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La démocratie actionnariale : contribution à l’étude d’un

mythe juridique
Mathieu Crocquevieille

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Mathieu Crocquevieille. La démocratie actionnariale : contribution à l’étude d’un mythe juridique.
Droit. Université de Nanterre - Paris X, 2018. Français. �NNT : 2018PA100108�. �tel-02165936�

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abroad, or from public or private research centers. publics ou privés.
École do orale 141 : Droit et science
École doctorale 141 : Droit et science
politique
Centre de Droit Civil des Affaires et
du Contentieux Economique – EA
3457

Membre de l’Université Paris Lumières

Mathieu Crocquevieille

La démocratie actionnariale
Contribution à l’étude d’un mythe juridique

Thèse présentée et soutenue publiquement le 26/11/2018


en vue de l’obtention du doctorat de Droit privé et sciences criminelles
de l’Université Paris Nanterre

sous la direction de Mme Béatrice THULLIER, Professeur

Jury :

Rapporteur : M. Philippe DIDIER Professeur, Université Paris V

Rapporteure : Mme Véronique MAGNIER Professeur, Université Paris-Sud

Membre du jury : Mme Bénédicte FRANCOIS Professeur, Université Paris Est Créteil

Membre du jury : M. Arnaud REYGROBELLET Professeur, Université Paris Nanterre

Membre du jury : Mme Béatrice THULLIER Professeur, Université Paris Nanterre

1
2
L’université de Paris Nanterre n’entend donner ni approbation ni improbation aux opinions
émises dans les thèses ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.

3
4
Remerciements

Pour Stendhal, un roman est un miroir qu’on promène le long d’un chemin. A sa façon, la
thèse est aussi un roman. Elle capture d’innombrables reflets tout au long de son cheminement
et de celui de son auteur. Parmi eux, il en est d’infiniment précieux sans qui elle n’aurait
jamais vu le jour aujourd’hui. Cette page est pour ces reflets, indélébiles, indispensables
chacun à leur manière. Puisse cette thèse témoigner d’une gratitude absolue à leur égard.

A ma famille, A tal pared, tal asta ;

A ma directrice de thèse, Mme Thullier, pour sa constance à me pousser dans mes ultimes
retranchements, ses conseils précieux tout au long de ce long et incertain chemin, pour avoir
su comment me guider à bon port ; à Mmes Magnier et Francois, M. Didier et Reygrobellet
pour avoir accepté de faire partie du jury et leur bienveillante curisosité lors de la soutenance.

Au CEDCACE et tous ses membres, en particulier à M. Pichard, Mme Danis-Fatôme et Mme


Saidi pour leurs remarques avisées et leur accompagnement ;

Aux doctorants et docteurs, compagnons de route et de galère : Céline et Marie, sœurs de


thèse, à Jean-Baptiste, Sophie, Laurent, Clément B., Lucia, Olivia, Ambra, Jessica, Alexia, et
tant d’autres, simplement pour avoir été là ;

A Vincent Orif, inébranlable pilier et infatigable étincelle de motivation ;

Au trio infernal, sans qui ces dernières années n’auraient eu ni la même saveur ni la même
lumière : Gaby, Coralie et Léo ;

Aux amis, patients et loyaux, indéfectibles présences, qui ont continué à y croire malgré tout :
Alexandre, Samir et Amandine.

Si chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de lui-même, selon les mots de Proust dans
le Temps retrouvé, chaque page de cette thèse est un immense merci pour chacun et chacune
d’entre vous.

5
6
Liste des principales abréviations
Art. Article
AMF Autorité des Marchés Financiers
Ass. Plén. Assemblée plénière
Bull. Civ. Bulletin des arrêts des chambres civiles de la Cour de cassation
Bull. Joly Bulletin Joly sociétés
CA Cour d’appel
Cass. Cour de cassation
Chron. Chronique
Civ. Chambre civile de la Cour de cassation
CJCE Cour de Justice des Communautés Européennes
CJUE Cour de Justice de l’Union Européenne
Com. Chambre commerciale de la Cour de cassation
D. Recueil Dalloz/Décret
D. aff. Dalloz Affaires
Dir. Direction
Dr. Sociétés Revue Droit des sociétés
Ed. Edition
Gaz. Pal. Gazette du Palais
Ibid. Ibidem
JO Journal Officiel
JCP E Semaine juridique, édition entreprise
JCP G Semaine juridique, édition générale
L. Loi
RLDA Revue Lamy Droit des Affaires
LPA Les Petites Affiches
Op. cit. Opere Citato
Ord. Ordonnance
Préc. Précité
RDBF Revue de Droit Bancaire et Financier
Rev. Sociétés Revue des Sociétés
RTD Com. Revue Trimestrielle de droit Commercial
RTDF Revue Trimestrielle de Droit Financier

7
8
Sommaire

Introduction ______________________________________________________________ 11
Partie 1 – Un mythe fondateur : évolution et mutations d’une théorie démocratique des sociétés
par actions____________________________________________________________________ 25
Titre 1 – L’émergence de la figure classique du mythe : entre affirmation et contestations de l’objet
démocratique dans les sociétés par actions _________________________________________________ 27
Chapitre 1 – Origines, enjeux et raisons d’être du mythe : le recours souhaité à l’image de la
démocratie dans les sociétés par actions _________________________________________________ 28
Chapitre 2 – Origines, enjeux et raisons d’être de la contestation : la démocratie est-elle inadaptée au
modèle des sociétés par actions ? _______________________________________________________ 62
Titre 2 – La régénération par la figure moderne du mythe : les nouvelles exigences démocratiques à
l’œuvre dans les sociétés par actions ______________________________________________________ 90
Chapitre 1 – Origines, enjeux et raisons d’être de la résistance à la nouvelle figure du mythe : le difficile
dépassement des cadres traditionnels ___________________________________________________ 93
Chapitre 2 – Origines, enjeux et raisons d’être de l’approfondissement du mythe : la consécration des
théories de l’encastrement et l’avènement de la RSE ______________________________________ 115

Partie 2 – Un mythe structurant : apports et limites d’une pratique démocratique des sociétés
par actions___________________________________________________________________ 132
Titre 1 – Autour de l’actionnaire : divergences entre l’impératif de protection des prérogatives de
l’actionnaire et la liberté de disposition patrimoniale ________________________________________ 134
Chapitre 1 – Droits individuels : entre affirmation et libre disposition _________________________ 135
Chapitre 2 – Prérogatives collectives : entre reconnaissance et encadrement ___________________ 165
Titre 2 – Autour des mandataires sociaux : convergences entre la nécessité d’un contrôle et
l’encadrement des pouvoirs _____________________________________________________________ 188
Chapitre 1 – Délégation de pouvoirs et de compétences : une affirmation incertaine de la répartition
des pouvoirs aux mains des mandataires sociaux _________________________________________ 190
Chapitre 2 – Reddition de comptes : une croissance parfois mal maîtrisée des devoirs des mandataires
sociaux ___________________________________________________________________________ 210

CONCLUSION GENERALE____________________________________________________ 235

9
10
Introduction

1 – Du mythe au Droit – « Le droit est la plus puissante des écoles de l’imagination. Jamais
poète n’a interprété la nature aussi librement qu’un juriste la réalité »1.
Dans l’Antiquité grecque, l’aède servait d’intermédiaire entre les hommes et les dieux, à
l’instar des devins. Cependant, là où celui-ci révélait le futur, le poète racontait « l’ancien
temps », avec son contenu et ses qualités propres : l’âge héroïque ou, au-delà encore, l’âge
primordial, le temps originel »2, autrement dit, « les parties du temps inaccessibles aux
créatures mortelles : ce qui a eu lieu autrefois, ce qui n’est pas encore »3.
Les Grecs avaient un mot pour désigner ces récits et légendes édificateurs, dispensateurs
d’enseignements cachés : le muthos, c’est-à-dire les mythes. Or, si les juristes sont, pour
l’écrivain Jean Giraudoux, les héritiers des aèdes antiques, eux aussi perpétuent les mythes
par leurs interprétations de la réalité. Une telle assertion peut surprendre de prime abord,
surtout lorsque l’on considère les velléités des promoteurs de la science du Droit, du
positivisme juridique. Mais, en réalité, le Droit ne s’est jamais vraiment détaché de la parole
poétique primordiale et ce en dépit de ses tentatives de rationalisation.
En effet, la science juridique ne peut renier ses origines antiques et le substrat religieux qui l’a
animée jusqu’à l’époque Moderne : jus naturalisme et droit divin ne reposaient-ils pas sur des
postulats mythologiques, des discours du mythe ou mythologies ?

2 – Le mythe au XXIe siècle – En ce début de XXIe siècle, le droit connaît toujours des
mythes mais sous d’autres formes, souvent expurgés de leurs connotations religieuses
originelles. Le mythe n’est plus seulement un récit, une remémoration du passé, un artifice du
langage, mais est devenu une « représentation collective stéréotypée, préjugé social
dominant »4.
Dans cette acception, le droit apparaît particulièrement prolifique et fécond. Il est possible de
constater l’existence de ce phénomène notamment à travers l’œuvre d’auteurs5 consacrée aux
fictions ou, plus proche temporellement, dans une étude dédiée à l’affectio societatis6. Si

1
GIRAUDOUX J., La guerre de Troie n’aura pas lieu, Acte I, scène 5, Grasset, 1985.
2
VERNANT J.-P., Aspects mythiques de la mémoire, in Mythe et pensée chez les Grecs – Etudes de psychologie
historique, La Découverte Poche, 1996, p.111.
3
VERNANT J.-P., op. cit, p.112.
4
CLEMENT E., La pratique de la philosophie, Hatier, 2000, p.304.
5
GENY F., Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif, vol. 1, LGDJ, 2e éd., 1995, p. 43-53 ;
WICKER G., Les fictions juridiques, LGDJ, 1997, p. 233-238.
6
CUISINIER V., L’affectio societatis, Litec coll. Bibliothèque de droit de l’entreprise, 2008.

11
certains de ces mythes ne soulèvent plus guère de difficultés majeures, voire passent
totalement inaperçus, d’autres continuent d’alimenter les controverses tant sur le plan
doctrinal que législatif, rebondissant sans cesse sur de nouvelles lectures de concepts pourtant
éprouvés et rebattus. La notion de société est de ceux-là : malgré un consensus commun
apparent sur ses traits fondamentaux, multiples sont les débats et partant, les mythes, agitant
ceux qui s’adonnent à son étude à tel point que la première image qui vient à l’esprit en la
matière est celle de l’Hydre de Lerne.
Tel est le cas de la démocratie actionnariale, difficile à saisir car multiple dans ses
manifestations, repoussant sans cesse sous de nouvelles formes alors que les anciennes
paraissaient épuisées. L’état de l’art concernant un tel mythe n’est pas aisé à réaliser.

3 – Etat de l’art et apport de l’étude – Parmi les débats relatifs aux traits des sociétés, une
expression a fait son apparition dans le discours juridique et économique depuis quelques
décennies. Cette expression, c’est celle de démocratie actionnariale. Il est possible de la
trouver aussi bien dans la bouche du législateur, principalement lors de débats
parlementaires7, ou lors d’études doctrinales8, voire dans la presse économique9. Toutefois, si
elle est employée à maintes reprises, elle fait rarement l’objet de définitions ou même
d’études systématiques. A ce jour, aucune tentative de systématisation ou de théorisation n’a
encore été menée. Si les liens entre démocratie et sociétés, principalement les sociétés par
actions, ont fait l’objet de multiples commentaires ou analyses souvent périphériques, il existe
là aussi peu de tentatives de systématisation véritable. Seul un essai a été mené en ce sens
dans le domaine des sciences de gestion pour explorer les liens entre entreprise et
démocratie10. Or, l’étude entreprise ici a vocation à explorer, analyser, dévoiler ce que

7
Récemment, l’expression a été encore été utilisée dans le cadre des débats relatifs à l’adoption de la loi PACTE
ayant, entre autres objectifs de modifier la gouvernance et la définition des sociétés, voir Rapport sur le projet de
loi, après engagement de la procédure accélérée, relatif à la croissance et la transformation des entreprises
(n°1088), Dépôt le 15/09/2018.
8
Pour quelques exemples non exhaustifs : Dossier spécial Corporate Governance, LPA n°154, 2007 dont
DEBOISSY F., L’essentiel des réformes : le renforcement de la démocratie actionnariale, p. 13 et suiv., pour
une tentative de définition ; Dossier spécial La gouvernance et le droit des affaires, Gaz. Pal., 2014, n°240, dont
SIMON J., Le concept de gouvernance, n°186u6 ; CLERC C., Réflexions sur la démocratie actionnariale,
RTDF, 2007/3, p. 88 et suiv. ; COURET A., L’état du droit des sociétés. 50 ans après la loi du 24 juillet 1966,
Bull. Joly, 2016, p. 433 et suiv.
9
Pour quelques exemples sur ces derniers mois : La rédaction, Les fonds spéculatifs ont détourné le droit des
actionnaires, 11 septembre 2018 ; BOISEAU L., Les actions à droit de vote multiple, fort décriées, continuent à
se développer, Les Echos, N° 22742, 20 juillet 2018, p. 26 ; Idem, Le difficile contrôle des votes des actionnaires
aux AG, Les Echos.fr, 17 juillet 2018 ; LANDRIEU V., La gouvernance doit pouvoir s’améliorer en AG, Les
Echos Executives, 25 juin 2018, p. 2 ; LE QUINTREC F., L’exercice délicat de la valorisation d’un droit de
vote, L’Agefi Hebdo, 7 juin 2018, p.30.
10
GOMEZ P.-Y., KORINE H., L’entreprise dans la démocratie – Un théorie politique du gouvernement des
entreprises, De Boeck, Ouvertures économiques, 2009.

12
recouvre l’expression de démocratie actionnariale dans les discours juridiques afin de
contribuer à la connaissance du champ des sociétés par actions.

4 – Les raisons de recourir au mythe – La démocratie actionnariale n’est pas une notion au
même titre qu’une société ou encore la personnalité morale.
Pour saisir cet objet, il est alors difficile de procéder de manière traditionnelle. C’est une
expression, un terme mobilisé dans des contextes différents, avec des sens différents, des
réalités multiples. Pour surmonter cet obstacle, le mythe est une ressource pertinente. La
démocratie actionnariale peut être saisie par l’entremise d’une démarche qui la considère
comme un mythe niché au cœur des discours juridiques. Certes, le mythe est non seulement
étroitement lié à la pensée antique, principalement grecque, mais aussi à l’idée de
représentation, voire de préjugé dans le domaine des relations sociales. A cet égard, la
démocratie actionnariale relèverait soit d’un conte digne de l’Odyssée, soit d’une convention
sociale issue de clichés ou de stéréotypes véhiculés par le discours juridique. Le mythe relève
d’une démarche plus complète intégrant toutes ces dimensions.
Plusieurs définitions du mythe étaient mobilisables mais certaines approches ont semblé plus
fécondes par ce qu’elles permettaient de saisir le plus largement possible ce qu’est la
démocratie actionnariale.

5 – Le choix d’une définition du mythe : entre sémiologie et représentation – Le point de


départ consiste à utiliser la démarche de la sémiologie telle que posée par son fondateur,
Roland Barthes11.
Dans un cadre linguistique, le mythe est un rapport singulier entre le signe, le signifié et le
signifiant. Autrement dit, à partir d’éléments du langage (le signe12), est produit un sens
singulier (le signifié13) se rapportant à un contexte et un univers spécifiques (le signifiant14).
Dans notre étude, il convient alors de recenser les utilisations des termes de démocratie
actionnariale et de démocratie dans les discours relevant du droit des sociétés pour en étudier
le signifié et le signifiant. Autrement dit, sont identifiés et précisés, les sens et les contextes
dans lesquels le mythe intervient. Pour Barthes, celui qui tente d’étudier un mythe est un
mythologue dont la caractéristique principale consiste à replacer le mythe dans son contexte

11
BARTHES R., Mythologies, Seuil, Points, Civilisation, 1957, p. 193 et suiv.
12
Idem, p. 196-197.
13
Idem, p. 205-206.
14
Idem, p. 202-203.

13
politique et historique, à le disséquer, en usant à cet effet d’un méta-langage15. Le méta-
langage permet de rendre compte du mythe en se distanciant des termes empruntés par ce
dernier. Il s’agit d’expliquer, sans être absorbé par les pièges du langage dans lequel le mythe
se serait glissé.
Telle est l’ambition de la contribution ici proposée : rendre compte du mythe de la démocratie
actionnariale en le rendant visible dans le discours juridique à la fois dans sa dimension
littéraire et dans ses autres aspects substantiels, historique et politique.

6 – Le mythe, procédé littéraire – Le mythe est une représentation qui charrie avec elle un
contexte, un sens politique, voire une histoire, propres et qui doivent être dévoilés.
Du point de vue du langage, le mythe peut être identifié de prime abord comme une
représentation classique, c’est-à-dire un procédé de figuration d’un objet16. A cet égard, il
s’appuie sur des procédés littéraires classiques comme les figures de style apparaissant dans le
discours juridique. Parmi les figures les plus sollicitées par ce mythe, le rapport d’analogie et
la métaphore sont les procédés les plus fréquemment utilisés. Tous deux ont pour particularité
de créer un lien entre les sociétés et la figure démocratique.
L’analogie tente de mettre en évidence voire de créer un rapport de similitude entre deux
situations, deux objets17. Elle peut opérer simplement en créant une image. Elle est aussi
susceptible de générer des développements de pensée. Concernant la démocratie
actionnariale, cela va, par exemple, du simple rapprochement imagé de l’actionnaire avec un
citoyen à un rapprochement des systèmes de gouvernance entre sociétés par actions et régime
démocratique.
En parallèle, la métaphore induit plus directement un rapport de comparaison entre deux
termes18. Elle permet de projeter les propriétés de l’un sur l’autre. Dans le cas de la
démocratie actionnariale, cela permet de mettre en évidence les tentatives de projection de
propriétés attachées traditionnellement à la démocratie sur l’univers actionnarial. Le recours à
l’expression de démocratie actionnariale crée un rapport entre deux entités que sont la
démocratie et la dimension actionnariale par des mécanismes littéraires.

15
Idem, sur le travail du mythologue : p. 213-217, p. 229-233 et sur la définition du méta-langage : p..245 ; à
rapprocher des préconisations de OST F., VAN DE KERCHOVE M., Jalons pour une théorie critique du droit,
Publications des facultés universitaires de Saint-Louis, 1984, p. 55 et suiv.
16
MATHIEU M.-L., Les représentations dans la pensée des juristes, IRJS éd., les voies du droit, 2014, p. 2-3.
17
MATHIEU M.-L., op. cit., p.33-35 ; GENY F., Méthodes d’interprétation et sources en droit privé positif, vol.
2, LGDJ, 2e éd., 1995, p. 117-122 ; AQUIEN M., MOLINIE G., Dictionnaire de rhétorique et de poétique, Livre
de poche, La pochotèque, Encyclopédies d’aujourd’hui, 1999, p.349-350.
18
MATHIEU M.-L., op. cit., p.43-45 ; AQUIEN M., MOLINIE G., op. cit., p.248-252 et p. 585-587 qui voient
dans la métaphore une figure littéraire relevant de l’analogie.

14
Toutefois, le mythe ne se réduit pas à sa dimension purement littéraire, il est aussi porteur de
substance juridique, historique et politique.

7 – Le mythe juridique, porteur de substance historique et politique – Pour Roland


Barthes, analyser un mythe est une entreprise totale qui va au-delà du dévoilement des
procédés linguistiques et littéraires19. Dès lors, prendre pour étude la démocratie actionnariale
en tant que mythe conduit à en décortiquer les rouages et l’origine, en un mot, les différentes
substances qui le composent. Ces substances ont pour terreau la science juridique. En cela il
s’agit d’un mythe juridique. En outre, ces substances relèvent de l’histoire et du politique car
le mythe est à la fois situé dans le temps, dans des contextes précis, et qu’il véhicule un
imaginaire politique bien précis.
A ce stade, il convient de préciser plus avant les termes de démocratie et d’actionnarial,
chacune étant une porte ouverte vers deux univers qui n’ont pas pour vocation première à se
trouver accolés l’un avec l’autre. Certains observateurs ont d’ailleurs pu s’étonner d’éventuels
rapprochements entre la démocratie et l’univers actionnarial. « Grande illusion »20 ou
oxymore21, la démocratie actionnariale ne pourrait exister car offrir une passerelle entre deux
univers en tension, voire en contradiction l’un avec l’autre ne saurait dépasser la simple figure
littéraire.
Là est un des intérêts de l’étude : étudier un mythe c’est aussi étudier ceux qui en récusent la
mobilisation car, pour ce faire, ils sont aussi obligés de l’utiliser. Ainsi, ils rendent compte du
mythe et donnent à voir à cette occasion leur conception des termes de ce dernier. Il n’existe
donc pas des partisans ou des détracteurs du mythe de la démocratie actionnariale mais des
acteurs qui le mobilisent dans des perspectives différentes. Ces perspectives sont par ailleurs
le produit d’un contexte historique et politique singulier.
Toutefois, ils sont unis par les différents univers véhiculés par le mythe : la démocratie et la
dimension actionnariale.

8 – La dimension démocratique, esquisse de définition – La démocratie actionnariale


mobilise l’univers démocratique. Néanmoins, à l’instar du mythe lui-même, il est parfois

19
BARTHES R., Mythologies, Seuil, Points, Civilisation, 1957, p. 244-247.
20
GERMAIN M., MAGNIER V., Traité de droit commercial de G . Ripert et R. Roblot, T.1, vol. 2, Les sociétés
commerciales, LGDJ, 22e éd., 2017, p. 301 où l’auteur reprend mots pour mots les termes déjà anciens de
Georges Ripert dans Aspects juridiques du capitalisme moderne, LGDJ, 2e éd., 1951, p. 90-91.
21
ICAHN G., La démocratie actionnariale est un mythe, consultable sur le blog de l’activiste boursier :
http://www.icahnreport.com/report/2008/06corporate-democ.html ; MANNE H., L’oxymore de la « démocratie
actionnariale », Wall Street Journal, 9 janvier 2007.

15
difficile de définir la démocratie. A minima, il est devenu fréquent de citer la phrase célèbre
du président Abraham Lincoln la définissant comme « le gouvernement du peuple, par le
peuple, pour le peuple »22. Cette formule a pour vertu principale la clarté et offre un condensé
pour le moins expressif de ce que serait la démocratie. Pour autant, elle introduit, mais
n’épuise pas tout ce qu’est la démocratie, qui est à la fois procédure et valeurs.

Le droit constitutionnel et la philosophie politique enseignent qu’il y a là davantage qu’une


relation entre un peuple et un gouvernement. Une approche plus élaborée y voit une forme
d’organisation du pouvoir qui s’exerce au travers d’une forme juridique appelée Etat23. En ce
sens, la démocratie est un ensemble de procédures visant à assurer l’expression du peuple qui
peut accéder et contrôler l’Etat notamment par l’intermédiaire de mécanismes comme la
représentation ou encore l’Etat de droit. Pour certains auteurs, elle permet de combiner
hétéronomie et autonomie24. La démocratie est hétéronome en ce qu’elle soumet ses sujets à
des normes produites par d’autres. Des représentants issus du peuple vont imposer des normes
produites par eux aux autres citoyens. Elle assure une forme d’autonomie en ce qu’elle permet
aux sujets de se doter de normes par eux-mêmes. Lorsque les citoyens souscrivent à une
majorité ou exerce de manière directe l’activité législative, ils se déterminent de manière
autonome.
En parallèle, la démocratie consiste aussi en un ensemble de valeurs qui se recoupent parfois
avec la question des mécanismes. Par exemple, la liberté et l’égalité forment un couple
indissociable, fondatrices de la démocratie25. Selon la conception que l’on a de l’une ou de
l’autre, voire de l’une par rapport à l’autre, les contours du régime politique ne seront pas
exactement les mêmes et peuvent donner lieu à différentes variations. Recenser toutes ces
valeurs apparaît complexe tant les définitions sont multiples. La matrice de ces valeurs repose
dans les dimensions du libéralisme : politiques, sociales, économiques, avec pour colonne
vertébrale la préservation des libertés civiles26. Néanmoins, si les valeurs d’égalité et de
liberté apparaissent incontournables, il en est de même pour celles de pouvoir et droit27 : le

22
LINCOLN A., Discours sur l’état de l’Union dit de Gettysburg, 1865.
23
HAMON F., TROPER M., Droit constitutionnel, LGDJ, Manuel, 38e éd., 2017, p.89.
24
HAMON F., TROPER M., op. cit., p. 101-102 ; KELSEN H., Théorie générale du droit et de l’Etat, LGDJ,
1997, p.283 et suiv.
25
GICQUEL J. et J.-E., Droit constitutionnel et institutions politiques, LGDJ, Domat Droit Public, 31e éd., 2017,
p. 259-262.
26
HAMON F., TROPER M., op. cit., p.102-103 ; HERRERA C.-M., Entre droit constitutionnel et démocratie :
les contre-pouvoirs sociaux, in VIALA A., La démocratie : mais qu’en disent les juristes ? – Forces et faiblesses
de la rationalité juridique, LGDJ, Lextenso ed., Grands Colloques, 2014, p.171-174.
27
DOCKES E., Valeurs de la démocratie – Huit notions fondamentales – Liberté Egalité Pouvoir Droit Contrat
Propriété Intérêt Représentation, Dalloz, Méthodes du droit, 2005, p. 1-2, p. 6-11 et p. 30-35.

16
premier est à la fois accompagné et limité par le second. En tant que valeurs, leur place est
importante en démocratie car, sans eux, elle ne peut exister pleinement. En outre, tout
discours de justification du pouvoir est structuré, selon un auteur, autour d’une ou de plusieurs
valeurs : le contrat, la propriété, l’intérêt et la représentation28. Le jeu, l’interaction, entre ces
valeurs permet de dessiner la démocratie. Au sein du mythe, tous ces aspects ne sont pas
systématiquement mobilisés en même temps. Au gré des auteurs et de leurs besoins, certains
sont mis en avant, d’autres critiqués, relégués ou occultés. Si le tronc est commun, les
branches et ramifications ne le sont pas toujours. Le mythe démocratique véhicule donc une
dialectique entre un régime d’organisation du pouvoir et des valeurs afférentes.
A ceci s’ajoute le fait que, dans ce mythe, la démocratie est qualifiée d’actionnariale. En effet,
son univers de déploiement est celui des sociétés par actions.

9 – La dimension actionnariale, interface avec le capitalisme – L’étude, telle qu’envisagée


ici, ne considère pas le terme d’ « actionnariale » dans son acception la plus étroite. Au
contraire, le mythe se déploie dans une dimension plus vaste de ce terme. Il ne se borne pas
seulement à tout ce qui relève de l’actionnaire ou de l’actionnariat. Il touche au domaine plus
vaste des sociétés par actions. Or, un éminent auteur du siècle dernier a pu mettre en lumière
le lien entre ce type de sociétés et un système économique singulier : le capitalisme29. Pour cet
auteur, la société anonyme est le « merveilleux instrument du capitalisme moderne »30. Il n’est
donc pas possible d’évoquer l’une sans la situer dans l’autre.

Le mythe de la démocratie actionnariale s’épanouit parmi les sociétés par actions mais il ne
peut se saisir pleinement qu’en prenant en compte son univers de déploiement, son arrière-
fond capitaliste. Le Doyen Ripert en évoquait déjà la nécessité en soulignant, outre que « la
langue traduit l’esprit du droit »31, le lien entre régime et esprit capitalistes, se nourrissant
réciproquement sous l’égide de l’opinion32. L’essence du capitalisme résiderait dans une
conquête du profit. « Esprit de création et de lutte »33, il lierait richesse et puissance : la
conquête de l’une permettant d’atteindre l’autre.
Plus récemment, un auteur a pu proposer une définition synthétique du régime capitaliste. Ce
dernier a pour traits fondamentaux : la décentralisation, la marchandisation, l’accumulation et

28
DOCKES E., op. cit., p. 2-3 pour un bref tableau d’ensemble de ces huit valeurs démocratiques.
29
RIPERT G., Aspects juridiques du capitalisme moderne, LGDJ, 2e éd., 1951.
30
RIPERT G., op. cit., p.109 et suiv.
31
RIPERT G., op. cit., p. 345.
32
RIPERT G., op. cit., p. 329.
33
RIPERT G., op. cit., p. 343.

17
l’existence d’entreprises34. La décentralisation nécessite l’existence d’acteurs susceptibles de
pouvoir prendre des décisions économiques en toute autonomie reposant sur l’existence de
droits de propriété conférés à ces mêmes acteurs. La marchandisation fait référence à
l’existence de marchés agissant comme mécanismes d’allocation et de coordination des
ressources pour les acteurs. L’accumulation se réfère au rôle du capital proprement dit ainsi
que ses différentes manifestations : profit, accumulation stricto sensu, utilisation de ressources
pour investir, capacité à recourir au crédit. L’entreprise est une entité de décision, d’action et
de calcul, autonome par rapport à l’Etat et des autres institutions, sociales ou domestiques35.
Elle fonctionne sur un mode hiérarchique entre emprunteurs et travailleurs reposant sur une
domination asymétrique et un rapport d’échange capital/travail. Ces éléments mettent en
lumière les aspects mécaniques du capitalisme, plus encore que le simple esprit de lucre mis
en lumière par le Doyen Ripert, tous sont susceptibles d’apparaître à des degrés divers dans la
dimension actionnariale du mythe. Cependant, l’entreprise est celle qui est la plus présente
compte tenu de son lien avec la notion de société36.
A ces modalités techniques, s’ajoute aussi une logique sociale. Le capitalisme est aussi une
totalité complexe. Un auteur a tenté d’en proposer une définition intéressante en ce qu’elle
permet de prendre en compte l’aspect contradictoire généré par ce régime économique.
« Ouragan perpétuel de destruction créatrice »37, il est à la fois structuration et
déstructuration. Il contribue à créer des activités, des marchés des besoins, tout en détruisant
des formes anciennes du même type et en débordant dans tous les domaines sociaux ou
politiques autour d’une logique d’enrichissement sans fin38. Rejoignant le Doyen Ripert dans
sa recherche d’un esprit du capitalisme, cet auteur considère que la logique engendrée par ce
dernier exprimerait à sa façon trois motivations humaines fondamentales : pouvoir, avoir et
subsister. Chacune de ces motivations agit aussi bien en tant que force de séparation que de
cohérence. Dès lors, si les sociétés par actions sont l’un des outils propres au capitalisme, les
étudier conduit nécessairement à dévoiler cet univers dans son ensemble au travers du mythe
de la démocratie actionnariale.

34
KOCKA J., Histoire du capitalisme, Ed. Markus Haller, 2017, p.29-30.
35
KOCKA J., op. cit., p. 30-31.
36
Pour une vision synthétique : BLANC G., Les frontières de l’entreprise en droit commercial (Brève
contribution…), D, 1999, Chr., p.415-418 ; DIDIER P., Une définition de l’entreprise, in Le droit privé français
à la fin du XXe siècle. Etudes offertes à Pierre Catala, Litec 2001, p. 849-857 ; PAILLUSSEAU J., Entreprise,
société, actionnaires, salariés, quels rapports ? D, 1999, Chr., p. 157-166 ; ROBE J.-P., L’entreprise et le droit,
PUF, 1999, et Le temps du monde de l’entreprise : globalisation et mutation du système juridique, Dalloz, A
droit ouvert, 2015.
37
BEAUD M., Histoire du capitalisme – 1500-2010, Seuil, Points, Economie, 6e éd., 2010, p. 406, inspiré des
travaux de SCHUMPETER J. A., Impérialisme et classes sociales, Flammarion, 1984, p.116-117.
38
BEAUD M., op. cit., p. 404-405.

18
Le mythe est à la fois révélateur et porteur d’une dynamique de destruction créatrice qui se
retrouve à l’œuvre au sein de ce type de sociétés, expliquant ainsi le « malaise » ou
« l’insatisfaction » que peut procurer l’étude de celles-ci39. Dans le cas du mythe, celui-ci se
retrouve mobilisé tantôt comme registre d’inspiration pour d’éventuelles réformes, tantôt
comme grille d’analyse de gouvernance, tantôt comme contre-modèle ou facteur de désordre à
bannir absolument. Il n’est jamais exempt d’utilisations contradictoires car sa nature même
l’est.
En cela, cette étude d’un mythe juridique s’inscrit dans une approche critique des sciences
juridiques et nécessite de déployer des outils empruntés à d’autres disciplines, branches ou
sciences.

10 – Approche critique, emprunts disciplinaires et sciences connexes du droit – Dévoiler,


déconstruire, déceler la structuration du mythe de la démocratie actionnariale, telle est le but
poursuivi au travers de cette étude. Certes, la démocratie actionnariale est un objet situé dans
le champ juridique. Mais il est difficile de l’appréhender dans son ensemble.
La démocratie actionnariale est pourtant présente dans le champ juridique mais l’analyser
requiert une approche singulière. A cet effet, la présente contribution s’inscrit dans une
perspective d’analyse critique du droit qui consiste à produire un discours d’explication en
rupture avec la réalité perçue ou vécue40. Autrement dit, il s’agit de réaliser pleinement le
travail du mythologue barthien en décortiquant le mythe jusque dans ses éventuels postulats

39
PAILLUSSEAU J., La société anonyme, technique d’organisation de l’entreprise, Sirey, 1967, p. 1-2, où
l’auteur a capturé cette tension avec acuité : « La société anonyme a le don de soulever les passions. Les
philosophes et les sociologues, comme les économistes et les hommes politiques s’en sont emparés. Les efforts
que les uns produisent à la détruire sont compensés par l’énergie que les autres apportent à la défendre.
Une telle passion ne peut étonner, car la société anonyme est le « merveilleux instrument » qui a permis
l’avènement du capitalisme moderne. Elle est d’ailleurs souvent confondue avec le capitalisme lui-même. On
parle des « trusts » et des monopoles, autant de termes qui sont bien souvent dans l’esprit du public synonymes
de sociétés par actions. Que survienne une crise économique et elles sont l’objet de la vindicte populaire.
Considérées comme l’organe suprême du pouvoir économique, elles cristallisent tous les maux du capitalisme.
Les idées les plus fausses sont les plus largement répandues : tout le monde s’imagine, par exemple, que les
biens des plus grandes industries sont la propriété de leurs actionnaires.
Considérée comme l’instrument fondamental et la marque d’un système économique et social, la société
anonyme ne pouvait soulever que passions et divisions.
Plus étonnants au contraire sont les débats et les controverses des juristes. Etrangers aux passions politiques,
leur tâche devrait, semble-t-il, se réduire au perfectionnement d’un mécanisme déjà très minutieusement réglé.
Seuls quelques aspects très particuliers des sociétés, ou quelques problèmes nouveaux devraient retenir leur
attention. Or, le droit des sociétés provoque chez les juristes une insatisfaction générale, et même un certain
malaise. (…)
Le malaise s’accroît et l’inquiétude naît lorsque la grande presse s’empare de scandales financiers et qu’elle
met en cause des administrateurs de sociétés. De son côté, l’opinion publique s’indigne devant les malversations
de personnes qui gèrent souverainement des biens dont la valeur procure parfois une sensation de vertige ».
40
OST M., VAN DE KERCHOVE M., Jalons pour une théorie critique du droit, Publications des facultés
universitaires Saint-Louis, 1984, p. 27-29.

19
axiologiques. Il ne s’agit en aucune façon de prétendre à la construction d’un ou de plusieurs
nouveaux régimes juridiques mais plutôt de révéler différents phénomènes à l’œuvre dans et
autour de ce mythe. Plus précisément, cette étude tend à mettre en lumière différentes
dynamiques déjà existantes mais sous un angle alternatif, celui du mythe.

Pour parfaire cette approche, il a été nécessaire d’élargir les outils à mobiliser. Pour étudier le
mythe démocratique dans toutes ses facettes, plusieurs branches du droit doivent être
sollicitées. En outre, le recours à deux sciences collatérales41 a permis d’affiner la recherche
entreprise. Les branches du droit sollicitées sont allées du droit civil et droit commercial au
droit constitutionnel. En effet, si le terrain d’élection de la démocratie actionnariale est le droit
des sociétés, branche mixte reposant sur le droit civil et le droit commercial, il est apparu
essentiel de solliciter le droit constitutionnel pour fournir notions et concepts au regard de la
dimension démocratique du mythe.
De même, au titre des sciences connexes du droit, la science historique dans ses versants
économiques, institutionnels et juridiques, a été exploré afin de rendre compte de l’évolution
du mythe et sa place dans la construction des sociétés par actions42. De cette façon, il a été
possible de restituer la généalogie du mythe ainsi que sa place dans l’élaboration des
différentes législations propres aux sociétés par actions. La démocratie actionnariale est un
phénomène dynamique et non une image statique. Ne pas recourir aux disciplines historiques
revenait à ne pouvoir ni recueillir, ni comprendre, ni déchiffrer le mythe en son entier. Il était
important de montrer comment deux dimensions aussi différentes que la démocratie et
« l’actionnarial » ont pu se rencontrer au travers d’un mythe et comment le mythe a participé
à l’élaboration de notions et régimes propres aux sociétés par actions43.
Ponctuellement, les sciences de gestion ont aussi offert une fenêtre sur certaines pratiques en
cours dans les sociétés par actions permettant d’approcher la pertinence ou les limites du
recours au mythe. Elles ont servi à le situer dans son contexte actionnarial et capitaliste. En

41
CARBONNIER J., Droit civil – Introduction, vol. 1, PUF, Quadrige, 2004, p. 59-71.
42
Sur l’apport de l’histoire voir l’article fondateur d’ESMEIN A., Le droit comparé et l’enseignement du droit,
Nouvelle revue d’Histoire du Droit, 1900, p.491 et suiv.
43
CARBONNIER J., op. cit., p. 60 : « Plus généralement, on peut dire que le droit trouve dans l’histoire son
milieu propre, car il est essentiellement durée, mémoire, rattachement, des générations les unes aux autres,
enracinement de l’avenir dans le passé, et même quand il est révolutionnaire, il aimera se redécouvrir des titres
anciens que des siècles d’oppression n’avaient pu effacer » ; pour une démarche similaire, certes en droit
constitutionnel, MIRKINE-GUETZEVITCH B., Les méthodes d’étude du droit constitutionnel comparé, RID
comp., vol. 1, 1949, p. 397 : « Or pour comprendre la structure et le « rendement » des institutions sociales, il
faut connaître leurs origines et leur devenir juridique, c’est-à-dire leur évolution historique » ; pour une
perspective plus large : HALPERIN J.-L., L’histoire du droit constituée en discipline : consécration ou repli
identitaire ?, Revue d’Histoire des Sciences Humaines, 2000, p. 10.

20
tant que sciences d’organisation, elles donnent à voir le droit en action. Plus précisément, leur
apport consiste à illustrer sur le terrain économique les limites ou le bien-fondé de certains
mécanismes sociétaires. Le détour par les sciences de gestion permet de suivre avec une
finesse accrue la circulation du pouvoir dans les sociétés par actions ainsi que les tensions et
résistances parfois à l’œuvre. De plus, cela complète utilement les éléments fournis par la
science historique quant aux formes empruntées par le capitalisme qui ne se réduit pas à son
volet purement financier. En cela, les emprunts aux sciences de gestion participent, elles
aussi, à la démarche du mythologue en offrant une « vision d’ensemble »44 des pratiques de
gouvernement des sociétés dans leur contexte économique.
L’approche ayant été précisée, il convient à ce stade d’indiquer la localisation précise, le
terrain d’élection où s’épanouit le mythe étudié.

11 – Le terrain d’élection du mythe, le droit des sociétés par actions et son discours – La
démocratie actionnariale se déploie dans le champ du droit des sociétés. Le droit français, à
l’instar des autres systèmes juridiques continentaux ou de ceux dits de common law, connaît
des formes plus ou moins variées de sociétés : chacune ayant vocation à répondre à des
besoins spécifiques. Ces formes sont classées par la doctrine, et parfois par la loi, en familles
répondant à des philosophies différentes45. Ainsi en est-il de l’opposition entre les sociétés de
capitaux et celles dites de personne, ou encore entre groupements à risque limité et ceux à
risque illimité. Or, quelle que soit la forme, certaines questions essentielles demeurent parmi
lesquelles celles de la place des associés, des dirigeants voire tout simplement des relations de
pouvoir existant entre ces différentes parties prenantes. Cet aspect de la relation sociétaire se
pose avec une acuité certaine dans les sociétés de capitaux et, plus précisément, dans les
sociétés par actions. En effet, ces dernières ont été conçues comme des véhicules
capitalistiques par essence. De manière plus prosaïque, les sociétés par actions existent avant
tout pour drainer des capitaux importants et accueillir des investissements conséquents. Une
telle conception a pour corollaire la responsabilité limitée des associés et la possibilité de
recourir aux marchés financiers.
Un temps, doctrine, loi, jurisprudence et même praticiens se sont penchés sur l’organisation
interne de ces sociétés par actions avec pour postulat de départ une image démocratique de la
forme sociale et surtout des relations entre les différents protagonistes, l’associé constituant le

44
GOMEZ P.-Y., KORINE H., L’entreprise dans la démocratie – Une théorie politique du gouvernement des
entreprises, De Boeck, Ouvertures économiques, 2009, plus spécifiquement p. 13-14.
45
COZIAN M., VIANDIER A., DEBOISSY F., Droit des sociétés, Lexis Nexis, Manuel, 30e éd., 2017, plus
spécifiquement p. 15-16 intitulée « Taxinomie ou jeu des classifications ».

21
peuple souverain et les dirigeants ses représentants, voire le pouvoir exécutif46. Là réside le
cœur du mythe. Aussi bien dans la bouche du législateur lors des débats parlementaires que
dans celle des savants et praticiens du droit.
Avant tout, le mythe est œuvre doctrinale. Mais comme l’esprit anime les institutions et
réciproquement, il doit être étudié en confrontant l’esprit aux différentes institutions pour
lesquelles il a été mobilisé47.
Par conséquent, cette contribution porte sur le droit des sociétés par actions48, c’est-à-dire plus
précisément sur les discours relatifs aux trois types de sociétés suivants : la société
anonyme49, la société en commandite par actions50 et la société par actions simplifiée51. De
plus, l’étude adopte une perspective principalement interne, intégrant le droit de l’Union
Européenne lorsque nécessaire du fait de la transposition des directives relatives au droit des
sociétés, des actionnaires voire des marchés financiers. La société européenne dont le régime
est très proche des sociétés par actions est écartée ainsi que le recours à d’éventuels droits
étrangers. En effet, l’histoire de ce mythe a montré la relation étroite qu’il entretient avec son
contexte institutionnel. Dès lors, il n’était pas possible de les intégrer sans risquer de perdre le
fil du mythe et de ne pouvoir en restituer la substantifique moelle.

Toutefois, la présente étude n’a pas pour terrain d’élection le régime, à proprement parler, des
sociétés par actions. Elle se concentre plus spécifiquement sur les discours relatifs à ces
formes sociales. Autrement dit, il s’agit avant tout d’une approche par la doctrine juridique.
Le mythe de la démocratie actionnariale ne se retrouve pas à proprement parler ni dans la loi,
ni dans la jurisprudence. Il se niche dans les discours produits par ceux qui analysent ou
produisent les normes relatives aux sociétés par actions. A cet égard, dispositions légales,
réglementaires et jurisprudentielles seront évoquées mais à travers leur mobilisation par les
auteurs ou le législateur le cas échéant. Par doctrine, il convient d’entendre la « littérature
juridique considérée dans son entier »52 et par « l’ensemble des auteurs qui écrivent dans le
domaine du droit »53. En effet, le mythe de la démocratie actionnariale est mobilisé à

46
FRISON-ROCHE M.-A., BONFILS S., Les grandes questions du droit économique – Introduction et
documents, PUF, Quadrige, 2005, p. 168-170.
47
RIPERT G., Aspects juridiques du capitalisme moderne, LGDJ, 2e éd., 1951, p. 1-7 et p. 329-346 ;
SAVATIER R., Les métamorphoses économiques et sociales du droit civil d’aujourd’hui, Dalloz, 3e éd., 1964.
48
C. Com. L 224-1 à L 224-3 ; R 224-1 à R 224-3.
49
C. Com. L 225-1 et suiv., R 225-1 et suiv.
50
C. Com. L 226-1 et suiv. R 226-1 et suiv.
51
C. Com. L 227-1 et suiv., R 227-1 et suiv.
52
MALINVAUD P., Introduction à l’étude du droit, Lexis Nexis, 13e éd., 2011, p. 191.
53
MALINVAUD P., idem ; voir aussi CARBONNIER J., Droit civil – Introduction, vol. 1, PUF, Quadrige,
2004, p. 285-287 et p. 294-295 ; TERRE F., Introduction générale au droit, Dalloz, 9e éd., 2012, p. 161-170.

22
l’occasion de démarches doctrinales : dégager des principes explicatifs, systématiser, révéler
un ordre juridique54, ici dans le domaine des sociétés par actions.
Les discours relatifs au régime historique et contemporain de ces trois sociétés forment donc
le terrain d’étude privilégié au travers duquel le mythe de la démocratie actionnariale a été
recherché.

12 – Plan – Le mythe de la démocratie actionnariale offre une structure similaire aux mythes
de l’Antiquité gréco-latine ou autres sociétés anciennes.
Leur étude permet de saisir l’Homme antique, le cadre social et culturel dont il est à la fois le
créateur et le produit. A cet égard, le mythe est aussi créateur et produit55. Il est créateur en ce
qu’il raconte des origines, établit des filiations et des justifications de toutes sortes. Il est
produit en ce qu’il participe au fonctionnement de l’ordre du monde et qu’il est véhiculé par
les récits humains. A titre d’exemple, le mythe chez les anciens Grecs, sert autant à justifier
l’espace et le mouvement56 qu’il est mobilisé pour accompagner la pensée technique57. Il est
fondateur et structurant58. Dans sa dimension fondatrice, il explique et justifie la création d’un
objet. Dans sa dimension structurante, il en accompagne tous les usages. Tel est le mythe de la
démocratie actionnariale, lui aussi fondateur et structurant.
En tant que mythe fondateur, son évolution et ses mutations accompagnent les sources, les
origines de la législation sur les sociétés par actions (partie 1). En tant que mythe structurant,
il participe aux apports et aux limites d’une pratique démocratique dans les sociétés par
actions (partie 2).

54
JESTAZ P., Le droit, Dalloz, 4e éd., 2004, p. 60 ; JESTAZ P., Genèse et structure du champ doctrinal, D
2005, Chron. p. 19 ; JESTAZ P., JAMIN C., La mission de la doctrine universitaire en droit privé, JCP 1980, I,
2999 ; BATIFFOL H., La responsabilité de la doctrine dans la création du droit, RRJ 1981, p. 175 ; GAUTIER
P.-Y., L’influence de la doctrine sur la jurisprudence, D 2003, Chron. p. 2839.
55
VERNANT J.-P., Mythe et pensée chez les Grecs – Etudes de psychologie historique, La Découverte Poche,
1996, p. 9.
56
VERNANT J.-P., Hestia-Hermès. Sur l’expression religieuse de l’espace et du mouvement chez les Grecs, op.
cit., p. 155-201.
57
VERNANT J.-P., Prométhée et la fonction technique, op. cit., p. 263-273.
58
A rapprocher de : COURET A., L’état du droit des sociétés. 50 ans après la loi du 24 juillet 1966, Bull. Joly
2016, p. 435-436, où l’auteur utilise aussi dans sa démarche les termes de mythe et de mythe fondateur en droit
des sociétés, mais en mobilisant uniquement le sens commun de ces termes.

23
24
Partie 1 – Un mythe fondateur : évolution et mutations d’une
théorie démocratique des sociétés par actions

13 – Du droit public au droit des sociétés – Traditionnellement, la notion de démocratie


relève du champ de plusieurs disciplines : droit constitutionnel, sciences politiques, voire droit
public en son sens le plus large. Ces champs ont pour point commun d’étudier l’Etat et ses
formes d’organisation. Il n’est dès lors pas évident de la retrouver dans le champ du droit des
affaires et a priori dans celui des sociétés par actions. Néanmoins, tenter d’acclimater l’idée
de démocratie à ce contexte particulier peut se comprendre. En effet, la démocratie est avant
tout une forme d’organisation sociale tout comme les sociétés par actions. Dans les deux cas,
il s’agit d’encadrer un collectif, les relations de pouvoir entre ses membres. A fortiori, il est
intéressant de constater le particularisme sémantique du mot société : là où nos voisins
européens distinguent très nettement les institutions dans leur vocabulaire, la langue française
utilise un terme unique pour désigner des réalités différentes. Le mot de société désigne aussi
bien la collectivité des membres de la nation considérée comme sujet et support d’un intérêt
collectif que l’acte instituant la société et la réalité sociale en découlant. Dès lors que l’on
considère les sociétés par actions comme un mode d’organisation collective, le recours à la
représentation démocratique surprend moins.

14 – La démocratie comme référent dans le champ des sociétés par actions – Mythe
fondateur, la démocratie actionnariale offrirait alors un cadre théorique aux sociétés par
actions et, plus particulièrement, à la société anonyme. Le recours à la démocratie a d’abord
été utilisé dans un cadre linguistique classique : celui de la comparaison et du rapport
d’analogie. Le mythe apparaît ainsi comme une figure de style qui s’est progressivement
échappée pour devenir une représentation stéréotypée qui a voyagé tout au long de l’évolution
des sociétés par actions. Il est devenu un référent classique en droit des sociétés. Pourtant,
actuellement, il ne semble pas que ce mythe ait cristallisé autour de lui de manière pérenne les
adhésions et les attentes de la doctrine ou même du législateur. Au contraire, il semblerait
plutôt que d’autres représentations, d’autres modèles, soient en concurrence avec lui. Un des
avatars bien connus de cette compétition est le débat sur la nature des sociétés en général :
s’agit-il d’une institution ou d’un contrat ? Or, dans l’élaboration du mythe de la démocratie
actionnariale, ce débat a aussi joué un rôle non négligeable, contribuant de manière sensible à
son apparition.

25
15 – Resituer le mythe dans son contexte historique –Envisagé dans son aspect fondateur,
le mythe de la démocratie actionnariale ainsi que ses limites ne se comprennent pleinement
que remis dans une démarche historique, temporelle car ce concept n’a rien d’un « deus ex
machina » apparu brutalement et sans aucune origine. Plus simplement, la question qui se
pose est la suivante : pourquoi un tel mythe a-t-il réussi ou échoué à trouver sa place dans les
théories sur les sociétés par actions ? Aussi bien le mythe que ses représentations concurrentes
ne peuvent se comprendre pleinement qu’à travers une démarche mettant en perspective à la
fois les origines, les enjeux et les raisons d’être, d’abord du mythe lui-même, puis du
mouvement de contestation de ce dernier. La démocratie actionnariale est ainsi un processus
dialectique historicisé. En d’autres termes, la référence à la démocratie s’inscrit dans un
mouvement historique et ne se comprend qu’en mouvement, c’est-à-dire en lien avec les
figures de contestation qu’elle a pu susciter. Pour ce faire, il est possible d’isoler deux phases
distinguant deux évolutions de la figure mythique.
La première phase correspond à ce que l’on pourrait désigner comme la figure classique du
mythe avec la mise en place des premiers jalons, et des premiers obstacles, de la démocratie
dans les sociétés par actions (titre 1). La seconde phase correspond à la naissance et au
développement d’une autre vision du mythe démocratique : bien que contesté, il a pu
alimenter de nouvelles exigences correspondant à un approfondissement de ce dernier, ce qui
n’est pas allé sans de nouvelles critiques (titre 2).

26
Titre 1 – L’émergence de la figure classique du mythe : entre
affirmation et contestations de l’objet démocratique dans les sociétés
par actions

16 – La société par actions, miniature démocratique – Acclimater la démocratie aux


sociétés par actions ne va pas nécessairement de soi. La démarche d’acculturation a pris du
temps et a nécessité un terreau favorable afin de se développer. Pour se diffuser, un mythe a
besoin d’un public réceptif, le seul talent oratoire de l’aède qui le raconte ne suffisant pas et,
de loin, à en assurer la pérennité. La rencontre entre l’idée démocratique et le fonctionnement
des sociétés par actions s’est opérée progressivement et par petits pas successifs. Au fur et à
mesure que s’est édifié le droit des sociétés par actions, la démocratie a pu jouer tantôt un rôle
d’inspiration tantôt de repoussoir mais toujours de référent plus ou moins clairement assumé.
Si cela n’était pas une évidence lors du passage de l’Ancien Régime à la Révolution, le
phénomène s’est clairement affirmé lors du XIXe siècle avec l’éclosion véritable de ce type de
sociétés. Le lien entre les deux est alors né sous sa forme classique : la société est apparentée
à une démocratie en miniature dont l’actionnaire est le citoyen. Différents mécanismes sont
entrés en jeu : le recours régulier à l’analogie et à la métaphore centrée à la fois sur
l’actionnaire voire l’épargnant et sur les assemblées générales. La règlementation croissante
des sociétés par actions a puisé dans ces images pour illustrer ou encore justifier son
existence. De même, la doctrine commercialiste a su faire fructifier le mythe en s’en emparant
et en diffusant ce système de référence.
C’est pourquoi l’étude du mythe de la démocratie actionnariale s’inscrit avant tout dans une
perspective historique, il est le produit d’une combinaison de facteurs historiques mais se
comprend aussi comme un choix idéologique, doctrinal, presque militant (chapitre 1). Mais
l’acclimatation entre la démocratie et l’univers des sociétés par actions n’est pas un
phénomène univoque. Il a suscité des réticences, des résistances qui, tout en mobilisant le
mythe en ont conclu à son inadaptation (chapitre 2).

27
Chapitre 1 – Origines, enjeux et raisons d’être du mythe : le recours
souhaité à l’image de la démocratie dans les sociétés par actions

17 – Le succès du référent démocratique – Par certains aspects, le recours au mythe


démocratique a été particulièrement sollicité à tel point que l’on peut se demander dans quelle
mesure il n’a pas été aussi activement désiré, voire souhaité.
Au fur et à mesure que le besoin de règlementation des sociétés par actions se faisait sentir, le
référent démocratique a pu sembler offrir des perspectives fécondes. On peut émettre
l’hypothèse que c’est cette fécondité, inattendue de prime abord, qui a permis à ce mythe de
connaître un certain succès. Très probablement, l’aspect politique ainsi que les
problématiques d’organisation des pouvoirs ont pu nourrir certaines réflexions. Le référent
démocratique a connu un succès certain pour ses vertus pédagogiques, explicatives.
L’analogie organisationnelle est une formidable base pour toute construction heuristique. A
titre d’exemple, le débat sur le périmètre des pouvoirs des assemblées générales pouvait
puiser dans la vision démocratique de nombreux outils ou concepts dont celui de
souveraineté, populaire ou nationale. D’une certaine façon, le mythe démocratique a pu offrir
des cadres de pensée propices à l’élaboration d’un paradigme des sociétés par actions. La
profusion des concepts, combinée à l’essor parfois douloureux de la démocratie dans le
système politique français ont contribué à inspirer le droit des sociétés en la matière. Or, on
oublie trop souvent dans notre vision contemporaine ce que l’on doit à cette acculturation
entre démocratie et sociétés par actions. Le recours à l’imagerie démocratique a fortement
imprégné les réflexions en la matière jusqu’à notre époque : de nombreux débats encore vifs
sur les pouvoirs et responsabilités de chaque organe social n’en sont que les prolongements.
L’utilisation de la représentation démocratique dans ce cadre ne peut donc se comprendre
pleinement qu’à la condition de remettre en perspective, d’un côté, l’émergence de la
législation sur les sociétés par actions (section 1), et, de l’autre côté, celle de la doctrine
concernant ces mêmes sociétés (section 2).

28
Section 1 – Un héritage historique : un terrain favorable à la construction
démocratique

18 – Rendre compte du fonctionnement des sociétés par actions – Des historiens du droit
ont pu rappeler à juste titre que les sociétés par actions ont pu se développer sous le règne de
Louis XIV ainsi qu’à la fin de l’Ancien Régime parce qu’elles combinaient négociabilité des
parts et une responsabilité limitée aux apports59.
Mais si ces deux aspects ont poussé au développement des sociétés par actions, s’est très vite
posée la question de leur fonctionnement tant interne qu’externe et, en la matière, la gestation
fut assez lente voire laborieuse. A de nombreuses reprises, ce fut la pratique qui apporta des
éléments de réponse avant que la tutelle de l’Etat ne s’en préoccupe parfois avec une grande
rigidité ou une surveillance pointilleuse. Pourtant c’est ce vide qui permit sans doute ou même
facilita le recours aux figures démocratiques. La démocratie étant avant tout une théorie
politique, il était possible d’y puiser des cadres d’action, des concepts susceptibles de rendre
compte ou d’inspirer les acteurs du droit des sociétés pour structurer les sociétés par actions.
Les lacunes, vides ou abstentions de la législation offraient autant d’espaces à combler pour le
mythe démocratique.
Ainsi, à cette lente gestation législative et réglementaire des sociétés par actions (paragraphe
1) répondit un essor fulgurant des réponses doctrinales voire de la pratique (paragraphe 2) qui
tous ont pu en certaines occasions créer, puis favoriser un développement du mythe
démocratique.

Paragraphe 1 – La lente gestation législative des sociétés par actions

19 – Les deux modèles canoniques de sociétés par actions – Au regard de certaines


institutions du droit commercial, l’émergence des sociétés par actions modernes dans la
législation est relativement récente et remonte au premier code de commerce qui en
distinguait ainsi deux modèles à l’origine : la société en commandite par actions et la société
anonyme.

59
SZRAMKIEWICZ R., DESCAMPS O., Histoire du droit des affaires, LGDJ, Domat Droit Privé, 2e éd., 2013,
p. 213 : « c’est en somme sur la réunion de deux idées que va se développer la société de capitaux : l’idée de
négociabilité des parts – et donc de leur publicité – et l’idée de non-responsabilité au-delà du montant de
l’apport ».

29
La première servit de transition (A) à l’avènement de la seconde dont la naissance difficile (B)
favorisa plus ou moins directement les poussées démocratiques autour des sociétés par
actions.

A – La commandite, structure de transition ?

20 – La commandite, vénérable ancêtre des sociétés modernes de capitaux – « La


commandite par actions est une société qui groupe deux sortes d’associés : un ou des
commandités personnellement responsables, un ou des commanditaires qui sont des
actionnaires (Co art L226-1 ; L1966 art 251). Pour les commanditaires, la société est une
société de capitaux ; les commandités s’il y en a plusieurs, sont dans la situation d’associés
en nom collectif. C’est une forme bâtarde qui ne peut s’expliquer que par l’histoire »60.
Au travers de cette définition, on peut d’ores et déjà déceler le rôle de la commandite par
actions dans l’histoire du droit des sociétés mais aussi dans l’histoire économique de la
France. Cette forme sociale a joué un rôle de transition à plusieurs égards : entre les formes
traditionnelles et nouvelles de sociétés, en permettant de préparer les mentalités à l’avènement
de la société anonyme, en mettant en lumière certaines difficultés autour des actions et de la
spéculation (épargne publique), en préparant la dissociation propriété/capital. La commandite
par actions peut être qualifiée de vénérable grand-mère des sociétés par actions. En effet, elle
a été la première véritable structure destinée à drainer l’épargne publique. Pourtant, lors de sa
création personne n’avait entrevu son véritable rôle, seul Cambacérès lors de la rédaction du
Code de commerce en ayant pressenti les futurs développements61. A cette époque, la
commandite est l’héritière de plusieurs traditions et formes ancestrales de sociétés. Tirée de la
commandite simple, elle permet une première dissociation entre les bailleurs de fond,
commanditaires, et les gérants de l’affaire, commandités.
Ce modèle social a connu un certain succès sous l’Ancien Régime car permettant aux nobles
de s’intéresser au commerce par ce biais sans risquer de déroger, s’adonner à l’exercice du
commerce étant par tradition ignoble au sens premier du terme62.

60
GERMAIN M., MAGNIER V., Traité de droit commercial de G. Ripert et R. Roblot, T.1 vol.2, Les sociétés
commerciales, LGDJ, 22e édition 2017, p. 200.
61
HILAIRE J., Introduction historique au droit commercial, PUF coll. Droit Fondamental, 1986, p.180
62
HILAIRE J., op cit, p.183-184.

30
21 – Coexistence des responsabilités et fièvres spéculatives – De plus, en terme de
responsabilité, l’application du régime de la société en nom collectif aux commandités
permettait d’atténuer très fortement les risques encourus.
Ce type de montage était d’autant plus répandu qu’armateurs et banquiers recouraient souvent
aux contrats de command voire à la commandite pour encadrer les opérations de commerce
maritime. A côté de ce succès de la commandite, les institutions royales s’inspirèrent de ce
mécanisme pour monter les compagnies royales dont la mission consistait à explorer et
exploiter les richesses des continents lointains63. Ces compagnies furent les premières à
véritablement émettre des titres négociables proches des actions et proposés au public. Dès
lors, lorsque le Code de commerce précisa que dorénavant les commandites pouvaient se
constituer sous forme de commandite par actions, la réunion de tous ces avantages en une
seule forme sociale ne pouvait que séduire les praticiens. De fait, de 1807 à 1856, ce siècle fut
véritablement celui de la commandite et connut de véritables poussées de fièvre
correspondant à d’intenses bulles spéculatives où cette forme, quasiment conçue « par
accident »64, permit et favorisa le développement industriel du pays autant qu’elle mit en
avant les dangers de sociétés par actions. En effet, la distinction entre commandités et
commanditaires est la plus parfaite illustration de la dissociation entre propriété et contrôle et
ce d’autant plus qu’à cette époque, le rôle des commanditaires quant à la nomination des
gérants et surtout comme contrôle de gestion demeurait pour le moins réduit quand il n’était
pas totalement inexistant.
Etonnamment, ce ne fut pas la doctrine commercialiste qui s’en émut le plus mais les
écrivains qui y trouvèrent moult matière pour alimenter leurs œuvres65.

22 – Encadrement, reflux et retour de la commandite – La loi de 1856 vint encadrer les


commandites par actions en donnant plus de pouvoirs aux commanditaires mais aussi en
durcissant les conditions autour des actions émises par celles-ci. Par exemple, la loi vint
renforcer l’exigence de libération des fonds ainsi que le montant nominal de ces dernières.
Avec la libéralisation de la société anonyme quelques années plus tard, la commandite tomba
en coma prolongé. La désaffection pour cette forme sociale était telle que, régulièrement, des
projets et des propositions de loi suggérèrent à plusieurs reprises de la supprimer purement et
simplement de la législation sur les sociétés. Néanmoins, depuis quelques années, elle a

63
HILAIRE J., Le droit, les affaires et l’Histoire, Economica, 1995, p.159.
64
HILAIRE J., Introduction historique au droit commercial, PUF coll. Droit Fondamental, 1986, p.212-213.
65
Pour l’essentiel, c’est au théâtre que se cristallisa une telle source d’inspiration, voir PALMADE G.,
Capitalisme et capitalistes français au XIXe siècle, Paris, 1961.

31
retrouvé un rôle à jouer, certes résiduel, mais non négligeable : la liberté statutaire relative à la
gérance, la stabilité offerte par la situation de commanditaire, la capacité à drainer des
capitaux comme la société anonyme ou encore sa capacité à s’insérer dans les montages de
groupes de sociétés sont autant d’atouts pour la commandite66. Ces éléments ont aussi préparé
l’évolution suivante avec la création des sociétés anonymes.

23 – La commandite, passerelle vers la société anonyme – A la lumière de tous ces


éléments, on comprend mieux ce rôle de transition, de passerelle, joué par la commandite,
véritable « œuf de Colomb »67 selon l’expression du professeur Hilaire, préparant le terrain
pour l’avènement de la société anonyme. La pratique de la commandite, et surtout ses
errements, permirent au législateur et aux commercialistes de conceptualiser, de s’accoutumer
véritablement à l’idée d’une forme sociale permettant à la fois de structurer une collectivité de
biens et de personnes mais aussi de faire appel à l’épargne public tout en relevant du champ
privé et non plus de l’Etat, ce qui allait être le rôle désormais de la société anonyme.
Précisément, la nécessité de conceptualiser dans le champ de la science juridique ces
nouveaux mécanismes appelait de nouveaux outils, de nouvelles notions à forger. Le champ
était donc libre pour des raisonnements analogiques. Ce qui put se cristalliser avec la société
anonyme.

B – La naissance de la société anonyme

24 – La société anonyme sous tutelle de l’Etat – A côté de la commandite par actions, le


code de commerce napoléonien créa aussi la société anonyme. Dans l’esprit du législateur, sa
vocation première était de servir de cadre légal pour des entreprises de grande envergure
nécessitant un financement plus large que celui que pourraient fournir les fondateurs. D’un
point de vue législatif, elle s’est développée en trois phases distinctes : de 1807 à 1867, puis
de 1867 à 1966 et, enfin, de 1966 à nos jours à telle enseigne que l’on pourrait parler de

66
GERMAIN M., MAGNIER V., Traité de droit commercial de G. Ripert et R. Roblot, T.1 vol.2, Les sociétés
commerciales, LGDJ, 18e édition, 2002, p.694 : « Les sociétés en commandite par actions reprennent
aujourd’hui une certaine importance, parce qu’elles présentent des avantages sérieux par rapport aux sociétés
anonymes, en particulier pour éviter les prises de contrôle inamicales. La loi laisse aux statuts une très grande
liberté pour organiser la gérance (nomination, révocation, rémunération). La position de gérant statutaire, qui
est habituellement réservée au commandité, est plus stable que celle d’un administrateur de société anonyme : la
commandite par actions permet donc à une entreprise familiale en expansion de faire appel au public pour
rassembler les capitaux dont elle a besoin tout en préservant la prépondérance de la famille dans la direction » ;
à nuancer au regard d’une appréciation plus critique évoquant un lent déclin dans le même ouvrage, 22e éd.,
2017, p. 201, alors que les intérêts de recourir à cette forme sociale n’ont pas disparu.
67
HILAIRE J., Le droit, les affaires et l’histoire, Economica 1995, p.190.

32
naissances multiples. Dans la première période, elle est sous le contrôle de l’Etat et peut
presque être considérée comme une entité semi-publique68 du fait de la tutelle de ce dernier.
La réglementation en vigueur est assez souple, le Code de commerce laissant une assez large
marge de manœuvre aux praticiens et aux rédacteurs de statuts. Dans l’esprit des rédacteurs
du Code, sans doute encore très profondément marqués par les souvenirs de la banqueroute de
Law et des errements spéculatifs de la période révolutionnaire, la création de cette forme
sociale a vocation à s’appliquer aux grandes entreprises, aux « grandes œuvres » nécessitant
une assise financière importante. Pour ce faire, au-delà des structures internes, il est
explicitement requis l’obtention d’une autorisation expresse pour constituer une société
anonyme, le Conseil d’Etat se chargeant de l’instruction des dossiers et de l’octroi de celles-
ci.

25 – La stabilité du développement des sociétés anonymes – De fait, la mainmise du


pouvoir sur le développement de ces sociétés leur a permis de se développer dans un climat
moins chaotique, moins frénétique que pour les commandites. La confiance supposée des
épargnants du fait de l’existence d’un contrôle par les autorités publiques confortée par un
contrôle des plus rigoureux par le Conseil d’Etat permit aux quelque six cents sociétés
anonymes qui l’obtinrent de placer et d’écouler leurs titres relativement facilement et donc, de
mobiliser l’épargne publique plus sûrement69. Si quantitativement l’impact est faible,
qualitativement parlant il en est tout autre : compagnies de chemins de fer, banques,
assurances, exploitations minières d’envergure se constituèrent sous la forme de sociétés
anonymes structurant pour longtemps le paysage industriel et financier français. A cet égard,
il convient de mentionner la conjonction de deux éléments qui ont pu contribuer à la naissance
du mythe démocratique dans les sociétés par actions : le contrôle du Conseil d’Etat et la
pratique des rédacteurs de statuts en matière d’assemblées générales. En effet, tous ont choisi
de s’inspirer de la vision démocratique pour ciseler le fonctionnement de ces dernières. Là où
le Conseil s’assurait qu’elles disposaient de certaines prérogatives voire qu’elles définissaient
avec précision les règles de majorité et de participation, les seconds proclamaient
régulièrement la « souveraineté » de ces dernières dans des formules à la Rousseau ou à la
Montesquieu dans la droite ligne des préambules sociaux si courants à la fin de l’Ancien

68
LEFEBVRE-TEILLARD A., La société anonyme au XIXe siècle – Du code de commerce à la loi de 1867,
PUF, 1985, plus précisément, p.35-61 sur la portée juridique de l’autorisation gouvernementale et cet aspect
semi-public de ces sociétés.
69
VERLEY P., Entreprises et entrepreneurs du XVIIe siècle au début du XXe siècle, Hachette coll. Carré
Histoire, 1994, p.99 et p.107 et suiv.

33
Régime70. Devançant les constructions doctrinales, la pratique a ainsi préparé le terrain à
l’analogie démocratique. La combinaison de tous ces éléments conduit à considérer que c’est
principalement la figure du citoyen qui s’y est exprimée au travers de son organe délibératif.
Les rédacteurs de statuts et le Conseil d’Etat semblent avoir transposé en la matière des
conceptions issues des champs politiques et constitutionnels autour de la notion de
souveraineté du peuple ainsi que son corollaire, celui de la représentation.

26 – La libéralisation et l’essor – La seconde période, s’ouvrant en 1867, est celle de la


libéralisation et de la diffusion rapide de la société anonyme71. La pression concurrentielle des
entreprises anglaises dans les années 1860, accentuée par la signature du traité commercial
franco-anglais de 1863, permettant aux sociétés anonymes de ce pays de venir directement
concurrencer les entités françaises, conduisit le Prince-Président et son entourage à procéder
en deux temps : interdire la création de nouvelles sociétés par actions et l’octroi de toute
nouvelle autorisation avant que de permettre leur libre constitution par la loi de 1867. Bien
qu’un peu plus diserte sur les attributions de certains organes comme l’assemblée générale,
les administrateurs ou les censeurs, par rapport au Code de commerce, la loi sur les sociétés
est très rapidement dépassée par la pratique. Ainsi, le législateur a continuellement tenté
d’encadrer cette forme sociale en multipliant les interventions et ce, en réaction aux scandales
et crises agitant périodiquement l’économie nationale. Les années 1920 et 1940, par exemple,
virent la multiplication des dispositions législatives complétant ou remplaçant les règles
existantes, échos des visions politiques dominantes de ces époques, toutes désireuses de
protéger l’épargnant et de modeler cette structure dans le but de faciliter l’avènement d’un
ordre économique précis.
Or, cette protection renforcée de l’épargnant passait en partie par celui de l’actionnaire. En
cela, les réformes ont contribué à accentuer les droits dont disposaient les actionnaires,
prolongeant l’œuvre du siècle précédent. Cet accroissement a eu pour principaux vecteurs la
protection des assemblées générales et le contrôle des dirigeants sociaux. Le législateur a
prolongé les conceptions démocratiques déjà présentes avant 1867. Les praticiens ont
d’ailleurs continué à user de modèles de statuts conçus avec une empreinte démocratique. La
souveraineté des assemblées et donc, de l’actionnaire, est demeurée un souci constant dans
l’élaboration de l’arsenal législatif. La vague de nationalisations des années quarante-cinq,

70
SZRAMKIEWICZ R. DESCAMPS O., Histoire du droit des affaires, LGDJ, Domat Droit Privé, 2e éd., 2013,
p. 204.
71
LEFEBVRE-TEILLARD A., La société anonyme au XIXe siècle - Du Code de Commerce à la loi de 1867,
histoire d’un instrument juridique du développement capitaliste, PUF, 1985, p.419 et suiv.

34
cinquante et les nécessités de la Reconstruction mirent un frein temporaire aux réformes dans
ce domaine72. Cependant, avec le reflux de l’Etat, l’empilement des lois étant tel que la loi de
1867 devenait proprement illisible, praticiens et milieux d’affaires appelèrent de leurs vœux
une refonte simplificatrice.

27 – La loi du 24 juillet 1966, régime en perpétuelle évolution – Par conséquent, en 1966,


la législation sur les sociétés fut refondue entièrement, notamment concernant les sociétés par
actions. Les dispositions relatives à la société anonyme furent enfin rassemblées dans un
corpus normatif unique incluant les réformes précédentes toilettées et adaptées aux mutations
de l’époque. A l’instar de ce qui s’est produit lors de la période précédente, le modèle
continue de subir des réformes chroniques et ce, en dépit de la création d’un véritable code de
commerce en 2000. A l’empilement législatif s’ajoute désormais l’inflation normative ainsi
que la tendance à figer la société anonyme dans un carcan de plus en plus précis et étroit, peu
favorable aux innovations de la pratique mais censé être plus protecteur des parties en
présence, au premier rang desquels les actionnaires. Les plus récentes et les plus importantes
réformes législatives quant au fond sont constituées de la loi Nouvelles Régulations
Economiques en 200173, la loi dite de sécurité financière en 200374, l’ordonnance de 2004 sur
les valeurs mobilières75, la loi de confiance et modernisation de l’économie en 200576 ou
même la loi de modernisation de l’économie en 200877.
Toutes ces réformes ont prolongé, parfois réorientées l’esprit de la loi fondatrice de 1966.
Aucune n’a rompu avec les soubassements initiaux du XIXe siècle en matière de référent
démocratique, que ce soit en matière de droits des actionnaires, dont le plus emblématique –
le vote – , d’assemblées générales ou de contrôle des dirigeants. En matière de sociétés par
actions, le législateur français a éprouvé des difficultés certaines à laisser ce type d’instrument
aux mains des volontés privées, en dépit de périodes de répit où il a laissé aux praticiens la
possibilité d’expérimenter les limites de ces formes sociales. Surtout, commandites et sociétés
anonymes ont pu prospérer pendant plus d’un siècle sans véritable carcan formel quant à leurs
organes de fonctionnement avant d’être rattrapées par une législation plus pointilleuse, plus

72
GERMAIN M., MAGNIER V., Traité de droit commercial de G. Ripert et R. Roblot, T.1 vol.2, Les sociétés
commerciales, LGDJ, 22e édition 2017, p. 285 et suiv ; DIDIER P. et Ph., Droit commercial – Les sociétés
commerciales, Tome 2, Economica, 2011, p. 484-485.
73
Loi n°2001-420 15 mai 2001Nouvelles Régulations Economiques.
74
Loi n°2003-706 1er août 2003 Sécurité Financière.
75
Ordonnance n°2004-604 24 juin 2004 Réforme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés
commerciales.
76
Loi n°2005-842 26 juillet 2005 Confiance et modernisation de l’économie.
77
Loi n°2008-776 4 août 2008 Modernisation de l’économie.

35
propice à une réflexion sur leurs structures de fonctionnement, à l’inverse de la doctrine en la
matière.

Paragraphe 2 – L’essor des théories doctrinales sur les sociétés par actions

28 – La doctrine, terre d’élection du mythe – La terre d’élection privilégiée du mythe


démocratique a été et est toujours celle de la doctrine juridique. C’est elle qui a tantôt porté
aux nues tantôt repoussé avec vigueur la possibilité de l’acclimatation des idéaux
démocratiques dans le droit des sociétés. En effet, dans son rôle de systématisation,
d’explication du droit, la doctrine a consciemment eu recours à l’analogie d’abord, au mythe
démocratique ensuite. L’histoire des théories et de la doctrine autour des sociétés par actions a
donc contribué à la naissance du mythe démocratique. D’abord, simple analogie ou figure de
style, le mythe démocratique a acquis sa pleine mesure avec l’épanouissement de la
conception institutionnelle. Son inscription dans le sillage de l’institution, a suivi les
vicissitudes de cette dernière, refluant ou s’affirmant en fonction de ses éclipses (A).
Néanmoins, l’essor récent du mouvement dit de « corporate governance » a favorisé une
résurgence certaine du mythe démocratique (B).

A – La naissance et l’oubli de la société – institution

29 – Les prémisses de la personnalité morale – A la charnière du XIXe et du XXe siècles, le


droit des sociétés français en est encore à son Moyen-Age. Malgré le développement et la
libéralisation des sociétés par actions, la notion même de société demeurait empreinte des
conceptions traditionnelles notamment des théories contractuelles. Concrètement, les vides en
matière de législation laissaient par exemple planer la confusion entre la société et
l’indivision, question qui occupa longuement la pratique depuis le Moyen-Age. En effet, les
biens apportés à la société et ceux acquis pendant son exploitation appartenaient-ils à la
société, ce qui supposait que cette dernière disposait d’une existence propre, ou appartenaient-
ils aux associés par le biais du mécanisme séculaire de l’indivision ? Il est vrai que la notion
de personnalité morale se réduisait à une autorisation accordée par les pouvoirs publics,
principalement royaux à l’époque. Il était donc fréquemment prévu par les associés des
clauses statutaires limitant leur responsabilité voire essayant de distinguer leur patrimoine de
celui de la société. Autrement dit, avant que la notion même de personnalité morale avec
toutes ses conséquences patrimoniales ne soit consacrée par le législateur, les associés
36
prévoyaient contractuellement la répartition des biens et des responsabilités entre eux, voire la
société. Par bien des aspects, il est possible de considérer la société comme un prototype
d’indivision conventionnelle. Quoi qu’il en soit, le législateur ne définît pas ce que devait être
la personnalité morale et comment l’acquérir jusqu’à la seconde partie du XXe siècle, laissant
libre cours aux montages de toute sorte, ce qui n’allait pas sans difficultés majeures sur le
terrain de la responsabilité aussi bien envers les tiers qu’entre associés.

30 – Hauriou, théoricien de l’institution78 – La réponse vint alors de la doctrine mais pas


des commercialistes encore trop marqués par les conceptions et théories civilistes. Surtout, la
question était au départ celle de la personnalité de l’Etat et de ses corps constitués
(communes, établissements publics…) : en a-t-il une, comment l’acquiert-il ? Pour en rendre
compte, le doyen Hauriou79 a élaboré au début du XXe siècle le concept d’institution, plus
précisément le phénomène d’institution qu’il résumait lui-même de la façon suivante : « une
organisation sociale quelconque est instituée lorsque le pouvoir de réalisation qu’il y a en
elle est soumis, dans une certaine mesure, à l’idée mère de l’entreprise, et par là à sa
fonction, par une auto-limitation que facilitent, d’une part la mentalité générale répandue
dans l’institution ; d’autre part, des ressorts intérieurs de l’institution elle-même qui peuvent
prendre des formes juridiques »80. A partir de là, l’organisation sociale en question se détache
de ses membres pour acquérir une existence propre se manifestant par l’acquisition d’une
personnalité dite morale et à terme de la personnalité juridique. Pour Hauriou, en effet, la
personnalité morale était le phénomène de fait là où la personnalité juridique recouvrait
l’obtention et la reconnaissance de cet état de fait par la loi ou des mécanismes équivalents
(incorporation, registre particulier…). Dès lors, à l’instar de toute personne, cette organisation
peut administrer et disposer d’un patrimoine et de biens propres, affranchis de la propriété
originelle de ses membres qui les lui ont originellement apportés.

31 – La diffusion de la théorie institutionnelle – L’auteur lui-même encouragea la diffusion


de ce modèle, ce point de départ conceptuel dans d’autres sphères des sciences juridiques et

78
SCHMITZ J., La théorie de l’institution du doyen Maurice Hauriou, L’Harmattan, Logiques Juridiques, 2013,
p. 45-51.
79
HAURIOU M., Précis de droit administratif et de droit public, Dalloz, coll. Bibliothèque Dalloz, 2002, p. VI
et 40 ; Cours de science sociale, la science sociale traditionnelle, Paris, L. Larose, 1896 ; L’institution et le droit
statutaire, Recueil de l’académie de législation de Toulouse, 1906.
80
HAURIOU M., Précis de droit administratif et de droit public, Dalloz, coll. Bibliothèque Dalloz, 2002
(réédition de la 12e édition de 1933), p. VI et 40.

37
notamment en matière de « sociétés de commerce »81. Effectivement, dans la décennie 1920-
1930, spécialistes du droit commercial et plus largement du droit privé tentèrent d’user du
modèle proposé par le spécialiste du droit public, tentant notamment de transposer la notion
d’autolimitation aussi bien dans son aspect de « mentalité générale »82 du groupement que
concernant les « ressorts intérieurs de l’institution »83 dans leurs formes juridiques. L’intérêt
social, les structures de contrôle, le principe majoritaire ou encore la vision organiciste de
certaines formes sociales furent par exemple des fruits de l’acculturation de la théorie au droit
des sociétés. Ainsi, la théorie institutionnelle permettait de se sortir du carcan contractualiste
au travers duquel la société était encore perçue. A cet égard, il convient aussi de mettre en
lumière le rôle d’un autre acteur de la doctrine : le doyen Troplong.
Si Hauriou a pu offrir un système, un véritable paradigme permettant au mythe démocratique
de s’en nourrir, Troplong a été le premier à ouvrir la voie en osant le premier recourir à
l’analogie démocratique pour rendre compte du fonctionnement des sociétés anonymes durant
la charnière entre le XIXe et le XXe siècle. D’une certaine façon c’est lui qui a permis la
naissance du mouvement de démocratie actionnariale. En effet, comme l’a bien rappelé un
auteur, le recours à la métaphore présente deux vertus : elle « relie deux mondes a priori
étrangers l’un à l’autre, entre lesquels elle établit un lien »84 et « délie la pensée »85 , « elle
permet d’expliquer aisément des concepts abstraits, de donner accès à des notions difficiles à
traduire autrement que par images »86.

32 – De Troplong à l’institution dans les sociétés par actions – En l’occurrence, le doyen


Troplong a mis en place la passerelle nécessaire au rapprochement entre démocratie et société
par actions en se focalisant sur l’actionnaire – épargnant ainsi que sur le fonctionnement des
assemblées générales87. Dès lors, le discours total, le système explicatif d’Hauriou
développait encore plus cette association en approfondissant les réflexions sur la place, les
fonctions, les pouvoirs des différents organes sociaux. Cependant, le succès de la vision
institutionnaliste s’est aussi accompagné d’un glissement de sens quant à ce que recouvre

81
HAURIOU M., op cit, p.45 ; SCHMITZ J., op. cit., p. 188-197.
82
HAURIOU M., op cit, p.45.
83
HAURIOU M., op cit, p.45.
84
MATHIEU M-L., Les représentations dans la pensée des juristes, IRJS Ed., Les voies du Droit, 2014, p.49-
50.
85
Idem.
86
Idem.
87
Voir infra, pour la citation complète, l’auteur utilisant l’image d’une république élective pour analyser et
surtout, condamner, l’utilisation de la société anonyme dont il estime le fonctionnement plus dangereux que celui
des commandites par actions, terrain d’une monarchie élective.

38
exactement l’expression « société-institution »88. En effet, les perspectives, ouvertes par
Hauriou et ses émules dans la sphère du droit privé89, inspirèrent aussi fortement le législateur
qui ne ménagea pas ses efforts tout au long du siècle pour règlementer et encadrer la société
dans son ensemble et certaines formes de groupements en particulier. Désormais, le
phénomène d’institutionnalisation de la société ne désigne pas seulement la transposition de la
doctrine de l’institution mais aussi « un développement de l’ordre public »90 dans le champ
des sociétés, distordant quelque peu l’esprit initial de la construction. Néanmoins, en dépit de
ce glissement de sens et peut-être un peu aussi à cause de lui, la passerelle entre les sociétés,
l’institution et la démocratie s’est trouvée affermie, comme s’il existait une sorte de capillarité
naturelle entre ces idées.

33 – Le reflux de l’institution dans les années 1960 – Mais, à partir des années 1960, la
théorie de la société-institution s’essouffle malgré quelques tentatives cristallisées autour des
lois de 1966 et de 197891. Concernant les sociétés par actions, la notion d’institution se trouve
reléguée à son sens second, c’est-à-dire au développement des règles impératives d’ordre
public. Il est vrai que le développement de la personnalité morale, devenue presque banale,
avec l’affirmation de la théorie de la réalité et la systématisation des mécanismes
d’inscription à un registre spécifique ont entraîné une désaffection certaine pour la théorie. Le
débat théorique sur l’existence de la personnalité morale présente une utilité moindre. Seules
quelques hypothèses résiduelles peuvent être concernées. De plus, le développement d’un
nouveau courant doctrinal autour du concept d’entreprise développé par les professeurs
Paillusseau92 et Despax93 conduisit à un dépassement du clivage entre institution et contrat.
Enfin, la multiplication des règles en matière de sociétés par actions tendait à rendre ce débat
stérile dans la mesure où les interactions contractuelles apparaissaient pour le moins limitées,
tout au moins à première vue.

34 – Le tournant techniciste et instrumental des années 80 – Par conséquent, depuis les


années 1980, la société, et surtout les sociétés par actions, sont perçues avant tout comme une
technique d’organisation de l’entreprise. Ainsi, dans la plupart des manuels de droit des

88
COZIAN M., DEBOISSY F., VIANDIER A., Droit des sociétés, Litec, Manuel, 30e édition, 2017, p. 3-4.
89
Principalement RENARD G., La théorie de l’institution, Essai d’ontologie juridique, Sirey, 1930 ;
L’institution, Fondement d’une rénovation de l’ordre social, Flammarion, 1933.
90
COZIAN M., DEBOISSY F., VIANDIER A., idem.
91
BERTREL J-P., Le débat sur la nature de la société, in Mél. Sayag, Litec, 1997 p.131.
92
PAILLUSSEAU J., La société anonyme, technique d’organisation de l’entreprise, Sirey, 1967.
93
DESPAX M., L’entreprise et le droit, LGDJ, 1957.

39
sociétés, les auteurs présentent soit le débat comme dépassé car sans intérêt ni réelle
répercussion sur les règles gouvernant les groupements94, soit en viennent à accepter les deux
visions en ce que la société présenterait de tout façon un caractère mixte mi-contrat, mi-
institution95. Dans tous les cas, la notion de société-institution semblait en perte de vitesse
dans les années 1990. Or, à cette époque vint en France la corporate governance qui tente de
remettre au goût du jour la nécessité d’encadrer les pouvoirs des dirigeants et de rééquilibrer
les relations de pouvoirs entre les différents organes des sociétés par actions, ce qui pouvait
laisser penser que ses promoteurs allaient de nouveau solliciter la notion d’institution pour
pousser en ce sens. Mais au vu de l’origine et des conceptions de ce gouvernement
d’entreprise, il est possible d’émettre quelques doutes.

B – La résurgence au travers de la corporate governance ?

35 – Esquisse de définition de la gouvernance et retour de la démocratie ? –


« Gouvernance : terme de prestige aujourd’hui en faveur (not. Dans le discours politique et
l’économie de l’entreprise) véhiculant un concept anglo-saxon, actuellement étranger au
droit positif français, mais qui, interférant avec les notions de pouvoir dans l’Etat et au sein
de l’entreprise, nourrit une réflexion en vogue sur une certaine façon de prendre les décisions
et d’harmoniser les intérêts, moyennant un renforcement de la concertation et de la
négociation entre partenaires sociaux et, pour le bien commun, de la transparence et du
contrôle »96.
Telle est la définition donnée dans le vocabulaire juridique Cornu. En matière de sociétés
commerciales, il est plus spécifiquement fait usage du terme de corporate governance. Il
s’agit toujours de l’organisation des relations de pouvoir, de négociation et de transparence,
mais cette fois appliquée aux « public corporations », d’où le terme de « corporate », c’est-à-
dire aux sociétés anonymes dont les titres sont admis aux négociations sur les marchés
réglementés. Le terme a été importé et improprement traduit par la notion de gouvernement
d’entreprise dont la connotation est nettement plus large et le sens plus imprécis. Dans les
années 1990 et sous l’influence anglo-saxonne, le vocabulaire et la grille de lecture
démocratiques reviennent à l’honneur autour de la question du contrôle des dirigeants de
sociétés par actions admises sur les marchés financiers. La « corporate governance » a ainsi

94
BERTREL J-P., Le débat sur la nature de la société, in Mél Sayag, Litec, 1997, p.131.
95
GIBIRILA D., Droit des sociétés, Ellipses, 3e édition, 2008, p.2-3.
96
CORNU G. (dir), Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, PUF, Quadrige, 8e édition 2008.

40
relancé le débat sur la conception démocratique des sociétés par actions. Il convient toutefois
de nuancer le propos car cette théorie a en réalité des racines multiples provenant d’analyses
économiques et contractuelles à l’opposé de toute représentation démocratique97.

36 – L’origine conceptuelle de la corporate gouvernance98 – D’origine américaine, le


concept de « corporate governance » trouve sa source dans l’analyse économique des
structures et des pratiques de la société anonyme, des « public corporations » outre-
atlantiques. Les travaux des économistes Berle et Means99 au lendemain de la crise de 1929
mirent en lumière la dissociation entre pouvoir et capital au sein des sociétés cotées, le
pouvoir se trouvant du côté des dirigeants et non plus des actionnaires, en principe maître
fondateur de la société. Plusieurs économistes continuèrent et prolongèrent l’analyse sans tirer
toutes les conséquences de celle-ci : une telle dissociation était dangereuse mais inévitable et
peu de remèdes furent véritablement proposés. Certains auteurs entérinèrent cet état de fait,
démontrant à terme les impacts non plus seulement pour les associés mais aussi pour les
consommateurs et clients de ces firmes. A la même époque, fut créé un institut semi-public
qui devait se consacrer à l’étude et l’orientation du droit américain notamment en droit des
sociétés.
Dans les années 1960-1970, naît véritablement le mouvement de « law and economics » aux
Etats-Unis autour de l’école de Chicago et ses pionniers : l’analyse économique du droit
s’empare tout naturellement de la question du droit des sociétés et reprend, entre autres, la
grille de lecture de Berle et Means. Dès lors, à la suite des scandales et de la crise des années
1970-1980, les tenants de ce mouvement proposent et sont sollicités pour trouver des remèdes
aux insuffisances de la législation américaine qui tend à laisser trop de latitude aux dirigeants
des sociétés anonymes, des compagnies publiques100. Deux pôles principaux se constituèrent
autour des juristes et économistes intéressés par la question : l’un autour de l’institut d’étude
et d’orientation du droit américain101 surtout composé d’universitaires et l’autre autour d’une
émanation des barreaux d’affaires américains102. Le premier crée un comité d’étude composé
en majorité d’universitaires en 1980 spécifiquement chargé d’étudier cette problématique des

97
ROUSSEAU S., Gouvernance d’entreprise et analyse économique du droit – Quelle perspective suite à la
crise financière ? in MAGNIER V., (dir.), La gouvernance des sociétés cotées face à la crise, LGDJ, 2010. p.
202-203.
98
DURAND-BARTHEZ P., Le guide de la gouvernance des sociétés, Dalloz, Guides, 2016, p. 9-14.
99
BERLE et MEANS cités par WIRTZ P., Les meilleures pratiques de gouvernance d’entreprise, Editions La
Découverte, coll Repères Gestion, 2008, p.37-39.
100
CAUSSAIN J-J., Le gouvernement d’entreprise - Le pouvoir rendu aux actionnaires, Litec, 2005, p.9 et suiv.
101
American Law Institute.
102
American Bar Association.

41
relations de pouvoir et des remèdes à apporter soit sous forme législative soit sous une forme
moins contraignante. En 1993, il publie les premiers principes de « corporate governance ».
Le second, plus rapide mais aussi moins ambitieux, publie dès 1978 un guide à l’attention des
directeurs de sociétés par actions, préfigurant la méthode des codes de bonne conduite, encore
utilisée à l’heure actuelle.

37 – Le tournant des années 1990 : la traduction législative et réglementaire – Les années


1990 voient fleurir une littérature assez conséquente sur le sujet et les premiers
infléchissements législatifs sur la question. De nombreux comités plus ou moins officiels
proposent des améliorations des règles de base émanant de l’American Law Institute et de
l’American Bar Association qui conduisent à des réactualisations périodiques du recueil
intitulé « principles of corporate governance » qui devient alors le manuel de référence en la
matière103. De même, certains Etats tentent de modifier leur législation en ce sens. En effet,
chaque Etat a sa propre législation sur les sociétés, l’Etat fédéral n’intervenant que dans des
domaines très précis et spécifiques. Certains résistent à cette poussée de régulations comme le
Delaware et New-York. Enfin, certains investisseurs institutionnels, afin de répondre aux
demandes du public des épargnants et indirectement sous la pression de l’Etat fédéral, se
mettent eux aussi à promouvoir ces règles de bonne conduite104. Pragmatiques, les milieux
d’affaires américains choisissent la voie de l’auto-régulation en recourant à des normes
périjuridiques comme les codes de bonne conduite et les professions de foi éthiques afin
d’éviter une intervention massive des institutions fédérales. Pourtant, cette intervention ne
peut être évitée. En dépit du rapide développement de ces principes de bonne conduite, les
années 2000 voient le retour des scandales financiers puis de la crise dite des subprimes. Le
30 juillet 2000 est adopté le Sarbannes-Oxley Act élaboré conjointement par les milieux
financiers et les institutions fédérales compétentes en la matière : NYSE, NASDAQ et SEC
principalement. La « corporate governance » perd là une partie de la flexibilité que lui
permettait jusqu’ici l’auto-régulation, au grand dam de certains de ses premiers théoriciens,
pour se retrouver en partie figée dans le marbre législatif105.

103
CAUSSAIN J-J., op cit, p.10.
104
CAUSSAIN J-J., op cit, p.17.
105
CAUSSAIN J-J., op cit, p.21 ; TUNC A., Le gouvernement des sociétés anonymes. Le mouvement de réforme
aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, RIDC 1994, p .59 ; HURSTEL D., MOUGEL J., La loi Sarbannes-Oxley
doit –elle inspirer une réforme du gouvernement d’entreprise en France ?, Rev. Soc. 2003, p.13.

42
38 – Le Royaume-Uni, porte d’entrée vers l’Europe – Au Royaume-Uni, la voie empruntée
présente d’indéniables similitudes mais aussi certaines différences106. Dans les années 1960-
1970, les idées des économistes américains se diffusent en Albion tandis que les spécialistes
locaux arrivent de leur côté à un constat similaire devant les scandales et les crises financières
de l’époque : la convergence est assez rapide quant à la nécessité d’encadrer les pouvoirs et
les attributions des dirigeants des sociétés anonymes cotées ou le fonctionnement des conseils
d’administration. Différents pôles de propositions se constituent pendant la décennie 1980-
1990, les principaux étant soutenus par une institution publique, la Banque d’Angleterre, qui
continue de jouer un rôle important dans ce domaine. Le PRONED107 et l’ISC108 en sont les
cénacles les plus actifs, notamment le premier qui promeut le concept d’administrateurs
indépendants aussi bien dans son aspect théorique (études, conférences…) que dans sa
dimension pratique (en tentant de servir d’intermédiaire entre de tels administrateurs et les
sociétés intéressées). Les milieux boursiers et d’affaires commencent à s’intéresser à la
question et ce d’autant plus que les échos provenant des Etats-Unis confirment la nécessité de
se convertir aux exigences de la « corporate governance » via les marchés financiers. Ainsi,
en 1991 sous l’impulsion, toujours, de la Banque d’Angleterre mais cette fois-ci rejointe par
le London Stock Exchange et la profession d’expert-comptable dans son ensemble, une
commission officielle est créée et confiée à l’un des dirigeants les plus emblématiques de la
place boursière et commerciale britannique, Sir Cadbury. Cette commission a été chargée de
formuler des propositions pour améliorer le fonctionnement et le contrôle des organes
directeurs des sociétés anonymes cotées109. Les travaux de la commission aboutissent à la
publication d’un code de bonne conduite en 1992 consacré pour l’essentiel, voire cantonné,
aux aspects financiers de la « corporate governance ».
A la suite de ce code, rapports, travaux et commissions se suivent tout au long de la décennie
1990 dont les plus importants sont le rapport Greenbury relatif aux rémunérations des
dirigeants et leur encadrement (1995) et surtout, le rapport Hampel (1996) qui recensait les
conséquences du rapport Greenbury tout en proposant quelques améliorations110. Tous ces
rapports sont compilés et refondus en un seul code (« combined code ») annexé aux règles
boursières de la City. Les années 2000 sont tout aussi fécondes pour les mêmes raisons
qu’aux Etats-Unis, à tel point que le Financial Reporting Council de la City promulgue un

106
CAUSSAIN J-J., op cit, p.26 et suiv.
107
Professionnal Non-Executive Directors.
108
Institutionnal Shareholders Commitee.
109
CAUSSAIN J-J., op cit, p.27.
110
CAUSSAIN J.-J., op cit, p.32 et suiv.

43
code refondu en 2003. Il se dote aussi d’un comité permanent pour améliorer ce code de
conduite et en vérifier l’application effective par les sociétés cotées111.

39 – La réception et l’appropriation en France112 – Concernant la France, la réflexion sur


les principes de « corporate governance » se cristallise véritablement dans les années 1990 au
fur et à mesure que les idées anglo-saxonnes se diffusent et surtout s’imposent par les marchés
financiers113. A l’instar de ce qui s’est passé en Grande-Bretagne, l’un des piliers du
mouvement est une institution étatique : la COB, devenue l’AMF. Elle est un des premiers
organismes à importer les grilles d’analyses et les solutions proposées outre-Atlantique114. Les
milieux d’affaires français, surtout sous l’impulsion de ceux astreints au respect des normes
américaines ou anglaises sur les marchés financiers, décident d’adopter une stratégie pro-
active en la matière. La force de proposition principale se retrouve autour du MEDEF et de
l’AFEP qui tentent d’imposer la voie de l’auto-régulation et de l’éthique au lieu de recourir à
la voie législative. Les travaux d’élaboration de ces règles de bonne conduite sont confiés
successivement à Messieurs Marc Viénot et Daniel Bouton, équivalents locaux du britannique
Adrian Cadbury, la nomination du second d’entre eux montrant l’adhésion des milieux
financiers et bancaires français115. En parallèle, des organismes privés tels que l’Institut
Montaigne, l’ANSA ou le CREDA116, proposent diverses pistes de réflexion et améliorations
aux travaux que menèrent les deux hommes et leurs commissions de travail. Tout ceci aboutit,
sous l’égide du MEDEF et de l’AFEP, à une fusion de ces différents travaux, rapports et
autres codes en un seul code de bonne conduite que promeuvent encore actuellement ces
organismes tout en tentant de les garder à jour.
A la suite de la crise financière et de divers scandales relatifs aux rémunérations de dirigeants
de grandes entreprises (phénomène des parachutes dorés), le MEDEF sous l’impulsion de
Mme Parisot, sa présidente de l’époque, a travaillé à l’élaboration de nouvelles règles et

111
CAUSSAIN J-J., op cit, p.35 et suiv.
112
MAGNIER V., Réception du droit américain dans l’organisation interne des sociétés commerciales, in
L’américanisation du droit, Arch. Phi. Droit, T. 45, Dalloz, 2001, p.213.
113
BISSARA PH., Les véritables enjeux du débat sur le gouvernement d’entreprise, Rev. Soc. 1998, p.5 ;
COURET A., Première traduction législative de la corporate governance : la loi sur les fonds de pension, D
1997 Chron. 241 ; Le gouvernement d’entreprise, la corporate governance, D 1995 Chron. 163 ; CROIZAT P.,
Le corporate governance est-il adapté au modèle français ?, D Aff. 1996, 32 ; PRADA M., Le gouvernement
d’entreprise, Bull. COB, 301, avril 1996, p.22 ; DURAND-BARTHEZ P., Le guide de la gouvernance des
sociétés, Dalloz, Guides, 2016, p. 14-30.
114
CAUSSAIN J-J., op cit, p.40 et suiv.
115
CAUSSAIN J-J., op cit, p.41 et suiv.
116
L’institut Montaigne a vocation à rassembler tous les dirigeants des grandes sociétés cotées, l’ANSA est
l’association nationale des sociétés anonymes et le CREDA, un organisme de recherche rattaché à la chambre de
commerce et d’industrie de Paris.

44
pratiques en la matière. Mais, ce choix de l’auto-régulation relativement inédit en France, ne
parvient pas à satisfaire les autorités publiques et ce, d’autant moins, avec l’arrivée, dans les
années 2000, des conséquences des scandales financiers américains précités. Le législateur
choisit ainsi de ne pas se fier à ces normes périjuridiques dont la force contraignante est
laissée à la libre disposition des parties concernées. La loi Nouvelles Régulations
Economiques en 2001117 a ouvert une longue suite de lois sur les sociétés. Ces lois ont toutes,
à des degrés divers, tenté de s’emparer des propositions de la corporate governance pour en
faire des règles véritablement obligatoires pour toutes les parties concernées. Toutefois,
l’AFEP et le MEDEF ont décidé de renforcer leur code en mettant en place une structure
commune baptisée Haut comité de suivi des règles de gouvernance. Ce comité est chargé du
suivi de l’application du code de gouvernance proposé par ces institutions. Il est censé rendre
un rapport annuel sur les pratiques de ses membres quant à l’application de ce code et est
force de proposition ainsi que d’interprétation pour toute modification de ce dernier118. Il
contribue à un durcissement de ce qui relevait auparavant d’une loi molle sans véritable
texture en s’alignant sur le droit déontologique.
Ces mêmes lois ont aussi cédé à l’attrait de la généralisation à tel point qu’elles ne concernent
plus uniquement les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur les marchés
réglementés mais aussi des sociétés nettement plus modestes. Progressivement, la corporate
governance voit son champ s’étendre et passer d’un droit mou à une législation de facture
plus classique : tout se passe comme si les normes souples promues par les milieux d’affaires
devenaient non plus seulement une source d’inspiration pour le législateur mais une véritable
antichambre législative.
Au travers de ces trois exemples, plusieurs traits saillants apparaissent clairement. Tout
d’abord, la « corporate governance » a permis un certain syncrétisme théorique, offrant une
passerelle entre les tenants de la plus pure « shareholder primacy », plus sensibles aux visions
économiques de l’entreprise, et ceux d’un encadrement législatif plus strict des sociétés
anonymes autour d’un contrôle accru des organes dirigeants de ces structures. Le
dénominateur commun peut d’ailleurs se résumer ainsi : « les principes du gouvernement
d’entreprise visent in fine à rétablir l’actionnaire dans son rôle originel ; celui de
propriétaire de l’entreprise »119. Ensuite, ce mouvement tend à privilégier avant tout la
régulation interne autour de codes éthiques et de bonne conduite dont les principes directeurs

117
Loi n°2001-420 15 mai 2001 Nouvelles régulations économiques.
118
SCHILLER S., MAGNIER V., (dir.) Le nouveau code AFEP/MEDEF de juin 2013, Actes pratiques Ing. Soc.
2014.
119
CAUSSAIN J.-J, Le gouvernement d’entreprise – le pouvoir rendu aux actionnaires, Litec, 2005, p.129.

45
sont quasiment communs à tous les pays. Enfin, les marchés financiers forment le vecteur
principal de diffusion du gouvernement d’entreprise en ce que le public concerné en priorité
est celui des sociétés cotées : indirectement, il ne s’agit pas seulement de protéger
l’actionnaire mais aussi le Marché. Accessoirement, depuis quelques années, il tend à se
diffuser aussi parmi les sociétés par actions plus modestes et non cotées sous l’influence, cette
fois, des législateurs séduits par la perspective d’un meilleur contrôle de ce type de sociétés.

40 – La réception par les instances européennes et internationales – De fait, le consensus


est tel que la « corporate governance » a trouvé à s’exprimer dans différentes enceintes
internationales, principalement l’OCDE et l’Union Européenne, contribuant aussi par ce biais
à faciliter une certaine uniformisation de ses principes. L’OCDE a ainsi publié des principes
de « corporate governance » dès 1999 très fortement inspirés par les codes anglo-saxons. En
2004, ils furent réactualisés pour tenir compte des évolutions législatives en la matière, de
nombreux pays modifiant leurs règles à la suite des scandales financiers autour d’Enron
notamment. L’Organisation a aussi élaboré et publié en 2005 des lignes de conduite
concernant les entreprises publiques, c’est-à-dire gérées et possédées par les Etats eux-mêmes,
très proches des principes classiques de « corporate governance » : transparence, diffusion
accrue de l’information, meilleur encadrement des organes dirigeants, respect des droits des
actionnaires (petits porteurs hors Etat)120. Au niveau européen, il a été décidé de s’engager
dans la voie de la coordination entre les différentes législations sur les sociétés, notamment au
nom des libertés de circulation reconnues par les traités fondateurs (prestation de services,
établissement…). Dès 1972 fut proposé un projet de cinquième directive sur la structure des
sociétés anonymes, et les pouvoirs et obligations de leurs organes121. Si un certain consensus
semblait s’être fait autour de la structure même des organes avec le maintien de la possibilité
de choisir entre monisme et dualisme, d’autres points comme la participation des travailleurs
voire la notion même d’entreprise continuent d’achopper et de bloquer le processus.
Parallèlement, l’arrivée du mouvement de « corporate governance » en Europe dans les
années 1990 a conduit les institutions à changer de perspective.
En 2001, la Commission Européenne crée un groupe d’experts en droit des sociétés sous la
présidence de M Jaap Winters afin de simplifier la législation en ce domaine122. A la suite de
la reddition de leur rapport en 2002, la Commission Européenne propose un plan de

120
Institut européen de « corporate governance », http://www.ecgi.org/codes/all_codes.php.
121
GAVALDA C. et PARLEANI G., Droit des affaires de l’Union Européenne, Litec 2006, p.154.
122
GAVALDA C. et PARLEANI G., op cit, p.142.

46
modernisation du droit des sociétés et de renforcement du gouvernement d’entreprise, ce
dernier s’articulant autour de quatre axes principaux : l’information quant à la mise en œuvre
de ces pratiques de gouvernance, le renforcement des droits des actionnaires, réformer les
conseils d’administration et coordonner les efforts des membres en la matière123. Afin de
conserver une certaine souplesse, et devant l’uniformité des différents codes adoptés par
chaque pays membre, la Commission choisit de procéder par recommandations non
directement contraignantes permettant ainsi de s’adapter et de faire évoluer plus rapidement
les règles à promouvoir.
De plus, un forum européen du gouvernement d’entreprise a été créé afin de faciliter le travail
de coordination et de convergence des codes nationaux tout en évaluant la pertinence et
l’effectivité124. Réuni pour la première fois en 2005, reconduit en 2008, le forum s’est
intéressé aux rémunérations des dirigeants, aux questions transfrontalières touchant la
« corporate governance » (diffusion de l’information…), à la proportionnalité entre capital et
contrôle ou encore au principe « comply or explain »125 publiant chaque année un rapport
d’activités recensant ses propositions et suggestions aux institutions européennes. Le forum et
les institutions européennes travaillent aussi étroitement avec l’Institut Européen de
« Corporate Governance »126, une association internationale ayant vocation à rassembler les
chercheurs intéressés par la problématique et leur offrir un espace d’échanges afin de formuler
toute proposition utile en ce domaine. Les membres de cette association sont pour la plupart
des chercheurs en finance, économie, droit (commercial, international, public…) et quelques
représentants d’institutions publiques animant aussi le Réseau International de « Corporate
Governance » créé pour compléter l’action de l’ECGI127.

Section 2 – Un choix « philosophique » : la démocratie, le meilleur des


régimes

41 – Le choix d’intégrer la démocratie aux sociétés par actions – Si les conditions


historiques précédentes ont certainement préparé le terrain à un recours à l’imagerie

123
Dans la lignée de ce mouvement, MAGNIER V., Nouvelles mesures en faveur de la démocratie
actionnariale, Revue des sociétés, 2011.
124
Forum européen du gouvernement d’entreprise, consultable sur le site de l’Union Européenne rubrique
marché intérieur : http://www.ec.europa/internal_market/company/ecgforum/index_fr.htm.
125
MAGNIER V., Le principe « se conformer ou expliquer », une consécration en trompe l’œil ?, JCP E, 2008,
280.
126
Site de l’Institut européen de gouvernement d’entreprise accessible à l’adresse suivante :
http://www.ecgi.org/organisation/about_ecgi.htm
127
Idem

47
démocratique, celle-ci résulte aussi d’un choix conscient même si ce dernier n’a pas toujours
été assumé comme tel de la part de ses promoteurs. Irrésistiblement, on pense au mot fameux
de Winston Churchill : « la démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les
autres »128. L’association étroite entre la démocratie et les sociétés par actions est un
phénomène long, lent et très progressif qui s’est construit à petits pas. Il a fallu la conjonction
de plusieurs facteurs pour arriver à ce que la démocratie intègre ce que l’on peut considérer
comme l’identité profonde des sociétés par actions. Il convient d’ores et déjà d’avoir présent à
l’esprit que ce rapprochement ne peut se comprendre que si l’on oublie momentanément la
séparation classique existant entre le droit privé et le droit public. Il faut en effet se souvenir
de cette séquence particulière où, à défaut d’unité réelle du droit, la frontière entre ces
branches apparaissait des plus poreuses. D’une certaine façon, ce que l’on peut considérer
comme relevant plutôt du domaine public a nourri le droit des sociétés par actions. Il lui a
fourni les outils nécessaires à sa structuration tant d’un strict point de vue mécanique, que du
point de vue de la théorie pure. Le pouvoir d’attraction de la démocratie a favorisé cette
transplantation. C’est d’ailleurs ce phénomène que l’on va tenter de mettre ici en lumière,
autrement dit comment a pu s’opérer la rencontre entre deux univers de pensée aussi différent
à l’heure actuelle. L’affirmation du mythe démocratique s’est ainsi faite autour de deux points
d’ancrage : la société dans sa globalité au travers du concept de l’institution (paragraphe 1) et
l’actionnaire au travers de la protection de ses droits et prérogatives (paragraphe 2).

Paragraphe 1 – Le primat de la société – institution

42 – La théorie de l’institution, support de la démocratie – Le mythe démocratique a pu


trouver un terrain d’expression particulièrement favorable lorsque ce que l’on a appelé la
théorie de l’institution s’est répandue en droit des sociétés. L’érection de cette grille de
lecture, la construction d’appareils théoriques s’en inspirant ont conduit à la création d’une
passerelle presque naturelle entre l’univers de la démocratie et celui des sociétés par actions.
La comparaison entre fonctionnement de l’Etat et fonctionnement des sociétés par actions a
favorisé la transmission, l’utilisation de conceptions communes, notamment autour des
assemblées ou du vote.

128
CHURCHILL W., cité par GICQUEL J. et J.-F., Droit constitutionnel et institutions politiques,
Montchrestien, Domat, 22e éd 2008, p.205.

48
L’évolution de la théorie de la société-institution met indiscutablement en lumière l’influence
publiciste (A), passerelle efficace pour l’introduction d’une vision constitutionnaliste dans les
sociétés par actions, potentielles démocraties en miniature (B).

A – L’influence publiciste

43 – Plusieurs éléments ont contribué à établir une sorte de passerelle, par effet de capillarité
depuis le droit public jusqu’au droit des sociétés par actions en général et de la société
anonyme en particulier : la jurisprudence du Conseil d’Etat au temps de l’autorisation
gouvernementale (1), la fécondité de la théorie de l’institution autour du doyen Hauriou (2), et
enfin ce qu’on pourrait appeler « l’impérialisme républicain » (3).

1 – Le Conseil d’Etat, vecteur de démocratie

44 – La protection des assemblées et des actionnaires – Tout au long du XIXe siècle, la


création de toute société anonyme était tributaire d’une autorisation délivrée après examen par
le Conseil d’Etat de leurs statuts. Comme indiqué précédemment, le Conseil d’Etat procédait
avec minutie et parcimonie, voire pointillisme. Lorsque l’on observe les décisions rendues, il
semble que le Conseil ait plus particulièrement fait porter ses efforts dans deux directions
dont le dénominateur commun est la protection de l’actionnaire129. En premier lieu, il a
affirmé avec force la place de l’assemblée, qu’elle soit générale ou spéciale, dans le
fonctionnement de ce type de société, s’intéressant notamment aux questions d’accès et de
représentativité des actionnaires en leur sein. En la matière, le Conseil a indirectement posé
les bases de ce que l’on théorisera plus tard comme des droits fondamentaux des associés
actionnaires. Il a joué le rôle d’un contrôleur du corps électoral en assurant le respect de
chaque porteur de part. Plus précisément, s’il n’a pas interdit des mécanismes censitaires
comme ceux imposant un certain nombre de parts pour accéder aux assemblées, il a imposé
que ceux-ci apparaissent clairement dès la création de telles sociétés dans les statuts, ce qui
concourait à un embryon de transparence, si essentielle en matière financière. En filigrane, le
souci du Conseil d’Etat de s’assurer d’un accès et d’une représentation saine des actionnaires
participe d’un contrôle plus large des pouvoirs publics sur les balbutiements de l’épargne
collective ainsi que sur le développement de la sphère financière. On ne peut s’empêcher de

129
LEFEBVRE-TEILLARD A., La société anonyme au XIXe siècle – Du code de commerce à la loi de 1867,
histoire d’un instrument juridique du développement capitaliste, PUF, 1985, p.348.

49
penser que le but était avant tout de s’assurer que les actionnaires pourraient jouer un rôle
actif, ce qui les distingue de la situation des commanditaires dans les commandites par
actions.

45 – Le contrôle des organes dirigeants – En second lieu, il a encouragé les mécanismes de


contrôle des dirigeants dans le prolongement de l’affirmation des pouvoirs des assemblées.
En puisant dans le fonds commun du droit public naissant, il a exigé que les statuts précisent
les attributions de chaque organe, et surtout, il a été exigé que celles-ci soient clairement
établies par les statuts. De cette manière, le statut de société venait compléter la loi, cette
dernière apparaissant pour le moins rapide quant à la description et au rôle de chaque organe
social. L’effort du Conseil a principalement porté sur les fonctions de direction, les organes en
charge de la gestion quotidienne des affaires130. L’identification du titulaire de la charge, les
modes de nomination et le périmètre d’action étaient étroitement surveillés. On retrouve des
traces de cet héritage dans la loi de 1966 au travers du pointillisme des dispositions propres à
la société anonyme. A l’époque, le Conseil d’Etat a fait preuve d’une exigence certaine mais il
est vrai aussi que l’autorisation qu’il pouvait accorder engageait aussi l’Etat, ce qui explique
sans doute l’attention particulière portée au contenu des statuts tant sur les droits des
actionnaires que sur les prérogatives des dirigeants. L’autorisation pouvait en principe faire
l’objet d’une action en responsabilité à l’encontre de l’Etat de la part des épargnants. De plus,
sur les plans moraux, financiers ou encore politiques, les conséquences sur le crédit de l’Etat
n’auraient pas été négligeables. Par ce biais, la société anonyme est demeurée pendant
longtemps dans la sphère du droit public en voie de structuration, même si c’est à la lisière de
cette dernière. En effet, pour rappel, le Conseil d’Etat avait pour domaine d’action la sphère
publique, les modalités d’action de l’Etat. Le fait de lui attribuer le contrôle de la constitution
d’entités en principe privées n’allait pas de soi.

2 – La théorie de l’institution, réceptacle et catalyseur de la démocratie

46 – Des corps constitués de l’Etat aux organes sociaux – La théorie de l’institution a


connu un succès certain. Or, là aussi, l’esprit du droit public a continué d’influencer la
construction de la société anonyme. En effet, la grille théorique proposée par le doyen

130
LEFEBVRE-TEILLARD A., op. cit., plus spécifiquement p.26-61 où se trouve décrit tout le processus de
contrôle par le Conseil d’Etat et les différentes réécritures que celui-ci imposait aux aspirants à l’autorisation
gouvernementale ; mais aussi p.349-360 où l’on voit l’importance accordée à l’assemblée générale par ce dernier
afin de s’assurer que le pouvoir ne repose tout entier aux mains des dirigeants.

50
Hauriou était avant tout destinée aux corps constitués et à l’Etat. Ses successeurs ainsi que lui-
même n’ont peut-être pas pleinement perçu les effets de cette influence notamment autour des
idées d’autolimitation et d’appropriation, de propriété interne du groupement. Pour décrire ce
dernier phénomène, le professeur Hauriou s’est manifestement inspiré de l’histoire des
institutions et du droit public : une entreprise ne devient véritablement une institution,
susceptible d’engendrer une personne morale, qu’à l’issue d’une évolution schématiquement
présentée en trois phases dont l’idée directrice « consiste à faire prévaloir l’idée directrice de
l’entreprise à réaliser sur les tendances égoïstes des pouvoirs de gouvernement »131. Ces trois
phases sont : « l’organisation corporative pure et simple, le gouvernement représentatif, la
souveraineté des membres du groupe »132. Pour mieux faire comprendre ce que recouvrent ces
différentes étapes, l’auteur a eu recours à des comparaisons puisées dans le domaine
institutionnel. Le premier stade correspondrait à la « monarchie absolue »133, le second au
« gouvernement d’opinion »134 et à une certaine forme de République, le dernier à celui de la
« souveraineté nationale »135 où la « réaction des membres du groupe contre le pouvoir de
gouvernement des organes se réalise en un équilibre, non pas de pouvoir à pouvoir, mais de
propriété du pouvoir à exercice du pouvoir »136.
Autrement dit, pour accéder à l’existence en tant qu’institution, une entreprise doit d’abord
franchir le stade de l’association corporative entre divers membres dans laquelle le pouvoir ne
se discute pas, puis est confié à un appareil d’Etat calqué sur la monarchie. Ensuite, au stade
suivant, le pouvoir se voit réparti entre plusieurs autres organes et, surtout, le rapport entre
gouvernés et gouvernants se structure autour du concept de souveraineté représentative. Ceux
qui exercent le pouvoir le font au nom et pour le compte de ceux qui leur ont confié cette
responsabilité. Le gouvernement est alors une émanation représentative de tous les membres
du groupement. Enfin, le stade ultime correspond à la souveraineté nationale en ce que les
membres du groupe peuvent échanger, débattre, évoluer en fonction des expressions de
chacun. Ces phases incarnent en fait les différentes composantes que l’on retrouve dans les
sociétés : des associés, des organes de décision et d’action, une organisation fixant les
modalités de fonctionnement entre tous ces organes avec comme point fixe un espace
d’expression de la volonté des associés. Or, précisément, c’est cet exercice du pouvoir qui va

131
HAURIOU M., Précis de droit administratif et de droit public, Dalloz, coll. Bibliothèque Dalloz, 2002
réédition 12e édition de 1933, p.43.
132
HAURIOU M., op cit, p.44.
133
HAURIOU M., op cit, p.44.
134
HAURIOU M., op cit, p.44.
135
HAURIOU M., op cit, p.45.
136
HAURIOU M., op cit, p.45.

51
être examiné par les tenants de la théorie de la société institution, consciemment ou non, ainsi
que par le législateur lui-même tout au long du XXe siècle.

47 – La réception et la diffusion de la théorie institutionnelle dans les années 30 – La


théorie du doyen Hauriou va exercer un fort pouvoir d’attraction. Il est vrai que sa vertu
principale est d’offrir un cadre de pensée du pouvoir particulièrement fécond. Or, la théorie de
la société-institution va connaître ses premiers développements au début du XXe siècle. Un
certain nombre de thèses consacrées au droit des sociétés pendant les 30 premières années de
ce siècle vont peu à peu tenter d’acclimater l’institution et sa grille de lecture au droit des
sociétés137. Or, ladite théorie accorde une place certaine à la démocratie et à son cadre
structurel en matière de pouvoir. Dès lors, s’engouffrant derrière les premiers usages de la
métaphore démocratique notamment par le doyen Troplong138, un certain nombre d’auteurs
ont peu à peu acquis et diffusé l’usage des grilles politiques démocratiques pour débattre des
sociétés par actions. Le thème privilégié était celui du pouvoir à l’intérieur des sociétés par
actions : qui l’exerçait ? Comment ? Et quelle place chacun occupait-il dans cette
organisation ? Surtout, la question de la légitimité de ce pouvoir trouvait dans les multiples
références et allusions à la démocratie un vivier d’idées ou de conceptions susceptibles de
penser avec une profondeur renouvelée les cadres du droit des sociétés par actions.
D’une certaine façon, les emprunts à la théorie de l’institution ont prolongé le recours à la
métaphore démocratique. En effet, cela a permis à une simple figure de style de se structurer
véritablement : la démocratie n’était plus une simple image mais une grille de lecture féconde
tantôt pour restituer une réalité, tantôt pour essayer de l’influencer. Autrement dit, la théorie
de l’institution a catalysé le recours au mythe démocratique. Au regard des éléments qui
viennent d’être évoqués, indéniablement, la grille de lecture démocratique ne pouvait que
137
Voir notamment les références citées par HILAIRE J., Introduction historique au droit commercial, PUF,
Droit Fondamental, 1986, p.250 : THALLER E.-E., De la réforme de la loi sur les sociétés, Revue politique et
parlementaire, 1903 ; Idem, Chron., D 1893 I 107 ; CLAUDIO-JANNET, Le capital, la spéculation et la finance
au XIXe siècle, Paris, 1892 ; GAILLARD E., La société anonyme de demain. La théorie institutionnelle et le
fonctionnement de la société anonyme, 1931.
138
TROPLONG R.-T., Droit civil expliqué suivant les articles du Code. Du contrat de société civile et
commerciale ou Commentaire du titre IX du livre III du Code civil, Hingray, 1843, T. 1, p. 430 : « Mais, d’un
autre côté, la commandite l’emporte sur la société anonyme, en ce sens qu’elle a un gouvernement organisé
pour toute la durée de ses opérations, fonctionnant avec liberté et promptitude, unissant aux avantages de la
société ceux de l’action individuelle. Quand elle a le bonheur d’avoir des gérants habiles et honnêtes, elle a, à
tous ces égards, une supériorité marquée sur la société anonyme, dont l’administration est élective et mobile, où
la gestion est contrainte, embarrassée de controverses et d’oppositions, dépendante de majorités plus ou moins
éclairées, et assujettie à des formes qui nuisent à la rapidité des résolutions et à l’à-propos des expédients. La
société anonyme est une véritable république élective ; elle en a tous les inconvéniens. La commandite est plutôt
une monarchie tempérée ; mais malheur à elle si elle tombe entre les mains de gérans trop ambitieux d’un
pouvoir absolu, et prodigues de ses ressources : elle est la pire des combinaisons, et sa ruine arrive bientôt par
les fautes de ses chefs !!! »

52
prospérer en droit des sociétés. De plus, les progrès démocratiques, la diffusion et surtout la
mise en pratique de l’esprit des Lumières au XIXe siècle aussi appelé siècle des Révolutions
ont manifestement contribué à faciliter le recours à l’image démocratique. Car, au fond, la
démocratie à l’instar du contrat de société ont vocation à régir une collectivité de personnes et
de biens, à organiser les relations de pouvoir entre ses membres. Dès lors qu’un modèle
s’imposait notamment par ses vertus, il était tentant de vouloir l’importer à une autre
collectivité. Ainsi, dans cet esprit, la doctrine de la fin du XIXe siècle et du début du XXe
siècle et surtout les parlementaires de la IIIe République ont commencé à insuffler par petites
touches à la société anonyme, dont la législation était déjà une des plus détaillées, un modèle
républicain et donc démocratique.

3 – « L’impérialisme républicain »

48 – La porosité conceptuelle des champs constitutionnels et du droit des sociétés – Le


premier auteur à comparer les sociétés par actions en utilisant une grille de lecture
constitutionnelle fut Troplong139 en 1843 mais il ne l’utilisa pas dans la même perspective que
ses confrères du XXe siècle et en resta au stade de l’image, ouvrant la voie sans le savoir aux
théoriciens de l’institution un demi-siècle plus tard. Certains auteurs mettent par exemple en
avant le rôle de la sémantique et, plus précisément, du « vocabulaire constitutionnel
révolutionnaire »140 forgé au temps des Lumières. Ce mouvement ne vint pas uniquement des
décideurs et des théoriciens. En fait, ce fut la pratique qui en ouvrit véritablement la voie. Le
professeur Lefèvre-Teillard a recensé plusieurs exemples notamment dans des statuts de
sociétés anonymes du XIXe siècle : « l’assemblée générale représente l’universalité des
actionnaires, ses décisions sont obligatoires pour tous, même pour les absents »141 ; « le
pouvoir réside dans l’assemblée générale qui le délègue à un syndicat composé de cinq
membres »142. De façon plus ou moins explicite, les rédacteurs de statuts ont eux aussi eu
recours aux formules, tournures et cadres de pensée démocratiques et républicains.
A ce stade, on peut émettre quelques hypothèses sur cette fécondité démocratique. Un auteur
avait pu considérer que le citoyen était une construction qui s’était opérée lentement entre la

139
TROPLONG cité par RICHARD A., Droit des affaires – Questions actuelles et perspectives historiques,
PUR Didact Droit, 2005, p.339-340, notes 453 et 460 ; voir note précédente pour la citation complète.
140
LEFEBVRE-TEILLARD A., La société anonyme au XIXe siècle – Du code de commerce à la loi de 1867,
histoire d’un instrument juridique du développement capitaliste, PUF, 1985, p.347.
141
LEFEBVRE-TEILLARD A., op cit, p.347, citant les statuts de l’Urbaine en 1838.
142
LEVEBVRE-TEILLARD A., op cit, p.347 citant les statuts de la compagnie royale d’assurance-vie en 1820.

53
Révolution Française et notre époque143. Cette construction s’était opérée très
progressivement : si la première moitié du XIXe siècle avait constitué ce qu’il appelait « le
répertoire des expériences »144, la seconde moitié du XIXe ainsi que le XXe siècle
constituaient le « temps de la consolidation »145. Or, on peut voir dans la porosité entre
démocratie et sociétés par actions une illustration de ce phénomène. D’une certaine façon, la
construction du droit des sociétés par actions a participé du sacre du citoyen. L’esprit du
capitalisme si cher au Doyen Ripert est devenu l’un des terrains d’élection de la grille
démocratique sans doute parce qu’il était plus facile de solliciter ce répertoire dans le domaine
économique plutôt que sur le terrain politique à l’époque146. Peut-être s’agissait-il aussi d’un
développement du libéralisme à la fois philosophique et économique. En tout état de cause, la
démocratie a exercé un fort pouvoir d’attraction à tel point que l’on peut presque parler
d’impérialisme républicain en ce que pendant longtemps aucun frein n’a semblé susceptible
d’arrêter ou même de ralentir le recours aux grilles de lectures de ce système politique. La
conjonction de tous ces éléments a conduit à une porosité certaine entre le champ du droit
constitutionnel ou public et le droit des sociétés, permettant au mythe démocratique de s’y
implanter. Mais avant de pouvoir préciser quels éléments ont pu faire l’objet d’une
transposition, encore convient-il de s’accorder sur ce que recouvre le terme de démocratie.

B – La démocratie en miniature

49 – Les points de convergence entre démocratie et sociétés par actions – Si la société


était un Etat, une « démocratie en miniature »147, quelles en seraient les prémisses
théoriques ? Autrement dit, de quels concepts devrait s’inspirer la cité actionnariale pour
exister ? Spontanément, quelques éléments peuvent venir à l’esprit : la question de
l’organisation du pouvoir du peuple, le credo républicain liberté, égalité, fraternité, la
question du principe majoritaire ou encore des droits des citoyens. Il convient alors de se
tourner vers le droit constitutionnel et la science politique. En dépit d’un incroyable
foisonnement de définitions sur la démocratie, certains aspects font l’objet d’un certain
consensus que l’on va tenter d’exprimer ici. La formule de Lincoln, exergue classique en la

143
ROSANVALLON P., Le sacre du citoyen, Gallimard, Folio Histoire, 1992.
144
Ibid., p.239 et suiv.
145
Ibid., p.391 et suiv.
146
Hypothèse formulée d’ailleurs par certains économistes : GOMEZ P-Y, KORINE H., L’entreprise dans la
démocratie – Une théorie politique du gouvernement des entreprises, De Boeck,, p.14-15 et p.23 et suiv.
147
FRISON-ROCHE M-A. et BONFILS S., Les grandes questions du droit économique – Introduction et
documents, PUF Quadrige, 2005, p.168.

54
matière, présente la base de la réflexion : « la démocratie, c’est le gouvernement du peuple,
par le peuple et pour le peuple »148. Aphorisme idéal, cette définition n’en est pas vraiment
une : tout au plus peut-on en évincer la nécessité de définir l’espace peuple comme corps
électoral et de gouvernement. Cependant, des auteurs ont proposé à partir de là une définition
plus opératoire : « la démocratie est sans doute une structure gouvernementale, mais elle se
présente aussi comme une structure sociale, voire un idéal, placée sous le signe de l’égalité,
du nivellement, selon la loi dégagée par Tocqueville, hostile à tous les privilèges, à toutes
prédestinations »149, sachant que dans cette acception, l’ordre démocratique est celui « du
pouvoir d’un Etat de droit, fondé sur l’autodétermination du peuple selon la volonté de la
majorité, sur la liberté et l’égalité, à l’exclusion de tout pouvoir violent et arbitraire »150. A
travers ces deux définitions apparaissent les conditions nécessaires à l’existence d’une
démocratie : une structure gouvernementale reposant sur le peuple et des valeurs
« sociales »151 découlant principalement des notions de liberté et d’égalité.

50 – Organes de gouvernement et souveraineté – Concernant la structure gouvernementale,


se pose la question de savoir qui détient la souveraineté, « est-elle (…) attribuée à une
personne morale appelée la nation ou à la totalité des citoyens ? »152 En France, deux thèses
se sont affrontées et succédées avant de fusionner, participant de la fondation de notre régime
actuel. La première de ces thèses est celle de la souveraineté nationale : celle-ci est confiée à
une entité appelée nation. Héritée de Bodin, défendue par Siéyès, elle postule plusieurs
conséquences153 : la souveraineté est inaliénable et indivisible, elle permet une transposition
de la nation au corps parlementaire de la souveraineté (ce qui interdit entre autre les mandats
impératifs), l’électorat est une fonction (seuls les plus « dignes et les plus aptes »154 des
citoyens peuvent voter : c’est un régime censitaire). La seconde de ces thèses est celle
développée et popularisée par Rousseau : la souveraineté populaire qui « traduit la volonté
momentanée, mais nullement mythique, des citoyens vivants, il faut que le peuple puisse
l’exercer à tout moment »155. Ce qui emporte plusieurs conséquences : l’organisation en une

148
LINCOLN A., discours de Gettysburg ; GICQUEL J. et J-P., Droit constitutionnel et institutions politiques,
LGDJ, 31e éd. 2017, p.258.
149
GICQUEL J. et J-P., op cit, 22e éd., 2008, p.202.
150
Décision de la Cour Constitutionnelle allemande de 1952, citée dans GICQUEL J. et J-P., op cit, p.262.
151
GICQUEL J. et J-P., op cit, p.263.
152
GICQUEL J. et J-P., op cit, p.264.
153
GICQUEL J. et J.-P., op cit, p.263 et suiv ; MELIN-SOUCRAMANIEN F. et PACTET P., Droit
constitutionnel, Sirey, 35e éd., 2017, p. 83-85.
154
GICQUEL J. et J.-P., op cit, p.207.
155
GICQUEL J. et J.-P., op cit, p.265 ; MELIN-SOUCRAMANIEN F. et PACTET P., op cit, p. 88-90.

55
démocratie semi-directe, l’admission du régime républicain, la notion d’électorat-droit (tous
peuvent voter dès lors que sont respectées certaines conditions minimales notamment d’âge).
De tout ceci demeurent l’électorat comme droit au travers du suffrage universel, la démocratie
semi-directe avec le corps parlementaire comme intermédiaire, l’indivisibilité et unicité de la
souveraineté156.

51 – Les formes de démocratie – A partir de là, il reste encore à organiser les rapports entre
gouvernants et gouvernés, depuis le mode de désignation des premiers jusqu’à la participation
des seconds. Dans le prolongement des débats sur la souveraineté, plusieurs choix sont
envisageables entre la démocratie directe, semi-directe ou encore représentative157. La
démocratie directe est le régime dans lequel le peuple exerce directement le pouvoir au travers
d’assemblées populaires rassemblant tout le peuple. La démocratie représentative est un
régime où l’exercice du pouvoir est confié à des représentants élus au suffrage universel et
chargés de décider au nom de la nation ou de l’ensemble du peuple. Dans cette hypothèse, le
peuple peut soit élire aussi au suffrage universel le chef de l’Etat, soit laisser cette tâche au
parlement (suffrage indirect). Quant à la démocratie semi-directe, elle est la « coexistence
d’organes représentatifs et de procédures d’intervention populaires directes, étant bien
entendu que ce sont ces dernières qui sont spécifiques de cette forme de régime »158.
Confédération Hélvétique, France, Autriche, Eire ou encore Suède en sont des formes qui se
développent parallèlement avec des variations propres à chacune. En effet, chacune possède
un parlement, organe représentatif des citoyens, combiné à la possibilité de recourir à des
référendums faisant appel à l’ensemble du corps électoral, donc au peuple dans son ensemble,
pour voter des dispositions législatives.

52 – Les valeurs démocratiques en droit des sociétés par actions – Concernant les valeurs
sociales à promouvoir pour obtenir la démocratie, les deux principales sont l’égalité et la
liberté dont la combinaison apparaît d’autant plus nécessaire qu’elles entrent parfois en conflit
l’une avec l’autre159. Tout d’abord, doit figurer le pluralisme politique qui regroupe le libre
choix des gouvernants, l’absence d’une « orthodoxie idéologique »160, la liberté d’action et de
formation des partis politiques mais aussi de façon plus générale le respect de l’opposition.

156
GICQUEL J. et J.-P., op cit, p.266.
157
MELIN-SOUCRAMANIEN F., et PACTET P., op cit, p. 85 et 87.
158
MELIN-SOUCRAMANIEN F et PACTET P., op cit, p.89.
159
GICQUEL J. et J-P., op cit, p.258-259.
160
MELIN-SOUCRAMANIEN F. et PACTET P., op cit, p. 81-82.

56
Car, « à défaut d’être des adversaires admiratifs, le gouvernement et l’opposition sont (…)
des partenaires compréhensifs, à la manière d’un couple. Dans une vision synthétique, leur
code de bonne conduite s’établit aux trois principes suivants : la concurrence en vue de la
conquête du pouvoir, la tolérance dans son exercice et enfin, l’alternance, c’est-à-dire le
changement d’une majorité politique par une autre, au moyen du droit de vote, concernant sa
dévolution »161. Ensuite, doit être mis en place le libéralisme politique qui comprend les
libertés individuelles ou « libertés nécessaires »162 selon le mot d’Adolphe Thiers, les libertés
des groupements et partis notamment en matière de diffusion d’opinions, de presse et de
communication (le rôle de l’éducation et de l’information du citoyen revêtant une importance
certaine), toutes garanties juridictionnellement pour protéger cette « zone d’indépendance
propre aux individus »163. Enfin, le principe majoritaire autour duquel on retrouve le secret du
vote et les conditions pour participer au suffrage (âge, nationalité, absences d’incapacité ou
d’indignité), vient compléter les exigences pour obtenir un régime démocratique164.

Paragraphe 2 – La protection de l’actionnaire

53 – Lorsqu’en 1843 Troplong165 utilisa pour la première fois la métaphore démocratique


pour désigner la société anonyme, il s’agissait surtout d’en stigmatiser l’utilisation et les
risques supposés, sans en tirer toutes les conséquences. Or, depuis, certains auteurs ont vu tout
le parti qu’ils pouvaient tirer de l’image démocratique appliquée au fonctionnement de la
société anonyme. Cependant, il n’existe encore à ce jour aucune véritable théorie des sociétés
par actions bâtie sur ce modèle. Au contraire, les références et utilisations sont parcellaires et
concernent à chaque fois des points précis, sans souci réel d’unification, de volonté
systématique.
Le seul dénominateur commun de toutes ces tentatives et esquisses repose dans un souci
constant de protéger l’actionnaire, citoyen de la société-cité (A), face aux administrateurs
oscillant entre fonctionnaires et mandataires auquel il a confié son pouvoir (B).

161
GICQUEL J. et J-P., op cit, p.260-261.
162
THIERS A., cité par GICQUEL J et J-P., op cit, p.262.
163
GICQUEL J. et J-P, op cit, p.257-258.
164
MELIN-SOUCRAMANIEN F. et PACTET P., op cit, p. 82.
165
Propos rapporté et documenté dans RICHARD E., Droit des affaires – Questions actuelles et perspectives
historiques, PUR Didact Droit, 2005, p.339-340.

57
A – La dimension citoyenne au service de l’actionnaire

54 – La société par actions comme polis – Le point de départ de toute vision démocratique
de la société anonyme est le suivant : l’actionnaire est un citoyen et la société anonyme sa
cité-Etat. De manière plus ou moins explicite, les auteurs recourant à cette image ont tous en
tête la vision floue des polis ou cités-Etats grecques de l’Antiquité, au premier rang desquelles
Athènes, supposées être la première forme de démocratie. Pour en revenir aux actionnaires
citoyens, ceux-ci se sont réunis autour d’un projet de société, un contrat social au travers
duquel chacun abdique une part de sa souveraineté pour la confier à d’autres organes
supposés mener et administrer la cité. En se référant à l’esquisse de définition démocratique
énoncée plus haut, il faut réunir des valeurs particulières reposant sur l’égalité et la liberté et
une structure gouvernementale reposant sur le peuple.

55 – Libertés publiques et droits individuels des actionnaires – Tout d’abord, le citoyen a


des droits, individuels et incompressibles, à l’image des droits et libertés publiques reconnues
notamment dans la Constitution de la Ve République. Ces droits fondamentaux transcendent
le simple contrat de société et ne peuvent a priori pas être supprimés car inhérents à la notion
même d’associé. Autour de cette conception, la doctrine a élaboré la notion de droits propres
ou de droits individuels des associés, en dénombrant classiquement cinq principaux166 : le
droit de faire partie de la société dans laquelle il est entré ; ne pas être contraint à une
augmentation de ses engagements ; la possibilité de concourir à l’exercice du pouvoir
délibérant en votant à l’assemblée générale après avoir reçu les informations nécessaires ; le
droit de participer aux bénéfices réalisés et aux réserves constituées ; le droit de négocier son
action et de sortir librement de la société. Autrement dit, l’actionnaire ne se réduit pas à un
simple porteur de titres. Au contraire, il est un véritable titulaire de droits spécifiques au sein
de la collectivité sociale. Dans cette acception, l’action agirait un peu comme un certificat de
citoyenneté : tout détenteur étant reconnu comme membre de la collectivité et en tant que tel
bénéficiaire de certaines prérogatives dans l’organisation sociale. Comme ont pu le faire
remarquer certains auteurs avant la réforme consacrant la question prioritaire de
constitutionnalité, « la comparaison de la société à un Etat de constitution démocratique
permet de donner un autre fondement aux droits de l’actionnaire. De même qu’il existe des

166
GERMAIN M., Traité de droit commercial de G. Ripert et R. Roblot, t.1 vol.2, les sociétés commerciales,
LGDJ, 18e édition 2002, p.375 ; GERMAIN M., La renonciation aux droits propres des associés : illustrations,
in Mél. Terré, PUF, Editions Juris-classeur, 1999, p.401.

58
droits de l’homme et du citoyen que le pouvoir politique doit respecter, l’actionnaire a des
droits individuels que le pouvoir constitué de la société ne peut supprimer ou restreindre. Sa
situation est plus forte d’ailleurs que celle de citoyen, car celui-ci n’a pas recours contre
l’inconstitutionnalité des lois, alors que l’actionnaire a un recours à la justice contre la
décision de la société qui lui fait grief »167. De même, si l’on regarde de plus près les droits
fondamentaux de l’actionnaire reconnus, non seulement par les lois sur les sociétés mais,
aussi et surtout, en jurisprudence, il est possible de distinguer les valeurs de liberté et
d’égalité : chacun peut les exercer mais tous en jouissent, a priori, sans exception. ce que l’on
voit par exemple au travers de la prohibition de l’augmentation de leurs engagements où la
préservation de chacune apparaît primordiale. Tous sont protégés d’une augmentation non
consentie de leurs engagements, seule la collectivité unanime peut décider de les alourdir ce
qui contribue au principe d’égalité. Tous supportent un engagement identique. En termes de
liberté, chacun peut refuser en cas de proposition d’augmentation. De cette façon, ce principe
respecte les valeurs de liberté et d’égalité.

56 – Gouvernement démocratique et gouvernement social – Ensuite, au-delà de ces droits


et valeurs, l’actionnaire-citoyen doit aussi se doter de structures de gouvernement. Pour ce
faire, plusieurs éléments devraient être réunis : un électorat-droit, le suffrage universel, un
régime direct, semi-direct ou représentatif autrement dit des représentants élus par le peuple
en charge des affaires de la cité. Or, tous ces éléments se retrouvent dans la société anonyme :
l’assemblée des actionnaires joue le rôle de parlement, les administrateurs chargés de la
gestion et révocables ad nutum forment le gouvernement et enfin, les autres organes chargés
de la surveillance se rapprochent du pouvoir judiciaire. De plus, le vote est essentiel à
l’expression populaire et permet de dégager une majorité : « ce sont les électeurs qui font la
majorité et c’est celle-ci qui l’emporte »168, le principe majoritaire étant indissociable de toute
démocratie qui se respecte. Dans tous les cas, il s’agit d’assurer la protection de l’actionnaire
aussi bien individuellement que collectivement au sein de la société anonyme : celui-ci reste
l’ultime maître des décisions à prendre (vote), ne peut se voir contraint (interdiction de
l’augmentation de ses engagements) contre son gré, se plie uniquement à la loi de la majorité.
Pendant longtemps, la théorie des pouvoirs délégués permit de justifier et de renforcer le rôle
des assemblées dans les sociétés anonymes ainsi que d’envisager le statut et les missions des
mandataires sociaux.

167
GERMAIN M., op cit, p.376.
168
GICQUEL J. et J-P., Droit constitutionnel et institutions politiques, LGDJ, 31e édition, 2017, p.260.

59
B – L’administrateur entre le fonctionnaire et le mandataire

57 – Le dirigeant, émanation et mandataire du peuple – Si l’on suit la vision selon laquelle


l’assemblée des citoyens est souveraine, les dirigeants se voient déléguer son autorité pour
gérer les affaires de la société-cité. Dans cette conception, les dirigeants tiennent leur pouvoir
d’un mandat public donné, ou plutôt confié, par le peuple actionnarial au cours d’une
assemblée générale. Comme tout mandataire dans un régime démocratique, le ou les organes
dirigeants sont responsables devant le peuple dont ils doivent conquérir les suffrages,
auxquels ils doivent des comptes et pour l’intérêt desquels ils sont censés travailler (notion
d’intérêt général). L’idée-force de cette conception consiste à rappeler aux dirigeants qu’ils ne
sont qu’une émanation du peuple et donc à encadrer leurs pouvoirs afin qu’ils ne trahissent
pas la mission confiée par ces derniers169. Autrement dit, il s’agit de protéger l’actionnaire en
encadrant et définissant sa relation avec ses gouvernants.

58 – Le refus du mandat impératif – Le mandat qui leur est confié n’est pas un mandat
impératif : ils sont libres de leurs décisions et de leurs actions, du moins tant qu’elles vont
dans l’intérêt commun des citoyens. De plus, le dirigeant est en principe lui-même
actionnaire c’est-à-dire citoyen : a priori, seuls les actionnaires peuvent diriger les
actionnaires. Concrètement, les administrateurs doivent posséder un minimum d’actions de la
société pour pouvoir prétendre exercer leur mandat. Par tous ces aspects, on est très proche de
la démocratie telle que nous la connaissons170. Il convient de préciser que cette vision de
l’administrateur n’est plus une évidence en ce que l’obligation légale de détenir des actions a
disparu en 2014, même si les statuts peuvent continuer de l’exiger.

59 – Les obligations du mandataire, fonctionnaire social – De plus, le mandataire est


tributaire d’obligations envers le peuple mandant : ses actes et décisions engagent sa
responsabilité et l’obligent à une certaine transparence. Concernant sa responsabilité, il
engage celle-ci devant l’assemblée de ses pairs actionnaires qui a tout pouvoir pour le
révoquer ou le nommer parmi les candidats se présentant pour le poste. L’accent est souvent
mis sur le mécanisme de renvoi ad nutum pour illustrer cette idée. Concernant la notion de

169
GUYON Y., La société anonyme, une démocratie parfaite ! in Mél. Gavalda, Dalloz, 2001, p.133 ; HAMEL
J., LAGARDE G., JAUFFRET A., Droit commercial. Sociétés, groupements d’intérêt économique, entreprises
publiques, 2e édition, Dalloz, 1980, p.245 et suiv..
170
GUYON Y., op cit, p.133 et suiv.

60
transparence, il est tenu de transmettre toute information utile à ses concitoyens pour que
ceux-ci puissent produire une opinion et donc un vote qui soit le plus éclairé possible lorsqu’il
faudra statuer sur le renouvellement de son mandat, son éventuelle révocation ou plus
simplement pour approuver ses décisions de gestion comme l’affectation des bénéfices ou la
réalisation d’opérations plus lourdes. Certains auteurs sont même allés plus loin dans la
comparaison en utilisant la formule de « fonctionnaires sociaux »171 dont la seule connotation
suffit à rendre explicite l’idée qui est derrière : le dirigeant, l’administrateur est au service de
la collectivité et doit avoir pour seul souci la réalisation du bien public ou bien commun.
L’intérêt de recourir à une représentation démocratique des sociétés par actions et surtout de
la société anonyme est maintenant bien visible au travers de tous ces éléments :
invariablement, il s’agit de protéger l’actionnaire en lui conférant des droits incompressibles
tout en lui permettant de s’impliquer par ses votes ou en devenant dirigeant lui-même ainsi
qu’en le gardant des excès de ces derniers le cas échéant.

60 – Conclusion du chapitre – Le répertoire démocratique est utilisé depuis l’origine dans


les discours portant sur les sociétés par actions. Certains éléments tenant à la construction
historique de la législation ont favorisé les rapprochements analogiques avec l’univers
démocratique. La commandite par actions et la société anonyme ont été les vecteurs de cette
acculturation. En outre, la doctrine commercialiste y a trouvé un moyen de théoriser,
d’expliquer et de systématiser différentes notions. Les sociétés par actions sont
progressivement devenues une terre d’élection pour la théorie démocratique en tant que
miniatures de communauté politique.

171
Sur trois époques différentes : THALLER E.-E., Traité élémentaire de droit commercial, Librairie de droit et
de jurisprudence, 1898, p. 316-328 ; HAMEL J., LAGARDE G., JAUFFRET A., Droit commercial. Tome 1.
Sociétés commerciales, groupements d’intérêt économique, entreprises publiques, Dalloz, 2e édition, 1980,
p.245 ; JEANTIN M., Droit des sociétés, Domat, Montchrestien, Droit Privé, 3e éd., 1991.

61
Chapitre 2 – Origines, enjeux et raisons d’être de la contestation : la
démocratie est-elle inadaptée au modèle des sociétés par actions ?

61 – Le mythe à l’épreuve des réalités économiques – L’idée de recourir à la théorie


démocratique est incontestablement séduisante mais n’est certainement ni le modèle théorique
ni le cadre pratique le plus adapté aux sociétés par actions, du moins lorsque l’on considère le
phénomène de dissociation de la propriété du capital et du pouvoir au sein de ces entités. La
détention des actions ne se fait alors plus dans une optique de détention de titres de
participation mais plutôt dans une logique de titres de placement, de valeurs mobilières
exigeant une rentabilité accrue. De plus, un certain pragmatisme conduit à mettre en place des
structures adaptées aux exigences des marchés et aux nécessités de la gestion de sociétés de
plus en plus grandes et importantes172. Autant de raisons nécessitant souplesse et flexibilité
que seul peut offrir le contrat. Ainsi, plus encore qu’un simple tissu d’obligations, la société
est une véritable « technique d’organisation »173 parmi d’autres et, en tant que technique,
soumise à évolution constante, perfectionnement perpétuel. Elle est avant tout au service
d’une entreprise, de la recherche du profit voire de sa maximisation, objectifs plastiques par
excellence. Dès lors, la démocratie n’y aurait plus sa place : par exemple, les actionnaires
n’ont pas tous le même but ni le même comportement, les structures de gouvernement ou
plutôt de direction pouvant faire l’objet d’un encadrement purement contractuel. Dans cette
perspective, le programme économique absorbe et tend à prendre le pas sur d’autres
considérations comme l’équité, la morale, la justice par exemple. Cela nous permet de situer
l’apport réel du mythe et d’en évaluer la situation au sein du droit des sociétés. S’il peut être
utile dans certaines situations, dans un contexte donné, il doit faire l’objet de résistances voire
d’abandons lorsque le contexte n’est plus propice. En tout état de cause, cette réalité
économique et sociologique prend régulièrement le pas sur la représentation démocratique
idéelle, la met à l’épreuve constamment, ce qui laisse supposer l’existence d’une dynamique
entre ces deux mouvements. Cette mise à l’épreuve tend à révéler une incapacité du mythe à
rendre compte de certaines réalités. Pourtant, il ne peut totalement être éliminé par ces
différents aspects du capitalisme : le mythe survit au réel.
Le pragmatisme économique que l’on peut déceler à l’occasion d’une esquisse de l’évolution
du capitalisme conduit à envisager avec distance le mythe démocratique, tant ce dernier
apparaît en pratique inadéquat à inclure des aspects non négligeables de la quotidienne réalité

172
DIDIER P. et Ph., Droit commercial – Les sociétés commerciales, Tome 2, Economica, 2011, p.485-486.
173
PAILLUSSEAU J., La société anonyme, technique d’organisation de l’entreprise, Sirey, 1967.

62
des sociétés par actions (section 1). Sur un plan plus doctrinal, les théories mettant en avant la
prépondérance du contrat offrent des solutions tout autant capables, si ce n’est plus, d’offrir
un modèle aux sociétés par actions en général et à la société anonyme en particulier. Le
recours au contrat est alors un concurrent du mythe démocratique (section 2).

63
Section 1 – Evolution historique du capitalisme : le pragmatisme économique

62 – Les mutations du capitalisme – Depuis le XVIIIe siècle, le capitalisme s’est


progressivement diffusé puis imposé comme modèle économique dominant. Mais cette
diffusion ne s’est pas produite de manière linéaire. Elle a connu des formes différentes en
fonction des pays d’Europe où il s’est développé. Dans chaque pays, le capitalisme a
emprunté des chemins différents avant de converger à la suite des grandes vagues de
mondialisation du XXe siècle. Entretemps, le capitalisme a connu plusieurs mutations,
chacune contribuant à s’interroger sur la pertinence, l’adéquation de la métaphore
démocratique au regard du fonctionnement réel de ces formes sociales.
Le capitalisme s’est, entre autres phénomènes, appuyé sur l’essor des différentes formes de
pratique des sociétés par actions, « merveilleux instrument du capitalisme moderne »174
(paragraphe 1) et sur le développement des techniques de gestion, expression de la
« révolution managériale »175 (paragraphe 2).

Paragraphe 1 – La société par actions, « merveilleux instrument du capitalisme


moderne »

63 – De la famille aux grandes sociétés capitalistes – S’emparant de l’instrument légal, la


pratique l’a adapté à ses besoins. Par convention, on parlera de pratique pour évoquer
l’appropriation par les agents ou opérateurs économiques ou sujets de droit de l’instrument
que sont les sociétés par actions. Deux modèles types permettent de mieux toucher du doigt
les impossibilités pratiques de recourir à la démocratie176.
Ces deux modèles sont ceux de la société par actions familiale (A) et de la grande société
cotée dite « capitaliste » (B).

174
RIPERT R., Aspects juridiques du capitalisme moderne, 2e édition, LGDJ, 1951, p.90 et suiv.
175
BURNHAM cité par VERLEY P., Entreprises et entrepreneurs du XVIIIe siècle au début du XXe siècle,
Hachette, coll. Carré Histoire, 1994, p.142.
176
COZIAN M., DEBOISSY F., VIANDIER A., Droit des sociétés, Litec, 21e édition, 2008, p. 111 : « Dans les
petites sociétés dominées par une personne ou une famille, le maître de l’affaire (le principal associé) est
généralement désigné comme dirigeant ; le détenteur du capital est en même temps patron de l’entreprise ;
propriété et pouvoir vont alors de pair. Dans les grandes sociétés faisant appel publiquement à l’épargne,
comportant plusieurs milliers d’actionnaires, les dirigeants sont choisis en raison de leurs compétences
techniques. Ce sont des managers professionnels ne possédant qu’une part infime du capital ; les sociologues
parlent de technostructure ; il y a alors dissociation de la propriété et du pouvoir ».

64
A – La société par actions familiale

64 – L’appropriation des sociétés par actions par la cellule familiale – A l’ origine,


capitalisme et cellule familiale sont étroitement liés. Avant les grandes révolutions
industrielles et le passage au capitalisme financier, le commerce est souvent affaire de
familles. Ainsi, en Europe, depuis l’Antiquité jusqu’aux Temps Modernes, ont pu se
constituer de grandes dynasties de marchands, drapiers, soyeux, banquiers, ou autour de
l’exploitation de ressources naturelles, compagnies minières, moulins et autres exploitations
agricoles (blé, vignes…). Tout naturellement, ces familles ont recouru aux groupements
proposés par les législations en vigueur afin de structurer leurs entreprises. De fait,
l’apparition de véritables sociétés par actions et la possibilité de drainer des fonds à une
échelle plus importante n’affaiblit pas cette conception traditionaliste et familiale de
l’entreprise. Au contraire, certains s’approprièrent très rapidement ces nouvelles structures,
profitant de la possibilité de faire appel à des capitaux extérieurs dans des proportions plus
importantes pour mieux redynamiser, voire tout simplement développer, l’exploitation
familiale. C’est ce que résume parfaitement un historien des entreprises en mettant en lien
réseaux familiaux, commerciaux et véhicules sociétaires177. La société apparaît comme un
véritable prolongement naturel de la cellule familiale : elle structure l’exploitation et les
relations de pouvoir en son sein tout en gardant des possibilités d’ouverture sur l’extérieur que
ce soit en absorbant de nouveaux talents ou en levant des fonds. De plus, le recours à une
société par actions permet d’accroître les sources de financement en puisant à l’extérieur du
champ familial, le contrôle restant aux mains des maîtres de la cellule familiale. A cet
avantage s’ajoute celui de la cession des titres qui contribue à fluidifier la transmission
successorale tout an maintenant certains équilibres et stratégies familiales par exemple pour
conserver l’entreprise aux mains de quelques élus choisis par les plus anciens. Il convient
aussi de ne pas négliger l’attrait de la responsabilité limitée qui permettait de se risquer dans
les affaires tout en préservant l’essentiel de la fortune familiale178. Quantitativement la norme,

177
VERLEY P., op cit, p. 97 : « Le système familial permettait de réunir des fonds propres, de fournir des
garanties pour obtenir du crédit, de s’attacher des compétences extérieures, de faire prédominer des objectifs de
très long terme sur le simple profit à court terme et donc de motiver des stratégies de développement, d’assurer
une identité à l’entreprise dans le cadre du droit civil sans avoir besoin de recourir à des institutions
commerciales. Mais son réseau se trouvait aisément consolidé juridiquement par la fondation de sociétés, qui
élargissaient les possibilités d’association de compétences et de capitaux. Le contrat de société était ainsi
complémentaire du contrat de mariage ; comme l’écrit Jean-Pierre Hirsch (1991), il servait à « unir ceux qui ne
pouvaient l’être par le mariage », que ce fût pour cause de consanguinité, de manque d’enfants à marier ou de
trop grand nombre d’associés ».
178
VERLEY P., op. cit., p.109 : « l’avantage que les entreprises familiales pouvaient trouver à se constituer en
sociétés anonymes était triple. La société anonyme permettait d’accroître les ressources propres en faisant une

65
de l’Antiquité jusqu’à environ la moitié du XIXe siècle, les sociétés par actions familiales
continuent de représenter une part non négligeable du paysage capitaliste français de ce type
de sociétés. Encore de nos jours, et avec les avantages offerts par la possibilité de montages
entre sociétés anonymes et commandites par actions, ce phénomène n’est pas près de
s’éteindre.

65 – La structuration des cellules familiales, obstacle à la démocratie – Or, la particularité


de ces sociétés familiales réside dans leur fermeture : même lorsqu’elles sollicitent des aides
extérieures (hommes ou capitaux), elles compartimentent et restent aux mains de la cellule
familiale initiale. Dans cet archétype, propriété, capital et contrôle sont indissociables. La
démocratie n’y a d’ailleurs pas vraiment sa place, il serait plutôt question d’oligarchie, de clan
concentrant le pouvoir et la détention du capital en un nombre restreint de mains. De plus, les
grandes décisions se préparent souvent en amont parmi les décideurs familiaux. Le pouvoir
s’exerce tant au sein qu’en dehors de la structure sociale via des procédés informels et intra
familiaux. Vouloir recourir à une grille de lecture démocratique pour ce type d’organisation
est donc totalement inadapté. En l’occurrence, le mythe démocratique apparaît plutôt comme
révolutionnaire face à ce type de fonctionnement. Il ne pourrait rendre compte de ce type de
fonctionnement tout en risquant de la déséquilibrer voire de contribuer à contester une partie
du pouvoir familial. La consanguinité entre famille et structure sociale ne peut résister à la
mise en place d’une structure pleinement démocratique.
A titre d’exemple, on peut songer aux droits des minoritaires. Dans ce type de pratique des
sociétés par actions, le minoritaire a vocation à être tenu en lisière, à la périphérie de toute
prise de décisions d’importance et la reddition de comptes réduite à sa portion congrue. Il
convient d’ailleurs de noter que lorsqu’il s’agit d’un investisseur passif cela contribue à la
pérennité des sociétés familiales encore de nos jours. En revanche, dès lors que l’investisseur
se montre plus actif, les conflits ont vocation à se multiplier et la grille de lecture
démocratique peut alors être mobilisée pour contester les usages du pouvoir par la famille ou
du moins la fraction dirigeante de la famille. On songe alors aux droits d’information ou aux
possibilités d’actions contre les dirigeants aussi bien en titre qu’en fait. Ainsi, le mythe ne
rend pas compte de la réalité de la pratique familiale mais peut être utilisé pour en corriger
certains effets, voire certains abus. Plus précisément, le mythe démocratique qui accompagne

augmentation de capital et en proposant à des capitalistes extérieurs les titres tout en en conservant une
majorité de contrôle. Les problèmes de succession étaient résolus par simple transfert de titres, sans avoir à
modifier les actes de société. Enfin, la société anonyme limitait la responsabilité financière des familles des
dirigeants et évitait de faire peser sur leurs fortunes une constante menace. »

66
le fonctionnement des sociétés par actions est ici rudement mis à l’épreuve car la cellule
familiale conserve le capital tout en utilisant des cercles de décisions informels. Il est alors
mobilisé principalement pour réduire l’influence, les possibilités de contrôle dont disposerait
cette cellule familiale. Autrement dit, le mythe n’est ici plus pertinent en tant que modèle
explicatif mais tient plutôt de l’argument mobilisable contre un fonctionnement en partie en
dehors du cadre social. A l’inverse, les sociétés les plus ouvertes ne sont pas forcément les
plus adaptées à l’imagerie démocratique.

B – La société par actions « capitaliste »

66 – Les grandes sociétés capitalistes, de la grande œuvre au placement financier – Le


passage d’un capitalisme traditionnel à sa version financière et industrielle s’est accompagné
d’un éclatement de l’actionnariat et l’entérinement d’une véritable dissociation du capital, du
contrôle et de la propriété179. L’espèce considérée ici est celle de la société anonyme faisant
appel public à l’épargne, version française des « public corporations » américaines.
Cependant, il ne s’agit pas des sociétés cotées familiales, variation de la société par actions
« familiale » qui, en dépit d’une ouverture aux marchés financiers, demeure invariablement
sous le contrôle de la cellule familiale dont elle structure l’activité. Ici, la société est un
placement avant d’être une structure collective : la recherche du profit et sa maximisation
passent avant toute autre considération. L’actionnariat se caractérise par l’éparpillement et
l’atomisation, parfois à outrance. Il est d’ailleurs possible d’esquisser un inventaire non
exhaustif des titulaires d’actions qui peuvent ainsi cohabiter dans une société anonyme180 : des
particuliers directement ou par démembrement de propriété (indivision, location…) que l’on
appelle actionnariat individuel, des salariés de l’entreprise, des investisseurs institutionnels
français (établissements de crédit, compagnies d’assurance, organismes de placement collectif
dont les FCP et les SICAV), des investisseurs institutionnels et fonds de pension étrangers
(« pensions, mutual and hedge funds »), enfin l’Etat lui-même via divers organismes publics
ou para-publics.

179
VERLEY P., op. cit, p.109: « A ce vigoureux capitalisme familial, qui avait su utiliser toutes les ressources
offertes par la loi, pour trouver des ressources financières et consolider son pouvoir, se superposait un grand
capitalisme plus anonyme, auquel les compagnies d’assurances, celles de chemins de fer et les banques avaient
ouvert une voie, qu’empruntaient désormais les grandes entreprises nées dans les secteurs nouveaux de la
seconde industrialisation. La forme de la société anonyme leur permettait de recourir à des instruments de
financement beaucoup plus variés, au travers des banques et du marché financier. »
180
CAUSSAIN J-J., Le gouvernement d’entreprise – Le pouvoir rendu aux actionnaires, Litec, 2005, p.129-136.

67
Or, chacune de ces « catégories d’actionnaires »181 obéit à une stratégie différente et donc
recherche l’accomplissement de buts parfois antagonistes. Pour citer le professeur Paillusseau,
« alors que l’on croyait à une unité des actionnaires, l’expérience a révélé une diversité très
grande de leur psychologie, de leur comportement, de leur condition, de leur rôle dans la
société. En fait, il existe plusieurs sortes d’actionnaires dans les sociétés et leur groupement
est caractérisé par une hétérogénéité »182. Concrètement, une telle dispersion des titres et des
buts ne favorise pas l’effectivité du contrôle sur les actes des dirigeants et la marche de la
société. Si certains font peser fortement la « contrainte du dividende »183 dans l’optique de
rentabiliser leur investissement et à terme réaliser d’importantes plus-values, réduisant
l’action à sa dimension de titre-rente, d’autres ont une vision plus traditionnelle de la société
qui se rapproche de la conception évoquée au paragraphe précédent. Pour ajouter à la
confusion, les sociétés anonymes peuvent émettre différentes catégories d’actions, limitant ou
exacerbant certains droits, censées épouser les besoins de leurs détenteurs. Or, un tel
éparpillement ne favorise pas non plus le rapprochement de ceux qui souhaiteraient exercer un
contrôle plus étroit de la marche de l’entreprise, ne serait-ce qu’au regard de la technique des
titres au porteur telle qu’elle était pratiquée à l’origine : comment se regrouper avec un
détenteur par définition éphémère et anonyme d’un titre pouvant circuler aussi facilement que
par une simple tradition ? De plus, outre son hétérogénéité, l’actionnariat dans ce genre de
société se caractérise aussi par son instabilité. Les marchés financiers et boursiers regorgent
d’exemples de recomposition d’actionnariats dans le cadre de stratégies de rapprochement, de
placement, de spéculation ou d’autres buts plus ou moins explicites. Les actions sont par
définition des titres circulants, parfois aussi volatiles que la monnaie scripturale et dont
l’aspect financier prend le pas sur les droits qu’il est censé matérialiser au sein du groupement
même.

67 – Le dépassement partiel du mythe démocratique – Dès lors, comment prétendre


utiliser la démocratie dans une telle structure ? Différenciation et catégorisation, maximisation
de la valeur, dividendes et plus-values, dissociation complète du pouvoir, du contrôle et de la
propriété, bref enjeux financiers et patrimoniaux prennent le pas sur les structures initiales de
pouvoir et de gouvernement dans une perspective diamétralement opposée à toute velléité
d’homogénéisation démocratique qui par ailleurs serait contre-productive. On peut craindre

181
CHAMPAUD C., Catégories d’actions ou sortes d’actionnaires in Mél Jeantin, Dalloz 1999, p. 161.
182
PAILLUSSEAU J., La société anonyme, technique d’organisation de l’entreprise, Sirey, 1967, p. 47.
183
COURET A., La contrainte du dividende dans les sociétés par actions, in Mél Guyon, Dalloz, 2003, p. 239.

68
que la diversité des situations conduise à un éparpillement des statuts tels que le socle de la
citoyenneté actionnariale s’en trouve dissoute. Si l’on songe aux possibilités d’adaptation des
droits des actionnaires, le principe d’égalité a peu de chances de prospérer et l’on ne peut que
constater la mise en place d’une société de privilèges, telle qu’existant avant la rupture opérée
par la Révolution Française. Dans cette perspective, le mythe démocratique, s’il peut s’avérer
utile au début, se trouve très vite rattrapé par les contraintes du réel à tel point que l’on peut se
demander dans quelle mesure son dépassement ne sert pas d’indicateur quant au changement
d’échelle des sociétés par actions. En somme plus le mythe s’étiole, plus la société par actions
s’en affranchit, plus elle rejoint les parangons du capitalisme financier. Pourtant, ici encore le
mythe ne disparait pas totalement. Il conserve encore une utilité précieuse. Là encore il
permet tantôt d’offrir un socle solide, un réceptacle pertinent dans certains domaines : les
droits des actionnaires et l’organisation du pouvoir. Certes, il n’est sans doute pas possible de
procéder à la transposition d’une démocratie parfaite mais il demeure un intérêt à mobiliser
une pensée démocratique.
A titre d’exemple, même si l’on peut mettre en place des catégories d’actionnaires avec des
droits à géométrie variable, il n’est pas inutile de le faire en gardant comme horizon commun
une figure socle avec un système de droits communs comme le droit de vote ou celui de
participer aux décisions collectives. Le principe d’égalité entre actionnaires n’est plus
totalement intangible, si tant est qu’il ne l’ait jamais été, mais y faire référence pour justifier
ou légitimer telle ou telle adaptation des droits des actionnaires permet de conserver une
certaine maîtrise sur ce qu’il est possible ou non de faire en la matière. De nouveau,
l’inadéquation ne concerne que la capacité à rendre compte du réel. Par contre, le mythe peut
encore fournir des cadres de pensée voire un arsenal loin d’être totalement dépassé par ce
capitalisme financier. Il convient à ce titre de rappeler le développement depuis la fin du
vingtième siècle d’un vaste mouvement sous le label de la corporate governance qui tend à
réintroduire certains principes liés à la démocratie actionnariale. La place de l’actionnaire
dans ce mouvement de fond conduit de nouveau à revenir à l’égalité entre actionnaires, à
saisir en partie l’intérêt de mettre en perspectives politiques les relations entre organes
sociaux. Il existe d’ailleurs une certaine continuité entre cette utilisation des sociétés par
actions et les éléments suivants. En effet, c’est le développement de ces structures
multinationales à l’échelle globale qui a donné naissance à la révolution managériale et au
développement d’une bureaucratie spécialisée.

69
Paragraphe 2 – « Révolution managériale » et influence anglo-saxonne

Sous influence anglo-saxonne et pour faire face aux nécessités de la pratique, les entreprises
françaises se sont mises à marche forcée à la constitution de véritables technostructures
internes (A), provoquant un véritable âge d’or des dirigeants (B) malgré un certain
scepticisme.

A – Technostructure et « public corporations »

68 – La naissance et l’essor des technostructures – Dans son ouvrage, le nouvel Etat


industriel184, publié en 1967, l’économiste John Kenneth Galbraith s’est attaché à analyser les
relations de pouvoir au sein des grandes entreprises américaines, les fameuses « public
corporations » équivalentes à nos sociétés anonymes dont les titres sont admis aux
négociations sur un marché réglementé. Les recherches de l’auteur mettent en lumière le rôle
joué par ce qu’il a baptisé la « technostructure »185qui recouvre plusieurs phénomènes. Tout
d’abord, cette notion désigne le corps des techniciens et ingénieurs, sachants hautement
diplômés, orientant les choix et décisions des dirigeants de l’entreprise par le biais des
informations qu’ils émettent et recueillent en son sein186. La direction continue de prendre les
décisions en fin de chaîne mais sur le fondement de ce que ses spécialistes lui apportent,
limitant de fait leurs choix aux options élaborées par ces derniers. Ensuite, la technostructure
désigne aussi le phénomène de passation du pouvoir des actionnaires à
des managers recherchés pour leurs supposées compétences techniques en matière de gestion,
ceux-ci formant à terme leur propre bureaucratie à l’intérieur des sociétés afin de favoriser
leur stratégie d’enracinement au sein du groupement187. Le mécanisme décrit par Galbraith
n’est pas nouveau et a commencé à se développer au XIXe siècle avec l’essor des sociétés par
actions, de l’industrialisation et des marchés financiers, et ce dans tous les pays. Les
administrateurs, précédemment issus des rangs des actionnaires, laissent progressivement la
place à des spécialistes ou des techniciens et quand ils continuent à être recrutés parmi les

184
GALBRAITH J-K., Le nouvel Etat industriel, Gallimard coll. Bibliothèque des sciences humaines, 1979.
185
VERLEY P., Entreprises et entrepreneurs du XVIIIe siècle au début du XXe siècle, Hachette coll. Carré
Histoire, 1994, p.140 et suiv.
186
VERLEY P., op cit, p.140 et suiv.
187
VERLEY P., op cit, p.140 et suiv.

70
actionnaires, ils créent un cercle de managers pour les assister ou assurer certaines missions
pour lesquelles ils n’ont pas ou plus les compétences188.

69 – L’inversion des pouvoirs réels au sein des sociétés par actions – De plus, la montée
en puissance de ces administrateurs spécialisés, souvent salariés pour les fidéliser, a
indubitablement contribué à l’effacement du modèle de départ familial et patrimonial des
sociétés par actions. Un historien des entreprises le résume de la manière suivante, dans le
prolongement de témoignages de la même dimension que celui des actionnaires de Saint-
Gobain : « du fait de la dilution de la propriété du capital social entre un très grand nombre
d’actionnaires, le pouvoir dans les conseils d’administration aurait incombé à des coalitions
de représentants des principaux d’entre eux ; le développement d’un groupe de dirigeants
salariés en aurait, dès la fin du XIXe siècle, été favorisé. La hausse du niveau des
compétences techniques, administratives et financières requises de ces dirigeants aurait
conduit à écarter du pouvoir les descendants des dynasties industrielles familiales au profit
d’une méritocratie : l’intérêt supérieur de l’entreprise aurait incité à faire choisir comme
dirigeant la personne la plus capable d’exercer cette fonction »189.
La constitution d’une oligarchie technicienne, le recours à des technocrates, répondent à un
besoin d’efficacité et d’efficience dans l’intérêt de l’entreprise190. Une grille de lecture
purement démocratique ne permettrait pas de faire appel à des dirigeants extérieurs, sans
aucun lien avec la société, juste pour leurs compétences. A ce propos, il est d’usage de parler
de marché des dirigeants tant le paradigme économique s’est développé sur le sujet. Dans
cette perspective, la vision démocratique des sociétés par actions est pervertie : l’idée de
méritocratie attribuant les fonctions de direction et d’administration à des personnes pour
leurs compétences relève parfois de l’apparence. Le revers de cette politique vient de ce que
les dirigeants ainsi nommés peuvent s’appuyer systématiquement sur leurs compétences soit
afin de se maintenir en poste, soit pour confisquer le pouvoir, soit opacifier la reddition des

188
VERLEY P., op cit, p.146 : “Un représentant des actionnaires genevois de Saint-Gobain écrivait ainsi en
1834 quant au recrutement des administrateurs de la compagnie : « on ne peut se dissimuler qu’il y a quelque
chose de vrai dans les reproches qu’en Angleterre et en France on fait aux sociétés anonymes dont un certain
nombre périclite : il me semble que le meilleur moyen pour éviter leur sort, c’est de composer leur conseil de
gérants habiles en les prenant partout où ils se trouvent, sans s’attacher à aucune autre considération : dans
notre ancien système, celles de familles d’actionnaires, de nationalité pour les Genevois, ont pu avoir leurs
avantages ; aujourd’hui, en présence de la concurrence et du mouvement immense de l’Industrie, elles
circonscriraient le choix des Administrateurs dans un cercle trop étroit, dans lequel il est peu probable qu’il se
trouve un nombre suffisant d’hommes tels que les requiert la bonne direction d’une entreprise aussi vaste et qui
exige des connaissances aussi variées”.
189
VERLEY P., op cit, p.141.
190
BEITONE A., BUISSON E., DOLLO C., Economie, Sirey, Aide-Mémoire, 4e éd, 2009, p. 232-233.

71
comptes aux actionnaires et éviter toute responsabilité. Mobiliser le mythe démocratique sans
élargir la perspective à ce phénomène présenterait un intérêt limité. A l’instar des sociétés
familiales, le pouvoir peut aisément se déplacer hors des murs des structures juridiquement
prévues à cet effet. Dans le prolongement du phénomène de technostructure s’est développé
tout un mouvement de pensée autour des « managers » à l’anglo-saxonne, accroissant
l’apparente incompatibilité entre démocratie et sociétés par actions.

B – Age d’or et critiques des « managers »

70 – De la technostructure aux managers – Dans les très grandes entreprises et devant la


complexité de certains marchés, l’impératif de spécialisation a conduit à renforcer la
technostructure déjà existante. Le besoin se faisait sentir de figures intermédiaires entre les
« managers », occupant les postes d’administrateurs tels que prévus par la loi, et les
techniciens spécialisés intermédiaires, entre les « managers » et les employés de l’entreprise.
De plus, l’accroissement de la taille des sociétés par actions ainsi que la constitution de
groupes de plus en plus étendus et puissants nécessitaient de nouveaux relais de pouvoirs. Or,
ces relais n’étaient ni prévus ni envisagés dans les lois sur les sociétés. La pratique inventa
donc ce que certains auteurs ont appelé dans les années quarante la « révolution
managériale »191. Le promoteur de l’expression allait même plus loin en prophétisant à terme
la montée d’un nouveau paradigme économique dépassant à brève échéance le capitalisme et
le communisme soviétique. Surtout, la thèse de cet auteur annonçait en fait les analyses sur la
technostructure et la place de la bureaucratie dans les entreprises privées et les Etats. La
révolution managériale et ses dérivés, alimentés par le développement des sciences dites de
gestion et des recherches en sciences économiques autour du management, mettent en lumière
l’émergence d’une autre catégorie de « managers » : les directeurs techniques. Le plus
souvent bénéficiaires de délégations de pouvoirs de la part des dirigeants, ils participent de la
rationalisation et de la spécialisation des tâches au sein de l’entreprise. Les sociétés anonymes
d’une taille certaine en sont de grandes pourvoyeuses. Chefs de service, directeurs de la
prospective et des études, directeurs administratifs et financiers, directeurs des risques ne sont
que des exemples des appellations que l’on peut trouver dans ce genre d’entreprises. Lorsque
leur poste revêt une importance stratégique, ils sont parfois conviés à rejoindre le conseil
d’administration posant ainsi la question du cumul avec leur contrat de travail initial. Car le

191
BURNHAM J., La révolution managériale, Oxford, 1941.

72
droit des sociétés ne connaissait pas en principe cette hiérarchie parallèle et ne s’en souciait
pas à l’origine : il ne connaissait que des actionnaires, des administrateurs et à la rigueur des
salariés ou leurs représentants. Néanmoins, il convient de nuancer le propos et de préciser
que, depuis, le droit des sociétés la connaît dans certaines hypothèses précises strictement
délimitées. Tout d’abord, la théorie du dirigeant de fait peut parfois être sollicitée en matière
d’action en responsabilité lorsque l’immixtion de ces managers vient à outrepasser son rôle
purement technique. Ensuite, la question du cumul entre participation aux organes sociaux de
direction et contrat de travail est devenue une thématique classique depuis les années 2000.
Enfin, les délégations de pouvoir obéissent à un certain formalisme. En France, dans les
années soixante et soixante-dix mais aussi quatre-vingt-dix, ces « managers » bis connurent
leur heure de gloire avec l’introduction des méthodes américaines de management. Soit par
contact direct, nombre de sociétés anonymes françaises étant des filiales de sociétés
américaines, soit indirectement, les sociétés étant en concurrence, les françaises durent
s’aligner sur les modèles américains par nécessité ou effet d’imitation.

71 – Le manager, figure impensée par le mythe démocratique ? – L’image démocratique


ne permet pas ce genre d’aménagements sauf à multiplier indéfiniment les postes
d’administrateurs pour fidéliser ces talents extérieurs et à les contraindre à posséder des
actions et donc à en faire des citoyens, ce qui se révèle totalement inadapté et peu pratique.
Pour rendre compte du rôle important de ces managers, on pourrait envisager de pousser la
comparaison démocratique jusqu’à ses limites en considérant que leur positionnement dans la
structure sociale s’apparente à celle de ces corps de hauts fonctionnaires qui ont vocation à
encadrer et animer l’appareil productif bureaucratique. Ils sont à la fois des rouages essentiels
du fonctionnement opérationnel quotidien des sociétés mais demeurent en dehors de la
règlementation de la « société Etat ». Il est d’ailleurs difficile de ne pas faire le parallèle avec
des recherches récentes en Histoire de l’Antiquité révélant le statut particulier de certains
esclaves dans les cités Etats grecques pendant l’âge d’or de la démocratie192. En effet, certains
esclaves au savoir hautement spécialisés étaient les rouages de la démocratie civique en
fournissant notamment une grande partie de l’appareil bureaucratique nécessaire à son
fonctionnement193. En dépit de leur rôle fondamental, ils demeuraient étrangers à la polis et
dans une condition assez éloignée du statut de citoyen, même s’ils n’étaient pas entièrement

192
ISMARD P., La démocratie contre les experts – Les esclaves publics en Grèce ancienne, Seuil Univers
Historique, 2015.
193
Idem, p.15-16.

73
sans protection. En l’occurrence, une question se pose : le droit des sociétés doit-il prendre en
compte ce phénomène ? En tout état de cause, il s’agit d’un point de résistance au mythe
démocratique. Plus précisément, le traitement actuel de cette question relève du droit du
travail à titre principal et du droit des sociétés à titre accessoire. Le droit des sociétés ne se
préoccupe pour l’instant de la question que de façon marginale à travers les questionnements
de la gouvernance des sociétés cotées lorsque sont impliquées des questions de composition
des différents comités (audit, exécutif…). Le terrain d’élection de ces questions se trouve dans
les pouvoirs, attributions et responsabilités des organes de direction voire d’administration.
Là, résident les points de contact potentiels susceptibles de mobiliser l’univers démocratique.
Néanmoins, on ne peut nier que la grille de lecture démocratique a le mérite d’accorder une
place ou du moins de proposer un cadre de réflexion susceptible de prendre en compte cette
technostructure. Par le biais de l’organisation du pouvoir, le mythe conduit à s’interroger sur
leur place réelle dans la hiérarchie des organes sociaux et dans leur capacité à rendre compte
de leurs actions aux actionnaires. N’est-ce pas dans cette direction qu’évolue la gouvernance :
rendre compte de la façon dont sont gouvernés ces spécialistes et dont ils usent de leurs
compétences ? On peut alors songer aux multiples formes de rapports prévus dans la loi et
pesant sur les organes sociaux : contenu du rapport de gestion, contenu du rapport du conseil
d’administration ou de surveillance. Le mythe démocratique peut alors saisir ces managers,
cette technostructure sous plusieurs angles. Il peut se contenter de l’ignorer ou du moins ne
les considérer que lorsqu’ils postulent ou occupent un organe social. Dans cette hypothèse,
différents aménagements pourraient être prévus comme par exemple au regard d’éventuels
conflits d’intérêt ou d’autorité. Mais il peut aussi les assimiler à des fonctionnaires et dans ce
cas, le droit des sociétés sous sa tutelle pourrait être amené à se penser comme un droit
administratif, voire un droit de la fonction publique en proposant un cadre légal englobant
l’existence d’une éventuelle technostructure. Bien que dépassé en apparence, le mythe
démocratique semble plutôt s’adapter qu’être totalement dépassé ou absorbé par ses
différentes réalités ou visions des sociétés par actions. A ces éléments tirés de l’histoire et de
la socio-économie, la théorie juridique elle-même offre de multiples cadres susceptibles de
rendre compte des sociétés par actions sans avoir besoin de recourir à quelque représentation
démocratique que ce soit. En effet, la théorie du contrat est un réceptacle parfait pour
concurrencer le mythe. D’ailleurs, ces deux visions s’affrontent régulièrement pour rendre
compte des différents phénomènes que l’on peut observer dans les sociétés par actions ou tout
simplement pour justifier telle ou telle solution ou encore modification du régime de ces
dernières.

74
Section 2 – Théories et concepts concurrents de la démocratie : la loi des
parties

72 – Concurrence entre démocratie et loi des parties – Le mythe démocratique a connu un


essor certain lors de la phase de construction et d’essor des premières sociétés par actions,
trouvant sa place parmi la doctrine en tant qu’outil de représentation du fonctionnement de
ces sociétés. Cependant, il n’est pas le seul à pouvoir servir d’interface et à fournir des clés de
compréhension de ces groupements. En effet, d’autres concepts, notions ou grilles de lecture
ont pu s’affirmer non seulement en parallèle mais surtout en concurrents directs du mythe.
Cette concurrence a créé une sorte d’émulation avec ce mythe tantôt complémentaire, chacun
se nourrissant des autres ou rendant compte d’aspects différents mais susceptibles d’être
combinés, tantôt dialectique au sens classique de la philosophie hégélienne c’est-à-dire une
évolution permanente entre thèse, antithèse puis dépassement vers autre chose. Il convient de
noter dans cette dernière perspective que le mythe initial a fait l’objet de critiques très fortes
tout au long du XXe siècle avant de retrouver, nous semble-t-il, une seconde jeunesse au
tournant du XXIe siècle. Autrement dit, mobiliser cette notion de mythe permet de rendre
compte du dynamisme de ce phénomène qu’est la démocratie actionnariale au sein des
sociétés par actions. Il s’agit ici de mettre en perspective les limites ou obstacles conceptuels
qui ont contribué soit à des évolutions, soit à des reflux de la démocratie dans les sociétés par
actions tant au niveau des analyses que des pratiques autour de ces dernières. A cet égard, la
conception classique de la société comme un contrat qui semblait par certains aspects en
perte de vitesse il y a une trentaine d’années, constitue le cadre principal des conceptions
concurrentes.
La vision contractuelle, bien que concurrente, peut cependant se combiner voire laisser une
place au mythe démocratique (paragraphe 1). Néanmoins, l’arrivée de nouvelles perspectives,
issues notamment de l’analyse économique du droit rassemblées autour de la notion de contrat
d’agence, cette conception a pris une nouvelle dimension, plus hégémonique, se prétendant
plus adaptée aux réalités économiques et donc plus apte à donner des solutions aux sociétés
par actions que la représentation démocratique. Il n’est alors plus question de laisser la
moindre place au mythe ou à la moindre grille de lecture du même acabit pour se focaliser sur
la circulation des flux financiers, la maîtrise d’un capital et d’une organisation dédiée à la
production ou à la réalisation d’une opération strictement économique (paragraphe 2).

75
Paragraphe 1 – La société – contrat

73 – La société, contrat spécial – L’idée de société-contrat constitue une sorte de fonds


commun théorique car provenant de sources civilistes et privatistes depuis l’Antiquité. Ce
réceptacle classique a connu un relatif affaiblissement lors du développement des sociétés par
actions. Bien que berceau initial du droit des sociétés, il a été progressivement relégué par
l’essor de la vision institutionnaliste. Plus précisément, le débat et les cadres d’analyse se sont
déplacés en occultant certaines spécificités du cadre contractuel avant que celui-ci ne fasse un
retour plus affirmé depuis les années quatre-vingt au détriment de visions plus propices à la
mobilisation du mythe démocratique.
Si la société est un contrat spécial, cela n’a pas été un obstacle à une coexistence voire à un
enrichissement fécond avec la vision institutionnelle, ce qui a permis au mythe démocratique
de s’épanouir au sein des sociétés par actions. Les sources classiques n’ont été qu’un obstacle
temporaire (A). Cependant, le regain de vigueur d’une vision contractualiste que l’on pourrait
qualifier de dogmatique voir d’hégémonique tend à constituer un concurrent plus sérieux
susceptible de repousser les éventuels apports de ce mythe, voire de contribuer à son
obsolescence (B).

A – Le contrat de société dans les sources privatistes et civilistes, obstacle temporaire au


mythe

74 – La naissance contractuelle de la société en droit romain – Depuis l’Antiquité, la


société traverse les âges et les législations, présentant à chaque fois des visages différents.
Néanmoins, certains éléments ne changent pas : la société demeure avant tout un contrat, un
accord de volonté positif pour matérialiser un but, un projet précis ou une réalité parfois subie.
Déjà au temps des Romains, il existait plusieurs types de sociétés dont l’ancêtre des sociétés
par actions, la société de publicains194. Cette dernière avait pour objet de percevoir les impôts
et taxes des citoyens romains, préfigurant le système de Ferme Générale utilisé en France
pendant la période Moderne par la monarchie pour lever et percevoir les sommes dues par les
sujets du Royaume. La société de publicains bénéficiait exceptionnellement de la personnalité
morale par le biais d’actes législatifs émanant du pouvoir en place, était administrée par un

194
CASTALDO A. et LEVY J-P, Histoire du droit civil, Dalloz coll. Précis Droit Privé, 2002, p.704 ;
RICHARD A., Droit des affaires – Questions actuelles et perspectives historiques, PUR Didact droit, 2005,
p.234.

76
embryon de conseil d’administration (« corpus publicanorum ») et ses titres, appelés
« partes », étaient librement négociables195. En somme, ce type de société peut être considéré
comme l’expression des premiers balbutiements des sociétés par actions. Or, elle se
caractérise aussi par une très grande liberté en matière de statuts, laissant aux parties une
autonomie certaine en la matière. Au-delà de cet exemple, les Romains classaient les sociétés
en général dans la catégorie des contrats consensuels de bonne foi, « dépouillés de toute forme
et de toute remise de chose »196. A l’époque, seuls quelques rares types de contrats ne
concernant pas une res ou n’exigeant pas une forme sacramentelle pouvaient faire naître des
obligations : la société était l’une des seules à pouvoir faire naître une ou des obligations « par
le consentement, consensu fiunt obligationes »197.

75 – La perpétuation du modèle originel au Moyen – Age et à l’époque Moderne – Tout


au long du Moyen-Age et de l’époque Moderne, ce schéma a continué à se perpétuer.
L’absence de personnalité morale et la grande liberté statutaire allèrent de pair, les associés
insérant toute clause utile au gré de leurs objectifs et des possibilités offertes par le droit
commun des obligations. La formule de Pothier concernant la diversité des types de sociétés
apparaît à cet égard particulièrement emblématique de la pensée des juristes et des praticiens
de l’époque : « il y en a qui se contractent pour avoir en commun certaines choses
particulières, et en partager les fruits. Il y en a qui se contractent pour exercer en commun
quelque art ou quelque profession. Enfin, il y a les sociétés de commerce »198.

76 – Le contrat de société gravé dans le marbre du Code civil – Cet esprit contractualiste a
été conservé et surtout gravé dans le marbre avec les codifications napoléoniennes. Le Code
civil entérine cette vision des choses, conservée et à peine retouchée dans les évolutions
ultérieures du texte.
Tout d’abord, les dispositions sont rangées parmi les contrats spéciaux, entre les contrats de
louage et promotions immobilières et ceux de prêt et les conventions relatives à l’exercice des
droits indivis. L’article 1832 ancien était fort explicite : « la société est un contrat par lequel
deux ou plusieurs personnes conviennent de mettre en commun des biens ou leur industrie, en
vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. Les associés
s’engagent à contribuer aux pertes ».

195
CASTALDO A et LEVY J-P, op cit, p.704.
196
CASTALDO A et LEVY J-P, op cit, p.697.
197
CASTALDO A et LEVY J-P, op cit, p.697.
198
POTHIER, Traité du contrat de société, in Œuvres de Pothier, Plon, 1861, volume 5 p.138.

77
De plus, la société peut théoriquement être annulée comme n’importe quel contrat sur le
terrain des vices du consentement, même si dans la pratique et, du fait de l’extrême
particularité qui l’entoure, cette possibilité tient plus de l’utopie que de la réalité. D’autres
dispositions contiennent encore des vestiges de cette origine contractuelle comme l’alinéa 2
de l’article 1842 : « jusqu’à l’immatriculation , les rapports entre les associés sont régis par
le contrat de société et par les principes généraux du droit applicable aux contrats et
obligations », ou encore l’alinéa 1 de l’article 1844-6 : « la prorogation de la société est
décidée à l’unanimité des associés, ou, si les statuts le prévoient, à la majorité prévue pour la
modification de ceux-ci. » Statuts, unanimité ou encore principes généraux du droit des
obligations témoignent de l’idée selon laquelle la société est aussi un contrat, un accord de
volonté entre des parties privées et non pas de simples coquilles légales199. Ainsi, en dépit
d’un accroissement non négligeable de la législation sur les sociétés, celle-ci demeure avant
tout un contrat, ces dispositions du Code Civil formant le socle du droit commun des sociétés
et ayant vocation à régir toute société sauf dispositions légales contraires et donc aux sociétés
commerciales, au premier rang desquelles les sociétés par actions.

77 – Le contrat dépassé par l’institution ? – Cependant, on ne peut réduire les sociétés à un


contrat même spécial. Le tournant entre la fin du XIXe siècle et le XXe siècle a été celui de la
théorisation de l’institution. Les limites de la conception contractuelle sont alors apparues
avec force. En effet, l’organisation issue du contrat de société échappe pour une grande partie
aux règles classiques de droit des contrats. Principalement, le recours aux théories
contractuelles ne permet ni de rendre pleinement compte de la personnalité morale ainsi que
des conséquences de l’existence cette fiction, ni ne saisit de façon satisfaisante les différents
rapports existant entre les organes ou même entre les composantes de ces organes.
Concernant la personnalité morale, les conséquences de l’existence d’un intérêt distinct des
membres de groupement conduit à créer une personne fictive dont les parties doivent tenir
compte aussi bien entre elles qu’envers les tiers. Le contrat crée alors une entité qui va
échapper en partie à celui-ci et s’imposer aux différents cocontractants, limitant parfois leur
propre pouvoir contractuel. Concernant le fonctionnement des organes sociaux, la loi prévoit
une organisation très complète et différentes règles de fonctionnement comme le recours à la
loi de la majorité. Ce dernier point a d’ailleurs suscité certaines difficultés en ce qu’il
contrevient au principe d’unanimité classique dans le domaine contractuel : la majorité permet

199
LIBCHABER R., La société, contrat spécial, in Mél Jeantin, Dalloz 1999, p.281.

78
de prendre des décisions modificatives du contrat sans avoir à obtenir l’accord de toutes les
parties.
De même, les cessions de parts ne peuvent être réduites à une figure classique comme la
cession de contrat. Pour cela, le recours à la figure contractuelle à eu tendance à être
progressivement utilisée pour une grande partie aux sociétés en formation ou sans
personnalité morale, laissant à la théorie de l’institution les formes sociales les plus élaborées
comme les sociétés par actions. La doctrine de la fin du XXe siècle s’est aussi faite l’écho de
ce socle contractuel mais elle a aussi parfois milité pour son développement.

B – La contractualisation en mouvement, la tentation d’une l’hégémonie limitée

78 – Le retour du contrat dans les sociétés par actions – Pendant indissociable de


l’institutionnalisation, le mouvement de contractualisation des sociétés prône non pas un
abandon pur et simple du recours à la loi et du développement de l’ordre public mais un retour
à plus de libertés pour les parties à de tels contrats. D’abord dominants au XIXe siècle, les
tenants de la vision purement contractuelle ont marqué le pas face au développement galopant
de la législation sur les sociétés en l’espace de deux siècles, notamment en matière de société
anonyme200. C’est d’ailleurs la société anonyme qui a surtout cristallisé le débat avec les
institutionnalistes. En effet, pour les partisans d’un retour à plus d’espace contractuel, les
nécessités de la pratique réclamaient un instrument souple permettant de s’adapter aux réalités
du terrain et non une technique sociétaire engoncée dans le formalisme et sujette à toutes
sortes de poursuites plus ou moins judicieuses et effectives. Dans les années quatre-vingt, le
mouvement connaît un regain d’intérêt : certains auteurs promouvant une nouvelle vision
contractuelle de la société, tantôt contrat-échange, tantôt contrat-organisation201 voire contrat-
alliance202, dans la lignée des travaux du professeur Paillusseau qui promouvait une vision
techniciste des sociétés en général et de la société anonyme en particulier. Dans les années
quatre-vingt dix, les contractualistes réaffirment avec force leur postulat prenant d’abord pour
levier les pactes d’actionnaires comme expression de la volonté des associés à s’approprier le
mécanisme légal de la société anonyme et réinstaurer le jeu des volontés individuelles dans ce

200
BERTREL J.-P., Le débat sur la nature de la société, in Mél Sayag, Litec, 1997, p.131.
201
DIDIER P., Le consentement sans l’échange : le contrat de société, in L’échange des consentements, RJ Com
nov 1995, p.74 ; Brèves notes sur le contrat-organisation, in Mél Terré, PUF éditons Juris-classeur, 1999,
p.635 ; La théorie contractualiste de la société, Rev Sociétés 2000, p.95. Voir aussi : CJCE 10 mars 1992 C-
214/89 où la cour affirme que les statuts d’une société doivent être considérés comme des contrats pour
l’application de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968.
202
HAMELIN J.-F., Le contrat-alliance, Economica, 2012, p. 11-13.

79
cadre jugé trop rigide203. Puis, ils appelèrent, plus ou moins explicitement, suivis en cela par
de nombreux praticiens et les milieux d’affaires, à une refonte ou du moins une réadaptation
de la législation pour les sociétés par actions.

79 – Le « big-bang » de la SAS – L’apogée du mouvement, renforcé par l’apport des


doctrines anglo-saxonnes autour de l’analyse économique du droit, est atteint lors de la
création et surtout, de la libéralisation d’une nouvelle forme de société par actions : la société
par actions simplifiée (SAS). Certains auteurs vont d’ailleurs jusqu’à utiliser l’image de « big-
bang en droit des sociétés »204, tant cette création leur semble aller vers une refondation du
jeu contractuel dans le domaine des sociétés. Il est vrai que la SAS est une société par actions
dont les organes sont réduits à leur plus simple définition et qui se caractérise par une
véritable plasticité : tout ou presque étant possible et laissé à l’appréciation des rédacteurs de
statuts. Les commentateurs s’accordèrent à dire que ce nouvel instrument ne pouvait que
diminuer les recours aux sociétés anonymes et cantonner enfin celles-ci aux très grandes
entreprises notamment à celles nécessitant un accès aux marchés financiers car la SAS n’est
pas encore conçue pour s’y aventurer pleinement205. A côté de ce phénomène législatif, les
contraintes du monde économique, depuis la mondialisation jusqu’au développement du
Marché Commun européen, en passant par la diffusion des thèses économistes, ont aussi
concouru à un retour à la perspective contractuelle comme outil d’aménagement de la société
et à la société comme contrat expression des volontés individuelles et donc d’objectifs
différents. En dépit de l’avènement de la SAS, la société anonyme continue de déchaîner les
critiques quant à sa rigidité et partant son inadéquation aux besoins de flexibilité du monde
des affaires.

80 – L’éviction du mythe démocratique ? – Dès lors, le recours à la démocratie pour


l’organiser paraît peu utile dans la mesure où la volonté contractuelle pourrait suffire à assurer
les garanties nécessaires à chacun : l’autonomie de la volonté n’est-elle pas aussi la liberté de
ne pas contracter si l’on estime avoir tout à perdre ? Il n’est plus nécessaire de recourir au
truchement du citoyen pour protéger l’actionnaire. Même les éventuelles vertus pédagogiques
203
GUYON Y., Traité des contrats sous la direction de Jacques Ghestin, les sociétés : aménagements statutaires
et conventions entre associés, LGDJ, 5e édition 2002 ; MONSALLIER M.-C., L’aménagement contractuel du
fonctionnement de la société anonyme, LGDJ 1998.
204
PAILLUSSEAU J., La nouvelle société par actions simplifiée. Le big-bang du droit des sociétés, D 1999
p.333.
205
LE CANNU P., La SAS pour tous, Bull Joly, 1999, p.841 ; PAILLUSSEAU J., Les sociétés par actions
simplifiées : une nouvelle structure pour les PME et les personnes physiques, JCP E 2002, 458 ; AZARIAN H.,
La société par actions simplifiée, Litec 2005.

80
attachées à la métaphore démocratique sont réduites à la portion congrue. L’actionnaire est un
cocontractant et en tant que tel bénéficie d’un certain nombre de protections largement
équivalentes à ce que le mythe est en mesure de fournir. La vision contractuelle offre un
modèle entièrement substituable à celui du mythe démocratique. Plus précisément, la vision
contractuelle moderne, ouverte aux problématiques de déséquilibre des forces en présence
offre un modèle, un système explicatif capable de reléguer le mythe aux temps obscurs. A
titre d’exemple, concevoir l’actionnaire comme un citoyen pouvait faciliter la compréhension
d’un phénomène comme l’asymétrie d’information ou rendre compte du fonctionnement de
l’organisation sociale par la loi de la majorité. Désormais, la modernisation des conceptions
contractuelles avec le redimensionnement de la théorie de l’autonomie de la volonté permet
d’appréhender ces mécanismes sans avoir besoin de recourir à la métaphore démocratique. Le
solidarisme contractuel offre des outils pour pallier les manques d’information et la loi de la
majorité peut se comprendre comme un consentement préalable à des modifications
ultérieures du contrat initial de société. Néanmoins, l’éviction n’est pas totale : la société
continue d’exister indépendamment de ses associés et l’institution n’est jamais loin,
réceptacle des conceptions démocratiques. Toutefois, la diffusion de notions économiques
dans la pensée juridique renforce la position selon laquelle le contrat est le meilleur outil pour
compléter les mécanismes sociaux mais aussi que la société elle-même se réduit à un contrat
susceptible d’aménagements pour pallier ses éventuelles faiblesses en matière de protection
des parties. Ces idées ont surtout été popularisées par l’importation du concept de contrat, de
relation d’agence en France depuis les Etats-Unis et la sphère des économistes.

Paragraphe 2 – La société comme contrat d’agence

81 – Le contrat, outil d’analyse économique – Depuis quelques années, une nouvelle vision
de la société anonyme et des sociétés par actions semble cristalliser les analyses contractuelles
autour d’elle ou du moins les redynamiser. Il s’agit d’un modèle exporté à la fois des Etats-
Unis et d’un autre champ disciplinaire, celui des sciences économiques206.
Cette conception consiste à envisager la société non plus comme un contrat unique mais
comme un véritable réseau de contrats autour de l’entreprise (A), ainsi qu’une vision

206
CHOPARD B., ZIANE I., Droit et choix de financement des entreprises, in DEFFAINS B., LANGLAIS E.,
Analyse économique du droit, Principes – Méthodes – Résultats, De Boeck, Ouvertures Economiques, 2009,
p.193-202 ; DIDIER P., La théorie contractualiste, Revue Soc. 2000, p. 95-96.

81
particulière du contrat de société lui-même autour du rapport principal-agent bien connu des
économistes (B).

A – Les parties prenantes ou « stakeholders », réseau de contrats autour de la société

82 – De l’actionnaire aux parties prenantes – Dès les années trente, des économistes
américains proposent un nouveau cadre d’analyse pour l’entreprise : celle-ci ne serait plus
uniquement le lien entre dirigeants et actionnaires, la structuration de l’activité des
actionnaires, mais une véritable « constellation d’intérêts »207. La proposition d’un nouveau
cadre plus large s’inscrivait dans le contexte social de l’époque avec les répercussions de la
crise du « jeudi noir », les dirigeants devant désormais prêter plus d’attention aux
conséquences de leurs décisions sur le « bien-être »208 des entités affectées par de telles
décisions. En somme, l’entreprise, incarnée par le véhicule sociétaire, ne pouvait plus se
réduire à ses actionnaires et ses dirigeants mais aussi prendre en compte les autres fils de la
trame qu’elle est amenée à tisser autour d’elle. Deux visions différentes se sont alors opposées
sur la question et continuent de resurgir sporadiquement dans le débat économique. Pour
certains auteurs, la responsabilité du dirigeant s’exerce avant tout à l’égard des actionnaires,
c’est la thèse de la « shareholder primacy » : quelles que puissent être les conséquences
négatives des décisions prises à l’égard des autres parties, le dirigeant ne rend vraiment
compte qu’à l’actionnaire, seul maître à bord car propriétaire initial de l’entreprise. Pour
d’autres, la responsabilité des dirigeants doit s’exercer à l’égard de « tous les groupes formant
l’entreprise »209 et non pas des seuls actionnaires. C’est cette dernière proposition qui va
véritablement donner naissance à la « stakeholder theory », terme utilisé pour la première fois
en 1963 par l’Institut de Recherche de l’Université de Stanford210. Depuis, cette théorie a pris
une ampleur certaine, ouvrant la voie à une responsabilisation croissante de l’entreprise
envers son environnement direct ou indirect (pollution, fournisseurs, Etat…). Au-delà de cette
incise historique, cette théorie part du postulat suivant : « l’entreprise est simplement une
fiction légale qui sert de noyau pour un ensemble de relations contractuelles »211. Autrement
dit, c’est un réseau de contrats passés entre divers partenaires aux attentes et aux objectifs

207
BERLE cité par MACKAAY E. et ROUSSEAU S., Analyse économique du droit, Dalloz, Editions Thémis,
coll. Méthodes du droit, 2e édition, 2008, p.499.
208
MACKAAY E. et ROUSSEAU S., op cit, p.502.
209
MACKAAY E. et ROUSSEAU S., op cit, p.499.
210
MACKAAY E. et ROUSSEAU S., op cit, p.499.
211
FAMA, JENSEN et MECKLING cités par MACKAAY E. et ROUSSEAU S., op cit, p.502 ; BEITOINE A.,
BUISSON E., DOLLO C., Economie, Sirey, Aide-Mémoire, 4e éd., 2009, p. 233-235.

82
différenciés. Plus précisément, le schéma de fonctionnement peut se résumer de la façon
suivante : « dans ce modèle, les contrats qui se forment au sein de l’entreprise établissent les
modalités de fourniture et d’agencement des ressources ainsi que la répartition des revenus
générés par les biens ou services produits. Ainsi, les employés fournissent leur main-d’œuvre,
alors que les créanciers lui procurent du financement par voie d’endettement. Les
actionnaires, qui sont les pourvoyeurs de capitaux propres, assument les risques de pertes et
supervisent les dirigeants. Ces derniers surveillent le travail des employés et coordonnent les
activités de tous les facteurs de production en transigeant avec chacun des intervenants »212.
Il ne s’agit encore que d’une esquisse, la « stakeholder theory » ne se limitant pas à ces seuls
exemples de parties prenantes, ces dernières se comprenant comme tout « individu ou groupe
pouvant affecter ou être affecté, directement ou indirectement, dans le court terme comme
dans le long terme, par les stratégies, les actions, les messages (et leurs conséquences), que
l’entreprise met en œuvre pour atteindre ses objectifs »213. Toutes les parties ont des objectifs
variés mais chacune cherche, à un moment ou à un autre, à maximiser son profit, parfois au
détriment des autres : le réseau n’a pas vocation à neutraliser les gains et les asymétries.

83 – La place de la société dans le réseau contractuel – Or, au sein de ce nœud contractuel,


le contrat de société joue un rôle particulier et prépondérant : c’est lui qui structure
véritablement l’ensemble du réseau des parties prenantes, ces dernières gravitant toutes autour
de lui. Plus précisément, deux mécanismes jouent un rôle essentiel en la matière : la
personnalité morale et le conseil d’administration.
En premier lieu, la personnalité morale a une fonction de coordination du réseau tout
entier qui s’organise autour d’elle. La société, dotée de la personnalité morale, va pouvoir
contracter avec différentes parties prenantes. Dirigeants, actionnaires et apporteurs de
capitaux ne sont alors pas liés directement celles-ci214. Tout s’opère par le truchement de la
société. En somme, elle est « un lieu de coordination non pas fondé sur la hiérarchie mais sur
l’échange et le contrat »215.

212
MACKAAY E. et ROUSSEAU S., op cit, p.467-468.
213
TREBULLE F-G., Stakeholders Theory et droit des sociétés, Bull Joly 2006 p.1337 citant la norme SD 21000
de l’AFNOR (2003) ; MARAIN G., La juridicisation de la responsabilité sociétale des entreprises, PUAM,
2016, p. 31-33 ; LOPEZ L., L’action en justice des parties prenantes dans le cadre de la Responsabilité Sociale
des Entreprises, 2017, Connaissances et savoirs, Droit et Science politiques, p. 21-25.
214
MACKAAY E. et ROUSSEAU S., Analyse économique du droit, Dalloz éditions Thémis, coll. Méthodes du
droit, 2e édition 2008, p.484 : « grâce à la personnalité juridique, la société est un cocontractant distinct des
dirigeants et des fournisseurs de capitaux qui dispose de la capacité de conclure des contrats avec les parties
prenantes de l’entreprise, que ce soient les actionnaires, les créanciers ou les employés. Elle fait en sorte que
tous les contrats sont autonomes les uns par rapport aux autres ».
215
MACKAAY E. et ROUSSEAU S., op cit, p.491.

83
En second lieu, le conseil d’administration peut aussi être amené à jouer un rôle dans le
réseau. Cependant, cela n’est possible que dans les grandes entreprises nécessitant le recours à
une société anonyme et donc correspondant à des réseaux d’une importance certaine où la
complexification et l’expansion des relations exigent des organes spécialisés. Doté d’une
autorité particulière, le conseil se substitue à l’entrepreneur traditionnel. Il est une autorité de
décision qui a vocation à générer des normes périjuridiques, cœur d’un système de
gouvernance dans l’entreprise sociétaire216. Combiné au phénomène de la personnalité
morale, le conseil joue un rôle d’animateur hiérarchique du réseau, d’arbitre, à la fois confié
par les lois sur les sociétés, et par l’utilisation de « soft law »217 dite « norme périjuridique »,
mais correspondant à des codes de bonne conduite, éthiques, ou des contraintes contractuelles.
Au sein de ce réseau qu’est l’entreprise, les relations de pouvoir constituent des enjeux
essentiels mais aussi des coûts qui doivent être encadrés et pris en compte dans la mise en
place de ce même réseau : l’opportunisme de certaines parties prenantes risquant de mettre en
péril le rôle joué par la société animatrice du réseau.

B – Coûts d’agence et relations de pouvoirs dans la société autour du rapport principal –


agent

84 – Administrateurs et dirigeants, agents des associés – Dans toute société, les associés
confient la gestion à des administrateurs : c’est la relation d’agence que le droit romano-
canonique connaît sous la forme du mandat et les économistes sous la forme du problème dit
principal-agent. Ce phénomène prend une dimension particulière dans le cas de grandes
compagnies cotées sur les marchés financiers, notamment du fait de la dissociation entre
capital, propriété et contrôle. Adam Smith en résumait ainsi la problématique : « les
directeurs de ces sortes de compagnie étant les régisseurs de l’argent d’autrui plutôt que de
leur propre argent, on ne peut guère s’attendre qu’ils y apportent cette vigilance exacte et
soucieuse que les associés d’une société apportent souvent dans le maniement de leurs fonds.
Tels que les intendants d’un riche particulier, ils sont portés à croire que l’attention sur les

216
MACKAAY E. et ROUSSEAU S., op cit, p.491 : « En créant un conseil d’administration et en l’investissant
de l’autorité décisionnelle au sein de la société, la législation jette les bases d’un système de gouvernance qui
réduit les coûts de transaction. L’autorité décisionnelle du conseil d’administration lui permet de jouer le rôle
de l’entrepreneur. De plus, il lui confère le pouvoir d’élaborer et de mettre en œuvre des normes périjuridiques
pour régir les rapports internes au sein de la société. L’utilisation des normes périjuridiques est importante pour
organiser les rapports entre les membres de la société, compte tenu des limites du processus contractuel, qui ont
justifié le transfert de la transaction du marché vers la société » ; BEITONE A., BUISSON E., DOLLO C.,
Economie, Sirey, Aide-Mémoire, 4e éd., 2009, p. 239-241.
217
CAUSSAIN J.-J., Le gouvernement d’entreprise – Le pouvoir rendu aux actionnaires, Litec, 2005, p.2.

84
petites choses ne conviendraient pas à l’honneur de leurs maîtres, et ils se dispensent très
aisément de l’avoir. Ainsi, la négligence et la profusion doivent toujours dominer plus ou
moins dans l’administration des affaires »218. Les administrateurs des sociétés anonymes sont
en quelque sorte les intendants des actionnaires qui leur ont confié leurs apports et la bonne
marche de leur affaire, leur entreprise, symbolisée par la société elle-même. A partir de là, la
théorie de l’agence met en lumière plusieurs types de comportement opportunistes, chacune
des parties tentant de maximiser son profit au détriment des autres. Ces « conflits
d’agence »219 sont au nombre de trois et peuvent être complémentaires les unes des autres :
les dirigeants contre les actionnaires, les actionnaires dominants contre les autres actionnaires,
la société envers les autres parties prenantes au réseau de contrats.

85 – Typologie des conflits d’agence – Dans le premier cas de conflit, les fonctions de
direction et de propriété sont complètement dissociées, résultat de « l’augmentation de
l’envergure et de la complexité »220 des activités de l’entreprise. L’exemple-type est celui que
nous avons précédemment évoqué sous le nom de sociétés par actions capitalistes où
l’actionnariat apparaît des plus dispersé. Dès lors, « en raison de cette séparation, dans les
sociétés de moyenne et de grande taille, les actionnaires tendent à n’assumer que le rôle
d’investisseurs (ou de fournisseurs de capitaux) en s’en remettant à d’autres personnes pour
assurer la direction des affaires »221. Or, les intérêts des actionnaires et celui des dirigeants ne
sont pas toujours en parfaite symbiose, les seconds pouvant être tentés de maximiser leur
profit au détriment des premiers222. Dans le second cas, l’actionnariat de la société se retrouve
pour partie structuré autour d’une personne ou d’un groupe détenteurs du contrôle en droit ou
en fait de la société face au reste des actionnaires qui sont souvent ceux qu’on appelle les
petits porteurs223. Dans cette configuration, l’actionnaire dominant est à même d’influencer
les décisions de la société, par la nomination des administrateurs et la participation décisive
aux délibérations importantes, dans le but exclusif de maximiser son profit et d’assurer ses
intérêts au détriment de celui des autres porteurs d’actions. Ce rassemblement d’actions aux

218
SMITH A. cité par MACKAAY E. et ROUSSEAU S., Analyse économique du droit, Dalloz éditions Thémis
coll. Méthodes du droit, 2e édition, 2008, p.495 ; BEITONE A., BUISSON E., DOLLO C., Economie, Sirey,
Aide-Mémoire, 4e éd., 2009, p.238-239.
219
MACKAAY E. et ROUSSEAU S., op cit, p.493 ; COURET A., Les apports de la théorie micro-économique
moderne à l’analyse du droit des sociétés, Rev. Soc., 1984 p.237.
220
MACKAAY E. et ROUSSEAU S., op cit, p.493.
221
MACKAAY E. et ROUSSEAU S., op cit, p.493.
222
DIDIER P., Théorie économique et droit des sociétés, in Droit et vie des affaires, Mél. Sayag, Litec, 1997,
p.236.
223
COURET A., La contrainte du dividende dans les sociétés par actions, Mélanges Guyon, Dalloz, 2003,
p.239-240.

85
mains d’un groupe ou d’une seule personne est qualifié de phénomène de « concentration de
l’actionnariat »224 et se rapproche alors de la configuration des sociétés par actions dites
familiales précédemment évoquées. A terme, « il soulève un risque de « retranchement » ou
d’ « incrustation ». L’actionnaire dominant qui a contribué à la croissance de la société peut
en venir à exercer une influence préjudiciable sur les affaires, soit par des décisions
d’affaires erronées, soit par une propension croissante à faire passer ses propres intérêts
avant ceux de la société et de l’ensemble des actionnaires »225. Dans le dernier cas, il faut
partir du postulat suivant : l’actionnaire est un « bénéficiaire résiduel »226, c’est-à-dire « celui
qui détient un titre dont la valeur espérée est étroitement liée aux flux financiers de la
société »227. Quels que soient les contrats qui sont mis en place, dès lors qu’ils entraînent des
bénéfices et des répercussions positives, l’actionnaire en retire toujours des profits via
notamment les distributions de dividendes ou les éventuelles plus-values qu’ils pourront
retirer de la vente de leurs actions en cas de hausse de la valeur de la société consécutivement
à ces bonnes opérations. Les actionnaires ont donc a priori tout intérêt à prendre des décisions
sociales allant dans le sens d’une plus grande valorisation de leur actif et corrélativement une
maximisation de la valeur et de leurs profits. Cependant, la mise en œuvre systématique de cet
objectif par la société mène à terme à « l’expropriation des créanciers, l’exploitation des
travailleurs ou l’abus des consommateurs »228, autrement dit de s’enrichir indûment au
détriment des autres parties prenantes.

86 – L’identification des coûts d’agence – Tous ces conflits potentiels engendrent


invariablement des coûts d’agence, réduisant de ce fait la « rentabilité de la société »229. Tout
d’abord, ils engendrent des coûts de surveillance, « assumés pour limiter les comportements
opportunistes »230. Un exemple classique est la mise en place de comités d’audit chargés de
délivrer des rapports aux actionnaires sur la situation comptable de la société, le plus souvent
lors des assemblées générales. Ensuite, ils entraînent des coûts de fidélisation parmi lesquels
la mise en place de procédures de « signalling »231, c’est-à-dire de production d’une
information fiable à destination d’un client sur un produit dont la qualité n’est pas directement

224
MACKAAY E. et ROUSSEAU S., op cit, p.496.
225
MACKAAY E. et ROUSSEAU S., op cit, p.497.
226
MACKAAY E. et ROUSSEAU S., op cit, p.498.
227
MACKAAY E. et ROUSSEAU S., op cit, p.498.
228
MACKAAY E. et ROUSSEAU S., op cit, p.498.
229
MACKAAY E. et ROUSSEAU S., op cit, p.502.
230
MACKAAY E. et ROUSSEAU S., op cit, p.502.
231
MACKAAY E. et ROUSSEAU S., op cit, p.502.

86
observable et donc a priori en cas d’information manquante232. La plupart du temps, ces coûts
concernent les différents « managers » afin d’éviter un certain mercenariat de ces derniers car
sujets aux appels des sirènes du marché des dirigeants. Concrètement, il peut s’agir d’une
labellisation des dirigeants via l’adhésion à des codes éthiques ou de corporate governance
« afin de mettre en confiance les actionnaires ou les parties prenantes et se démarquer des
dirigeants opportunistes »233. Enfin, le dernier coût d’agence apparaît en sus des deux
précédents, il s’agit du coût d’opportunité qui « correspond à la perte résiduelle qui est subie
par les actionnaires en raison de l’impossibilité de contrôler parfaitement l’opportunisme des
dirigeants et des actionnaires dominants »234, autrement dit au risque de pertes si les
impétrants décident de passer outre et d’imposer leurs intérêts.

87 – Les mécanismes correcteurs de la relation d’agence – Plusieurs mécanismes


contribuent à réduire ces coûts et réduire les tentations de l’opportunisme. Parmi les
mécanismes internes à la société se trouvent le conseil d’administration235 et l’exercice du
vote par les actionnaires236 : le conseil sert d’interface entre la société, les actionnaires et les
autres parties prenantes, une composition équilibrée de celui-ci pouvant permettre de limiter
les risques encourus ; de même, l’usage effectif du droit de vote peut permettre de brider les
velléités opportunistes de certains actionnaires voire dirigeants par le contrôle des décisions et
des nominations. Parmi les instruments externes se distinguent les mécanismes de contrôle
marchand et l’environnement légal. Les mécanismes de contrôle marchand recouvrent les
effets conjugués des marchés de biens et services, du travail et du marché financier237. Tout
comportement négatif se répercute sur la société et les intéressés et donc, sur l’objectif de
maximisation de la valeur. Par exemple, le comportement opportuniste d’un manager salarié
devrait marginaliser celui-ci sur le marché des dirigeants, le contraignant à terme à rentrer
dans le rang s’il souhaite retrouver un poste, et sinon à l’écarter définitivement du marché.
Parmi les instruments relevant de l’environnement légal, l’accent est mis sur le
développement de normes et règles de conduite principalement à l’égard des dirigeants238. Ce
développement normatif doit se poursuivre dans deux directions : la définition des devoirs des

232
MACKAAY E. et ROUSSEAU S., op cit, p.128.
233
MACKAAY E. et ROUSSEAU S., op cit, p.502 ; BEITONE A., BUISSON E., DOLLO C. Economie, Sirey,
Aide-Mémoire, 4e éd., 2009, p. 236-237.
234
MACKAAY E. et ROUSSEAU S., op cit, p.502.
235
MACKAAY E. et ROUSSEAU S., op cit, p.512.
236
MACKAAY E. et ROUSSEAU S., op cit, p.519.
237
MACKAAY E. et ROUSSEAU S., op cit, p.523.
238
MACKAAY E. et ROUSSEAU S., op cit, p.526 ; TREBULLE F.-G., Stakeholders Theory et droit des
sociétés, Bull. Joly 2006, p.1337-1338 et p. 2007-2010.

87
administrateurs au premier rang desquels figurent la prudence, la diligence et la loyauté ; la
possibilité de recours judiciaires permettant « aux tribunaux de sanctionner la conduite
opportuniste des dirigeants ou des actionnaires dominants »239. Cependant, il convient de
préciser que cette théorie s’inscrit dans un mode de réflexion anglo-saxon : ces normes
peuvent très bien relever de l’éthique et de l’auto-régulation, les actions engagées devant les
tribunaux se fondant sur les principes de l’équité si développée dans les juridictions anglaises
et américaines. Ainsi, les promoteurs de ces théories ne sont pas nécessairement partisans
d’une forte emprise légale comme en matière de société anonyme française.

88 – Déshérence du mythe démocratique – La théorie de l’agence se suffit à elle-même :


elle fournit un modèle explicatif ainsi que des solutions concrètes au droit des sociétés. Dès
lors, comment le mythe pourrait-il se maintenir ? En tant que métaphore pédagogique,
hypothèse heuristique, le mythe se réduit à une simple représentation. Face à une théorie aussi
construite, un appareil critique à la scientificité aussi forte, établi à base de savants calculs et
études, le mythe a pour seule ressource l’image. Il ne sert plus à rien d’aller puiser dans celui-
ci : identifier les coûts d’agence et y remédier suffit à assurer un contrôle des dirigeants au
profit exclusif des actionnaires. Certains auteurs240, sans aller aussi loin dans les références à
l’analyse économique, ont pu ouvrir la voie à un tel système en considérant que l’intérêt de la
société n’était rien d’autre que l’intérêt commun des associés. En effet, la société n’existerait
pas par elle-même mais au profit de ceux qui la financent et l’animent. Cette dernière n’étant
après tout qu’une fiction, il paraît peu pertinent de lui attribuer un intérêt propre dont il est
difficile de cerner les contours en dehors de ceux qui en sont à l’origine ou qui en détiennent
la majorité241.

89 – Du contrat à l’agence, l’essoufflement du mythe de la démocratie – Contrat, agence,


parties prenantes, pratiques quotidiennes des sociétés par actions forment autant d’aspérités
susceptibles de condamner le mythe démocratique à ce qu’il est : un simple mythe voire une
figure de style archaïque inadaptée désormais à rendre compte de la réalité de ce type de
société. On pourrait voir dans ces différentes aspérités plus que de simples obstacles, de
simples concurrents à ce type de représentation. Pourtant, le mythe est tenace et demeure un
élément de l’ontologie de ce type de société. Outre une capacité de résistance sans doute liée à

239
MACKAAY E. et ROUSSEAU S., op cit, p.533.
240
SCHMIDT D., Les conflits d’intérêts dans les sociétés anonymes, Joly, 2e éd., 2004, p.3-6 ; FRISON-ROCHE
M.-A., Régulation et droit des sociétés, in Mélanges Schmidt, Joly, 2005, p.255-257.
241
LE CANNU P., DONDERO B., Droit des sociétés, Domat Droit Privé, 6e éd, 2014, p.188-189.

88
sa variété, il peut trouver à se combiner à ces limites apparentes. Rappelons quelques
exemples dont nous avons parlé : la figure du contrat social ou du contrat de gouvernance,
permet de combiner vision contractuelle et démocratie notamment en matière d’exercice du
pouvoir ou de consentement à celui-ci ; la corporate governance peut puiser dans le champ
démocratique ses outils et ses valeurs tout en permettant une analyse en termes de coût
d’agence et de transactions. On touche ici aux capacités de mutation, d’évolution du mythe
qui n’est pas figé. Le cœur de ce dernier est l’idée, la métaphore démocratique mais celle-ci
change et contient de nombreuses représentations que l’on peut mobiliser ou adapter. Quoi
que l’on tente, il semble que le mythe ait une capacité de résistance très forte. Fondateur à des
degrés divers dans l’identité des sociétés par actions, il trouve à se renouveler à intervalles
réguliers. C’est d’ailleurs en ce sens qu’il permet de rendre compte des nouvelles mutations
de ce type de sociétés vécues sous l’angle de la RSE ou entreprise citoyenne et ce, en dépit de
nouveaux obstacles à surmonter.

90 – Conclusion du chapitre – Le mythe démocratique ne peut se déployer partout. Il trouve


sa limite dans certaines réalités de la pratique des sociétés par actions, voire dans certains
discours ou représentations concurrents. Dans la pratique quotidienne des sociétés par actions,
la dimension démocratique du mythe ne peut pas rendre compte de certains fonctionnements.
De même, le développement des technostructures capitalistes échappe au registre
démocratique qui est alors dépassé. L’analyse économique et le contrat fournissent des
ressources explicatives capables d’évincer le registre démocratique. Rappeler l’existence de
ces limites permet de resituer à sa place le mythe de la démocratie actionnariale : présent mais
non exclusif, utile mais dans des bornes délimités.

89
Titre 2 – La régénération par la figure moderne du mythe : les
nouvelles exigences démocratiques à l’œuvre dans les sociétés par
actions

91 – Entreprise et citoyen – Si, dans une vision classique, le mythe démocratique cultive un
rapport d’analogieseui avec le fonctionnement des sociétés par actions, il permet aussi de
rendre compte d’évolutions plus récentes au sein du droit des sociétés, notamment en ce qui
concerne les sociétés par actions. En dépit des obstacles précédemment relevés et avec
lesquels un rapport de dialogue peut exister, le mythe démocratique permet d’aller plus loin
encore.
En effet, la figure du mythe permet de ne pas s’arrêter à une vision figée et d’envisager une
autre représentation, une autre mobilisation de la démocratie dans les sociétés par actions.
Celle-ci a émergé à la fois en parallèle et dans le prolongement de la représentation
traditionnelle parce que profondément ancrée dans la vision originelle de ces formes sociales.
Cette forme plus moderne correspond à des évolutions plus récentes dont l’éclosion a été
amorcée depuis le milieu du vingtième siècle concernant les sociétés par actions. Par certains
aspects, elle s’inscrit dans un prolongement de la métaphore démocratique en poussant plus
loin, par exemple, le mécanisme de représentation. Par d’autres, elle relève d’une logique
différente qui ne se soucie guère du modèle démocratique. Autrement dit, il ne s’agit plus
forcément de modeler la société par actions sur un fonctionnement démocratique en
miniature.
Du fait de leur importance dans l’économie capitaliste, les sociétés par actions forment
l’ossature juridique des plus grandes firmes multi ou transnationales et sont donc exposées,
parfois plus que d’autres formes, aux mutations sociales et économiques. En l’occurrence, il
s’agit ici de rendre compte d’un phénomène qui tente d’assimiler entreprise et citoyen par le
biais de valeurs communes.
Ce phénomène ne s’arrête bien évidemment pas aux sociétés par actions mais il y est
particulièrement visible. Même s’il peut être désigné de plusieurs façons, il repose sur une
idée essentielle qui est de considérer que les entreprises sont « encastrées » dans leur
environnement social242. Ce dernier terme est à comprendre dans son acception la plus large
possible. A ce titre, les entreprises doivent se soumettre comme n’importe quel citoyen à un
certain nombre d’impératifs principalement dans le domaine des valeurs. Autrement dit,

242
CAPRON M, QUAIREL-LANOIZELEE F, La responsabilité sociale d’entreprise, La Découverte, 2007,
p.42 et suiv.

90
celles-là ont vocation à se soumettre et surtout à respecter l’incarnation juridique de ces
valeurs. La face la plus visible de cette démarche se retrouve dans la diffusion et le
développement de ce que l’on désigne par un sigle: la RSE. Derrière ce sigle s’abrite la
Responsabilité Sociale et Environnementale243 des entreprises. Par ce biais, les entreprises se
voient contraintes, notamment au travers de réformes portant sur leurs structures ou en
matière de responsabilité, de prendre en compte différentes valeurs tant dans le domaine de
l’environnement que dans le domaine social aussi bien concernant les travailleurs que des
domaines plus vastes comme le respect de l’égalité des sexes ou des conditions244.
Or, le cœur de ce mouvement consiste à assimiler par analogie encore l’entreprise à un
citoyen. Ce rapport d’analogie a pour conséquence d’imposer aux entreprises le respect des
mêmes normes. Les sociétés par actions sont les premières concernées par cette transposition
et se voient sommées de transposer, assimiler et traduire différents droits humains et
contraintes dites sociétales dans tous les domaines. Il ne s’agit plus seulement de décalquer
une structure démocratique à l’instar de la vision traditionnelle, il s’agit ici d’approfondir
cette dernière par l’importation, la soumission à des valeurs, à des droits issus des démocraties
occidentales.
Envisager ce phénomène sous l’angle du mythe démocratique permet de rendre compte de sa
complexité, de ses enjeux et surtout de la continuité dans laquelle il s’inscrit au regard de
l’histoire des sociétés par actions. D’une certaine façon, les évolutions du droit de ces formes
sociales ont pu préparer le terrain à cette évolution ou du moins constituer un terrain propice
pour son installation et son développement. Dès lors que des structures démocratiques
basiques existaient, il suffisait de les approfondir et d’enrichir les références à cette dernière.
Par ailleurs, il est possible de considérer que cette évolution présente des points communs
avec l’histoire des différentes générations de droits de l’Homme qui se sont progressivement
enrichis au fur et à mesure. De ce fait, on peut parler de régénération du mythe démocratique.
Si la représentation classique a atteint ou du moins conserve certaines limites pour rendre
compte des sociétés par actions, cette nouvelle représentation offre un cadre explicatif, un
outil pour rendre compte des nouvelles mutations des sociétés par actions.
Cependant, cela n’est pas sans susciter certains obstacles, constituant tout autant de points de
résistance, pour la plupart issus de cadres traditionnels du droit des sociétés par actions
(Chapitre 1). Une fois ces obstacles examinés, il devient possible de s’attarder sur ce nouvel

243
MALECKI C, Responsabilité sociale des entreprises – Perspectives de la gouvernance d’entreprise durable,
LGDJ, 2014, p.18-29 ; MARAIN G., La juridicisation de la responsabilité sociétale des entreprises, PUAM,
2016, p. 21-36 et 37-42.
244
ALMEIDA N d’, Ibid, p.50-100 ; CAPRON M, QUAIREL-LANOIZELE F, Ibid, p.22-28.

91
avatar du mythe, cet approfondissement consacrant l’avènement de la RSE et des théories de
l’encastrement (Chapitre 2).

92
Chapitre 1 – Origines, enjeux et raisons d’être de la résistance à la
nouvelle figure du mythe : le difficile dépassement des cadres
traditionnels

92 – Mythe, entre contradictions et obstacles – L’incarnation moderne du mythe ne relève


pas de l’évidence : elle ne s’impose pas d’emblée à l’instar du rapport d’analogie que certains
résument par la formule « entreprise citoyenne »245. Un examen attentif montre que cette
incarnation est autant, si ce n’est plus, critiquée que son incarnation traditionnelle. Dans une
perspective identique, elle s’inscrit dans une dynamique avec ces éléments critiques. Or, cette
tension, entre critique et acceptation, permet de mettre en évidence différentes contradictions,
difficultés ou questionnements auxquels sont confrontés les sociétés par actions. Le mythe
conduit à dévoiler et faciliter une lecture enrichie des mutations de ces sociétés. Cependant, le
mythe doit ici franchir des obstacles. Dans sa dimension traditionnelle, il a été sollicité pour
rendre compte, restituer des évolutions en concurrence avec d’autres univers alors qu’ici il
n’apparaît pas forcément évident de le solliciter. Traditionnellement, il était critiqué mais
continuait à être considéré comme un élément à part entière des différentes théories sur les
sociétés par actions. Or, dans sa dimension plus moderne, il n’est pas perçu en tant que tel. En
effet, la plupart des auteurs semblent voir dans la mise en place de contraintes liées à la RSE
une injonction exogène aux visions traditionnelles du droit des sociétés par actions. Il serait
plus juste de considérer qu’il s’agit plutôt d’un nouvel avatar du mythe, de sa dernière
incarnation.

93 – Obstacles et registres de la démocratie – Différents obstacles peuvent constituer des


forces de résistance non négligeables à cette vision mythique. En réalité, cette résistance est
apparente. A l’instar de l’incarnation traditionnelle du mythe, ils révèlent une tension, une
dynamique autour de la démocratie tantôt susceptible de rendre compte de certains
phénomènes, tantôt peu propice à les mettre en lumière. Ces obstacles relèvent de deux
registres distincts. Le premier registre s’inscrit dans une perspective déjà rencontrée
précédemment : la compatibilité entre lecture démocratique et cadre économique. Autrement
dit, il s’agit de la tension classique entre la vision de la société par actions comme support
démocratique et de la société par actions uniquement comme agent économique (section 1).
Le second registre est plus inattendu car il tient à des interrogations relatives à la conception

245
ALMEIDA N d’, L’entreprise à responsabilitéillimitée – La citoyenneté d’entreprise en questions, Liaisons,
1996, p.6 et suiv.

93
même de ce que recouvre le droit des sociétés et non pas seulement des sociétés par actions.
Le mythe moderne de la démocratie actionnariale tend à révéler un glissement potentiel, un
risque de dilution ou peut-être de recomposition au niveau disciplinaire (section 2).

94
Section 1 – Les obstacles inhérents au modèle démocratique : le dialogue
difficile avec le cadre économique

94 – Transposer avec difficulté la démocratie – Les sociétés par actions sont souvent
présentées comme le parangon des outils, le « merveilleux instrument du capitalisme
moderne »246. Il est donc normal d’analyser leur fonctionnement au prisme de lectures
économiques ou au moins de tenir compte de la pratique qui en est faite par les milieux
auxquels cet instrument est destiné. Or, comme évoqué précédemment, le rapport entre le
mythe démocratique et la lecture économique s’opère principalement en concurrence, dans un
dialogue parfois difficile. L’incarnation moderne du mythe n’échappe pas à cette règle, voire
se révèle dans une relation plus délicate encore à concilier avec une approche du cadre
économique. La transposition de certaines valeurs issues des démocraties occidentales
rencontre des résistances d’autant plus difficiles à écarter que sont souvent mises en avant les
éventuelles conséquences économiques potentiellement désastreuses que pourraient engendrer
ces dernières. Le cadre économique dans lequel évoluent les sociétés par actions est une force
de résistance aux multiples visages dont il n’est pas évident de totalement s’abstraire sans
méconnaître la réalité des sociétés en question. Mobiliser le mythe démocratique permet de
dévoiler non seulement les tensions mais aussi les contradictions dans lesquelles ces formes
sociales sont décrites et utilisées. Schématiquement, il est possible de distinguer deux pôles
potentiels de critiques propres à la sollicitation d’un modèle démocratique, bloquant tout
recours à celui-ci tant dans sa dimension opératoire que dans sa capacité à rendre compte de
certains aspects des sociétés par actions.
Ces deux pôles opposent la démocratie à elle-même : tout d’abord en interrogeant le flou des
structures et des valeurs de ce que serait un modèle démocratique (paragraphe 1), ensuite en
confrontant les valeurs démocratiques aux valeurs économiques (paragraphe 2).

Paragraphe 1 – Le flou démocratique sur les structures et les valeurs du modèle

95 – La mobilisation du mythe démocratique est en soi porteuse de conflits internes, de


difficultés propres. En effet, la démocratie est une notion et un concept particulièrement flous.
Plus justement, la démocratie est plurielle : elle se caractérise par une hétérogénéité marquée
tant au niveau des structures qui peuvent la porter ou l’incarner (A) qu’au niveau des valeurs
qu’elle promeut ou qu’on lui attribue (B).

246
RIPERT G, Aspects juridiques du capitalisme moderne, LGDJ, 1951, p.280 et suiv.

95
A – La diversité des structures démocratiques

96 – Le cœur traditionnel de la démocratie – La démocratie peut s’incarner dans des formes


très diverses. Le gouvernement du peuple a revêtu de nombreux vêtements tout au long de
l’histoire constitutionnelle. Le spectre des formes possible va de la monarchie parlementaire
au régime présidentiel avec toutes les combinaisons intermédiaires possibles entre les deux en
passant par les tentatives de démocratie directe ou encore par des formes archaïques comme
les institutions athéniennes du Ve siècle avant notre ère247. Or, cette diversité ne simplifie pas
l’utilisation du mythe démocratique en droit des sociétés. Dès lors qu’il s’agit de se contenter
de figures basiques de la démocratie, cela ne pose que peu de difficultés. Ainsi, dans la vision
traditionnelle du mythe, seuls quelques mécanismes de base ont été sollicités comme la loi de
la majorité, les assemblées générales, le système de représentation via des organes spécifiques
ou entre citoyens, la reddition des comptes, le contrôle de l’information et du pouvoir, le
dialogue entre liberté et égalité, un socle de droits fondamentaux pour le citoyen actionnaire.
Certes, ces éléments de base pourraient être perçus comme suffisants en eux-mêmes.
Solliciter outre mesure des structures dont la finalité n’a pas été pensée pour des sociétés par
actions, n’est-ce pas participer d’une confusion des genres propre au recours abusif à
l’analogie248 ? Car, après tout, les structures étudiées ont été conçues pour accueillir des Etats,
des pouvoirs publics non pas des instruments purement capitalistes dont la finalité est soit le
profit soit la réalisation d’économies. Faire sortir de ce cadre d’analyse la démocratie et ses
structures pourrait conduire à des erreurs d’interprétation ou à vouloir imposer des solutions
non adaptées aux réalités traversées par les sociétés par actions.

97 – La plasticité du mythe démocratique – Mais l’intérêt du mythe réside précisément


dans sa capacité à évoluer et changer de forme. Précisément, la diversité des structures
démocratiques permet d’enrichir, de compléter les analyses, voire les suggestions de
perfectionnement en matière de sociétés par actions249. L’obstacle que constitue la diversité ne
doit pas être perçu comme rédhibitoire. Au contraire, il permet d’assumer une possible
diversité de construction. Assumer pleinement le recours au mythe démocratique revient à
solliciter les différentes grilles structurelles identifiées par le droit constitutionnel et ne paraît

247
Cf infra section 1 paragraphe 2
248
MATHIEU M.-L., Les représentations dans la pensée des juristes, IRJS éditions, 2014, p.39-41.
249
Par exemple, GUYON Y., La société anonyme, une démocratie parfaite !, in Mélanges Gavalda, Dalloz,
2001, p. 133 et suiv.

96
pas complètement aberrant. Par exemple, la différence entre démocratie directe et démocratie
indirecte peut être un moyen, un cadre pour penser ou restituer les évolutions en matière de
représentation des actionnaires comme dans la question suivante : l’assemblée générale est-
elle toujours le lieu d’expression d’une démocratie directe ou se transforme-t-elle de plus en
plus en chambre des représentants ? Une telle mutation est loin d’être anodine car les
comportements des actionnaires différent sensiblement entre les deux structures. Le recours
aux différents régimes démocratiques a pour vertu de faire apparaître les équilibres, les
circuits de pouvoir existant dans les sociétés par actions. Il peut même servir à s’interroger sur
la légitimité de ces pouvoirs, élément pas toujours pris en compte lorsque l’on se focalise trop
sur la nature exclusivement économique de cet instrument.

98 – Une source d’inspiration à manier avec prudence – Il faut être conscient que le mythe
démocratique est une source d’inspiration mais non une fin en soi. A aucun moment il ne faut
céder à la tentation de transposer, décalquer, sans nuances aucunes la démocratie aux sociétés
par actions. Ceci étant précisé, mobiliser le mythe permet de dévoiler des tensions et de
proposer, lorsque cela est possible, d’éventuelles solutions ou fournir des critiques
susceptibles de participer à l’amélioration du fonctionnement de ces sociétés en fonction des
intérêts, des valeurs que l’on souhaite protéger250. Le vrai danger de ce mythe serait de nier la
spécificité des sociétés par actions et leur rôle particulier dans le déploiement du capitalisme.
De même, pousser le mythe jusque dans le domaine des valeurs conduit à des interrogations
similaires et à la nécessité d’une prudence encore plus importante.

B – L’infinie variété des valeurs démocratiques

99 – La pluralité des valeurs démocratiques – Si les régimes démocratiques se caractérisent


par leur variété, les valeurs démocratiques ne cessent de se compléter, de s’approfondir et sont
en mutation constante251. Au-delà des fondamentaux classiques organisés autour du classique
diptyque liberté-égalité, les droits assignés à la démocratie sont amenés à se multiplier. Dans
cette perspective, il ne s’agit plus seulement de structures ou de régime dans une logique
proche du droit constitutionnel mais d’une logique relevant plutôt des libertés publiques ou
des droits et libertés fondamentaux. Une vision critique consisterait à s’interroger sur le lien

250
Idem et plus précisément, p.138-139 sur les assemblées d’actionnaires et les éventuels remèdes aux maux
recensés par l’auteur.
251
DOCKES E, Valeurs de la démocratie – Huit notions fondamentales, Dalloz, 2005, p.2-3.

97
entre de tels droits et les sociétés par actions. Il n’apparaît pas évident de procéder à une
lecture des sociétés par actions sous un tel angle car les sociétés ne sont que des êtres moraux,
des fictions, et qu’elles ont vocation à se cantonner au domaine purement économique. De
plus, s’agissant de valeurs en constante évolution, d’arbitrages perpétuels entre libertés, un
certain flou peut aussi être un obstacle à leur mise en œuvre ou à leur sollicitation pour
produire une analyse des sociétés par actions.

100 – Entre instrumentalisation, mobilisation et interrogations sur les valeurs –


Cependant, il semble que, là aussi, l’hétérogénéité, la multiplicité, derrière le flou, sont
susceptibles d’ouvrir de nouvelles perspectives. Principalement, le mythe est à même de
rendre compte de cette tentation récente d’assujettir ces formes sociales au respect de valeurs
démocratiques. Bien évidemment, là encore il ne s’agit pas de considérer ce recours aux
valeurs comme une fin en soi car une telle lecture ne permettrait plus, voire pourrait susciter
l’émergence d’effets pervers propres à rendre inutilisables les sociétés par actions ou du
moins à s’interroger sur leur existence au regard d’autres formes sociales. Néanmoins, il est
intéressant de relever que ces critiques ne semblent pas avoir été les plus fréquentes en ce que
souvent ce sont les entreprises elles-mêmes qui se sont emparées de la question252, notamment
au travers du développement de la RSE253. Les valeurs démocratiques ont ainsi pu être
instrumentalisées, intériorisées par ces sociétés à leur profit. Dès lors, le mythe permet de
rendre compte du dialogue existant entre valeurs démocratiques et sociétés par actions. Il
révèle à la fois un jeu complexe de séduction ainsi qu’une certaine crainte vis-à-vis de ces
valeurs car utilisées, dans un but précis, dans les sociétés par actions254. Plus complexe à
franchir est l’obstacle propre à la nature même des sociétés par actions, la difficile
cohabitation entre la démocratie et l’économie.

252
QUENAUDON R. de, Droit de la responsabilité sociétal des organisations – Introduction, Larcier, 2014, p.
29-33 et p. 147-154 ; BOURDON W., Face aux crimes du marché. Quelles armes juridiques pour les citoyens ?,
La Découverte, 2010 ; DOUCIN M., La responsabilité sociale des entreprises n’est pas un concept tombé du
ciel, in TREBULLE F.-G., UZAN O., Responsabilité sociale des entreprises, Regards croisés Droit et Gestion,
Economica, 2011, p. 31-39.
253
ALMEIDA N. d’, L’entreprise à responsabilité illimitée – La citoyenneté d’entreprise en questions, Ed.
Liaisons, Communication, innovation, 1996, p.64-74 pour les premières initiatives en la matière.
254
CAPRON M, QUAIREL-LANOIZELE F, Ibid, p. 80-84 et p. 90 et suiv.

98
Paragraphe 2 – Le conflit des valeurs : finance, économie et démocratie

101 – Démocratie ou ploutocratie ? – La transposition du mythe démocratique se heurte à


d’évidentes grilles de lecture relevant du domaine économique. Il s’agit ici de montrer
comment deux visions des sociétés par actions peuvent se révéler a priori soit concurrentes,
soit parfaitement incompatibles. La formule canonique du Doyen Ripert, selon laquelle la
société anonyme est le parfait instrument du capitalisme moderne, analyse qui peut s’étendre
aux autres formes de sociétés par actions, est l’écueil le plus difficile à appréhender au
moment où le mythe démocratique est mobilisé. En effet, lorsque les différents avatars
possibles du mythe sont sollicités, ils se heurtent bien vite aux réalités économiques et
financières dans lesquelles évolue ce type de sociétés. Certains auteurs l’ont d’ailleurs
exprimé avec un sens certain de l’image en considérant ces sociétés comme une ploutocratie
voire en rappelant que les organes de délibérations sont des lieux ou plutôt des espaces dans
lesquels délibèrent des sacs d’écus255. Cette critique se retrouvait déjà dans la figure classique
du mythe notamment par la mobilisation de théories ou concepts concurrençant la lecture
démocratique256. Mais ici, il s’agit principalement d’un garde-fou. En effet, si le mythe est
sollicité jusqu’à l’absurde, et surtout son application, le risque serait de voir disparaître
l’essence même de ces sociétés. Typiquement, la question du vote est ici symptomatique.
Aller au bout de la logique démocratique conduirait à abolir la proportionnalité du vote et,
surtout, l’équation une action, une voix, au profit de son opposé, un homme, une voix comme
dans les coopératives257. La conséquence directe serait de rendre floue voire invisible la
frontière séparant les sociétés par actions du mouvement coopératif voire de l’économie
sociale et solidaire258. Les sociétés par actions ont vocation à drainer l’épargne publique, à
permettre la réalisation de profits et les rejoindre les marchés réglementés ainsi qu’à porter de
lourds projets d’investissement.

102 – Démocratie, économie et capitalisme – Le mythe permet de s’interroger, de mettre en


lumière le rapport entre démocratie et économie voire capitalisme. Autrement dit, la
démocratie doit-elle s’arrêter à la sphère économique ? Les réticences sont nombreuses car
autant l’économie et sa science ne s’interdisent pas de produire des discours sur des valeurs

255
FRISON-ROCHE M-A, BONFILS S, Les grandes questions du droit économique – Introduction et
documents, PUF, Quadrige, 2005.
256
Voir supra chapitre 2 titre 1 partie 1.
257
Critique : CLERC C., Réflexions sur la démocratie actionnariale, RTDF 2007, p. 88.
258
Cf infra section 2 paragraphe 2.

99
ou des institutions démocratiques, autant la démocratie n’est pas perçue comme pertinente
pour régir de simples flux de valeurs si ce n’est comme support de liberté. Il serait d’ailleurs
plus juste de dire que la démocratie est supposée accompagner, ne pas entraver, dans certains
discours le libre jeu de l’économie. Pourtant les liens entre démocratie et économie sont réels,
les deux s’étant nourris les uns les autres tout au long de leur histoire. La mobilisation du
mythe démocratique n’a alors pas pour vocation de soumettre, de réduire les sociétés par
actions à une finalité unique. Il ne s’agit pas de reproduire la démocratie en leur sein de
manière servile mais de faciliter une connaissance des interactions possibles entre ces deux
univers, ce que des auteurs ont pu commencer à entreprendre notamment au regard des
questions de légitimité du pouvoir confié à ces structures économiques259. Le mythe
démocratique est complémentaire de la vision économique, ce n’est d’ailleurs qu’en
combinant les deux que l’on peut comprendre pleinement les enjeux autour de la diffusion et
de l’assujettissement aux valeurs de la démocratie des sociétés par actions. Plus précisément,
c’est ici que s’exprime la tension inhérente au mythe entre l’univers actionnarial et l’univers
démocratique. Mais cela n’est pas sans conséquence sur la conception même du droit des
sociétés par actions ou du droit des sociétés en général. Du point de vue disciplinaire, il existe
un risque de dilution des structures et des différents enjeux de la matière.

Section 2 – Les obstacles inhérents au champ disciplinaire : le risque de


dilution des structures et des enjeux du droit des sociétés

103 – Le mythe approfondi par les valeurs – Dans une perspective extensive, la
mobilisation du mythe démocratique est susceptible de rejaillir sur la manière de concevoir le
droit des sociétés par actions voire le droit des sociétés par effet de ricochet. Cet effet
résulterait du glissement potentiel inhérent à la vision moderne du mythe. Approfondir la
démocratie conduit à enrichir les perspectives, les valeurs, les structures déjà existantes et par
conséquent à s’interroger sur le cadre dans lequel ces possibles transformations vont
s’opérer260. Initialement, la figure mythique classique se concentre sur les relations entre les
actionnaires et les organes sociaux, soit entre eux, soit les uns par rapport aux autres dans un
contexte économique classique de réalisation de profits mais la figure moderne tend à
promouvoir un élargissement de cette dimension. Cet élargissement se comprend d’autant

259
GOMEZ P.-Y., KORINE H, L’entreprise dans la démocratie – une théorie politique du gouvernement des
entreprises, De Boeck, 2009, p. 10-17 et p. 28 et suiv.
260
DIDIER Ph., Quelles normes pour la RSE ?, in TREBULLE F.-X., UZAN O., (dir.), Responsabilité sociale
des entreprises. Regards croisés Droit et Gestion, Economica, 2011, p. 99.

100
mieux en considérant les conceptions économiques lui servant de support, principalement
autour de ce phénomène dit de RSE.

104 – RSE et stakeholders – Le développement de la RSE a été conceptualisé ou du moins a


trouvé un vecteur d’analyse à la conjonction de deux théories économiques poussées à leur
paroxysme : celles du nœud de contrats et celle des stakeholders ou parties prenantes261. Dans
chacune d’entre elles, il est proposé d’élargir l’étude des relations entre les différents acteurs
interagissant autour des sociétés par actions ou entreprises. Il ne s’agit plus de se cantonner
aux relations classiques impliquant actionnaires, organes sociaux voire marchés financiers
mais de rendre compte aussi des liens avec les consommateurs, les travailleurs, les sous-
traitants voire l’environnement, les générations futures ou encore le rapport aux sociétés
humaines dans leur ensemble. Si la vision traditionnelle du mythe pouvait être considérée
comme centrée sur la valeur actionnariale avant tout, ici la perspective de valeur se veut plus
globale.

105 – Des organes sociaux aux tiers – Or, procéder à un tel élargissement est tout à fait
concevable dans le domaine économique ou des sciences de gestion mais apparaît plus
complexe dans l’approche en droit des sociétés. En effet, le droit des sociétés s’intéresse
principalement à la création, au fonctionnement et à la disparition de ce type de groupements.
Centré sur les relations entre organes sociaux, il ne s’intéresse aux « tiers » que dans certaines
hypothèses très précises. Pourtant, depuis plusieurs années, les passerelles avec d’autres
branches ou disciplines se multiplient : social, environnement, sous-traitants rentrent
progressivement dans le périmètre du droit des sociétés ce qui a pour conséquence de
bousculer la conception des relations classiques dans ce domaine. Cette évolution apparaît
nettement si le mythe démocratique est sollicité : il s’agit, par un jeu de miroir, de faire
converger les principes d’organisation de de la société humaine et ceux des sociétés par
actions. Ce qui relevait autrefois du « tiers » s’incarne désormais dans les organes même de
ces sociétés quand il ne vient pas enrichir les structures existantes.
Le mythe démocratique permet de se poser la question de la légitimité et de la pertinence
d’une telle évolution dans le domaine des sociétés par actions au regard de buts et des enjeux
traditionnels du droit des sociétés (paragraphe 1) ainsi que des moyens et des acteurs qui le
peuplent (paragraphe 2).

261
LOPEZ L., L’action en justice des parties prenantes dans le cadre de la Responsabilité Sociale de
l’Entreprise, Connaissances et savoirs, Droit et Sciences politiques, 2017, p. 21-25.

101
Paragraphe 1 – Le risque de dilution pesant sur les buts et les enjeux

106 – La société, technique d’organisation – « Partager le bénéfice » ou « profiter de


l’économie qui en résulte » sont les buts premiers assignés aux sociétés dans le Code civil à
l’article 1832. Dans le cadre des sociétés par actions, ces buts ont une résonance toute
particulière. En effet, la plupart d’entre elles ont la possibilité de proposer selon la
terminologie actuellement en vigueur leurs titres au public, autrement dit d’offrir leurs titres
au public. Sans recourir de nouveau à l’emblématique formule du Doyen Ripert, il est
possible de partir de l’idée que ce type de société est la quintessence même des outils du
capitalisme. Ceci étant rappelé, des auteurs262 ont pu proposer quatre archétypes différents
permettant d’affiner une lecture au premier degré de l’article 1832. Pour ces auteurs, créer une
société peut relever :
- d’une technique d’organisation du partenariat,
- d’une technique d’organisation de l’entreprise,
- d’une technique d’organisation du patrimoine,
- d’un instrument d’optimisation juridique ou financière.
En outre, ces buts supplémentaires peuvent se combiner les uns avec les autres selon la
volonté des parties à l’origine de leur création et même être amenés à évoluer en cours de vie
sociale. Bénéfice, économie, partenariat, entreprise, patrimoine, optimisation relèvent
exclusivement d’une vision économique. En soit, cela n’est pas incompatible avec des
structures ou des valeurs démocratiques considérées comme élémentaires ou même
rudimentaires : c’est d’ailleurs ce qui s’est produit autour de la figure du mythe classique.
Cependant, dans sa vision moderne, le mythe démocratique, avec le renforcement de ses
valeurs, tend à bousculer ces repères canoniques. Il est alors possible de se demander si la
démocratie peut devenir un but en soit en concurrence ou sur un pied d’égalité avec les
figures évoquées précédemment, ou si elle ne risque pas d’infiltrer chacune d’entre elles, de
les compléter en les orientant.

107 – L’émergence de l’économie sociale et solidaire – Le législateur semble avoir tranché


la question dans la loi n°2014-856 relative à l’économie sociale et solidaire ou ESS en abrégé.
Selon la formule de certains auteurs, il « a réuni sous un même pavillon les entreprises

262
COZIAN M., VIANDIER A., DEBOISSY F., Droit des sociétés, Lexis Nexis, 30e éd., 2017, p. 10-14.

102
partageant les valeurs fondamentales du « produire autrement » : la poursuite d’un objectif
dépassant le seul partage des bénéfices, une gouvernance démocratique, une gestion
conforme à certains principes financiers, comme l’utilisation des bénéfices pour le maintien
et le développement de l’entreprise (investissements, etc…) ou l’absence de distribution des
réserves »263. Cette consécration d’une forme d’altercapitalisme met particulièrement en
valeur les sociétés coopératives, les associations et autres fondations. Néanmoins les sociétés
commerciales ne sont pas oubliées et peuvent bénéficier des mesures de faveur prévues par
cette loi dès lors qu’ « elles adhérent aux valeurs fondamentales de l’économie sociale et
solidaire et poursuivent un objectif d’utilité sociale, tel que soutien aux personnes en situation
de fragilité, contribution à la préservation du lien social, au renforcement de la cohésion
territoriale et développement de l’économie durable »264.

108 – L’ESS et le mythe démocratique – Ce choix législatif illustre deux facettes du mythe.
En premier lieu, il valorise la gouvernance démocratique tout en considérant que celle-ci ne
relève pas du système capitaliste classique. A minima elle l’en distinguerait et n’en serait pas
consubstantielle. Or, cela ne correspondait pas à la construction originelle des sociétés par
actions265. Il s’agit d’une des limites du mythe : sa mobilisation peut conduire à des
représentations différentes susceptibles de rentrer en conflit les unes avec les autres. En
second lieu, ce choix législatif consacre en droit des sociétés la prise en compte de buts
différents de ceux énoncés précédemment. Néanmoins, cette consécration vient compléter ces
derniers en offrant une qualification supplémentaire aux sociétés qui s’engageraient à les
respecter. De telles sociétés relèveraient de l’ESS. Il s’agit de s’insérer dans la communauté
civique et de contribuer à cette dernière plus encore de que simplement réaliser bénéfices ou
économies. L’expression d’ « entreprise citoyenne »266 s’incarne avec vigueur dans cette
vision. En l’occurrence, les objectifs de la société démocratique humaine converge avec ceux
des entreprises en général et de certaines sociétés par actions : le législateur a choisi d’afficher
clairement cette convergence possible au travers de la loi. Cependant, quelle est la place réelle
de l’ESS dans le droit des sociétés : s’agit-il d’un choix potentiel et donc d’un simple ajout
aux buts traditionnels ou d’un mouvement englobant ayant vocation à assujettir le droit des
sociétés et donc ces mêmes buts ?

263
Idem, p.21.
264
Idem.
265
Voir supra chapitre 1 titre 1 partie 1.
266
ALMEIDA N. d’, L’entreprise à responsabilité illimitée – La citoyenneté d’entreprise en questions, Liaisons,
Communication, innovation, 1996, p.3-6 et p.12-19.

103
109 – La transposition de la RSE au droit des sociétés par actions – De même, ces
éléments se retrouvent dans un phénomène très proche relevant de la même logique :
l’importation de la RSE en droit des sociétés par actions. Certains auteurs ont ainsi mis en
perspective l’évolution qui se développe en matière de buts sociaux au travers des mutations
de la gouvernance d’entreprise durable267. Désormais, les buts traditionnels doivent s'infléchir
en tenant de plus en plus compte des visées RSE. D’une certaine façon, on peut considérer
que le cadre RSE offre un méta-cadre et agir comme un système englobant. Par exemple, la
réalisation de profit se voit assujettie à une éthique qui la transcende lorsque l’entreprise est
sommée de veiller aux conditions d’obtention de ces gains sur tous les terrains depuis la
situation des travailleurs aux incidences sur l’environnement en passant par le respect des
droits humains.

110 – Risques et opportunités de l’intégration du spectre des valeurs démocratiques – Le


mythe démocratique est en train de bouleverser les repères traditionnels du cadre proposé par
le droit des sociétés autour d’une question fondamentale : est-il opportun de refléter ainsi tout
le panel des valeurs ou objectifs démocratiques dans le champ des sociétés en général et des
sociétés par actions en particulier ? Il est effectivement possible de s’interroger sur la
pertinence de faire rentrer ces buts dans le domaine du droit des sociétés alors qu’ils relèvent
de champs disciplinaires différents : droit du travail, de l’environnement, droits humains,
etc268… Le risque de dilution est réel si l’on élargit trop les buts premiers assignés aux
institutions que sont les sociétés en général les sociétés par actions en particulier : la
confusion avec d’autres types de groupements risque alors de s’accentuer fortement comme
par exemple avec les associations déjà présentes sur le secteur marchand ou commercial. Il est
aussi possible de considérer que cette évolution permet au contraire de faire évoluer ce type
d’organismes et de répondre à un mouvement profond de transformation. Si l’on considère le
fait que ces buts sont avant tout des ajouts, des compléments permettant d’encastrer encore
plus ces formes sociales dans leurs contextes sociaux et humains, il en résulte un
enrichissement du droit de sociétés en général et par actions en particulier. De même, au
267
MALECKI C., Responsabilité sociale des entreprises – Perspectives de la gouvernance d’entreprise durable,
LGDJ Droit des affaires, 2014, p.205-217 ; NURIT-PONTIER L. Vers un nouvel ordre sociétaire ?, p.147 et
suiv., SCHILLER S., Les nouvelles relations entre Etats et sociétés, p.183 et suiv., MASSART T., Le concept de
social business, p.127 et suiv., in LE DOLLEY E. (dir.), Les concepts émergents en droit des affaires, LGDJ
Droit et économie, 2010 ; CAPRON M., QUAIREL-LANOIZELEE F., La responsabilité sociale d’entreprise,
La Découverte Repères, 2007, p.28-32 et p.42-48.
268
GOND J.-P., IGALENS J., La responsabilité sociale de l’entreprise, PUF, Que sais-je ?, 4e éd., 2014, p. 106-
109.

104
regard des moyens et des acteurs spécifiques au droit des sociétés, on retrouve la même
logique se retrouve à l’œuvre : derrière l’apparente crainte de dilution, résiderait en fait un
mouvement de transformation des logiques classiques dont le mythe démocratique rend
compte.

Paragraphe 2 – Le risque de dilution pesant sur les acteurs et les moyens

111 – Concernant les moyens et les acteurs du droit des sociétés, le changement apparaît
moins évident, moins frontalement qu’en matière de buts et d’enjeux. Dans cette perspective,
le législateur a choisi de procéder par petits pas au gré des sujets qui lui sont soumis par
l’actualité. Plus précisément, les mouvements de fond provoqués par ces phénomènes
intègrent les mécanismes du droit des sociétés par touches successives.
Il est possible de signaler dans le domaine du droit des sociétés par actions quelques-uns
d’entre eux particulièrement emblématiques : l’émergence d’espèces au sein du genre des
administrateurs (A), le renforcement d’obligations de contrôle en matière de gestion (B).

A – L’administrateur de société : d’un genre unique à une diversité d’espèces

112 – Tout d’abord, au regard des acteurs, le législateur a enrichi depuis plusieurs années le
panel des administrateurs. A ce titre, il est possible d’exposer trois démarches visibles
relevant du mythe démocratique et touchant à la composition des conseils d’administration
dans les SA que l’on peut évoquer à grands traits et sur lesquelles nous reviendrons plus en
profondeur par la suite269 : l’administrateur représentant les salariés (1), indépendant (2) et au
féminin (3).

1 – L’administrateur représentant les salariés

113 – Le régime de l’administrateur représentant les salariés – La première de ces


démarches touchant à la démocratie est celle de l’administrateur représentant les salariés.
Ancienne, cette démarche plonge ses racines dans une conception de la démocratie sociale et
l’espoir de la mise en place de formes de cogestion inspirées de l’Allemagne tout en
consacrant une forme de contrôle de l'entreprise par des représentants directement issus de la

269
Voir infra chapitre 1 titre 2 partie 2.

105
force de travail de l’entreprise270. Depuis plusieurs décennies, il est imposé par des
dispositions légales, lorsque certaines conditions sont réunies, d’intégrer ces administrateurs
élus exclusivement par le personnel dans le conseil d’administration271. D’abord concentré sur
les sociétés cotées, le dispositif s’étend peu à peu aux autres sociétés par actions. Aux termes
des articles L 225-23 et L 225-71 du Code de commerce, la détention de plus de 3 % du
capital social par des salariés de la société impose à cette dernière de mettre en place
l’élection d’administrateurs ou de membres du conseil de surveillance au profit de ces
derniers. Ces dispositions concernent uniquement les sociétés cotées et participent d’une
volonté de développer l’actionnariat salarié. En effet, cela permet d’accroître la participation à
la gestion par les salariés en la rendant effective par l’attribution de mandats dans les conseils
dirigeants. De cette façon, il est possible d’associer ceux-ci aux prises de décisions
importantes pour la marche de l’entreprise. En outre, la loi n°2015-994 du 17 août 2015 a
étendu cette logique aux grandes entreprises, ne se cantonnant plus au critère de la cotation.
Désormais, aux termes des articles L 225-27-1 et L 225-79-2 du Code de commerce, si une
entreprise emploie au moins mille salariés permanents à l’issue de deux exercices consécutifs,
filiales françaises comprises, elle doit prévoir des administrateurs supplémentaires en sus de
ceux déjà existants. De même, ces dispositions s’appliquent aussi lorsque la société emploie
de manière permanente au moins cinq mille salariés en cas de filiales à l’étranger. Le nombre
d’administrateurs prévu augmente en fonction de la taille du conseil d’administration : au-delà
de douze, les salariés doivent désigner deux administrateurs pour les représenter. Toutefois,
l’élection de ces derniers ne passe pas par le collège électoral traditionnel, c’est-à-dire
l’assemblée générale. Il est prévu que les statuts fixent le mode de nomination sachant que
celui-ci peut être réalisé soit par l’entremise du comité d’entreprise soit par le biais des
syndicats représentatifs.

114 – Mythe démocratique et démocratie sociale – Par ce mécanisme, le législateur


favorise le développement, non seulement d’une forme de cogestion, mais aussi de la
démocratie sociale272. Ce ne sont plus seulement les apporteurs de capitaux ou détenteurs de
titres de capital qui ont accès aux organes de direction et de contrôle mais les travailleurs
270
AUZERO G., La représentation obligatoire des salariés dans les conseils d’administration et de surveillance,
Dr. soc. 2013, p.740 ; VATINET R., Représentation des salariés dans les conseils d’administration ou de
surveillance, Rev. Sociétés 2014 p.75 et suiv ; AUZERO G., Les salariés au conseil : utopies et réalités, RTDF
2013 p.98 et suiv.
271
REGNAUT-MOUTIER C., Propos introductifs in Le salarié, sujet de droit des sociétés ?, Bull. Joly 2005, p.
10-14.
272
GERMAIN M., Les droits politiques des actionnaires, in Le salarié, sujet de droit des sociétés ?, Bull Joly
2005, p. 40-41.

106
aussi. De cette façon, le capital est associé au travail pour veiller à la bonne marche de
l’entreprise. Paradoxalement, l’élargissement de la composition des conseils au regard de la
diversité d’origine de ses membres passe par le contournement du corps électoral traditionnel,
autrement dit l’assemblée générale des actionnaires. Autrement dit, on contourne l’assemblée
générale pour organiser une élection ou même une simple nomination par la sollicitation
d’autres organes de représentation qui ne relèvent pas, en principe du droit des sociétés mais
du droit social.

2 – L’administrateur indépendant

115 – L’indépendance, vertu et critère de nomination – La deuxième démarche consiste à


favoriser l’émergence d’administrateurs indépendants. La figure de l’indépendance est
promue tant par la logique des marchés financiers, qui y voient une preuve et un outil de
bonne gouvernance, que par celle de certains promoteurs de la RSE qui en font un moyen de
peser sur les pratiques des sociétés qui s’en seraient dotées273. Ici, le législateur a opté pour
une auto-régulation : l’administrateur indépendant relève principalement des codes de bonne
gouvernance ou d’une démarche volontaire de la part de la société. L’indépendance
permettrait une meilleure appréciation critique et une distanciation par rapport aux objectifs
exclusivement financiers. Plus précisément, l’indépendance est une des vertus que doit en
principe posséder tout administrateur. Pour certains auteurs, cela est même consubstantiel à sa
mission. L’administrateur a, en effet, vocation à questionner, critiquer les dirigeants sociaux
et doit donc cultiver à leur égard une totale indépendance d’esprit. Toutefois, certains sont
expressément qualifiés d’indépendants car il ne s’agit plus simplement d’espérer un
comportement particulier mais s’assurer qu’ils puissent l’avoir. Dans cette perspective, le
label d’indépendance implique l’absence de liens financiers de dépendance. L’administrateur
indépendant doit l’être matériellement. Aucun lien d’intérêt ne doit exister entre ces derniers
et les dirigeants. A ce titre, le code AFEP-Medef, qui sert de référence à la plupart des
grandes sociétés cotées, exclut explicitement tout lien d’intérêt avec la société ou le groupe,
depuis un contrat de travail jusqu’à l’existence de relations d’affaires significatives. La
philosophie sous-jacente ainsi promue consiste à considérer que l’absence de liens lucratifs
est un des meilleurs moyens pour préserver l’esprit critique des titulaires d’un tel mandat. Il
est d’ailleurs prévu que la moitié des membres du conseil d’administration doit pouvoir entrer

273
COZIAN M., VIANDIER A., DEBOISSY F., Droit des sociétés, Lexis Nexis, 30e éd., 2017, p. 329-330 ;
VIANDIER A., L’administrateur indépendant des sociétés cotées, RJDA 6/2008

107
dans cette catégorie lorsque la société est cotée, un tiers seulement dans les sociétés
classiques. De surcroît, ce qualificatif peut aussi être indispensable afin de devenir membre ou
président des différents comités existant dans de telles structures. Classiquement, seul un
administrateur indépendant devrait se voir attribuer la présidence du comité d’audit et des
comptes et ce afin de préserver ce dernier de toute tentation d’édulcorer ou de manipuler les
résultats de son travail de contrôle. Cependant, l’attribution de ce label d’indépendance est
aux mains du conseil d’administration lui-même qui va qualifier comme tels certains de ces
membres, le mentionner dans son rapport sur la gouvernance et laisser ainsi l’appréciation de
sa décision aux investisseurs potentiels ainsi qu’aux actionnaires274.

116 – L’indépendance, source d’interrogations – Affirmer et tenter de préserver


l’indépendance de ses dirigeants est un élément commun avec les régimes démocratiques. De
cette façon, la prise de décision est censée être mise à l’abri de toute tentation de privilégier
un intérêt privé, individuel, au détriment de l’intérêt collectif, social. Ici, l’accent est
principalement mis sur la dépendance matérielle susceptible d’exister entre l’administrateur et
l’entité dont il a la charge de contrôler la gestion. Pourtant, le souci d’indépendance devrait en
principe être partagé par tous les administrateurs, ce qui rend perplexe sur le travail
potentiellement fourni par ceux qui ne seront pas dotés du label considéré. Est-ce à dire que
pèse sur leur travail ou leur vote une présomption simple de dépendance, de connivence ? A
ceci s’ajoute le fait que c’est le conseil lui-même qui auto-attribue ce label de vertu à certains
de ses membres. Le recrutement de ces derniers n’est pas toujours au-dessus de tout soupçon
car il n’est pas inhabituel de faire appel à des concurrents issus du même secteur d’activités.
Comment dans ce cas ne pas craindre des comportements réprouvés non plus par le droit des
sociétés mais par le droit de la concurrence ? En outre, ce label n’induit pas de charge
supplémentaire pesant sur les épaules de celui qui l’endosserait. En effet, le qualificatif ne
change absolument rien aux responsabilités prévues par la loi. L’administrateur indépendant
demeure tenu dans les limites de l’article L 225-251 du Code de commerce comme n’importe
lequel autre membre du conseil d’administration. Toute infraction aux dispositions
législatives ou réglementaires, violation des statuts ou éventuelle faute de gestion pourrait
entraîner sa responsabilité mais celle-ci serait engagée collectivement car relevant d’un travail
collégial. Néanmoins, si l’administrateur indépendant se voit confier des missions spécifiques,
il serait alors tenu individuellement mais ici aussi, le fait qu’il soit labellisé indépendant n’a

274
Pour un témoignage : BOULOC B., La place de l’administrateur indépendant dans une société cotée – Un
aspect vécu, in MAGNIER V. (dir.), La gouvernance des sociétés cotées face à la crise, LGDJ, 2010, p.103-111.

108
pas vocation à aggraver les éventuelles sanctions ou à durcir le régime de responsabilité dont
il relève. Par conséquent, l’indépendance impose un recrutement hors du vivier traditionnel
des actionnaires et, en cela, contribue à diluer une part de la vision classique du conseil
d’administration comme émanation de l’assemblée générale.

3 – L’administrateur au féminin

117 – Rééquilibrer les rapports entre les sexes – La troisième démarche s’inscrit dans un
contexte plus vaste : celui de la place du genre. En effet, ces dernière années, le législateur
s’est emparé de la question de l’égalité des sexes et a choisi d’imposer une féminisation des
conseils d’administration à l’effet de promouvoir la place des femmes275. Les conseils
d’administration vont devoir à terme rééquilibrer les places entre hommes et femmes ce qui
n’est pas sans problèmes de coordination avec les dispositifs précédents. Précisément, l’article
L 225-17 du Code de commerce impose de rechercher une représentation équilibrée des
hommes et des femmes au sein du conseil. Concernant l’immense majorité des sociétés par
actions, aucune sanction ne semble avoir été fulminée explicitement. Certains auteurs
considèrent cependant que la violation de cette règle pourrait s’opérer sur le terrain de la
responsabilité civile à l’égard des dirigeants qui ne la respecteraient pas. De surcroît, les
décisions prises par le conseil alors irrégulièrement composé s’exposeraient à une nullité. Ces
deux conséquences s’évinceraient de la nature d’ordre public de l’article précité.

118 – Les sanctions du refus d’équilibrer les nominations – Toutefois, la loi n°2011-103
du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des hommes et des femmes dans les
conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle, a aussi introduit les
articles L 225-1861 et suivants qui prévoient des sanctions pour certaines de ces sociétés. Aux
termes de ces articles, les sociétés anonymes cotées, les commandites par actions cotées ainsi
que celles de ces deux formes qui emploient plus de cinq cents salariés, cotées ou non,
doivent respecter des quotas en la matière. La loi a prévu un régime progressif. A partir du 1er
janvier 2014, ces sociétés doivent réserver 20 % des postes d’administrateurs à des femmes
pour initier le mouvement et laisser le temps aux viviers de candidates de se constituer.

275
LUCAS F.-X., La modernitude s’invite dans les conseils d’administration, Bull Joly Sociétés 2009, p.945 ;
Femmes… Je vous aime…, JCP E 2010, 1170 ; REIGNE P., Les femmes et le conseil d’administration, JCP E
2010 1048 ; MAYMONT A., La représentation équilibrée hommes-femmes dans les conseils de sociétés, JCP E
2013 1667 ; MORTIER R., La féminisation forcée des conseils d’administration, Dr. Sociétés 2011 comm.
n°75 ; LE CANNU P., DONDERO B., Les sanctions d’une représentation déséquilibrée des sexes au conseil
d’administration, RTDF 2011, p.105.

109
Depuis le 1er janvier 2017, la proportion de sièges réservés est portée à 40 %. Il convient de
préciser que ces quotas constituent des minima et peuvent être dépassés. De plus, à compter
du 1er janvier 2020, seront aussi concernées les sociétés de deux cent cinquante salariés. Il est
aussi précisé que l’écart entre hommes et femmes ne pourra être supérieur à deux dans
l’hypothèse où le conseil est composé de plus de huit personnes. Le non-respect de ces
obligations est susceptible de provoquer la nullité de la nomination fautive avec obligation d’y
remédier, mais aussi d’entrainer la suspension du versement des jetons de présence. Par
contre, les décisions que prendrait le conseil en violation de ces dernières sont épargnées par
les sanctions : aucune nullité des décisions ne peut être demandée. L’efficacité du
fonctionnement de la société a été préférée au détriment du principe d’égalité entre les sexes.
Or, faire peser un risque d’annulation de ces délibérations auraient pu s’avérer plus dissuasif
encore que la simple nullité des nominations litigieuses. Néanmoins, la suspension du
versement des jetons de présence n’est pas totalement anodine au regard de leurs modalités de
versement. Les administrateurs ou membres du conseil de surveillance seront parfois de zélés
promoteurs de ces dispositions au risque de se voir priver de leur rémunération. A cet égard,
le Haut conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes dans son rapport sur la parité en
entreprise de 2016, a relevé qu’en 2015 34 % des administrateurs des sociétés du CAC 40
sont des femmes, ce qui laisse augurer du succès du dispositif pour 2020 et à condition
qu’aucune nouvelle modification n’intervienne entretemps.

119 – Le conseil d’administration, reflet de la prise en compte des valeurs démocratiques


– Ces trois démarches relèvent d’une logique d’effet miroir. Mises en perspective, elles
illustrent une tentation qui consiste à progressivement préciser la composition du conseil
d’administration en tentant de lui imposer des contraintes relevant de notre société humaine
démocratique. Au nom de valeurs relevant de la démocratie, le conseil d’administration voit
sa composition évoluer : il n’est plus seulement un organe de représentation des seuls
actionnaires mais doit aussi prendre en compte d’autres logiques. Il est d’ailleurs intéressant
de constater que l’élargissement de la composition et les considérations relatives à cette
dernière deviennent de plus en plus large. De la figure du représentant du salarié qui peut se
comprendre assez aisément compte tenu du lien évident entre capital et force de travail à celle
de la prise en compte du sexe ou genre des administrateurs, s’opèrent d’importants
glissements. Par-delà les éventuelles appréciations de valeurs quant à cette évolution, il s’agit
d’une indéniable progression de l’encastrement évoqué précédemment entre société humaine
et sociétés par actions. En outre se pose cette question de savoir jusqu’où il est possible de

110
modifier la composition de ce conseil sans finir par trahir sa conception première d’organe
représentant les actionnaires. Ainsi, serait-il par exemple concevable d’y faire entrer un
représentant des fournisseurs ou sous-traitants au nom d’une certaine vision de la RSE ?

B – Le renforcement des obligations de contrôle de gestion

120 – Le rapport de gestion, du financier à l’extra-financier – Ensuite, le législateur a


choisi de gonfler certains dispositifs existants dans le but d’orienter les pratiques et de mettre
en exergue certains manques notamment dans le contrôle des sociétés par actions. Deux
exemples illustrent cette idée : le rapport de gestion et le rapport du commissaire aux comptes.
Ces deux rapports ont connu depuis l’entrée dans le vingt et unième siècle un gonflement très
important de leurs contenus respectifs, le second au diapason du premier. De nos jours, le
rapport de gestion a vocation à renseigner plusieurs rubriques qui comprennent désormais la
situation tant financière que sociale ou encore environnementale276. Il est devenu un pilier non
seulement du reporting financier classique mais aussi non financier en intégrant des données
sur le contexte de production de la société qui l’établit. Le rapport de gestion est d’ailleurs
nourri tant par le législateur que par l’AMF pour intégrer un nombre croissant
d’informations277. Lui aussi reflète le poids grandissant de la RSE et l’intégration du respect
de certaines valeurs issues du monde démocratique. Ce rapport est minutieusement
règlementé aux articles L 225-100 à L 225-103 et L 223-1 II du Code de commerce ainsi que
les mêmes articles pour ses dispositions réglementaires278. Depuis 2001, le législateur n’a
cessé d’alourdir les différentes rubriques de ce rapport, élaboré par le conseil d’administration
à destination des assemblées générales. Chaque loi ayant de près ou de loin un rapport avec le
droit des sociétés a intégré des éléments considérés comme essentiels à un vote éclairé des
actionnaires. En la matière, l’énumération précise voire pointilleuse a été préférée à la
méthode du standard ou de la fixation de grands principes. Le rapport de gestion a pour but
principal de dresser le tableau de la situation de la société, son évolution prévisible, les
éventuels grands événements survenus depuis la dernière assemblée générale, les activités de
la société en matière de recherche et développement. Tels sont les grands traits de son
architecture. Pour y parvenir, le législateur est venu en préciser le contenu par exemple en
exigeant la liste des mandats exercés par les membres du conseil, la liste et l’activité des

276
MARAIN G., La juridicisation de la responsabilité sociétale des entreprises, PUAM, 2016, p. 327-332.
277
MALECKI C., op .cit., p.168 et suiv.
278
MARAIN G., op. cit., p. 339-344.

111
filiales, les prises de participation, le montant des dividendes versés ses trois dernières années,
le tableau d’évolution des résultats de ces cinq dernières années, toute information utile sur la
répartition du capital… De plus, à partir du moment où la société vient à être cotée, le
traditionnel reporting financier s’approfondit et se double d’un reporting extra-financier
élargi à la RSE. Pour les premières, sont prévus par exemple de fournir, une analyse objective
et exhaustive de l’évolution des affaires, des résultats et de la situation financière de la société
notamment au regard de son endettement, la description des principaux risques et incertitudes
auxquels la société est confrontée, l’indication de la politique de gestion en matière de risques
financiers. Pour les secondes, la société doit aussi, de manière non exhaustive, fournir
l’exposé de la façon dont elle prend en compte les conséquences sociales et
environnementales de son activité, rendre compte de ses engagements sociétaux en faveur du
développement durable et de lutte contre les discriminations et la proportion des diversités,
mais aussi en faveur de la lutte contre le gaspillage alimentaire. A ceci s’ajoute des annexes
relevant de la même logique comme un rapport spécifique sur l’application du principe de
représentation équilibrée des hommes et des femmes au sein du conseil d’administration, les
opérations de rachats d’actions ou encore la description des procédures de contrôle relatives à
l’élaboration et au traitement de l’information comptable et financière. L’alourdissement des
rubriques du rapport de gestion s’inscrit dans un souci de parfaire l’obligation de reddition de
comptes qui pèse sur les organes sociaux. En principe, plus l’information est complète,
meilleure devrait être la décision prise par l’actionnaire. La difficulté principale réside dans le
fait que l’actionnaire se retrouve dans la même situation que le citoyen dans une démocratie :
des intermédiaires spécialisés peuvent lui permettre de traduire ces informations parfois
excessivement techniques et dans le même temps, l’excès d’information nuit à sa pertinence.

121 – Le rapport des commissaires aux comptes et l’attestation sur les délais de
paiement – En parallèle, la mission du commissaire aux comptes a également connu un
enrichissement certain. Dernière évolution en date, celui-ci doit désormais s’intéresser aux
délais de paiement afin d’éclairer les actionnaires sur les pratiques de la société soumise à son
contrôle279. La société est alors re-contextualisée : le commissaire aux comptes contribue à
aller au-delà des simples mécanismes économiques ou financiers ; il dévoile la façon dont se
comporte l’entreprise. L’objectif du législateur était de lutter contre l’extension des délais de
paiement et ainsi de réduire ce que l’on appelle le crédit interentreprises ainsi que les abus de

279
Articles L 441-6-1 C D 441-4 C Com.

112
certaines sociétés en la matière. A l’origine, la loi n°2008-776 du 4 août 2008 LME avait
prévu explicitement l’établissement de ce rapport et l’avait lié au rapport principal que doit
établir le commissaire aux comptes relativement à sa mission de contrôle des comptes. Il était
présenté à l’assemblée générale des actionnaires et dressait les différents délais de paiement
de la société envers ses clients ainsi que des fournisseurs envers la société. De cette façon , les
actionnaires peuvent être alertés à la fois sur l’utilisation par la société contrôlée de ce qui est
considéré comme une forme de crédit inter-entreprises et les politiques de paiement parfois
contestables de certains clients. La loi Hamon relative à la consommation n°2014-334 du 17
mars 2014 a procédé à une retouche lexicale en parlant désormais d’attestation et non plus de
rapport en ce domaine. Le régime est prévu aux articles L441-6-1 du Code de commerce ainsi
que D 441-4 et surtout, D 823-7-1 qui prévoit son articulation avec le rapport principal. Il est
prévu que le commissaire aux comptes doit apprécier la sincérité et la concordance des
informations fournies par la société avec les comptes annuels. De plus, les sociétés dont les
comptes son certifiées par un commissaire aux comptes doivent publier ces informations sur
leurs délais de paiement. Lorsqu’il s’agit d’entreprises dites de taille intermédiaire ou de
grandes entreprises, le commissaire aux comptes a l’obligation d’adresser au Ministre chargé
de l’Economie cette attestation en cas de manquements répétés et significatifs à ses
obligations envers ses fournisseurs. La mission du commissaire aux comptes s’en trouve
certainement élargie : d’une mission principale de contrôle et de certification des comptes, il a
d’abord vu son rôle élargi à celui de vérificateur de l’égalité entre associés, de déclencheur de
procédure d’alerte, de contrôleur de certaines opérations spéciales comme la modification des
statuts ou les rémunérations des dirigeants de sociétés par actions. Ces professionnels
accompagnent le respect de l’ordre public sociétaire et ses nouveaux élargissements.

122 – Les interrogations autour du développement des rapports – A l’instar de la question


des acteurs, se pose aussi celle des limites de ce mouvement. En effet, on peut imaginer que le
développement du reporting non financier ainsi que les diligences des commissaires aux
comptes ne vont pas s’arrêter ici. Il s’agit d’une dynamique très forte et dont nous sommes
seulement aux premiers développements280. Il est certain que le développement exponentiel
du rapport de gestion va corrélativement entraîner celui du rapport du commissaire aux
comptes celui-ci ayant un rôle extrêmement important quant au respect des devoirs du droit

280
TREBULLE F-X, La comptabilisation de l’environnement, Dr Sociétés, 2004, p.7 ; COZIAN M.,
VIANDIER A., DEBOISSY F., Droit des sociétés, Lexis Nexis, 30e éd., 2017, p. 370-371 pour une vision
nettement plus critique intitulée : « rapport de gestion ou fourre-tout ? »

113
des sociétés. Là est le danger ou du moins la crainte que l’on peut avoir : jusqu’où le contrôle
pourrait-il s’étendre ? S’agit-il juste de s’assurer du respect par l’entreprise citoyenne de ses
autres citoyens plus humains ou imposera-t-on à terme une citoyenneté entrepreneuriale
punitive à l’extrême ? De plus en plus, les sociétés par actions sont soumises, par l’entremise
des acteurs ou des moyens de contrôle mis à disposition de ces derniers, à un respect de la
société humaine dans laquelle elles sont insérées. Le mythe démocratique permet de révéler
ce mouvement dans ses différents ressorts et de considérer ces multiples interrogations
comme des défis à relever et non comme des obstacles infranchissables.

123 – Conclusion du chapitre – Le mythe démocratique charrie avec lui différentes valeurs.
Or, la transposition de ces dernières au cadre des sociétés par actions ne se réalise pas
facilement. L’identification de ces valeurs ainsi que leur définition n’est pas chose aisée.
Originellement pensées dans un domaine spécifique, celui d’une communauté civique, leur
acclimatation conduit nécessairement à des conflits et des interrogations dans leur nouveau
cadre d’application, les sociétés par actions. Imposer à des structures pensées, conçues comme
des acteurs purement économique n’est pas sans conséquences sur leurs buts, leurs
conceptions ou encore leurs structurations propres.

114
Chapitre 2 – Origines, enjeux et raisons d’être de l’approfondissement
du mythe : la consécration des théories de l’encastrement et
l’avènement de la RSE

124 – Le mythe moderne, aspect de la RSE – Précédemment ont été évoqués les obstacles
susceptibles de résister au mythe démocratique. A cette occasion, on a pu esquisser les
différentes passerelles ayant permis à une figure renouvelée de la démocratie de s’immiscer
dans les représentations des sociétés par actions. Il s’agit dès lors de les approfondir et de
mettre en lumière leurs déterminants, la façon dont cette nouvelle relation a pu se construire
comme a pu le faire la figure traditionnelle du mythe. Cependant, il convient de préciser que
l’opposition entre figure traditionnelle et figure nouvelle est surtout une commodité de
présentation. En effet, ces deux avatars ne sont pas étrangers l’un à l’autre et ont pu se
construire en parallèle l’un de l’autre. En outre, la figure mythique la plus récente peut à
certains égards être considérée comme une évolution de la version originelle tout en ne se
réduisant pas à cela. Ceci étant précisé, le mythe démocratique dans sa nouvelle incarnation
puise sa source principale dans un phénomène plus large restitué sous les initiales de RSE,
pour Responsabilité Sociale et Environnementale281. Plus précisément, il trouve sa source
dans les soubassements à l’origine de cette mutation toujours en cours en droit des affaires : il
est possible de considérer le mythe démocratique comme une des traductions en droit des
sociétés de cette évolution. Différents cadres conceptuels ont été mobilisés pour rendre
compte de l’émergence et de l’enracinement de la RSE dans des domaines comme l’économie
ou la sociologie. Trois cadres d’explication principaux et convergents permettent de mettre en
lumière l’avènement progressif de ce mouvement. Or, ces trois cadres offrent une matière
utile dès lors que l’on s’attache à identifier la démocratie actionnariale. Selon certains auteurs,
ce serait la conjonction entre la théorie des parties prenantes, la firme comme nœud de
contrats et enfin l’idée d’encastrement de la société qui permettrait et faciliterait l’émergence
de la RSE à l’origine de la nouvelle facette du mythe de la démocratie actionnariale282. Tous
ces éléments auraient pour point commun la recherche d’une légitimité permanente par les
opérateurs économiques283. Cette quête de légitimité s’entend sur tous les plans notamment
politique au travers de la question du ou des pouvoirs confiés à ces différentes entités. Surtout,
281
PASQUERO J., La responsabilité sociale de l’entreprise comme objet des sciences de gestion : un regard
historique, in BOUTHILLIER-TURCOTTE M.-F. et SALMON A. (dir.), Responsabilité sociale et
environnementale de l’entreprise, Sillery, Presses de l’Université du Québec, 2005, p. 80-112.
282
CAPRON M., QUAIREL-LANOIZELEE F., La responsabilité sociale d’entreprise, La Découverte Repères,
2007, p.39 et suiv.
283
GOMEZ P-Y, KORINE H, L’entreprise dans la démocratie – Une théorie politique du gouvernement des
entreprises, De Boeck ouvertures économiques, 2009, p. 63-70 et p. 293-296.

115
cette recherche a conduit à la mise en place d’une dynamique entraînant la mutation des
figures classiques : par exemple, le mythe de la société comme miniature politique ne peut
plus demeurer comme seule métaphore-cadre de la démocratie. Cette image a donc été
renouvelée en en élargissant les perspectives. D’une certaine façon, cela a conduit à ce que le
mythe traditionnel centré vers l’intérieur des sociétés par actions tourne son regard vers
l’extérieur.
Dans cette perspective, la figure moderne du mythe révèle à la fois une progressive mise en
place d’un nouveau type de lien entre actionnariat et citoyenneté (section 1) et une lente
emprise des contextes extérieurs sur les structures sociales (section 2).

116
Section 1 – La progressive mise en place du nouveau lien entre citoyenneté et
actionnariat

125 – Le citoyen actionnaire en perspective – Le visage moderne du mythe démocratique


repose en partie sur un mouvement ancien qui a acquis un nouveau souffle et surtout une
visibilité accrue avec le développement massif de la corporate governance. Précédemment, a
été évoquée la figure du citoyen actionnaire. Dans cette dimension, la société par actions est
une miniature de cité politique dont l’actionnaire est le citoyen. A l’instar de l’Utopie de
Thomas More ou des phalanstères saint-simonien, le regard est principalement tourné vers
l’intérieur et se concentre sur les différentes relations entre organes sociaux. Or, la perspective
peut s’inverser ce dont on peut rendre compte au travers de la figure du citoyen actionnaire284.
C’est ce citoyen actionnaire qui a progressivement préparé le terrain au changement.
Désormais, l’actionnaire n’est pas simplement pris dans une miniature politique, il est restitué
dans ce que l’on pourrait considérer comme sa communauté civique d’origine : lui et la
société par actions dont il détient des titres appartiennent à un ordre plus large, une
communauté plus vaste. Cette reconnaissance a été le fruit d’évolutions autour de la figure
même de l’actionnaire. Ce dernier a servi de point d’ancrage à ce que l’on pourrait considérer
comme les prémisses de la RSE. Il s’agit d’un autre sigle, celui de l’ISR ou Investissement
Socialement Responsable285. Plus largement, ce lien est à inscrire dans une évolution plus
ancienne : celle du débat relatif à la place de la morale et de l’éthique dans le droit. Plus
étroitement dans le cadre de ce sujet, il est question de l’irruption de la morale en droit des
affaires et dans le domaine des sociétés par actions en particulier. L’actionnaire est un vecteur
de morale et donc de transformations potentielles dans ce domaine. La dimension
actionnariale peut être mobilisée dans un objectif précis : celui du citoyen et de la société, ou
du moins une certaine conception de la société (paragraphe 1). Cette mobilisation a trouvé un
nouvel élan dans le développement de l’activisme actionnarial qui en est le prolongement
direct (paragraphe 2).

284
CAPRON M., QUAIREL-LANOIZELEE F., La responsabilité sociale d’entreprise, La Découverte Repères,
2007, p.59.
285
MALECKI C., Responsabilité sociale des entreprises – Perspectives de la gouvernance d’entreprise durable,
LGDJ, Droit des affaires, 2014, p.386 et suiv.

117
Paragraphe 1 – La dimension actionnariale au service du citoyen et de la société

126 – De l’ISR à la RSE – Droit et morale forment deux registres en principe différents.
Pourtant, le droit peut être considéré tantôt comme un relais de la morale, tantôt comme mû
par elle voire instrumentalisé par des acteurs empreints par cette dernière. Envisager le mythe
démocratique permet de prendre en compte cette dimension et de montrer en quoi elle
alimente l’évolution des sociétés par actions. Depuis le début du vingtième siècle aux Etats-
Unis, se sont constitués des fonds d’investissement ayant pour fondement la religion à tel
point qu’un pasteur protestant, H. R. Bowen, a pu élaborer les fondements de ce qu’il a
baptisé la corporate social responsibility286. Ses écrits s’inscrivaient à rebours des visions
traditionnelles de la firme réduisant celle-ci au seul profit de ses actionnaires ou associés. Or,
pour cet auteur, il n’était pas possible d’ignorer le monde autour. L’une des conséquences de
cette idée consistait à se servir de son titre d’actionnaire ou d’associé pour infléchir les actes
des firmes dans une dimension plus respectueuse de l’ensemble plus vaste dans lequel ces
sociétés opèrent. Raisonnant sur les firmes américaines, le propos était surtout centré sur les
grandes sociétés et donc principalement celles par actions. Surtout, les milieux d’affaires
anglo-saxons ont connu, et connaissent encore, le développement de ce que l’on considère
être l’ISR. Celui-ci est inséparable des religions du Livre qui en sont les principales
animatrices287. En effet, toutes sont concernées par ce mouvement qu’elles ont animé tout au
long du XXe siècle, montant en puissance et se diffusant parmi elles. A titre d’exemples, les
premiers fonds qui se sont créés sous influence de valeurs religieuses, l’ont été pour
promouvoir un certain nombre d’interdits. Ces véhicules financiers orientent l’épargne des
fidèles vers des sociétés dont la production ou les modes de gestion ne contreviennent pas aux
valeurs qu’ils défendent. A ce titre, un tel fonds n’investira jamais dans des entreprises
produisant de l’alcool, des armes ou quelque forme de produit considéré comme illicite par la
religion desdits fidèles. Les premiers fonds religieux auraient été créés dans les années 20 aux
Etats-Unis par les communautés Quakers et Mennonites avant de se développer chez les
luthériens, presbytériens, catholiques, juifs et plus récemment musulmans, hindouistes ou
bouddhistes. Concernant la France, ils sont apparus véritablement en 1983, le premier étant un
fonds d’origine catholique et issu du mouvement congréganiste, la vague de créations la plus

286
CAPRON M., QUAIREL-LANOIZELEE F., La responsabilité sociale d’entreprise, La Découverte Repères,
2007, p.7-8 ; GOND J.-P., IGALENS J., La responsabilité sociale de l’entreprise, PUF Que sais-je ?, 4e éd.,
2014, p. 7-15.
287
MALECKI C., op. cit., p.392-393.

118
récente ayant pris place dans les années 2000 avec l’essor de la finance islamique288. La
seconde moitié du vingtième siècle a vu se développer d’autres types de fonds dits éthiques
détachés des religions traditionnelles ainsi que la prise de conscience d’autres mouvements
religieux. Le passage de l’ISR à la RSE a alors pu s’opérer par l’élargissement des valeurs
défendues. Prenant appui sur le modèle de ces fonds religieux, d’autres mouvements ont tenté
de structurer des véhicules financiers à l’effet de promouvoir certaines valeurs particulières.
Ces valeurs ne concernent plus uniquement un rapport particulier à l’individu, tel qu’exprimé
par des interdits religieux. Plus globalement, il s’agit de respecter l’individu dans un certain
nombre de dimensions éthiques. Principalement, la RSE a vocation à protéger les droits des
travailleurs mais aussi plus globalement les droits humains voire intégrer des préoccupations
de développement durable ou de transition énergétique. A cet égard, des auteurs ont pu
assimiler la RSE à un composant d’un phénomène plus global, celui d’éthique de
l’entreprise289. La RSE constituerait une sorte de déontologie à laquelle serait soumise
l’entreprise. Cette dernière se retrouve ainsi soumise à un ensemble de valeurs, plus ou moins
codifiées, plus ou moins explicites, ce qui rejaillit sur son fonctionnement quotidien. En cela,
RSE et ISR partagent les mêmes outils et surtout le même but : saisir et peser sur le
fonctionnement de l’entreprise290. Tous les mécanismes sociétaires sont potentiellement
saisissables par des contraintes éthiques. Les valeurs deviennent le but à atteindre et orientent
la manière d’utiliser les mécanismes juridiques. Si la société est une technique d’organisation,
celle-ci se retrouve par ce biais finalisée. A titre d’exemple, l’exercice du droit de contrôle par
l’actionnaire se fera à l’aune des valeurs qu’il souhaite promouvoir. De même, la manière de
gérer des organes compétents sera passée au crible de critères éthiques, d’où le
développement d’agences de notations éthiques.

127 – L’actionnaire Socialement Responsable, acteur du changement – L’Investissement


Socialement Responsable est empreint de morale : il se sert de la qualité d’actionnaire pour
influer sur les organisations dans lesquelles il place ses fonds. De cette façon, le droit sert
d’instrument à la morale. En outre, les sociétés concernées ne peuvent plus en principe
s’abstraire de valeurs humaines : le profit, la rentabilité de l’investissement ne sont plus
toujours des fins en eux-mêmes. Ils tendent à se voir concurrencer voire absorbés au profit
d’autres orientations ou aspirations. Il peut prendre plusieurs formes : actionnariat individuel

288
RIASSETO I., Le faith-based, un concept en droit bancaire et des marchés financiers, in LE DOLLEY E.
(dir), Les concepts émergents en droit des affaires, LGDJ, 2010, p.168-169.
289
MORET-BAILLY J., TRUCHET D., Droit des déontologies, PUF Thémis droit, 2016, p. 348-390.
290
MORET-BAILLY J., TRUCHET D., op. cit., plus particulièrement p.372-375.

119
ou collectif, de manière explicite ou implicite, avec ou sans recours à des agences de
notations, par incitation ou interdictions expresses291. Le point commun de toutes les formes
d’ISR consiste à acquérir des titres pour bénéficier de la qualité d’actionnaire et par ce biais
de contraindre, contrôler, influencer des sociétés en exerçant les droits qui y sont attachés afin
de respecter une certaine éthique. Par ce biais, l’ISR a contribué a diffusé un certain nombre
de valeurs issues de la communauté civique et relevant de la démocratie, ou du moins de
mouvements soucieux d’une certaine éthique. Cependant, il convient de préciser quelques
éléments. Ce modèle ne s’est véritablement développé en Europe que dans le dernier quart du
vingtième siècle et demeure une spécificité du capitalisme américain292. Il est encore au stade
des premiers balbutiements en France. En outre, il ne s’agit pas d’un mouvement univoque
sur les valeurs mobilisées : celle-ci sont variables d’un investisseur à l’autre et correspondent
à différentes familles de pensées293. Ce qui est particulièrement intéressant réside dans le
travail d’acculturation que ce mouvement a développé au sein du capitalisme en introduisant
des vecteurs de diffusion de valeurs externes à la seule prise en compte d’intérêts
exclusivement financiers. A ce stade, il convient de préciser que cela a joué un rôle non
négligeable dans l’émergence de la prise en compte des enjeux sociétaux, sociaux et
environnementaux : l’ISR a précédé et donné en partie naissance à la RSE. Partant de ces
éléments, on peut considérer que l’ISR est à l’origine de la figure du citoyen actionnaire. En
effet, les outils mobilisés par l’ISR comme l’activisme actionnarial ont servi de modèle à des
démarches souhaitant promouvoir d’autres valeurs que simplement religieuses. Dans cette
dimension, l’actionnaire est avant tout un citoyen qui va acquérir des titres non pas seulement
pour réaliser profits ou économies mais ce, en respectant une éthique plus vaste que celle
cantonnée aux perspectives financières. Autrement dit, « l’individu est au centre de tout et la
responsabilité réside fondamentalement chez celui-ci ; l’éthique définit et « gère » les règles
concernant les rapports entre les personnes. Il s’agit de combattre la mauvaise conduite et
l’immoralité, mais sans la contrainte de la règlementation publique jugée comme limitant la
liberté individuelle ou entrainant des effets pervers »294. Cette vision de l’actionnariat a
d’ailleurs pris une dimension plus importante au début du vingt-et-unième siècle au travers du
développement de l’activisme actionnarial.
291
Ibid.
292
MALECKI C., Quelques rencontres de la RSE et du droit des affaires sous des jours heureux et sous des
jours ombrageux, in TREBULLE F.-G., UZAN O., (dir.), Responsabilité sociale des entreprises – Regards
croisés Droit Gestion , Economica, 2011, p. 261-267 ; CUSACQ N., Aspects juridiques de l’investissement
responsable in Mél. J. Dupichot, Bruylant, 2005, p.129.
293
Ibid.
294
CAPRON M., QUAIREL-LANOIZELEE F., La responsabilité sociale d’entreprise, La Découverte Repères,
2007, p.7-8.

120
Paragraphe 2 – Le nouvel élan de l’activisme actionnarial

128 – Un activisme orienté – Au travers de ce que l’on peut considérer comme de


l’activisme actionnarial, deux aspects ont contribué au développement de la diffusion de la
démocratie dans les sociétés par actions. De manière assez ironique, ils s’inscrivent dans le
mouvement de financiarisation des sociétés par actions. En effet, ils procèdent tous les deux
des sociétés dont les titres ont été admis aux négociations sur un marché règlementé ou un
système multilatéral de négociation. Tout d’abord, l’actionnariat connait ce que certains ont
pu qualifier de concept émergent : la notion d’orientation295. De plus en plus, la loi ou la
jurisprudence s’intéressent aux mobiles de l’actionnaire. Ces mobiles peuvent être spirituels
voire éthiques si l’on souhaite élargir la perspective mais aussi purement matériels comme la
réalisation de gains potentiels, la combinaison de ces deux grandes catégories de mobiles
étant tout à fait possible voire fréquente, l’auteur à l’origine de ces catégorisations s’appuyant
sur les exemples des LBO et de la finance islamique296. Or, la prise en compte de ces mobiles
n’est pas sans conséquence à la fois sur l’acquisition de la qualité d’actionnaire et sur
l’exercice de ses droits. Ces potentielles conséquences révèlent les tensions existant autour de
l’actionnaire : faut-il prévoir un régime spécifique permettant de prendre en compte cette
orientation soit en retranchant certains droits, soit en en créant de nouveaux ? Faut-il prévoir
un ou des régimes d’exception ou en faire le régime droit commun297 ? Outre les classiques
problèmes soulevés par l’affectio societatis, le propos semble plutôt favorable à cette
évolution mais surtout met en lumière un élément clé du mythe démocratique :
l’élargissement des référents traditionnels. L’actionnaire ne peut plus ou est de moins en
moins considéré comme cantonné au seul cadre social. Il est aussi un vecteur d’inclusion dans
un système plus vaste et contribue, par l’exercice de ses droits au quotidien lorsqu’il obéit à
une orientation précise, à diffuser une éthique dépassant la vision traditionnelle purement
économique des sociétés par actions. En soi, rien ne vient s’opposer à un actionnariat orienté
dès lors que ce dernier demeure dans les bornes proposées par le droit des sociétés : les
instruments proposés sont suffisamment souples pour que des considérations extra-financières
orientent non seulement les pratiques de l’actionnaire mais aussi indirectement la marche de
la société dans laquelle il pourrait être amené à exercer une influence décisive.

295
DONDERO B., L’actionnariat orienté, ou la prise en compte des mobiles de l’actionnaire, in LE DOLLEY
E., Les concepts émergents en droit des affaires, LGDJ Droit et économie, 2010, p.263 et suiv.
296
Ibid., p.266-267.
297
Ibid., p.271-273 et 276-279.

121
129 – De l’activisme à la gouvernance orientée – Ensuite, l’actionnaire trouve avantage au
développement de la corporate governance. Si l’on a déjà évoqué celle-ci comme facteur de
redynamisation du mythe démocratique298, il s’agit ici d’évoquer un aspect plus précis : son
caractère orienté au profit des actionnaires. En effet, dans la lignée de nos analyses
précédentes, l’ISR est un des promoteurs de la diffusion de la corporate governace ainsi que
l’un de ses principaux acteurs. Le renforcement des contrôles au profit des actionnaires a
facilité la diffusion de différents modèles éthiques en imposant parfois la prise en compte de
valeurs issues de la communauté civique dans la réalisation de profits299. On peut ainsi penser
aux Sins Stocks relayés par certains fonds religieux empêchant la société dans laquelle ils ont
investi de se déployer dans certains secteurs d’activité considérés comme immoraux sous
peine de voir le fonds se désengager du capital. On peut aussi évoquer une pratique classique
des fonds d’investissement, lorsqu’ils détiennent une part importante du capital des sociétés,
consistant à faire nommer des administrateurs et des dirigeants proches de leurs sensibilités,
ce qui est un puissant levier de diffusion de telle ou telle idéologie porteuse de valeurs300. La
qualité d’actionnaire se voit assujettie à une dimension téléologique plus vaste que celle
initialement assignée aux sociétés dans l’article 1832 du Code civil. Le mythe démocratique
permet de mettre en lumière cette évolution de la notion d’actionnaire. En effet, la lecture
moderne du mythe permet de resituer ce mouvement dans un phénomène plus vaste.
Si, originellement, il s’agissait de la protéger des éventuels abus des autres organes, il est ici
celui qui a un rôle moteur, l’initiative pour impulser une orientation spécifique. Au lieu de
promouvoir une conception plutôt descendante voire passive, cette facette du mythe contribue
à la fois à conférer et à rendre compte d’une conception plus active de l’actionnaire. Surtout,
elle permet de saisir un rapport singulier à la démocratie. Dans cette perspective, il est acteur
de la société par actions dans laquelle il s’investit et de la communauté civique dont il assure
le relais en termes de valeurs. Ce relais de valeurs rejaillit aussi sur les autres structures de
sociétés par actions et ne repose pas sur le seul pivot de l’actionnaire.

298
Voir Partie 1 Titre 2 Chapitre 1 Section 2
299
RIASSETTO I., Le « faith-based », un concept en droit bancaire et des marchés financiers, in Le DOLLEY
E., Les concepts émergents en droit des affaires, LGDJ Droit et économie, 2010, p.163 et suiv.
300
CAPRON M., QUAIREL-LANOIZELEE F., La responsabilité sociale d’entreprise, La Découverte Repères,
2007, p.59.

122
Section 2 – La lente emprise des contextes sociaux et environnementaux sur
les structures sociales

130 – La transformation des représentations sociales – La figure de l’actionnaire demeure


un pilier essentiel dans la diffusion de la représentation démocratique dans les sociétés par
actions. Cependant, l’idée selon laquelle le citoyen s’emparerait de la qualité d’actionnaire
pour imposer un certain nombre de valeurs issues de la communauté civique demeure une
idée encore en développement. Comme l’ont observé certains auteurs, « Cette forme
d’actionnariat reste exceptionnelle en France ». Plus précisément : « Globalement, la
proportion effective des actionnaires « responsables » reste très faible et leur pouvoir
financier modeste ; leur présence médiatique est beaucoup plus importante que leur part de
marché ; ils jouent un rôle indéniable sur les politiques de communication des entreprises
cotées et sur la prise de conscience de l’importance des critères extra-financiers dans
301
l’évaluation des performances » . Autrement dit, le mythe démocratique est en train
d’évoluer quant aux conceptions de l’actionnaire mais rien n’en garantit la pérennité.
Cependant, le citoyen actionnaire s’inscrit dans une évolution plus vaste dont il est l’une des
incarnations. Il est la facette symbolique d’une transformation progressive des représentations
à l’œuvre au sein du droit des sociétés en général et du droit des sociétés par actions en
particulier302. En effet, le mythe de la démocratie actionnariale révèle une emprise
grandissante des contextes sociaux et environnementaux sur ce type de groupements, ce que
certains auteurs ont pu résumer au travers de la formule de « l’encastrement »303. Or, cette
imbrication croissante entre logiques économiques, que l’on considère traditionnellement
comme dévolues aux sociétés par actions, et logiques relevant du champ des communautés
civiques dépasse la seule figure de l’actionnaire. Certes celui-ci est la facette la plus visible et
agit comme un point saillant mais elle ne révèle qu’une partie du phénomène.
Désormais, les sociétés par actions ont vocation à s’ancrer dans un contexte plus large et non
plus seulement économique au travers notamment de l’idée d’entreprise citoyenne
(paragraphe 1), ce qui se traduit par des tentatives d’enrichissement et de transformations des
structures de gestion ou de surveillance adaptées à de tels objectifs (paragraphe 2).

301
CAPRON M., QUAIREL-LANOIZELE F., La responsabilité sociale d’entreprise, La Découverte, Repères,
2007, p.59.
302
TEFFO F., L’influence des objectifs gouvernementaux sur l’évolution du droit des sociétés, Dalloz, 2014, p.
321-329.
303
Ibid., p.58-59.

123
Paragraphe 1 – Ancrer les sociétés par actions dans un contexte plus large et non
plus seulement économique

131 – Des valeurs économiques ancrées dans la communauté civique –


Traditionnellement, les sociétés par actions sont réduites aux valeurs économiques,
financières et sont présentées comme un des parangons du système capitaliste. Or, ce
paradigme est en train d’évoluer avec la prise en compte d’autres valeurs issues de la
communauté civique304. Une lecture rapide pourrait laisser penser que celui-ci se résume au
sigle de RSE ce qui n’est pas tout à fait exact. Certes, la RSE apparaît particulièrement
visible, à l’instar du citoyen actionnaire, mais cela ne s’arrête pas aux enjeux purement
sociaux ou environnementaux. Le mythe démocratique est révélateur d’une question
politique : celle du pouvoir confié à ces groupements. Mobiliser le mythe démocratique selon
telle ou telle forme, concernant tel ou tel mécanisme permet de saisir la difficulté profonde, la
question fondamentale qui est posée à ces groupements. A cet égard, il convient d’observer un
glissement conceptuel assez symbolique autour de la notion d’entreprise citoyenne : bien que
la terminologie employée apparaisse fondamentalement vaste et potentiellement capable
d’englober toute forme ou presque de groupement économique, ses applications et certaines
de ces conceptions se focalisent presque exclusivement sur les grandes firmes multinationales
cotées et donc les sociétés anonymes. D’où un certain nombre de difficultés pour en tirer
toutes les conséquences notamment institutionnelles. Ceci étant précisé, saisir l’entreprise par
la citoyenneté permet, par un anthropomorphisme sous-jacent, de faciliter la transmission de
valeurs et de questionnements politiques dont le pouvoir est le fil d’Ariane et dont la RSE
n’est qu’une facette. Originellement centré sur la protection des actionnaires voire de
l’épargne publique, le mythe démocratique s’enrichit de la protection des communautés
civiques et de l’insertion de l’entreprise dans ces dernières, d’où l’idée d’encastrement.

132 – Entreprise citoyenne et recherche de légitimité – Néanmoins, c’est dans le domaine


de la RSE qu’ont pu être proposées des analyses permettant de rendre compte de la
transformation du mythe démocratique au contact de « l’entreprise citoyenne »305. En effet,
pour certains auteurs, on ne peut comprendre ce phénomène qu’au travers du concept de

304
CANTIN R., Les approches sociétales de l’Entreprise : une option vitale pour nos sociétés développées, p.
101-102 ; CLANCHIN O., La place de l’entreprise dans la Société, p. 175-176 in CHAMPAUD C., (dir.)
L’entreprise dans la société du XXIe siècle, Larcier, 2013.
305
CAPRON M., QUAIREL-LANOIZELE F., ibid.

124
légitimité306. Partant de la définition donnée par M.C. Suchman dans le domaine des sciences
de gestion, la légitimité est « l’impression partagée que les actions de l’organisation sont
désirables, convenables ou appropriées par rapport au système socialement construit de
normes, de valeurs, ou de croyances sociales »307. A partir de cette définition, des auteurs ont
pu mettre en lumière ce qui sous-tend la transformation des entreprises et dont le mythe de la
démocratie actionnariale est un des aspects. Pour ceux-ci, « la question de la légitimité est
consubstantielle de l’ordre social »308. Dès lors, « la légitimité des entreprises naît au sein
d’un environnement institutionnalisé, c’est-à-dire un environnement qui impose des exigences
sociales et culturelles, qui les pousse à jouer un rôle déterminé et à maintenir certaines
apparences extérieures. L’entreprise doit apprendre à paraître selon les critères convenus,
ressembler à une organisation rationnelle »309. Par un jeu de miroir, les entreprises tendent à
se conformer selon différents vecteurs aux attentes de leur contexte social310. Le mythe de la
démocratie actionnariale peut à ce titre être considéré à la fois comme un moyen et comme un
révélateur de cette quête de légitimité. En effet, le recours au mythe permet de faciliter le
passage des valeurs démocratiques dans le champ des entreprises et des sociétés par actions.
C’est ce que la figure traditionnelle a initié par exemple au travers des droits des actionnaires
ou des droits conférés aux assemblées générales. La figure moderne a amplifié cela en
accélérant la transmission de valeurs propres aux communautés civiques et à la société civile.
En cela, on peut dire que le mythe est un moyen de diffusion, d’acculturation : les sociétés
ayant un besoin de légitimité ont fini par s’emparer de manière croissante des outils et valeurs
démocratiques.

133 – Le mythe démocratique, révélateur de l’évolution des valeurs – Toutefois, le


recours au mythe est aussi un révélateur : c’est en recensant et en mettant en lumière le
recours à cette représentation que l’on peut saisir à plein cette quête de légitimité mais aussi
de légitimation recherchée par ces groupements. Le mythe est une figure malléable : si le
tronc commun est celui de la démocratie, il peut être mobilisé sur des aspects différents voire
être utilisé comme contre-exemple, la démocratie est alors une utopie, une source
d’inspiration ou un repoussoir selon la volonté de celui qui l’utilise. Dans cette perspective, il
est intéressant de relever que cette recherche permanente de légitimité peut trouver un

306
CAPRON M., QUAIREL-LANOIZELE F., ibid., p.43-45.
307
Ibid, p.43 ; à rapprocher de DAIGRE J.-J., Le droit des sociétés, droit technique ?, Bull Joly 2012, p. 685.
308
Ibid, p.43.
309
Ibid, p.43.
310
SEGRESTIN B. HATCHUEL A., Refonder l’entreprise, Seuil, La République des Idées, 2012, p. 96 et suiv.

125
fondement dans des paradigmes théoriques opposés. A l’instar de la figure classique du mythe
qui a pu trouver un nouvel essor dans la théorie de la corporate governance, la nouvelle figure
prend appui sur deux facettes considérées comme concurrentes : celle des nœuds de contrat et
celle des parties prenantes. Pour les auteurs précités311, la firme considérée comme un nœud
de contrats relève du domaine purement économique et se caractériserait par une vision
relevant de l’individualisme méthodologique. La firme est une personne morale qui a noué
des contrats avec diverses parties et dans des objectifs différents à chaque fois. L’un des
contrats les plus importants est bien entendu celui qui sert de support à la relation d’agence
existant entre la firme est ses actionnaires. Il est d’ailleurs intéressant de rappeler ici que cette
théorie se focalise principalement sur les sociétés par actions en dépit d’un recours à un
vocabulaire parfois plus générique. Or, cette relation d’agence est la colonne vertébrale autour
de laquelle s’articulent toutes les autres relations et, partant, tous les autres contrats312.
L’actionnaire, son bénéfice et ses attentes en constituent l’alpha et l’oméga. Propriétaire de
l’entreprise, il en attend un retour sur investissement, une rentabilité accrue. Par conséquent,
se pose la question de la corrélation entre performances financières et performances sociétales
que l’on retrouve au travers de la notion de légitimité. L’accroissement des bénéfices auraient
vocation à se réaliser dans une dimension acceptable autrement dit en tenant compte des
conditions dans lesquelles ces bénéfices pourraient se concrétiser. Ces conditions acceptables
relèvent des domaines sociétaux par exemple le respect de certaines normes en droit du travail
afin d’éviter la réalisation de préjudices susceptibles d’amputer les bénéfices. Autrement dit,
les bénéfices doivent être réalisés dans un environnement relativement cadré, conforme à
certaines apparences comme l’indique la définition précédente de la légitimité. La satisfaction
de l’individu actionnaire s’inscrit dans une apparence de conformité aux valeurs de la
communauté civique susceptibles de rejaillir sur l’entreprise. La conséquence immédiate est
évidemment la recherche d’une adéquation croissante des différentes relations contractuelles à
cette contrainte. De même, la théorie des parties prenantes arrive à une conclusion identique
alors que le point d’origine est pour le moins différent. Là où la firme comme nœud de
contrats privilégie une approche individualiste, la vision des parties prenantes, plutôt pensée
comme relevant d’une vision sociologique, inscrit les relations entre l’entreprise et différents
acteurs sur un pied d’égalité, ces derniers peuvent être intéressés par les activités de

311
Ibid, p. 33-35.
312
SEGRESTIN B., HATCHUEL A., op. cit., p. 13 ; HANNOUN C., Refonder l’entreprise ou le capitalisme
industriel ? Le libellio d’Aegis, vol. 8, n°2, 2012, p. 45-52 ; TEFFO F., L’influence des objectifs
gouvernementaux sur l’évolution du droit des sociétés, Dalloz, 2014, p. 322-329.

126
l’entreprise et tous sont des référents concurrents313. Il ne s’agit plus ici de se focaliser sur
l’actionnaire comme référent ultime mais tous ont vocation à l’être. Les parties prenantes sont
multiples et les critères pour les identifier aussi : influence, droit légitime sur l’entreprise,
risque, fondent tout autant de prétentions à prendre compte pour cette dernière. En
l’occurrence, la recherche de la satisfaction de toutes ces parties prenantes ou même leur
hiérarchisation éventuelle conduit à prendre en compte leurs attentes et ces dernières ne se
réduisent pas au profit. Ici la recherche de la légitimité par les entreprises apparaît clairement
comme l’un des objectifs à atteindre. De ces deux visions théoriques, l’une individualiste,
l’autre holiste, on constate une convergence autour de la recherche de légitimité. Le mythe
démocratique dans sa figure moderne apparaît comme le vecteur privilégié de cette
légitimité : les tentatives de transposition de valeurs issues de la communauté civique relève
autant d’une recherche de maximisation des profits de l’actionnaire que d’une prise en compte
élargie des acteurs autour des sociétés par actions. Il ne s’agit plus de cantonner les sociétés
par actions à un rôle de rouage du capitalisme moderne mais de les resituer dans un contexte
plus global que ce soit dans une dimension utilitariste purement orientée au bénéfice des
actionnaires ou dans une vision plus « sociétale » au bénéfice de tous ceux concernés par les
activités de ces entités. La recherche de conformité à ces valeurs de la communauté civique
passe par des modifications de certaines structures classiques de gestion ou de surveillance.

134 – La mutation annoncée de l’objet et de l’intérêt social, loi PACTE – Le 9 mars 2018
a été publié un rapport commandé par le Président de la République intitulé Entreprise et
intérêt général dit rapport Sénart-Notat du nom de ses auteurs314. Ce rapport prend acte des
différentes initiatives existantes dans le domaine de la RSE. Le cœur de ce rapport s’articule
principalement autour de la notion d’entreprise pour proposer différentes modifications du
droit des sociétés315. L’entreprise, et sa conception, aurait vocation à s’imposer en doit des
sociétés, cantonnant certaines logiques propres à ce dernier. Les auteurs du rapport suggèrent
ainsi de définir la société par rapport à l’entreprise ainsi que l’intérêt social par rapport aux
missions de celle-ci. Dans les deux cas, ils préconisent de le graver dans le marbre législatif.
Pour eux, il convient d’acter définitivement le fait que l’entreprise, accompagnée par le droit

313
Ibid, p.35-42.
314
MERLE P., FAUCHON A., Droit commercial – sociétés commerciales, Dalloz, Droit Privé, 2018, p. 90-91.
315
SCHMIDT D., La société et l’entreprise, D 2017, 2380 ; COURET A., Faut-il réécrire les articles 1832 et
1833 du Code civil ?, D 2017, 222 ; PAILLUSSEAU J., Entreprise et société. Quels rapports ? Quelle
réforme ?, D 2018, 1395 ; URBAIN-PARLEANI I., La réécriture des articles 1833 et 1835 du Code civil :
révolution ou constat ?, Rev. Sociétés, 2018 n°3 ; TCHOTOURIAN I., L’inconnu de la réforme de l’objet
social, Bull. Joly 2018, 134.

127
des sociétés, est inscrite dans une communauté civique. Leur grille de lecture relève d’une
forme de capitalisme vertueux, privilégiant l’éthique sur le bénéfice ou la valeur comme seule
boussole.
Ce rapport a connu un prolongement dont les implications demeurent encore floues au
moment où cette étude est rédigée. En effet, un projet de loi dit PACTE, pour Projet de loi
relatif A la Croissance et la Transformation des Entreprises, a été présenté le 18 juin 2018.
Dans ce projet, les propositions du rapport Sénart-Notat sont reprises en ce qui concerne
l’objet et l’intérêt social. A l’issue de son adoption en première lecture par l’Assemblée
Nationale, l’article 61 du projet prévoit la modification des articles 1833 et 1835 du Code
Civil. Si ces propositions sont maintenues par le Sénat, la société deviendrait « gérée dans son
intérêt social, et en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux » dans
l’article 1833. « Les statuts peuvent préciser la raison d’être dont la société entend se doter
dans la réalisation de son activité » entrerait dans l’article 1835316. Par ces modifications, le
législateur consacrerait l’intérêt social comme composante de la RSE ainsi que les entreprises
à mission relevant autant de l’économie sociale et solidaire que de la RSE elle-même.
Sensiblement, le centre de gravité des sociétés se déplace de la simple réalisation de bénéfices
ou d’économies à une réalisation de ces derniers dans un cadre de plus en plus éthique. Le
discours axiologique prend une place croissante en droit des sociétés, contribuant à
parachever l’encastrement avec la communauté civique et ses valeurs.

Paragraphe 2 – Enrichir et compléter les structures classiques de gestion et de


surveillance

135 – Approfondir et compléter les organes sociaux – Le mythe de la démocratie


actionnariale peut permettre de véhiculer des transformations des organes classiques des
sociétés par actions. Dans sa dimension moderne, il s’attache principalement à un type très
précis de société par actions : les sociétés anonymes dont les titres ont fait l’objet d’une offre
au public. Autrement dit, ce sont principalement les sociétés cotées qui sont les destinataires.
Les autres sociétés par actions ne semblent pas directement concernées hormis les sociétés
anonymes si ce n’est peut-être par capillarité317. Il convient de rappeler à ce titre que la société
anonyme sert parfois de droit commun aux autres sociétés par actions, ne serait-ce que par le

316
FLEURY B., B-corp à la française : l’intérêt social enfin réconcilié ?, Bull. Joly 2017, p. 647.
317
MALECKI C., Responsabilité sociale d’entreprise – Perspectives de la gouvernance d’entreprise durable,
LGDJ, Droit des affaires, 2014, p.69 et suiv.

128
jeu des renvois prévus au Code de commerce même si ces derniers sont très limités en matière
d’organes sociaux surtout si l’on songe à la SAS ou même à la société en commandite. Par
conséquent, on peut à ce stade de diffusion du mythe émettre l’hypothèse que ce mouvement
est amené à se développer mais sans doute sous des formats atténués. Principalement, la
mobilisation du mythe démocratique permet de constater un mouvement d’approfondissement
et d’élargissement. Plutôt que de pousser à la modification en profondeur des structures et des
organes existants, la doctrine et le législateur tendent à promouvoir l’enrichissement des
organes traditionnels318. Principalement, les administrateurs et les assemblées générales mais
aussi des entités comme les commissaires aux comptes ou les experts connaissent un
alourdissement considérable de leurs fonctions319. Désormais, tout est mis en place pour que
tous mettent en scène au travers des différents rapports et autres outils de reddition de
comptes, la recherche de conformité avec des valeurs autres que purement financières.
Indirectement, la reddition de comptes ne concerne plus uniquement les actionnaires mais
aussi la communauté civique servant de support à ces derniers. Il s’agit de rendre compte de la
réalisation de bénéfices dans toutes ses composantes : dans quelles conditions financières,
économiques mais aussi humaines est-elle réalisée ? De plus, s’accentue ou s’encourage
l’évolution des organes en faveur de plus de transparence et d’indépendance supposée
favoriser la prise en compte de la conformité aux valeurs de la communauté civique. A ce titre
on peut songer à la question des administrateurs indépendants et à leur nouvelle incarnation :
l’administrateur référent320. L’idée principale de ces évolutions consiste à proposer des
démarches privilégiant l’éthique et non plus seulement la poursuite du profit. Du moins telle
est l’aspiration affichée. Il convient de noter que ce mouvement repose sur une dynamique
double : l’autorégulation avec un rôle important des milieux professionnels et de leurs
autorités administratives indépendantes de tutelle321 et le législateur qui promeut avec une
constance certaine la prise en compte de valeurs civiques322. Cependant, une interrogation
subsiste au regard d’un principe fondateur des sociétés qui est celui de hiérarchie des organes
sociaux : jusqu’où peut-on approfondir le rôle des différentes organes sociaux sans provoquer

318
Idem, p.31-64.
319
Voir plus précisément pour des régimes détaillés Partie 1 Titre 2 Chapitre 2 Section 2 mais aussi Partie 2 Titre
2 Chapitre 2.
320
LE CANNU P., L’administrateur référent : un nouveau personnage au théâtre du conseil, RTD Com. 2013,
p.625 et suiv.
321
MALECKI C., op. cit., p.168-184.
322
Voir principalement la thèse suivante sur cette tendance autour des objectifs gouvernementaux : TEFFO F.,
L’influence des objectifs gouvernementaux en droit des sociétés, Dalloz, Nouvelle Bibliothèque des Thèses,
2014, p.8 et suiv.

129
une recomposition voire une restructuration profonde du droit des sociétés ? Le mythe
démocratique ne permet pas encore d’y répondre.

136 – Conclusion du chapitre – Les sociétés par actions n’ont pu échapper à la lente montée
en puissance des théories de l’encastrement. Par les figures de l’entreprise citoyenne ou du
citoyen actionnaire, les sociétés par actions ont été rattrapées, sommées de refléter les valeurs
de la communauté civique dans laquelle elles sont amenées à intervenir au quotidien.
Progressivement, les actionnaires mais aussi les organes sociaux deviennent des acteurs de ce
changement mais aussi des sujets de ces derniers. Tantôt le mythe permet de dévoiler un
enrichissement des pratiques anciennes comme en matière d’activisme actionnarial, tantôt il
permet de rendre compte de la transformation d’organes comme les administrateurs ou les
commissaires aux comptes.

137 – Conclusion du titre – Le mythe de la démocratie dans sa dimension la plus moderne


contribue à transformer le droit des sociétés par actions et parfois au droit des sociétés lui-
même. Il insuffle une nouvelle dynamique contribuant à renforcer l’analogie entre
communauté civique et société avec pour vecteur principal la société anonyme et les autres
sociétés par actions. Ce rapprochement n’est pas sans dangers, ni interrogations mais il a pour
mérite de créer des passerelles plus fortes entre ces structures économiques et le contexte dans
lequel elles sont amenées à opérer.

138 – Conclusion de la partie – Le mythe démocratique agit sous deux visages au sein des
sociétés par actions. Dans sa dimension traditionnelle, il assimile la société par action à une
miniature politique, à un régime politique dont l’inspiration démocratique se produit par
éclipses. Le recours à la démocratie révèle de fortes tensions qui permettent de mieux saisir
les rapports de force qui se jouent autour des sociétés par actions. De même, dans sa
dimension plus moderne, le mythe démocratique consiste à importer des valeurs issues de la
communauté civique pour transformer les sociétés par actions. En approfondissant la vision
traditionnelle, le nouvel élan démocratique dépasse la simple question de régime politique
pour aller vers celle des valeurs. En filigrane apparaît un débat ancien qui est celui du rapport
entre capitalisme et morale. Les sociétés par actions, instruments du capitalisme, ne peuvent
échapper à cette double question de la légitimité de leur pouvoir et des valeurs morales qui les
supportent. Le mythe démocratique est le révélateur de ce lien, il permet de mesurer les
tensions autour de ce couple capitalisme – morale ou valeurs et à ce titre ne peut présenter un

130
seul visage. Le droit des sociétés par actions est une dynamique qui, pour l’instant penche de
nouveau fortement vers la démocratie.

131
Partie 2 – Un mythe structurant : apports et limites d’une
pratique démocratique des sociétés par actions

139 – Ambivalence autour de l’actionnaire et convergence autour des mandataires


sociaux – Envisagé dans son aspect structurant, le mythe répond à une question essentielle : le
comment ? Ainsi, certaines légendes se trouvaient à l’origine d’un rite particulier qu’elles
justifiaient et expliquaient comme dans le cas des Dionysies ou Bacchanales dont les excès
puisaient leurs raisons d’être dans l’hubris animant la divinité objet de ce culte : Dionysos
pour les grecs, Bacchus pour les romains. Dès lors, la démocratie actionnariale n’est pas
seulement une vision particulière des sociétés par actions, elle offre aussi des mécanismes,
une organisation des relations entre les différentes parties en présence. A l’instar des mythes,
la démocratie est aussi un vecteur d’organisations, de rituels, de structures irrigant les sociétés
par actions. Pour schématiser, deux grandes figures cristallisent autour d’elles les règles
d’organisation des sociétés par actions : l’actionnaire et le mandataire social. Au travers de
ces deux grands archétypes, le mythe démocratique a trouvé à s’exprimer mais de manière
différente pour chacun.
Concernant l’actionnaire, la démocratie actionnariale trouve le plus de difficulté à se
maintenir, voire tout simplement à exister face à l’influence de modèles concurrents.
L’actionnaire oscille toujours entre le citoyen et le cocontractant avec un avantage de plus en
plus marqué pour ce dernier. Par la figure du citoyen, le mythe démocratique permet de
révéler les droits fondamentaux conférés à l’associé mais aussi un certain nombre de limites à
ces derniers afin de favoriser l’existence d’une communauté entre égaux. Mais cette
communauté n’est qu’un socle parfois bien fragile au regard d’impératifs concurrents. Aussi
la nature plurielle de l’action est un des pivots de l’ambivalence régnant autour de la qualité
d’actionnaire : le mythe démocratique est ici utilisé de manière très variable pour structurer
les droits et devoirs de ces derniers.
Concernant le mandataire social, le phénomène est inverse : une convergence certaine tend à
se mettre en place entre les différentes conceptions théoriques autour d’une perspective
commune. Que l’on privilégie l’aspect contractuel ou plus politique, le dirigeant doit faire
l’objet d’un contrôle rigoureux, à l’aune des pouvoirs qu’il se voit confier par la collectivité.
Le mythe démocratique offre ici un répertoire de structures souvent appuyé, voire approprié
par d’autres courants. Il connaît une vivacité certaine, principalement dans le cadre de la
société anonyme qui en est le terrain d’élection. Toutes les figures des mandataires sociaux
sont concernées à des degrés divers, de même que certains organes lorsqu’ils concourent au

132
contrôle de ceux-ci. Bien que tenu en lisière des commandites par actions et des sociétés par
actions simplifiées, le mythe y trouve parfois des espaces pour s’exprimer par ricochet lorsque
sont débattues les attributions de ses organes dirigeants : les logiques propres à ses formes
sociales sont parfois captées par le pouvoir d’attraction du modèle de référence que
constituerait la société anonyme.
Si la pratique démocratique dans les sociétés par actions occupe une place contrastée autour
de la figure de l’actionnaire due aux divergences entre impératif de protection des
prérogatives de ce dernier et liberté de disposition patrimoniale (titre 1), elle s’est affirmée
comme un référent incontournable autour des mandataires sociaux participant de
l’accroissement du contrôle de leurs pouvoirs et compétences (titre 2).

133
Titre 1 – Autour de l’actionnaire : divergences entre l’impératif de
protection des prérogatives de l’actionnaire et la liberté de
disposition patrimoniale

140 – L’actionnaire, équilibre instable entre droits – Depuis une dizaine d’année, le
législateur oscille entre l’affirmation de l’homogénéité de la figure de l’actionnaire et la
reconnaissance de sa diversité. Dans le premier cas, il reconnaît un socle commun de droits
fondamentaux à l’associé dont celui-ci ne peut disposer et sur lesquels on ne peut empiéter.
Dans le second cas, il permet à l’actionnaire de définir lui-même le périmètre de ses droits en
les étendant ou les restreignant à son gré, favorisant ainsi la création d’inégalités de situations
et donc de catégories d’actionnaires aux droits distincts.
L’action est un titre négociable qui ouvre des droits dans une organisation collective et légale,
législateur et jurisprudence hésitent sans cesse entre l’accentuation du côté titre circulant et
l’aspect reconnaissance de droits. Dans cette tension, le mythe démocratique trouve à
s’exprimer pleinement dans la dimension relative aux droits propres de l’actionnaire : il
l’accompagne notamment au travers du parallèle citoyen et actionnaire. L’inspiration
démocratique peut aussi inspirer des évolutions dans ce domaine. Cependant, il se heurte aussi
aux impératifs financiers et à l’aspect négociable : un titre négociable ne peut permettre une
assimilation absolue à la figure citoyenne.
C’est dans cet équilibre instable que l’apport démocratique est le plus contesté. Nombreux
sont ceux qui le considèrent dépassé voire néfaste pour le développement de la notion
d’actionnaire. En dépit de ces critiques, les structures d’inspiration démocratique continuent à
former un socle particulièrement utile aux sociétés par actions notamment au travers de la
question du droit de vote, pivot essentiel du fonctionnement de ces groupements.
Cette tension permanente se retrouve aussi bien au regard des droits individuels reconnus à
chaque actionnaire (chapitre 1) que dans les droits reconnus à la collectivité de ces derniers
(chapitre 2).

134
Chapitre 1 – Droits individuels : entre affirmation et libre disposition

141 – L’actionnaire en ses droits – L’actionnaire jouit de droits minima apparemment


incompressibles mais qui tendent de plus en plus à pouvoir faire l’objet d’aménagements
conventionnels affaiblissant d’autant l’image démocratique. A la manière de Prévert, on peut
ainsi recenser les différentes prérogatives dont est titulaire l’actionnaire323. Il s’agit des
principaux droits suivants :
- Droit d’information,
- Droit de participer aux décisions collectives,
- Droit de vote,
- Droit d’éligibilité aux fonctions sociales
- Droit d’agir en justice,
- Droit aux dividendes,
- Droit aux réserves,
- Droit au boni de liquidation,
- Droit préférentiel de souscription,
- Droit au remboursement de l’apport,
- Droit de négocier ses titres.
Toutes ces prérogatives ne sont pas envisagées de la même manière selon que l’on privilégie
ou non une grille de lecture démocratique des sociétés par actions. Surtout, toutes ne sont pas
forcément concernées par cette dernière. Dès lors, il convient d’identifier celles qui sont les
plus directement liées à l’imagerie démocratique. Pour ce faire, il est pas utile de conserver
une dichotomie classique, celle opérant une classification entre droits politiques et droits
financiers, entre le pécuniaire et l’extra-pécuniaire324.
Si tout ce qui relève de l’information, de la participation, du vote et de l’éligibilité relèvent
des droits politiques, tout le reste concerne plutôt le domaine financier, même si nous verrons
que cela n’est pas sans relations ni impacts des uns sur les autres. Envisager ces droits sous le
prisme de la démocratie actionnariale permet de mettre en lumière les tensions qui existent
entre ces différentes composantes de la qualité d’actionnaire.

323
MONSERIE-BON M-H et GROSCLAUDE L., Droit des sociétés et des groupements, LGDJ Cours, 2e
édition, 2013, p.135.
324
Telle que les manuels les plus classiques la présente : LE CANNU P., DONDERO B., Droit des sociétés,
Montchrestien droit privé, 5e édition, 2013, p.102-135 et p.609-622 ; MESTRE J., VELARDOCCHIO D.,
MESTRE-CHAMI A-S., Sociétés commerciales, Lamy 2014, p. 834-891 ; MERLE P., FAUCHON A., Droit
commercial – sociétés commerciales, Dalloz, Droit Privé, 2018, p. 376 et p. 391.

135
D’emblée, on peut préciser que le périmètre de ces droits n’est pas toujours aussi net que la
liste précédente peut le laisser penser. L’univers de sociétés par actions ne se réduit pas à un
seul type de société. Une difficulté ne doit pas être occultée mais constamment conservée à
l’esprit : l’agencement des règles propres aux sociétés par actions. Outre les références
classiques au droit commun des sociétés, la SAS et la SCA sont supposées avoir pour
référence la société anonyme quant à leur mode de fonctionnement. Or, le système de renvois
mis en place par le législateur ne permet pas l’application d’un système unique. Les renvois
n’impliquent pas d’uniformité. Si, dans l’ensemble, SA, SAS et SCA partagent globalement le
même fonctionnement, des différences sensibles peuvent exister. En l’occurrence, concernant
les droits des associés, celles-ci sont loin d’être négligeables, d’où parfois des
développements ayant vocation à les mettre en lumière lorsque cela s’avère nécessaire.
A nouveau la démocratie actionnariale apparaît comme un mouvement perpétuel, une
dialectique sans cesse renouvelée. Tantôt fortement présente, tantôt étouffée voire absente, la
tentation démocratique est une clé de compréhension des tensions qui se font de plus en plus
fortes au travers de cette figure de l’actionnaire, qui semble de moins en moins être un associé
comme les autres.
Dans cette perspective, tout en conservant une partition binaire entre politique et financier,
sera examinée l’affirmation d’un socle de droits censément incompressible pour l’actionnaire
(section 1), niche privilégiée à la conception démocratique des sociétés par actions, avant de
mettre en lumière le développement de la libre disposition de ses mêmes droits (section 2),
mouvement a priori inverse au précédent.

136
Section 1 – L’affirmation de droits minimum pour l’actionnaire

142 – L’actionnaire, entre politique et financier – L’actionnaire est titulaire d’un certain
nombre de droits reconnus par la législation et confortés par la jurisprudence que nous venons
de rappeler à grands traits. Ces droits s’organisent autour de deux grands pôles : le volet
politique et le volet financier.
Au sein de la sphère politique, le droit de vote, dont le caractère essentiel en donne une image
quasiment sacralisée, semble attirer à lui tous les autres. Autrement dit, il semble que ce
dernier soit un peu comme la colonne vertébrale autour de laquelle se structurent toutes les
autres prérogatives politiques. En effet, au sein de cette institution formée par la société, le
vote est censé être le mode d’expression de la volonté des associés. Les droits politiques
dressent le territoire de ce mode d’expression : comment et quand voter ? Avec quelles
garanties ? Le droit à l’information, la participation aux décisions collectives dont on verra
qu’elle eut parfois être distinguée du vote, l’éligibilité aux fonctions sociales ou la possibilité
d’agir en justice ont pour dénominateur commun de relever du droit de vote.
Tous ces composants des droits politiques servent de support ou de soutien au droit de vote325.
Plus le droit de vote devient important, plus ces prérogatives de soutien prennent de
l’ampleur. Pour cette raison, c’est principalement le droit de vote qui sera l’objet de notre
attention dans les développements qui suivront. Précisons à cette occasion que le droit à
l’information, s’il est essentiel au vote peut aussi être conçu comme un devoir pesant de plus
en plus sur les dirigeants, ce qui nous a conduit à l’examiner ultérieurement avec les devoirs
pesant sur les mandataires sociaux326.
A côté de ses prérogatives politiques, se retrouve l’aspect financier et surtout la double nature
de l’actionnaire : à la fois associé, membre d’une organisation, et titulaire d’un titre
susceptible de cession et autres montages patrimoniaux. C’est principalement l’ambivalence,
la relation ambigüe entre toutes ces prérogatives que met en lumière la démocratie
actionnariale.
Ainsi, le mythe démocratique tend à exalter la puissance politique de l’actionnaire
(paragraphe 1) au détriment du volet financier et trouve ses limites dans ce dernier
(paragraphe 2) : ici règne la conception institutionnelle.

325
MERLE P. FAUCHON A., Droit commercial – sociétés commerciales, Dalloz, Droit Privé, 2018, p. 394-396.
326
Voir supra Partie 2 Titre 2 Chapitre 1.

137
Paragraphe 1 – Le caractère sacré du droit de vote

143 – Actionnaire et citoyen par le vote – Afin de déterminer si un régime est ou non
démocratique, l’un des indices les plus utilisés est celui du vote : est-ce un droit ? Qui peut
l’exercer ? Comment est-il protégé ? Sont autant de questions récurrentes en la matière. Ainsi,
le suffrage peut être : restreint (censitaire) ou universel (conditions minimales pour pouvoir
voter : âge, pas de discriminations…), direct (pas d’intermédiaire) ou indirect (grands
électeurs formant le collège électoral), individuel (le vote appartient au citoyen en tant que tel)
ou social (le vote appartient au citoyen en tant que membre d’un groupe économique ou
social), égal (à chaque citoyen une voix) ou plural (plusieurs voix à certains électeurs en
raison d’une qualité qui leur est propre), facultatif (possibilité d’abstention) ou obligatoire
(sanction de l’abstention par le paiement d’une amende) et ce, sans compter les modalités
d’organisation du droit de vote qui vont du contentieux électoral aux conditions d’éligibilité et
de candidatures en passant par les règles de campagne327.
Dès lors que l’on adopte une grille de lecture démocratique, deux règles semblent essentielles
pour que cette dernière puisse être reconnue comme telle. Tout d’abord, chaque citoyen
disposerait d’une voix. Ce qui se traduirait par la règle « un Homme, une voix ».
Corrélativement, il s’agit aussi de la traduction du principe d’égalité. Ensuite, seule la
majorité serait apte à produire une décision légitime. C’est la conjonction entre ces deux
éléments qui fonde la démocratie. Ceci étant, la légitimité de la loi de la majorité ainsi que
celle de la « citoyenneté » via la question du vote ne semblent pas aller de soi dans les sociétés
par actions et ont pu faire l’objet de nombreuses critiques.
Il s’agit ici de relever, d’identifier les différents mécanismes relatifs au droit de vote
susceptibles de véhiculer la démocratie actionnariale. Quant aux éventuelles critiques, elles
feront l’objet d’une analyse plus poussée ultérieurement. Au vote conçu comme le pivot d’un
fonctionnement démocratique (A) répond le vote conçu comme un droit fondamental (B).

A – Le vote, pivot d’un fonctionnement démocratique

144 – Le droit de vote, droit-fonction ou droit individuel – Or, malgré un certain


scepticisme voire esprit critique, l’esprit démocratique s’est particulièrement cristallisé dans

327
MELIN-SOUCRAMANIEN F. et PACTET P., Droit constitutionnel, Sirey, 35e édition, 2017, p. 81-82.

138
cette question du vote des actionnaires. Comme avait pu le résumer le professeur Germain :
« on dit parfois que le droit de vote est un droit-fonction, pour exprimer l’idée que
l’actionnaire l’exerce dans l’intérêt de la société. Mais cette expression n’est pas heureuse,
car l’actionnaire peut se désintéresser de ce droit ; et l’absentéisme des actionnaires, on l’a
dit, est un phénomène fréquent dans le fonctionnement des assemblées. Il vaut mieux dire
simplement qu’il y a là un droit individuel de l’actionnaire, que la loi et la jurisprudence
aménagent, le cas échéant, de plus en plus, en fonction de l’intérêt social »328.

145 – La recherche de la nature du droit de vote – La nature du droit de vote de l’associé,


et plus encore de celui de l’actionnaire, a fait l’objet de nombreux débats. Droit-fonction, droit
propre, droit subjectif, droit mixte ou encore pouvoir sont autant de clés d’interprétation,
d’avatars susceptibles d’expliquer ce mystère du vote329. Derrière ces différentes théories se
cache en réalité une question essentielle : celle de la liberté de l’actionnaire. C’est ici que se
niche l’intérêt du recours à la démocratie, c’est ici que réside et se cristallise ce recours. A des
degrés divers, l’analogie démocratique a pu se nourrir de ces différentes théories et trouver un
terreau plus ou moins favorable à son développement.
Parmi toutes ces théories, la notion de droit-fonction résume bien l’esprit autour duquel s’est
construit une certaine forme de sacralisation du droit de vote. D’autres auteurs mettent aussi
en avant cette idée en en faisant une « prérogative intrinsèquement liée à la qualité
d’actionnaire »330, voire un pouvoir à part entière. Dans cette perspective, l’exercice et
l’attribution de ce droit ne se comprend véritablement que dans une institution. En effet, de
telles conceptions se déploient avec pour toile de fond les théories de l’institution et l’idée
selon laquelle le droit de vote est principalement finalisé. Le vote ne s’exerce ou du moins ne
doit s’exercer que dans l’intérêt du groupement. D’une certaine façon, on pourrait considérer
que le vote agit comme une forme de lien social, une espèce d’interface entre les actionnaires
et les dirigeants dans le cadre de l’institution qu’est la société par actions.

146 – Le droit de vote, un droit fondamental ? – A ce stade, on peut relever l’interrogation


d’un auteur qui s’est demandé dans quelle mesure le droit de vote n’était pas devenu un droit

328
GERMAIN M., Traité de droit commercial de R. Ripert et R. Roblot, t.1 vol.2, Les sociétés commerciales,
LGDJ 18e édition, 2002, p. 381.
329
Pour un panorama exhaustif, LEDOUX P., Le droit de vote de l’actionnaire, LGDJ, 2009, p.5-10 ; COUPET
C., L’attribution du droit de vote dans les sociétés, LGDJ, 2015, p. 8-15.
330
COURET A., LE NABASQUE H., COQUELET M-L., GRANIER T., PORACCHIA D., RAYNOUARD A.,
REYGROBELLET A., ROBINE D., Droit financier, Dalloz, Droit Privé 2e éd., 2012, p. 289-293 ;
KADDOUCH, L’irréductible droit de vote de l’associé, JCP E 2008 1549.

139
fondamental au sens des libertés publiques. Si la réponse donnée est négative, il est cependant
considéré comme l’émanation du droit fondamental de propriété et l’auteur de conclure que :
« dans l’ordre sociétaire, c’est la participation aux décisions sociales qui constitue, sur le
terrain politique, la prérogative principale de l’associé, et l’on peut participer sans
voter ! »331. Voter et participer ne constitueraient pas la même réalité, pouvant être dissociés
l’un de l’autre au gré des circonstances332. On reviendra plus loin sur cette analyse mais, ce
qui nous retient ici, c’est que pour contester ce caractère fondamental du droit de vote,
l’auteur a rappelé le lien entre décision sociale et vote. Autrement dit, le rôle de médiation
assuré par ce droit à la nature indéfinie demeure essentiel.
Le droit de vote est indispensable dans la construction des groupements, des organisations.
Irréductiblement, il sert de support à la conception institutionnelle de la société : sans lui il n’y
a plus de vie sociale possible. Pour utiliser un truisme, l’associé doit être associé aux
décisions et la participation seule n’est qu’un pis-aller. Le vote seul est le pivot indispensable
au fonctionnement démocratique des sociétés. C’est la perspective qui a été principalement
suivie par le Législateur et la jurisprudence.

B – La consécration d’un droit fondamental

147 – Le droit propre, pivot de la fondamentalité – Le droit commun des sociétés énonce
clairement le principe suivant à l’article 1844 alinéa 1er du Code Civil : « tout associé a le
droit de participer aux décisions collectives ». A ce principe lapidaire, s’ajoute certaines
dispositions propres à la société anonyme qui en renforcent la portée. L’article L225-22 du
Code de Commerce précise clairement : « le droit de vote attaché aux actions de capital ou de
jouissance est proportionnel à la quotité de capital qu’elles représentent et chaque action
donne droit à une voix au moins. » Sauf dispositions légales, ces impératifs ne pourraient être
écartés par quelque clause que ce soit333. Ce principe a été clairement affirmé en jurisprudence
à propos d’une clause statutaire qui supprimait le droit de vote d’un actionnaire dans une
commandite par actions. En 2001, le Législateur a même abrogé l’article L225-112 qui

331
ROUSSILLE M., Le droit de vote de l’associé, droit fondamental ?, Dr Sociétés 2014 Dossier 2 p.7 et aussi
dans la même revue GERMAIN M, Le droit de vote, dossier 1 p.5.
332
MERLE P., FAUCHON A., Droit commercial – sociétés commerciales, Dalloz, Droit Privé, 2018, p. 391-393
et p. 394.
333
MERLE P., FAUCHON A., Droit commercial – sociétés commerciales, Dalloz, Droit privé, 2018, p. 396-
397.

140
permettait aux statuts d’exiger un nombre minimal d’actions pour ouvrir le droit de participer
aux assemblées générales, ce nombre minimal ne pouvant excéder les dix actions334.
Autrement dit, le droit de vote est un droit propre, droit fondamental de l’associé et ne peut a
priori pas lui être retiré. D’ailleurs, le Législateur avait prévu des sanctions pénales à cet
égard : les articles L 242-9 et 242-16 du Code de Commerce, le second ayant été abrogé par la
loi du 1er août 2003335. Ainsi, le simple « fait de se faire accorder, garantir ou promettre des
avantages pour voter dans un certain sens ou pour ne pas participer au vote, ainsi que le fait
d’accorder, garantir ou promettre ces avantages », c’est-à-dire de commettre un trafic de
droit de vote peut donner lieu à une peine de deux ans d’emprisonnement et jusqu’à 9 000 €
d’amende.

148 – L’apport du principe une action, une voix – Le principe d’ « une action, une voix »336
est souvent mis en avant par les tenants de la démocratie actionnariale ou du moins les deux
termes sont souvent associés. De manière caricaturale, cela peut donner l’impression qu’il
suffit d’une voix pour pouvoir s’exprimer et participer aux décisions collectives. De même, il
sous-tend un principe d’égalité entre les actionnaires, chacun disposant théoriquement du
même droit d’expression comme dans une démocratie classique. Il est intéressant ici de
relever une difficulté conceptuelle quant à l’analogie démocratique. En effet, on se retrouve
ici en présence d’une équivalence particulièrement délicate : la voix est attachée à la détention
d’une action et n’est plus attachée à une personne, un citoyen.
Autrement dit, ce ne serait pas comme dans une démocratie classique où la voix est supposée
exprimer l’opinion de l’Homme, du citoyen. D’une certaine façon, l’action apparaît comme
un brevet de citoyenneté et il n’y a pas de correspondance parfaite entre individu et voix. Une
personne peut tout à fait se retrouver titulaire de plusieurs actions et par conséquent de
plusieurs voix. Une telle limite à l’analogie démocratique doit être mentionnée dès à présent
car elle induit un certain nombre de biais sur lequel nous reviendrons dans le chapitre suivant
mais elle ne paraît pas absolument insurmontable.
Cette règle d’équivalence entre action et voix a principalement vocation à être comprise
comme la possibilité pour toute personne qui acquiert une action de faire entendre sa voix.
Une seule action suffit pour pouvoir émettre un vote, participer à la communauté actionnariale
en s’informant ou en rejoignant le débat lors de la proposition de résolution en assemblée(s).

334
Loi n°2001-420 15 mai 2001 Nouvelles régulations économiques.
335
Loi n°2003-706 1er août 2003 Sécurité financière.
336
Article L225- C Com.

141
La démocratie s’entend ici comme permettant à chaque citoyen de s’exprimer : peu importe le
nombre total d’actions détenues par la personne, une seule suffit. La conception démocratique
permet ainsi d’assurer la protection d’une minorité. Or, n’est-ce pas précisément l’un des
intérêts de cette forme de gouvernement ? A minima, la sacralisation du droit de vote a pour
vertu de ne pas rendre totalement vain et inutile l’acquisition de la qualité d’actionnaire.
De ce point de vue, dans le plan de modernisation du droit des sociétés de l’Union
Européenne, il était question d’imposer ce principe d’une action, une voix et d’en faire la
règle commune en matière de sociétés par actions concernant les droits des actionnaires337.
A cette occasion, plusieurs consultations furent lancées à travers toute l’Europe des membres.
Or, en cette occasion, la CCIP rendit un avis mitigé sur la question : certes le principe est
protecteur et utile pour permettre à tout actionnaire de se faire entendre et de s’exprimer mais
il doit rester possible d’y déroger légalement pour répondre à certaines situations
particulières338. Il est intéressant de noter que la CCIP rattachait explicitement le credo
d’ « une action, une voix » à la notion de démocratie actionnariale mais surtout défendait les
actions à droit de vote double permettant de créer des actionnaires primus inter pares au sein
des sociétés anonymes. Les institutions européennes ont donc finalement choisi d’abandonner
toute volonté d’harmonisation en la matière, la CCIP française n’étant qu’une des parties
opposées au projet et différentes études démontrant qu’il n’y avait pas nécessité d’uniformiser
les législations des membres sur un tel sujet.

149 – Homogénéité de l’actionnaire et obligation de voter – Ce principe est valable tant


que l’on postule l’uniformité de la figure de l’actionnaire. Loi et jurisprudence proposent un
modèle unique d’actionnaires, une « homogénéité »339 du groupement au sein de ce
« phénomène de coopération »340 qu’est la société. De cette façon, se trouve préservée la
capacité d’expression du citoyen-actionnaire qui reste cependant tenu de respecter la loi de la
majorité ainsi qu’au principe d’égalité entre associé.
Cependant, si une telle vision apparaît particulièrement séduisante dans la perspective du
mythe démocratique, on ne peut non plus négliger une évidence : la plupart des éléments qui
viennent d’être énoncés concernent quasi exclusivement la société anonyme. Or, si une figure
homogène de l’actionnaire peut servir de justification à une utilisation raisonnée du mythe,

337
GOFFAUX-CALLEBAUT, Le plan d’action de la Commission européenne en droit des sociétés : une
approche française, Bull Joly 2003, p.997.
338
Rapport Norguet CCIP : http://www.etudes.ccip.fr/archrap/rap07/une-action=une-voix-nor0705.htm
339
PAILLUSSEAU J., La société anonyme, technique d’organisation de l’entreprise, Sirey, 1967, p.47.
340
CARBONNIER J., Droit civil, PUF, Quadrige, 2004, p.712.

142
elle apparaît aussi singulièrement mise à mal par la diversité même des types de sociétés par
actions. En effet, comme cela a déjà été évoqué précédemment, il existe trois types de sociétés
par actions, voire plus, si l’on considère que la soumission aux règles de l’offre de titres
financiers au public induit un particularisme certain des sociétés cotées.
Certains, comme le professeur Germain sont un peu plus sceptiques et mettent en avant le
désintérêt des actionnaires qui n’useraient que peu de cette prérogative légalement et
jurisprudentiellement consacrée341. L’absentéisme est d’ailleurs la critique la plus souvent
soulevée pour justifier l’introduction d’une distinction entre types d’actionnaires. Le
vocabulaire varie d’un auteur à un autre mais globalement cela permettrait de légitimer la
mise en place d’une distinction entre actionnaires actifs et passifs. D’aucuns considèrent que
tenir compte de l’absentéisme pour refonder la notion d’actionnaire permettrait de réserver
cette prérogative aux seuls actifs méritants. Certes, mais il n’est pas inutile de rappeler que, en
dépit de ce qu’on puisse le regretter, l’abstention fait partie intégrante de la démocratie, la
France refusant d’imposer un suffrage obligatoire comme le pratiquent nos voisins helvètes
ou danois. En dépit des ravages de l’absentéisme, l’actionnaire peut à tout moment exercer sa
prérogative alors qu’un régime entérinant la distinction entre associés passifs et simples
investisseurs peut s’avérer irréversible, incapable de tenir compte d’éventuelles fluctuations
de l’opinion d’un actionnaire citoyen.
Néanmoins, le pas a été franchi en ce qui concerne les sociétés de gestion. En effet, depuis la
loi dite de sécurité financière342 et reprise par l’ordonnance de 2007 relatives aux valeurs
mobilières343, les sociétés de gestion de portefeuille sont contraintes d’exercer les droits de
vote attachés aux actions d’organismes de placement collectif de valeurs mobilières qu’elles
gèrent et, le cas échéant, lorsqu’elles ne les exercent pas, doivent justifier des raisons de cette
abstention344. La France a suivi en cela les évolutions de la législation américaine qui avait
imposé à ses fonds de pension ce même système345 que l’on pourrait qualifier de « vote or
explain ». La démocratie actionnariale devient, parfois, un exercice pédagogique voire un peu
contraint mais toujours en théorie dans l’intérêt des actionnaires.

341
JAUFFRET-SPINOSI C., Les assemblées générales d’actionnaires dans les sociétés anonymes, réalité ou
fiction ? (Etude comparative), in Mél Rodière, Dalloz, 1981, p.125; DUCOULOUX-FAVARD C., Grandeur et
décadence des assemblées générales d’actionnaires, in Mél Guyon, Dalloz, 2003, p.359.
342
Loi n°2003-706 1er août 2003 Sécurité financière, article L533-4 al 4 8° CMF ancien.
343
Ordonnance n°2007-544 12 avril 2007 Marchés d’instruments financiers, désormais article L533-22 CMF.
344
CAUSSAIN J-J., Le gouvernement d’entreprise – Le pouvoir rendu aux actionnaires, Litec, 2005, p.133 ;
COURET A., LE NABASQUE H., COQUELET M-L., GRANIER T., PORACCHIA B., RAYNOUARD A.,
REYGROBELLET A., ROBINE D., Droit financier, Dalloz, Droit Privé, 2e éd., 2012, p. 561-562.
345
CAUSSAIN J-J., op cit, p.134 ; LEDOUX P., Le droit de vote de l’actionnaire, LGDJ, 2004, sur les
premières tentatives en demi-teintes opérées par le législateur français dans les années 90.

143
A priori, le droit de vote dans les sociétés anonymes est incompressible et propre à chaque
actionnaire, du moins en principe. A côté ou découlant de ce droit « pierre angulaire »,
l’actionnaire est aussi titulaire de droits patrimoniaux et financiers.

Paragraphe 2 – Le caractère accessoire des droits financiers et patrimoniaux

150 – Les droits patrimoniaux et financiers sont accessoires en ce sens que le prisme du droit
de vote tend à les faire apparaître comme accessoire, non pas qu’ils dépendent entièrement de
celui-ci mais ils peuvent être envisagés comme contingents et dans son prolongement.
Autrement dit, ils peuvent être conçus comme formant une sorte d’additif au droit de vote et
forment une autre manière d’exprimer les volontés des actionnaires. Ils sont d’ailleurs souvent
présentés à la suite des droits politiques notamment comme garant d’une certaine vision de
l’égalité entre associés En dépit du fait que les sociétés sont en principe constituées pour
réaliser des bénéfices ou des économies, les prérogatives pécuniaires des associés se
présentent souvent formellement après l’aspect politique.
Deux mécanismes, l’un de droit de commun, l’autre spécifique aux sociétés par actions
illustrent cette idée. Après tout, l’obtention de bénéfices ne dépend-t-elle pas d’un vote en
assemblée générale (A)? De même, le fait de vendre ou acheter des actions a parfois tendance
à apparaître comme un prolongement du vote, voire de la figure du citoyen que peut revêtir
l’actionnaire (B).

A – Les droits financiers dans une relation de dépendance à l’exercice du droit de vote

151 – Le droit financier, contingent du droit de vote – Les droits financiers reposent
essentiellement sur l’accès aux bénéfices et aux éventuels boni de liquidation. Il s’agit ici de
la conception classique attachée à la figure de l’associé. Le droit commun des sociétés fournit
ici le cadre de base aux relations entre vote et prérogatives financières. Pour pouvoir être mis
en œuvre, les prérogatives financières exigent un vote préalable. Hors les clauses léonines,
tout ou presque est envisageable.
Ils sont matérialisés par la distribution de dividendes. « Les dividendes représentent la part de
bénéfices que l’assemblée générale ordinaire, lors de sa réunion annuelle, décide de
distribuer aux actionnaires. Deux conditions sont nécessaires : l’existence de bénéfices et la

144
décision de distribution »346. Pour pouvoir obtenir les dividendes attendus, l’actionnaire doit
encore voter la résolution qui les lui attribue. Par cet aspect, le droit financier apparaît comme
contingent du droit de vote : sans décision des actionnaires, le bénéfice est mis en réserve et
aucun membre du groupement ne perçoit de dividendes.
Pour s’assurer de la nécessité de recourir au vote et être sûr que chaque associé soit en mesure
de s’exprimer au mieux de ses intérêts, le droit commun fournit deux systèmes de protection
complémentaires qui agissent comme une première ligne de garde-fous, l’un indirect, l’autre
plus direct. Le premier a trait aux clauses léonines (1) et le second à l’abus de majorité (2).

1 – La prohibition des clauses léonines : préservation du vote

152 – La clause léonine, outil de protection démocratique ? – Au premier abord la


prohibition des clauses léonines ne semble pas vraiment constituer un outil au service de la
protection du droit de vote. Pourtant en y regardant de plus près elle s’avère des plus utile. En
effet, elle contribue à assurer une égalité minimale entre associés, élément indispensable à une
utilité du vote.
Le principe de la prohibition des clauses léonines a vocation à empêcher une répartition des
bénéfices ou des pertes totalement déséquilibrées, la fameuse « part du lion ». Aucune clause
des statuts ne peut mettre à la charge ou exclure un membre du groupement de la totalité des
pertes ou des bénéfices que réalisera la société aux termes de l’article 1844-1 du Code civil347.
Certes, la répartition des bénéfices peut se faire selon une clé totalement inégalitaire mais
l’outrance n’est absolument pas permise. La sanction réside dans le caractère non écrit de la
clause incriminée, l’acte qui lui sert de support survivant en principe à la disparition de cette
dernière.
Quel est alors le rapport avec le droit de vote et la démocratie actionnariale ? Tout simplement
parce que cette règlementation en assure l’utilité, l’efficacité sur un point très spécifique. En
effet, un tel mécanisme de protection préserve et assure une certaine utilité au vote des
bénéfices. Si de telles clauses étaient autorisées, quel intérêt y aurait-il à voter en assemblée
générale pour la répartition des dividendes en fin d’exercice ? Cela n’aurait aucun sens si ce

346
COZIAN M., DEBOISSY F., VIANDIER A., Droit des sociétés, Litec, 30e édition, 2017, p. 429-430 ; LE
CANNU P., DONDERO B., op. cit., p.117-129 ; MESTRE J., VELARDOCCHIO D., MESTRE-CHAMI A-S.,
Sociétés commerciales, Lamy 2014 ; MELE P., FAUCHON A., Droit commercial – sociétés commerciales,
Dalloz, Droit Privé, 2018, p. 379-380.
347
LE CANNU P., DONDERO B., op. cit., p.115-119 ; MERLE P., FAUCHON A., Droit commercial – sociétés
commerciales, Dalloz, Droit Privé, 2018, p. 71-74.

145
n’est de conférer un caractère totalement fictif au vote. Ce mécanise assure donc une
protection certes indirecte du droit de vote mais non moins précieuse.

153 – Les limites d’une mobilisation démocratique des clauses léonines – Cependant, le
mécanisme a ses limites. Certes, la protection s’avère particulièrement redoutable lorsque les
clauses incriminées sont contenues dans les statuts. Mais lorsque d’éventuelles clauses
léonines sont cette fois-ci intégrées dans des actes extérieurs aux statuts, cela devient
beaucoup plus illusoire. Plus particulièrement, la jurisprudence a eu l’occasion de se
prononcer sur la question des conventions de portage ainsi qu’en matière de capital-
investissement.
Dans ces deux hypothèses, l’acquisition d’actions a vocation à demeurer temporaire. Le plus
souvent, une banque d’affaires ou un organisme d’investissement va acquérir une
participation dans la perspective d’une revente à court ou moyen terme. Or, dans ce genre
d’opérations, les clauses litigieuses sont contenues dans des actes extrastatutaires : les
conventions de cessions de droits sociaux. Par le jeu des garanties de prix, le cessionnaire peut
ainsi dans les faits s’exonérer des pertes susceptibles de naître avant ou pendant l’opération.
Depuis l’arrêt Bowater348, la jurisprudence n’a eu de cesse de faciliter les opérations de
cession de droits sociaux349. Dès lors qu’il n’y a pas d’atteinte au pacte social et qu’un prix
vienne effectivement constater une cession, l’acte est valable et ne peut être atteint par la
prohibition des clauses léonines.
A cet égard, il nous semble que la prohibition des clauses léonines atteint ici ses limites
comme outil de protection du droit de vote. Elle n’est plus aussi efficace que lorsqu’elle
concerne uniquement les statuts.

2 – L’abus de majorité : garde-fou à l’exercice du droit de vote

154 – L’abus de majorité outil de protection – Dans certaines hypothèses, la mise en


réserve des bénéfices peut être constitutive d’un abus de majorité lorsqu’elle revêt un
caractère systématique et s’exerce au détriment des minoritaires espérant un retour sur
investissement qui ne viendra jamais. Or, l’abus peut apparaître comme un élément essentiel
de protection du droit de vote. Là aussi il en assure toute la substance ainsi que la réalité.

348
Cass com 20 mai 1986 BJS 1986 p.618 ; JCP 1987 N II 221 note Germain ; RTD Com 1987 p.66 obs
Champaud et Le Floch, 205 obs Reinhard ; Defrénois 1987 p.609 obs Honorat ; LE BRAS W., Les promesses de
cession de droits sociaux et la prohibition des clauses léonines, Bull. Joly 1986 p.587.
349
LE CANNU P., DONDERO B., op. cit., p.115-119 ; MERLE P., FAUCHON A., op. cit., p. 73-75.

146
Création prétorienne fondée sur une interprétation de l’article 1382 ancien relatif à la
responsabilité civile des associés, l’abus sanctionne une déloyauté et une rupture d’égalité
entre les associés. Il revêt différentes formes : abus d’égalité, de minorité, de majorité350.
D’emblée il nous semble possible d’écarter la question de l’abus de minorité et d’égalité car
ces deux figures n’empêchent pas les associés de s’exprimer. Bien au contraire, ces
hypothèses illustrent un désaccord profond mais qui a trouvé à s’exprimer en assemblée
générale. Il intervient lors d’un blocage manifeste qui entraîne des conséquences quant à la
survie de la société le subissant. En l’occurrence, le droit de vote sera in fine réduit pour
passer outre ce blocage : ce n’est donc pas vraiment un moyen de protection du système
démocratique dans les sociétés par actions.
Plus intéressant est l’abus de majorité351. Dans cette hypothèse, dont nous avons rappelé la
figure la plus courante au début de cette démonstration, une majorité va en quelque sorte
détourner le vote de sa fonction première. Aux termes d’une jurisprudence constante, cet abus
est caractérisé dès lors que la décision a été prise en violation de l’intérêt générale de la
société et dans l’unique dessein de favoriser la majorité au détriment des minoritaires. Pour
certains auteurs352, favoriser la majorité implique la réunion de trois éléments : que ce but soit
exclusif de tout autre, que le ou les majoritaires obtiennent un avantage, enfin que les
minoritaires subissent un préjudice à cette occasion.
Les sanctions de cet abus sont de deux ordres : la nullité de l’éventuelle délibération prise en
cette occasion et l’éventuel dédommagement des minoritaires lésés en cette occasion. De cette
façon, est obtenue la disparition de l’acte litigieux et ouverte la possibilité de procéder à un
arbitrage plus conforme aux intérêts de la société mais aussi de tous les actionnaires
concernés.

155 – L’abus de majorité dans le répertoire démocratique – Ce mécanisme présente un


intérêt certain pour la protection du vote entre associés en général et entre actionnaires en
particulier. Il est un des pivots permettant à la démocratie actionnariale de ne pas être
uniquement un mythe. Deux éléments permettent de le démontrer.
En premier lieu, pour pouvoir être caractérisé, l’abus exige la démonstration d’intérêts
purement égoïstes. La décision critiquée est passée au crible de l’intérêt général. A cette

350
LE CANNU P., DONDERO B., op. cit., p.108-109 ; MERLE P., FAUCHON A., op. cit., p. 764-770.
351
LE CANNU P., DONDERO B., op. cit., p. 109-112. Et d’autres aussi : MESTRE J., VELARDOCCHIO D.,
MESTRE-CHAMI A-S., Sociétés commerciales, Lamy 2014, p.1312-1332 ; MERLE P., FAUCHON A., op. cit.,
p. 764-770.
352
Idem

147
occasion, on peut remarquer que la jurisprudence n’a pas opté pour une terminologie stricte.
Différents termes coexistent pour désigner une même réalité. Intérêt général, intérêt social ou
encore intérêt collectif sont mobilisés par les juges lorsqu’il s’agit d’identifier la poursuite
d’un but étranger à celui de la société353. D’une certaine façon point en filigrane la figure d’un
intérêt qui ne peut être réduit à la somme de celui de ses membres. Certains l’interprètent
comme un élément de la théorie institutionnelle en matière de société, d’autres le réduisent à
une manifestation de la théorie des droits subjectifs ou encore procéderait de la vision
contractuelle. Quoiqu’il en soit, il nous semble que ce mécanisme va dans le sens d’une
conception démocratique en ce que l’institution a vocation à rechercher, à poursuivre un but
au-delà de l’égoïsme de ses citoyens.
En second lieu, l’abus de majorité est un moyen d’assurer le respect de deux vertus
démocratiques cardinales évoquées auparavant : l’égalité et son corollaire, la loyauté354. En
sanctionnant la recherche ou plutôt la tentation d’imposer ses intérêts particuliers à la
communauté des associés, on privilégie le débat entre égal, l’assurance que la loi de la
majorité ne se réduit pas à une simple acclamation. Le parallèle avec le citoyen apparaît ici
flagrant : l’associé en général, l’actionnaire en particulier, se voit protégé presque malgré lui
de ce qui pourrait s’apparenter à une annexion du groupement au profit de quelques-uns. La
minorité ne peut être réduite à subir. D’une certaine façon, c’est aussi un moyen de protection
de l’opposition, à l’instar des garde-fous prévus dans les systèmes où la pluralité d’opinions et
de partis est consacrée.
Même majoritaire, un actionnaire ne peut soumettre unilatéralement sans un minimum de
garanties un groupement à son arbitraire. Dès lors, les débats en assemblée conservent encore
un intérêt et le majoritaire devrait rechercher l’adhésion et non pas l’autoritarisme que confère
parfois l’image du fait majoritaire. Ici, le droit commun offre un rempart important contre
certaines velléités anti-démocratiques.

B – La négociabilité comme prolongement du droit de vote

156 – Transmission des actions et articulation avec le droit de vote – Dans le même esprit,
la libre négociabilité des actions peut être conçue dans le prolongement du droit de vote, ce

353
Voir les exemples rappelés in LE CANNU P., DONDERO B., op. cit., p.110 ; notamment : Cass com 22
janvier 1991 n°89-15725 ; Bull civ IV n°39 p.24 ; Defrénois 1991, p.885 art. 35083 n°3 obs Le Cannu ; Bull.
Joly 1991 p.389 note Jeantin ; Cass 1ère Civ 4 avril 2006, RTD Com 2006 p.622 obs Grosclaude.
354
LE CANNU P., DONDERO B., op. cit., p.107-108 ; ; MESTRE J., VELARDOCCHIO D., MESTRE-
CHAMI A-S., Sociétés commerciales, Lamy 2014, p.66-68

148
que certains n’hésitent pas à faire, sachant qu’il s’agit d’un droit propre incompressible dont
dispose l’associé355. La négociabilité confère un statut particulier aux actions, à la fois biens
meubles et instruments ou titres financiers356. Au contraire des parts sociales émises par les
sociétés de personnes, les actions se voient dotées d’une facilité quant à leur cession. Si les
premières sont soumises aux formalités de la cession de créance telles que prévues par
l’article 1690 du Code civil, les secondes peuvent se transmettre par un simple ordre de
virement de compte à compte. Il s’agit par conséquent d’un mécanisme propre aux sociétés
par actions. On peut même dire qu’il s’agit d’un de leur trait les plus emblématiques : n’est-ce
pas ce qui permet de faire la distinction entre sociétés de capitaux et sociétés de personnes ?
Ceci précisé, on peut se demander quel peut être le lien entre une facilité de transmission et
une conception démocratique des sociétés par actions. Le lien apparaît dans les conséquences
que peut entraîner cette facilité ainsi que dans l’esprit dans lequel elle peut être utilisée. C’est
cette combinaison entre conséquences et but dans son utilisation qui conduit à envisager sous
deux facettes la négociabilité : celui de la vente (1) mais aussi celui de l’achat d’actions (2).

1 – La vente d’action : voter avec ses pieds

157 – La vente d’actions, acte politique – Par la vente de ses actions, l’actionnaire peut
manifester son mécontentement notamment lorsqu’il estime ne pas être rentré dans ses frais
ou plus simplement estime qu’il lui est impossible de voir la valeur de son investissement
augmenter. Autrement dit, les actionnaires intéressés par un objectif de maximisation de la
valeur de leurs actions s’en sépareront si celui-ci ne peut plus être atteint du fait de la
politique économique suivie désormais par l’entreprise. Ce phénomène est appelé le « wall
street walk »357, improprement traduit par le concept de vote avec les pieds : l’actionnaire s’en
va et marque ainsi son mécontentement, ce qui peut, dans le cas de sociétés anonymes cotées,
entraîner une perte importante de la valeur de ces dernières s’il s’agissait de son ou ses
actionnaires de référence.

355
GERMAIN M., La renonciation aux droits propres des associés : illustrations, in Mél Terré, PUF éditions
Juris-classeur, 1999, p.401.
356
LE CANNU P., DONDERO B., op. cit., p. 750-752 ; ; MESTRE J., VELARDOCCHIO D., MESTRE-
CHAMI A-S., Sociétés commerciales, Lamy 2014, p. 2184-2186 ; MERLE P., FAUCHON A., Droit commercial
– sociétés commerciales, Dalloz, Droit Privé, 2018, p. 405-408.
357
LORDON F., Fonds de pension, pièges à cons ? Mirage de la démocratie actionnariale, Editions Raisons
d’agir, 2000, p.32-33 et p.124.

149
158 – Céder ses parts comme prolongement du droit de vote – Il est intéressant de
remarquer que ce qui apparaît comme une simple opération de cession est analysée comme
une modalité du vote. Dans cette vision des choses, le mécontentement des investisseurs ne
s’analyse pas comme le départ classique d’un associé. Au contraire, dans la traduction
française de cette expression de « wall stret walk » ressort explicitement la dimension
politique du procédé. Toute proportion gardée, on pourrait considérer que l’actionnaire déçu
rendrait sa citoyenneté en même temps qu’il se sépare de ses titres. L’aspect financier n’est
pas négligeable mais s’opère dans un cadre d’analyse particulièrement marqué par l’imagerie
politique a fortiori démocratique.
Ainsi, l’actionnaire dispose d’une arme supplémentaire dans son arsenal politique, assurément
plus redoutable que ne l’est l’abstention. En effet, les conséquences de ce vote avec les pieds
ont des répercussions directes sur la valeur des titres et donc mécaniquement celle de la
société358. On peut alors considérer que la démocratie actionnariale n’est pas exclusive des
aspects financiers des sociétés par actions : l’actionnaire-citoyen peut naviguer à son gré et ne
pas demeurer prisonnier de ses titres.

2 – L’achat d’actions : acquérir un droit de vote et d’influence

159 – Acheter des actions comme prélude à une action politique – De même, l’achat
d’action peut aussi relever de l’arsenal politique démocratique. Le professeur Lordon a noté le
développement d’une tendance à transposer les engagements citoyens dans le cadre des
sociétés anonymes359. Cette fois-ci, il ne s’agit plus de considérer l’actionnaire-citoyen mais
le citoyen-actionnaire. Ainsi, pour promouvoir certaines valeurs, les citoyens auraient la
possibilité d’acquérir en masse les actions de certaines grandes sociétés et user de la menace
du vote avec les pieds combinée au vrai droit de vote pour infléchir la politique de ces
sociétés par exemple concernant l’environnement360. D’une certaine façon, il s’agit d’un
chantage à la valeur : la mise à disposition de nombreux titres sur le marché en une seule fois
peut ainsi conduire à un effondrement brutal du cours de ce même titre. Encore une fois
l’aspect patrimonial est annexé à des visées politiques et à une certaine conception du droit de
vote.

358
Ce qui peut parfois être tempéré comme le démontre LEDOUX P., Le droit de vote de l’actionnaire, LGDJ,
2004 ; COUPET C., L’attribution du droit de vote dans les sociétés, LGDJ, 2015.
359
LORDON, op cit, p.106 et suiv.
360
LORDON, op cit, p.106 et suiv.

150
160 – L’activisme actionnarial en perspective – Si ce phénomène est particulièrement usité
au sein des systèmes boursiers anglo-saxons il est encore très timide en France mais sera peut-
être amené à se développer dans le cadre de l’ISR ou investissement Socialement
Responsable. La distorsion est peut-être un peu audacieuse mais elle illustre aussi un des
aspects de la vigueur du mythe démocratique dans les sociétés anonymes. L’acquisition
d’action permet d’accéder au vote, au pouvoir d’expression au sein de l’entité visée. L’achat
apparaît au second plan, simple support pour une opération plus politique. Seul compte
l’obtention d’un moyen d’expression. La négociabilité facilite grandement et indéniablement
l’accès aux titres de capital. D’une certaine façon on peut parler de rencontre des
citoyennetés : le citoyen souhaitant insuffler ses valeurs cherchera à obtenir un autre brevet de
citoyenneté incarné par la détention de titres.

161 – Protection des droits propres et citoyenneté – L’affirmation de droits minimum pour
l’actionnaire permet d’esquisser un socle dans lequel peut se glisser la démocratie
actionnariale ou plus exactement c’est en examinant ces droits avec les yeux de la démocratie
que l’on se rend compte d’une certaine parenté entre le citoyen et l’actionnaire. Protéger et
consacrer ses droits propres contribue à en faire un véritable organe à part entière dans
l’institution sociale. Cela permet la vie en société, non comme simple rouage mais comme
véritable acteur à part entière aussi bien par rapport au groupement qu’au regard des autres
actionnaires. Néanmoins, l’actionnaire ne peut se résumer à sa composante citoyenne, il est
aussi en mesure de disposer de ses droits au sein du groupement auquel il appartient.

Section 2 – La libre disposition de ses droits par l’actionnaire

162 – Le contrat, terre d’élection des limites démocratiques – L’actionnaire peut aussi être
un cocontractant. Il jouit de la capacité de modeler ses droits dans la société par le recours au
droit contractuel. Si certains de ces aménagements apparaissent dans les statuts, une partie
demeure occulte aux yeux des autres actionnaires ainsi que des tiers. Les conventions extra-
statutaires, pactes d’associés ou d’actionnaires, sont le plus souvent utilisées pour transformer
la physionomie initiale des droits dont dispose, originellement l’actionnaire361. Pour les

361
COZIAN M., DEBOISSY F., VIANDIER A., Droit des sociétés, Litec, 21e édition, 2008, p. 398 : « La
pratique révèle l’existence de conventions conclues entre actionnaires pour réglementer l’exercice de leurs
droits individuels. Certaines sont insérées dans les statuts et s’imposent à tous. Les clauses extra-statutaires
limitent leurs effets aux participants. La dénomination de pactes d’actionnaires est en général réservée aux
conventions extra-statutaires. La plupart de celles-ci sont convenues entre des actionnaires majoritaires qui

151
majoritaires, cela contribue à renforcer l’exercice d’un contrôle déjà existant par exemple en
s’assurant de la stabilité de l’actionnariat ou de la direction. Pour les minoritaires, cela permet
de protéger leurs intérêts en s’assurant par exemple un accès aux organes de direction ou un
droit à l’information renforcé. Ici, la démocratie actionnariale trouve sa limite ou plutôt elle
doit savoir se faire plus discrète si elle veut être utile. Si la conception institutionnelle des
sociétés a pu être à l’honneur dans les développements précédents, ici règnerait l’aspect
contractuel. L’actionnaire dans sa composante citoyenne cède le pas à l’investisseur, aux
contraintes de gestion, aux montages et autres techniques d’ingénierie nécessaires à
l’efficacité économique.
Il s’agit ici principalement de mettre en avant les différents mécanismes susceptibles de
réduire la pertinence d’un recours à l’imagerie démocratique. Ceci étant précisé, en filigrane
on peut aussi s’interroger sur la réalité de ces obstacles, ces limites apparentes à la démocratie
actionnariale : peut-on vraiment ne pas tenir compte de cette dernière lorsque sont abordées
les multiples figures d’adaptation des sociétés par actions à leur rôle d’instrument capitaliste ?
Les figures d’adaptation sont multiples, entre dérogations ou ouvertures légales et acrobaties
contractuelles validées par la jurisprudence. Le respect de la figure démocratique est ici
secondaire, d’autres impératifs semblent exiger de la cantonner à sa portion congrue voire de
ne plus apparaître ou alors en tant que simple esquisse.
De tels mécanismes permettent avant tout à l’actionnaire de disposer de son droit de vote, de
l’adapter aux rapports de force économiques (paragraphe 1) mais aussi d’aménager ses droits
financiers et patrimoniaux (paragraphe 2).

Paragraphe 1 – La disponibilité du droit de vote

163 – Le droit de vote négocié – Le droit de vote revêt une importance particulière dans les
sociétés. Cependant, une sacralisation trop importante du droit de vote conduit inévitablement
à un conflit avec un des intérêts premiers des sociétés par actions en général et de la société
anonyme en particulier : celui de drainer l’épargne publique notamment au travers des

s’efforcent d’assurer la stabilité de l’actionnariat et de la direction, et y trouvent une protection contre des
agressions inamicales. D’autres, plus rares, sont destinés à protéger les intérêts d’actionnaires minoritaires qui
entendent subordonner leur apport à certaines conditions ou aménager leur sortie : par exemple, des
investisseurs en capital-risque. Ces différentes clauses sont l’expression d’un nouvel intérêt porté à l’aspect
contractuel du droit des sociétés » ; des mêmes auteurs pour un essai de typologie : op. cit., 30e éd., 2017, p.
459-460 ; MOUSSERON P., Les conventions sociétaires, LGDJ, 2e éd., 2014, p. 3-10.

152
marchés financiers362. Autrement dit, l’observation de la pratique conduit à postuler
« l’hétérogénéité »363 de ce groupement selon les mots du professeur Paillusseau. La diversité
des actionnaires et surtout de leurs objectifs a ainsi conduit à infléchir le mouvement de
sacralisation du droit de vote. En fonction des configurations, des modes de détention, des
buts assignés à la possession d’actions, différentes possibilités ont été offertes à l’actionnaire.
Ce dernier est à la fois un régime supposé commun, homogène, et une réalité en constante
évolution. Pour contenir les multiples visages de l’actionnaire, le régime commun du titulaire
d’actions a dû évoluer au-delà des standards démocratiques.
Dans certaines limites, relativement étroites, l’actionnaire peut disposer de son droit de vote
au travers soit de conventions spécialement prévues à cet effet (A), soit par la nature même
de l’action qui demeure avant tout un titre financier (B).

A – Les conventions de vote

164 – Le régime des conventions de vote – Le vote de l’actionnaire peut faire l’objet d’une
convention ou être intégré dans une convention dont ce n’est pas nécessairement l’objet
principal comme un pacte d’actionnaire. Ce n’est pas le Législateur qui en a fixé le régime
mais la jurisprudence. En effet, différentes tentatives pour empêcher la conclusion de ce genre
de conventions furent entreprises depuis le début du XXe siècle mais leur efficacité fut plus
qu’aléatoire. Ainsi, un décret-loi de 1937 déclarait « nulles et de nul effet dans leurs
dispositions principales et accessoires les clauses ayant pour objet ou pour effet de porter
atteinte au libre exercice du droit de vote dans les assemblées générales »364. En 1966, un
article 825 fut même prévu qui reproduisait les termes de ce décret mais disparut très
rapidement au gré des évolutions du projet de loi sur les sociétés, à tel point que la version
définitive n’en garda aucune trace. C’est donc la jurisprudence qui continue d’exercer son
contrôle en la matière et de faire le tri entre les bonnes et les mauvaises conventions de vote,
certaines limites ne pouvant définitivement être franchies par les parties365.

362
TEFFO F., L’influence des objectifs gouvernementaux sur l’évolution du droit des sociétés, Dalloz, Nouvelle
Bibliothèque de Thèse, 2014, p. 142-144 et p. 140-141.
363
PAILLUSSEAU J., La société anonyme, technique d’organisation de l’entreprise, Sirey, 1967, p.47.
364
GERMAIN M., Traité de droit commercial de G. Ripert et R. Roblot, T.1 vol.2, Les sociétés commerciales,
LGDJ, 18e édition, 2002, p.383 et suiv, qui en rappelle l’évolution historique.
365
GERMAIN M., op cit, p.383 et suiv ; CONSTANTIN A., Réflexions sur la validité des conventions de vote,
in Mél Ghestin, LGDJ, 2001, p.255 ; DIDIER P., Les conventions de vote, in Mél Foyer, Dalloz, 1997, p.341 ;
JEANTIN M., Les conventions de vote, RJ Com 1990, p.124 ; VIANDIER A., Observations sur les conventions
de vote, JCP E 1986, 15405 ; VIANDIER A., Après l’article de Monsieur Jeantin sur les conventions de vote, in
Mél JEANTIN, Dalloz 1999, p.311.

153
Il ne peut y avoir cession pure et simple du droit de vote car cela porte atteinte au principe de
la liberté de vote. De même, les engagements inconditionnels et définitifs de voter dans un
sens déterminé sont prohibés. Plus explicite est la position adoptée par le tribunal de
commerce de Paris en 1991 affirmant que si les conventions de vote ne sont pas illicites en
soi, « il n’en reste pas moins que le droit de vote d’un associé est un droit fondamental et
d’ordre public »366. Sur ce fondement, le tribunal en conclut que l’associé demeure « libre de
modifier son vote jusqu’à la dernière seconde, sauf éventuellement à engager sa
responsabilité personnelle par rapport à ses engagements, » c’est-à-dire aux conventions
préalablement conclues. Certains auteurs résument ainsi la possibilité de conclure une
convention en matière de vote : l’associé ne doit pas s’en voir irrévocablement privé, l’intérêt
social doit être pris en compte, tout volonté de fraude est exclue de la convention367.

165 – Le vote, élément financier et démocratie résiduelle – Dans cette perspective, le vote
se réduit à un marchandage. Il ne s’agit plus vraiment d’une prérogative fondamentale mais
d’une variable susceptible de rémunération. Cette rémunération peut d’ailleurs être financière
ou politique par le soutien à certaines motions ou plus couramment s’agissant de la
nomination à des fonctions sociales. Le vote s’inscrit dans une logique purement
économique : l’institutionnel se réduit à la valeur susceptible d’être produite ou dégagée à
travers telle ou telle politique.
En dépit des limites que constituent la non suppression définitive du droit de vote et le respect
de l’intérêt social, tout pacte ou marchandage est envisageable. En cela, l’analogie citoyenne
ne paraît plus adaptée. En principe, dans une démocratie le vote ne se marchande pas et doit
pouvoir être exprimé en toute liberté : s’il en allait autrement, cela pourrait être matière à
sanctions. Pourtant ici, dans les sociétés par actions, ce type de démarche est autorisé et se
comprend par la nature même de ces groupements. Le vote comme prérogative attachée à un
titre peut faire l’objet de négociations et de compensations corrélatives. Se conformer à une
grille de lecture exclusivement démocratique conduirait à imposer un jugement de valeur en
considérant que ce type de transaction devrait être prohibé. Or, dans une logique capitaliste
financière, le droit de vote est un élément avec une valeur en argent ainsi qu’un instrument de
pouvoir au sein des sociétés par actions. Par conséquent, il doit pouvoir être assujetti à des
buts du même acabit.

366
T Com Paris 12 février 1991 Bull Joly 1991 § 209 p.592 note M. Jeantin ; voir aussi Cass Com 9 février 1999
château d’Yquem (impossibilité de suppression du droit de vote par les statuts).
367
MERLE P., FAUCHON A., Droit commercial – sociétés commerciales, Dalloz, Droit Privé, 2018, p. 402-
405.

154
Néanmoins, on peut considérer que le mythe démocratique n’est pas totalement évincé en ce
que demeurent deux garde-fous à l’efficacité variable : le respect du droit de vote de l’associé
et l’intérêt social. Dans les deux cas de figure, il s’agit de conserver au droit de vote et à son
titulaire une liberté d’action. Cette liberté d’action demeure absolue en ce qui concerne la
possibilité pour le titulaire de voter au final comme il l’entend, ce qui apparaît respectueux de
la libre conscience du citoyen si l’on file la métaphore démocratique. De même, la limite
imposée par le respect de l’intérêt social permet de lutter contre certains dévoiements du droit
de vote dès lors que seul un but financier est assigné à ce dernier. En effet, dans des montages
financiers, il peut être tentant de privilégier l’intérêt des investisseurs au détriment de ceux du
groupement lui-même. La figure démocratique est donc en demi-teinte mais est toujours
présente. Cette abdication du pouvoir de vote, cette annexion aux volontés d’un autre que le
titulaire du droit de vote prend une autre dimension avec les aménagements spécifiques aux
actions en tant que titre financier.

B – Le titre financier, objet d’aménagement des prérogatives de vote

166 – Les dérogations légales pour l’aménagement du vote – Le vote peut aussi être
aménagé lorsque la logique des valeurs mobilières prend le dessus sur celle d’incorporation
du droit au titre. Autrement dit, l’action est avant tout envisagée comme un instrument
financier avant d’être considérée pour ce qu’elle est à l’origine : un titre donnant lieu à un
certain nombre de droits dans une entité collective. Le législateur a accompagné la pratique en
encadrant certaines possibilités touchant au droit de vote. Cet accompagnement n’a pas eu
pour unique motivation l’aspect financier mais a pu parfois correspondre à des intérêts de
l’Etat comme en matière de droits de vote double. Ce mouvement s’inscrit dans une
financiarisation du droit des sociétés par actions. Le développement des modes de
financement accroît le changement de physionomie de figures traditionnelles et participe à
l’érosion du vote réduit à un aspect purement instrumental368.
Cette possibilité s’inscrit principalement dans un phénomène de catégorisation des actions369
et l’on peut en donner deux exemples particulièrement emblématiques : les actions à droit de
vote double (1) et les actions de préférence (2).

368
TEFFO F., L’influence des objectifs gouvernementaux sur l’évolution du droit des sociétés, Dalloz, 2014, p.
142-144 ; DAIGRE J.-J., L’aménagement du droit de vote, RDBF 2004, p. 364 ; MERLE P., FAUCHON A.,
Droit commercial – sociétés commerciales, Dalloz, Droit Privé, 2018, p. 442-443 et p. 449-455.
369
CHAMPAUD C., Catégories d’actions ou sortes d’actionnaires, in Mél Jeantin, Dalloz, 1999, p.161.

155
1 – Le droit de vote double

167 – Le régime du vote double – Tout d’abord, une société anonyme peut créer des actions
à droit de vote double que ce soit dès l’origine ou à la suite du vote d’une assemblée générale
extraordinaire370. Cette possibilité a été maintenue par la réforme des valeurs mobilières de
2004 celle-ci ayant pourtant procédé à un important tri en matière de catégories d’actions371
en réduisant drastiquement les possibilités de créer des actions à droit de vote multiple.
Pour pouvoir être émises, la procédure à suivre n’est en principe pas la plus complexe. Ces
actions doivent être entièrement libérées et bénéficier d’une inscription nominative depuis
plus de deux ans « au nom du même actionnaire ». En outre, leur émission est décidée en
assemblée générale extraordinaire soit dès l’origine, soit en cours de vie sociale. Enfin, des
meures de publicité doivent être respectées : publication dans un journal d’annonces légales
ainsi que celles relatives aux modifications statutaires.
Un tel mécanisme permet de récompenser des actionnaires fidèles ou de constituer à peu de
frais des blocs de contrôle, voire les deux à la fois. D’une certaine façon, il s’agit de
récompenser la persévérance des actionnaires, des investisseurs à long terme qui font le pari
de la durée et qui ne recherchent pas une maximisation immédiate de leur valeur
actionnariale. Il a d’ailleurs donné lieu à un lobbying de certains milieux d’affaire français
lors des discussions européennes à l’occasion de consultations menées sur le principe « une
action, une voix »372. En dépit de tentatives régulières pour les supprimer, celles-ci résistent
encore et toujours. On peut en cette occasion supposer que l’Etat lui-même n’est pas
totalement désintéressé à leur maintien. En effet, les actions à droit de vote double sont aussi
utilisées par ce dernier lorsqu’il est actionnaire, ce qui lui permet de conserver le contrôle ou
du moins une influence prépondérante au sein de certaines sociétés où il détient encore des
participations.

168 – L’inégalité comme instrument ambivalent - « Nec pluribus impars », ce type de


mécanisme introduit des inégalités certaines entre actionnaires et, en cela, ne nous paraît pas
véritablement favoriser une démocratie actionnariale, sauf à considérer que le vote censitaire

370
Article L 225-123 C Com.
371
On pense principalement aux actions privées du droit de vote permettant uniquement le versement de
dividendes.
372
Rapport Norguet CCIP disponible à : http://www.etudes.ccip.fr/archrap/rap07/une-action=une-voix-
nor0705.htm

156
est plus démocratique que le suffrage universel. Ce mécanisme rompt manifestement l’égalité
entre actionnaires. Ceci étant, l’analyse doit être nuancée. D’un côté, permettre à des
actionnaires de bénéficier de droits de vote supplémentaires tend à introduire une forme de
privilèges bénéficiant à un cercle restreint mais d’un autre côté, ce mécanisme peut aussi
permettre de favoriser le citoyen actionnaire373. En effet, ce dernier peut par ce mécanisme
bénéficier d’un véritable levier pour imposer une politique plus conforme à ses valeurs. Par
exemple, un fonds d’investissement promoteur de certaines conceptions éthiques comme
l’attachement au développement durable peut souhaiter s’installer durablement au capital
d’une société et le fait d’obtenir à l’issue de la clause de stage de deux ans apparaît
éminemment stratégique. Ce type de mécanisme peut privilégier des investissements longs ou
stratégiques tout en permettant d’élargir le cercle des investisseurs ou porteurs de parts. En
cela, la démocratie classique souffre dans ses principes égalitaires mais se retrouve dans une
vision moderne en offrant un outil favorisant la réussite de valeurs au détriment des
procédures ou des institutions.

2 – Les actions de préférence

169 – Le régime des actions de préférence – Ensuite, le Législateur a introduit les actions de
préférence en 2004. Ces titres à géométrie variable ont pour modèle les « preferred shares »
américaines mais s’inscrivent plus généralement dans l’esprit des instruments financiers
anglo-saxons dont la vocation principale est de s’adapter aux situations et surtout, à toutes les
catégories d’actionnaires, en contingentant tel ou tel droit ou en étendant tel ou tel autre pour
permettre une variété certaine d’opérations374. Les actions de préférence peuvent en effet être
crées « avec ou sans droit de vote, assorties de droits particuliers de toute nature, à titre
temporaire ou permanent. (…) Le droit de vote peut être aménagé pour un délai déterminé ou
déterminable. Il peut être suspendu pour une durée déterminée ou déterminable ou
supprimé »375.
Autrement dit, tout ou presque est envisageable avec ce genre de titres tant que sont
respectées les impératifs énoncés aux articles L225-10, 225-122 à 225-125 du Code de
Commerce, c’est-à-dire la procédure des avantages particuliers qui empêche les intéressés de

373
MAGNIER V., Les actions de préférence : à qui profite la préférence ?, D 2004, 2559.
374
COURET A., LE NABASQUE H., COQUELET M-L., GRANIER T., PORACCHIA D., RAYNOUARD A.,
REYGROBELLET A., ROBINE D., Droit financier, Dalloz, Droit Privé, 2e éd., 2012, p.251-252 ; LE CANNU
P., DONDERO B., op. cit. p. 724-735.
375
Article L228-11 C Com.

157
prendre part au vote les créant, la règle « une action une voix », les droits de vote double et la
limitation du nombre de voix376.
Cependant, du fait de la possibilité expressément indiquée de créer des actions de préférence
« sans droit de vote », la référence à la règle d’ « une action une voix » ne semble pas des plus
pertinente377. Il convient de préciser que ces actions ne peuvent représenter plus du quart du
capital social d’une société anonyme cotée, ni plus de la moitié du capital si la société n’offre
pas ses titres aux négociations sur un marché réglementé. Bien que sérieusement effritée, la
démocratie actionnariale continue en France d’exercer une relative influence au niveau de la
législation sur les marchés financiers.

170 – Les diverses mises en œuvre des actions de préférence – Pour un exemple nettement
plus parlant, on peut rappeler ici celui cité par les professeurs Cozian, Deboissy et Viandier
qui montre bien les possibilités ouvertes par cet instrument financier378. Il s’agissait de deux
sociétés cotées en bourse qui souhaitaient se rapprocher l’une de l’autre. La première a émis
des actions de préférence à destination de la seconde et dont les droits étaient les suivants :
« possibilité de proposer en assemblée générale la nomination d’un tiers des administrateurs
(…), le conseil d’administration devant alors être composé de neuf administrateurs ; accéder,
sous certaines conditions, aux locaux et aux documents comptables [de la société émettrice] ;
faire procéder à un audit par an afin de s’assurer du respect par [la société souscriptrice] de
ses engagements à l’égard [de l’émettrice] au titre des transactions envisagées »379. L’accord
prévoyait aussi diverses hypothèses permettant la conversion en actions ordinaires comme le
franchissement d’un seuil du capital ou le remboursement des sommes prêtées par la société
souscriptrice.
Au vu de cet exemple, il est aisé de comprendre en quoi ce mécanisme est amené à fortement
concurrencer les pactes d’actionnaires et faciliter d’autant les aménagements pratiques
nécessaires au moment voulu, bref, à rajouter un peu de flexibilité dans l’instrument quelque
peu rigide que peut être la société anonyme. Dès le départ, un régime est fixé permettant de
connaître les droits et obligations de chacun. Surtout, les actions de préférence ne sont pas
soumises aux aléas des pactes d’actionnaires à savoir la possibilité de voter dans un sens
différent de celui sur lequel l’accord a été conclu. Ici, le vote est encadré voire supprimé
d’emblée ce qui assure une relative maîtrise et de cette prérogative et de ce corps électoral. La

376
CLERC C., Réflexions sur la démocratie actionnariale, RTDF 2007, p.87.
377
COURET A. et alii, op cit, p.262-263.
378
COZIAN M., DEBOISSY F., VIANDIER A., Droit des sociétés, Litec, 21e édition, 2008, p. 537-542.
379
COZIAN M., DEBOISSY F., VIANDIER A., Idem.

158
prévisibilité prévaut avec ce régime. Ici, nulles traces de démocratie, on sacrifie ou plutôt on
assujettit littéralement les différentes composantes du titre d’actionnaire à des contraintes et à
un montage exclusivement financiers.
En dehors des actions de préférence, il existe d’autres moyens, pour l’actionnaire, de
permettre d’aménager, non plus seulement le droit de vote, mais aussi les droits financiers et
patrimoniaux. La démocratie actionnariale est ici bien lointaine.

Paragraphe 2 – L’aménagement des droits financiers et patrimoniaux

171 – La liberté d’aménagement tolérée – Dans ce domaine, la conception démocratique


n’a plus droit de cité. Même lorsque le droit de vote apparaît, il a vocation à être annexé à des
logiques patrimoniales ou financières, il est relégué au second plan. L’actionnaire peut
procéder à l’aménagement de ses droits financiers et patrimoniaux. Ici les maîtres mots sont
l’inégalité et la personnalisation des prérogatives.
Il est d’ailleurs particulièrement libre en la matière tant qu’il ne contrevient pas aux droits
propres précédemment énoncés et qui consistent en l’interdiction des clauses d’exclusion, le
droit de participer aux assemblées et d’y voter, l’interdiction de voir ses engagements
augmentés, sa vocation aux bénéfices, enfin son droit d’exercer l’action sociale « ut
singuli »380 Ces limites peuvent se révéler assez contraignantes car soumises à interprétations
jurisprudentielles. Cependant, l’interprétation donnée par les tribunaux peut s’avérer assez
libérale. Ainsi, en dehors de cela l’actionnaire reste assez libre de transformer ses prérogatives
dans ce domaine.

172 – Les outils d’aménagement fournis par le législateur – Concernant la disposition de


ses droits financiers, celle-ci se trouve d’autant plus facilitée par l’arsenal que met à sa
disposition la législation : la société anonyme ayant pour vocation de drainer l’épargne
publique, cette dernière peut émettre diverses catégories de titres permettant un accès plus ou
moins important aux dividendes. On retrouve ici ce qui caractérise l’action : aux termes des
articles 228-1 et suivants du code monétaire et financier, il s’agit d’un titre financier. Dans
cette logique, le titre peut servir de support à de nombreux montages. On a précédemment
évoqué les actions de préférence sur lesquelles on ne reviendra mais qui incarnent

380
GERMAIN M., La renonciation aux droits propres des associés : illustrations, in Mél Terré, PUF éditions
Jurisclasseur, 1999, p.401.

159
parfaitement cette logique de financiarisation qui se focalise uniquement sur le profit à
réaliser, l’éventuel risque qui y est associé ainsi que sur la recherche d’une liquidité du titre.
L’on peut aussi évoquer ces titres ayant vocation à donner accès au capital et qui le plus
souvent sont autant d’actions en devenir. Parmi ces types de titres, on peut citer les valeurs
mobilières composées prévues aux articles L228-91 du Code monétaire et financier ou encore
es bons autonomes dont les fameux bons de souscription d’actions dont le régime est prévu
aux mêmes articles. Ces titres permettent à des investisseurs de devenir des actionnaires en
puissance non dans une logique d’accès au capital au pouvoir que permet d’octroyer l’action
mais aux possibilités de plus-values, au placement financier que cela peut représenter.
Premiers dividendes, superdividendes, dividendes préciputaires ou autres peuvent aussi être
accordés à l’actionnaire qui y souscrira selon son intérêt du moment. Dans cette perspective,
le vote des bénéfices n’offre pas le même sens. Tous ne retireront pas les mêmes bénéfices de
la réussite du groupement. Ces trois mécanismes visent principalement à récompenser un
groupe étroit d’actionnaires, ces derniers bénéficiant parfois des rares dividendes disponibles
lorsque la marge s’avère étroite.

173 – Le droit de propriété et ses prérogatives aménagés – De même, concernant les droits
patrimoniaux, il est possible de procéder à des aménagements concernant les actions381. Tout
d’abord, elles peuvent faire l’objet de démembrements de propriété : convention d’indivision,
location ou encore usufruit. Plus exactement, les différents éléments constitutifs du droit de
propriété peuvent être distingués dans des perspectives de montages juridiques ou de
situations d transferts incomplets de propriété comme un héritage. A l’instar de n’importe
quel bien, l’action peut être détenue en pleine propriété ou voir les attributs de cette dernière
répartie entre plusieurs titulaires. A cet égard, la situation la plus classique est celle d’un
héritage ayant conduit à la détention en indivision d’actions. De même, leur cession peut
nécessiter l’obtention d’un agrément de la part des autres associés. Tous ces éléments
concourent à une personnalisation, une appropriation de la société anonyme par ses membres.
Il convient ici de rappeler une distinction essentielle entre la SA et la SAS ainsi qu’entre la
SA fermée et celle dont les titres sont offerts au public. Dans la SA cotée, il n’est pas possible
de grever les titres avec de telles clauses, en effet il s’agit au contraire de privilégier leur
liquidité. Par contre, les SA fermées ainsi que les SAS peuvent émettre de tels titres. Surtout,
les clauses d’agrément, d’exclusion et d’inaliénabilité sont l’apanage des SAS tel que prévu

381
CHAMPAUD C., Catégories d’actions ou sortes d’actionnaires, in Mél Jeantin, Dalloz, 1999, p.161.

160
aux articles L 227-13 et suivants du code commerce. La flexibilité de la SAS offre de
nombreuses possibilités bien loin de la démocratie actionnariale. La liberté statutaire rejaillit
aussi sur le périmètre des prérogatives dont peuvent jouir les actionnaires.
Ainsi, les actionnaires peuvent par ce biais introduire des éléments d’intuitu personae et
rapprocher la société de capitaux d’une société de personnes mais ils peuvent aussi souhaiter
le faire pour maintenir et conserver un bloc de contrôle et filtrer l’arrivée de nouveaux
membres. C’est ici la plasticité du groupement qui prédomine : l’actionnaire n’est plus un
citoyen dont les droits fondamentaux doivent être reconnus, mais un investisseur, un
cocontractant disposant de l’autonomie de sa volonté et désirant l’utiliser à son unique
profit382.

174 – Conclusion du chapitre – L’adoption d’une grille de lecture démocratique permet de


mettre une lumière une tension profonde dans le domaine des droits individuels de
l’actionnaire. Cette tension se résume à une dialectique entre affirmation et disposition. Si de
nombreux mécanismes tendent à participer à l’affirmation, la défense de droits contribuant à
un fonctionnement démocratique, ceux-ci se retrouvent soumis à rude épreuve face à
l’impératif de disposition porté en germe par la configuration même des sociétés par actions.
L’actionnaire est un peu un être schizophrène entre l’investisseur et le membre d’un
groupement. Mais le partage de ces deux dimensions n’est pas toujours évident.
Indiscutablement, l’actionnaire demeure un citoyen en profondeur. En effet, les prérogatives
de base qui lui sont attribuées consacrent une importance clé au droit de vote, les aspects
financiers gravitant autour. On l’a vu précédemment, le vote est la clé fondamentale à partir
de laquelle la grille de lecture démocratique pénètre le droit des sociétés par actions. Dans
cette perspective, la démocratie actionnariale peut être un outil opérationnel. Le mythe
démocratique permet de mettre en lumière l’importance du droit de vote. La sacralisation de
ce dernier tend à montrer qu’à l’instar d’une démocratie classique, l’actionnaire doit pouvoir
s’exprimer et surtout participer aux décisions essentielles au sein de l’institution.
Surtout le mythe démocratique permet de mieux saisir les différentes implications de cette
sacralisation. On pense principalement à la question de l’absentéisme. En effet, il permet de
ne pas s’arrêter à une vision binaire qui réduit l’actionnaire à celui qui participe, celui qui ne
participe pas. S’abstenir fait partie intégrante de la vie démocratique : on peut le déplorer et
l’on peut chercher à le combattre mais en aucun cas se servir de lui pour justifier d’écarter les

382
LE FUR A-V., Concilier l’inconciliable : réflexions sur le droit de vote de l’actionnaire, D 2008, Chron
2015.

161
plus passifs. Cela met cruellement en lumière le problème d’adhésion rencontré au sein des
sociétés par actions, principalement lorsqu’elles atteignent une taille certaine et/ou ont vu
leurs titres admis aux négociations sur un marché règlementé.
En creux, point la vision institutionnelle : les sociétés par actions ne se réduisent
définitivement pas à un simple regroupement contractuel, à une addition d’individus
intéressés économiquement. La vision démocratique en matière de vote permet aussi de
conforter et de nourrir un périmètre de protection et de participation.

175 – Le droit de vote, clé de voûte en voie d’effritement – Si la sacralisation du droit de


vote est la plus connue, on ne se rend pas toujours compte que la relation entre prérogatives
politiques et financières peut aussi exprimer ou servir de support au mythe démocratique.
Concevoir les prérogatives financières comme accessoires souligne l’importance du rôle
politique de l’actionnaire. Or, un certain nombre de mécanismes propres au domaine financier
vient conforter cette vision.
Tout d’abord il existe un rapport de dépendance nécessaire faisant ressortir la prépondérance
du vote : sans lui, certaines prérogatives ne peuvent être mises en mouvement. Dans ce
domaine, deux mécanismes se distinguent plus particulièrement. En dépit des apparences, la
prohibition des clauses léonines ainsi que la possibilité de sanctionner les abus de majorité
participent à leur échelle de la construction d’une citoyenneté actionnariale. Dans cette
optique, les prérogatives financières ne s‘exercent que sous le contrôle du vote. La
préservation du droit de vote borne les prérogatives financières et les éventuelles possibilités
de montage quant aux droits portant sur les actions. Plus précisément, la protection du droit de
vote, de son utilité, conduisent à faire passer au second plan la possibilité pour l’actionnaire
d’exercer ces dernières. Autrement dit, des mécanismes dont on aurait pu penser qu’ils
protégeaient avant tout l’aspect ont une répercussion essentielle pour préserver l’aspect. Ainsi,
la sanction de l’abus tout autant que celle relative aux clauses léonines contribuent à maintenir
à la fois loyauté et égalité au sein de la communauté actionnariale. Ceci étant, il ne faut pas
surestimer ses outils, seuls certains aspects contribuent à la démocratie actionnariale et l’on
songe alors aux clauses extrastatutaires pour les clauses léonines et la question des abus de
minorité et égalité.
Ensuite, le vote peut aussi trouver son prolongement dans l’exercice des prérogatives
financières. La négociabilité conférée aux actions est aussi un puissant outil de diffusion
démocratique dans certains cas de figure. Le simple fait d’acheter ou de vendre peut alors
constituer un acte politique en soi. Le motif de l’acte contribue à dépasser l’aspect patrimonial

162
pour envisager l’actionnaire comme un sujet politique. Cette vision incarne bien les deux
facettes de l’actionnaire sujet politique. L’actionnaire citoyen trouve ici un moyen
supplémentaire de faire entendre sa voix, de peser sur les décisions prises par les mandataires
sociaux. Comme pour n’importe quel citoyen il s’agit d’un mécanisme d’expression politique
supplémentaire spécifique au contexte des sociétés par actions. De même, le citoyen
actionnaire a la possibilité en achetant ou en vendant ses actions de tenter d’imposer ses
valeurs au groupement. Acheter est une forme d’acte citoyen qui transcende la simple cession.
En filigrane, il s’agit pour ceux qui s’engagent dans une telle opération à obtenir si possible la
majorité voire une quantité suffisante de titres pour peser dans les décisions sociales. On est
en présence d’une conquête politique dans laquelle les mécanismes financiers forment de
véritables chevaux de Troie.

176 – Les impacts de la financiarisation des sociétés par actions - Cependant, si les
éléments précédents permettent d’illustrer l’aspect structurant du mythe de la démocratie
actionnariale, on ne peut totalement en occulter les limites car ces dernières en réduisent très
fortement l’impact.
La logique financière écorne la logique politique. Or, ces deux dimensions coexistent dans les
droits dont dispose l’actionnaire. C’est cette logique financière qui entre en conflit avec le
mythe démocratique. Sa répercussion sur les droits de l’actionnaire réduit fortement l’image
du citoyen en son groupement ou du citoyen souhaitant accéder à un groupement. Comme
l’avait saisi Ripert, les sociétés par actions sont le « merveilleux instrument du capitalisme
moderne ». Méthodes droit commun et de droit spécial concourent à occulter le citoyen ou du
moins à en limiter rigoureusement l’expansion. L’esquisse dessinée précédemment doit être
replacée dans un contexte spécifique : les sociétés par actions émettent des titres financiers et
ont vocation à prendre très largement en compte la dimension capitalistique.
Le vote est présent et affirmé comme fondamental mais il ne s’agit en aucun cas d’un absolu.
Au contraire des sociétés de personnes, certains mécanismes en facilitent la limitation ou du
moins la négociation. Le droit de vote lui-même peut faire l’objet de négociation et souhaiter
imposer un modèle démocratique sans tenir compte de cet aspect contribuerait à dénaturer au
final la notion même de sociétés par actions.
Il est intéressant de constater que cette « circulation » du droit de vote repose à la marge sur
un mécanisme de droit commun qui est la convention de vote, mais surtout sur un mécanisme
propre aux sociétés par actions, seules susceptibles de l’émettre : les actions de préférence. Si
le premier a été assez fortement encadré par la jurisprudence et ne correspond qu’à des

163
opérations temporaires, le second s’inscrit dans la durée et entame très sérieusement la
fondamentalité du droit de vote. L’analogie démocratique trouve ici une limite technique
importante : si l’on ose le parallèle, il ne devrait pas en principe être possible de céder son
vote ou d’être rémunéré pour son abandon ou sa limitation. Or, l’interdire purement et
simplement reviendrait à supprimer les sociétés par actions. Ici le mythe démocratique a pour
principale utilité d’obliger à réfléchir, voire peut-être à renforcer les garanties entourant la
cession ou l’aménagement du vote.
Dans cette continuité, les multiples avatars de l’ingénierie financière a pour conséquence une
quasi infinie possibilité de découpages quant aux prérogatives patrimoniales offertes par la
détention d’actions. Là aussi le mythe démocratique est vite dépassé : il est d’ailleurs
intéressant de remarquer que le mécanisme des actions de préférence est là aussi mobilisable.
Ici, disposer est le maître-mot, la figure démocratique est réduite à sa plus simple expression
et ne peut, tout au plus, qu’accompagner le mouvement en incitant à réfléchir sur les
éventuelles garanties qui doivent être conférées à l’actionnaire.
Si le couple affirmation/disposition illustre bien la situation dans laquelle le mythe
démocratique est mis à l’épreuve quant aux droits des actionnaires, leurs prérogatives
collectives s’organise autour d’une dialectique entre logique de reconnaissance et nécessités
d’un encadrement de ces dernières.

164
Chapitre 2 – Prérogatives collectives : entre reconnaissance et
encadrement

177 – Les sociétés par actions, régime d’assemblées ? – Pour certains auteurs, le diagnostic
concernant l’organe privilégié d’expression des prérogatives collectives de l’actionnaire est
assez sombre. Pour eux, « le rôle de l’assemblée est affaibli ; certes, les textes en font
toujours l’organe cardinal des sociétés anonymes, mais en pratique les assemblées sont
souvent dans la main des dirigeants ; c’est vrai de nombreuses sociétés ouvertes du fait de la
dilution du capital et de l’abstentionnisme des actionnaires ; c’est encore vrai des sociétés
fermées lorsque l’essentiel du capital social appartient aux dirigeants sociaux, les coups de
force étant rarissimes. Mais si le pouvoir des assemblées s’érode, le formalisme des réunions
demeure, ainsi qu’en atteste leurs caractères rituel et collectif »383.
L’assemblée générale demeure l’expression la plus forte du mythe démocratique : cet organe
cardinal a cristallisé toutes les métaphores et analogies démocratiques principalement par le
biais d’une assimilation aux assemblées parlementaires. C’est dans cette perspective que l’on
voit parfois se dégager toute une théorie des pouvoirs tentant de privilégier le peuple
actionnarial que ce soit en lui attribuant des pouvoirs ou des protections spécifiques, des droits
propres. Le Législateur a ordonnancé un véritable régime d’assemblées pour la société
anonyme, terrain propice au mythe démocratique. Il convient d’ailleurs à ce stade de préciser
que ce régime n’est pas applicable à toutes les sociétés par actions : il demeure un référent
pour les commandites par actions et les sociétés par actions simplifiées mais pour mieux en
être écarté. En effet, il a été prévu pour chacune de ces formes sociales des règles différentes
en fonction de leurs spécificités. Cet aspect fait d’ailleurs partie du mouvement
d’encadrement des prérogatives collectives des actionnaires sur lequel nous reviendrons
ultérieurement.
Quoiqu’il en soit, la loi de 1966 sur les sociétés commerciales a consacré le référent
démocratique comme pierre angulaire d’exercice des prérogatives collectives des
actionnaires. Plus précisément, ce référent s’est cristallisé dans le système d’assemblées prévu
par le législateur autour de différents pôles comme la garantie de pouvoir accéder à ces
dernières, un droit à l’information, l’égalité entre actionnaires, le vote, la majorité… Tout ce
qui fait de l’actionnaire un citoyen y trouve à s’exprimer avec cet équilibre en permanence
précaire : la démocratie y est tantôt fortement revendiquée, tantôt cantonnée à des résidus

383
COZIAN M., DEBOISSY F., VIANDIER A., Droit des sociétés, Litec, 30e édition, 2017, p. 414 ; MERLE
P., FAUCHON A., Droit commercial – sociétés commerciales, Dalloz, Droit Privé, 2018, p. 594-596.

165
nécessaires. Les prérogatives collectives vont de pair avec la mise en place d’un organe à part
entière : l’assemblée générale et ce, quelle que soit sa qualification (ordinaire, extraordinaire,
spéciale ou mixte).

178 – Gouvernement et gouvernance – C’est le terrain d’élection de la gouvernance et du


gouvernement. Du gouvernement tout d’abord en offrant un cadre, une structure permettant la
rencontre voire l’affrontement entre tous les organes des sociétés par actions. L’assemblée
rassemble le peuple actionnarial et compose en ce sens une communauté politique miniature.
Au regard de ses attributions, elle est un espace de discussion, un lieu de décision et enfin un
cadre pour la reddition de comptes. L’actionnaire y trouve un lieu pour poser ses questions et
exercer ses droits à l’information, au contrôle et à la prise de certaines décisions. Il convient à
ce sujet de préciser que la société anonyme offre le cadre le plus développé en la matière : la
règlementation de ses assemblées générales est un modèle pour toutes les autres formes
sociales. Parler de rite ou de liturgie à cet égard n’apparaît pas galvaudé : en principe tout y
est codifié et mis en procédures diverses. On y trouve le lointain écho des règlements
d’assemblée parlementaires ou même des dispositions constitutionnelles relatives aux
assemblées civiques. A la lecture des textes, le mythe démocratique apparaît dans toute sa
force : de nombreux éléments devraient concourir à son affirmation.
De la gouvernance ensuite en offrant un terrain d’application ou d’étude à la mise en œuvre
des structures gouvernementales. Plus précisément, le gouvernement désigne les structures de
pouvoir, leur organisation telle que prévue par les textes, alors que la gouvernance tend à
désigner les pratiques, le fonctionnement de ces structures entre elles voire en elles-mêmes.
Or, s’arrêter sur la gouvernance révèle les failles du cadre prévu par les textes : l’inspiration
démocratique ayant présidé à la règlementation des assemblées générales survit avec difficulté
face aux réalités pratiques et à la manière dont les acteurs des sociétés se sont emparés de ces
dernières. Parmi les fléaux confinant la démocratie à un mythe pour le moins lointain,
l’absentéisme en est le plus symptomatique. L’absence systématique des actionnaires, leur
désertion des assemblées conduit à un affaiblissement significatif du pouvoir des assemblées
et corrélativement du leur. Ces failles révèlent les limites de ce qu’il est possible d’accomplir
avec le mythe démocratique voire la mobilisation parfois cynique d’une contre argumentation
pour légitimer un encadrement voire un effacement pur et simple de cette inspiration
démocratique.
Malgré la reconnaissance du pouvoir de la collectivité des actionnaires au travers des
dispositions prévues pour maintenir un régime d’assemblées (section 1), celui-ci fait l’objet

166
d’une certaine forme d’encadrement parfois peu propice à l’expansion d’une vision
pleinement démocratique de leurs pouvoirs collectifs (section 2).

Section 1 – La reconnaissance des actionnaires en collectivité

179 – Régime d’assemblées et prérogatives collectives – Les prérogatives collectives des


actionnaires ainsi que l’expression de leur collectivité trouvent leur terrain d’élection dans le
régime d’assemblée prévu par le Législateur. Parmi toutes les formes sociales, la société
anonyme a la règlementation la plus précise sur le sujet. Elle est d’ailleurs considérée comme
la plus aboutie en la matière. Précisons d’emblée que ce régime se scinde en trois sous-
régimes partageant des caractéristiques communes sur leur déroulement mais des attributions
différentes quant à leurs pouvoirs respectifs.
La liturgie, le rite des assemblées procèdent directement d’une inspiration démocratique. Les
assemblées en tant qu’organe ont vocation à recueillir l’expression des actionnaires dans la
marche des affaires de la société dans laquelle ils ont investi. Plus encore que de simples
investisseurs, les prérogatives collectives qui leur sont confiées révèlent leur citoyenneté. Le
vocabulaire employé ainsi que les procédures prévues ne laissent subsister que peu de doutes
sur l’importance du mythe démocratique. En principe, tous les pouvoirs procèdent de
l’assemblée qui est la base de la pyramide des sociétés par actions.

180 – L’agora antique comme référent – Ici, les deux facettes du mythe se conjuguent car
elles sont susceptibles de s’exprimer dans le cadre de cet organe pluriel. Par certains aspects,
on trouve une forte similarité avec certains développements du droit constitutionnel, ce qui
n’est pas simplement fortuit. Le rapprochement entre actionnaire et citoyenneté est ici
évident. Pour pouvoir le mettre en lumière, il nous semble utile de privilégier une
comparaison avec une institution de l’Antiquité, l’agora de la cité-Etat Athénienne au Ve
siècle avant notre ère. En effet, il s’agit d’un des rares exemples de démocratie directe, ce qui
a été le modèle pour concevoir ce régime d’assemblée. Dans la miniature politique formée par
la société anonyme, les actionnaires forment autant de citoyens prêts à exercer leurs droits
dans les assemblées prévues pour eux. Les assemblées sont le réceptacle de la participation
des citoyens à la marche des affaires de leur collectivité, autrement dit à son gouvernement.
Pour cette raison, l’agora athénienne formera notre point de comparaison de départ afin de
mettre en lumière la démocratie actionnariale en mouvement.

167
Cette collectivité des actionnaires bénéficie de trois enceintes au minimum pour s’exprimer,
chacune ayant des attributions différentes : l’assemblée générale ordinaire prenant en charge
la gestion courante (paragraphe 1), l’assemblée extraordinaire se préoccupant des mutations
de la société (paragraphe 2), les assemblées spéciales pour les titulaires de titres spéciaux
lorsqu’il est question de modifier ces derniers voire les assemblées dites mixtes qui peuvent
parfois regrouper les précédentes (paragraphe 3).

Paragraphe 1 – L’assemblée générale ordinaire

181 – Les attributions de l’assemblée générale ordinaire – Si un siècle auparavant il était


possible de faire en sorte que l’assemblée soit véritablement l’expression de la souveraineté
des actionnaires, cela a quelque peu changé. Dorénavant, celle-ci est un des organes de la
société anonyme répondant à l’impératif de hiérarchie dégagé par la jurisprudence384 : elle a
donc une fonction spécifique et ne peut empiéter sur celles des autres organes. En cela, la
vision démocratique tend à s’éloigner, l’universalité des actionnaires pouvant en théorie
presque tout n’est ici qu’une utopie. On peut néanmoins considérer que l’assemblée générale
ordinaire est un organe spécialisé qui s’insère dans un fonctionnement régulier. Il convient ici
d’insister sur le caractère ordinaire : l’assemblée est annuelle et a pour attribution tout ce qui
relève des opérations courantes. Elle exerce par conséquent une souveraineté certes non
absolue mais réelle.
L’assemblée générale ordinaire demeure le lieu de rencontre et d’expression habituel des
citoyens actionnaires. Elle permet à ces derniers de participer à ce « phénomène de
coopération » qu’est l’entreprise et sert d’interface avec les dirigeants permettant
normalement la rencontre de la propriété et du contrôle. Ces compétences sont les suivantes :
- nomination ou révocation des dirigeants,
- approbation des comptes sociaux,
- distribution des dividendes,
- nomination des commissaires aux comptes,
- ratification des conventions réglementées,
- approbation de l’acquisition d’un bien d’un des actionnaires lorsque la valeur de
ce bien excède les 10 % du capital social,
- fixation du montant des jetons de présence du conseil,

384
Cf infra, Titre 2, chapitre 1, section 1, paragraphe 1.

168
- décision d’émettre des obligations hormis quand elle a délégué cette compétence
aux conseils (administration ou surveillance),
- agrément des cessionnaires d’actions si les statuts le prévoient,
- autorisation des décisions de gestion si les statuts le prévoient,
- enfin, compétence générale pour toute décision ne modifiant pas les statuts et
n’ayant pas été expressément attribuée à un organe de la société par la loi385.
Derrière cet inventaire, on peut regrouper ces attributions en pouvoir de nomination, de
contrôle, de répartition financière, d’autorisation et de ratification ou approbation.
L’assemblée générale ordinaire de la société anonyme se rapproche des assemblées de type
parlementaire avec des fonctions assez proches de ce que l’on peut observer dans l’agora
athénienne ou même dans des formes parlementaires plus récentes. Ceci étant précisé, au vu
de toutes ses attributions, l’assemblée a principalement un pouvoir de ratification en ce
qu’elle réagit plus qu’elle ne propose. Elle donne ou refuse l’absolution actionnariale aux
dirigeants, participant a posteriori aux décisions de ses derniers en lui accordant ou refusant sa
confiance. On voit ainsi la répartition des pouvoirs avec l’exécutif constitué par les organes
dirigeants
Ce pouvoir est réel et non négligeable notamment lorsqu’il s’agit de nommer les
administrateurs, ce qui peut s’avérer extrêmement précieux quand on considère qu’elle peut
les révoquer à tout moment, et surtout, participe à la nomination des commissaires aux
comptes, garants neutres et indépendants du bon fonctionnement de la société et qui peuvent
informer les actionnaires en cas de manquements graves de la part des dirigeants à leurs
obligations dans la société. De même, le contrôle et l’approbation (ou non) des comptes rend
le parallèle particulièrement opératoire avec toute sorte de figure parlementaire ou de
démocratie directe. Au travers du vote, les actionnaires agissent comme des citoyens exerçant
un contrôle sur leurs dirigeants mais aussi en orientant leurs décisions, leurs nominations dans
le sens de ce qu’ils estiment être l’intérêt de la majorité.

182 – La protection de l’accès aux assemblées – De plus, la participation aux assemblées


bénéficie d’une protection spéciale. En principe, tout actionnaire a le droit de participer et
d’assister à l’assemblée. Ce droit s’est affirmé avec une force croissante notamment avec
l’essor de la corporate governance. En effet, jusqu’en 2001386, le régime de participation aux

385
COZIAN M., DEBOISSY F., VIANDIER A., Droit des sociétés, Litec, 30e édition, 2017, p. 421-422 ;
MERLE P., FAUCHON A., Droit commercial – sociétés commerciales, Dalloz, Droit Privé, 2018, p. 595-597.
386
Loi n°2001-420 du 15 mai 2001 Nouvelles Régulations Economiques.

169
assemblées laissait aux statuts la possibilité de déroger à ce principe en fixant une condition
de détention minimale d’actions pour pouvoir y participer. Il était alors parfaitement possible
de réserver l’assemblée aux porteurs significatifs et de laisser de côté les petits porteurs.
Désormais, cela n’est plus possible et tout actionnaire a vocation à accéder aux assemblées387.
Du point de vue démocratique, on peut considérer qu’il s’agit là d’un véritable progrès en la
matière. Il convient aussi de préciser que la législation sur les sociétés anonymes a aussi prévu
des dispositions supplétives en cas de démembrement des droits de propriété en répartissant
les prérogatives de vote ainsi que celles concernant l’accès aux assemblées388. Du point de
vue de l’égalité entre actionnaires, l’analogie avec le citoyen apparaît très forte. En outre,
l’accès aux assemblées est protégé par des dispositifs relevant du droit pénal. Empêcher
sciemment un actionnaire de participer ou d’assister à une assemblée est susceptible
d’engager la responsabilité pénale de l’auteur de l’entrave389. Les peines encourues
comprennent une amende pouvant aller jusque 9 000 euros et une peine d’emprisonnement de
deux ans. Symboliquement, la portée de cette disposition est très forte même si en pratique
dans le cas de grandes sociétés cotées le montant de l’amende est dérisoire au regard des
sommes qui pourraient être mises en jeu, seule la possibilité de l’emprisonnement pouvant
apparaître comme dissuasive.

183 – Les actionnaires représentés – En dépit de prérogatives réelles l’enceinte de


l’assemblée continue à être désertée par les actionnaires390. Néanmoins, le législateur et la
jurisprudence ont tenté d’améliorer les choses notamment quant aux règles de représentation
des actionnaires. A l’origine, le principe était que seuls des actionnaires pouvaient obtenir
procuration d’autres actionnaires sans qu’il y ait de limitation au nombre de mandats détenus
en une seule main. En cela, la France se singularisait des pays anglo-saxons qui connaissent le
système des « proxies »391. Les « proxies » désignent les mandats donnés par les actionnaires
à toute personne chargée de les représenter et de voter en leur nom aux assemblées, sachant
qu’ils peuvent faire appel à n’importe quelle personne de leur choix pour ce faire. Certaines
entreprises se sont d’ailleurs spécialisées dans la représentation et le conseil des actionnaires

387
Abrogation de l’article L 225-112 C. Com qui prévoyait cette possibilité par l’article 115 2° de la loi précitée.
388
L225-110 C. Com ; MERLE P., FAUCHON A., Droit commercial – sociétés commerciales, Dalloz, Droit
Privé, 2018, p. 606-612.
389
L242-9 C. Com
390
DUCOULOUX-FAVARD C., Grandeur et décadence des assemblées générales d’actionnaires, in Mél
Guyon, Dalloz 2003, p.359 ; JAUFFRET-SPINOSI C., Les assemblées générales d’actionnaires dans les
sociétés anonymes, réalité ou fiction ? (Etude comparative), in Mél Rodière, Dalloz 1981, p.125.
391
ALBOUY M. et SCHATT A., Activisme des actionnaires minoritaires, proxy-fights et gouvernement des
entreprises, in Mél Spiteri, Presses de l’université des sciences sociales de Toulouse, 2008, p.73.

170
utilisant ces « proxies », assurant leur image de marque en promouvant les thèmes de la
corporate governance et assurant leurs clients de l’application de ces principes dans
l’exercice de leurs missions392. Or, la France a fini par opter pour ce système mais uniquement
pour les sociétés cotées. Depuis une ordonnance du 9 décembre 2010393, les mandats de vote
peuvent être délivrés par un actionnaire à toute personne physique ou morale de son choix.
Par ce biais, le Législateur a souhaité faciliter et encourager un certain activisme au sein des
sociétés cotées. Désormais, les batailles de proxies ne sont plus un apanage des sociétés par
actions anglo-saxonnes. A cet égard, il est dommage que le Législateur se soit arrêté en
chemin et n’ait pas étendu la mesure aux sociétés dites fermées. La démocratie semble encore
s’arrêter aux portes de la cotation.
En cela, la métaphore de l’agora ou démocratie directe n’est plus forcément la plus adéquate
pour rendre compte de la règlementation de ce type d’assemblées. En effet, avec la question
des proxies vient aussi celle des détenteurs indirects d’action comme dans le cadre des
différents véhicules prévus dans le domaine de l’épargne collective. De surcroît, la possibilité
de désigner potentiellement n’importe qui comme mandataire induit un élément de complexité
pour le mythe démocratique. Si l’on file la métaphore jusqu’à son terme, on peut se retrouver
dans de grandes sociétés cotées avec des assemblées de nature hybride relevant autant d’une
logique de représentation avec désignation de mandataires par le peuple actionnarial
caractérisant la démocratie indirecte que d’une logique plus traditionnelle de la démocratie
directe. Le mythe démocratique a pour vertu d’insister sur le respect des intérêts du citoyen
actionnaire induisant une législation ayant vocation à contrôler le contenu du vote en cas de
représentation : idéalement, l’actionnaire représenté doit être dans une situation identique à
celui qui exerce son vote de manière directe, ce qui déroge aux théories classiques de la
représentation classique dans les parlements.

184 – Le vote à distance – Quoiqu’il en soit, en France, la présence d’un seul actionnaire ne
rend pas une assemblée invalide : la volonté d’un seul peut suffire394, ce qui n’est ni très
démocratique ni très respectueux des cocontractants que sont aussi les actionnaires sauf si le
seul présent détient déjà la majorité comme dans certaines sociétés familiales fermées. Le
Législateur a aussi prévu la possibilité de recourir au vote par correspondance et à la

392
Exemple de l’entreprise ISS consultable directement sur : http://www.issproxy.com
393
Ordonnance n°2010-1511 Transposition de la directive 2007/36/CE du 11 juillet 2007 concernant l’exercice
de certains droits des actionnaires de sociétés cotées ; MERLE P., FAUCHON A., Droit commercial – sociétés
commerciales, Dalloz, Droit Privé, 2018, p. 608-612.
394
Hypothèse qui peut se présenter en cas de seconde convocation de l’assemblée générale, aucune disposition
légale ne faisant obligation de réunir un nombre minimum d’actionnaires hors du quorum.

171
visioconférence pour répondre au problème de l’absentéisme tout en continuant de refuser la
possibilité d’assouplir les règles en matière de représentation des associés395. Pour l’instant,
l’effet concret et l’équipement des sociétés françaises demeurent encore marginaux sauf en ce
qui concerne le vote par correspondance qui se répand au niveau des grandes sociétés cotées
capables d’investir dans des formules pré-imprimées et de les envoyer à chaque actionnaire
avec les informations requises avant chaque assemblée.
Concernant ces règles, elles sont communes à l’assemblée ordinaire et sa version
extraordinaire, cette dernière conservant surtout son particularisme quant aux décisions
qu’elle peut prendre.

Paragraphe 2 – L’assemblée générale extraordinaire

185 – Les attributions de l’assemblée générale extraordinaire – Si l’assemblée générale


ordinaire peut être comparée au Parlement, l’assemblée extraordinaire serait plus proche de
l’assemblée constituante par ses prérogatives. En effet, elle est compétente pour :
- l’augmentation, la réduction, l’amortissement, bref pour toute opération relative
au capital social,
- la modification de l’objet social, de la durée et du nom de la société,
- décider de l’émission d’obligations convertibles, à bons de souscriptions, de
certificats d’investissements, de bons de souscription d’actions,
- arrêter l’éventuelle dissolution anticipée,
- décider de la transformation de la société,
- la révocation des dirigeants,
- toute décision de modification des statuts396.
L’assemblée extraordinaire a donc pour domaine exclusif tout ce qui relève du domaine
structurel de la société anonyme. Les modifications statutaires lui incombent. Autrement dit,
en grossissant le trait, si l’assemblée ordinaire s’occupe de la vie de la société en tant
qu’organe, celle-ci s’occupe surtout de la vie de la société en tant que contrat susceptible de
modifications et d’adaptations. Les décisions les plus graves lui incombent. La notion de
souveraineté des assemblées prend ici toute son ampleur car aucune modification importante
ne peut se faire sans une décision de cette assemblée. Celle-ci agit au même titre qu’une

395
Articles L225-107, R225-97 et suiv. C Com.
396
COZIAN M., DEBOISSY F., VIANDIER A., Droit des sociétés, Litec, 30e édition, 2017, p. 423 ; MERLE
P., FAUCHON A., Droit commercial – sociétés commerciales, Dalloz, Droit Privé, 2018, p. 628-632.

172
assemblée constituante afin de procéder à la modification des structures institutionnelles ou
capitalistiques.
Elles ont vocation à rassembler la totalité des actionnaires plus encore que les assemblées
ordinaires, ce qui se traduit par la précision expresse qu’en fait le Législateur en disposant que
même les titulaires d’actions spécifiques peuvent y accéder397. D’ailleurs, une bonne partie
des décisions relevant de sa compétence exige l’unanimité et le quorum exigé pour que ses
décisions soient valables est plus élevé que pour les assemblées ordinaires398. Pour le reste, le
principe majoritaire y règne aussi, ainsi que l’absentéisme, continuant de perpétuer la
représentation démocratique et la conception homogène entourant ces organes de la société
anonyme. Plus précisément, les assemblées extraordinaires partagent un régime commun avec
les assemblées ordinaires. Les règles de protection et de représentation des actionnaires
obéissent aux mêmes exigences : on ne peut interdire l’accès à quelque actionnaire que ce soit
sous peine d’amende ou d’emprisonnement, de même que les actionnaires ont la faculté de
choisir un mandataire pour assister et voter en leur lieu et place. A ce titre, il est intéressant de
remarquer que les deux assemblées partagent une prérogative commune particulièrement
importante du point de vue démocratique : la possibilité de révoquer les dirigeants. La
légitimité de ceux-ci découle de leur élection par la communauté des actionnaires et ce, quelle
que soit la forme de l’assemblée.

186 – Les protections partagées avec les assemblées ordinaires – Le régime commun
d’assemblée prévu par la loi399 a vocation à sanctuariser l’accès aux organes délibératifs : tout
est prévu pour que le peuple actionnarial puisse contrôler, s’exprimer et décider de la vie de la
société dont ils sont membres. A nouveau la comparaison avec la démocratie directe
athénienne permet de mettre en lumière la forte inspiration démocratique gravée dans le
marbre législatif dès 1966. Les différentes réformes en matière d’assemblée ont contribué à
renforcer les pouvoirs des actionnaires lorsqu’ils les exercent en son sein. Surtout, les
modifications sociales les plus importantes ne peuvent s’accomplir sans avoir reçues l’onction
des assemblées compétentes. En outre, les dirigeants sont en principe soumis à son œil
vigilant pour les opérations les plus fondamentales voire pour mettre un terme à l’existence de
la société. En tout point on se retrouve avec un décalque presque parfait des assemblées
constituantes connues par le droit constitutionnel. De ce point de vue, le mythe démocratique

397
Article L225-113 C Com ; MERLE P., FAUCHON A., Droit commercial – sociétés commerciales, Dalloz,
Droit Privé, 2018, p. 632-635.
398
Article L225-96 C Com ; sur ces questions de seuil cf. infra section 2.
399
Voir plus spécifiquement L 225-96 et suiv. ainsi que R225-96 mais aussi L242-9 et suiv. C. Com.

173
est loin d’être épuisé ou dépassé : il conserve même une vigueur certaine et est sans doute
plus à même de rendre compte des rapports de force politiques susceptibles d’exister dans ce
type de cénacle.
Moins courantes, les assemblées spéciales viennent compléter le régime des assemblées
susceptibles d’exister dans une société anonyme voire par actions.

Paragraphe 3 – Les collectivités alternatives

187 – Les assemblées spécialisées – Les assemblées générales ordinaires et extraordinaires


sont monnaie courante dans la vie des sociétés par actions : elles en rythment bien l’existence
mais il existe aussi des assemblées qui n’existent que dans des cas particuliers, ce sont les
assemblées spéciales. Cet organe réunit les « titulaires d’actions d’une catégorie
déterminée »400. Autrement dit, il existe potentiellement une assemblée pour chaque type
d’action rassemblant les porteurs ces dernières. La figure la plus courante est celle dans
laquelle des actions de préférence auraient été émises : les actionnaires qui en en seraient les
propriétaires pourront être amenés à se réunir dans une assemblée qui leur est exclusivement
réservée. Cette assemblée a une fonction unique : approuver ou refuser toute décision des
assemblées classiques ayant pour objet la modification des droits attachés aux catégories
d’actions spéciales. Autrement dit, les assemblées classiques ont une compétence liée aux
décisions de ces assemblées spéciales pour tout ce qui concerne les actions particulières.

188 – Un fonctionnement identique aux assemblées classiques – Quant à leur


fonctionnement, ces assemblées spéciales voient leur régime aligné sur celui des assemblées
générales extraordinaires concernant les règles de seuil et sont susceptibles de se voir
appliquer toutes les autres règles communes401. Ainsi, tout ce qui a été évoqué précédemment
en matière d’accès ou de représentation des actionnaires trouve à s’appliquer ici aussi. Le délit
d’entrave pour accéder à l’assemblée prend ici une résonance toute particulière. De même en
ce qui concerna l’activisme et les proxy-fights. Il s’agit ici de faire respecter une situation
particulière et s’assurer que des titulaires d’actions spécifiques ne puissent se voir évincer ou
réduits sans leur consentement exprès.

400
L225-99 C. Com ; MERLE P., FAUCHON A., Droit commercial – sociétés commerciales, Dalloz, Droit
Privé, 2018, p. 635-638.
401
L225-99 C. Com spécifiquement quatrième alinéa qui opère un renvoi au troisième alinéa de L225-96 relatif
aux AGE ; MERLE P., FAUCHON A., op. cit., p. 636.

174
189 – Les difficultés d’articulation avec les autres assemblées – D’un point de vue
démocratique, ces assemblées spéciales apparaissent comme particulièrement respectueuses
du consentement de ces actionnaires particuliers. Ces derniers ne peuvent voir leurs droits
modifiés sans avoir à se prononcer dessus. De plus, la compétence liée qui leur est attribuée
incite à un dialogue entre assemblées402. Malheureusement, rien n’est prévu pour permettre
une éventuelle navette en la matière. Si l’assemblée spéciale refuse toute modification,
l’assemblée classique ne pourra pas statuer. Or, on pourrait tout à fait imaginer la possibilité
d’un dialogue sur le modèle des navettes parlementaires voire attribuer le dernier mot aux
assemblées classiques afin d’éviter un blocage lorsque certaines conditions sont réunies. Dans
cette dernière hypothèse, on peut songer aux cas où la non-modification du fonctionnement de
ces actions particulières risquerait de provoquer des pertes trop importantes pour la société
émettrice. On peut donc considérer qu’ici, l’inspiration démocratique peut encore être d’un
grand secours ou du moins aider à parfaire les solutions déjà existantes.
Ceci précisé, bien que souverains en leurs assemblées, les actionnaires restent soumis à un
certain encadrement qui ne semble pas toujours relever d’un régime démocratique.

Section 2 – L’encadrement de la collectivité des actionnaires

190 – Les limites du régime d’assemblée – Les assemblées sont en principe le lieu
d’expression privilégié des actionnaires. Néanmoins, ce lieu d’expression n’est pas pour
autant un espace d’anarchie. Les assemblées permettent l’expression, la discussion, la prise de
décision entre actionnaires. Organe privilégié en principe par le Législateur, il est en principe
le terreau de la démocratie actionnariale. Pourtant, certains éléments contribuent à en affaiblir
le rôle démocratique. En effet, certaines règles participent d’une mise en contrainte voir d’un
encadrement de l’expression démocratique. Se fondant sur des nécessité de pragmatisme, de
prises de décisions rapides et d’éviter toute forme de blocage ou de débats interminables,
différents garde-fous ont été prévus à cet effet. Ces limites à la démocratie se retrouvent à
trois stades différents : le premier se situe au niveau de la convocation des assemblées, le
deuxième dans le fonctionnement même de cet organe central des sociétés par actions, enfin
le dernier a trait à l’existence même d’une assemblée qu’elle soit générale ou extraordinaire.

402
BOUGNOUX A., JCL. Sociétés traité, Fasc. 142-10 Assemblées spéciales ; JEANTIN M., Observations sur
la notion de catégorie d’actions, D 1995 chron. p.88 ; BOUERE J-P, Quelques remarques sur les clauses de
préemption statutaires réservées à une catégorie déterminée d’actionnaires, Bull Joly 1992, 124 p.376.

175
191 – L’ordre du jour sous contrôle – La première limite à la démocratie s’est effritée avec
le temps, le Législateur tentant de desserrer progressivement l’étreinte initiale prévue par la
loi de 1966. Cette limite, c’est celle de la convocation des assemblées ainsi que la maîtrise de
leur ordre du jour. Sur ces deux aspects, les actionnaires étaient soumis à la bonne volonté des
dirigeants sociaux, seuls habilités à exercer ces prérogatives. Le développement des différents
mouvements de la coporate governance a eu pour effet de rééquilibrer la balance des pouvoirs
en confiant aux actionnaires un contrôle certes encore timide mais non négligeable sur l’ordre
du jour ou la convocation des assemblées. Le corollaire de cette question se retrouve aussi
dans la problématique des pouvoirs en blanc, participant de la mainmise des dirigeants sur les
assemblées403. Cependant, cette question nous semble relever des procédures de contrôle des
dirigeants et sera donc traitée à cet effet ultérieurement. Sur ce terrain, le mythe démocratique
tend à se développer au bénéfice des actionnaires et à leur assurer une maîtrise de plus en plus
grande de cet organe social.

192 – L’ambivalence de la démocratie par seuils – Au contraire, le mythe a tendance à


s’étioler voire s’effacer complètement devant les mécanismes de seuil404 prévus par le droit
des sociétés. On pourrait croire assez aisément que la démocratie s’y épanouit lorsque l’on
considère que la majorité est la règle en matière de prises de décisions. L’existence de
majorités qualifiées aux deux tiers pourrait renforcer cette première impression du fait de la
sécurité procurée aux actionnaires. Mais en réalité, ce serait négliger les autres systèmes de
seuil propres au droit des sociétés. Pour user d’une figure de style devenue canonique, le clair-
obscur de la démocratie actionnariale se niche surtout au cœur des assemblées générales.

193 – La SAS, hors de la démocratie ? – En outre, le régime d’assemblées traditionnel n’est


plus une règle absolue. En effet, la dernière-née des sociétés par actions, la SAS, s’est vue
affranchir de toute référence à quelque assemblée que ce soit. Dans ce type de sociétés, le
Législateur se contente de références au collectif des actionnaires, laissant bien peu de place
au mythe démocratique.405 Il n’existe plus de références explicites aux logiques classiques
d’assemblées, ordinaires ou mêmes extraordinaires. Pourtant, là encore le mythe a su trouver
403
JAUFFRET-SPINOSI C., Les assemblées générales d’actionnaires dans les sociétés anonymes, réalité ou
fiction ? (étude comparative), in Mél. Rodière, Dalloz 1981 p.125 et suiv. ; GUYON Y., L’évolution récente des
assemblées d’actionnaires en droit français, in Mél Flattet, Payot, 1985, p.40 et suiv. En dépit de leur année de
parution, ces deux références semblent encore d’actualité, tant les maux décrits par ces deux auteurs se
retrouvent de nos jours dans les assemblées contemporaines.
404
PRIEUR J., Seuils légaux et dimensions de l’entreprise, Litec, Creda, 199, p. 5-10.
405
MERLE P., FAUCHON A., Droit commercial – sociétés commerciales, Dalloz, Droit Privé, 2018, p. 796-
798.

176
une place, portion congrue certes mais certainement pas inexistante : l’analogie demeure
possible dans certaines conditions. La collectivité des actionnaires s’épanouit dans
l’environnement traditionnel des assemblées des sociétés par actions mais au prix de
contraintes, de freins encore bien réels.
Ces freins se retrouvent tout d’abord lors de la convocation de telles assemblées (paragraphe
1) mais aussi dans le fonctionnement de celles-ci lorsque sont pris en compte ou atteints
différents seuils susceptibles de biaiser un fonctionnement purement démocratique
(paragraphe 2). En parallèle, l’apparente disparition de ce régime d’assemblées dans les SAS
traduit la fragilité du mythe démocratique (paragraphe 3).

Paragraphe 1 – Les règles de convocation des assemblées

194 – Fixation, intangibilité et contrôle sur l’ordre du jour – En principe, l’assemblée


générale est convoquée par le conseil d’administration ou le directoire ou le conseil de
surveillance qui doivent en fixer l’ordre du jour406. Organe de contrôle par excellence et
instance de prise de décision ultime, l’assemblée est soumise à un formalisme qui relève d’un
ritualisme certain aux mains des mandataires sociaux. En principe, cet organe est convoqué
une fois l’an pour sa déclinaison ordinaire et lorsque les circonstances l’exigent dans sa
version extraordinaire. Les organes de direction ont vocation à en franchir les fourches
caudines à intervalles réguliers. Or, la pratique a pu révéler certains abus en la matière.
Tout d’abord, l’ordre du jour est intangible, à tel point que le juge ne peut intervenir pour le
modifier407. Il ne peut d’ailleurs être modifié dans le cadre d’une seconde convocation si
l’assemblée n’a pu se tenir faute de la réunion du quorum requis. Ensuite, il n’est pas possible
de sortir de cet ordre du jour : l’assemblée convoquée ne peut débattre que des points qui y
sont expressément inscrits. La seule limite à cette règle est celle des incidents de séance, un
administrateur pouvant être révoqué à tout moment408. Tout au plus est-il possible de débattre
d’un sujet non prévu initialement mais seulement s’il est évoqué au titre des questions
diverses et revêt une importance minime409. Ces deux conditions restreignent fortement la
possibilité de s’échapper d’un ordre du jour établi par avance.

406
Article L225-105, R225-71 et suiv. C Com.
407
Article L225-105 alinéa 2 et 3 C Com.
408
Article L225-105 alinéa 3 C Com ; cette possibilité de révocation sur incidents de séance sera évoquée plus
en profondeur lorsque nous détaillerons les mécanismes de contrôle des mandataires sociaux.
409
Article R225-66 et suiv. C Com.

177
Dans une telle configuration, il est possible pour les dirigeants de limiter les sujets dangereux
et de faire en sorte que celui-ci se limite aux prescriptions légales comme l’approbation des
comptes, présentant ainsi des projets de résolution les plus neutres possibles afin de ne pas
risquer un rejet en bloc de leurs décisions et a fortiori une révocation de leurs fonctions. De
plus, dans certaines hypothèses marginales, les dirigeants peuvent avoir tout à fait intérêt à ne
pas convoquer l’assemblée ou à en retarder la convocation obligatoire. Le temps procure un
avantage décisif en la matière, surtout dans les sociétés cotées où cela relève non pas
seulement d’un exercice de reddition des comptes mais d’un véritable show relevant plus de
la communication que de la véritable information financière.

195 – Démocratie directe, régime d’assemblée – En cela, le Législateur a opté pour un


régime d’assemblée plus proche des mécanismes de représentation parlementaires que de la
démocratie directe. L’analogie apparaît très forte avec le fonctionnement d’un Parlement avec
son ordre du jour et ses relations avec l’Exécutif. A cet égard, il semblerait que le modèle
implicite soit celui des institutions de la Ve République qui accorde une importance
considérable à ce dernier notamment en matière d’ordre du jour. Du point de vue
démocratique, laisser aux seules mains des dirigeants la fixation de l’ordre du jour revient à
contrôler à la fois l’espace public du débat mais aussi la possibilité de prendre ou non telle ou
telle décision. La complexité de la question provient aussi de ce que ces dirigeants sont
supposés avoir été élus à la majorité et donc incarner par le jeu de la représentation les intérêts
de la majorité. Or, en démocratie, la majorité est censée avoir le dernier mot mais à la
condition que les minorités soient respectées, toute opposition ne pouvant être réduite à néant.
Initialement, si le système retenu avait vocation à favoriser l’expression majoritaire, il laissait
encore un pouvoir d’impulsion trop important entre les mains des dirigeants, ce qui pose
question au regard du développement de ce que certains ont pu qualifier de technostructure ou
encore d’enracinement des dirigeants410. Dans cette optique, le mythe démocratique permet de
mettre en lumière l’imperfection de ce régime d’assemblée et la prééminence accordée aux
mandataires sociaux.

196 – Le desserrement du contrôle au profit des actionnaires – Néanmoins, le Législateur


a tout de même démocratisé le processus en ouvrant la possibilité aux actionnaires eux-

410
Voir les développements Partie 1 Titre 1 Chapitre 2 Section 1 Paragraphe 2 et Section 2 Paragraphe 2 sur les
risques de capture du pouvoir liés aux dirigeants.

178
mêmes de pallier l’inertie de leurs mandataires sociaux411. Les actionnaires peuvent donc
demander la nomination d’un mandataire en justice dès lors qu’ils réunissent soit plus de 5%
du capital social, soit sont réunis au sein d’une association d’actionnaires, soit possèdent la
majorité à l’issue d’une offre publique d’achat, d’échange ou la cession d’un bloc de contrôle.
Les commissaires aux comptes peuvent aussi y procéder. Si ce mécanisme peut permettre de
convoquer une assemblée dans une société fermée, il présente une efficacité plus relative dans
des grandes entreprises cotées où la condition de détention de 5 % des voix peut s’avérer
particulièrement ardue pour un actionnaire, la dispersion et a fortiori l’internationalisation de
l’actionnariat ne favorisant pas non plus les regroupements et les rapprochements. Concernant
les associations d’actionnaires, le problème est assez proche, tout dépendra du montant du
capital social, l’exigence de seuil étant inversement proportionnelle à l’importance de ce
dernier. Les actionnaires auront donc plutôt intérêt à se rapprocher du commissaire aux
comptes pour obtenir la convocation de l’assemblée. Il convient de préciser que le recours à
des assemblées sans convocation dites « sauvages » est sans valeur : leurs résolutions
demeurent inopposables à la société412.

197 – Une démocratisation progressive – De plus, il est prévu que c’est l’auteur de la
convocation qui en fixe le contenu et donc les projets de résolution413. Pour cela, le
Législateur, dans la lignée de la disposition précédente a prévu la possibilité pour des
actionnaires détenant au moins 5% du capital de demander et de proposer l’inscription de
résolution à l’ordre du jour. Le seuil du capital exigé est d’autant moins élevé que le capital de
la société est important, pouvant ainsi descendre jusqu’à une fraction de 1 % du capital414. Par
ce biais, les minoritaires retrouvent un moyen d’expression à l’assemblée. Le fait majoritaire
ainsi que les dirigeants doivent désormais composer et surtout respecter une forme de
pluralisme : différents courants au sein des actionnaires peuvent trouver à s’exprimer par ce
biais. De cette façon, les assemblées peuvent jouer pleinement leur rôle d’enceintes aux
débats sur la marche de la société. En cela, le mythe démocratique trouve à s’accomplir :
l’éthique de la discussion a un cénacle où exister.
Par conséquent, le phénomène d’encadrement des actionnaires en matière de convocation des
assemblées, bien qu’encore très présent tend à s’estomper au profit d’une démocratisation

411
Article L225-105 alinéa 2 C Com.
412
GERMAIN M., MAGNIER V., Traité de droit commercial de G. Ripert et R. Roblot, t.1 vol.2, Les sociétés
commerciales, LGDJ, 22e édition, 2017, p. 398-399.
413
Article L225-105 alinéa 1 C Com.
414
Article L225-120 C Com.

179
encore toute relative. Le mythe démocratique progresse à petits pas dans le régime
d’assemblées. Progressivement, un rééquilibrage est en train de se produire accordant une
maîtrise de plus en plus forte au bénéfice de l’organe social qu’est l’assemblée. Le même
phénomène peut aussi être constaté au regard des exigences de seuils.

Paragraphe 2 – Les exigences de seuil

198 – Les seuils, déclencheurs de droits et de devoirs – Traditionnellement, il est d’usage


de présenter la société anonyme comme une société hiérarchisée415 mais il est par contre très
rare de mettre en avant son aspect de société à seuils. En effet, la société anonyme se
caractérise aussi par l’instauration de seuils exigés pour en assurer le fonctionnement. A
l’instar de la démocratie où la loi de la majorité se dégage par l’addition des volontés
individuelles416, la société repose sur ce même phénomène d’addition non pas des volontés
mais de la détention d’un certain nombre d’actions. Chaque seuil ouvre la possibilité
d’effectuer certaines opérations et de prendre certaines décisions au sein de la société
anonyme. Comme dans une démocratie, les seuils servent d’indice et de mesure aux pouvoirs
de chacun dans la société, seulement au lieu de conquérir directement des votes, il faut
conquérir et donc acquérir des actions. A l’inverse d’une démocratie, plus le détenteur
possède d’actions plus son pouvoir de vote ou d’influence est important.
Les franchissements de seuil de participation font d’ailleurs l’objet d’obligations spécifiques
en matière de sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur les marchés
réglementés417. Dans un souci de transparence vis-à-vis des marchés financiers mais aussi
dans le cadre des relations entre actionnaires au vu de la nécessité de les informer et de
respecter l’égalité entre ces derniers, le Législateur fait peser, sur ceux qui rassemblent un
certain nombre d’actions, un ensemble d’obligations déclaratives à l’encontre de toutes les
parties à l’opération qui peuvent être outre la société et l’acquéreur lui-même, l’AMF mais
aussi dans le cas d’une acquisition par une personne morale les actionnaires de celle-ci.
Ainsi, l’article L233-7 du Code Monétaire et Financier pose un principe et fixe des seuils
donnant lieu à déclaration obligatoire lors de leur franchissement, qu’il s’agisse de personnes
physiques ou morales, seules ou de concert, les contraignant aussi à préciser leurs objectifs

415
FRISON-ROCHE M-A. et BONFILS S., Les grandes questions du droit économique – Introduction et
documents, PUF, Quadrige, 2005, p.168 et suiv.
416
MELIN-SOUCRAMANIEN F. et PACTET P., Droit constitutionnel, Sirey, 35e éd., 2017, p.82 et 85.
417
COURET A., LE NABASQUE H., COQUELET M-L., GRANIER T., PORACCHIA D., RAYNOUARD A.,
REYGROBELLET A., ROBINE D., Droit financier, Dalloz, coll. Précis, 2008, p.919.

180
concernant la société-cible dont les titres ont été acquis418. A titre indicatif, il s’agit de seuils
suivants : le vingtième, le dixième, les trois vingtièmes, le cinquième, le quart, le tiers, la
moitié, les deux tiers, les dix-huit vingtièmes ou les dix-neuf vingtième. Ces seuils
correspondent à autant de degrés divers dans la possibilité d’exercer un ou des pouvoirs
particuliers dans la société anonyme.
En effet, plus un actionnaire détient de titres, plus il pourra infléchir la vie de la société. La
détention d’une action ouvre un minimum de droits significatifs : la participation aux
assemblées, la possibilité de poser des questions aux dirigeants, l’exercice de l’action sociale,
s’opposer à toute décision d’augmentation de l’engagement des associés et enfin, empêcher
d’atteindre l’unanimité lorsque celle-ci est requise comme pour la transformation en une
société à risque illimité. Au-delà, les possibilités de blocage deviennent plus importantes :
rejet des projets de résolution, possibilité de proposer des résolutions à l’ordre du jour ou
autre419.

199 – Le mythe démocratique à l’épreuve des effets de seuil – L’analogie démocratique


trouve ici un terrain particulièrement ambigu où s’exprimer. Indéniablement, l’arsenal
démocratique peut être mobilisé à la fois sous l’angle mécanique et sous l’angle des valeurs :
système de déclarations ou d’absentions, blocages, mais aussi principes de transparence,
d’égalité offrent des prises directes à des échanges conceptuels à le mythe démocratique mais
au risque de confusions latentes. A titre d’exemple, le principe de transparence est ici
principalement utilisé dans un contexte de transparence des marchés avant tout et non pas
dans celui plus vaste de la communauté civique. Il peut donc, toujours dans l’intérêt des
marchés être limité voire restreint si cela conduirait à une déstabilisation desdits marchés. Or,
l’intérêt des marchés ne coïncide pas toujours avec celui de la démocratie ou du moins la
hiérarchie des intérêts entre ces deux univers n’entre pas toujours en osmose : le marché est
plus réduit, là où la démocratie embrasse plus largement. Quoiqu’il en soit, les motivations
ont beau être différentes, le mythe démocratique y trouve de nouveaux espaces pour
s’exprimer.

418
COURET et alii, op cit, p.919 et suiv.
419
COZIAN M., DEBOISSY F., VIANDIER A., Droit des sociétés, 21e édition, Litec, 2008, p. 323-324.

181
200 – Des franchissements de seuil au mécanisme de quorum – Tout aussi intéressant est
l’instauration de seuils sous le nom de quorum420. Ceux-ci servent d’indicateur de la
représentativité des actionnaires lors des assemblées. Surtout, ils révèlent l’absentéisme de ces
derniers. En effet, lorsqu’ils ne sont pas atteints, l’assemblée doit être ajournée pour être à
nouveau convoquée et là, le quorum n’est plus exigé afin de ne pas bloquer la vie de la
société421. L’instauration de quorum aurait pu ou dû permettre une meilleure participation des
actionnaires aux assemblées mais en pratique, on ne compte plus le nombre d’assemblées
tenues sur seconde convocation. En effet, dans les sociétés dites fermées, les secondes
convocations relèvent de l’habitude. A l’instar des citoyens, les actionnaires succombent aussi
aux charmes de l’absentéisme.
L’instauration de quorum avait pour but de lutter contre l’absentéisme tout en renforçant la
solennité de certains votes afin de marquer leur importance pour la vie de la société et donc
pour la collectivité des actionnaires422. Cependant, il n’a pas été possible de le généraliser
voire de l’imposer pour toute assemblée quel que soit le nombre de convocations. Un certain
réalisme impose de laisser aux présents ainsi qu’aux organes de direction la possibilité de
décider sans être entravés par l’absence d’une partie d’entre eux. Du point de vue
démocratique, un tel mécanisme a pour mérite de renforcer l’assemblée générale en
contribuant à renforcer la légitimité de certaines décisions. La réunion du quorum est un
indice qu’une part non négligeable de la collectivité actionnariale a été atteinte, il sera
symboliquement plus difficile de contester les décisions prises ou approuvées par elles ce qui
mécaniquement accroît d’autant celle des organes s’appuyant dessus. De plus, le fait pour
ceux qui convoquent l’assemblée de devoir rappeler l’existence de ce mécanisme offre un
autre moyen d’expression aux actionnaires : l’absence est en elle-même une forme de
mobilisation. En effet, le fait de ne pas participer aux assemblées lorsqu’un quorum est exigé
ne relève pas uniquement de la passivité ou d’une forme quelconque de désintérêt pour la vie
sociale, cela peut aussi être considéré comme un instrument politique au même titre que le
fameux vote avec les pieds. Certes, il ne s’agit sans doute pas de la formule la plus courante et
l’absence d’études précises sur les motivations de l’absence en assemblées des actionnaires ne
permet pas d’en préciser les contours exacts mais on ne peut en négliger l’existence. Le refus
de participer est alors un signal de défiance envoyé aux dirigeants voire aux actionnaires
majoritaires, le souhait de ne pas cautionner tel ordre du jour fixant la marche de la société.

420
Pour une présentation dans le détail des différents quorum sous forme synthétique, voir MERLE P, Droit
commercial – Sociétés commerciales, Dalloz Précis Droit Privé, 17e éd, 2014, p.614.
421
Article L225-98 C Com.
422
MERLE P, FAUCHON A., op. cit., p.598-599 et p. 609.

182
Dans toutes ces configurations, le mythe démocratique n’est pas loin ou du moins arrive à se
concilier avec une certaine volonté d’encadrer, de discipliner les prérogatives collectives du
peuple actionnarial. Plus éloigné est l’abandon de la référence aux assemblées dans les SAS.

Paragraphe 3 – Le collectif d’actionnaires consacré au détriment du régime


d’assemblées

201 – La singularité de la SAS en matière d’assemblées – La société par actions simplifiée


se singularise des autres sociétés par actions. Il est traditionnel de rappeler la forte emprise
des conceptions contractuelles ayant présidé à sa naissance. L’un des aspects dans lequel
l’inspiration contractuelle a été la plus forte se retrouve dans le refus de renvoyer au régime
d’assemblée prévu pour les sociétés anonymes. Du fait de son régime particulièrement
développé ainsi que par le jeu des différents renvois prévus par les textes, la société anonyme
est considérée comme un modèle, voire un droit commun dans le domaine des sociétés. Si
cela est vrai pour la commandite par actions voire la société européenne, la référence est
marginale en ce qui concerne la société par actions simplifiées. D’emblée, l’article L227-1 du
Code de Commerce réduit très sensiblement les renvois à la société anonyme et donc au
régime des sociétés par actions. En effet aux termes de l’alinéa 2, ne sont applicables que
« dans la mesure où elles sont compatibles avec les dispositions particulières prévues par le
présent chapitre, les règles concernant les sociétés anonymes, à l’exception des articles L224-
2, L225-17 à L225-126, L225-243 et du I de l’article L233-8 ». Plus précisément, toutes les
dispositions exclues sont celles relatives à la définition et au régime de chaque organe social
dans la société anonyme. En ce qui concerne les assemblées générales, toute référence en est
explicitement bannie. Le terme de bannissement semble approprié pour évoquer ce régime :
lors de la procédure parlementaire ayant conduit à la naissance de la société par actions
simplifiée, des élus avaient proposé que certaines décisions graves nécessitent la réunion
d’une majorité pour pouvoir être prise et l’existence d’une assemblée pour pouvoir
s’exprimer. Comme le rappellent certains auteurs, cette proposition a été très clairement
repoussée par les promoteurs du texte423. Le rapport établi à l’époque pour l’Assemblée
Nationale affirmait sans ambages la volonté de tout confier aux statuts et confirmait le choix
de laisser aux parties le soin de décider de leur organisation sociale : « mieux vaut laisser aux

423
GERMAIN M., PERRIN P-L, SAS La société par actions simplifiée – Etudes – Formules, Joly Editions,
Pratique des affaires 5e éd, 2013, p. 292 et suiv.

183
statuts le soin de fixer les formes de la prise de décision des associés (consultation écrite,
télécopie, vidéoconférence) tout en organisant les moyens de preuve adéquats424 ». Aucune
modalité d’expression de la collectivité actionnariale n’a été choisie, au contraire cette
dernière ou plutôt les fondateurs ont toute latitude pour en sélectionner une.
Ce refus de prolonger la référence traditionnelle au régime d’assemblée se traduit dans la loi à
l’alinéa 1 de l’article L 227-9 qui dispose sans aucune ambiguïté que « les statuts déterminent
les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et
conditions qu’ils prévoient ». Dans toutes les autres dispositions relatives à la société par
actions simplifiée, il n’existe quasiment pas de référence à une forme quelconque
d’assemblée. Seule existe l’idée de décisions prises collectivement. L’une des seules
références aux assemblées générales tant ordinaires qu’extraordinaires est prévue par l’alinéa
2 qui attribue un périmètre spécifique à l’exercice collectif par les associés : tout ce qui relève
des opérations sur le capital social (augmentation, amortissement, réduction), de fusion ou
scission, de dissolution ou transformation, de comptes annuels et répartition des bénéfices
ainsi qu’en matière de commissaire aux comptes, lui est dévolu. Autrement dit, les pouvoirs
des assemblées générales sont transposés à un collectif informe. Les créateurs de toute société
par actions simplifiée ont libre choix de leur organisation. Par conséquent, ils n’ont plus
aucune obligation de recourir au formalisme traditionnel des assemblées, tout ou presque
devient envisageable tant que sont respectées les limites posées en matière de pouvoir par cet
alinéa425.

202 – Le mythe démocratique face au collectif d’actionnaires – Au regard du mythe


démocratique, deux analyses complémentaires sont possibles.
La première voit dans cette configuration l’avatar ultime d’une contractualisation consacrant
l’abandon définitif de ce dernier comme point de référence au sein des sociétés par actions.
En effet, la disparition du régime d’assemblée au profit d’un collectif d’actionnaires
susceptible d’emprunter n’importe quelle forme, procédure, modalité exprime clairement le
souhait de ne plus recourir à l’analogie démocratique. Le règne des volontés individuelles, la
confrontation des intérêts personnels, les rapports de force peuvent s’exprimer sans les freins
offerts par le système classique de la société anonyme. L’adaptation peut-être même
l’adaptabilité aux buts guidant la création de telles sociétés deviennent les clés de construction

424
Idem, p.292 et plus spécifiquement n. 111 citant Rapp. AN n°258 2 juin 1993, p.15 et 23.
425
Idem, p.295-299.

184
prééminentes pour l’analyse de ces dernières426. Le mythe est ici un reliquat du passé, un
résidu de l’ancien temps des sociétés par actions, et apparaît assurément comme largement
dépassé pour rendre compte de la profusion d’organisations désormais possibles.
La seconde entérine ce dépassement en rappelant que le régime d’assemblée est toujours un
choix possible pour les rédacteurs de statuts de sociétés par actions simplifiée. S’il n’est plus
le référentiel par excellence, il demeure un point d’accroche éprouvé par les années de
pratique, détaillé par lois, règlements et jurisprudences. Dès lors que les rédacteurs feraient le
choix de reproduire ce système ou de s’y référer explicitement, le mythe démocratique
retrouve toute sa place. En effet, rien n’interdit de recourir à une assemblée pour accueillir la
collectivité des actionnaires. La lecture de statuts de SAS laisse d’ailleurs à penser que cette
hypothèse est loin d’être négligeable voire marginale. La stabilité offerte par un régime
transversal, commun à toutes les sociétés, détaillé avec précision exerce un pouvoir
d’attraction certain. Le ritualisme des assemblées ainsi que les garde-fous prévus par le
législateur ont conduit certains rédacteurs à en maintenir l’usage. Bien qu’écarté
explicitement comme référent de la société par actions simplifiée, le mythe démocratique
continue d’y subsister et de résister à ses contempteurs. L’analogie démocratique peut encore
jouer un rôle utile dans l’expression du collectif actionnarial. En dépit d’un encadrement
devenu étouffement voire bannissement, il n’est semble-t-il pas aisé de se séparer du mythe.

203 – Conclusions du chapitre – Le peuple actionnarial jouit en principe de prérogatives


collectives au travers d’un organe pluriel : l’assemblée générale. L’exercice de ses droits par
la collectivité passe nécessairement par cette interface tout au moins concernant les sociétés
anonymes et les commandites par actions. Contrôle, information, prise de décision ont
vocation à être réalisés dans ce cadre ritualisé, fortement encadré en terme de procédure. Or,
pour en bâtir le régime, le Législateur a puisé dans l’analogie démocratique. Cet organe
oscille entre la démocratie directe de l’Athènes du Ve siècle avant notre ère et des systèmes
plus élaborés comme les régimes d’assemblées des démocraties occidentales contemporaines.

204 – La démocratie colonne vertébrale du régime d’assemblée – L’empreinte


démocratique se retrouve dans le souci de détailler une procédure minutieuse autour de
l’exercice collectif des droits des actionnaires et ce, à tous les stades de l’assemblée :
convocation, pouvoirs, déroulement et enfin issue de cette dernière. La porosité avec la

426
Idem, p.286-287 et p. 292-293.

185
démocratie permet de raisonner non plus seulement sur la figue de l’actionnaire mais aussi sur
celle du citoyen. Celle-ci s’explique probablement par la convergence des buts entre ces deux
univers : dans les deux cas, il s’agit de permettre l’expression d’une volonté propre. Le
citoyen, comme l’actionnaire, a vocation à s’exprimer, à décider, en un mot à participer à
l’exercice d’un pouvoir qu’il délègue à un organe d’exécution. Dès lors, les passerelles et les
allers-retours sont fréquents : le cadre démocratique semble tout indiqué comme source
d’inspiration, notamment au regard de l’aversion aux pouvoirs qui caractérisent ce régime.
La reconnaissance des actionnaires en tant que collectivité s’épanouit dans un régime
d’assemblées clairement assumé en tant que tel. Il est d’ailleurs intéressant de rappeler que ce
système a été généralisé pour permettre l’expression des titulaires d’actions particulières, ces
derniers bénéficiant même de leur propre type d’assemblée. Il est facile d’oublier que les
assemblées sont le lieu où délibèrent des « sacs d’écus427 » et où s’exprimerait une certaine
« ploutocratie428 » pour reprendre les termes de certains auteurs. Certes, nous ne sommes pas
dans le droit coopératif ou un homme s’identifie à une voix mais le mythe démocratique
demeure ici particulièrement vivace.

205 – L’ambivalence de l’encadrement de la démocratie d’assemblée – Toutefois le


mythedémocratique est ici encadré afin de ne pas nuire à un certain principe de réalité
économique. Bien que se développent certains droits pour les actionnaires notamment en
matière d’ordre du jour des assemblées en lien avec l’essor de la corporate governance, il
n’en demeure pas moins des limites. Ces dernières sont principalement de deux ordres : les
dirigeants qui constituent un horizon indépassable en matière d’ordre du jour, les difficultés
de cohabitation entre actionnaires mêmes du fait de l’existence de seuils contraignant à un
accès parfois progressif en matière de droits collectifs. Ceci étant précisé, ces limites
n’apparaissent pas comme des absolus. En effet, on a pu voir que la conciliation avec le
mythe démocratique semblait tout à fait concevable. Certaines de ces limites peuvent trouver
à s’inspirer voire être légitimées en mobilisant le mythe démocratique. Par conséquent, il ne
s’agit pas d’un encadrement trop strict mais plutôt d’une sorte d’émulation dynamique qui
freine tout excès d’analogie.
Plus symptomatique à cet égard est l’irréductible singularité de la SAS. Le régime
d’assemblée s’efface au profit d’un collectif malléable dont le référent n’est plus a priori le
mythe démocratique. Dans cette perspective, ce mythe n’est plus qu’un modèle d’organisation

427
GUYON Y., La société anonyme, une démocratie parfaite ! in Mél. Gavalda, Dalloz, 2001, p.133-135.
428
Idem.

186
parmi d’autres et n’apparaît plus que de manière résiduelle voire subsidiaire dans le domaine
des prérogatives collectives. Là est sans doute la limite la plus significative : le modèle de
l’assemblée n’est plus l’alpha et l’oméga du fonctionnement de la collectivité du peuple
actionnarial.
Mais il est un domaine où le mythe démocratique semble rester un référent incontournable,
c’est celui du contrôle des mandataires sociaux. Même si celui-ci est parfois encore timide, il
lui reste de nombreux espaces où se déployer avec une vigueur accrue.

187
Titre 2 – Autour des mandataires sociaux : convergences entre la
nécessité d’un contrôle et l’encadrement des pouvoirs

206 – Mandataires et organes sociaux sous contrôle – Concernant les mandataires sociaux,
qu’il s’agisse des tenants de la démocratie actionnariale ou des promoteurs d’une vision plus
contractuelle, le consensus est indubitable. Tous les organes émanant de la loi doivent rendre
des comptes, pouvoir faire l’objet de contrôles divers et variés. Chaque type de société par
actions présente une architecture différente, les mandataires sociaux ont des appellations
différentes et leurs fonctions varient plus ou moins sensiblement. Parmi ces organes, le
dirigeant a reçu des pouvoirs exigeant une définition afin de pouvoir être correctement
encadrés. Il est l’organe qui a le plus attiré l’attention du fait de son rôle de gestionnaire
quotidien de l’entité sociale. Cependant, le mythe démocratique embrasse aussi les autres
organes sociaux, il ne se contente pas de la figure du dirigeant. Le mythe permet non
seulement de penser l’articulation de chaque organe avec les autres mais aussi chacun pris
isolément. Dans sa dimension structurelle, la démocratie est une théorie politique fournissant
une ou des architectures des pouvoirs. A cet égard, il convient de préciser que le mythe n’est
pas la seule grille de lecture pour appréhender le fonctionnement des sociétés par actions.
Néanmoins, contrairement à ce qui a pu être évoqué à propos des actionnaires, les analyses
concurrentes apparaissent ici complémentaires autour d’une thématique commune, celle du
contrôle du pouvoir. Ainsi, l’analyse économique du droit entre en résonance avec le mythe
démocratique dès lors qu’il s’agit d’encadrer le pouvoir des dirigeants ou de fixer la
répartition des fonctions entre organes sociaux. Ce phénomène d’encadrement s’est accéléré
au tournant du siècle mais ne peut être envisagé comme monolithique ou univoque. En effet,
il offre des visages différents selon le type sociétaire considéré. De même, il ne s’affirme pas
avec la même vigueur à chaque fois. Ce phénomène est un mouvement de fond, lent et
progressif, par conséquent encore inachevé.
Chacun des types sociétaires propres aux sociétés par actions offre des prises au mythe
démocratique dans des configurations qui lui sont propres. Ces emprises potentielles se
retrouvent tout d’abord en matière de répartition des pouvoirs. Chaque organe social a
vocation à occuper une place précise tant dans ses rapports avec les autres qu’au regard de sa
fonction propre, ce qui ne va pas sans difficulté sur le périmètre exact de ces derniers.
Les mandataires sociaux sont au centre d’une mécanique complexe de délégations de
pouvoirs et de compétences dont les périmètre n’est pas toujours clairement identifié (chapitre
1). Ensuite, l’importance particulière de l’organe de direction a suscité une abondante

188
croissance de devoirs en matière de reddition de comptes rendant les rapports avec le mythe
plus délicats et révélant parfois des résistances profondes (chapitre 2).

189
Chapitre 1 – Délégation de pouvoirs et de compétences : une
affirmation incertaine de la répartition des pouvoirs aux mains des
mandataires sociaux

207 – Séparation et répartition des pouvoirs – En principe, dans les sociétés anonymes,
l’organisation légalement consacrée postule l’interdépendance et la coopération des organes
sociaux entre eux. Or, la société anonyme est le tronc commun sur lequel repose l’architecture
des sociétés par actions. Au cœur de cette dernière a été érigé un principe fondamental : celui
de la hiérarchie des organes sociaux. En principe, les différents types sociétaires connaissent
une organisation fonctionnelle et organique précise. Le degré de précision varie certes en
fonction des libertés laissées aux parties pour ajouter ou retrancher certains organes mais
toutes partagent l’obligation de respecter les organes prévus par la loi. La société anonyme est
le type le plus abouti en la matière mais il convient de ne pas ignorer aussi bien la
commandite par actions que la société par actions simplifiée.
La répartition des pouvoirs et des compétences est une des clés de voûte permettant au volet
structurant du mythe de s’exprimer avec force. L’analogie avec les théories politiques en
matière de gouvernement ou de gouvernance est ici particulièrement vivace. Plus
particulièrement, la tentation est forte de puiser dans la théorie de la séparation des pouvoirs
de Montesquieu et de faire du principe de la hiérarchie des organes sociaux un prolongement
de cette dernière. Le mouvement de fond qui se développe depuis la loi de 1966 est celui de la
définition accrue des différents pouvoirs et organes des sociétés par actions, ce qui conduit à
théoriser la gouvernance de ces entités. Plusieurs directions sont ainsi envisagées : la
légitimité des pouvoirs, leur fonctionnement, leur éventuelle coopération… De plus en plus,
émerge ce que d’aucuns considèrent comme une véritable théorie politique des sociétés par
actions. Néanmoins, ce mouvement ne s’épanouit pas sans heurts ou coups d’arrêts. Ainsi, les
SAS offrent un espace de liberté qui entre parfois en conflit avec cette précision accrue des
devoirs des dirigeants, obligeant à reconsidérer la pertinence de cette vision.
La clé de répartition des pouvoirs entre organes sociaux repose sur une base clairement établie
dont le cœur est le principe de hiérarchie des organes sociaux fixé par la jurisprudence et
alimenté par la loi (section 1). Cependant, cette base n’est pas pleinement achevée et la
répartition demeure incertaine, suscitant critiques ou pistes d’amélioration (section 2).

190
Section 1 – La clé de répartition des pouvoirs

208 – Séparer organes et pouvoirs – Dans les sociétés par actions, le pouvoir se répartit et se
divise entre plusieurs organes. Le législateur et la jurisprudence ont participé à l’établissement
d’une architecture propre à chaque type sociétaire. Mais cette architecture différenciée
possède des points communs. Ces traits communs sont au nombre de trois. Le premier de ces
points communs est un principe affirmé depuis 1946 par la jurisprudence qui a fixé dans le
marbre la répartition prévue par le législateur. Il s’agit du principe de hiérarchie des organes
sociaux qui a été étendu de la société anonyme aux autres sociétés par actions429. Ce principe
est au cœur de toute théorie ou conception politique des sociétés et procède du même type de
logique que celles rencontrées en philosophie politique ou en droit constitutionnel. Le
deuxième de ces traits communs réside dans l’affirmation d’organes spécialisé dans la
direction quotidienne de ces entités avec un certain nombre d’attributions spécifiques. De
même, le troisième trait est la spécialisation d’organes dans le domaine de la surveillance ou
du contrôle voire de la décision stratégique.
Ainsi à un principe d’organisation hiérarchique (paragraphe 1) répondent une spécialisation
relative à la direction ou gestion (paragraphe 2) et une relative à la surveillance ou grande
stratégie (paragraphe 2).

Paragraphe 1 – Le principe de hiérarchie des organes sociaux

209 – La consécration de la hiérarchie des organes sociaux – « La société anonyme est une
société dont les organes sont hiérarchisés et dans laquelle l’administration est exercée par un
Conseil élu par l’assemblée générale ; qu’il n’appartient donc pas à l’assemblée générale
d’empiéter sur les prérogatives du Conseil en matière d’administration »430. Tel est le
principe énoncé par l’arrêt Motte en 1946 et auquel la jurisprudence se tient fidèlement
depuis : la société anonyme est une hiérarchie431.
Auparavant, il était encore possible de considérer que les administrateurs ne détenaient qu’un
pouvoir délégué, l’assemblée des actionnaires demeurant en tout état de cause souveraine.
C’était la théorie des pouvoirs délégués, héritée des conceptions de 1867. Autrement dit, « le

429
ABDELMOUMEN N., Hiérarchie et séparation des pouvoirs dans les sociétés anonymes de type classique,
Th. Paris 1, p. 6-15 et p. 39-54.
430
Cass Civ 4 juin 1946 Compagnie de teinturerie SA c/Motte ; S 1947 1 153 note P. Barbry.
431
FRISON-ROCHE M-A. et BONFILS S., Les grandes questions du droit économique – Introduction et
documents, PUF, Quadrige, 2005, p.170 ; COURET et alii, op cit, p.269.

191
législateur, accordant le pouvoir suprême aux actionnaires réunis en assemblée générale, a
considéré que les personnes chargées d’administrer la société et de surveiller les comptes
étaient les mandataires des associés, nommés et révoqués par l’assemblée, exerçant leurs
pouvoirs par délégation. Il s’était donc borné à prévoir la désignation d’administrateurs et de
commissaires aux comptes sans régler autrement les conditions de désignation et les pouvoirs
de ces mandataires »432. Cela donna lieu à une poussée législative quant aux domaines de
compétences et aux modes de nomination des administrateurs dans les années quarante. Cette
vision avait le mérite de consacrer pleinement la conception du peuple actionnarial souverain,
susceptible d’agir au travers d’assemblées à la morphologie proche des constituantes. Elle
apparaissait ainsi comme très démocratique. Ceci étant, elle légitimait aussi une vision
purement contractuelle de la société : les contractants actionnaires ne faisant alors qu’exercer
leur pouvoir de modification du contrat de société.
Désormais, avec l’arrêt Motte se trouve consacrée la théorie des pouvoirs propres : chaque
organe dispose de prérogatives particulières qui ne peuvent lui être ôtées, même par une
assemblée d’actionnaires. De plus, chacun se voit conférer par la loi une fonction de
spécialisation, autrement dit chacun a une mission particulière à remplir au sein de la société
anonyme. Classiquement, il ne serait pas possible à un président de conseil d’administration
de se substituer à son conseil pour le déplacement du siège social de la société433 ou pour
l’assemblée de se prononcer sur une délibération du conseil434 voire de créer un comité
d’études dont les pouvoirs concurrenceraient ceux du conseil d’administration435. Certains
auteurs se sont d’ailleurs appuyés sur cet argument pour dire que les dirigeants sont avant tout
des mandataires par l’effet de la loi et non des mandataires classiques. Or, il y a là quelques
réminiscences démocratiques. Surtout, une telle conception rejoint plutôt les théories
institutionnalistes. Paradoxalement, en réduisant la souveraineté des assemblées générales, le
mythe démocratique s’en trouve presque renforcé. En effet, est privilégié l’équilibre des
pouvoirs au détriment d’une assemblée toujours constituante. Désormais, les sociétés se
doivent de se couler dans un système de gouvernance ou chaque pouvoir a ses attributions et
doit les défendre face aux autres. Certes, le fait que les assemblées perdent de leur
souveraineté – elles voient leur rôle cantonné à celui que la loi veut bien leur reconnaître – ne
plaident pas apparemment en faveur d’une vision démocratique. Néanmoins, la consécration

432
GERMAIN M., Traité de droit commercial de G. Ripert et R. Roblot, T.1 vol.2, Les sociétés commerciales,
LGDJ, 18e édition, 2002, p.400.
433
T Com Paris 28 avril 1983 JCP 1986 II 20553 note A. Viandier.
434
Cass Com 18 mai 1982 Rev Soc 1983 p.71.
435
Cass Com 11 octobre 2005 JCP E 2005 1796 H. Hovasse ; JCP E 2005 1834 n°4 obs J-J. Caussain, F.
Deboissy et G. Wicker.

192
des pouvoirs propres à chaque organe semble se rattacher à une autre composante des régimes
démocratiques : la séparation des pouvoirs. L’article 16 de la Déclaration des Droits de
l’Homme et du Citoyen de 1789 précisait déjà : « toute société dans laquelle la garantie des
droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée n’a point de Constitution ».

210 – De la hiérarchie à la spécialisation des organes sociaux – Or, la jurisprudence Motte


ainsi que la loi ont encouragé ce phénomène de séparation des pouvoirs dans la société
anonyme ou les autres sociétés, chacun des organes disposant de prérogatives spécifiques
strictement encadrées. De plus, les associés et ces organes ont des droits garantis par le
recours au juge judiciaire le cas échéant. « Les textes fixant de manière impérative les
pouvoirs et prérogatives des différents organes de la société »436, il serait assez tentant si l’on
souhaitait promouvoir la représentation démocratique de ces sociétés d’assimiler la législation
en la matière à un ersatz de Constitution. A ceci s’ajoute le fait que le législateur s’ingénie à
promouvoir la vision démocratique, ce que l’on retrouve au vu des prérogatives qu’il confie
aux assemblées et partant, à leurs capacités de décisions et d’expression de la volonté des
actionnaires à travers elles.
L’arrêt Motte est considéré comme relevant du droit commun à chaque société. D’une
certaine façon, il permet de considérer le droit des sociétés comme un système de
gouvernance à part entière : chaque type sociétaire est un élément d’une potentielle théorie
des pouvoirs et plutôt que de hiérarchie des organes qui supposerait que certains soient
supérieurs à d’autres, il conviendrait plutôt de considérer cela comme un principe de
spécialisation. Cette spécialisation est à entendre tant du point de vue fonctionnel
qu’organique : à chaque organe sa fonction et ses attributions. Certes, il existe une séparation
des pouvoirs mais cela n’implique pas nécessairement que certains prennent le pas sur
d’autres de manière verticale comme l’implique l’idée de hiérarchie. Au contraire, des
situations de rapports de force sont possibles et il faut alors prévoir la coopération mais aussi
la compétition de ces organes entre eux. C’est pour cela que parler de principe de
spécialisation semble plus adapté lorsque sont évoqués l’arrêt Motte et la clé de répartition
des pouvoirs qu’il implique.
Cette répartition commence avec le rôle de décision confié aux administrateurs, aux
présidents ou autre organes prévus dans les sociétés par actions, préfigurant le rôle de
l’Exécutif dans les théories politiques.

436
CA Aix 28 septembre 1982 Rev Soc 1983 p.773 note J. Mestre.

193
Paragraphe 2 – Le rôle de décision et de gestion

211 – Les organes dirigeants dans la SA – La loi a fixé le rôle de chacun des organes de la
société et, surtout, ceux qui exercent les prérogatives de direction et d’animation de la société,
que ce soit dans les sociétés anonymes, des commandites voire des SAS. Dans le modèle
traditionnel de la société anonyme coexistent le président du conseil, le directeur général et le
conseil d’administration437. Le conseil joue en principe un rôle d’impulsion, de détermination
de la politique générale de la société, et a vocation à servir d’interface entre les dirigeants
effectifs et l’assemblée des actionnaires438. Le président du conseil organise son activité : il le
convoque, en dirige les travaux et rend compte à l’assemblée des actionnaires439. Le directeur
général « est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de
la société. Il exerce ces pouvoirs dans la limite de l’objet social et sous réserve de ceux que la
loi attribue expressément aux assemblées d’actionnaires et au conseil d’administration »440.
Dans le modèle inspiré du système germanique, les pouvoirs sont répartis entre un directoire
et un conseil de surveillance441, le premier disposant d’attributions identiques à celles du
directeur général442 et le second exerçant « le contrôle permanent de la gestion de la société
par le directoire »443.
Le directoire et le directeur général ont vocation à assurer la gestion quotidienne de la société.
Ce sont des opérationnels qui assurent les opérations courantes et dirigent effectivement la
société, qu’ils représentent le cas échéant. Ce sont eux qui sont les plus proches de l’image de
« fonctionnaires sociaux »444, l’expression « pouvoirs les plus étendus » leur laissant la
latitude nécessaire pour passer tout contrat utile et engager l’entité. Ils forment la plus parfaite
image du pouvoir exécutif dans une démocratie : ils forment l’appareil d’Etat en charge de la
mise en œuvre quotidienne des politiques décidées en assemblée ou par le pouvoir législatif.

437
MERLE P., FAUCHON A., Droit commercial – sociétés commerciales, Dalloz, Droit Privé, p. 496-516, p.
549-551 et p. 565-568.
438
Article L225-35 C Com.
439
Article L225-51 C Com.
440
Article L225-56 C Com.
441
MERLE P., FAUCHON A., op. cit., p. 574-580 et p. 587-591.
442
Article L225-64 C Com.
443
Article L225-68 C Com.
444
HAMEL J., LAGARDE G., JAUFFRET A., Droit commercial. Tome 1. Sociétés, groupements d’intérêt
économique, entreprises publiques, Dalloz, 2e édition, 1980, p.245.

194
202 – Les organes dirigeants dans la SCA et la SAS – Dans les sociétés en commandite par
actions, on retrouve une formule quasi identique pour les gérants445. Ces derniers sont aptes à
agir en toute circonstance dans l’intérêt de la société et l’engage par ses actes même s’il
dépasse l’objet social446. Cette dernière particularité tend à conférer à cet organe un pouvoir
beaucoup plus étendu que celui de ceux de la société anonyme. Il s’explique par la
responsabilité illimitée attachée aux commandités nécessairement gérants dans ces structures.
Le gérant de commandite est aussi dans une logique de « fonctionnaire social »447, il assure la
bonne marche de la société et s’occupe de la gestion quotidienne. Ici encore, un organe est
expressément dévolu à des fonctions relevant de l’Exécutif dans les théories politiques.
Plus délicat est la question des organes de gestion dans les SAS. En principe, la liberté qui y
règne ne devrait pas imposer un raisonnement en des termes identiques. Pourtant, il est prévu
par défaut un président calqué sur les fonctions observées au sujet de la société anonyme. En
effet, le président de SAS est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes
circonstances au nom de la société dans les limites de l’objet social448. Il s’agit d’une règle
subsidiaire qui a vocation à s’appliquer à défaut de volonté des parties. Autrement dit, ces
dernières peuvent en aménager les fonctions mais doivent a minima prévoir un organe dédié à
la gestion quotidienne. La liberté des parties n’est donc pas absolue, elle a vocation à obéir à
une certaine spécialisation des organes sociaux. Certes, cela n’empêchera pas la mise en place
d’un système autocratique, mais on constate tout de même un résidu de séparation des
pouvoirs. Le fil est ténu, pourtant la SAS est aussi soumise aux conséquences de l’arrêt Motte.
De même, le lien avec le mythe démocratique est tout aussi réduit même si sa vertu en matière
de gouvernance peut permettre d’avertir les parties sur les risques d’un pouvoir déséquilibré.

203 – La spécialisation de la gestion : analogie avec l’Exécutif – A l’instar de n’importe


quel gouvernement, ces trois types sociétaires ont un organe qui en incarne le fonctionnement
quotidien, en anime la gestion et sur lequel pèse la responsabilité de réaliser les éventuels
objectifs assignés par les actionnaires que ce soit par le truchement d’un autre organe ou
directement par l’assemblée générale. Cet organe permet une certaine unité de mise en œuvre
et procède à toute décision de gestion utile. Tout comme l’Exécutif, il concourt à la réalisation
effective de la stratégie ou des différents choix exprimés par le peuple actionnarial. Certes,
son périmètre d’action est plus ou moins freiné par l’objet social mais il obéit à une

445
MERLE P., FAUCHON A., op. cit., p. 780-782.
446
Article L 226-7 C Com.
447
Ibid.
448
Article L 227-6 C Com.

195
conception transversale, commune à toutes les déclinaisons des sociétés par actions : une
fonction, un pouvoir. L’organe dirigeant a les pouvoirs les plus étendus et en tant que tel doit
rendre des comptes voire être accompagné ou surveillé par d’autres organes.

Paragraphe 3 – Le rôle de surveillance, contrôle et stratégie

204 – Surveillance et stratégie dans les SA – A côté des dirigeants exécutifs dans les
sociétés anonymes, se trouvent les conseils dont les rôles sont un peu plus ambigus et qui
procèdent à leurs nominations, voire à leur contrôle. Tout d’abord dans les sociétés anonymes
à forme classique, le conseil d’administration joue un rôle de stratège en fixant les grandes
orientations, la politique que suit la société et devra mettre en œuvre la directeur général. Il a
aussi un rôle de contrôle et de surveillance : « il s’assure que [son action] est conforme aux
lois, aux statuts, à l’objet et à l’intérêt social »449. A cet effet, loi et jurisprudence lui ont
conféré un droit à l’information qu’il peut exercer à tout moment pour exercer sa mission et
auquel le dirigeant doit se soumettre450. C’est lui qui rend compte aux actionnaires en
convoquant l’assemblée, en établissant les comptes et surtout le rapport de gestion voire en
autorisant les conventions réglementées.
Le conseil a une position ambivalente souvent stigmatisée et critiquée451 : il est juge et partie
et, souvent, sa composition donne une impression de cooptation peu propice à l’exercice de sa
tâche. En effet, il doit donner les grandes impulsions tout en surveillant la gestion du directeur
général : ainsi tant que ce dernier semble agir dans l’intérêt de l’entreprise, il est peu probable
que le conseil procédera à de véritables contrôles. Dans la pratique, les conseils sont d’ailleurs
souvent réduits à un rôle de chambres d’enregistrement se contentant largement de leur rôle
d’impulsion en matière de stratégie économique. Cependant, avec la diffusion et l’impact
grandissant des règles de « corporate governance », préconisant notamment la mise en place
d’administrateurs indépendants, les conseils tendent à faire montre d’un activisme croissant
en matière de surveillance de la gestion452.

449
L225-51 C Com.
450
Article L225-35 C Com.
451
BATSCH L., Le conseil d’administration entre pouvoir et contre-pouvoir : le curseur se déplace, in Mél
Spiteri, Presses de l’université des sciences sociales de Toulouse, 2008, p.291 ; FRISON-ROCHE M-A. et
BONFILS S., Les grandes questions du droit économique – Introduction et documents, PUF, Quadrige, 2005,
p.169.
452
CAUSSAIN J-J, Le gouvernement d’entreprise – Le pouvoir rendu aux actionnaires, Litec, 2005, p.107 et
suiv ; WIRTZ P., Les meilleurs pratiques de gouvernance d’entreprise, Edition La découverte coll. Repères
Gestion, 2008, p.3 et suiv.

196
Quant au conseil de surveillance dans les sociétés anonymes inspirées du droit germanique,
comme son nom l’indique, il voit ses attributions limitées à des fonctions de surveillance : le
directoire lui rend compte régulièrement, il procède aussi à toute vérification utile, leur droit à
l’information se décalquant sur celui des administrateurs classiques, il délivre ou non les
autorisations au directoire pour certaines opérations (conventions réglementées, cautions,
cessions de participations…) et, surtout, il rend compte de ses missions aux actionnaires453.
Cette spécialisation permet une efficacité certaine du contrôle, le conseil pouvant
véritablement jouer son rôle sans risquer les conflits d’intérêts comme le conseil
d’administration des sociétés anonymes classiques. La structure connaît d’ailleurs un succès
certain parmi les sociétés cotées françaises, même si, dans l’absolu, ces sociétés ne
représentent pas un grand nombre du total des sociétés par actions : les praticiens préfèrent
encore de loin la forme traditionnelle, quitte à l’adapter aux règles du « corporate
governance » notamment en accroissant les autorisations que devront solliciter les directeurs
généraux auprès de leur conseil. Mais peut-être le recours à des dirigeants, supposés ou dits,
indépendants apportera un renouveau de la place effective et du rôle des conseils
d’administration classiques.

205 – Surveillance dans les SCA et les SAS – Concernant les sociétés en commandite, il est
aussi question d’un conseil de surveillance mais celui-ci a pour attribution essentielle
d’assumer le contrôle permanent de la société, bénéficiant des mêmes pouvoirs que les
commissaires aux comptes454. Son intitulé est ici transparent : cet organe surveille avant tout.
En l’occurrence, cet organe permet aux commanditaires de surveiller le travail des gérants,
commandités455. Du fait de la réunion de deux catégories d’associés aux prérogatives
différentes, le conseil de surveillance ne peut être amené à jouer le même rôle ou cultiver la
même ambiguïté que les conseils d’administration. Il convient à ce titre de souligner son rôle
important de contre-pouvoir en la matière, les dispositions relatives à la corporate governance
ayant accru ses obligations en la matière456. Concernant la SAS, rien n’est prévu explicitement
en la matière. Liberté est entièrement laissée aux actionnaires ou aux rédacteurs de statuts qui
peuvent soit prévoir un organe spécialisé à cet effet, soit laisser reposer cette charge

453
Article L225-68 C. Com.
454
Article L226-9 C. Com.
455
MERLE P., FAUCHON A., Droit commercial – sociétés commerciales, Dalloz, Droit Privé, 2018, p. 780-
782.
456
Article L226-10 C. Com qui prévoit l’établissement d’un rapport lorsque la société est tenue d’en établir un,
autrement dit dans les hypothèses les plus courantes lorsqu’elle est soumise aux contraintes d’un marché
réglementé ou offre ses titres au public.

197
directement sur le collectif des actionnaires, voire ne rien prévoir du tout si tel était leur
souhait.

206 – Le positionnement de l’organe de surveillance : judiciaire ou législatif ? – Dans


tous ces types sociétaires à l’exception de la SAS, le législateur a prévu des organes
spécialisés pour servir d’interface entre la direction effective, quotidienne des sociétés et leurs
actionnaires. Pour filer la métaphore démocratique et politique, l’Exécutif est placé sous la
tutelle d’organes de surveillance ou de décisions dont le statut est hybride, à la fois contre-
pouvoirs voire chambre haute de parlements voire relevant du judiciaire. Lorsqu’ils sont
conçus comme de purs organes de surveillance, ils sont le bras armé de l’assemblée générale
et du peuple actionnarial. Au regard de la théorie de la séparation des pouvoirs de
Montesquieu, il n’est pas évident de les situer et de les rattacher clairement à un pouvoir en
particuliers. Il est possible de les considérer soit comme un contre-pouvoir relevant du
judiciaire, en ce qu’ils sont susceptibles de contrôler voire « sanctionner » l’organe dirigeant,
soit comme une émanation du pouvoir législatif en ce qu’il formerait une commission
spécialisée de contrôle parlementaire à l’instar des commissions d’enquête avec pour mission
d’éclairer et d’informer le peuple délibérant. Au regard du pouvoir de sanction limité dont ils
disposent, il semble que la seconde branche de l’alternative est la plus à même de rendre
compte de leur nature profonde et de la manière dont le mythe de la démocratie actionnariale
pourrait être mobilisé à leur égard. En outre, cela permet plus facilement de rendre compte de
la nature profondément hybride du conseil d’administration qui décide tout en surveillant. Ces
organes forment donc des émanations des pouvoirs de contrôle du Législatif sur l’Exécutif. Ils
forment des commissions permanentes ayant vocation à servir les intérêts du peuple
actionnarial en veillant au respect de leur volonté par les dirigeants. Leurs liens les plus forts
doivent donc aller vers les actionnaires et l’assemblée plutôt qu’envers les organes de gestion.

Section 2 – Une répartition parfois incertaine

207 – Les flous de la spécialisation des organes – Le pouvoir dans les sociétés anonymes et
sa répartition ne sont pas aussi clairement répartis que pourraient éventuellement le laisser
penser les textes de loi entre les dirigeants et les actionnaires, voire entre les dirigeants eux-
mêmes. Du point de vue du mythe démocratique, la répartition des pouvoirs est porteuse
d’une certaine ambivalence. Les mécanismes prévus à cet effet sont parfois à double sens et
peuvent dans le même temps favoriser ou enserrer voire compliquer la mise en œuvre d’une

198
lecture démocratique. Dans le flou de la répartition des pouvoirs se nichent certaines
interrogations quant à la réalité de la situation des mandataires sociaux par rapport au peuple
actionnarial. Ici aussi, la tension est réelle dans les contraintes organisationnelles entre
l’architecture légale et les marges de liberté laissées aux parties.
Progressivement a été dégagé par la jurisprudence un principe de spécialisation des organes
sociaux. La proximité d’une telle construction avec la théorie de la séparation des pouvoirs
devrait permettre de faciliter l’analogie avec la vision démocratique. Pourtant, là encore, la
proximité s’accompagne de profondes ambivalences. Comme toute théorie des pouvoirs,
celle-ci ne résiste pas au fonctionnement quotidien des entités qu’elle régit. Derrière la pureté
des principes, le flou du fonctionnement quotidien contribue à brouiller le rapport qui peut
exister avec le mythe démocratique. La répartition initiale des pouvoirs apparaît parfois bien
fragile.
Cette fragilité se révèle au travers de différents phénomènes qu’il est difficile de regrouper car
relevant de mécanismes différents. De même, les sociétés par actions ne sont pas soumises de
manière égalitaire à ce principe, ce qui complique encore l’analyse. Pour ce faire, un
regroupement autour de deux axes peut être proposé : l’un qui part des organes de direction et
d’administration, l’autre qui se concentre sur les rapports qu’ils peuvent entretenir avec le
peuple actionnarial.
Dans cette perspective, les dirigeants exécutifs de sociétés d’une certaine envergure financière
se voient concurrencés par l’apparition et le recours à des comités ad hoc (paragraphe 1)
tandis que l’utilisation des pouvoirs en blanc et l’abandon de l’obligation pour les
administrateurs de détenir des actions tendent à affaiblir le contrôle par les actionnaires et les
assemblées (paragraphe 2).

Paragraphe 1 – La concurrence virtuelle des comités ad hoc et des dirigeants


exécutifs

208 – Compléter les organes légaux – La législation sur les sociétés anonymes détaille le
nom et les fonctions de tous les types d’administrateurs formant les organes de direction de ce
type de société. Or, en dehors de ces figures imposées par la loi, il peut être opportun de créer
d’autres organes que ce soit dans un souci d’indépendance ou pour répondre à des impératifs
de spécialisation. D’un point de vue économique, ils forment un prolongement naturel à la

199
technostructure décrite par Galbraith457. En effet, dans certaines grandes entreprises, ils
peuvent servir à récompenser des cadres méritants, mettre en place une hiérarchie plus
fonctionnelle, associer plus étroitement des techniciens à la prise de décisions voire assurer
des fonctions de contrôle. Il se met alors à apparaître dans les organigrammes de sociétés
d’une certaine importance des comités de toute sorte458, voire par exemple des censeurs dont
l’institution est mieux connue en France qu’aux Etats-Unis et qui furent très utilisés au XIXe
siècle459. Plus l’entité hébergée par la société est importante, plus les opportunités de créer ce
type de fonctions se multiplient aussi bien en matière de contrôle que dans le domaine de la
gestion : la création d’échelons intermédiaires devient alors indispensable.
Le parallèle est assez tentant pour y déceler le même type de logiques ayant présidé à la
naissance puis à l’essor de la bureaucratie d’Etat. L’analogie démocratique pourrait ici être
sollicitée en considérant que les sociétés, à l’instar des Etats, doivent s’équiper d’un appareil
pour fonctionner et entourer les organes fondamentaux : assemblées, présidence,
juridictions… Or, le rapport de la démocratie à la bureaucratie est ambivalent : utile lorsqu’il
s’agit de répondre à des besoins fonctionnels ou de spécialisation, mortifère lorsqu’elle
aboutit au gaspillage de ressources publiques ou à une division des tâches outrancières. Deux
aspects de ce développement bureaucratique semblent illustrer un affaiblissement des
pouvoirs potentiels des organes dirigeants. Il tient tout d’abord à la multiplication de
structures de support, soutien ou de commandement principalement au travers de comités ou
autres entités spécialisées460. Ensuite, il se retrouve dans la multiplication des délégations de
signature ou de pouvoir à tel point que ces dernières tendent dans les faits à relever de la
véritable délégation de compétences voire de la figure du mandat.

209 – L’accroissement du nombre des comités spécialisés – En premier lieu, arguant de


nécessités organisationnelles, la version anglo-saxonne de la « corporate governance » est
très attachée au développement de comités ad hoc au sein des grandes entreprises cotées461.
Le principe consiste à doubler les organes de direction par des comités spécialisés et les plus
indépendants possibles de ces derniers afin de les éclairer voire de les contraindre à adopter

457
VERLEY P., Entreprises et entrepreneurs du XVIIIe siècle au début du XXe siècle, Hachette coll. Carré
Histoire, 1994, p.140 et suiv.
458
MERLE P., FAUCHON A., Droit commercial – sociétés commerciales, Dalloz, Droit Privé, 2018, p. 552-
555.
459
COZIAN M., DEBOISSY F., VIANDIER A., Droit des sociétés, Litec, 30e édition, 2017, p. 330-331.
460
DURAND-BARTHEZ P., Le guide de la gouvernance des sociétés, Dalloz, Guide, 2016, p. 169-175.
461
CAUSSAIN J-J., Le gouvernement d’entreprise – Le pouvoir rendu aux actionnaires, Litec, 2005, p.15-16 et
p.24 ; DURAND-BARTHEZ P., op. cit., p. 170-172.

200
certaines décisions plus vertueuses et de façon plus transparente462. Dans ce domaine, les
organes traditionnels sont envisagés avec beaucoup de méfiance. Par exemple, la plupart des
codes de gouvernance préconisent la mise en place de comités d’audit et de comités de
rémunérations, chargés pour le premier d’effectuer des contrôles comptables et financiers en
principe en toute indépendance et fiabilité et d’en diffuser les informations au moment des
assemblées, et pour le second de proposer et d’établir les rémunérations des dirigeants463. Les
administrateurs se retrouvent souvent liés par les avis et recommandations émises par de tels
comités du moins dans les systèmes anglo-saxons.
En France, si l’existence de tels comités ou organes supplémentaires est tolérée en l’absence
de dispositions les interdisant explicitement, leur rôle effectif est nettement plus limité464. En
effet, dans le cas des sociétés anonymes anglo-saxonnes, celles-ci se caractérisent par une
grande flexibilité quant à leur organisation interne, le rôle de ces nouveaux organes pouvant
être intégrés dans le pacte statutaire, les juges locaux, sous couvert de l’équité, sont à même
d’en faire respecter les éventuelles attributions. En revanche, la jurisprudence française
continue d’affirmer avec constance la souveraineté des organes de direction des sociétés
anonymes telle que prévue par la loi. Deux exemples permettent d’illustrer ce refus de
consacrer pleinement la possibilité d’attribuer des fonctions prévues par la loi à des organes
créés pour exercer des rôles spécifiques : le cas des comités de rémunération et celui des
censeurs.

210 – Conseil d’administration et comités de rémunérations : quelle articulation ? – Le


conseil d’administration demeure seul compétent en ce qui concerne la rémunération de son
président : en aucun cas il ne peut voir sa compétence liée à celle d’un comité de
rémunération ou une commission ad hoc même s’il l’avait spécifiquement désigné à cet
effet465. Concrètement, ces comités peuvent proposer, analyser, discuter ou traiter telle ou
telle question en particulier mais seuls les organes légalement définis et reconnus par la loi
demeurent à même de disposer. Tout au plus, de tels comités se voient cantonnés à un rôle
d’autorité. A cet égard, on pourrait considérer qu’ils constituent un soft power au sein des
sociétés. Ils ne disposent ni de pouvoirs de sanction, ni de véritables pouvoirs de décisions
mais auraient une vraie capacité d’influence, d’aiguillage à l’égard de l’organe compétent. Ils

462
BISSARA P., FOY R., VAUPLANE A. de, Droit et pratique de la gouvernance des sociétés cotées, Joly éd,
2007, p. 173-182.
463
WIRTZ P., Les meilleures pratiques de gouvernance d’entreprise, Editions La Découverte, coll. Repères
Gestion, 2008, p.56-59.
464
CAUSSAIN J-J., op cit, p.120 et suiv.
465
Cass Com 11 octobre 2005 cf chapitre 1 section 1 paragraphe 1 précédent.

201
relèvent alors une forme d’autorité technique ou morale, voire les deux à la fois selon l’esprit
dans lequel ils ont été constitués et surtout ce sur quoi ils fondent leurs décisions.

211 – Les censeurs entre ordre moral et risque d’immixtion – Dans une perspective assez
proche, se pose régulièrement la question des censeurs. Contrairement aux comités
mentionnés précédemment, les comités de censeurs ont une histoire qui se confond avec celle
des sociétés anonymes. Créés par la pratique pour compléter les organes de surveillance
prévus initialement dans le Code de Commerce de 1807, ils assurent un contrôle quasiment
« moral » des sociétés qui s’en dotent. A cet égard, il s’agit souvent de personnalités des
milieux d’affaires réputés expérimentés et à qui l’on prête un respect des valeurs éthiques du
monde des affaires. Certains auteurs ont d’ailleurs émis l’hypothèse que ces censeurs sont les
ancêtres du gouvernement d’entreprise français466. Au regard de leur missions, leurs modes de
nominations ou encore les modalités de mise en œuvre de leur responsabilité apparaissent très
proches de ce qui peut se rencontrer en matière de comités issus de la corporate governance.
Ils relèvent d’un ordre de risque identique avec les comités précédemment évoqués. En effet,
selon la personnalité de ceux qui y sont nommés, la tentation est grande de s’immiscer dans la
gestion directe de la société ou de prendre l’ascendant sur l’organe classique de surveillance.
Il peut arriver que le conseil d’administration, de surveillance voire le directoire puisse se
retrouver à lutter avec ces censeurs pour exercer leur pouvoirs.
Dans les faits, la position française ne va pas sans poser quelques désagréments aux
entreprises dont les titres sont admis aux négociations sur les marchés réglementés
américains. En effet, ces sociétés doivent se conformer aux règles locales et donc aux codes
de « corporate governance » préconisant la mise en place de tels comités. Or, elles ne doivent
pas leur donner un pouvoir effectif trop grand à l’intérieur de leurs groupes sous peine de
risquer l’annulation de certaines décisions en France car empiétant indûment sur les
attributions légales des organes classiques de la société anonyme. En multipliant ces entités
auprès de leurs organes légaux, les sociétés anonymes peuvent se retrouver dans une situation
paradoxale du point de vue du mythe démocratique. D’un côté, ces comités apparaissent
lorsque la société atteint une taille critique, généralement au moment de recourir au
financement sur les marchés. L’avantage immédiat de telles entités est de fournir des appuis,
de faciliter le travail ou le contrôle des organes légaux. De cette façon, ils participent de la
démocratie actionnariale surtout lorsqu’ils ont vocation à accroître les possibilités de contrôle

466
BIENVENU-PERROT A., Des censeurs du XIXe siècle au gouvernement d’entreprise du XXIe siècle, RTD
Com 2003, p. 449-455.

202
en faveur des actionnaires. Néanmoins, d’un autre côté, la multiplication de ces organes fait
courir le risque d’une incertitude sur le pouvoir réel détenu par tel ou tel organe social. De
plus, à rebours de l’esprit initial dans lequel ils sont créés, ils rendent encore plus compliqué
et plus lourd les modalités de contrôle dont disposent les actionnaires. Ainsi, la mise en place
d’un comité de rémunération exigerait dans une vision rigoriste de la démocratie actionnariale
à ce que ce soit l’assemblée elle-même qui s’empare de la nomination de ses membres voire
en assure un contrôle régulier. Or, cette démarche est plus souvent confiée au conseil
d’administration ce qui pose la question de sa réelle indépendance. La complexité engendrée
ainsi que la dilution de certaines prises de décision n’est pas favorable à un fonctionnement
démocratique satisfaisant. Cette ambivalence semble inhérente à ce phénomène, à la fois
vecteur de démocratie et facteur d’étouffement de celle-ci.

212 – Les délégations de pouvoir et de signature, un apport ambigu – En second lieu, les
délégations de signature ou de pouvoir participent d’une logique de dilution des
responsabilités voire des fonctions en permettant aux organes de direction de se créer des
chaîne d’exécutants qui se transforment parfois en décisionnaires. En soi, ce mécanisme n’est
absolument pas incompatible avec la démocratie actionnariale car aucun obstacle de principe
ne s’oppose à ce qu’un organe de direction y recoure. La comparaison avec l’Administration
est à ce titre tout à fait éclairante. En effet, dans les démocraties modernes, il est courant que
les membres du gouvernement délèguent leur signature à tel ou tel membre de leurs cabinets,
ou aux directeurs de service des administrations sous leur tutelle. De plus, le régime utilisé
dans le domaine du droit public a servi d’inspiration au régime actuellement en vigueur en
doit des sociétés.

213 – Le régime des délégations – Le principe est généralement le suivant : un directeur


général ou n’importe quel membre d’un organe de direction confie un certain nombre de
tâches précises ou une partie de sa fonction à un tiers467. Dans l’hypothèse la plus courante ce
tiers n’en n’est pas vraiment un et appartient au corps des dirigeants exécutifs, à la
bureaucratie évoquée par l’économiste K. Galbraith. Directeur juridique, directeur
administratif et financier ou autres chefs de service ont vocation à être les récipiendaires de
telles délégations. Le plus souvent, ils sont liés par un contrat de travail à la société. Cette
délégation doit être spéciale dans son objet et temporaire dans sa durée et peut être révoquée à

467
COZIAN M., DEBOISSY F., VIANDIER A., Droit des sociétés, Litec, 30e édition, 2017, p. 159-160.

203
tout moment. Pour le délégant, le mécanisme présente un double avantage : confier certaines
tâches à des spécialistes pour mieux se concentrer sur d’autres, bénéficier d’une certaine
protection dans le domaine pénal lorsque le bénéficiaire de la délégation agit dans des
conditions précises.

214 – La délégation au crible du contrôle démocratique – Du point de vue démocratique


peut se poser la question de la légitimité de telles délégations et surtout leur éventuelle
connaissance par l’actionnaire. En effet, le dirigeant est en principe nommé soit directement
par l’assemblée soit par le truchement d’un autre organe censé être l’émanation de
l’assemblée, typiquement le conseil d’administration. En toute liberté et sans aucun contrôle,
le dirigeant nomme ou plutôt délègue des éléments de son pouvoir à des tiers. Certes, la
plupart du temps ces derniers sont des employés de la société et donc soumis à certaines
obligations notamment de loyauté envers cette dernière mais il peut arriver qu’il s’agisse de
véritables tiers lorsque la complexité de la tâche à déléguer l’exige. Il est alors possible
lorsque les délégations sont nombreuses et variées de se demander dans quelle mesure le
dirigeant initial est toujours le titulaire ultime du pouvoir de direction.
Au regard de la démocratie actionnariale, on peut envisager deux réponses. La première
consiste à poursuivre l’analogie avec les systèmes démocratiques modernes en considérant
que l’organe de direction est l’équivalent en droit des sociétés du pouvoir exécutif. Dans cette
hypothèse, il agit comme une sorte de premier ministre ou chancelier qui nomme telle ou telle
personne dans son gouvernement. C’est lui qui est responsable in fine devant le parlement
actionnarial des actes de ces derniers. Dès lors, peu importe qui il nomme ou à qui il délègue
ses attributions, la seule exigence étant de conserver un mécanisme permettant de mettre en
œuvre la responsabilité de ce dirigeant. La révocation ad nutum ou la théorie des incidents de
séance en assemblée générale seraient à cet égard des mécanismes tout à fait pertinents. La
seconde consisterait à envisager de porter à la connaissance des actionnaires le contenu des
délégations et l’identité des bénéficiaires de ces dernières. Le contrôle pourrait soit s’effectuer
ex ante par la constitution d’une équipe soumise à approbation autour du dirigeant sur le
modèle des scrutins de liste, soit ex post avec communication annuelle de la liste ou
délivrance de l’information sur demande expresse d’un ou plusieurs actionnaires. De cette
façon, l’organisation du pouvoir de direction serait soumise à une véritable transparence,
favorisant la démocratie actionnariale. Quelle que soit la réponse retenue, il convient de
favoriser l’établissement d’une cartographie la plus exacte possible du pouvoir dans les

204
sociétés par actions. La transparence est une des vertus démocratique. Si le pouvoir n’est pas
clairement identifié, comment parvenir à le contrôler ou même prendre une décision éclairée ?

215 – La plasticité des organes dans les commandites et les SAS entre incertitude et
clarté – Elargir le propos aux autres formes de sociétés par actions apparaît plus délicat.
Concernant les délégations de signature, l’analyse demeure identique en ce que les
mécanismes sont identiques. Peu importe la forme sociale, la délégation peut parfois entraîner
des confusions pour identifier le pouvoir réel de tel ou tel organe de direction. Concernant les
comités, il est plus délicat de prolonger l’analyse en des termes identiques. En effet, la
commandite par actions et la SAS ne partagent pas le même carcan institutionnel que la
SA468. Plus particulièrement, la SAS a pour caractéristique essentielle sa plasticité en matière
d’organes et d’architecture interne. Dès lors, la problématique de la répartition des pouvoirs
ne se pose pas nécessairement au regard de la multiplication des organes mais de leur
existence même dans les statuts. Autrement dit, la SAS peut prévoir autant d’organes que
nécessaires à condition qu’ils apparaissent dans les statuts. Dans cette perspective,
l’incertitude susceptible de se produire en matière de répartition proviendra plutôt d’une
mauvaise définition dans ces derniers ou plus simplement d’une mauvaise rédaction des
statuts.
D’autres phénomènes concourent à un flottement dans l’attribution du pouvoir effectif au sein
de la société anonyme : l’institutionnalisation des pouvoirs en blanc et l’abandon de
l’obligation de détention d’actions par les administrateurs.

Paragraphe 2 – Pouvoirs en blanc et abandon de l’obligation pour les


administrateurs d’être actionnaires

216 – Le pouvoir en blanc ou la mainmise des dirigeants sur l’assemblée – Certains


éléments peuvent venir mettre à mal la répartition traditionnelle des pouvoirs telle que fixée
dans l’arrêt Motte et dans la loi. Tout d’abord, la possibilité de recourir à des pouvoirs en
blanc tend à déplacer le centre de gravité du pouvoir effectif dans les sociétés anonymes
tandis que l’abandon de l’obligation de détention d’actions pour les administrateurs accentue
le phénomène de dissociation entre pouvoir, capital et propriété au sein de ces mêmes
sociétés.

468
MERLE P., FAUCHON A., Droit commercial – sociétés commerciales, Dalloz, Droit Privé, 2018, p. 790-
799.

205
L’article L 225-106 du Code de Commerce précise les règles de représentation des
actionnaires. Or, parmi ces règles, l’alinéa 7 expose qu’en l’absence de l’indication d’un
mandataire pour une procuration, le président de l’assemblée l’assimile à un vote favorable
aux motions présentées par le conseil d’administration ou le directoire. Mais surtout, il émet
un vote défavorable à l’encontre de tout autre projet de résolution. Autrement dit, les
actionnaires absents qui se contenteraient d’une procuration sans nom de mandataire sont
irréfragablement présumés voter pour les résolutions des dirigeants. En soi, une telle règle
devrait favoriser le vote et l’activisme actionnarial, voire permettre de résoudre des situations
résiduelles ou marginales de blocage ou de passivité.
Dans la pratique, le phénomène de l’absentéisme lui donne une importance certaine : dès lors
que les assemblées sont désertées et les procurations sans aucune mention de mandataires, les
administrateurs ont tout pouvoir dans la société et peuvent entériner toute résolution qu’ils
proposent469. Ce phénomène est surtout vrai dans les grandes sociétés anonymes où
l’actionnariat est particulièrement dispersé. Un tel mécanisme ne peut qu’ouvrir les portes à
des comportements opportunistes de la part des dirigeants470. En cela, la répartition
traditionnelle des pouvoirs avec des dirigeants chargés de la direction quotidienne voire de la
surveillance et des actionnaires chargés d’avaliser ou de refuser ce qui leur est proposé car
demeurant les ultimes juges en la matière, tout cela n’a plus grand sens lorsque ce mécanisme
devient la règle.
Une telle règle se comprend parfaitement en termes de pragmatisme et d’efficacité. En effet,
elle permet de pallier toute défaillance d’un ou plusieurs actionnaires. Néanmoins, cela
concourt à renforcer voire encourager la passivité. Démocratiquement par contre, un tel
mécanisme peut être interrogé. L’abstention est ainsi facilement passée sous silence. De
même que ce mécanisme permet de constituer artificiellement des majorités pour valider tel
ou tel ordre du jour sans discussion réelle ni débat de fond. La majorité obtenue par ce
mécanisme est vide de sens, creuse et sa légitimité peu probante.

217 – La dissociation du corps civique : le dirigeant non issu des actionnaires – De


même, l’abandon de l’obligation de détenir des actions pour les administrateurs participe
d’une certaine logique économique risquant à terme de distordre les liens qui devraient exister
entre les actionnaires et leur société. En principe, les administrateurs sont avant tout des

469
GERMAIN M., Traité de droit commercial de G. Ripert et R. Roblot, T.1 vol.2, Les sociétés commerciales,
LGDJ, 22e édition, 2017, p. 383-385.
470
MACKAAY E. et ROUSSEAU S., Analyse économique du droit, Dalloz éditions Thémis, coll. Méthodes du
droit, 2e édition, 2008, p.

206
citoyens car titulaires d’actions471. Or, avec la loi dite LME, cette obligation ne l’est plus : il
s’agit d’une simple faculté statutaire472. Autrement dit, si les statuts ne prévoient rien, une
lecture a contrario laisse clairement entendre qu’il n’est plus nécessaire de détenir des actions
de la société anonyme concernée pour en devenir un dirigeant. Démocratiquement, il était
logique que seuls des citoyens puissent en devenir les mandataires c’est-à-dire les
représentants du peuple dans une perspective de démocratie directe.
De plus, au regard de l’analyse économique du Droit, cette prise de participations offrait un
autre avantage. L’analyse est la suivante : plus le dirigeant possède de parts, plus son intérêt
s’identifie à celui de la société. En tant qu’agent rationnel, il a pour but de maximiser sa
richesse personnelle, ce qui peut le conduire à entrer en conflit avec les autres agents que sont
la société, les autres dirigeants et enfin les actionnaires. La détention d’actions contribuerait à
créer un lien favorisant l’alignement des intérêts du dirigeant sur celui des autres agents.
Celui-ci aurait alors tout intérêt à la réussite de l’entreprise car directement concerné par
celle-ci473. Ce qui peut poser problème lorsque sont utilisés des modes de rémunération
alternatifs comme celui des stock-options et au vu du comportement de dirigeants comme
ceux d’Enron.
Dans l’absolu, une telle obligation ne favorisait pas le recrutement de « managers »
spécialisés et recherchés pour leurs compétences techniques, ni même celui d’administrateurs
indépendants, c’est-à-dire recrutés à l’extérieur du cénacle des actionnaires. De plus, lorsque
les fonctions de directeur général et de président du conseil d’administration sont dissociées
ou lorsqu’il s’agit d’une société anonyme à directoire, ces deux entités, à savoir le directoire
et le directeur, ne sont pas tenues de posséder et d’acquérir des actions pour exercer leurs
fonctions.
Surtout, les praticiens avaient imaginé un moyen fort efficace de contourner la difficulté en
recourant au prêt de consommation d’actions474 : les administrateurs rendant en quelque sorte
leur titre de citoyen-actionnaire après usage et permettant de diversifier en principe le

471
Article L225-25 C Com pour le conseil d’administration et L225-72 pour le conseil de surveillance.
472
Loi n° 2008-776 LME articles 57-I et 57-II réécrivant respectivement les articles précédents du Code de
Commerce ; MERLE P., FAUCHON A., Droit commercial – sociétés commerciales, Dalloz, Droit Privé, 2018,
p. 468-472.
473
MACKAAY E. et ROUSSEAU S., op cit, p. 494-495 : « la proportion d’actions détenues par le dirigeant
vient influer sur le degré de divergence entre ses intérêts et ceux des actionnaires. Plus la portion des actions de
la société que détient le dirigeant est élevée, moins l’intensité des conflits d’intérêts est sévère puisqu’il assume
alors une portion importante des coûts de stratégies opportunistes réalisées. En somme, l’intérêt du dirigeant à
maximiser sa richesse personnelle au détriment de la société et des actionnaires est inversement proportionnel à
son degré d’investissement. Toutefois, dans les sociétés caractérisées par un actionnariat dispersé, aucun
dirigeant ne possède un investissement significatif qui permet d’aligner ses intérêts sur celui de l’ensemble des
actionnaires ».
474
COZIAN M., DEBOISSY F., VIANDIER A., Droit des sociétés, Litec, 21e édition, 2008, p.253-254.

207
recrutement de ces administrateurs. Les statuts pouvaient aussi prévoir la détention d’une
seule action symbolique. Par conséquent, la nouvelle rédaction de l’article L225-25 du Code
de Commerce n’a fait que répondre à un souci de pragmatisme, renvoyant ainsi à la volonté
expresse des parties qui devront désormais prévoir dans les statuts la nécessité pour les
administrateurs de posséder des actions de la société. De cette façon, le législateur a entériné
une véritable dissociation du corps civique : même symboliquement, les électeurs citoyens ne
votent plus pour l’un d’entre eux mais pour un tiers. Le lien avec les mandataires sociaux
apparaît de nature différente. Il ne s’agit plus de conserver un rapport même d’ordre
symbolique mais de dissocier franchement ces organes du peuple actionnarial. Désormais ces
organes apparaissent à mi-chemin de l’esclave spécialisé au service de la démocratie tel
qu’utilisé dans l’Athènes du Ve siècle ou du manager mercenaire sollicité pour accomplir une
tâche éphémère avant de repartir avec sa prime. Sur ce terrain, le mythe démocratique s’est
sérieusement érodé.

218 – Conclusion du chapitre – Les sociétés par actions obéissent en principe à une
architecture particulièrement précise dans laquelle le rôle et la fonction de chaque organe est
clairement délimité. Les mandataires sociaux font à ce titre l’objet de nombreuses dispositions
ayant vocation à préciser leurs différentes attributions. Or, cet encadrement procède de
logiques différentes. Parmi celles-ci, le mythe démocratique occupe une place assez
importante. Néanmoins, ce dernier tend à s’éroder quand il ne révèle pas certaines difficultés
de fonctionnement en matière d’articulation des pouvoirs.
En principe, les sociétés par actions partagent une racine commune : celle de la
hiérarchisation ou spécialisation des pouvoirs mais à des degrés différents selon que sont
évoquées les SA, les SCA ou les SCA. Ce principe fondamental permet au mythe
démocratique de se maintenir comme clé de lecture pour déchiffrer les effets de pouvoir dans
ces entités. Cependant, cette clé ne va pas sans ambigüités notamment au regard du rôle du
conseil d’administration, ni sans renoncements comme le système des pouvoirs en blanc ou
encore l’abandon de l’obligation d’être actionnaires pour accéder à certaines fonctions. Cela
révèle des lignes de force identiques à celles évoquées précédemment au sujet des
actionnaires entre les différentes sources d’inspiration à l’œuvre pour structurer ces
institutions. Le mythe démocratique n’est que l’une de ces sources et tend à s’éroder, certes
plus lentement en matière d’organes de direction où il peut encore trouver à se réinventer.
Sur tous ces points, la dimension démocratique tend manifestement à s’estomper au profit
d’une pragmatique économique potentiellement problématique pour les intérêts des

208
actionnaires, d’où des tentatives de renforcement des mécanismes de responsabilité de ces
derniers envers les actionnaires.

209
Chapitre 2 – Reddition de comptes : une croissance parfois mal
maîtrisée des devoirs des mandataires sociaux

219 – De la docimazie aux checks and balance – Au Ve siècle avant notre ère, au terme de
leur mandat, les magistrats de la cité athénienne devaient rendre compte de leur gestion et de
ce qu’ils avaient accomplis devant l’agora des citoyens. Ce mécanisme appelé
« docimazie »475 perdure encore sous d’autres formes dans les démocraties actuelles. Il est
l’ancêtre des mécanismes de mise en jeu de la responsabilité de l’exécutif devant le législatif,
des gouvernements devant leur Parlement. Concernant les sociétés par actions et surtout la
société anonyme, le principe est assez similaire en dépit de quelques particularités propres car
s’agissant de sociétés par actions. En effet, chaque organe est tenu de rendre compte de son
fonctionnement à un autre organe. Le principe de spécialisation des organes sociaux s’appuie
en partie sur un jeu d’équilibre, des mécanismes de « checks and balance » selon l’expression
consacrée en droit constitutionnel américain. Chaque pouvoir est contrebalancé par un autre,
le citoyen ou plutôt le peuple en étant le ressort, le bénéficiaire ultime. L’analogie avec une
cité politique en miniature se déploie ici avec une vigueur certaine tant les parallèles sont forts
et la dimension politique du pouvoir évidente.

220 – La place du mythe démocratique : information et responsabilité des organes


dirigeants – Or, il existe une forte convergence entre différents mouvements pour accroître
l’encadrement de ces relations de pouvoir. A l’instar du mécanisme de docimazie, chaque
organe dirigeant dans les sociétés par actions est soumis à un ensemble d’obligations et à des
mécanismes de sanctions au bénéfice des actionnaires. Le mythe démocratique entre en
émulation avec d’autres théories pour promouvoir obligations et sanctions pesant sur les
dirigeants. A cet égard, il est possible d’évoquer l’analyse économique du Droit qui consacre
de nombreux développements à cette question sous l’angle de la relation d’agence.
Plus précisément, le mythe démocratique a pour point d’accroche deux aspects très précis de
cette reddition de compte : le premier est lié à l’existence et au fonctionnement d’un système
d’information au bénéfice du peuple actionnarial (section 1), le second aux différentes formes
de responsabilité encourues par les organes dirigeants à travers une pluralité de mécaniques
(section 2).

475
HUMBERT M., Institutions politiques et sociales de l’Antiquité, Dalloz coll. Précis, 2003, p.132 et p.171.

210
Section 1 – Les mécanismes d’information à l’égard des actionnaires

221 – Droit et devoir d’information au bénéfice de l’actionnaire – L’actionnaire est un


citoyen, le citoyen est un actionnaire. Parmi les conséquences de ces affirmations,
l’actionnaire est titulaire d’un droit dans le domaine de l’information. Ce droit comprend non
seulement l’attribution d’un droit à l’information dont bénéficie l’actionnaire mais aussi la
mise en place de devoirs pesant sur des organes précisément désignés ainsi qu’un cycle de
production de l’information avec définition du contenu, du contenant et règlementation de
l’accès.
Ainsi, les titulaires d’actions ont vocation à recevoir toute sorte d’informations, le Législateur
ayant opté pour une multiplication à foison des obligations en la matière (paragraphe 1). Or,
devant un tel foisonnement, la question de l’efficacité de tels devoirs pour l’actionnaire
revient de plus en plus régulièrement (paragraphe 2).

Paragraphe 1 – La multiplication des devoirs d’information

222 – Les fondements théoriques du droit et du devoir d’information – Quelle que soit la
grille de lecture adoptée, l’information est un droit et un devoir crucial au sein des sociétés par
actions476. En effet, au sein de ces entités, il existe des phénomènes dits d’asymétrie
d’informations. Concrètement, les organes dirigeants reçoivent plus d’informations, tant en
qualité qu’en quantité, que les actionnaires. De plus, les premiers sont souvent plus à même
de la traiter car généralement titulaires de compétences particulières tandis que les seconds en
sont parfois très loin, surtout si l’on garde à l’esprit l’image d’Epinal du petit porteur moyen.
La charge de l’information puise dans deux ordres de justification, ces derniers étant
complémentaires477. Ces ordres de justification relèvent tout d’abord du droit classique des
contrats et donc de la dimension contractuelle du droit des sociétés Si l’on adopte une lecture
contractualiste de ces sociétés, les actionnaires et les dirigeants sont liés par une relation
d’agence, autrement dit par un rapport mandant-mandataire478. Le contrat de société, contrat
spécial, est un contrat d’organisation qui emprunte de nombreux à la figure classique du
mandat, tout du moins dans les rapports entre actionnaires et organes de direction. Dans ce

476
FRANCOIS B., Le devoir de transmission de l’information aux actionnaires, Rev. Sociétés, 2017, p. 682.
477
MERLE P., FAUCHON A., Droit commercial – sociétés commerciales, Dalloz, Droit Privé, 2018, p. 612-
616.
478
MACKAAY E. et ROUSSEAU S., Analyse économique du droit, Dalloz Editions Thémis, coll. Méthodes du
droit, 2e édition, 2008, p.476.

211
cas, les deux parties sont liées par une exigence de bonne foi comme dans tout contrat mais le
mandataire doit aussi rendre des comptes voire conseiller son mandant. A ceci s’ajoute un
devoir d’information. Dès lors, le mandataire, tenu par les exigences de bonne foi et de
reddition de compte a une obligation de délivrer tout élément d’information pertinent à son ou
ses cocontractants.
Le droit à l’information puise aussi dans le volet institutionnaliste. Dans les rapports entre les
organes, le pouvoir confié par les actionnaires aux organes de directions s’accompagne d’une
nécessité d’en rendre compte. Plus précisément, si l’on adopte une lecture démocratique, le
peuple actionnarial a un droit à l’information pour pouvoir produire un vote éclairé. Il se
prolonge à travers son corollaire : le droit à l’éducation de l’actionnaire citoyen479. Il y a donc
convergence entre toutes les lectures des sociétés anonymes pour exiger un accroissement du
droit, et partant, du devoir d’information.
Tout d’abord, l’actionnaire se voit conférer un droit incompressible à un minimum
d’informations, de données techniques : la détention d’une seule action doit y suffire.
Autrement dit, il a vocation à avoir accès aux informations strictement nécessaires à
l’exercice de son droit de vote. Il doit pouvoir bénéficier d’une information précise, claire,
participant d’une démarche de transparence de la part de la société dont il détient des titres480.
Ce droit a pour corollaire un devoir. Ce devoir, c’est celui des dirigeants qui ont à la produire,
la diffuser voire l’expliquer aux actionnaires. : « l’information dont dispose le dirigeant doit
être portée à son destinataire et le droit doit donner à celui-ci les moyens d’en tirer les
conséquences. Ainsi, les obligations d’informer se sont multipliées. Mieux, l’information doit
désormais être en permanence disponible, selon le principe clé de la transparence »481.

223 – Les fondements législatifs et réglementaires du droit et du devoir d’information –


Quant à la forme, depuis la loi de 1966, chaque strate législative a enrichi et alourdi ce devoir
envers les actionnaires et envers le marché. Droit des sociétés par actions et droit financier
concourent à parts égales à ce phénomène d’accroissement systématique de l’information. Par

479
MELIN-SOUCRAMANIEN F. et PACTET P., Droit constitutionnel, Armand Colin, 35e édition, 2017, p.83 ;
GICQUEL J et J-P., Droit constitutionnel et institutions politiques, LGDJ, 22e édition, 2017, p.261 ;
HEURTEUX C., L’information des actionnaires et des épargnants en droit français et comparé, Sirey, 1961.
480
FRISON-ROCHE M-A. et BONFILS S., Les grandes questions du droit économique – Introduction et
documents, PUF, Quadrige, 2005, p.184, rappelant à cet effet le rapport de la mission sur le droit des sociétés
présidée par M. CLEMENT en 2003 : « tous les actionnaires doivent, pour faciliter l’exercice de leurs devoirs,
bénéficier d’un droit à la transparence de la part des instances dirigeantes. (…) Cela ne signifie pas toute
l’information pour tout le monde, cela veut dire la diffusion d’une information hiérarchisée et pertinente pour
l’actionnaire individuel, brute et massive pour les investisseurs institutionnels, sincère dans tous les cas de
figure ».
481
FRISON-ROCHE M-A. et BONFILS S., op cit, p.176.

212
exemple, le droit à l’information permanente prévu par l’article L225-115 du Code de
Commerce a été enrichi et complété en 2001482, 2003483 et 2004484 relativement aux dépenses
de mécénat et aux conventions conclues à des conditions normales entre la société et ses
dirigeants. De plus, les sociétés anonymes dont les titres sont admis aux négociations sur les
marchés réglementés sont soumises à une délivrance d’information encore plus exigeante
puisqu’elle n’est plus seulement destinée aux actionnaires mais aussi aux autorités de marché
(SEC, AMF…) concernées.
De même, l’article 221-1 2° du règlement général de l’AMF relatif à « l’information
réglementée »485 énumère les obligations de fourniture de données imposées aux émetteurs
d’instruments financiers depuis les procédures de contrôle interne jusqu’aux conditions de
préparation des travaux des conseils, d’administration ou de surveillance, en passant par le
nombre de droits de vote, d’actions ou les honoraires du commissaire aux comptes. De plus,
que la société soit ou non cotée, ces informations font l’objet de remises à jours périodiques,
ne serait-ce que pour les assemblées générales annuelles, mais surtout pour exprimer la réalité
au plus près des réalités mouvantes du terrain.
Quant au fond, l’effort a surtout été mené sur l’information financière et comptable au sens le
plus large possible : inventaires, comptes, état des cautionnements et autres garanties, mais
aussi d’autres éléments pouvant avoir des répercussions sur l’état financier de la société
comme les conventions réglementées, l’inventaire des valeurs mobilières émises par elle ou
les droits de vote particuliers par exemple486. L’article de l’AMF précité en donne un aperçu
très concret dans une liste qui tient parfois de l’inventaire à la Prévert. De même, la liste
d’informations à délivrer contenues dans l’article L225-116 du Code de Commerce
concernant le droit d’information permanente des actionnaires en donne aussi une idée assez
précise. Le 1° précise ainsi que ces derniers ont accès : « à l’inventaire, aux comptes annuels,
à la liste des administrateurs ou des membres du conseil de surveillance, et, le cas échéant,
des comptes consolidés. »
L’idée sous-jacente est toujours de favoriser la transparence afin que l’actionnaire puisse se
décider en toute connaissance de cause et non comme un simple profane peu au fait de la
réalité de l’entreprise à laquelle il participe. Surtout, « cette information va permettre de

482
Loi n°2001-420 15 mai 2001 Nouvelles régulations économiques.
483
Loi n°2003-706 1er août 2003 Sécurité financière.
484
Ordonnance n°2004-604 24 juin 2004 Réforme du régime des valeurs mobilières.
485
COURET A., LE NABASQUE H., COQUELET M-L., GRANIER T., PORACCHIA D., RAYNOUARD A.,
REYGROBELLET A., ROBIINE D., Droit financier, Dalloz coll. Précis 2008, p.166 et suiv.
486
MERLE P., FAUCHON A., Droit commercial – sociétés commerciales, Dalloz, Droit Privé, 2018, p. 616-
619.

213
remettre en cause le pouvoir du dirigeant »487. Par ce biais, le Législateur tente de corriger le
phénomène des asymétries d’information et permettre aux actionnaires de maintenir un
contrôle effectif sur les dirigeants et aussi sur la marche de l’entreprise dont ils sont membres.
L’article L 225-8 al 1 précise explicitement que l’actionnaire doit être en mesure « de se
prononcer en connaissance de cause et de porter un jugement informé sur la gestion et la
marche des affaires de la société »488.

224 – Le droit pluriel à l’information – Cependant, plutôt que de distinguer fond et forme
de l’information, certains auteurs préfèrent mettre en exergue le moment où peut s’exercer ce
droit afin de mettre en relief la complexité du système d’information prévu par la loi489. Dans
cette optique, il convient de bien distinguer l’information relevant d’un droit de
communication préalable de celle procédant d’un droit permanent réalisable à tout moment.
Le premier est intrinsèquement lié à la convocation des assemblées avec pour finalité une
prise de décision au travers de l’exercice du droit de vote. Le second serait plus proche d’un
droit de contrôle susceptible de déclencher ou de répondre à d’éventuelles actions ou
demandes spécifiques. L’avantage de cette distinction est qu’elle met en lumière le fait que le
droit à l’information résulte d’une combinaison, d’une intrication de différentes dispositions
et dont le régime n’est pas univoque. Nous reviendrons plus loin sur les éventuelles critiques
que l’on peut émettre à l’égard d’un tel système.

225 – Les piliers du droit de communication préalable – Mais attachons-nous ici à sa


description. Le droit de communication préalable repose sur trois piliers avec la convocation
d’une assemblée générale comme finalité.
Le premier de ces piliers consiste en une liste de documents devant être envoyés aux
actionnaires entre la convocation et le moment de la tenue physique de cette dernière. Hormis
en ce qui concerne les sanctions prévues à cet effet, le régime est principalement
réglementaire, le principe étant fixé à l’article L225-115. Il se trouve régi par les articles R
225-81 et suivants du Code de Commerce. L’actionnaire peut se faire adresser soit par
courrier soit en utilisant les moyens de communication moderne aux frais de la société, les
renseignements sur les dirigeants et membres des organes de direction, le rapport du conseil
d’administration ou du directoire ou du conseil de surveillance, ceux d’éventuels

487
FRISON-ROCHE M-A. et BONFILS S., op cit, p.176.
488
MERLE P., FAUCHON A., Droit commercial – Sociétés commerciales, Dalloz Droit Privé, 2014, 17e éd., p.
589 et suiv.
489
Idem, p.590-591.

214
commissaires aux comptes, sur les rémunérations, les conséquences sociales ou
environnementales de l’activité de la société, les comptes annuels, les affectations des
résultats, un inventaire des valeurs détenues en portefeuille par la société, les comptes
consolidés, le rapport sur les comptes sociaux, tout rapport spécial des éventuelles
commissaires aux comptes, le dernier bilan social.
Le deuxième de ces piliers, tel que prévu aux articles R225-88 et suiv., réside dans une
possibilité accordée aux actionnaires de consulter au siège social des informations considérées
comme secondaires par rapport aux précédentes : la liste des actionnaires, le montant global
des rémunérations versées aux dix personnes les mieux rémunérées dans la société. En outre,
il est possible sur le même fondement d’obtenir les documents prévus par le pilier précédent si
cela n’a pas été fait voire ceux prévus par le droit de communication permanent.
Le troisième pilier réside, non dans un accès supplémentaire à des documents, mais dans la
possibilité de poser des questions aux dirigeants. Ces questions sont adressées aux dirigeants
qui seront en principe tenus d’y répondre lors de l’assemblée générale qui a été convoquée.
Ce droit à question est accordé à tout actionnaire sans aucune condition de détention comme
un nombre minimal d’actions. De plus, le nombre de questions n’est absolument pas
contraint.

226 – Le droit de communication permanent en complément – En parallèle, il existe un


droit de communication permanente offrant la possibilité à chacun des actionnaires de prendre
connaissance des documents sociaux de l’article L225-115, ce qui recouvre une partie de ceux
disponibles avant les assemblées générales mais aussi les procès-verbaux, feuilles de présence
des trois dernières assemblées générales. A ceci s’ajoute un droit de poser des questions
écrites en dehors de toute assemblée aux dirigeants, ces derniers étant tenus de répondre dans
un délai de deux mois, sur toute opération de gestion. Cependant il est exigé que les
actionnaires aient entre leurs mains au moins 5% du capital social. De plus, tout fait de nature
à compromettre la continuité de l’exploitation permet à n’importe quel actionnaire de poser
des questions écrites deux fois maximum durant l’exercice aux dirigeants490. Ce droit
permanent est complémentaire et cumulatif avec le précédent. Or, la logique devrait être
inverse si l’on opte pour une vision démocratique. En effet, dans une démocratie, l’accès aux
informations à n’importe moment participe à la fois de la transparence et d’une circulation des
informations. Tout au plus, cet accès se renforce en certaines occasions comme les campagnes

490
MERLE P., FAUCHON A., Droit commercial – sociétés commerciales, Dalloz, Droit Privé, 2018, p. 618-
619.

215
électorales. Dans les sociétés par actions, il semble que l’effort se porte principalement
lorsque les citoyens sont convoqués aux assemblées générales et dans l’unique but de prendre
une décision. Il serait pourtant envisageable de rééquilibrer le système afin de faciliter des
interactions actionnaires-dirigeants dans un cadre plus ouvert que celui qui existe à l’heure
actuelle.

227 – Les sanctions, levier de l’effectivité – Dans le but d’assurer l’effectivité de ces
régimes, le législateur a mis en place un ensemble de sanctions complémentaires Jusqu’en
2001 avec la loi NRE, le système de sanctions était mixte : pénal et civil. Concernant le volet
pénal, celui-ci prévoyait une peine d’amende qui a été supprimé car peu mis en œuvre et
considéré comme redondant avec d’autres dispositifs. Concernant le volet civil celui-ci s’est
enrichit en quelques années des injonctions de faire. Plusieurs moyens d’action sont offerts à
l’actionnaire s’estimant privé d’information ou entravé dans ses tentatives d’obtention491. Au
moindre refus de communication, l’actionnaire a en premier recours la possibilité de saisir sur
requête le président du tribunal de commerce compétent pour obtenir une injonction rendue en
la forme des référés qui peut être assortie d’une astreinte le cas échéant (L238-1 C. Com).
Tous les devoirs d’information sont concernés par ce mécanisme. En outre, il est aussi
possible en deuxième recours pour l’actionnaire victime d’un non-accès à l’information d’agir
en responsabilité afin d’obtenir des dommages-intérêts. La condition essentielle pour que
cette action aboutisse est la nécessité de démontrer l’existence d’un préjudice. En troisième
recours, l’actionnaire peut demander l’annulation de l’assemblée générale : seul est alors
concerné le droit de communication préalable.

228 – Un système vertueux au regard des principes du mythe démocratique ? – Au


regard d’une vision démocratique des sociétés par actions, un tel système apparaît très
complet et semble peu susceptible de présenter des défauts. Il a pour vertu de créer un
véritable cycle de production de l’information accompagné de sanctions fortes permettant
d’en assurer l’effectivité. Le droit à l’information pèse sur des émetteurs clairement
identifiés : les organes de décision quel qu’ils puissent être. Il est organisé en direction d’une
seul destinataire, l’actionnaire citoyen. De plus, le contenu de ces informations est
réglementé en détail ce qui accroît la transparence et la capacité pour les actionnaires de se
décider en ayant une image la plus fidèle possible de la situation de la société.

491
MERLE P., FAUCHON A., op. cit., p. 619-620.

216
Mais cette louable volonté se heurte parfois à certaines réalités, posant ainsi la question de
l’efficience d’un tel accroissement de l’exigence de transparence.

Paragraphe 2 – Une efficacité en question

229 – Les limites de l’abondance d’information – Les informations à produire pour la


société et surtout ses dirigeants à l’égard des actionnaires atteignent un volume des plus
importants. Or, l’on peut se demander si une telle production quantitative est des plus adaptée,
surtout au regard des informations qui doivent être transmises. Par exemple, l’article L 225-
115 du Code de Commerce relatif au droit permanent d’information des actionnaires précise
les documents dont ces derniers peuvent avoir connaissance. Le 1° précise ainsi qu’ils
peuvent obtenir communication de l’inventaire, des comptes annuels ou comptes consolidés,
ou encore de la liste des membres du directoire et du conseil de surveillance. Si concernant la
liste des administrateurs en question, n’importe qui est en mesure de comprendre
l’information, il n’est pas forcément évident pour un profane de déchiffrer avec toute la
pertinence requise les données issues des comptes ou de l’inventaire, surtout dans le cas d’une
société du CAC 40 ou du Dow Jones. Quant au rapport de gestion cité à l’article L225-100 du
Code de Commerce, certains auteurs n’hésitent pas à le qualifier de rapport « fourre-tout »492.
Autrement dit la difficulté principale réside dans la « diffusion d’une information hiérarchisée
et pertinente pour l’actionnaire individuel, brute et massive pour les investisseurs
institutionnels, sincère dans tous les cas de figure »493. Encore une fois, le Législateur a
préféré privilégier une vision homogène de la société anonyme et de la figure de l’actionnaire
en ne procédant pas à une véritable distinction dans ce domaine. Que l’actionnaire soit un
véritable professionnel ou un petit porteur profane, les informations disponibles demeurent les
mêmes, à charge le cas échéant pour l’actionnaire de recourir à des prestataires extérieurs
voire de s’appuyer sur les commissaires aux comptes, des experts de gestion le cas échéant ou
tout simplement de poser la question aux dirigeants censés répondre avec toute la loyauté et
donc, la clarté requise. Dans la pratique, malgré le développement d’associations de petits
porteurs qui sont très actives sur la question, cette catégorie d’actionnaires n’a pas encore
acquis le réflexe d’aller chercher et surtout de se doter des moyens de traiter ces informations.
De plus, un accès surabondant à l’information n’est pas toujours une bonne chose. En effet, si
le bon fonctionnement des marchés financiers repose sur la confiance et la transparence,

492
COZIAN M., DEBOISSY F., VIANDIER A., op cit, p.281.
493
FRISON-ROCHE M-A. et BONFILS S., op cit, p.184.

217
celles-ci doivent s’exercer dans certaines limites et spécialement la transparence494. Trop
d’informations dans des domaines variés ne peut que nuire aux sociétés. Les sociétés sont en
concurrence pour conquérir des marchés : or, l’information est aussi une ressource précieuse à
protéger et peut s’inscrire dans des démarches de compétition.
Pour se représenter clairement la problématique, il suffit d’évoquer l’image du cheval de
Troie. Ainsi, lorsqu’une société voit ses titres admis aux négociations sur les marchés
réglementés, il suffit qu’un concurrent acquiert une seule de ses actions pour avoir accès à de
nombreuses informations stratégiques et plus spécialement dans le domaine comptable ou
financier, simplement en utilisant toutes les ressources légales à sa disposition depuis
l’expertise de gestion jusqu’aux questions aux dirigeants.

230 – Le foisonnement des dispositions, facteur de complexité – Outre cette éventuelle


abondance d’information, le caractère foisonnant de la législation en la matière peut aussi être
pris en considération : les dispositions sont empilées en couches successives et disparates sans
bénéficier d’un régime commun. La distinction entre droit de communication occasionnel et
permanent par exemple rend l’approche plus difficile car ne recouvrant exactement les mêmes
documents. A ceci s’ajoute le fait que l’information produite est tantôt quérable, tantôt
portable. Or, pour un actionnaire cette différence est loin d’être négligeable ne serait-ce qu’en
terme de coûts et pourtant, lorsqu’il exerce son droit d’information permanent, il est soumis à
ce régime. L’actionnaire va potentiellement se heurter à trois obstacles : avoir connaissance
de l’existence de ce droit permanent, déterminer les documents auxquels il a accès, se
déplacer en conséquence.
Du point de vue de la démocratieactionnariale, la problématique peut s’envisager de la façon
suivante : le citoyen actionnarial a vocation à être informé afin de participer à la prise de
décisions engageant la société dont il est membre. Dans les régimes démocratiques,
l’information dont bénéficie le citoyen est un élément fondamental révélateur du bon ou du
mauvais fonctionnement du corps civique. Plusieurs limites viennent amoindrir l’intérêt du ou
plutôt des régimes d’information mis en place.

231 – Le traitement de l’information et la capacité de l’actionnaire – Tout d’abord, le


foisonnement des informations contient son propre poison. En effet, la masse d’information
disponible ainsi que sa forme ne sont pas à la portée du citoyen lambda. La question se

494
COURET A. et alii, op cit, p.20 et suiv.

218
dédouble alors entre le traitement de la masse elle-même de documents et le contenu même
qu’ils véhiculent. Rien n’est prévu en principe concernant cette lisibilité de l’information. La
charge de la formation, de la compréhension, pèse alors sur l’actionnaire. En cela, il n’est pas
un citoyen comme les autres et doit faire l’effort de s’informer voire se former par lui-
même495. Au contraire des systèmes démocratiques classiques, nulle école ni corps de
spécialistes de l’information comme les journalistes pour l’accompagner dans le traitement de
l’information. La masse pléthorique d’éléments sur la marche de la société ainsi que la
technicité des documents accessibles ne sont pas à la portée de tous. La conciliation est
difficile avec une vision économique consistant à considérer que celui qui souhaite investir ou
participer à la création d’une société par actions à en principe vocation à se former pour
pouvoir suivre la marche des affaires de la société. En outre, produire une telle masse
d’informations sous des formats différents souvent réglementés dans leur présentation alourdit
d’autant les coûts de gestion, ce qui peut conduire certaines résistances à sa mise en œuvre
effective car les frais reposent le plus souvent sur la société elle-même. A rebours de droit
d’information qui peut exister en droit des contrats, l’actionnaire dépend entièrement soit de
sa capacité à solliciter des experts, soit de la pédagogie dont feront ou non preuve les autres
organes à son égard pour répondre à ses interrogations.

232 – Quérabilité ou portabilité de l’information : un obstacle suranné ? – Ensuite,


conserver une distinction entre information quérable et portable devient de plus en plus délicat
alors que les moyens de communication ont profondément évolué496. Il serait tout à fait
possible de concentrer ce droit à l’information sur une possibilité de se faire communiquer à
tout moment certains documents sans avoir besoin d’aller les chercher par soi-même ou du
moins de garder cette dernière en dernier recours. Pour le citoyen actionnaire, cela
contribuerait grandement à son accessibilité. Surtout, il serait intéressant de concevoir un
régime unifié d’accès aux divers documents sociaux ne serait-ce qu’en s’inspirant voire en
généralisant ce qui existe pour les très grands groupes sociaux. L’accès aux documents
sociaux pourrait alors se faire soit par le biais du site internent de la société, soit en utilisant
les services dématérialisés du registre du commerce et des sociétés. La première solution est
un coût supplémentaire pour les sociétés et aurait vocation à ne concerner que des sociétés de
moyenne ou grande importance, là où la seconde pourrait être mise en œuvre pour les plus

495
REYGROBELLET A., Les vertus de la transparence – L’information légale dans les affaires, Presses de
Sciences Po, Bibliothèque du décideur, 2001, p. 73-106.
496
REYGROBELLET A., op. cit., p. 129-149.

219
petites entités, le coût étant mutualisé et confié à un service public tenu par des officiers
ministériels.

233 – Effets pervers et difficultés d’obtention des sanctions – Enfin au regard du régime
des sanctions prévues, celui-ci n’est pas toujours des plus satisfaisant. En effet, celui-ci repose
avant tout sur la société : les informations doivent certes être établies ou fournies sous la
responsabilité des organes dirigeants. Mais, in fine, seule la société sera condamnée à verser
des dommages-intérêts ou devra supporter les éventuelles astreintes. Dès lors peut se poser la
question de l’efficacité réelle de ce système de sanctions : la société va se retrouver à faire
écran et à protéger les dirigeants non coopératifs. Ces derniers pourront rendre l’accès aux
documents sociaux plus difficiles tout en mettant en place des provisions comptables afin
d’absorber les différentes actions lancées contre la société. Ceci étant un tel comportement
abusif est limité par la possibilité d’obtenir la nullité de l’assemblée générale. Celle-ci obéit à
un régime étroit en matière de délai : le droit des sociétés tend à protéger les décisions prises
en assemblées et à réduire le champ des nullités. Le bénéfice de ce régime est réservé aux
actionnaires les plus diligents, ce qui explique sans doute en partie le succès de l’activisme
actionnarial. De plus, un autre élément apparaît critiquable. En cas d’action en responsabilité,
l’actionnaire doit démontrer un préjudice personnel. Or, la jurisprudence se montre bien peu
accueillante envers de telles demandes et il est extrêmement rare qu’elle reconnaisse aux
actionnaires victimes un préjudice notamment financier. Par conséquent, seule la menace
éventuelle d’une action en nullité représentera un moyen véritablement efficace aux mains des
actionnaires pour disposer des informations mais cette efficacité est à relativiser au regard des
délais nécessaires à leur mise en œuvre.

234 – Le particularisme du droit à l’information dans les SAS – Ces défauts sont partagés
par les sociétés anonymes et les commandites par actions. Ils sont autrement plus importants
dans le cadre des sociétés par actions. Dans ce type de société, le citoyen actionnaire ne
bénéficie pas des mêmes garanties, même si ces dernières sont encore imparfaites comme on
vient de l’évoquer. Concernant le fondement de ce droit, aucun texte ne le prévoit
explicitement. Pour de nombreux auteurs néanmoins497, il existerait un principe général
découlant notamment de la définition posée par un arrêt de cour de cassation portant rendu à

497
GUYON Y., Présentation générale de la SAS, Rev. Sociétés 1994, p. 213 ; LE CANNU P., Un nouveau lieu
de savoir-faire contractuel : la SAS, Defrénois 1994, p.1355 ; STORCK M., Les associés de la SAS, LPA 15 sept
2000, p.44 ; GODON L., SAS, Dict Joly oct. 2008 n°240 ; PERIN P-L, L’information des associés des sociétés
par actions simplifiées, D 1997 n°33.

220
propos d’une SA498. Selon la formule rapportée, « les actionnaires doivent disposer des
informations leur permettant de se prononcer en connaissance de cause sur les motifs,
l’importance et l’utilité de cette opération au regard des perspectives d’avenir de la
société »499. L’étendue de ce principe reste toutefois à préciser car « l’idée générale étant que
l’information est le moyen permettant d’exercer un pouvoir de décision, on pourrait dire que
le droit à l’information comporte tout ce qui est nécessaire, mais rien que ce qui est
nécessaire, à la prise de décision »500. Cela va de pair avec le rôle très important confié aux
statuts : il est laissé aux rédacteurs le soin de prévoir ou d’aménager des droits de
communication de documents. Il serait même possible d’entériner une véritable
différenciation dans les droits d’accès aux documents, participant ainsi d’une véritable rupture
d’égalité entre actionnaires. Tout au plus est-il prévu quelques obligations s’agissant des
comptes et du rapport de gestion, lorsque le capital est modifié ou la société transformée voire
en cas de fusion. Néanmoins dans toutes ces hypothèses, si le régime est calqué sur les autres
sociétés par actions, les documents à fournir ne sont pas aussi complet. A titre d’exemples, la
liste des administrateurs, les informations concernant les éventuels candidats, la liste des
autres mandats détenus par les membres des organes dirigeants, leur rémunération
individuelle ou encore la liste des personnes les mieux rémunérées ne sont pas prévues par la
loi. Autrement dit, la SAS se caractérise par un flou particulièrement important en matière
d’information. Si le principe y est reconnu, sa mise en œuvre est réduite à sa portion congrue
et favorise un système oligarchique bien éloigné du mythe démocratique. Il ne serait pas
inutile de bâtir un véritable régime de production, de communication et d’accès aux
documents sociaux mais comment y parvenir devant la malléabilité organisationnelle de la
SAS ?
Au vu de ces éléments, il est très difficile de trancher quant à la quantité et la qualité des
informations qui peuvent être communiquées aux actionnaires, surtout lorsque l’on considère
le caractère mouvant de l’actionnariat ainsi que les catégories différentes qui le peuplent.
Peut-être est-ce le prix à payer pour un fonctionnement satisfaisant des sociétés anonymes et
limiter l’opportunisme des dirigeants face à leurs actionnaires et au détriment de l’entité qu’ils
sont censés représenter.

498
Com 20 mars 2007 n°05-19225 SA Hexagone Hospitalisation Ile-de France c/ sté La Roseraie Clinique
Hôpital, Dr. Sociétés mai 2007, p.17 obs. LECUYER.
499
Extrait de l’attendu de principe et analyse développée par GERMAIN M., PERIN P.-L., SAS – La société par
actions simplifiée – Etudes – Formules, Joly Ed., 2013, 5e éd., p. 263-269.
500
Op. cit., p.264

221
Section 2 – Les mécanismes de responsabilité des dirigeants

235 – Dirigeants sociaux, politiques et responsabilité – A l’instar de tout mandataire, les


dirigeants sont responsables envers leurs mandants. A ce titre, ils doivent rendre compte de
tous leurs actes à ces derniers et sont exposés à une révocation à tout moment qu’ils aient ou
non accompli correctement leurs missions. Néanmoins, cette révocation ne doit pas se faire de
mauvaise foi. Quelques lignes suffisent à exposer un régime aussi ancien que le droit romain,
substrat d’origine de ce dernier. Le droit des sociétés prolonge ce mécanisme en ayant
consacré un certain nombre de dispositions à cet effet. Les mandataires sociaux partagent,
outre ce terme de mandataire, un régime de responsabilité assez proche dans l’esprit. Désignés
par les associés, ils ont différentes missions à accomplir à ce titre. Ces missions, le cadre dans
lequel ils doivent en rendre compte auprès des associés ont été particulièrement réglementé
dans les sociétés par actions notamment dans les sociétés anonymes. Au regard du mythe
démocratique, il s’agit là de l’un des terrains de prédilection de l’analogie entre société et
démocratie en miniature. La tentation de l’assimilation entre dirigeants sociaux et dirigeants
politiques voire fonctionnaires y apparaît forte. Le vocabulaire ainsi que les analyses à
coloration politique, vecteurs de l’analogie, offrent de précieuses clés d’analyse sur deux
plans complémentaires. En premier lieu, l’analogie démocratique permet de saisir la question
de la légitimité des dirigeants dans l’organisation sociale. En second lieu, elle contribue à
l’identification du périmètre de la responsabilité de ces derniers. Elle facilite la mise en
lumière des enjeux et des conséquences des différents régimes envisageables en complément
d’autres grilles de lecture. Elle a d’ailleurs accompagné depuis le XIXe siècle la construction
progressive du régime de responsabilité des dirigeants de sociétés par actions.
La mise en jeu de leur responsabilité s’opère dans un cadre apparemment ouvert, favorable à
l’analogie démocratique, mais qui en réalité s’avère pour le moins étroit dans sa mise en
œuvre (paragraphe 1). Les différents mécanismes retenus par le législateur attirent de
nombreuses critiques parfois cruellement mises en lumière ou concurrencées par l’analogie
démocratique (paragraphe 2).

Paragraphe 1 – Une responsabilité encadrée

236 – La libre révocabilité comme principe originel de responsabilité politique – La


notion de responsabilité des dirigeants est ici à entendre en son sens le plus large. Ceci
précisé, la responsabilité des dirigeants envers les tiers ne sera pas évoquée, ne nous

222
intéressant qu’aux mécanismes internes autrement dit envers la collectivité des actionnaires
que l’on considère ceux-ci comme de simples mandants ou comme des actionnaires-citoyens.
De prime abord, la responsabilité politique des dirigeants est en permanence engagée devant
ses concitoyens actionnaires. En effet, ils sont sous le coup du mécanisme de la révocation
« ad nutum ». Ils sont, en permanence, librement révocables et ce, qu’il s’agisse d’un
directeur général, d’un membre du directoire ou d’un membre d’un des conseils (surveillance
ou administration). Cette règle de la libre révocabilité a été consacrée par la jurisprudence
comme d’ordre public501. Dès lors, en dépit de toutes les constructions que pourraient
imaginer les parties pour la rendre plus compliquée voire impossible, le juge ne pourra que
sanctionner de telles dispositions. Par exemple, dans une société fermée de type familial502, la
conclusion d’un pacte entre les membres de la famille réglant l’accès au poste de président du
conseil d’administration en l’attribuant expressément à l’un d’eux ne peut en aucun cas faire
obstacle au principe de libre révocabilité503. Tant qu’il ne s’agit que de régler l’accès aux
fonctions de dirigeants, de telles clauses ou conventions seront valables : seule la limitation au
pouvoir de révocation est impossible.

237 – Le contrôle des clauses et conventions limitant le droit de révocation – De même,


lorsqu’il existe une convention entre la société et le président du conseil d’administration
prévoyant que la première doit racheter les actions détenues par le second s’il est révoqué à un
prix minimum, voire au double de leur prix normal au jour de la cession, un tel accord ne peut
que restreindre les possibilités de révocation, surtout si la société est particulièrement
valorisée sur les marchés ou chroniquement à court de trésorerie et donc incapable de payer.
Par conséquent, une telle convention doit être annulée504. Plus généralement, toute clause ou
accord, statutaire ou extrastatutaire, doit être annulée ou considérée comme non-écrite dès lors
qu’elle supprime ou limite le droit de révocation des dirigeants sociaux et ce, à jurisprudence
constante depuis les lois sur les dirigeants de sociétés anonymes des années quarante505. Le
juge apprécie cependant subjectivement, au cas par cas, l’éventuelle impossibilité ou
limitation à ce droit, recherchant le cas échéant « les conséquences de la convention sur le

501
GERMAIN M., MAGNIER V., Traité de droit commercial de G. RIPERT et R. ROBLOT, T.1 vol.2, Les
sociétés commerciales, LGDJ, 22e édition, 2017, p. 483-484.
502
VERLEY P., Entreprises et entrepreneurs du XVIIIe siècle au début du XXe siècle, Hachette, coll. Carré
Histoire 1994, p.97.
503
CA Paris 9 mars 2001 Bull Joly 2001 p.865 Note P. Scholer.
504
CA Paris 30 octobre 1976 Rev soc 1977 p.695 note D. Schmidt.
505
GERMAIN M., MAGNIER V., op. cit, p.424-425.

223
patrimoine du débiteur, et notamment l’incidence du versement éventuel de l’indemnité sur
les décisions de l’actionnaire majoritaire débiteur »506.

238 – La théorie des incidents de séance, pivot de la libre révocation – Le corollaire de


cette libre révocation est celui de la théorie des incidents de séance : un dirigeant peut être
révoqué sans que la question de celle-ci ait été explicitement incluse à l’ordre du jour de
l’enceinte qui délibérait (assemblée ou conseil). Comme un auteur507 a pu le résumer, c’est la
pratique qui au XIXe siècle avait mis en place un mécanisme de protection afin d’éviter un
renvoi si une coalition de hasard venait à se former en assemblée. La fixation d’un ordre du
jour précis devait en principe empêcher un tel événement de se produire car s’il advenait, la
révocation n’ayant pas été prévue par celui-ci, elle était alors considérée comme invalide.
Aucune révocation n’était possible sans l’aval de l’organe compétent. Mais une telle position
revenait à empêcher toute révocation dans les faits par l’assemblée. Les actionnaires n’étaient
alors plus en mesure de procéder à d’éventuelles révocations rendues nécessaires en cas de
désaccords profonds. La jurisprudence de l’époque a proposé d’autoriser la révocation mais
seulement en cas d’incident de séance, entendu comme toute révélation imprévue justifiant
d’y recourir. Dans cette lignée, la loi de 1966 est allée plus loin en écartant tout respect de
l’ordre du jour508. Quelles que soient les circonstances, l’assemblée dispose d’un droit de
révocation des administrateurs. Par ce biais, les actionnaires disposent d’un moyen, efficace et
sans entraves, de révoquer les dirigeants à tout moment lorsqu’est réunie l’assemblée
générale.

239 – La nécessité de justes motifs pour les directeurs généraux et les membres du
directoire – Cependant concernant les directeurs généraux et les membres du directoire, le
mécanisme est à nuancer. Ceux-ci ne peuvent être révoqués aussi discrétionnairement que les
autres administrateurs au sens large. En effet, il est prévu que leur révocation ne puisse

506
Cass com 2 juin 1992 Bull Joly 1992 p.1078.
507
GERMAIN M., MAGNIER V., op. cit, p. 483 : « la pratique avait imaginé un obstacle d’ordre technique
pour mettre les administrateurs à l’abri du vote hostile d’une majorité de hasard. L’assemblée ne peut délibérer
valablement, en principe, que sur les questions mises à l’ordre du jour par le conseil d’administration. On a
donc soutenu que, si la question de la révocation ne lui était pas posée, elle ne pouvait en délibérer valablement.
L’application rigoureuse de cette règle présentait toutefois l’inconvénient d’empêcher une révocation justifiée
quand tout le conseil solidaire n’inscrivait pas la question à l’ordre du jour. La jurisprudence a admis alors un
assouplissement en autorisant l’assemblée à prononcer la révocation, même dans le silence de l’ordre du jour,
quand les débats faisaient surgir un incident de séance, c’est-à-dire une révélation imprévue imposant d’urgence
la révocation ».
508
Article 160 de la loi de 1966 relatives aux sociétés, devenu depuis C. Com L 225-105.

224
intervenir que sur « justes motifs »509 : autrement dit, il convient de leur donner les raisons de
leur renvoi et de la non-continuation de leur collaboration avec l’entreprise. Les juges
apprécient souverainement mais surtout largement le juste motif qui peut aller de la faute
commise par le dirigeant jusqu’à la réorientation nécessaire de la stratégie de la société en
passant par la divergence de vues avec l’associé majoritaire ou le fait de ne pas atteindre
certains objectifs. Cette règle peut se comprendre si l’on considère la situation des directeurs
généraux et les membres du directoire : dans les entités de moyenne ou grande taille, ceux-ci
sont le plus souvent des « managers », des spécialistes recrutés en principe pour leurs
aptitudes510. En caricaturant, on peut dire que ces dirigeants ont une situation plus proche du
contrat de travail que du mandat et donc, nécessitant de justes motifs pour être révoqués. Il
peut être utile de rappeler que ces dirigeants n’ont plus à détenir le moindre titre de la société
pour laquelle ils mobilisent leurs talents sauf si les statuts l’imposent. La loyauté de ces
derniers ne repose plus sur l’appartenance à la même communauté d’intérêts que les citoyens
actionnaires mais sur l’éventuelle crainte d’une révocation prématurée. Ceci exposé, le fait de
ne pas respecter ces règles n’entraînera pas la réintégration du dirigeant révoqué mais se
traduira par l’obtention de dommages-intérêts qui peuvent avoir une incidence parfois non
négligeable sur la vie de la société.

240 – La révocation ad nutum, aboutissement démocratique ? – A première vue, la


possibilité de révocation ad nutum sonne comme un aboutissement des théories
démocratiques, voire surtout de l’avènement de la démocratie directe, les dirigeants étant en
permanence sous le coup d’une potentielle motion de censure pouvant provoquer leur
destitution à chaque réunion de l’agora des citoyens. Cependant, la jurisprudence est venue
fortement tempérer la pureté du mécanisme original. En effet, cette destitution ne doit ni se
faire dans des conditions vexatoires pour l’administrateur révoqué, ni au détriment du principe
du contradictoire511. Autrement dit, l’administrateur concerné doit avoir eu suffisamment de
temps pour pouvoir le cas échéant répondre et tenter peut-être de convaincre les auteurs de la
révocation de changer d’avis. Il doit disposer ainsi des droits traditionnellement accordés à la
défense. Surtout, il ne peut être brutalement mis à la porte ou dans des conditions
particulièrement humiliantes, la jurisprudence étant emplie d’exemples plus ou moins
édifiants à cet égard. Du point de vue démocratique, la possibilité de présenter des

509
Article L225-55 C Com pour le directeur général et L225-61 C Com pour le directoire.
510
VERLEY P., op cit, p.140 et suiv.
511
GERMAIN M., MAGNIER V., op cit, p.424-425.

225
explications, de créer un espace de discussion entre le peuple actionnarial et le dirigeant
présente une certaine cohérence. En effet, cela favorise ce que d’aucuns ont pu théoriser sous
le terme « d’éthique de la discussion » et rattacher à la démocratie. Le pouvoir de révocation
est aux mains des actionnaires mais ne doit pas s’exercer avec brutalité, ni sans explications.
Ainsi, se trouve consacrée l’aversion au pouvoir qui caractérise les systèmes démocratiques,
tendant à enserrer tout pouvoir potentiellement discrétionnaire dans des limites étroites.

241 – Responsabilité et actions sociales – Les administrateurs, aux termes des articles L225-
251 et suivants du Code de Commerce, peuvent aussi voir leur responsabilité engagée envers
les actionnaires et la société à raison de leurs fonctions : c’est le mécanisme de l’action
sociale. Administrateurs, directeurs généraux et membres du directoire peuvent voir leur
responsabilité engagée dès lors qu’ils ont commis des fautes de gestion, ont agi en violation
des dispositions statutaires, ou commis des infractions aux dispositions législatives ou
réglementaires relatives aux sociétés anonymes. Cette action porte deux noms selon la
personne qui l’exerce : lorsque c’est la société elle-même, elle est dite « ut universi », et
lorsqu’il s’agit d’un actionnaire, elle est « ut singuli ».

242 – L’action sociale comme élément du mythe démocratique – Ce mécanisme n’a a


priori rien à voir avec une vision démocratique de la société. Pourtant, les tenants d’une telle
lecture y voient un prolongement de leurs thèses en ce que l’action a été étendue à tout
actionnaire : chaque citoyen peut ainsi intervenir dans l’intérêt et la défense de tout le corps
social, autrement dit de la société. Une association d’actionnaires peut aussi la déclencher
mais en respectant certaines conditions de seuil, parfois complexe à obtenir dans de très
grandes structures du fait de la dispersion des titres512. A cet égard, l’action « ut singuli »
comme sa version « ut universi » ont vocation à profiter à la société et non aux associés
directement, il s’agit par ce biais de protéger le corps social et non chacun des actionnaires, le
préjudice de l’être social et non celui du citoyen même atteint collectivement. D’une certaine
façon, chacun des citoyens peut être amené à exercer le rôle de gardien des intérêts de la
communauté, ce qui rapprocherait ce mécanisme de la démocratie directe. Il est possible de
considérer ce mécanisme comme un moyen de faire respecter l’état de droit en passant par la
voie judiciaire. D’une certaine façon, les actionnaires agissant contre leurs dirigeants seraient
dans une position similaire à celle de citoyens agissant contre leurs gouvernants en sollicitant

512
Article L225-121 C Com ; à titre d’exemple, dans une société au capital de 15 000 000 d’euros, il faudrait
réunir au moins 150 000 actions pour atteindre le seuil de 1%.

226
la voie judiciaire par l’entremise de la responsabilité de l‘Etat, à la seul différence que l’action
est directement intentée contre les organes dirigeants pris dans leur propre personnalité. Ceci
précisé, un ou plusieurs actionnaires lésés peuvent demander la reconnaissance d’un préjudice
distinct s’ils arrivent à prouver que l’attitude reprochée aux dirigeants leur a causé un
dommage particulier et qui ne soit pas recouvert par celui subi par la collectivité incarnée par
la société. Ce qui est particulièrement compliqué en pratique513. La mise en responsabilité des
dirigeants prend plusieurs formes et emprunte plusieurs voies mais toutes ne sont pas parfaites
et prêtent le flanc à des critiques plus ou moins pertinentes au regard de la volonté affichée de
protéger l’actionnaire.

Paragraphe 2 – Des mécanismes critiqués

243 – Du politique à la responsabilité civile – Les critiques encourues par les mécanismes
de responsabilité des dirigeants se concentrent essentiellement autour de deux aspects. Le
premier aspect relève de la sphère purement politique c’est-à-dire la possibilité de révocation
par les actionnaires réunis en assemblée générale. Il concerne l’affaiblissement supposé du
principe de libre révocation ainsi que le fondement de phénomène. Le second aspect a pour
terrain d’élection la responsabilité civile des dirigeants et s’attache aux conditions dans
lesquelles cette responsabilité peut être mise en œuvre.

244 – La libre révocabilité à l’épreuve du respect du principe du contradictoire –


Relativement à la mise en jeu de la responsabilité des administrateurs par le jeu de la libre
révocation, l’ajout des conditions précédemment énoncées ne favorise pas vraiment sa mise
en œuvre. Si le recours aux conditions vexatoires peut se comprendre au vu de la théorie de
l’abus de droit et ne semble pas incompatible avec la notion de démocratie actionnariale –
l’opposition doit être respectée même lorsqu’elle quitte le pouvoir au nom de l’alternance514 –
imposer le principe du contradictoire est un peu plus malaisé. Même au regard d’une lecture
contractuelle, il est de l’essence du mandat de pouvoir révoquer à tout instant son mandataire
et ce, sans que ce dernier ait la possibilité de se défendre, n’étant en aucun cas en position
d’accusé515. Tout au plus est-il possible d’envisager le respect de la bonne foi ou à la rigueur
le rejet de toute révocation vexatoire pour le mandant. Quoiqu’il en soit, les administrateurs

513
COZIAN M., DEBOISSY F., VIANDIER A., Droit des sociétés, Litec, 21e édition, 2008, p.128.
514
GICQUEL J. et J-P., Droit constitutionnel et institutions politiques, LGDJ, 31e édition, 2017, p.261.
515
Article 2004 du Code Civil relatif à la libre révocabilité du mandataire ; Cass Civ1 2mai 1984, Bull.I n°143.

227
doivent être mis en mesure de présenter une défense et de pouvoir s’expliquer et donc, d’avoir
suffisamment de temps pour le faire. Pour certains auteurs, la question de la pertinence du
maintien de ce principe demeure516. En effet, il ne s’agit pas à proprement parler d’une
mesure relevant de l’odre disciplinaire. Ce n’est pas véritablement une sanction mais un droit
discrétionnaire, plus proche de la logique traditionnelle du contrat de mandat. En outre,
imposer le respect du contradictoire heurte en apparence la possibilité d’une libre révocation
car exigeant le respect d’un certain formalisme. En principe, elle n’exige ni motifs, ni préavis,
ce qui rend difficile de déterminer sur quoi va peser cette exigence de respect du
contradictoire. Toutefois, la jurisprudence n’est pas allée au bout du principe. Elle n’exige
qu’un contradictoire miminum permettant de sanctionner d’éventuelles circonstances
vexatoires. Le dirigeant en passe d’être révoqué doit être averti, par tous moyens, même
informels, que la question est posée. Une telle configuration lui permet alors de se défendre
ou, tout du moins, d’être en mesure d’exposer d’éventuels contre-arguments ou de tenter de
retourner la décision en sa faveur.

245 – La théorie des incidents de séance face au principe du contradictoire – Autrement


dit seule une certaine sagesse de la jurisprudence permet à ces conditions de ne pas scléroser
le mécanisme de libre révocabilité. Ceci dit, au regard de la théorie des incidents de séance, il
est possible de demeurer dubitatif. En effet, on peut se demander où commence
« l’embuscade tendue au dirigeant ? »517 Surtout, comment avertir à l’avance un dirigeant de
son éviction lorsque celle-ci se décide au cours d’une assemblée suite à une motion rejetée et,
si l’on peut dire à la dernière minute, sans concertation préalable, ni la moindre
préméditation ? Le respect du contradictoire peut alors s’avérer délicat à respecter à la lettre.
Ainsi, pour qu’une telle condition puisse encore être exigée, la jurisprudence devra continuer
à faire montre d’une certaine souplesse sous peine de favoriser le phénomène d’enracinement
des dirigeants français518.

516
COZIAN M., DEBOISSY F., VIANDIER A., Droit des sociétés, Litec, 21e édition, 2008, p. 221 : « Si la
solution est bienveillante pour les dirigeants, elle n’emporte pas nécessairement la conviction. Pourquoi faire
appel en la matière au principe du contradictoire puisque la révocation n’est pas une mesure disciplinaire ?
Surtout, comment concilier l’exigence d’un débat contradictoire avec la règle classique découlant du principe de
libre révocabilité selon laquelle la révocation peut intervenir à tout moment sans indication des motifs et sans
préavis ? Reste que cette exigence d’un débat contradictoire ne doit pas être surestimée, les juges se contentant
de condamner l’embuscade tendue au dirigeant. Il suffit donc que l’intéressé ait été averti, même de façon
informelle, que la question de sa révocation sera posée pour que le principe du contradictoire soit respecté ».
517
Idem
518
CAUSSAIN J-J., Le gouvernement d’entreprise – Le pouvoir rendu aux actionnaires, Litec, 2005, p.97-98.

228
246 – Les justes motifs frein à la libre révocabilité ? – Certains auteurs vont même plus
loin en demandant la généralisation du recours aux justes motifs pour tous les
administrateurs : « l’assemblée élit le conseil, mais un administrateur élu fait partie d’un
organe légal de direction. Le mandat donné aux représentants de la nation ne peut être
révoqué que par ceux qui l’ont conféré. Le mandat d’administrateur a le même caractère que
le mandat public. Il ne devrait pouvoir être révoqué que pour justes motifs et sous le contrôle
de la justice »519. Pourtant, lors des élections, les élus remettent en jeu leur mandat et il ne
semble pas que les électeurs aient à fournir le moindre « juste motif » quand ils choisissent de
ne pas les reconduire dans leurs fonctions.

247 – Principes de motivation et de discussion comme fondements démocratiques à


l’encadrement de la libre révocation – Du point de vue du mythe démocratique, il est très
difficile de trancher la question car les éléments de solution envisageables favorisent aussi
bien le retour à une vision de la révocation ad nutum que le maintien, voire la généralisation
des mécanismes actuels de protection des dirigeants. Une première série d’arguments est
mobilisable dans le sens d’une critique de l’existence de justes motifs ou du respect d’un
principe contradictoire. Tout d’abord, le fondement mobilisé apparaît discutable. Le recours
au contradictoire est certes particulièrement séduisant en ce qu’il permet la discussion et
partant la possibilité d’éclairer encore plus les actionnaires. Il est possible d’y voir un élément
de la reddition de comptes à laquelle tout dirigeant est soumis. Mais plutôt que d’évoquer le
principe du contradictoire, il serait plus juste de considérer qu’il s’agit là d’un principe de
discussion accordé aux organes en passe d’être révoqués. Il est vrai que la distinction est pour
le moins byzantine surtout lorsque l’on considère que le principe du contradictoire est un
principe commun, propre à toute enceinte de discussion. Certains auteurs ont d’ailleurs relevé
que celui-ci ne relevait pas uniquement de la figure processuelle. La contradiction est un
principe démocratique qui transcende l’enceinte du procès et accompagne la possibilité de
s’exprimer, de répondre de débattre. Par conséquent, accorder ce bénéfice à des dirigeants
remis en question sur leur mandant ne paraît définitivement pas absurde. De surcroît, cela
n’est pas totalement incompatible avec la théorie des incidents de séance en ce sens que les
dirigeants critiqués ont la possibilité de profiter de l’assemblée pour se défendre et exprimer
leur point de vue. De plus, la nécessité de justifier ou motiver la révocation peut s’envisager
comme purement formelle surtout lorsque l’on considère que des désaccords quant à la

519
GERMAIN M., MAGNIER V., op. cit, p. 482-483.

229
stratégie à adopter ou une perte de confiance peuvent suffire à cet effet. Maintenir ou
généraliser les possibilités de débats contradictoires n’est pas en soi inutile pour le peuple
actionnarial. Autrement dit, l’existence d’un principe de motivation et de discussion peut être
critiquée mais n’apparaît pas rédhibitoire.

248 – La destitution de type impeachment comme modèle ? – Une seconde série


d’arguments tient à ce que la révocabilité ad nutum existe dans certains systèmes
démocratiques. Plus précisément, certaines démocraties ont prévu un mécanisme de
destitution à l’égard de leurs dirigeants exécutifs. L’exemple le plus connu en la matière est
celui qui a cours aux Etats-Unis. Le président peut être destitué via une procédure particulière
dite d’impeachement. Aux termes de celle-ci, différents motifs permettent de déclencher un
vote au Congrès. Si une majorité des deux tiers est atteinte, le locataire du Bureau Ovale doit
démissionner. En cela, la possibilité de recourir à la révocation ad nutum obéit à une logique
identique : le peuple actionnarial ou ses représentants réunis en assemblée disposent d’un
moyen d’action efficace à l’encontre des dirigeants exécutifs. L’avantage d’un tel dispositif
réside dans la faculté de le déclencher à n’importe quelle session de l’assemblée et ce, en
vertu de la théorie des incidents de séance. Néanmoins, l’aspect discrétionnaire directement
inspiré du contrat de mandat tend à s’effacer devant des obligations de motivation. Si cette
dernière présente des vertus, il convient de conserver la liberté absolue de révocation
autrement les dirigeants bénéficieraient d’une position proprement inexpugnable. En l’état, la
libre révocabilité tient à un équilibre subtil propre à satisfaire une vision démocratique des
sociétés par actions. Certes, cette libre révocabilité est aménagée, limitée mais elle continue à
offrir un outil pertinent pour le peuple actionnarial : renforcer les exigences de motivation
conduirait à sa neutralisation définitive et à une impunité politique des dirigeants exécutifs.

249 – Les difficultés d’exercice de l’action sociale en responsabilité civile – Concernant la


responsabilité civile, la difficulté est différente, selon certains auteurs, « l’actionnaire français
a le sentiment (…) d’une quasi-impossibilité de faire reconnaître devant les juridictions
civiles le préjudice distinct qu’il subit en cas de faute de gestion par un dirigeant »520. En
effet, la jurisprudence est très peu favorable à la reconnaissance d’un préjudice particulier

520
FRISON-ROCHE M-A et BONFILS S., Les grandes questions du droit économique – Introduction et
documents, PUF, Quadrige, 2005, p.183, citant le rapport de la mission sur le droit des sociétés présidée par M.
Clément.

230
pour l’actionnaire et privilégiant le préjudice collectif c’est-à-dire celui de la société521. De
plus, lorsqu’il exerce l’action sociale « ut singuli », l’actionnaire supporte seul tous les frais,
les éventuels dommages et intérêts allant directement dans les caisses de la société. Un tel
mécanisme ne favorise pas la mise en branle de telles actions. Pour l’action « ut universi »,
celle-ci a peu de chances d’être mise en branle lorsque les dirigeants fautifs sont encore en
poste, ce qui est très souvent le cas dans les sociétés fermées.

250 – La caractérisation de la faute et le lien de causalité comme obstacles – De surcroît,


en dépit de l’apparente diversité des fautes susceptibles de déclencher l’action en
responsabilité, il n’est pas toujours évident de lier cette dernière avec un préjudice tant le lien
de causalité apparaît délicat à établir. En principe, toute infraction aux dispositions
législatives ou réglementaires, la moindre violation d’une disposition statutaire ou encore la
commission d’une faute de gestion suffisent pour caractériser une faute. Néanmoins, si les
deux premiers types de faute procèdent d’un manquement formel et peuvent être
objectivement constatées, il ne va différemment pour la dernière. La faute de gestion demeure
difficile à saisir avec précision car reposant sur l’appréciation du comportement du dirigeant
censé agir avec diligence et prudence522. Pour la caractériser, il n’est nullement nécessaire de
recourir à une quelconque intention malveillante, ni même un acte positif, l’omission ou la
négligence suffisent. La définition de la faute est donc potentiellement large et devrait pouvoir
permettre de déclencher facilement une action en responsabilité. Or comme le souligne un
auteur, « la preuve du lien de causalité entre la faute et le préjudice est également difficile à
rapporter : les faits litigieux ont été commis souvent plusieurs années avant qu’ils soient
soumis à examen, dans un environnement économique différent, pratiquement impossible à
reconstituer exactement »523. A cela s’ajoute la difficulté d’identifier précisément la faute de
gestion sans que le juge ne s’immisce dans la gestion ou ne substitue son appréciation sur
l’opportunité de l’acte ou de l’omission du dirigeant. Le cumul de tous ces éléments tend à
illustrer la difficulté réelle d’exercer une action en responsabilité contre ses dirigeants. Le
contentieux est abondant mais les résultats plutôt mitigés. Ce type d’action prospère
principalement lorsque les deux premiers types de faute ont été commis et rarement au
bénéfice des actionnaires individuellement. Le plus souvent, ce sera dans le cadre d’une
action sociale et donc au profit de la société. Pour les fautes de gestion, les actions entreprises

521
MESSAI-BAHRI S., La responsabilité civile des dirigeants sociaux, IRJS Ed., 2009, p. 17 et p. 186-190.
522
MERLE P., FAUCHON A., Droit commercial – Sociétés commerciales, Dalloz Précis Droit Privé, 2014, 17e
éd., p.497-498 ; MESSAI-BAHRI S., op. cit., p. 56-65 et p. 148-150.
523
MERLE P., FAUCHON A., Idem, p.496.

231
seront le plus souvent mobilisées en cas de procédures collectives en lien avec la
responsabilité pour insuffisance d’actifs voire dans l’hypothèse d’actions pénales au premier
rang desquelles l’abus de biens sociaux.

251 – Activisme actionnarial, reconnaissance du préjudice et attribution des dommages-


intérêts – En dépit de ces désavantages substantiels, des actionnaires fortement impliqués
dans la vie de la société dont ils sont membres n’hésitent pas à y recourir de manière
croissante depuis une quinzaine d’années. Les professeurs Cozian, Deboissy et Viandier
parlent d’ailleurs à ce propos de « soldats du droit des sociétés »524 : « Ihering, dans son
célèbre ouvrage L’esprit du droit romain, fait de chaque citoyen un soldat du droit, investi de
la mission de faire appliquer le Droit. On en trouve un écho, assourdi, dans la part prise par
certains particuliers dans la défense des intérêts des actionnaires minoritaires. Observateurs
vétilleux de la vie des affaires, ils n’hésitent pas à agir en justice contre les sociétés
irrespectueuses selon eux des principes et des règles du droit des sociétés »525, les auteurs
illustrant leur propos par les actions menées avec succès par Maître Géniteau. Sans aller aussi
loin dans la métaphore, l’activisme des actionnaires tend à acquérir une place de plus en plus
importante dans les sociétés anonymes en dépit des difficultés posées par la législation et la
jurisprudence526. Peut-être conviendrait-il de faire peser une logique plus démocratique dans
ce domaine afin de rendre le contrôle des dirigeants par les actionnaires plus opératoire et
moins théorique, ne serait-ce qu’en réfléchissant à une conception plus ouverte de l’action
« ut singuli » au regard des frais supportés. Il ne serait pas inenvisageable d’accorder à ceux
qui recourent à l’action sociale la possibilité de bénéficier d’une partie des dommages-intérêts
obtenus par ce biais527. Pour ce faire, il ne serait pas nécessaire de modifier la loi : les
magistrats ont la possibilité de participer à la démocratie actionnariale en accueillant plus
favorablement de telles actions quant à la reconnaissance du préjudice individuel. De cette
façon, l’activisme actionnarial bénéficierait d’une incitation forte, ce qui contribuerait
assurément à un investissement autre que simplement financier dans de telles structures tout
en faisant peser sur les dirigeants une épée de Damoclès incitant à plus de vigilance de leur
part.

524
COZIAN M., DEBOISSY F., VIANDIER A., Droit des sociétés, Litec, 30e édition, 2017, p. 169.
525
Idem.
526
COZIAN M., DEBOISSY F., VIANDIER A., op. cit, p. 437-439 ; ALBOUY M. et SCHATT A., Activisme
des actionnaires minoritaires, proxy-fights et gouvernement des entreprises, in Mél Spiteri, Presses de
l’Université des sciences sociales de Toulouse, 2008, p.73.
527
Pour des propositions en ce sens, voir MESSAI-BARHI S., op. cit., p.357-365 et p. 365-371.

232
252 – Conclusions du chapitre – Depuis la création de la législation sur les sociétés par
actions, les devoirs pesant sur les mandataires sociaux se sont fortement accrus mais ce
phénomène n’a pas été univoque. Tout d’abord, la législation sur l’information résulte du
croisement de plusieurs sources et donc de philosophies différentes. Ces sources proviennent
principalement du droit classique des sociétés relevant d’une logique d’information des
associés sur la marche des affaires ainsi que la manière de procéder des organes dirigeants. A
cette logique traditionnelle est venue s’ajouter celle directement issue du droit financier, les
sociétés par actions ayant naturellement vocation à rejoindre les marchés financiers. Dans
cette perspective, les devoirs et obligations d’information ont pour but d’assurer la
transparence du marché ainsi que celle des investisseurs, actuels ou potentiels. Or,
l’inspiration démocratique peut se retrouver quelle que soit la source des droits ou devoirs
d’information multiples qui pèsent sur les dirigeants. Mais cette inspiration demeure erratique,
hétéroclite. Le plus souvent elle apparaît accessoire à d’autres logiques comme en droit
financier ou la transparence du marché a la prééminence. Néanmoins, le recours systématique
au mythe démocratique et à ses ressources techniques permet de saisir, de critiquer, voire de
suggérer des améliorations en la matière. Il invite à repenser l’efficacité de ce droit tant au
regard du cycle de production qu’il crée qu’au regard de son contenu, problématique, compte
tenu du degré de connaissance de ses bénéficiaires, le peuple actionnarial. De même, le
système de responsabilité des dirigeants, s’il bénéficie aussi de l’inspiration démocratique sur
divers aspects, peut tirer aussi avantage d’un examen systématique tant celui-ci apparaît peu
satisfaisant. Les organes dirigeants, sans être totalement immunisés aux différentes formes de
mise en jeu de leur responsabilité, ont une situation plutôt favorable au regard des différents
freins auxquels les actionnaires peuvent se heurter dans cette hypothèse. Le mythe
démocratique offre des outils de contrôle, d’amélioration voire tout simplement des outils de
réflexion afin de rééquilibrer les pouvoirs en faveur du peuple actionnarial sans pour autant
tomber dans une tyrannie.

253 – Conclusion du titre – Le devoir de reddition de compte des organes sociaux a connu
une croissance particulièrement foisonnante depuis le début du XXe siècle. Cette croissance
résulte de la prise en compte de plusieurs impératifs et de finalités parfois très différentes.
Toutefois, ce foisonnement résulte en une véritable convergence autour d’un objectif
commun : mieux contrôler les organes de direction. Pour ce faire, il a été privilégié un
développement accru du devoir d’information sans véritable articulation en profondeur des
différents mécanismes existant et en alourdissant sans cesse le contenu de celui-ci. En

233
parallèle, les mécanismes de responsabilité ont peu évolué, accordant aux mandataires une
latitude certaine qui ne cadre pas avec une volonté de responsabilisation de ces derniers. A cet
égard, le mythe démocratique est un outil utile pour penser le devoir d’information ainsi que
la responsabilité des organes dirigeants. Il permet en effet d’en révéler les failles tout en
permettant de contourner certains obstacles qui autrement ne permettraient pas de proposer
des remèdes.

254 – Conclusion de la partie – Dans sa dimension pratique, le mythe démocratique saisit


deux catégories du droit des sociétés par actions : l’actionnaire et les organes dirigeants. Il
contribue alors à repenser le cadre classique des pouvoirs au sein de ces structures. Si la
question du pouvoir n’est pas nouvelle, concentrer l’analyse sur une grille démocratique
permet de révéler convergence et divergence dans les logiques à l’œuvre dans le droit des
sociétés par actions. Ces dernières sont l’objet de dynamiques complexes tantôt divergentes
autour de l’actionnaire, tantôt convergentes autour des organes dirigeants. Dans un cas, il
s’agit de développer certaines libertés et de confier à l’actionnaire un pouvoir de plus en plus
grand. Dans l’autre cas, il s’agit de maîtriser, de placer sous contrôle les organes dirigeants.
Le mythe démocratique contribue à enrichir et à mettre en perspective les différents
répertoires d’actions au bénéfice des actionnaires et des organes dirigeants.

234
CONCLUSION GENERALE

255 – Fil d’Ariane ou lapin blanc d’Alice – Assurément, le mythe de la démocratie


actionnariale incarne à la perfection ces deux images. Suivre le mythe revient à être guidé à
travers tout l’univers des sociétés par actions. Dévider ce fil ou le pourchasser sous sa forme
de lapin conduit immanquablement à assister aux différentes mutations qui se nichent au cœur
des discours portant sur le droit des sociétés de capitaux. Au terme de cette étude, le mythe de
la démocratie actionnariale est un révélateur de ce que les sociétés par actions ne forment pas
un long fleuve tranquille. Les univers, démocratique et actionnarial, y cohabitent tantôt en
harmonie, tantôt en concurrence. A cet égard, il est possible d’affirmer qu’il est un des
moteurs, depuis l’origine de ces formes sociétaires. Le dévoiler, c’est déployer un univers de
tensions, de contradictions, rapports de force, de mouvements permanents de destruction et de
recomposition.

256 – Le mythe fondateur, classique et moderne – Le mythe, dans son aspect fondateur, a
été présent à chaque grande étape de la vie de celles-ci, évoluant au diapason des sociétés par
actions. En même temps que le capitalisme a changé et que ce changement s’est traduit dans
les régimes de la société anonyme et de la commandite par actions, le mythe s’est transformé.
Initialement, il ne s’agissait que de rendre compte du fonctionnement des assemblées
générales et de la protection des petits épargnants. Progressivement, le mythe s’est étendu aux
principaux mécanismes, à tous les organes des sociétés.
Dans une perspective devenue classique, il contribue à une analyse politique de ces
groupements. La création de la société par actions simplifiée a pu le bousculer mais sans
arriver à le faire disparaître. Dans sa forme traditionnelle, le mythe demeure encore vivace et
pertinent, surtout en ce qui relève des droits politiques des actionnaires. Mais cet aspect du
mythe n’en demeure pas moins bousculé, critiqué et limité. Dès lors que les analyses
économiques sont sollicitées, le mythe redevient ce qu’il est : une histoire, un conte qui
contribue à justifier les critiques quant au fonctionnement des sociétés par actions. Pour
l’utiliser, il convient de ne pas s’y enfermer sous peine de ne plus pouvoir rendre compte du
fonctionnement réel du régime des sociétés par actions. Il ne fonctionne pas seul mais en
l’articulant avec d’autres représentations du réel. Tout comme le débat entre institution et
contrat peut sembler dépasser mais resurgit toujours avec vigueur lorsque l’architecture des
organes sociétaires est changée.

235
Depuis quelques années, le mythe a accompagné un changement plus profond dans les
sociétés. Il s’est modernisé en déplaçant son centre de gravité. Il permet de lire plus aisément
l’appréhension des entreprises et, par extension, de leur véhicule sociétaire. La citoyenneté
des entreprises est devenue un terreau fertile pour le mythe de la démocratie actionnariale en
renouvelant certains des questions d’origine relatives au gouvernement des sociétés mais aussi
en promouvant un nouvel ensemble d’équilibres et de valeurs dans le domaines sociétaire. Sur
ce terrain, la tension inhérente au mythe, entre univers démocratique et actionnarial,
s’exprime à plein.

257 – Le mythe structurant, révélateur de tension – Le mythe, dans son aspect structurant,
permet aussi de lire les soubresauts de ces mouvements dans les techniques sociétaires. Les
sociétés par actions, ont changé, évolué et se sont transformées. Visions traditionnelle et
moderne s’inscrivent et se déchiffrent dans les mécanismes même des sociétés par actions. Si
la figure de l’actionnaire connaît encore des déchirements au point où le mythe se voit évincé,
il n’en est pas de même pour les organes de direction. En effet, le mythe et ses représentations
concurrentes trouvent un terrain d’entente favorable autour d’un mouvement de
disciplinarisation des dirigeants. Concernant l’actionnaire, la démocratie actionnariale résiste
avec difficulté au travers des règles des assemblées mais s’étiole devant le développement de
l’individualisme financier. Le mythe a pour terrain d’élection la protection des actionnaires
mais est parfois contraint de céder devant certains impératifs de liberté. Concernant les
dirigeants, elle accompagne la mise en place de mécanismes de responsabilisation tout en
continuant à se heurter au mur des nécessités de gestion. Le pouvoir des dirigeants conduit
occasionnellement à limiter la démocratie pour assurer la gestion des sociétés par actions. La
démocratie actionnariale est une tension permanente, ce qui explique sa présence
contradictoire dans des mécanismes diamétralement opposé. Ici s’incarne la plasticité du
mythe.

258 – Elargissement de la démarche mythologique – Le mythe répond à un besoin : celui


de comprendre l’univers des sociétés par actions sans s’arrêter à ses contradictions. Il a pour
vertu de montrer ce qui apparaît incohérent dans les discours juridiques sur ces questions. Il le
montre sans réduire les différentes positions et surtout sans contraindre à choisir un registre
explicatif. La démarche mythologique déconstruit en déployant l’éventail des possibles. A ce
titre, la démocratie actionnariale n’est qu’un mythe parmi d’autres au sein des discours en

236
droit des sociétés. D’autres mythes attendent d’être analysés et dévoilés, notamment
concernant la place de l’univers démocratique au-delà des sociétés par actions.

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4 – Notes et observations

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BASTIAN D., Cass. Civ. 4 juin 1946, JCP 1947 II 3518.
BLAISE J., CJCE 10 mars 1992 Duffryn c/Petereit, Bull. Joly 1992 768.
BLANC P., Cass. Com. 9 février 1999 Château d’Yquem, JCP 1999 II 10168.
BONNEAU T., Cass. Com. 9 février 1999 Château d’Yquem, Dr. Soc. 1999, 67.

CAUSSAIN J.-J., DEBOISSY F., WICKER G., Cass. Com. 11 octobre 2005, JCP E 1834.

253
GUYON Y., Cass. Com. 9 février 1999 Château d’Yquem, JCP E 1999, 724.

HOVASSE H., Cass. Com. 11 octobre 2005, JCP E 2005 1796.


HOVASSE H., Cass. Com. 9 février 1999 Château d’Yquem, Derfénois 1999, 625.

JEANTIN M., T. Com. Paris 12 février 1991, Bull. Joly 1991, p. 592.

LE CANNU J., CJCE 10 mars 1992 Duffryn c/Petereit, Defrénois 1992, p. 1367.
LE CANNU J., Cass. Com. 9 février 1999 Château d’Yquem, Rev. Sociétés 1999, p. 81.

M. B., Cass. Com. 9 février 1999 Château d’Yquem, D Aff. 1999, 517.
MESTRE J., CA Aix 28 septembre 1982, Rev. Sociétés 1983, p. 773.

PETIT J., REINHARD Y., Cass. Com. 9 février 1999, RDC 1999 902.

Sans nom, Cass. Civ. 4 juin 1946, Journ. Soc. 1946, p. 374.
Sans nom, Cass. Com., 18 mai 1982, Rev. Sociétés 1983, p. 71.
Sans nom, Cass. Com. 2 juin 1992, Bull. Joly 1992, p. 1078.
SCHMIDT D., CA Paris 30 octobre 1976, Rev. Sociétés 1977, p. 695.
SCHOLLER P., CA Paris 9 mars 2001, Bull. Joly 2001, p. 865.

VIANDIER A., T. Com., 28 avril 1983, JCP 1986 II 20553

5 – Jurisprudence

Cass. Civ. 4 juin 1946 Motte ; Bull. n°143.


Cass. Com. 18 mai 1982 ; Bull. IV n°185, n°80-14977.
Cass. Civ. 1 2 mai 1984 ; Bull. I n°143, n°83-12056.
Cass. Com. 2 juin 1992 ; Bull. IV n°226, n°90-17873.
Cass. Com. 9 février 1999 ; Bull. IV n°44, n°96-17661.
Cass. Com. 11 octobre 2005 ; Bull. IV n°02-13520.

CA Paris 30 octobre 1976.


CA Aix 28 septembre 1982.

254
CA Paris 9 mars 2001.

T Com Paris 28 avril 1983.


T Com Paris 12 février 1991.

CJCE 10 mars 1992 ; affaire C-214/89.

255
INDEX
Les numéros renvoient à la page

A
ACTIONNAIRE ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 136
ABSTENTION ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 142
ACTIVISME ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ 121, 149, 204, 229
ADMINISTRATEUR, OBLIGATION --------------------------------------------------------------------------------------------------------- 203, 204
ASSOCIATIONS -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 178
CATEGORIE --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 67
CITOYEN ------------------------------------------------------------------------------------- 27, 117, 123, 137, 140, 141, 150, 166, 208, 209
CITOYEN, PEUPLE ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 196
DROITS FINANCIERS ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 143
DROITS INDIVIDUELS -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 58
ENSEMBLE DES DROITS --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 134
HETEROGENEITE ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ 152
HOMOGENEITE ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 133
PROTECTION ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 57
SOCIALEMENT RESPONSABLE ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 119
ACTIONS DE PREFERENCE ------------------------------------------------------------------------------- 154, 156, 157, 158, 159, 162, 163, 173
ADMINISTRATEUR ---- 19, 34, 43, 59, 60, 70, 71, 72, 73, 84, 85, 87, 105, 108, 122, 129, 157, 168, 176, 189, 191, 194, 195, 197,
199, 203, 205, 210, 214, 218, 221, 222, 223, 224, 225
ACTIONNAIRE --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 203, 204
FEMININ ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 109, 110
INDEPENDANT ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 107, 108, 205
REPRESENTANT LES SALARIES ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 105
ASSEMBLEE GENERALE- 27, 28, 34, 35, 50, 53, 59, 86, 96, 97, 106, 108, 111, 112, 125, 129, 139, 142, 143, 144, 146, 152, 155,
157, 164, 165, 166, 167, 168, 169, 170, 171, 173, 175, 176, 181, 182, 183, 184, 189, 190, 193, 196, 202, 210, 211, 212,
213, 217, 221, 224, 232, 249
CONVOCATION---------------------------------------------------------------------------------- 170, 174, 175, 176, 177, 178, 181, 184, 211
EXTRAORDINAIRE ------------------------------------------------------------------------ 155, 165, 166, 171, 172, 173, 174, 175, 176, 183
ORDINAIRE -------------------------------------------------------------------------- 143, 165, 166, 167, 168, 171, 172, 173, 175, 176, 183
POUVOIRS --------------------------------------------------------------------- 164, 165, 166, 168, 172, 175, 179, 180, 183, 184, 192, 196
SPECIALE -------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 113, 165, 166, 168, 173, 174

C
CAPITALISME ---------------------------------------------- 15, 17, 21, 31, 53, 62, 64, 95, 97, 99, 102, 120, 126, 127, 128, 130, 162, 232
FAMILIAL ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ 65, 66
FINANCIER ET INDUSTRIEL -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 67, 69
TECHNOSTRUCTURE ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 70, 73
TECHNOSTRUCURE----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 71
CENSEURS -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------34, 198, 199, 200
CLAUSE LEONINE --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 144
LIMITES ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 145
COMITES --------------------------------------------------------------------------------- 41, 42, 73, 86, 106, 107, 190, 197, 198, 199, 200, 203
COMMISSAIRE AUX COMPTES ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 112
CONSEIL D’ADMINISTRATION --- 72, 74, 76, 83, 87, 106, 107, 108, 109, 110, 111, 157, 176, 190, 192, 194, 195, 196, 199, 200,
201, 202, 204, 205, 206, 211, 220, 221
CONSEIL DE SURVEILLANCE ---------------------------------------------------------------------- 106, 110, 176, 192, 195, 204, 210, 211, 214
CONTRAT ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 150
AGENCE -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 81, 84
AGENCE (CONFLITS) --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 85
CONTRACTUALISATION ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 79

256
ORIGINE CONTRACTUELLE DE LA SOCETE ------------------------------------------------------------------------------------------------------ 76
RESEAU CONTRACTUEL ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 83
SOCIETE CONTRAT SPECIAL ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ 77
CORPORATE GOVERNANCE ----------------------------------- 36, 42, 46, 69, 86, 88, 117, 122, 126, 168, 169, 185, 194, 195, 198, 200
DEFINITION -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 40
ORIGINES ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 41
RECEPTION, FRANCE --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 44

D
DEMOCRATIE ----- 15, 46, 47, 60, 73, 74, 88, 89, 90, 93, 95, 96, 97, 100, 105, 106, 110, 112, 115, 120, 121, 122, 125, 134, 136,
137, 141, 153, 164, 170, 172, 174, 175, 177, 185, 192, 198, 200, 205, 206, 212, 219, 222, 223, 224, 229, 232, 233, 238
DEFINITIONS ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 54
DIRECTE ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 184
DROIT PUBLIC ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 25
IMPERIALISME REPUBLICAIN ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 53
MINIATURE --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 27, 54, 166
REGIMES, FORMES ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 55
SEUILS ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 179, 180
SOUVERAINETE --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 55
VALEURS ---------------------- 16, 55, 56, 57, 59, 88, 95, 97, 98, 99, 100, 102, 104, 110, 111, 129, 149, 150, 156, 162, 180, 233
DIRECTEUR GENERAL -------------------------------------------------------------------------------------------------- 192, 194, 201, 205, 220, 221
DIRECTOIRE ----------------------------------------------------------------------------- 176, 192, 195, 200, 203, 205, 211, 214, 220, 221, 223
DIRIGEANTS SOCIAUX ------------------------------------------------------------------------------------------------- 107, 164, 175, 219, 220, 227
NOMINATION ------------------------------------------------------ 85, 87, 106, 107, 109, 153, 157, 167, 168, 177, 190, 194, 200, 201
RESPONSABILITE ----- 60, 71, 72, 74, 82, 83, 101, 108, 109, 117, 193, 200, 201, 202, 206, 207, 213, 217, 219, 223, 224, 227,
228, 230
REVOCATION ----------------------------------------------------- 60, 167, 171, 176, 177, 202, 219, 220, 221, 222, 224, 225, 226, 227
DROITS PROPRES -------------------------------------------------------------------------------------------------------- 58, 133, 148, 150, 158, 164

F
FONCTIONNAIRES SOCIAUX ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------60, 192

H
HIERARCHIE DES ORGANES SOCIAUX-------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 189
DELEGATIONS DE POUVOIRS -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 201
POUVOIRS EN BLANC ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ 203
SPECIALISATION DES ORGANES ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 191
SPECIALISATION DES ORGANES, FLOU -------------------------------------------------------------------------------------------------- 196, 200

I
INFORMATION --- 46, 47, 56, 60, 66, 70, 80, 86, 96, 111, 113, 134, 136, 151, 164, 165, 171, 177, 184, 194, 195, 199, 202, 207,
208, 209, 210, 211, 212, 213, 214, 215, 216, 217, 218, 229, 230
INSTITUTION -----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------37, 209
DEFINITION ET PRINCIPES -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 51
DROIT PUBLIC ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 50
DROIT PUBLIC, CONSEIL D'ETAT ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ 49
ORGANES SOCIAUX ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 38
RECEPTION, DROIT DES SOCIETES ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 51
REFLUX -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 39
SUPPORT DE DEMOCRATIE ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ 48

257
Investissement Socialement Responsable (ISR)------------------------------------------------------------------------------ 117, 119, 122, 150

L
LIBERALISATION
ABANDON DE L'AUTORISATION ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ 34

M
MANAGERS ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 64, 70, 72, 73, 86, 205, 222
MYTHE -----11, 88, 90, 91, 93, 95, 96, 98, 101, 102, 105, 115, 116, 117, 118, 121, 122, 123, 124, 125, 128, 141, 165, 166, 175,
176, 178, 183, 184, 185, 190, 193, 196, 200, 206, 207, 213, 218, 219, 223, 226, 230, 231, 232
ANALOGIE ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 14
DEFINITION -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 13
FONDATEUR -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 23, 25, 232
JURIDIQUE --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 15
METAPHORE ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 14
MYTHOLOGIE ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 233
MYTHOLOGUE ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 19
NAISSANCE --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 38
STRUCTURANT ------------------------------------------------------------------------------------------------------- 23, 131, 162, 163, 188, 233
TERRAIN D'ELECTION --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 21, 36

P
PROPORTIONNALITE-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 47, 99

R
RAPPORT DE GESTION -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 111, 214
Responsabilité Sociale des Eentreprises (RSE) ------------ 91, 93, 98, 100, 101, 103, 107, 110, 111, 115, 117, 120, 124, 127, 128
DEFINITION ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ 125, 126
LOI PACTE -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 127
VALEURS ----------------- 90, 91, 95, 102, 104, 110, 111, 118, 119, 122, 123, 124, 125, 128, 129, 130, 149, 150, 156, 162, 233

S
SOCETE PAR ACTIONS SIMPLIFIEE
PLASTICITE DES ORGANES SOCIAUX ----------------------------------------------------------------------------------------------------------- 202
SOCIETE EN COMMANDITE PAR ACTIONS
CONSEIL DE SURVEILLANCE ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 195
ENCADREMENT --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 31
HISTOIRE------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ 30
ORGANES DIRIGEANTS ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 193
PLASTICITE DES ORGANES ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ 202
SOCIETE PAR ACTIONS SIMPLIFIEE
BIG-BANG ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 80
COLLECTIF D'ACTIONNAIRES-------------------------------------------------------------------------------------------------------- 175, 182, 184
ORGANE DE SURVEILLANCE---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 195
ORGANES DIRIGEANTS ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 193
SOCIETES PAR ACTIONS SIMPLIFIEE
DROIT A L'INFORMATION, PARTICULARISME ----------------------------------------------------------------------------------------------- 217

258
T
TUTELLE DE L'ETAT --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 32

V
VOTE ---- 35, 56, 59, 60, 87, 99, 108, 111, 133, 134, 136, 137, 138, 139, 140, 141, 142, 143, 144, 149, 151, 152, 153, 154, 156,
158, 159, 160, 161, 164, 168, 169, 170, 203, 209, 210, 211, 221, 237
ABUS DE MAJORITE -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 145
CENSITAIRE ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ 155
CONVENTIONS -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 152
CONVENTIONS DE VOTE -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 162
DEROGATIONS LEGALES -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 154
DISPONIBILITE --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 151
DISTANCE --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 170
DROIT FONDAMENTAL -------------------------------------------------------------------------------------------- 137, 138, 139, 140, 153, 162
IMPEACHMENT ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 227
MANDATS -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 170
NEGOCIABILITE-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 147, 148
PROHIBITION DE LA CESSION -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 152
QUORUM --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 181
SUPPRESSION --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 153
TITRE FINANCIER ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 154
VOTE DOUBLE --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 155

259
TABLE DES MATIERES
Remerciements _____________________________________________________________ 5
Liste des principales abréviations ______________________________________________ 7
Sommaire _________________________________________________________________ 9
Introduction ______________________________________________________________ 11
Partie 1 – Un mythe fondateur : évolution et mutations d’une théorie démocratique des sociétés
par actions____________________________________________________________________ 25
Titre 1 – L’émergence de la figure classique du mythe : entre affirmation et contestations de
l’objet démocratique dans les sociétés par actions ___________________________________ 27
Chapitre 1 – Origines, enjeux et raisons d’être du mythe : le recours souhaité à l’image de la
démocratie dans les sociétés par actions ___________________________________________ 28
Section 1 – Un héritage historique : un terrain favorable à la construction démocratique ____ 29
Paragraphe 1 – La lente gestation législative des sociétés par actions ____________________ 29
A – La commandite, structure de transition ? ________________________________________ 30
B – La naissance de la société anonyme ____________________________________________ 32
Paragraphe 2 – L’essor des théories doctrinales sur les sociétés par actions _______________ 36
A – La naissance et l’oubli de la société – institution __________________________________ 36
B – La résurgence au travers de la corporate governance ?_____________________________ 40
Section 2 – Un choix « philosophique » : la démocratie, le meilleur des régimes ____________ 47
Paragraphe 1 – Le primat de la société – institution ___________________________________ 48
A – L’influence publiciste ________________________________________________________ 49
1 – Le Conseil d’Etat, vecteur de démocratie ________________________________________ 49
2 – La théorie de l’institution, réceptacle et catalyseur de la démocratie __________________ 50
3 – « L’impérialisme républicain » _________________________________________________ 53
B – La démocratie en miniature ___________________________________________________ 54
Paragraphe 2 – La protection de l’actionnaire _______________________________________ 57
A – La dimension citoyenne au service de l’actionnaire ________________________________ 58
B – L’administrateur entre le fonctionnaire et le mandataire ___________________________ 60
Chapitre 2 – Origines, enjeux et raisons d’être de la contestation : la démocratie est-elle
inadaptée au modèle des sociétés par actions ? ______________________________________ 62
Section 1 – Evolution historique du capitalisme : le pragmatisme économique _____________ 64
Paragraphe 1 – La société par actions, « merveilleux instrument du capitalisme moderne » __ 64
A – La société par actions familiale ________________________________________________ 65
B – La société par actions « capitaliste » ____________________________________________ 67

260
Paragraphe 2 – « Révolution managériale » et influence anglo-saxonne __________________ 70
A – Technostructure et « public corporations » ______________________________________ 70
B – Age d’or et critiques des « managers » __________________________________________ 72
Section 2 – Théories et concepts concurrents de la démocratie : la loi des parties___________ 75
Paragraphe 1 – La société – contrat ________________________________________________ 76
A – Le contrat de société dans les sources privatistes et civilistes, obstacle temporaire au mythe
_____________________________________________________________________________ 76
B – La contractualisation en mouvement, la tentation d’une l’hégémonie limitée___________ 79
Paragraphe 2 – La société comme contrat d’agence ___________________________________ 81
A – Les parties prenantes ou « stakeholders », réseau de contrats autour de la société ______ 82
B – Coûts d’agence et relations de pouvoirs dans la société autour du rapport principal – agent
_____________________________________________________________________________ 84
Titre 2 – La régénération par la figure moderne du mythe : les nouvelles exigences
démocratiques à l’œuvre dans les sociétés par actions ________________________________ 90
Chapitre 1 – Origines, enjeux et raisons d’être de la résistance à la nouvelle figure du mythe : le
difficile dépassement des cadres traditionnels _______________________________________ 93
Section 1 – Les obstacles inhérents au modèle démocratique : le dialogue difficile avec le cadre
économique __________________________________________________________________ 95
Paragraphe 1 – Le flou démocratique sur les structures et les valeurs du modèle ___________ 95
A – La diversité des structures démocratiques _______________________________________ 96
B – L’infinie variété des valeurs démocratiques ______________________________________ 97
Paragraphe 2 – Le conflit des valeurs : finance, économie et démocratie __________________ 99
Section 2 – Les obstacles inhérents au champ disciplinaire : le risque de dilution des structures et
des enjeux du droit des sociétés _________________________________________________ 100
Paragraphe 1 – Le risque de dilution pesant sur les buts et les enjeux ___________________ 102
Paragraphe 2 – Le risque de dilution pesant sur les acteurs et les moyens ________________ 105
A – L’administrateur de société : d’un genre unique à une diversité d’espèces ____________ 105
1 – L’administrateur représentant les salariés ______________________________________ 105
2 – L’administrateur indépendant ________________________________________________ 107
3 – L’administrateur au féminin __________________________________________________ 109
B – Le renforcement des obligations de contrôle de gestion ___________________________ 111
Chapitre 2 – Origines, enjeux et raisons d’être de l’approfondissement du mythe : la
consécration des théories de l’encastrement et l’avènement de la RSE __________________ 115
Section 1 – La progressive mise en place du nouveau lien entre citoyenneté et actionnariat _ 117
Paragraphe 1 – La dimension actionnariale au service du citoyen et de la société __________ 118
Paragraphe 2 – Le nouvel élan de l’activisme actionnarial _____________________________ 121

261
Section 2 – La lente emprise des contextes sociaux et environnementaux sur les structures
sociales _____________________________________________________________________ 123
Paragraphe 1 – Ancrer les sociétés par actions dans un contexte plus large et non plus seulement
économique _________________________________________________________________ 124
Paragraphe 2 – Enrichir et compléter les structures classiques de gestion et de surveillance _ 128
Partie 2 – Un mythe structurant : apports et limites d’une pratique démocratique des sociétés
par actions___________________________________________________________________ 132
Titre 1 – Autour de l’actionnaire : divergences entre l’impératif de protection des prérogatives de
l’actionnaire et la liberté de disposition patrimoniale ________________________________ 134
Chapitre 1 – Droits individuels : entre affirmation et libre disposition ___________________ 135
Section 1 – L’affirmation de droits minimum pour l’actionnaire ________________________ 137
Paragraphe 1 – Le caractère sacré du droit de vote __________________________________ 138
A – Le vote, pivot d’un fonctionnement démocratique _______________________________ 138
B – La consécration d’un droit fondamental ________________________________________ 140
Paragraphe 2 – Le caractère accessoire des droits financiers et patrimoniaux _____________ 144
A – Les droits financiers dans une relation de dépendance à l’exercice du droit de vote _____ 144
1 – La prohibition des clauses léonines : préservation du vote _________________________ 145
2 – L’abus de majorité : garde-fou à l’exercice du droit de vote ________________________ 146
B – La négociabilité comme prolongement du droit de vote ___________________________ 148
1 – La vente d’action : voter avec ses pieds _________________________________________ 149
2 – L’achat d’actions : acquérir un droit de vote et d’influence _________________________ 150
Section 2 – La libre disposition de ses droits par l’actionnaire __________________________ 151
Paragraphe 1 – La disponibilité du droit de vote_____________________________________ 152
A – Les conventions de vote _____________________________________________________ 153
B – Le titre financier, objet d’aménagement des prérogatives de vote ___________________ 155
1 – Le droit de vote double______________________________________________________ 156
2 – Les actions de préférence ____________________________________________________ 157
Paragraphe 2 – L’aménagement des droits financiers et patrimoniaux ___________________ 159
Chapitre 2 – Prérogatives collectives : entre reconnaissance et encadrement _____________ 165
Section 1 – La reconnaissance des actionnaires en collectivité _________________________ 167
Paragraphe 1 – L’assemblée générale ordinaire _____________________________________ 168
Paragraphe 2 – L’assemblée générale extraordinaire _________________________________ 172
Paragraphe 3 – Les collectivités alternatives ________________________________________ 174
Section 2 – L’encadrement de la collectivité des actionnaires __________________________ 175
Paragraphe 1 – Les règles de convocation des assemblées ____________________________ 177

262
Paragraphe 2 – Les exigences de seuil _____________________________________________ 180
Paragraphe 3 – Le collectif d’actionnaires consacré au détriment du régime d’assemblées __ 183
Titre 2 – Autour des mandataires sociaux : convergences entre la nécessité d’un contrôle et
l’encadrement des pouvoirs _____________________________________________________ 188
Chapitre 1 – Délégation de pouvoirs et de compétences : une affirmation incertaine de la
répartition des pouvoirs aux mains des mandataires sociaux __________________________ 190
Section 1 – La clé de répartition des pouvoirs _______________________________________ 191
Paragraphe 1 – Le principe de hiérarchie des organes sociaux__________________________ 191
Paragraphe 2 – Le rôle de décision et de gestion ____________________________________ 194
Paragraphe 3 – Le rôle de surveillance, contrôle et stratégie___________________________ 196
Section 2 – Une répartition parfois incertaine ______________________________________ 198
Paragraphe 1 – La concurrence virtuelle des comités ad hoc et des dirigeants exécutifs _____ 199
Paragraphe 2 – Pouvoirs en blanc et abandon de l’obligation pour les administrateurs d’être
actionnaires _________________________________________________________________ 205
Chapitre 2 – Reddition de comptes : une croissance parfois mal maîtrisée des devoirs des
mandataires sociaux ___________________________________________________________ 210
Section 1 – Les mécanismes d’information à l’égard des actionnaires ___________________ 211
Paragraphe 1 – La multiplication des devoirs d’information ___________________________ 211
Paragraphe 2 – Une efficacité en question _________________________________________ 217
Section 2 – Les mécanismes de responsabilité des dirigeants __________________________ 222
Paragraphe 1 – Une responsabilité encadrée _______________________________________ 222
Paragraphe 2 – Des mécanismes critiqués _________________________________________ 227
CONCLUSION GENERALE____________________________________________________ 235
Bibliographie _____________________________________________________________ 238
1 – Ouvrages généraux _________________________________________________________ 238
2 – Ouvrages spéciaux et monographies ___________________________________________ 240
3 – Chroniques, études et articles ________________________________________________ 245
4 – Notes et observations _______________________________________________________ 253
5 – Jurisprudence _____________________________________________________________ 254
INDEX___________________________________________________________________ 256
TABLE DES MATIERES ______________________________________________________ 256

263

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