Dialogue Entre Architecture Et Musique PDF
Dialogue Entre Architecture Et Musique PDF
Dialogue Entre Architecture Et Musique PDF
Maxime Riopel
Superviseur :
Jacques Plante
École d’architecture
Université Laval
2012
Philips Pavilion, Expo ‘58 Bruxelles, Studio Le Corbusier
Résumé
Le présent essai (projet) s’intéresse à la relation qui existe entre la musique et l’architecture. L’objectif est
d’introduire des notions musicales dans un projet d’architecture. La musique se présente dans le processus
de création architectural, induit et guide les gestes habituellement posés dans l’élaboration d’un concept. À
travers le rythme, les nuances, les harmonies et les variations, l’architecture se reconnaît dans la musique.
Révélatrice de qualités auditives, la musique sera transposée en qualités visuelles. Il s’agit donc de
concevoir un projet d’architecture qui utilise des moyens créatifs, des règles de composition emprunté au
monde musical.
Concrètement, l’œuvre Été Canadien, du compositeur André Mathieu, sera utilisée comme un outil de
conception architectural dans l’élaboration d’un centre musical en forêt, dans la municipalité de St-Mathieu-
du-Parc, en Mauricie.
Membre du jury
La musique a été pour moi une façon de m’exprimer depuis mon enfance. À l’heure du choix de carrière, la
musique fît place à l’architecture, qui devint ma nouvelle passion. Depuis, elle a su combler mes besoins
créatifs et artistiques. Aujourd’hui, à la fin de mes études en architecture, je remets la musique en avant-
plan pour en faire bénéficier l’architecture. Cet essai (projet) m’a fait découvrir un véritable outil de
conception qui a alimenté tout mon travail durant la dernière année.
Avant de poursuivre, je tiens à remercier certaines personnes qui ont, de près ou de loin, rendu mon rêve
possible. Par leur soutien et leurs encouragements, ils m’ont toujours rappelé mes objectifs et m’ont poussé
à poursuivre mes ambitions. Tout d’abord, merci à mes parents qui ont cru en mon talent et qui m’ont aidé à
tous les niveaux ces cinq dernières années. Je souhaite également remercier Samuel, mon copain, de
m’avoir épaulé tout au long de ce processus. Son inépuisable motivation, son positivisme et sa joie de vivre
m’ont souvent été utiles dans les bons comme dans les moins bons moments. Second regard à mes
projets, il m’a donné une opinion très juste et toujours très constructive. Un merci tout spécial à ma collègue
Laurène, pour sons temps et pour ses critiques franches. Une grande complicité demeurera toujours entre
nous. Merci également à tous mes professeurs de musique qui m’ont transmis cette flamme et ce sentiment
profond qui m’habite encore lorsque je m’installe devant mon piano. Pour n’en nommer que quelques-uns,
Monseigneur Claude Thompson et M. Paul-André Bellefeuille, directeurs des Petits-Chanteurs de Trois-
Rivières ainsi que Mme Marie-Josée Pouliot, professeure de piano durant mes études secondaires. Enfin,
un merci spécial à M. Jacques Plante, mon directeur d’essai (projet), pour m’avoir transmit son savoir et sa
passion pour son métier. Tout l’investissement personnel et de temps qu’il m’a accordé est plus
qu’apprécié. Ses connaissances et son expérience hors pair auront grandement gratifié ce projet.
Introduction 1
1 | Portrait analytique – Les bases d’une connivence 2
2 | Écouter l’architecture
2.1 | La musique comme outil d’analyse 4
2.2 | L’art des proportions 5
2.3 | Le travail des formes 6
3 | Regarder la musique
3.1 | L’omniprésence sonore 8
3.2 | La musique, ensemble de bruits et de sons 9
3.3 | L’espace sonore 11
4 | De l’imaginaire à la représentation
4.1 | Une dimension graphique 12
4.2 | L’imagerie 14
4.3 | Analogie grammaticale 17
4.3.1 | Rythme 18
4.3.2 | Texture 21
4.3.3 | Accent 21
4.4 | L’architecture comme un instrument de musique 22
4.4.1 | Matériaux et finis 23
4.4.2 | Formes et espaces 23
4.4.3 | Structure et mécanique 24
5 | Un Centre musical comme instrument de diffusion
5.1 | Le site d’intervention 25
5.2 | Analyse environnementale 26
5.3 | Le programme 26
7 | Conclusion 34
Bibliographie 36
Annexes 38
Projet 48
Le croisement entre deux arts est un phénomène où chaque discipline tire profit de l’autre. La musique,
souvent associée à la peinture, possède également des liens étroits, concrets et tangibles avec
l’architecture. Le présent essai s’intéressera principalement au dialogue existant entre ces deux formes
d’art. On parle ici d’un dialogue comme forme de communication à double sens, visant à créer un accord.
La musique est, depuis toujours, une forme d’expression qui, de par sa diversité de style et de genre, rejoint
pratiquement tous les types d’individus. L’architecture, tout aussi diversifiée, est propre à la culture locale et
s’adapte à plusieurs facteurs climatiques. La démarche présentée explore le potentiel créatif que peut avoir
la musique. Plus précisément, à quel niveau la musique peut influencer l’architecture, et ce, dès l’étape de
conception. Par quels moyens ses qualités, ses concepts, son vocabulaire peuvent-ils introduire des bases,
des guides pour appuyer des gestes architecturaux et répondre à la question : comment la musique peut-
elle devenir un outil de conception architectural?
L’essai (projet), à travers le travail de musiciens, d’architectes et de théoriciens, présentera les fondements
de cette relation ancienne de proximité entre les deux disciplines. La musique sera premièrement perçue à
travers l’architecture et, ensuite, l’architecture sera explorée à partir de la musique. Quelques projets
musicaux et architecturaux démontreront également l’importance que peut avoir cet échange au niveau du
concept. La transposition de quelques thèmes comme le rythme et les accents permettront de comprendre
le travail de recherche-création.
Enfin, le projet final proposé, un Centre musical, véhiculera des concepts élaborés dans le volet théorique.
La notion d’interprétation musicale et d’interprétation architecturale devient alors importante. Il n’y a pas de
manuel précis qui indique comment travailler la musique comme un outil conceptuel. C’est cette liberté qu’a
l’auteur, l’architecte, qui fait la beauté de ce processus de création. La façon dont un concept musical est
perçu ou transposé relève de l’interprétation que chacun en fait. Le projet créera donc des lieux pour la
production, l’enseignement et la diffusion musicale. L’architecture comme art visuel et la musique comme
art auditif, se rassemblent dans un projet culturel, en pleine nature.
« A distinguished philosopher spoke of architecture as frozen music, and his assertion caused many to
shake their heads. We beleive this really beautiful idea could not be better reintroduced than by calling
architecture silent music. » Goethe
Les spéculations à propos de la relation entre architecture et musique sont probablement aussi vieilles que
les arts eux-mêmes. De manière générale, ces spéculations se font selon deux plans, soit le plan
intellectuel et le plan phénoménologique1. Dans le premier cas, plus rationnel et quantifiable, on doit
remonter jusqu’à l’antiquité grecque pour comprendre d’où il provient. Par la forme et la structure,
l’architecture et la musique partageaient déjà un langage commun. Pythagore et Platon, en plus de
s’intéresser au concept de la création de l’univers, sont parmi les premiers à formuler des théories sur la
beauté2. Ils ont dressé un système visant à démontrer qu’une imbrication existe entre mathématique,
géométrie, musique et éventuellement architecture. Leur plus célèbre paradigme, la théorie des
« proportions harmoniques », est alors mis de l’avant. Architectes et compositeurs créent selon des bases
quasi mathématiques et complexes qui ne sont pas le fruit du hasard. Limités dans l’expression et la liberté
d’interprétation, la musique et l’architecture sont, à ce moment, en grande partie dédiées à la religion. Avec
cette rigidité et ce « manuel » de composition similaire, on comprend bien pourquoi les deux arts étaient
étroitement liés. Un architecte grec illustre le cas de Georgiades. Les canons architecturaux de Georgiades
relient le rythme musical à l’architecture (Fig.1). La base des temples grecs (l’image du bas) est considérée
comme étant équivalente aux canons musicaux (l’image du haut). Ceux-ci contrôlent l’emplacement, le
diamètre et l’espacement entre les colonnes. L’interrelation est donc une analogie à l’harmonie musicale.
1 Xenakis, 1976 ; 16
2 Antoniades, 1992 ; 264
C’est vers le 18e siècle que l’on concède une place à l’irrationnel et à l’intuition dans l’explication de la
similitude entre architecture et musique. En effet, sur le plan phénoménologique, on comprend que la
beauté des yeux ou des oreilles ne provient pas d’une structure complexe, mais bien de son effet
esthétique et de son pouvoir de submersion. Musique et architecture diffèrent de tous les arts par leur
capacité d’englober l’auditeur ou le visiteur. Cela démontre donc que tous deux font appel à la notion
d’espace. L’espace architectural, perceptible par l’œil, se vit physiquement tandis que l’espace temporel,
perceptible par l’oreille, se vit mentalement. Ces deux perceptions sont également propres au
comportement de chaque individu qui le vit.
« The hierarchy of the senses was not the same as in the twentieth century because the eye, wich rules
today, found itself in third place, behind hearing and touch and far after them. The eye that organizes,
classifies and orders was not the favored organ of time that preferred hearing. » (Walter, 1991 ; 24-25)
En 1436, à Florence, était inauguré le dôme de Santa Maria del Fiore, célèbre chef d’œuvre de
Brunelleschi. Un musicien, Guillaume Fufay, composa pour la circonstance, un motet Nuper rosarum flores.
Ici, c’est le musicien qui a voulu rejoindre l’architecte en lui empruntant les proportions de son ouvrage,
lesquelles sont figurées par les nombres 6, 4, 2, 3, ainsi que l’a démontré C.W. Warren.3
Dans ses livres sur l’architecture, Palladio (1980) examinait les proportions architecturales par analogie
avec l’échelle des sons musicaux. Il écrivait, « Les proportions des voix, sont harmonie pour les oreilles;
celles des mesures sont harmonie des yeux. De telles harmonies plaisent souvent beaucoup, sans que
quiconque sache pourquoi, à l’exception du chercheur de la causalité des choses ». Le mot voix, employé
par Palladio, appartient au vocabulaire du contrepoint (discipline musicale classique qui a pour objet la
superposition organisée de lignes mélodiques distinctes). L’époque où il vivait était musicalement marquée
par l’apothéose de la polyphonie, de l’écriture « à plusieurs voix ». Depuis trois siècles, la musique s’est
développée autour du chant et de la combinaison de lignes mélodiques vocales. Son contemporain,
Palestrina, montrait un raffinement extrême dans la construction de contrepoints à des fins harmoniques. La
« voix » signifiait donc à la fois un registre sonore par analogie avec la voix humaine et une partie musicale
écrite dans ce registre sonore et confié à un chanteur ou à un instrument. C’est aussi à ce moment que
Bach écrivit, pour le clavier, des fugues à 3,4 ou 5 voix.
Cette notion de polyphonie est importante en architecture parce qu’un lieu construit et habité contient
inévitablement des émissions vocales et sonores simultanées. La technique des « proportions » n’est guère
significative lorsqu’elle s’applique à des transpositions idéalisées de modèles musicaux. En revanche, elle
devient essentielle lorsqu’elle intègre dans l’espace l’esthétique des effets acoustiques au même titre que
les effets visuels. Palladio affirme que c’est de leur fusion que naît « l’harmonie ». Est-ce un hasard s’il
termine sa vie par la construction d’un théâtre à l’antique, le Teatro Olympico (Fig.2), qui est déjà en soi une
œuvre vocale?
L’ethnomusicologie et l’organologie lui ont donné raison. « La fonction crée l’organe »5 se vérifie ici et
l’architecture fait partie de la fonction. Musique pour le plein air, pour le temple, pour la danse, à chaque
espace ses formes sonores. L’évolution de la musique européenne en offre d’innombrables preuves.
Le chant liturgique vocal a découvert la polyphonie par l’architecture réverbérante des cathédrales
(Beranek, 1979). Deux sons conjoints émis à une seconde d’intervalle se superposeront si la réverbération
est supérieure à ces deux secondes. Or les cathédrales entretiennent de longues résonnances.
« Même une étude superficielle montre que les compositeurs du passé étaient très attentifs aux effets
sur leur musique de la qualité acoustique des lieux où elle était jouée. On peut schématiquement
distinguer : l’acoustique résonnante, l’acoustique de chambre et l’acoustique extérieure. Le plain-chant
est une musique résonnante. La musique de Pérotin est parfaitement adaptée à la cathédrale Notre-
Dame de Paris pour laquelle elle fut écrite. Les rythmes compliqués et les combinaisons harmoniques
de l’Ars nova du XIV siècle sont des musiques de chambre. La musique de Gabrieli, écrite pour un
ensemble de cuivres et destinée à la cathédrale St Marc, est résonnante, alors qu’une œuvre également
pour cuivres de Hassler ou Matthew Locke est à l’évidence musique de plein air. Ces mêmes
compositeurs, pour être joués en intérieur, écrivent pour des instruments à cordes. Purcell change de
style selon qu’il écrit pour l’Abbaye de Westminster ou pour la Chapelle royale […]. Les formes utilisées
par Mozart et Haydn sont identiques pour leur musique de chambre et leur musique orchestrale. Mais
les détails de style : le contrepoint, l’ornementation, le rythme, la disposition des cordes ainsi que la
fréquence avec laquelle l’harmonie change, varieront selon qu’ils écrivent de la musique de chambre, de
concert, de plein air. » (Fig.3)
FIGURE 3 . PLANS COMPARATIFS DES SALLES DE MUSIQUE POUR LESQUELLES HADYN A COMPOSÉ
Biologiquement, nous, les humains, sommes physiquement incapables d’arrêter d’entendre. Les oreilles, à
l’instar des yeux, ne se ferment pas, ne se contrôlent pas. Même dans un silence absolu, nous entendons
constamment des sons, des bruits, des vibrations provenant de l’intérieur et de l’extérieur.
Malheureusement, cette stimulation ininterrompue de l’oreille en est venue à désensibiliser l’ouïe, en ce
sens qu’il se produit une certaine banalisation du contexte sonore. La relation de l’individu avec son
environnement exclut pratiquement toute autre information sonore. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer
la dégradation qui s’opère au cours d’une vie : l’audition d’un enfant est infiniment plus développée que
celle d’un adulte. L’enfant connaît d’abord le monde par ses sons. Son oreille est aux aguets. Ensuite, les
priorités changent et la vue globalement l’emporte. Toutefois, un des avantages de l’audition demeure cette
capacité de représenter l’invisible. Le son révèle ce qu’on ne voit pas et c’est ce qui en fait un élément si
intéressant pour l’architecte, si bien qu’il ne sait pour l’instant quoi en faire. Le monde des sons est riche et
généreux. La musique le prouve depuis longtemps. La question du son est toujours posée en architecture,
comme celle de la lumière. Pourquoi ne pas y répondre avec pertinence plutôt qu’ignorance?
« Avec ou sans intention, l’architecte construit avec les sons. L’architecture muette n’existe qu’en
image, car la réalité où elle s’inscrit est bruyante, inévitablement bruyante. Toutefois, constater que la
vie fait nécessairement du bruit ne suffit pas à introduire une quelconque obligation dans le projet
architectural. L’architecte est en droit d’ignorer ses manifestations sonores et de les juger étrangères à
ses exigences esthétiques. » (Dandrel, 2000; 14)
Les sons animent et fournissent des informations supplémentaires au simple champ visuel, à l’architecture.
Sans eux, les espaces semblent vides, sans vie. Ils enrichissent et complètent l’expérience spatiale. La
musique, les sons et les bruits ont la capacité de modifier la perception de l’espace et du temps. Prenons
l’exemple d’un trajet qui va du point A au point B. Parcouru sans musique, sans son, il semble plus long.
Seul le sens de la vue fonctionne, mettant ainsi l’emphase sur la longueur et la direction. Ce même
parcours, avec de la musique, paraîtra beaucoup plus rapide. Des études ont démontré que le son a
d’énormes impacts psychologiques sur notre vie. Schafer.R Murray (1993; 63) énonce :
DIALOGUE ENTRE MUSIQUE ET ARCHITECTURE |8
« We are usually more touched by what we hear than what we see. The sound of rain pelting against
the leaves, the roll of thunder, the whistling of wind in tall grass, and the anguished cry excite us to a
degree that visual imagery can seldom match. Music is for most people a stronger emotionnal
experience than looking at pictures or scenery… Partly, perhaps, because we cannot close ours ears
as we can our eyes. We feel more vulnerable to sound. »
Celui-ci déplore que, depuis déjà 30 ans, les écoles d’architecture adoptent une approche négative face au
design acoustique. Tentant davantage d’insonoriser les lieux, l’architecture d’aujourd’hui ne se préoccupe
pas assez des sons existants et de leur potentiel de conception. Dans le système de communication entre
les vivants, le son occupe une place importante, sinon la première. Mais qu’est-ce qu’une habitation sinon
un espace de communication? Murray développe une méthodologie complexe d’analyse sonore des sites. Il
propose de porter une attention particulière aux sons présents sur le site : musicaux et culturels, des gens,
naturels, des édifices, des usines, des industries, sensibles, etc. et de les utiliser plutôt que de les
discriminer.
L’opinion quant à la différenciation entre musique, son et bruit est partagée. S’intéressant aux arts sonores,
Bernd Schulz soutient que ces trois concepts signifient physiquement la même chose. La musique étant
composée de bruits et de sons émis par un instrument quelconque, il croit impossible de les dissocier.
Bernhard Leitner ne se commet pas sur la question directement, mais affirme que la musique n’a pas sa
place en architecture. Lorsque des paramètres musicaux sont présents, le cerveau de l’usager est
automatiquement distrait et apprécie moins l’espace. C’est pourquoi il préfère travailler avec les sons plutôt
qu’avec de la musique. Il est toutefois important que ceux-ci n’aient aucun caractère musical. Loin de
diminuer l’importance de l’auditif en architecture, il affirme : « Just like the eye, the ear is a finely tuned
instruments for measuring space. » (Leitner, 1999; 297)
Les bruits sont habituellement perçus comme une nuisance, un élément agressant. Acousticiens,
sociologues et architectes travaillent depuis longtemps à réduire ce que l’on appelle la pollution sonore. Par
des barrières, des compositions plus performantes, on arrive à contenir le bruit. Existe-t-il une approche
plus simple, moins coûteuse qui pourrait faire en sorte que les bruits soient moins gênants? Une expérience
Cet exemple nous rappelle une vérité élémentaire : le bruit est une pression, un phénomène mécanique6.
Le bruit est également une impression, un phénomène psychologique. La science s’occupe du premier
tandis que le second peut devenir objet d’art.
6 Benarek, 1979 ; 24
« I have practiced architecture and conceived spectacles, but what really counts for me is music. It
passes trough the ears and not trough the eyes. That’s why the concert is a manifestation that is in fact
very hostile to music : you are surrounded by many people, some cough, sometimes they even smell
bad! They prevent the sound from coming : at the concert, one should close his eyes and listen» Iannis
Xenakis (1994) lors d’une entrevue.
7 Martin, 1994 ; 28
FIGURE 6 . ÉTUDE ACOUSTIQUE – FIGURE 7 . PAVILLON PHILIPS, POUR EXPO ’58, BRUXELLE
4 | De l’imaginaire à la représentation
8 Sensation globale qui, dans un contexte particulier, fait réagir tous les sens.
Par contre, certains moyens existent pour repousser encore plus loin les limites de l’interprétation. En
musique, les « partitions graphiques » présentent des images sans instruction. Les compositeurs utilisant
cette technique souhaitent stimuler l’imagination de l’interprète en lui présentant un concept global à travers
lequel il pourra s’exprimer. Appliquée à l’architecture, on parle de représentation par images, par
pictogrammes référant aux saisons, aux odeurs, aux bruits, etc. (Voir annexe 3) Bref, on tente d’intégrer
des notions plus sensitives que les dessins traditionnels. Dans son essai Scoring the Path : Linear
Sequences in Music and Space, tirée de Resonance : Essays on the intersection of music and architecture,
Galia Hanoch-Roe définit les séquences linéaires comme un véhicule par lequel les architectes guident et
manipulent la perception des usagers d’un espace. Toute séquence est constituée de mouvement et crée
une succession d’événements, par exemple le passage d’un espace clos à ouvert ou d’un espace sombre à
clair. (Fig.8)
4.2 | L’imagerie
« You can get ideas from many sources,[…] You get ideas from small instances, not when you force it…
take an everyday symbol and exploit it. » Don Fedorko 9
La principale divergence entre la musique et l’architecture se trouve certainement dans le sens primaire
auquel elles réfèrent, l’ouïe dans le premier cas, la vision dans le deuxième. C’est dans l’imaginaire et dans
les émotions qu’elles soulèvent qu’il y a convergence. La musique, comme l’architecture, touche de façon
différente, influencée par plusieurs facteurs (personnels, culturels, sociaux, etc.), chaque individu. Les
compositeurs, à travers leurs œuvres, tentent de véhiculer des émotions, des images. Il existe plusieurs
façons par lesquelles la musique peut illustrer, en voici trois : l’imitation directe émet un son à une hauteur
définie. La corne de chasse en est un exemple. Cet instrument tente de reproduire le plus fidèlement un
son connu, l’animal dans ce cas-ci. L’imitation approximative émet un son de hauteur indéfinie, variant en
intensité. Le roulement de timbale, qui rappelle le tonnerre, décrit bien cette imitation. L’effet des baguettes
feutrées qui roulent sur la peau de la timbale émet un son grave, intense. L’association entre le tonnerre et
la timbale est donc approximative, subjective. Enfin, la symbolisation, la plus intéressante au niveau
architectural, utilise des sons qui ont un effet similaire à l’oreille qu’ils en auraient pour les yeux. Il s’agit en
fait d’analyser et de transposer un effet visuel en un effet auditif. Difficile à expliquer textuellement, on
pourrait penser à un effet de chimes (Fig.9) pour évoquer l’écoulement d’un ruisseau par exemple. Cet
instrument de percussion, composé de tubes de laitons de longueurs différentes, produit un son
chromatique, cristallin. La symbolisation ne tente donc pas d’imiter le son de quelque chose, mais bien de
produire un effet similaire.
9Don Federoko, un étudiant de Anthony C. Antoniades, encourageait ses confrères étudiants. Il les incitait à garder leurs yeux et leurs oreilles
ouverts. Il prenait plaisir à expliquer son travail et à démontrer ses efforts à ses collègues.
Ludwig Van Beethoven, en 1808, en même temps qu’il a écrit sa célèbre 5e symphonie, achève un
véritable hommage à la nature avec sa Pastoral Symphony. Dans une lettre adressée à Therese Malfatti,
une amie, Beethoven écrit, « How happy I am to be able to walk among the shrubs, the trees, the woods,
the grass and the rock! For the woods, the trees and the rocks give man the résonance he needs. » Par
symbolisation, il fait de sa pastoral symphony un véritable poème à la nature. Dans son carnet de notes, on
retrouve « The gratter the river, the more grave the tone. » Les tonalités plus basses évoquent donc, pour
lui, la grande rivière. Claude Debussy, un compositeur français du courant du romantisme, utilise également
ce type de référence à l’imaginaire. La première de ses trois Nocturnes s’intitule Nuage. L’œuvre nous
plonge dans un « pattern sonore », rappelant la lumière se mouvant à travers les nuages. Sans connaître le
titre, l’auditeur peut interpréter l’œuvre d’une multitude de façons. Connu, le titre permet de comprendre les
intentions du compositeur. Béla Bartók, compositeur hongrois et pianiste, est l’un de ceux qui révèlent le
plus l’extraordinaire affinité entre architecture et musique10. Pionnier de l’ethnomusicologie, Bartók compose
de nombreux morceaux folkloriques d’Europe de l’Est. Ses compositions intègrent des principes de
l’architecture grecque ancienne comme la section d’or. Cette manifestation géométrique du nombre d’or se
retrouve dans la structure de tous ces mouvements. Le nombre d’or est un nombre dit irrationnel. Son
utilisation la plus connue est sans doute la suite de Fibonacci. Très systématique dans sa manière de
composer, Bartók assure la cohérence formelle de ses œuvres en les structurant selon des rapports stricts
de durées entre chacune des parties constituantes d’une œuvre donnée. À l’instar de l’architecture, ces
rapports proportionnels deviennent un outil de conception. Son œuvre la plus exemplaire est sans doute
L’architecte Steven Holl, pour la Stretto House, a réalisé un véritable travail de poésie entre l’architecture et
la fugue Music for Strings, Percussion and Celestra (1936), de Bélà Bartók. La maison fût achevée en 1991
au Texas. Premièrement, le mot Stretto provient de l’italien, du participe passé stringere, qui signifie serré12.
En musique, il est observé dans les fugues. Il marque la répétition du thème par différentes voix sans que
celles-ci attendent que la précédente ait terminé. Il y a donc chevauchement des thèmes qui s’enfilent
rapidement les uns à la suite des autres. Il est important de différencier le Stretto du Canon. Dans un
Canon, l’imitation ou la répétition du thème est continue et respecte une même distance entre les voix,
tandis que le Stretto est momentané et est marqué par une accélération, créant de rapides successions
(Fig.10).
La maison s’inscrit dans un site qui comprend une série de trois étangs avec des barrages bétonnés,
permettant à l’eau de se transvider d’un bassin à l’autre. L’architecte a donc développé la maison dans une
série de quatre blocs de béton, sur lesquels coulent des « espaces aqueux »13, représentés par des
structures métalliques curvilignes. En plus de s’intégrer au site, ces gestes sont directement reliés à la
composition de Bartók. En effet, celle-ci est en quatre mouvements et a une division distincte au niveau de
la matérialité entre le « lourd », les percussions et le « léger », les cordes (violons). Le lien en architecture
est évident. Les quatre blocs de béton, lourds et orthogonaux, rappellent les percussions tandis que les
structures métalliques, légères et courbes, symbolisent les violons. Le plan général est orthogonal alors que
Pour constater une ressemblance entre deux objets, il doit y avoir des rapports ou des éléments communs.
Dans le cas étudié, l’architecture et la musique partagent certains points communs. Tout d’abord,
l’élaboration d’un lexique commun aux deux disciplines devient importante. Harmonie, mouvement,
intervalle, temps, nuances sont tous des mots ou expressions qui s’adaptent aux différents contextes dans
lesquels ils sont cités. Le contexte visuel (l’architecture) et le contexte sonore (la musique) partagent ce
lexique qui, à première vue, peut paraître assez général. Voici quelques exemples plus détaillés
d’expressions communes.
La chapelle Notre-Dame-du-Haut de Ronchamp, par Le Corbusier, aborde le rythme avec une certaine
irrégularité. Disposant des fenêtres de formats et de couleurs différentes, l’architecte a utilisé le rythme afin
de dynamiser les murs (Fig.12). Parallèlement, la musique accélère ou change parfois le rythme plusieurs
fois à l’intérieur d’une pièce. La fin d’une pièce se distingue généralement par un ritenuto. Ce terme musical
indique que le musicien doit retenir, ralentir ses dernières notes. Ces effets rendent la musique plus
naturelle, plus artistique, plus humaine. De la même façon que chaque musicien a sa façon de jouer son
ritenuto15 en musique, chaque observateur qui se retrouve devant cette façade de Romchamp peut
l’interpréter, l’analyser ou la comprendre à sa façon.
14 Le Robert, 2004
15 Terme musical provenant de l’italien qui signifie : ralentir le tempo progressivement
La rue Quirinal à Rome offre une expérience où l’ordre domine. Du côté nord de la rue, le Palais Quirinal,
impressionnant en terme de dimensions, offre une simplicité remarquable. Les fenêtres sont formées de
carrés ou sont l’équivalent de deux carrés les uns sur les autres et sont encadrées de larges cadres.
(Fig.13) Comme l’explique Rassumen (1962), il s’agit là de l’expression répétitive dans sa forme la plus
simple : « plein, vide, plein, vide » de la même manière que l’on compte, en musique « un, deux, un,
deux. » Cette façade ordonnée, comme une œuvre classique, est composée selon des principes de
proportions mathématiques.
Suivant sa démarche pragmatique, Iannis Xenakis réalise la façade du Monastère de La Tourette (Fig.14-
15). Ici, il considère le problème selon un niveau plus général. Il remplace le concept du rythme par celui de
densité (dans le sens de nombre d’événements par unité de temps ou de longueur). Plutôt que de
considérer les distances individuelles entre les rectangles verticaux, il délimite les zones de la façade où un
nombre supérieur ou inférieur de l'enveloppe par unité de longueur serait nécessaire et décide ensuite
comment la transition entre ces deux états se produirait : fluide ou brusque. Dans ce but, Xenakis dresse un
tableau affichant des progressions de rectangles avec des largeurs se rapprochant de plus en plus de la
section d'or, tirées du Modulor. Son procédé, très complexe, pourrait être élaboré longuement. Ce qui
importe est qu’à partir de sa composition Metastasis (1954), il en extrait le rythme pour le transformer en
densité qui créera l’écran du monastère.
4.3.3 | Accent
Ce qui identifie un accent est son écart par rapport au reste de la composition. En français, il s’agit de
symboles graphiques servant à noter des différences dans la prononciation. En musique, un accent peut se
présenter comme une augmentation de l’intensité du son. Il s’agit de jouer ou de chanter la note accentuée
de façon plus forte ou de façon à être plus perceptible que le reste. Un accent marque un point important et
attire l’attention là où le compositeur le veut. Transposé en architecture, un accent se définit par la même
volonté de démarcation. Que ce soit une couleur ou un matériau accent, une forme biscornue ou un
élément disproportionné, l’accent a toujours le même but de capter l’attention. En architecture comme en
musique, l’accent ne fait souvent que ponctuer quelques endroits, quelques passages. Afin de ne pas diluer
son effet, son dosage est nécessaire dans les deux disciplines.
Tout travail artistique nécessite une source d’inspiration afin d’arriver à un résultat. Comme il a été
démontré, la musique l’est pour certains architectes. Dans cette même ligne de pensée, l’instrument de
musique lui-même a souvent été utilisé comme point de départ pour des projets architecturaux. Daniel
Libeskind (2002) disait : « Buildings provide spaces for living but are also de facto instruments, giving shape
to the sound of the world. Music and architecture are related not only by metaphor, but also trough concret
space. Every building I have admire is, in effect, a musical instrument whose performance gives space a
quality that often seems to be transcendent and immaterial. » D’ailleurs, bon nombre d’architectes ont
conçu des instruments. Les architectes anglais du mouvement Arts-and-Crafts M.H. Baillie Scott, Scotsman
Charles Rennie Macintosh, Germans Peter Behrens et Bruno Paul ont tous conçu des « art-case » pianos.
Dans cette idée, Richard Meier et Daniel Libeskind ont également repensé la façon de fabriquer un piano.
Les leurs ont fait l’objet d’une édition très limitée (Fig.17-18).
FIGURES 17-18 . PIANOS DESSINÉS, PAR RICHARD MEIER, 1995(À GAUCHE), PAR DANIEL LIBESKIND, 2002 (À
DROITE)
Les projets architecturaux qui s’inspirent d’un instrument sont généralement régis selon trois grands
thèmes : Les matériaux et finis, les formes et les espaces, la structure et la mécanique.
Ce secteur forestier renferme un élément clé du projet, l’amphithéâtre au cœur de la forêt, un lieu unique de
diffusion culturelle au Québec (Fig.22-23). Il s’agit d’un amphithéâtre à ciel ouvert, inscrit en pleine nature,
au pied d’une falaise rocheuse. Cette dernière agit comme mur d’arrière-scène et comporte des propriétés
acoustiques surprenantes. La scène, sur deux paliers, s’adresse à un auditoire en forme de demi-cercle.
Construit en 1998, cet amphithéâtre comporte des traits de théâtres grecs avec ses gradins composés de
roches locales et son sol pavé. N’abattant pas plus d’une dizaine d’arbres, sa construction se fit à l’aide
d’une petite grue et de beaucoup de force et de patience. L’idée du cercle est venue après le passage d’un
acousticien qui détermina le centre parfait. De là, on a pensé que la forme la plus efficace et la plus simple
devrait être circulaire. Une porte a été créée dans les gradins afin que le public puisse y accéder. Cette
façon d’entrer dans le lieu est particulièrement marquante. En effet, l’amphithéâtre se situ à plusieurs
mètres du stationnement. On doit donc emprunter un sentier pour y accéder. Telle une procession, ce
cheminement permet le détachement à la ville et l’adaptation au lieu. Arrivé, on passe sous une longue
pierre, dans un chemin étroit, et soudainement, la scène apparaît. On se retourne et l’on aperçoit les
gradins, ces escaliers circulaires en roc, alternés de sections gazonnées. Spectateur, on apprécie
l’importante falaise, son relief et ses couleurs en harmonie avec la scène (voir annexe 4).
Lorsque le metteur en scène Jacques Crête, de la troupe Leskabel vit l’amphithéâtre, il conclut que ce
serait l’endroit parfait pour y présenter une nouvelle production, Les troyennes d’Euripide. Jusqu’en 2003, la
FIGURES 22-23 . À GAUCHE, L’AMPHITHÉÂTRE AU CŒUR DE LA FORÊT. À DROITE, LES SENTIERS PÉDESTRES
5.3 | Le programme
Le centre musical propose un programme permettant d’enseigner, de pratiquer et de diffuser la musique.
De façon générale, ce type de projet fait défaut au Québec. Il est cependant essentiel dans le
développement académique d’un musicien. Les institutions musicales, les orchestres, les harmonies et les
programmes de concentration musique des écoles de la Mauricie ne disposent pas d’installation adéquate
Le projet, en plus de l’amphithéâtre existant qui sera mis en valeur par une toiture rétractable et temporaire,
prévoit un pavillon d’accueil pour la billetterie, l’information touristique, des toilettes et une aire d’attente. Le
pavillon principal comporte une salle de concert, des salles de répétition de groupe, une musicothèque, des
chambres et des espaces de rencontres et d’échanges comme des foyers, des salons et un réfectoire. Les
isoloirs de pratique contiennent un piano et créent un espace de répétition individuel qui s’ouvre sur la forêt.
L’amphithéâtre demeure le cœur du projet. Un système de protection est proposé pour remédier aux
problèmes météorologiques qui le rendent vulnérable. Le projet d’architecture, s’approprie donc le site et
l’amphithéâtre pour en faire un lieu de diffusion. Afin de s’intégrer au site et en respect de la nature, les
empreintes au sol, écologiques et visuelles, sont réduites au minimum.
L’implantation pavillonnaire permet aux visiteurs de prendre connaissance de l’immensité du lieu. Elle
permet aussi une diversité d’ambiances et de points de vue. Les isoloirs sont dispersés dans le site de
façon à offrir cette diversité. Que ce soit au sommet de la montagne, près du lac, dans les arbres ou sur
pilotis au-dessus d’un plan d’eau, chaque isoloir procure une sensation différente, un cadrage différent.
La relation entre musique et architecture peut aller très loin dans la démarche. La théorie abordée
précédemment démontre quelques applications, quelques projets et quelques approches qui utilisent le
potentiel créatif de la mixité des deux disciplines. L’essai (projet) en explore quelques-unes à travers la
conception du centre musical. Par symbolisation, le projet tente de représenter des effets visuels en effets
auditifs. Aussi une application plus pragmatique sera exploitée pour la création de façades.
Concevoir avec le thème de la musique en général est très difficile en ce sens qu’il n’y a aucune balise. La
prise de décision de la part du concepteur serait floue ou peu justifiée. Par exemple, on peut élaborer la
texture musicale transposée en architecture mais le thème de la texture musicale en général est beaucoup
trop vague. Afin de donner plus de sens au projet et d’appuyer les gestes architecturaux, une œuvre
musicale a été retenue. Du pianiste et compositeur québécois André Mathieu (Fig.24), c’est sa pièce Été
Canadien qui jouera le rôle de la musique en architecture. En plus d’un titre de circonstance pour le
À travers trois approches de transposition, le projet intègre la théorie d’un nouvel outil de conception en
architecture, la musique. Tout cela dans le but d’appuyer les gestes posés et donner une raison d’être au
projet. Ces approches seront l’analogie à l’instrument, la transposition mélodique et la symbolisation.
Sur ces fils sont déposés des structures en aluminium qui, comme des papillons, ont deux ailes qui peuvent
se déployer. Grâce à un système de poulie et un double fil d’acier, les ailes peuvent s’ouvrir et se fermer
pour rendre l’espace couvert ou non. En coupe, il permet de filtrer les vues vers le ciel et vers la falaise
(Fig.26). En plan, le chevauchement des papillons permet de couvrir tout l’espace et surtout, permet de
contrôler l’écoulement de l’eau vers l’extérieur de l’amphithéâtre (Fig.27).
Cette démarche d’extraction de la mélodie a été utilisée sur les façades du pavillon principal. Celui-ci
comporte des circulations en coursives extérieures pour accéder aux chambres. Le traitement des brise-
soleil n’est pas le fruit du hasard (Fig.28).
Été Canadien, est une pièce qui se joue selon le rapport 2/4. En musique, le numérateur indique le nombre
de fois que le dénominateur est répété dans une mesure. Le dénominateur est associé à une valeur
La façade de trois étages est d’abord divisée également en mesure. Les barres de mesure deviennent un
élément vertical en bois. N’oublions pas que chaque mesure contient deux pulsations, mais qu’en musique
il peut y avoir des huitièmes de pulsation. La mélodie est alors identifiée et les notes sont considérées selon
leur durée, leur valeur en terme de longueur. Elles ne sont donc plus des hauteurs de son, mais des
pulsations, qui sont ensuite converties en brise-soleil de bois. La mélodie est ainsi représentée sur toutes
les mesures nécessaires à la façade. Elle se lit de gauche à droite et, comme une partition, se poursuit sur
l’étage au-dessous lorsque l’on arrive à la fin de l’élévation. Dans l’ensemble, l’élévation affiche un
graphisme très similaire à la partition en terme de proportion et de nombre d’éléments. Sur la partie gauche
de l’élévation, on peut voir un volume plus foncé, plein, avec un bandeau vertical de fenêtre givrée. Il est
une représentation subtile des codes présents au tout début d’une partition. La double barre, la clé,
l’armature et la mesure doivent obligatoirement se retrouver dans une pièce musicale (Fig.29).
6.3 | La symbolisation
Comme il a été démontré dans la section théorique de cet essai (projet), la symbolisation consiste à créer
un effet similaire à l’œil qu’il en aurait à l’oreille. Cet outil a été exploité dans le projet d’architecture à
l’endroit des isoloirs de répétition. Après l’écoute d’Été Canadien, plusieurs variations tonales ont été
décelées. Brièvement, une variation tonale consiste à changer de tonalité à l’aide d’une transition. Dans le
cas étudié, André Mathieu emploie le la bémol majeur (Ab) comme tonalité principale. À quelques
passages, il change le majeur en mineur. La différence entre majeur et mineur se perçoit par le
changement d’ambiance. Le majeur exprime un sentiment plus joyeux, plus gai tandis que le mineur, plus
FIGURES 30-31 . À GAUCHE, ACCORD DE DO MAJEUR (C), À DROITE, ACCORD DE DO MINEUR (CMIN)
Les isoloirs de répétition sont des petits espaces qui permettent la pratique de l’instrument (Fig.32).
Presque cubiques, ces constructions ont de généreuses ouvertures aux extrémités, permettant un contact
direct avec le paysage. Les deux autres côtés sont construits comme un filtre grâce à un lattis de bois très
serré. Le soir, on peut voir apparaître une mince ouverture en bandeau au-dessus du piano. L’application
du principe musical se fait ici par la coloration des matériaux. Comme en musique, le paramètre changé est
simple, mais fait toute la différence. À l’extérieur, les planches de bois sont très foncées et incarnent la
tonalité mineure. En contraste avec celle-ci, l’intérieur laisse le matériau à son état naturel et fait référence
à la tonalité majeure. La différence, très marquée, rend l’intérieur plus accueillant, plus chaleureux, tandis
que l’extérieur semble plus austère, plus discret.
Ce traitement est également utilisé sur le pavillon central. Le volume public, en forme archétypale, affiche
un parement de zinc très foncé à l’extérieur (Fig.33). Cette caractéristique, en plus d’être « musicale », a
pour effet de rendre le bâtiment plus effacé dans la forêt. Sa proximité à l’amphithéâtre extérieur est
appréciable pour des questions programmatiques. En effet, le bâtiment devient à la fois le foyer et les
coulisses de l’amphithéâtre. Toutefois, ce dernier demeure le cœur du projet, le point focal. C’est pourquoi
les nouvelles constructions présentent un extérieur sobre, silencieux.
C’est en désirant partager l’une de mes plus grandes passions, la musique, que l’idée du projet du dialogue
avec l’architecture m’a stimulé. Ayant depuis toujours pratiqué les deux arts de façon indépendante, je
désirais explorer la possibilité de les réunir à l’intérieur d’un projet créatif. De là, il était évident que la
musique deviendrait un outil de conception pour l’architecture. Au départ, beaucoup de points communs ont
été répertoriés. Plusieurs lectures m’ont permis de constater que je n’étais pas le premier à m’intéresser à
la relation entre musique et architecture. En effet, depuis longtemps elles sont perçues comme étant des
domaines connexes qui ont beaucoup à partager. Des sujets mentionnés dans l’essai (projet) comme
harmonie, rythme, nuance, etc. – sont indissociables à l’architecture et à la musique. Bon nombre de
compositeurs et d’architectes les ont jumelés à l’intérieur de leur réalisation. Très abondantes, la
documentation et les théories sur le sujet ont nourrit mon travail de recherche-création. Plusieurs approches
ont été illustrées pour démontrer le fort lien et le potentiel de création infini qui unit les deux sujets.
Certaines plus rationnelles, même mathématiques, ont révélé des façons de faire extrêmement
intéressantes. D’autres, plus intuitives, jouent sur la perception et l’interprétation des espaces ou de la
musique. Quelques exemples présentaient également des lieux ou des espaces sonores dans lesquels
c’est l’expérience de l’usager qui constitue le point central. La recherche-création ne présente qu’une
synthèse des approches qui ont été les plus significatives pour mon travail.
À l’origine, mon objectif était d’utiliser la musique dans le processus de conception d’un projet
d’architecture. Toutefois, composer avec le thème de la musique en général présentait un défi plus que
colossal dans lequel il était facile de s’y perdre. C’est pour cette raison que l’idée de sélectionner une
œuvre particulière devenait intéressante. La découverte d’André Mathieu a été vraiment l’élément qui a
propulsé le projet vers l’avant. L’histoire de ce pianiste est touchante premièrement par le fait qu’il est
québécois, mais également par sa personnalité anticonformiste, voir même délinquante qui lui a permis de
composer des pièces originales, souvent très imagées. À partir de son œuvre Été Canadien, les théories
étudiées s’appliquaient et l’analyse de la pièce révélait un potentiel de création grandissant. Inspiré par le
cadre théorique et la pièce d’André Mathieu, l’absence d’un programme architectural et d’un site du départ
se matérialisaient maintenant en un centre musical en forêt, dans la région de la Mauricie. Par la
transposition d’éléments comme le rythme de la mélodie, la modulation tonale et l’inspiration des marteaux
du piano, j’ai tenté de créer un lieu qui offre des espaces recherchés par un musicien au niveau des
qualités spatiales, des diversités d’ambiances et de la qualité des lieux. La recherche aurait pu se
Le jury a bien reçu l’approche théorique et a apprécié tout le potentiel que celle-ci a apporté au projet
présenté. Les commentaires étaient, en général, très constructifs et ne visaient qu’à soumettre des pistes
d’orientation possibles advenant le cas où le projet se poursuivrait. La présentation orale et graphique des
documents a également été applaudie par les invités. Les bâtiments se lisent très bien sans même avoir
besoin d’explications. La présence de la musique était bien sentie dans l’ensemble du projet. L’extrait
musical a également permis de bien saisir la transposition rythmique de la façade. Également, les non-lieux
comme les espaces extérieurs en terrasse, les endroits publics ou les espaces d’attente sont très invitants.
La façon de travailler l’acoustique des lieux a été questionnée. On aurait aimé voir plus de dispositifs ou de
matériaux acoustiques pour contrôler les mouvements sonores dans les lieux de diffusions comme la salle
de concert ou les salles de pratique, mais également dans les grands espaces publics comme les foyers,
les salons et le réfectoire. Effectivement, du parement de bois est utilisé comme revêtement mural et les
questions de résonnance ou d’absorption sonores constitueraient une étape future très pertinente dans
cette approche de dialogue entre musique et architecture. Le principe de couverture de l’amphithéâtre a
soulevé de bons commentaires. La simplicité avec laquelle les structures s’inspirent des marteaux du piano
est remarquable. Le système de toiles tendues, bien qu’il ne soit pas totalement étanche, propose un
magnifique ensemble qui invite le spectateur. Effectivement, par souci de transparence et de légèreté, la
couverture est poreuse et laisse des vides qui permettent un contact visuel avec le ciel et la falaise
rocheuse. De plus, des doutes ont été soulevés quant à la pertinence de positionner le pavillon principal si
près de l’amphithéâtre. Ce geste était, à la base, pour que le pavillon devienne complémentaire à
l’amphithéâtre en ce sens qu’il pourrait fournir un foyer pour les spectateurs et des espaces de soutiens
pour les musiciens. Toutefois, le bâtiment aurait pu conserver une marge avant plus grande, laissant plus
d’espace à l’amphithéâtre et ne brimant pas cette relation de complément. Enfin, nuisant à la lecture du
projet, l’absence d’une coupe longitudinale a été notée. La correction a été apportée (voir annexe 6).
À travers ce projet, j’ai atteint mes objectifs d’explorer la musique comme étant un nouvel outil de
conception à l’architecture. Le projet a été bien reçu dans son ensemble et la démarche a été jugée
pertinente.
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L’approche de Galia Hanoch-Roe | Système d’analyse sensible des sites
Le site
Coupe longitudinale