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Le Rohellec Marie Dispensatrice Des Graces Divines - 8810628

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J.

LE ROHELLEC
Prêtre de la Congrégation du S. Esprit et de l’immaculé Cœur de Marie
Professeur au Séminaire français de Rome

MARIE
DISPENSATRICE DES GRACES DIVINES

DESCL É E, DE BROUWER & O, BRUGES (Belgique)


ET

StlN*. RUE B O N A P A R T E ,
PARIS (VI »)
Biblio!èque Saint Libère

http://www.liberius.net
© Bibliothèque Saint Libère 2008.
Toute reproduction à but non lucratif est autorisée.
MARIE
DISPENSATRICE DES GRACES DIVINES
Cum permia&u Supertorum.

IMPRIMATUR
Romae,
f .
Joseph PALIOA, aroh Philipp.
Vices ger.
(Sigillum Vicariatus Urbis).
AVA NT-PROPOS

Ce modeste travail fut d’ abord présenté, sous forme de


rapport, au Congrès Marial breton qui se tint à Notre
Dame du Fol goai , au diocèse de Quimper , en septembre
-
1913, et qui avait choisi pour unique objet de ses dis-
cussions la « maternité spirituelle » de Marie ; il fut
imprimé dans les Actes du Congrès ( Arsène de K éran
.
-
- -
gal, Quimper , 1915 In 8 de XVIII 484 p ) dont
»

l’édition est depuis longtemps é puisée.


Cédant aux instances qui me sont faites de divers
côtés , je me décide à publier cette étude dé jà ancienne ,
à laquelle la concession récemment faite par le Saint -
Siè ge d’un Office et d’une Messe propres en Vhonneur
de Marie Médiatrice et le mouvement sans cesse gran
dissant qui porte le peuple fidèle à invoquer Marie sous
-
ce vocable si consolant , ont donné un renouveau d' ac -
tualité. On trouvera reproduit , sans grande modification ,
le rapport du Folgoat ; quelques compléments ont seule -
ment été rendus nécessaires par les nouveaux documents
-
du Saint Siè ge , et de brefs éclaircissements sont ajoutés
çà et là pour écarter les équivoques possibles.
C' est un simple exposé théologique qui ne vise pas à
l’originalité , dont l’unique ambition est de mettre, sous
6 -
AVANT PROPOS

une forme simple et claire , à la portée du plus grand


nombre , la doctrine de « Marie dispensatrice de toutes
les grâces ». L' auteur s' est efforcé de concentrer en un
faisceau serré , afin d' en faire mieux apparaître la force ,
les preuves de la tradition en faveur de cette glorieuse
prérogative de la M ère de grâce. Puissent ces quelques
pages inspirer à de nombreuses âmes la pensée de
prendre Marie comme médiatrice de leurs prières , de
leurs sacrifices , de leurs offrandes , de toute leur vie
surnaturelle et d' aller constamment à J ésus par son
entremise : ad Jesum per Mariam. Ce serait se conformer
à l' ordre divinement établi par la miséricordieuse bonté
du Sauveur qui a voulu que sa M ère soit aussi la nôtre .

Rome, en la fête du
C œur très pur de la Sainte Vierge ,
2Q août , 1925 .

J. ROHELEEC.
INTRODUCTION

Dans les litanies laurétaines, la Sainte Vierge est


invoquée sous le titre de « mère de la divine grâce » :
mater divines grattes , ora pro nobis. Quelle est la
signification tliéologique de cette pieuse formule que
rÉglise insère dans sa liturgie et met sur les lèvres
de tous les fidèles ? L,a présente étude essaie de
répondre à cette question.

Marie est tout d'abord mère de la divine grâce,


parce qu'elle a enfanté Celui qui est Tunique source
de tous les biens surnaturels pour l'humanité rachetée.
-
Nous avons tout reçu de Notre-Seigneur Jésus Christ.
Dans Tordre actuel de la Providence, aucun recours à
Dieu n'est possible que par Lui, chaque grâce est un
fruit de sa passion et nous est appliquée par sa média-
tion. Il est par suite légitime de dire qu'en nous don-
nant Jésus, le principe de toutes les grâces, Marie
nous a tout donné avec Lui ; et on peut lui appliquer,
proportion gardée, le texte de saint Paul ( Rom. VIII,
32) : Qui etiam proprio Filio suo non pepercit , sed pro
nobis omnibus tradidit ilium, quotnodo non etiam cum
illo omnia nobis donavit ? « Dieu, qui n'a pas épargné
son propre fils, mais qui Ta livré pour nous, ne nous
8 INTRODUCTION

a-t-il pas accordé tous les biens avec L,ui ? » Ainsi la


Vierge, en acceptant de devenir la mère du Sauveur,
a ouvert aux fils d’Adam la fontaine d’eau vive qui
jaillit pour la vie étemelle, et voilà pourquoi les
chrétiens de l’univers entier la proclament « mère de
la divine grâce ».
Mais beaucoup négligent le don de Dieu et devien-
nent des enfants de perdition : Marie est plus spé-
cialement mère de grâce, pour les fidèles qui restent
unis au Christ et qui sont les membres de son corps
mystique, a On peut dire en toute vérité qu’en portant
le Sauveur dans son sein, Marie y portait encore tous
ceux dont la vie du Sauveur renfermait la vie. Nous
tous qui sommes unis au Christ et qui formons,
suivant la parole de l’apôtre, les membres de son
corps, issus de sa chair et de ses os, nous sommes
sortis du sein de la Vierge Marie à l’instar du corps
adhérent à la tête. C’est pourquoi, en un sens spirituel
et mystique, mais très réel, nous sommes les fils de
Marie et elle est notre mère à tous K » « Étant mère
de notre chef selon la chair, Marie est selon l’esprit,
mais très véritablement, la mère de tous ses membres,
parce qu’elle a coopéré par sa charité à faire naître
dans l’Église les enfants de Dieu 2. »
Voilà une première justification du titre « mère de
la divine grâce ». Mais le contenu de cette formule
est encore plus riche. Marie n’a pas seulement donné
au monde Jésus-Christ en l’engendrant selon la chair ;
i . PIE X, Encyclique Ad Diem ilium, à l’occasion dn cinquantenaire de
la proclamation du dogme de l’immaculée Conception, a février 1904. Acta
5, rue Bayard, Paris.

Pts X , vol. I, n. 15a . Cf . aussi Edition des actes de Pie X , Bonn* Presse,
a. S. AUGUSTIN, Lib. de S. Virginitate, c. VI. P. 3 . t. XI,, col. 399.
^
INTRODUCTION 9

elle lui est inséparablement associée dans toute l'œuvre


de la Rédemption . Elle a accepté l'immolation san-
glante de son Fils, et elle s est unie à son sacrifice,
s'offrant elle-même en holocauste pour le salut du
genre humain. Elle a participé ainsi, dans un ordre
secondaire et subordonné, à l 'acquisition de tous les
biens qui nous viennent du Calvaire. Suivant l’ex-
pression des théologiens, elle nous a mérité par un
mérite de convenance tout ce que le Christ nous a
mérité à titre de justice .
Ee rôle de Marie n ’est pas terminé. Ee trésor
inépuisable des grâces qui, jusqu’à la fin des siècles,
se répandront sur le monde, a été rempli une fois
pour toutes par le sacrifice de la croix. Mais ces grâces
doivent être appliquées à chaque â me en particulier,
et l’œuvre de sanctification se continue chaque jour
par un travail incessant de Dieu et de l’homme.
Ea miséricordieuse Marie participe elle aussi à cette
distribution actuelle des grâces célestes ; elle a été
établie par son Fils la trésorière des dons divins ;
et nulle vérité n 'est plus consolante pour notre fai-
blesse. Marie est « mère de grâce », puisque toutes
les grâces sans exception nous viennent par sa média -
tion, et qu'elle nous enfante sans cesse à la vie sur-
naturelle.
Ea Sainte Vierge a collaboré avec son divin Fils,
et dépendamment de lui, à l'acquisition des grâces
surnaturelles, elle participe encore avec lui à l'appli-
cation actuelle des mérites du Calvaire aux âmes
rachetées : telles sont les deux grandes fonctions de la
maternité de grâce.
PREMIÈRE PARTIE
Rôle de Marie dans l’aeqnisition des grftees

Ive Christ pouvait naître de la Vierge sans lui donner


ensuite une part personnelle dans Tœuvre de la
rédemption. N'est il pas Tunique rédempteur, le mé-
-
diateur unique entre Dieu et les hommes ? Seul, il
pouvait offrir pour le péché une réparation propor -
tionnée et surabondante. Marie elle-même est la pre
mière des rachetées, et elle tient toutes ses grandeurs
-
de la divine libéralité de Celui qui a bien voulu
devenir son fils. Mais le Christ a racheté sa mère
d’une façon si éminente qu’il la fait participer ensuite
au rachat des autres créatures. Il se Test associée
dans toutes ses œuvres, et la causalité principale du
Fils n’exclut pas la causalité universelle, dépendante
et subordonnée, de la mère. Encore une fois, Dieu
pouvait se passer de tout auxiliaire dans l'œuvre de
notre salut ; mais par un dessein miséricordieux de
sa libre volonté, il a décidé que Marie participerait à
l'acquisition des biens surnaturels, afin d'exalter celle
qui est pleine de grâce et afin de nous donner une
mère toute compatissante.
Ees Pères de l’Église enseignent d'une voix unanime
que Dieu, par une mystérieuse revanche, a voulu
retourner contre Satan les armes que celui-ci avait
employées pour nous perdre. Dès lors l'unité du plan
12 ROLE DE MARIE

divin exigeait que Marie f ût associée au nouvel Adam


comme Ève l'avait été au premier Adam et qu elle
tînt dans louvrage de notre salut la place qu'Ève
avait tenue dans l'ouvrage de notre ruine x. Ève avait
été une médiatrice de mort, Marie sera une médiatrice
de vie ; Ève avait intercédé pour notre perte, Marie
intercède pour notre salut. Ève avait donné au genre
humain le fruit de l'arbre de mort ; Marie nous
présente le fruit béni suspendu à l'Arbre de vie. Tel
est le témoignage de toute la Tradition catholique
magistralement résumé par Bossuet dans ses « Élé -
vations sur les Mystères » ( 12 e semaine, 5e élévation ) :
« La désobéissance d’Ève notre mère, son incrédulité
« envers Dieu, sa malheureuse crédulité à l'ange
« trompeur, était entrée dans l'ouvrage de notre perte :
« et Dieu a voulu aussi, par une sainte opposition,
« que l'obéissance de Marie et son humble foi entrât
« dans l'ouvrage de notre rédemption, en sorte que
« notre nature f ût réparée par tout ce qui avait
« concouru à sa perte ; et que nous eussions une
« nouvelle Ève en Marie, comme nous avons en Jésus-
« Christ un nouvel Adam C'est ici le solide
« fondement de la grande dévotion que l’Église a
« toujours eue pour la Sainte Vierge. Hile a la même
« part à notre salut qu'Ève a eue à notre perte :
« c'est une doctrine reçue dans toute l’Église catholique
« par une tradition qui remonte jusqu'à l'origine du
* christianisme ».
La part qui revient à la Sainte Vierge dans la
1. L’unité du plan divin a été magnifiquement mise en relief par le K. F.
Bainvel dans son ouvrage < Marie Mère de grâce et dnna son article du
Dictionnaire Apolog é tique sur l’Intercession universelle de Marie.
DANS L’ACQUISITION DES GRACES 133

distribution des grâces divines est une conséquence


de la part qu'elle a eue d'abord dans leur acquisition.
Il conviendrait, pour être complet, d’étudier longue-
ment cette première fonction de la maternité de grâce.
Cependant, comme elle se trouve déjà exposée et
démontrée dans d'excellents ouvrages, on nous
permettra d 'en traiter très brièvement, afin d’insister
davantage sur le second point de doctrine, d’ordinaire
moins connu, qui concerne le rôle de Marie dans
l'actueUe distribution des grâces.
La Rédemption a eu un double effet : satisfactoire
et méritoire. Mais ces deux effets sont inséparables ;
c'est par le même acte, la même offrande, que le
Sauveur a racheté le monde et ouvert à toutes les
âmes rachetées une source inépuisable de vie surna-
turelle. Et puisque la Sainte Vierge, par un don gratuit
de l'Unique Rédempteur, fut appelée à coopérer au
rachat du monde coupable, il s’ensuit qu'elle a colla-
boré également à l'acquisition des grâces qui rendront
l'homme participant de la nature divine et lui donneront
force et lumière pour marcher dans la voie du salut.
C'est ce qu'expriment les Pères de l'Église quand ils
opposent la Vierge Marie à la vierge Éve, quand
ils la proclament la médiatrice de Dieu et des hommes,
le salut du monde, la cause de notre vie.
Cette doctrine, appuyée sur les témoignages expli -
cites de la tradition, est devenue commune parmi les
théologiens, qui l'ont condensée dans cette formule
très précise : Marie a satisfait à titre de convenance
partout où le Christ a satisfait à titre de condignité,
et elle a mérité par un mérite de convenance tout ce
14 ROLE DE MARIE

que le Christ a mérité par un mérite de justice.


Beata Virgo satisfecit de congruo ubi Christus satisfecit
de condigno. Beata Virgo de congruo meruit quod
Christus de condigno.
Le Christ a mérité comme cause principale qui
suffit seule à produire l’effet et n 'emprunte à aucune
autre la raison de son efficacité ; Marie a mérité
comme cause secondaire et instrumentale qui recevait
toute sa vertu du Christ . La médiation de Marie
n’est donc pas de même ordre que la médiation de
Jésus ; mais dans l’ordre subordonné et dépendant
qui lui est propre, cette médiation a la même univer
salité que celle du Christ. Toutes les grâces que le
-
Christ a méritées à titre de condignité, Marie les a
méritées à titre de convenance ; et l’on ne peut
assigner à l’extension de la causalité de la mère d’autres
-
limites qu’à la causalité du Fils lui même. Et puisque
toutes les grâces de l’Ancien Testament ont été accor-
dées uniquement en vue des mérites du Christ, on
peut dire aussi, en un sens très vrai, qu’elles ont été
accordées en vue des mérites de Marie.
Plusieurs théologiens n’hésitent pas à appeler Marie
la « corédemptrice » du genre humain ; mais d’autres,
et des plus éminents, comme S. E. le cardinal Billot
(Cf . Introduction à l’ouvrage du P. Bainvel : Marie,
M ère de grâce ) , estiment que ce titre ne peut se
concilier avec les données les plus certaines du dogme
catholique.
Sans aucun doute, si l’expression « corédemptrice »
avait pour effet de mettre Marie sur la même ligne
que le Rédempteur, si elle signifiait que Marie n’a
DANS L'ACQUISITION DES GRACES 155

pas eu besoin de rédemption , ou qu elle a coopéré à


l'acquittement de sa propre rançon, ou encore qu 'elle
a complété le prix de la Réparation en ajoutant quel-
que chose aux mérites et aux satisfactions de Jésus-
Christ, l'orthodoxie commanderait de la proscrire
impitoyablement. Mais les théologiens qui l'adoptent
se gardent bien de lui attribuer ce sens erroné. Ils
veulent simplement dire ceci : le prix de notre ré-
demption a été offert surabondamment par Jésus-Christ
seul. Marie avait besoin d 'être rachetée comme tous
les enfants d 'Adam ; mais elle a été rachetée d ’une
manière plus sublime, d'une manière unique qui la
met dans un ordre à part ; elle seule a été préservée,
immunisée par le sang de son Fils, sublimiori modo
redempta. J ésus a racheté sa mère de telle sorte qu 'il
l'a fait participer ensuite à la rédemption des autres
hommes, et II se l’est associée inséparablement dans
son œuvre de salut. Toute la vertu méritoire de l'in -
tervention de Marie lui vient de Jésus ; bien loin
d'ajouter quelque chose aux mérites de Jésus, elle
n'en est qu’une dérivation toute gratuite, D 'ailleurs
on ne voit pas comment Marie pourrait être considérée
comme l’universelle dispensatrice des grâces, fruits
de la Rédemption, si elle n'a pas coopéré avec J ésus
et en pleine dépendance de L,ui, à leur acquisition.
Ee Pape Pie X enseigne que le rôle de Marie dans
la distribution des grâces est une conséquence de la
part qu’elle a eue dans la réparation de l’humanité
déchue (Encyclique Ad Diem ilium laetissimum,
a f évrier 1904). Telle est également l'affirmation de
Eéon XIII dans son Encyclique Adjutricem populi .
16 ROLE DE MÀRIE

D’ailleurs le terme de corêdemptrice n’est pas com


plètement absent des actes du S. Siège : on peut le
-
trouver dans une prière approuvée et indulgenciée
par le S. Office le 22 janvier 1914\ dans un Bref de
Benoît XV à l’association Notre Dame de la Bonne-

Mort , 22 mars 1918 2. C'est plutôt une question de
mots ; et puisque celui de corêdemptrice peut devenir
équivoque, on peut donner de préf érence à la Vierge
les titres de coopératrice et de coadjutrice de la Rédem-
ption.
La thèse que nous venons d’exposer n’est pas
seulement enseignée par les théologiens, elle a été ex-
plicitement affirmée dans les Kncycliques des Souve-
rains Pontifes, et , sans avoir été définie parle magistère
infaillible, elle fait cependant partie intégrante de la
doctrine catholique. Il faut nous borner à deux
citations. Dans son Encyclique Adjutricem populi du
5 septembre 1895, adressée aux Évêques du monde
entier, Léon XIII résume en ces termes la première
fonction de la maternité de grâce : « Marie fut Vas -
sistante du Christ dans l' œuvre de la rédemption de
l' homme »3, par opposition à Ève « qui fut l'assistante
d 'Adam dans l’œuvre de notre ruine ».
Plus récemment, Pie X sanctionne formellement la
formule adoptée par les théologiens et la revêt de
son autorité. Voici en effet ce qu’il écrit dans l’Ency -
clique Ad diem ilium du 2 f évrier 1904, adressée à
l’univers catholique, à l’occasion du 50e anniversaire

1 .. Acta
Acta apost. Sedis. 1914, p. 108.
, x8, p. 183.
2

.
19
.
3. I<éON XIII. Encyclique A djuirictm populi Acta Eeonis XIII, Tome xv,
p 303 ut qua tacranunit redcmptionis kumana pairandi administra fucrat »,

DANS L'ACQUISITION DES GRACES
*7
de la définition de r Immaculée-Conception : « I oin
^
de nous évidemment la pensée d'attribuer à la Mère
de Dieu le pouvoir de produire la grâce surnaturelle :
ce pouvoir n'appartient qu'à Dieu seul Mais, parce .
qu’elle l’emporte sur toutes les créatures par sa sain-
teté et par l'intimité de son union avec le Christ, et
qu'elle a été associée par le Christ à l'œuvre de la
rédemption des hommes, la Vierge a mérité, comme
on dit, d'un mérite de convenance tout ce que le Christ
a mérité par un mérite de condignité, et Dieu l'a
établie la dispensatrice de ses grâces »1.
-
Comment la Vierge bénie est elle devenue médiatrice
entre Dieu et les hommes, par quels actes a-t-elle
coopéré à l'expiation du péché et à l'acquisition du
trésor des biens surnaturels ? Suarez 8 et les autres
théologiens nous répondent qu'elle y a concouru
principalement de trois manières : en méritant à titre
de .convenance la maternité divine ; en prononçant
son fiat et en donnant ainsi son consentement volon-
taire à l'incarnation du Verbe ; en offrant le Sauveur
Jésus pour le salut du monde, d 'abord le jour de la
présentation au temple, puis au moment de la con-
sommation sanglante sur le Calvaire, et en s'offrant
elle-même comme victime de propitiation avec son
divin Fils.
Iyéon XIII 3, expliquant les mystères du Rosaire,
i. Patet itaque abesse profecto plurimum ut nos Deiparæ supematuialis
.
glatis efficiendæ vim tribuamus, quæ Del unius est Ea tamen, quoniam
universis sanctitate præstat coniunctioneque cum Christo, atque a Christo
.
asdta in humanæ saljtis opus, de congruo, ut alunt promeret quod Christus
d* condipno promeruit, estque princeps largiendarum giatiarum mlniâtra » .
.
Acta Pii X Tome I, p. 154 seq . .
..
a SUARXZ. De Mysteriis vitae Christ*, Disp. z 8, sect 4 ; Disp 33
, . .
. .
3 Encyclique Jucunda semper 8 sept 1894 Acta Leonis XIII, tome XIV,
.
.
p. 307 (traduction du P Terrien) La mire de» hommes 1" vol.
.
Marie dispensatrice 2
i8 ROLE DE MARIE

résume admirablement cette doctrine : « Void d'abord


les mystères de joie. I<e Fils éternel de Dieu fait homme
s’incline vers les hommes ; mais c'est avec le consen -
tement de Marie Enfin le Christ, l’attente des
nations, vient au jour ; mais il naît de Marie, et si
les bergers et les Mages, prémices de la foi, se hâtent
pieusement vers son berceau, c'est avec Marie qu'ils
trouvent l'Enfant. Et lorsque cet Enfant veut ensuite
être apporté au temple, afin de se livrer par un rite
public en victime à Dieu son Père, c'est encore par
le ministère de sa mère qu’il est présenté au Seigneur
Ce n'est pas autrement que parlent les mystères
douloureux. Dans le jardin de Gethsémani, où Jésus
endure une crainte et des tristesses mortelles, et au
Prétoire où il est flagellé, on ne voit pas, il est vrai,
Marie près de lui, mais depuis longtemps elle connaît
très clairement les douleurs réservées à son Fils. En
effet, lorsqu'elle s'offrit comme servante pour être sa
mère, et lorsqu'elle se consacra tout entière avec lui
dans le temple, elle devint dès lors, par l'un et l'autre
de ces actes, Y associée de ce Fils dans son œuvre si
laborieuse d'expiation pour le genre humain. Il n'est
donc pas douteux qu'elle n'ait pris en son âme une
très grande part aux amertumes, aux angoisses, aux
tourments de son Fils unique. Du reste, c'est devant
elle et sous ses regards que devait s'accomplir le
divin sacrifice, en vue duquel cette Vierge généreuse
l'avait formé de sa chair et nourri de son lait. Mais
ce qu'il y a de plus touchant à remarquer dans ce
dernier mystère, c’est que tout près de la croix de
Jésus était debout Marie, sa mère ; sa mère qui,
DANS L'ACQUISITION DES GRACES 19g

brûlant pour nous dune charité sans bornes, offrait,


-
elle même, afin de nous recevoir pour enfants, son
propie Fils à la justice divine, mourant en son cœur
avec lui, transpercée qu'elle était d 'un glaive de
douleurs ».
C'est ainsi que, par l'immolation et la souffrance,
Marie s’unissait à son Fils pour nous obtenir le
pardon et nous mériter l’amitié de Dieu ; c'est ainsi
qu'elle est devenue mère de grâce pour tous les
hommes.
DEUXIÈME PARTIE
Rôle de Marie dans l’application des grâces

CHAPITRE I
Exposé de la Doctrine

Nous venons d 'étudier la première fonction de la


maternité de grâce : la seconde y trouve son fondement
et sa justification . Te titre de m ère de Dieu est la
première origine et la mesure de toutes les grandeurs
de Marie : c’est parce qu elle est mère de Dieu que la
Vierge est devenue coréparatrice de l’humanité déchue;
et le titre de réparatrice est, à son tour , le principe du
privilège incomparable de distributrice des grâces
divines 1.
Bossuet a exposé cet encha î nement dans un langage
magnifique 2 : « Il a donc fallu que Marie ait concouru ,
par sa charité, à donner au monde son libérateur .
Comme cette vé rité est connue, je ne m 'étends pas
à vous l’expliquer : mais je ne tairai pas une consé-
quence que peut-être vous n’avez pas assez médit ée :
c'est que Dieu , ayant voulu une fois nous donner
.
x. PIE X. Encyclique Ad Diem ilium laetissimum. Acta Pii X, 1.1, p. 154 seq
a . BOSSUET : Sermon sur la Dévotion envers la Sainte Vierge ( i « r Point ).
- -
Ailleurs ce sermon est dté sous le titre de 3* sermon pour V Immacul ée Con
ception.
22 ROLE DE MARIE

J ésus-Christ par la Sainte Vierge, cet ordre ne se


change plus ; et les dons de Dieu sont sans repentance.
Il est et sera toujours véritable, qu’ayant reçu par
elle une fois le principe universel de la grâce, nous en
recevions encore, par son entremise, les diverses appli-
cations dans tous les états diff érents qui composent
la vie chrétienne. Sa charité maternelle ayant tant
contribué à notre salut dans le mystère de l'Incar -
nation, qui est le principe universel de la grâce, elle
y contribuera éternellement dans toutes les autres
opérations qui n'en sont que des dépendances ».
On remarquera ce mot « dépendances ». Ee fiat
prononcé au jour de l’Annonciation se prolonge
jusqu'au Calvaire ; bien plus, héroïquement renouvelé
au pied de la croix, il a son retentissement jusqu'à la
fin des siècles. En un sens très légitime, on peut dire
que la Rédemption ne s'achèvera qu'au dernier jour
du monde. « La passion du Christ, dit saint Thomas,
a détruit tous les péchés et fait de tous les hommes
autant d'enfants de Dieu, quant à la suffisance de la
satisfaction et du mérite, mais non quant à l'effet 1 ».
Car la seule imputation extérieure des mérites du
Sauveur ne suffit pas à nous justifier. Nous ne
devenons justes et saints que par une sainteté intérieu -
re, par une quahté surnaturelle infuse qui transforme
l'âme et l'élève à la participation de la nature divine
Cette vie surnaturelle permanente est préparée, con -
servée, rendue active et f éconde par des secours
transitoires, illuminations de l'intelligence et motions
de la volonté, que l'on appelle grâces actuelles. Voilà
.
x . 8. THOMAS In III. Smtf ., Dût , 19, q. x , a. x .
DANS L’APPLICATION DES GRACES 233

pourquoi, bien que la R édemption soit accomplie,


l’application des fruits de la Rédemption ne cesse
pas ; le travail de la sanctification des âmes se continue
à travers mille obstacles, et il n’aura de terme que le
jour où le dernier des élus sera couronné. Son fiat
volontaire ayant associé la Sainte Vierge à toutes les
œuvres de J ésus, elle sera aussi sa collaboratrice dans
cette application actuelle des mérites du Calvaire.

Mais de quelle manière Marie remplit-elle ce rôle


miséricordieux de dispensatrice des grâces divines ?
La question étant délicate, nous procéderons par
degrés.
**

§ I. — NATURE DE LA MÉDIATION DE MARIE.


C’est une vérité de foi que les saints et les bienheu -
reux qui jouissent de la f élicité céleste peuvent
intercéder pour nous aider efficacement par leur mé-
diation auprès de Dieu. Le crédit que les â mes saintes
doivent à leur titre d’amis de Dieu , appartient à plus
forte raison à la Vierge, et d ' une façon éminente
N'est-elle pas la « pleine de grâce », la bien -aim ée
entre les créatures ? N est- elle pas la mère du Fils de
Dieu ? N’a-t-elle pas donné sa collaboration volontaire
à l'œuvre de la rédemption ?
Nous savons que l’efficacité d’une prière se mesure
à la sainteté de celui qui prie et à l 'intimité de son
union avec Dieu . Aussi la puissance d’intercession de
la Sainte Vierge l’emporte sur celle de tous les autres
24 ROLE DE MARIE

saints réunis. « Ce que tous peuvent avec vous, s'écrie


saint Anselme, vous le pouvez seule et sans eux
Si vous gardez le silence, personne ne priera pour
moi, personne ne m'aidera ; mais parlez, et tous
prieront pour moi, tous s'empresseront de me secou-
rir 1 »,
Iy'intervention des saints s'exerce dans une sphère
limitée ; elle se restreint à une série de grâces ou bien
à une catégorie de personnes. I*es saints ont, en un
certain sens, leurs spécialités ; et c'est ainsi que l'a
compris la piété populaire éclairée par la tradition et
par l'enseignement de l'Église.
Au contraire, la puissance d'intercession de la Vierge
n’a pas de limites. I*es Pères et les Docteurs de l'Église
sont unanimes à dire que Notre-Seigneur ne peut rien
refuser à sa mère. Sur ce point, il y a plein accord
entre les témoignages de l'Orient et de l'Occident.
Voici la belle invocation de saint Jean Damascène
(mort en 748) : « O vous, la souveraine et la Reine
de notre nature, écoutez les prières de vos serviteurs
qui recourent à votre protection. Intercédez pour nous
auprès de votre Fils... Car, ô Vierge Marie, votre
intercession n’est jamais repoussée du Seigneur ; il
ne refuse rien à vos demandes, tant vous approchez
de près la très simple et très adorable Trinité 2 ».
Saint Germain de Constantinople ( f 733) ne craint
pas d 'affirmer que Marie possède, en sa qualité de
-
Mère du Très Haut, « un pouvoir égal à son vouloir 8 » .
. . .
x . S. ANSELME. Oral 46 ad B Virginem. P. rat, Mime. CTVIII, col . 943.
. . . .
2 S. JOAN. DAMASC. Homü. in Annunciatiomm B V Deip P. G. (Migne)
XCVI, col. 647.
S. Gsxu. CONST. In Ingrassum SS . Deiparæ , serai. 3, P. G. XCVIII,
coÜ 330.
DANS L’APPLICATION DES GRACES 255

Les prières attribuées à saint Éphrem et qui, en tout


cas, remontent à une très haute antiquité, supposent
de même la toute-puissance de Marie : « Par vos
prières maternelles, faites violence à la miséricorde
de votre Fils, encore qu’il soit au-dessus de toute
contrainte, et daignez rétablir votre indigne et
malheureux serviteur dans son antique et première
place 1 ». Il faudrait encore citer saint André de Crète
et surtout les documents liturgiques contenus dans le
Ménologe des Orientaux.
Les Occidentaux ne sont pas moins explicites. Saint
Pierre Damien applique à la Vierge ces paroles de
l’Écriture : « Tout pouvoir (vous) a été donné sur le
ciel et sur la terre 2 ».
Ainsi la Sainte Vierge est toute-puissante au ciel.
Mais la toute-puissance qui lui appartient n’est pas
une toute-puissance d’autorité et de commandement ;
c'est une toute-puissance d ’intercession. Un mot ré-
sume parfaitement l’enseignement de la tradition ca -
tholique : Marie est la « Toute-Puissance suppliante »,
Omni'botentia supplex .

Une seconde vérité n’est pas moins certaine : Marie


est toute bonne et miséricordieuse. Elle nous aime
d’un amour ineffable parce que nous avons été rachetés
par le sang de son divin fils, parce que nous sommes
ses enfants et qu’elle nous a adoptés au pied de la
croix . Son amour pour les hommes est mêlé de misé -
ricorde, car elle les voit accablés de misères et d’in-

. . r
1. S. EPHREM. |Precat . ad Dei Genitricem, Opé ra ( Assemani ) , t. IV ,
a . PETR. DAMIAN. Serm. 45 , in Nativ . B . V . M . PL- CXI IV col . 740.
540.
2Ô ROLE DE MARIE

firmités. Ees saints se plaisent à dire que Dieu s’est


réservé la justice et a remis, d'une certaine manière,
les fonctions de la miséricorde entre les mains de sa
*

mère. C'est pourquoi tous peuvent recourir à elle avec


confiance ; elle ne repousse personne, et les plus grands
pécheurs sont assurés de trouver un asile dans son
cœur maternel.
Ea toute-puissance d’intercession de Marie et son
amour miséricordieux pour les hommes se trouvent
exprimés à la fois dans cette belle prière du Mentorare :
« Souvenez-vous, ô très miséricordieuse Vierge Marie,
qu 'on n’a jamais entendu dire qu'aucun de ceux qui
ont eu recours à votre protection, imploré votre
assistance et demandé votre intercession, ait été
abandonné•••
Il faut conclure des considérations précédentes que
nous pouvons obtenir, par l’entremise de Marie, toutes
les grâces sans exception. Dès que nous la prions, la
Vierge s'empresse d'intervenir et le Seigneur accueille
favorablement sa demande. Bien plus, dans sa misé-
ricordieuse bonté, Marie prévient souvent nos suppli
cations et nous obtient, à notre insu, les grâces qui
-
nous sont utiles. Elle agit de la sorte principalement à
l’égard de ses dévots serviteurs. En ce sens, au moins,
l'on peut dire que les grâces nous viennent d’ordinaire
par l’intercession de Marie.

* *
-
N’avons nous pas suffisamment démontré notre
thèse ? Non, il faut aller encore plus loin. Une vérité
DANS L’APPLICATION DES GRACES 27
2?

est désormais incontestable : Marie, dans sa miséri-


cordieuse bonté, intercède pour les justes et les
pécheurs, et ainsi la plupart des bienfaits célestes nous
viennent en fait par son entremise. Nous devons
affirmer davantage : non seulement les grâces peuvent
nous venir par Marie, mais, dans l’économie actuelle,
elles ne peuvent nous venir autrement que par Marie.
IfiL Vierge n’est pas seulement de fait notre avocate
auprès de Dieu ; elle est de droit notre médiatrice,
elle est de droit et d’office la dispensatrice générale des
grâces divines. Non pas certes que ce droit lui appar
tienne par nature ou à titre de justice ; mais tel est
-
l’ordre établi par la libre volonté de Dieu, qui a donné
à Marie une part personnelle dans l’œuvre de la ré-
demption. Comme le fait remarquer saint Alphonse
de Liguori : « Autre chose est de dire que Dieu ne
Peut pas et autre chose de dire que Dieu ne veut pas
accorder ses grâces sans l’intercession de Marie ».
Bien que la distinction entre la question de fait
et la question de droit soit assez délicate, elle est
cependant nécessaire à la faiblesse de notre intelli -
gence, contrainte d’élaborer des concepts multiples et
distincts pour comprendre l’unité des œuvres divines.
Non seulement l’intercession de Marie dépasse celle
des autres saints par son efficacité et par son univer -
salité ; mais Marie a été investie par Dieu d’une
fonction et d’un privilège qui n’appartient qu’à elle
seule. I<a différence qui existe entre la médiation de
Marie et la médiation des autres saints n’est pas
une simple diff érence de degrés : c’est une différence
essentielle. Da médiation de Marie est d’un autre
28 ROLE DE MARIE

ordre. Les grâces divines peuvent être communiquées


aux hommes sans la médiation de tel ou tel saint ;
mais Dieu a établi que les biens surnaturels ne des-
cendraient sur la terre que par la médiation de sa
mère. L'intercession des saints est subordonnée à celle
de Marie ; pour être efficace, elle doit être transmise
au Christ par la Vierge. C'est ce qu'exprime saint
Anselme dans le texte que nous citions, il y a un
instant : « Si vous gardez le silence, personne ne
priera pour moi, personne ne m'aidera ; mais parlez,
et tous prieront pour moi, tous s'empresseront de
me secourir ». Tel est le décret divin.
Mais quelle est l'étendue du privilège accordé à
'

Marie ?

§ 2 - ÉTENDUE DU RÔLE MÉDIATEUR DE MARIE

i ° Par rapport aux moyens généraux de salut .

Comment faut-il entendre que les grâces divines


descendent sur la terre en passant par ses mains ?
Est-ce uniquement en ce qu'Elle a été constituée par
son divin Fils la protectrice de l'Église, qui est le
moyen universel de salut et à laquelle sont ordonnées
d'une certaine manière toutes les grâces de sancti -
fication ?
Sans aucun doute, cette fonction a été confiée à
Marie. C’est à la suite du miracle de Cana, opéré sur
sa demande, que les disciples, premier noyau de la
société chrétienne, crurent dans le Maître ; Elle a
DANS L’APPLICATION DES GRACES 29,
coopéré à la fondation de l’Église et à la propagation
de l’Évangile ; Elle a contribué par ses prières à la
première effusion du Saint-Esprit sur les Apôtres au
jour de la Pentecôte ; et les effusions postérieures de
l’Esprit Sanctificateur sur l’Église et sa divine Hiérar-
chie se font toujours par sa médiation. Elle continue à
inspirer les prédicateurs de la divine Vérité et à pro-
téger l’œuvre du Christ contre les attaques de l’enfer.
C’est à la Vierge bénie que la Tradition catholique
attribue la destruction des hérésies dans le monde
entier : Gaude Maria Virgo, cunctas hcereses sola
interemisti in universo mundo 1.
Eéon XIII énumère dans son Encyclique Adjutricem
populi (5 sept. 1895) les bienfaits que Dieu a accordés
à l’Église par l’intercession de Marie :
« Et certes 2, il ne paraîtra pas exagéré d’affirmer
« que c’est principalement sous la conduite de la
« Vierge Marie et avec son aide que la doctrine et
« les lois de l’Évangile se sont répandues si rapidement,
« à travers des obstacles et des difficultés immenses,
« dans l’universalité des nations, inaugurant partout
« un nouvel ordre de justice et de paix. C’est ce
« qui a inspiré l’âme et la prière de saint Cyrille
d’Alexandrie, lorsqu'il s'adresse en ces termes à la
« Vierge : Par vous , les apôtres ont prêché aux nations
^ la doctrine du salut ; par vous, la Croix bénie est
« célébrée et adorée dans le monde entier ; par vous, les
« démons sont mis en fuite et Vhomme est rappelé au
« ciel ; par vous , toute créature retenue dans les erreurs
x. Office de la Sainte Vierge , I'* Ant. du 3* Nocturne.

*cq.
.
2 I*éON
Cf . —
XIII, Adjutricem poturti . Act'i I*eonis ZQI, Tome XV, p. 303,
aussi Actes de Lion X I I I , Bonne Presse.
30 ROLE DE MARIE

« de Vidol âtrie est ramené e à la connaissance de la


« v é rit é ; par vous, les fidè les sont parvenus au saint
« bapt ême, et dans toutes les nations des É glises ont é t é
« fond é es 1.
« Bien plus, comme l’a proclamé le même docteur,
« c'est Elle qui a donné et consolidé le sceptre de la
« vraie foi ; et elle n 'a cessé de s'employer à maintenir
« parmi les peuples, ferme, intacte et f éconde, la foi
« catholique. Il existe sur ce point des preuves nom-
« breuses et assez connues, et qui ont éclaté parfois
« d 'une manière admirable 1 1 *

« Ce fut surtout aux époques et dans les pays où


« il y avait à déplorer l 'alanguissement de la foi par
« suite de l'indiff érence, ou son ébranlement par le
« fléau pernicieux des erreurs, que le secours miséri-
« cordieux de l’auguste Vierge se fit sentir. Alors, grâce
« à son impulsion et à son appui, des hommes éminents
« en sainteté et en zèle apostoliques se sont levés pour
« repousser les efforts des méchants et ramener les
« â mes à la piété de la vie chrétienne ».
C’est la Vierge Marie qui a suscité les Pères et les
Docteurs de l’Église. « C'est à Celle, en effet, qui est
« le Siè ge de la divine Sagesse qu 'ils rapportent avec
« reconnaissance la f éconde inspiration de leurs écrits,
« et c'est par Elle , par conséquent, et non par eux -
« mêmes que la malice des erreurs, comme ils le
« proclament , a été confondue . Enfin les Princes et
« les Pontifes romains, gardiens et défenseurs de la
« foi, les uns dans la direction de leurs guerres saintes ,

. S. CYRILLE D ALEXANDRIE,
1 Hom. Contra Nestorium. P. G., t. LXXVII,
eol. 991.
DANS L'APPLICATION DES GRACES 311
« les autres dans la promulgation de leurs décrets so-
« lennels, ont toujours imploré le nom de la divine
« Mère, et n’ont jamais manqué d’éprouver sa puis -
« sance et sa faveur.
« C’est pourquoi , avec autant de vérité que de
« magnificence , l ’Église et les Pères rendent gloire à
« Marie : Salut , ô bouche toujours é loquente des apôtres ,
« ô solide fondement de la foi , rempart iné branlable de
« l’ É glise 1 ; salut , ô vous , par qui nous avons é t é inscrits
« au nombre des citoyens de V É glise une , sainte , aposto-
« lique 2 ; salut , source merveilleuse d' où jaillissent les
« fleuves de la Sagesse divine , qui roulant les eaux très
« pures et trè s limpides de Vorthodoxie , refoulent le flot
a des erreurs 3. Ré jouissez - vous , parce que , seule , vous
« avez détruit toutes les hé ré sies dans le monde entier 4 ».
Cette part que la très Sainte Vierge a eue dans
l'expansion, les combats, les triomphes de la foi
catholique, manifeste avec évidence le plan divin à
son égard. Dieu l’a établie reine et protectrice de l’É-
glise. Elle est chargée de conserver intacte la Foi et
la Charité dans la société fondée par Notre-Seigneur
Jésus-Christ ; elle est chargée d’étendre à travers
tous les peuples et toutes les parties de l’univers le
royaume de Dieu . C'est par son entremise que les
grâces et les dons sanctificateurs de l’Esprit -Saint se
répandent sur l’Église et sur ses membres.
De la sorte, Marie participe dé jà à l’application
générale de toutes les grâces divines ; car si des

x . Tiré de l’hymne grec : àx à x «rto ç


a . S. JEAN DAMASCèNE : Sermon pour l’annondation de la Sainte Vierge .
3 * S. GERMAIN de Constantinople : Sermon pour la Présentation,
4. Office de la Sainte Vierge.
3* ROLE DE MARIE

grâces peuvent être distribuées et sont distribuées de


fait en dehors de l'Église, elles ne peuvent cependant
être accordées dans l'ordre actuel sans avoir une
relation naturelle à la Société divinement fondée par
le Christ. Toute grâce conserve dans l’Église catho-
lique, ou bien oriente, dirige, conduit vers l'Église
catholique. Marie intercède pour les fidèles afin qu'ils
restent adhérents à la tête du corps mystique auquel
ils appartiennent, et afin que par un progrès continu
ils croissent dans la justice et la sainteté ; elle inter-
cède pour les infidèles afin qu’ils entendent la voix
du bon pasteur et qu'ils entrent dans l'unique bercail.
Et cette intercession de Marie, mère et protectrice de
l’Église, s’étend, au moins sous une forme générale, à
tous les bienfaits divins.

2° Par rapport à chaque grâce en particulier.

Mais le sens de la thèse que nous défendons est


encore plus déterminé. Ea Vierge participe à l’appli-
cation actuelle et spéciale de toutes les grâces sans
exception, de la grâce sanctifiante et des vertus
infuses aussi bien que des grâces actuelles et des
secours transitoires. Elle est médiatrice pour chaque
homme en particulier. Tous les dons surnaturels1,
considérés dans leur ensemble ou dans le détail de
leur distribution, nous viennent par Marie. Elle
n'intercède pas seulement pour nous d'une façon
générale, elle nous assiste dans chacun de nos besoins,
x. U n’est pas question, dans cette doctrine, des biens d’ordre temporel
et terrestre.
DANS L'APPLICATION DES GRACES 333
dans chacune des circonstances de notre vie. Da Sainte
Vierge n'est pas dispensatrice des seules grâ ces pour
l'obtention desquelles son intervention a été sollicitée
explicitement ou implicitement ; que nos prières soient
adressées directement et uniquement à Dieu , ou qu el-
les s'adressent à d 'autres saints, la médiation de Marie
est toujours nécessaire. I,e sens de la thèse est donc
universel et absolu : Dieu a établi la Vierge Marie
dispensatrice de ses dons, de telle sorte qu 'aucune
grâce, quelle quelle soit , ne descend du ciel sur la
terre sans passer par les mains de Marie.
Sans doute la distribution des dons divins par droit
propre et privé appartient au Christ : c’est en effet
par sa mort qu 'il les a obtenus ; seul, il est , de par
sa nature et sa puissance , le médiateur de Dieu et
des hommes. Toutefois, en raison de la communion
de douleurs et d 'angoisses entre la mère et le fils,
il a été donné à cette Auguste Vierge d 'être auprès de
son fils unique la très puissante médiatrice et avocate
du monde entier 1.
L,a Sainte Vierge n’est donc pas la cause principale
de l’application de la grâce . C’est à Dieu seul qa’il
appartient de produire la gr âce au fond de l’â me, car
il s'agit là d’une œuvre é quivalente à une véritable
création. Marie intervient-elle au moins comme cause
instrumentale efficiente de la production de la grâce ,
à la façon des sacrements ? Beaucoup d ’auteurs ont
pensé que Dieu se servit ainsi de la Vierge pour
sanctifier saint Jean-Baptiste dans le sein de sa mère,
au jour de la Visitation .
i . PIB X . Encyclique Ai Diem ilium.
Marie dispensatrice. S
34 ROLE DE MARIE

L'explication est fort admissible ; mais en tout cas,


il semble que ce mode f ût exceptionnel. On n ’a pas
de raison assez grave pour affirmer que Marie continue
à concourir de cette manière à l'application des grâces
divines. Il semble préf érable, avec saint Jean Eudes,
d 'entendre l'intervention de la Vierge dans le sens
d 'une causalité morale universelle. Lorsqu'elle est
appelée le « canal », « l'aqueduc » par lesquels les
eaux de la vie surnaturelle se répandent sur la terre,
il faut se garder de prendre ces expressions dans un
sens matériel. Elles signifient seulement que toutes les
grâces nous viennent par la médiation et par l'inter-
cession de Marie.

* *
Tels sont, en effet, les deux modes suivant lesquels
la Sainte Vierge participe à l'application des grâces
divines : par voie de médiation et par voie <¥ interces
sion.
-
Bien que ces deux voies se ressemblent beaucoup, il
existe entre elles une diff érence.
La médiation s'étend non seulement au présent et
à l’avenir, mais aussi au passé. Une grâce est due à
la médiation d 'un saint, lorsqu 'elle est accordée en
considération de ses mérites. Toutes les grâces qui
ont été distribuées depuis la faute originelle et qui
seront distribuées jusqu 'à la fin du monde, sont dues
à la médiation de Marie. C'est ainsi que saint Bernardin
de Sienne (et après lui saint Alphonse de Liguori) a
pu dire : « Toutes les miséricordes et les grâces reçues
DANS L’APPLICATION DES GRACES 355
par les pécheurs sous l'ancienne loi, ne leur sont
accordées qu 'à la considération de Marie ». Entendue
dans ce sens, la participation de la Vierge à la dis-
pensation des dons divins, dans la ligne de cause in-
strumentale et entièrement dépendante, n 'a aucune
limite, ni dans l'espace ni dans le temps.
1/ intercession est un mode plus spécial et plus res-
treint qui rentre dans la médiation. Elle suppose
évidemment l’existence de l'intercesseur, et c'est pour -
quoi elle ne vaut que pour le présent et l’avenir. De
cette manière, Marie n 'est distributrice des grâces
divines que pour les âmes du Nouveau Testament
Précisons encore, et, sans nous demander en quelle
mesure l'intervention de la Vierge a été nécessaire
pendant la durée de sa vie terrestre, disons que depuis
son Assomption et son couronnement au ciel, toutes
les grâces nous viennent par son intercession. Consi-
dérée pendant le temps postérieur à l'Assomption ,
l’intercession de Marie, dans un ordre secondaire et
subordonné, est aussi universelle que celle de J ésus :
elle s'étend à tous les hommes, à tous les lieux, elle
s'applique à tous les dons de la grâce sans exception.
Dans cet exposé, il s'agit principalement de la voie
d’intercession et de suffrage.
On dira, et l'objection a déjà été proposée maintes
fois : Marie ne peut intercéder actuellement pour
chacune des grâces conf érées aux hommes, si elle ne
connaît pas tous nos besoins, tous nos pieux désirs,
toutes nos prières. Une telle science est-elle possible ?
H suffira de répondre que les saints, dans le ciel,
reçoivent une science proportionnée à leur degré de
3^ ROLE DE MARIE

gloire et aussi à la fonction spéciale que Dieu leur a


confiée. Puisque Dieu a donné Marie pour m ère à tous
les hommes, il a d û lui accorder en mê me temps la
connaissance de tous les intérêts spirituels de ses
enfants. Puisqu 'il l’a établie dispensatrice de ses grâces,
il se doit à lui-même de lui communiquer la science
requise pour remplir parfaitement ce miséricordieux
office . En prouvant que, de par la volonté divine,
toute grâce nous vient par Tintercession de Marie,
nous aurons démontré du même coup quelle connaît
toutes nos prières et tous les inté rêts de nos â mes
De sens précis de l’assertion « toutes les grâces
viennent par Marie » para ît donc être celui-ci : toutes
les grâces depuis la faute originelle jusqu 'à la fin du
monde, par la médiation de Marie ; toutes les grâces
depuis l’Assomption à la fois par la médiation et
l’intercession de Marie .
Mais les grâces sacramentelles n’échappent-t-elles
pas à cette universelle médiation de la Vierge ? Voil à,
semble-t-il, une exception qui s 'impose : les sacrements
produisent infailliblement la grâce ex opéré operato,
toutes les fois qu 'il n ’y a pas d ’obstacle en celui qui
les reçoit . Aucune intervention ne peut s 'insérer entre
l’application du signe sacramentel et l 'effet produit,
et il ne reste pas de place pour un intermédiaire dans
Tordre de la causalit é efficiente.
Rien de plus certain . Mais la causalité de Marie
est d ’un autre ordre , et dans cet ordre , les grâces
sacramentelles, aussi bien que les autres, nous viennent
par son entremise. Elle a mérité d 'un mérite de con-
venance l’institution des sacrements, et la vie sur-
DANS L’APPLICATION DES GRACES 377
naturelle qu’ils produisent dans les âmes découle de
cette source inépuisable quelle a contribué à faire
jaillir sur le Calvaire. De plus, les sacrements ne sont
pas appliqués à tous : les uns les reçoivent, les autres
en sont privés ; les uns s’en approchent fréquemment,
d'autres ne s’y fortifient qu’à de longs intervalles ;
les uns, animés de contrition et de ferveur, y trouvent
un principe de progrès et de croissance spirituelle ;
pour d’autres, ils sont des instruments de mort. D’où
vient cette diff érence ? C’est l’intercession de Marie
qui nous envoie les ministres dispensateurs des saints
mystères ; c’est elle qui nous procure la faveur de
recevoir les sacrements ; c'est elle qui nous obtient les
dispositions requises pour nous en approcher sainte-
ment et en retirer des fruits de salut.
Il n’y a donc aucune exception, aucune limite à
l'universalité de la médiation et de l'intercession de
la Sainte Vierge. Elle intervient dans l’actuelle distri-
bution de tous les dons qui nous viennent de Jésus.
Ea nature et l’étendue de la médiation de Marie
sont exposées avec la plus rigoureuse précision par
un grand théologien de notre temps, son Ém. le
.
cardinal Billot : « .. Voilà très précisément ce que
« nous entendons par ce titre magnifique de M ère de
« grâce , que lui attribue (à Marie) la piét é chrétienne.
« Nous entendons que c’est de sa médiation et de son
« intercession, que dépend la distribution du trésor
« acquis par J ésus pour le salut des hommes ; que
« donc, aucune grâce ne nous vient , à nous tous en
« général et à chacun de nous en particulier, qu ’elle
« n’ait demandée pour nous ; et que, selon l’ordre
3« ROLE DE MARIE

« établi par Dieu, elle fut en ce sens et de cette manière,


« constituée sous Jésus-Christ, après Jésus-Christ et
« par J ésus-Christ dont elle ne se peut séparer jamais,
« source et principe pour nous de toute vie surna-
« turelle 1 ».
%
i. S. Bm. !e Card. BILLOT : Introduction à l'ouvrage du P. Balnvel « Mari*
Mire 4* grâce * , p. VIII - IX . Paria , 1921.
CHAPITRE II
Démonstration de la Doctrine

Apportons maintenant les preuves de cette doctrine:


elles sont de trois sortes. Tes premières sont des
raisons de convenance théologique ; les deuxièmes
sont tirées des paroles et des faits évangéliques ; les
troisièmes enfin résument renseignement de la tra-
dition catholique manifesté par les témoignages des
Pères et des Docteurs, par les prières et les formules
de la liturgie, et surtout par les Encycliques des
Souverains Pontifes. Ces arguments se fortifient les
uns les autres, et considérés dans leur ensemble et leur
connexion convergente, ils semblent produire une
véritable certitude.

Notre dessein étant d’insister de préf é rence sur


l’argument de tradition, il nous suffira d ’indiquer très
sommairement les deux premiers chefs de preuves.

§ CONVENANCE THéOEOGIQUE .

D'argument de convenance théologique est implicite-


ment contenu dans les pages qui précèdent .
Marie appara ît indissolublement associée à J ésus
dans le plan rédempteur. Il convient d ès lors qu’elle
40 ROLE DE MARIE

lui reste unie dans l'œuvre de sanctification par


laquelle s 'achève dans le temps l'exécution du plan
unique conçu dans l'éternité.
Dieu pouvait se passer du consentement de la Vierge,
mais, l'ayant fait coopérer au mystère de l'Incarnation
qui est le principe universel de la grâce, il se doit à
lui-même de l'associer à toutes les autres opérations
de la grâce qui n'en sont que des dépendances, suivant
le mot si profond de Bossuet.
Nous avons montré que Marie a participé, par un
mérite de convenance, à l'acquisition de toutes les
grâces qui découleront sur le monde. Par une consé-
quence naturelle, elle possède, suivant la forte ex
pression des docteurs de l'Église, une sorte de juri-
-
diction sur le trésor des biens de la Rédemption. Elle
a mérité d'être l'instrument par lequel Jésus dispense
toutes les grâces de salut .
§ 2. FAITS ÉVANGéLIQUES.

Plusieurs faits racontés dans les saints Évangiles


révèlent avec évidence le plan de Dieu à l'égard de
la Vierge. C'est par l'entremise de Marie que saint
Jean-Baptiste est sanctifié dans le sein de sa mère.
Ee miracle de Cana , sur lequel est fondée la foi des
Apôtres, est d û à l’intercession de Marie. C'est la
prière de Marie qui appelle sur l’Église, au jour de la
-
Pentecôte, l'abondance des dons du Saint Esprit. Or
ces trois faits ont une signification qui dépasse les
circonstances particulières où ils se sont produits :
ils manifestent la loi divine de la sanctification des
DANS L ’APPLICATION DES GRACES 411

â mes.Ils sont le parfait exemple de toutes les opérations


de la grâce jusqu 'à la fin des siècles.
Et puisque la médiation de Marie a été nécessaire
pour obtenir cette première distribution des grâces
divines, elle sera également indispensable pour toutes
les distributions postérieures de grâces, qui en sont
des conséquences et des imitations Ainsi se découvre
à nous la loi de sanctification établie par la miséricorde
de Dieu 1. D’après le récit inspiré (saint Math. 2-11) ,
les mages venant adorer J ésus, le trouvèrent avec
Marie sa m ère : « invenerunt puerum cum Maria matre
ejus ». Telle est la disposition générale de la Provi-
dence : on ne peut trouver J ésus qu’avec Marie. Or
on ne peut avoir la vie sanctifiante qu’en trouvant
Jésus, en s’unissant à Celui qui est la Voie, la Vérité
et la Vie. C’est pourquoi l’influence de Marie est
nécessaire pour la sanctification des âmes rachetées
Ee Christ a promulgué lui-même, en mourant sur
la Croix, le décret éternel de Dieu lorsqu’il a prononcé
ces deux mots sublimes dans leur simplicité : « Voici
votre mè re ! Voici votre fils » !
Aux pieds de la Croix saint Jean représentait tous
les hommes et plus spécialement tous les chrétiens 2 ;
et en la personne du disciple bien-aimé, la Vierge
nous a acceptés tous pour ses enfants. Ea parole de
Jésus : « voici votre mère », sanctionne le passé ; elle
nous dit que Marie a été vraiment la mère des vivants
1 . Chacun des « Faits Evangé liques » a été é tudi é à part comme argument
de la « Maternité de Grâce, par MM. Bainvel , Tanguy , Pérennès, Gry , Picaud
et Chapron au Congrès marial du Folgoat , en 1913.
2. « In Joanne autem , quod perpetuo sensit Ecclesia , designavit Christus
personam humani generis, eorum in primis qui sibi ex fide adhærescerent ... »
LéON XXII . Rncycl. Adjvtricem Populi . Acta ., t. XV , p. 302 .
42 ROLE DE MARIE

par sa coopération à l’œuvre de la Rédemption.


Mais cette divine parole regarde surtout l’avenir, elle
signifie que Marie sera notre mère principalement à
partir du moment de la Passion. Et comment le
sera-t-elle, puisque la rançon du péché est déjà payée,
sinon par cette sollicitude de chaque instant pour
notre salut, sinon par cette communication incessante
de la vie surnaturelle qui nous rend de plus en plus
conformes à Jésus ? En nous donnant Marie pour
mère, le Sauveur nous apprend que nous devons
recourir à elle dans tous nos besoins et que tous les
dons de la grâce nous viennent par ses mains : telle
est la volonté divine solennellement exprimée.
Puisque Marie est mère de Jésus, il faut qu’elle
soit aussi notre mère selon la grâce. En effet dans
l’ordre surnaturel, nous ne faisons qu’un avec J ésus ;
nous sommes les membres du Corps mystique dont il
est la tête, Ees infidèles eux-mêmes sont appelés à
faire partie du corps de Jésus-Christ. Suivant les
paroles de saint Augustin, le Christ complet, ce n est
pas le Christ seul, mais le Christ avec son corps
mystique. C’est pourquoi, en enfantant Jésus, Marie
nous engendre tous, en tant que nous sommes incor -
porés à Jésus ; et comme c’est la grâce qui est le
principe de cette incorporation, il faut conclure qu’elle
nous enfante à la vie surnaturelle, qu'elle est pour
nous mère de grâce.
E'analyse des fonctions de la maternité nous amène
à la même conclusion. Une véritable mère n'engendre
pas seulement ses enfants ; elle les nourrit ; elle les
aide à faire les premiers pas ; elle les élève et les façonne
DANS L’APPLICATION DES GRACES 433
jusqu’à ce qu’ils soient devenus des hommes parfaits,
lorsque l’enfant se blesse, c’est vers sa mère qu’il
court, c’est elle qui le soigne et le guérit. Ainsi en
-
est il dans la vie spirituelle. Pour qu’elle soit notre
mère au sens parfait du mot, il ne suff ît pas que
Marie ait donné au monde Jésus-Christ, principe de
notre vie : il faut qu’elle nous enfante actuellement
à la grâce surnaturelle, qu’elle fasse de nous des enfants
de Dieu, il faut qu’elle conserve et augmente en nous
cette vie divine, et nous aide à progresser jusqu’à ce
que notre croissance spirituelle soit achevée. Lorsque
le péché fait des blessures à notre âme, c’est elle
qui, s’appuyant sur les mérites de son Fils, nous
obtient miséricorde et pardon. Soustraire quelque grâ-
ce à la médiation et à l’intercession de Marie, ce
serait amoindrir sa maternité.

§ 3. L ENSEIGNEMENT DE LA TRADITION
CHRÉTIENNE.

C’est la tradition qui nous a guidés dans l’exposé


des raisons théologiques et dans l’interprétation des
faits évangéliques. Il faut maintenant considérer la
Tradition en elle-même, en tant que source de la
Révélation , et en tant qu’expression de l’enseignement
infaillible de l’Église.
Bien que le contenu de la Révélation ne puisse plus
s’accroître et que la foi catholique soit immuable,
cependant il y a un progrès véritable dans la connais-
sance et l’explication de certaines parties du donné
révélé. En ce sens, il est légitime d’admettre un
44 ROLE DE MARIE

développement du dogme et ce développement est


manifeste pour la vérité que nous défendons

i° Les Pères.

Pendant les premiers siècles, les Pères n ’affirment


pas formellement la participation de la Sainte Vierge
à l’application actuelle et spéciale de toutes les grâces
divines. Mais ils lui attribuent des titres et des privi-
lèges qui contiennent implicitement cette doctrine .
D’une commune voix, ils appellent Marie notre mère \
la mère de tous les vivants 2. Or, nous l’avons vu , le
rôle d’une mè re n’est pas seulement d’engendrer son
enfant, mais de l'élever jusqu’à ce qu’il ait atteint
l’âge adulte. La maternité de Marie n’aurait pas le
sens parfait que les Pères lui donnent , si la Vierge
ne concourait pas constamment à nous obtenir et à
nous communiquer les grâces de sanctification. C 'est
surtout par son intercession actuelle auprès de son
Fils glorifié que Marie se montre pleinement notre
mère 3.
.. . . .
1 S. AMBROISE ( t 399) De Inst Virg c. 14 .
Virg n° 6, etc.. . — S. AUGUSTIN. De Sancta

( t 450) . Serin. 64 , etc. ..


.
2 . S. EPIPHANE ( t 403 ) . Adv Hceres , 78 , n° 18 . S. PIERRE CHRYSOLOGUE
3 . Les textes des Pères et des Théologiens, très explicites pour exprimer
la médiation universelle de la Sainte Vierge, n ’affirment pas toujours d’une
maniè re expresse son intervention dans la dispensation de chaque grâce en
.
particulier Hais comme le fait remarquer justement le P. Bainvel : * les
« raisons apportées pour la médiation universelle et pour la maternité de
« grâ ce en général valent également pour toutes les grâ ces ; rien n’autorise
« ni une limitation ni une exception. Il serait donc arbitraire d’en introduire,
« et il faut prendre les textes et les raisons dans toute leur ampleur et dans
toute leur portée. Ce n ’est que logique... D ès lors la question de la coopé-
« ration à toutes les grâ ces sans exception ne se pose pas comme une question
« à part . Elle est iucluse dans la question gé nérale de la médiation universelle
« et de la maternit é de grâce. Il n’y a m ême pas à raisonner , au sens propre
du mot pour conclure de l’ une à l’autre. Il n’y a là qu’une seule et même
vérité, plus ou moins explicitement exprimée ». ( Marie , Mire de grâce,
P . 97 -98. )
DANS L'APPLICATION DES GRACES 45
Sans aucune restriction , ils proclament Marie la
médiatrice du monde 1. Or elle ne serait pas médiatrice
dans la signification complète du mot, si les grâces de
justification et de progrès ne nous venaient par sa
médiation incessante, Les Pères n'assignent aucune
limite à la médiation de Marie : dans leur pensée, cette
médiation ne s'arrête donc pas au jour de la Passion,
elle continue au ciel
Sans distinction de passé et de futur, ils disent que
Marie est la cause de notre vie , la cause de notre salut 2.
Que signifient ces paroles ? La Vierge est tout d 'abord
cause de notre vie et de notre salut , parce qu 'elle nous
a donné le Sauveur et qu'elle a coopéré à son sacrifice.
Mais cette causalité est encore éloignée ; pour être
cause de notre vie d 'une façon prochaine et immédiate,
Marie doit contribuer à nous donner, à chaque instant,
tous les dons célestes qui nous vivifient et nous justi-
fient, car la vie de l'âme et le salut ne sont possibles
que par la grâce surnaturelle.
Au témoignage des Pères les plus anciens, Marie est
constamment associée à J ésus comme Ève le fut à
-
Adam. Cette affirmation n'implique t-elle pas que la
Vierge reste collaboratrice de Jésus dans toutes ses
œuvres et principalement dans la répartition des biens
de la rédemption ?
Enfin les Saints Pères répètent à l'envi que Marie
est la seule ressource de l'humanité déchue, Vunique
espérance des chrétiens, que seule elle fait pleuvoir
. .
z. Cf . S. EPHREM ANTIPATER. SOPHRONIUS (Cf. PASSAGI,IA : Dt Immacuiato
Conceptu noa 1388-1490) .
2 . Cf . S. IR£N£E, S. EPKREM, S. EPIPHANE, S. PIERRE CHRYSOLOQUE, S. Jé-
. .. . . - .
RôME, S AUGUSTIN, etc . (Cf Passaglia Ib\d . n 1388 1490)
"
46 ROLE DE MARIE

sur eux les biens du ciel 1. Ces expressions n excluent


pas évidemment la médiation souveraine et principale
du Sauveur ; mais elles signifient que Marie a reçu
en partage un privilège qui n 'appartient à aucune
autre créature, quelle est, en un certain sens, Tunique
médiatrice, après J ésus-Christ, qu'elle lui est insépa-
rablement unie et participe à toutes ses fonctions.
Peu à peu les témoignages de la tradition se préci-
sent, et bientôt ils attestent la croyance explicite au
pouvoir incomparable de Marie. Tels sont dé jà les
passages où les Pères, énumérant les diverses grâces
accordées aux hommes, les attribuent toutes sans
aucune réserve à l'intercession de la Vierge. N'est ce *

pas affirmer équivalemment que tous les bienfaits


divins nous viennent par elle ? Ainsi s'exprime saint
Cyrille d 'Alexandrie ( f 444) dans le passage que nous
avons dé jà cité (p. 29) . Ailleurs le même saint s'écrie :
« Salut à vous, Mère de Dieu, par qui.. les églises .
orthodoxes se sont multipliées dans les cités, dans les
bourgs et dans les îles Salut à vous, Mère de Dieu,
par qui nous est venu le vainqueur de la mon et
l'exterminateur de l'enfer... Salut à vous, mère de
Dieu, par qui toute âme fidèle est sauvée.. a » Repro- .
duisons encore cette prière que l'Église a prise dans
les œuvres de saint Augustin pour l'introduire dans
l’office de la Sainte Vierge : « Sainte Marie, secourez
les malheureux, aidez les pusillanimes, donnez la force
aux faibles ; priez pour le peuple, intervenez en faveur
du clergé, intercédez pour le dévot sexe f éminin Que .
1. Cf . PASSAGLXA : De Immaculato Concept«, n°* 1521-1530 ; 1434-1438
». S. CYKIIXK ALEX. Encom. in S. M . Deip . P. G. LXXVII, col. 1033.
.
DANS L'APPLICATION DES GRACES 47
tous ceux qui vous célèbrent éprouvent les bienfaits
de votre assistance. »
On le voit , les Pères rapportent à la médiation de
Marie les grâces accordées dans les diverses circonstan-
ces de la vie et à toutes les catégories de personnes.
Aucun don céleste n ’est exclu de cette universelle
intercession.
* **
Parcourons les principaux té moignages de la tra -
dition o ù Marie nous est présentée comme la dispen -
satrice des grâces divines. Quelques textes très anciens
peuvent dé jà être interprétés dans ce sens. Saint
Irénée (mort en 202) écrit : « Marie devint par son
obéissance la cause du salut de tout le genre humain ».
( Contra H œr. 1/. III, c. 22) . Ne faut-il pas entendre
que la Sainte Vierge est la cause de notre salut, non
seulement par son fiat prononcé librement , mais encore
par sa médiation actuelle et incessante auprès de
Dieu 1 ?
Dans les prières attribuées à saint Êphrem ( f 373) .
et qui, en tout cas, remontent à une haute antiquité,
nous lisons : « Ma très sainte Dame, Mère de Dieu,
pleine de gr âce, la commune gloire de notre nature,
le canal de tous les biens, la reine de toutes choses
après la Trinité, la médiatrice du monde après le
.
Médiateur.. Car c 'est toi qui as enlevé les larmes de
la face de la terre ; c 'est toi qui as rempli la création
r. Dans un rapport au Congrès Marial de Bruxelles, 1921, le P. Galtier, S. J.
de S. Irénée (1. IV, adv. hæreses, chap. 33.

a heureusement interpré té dans le sens de la maternit é de grâ ce deux passages
.
Migne, P. G t . 7, col. 1074 c
.
et 1088 B.). Mémoires et rapports du Congrès Marial de Bruxelles, p 40-45.
.
48 ROLE DE MARIE

de toutes sortes de bienfaits, qui as réjoui les habitants


des deux et sauvé ceux de la terre... Par toi nous
tenons les gages certains de notre résurrection ; par
toi nous espérons obtenir le royaume céleste.. Par .
toi toute gloire, tout honneur, toute sainteté, depuis
le premier Adam jusqu'à la consommation des sièdes,
a été, est et sera donnée aux apôtres, aux prophètes,
aux martyrs, aux justes et aux humbles de cœur,
ô seule immaculée, et en toi, ô pleine de grâce, se
.
ré jouit toute la création.. » ( Precat . 4 ad Deip . ) 1.
Empruntons encore quelques paroles aux hymnes
« de Beata Maria » qui semblent bien être de saint
Éphrem : « Heureuse celle qui est devenue pour la
création la source versant tous les biens ! D’elle a
resplendi, la lumière pour les créatures ; qu’on la
prodame bienheureuse autant qu’il le faut !.. » Lamy : .
S. Ephraemi Syri hymni et Sermones, 4 vol. Malines,
1882-1902. T. II, p. 547.
Antipater, Évêque de Bostra ( f 458) , s'écrie en
s'adressant à la Vierge : « Salut à vous qui intercédez
librement comme médiatrice pour le genre humain ».
( Hom. in Joan. Bapt.) 2.
A partir du VIIIe siède, les témoignages deviennent
de plus en plus nombreux et explidtes.
Saint André de Crète (f 720) s'adresse en ces termes
à la Vierge mourante : « Partez donc, partez en
paix ; quittez cette demeure terrestre pour aller rendre
Dieu propice à nous, sa créature. Vivant parmi nous,
vous n'étiez possédée que par une minime partie de
x. Optra ( Assemani) t. III, p. 528-532.
2. Hom. in Joan. Bapt. P. G., t. LXXXV, col. x 77« -
DANS L'APPLICATION DES GRACES 499
notre terre. A présent que vous montez aux deux, le
monde entier vous embrassera comme son propitiatoire
universel 1 ».
Saint Germain de Constantinople ( f 733) excelle à
prodamer les grandeurs de Marie : « Vos bienfaits,
dit-il, sont innombrables... Personne, ô très sainte,
n'est sauvé que par vous. Personne n'est délivré du
mal, sinon par vous, ô immaculée. Personne, ô très
pure, ne reçoit les dons de Dieu sinon par vous.
Personne, ô très honorée, à qui la miséricorde divine
accorde la grâce, si ce n'est par vous 2 ».
n'est pas isolé : saint Germain ne se lasse pas de ré-
— Ce texte

péter la même doctrine Dans un autre sermon, nous


lisons : « Votre intercession est notre vie .. car si vous.
ne dirigez nos pas, personne ne deviendra spirituel,
personne n'adorera Dieu en esprit et en vérité• •
Personne n 'est rempli de la connaissance de Dieu
sinon par vous, ô très sainte. Personne n'est sauvé
que par vous, ô mère de Dieu ; personne n 'échappe
au péril, sinon par vous, ô Vierge Mère. Personne ne
reçoit aucun don de la miséricorde divine, sinon par
vous, ô pleine de grâce 3 ».
Saint Jean Damascène ( f 748), qui le premier donna
un exposé systématique des vé rités de la foi, affirme
le privilège de Marie en termes très clairs : « Mais la
mort, dit-il à la Vierge, ne peut vous garder sous
son empire ; et vous verserez perpétuellement sur le
monde les purs, immortels et toujours inépuisables
x. ANDRéAS Cret. Sorm. 3. in Dormit. B. V . M . P. G. XCVII, col. xxoo
{traduction du P. Terrien.)
3. Saint GERMAIN, Hom. in S . Zonam. n° 3. P. G. XCVIII, col. 380 ( trad.
du P. Terrien ).
3. Saint GERMAIN, Serm. in. Dormit. B. M . V . n° 2. P. G. XCVIII, col. 349.
Marie dispensatrice. 4
4
50 ROLE DE MARIE

rayons de la lumière et de la vie , les fleuves de la


grâce, les sources des guérisons et des bénédictions
célestes1 ». Il s’agit dans ce texte de la médiation
de Marie après l’Assomption . Ailleurs, dans une
énumération éloquente, le même saint attribue toutes
les catégories de grâces à l’intercession de Marie.
« Salut à vous, par qui nous sommes enrôlés dans
l’Église une , sainte, catholique, apostolique . Salut à
vous, par qui nous rendons nos hommages à l 'adorable
et très salutaire croix. Salut à vous , par qui nous
possédons la foi qui éclaire et qui sauve les â mes 2 » •• »

Saint Théodore Studite ( f 806) prononce ces belles


paroles : « Très douce colombe, élevée par un ineffable
essor vers les régions den haut, elle ne cesse de
prot éger nos basses régions. Des hauteurs des cieux,
elle met en déroute les démons : car elle est là notre
constante médiatrice auprès de Dieu 3 ».
Saint Jean, archevêque des Eucha ïtes, s’exprime
encore d ’une façon plus nette : « Elle monte au
sé jour de l ’éternelle paix ; mais il ne faut pas croire
que nos inté rêts vont lui devenir moins chers et
moins sacrés. Maintenant et toujours, elle s’occupe
de notre malheureuse terre • * Par elle nous avons
l’être, le mouvement et la vie. Par elle nous mourons
avec la confiance de trouver la béatitude après notre
passage ; et pour tout dire en un mot , tout ce qu’il
y a d ’heureux pour nous dans la vie présente et dans

1 . S. J . DAMASCèNE, Homil . in . Dormit . Deip . Virg . nn 10. P . G . XCVI ,


col . 176 ( trad . du P. Terrien. )
2 . S. J . DAMASCèNE , Hom . in . Annunc . B . M . I ". P . G . XCVI, col . 656
( trad . du P . Terrien. )
3 . Saint THéODORE , Stud . Orat . In Dormit . Dcipar œ . P. G . XCIX, col . 721 .
( trad. du P. Terrien ) .
DANS L'APPLICATION DES GRACES 511
la vie future, tout, dis-je, nous vient par elle : car en
tout temps et de toute manière elle nous rend pro -
pices et son Fils et le Père de miséricorde, en sorte
qu elle nous obtient et nous obtiendra de lui tous les
.
biens .. 1 »
Une oeuvre attribuée à Saint Üdephonse de Tolède
( t 667) et qui, sans être de lui, est cependant très
ancienne, contient ces mots adressés à la Vierge :
« Dieu a mis entre vos mains tous les biens qu'il a
voulu accorder à ses saints : c'est à vous en effet qu'ont
été confiés les trésors des grâces divines ». ( In Coron.
Virg. c. 15) 2.
Saint Pierre Damien (f 1057) est l'écho fidèle de
la tradition : « Dans vos mains, dit-il à Marie, sont
les richesses des miséricordes divines ». Et il ajoute
qu'un si grand privilège a été réservé à la seule
Mère de Dieu : sola elecia es cui tanta gratia conce -
datur 8.
On se souvient en quels termes expressifs saint
Anselme | ( 1109) enseigne que les intercessions des
saints, pour être efficaces, doivent passer par Marie.
Ua conséquence nécessaire c'est que toute grâce
descend sur les hommes par l’intercession de la Vierge.
Saint Eadmer ( f 1124) reproduit fidèlement la
doctrine de son maître Anselme : « O notre Dame,
s'écrie-t-il, nous vous en conjurons, par la faveur du
Dieu très puissant et très bon qui vous a si prodi -
gieusement élevée, de ce Dieu qui vous a rendu

.
x . JOAN KUCHAIT, StTM . in S . Deip , Dormit , n° 32. P. G. CXX , col. 1109-
x i i i (tiad. du P. Terrien) .
. XCVI, col. 304.
2 In Coron. Virg . P. Io , t.
3. Strm. d$ Nat . Virg . —
P. Lat. t. XCLIV, col . 740.
52 ROLE DE MARIE

-
possible avec lui tout ce qu'il peut lui même, obtenez-
nous de lui que la plénitude de grâces méritée par vous
nous rende, un jour, participants de l’étemelle récom-
pense1 ».
Saint Bernard (f 1153) surtout mérite d’être cité
toutes les fois que l’on traite des privilèges de la
Vierge Marie, parce qu’il est un des plus grands doc-
teurs de la théologie mariale. Il faudrait reproduire
en entier son sermon de Aquceductu ; force est de
nous borner à de courts extraits : « Quelle est la source
de la vie sinon J ésus-Christ Not re-Seigneur. . ? Ea .
source s’est écoulée jusqu’à nous et ses eaux se sont
répandues sur nos places... Cette eau céleste descend
vers nous par un aqueduc mystérieux et l’aqueduc
est plein afin que tous reçoivent de la plénitude.
Vous avez compris dé jà quel est cet aqueduc dont
je parle, qui a reçu la plénitude de la source du cœur
du Père et nous la transmet. Vous savez à qui il a
été dit : Ave, plena gratia, salut, pleine de grâce••a
Tout ce qu’il y a en nous d’espérance, tout ce qu’il
y a de grâce, tout ce qu’il y a de salut nous vient
de celle qui s’élève vers le ciel, inondée de délices 2 a aa

Donc, de toute la tendresse de nos cœurs, de tout


notre pouvoir d’aimer, de tous nos vœux les plus
ardents, honorons et vénérons cette Vierge Marie :
telle est la volonté de Celui qui a voulu que nous
ayons tout par Marie. Et cette volonté est toute à
notre avantage 3 ».
Cet axiome « tout pour Marie » formulé pour la
z. Saint KADMER. De Excellent B. M . V . c. xa. (trad. du P. Terrien).
2. Saint-BERNARD. Sermo de aqvaductu , Migne, P. L,. t. 183, ool . 440.
3. Saint-BKRNARD. Sermo de aqtuedudu, col. 441. ( trad. du P. Terrien).
DANS L'APPLICATION DES GRACES 533
première fois par saint Bernard, sera désormais adopté
par la Théologie catholique ; la liturgie le répétera ;
les Souverains Pontifes l'approuveront dans leurs
Encycliques : sic est voluntas ejus qui totum nos habere
voluit per Mariant . Ees gracieuses comparaisons em-
ployées par saint Bernard deviendront classiques :
Marie est l'aqueduc mystérieux par lequel Dieu répand
sur les hommes les flots vivifiants de la grâce ; elle est
l'échelle symbolique qui réunit le ciel et la terre ; elle
est le cou mystique qui transmet à tous les membres
les énergies de la tête.

2° Les Théologiens.

Ee bienheureux Albert le Grand (f 1280) a consacré


un volume entier à célébrer les louanges de Marie 1.
Il la salue comme la « distributrice universelle de
tous les biens célestes ». ( Quaest , super Missus est .
Q. 29, § 2) . Plus loin, il écrit encore ( quaest. 164, p. 116):
« Parmi les plénitudes de grâces il y a celle qui reçoit
uniquement pour donner et c'est la plénitude du canal.
Or la Bienheureuse Vierge a cette plénitude : car
toutes les grâces sans exception passent par ses
mains ».
« En enfantant le Christ, dit saint Thomas (f 1274) ,
la Bienheureuse Vierge a fait en quelque manière
découler les grâces sur tous les hommes ». (III P.
Q. XXVII. a. 5 ad. 1.). Ee saint docteur explique
davantage sa pensée dans son Commentaire sur la
Salutation angélique : « Ea Vierge est appelée pleine de
.
z. B. ALBERT LE GRAND, tom. XX, des Œuvres fidit. Lyon, 1531.
54 ROLE DE MARIE

grâce, parce quelle répand cette vie divine sur tous


les hommes ».
Saint Bonaventure ( f 1274) est pleinement d’accord
avec ses deux illustres contemporains. Il enseigne que
Dieu a confié à Marie le royaume de la miséricorde.
Il emploie cette gracieuse comparaison (Serm. 74 de
Nativitate Domini) : Comme la lune, placée entre le
soleil et la terre, rend à la terre la lumière qu'elle
reçoit du soleil, ainsi Marie, médiatrice entre Dieu et
nous, transmet à la terre les célestes influences qu'elle
reçoit du divin soleil.
-
Ainsi parle également Richard de Saint Eaurent
( t 1245) : « De même que personne ne va au Père
si ce n’est par le Christ ; de même le Christ paraît
dire de Marie : personne ne peut venir à moi si ma
mère ne l’a pas tiré par ses prières ». [ De Laudibus
B. M . V . XII, c. 2).
Raymond Jordân , Idiota (f 1381) et Gerson ( f 1429)
redisent la même vérité. Saint Bernardin de Sienne
(t 1444) est le digne émule de saint Bernard par sa
dévotion envers la Vierge : « Toute grâce communiquée
aux hommes dans ce siècle l’est par une triple pro -
cession : car elle va du Père au Christ, du Christ à la
.
Vierge et de la Vierge à nous.. En effet, à partir
de l'heure où elle conçut le Fils de Dieu dans son
chaste sein, elle a joui d'une espèce de juridiction
ou d’autorité sur toutes les processions temporelles
-
du Saint Esprit, en sorte que nulle créature ne reçoit
de Dieu aucune grâce dont Marie ne soit la dispen -
satrice... Elle peut donc être appelée justement la
pleine de grâce , puisque toute grâce coule par elle
DANS L’APPLICATION DES GRACES 555
sur l’Église militante 1 ». « Telle est , dit-il encore,
l'économie des grâces qui descendent sur le genre
humain : Dieu en est la source universelle, le Christ
le médiateur universel , Marie la distributrice univer-
selle. Ta Vierge , en effet , est le cou mystique de notre
tête divine ; c’est par cet organe que les dons célestes
sont communiqués au reste du corps 2 ».
Saint Antonin de Florence ( f 1459) répète l 'axiome
de saint Bernard : « C'est par Marie que descend du
ciel tout ce qu’il y a de grâce à venir dans le monde 3».
A partir du XVIIe siècle , la pieuse doctrine devient
commune parmi les théologiens. Suarez ( f 1617 ) De
Mysteriis vitcz Christi, disp. 23, sect. 3, § 5; De In-
carnatione Disp . 18 sect. IV, saint François de Sales
( f 1622 ) , Bellarmin 4 ( f 1621) , Petau 5 ( f 1652 ) ,
*

Contenson 6 ( f 1668) , etc... l'exposent dans leurs ou-


vrages. Reproduisons seulement un passage de saint
François de Sales : « Mais remarquez que sainte
Élisabeth reçut le Saint -Esprit par l'entremise de la
Sainte Vierge pour nous montrer que nous devons
nous servir d’elle comme médiatrice envers son divin
Fils pour obtenir le Saint-Esprit , car bien que nous
puissions aller à Dieu directement et lui demander
ses grâces sans nous servir de l’entremise de la Sacrée
Vierge et des saints, néanmoins II n 'a pas voulu que
.
1 . Saint BERNARDIN DE SIENNE . Serm. de Annunciat 6 a i . c . 2 . ( trad . du
.
P Hugon ) .
. . .
2. Saint BERNARDIN DE SIENNE. Serm 10 in quadrag a 3, c. 3. ( trad du .
.
P Hugon ) .
3 . Saint ANTONIN. O . P. Summa , P. IX , tit. 15, c. 20.
.
4. BELLARMIN . S. I. Concio. 42, De Nativitate Beatce Virginis Et Alibi .
Defensio « Salve Regina » .
. .
3. PETAU , S. I De Incarnatione Lib. XIV, c. IX , Œ uvres, tome. VI, Paris,
1544 .
6. CONTENSON , O. P. Theologia mentis et cordis , tom . II, L X, D. 6, c. 1
-
et passim.
56 ROLE DE MARIE

cela f ût ainsi •• ( Sermon pour la Visitation ) 1 On


» .
retrouve chez Bellarmin et Contenson les comparai -
sons, désormais classiques, de l’Aqueduc et du Cou
mystique.
Citons encore saint Laurent Justinien : « I<a grâce
de Marie fut grande, débordante et palfaite, puisqu’elle
a donné la gloire aux deux et présenté Dieu à la
terre ; elle a donné la joie aux anges et la paix aux
siècles ; elle a enseigné la foi aux nations et mis fin à
la corruption antique. Comment Marie ne serait-elle
pas, suivant la parole de l’ange, pleine de grâce, elle
qui est devenue la Mère de Dieu, l’échelle du paradis,
la porte du del, l’avocate du monde, la terreur des
démons, l’espérance des pécheurs et la très véritable
médiatrice entre Dieu et les hommes » ? (Sermon pour
l’Annonciation).
Bossuet, en qui l’on entend toute la tradition,
affirme à plusieurs reprises que Marie partidpe à
toutes les opérations de la grâce : car tel est le décret
divin. Nous l’avons dé jà cité plus d’une fois 2. Qu’on
écoute encore ces paroles : « Dieu ayant une fois voulu
que la volonté de la Sainte Vierge coopérât offidelle-
ment à donner Jésus-Christ aux hommes, ce premier
décret ne change pas, et toujours nous recevrons
Jésus par l’entremise de sa charité 3 ». « Vous avez
en vos mains, vous avez, si j’ose le dire, la def des
bénédictions divines. C’est votre Fils qui est cette
def mystérieuse par laquelle sont ouverts les coffres

-
x. Sermon pour la Visitation. Œuvres. Paris. Albanel, 1839, t. II, p. 3 x0
3 x1.
S. Cf. p. 12.
3. 4* sermon pour la ffite de l’Annonciation.
DANS L’APPLICATION DES GRACES 57
du Père Éternel : il ferme et personne n’ouvre, il
ouvre et personne ne ferme. C’est son sang qui fait
inonder sur nous les grâces célestes. Et à quel autre
donnera-t-il plus de droit sur ce sang qu’à celle d 'où
il a tiré tout son sang 1 » ?
Ee Bienheureux Grignon de Montfort ( f 1716) s 'est
fait lardent propagateur de cette consolante doctrine.
Dans son admirable « Trait é de la vraie Dévotion à la
Sainte Vierge », il la donne comme le solide fondement
de notre culte et de notre amour filial pour la mère
de Dieu : « Dieu le Fils a communiqu é à sa Mère
tout ce qu’il a acquis par sa vie et sa mort , ses mérites
infinis et ses vertus admirables, et il l’a faite la
trésorière de tout ce que son Père lui a donné en
héritage ; c’est par elle qu 'il applique ses mérites à
ses membres, qu 'il communique ses vertus et distribue
ses grâces ; c'est son canal mystérieux, c’est son
aqueduc, par où il fait passer doucement et abondam-
ment ses miséricordes. Dieu le Saint -Esprit a
communiqué à sa fid èle épouse ses dons ineffables, et
il l’a choisie pour la dispensatrice de tout ce qu’il
possède : en sorte quelle distribue à qui elle veut ,
autant quelle veut, comme elle veut et quand elle
veut , tous ses dons et ses grâces, et il ne se donne
aucun don céleste aux hommes qui ne passe par ses
mains virginales. Car telle est la volonté de Dieu qui
a voulu que nous ayons tout en Marie ••• Voilà les
sentiments de l’Église et des Saints Pères 2 ».
.
1 BOSQUET, 2 • sennon pour le vendredi de la
. . .
lyebarcq. Œ uvres orat I, p 86
iM semaine de la Passion ,

. .
z GRIGNON DE MONTFORT Traité de la .
vraie Dévotion Cbap. I, ig # édition,
.
Oberthur, p. 14
58 ROLE DE MARIE

Dans son livre sur les « Gloires de Marie », où la


plus profonde science théologique est rendue acces-
sible à tous, saint Alphonse de Diguori ( f 1787)
prouve par de nombreux textes de la Tradition que
toutes les grâces nous viennent par l'entremise de la
Vierge. Une brève remarque lui suffit pour renverser
les fragiles objections mises en avant par des esprits
inconsidérés : « Autre chose est de dire que Dieu ne
peut , et autre chose de dire qu’il ne veut pas accorder
ses grâces sans l 'intercession de Marie... Nous confes-
sons, ajoute-t-il, que Jésus-Christ est l 'unique mé -
diateur de justice, le seul qui nous obtienne par ses
mérites les grâces et le salut ; mais nous disons que
Marie est médiatrice de grâce ; et tout en reconnaissant
qu'elle n 'obtient rien , si ce n'est par les mérites de
Jésus-Christ, et en vertu d ’une prière faite au nom
-
de J ésus Christ, nous ajoutons toutefois que toutes les
grâces que nous demandons nous sont accordées par
le moyen de son intercession ». ( Gloires de Marie ,
Ire Partie, chap. V.)
Il faut enfin citer saint Jean Eudes ( f 1680) qui
développe cette vérité dans de nombreux passages de
son ouvrage « De Cœur Admirable » avec une remarqua-
ble et touchante insistance : « L/ Homme-Dieu a opéré
notre rédemption comme cause première et souveraine
et par ses propres mérites ; et sa très sainte mère y a
coopéré comme cause seconde et dépendante de la
première et par les mérites de son Fils » ( C œur Admi-
rable. Liv. II, ch. 4, sect . 2 ) . « De cœur de Marie ,
dit-il encore, coopère avec celui de son Fils J ésus à
la consommation de son œuvre... en distribuant aux
DANS L'APPLICATION DES GRACES 599
hommes avec une très grande charité les fruits de
la vie, de la passion et de la mort de son Fils, c'est-à-
dire les grâces et les bénédictions qu'il leur a méritées
durant le cours de sa vie mortelle et passible, et
dont son cœur maternel est comme le dépositaire et
le gardien. Car, comme elle a conservé dans ce grand
cœur tous les mystères que son Fils a opérés ici-bas
pour notre Rédemption, Maria conservabat omnia
verba haec in corde suo ; ainsi cet adorable Rédempteur
a déposé dans le cœur de sa très chère mère toutes
les richesses qu'il a acquises et tous les biens étemels
qu'il a amassés durant les 33 ans de sa demeure en
ce monde. Le Sauveur, dit saint Bernard, a versé à
pleines mains, sans mesure et sans bornes, tous ses
trésors dans son sein : Salvator in ejus sinum omnes
thesauros suos absque mensura transfudit. H a voulu
qu’elle soit la trésorière de ses dons et de ses grâces,
et il a résolu de n'en donner aucune à qui que ce
.
soit que par son entremise .. Oui, mère de grâce,
vous êtes la trésorière de la très sainte Trinité, qui
conservez en votre sein et votre cœur tous les trésors
de Dieu pour les distribuer aux pauvres, c'est-à-dire,
aux pécheurs. Ce que vous faites avec une libéralité
digne de votre magnificence royale suivant l'ordre
de la divine Providence et la conduite de la très sainte
volonté de Dieu ». ( Cœur Admirable, liv. II , ch. 4,
sect. 2.)
« Or , entre ces fontaines de grâces, le Cœur de la
Mère de grâce est la première et la principale, mais
qui a de grands avantages et privilèges par dessus les
autres. Premièrement, en ce qu’il a reçu dedans
6o ROLE DE MARIE

soi en plénitude toutes les eaux de la grâce... Secon -


dement, en ce que Dieu lui a donné des pouvoirs
très singuliers et qui n’appartiennent qu’au cœur d 'une
mère de Dieu, de les communiquer et distribuer par
plusieurs voies extraordinaires, qui ne sont connues
que de Celui qui l'a voulu honorer de ses prérogatives.
Nous savons seulement que sa divine bonté n’a
jamais départi ni ne départira jamais aucune grâce
ni faveur à personne, qui ne passe par les mains et
par le Cœur de Celle qui est la trésorière et la dis-
pensatrice de tous ses dons ». ( Cœur Admirable, L II, .
-
c. 5 » P 176 seq.)
De nos jours, la pieuse croyance semble ne plus
rencontrer d’adversaires parmi les Catholiques1. Bien
au contraire, elle est accueillie par le consentement
unanime de tous les théologiens qui ont abordé la
.
question ex professo Un des Évêques les plus illustres
de l’Église de France, le Cardinal Pie, la prêchait du
haut de la chaire avec une suave éloquence : « En
effet c’est un principe certain que Marie est investie
du soin de la dispensation des grâces. Bossuet a mis
dans tout son jour cette vérité qui est une conséquence
de la maternité divine ... Ainsi Dieu est le principe
de toutes les grâces, Marie en est l’instrument et
l’instrument volontaire. Dieu en est la source, Marie
en est le canal intelligent. Dieu en est l’auteur, Marie
en est la libre distributrice. Vous l’avez entendu de
. .
z n faut toutefois faire une exception Anton Fischer a publié dans la
collection des suppléments hebdomadaires de la Postxeitung d’Augsbourg
(13 f évrier 1024 ) un article qui est une véritable offensive contre la dé votion
.
a Marie Médiatrice Mais l'auteur n’a pas compris le vrai sens de cette doc
trine ; et il se laisse manifestement influencer par les préjugés protestants .-
U n’y a pas à en tenir compte.
DANS L’APPLICATION DES GRACES 61l

cette bouche si grave : les diverses applications de la


grâce aux diff érents états qui composent la vie chré-
tienne sont du ressort de Marie 1 ».
hes familles religieuses du Bienheureux Grignion
de Montfort , du P. Kudes, de saint Alphonse de
Iâguori, animées de l’esprit de leurs fondateurs,
rivalisent de zèle pour répandre la doctrine de Marie
Médiatrice et faire honorer sous ce vocable la Mère
du Rédempteur , hes Ordres plus anciens ne le cèdent
en rien aux Congrégations modernes dans la dévotion
envers Marie : les Bénédictins et les Cisterciens ont
recueilli l ’héritage du grand saint Bernard ; les Carmes,
les Franciscains, les Dominicains, les J ésuites se glo-
rifient également d 'avoir produit des théologiens qui
ont été parmi les plus ardents défenseurs de l'univer-
selle médiation de Marie 2.

Depuis les dernières années du XIXe siècle, ce


point de doctrine a été l’objet d’études plus appro-
fondies. Qu ’il suffise de citer : Aug. Nicolas : Marie
dans le plan divin, liv. III ; le P. Petitalot : la Vierge
M ère , c . XVI ; le P. Jeanpacquot : Simples explications
sur la coopération de la trè s sainte Vierge à V œuvre de
la Rédemption ; Fe cardinal Deschamps : la Nouvelle
Eve ; M. Sauvé : J ésus intime , t . I I I ; le P. de la Broise,
S. J . [ Études , mai 1896, ibid . 1900) . —
Quelques ou -
vrages surtout méritent une mention toute spéciale,

1. Discours prononcé le 21 septembre 185 g , pour la Consécration de l’Église


de Notre - Dame de Bon-Encontre, pendant le concile provincial d’Agen. )
Cf . Mercier : La Sainte Vierge d' apris Mgr Pie, p. 158 . Œ uvres de Mgr Pie ,
Oudin, Poitiers, 1866 , t . III, p. 466.
2 . Cf . les rapports sur le culte de la Sainte Vierge dans les Ordres religieux
3m « volume du Congrès Marial de Bruxelles.
62 ROLE DE MARIE

parce qu'ils sont dus à des théologiens de première


valeur et qu'ils traitent la question avec une ampleur
et une érudition remarquables : Ce sont ceux de
.
Mgr Lépicier 1 ; du P. Terrien S J. a ; du P. Hugon,
O. P. 8 ; du P. Christian Pesch 4, S. J . ; du P. Bainvel,
S. J . 5 ; du P. Bover, S. J . 6 ; du P. Godts 7, rédemp
toriste, Mgr Sinibaldi 8, etc•• m
-
De nos jours les Congrès se sont multipliés en l'hon-
neur de Marie. Le mémoire du P. Bainvel « Marie
mère de grâce », fut présenté au Congrès marial inter
national de Fribourg en 1902. Le Congrès Marial
-
breton, dont les travaux forment une théologie
mariale complète, a consacré deux sessions entières
à la maternité de grâce de la Sainte Vierge, envisageant
la question sous tous ses aspects. 1+e congrès de
Guingampen 1910 (Librairie Prud 'homme, StBrieuc),
a traité de la coopération de Marie à l'œuvre de Notre
Seigneur depuis l'Incarnation jusqu'à la croix ; celui
-
du Folgoat en 1913 a étudié dans toute son ampleur
le rôle de la Sainte Vierge dans l'actuelle distribution
1 . Mgr LêPICIBR , des Servîtes de Marie : Tractatus de Beatissima Virgin
Maria . Lethielleux, Paris. Du même auteur : l' immaculée Mire de Dieu*,
corédemptrice du genre humain, Belgique, Turnhout , 1906.

2 . R. P. TERRIEN', S. J. ta Mire de Dieu (2 vol.) et la Mire des hommes
( 2 vol.) . Lethielleux, Paris. Véritable somme mariale ou se trouvent rassemblés
tous les textes des Pères. La doctrine de la M édiation universelle est développée
dans la M ère des hommes , surtout dans le premier volume.
3. R . P. HUGON, O . P. La Mire de grâce , Lethielleux, Farts.
4. R. P. CHRISTIAN PBSCH, S. J. : Die selige Jungfrau Maria, die Vermittlerin
aller Gnaden. Fribourg en Brisgau, 1923.
3. R . P. BAINVEL, S. J. Marie, Mire de grâce , étude doctrinale, avec une
introduction magistrale de S. f îm. le cardinal Billot Paris, Beauchesne, 1921 .
Du même auteur un article sur Y Intercession universelle de Marie , dans
le Dictionnaire Apologétique Jaugey d’Alês, article Marie, S V.
6. R. P. BOVER, S. J . De Beata Vsrgine Maria universali gratiarum média -
trice. Barcelone, 192 x . Plusieurs articles du même auteur dans la Revue
Gregorianum, Rome, 1924 -1923 .
7 . R . P. GODTS, Rédemptonste. De definibilitate mediationis universalis
Deiparee, Bruxelles, 1904. — Du même, la Corédemptrice, Bruxelles, 1920.
8. Mar Sinibaldi, secrétaire de la S. Congr. des Séminaires et des Univer-
sités : Il cuore d é lia Maire di A more . Rome, 1925.
DANS L'APPLICATION DES GRACES 633
de toutes les grâces (de Kerangal, éditeur, Quimper
1915) : c'était l'unique question mise à l'ordre du jour.
L'universelle médiation de la Sainte Vierge fut
aussi le principal objet du Congrès Marial de Bruxelles
en 1921. (Cf . Mémoires et rapports du Congrès Marial,
édités par l’Action catholique, 79, Chaussée de Haecht ,
Bruxelles). Ces volumes contiennent des études re-
marquables en français et en flamand.
Pour être complet , il faudrait signaler encore la
brochure si substantielle et si pleine d'onction du
R. P. Gauderon, eudiste : Le Très Saint C œur de
Marie , son influence sur le salut et la sanctification
des âmes, d'après saint Jean Eudes (Paris,Lethielleux) ;
— et divers articles dans la Revue Liturgique et
Monastique, par Mgr Jansens ; dans la Revue Ecclé -
siastique de Liège, par le P. Merckelbach ; dans la
Semaine Catholique de Fribourg, par le P. Comerson ;
dans la Revue du Clergé Français, par M. l'abbé
Girerd, etc•••
Le mouvement d'études sur la médiation universelle
de Marie et de dévotion à Marie mère de grâce, se
développe avec une intensité et une amplitude pro-
videntielles, surtout en France, en Belgique, en Es-
pagne.
3°.— La Liturgie.

La tradition catholique se manifeste dans les écrits


des Pères et des Docteurs ; elle s'exprime aussi avec
une égale autorité dans les prières et les formules de
la Liturgie. En effet, la liturgie traduit en acte la
croyance de l'Église ; chaque jour, elle présente aux
64 ROLE DE MARIE

fidèles d'une façon simple et concrète les plus hautes


vérités de la foi. Impossible de développer ici, comme
il le faudrait, l'argument liturgique ; qu'il suffise de
l'indiquer brièvement.
On peut rattacher à la liturgie les anciennes pein
tures des catacombes, car elles se trouvent dans des
-
salles où les premiers chrétiens se réunissaient, aux
jours anniversaires, pour honorer les martyrs et
assister au Saint Sacrifice. Plusieurs de ces peintures
attestent que, dès l'origine même de l'Église, les
fidèles eurent une grande dévotion envers la Sainte
Vierge. Une fresque du IVe siècle, retrouvée dans le
cimetière de Sainte-Priscille, semble se rapporter
spécialement à la thèse que nous défendons. La
Vierge est représentée sous forme d'orante, les bras
étendus ; devant elle se tient l'Enfant Jésus. N'y a-t-il
pas là une claire allusion au pouvoir d'intercession de
la Mère de Dieu ? Cette mystérieuse attitude ne signi -
-
fie-t elle pas, tout à la fois, que Marie est notre
constante médiatrice auprès du Tout-Puissant, et que
sa médiation est fondée sur les mérites infinis de
Notre-Seigneur Jésus-Christ ?
L'enseignement de la Liturgie s'est précisé de plus
en plus à travers les âges. Au commencement et à la
fin de chaque heure canoniale, l'Église oblige ses
prêtres à joindre l’ Ave Maria au Pater noster. Elle ne
cesse de recommander la fréquente récitation du
Rosaire qui est une longue suite à! Ave Maria. Dans
les dangers les plus pressants, elle exhorte les chrétiens
à invoquer avec ferveur le secours de Marie. Ne
nous apprend-elle pas ainsi que, si le Christ est le
DANS L'APPLICATION DES GRACES 655
médiateur nécessaire entre Dieu et les hommes, Marie
est secondairement notre universelle et nécessaire
médiatrice ?
Dans l’hymne Ave Maris Stella , en usage depuis
le XIIe siècle, et qui remonte peut-être au VIIIe,
l’Église chante ces belles strophes : Solve vincla reis ,
Profer lumen cœcis, Mala nostra pelle, Bona cuncta
posce. Monstra te esse matrem, Sumat per te preces
Qui pro nobis natus Tulit esse tuus. « Brisez les liens
qui enchaî nent les coupables, donnez la lumière aux
aveugles, écartez de nous les maux, obtenez-nous tous
lés biens. Montrez-vous notre mère : qu 'il reçoive
par vous nos prières Celui qui , naissant pour nous,
a voulu devenir votre Fils ». Ces paroles contiennent
toute la doctrine de la maternité de grâce : Monstra
te esse matrem. De rôle de Marie dans la distribution
des biens surnaturels y apparaît comme une consé-
quence de la maternité divine : Tulit esse tuus. C’est
la Vierge qui est chargée de présenter à Dieu nos
prières : Sumat per te preces. Sa médiation s 'étend à
tous nos besoins et nous communique toutes les
grâces : écartez de nous les maux , obtenez-nous tous
les biens. Une strophe oppose Marie à la premiè re
Ève par le gracieux anagramme, si souvent exploité
dans la suite : Ave-Eva.
Sumens illud Ave ,
Gabrielis ore,
Funda nos in pace
Mutans Evae nomen.

D’Église demande que la glorieuse intercession de


Marie dispensatrice. S5
66 ROLE DE MARIE

Marie nous protège et nous conduise à la vie étemelle :


Intercessio gloriosa nos protegat et ad vitam perducai
.
œternam 1 Dans l'oraison ordinaire de la messe et de
l'office de la Sainte Vierge, elle supplie Dieu, par
l’intercession de la Bienheureuse Marie, de nous déli -
vrer de la tristesse présente et de nous accorder la
joie étemelle *. Iy'Église s'adresse à Marie en toute
circonstance, au milieu de toutes les nécessités, comme
pour signifier que tout nous vient par elle. Elle l'appelle
« notre vie, notre espérance, notre saint , notre avocate,
la ressource des infirmes, le refuge des pêcheurs, Vauxi
liatrice des chrétiens, la mère de miséricorde ; elle l'in-
-
voque comme la porte du ciel, par laquelle la céleste
demeure est accessible à tous ». Elle lui applique ces
paroles des Eivres Saints : « En moi est toute espérance
de vie et de vertu ; en moi est toute grâce de vie
et de vérité ; celui qui m’aura trouvée trouvera la
vie et puisera le salut dans le Seigneur, etc.. » Ces .
textes ne montrent-ils pas suffisamment la croyance
de l’Église à l'universelle et nécessaire intercession
de Marie ? Nous pouvons citer des textes encore
plus formels. Voici, par exemple, l'oraison de la f ête
du Cœur Immaculé de Marie, refuge des pécheurs
(dans le propre de Paris, pour Notre-Dame des
Victoires) : « Dieu très clément qui, pour procurer le
« salut des pécheurs et donner un refuge aux mal -
ci heureux, avez voulu que la Vierge-Marie f ût la

« Mère de votre Fils Unique et la dispensatrice de ses

z. Oraison de Compiles, Petit Office de la Sainte Vierge,


a. « Concédé nos famulos tuoa , quæsumua Domine Dcus, perpétua mentis
et corporis sanitate gaudere : et gloriosa beats Marie semper Virginia in -
Ü liber&ii triatitia, et œtema perfrui Ietltia. •
DANS L’APPLICATION DES GRACES 677
« grâces, accordez, nous vous en supplions, etc••m
« Clementissimc Deust qui ad peccatorum salutem et
« miserorum perfugium beatam Virginem Mariant,
« Unigeniti tui Genitricem, ejusque gratiarum admi -
« nistram esse voluisti, praesta quaesumus ». La post -
communion, approuvée par l’Église pour la f ête de
la manifestation de la Médaille miraculeuse, est ainsi
rédigée : « Domine Deus omnipotens, qui per Immacu-
latam Genitricem Filii tui, omnia nos ha bere voluisti,
.
da nobis.. » Seigneur Dieu tout-puissant, qui avez
voulu que nous recevions tout par la Mère immaculée
de votre Fils, accordez-nous... C’est l’axiome de saint
Bernard qui reçoit droit de cité dans la liturgie.
Les monuments liturgiques de l’Église grecque, les
Ménées, contiennent la même doctrine : « Offrons nos
acclamations à la très pure et très sainte Vierge
Marie : car c’est d'elle et par elle que découlent sur
nous, au-delà de tout ce qui se peut concevoir, les
grâces célestes : elle est le torrent de la bonté divine 1 »
La piété des fidèles a exprimé d’une manière
touchante sa croyance au privilège de Marie Médiatrice.
-
De là viennent les vocables si gracieux de Notre Dame
-
de grâce, Notre-Dame des grâces, Notre Dame de Touies -
A ides, etc., sous lesquels la Sainte Vierge est fré-
quemment honorée.
Dès le XVe siècle, en 1471, Bruxelles, la cité mariale
par excellence, avait vu se dérouler dans ses murs
une majestueuse procession ou Marie était acclamée
comme la véritable médiatrice. Cette invocation fut
chantée à diverses reprises : « Notre Médiatrice, vous
1. Ex Mm. Fête de S. TMophane, iy janvier, Od. ai.
68 ROLE DE MARIE

qui êtes notre unique espérance après Dieu, présentez-


nous à votre Fils ».
C est encore à la Belgique que revient l’honneur
d'avoir sollicité et obtenu,en faveur de cette prérogative
de Marie, le plus irrécusable témoignage de la liturgie,
couronnement de tous les autres. De Saint Siège, sur
les instances de l'Épiscopat Belge, vient d ’accorder
aux Églises de Belgique, et à toutes celles de la
chrétienté qui en feront la demande, un office et une
messe propres, à la date du 31 mai, en l’honneur de
Marie Médiatrice de toutes les grâces. D’Espagne tout
entière, presque tous les diocèses de France, la plupart
des Ordres religieux ont adopté la nouvelle f ête avec
un pieux empressement . De Souverain Pontife Be-
noît XV fit savoir au Cardinal Mercier qu’il avait
lui-même inscrit dans son calendrier privé la f ête de
Marie Médiatrice. Tout porte à croire quelle deviendra
bientôt une f ête de l’Église universelle. Des lettres
que S. Ém. le cardinal Mercier a reçues des archevêques
et évêques du monde entier en réponse à la commu-
nication qu’il leur avait faite de la précieuse faveur ,
en fournissent le plus heureux augure D C'est une véri-
table manifestation de l’Épiscopat catholique appelant
de ses vœux la proclamation authentique du dogme
de l’universelle médiation de Marie.
Des diverses parties de l’Office recueillent les plus
beaux textes de l’Écriture et de la tradition sur Marie
Mère de grâce ; l’oraison résume admirablement toute
la théologie de la Médiation universelle :
z . Voir des extraits de ces lettres en appendice aux Actes du Congrès
Marial de Bruxelles, p. 652 -680.
DANS L'APPLICATION DES GRACES 699
« Seigneur Jésus-Christ, notre médiateur auprès du
« Père, qui avez daigné établir que la très Bienheureuse
« Vierge votre mère soit aussi notre mère et notre
« médiatriceauprès de vous, accordez-nous favorable-
« ment que tous ceux qui viendront à vous pour
« demander vos bienfaits aient la joie de les obtenir
.
« tous par Elle. . »

4° Les Souverains Pontifes.

Ea doctrine «Marie mère de grâce » est donc


exprimée dans les écrits des Pères, des Docteurs et
des théologiens ; elle est attestée explicitement dans
la liturgie. Il existe une manifestation encore plus
évidente et plus authentique de la tradition : c'est
l'enseignement des Souverains Pontifes, Vicaires du
Christ et investis du pouvoir suprême de diriger et
d'instruire tout le peuple fidèle. A plusieurs reprises,
ils ont affirmé que toutes les grâces sans exception
nous viennent par l’entremise de Marie. Sans doute,
ces affirmations n 'ont pas été prononcées par les
Papes en vertu de leur magistère infaillible, mais
elles se trouvent consignées dans des documents
solennels, dans des Encydiques adressées à la chré
tienté tout entière, et elles ne peuvent qu'exprimer
-
parfaitement la croyance de l’Église et la Tradition
catholique.
Benoît XIV, au début de la célèbre bulle Gloriosœ
Domina, dit que « Marie est comme le céleste canal
par lequel descendent dans le sein des infortunés mor -
tels les eaux de toutes les grâces et de tous les dons ».
70 ROLE DE MARIE

Dans la bulle Ineffabilis , par laquelle il définit le


dogme de l'immaculée Conception, Pie IX appelle la
Sainte Vierge a la très douce mère de miséricorde et
de grâce ». Il l'invoque comme « le refuge très assuré
et le secours très fidèle au milieu de tous les dangers,
la très puissante médiatrice et avocate de tout l'univers
auprès de son Fils unique » . C'est Marie qui est le
soutien inébranlable de l'Église ; c'est elle qui a détruit
toutes les hérésies ; c'est elle qui a arraché les fidèles,
les peuples et les nations aux plus grandes calamités.
Le saint Pontife exhorte les chrétiens à a recourir en
toute confiance à Marie dans toutes les tentations,
dans toutes les nécessités : car l'on n'a rien à craindre,
on n’a à désespérer de rien sous sa conduite, sous
ses auspices, sous son patronage, sous son égide. Elle
nous aime d 'un amour maternel ; et, se chargeant des
affaires de notre salut, elle intercède avec sollicitude
pour le genre humain tout entier, et elle a été con-
stituée par Dieu reine du ciel et de la terre »
Ces paroles reçoivent dans d 'autres actes de Pie IX
leur pleine explication. VEncyclique Ubi Primumt
datée de Gaëte (2 f év. 1849) et adressée aux Évêques
du monde catholique, contient cette phrase très
explicite : « Vous savez très bien, vénérables Frères,
que toute notre confiance repose sur la très Sainte
Vierge : car Dieu a mis en elle la plénitude de tout
bien ; sachons-le donc, tout ce qu'il y a en nous
d'espérance, tout ce qu'il y a de grâce et de salut
émane d 'elle• • Telle est la volonté de celui qui a
voulu que nous ayons tout par Marie 1 ».
x . Fie IX, Acta, i « voL, p. 164. « Optlme enira nostis, venerabUe* Fratre»,
DANS L'APPLICATION DES GRACES 71

L,a même doctrine se trouve avec plus de dévelop-


pement dans les admirables Encycliques que IyéonXIII
donnait chaque année à l’occasion du Rosaire, et qui,
dans leur ensemble, forment le traité le plus complet
de Théologie mariale . Avec une insistance étonnante ,
le grand Pape répète sans cesse que toutes les grâces
passent par les mains de Marie : ainsi en a disposé la
miséricordieuse volonté de Dieu . Signalons les passages
les plus importants.
Dans son Encyclique Supremi Apostolatus 1 ( ier sep-
tembre 1883) , Déon XIII proclame que la « Vierge
Marie est auprès de Dieu la médiatrice de notre
paix et la dispensatrice des grâces célestes. Elle a été
établie au ciel dans un degré éminent de pouvoir
et de gloire, afin quelle accorde le secours de son
patronage aux hommes qui marchent à travers tant
de difficultés et de périls vers la cité bienheureuse ».
Marie a reçu cette prérogative, parce qu’elle « a été
choisie pour être la mère de Dieu et qu’elle a été
associée par le fait même à l’œuvre du salut des
hommes ».
De 30 ao û t 1884 (Encycl. Superiore Anno ) ,L,éon XIII
répète encore les mêmes paroles 2 : « Dieu a établi
la Vierge Marie dispensatrice des grâces célestes ».
Deus • exaudiat tandem preces obsecrantium per eam ,
1 1

quam ipse cœlestium gratiarum voluit esse administrant .


omnem fiduciæ nostræ rationem in sanetissima Virgine esse collocatam ;
quando quidem Deus totius boni plenitudinem posuit in Maria , ut proinde si
quid spei in nobis est , si quid gratiæ, si quid salutis, ab ea noverimus redun-
dare ... quia sic est volun tas ejus , qui totum nos habere voluit per Mariam ».
1 . Acta LEONIS XIII, tome III ( Édit , officielle ) , p. 280 : • . ..Magnam Dei
Parentem Mariam Virginem, quæ pacis nostræ apud Deum séquestra et
cœlestium gratiarum administra . . . »
2 . Acta LEONIS XIII , tome IV , p. 124.
72 ROLE DE MARIE

Iy 'Encyclique Octobri mense du 22 septembre 1891


est encore, s'il est possible, plus explicite 1 : « Ee
Fils éternel de Dieu , voulant prendre la nature
humaine pour racheter et ennoblir l’homme, et devant
par là consommer une union mystique avec le genre
humain tout entier , n 'a pas accompli son dessein
avant d ’avoir obtenu le libre assentiment de la mère
qu 'il s'était choisie, et qui représentait en quelque
sorte toute l'humanité, suivant l’opinion très illustre
et très vraie de saint Thomas : Per annuntiationem
exspectabatur consensus Virginis , loco totius humance
naturœ . D'où l’on peut affirmer avec non moins de
vérité qu ’aucune parcelle de ce trésor immense de
toutes grâces accumulé par le Sauveur (car la grâce
et la vérité ont été apportées par J ésus-Christ ) , ne
nous est octroyée si ce n’est par Marie . Telle est la
volont é de Dieu : de même que personne ne peut aller
au Père , si ce n ’est par le Fils, de même, à peu près ,
personne ne peut aller au Christ qu ’en passant par
sa Mère. Et combien la sagesse et la miséricorde
divines éclatent dans cette admirable disposition . Quoi
de plus adapté à la faiblesse et à la fragilité de l’hom-
me » I Ee Souverain Pontife ajoute : « Ee dessein
d’une si douce miséricorde, réalisé par Dieu en
Marie et confirmé par le testament du Christ , a été
compris dès le commencement et accueilli avec la
plus grande joie par les saints apôtres et les premiers

1. Acta LEONIS XIII , tome XI , p. 303 : « Ex quo non minus vere pto
prieque affirmare licet nihil prorsus de permagno illo omnis gratiæ Thesauro
-
quem attulit Dominus, siquidem gratia et veritas per Jesum Christum facta
est , nihil nobis, nisi per Mariam, Deo sic volente, impertiri : ut, quo modo
ad summum Patrem, nisi per Filium , nemo potest accedere, ita fere, nisi
per Matrem, accedere nemo possit ad Christum ».
DANS INAPPLICATION DES GRACES 733
fidèles ; ainsi l’ont compris et enseigné les vénérables
Pères de l’Église ; tous les peuples y ont adhéré
unanimement ; et, même si la tradition orale ou les
témoignages écrits se taisaient, il est une voix qui
jaillit de toute poitrine chrétienne et qui parle avec
la dernière éloquence ».
Dans l’Encyclique Jucunda semper, du 8 septembre
1894 lf Déon XIII expose ainsi l’efiicacité du Rosaire :
« Vient d 'abord, comme il convient , l'oraison domi-
nicale adressée au Père céleste ; après l’avoir invoqué
par de ferventes prières, notre voix suppliante , du
trône de la divine majesté, se retourne vers Marie,
conformément à cette loi de la miséricorde et de la
prière formulée par saint Bernardin de Sienne 2 :
Toute grâce accordée aux hommes arrive jusqu’à eux
par trois degrés parfaitement ordonnés : Dieu la
communique au Christ, du Christ elle passe à la
Vierge, et des mains de la Vierge elle descend jusqu’à
nous ». D’illustre Pontife écrit encore : « Dorsque nous
implorons le secours de Marie, le fondement sur lequel
s'appuie notre prière est la fonction de médiatrice
qu’elle exerce constamment auprès de Dieu, rendue
très agréable à ses yeux par sa dignité et ses mérites,
et s'élevant bien haut par sa puissance au-dessus de
tous les autres saints. » Et il termine sa lettre par
ces paroles : « Que Dieu, Vénérables Frères, qui nous

x. LEONIS XIII, Acta , tome XIV, p. 309, 316. Antecedit, ut equum est,
drtiwiwirn oratio ad Patron cœlestem : quo eximiia postulatiombus invocato, a
solio majestatls ejus vos supplex convertitur ad Marlaxn ; non aliâ nimirum
nisi hac de qua dldmus conciliationis et suppltcationis lege, a Santo Bernat -
dino Senensi ( 3 ) in hanc sententiam expressa : ornais gratta qu* huic sœculo
conumi n icatur, triplicem habet procession ; nam a Deo in Christian, a Christo
In Virglnem, a Vitgine in nos ordinatissime dispensatur
1:« ». (p. 309. )
.
3 Saint BERNARDIN DE SIENNE , Serm . VI, de Annunciaia 1, c 2.
74 ROLE DE MARIE

a donnée dans sa bonté miséricordieuse, une telle média


trice 1 et qui a voulu que nous recevions tout par
i
-
Marie 2, daigne par son intercession et sa faveur
exaucer nos vœux communs 8 ».
Même enseignement dans l'Encyclique Adjutricem
populi 4 (5 septembre 1895). Pendant sa vie mortelle,
Marie s’est montrée la Mère des chrétiens. Mais il est
impossible de dire quelle est l’étendue et l’efficacité
de son intercession depuis son Assomption, depuis
son entrée dans la gloire céleste. « Du haut du ciel,
elle veille sur l’Église, elle nous assiste et nous protège
comme une tendre mère ; et selon les desseins de Dieu,
après avoir prêté son ministère à l'œuvre de la ré-
demption, elle coopère pareillement à la dispensation
des grâces qui découlent du Calvaire pour tous les
siècles : pour cette fin, un pouvoir, pour ainsi dire
immense, lui a été confié ».
Le 20 septembre 1896, dans l’Encyclique Fidentem
piumque 5, Léon XIII proclame que « Marie est notre
médiatrice près du Médiateur ».
Citons enfin un passage de la Lettre Encyclique
Diuturni temporis 6, adressée, le 5 septembre 1898, aux

2 . Saint BERNARD. Serm. in Nativ. B . M . V . P. h- , t. 183, col. 441.


.
x . Saint BERNAUD, d e X I I , Prerogativis B , M . V . P. L, t. 183, col. 430
3. LBONIS XIII, Acta , t. XIV , p. 316 : a Deus autem, Venerabües Fratrcs,
qui nobis talem mediatriccm benignissima. miseratione providit, quique totum
nos habere voluit per Mariant, ejusdem sufîragio et gratia, faveat commu
nlbus votis, cumulet spes. .. »
-
4. LEONIS XIII, Acta , tome XV, p. 303 : a Nam Inde, dlvino consUlo, sic
Ula cœplt advigilare Ecclesiæ, sic nobis adesse et favere mater, ut quæ sacra-
menti humanæ redemptionis patrandi administra fumât, eadem gratiee ex
UIo in otnne tempus derivandæ esset pariter administra, permiasa ei pœne
lmmensa potestate ».
5 . X,EONis XIII, Acta, tome XVI, p. 28a .
6. LEONIS XIII, Acta , tome XVIII, p. 133 : a Ab ipsa enim, tanquam uber
ritno djctu, codestium gratiarum haustus derivantur ; ejus in manlbus sunt
-
thesauri miserationum Domini. Vult illam Deus bonorum omnium esse
prindplum .
DANS L'APPLICATION DES GRACES 755
Évêques du monde entier : « De Marie, comme d 'un
canal très abondant, découlent les flots des grâces
célestes. Dans ses mains sont les trésors des miséricor-
des divines 1, Dieu veut qu'elle soit le principe de
tous les biens ».
Guidé par sa connaissance profonde des hommes
et des choses, l’illustre Pontife avait compris que le
meilleur remède aux maux présents était un accrois-
sement de dévotion envers la Sainte Vierge ; et pour
exciter les fidèles à honorer Marie chaque jour da-
vantage, il met en relief son rôle miséricordieux dans
la distribution de tous les dons de la grâce.
Pie X n'est pas moins affirmatif que son prédéces-
seur. Dans son Encyclique A d diem ilium lœtissimum
(2 f évrier 1904), à l'occasion du cinquantième anni-
versaire de la définition du dogme de l'immaculée
Conception, il enseigne que Marie est toujours et
partout associée à son divin Fils dans l'œuvre de
notre salut : « Par cette communion de souffrances
et de sentiments avec J ésus, Marie a mérité de devenir
la réparatrice de l'humanité déchue, et, par suite, la
dispensatrice de tous les trésors que J ésus nous a
acquis par son sang et sa mort.
n Sans doute la dispensation de ces trésors n 'appar-
tient de droit absolu qu 'au Christ , car ils sont unique-
ment le prix de sa mort , et lui-même est de par sa
nature médiateur de Dieu et des hommes. Toutefois,
à cause de cette communion de douleurs et d 'angoisses
entre la mère et le fils, il a été donné à cette auguste
Vierge d’être auprès de son Fils unique la très puis-
1. S. Pétri Dam. Serm. I de Nativ . Virg. P. X ,. t. CXHV, col. 740.
76 ROLE DE MARIE

santé médiatrice et avocate du monde entier. La


source est donc le Christ, et tous nous avons reçu
de sa plénitude... Mais Marie, comme le remarque
justement saint Bernard , est 1Jaqueduc ; ou, si l’on
veut , elle est le cou mystique qui rattache le corps
à la tête et qui transmet les influences et les énergies
de la tête à tous les membres du corps. Car, dit saint
Bernardin de Sienne, elle est le cou de notre Chef ,
par lequel il communique à son corps mystique tous
les dons spirituels 1 ».
Le Pape Benoît XV a enseigné r universelle mé -
diation de Marie avec la même netteté que ses pré-
décesseurs. Dans plusieurs actes publics, il en parle
comme d’une vérité déjà connue et communément
acceptée dans l’Église. La lettre adressée le 5 mai
1917 au Cardinal Gasparri, secrétaire d ’État, pour
exhorter les fidèles à implorer de Jésus-Christ la paix
par l’intercession de Marie, sa très sainte Mère ,
contient ces lignes : « Puisque toutes les grâces que
« l’Auteur de tout bien daigne accorder aux pauvres
« descendants d’Adam, sont dispensées, selon le décret
« plein d’amour de la divine Providence, par les mains
x. Acta Pn X, (officiels), tome I, p. 154 seq. : « Ex hac autem Marinm
inter et Christum communione dolorum et voluntatfa, promeruit ilia ut
repamtrix perdit! orbis dignissime fieret, atque ideo universorum munerum
dispensatrix quæ nobis Jésus nece et sanguine comparavit.
> Equidem non diffitemur horum erogatlonem bonorum privato proprioque
jure esse Christl ; aiquidem et ilia ejus unius morte nobis sunt parta, et Ipse pro
.
potestate mediator Dei atque hominum est Attamen, pro ea, quam duümus.
dolorum atque ærunmarum Matris cum Filio communione, hoc Virgin!
auguste datum est , ut sit totius terrarum orbis potentissima apud unigenitum
Fillum suum mediatrix et concUiatrix. Fons igitur Christus est, at M plani
tudine ejus nos omnes accepimus ; ex quo totum corpus compactum et connexum
-
per omnem juncturam subministrationis... augmentum corporis facit in
.
sdificationem sui in caritate Maria vero, ut apte Bernardus notât, aqueeductus
est ; aut eti&m collum per quod corpus cum capite jungitur itemque caput
in corpus vim et virtutem exerit. Nam ipsa est collum Capitis nostri, par
.. . .
fuod omnia spiritualia doua corpori ejus mystico communicantur > Saint
BBRNABDIN DB SIENNE. ( Sermo X , Quadrag. de Evangelio atarno, a 3, c 3)
DANS L'APPLICATION DES GRACES 777
« de la Vierge très sainte, nous voulons qu’à cette
« heure terrible ce soit vers l'auguste Mère de Dieu
« que se tourne vive et confiante la prière de ses fils
« en détresse... » (Acta Ap. Sedis, i juin 1917).
I<a médiation de la Sainte Vierge s exerce même pour
les grâces que nous sollicitons par l’intercession des
saints. La déclaration faite par Benoît XV, lors de
la discussion des miracles présentés pour la canoni-
sation de la BBe Jeanne d’Arc, ne laisse aucun doute
à cet égard. Da Sacrée Congrégation des Rites avait
hésité à attribuer à la Bienheureuse Jeanne d’Arc
l’un des miracles parce qu’il fut opéré à lourdes.
Ive Souverain Pontife fit pencher la balance en faveur
de l'acceptation, et voici le passage principal de
l'allocution qu'il prononça en cette circonstance, le
6 avril 1918 :
« Si dans tous les prodiges, il convient de reconnaître
« la médiation de Marie, par laquelle, selon le vouloir
« divin, nous arrive toute grâce et tout bienfait,
« on ne saurait nier que, dans un des miracles précités,
« cette médiation de la Très Sainte Vierge s'est mani -
« festée d 'une manière tout à fait spéciale. Nous pen -
« sons que le Seigneur en a disposé ainsi afin de
« rappeler aux fidèles qu'il ne faut jamais exclure le
« souvenir de Marie, même lorsqu'un miracle semble ,

« devoir être attribué à l'intercession ou à la médiation


« d 'un bienheureux ou d'un saint . Tel est l'enseigne-
« ment que nous croyons devoir tirer du fait que
« Thérèse Belin a obtenu sa guérison parfaite et
« instantanée au sanctuaire de gourdes. D’un côté,
« le Seigneur nous montrait que sur la terre même
7« ROLE DE MARIE

« confiée au domaine de sa Très Sainte Mère, il peut


« opérer des miracles par l'intercession d 'un de. ses
« serviteurs ; d'un autre côté, il nous rappelait que,
« dans ces cas aussi, il faut supposer l 'intervention
« de celle que les Saints Pères ont saluée du nom de
« médiatrice des médiateurs, mediatrix mediatorum
« omnium ». (Osservatore Romano, 7 avril 1918.)
Dans le Bref Inter Sodalitia , concédant des indul-
gences et des privilèges à l'association de la Bonne
Mort, dirigée par les Pères de Ste Marie de Tinchebray,
Benoît XV déclarait encore : « Selon l'enseignement
commun des Docteurs de l'Église, ce n 'est pas sans
un dessein spécial de la divine Providence que la
Bienheureuse Vierge Marie, qui semblait presque ab -
sente au cours de la vie publique de Jésus, lui a été
associée quand II allait à la mort et était attaché
à la Croix. De fait, la Passion et la mort de son Fils
ont été à ce point sa Passion et pour ainsi dire sa
propre mort à elle-même ; elle a renoncé si entièrement
aux droits que son titre de Mère lui donnait sur Jésus ;
et, pour satisfaire à la justice de Dieu, elle a fait si
généreusement, pour autant qu'il dépendait d'elle,
le sacrifice de son Fils, qu'on peut dire avec raison
qu'elle a coopéré au rachat du genre humain avec le
Christ. Aussi, s'il est vrai que, pour ce motif , toutes
les grâces que nous puisons dans le trésor de la Ré-
demption nous sont distribuées, pour ainsi dire, par
les mains mêmes de la Vierge des Douleurs, il est
évident que l’on doit attendre d'elle la grâce d'une
sainte mort ; n'est-ce pas en effet par cette grâce
capitale entre toutes que l’œuvre de la Rédemption
DANS L’APPLICATION DES GRACES 799
s’accomplit en chaque homme avec efficacité et d 'une
manière définitive » ? (Acta Apost. Sedis, Ier mai
1918, p. 181 sq.)
**
Ainsi, par un progrès continu, la doctrine de Marie
médiatrice et dispensatrice des grâces divines se
développe et se précise. Dès les premiers siècles, elle
apparaît enveloppée d'une manière confuse et implicite
dans les textes de la tradition. Peu à peu les affirma -
tions deviennent plus nettes, plus explicites ; et avant
la fin du VIIIe siècle, nous trouvons cette vérité
formellement exprimée, Les témoignages se multiplient
sans cesse, et bientôt aucune voix discordante ne se
fait entendre. En même temps, la pieuse doctrine est
consacrée dans les prières et les monuments de la
liturgie. Depuis le milieu du XIX® siècle surtout, ce
ne sont plus seulement des théologiens privés qui
parlent. Les Souverains Pontifes, docteurs de l’Église
universelle, ont fait entendre leur voix, et cette grave
parole ne laisse place à aucune obscurité. On peut dire
que désormais la Maternité de grâce fait partie de
l'enseignement officiel de l’Église. Ce progrès ininter
rompu ne semble-t-il pas indiquer que nous avançons
-
vers la pleine lumière d 'une définition dogmatique ?
Dieu seul le sait. Il nous est permis du moins d'appeler
ce jour de nos vœux et de le hâter par nos prières
8o ROLE DE MARIE

§4 POURQUOI DIEU A éTABLI MARIE DISPENSA-


TRICE DE TOUTES SES GRACES .

Pour quels motifs Dieu a-t-il associé la douce Vierge


à son œuvre de rédemption et de sanctification ?
Des Pères et les théologiens nous répondent qu’il l’a
fait tout ensemble pour glorifier sa sainte Mère et
par un dessein de miséricorde à notre égard.
Marie a vécu ici-bas, humble, pauvre, ignorée ; elle
a servi Dieu dans le silence et la solitude. C’est pour-
quoi Dieu l’a exaltée. Pour récompenser l’humilité
de sa mère et sa coopération fidèle aux desseins
étemels, Notre-Seigneur Ta élevée au-dessus des hié-
rarchies célestes, au-dessus de toute créature. De pou-
voir de distribuer toutes les grâces est un des plus
beaux joyaux de cette couronne que la Vierge porte
sur le front : Et in capite ejus corona stellarum duo-
decim.
Saint Bernard nous dit dans un langage admirable
comment la miséricorde éclate dans cette disposition
de la divine Providence D « Considère, ô homme, le
plan de Dieu et reconnais-y le dessein de la sagesse,
le dessein de la bont é. Avant de couvrir l’aire de
la rosée céleste, il commence par en imprégner la
toison Voulant racheter le genre humain , il en met
toute la rançon dans Marie . Pourquoi cela ? •••
« Vous n 'osiez approcher du Père . Tremblants au
seul bruit de sa voix , vous vous enfuyiez dans le
feuillage ! Il vous a donné son Fils pour Médiateur.
Que n’obtiendra pas un tel Fils auprès d 'un tel
z . Saint BERNARD, Sermo d# Aquaductu , P. Lat., tcme 183, col. 44 X.
DANS 1/ à PPLICÀ TION DES GRACES 8 ll

Père ? Il sera exaucé à cause de sa dignité : car le


Père aime son Fils. Tremblez-vous encore d 'approcher
du Fils ? Il est votre chair et votre sang, couvert de
toutes les infirmités, hormis le péché, afin qu 'il f ût
rempli de misé ricorde. Marie vous l'a donné pour
frère. Mais peut-être redoutez-vous encore en J ésus
la majesté divine : car , tout en se faisant homme, il
est resté Dieu. Voulez-vous avoir un avocat auprès
du Christ lui-même ? Recourez à Marie. En Marie,
c’est l’humanité toute pure, pure de toute tache ; en
elle il n ’y a que la seule nature humaine. Je le dis
sans hésitation : elle sera aussi exaucée pour la con -
sidération qu'elle mérite. Ee Fils exaucera sa Mère,
et le Père écoutera son Fils. Voilà l’échelle des pé-
cheurs, voilà mon plus ferme espoir , voilà toute la
raison de ma confiance ... »

§ 5- ERREUR PROTESTANTE.

Ees protestants amoindrissent la miséricorde divine,


et ils se privent de la plus compatissante des mères ,

heurs regards, en se portant vers le ciel, ne se reposent


plus dans cette vision pleine de suavité qui tempè re la
sévé rité du Souverain Juge.
Ils amoindrissent la toute-puissance de Dieu : la
revanche divine serait incomplète, et il semblerait
que Dieu n’e ût pas réussi à terrasser le démon en
retournant contre lui ses propres armes. Ee concours
de Marie à l’œuvre de notre salut ne d é roge en aucune
façon à l 'éminence de la nature divine. Bien au
contraire. Dans l 'exécution de ses desseins, Dieu aime
Marie dispensatrice . S
82 ROLE DE MARIE

à se servir des causes secondes : tel est Tordre ordinaire


de la Providence. Refuser à Dieu la faculté de faire
participer les autres êtres à sa puissance, sans d’ail-
leurs rien perdre de sa plénitude, c’est limiter sa vertu
infinie. Car, suivant la juste remarque de saint Tho -
mas, c’est l’effet d’une perfection surabondante qu’un
être puisse communiquer à d’autres les biens qu’il
possède. (Cont. Gent. 1. III. c. 69.)
En niant toute coopération de Marie à l’acquisition
des mérites de la rédemption et à la dispensation ac-
tuelle des faveurs célestes, les protestants prétendent
sauvegarder l’unité de l’œuvre rédemptrice. En réalité,
ils la détruisent. Si le Christ est seul pour nous sauver,
s’il est seul pour nous accorder les grâces du salut,
s’il n’a pas sans cesse à ses côtés la nouvelle Eve,
«

il n’est plus le nouvel Adam ; il ne s’oppose plus


parfaitement au vieil Adam dont Eve a été la con -
stante collaboratrice dans l’ouvrage de notre perte.
Le dessein de Dieu est brisé ; et les témoignages de la
plus antique tradition chrétienne ont perdu toute
signification.
Tes protestants méconnaissent la place essentielle
que Dieu a donnée à Marie dans la religion chrétienne.
Ta religion chrétienne est celle qui nous relie à
Dieu par le Christ Médiateur. Elle commence immédia -
tement après la chute originelle 1, au moment où
Dieu prononce ces paroles prophétiques, en s’adressant
au serpent infernal : Je mettrai Vinimitié entre toi et
.
la femme, entre sa race et la tienne Ta religion chré-
z. Telle est du moins l’opmion des théologiens qui suivent saint Thomas.
Pour les disciples de Scot, la religion chrétienne commence d' nru certaine
façon au Paradis terrestre.
DANS L’APPLICATION DES GRACES 833
tienne est fondée, elle est contenue substantiellement
dans l’oracle divin. Or, dès cette première origine de
notre religion, la Vierge bénie nous est présentée
indissolublement associée à Jésus, et presque sur le
même plan que lui, afin qu’il nous soit impossible de
porter nos regards sur le Fils sans les arrêter en
même temps sur la Mère. Il n'y a pas à en douter,
c’est bien le Sauveur du monde qui est annoncé ;
la destruction du péché et le renversement du royaume
de Satan n’appartiennent qu'à lui : conteret caput
tuum. Mais il n’est pas proposé seul à notre espérance,
il est proposé comme Fils de la femme, comme Fils
de la Vierge1.
Après leur faute, nos premiers parents étaient
consternés, sans espoir. « O Dieu, que le présent
était f âcheux et que l’avenir était sombre ! Devant
eux, à l’horizon, il n’y avait que des nuages menaçants,
et dans ce noir avenir aucune éclaircie ne se faisait.
Mais voici que soudain la parole de Dieu y fait briller
- -
l’arc en ciel, cet arc d’heureux présage dont l'Écriture
a dit : considérez l’arc-en-ciel et bénissez Celui qui
l'a fait... Il est le signe de l’alliance restaurée entre
les hommes et Dieu ; dès qu’il a paru, on peut espérer
..
et prévoir le retour de la sérénité. Dans le nimbe
- -
de l’arc en ciel mystique, Dieu fait para ître à leurs
yeux encore mouillés de larmes, la douce, la belle,
l’aimable, la ravissante image qu’on vénère main -
tenant dans toutes les églises du monde... l’image de
la Vierge tenant son Fils entre ses bras, « mulierem
et semen ejus ». Et au-dessus on voyait de nouveau
x. Cf . BILLOT. D* Verbo Incarnato . Êd. 4, thèse XLI, p. 382 seq.
84 ROLE DE MARIE

-
le ciel ouvert ; au dessous, la bête ou le serpent
écrasé : inimicltias ponam inter te et mulierem, et
semen tuum et semen ejus, ipsa conteret caput tuum 1 ».
Ainsi, dès cette première origine de la religion
chrétienne, Marie est mise en relief , elle est présentée
inséparable de son divin Fils. Et dans la suite des
âges, jusqu'au jour de l’accomplisse ment de la pro -
messe, elle est toujours proposée conjointement avec
lui à la foi et à l’espérance du genre humain. Ses
grandeurs sont prédites par les prophètes, et, dans
le lointain radieux, les traits ravissants de son visage
se précisent peu à peu. h'union mj^stérieuse dans sa
personne de la maternité et de la virginité est annoncée
longtemps à l ’avance : elle est le jardin fermé, la
porte par laquelle le Roi seul peut entrer ; elle est
préfigurée par les femmes les plus admirables de
l’Ancien Testament. Vers elle, en même temps que
vers Jésus, montent les soupirs des justes et les cris
d’angoisse des infortunés fils d ’Adam. Et ce n’est pas
en vain : car les grâces qui se répandirent sur les
âmes avant la naissance du Messie, furent accordées
en vue des mérites du Christ et secondairement en
vue des mérites de Marie et par sa médiation bien -
faisante.
Enfin le jour de l'accomplissement des promesses
est venu. Et la Vierge, donnant son consentement
au messager céleste, conçoit le Sauveur dans son âme
avant de le concevoir dans son sein. Elle sait déjà
par quel sacrifice sanglant sera racheté le monde
.
i Extrait d'un discours prononcé par son Éminence le Cardinal Billot
.
au Séminaire Français de Rome CX. Introd. à l’ouvrage du P. Bainvel « Marie
.
Mère de grftce »
DANS L'APPLICATION DES GRACES 855
coupable ; elle l’accepte et s’y associe dans le brisement
de son cœur maternel ; elle-même offre son Fils à
la justice de Dieu le Père. Elle l’accompagne dans ses
prédications à travers les bourgades de la Galilée.
Elle monte avec lui sur le Calvaire, et joignant son
immolation à la sienne, elle coopère réellement, bien
que d’une façon subordonnée et dépendante, à satis -
faire pour les hommes coupables et à leur mériter
les grâces inépuisables de la vie surnaturelle. Main-
tenant , assise à la droite de Notre-Seigueur dans la
gloire bienheureuse, elle lui reste indissolublement
unie pour répandre les bienfaits divins sur les â mes
rachetées et pour travailler à son œuvre de sancti-
fication. Aucune grâce ne descend sur l’Église militante
qu'en passant par ses mains ; les âmes qui souffrent
dans le purgatoire ne reçoivent que par elle réconfort
et soulagement ; les saints, dans le ciel, reconnaissent
qu’ils doivent à son intercession la f élicité dont ils
jouissent, et sont ravis de joie en la voyant exaltée
au-dessus de toute créature : c’est par elle qu'ils
présentent à Dieu leurs suppliques en faveur des
pauvres humains. Ee Christ est notre Médiateur auprès
de Dieu ; Marie est notre médiatrice auprès du Média -
teur. Voilà l’échelle mystique par laquelle nous devons
monter jusqu 'au ciel.
Ainsi le principe unique de l’affranchissement du
monde, c’est J ésus avec Marie ou Marie unie à Jésus.
Ea religion chrétienne ne serait plus elle-même, elle
ne serait plus la religion qui nous relie à Dieu par les
liens de la miséricorde, si aux côtés du Christ n’appa-
raissait pas la Vierge, dont l'ineffable bonté tempère
86 ROLE DE MARIE

de mansuétude et de suavité ce qu’il y aurait eu de


trop redoutable dans la majesté de notre Dieu. En
refusant à Marie le titre de médiatrice et de dispen-
satrice des grâces divines, les protestants mutilent la
religion chrétienne : une Église qui sépare la Vierge
de son fruit béni ne peut être la véritablt Église
instituée par le Christ 1. « Infortunés, dit Pie X, qui
négligent Marie sous prétexte d’honorer Jésus-Christ !
Comme si l'on pouvait trouver l’Enfant autrement
qu’avec sa Mère 8 ».
C’est pourquoi un chrétien, digne de ce nom, doit
unir dans son amour et sa vénération J ésus et Marie.
Ees Saints n 'ont pas craint d 'affirmer que la dévotion
envers la Sainte Vierge est nécessaire pour le salut.
Toutes les grâces descendent du ciel par Marie : il
est donc juste que nous fassions monter par elle
toutes nos prières et nos supplications. Nous nous
conformerons ainsi à l'ordre établi par Dieu lui-même

§ 6. CONCLUSION.
Marie est cause de salut pour tous, elle est prête à
secourir tous les rachetés ; les pécheurs les plus en-
durcis peuvent trouver en elle un asile tutélaire.
Cependant elle a ses privilégiés ; elle répand ses
bienfaits avec plus de libéralité sur ceux qui sont
ses fidèles serviteurs et qui se font une joie de propager
son culte. Si nous honorons Marie, si nous l'aimons
de toute la ferveur de notre âme, si nous la faisons
z. Cf . BILLOT. D* Verbo Incarnato, thèse XLI, p. 583.
2 . FIE X, Encyclique Ad Dùm ilium Uztissimum.
DANS L'APPLICATION DES GRACES 877
aimer autour de nous, elle se montrera pleinement
notre mère , et , nous obtenant d’abondantes gr âces
de sanctification et de progrès spirituel, elle nous
façonnera elle-même à l 'image de son Fils J ésus .
U jour est -il proche où la doctrine de « Marie
mè re de grâce et dispensatrice de toutes les faveurs
divines » sera érigée en dogme de foi ? ... Nous l 'igno-
rons. Il nous est cependant permis d 'espérer que cette
définition , jointe à celle de l' Assomption, viendra, à
l'heure fixée par l 'Esprit-Saint , ajouter un précieux
fleuron à la couronne de gloire que l'Église offre à
Marie. Un tel événement remplirait de joie le peuple
fidèle pour qui l ’axiome « tout par Marie » est depuis
longtemps une certitude ; il donnerait à la dévotion
envers Marie de nouveaux accroissements , et répon -
drait au dessein de Notre-Seigneur qui veut que sa
m ère soit honorée et aimée sans cesse davantage
jusqu ’à la fin des siècles.
TABLE DES MATIÈ RES

-
Avant propos
Introduction
. 5
7
Ir* PARTIE
grâces
. —. R ôle de Marie dans l'acquisition des
. Il
U
II* PARTIE —.
grâces
. Rô le de Marie dans l’application des
. . . .
. . 211
CHAPITRE i.— Exposé de la Doctrine . . 21
1
§1 .— Nature de la Médiation de Marie . . 23
§ 2. —
Étendue du rôle médiateur de Marie
1° Par rapport aux moyens gén éraux de salut
.
.
28
28
2° Par rapport à chaque grâce en particulier. 32
CHAPITRE ii. —
Démonstration de la Doctrine . . 39
§1
§2
.—
.—
Convenance théologique
Faits évangéliques
.
.
39
40
§3 .— L’enseignement de la tradition . . 43
1° Les Pè res . 444
2° Les Théologiens . . . . . 53
3° La Liturgie . 63
4° Les Souverains Pontifes . . 69
§4 .— Pourquoi Dieu a établi Marie dispensa
. .-

trice de toutes ses grâces 80
§5 . L’Erreur protestante . . 81
§6 .— Conclusion . . 86

Imprimé par Desclée , De Brouwer et Cie, Bruges (Belgique) . — 64

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