DE LA SARL en DROIT FRANCAIS Et OHADA
DE LA SARL en DROIT FRANCAIS Et OHADA
DE LA SARL en DROIT FRANCAIS Et OHADA
« Que j’entende le chœur des voix vermeilles des sang-mêlé ! Que j’entende le chant de
l’Afrique future1 ! »
L’illustre professeur Maurice Cozian introduisait son étude de la SARL, en rappelant qu’elle
était « née en 1925 en même temps que le Charleston2 », cette danse popularisée en France
par Joséphine Baker, justement considérée par beaucoup comme la première vedette noire
occidentale. Les liens qui irriguent nos cultures se découvrent aussi là ou on les attend le
moins.
Présenté le 17 octobre 1993 au Sommet de Port-Louis à l’Ile Maurice, et signé par les
quatorze Etats africains de la zone franc, il est entré en vigueur le 18 septembre 1995. Inspiré
fortement par le droit français, ce nouveau corpus repose sur un certain nombre d’« Actes
uniformes » qui unifient les règles propres aux diverses matières du droit des affaires que sont
l’arbitrage, les sûretés, le traitement des difficultés des entreprises, la comptabilité, les
mesures d’exécution et de recouvrement, les contrats de transports de marchandises et, bien
évidemment, les sociétés commerciales.
Convaincus par le succès de cette aventure, plusieurs pays ont décidé, au fil des ans, d’adhérer
à ce Traité. Au nombre de ces pays, on compte évidemment la République Démocratique du
Congo3, dont l’adhésion accroît considérablement le nombre d’acteurs soumis aux règles
uniformes de l’OHADA. Plus significatif encore, cette expansion du Traité s’est traduite, lors
du Sommet de la Francophonie qui s’est tenu au Québec en 2008, par une modification des
textes, destinée à prendre désormais en compte les besoins des Etats membres non
francophones. L’OHADA sort donc peu à peu du giron français, pour gagner en originalité, au
service de son identité propre.
Le 1er janvier 1998 est entré en vigueur l’Acte uniforme de l’OHADA relatif au droit des
Sociétés Commerciales et au groupement d’intérêt économique (AUSCGIE). « Ce texte qui
rattrape plus d’un siècle de retard se veut complet, simple, flexible, moderne et adapté dans
une certaine mesure aux réalités économiques et sociales africaines4 ». Avant cette date, la
1
Léopold Sédar Senghor, Que m’accompagnent Kôras et Balafong, VII, Chants d’Ombre, Œuvre Poétique.
2
Cozian, Viandier, Debuissy, Droit des sociétés, Litec, 23e édition, 2010, §1018.
3
A.-M. Cartron et S. Thouvenot, Adhésion de la RDC à l’OHADA - Conséquences en droit congolais et impact
sur l’OHADA, Cahiers de droit de l’entreprise n° 1, janvier 2010, dossier n° 5.
4
Mamadou Ismaïla Konaté, préface de Droit des sociétés et de l’arbitrage international, pratique en droit de
l’OHADA, Benoît Le Bars, éditions Joly 2011.
plupart des Etats membres utilisaient des législations moribondes, remontant à 1867 et 19255.
C’est dire l’importance de ce texte, dont l’attrait se renforce encore à mesure que s’étend
l’emprise de l’OHADA sur le continent africain.
Nous pourrions, dès lors, légitimement nous interroger sur le bien-fondé d’une telle démarche,
qui revient à prendre ses distances à l’égard d’une structure qui a connu un succès éclatant en
France, au point d’en faire le type de société le plus utilisé encore aujourd’hui. Cette
démarche n’en poursuit pas moins un objectif salutaire, puisque « ces modifications sont
motivées par la recherche d’une plus grande sécurité (...)8 ». Elle a, en revanche, un coût car
elle « (...) entraîne en contrepartie un alourdissement du formalisme et du fonctionnement de
la SARL9 ».
Dans une perspective comparatiste plus générale, il n’est peut-être pas inutile de rappeler qu’à
l’heure où la SARL française apparaît, au gré des dernières réformes, sévèrement
concurrencée par l’extrême souplesse de la SAS10, le droit OHADA continue d’ignorer cette
dernière forme sociale11. Les plus petits entrepreneurs africains désireux de limiter leur
responsabilité n’ont ainsi d’autre choix que d’avoir pour cette Chimène de SARL, les yeux de
Rodrigue.
Qu’elle soit de droit français ou de droit OHADA, la SARL puise sa source dans sa nature
hybride, qui la rapproche à la fois des sociétés de personnes et des sociétés de capitaux. Sa
spécificité consiste en l’omniprésence de règles d’ordre public qui réduisent d’autant la liberté
contractuelle des parties. Cette règlementation détaillée, qui résulte des dispositions des
articles L.223-1 à L.223-43 du Code de commerce français ainsi que des articles 309 à 384 de
l’AUSCGIE, mérite d’être étudiée et comparée, tant lors de la phase de constitution de la
SARL (1) que dans celle de son fonctionnement (2).
5
B. Martor, N. Pilkington, D. Sellers, S. Thouvenot, Le droit uniforme africain des affaires issu de l’OHADA,
Litec 2004, §287.
6
Cette dernière s’inspire d’ailleurs de la GmbH allemande, elle-même issue d’une loi de 1892, tout comme
l’EURL française s’inspirera soixante ans plus tard de l’Einman GmbH.
7
Ph. Tiger, Droit des Affaires en Afrique - OHADA, Puf 1999, p. 79.
8
Ph. Tiger, Droit des Affaires en Afrique, précit.
9
Ph. Tiger, Droit des Affaires en Afrique, précit.
10
Certains auteurs ont souligné à ce titre, le fait que la faculté de désigner un commissaire aux apports par
simple décision de l’ensemble des associés, sans recours à l’ordonnance du juge, était l’un des derniers
avantages que réservait la loi aux SARL sur les SAS : F. Dannenberger et F. Roemer, Parts sociales et
obligations émises par les SARL, Actes Pratiques & Ingénierie Sociétaire - Revue Bimestrielle LexisNexis
Jurisclasseur, Juillet-Août 2010, p. 5.
11
Ce que regrettent d’ailleurs certains auteurs. voir notamment, Ibrahima BA, Observations sur l’Acte uniforme
relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE du Traité de l’OHADA, in Mélanges Africains,
Organisations Internationales Africaines, Etudes doctrinales OHADA-UEMOA, Editions juridiques africaines
2008, p. 84.
1.- Constitution de la SARL en droits français et OHADA
1.1. Nombre d’associés
i) Nombre minimum
Dans les deux systèmes, la SARL peut ne compter qu’un seul associé12. S’il en a toujours été
ainsi pour la SARL de droit OHADA13, il a fallu attendre une loi de 1985 pour que l’EURL
soit reconnue en droit français.
1.3. Apports
i) Libération des apports
Si dans les deux systèmes de droit, la libération de l’apport en nature est intégrale, celle de
l’apport en numéraire diverge cependant. Intégrale en OHADA, elle n’est obligatoire en droit
français, qu’à hauteur du cinquième de l’apport. Le reliquat doit alors être fourni dans les cinq
ans.
12
Il existe toutefois encore quelques exceptions. En droit français, il s’agit des sociétés coopératives artisanales
et des sociétés coopératives ouvrières de production régies respectivement par les lois du 20 juillet 1983 et du
19 juillet 1978.
13
Cette approche est remarquablement étudiée par un auteur, qui indique notamment qu’« il convenait de faire
cesser ce divorce malsain entre le droit et le fait, et de répondre à l’insistante aspiration du monde des
affaires vers l’entreprise à responsabilité limitée. » Ibrahima BA, Observations sur l’Acte uniforme relatif au
droit des sociétés commerciales et du GIE du Traité de l’OHADA, précit., p. 101.
14
Il peut même être variable et devra alors se conformer aux exigences des dispositions de l’article L. 231-1 et
suivants du Code de commerce.
apports en nature doivent être obligatoirement évalués par un commissaire aux apports,
lorsque le montant global est égal ou supérieur à 5.000.000 de francs CFA.
Ouvert dans un premier temps aux seules SARL familiales de droit français, par une loi du
10 juillet 1982, l’apport en industrie a été étendu par la loi du 15 mai 2001, à l’ensemble des
SARL suivant les dispositions de l’article L.223-7 al. 2 du Code de commerce.
Bien que le droit OHADA reconnaisse de manière générale l’existence de cet apport à
l’article 40 de l’AUSC, il l’interdit néanmoins pour les SARL16.
D’aucuns pourraient le regretter, car il en ressort que, la souplesse est ici française. La
recherche sous-jacente de sécurité au travers de cette interdiction nous paraît excessive. En
effet, l’apport en industrie n’est pas pris en compte pour la formation du capital, les parts
auxquelles il donne droit ne sont pas cessibles et doivent être annulées en cas de retrait de
l’associé. Les statuts doivent obligatoirement prévoir l’existence de cet apport17, ce qui incite
les parties à en déterminer précisément ses conditions d’application et partant, à réduire
l’insécurité qui pourrait menacer le fonctionnement de la société.
1.5. Gérance
i) Similitudes
Les règles gouvernant la gérance présentent de nombreuses similitudes, qu’il nous paraît
inutile de lister en détail. On y retrouve par exemple, les mêmes règles gouvernant les
situations de dépassement d’objet social, la même obligation d’avoir un gérant personne
physique.
15
C’est d’ailleurs la reconnaissance conférée par la loi du 4 août 2008 aux SAS de cet apport, qui rapproche
encore cette dernière de la SARL française.
16
Nous regrettons à ce titre, qu’une partie de la doctrine semble pouvoir justifier artificiellement cette
interdiction par le fait qu’un tel apport ne saurait être le gage des créanciers ni être libéré intégralement, alors
même qu’il ne constitue pas plus le droit de gage des créanciers en droit français et que sa libération doit être
appréhendée autrement que celle d’un apport en numéraire. B. Martor, N. Pilkington, D. Sellers,
S. Thouvenot, Le droit uniforme africain des affaires issu de l’OHADA, précit., §312.
17
A défaut d’être prévu dans les statuts, l’apport en industrie sera considéré comme inexistant. Cass. Com.
14 décembre 2004 n° 1830 RJDA 4/05 n° 383.
18
Pour plus de développement sur ce point, voir le Guide pratique des sociétés commerciales et du GIE –
OHADA 1998, Editions L’Harmattan, §1303.
ii) Durée d’exercice du mandat
Demeurent néanmoins quelques petites divergences : en droit OHADA, lorsque les statuts ne
fixent pas la durée du mandat, le gérant exerce ses fonctions pendant quatre ans. En droit
français, dans la même situation, il le fera pour toute la durée de la société.
L’absence de révocation ad nutum est, quant à elle, commune aux deux systèmes.
19
B. Le Bars, Droit des sociétés et de l’arbitrage international, pratique en droit de l’OHADA, Editions Joly
2011, §563.
20
B. Le Bars, Droit des sociétés et de l’arbitrage international, pratique en droit de l’OHADA, précit., §583.
21
Les statuts peuvent en outre renforcer ce quorum légal.
La reconnaissance de ce regroupement est en effet alors conditionnée à une détention
minimum de 10 % du capital de la société.
A défaut d’indication précise, le droit OHADA se montre toutefois plus restrictif que le droit
français, puisque les dispositions de l’article 319 de l’AUSCGIE précisent que, la
transmission ne sera possible qu’avec le consentement de la majorité des associés non
cédants, représentant les trois quarts des parts sociales, déduction faite des parts de l’associé
cédant. Les dispositions de l’article L.223-14 al. 1er du Code de commerce retiennent la
majorité en nombre des associés représentant au moins la moitié des parts sociales.
22
Les dispositions de l’article 159 fixent en effet le seuil à l/5e du capital. Il convient de veiller à ne pas
confondre ce seuil, qui correspond à 20 % du capital, avec celui de 5 % repris à tort par une partie de la
doctrine. voir sur ce point, B. Le Bars, Droit des sociétés et de l’arbitrage international, pratique en droit de
l’OHADA, précit., §197.
23
Certains auteurs, relevant par ailleurs la moindre efficacité de la procédure d’injonction ouverte aux associés
de la SARL de droit OHADA, déclarent cependant que « l’associé minoritaire bénéficie de tous les outils
nécessaires pour participer activement à la vie politique, économique et sociale de la société et s’imposer
comme véritable contre-pouvoir à l’égard à la fois des dirigeants sociaux, mais aussi de ses coassociés ». A.-
M. Cartron et B. Martor, L’associé minoritaire dans les sociétés régies par le droit OHADA, Cahiers de droit
de l’entreprise n° 1, janvier 2010, dossier n° 2.
24
Cette faculté demeure limitée et lourdement encadrée. Pour une étude approfondie, se référer notamment à
F. Dannenberger et F. Roemer, Parts sociales et obligations émises par les SARL, Actes Pratiques &
Ingénierie Sociétaire - Revue Bimestrielle LexisNexis Jurisclasseur, Juillet-Août 2010, p. 14.
25
B. Le Bars, Droit des sociétés et de l’arbitrage international, pratique en droit de l’OHADA, précit., §511.
L’analyse comparative détaillée de ces notions dépasse le champ de notre étude. Nous
souhaitions juste saluer ici, l’originalité du droit OHADA qui, là où le droit français continue
de raisonner à partir d’une construction jurisprudentielle tirée de la notion d’abus de droit, « a
directement mis en place les éléments d’un régime juridique de l’abus de majorité et de
minorité dont les sanctions varient suivant le manquement commis26 », en insérant dans
l’AUSCGIE, les dispositions des articles 130 et 131.
Cette disparité nous conduit à appeler de nos vœux, une réforme de l’AUSCGIE qui, tout en
respectant l’originalité de l’OHADA, offrirait, dans des conditions de sécurité plus strictes
que celles existant en droit français, la possibilité pour les SARL africaines, d’émettre des
obligations, de bénéficier d’apports en industrie et de protéger encore davantage les intérêts
des associés minoritaires. L’impératif de sécurité, condition indispensable à l’essor du
développement économique africain, ne doit pas faire oublier que c’est en offrant aux
entrepreneurs locaux les instruments juridiques les mieux adaptés à leurs besoins, que ces
derniers augmenteront nécessairement leurs chances d’optimiser la pérennité de leur
commerce.
__________
Revue Congolaise de Droit et des Affaires n° 8 (avril – mai – juin 2012), p. 15.
26
B. Le Bars, Droit des sociétés et de l’arbitrage international, pratique en droit de l’OHADA, précit., §210.
27
Une telle exhaustivité nous aurait évidemment conduits – en envisageant encore bien d’autres questions telles
que la quérabilité, le montant de la réserve légale ou la similitude du régime des conventions réglementées –, à
des développements autrement plus longs.