moment particulièrement à la mode et propose un vocabulaire
très particulier. Les mots désignant ces artistes sont, eux, très
anciens, ils viennent souvent du Moyen-Age et même de
l'antiquité, comme le mot "acrobate" par exemple. Ce n'est qu'à
partir du début du siècle qu'on a utilisé ce mot pour désigner les
"équilibristes" et les "trapézistes". Mais le mot remonte lui-même
à beaucoup plus loin dans le temps : il vient du grec "akrobatos"
qui signifie littéralement "celui qui marche sur la pointe des
pieds". Pendant très longtemps d'ailleurs, on a utilisé ce terme
pour désigner les danseurs de l'Antiquité, puis de l'idée de
danse, on est passé à l'idée de danse dans l'espace, de jeu avec
l'équilibre. Le mot a désigné plus spécialement ces exercices
périlleux où l'artiste défie les lois de la pesanteur.

Mais les acrobates ne sont pas des "funambules" qui pourtant, eux
aussi, sont des virtuoses de l'équilibre. Le mot "funambule", lui,
vient du latin, il est composé du mot "funis" : corde et de la
racine "ambulare" : marcher. Le "funambule" est donc celui qui
marche sur un fil. De nos jours, il est en concurrence avec un mot
qui lui est de formation radicalement française et donc plus
populaire : "le fil-de-fériste", celui qui se tient en équilibre
sur un fil de fer.

Autres virtuoses de l'équilibre, les "jongleurs". Au Moyen-Age,


ils existent déjà, un "jongleur", c'était d'abord quelqu'un qui
chantait ou disait des poèmes, tout en faisant d'amusantes
plaisanteries. L'étymologie du mot, d'ailleurs, est éloquente
"jongleur" dérivant de "jocus" : plaisanterie. Alors, tout en
plaisantant, ces jongleurs se livraient à des tours d'adresse et
c'est ce sens-là qui a prévalu.

Le mot "clown" apparaît en France vers 1830. Le nom comme le


personnage provient du cirque anglais où le clown jouait à
l'origine le rôle d'un rustre, de l'idiot du village.

Le mot, comme le personnage, a vite connu une grande popularité.


Des clowns, il y en a de toutes sortes, l "auguste" par exemple,
n'est pas le "pitre", ni le "paillasse". On a donné ce nom d
"auguste" au clown par ironie, par antiphrase, parce que
l'adjectif auguste signifie au contraire "solennel", "majestueux",
"vénérable". Mais justement, l'auguste au cirque n'est pas
vraiment un clown qui fait rire, il a généralement le visage
entièrement blanc, et arbore une mine sérieuse, il est habillé
d'une tenue étincelante et, en fait, il offre un contraste amusant

278
avec le "paillasse", le "pitre", celui qui a le nez rouge et les
chaussures trop grandes, qui est bouffon et grotesque aussi bien
dans sa mise que dans son comportement ou ses paroles.

CIRQUE
Par: (pas credité)

Les Nouveaux Nez , Que Cir Que, le Cirque O, le cirque Plume, Archaos… Ce
qu'on appelle, peut-être un peu abusivement le " Nouveau Cirque " fleurit
en ce moment plus que jamais. Pourtant, ce nouveau cirque d'antan en est
plus vivant que jamais. Bonne raison pour s'interroger sur ce mot ?
Pourquoi pas…
Le nom du genre est une métonymie, dans la mesure où cirque a d'abord
désigné une forme. Le cirque, de la famille de circa = autour était chez
les Romains une construction circulaire - c'est-à-dire ronde, qui
accueillait des jeux sanglants et populaires. Le mot, en français a
d'ailleurs gardé un sens différent et géographique : Mourèse, Gavarni
Navacelle sont d'impressionnantes zones encerclées de montagnes.
Et ce n'est qu'au 19ème siècle, que le mot s'est spécialisé dans le sens du
spectacle qu'on lui connaît aujourd'hui : Le cirque Franconi, avec ses
divertissements équestres a probablement été le premier cirque très célèbre
en France. Et de l'espace circulaire où se déroule le spectacle, le mot a
fini par désigner le spectacle lui-même. Quant à cet espace circulaire, il
fallait pour être précis lui trouver un nom bien à lui : ça a été la piste.
Le mot vient de l'italien perstare = broyer, qui désignait le chemin suivi
par les chevaux le long du manège. Et le sens du mot a évolué du parcours à
l'espace qu'il délimitait.
Un mot sur ce qu'on fait sous le chapiteau maintenant (le chapiteau,
c'est-à-dire la tente qui abrite le spectacle - et chapiteau, comme piste
fonctionnent souvent comme métonymie du cirque).
Parmi les numéros les plus traditionnels, on trouve les jongleurs, les
funambules, les acrobates, les clowns.
Le jongleur n'est pas nouveau, mais au Moyen-Age, le mot avait un sens
différent : il dérive de jocus, plaisanterie. Et au départ, le jongleur
plaisante, raconte des blagues, dit des poèmes, et petit à petit se livre à
des tours d'adresse en même temps. Les tours prévalent, et voilà notre
jongleur moderne, avec balles, massues, torches…
Le funambule est un danseur de corde (un peu comme un fildeferiste) dont le
nom est calqué sur le latin (funis = corde ; ambulare = marcher).
Les acrobates viennent du grec : ce sont ceux qui marchent sur la pointe
des pieds, et par extension les danseurs. Graduellement, le mot, en
français, s'est spécialisé pour désigner les équilibristes qui se livrent à
des exercices périlleux qui défient la pesanteur.
On finit sur le clown, bouffon du cirque anglais, parfois orthographié

279
cloune au siècle dernier, qui a désigné un personnage comique conventionnel
qui s'est imposé pour englober de façon générique tous les personnages
comiques typés (Paillasse, Auguste, clown blanc, etc.).

CIRQUE
Par: (pas credité)

Les fêtes de fin d'année sont une bonne occasion pour emmener les enfants
au cirque. Le sens du mot "cirque" est clair : il désigne un type de
divertissement qui présente, en général sous forme de revue, une succession
de numéros exécutés par différents artistes. Des numéros qui font rire, et
d'autres qui font frissonner, puisque tout l'art du cirque oscille entre le
comique et la prouesse. On est en tout cas dans un monde d'excès et
d'outrance, d'extraordinaire, qui, transposé dans la langue courante, va
évoquer l'incongru et le désordonné.

Ce qui explique des expressions telles que "qu'est-ce que c'est que ce cirque ?"
ou "arrête ton cirque !".
Mais plus que la pétaudière, l'expression aura tendance à évoquer la
comédie, le caprice à orientation hystérique, mis en scène par son auteur.
Et ces locutions s'emploient souvent (et familièrement bien sûr) pour
désapprouver une demande ou une attitude jugée excessive ou incongrue.
Mais ces expressions n'appartiennent pas spécialement au langage des
circassiens. Les circassiens, passionnés de cirque ou de gens de métier -
avec un nom pour les nommer qui utilise par calembour celui d'un peuple
disparu, qui jadis vivait au nord du Caucase, en Circassie.

Aucun souvenir, dans tous ces emplois de l'origine du mot "cirque" qui, bien
sûr, a partie liée avec le cercle : un cirque n'est rien d'autre qu'un
espace circulaire. Et cet espace est techniquement dénommé piste - un
cercle dont la dimension est fixe : treize mètres cinquante de rayon,
calculés d'après la longueur de la chambrière.

Et tout le monde sait qu'une chambrière est un long fouet, au départ


utilisé par les dresseurs de chevaux. Pourquoi "chambrière" ? Parce qu'il
assiste le dresseur comme la chambrière -la femme de chambre- assiste sa
maîtresse. Est-ce que c'est bien certain cette étymologie acrobatique ? Non
évidemment ; mais c'est ce que disent les meilleurs linguistes.
En tout cas, bien benêt serait celui qui confondrait la chambrière avec le
perpignan, fouet court à manche d'osier tressé, jadis fabriqué dans la
ville homonyme, et qui sert aux dompteurs de fauves.

C'en est assez pour nous convaincre : le cirque a son jargon pittoresque,
balançant entre batoude et léotard, entendu des banquistes opaques aux

280
pantres. (Batoude : tremplin de saut ; léotard : maillot des acrobates,
conçu par Jules Léotard, l'inventeur du trapèze volant ; banquistes : gens
du voyage ; pantre : goy).
Une dernière expression pour finir : travailler sans filet qui fait
référence aux acrobates, et particulièrement aux trapézistes : en général,
ils font tendre un filet de sécurité au-dessous d'eux, qui les rattrape en
cas de chute. Travailler sans filet, c'est donc tenter quelque chose sans
solution de repli, sans possibilité de rattraper un raté ou un imprévu.

CIRQUE/ARTS DE LA RUE
Par: (pas credité)

Y.AMAR : A Nanterre, s'ouvre le Festival du Cirque et des Arts de


la Rue. Origine romaine du mot "circus" (cercle, comme le terme
circulaire). Amphithéâtre de forme circulaire ou elliptique où se
déroulaient les jeux que les Romains affectionnaient (le Colisée)
: les jeux du cirque. Cf le célèbre "panem et circenses" (du pain
et des jeux du cirque), expression méprisante que le satiriste
Juvénal utilisa pendant la période de décadence de l'Empire pour
stigmatiser l'état d'abaissement où en étaient arrivés selon lui
ses concitoyens : ils ne souhaitaient plus que de la nourriture et
des divertissements.

E.LATTANZIO : De là vient l'expression "descendre dans l'arène" :


l'arène était en effet la partie sablée (arena=sable en latin) où se
déroulaient les combats de gladiateurs. D'où le sens figuré de l'expression
"accepter de se battre", "engager une lutte" contre un adversaire politique,
par exemple. L'expression s'est maintenue grâce au sens moderne du mot arène
(au pluriel souvent) qui fait référence à la tauromachie.

Y.AMAR : Aujourd'hui cirque = spectacle ambulant (en général) qui


présente des spectacles divers (acrobates, clowns, dressage
d'animaux). Cirque a de ce fait une forme péjorative : "Qu'est-ce
que c'est que ce cirque ?" = désordre, spectacle outré. "Faire le
cirque" pour un enfant = faire des bêtises, se montrer turbulent.

E.LATTANZIO : Cette nuance péjorative se retrouve dans l'usage


figuré des mots liés au cirque ou aux arts de la rue :
"saltimbanque", étymologiquement celui qui saute sur un tremplin.
Au sens propre un acrobate de rue, au sens figuré un mauvais
orateur, à l'éloquence outrée et ridicule.

Y.AMAR : "Bateleur", du vieux français "basteel" signifiant


marionnette. Le terme au sens figuré désigne souvent un homme à

281
l'éloquence facile et mensongère, par exemple un homme politique à
la parole trop séduisante. Il est curieux de noter que
l'étymologie (marionnette) coïncide avec une certaine idée moderne
de la politique (les Guignols de Canal+).

E.LATTANZIO : Eventuellement : rapprocher cirque et foire. D'abord


parce que les gens de cirque sont souvent confondus avec les
"forains" (du latin foranus = étranger, cf l'anglais foreign) du
fait qu'ils sont ambulants. Ensuite parce que les cirques sont
souvent rapprochés des "foires", du type "Foire du Trône". D'où
l'existence d'expressions de sens voisin : c'est la foire = c'est
le désordre, où même "c'est la foire d'empoigne", expression
désignant une concurrence anarchique entre plusieurs personnes
pour obtenir un avantage ou un bien quelconque.

CIVIL, CIVIQUE
Par: (pas credité)

Y.AMAR : On a beaucoup parlé à propos de la loi sur l'immigration,


d'appel à la "désobéissance civile". Civil est l'adjectif sur
lequel presque tout le monde semble s'accorder. Pourtant Robert
Badinter déclarait : "Je suis trop attaché à l'état de droit pour
appeler à la désobéissance civique" (en tout cas, c'est ainsi que
ses propos étaient transcrits dans le journal Libération). Et Raoul
Béteiller, député RPR s'oppose lui aussi à cette désobéissance
civique.

E.LATTANZIO : On voit donc qu'au-delà de la polémique, il y a du


flou dans l'adjectif. De quoi s'agit-il ? D'une désobéissance par
rapport à la loi, au droit. Et d'une désobéissance délibérée, non
pour tourner la loi ou frauder, mais pour contrer la loi de façon
ostensible.

Y.AMAR : Or, l'adjectif "civil" semble bien choisi puisqu'il fait


référence à la loi : on parle de droit civil qui régit les
rapports entre particuliers, de même qu'on parle de société
civile, de l'état-civil. L'adjectif "civique", bien que proche, a
des sens différents. Bien sûr, la racine est la même, les deux mots
ont un rapport avec l'idée de "cité", symbole de l'organisation
sociale.

E.LATTANZIO : Bien sûr, en latin déjà, les mots étaient parfois


synonymes : en droit romain, l'adjectif "civilis" a supplanté
l'adjectif "civicus". Pourtant, "civique" a des sens spécifiques.

282
Y.AMAR : Ce qui est civique renvoie au civisme, à un monde de
citoyen, à la "vertu". Ce mot porte l'idée d'un devoir, d'une
obligation librement consentie, alors que "civil" renvoie à la
contrainte de la loi, la menace sourde, la peine possible.

E.LATTANZIO : Voter, par exemple, on dit que c'est un "devoir


civique". Mais ce n'est pas une obligation légale, ce n'est pas
obligatoire.

Y.AMAR : Les droits civiques sont ceux qui permettent de se


comporter en citoyen, d'être électeur et éligible. Et
l'instruction civique est censée dispenser les éléments
nécessaires à un bon exercice du civisme. On comprend donc mieux
l'ambiguité "désobéissance civile/civique" : l'enjeu est à la
frontière des deux mots.

CLAIR
Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 13 AVRIL 2001

« C’est clair ! » C’est devenu le mot de passe d’une génération. En quelques courtes
années, cette expression, si éclatante, si transparente, d’apparence modeste et lumineuse,
est devenue le tic de langage le plus entendu chez les jeunes gens, tic de langage d’autant
plus étonnant que cette expression ne contredit en rien la signification ordinaire et
traditionnelle de l’adjectif. Si bien que la tournure ne choque pas, et que d’ailleurs, on la
remarquerait à peine, n’était sa fréquence. Alors quel sens lui donner, ou plutôt quelle
nuance, quel effet de sens ? « C’est clair » signifie simplement bien sûr, évidemment : «
c’est clair il va rater son train, vu l’heure »…

On peut toutefois remarquer que la vogue de l’adjectif, utilisé dans une formule aussi
simple et plate, fait suite à un certain nombre de nuances qui ont affecté le mot.

D’abord, à la forme négative, le mot correspondait presque exactement à « net ». «


L’affaire n’est pas claire, sa proposition n’est pas claire ». Ce qui signifie, « ça cache
quelque chose, c’est louche, c’est bizarre, c’est suspect ». « Ce type-là n’est pas clair »,
c’est-à-dire qu’il ne m’inspire pas confiance, il a sûrement des motivations cachées, il est
susceptible de desseins inavouables.

L’expression « en clair » a été également très en faveur. D’abord, elle est souvent usitée
comme simple équivalent de « bref », « pour nous résumer », notamment dans la langue
politique ou la prose journalistique. Mais, elle est aussi indissociable du souci (parfois
démagogique) du « parler vrai » qui a tant séduit la langue politique. « En clair », c’est-à-

283
dire, sans fioritures, sans circonvolutions ni langue de bois. C’est l’expression qui est
employée pour montrer qu’on traduit un euphémisme : l’entreprise va opérer un
redéploiement de ses effectifs dans le cadre d’une restructuration. « En clair, on va
licencier 2 000 personnes. Le directeur a reconnu un léger dysfonctionnement ». « En
clair, il a avoué une grossière erreur ».

Le message clair est également très à la mode : « le Secrétaire général du parti chose a
envoyé un message clair aux militants, aux électeurs ».

Ces expressions doivent certainement beaucoup à Canal +, chaîne de télévision cryptée,


qui, à certaines heures de la journée, diffuse ses émissions en clair. C’est-à-dire que tout
le monde peut les recevoir, décodeur ou pas. « En clair » s’oppose donc ici à en code,
chiffré, comme un message secret.

CLAIR
Par: (pas credité)

"J'ai tout compris : c'est l'inspecteur qui est l'assassin ! C'est clair
comme de l'eau de roche". C'est ce qu'on peut dire au beau milieu d'un
film policier quand, tout à coup, la vérité vous saute aux yeux. C'est
évident, on ne peut pas s'y tromper. C'est clair comme de l'eau de roche !.

L'eau de roche, en ancien français, c'est l'eau de source. L'image est


toute simple : comme l'eau de source est en général très propre, très
claire, elle est transparente ; on peut voir à travers, elle ne cache rien.

D'ailleurs, on utilise souvent cette expression pour montrer que les choses
abstraites sont aisément compréhensibles : "Mon oncle m'a montré comment
on se servait de son ordinateur. Il explique bien : avec lui, c'est clair
comme de l'eau de roche".

Mais l'idée de source n'évoque pas uniquement la clarté. Comme au sens


propre, la source d'un fleuve, c'est le premier endroit où il apparaît, où
il sort de terre, on utilise souvent le mot avec le sens d'origine : Albert
mène la grande vie : voiture de sport, voyages, beaux costumes… Et
pourtant, il n'a pas d'emploi. On peut se demander quelle est la source de
ses revenus, c'est-à-dire d'où vient tout son argent.

Et quand on parle de source, non seulement, on pense à l'origine, mais aussi


à la cause : Joséphine aime trop prendre des risques : c'est la source de
tous ses ennuis. Il faut comprendre que c'est là que proviennent, que
découlent tous ses ennuis. Aussi naturellement qu'une rivière qui coule
depuis sa source.

284
Enfin, la comparaison avec une source sert spécialement
à évoquer l'origine d'une information. Un journaliste, par exemple,
doit parfois chercher des renseignements confidentiels et tenter de percer
les secrets. Et ceux qui lui disent ce qu'il veut savoir, ne souhaitent pas toujours
que ça se sache. Si le journaliste ne les trahit pas, on dit qu'il ne révèle pas ses
sources, qu'il protège ses sources.
Et, dans ce cas-là, ces sources mystérieuses sont ses informateurs.

CLASSE
Par: (pas credité)

La première "classe" disparaît à cette rentrée sur le réseau ferré de la banlieue parisienne,
comme ce fut le cas pour le métro en 1991. A la joie de certains, au dépit de certains
autres, on voit tout de suite que ce mot de "classe" introduit d'abord une idée de
hiérarchie et de distinction.

Il vient, sans originalité, du latin "classis" qui renvoyait au départ aux différentes
divisions de citoyens susceptibles d'être appelés sous les armes. Et d'ailleurs, en français,
on a pu garder un sens militaire : "être de la classe 90", c'était avoir été appelé sous les
drapeaux en 1991 ; "faire ses classes", c'était avoir été initié aux premiers rudiments du
maniement des armes. Mais le service national ayant été réformé, ce vocabulaire, sous
cette forme en tout cas, va disparaître.

L'idée de hiérarchie qu'on a évoquée est étrangement relativement récente en français et


n'apparaît pas avant le XVIIème siècle, sous l'influence de l'adjectif latin "classicus" qui
désignait la première des cinq "classes" entre lesquelles étaient répartis les Romains
d'après leur fortune. Mais cette filiation explique bien le succès que le mot a connu dans
le vocabulaire de la philosophie politique : "classes sociales", "luttes des classes", etc.

Et la première "classe", elle, est liée à une idée de supériorité : elle indique un
"classement", un jugement qui donne l'idée d'une plus grande valeur, plus grande
importance, plus grande qualité. On a même une expression "hors classe" qui est comme
un superlatif de première "classe" et qui sort tout droit du vocabulaire de la hiérarchie.

Et le langage familier des jeunes d'aujourd'hui s'est emparé du mot en lui attribuant un
parfum de chic, de distinction, tout en l'utilisant dans une syntaxe particulière (et
relâchée, bien sûr) : non pas seulement "il a de la classe" - et l'expression existe aussi
dans une langue très correcte, mais "il est classe".

CLAVECIN
Par: (pas credité)

285
Le clavecin est aujourd'hui à la mode - on en trouve même en kit - bien que cet
instrument ait connu son heure de gloire du 18ème siècle. Drôle de mot, composé, et en
fait mot-valise, c'est-à-dire condensé à partir de deux autres mots : clavi et cymbalum.
Clavis signifie touche, clé. Et le cymbalum est un instrument à percussion qui existe
encore (on frappe des cordes tendues sur un cadre). C'est l'un des instruments principaux
de la musique traditionnelle tzigane d'Europe Centrale.

Notre clavecin, ancêtre du piano, mais dont le mécanisme pince les cordes au lieu que le
piano les frappe, a quelques cousins : le clavicorde ; l'épinette, petit clavecin souvent
portable. Son étymologie est fort discutée. Le mot pourrait venir de l'épine à cause des
becs, ces petites épines qui pincent les cordes lorsqu'on actionne les touches. Ou bien de
Spinetti, facteur vénitien d'instruments de musique. Le virginal, autre petit clavecin, ainsi
nommé soit parce que c'était l'instrument des jeunes filles, soit parce qu'il avait un son
très pur.

Le clavecin a bien sûr un fils (ou un bâtard), le piano. Ce dernier mot est l'abréviation de
deux mots italiens qui le composent à l'origine piano-forte, car la dynamique de son
clavier permet qu'on en joue soit doucement (= piano en italien), soit fort (forte en
italien). Notons qu'aujourd'hui, on parle encore de piano-forte en français pour désigner
un instrument construit dans la deuxième moitié du 18ème siècle, qui n'avait pas encore
tous les perfectionnements du piano moderne.

CLIMAT
Par: Yvan Amar

La conférence de Montréal sur le climat qui vient de se tenir a mis en avant tous les
problèmes de réchauffement de la planète et de modification du temps. En bref, on a parlé
du climat… et, d’ailleurs, en a souvent fait référence à cette conférence comme à la
conférence du climat. Bonne occasion de se demander ce que c’est exactement que le
climat. Ou tout au moins que ce mot climat… De la façon la plus générale, cela désigne
l’ensemble des conditions météorologiques qui règnent sur une certaine région : le temps
qu’il fait tout au long de l’année dans une certaine région. On distingue donc divers
climats selon les régions : méditerranéen, continental, tropical sec, tropical humide… Et
ensuite, on affine : le climat continental qui règne à Berlin n’est pas le même bien sûr que
celui de Moscou…. Et si une minuscule portion de terre est soumise à un climat
particulier, on peut même parler de micro climat…. Le mot de climat est donc un mot
plutôt scientifique qui appartient au vocabulaire de la géographie… tout au moins de la
météorologie différenciée selon les régions du globe auxquelles elle s’applique. On parle
d’ailleurs de climatologie, pour désigner l’étude des climats.

Mais, le mot a bien d’autres emplois, pas toujours aussi scientifiques. Dans la langue
courante, on parle de climat pour désigner le temps qu’il fait pendant une moment : A

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Noël, on a souvent un climat très doux dans les îles du golfe du Morbihan... Mais, l’an
dernier, pas de chance ! nous avons eu un climat détestable pendant toute la semaine
qu’on y a passée. Autant dire, nous avons eu un temps détestable…

D’où vient-il ce mot ? Du latin, plus anciennement du grec. Mais avec un changement de
sens lorsqu’il passe d’une langue à l’autre… Car clima en latin désigne une portion du
ciel. Et même l’inclinaison du ciel. Le mot vient du grec klinein, une racine qu’on
retrouve justement dans le verbe incliner…. Il s’agit donc de la pente du ciel qui nous
abrite, qui nous surplombe. Au départ, donc, pas de relation précise au temps qu’il fait :
c’est simplement d’une certaine zone qu’il s’agit, une portion de la terre – on n’ose même
pas dire du globe puisqu’à l’époque la rotondité de la terre est inconnue…. Mais, la
géographie aidant, le mot prendra son sens moderne.

Mais, ce serait trop simple si l’on s’arrêtait là : il en a bien d’autres sens. Et il suit à peu
près la même trajectoire figurée que le mot atmosphère : un climat, c’est aussi une
ambiance, un sentiment collectif. On peut parler d’un climat de franche gaieté, qui règne
à un repas. D’un climat de tristesse, d’angoisse. D’un climat électrique, quand la tension
est trop forte, et très sensible. Il s’agit, en fait, de ce qu’on ressent, de ce qu’on perçoit,
avec sa peau, son intuition, sa sensibilité. Un peu comme on perçoit, sans le théoriser,
qu’un climat est humide, sec, qu’il fait lourd, comme on dit avant l’orage.

Enfin, utilisé de façon absolue, le mot peut faire contraste avec une certaine indifférence.
Si je dis que, dans un morceau de musique, il y a un climat… même sans lire lequel, j’ai
bien montré qu’il faisait quelque chose à l’auditeur, qu’un frisson passait sur
l’assistance…

CLIP ET SPOT
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

On parle beaucoup des clips en ce moment, dans la campagne électorale. Cela désigne
ces très courtes productions que les candidats font réaliser, qui ne fonctionnent pas
exactement comme des espaces publicitaires, mais qui pourtant s’en rapprochent par leur
format bref et ramassé.

Le mot se répand en français à partir de 1985, dans le langage de la télévision. On dit


aussi clip vidéo ou vidéoclip… Et on désigne ainsi des mises en images de chanson. On
entend (la chanson), mais que voit-on ? Un peu de tout, et c’est justement l’occasion de
promouvoir une nouvelle esthétique de l’image animée, pleine d’effets spéciaux et de
rapidité, résultat de la maîtrise de l’informatique et de la vidéo. Si le mot s’impose, c’est
aussi parce qu’il fait écho à un autre, le clap, ardoise de bois avec une baguette mobile,
qu’on filme au début de chaque prise pour l’identifier (titre, numéro…) et qui symbolise
par son bruit sec et claquant le signal du tournage. Le mot est bien sûr une onomatopée,
qui a fait, très en amont, le lit du clip.

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Quant au clip, l’onomatopée n’en est pas absente : le mot pourrait être rendu en français
par coupure, au sens de coupure de presse : une article qu’on a découpé. Clip, en anglais
désignant des ciseaux (en particulier pour tondre les moutons), le mot est devenu
synonyme de montage, coupe dans la pellicule, et par dérivation, extrait, morceau
coupé… de là le sens actuel.

Le clip est en concurrence avec le spot, mot d’origine américaine également,


monosyllabique et qui claque également, qui désigne souvent un message publicitaire. A
l’origine, c’est une tache, un gros point, sans plus. Puis le mot est passé dans le
vocabulaire de l’éclairage : les spots sont de petits projecteurs (ou parfois des gros)… qui
éclairent très précisément une zone délimitée. Cette ancienneté dans le langage du cinéma
a probablement facilité son acheminement vers un tout autre sens, qui le rend symétrique
de clip.

CLOCHE
Festival international de "cloches"… soit, mais une "cloche", tout à fait entre nous,
qu’est-ce que c’est ?

Un mot, d’abord, étrange, en ce qu’il peut s’apparenter à deux familles différentes,


celtique ou latine. La celtique, d’abord.
La "cloche" qui sonne, la principale, celle du Festival, descend en droite ligne du bas-
latin clocca, qui lui même arrivait, par une ligne plus sinueuse, d’un mot irlandais, dont
l’origine est peut-être une onomatopée (Klok, klek, klouk…)
La "cloche" est donc cet instrument de percussion, formée d’un genre de manteau
métallique (souvent en cuivre), à bords en général relevés, qu’on frappe d’un battant qui
vient la faire vibrer de l’intérieur ou de l’extérieur…

Sa forme a excité les imaginations linguistiques, soit pour désigner d’autres objets
ressemblants ("cloche à fromage", "chapeau cloche"…), soit pour alimenter diverses
images :
- "Se taper la cloche", c’est faire bombance, avec au départ l’idée de s’enivrer - le vin
vous cogne sur la tête
- "Se faire sonner les cloches" (familier), c’est se faire réprimander. La "cloche" évoque
bien sûr la tête. On se fait donc taper sur la tête –au figuré– avec en plus l’idée d’un
vacarme assourdissant. On est étourdi de reproches, et le pluriel de "cloche", s’il brouille
un peu la logique de l’image, sert d’intensif.
- "Un son de cloche" évoque aussi la version donnée d’une histoire. "L’autre son de
cloche" étant la même histoire, vue par la partie adverse (une dispute racontée par l’un,
puis par l’autre…). Cf le vieux proverbe "Qui n’entend qu’une cloche n’entend qu’un
son".
- "Quelle cloche celui-là !" Expression familière pour dire quel idiot ! Et bien souvent la
"cloche" est le naïf, celui qui se fait avoir. Pourquoi ? Peut-être parce que la "cloche"
balance d’un côté, puis de l’autre, et que le mot a d’abord désigné un indécis…

Mais le sens péjoratif du verbe "clocher" est d’une tout autre origine. Ce "clocher"-là

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vient de cloppicare (Cf clopin-clopant) qui, en latin tardif, remplace claudicare avec le
sens de boiter. "Il y a quelque chose qui cloche" = il y a quelque chose qui boite, qui va
de travers.

CLOCHE
Par: Yvan Amar et Anne-Cécile Bras

L’Espagne et le Portugal ont un différend à propos de la cloche de la Santa Maria. La


cloche fameuse a été retrouvée il y a dix ans dans l'épave d’un galion espagnol, mais au
large des côtes portugaises. Forcément, ça fait débat… mais s’empailler pour une cloche,
je vous demande un peu ! Et au fait, qu’est-ce que c’est qu’une cloche ?

C’est un objet métallique, en gros en forme de chapeau. Frappez-le, il rendra quelque


bruit, comme disait Descartes. Cette cloche sonne donc et résonne, car elle fait caisse de
résonance. Et plusieurs verbes existent pour désigner cette vibration sonore : elle tinte ou
retentit… deux verbes voisins, dont on voit bien qu’il procède d’une logique
d’onomatopée : ils expriment un bruit, et pour cela, font entendre un bruit…

La cloche est donc un objet qui sert à manifester un signal, un signal collectif de
rassemblement, d’appel, d’alarme : la cloche du repas (sur un bateau justement), la cloche
de la messe, la cloche de l’incendie, le tocsin qui sonne quand l’ennemi arrive… Cette
cloche est donc apparemment un facteur de cohésion sociale, un média à l’ancienne dont
toute une communauté connaît le code : A la soupe ! Aux abris ! Au secours !…

La cloche délivre un message ce qui permet de comprendre par exemple l’expression un


son de cloche… un autre son de cloche, c’est à dire la façon de rapporter un événement,
de l’interpréter.
Et comme la cloche est un objet de métal (de fonte en général), l’image de la cloche de
bois est celle de ce qui se fait silencieusement, en douce, en cachette… Déménager à la
cloche de bois, c’est le faire en catimini, en se cachant du propriétaire, parce qu’on n’a
pas payé son terme.

Elle représente donc ce qui permet à la communauté de fonctionner en tant que telle.
Comment expliquer alors que cloche soit à de significations inverses, que le verbe
clocher veuille justement dire « ne pas fonctionner » ?
C’est que le verbe clocher justement ne procède pas au départ du nom cloche, même si
l’imaginaire linguistique l’y rattache pour une question d’homonymie, de proximité
sonore. Clocher dérive du latin cloppus ou du verbe cloppicare, déformation de
claudicare, qui veut dire boiter. Et l’expression « à cloche pied » se comprend
parfaitement par rapport à cette étymologie.

Difficile, pour une famille de mots d’être ainsi l’héritière de deux significations opposées.
Mais la jonction a pu se faire grâce à une ancienne image. La cloche, par sa forme, est
souvent assimilée à la tête (Cf se faire sonner les cloches = se faire réprimander… en

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prendre plein la tête…). Et l’image de la cloche fêlée représente depuis longtemps la tête
qui ne fonctionne plus très bien : Ilm a la cloche fêlée… il a un petit grain, il tourne pas
très rond…… Voilà : on avait trouvé l’astucieux grain de sable qui permettait à l’image
de fonctionner dans un sens ou dans l’autre.

CLONE
Y.AMAR : A Genève, en ce moment, on parle de "clonage", à
l'Organisation Mondiale de la Santé. C'est en effet le thème du
débat qui vient de s'ouvrir et qui va concerner l'un des problèmes
aigus de la bioéthique actuelle.

E.LATTANZIO : Clone - Clonage : un sujet de recherche en pointe,


un débat de société, mais aussi des mots très à la mode, au point
qu'ils sont constamment utilisés dans un sens figuré. Le mot
apparaît en français en 1953, emprunté à l'anglais, qui lui-même
le tient du grec. On l'utilise d'abord dans le champ de la
botanique, puisque "clone" signifie au départ "pousse, rameau" et
qu'on l'emploie pour désigner le mode de reproduction par
ramification. Le clone est donc la conséquence d'une reproduction végétative et asexuée.

Y.AMAR : Au niveau cellulaire, c'est pareil : certaines cellules


se multiplient en se scindant et les différents organismes ont
exactement la même structure génétique.

E.LATTANZIO : La mode du mot provient de la conjonction de deux


phénomènes : les recherches génétiques les plus avancées tournent
autour de ce problème, les chercheurs tentent de reproduire des
organismes vivants à l'image des organismes naturellement procréés
(la brebis d'Ecosse), ce qui pose bien sûr les problèmes
d'apprenti-sorcier dont on débat à Genève.

Y.AMAR : Mais il se trouve que l'informatique s'est saisi du


couple clone/clonage pour nommer la similitude de structure des
logiciels et des programmes, et la possibilité que chacun avait de
se démultiplier.

E.LATTANZIO : On comprend alors pourquoi on se sert du mot


"clone", au figuré, pour parler d'un effet de mimétisme : tous ces
cadres qu'on croise dans les réunions commerciales, avec leur même
costume, cravate, attaché-case ... mais aussi avec les mêmes tics
de langage, les mêmes formules, les mêmes réflexes ... Ce sont des
clones.

Y.AMAR : Vous avez remarqué, le premier exemple qu'on cite, ce


sont les cadres commerciaux! Comme s'ils étaient plus bêtes que

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les autres, ou plus conformes à un modèle, plus désireux de coller
à l'image que le patron se fait d'eux!

E.LATTANZIO : En tout cas, dans ce sens "clone" n'est pas un mot


très positif : il souligne l'absence de personnalité,
d'originalité : les clones sortent d'un même moule, comme les
musiciens du Conservatoire, dont on dit qu'ils ont plus de
technique que leurs aînés, mais qu'on ne peut plus les distinguer
les uns des autres.

Y.AMAR : On utilise également souvent le mot lorsqu'une forte


personnalité est à l'origine de comportements mimétiques : dans
tel ministère, le moindre chargé de mission est un clone du
ministre. Le clonage donc est la grande peur de la civilisation
des robots.

COLLE
"Il est resté scotché au plafond". Expression familière, et même argotique, plutôt
amusante, pour désigner une réalité qui l'est beaucoup moins. L'expression s'emploie pour
parler de quelqu'un qui garde des séquelles d'un usage de drogues. Non seulement, il
"plane" (image d'un envol supposé : légèreté aérienne), mais il est resté "en haut",
"scotché au plafond".

A l'inverse, lors des grèves des compagnies d'aviation, les avions restent "scotchés" au sol
: jeu de mots sur le fait qu'ils restent "collés" au sol, parce qu'ils ne "décollent" pas. De
même, on dira familièrement "aujourd'hui, je n'ai pas décollé de mon ordinateur" pour
dire qu'on est resté derrière son écran toute la journée.

"Scotcher" signifie donc "coller", dans la langue familière évidemment. C'est que
"Scotch" est une marque déposée de ruban adhésif qui a longtemps connu une position de
quasi monopole sur le marché. Ce mot de "scotch" est donc devenu synonyme de papier
collant, et "scotcher", au premier sens du verbe, signifie fixer à l'aide de ruban adhésif.

Mais tout ce qui colle donne facilement lieu à des usages figurés.
Le verbe "coller", au sens propre veut dire "faire adhérer". Mais en langue familière, "ça
colle" veut dire "ça marche", "c'est d'accord". C'est vraisemblablement l'image des deux
pièces du puzzle qui s'imbriquent l'une dans l'autre qui est à l'origine de cette acception.
A l'inverse "ça ne colle pas" signifie "ça n'est pas logique, pas vraisemblable". Ça ne
cadre pas avec le contexte. Ou alors ça renvoie à une idée de mésentente,
d'incompatibilité d'humeur : "entre eux deux, ça ne pouvait pas coller".

COLLEGE
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

291
Collège, le temps de la contre-réforme. C’est le titre d’un texte, signé par François Dubet,
et que publiait hier Libération. Et le collège, en France du moins est au centre de toutes
les réflexions sur le système éducatif français, depuis un e bonne vingtaine d’années.
Qu’est-ce que c’est. C’est l’établissement scolaire qui couvre les classes de la 6è à la 3è.
Et on l’appelle le collège unique , puisque c’est le parcours obligé de l’itinéraire scolaire.
Alors qu’en sortant du collège, toute sorte d’orientations son possibles : différents lycées,
préparation au CAP, au BEP etc.
Mais le mot au départ, ne désigne pas forcément un établissement scolaire. C’est un corps
de personnes qui ont entre eux une certaine égalité. Des frères ? Pas exactement. Mais de
collègue à confrères, la différence n’est que d’usage. Dans un collège, a priori, on a tous
les même droits. Et rappelons-nous l’étymologie : legere en latin est à l’origine du verbe
français élire. On comprend mieux peut-être l’expression collège électoral : ensemble des
gens qui sont censés voter pour élire un de leurs représentants.
Pourtant les premières acceptions du mot ont été religieuse : un collège est un ensemble
de prêtres. (collège des augures, collège épiscopal) Et on parle encore de sacré collège :
l’ensemble des cardinaux, donc ceux qui vont élire le Pape.
Mais dans un contexte éducatif, le mot est ancien également. Pour des Ecoles souvent très
prestigieuse et d’un très haut niveau. Et le Collège de France en est encore un signe
tangible.
Mais attention aux faux amis, ou aux fausses équivalences : en anglais, et notamment,
aux Etats-Unis, le collège correspond à peu près à notre lycée en France.

COLLEGE
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Collège, le temps de la contre-réforme. C’est le titre d’un texte, signé par François Dubet,
et que publiait hier Libération. Et le collège, en France du moins est au centre de toutes
les réflexions sur le système éducatif français, depuis un e bonne vingtaine d’années.
Qu’est-ce que c’est. C’est l’établissement scolaire qui couvre les classes de la 6è à la 3è.
Et on l’appelle le collège unique , puisque c’est le parcours obligé de l’itinéraire scolaire.
Alors qu’en sortant du collège, toute sorte d’orientations son possibles : différents lycées,
préparation au CAP, au BEP etc.
Mais le mot au départ, ne désigne pas forcément un établissement scolaire. C’est un corps
de personnes qui ont entre eux une certaine égalité. Des frères ? Pas exactement. Mais de
collègue à confrères, la différence n’est que d’usage. Dans un collège, a priori, on a tous
les même droits. Et rappelons-nous l’étymologie : legere en latin est à l’origine du verbe
français élire. On comprend mieux peut-être l’expression collège électoral : ensemble des
gens qui sont censés voter pour élire un de leurs représentants.
Pourtant les premières acceptions du mot ont été religieuse : un collège est un ensemble
de prêtres. (collège des augures, collège épiscopal) Et on parle encore de sacré collège :
l’ensemble des cardinaux, donc ceux qui vont élire le Pape.
Mais dans un contexte éducatif, le mot est ancien également. Pour des Ecoles souvent très
prestigieuse et d’un très haut niveau. Et le Collège de France en est encore un signe
tangible.

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Mais attention aux faux amis, ou aux fausses équivalences : en anglais, et notamment,
aux Etats-Unis, le collège correspond à peu près à notre lycée en France.

COLONISATION
Par: Yvan Amar

La décolonisation, en ce qui concerne l’histoire de la république française, date d’il y a


quarante ans et plus… Et pourtant, on n’en a jamais autant parlé qu’en ce moment. Il faut
dire d’abord que quarante ans… ce n’est pas tant que ça, au regard de l’histoire ; une
grande partie des acteurs de cette histoire sont encore vivants ; une grande partie des
vivants d’aujourd’hui ont connu cette période. Mais, il y a aussi cette polémique sur une
loi qui n’est pas abrogée, et qui prévoit dans les programmes officiels de l’enseignement
en France, que les professeurs devront, dans leur enseignement « reconnaître en
particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du
Nord… » Donc souligner les bienfaits de la colonisation. On appréciera. Mais ce qui nous
intéresse c’est évidemment ce mot de « colonisation ».

Ce qu’on appelle « colonisation » consiste à annexer un territoire, à se l’approprier, et à le


peupler de colons… C’est-à-dire à envoyer dans ce territoire qu’on a conquis (et pour
l’Afrique du Nord, on parle bien de conquêtes françaises) des populations originaires de
la population conquérante, pour exploiter ce pays. L’exploiter comment ? Dans quel sens
entend-on ce mot ? Il est intéressant de se pencher sur l’origine du mot « colon », d’où
viennent bien sûr « colonie » et « colonisation »…

Colonus en latin renvoie à un cultivateur, à un paysan, celui qui travaille une terre qui lui
appartient, ou pas. Car colonus a aussi le sens de métayer.
Les colons sont donc compris d’abord comme ceux qui vont exploiter des terres
lointaines. Ce sens, on le trouve déjà en latin, ou la colonia désigne un établissement de
Romains dans une région contrôlée par Rome... On a, donc, déjà ces deux idées
importantes : on envoie un groupe de gens travailler une terre qu’on s’est appropriée.
L’idée a été reprise par l’Occident, notamment au XIXème siècle, même si la pratique est
bien plus ancienne… C’est quand même à cette période que la pratique s’est généralisée,
surtout pour la France. C’est donc ce qu’on appelle la colonisation, le fait de multiplier
les colonies, de les administrer, et de régler le problème de leur relation avec le pays qui
en est possesseur. Car c’est bien d’un rapport de possession qu’il s’agit : la France
(comme l’Angleterre et d’autres…) avait des colonies. Et les terres colonisées n’avaient
pas le même statut que le territoire national : c’était à la France ; ce n’était pas la
France… même si les positions officielles pouvaient varier entre colonie proprement dite,
territoire sous mandat, protectorat, tutelles, etc. Il n’y a pas eu un seul modèle, et ces
modèles ont changé avec le temps. Ainsi pouvait-on entendre, avant l’autodétermination
de l’Algérie, des formules telles que « l’Algérie, c’est la France », qui semblait opposer
l’Algérie aux colonies explicites.
Il n’empêche : ces colonies n’étaient pas, dans l’ensemble, terres de la République, ou de
la monarchie (sous Louis-Philippe, par exemple) ou de l’Empire, sous Napoléon III. On
parlait pourtant de l’Empire colonial, et la IIIème République s’accommodait fort bien de

293
la formule. Mais justement, l’Empire colonial était un apanage de la République… Et la
décolonisation a consisté à délier ce lien qui a peut-être eu quelques aspects positifs mais
s’est surtout caractérisé par une violence certaine.

COMBLE, PINACLE, APOGEE


Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 20 JUILLET 2001

Le comble de l’habileté : écosser les petits pois avec des gants de boxe.
Le comble du pâtissier : faire des éclairs !
Tous les enfants sont friands de ces petites histoires plus ou moins drôles qui énoncent les
« combles », c’est-à-dire « le plus haut degré » d’un vice ou d’une qualité…

Au sens étymologique et propre du mot, le comble (cumulus, « amoncellement »- de la


même famille que cumuler) désigne une position de sommet. En architecture, cela
désigne la construction dominant un édifice et destinée à en porter le toit. Cf « habiter
sous les combles », « aménager des combles ».

Dans le langage courant, on l’utilise volontiers au sens figuré pour suggérer l’idée d’un
sommet, d’un point culminant qu’un état peut atteindre.
« Le jour de son mariage, il était au comble de la joie ».
« Ce problème de maths, c’est le comble de la facilité ».

Il existe d’autres termes, issus d’un vocabulaire concret et notamment de celui de


l’architecture qui servent volontiers dans la langue courante à suggérer cette métaphore
du sommet qu’on atteint. Le pinacle par exemple.

« Dans son discours de bienvenue, le PDG a porté au pinacle le nouveau sous-directeur »,


autrement dit, il l’a couvert d’éloges, de louanges enthousiastes, bref, il l’a élevé au-
dessus de tous les autres par ses flatteries excessives.
« Porter au pinacle », « mettre, être au pinacle » : expressions courantes. Mais on connaît
moins le sens premier de pinacle. C’est ainsi qu’on appelait la partie la plus élevée du
Temple de Jérusalem, où Jésus, tenté par le démon, fut transporté. Par extension, le mot a
désigné dans l’architecture gothique la pyramide ornée de fleurons servant de
couronnement à un contrefort.

Encore issu du domaine architectural, le faîte. « Etre au faite des honneurs », « Etre au
faîte de la gloire », c’est-à-dire être arrivé à ce point culminant d’où l’on ne peut plus
après que redescendre. Le faîte c’est dans un édifice la poutre qui forme l’arête supérieure
d’un comble et sur laquelle s’appuient les chevrons. Par extension, on utilise le mot pour
désigner la partie la plus haute de quelque chose d’élevé : une montagne, un arbre…

294
Parfois ces métaphores architecturales sont encore trop faibles, parce qu’elles renvoient à
une dimension humaine, et lorsque l’on veut évoquer de façon superlative cette idée de
domination, de sommet absolu, on va utiliser des mots qui renvoient cette fois au cosmos.

On pourra dire par exemple d’un artiste, d’un écrivain, qui connaît le succès, la gloire, et
qui atteint la maîtrise absolue de son art, qu’il est à son zénith. L’expression d’ailleurs est
souvent figée : « être à son zénith » ou encore « être au zénith », « parvenir au zénith ».
Le mot est d’origine arabe (= « chemin au-dessus de la tête »). En astronomie, il désigne
le point de la sphère céleste située sur la verticale ascendante de l’observateur.

Si l’on entend bien la référence astronomique dans le mot zénith, on l’a un peu oubliée
dans un mot savant qui, pourtant, appartient aussi à ce vocabulaire, le mot apogée.
Apogée, du grec apogeios, « qui est éloigné de la terre », désigne en astronomie le point
où la lune est la plus éloignée de la terre. Par extension d’ailleurs, on pourra dire que le
soleil est à son apogée quand la terre est en aphélie (lorsque son orbite atteint le point où
elle est la plus éloignée du soleil).

Dans un vocabulaire plus courant, on désigne par apogée le moment où une qualité,
morale ou physique, est parvenue à son plus haut degré d’élévation.
« B-B, dans Et Dieu créa la femme, était à l’apogée de sa beauté ».
« La bataille d’Austerlitz fut l’apogée de la gloire militaire napoléonienne ».

On note que ce mot désigne uniquement des sommets heureux. On ne dira pas qu’on est à
l’apogée du malheur ou de la misère. On utilisera dans ce cas plus volontiers le mot
comble, qui, bien qu’il désigne lui aussi étymologiquement une position élevée, peut
s’inverser : « Etre au comble du malheur ».

Notons que pour dire en termes plus savants ces excès vers le bas, on pourra utiliser le
mot paroxysme qui, lui, appartient à l’origine au vocabulaire médical, où il désigne la
période d’une maladie où les symptômes sont les plus aigus. Au sens figuré, désigne le
point d’extrême intensité d’un sentiment, d’une émotion, généralement négatifs. « La
haine était à son paroxysme ».

COMETE
Par: (pas credité)

Et voilà qu'on en reparle de la "comète", non pas celle de Halley, mais


une autre toute aussi sympathique. La comète, c'est-à-dire cet astre
étrange et lointain, dont la queue brille mystérieusement. Et c'est à cet
appendice nébuleux qui luit dans la nuit que la comète doit son nom. La
comète vient de l'adjectif grec, littéralement chevelu, une qualité qu'elle
semble avoir à l'œil du terrien qui l'observe.

295
C'est en fait, paraît-il, un astre à petit noyau qui, lorsqu'elle approche
du soleil, émet une atmosphère passagère de gaz, de poussière de roches, à
l'instar d'une chevelure diffuse, rendue lumineuse par la lumière solaire
au contact des gaz. Et c'est cette queue, droite et bleutée qui peut
atteindre plusieurs centaines de milliers de kilomètres qui a valu à la
comète son nom et sa réputation. Ce phénomène énigmatique qu'est
l'apparition d'une comète en a fait rêver plus d'un, et la langue a gardé
quelques traces de ces fulgurances. Certaines, bien sûr, s'évanouissent avec
le temps. On sait des ans qui reçurent le nom d'année de la comète ; on eut
la mode à la comète (en 1756), les crus de la comète en 1811 (les vins
étaient, paraît-il, fameux), etc.

Enfin, on tire des plans sur la comète, expression imagée, au sens assez
vague. Cela veut dire échafauder des projets incertains et mirifiques, avec
peut-être une référence aux travaux d'Halley qui, le premier, avait
découvert la récurrence des comètes, et prévu la date de leur réapparition.
Mais, souvenons-nous aussi que dans l'argot du bagne, tirer des plans
voulait dire faire un projet d'évasion. Sur la comète pourrait bien n'être
qu'un intensif pittoresque.

La comète, dans la langue de tous les jours (et tous les jours, l'envie me
prend de parler de comète), est bien souvent assimilé à l'étoile filante.
Rien n'est plus absurde, puisque l'étoile filante n'est rien qu'un
agglomérat de matière entré à l'occasion dans l'atmosphère. L'enchaînement
est implacable : frottement avec l'air, donc chaleur, donc désintégration,
donc traînée lumineuse. Et cette chevelure d'un instant nous induit en
erreur, en mettant sur le même plan deux apparitions que des mondes
séparent. Celles qu'on a appelées tour à tour étoiles erratiques, volantes,
tombantes (et enfin filantes) - et qui appellent si fort le vœu, ont deux
synonymes : météore ou météorites. Attention à l'orthographe de météorite :
sans H (pas comme dans aérolithe, etc). Mais peu importe son genre : plutôt
une météorite aujourd'hui, alors que jadis c'était un météorite. Précisons
enfin une petite différence de sens : la météorite est un fragment de
météore qui finit par tomber par terre.

Un dernier mot pour rassembler toutes les locutions : comète, étoile


filante ou météore/météorite, au figuré, désignent une personnalité
exceptionnelle, à la carrière très brève et très marquante : Rimbaud,
Radiguet, Scott LaFaro.

COMMERCE
Par: (pas credité)

Et en voilà un mot qu'on entend et qu'on lit. Comme si le monde moderne tout entier se

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résumait à cette préoccupation. Vous voulez un prétexte pour en parler ? L'Organisation
mondiale du commerce organise, à Seattle, une réunion ministérielle et les mouvements
anti-OMC, les ONG de tous poils, associations de consommateurs, économistes,
sociologues se mobilisent pour réfléchir aux dangers dont ce genre de réunion est porteur.

Tout ça ne nous dit pas ce qu'est le "commerce". Le mot est simple, vient du latin, est
formé de "cum" (préfixe bien connu), et "merx", la marchandise. "Commercium" existe
déjà en latin, avec des sens que le mot français moderne ne renie pas :
- lieu où l'on vend et où l'on achète - donc par extension boutiques, magasins ("il y a
beaucoup de commerces dans ma rue", c'est-à-dire de boutiques de proximité, où l'on
peut se procurer des produits de nécessité courante : alimentation, vêtements,
quincaillerie de base, banque et café-tabac… "J'habite donc une rue commerçante").
- fait de vendre et d'acheter ("il a le sens du commerce").

A partir de cette première série de sens, s'en est bâtie une autre : le "commerce" est
devenu synonyme de relation avec autrui. Mais étonnamment, cette direction aboutit plus
ou moins à un cul-de-sac, et ces significations ne sont plus très productives. Pourtant, à
partir du XIVème siècle, "commerce" a désigné une certaine façon d'être avec les autres
et de se conduire en société. Il nous en est resté l'expression, un peu désuète, mais
toujours comprise "être d'un commerce agréable", alors qu' "avoir commerce avec
quelqu'un", dans le sens "entretenir des relations avec lui" est totalement sorti d'usage. De
même, le sens péjoratif de "relations sexuelles" n'appartient plus qu'à la langue ancienne.

Mais aujourd'hui, le "commerce" est roi, et ses dérivés très employés :


"commercialisation", "commercialiser", par exemple, qui signifie mettre en vente,
concevoir en fonction d'une vente un produit ("commercialiser" Parler au quotidien
consisterait par exemple à mettre les émissions sur cassettes, et à les vendre).
Quant à l'adjectif "commercial", très utilisé aussi dans des emplois nombreux ("droit
commercial", "direction commerciale", etc.), il a aussi un sens péjoratif : une musique,
par exemple, est dite "commerciale" si on la considère comme conçue principalement
pour plaire, donc pour se vendre. Il y a là-dedans une idée de facilité qui n'est pas bien
sympathique, et accrédite l'idée que tout cela s'est fait au détriment de l'art.

COMMISSAIRE
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Le centenaire de George Simenon remet en vedette le Commissaire Maigret bien sûr, le


plus célèbre de tous les commissaires. Mais qu’est-ce au juste qu’un commissaire.
Le mot est bien ancien : on le trouve dès le début du 14è siècle. Et peut avant, la langue
officielle utilise le mot latin commisarius, au sens d’exécuteur testamentaire. Il dérive de
commitere : charger d’une mission (on voit bien que le mot de mission est de la même
famille).
Donc le commissaire a été très tôt un fonctionnaire royal, chargé d’une mission, politique
ou militaire. Et petit à petit, le commissaire sera plus spécialement chargé des affaires de
police. Commis à la police, il sera donc rapidement commissaire de police.

297
Un mot très actuel, puisqu’il correspond à une fonction toujours en vigueur : le
commissaire de police est un fonctionnaire, assez important, avec d’ailleurs toute une
grille hiérarchique à l’intérieur de ce grade : le commissaire est chargé d’un
commissariat, mais on a aussi des commissaires divisionnaires.
C’est surtout le roman policier qui a donné sa célébrité au mot. Mais on peut noter que
dans ce sens le mot est strictement français… On trouvera des inspecteurs, des enquêteurs
et des détectives dans le roman noir américain par exemple… mais pas de commissaire.
Le titre s’applique également à d’autres fonctions, bien différentes.
Un commissaire est chargé d’un commissariat, quel qu’il soit. Et lorsqu’on parle par
exemple du Haut commissariat à l’énergie atomique, il a à sa tête un Haut Commissaire.
Autre sens : on appelle commissaire le responsable et l’organisateur d’une exposition.
Et on a également le commissaire-priseur, fonction très différente, qui désigne le
responsable d’une vente aux enchères. C’est lui qui a le fameux marteau, qui est
responsable du bon déroulement de la vente, prononce les mots proverbiaux « adjugé,
vendu » etc. Et si on l’appelle priseur, c’est qu’il prise, c’est à dire qu’il estime la valeur
des objets à vendre, et qui fixe le prix auquel ils sont proposés aux acheteurs éventuels.

COMMODE
Par: (pas credité)

L’accommode sans tiroirs : une pièce de Cocteau à l’affiche et un calembour étrange et


pénétrant (pourquoi pénétrant ? On se demande). Et ce mot de commode est riche… Oh !
qu’il est riche… Commode est un adjectif qui signifie pratique, bien disposé. J’ai un
épicier en bas de chez moi qui ne ferme pas avant heures du soir ; c’est commode. Ma
canne-épée fait aussi calculatrice ; c’est commode. Et le contraire – assez peu fréquent –
est malcommode (incommode ne s’emploie plus guère, bien qu’il existe). L’adjectif
commode a connu d’autres sens : profitable, avantageux.
A propos d’une personne : aisé, riche, puis d’un caractère facile et doux. Ce sens est sorti
d’usage, mais il nous reste accommodant, dans un sens voisin. Et son opposé est encore
fort utilisé : quelqu’un de pas commode (=autoritaire, brusque, peu arrangeant).
Le mot est devenu nom commun, avec des sens inattendus : une commode était une
femme qui cachait (ou favorisait l’inconduite d’une autre… de là à être une
entremetteuse, le pas était vite franchi. Et à force d’être quelqu’un qui fréquente les
boudoirs, et a partie liée avec les toilettes (marchandes à la toilette), la commode est
devenue un meuble de rangement, qui contrairement à ce que dit Cocteau, a des tiroirs, à
la différence de l’armoire qui a des portes, ou du coffre, qui a un abattant.
Attention, la famille est nombreuse. On a ainsi commodité : littéralement, caractère
pratique. Mais les significations ont varié : rappelons-nous les Précieuses de Molière : «
Voiturez-nous les commodités de la conversation. »n Puis les commodités sont devenus
les lieux d’aisance. Commodités qui sont donc commodes, mais parfois peuvent
incommoder, c’est-à-dire déranger. Une odeur qu’on supporte mal, qui dérange, donne la
nausée, incommode.
Accommoder a voulu dire habiller (quelqu’un), puis préparer (un plat, des restes… tout
un art). S’accommoder signifie supporter une gêne, s’adapter. Et quelqu’un

298
d’accommodant est une personne arrangeante, qui accepte de composer qui sait arrondir
les angles.

COMPIL
Par: (pas credité)

PARLER AU QUOTIDIEN DU 17 AOUT 2001

L’intégrale ou la compil ? En voilà une question énigmatique ! Préférez-vous l’œuvre


complet d’Eddy Mitchell ou la compil… c’est-à-dire des extraits choisis, certaines de ses
chansons seulement – les meilleures ou prétendues telles. Et compil est bien entendu
l’abréviation de compilation. Abréviation débraillée ? familière ? Peut-être, oui, mais qui
concurrence sérieusement une autre formule abrégée et beaucoup plus anglicisante : le
best of, c’est-à-dire mot à mot le meilleur de…, toujours suivi du nom de celui ou de celle
dont on présente les meilleurs moments. Parfois on a traduit directement cette expression
de l’anglais : le meilleur d’Eddy Mitchell, et même parfois, le tout meilleur, pour traduire
« the very best of… ». Est-ce d’un bien meilleur goût ? C’est discutable…

Revenons à notre compilation. Le mot est ancien. Il désigne d’abord des documents
réunis, puis est arrivé un sens assez dépréciatif : une compilation est un ouvrage sans
originalité, qui se contente de piocher dans les travaux antérieurs pour en faire une sorte
de résumé plus ou moins synthétique. L’origine du mot est tout à fait éclairante, puisque
compilare en latin signifie piller. Le compilateur ne serait donc rien qu’un pilleur.

Mais le mot compilation, dans son sens moderne, a des synonymes : un recueil, ouvrage
où sont recueillis des morceaux d’origines différentes, et choisis par un éditeur. Mais on
parlera aussi bien d’un bouquet, d’une anthologie (c’est exactement la même image de la
brassée de fleurs réunies avec art), ou d’un florilège ( là encore c’est pareil, sauf que
florilège – fleurs choisies – vient du latin alors qu’anthologie vient du grec). Laissons aux
cuistres et aux précieux ces mots exquis que sont le chrestomathie, le spicilège ou l’ana…

COMPIL
PARLER AU QUOTIDIEN DU 17 AOUT 2001
L’intégrale ou la compil ? En voilà une question énigmatique ! Préférez-vous
l’œuvre complet d’Eddy Mitchell ou la compil… c’est-à-dire des extraits choisis,
certaines de ses chansons seulement – les meilleures ou prétendues telles. Et compil
est bien entendu l’abréviation de compilation. Abréviation débraillée ? familière ?
Peut-être, oui, mais qui concurrence sérieusement une autre formule abrégée et
beaucoup plus anglicisante : le best of, c’est-à-dire mot à mot le meilleur de…,
toujours suivi du nom de celui ou de celle dont on présente les meilleurs moments.

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Parfois on a traduit directement cette expression de l’anglais : le meilleur d’Eddy
Mitchell, et même parfois, le tout meilleur, pour traduire « the very best of… ». Est-
ce d’un bien meilleur goût ? C’est discutable…

Revenons à notre compilation. Le mot est ancien. Il désigne d’abord des documents
réunis, puis est arrivé un sens assez dépréciatif : une compilation est un ouvrage
sans originalité, qui se contente de piocher dans les travaux antérieurs pour en faire
une sorte de résumé plus ou moins synthétique. L’origine du mot est tout à fait
éclairante, puisque compilare en latin signifie piller. Le compilateur ne serait donc
rien qu’un pilleur.

Mais le mot compilation, dans son sens moderne, a des synonymes : un recueil,
ouvrage où sont recueillis des morceaux d’origines différentes, et choisis par un
éditeur. Mais on parlera aussi bien d’un bouquet, d’une anthologie (c’est
exactement la même image de la brassée de fleurs réunies avec art), ou d’un florilège
( là encore c’est pareil, sauf que florilège – fleurs choisies – vient du latin alors
qu’anthologie vient du grec). Laissons aux cuistres et aux précieux ces mots exquis
que sont le chrestomathie, le spicilège ou l’ana…

COMPLICE et COMPLICITE
Par: Yvan Amar et Evelyne Lattanzio

Y.AMAR : L'ignoble traître a-t-il agi seul ou avait-il des


complices ?

E.LATTANZIO : Grande question ! En tout cas il ne doit pas s'agir


de quelque chose de très propre : un complice est celui qui est
associé à l'accomplissement d'une mauvaise action.

Y.AMAR : Le mot a un sens précis en droit pénal, mais il est


également utilisé de façon très courante. Toujours est-il que l'on
peut être condamné pour complicité d'un crime ou d'un délit :
c'est qu'on y a eu une part secondaire mais non négligeable.

E.LATTANZIO : Celui qui recharge le revolver par exemple, sans


tirer lui-même, est complice du meurtre. Celui qui fait le guet
pendant un cambriolage, ou qui a renseigné les voleurs aussi. A
l'origine "complices" en latin désigne ceux qui sont unis très
étroitement et même enlacés.

Y.AMAR : On reconnaît la première syllabe "com" qui évoque en


général l'union, que ce soit ou non péjoratif : compagnon,
compère, comparse ...

E.LATTANZIO:Ce dernier mot vient du théâtre : au départ le


comparse est celui qui tient un rôle muet. Le compère, c'est autre
chose. Le prestidigitateur peut avoir un compère parmi
les spectateurs.

Y.AMAR : Mais ce n'est pas un vrai spectateur, bien qu'il se fasse

300
passer, aux yeux des autres, pour un quidam anonyme. Il sait quoi
dire et quand intervenir pour que le prestidigitateur passe pour
un vrai magicien.

E.LATTANZIO : C'est moins grave qu'être complice. "Acolyte" est un


synonyme de complice, mais a un sens moins fort: "akoloutos" est
un mot grec qui renvoie à la personne qui aide le prêtre pendant
l'office.

Y.AMAR : Aujourd'hui, le mot a quitté le vocabulaire religieux. Il


est plus familier que le mot complice, souvent plaisant et pas
toujours lié à un forfait. On a l'idée d'un suiveur : Jojo est
toujours flanqué de ses deux complices, Tatave et Gus.

E.LATTANZIO : En tout cas ces trois-là sont de mèche. L'expression


est un peu familière. Rien à voir avec une chandelle, ils sont "de
mèche" c'est-à-dire de moitié (ça vient de "mezzo" en italien)
dans le partage du butin.

Y.AMAR : C'était Parler au Quotidien, une émission proposée par le


Centre National de Documentation Pédagogique ...

E.LATTANZIO : ... et par RADIO FRANCE INTERNATIONALE.

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