Nuit de Passion A Milan

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Chère lectrice,

1.

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3/213

10.

Épilogue
© 2009, Maggie Cox. © 2010, Traduction
française : Harlequin S.A.
83-85, boulevard Vincent-Auriol, 75013
PARIS – Tél. : 01 42 16 63 63
978-2-280-21265-6
Toute représentation ou reproduction, par quelque
procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon sanc-
tionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.
Service Lectrices – Tél. : 01 45 82 47 47
www.harlequin.fr
Chère lectrice,
Alors que l’été s’annonce plein de promesses pour votre
collection, anticipons un peu avec les histoires enivrantes
que j’ai sélectionnées pour vous ce mois-ci : des décors
exotiques, des îles sauvages, des royaumes lointains…
L'évasion assurée !
Si vous avez envie de changer d’horizon, plongez-vous
dans Le mensonge d’une princesse, de Robyn Donald (n°
3011). L'histoire d’Hani, une princesse en fuite qui trouve
refuge sur une île paradisiaque où elle rencontre l’irrésist-
ible Kelt Gillan. Aura-t-elle le courage d’affronter son
passé pour sauver leur amour ? Ou encore, partez sur les
traces d’Ellie Mendoras, une jeune insoumise prête à tout
pour défendre la terre de ses ancêtres, l’île de Lefkis.
Même si, pour cela, elle doit s’opposer au troublant Alex-
ander Kosta (Un séduisant adversaire, de Susan Stephens,
n° 3007).
Bien sûr, n’oubliez pas le sixième tome de votre saga,
L'enfant des Karedes, de Melanie Milburne. Vous y ferez
la connaissance de Cassandra, une jeune femme condam-
née injustement par tout le peuple d’Aristos, y compris par
le prince Sebastian Karedes, son ancien amant, qui ignore
l’existence de leur enfant…
7/213

Enfin, ne ratez pas votre pack spécial, une occasion de


plus de vous échapper pour un instant de pur plaisir. Un
plaisir qui sera au rendez-vous dans chacun des livres que
j’ai choisis !
Profitez bien de ces douces journées,
Très bonne lecture,
La responsable de collection
Si vous achetez ce livre privé de tout ou partie de sa
couverture, nous vous signalons qu’il est en vente ir-
régulière. Il est considéré comme « invendu » et
l’éditeur comme l’auteur n’ont reçu aucun paiement
pour ce livre « détérioré ».
Cet ouvrage a été publié en langue anglaise
sous le titre :
PREGNANT WITH THE DE ROSSI HEIR
Traduction française de
MONIQUE DE FONTENAY
ARLEQUIN®
est une marque déposée du Groupe Harlequin
et Azur ® est une marque déposée d’Harlequin S.A.
1.
– Eh bien, quelle surprise, regardez qui est là ! Kate
Richardson en personne !
Kate Richardson écarquilla les yeux, effarée. Non, im-
possible ! Elle devait rêver. Il ne pouvait pas être là !
Les souvenirs la submergèrent, menaçant de l’emporter
dans un tourbillon d’émotions contradictoires toutes plus
violentes les unes que les autres.
Assis derrière l’imposant bureau, l’homme dardait sur
elle des yeux dont la teinte unique l’avait hypnotisée dès le
premier regard, lors de leur rencontre trois mois plus tôt, à
Milan.
Par quel incroyable tour du destin pouvait-elle se ret-
rouver, aujourd’hui, devant lui ?
Visiblement, elle n’était pas la seule à manifester sa sur-
prise. Celle de son interlocuteur se lisait sur son visage,
mêlée à de la colère.
– Luca…
Le prénom avait jailli spontanément des lèvres de Kate,
sans qu’elle puisse rien faire pour le retenir.
10/213

– Ainsi, vous vous souvenez tout de même de mon


prénom !
Comment aurait-elle pu l’oublier ? songea-t-elle.
– Je… je suis envoyée par l’agence d’intérim que vous
avez sollicitée, balbutia Kate. Vous avez besoin d’une
secrétaire pour les quinze jours à venir.
Elle vit les mâchoires de son interlocuteur se crisper.
– Dio ! Je sais parfaitement ce dont j’ai besoin ! Inutile
de me le rappeler. Ne restez pas plantée là, entrez et fermez
la porte derrière vous !
Kate obéit, incapable de se soustraire à cet ordre im-
périeux. Se retrouver, tout à coup, dans le même espace
que cet homme, lui ôtait tous ses moyens.
Elle ignorait totalement qu’il travaillait à Londres.
En vérité, ce qu’elle savait sur cet homme – avec qui elle
avait vécu une nuit d’amour torride, à Milan – se résumait
en un mot : rien !
Durant cette nuit mémorable, échanger des informations
sur leur biographie respective n’avait pas été leur priorité.
Tous deux s’étaient adonnés à des découvertes… plus
intimes.
– Asseyez-vous!
11/213

Dans le silence soudain, l’injonction retentit comme un


coup de fouet. La gorge nouée, Kate prit place sur le siège
face à l’imposant bureau. Il était temps, se dit-elle, ses
jambes flageolantes n’auraient pas pu la porter plus
longtemps.
L'immense baie vitrée située derrière Luca offrait un
panorama à couper le souffle sur Big Ben et la Tamise mais
la jeune femme ne lui accorda pas la moindre attention.
Aucun paysage au monde ne pourrait jamais rivaliser
avec l’attraction exercée sur elle par la perfection du visage
masculin qui s’offrait de nouveau à sa contemplation. Une
onde de chaleur monta de ses reins au souvenir de cette nu-
it unique, durant laquelle elle avait pu, non seulement se re-
paître de la beauté de l’homme qui se tenait devant elle,
mais aussi explorer son corps si harmonieusement musclé.
Hélas, le destin avait voulu qu’il y eût un prix à payer
pour le bonheur éprouvé lors de cette fusion magique de
leurs deux corps !
Luca l’ignorait encore. Mais elle l’avait retrouvé et allait
devoir l’en informer. Elle eut un haut-le-cœur à cette
pensée.
– Pourquoi vous êtes-vous enfuie comme une voleuse
sans même prendre le temps d’un au revoir, à Milan ?
demanda-t-il. Traitez-vous tous vos amants d’une manière
aussi désinvolte ? Les abandonnez-vous au creux du lit
12/213

sans attendre qu’ils se réveillent ? Eprouvez-vous une sorte


de plaisir pervers à vous conduire ainsi ?
Les joues de Kate rougirent sous l’effet de l’indignation
et de la révolte.
– Je ne vous permets pas de m’insulter !
– Vraiment ? A quoi vous attendiez-vous ? A des com-
pliments pour votre conduite inqualifiable ? Sachez que
personne, jusqu’alors, ne s’était permis de me traiter
comme vous l’avez fait.
La moue sur ses lèvres laissait deviner qu’il n’éprouvait
plus désormais pour elle, que dégoût et mépris.
– Ma conduite, ce matin-là, a été condamnable, admit
Kate. Mais de là à en déduire qu’elle m’est coutumière…
Je vous jure que c’est faux !
– Alors, pourquoi vous êtes-vous comportée ainsi avec
moi, Katherine ? Ma déception a été immense. J’attendais
autre chose de vous.
Kate ressentit un violent pincement au cœur. Si la pos-
sibilité de revenir en arrière existait, se conduirait-elle
autrement ?
Peut-être.
Les yeux rivés sur les traits crispés de Luca, elle éprouva
soudain le désir incontrôlable de voir refleurir sur ses
13/213

lèvres ce sourire qui l’avait séduite jusqu’à l’amener dans


son lit.
Mais, hélas, il semblait n’avoir aucune envie de lui
sourire ainsi!
Des larmes de frustration lui montèrent alors aux yeux.
Elle devait reconnaître que les éléments dont il disposait ne
plaidaient guère en sa faveur.
Elle n’avait accepté d’accompagner son amie Melissa à
cette soirée donnée dans la riche demeure d’un architecte
milanais qu’à contrecœur.
Cet univers de richesse et de puissance n’était pas son
monde. Y pénétrer avait été une erreur.
Il s’agissait de la toute dernière soirée de sa semaine de
vacances en Italie, et sa seule envie avait été de la passer
dans la quiétude absolue. Elle avait besoin de calme afin de
réfléchir à la manière dont elle allait reconstruire sa vie à
son retour au Royaume-Uni.
Si elle y parvenait après l’odieuse trahison dont elle avait
été l’objet !
Mais Melissa avait insisté. Elle n’était pas venue en
Italie pour s’isoler, lui avait-elle déclaré. Elle devait im-
pérativement « sortir, s’amuser, rencontrer des gens », le
seul remède, à son avis, capable de vaincre la dépression
dans laquelle elle s’enfonçait.
14/213

Au lieu de la soirée calme et tranquille à laquelle elle as-


pirait, Kate avait dû côtoyer une cohorte d’hommes et de
femmes appartenant à la jet-set italienne, tous richissimes.
Aucun d’eux n’avait réussi à l’intéresser… mis à part
l’homme qui se tenait, aujourd’hui, en face d’elle.
Beau comme un dieu, d’une élégance à couper le souffle,
il avait tout d’abord lancé un regard autour de lui, con-
sidéré avec ennui la dévotion évidente que lui prodiguaient
tous les invités, avant de focaliser brusquement son atten-
tion sur elle.
Partie au bras de l’un de ses admirateurs, son amie
Melissa semblait l’avoir lâchement abandonnée au milieu
de ces gens qu’elle ne connaissait pas. Se tenant légèrement
en retrait de la foule, près d’une fenêtre, Kate luttait depuis
quelques instants contre l’envie de quitter cet endroit
quand, soudain, elle avait rencontré le regard de l’homme
fixé sur elle.
Il la dévisageait sans la moindre pudeur et la jeune
femme avait brusquement senti les battements de son cœur
s’affoler. Tournant résolument le dos aux admirateurs qui
s’empressaient de converger vers lui, le bel Italien les avait
superbement ignorés pour s’avancer résolument vers elle.
– Je m’appelle Luca, avait-il énoncé.
15/213

Juste un prénom, Luca. Il avait omis de mentionner son


nom complet, Gianluca De Rossi.
– Et vous ? avait-il ajouté simplement.
– Katherine, avait-elle répondu.
Pourquoi ce prénom – qu’elle n’utilisait à la place de son
diminutif qu’à de très rares occasions, le trouvant trop
pompeux – lui était-il venu spontanément aux lèvres ?
Elle l’ignorait.
Sans doute lui avait-il semblé plus approprié à l’environ-
nement incontestablement huppé de la soirée.
Sans doute, une fois de plus, avait-elle ressenti l’impres-
sion de ne pas être à sa place dans ce monde de glamour et
de luxe. A l’évidence, Katherine avait plus de classe que
Kate.
Il y avait bien des raisons pour lesquelles elle s’était con-
duite d’une façon étrange cette nuit-là. Se présenter comme
Katherine était l’une d’elles.
Elle interrompit soudainement ses pensées pour revenir à
sa préoccupation actuelle. Les mains posées sur la surface
cirée du bureau, elle rassembla tout son courage pour af-
fronter le regard rempli de colère de son interlocuteur.
– Je n’avais nullement l’intention de m’enfuir comme je
l’ai fait, expliqua-t-elle. Je… je voulais seulement ne pas
16/213

vous réveiller. C'était la dernière soirée de mes vacances et


j’avais un avion à prendre en fin de matinée. J’aurais dû
vous en informer mais…
Elle rougit lamentablement et il vint à son secours.
– … mais nous nous étions occupés à tout autre chose !
J’admets que cette soirée a été pleine d’imprévus et que
moi-même, je ne me suis pas conduit comme à mon
habitude. Mais partir comme vous l’avez fait, sans laisser
le moindre mot, ni un numéro de téléphone ou une adresse
où vous joindre…
– Je suis désolée, répondit-elle, sincère.
Mais comment aurait-elle pu imaginer, une seule
seconde, qu’un homme tel que lui, évoluant dans pareil mi-
lieu, pût désirer la contacter après qu’elle se fut honteuse-
ment donnée à lui sans la moindre réserve ?
S'était-elle trompée en pensant qu’il l’oublierait à la
seconde même où il se réveillerait ?
S'était-elle persuadée qu’il ne pourrait en être autrement,
par manque de confiance en elle ?
Que signifiait sa fuite éperdue, au petit matin, sans lui
laisser la moindre possibilité de la recontacter, si ce n’était
une lâche tentative de se préserver, de s’éviter de souffrir ?
Car, en vérité, le quitter lui avait été insupportable !
17/213

Certes, elle manquait terriblement d’expérience dans le


domaine amoureux mais elle en possédait suffisamment
pour comprendre que la force d’attraction qui les avait
poussés dans les bras l’un de l’autre, à la seconde même où
leurs regards s’étaient croisés, était peu banale.
Pour la toute première fois, elle avait expérimenté la
merveilleuse impression de la fusion, non seulement de
deux corps, mais aussi de deux âmes.
Luca possédait quelque chose de spécial. Il l’attirait
comme un aimant, la fascinait, mettait ses défenses patiem-
ment érigées, à mal. Elle lui était tombée dans les bras sans
qu’il ait eu le moindre effort à fournir.
Le fait qu’elle se fût abandonnée de manière aussi inat-
tendue était sans doute en relation avec les deux deuils ac-
cablants qu’elle venait de subir.
Elle avait tout à la fois perdu sa mère – le seul membre
de sa famille qui lui restait – et son estime de soi. Ces deux
événements, survenus à quelques semaines d’intervalle,
l’avaient laissée vidée de toute substance, incapable de
penser sereinement et de prendre les bonnes décisions.
A quel jeu pervers jouait donc le destin en lui refaisant
croiser le chemin de cet homme si terriblement
charismatique?
18/213

Le tout-puissant Gianluca De Rossi, qu’elle n’imaginait


pas être Luca, avait besoin d’une secrétaire de direction
temporaire et elle cherchait justement un travail dans ce do-
maine. L'agence d’intérim l’avait donc contactée. C'était
aussi simple que cela.
– Je suis désolée, répéta-t-elle, très sincèrement désolée !
Luca laissa échapper un profond soupir.
– Bien ! Le mieux serait que nous oubliions purement et
simplement ce qui s’est passé entre nous, cette fameuse nu-
it, pour nous concentrer sur le présent ! Ce qui est arrivé ne
doit en rien perturber le travail que nous aurons à accomplir
durant les quinze jours à venir.
Kate perçut l’épuisement de son interlocuteur. Il
semblait que la charge de travail qu’il avait eue à porter ces
derniers jours ait été particulièrement lourde. Elle éprouva
aussitôt le désir de l’aider.
Hélas, comme s’il regrettait déjà sa mansuétude, Luca
s’empressa d’ajouter :
– Cependant, quelle étrange coïncidence, tout de même,
que ce soit précisément vous qui vous retrouviez devant
moi, aujourd’hui, en réponse à mon annonce ! Allez,
avouez-le, il s’agit d’un plan machiavélique, fomenté par
un de mes concurrents et destiné à me déstabiliser ! Dites-
19/213

moi qui vous envoie avant que je demande à mon service


de sécurité de vous jeter dehors !
Kate pâlit.
– Il ne s’agit en aucune façon d’un plan machiavélique,
je peux vous le jurer. Je suis envoyée par l’agence d’in-
térim auprès de laquelle vous avez déposé votre demande.
J’ignorais que ce Gianluca De Rossi, vers qui elle m’en-
voyait, c’était vous. Comment l’aurais-je su ? Vous ne
m’avez communiqué qu’une partie de votre prénom, cette
fameuse nuit, à Milan, et vous ne m’avez nullement in-
formée que vous travailliez à Londres.
– Vous auriez pu vous enquérir de mon nom auprès de
n’importe lequel de mes invités, ce soir-là. La soirée se
déroulait dans ma demeure. Il vous aurait également été
très facile de savoir qu’en tant qu’architecte, j’ai des bur-
eaux à Milan mais aussi à Paris et à Londres.
– A part Melissa, l’amie qui m’avait invitée à l’accom-
pagner à cette soirée, je n’ai même pas échangé deux mots
avec le reste des participants. Melissa ne vous connaissait
pas. L'invitation lui avait été donnée par une de ses amies
qui ne pouvait se rendre à la fête. Sa seule information était
l’adresse imprimée sur le carton. D’autre part, pourquoi
aurais-je attendu trois mois si je voulais vous revoir ?
Réfléchissez. Si j’avais vraiment voulu conserver un lien, il
20/213

aurait été plus facile de vous laisser mes coordonnées,


non ?
– Ainsi, vous avouez avoir délibérément cherché à
couper toute relation entre nous ! Comme c’est flatteur ! Si
je comprends bien, c’est le destin qui nous met de l’un en
face de l’autre. Que faut-il en conclure, Katherine ? Il sem-
blerait qu’il veuille que nous poursuivions ce que nous
avons commencé, non ?
Kate frémit à la pensée du lourd secret qu’elle portait.
Quelle serait sa réaction si elle le lui révélait ? Le destin
leur jouait un tour bien plus complexe encore qu’il ne le
pensait. Mais, pour l’instant, il lui fallait expliquer pour-
quoi elle se retrouvait devant lui.
– Je suis secrétaire de direction. Je possède toutes les
compétences pour occuper ce poste. Je ne suis ici que pour
des raisons professionnelles, rien d’autre.
Il se laissa aller contre le dossier de son fauteuil.
– Bien ! J’ai en effet un urgent besoin d’être secondé. Si
vous devez travailler à mes côtés, laissez-moi vous dire
ceci : j’attends de vous que vous soyez une collaboratrice
hors pair. Vous ne bénéficierez d’aucune indulgence à
cause de ce qui s’est passé entre nous, à Milan. J’espère
que vous serez à la hauteur car, si ce n’est pas le cas, j’ap-
pelle immédiatement l’agence d’intérim afin qu’elle m’en-
voie une remplaçante.
21/213

Le sourire cynique qu’il arborait fit à Kate l’effet d’un


coup de poing. Il n’avait rien à voir avec celui, plein de
charme, dont il l’avait gratifiée lors de leur fameuse
rencontre.
– Ce ne sera pas utile, croyez-moi. Je suis très efficace.
– Parfait ! Si vous ne cherchez pas à exercer de nouveau
sur moi votre incontestable pouvoir de séduction, alors
nous pouvons espérer pouvoir collaborer dans de bonnes
conditions.
– Mais je n’ai jamais…
– … eu une aventure d’une nuit avec un homme que
vous ne connaissiez pas ? Vous ne vous êtes jamais enfuie
comme une voleuse, au petit matin, sans même lui laisser
un mot ? Comment vous faire confiance, Katherine ? Mon
unique expérience en ce qui vous concerne ne plaide
vraiment pas en votre faveur. Pourquoi ce désir évident de
couper court à toute communication ?
Elle baissa la tête, confuse.
– J’avais mes raisons pour agir ainsi.
– Un avion à prendre. C'est ce que vous avez affirmé,
n’est-ce pas ?
– Pas seulement ça.
22/213

Elle releva la tête, en quête de son regard. Cette nuit-là,


dans les bras l’un de l’autre, ils avaient incontestablement
vécu une relation d’une incroyable intensité, impossible à
oublier. Kate avait éprouvé le sentiment d’avoir attendu cet
instant toute sa vie. En avait-il été de même pour lui ?
Hélas, à la vue de l’expression dure et sévère qu’il affi-
chait, le fol espoir qu’elle avait nourri de le voir faire
preuve de compassion, s’évanouit aussitôt. Néanmoins, elle
était consciente qu’elle lui devait des explications.
– Des événements déstabilisants s’étaient produits dans
ma vie quelques semaines plus tôt, expliqua-t-elle, en nou-
ant et dénouant nerveusement ses mains. C'était la raison
de ma présence en Italie. Je m’autorisais une semaine de
vacances, au pays du soleil, afin de tenter de me reconstru-
ire. Sans doute allez-vous avoir du mal à le croire mais la
légèreté avec laquelle je me suis comportée, cette nuit-là,
n’est absolument pas dans mon caractère. Aussi, quand le
lendemain matin, je me suis réveillée dans votre lit, je… je
ne pouvais croire que j’avais…
– Vraiment… Vous n’avez rien trouvé de plus convain-
cant en guise d’excuse ?
Kate eut un nouveau haut-le-cœur. Quoi qu’elle dise, il
ne la croirait pas, c’était évident. Elle laissa échapper un
soupir de découragement.
23/213

– A l’évidence, jamais vous ne pourrez me pardonner.


Vous avez raison. Il vaudrait mieux que vous téléphoniez à
l’agence afin qu’elle vous envoie quelqu’un d’autre.
Comme piqué par un serpent, il se redressa brusquement
sur son siège.
– Non !
La violence de son ton prit la jeune femme de court.
N’était-ce pas ce qu’il venait de proposer lui-même
quelques secondes plus tôt ?
– J’ai une meilleure idée, poursuivit-il. Je vous prends un
jour à l’essai. Si votre travail ne correspond pas à mes exi-
gences, alors j’appellerai l’agence.
– Je suppose que je n’ai qu’à m’incliner. Vous êtes le
patron.
Ainsi il lui donnait sa chance ! Elle en était surprise, s’at-
tendant plutôt à ce qu’il la mette dehors, manu militari,
comme il l’en avait menacée.
– Bien ! Nous avons perdu assez de temps comme ça,
mettons-nous au travail ! Une journée particulièrement
chargée nous attend. La soudaine maladie de ma secrétaire
ne pouvait pas plus mal tomber. Je suis sur le point de rem-
porter l’appel d’offre pour la construction d’un somptueux
hôtel à Dubaï, selon les techniques les plus novatrices. Un
enjeu capital pour mon cabinet d’architecte. J’ai rendez-
24/213

vous, cet après-midi même, au Dorchester Hotel, avec le


commanditaire, un richissime Saoudien. Il n’est à Londres
que pour deux jours et, ce soir, j’organise un dîner afin de
lui permettre de rencontrer quelques-uns de mes amis
hommes d’affaires. En attendant, vous pouvez vous famili-
ariser avec le dossier en étudiant les notes laissées par ma
secrétaire. Son bureau se trouve juste derrière cette porte, à
côté. A moins que mon travail n’exige une complète con-
fidentialité, cette porte entre les deux bureaux demeurera
ouverte. Etant donné votre fâcheuse habitude de disparaître
sans prévenir, je pense que c’est une précaution qui s’im-
pose si nous devons travailler ensemble.
A l’évidence, il avait perdu toute confiance en elle.
Comment l’en blâmer après son comportement ?
Mais il avait tort de s’inquiéter. Elle l’avait retrouvé.
Elle ne s’enfuirait pas une seconde fois. Car une chose im-
portante s’était produite cette nuit-là, en Italie. Une chose
qui allait avoir des conséquences sur leur vie à venir. Une
chose qu’elle allait devoir lui avouer, même si cela lui coû-
tait, car il était indéniablement concerné.
Elle haussa les épaules, fataliste.
– Si c’est ce que vous voulez, je n’ai plus qu’à
m’exécuter.
25/213

Se levant, elle quitta son siège pour se diriger vers la


porte qu’il lui avait indiquée, et rejoindre ce qui allait être
son bureau pour les quinze jours à venir.
Comme elle passait devant lui, il lui saisit le bras.
– Katherine…
– Que voulez-vous ? demanda-t-elle, tous ses sens en
alerte.
Au travers du tissu, elle percevait la chaleur de sa main
et frémit de tout son être. Leurs yeux se rencontrèrent, se
soudèrent mais, brusquement, comme s’il prenait con-
science de ce qu’il venait de faire, il laissa retomber son
bras le long de son corps.
– Rien ! affirma-t-il. Non, je ne veux rien !
Les jambes flageolantes, Kate s’empressa de rejoindre le
refuge que lui offrirait désormais son bureau.

Les mains enfouies au fond de ses poches, Luca dut faire


un terrible effort pour se remettre du choc de ces retrouv-
ailles inattendues. Ainsi, le destin avait voulu que son
chemin croise de nouveau celui de cette femme, dont le
visage et le corps hantaient ses jours et ses nuits depuis
trois mois.
26/213

Madre mia, ce qui lui arrivait était proprement


incroyable ! songea-t-il, l’esprit bouillonnant d’émotions
contradictoires.
Quand Katherine avait pénétré dans son bureau, il avait
cru voir se matérialiser l’objet de tous ses fantasmes,
brusquement devant ses yeux !
Il avait des excuses. Leur brève rencontre avait été si
totalement magique qu’il s’était souvent demandé si elle
n’avait pas été le fruit de son imagination enfiévrée. Depuis
que ses yeux s’étaient de nouveau posés sur elle, les batte-
ments de son cœur s’étaient emballés et ils n’avaient tou-
jours pas retrouvé leur rythme normal.
Ses narines frémissaient encore au frais parfum de fleurs
des champs qu’elle avait laissé dans son sillage, bien plus
délicieux, pour lui, que tous ceux concoctés par de savants
parfumeurs.
Plus perturbant encore, montait au creux de son ventre le
désir fulgurant de la conduire jusqu’à son lit !
Sa mémoire, d’habitude si fiable, n’avait pas vraiment
rendue justice à la jeune femme.
Elle était bien plus belle encore que dans ses souvenirs.
Son abondante chevelure auburn, rebelle et indisciplinée,
auréolait son visage d’ange, et ses immenses yeux couleur
noisette ne nécessitaient aucun maquillage pour donner
27/213

l’envie de s’y plonger. Mais c’était surtout sa bouche, si ir-


résistiblement sensuelle, qui hantait ses nuits et le main-
tenait éveillé jusqu’à l’aube.
Dio, qu’allait-il faire maintenant ?
Devait-il permettre à Katherine de devenir son assistante
personnelle, durant les quinze prochains jours, alors que
son désir le plus cher était de la mettre dans son lit ?
Elle s’était enfuie sans un mot, au petit matin, après leur
nuit d’amour torride et passionnée. Elle n’aurait pas pu lui
signifier plus clairement le peu d’importance qu’elle avait
accordé à leurs ébats.
Mais n’en allait-il pas de même pour lui ? Il n’avait
nullement l’intention de construire une relation dans la
durée. Alors, de quoi diable avait-il peur ?
Sans qu’il puisse rien faire pour l’empêcher, le souvenir
de leur nuit d’amour en Italie l’assaillit.
Katherine possédait le pouvoir de l’émouvoir, de faire
naître en lui un sentiment jusque-là inconnu. Cela n’avait
rien à voir avec le désir sexuel qui, pourtant, le taraudait.
Non, il s’agissait d’un sentiment beaucoup plus subtil
qui déclenchait chez lui l’envie de donner le meilleur de
lui-même. Un sentiment qui faisait apparaître toutes les
femmes qu’il avait fréquentées jusqu’alors, totalement in-
sipides et superficielles !
28/213

Par quelle incroyable ironie du sort, Katherine s’était-


elle présentée à sa porte sans même l’avoir voulu ?
Comment fallait-il interpréter ce coup de pouce du destin ?
Mais, soudain, son orgueil de mâle blessé se rappela à
lui. Comment avait-elle pu partir sans un mot après leur
folle nuit d’amour ? pensa-t-il, avec irritation.
Elle s’était donnée à lui, avait crié de plaisir. Jamais,
jusqu’alors, il n’avait fait l’amour à une femme avec une
telle ardeur !
Et, pourtant, elle l’avait quitté comme si, pour elle, cette
nuit n’avait pas eu la moindre importance. Pire, d’après ce
qu’elle prétendait, elle se retrouvait sur son chemin sans
l’avoir désiré.
Le destin lui faisait-il une faveur en la mettant de nou-
veau sur son chemin ? Il avait du mal à le croire.
Après la mort tragique de sa femme, Sophia, survenue
trois ans plus tôt, il avait perdu tout espoir de pouvoir être
heureux de nouveau.
C'est pourquoi, à son réveil ce matin-là, quand il avait
constaté le départ de Katherine, après quelques instants de
juste colère et d’intense frustration, il s’était efforcé de tout
mettre en œuvre afin de l’effacer à jamais de sa mémoire.
S'il avait vraiment voulu la retrouver, sans doute aurait-il
pu interroger ses invités.
29/213

Ce qui s’était passé durant cette fameuse nuit était si in-


attendu, si intense, si déstabilisant, qu’il avait encore du
mal à comprendre comment cela avait pu arriver.
Juste avant que ses yeux ne se posent sur la belle incon-
nue, il éprouvait un sentiment de vide absolu. Depuis la
disparition de Sophia, il organisait des soirées pour oublier
sans vraiment y parvenir.
Il mourait d’ennui quand, soudain, il l’avait aperçue, se
tenant légèrement en retrait de la foule des invités. Elle
avait irrésistiblement attiré son regard. Pourtant, contraire-
ment aux autres femmes, elle ne portait aucune tenue soph-
istiquée, aucun bijou de prix. Elle était naturellement belle
dans son extrême simplicité.
Son cœur s’était mis à battre la chamade dans sa
poitrine.
Soudain, il s’était de nouveau senti vivant !
Il n’avait alors plus eu qu’un seul désir : garder cette
femme pour lui seul, le reste de la soirée.
D’habitude, il était beaucoup plus circonspect et prenait
le temps de connaître sa partenaire avant de la conduire
dans son lit. Mais son attirance pour Katherine lui avait ôté
toute capacité à raisonner.
La belle inconnue s’était donnée à lui comme si c’était la
chose la plus naturelle au monde. Leurs deux corps avaient
30/213

fusionné dans la plus parfaite harmonie. Il aurait voulu la


garder pour la vie. Mais, le lendemain matin, elle avait dis-
paru et son orgueil de mâle avait été incontestablement mis
à mal.
Luca se passa une main nerveuse dans les cheveux au
souvenir de la manière dont il avait perdu tout contrôle dès
qu’il l’avait prise dans ses bras, cette nuit-là.
Quelles que soient les raisons qui avaient remis Kather-
ine sur son chemin, il se fit la promesse de combattre l’at-
traction qu’elle exerçait sur lui et d’entretenir dorénavant
avec elle une relation strictement professionnelle.
2.
La porte entre les deux bureaux était restée ouverte et
Kate dut faire de terribles efforts afin de contenir son envie
de jeter un coup d’œil à côté pour apercevoir Luca.
Comment pouvait-elle être aussi irrésistiblement attirée
par un homme qui lui aboyait ses ordres, la traitant comme
une sorte de robot mis à son service et dont il attendait une
parfaite soumission.
Hélas, elle ne pouvait s’empêcher de se rappeler la
douceur passionnée avec laquelle il lui avait fait l’amour,
cette fameuse nuit, à Milan.
Comment l’oublier ?
A plusieurs reprises, déjà, depuis le début de la matinée,
les nausées étaient venues lui rappeler les conséquences qui
en avaient résulté.
Malheureusement, ce n’était pas la manière dont Luca
l’avait accueillie qui allait l’encourager à partager son
secret avec lui.
Face à la dure réalité de l’attitude actuelle de Luca à son
encontre, elle aurait préféré que cette nuit magique ne fût
32/213

qu’un rêve totalement inventé par son imagination


débridée.
S'il se montrait soupçonneux quant aux raisons de sa
brusque réapparition, il était facile d’imaginer sa réaction
lorsqu’elle l’informerait des conséquences de leurs ébats
sulfureux.
Depuis qu’elle avait eu connaissance de son état, elle
avait toujours eu la ferme intention de lui avouer la vérité,
mais elle s’était trouvée dans l’incapacité absolue de le
faire.
Son amie Melissa – la seule qui aurait pu l’aider – était
partie travailler aux Etats-Unis, sans lui laisser de coordon-
nées permettant de la joindre.
Quant à elle, elle avait été si peu enthousiaste à l’idée de
participer à cette fameuse soirée, qu’elle n’avait pas pris
soin de mémoriser l’adresse de la demeure dans laquelle
elle se déroulait.
En conséquence de quoi, toutes ses recherches aboutis-
sant à une impasse, Kate avait dû reconnaître que son atti-
tude avait été absurde. Partir sans laisser à Luca la moindre
possibilité de la contacter avait été totalement infantile et
irresponsable.
Pour le moment, elle allait devoir s’efforcer de se con-
centrer sur les tâches à accomplir tout en sachant qu’à un
33/213

moment ou à un autre, il lui faudrait informer Luca de sa


situation.
A condition de choisir soigneusement l’instant opportun.
Elle ne pouvait se permettre de perdre ce travail. Le type
de remplacement à haute responsabilité, exigé par le tout-
puissant Gianluca De Rossi, était payé au prix fort par
l’agence d’intérim et l’argent qu’elle en percevrait serait le
bienvenu.
A vrai dire, il serait capital !
Elle s’efforçait d’économiser chaque penny, mais résider
à Londres coûtait une fortune et l’argent qu’elle avait mis
de côté jusqu’à présent ne lui permettrait guère de gérer au-
delà d’un mois les dépenses du quotidien, quand elle serait
obligée de s’arrêter de travailler.
Cette perspective peu réjouissante la tenait éveillée
chaque nuit.
Il lui fallait donc impérativement réussir cette journée
test qu’il venait de lui imposer.
Forte de ces résolutions, elle se concentra sur son travail
et n’eut aucun mal à retrouver ses habituelles capacités pro-
fessionnelles, en priant le ciel pour que les nausées ne revi-
ennent pas l’assaillir.
34/213

Comment avait-elle été suffisamment stupide pour


s’abandonner à Luca sans lui demander de se protéger,
songeait-elle, quand la voix de celui-ci la ramena à la
réalité.
– Rejoignez-moi dans mon bureau ! ordonna-t-il, en
passant sa tête par la porte ouverte avant d’aller prestement
se rasseoir derrière son énorme bureau.
Lucy – la directrice de l’agence d’intérim – avait averti
Kate avant de lui confier le travail. L'empire construit par
les De Rossi dans le domaine de l’architecture était devenu
une puissance internationale et remportait, sans peine, les
plus gros marchés.
Kate rassembla ses affaires sans plus tarder. Elle ne
devait pas faire attendre son tout-puissant patron.
– Asseyez-vous ! commanda-t-il dès qu’elle eut franchi
le seuil.
Kate frémit tandis que l’odeur épicée de son eau de toi-
lette venait lui titiller les narines, provoquant en elle un af-
flux de souvenirs, tous plus érotiques les uns que les autres.
Luca s’était révélé un amant hors pair. Dans ses bras,
Kate avait connu l’extase, la révélation de sa féminité, de
cette hyper sensualité qu’elle ignorait posséder.
35/213

En cet instant, elle pouvait encore ressentir le plaisir ex-


trême qu’elle avait éprouvé à le caresser, à sentir ses
muscles tressaillir sous l’effleurement de ses doigts.
Grands dieux, elle devait chasser ces souvenirs loin de
son esprit ! De peur qu’il ne lise dans ses pensées, elle
baissa les yeux pour fuir son regard.
– Mon client vient de prendre contact avec moi et je
m’apprête à le rejoindre pour notre réunion de travail au
Dorchester Hotel, dit Luca, martyrisant un stylo en or entre
ses doigts comme pour endiguer un trop-plein d’énergie. Il
est heureux que vous portiez une veste sur votre robe et que
celle-ci soit d’une longueur respectable. Ainsi, vous allez
pouvoir m’accompagner à cette réunion. Hassan est un
Saoudien occidentalisé mais il est important que celle qui
va m’assister au cours de cette importante négociation soit
à l’image du professionnalisme et de la respectabilité ac-
quise par notre entreprise.
Kate faillit laisser exploser son indignation. Elle réussit
toutefois à répondre d’une voix calme et mesurée :
– Je suis très au fait de la culture et du mode de vie de
l’Arabie Saoudite. J’ai eu l’occasion de travailler pour une
compagnie pétrolière et j’ai vécu six mois à Dubaï. Je sais
l’importance que revêt une bonne présentation dans les
fonctions qui sont les miennes. Je n’aurais pas fait carrière
dans ce métier si ce n’était pas le cas.
36/213

Il haussa les sourcils.


– Décidément, vous êtes une femme pleine de surprises,
Katherine. Mais, cela je le savais déjà pour l’avoir expéri-
menté à mes dépens.
La jeune femme s’enjoignit de rester calme. Il ne lui fal-
lait pas oublier qu’elle devait impérativement réussir
l’épreuve test de cette journée.
– Avez-vous d’autres instructions à me donner ?
s’enquit-elle.
Il n’était pas question qu’elle réponde à ses provoca-
tions. Elle n’oubliait pas qu’à un moment ou à un autre,
elle allait devoir aborder un sujet bien plus brûlant encore
que sa tenue vestimentaire.
– Vous avez sans doute besoin de vous rafraîchir et
j’aimerais que vous en profitiez pour attacher vos cheveux,
déclara-t-il tout de go. Il se pourrait qu’ils détournent l’at-
tention de mon client au cours de notre discussion et ce
serait fort dommageable.
Kate faillit s’étrangler de surprise. Ne venait-il pas de
sous-entendre qu’elle laissait ses cheveux libres afin d’at-
tirer l’attention des mâles qu’elle rencontrait ? Apparem-
ment, il cherchait la moindre occasion de la rabaisser au
rang de vile séductrice.
Qu’il aille au diable !
37/213

Son abondante chevelure auburn se révélait très difficile


à discipliner aussi faisait-elle toujours très attention à la
couper à une longueur convenable et à l’entretenir avec un
soin méticuleux.
Mais la remarque de Luca venait de lui rappeler des
souvenirs douloureux. Lorsqu’elle était enfant, parce
qu’elle venait d’un quartier pauvre, ses camarades de
classe, originaires des quartiers huppés, la prenaient très
souvent comme cible de leurs sarcasmes.
Son abondante chevelure l’avait fait surnommer « la bo-
hémienne », un terme qui se voulait résolument méprisant.
C'est à l’école que Kate avait définitivement perdu le peu
de confiance qu’elle avait en elle et développé un terrible
complexe d’infériorité qui l’handicapait encore à l’âge
adulte. Mais elle ne laisserait pas l’arrogant personnage qui
lui faisait face lui dicter la manière dont elle devait se
coiffer.
Elle se redressa dans son fauteuil.
– Cela fait huit ans que j’exerce la profession de
secrétaire de direction et pas une seule fois je n’ai eu de re-
marques désobligeantes sur ma chevelure !
– Je n’en doute pas une seconde. Vous assistiez surtout
des hommes, n’est-ce pas ?
– Que voulez-vous dire ?
38/213

– Ne faites pas l’innocente, Katherine. Vous comprenez


parfaitement ce que je veux dire.
Il se pencha vers elle et ses extraordinaires yeux bleus
plongèrent dans les siens, comme s’il voulait lire dans son
âme.
– Aucun mâle normalement constitué ne peut résister à
votre charme et vous le savez, poursuivit-il. Mais cela se
voulait être un compliment, pas une insulte !
Un compliment ? Elle n’avait que faire de ce type de
compliment ! songea-t-elle.
Surtout quand il était assorti de ce regard qui sous-en-
tendait tant de choses qu’elle souhaitait oublier.
– Quand devons-nous partir ? demanda-t-elle d’un ton
froid et détaché en se levant de sa chaise.
– Mon chauffeur nous prendra devant l’entrée dans dix
minutes, dit-il, tout en l’enveloppant d’un regard insolem-
ment appréciateur.
Elle portait la robe et la veste les plus élégantes de sa
garde-robe mais il ne tarderait pas à remarquer qu’elles
n’étaient pas de la même facture que ses propres vêtements.
Mais, sous son regard, elle se sentait déstabilisée pour
une raison plus dérangeante encore. Il connaissait intim-
ement chaque parcelle de son corps pour l’avoir
39/213

longuement et minutieusement exploré. Cette pensée ne fit


qu’accroître encore son sentiment d’extrême vulnérabilité
et, instinctivement, elle resserra les pans de sa veste sur sa
poitrine comme pour la protéger.
– Il vaut mieux que j’aille me préparer, dit-elle en se di-
rigeant résolument vers la porte.
Elle allait sortir lorsqu’il l’interpella :
– Ne touchez pas à vos cheveux. Finalement, j’ai changé
d’avis à leur sujet. Les attacher serait un sacrilège, ils sont
si beaux !
Elle resta bouche bée, à le regarder fixement, et, regret-
tant d’en avoir trop dit, il lança :
– Je rassemble les dossiers nécessaires et je vous attends
dans la voiture.
Puis, il s’empara du combiné du téléphone et aboya ses
ordres aux oreilles de la pauvre réceptionniste du rez-de-
chaussée, qui – il en était conscient – n’avait rien fait pour
mériter sa fureur.

Au cœur de la discussion sur le projet du luxueux hôtel


que son ami Hassan envisageait de construire dans sa ville
de Dubaï, Luca fit soudain une pause.
40/213

Le regard du riche Saoudien venait de se focaliser sur la


femme discrètement assise non loin d’eux, prenant sage-
ment des notes.
La fulgurance du sentiment de jalousie qui vrilla alors
son cœur stupéfia Luca et l’espace d’un instant, le déstabil-
isa. Ce n’était vraiment pas le moment !
Mais comment blâmer son ami d’être attiré comme par
un aimant par le spectacle qu’offrait Katherine ?
Durant les trois derniers mois n’avait-il pas, lui-même,
été hanté par le souvenir de son exquise beauté ? La jeune
femme possédait en elle quelque chose qui déclenchait
chez tout homme normalement constitué l’envie irrésistible
de la protéger et de la posséder tout à la fois.
Jusqu’alors, il n’avait pas cherché à analyser ce qu’il
ressentait.
Désormais, il savait que cette femme était unique.
Aucune autre ne pouvait rivaliser avec elle. Vêtue d’une
robe et d’une veste tout à fait ordinaires, dépourvue de ma-
quillage et de bijoux, elle attirait irrésistiblement le regard
des hommes, sans rien faire pour le provoquer.
Ce constat n’améliora pas son humeur.
Un sentiment d’intense frustration se développait en lui
depuis qu’elle avait pénétré dans son bureau, ce matin. Il se
41/213

sentait totalement incapable de gérer sainement cette situ-


ation et vivait désormais dans l’appréhension qu’elle
s’évanouisse une fois encore dans la nature.
Il se racla discrètement la gorge et Hassan reporta son at-
tention sur lui, nullement embarrassé d’avoir été pris en
flagrant délit de fascination pour son assistante. Il sourit.
– Vous disiez, Luca ?
Il allait faire part de son agacement quand il intercepta le
regard de Katherine. A l’évidence, elle le mettait au défi de
lui faire porter la responsabilité du manque de concentra-
tion de son interlocuteur.
Il reprit alors la discussion là où il l’avait laissée, tout en
luttant contre l’envie irrésistible de la terminer au plus tôt.
Il était obsédé par le désir de ramener son assistante dans
son bureau, où il serait enfin seul avec elle.
Grands dieux, il n’était pas dans ses habitudes de se
montrer aussi possessif !
D’emblée, il détesta cette faiblesse qui le rendait si vul-
nérable à l’attraction que cette femme, dont il ignorait tout,
exerçait sur lui. Par sa faute, il venait de passer les trois
mois les plus frustrants de son existence.
Il se fit alors la promesse de tout mettre en œuvre afin de
l’empêcher de disparaître de nouveau. Il était bien décidé à
lui faire payer cher les tourments qu’elle avait engendrés.
42/213

Une heure plus tard, la discussion prenait fin. Luca avait


apparemment répondu d’une manière satisfaisante aux
questions de son riche ami et fait taire ses appréhensions
quant à la faisabilité du projet dans les conditions
optimales.
Avant de le quitter, le riche Saoudien l’entraîna dans un
des élégants bureaux de l’hôtel.
– Cher Luca, permettez-moi de vous poser la question
qui me brûle les lèvres : votre assistante… est-elle libre ?
Lançant un regard vers Katherine qui attendait sagement,
à l’autre bout du hall, la fin de leur entretien, il ajouta :
– J’ai noté qu’elle ne portait aucun anneau au doigt.
L'espace d’un instant, un terrible sentiment d’insécurité
troubla Luca. Voilà une question qu’il avait tout simple-
ment oublié de se poser et que son ami l’obligeait à
considérer.
Et si Katherine était mariée ? Et si c’était la raison qui
expliquait sa fuite, au petit matin, à Milan ?
A cette pensée, son estomac se révulsa.
– Non, elle n’est pas mariée, répondit-il, priant le ciel
que ce fût la vérité.
43/213

– Y a-t-il un homme dans sa vie ? Quelqu’un qui compte


vraiment?
Luca dut faire un terrible effort pour rester aussi impass-
ible que possible.
– Je n’ai pas connaissance que Katherine ait une relation
suivie avec un autre homme. Toutefois, je vous informe
que… qu’elle ne m’est pas indifférente.
Hassan approuva d’un signe de tête.
– Votre intérêt pour elle ne m’étonne guère, mon cher
ami. Qui pourrait ne pas chercher à profiter de l’avantage
de côtoyer cette angélique beauté ?
Tous deux reportèrent leur attention sur la jeune femme,
toujours aussi tranquillement immobile, et qui attirait bien
d’autres regards que le leur, sans sembler s’en préoccuper
le moins du monde.
– Je donnerai cher pour avoir le plaisir de passer une nuit
avec cette femme, affirma Hassan.
Comme les traits du visage de Luca se crispaient, il
ajouta aussitôt :
– N’ayez crainte, mon ami, je vous envie seulement.
Vous avez vraiment beaucoup de chance.
La chance de connaître la frustration après avoir goûté
au nirvana ! pensa Luca, amer.
44/213

– Cela dit, poursuivit Hassan, je vous remercie de la pro-


position que vous venez de me faire. Organiser chez vous
une soirée, afin que mes amis et associés rencontrent
d’autres hommes d’affaires de votre entourage, est une ex-
cellente idée. Mes associés ont été très impressionnés par la
qualité et le sérieux de votre travail et je suis persuadé que
nous venons d’établir la base d’une longue et fructueuse
collaboration.

Incapable de supporter plus longtemps la faim qui lui te-


naillait l’estomac et se maudissant d’avoir oublier d’acheter
des biscuits qui, d’habitude, la sustentait, Katherine vint
frapper à la porte ouverte entre les deux bureaux, afin d’at-
tirer l’attention de Luca. Il releva la tête.
– Que voulez-vous ? demanda-t-il d’un ton peu amène.
Il en fallait plus pour impressionner Kate. Pénétrant plus
avant dans la pièce, elle vit qu’il était occupé à dessiner des
plans architecturaux. Le travail l’absorbait totalement.
Cet homme travaille comme un forçat ! ne put-elle s’em-
pêcher de penser.
Il était plus de 14 heures et il n’avait pas donné le
moindre signe de vouloir déjeuner ou même de prendre une
pause afin de boire une simple tasse de thé ou de café.
45/213

– Puis-je sortir m’acheter un sandwich ? demanda-t-elle.


Je n’ai pas pris mon petit déjeuner, ce matin, et je meurs de
faim. Si vous le désirez, je peux vous ramener quelque
chose à manger.
Il posa les yeux sur elle comme si, brusquement, il pren-
ait conscience de sa présence.
Kate retint sa respiration, déconcertée par l’intensité de
son regard. Comme il ne répondait pas, elle lança :
– Avez-vous entendu ma question ?
– Mon ami Hassan m’a demandé si vous étiez mariée,
dit-il alors, en explorant son corps de haut en bas et de bas
en haut comme si elle était une marchandise à évaluer.
Kate oublia la faim qui torturait son estomac. Sous la
caresse brûlante de son regard, une autre faim s’emparait
d’elle. Une onde de chaleur monta de ses reins pour l’en-
vahir tout entière. Abasourdie, elle se rendit compte qu’elle
avait envie qu’il lui fasse l’amour, là, sur-le-champ !
Sa question finit néanmoins par atteindre son esprit
engourdi, mais, comme, prise de court, elle ne répondait
pas, il répéta :
– Etes-vous mariée ?
– Non ! Mais en quoi cela concerne-t-il votre client ?
46/213

– Vous lui plaisez, c’est évident ! Vous ne pouvez pas ne


pas avoir remarqué la manière dont il vous regardait.
– Dois-je vous rappeler que j’étais occupée à prendre des
notes ?
– O.K. ! Oublions l’intérêt de mon ami pour vous. Mais
je suis moi-même intéressé par la réponse. Si vous n’êtes
pas mariée, avez-vous un petit ami ?
– Non ! Ainsi, c’est l’opinion que vous avez de moi !
J’aurais pu passer la nuit dans vos bras alors que j’étais en-
gagée auprès d’un autre homme ?
– C'est la pensée qui m’est venue, en effet, quand je me
suis réveillé et que vous étiez partie. Un excès de cham-
pagne, au cours de la soirée, avait fait de vous – une femme
fiancée ou mariée – une amante passionnée et exaltée. Mais
au réveil, vous sentant coupable, vous vous étiez enfuie…
– Eh bien, vous avez tort ! Cela ne s’est pas du tout passé
ainsi !
Elle se sentait outragée. Comment avait-il pu, une seule
seconde, penser qu’elle pût se conduire ainsi ? Avait-elle
donc imaginé le lien qui les avait unis ? Un lien unique et si
fort qui, pour elle, avait transcendé le désir purement
sexuel.
Il haussa les sourcils.
47/213

– Vraiment ? Si cela ne s’est pas passé ainsi, je suis im-


patient de connaître votre version des faits, Katherine. Et
cette fois, je vous en prie, ayez la décence de me donner la
vraie raison de votre fuite indigne.
Que pouvait-elle lui répondre alors qu’elle ignorait elle-
même comment qualifier l’impulsion qui l’avait jetée dans
ses bras ?
Au petit matin, son premier réflexe avait été de s’enfuir.
Un réflexe de bon sens. Cet homme n’était pas pour elle.
Elle n’était pas de son monde.
Hélas, elle ignorait alors que cette nuit d’amour torride
aurait des conséquences qui pèseraient lourdement sur leur
avenir.
3.
Six mois plus tôt, Kate s’était apprêtée à épouser Hayden
Michaels, un séduisant et talentueux trader rencontré lors
d’un remplacement effectué au cœur de la City.
Hayden était un jeune loup bien décidé à réussir dans sa
carrière et dans sa vie. Dès qu’elle était arrivée dans la so-
ciété qui l’employait, à son grand étonnement, il avait jeté
son dévolu sur elle, lui faisant une cour intensive.
De son côté, Kate avait hésité à s’engager dans une rela-
tion avec un homme qui considérait la vie comme un im-
mense terrain de jeu.
La jeune femme avait des principes sur lesquels elle ne
transigeait pas. Elevée par sa mère, son père s’étant lâche-
ment enfui à l’annonce de sa future paternité, elle n’avait
guère confiance en la gent masculine.
Toutefois, comme toutes les jeunes filles romantiques,
elle rêvait de rencontrer un jour l’homme de sa vie, de
l’aimer tendrement et de fonder une famille avec lui.
Fille unique, elle avait cruellement manqué de frères et
de sœurs et avait grandi dans une solitude préjudiciable.
49/213

Et que ses camarades de classe se soient moqués d’elle


ne l’avait guère aidée à prendre confiance en elle.
Elle n’avait été que trop consciente des difficultés ren-
contrées par sa mère pour joindre les deux bouts. Aussi, à
la fin du secondaire, au lieu de s’inscrire à l’université
comme ses professeurs l’y encourageaient vivement, elle
avait opté pour le secrétariat qui lui permettait de se
présenter immédiatement sur le marché du travail, de rap-
porter son salaire à la maison et d’alléger ainsi les charges
de sa mère.
Au fil des années, elle avait eu un certain nombre
d’amoureux, mais aucun ne correspondait au Prince char-
mant dont elle rêvait en secret.
Flattée par l’attention que lui portait le séduisant et en-
joué Hayden Michaels, elle avait pourtant compris, d’in-
stinct, que le but de ce fringant jeune homme n’était pas de
fonder une famille mais d’engranger toujours plus d’argent,
en misant simplement de fabuleuses sommes en bourse.
Le jeu, l’ambition, l’argent facilement gagné, étaient son
credo.
C'est pourquoi, tout d’abord, elle avait résisté fermement
à ses avances. Cependant, jour après jour, semaine après
semaine, travaillant à son côté, devant son sourire avenant,
sa perpétuelle bonne humeur, sa détermination sans faille à
lui faire la cour, elle avait fini par céder à ses avances.
50/213

Deux mois auparavant, une crise cardiaque avait emporté


sa mère. Même si toutes deux n’avaient guère entretenu de
relations intimes, ce départ la laissait désespérément seule.
Usée par le dur labeur effectué au quotidien afin de leur
permettre de survivre, minée par sa haine de l’irresponsab-
ilité des hommes, Liz Richardson avait peu à peu enrobé
son cœur d’une gangue de glace. Auprès d’elle, son unique
parent, Kate avait manqué de l’essentiel : d’amour.
Comment aurait-elle réussi à se construire harmonieuse-
ment quand, enfant, elle avait été privée de ce sentiment si
important pour pouvoir grandir et édifier sa confiance en
elle ?
Dans pareille ambiance, Kate s’était progressivement en-
durcie, elle aussi, et les sarcasmes de ses camarades de
classe, lui faisant clairement comprendre qu’elle n’était pas
de leur monde, avaient fait le reste.
Sa vulnérabilité et son manque de confiance en elle
étaient devenus, au fil du temps, son handicap majeur.
Quand les hommes affirmaient la trouver belle, elle n’en
croyait pas un mot. Pour elle, la chose était entendue. Ils
essayaient tout simplement de l’attirer dans leur lit.
Non, elle n’était nullement la beauté qu’ils prétendaient,
mais la pauvre fille issue des quartiers de banlieue défavor-
isés, dont les vêtements, les chaussures et la tignasse sans
forme et indisciplinée faisaient rire la classe !
51/213

Cependant, au fil des semaines, elle avait fini par dé-


couvrir chez Hayden une vulnérabilité égale à la sienne, un
sentiment d’insécurité qui le faisait toujours vouloir plus
que ce qu’il avait déjà, de peur de manquer.
Cet aspect de sa personnalité l’avait touchée au cœur.
Il lui rappelait ce qu’elle éprouvait quand ses camarades
partaient en voyage avec leurs parents alors qu’elle restait
désespérément cloîtrée, tout l’été, dans le misérable deux
pièces familial. Ou encore, quand elle contemplait avec en-
vie leurs vêtements de luxe alors que les siens avaient été
achetés dans des solderies.
Quand, un samedi matin ensoleillé, alors qu’ils se prom-
enaient main dans la main dans Hyde Park, Hayden lui
avait offert une bague de fiançailles, elle avait été
stupéfaite.
– Je t’aime, Kate, avait-il affirmé, ses yeux dans les si-
ens. Je t’aime et je n’aimerai jamais que toi. Je veux
t’épouser.
Kate avait promis de réfléchir à sa proposition. Ils ne se
connaissaient que depuis quelques mois. Peut-être était-il
encore un peu tôt pour envisager un engagement aussi
solennel.
Mais Hayden avait insisté et elle avait fini par lui céder,
persuadée qu’il l’aimait vraiment.
52/213

Quant à ses propres sentiments, ils étaient loin d’être


évidents. Elle avait pourtant accepté la bague de fiançailles
et préparé le mariage.
Avec le recul, elle comprenait qu’être aimée était ce qui
lui avait toujours manqué. Voilà sans doute pourquoi la
déclaration d’amour d’Hayden avait revêtu une telle im-
portance à ses yeux.
La nuit suivant leurs fiançailles, Kate avait offert sa vir-
ginité à celui qui allait devenir son mari pour la vie. Elle
avait même commencé à trouver exaltante la perspective de
fonder une famille avec lui.
Hélas, moins d’une semaine plus tard, son rêve d’un
avenir radieux – un mari aimant et une ribambelle d’en-
fants – s’effondrait tel un château de cartes.
Ce jour-là, Hayden avait affirmé devoir se rendre à Ams-
terdam pour affaires. A son retour, il passerait la prendre
pour l’emmener dans un de ses restaurants favoris. En fin
de matinée, Kate s’était brusquement retrouvée en proie à
une migraine si insupportable que, compatissant, son pat-
ron lui avait conseillée de rentrer chez elle.
Hayden possédait un luxueux appartement dans Chelsea,
très proche de la société qui les employait tous deux. Il lui
avait confié le double des clés au cas où, un jour, il perdrait
les siennes. Kate avait décidé de l’utiliser.
53/213

A peine avait-elle franchi le seuil qu’elle avait perçu que


l’appartement n’était pas vide de tout occupant.
Son cœur battant à tout rompre – l’occupant pouvait être
un cambrioleur – elle s’était avancée sur la pointe des pieds
afin de ne faire aucun bruit.
C'est alors qu’elle avait entendu, très distinctement, un
rire de femme.
La gorge sèche et l’estomac noué, elle s’était dirigée vers
la chambre à coucher dont elle avait ouvert grand la porte.
Un spectacle inattendu s’était alors offert à ses yeux :
son fiancé serrait voluptueusement contre lui une blonde
sulfureuse et semblait trouver cela fort à son goût.
Kate était restée un long moment sans bouger, comme
tétanisée, tentant de se convaincre qu’il ne s’agissait que
d’une hallucination, conséquence de sa migraine. Elle
devait avoir de la fièvre.
Hélas, elle dut vite se rendre à l’évidence. Le spectacle
était bien réel. Elle s’était alors mise à trembler, en état de
choc, mais également sous l’emprise d’un profond dégoût.
Mais le pire restait à venir.
Hayden lui avait tout d’abord lancé un regard étonné
puis, repoussant la blonde sulfureuse, il s’était mis à rire.
54/213

C'était le rire le plus désagréable que Kate ait jamais


entendu.
– Espèce d’idiote, s’était-il exclamé, qu’est-ce qui te
prend de débarquer ici en milieu de journée ?
C'est ainsi que Kate avait découvert que celui qui lui
avait juré n’aimer qu’elle, collectionnait les conquêtes. Il
n’était donc pas seulement préoccupé à faire toujours plus
d’argent. Il s’adonnait également aux plaisirs de la chair et
semblait insatiable.
Pris en flagrant délit, il était furieux qu’elle ait eu la stu-
pidité et le mauvais goût de le découvrir.
La nausée au bord des lèvres, Kate avait jeté les clés sur
le lit et était repartie sans prononcer un mot.
Cette triste aventure l’avait traumatisée à jamais.
Comment avait-elle pu se montrer assez naïve pour
croire les serments de cet infâme coureur de jupons ?
Elle se détestait.
Aussi, quand l’opportunité s’était présentée d’aller pass-
er quelques jours de vacances en Italie avec Melissa, elle
s’était empressée de la saisir.
Elle ne voulait pas assister à cette soirée dans la superbe
et luxueuse villa d’un richissime Milanais. Melissa l’y avait
entraînée de force. Quand ses yeux avaient croisé, pour la
55/213

première fois, ceux de Luca, un parfait inconnu, elle avait


été totalement sidérée par le flot d’émotions qu’elle avait
ressenties.
Encore sous le coup du choc de la découverte de
l’odieuse trahison d’Hayden, émerveillée par les attentions
que lui prodiguait le bel inconnu, elle s’était donnée à lui
sans la moindre réserve.
Mais, au petit matin, prenant conscience de ce qu’elle
venait de faire, de sa conduite bien peu conforme à ses
principes, elle s’était prestement rhabillée et, avant même
de se donner le temps de réfléchir, avait quitté la maison
sur la pointe des pieds.
– Je… je venais juste de rompre mes fiançailles avant de
venir me réfugier en Italie pour quelques jours de vacances,
tenta-t-elle d’expliquer maladroitement.
– Oh, je vois… Vous avez partagé mon lit pour vous
venger d’un ex-fiancé indélicat !
– Non, vous vous trompez !
– Vraiment ? Alors, plus prosaïquement, disons que je
n’ai été qu’un lot de consolation.
– Je vous en supplie, laissez-moi vous expliquer.
Elle se rapprocha du bureau derrière lequel trônait le
tout-puissant Gianluca De Rossi.
56/213

– Hayden ne m’a pas rejetée. Tout au moins pas de la


manière dont vous l’imaginez. Nous venions juste de nous
fiancer et nous allions nous marier prochainement quand je
l’ai surpris au lit dans les bras d’une maîtresse.
Un peu de la tension du visage de Luca sembla se dis-
siper mais la suspicion demeurait au fond des yeux bleu
électrique.
– Votre fiancé était-il un homme riche ? s’enquit-il.
– Il était un des meilleurs traders de la City.
– Il arrive fréquemment que les hommes fortunés aient
des maîtresses. Cela n’est pas aussi choquant que vous
semblez le penser. Il faut être un saint pour résister aux as-
sauts de certaines croqueuses de diamants.
Kate n’en croyait pas ses oreilles. Essayait-il de lui faire
comprendre que lui-même avait des maîtresses ? Que
c’était dans la logique des choses ?
Cette simple idée la révulsait. Elle dut faire un terrible
effort sur elle-même pour retrouver un semblant
d’équilibre. Peut-être ferait-elle bien d’entreprendre une
thérapie afin d’éviter de choisir toujours l’homme qu’il ne
fallait pas !
– Eh bien, moi, je suis choquée par un tel comportement
et je le revendique, affirma-t-elle avec force. Si vous ne
pouvez pas faire confiance à l’homme qui va partager votre
57/213

vie, à qui l’accorder ? Hayden m’a menti. Il a affirmé qu’il


n’aimerait jamais que moi alors qu’il prenait ses après-midi
pour se vautrer au lit dans les bras d’une autre. Cette simple
idée me répugne.
Il haussa les épaules.
– C'est votre droit. Je ne vous ai pas forcée à partager ma
couche. Vous étiez plus que consentante, Katherine ! Alors,
pourquoi avoir quitté mon lit au petit matin, sans un mot ?
Je ne comprends toujours pas pourquoi vous vous êtes con-
duite ainsi.
– J’avais peur.
Son cœur, désormais, battait si fort qu’il en était
douloureux et une terrible nausée lui venait. Elle devait im-
pérativement se rendre aux toilettes.
– Peur ! Mais de quoi donc ?
– De me ridiculiser de nouveau. Je… je suis désolée
mais je dois me rendre aux toilettes !
Se détournant du bureau derrière lequel se tenait Luca,
elle se précipita hors de la pièce dans la direction des toi-
lettes, au bout du couloir.
– Katherine!
L'évidente inquiétude qui résonnait dans la voix de Luca
la surprit mais elle était bien trop préoccupée par le besoin
58/213

d’atteindre les toilettes avant de vomir sur la luxueuse mo-


quette pour y prêter attention. Dieu merci, elle réussit à les
atteindre juste à temps.
Alarmé par la soudaine teinte grisâtre du visage de Kath-
erine, Luca ne douta pas une seconde qu’elle fût malade.
Sans plus réfléchir, il bondit hors de son fauteuil de cuir et
la suivit jusqu’aux toilettes réservées aux dames. Il en
poussa la porte et l’entendit vomir dans l’un des box.
– Que se passe-t-il, Katherine ? s’exclama-t-il, sincère-
ment inquiet. De toute évidence, vous êtes malade.
Expliquez-moi ce qui vous arrive.
– Je vous en supplie, Luca, laissez-moi seule. Ce n’est ri-
en. J’irai mieux dans quelques minutes.
– Avez-vous besoin d’aide ? Un médecin est attaché à la
société. Je vais l’envoyer chercher.
– Non ! S'il vous plaît, n’en faites rien. Laissez-moi
gérer cela.
Luca n’avait d’autre choix que de la laisser seule et de
regagner son bureau, en espérant que son malaise ne soit
pas grave, quelles qu’en fussent les raisons.
En attendant son retour, il arpenta la pièce, furieux de se
montrer impuissant à l’aider. Il repensait à ce qu’elle lui
avait dit de son fiancé et du choc qu’elle avait ressenti en le
découvrant au lit dans les bras d’une autre femme.
59/213

Une angélique beauté. Tel avait été le qualificatif que lui


avait spontanément attribué son ami Hassan, plus tôt dans
la journée. Luca était d’accord. C'était sans doute le terme
qui convenait le mieux à l’extraordinaire beauté du visage,
aux traits empreints d’innocence, de la jeune femme.
Cependant, Luca connaissait la passion avec laquelle elle
s’était donnée à lui. Jamais il n’avait pu l’oublier. Une onde
de chaleur monta de ses reins à ce souvenir encore incroy-
ablement vivace.
Avait-elle dit la vérité en lui racontant la découverte de
l’infidélité de son fiancé ?
Si elle aimait cet homme, son désarroi, sa souffrance,
lorsque sa trahison avait éclaté au grand jour, étaient com-
préhensibles. Mais comment savoir si ses propos étaient
exacts ou non ? Il la connaissait si peu !
Une chose, néanmoins, était certaine : le départ inattendu
de la femme qui avait partagé sa couche, ce matin-là,
l’avait grandement perturbé, pour ne pas dire dévasté ! De-
puis, il ne faisait plus confiance en sa capacité de jugement,
que tous s’accordaient, jusqu’alors, à considérer comme
excellente. Comment avait-il pu être aussi irrésistiblement
attiré par une femme à la conduite aussi déconcertante ?
Si Katherine l’avait contacté ensuite pour expliquer sa
conduite et s’excuser, sans doute aurait-il pu lui pardonner.
Mais durant les trois mois suivant la merveilleuse nuit
60/213

qu’ils avaient partagée, elle avait conservé un silence ab-


solu, avant de réapparaître brusquement dans sa vie.
Il nageait en pleine confusion.
Depuis la mort de Sophia, il s’était forgé une carapace et
aucune femme n’avait réussi à attirer son attention. Seule
Katherine l’avait fait. Sans qu’aucun mot ne fût prononcé,
un lien incroyablement fort s’était spontanément établi
entre eux et leur unique nuit resterait à jamais gravée dans
sa mémoire.
Et pas seulement à cause de la perfection de leur entente
physique ! fut-il obligé de reconnaître.
Quelque chose en cette femme avait réveillé en lui des
sentiments qu’il pensait ne plus pouvoir éprouver après
l’épouvantable tragédie qu’il avait vécue trois ans plus tôt.
Son cœur était mort ce jour-là. Du moins le croyait-il,
avant d’apercevoir, un soir, Katherine, au milieu de la foule
de ses invités.
Sa seule vue avait réanimé ce cœur qu’il croyait mort et
l’avait fait battre plus vite. Comment expliquer un aussi
troublant mystère ?
Sans doute cette rencontre avait-elle eu lieu à un moment
où il était particulièrement vulnérable, lui laissant imaginer
une magie, en fait, inexistante.
61/213

Comment savoir ce qu’il éprouvait exactement pour la


jeune femme ?
Il se passa une main nerveuse dans les cheveux. N’avait-
il pas, tout simplement, surinvesti l’indicible sentiment de
bonheur que lui avait apporté la fusion harmonieuse de
leurs deux corps ? songea-t-il.
La porte s’ouvrit et Kate pénétra dans la pièce. Son vis-
age avait retrouvé ses couleurs. Un intense sentiment de
soulagement le submergea.
– Je suis désolée, dit-elle. Je vais beaucoup mieux mais
je dois impérativement manger quelque chose. Je sors
m’acheter un sandwich.
– Certainement pas ! Vous devez vous asseoir et vous re-
poser. Je vais ordonner qu’on nous livre de la nourriture et
des boissons sur-le-champ.
– Ne vous donnez pas cette peine. Je peux très bien me
débrouiller seule.
Le combiné du téléphone déjà en main, Luca lança à la
jeune femme un des regards particulièrement efficaces
qu’il utilisait fréquemment dans les entretiens d’affaires,
face à un interlocuteur récalcitrant.
– Vous mourez de faim, c’est évident, et vous avez be-
soin de repos. Aussi, vous allez obéir à mes ordres, ma-
demoiselle Richardson, et cesser d’argumenter ! Capisce ?
62/213

Consciente qu’il ne servait à rien de discuter, Kate rendit


les armes. Stupéfaite, elle ne tarda pas à voir apparaître des
plateaux-repas bien plus adaptés à régaler un riche client
potentiel qu’une secrétaire intérimaire.
Le livreur déposa la nourriture sur la table de bois cirée
qui servait habituellement pour les réunions, et ils s’as-
sirent l’un en face de l’autre pour la déguster.
Sans plus tarder, Kate s’empara d’un savoureux sand-
wich au saumon fumé dans lequel elle mordit à belles
dents. Lorsqu’elle l’eut englouti jusqu’à la dernière miette,
une délicieuse sensation de bien-être l’envahit. Mais alors
qu’elle relevait la tête, elle découvrit avec étonnement que
Luca ne mangeait pas, se contentant de la dévorer des yeux.
– Que se passe-t-il ? demanda-t-elle, embarrassée. Pour-
quoi ne mangez-vous pas ?
– Je mangerai plus tard, déclara-t-il, péremptoire.
Il avait dénoué sa cravate et le col ouvert de sa chemise
laissait entrapercevoir le duvet sombre qui recouvrait son
torse. Tout son corps frémit aux souvenirs des caresses
qu’elle avait amplement prodiguées à ce corps d’athlète.
– Je suis heureux de constater que votre malaise n’a pas
affecté votre appétit, ajouta-t-il.
Elle réussit à esquisser un sourire.
63/213

– J’ai un estomac en acier. Il en faut beaucoup pour me


couper l’appétit.
Il sourit à son tour.
– Quel bonheur d’entendre que vous ne faites pas partie
de ces femmes qui considèrent le plaisir de manger comme
un péché ! La mode des mannequins anorexiques est une
catastrophe !
Le tour que prenait la conversation soulagea grandement
la jeune femme. Elle était heureuse d’avoir réussi à lui
cacher – pour l’instant – les vraies raisons de sa fuite pré-
cipitée vers les toilettes. Elle n’en éprouvait pas moins un
fort sentiment de culpabilité. Car le moment viendrait où
elle ne pourrait plus dissimuler son secret. Elle devait l’in-
former des conséquences de leur nuit d’amour. Il était
amplement concerné.
Mais pas aujourd’hui ! Elle ne se sentait pas prête pour
cela.
Qui pourrait la condamner de vouloir savourer pleine-
ment, ne serait-ce que pour quelques instants, le bonheur
d’être l’objet de ses attentions avant d’avoir à subir de nou-
veau son dédain ? songea-t-elle.
4.
A 16 h 45, Kate frappa à la porte qui séparait les deux
bureaux, impatiente de savoir si elle avait passé le test avec
succès.
En ce qui concernait la somme de travail accomplie, il
lui semblait ne pas avoir démérité mais avait-elle répondu
aux critères exigés par le tout-puissant Gianluca De Rossi ?
A l’évidence, il était toujours sous le choc de sa soudaine
réapparition. Comme elle l’était elle-même.
Après l’avoir abondamment régalée au déjeuner, il
s’était réfugié dans son bureau et ne lui avait adressé pour
toute parole qu’un « Grazie ! » quand elle lui avait apporté
une tasse de café.
– Entrez ! ordonna-t-il.
Surprise, elle le trouva en train de se lever pour revêtir la
veste qu’il avait laissée sur le dossier d’un fauteuil.
– Vous… vous partez ? bredouilla-t-elle, angoissée.
– Vous trouvez que je n’ai pas encore assez travaillé
pour aujourd’hui ?
Kate rougit jusqu’à la racine de ses cheveux.
65/213

– Ce… ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Je désirais


seulement savoir… Ai-je réussi le test ?
– Le test ! Mais de quoi parlez-vous ?
Son visage reflétait la stupéfaction.
– Vous avez proposé de me mettre à l’épreuve, l’auriez-
vous déjà oublié ? Je devais prouver que j’avais les com-
pétences nécessaires pour occuper le poste de secrétaire de
direction. J’avais une journée pour y parvenir.
– Oh, ça!
Il haussa les épaules comme s’il avait totalement oublié
le défi qu’il lui avait lancé le matin même.
– Vous restez ! dit-il. Je vous engage. Je ne peux pas per-
dre du temps à chercher quelqu’un d’autre. J’ai aussi be-
soin que vous me serviez d’hôtesse pour la réception que je
vais donner, ce soir, dans ma résidence.
Kate faillit s’étrangler avec sa salive. Il avait besoin
d’elle et elle devait s’exécuter, comme si son accord allait
de soi, alors qu’il s’agissait d’un travail en dehors des
heures de bureau. Certes, elle avait vraiment besoin de ce
poste mais, au fil des heures harassantes, elle avait secrète-
ment rêvé d’un moment de détente dans un bain chaud et
parfumé, puis de se mettre au lit afin de faire le point sur
les derniers événements.
66/213

Quand allait-elle le mettre au courant du terrible secret


qu’elle portait en elle ? C'était la question dont elle avait
besoin de débattre rapidement avec elle-même, songea-t-
elle.
– Vous n’avez pas mentionné ce travail jusqu’à cet
instant ! répondit-elle avec indignation.
– J’avais bien d’autres préoccupations en tête, au-
jourd’hui, à commencer par vous !
Elle avait fait partie de ses préoccupations ?
Si ses pensées avaient été du même style que les siennes
– un désir violent, incoercible, qu’il la prenne dans ses bras
et lui fasse l’amour encore et encore – elle ne doutait pas
une seconde qu’il ait été préoccupé.
– Acceptez-vous de remplir ce rôle ? demanda-t-il,
semblant soudain inquiet qu’elle puisse refuser.
Pouvait-elle se soustraire à sa demande au risque de per-
dre tout à la fois son emploi et la possibilité de l’informer
des conséquences de leur nuit d’amour ? se demanda-t-elle.
– Oui, j’accepte, dit-elle. Mais n’avez-vous vraiment
personne d’autre que moi qui puisse remplir cette charge ?
– Janine, ma secrétaire particulière, aurait pu le tenir
mais elle a eu la malencontreuse idée de tomber malade et,
comme vous le savez, je vous paie pour la remplacer.
67/213

Kate perçut son irritation et se mordit la lèvre. Ce n’était


pas le moment de l’indisposer à son égard. D’autre part, ap-
prendre qu’il avait besoin de ses services pour tenir le rôle
d’hôtesse à sa réception était plutôt une bonne nouvelle.
Cela signifiait qu’il n’y avait actuellement pas de femmes
dans sa vie.
Pourquoi un homme aussi séduisant, aussi charis-
matique, que Gianluca De Rossi n’avait-il pas de com-
pagne attitrée ?
Cela ne manquait pas de la surprendre.
Un espoir absurde, insensé, ridicule, naquit alors dans
son cœur, qu’elle s’empressa aussitôt de réprimer. Il était
inutile de se faire des illusions.
– Je dois rentrer chez moi afin de me rafraîchir et me
changer. A quelle heure avez-vous besoin de mes services ?
– Brian, mon chauffeur, va vous accompagner chez
vous. Il vous attendra et vous conduira ensuite jusqu’à ma
résidence. Nous ferons une partie du trajet ensemble. Il me
déposera le premier. Bien, ceci étant arrangé, ne perdons
pas de temps, partons !
Sans attendre sa réponse, il s’approcha d’elle et, son bras
passé autour de sa taille, il la guida vers la porte de sortie.
Comme pour lui rappeler qu’elle jouait avec le feu, une
onde de chaleur monta alors des reins de Kate. Où allait-
68/213

elle trouver la force de lutter contre la terrible attraction


qu’il exerçait sur elle ?

***

La soirée organisée en l’honneur de son ami Hassan, de


ses associés et des hommes d’affaires anglais accompagnés
de leurs épouses ne fut pas, pour Luca, l’épreuve qu’il
craignait.
La dernière semaine de travail avait été particulièrement
stressante. En cette période de crise financière interna-
tionale, remporter l’adhésion de son riche client et ami
saoudien à son projet architectural, était capital. Cette
soirée représentait l’aboutissement du travail accompli.
Tandis que son regard suivait le déplacement de la gra-
cieuse silhouette de Katherine, qui allait d’un invité à
l’autre, le sourire aux lèvres, il sut qu’elle participait in-
déniablement au succès de l’événement.
Vêtue d’une robe de cocktail en satin noir à la coupe
ultra-simple mais qui mettait discrètement en valeur sa
plastique parfaite, Katherine était un modèle de grâce et
d’élégance naturelle. Elle ne portait aucun bijou, sa magni-
fique chevelure auburn, laissée en liberté sur ses épaules,
étant sa seule parure.
69/213

Les présentations faites, au fil de la soirée, Luca n’avait


pas manqué de constater que Hassan et ses amis tournaient
autour d’elle comme des papillons autour de la lumière.
Il savait, sans aucune vantardise, que son cabinet d’ar-
chitecte s’était taillé la réputation d’être l’un des meilleurs
au monde. Il était difficile de trouver une société plus per-
formante, plus innovante, plus en pointe dans l’utilisation
des toutes dernières technologies. Il avait personnellement
œuvré pour qu’il en fût ainsi.
Mais il avait suffisamment d’expérience dans le monde
des affaires pour se rendre compte que le fait d’avoir en-
gagé Katherine comme hôtesse, ce soir, contribuerait à ren-
forcer la volonté de ses clients de faire appel aux services
de sa société, dans le futur.
Il venait juste de terminer une longue conversation avec
eux. Elle s’était terminée par une poignée de main chaleur-
euse, scellant définitivement leur accord.
Hassan demeura à son côté mais ses yeux se tenaient
rivés sur Katherine. Il sourit en la voyant rire avec grâce
aux propos de l’épouse de l’un de ses collaborateurs.
– Cette femme a une valeur inestimable, Luca.
On avait dit la même chose de Sophia et Luca avait res-
senti une grande fierté de l’avoir épousée.
70/213

A cette pensée, sa gorge se noua. Hélas, le bonheur idyll-


ique du début de leur mariage n’avait pas duré. Peu à peu
Sophia s’était enfermée dans son monde, dans lequel il
n’avait plus sa place.
– Katherine semble avoir un don pour mettre tout le
monde à l’aise, reconnut-il, en portant son verre de cham-
pagne à ses lèvres.
Hassan se pencha vers lui.
– Cette femme a aussi le don de faire le bonheur d’un
homme, croyez-moi mon ami. Ne la laissez pas vous quit-
ter. Vous le regretteriez.
Plus tard, quand le dernier invité prit congé, Luca se sou-
vint du conseil de son ami. Ainsi Hassan avait été, lui aussi,
sous le charme ! Mais il n’avait nul besoin de son conseil.
Il ne laisserait plus cette femme le quitter. Il n’avait plus
qu’un désir : la garder auprès de lui pour lui faire l’amour
encore et encore.
Peu lui importait qu’elle l’ait quitté si brutalement, sans
aucune explication, ce fameux matin, à Milan.
Alors qu’il la regardait dissimuler gracieusement de sa
main un discret bâillement, il savait qu’il était plus que dis-
posé à lui pardonner.
– Vous avez fait un excellent travail, Katherine, affirma-
t-il.
71/213

Son discret parfum de fleurs sauvages lui titillait


délicieusement les narines et il ne put s’empêcher de par-
courir des yeux son corps magnifiquement gainé de satin
noir. Une flambée de désir le terrassa.
– Ce… ce compliment me va droit au cœur, balbutia-t-
elle, en rougissant.
– Vous avez été une hôtesse parfaite et je vous en
remercie.
– Le rôle a été facile à jouer. Vos invités ont été d’une
correction exemplaire ce qui, je dois l’avouer, n’est pas
toujours le cas.
– Comme lors de la réception de Milan ?
S'approchant d’elle, il fit ce qu’il avait rêvé de faire
depuis qu’elle était réapparue devant lui. Il enroula une
mèche de ses magnifiques cheveux auburn, doux comme
de la soie, autour de son doigt.
Kate se figea, tétanisée.
– Lors de cette soirée, avoua-t-elle, le cœur battant à tout
rompre, je ne me sentais pas vraiment à l’aise. Je ne con-
naissais personne. J’étais comme un extraterrestre débar-
quant sur une planète inconnue.
72/213

– Vous ressembliez, en effet, à une noyée qui a besoin


d’être secourue. Je dois vous le confesser. Mais ce soir-là,
je me sentais moi-même un peu perdu.
– A votre propre soirée ?
– Oui. Et puis, soudain, vous m’êtes apparue et tout a
changé.
Il lut la stupeur au fond des yeux couleur noisette et prit
soudain conscience de ce qu’il était en train de dire.
Dio ! Comment pouvait-il se laisser aller ainsi? Jamais il
ne devait lui dévoiler sa vulnérabilité !
Décidément, le champagne lui faisait dire n’importe
quoi.
Mieux valait la laisser rentrer chez elle avant qu’il ne
perde tout contrôle ! Sans doute pourrait-il connaître de
nouveau des moments d’intense plaisir dans les bras de
cette femme mais ensuite…
Se laisser aller à une aventure amoureuse avec une
femme en qui il n’avait plus aucune confiance serait ab-
surde. Il devait retrouver sa raison !
Libérant la boucle soyeuse, il lança un regard à sa Rolex.
– Il se fait tard et une rude journée de travail nous attend
tous deux, demain. Brian vous attend dans la voiture pour
vous reconduire chez vous.
73/213

Evitant soigneusement son regard, il la raccompagna


jusque dans le hall et recouvrit ses épaules de sa cape de
velours, faisant un terrible effort sur lui-même pour résister
à la tentation de la prendre dans ses bras et de la serrer
contre lui.
– Merci encore pour votre précieuse collaboration, ce
soir, Katherine. Elle vous sera payée au juste prix, comme
elle le mérite. Je vous retrouverai demain matin, au bureau.
En attendant, je vous souhaite une très bonne nuit.
– Bonne nuit, Luca, répondit-elle d’une voix à peine
audible, évitant son regard.
La nuit ne serait pas bonne, elle en était persuadée.
Comme chaque fois qu’ils se tenaient l’un près de l’autre,
la tension électrique générée entre eux était palpable. Les
trois mois passés n’avaient en rien altéré l’incroyable at-
traction qu’elle ressentait pour lui. Un instant, elle avait
espéré…
Luca s’empressa de lui ouvrir la porte prenant soin de
s’effacer aussitôt afin que leurs deux corps ne pussent se
frôler. Il la suivit du regard tandis qu’elle descendait avec
élégance les escaliers du perron et se dirigeait vers la Rolls
Royce. Puis il referma la porte, refrénant la folle envie de
courir vers elle pour lui révéler combien il aurait aimé pass-
er la nuit à lui faire l’amour.
74/213

Assise à l’arrière de la somptueuse voiture, Kate ravala


ses larmes de frustration. Elle avait tant espéré qu’il la
prenne dans ses bras ! La magie, alors, aurait opéré de nou-
veau, elle en était certaine.
Il ne l’avait pas fait. Elle avait eu raison de ne pas se ber-
cer d’illusions. A part son orgueil de mâle blessé, Luca
n’éprouvait pas le moindre sentiment pour elle.

Kate tapait une lettre sur le clavier de son ordinateur


quand une nouvelle nausée la terrassa. S'emparant aussitôt
de son sac à main, elle chercha frénétiquement le paquet de
biscuits qu’elle avait pris la précaution d’acheter avant
d’arriver au bureau. Elle s’en saisissait quand Luca entra
dans la pièce.
– J’aimerais que vous appeliez pour moi ce numéro à
Paris. Il s’agit d’un de mes clients et je dois…
Il s’interrompit brusquement, les yeux rivés sur le visage
livide de Katherine.
Dans son extrême détresse, celle-ci avait laissé tomber le
paquet de biscuits sur le sol. Comme elle se baissait pour le
ramasser, une nouvelle nausée l’assaillit, plus violente en-
core que la précédente. Se levant précipitamment de sa
chaise, elle se précipita hors de la pièce sans prendre la
peine d’expliquer à Luca son état.
75/213

– Katherine!
Elle entendit son cri, perçut la frustration et la surprise
qu’il manifestait mais ne put s’arrêter.
Quand, quelques minutes plus tard, elle revint des toi-
lettes, elle le trouva debout devant la fenêtre dans un état de
tension extrême.
– Que se passe-t-il, Katherine ? Vous êtes malade, c’est
évident ! Dio ! Pourquoi vouloir le cacher ?
L'expression ravagée de son visage toucha Kate au cœur,
lui faisant oublier sa propre détresse.
– Tout va bien, Luca, répondit-t-elle aussitôt. Ne vous
inquiétez pas !
– Cessez de mentir, Katherine, je vous en prie ! De toute
évidence, vous n’allez pas bien ! Vous êtes d’une pâleur
extrême et vous vous précipitez aux toilettes pour vomir !
Que se passe-t-il ? Je veux savoir la vérité. Toute la vérité !
Ne m’épargnez rien, je vous en prie !
Kate prit place sur un siège et laissa échapper un profond
soupir. Il voulait la vérité, il allait l’avoir. Hélas, elle n’était
pas certaine qu’elle lui plaise !
– Je suis enceinte.
– Vous êtes enceinte.
76/213

Ce n’était pas une question mais un constat froid et


détaché. Un étau se referma autour du cœur de la jeune
femme. Elle s’était attendue à sa colère. Sa froideur et son
détachement la glaçaient jusqu’aux os.
– Votre ex-fiancé est, bien entendu, le responsable de
votre état.
Ainsi, c’est ce qui lui était venu spontanément à l’esprit !
songea-t-elle. Son hypothèse inattendue la déstabilisa.
– Non ! Hayden et moi étions séparés depuis plus de
trois mois lorsque nous nous sommes rencontrés, à votre
soirée, Luca. Je ne suis enceinte que de douze semaines. Si
vous savez compter, il ne vous sera pas difficile de deviner
qui est le père de l’enfant…
Un silence de plomb accueillit ces paroles lancées
comme un défi.
Luca semblait soudain changé en statue de sel.
– Qu’essayez-vous donc de me dire, Katherine ?
demanda-t-il, quand il eut retrouvé sa voix. Que le père de
cet enfant, c’est… moi ?
– Oui.
Les yeux rivés aux siens, Kate le défia de dire le con-
traire. Luca faillit se pincer. Il rêvait et allait se réveiller. Il
n’était pas en train d’apprendre cette surprenante, cette
77/213

ahurissante, cette prodigieuse nouvelle. Le temps avait sus-


pendu son cours. Cette scène n’était pas réelle mais le fruit
de son imagination enfiévrée.
– Qu’espérez-vous ? demanda-t-il. Que je croie cette
révélation outrageuse ?
– Vous vouliez la vérité. Votre désir était de ne pas être
épargné. Je n’ai fait que vous obéir.
Une peur panique submergea alors Luca. La peur qu’elle
lui mente ou, pire encore, qu’elle essaie de lui faire endoss-
er la responsabilité de l’enfant d’un autre.
– Nous n’avons fait l’amour qu’une fois, cara mia, vous
vous souvenez ? Et cela fait trois mois que nous ne nous
sommes pas vus. Qui peut savoir combien d’hommes ont
partagé votre couche durant ce laps de temps ?
Il la vit pâlir et porter les mains à son cœur comme s’il
venait de recevoir un coup mortel. Mais il ne devait pas se
laisser attendrir. Il lui fallait impérativement connaître la
vérité même si elle était difficile à supporter.
Cette femme, avec qui il avait passé la nuit la plus
délicieuse de son existence, n’avait aucune conscience de
l’incroyable espoir qu’elle venait de faire naître en lui.
Mais la vraie question était : pouvait-il lui faire
confiance ?
78/213

Pour l’instant, ses admirables yeux couleur noisette le


fixaient sans aménité. S'ils avaient été des mitraillettes, il
n’aurait pas donné cher de sa vie.
– Je ne suis pas le genre de femme auquel vous pensez,
Luca ! Je ne collectionne pas les amants. Ce qui s’est passé
entre nous, cette nuit-là, à Milan, était exceptionnel. Au-
jourd’hui encore, j’ai du mal à m’expliquer comment cela a
pu se produire. Sans doute étais-je encore sous le choc de la
trahison de celui qui avait juré m’aimer pour la vie. Mais je
n’ai pas partagé votre lit par vengeance. C'était bien plus
que ça…
– Et vous êtes certaine que je suis le père de l’enfant que
vous portez ?
– Absolument certaine ! Je serais incapable de mentir sur
un sujet aussi important. Je ne vous demande pas d’argent.
Mon seul désir était de vous informer des conséquences de
cette nuit.
– Et, pourtant, vous n’avez fait aucun effort pour me ret-
rouver et c’est une pure coïncidence que vous vous soyez
présentée à mon bureau. Que se serait-il passé si je n’avais
pas eu besoin de remplacer temporairement ma secrétaire ?
Répondez-moi, Katherine ! Quand aviez-vous planifié de
m’informer de ma paternité ? A la naissance de l’enfant ?
Pour ses cinq ans ? Ses dix ans ?
79/213

Luca s’éloigna d’elle puis se rapprocha de nouveau. Il ne


savait plus quelle attitude adopter. Il ne comprenait pas le
comportement de Katherine. Qu’elle n’ait pas cherché à le
contacter dès qu’elle avait eu connaissance de sa grossesse
était incroyable !
Mais quelles que fussent les raisons qui l’avaient
poussée à agir ainsi, il était bien décidé à tout mettre en
œuvre afin qu’elle ne s’enfuie pas de nouveau.
Car, en dépit de la fureur légitime qu’il ressentait à son
encontre, il venait de se produire un miracle. Elle lui avait
annoncé une nouvelle qu’il avait désespérément espéré en-
tendre durant des années sans être exaucé.
Il allait être père !
Le visage d’une pâleur extrême, Kate serrait toujours ses
mains sur son cœur comme pour en calmer les battements
désordonnés.
– Je… Je comprends votre stupeur, balbutia-t-elle,
sincèrement contrite. Je vous aurais informé si j’en avais eu
la possibilité. Hélas, l’amie qui m’avait invitée à votre
soirée est partie pour les Etats-Unis sans me transmettre ses
nouvelles coordonnées. Je n’avais pas mémorisé l’adresse
de votre villa à Milan. Vous ne m’aviez pas communiqué
votre nom de famille. J’ignorais que vous travailliez à Lon-
dres. J’ai vainement cherché un moyen de vous contacter.
Imaginez la panique que j’ai ressentie quand j’ai découvert
80/213

que j’attendais un enfant d’un inconnu avec lequel j’avais


passé une seule nuit ! Le choc a été terrible, je peux vous
l’assurer. J’avais cessé de prendre la pilule au moment de
la rupture avec mon fiancé. Quand j’ai eu connaissance des
conséquences de notre folle nuit, j’ai été bouleversée mais
je n’ai pas hésité un instant à garder ce bébé inattendu que
m’offrait le destin… même si je devais l’élever seule !
Quand bien même aurais-je réussi à vous joindre, je n’avais
pas l’intention de vous demander de m’aider. L'idée de me
retrouver de nouveau devant vous me terrifiait. Vous auriez
très bien pu m’avoir effacée de votre mémoire.
Luca crispa ses poings de fureur.
Comment avait-elle pu imaginer, une seule seconde,
qu’il ait pu l’oublier, après la nuit exceptionnelle qu’ils
avaient passée?
Impossible!
Durant la réception donnée en l’honneur d’Hassan et de
ses associés, tandis qu’il contemplait Katherine jouer
l’hôtesse parfaite, s’occupant avec infiniment de grâce et
d’esprit de chacun de ses invités, Luca avait su avec certi-
tude – en dépit de ce qu’il lui avait affirmé à l’instant où
elle était réapparue devant lui – qu’il désirait ardemment
renouveler l’expérience vécue à Milan.
Jamais il n’aurait dû lui confesser s’être lui-même senti
perdu à cette fameuse soirée, juste avant de la rencontrer. Il
81/213

n’était pas dans ses habitudes d’avouer ainsi sa vulnérabil-


ité. Pour compenser, il s’était alors montré froid et détaché,
une attitude plus conforme à sa réputation.
Mais, en ce moment, toute son attention se focalisait sur
ce qu’elle venait de déclarer.
Elle était prête à élever, seule, son enfant !
Leur enfant!
L'indignation l’étouffait. Si elle croyait qu’il la laisserait
faire, c’était bien mal le connaître ! Il était un homme
d’honneur. Il avait le sens du devoir. De plus, si ce qu’elle
affirmait était exact, l’enfant qu’elle portait serait le seul
héritier de l’immense fortune familiale, de tout ce qu’il
possédait.
Il n’était pas question, un seul instant, que Katherine
élevât, seule, leur fils ou leur fille !
Comment pouvait-elle imaginer qu’après avoir appris
une telle nouvelle, il allait reprendre sa vie telle qu’elle
était auparavant, sans rien y changer ?
– Bien entendu, je vais exiger un test de paternité au mo-
ment de la naissance de l’enfant, déclara-t-il, mais d’ores et
déjà, je crois que vous dites la vérité. Ceci dit, que les
choses soient bien claires, Katherine…
Se campant devant elle, il poursuivit :
82/213

– Il n’est pas question que vous éleviez, seule, mon en-


fant! Cette idée est tout simplement ridicule, absurde !
A sa totale surprise, les joues de la jeune femme s’em-
pourprèrent de colère. Elle se leva, ses yeux lançant des
éclairs.
– Je suis heureuse d’apprendre que vous souhaitez as-
sumer vos responsabilités de père, Luca, mais je ne vous
laisserai pas me dicter ma conduite. J’ai pour habitude de
m’assumer pleinement et si vous avez l’intention de jouer
les tyrans, je pars sur-le-champ et vous n’entendrez plus ja-
mais parler de moi !
Ils se tenaient debout, l’un en face de l’autre, tels deux
boxeurs sur un ring.
La rage submergeait Luca. Comment Katherine osait-
elle avoir l’audace de le menacer de partir alors qu’elle por-
tait son héritier?
La seule idée que l’enfant qu’il avait tant désiré puisse
lui être enlevé avant même d’être mis au monde était
comme un coup de poignard en plein cœur.
Il approcha son visage à quelques centimètres de celui de
Kate et plaqua ses deux mains sur ses épaules, comme pour
l’empêcher de lui échapper.
– Comment osez-vous ? s’exclama-t-il. Comment osez-
vous me lancer pareille menace au visage ? Cet enfant que
83/213

vous portez n’est pas seulement à vous, il est également à


moi. Il a vos gènes mais aussi les miens. Vous ne pouvez
pas me l’enlever. Essayez encore une seule fois cette
manœuvre d’intimidation et je vous traîne devant les
tribunaux ! Quand cet enfant sera né, je jure qu’il ne man-
quera de rien et que je pourvoirai amplement à tous ses be-
soins. Et ne vous avisez plus jamais de tenter de m’en
empêcher !
La violence de sa diatribe stupéfia Kate. Sa réaction
n’était pas du tout celle qu’elle attendait. Qui aurait pu ima-
giner qu’il devienne si instantanément possessif, au point
de vouloir la traîner devant les tribunaux au cas où elle
s’aviserait de partir?
Elle avait énoncé cette idée afin de le déculpabiliser au
cas où il n’aurait pas ressenti la fibre paternelle. Mais elle
n’avait pas menti. Elle se sentait tout à fait prête à élever
son enfant seule. Sa mère, en son temps, ne l’avait-elle pas
fait ?
Mais il y avait une autre raison. Son expérience
désastreuse avec Hayden lui avait fait définitivement per-
dre toute confiance en la gent masculine. Elle était désor-
mais persuadée qu’il était impossible d’avoir une relation
saine et équilibrée avec un de ses représentants.
84/213

Pourtant, cette nuit-là, à Milan, Luca lui avait fait oublier


tous ses préjugés. Il s’était montré si doux, si tendre, si
délicieusement attentionné !
Néanmoins, elle savait qu’atteindre le sommet de
l’échelle sociale, comme il l’avait fait, nécessitait de pos-
séder la capacité de manipuler autrui, associée à une cer-
taine dose de cynisme. Luca ne pouvait faire exception à la
règle.
Mais, pour l’instant, elle devait accepter le fait qu’elle
portait leur enfant. Il avait raison sur ce point. Cet enfant
n’était pas seulement le sien, il portait également les gènes
des De Rossi.
Et, si elle aimait déjà le petit être qui grandissait en elle
plus que tout au monde, elle ne pouvait le priver de son
père. Il lui faudrait donc parvenir à un accord avec ce
dernier quant à la manière dont il serait élevé.
– S'il vous plaît, lâchez-moi, vous me faites mal !
Etouffant un juron en italien, Luca libéra ses épaules,
semblant prendre soudain conscience de la violence de sa
conduite.
– Je ne pouvais prévoir que vous réagiriez ainsi, Luca,
tenta-t-elle d’expliquer. Bien des hommes s’enfuient à
l’autre bout de la terre en apprenant que leur partenaire
d’une nuit attend un enfant. C'est ce qu’a fait mon père. La
85/213

nouvelle de votre paternité aurait pu être mal venue si vous


aviez été marié ou en passe de l’être.
Il parvint à esquisser un sourire.
– Ce qui n’est pas le cas. Et même si ça l’était, je
n’aurais pas fui mes responsabilités vis-à-vis d’un petit être
innocent. Je vous en prie, cessez de juger tous les hommes
en vous référant à votre père ou à votre ex-fiancé !
Kate baissa la tête, confuse. C'était exactement ce qu’elle
avait fait, songea-t-elle.
– Vous avez un sérieux besoin de vous sustenter, Kather-
ine ! Je vais ordonner qu’on vous apporte quelque chose à
manger. Vous attendez un enfant. Vous devez prendre soin
de vous.
Kate n’en croyait pas ses oreilles. Après la violence de
sa colère, son ton était d’une incroyable douceur. Il lui
semblait soudain retrouver l’homme qui l’avait tenue dans
ses bras toute une nuit.
De nouveau, l’espoir naquit dans son cœur mais elle le
repoussa aussitôt. Elle ne devait se faire aucune illusion.
Luca venait de changer d’attitude non pas pour elle-même
mais pour l’enfant qu’elle portait. Son enfant.
– Ne vous donnez pas cette peine, je vous en prie, lança-
t-elle. Je serais bien incapable d’ingurgiter quoi que soit en
ce moment.
86/213

– Vous êtes sûre ?


– Tout à fait sûre ! Je prendrai un repas décent à l’heure
du déjeuner.
– Bien, dans ce cas, je vais m’absenter un instant. Vous
n’allez pas être de nouveau malade ?
Elle esquissa un sourire.
– Je ne suis pas malade. Je suis seulement enceinte et les
nausées que je ressens sont tout à fait normales dans mon
état. Toutes les futures mères doivent apprendre à les gérer.
Elles sont censées disparaître au bout de quelques
semaines.
Il fit la grimace.
– Je l’espère pour vous. Prenez mes messages et in-
formez ceux qui appellent que je serai bientôt de retour.
– Ce sera fait.
Se massant instinctivement les épaules, là où l’étreinte
des mains de Luca avait laissé une marque, elle leva les
yeux vers lui. Il avait l’air si désolé que son cœur fondit de
tendresse.
Elle ignorait tout de lui. Et, pourtant, quand il lui avait
fait l’amour, il lui avait semblé que c’était la chose la plus
naturelle au monde. Un lien mystérieux les avait unis, sans
qu’ils aient besoin de mots.
87/213

Pourraient-ils, un jour, renouer ce lien ?


La nuit dernière, lorsqu’il lui avait spontanément avoué
avoir été, lui aussi, perdu, à cette soirée, avant de la ren-
contrer, un espoir insensé était né dans son cœur.
Hélas, il lui avait aussitôt ordonné de rentrer chez elle,
balayant ainsi tous ses rêves absurdes.
Luca parvint enfin à détourner son regard de la femme
qui faisait battre son cœur en une folle sarabande et mettait
le feu à ses sens. Il avait un urgent besoin de s’éloigner afin
de retrouver son calme.
– A plus tard ! lança-t-il avant de se diriger vers la sortie.
Si ce n’était pas une fuite, cela y ressemblait fort!
songea-t-il.

Le vent glacial de mars lui fouettait le visage mais Luca


n’en avait cure. Il arpentait les trottoirs de Londres à la
recherche d’un parc où il pourrait s’asseoir. L'expression de
son visage provoquait un haussement de sourcils chez les
piétons qu’il croisait. Mais aucun ne s’avisa de lui adresser
la parole par crainte de sa réaction.
Il marchait d’un pas vif, oublieux du reste du monde. Il
devait impérativement mettre de l’ordre dans ses pensées.
La soudaine apparition de Katherine dans son bureau avait
88/213

été un choc mais apprendre qu’elle attendait un enfant de


lui en avait été un autre, plus violent encore.
L'enfant était-il vraiment de lui ?
Il ralentit l’allure tant les affres de la peur et du doute
étreignaient son cœur.
Il voulait tellement la croire ! Cependant, il ne devait pas
négliger la possibilité qu’elle ne soit qu’une infâme manip-
ulatrice. Il ne pouvait accepter son affirmation sans la véri-
fier. Il devrait faire procéder à un test ADN après la nais-
sance. Malgré sa menace de s’enfuir s’il se montrait tyran-
nique, on pouvait imaginer qu’elle l’ait choisi comme cible
d’un odieux chantage.
Il était un homme fortuné et suffisamment d’informa-
tions circulaient quant à sa réussite internationale pour ex-
citer la convoitise de gens malhonnêtes.
Il se pouvait qu’il soit l’objet d’une escroquerie.
Et si Katherine, malgré ses affirmations, n’avait pas
rompu avec son fiancé ?
Et si tous deux avaient fomenté le plan de lui faire pren-
dre en charge l’enfant qu’ils avaient conçu ?
A cette idée, son estomac se révulsa. Il chassa loin de lui
la pensée nauséeuse.
89/213

Il aperçut un banc solitaire, sous un arbre, au cœur du


parc dans lequel il venait de pénétrer et s’y installa.
La tête dans ses mains, il envisagea l’autre possibilité.
Celle que Katherine porte vraiment son enfant en son sein.
Quelle incroyable ironie du sort ! Lors d’une seule nuit
avec une inconnue, il aurait donc engendré un enfant alors
que, durant trois longues années, Sophia et lui avaient
vainement tenté d’en concevoir un.
Sophia avait dû subir un nombre infini d’examens afin
de déterminer la raison de cette stérilité. Lui-même s’était
volontairement soumis à de nombreux tests. Le corps
médical avait fini par conclure que si lui pouvait avoir des
enfants, Sophia ne le pourrait jamais.
Cette affirmation avait anéanti la jeune femme.
Il avait alors proposé l’adoption. Après tout, il existait de
par le monde de nombreux orphelins à qui ils pouvaient ap-
porter amour et confort. Mais il n’avait pu convertir Sophia
à cette idée. Savoir avec certitude que jamais elle ne serait
mère lui était vite devenu insupportable.
Quelques semaines seulement après cette révélation faite
par les médecins, lors d’un week-end passé sur le yacht
d’un ami, elle s’était noyée en se jetant par-dessus bord.
90/213

Son propre désir d’avoir un enfant avait-il accentué en-


core la détresse de Sophia, jusqu’à la conduire au suicide ?
se demanda-t-il pour la millième fois.
Il avait tenté en vain de la rassurer. Ne pas avoir d’enfant
n’était pas si tragique. Ils pouvaient tout de même se con-
struire une vie heureuse en s’épaulant l’un l’autre. Mais
Sophia s’était emmurée dans son chagrin et leur mariage
avait sombré dans le désastre.
Repoussant ses sombres pensées, Luca se remit sur pieds
et reprit sa marche. Désormais, il allait exercer une surveil-
lance étroite sur Katherine. Si elle avait eu l’intention de le
berner, elle en serait pour ses frais.
5.
Luca finirait-il par être convaincu que l’enfant qu’elle
portait était le sien ? se demanda Kate, anxieuse.
Profondément honnête, la jeune femme ne pouvait sup-
porter que quiconque mette sa parole en doute, lui moins
encore que les autres. Cependant, elle le comprenait.
Qu’elle ne l’ait pas contacté en découvrant qu’elle était en-
ceinte devait lui apparaître hautement suspect. Peut-être
aurait-elle dû déployer plus d’effort qu’elle ne l’avait fait
pour le retrouver, mais force lui était de reconnaître qu’elle
avait craint sa réaction.
Un homme aussi puissant et fortuné que Gianluca De
Rossi ne pouvait être intéressé par une relation durable
avec une simple secrétaire.
Ayant pu constater, de ses propres yeux, le luxe de sa
villa et le style de vie qu’il menait, il était évident que tous
deux vivaient dans deux mondes aux antipodes l’un de
l’autre.
Qu’il ait pu la remarquer au cours de cette soirée, à Mil-
an, tenait tout simplement du miracle. Ce soir-là,
évoluaient dans son salon des dizaines de femmes toutes
plus belles les unes que les autres et, à l’évidence, prêtes à
92/213

se jeter dans ses bras. La plupart portaient des robes dess-


inées par de grands couturiers, valant probablement une an-
née de son salaire.
A leur regard méprisant, Kate avait très vite compris
qu’elle n’était pour elles qu’une quantité négligeable qui
n’avait pas sa place dans ce type de soirée mondaine.
Mais Luca, quant à lui, ne l’avait pas considérée ainsi,
bien au contraire.
Alors, pourquoi avait-elle craint si fort qu’il la rejette, au
réveil ?
Ce matin-là, après leur nuit d’amour exceptionnelle, elle
aurait dû être la femme la plus heureuse du monde. Mais,
terrassée par un terrible complexe d’infériorité, elle s’était
enfuie telle une voleuse qui avait pris ce qu’elle n’avait
aucun droit de prendre.
Sans doute était-elle encore sous le choc de la mort de sa
mère et, surtout, de celui de la découverte de son fiancé
dans les bras d’une autre.
Tandis qu’elle regagnait l’appartement de son amie pour
y faire ses bagages et rejoindre l’aéroport, elle s’était con-
vaincue qu’à son réveil, son bel Italien ne se souviendrait
même plus des traits de son visage.
93/213

Au retour de Luca, Kate était occupée à taper une lettre


sur son ordinateur.
Entendant la porte d’entrée du bureau s’ouvrir puis se
refermer avec un bruit sec, elle se figea, tendant désespéré-
ment l’oreille afin de suivre ses déplacements et ne doutant
pas une seconde qu’il regagnerait directement son siège
derrière sa table de travail.
Aussi fut-elle surprise quand il s’encadra dans le cham-
branle de la porte mitoyenne, ses cheveux encore
ébouriffés par le vent.
– Des messages ? demanda-t-il.
Leurs yeux se rencontrèrent et Kate frémit de tout son
être. L'enfant qu’elle portait hériterait-il de la divine
couleur de ceux de son père ?
– Vous avez reçu quelques messages mais rien de très
urgent, répondit-elle. Seulement des clients qui ont promis
de vous rappeler.
Elle arracha la page du bloc-notes sur lequel tous les
messages reçus étaient minutieusement inscrits et la lui
tendit. Il y jeta un bref regard.
– Rien de très important, en effet. Désirez-vous savoir où
je suis allé ?
– Euh… oui.
94/213

– Je suis allé marcher dans le parc.


– Dans le parc !
– J’avais besoin de réfléchir…
La gorge nouée, Kate attendit la suite.
– … et j’ai pris des décisions.
Incapable de prononcer le moindre mot, la jeune femme
était en train de comprendre que sa vie allait subir un
tournant drastique. Son cœur se mit à battre une folle sara-
bande dans sa poitrine.
– J’ai décidé que vous ne pouviez continuer à travailler
dans votre état. Vous avez des nausées, vous êtes fatiguée,
vous avez besoin de repos. J’ai moi-même dû travailler
d’arrache-pied, ces derniers mois, pour ce projet d’hôtel à
Dubaï. L'accord est conclu et j’ai sérieusement besoin d’un
break. Je propose donc que nous allions passer quelques
jours en Italie. Ma villa de Milan est un endroit idyllique
pour y prendre quelques jours de détente. Plus tôt nous
partirons mieux ce sera. Demain serait l’idéal.
Elle le regarda, les yeux arrondis de stupeur. Comment
pouvait-il émettre une telle proposition avec ce même
calme et ce même détachement qu’il prenait pour lui de-
mander de taper son courrier ?
Cet homme avait un toupet incroyable !
95/213

Il lui ordonnait tout simplement de renoncer à son travail


et à son mode de vie afin de suivre un plan concocté en
marchant une heure dans un parc !
Qu’était-elle donc pour lui ? Une marionnette dont on
tire les ficelles ? songea-t-elle.
Elle aurait dû s’indigner, refuser. Hélas, la perspective
de se retrouver en Italie avec Luca était bien trop excitante
pour qu’elle puisse faire appel à sa raison.
– Je ne suis pas malade, lui rappela-t-elle. Je suis en-
ceinte, c’est tout.
A peine ces mots avaient-ils franchi ses lèvres qu’elle
prenait conscience de sa fatigue. Ses premiers mois de
grossesse avaient été terriblement stressants. Quelques
jours de repos seraient les bienvenus.
– Oui, vous êtes enceinte, admit-il avec, dans le regard,
ce qui ressemblait à une lueur de tendresse, et il n’est pas
bon pour vous et le bébé de vous fatiguer plus qu’il n’est
nécessaire.
– Pensez-vous que je travaille seulement pour le plaisir,
Luca ? Je vous rappelle que je dois gagner ma vie, au-
jourd’hui plus que jamais.
– Non ! Désormais, je prends tout en charge ! Si c’est
vraiment mon enfant que vous portez, il est normal que je
me préoccupe de votre bien-être à tous les deux. Je vais
96/213

appeler l’agence, leur expliquer ce qui se passe et préparer


notre voyage en avion pour Milan demain. Je propose que
nous quittions le bureau vers 17 heures et regagnions ma
résidence de Mayfair. Nous y prendrons une collation puis
je vous reconduirai chez vous afin que vous puissiez pré-
parer vos bagages.
Personne, jusqu’alors, n’avait proposé à Kate de s’occu-
per d’elle. Mais si cette déclaration intempestive de Luca
ne manquait pas d’attrait, elle posait également de nom-
breuses questions.
Qu’allait-il se passer quand ils se retrouveraient tous
deux dans sa villa de Milan ?
Ne regretterait-il pas, très vite, l’offre qu’il venait de lui
faire?
Sa proposition signifiait-elle qu’il lui faisait enfin
confiance ?
Malgré toutes ces incertitudes, Kate décida que refuser
une telle invitation serait stupide.
– C'est bon, j’accepte ! dit-elle.
Sa décision prise, un immense calme l’envahit. C'était
comme si, en acceptant sa proposition, elle laissait le destin
lui guider sa conduite au lieu de chercher à le combattre.
97/213

Peut-être en avait-elle assez de toujours se battre, seule,


face à l’adversité et d’avoir constamment la peur au ventre.
Elle ne devait plus penser à elle mais à l’enfant qui, désor-
mais, grandissait en son sein.
– Vraiment, vous acceptez ?
– Oui.
Luca ferma les yeux. Peut-être venait-il de remporter la
négociation la plus importante de sa vie, pensa-t-il.

– Katherine ! Il est plus de 17 heures. Il est grand temps


de partir !
Sa charge de travail avait permis à Kate de passer
l’après-midi sans avoir le temps de réfléchir à ce futur sé-
jour en Italie. Et voilà que Luca se tenait debout derrière
elle, lui tendant sa veste afin qu’elle puisse l’enfiler. Elle
était si bouleversée qu’elle dût s’y prendre à deux fois pour
y parvenir.
Comme elle se tournait vers lui, il avança soudain sa
main pour la poser sur son ventre.
– Cela ne se voit pas encore, murmura-t-il d’une voix vi-
brante d’émotion.
Le cœur en émoi, Kate fut incapable de prononcer un
mot. Le simple contact de ses doigts au travers du tissu de
98/213

sa robe la faisait vibrer jusqu’au plus profond de son être.


Le désir qu’il la touche de nouveau, la caresse comme il
avait su le faire, cette nuit-là, à Milan, se fit fulgurant.
– Cela va se voir de plus en plus, au fil des jours,
parvint-elle cependant à répondre.
Elle envoya une prière au ciel afin que Luca ne perçoive
pas son trouble ni le désir brûlant qui enflammait ses sens,
faisait courir plus vite son sang dans ses veines.
Jamais, avant sa rencontre avec Luca, Kate n’avait ex-
périmenté une telle force d’attraction.
Remarquant les cernes bleuâtres sous ses yeux et ses
traits tirés, Luca ressentit aussitôt la folle envie de refermer
ses bras sur elle afin de la protéger, de la choyer.
Que lui arrivait-il ? se demanda-t-il, choqué par la force
du sentiment qu’il éprouvait.
Des remords l’assaillaient pour ne pas avoir pris con-
science plus tôt de la fatigue de la jeune femme. S'il lui res-
tait encore quelques doutes sur le bien-fondé de leur départ
pour l’Italie, ils s’évanouirent sur-le-champ.
Les futures mères sont plus aisément fatiguées et sujettes
à de fortes émotions, avait-il eu l’occasion de lire dans les
livres spécialisés achetés quand, avec Sophia, ils avaient
planifié d’avoir un enfant. Hélas, le destin avait été cruel
avec la jeune femme en lui interdisant d’enfanter. Il n’avait
99/213

donc pas pu la protéger et la chérir durant sa grossesse


comme il aurait adoré le faire.
En plus de se nourrir convenablement et d’éviter le
stress, Katherine allait devoir se reposer. Il était de son
devoir d’y veiller.
– Venez, rentrons ! dit-il.

Kate n’avait pas résisté au désir d’ôter ses chaussures.


Une très agréable chaleur, en provenance du luxueux par-
quet, réchauffa délicieusement ses pieds tandis qu’elle se
tenait assise sur le sofa, un verre de jus de fruits à la main,
dans la résidence londonienne de Luca. Elle lança un re-
gard autour d’elle. Le salon, somptueusement décoré, sans
doute par un talentueux désigner, ne manquait pas de
l’impressionner.
Durant la soirée donnée en l’honneur des riches clients
saoudiens, elle n’avait guère eu l’occasion d’apprécier son
environnement, tant elle s’était appliquée à tenir le rôle
d’hôtesse qui lui avait été dévolu.
Mais, à cet instant, son regard se trouva irrésistiblement
attiré par le tableau qui tenait la place principale sur un des
murs du salon.
Les yeux agrandis par la stupéfaction, elle sut instantané-
ment qu’il ne s’agissait pas d’une copie mais d’un original,
100/213

l’œuvre majeure d’un peintre de la Renaissance italienne


qu’elle avait étudiée au cours d’arts plastiques, durant sa
dernière année de faculté.
Jusqu’alors, elle n’avait vu que sa reproduction dans les
livres consacrés à cette période. Se retrouver face à l’ori-
ginal était, pour elle, un moment d’intense émotion.
Ce tableau était une splendeur et devait valoir une
fortune.
Pour avoir assisté à cette soirée donnée dans sa villa de
Milan, Kate savait que Luca était un homme fortuné. Mais
retrouver ce chef-d’œuvre de la peinture accroché au mur
de son salon était un choc.
– Je vois que le fleuron de ma collection de peintures de
la Renaissance italienne ne vous laisse pas indifférente,
Katherine.
Profondément absorbée par sa contemplation, Kate
n’avait pas entendu Luca pénétrer dans la pièce et s’ap-
procher d’elle.
Dès leur arrivée dans la somptueuse demeure de May-
fair, il avait donné congé à ses domestiques pour la soirée.
Les savoir, désormais, seuls dans les lieux ne mettait pas la
jeune femme à l’aise. Luca lui avait servi un verre de jus de
fruits puis annoncé son désir de descendre à la cave choisir
101/213

personnellement le vin capable d’accompagner le dîner qui


leur avait été préparé.
Elle se retourna et retint son souffle. Il avait pris le temps
de se changer, troquant son costume solennel pour une
tenue plus décontractée, jeans et polo. Kate frissonna. Cette
tenue apportait soudain une certaine familiarité dans leur
relation, qui ne manquait pas de la déstabiliser.
Elle devait impérativement se reprendre ! Ce n’était pas
le moment de se laisser submerger par un flot d’émotions
qui ne pourraient qu’être préjudiciables au bon déroule-
ment de la soirée !
Elle parvint à esquisser un sourire.
– J’ai étudié ce portrait de femme au cours d’arts
plastiques, lors de ma dernière année de faculté. J’en con-
nais les moindres détails. La Renaissance italienne m’a tou-
jours fascinée. Si les choses avaient été différentes, j’aurais
adoré poursuivre mes études dans le domaine des arts et
même en faire ma carrière.
– Qu’est-ce qui vous en a empêché ?
Elle laissa échapper un profond soupir.
– Tel n’était pas mon destin, je suppose. Il m’était im-
possible de poursuivre mes études. J’ai été élevée par une
mère célibataire et j’ai dû, très tôt, contribuer à ramener un
salaire à la maison.
102/213

– Quel dommage ! Au ton de votre voix, je perçois en


vous une réelle passion pour la peinture. Cela a dû vous
coûter d’abandonner votre rêve.
Elle haussa les épaules.
– Pas vraiment. J’avais appris que la vie ne se déroule
pas toujours comme on le voudrait. Le combat mené par
ma mère pour notre survie m’avait rendue philosophe. Elle
s’était sacrifiée pour m’élever. J’étais heureuse de pouvoir
l’aider à mon tour. C'était tout ce qui m’importait.
– Je vois, dit-il, visiblement surpris.
Kate se mordit la lèvre. Découvrir son origine sociale, si
différente de la sienne, n’allait-il pas lui faire regretter son
invitation ? songea-t-elle. Elle se tourna de nouveau vers la
peinture.
– Cette toile vaut une véritable fortune. N’avez-vous pas
peur qu’on vous la vole ?
– Vous m’impressionnez, Katherine. Ainsi, vous avez
décelé, au premier regard, qu’il ne s’agit pas d’une copie
mais d’une œuvre originale. Mais ne vous inquiétez pas.
Nul ne pourra s’introduire dans ce lieu pour la voler, je
peux vous l’assurer. La maison est équipée d’un système de
sécurité plus performant encore que celui qui protège les
joyaux de la Couronne. Je tiens beaucoup à exposer ce
tableau aux yeux de mes amis et invités. Pour moi, les
103/213

objets d’art ne doivent pas être confinés dans des coffres-


forts, mais être partagés avec le plus grand nombre.
– Cette disposition d’esprit vous honore, Luca, dit-elle,
sincère, tandis que son cœur battait plus vite, sensible
comme toujours à sa proximité.
– Ce portrait qui a irrésistiblement attiré votre attention
est l’un de mes tableaux préférés. Cette chevelure auburn,
ces magnifiques yeux noisette, ces lèvres faites pour les
baisers… voilà une subtile combinaison qui ne peut laisser
aucun homme normalement constitué, insensible. Elle me
rappelle une personne que je connais.
La voix de Luca avait soudain pris des intonations sen-
suelles qui firent courir un frisson le long de la colonne
vertébrale de Kate. C'était comme si les mots sortant de sa
bouche, l’enveloppaient, la caressaient.
– Vraiment ?
Elle s’empressa de boire une gorgée de son savoureux
jus de fruits afin d’humecter sa gorge desséchée.
– Vous devinez que je parle de vous, n’est-ce pas ? Vous
êtes aussi belle, plus belle encore, peut-être, que la célèbre
Margherita.
– Ne vous moquez pas de moi, je vous en supplie !
104/213

Qu’il lui fasse un tel compliment l’embarrassait.


Quelques années plus tôt, lorsque, fascinée, elle avait pour
la première fois porté son regard sur la toile désormais ex-
posée dans ce salon, elle avait été frappée par la lumineuse
beauté du portrait née sous le pinceau du peintre.
Pas une seconde, elle ne doutait que ce dernier ait été en
adoration devant son modèle. Il lui semblait que le pinceau
de l’artiste s’était fait caresse, mettant en valeur la
délicatesse des traits, les figeant à jamais dans une jeunesse
éternelle, les donnant à admirer pour l’éternité.
Décelant une lueur gourmande dans les yeux bleu élec-
trique rivés sur elle, une fois de plus, elle croisa instinctive-
ment ses bras sur sa poitrine comme pour se protéger.
– Je ne me moque nullement de vous, Katherine. Lor-
sque je vous ai vue pour la première fois, au milieu de mes
invités à cette soirée, à Milan, vous avez éclipsé toutes les
autres femmes présentes. Je ne voyais plus que vous.
Bien sûr ! pensa Kate, sarcastique.
Les hommes sont prêts à dire n’importe quoi pour amen-
er une femme dans leur lit. Certains sont même prêts à se
déclarer fous d’amour pour arriver à leur fin. Elle en avait
fait la triste expérience.
105/213

Elle se rappela soudain que Luca n’avait montré aucune


surprise, ni prononcé aucune condamnation en apprenant
que son ex-fiancé avait une maîtresse.
Etait-ce parce que lui-même les collectionnait ?
A cette simple idée, l’estomac de Kate se révulsa et la
nausée lui monta aux lèvres.
Plus jamais elle ne devait faire preuve de naïveté dans ce
domaine. Ayant eu l’occasion d’expérimenter son ardeur au
lit, il lui apparaissait totalement impossible qu’un homme
tel que lui puisse se passer longtemps de relations
sexuelles. Comment supporterait-elle d’apprendre l’exist-
ence d’une maîtresse ? Il était un peu tard pour se poser la
question. Le mal était fait. Dans quelques mois, elle don-
nerait naissance à son enfant.
Quelle serait alors sa place dans sa vie ?
Serait-elle condamnée à vivre dans sa périphérie alors
qu’elle rêvait d’en être le centre ?
– Katherine…
– Parlons d’autre chose, je vous en prie !
Elle étouffait. Elle se leva pour se diriger vers la fenêtre
entrouverte afin d’y respirer un peu d’air frais, admirant au
passage l’élégant tapis de laine aux dessins traditionnels
berbères.
106/213

– Dites-moi ce qui vous perturbe, insista-t-il.


Kate fut surprise qu’il s’en soucie. Selon elle, la plupart
des hommes n’accordaient pas le moindre intérêt aux états
d’âme de leur partenaire, trop préoccupés par l’unique sat-
isfaction de leur désir.
Curieusement, Luca ne semblait pas faire partie de ceux-
là.
Il vint la rejoindre. Elle ne put qu’admirer l’élégance
avec laquelle il se mouvait. Gianluca de Rossi appartenait à
ce monde fortuné dans lequel tout semble si facile ! Chaque
objet de sa demeure avait été choisi avec soin. Par qui ? Par
lui ? Par un styliste généreusement payé ? Par une femme ?
Kate ne venait pas du même monde. Jamais elle ne pour-
rait oublier les problèmes rencontrés par sa mère pour as-
surer leur existence. Jamais sa mère n’avait pu s’offrir le
moindre objet de luxe. Il lui fallait compter chaque penny
pour le loyer, la nourriture, les vêtements. Celui qui l’avait
mise enceinte n’avait pas jugé bon d’assumer les con-
séquences du moment de plaisir qu’il s’était offert.
Comme il était tentant de se laisser aller à profiter du
luxe qui l’entourait ! Hélas, Kate ne se faisait aucune illu-
sion. Certes, elle avait accepté l’invitation de Luca à passer
quelques jours dans sa somptueuse villa de Milan mais cela
ne signifiait nullement qu’ils puissent avoir un futur en
commun.
107/213

Telle était la triste réalité.


Quelle incroyable ironie du sort qui lui faisait subir le
même destin que sa mère ! Une nuit d’amour avec, pour
conséquence, un petit être innocent qui n’avait pas de-
mandé à venir au monde. Mais Kate était déterminée à ce
que, cette fois – contrairement à ce qui s’était passé pour
elle – l’enfant ait un père qui l’aide à grandir.
Reposant son verre de jus de fruits vide sur la somp-
tueuse table basse de verre, Kate affronta sans ciller les
yeux bleu électrique.
– J’ai besoin de savoir ce qui va se passer lorsque j’aurai
mis au monde l’enfant que je porte, Luca. Vous avez
déclaré vouloir aider à l’élever. Vous devez m’informer des
dispositions que vous comptez prendre afin de mettre cette
promesse en œuvre. Je ne peux pas passer les six prochains
mois de ma grossesse sans être rassurée sur ce point.
– Vous avez amplement raison. Si l’enfant est vraiment
de moi, je serai très heureux de tout faire afin qu’il ne
manque de rien.
Une gangue de glace enserra brusquement le cœur de la
jeune femme.
Doutait-il encore d’être le père de l’enfant ? songea-t-
elle.
108/213

Allait-il falloir attendre le test de paternité pour qu’il la


croie enfin ?
Comment osait-il lui imposer cette insupportable
torture ?
Venant s’ajouter à son sentiment de frustration, la colère
la submergea.
– Que pourrais-je ajouter pour vous assurer que je dis la
vérité ? Vous semblez déterminé à penser que je suis une
menteuse.
Sans qu’elle pût rien faire pour l’empêcher, le stress, la
détresse, vécus ces derniers mois la terrassèrent. Pourquoi
avait-elle commis la folie de ne pas laisser à Luca, un mot,
une adresse à laquelle il aurait pu la joindre ? Les larmes,
trop longtemps contenues lui brûlaient les paupières.
A la vue d’une goutte glissant lentement le long de sa
joue, Luca se rapprocha d’elle et prit fébrilement ses mains
dans les siennes.
– Ne pleurez pas, Katherine, je vous en supplie ! Je suis
sincèrement désolé. Mon intention n’était nullement d’ac-
croître encore votre détresse. Mais il faut que vous com-
preniez que la confiance ne se donne pas spontanément,
elle se construit. Comme vous le savez, je suis un homme
dont la fortune est connue. Elle peut exciter la convoitise
de gens sans scrupule. Je me dois de vérifier une
109/213

information aussi importante, qui engage non seulement le


présent mais aussi l’avenir. Ne pas le faire serait totalement
irresponsable.
– C'est vous qui avez proposé de prendre l’enfant en
charge lorsque je vous ai annoncé que j’étais enceinte. Je
ne vous ai rien demandé. Je n’ai rien exigé. Je ne cherche
pas à reprendre notre relation là où nous l’avons laissée. Je
dirais même qu’après la triste expérience que j’ai vécue
avec mon ex-fiancé, une nouvelle relation ne me tente ab-
solument pas.
– D’accord ! Laissons donc de côté un instant le bébé et
le fait que votre expérience malheureuse ne vous incite pas
à recommencer.
Il avança sa main vers son visage et, de son pouce, es-
suya délicatement la larme sur sa joue.
– Mais comment comptez-vous gérer l’irrésistible attir-
ance qui nous pousse dans les bras l’un de l’autre, ma chère
Katherine ? Devons-nous faire comme si elle n’existait
pas ? Devons-nous l’ignorer?
C'était impossible, songea Kate, il avait raison sur ce
point.
L'irrésistible feu qui couvait en elle était semblable à la
lave d’un volcan, et personne ne peut empêcher une érup-
tion volcanique.
6.
Cette nature passionnée, Kate avait toujours soupçonné
la posséder. Mais elle était tapie en embuscade sous la pris-
on de son attitude conventionnelle.
Depuis la nuit passée dans les bras de Luca, elle ne
doutait plus d’en être pourvue. Par ses baisers, ses caresses,
Luca avait éveillé en elle le volcan endormi. Ce que, ja-
mais, Hayden n’avait réussi à faire.
A l’avenir, il ne lui serait plus possible d’ignorer sa
nature profonde. En magicien, Luca l’avait révélée à elle-
même. Il suffisait qu’il s’approche d’elle pour que, aussitôt,
des flots de lave incandescente coulent dans ses veines et
qu’elle vibre à sa présence de toutes les fibres de son corps.
Il avait fallu des mois à Hayden pour la persuader de se
donner à lui. Il avait suffi d’un seul regard échangé avec
Luca pour que la chose aille de soi.
C'est pourquoi, à la question de Luca lui demandant si
elle comptait ignorer « l’irrésistible attirance qui les pous-
sait dans les bras l’un de l’autre », il était clair qu’elle se
devait de répondre en toute honnêteté. Tricher aurait été
ridicule.
111/213

– Non, admit-elle, osant effleurer timidement sa joue du


bout des doigts, je ne peux pas ignorer que je suis attirée
par vous. Cela m’est tout simplement impossible !
Les doigts virils se refermèrent avec autorité autour de
son poignet délicat afin d’amener sa main jusqu’à ses
lèvres. Il déposa alors un baiser subtilement sensuel au
creux de sa paume. Elle se mit à trembler et il la prit dans
ses bras, s’emparant de ses lèvres avec fièvre.
L'ardeur de son baiser prit Kate par surprise et lui coupa
le souffle. C'était comme si, brusquement, admettre enfin la
force qui les poussait irrésistiblement l’un vers l’autre avait
ouvert les vannes d’un barrage trop longtemps contenu.
Il n’y avait ni douceur ni tendresse dans ce baiser mais
une sorte de sauvagerie, conséquence de la longue et insup-
portable frustration de ces interminables derniers mois.
Elle répondit à ce baiser farouche avec toute l’ardeur
dont elle était capable. Le feu qui couvait en elle s’allumait
tel un brasier, la dévorant tout entière en un incendie que,
désormais, lui seul pourrait éteindre.
Elle noua ses bras autour de son cou, comme pour l’en-
fermer dans une douce prison, s’offrant sans plus aucune
réserve à son étreinte.
De ses mains tremblantes d’excitation, Luca tentait de
retrouver les courbes de ce corps exploré durant toute une
112/213

nuit et qui, depuis, hantait chaque seconde de sa vie. Mais


la barrière des vêtements l’empêchait d’y parvenir.
Kate perçut l’impatience, en tout point égale à la sienne,
qui habitait son partenaire. Elle sut alors que ni l’un ni
l’autre ne pourrait lutter plus longtemps contre le désir qui
les consumait.
Ils commencèrent à se déshabiller l’un l’autre avec des
gestes fébriles, et, lorsque Kate ne fut plus vêtue que de ses
légers sous-vêtements, Luca la souleva dans ses bras pour
la porter jusque sur le sofa moelleux sur lequel il la déposa
avec délicatesse.
Quand il s’allongea sur elle, Kate laissa échapper un
soupir de contentement.
Enfin!
Leurs deux corps s’épousaient à merveille. Leurs deux
cœurs battaient à l’unisson.
– Je te désire si fort ! avoua Luca dans un murmure, sa
bouche tout contre son oreille.
S'ensuivit toute une litanie de mots doux et sensuels
énoncés en italien, que Kate comprit sans avoir besoin
d’interprète.
Il lui ôta alors son slip de soie et de dentelle qu’il fit
lentement glisser le long de ses cuisses.
113/213

En transe, Kate enfouit ses doigts dans l’épaisse cheve-


lure sombre de son partenaire et lui releva la tête afin de
retrouver la ferveur de son baiser. Leurs langues se cher-
chèrent et se trouvèrent en un ballet follement sensuel.
Dégrafant son soutien-gorge, il libéra les deux globes
laiteux de leur prison. Il abandonna alors sa bouche pour
concentrer son attention sur ses seins gonflés dont les
pointes dressées quémandaient ses caresses. Il les lécha de
sa langue, les titilla de ses dents. Ils étaient si sensibles que
Kate arqua son corps sous l’impact de la délicieuse torture.
Puis Luca poursuivit l’exploration de son corps entière-
ment nu, enfin livré à ses doigts avides. Glissant la main
dans le triangle soyeux de son entrejambe, il trouva sans
peine le bourgeon gonflé de désir niché au cœur de son in-
timité. Kate écarta aussitôt les cuisses afin de profiter
pleinement de ses exquises caresses.
Curieusement libérée de toute inhibition, elle se livrait
sans honte à ses caresses les plus osées, les plus auda-
cieuses, sans en éprouver la moindre gêne, la moindre par-
celle de honte. Faire l’amour avec lui était la chose la plus
naturelle au monde. Dès les premières secondes de leur
rencontre à la soirée de Milan, tous deux avaient perçu leur
totale complicité sans avoir besoin de mots pour
l’exprimer.
114/213

Au petit matin, cependant, Kate avait eu peur que cette


merveilleuse complicité ne soit qu’illusion. Sa triste expéri-
ence passée, celle de sa mère, s’étaient chargées de
l’éduquer en ce sens.
Mais, en cet instant, de nouveau, l’alchimie fonctionnait,
ne laissant pas la moindre chance à la raison de
s’interposer. Kate rendit à Luca les caresses qu’il lui
prodiguait sans compter.
Fébrile, il la guida afin qu’elle l’aide à se débarrasser du
reste de ses vêtements. Elle put alors caresser le membre
viril et palpitant, heureuse de constater le désir incontest-
able qu’il éprouvait pour elle.
Lorsqu’il pénétra dans son intimité chaude et humide,
prête à le recevoir, l’espoir naquit de nouveau au fond de
son cœur torturé.
Un espoir immense, infini.
Ils se retrouvaient comme s’ils ne s’étaient jamais
quittés.
Cette pensée la rendit euphorique.
Peut-être, après tout, avaient-ils un avenir en commun.
Mais, très vite, toute pensée cohérente l’abandonna. Il
semblait que la grossesse la rendît plus sensible encore à
ses caresses et, tandis qu’il prenait possession de son corps
115/213

et de son âme avec une incontestable passion, elle ferma les


yeux et se laissa emporter par la vague du plaisir. L'extase
qui s’ensuivit fit trembler son corps durant d’interminables
secondes. Elle s’accrocha désespérément à ses larges épaul-
es et pleura de bonheur.

Luca avait été impatient durant toute la journée. Impa-


tient d’ôter ces vêtements qui masquaient à sa vue ce corps
dont le souvenir le hantait.
Il devait impérativement la déshabiller, lui enlever le
moindre obstacle qui l’empêchait de la toucher, de la
caresser, comme il en rêvait jusqu’à en perdre la raison.
Enfin, il était parvenu à ses fins !
Il était en elle, là où il avait rêvé d’être. Le plaisir qu’il
éprouvait était si intense que, l’espace d’une seconde, il
crut que son cœur ne pourrait le supporter et allait brusque-
ment cesser de battre.
Mais son cœur ne s’arrêta pas et il connut l’extase en
parfaite symbiose avec sa partenaire.
Dio, songea-t-il, pouvait-on rêver moment plus sublime
que cette montée en puissance du plaisir partagé dans une
synchronisation parfaite avec sa partenaire ?
Il en oubliait totalement et miraculeusement la souf-
france tenace qui l’habitait depuis la mort de Sophia. Il
116/213

ressentit alors un phénomène étrange : des larmes lui mon-


taient aux yeux.
Ce n’étaient nullement des larmes de chagrin mais, in-
contestablement, des larmes de bonheur.
Depuis sa plus tendre enfance, pas une seule fois il
n’avait pleuré. Aux funérailles de Sophia, ses yeux étaient
restés désespérément secs. Il s’était alors retiré des plaisirs
de ce monde.
La solitude était devenue sa compagne.
Puis, ses parents étant morts à leur tour, il n’avait plus eu
personne vers qui se réfugier. Le travail intensif avait été
son refuge et son réconfort.
Aujourd’hui, contre toute attente, il venait de déclarer
qu’il avait mérité de se reposer. Mieux encore, il avait in-
vité une femme à partager ces quelques jours de repos dans
sa maison de Milan. Un brusque sentiment de culpabilité
l’assaillit.
Etait-ce mal de désirer cette femme aussi fortement ? De
la vouloir pour lui exclusivement ?
A sa décharge, il ne s’agissait pas de n’importe quelle
femme mais de celle qui affirmait porter son enfant.
117/213

Elle venait de se donner à lui sans réserve, sans que son


appétit en soit le moins du monde rassasié. Il la désirait
plus que jamais.
Malgré tous les efforts déployés dans le passé, Sophia
n’avait pu leur donner l’enfant que tous deux souhaitaient.
Elle en était morte. Il n’avait pas su la consoler, la rassurer.
Devrait-il, à tout jamais, porter la responsabilité de cette
mort tragique ?
N’avait-il pas suffisamment souffert pour, encore et tou-
jours, porter sur ses épaules, le fardeau de cette terrible
culpabilité?
Les lèvres de Katherine déposaient une myriade de
tendres baisers sur la peau nue de son épaule. C'était abso-
lument délicieux.
Il lâcha enfin prise pour se laisser aller au bonheur qui le
submergeait. Le moment était venu pour lui de reprendre
goût à la vie. Le destin lui avait fait croiser le chemin d’une
femme merveilleuse, unique.
Contemplant le visage de Katherine, ses lèvres gonflées
des baisers échangés, ses yeux remplis d’étoiles, il se sentit
plus heureux qu’il ne l’avait jamais été.
Comme il aurait voulu posséder le talent du peintre de la
Renaissance pour, à son tour, fixer sur la toile une telle
beauté!
118/213

– Tu es si belle, Katherine ! dit-il, la voix tremblante.


Son regard quitta sa bouche pour se poser sur son ventre
qui n’allait pas tarder à s’arrondir. Il osa le toucher, s’émer-
veillant à l’idée qu’un enfant – son enfant, leur enfant – s’y
développait.
Mais, soudain, une sourde angoisse l’assaillit.
Et si leurs ébats passionnés avait mis en danger cette vie
fragile?
Et si, sans le vouloir, il lui avait fait mal ?
– Que se passe-t-il, Luca ?
Kate venait de percevoir sa brusque inquiétude. Elle lui
caressa aussitôt le bras afin de tenter de le rassurer.
– Je… je ne t’ai pas fait mal, j’espère ! balbutia-t-il. Ni à
toi… ni à l’enfant !
Un tendre sourire fleurit sur les lèvres de la jeune
femme.
– Non, absolument pas ! Ne t’inquiète pas, tout va bien !
Faire l’amour à une femme enceinte ne représente absolu-
ment aucun danger. Après le troisième mois, le risque de
perdre le bébé est quasi nul.
– En es-tu vraiment sûre ?
119/213

– Tout à fait sûre, Luca ! C'est ce que j’ai lu dans des


livres très documentés sur le sujet.
Enfin, il se détendit. Le sourire épanoui de Katherine
avait un effet bénéfique sur ses nerfs tendus. En contem-
plant son visage levé vers lui, en respirant son parfum si
particulier, il sentit renaître son désir.
Il allait s’emparer de nouveau de ses lèvres, mais il se
ravisa.
– As-tu faim, ma douce Katherine ? demanda-t-il. En ton
honneur, ma gouvernante a préparé un plat d’authentiques
pâtes italiennes.
– Peut-il attendre quelques instants ? demanda-t-elle en
rougissant.
Il la gratifia de ce sourire qui affolait son cœur.
– Oui. Il est tout à fait possible de le faire réchauffer
pour le déguster quand nous serons prêts. Mmm… à quoi
désires-tu que nous nous occupions, en attendant ?
– Si je ne me trompe… tu te préparais à me donner un
baiser, non ?
Il s’empara fiévreusement de ses lèvres avant même
qu’elle ait fini de parler.

***
120/213

Ce soir-là, quand le chauffeur de la Rolls-Royce arrêta le


véhicule devant l’immeuble du quartier populaire dans le-
quel se trouvait son studio, Kate se tourna vers Luca assis à
son côté.
– A quelle heure devons-nous partir, demain ?
– Notre vol est prévu en début d’après-midi, vers 14 h
30. Nous devrons donc être prêts pour 13 h 30, au plus tard.
– Ecoute, Luca, préparer mes bagages risque de me pren-
dre un certain temps. Je préférerais pouvoir le faire tran-
quillement, seule. Voilà ce que je te propose : rentre chez
toi et reviens me chercher demain matin. Je me tiendrai
prête pour 13 h 30.
– Te stresser est vraiment la dernière chose que je
souhaite, Katherine. Notre voyage à Milan est justement
fait pour que tu te reposes. Si tel est ton souhait, je peux
même retarder le départ de notre avion. Cela ne posera
aucun problème puisqu’il s’agit de mon jet privé.
– Ton… jet privé ! s’exclama-t-elle, effarée.
– Mon jet privé, en effet ! répéta-t-il comme si la chose
allait de soi. Quand on dirige un cabinet d’architecte qui in-
tervient dans le monde entier, on est amené à beaucoup
voyager. Posséder un jet privé fait gagner un temps
précieux.
Des pensées assaillirent aussitôt l’esprit de Kate.
121/213

Comment avait-elle pu imaginer, une seule seconde, que


leur séjour en Italie, se prolongerait au-delà d’un week-
end ?
Un homme aussi fortuné et charismatique que Gianluca
De Rossi ne pouvait envisager de rester longtemps auprès
d’une personne ordinaire.
Même si celle-ci était enceinte de son enfant !
De retour dans sa somptueuse demeure, il n’allait pas
manquer de s’apercevoir qu’elle ne faisait aucunement
partie de son monde.
Elle n’était ni charmeuse, ni sophistiquée. Elle n’était,
tout simplement, pas pour lui !
Après avoir revécu de nouveaux ébats amoureux d’une
intensité si parfaite, elle avait de nouveau conçu le fol es-
poir qu’ils pussent avoir un avenir en commun.
Cet espoir était fou, insensé.
Elle réussit à esquisser un sourire afin de cacher son
tourment intérieur.
– Je t’appellerai demain matin, dès que je serai prête, dit-
elle. Ça te va ?
– Ça me va, mia bellissima !
Il prit son visage en coupe entre ses mains et son souffle
effleura ses lèvres.
122/213

– Promets-moi de ne pas recommencer, Katherine, dit-il.


– Que… que veux-tu dire ?
– Si tu ne reviens pas avec moi, ce soir, promets-moi de
ne pas t’enfuir sans me dire où tu vas.
Elle ne pouvait lui en vouloir de toujours se référer à sa
conduite stupide, songea-t-elle, mais une chose était cer-
taine. Qu’il se comporte comme si elle avait de l’import-
ance à ses yeux la comblait de bonheur.
– Non, Luca, je ne m’enfuirai pas, je te le promets.
– Parfait !
Il effleura ses lèvres d’un chaste baiser et une onde de
chaleur monta aussitôt des reins de Kate. Que n’aurait-elle
donné pour qu’il lui fasse l’amour encore et encore. Hélas,
tout en poussant un profond soupir de frustration, il s’écarta
d’elle.
– Entre et repose-toi, Katherine, ordonna-t-il. Tu as de
nouveau l’air fatiguée.
Elle sourit.
– C'est seulement parce que nous avons…
– Je sais ! C'est exactement pourquoi je dois rentrer chez
moi, maintenant.
123/213

Elle ne put s’empêcher de rougir aux souvenirs de l’ar-


deur de leurs étreintes qui les avaient occupés toute la
soirée. Son corps vibrait encore de ses caresses. Les
souvenirs allaient la tenir éveillée le reste de la nuit, elle en
était persuadée. Le cœur de son intimité pulsait de nouveau
de désir. Sa soif de lui ne serait-elle donc jamais étanchée ?
– Je… je te remercie.
Elle se préparait à descendre du véhicule lorsqu’il la
retint par la main.
– Tu es sûre de ne pas avoir besoin de moi pour préparer
tes bagages ?
Aussi tentante que soit sa proposition, elle se devait de la
refuser. Plus que jamais, elle avait besoin de se retrouver
seule.
Pour faire le point.
Pour mettre un peu d’ordre dans ses pensées.
Tant de choses s’étaient passées depuis que son chemin
avait de nouveau croisé celui de Luca !
La tête lui tournait !
Par ailleurs, elle ne souhaitait pas sa présence à son côté
lorsqu’il lui faudrait choisir ses tenues pour le voyage et le
séjour en Italie.
124/213

Dans le monde de Gianluca De Rossi, les femmes étaient


habillées par les grands couturiers. Malheureusement, sa
propre garde-robe ne comportait aucun vêtement de prix,
même si elle s’évertuait à les choisir avec soin.
Luca ne tarderait pas à prendre conscience qu’un gouffre
social les séparait.
Une fois encore, le terrible sentiment d’infériorité qui
était son lot quotidien la terrassa. Au fil des jours, Luca ne
manquerait pas de comparer le mode de vie ordinaire de la
mère de son futur enfant avec celui de l’homme fortuné
qu’il était.
Lorsqu’il serait de retour au sein de son groupe d’amis –
qu’elle avait côtoyé le temps d’une soirée – la différence
entre les deux mondes allait lui paraître évidente. Alors, il
ne pourrait que regretter de l’avoir invitée.
– Je préfère vraiment préparer mes bagages moi-même si
cela ne t’ennuie pas, affirma-t-elle avec force. Mais, merci
de me proposer ton aide, Luca.
– Alors, bonne nuit, Katherine.
Il fit le tour de la voiture pour lui ouvrir la portière et dé-
posa un baiser au creux de la paume de sa main. Ce contact
déclencha en elle un frémissement immédiatement.
Qu’il était donc difficile de le laisser partir ! songea-t-
elle.
125/213

– Je te conseille de te mettre au lit et de remettre à de-


main matin la préparation de tes bagages. Tu en auras
amplement le temps. Téléphone-moi dès que tu auras ter-
miné et je viendrai te chercher. D’accord ?
– D’accord ! Bonne nuit, Luca.
– Bonne nuit Katherine. Dors bien.
Elle doutait, hélas, d’y parvenir.

Réveillé bien avant l’aube, Luca avait fait les cent pas
dans sa chambre puis dans le salon et la salle à manger,
tentant vainement de calmer la tension qui l’habitait.
Sa frustration que Katherine n’ait pas partagé son lit était
immense.
Il avait espéré qu’en lui faisant l’amour, son corps ret-
rouverait enfin la paix.
Il n’en était rien.
Leurs ébats n’avaient fait que raviver son appétit. La
qualité de leurs étreintes lui avait fait ressentir ce qui lui
avait fait défaut en ne l’ayant pas gardée auprès de lui.
Katherine agissait sur lui comme une drogue.
Il ne l’avait quittée que depuis quelques heures et, déjà,
il était en manque !
126/213

Il n’avait pas fermé l’œil de la nuit, obsédé, torturé par


une seule pensée : et si elle ne l’appelait pas le lendemain
matin ?
Et si elle décidait de ne pas l’accompagner à Milan ?
Et si elle disparaissait de nouveau de sa vie ?
Cette pensée le terrifia. Pourquoi avait-il répondu favor-
ablement à sa demande de rester seule pour préparer ses ba-
gages ? C'était une pure folie !
A l’idée de ce que représenterait, pour lui, cette nouvelle
désertion, il jura entre ses dents.
Elle portait son enfant.
Curieusement, il n’avait plus aucun doute à ce sujet.
Pourquoi cette certitude s’était-elle imposée à lui ? Il l’ig-
norait. Mais, désormais, il savait que cet enfant était le sien.
Sans doute, la manière dont Katherine s’était abandon-
née sans réserve à ses caresses n’était-elle pas étrangère à
cette conviction.
Une sorte de sixième sens le confortait dans l’idée
qu’une femme aussi spontanée, aussi dépourvue de tout ar-
tifice, ne pouvait mentir, ne pouvait tricher.
L'enfant qu’elle attendait était vraiment le sien.
Cela expliquait sans doute qu’il se comportât d’une man-
ière aussi possessive avec elle.
127/213

Cependant, l’immense bonheur éprouvé à la perspective


d’avoir enfin un enfant n’expliquait pas l’espèce d’addic-
tion qu’il ressentait pour la mère.
Il semblait qu’il ne puisse plus se passer d’elle.
Cela n’était nullement dans ses habitudes, et il en était
déstabilisé.
Il repoussa toutes les questions dérangeantes qui lui
venaient à l’esprit. Il refusait de leur consacrer son atten-
tion. Après tout, cette attirance mutuelle ne pouvait que
rendre plus facile la proposition germée dans son esprit en-
fiévré au cours de la nuit, qu’il se préparait à lui faire.

***

Plusieurs heures plus tard, Luca reposait une nouvelle


fois le combiné de téléphone sur son socle. Il suivit des
yeux Brian, son chauffeur, qui transportait ses bagages afin
de les mettre dans le coffre de la Rolls-Royce. Pour la én-
ième fois, il jeta un regard à sa montre.
Dio, à quel jeu pervers, Katherine jouait-elle donc ?
songea-t-il.
Il bouillait d’impatience. L'heure fixée pour le départ ap-
prochait et la jeune femme ne l’avait pas appelé comme
convenu.
128/213

Pire encore, plusieurs fois, il avait appelé chez elle et


était tombé sur son répondeur.
Il allait devenir fou !
Non, elle ne pouvait pas s’être enfuie de nouveau !
Il ne pouvait rester inactif. Il devait prendre une dé-
cision. Il s’apprêtait à rappeler Brian afin qu’il le conduise
sans plus tarder à l’appartement de Katherine quand la son-
nerie du téléphone retentit.
Il décrocha.
– De Rossi ! aboya-t-il dans le combiné.
– Luca ?
– Katherine ! Enfin ! Pourquoi ne m’as-tu pas appelé
plus tôt ? Où étais-tu ? Tu n’es pas chez toi ! J’ai passé la
matinée à t’appeler !
– Je suis à l’hôpital !
Il perçut le tremblement évident de sa voix.
– A l’hôpital ! Pourquoi ? Que se passe-t-il ?
Le sang dans ses veines s’était changé en glace. Il était
en état de choc. Ses mains se crispèrent sur le combiné, ses
jointures blanchirent.
129/213

– Je t’expliquerai tout à mon retour chez moi, Luca. J’ai


appelé un taxi. Il est là. Il va me raccompagner. Je te
retrouve là-bas.
– Katherine!
Elle avait raccroché.
7.
Dès que Kate aperçut l’imposante Rolls-Royce garée
devant son immeuble, son cœur se mit à battre la chamade.
Vêtu d’un élégant manteau en cashmere, Luca faisait les
cent pas devant le perron. Il paraissait très agité.
Dès qu’il la vit, il se précipita vers elle, lui transmettant
aussitôt la terrible tension qui était la sienne.
La tête lui tournait encore un peu. Une brusque bour-
rasque du vent froid de mars la fit frissonner. Elle
rassembla ses forces. Ce n’était vraiment pas le moment de
flancher !
– Bonjour, Luca, lança-t-elle en fouillant fébrilement au
fond de son sac, à la recherche de ses clés. Je suis vraiment
désolée de t’avoir causé de l’inquiétude.
Il se planta alors devant elle avec un tel air de détresse
qu’elle en fut bouleversée.
– Pourquoi as-tu dû te rendre à l’hôpital, Katherine ?
demanda-t-il en crispant si fort sa main autour de son bras
que la jeune femme eut une grimace de douleur. Je me fais
un sang d’encre depuis ton appel. Je suis fou d’inquiétude.
131/213

Elle leva les yeux vers le ciel et quelques gouttes de plu-


ie mouillèrent son visage.
– Il vaudrait mieux que nous rentrions. Ma visite à
l’hôpital n’est pas quelque chose dont je souhaite parler
dans la rue.
Elle réussit à esquisser un sourire.
– Et, en plus, il pleut !
Luca laissa échapper un juron. Il ôta son manteau, le lui
mit sur les épaules afin de la protéger, et l’accompagna
jusqu’à son appartement sans plus prononcer une parole.
Mais, à peine entré, il la débarrassa du manteau et la prit
par les épaules.
– Tu aurais dû m’appeler ! Pourquoi es-tu allée à l’hôpit-
al ? Quelque chose ne va pas ? S'agit-il du bébé ?
Les questions pleuvaient en rafale. Il semblait avoir du
mal à respirer.
– Et si nous allions nous asseoir ? proposa-t-elle.
Elle s’efforçait d’être aussi calme que possible, espérant
ainsi alléger son inquiétude. Elle-même avait besoin de
s’asseoir, la matinée avait été rude.
Elle le précéda dans le salon confortable qu’elle avait dé-
coré avec soin et prit place sur le canapé au tissu coloré.
132/213

Luca explosa alors d’impatience, la faisant sursauter.


– Mais, enfin, vas-tu te décider à me dire ce qui ne va
pas ! C'est donc si grave que tu n’oses pas me le révéler ?
Relevant la mèche rebelle qui lui tombait sur les yeux,
Kate lutta contre l’embarras qui la terrassait.
Lui avouer qu’elle était enceinte était une chose, mais
discuter avec lui des détails intimes liés à son état en était
une autre, surtout quand il se tenait ainsi devant elle, tel un
empereur romain, terriblement intimidant.
– J’ai… J’ai eu quelques saignements, ce matin, au
réveil, confessa-t-elle. Je me suis inquiétée. J’ai appelé
mon médecin. Il m’a aussitôt conseillée de me rendre sur-
le-champ à l’hôpital où l’on pourrait pratiquer tous les exa-
mens nécessaires.
Elle vit très distinctement les traits de son visage se
crisper plus encore et sa pâleur s’accentuer.
Qu’il puisse s’inquiéter autant pour elle la bouleversait.
A moins que ce ne fût seulement pour le bébé…
– Les médecins m’ont rassurée. Inutile de s’inquiéter. Il
semble qu’il soit courant, durant les douze premières se-
maines de sa grossesse, que surviennent quelques saigne-
ments. Mais ils ont procédé à une échographie pour plus de
sûreté.
133/213

– Dio ! Et qu’a-t-elle révélé ?


– Que tout allait bien. Le bébé se développe har-
monieusement. Cette technique est, aujourd’hui, tellement
performante qu’elle signale le moindre problème s’il y en a
un. Elle aurait décelé, par exemple, s’il s’agissait d’une
grossesse extra-utérine.
– Est-ce que tu saignes encore ?
Un sourire s’épanouit sur les lèvres de Kate.
– Non. Jamais les médecins ne m’auraient laissée re-
partir dans ce cas. L'incident est clos. Je me sens parfaite-
ment bien.
Il n’en avait pas été de même, à son réveil, au petit mat-
in, lorsque, se rendant aux toilettes, elle avait découvert
qu’elle perdait du sang, se rappela-t-elle.
La panique l’avait submergée. Elle allait perdre le bébé !
Jusqu’à cet instant précis, elle n’avait pas vraiment pris
conscience de combien elle était attachée au petit être qui
grandissait en elle.
Si sa relation avec Luca ne devait pas se poursuivre, le
destin lui aurait tout de même fait le plus merveilleux des
cadeaux : un enfant, le fruit de leurs étreintes passionnées.
Un cadeau pour la vie. Un cadeau qui lui permettrait de
ne jamais oublier la fabuleuse nuit d’amour à Milan.
134/213

Désormais, elle allait avoir quelqu’un à chérir et à aimer.


Et aujourd’hui, l’échographie lui avait fait voir, pour la
première fois, le petit être niché au creux de son ventre.
Elle avait été émue aux larmes par ce merveilleux mir-
acle de la vie. Elle aurait voulu demander un téléphone,
appeler Luca afin qu’il puisse, lui aussi, assister à
l’événement.
Mais, incertaine de sa réaction, elle avait préféré
s’abstenir.
– Est-ce que tu ressens des douleurs ? demanda-t-il, tou-
jours inquiet.
– Non, pas la moindre !
– Nous n’aurions pas dû faire l’amour, hier !
Percevant son remords, elle se révolta.
– Pourquoi ?
– Je me suis peut-être montré trop passionné !
– Non, je te rassure, Luca, les saignements n’avaient rien
à voir avec le fait que nous ayons fait l’amour !
Elle devait impérativement apaiser ses craintes mais se
rendait compte que ce ne serait pas aisé. Il se culpabilisait à
outrance.
Il releva la tête et leurs yeux se rencontrèrent.
135/213

– Et que t’ont conseillé les médecins ? demanda-t-il. Tu


ne me caches rien, j’espère ! Tu les as informés que tu te
préparais à prendre l’avion pour Milan ?
– Oui, bien entendu.
– Et ?
– Ils m’ont affirmé qu’il n’y avait aucun danger à le
faire, que je devais vivre tout à fait normalement. Il faut
juste que je ne me fatigue pas trop et que j’évite le stress au
maximum.
– Alors, j’ai vraiment pris la bonne décision en planifiant
ce séjour !
Kate se noya dans l’océan des yeux bleus rivés sur elle.
Qu’il était bon de l’avoir à son côté dans pareille
circonstance ! songea-t-elle.
– Plus tôt nous quitterons ce temps humide et froid,
mieux ce sera! poursuivit-il. Je ne peux garantir le temps
qu’il fera à Milan à cette époque de l’année mais je peux
assurer que tu bénéficieras de tout le repos dont tu as be-
soin. Je ferai tout pour qu’il en soit ainsi ! Il ne fait pas de
doute que tu as dû subir beaucoup de stress, ces dernières
semaines. Il est temps que je m’occupe de toi, ma douce
Katherine !
136/213

Traversant la pièce pour se rendre à la fenêtre, il put con-


stater que la pluie tombait désormais à verse. Elle le vit
frissonner.
– Peut-être…, commença-t-elle.
– Il n’y a pas de « peut-être » !
Il se retourna vers elle, plus résolu que jamais.
– Je suis heureux d’avoir pris la décision de te faire ar-
rêter de travailler. J’espère toutefois que le stress que tu as
subi n’a eu aucun effet sur le bébé. Je vais tout faire pour
que de tels désagréments ne se reproduisent plus. Désor-
mais, je me charge de tout. Dès notre arrivée à Milan, je
prendrai contact avec un obstétricien de mes amis qui jouit
d’une excellente réputation. Je tiens à m’assurer que tout se
passe bien pour ta grossesse. Je veux le meilleur pour toi et
le bébé. Il n’est pas question qu’il vous arrive quoi que ce
soit !
Elle arqua les sourcils et sourit.
– Il semble que tu n’aies plus aucun doute sur ta
paternité.
Il revint alors vers elle, sa carrure imposante faisant
soudain paraître son salon minuscule, et affronta son regard
sans ciller.
– Non, en effet, je n’en ai plus aucun !
137/213

– Qu’est-ce qui t’a procuré cette assurance ?


– La nuit dernière.
Il ne dit pas un mot de plus comme si cette calme asser-
tion se passait de tout commentaire.
Une fois encore, un fol espoir naquit en Kate. Soudain,
la perspective de ce voyage à Milan prenait une nouvelle
dimension. Après la peur panique vécue ce matin, ses pa-
roles étaient un baume délicieux sur son cœur.
Il promettait de prendre soin d’elle et du bébé !
Ce séjour serait une excellente occasion pour eux d’ap-
prendre à se connaître.
S'ils passaient quelque temps ensemble, peut-être Luca
finirait-il par découvrir qu’elle était une femme en qui il
pouvait avoir confiance. Une femme qui se battait bec et
ongles pour protéger ceux qu’elle aimait. Jamais elle ne le
trahirait. Fonder une famille avait toujours été son vœu le
plus cher. Encore fallait-il qu’on lui en donne l’occasion.
– Partons-nous toujours pour l’Italie, aujourd'hui ?
demanda-t-elle.
Jetant un regard à sa montre, Luca approuva d’un signe
de tête.
– J’ai appelé l’aéroport et obtenu deux heures supplé-
mentaires avant notre envol. Tes bagages sont-ils prêts ?
138/213

– J’avais commencé à préparer ma valise hier soir mais,


ce matin, à cause de ce qui s’est passé, je n’ai pu la
terminer.
– Alors fais-le maintenant et dès que tu seras prête, nous
nous rendrons à l’aéroport.
Soudain, Kate sentit le poids de la fatigue peser lourde-
ment sur ses épaules. La matinée avait été une rude
épreuve. Mais, désormais, elle n’était plus seule. Luca
venait de promettre de tout prendre en charge. Les per-
spectives pour elle et son bébé n’étaient plus aussi sombres.
Dans ces conditions, faire ses bagages allait être un plaisir.
– Installe-toi confortablement, Luca, et attends-moi. Je
n’en aurai pas pour longtemps.
– Je peux t’aider, Katherine. Je ne veux surtout pas que
tu te fatigues !
Sa sollicitude lui allait droit au cœur.
– Ne t’inquiète pas, je vais très bien. Tout va bien se
passer.
– Pourquoi ai-je l’impression que tu dis cela depuis
longtemps ? Depuis bien trop longtemps !
Elle réussit à esquisser un sourire mais s’empressa de dé-
tourner son regard afin qu’il ne puisse voir les larmes qui
lui venaient aux yeux. Oui, elle affrontait, seule, les
139/213

difficultés de la vie, depuis trop longtemps. Quant à Luca,


il avait subi un vrai choc dont elle ne prenait vraiment con-
science que maintenant.
– Ma douce Katherine…
L'espace d’un instant, tandis qu’il s’avançait vers elle,
elle crut qu’il allait l’embrasser. La perspective qu’il la
prenne dans ses bras et la serre contre lui était délicieuse.
Elle en avait rêvé dès qu’elle l’avait aperçu l’attendant
devant le perron de son immeuble.
Prestement, elle essuya ses larmes du revers de la main.
– Oui, Luca…
– Ce voyage en Italie a été la bonne décision à prendre,
affirma-t-il. Tu n’auras plus à t’occuper de rien. Tu verras,
désormais, je te le promets, tout va bien se passer !
Mais alors qu’il s’apprêtait à la prendre dans ses bras, il
s’arrêta net dans son élan, se contentant d’effleurer sa joue
du bout de ses doigts. La déception qu’elle en ressentit fut
immense.
– Je dois aller préparer ma valise…, murmura-t-elle dans
un souffle.
Cette fois, elle quitta la pièce, s’empressant de refermer
la porte derrière elle.
140/213

Il ne devait surtout pas voir la nouvelle larme qui coulait


sur sa joue !

Durant toute la durée du vol en direction d’un aéroport


privé près de Milan, Luca n’avait pas quitté Katherine des
yeux. Elle avait dormi une grande partie du voyage mais
cela ne l’avait pas rassuré.
Depuis qu’il avait été informé de ce qui s’était passé au
petit matin, du choc qu’elle avait subi, son estomac s’était
noué.
Une peur panique, désormais, ne le quittait plus.
Et si Katherine perdait le bébé ? Le destin pourrait-il se
montrer assez cruel pour, après lui avoir donné l’espoir
d’avoir enfin un enfant, le lui enlever ?
Et quel serait l’impact d’une telle tragédie sur
Katherine ?
Sa volonté de le rassurer, d’affirmer que tout allait bien,
cachait une vraie peur que ce ne fût pas le cas, il en était
persuadé. Elle avait dû vivre de terribles moments d’ango-
isse. Tout était de sa faute ! Il s’était montré trop passionné
au cours de leurs ébats ! Et il n’avait pas été auprès d’elle
pour lui apporter le réconfort dont elle avait besoin !
Cette terrible attirance qui les jetait dans les bras l’un de
l’autre devait impérativement être maîtrisée !
141/213

Après ce qui s’était passé ce matin, ils allaient devoir


faire preuve de prudence.
C'est la raison pour laquelle il s’était retenu de la prendre
dans ses bras à son retour de l’hôpital.
Désormais, il avait peur que la passion dévastatrice qu’il
éprouvait pour elle les mette en danger, elle et l’enfant
qu’elle portait.
Laissant échapper un soupir à fendre l’âme, il secoua la
tête, en proie aux plus vives émotions.
Parfois, il percevait chez Katherine une force hors du
commun. Elle affrontait les difficultés sans se plaindre.
Mais il discernait également en elle une extrême fragilité.
La vie ne s’était pas montrée tendre pour elle. Elle n’était
pas née avec une cuillère d’argent dans la bouche. Cette
pensée déclenchait chez lui l’ardent désir de la protéger.
Découvrir qu’elle attendait un enfant d’un homme dont
elle avait partagé le lit l’espace d’une seule nuit, dans un
pays étranger – un homme dont elle ignorait tout – avait dû
être un choc immense. Surtout après sa triste expérience
auprès de son ex-fiancé !
Luca poursuivit son introspection. A Milan, il avait été
rongé par la jalousie et la colère en découvrant que sa
partenaire passionnée de la nuit s’était enfuie au petit
142/213

matin. La pensée qu’elle fût allée rejoindre un autre homme


lui avait été insupportable.
Son désarroi était sans doute dû au fait que, pour lui non
plus, le destin ne s’était pas montré tendre. Son mariage
avec Sophia s’était terminé en tragédie. Le traumatisme
était loin d’être résorbé.
C'est pourquoi, de toute évidence, il ressentait cette
volonté de se protéger de toute nouvelle expérience
amoureuse.
Mais le fait que Katherine porte son enfant lui conférait
une valeur inestimable. Il avait désormais charge d’âme et
cela allait considérablement changer sa vie.
Plus rien ne serait jamais pareil.
Il devait tout faire pour que, désormais, la grossesse de la
mère de son enfant se passe le mieux possible.
Il prit alors la décision qui s’imposait.
Une décision irrévocable !
Dans le futur, non seulement Katherine allait devoir
vivre d’une manière permanente à ses côtés mais il allait
tout mettre en œuvre afin qu’elle devienne la prochaine
Mme De Rossi.
Que cela lui plaise ou non !
8.
A son plus total désarroi, Kate se retrouvait dans la
chambre où ils avaient fait l’amour, trois mois auparavant.
C'est là que l’avait conduite Luca afin qu’elle puisse y dé-
faire ses bagages.
Grands dieux, songea-t-elle, la villa était pourtant im-
mense ! Sans doute comportait-elle de nombreuses
chambres. Pourquoi avait-il choisi, pour elle, cette pièce
précise. N’avait-elle donc aucune signification pour lui ?
Kate s’assit sur l’immense lit à baldaquin et, comme elle
s’y attendait, les souvenirs la submergèrent.
Des souvenirs d’un érotisme torride qui la mirent aus-
sitôt en transe.
Mais, ce soir-là, il y avait eu plus que de l’érotisme dans
leurs ébats. Il y avait eu de la tendresse, de l’amour.
Dans ce surprenant lit à baldaquin aux draps de satin et
aux coussins de soie, ils avaient conçu un enfant !
De sa main, Kate caressa religieusement le tissu soyeux.
Luca avait-il projeté de partager de nouveau ce lit avec
elle, durant leur séjour ?
Cette hypothèse la combla de bonheur.
144/213

Depuis l’incident angoissant de ce matin, elle avait très


nettement perçu la peur qu’éprouvait Luca de l’approcher.
Sans doute craignait-il de lui faire mal ou de faire mal au
bébé. Mais, dans le même temps, il ne la quittait pas une
seconde des yeux, comme s’il craignait qu’elle tombe ou
fasse un malaise.
Si, au moins, il lui confiait ses angoisses, elle pourrait le
rassurer !
Mais, parler de ses peurs, c’était dévoiler sa fragilité, ses
émotions, et Kate percevait d’instinct qu’il n’était pas prêt
à cette confidence.
Que lui était-il donc arrivé dans le passé pour qu’il soit
autant sur ses gardes ? se demanda-t-elle.
Une femme l’avait-elle trahi ou l’avait-elle fait souffrir ?
S'il acceptait de partager de nouveau l’intimité d’un lit
avec elle, alors, peut-être, parviendrait-elle à mettre à mal
ses défenses.
Elle esquissa un sourire.
Que de telles pensées puissent lui venir à l’esprit la sur-
prenait. Ne s’était-elle pas promis de ne jamais plus accord-
er sa confiance à un homme ?
Mais, aujourd’hui, la situation avait singulièrement
évoluée.
145/213

Elle attendait un enfant. L'enfant de Luca. Et ce dernier


l’avait invitée à séjourner dans sa magnifique villa de Mil-
an, à ses côtés.
Se retrouver avec lui dans cette demeure était, en soi,
déjà étrange. Mais se retrouver dans cette chambre, l’était
plus encore.
Elle lui était familière et elle avait l’impression de re-
monter le temps ou, mieux encore, de pénétrer à l’intérieur
d’un rêve.
Tant de choses s’étaient passées, ces dernières heures !
Etaient-elles vraiment réelles? Son imagination n’avait-elle
pas, tout simplement, inventé cette histoire rocambolesque
qui ressemblait si fort à un conte de fées ?
Elle porta la main à son cœur qui s’était mis à battre une
folle sarabande dans sa poitrine. Son chemin avait-il réelle-
ment croisé de nouveau celui du père de l’enfant qu’elle
portait?
Comme pour rassurer son bébé, elle posa ses mains sur
son ventre.
Elle avait besoin de lui faire savoir qu’il ne devait pas
s’inquiéter, qu’elle avait retrouvé son père, que tout allait
bien se passer dorénavant car il avait promis de s’occuper
de lui.
146/213

Pour le bien de l’enfant, elle devait reprendre confiance.


Si elle y parvenait, peut-être alors Luca, de son côté,
accepterait-il de lui ouvrir son cœur.
C'était son vœu le plus cher.
Tout comme elle, il devait avoir un grand besoin
d’amour, elle en était persuadée.
Quelque chose, dans le passé, l’avait profondément
blessé. Elle devait tout mettre en œuvre afin qu’il se confie
à elle.
Alors seulement, elle pourrait l’aider et elle y mettrait
tout son cœur.
A maintes reprises, un voile de tristesse avait assombri
les yeux de Luca, et, chaque fois, elle aurait voulu le pren-
dre dans ses bras et le consoler.
Dans ces moments-là, elle oubliait ses propres peurs, son
propre sentiment d’insécurité pour ne plus penser qu’à lui.
Qu’il souffre lui était insupportable. Elle aurait tellement
voulu lui apporter son soutien !
Regardant autour d’elle, elle admira les œuvres d’art ex-
posées aux murs, les meubles de goût, le tapis de laine tissé
à la main.
Tous ces objets témoignaient de l’immense fortune de
Luca, de son éducation, de son sens de la beauté.
147/213

Comment aurait-elle pu ne pas être impressionnée ?


Comment ne pas penser que sa vie quotidienne, dans un
tel environnement, était à l’opposé de la sienne ?
Ces questions ranimaient ses doutes. Ils vivaient dans
deux mondes qui n’auraient jamais dû se rencontrer. Il ne
tarderait pas à tirer les mêmes conclusions et
qu’adviendrait-il d’elle, alors ?
Non ! Il fallait qu’elle prenne de l’assurance !
Redressant les épaules, elle chassa ces pensées négatives
qui ne cessaient de s’infiltrer dans son esprit tourmenté. Un
espoir était né dans son cœur. Grâce au bébé, ils avaient un
avenir en commun. Elle devait s’accrocher à cette idée.
Après tout, si Luca ne souhaitait pas sa présence à son côté,
il ne l’aurait pas invitée à partager avec lui ce séjour dans
sa somptueuse demeure !

– Buon giorno, signorina Richardson !


Une plantureuse matrone aux cheveux argentés, vêtue
d’une robe noire et d’un tablier blanc, un sourire épanoui
sur les lèvres, s’avança vers Kate tandis qu’elle descendait
le monumental escalier conduisant au rez-de-chaussée.
Elle lui tendit la main.
148/213

– Je suis Orsetta Leoni, se présenta-t-elle dans un anglais


parfait, la gouvernante du signor De Rossi. Je suis au ser-
vice de la famille depuis de nombreuses années. Hélas,
comme ils ont tous disparus, aujourd’hui je ne m’occupe
plus que de lui. Je suis vraiment très heureuse de faire votre
connaissance, signorina Richardson.
Son sourire chaleureux était communicatif. Tandis
qu’elle lui serrait la main, Kate se dit qu’il était vraiment
délicieux d’être accueillie ainsi.
Mais elle était inquiète. Elle avait attendu si longtemps
que Luca vienne la chercher dans la chambre qu’elle
craignait qu’il l’ait tout simplement oubliée.
Certes, la chambre était belle et spacieuse mais elle avait
hâte de se rendre sur la terrasse qu’elle avait entraperçue à
son arrivée, afin de goûter à la douceur d’un après-midi en
Italie.
– Buon giorno, répondit-elle, en rendant son sourire à la
gouvernante. Je suis, moi aussi, très heureuse de faire votre
connaissance. Sauriez-vous, par hasard, où je peux trouver
le signor De Rossi ?
– Si! Bien sûr ! Suivez-moi, signorina Richardson. Je
vais vous conduire jusqu’à lui.
149/213

Elle se dirigea vers la porte-fenêtre grande ouverte, qui


menait du salon à la terrasse en pierre ornée de buissons de
camélia en pleine floraison.
Dès qu’elle fût sortie sur la terrasse, Orsetta s’exclama,
les deux mains sur ses hanches :
– Le signor De Rossi travaille vraiment trop dur ! Je
n’arrête pas de le lui rappeler ! Sa Mama se retournerait
dans sa tombe si elle voyait le peu de soin qu’il prend de
lui !
Surprise, Kate découvrit Luca allongé sur un divan en
rotin, dormant à poings fermés.
Il avait ôté sa veste mais arborait toujours la chemise et
le pantalon qu’il portait durant le voyage. Il s’était débar-
rassé de sa cravate et avait déboutonné le col de sa
chemise, comme cela lui arrivait souvent quand il
souhaitait se détendre. Par l’échancrure de sa chemise, Kate
pouvait apercevoir la peau de son torse tannée par le soleil.
Elle sourit en se demandant s’il existait un équivalent mas-
culin de la Belle au Bois Dormant.
Mais l’assertion d’Orsetta lui était allée droit au cœur.
Elle se tourna vers la gouvernante.
– Vous avez raison, Orsetta. Le signor De Rossi travaille
beaucoup trop et ne prend pas suffisamment de repos.
150/213

– Asseyez-vous, signorina. Je vais vous apporter


quelque chose à boire. Que désirez-vous, un jus de fruits ?
– Oui, cela me plairait beaucoup. Grazie.
Elle s’approcha de la rambarde et contempla, extatique,
les buissons de fleurs multicolores aux délicieuses senteurs
qui ornaient le jardin et, plus loin, en contrebas, les toits de
la ville. Les rayons du soleil caressèrent son visage. Elle
laissa échapper un soupir de contentement.
Luca n’avait pu lui garantir la qualité du temps à cette
époque de l’année mais il était bien plus doux qu’elle ne
l’avait escompté.
Elle ôta son cardigan trop chaud pour la circonstance et
le déposa sur le dos d’un fauteuil.
A ce moment, Luca remua dans son sommeil et elle re-
porta aussitôt son regard sur lui.
Incapable de résister à l’attraction qu’il exerçait sur elle,
elle s’approcha de lui afin de pouvoir contempler tout à
loisir le tout-puissant Gianluca De Rossi endormi, un spec-
tacle dont elle ne pourrait jamais se lasser.
Il était si divinement beau, avec son visage aux traits
harmonieux, ses cils recourbés qui dessinaient une ombre
sur sa joue et – sans nul doute – accéléraient les battements
du cœur de toutes les femmes qui l’approchaient !
151/213

Soudain, quelque chose sembla troubler le sommeil du


bel endormi. Ses traits se crispèrent comme sous l’emprise
de la douleur et la sueur perla à son front.
Inquiète, Kate tomba à genoux à son côté et s’empara de
sa main.
– Tout va bien, Luca, tout va bien, dit-elle d’une voix
douce, je suis là, près de toi.
– Sophia ! appela-t-il en s’agrippant de toutes ses forces
à son bras.
Kate retint sa respiration. Il serrait son bras si fort qu’il
lui faisait mal.
Que devait-elle faire ? se demanda-t-elle, affolée. Le ré-
veiller pourrait se révéler dangereux.
Qui était Sophia ?
Le cœur battant à tout rompre, elle regarda, abasourdie,
une larme rouler sur la joue de l’homme invulnérable
qu’elle avait cru connaître.
Il ouvrit les yeux.
Le ciel divinement bleu de l’Italie ne pouvait rivaliser
avec leur couleur, ne put-elle s’empêcher de penser,
fascinée.
– Ne t’inquiète pas, Luca, je suis là, tu viens de faire un
mauvais rêve…
152/213

Sa gorge était si contractée que les mots avaient de la


peine à s’y frayer un chemin.
Sophia… Quand il avait crié ce prénom de femme, son
cœur avait failli s’arrêter de battre.
Luca darda son regard sur le visage penché sur lui et bat-
tit frénétiquement des paupières afin de s’extirper des af-
fres du cauchemar qu’il venait de vivre.
– Katherine, c’est toi…
– Oui, Luca, c’est moi. Mais… peux-tu libérer mon bras,
s’il te plaît, tu… tu me fais mal !
– Oh, pardon !
Il desserra aussitôt l’étreinte de ses doigts puis s’assit. Il
semblait assommé. Prenant conscience de la larme qui
coulait sur sa joue, il l’essuya d’un revers sec de la main.
– Pardonne-moi si je t’ai fait mal, dit-il d’une voix mal
assurée. Je ne savais pas ce que je faisais. Tu vas bien ?
– Oui.
Kate était totalement indifférente à la douleur de son
bras meurtri. La seule chose qui lui importait en ce moment
était de savoir ce qui avait causé le cauchemar de Luca, ter-
rifiant au point de lui arracher une larme.
– Tu as crié dans ton sommeil.
153/213

Il se passa une main nerveuse dans les cheveux.


– C'est ce que je craignais…
– Tu as prononcé le nom d’une femme… Sophia. Qui
est-elle, Luca ?
Il prit sa main dans la sienne et la porta à ses lèvres avant
de déclarer :
– Sophia était ma femme.
– Ta… femme !
Kate se redressa, mais sentant que ses jambes re-
fuseraient de la porter plus longtemps, elle chercha une
chaise où s’asseoir et la rapprocha de lui.
– Oui, ma femme !
– Je… j’ignorais que tu avais été marié. Que s’est-il
passé ? Tu as divorcé ?
– Non. Sophia est morte. Elle s’est noyée.
– Noyée !
Kate porta les mains à son cœur, en état de choc. Voir
une larme couler sur sa joue l’avait bouleversée, mais en
découvrir la cause lui broyait le cœur. Elle aurait voulu le
prendre dans ses bras, le réconforter. Peu lui importait qu’il
ait été marié, que cette Sophia ait été l’amour de sa vie.
Elle était follement, éperdument, amoureuse de lui !
154/213

Elle venait enfin de prendre conscience de la place que


Luca avait prise dans son cœur. Le spectacle de sa souf-
france lui était insupportable. Désormais, elle était prête à
donner sa vie pour lui. Elle possédait des trésors de
tendresse. Elle pouvait lui apporter le réconfort dont il avait
besoin, elle en était certaine.
– Quelle horrible tragédie ! parvint-elle à articuler. Oh,
Luca, je suis tellement désolée.
Elle s’empara de sa main et la serra dans les siennes es-
pérant lui apporter ainsi un peu de chaleur. Durant de
longues minutes, il garda le regard fixé sur leurs mains
jointes, sans réagir puis, soudain, il sembla se reprendre.
Du bout des doigts, il caressa la marque rouge laissée sur
son bras, témoignage de la violence avec laquelle il s’était
accroché à elle, et fit la grimace.
– Je t’ai vraiment fait mal !
Il se sentait visiblement coupable.
Le cœur de Kate était si rempli d’affection, de tendresse,
d’amour pour lui qu’elle aurait voulu pouvoir le crier haut
et fort. Mais comment allait-il réagir en apprenant qu’elle
l’aimait alors qu’il souffrait encore de la mort de sa
femme ?
– Quand Sophia s’est-elle noyée ? demanda-t-elle.
Il libéra sa main.
155/213

– Il y a trois ans.
– Est-ce la raison pour laquelle tu t’es autant investi dans
ton travail sans jamais prendre le moindre repos ? Pour
oublier ?
– Peut-être.
– Cela a dû être très dur pour toi !
– Oui. Le destin est parfois incroyablement cruel. Que
l’on puisse survivre à certaines tragédies est un mystère.
Dieu merci, aussi surprenant que cela puisse paraître, la vie
finit toujours par reprendre ses droits.
Il semblait le premier étonné de ce constat.
– Comment cette tragédie est-elle arrivée, Luca ?
Kate perçut le profond changement dans son attitude av-
ant même qu’il ne réponde. De toute évidence, sa question
était importune. Il n’éprouvait nulle envie de parler de ce
terrible événement.
– Pas maintenant, Katherine ! L'après-midi est trop agré-
able pour la gâcher avec de tels souvenirs. Si nous avons de
la chance, ce temps sublime peut durer toute la soirée. Je
vais prier Orsetta de nous préparer un dîner spécial que
nous pourrons prendre sur la terrasse. Cela te plairait-il ?
156/213

Il n’était assurément pas prêt à se confier à elle et Kate


en éprouva une profonde déception. Elle parvint toutefois à
esquisser un sourire.
– Oui, cela me plairait beaucoup.
– As-tu récupéré de la fatigue du voyage ? Tu as
pratiquement dormi durant toute la durée du vol.
Elle baissa la tête, contrite.
– Je suis désolée de ne pas avoir été de très bonne com-
pagnie mais il semble que les événements de la matinée
m’aient terrassée. Quoi qu’il en soit, j’ai tout de même
grandement apprécié ce vol. Il n’est pas donné à tout le
monde de voyager en jet privé.
– C'est un privilège, je le reconnais. Comme je te l’ai
déjà expliqué, étant donné la fréquence de mes déplace-
ments en Europe, et même ailleurs dans le monde, avoir un
jet à ma disposition se révèle fort utile. Mais parlons plutôt
de toi, Katherine. Comment te sens-tu maintenant ? Ne me
cache rien, je t’en prie ! Tu ne ressens plus aucune douleur
au moins ?
– Non, aucune, je peux te l’assurer !
C'était vrai. Et, désormais, ses préoccupations n’étaient
plus tournées vers sa santé, mais vers la souffrance qu’elle
avait découverte chez Luca.
157/213

– Je suis vraiment très heureux que tout aille bien.


Comme promis, dès demain, je vais prendre un rendez-
vous avec le meilleur spécialiste que je connaisse. J’ai be-
soin de savoir très exactement comment se déroule ta
grossesse. Ensuite je suis sûr que je pourrai me détendre.
Kate appréciait sa sollicitude. Il manifestait constam-
ment de touchantes attentions envers elle, mais elle mourait
d’envie d’en apprendre plus sur Sophia.
Que ressentait-il à l’idée d’avoir une nouvelle femme
dans sa vie ? Non seulement une femme mais un enfant
qu’il n’avait pas planifiés.
Etait-il disponible pour un autre amour ?
Sans doute avait-il choisi Sophia dans sa sphère sociale.
Pourrait-il aimer une femme qui, comme elle, venait d’un
milieu défavorisé ?
Malgré ses doutes et son sentiment d’infériorité, Kate
nourrissait désormais un rêve : que Luca lui ouvre son cœur
et qu’elle puisse lui apporter le réconfort dont il avait
besoin.
9.
Ce soir-là, tandis qu’il s’habillait pour le dîner, Luca re-
pensa au cauchemar qui était venu perturber son sommeil
de l’après-midi. Pourquoi l’image de Sophia était-elle rev-
enue le hanter ?
Il n’avait plus rêvé d’elle depuis des mois.
Une fois de plus, un terrible sentiment de culpabilité
l’assaillait.
Avait-il le droit d’avoir un avenir alors qu’elle n’en avait
plus?
Il contempla son reflet dans le miroir et, sans qu’il pût ri-
en faire pour l’endiguer, le flot des souvenirs le submergea.
Les dernières semaines précédant la mort de sa femme
avaient été les plus difficiles de leur mariage.
A certains moments, désespéré, il avait été prêt à de-
mander le divorce. Seul son sens de l’honneur et du devoir
l’avait empêché de passer à l’acte.
Au tout début de la crise que leur couple avait vécue,
Sophia l’avait clairement rendu responsable de son
désespoir. Il s’avérait incapable de lui donner ce qu’elle
désirait le plus au monde : un enfant.
159/213

Peu à peu, elle en était venue à ne plus supporter qu’il


l’approchât.
Quand, finalement, elle avait dû convenir – après avoir
consulté les plus grands spécialistes internationaux – que la
stérilité lui incombait, au lieu de se rapprocher de lui afin
qu’ils se soutiennent l’un l’autre, elle s’était enfermée dans
son monde en l’excluant totalement.
Et il n’avait rien pu faire pour soulager sa douleur.
Comment continuer à vivre en portant une telle culpabil-
ité sur les épaules ?
Il avait passé de longs mois à regretter la perte de leur
complicité des premiers jours. Ils étaient tombés follement
amoureux l’un de l’autre et leur première année de mariage
avait été heureuse.
Hélas, le temps passant, leur union était devenue un
enfer.
Si Sophia ne s’en était allée, auraient-ils pu vivre en-
semble longtemps encore ?
Il en doutait.
Comment vivre aux côtés d’une femme dont le cœur
s’était fermé et n’exprimait plus que des regrets, des
doléances et des lamentations ? Une femme dont l’unique
160/213

obsession – avoir un enfant – occultait tout autre sentiment


pour son mari ?
Sans qu’il s’en rende compte, dans son esprit, l’image de
Sophia se faisait de plus en plus floue, remplacée par celle,
lumineuse, de Katherine.
A la pensée qu’elle l’attendait sur la terrasse, une onde
de chaleur l’envahit.
Il avait réussi à réaliser son rêve fou : l’avoir pour lui
seul.
Son humeur morose se dissipait. La perspective de vivre
quelques jours à ses côtés était si exaltante !
La jeune femme était un ange. Au réveil de ce terrible
cauchemar, elle l’avait spontanément réconforté.
Dans ses immenses yeux couleur noisette, il avait lu la
compassion sincère qu’elle éprouvait pour lui, pour son
tourment.
Il en avait été bouleversé.
Il contempla de nouveau son reflet dans le miroir. Le
temps du chagrin et de la souffrance était-il enfin terminé ?
Après ces sombres années, pouvait-il nourrir enfin l’es-
poir d’un avenir heureux ?
Comment ne pas interpréter ainsi les signes du destin
qui, par deux fois, avait mis Katherine sur sa route, lui
161/213

permettant de réaliser son rêve le plus ardent : avoir un


enfant.

Etant donné la douceur du temps, Kate avait revêtu sa


robe d’été préférée. Une robe de cotonnade couleur pêche
dont la coupe, très près du corps mettait en valeur ses
rondeurs. Une fente, de chaque côté du vêtement, laissait
entrevoir ses longues jambes fuselées, un détail sexy appro-
prié à la soirée.
Habituellement, elle portait cette robe avec une large
ceinture, soulignant ainsi la sveltesse de sa taille, mais
celle-ci s’arrondissait de jour en jour et l’idée de nuire un
tant soit peu au confort du petit être qui se développait en
elle lui avait fait abandonner la ceinture dans l’armoire.
Assise sur la terrasse, sous la vigne qui recouvrait la per-
gola, à la table dressée par Orsetta pour le dîner, elle but
une gorgée d’eau minérale fraîche et pétillante, servie par
la gouvernante, en attendant l’arrivée de Luca.
La pensée qu’il n’allait pas tarder à la rejoindre affola les
battements de son cœur. Son sang coula plus vite dans ses
veines.
Quand il apparut, divinement beau, vêtu d’un pantalon et
d’une chemise en lin beige, décontracté mais superbement
élégant, elle sut avec certitude qu’il était l’homme de sa
162/213

vie, celui qu’elle attendait depuis toujours, celui avec qui


elle voulait passer le reste de ses jours.
– Orsetta est persuadée que nous avons apporté le beau
temps avec nous, lança-t-il, un sourire amusé aux lèvres, en
prenant place sur la chaise en face d’elle. Il n’a pas cessé
de pleuvoir ces quinze derniers jours et le soleil est réap-
paru à notre arrivée.
– Mmm… ainsi, elle pense que son maître est capable de
faire la pluie et le beau temps !
– Non. Elle pense que tu es le soleil de ma vie ! Et je ne
suis pas loin de penser la même chose !
Kate rougit sous le compliment.
– Pourtant, quand je suis soudain réapparue devant toi…
– J’étais en état de choc ! Soyons positifs, Katherine.
Voyons cette incroyable coïncidence comme un signe du
destin. Il a voulu que nous nous rencontrions de nouveau.
Avoue tout de même que le fait que tu te sois présentée à
moi, ce matin-là, sans savoir qui j’étais, tient du conte de
fées ! Sans cette incroyable ironie du sort, nous ne nous
serions sans doute jamais retrouvés.
Le destin avait également voulu que lors de cette nuit
magique qui les avait réunis l’espace de quelques heures, la
graine semée lors de leurs folles étreintes, ait germé.
163/213

Aurait-il été aussi attentionné si tel n’avait pas été le


cas ? Luca semblait être un homme d’honneur, de devoir.
L'annonce de sa paternité avait changé les choses.
Il l’avait invitée dans sa magnifique demeure italienne
afin qu’elle se repose parce qu’elle attendait son enfant.
– Tu es divinement belle, ce soir, Katherine ! La mater-
nité te va à ravir.
Le ton rauque de sa voix, la tira brusquement de ses
pensées. Elle releva la tête et rencontra son regard rivé sur
elle. Il mit aussitôt le feu à ses sens tant le désir brûlant
qu’elle y lut était évident.
Tentant désespérément de maîtriser la brusque montée
de chaleur qui l’envahissait, Kate dut faire un terrible effort
pour garder un semblant de calme. Elle avait des questions
importantes à lui poser.
– Je… j’espère que tu n’éprouves aucun regret de
m’avoir amenée ici, Luca.
– Des regrets ! Dio, pourquoi en aurais-je ?
– Je fais référence à ce qui s’est passé tout à l’heure. Tu
avais l’air bouleversé.
– Tu parles de mon rêve ?
– Oui. Tu as crié ce prénom… Sophia. C'est celui de la
femme avec laquelle tu as vécu, autrefois, dans cette
164/213

maison, n’est-ce pas ? A l’évidence, il t’est pénible


d’amener quelqu’un d’autre dans ce sanctuaire.
– Tu te trompes, Katherine ! La conclusion à laquelle tu
es parvenue est aux antipodes de la réalité, je peux te
l’assurer.
Il détourna le regard pour le reporter sur le paysage alen-
tour, comme pour juguler ses émotions.
– Il importe désormais de faire table rase du passé. Je
n’ai nulle envie de parler de Sophia, ce soir, car j’ai une
proposition importante à te faire.
– Une… proposition !
– Oui. La seule raisonnable dans les circonstances
présentes.
– Raisonnable ! De quoi s’agit-il, Luca ?
– Je souhaite que tu deviennes ma femme. Tu con-
viendras que, vu ton état, cette solution s’impose désor-
mais. C'est la meilleure qui soit.
Si, précédemment, il avait manifesté la violence de ses
émotions, il les maintenait visiblement sous contrôle,
désormais. Les traits harmonieux de son visage, en tout cas,
ne laissaient rien paraître, songea Kate.
165/213

Il n’en allait pas de même pour elle. En état de choc, elle


se trouvait en proie à une foule d’émotions les plus
contradictoires.
Luca lui proposait de l’épouser ! Elle ne pouvait rêver
plus grand bonheur !
Hélas, il n’avait pas parlé d’amour. Il la demandait en
mariage parce que la situation l’imposait, parce que tel était
son devoir ! En homme d’honneur, Luca désirait réparer la
faute commise.
Comme, littéralement assommée, elle ne répondait pas, il
s’inquiéta :
– As-tu entendu ma proposition, Katherine ? Acceptes-tu
de devenir ma femme ?
Elle redressa le menton et le fusilla du regard.
– Les raisons pour lesquelles tu me fais cette proposition
ne me semblent pas les bonnes, Luca !
Il haussa les sourcils, à l’évidence stupéfait.
– Que veux-tu dire ?
– Tu veux m’épouser parce que j’attends ton enfant.
– Oui, et alors ? Est-ce un crime ? Un lien très fort s’est
déjà tissé entre nous. Il représente un atout pour la con-
struction d’une relation sérieuse.
166/213

– La construction ! Tu parles comme un architecte dans


une négociation avec un client potentiel. Ce n’est pas ainsi
que j’avais espéré que l’on me demande un jour en
mariage.
– Vraiment ? Ma demande en mariage était, pourtant,
des plus honorables !
– Raisonnable ! Honorable ! Tu n’as que ces mots à la
bouche ! Oublie donc l’honneur, le devoir, pendant un in-
stant, Luca !
Kate dut faire un terrible effort sur elle-même pour
maîtriser les tremblements de sa voix afin de pouvoir
poursuivre.
– Tu me demandes de t’épouser sans te préoccuper le
moins du monde de mes sentiments. Pour toi, je ne suis
qu’un réceptacle pour ton enfant. Une mère porteuse, en
quelque sorte. Mais je suis également une femme, Luca.
Une femme qui rêve et espère autre chose, pour son futur,
qu’un simple mariage de convenance. Comment espérer
élever convenablement un enfant sans ce sentiment qui,
pour moi, est essentiel, la confiance partagée ? Où est cette
complicité nécessaire à un couple qui veut construire une
relation sérieuse ? Tu refuses de me confier les raisons de
ton évidente souffrance. Certes, tu m’as parlé de ta femme
et du fait qu’elle s’était noyée ! Mais lorsque j’ai voulu en
savoir plus, tu as refusé de me répondre. Tu t’es totalement
167/213

fermé à toute discussion. Si tu refuses de me parler du


passé, il est totalement impossible pour moi de faire partie
de ton avenir. Un couple doit partager ses joies mais aussi
ses peines. Partager seulement ton lit, ne m’intéresse pas,
Luca.
Totalement pris au dépourvu par cette violente diatribe,
Luca ressemblait à un boxeur qui vient d’être mis K.-O. par
son adversaire. Il laissa échapper un soupir et ses épaules
se voûtèrent.
Kate noua et dénoua nerveusement ses mains. Peut-être
était-elle allée trop loin. Mais bien trop de choses étaient en
jeu pour qu’elle ne veuille pas connaître la teneur exacte de
ses sentiments pour Sophia.
Mais son attente fut vaine. Luca se mura dans son si-
lence. De toute évidence, il n’éprouvait aucune envie de ré-
pondre à sa demande. Le fol espoir qui l’avait soutenue
jusqu’alors s’évanouit et les larmes lui montèrent aux yeux.
C'est alors qu’à sa grande surprise, Luca prit la parole.
– Sophia et moi passions le week-end sur le yacht d’un
ami. Nous croisions au large d’Amalfi.
Son attention aussitôt en éveil, Kate se laissa aller contre
le dossier de sa chaise. Enfin, il acceptait de se confier à
elle!
168/213

– Sophia s’était allongée sur une chaise longue. Elle


m’avait averti qu’elle désirait être seule, qu’elle avait un
livre passionnant à terminer.
Son regard chercha et trouva celui, attentif, de Kate. Il
s’y accrocha comme à une bouée de sauvetage.
– Nous vivions des moments difficiles… très difficiles !
Depuis trois ans, nous tentions vainement d’avoir un en-
fant. D’un commun accord, nous avons alors décidé d’avoir
recours au diagnostic de spécialistes. D’où venait cette im-
possibilité à concrétiser notre rêve ? Leur diagnostic, hélas,
ne s’est pas fait attendre. Il a été formel : une malformation
de ses ovaires rendait toute conception impossible. Sophia
a été anéantie.
Il fit une pause de quelques secondes avant de
poursuivre.
– Depuis les toutes premières heures de notre rencontre
nous avions rêvé de fonder une famille. J’étais fils unique.
Mon vœu le plus cher était de remplir de rires d’enfants
cette magnifique demeure, que mes parents m’avaient don-
née en héritage. Ils en rêvaient eux aussi. Quant à Sophia,
elle n’avait eu qu’un seul frère, hélas mort très jeune dans
un tragique accident. Il avait laissé un vide qu’elle désirait
ardemment combler. Peu à peu, jour après jour, nous
n’avons plus eu qu’une obsession : devenir parents. C'était
devenu notre unique sujet de conversation. Tous nos
169/213

espoirs, tous nos rêves, se focalisaient sur cet objectif. Cela


a duré trois longues années. Le diagnostic des spécialistes a
brisé nos espoirs et nos rêves. Ce fut tragique. Nous devi-
ons impérativement nous reprendre. La vie continuait. J’ai
alors proposé à Sophia d’adopter un enfant puisque nous ne
pouvions en concevoir un. J’étais prêt à l’aimer comme s’il
avait été le nôtre. Hélas, Sophia ne possédait pas cette
capacité.
Il dut s’arrêter afin de reprendre sa respiration.
– Chaque jour, elle était en pleurs. Puis, au fil des se-
maines, elle s’est repliée sur elle-même et, bientôt, elle ne
m’adressa plus la parole que dans de très rares occasions.
Ce matin-là, sur le pont du yacht de mon ami, une demi-
heure après l’avoir laissée, à sa demande, étendue sur sa
chaise longue, j’ai retrouvé la chaise vide, le livre qu’elle
lisait ouvert à ses pieds. Pensant qu’elle s’était retirée dans
sa cabine afin de s’y reposer plus confortablement, je me
suis mis à sa recherche. Elle n’était pas dans sa cabine. Pris
de panique, j’ai alerté mes amis et nous l’avons cherchée
dans tous les recoins du bateau.
Aux souvenirs de ce moment tragique, les traits de son
visage s’altérèrent. Kate saisit sa main pour la serrer fort
dans la sienne.
– Son corps a été retrouvé plus tard dans la soirée, par
les gardes-côtes. Le pont du yacht était protégé par une
170/213

barrière. Elle ne pouvait être tombée accidentellement par-


dessus bord. Il y eut une enquête qui conclut au suicide.
Il se passa une main nerveuse dans les cheveux, ses yeux
toujours rivés sur ceux de Kate.
– Il est une chose que j’aimerais savoir, une question qui
n’a cessé de me hanter tout au long de ces trois dernières
années : mon désir d’avoir un enfant a-t-il conduit Sophia
au suicide ? Etait-elle trop fragile pour supporter la pres-
sion exercée sur elle ?
– Non, Luca, non ! En aucune façon, tu ne dois te sentir
responsable de cette horrible tragédie !
Kate était bouleversée. Par la fin tragique de Sophia mais
aussi et, surtout, par la souffrance exprimée par Luca. Ces
trois dernières années, seul pour porter ce fardeau sur ses
épaules, sa vie avait dû devenir un enfer.
– D’après ce que tu viens de me confier, dit-elle, Sophia
voulait un enfant tout autant que toi, peut-être même dav-
antage. Pour une femme, le désir d’enfant peut devenir
maladif. Une de mes amies a vécu ce calvaire. Elle avait
fait un très bon mariage, son mari l’adorait mais elle ne
pouvait procréer. Le couple a fini par divorcer. J’ai eu l’oc-
casion de rencontrer le mari quelque temps plus tard. Il m’a
expliqué que sa vie était devenue infernale. Il n’existait
plus aux yeux de sa femme, barricadée dans la prison de
son obsession. Pour ma part, je crois que lorsqu’un couple
171/213

doit faire face à l’adversité, il est plus que jamais néces-


saire que chacun soutienne l’autre.
Elle le gratifia d’un sourire qui se voulait réconfortant,
serrant de nouveau très fort sa main dans la sienne.
– Pour des raisons qui étaient les siennes, Sophia a
préféré quitter ce monde, poursuivit-elle. C'était son choix.
Personne n’aurait pu la convaincre de continuer à vivre
avec son tourment. C'était beaucoup trop dur pour elle. Je
suis désolée pour ce que vous avez dû endurer tous les
deux. Mais, aujourd’hui, tu dois cesser de vivre écrasé sous
le fardeau de la culpabilité. Ce sentiment n’a pas de raison
d’être, Luca. Tu n’es en aucune façon responsable de la
mort de Sophia.
Dio, qu’il était bon d’avoir une épaule compatissante sur
laquelle s’épancher ! songea Luca.
Les mots rassurants de Katherine résonnaient à ses or-
eilles comme une musique céleste. Et, surtout, la tendresse
qui illuminait son regard, la chaleur de ses mains autour de
la sienne, lui allaient droit au cœur, pansant ses plaies, leur
permettant enfin de cicatriser.
Soudain, la vie reprenait ses droits. Soudain, la perspect-
ive d’une vie faite de joie et de bonheur lui apparaissait
possible.
172/213

« Pour ma part, je crois que lorsqu’un couple doit faire


face à l’adversité, il est plus que jamais nécessaire que
chacun soutienne l’autre. » Tels avaient été les mots pro-
noncés par Katherine.
Dans les derniers mois précédant son suicide, Sophia ne
lui adressait pratiquement plus la parole. Elle s’était réfu-
giée dans un monde qui n’appartenait qu’à elle et auquel il
n’avait plus accès. Cela avait été effrayant.
Ce n’était qu’en cet instant qu’il comprenait combien,
malgré ses efforts pour qu’il en fût autrement, Sophia
l’avait rejeté, mis à l’écart de sa vie.
A certains moments, il avait été si désespérément seul
face à la terrible adversité qu’il en concevait une véritable
torture. Il n’y avait eu personne avec qui partager sa peine.
La solitude, parfois, avait été dévastatrice !
Alors, il s’était jeté à corps perdu dans le travail. Con-
struire les plus beaux édifices, repousser les limites de la
technologie, se lancer les plus grands défis, telle avait été
sa ligne de conduite, sa façon à lui de se prouver qu’il était
vivant, qu’il existait aux yeux des autres !
La présence de Katherine à ses côtés, l’enfant qui gran-
dissait en son sein – son enfant – lui faisait entrevoir une
autre vie, une autre existence possible.
– J’éprouve soudain une envie folle…
173/213

Il se dressa sur ses pieds et obligea la jeune femme à


faire de même. Une fois encore, il respira à pleines narines
son parfum qui lui rappelait les fleurs des champs. C'était si
frais, si exquis ! Un désir fulgurant monta de ses reins. Il
avait ressenti ce même désir, à cette fameuse soirée, dès
que ses yeux s’étaient posés sur elle.
– Oui, Luca…, murmura Kate, les yeux remplis
d’étoiles.
– … une envie folle de te voler un baiser.
Il prit son visage en coupe dans ses mains et, se penchant
vers elle, s’empara de ses lèvres.
Le baiser échangé fut magique comme s’ils voulaient se
donner l’un à l’autre le réconfort dont ils avaient besoin.
C'était un baiser qui venait du cœur mais aussi de l’âme.
Luca éprouva la délicieuse impression d’avoir enfin trouvé
l’oasis tant espérée après sa longue et douloureuse traver-
sée du désert.
Il pouvait enfin étancher la soif et la faim qui l’habitaient
sans qu’aucun remords ne vienne le perturber. La vie
reprenait définitivement ses droits.
Oubliée la souffrance ressentie jusqu’alors ! Son seul
désir, désormais, était de prendre Katherine dans ses bras et
de l’emporter le long des corridors de marbre de sa
174/213

luxueuse demeure, jusqu’au lit à baldaquin et de lui faire


l’amour sous les rayons argentés de la lune.
Mais comme il se préparait à passer à l’acte, il se rappela
soudain la raison pour laquelle elle avait dû se rendre à
l’hôpital le matin même.
N’avait-il pas pris la décision de l’amener dans cette
maison afin qu’elle s’y repose ?
Ne devait-il pas penser à elle avant de penser à lui ?
Pouvait-il mettre en danger la santé de Katherine, et celle
de l’enfant qu’elle portait, simplement parce qu’il ne pouv-
ait contrôler son envie de lui faire l’amour encore et
encore ?
Ne pas céder à son désir était une torture mais il devait
s’y résoudre !
Graduellement, il réussit à s’extirper de l’exquise étre-
inte qui laissait augurer de sublimes plaisirs à venir s’il
choisissait de s’y abandonner.
Percevant la brusque inquiétude qui s’affichait sur le vis-
age aux traits délicats de Katherine, il lui caressa la joue du
bout des doigts, repoussa la mèche de cheveux rebelle qui
lui tombait sur le front et réussit à esquisser un sourire.
– Tes baisers sont un pur enchantement, ma douce Kath-
erine. Ils rendraient fous n’importe quel homme.
175/213

– Mais je ne veux pas n’importe quel homme, Luca !


– Vraiment ?
Ce qu’il lisait dans ses yeux ne faisait que renforcer en-
core son propre désir. Tout son corps lui faisait mal. Il
aurait pu crier de frustration.
– Tu en doutes encore ? s’indigna-t-elle. Ne devines-tu
donc pas combien je t’…
– Veuillez m’excuser signor De Rossi, signorina…
Tout sourires, Orsetta pénétra dans la pièce. Elle portait
un plateau avec deux verres et des boissons qu’elle déposa
sur l’élégante table basse à leurs côtés.
Luca étouffa le juron qui lui venait aux lèvres à l’inter-
ruption de sa trop zélée gouvernante.
Qu’est-ce que Katherine se préparait donc à lui dire ?
Comme la jeune femme s’éloignait de lui en rougissant,
il envoya une pique en Italien à Orsetta pour lui faire savoir
que son arrivée tombait au plus mauvais moment. Portant
la main à ses lèvres, rouge de confusion, la gouvernante se
confondit en excuses.
Luca se ressaisit. Orsetta était la plus fidèle et la plus ef-
ficace des gouvernantes et ne méritait pas pareil traitement.
Contrit, il la remercia alors chaleureusement pour avoir eu
la délicate attention de leur apporter à boire. Orsetta
176/213

retrouva aussitôt son sourire et leur annonça que le dîner


était prêt et qu’elle le leur servirait dès qu’ils le
désireraient. Après quoi, elle s’empressa de quitter la pièce
afin de les laisser seuls.
Sitôt la porte refermée, Kate se dit que l’irruption intem-
pestive d’Orsetta lui avait sans doute évité de commettre un
impair. Il lui importait désormais, avant toute chose, de
comprendre les sentiments que Luca éprouvait encore pour
sa défunte femme.
– Hier soir, dit-elle, tu m’as avoué que cette nuit-là, lors
de notre toute première rencontre, tu te sentais… un peu
perdu. Etait-ce parce que tu pensais à ta femme ?
Luca perçut l’inquiétude qui pointait sous sa question. Il
lui entoura aussitôt les épaules d’un bras protecteur. Avec
une intense satisfaction, il la sentit frémir à son contact.
– C'est vrai, reconnut-il, je pensais effectivement à
Sophia, ce soir-là. Mais seulement parce que je venais de
tomber inopinément sur le livre qu’elle lisait sur le yacht, le
jour de son suicide. Evidemment, il a fait resurgir les
souvenirs de ce moment tragique. Mais je souhaite ardem-
ment que nous cessions de parler du passé pour nous con-
sacrer uniquement au présent. Concentrons nos pensées sur
nous. Où en étions-nous juste avant cette interruption
malencontreuse d’Orsetta ? Tu étais sur le point de me dire
quelque chose. De quoi s’agissait-il, Katherine ?
177/213

Kate se mordit la lèvre. Elle avait été sur le point de lui


avouer l’amour inconditionnel qu’elle lui portait mais lui-
même s’était gardé de parler de ses sentiments. Soudain,
une immense fatigue l’assaillit.
– J’aimerais attendre un peu avant de reprendre cette
conversation, Luca. Je commence à ressentir la fatigue de
la journée. J’ai besoin de m’allonger et de me reposer. Tu
peux comprendre ça, n’est-ce pas ? Je pense même que je
ne pourrai pas dîner, ce soir. Je n’ai vraiment pas faim. Ma
seule envie est d’aller me coucher.
La culpabilité terrassa aussitôt Luca.
– Katherine, je suis un monstre ! Je t’ai fait faire ce long
voyage afin que tu te reposes et j’oublie tous mes devoirs.
Tu ne te sens pas bien ! J’appelle un médecin !
– Non, surtout pas ! Je vais très bien. Je me sens seule-
ment fatiguée, ce qui n’a rien de surprenant après tout ce
que j’ai vécu aujourd’hui.
Elle ne lui disait pas toute la vérité, songea-t-elle, mais il
ne devait rien en deviner pour le moment. Si elle désirait se
retirer, ce n’était pas seulement parce qu’elle était lasse,
c’était aussi parce qu’elle était tourmentée.
Elle était malade de frustration, tout simplement.
178/213

L'ardeur de son baiser lui avait laissé espérer qu’il l’em-


porterait dans le lit à baldaquin afin de lui faire l’amour.
Son corps lui faisait mal tant elle désirait se donner à lui.
– Ne me cache rien, Katherine, je t’en supplie ! Tu… tu
ne saignes pas de nouveau ?
– Non ! Je vais bien, je t’assure. Ça te dérange que je
veuille m’allonger ?
– Certainement pas ! Je le répète une fois encore : je t’ai
invitée ici afin que tu puisses profiter de tout le confort et
de tout le repos qui te sont nécessaires.
– Alors, à plus tard, Luca.
Sur ses mots elle s’empressa de quitter la terrasse.
A peine Katherine s’était-elle éloignée que Luca res-
sentit son absence dans toutes les fibres de son corps.
Dio, une chose était désormais certaine, il ne pourrait
plus vivre sans elle !
10.
De nouveau, Kate était en proie au doute et à l’incerti-
tude. Quand Luca lui avait avoué avoir pensé à sa femme
lors de leur première rencontre, son cœur avait failli cesser
de battre.
Elle avait eu mal, très mal.
Il était possible que son chagrin ait poussé Luca dans les
bras d’une autre femme… pour oublier !
Il lui avait demandé si elle avait partagé sa couche pour
se venger de la trahison de son fiancé. Ne pouvait-elle se
demander à son tour si, lui, l’avait invitée à partager son lit
uniquement pour assouvir un besoin physique et rien
d’autre?
Peut-être ce lien très fort qu’elle avait pensé exister entre
eux n’était-il que le fruit de son imagination ?
Son cœur et son esprit étaient en pleine confusion. Dès
qu’elle eut refermé la porte de la chambre, au lieu de s’al-
longer sur le lit, elle s’approcha de la fenêtre, humant avec
délices l’air embaumé des fragrances des lilas et des mimo-
sas environnants.
Hélas, rien ne pouvait apaiser ses tourments.
180/213

Luca lui avait proposé de l’épouser. Mais quel avenir


cette union pouvait-elle avoir si le cœur de son mari appar-
tenait toujours à une femme morte il y a trois ans ?
Un enfant pourrait-il grandir harmonieusement dans un
tel climat ?
Sur la terrasse, tout à l’heure, juste avant l’arrivée intem-
pestive d’Orsetta, elle avait été sur le point de lui avouer
son amour. Mais après le départ de la gouvernante, elle
n’avait pas retrouvé le courage de lui faire cet aveu.
L'amour qu’elle éprouvait pour Luca lui avait paru totale-
ment indécent face à celui qu’il semblait encore porter à
Sophia, trop tôt disparue de sa vie.
Elle quitta la fenêtre pour s’approcher du lit. Elle s’assit
sur son rebord et s’empara d’un oreiller qu’elle pressa
contre elle avant de se laisser tomber sur le couvre-lit de
satin.
Que faire, maintenant ? se demanda-t-elle, anéantie. Elle
ferma les yeux, des larmes au bord des paupières.
– Katherine…
Surprise, elle rouvrit les yeux pour voir la silhouette de
Luca s’encadrer dans la porte. Il entra et s’avança vers elle.
Il avait une démarche souple, féline. Aucune femme au
monde ne pouvait rester insensible à son incroyable char-
isme, elle en était certaine.
181/213

Elle-même n’avait-elle pas ressenti le désir fulgurant


qu’il lui fasse l’amour dès que ses yeux s’étaient posés sur
lui ? Elle ne parvenait toujours pas à s’expliquer cette dis-
position étrange. Il n’était vraiment pas dans ses habitudes
de se jeter ainsi dans les bras d’un homme. Surtout d’un
homme dont elle ignorait tout. Hayden avait dû attendre
des mois avant qu’elle ne se donne à lui.
Qu’avait-elle donc détecté chez Luca qui l’avait rendue
si vulnérable à son charme, qui avait eu raison de ses
défenses, pourtant patiemment érigées, aux côtés d’une
mère qui avait eu toutes les raisons du monde de ne plus
faire confiance aux représentants de la gent masculine ?
Sans doute avait-elle perçu sa sensibilité exacerbée par
des années de souffrance.
– Qu’y a-t-il, Luca? demanda-t-elle. Quelque chose ne
va pas ?
– Non !
Il mentait. Quelque chose le tourmentait, elle le percevait
dans chacune des fibres de son corps.
– Oui, finit-il par admettre. En vérité, quelque chose ne
va pas !
La gorge soudain desséchée, Kate tenta de deviner ce qui
pouvait lui poser problème.
182/213

Il ne voulait plus de sa présence dans sa maison.


Il était toujours follement amoureux de sa femme.
Il voulait être seul afin de pouvoir vivre dans le souvenir
exclusif de cette dernière.
– Je veux savoir ce que tu t’apprêtais à me dire un peu
plus tôt, sur la terrasse, avoua-t-il. Il m’est impossible de
me détendre. Je n’ai pas pu dîner. Tes paroles tournent en
boucle dans ma tête. Je ne connaîtrais pas la paix avant de
savoir de quoi il s’agit.
Serrant fort le coussin contre elle, Kate se demanda com-
ment réagir. Elle était acculée au mur. Devait-elle lui
mentir ou dire la vérité ?
Elle choisit la deuxième solution.
– Je me préparais à te révéler… que… que je t’aime !
Un silence de plomb suivit ses paroles. Elle retint sa res-
piration. Mon Dieu… quelle allait être sa réaction ?
songea-t-elle.
– Tu… tu m’aimes ?
– Oui. A en mourir.
Elle gardait les yeux rivés sur le visage de Luca, dans
l’attente de sa réaction. Il n’en eut aucune. Une gangue de
glace enserra alors son cœur. Il n’avait que faire de son
183/213

amour ! Il allait la rejeter à tout jamais. Elle aurait voulu


mourir !
Puis, après un instant qui lui sembla durer un siècle, il
sourit. Comme le premier rayon du soleil après l’orage,
comme l’éclosion de la première fleur annonçant le prin-
temps, ce sourire fut le meilleur des baumes sur son cœur
torturé. Il illuminait le visage de celui qu’elle aimait tant,
balayant d’un coup toute trace d’inquiétude et de tristesse.
– Mais, alors, dit-il, tout va pour le mieux dans le meil-
leur des mondes !
– Tu… tu crois ?
– J’en suis sûr, tesoro mio ! A partir de maintenant, je
vais enfin pouvoir me détendre !
Avant que Kate ait pu deviner ses intentions, il s’était as-
sis sur le lit, à son côté, et ôtait ses chaussures.
– Te… te détendre ! balbutia-t-elle. Cela ne te dérange
donc pas que je t’aime ?
Son rire joyeux retentit alors à son oreille. Qu’il était
doux à entendre ! Mieux que des mots, il témoignait de la
joie de vivre retrouvée par Luca.
– Non, cela ne me dérange pas, tesoro mio ! Bien au con-
traire. Cela me rend le plus heureux des hommes. J’avais
perdu tout espoir que cela puisse m’arriver de nouveau.
184/213

Du bout des doigts, il lui caressa tendrement la joue.


– Il est peut-être temps pour moi aussi, de t’avouer mon
amour. A cette fameuse soirée, je suis tombé éperdument
amoureux de toi au premier regard. J’en ai été le premier
surpris. Je n’avais nulle envie de donner cette fête. Mais,
très vite, j’ai remercié le ciel de l’avoir fait. Mon cœur, que
je croyais mort, battait de nouveau.
Kate ferma les yeux. Ses oreilles lui jouaient des tours.
Ces mots prononcés par Luca n’étaient sans doute que le
fruit de son imagination.
– Tu appelles Sophia dans tes rêves, Luca, lui rappela-t-
elle. Et, parfois, tu t’éloignes de moi comme si tu répugnais
à me toucher.
– Sois certaine d’une chose, Katherine : je t’aime et je
t’aimerai toujours ! Tu es devenue mon soleil, ma joie de
vivre. Certes, j’ai aimé Sophia mais notre amour est mort
au fil de ces longues semaines durant lesquelles nous ne
pouvions plus communiquer. J’ai longtemps cru que mon
cœur ne battrait plus jamais pour une autre femme, mais je
me trompais. Le destin t’a mise sur mon chemin et je suis
de nouveau le plus heureux des hommes. Si, parfois, j’ai pu
te paraître distant, c’est parce que j’avais peur de la force
de cette folle passion que j’éprouve pour toi. J’avais peur
de te faire mal, peur de faire mal au bébé. Lorsque j’ai ap-
pris que tu avais été obligée de te rendre à l’hôpital, j’ai cru
185/213

devenir fou. Je t’avais fait l’amour et cela pouvait avoir eu


des conséquences sur ta santé et celle du bébé. J’étais
terrifié.
– Tu n’as pas à l’être, mon amour. Ainsi, tu m’aimes
vraiment et depuis le premier jour ?
– Oui, ma chérie, je t’aime depuis le tout premier jour. Il
y avait foule, ce soir-là, à ma réception, mais mes yeux ne
voyaient que toi. Soudain, mon cœur endormi se réveillait.
Mon corps réagissait. Sans te connaître, je te voulais à moi.
Il m’est impossible d’expliquer ce qui se passait mais, ce
soir-là, une force inouïe m’a poussé vers toi.
– J’ai vécu la même chose ! Ce soir-là, tous mes préjugés
ont été balayés. Partager ton lit m’a semblé la chose la plus
naturelle au monde.
– Alors, amore mio, c’est bien le destin qui nous a
réunis ! Imagine quelle a été ma déception lorsque, au petit
matin, j’ai découvert que tu avais disparu sans me laisser
un mot, sans me donner tes coordonnées ! Ma confusion
était totale. Je pensais t’avoir comblée. J’avoue que c’est à
cause de mon orgueil de mâle que je n’ai pas cherché à te
retrouver alors. Pourtant, le souvenir de nos ébats me hant-
ait jour et nuit. Et puis, soudain, comme par magie, tu réap-
parais miraculeusement devant moi ! Plus fort encore, tu
m’annonces les conséquences de notre unique nuit
d’amour : tu attends un enfant !
186/213

– Quelle surprise ça a dû représenter pour toi !


– Tu peux le croire ! D’autant plus que, d’après tes af-
firmations, nous devions cette nouvelle rencontre au has-
ard. Tu n’avais pas cherché à me retrouver pour m’annon-
cer ton état ! J’avoue, alors, avoir eu des doutes. J’ai pensé
que cet enfant n’était pas de moi, que tu avais partagé la
couche d’un autre homme après la nuit fantastique qui nous
avait unis ! La jalousie me rongeait le cœur.
Kate laissa échapper un profond soupir de regret.
– Ma conduite stupide t’a rendu malheureux et je le re-
grette ! J’étais encore mal remise de ma triste expérience
avec Hayden, et l’idée de commettre une nouvelle erreur
me terrifiait. Notre nuit avait été féerique, idyllique. Trop,
peut-être ! Je ne pouvais croire qu’elle était réelle. Depuis
mon enfance, vois-tu, je souffre d’un complexe d’inférior-
ité. J’ai toujours peur de ne pas être à la hauteur. C'est
pourquoi je me suis enfuie, ce matin-là, à Milan. J’étais
persuadée que, à la lumière du jour, voyant que je ne faisais
pas partie de ton monde, tu allais me rejeter. Partir, dis-
paraître, était la seule solution pour m’éviter de souffrir.
Elle puisa dans la tendresse lue dans le regard de Luca la
force de continuer.
– Ma mère était morte quelques mois seulement avant
mon aventure avec Hayden. Elle était ma seule famille.
Elle m’avait élevé seule, mon père l’ayant lâchement
187/213

abandonnée. Je me suis accrochée à Hayden comme à une


bouée de sauvetage. Je ne l’aimais pas vraiment, j’en suis
désormais certaine. J’avais seulement besoin de quelqu’un
pour combler ma solitude. Mais jamais, non, jamais, je
n’aurais pu partager un lit avec un autre homme que toi
après la nuit que nous avions passée !
Il enroula ses doigts autour des siens.
– Je peux te jurer, ma chérie, que jamais je ne te rejet-
terai ! Jamais ! Je veux que tu reprennes confiance en toi.
Promets-moi de ne plus jamais avoir cette horrible pensée
de ne pas être à la hauteur. Tu es une femme admirable,
belle, courageuse, intelligente. Mais, surtout, au-delà de ta
beauté physique, ce qui me touche infiniment, c’est ta
beauté intérieure. Plus que toute autre, tu as su trouver les
mots pour me réconforter. Mon cœur était enfermé dans
une gangue de glace, tu as su le réchauffer. Tu m’as ré-
veillé à la vie.
Emue aux larmes, Kate déposa un tendre baiser sur sa
joue. L'odeur de son eau de toilette vint lui titiller les nar-
ines faisant courir un frisson le long de sa colonne
vertébrale.
– Tu ne peux imaginer le bonheur que j’éprouve à en-
tendre ces paroles, Luca. Elles me vont droit au cœur.
Merci de me redonner confiance en moi. Et, maintenant,
j’ai quelque chose à te montrer.
188/213

Se penchant au-dessus de lui, elle ouvrit le tiroir de la


table de nuit pour prendre l’enveloppe qu’elle y avait
rangée. Elle en retira ce qui ressemblait à une photographie
en noir et blanc. Elle la lui tendit, le sourire aux lèvres.
– Voici la photo de notre bébé. L'hôpital me l’a donnée
après mon échographie.
Luca contempla le cliché avec vénération, comme s’il
s’agissait du trésor le plus précieux au monde. Kate vit al-
ors une larme perler au bord de sa paupière. Elle-même
avait été bouleversée par le miracle de la vie, la vue du
petit être qui grandissait en elle.
– Ils m’ont demandé si je désirais savoir quel était le
sexe de notre enfant. J’ai dit non. Je ne suis pas pressée.
Que ce soit une fille ou un garçon m’importe peu. Et toi ?
S'arrachant à la contemplation du cliché médical, Luca
releva la tête et rencontra son regard.
– Ça m’est égal, tout comme toi. Que ce petit être existe,
que je puisse le contempler sur ce cliché, est un miracle.
Merci de me le montrer, Katherine. C'est le plus beau ca-
deau qu’on m’ait jamais fait. Dio, que la vie est belle !
– Oui, Luca, la vie est belle, surtout quand elle nous fait
un cadeau comme celui-ci. Pourquoi ne pas garder la photo
dans ton portefeuille ?
Il sourit.
189/213

– C'est une bonne idée.


Il rangea religieusement le cliché comme elle l’avait
suggéré.
– Tu ne m’en veux plus de m’être lâchement enfuie, il y
a trois mois ? demanda-t-elle.
– Non !
Il sourit avec tendresse.
– Mais tu vas tout de même devoir me payer un tribut
pour ce que tu m’as fait !
– Lequel ?
– Tu vas désormais devoir te plier à mon bon plaisir !
– Oh…
La lumière allumée au fond de ses yeux laissait deviner
quel serait son châtiment. Sans plus attendre, il se mit en
devoir de déboutonner un à un les boutons de nacre qui fer-
maient le haut de sa robe.
– Que… que fais-tu ? balbutia-t-elle.
– Je veux pouvoir enfin me régaler du spectacle de ton
corps, ma chérie. J’en ai été trop longtemps privé.
Laissant échapper un soupir de contentement, Kate le
laissa faire sans opposer la moindre résistance. Se faire
190/213

déshabiller par lui, n’était-ce pas ce qu’elle avait espéré dès


qu’elle avait franchi le seuil de cette maison ?
La vénération avec laquelle il ôtait chacun de ses vête-
ments était plus excitante encore que s’il les lui avait ar-
rachés avec passion. Elle frémit de tout son être.
Quand il lui eut enlevé sa robe, il la contempla tout
d’abord sans la toucher, se contentant de la caresser du re-
gard, comme s’il voulait à jamais imprimer l’image de son
corps dans sa mémoire. Puis il se pencha pour déposer un
baiser léger sur ses lèvres, et se releva prestement quand
elle voulut l’approfondir.
Il jouait avec elle, s’amusant à éveiller son désir.
Il connaissait son corps, savait très exactement comment
le faire vibrer, comme un musicien de talent le ferait d’un
instrument à cordes.
Il la soumettait à une délicieuse torture.
Lentement, religieusement, du bout des doigts, il effleura
sa peau devenue ultrasensible, en partant de la base de son
cou pour descendre dans le sillon creusé entre ses deux
seins.
La maternité avait changé son corps.
Il s’émerveillait de la nouvelle rondeur de sa poitrine. Ja-
mais elle n’avait été aussi pleine, aussi épanouie. Elle
191/213

s’apprêtait à se gorger du lait qui allait nourrir leur enfant.


Elle se dressait, orgueilleuse, ses pointes turgescentes qué-
mandant ses caresses.
Extatique, il contemplait la future mère de son enfant.
Elle était plus belle encore que dans ses souvenirs.
Une légère brise, pénétrant par la fenêtre ouverte, vint
effleurer ses mamelons ultrasensibles, arrachant à Kate un
gémissement. Sa réaction agit sur lui comme un aiguillon.
Il se pencha et engloutit l’une des pointes dressées dans sa
bouche avide. Kate se cambra sous la fulgurance du plaisir
éprouvé.
– Luca…
Le prénom avait jailli de ses lèvres. Elle était en transe,
ivre de désir. La chaleur humide de la bouche de son tour-
menteur, le ballet follement érotique de sa langue titillant la
pointe ultrasensible de son sein, tout exacerbait le plaisir
qu’elle éprouvait, contribuant à lui faire perdre tout
contrôle.
Plus bas, entre ses cuisses, le cœur de son intimité s’était
mis à pulser, réclamant à son tour des caresses.
La bouche de Luca s’empara alors de son autre sein et
Kate se cambra de nouveau afin de mieux s’offrir aux
caresses de son talentueux amant.
192/213

Autant de plaisir ne peut être donné à tout le monde


pensa-t-elle, remerciant le ciel de faire partie des privilé-
giées à qui ce sublime bonheur était accordé.
Glissant sa main dans les cheveux de son partenaire, elle
l’obligea à relever la tête pour un baiser torride et sul-
fureux, souhaitant qu’il comprenne son message.
Elle le voulait en elle. Elle désirait la fusion de leurs
deux corps, de leurs deux cœurs, de leurs deux âmes.
De ses doigts impatients, elle se mit alors en devoir de le
déshabiller.
Le jeu érotique auquel il s’était livré avait eu sur lui un
effet indubitable. Son membre viril se dressait fièrement,
gorgé de sang. Quand Kate s’en saisit, Luca se cambra à
son tour, sous l’emprise du plaisir.
Ils n’étaient plus que désir. Un volcan s’était éveillé en
chacun d’eux. Plus rien d’autre ne comptait, désormais, que
l’union tant espérée de leurs deux corps.
Luca s’allongea sur elle. Elle écarta les cuisses. Mais av-
ant de la pénétrer, Luca tint à la préparer encore. Lente-
ment, il caressa de ses doigts le cœur vibrant de son intim-
ité. C'était délicieux, exquis.
Son cœur battant la chamade, Kate laissa glisser ses
mains le long du dos viril, avide de reprendre possession de
193/213

chaque centimètre carré de sa peau, de chaque courbe de


son corps puissant et musclé.
– Je vais essayer d’être aussi doux que possible, mur-
mura Luca, les yeux noyés dans son regard. Je ne veux sur-
tout pas te faire mal, tesoro mio… N’hésite pas à me de-
mander de m’arrêter…
Arrêter ! Il ne pouvait en être question !
Bien sûr, elle appréciait ses délicates attentions mais s’il
ne lui donnait pas, sur-le-champ, ce qu’elle attendait depuis
si longtemps, elle en mourrait, tout simplement !
Elle leva la main et, du bout des doigts, caressa
amoureusement ses lèvres si parfaitement dessinées, si
douces, si sensuelles. Ce simple contact la remplissait d’un
bonheur indicible.
– Tu n’as aucune inquiétude à avoir, mon amour,
murmura-t-elle tendrement. Ni moi, ni notre bébé, ne
sommes faits de porcelaine. Ce que nous faisons est naturel
et ne représente aucun danger. Fais-moi l’amour, mainten-
ant, je t’en supplie !
Entendre cette supplique transporta Luca au septième
ciel. Les démons qui le hantaient depuis la mort de Sophia
s’enfuirent à tire-d’aile. Ils lui avaient donné à penser que
plus jamais il ne connaîtrait le bonheur dans les bras d’une
femme. Le destin – il en était désormais certain – en avait
194/213

décidé autrement. Katherine n’était pas venue à sa soirée


par hasard. Elle lui était destinée. L'image échographique
de leur bébé, contemplée quelques instants auparavant,
l’avait bouleversé jusqu’au plus profond de lui-même.
Cette femme était un véritable cadeau du ciel.
Comment interpréter autrement l’extraordinaire ren-
contre, totalement inattendue, qui avait été la leur ?
Tous deux étaient meurtris, déchirés, anéantis, par une
précédente expérience désastreuse.
Ils s’étaient reconnus à la seconde même du premier re-
gard qu’ils avaient échangé.
Ils s’étaient donnés l’un à l’autre sans restriction.
Et le miracle avait eu lieu. Le fruit de leur folle nuit
d’amour mûrissait en Katherine. Il avait pu le contempler.
Un être fait de leurs deux patrimoines génétiques. Un trésor
à chérir et à protéger, pour le reste de leur vie.
Un instant, il contempla celle qui se tenait allongée sous
lui, ses cheveux étalés sur l’oreiller, son visage illuminé de
bonheur, tandis qu’il commençait le lent va-et-vient, son
membre gonflé de désir enfoncé au plus profond du fourr-
eau chaud, humide et si délicieusement accueillant.
L'amour, la tendresse, le submergèrent alors.
195/213

Il aimait cette femme comme jamais il n’avait aimé


auparavant.
Il se sentait fier, possessif et immensément protecteur.
Son corps se consumait de désir pour elle.
Elle l’avait rassuré. Lui faire l’amour ne présentait aucun
danger, ni pour elle, ni pour le bébé. Mais il se devait néan-
moins de contrôler le feu de sa passion.
Désormais, il ne devait plus se consacrer à ses propres
besoins mais à ceux de ces deux êtres dont il avait la
responsabilité.
Sa vie à venir ne serait plus jamais vide. Il ne serait plus
jamais seul.
– Mon amour… prenons notre temps ! murmura-t-il
tendrement à son oreille. C'est si bon d’être en toi ! J’ai
tellement attendu cet instant ! Tu me rends fou de désir,
mais je veux profiter, et te faire profiter, de chaque seconde
de ce moment magique.
Il cessa de parler pour, du bout de sa langue, lécher al-
ternativement, les pointes des seins qui se dressaient si
orgueilleusement vers lui, appelant ses caresses.
Kate poussa un gémissement de plaisir. Comment lui re-
fuser ce qu’il réclamait ? Elle pouvait attendre encore un
peu le dénouement final et se laisser complètement aller à
196/213

cette lente montée du désir, à cette exquise torture qu’il lui


faisait subir. Elle pressentait combien il en coûtait à son
partenaire de retarder l’ultime jouissance.
Luca était en extase. La saveur de sa peau sous sa langue
était exquise, meilleure que les mets les plus fins qu’il ait
jamais dégustés.
Comme il s’enfonçait plus profondément en elle, elle en-
roula ses jambes autour de ses reins afin de mieux l’ac-
cueillir encore. Il lui fallut alors faire appel à toute la
maîtrise de soi pour se contenir.
– Mon amour… laisse-toi aller ! murmura-t-elle d’une
voix à peine audible. Tu n’as pas à te retenir. Tout va bien,
je puis te l’assurer.
Il murmura des mots tendres… il n’aurait su dire
lesquels exactement. Le feu qui le consumait ne lui per-
mettait plus de penser. Au moment même où il explosait en
elle, il perçut qu’elle-même, dans un synchronisme parfait,
connaissait la jouissance.
Agrippés l’un à l’autre, surfant sur la vague du plaisir
qui déferlait sur eux, ils se laissèrent emporter, tremblant
de tout leur corps, vers l’éblouissement final.
Il en était toujours ainsi, depuis leur toute première ren-
contre. Ils atteignaient toujours le dénouement dans une
197/213

symbiose totale. Le plaisir ainsi ressenti et partagé con-


férait au sublime.
Luca garda, serré contre le sien, le corps de cette femme
merveilleuse avec qui il venait de connaître l’extase. Elle
était, sans conteste possible, la femme de sa vie.
Le fait qu’elle attende son enfant rendait cette certitude
plus évidente encore.
– Ti amo… ti amo, amore mio !
Le cri avait jailli de son cœur. Il aurait pu le répéter in-
définiment, tant le sentiment qu’il éprouvait était puissant
et fort. Il prit le visage de Kate en coupe dans ses mains.
Dans les yeux couleur noisette brillaient mille étoiles.
– Tu dois devenir ma femme pour la vie, dit-il d’un ton
passionné. Dis-moi que tu veux bien m’épouser, je t’en
supplie !
– Oui, Luca, je veux bien t’épouser !
– Tu as bien réfléchi ? insista-t-il. Je tiens à être absolu-
ment certain que c’est ce que tu veux !
Elle fronça les sourcils.
– Je croyais que tu étais décidé à me faire enfin confi-
ance ! Mais je veux bien le répéter encore et encore : oui,
Luca, je veux t’épouser. En fait, je crois que je mourrais si
198/213

je venais à te perdre. Tu es l’homme que j’attendais, celui


avec qui je veux passer le reste de ma vie.
Il la serra fort contre lui.
– Mon amour… Je suis tellement désolé d’avoir douté de
toi quand tu es brusquement réapparue dans ma vie. Mais
c’était si inattendu, si extraordinaire ! Désormais, je t’en
fais la promesse solennelle, jamais plus je ne douterai de
toi. Je sais que tu m’aimes et cela me rend infiniment
heureux.
Luca caressa tendrement les cheveux couleur auburn. Il
pouvait enfin se détendre.
« Tu es l’homme que j’attendais, celui avec qui je veux
passer le reste de ma vie. »
Ces paroles de Katherine étaient entrées dans son cœur.
Enfin, ils allaient pouvoir commencer une vie nouvelle,
écrire à deux une nouvelle page de leur histoire, tout
malentendu définitivement dissipé et les erreurs passées
pardonnées.
– Tu mérites un très beau cadeau de mariage pour
m’avoir fait le plus merveilleux présent qui soit : un enfant,
déclara-t-il. Que dirais-tu d’une nouvelle maison ? Je la
dessinerai spécialement pour toi. Ici ou ailleurs, peu im-
porte l’endroit pourvu qu’elle te plaise.
Bouleversée, Kate porta la main à son cœur.
199/213

– Non, Luca, je ne désire pas d’autre maison que celle-


ci, même si ton offre me va droit au cœur. Cette maison te
vient de tes parents, elle est magnifique. Nous la remp-
lirons des rires de nos enfants. Après tout, c’est la maison
où nous nous sommes rencontrés pour la première fois, là
où nous avons conçu le premier d’entre eux. Elle sera tou-
jours spéciale, pour moi.
Ces mots comblèrent Luca d’aise. Il la prit dans ses bras,
et la serra fort contre lui.
Pouvait-on être plus heureux qu’il l’était en cet instant ?
Il en doutait.
Comme elle lui offrait ses lèvres, il s’en empara
fiévreusement. Le désir monta de nouveau de ses reins. Ja-
mais il ne se lasserait de lui faire l’amour.
Tandis qu’il pénétrait de nouveau en elle, elle eut un
mouvement de surprise.
– Signor De Rossi ! s’exclama-t-elle d’un ton accusateur.
Vous avez une façon de vous comporter qui, vraiment, est
… euh… tout à fait délicieuse !
Il la gratifia d’un sourire lumineux.
– Que veux-tu ? Tu possèdes des charmes qui dam-
neraient un saint, ce que je ne suis pas. Je ne suis qu’un
pauvre homme éperdument amoureux qui passerait
200/213

volontiers son temps au lit, à te faire l’amour, sans jamais


s’arrêter.
Kate laissa échapper un soupir de satisfaction. Qu’il lui
fasse l’amour encore et encore, n’était-ce pas ce qu’elle
désirait par-dessus tout ?
Épilogue

18 mois plus tard

– Je crois vous avoir dit, une fois déjà, que vous aviez
une chance incroyable, Luca, mon ami. Je vous le redis au-
jourd’hui encore. Beaucoup d’hommes vous envient, moi
le premier.
Hassan, son richissime ami saoudien gratifia Luca d’un
regard, à l’évidence envieux.
Les deux hommes se tenaient dans le salon du luxueux
Dorchester Hôtel, dans lequel se déroulait la réception don-
née en l’honneur de l’achèvement du fabuleux hôtel, conçu
et réalisé par Luca et son équipe, à Dubaï.
Luca n’avait pu faire le voyage à Dubaï pour assister à la
somptueuse réception qu’avait donnée Hassan, afin
d’exprimer sa satisfaction. Le majestueux hôtel, terminé
dans les temps, faisait l’admiration de tous. Il était un chef-
d’œuvre. L'avenir du cabinet d’architecte Gianluca De
Rossi était assuré.
202/213

Si Luca n’avait pu se rendre à Dubaï, c’est que, enceinte


de leur deuxième enfant, sa femme ne pouvait voyager aus-
si loin.
Le mariage allait bien à son ami, pensa Hassan. Il se dé-
gageait désormais de lui une sorte d’aura qu’il avait appris
à discerner au fil des mois et de leurs différents rendez-
vous.
Il avait prédit à Luca que son mariage avec la belle Kath-
erine lui apporterait la félicité. Il ne s’était pas trompé.
Mais Katherine De Rossi était une femme exceptionnelle.
Tout à fait exceptionnelle, en vérité !
Il se targuait de posséder un excellent jugement dans ce
domaine et durant ces derniers mois, depuis le mariage de
Luca, il avait eu maintes occasions de côtoyer son épouse
et d’apprendre à la connaître.
– Pour une fois, Hassan, je suis totalement d’accord avec
vous ! Je suis le plus chanceux, le plus heureux des
hommes.
Sur le visage de Luca se lisait son incontestable bonheur.
Il rayonnait. Hassan l’avait connu triste et mélancolique.
Ce temps-là semblait définitivement terminé.
– Quel est donc votre prochain projet maintenant que le
nôtre a été mené si brillamment à son terme ? demanda
Hassan.
203/213

– Mon prochain projet ?


Un sourire illumina le visage de Lucas à la pensée de ce
qu’il avait planifié de faire, juste après la fin de la récep-
tion. Il allait prendre tout un mois de vacances en Italie
avec sa femme et son fils.
La famille prendrait le jet privé pour Milan dès le lende-
main matin. Luca désirait ensuite servir de guide à sa
femme bien-aimée afin de lui faire découvrir son pays natal
et ses merveilles : Rome, Venise, Pise et, bien sûr, Florence
et la Toscane.
Ils feraient de longues pauses, profitant pleinement du
soleil et de la gastronomie locale.
Et la nuit, le petit Orlando endormi, ils feraient l’amour
jusqu’aux premières lueurs de l’aube.
Cette pensée, en particulier, le ravissait.
– Mon prochain projet est personnel, Hassan. J’ai plani-
fié un arrêt d’un mois que je passerai en Italie avec ma
femme et mon fils.
– Comment va la délicieuse Katherine ?
– Elle se porte à merveille, merci.
La sonnerie du portable de Luca retentit. Il s’excusa et
prit l’appareil dans sa poche.
Il sourit. L'appel venait justement de Kate.
204/213

– Tesoro mio, come va ? demanda-t-il tendrement.


– Bene, amor mio. La réception se passe-t-elle comme tu
le souhaites ?
Luca enseignait l’italien à Katherine. Elle faisait de
sérieux progrès mais préférait revenir à sa langue mater-
nelle en dehors de l’intimité de la maison.
– Mi manchi…, avoua-t-il.
C'était vrai. Dès qu’elle n’était pas à son côté, sa femme
lui manquait. Il aurait mille fois préféré être dans ses bras
plutôt que de parler affaire avec des clients potentiels.
Katherine avait profondément changé sa vie.
Pour le meilleur !
Mais Hassan n’était pas seulement un client. Au fil du
temps, il était devenu un ami. Plus âgé que lui, le riche
Saoudien avait progressivement opté pour une attitude pa-
ternelle à son égard, ce qui n’était pas pour déplaire à Luca.
Ses parents, morts beaucoup trop tôt, lui manquaient
terriblement.
Luca avait tenu à ce que cette réception donnée au
Dorchester Hotel en l’honneur de son ami et des hommes
d’affaires qui l’accompagnaient soit une complète réussite.
L'hôtel construit à Dubaï était non seulement une prouesse
technique, un modèle d’innovation technologique, mais il
205/213

était également d’une rare élégance. Il se dressait désor-


mais fièrement dans le ciel de la ville saoudienne, la meil-
leure publicité pour le cabinet d’architecte Gianluca De
Rossi.
– Tu me manques aussi, mon amour, répondit Katherine
au bout du fil. Je meurs d’impatience que tu me rejoignes.
J’ai tellement envie de toi !
Le sang de Luca se mit à courir plus vite dans ses veines.
L'intonation sensuelle de la voix de sa femme transformait
son corps en brasier. Il en était ainsi depuis leur toute
première rencontre et le temps ne faisait rien pour apaiser
la faim qu’ils avaient l’un de l’autre.
Dio, il ne désirait plus qu’une chose : la retrouver au plus
vite.
– Comment va Orlando ? demanda-t-il, d’une voix
rauque.
Le bien-être de son fils lui importait également plus que
tout. Il avait assisté à sa venue au monde, la main dans
celle de Katherine. Un moment à jamais inoubliable.
– Notre fils va très bien, le rassura Kate. Nous avons fait
tous deux une longue promenade dans le parc, après quoi il
s’est endormi. Je l’ai laissé à la garde de sa nounou et je
suis venue te rejoindre. Je suis dans le hall de l’hôtel.
– Tu es ici ? Dans le hall de l’hôtel !
206/213

Son cœur battant la chamade, Luca s’éloigna de son ami,


le téléphone collé à son oreille.
– Exactement ! Tu n’as qu’à descendre le vérifier ! Mais
il vaudrait mieux que tu te dépêches si tu ne veux pas que
je retourne à la maison !
– Dio ! Attends de voir ce que je vais te faire quand je
t’aurai retrouvée ! Tu ne pourras pas dire que je ne t’ai pas
prévenue !
– Mmm… je meurs d’impatience ! Comme tu le sais, j’ai
beaucoup d’imagination et tu viens de me faire envisager
des perspectives très… excitantes !
– Katherine ! Tu as le don de me rendre fou et tu le sais !
Tout ça n’est pas très convenable pour une mère de famille
respectable !
– Je sais. J’en rougis de honte. Mais tu es responsable de
ma transformation. Tu m’as éduquée au plaisir, en balayant
tous mes beaux principes. Je t’aime tant, Luca ! Chaque
seconde passée loin de toi est un supplice.
– Anch’io, ti amo, Katerina ! Je t’aime même à en perdre
la raison et je ne peux plus me passer de toi.
Il lança un regard gêné en direction d’Hassan. Un sourire
complice flottait sur les lèvres de son ami. De toute évid-
ence, il avait deviné qui était la personne qui l’entretenait
ainsi, au bout du fil.
207/213

Une pensée lui vint. Il se pouvait même que son ami


sache que Katherine était dans le hall de l’hôtel.
– Dépêche-toi, Luca, je t’attends !
Luca raccrocha et revint vers son ami.
– Katherine m’attend dans le hall, annonça-t-il, le rouge
au front.
Le sourire sur les lèvres du Saoudien s’élargit encore.
– Je sais, avoua-t-il sans manifester la moindre honte.
Nous avons concocté cette surprise, votre délicieuse épouse
et moi.
Luca secoua la tête, n’en croyant pas ses oreilles.
– Ainsi, que je quitte cette réception avant qu’elle ne soit
terminée ne vous gênerait pas.
– Je transmettrai vos excuses aux invités. Ils savent que
votre merveilleuse épouse est de nouveau enceinte. Ils
comprendront qu’elle ait besoin de son mari auprès d’elle.
– Vous êtes vraiment un ami extraordinaire, Hassan !
Il lui serra chaleureusement la main maîtrisant à grand-
peine son impatience.
– Nous nous reverrons lors de votre prochain passage à
Londres, Hassan, je vous le promets.
208/213

– Faire des affaires avec vous est un vrai plaisir, mon


ami. Cet hôtel que vous avez réalisé pour moi, est un chef-
d’œuvre. Il nous valorise, vous et moi. J’espère qu’il n’est
que le début d’une collaboration fructueuse. J’ai d’autres
projets dont je vous ferai part plus tard. Dans l’immédiat,
vous avez mieux à faire. Courez rejoindre votre exquise
épouse. Elle vous attend avec impatience, j’en suis certain.

***

– Que signifie ceci ?


Luca faisait des efforts pour simuler la colère car le spec-
tacle qui l’attendait faisait sans doute, lui aussi, partie de la
« surprise ».
Absolument sublime dans une ravissante robe de soie
rouge qui semblait avoir été cousue sur elle, Katherine se
tenait assise sur le divan de cuir du vaste hall de l’hôtel.
Il ne lui connaissait pas cette robe sexy. Elle avait dû
l’acheter pour l’occasion.
Vêtue ainsi, elle attirait irrésistiblement le regard de tous
les mâles présents dans l’établissement. Et ce d’autant plus
qu’elle portait les escarpins dorés qu’il lui avait achetés
pour son anniversaire. Il avait eu un coup de cœur en les
apercevant dans la vitrine d’un magasin. Comme il l’avait
209/213

supposé, ils habillaient les pieds délicats de Katherine


d’une manière divine.
Katherine releva la tête.
– Mmm… tu as pris ton temps ! lança-t-elle, feignant,
elle aussi, le courroux. Une minute de plus, et l’un de ces
messieurs allait certainement se mettre à me faire la cour.
Il vint prendre place sur le divan à son côté.
– Qu’ils essaient et ils auront affaire à moi ! Je ne me
laisserai pas prendre ce que j’ai de plus précieux au
monde ! Que fais-tu ici au lieu de te reposer à la maison ?
Tu es enceinte, l’aurais-tu oublié ?
– Comment le pourrais-je ? Mais être enceinte ne signi-
fie pas être malade, bien au contraire ! Je me sens plus
vivante que jamais. Il paraît que cela est dû aux hormones.
Je… j’avais très envie que tu me fasses l’amour.
Luca frémit de tout son être. Son propre désir pour elle
était plus fort que jamais. Ils étaient mariés depuis un an et
demi et leur amour grandissait chaque jour un peu plus.
Katherine était d’une folle inventivité dans leurs relations
sexuelles. Il y avait fort peu de chance qu’ils se lassent l’un
de l’autre.
– C'est ce que tu as dit à Hassan pour expliquer ta
présence ici ?
210/213

– Non. Mais il a deviné que nous aurions du plaisir à


nous retrouver en dehors de la maison pour une escapade
amoureuse.
Elle lui montra la clé qu’elle tenait à la main.
– Il nous a réservé une suite. Il m’a affirmé qu’il te
devait bien ça. Tu as réalisé pour lui un chef-d’œuvre. Tu
n’as pas pu assister à sa réception, à Dubaï. C'est une
façon, pour lui de te remercier.
– Ainsi, vous avez comploté dans mon dos !
– Si tu le regrettes, je peux rentrer à la maison.
Luca laissa échapper un soupir. Hassan avait raison. Il
était le plus chanceux des hommes. Depuis qu’elle s’était
installée dans sa vie, pas une seconde, la tristesse n’était
revenue l’assaillir. Il lui devait d’avoir repris goût à la vie.
Il se sentait prêt, désormais, à soulever des montagnes.
Pour elle, pour Orlando, pour le petit être dans son ventre.
– Katherine…
– Oui, Luca…
– Tu es une terrible manipulatrice mais je t’aime infini-
ment. Je vous aime, toi et Orlando, plus que tout au monde.
Oublieux de leur environnement, il se pencha et s’empa-
ra de ses lèvres avec fièvre. Quand il les libéra afin qu’elle
puisse reprendre son souffle, il ajouta :
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– Et j’aimerai tout aussi fort le petit être qui grandit en


toi. Tu m’as donné plus de bonheur que je pouvais l’ima-
giner, mon ange.
Il entendit soudain comme un sanglot et fut immédiate-
ment fou d’inquiétude.
– Que se passe-t-il, tesoro mio ? Tu pleures ?
– Oui, de joie ! Tu me dis de si belles choses ! Parfois, je
me demande ce que j’ai fait pour mériter un tel bonheur.
Toi et nos enfants vous êtes, pour moi, de vrais cadeaux du
ciel. Cela me semble parfois trop beau. J’ai si peur de vous
perdre!
Luca secoua vigoureusement sa tête.
– Cela n’arrivera pas ! Rien de mal ne nous arrivera, ma
chérie, j’y veillerai. Rappelle-toi, nous nous sommes
promis de ne jamais plus parler du passé. Nous avons
réussi à nous construire un merveilleux présent. Il en sera
de même de notre futur, je t’en fais la promesse solennelle.
Kate agita de nouveau la clé qu’elle tenait toujours à la
main devant les yeux de Luca.
– Et si nous profitions du cadeau d’Hassan ? Orlando est
en sécurité à la maison sous la surveillance de Shirley. Has-
san va t’excuser auprès de tes invités. Le buffet est suffis-
amment garni pour que ces derniers ne ressentent pas trop
ton absence. Nous avons quelques heures devant nous…
212/213

Luca se leva et tendit la main à Kate afin de l’aider à


faire de même. Puis, passant son bras autour de sa taille, il
prit de nouveau ses lèvres pour un tendre baiser.
– Comme je t’aime, ma chérie…
Peu lui importait que les gens présents autour d’eux en-
tendent son tendre aveu. Au contraire. Tout au fond de lui-
même, il espérait que tous les hommes et les femmes de ce
monde soient gratifiés du même bonheur que lui.
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