II - FERENCZI Juillet 1914-Décembre 1919

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Budapest, le 6 juillet 1914

Quand partez-vous et quand ma venue vous serait-elle agréable' ? Ferenczi

A. Télégramme.
1. Avant de partir pour sa cure à Karlsbad, Freud avait invité Ferenczi à Vienne (voir t. I, 479 Fer, note 9, et
483 F).
N.d.E. Les notes du transcripteur sont signalées par des lettres majuscules: A.
Les notes des traducteurs par des astérisques : *. Les notes des
commentateurs par des chiffres: '. Les notes des auteurs par: /*/.

Vienne, le 8 juillet 1914

Préférerais passer samedi soir avec vous et amis après fin consultations car jours de
semaine trop chargés.
Freud
INTERNATIONALE ZEITSCHRIFT FÜR
ÄRZTLICHE PSYCHOANALYSE
Herausgegeben von Professor Dr Sigm. Freud
Schriftleitung : Dr. S. Ferenczi, Budapest, VII. Elisabethring 54/
Dr. Otto Rank, Wien IX/4, Simondenkgasse 8
Verlas Hugo Heller & C°, Wien, I. Bauernmarkt N° 3
Abonnementspreis : ganzjährig (6 Hefte, 36-40 Bogen) K 21.60 = MK. 18. A

Journal International de Psychanalyse Médicale


Édité par le Professeur Dr. Sigm. Freud
Rédaction: Dr. S. Ferenczi, Budapest VII, Elisabethring 54/
Dr. Otto Rank, Wien, IX, 4 Simondenkgasse 8
Éditions Hugo Heller et Cie, Wien, I, Bauernmarkt n° 3
Prix d'abonnement pour 1 an (6 cahiers, 36-40 feuillets) 21,60 Couronnes, 18 Marks.

Budapest, le 8 juillet 1914

Cher Monsieur le Professeur,


Suite à votre télégramme d'aujourd'hui, j'arrive samedi soir à Vienne, descends à la
Pension Washington. De là, je m'annoncerai et m'informerai plus précisément de
l'heure et du lieu de la rencontre.
Vous saluant cordialement,
Ferenczi

A. En-tête pré-imprimé.

le 13 juillet 1914

Villa Fasholt B, Schlossberg.


Freud
Carte postale de Karlsbad, apparemment sans texte, avec, seulement, la signature de Freud. L'original
manque dans les microfilms et aussi parmi les lettres en possession de la Bibliothèque nationale
autrichienne à Vienne. Il n'en existe qu'une transcription dactylographiée par Michael Balint.
Selon la transcription dactylographiée de Michael Bàlint.
488 F
Prof. Dr Freud

Karlsbad, le 17 juillet 1914 A


Vienne, IX. Berggasse 19
Villa Fasholt, Schlossberg

Cher Ami,
Ainsi donc, nous voici de nouveau près des sources chaudes, jouissant de
la chaleur et de la pluie comme elles se présentent, et je peux observer la façon
dont les effets exercés sur la fonction intestinale se prolongent toujours sur la
relation à l'argent qui en découle'. Cette fois, je ne ressens pas la rupture avec
le passé aussi nettement que d'habitude, je repense au travail et j'ai commencé
à étudier Macbeth 2, qui me tracasse depuis longtemps, sans que j'aie pu en
trouver la solution jusqu'à présent. Étrange, j'ai abandonné Macbeth à Jones
il y a des années, et maintenant je le reprends, en quelque sorte. Il y a là de
sombres puissances en jeu. Annerl a télégraphié, hier, qu'elle était bien arrivée
à Southampton et qu'elle était attendue par Ernest Jones. J'ai profité de
l'occasion pour lui exposer tout de suite ma position dans cette affaire, car je
suis censé n'en rien savoir et je ne tiens tout de même pas à perdre la chère
enfant du fait d'un acte de vengeance évident, abstraction faite de tout ce qui,
rationnellement, témoigne du contraire. Je pense que Loe aussi veillera comme
un dragon 3.
Dans une lettre d'avant-hier, Pfister 4 m'assure de façon inattendue qu'il se
compte parmi les nôtres et qu'il est prêt à entrer dans le groupe viennois si les
Zurichois effectuent la retraite qu'ils projettent 5. Voilà donc une première nouvelle
et elle est bonne. La lettre circule et vous arrivera d'ici peu.
Sinon, bien sûr, rien de nouveau. Je vais bientôt m'attaquer à quelques
essais techniques de moindre importance 6, pour la Zeitschrift.
Avec mes salutations cordiales,
votre Freud
A. Écrit à la main, au-dessus et au-dessous de l'en-tête imprimé.
I. Voir « Caractère et érotisme anal » (Freud, 1908b), in Névrose, psychose et perversion, trad.
fr. D. Guétineau, Paris, PUF, 1972, p. 143-148.
2. Dans L'Interprétation des rêves (1900a, Paris, PUF, 1973), Freud avait brièvement mentionné Macbeth;
plus tard, il a rassemblé du matériel sur ce sujet (Freud à Jones, 31 X 1909), mais ensuite, il a écrit
à Jones : «Quant à Macbeth, le sujet vous est réservé » (6 XI 1910). Cependant, ce ne fut pas Jones,
mais Ludwig Jekels qui rédigea une étude psychanalytique sur Macbeth (« Shakespeare's Macbeth »,
Imago, 5, 1917-1919, p. 170-195). Voir également Freud, 1916d, « Quelques types de caractère
dégagés par le travail psychanalytique », I : Les exceptions, II : Ceux qui échouent devant le succès,
III : Les criminels par conscience de culpabilité, in Inquiétante Étrangeté et autres essais, trad. B. Féron, Paris,
Gallimard, coll. « Connaissance de l'inconscient », trad. nouv., 1985, p. 136172. Le passage
concernant Lady Macbeth et Macbeth : p. 149-158.
1914 7

A propos du voyage d'Anna Freud en Angleterre, voir t. I, 483 F, note 7. Jones ayant envisagé de
demander la main d'Anna, Freud lui écrit, le 22 juillet 1914 : «Je vous remercie beaucoup de
votre gentillesse pour ma petite fille. Peut-être ne la connaissez-vous pas assez. C'est la plus
douée et la plus remarquable de mes enfants, de plus, dotée d'un caractère d'une qualité rare.
Elle ne demande qu'à apprendre, à voir toutes sortes de curiosités, voulant apprendre et
comprendre le monde. Elle ne demande pas à être traitée en femme, elle est encore loin
d'éprouver des émois sexuels et se montre plutôt rejetante à l'égard des hommes. Entre elle et
moi, il est expressément entendu qu'elle n'envisagera ni mariage ni aucun pas dans ce sens
avant d'avoir deux à trois ans de plus. Je ne pense pas qu'elle rompe cette convention. » La
demande en mariage d'Anna par Jones – qui ne sera pas couronnée de succès – est brièvement
évoquée par Elisabeth Young-Bruehl dans son ouvrage Anna Freud, trad. Pierre Ricard, Paris,
Payot, 1991, p. 59-62.
Aucune lettre (même inédite) de la correspondance Freud-Pfister, entre le 11 mars 1913 et le 9
octobre 1918, n'a été conservée.
Les analystes suisses avaient déjà annoncé qu'ils n'assisteraient pas au congrès prévu en
septembre à Dresde (lettre du 26 VII 1914, Freud/Abraham, Correspondance, Paris, Gallimard, coll.
« Connaissance de l'inconscient », 1969, p. 190. Jones, II, p. 181-182). Une grande partie d'entre
eux ayant rejoint le groupe de Jung, la Société suisse de psychanalyse ne fut fondée que le 24
mars 1919.
A savoir, les deux derniers articles sur la technique thérapeutique entre 1911 et 1915, parus en
novembre 1914 et en janvier 1915 dans la Zeitschrift : «Remémoration, répétition et élaboration »
(1914g) et « Observations sur l'amour de transfert » (1915a [1914]), in La Technique psychanalytique,
trad. A. Berman, Paris, PUF, 1970 (1981), p. 105-115 et 116-130.
9F
Prof. Dr Freud

Karlsbad, le 18 juillet 1914


Vienne, IX. Berggasse 19

Cher ami,
Vous vous étonnez certainement de tout le temps dont je dispose à
Karlsbad, pour écrire. Mais c'est la première fois que je suis ici sans être
dérangé, sans les Emden ; je passe la journée très agréablement avec ma
femme, et je reste tout de même encore assez frais et dispos pour travailler.
Je suis effectivement en train d'écrire un article technique 1, pas sans
importance de surcroît mais la lettre d'aujourd'hui est entièrement
consacrée aux problèmes de la rédaction.
Avant tout, réjouissez-vous d'apprendre que vous êtes autorisé à rayer
Maeder de l'en-tête de la Zeitschrift. Les autres aussi bientôt, j'espère 2 !
Selon le rapport d'Abraham, il n'y a pas de doute : nous serons débarrassés
de tous. Les lettres qui circulent vous apprendront la suite.
D'autre part, dans le numéro de la Zeitschrift arrivé aujourd'hui, je
remarque quelques fautes de style pour lesquelles je vous prie de tirer les
oreilles du coupable — Reik. Il m'a sérieusement demandé de le critiquer
toujours avec la plus grande rigueur. Vous pouvez donc tranquillement vous
réclamer de moi. Je pourrais le lui écrire moi-même, mais je préfère
suivre la voie hiérarchique. C'est un bon garçon, mais il ne doit pas se laisser aller
à une telle vulgarité B.
Dans le compte rendu de Reik concernant Schmidt, p. 389 3, on lit (en bas) : « Depuis
quand de tels sentiments paraissent-ils quasi normaux à Monsieur le Conseiller? » Nous
devons nous abstenir d'un ton aussi familier, tout particulièrement envers nos
adversaires, surtout maintenant que la polémique va devenir inévitable.
[Barré] : p. 391, tout en bas, un «Schnoferl » * pas tout à fait digne. [Sous-entendu
:] Là je me suis trompé.
Idem au feuillet 33.
J. H. Schultz 4 : La TA. Entièrement manqué dans le ton, presque une
dénonciation. Pourquoi un tel non-sens ne se trouverait-il pas dans un journal de
littérature théologique?
Pfister à qui dites-vous cela ** ? A rayer absolument, c'est une incongruité juive!
Sec, plutôt ironique ! Plus loin, la parenthèse « (Ce n'est certainement pas le motif
d'adhésion aux théories de Jung?) ». Une insinuation, là où il faudrait dire de façon
plus digne : Nous voulons espérer que ce n'est pas là le motif...
Windelband. Ici, je critique seulement un manque de clarté. Est-ce Wind.[elband]
lui-même ou quelqu'un d'autre qui prononce les phrases citées ? (« exprimait » est
incompréhensible) 5.
Vous voyez, je suis d'avis que la rédaction s'occupe énergiquement des
rapporteurs, de leurs bons usages autant que de leur bon esprit.
Très cordialement, votre
Freud
A la main, au-dessus du texte pré-imprimé.
Le long de la marge gauche, en haut de la feuille, écrite au crayon de la main de Ferenczi, la note suivante :
«J'ai écrit à Reik, dans l'esprit de Freud, et je lui ai demandé la rectification des passages en question. »
* Schnoferl, terme viennois intraduisible : moue de mécontentement et de bouderie d'un petit enfant
qui s'apprête à pleurer.
** En français dans le texte.
« Remémoration, répétition et élaboration » (Freud, 1914g, Rank à Freud, 23 VII 1914). A cette époque, Freud
manifesta aussi un grand intérêt pour les problèmes techniques, en se proposant de parler des « Aspects de la
technique psychanalytique » au congrès projeté (lettre du 26 VII 1914, Freud/Abraham, Correspondance, op. cit., p.
190).
Parmi les personnes figurant sur la couverture de la Zeitschrift en 1913, les noms des collaborateurs
permanents suivants furent supprimés en 1914: Alphonse Maeder et Franz Riklin de Zurich, Leonhard
Seif de Munich. Voir également la lettre de Freud à Abraham du 18 VII 1914 (op. cit., p. 188).
Theodor Reik (voir t. I, 251 F, note 3), analyse de l'ouvrage de Willi Schmidt, Inzestuöser Eifersuchtswahn
(Délire incestueux de jalousie), 1914, Zeitschrift, 2, p. 389.
Johannes Heinrich Schultz (1884-1970), psychiatre et psychothérapeute allemand. Professeur à Iéna à
partir de 1919, directeur de l'Institut de psychothérapie de Berlin à partir de 1936 ; inventeur du training
autogène. Il publia un article sur la psychanalyse intitulé «Die Psychoanalyse », dans Theologische Literaturzeitung
(17 janvier 1914). Pfister lui répondit, dans la même revue, par un article intitulé « Psychoanalyse und
Theologie », le 6 juin 1914. Reik, dans sa note de lecture analysant ces deux articles, a critiqué Schultz pour
«la banalité et l'absurdité de ses arguments » (Zeitschrift, 1914, 2, p. 474) ainsi que Pfister, pour « la faiblesse
et la pauvreté de sa défense ». L'expression : « à qui dites-vous cela ? » ne se trouve plus dans le texte
imprimé. Voir également la lettre de Freud à Reik du 24 VII 1914, in Trente Ans avec Freud, trad. Evelyne Sznycer,
Bruxelles, Complexe, 1975, p. 100- 101.
T. Reik, analyse critique de Windelband, « Die Hypothese des Unbewussten »
(L'hypothèse de l'inconscient), Zeitschrift, 1914, 2, p. 476.
Wilhelm Windelband (1848-1915), philosophe allemand, représentant du néo-kantisme, se fit
surtout connaître par l'introduction d'une distinction entre sciences nomothétiques et sciences
idiographiques. Son livre, Lehrbuch der Geschichte der Philosophie (Manuel d'histoire de la philosophie,
1892), était un ouvrage de référence dans les pays germanophones.
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ÄRZTLICHEPSYCHOANALYSE
Herausgegeben von Professor Dr Sigm. Freud
Schriftleitung : Dr. S. Ferenczi, Budapest, VII. Elisabethring 54/
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Budapest, le 20 juillet 1914

Cher Monsieur le Professeur,


Je suis très heureux que vous ayez supporté cette année difficile avec si peu de
fatigue, et que vous vous sentiez poussé au travail sans interruption. Vous
débarrasser de Jung signifiait pour vous le retour à votre mode de travail initial:
prendre tout en main vous-même et ne pas vous reposer sur les « collaborateurs
». La devise « Après moi le déluge * ' » semble être la seule valable en matière de
science ; depuis l'épisode Jung, vous avez cependant souvent péché contre cette
maxime et vous avez souvent été sentimental avec nous. Si vous comparez votre état
d'esprit au début du voyage en Amérique (je vous rappelle votre indisposition à
Brême) 2 à celui de maintenant, vous comprendrez la différence à laquelle je pense.
L'essentiel reste quand même que nous obtenions de vous le plus d'écrits possible
et, à cette fin, c'est l'indépendance qui vous est le plus indispensable.
Cela me console de la perte qui, parmi les autres collaborateurs, .pourrait m'affecter
moi aussi, par suite de ce changement de cap. Les intérêts personnels
mesquins doivent être réduits au silence quand il s'agit de valeurs aussi
importantes. Certes, je dois beaucoup aux relations personnelles avec vous et à
l'intérêt que vous portez à mes progrès, mais ce dont je vous ai été, et vous suis le
plus reconnaissant, ce sont tout de même vos oeuvres qui ont embelli ma vie et ma
profession.
Je viens juste d'écrire à Jones et je lui ai annoncé mon arrivée à Londres dans la
première semaine d'août. Pour accepter son hospitalité, j'ai posé comme condition
la poursuite de l'analyse. J'espère que l'analyse mettra au jour les motifs latents de
ses intentions s.
Avant mon départ pour l'Angleterre, je voudrais passer deux-trois jours dans les
Tatras, où la famille Pàlos, augmentée des pièces rapportées, italienne et
canadienne', prendra sa résidence d'été. — C'est aujourd'hui la première fois que je
pense au voyage de vacances avec joie ; l'absence
de notre réunion d'été (pour la première fois depuis 1908) semble m'avoir
tout de même déprimé plus que je ne voulais me l'avouer.
Cordiales salutations pour vous et votre épouse, de
votre Ferenczi

J'écrirai à Reik dès que j'aurai en main le fascicule de la Zeitschrift.


* En français dans le texte.
Attribué à la marquise de Pompadour après la défaite des Français à Rossbach par Frédéric
de Prusse.
Voir t. I, 349 F et la note 4.
Freud ayant refusé un voyage de vacances en commun, parce qu'il avait besoin d'isolement et de
concentration, disait-il (Freud à Jones, lettre du 22 VII 1914), Ferenczi forma le projet de passer un
mois à Londres. Jones, qui « percevait encore en lui-même quelques points obscurs qu'il ne
parviendrait pas à analyser tout seul », écrivit à Freud, le 29 juillet 1914, qu'il remerciait le destin de
cette occasion de parfaire son analyse. Mais finalement Ferenczi n'effectua pas ce voyage (voir 493
Fer).
Il s'agit des soeurs de Gizella Pàlos : Sarolta Morando, d'Italie (voir t. I, 145 Fer) et une
autre soeur, Slona, installée au Canada avec son mari (voir 497 Fer et 623 Fer).

491 F
Prof. Dr Freud

Karlsbad
Vienne, IX. Berggasse 19 le
22 juillet 1914

Cher Ami,
Je vous réponds par retour du courrier parce que vous êtes sur le point de vous
soustraire à la correspondance pour un certain temps. Votre lettre ne m'a pas
entièrement satisfait. Je pense que vous surestimez l'importance de Jung dans
ma vie affective, tout comme lui-même. Je ne sais rien d'un changement de cap
avec mes amis. Je vous accorde ceci : une fois de plus, j'ai fait l'expérience qu'il
était trop tôt pour se retirer et se débarrasser du travail sur d'autres, et il est
probable que je ne ferai plus de nouvelle tentative dans ce sens. C'est sans doute
une grande fatigue qui s'exprimait dans ces états d'âme à la façon du Roi Lear ',
et peut-être en avais-je acquis le droit au cours des vingt dernières années. Mais
on n'est absolument pas obligé de faire valoir tous ses droits. J'y renonce donc et
je porterai patiemment ma croix.
Quant à notre rencontre de cette année, je ne l'ai pas sacrifiée au bien-être,
mais à un nouveau travail 2 pour lequel la compagnie me serait importune. De
plus, il ne m'est pas facile de travailler justement avec vous. Vous attaquez
les choses différemment, et c'est pourquoi vous êtes souvent éprouvant pour
moi. Jusqu'à présent je peux dire : Nulla dies sine linea * s, et j'espère que cela
continuera ainsi jusqu'en automne. Un manuscrit a été envoyé à Rank,
aujourd'hui 4.
Anna écrit d'Angleterre que Jones se comporte très gentiment avec elle et la
famille qui la reçoit, qu'il y est venu le premier dimanche et qu'il a promis de
revenir dimanche prochain. Je ne veux rien faire qui dérange cette relation. La
petite n'a qu'à apprendre à s'affirmer ; mais elle sera certainement assez habile
pour éviter une explication qui ne peut conduire qu'à une déception. Elle-même
se sent tout à fait sûre.
Saluez cordialement Madame Gisela * * et écrivez encore avant de partir
pour l'Angleterre.
Avec mes salutations cordiales,
votre Freud
A. A la main, au-dessus du texte pré-imprimé.
* En latin dans le texte.
** Dans les lettres des deux correspondants, le prénom de Mme Ferenczi est orthographié tantôt
à l'allemande: Gisela, tantôt à la hongroise: Gizella.
I. Voir la description freudienne du drame de Shakespeare: « Le vieux roi Lear se décide, de son
vivant encore, à partager son royaume entre ses trois filles, et ceci en proportion de l'amour qu'elles
sauront lui manifester. Les deux aînées, Goneril et Régane, s'épuisent en protestations d'amour et
en vantardises ; la troisième, Cordélia, s'y refuse. Le père devrait reconnaître et récompenser cet
amour silencieux et effacé de la troisième, mais il le méconnaît, il repousse Cordélia et partage le
royaume entre les deux autres, pour son propre malheur et celui de tous ». (Freud, 1913f : « Le
thème des trois coffrets », in Essais de psychanalyse appliquée, Paris, Gallimard, 1971, p. 87-103, citation
p. 90.)
Freud voulait travailler sur l'article destiné au manuel de Kraus et Brugsch (voir t. I, 325 F et la
note 2, et Freud à Binswanger, 16 février 1919, in Freud/Binswanger, Correspondance 1908-1938, Paris,
Calmann-Lévy, 1995, p. 219-220.
« Pas un jour sans une ligne » : citation extraite de l'Histoire naturelle (XXXV, 10) de Pline (23-
97).
Probablement « Remémoration, Répétition et Élaboration ».
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Budapest, le 23 juillet 1914

Cher Monsieur le Professeur,


Aussitôt après avoir envoyé la lettre à laquelle vous avez répondu si
promptement, j'ai eu moi-même des doutes sur la justesse de mon jugement
quant à votre vie affective, et j'ai trouvé plusieurs signes qui parlaient en faveur
du fait que mon jugement sur ce point pourrait être fortement perturbé par des
facteurs subjectifs. Votre lettre n'a fait que me conforter
en ce sens. J'admets que je pourrais avoir surestimé l'importance de Jung dans votre
vie affective, tout comme lui-même, et vous pouvez me croire, je ne suis pas très fier de
ce symptôme d'identification inconsciente à Jung. Par ailleurs, je suis sûr d'une chose:
jamais mon jugement ne sera influencé par le complexe paternel inconscient au point
de m'éloigner de la terre ferme de la psychanalyse, ne serait-ce que d'un pas. Ce que
mes complexes peuvent produire tout au plus, c'est l'inhibition au travail ; jamais ils ne
seront capables de réaliser des choses positives (comme de se rebeller ou de s'acheter
son propre canon '). Que « j'attaque les choses différemment de vous » et que vous ne
puissiez pas suivre mes projets de travail sans effort, je le sais aussi depuis longtemps
; c'est la deuxième source dont découle mon incapacité au travail; en effet, ma raison
me dit que la bonne façon d'attaquer les choses c'est justement la façon dont vous le
faites, vous. Et pourtant, je ne peux pas interdire à mon imagination d'aller son propre
chemin (des chemins détournés, peut-être ?). Le résultat est : une foule d'idées qui ne
sont jamais mises en actes. Si j'avais le courage de rédiger simplement mes idées et
expériences — sans me préoccuper de vos méthodes et de la directiion de votre travail
—, je serais un écrivain fécond et, finalement, d'innombrables points de rencontre
apparaîtraient quand même entre mes résultats et les vôtres. Jusqu'à présent, du
moins, ce fut toujours le cas ; j'ai retrouvé dans vos travaux nombre de mes propres idées
(il est vrai, ordonnées beaucoup plus judicieusement). Le mieux chez vous est l'ennemi
du bien chez moi!

J'espère que vous me mettrez en mesure de maîtriser ces choses-là au moyen de


la psychanalyse. Entre-temps, je tiendrai debout tant bien que mal.
Je viens de feuilleter le livre de Régis et Hesnard (La Psycho-analyse, librairie F.
Alcan) 2 qui, lui aussi, prend déjà en compte le schisme de Jung. Mis à part son
objectivité (apparente), qui ne se manifeste que dans l'honnête reproduction du
contenu de vos travaux, ce livre n'est pas moins insolent dans ses jugements que
celui des critiques allemands ; s'y ajoute la vanité ridicule de faire remonter aux
Français tout ce qui est essentiel dans votre doctrine. — Le vrai psychanalyste
français n'est pas encore venu.
Le 30 juillet, je pars dans les Tatras, où je veux rester deux ou trois jours, et faire
de petites excursions. Ensuite, en route pour Londres, sans m'arrêter. J'espère
pouvoir vous donner, de là-bas, de bonnes nouvelles d'Annerl.
Salutations cordiales à vous et à votre épouse, de
votre Ferenczi

Voir t. I, 357 Fer et la note 3.


Le premier ouvrage consacré à la psychanalyse paru en France, par Emmanuel Régis (1855-1918),
professeur à la Clinique des maladies mentales à Bordeaux, et de son assistant, Angelo Louis Manie Hesnard
(1886-1969) : La Psychanalyse des névroses et des psychoses, ses applications médicales et extra-médicales (Paris, librairie F.
Alcan, 1914). Ferenczi en a fait une analyse critique dams « La psychanalyse vue par l'École psychiatrique de
Bordeaux », Psychanalyse, II, p. 209-231. Voir également la réaction de Freud à Hesnard : «Cher et honoré
Collègue, mes meilleurs remerciements pour votre travail (et celui de Régis) estimable et, je l'espère, riche en
succès, pour lequel j'ai pu fournir la matière. Peut-être vous familiariserez-vous aussi avec le symbolisme dont
on ne peut, hélas, pas douter. Votre dévoué Freud. » (Édith
Félix-Hesnard, « Les débuts de la psychanalyse en France », Europe, numéro spécial Freud, 539,
mars 1974, p. 73.)
Budapest, le 27 juillet 1914 A

Cher Monsieur le Professeur,


Bien qu'il soit peu probable que cette lettre vous parvienne dans un délai
prévisible, compte tenu des circonstances présentes ', je vais quand même
essayer de vous donner un signe de vie.
Le voyage en Angleterre est annulé ; je n'ai pas le droit de quitter le pays, étant
affecté à l'armée territoriale. Je puis encore m'estimer heureux si je ne suis pas
mobilisé. J'ai été affecté aux hussards Honvéd * (!), comme médecin auxiliaire, si bien
que je serai obligé de faire la campagne à cheval. Jusqu'au premier août je reste
ici de toute façon ; si, entre-temps, je ne suis pas mobilisé, j'irai dans les Tatras
où Madame G. séjourne avec sa famille (à condition qu'il soit possible de voyager)
et, là-bas, j'attendrai les événements. Peut-être me joindrai-je à Rank et ferai-je
quelques excursions avec lui au Tyrol.
J'ai reçu aujourd'hui de Jung la notification de son départ de l'Association.
Donc, « enfin seuls 2 »
Il n'est pas impossible que la guerre affecte aussi notre congrès.
Les étrangers ne voudront pas venir.
Ne devrait-on pas annuler le congrès dès à présent?
Salutations cordiales de
votre Ferenczi

A. Lieu et date manuscrits, à la fin. La mention de l'année manque, elle est donnée par le
contexte.
* Honvéd : soldat de l'armée hongroise. Littéralement: défenseur de la patrie.
Le 23 juillet, le gouvernement autrichien adressait un ultimatum à la Serbie, avec un délai de
quarante-huit heures. Dans sa réponse du 25 juillet, la Serbie acceptait la plupart des exigences de
l'ultimatum, mais l'Autriche-Hongrie réagissait le jour même par la rupture des relations
diplomatiques et une mobilisation partielle. Le 28 juillet, l'Autriche-Hongrie déclarait la guerre à la
Serbie.
Enfin seul: titre d'un tableau de Toffano, très largement reproduit et répandu au xix'
siècle.
494 Fer
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Budapest, le 31 juillet 1914


(après-midi)

Cher Monsieur le Professeur,


Comme la poste ne fonctionnera probablement plus demain (l'annonce de
la mobilisation générale est arrivée ici à l'instant '), je me hâte de vous donner
brièvement des nouvelles.
Si l'information ci-dessus se confirme, je devrai rejoindre, demain ou
après-demain, le 7` régiment de l'armée territoriale – les Hussards Honvéd
– en qualité de médecin de réserve.
Le voyage de vacances est abandonné. (Même si je ne rejoins pas le
régiment, je devrai rester ici comme médecin hospitalier.)
Il me sera difficile de gérer d'ici les affaires de la rédaction, compte tenu de
la perturbation du trafic ferroviaire et postal. Je crois que Rank sera bientôt
rentré chez lui 2.Pour le moment, je n'ai pas de contact avec lui.
Ici, l'émotion est à son comble (à la nouvelle de l'intervention
russe). Madame G. est rentrée de sa résidence d'été – comme tout
le monde d'ailleurs.
L'idéeplatonicienne comme substrat du transfert est savoureuses. Il semble que
Jung aussi ait déjà envisagé le mot Imago comme tout à fait désincarné.
Salutations cordiales à tous, à Karlsbad et à Seis 4,
votre Ferenczi
Le 28 juillet, l'Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Serbie. Le 29 juillet, c'est la mobilisation
partielle en Russie, pays protecteur de la Serbie. La mobilisation générale en Autriche-Hongrie,
cautionnée par l'état-major allemand et signée par l'empereur, est annoncée à Vienne dans la
matinée du 31 juillet.
Rank était parti en vacances au Tyrol, le 29 juillet; il passa ensuite une quinzaine de jours au
Semmering, pour rentrer à Vienne le 15 août (lettre de Rank à Freud du 12 août 1914,
correspondance inédite, archives J. Dupont).
Le 27 juillet 1914, Jones écrivit à Freud : «J'ai eu, la semaine dernière, une longue conversation
avec Mrs. Eder, qui vient de faire un mois d'analyse avec Jung [...1 Vous serez intéressé
d'apprendre la dernière méthode en date pour traiter le transfert. La patiente le surmonte en
apprenant qu'elle n'est pas réellement amoureuse de l'analyste, mais qu'elle est en train, pour la
première fois, de lutter pour comprendre une Idée Universelle (avec des majuscules) au sens
platonicien: après quoi, ce qui semble être le transfert pourra bien rester ».
Freud a copié ce passage à l'intention d'Abraham (Freud/Abraham, Correspondance, op. cit., lettre
du 29 VII 1914, p. 191-192) et en a également fait part à Ferenczi, semble-t-il.
4. Lieu dans le Tyrol du Sud où Freud avait l'intention de se rendre après son séjour à Karlsbad.
Budapest, le 14 août 1914

Prière donner nouvelles de vous tous et d'Annerl.


Ferenczi

A. Télégramme.
Vienne, le 14 août 1914

Cher Ami,
J e ten t e m a ch a n ce a ve c un e ca rt e B . Qu e fai te s- v ou s ? O ù ête s-
v o us p a s sé ? Dep ui s le 5 d u m ois n o us s om me s t o us en sembl e à
Vi en n e' , sa u f Ma rtin qu i s ' e st p ort é vol on tai re à S al zb ou rg 2 et
A nne rl q ui est en An gl et er r e, co up ée d e no us. Po u r tr a va il le r, je
n'a i pas l a m oi n d r e con cen t ra t ion . C e son t d e s t emp s dif fici l es ; n os
c ent re s d 'i n t ér êt on t p e rd u l eu r va le ur d an s l 'i mm éd iat. Sal utati ons
c o rdi ale s, v otre F r eud

Carte postale.
La carte est adressée à Budapest et porte en post-scriptum, de la main de Freud: « Faire suivre ! »
Voir la lettre de Freud à Sophie et Max Halberstadt, du 6 août 1914 : « De plus, à Karlsbad, on
ne pouvait pas se rendre compte de toute la gravité de la situation. Mais Tante Minna et
Mathilde, déjà rentrées à Vienne, ne nous ont pas laissés en paix jusqu'à ce que nous repartions
[...] le mardi 4 au soir, par le tout dernier train. » (Library of Congress, Washington D.C.
[désormais : LOC].)
Martin Freud, qui travaillait au tribunal de Salzbourg, venait de s'engager comme volontaire, bien
qu'il ait été précédemment réformé (voir t. I, 195 F et la note 4, ainsi que 272 F).
497 Fer
INTERNATIONALE Z E I T S C H R I F T F Ü R
ÄRZTLICHEPSYCHOANALYSE
Herausgegeben von Professor Dr Sigm. Freud
Schriftleitung : Dr. S. Ferenczi, Budapest, VII. Elisabethring 54/
Dr. Otto Rank, Wien IX/4, Simondenkgasse 8
Verlag Hugo Heller & C", Wien, I. Bauernmarkt N° 3
Abonnementspreis : ganzjährig (6 Hefte, 36-40 Bogen) K 21.60 = MK. 18.

Budapest, le 21 août 1914

Cher Monsieur le Professeur,


Je suis toujours en civil et chez moi, mais je peux être appelé à tout
moment, bien que ma « feuille d'affectation » précise que je ne dois me
présenter que sur ordre télégraphique.
Les événements ont eu pour effet de paralyser chez moi toute activité
intellectuelle. Je me suis senti étranger à cet enthousiasme guerrier,
anachronique selon mon sentiment. Il semble que je me sois fait des idées
fausses sur le véritable état de civilisation de notre société, sinon comment
expliquer le vide intellectuel et affectif qui s'est manifesté en moi après que
la guerre a éclaté. Mais je crois que des facteurs purement personnels y ont
également contribué. – Je commence peu à peu à me rétablir et à m'occuper
en pensée des idées qui nous sont chères.
Deux séances quotidiennes d'analyse sont les « misérables restes » de ma
pratique.
De ma famille, jusqu'à présent, seul un neveu 1 a été mobilisé comme
officier de réserve d'artillerie ; il est déjà à la frontière russe. Parmi nos
adhérents, le docteur Holle,s et le docteur Lévy ont été appelés dans la
réserve de l'armée territoriale ; le docteur Rade, fait actuellement un service
volontaire d'un an, mais, étant souffrant, il a été laissé chez lui.
Que dites-vous de la décision héroïque de votre Martin ? Et que savez-vous
de plus à son sujet ? Avez-vous des nouvelles d'Annerl ?
Une soeur de Madame G., venant du Canada, était en visite ici avec son mari,
juste au moment du décret de mobilisation. Ils ont entrepris le voyage pour
rentrer chez eux, en passant par l'Allemagne et la Hollande ; ont-ils pu, et
dans quelle mesure, se rapprocher de Toronto, on n'en sait rien.
Comment va Madame Loe et son Trottie ? Le plan, superbement préparé,
de contrebande de chien n'a donc pas abouti 2 !
Si, entre-temps, je ne suis pas appelé, je voudrais venir à Vienne par le
bateau à vapeur et me dédommager de la perte des vacances de cette année
par un séjour de trois à cinq jours. S'il vous plaît, dites-moi si vous y voyez
une objection.
Salutations cordiales à vous tous, de
1914
1
7

L'un des deux fils de la soeur aînée de Ferenczi, Ilona (née en 1865), Bertalan ou Gyula.
Voir également 580 Fer.
En effet, Loe Kann avait eu bien du mal à sortir son chien Trottie en fraude des Pays-Bas
pour le faire passer en Angleterre (Jones à Freud, 3 août 1914, Freud/Jones, Correspondance, p.
297-298).
498 F
Prof. Dr Freud

Vienne, IX. Berggasse 19 le


23 août 1914

Cher Ami,
Naturellement, je vous croyais déjà mobilisé, et hier je vous ai porté
disparu en donnant des nouvelles à Emden, lui qui est neutre. J'accepte
d'autant plus volontiers votre offre de venir à Vienne, où il ne vous est
imposé aucune limite de temps ni obligation de me ménager. De toute façon,
je ne veux pas tenter d'ouvrir ma consultation avant le 1°r octobre, tentative
qui serait, du reste, maintenant comme plus tard, purement « symbolique ».
Je n'arrive absolument pas à travailler. Pendant la première semaine après
Karlsbad, j'avais bien commencé ; je pouvais consacrer trois ou quatre
heures à lire et à réfléchir ; à la fin de cette semaine, très peu, et aujourd'hui
cela fait une semaine que je n'ai pas pensé à la science. Des problèmes
psychiques trop durs étaient à régler et, dès qu'une adaptation avait réussi,
survenait une nouvelle exigence qui vous enlevait le bénéfice de l'équilibre
déjà acquis. Je constate seulement que je suis devenu plus irritable, et je
fais des lapsus à longueur de journée – comme beaucoup d'autres,
d'ailleurs. Ceux des nôtres auxquels je parle sont dans le même état. Pour
échapper à l'ennui, Rank a entrepris d'établir un catalogue de ma
bibliothèque; il va commencer dès demain, et moi, je me suis inventé une
amusette semblable : je vais prendre mes antiquités, les étudier et les décrire
une par une.
Le processus intérieur a été le suivant : la montée d'enthousiasme, en
Autriche, m'a d'abord emporté moi aussi. En échange de la prospérité et de
la clientèle internationale, disparues à présent pour longtemps, j'espérais
qu'une patrie viable me serait donnée, d'où la tempête de la guerre aurait
balayé les pires miasmes, et où les enfants pourraient vivre en confiance. J'ai
mobilisé tout d'un coup, comme beaucoup d'autres, de la libido pour
l'Autriche-Hongrie, comme par exemple mon frère Alexander qui, se trouvant
au beau milieu de l'agitation administrative, a pu constater avec surprise
combien de force de travail et de disponibilité pouvaient être trouvées chez
les fonctionnaires, dont le nombre est maintenant réduit.
Tous les jours, j'ai partagé avec lui l'émotion du moment. Peu à peu, un
malaise s'est installé lorsque la sévérité de la censure et le gonflement des
plus petits succès m'ont fait penser à l'histoire du « Dätsch » * : revenant
18 Correspondance 1914-1919

dans sa famille orthodoxe habillé en homme moderne, il se laisse admirer par tous
ses parents, jusqu'au moment où le vieux grand-père donne l'ordre de le
déshabiller. On découvre alors, sous toutes les couches de vêtements modernes,
que les pans de son caleçon sont attachés avec un petit bout de bois parce que les
cordons ont été arrachés ; sur quoi le grand-père décide qu'il n'est malgré tout pas
un « Dätsch ». Depuis le communiqué d'avant-hier sur la situation en Serbie `, j'en
suis parfaitement convaincu en ce qui concerne l'A.[utriche]-H.[ongrie] et je vois ma
libido tourner en rage, dont on ne peut rien faire. La seule chose réelle qui demeure,
c'est l'espoir que notre auguste allié 2 se batte pour nous en sortir. J'ai maintenant
l'espoir que tout notre intérêt, après s'en être écarté, reviendra quand même à notre
science, et votre visite agira certainement dans ce sens.
Martin a justifié sa décision en nous disant qu'il ne veut pas manquer l'occasion
de passer la frontière russe sans changer de religion 3. Je ne suis pas très heureux
que, jusqu'à présent, il n'ait fait qu'une carrière en pointillé, mais je comprends
ses considérations et finalement il me faut lui donner raison. Il doit rester encore
deux semaines à Salzbourg pour l'instruction, avant de partir compléter les
effectifs de son régiment (Artillerie de campagne n° 41). Hier, j'ai enfin reçu une
carte postale d'Annerl, réexpédiée depuis La Haye ; j'apprends qu'elle a passé une
journée à Londres chez Loe et Davy Jones 4 et puis qu'elle est retournée à St
Leonards. Elle écrit que Trottie s'est beaucoup réjouie de la revoir ! Vos prévisions
pessimistes ne se sont donc pas réalisées. Davy Jones ajoute ces mots : Your
daughter is frightfully brave, if you could see her, you would be extremely proud
of her behaviour ** 5.
Après la guerre, on ne pourra pas aller en Angleterre avant longtemps, peut-
être même pas en Italie ? L'Allemagne aussi sera impossible, à cause de la
morgue des Allemands, qui n'est pas sans justification.
Nous sommes tous là, bouclés à la maison, à faire des économies, ce qui est
une occupation détestable et inhabituelle. Minna se remet de sa mauvaise
grippe, lentement, mais de façon évidente.
Surtout, venez bientôt, et voyez si le bateau ne va pas plus vite
qu'un télégramme!
Salutations cordiales, votre
Freud

* Dätsch : déformation du Deutsch allemand, écrit phonétiquement selon la prononciation yiddish.


Une façon de désigner, chez les Juifs de Galicie, un Juif allemand assimilé.
** En anglais dans le texte: « Votre fille est terriblement courageuse, vous seriez extrêmement
fier de sa conduite, si vous la voyiez. »
Freud fait peut-être allusion à l'ordre de repli des troupes austro-hongroises sur leurs positions
de départ, malgré les succès remportés en Serbie, en raison de la nécessité d'envoyer des forces sur
le front russe.
L'Allemagne.
Des Juifs ne pouvaient se rendre en Russie.
Il s'agit de Herbert « Davy » Jones, que Loe Kann, qui avait été l'amie d'Ernest Jones et l'analysante
de Freud, avait épousé le 1" juin 1914 à Budapest, avec Freud et Rank comme témoins et Ferenczi
comme interprète (voir t. I, 476 F).
Anna Freud avait déjà quitté l'Angleterre en compagnie de l'ambassadeur d'Autriche et arriva à
Vienne le 26 août 1914, après un voyage de dix jours et quarante heures de train, via Gibraltar, Malte
et Gênes. Voir E. Young-Bruehl, Anna Freud, op. cit., p. 63.
9 Fer
ABBAZIA A

Budapest, le 24 août 1914

Cher Monsieur le Professeur,


Au lieu du télégramme qui, de toute façon, n'arriverait pas beaucoup plus tôt,
je vous réponds de cette manière plus détaillée.
Votre lettre qui décrit si justement les changements d'humeur qui alternent presque
d'heure en heure, et auxquels nous sommes tous soumis, culmine dans le même
jugement désobligeant sur Madame l'A.[utriche], que j'ai dû me forger, moi aussi. En
guise d'exemple de conformité aux règles des processus psychiques, je peux vous dire
qu'en ce qui me concerne, mon penchant libidinal pour la personnalité susmentionnée,
qui était apparu au moment des nouvelles plus favorables, s'est de la même façon
transformé en son contraire ; en même temps, un peu de libido est, dans une certaine
mesure, devenue disponible pour nos efforts scientifiques. J'ai, moi aussi, fait quantité
de lapsus à répétition (que j'ai interprétés en plaisantant comme une paralysie
débutante, à la manière de l'hypocondriaque qui a appris la médecine).
Récemment je vous disais (écrivais) que mon désarroi et mon incapacité à travailler
étaient accentués, mais non créés, par la situation de crise ; votre incitation à venir à
Vienne et à me mettre hors du temps à cette occasion – comme l'inconscient – voilà
comment j'aimerais en profiter: ce que je préférerais, ce serait aller à Vienne pour
quatre semaines environ et faire avec vous des séances d'analyse dans les règles ; je
dispose de l'argent nécessaire (je l'avais retiré de la banque pour le voyage projeté en
Angleterre, avant le moratoire 2).
Je vous promets de faire tout mon possible afin d'atténuer les difficultés pour
lesquelles vous refusez d'analyser Tausk 3. Si cela se passait, en partie, autrement
– ce ne serait que du matériel pour la suite de l'analyse, où vous devriez procéder
avec toute la sévérité nécessaire. Vous le savez bien : je souffre du souvenir du bon
père. Peut-être le mauvais me déliera-t-il la langue!
J'attends votre réponse par télégramme.
Cordialement, votre
Ferenczi

A. En-tête pré-imprimé ou tamponné, de couleur violette.


Il s'agit de la paralysie générale, symptôme du stade terminal de la syphilis. Les troubles de
l'articulation
en sont un symptôme précoce.
« Les caisses d'Épargne et les banques ne remboursent pas les dépôts au-delà de 200 couronnes »
(lettre de Freud à Abraham du 2 VIII 1914, Correspondance, op. cit.).
L'allusion de Ferenczi à Tausk n'est pas tout à fait claire. D'après Paul Roazen qui
20 Correspondance 1914-1919

s'appuie sur ses entretiens avec Hermann Nunberg, Philippe Sarasin et Hélène Deutsch,
Freud aurait refusé — mais seulement quelque quatre ans plus tard — d'analyser Tausk
parce qu'il se sentait inhibé en sa présence, et parce qu'il craignait que Tausk ne lui vole
ses idées (Paul Roazen, Animal mon frère, toi, Paris, Payot, 1971, p. 112 sq., et La Saga freudienne,
Paris, PUF, 1986, p. 250 -251).

500 Fer A

Budapest, le 26 août 1914

Cher Monsieur le Professeur,


Je repousse mon voyage à Vienne de quelques jours. J'espère arriver
là-bas dimanche matin.
Cordialement,
Ferenczi

A. Carte postale.

501 Fer A
Budapest, le 29 août 1914

Cher Monsieur le Professeur,


Comme la possibilité d'être mobilisé est toujours présente, je
remets pour le moment le voyage
projeté. Soucieux; pour le reste ça
va. votre Ferenczi

A. Carte postale.
Fer
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Budapest, le 2 septembre 1914

Cher Monsieur le Professeur,


J'apprends à l'instant, par ma mère 1, que vous n'avez pas reçu à temps ma carte
postale où j'annule provisoirement ma visite. Malheureusement, je me suis laissé
tromper par la ponctualité de la poste déjà plusieurs fois expérimentée, et j'ai ainsi
gâché votre dimanche. Je vous prie d'excuser cette négligence ; je me suis
honnêtement interrogé là-dessus et je me sais libre de toute mauvaise intention ;
cependant, je n'aurais pas dû me contenter de la carte, j'aurais dû aussi vous
télégraphier.
La dernière échappatoire que j'ai trouvée pour sortir du marasme, c'est une
tentative d'auto-analyse. Toutefois, l'idée ne m'en est venue qu'aujourd'hui ; je me
rends compte que ce travail-là, je peux au moins le commencer, alors que me
manque toute concentration pour une autre activité. Je n'ai cependant pas tout à fait
renoncé à l'autre idée (être analysé par vous). A ma connaissance, le dernier jour
où la réserve de l'armée territoriale peut encore être appelée, ainsi que les officiers
dits de la classe A 2, est le 7 septembre. Si je suis encore libre le 7, je partirai pour
Vienne le jour même.
Le fiancé d'Elma 3 a soudain fait surface ici et veut conclure le mariage en
quelques jours, avec une dispense 4. A cette occasion, il m'a fallu constater que
mon inconscient lui est encore attaché par quelques fils, et que ces fils sont peut-
être plus forts que je ne veux bien l'admettre. Cela expliquerait bien des choses pour
lesquelles je ne trouve pas de raisons logiques. J'espère que le fait accompli *
réduira aussi au silence les fantasmes inconscients.
L'agitation fiévreuse due aux premières nouvelles de la grande bataille dans le
Nord 5 a fait place (du moins chez moi) à une sorte de fatalisme. Au demeurant j'ai,
moi aussi, l'impression que tous ces événements ne sont que des péripéties et,
considérés sub specie ** de la `PA, n'ont pas grande signification.
Peut-être aurai-je encore de vos nouvelles avant de pouvoir vous parler.
De toute façon, je vous enverrai un télégramme pour dire si j'arrive, et
quand.
Mes salutations cordiales!
Ferenczi

* En français dans le texte.


** En latin dans le texte: sous le regard (de la psychanalyse). Formule construite sur le
modèle du classique sub specie aeternitatis.
Freud, n'ayant pas reçu la carte postale de Ferenczi annulant son voyage, s'est
probablement informé auprès de la mère de celui-ci.
La classe A comprenait les officiers de réserve appartenant aux professions libérales.
John A. Nilsen Laurvik (1877-1953), critique d'art et marchand d'objets d'art américain
d'origine norvégienne.
Dispense d'afficher les bans.
La contre-offensive des troupes allemandes à Tannenberg (26-29 août) qui, au cours des mois
suivants, l'emportèrent sur l'armée russe.

503 F A
E.F. Canonnier Dr Freud
Régiment des Canonniers 41
Compagnie en déplacement

Mühlau près d'Innsbruck


le 6 septembre 1914

Cher Ami,
Il m'a encore été donné de voir Martin ici, avant qu'il ne parte, à
ma grande surprise, en direction du Sud'.
Cordialement,
Freud
[Écrit au crayon, de la main de Martin Freud:]
Bien cordiales salutations de Martin.

A. Carte de correspondance de l'armée.


1. Freud est ensuite retourné à Vienne, d'où il est reparti le 16 septembre pour Hambourg
chez Sophie et Max Halberstadt, puis, le 25 septembre, pour Berlin où il a rendu visite à
Abraham. Il est rentré à Vienne le 27 septembre 1914.
4 Fer
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Abonnementspreis : ganzjährig (6 Hefte, 36-40 Bogen) K 21.60 = MK. 18.

Budapest, le 8 septembre 1914

Cher Monsieur le Professeur,


Je vous envoie ci-joint une petite analyse de rêve pour la Zeitschrift 1. Je
n'ai pas besoin de vous dire qu'elle provient de mon auto-analyse et que c'est
seulement après-coup que je l'ai refondue sous forme de dialogue. Vous vous
y reconnaîtrez aussi – en la personne du médecin qui ne veut pas m'analyser.
Tout ce qui est essentiel, je l'ai entièrement rendu, mot à mot, comme cela
m'était venu.
Samedi j'espère pouvoir enfin venir à Vienne tout de même, et y passer
le dimanche et le lundi.
Salutations cordiales de
votre Ferenczi
Je vous prie de remettre les deux manuscrits à Rank 2, mais de ne pas
mentionner la provenance personnelle du mien.
« Le rêve du pessaire occlusif », Ferenczi (1915, 160), Psychanalyse, I1, p. 171-176.
Le contexte ne permet pas de déterminer quel est le second article en question.
5 Fer A
Budapest, le 11 septembre 1914

Pourrais arriver samedi soir – prière répondre.


Ferenczi

A. Télégramme.
506 Fer A
Budapest, le 29 septembre 1914

Prière m'informer quand Monsieur le Professeur rentrera à Vienne. Ferenczi

A. Télégramme.

507 Fer A
Budapest, le 30 septembre 1914

Arrive ce soir 7 [heures] Hôtel Regina – Viendrai à la réunion mercredi.


Ferenczi

A. Télégramme.

508 Fer A
Budapest, le 30 septembre 1914

Train raté – Du matériel pour deux séances que je sollicite pour demain
après-midi' – Arrivée midi Regina.
Ferenczi

A. Télégramme.
1. Ferenczi a commencé le le' octobre une analyse avec Freud, interrompue au bout de trois
semaines et demie par suite de son incorporation comme médecin militaire aux hussards hongrois
cantonnés à Pàpa. (Voir J. Dupont, « Freud's analysis of Ferenczi as revealed by their correspondence
» [L'analyse de Ferenczi par Freud, telle que la révèle leur correspondance], International Journal of
Psychoanalysis, 1994, 75, p. 301-320.)
509 Fer A
Pâpa, le 25 octobre 1914

J'assure le service local. Adresse Hôtel Griff Pâpa.


Ferenczi
A. Télégramme.
Pâpa, Hôtel Griff le 27
octobre 1914

Cher Monsieur le Professeur,


Je vais devoir – à ce que je crois – mener notre correspondance, en partie du
moins, sur une base analytique ; la rupture soudaine de notre relation médecin-
malade (vous voyez, j'écris comme par association libre) me serait, sinon, bien
trop douloureuse. De plus, difficilement réalisable.
Je veux faire un rapport chronologique. Le chemin jusqu'à Pâpa m'a semblé
infiniment long, et pourtant j'étais déjà à la caserne vers 6 heures, et j'ai appris
que j'aurais à assurer le service local. Mon inconscient a semblé si satisfait de
cette nouvelle qu'il a immédiatement mis fin à la satisfaction substitutive de la
diarrhée. Je suis ici depuis trois jours et je peux vous résumer mes impressions.
Le commandant est un homme aimable et distingué, les autres officiers aussi
(hussards) ; à l'exception de deux riches Juifs, rien que de la « gentry » ', des
intendants et quelques aristocrates. Tous me traitent en camarade ; il est vrai
qu'en ce moment le médecin qui peut rédiger des certificats est une personnalité
particulièrement puissante. Nous avons ici, à présent, des compagnies dites de
réserve, qui doivent couvrir le départ des troupes et former les recrues. Je
travaille de huit heures jusqu'à onze heures et demie, l'après-midi je n'ai rien à
faire. Je panse et j'incise des furoncles, je fais des prescriptions contre la toux et
les maux de ventre, et j'examine la troupe à son arrivée ou à son départ en
permission. Nous ne savons presque rien de la guerre, ici ; bizarrement, l'intérêt
pour les nouvelles des journaux a même diminué (chez moi aussi). Le «service»
nous absorbe tellement que nous perdons de vue le but proprement dit de notre
travail.
Je ne sais pas encore ce que je ferai de mes après-midi. J'ai passé le premier
après-midi libre (avant-hier) en faisant de l'auto-analyse par écrit. Cela a bien
marché; je m'imaginais que je vous parlais. Hier, humeur maussade ; après
m'être longuement torturé, il est apparu que je voulais organiser un massacre
(un incendie criminel) à cause d'une blessure minime de mes complexes
homosexuels. Là-dessus, soulagement. – Mes nuits sont perturbées (sommeil
agité).
En somme, à présent, je ne suis ni triste, ni gai; plutôt ennuyé. Je sais tout ce
que je perds par l'interruption de l'analyse, mais le regret que j'en ai ne devient
pas un sentiment conscient. Donc : le premier après-midi, maniaque, le
deuxième, mélancolique, le troisième (aujourd'hui), apathique ; peut-être un
mécanisme circulaire. – N.B. : j'aurais tendance à ne pas vous écrire la lettre,
mais je m'y suis contraint, car je sais toute la gratitude que je vous dois. A
Madame G. (à qui j'ai écrit le premier jour une lettre pleine de ferveur) je ne
pourrais rien dire non plus, à présent. – En guise d'explication, le fait suivant
me vient maintenant à l'esprit: réveillé aujourd'hui de fort bonne heure (4 h et
demie), j'ai fait tous les efforts possibles pour me rendormir ; la méthode
psychanalytique ayant échoué, j'ai saisi cette fois réellement le moyen auto-
érotique (peut-être parce que vous avez recommandé l'auto-érotisme comme
étant le meilleur somnifère). Naturellement, sans succès ; à la place est restée
l'apathie, dont même de bonnes lettres n'ont pu me sortir aujourd'hui. Mais la «
neurasthénie d'un jour » a sûrement aussi des racines psychiques.
Cet aveu est en même temps la reconnaissance du fait que j'ai, encore maintenant,
de telles impulsions (comme je vous l'ai déjà signalé) et que je les laisse passer à l'acte,
une ou deux fois par an. Pendant des années, quand j'étais jeune homme, la lutte
violente contre l'onanisme m'a occupé et tourmenté. – Je pense à présent à la « scène
primitive », postulée par vous. Peut-être ai-je été puni de façon trop sensible après
cette protestation « virile » (uriner) 2.
Je vous promets donc de ne plus vous importuner autant, dorénavant, avec
mon cas. Il viendra, il doit venir le temps où je pourrai poursuivre et terminer
la cure!
J'espère aussi que, prochainement, quand je serai de meilleure humeur et
que je ressentirai entièrement la gratitude que je vous dois, je pourrai vous
écrire une lettre plus agréable. A présent, je sais pourquoi je ne voulais pas
vous écrire: c'était pour ne pas vous déranger avec mes états d'âme personnels
et ennuyeux. – Sans doute est-ce aussi la cause des multiples et longues pauses
dans notre correspondance, dont je porte la responsabilité, la plupart du temps.
Manifestement, j'ai toujours voulu être agréable.
Je peux enfin m'arracher à moi-même et penser à vous et aux vôtres. Veuillez
m'envoyer les épreuves des Trois Essais 3 -ou de n'importe lequel de vos écrits.
A cet endroit, j'ai été quelque peu embarrassé, d'où tant de mots raturés. Il est
vrai que, dans des lettres antérieures, il y avait beaucoup plus de ratures ;
cependant, il y avait aussi beaucoup plus d'ordre et de style. Vous voyez : quand
j'écris ainsi, c'est tout de même toujours le mode associatif
1914 27

qui me revient! Mais qu'en serait-il si je voulais enfin m'entretenir avec


vous, objectivement, de sujets impersonnels?
Je ne m'y force pas aujourd'hui et je mets à la poste cette lettre qui me fait
tel lemen t h on t e. [ B J'ai voulu d i re : à ca use du mauvais sty le ;
probablement la honte se rapporte-t-elle à l'aveu de l'onanisme.]
Donc, je conclus et vous salue cordialement,
Ferenczi
Après ce mot, passage barré: « ce qui vous fait croire que j' ».
Crochets dans le manuscrit.
Le terme de gentry désigne la petite noblesse hongroise. Jusqu'à la fin du siècle, cette classe qui
se considérait comme la gardienne des valeurs historiques du pays était de plus en plus divisée sur
la question du Compromis de 1867. La gentry, incapable de s'adapter aux changements économiques
et sociaux, était sur le déclin. Certains de ses membres occupaient des postes supérieurs dans les
administrations locales et des postes moyens dans les administrations de l'État ; d'autres se
destinaient à la carrière militaire. S'estimant victime des entrepreneurs dont la plupart étaient des
Juifs et des Allemands, la gentry s'érigea en gardienne des traditions, se réfugiant peu à peu dans
un nationalisme étriqué. Bon nombre de ses membres adhéreront à des mouvements de droite qui
prendront une importance croissante après la guerre.
Déjà, dans L'Interprétation des rêves, Freud estimait que l'observation des relations sexuelles
entre les parents provoquait une « excitation sexuelle » chez l'enfant; cette excitation, non
comprise et réprimée, est «transformée en angoisse » (1900a, op. cit., p. 497). Ce problème devient
central dans l'analyse de « l'Homme aux loups », au cours de laquelle Freud a introduit
l'expression de « scène primitive ». Selon l'hypothèse de Freud, ce patient aurait interrompu « les
rapports sexuels de ses parents en ayant une selle » (Freud, 19I 8b, « A partir de l'histoire d'une
névrose infantile », trad. J. Altounian, P. Cotet, OEuvres complètes, XIII, p. 77) et plus tard, il
aurait cherché à séduire la jeune bonne en urinant (ibid., p. 89). A propos de protestation virile
dans ce contexte, voir t. I, 466 Fer et la note 2, ainsi que la discussion de Freud à ce sujet dans
Sur l'histoire du mouvement psychanalytique (trad. Cornelius Heim, Paris, Gallimard, coll. «
Connaissance de l'inconscient », trad. nouv., 1991, p. 100-103). La construction proposée par
Freud dans l'analyse de Ferenczi sera reprise plus tard, sous forme d'allusion (525 Fer) : «
Érotisme urétral — ambition — scène d'observation nocturne ».

Les épreuves des Trois Essais sur la théorie sexuelle de Freud (1905d), dont la troisième édition a
paru chez Deuticke, en 1915.
11 F
ProfDr Freud

le 30 octobre 1914
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je me suis arrêté hier à la page 54 de la nouvelle histoire clinique' et je ne
peux pas mieux occuper ma tête ravagée (par le rhume) qu'en écrivant des
lettres.
Je déduis de la lecture de votre lettre à quel point est encore vivace votre
sentiment de culpabilité infantile! C'était bien bête, cette interruption
brutale de la cure, au moment où elle était la plus intéressante et la plus
productive, mais il n'y avait rien à y faire. Je vous donne à présent le pronostic :
l'auto-analyse va échouer très bientôt et c'est bien ainsi, car l'auto-analyse et
l'analyse avec un étranger ne peuvent pas s'additionner. A l'évidence, tout ce que
nous pouvons faire ici pour vous, afin que vous ne vous enlisiez pas dans le
service, est de vous pousser vers les intérêts >Ira. Je vous ai fait envoyer par
Rank quelques nouvelles parutions dont vous voudrez bien avoir l'obligeance de
rendre compte pour la Zeitschrift en tant que rédacteur, et qui sont d'ailleurs
intéressantes en elles-mêmes. Binswanger mérite une attention particulière 2.
Pfister s'est soudain montré capable de voir Adler sous l'éclairage que j'ai projeté
sur lui s. Il ne fait d'ailleurs rien d'autre que de délayer quelques-unes de mes
remarques. Il a l'art de distiller des louanges grandioses à partir de ce type
d'objections. Partialité, opiniâtreté spéculative et absurdité semblent à la base
de grands mérites en matière de science. Vous allez beaucoup vous amuser. En
outre, vous avez le Kollarits 4. La bibliothèque en demande naturellement le
retour.
Hier, sont aussi arrivées les épreuves du nouveau numéro de la Zeitschrift.
Je me suis beaucoup réjoui de voir combien vos contributions, même les plus
brèves, sont judicieuses et substantielles 5.
Un Italien, Lévi-Bianchini 6, chargé de cours à Naples et directeur du «
Manicomio », veut publier une bibliothèque psychiatrique internationale, et
commencer par une traduction de mes « Cinq Leçons ». Il offre aussi un
échange de journaux. Accepté.
En ce qui concerne mes travaux, je vous enverrai ce qui est transportable, les
épreuves de la théorie sexuelle', dès qu'elles arriveront, le texte de la nouvelle
histoire clinique, si je peux avoir une copie dactylographiée. Si la liaison ferroviaire
était humaine, je pourrais vous rendre visite un dimanche. Vederemo * !
Tous vous saluent cordialement,
votre Freud

* En italien dans le texte: nous verrons!


Il s'agit de l'histoire de l'Homme aux loups, que Freud rédigea en octobre et novembre 1914.
Freud, 1918b [1914], « A partir de l'histoire d'une névrose infantile », OEuvres complètes, XIII, p. 5-
118. Voir aussi 513 F.
Il s'agit probablement du travail de Binswanger sur Jaspers et la psychanalyse, dont Freud fait l'éloge
dans sa lettre à Abraham du 31 octobre 1914 (Freud/Abraham, Correspondance, op. cit., p. 205). Cet
article n'apparaît pas dans la bibliographie de Binswanger par Fichtner (in Freud/Binswanger,
Correspondance, op. cit.) et n'a pu être identifié.
Peut-être l'article d'Oskar Pfister : « Die Pädagogik der Adlerschen Schule » (La pédagogie de
l'école adlérienne), Berner Seminarblätter, 1914, 8.
Deux articles de Jenö Kollarits (voir t. I, 173 Fer et la note 4), parus en août 1914, dont Ferenczi
rédigea les comptes rendus (Ferenczi, 1915, 180 et 181) pour la Zeitschrift (III, 1915, p. 72-85). Voir
515 F et la note 3.
Ce numéro contient deux articles de Ferenczi: « Ontogenèse de l'intérêt pour l'argent » (1914, 146,
Psychanalyse, II, p. 142-149) et « Analyse discontinue (1914, 147, op. cit., p. 150152), ainsi que trois
notes de lecture : Berguer, « Note sur le langage du rêve » ; Pàrtos, « Analyse d'une erreur
scientifique » (1914, 156) et Meggendorfer, « De la syphilis dans l'ascendance des malades atteints
de démence précoce» (1914, 158).
Marco Levi-Bianchini (1875-1961), psychiatre italien, professeur à l'université de Naples et
rédacteur en chef de la revue Il Manicomio. Dès 1909, il s'est intéressé à la psychanalyse, tout en
exprimant des réserves en ce qui concerne la théorie de la sexualité. En 1919, il fait
la connaissance d'Edoardo Weiss et réunit un premier groupe psychanalytique italien qui garde un
caractère non officiel. En 1920, il fonde la revue Archivio Generale du Neurologia e Psichiatria (où s'ajoute,
en 1921, la mention e Psicoanalisi). Membre fondateur, en 1925, et président d'honneur jusqu'à sa mort,
de la Société italienne de psychanalyse ; également membre de l'Association viennoise (19221936), la
Société italienne ne faisant pas partie de l'Association psychanalytique internationale. Bien que
membre du Parti fasciste, il est suspendu de ses fonctions en 1938, en raison de son origine juive. Il
est un des rares membres de la Société italienne à ne pas émigrer et publie même un article sur Freud
en 1940.
Sa traduction des Cinq Leçons sur la psychanalyse (Freud, 1910a [1909]) paraît en 1915 et constitue le
premier volume publié par la Biblioteca psichiatrica, fondée par lui-même, qui deviendra par la suite
Biblioteca psichoanalitica internationale.
7. Voir 510 Fer, note 3.
INTERNATIONALE Z E I T S C H R I F T F Ü R
ÄRZTLICHEPSYCHOANALYSE
Herausgegeben von Professor Dr Sigm. Freud
Schriftleitung : Dr. S. Ferenczi, Budapest, VII. Elisabethring 54/
Dr. Otto Rank, Wien IX/4, Simondenkgasse 8
Verlag Hugo Heller & C°, Wien, I. Bauernmarkt ° 3
Abonnementspreis : ganzjährig (6 Hefte, 36-40 Bogen) K 21.60 = MK. 18.

Bp (!) Pâpa, le 3 novembre 1914 A

Cher Monsieur le Professeur,


Cette fois, quelques lignes seulement, en hâte, avant tout pour vous
remercier de votre aimable lettre – et pour vous demander de bien vouloir tout
m'adresser, à partir de maintenant, à la caserne (Caserne du 7e Régiment des
Hussards Honvéd, Pdpa).
J'ai passé le dimanche à Budapest; Ignotus m'a accompagné jusqu'à Pâpa, et il
est resté ici une journée. Il veut tout essayer pour obtenir ma mutation à
Budapest. J'ai eu des difficultés de logement (j'ai failli écrire « saletés » (de
logement) *), voilà pourquoi je ne suis pas arrivé à travailler. Peut-être y
parviendrai-je à partir de maintenant!
La possibilité même de votre venue m'a réjoui. Dès le deuxième jour après
mon arrivée ici, le nom de « Freud » est apparu soudain sur la liste des étrangers
à l'Hôtel « Griff ». J'ai couru à la chambre n° 10 – j'ai immédiatement
reconnu votre petite serviette, et je suis allé à votre recherche. Le portier me fit
alors comprendre mon erreur.
Salutations cordiales de votre
Ferenczi
A. Les lettres Bp sont barrées et remplacées par Pàpa.
* Jeu de mots intraduisible entre schwierig (difficile) et schmierig (barbouillé).
513 F
ProfDr Freud

le 9 novembre 1914
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Je vous écris aujourd'hui, 1) pour vous accuser réception de votre lettre du 3 et
de votre carte qui est arrivée ce jour, 2) parce que je vous ai envoyé, à l'adresse de
l'hôtel, une feuille d'épreuves de la théorie sexuelle, 3) parce que j'ai énormément
de temps – plus qu'un patient – et 4) parce que je conclus, d'après vos actes, que
vous ne vous êtes pas encore ressaisi et j'en suis fort mécontent.
De nouvelles, fort peu. L'Italien de Nocera (Bianchini) m'a envoyé,
aujourd'hui déjà, la traduction de la première des Cinq Leçons, pour laquelle
j'ai écrit une préface'. L'histoire clinique 2, forte de 116 pages, est achevée. Rank
l'a emportée aujourd'hui pour la lire. Elle m'a précipité dans de sérieux doutes,
qui n'ont pas pu être totalement résolus rationnellement, et je présume que le
doute latent, tapi dans l'ombre, quant à savoir si nous allons vaincre, y a
rajouté son grain de sel *. Mais il y a là quelque chose sur quoi je voudrais avoir
votre opinion. Il est vrai qu'il reste encore six mois jusqu'à l'impression.
L'éditeur du manuel de Kraus m'a fait savoir aujourd'hui qu'il n'aura pas besoin
avant fin 15-début 16 de mon manuscrit, qui était programmé pour avril 1915.
Tous les jours, quelque chose s'effrite. Je ne sais pas maintenant avec quoi
remplir ma journée.
Martin a été incorporé dimanche à Steyr s, Ernst a été malade de la grippe
et doit encore être bien mal en point. Oli trouve sans cesse du travail', et il
semble avoir bien réussi. Annerl est, comme toujours, active et plaisante. De
Pfister, une lettre bête et disciplinée ; sinon, quand le canon tonne, la voix de
la psychanalyse ne se fait pas entendre dans le monde.
Si nos amis n'ont pas réalisé quelque chose de tout à fait décisif d'ici Noël,
ils auront affaire aux Japonais, que l'Angleterre laissera sûrement venir en
France, et alors l'espoir d'une issue heureuse devra être enterré 5.
Je vous salue cordialement et attends de vos nouvelles,
votre Freud
* Textuellement: « y a rajouté son raifort », assaisonnement presque aussi banal en Autriche que
le sel. Le raifort revient dans d'autres locutions familières, comme: « j'ai besoin de lui pour râper du
raifort », c'est-à-dire, je n'ai aucun besoin de lui.
1. C'est ce passage de la lettre de Freud qui a attiré l'attention sur la préface en question, inédite
jusqu'à présent. Dans la prochaine édition de la Bibliographie de Freud elle figurera sous le numéro
1915j. En voici le texte : « Préface. J'ai bien volontiers donné mon accord pour cette traduction, qui
réalise un souhait ancien. Depuis de longues années, j'éprouve le besoin, pour continuer le travail,
de puiser des forces dans les beautés de l'Italie; pays dans
la littérature duquel je ne serai désormais plus un étranger, grâce aux efforts du traducteur. La
remarquable faculté de compréhension du professeur Levi-Bianchini garantit une fidélité de
reproduction dont tout auteur n'a pas la chance de pouvoir jouir. Je pense que la psychanalyse
mérite l'attention des médecins et des personnes cultivées en général, parce qu'elle établit une
relation étroite entre la psychiatrie et les autres sciences humaines. J'ai essayé d'en donner une
description plus générale dans un article de la revue Scientia (Bologne, 1913). Vienne, 1915, Freud.
»
Voir 511 F et la note 1.
Petite ville de la Haute-Autriche.
Oliver Freud, ingénieur, était alors en train d'effectuer des travaux d'arpentage pour la
construction de baraquements d'infirmerie (Freud à Mitzi Freud, 30 X 1914, LOC).
Dès le début de la guerre, le Japon s'était rangé aux côtés de l'Entente et avait attaqué les positions
allemandes en Chine et dans l'océan Pacifique. La colonie allemande de TsingTao tomba le 7 novembre
1914. Cependant, malgré la demande de l'Angleterre et de la France, les Japonais refusèrent de
participer à la guerre en Europe.
PapaA, le 10 novembre 1914 Adresse :
Caserne des Hussards

Cher Monsieur le Professeur,


Tout d'abord je voudrais vous faire part d'un étrange caprice du hasard. J'ai
oublié de vous mentionner dans l'analyse – car je n'en ai plus eu le temps – un
symptôme nasal très désagréable, qui avait d'ailleurs disparu depuis à peu près
un an ; il s'agit, pour moi, de la sensation subjective d'une constante odeur
d'ammoniaque. Mon oto-rhino a dit que ceci proviendrait de l'excitation des cellules
ethmoïdales ou du nerf olfactif. Mais je crois maintenant qu'il s'agit, pour le nerf
olfactif, d'un signe d'excitation comparable à ce qui se passe chez moi également
dans les domaines des nerfs auditif et optique (par suite de troubles circulatoires
?). Ce symptôme a maintenant réapparu, mais en même temps a émergé aussi
chez moi l'idée suivante : la tonalité par trop spécifique de l'odeur ne serait-elle
pas malgré tout d'origine psychogène, c'est-à-dire, provenant de mes troubles
urinaires infantiles. Sinon, nous devrions considérer tout cela comme une
coïncidence fortuite particulièrement remarquable.
Physiquement, je ne me suis pas senti mieux ici qu'à Vienne, mais mon
humeur était à peu près bonne : apathie et insouciance prédominaient. Pour la
première fois aujourd'hui, l'absurdité de l'existence à Papa et chez les militaires
m'a un peu déprimé. J'allais d'ailleurs physiquement moins bien que d'habitude
: surdité jusque dans l'après=midi, ammoniaque dans le nez le soir, mauvais
rêves la nuit.
Ici, au château, chez le comte, je suis bien logé.
Il vous intéressera de savoir (je l'ai appris par le comte B., chambellan d'un
archiduc, qui vient d'être incorporé ici en tant que capitaine), que dès
septembre, Garibaldi' a fait une incursion au Tyrol, avec trois mille Italiens et
Français. L'armée autrichienne y était préparée – tout le lot a
été capturé et expédié à Rome par le train, après quelques dépêches courtoises.
Il est étrange qu'une telle chose ait pu rester secrète ! Il était formellement
interdit aux soldats autrichiens de tirer, afin d'échapper au casus belli.
De plus, il a dit que nous recevrions 30 % des dommages de guerre
éventuels et, en outre, des attributions coloniales (en cas de victoire).
Pour ma part, je ne suis pas attiré par le théâtre des opérations, mais je
voudrais être muté à Budapest; mes chances sont cependant minimes.
J'ai arrêté l'auto-analyse au moment même où vous avez déclaré qu'il était
peu probable que je puisse la continuer. Votre opinion a été pour moi — un
ordre!
Je viens de recevoir les premiers feuillets de la théorie sexuelle!
Merci beaucoup!
Salutations à la famille et aux collègues,
votre Ferenczi
A. En-tête pré-imprimé en bleu.
1. I1 s'agit sans doute du corps de volontaires italien « Garibaldi » (Jones E., La vie et l'ceuvre
de Sigmund Freud, II, trad. Anne Berman, Paris, P.U.F., 1961, p. 187). L'Italie n'a déclaré la
guerre à l'Autriche-Hongrie que le 23 mai 1915.

515 F
Prof. Dr Freud

le 11 novembre 1914
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Je vous écris de nouveau aujourd'hui, parce que je me suis occupé de vos
comptes rendus et que, dans ma solitude, je suis content de pouvoir écrire
une lettre cachetée.
J'ai dit la dernière fois que, chaque jour, quelque chose s'effritait. J'ai reçu
hier la nouvelle de la mort de mon frère aîné'. Il avait, certes, quatre-vingt
un ans, mais le faire-part dit : accident ferroviaire. Je pense qu'il n'aura pas
supporté la guerre ; il avait une grande vitalité et il a atteint exactement le
même âge que notre père. J'ai déploré aujourd'hui que l'Emden 2 ait sombré,
nous nous y étions véritablement attachés.
Au sujet de vos notes de lecture, je pense que Kollarits 3 n'aurait pas mérité
tant d'égards ad personam *, mais on peut comprendre qu'en pareils temps on
éprouve la tentation de montrer ce qui, dans un exemple, a valeur de modèle, si
bien que le lecteur devient élève. La première critique est donc excellente à
tous points de vue. Au sujet de la seconde, sur l'interprétation des rêves, j'ai
plusieurs choses à redire. Les différences ne sont pas assez nettement
accentuées ; des deux arguments principaux, il en
manque un : ce qui est crainte dans un système est justement désir dans
l'autre, et c'est ce qui importe. Le deuxième argument est mentionné : c'est
celui du rêve de punition (conscience de culpabilité masochique). Dans
l'exemple de K.[ollarits] au sujet de la gifle, vous donnez trop d'importance au
fait que c'est un autre qui la reçoit ; il ne faut pas chercher là-dedans
l'accomplissement du désir; c'est un rêve de punition avec adoucissement par
déplacement. Dans l'exemple de la gonorrhée, il aurait été judicieux de
mentionner un rêve analogue, mais bien analysé, de Stärcke (à propos de
l'affect primaire), dans feu le Zentralblatt 4, et de faire une réprimande sérieuse
pour la confusion constante entre rêve manifeste et latent. Rank vous enverra
donc cette note de lecture afin de lui donner plus de tranchant.
Je vous ai adressé aujourd'hui les feuillets d'épreuves numéro 2 de la
thé.[orie] sex.[uelle] ; dans votre ennui, vous lirez peut-être cela aussi. J'ai
abandonné de nouveau le x et le double x pour caractériser la distinction
d'après les couches originaires 5.
Avec mes salutations cordiales et dans l'espoir d'apprendre bientôt
votre mutation 6,
votre Freud
* En latin dans le texte: « pour la personne » ou « personnellement ».
Le demi-frère de Freud, Emanuel (né en. 1833), est décédé le 17 octobre 1914. La notice suivante
parut dans le Southport Guardian, le 21 octobre 1914 : « Le samedi après-midi, lors du passage à Parbold
Station de l'express en provenance de Manchester et à destination de Southport, on s'aperçut qu'une
portière d'un wagon était ouverte et qu'un homme d'un certain âge était étendu sur les rails.
Apparemment, il était tombé du compartiment où il voyageait seul. Lorsqu'on vint le relever, il était
mort. On l'identifia comme étant Emanuel Freud... » (The Family Letters of Sigmund Freud and the Freuds of
Manchester, Tom Roberts, Mark Paterson et Ass. (éds), 1991, inédit.)
Il s'agit du croiseur auxiliaire Emden, coulé le 9 novembre par un croiseur australien, devant les
îles Cocos, ou Keeling, dans l'océan Indien, au sud-ouest de Java.
Voir 511 F, note 4. II s'agit des articles intitulés «Observation de psychologie quotidienne » et «
Contribution à l'étude des rêves ». Apparemment, dans la version publiée dans la Zeitschrift, Ferenczi
avait tenu compte des critiques exprimées par Freud dans cette lettre.
August Stärcke : « Ein Traum der das Gegenteil einer Wunscherfüllung zu verwirklichen schien,
zugleich ein Beispiel eines Traumes, der von einem anderen Traume gedeutet wird » (Un rêve qui
semble réaliser le contraire d'un accomplissement de désir, en même temps exemple d'un rêve
interprété par un autre rêve), (Zentralblatt, 1912, 2, p. 86-88), cité, par la suite, par Ferenczi.
Avec L'Interprétation des rêves (1900a), les Trois Essais sur la théorie sexuelle (1905d) était le seul
ouvrage que Freud cherchait à remettre à jour lors de chaque nouvelle édition. Seule la deuxième
édition (1910) met en évidence les notes nouvellement ajoutées, au moyen d'astérisques. (Voir «
Préface à la deuxième édition », Freud, 1910n [1909].) S. Freud (1905d), Trois Essais sur la théorie
sexuelle, trad. Philippe Koeppel, Paris, Gallimard, coll. « Connaissance de l'inconscient », trad.
nouv., 1987, p. 28.
C'est-à-dire le retour de Ferenczi à Budapest.
516 Fer A
Papa Ble 15 novembre 1914 c

Cher Monsieur le Professeur,


Je vous écris seulement pour vous présenter mes condoléances à l'occasion de
votre deuil. J'ai souvent remarqué combien vous étiez attaché à votre frère aîné
— qui était pour vous presque comme un père. Cette année si triste nous met
tous durement à l'épreuve; qui sait ce qui nous attend encore.
Aujourd'hui, je me rends à Budapest pour vingt-quatre heures,
serai de nouveau ici mardi matin.
Salutations cordiales de votre
Ferenczi 15 XI 1914
Merci pour les deux feuilles d'épreuves de la théorie sexuelle.
Petite carte postale, écrite des deux côtés.
En-tête pré-imprimé en bleu.
Date en dessous de l'en-tête pré-imprimé « Papa » et répétée à la fin de la lettre.

517 Fer
Papa, le 22 novembre 1914

Cher Monsieur le Professeur,


Mon long silence doit avoir pour cause une résistance ; mais je ne sais pas
ce qui a pu l'actualiser.
Du point de vue analytique, mon état peut se caractériser à présent de la
façon suivante : je me sens assez à l'aise dans la situation militaire
homosexuelle ; quelque, chose en moi semble s'en accommoder parfaitement.
La raison s'insurge toutefois contre cette façon de gaspiller la vie et le temps ;
c'est pourquoi, à Budapest, j'ai mis en marche tout ce qui était possible pour
accélérer ma mutation. — Les indispositions nocturnes et les rêves qui les
accompagnent trahissent à peu près ceci : si mon travail de rêve réussit à
réconcilier, d'une façon ou d'une autre, les courants homosexuel et
hétérosexuel, alors je dors bien et me réveille frais et dispos;
sinon, mes malaises surviennent. — J'aimerais transcrire pour la Zeitschrift un
rêve très intéressant qui, par ailleurs, explique un épisode biblique, celui de la
chute de Sodome et Gomorrhe'. Il résulte de l'analyse que la femme de Loth a été
changée en statue de sel non seulement parce qu'elle s'est retournée pour voir les
villes en flammes, mais aussi parce que le sel symbolise en même temps le mode
pervers de satisfaction sexuelle dans ces cités (le cunnilingus, etc.). (Explication,
en même temps, de l'expression hongroise: « même un vieux bouc lèche
volontiers du sel ».)
J'ai un peu plus à faire ici dans l'exercice de mes fonctions, car je prends mes
tâches sanitaires au sérieux. Moyennant quoi, j'ai déjà été proposé pour une
promotion par le commandant, de sorte qu'on me donnera bientôt le titre de «
médecin-chef ».
Aujourd'hui, je reçois des visiteurs très chers de Budapest: Madame G. et sa
soeur 2 viennent voir mon logement à Papa.
Entre-temps, mon incognito ici a été honteusement détruit : les jeunes dames
m'ont fait inviter pour une conférence sur la psychanalyse. J'espère que je
pourrai exprimer mon refus, avec mes regrets, en datant ma lettre de Budapest.
— Je dois dire, d'un autre côté, qu'il y a beaucoup d'obstacles à une mutation
en pleine guerre.
Je vous remercie de l'envoi des épreuves. Elles sont, pour ainsi dire, une
exhortation à ne pas oublier la science. Il est curieux de voir combien me
paraissent évidentes, maintenant, les idées révolutionnaires qu'elles recèlent.
J'ai eu ici une séance d 'analyse. Mais la patiente n'est pas revenue
après la première fois.
Possédez-vous déjà des renseignements détaillés sur le décès de votre frère?
Madame G, et moi-même avons tous deux pensé, malgré nous, à la prophétie
de Jung S. Nous voulons espérer que le destin se satisfera d'un seul accident
dans la famille.
Salutations cordiales de votre
Ferenczi
Genèse, XIX, 1-26. Il n'a été trouvé aucune note de Ferenczi sur ce thème.
Sarolta Morando, née Altschul.
Allusion non éclaircie. Voir cependant 519 F et 520 F.
Pàpa, le 24 novembre 1914

Cher Monsieur le Professeur,


Ci-joint mon portrait, pour l'instant encore en modeste uniforme de
médecin-assistant.
Correspondance 1914-1919

A. Carte postale fabriquée par Ferenczi lui-même, le représentant en silhouette découpée


(buste de profil) collée dans la partie gauche du côté réservé à la correspondance.

519 F
Prof. Dr Freud

le 25 novembre 1914
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Votre photo étoilée, qui vient juste d'arriver, précipite la réponse que je vous
dois. Je veux d'abord vous reprocher de penser à une chose aussi insensée que
la prédiction de Jung, en une occasion aussi inadéquate. Vous êtes bien plus
profondément plongé dans l'occulte que nous ne le pensons. S'il en était ainsi,
ne vous semble-t-il pas que c'est à la guerre elle-même que l'oracle devait faire
allusion? Si elle se prolonge et qu'elle me tue, d'une manière ou d'une autre, ma
propre superstition, que vous connaissez, concernant les chiffres, l'aura quand
même emporté 1.
Je vous ai envoyé aussi les dernières corrections de la Théorie sexuelle dont vous
aurez tiré quelques nouveaux aperçus 2. Depuis que nous nous sommes quittes,
j'ai été très actif. Outre l'histoire clinique, forte de ses cent douze feuillets, quelque
chose d'autre est en route, dont il ne faut pas encore parler. On travaille quand
même tout autrement quand on a la tête aussi complètement reposée. Je vous
révélerai seulement que, sur des chemins depuis longtemps tracés, j'ai enfin
trouvé la solution de l'énigme du
temps et de l'espace, ainsi que le mécanisme depuis si longtemps recherché de la
déliaison de l'angoisse s. Depuis lors, il est vrai, il y a une certaine paresse.
Rank échappera très probablement au conseil de révision et il pourra alors faire
son travail %ra sur l'épopée'. Jones a envoyé aujourd'hui une longue lettre via
Emden, dans laquelle il rapporte beaucoup de choses personnelles et il juge de
l'issue de la guerre avec l'étroitesse d'esprit de l'Anglais ; il y mentionne aussi, parmi
ses projets de travail, la traduction de vos écrits 5.
De la part de Brill, il y avait une lettre concernant ses difficultés personnelles. Il
se comporte vraiment comme le vrai chien du jardinier * 6, il ne peut faire toutes
les traductions lui-même et ne veut en déléguer aucune à quiconque.
Madame Lou Salomé fait mention de vous aujourd'hui dans un écrit fort intelligent
". J'espère apprendre en même temps votre promotion et votre mutation, et je vous
salue cordialement,
votre Freud

* En français dans le texte.


La préoccupation de Freud concernant la date de sa mort. « La date qu'il se fixa d'abord fut l'âge de
quarante et un et quarante-deux ans, et ultérieurement, avec plus d'intensité encore, cinquante et un ans.
En 1899, c'est l'âge de soixante et un et soixante-deux ans qui commençait à l'inquiéter, et en 1936 ce fut
l'âge de quatre-vingt-un ans et demi. » (Max Schur, La Mort dans la vie de Freud, trad. Brigitte Bost, Paris,
Gallimard, 1975, p. 199. Voir aussi la lettre de Freud à Jung du 16 avril 1909, Freud/Jung, correspondance, I,
Paris, Gallimard, 1975, p. 295-297.)
La troisième édition contenait essentiellement, par rapport aux précédentes, trois parties nouvelles : l'une
sur la curiosité sexuelle infantile (Freud, 1905d, p. 123-125), une autre sur les stades de développement de
l'organisation sexuelle, comprenant ici la constitution d'une organisation orale (op. cit., p. 127-132), une
troisième sur la théorie de la libido, essentiellement fondée sur l'article de Freud (1914c) traitant du
narcissisme (op. dt., p. 157-160). On y trouve par ailleurs les enrichissements suivants : des commentaires de
Freud sur l'étiologie de l'homosexualité (1905d, 2° alinéa de la note en bas de page, p. 50 sq.) et du fétichisme
(note en bas de page, p. 63) ; des notes sur la nature secondaire du masochisme (p. 69 sq.) ; la définition de la
pulsion « en tant que représentation psychique d'une source endosomatique de stimulation» (p.83); la
distinction entre sublimation et formation réactionnelle (note en bas de page, p. 101); la discussion du
problème des caractéristiques générales permettant de reconnaître les manifestations sexuelles de l'enfant (p.
104) ; la disposition constitutionnellement renforcée comme caractère essentiel d'une manifestation sexuelle
infantile. Celle-ci apparaît par étayage sur une des fonctions vitales du corps (p. 106) ; l'équation « selles-cadeau-
enfant » (p. 112) ; discussion des concepts de « masculin » et « féminin » (p. 161) ; discussion entre choix d'objet
anaclitique et choix d'objet narcissique (p. 165-166) ; établissement d'une « série étiologique» (qui deviendra
plus tard «série complémentaire») à propos de l'efficacité relative des facteurs constitutionnels et des facteurs
accidentels (p. 191-192).

Les deux questions ont déjà été abordées précédemment par Freud (celle du temps et de l'espace dans
1901a [Le Rêve et son interprétation, trad. Hélène Legros, Paris, Gallimard, coll. « Idées », 1969, p. 64], celle de la
déliaison de l'angoisse dans 1895f [« Zur Kritik des Angstneurose »]) mais reprises seulement plus tard dans
(1920g) « Au-delà du principe de plaisir» (trad. S. Jankélévitch, Essais de psychanalyse, Paris, Payot, PBP n° 15,
p. 7-81 ; référence p. 34-35) et dans (1926d) Inhibition, symptôme et angoisse (trad. Michel Tort, Paris, PUF, 1968).
Jones pense (Jones, II, p. 186) que le problème du temps et de l'espace se réfère à la conception: « Le premier
de ces concepts [temps] se rapporte à la topographie du psychisme, particulièrement à celle du psychisme
inconscient, tandis que le second [espace] ne se trouve pas dans l'inconscient, mais demeure confiné dans
les couches plus conscientes du psychisme. » Vers la même époque, Freud a caractérisé les systèmes du
conscient (Cs) et de l'inconscient (Ics) de
la façon suivante : « Tous les investissements de chose constituent le système Ics, le système Cs
correspond à la mise en relation de ces représentations inconscientes avec les représentations de mots
qui rendent possible l'accès à la conscience. » (Freud à Abraham, 21 XII 1914, Correspondance, op. cit., p.
210.)
Otto Rank : « Homer, Psychologische Beiträge zur Entstehungsgeschichte des Volksepos, -I»
(Contributions psychologiques à l'histoire de la genèse de l'épopée populaire), Imago, 1917, 5, p.
133169 ; «Psychologische Beiträge zur Entstehungsgeschichte des Volksepos, II », ibid., p. 372-393.
Rank voulait présenter ces travaux pour l'agrégation (Freud à Abraham, lettre du 11 XII 1914,
Correspondance, op. cit., p. 208-209).
Lettre de Jones à Freud, du 15 XI 1914 : « 1...] manifestement, l'Allemagne ne peut ni vaincre
ni être véritablement défaite » (Correspondance, p. 197, en anglais.) La traduction des articles de
Ferenczi par Jones parut sous le titre de Contributions to Psychoanalysis (Ferenczi, 1916 11861) chez
R. G. Badger (Boston). Nouvelle édition : First Contributions to Psychoanalysis, New York, Brunner-
Mazel, 1980.
Référence à une pièce de Lope de Vega, Le Chien du jardinier, où le chien veille jalousement sur son
os sans pouvoir tirer aucun bénéfice de sa possession. Les droits de traduction anglais et
américains pour les oeuvres de Freud constituaient une source de conflits permanents entre Brill
et Jones (voir par exemple Jones, II, p. 47-48).
Lettre du 19 XI 1914 (Freud/Andreas-Salomé, Correspondance, Paris, Gallimard, 1970, p. 28-29).

520 Fer
INTERNATIONALE ZEITSCHRIFT FÜR
ÄRZTLICHEPSYCHOANALYSE
Herausgegeben von Professor Dr Sigm. Freud
Schriftleitung : Dr. S. Ferenczi, Budapest, VII. Elisabethring 54/
Dr. Otto Rank, Wien IX/4, Simondenkgasse 8
Verlag Hugo Heller & C°, Wien, I. Bauernmarkt N° 3
Abonnementspreis : ganzjährig (6 Hefte, 36-40 Bogen) K 21.60 = MK. 18.

Pàpa, le 30 novembre 1914

Cher Monsieur le Professeur,


La seule perturbation dans nos relations – pas tout à fait négligeable – due à
l'analyse entamée se manifeste en ceci que je trouve difficilement le ton pour
notre correspondance. J'oscille entre une lettre normale et une confession
analytique par écrit, jusqu'à ce que la résistance qui s'exprime dans cette
oscillation l'emporte, et la lettre n'est pas écrite du tout.
Vous en faire part a été une manière d'échapper à cette difficulté. Mais
vous comprendrez et vous pardonnerez si, dans mes lettres, l'égocentrisme du
névrosé s'étale longtemps encore.
Je dois vous raconter tout de suite une expérience de cet ordre, tout à fait
subjective, et pourtant en rapport avec les événements du monde. Un lieutenant
de hussards est venu aujourd'hui de Miskolcz et a raconté que les hôpitaux
militaires de là-bas avaient été évacués. Rien de ce que la guerre a jusque-là
produit d'effroyable ne m'a fait une si forte impression que la nouvelle d'un
danger menaçant la ville paternelle (plus exactement : qui menaçait, car ce
danger-là semble entre-temps avoir été écarté). Vous
pouvez imaginer combien cette preuve éclatante de ma fixation infantile à la
terre natale m'a surpris. Du reste, vous avez là aussi la démonstration de votre
théorie, à savoir qu'en fait, il n'existe pas d'amour de la patrie [Vaterlandsliebe],
mais seulement un amour de la ville du père (« amour de la ville paternelle »)
[Vaterstadtliebe]. De là découlent des perspectives sociopsychologiques
intéressantes sur le rapport intime entre narcissisme et patriotisme local d'une
part, entre amour d'objet et internationalisme de l'autre. Être né et avoir été
élevé dans une petite ville a un effet inhibiteur – semble-t-il – sur le
développement, au sens d'une fixation au patriotisme narcissique.
Le travail que j'ai entrepris (la traduction de la théorie sexuelle) 1 n'avance
que lentement. Perturbations de toutes sortes. Tantôt la maîtresse de maison
(Madame la Comtesse Eszterhäzy, née Andràssy 2) arrivée ici entre-temps, vient
et m'invite à bavarder avec elle, tantôt je suis appelé à la caserne comme
conseiller médical par le commandant polypragmatique * récemment installé.
Mais, manifestement, je me laisse volontiers déranger et ne me presse pas de
retourner à ma table.
Je dois avouer que la nouvelle de votre travail assidu ne m'a pas seulement
apporté de la joie, mais aussi un peu de honte envers mon mode de vie. Ce n'est
que ces tout derniers jours (probablement sous l'influence du changement
intervenu dans le commandement) que je pense plus souvent au caractère
intenable de cette situation. Les perspectives de mutation sont toujours très
incertaines.
Les nouveautés dans la théorie sexuelle ne m'ont surpris que pour une très
faible part, puisque la plupart des changements étaient déjà en préparation ; j'ai
moi-même poussé jusqu'au bout l'élaboration de certains détails (ainsi l'influence
réciproque des zones érogènes et leur rapport à la sublimation) 3, dans une
formulation moins réussie. Dans aucune de vos oeuvres la précision scientifique
et l'objectivité dépassionnée ne s'expriment aussi nettement que dans la théorie
sexuelle. On sent que chaque mot y est pesé au plus juste ; elle est la charpente
de tout l'édifice de la psychanalyse. La traduction m'apporte beaucoup de plaisir;
de cette façon, on « s'approprie » l'ceuvre, pour ainsi dire.
Les grandes découvertes dont vous parlez rendent plus aigu mon vif désir de
me rendre à Vienne. Toutefois, il m'est impossible de savoir quand je pourrai
partir, car on attend la visite d'un général. Qu'en est-il de votre projet de venir
ici quelque jour ? D'une manière ou d'une autre : je veux lire très prochainement
la grande histoire clinique et entendre parler des grandes découvertes. Même si
ma productivité est tarie (pas définitivement, j'espère), ma compréhension des
créations d'autrui n'est pas encore perdue, du moins pas pour l'instant. – La
liaison ferroviaire entre Pàpa et Vienne est très commode – à l'aller comme au
retour. Je vous signale que tous les trains figurant dans l'indicateur ne circulent
pas entre Györ et Päpa. Je vous indiquerai prochainement exactement lesquels.
J'achève cette lettre, parce que je suis à tout moment menacé de déraper sur
la voie analytique.
Juste ceci encore : l'idée du lien entre l'annonce de la mort ' et la prophétie
de Jung provient en fait de Madame G., mais je ne l'ai pas rejetée. L'autre idée
(la guerre, etc.), je l'ai eue aussi, d'ailleurs. (Manifestement
40 Correspondance 1914-1919

un morceau de cette clairvoyance ** qu'a le fils pour la mort du père !) Mon «


occultisme » est très nettement séparé du reste du savoir et ne le perturbe
en aucune manière ; il est libre de tout mysticisme.
Salutations cordiales!
Ferenczi

Dois-je publier le rêve des colonnes de sel et l'interprétation analytique de la


femme de Loth changée en statue de sel ? Je traduis votre silence à ce sujet
comme le signe que cela vous a déplu; ou bien est-ce que je me trompe?
* Nous conservons le terme forgé par Ferenczi, qui pourrait avoir le sens de « polyvalent ». ** En
français dans le texte.
Voir t. I, 284 Fer et la note 8.
Ilona Andrässy (1886-1967), épouse de Päl Eszterhäzy (voir 549 Fer et la note 1).
Voir Freud 1905d : Trois Essais sur la théorie sexuelle, op. cit. Il est question de la sublimation p. 70-
71 et p. 178. Toutefois, Freud a repris les deux passages de la première édition sans les modifier.
Emanuel, le demi-frère de Freud.

521 F
Prof. Dr Freud

le 2 décembre 1914
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Reçu votre lettre aujourd'hui. Regrette aussi l'interruption de l'analyse si
prometteuse. Il faut penser que tout a été fait pour que les arbres ne
poussent pas jusqu'au ciel *. En revanche, si la guerre n'était pas arrivée,
vous n'auriez pas eu l'occasion de passer vos vacances à Vienne et, pour ma
part, j'aurais peut-être hésité à me charger de vous. L'état des choses reste
toutefois déplaisant.
Vous ne devez conclure de mon silence à propos du rêve de la femme de
Loth que ceci : j'ai voulu attendre l'envoi de cette petite publication, avant de
m'exprimer à son sujet. Pourquoi devrais-je m'y opposer?
Sachs a été libéré aujourd'hui, nous en espérons prochainement autant pour
Rank, qui se défend comme un lion contre la patrie'. Des lettres relativement
joyeuses de la part des deux garçons qui sont à Salzbourg et à Klagenfurt 2.Ma
femme rentre demain de Hambourg. Rank vous enverra une lettre circulaire
que Jones m'a adressée s.
Je n'ai nullement abandonné l'idée de ma visite à Pàpa. J'attends vos
informations sur les opportunités ferroviaires. Ce ne serait malgré tout pas dans
l'immédiat, compte tenu de mon travail. Mon sort en la matière a été semblable
à celui des Allemands dans la guerre. Les premiers succès ont été d'une facilité
et d'une ampleur surprenantes; ils m'ont donc entraîné
à poursuivre, et à présent je suis parvenu à des choses si dures et opaques que je ne
suis pas certain d'en venir à bout. La guerre me laissera, quoi qu'il en soit, le temps
pour toutes les expériences, mais je suis maintenant sous l'effet des difficultés actuelles
et je ne peux rien en dire. Il s'agit d'aller plus loin dans les problèmes auxquels je m'étais
arrêté dans la Théorie sexuelle.
La clientèle est en nette diminution par rapport à ses débuts et a donc droit à
une totale négligence de ma part. J'ai exactement deux patients, tous les deux
hongrois! Avec mes salutations cordiales et dans l'attente de vos nouvelles,
votre Freud
* Proverbe aussi bien autrichien que hongrois pour dire qu'il y a des limites à tout.
Hanns Sachs avait été réformé à cause de sa myopie, mais il fut appelé de nouveau, ainsi que Rank,
au cours de l'été de l'année suivante (Jones, II, p. 188).
Il s'agit de Martin, qui resta plus longtemps que prévu à Salzbourg (voir 498 F) et ne fut mobilisé qu'en
janvier 1915 (Freud à Eitingon, 17.I.1915, Sigmund Freud Copyrights, Wivenhoe [désormais : SFC]) et
d'Ernst qui, depuis le 8 octobre 1914, faisait son instruction militaire dans l'artillerie à Klagenfurt (capitale
de la province de Kärnten, dans le sud de l'Autriche actuelle).
Il s'agit probablement de la lettre mentionnée dans 519 F.

x ; 2 2 Fer

Pàpa, le 9 décembre 1914

Cher Monsieur le Professeur,


Le motif extérieur – conditionné de l'intérieur – de mon long silence a été, cette fois,
un refroidissement assez sérieux, contracté lors d'un exercice nocturne – auquel j'ai
assisté sans y avoir été requis. A présent, je vais de nouveau très bien. Les travaux
de mutation ne veulent progresser plus rapidement que les Allemands en Argonne' ;
des mines sont toujours posées, bien que quelques-unes aient explosé sans succès.
(Il y a 6 mois, cette manière militaire de s'exprimer aurait paru insensée. Je crains
que, pendant des années, toute la vie intellectuelle de l'Europe ne soit dominée par la
guerre – même si la paix est conclue bien plus tôt.)
Je suis très heureux de ne pas abandonner l'espoir de vous voir ici un jour. On
m'enverra demain, par courrier de Györ, la liste des correspondances qui
fonctionnent. Un nouveau commandant, plus sévère, nous a tout simplement
interdit les sorties dominicales habituelles, de sorte que mon voyage à Vienne est
remis en question. Peut-être y arriverai-je quand même.
Après avoir réussi à me faire des amis de tous les messieurs et dames de la
garnison, et aussi à donner satisfaction à mes supérieurs en tant que médecin
militaire, il me semble avoir accompli mon devoir, et mon désir de retourner à
Budapest à mon travail habituel devient de plus en plus vif.
J'ai déjà oublié par deux fois de vous raconter que j'ai reçu à Budapest
quelques lignes d'Otto Gross ; il a rejoint l'armée – comme il me l'écrit – en tant
que médecin militaire, en Hongrie 2. J'ai été très surpris par cette situation.
L'autre collègue qui m'a écrit est Eitingon s. Tous deux ont aussi cherché à me
joindre personnellement, à Budapest.
Mes salutations cordiales aux chers membres de votre famille. Que dit votre
fille Sophie de l'atmosphère en Allemagne?
Salutations cordiales,
Ferenczi

Chaîne de montagnes à la frontière franco-belge, où l'avance allemande fut stoppée, pour se


transformer en guerre de position.
Le 8 juillet 1914, Otto Gross fut congédié, « guéri », de la clinique psychiatrique de Troppau (Silésie)
; par la suite, il entreprit une analyse avec Wilhelm Stekel, à Bad Ischl. Lorsque la guerre éclata,
Gross travailla comme médecin engagé volontaire à la section des malades de la variole, à l'hôpital
François-Joseph de Vienne, puis en Hongrie du Nord, dans une infirmerie de campagne pour
contagieux, à Ungvàr (aujourd'hui en Ukraine). Ensuite, rendu à la vie civile, il servit comme médecin
de réserve de l'armée territoriale, à l'hôpital Impérial et Royal Vinkovci pour contagieux, en Slavonie.
Voir Emmanuel Hurwitz, Otto Gross, Paradies-Sucher zwischen Freud und Jung (Otto Gross à la recherche du
Paradis entre Freud et Jung), Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1988.
Max Eitingon, en tant que citoyen autrichien, s'engagea volontairement dans l'armée (Eitingon
à Freud, 24 VIII 1914, SFC) ; il fut stationné d'abord à l'hôpital de la garnison à Prague, puis dans
diverses localités hongroises (Kassa, Iglô, Hatvan, Miskolc).

523 Fer A
Dr.FERENCZISÄNDOR
IDEGORVOS, KIR. TÖRVÉNYSZ. ORVOSSZAKÉRTÖ *
TELEFON : 42-46 BUDAPEST VII. ERZSÉBET-KÖRUT 54 B

Pàpa, le 11 décembre 1914

Cher Monsieur le Professeur,


Ci-joint l'horaire des trains praticables entre Vienne et Pâpa, via Györ.

Staatsbahnhof
Vienne départ à 9 h 10 du matin (train rapide)
Györ arrivée à 11 h 21 (omnibus à partir de Györ)
Pâpa arrivée à 12 h 58

Vienne départ à 12 h 00 (omnibus)


Györ arrivée à 15 h 45 (3/4 d'heure d'arrêt)
Pâpa arrivée 17 h 15, le soir.

Vienne départ à 10 h 20 (omnibus)


Györ arrivée à 2 h 11 (arrêt d'une heure!)
Pàpa arrivée à 5 h 15 du matin. Retour

Pàpa départ à 6 h 25 (train rapide)


Györ 7 h 12 omnibus
Vienne 11 h 20
Pàpa départ à 2 h 29 de l'après-midi
Györ départ à 4 h 14 omnibus
Vienne arrivée à 7 h 52 (le soir)
Päpa départ à 5 h 21 du matin, omnibus
Györ départ à 9 h 30 du matin, rapide
Vienne arrivée à 11 h 40
Pipa départ à 1 h 36 la nuit
Györ 3h6
Vienne 6 h 45 du matin.

A utiliser selon votre bon plaisir!


Ferenczi
[Écrit au dos d'une deuxième carte de visite :1
P.S. Pour plus de sécurité encore, Oli devrait demander à la Staatsbahnhof si
les trains indiqués ici vont réellement tous jusqu'à Vienne, ou seulement jusqu'à
Bruck, et repartent bien de Vienne et pas seulement de Bruck
Écrit sur les deux côtés d'une carte de visite.
Carte de visite imprimée jusqu'ici.
* Dr. Sândor Ferenczi, neurologue, expert auprès des tribunaux royaux.
4F
ProfDr Freud

le 15 décembre 1914
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Nouvelle preuve de la petitesse du monde. Un de mes patients sporadiques
s'est trouvé, quelques jours avant votre lettre, dans votre cher Pâpa et m'a remis
les horaires de départ, mais il pense qu'il ne serait pas possible de rentrer dans
la même journée. Ma visite est à présent remise en question par une énergique
réapparition de mes troubles intestinaux chroniques. Voilà trois ans déjà que
l'effet Karlsbad persiste pendant quatre mois.
Dans le travail, en revanche, tout marche bien à nouveau. Je vis, comme dit
mon frère, dans ma tranchée privée, je me livre à des spéculations et j'écris ; et,
après de durs combats, j'ai bien franchi la première série d'énigmes
et de difficultés. Angoisse, hystérie et paranoïa ont capitulé 1. Nous verrons bien jusqu'où
les succès pourront être poussés. Beaucoup de belles choses en sont sorties, le choix de
la névrose et les régressions sont achevés sans difficultés. Votre introjection 2 s'est révélée
tout à fait utilisable ; quelques progrès dans les phases du développement du moi. La
signification de l'ensemble dépend de ma réussite à maîtriser ce qui est proprement
dynamique, soit le problème du plaisir-déplaisir, ce dont je doute, au vrai, après mes
tentatives précédentes. Mais, même sans cela, je peux me dire que j'ai déjà donné à
l'univers plus qu'il ne m'a donné. Je suis plus que jamais isolé du monde maintenant, et
je le serai aussi plus tard, du fait des conséquences prévisibles de la guerre ; je sais que
j'écris actuellement pour cinq personnes 8, pour vous et les quelques autres. L'Allemagne
n'a pas mérité mes sympathies en tant qu'analyste, et mieux vaut ne pas parler de notre
patrie commune.
Mon gendre Max 4, lui aussi, est passé devant le conseil de révision à Hambourg ; il
ne sera toutefois mobilisé que dans un temps indéterminé. Au printemps, quand
arrivera le grand bain de sang, j'y aurai, pour ma part, trois ou quatre fils. Ma
confiance dans l'avenir après la guerre est fort réduite. D'ailleurs, nous avons appris
aujourd'hui l'évacuation de Belgrade 6, occupée si spectaculairement il y a quinze
jours. On nous entretient depuis trois mois de l'inévitable effondrement de la Serbie.
Beaucoup de dégoût pour la façon dont nous menons les choses.
Je ne peux pas m'attendre à ce que vous travailliez beaucoup à Päpa ; je présume
d'ailleurs qu'au Nouvel An Heller proposera l'arrêt de nos revues 6, et nous n'aurons rien
de pertinent à lui opposer, puisqu'il y a peu de travaux, pas de lecteurs ni d'abonnés. On
n'évitera pas l'effritement. Il promettra naturellement de les reprendre après la guerre.
Mais... l'Association, elle aussi, est morte. On ne la réveillera plus. Nous ne pouvons
garder le mot « internationale » dans notre intitulé'.
Rank a trouvé entre-temps une solution séduisante au problème d'Homère, à
l'aide d'une hypothèse Jra. 8. Cela nous a bien amusés, c'était presque aussi drôle
que les recherches sur le feu à Brioni 2.
A la maison, nous avons traversé, heureusement sans dégâts, y compris ma mère
âgée de soixante-dix-neuf ans, l'épidémie de grippe qui sévit actuellement. A Noël,
Ernst viendra peut-être ; pour Martin, c'est peu probable. Ne comptez-vous pas,
vous aussi, sur une permission de Noël ?
Je vous salue cordialement et attends de vos nouvelles,
votre Freud

II s'agit de trois articles métapsychologiques, non publiés. Voir « L'introduction aux écrits
métapsychologiques » de 1915 dans l'édition allemande: Studienausgabe, III, p. 71 sq.
Concept introduit par Ferenczi dans « Transfert et introjection » (1909 [671), Psychanalyse, I, p. 93-
125. Les cinq membres que comprenait alors le Comité secret: Abraham, Ferenczi, Jones, Rank et
Sachs. Max Halberstadt, mari de Sophie Freud.
Le 15 décembre, Belgrade fut abandonnée sans résistance.
La Zeitschrift et Imago. La première parut encore en 1915 ; l'année 1916-1917 ne fut imprimée qu'en 1918.
Imago interrompit sa publication en 1915 et reparut en 1916 ; elle interrompit de nouveau sa publication
entre 1917 et 1918 ; l'année 1919 fut publiée à l'Internationaler Psychoanalytischer Verlag qui venait d'être
fondée.
Il s'agit du titre de la Internationale Zeitschrift für ärztliche Psychoanalyse.
Voir 519 F, note 4
Voir t. 1, 469 Fer et la note 3, ainsi que 470 F.
25 Fer
Pâpa, le 18 décembre 1914

Cher Monsieur le Professeur,


Votre lettre d'aujourd'hui m'a réellement procuré beaucoup de plaisir. Si j'en
juge d'après son contenu, une quantité non négligeable de satisfaction
intellectuelle m'attend au moment où je prendrai connaissance de vos plus
récentes idées ; en outre – et bien qu'en soi et pour soi il s'agisse d'un constat
regrettable –, je me suis réjoui de pouvoir être un des si rares à voir vos idées se
développer in statu nascendi * et à en faire leur profit. J'ai remarqué d'ailleurs,
en traduisant votre Théorie sexuelle – en incorporant mot à mot son contenu –
que vos phrases brèves et souvent sèches recelaient des problèmes
innombrables – à vrai dire tous les problèmes de la psychologie – et en partie
aussi l'indication de la direction dans laquelle devrait se trouver la solution.
Cependant, le fait que vos trouvailles les plus récentes, ainsi que les idées
surgies indépendamment chez moi, soient déjà prétravaillées, sans exception, dans
la première version de la théorie sexuelle, me semble plus remarquable encore.
Le mystique en moi (que vous surestimez) affirmerait avec Silberer que tout ce
qui est venu plus tard était rangé dans vos tiroirs, à cette époque déjà, sous
forme de pressentiment. Mais la partie la plus sobre de mon pouvoir de jugement
me laisse penser que vous vous êtes manifestement toujours contraint à la plus
stricte et prudente honnêteté et que vous avez fait preuve d'une sévérité
incroyable à l'égard des produits de votre imagination ; ceci suffit à expliquer le
fait que tout s'ajuste si bien. De vérité, il n'en est qu'une /*/ ; et les vérités
doivent être en harmonie les unes avec les autres.
Je suis d'avis qu'il ne faut pas abandonner la Zeitschrift, à condition que cela
soit possible. Renonçons plutôt à sa dimension et au titre somptueux d'«
internationale », etc. Mais il est nécessaire qu'un lieu existe pour recevoir vos
travaux de moindre importance et qui vous donne aussi la possibilité de nous
écrire quelques petites choses, techniques ou autres. Pour nous «cinq» aussi,
un tel organe est indispensable, surtout pour moi, l'auteur de 'PA au souffle le
plus court, qui ne réussira certainement jamais l'exploit d'un fascicule
indépendant. Votre pessimisme – justifié en ce qui concerne l'A4utrichel-
H4ongrie] – semble s'être en partie déplacé du domaine politique au domaine
scientifique. Des névrosés, il y en aura aussi après la guerre, de même que des
problèmes psychologiques inexpliqués, et ni la thérapie, ni la théorie ne
pourront se passer de la psychanalyse ; elles n'ont « tout simplement » aucune
chance d'avancer sans elle.
Mes observations dans ma position actuelle sont vraiment caractéris-
tiques. J'espère quand même pouvoir bientôt vous les raconter
personnellement. Assurément, je ne pensais pas que l'aller-retour se ferait
en une seule journée, mais que vous auriez besoin de deux jours pour cette
expédition ; ce qui, il est vrai, est déjà un peu plus difficile à réaliser.
Raconter des choses personnelles n'est pas facile, une fois qu'on a goûté à la
minutie >Irct. Physiquement je vais assez bien, psychiquement pas mal non
plus, dans cette existence privée de pensées – quelque peu morne – dont je
n'ose sortir que rarement, sinon presque jamais, pour m'aventurer dans les
sphères douloureuses – non encore éclaircies – de mon Ics. De ces semaines
d'analyse, le bénéfice psychique majeur que j'ai enregistré est la
reconnaissance de la violence des pulsions homosexuelles en moi. Quant à la
solution de la relation à la femme – et c'est bien elle qui nous ouvre d'abord la
vie réelle – je n'y suis pas parvenu. De temps en temps, l'examen rapide d'un
rêve m'apporte la confirmation de votre proposition de solution : 1) érotisme
urinaire – ambition – scène observée nuitamment (?), 2) importance de la
question de l'enfant, etc.
Du reste, il me vient à l'esprit, à l'instant, que la résistance à l'égard de
Madame G. (à qui je n'ai pas écrit depuis deux semaines déjà) pourrait avoir
un rapport avec le fait qu'Elma vient ces jours-ci à Budapest en jeune
mariée, et que cela a pu réveiller en moi toute la question, non résolue à
Vienne, de ma relation avec elle.
Mais, à quoi bon dérouler tous ces problèmes ? Peut-être me reprendrez-
vous un jour de nouveau en traitement ; jusque-là il faut s'en tirer tant bien
que mal.
J'ai un commandant plus sévère à présent. Mais si vous ne pouviez venir (ce
qui est possible compte tenu de ce que j'ai dit plus haut, ainsi que de votre
santé), alors je me rendrais à Vienne pour deux jours, en semaine. En aucun
cas à Noël : pour Noël on ne donne absolument aucune permission.
Salutations cordiales à vous et à ceux qui vous sont chers
de Ferenczi
/*/ Et non plusieurs, comme le pense Zurich. * En
latin dans le texte: à l'état naissant.

526 Fer
Pâpa, le 31 décembre 1914

Cher Monsieur le Professeur,


Or donc, rendons hommage à l'ancestrale magie de la pensée et
souhaitons-nous mutuellement une heureuse nouvelle année. Si, en plus du
métapsychique, cet usage magique avait un fond métaphysique ou physique, alors
le voeu collectif de tant de millions de malheureux et de mécontents
devrait, cette fois, se condenser en un formidable pouvoir qui écarterait tout
obstacle sur le chemin de la paix. Espérons que, même sans l'aide de telles forces
occultes (qui, malheureusement, ne se manifestent nulle part), l'épuisement
matériel et mental de toutes les parties conduira bientôt à l'entente.
Rétrospectivement, je dois relever comme le plus précieux des événements
personnels de l'année écoulée les quelques semaines d'analyse chez vous.
Malgré son caractère incomplet, je remarque tous les jours qu'elle a été capable
de changer, dans une certaine mesure, ma disposition nettement névrotique
depuis quelques années. Ce facteur personnel augmente encore – si c'est
possible – la gratitude que je dois de toute façon au créateur de la psychanalyse.
Lors de notre dernière rencontre 1, outre la vigueur de votre esprit et votre
fécondité, mon propre comportement, aussi, m'a fait plaisir; la spontanéité et
l'absence de gêne dans ma relation avec vous sont sûrement un succès du mode
d'expression analytique.
Vous êtes sans doute plus exposé que moi aux événements extérieurs qui
nous attendent. C'est que vous devez veiller sur l'ceuvre de votre vie et sur votre
famille; pour ma part, je n'ai toujours pas atteint les options définitives * –
malgré mon âge – et suis encore profondément pris dans le juvénile - pour ne
pas dire l'infantile. Peut-être cette juvénilité chronique retient-elle un peu de
vieillir prématurément ; elle empêche à coup sûr de remplir son devoir personnel
et social.
Laissons ces ruminations ! Je reprends les formules magiques et souhaite à
tous ceux qui vous sont chers tout ce qu'il y a de mieux pour l'année qui vient.
Recevez les salutations cordiales et reconnaissantes de
votre affectueusement dévoué,
Ferenczi

J'enverrai le manuscrit 2 lorsque la poste sera moins chargée. J'ai reçu la


nouvelle Th.[éorie] sex.[uelle] et vous en remercie.
* En latin dans le texte: definitivum.
Les 20 et 21 décembre, Ferenczi avait rendu visite à Freud, à Vienne (Freud à Abraham, 21 XII
1914, lettre inédite, au musée Freud de Londres [désormais : FI).
Il s'agit peut-être de l'article sur « Le rêve de la colonne de sel » mentionné dans les lettres
précédentes.
Päpa, le lei janvier 1915 A

Cher Monsieur le Professeur,


Profitant d'une occasion favorable, j'ai réussi à obtenir de nouveau quatre jours
de vacances que je passerai à Budapest (samedi, dimanche, lundi, mardi). Une
rencontre serait-elle possible et réalisable ? – Dimanche à Raab ', peut-être? Ou à
Presbourg 2 ? Ou même à Budapest? Si oui, je vous prie de me prévenir par
télégramme. (Mais je reconnais que ce serait, en fait, trop pénible pour vous. Je
pensais seulement qu'un peu de changement ne vous serait pas contre-indiqué en
ces temps extrêmement accablants) B. Madame G. – qui se compte parmi les cinq
personnes pour lesquelles vous écrivez – serait plus qu'heureuse.
Cordiales salutations
Ferenczi
Je pars ce soir.

Lieu et date à la fin de la lettre.


La seconde parenthèse manque dans le manuscrit.
Raab : Györ en hongrois.
Presbourg: Pressburg en allemand, Pozsony en hongrois, Bratislava en slovaque. Capitale actuelle
de la Slovaquie.
528 Fer
DICK MAN() Könyvkereskedése * Budapest
VII
Erzsébet-körtlt 12

Budapest, le 4 janvier 191 A 5 B

Cher Monsieur le Professeur,


J'apprends par un patient, le Docteur Dukes 2 - en suspens pour le moment à cause
du service —, qu'il ira probablement à Vienne pour son instruction militaire. La
résistance lui a dicté alors l'idée d'aller vous trouver et de vous demander de le
prendre en traitement pendant ces huit semaines. Je crois que je dois vous mettre
en garde contre cela, tant dans l'intérêt de la cause que pour des raisons
personnelles, car le Docteur D.[ukes] est un des rares patients qui me resteront
après la guerre, « minable résidu ». Pour ce qui est de ma mutation, j'ai pu faire
avancer les choses dans une certaine mesure — on verra plus tard si j'ai réussi.
Mercredi, je serai de nouveau à Papa.
Cordiales salutations,
Ferenczi
Il est bien entendu que le Docteur D.[ukes] ne sait rien de cette lettre. Il
souffrait d'impuissance psychique, mais il est déjà guéri et actuellement
encore en traitement pour de légers troubles obsessionnels et hystériques.
En-tête préimprimé jusqu'ici. Les données du coin supérieur gauche sont barrées
dans le manuscrit.
Corrigé à partir de « 4 ».
* En hongrois : librairie de Mann Dick.
Mann Dick, éditeur. A publié les trois recueils d'articles de Ferenczi: 1910, 70 ; 1912, 98 ; 1914,
149. Plus tard, devient membre de l'Association psychanalytique hongroise (voir aussi 532 Fer.)
Géza Dukes (?-1944). Juriste devenu psychanalyste. Ses travaux traitent des rapports entre la
criminologie et la psychanalyse, ainsi que de la personnalité du délinquant. Il a traduit en hongrois,
en collaboration avec Istvän Hollns, Le Moi et le ça de Freud (Budapest, Panthéon, 1937). Déporté
en 1944, il est mort en camp de concentration.

529 Fer
Pàpa, le 9 janvier 1915

Cher Monsieur le Professeur,


Étant encore à Budapest, j'ai reçu un télégramme' m'indiquant que vous ne
veniez pas, mais que vous envoyiez un « nouveau manuscrit ». Arrivé
ici, cela fait des jours que j'attends les écrits annoncés; enfin, le soupçon a
commencé à poindre en moi, qu'il s'agissait peut-être d'une déformation due
au style télégraphique et qu'en fait, vous réclamez votre manuscrit de la «
Scène primitive » 2. Malgré tout, j'attends pour vous l'envoyer de savoir ce
qu'il en est en réalité. Je vous prie de m'informer au plus tôt, si nécessaire
de nouveau par télégramme.
Mon séjour à Budapest a été intéressant. En même temps qu'une poussée
d'hétérosexualité (probablement en réaction au milieu exclusivement
homosexuel de Pàpa), l'ancienne virilité intellectuelle s'est réveillée en moi ; je
me suis ressaisi et j'ai produit quelques idées importantes selon moi, que je
promets de vous communiquer.
De retour ici, j'ai sombré dans la paresse et la passivité jusqu'à
aujourd'hui, où (après une petite sieste d'une heure et demie) je me suis
réveillé plein d'entrain ; j'ai commencé à travailler et mis au jour, sans peine,
une deuxième série de bonnes idées.
Quel dommage que nous devions laisser tout cela sans l'élaborer
psychanalytiquement !
Ici, des militaires (même haut placés) prédisent une guerre de longue
durée. (La fin vers octobre.) Je pense aussi que les 2 parties vont s'épuiser à
l'extrême et que celle qui, au dernier moment, aura encore un peu de forces
en réserve sera victorieuse.
Il n'est pas impossible que je sois muté ; à Budapest, cela semblait immi-
nent. Depuis, aucun signe, malheureusement. Cordiales salutations,
Ferenczi
L'écrivain Brôdy qui est un de mes amis et écrit des choses intéressantes, va
s,

vous rendre visite. Veuillez le recevoir amicalement et parlez-lui des choses


qu'il aimerait savoir.

Non retrouvé.
Le manuscrit de l'analyse de «l'Homme aux loups» (Freud, 1918b [19141).
Sàndor Brôdy (1863-1924). Journaliste, romancier et dramaturge hongrois. Auteur de pièces
célèbres à l'époque, comme La Nounou ou L'Institutrice. Il s'intéressa plus particulièrement à la
situation sociale de la femme. Voir Éva Brabant, Ferenczi et l'École hongroise de psychanalyse, Paris,
L'Harmattan, 1993, p. 46-47.
0F
Prof. Dr Freud

le 11 janvier 1915
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Le télégramme était correct. Je ne voulais pas télégraphier tout
simplement « Impossible venir », et j'ai décidé de faire un additif qui vous
empê-
cherait de penser qu'un obstacle particulier était survenu. Or, la chose la
plus particulière était que, deux jours auparavant, une éruption d'idées
s'était soudainement produite après une longue pause – exactement comme
vous le décrivez en ce qui vous concerne – et d'un contenu si important que
j'en ai été d'abord comme ébloui. Elle concernait la métapsychologie de la
conscience, rien de moins.
J'ai donc promis de vous faire savoir ces choses-là de façon globale et
ordonnée. Quand je m'y suis mis deux jours plus tard, le dégrisement est
venu. La matière était réfractaire à toute description et montrait des lacunes
tellement effroyables et de telles difficultés que j'ai tout interrompu et que,
maintenant, je retire aussi ma promesse. Pour le moment, je ne vous enverrai
rien. Pas davantage, peut-être, ultérieurement car, depuis, plus aucune
éruption souterraine n'a été observée. J'en conclus donc simplement que ces
énigmes µ11r * m'intéressent encore, rien de plus.
Je suis très curieux de connaître vos productions, mais je ne voudrais
pas vous influencer en vous dérangeant prématurément. Je souhaite très
sincèrement que vous soyez muté dans vos foyers, si vous y trouvez la
même sécurité qu'en ce moment.
Ici, rien de nouveau, hormis la traduction italienne des Cinq
Conférences', qui a pris une très belle allure.
Monsieur Dukes, contre qui vous m'aviez mis en garde, n'est pas
apparu. Votre ami Brôdy sera bien accueilli.
Salutations cordiales ; vous souhaitant une patience sans limites,
votre fidèle
Freud
* Métapsychologiques.
1. Voir 511 F et la note 6.

531 F
Prof. Dr Freud

le 12 janvier 1915
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
La lettre ci-jointe, pour votre aimable appréciation'.
Voilà comment je me situe en ce qui concerne cette affaire: au fond, je ne
souhaitais cette traduction que dans l'intérêt de Deuticke, c'est-à-dire en
faveur de ma position auprès de Deuticke. Qu'elle soit souhaitable en tant que
telle, c'est vous qui pouvez le mieux en juger. Je ne connais pas l'homme, sa
lettre ne permet pas non plus un jugement sûr quant au degré de confiance
qu'il mérite, elle parle plutôt contre lui. Je ne voudrais en aucun cas que vous
vous en chargiez vous-même, car vous avez des choses
plus productives à faire, mais je poserai de toute façon à cet homme la
condition de vous soumettre la traduction pour révision, ou que vous y soyez
associé d'une manière officielle et visible – en acceptant par exemple une
préface de vous. Je vous prie de me répondre bientôt pour que je puisse
informer le postulant.
Je vous salue cordialement, votre
Freud

1. Il s'agit d'une proposition (non conservée) pour la traduction en hongrois de


L'Interprétation des rêves. Voir la lettre suivante.
2 Fer
Pàpa, le 13 janvier 1915

Cher Monsieur le Professeur,


Merci pour les deux informations. Pour en revenir d'abord à la dernière
(traduction de L'Interprétation des rêves) : le traducteur n'est certainement
pas digne de confiance et je suis résolument opposé à remettre ce chef-
d'oeuvre entre les mains d'un bousilleur. Dès que je serai à Budapest,
j'essaierai de trouver quelqu'un de plus digne qui effectuera la traduction sous
ma direction et mon contrôle. Jusqu'à présent, je ne m'en suis pas occupé,
parce que vous m'avez souvent dit préférer que l'oeuvre circule en langue
allemande, même en Hongrie'. Pour la publication, nous ne sommes pas dans
l'embarras *, mon Dick, un jeune éditeur ambitieux, mérite tout d'abord d'être
pris en considération pour sa fiabilité. Il m'a déjà souvent demandé le droit
de publier L'Interprétation des rêves. Peut-être pourrai-je convaincre Ignotus de
faire la traduction. Le jeune Dr Radd (le secrétaire de notre association)
comprend bien les choses, mais son style est mauvais. Bah, on trouvera bien!
En attendant, je travaille aux dernières pages de la traduction de la Théorie
Sexuelle, et si la guerre dure longtemps, et que je reste à Pàpa, les traductions
de la Gradiva et du petit travail sur les rêves 2 vont suivre ; je compte les publier en
un seul volume (la Théorie Sexuelle à part, naturellement).
Après une courte pause, j'ai pu poursuivre les idées rapportées de
Budapest. J'avais l'intention de ne vous faire part de cet enchaînement que
dans un écrit, pas par lettre. Cela m'est venu, d'abord, comme une mauvaise
blague, mais je me suis forcé à prendre la chose au sérieux ; je suis toutefois
préparé à ce que tout cela se révèle n'être qu'une absurdité. Il est vrai que,
par moments, j'étais convaincu d'avoir découvert une grande vérité. Je peux
vous raconter le sujet : la solution au problème du coït et de l'excitation
sexuelle en général 9 !
Vous voyez, les problèmes que je me pose ne sont pas moins audacieux
ds7dL\tY
o
que les vôtres. Trouverai-je une solution aussi réussie que vous ? Pour
ma part, je n'y crois pas.
Je pars peut-être le 14 au soir pour une journée à Budapest; le 16,
je serai sûrement à Papa!
Cord.[iales] salutations,
votre Ferenczi
[Écrit le long du bord gauche de la feuille:]
Quant à l'ami Brôdy, je pense qu'il suffira que vous vous en occupiez vous-
même ; l'introduire dans votre famille, ce serait un peu trop. Il est très
doué, aimable, etc., mais sans caractère.
* Jeu de mots intraduisible entre Verleger (éditeur) et nicht verlegen (pas embarrassé).
Une traduction hongroise de L'Interprétation des rêves (Freud, 1900a) par Istvân Holl6s, révisée par
Ferenczi, fut finalement publiée en 1934 ou 1935 chez B. Som16 (Budapest). Les données fournies
par Grinstein (dans Bibliography of Freud's Writings et The Index ofPsychoanalytic Writings) sur les
publications de 1915 et de 1919 sont manifestement inexactes; ainsi, Ferenczi signale dans 1192
Fer du 30.XI.1930 que «L'Interprétation des rêves n'est toujours pas parue ».
Délire et rêve dans la e Gradiva » de Jensen (Freud, 1907a [ 1906], trad. fr. Marie B9naparte,
Paris, Gallimard, 1971) n'a pas été traduit en hongrois. La traduction par Ferenczi de Sur le
rêve (Freud, 190la) [trad. fr. Cornelius Heim, Paris, Gallimard, coll. «Connaissance de
l'inconscient », 1988] a paru dès 1915 chez Man6 Dick.
C'est cette suite d'idées qui sera élaborée en une théorie de la génitalité et publiée sous ce
titre en 1924 (Ferenczi [1924], Psychanalyse, III, Paris, Payot, 1974, p. 250-323).

533 Fer
Pàpa, le 23. janvier 1915

Cher Monsieur le Professeur,


Comme je ne peux pas compter sur de nouveaux manuscrits, je vous
renvoie, ce jour, en vous remerciant, celui du travail concernant la « scène
primitive ».
Je traduis aujourd'hui les trois dernières pages de la Théorie Sexuelle.
Ensuite, j'essaierai de rédiger cette suite d'idées ébouriffantes, sans me
soucier du ridicule prévisible.
Autre projet de travail : analyse de Pierre Bezoukhov 1 (névrose
obsessionnelle typique, avec tous les traits de caractère requis selon
vous). Je repartirai peut-être un de ces jours à Budapest, d'autant qu'un
frère de Gisela (l'aîné) est moribond 2.
A part cela, je n'ai rien à vous écrire ; en fait, il ne se passe rien de
spécial, ici. Vous avez sans doute déjà entendu parler de l'important
mouvement de troupes (des troupes allemandes sont aussi envoyées dans
les Carpates) s.
Dans l'attente de vos nouvelles,
A. Dans le manuscrit: 1914. Lieu et date à la fin de la lettre.
Un des principaux protagonistes du roman de Léon Tolstoï (1828-1910), La Guerre et la paix,
personnage complexe, tourmenté par le doute, incapable de prendre une décision.
Non identifié.
Le 23 janvier 1915, une grande bataille d'hiver fut engagée dans les Carpates, qui dura
jusqu'en avril 1915 et fit un grand nombre de morts et de blessés.
Pàpa, le 24 janvier 1915

Cher Monsieur le Professeur,


Le jeune fils du régisseur des domaines du Comte se fait un plaisir de me
photographier dans diverses poses. Si vous cherchez un peu, vous
découvrirez un deuxième être vivant sur l'image B.
Cordialement,
votre Ferenczi

Photographie en forme de carte postale, représentant Ferenczi en uniforme, debout devant un


mur couvert de plantes, avec une fenêtre.
Un petit chien noir (caniche?) est assis dans l'ombre, aux pieds de Ferenczi.
Pâpa, le 2 février 1915

Cher Monsieur le Professeur,


Pour des raisons inconnues, votre dernière lettre est arrivée avec un retard
de 10 jours. Le même jour, je vous ai envoyé une lettre, annonçant la
réexpédition de l'article sur la scène primitive. En raison de cette perturbation
du trafic postal, je vous prie de me confirmer rapidement la réception de votre
manuscrit.
Ma nomination comme médecin-chef est bien arrivée, le 1/II ; à ma propre
surprise, cet avancement n'a pas réussi à susciter en moi la moindre
satisfaction. Manifestement, ma vanité s'est déjà déplacée vers quelque chose
de plus élevé. Je veux parler de la science, mais je ne peux en dire rien de bon
; je me suis fourvoyé dans des problèmes biologiques et je ne trouve plus le
chemin du retour vers la psychologie! Par bonheur, je sais que je me suis égaré
et j'espère — en renonçant à faire suivre la plus grande part de l'intendance
biologique — arriver finalement, malgré tout, à bon
port dans la psychanalyse. Il est intéressant d'observer la grande régularité qui
se manifeste dans notre réaction à tous deux à l'inactivité forcée engendrée par
la guerre. On comprend maintenant l'activité spéculative des biologistes et des
philosophes qui – se mouvant toujours loin de la réalité – voudraient construire
tout l'édifice de l'univers sur les quelques faits qui leur sont connus.
Service, lecture, spéculation, rapports amicaux avec les camarades militaires,
tous les 2 jours une séance (analyse), chaque jour une leçon d'équitation – tel est
mon programme. L'hiver, ici, est plaisant. Peut-être viendrez-vous tout de même
faire un tour, un dimanche?
Cordiales salutations à tous ceux qui vous sont chers et à vous-même de
votre Ferenczi

[sans numéro] F A
Vienne, le 7 février 1915

Cher Ami,
Le mécanisme de la mélancolie que je vous présente ici est un début
d'exploration des névroses narcissiques que nous devons aborder maintenant'.
La mélancolie a un modèle normal, c'est le deuil que nous comprenons bien
(sauf ce qui est le plus important sur le plan i4) *. Le moi doit concéder à
l'épreuve de réalité qu'il a perdu son objet libidinal et qu'il doit en retirer sa
libido. Un processus se met alors en place, au cours duquel tous les souvenirs
et tous les fantasmes d'anticipation concernant cet objet sont repris un par un
et expressément déniés (dénoués), mais ceci alors que l'objet perdu a encore
une existence psychique et repousse tous les autres objets à l'arrière-plan. Celui
qui n'arrive pas à accomplir ce travail de deuil est contraint à s'installer dans
une psychose hallucinatoire de désir, dans laquelle l'objet est maintenu à toute
force, autrement dit, tout se passe comme dans le deuil, sauf que la dénégation,
à la fin, est omise.
Le propre du deuil est de consumer tout intérêt et toute libido : la
mélancolie montre le même trait sous forme d'inhibition. On est conduit à
admettre que la mélancolie aussi a perdu quelque chose, mais peut-être qu'elle ne
sait pas quoi. (Ce qui est incompréhensible dans le deuil, au sens
métapsychologique, c'est : pourquoi le détachement de la libido fait-il si mal
?)
Le tableau de la mélancolie est uniforme et très facile à interpréter. La
mélancolie montre un extraordinaire appauvrissement du Moi, et une
perception douloureusement accrue de celui-ci. Le degré de conscience de
l'autocritique y est extraordinairement fort et nous brosse un tableau dont
nous devons admettre la justesse. Le Moi est dévalorisé, il reste très en
deçà de l'idéal, ne peut rien réaliser, doit accepter de se faire les pires reproches, ne
mérite ni soins ni attention. C'est donc vraiment dans cet état-là qu'il se trouve. Il
est remarquable que l'auto-observation (la conscience morale, la censure du Moi, le
Moi réel) est intacte et aiguisée. Mais comment le Moi de la mélancolie
en est-il arrivé à cet état ? Qu'a-t-il fait de mal pour mériter pareille
condamnation?
On est mis sur la voie, inconnue jusqu'alors, par une observation facile à mettre
en oeuvre. On a très souvent l'impression que les reproches à soi-même de la
mélancolie ne sont rien d'autre que des reproches à quelqu'un d'autre, détournés
de celui-ci et dirigés contre le Moi propre. On est donc en présence d'une
identification du Moi avec l'objet libidinal. Le Moi est en deuil parce qu'il a perdu son
objet par dévalorisation, mais il projette l'objet sur lui-même et se trouve alors lui-
même dévalorisé. L'ombre de l'objet tombe sur le Moi et l'obscurcit. Le processus du
deuil ne se déroule pas aux dépens des investissements d'objet, mais des investissements du
Moi.
Nous avons déjà rencontré'des cas semblables d'influence de l'investissement du
Moi par l'investissement d'objet. Ainsi, dans la vie amoureuse, quand le névrosé
compense les manques de son propre Moi par les qualités supérieures de son objet
sexuel. Nous connaissons aussi une identification hystérique et nous devons nous
demander comment elle se distingue de celle que nous rencontrons dans la
mélancolie. Dans l'identification hystérique, le Moi est également modelé sur l'objet,
mais l'investissement objectal n'est pas lâché, il persiste dans l'inconscient avec
une force exagérée et soumet le Moi (y compris la censure du Moi). Dans
l'identification narcissique de la mélancolie, l'investissement d'objet est levé, le. Moi
s'empare de son image et la censure du Moi reste intacte. Au lieu d'un conflit
entre Moi et objet, il y en a un, maintenant, entre Moi-objet et censure du Moi. Mais,
dans les deux cas, l'identification est l'expression de l'énamouration.
Les conditions spécifiques du mécanisme ne sont pas encore explorées. Que, si
souvent, les individus à la sensibilité émoussée succombent à la mélancolie a
certainement son importance ; la prépondérance du choix d'objet narcissique,
l'incapacité à l'investissement d'objet semblent en être les conditions. La manie
n'est pas non plus expliquée par ce mécanisme de la mélancolie. Elle semble avoir
pour condition que la censure du Moi, intacte, soit levée.
Dans l'attente de vos remarques, cordiales salutations de
Freud

* Métapsychologique.
A. Cette esquisse inconnue de Deuil et mélancolie, que Ferenczi a ensuite adressée à Abraham (voir la lettre
suivante, ainsi que Freud/Abraham, Correspondance, op. cit., lettre du 18 II 1915, p. 202, et voir la lettre
inédite d'Abraham à Freud du 5 III 1915, FM, dans laquelle il en accuse réception), a été découverte par
Ernst Falzeder à l'occasion d'un séjour d'études aux Archives Freud, LOC, container B.7, en novembre
1991. Comme elle est, sans aucun doute, adressée à Ferenczi, elle a été intégrée après coup, sans
numérotation, à cet endroit. Elle n'est pas écrite sur du papier à lettres, mais sur les feuillets de grand
format que Freud avait l'habitude d'utiliser pour ses manuscrits. La transcription par Ingeborg Meyer-
Palmedo a été effectuée selon les mêmes principes que le reste de la correspondance. (Voir à
propos de la transcription.)
1. Voir Deuil et mélancolie, trad. J. Altounian, A. Bourguignon, P. Cotet, A. Rauzy, OEuvres
complètes, XIII, p. 259-278.

536 F A
Vienne, le 18 février 1915

Cher Ami,
Voici quinze jours que vous ne me donnez pas de vos nouvelles. S'il vous
plaît, envoyez l'article sur la mélancolie directement à Abraham. Ici, rien de
nouveau.
Martin écrit, du front, des cartes postales où il paraît content. Cordialement,
votre Freud

A. Carte postale.

537 Fer
Pâpa, le 22 février 1915

Cher Monsieur le Professeur,


Comme j'ai entièrement « mis à gauche » l'auto-analyse – en me rangeant à votre
avis –, je ne saurais vous dire pourquoi je me suis tu aussi longtemps ; mais, pour
l'anecdote, il faut que je vous raconte au moins que je dois une réponse à Madame
G. depuis à peu près autant de jours qu'à vous. Une inhibition intéressante 1 N.B.:
depuis cette même période, je suis également stérile du point de vue scientifique et
incapable de travailler.
Je ne sais même pas si, pour rendre compte de l'apparition brutale de cet
état, l'explication suivante vous paraîtra suffisante : comme je vous l'ai écrit,
en ce moment j'apprends à monter à cheval, et cela très sérieusement : le
matin, je monte 1 heure, parfois 3 et 4 avec la troupe. Ce plaisir corporel d'un
nouveau genre – lié à un peu d'angoisse et de douleur – semble s'être annexé
de grandes quantités de libido aux dépens d'autres sphères (intellectuelles et
affectives). Mais, à cette occasion, je me suis souvenu qu'enfant j'avais des
manifestations « motrices » extraordinairement fortes, et
que, particulièrement au jeu du cheval, j'étais infatigable. Plus tard, cela
s'est transformé en intérêt pour la danse, c'est-à-dire en inhibition
névrotique à l'occasion de soirées dansantes ; en théorie, et
comme spectateur, je suis encore maintenant un amateur de danses – j'en invente
même de nouvelles, en imagination. Une grande quantité de ce plaisir moteur
semble avoir échappé à la sublimation et été refoulée. Je crois pouvoir expliquer
une partie des symptômes « neurasthéniques » que j'ai produits comme
manifestation névrotique du plaisir moteur, auquel il a été fortement porté
préjudice depuis que je m'occupe de'PA. (Peut-être une clef pour la compréhension
des « neurasthénies », « troubles intestinaux », etc., dans le mode de vie
sédentaire.)
C'est maintenant seulement, alors que je peux (et, même, dois) dépenser toute
mon énergie à cheval, qu'il apparaît combien il a dû m'en coûter de surmonter et
réprimer de telles forces pulsionnelles. Ce n'était pas une mince affaire que de mater
en moi le démon meurtrier, incendiaire et (comme nous le constatons maintenant)
perpétuellement agité, et de me le cacher aussi à moi-même, si profondément que
je pouvais me prendre pour un paisible homme de science.
La possibilité d'une formation de compromis entre le plaisir de l'équitation et la
science n'est pas seulement concevable, mais s'est même déjà transformée en un
fait historique. A partir d'aujourd'hui, j'ai une séance de psychanalyse à cheval :
j'analyse mon commandant qui est névrosé depuis qu'il a été blessé à la tête en
Galicie, mais qui, en réalité, souffre de difficultés libidinales. Donc, la première
analyse équestre dans l'histoire mondiale Ce que la guerre peut produire comme
effets secondaires Soit dit en passant, cette analyse marche très bien ; le transfert
a été apporté déjà tout prêt dans la cure.
Je trouve très bonne l'idée sur la mélancolie. De votre point de vue, la mélancolie
serait quelque chose d'intermédiaire entre les névroses de transfert et les névroses
narcissiques proprement dites : le deuil de la perte de l'objet d'amour se transforme
en deuil du Moi narcissique.
Le point de fixation se trouve donc peut-être au stade de transition du narcissisme
à l'amour d'objet. Le fait qu'il s'agisse là d'un trouble du mécanisme de projection et
d'introjection (délimitation du Moi par rapport au non-Moi) parlerait tout
particulièrement en faveur de cette idée. La mélancolie serait donc (selon votre
mécanisme) la psychose d'introjection proprement dite (déplacement d'affect, de l'objet sur
le Moi), tandis que l'hystérie, etc., ne réalise qu'un déplacement d'un objet sur l'autre,
et la paranoïa la projection du Moi sur le monde extérieur. Avec votre permission, je
garderai les pages sur la mélancolie encore 1 à 2 jours, pour les envoyer ensuite à
Abraham.
Mon éditeur m'écrit qu'une deuxième édition des Cinq conférences est devenue
nécessaire'. Il voudrait les publier en même temps que les Trois Essais.
J'ai reçu une carte postale du front de votre Ernstl, il semble s'être lié d'amitié,
là-bas, avec un de mes anciens auditeurs.
Salutations cordiales de votre ami « encavalé » *.
Ferenczi
1. La traduction hongroise des Cinq Leçons sur la psychanalyse (Freud 1910a [1909» réalisée par
Ferenczi était parue chez Mand Dick en 1912 (rééd. 1915).

538 Fer
Papa, le 25 février 1915

Cher Monsieur le Professeur,


Je suis entièrement d'accord avec votre hypothèse selon laquelle le choix
d'objet homosexuel continue à jouer le rôle le plus important dans mes états
changeants. Le « Commandeur » lui-même n'est cependant pas si important —
à ce que je crois — que la somme totale des impressions homosexuelles que
l'on reçoit à l'armée. De toute façon, je serai sur mes gardes 1.
Je ne crois pas avoir mal compris votre idée sur la mélancolie. Mais il est vrai
que j'ai profité aussi de cette occasion pour mettre encore une fois en valeur
mon « introjection ». (Vous appelez projection de l'ombre de l'objet sur le Moi
narcissique ce que je préférerais, moi, appeler introjection.) Mais, en attirant votre
attention sur ce terme, je ne voulais pas épuiser mon jugement et mon
interprétation de votre idée sur la mélancolie. Je ne crois pas vous avoir mal
compris. Ce que je comprends, c'est que, selon votre point de vue, le suicidé
mélancolique commet, en fait, un double suicide. Il se tue (son Moi critique) et
aussi son (Moi) bien-aimé qui s'est montré indigne de lui, après avoir réussi (le
Moi narcissique) un certain temps à le tromper (lui, le Moi critique) 2. La maladie
est déclenchée par la déception causée par d'autres personnes qui servaient de
modèle au Moi narcissique et dont la dépréciation dévoile en même temps sa
propre dévalorisation. La mélancolie est, par conséquent, un cas d'état
amoureux malheureux (indigne) de soi-même, tandis que le dément précoce est
heureusement marié avec son Moi narcissique, et le paranoïaque (qui n'est pas
non plus entièrement satisfait de lui-même) est en mesure de garder (à ses
propres yeux) l'illusion du bonheur.
Je reconnais d'ailleurs que les termes de pro- et introjection sont à prendre
cum grano salis *. Dans tout processus d'identification se rencontrent le
narcissisme extériorisé (projeté) et l'objet intériorisé (introjecté) dans le Moi. Il
doit s'agir d'un processus constant, oscillatoire ; projection et introjection ne
désigneraient que la prédominance de l'une ou de l'autre direction après
identification accomplie. Il est vrai que, depuis l'introduction du narcissisme,
on est obligé d'admettre deux limites d'identification (pro- et introjection) : 1) à
la frontière entre Moi et Moi narcissique, 2) entre Moi narcissique et monde
extérieur. Tous les mécanismes que nous avons
constatés à la limite de l'objet sont aussi bien concevables à la frontière
entre censure du Moi et objet du Moi.
Cela dit, il est bien possible, au demeurant, que je ne vous aie pas tout
à fait compris. Un cas de mélancolie m'apportera peut-être la compréhension
qui me fait défaut.
Avec de cordiales salutations,
votre F.(erenczi]
* En latin dans le texte: avec un grain de sel.
Une lettre de Freud manque apparemment ici.
Voici ce que Freud écrit à propos de l'objet dans la mélancolie, dans la version publiée : « L'analyse
de la mélancolie nous enseigne que le Moi ne peut se tuer que lorsqu'il peut, de par le retour de
l'investissement d'objet, se traiter lui-même comme un objet, lorsqu'il lui est loisible de diriger contre
soi l'hostilité qui concerne un objet et qui incarne la réaction originelle du Moi contre des objets du
monde extérieur » (« Deuil et mélancolie », Freud 1916-1917g [ 1915], trad. fr. J. Altounian et al.,
OEuvres complètes, XIII, p. 259-278, citation p. 271).
Papa, le 4 mars 1915

Cher Monsieur le Professeur,


Comme mon éditeur est disposé à publier – en même temps que la deuxième
édition de vos Cinq Conférences et la traduction de la Théorie Sexuelle – encore
un troisième fascicule, j'aimerais traduire votre essai « Sur le rêve » (44 pages).
Je vous demande donc votre « exequatur » *.
Dans la préface, il me faudrait évidemment insister sur le caractère
d'ébauche de ce travail et signaler l'importance de l'ouvrage-source.
Hier, je suis rentré de Budapest – où je suis resté un jour et demi – et je
continue à mener l'existence à laquelle je me suis désormais habitué. A
Budapest, j'ai fait une toute dernière tentative pour ma mutation.
Cordiales salutations,
Ferenczi
A. Lieu et date à la fin de la lettre.
* En latin dans le texte: aval, autorisation; « feu vert », dirait-on dans le langage moderne.
Papa, le 18 mars 1915

Cher Monsieur le Professeur,


Il fait nuit, c'est pourquoi je ne peux changer cette mauvaise plume, la seule
dont je dispose. Mais je ne veux pas remettre encore à plus tard cette
lettre, d'autant que je dois justement écrire sur la remise à plus tard. J'ai découvert que
toute une série de mes particularités, surtout l'ajournement des tâches jusqu'au dernier
moment, était du pur érotisme anal. Je fais manifestement partie de ces gens qui,
intérieurement, n'ont jamais accepté la contrainte relative à la défécation (rythme et
façon de faire) à laquelle ils ont dû se soumettre, enfants, et qui ne cessent de protester
contre cela dans tous les domaines possibles, même éloignés du domaine en question.
Cette découverte auto-analytique m'a également donné l'occasion de constater pour la
première fois, chez une patiente, une scène primitive qui a déterminé une névrose
obsessionnelle. Il s'agissait, bien entendu, de la scène où l'enfant, câlinée par le père,
fut soudain maltraitée par lui (vraisemblablement insultée) parce qu'en déféquant elle
l'avait sali. En même temps, j'ai également compris la cause de son anesthésie sexuelle,
qui était apparue à l'occasion d'événements extérieurs mineurs (son mari l'avait
grondée).
Les tâches particulièrement pesantes, sans doute, pour celui qui présente un
érotisme anal et veut toujours faire les choses quand cela lui chante, sont, entre autres
: écrire des lettres à date fixe, livrer un article en un temps déterminé. Si je veux
prendre plaisir à écrire des lettres (et, manifestement, c'est ce que je veux), je dois
attendre que les choses à communiquer s'accumulent en moi au point d'en éclater et
me poussent ainsi à écrire. Bien entendu, cela ne peut se produire que par intermittence.
Mais si je me gaspille – par courtoisie – en petites communications fréquentes, je le
fais sans plaisir; si je m'y résouds pourtant, c'est de façon contrainte et artificielle ; ou
bien, alors, je deviens muet tout à coup (d'une manière jusqu'ici inexplicable) et je me
tais pendant des semaines.
Mon absence de Budapest renforce tout particulièrement, chez moi, la puissance
sexuelle ainsi que la satisfaction ; en effet, la composante tensionnelle est, chez moi,
plus puissante que la normale, en raison d'un érotisme anal important, et une véritable
satisfaction ne survient qu'après une abstinence extrêmement longue. C'est le contraire
quand on séjourne dans un lieu où on est contraint, par courtoisie, de s'ajuster à
d'autres pour la fréquence et le moment de la satisfaction.
Quant à mon travail actuel, que je vous ai promis depuis longtemps, je peux déjà vous
dire qu'il s'agit d'une théorie nouvelle à propos du coït, qui me semble en mesure de
résumer d'une façon plus globale tous (presque tous) les points de votre Théorie Sexuelle.
Quand j'aurai à peu près mis en ordre mes notes, actuellement encore en vrac, je
reviendrai une fois à Vienne pour vous exposer le sujet. J'ai souvent désespéré, pensant
m'être fourvoyé, mais il y a aussi des jours (comme aujourd'hui) où tout s'agence si
merveilleusement que je suis sûr de mon fait, en particulier quand, apparemment, cela
parvient à s'articuler sans effort à la psychanalyse et à votre Théorie Sexuelle.
Vous voyez : je suis dans la phase de logorrhée (après la phase de constipation). Mais
je vous épargnerai, pour cette fois, et me contenterai de vous saluer cordialement,
65

Pàpa, le 4 avril 1915

« Portez-vous bien et dites-moi bientôt de


nouveau quelque chose pour ne pas
laisser s'installer de si longues pauses.
Sinon, un jour on se pausera, sans y
prendre garde, dans la vie éternelle. »
(Goethe à Zelter, 19 juin 1805)1
Cher Monsieur le Professeur,
La citation ci-dessus, que (en pensée) je vous ai fait prononcer, est d'actualité
à plus d'un titre. D'abord, ma conscience me tourmente depuis longtemps déjà
pour n'avoir pas encore répondu à votre lettre si aimable 2. Je peux cependant
invoquer l'excuse que je voulais attendre d'être à nouveau poussé à écrire, pour
que vous en tiriez encore l'impression d'assurance, liée à l'écriture « d'un seul jet
», comme pour la dernière lettre. Le deuxième motif est que je suis tombé malade:
fièvre et troubles gastro-intestinaux qui m'ont fait penser, pendant quelques
jours, à une gastro-entérite, mais qui, finalement, se sont révélés être un
embarras gastrique sévère. Le troisième motif à cette citation est que, ces
dernières semaines, en particulier depuis trois jours que je suis alité, je lis un
recueil de lettres de Goethe, et que j'ai trouvé une concordance, dans les
moindres détails, entre Goethe et vous, dans votre manière de penser et de
travailler, vos intérêts, vision du monde, sensibilité, si bien que, parfois, j'avais
envie de m'exclamer tout haut et de prononcer votre nom. De tous les grands
hommes il est, d'ailleurs, le seul dont je suppose qu'il n'aurait pas été fermé aux
idées de la WA.
A l'occasion de mon dernier voyage à Budapest, j'ai eu une petite déception.
Mon ami Ignotus, un homme très intelligent, sur lequel j'essaie volontiers mes «
découvertes », a accueilli très fraîchement la théorie du coït (que j'avais promis
de vous apporter à Vienne). Depuis, je suis incapable de m'occuper de ce sujet;
autocritique justifiée ou susceptibilité exagérée – je n'en sais rien encore.
Les nouvelles de vos fils m'ont réjoui. Le nouveau mot d'ordre de « retraite pour
fatiguer l'ennemi » est savoureux. La dernière perspective de mutation à Budapest
s'est envolée depuis peu. Je m'étais réjoui de tomber malade (légèrement !) du
typhus ; cela m'aurait donné la possibilité de prendre une permission assez longue
à Vienne et de poursuivre l'analyse.
Cordiales salutations, votre
Ferenczi
Pourriez-vous m'envoyer un de vos textes à lire? « Théorie Sexuelle » et «
Sur le rêve » sont déjà traduits et sous presse.

A. Par erreur dans le manuscrit : 1914.


Briefwechsel zwischen Goethe und Zelter in den Jahren 1796 bis 1832, I"partie, années 1796 à 1811,
Berlin, 1833, p. 174. Karl Friedrich Zelter (1758-1832), compositeur et musicien de Berlin, ami et
conseiller musical de Goethe. Cette lettre de Goethe à Zelter est inédite en français.
Une lettre de Freud manque.

542 F
Prof. Dr Freud

Vienne, IX. Berggasse 19 le 8


avril 1915

Cher Ami,
Je crois que c'est vraiment trop d'honneur, je peux donc à peine m'en réjouir.
Je ne me connais aucune ressemblance avec le grand homme que vous citez,
toute modestie mise à part ; je serai assez ami de la vérité, ou plutôt : de
l'objectivité, pour renoncer à cette vertu. Je m'explique une partie de ce que vous
ressentez par la nécessaire similitude d'impressions quand, par exemple,
quelqu'un observe deux peintres maniant pinceau et palette. Cela ne dit rien
pour autant de l'égalité de valeur des tableaux. Une autre partie est
probablement née d'une assimilation, provenant d'une sensation personnelle et
actuelle. Laissez-moi avouer que je n'ai trouvé en moi qu'une seule qualité de
premier ordre, une sorte de courage qui n'est pas dévié par les conventions. Vous
comptez d'ailleurs vous-même parmi les gens productifs et devriez avoir observé
sur vous le mécanisme de la production, la succession du jeu audacieux de
l'imagination et d'une critique réaliste sans concession.
Ces derniers temps, j'ai travaillé régulièrement, terminé le deuxième article de
ma série synthétique. Il a pour sujet le refoulement; le premier, les pulsions et
les destins des pulsions ; mon préféré sera le troisième, qui traitera de
l'inconscient, et qui en fournira la conceptualisation que vous connaissez'. En
tant que rédacteur, vous recevrez très bientôt les épreuves des deux premiers.
Je n'ai rien d'écrit, actuellement, sauf des choses illisibles, à l'état d'ébauche.
Je vous enverrai un exposé désinvolte, inspiré par un humour macabre, que j'ai
présenté ici à l'Association juive (sous presse) 2. Mais, s'il vous plaît, renvoyez-
le-moi aussitôt, il est souvent demandé, étant très accessible au grand public,
et n'existe qu'en un seul exemplaire.
Ma productivité est vraisemblablement liée à la magnifique amélioration du
fonctionnement de mes intestins. Que je le doive à un facteur mécanique: le
dur pain de la guerre, ou bien à un facteur psychique : la relation
à l'argent, nécessairement modifiée, je laisse la question ouverte. De toute façon,
la guerre me coûte déjà un manque à gagner de plus de 40 000 couronnes ; si .
j'ai acheté de la santé pour cette somme, je citerai alors le mendiant qui dit au
baron: pour ma santé, rien n'est trop cher 8.
Depuis hier, je souffre d'une nouvelle trachéite, je suis très fatigué et
complètement abruti; aussi, aujourd'hui, je ne suis bon qu'à écrire des lettres.
Oli a accepté hier un travail de construction de baraquements dans la région de
Pöchlarn 4; il espère pouvoir, en même temps, continuer à préparer son examen.
Ma femme part demain à Hambourg, pour quelques semaines, si bien que nous
serons trois à table 5. Annerl se prépare également à son examen d'enseignante
; espérons qu'elle sera refusée, à cause de son manque de voix pour chanter.
Elle devient d'ailleurs de plus en plus charmante, elle est la plus agréable des
six enfants.
C'est Ernst qui nous envoie les nouvelles les plus drôles, de Klagenfurt ; il
profite de l'incertitude : est-ce que cela va démarrer contre l'Italie, oui ou non 8?
Martin souffre de l'estomac et de l'intestin depuis les deux vaccinations contre
le typhus, mais tant qu'il le peut, il reste au service.
Pfister a demandé hier s'il pouvait faire un crochet par Vienne au cours d'un
voyage à Dresde ; je l'y ai invité cordialement.
Il me reste toujours trois patients, tous hongrois et nobles.
La tension incessante due à l'état de guerre est épuisante. Les rumeurs selon
lesquelles la paix serait pour le mois de mai n'arrêtent pas de circuler ; elles
résultent manifestement d'un besoin profond, mais elles me semblent insensées.
En ce qui concerne le pain, la situation prend les dimensions d'une calamité. La
population ne voudra pas se laisser affamer pendant trois mois 7.
Je me demande si vous n'obtiendriez pas une courte permission pour Vienne,
même sans être malade. Nous examinerions alors si notre ami Ignotus a raison
avec son rejet. Il y a un an, nous étions à Brioni, à bien nous divertir avec des
fantaisies à propos de la préhistoire psychanalytique. Heu quo mutatus ab illo...
* 8!
Je vous salue cordialement et j'attends de vos nouvelles à des intervalles
plus rapprochés.

* En latin dans le texte: Hélas, comme cela a changé depuis.


« Le refoulement» (Freud, 1915d), XIII, p. 187-202. « Pulsions et destins des pulsions » (Freud,
1915c), op. cit., p. 161-186. «L'inconscient» (Freud 1915e), op. cit., p. 203-242. Dans la VII° partie
de ce dernier article, intitulée « L'identification de l'inconscient », on peut lire p. 240: « La
représentation consciente comprend la représentation de chose, plus la représentation de mot
afférente, la représentation inconsciente est la représentation de chose seule (trad. fr. J.
Altounian et al.).
Le 16 février 1915, Freud a fait un exposé à la loge B'nai B'rith, intitulé « Nous et la mort », traduit et
présenté par Fernand Cambon, La Psychanalyse en Europe (éd. Erès), n° 4, 1993, p. 13-29. Ce texte,
légèrement modifié, constitue la deuxième partie de l'article « Actuelles sur la guerre et la mort », trad.
A. Bourguignon, A. Cherki, P. Cotet, avec la collaboration de J.-G. Delarbre, J. Altounian, D. Hartmann,
tEuvres complètes, XIII, p. 125-160. Une comparaison des deux versions du texte par
Mark Solms se trouve dans David Meghnagi, Freud and Judaism, Londres, 1993, p. 11-39.
« Un Schnorrer [quémandeur] vient solliciter le riche baron afin d'obtenir de lui un secours financier
devant lui permettre le voyage à Ostende : les médecins, dit-il, lui ont recommandé d'aller aux bains de
mer pour se rétablir. " C'est entendu, je vais vous donner quelque chose
pour vous aider, dit le riche. Mais êtes-vous obligé d'aller précisément à Ostende, la plus
chère de toutes les stations balnéaires? — Monsieur le Baron, rétorque le Schnorrer avec
l'intention de remettre celui-ci à sa place, quand il s'agit de ma santé, rien n'est trop cher
pour moi. "» Le Mot d'esprit et sa relation d l'inconscient (Freud, 1905c), trad. Denis Messier, Paris,
Gallimard, « Connaissance de l'inconscient », trad. nouv., 1988, p. 121.
Localité située au bord du Danube, à environ quatre-vingt-dix kilomètres à l'ouest de
Vienne. Minna Bernays sa belle-soeur, sa fille Anna et lui-même.
L'Italie a déclaré la guerre à l'Autriche-Hongrie le 23 mai. Voir 521 F et la note 2.
Les tickets de rationnement pour le pain et la farine avaient été instaurés la veille. La
carte de pain, mise en service le 11 avril de la même année à Vienne et en Basse-Autriche,
sera maintenue jusqu'en novembre 1922.
Virgile, Énéide, II, 274. «Quantum mutatus ab illo Hectore!» se réfère à Hector à présent
blessé, autrefois victorieux.

543 Fer
Päpa, le 21 avril 1915

Cher Monsieur le Professeur,


Je dois maintenir la comparaison avec Goethe, et pas seulement en référence
à l'identité de l'outil avec lequel vous travaillez tous les deux. Nous sommes
habitués, en psychanalyse, à admettre plus aisément la justesse de
l'interprétation d'un symptôme (ou d'un fragment de rêve) quand de petites
coïncidences viennent, à côté des grandes, confirmer l'hypothèse après coup ;
de même, je pourrais indiquer, en comparant vos deux personnalités,
d'innombrables et très subtiles concordances. J'en citerai quelques-unes, au
hasard : la grande importance de l'Italie dans votre évolution à tous deux ; le
goût pour l'archéologie (chez Goethe pour la paléontologie, chez vous plutôt
pour l'histoire antique et l'art ; récemment aussi pour la phylogenèse!);
l'attitude parfaitement analogue à l'égard des questions religieuses ; grand
intérêt, et sensibilité aussi, pour cette question ; aversion, en revanche, pour
tout dogmatisme et toute conception métapsychologique de ces choses ; la
manière bienveillante et pourtant sévère de traiter les jeunes disciples ; la
faculté de préserver longtemps certaines amitiés mais, en même temps, de
rompre sans ménagements les relations dès qu'elles se révèlent inutilisables
(ainsi pour le prédicateur suisse [ !] Lavater', pour Herder 2, etc.) ; le refus glacial
de toute métaphysique, une foi imperturbable en la causalité ; la résignation
fataliste face à la nécessité de la mort; mais surtout : le respect pour
l'indépendance du développement des idées de chacun, etc., etc. Je constate
que l'analogie est loin d'être épuisée par ces observations.
Le rejet d'Ignotus m'a rendu service dans la mesure où je suis quand même
obligé – après une inhibition assez longue – de revoir la chose et, en même
temps, de mieux fonder – je l'espère – la solidité de mes hypothèses.
Je vous renvoie, ci-joint, l'article sur la mort. Très impressionnant ! Je
trouve que vous pouvez traiter de façon plus précise encore certaines
choses dans les travaux de vulgarisation (comme dans le petit travail sur
les rêves); dans celui-ci, par exemple, la question de l'ambivalence s.
Je viendrai peut-être à Vienne la semaine prochaine. J'espère que mon
séjour là-bas ne se compliquera pas d'une autre visite (Pfister).
Salutations les plus cordiales,
votre Ferenczi

Johann Kaspar Lavater (1741-1801), orateur, poète, théologien protestant suisse, ami de
Herder, Goethe et Hamann. Connu pour son étude de la physionomie humaine, déduisant le
caractère d'un individu à partir de sa morphologie.
Johann Gottfried von Herder (1744-1803). Célébre théologien protestant, philosophe et
écrivain fécond. Sa pensée a exercé une grande influence sur l'histoire des idées dans les pays
appartenant à l'espace culturel européen et plus particulièrement germanique et slave,
notamment dans les domaines de la philosophie, la linguistique, l'histoire et l'anthropologie. Il
a insisté sur le « génie de la langue» et sur la nécessité, pour l'écrivain, de puiser dans le fonds
populaire et national. Un des fondateurs du mouvement littéraire « Sturm und Drang ». Il a
entretenu des rapports avec Goethe, d'Alembert et Diderot. Considéré comme un des grands
penseurs synthétiques du xvitr siècle.
Voir Freud, 19156, « Actuelles sur la guerre et la mort », trad. J. Altounian et al., Œuvres
complètes, XIII, p. 125-155.
544 F
ProfDr Freud

le 23 avril 1915
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Comme vous ne voulez pas renoncer à la comparaison avec G.[oethe], je
peux moi-même ajouter encore certaines choses, positives et négatives. De
la première espèce, mes séjours à Karlsbad et mon respect pour Schiller, que
je considère comme une des personnalités les plus éminentes de la nation
allemande ; de la seconde, il y a mon rapport au tabac dont Goethe avait une
sainte horreur, tandis que moi je ne trouve au fond aucune autre excuse au
forfait de Colomb. En somme, la grandeur ne me pèse pas.
L'annonce de votre venue à Vienne promet de satisfaire un besoin
retenu. J'ai incroyablement peu à faire. Pfister est déjà venu, seul avec
nous à midi, le soir avec Rank et Sachs. C'est un brave type, et tout de
même de notre côté. Sa présence a convaincu les autres de la part énorme
qu'avait la simple ignorance dans la défection des Suisses. Du reste, le
mercredi 28 sera la soirée de l'association ; exposé de Sachs sur le
Visionnaire de Schiller t. Je vous écris cela pour vous influencer, dans un
sens ou dans l'autre.
La série : « Pulsions – refoulement – inconscient » 2 est maintenant
terminée. La première partie, déjà composée par la Zeitschrift, est entre vos
Correspondance 1914-1919

mains, les deux autres sont dans le dossier de la rédaction. L'introduction «


pulsions » n'es: certes pas très séduisante, mais la suite apporte pas mal de
choses. Un 4' article s'est révélé nécessaire pour comparer le rêve et la
démence précoce 9 ;j'en ai déjà fait l'ébauche. Il va avec la métapsychologie.
La Zeitschrift est maintenant approvisionnée par mes soins pour toute une
année ! Vivant sequentes * !
L'été est un sombre mystère. Ma femme est à Hambourg et va peut-être
convenir de quelque chose avec Sophie ; car Max attend chaque jour son
ordre de mobilisation. D'ailleurs, en ce moment nous savons moins que
jamais si nous n)us trouvons à la veille de la paix avec la Russie, ou de la
guerre avec l'Italie. Beaucoup de choses doivent se passer én coulisses, mais
on a rarement été autant plongé dans l'obscurité que maintenant.
Je vous salue cordialement et je vous prie de me rappeler, malgré la
guerre, au bon souvenir de Madame G. (pas Goethe !).
Dans l'attente,
votre fidèle Freud
* En latin dans le texte: Que vivent les suivants !
Les minutes dr cette séance manquent. Il s'agit d'un texte de Friedrich Schiller, Le Visionnaire
(1787), Lire nouvelle inachevée.
Freud, 1915c, 1915d, 1915e, voir 542 F.
«Complément métapsychologique à la doctrine du rêve» (Freud, 1916-1917j), trad. A.
Bourguignon, P. Cotet, A. Rauzy, OEuvres complètes, XIII, p. 243-258.

545 Fer
Pâpa, le 28 avril 1915

Cher Monsieur le Professeur,


Nous attendons la visite de l'Inspecteur en chef des troupes territoriales.
Je pourrais difficilement demander une permission en ce moment.
Voilà pourquoi mon voyage à Vienne souffrira un délai – pas trop long,
je l'espère.
C'est ce que je voulais vous faire savoir – en toute hâte.
Cordiales salutations
de votre Ferenczi
[Écrit le long du bord gauche de la feuille:]
Je n'ai malheureusement pas encore reçu la copie de votre article.
46 Fer
[Sans date, mai 1915 ?]A

Cher Monsieur le Professeur,


J'ai réussi à obtenir une permission de deux jours et demi (du 8 au 10 de
ce mois) ; cependant, j'ai préféré ne pas aller à Vienne cette fois-ci, mais à
Budapest, pour les raisons suivantes : 1) Dans le courant du mois de mai
(vers la fin), je voudrais de toute façon aller à Vienne puisqu'on peut envisager
d'y faire des « affaires ». On me propose deux tableaux de valeur, de l'école
hollandaise ancienne, à un prix très avantageux (ils appartiennent à un
aristocrate de ma connaissance). Il se pourrait que cet achat compense au
moins une partie du manque à gagner. Mais comme les permissions sont
rares, je voudrais combiner le voyage d'affaires à Vienne avec la visite chez
vous', et passer cette permission-ci à Budapest. 2) Il y a aussi, bien sûr, des
facteurs internes qui viennent étayer l'ajournement du voyage à Vienne.
Partant de points de vue purement psychologiques, j'ai essayé – comme je
vous l'ai déjà dit – d'aborder de plus près le problème du coït. Il est apparu
absolument nécessaire de chercher également des étayages biologiques pour
mes hypothèses ; c'est pourquoi j'ai dû lire de l'embryologie, de la zoologie et
de la physiologie comparée. Je n'ai pas encore terminé cette lecture – je suis
même jusqu'au cou dans la « science expérimentale de la fécondation ». Or,
je ne voudrais pas me présenter devant vous avant d'avoir émergé de la
biologie et d'être revenu aux points de vue de la VA. (Cependant, pour vous
rassurer, je vous dis tout de suite que je n'ai toujours conçu ce détour que
comme un moyen pour atteindre mes fins.) J'espère que, vers la fin de ce
mois, je serai tout à fait revenu au bercail (de la FA) et que je pourrai prêter
l'oreille à vos nouvelles découvertes sans être gêné ni distrait par autre chose.
Malheureusement, Heller ne m'a toujours pas envoyé les tirages de votre
premier travail métapsychologique, que j'attends avec une extraordinaire
impatience.
Ici, je fais quatre analyses, deux gratuites, une à 20 couronnes et une à
8 couronnes. Ceux qui paient vont bien. L'un des patients gratuits est une
hémiplégie, considérée comme organique par tous les médecins, survenue
après un choc causé par la déflagration d'une grenade. Comme j'opte pour
l'hystérie, j'essaie d'aborder ce cas analytiquement, jusqu'à présent sans
succès thérapeutique. Je pense qu'il est tout à fait possible – en l'état actuel
de nos connaissances – qu'il s'agisse dans ce cas (comme peut-être dans
tous les cas semblables) de paralysies de. punition pour de petits méfaits de
l'enfance (surtout de nature sadique). Au fond, elles représentent la peine
de mort. Enfant, le patient aimait tirer sur des animaux, surtout des
corneilles ; sa grand-mère lui disait qu'elles se vengeraient de lui. Il partit
à
la guerre tout joyeux et tirait avec zèle sur les Russes ; l'explosion commotionnante survint
pendant qu'il était en train de viser. Dans le premier rêve qu'il m'a raconté, il enterrait sa jeune
femme de ses propres mains.
Je rentre à l'instant des festivités d'adieu d'un convoi de hussards assez important. L'ambiance était
joyeuse, pas trace de peur de la mort, tous chantent et dansent, tous sont des engagés volontaires.
La bonne humeur m'a contaminé moi aussi; ce n'est qu'après le départ du train que des pensées
plus sombres sont apparues. — J'admire l'optimisme des gens qui, tous, prophétisent une paix
imminente ; je pense qu'ils ne tiennent pas compte de la vanité— et des moyens puissants —des
Anglais et des Français. Aujourd'hui, j'ai été appelé comme expert auprès du « tribunal pour jeunes
délinquants ». Une fillette (douze ans et demi) n'avait pu résister à la tentation de voler 100
couronnes. Pendant tout l'interrogatoire, elle se masturbait ouvertement des deux mains.
Salutations cordiales,
votre Ferenczi
A. Lettre introduite à cet endroit, compte tenu de certaines indications : vacances, voyage à
Vienne, épreuves du travail métapsychologique.
1. Ferenczi a rendu visite à Freud en mai, à la Pentecôte (voir aussi 547 Fer, 556 Fer et 629 F).

547 Fer
Papa, le 18 juin 1915

Cher Monsieur le Professeur,


Depuis les beaux jours de la Pentecôte, le temps a passé assez vite. Je travaille actuellement à
diverses petites choses ; le travail plus important demande encore à mûrir. Il s'est révélé nécessaire,
avant de terminer la théorie du coït, d'étudier mieux l'autre situation foetale (fantasmatique): le
sommeil. Il est un fait que les deux sujets vont ensemble. Je lis en ce moment un livre consciencieux
sur la physiologie du sommeil (de Piéron) 1 J'ai envoyé à Rank l'exposé présenté à Munich (Foi,
incrédulité et conviction), ainsi qu'un article se rattachant aux comparaisons faites par les patients en
analyse 2.Je ne suis pas certain que cela vous plaise ; j'aurais aimé vous l'envoyer à parcourir, mais je
sais que vous n'aimez guère lire des manuscrits.
Entre-temps, j'ai effectué un voyage à Budapest, sans parvenir à une décision dans l'affaire
que vous savez 9 (dont j'ai parlé tout à fait ouvertement avec Madame G.). Même la guerre
mondiale, avec ses troubles, n'est pas en mesure d'apporter la décision (Goethe épousa
Christine après la conduite héroïque de celle-ci pendant la guerre contre la France 4).
Les relations mondaines avec les officiers et leurs familles deviennent de plus en plus rares
en ce qui me concerne; même le nouvel ami 5 que je
1915 73

me suis fait ici semble être par trop anormal et prisonnier de certains préjugés,
si bien que l'avenir de cette nouvelle conquête n'est pas aussi prometteur que
je pouvais l'espérer, compte tenu de son génie psychologique indéniable. Je
crains que sa surprenante intuition soit partiellement due à son anomalie
(dans la famille il y avait des cas de paranoïa).
C'est le manque absolu de distraction qui me donne de l'ardeur au travail. Nous nous sommes
finalement habitués, pour ainsi dire, aux vicissitudes de la guerre. Le front se trouve
maintenant un peu plus près de nous ; la gare est toujours pleine de trains provenant de (et
partant pour) l'Italie. Les prophéties de paix se sont tues.
Comment allez-vous, vous et les vôtres – et surtout ceux qui sont à la guerre? A l'occasion,
saluez aussi de ma part, je vous prie, Martin et Ernst. Que deviennent les projets d'été?
En vous saluant cordialement,
votre Ferenczi

Henri Piéron (1881-1964), Le Problème physiologique du sommeil, Paris, Masson, 1912-1913.


L'exposé de Ferenczi au congrès de psychanalyse à Munich (7-8 septembre 1913) : « Foi,
incrédulité et conviction sous l'angle de la psychologie médicale » (1913, 109), Psychanalyse, II, p.
39-50 et, «Analyse des comparaisons» (1915, 164), Psychanalyse, II, p. 185-193.
Le mariage de Ferenczi avec Gizella Pàlos.
Goethe n'épousa qu'en 1806 Christine Vulpius dont il partageait la vie depuis de longues
années. Ce mariage marqua la rupture avec Charlotte von Stein et Herder.
Probablement le lieutenant Barthodeiszky, mentionné nommément par Ferenczi pour la
première fois dans la lettre 588 Fer. Voir aussi 552 Fer.
8F
ProfDr Freud

le 21 juin 1915
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Merci pour votre lettre et vos nouvelles, je suis très content que vous ayez trouvé du matériel
nouveau pour l'introduction de votre travail. Vos envois à Rank me sont parvenus, par son
intermédiaire. Lu avec beaucoup de plaisir les paraboles et le petit verset latin'. Je suis encore
un peu réticent quant au travail sur la conviction2, peut-être s'y rattache-t-il quelque chose
qui viendrait de Munich.
Je ne peux pas dire grand-chose de mes projets d'été. Ma femme veut absolument Karlsbad, bien que
je sois mieux à cet égard 2 que je ne l'ai jamais été depuis 1909. Cela viendra probablement en
premier lieu. Ce samedi je pars à Berchtesgaden, pour un tour d'horizon du haut du Salzberg.
Minna se trouve à Reichenhall et me rejoindra sans doute, sinon je devrai aller aussi à Reichenhall.
Vous voyez, les perspectives d'une ren-
74 Correspondance 1914-1919

contre durant l'été proprement dit sont minces. Mais, à l'automne, j'irai
certainement vous voir à Päpa.
Je travaille à contrecoeur, certes, mais néanmoins avec constance. Dix des douze essais sont
terminés, dont deux (conscience et angoisse) demandentcependant des remaniements. Je viens de
finir l'hystérie de conversion, manquent encore la névrose obsessionnelle et la synthèse des névroses
de transfert'. Il y a bien des choses là-dedans, mais beaucoup de bizarreries, et ce n'est pas achevé
comme il faudrait.
Rank et Sachs sont tous les deux mobilisés, mais le premier reste à Vienne et peut continuer
encore un certain temps à porter le drapeau. Je crains fort que nous ne soyons obligés d'amener
pavillon dès maintenant.
Il semble que mon fils Martin participe à la grande offensive 6, il lui arrive à l'occasion d'écrire
des communiqués de guerre intéressants, et puis après, une carte postale disant qu'il s'ennuie.
Manifestement, il ne supporte pas les pauses. Ernst est venu de Wiener Neustadt à plusieurs
reprises déjà, toujours superbe. Oli et Anna passent leurs examens en même temps, dans les
premiers jours de juillet; actuellement, ils bûchent.
Pour ce soir, on attend l'annonce de l'évacuation de Lemberg 6. On n'a aucune certitude que
cela mette fin aux hostilités.
Je vous salue cordialement, votre
Freud

Ferenczi, «Nonum prematur in annum » (1915, 162), Psychanalyse, II, p. 181-182. Voir 579 F.
Ferenczi (1913, 109). Voir aussi 577 Fer et 593 Fer.
Allusion aux troubles gastriques, intestinaux et digestifs récurrents de Freud.
Freud ne publia aucun de ces cinq articles. Quant à la synthèse, il s'agit de « Vue d'ensemble
des névroses de transfert. Un essai métapsychologique », trad. J. Laplanche, Œuvres complètes, XIII, p.
279-300. Voir aussi plus loin 558 F et la note A.
Il s'agit de l'offensive contre la Russie.
La bataille de Lemberg a commencé le 17 juin et s'est terminée par la reconquête de la ville, par
les forces de la Monarchie.

549 Fer
Päpa, le 8 juillet 1915 A

Cher Monsieur le Professeur,


J'aurais bien aimé vous voir encore avant votre départ; certains changements dans le service
font que c'est malheureusement impossible. A la place du commandant qui était mon ami,
un autre, inamical, a été muté ici, qui d'emblée a supprimé ces petites permissions. Il se
pourrait que je ne puisse plus bouger d'ici jusqu'à la conclusion de la paix.
Mon hôte, le comte Eszterhäzy, est tombé en Galicie ; le château a été fermé par ordre du
tribunal et j'ai dû déménager.
Après deux nuits détestables, sans sommeil, dans une chambre d'hôtel
1915 75

crasseuse, j'ai enfin trouvé une chambre plus supportable, mais pas aussi
agréable que celle du château qui m'était devenue si intime et où je trouvais le
calme, la fraîcheur et ne voyais, alentour, que de la verdure.
Notre régiment (le 7° Régiment territorial de hussards) a subi des pertes terribles le 26
juin. Le commandant de la brigade (de cavalerie de l'armée territoriale) a été fait
prisonnier, 41 officiers et environ 1 000 soldats ont été tués ou capturés; nous
déplorons surtout la mort d'un capitaine de cavalerie qui était aimé de tous. Les
Tcherkesses (car ce sont eux qui ont mené l'attaque) ont coupé le pénis d'un jeune
cadet et le lui ont mis dans la bouche. Je me dis : cet acte de vengeance étrange et très
répandu est à rapporter à l'ambivalence. Le conscient n'est empli que de haine, la
compassion refoulée se manifeste dans le choix du mode de punition (comme, par
exemple, dans le juron : baise ta mère, etc.). Cette débâcle * a eu lieu en Bucovine, à la
frontière de la Bessarabie ; la brigade fait partie de l'armée Pflanzer-Baltin.
Toutes ces choses paralysent pour le moment mon énergie au travail ; la semaine
dernière, à Budapest, je me sentais encore très en forme et j'ai aussi pu admirer la
capacité de Mme G. à suivre les raisonnements les plus ardus, et même souvent à les
devancer. Notre relation s'améliore de jour en jour.
Je vous envoie mes cordiales salutations et vous prie de me donner des nouvelles,
votre fidèle Ferenczi
A. Date et lieu à la fin de la lettre.
* En français dans le texte.
1. Le comte Pàl Eszterhàzy, né à Papa en 1886, mort à Dziewietniki (Galicie) le 26 juin 1915. Voir aussi
520 Fer, note 2.

50 F
Prof. Dr Freud

le 10 juillet 1915 Vienne,


IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je regrette que votre lettre d'aujourd'hui ne contienne pas de meilleures nouvelles,
et que vous ne veniez pas à Vienne, prochainement. Je ne puis, moi non plus, vous
rendre visite, car ces dernières semaines se sont révélées les plus remplies de l'année.
Je peux donc seulement promettre, quand la bougeotte de septembre s'emparera de
moi, de faire aussi une apparition à Papa. Mais, ces temps-ci, les
promesses valent moins que d'habitude.
Le petit bout de récit de guerre concernant votre régiment est horrible, bien
qu'au fond on doive être préparé à de tels événements. Si cette guerre dure
encore un an, comme il est probable, aucun de ceux qui ont participé
à son début ne restera. Dans la nuit du 8/9 de ce mois, j'ai eu un rêve prophétique dont le contenu représentait
clairement la mort de mes fils, et d'abord celle de Martin. J'ai pu m'expliquer très bien le mécanisme et le point
de départ du rêve, un insolent défi aux puissances occultes, après la lecture d'un livre qui me demandait de la
dévotion, justement à moi. C'était aussi sans la moindre affliction, et j'espère pour le moment avoir raison contre
tous les esprits malins. Les dernières nouvelles de Martin (aujourd'hui) ne datent que du 1/7. Le lendemain (après
le rêve), j'ai lu que le brave garçon qui avait jadis sauvé Martin de la mort par le froid sur le Schneeberg – en
sacrifiant quelques orteils – venait de tomber lui-même.
Nos projets sont fixés à présent. Nous partons le 17 au soir ou le 18 au matin pour Karl,sbad, d'où vous
serez informé immédiatement de mon adresse. Anna est allée à Ischl, chez sa grand-mère et ses tantes,
après son examen d'institutrice, et la signature d'un contrat qui en fait une enseignante dans sa propre
école (Mademoiselle Goldmann)'. Le même jour, Oli est devenu ingénieur ; pour le moment, il aideun peu
son oncle au bureau, mais il négocie avec son ancienne entreprise pour un emploi dans la construction des
chemins de fer en Styrie, et devrait y partir probablement à la fin du mois. La solitude, lot de la vieillesse,
se prépare donc clairement.
J'ai terminé 11 des 12 essais (ou à peu près) et j'emporte maintenant le tas de papiers en voyage. Rank
conseille de faire quand même imprimer le livre à l'automne. Les temps actuels sont très défavorables, c'est sûr,
mais ils ne seront certainement pas meilleurs immédiatement après la guerre. Rank, d'ailleurs, est ici, et il va
essayer de garder la machine en marche. Il lui manque de petits articles, c'est pourquoi les vôtres étaient
particulièrement bienvenus. Votre introduction à la Théorie Sexuelle est très belle, mais un peu trop flatteuse
pour la revue que j'édite moi-même 2.
Il y a deux nouveautés littéraires à noter : le livre de Putnam On Human Motives 9 et une introduction
hollandaise à la SPA. Putnam est intentionnellement vulgarisateur, sinon, je dirais que c'est mauvais. Gentil
comme toujours, fidèle aussi (Jung ne s'y trouve pas du tout, Ferenczi est cité), mais pénétré de l'esprit religieux
que je suis irrésistiblement porté à rejeter. De la réalité de nos idéaux il conclut directement à leur réalité
matérielle, et ainsi à celle de Dieu. Ce livre a été pour moi la cause du rêve prophétique. La `FA hollandaise provient
d'Adolph Meijer 4, elle est correcte et raisonnable, pour ce que je peux en deviner, tout comme la lettre allemande
qui accompagne le livre. C'est un ouvrage de 168 pages. Donc, un homme tout à fait nouveau. Il vit à La Haye, a
été analysé par un élève de Jung (Op.[huijsen] ?), mais il s'est forgé un jugement selon lequel les affirmations de
Jung auraient été anticipées par moi, qu'il n'aurait rien dit de nouveau, seulement utilisé d'autres mots.
Le tout-venant de ma consultation ne se compose, depuis de nombreuses semaines, que de Hongrois
auxquels je peux donner votre adresse, mais qui ne peuvent s'en servir actuellement. La plupart, bien
entendu, ne me connaissent que par vous.
Je souffre beaucoup de maux de tête, provenant d'affections de la partie postérieure du pharynx, et je
songe volontiers à changer mon mode de vie, encore qu'on n'ose espérer quoi que ce soit de paisible.
1915 77

Mes salutations cordiales à vous et à Mädame G., et des


nouvelles abondantes pour l'époque à venir!
votre fidèle Freud
Le Cottage Lyzeum, dirigé par le Dr Salka Goldmann.
Il s'agit de l'introduction, par Ferenczi (Ferenczi, 161), aux Trois essais sur la théorie sexuelle
de Freud (1905d) : « L'importance scientifique des " Trois essais sur la théorie de la sexualité"
de Freud », Psychanalyse, II, p. 177-180, publiée pour la première fois dans la Zeitschrift dont
Freud était rédacteur en chef (1915, 3, p. 227-229).
James Jackson Putnam, Human Motives, Boston, 1915.
Adolf Fredrik Meijer (1880-1962), neurologue exerçant à La Haye : De Behandeling van
Zenuwzieken door Psycho-Analyse (Le traitement des malades des nerfs par la psychanalyse),
Amsterdam, 1915.
51F
Prof. Dr Freud

Vienne, IX. Berggasse 19 le


12 juillet 1915

Cher Ami,
En préparant la « Vue d'ensemble des névroses de transfert » ', j'ai maintenant affaire à des
fantaisies qui me dérangent et qui n'auront guère de retombées sur le public. Alors, écoutez:
On note dans l'apparition des phénomènes chez les malades
pris individuellement la suite chronologique que voici:
Hystérie d'angoisse – hystérie de conversion – compulsion –
démence précoce – paranoïa – mélancolie-manie.
Les dispositions libidinales à celles-ci vont en général en sens inverse, c'est-à-dire que la
fixation se situe dans des phases de développement très tardives pour les premières, très
précoces pour les dernières, mais cela ne tombe pas toujours parfaitement juste.
En revanche, cette succession semble répéter, au sens phylogénétique, un déroulement
historique. Les névroses actuelles étaient autrefois des stades d'évolution de l'humanité.
Avec l'irruption des privations de l'ère glaciaire 2, les humains sont devenus anxieux, ils
avaient toutes les raisons de transformer la libido en angoisse.
Lorsqu'ils eurent appris que la reproduction était désormais l'ennemie de la survie et
devait être restreinte, ils sont devenus – quoique encore sans paroles – hystériques.
Après avoir développé langage et intelligence à la rude école des ères glaciaires –
essentiellement les hommes – la horde primitive s'est formée avec les deux interdits du père
originaire, tandis que la vie amoureuse devait rester égoïste et agressive. C'est contre ce retour
que se défend la
névrose obsessionnelle. Les névroses ultérieures appartiennent aux ères
nouvelles et ont été acquises par les fils.
Ils furent d'abord contraints d'abandonner complètement l'objet sexuel, peut-être furent-ils
privés de toute libido par castration: démence précoce.
Chassés par le père, ils ont alors appris à s'organiser sur une base homosexuelle. C'est contre
cela que se défend la paranoïa. Finalement, ils ont vaincu le père, pour réaliser l'identification
avec lui, ont triomphé de lui et porté son deuil: manie-mélancolie.
Par ailleurs, rien de nouveau sur le plan personnel. Votre droit d'auteur sur ce qui
précède est évident.
Je vous salue cordialement, Freud

Voir 558 F et la note A.


Visiblement, Freud poursuit ici l'échange d'idées, commencé lors des rencontres personnelles,
aboutissant également dans « L'ère glaciaire des périls » (Ferenczi, 176, Nyugat (Occident), août-
septembre, 1915), Psychanalyse, III, p. 232.

552 Fer
Papa, le 15 juillet 1915

Cher Monsieur le Professeur,


J'espère que cette lettre vous parviendra encore à Vienne, afin que je
puisse vous souhaiter bon voyage.
Les nouvelles personnelles et familiales m'ont bien rassuré (mis à part vos maux de tête pour lesquels
vous devriez quand même vous adresser, à l'occasion, à mon ami Neumann '). Votre Annerl manifeste
des capacités de plus en plus respectables; Oli fera certainement son chemin dans la vie, correctement
et avec application, comme il se doit pour un ingénieur. Félicitez-le aussi en mon nom. Les nouvelles
de vos fils Martin et Ernst (je veux dire les nouvelles réelles, non les prophétiques) sont également très
réjouissantes.
Il faut que je vous raconte l'étrange coïncidence que voici:
Le soir du 13, à 11 heures, j'ai dit à mon nouvel ami: comme il est curieux que les auteurs nordiques
(en particulier Knut Hamsun 2 et Selma Lagerlöf 3) comprennent aussi parfaitement la démence
précoce. De même, j'ai dit aussi avoir remarqué qu'à l'asile d'aliénés de Zurich, la démence précoce
était beaucoup plus fréquente que dans ceux de Hongrie. Cette maladie serait en quelque sorte l'état
naturel de l'homme du Nord qui, maintenant encore, n'a pas tout à fait surmonté la dernière période
de l'ère glaciaire. J'ai aussi évoqué l'effet typiquement « enchanteur » du Nord
par opposition à la splendeur du Sud. Naturellement, j'ai alors poursuivi le sujet
dans la direction qui m'est habituelle et cherché des corrélations avec
l'hibernation des animaux ; sommeil et démence précoce sont, on le sait,
étroitement apparentés. Et le sommeil est même la démence précoce la plus
réussie, etc. Or, voici qu'aujourd'hui, je reçois votre lettre avec le magnifique
enchaînement de tous les genres de névroses, toutes conçues comme des phases
d'évolution de l'humanité. J'ai dit également à mon ami que la psychologie des
peuples représenterait essentiellement la relation des différentes races à l'ère
glaciaire.
En tant que mon médecin, vous serez intéressé de savoir que la dépression des dix derniers jours a
immédiatement provoqué aussi des réactions physiques : la gastro-entérite aiguë que je viens de subir
était peut-être une petite récidive de mes états antérieurs. A ce propos, l'association suivante:
Ce qui, dans les cas de moindre importance, produit des modifications hypocondriaques dans les organes
et les tissus peut agir lorsque la régression narcissique du chimisme devient encore plus importante, comme
cause directe de maladie. Un petit nombre d'observations me semble le confirmer. Un coup d'oeil intéressant sur
la pathologie générale du futur.
L'appartement où j'ai emménagé aujourd'hui est assez bien. Peut-être m'incitera-t-il à travailler de
nouveau. —Je regrette beaucoup de ne pouvoir lire vos synthèses avant les autres mortels.
Adolph Meijer est certainement un coreligionnaire. Salutations à votre famille
et à vous
de votre Ferenczi

Peut-être Joseph Neumann (voir t. I, 113 F, 114 Fer et 118 F). Voir aussi 686 F.
Knut Hamsun (pseudonyme de Knut Pedersen, 1859-1952). Écrivain considéré comme le romancier le
plus important de la littérature norvégienne. En 1920, il obtient le prix Nobel de littérature. Pendant
l'occupation allemande, il milite en faveur de la collaboration avec les nazis.
Selma Lagerlöf (1858-1940), écrivain suédois ; connue surtout pour Le Merveilleux voyage de Nils
Holgerson (1906/1907) et La Saga de Gô'sta Gerling (1891). Elle obtient le prix Nobel de littérature en 1909.
La première femme à être élue à l'Académie suédoise.
Karlsbad, le 18 juillet 1915 A

Cher Ami,
Vous voyez, ma constitution a, encore une fois, résisté `. Écrivez-moi [à] « Rudolfshof». Reçu votre lettre
encore à Vienne ; j'aurais aimé en savoir plus sur ce que vous pensez de la fantaisie phylogénétique.
Cordialement, votre
Freud
A. Carte postale.
1. Allusion à une histoire évoquée dans L'Interprétation des rives (Freud, 1900a) : « Un pauvre Juif
qui s'est glissé sans billet dans le rapide de Karlsbad ; on l'attrape et on le chasse du train chaque
fois qu'on le contrôle, et on le traite de plus en plus mal. Un ami qui le rencontre lors de l'une des
stations de cette voie douloureuse lui demande où il va et il répond : à Karlsbad — si ma constitution
peut le supporter » (L'Interprétation des rêves, trad. I. Meyerson, rev. D. Berger, Paris, PUF, 1971, p.
173).

554 F
Prof. Dr Freud

Karlsbad, le 20 juillet 1915 A


Vienne, IX. Berggasse 19
Rudolfshof A

Cher Ami,
Le hasard qui a fait tomber entre vos' mains un exemplaire de votre article (pas
le dernier, j'espère) comble mes voeux. Je m'étais proposé de faire seulement une
brève allusion à la série phylogénétique, en me référant à votre travail, et de
rendre dûment hommage à vos idées fécondes et originales sur l'influence des
devenirs géologiques ; mais maintenant, vous m'avez donné l'envie d'une
présentation plus développée, que je veux entreprendre et vous montrer avant de
me décider à la publication. En effet, bien des choses dépendent de l'humeur:
quand on est bien disposé, on est plus hardi. Dès hier, le deuxième jour, je me
suis remis au travail et je trouve que cela n'avance pas mal dans le bien-être de
la cure, à Karlsbad.
On a presque honte de se permettre tant de choses tandis que le monde lutte
et s'essouffle. Nous non plus, nous ne sommes pas encore dans le réseau postal.
Nous n'avons aucune nouvelle de Martin depuis le 4 de ce mois. Avec Sophie qui,
certes, ne tire ni ne monte à cheval, la liaison est à peine meilleure.
Karlsbad est très beau et on y est formidablement bien. Qu'il y ait moins de
cohue ne peut être qu'un plaisir pour chacun. La nourriture est bonne et pas
beaucoup plus chère ; bien sûr, on vit avec la carte de pain et le ravitaillement
en farine n'est pas assuré.
Rank a réuni entre ses mains toutes les affaires. Si vous pouviez trouverle moyen de le soutenir
ponctuellement, ce serait très bien.
J'espère avoir bientôt de vos nouvelles et aussi savoir comment évoluent vos relations personnelles.
Salutations cordiales, votre
Freud

A. Écrit à la main, au-dessus et en dessous de l'en-tête imprimé.


1. Lapsus calami de Freud: au lieu de « vos », il convient de lire « mes ». Il s'agit de « L'ère
glaciaire des périls » (Ferenczi, 176), Psychanalyse, II, p. 232.
55 F
Prof. Dr Freud

Rudolfshof A
Vienne, IX. Berggasse 19 le
21 juillet 1915

Cher Ami,
Vous serez étonné que je vous bombarde de lettres en ce moment. Mais c'est ainsi.
Je sais que vous n'êtes pas sans nourrir une inclination secrète pour les choses occultes. Vous vous
souvenez que dans la nuit du 8 au 9 B,j'ai fait un rêve de mort transparent concernant Martin, après
avoir lu le livre de Putnam'. A cette époque, nous avions eu de ses nouvelles le 4 VII. Après cela, rien
n'est venu pendant longtemps. Aujourd'hui, une carte est arrivée, du 11 VII. Donc, la prophétie a
déjà échoué. Mais, dans notre cas, il ne s'agit certes pas de choses aussi grossières. Les nouvelles
d'aujourd'hui nous apprennent cependant qu'à l'occasion d'une rencontre avec une patrouille russe,
une balle lui a éraflé le bras dr.[oitj, qui est déjà en voie de guérison. Comme il écrit lui-même, cela
ne doit pas être si grave. Il affirme en outre qu'il va très bien. Il n'indique pas de date. Je vais encore
essayer de l'apprendre de lui. Par avance, nous renonçons à la coïncidence relative au moment de la
journée. Je reconnais qu'on est probablement beaucoup plus sensible la nuit. S'il précise encore
quelque chose, je vous le ferai savoir.
Salutations cord.[iales], votre
Freud
Écrit à la main au-dessus de l'en-tête imprimé.
Après cette date, à l'encre violette, un point d'interrogation entre crochets, manifestement d'une
autre écriture (Ferenczi ?). Le point d'interrogation recouvre partiellement un autre chiffre, de la
main de Freud, vraisemblablement un '7.
1. Voir 550 F, et la note 3.
556 Fer
Pàpa, le 24 juillet 1915

Cher Monsieur le Professeur,


A défaut d'un meilleur papier, j'écris sur mon papier-brouillon ordinaire A

et je vais répondre à vos lettres, l'une après l'autre. Je ne l'ai pas


encore faitarce que j'ai été absent pendant cinq jours ; on m'avait délégué à Sopron (Oldenburg)' pour y
faire fonction de médecin recruteur. Il y a eu tant de cas de corruption là-bas (tout comme ailleurs), qu'on
a maintenant pris l'habitude d'envoyer, pour le recrutement, des médecins de garnisons étrangères. J'ai pu
aussi passer une journée à Pest et déjouer ainsi l'hostilité du commandant pour les permissions. Mais j'y
reviendrai.
Vous faites remarquer, à juste titre, que vous auriez aimé entendre plus de critiques sur le plan de l'essai
que vous appelez fantaisie phylogénétique. Je me suis borné à laisser s'exprimer ma joie de voir mes
fantaisies ontogénétiques trouver si rapidement une soeur phylogénétique. Maintenant encore, je ne peux en
dire beaucoup plus, mais je trouve extrêmement séduisante l'analogie entre les stades supposés de
l'humanité et les névroses.
Le stade de l'angoisse, le stade de l'hystérie et de l'obsession (d'ailleurs déjà soupçonnés chez l'enfant) m'ont
aussitôt paru évidents. Tout à fait nouvelle et surprenante est la mise en parallèle de la lutte contre le père et des
types ultérieurs de névroses. Le stade religieux de l'humanité (où elle se trouve encore prise actuellement), avec la
conscience exagérée du péché, semble être le dernier rejeton de la mélancolie. La psychanalyse signifie le début
de la guérison de l'humanité, la délivrance de la religion, de l'autorité (injustifiée) et de la révolte exagérée contre
celle-ci; donc, le début du stade scientifique (objectif). Seule l'analogie entre la démence précoce et le stade de la
castration ne me paraît pas très éclairante. On sait bien que les castrats n'ont pas pu se reproduire ni fixer leur
état dans la phylogenèse; donc, vous voulez certainement parler de la fixation de l'angoisse de castration. La perte
de la mère a pu, cependant, avoir tout d'abord pour conséquence, chez les fils chassés, le désarroi complet et la
régression au narcissisme. Mais on se demande comment ce stade, aussi, s'est fixé de façon phylogénétique; de
même, la fixation de l'homosexualité est problématique, si l'on n'admet pas que certains homosexuels sont restés
bisexuels et capables de se reproduire. A moins que chacun de ces stades n'ait engendré quelques « criminels »
qui, sans tenir compte du courant dominant de leur temps, se sont accouplés normalement avec la femme (la
mère). (OEdipe, enlèvement des Sabines 2.) Au demeurant, mon objection est peut-être naïve, et vous pourrez
facilement me rassurer sur ce point.
Mon « inclination pour les choses occultes » n'est pas « secrète » mais tout à fait patente – d'ailleurs elle n'est
pas, à proprement parler, une inclination pour l'occulte, mais un besoin de « désoccultation », fondé, en dernière
instance, sur certaines tendances magico-religieuses, dont je me défends en voulant apporter la lumière sur ces
choses. Je suis convaincu de l'existence réelle de l'induction de pensées. Ainsi, je crois que même la preuve que les
prophéties sont possibles ne pourrait ni ne devrait forcer personne à abandonner la base scientifique. A vrai dire, je
ne connais pas de cas confirmé de divination. Cela m'intéresserait d'avoir plus de précisions sur la date de la
blessure de Martin, heureusement légère.
La tournure que prennent mes affaires privées, dont vous vous informez dans votre avant-dernière lettre,
est très intéressante. Avant mon voyage à Budapest, j'ai appris la nouvelle que les règles attendues n'étaient
pas venues 8 ; en même temps, je fus sommé (par précaution diplomatique uniquement, comme il est
apparu) de faire le nécessaire pour rétablir
artificiellement les règles. Naturellement, j'ai aussitôt écrit qu'il ne pouvait en être question; au contraire,
je me sentais comblé par cet événement, j'étais décidé à en assumer toutes les conséquences ; il n'était plus
question de doute, d'hésitation ou d'indécision. A Budapest, j'ai appris qu'il ne s'agissait que d'un retard
des règles. Depuis, je ne suis de nouveau plus tout à fait sûr de ce que je dois faire ! Voyez à quel point il
est important pour moi d'avoir des enfants!
Je suis heureux que vous vous sentiez bien à Karlsbad et je vous souhaite encore du beau temps et de
l'ardeur au travail.
Mon ami, le Dr Lévy (Budapest), auprès duquel je pleurais récemment misère– sous l'effet de la première
impression déprimante due au changement de la personne du commandant – et à qui je demandais de
réfléchir à l'art et à la manière de rendre quand même possible ma mutation à Budapest, m'a fait
maintenant la proposition suivante : je dois rédiger un mémorandum où j'expose la nécessité de créer à
Budapest une clinique pour les « invalides » * de guerre cérébraux 4 (blessures organiques et névroses
traumatiques). Fröschels 5 à Vienne et Hartmann à Graz auraient déjà inauguré de telles institutions. Mon
ami, le docteur Schächter – par l'intermédiaire d'une personnalité influente – gagnerait alors le comte Tisza
6 à ce projet, qui entraînerait ensuite ma mutation.

La thérapie, dans ces institutions, consiste d'une part en physiothérapie (exercices des muscles et de la
parole), d'autre part en psychothérapie. Seule cette dernière me conviendrait, naturellement ; vous vous
souvenez que nous avons déjà discuté de ce problème à Reichenau'.
Ce qui me retient et m'amène à vous demander conseil, c'est la crainte que cette institution me donne trop à
faire, de sorte que j'aurai encore beaucoup moins de temps que maintenant pour ma pratique et tout autre travail.
De plus, j'ai des doutes quant au succès thérapeutique qu'on peut obtenir, chez de tels malades, par la
psychothérapie. S'il vous plaît, soyez mon conseiller pour cette question aussi. (Le mémorandum devrait être
présenté d'ici peu.)
Mes salutations les plus cordiales pour vous et les vôtres,
de la part de votre
Ferenczi
A. Ces doubles feuilles particulièrement longues (34 x 21 cm), Ferenczi les avaient déjà utilisées
plusieurs fois et notamment dans ses lettres 83 Fer, 160 Fer (supplément) 357 Fer et 458 Fer. Voir
aussi 635 Fer, note A.
* Gehirnkrüppel : mot créé par Ferenczi.
Petite ville hongroise à la frontière avec l'Autriche, située à mi-chemin de Papa et de Vienne.
Selon la mythologie romaine, Romulus, pour pallier le manque de femmes, fit attirer les Sabins dans
la ville de Rome afin de les massacrer et de s'approprier leurs femmes.
Bien que Ferenczi désirât beaucoup un enfant, il craignait que Gizella Pälos, par suite d'un périnée
« mal recousu [...] ne subisse quelque dommage ». (Ferenczi [ 1915, 160], « Le rêve du pessaire occlusif
», Psychanalyse, II, p. 172.)
Première allusion au problème des « névroses de guerre » dont l'étude sera d'une grande importance
pour la psychanalyse au cours des années suivantes.
Emil Fröschels (1884-1972), médecin viennois, spécialiste en phoniatrie et logopédie (c'est lui qui a
créé ce terme). Il s'intéressa en particulier au bégaiement. Fröschels était membre de la Société de
psychologie individuelle. De 1924 à 1928, professeur d'université et directeur du département de
Logopédie à la clinique universitaire. En 1939, il émigra aux États-Unis, s'installa à New York; à partir
de 1940, il travailla à l'hôpital Mont-Sinat, puis à l'hôpital Beth-David. Premier doyen de l'institut
Alfred-Adler à New York (1950).
Istvàn Tisza (1861-1918), comte de Geszt. Homme politique hongrois, Premier ministre
entre 1903 et 1905, puis de 1913 à 1917 ; fils de Kàlmàn Tisza, lui-même Premier ministre.
Fondateur du Parti national du travail (1910), un parti libéral. En 1912-1913, président du
Parlement; en juin 1913, de nouveau Premier ministre, et ce durant toute la Première Guerre
mondiale. Il était connu comme le représentant de la gentry conservatrice, voire réactionnaire,
et adversaire notamment du suffrage universel. Rendu responsable d'une politique belliciste
et pro-allemande, il fut assassiné le 31 octobre 1918, lors de la révolution dite des « Reines-
Marguerites >›.
7. Lieu de villégiature près de Vienne (entre le Semmering et le Schneeberg), fréquenté par de
nombreux écrivains et artistes viennois, tel Arthur Schnitzler. Freud et Ferenczi y firent une
excursion au cours du mois de mai (voir 546 Fer et la note 1).

557 F
ProfDr Freud

[Karlsbad] le 27 juillet 1915 Vienne,


IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Votre prise de position, longtemps attendue, sur la série phylogénétique est venue fort à propos,
et a remis la chose à flot. Cependant, ce n'est pas à cela que je réponds par retour du courrier, mais
à votre nouveau projet, que vous qualifiez d'urgent.
Mon conseil est de le promouvoir le plus rapidement possible, par tous les moyens, car il offre plus
d'un avantage. Non seulement il vous aide à lever l'ancre de Pàpa et vous procure une situation sûre à
Budapest, mais aussi, ce qui me semble précieux, il vous ouvre un nouveau champ de travail du point
de vue de la `YA ; et il se pourrait bien qu'il ait un effet préparatoire pour votre chaire d'enseignement, à
laquelle il ne faut pas renoncer. Que cela vous prenne trop de temps ne me semble pas une objection
importante. Notre littérature est de toute façon en friche pendant la guerre, on peut même se demander
si l'on parviendra encore longtemps à maintenir les périodiques. Pour les thérapies qui ne vous
conviennent pas, comme par exemple les exercices de la parole, etc., vous pourrez toujours vous faire
assister. Je ne vois pas d'argument contre, tout plaide pour, sauf une chose : je ne sais pas si le projet
aboutira ou, dans l'affirmative, si on vous en confiera la direction générale. Mais pour vous, même la
direction du département de psychothérapie vaudrait encore la peine.
Nous avons un temps variable, aussi je suis souvent fatigué et je souffreplus fréquemment que
d'habitude du syndrome de Karlsbad. Martin continue joyeusement à écrire qu'il a également reçu
une balle à travers son. calot ; il a envoyé aujourd'hui une très bonne photo de lui et de son cheval. A
ma demande concernant la date de la blessure, pas encore de réponse possible.
Je vous salue cordialement, votre
Freud
58 FA
[Karlsbad] le 28 juillet 1915

Cher Ami,
Je vous envoie ici l'esquisse du n° XII, qui va certainement vous intéresser.
Vous pouvez la jeter ou la garder. La version corrigée la respecte phrase pour
phrase et ne s'en écarte que peu. Les pages 21-23 ont été ajoutées après
réception de votre lettre, que j'attendais. Votre excellente objection était, par
chance, prévue.
Je me propose à présent de faire une pause, avant d'élaborer définitivement
Cs. et angoisse.
Je souffre beaucoup du syndrome de Karlsbad.
Cord.[iales] salutations, votre
Freud

A. L'original de cette lettre ne se trouve pas avec le reste de la Correspondance à la Bibliothèque


nationale à Vienne. Ces lignes sont écrites au dos du dernier feuillet de l'Esquisse du XII° essai
métapsychologique de 1915. Manuscrit retrouvé dans les papiers de Sàndor Ferenczi, confiés à
Michael Balint en même temps que cette correspondance et conservé par lui. Voir S. Freud, Vue
d'ensemble sur les névroses de transfert, un manuscrit inconnu jusqu'à présent, commenté et présenté par
Ilse Grubrich-Simitis, Paris, Gallimard, 1986, éd. bilingue commentée par Ilse Grubrich-Simitis et
Patrick Lacoste, trad. Patrick Lacoste. Voir trad. J. Laplanche, OEuvres complètes, XIII, p. 279-300.
9F
Prof. Dr Freud

Vienne, IX. Berggasse 19 le


31 juillet 1915
Rudolfshof A

Cher Ami,
Merci pour votre dernier bel envoi'. Je me suis très bien rappelé votre idée de la
répétition abrégée de chaque acte fr et je ne crois pas l'avoir sous-estimée. Au
contraire, elle m'a tout de suite plu, je m'en suis simplement tenu à distance parce
que c'était la vôtre. Aussi bien, à l'époque, paraissait-elle inutilisable. Dans votre
version et votre utilisation actuelles, je n'hésiterai pas à la reconnaître comme
l'accomplissement légitime et la
conséquence nécessaire de mes points de vue sur le. Je tiens à ce qu'on ne fabrique pas des théories,
elles doivent vous tomber dessus dans la maison comme des invités inattendus, alors qu'on est occupé
à des recherchesde détail. Voilà où en serait à présent cette théorie. Mais vous devez, à l'occasion, la
mettre au point vous-même, je ne me l'approprie pas, bien que je l'admette.
Votre opposition à la projection dans l'hystérie d'angoisse repose sans doute sur une connaissance
insuffisante de mes analyses de l'angoisse qui débouchent sur le fait que l'investissement pulsionnel
est remplacé par une peur réelle; donc le moi a peur comme si le danger ne venait pas de l'intérieur
mais de l'extérieur. C'est bien de la véritable projection.
D'autres remarques contiennent aussi beaucoup de choses percutantes et stimulantes et c'est
pourquoi j'aimerais bien garder votre manuscrit encore quelque temps avec moi. Quant à la critique de
la série phylogénétique, vous en trouvez la réponse dans l'Esquisse que je vous ai envoyée *.
A présent, vous êtes vraiment le seul à travailler encore à mes côtés. Les autres sont tous «
militairement » paralysés. C'est à peine si j'ai des nouvelles de Vienne. En deux semaines, une lettre de
Rank, aucune épreuve à corriger, aucune demande. Quant à moi, je me suis maintenant tourné vers
le Cs, qui demande à être remanié de fond en comble ; pour l'instant, encore arrivé à rien. Peut-être
Lublin, Ivangorod et Varsovie me viendront-ils en aide 2.
D'après des nouvelles arrivées hier, Ernst part aujourd'hui en Galicie, au bord du Dniestr. Martin
écrit qu'on lui a proposé une permission de quinze jours. Il est au front depuis le 20 janvier. Je
vous salue cordialement et je souhaite longue vie à votre phase productive,
votre Freud
Je pense maintenir le nom de paraphrénie s.
A. Écrit à la main, sous l'adresse pré-imprimée.
* Voir lettre 558 F.
Non retrouvé.
La veille, les troupes austro-hongroises avaient conquis Lublin et franchi la Vistule au nord
d'Ivangorod. Le 4 août, elles avaient occupé Ivangorod et, le lendemain, Varsovie.
Voir t. I, 425 Fer et la note 3.

560 F
ProfDr Freud

Karlsbad, le 9 août 1915


Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
C'est à regret que je vous renvoie cette lettre riche en contenu, dans
laquelle je reconnais la substance-mère de plusieurs travaux importants.
Nous partons d'ici le 12 VIII pour Berchtesgaden. mieux sera:
Königssee, Haute-Bavière,
sans autre indication, où j'irai alors chercher les poste, ou bien
Villa Hofreit, Schönau près de Berchtesgaden.
Nous aimerions beaucoup, si le destin le permet, avoir encore quelques
semaines d'été, et vivre en pleine nature la chute de Riga, mais non celle de
Görz'.
Pas de nouvelles de Martin depuis le 25 VII ; Ernst est parti le 30 VII, jusqu'à
présent une carte de lui, de Màramaros-Sziget, station sur la route de la Galicie
orientale 2.
Sachs rejoint l'armée le 15, Tausk annonce qu'il a reçu son ordre d'appel pour Rzeszôv s. Les livres
annoncés de Budapest ne sont pas arrivés'.
Les douze essais sont, pour ainsi dire, terminés. A part cela, il n'y a rien
d'urgent. L'alcalinisation de la semaine dernière ne semble pas propice au
travail intellectuel.
Salutations cordiales, votre
Freud

Après de longs combats sanglants, Görz fut finalement prise, le 9 août 1916, par les troupes
italiennes, et Riga, le 3 septembre 1917, par les troupes allemandes.
Le lendemain, Freud reçut une carte postale rassurante de Martin (lettre inédite de Freud à Adolfine
Freud, du 10 août 1915, LOC).
Cette ville de Galicie a été prise le 12 mai par les troupes austro-hongroises.
Voir 562 F et la note 1.
Pàpa, le 12 août 1915

Cher Monsieur le Professeur,


Je pars aujourd'hui pour Budapest, demain j'irai à Graz, je pense m'y ennuyer
* deux jours, puis à Vienne encore deux jours, finalement à Budapest et Pàpa,
où je dois réintégrer le service le 19 VIII. Le voyage a pour but la visite des
psychoses et névroses de guerre'. Si j'ai réussi à obtenir cette permission, c'est
au précédent commandant, de nouveau muté à Papa, que je le dois. La
productivité, en ce qui me concerne, est bloquée depuis un moment. Mais j'ai
déjà recueilli beaucoup de matériel pour le travail promis.
J'aimerais beaucoup, beaucoup lire vos douze essais ! Peut-être à l'automne, quand nous nous
reverrons, à Päpa ou ailleurs.
En toute hâte et incapable d'en écrire davantage maintenant,
votre Ferenczi
Correspondance 1914-1919

* Jeu de mots intraduisible: zwei tage lang weilen : séjourner deux jours; langweilen :
s'ennuyer.
1. II s'agit de visiter, à Vienne et à Graz, les institutions où les traumatisés de guerre sont traités.
Voir 556 Fer.

562 F A
Königssee, Oberb. le 14
août 1915

Cher Ami,
Arrivé ici hier. En d'autres temps, vous y auriez été invité aussi. A l'heure même
du départ de Karlsbad sont arrivés les trois livres de Dick', qui m'ont
beaucoup impressionné.
Donnez-nous de vos nouvelles ici, mais plus ouvertement encore que
d'habitude, à
votre Freud

A. Carte postale.
1. Mann Dick était l'éditeur des ouvrages de Freud Sur le rêve (Freud 1901a), Trois Essais sur la théorie
sexuelle (Freud 1905d) et Cinq Leçons sur la psychanalyse (1910a [1909)), tous trois traduits en hongrois par
Ferenczi.
Györ, le 24 août 1915
Cher Monsieur le Professeur,
Il semble que, depuis peu, un deuxième stade du temps de guerre ait commencé, plus éprouvant
pour moi. Le 19 de ce mois, à peine étais-je revenu à Pâpa de mon « voyage d'études » à Vienne et à Graz,
qu'un ordre télégraphique du haut commandement me désignait pour la corvée de recrutement. Le 20 je
suis allé à Veszprém', et avant-hier ici même, à Györ où, depuis trois jours maintenant, je dois examiner
les malheureux de quarante-trois à cinquante ans pour décider de leur aptitude au service armé. Je
resterai ici trois pleines semaines. J'habite à l'Hôtel Royal; sous ma chambre, un orchestre tzigane joue
pendant la moitié de la nuit. J'ai bien emporté des livres à lire et du papier pour écrire, mais mon
humeur ne me permet pas de coucher par écrit la moindre phrase sensée. Je serai absent de Pâpa
pendant six semaines entières. Les démarches pour la création d'un service de malades atteints de
troubles psychiques et du langage, je les ferai à partir d'ici – sans le moindre espoir de succès.
Les menus événements de mon voyage d'études, dont je voulais vous faire part, m'ont échappé
dans ce nouvel environnement. A Vienne, j'ai passé plusieurs heures avec Rank. Il était, comme
toujours, aimable et – même dans la situation nouvelle– de bonne humeur, ce que je ne pourrais pas
dire de moi.
Salutations cordiales à vous et à ceux qui vous sont chers,
de Ferenczi
J'ai oublié le nom de la villa où vous habitez ; je ne veux pas écrire « poste restante » car – pour
autant que je sache – ce n'est pas autorisé en temps de guerre.

1. Petite ville non loin du lac Balaton.


Königssee, Obn. le 1°r
septembre 1915
Cher Ami,
Les indications ci-dessus suffisent comme adresse. Reçu votre lettre,
aujourd'hui ; une satisfaction quand même, que cette tâche soit entre vos
mains. J'ai planté là toute science, je vis ici tout à fait dans la nature, et je m'y sens très bien. De bonnes
nouvelles des deux soldats. Vers le milieu du mois, j'irai à Hambourg'. Écrivez-
moi encore très prochainement, ne fût-ce que des cartes postales.
Salutations cordiales de nous tous,
votre Freud
A. Carte postale.
1. Chez les Halberÿtadt. C'est lors de cette visite que Freud observa le jeu du « fort-da » de son
premier petit-fils, Ernst, âgé d'un an et demi. (Voir Freud, 1920g, « Au-delà du principe de plaisir »,
trad. S. Jankélévitch, Essais de Psychanalyse, op. cit., p. 7-81. Citation chap. it, p. 16.)

565 Fer
Györ, le 2 septembre 1915
Cher Monsieur- le Professeur,
Si nous avons perdu le contact épistolaire, sans doute la faute en revient-elle à mon mode de vie
instable et agité, mes changements continuels de lieu de séjour. Votre dernière carte date du 14
août; depuis, je vous ai écrit deux fois, à Berchtesgaden, sans indications précises, il est vrai. La lettre
précisant votre adresse exacte se trouve à Pâpa.
Toute la matinée, je suis en fonction au conseil de révision, sinon je suis libre, mais intell(ectuellement
tout à fait stérile ; ce milieu paralyse toute activité de l'espriit. Les impressions du dernier voyage à
Budapest m'ont amené à pratique r une auto-analyse d'une heure, qui amis au jour l'énorme
importance, chez moi, de l'angoisse de castration. —Par ailleurs, je me sens physiquement bit2n. La ville
de Györ est assez agréable, comparée à Päpa c'est une grande Wille. J'ai aussi parlé au docteur
Königstein ', qui est interné ici.
S'il vous plaît, écrivez-moi, peut-être votre lettre secouera-t-elle mon apathie.
Salutations cordiales à vous tous !
J'espère que vous tiendrez votre promesse de venir en Hongrie à l'automne ! Je préfétrerais que vous
me rendiez visite à Veszprém, où je vais déménager le 10 septembre. Il n'y a qu'une demi-heure de
train d'ici au Plattensee. Vous pourriez y séjourner quelques jours ; les après-midi et les soirées,
nous les )passerions toujours ensemble.
Je vous serais ttrès reconnaissant de me télégraphier si mes lettres vous parviennent
(Adrresse : Györ, Royal Hôtel).
votre Ferenczi

1. Il pourrait s'agirr de Hans Königstein, auditeur de Freud en 1900, qui avait assisté à la rencontre
de Salzbourrg en 1908. Il pourrait être un parent du professeur Leopold Königstein, ami et
partenaire de tarot de Freud, car tous deux habitaient à la même adresse (Minutes, 1, p. 402).
6F
Prof. Dr Freud

Königssee, le 7 septembre 1915


Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami
Demain je vous confirmerai la réception de vos deux lettres de Györ par télégramme. J'avais
répondu à la première par une carte, pensant que ce serait plus rapide.
Nous envisageons de rester ici jusqu'au 11 ou 13, selon le temps, auquel nous voulons absolument
arracher encore quelques belles journées. Ensuitej'irai à Hambourg, jusqu'à Berlin avec ma belle-
soeur, et je rentrerai probablement quelques jours avant la fin du mois. C'est pendant ces derniers
jours que j'ai l'intention de venir vous voir – dans la mesure où il est possible de faire des projets cette
année. Nous recevons de bonnes mais rares nouvelles des deux garçons ; la liaison avec eux est à peu
près comme avec l'Amérique. Ernst s'est rapproché de nous depuis que nous savons qu'il a pris
position sur le Karst, non loin d'un grand port.
Tout comme vous, je n'ai absolument plus rien travaillé ces jours-ci, mais plutôt sous l'influence de
la forêt que de la situation mondiale. La récolte des champignons, mon plaisir de chasseur a, en effet,
beaucoup souffert du temps froid. Aujourd'hui j'ai raccompagné mes deux filles à Salzbourg et, sur le
chemin de retour, j'ai été assez surpris de constater, par l'assombrissement de mon humeur après les
adieux, combien ma libido s'était assouvie auprès d'elles. Mais il est vrai que la petite est une créature
particulièrement aimable et intéressante. Maintenant, il ne me reste que les deux vieilles.
En ce moment, je reçois de nouveau des épreuves d'Imago et de la Zeitschrift. Heller semble
donc avoir retrouvé son équilibre après avoir été remis au pas. Sachs est rentré, réformé, après
un service de dix jours, et il promet de travailler à la deuxième partie du Visionnaire. Tausk est
à l'hôpital à Rszészow et m'écrit de là-bas des lettres bien sombres.
I won't be plucked of my feathers *, disait Lord Bacon' quand, au moment de son procès, on lui
reprocha de poursuivre son mode de vie libertin. De la même manière, je me défends aussi pour que la
guerre ne me plume pas de toutes mes marottes. En effet, dès le 4 A octobre, tout le sérieux de la vie va
reprendre ses droits. Vous serez intéressé d'apprendre qu'Oli, à présent ingénieur avec un poste
stable, s'est fiancé à une femme médecin2, dont il avait fait la connaissance lors du voyage de
l'Université en Égypte. Ils pensent se marier prochainement, projet auquel ne s'oppose
que l'incertitude d'être encore éventuellement mobilisé. J'espère que tout se
passera bien pour lui.
Forcé d'être bref B,je vous envoie mes salutations les plus cordiales, votre
Freud
Prochaine adresse: Hambourg, Parkallee 18.
Lecture incertaine. Le chiffre pourrait être un « 1 ».
La fin de cette lettre est écrite le long de la marge gauche de la feuille, complètement
remplie.
* En anglais dans le texte : « je ne veux pas me laisser dépouiller de mes plumes ».
Francis Bacon, Lord Verulam, Viscount Saint-Albans (1561-1626). Philosophe, écrivain, juriste,
homme d'État (lord-chancelier en 1618). En 1621, Bacon fut accusé de corruption, et un procès
retentissant mit un terme à sa carrière politique. Fondateur de la recherche empirique en sciences
(à l'opposé des méthodes déductives). Freud était très intéressé par l'hypothèse qui fait de Bacon
le véritable auteur de l'eeuvre de Shakespeare (voir Jones, III, p. 486). Cette phrase de Bacon —
sa réaction à l'accusation de corruption —, Freud la cite en plusieurs occasions, ainsi que dans
une autre lettre à Ferenczi (686 F) et dans une lettre de 1931 à Eitingon (Max Schur, La Mort dans
la vie de Freud, op. dt., p. 661).
Oliver Freud et l'étudiante en médecine Ella Haim se marièrent le 19 décembre 1915 à Vienne
(581 F et la lettre de Freud à Eitingon du 1" janvier 1916, SFC). Le mariage fut cependant de
courte durée. Oliver vint «fin mai » 1916 (607 F) à Vienne pour les formalités officielles du divorce
et, le 10 septembre 1916, le couple divorçait selon le rite juif (notes sur le calendrier de Freud,
LOC). Voir notre Introduction.

567 Fer
Györ le 8 septembre 1915 A
Cher Monsieur le Professeur,
Reçu enfin, avant-hier, votre carte du 1" septembre. Je suis heureux que
vous alliez bien. Mon détachement ici se termine dès le 10 septembre, le
11 je serai de nouveau à Päpa. Au verso, le conseil de révision B.
Salutations cordiales,
Ferenczi
En d'autres temps, à cette date, nous étions sur la Piazza del Popolo.
Carte postale avec photographie.
Ferenczi et un officier plus âgé assis à une table, un autre officier debout près d'eux, tous trois en
uniforme.
- 568 Fer
Pàpa, le 15 septembre 1915 A
Cher Monsieur le Professeur,
Après une absence de trois semaines (qui a suivi immédiatement le voyage à
Vienne et à Graz), je suis enfin de nouveau installé à Pâpa. Ma théorie
selon laquelle toute libido repose sur le «Naches » * explique que je me sente
maintenant beaucoup mieux ici qu'avant. Au demeurant, les projets de mutation
sont toujours d'actualité. Cette fois, c'est le conseiller à la cour Moravcsik' qui est
intervenu en ma faveur. J'ai parlé à ce dernier – malheureusement en de tristes
circonstances. Un de mes frères (Joseph, 46 ans) 2, libraire à Nyiregyhàza, qui,
dans sa jeunesse, a traversé une période maniaque d'un an et demi, est tombé
malade de dépression mélancolique après une rémission de trente ans. Je me
suis empressé de le faire admettre à la clinique de M.[oravcsik] et j'espère que la
maladie évoluera favorablement. Je dois ajouter qu'à mon avis, pendant toute la
période de « bonne santé », le patient était légèrement hypomaniaque.
Je me réjouis beaucoup de pouvoir bientôt vous voir. Je continue de penser
que vous devriez combiner Päpa et Budapest; Budapest est encore plus belle en
automne qu'au printemps, quand vous l'avez vue.
Les bonnes nouvelles de votre famille, en particulier d'Anna et Oli, sont très,
très réjouissantes. Je partage votre optimisme en ce qui concerne leur avenir à
tous deux.
Le voyage à Hambourg doit être doublement intéressant ces temps-ci.
Rapportez-nous de vraies bonnes nouvelles fraîches et saluez en mon nom ceux
qui vous sont chers là-bas.
Des salutations cordiales de
votre Ferenczi
A. Lieu et date à la fin de la lettre.
* Naches, mot yiddish : plaisir, bien-être.
Moravcsik : voir t. I, 203 Fer et la note 1.
Jézsef Ferenczi (1869- ?), célibataire, mélomane. Tenait la succursale de la librairie familiale à
Nyiregyhàza.
9FA
Vienne, le 29 septembre 1915
Viens de recevoir télégramme', arrive cinq heures dix-huit.
Freud
A. Télégramme.
1. Le télégramme de Ferenczi n'a pas été retrouvé.
70 Fer
Papa, le 14 octobre 1915

Cher Monsieur le Professeur,


Votre visite à Pâpa a agi de façon vivifiante sur mon esprit et mon
humeur. Aussitôt je me suis mis à écrire un petit essai sur les « actes manqués
présumés » '. En effet, vous connaissez déjà mes façons de faire: toujours produire d'abord quelque chose
de démodé. – Quelques délibérations médico-légales et la nécessité de promouvoir mon projet (de
mutation et de création d'un département) m'ont mené à Budapest, où je suis resté du lundi au
mercredi. Là, des faits personnels sont intervenus que je peux, et même dois, vous raconter à vous, mon
médecin. C'était comme si je voulais répéter l'histoire de ma nervosité qui s'était déclarée immédiatement
après notre dernier voyage en Italie.
Les motifs pour la maladie d'alors, je suis allé les chercher 1) à Vienne, où nous avons passé
quelques jours à cause de la maladie de votre Mathilde. J'ai sauté sur cette occasion pour m'offrir la
possibilité d'une infection syphilitique2 ; 2) à Naples, où – faisant taire tous mes scrupules – j'ai passé
une nuit avec Madame G. Je me suis arrangé pour pouvoir arriver à Budapest à peu près au moment
de l'expiration de la période d'incubation (supposée). J'ai tout confessé à Madame G. – (pour me
débarrasser d'elle, je crois) – elle a été pour moi d'une bonté sans limites : j'étais de nouveau lié – mais
devais en tomber malade. Toute cette affaire était la réaction à l'histoire Elma.
Ici encore, tout a commencé par le constat d'une diminution de la libido envers Madame G. ; là-dessus,
j'ai décidé de rendre visite à Madame S.[aroltal (qui est actuellement à Budapest), et cette fois sans
scrupules. Seul le hasard a empêché la rencontre dont j'espérais qu'en cette occasion elle me rapprocherait
de Madame G. (La fidélité à son égard me serait plus facile, pensais-je, si j'osais aussi lui être infidèle.)
Malgré une assez longue abstinence préalable, la libido envers Madame G. a fait défaut, même si j'ai pu
accomplir l'acte. La nuit suivante, j'ai eu deux rêves d'angoisse, qui m'ont ensuite donné l'occasion de
spéculations sur la névrose d'angoisse. Notons encore que j'ai remarqué, pour la premièrefois, que même la
patience infinie de Madame G. menaçait de craquer. Je la plains infiniment et je vois tout le tragique de son
destin ; je rends hommage aussi à toutes ses vertus – mais mon inconscient reste froid. Je n'ai aucune idée
où cela doit mener. Une rupture de cette liaison me semble toujours presque impensable. Pour le moment, je
profite du conflit pour ne faire aucun travail!
Depuis que mon âme souffre, je me sens physiquement nettement mieux. Le nez et l'audition, tout
est de nouveau presque en ordre. Ces choses-là vont certainement de pair.
Il semble que vous ayez raison, comme toujours. La deuxième moitié de la vie aime voir de la jeunesse
autour d'elle – peut-être par peur de sa propre mort. Celui qui est marié la trouve auprès de ses enfants.
Celui qui n'est pas marié se tourne avec sa libido vers des personnes plus jeunes.
Mais ne croyez surtout pas que je sois toujours aussi sage que lorsque je vous parle. D'habitude
je suis perplexe, apathique ou triste. Vous pardonnerez qu'en de tels moments je m'adresse à vous,
de temps en temps.
Je vous remercie encore une fois de votre visite et je suis votre
reconnaissant
Ferenczi
Post-scriptum du 15 octobre: humeur morose déjà dissipée. Peut-être
réussirai-je à renoncer aux ruminations et à travailler.
Ferenczi (1915, 174), «Erreurs supposées », Psychanalyse, II, p. 204-
208. Voir t. I, 323 Fer, note 1, et 328 Fer.
571 F
Prof. Dr Freud

le 17 octobre 1915
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Le mercredi 13, de bon matin, je fus tiré du sommeil par une silhouette obscure et, reprenant
mes esprits, je pus reconnaître en elle mon fils Martin. Il avait très bonne mine, était porte-drapeau,
arborait la grande médaille d'argent des combattants valeureux sur son uniforme crasseux, montrait
fièrement l'entrée et la sortie de la balle dans son calot, et se trouvait en route pour Innsbruck, par
Cholm – Lublin – Cracovie, vers quelque poste d'artillerie du côté de l'Italie. L'après-midi, il est
reparti. Il n'a pas changé dans sa nature, plutôt plus insolent et plus sûr de lui, décidé à se marier
dès qu'il pourra rentrer, sans se soucier du tout de son avenir civil. Naturellement, il a eu aussi ses
difficultés il ne peut pas faire autrement. On lui a rapporté que son commandant l'avait promu, lui,
le seul Juif du régiment, au grade de « Cochon-de-Juif », et il n'a pas hésité une seconde à se
présenter au rapport et à lui en demander raison, réglementairement. On trouvera probablement
quelque arrangement j'espère, comme lui-même du reste, qu'il sera bientôt muté, car il est bien trop
tentant pour ce supérieur de se débarrasser d'un subordonné gênant par une mission appropriée.
Être tué n'est, de toute façon, qu'une question de temps.
Ernst nous a fait savoir habilement qu'il se trouvait dans un village au-dessus de Monfalcone.
Le même mercredi, nous avons eu notre première soirée de l'Association `, avec les
participants au complet. Nous nous sommes mis d'accord pour une réunion toutes les
trois semaines.
Les consultations occupent mon temps de 4 à 7 h 1/2 la matinée est complètement libre. Un
jeune Allemand, qui avait des intentions sérieuses, a été enlevé par le dernier conseil de révision
allemand j'ai appris aujourd'hui que mon intéressant Hongrois, de votre région (Herény, près de
Szombathely), était mort d'un typhus grave. C'est bien dommage, je m'étais pris d'affection pour
lui et c'était presque un 'succès significatif, il n'y manquait plus grand-chose. Ma seule
acquisition nouvelle est une bécasse de Szolnok 2, Mademoiselle Schwarcz 3, qui serait allée chez
vous, si vous résidiez à Budapest. Ainsi, l'année de travail commence-t-elle sans bonheur. Pfister
écrit des lettres sensées et envoie des contributions il trouve lui-même que d'être libéré de Jung
lui a fait beaucoup de bien. Récemment, il a rencontré Flournoy 4 et Claparède à Genève.
Dans le dernier numéro de la Zeitschrift, le n° 5, qui comprendra aussi mon identification de
l'inconscient 8, vos articles m'ont agréablement surpris par leur plus grande liberté de pensée et une
moindre rigidité des concepts 6.
Cela dit, j'en arriverai maintenant à vous et à l'histoire de votre maladie. Je comprends la soif ardente de
jeunesse, mais ne saurais vous donner des conseils ; ce qu'on ne doit pas faire de toute façon. Je trouve
également très intéressante la disparition de vos symptômes physiques. Monsieur P.[àlos] 7 n'est-il pas, lui aussi,
très dur d'oreille? Une nouvelle « jeunesse » ne vous aurait-elle pas, d'une quelconque façon, tapé dans l'oeil ?
Contrairement à vous, les symptômes névrotiques se transforment chez moi en symptômes organiques. Steiner
a confirmé mon diagnostic d'hypertrophie de la prostate, d'après mes indications, et va m'examiner dans les
prochains jours. Après avoir suivi quelques-uns de ses conseils, je constate une amélioration considérable des
troubles (restriction des boissons, abandon des eaux alcalines). J'ai suspendu la production intellectuelle après
quelques intuitions-éclair, comme par exemple l'idée que la censure, dans la névrose obsessionnelle, n'était pas
située entre inconscient et préconscient, mais entre préconscient et conscient 8.Pour le moment, sans ennui ni
regret. La guerre devient insupportable, d'autant plus que les perspectives s'améliorent. Je ne suis
certainement pas le seul dans ce cas.
Deuticke avoue que la vente des livres psychanalytiques est satisfaisante, même par les temps qui courent ! fl a
fait imprimer la 3eédition des Études 9, et il publie un nouveau livre de Kaplan, « Problèmes analytiques» 10, ou
quelque chose de ce genre.
Avec mes salutations cordiales, dans l'attente de vos nouvelles, votre Freud
Cette réunion n'est pas mentionnée dans les Minutes.
Petite ville à environ soixante-quinze kilomètres au sud de Budapest.
Aranka Schwartz qui, plus tard, a souvent servi de messagère entre Freud et Ferenczi, pour les
nouvelles et le ravitaillement.
Théodore Flournoy (1854-1920). Psychiatre et psychologue suisse. Étudia les sciences naturelles à Genève,
puis la médecine à Strasbourg (1878), enfin la psychologie auprès de Wilhelm Wundt. En 1891, l'université
de Genève institua une chaire de psychologie physiologique, créée spécialement à son intention. Éditeur
des Archives de psychologie, avec Édouard Claparède, son élève. Tout comme son ami William James, Flournoy
s'intéressa à l'hypnose, aux états de conscience modifiés, au mysticisme, à la psychologie de la religion
ainsi qu'aux phénomènes parapsychologiques. Dès 1900, il fit mention de L'Interprétation des rêves et exerça
une forte influence sur le jeune Jung. Pfister rédigea une notice nécrologique élogieuse sur Flournoy, dans
la Zeitschrift, 7, 1921, p. 101-106.
Voir 542 F et la note 1.
« Analyse des comparaisons » (Ferenczi, 1915, 164) et des contributions de Ferenczi à la rubrique «
Expériences et exemples pris dans la pratique analytique » (Ferenczi, 1915, 165 à 173).
Géza Pàlos, mari de Gizella et père d'Elma.
Dans son article intitulé « L'inconscient » (1915e), Freud postule l'existence des censures entre l'inconscient et
le préconscient, entre le préconscient et le conscient. Loc. cit. La référence se trouve p. 227 et 231.
La troisième édition des Études sur l'hystérie de Breuer et Freud (1895d) parut en 1916 chez Deuticke.
Trad. fr. A. Berman, Paris, PUF, coll. « Bibliothèque de la psychanalyse », 1981.
Leo Kaplan, Psychoanalytische Probleme (Problèmes psychanalytiques), 1916, mentionné
par Freud dans sa préface à Introduction à la psychanalyse (p. 9) et discuté par Ferenczi dans la Zeitschrift (1916-
1917, 4, p. 120-122).
Le Dr Leo Kaplan (1876-1956), né en Russie, s'installa à Zurich en 1897, et y demeura jusqu'à sa mort. Il
étudia les mathématiques, la physique et la philosophie; à partir de 1910, il s'orienta vers la psychanalyse,
mais n'appartint à aucune association psychanalytique. Son ouvrage Grundzüge der Psychoanalyse
(Fondements de la psychanalyse), Vienne, 1914, présente un des premiers résumés systématiques de la
théorie freudienne.
Pàpa, le 26 octobre 1915

Cher Monsieur le Professeur,


Vous ne vous étonnerez certainement pas si je ne vous écris pas grand-chose de nouveau d'ici, et si je
ne traite toujours que de deux sujets: ma capacité de travail – et mon état de santé.
La première s'est améliorée. En mettant de l'ordre dans les notes prises au cours de l'année passée, le plan
d'une série d'essais, ayant pour titre Essais bio-analytiques, a pris forme spontanément ; il s'agirait d'environ 15 à
20 articles, qui pourraient finalement faire un livre'. Le premier article devra traiter de façon générale « De la
justification des points de vue psychanalytiques dans le domaine des connaissances biologiques », et établir le
caractère naturel et nécessaire métapsychologique et métabiologique. Le deuxième traitera de l'impuissance anale
et urétrale ; et, à la suite, quelque chose sur la physiologie de l'éjaculation. Le troisième, de l'amphimixie des
pulsions partielles, en introduction à l'ontogenèse de la génitalité. Ensuite, je me propose (après avoir traité de
quelques interprétations bio-analytiques particulières) de contribuer par quelques essais au problème de la
phylogenèse de la génitalité. Devront paraître ensuite un essai sur chacun des sujets suivants : le sommeil, le
rire et les pleurs, les super-performances hypnotiques, la sensation de chatouillement, l'évanouissement, la
phylogenèse des caractères sexuels secondaires, etc. Finalement, un article récapitulatif sur la régression et la
progression en biologie. – Ces jours derniers, je crois avoir repéré les stigmates hystériques comme étant des
refoulements organiques (anesthésies de la peau et de la muqueuse laryngée, de la conjonctive, etc.) 2.
Ne vous effrayez pas de cette loquacité. Quant à ma santé, ça va mieux.
Cordialement, votre
Ferenczi

Ferenczi ne réalisa pas ce projet sous cette forme; la plupart des idées évoquées ici seront traitées
dans «Thalassa. Essai d'une théorie de la génitalité» (1924, 168), Psychanalyse, III, p. 250-323.
Voir Ferenczi (1919, 221), « Tentative d'explication de quelques stigmates hystériques », Psychanalyse, III,
p. 66-72.
573 F
Prof. Dr Freud

le 31 octobre 1915
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je me force aujourd'hui à écrire pour me distraire, et je commence par vous assurer que j'ai pris
connaissance de votre savoureux menu scientifique, en me sentant nettement venir l'eau à la
bouche. Pour ce qui est de la forme de la publication, j'aimerais vous proposer de mettre le tout dans
le prochain volume du Jahrbuch, et de le publier en même temps sous forme de livre, ce qui est
facile et représente le double d'honoraires. Vous savez que Jung l'a déjà fait'. A la condition, bien
entendu, que nous obtenions de Deuticke qu'il publie en temps voulu un nouveau volume du
Jahrbuch, pour lequel il n'y a, cependant, rien d'autre que mon grand cas clinique et un article
d'Abraham 2. Avec le vôtre il deviendra présentable.
Je ne sais depuis combien de temps je ne vous ai pas écrit, je cours donc le risque de répéter mes
informations. Je crois que c'était le 17 X. Sans doute vous ai-je raconté que Martin a été ici une demi-
journée. Depuis, il écrit d'un lieu calme et paisible, entre palmiers et magnolias, donc
vraisemblablement Riva Arco, etc. En revanche, je n'ai probablement pas mentionné que mon très cher
patient, de tout près de chez vous (Herény, près de Szombathely) était mort du typhus, et qu'un autre,
un jeune homme de Brême, m'avait été enlevé par le dernier conseil de révision allemand. Mon activité
est donc très modeste. Les matinées sont presque entièrement libres. Dans cette oisiveté, je me suis
décidé à commencer les cours °, et jeme suis trouvé, le 23 X comme le 30 X, face à un auditoire
d'environ 70 personnes, parmi lesquelles deux de mes filles et une belle-fille'. Aussi m'a-t-on
recommandé de faire de cette conférence quelque chose de plus que d'habitude, de m'y préparer
convenablement ; j'en suis venu à former le projet de publier aussi les conférences prononcées dans
ces conditions. Rank m'a aussitôt interprété cette intention : je voudrais faire en sorte qu'il me soit
impossible de présenter une fois encore cette « introduction à la `FA ». Malgré l'interprétation, le projeta
été maintenu. J'ai déjà parlé avec Heller, qui donnera bientôt un avis décisif sur cette question, et mon
idée est de laisser poursuivre la publication par livraisons de deux à trois cours à la fois, même
pendant la guerre. Qu'en pensez-vous * ? Il est vrai qu'il s'agit de ce vieux matériel qui me fait horreur,
mais j'essaie de le regrouper de façon nouvelle, et de l'arranger pour un enseignement dialectique ; je
parviens ainsi à surmonter, la moitié de la journée, le sentiment torturant de ne pas avoir de projet.

Ce qui me trouble et me préoccupe douloureusement, c'est de savoir


Ernst en danger de mort. Le 24 X nous avons reçu l'information qu'il avait été
soumis à des bombardements intenses et qu'il était le seul de sa batterie à être
resté en vie. Deux jours plus tard, il nous a informés en détail de ce qui s'était
passé. Des aviateurs avaient repéré leur abri et, pendant la dernière canonnade
des Italiens, décrite par lui comme épouvantable, l'abri de son détachement a été
touché de plein fouet par un obus et les cinq hommes avec qui il vivait depuis des
mois ont été pris sous un éboulement et enterrés. Par hasard, il ne se trouvait pas
dans l'abri à cet instant. Il a écrit à l'occasion d'une pause, pendant laquelle il a pu
de nouveau dormir et se laver ; on l'a proposé comme élève officier, et aussi pour
une petite décoration ; il pense que le pire est derrière lui. Nous savons cependant
que le feu infernal sur le Doberdoplateau (au-dessus de Monfalcone) a repris
depuis, avec force. Si seulement on était sûr que la chance est une qualité
constante de l'homme ! Mon gendre, à Hambourg 5, a finalement été, lui aussi,
appelé pour le 2 XI. C'est pourquoi Minna y a prolongé son séjour. Naturellement,
c'est aussi une petite catastrophe. Ainsi suis-je maintenant brisé par les
événements auxquels, au fond, mon moral avait résisté jusqu'à présent, et je me
sens totalement dépendant de ce qui va se passer.
Tausk a été transféré à Kowel. Rank prédit son déplacement à Cracovie 6. L'attribution du prix Nobel
à Bàràny 7 que, jadis, j'ai refusé comme élève parce qu'il me semblait trop anormal et antipathique a
probablement aussi éveillé des pensées moroses quant à l'impuissance de l'individu face à l'admiration
des foules. Vous savez que je n'aurais tenu qu'à l'argent du prix, et peut-être à la vengeance que serait
pour moi la fureur de quelques compatriotes. Mais il serait ridicule d'attendre un signe de
reconnaissance quand on a les 7/8e du monde contre soi. Mon jugement est resté calme et se refuse à
mesurer la psychanalyse à l'aune de ces futilités otologiques a.
Mon frère a été dispensé. Si nous surmontons ces temps d'épreuve, notre
prochain voyage nous mènera quand même à Constantinople.
Salutations cordiales ; faites-moi bientôt entendre de vos nouvelles, de
préférence bonnes.
votre Freud
* En français dans le texte.
Voir t. I, 352 Fer, note 7.
La parution du Jahrbuch est interrompue. Le « grand cas clinique » de Freud, l'analyse de «l'Homme
aux loups» (Freud, 1918b [1914]), ne paraîtra qu'en 1918, dans la quatrième suite de sa Sammlung
kleiner Schriften zur Neurosenlehre (trad. fr. dans Cinq Psychanalyses). L'article d'Abraham, devenu
désormais un classique, «Examen de l'étape prégénitale la plus précoce du développement de la
libido» (Abraham, 1916, 52, OEuvres complètes, II, Gallimard, Paris, p. 231-254), parut finalement
dans la Zeitschrift, 1916, 4, p. 71-97 (voir 594 F).
Introduction à la psychanalyse (Freud, 1916-1917a [1915-1917]), trad. S. Jankélévitch, Paris, Payot, 1981.
Voir Jones, op. cit., p. 233 sq., et la note éditoriale préliminaire dans la Studienausgabe, 1, p. 34-36.
Anna (P. Gay, Freud, une vie, trad. Tina Jolas, Paris, Hachette, 1991, p. 424), Mathilde et Ella
Haim.
Max Halberstadt, le mari de Sophie.
En janvier 1916, Rank partit pour Cracovie; il y demeura trois ans, comme rédacteur de la
Krakauer Zeitung (Journal de Cracovie), le seul quotidien allemand de Galicie. La Galicie comptait à
l'époque quelque huit millions d'habitants, dont 54 % parlant le polonais, 43 % le ruthénien et 3
% l'allemand.
Robert Bàràny (1876-1936), médecin autrichien d'origine hongroise. Professeur à l'université
de Vienne, puis à partir de 1917 à Uppsala. A élaboré de nouvelles méthodes dia-
gnostiques et chirurgicales en otologie. Prix Nobel de médecine en décembre 1914, pour ses
travaux sur la physiologie et la pathologie de l'appareil vestibulaire. C'est Baräny qui proposera
par la suite, sans succès, Freud pour le prix Nobel (Ronald W. Clark, Freud. The Man and the Cause,
Londres, J. Cape, Weidenfeld and Nicholson, 1980, p. 383).
8. Ce qui concerne la thérapeutique de l'oreille.

574 Fer
Pàpa, le 12 novembre 1915

Cher Monsieur le Professeur,


Je vous remercie de vôtre lettre détaillée, dont j'ai fidèlement rééprouvé l'humeur bonne et mauvaise.
Aussi invraisemblable que cela paraisse, je ne tiens pas pour tellement exclu que vous viviez assez
longtemps pour voir le jury du prix Nobel honorer votre mérite. Naturellement, ce n'est pas pour la
psychanalyse proprement dite que, dans un premier temps, j'espère la reconnaissance, mais pour ses
applications. Tout particulièrement votre Métapsychologie pourrait sembler indiscutable même à ceux qui
ne connaissent ou ne reconnaissent pas ses fondements..
Les rumeurs de paix ne veulent pas se taire. Il semble que, cette fois, la paternité de cette pensée
populaire ne puisse être attribuée simplement à un voeu. – Entre-temps, il s'agit de continuer à se
dominer. Le danger où votre Ernst s'est trouvé était très grand ; la probabilité n'est pas immense
que sa batterie, précisément, se retrouve en un tel danger – du moins c'est ainsi que nous voulons
nous réconforter.
Un conflit passager avec mon commandant à propos d'une question d'étiquette militaire m'a montré
le pouvoir considérable que le complexe paternel avait sur moi. Toute une série de mes symptômes
physiques antérieurs est revenue pour un court moment: le sifflement dans les oreilles et la surdité
semblent être d'origine purement vasomotrice (c'est-à-dire névrotique). On n'en finit pas de s'étonner
quand on constate quelque chose de ce genre; cela montre aussi, d'ailleurs, que nous ne mesurons
toujours pas – comme je l'ai dit – à quelpointnous avons raison quant à nos hypothèses.
L'inhibition qui affectait également ma capacité de travail a
disparu au moment même de la réconciliation avec mon chef.
Le projet d'édition de vos cours m'a extraordinairement réjoui. Je rêve
déjà à leur traduction en hongrois 1.
Aujourd'hui, je pars pour deux jours à Budapest (un cadeau du
commandant ambivalent).
Salutations cordiales de votre
Ferenczi

I. (Freud 1916-1917, Introduction à la psychanalyse, trad. S. Jankélévitch, Paris, Payot, I 973.) La


traduction hongroise par Imre Hermann ne parut qu'en 1932, comme premier volume des
Œuvres Complètes projetées en hongrois, mais jamais réalisées.
575 F
Prof. Dr Freud

le 15 novembre 1915 Vienne,


IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Heureusement, moins de nouvelles intéressantes que d'habitude. Je me suis
bien diverti du retour de vos symptômes ; espérons que l'impression vous en
restera. Relu votre critique de R.[égis] et H.[esnard] sur épreuves 1; je confirme
volontiers qu'elle est excellente et que, par son contenu intellectuel, elle vaut bien
des articles. Des critiques de cette sorte peuvent conférer une position à une
personne et à une revue. Je ne suis pas plus avancé en ce qui concerne
l'incertitude sur l'avenir de la revue. Heller, à qui je voudrais bien refiler la
conférence élémentaire, pour qu'il se sente lié par ailleurs, m'évite depuis deux
semaines de façon discourtoise, il ne donne pas de réponse et suscite en moi la
tentation de tendre le même appât à Deuticke. Le premier cahier serait prêt (sur
les actes manqués) même si ce n'est qu'au brouillon. Quant au rêve, je ne le
mettrai pas du tout par écrit avant chaque cours, mais seulement après 2.
Ma consultation est remontée à six séances.
Après l'anéantissement de sa troupe, Ernst a été envoyé à Görz pour se reposer,
et en est maintenant revenu. Entre-temps, il a été nommé élève officier. Sa dernière
lettre du 10 signale encore le calme. Oli, qu'on n'attendait pas, était ici hier, peut-
être pour la dernière fois avant son mariage, dont la date ne peut être fixée à cause
du père de sa fiancée qui est mourant. Le travail et la perspective d'une compagne
aimée lui font beaucoup de bien ; du reste, c'est une expérience de mariage
intéressante, car – avec son accord – elle n'abandonne pas sa profession, et veut
terminer ses études.
Je ne crois pas à la paix, mais à la montée de l'amertume et à une brutalité impitoyable, dans la
deuxième année de la guerre.
On annonce des contributions d'Abraham, de Pfister et de Lou Andreas 3. Si seulement la censure 4
les laisse passer.
Salut cordial, votre
Freud

« La psychanalyse vue par l'École psychiatrique de Bordeaux » (1915, 175), Psychanalyse, 1I, p. 209-
231. Voir aussi 492 Fer, note 2.
Les conférences destinées à figurer dans l'Introduction à la psychanalyse (Freud, 1916 1917a) ont
finalement quand même été publiées par Hugo Heller (la première partie en 1916, les deuxième et
troisième parties en 1917).
Au sujet de la contribution d'Abraham, voir 573 F, note 2. La contribution de Lou Andreas-Salomé
: « "Anal" et " Sexuel" », in L'Amour du narcissisme, trad. I. Hildebrand, Paris,
Gallimard, 1980, p. 89-130. D'Oskar Pfister, rien ne parut au cours des deux années suivantes, ni dans
la Zeitschrift, ni dans Imago. Voir à ce propos 591 F.
4. La censure des correspondances durant la guerre.

576 F
Prof. Dr Freud

le 23 novembre 1915
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Que faites-vous ? Pourquoi n'ai-je aucun écho de vous ? Je voudrais seulement vous faire savoir que
Martin est chez nous pour une permission de dix jours, bien portant et de bonne humeur, et qu'Ernst
est actuellement en lieu sûr, au-dessus de Trieste, dans un détachement antiaérien. Il habite une
maison meublée, il est élève officier et, au moins, il a la petite médaille d'argent des braves.
Je n'ai pas surmonté mon humeur maussade, j'ai davantage à faire, je le fais sans plaisir et j'écris au
fur et à mesure les cours que je donne (une centaine d'auditeurs), mais cette guerre qui dure nous
ronge et la victoire permanente, tandis que la détresse augmente, fait réfléchir et se demander si le
perfide calcul anglais ne se révélerait pas juste, en fin de compte'.
Scientifiquement, rien de nouveau. Lou a envoyé un bel article, « Anal et sexuel », pour Imago,
Pfister et Abraham se remuent de nouveau.
Le mariage d'Oli est imminent, impossible d'en déterminer la date, en raison de la fin
prochaine du père de la fiancée.
Je suis curieux de savoir comment évoluent vos travaux et vos affaires. Salut
cordial votre Freud

1. Allusion à « la prédiction de Lord Kitchener au début de la guerre, selon laquelle le conflit


durerait trois ans» (Jones, II, p. 192).

577 Fer
Pàpa, le 23 novembre 1915

Cher Monsieur le Professeur,


Par le courrier d'aujourd'hui, vous recevrez de ma part deux sortes
d'envois ; le plus mauvais des deux est certainement le commentaire du
dernier travail de Mach'. J'ai été encouragé à faire cette évaluation 1) par le livre
lui-même, 2) par votre éloge de la critique de Régis-Hesnard, 3) par ma fuite
devant les tâches actuelles (c'est-à-dire: les articles bio-analytiques).
Je vous prie de juger ce commentaire avec l'indulgence que vous n'avez l'habitude
de montrer pour mes travaux qu'à la seconde lecture. Ge me demande si une
certaine ambivalence de votre part ne se manifeste pas de cette façon?) Cela étant:
ne soyez pas indulgent, mais seulement sincère, comme d'habitude.
Quoi qu'il en soit, l'espoir s'éveille en moi qu'au moment d'une nouvelle lecture,
ma conférence de Munich 2 (qui se trouve dans le dossier de la rédaction)
trouvera aussi grâce à vos yeux.
Je me sens bien, physiquement et mentalement ; de temps en temps seulement,
le travail « l'art pour l'art » * ne me satisfait pas pleinement et – si je dois travailler
avec ardeur – j'attends des récompenses diverses et réelles du destin.
Salutations cordiales de votre
Ferenczi
A. Date et lieu à la fin de la lettre.
* En français dans le texte.
Ernst Mach (1838-1916), physicien et historien des sciences autrichien; a développé une
philosophie des connaissances. Dans le sillage de G. Theodor Fechner, il s'est intéressé à la
psychophysiologie des sensations et, refusant toute séparation entre le physique et le
psychique, entre l'objet et le sujet, il a élaboré une théorie moniste psychophysique. Connu
pour ses travaux sur la vitesse du son en aérodynamique et pour la découverte de la
fonction des canaux semi-circulaires de l'oreille interne. Sa critique des principes
newtoniens a considérablement influencé Einstein ; ses travaux sur la psychophysiologie
des sensations ont préparé le terrain pour la théorie du Gestalt; sa pensée a également
marqué les empirio-criticistes, les marxistes autrichiens et russes, ainsi que Franz
Brentano. Natif de Moravie, Mach fut, entre 1864 et 1867, professeur à Graz, et de 1867 à
1895 à Prague. Ensuite, pendant trois ans, il enseigna l'épistémologie à Vienne, où Ferenczi
ainsi que Paul Federn ont fréquenté ses cours (Paul Federn, «Sàndor Ferenczi, Gedenkrede »
[A la mémoire de Sàndor Ferenczi], Zeitschrift, 1933, 19, p. 305-321). L'analyse critique du
livre de Mach (Kultur und Mechanik [Culture et mécanique], Stuttgart, 1915) ne parut qu'en
1919, sous le titre : « La psychogenèse de la mécanique » (219) (Psychanalyse, III, p. 44-52). Le
deuxième travail annoncé n'a pas été joint à la lettre (voir 579 F).
Voir 548 F et la note 2.
Päpa, le 25 novembre 1915 A

Cher Monsieur le Professeur,


Je vous prie d'autoriser Monsieur l'étudiant en droit Nikolaus Sisa ', un de nos
adeptes les plus capables parmi les étudiants de Budapest, à assister à vos cours.
A. Date et lieu à la fin de la lettre.
1. Mik16s Sisa (Mordechaj Schischa, 1893-1927), juriste, pacifiste libéral de gauche. En 1916,
président du cercle Galilée. En 1918, il est arrêté en raison de ses positions pacifistes et condamné
à deux ans de réclusion. Libéré pendant la révolution dite des « Reines-Marguerites », il émigre en
1919, probablement en Palestine. A publié un article de vulgarisation sur la psychanalyse : « La
psychanalyse », dans Alföld (journal de Kecskemét) en 1914, et un article consacré à la psychologie
des foules : « A tömeg lelke, freudista kisérlet » (L'âme de la foule, un essai freudien), Nyugat, 2, 1916.

579 F
Prof. Dr Freud

le 26 novembre 1915
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Ma lettre était prématurée. Le jour même, votre envoi est arrivé, mais malheureusement un
seul, l'autre, celui que vous désignez comme le meilleur et que je suis si curieux de
connaître, manque encore.
J'ignorais absolument que votre critique de R.[égis] et H.[esnard] ne m'avait pas plu initialement,
je n'y crois pas vraiment et je reste tributaire à cet égard de votre autorité. Votre affirmation se
rapporte peut-être à l'habitude que j'ai, dans mes rapports familiers, de toujours mettre en avant
mes objections.
Je dois pourtant faire quelques remarques sur la critique de Mach. Je pense qu'elle manque de
distance, qu'elle est encore trop marquée par l'impression toute fraîche de la lecture; elle a
simplement besoin que vous appliquiez votre recette : prematur *1 et réduction correspondante. Le
début et la fin sont très beaux, témoignent de vos qualités artistiques et poétiques, comme jadis
l'interprétation fonctionnelle de l'OEdipe 2.Des objections, j'en ai deux: premièrement, on ne doit
jamais proclamer analyste quelqu'un qui ne veut pas l'être, comme le moine qui revendique Nathan
pour les chrétiens 3. En règle générale, il ne sait pas qu'on veut luifaire un honneur, et il devient
facilement grossier en guise de remerciement. Et puis, cela donne l'impression que l'on manque
d'appuis. De Mach, je sais qu'il s'est fait envoyer par moi l'Interprétation des rêves, et qu'il l'a mise
de côté en hochant la tête. Deuxièmement, et c'est une véritable faiblesse du travail, vous n'êtes pas
en mesure de lui prouver, par des exemples, quels éclaircissements il a manqué d'apporter du fait
de son ignorance de la'PA, à l'exception d'un seul, celui du pétrissage de l'argile'. Il est vrai que je
n'en sais pas plus, mais ainsi vos regrets resteront sans effet sur le lecteur. La projection d'organes
aurait mérité une défense plus active 5. N'avez-vous pas pris en considération l'article de Giese dans
Imago III : Modèles sexuels dans les inventions simples 6 ?
Ce même Imago vous prie donc de faire quelques modifications. Rank
vous renverra l'article.
Ici, pas grand-chose de neuf. Je suis de nouveau en meilleure santé. Saviez-vous
déjà qu'il y a des criminels par sentiment de culpabilité lequel, naturellement,
provient du complexe d'OEdipe 7 ? Et des bègues qui ont projeté le chier sur le
parler? C'est ce que m'a enseigné un nouveau cas 8, très évident.
Salutations cordiales en attendant votre
Freud

Aurez-vous une permission pour Noël ?

* En latin dans le texte: rester caché.


Ferenczi (1915, 162), « Nonum prematur in annum », art. cité. Le titre se réfère au «
Nonumque prematur in annum » d'Horace (Poésie, 388) : « Et jusqu'à la neuvième année
cela doit rester caché » — à savoir le chef-d'oeuvre auquel le poète devrait travailler tout
ce temps. Voir 548 F.
Ferenczi (1912, 92), « La figuration symbolique des principes de plaisir et de réalité dans le
mythe d'OEdipe », Psychanalyse, I, p. 215-224.
« Le Frère : Nathan, Nathan Vous êtes un chrétien — Par Dieu, vous êtes un chrétien Un
chrétien comme il n'y en eut jamais( Nathan : C'est bien Car ce qui me fait chrétien à vos
yeux, vous fait juif aux miens » (Gotthold Ephraim Lessing (1729-1781), Nathan le Sage
(1779), trad. F. Rey, n° 33, José Corti, coll. «Romantique », 1991, acte IV, scène v11, p.
193194.)
Ferenczi (1919, 219), « La psychogenèse de la mécanique », Psychanalyse, III, p. 44-52.
Ferenczi, ibid., p. 47.
Fritz Giese (1890-1935), « Sexualvorbilder bei einfachen Erfindungen » (Modèles sexuels dans
les inventions simples), Imago, 1914, 3, p. 524-535. Le Dr Giese était maître de
conférences à la Technische Hochschule (École technique supérieure) de Stuttgart.
Voir le troisième paragraphe de l'article de Freud, « Quelques types de caractère dégagés
par le travail psychanalytique » (1916d) : « Les criminels par sentiment de culpabilité »,
L'Inquiétante Étrangeté et autres essais, op. cit., p. 133.
Ferenczi mentionne ce cas de Freud dans son article « Le silence est d'or » (191), Psychanalyse,
II, p. 255-256.
Pàpa, le 5 décembre 1915

Cher Monsieur le Professeur


J'ai l'intention de corriger, le mieux possible, les passages auxquels vous avez
trouvé à redire dans ma critique de l'opuscule de Mach, dès que Rank m'aura
renvoyé le manuscrit. Comme vous l'avez très justement supposé, les
insuffisances proviennent d'un non-respect du principe de « nonum prematur ». Je
ne voulais pas sacrifier la plupart de mes idées pour cette critique, mais les garder
pour mon travail bio-analytique, toujours en gestation. Ce dernier prend des
proportions de plus en plus vastes (dans mon imagination) ; la quantité de papier
noirci avec ces idées s'accroît vers l'incontrôlable. Mais la voix intérieure (que l'on
doit respecter) me retient
toujours de la formulation définitive, me contraint même à chercher des
confirmations nouvelles. Il semble que ce soit ma façon à moi de travailler,
il serait vain de s'en défendre.
La farine envoyée à Madame le Professeur 1) n'a pas été affranchie, par mégarde, 2) il
en a été envoyé la moitié de la quantité que je voulais. Veuillez m'en excuser.
Je pars aujourd'hui à Budapest pour trois jours (Hôtel Royal) ; l'occasion en est une visite à
l'hôpital militaire où vient d'être admis un neveu, volontaire chez les hussards. (Fils de ma
soeur aînée', tombé malade au front.)
Ici, rien de changé; mutation, promotion, décoration – le tout en perspective – se font
trop attendre.
Le jeune Sisa, qui vous a rendu visite récemment, est un garçon plein de talent. Je vais le prendre
sous ma protection et l'inciter à des travaux de criminologie psychanalytique. Mais il faut tenir ces
jeunes gens bien en main – comme nous l'enseigne l'expérience– sinon, ils tournent mal, d'une
manière ou d'une autre.
J'espère avoir une permission du 21 au 25 décembre. Avez-vous un projet?
Salutations cordiales, votre
Ferenczi

1. Voir 497 Fer et la note 1.

581 F
ProfDr Freud

le 6 décembre 1915
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je préfère tout de même vous écrire à Papa, le service postal étant actuellement tout à fait
imprévisible ; j'espère que vos trois voeux seront exaucés dès avant Noël, et je vous invite à
passer quelques-uns de vos jours de congé à Vienne. Toute initiative, quelle qu'elle soit, est
maintenant exclue pour les personnes privées. Chez nous, au moins, un peu de votre farine
pourrait vous être servie.
Certes, je suis occupé, mais modérément, 6 heures et demie, et largement disponible pour toutes
les discussions. Un travail tel que celui que vous avez entamé n'est jamais un pur plaisir ; pour
moi, c'était le plus souvent un combat atroce. Pourquoi vous en tireriez-vous mieux? Je peux
vous annoncer un grand succès diplomatique. Heller a accepté de prendre mes deux livres 1 et,
en échange, de maintenir la Zeitschrift. Je doutais un peu de lui, mais il s'est montré digne de
confiance et enthou-
siaste. Pour les conférences, il veut payer 100 couronnes par fascicule, faire une double édition
dès le début, et augmenter encore mon pourcentage lors du deuxième tirage. Je dois lui livrer une
partie du manuscrit le PT janvier 16, la première livraison devrait paraître en février. Il est, en effet,
envisagé une division en trois parties: acte manqué, rêve, et introduction à la théorie des névroses.
Il veut publier le deuxième livre, les articles 14, un peu plus tard. J'ai rédigé les conférences
chaque semaine, et j'en suis maintenant à la huitième. Les auditeurs, au nombre d'une centaine,
semblent vivement intéressés, mais à vrai dire, seulement 7 % d'entre eux sont inscrits. De là
peur-erre l'affluence 2.

Pour ce qui est des affaires de famille, je vous informe que mon gendre de Hambourg a été appelé
pour le 8 de ce mois et qu'il est peu probable qu'il obtienne un nouveau sursis. Il est heureux qu'il
doive passer sa période d'instruction pour l'artillerie tout près de Hambourg. Le mariage d'Oli a été fixé
pour le 19 de ce mois, tout à fait dans le style d'un mariage de guerre. Il peut à peine se libérer, la veille
du mariage il passe la nuit dans le train et a, en tout, deux jours de congé pour cette affaire
importante. L'entourage sera mis au courant une fois la chose accomplie ; il n'a pas de place dans sa
baraque pour des cadeaux de mariage et les voeux de bonheur ne pourront que le rendre malheureux,
dans la mesure où ce n'est pas nous qui pouvons y répondre. L'événement n'est pas une joie sans
nuages. C'est une fille de grande culture, sincère et distinguée, mais, médecin enthousiaste, elle ne
veut en aucun cas abandonner sa profession, et nous comprenons mal comment ces intérêts peuvent
être compatibles avec ceux d'Oli qui, dans les prochaines années, ne pourra certainement pas fonder
un foyer dans une ville universitaire. Nous nous demandons par ailleurs si, ayant grandi dans la
richesse, elle sera prête à partager les vicissitudes du mode de vie d'Oli. Jouer le rôle d'un prince
consort ou d'un capitaine au long cours ne lui conviendra guère. Il voudra avoir sa femme auprès de
lui. Naturellement, toutes ces difficultés disparaîtront si ces deux-là s'aiment assez, mais qui peut
connaître une bonne femme? Et il est certain qu'elle ne sait rien d'elle-même non plus, avant d'avoir
fait l'expérience de l'homme. Ainsi, n'envisageons-nous pas l'avenir du couple sans soucis. J'ignore
dans quelle mesure vous connaissez Oli ; sa névrose, un peu. Celle-ci ne fera pas de lui un amant
habile ou ardent, bien qu'il ait grand besoin de la femme de toutes les manières. Ce qui me donne le
plus à penser c'est, me semble-t-il, son manque de souplesse, qui le rendra intolérant à l'égard des
faiblesses féminines, incapable de supporter une déception et d'en venir à bout sans dommage.
L'essentiel de son être n'est d'ailleurs pas dans sa névrose ; je le tiens pour quelqu'un de génialement
doué et j'espère que, tout d'un coup, un jour, par des trouvailles importantes dans sa spécialité, il
deviendra une personnalité de premier plan. Chez un homme de cette trempe on peut accepter, en
toute tranquillité, l'étiolement dans certains domaines, mais je me demande si sa femme y sera prête,
elle aussi? Comme nous ne pouvons pas lui parler et à peine lui écrire à cause de la censure, nous
devons laisser les choses aller comme elles peuvent, et nous sommes d'ailleurs retenus par la
considération qu'une immixtion des vieux fait rarement du bien. Peut -être voyons-nous les choses trop
en noir.
Martin nous écrit qu'on l'envoie avec son artillerie sur une haute mon-
tagne enneigée. Ernst gèle au-dessus de Trieste, il semble assez à l'abri, mais avec très
peu de confort.
Le jeune Sisa a l'air très bien. On pourrait peut-être un jour le lancer sur les criminels par sentiment de
culpabilité, qui justement m'occupent en ce moment. Votre prudence est, dans l'ensemble, fort
justifiée, les jeunes sont ou bien sans originalité, ou bien rebelles.
Je vous salue cordialement, votre
Freud
I. L'Introduction à la psychanalyse (Freud, 1916-1917a), et le volume des écrits métapsychologiques de
Freud, qui, finalement, ne verra pas le jour.
2. En s'inscrivant, il fallait acquitter des droits.

582 Fer
Papa, le 16 décembre 1915

Cher Monsieur le Professeur,


Comme dans tout conte de fées qui se respecte, dans mon « Christmas Carol » ' aussi il s'agissait
de trois voeux à exaucer. – Le premier (la nomination au poste de médecin du régiment) s'est
réalisé entre-temps. La décoration (à laquelle je n'accorde aucune valeur) viendra probablement et,
ces derniers jours, la perspective d'être vraiment muté à Budapest s'est considérablement accrue
(en particulier, grâce aux efforts de Mr von Freund 2 que vous connaissez bien, le mari de votre
patiente). Il n'est pas exclu qu'on me confie dans quelques jours la direction d'un département
pour invalides de guerre atteints de troubles nerveux (à Budapest). Naturellement, je profite de
l'occasion pour arrêter momentanément de travailler. Consciemment je suis, bien entendu, seulement
« incapable de travailler ».
Compte tenu de ces circonstances, je ne peux pas faire de projets pour Noël. Si je reste ici, je partirai
en service pour Sopron (Ödenburg) le 20, j'y resterai une journée, et j'arriverai peut-être dès le 20 au
soir à Vienne, où je pourrai passer les 21, 22 et 23 décembre. Le soir de Noël je dois être de retour.
J'aurai donc le temps, pendant vos séances d'analyse, de lire tous les manuscrits pour lesquels je
suis en retard. Mais même si je suis muté à Budapest, je voudrais profiter de la période de transition
pour vous faire une visite, peut-être un peu plus brève. Je note que trois mois représentent à peu
près le laps de temps après lequel mon désir de vous voir devient pressant (encore qu'il soit toujours
présent, de toute façon).
Ce que vous dites de ma manière de travailler est juste. Je repousse la partie torturante du travail,
l'élaboration proprement dite, autant que faire se peut. Il s'agit là aussi, en partie, de « l'après-coup » de
l'obsessionnel, ou peut-être du névrosé en général. – Le séjour au calme, à Papa, a été favorable au
travail spéculatif. A Budapest, après l'idylle, viendra la réalité;
1915 109

cela pourra également servir de modèle pour ma façon de travailler. Vais-


je entreprendre quelque chose dans mes affaires personnelles, et si oui, quoi,
je n'en sais rien. Le double lien, Madame G. et Elma, n'est toujours pas résolu
dans le fantasme inconscient. – Une tireuse de cartes m'a « prophétisé »,
hier, que je me marierai deux fois. Elle m'a dit aussi que j'aurais dû me
marier récemment, mais que j'avais repoussé ma fiancée. Une autre
femme, mariée, « m'adore », etc. Je serai bientôt muté dans une grande
ville, j'aurai de l'avancement, etc. (Pour l'avancement, c'était déjà fait à
l'époque.)
A Budapest, je suis allé, avec une de mes soeurs et Madame G., dans un théâtre de
variétés où notre voyant (maintenant Prof.[esseur] Costello 8ou quelque chose de ce genre) se
produisait avec sa femme. Je l'ai fait venir chez moi le lendemain et me suis convaincu qu'il
était vraiment capable.
Bien des choses pour le jeune couple et toute la famille
de votre Ferenczi

A. Lieu et date à la fin de la lettre.


Allusion à l'ouvrage de Charles Dickens (1812-1870), A Christmas Carol (1843).
Première mention d'Anton von Freund (Antal Freund von Tôszeghi, 1880-1920) et de sa
deuxième femme R6zsi, en analyse avec Freud à cette époque (Anton von Freund à Freud, du
26 avril 1916, FM ; voir 608 Fer, 609 F et 611 F). Anton von Freund, docteur en
philosophie, était le propriétaire aisé d'une grande brasserie à Kbbànya/Steinbruch, une
banlieue de Budapest. Plus tard, il devint analysant et ami de Freud, qui projetait de
l'admettre au Comité secret. En 1918, il créa une fondation de près de deux millions de
couronnes au bénéfice du mouvement psychanalytique; en raison de l'inflation ainsi que de
problèmes politico-administratifs, une partie seulement put être utilisée, tout d'abord pour
la fondation du Psychoanalytische Verlag. Il mourut des suites d'un cancer de la prostate
au Cottage-Sanatorium de Vienne, où Freud lui rendit une visite quotidienne au cours de
ses derniers jours.
Peut-être le « Professeur Roth » mentionné dans 436 F et 438 Fer (t. I).
:583 F
Prof. Dr Freud

le 17 décembre 1915
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Citation: « Au Prince Piccolomini t. » Je vous félicite pour votre promotion plus sérieusement
sans doute que vous ne m'en croyez capable; car si j'en viens précisément à me convaincre à
quel point votre existence est d'ores et déjà assurée comme `Y Analyste, je suis résolument
opposé à toute espèce de retrait du monde, et à l'existence de mendicité et d'inefficience qui s'y
rattache ; par ailleurs, j'escompte que l'amélioration de votre situation favorisera la réalisation
de vos autres projets. Parmi ceux-ci, le département à Budapest est la chance la plus
immédiate, et pas la
moins importante. Monsieur von Freund m'a paru très aimable. En fait,
je vis actuellement de votre clientèle.
Moi aussi, je suis tout à la pensée de vous revoir bientôt à Vienne. Jamais
je n'aurai eu autant de temps libre lors d'une de vos visites – sans être
vraiment inoccupé – ni un tel sentiment d'impuissance. Comme je vous
l'ai avoué, les circonstances ont fini par m'user.
Rank a un poste en perspective, à Cracovie, auprès d'un journal
allemand de là-bas, et je n'ai pas le droit de le lui déconseiller, vu les
dangers et incertitudes que lui réserve ici la situation militaire. Mais il me
manquera certainement beaucoup, et il est difficile de prévoir comment le
remplacer auprès des journaux.
Martin est de nouveau sur une montagne de 1 900 m A et on lui tire
vigoureusement dessus ; sans doute tire-t-il aussi de son côté ; Ernst écrit
que la splendeur dont il jouit au-dessus de Trieste sera de courte durée et
que déjà un « monte » * les attend. Oli arrive demain matin pour le mariage
qui va être une expérience intéressante. Annerl s'est annoncée pour les
vacances à Hambourg, où mon gendre a maintenant quitté sa maison,
appelé à l'instruction militaire.
Je vous écris brièvement, afin que la lettre soit postée dès aujourd'hui et vous
parvienne avant votre départ.
Au revoir,
votre Freud
Les prophéties étaient encore une fois très bonnes!
A. Lecture incertaine. On pourrait lire: 1 100 m.
* En italien dans le texte: montagne.
1. Dernière réplique de la pièce de Friedrich Schiller, La Mort de Wallenstein (1800). (F. Schiller,
La Mort de Wallenstein, trad. fr. Jean Peyraube, Paris, Aubier, coll. bilingue des classiques
étrangers, 1949, acte V, scène xn, p. 156.) Le comte Octavio Piccolomini abandonne Wallenstein
pour rejoindre le camp de l'empereur. A la fin de la pièce, il entre, victorieux, au château où
Wallenstein vient d'être assassiné. Juste avant que le rideau ne tombe, un des personnages
annonce d'une voix forte le nom du destinataire d'une lettre de l'empereur: « Au prince
Piccolomini ! »

584 Fer
Lsz A
Dr. Jakab-Féle
Liget Szanatdrium
Budapest VI, Nagy Jdnos u. 47 B

Budapest, le 22 décembre 1915


Cher Monsieur le Professeur,
Ma mère semble avoir surmonté le pire, elle n'a désormais plus de fièvre, les symptômes de foyers
infectieux ont régressé, l'état général est bon.
Demain soir (jeudi) je serai de nouveau à Pàpa, pour peu de temps, paraît-il, car l'ordre de
mutation devrait être en route.
Dommage que je ne puisse venir à Vienne à l'occasion de Noël. Je profiterai peut-être des
jours du déménagement à Budapest pour faire un tour à Vienne.
Cordiales salutations,
Ferenczi
Monogramme imprimé en bleu.
En-tête pré-imprimé en bleu jusque-là.

585 F
Prof. Dr Freud

24 décembre 1915
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
En raison du changement rapide de vos lieux de séjour, je suis amené à vous répondre par
retour du courrier. Je me serais aussi informé télégraphiquement de l'état de santé de votre
mère si j'avais su où vous étiez et si vous aviez encore votre appartement à Budapest. Nous
sommes très heureux d'apprendre qu'elle a bien surmonté sa maladie. L'expérience montre
qu'après une bonne pneumonie, les gens âgés ont encore de très longues années à vivre.
Ma femme exulte à l'idée de l'arrivée simultanée d'un envoi de farine. Rank est parti hier pour
Cracovie inspecter le lieu probable de son destin futur. Je ne peux le retenir, même s'il risque de
beaucoup me manquer, à moi et aux revues, car son existence à Vienne est très précaire du point
de vue militaire; à d'autres points de vue aussi, malheureusement. Il aurait aimé se mettre d'accord
avec vous au sujet de l'Internationale Zeitschrift, qui souffre actuellement d'un manque absolu de
matière, mais il sera certainement encore ici pour le Nouvel An.
Votre déménagement à Budapest est mon voeu le plus immédiat. Comme je suis actuellement
plus mobile que vous, nous sommes sûrs de nous revoir plus souvent. Cette fois, nous serons
tout seuls à Noël, tout à fait sans enfants. Annerl est partie pour Hambourg; depuis, elle nous a
informés que Max avait été inopinément transféré quelque part très loin, alors qu'il espérait rester
à Hambourg pendant toute son instruction. Pas de nouvelles des autres, cette semaine. Le
mariage d'Oli a été très animé. Lundi soir, ils étaient encore chez nous, avec Rainer Maria Rilke',
qui est à Vienne pour son service militaire, et qui a été un convive charmant. Vous aussi, vous
vous entendriez très facilement avec lui.
Horizon sombre par ailleurs, envie de travailler médiocre. Je dois tou-
tefois commencer prochainement la mise au net des Conférences. En espérant
vous voir ou vous entendre très bientôt, cordialement,
votre Freud
P.S. Jones a publié dans l'Internationale Rundschau (Zurich) un article sur « Guerre et sublimation
» 2e, dans lequel une note mentionne : Voir aussi l'article « Réflexions actuelles », etc. de F.[reud]. Mais
l'écrit lui-même est une reproduction évidente de cet article.

Rainer (René) Maria Rilke (1875-1926), originaire de Prague, a publié, entre autres, Le Livre
d'heures (1899-1901), Les Récits praguois (1899), Les Cahiers de Malte Laurids Brigge (19041912), les
Élégies de Duino (1911, 1913, 1915), etc. Grand voyageur. Pendant la guerre, réside la plupart
du temps à Munich. Incorporé à l'armée en 1915-1916 pendant six mois à Vienne, fut
réformé pour raisons de santé. Après la guerre, s'installa en Suisse. Il mourut à Val Mont,
près de Montreux. Une de ses visites inspira à Freud son article « Passagèreté » (trad. A.
Bourguignon, P. Cotet, A. Rauzy, OEuvres complètes, XIII, p. 319-324). Sur son amitié avec Lou
Andreas-Salomé, voir En Russie avec Rilke, Journal inédit, texte établi par S. Michaud et D. Pfeiffer,
trad. par S. Michaud, Paris, Seuil, 1992.
E. Jones, « Krieg und Sublimation » (Guerre et sublimation), Internationale Rundschau, 20
décembre 1915, 1 (10/11), p. 497-506, note p. 505. « Guerre et sublimation », in Essais de
psychanalyse appliquée, trad. Janine Morche, Paris, Payot, 1973, p. 62-70.

586 Fer
Päpa, le 26 décembre 1915

Cher Monsieur le Professeur,


Je ne sais plus exactement à laquelle de vos lettres substantielles j'ai déjà
répondu ; je crois vous devoir au moins deux réponses.
La maladie de ma mère, qu'elle n'a pas encore surmontée, m'a profondément bouleversé. Et malgré
cela, j'étais incapable de la moindre tendresse positive à son égard – sans doute une preuve de la
forte fixation inconsciente ; je me sentais inhibé. On est encore et toujours amené à s'étonner de
l'authentique immortalité de l'enfant en nous.
En ce qui concerne ma mutation, je reçois des informations de plus en plus encourageantes; si je ne
suis pas plus assuré, c'est pour me prémunir contre une déception.
Vous écrivez à propos de Rank qu'il déménage à Cracovie ; mais je n'ai pas compris : est-ce qu'il
reste soldat – ou bien est-il démobilisé en tant que journaliste? Part-il seulement pour la durée de la
guerre ou pour un temps indéterminé?
La tendance de Jones au plagiat m'est connue ; il s'est approprié jadis, de la même manière,
mon article sur la suggestion'. Son originalité est inhibée (comme je le sais par l'analyse), ce
pourquoi il doit satisfaire son ambition de cette façon. Malgré tout cela, c'est un bon garçon – il
faut seulement le corriger sur ce plan. [' Voir d'ailleurs aussi son livre sur Hamlet2.1 Il y a quelques
jours, du reste, j'ai reçu de lui la lettre ci-jointe s.
Elle est intéressante à bien des égards. C'est un miracle que la lettre ait
pu passer la censure anglaise et austro-hongroise.
J'espère qu'Oli fera aussi ses preuves en tant qu'époux; mais j'avoue
que cette alliance n'est pas banale.
Le manque d'articles pour la revue m'incitera certainement à écrire. Ici, à
Päpa, j'ai guéri une femme hystérique que l'on considérait déjà comme
démente. La soi-disant débile s'est révélée être une personnalité
supérieurement intelligente et d'une grande finesse d'esprit. Elle a beaucoup
contribué à améliorer mon séjour à Päpa. Cela m'a fait plaisir de constater
combien je dominais mieux, maintenant, transfert et contre-transfert.
Salutations cordiales de
votre Ferenczi
A. Entre crochets dans l'original.
Ferenczi considère que Jones, dans son article « The action of suggestion in psychotherapy» (Journal
o! Abnormal Psychology, 1910-1911, 5, p. 217-254), a plagié sa théorie 'fie la suggestion à partir de «
Transfert et introjection » (1909, 67). Le conflit eut des effets durables. Fin 1923, Ferenczi revendiqua
avec vigueur son droit de priorité à propos d'un autre article de Jones sur le même thème (« The
nature of auto-suggestion », International Journal o! Psycho-Analysis, 1923, 4, p. 293-312). Voir 942 Fer du
20 XII 1923 et la lettre circulaire de Ferenczi du 21 décembre 1923, BL.
Voir t. I, 119 F et la note 4.
Non retrouvée.
Päpa [sans date, fin décembre 19151A

Cher Monsieur le Professeur,


Il est possible que j'aille à Vienne le 30, et que j'y passe le 31 et le ter,
Je vous en informerai encore par télégramme.
Mon ordre de mutation spécifie que je dois attendre ici la nomination, c'est-
à-dire l'arrivée de mon successeur. (Quelques jours seulement, j'espère.)
A Budapest, ma situation sera matériellement brillante : outre le salaire de
médecin militaire (médecin du régiment), je toucherai aussi celui de la caisse de
maladie et j'exercerai auprès du tribunal. L'après-midi, je ferai des analyses. Est-
ce que je serai encore capable de travailler le soir, c'est toute la question.
Je suis affecté à un département de malades atteints de névroses de
guerre. Une occasion pour s'occuper de névroses traumatiques. A
bientôt, j'espère!
votre Ferenczi

A. Le classement de la lettre à cet endroit est déterminé par le contexte (mutation, successeur).
1. Ce séjour eut effectivement lieu (Freud à Eitingon, ltt janvier 1916, SFC).
Pàpa, le 3 janvier 1916

Cher Monsieur le Professeur,


Les événements se précipitent. A mon arrivée à Pâpa, mon successeur s'y trouvait déjà; hier et
aujourd'hui, je lui ai transmis les consignes. Ce soir ont lieu les solennités et le banquet d'adieu.
Demain (mardi) après-midi, départ pour Budapest, où je prendrai mon service mercredi.
J'ai réussi à mettre à profit l'ambiance des adieux pour réconcilier le commandant avec mon ami
Barthodeiszky.
Dans l'ensemble, je me souviendrai sans déplaisir de mon séjour à Papa. Les idées, dont je vous ai
communiqué une partie (assez modeste), sont nées dans ce milieu : l'isolement complet, ici – l'abandon
de tout souci du gagne-pain et de l'avenir, etc. –, a créé une véritable situation « intra-utérine », dans
laquelle les forces spirituelles embryonnaires pouvaient s'exprimer.
Avec ce déménagement, mon destin personnel est probablement parvenu à un tournant. Malgré
l'importance du pas auquel il semble que je sois plus ou moins résolu, je n'ai pas été du tout bouleversé
par notre dernier entretien à propos de mariage. C'est à peine si je me le rappelle de temps en temps. Il est
possible que cette affaire ait déjà été réglée intérieurement – et n'ait pas été une surprise.
Saluez Annerl pour moi, j'espère qu'elle est arrivée saine et sauve', saluez aussi tous les autres
membres de votre chère famille.
Cordiales salutations,
Ferenczi

Où en sont les choses avec Rank?

1. Venant de Hambourg. Voir 585 F.


589 F
Prof. Dr Freud

le 6 janvier 1916
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
L'adresse de cette lettre vous rappellera que vous ne m'en avez pas encore indiqué une à
Budapest.
Je vous écris pour vous donner quelques nouvelles. En même temps que
Martin est monté en grade, Ernst est devenu aspirant 1, il est de retour dans
le Karst. Rank a fait aujourd'hui ses adieux, en partance pour Cracovie 2, bien
triste et incertain, et décidément je n'ai pas aimé le voir partir. La réunion de
l'Association, hier, était déjà fort déplaisante. Sachs va s'efforcer maintenant
de le remplacer dans ses activités, aussi longtemps que nous pourrons
maintenir les nôtres s.
Je ne peux nier que je suis passablement dégoûté de tout. Cette humeur a
donné naissance à une idée, que je vous soumets. Elle est formée à partir
d'un matériau connu.
Ne connaîtrions-nous pas déjà deux conditions aux dispositions artistiques ?
Premièrement, une richesse en matériel phylogénétique transmis, comme chez le
névrosé, deuxièmement, un bon reste de la vieille technique qui consiste à se
modifier plutôt que de modifier le monde environnant. (Voir Lamarck 4, etc.) Cette
capacité, appliquée à certaines activités tir produirait la mimicry A * singulière de
l'artiste, consistant à rendre ses représentations de choses semblables à celles-
ci, puis – retour au monde environnant – à les recréer (ces représentations) en
mots, matières, couleurs... Finalement, ce même détour qui caractérise, d'une
façon générale, l'accomplissement de désir de l'artiste.
Sinon, je ne sais rien de neuf. Je vous souhaite bonne chance pour votre retour à Budapest
et votre insertion dans la nouvelle situation.
Cordialement,
votre Freud
A. Mimicry en lettres latines et non gothiques comme le reste de la lettre.
* En allemand dans le texte (dans une orthographe ancienne) : mimétisme.
« Martin L[ieu]t[enan]t, Ernst porte-drapeau », écrivait Freud, le 1" janvier, sur son calendrier
(LOC). Voir 573 F, note 6.
Séance du 5 janvier 1916, avec un rapport de Hitschmann sur l'agoraphobie. Il apparaît
clairement que le protocole abrégé de cette séance a été rédigé par Sachs (Minutes, IV, p. 334).
Jean-Baptiste (Antoine Pierre) de Monet, chevalier de Lamarck (1744-1829), naturaliste français.
Considéré comme le fondateur de la biologie. Il formule la première théorie de l'évolution organique
dans son ouvrage principal, La Philosophie zoologique ou exposition des considérations relatives à l'histoire
naturelle des animaux (2 vol., 1809). Essentiellement connu
pour sa théorie selon laquelle les caractères acquis s'inscrivent dans le génotype et deviennent
héréditaires. Cette thèse était d'ailleurs partagée par la plupart des naturalistes des xvin° et xix° siècles.
En réaction au darwinisme qui rejetait cette thèse, le néo-lamarckisme soulignait l'action directe du
milieu sur le génotype.
Ces idées ont joué un rôle important dans la pensée de Freud et de Ferenczi, bien que le travail
commun projeté sur Lamarck et Darwin n'ait jamais vu le jour. Voir Freud, « Vue d'ensemble des
névroses de transfert » (OEuvres complètes, XIII, p. 279-300), et Ferenczi, « Thalassa, essai sur la théorie
de la génitalité » (1924, 268, art. cité, p. 250-323). En 1924, Freud revient sur l'examen de la différence
entre adaptation autoplastique et alloplastique dans « La perte de réalité dans la névrose et dans la
psychose» (1924e), in Névrose, psychose et perversion, op. cit., p. 299-303 ; voir p. 301.
Cher Monsieur le Professeur,
Les faux-fuyants mesquins au moyen desquels je repoussais toujours le moment de vous écrire, je
les ai enfin démasqués comme étant de la résistance; après avoir lutté quelque peu, je me suis
décidé à vous informer honnêtement – comme toujours – de ce qui se passe en moi.
J'ai fait part à Madame G. de mes projets de mariage, comme je vous l'ai écrit. L'humeur joyeuse qui a
suivi a duré 24 heures. Le début du conflit, inévitable, entre Madame G. et Monsieur Pàlos a déjà
entraîné le revirement d'humeur. En un clin d'oeil j'étais remis dans la situation tif où je m'étais trouvé
au temps du clivage intérieur, à cause d'Elma ; ma libido s'est retirée de Madame G. ; après que la
surestimation sexuelle eut pris fin, je vis sur elle, avec une cruelle précision, les changements
perceptibles dus à l'âge. Mais à la différence de l'état dans lequel je me trouvais alors, je ne suis pas
tombé malade, psychiquement ou somatiquement, à la suite de ce sentiment de vide intérieur. Tout au
plus pourrait-on interpréter de façon névrotico-sexuelle le fait que, depuis huit jours, mon transit
intestinal est un peu perturbé et que j'ai eu, pendant deux jours, un embarras gastrique avec un peu de
fièvre. En deux occasions, particulièrement propres à mettre en valeur la clarté et le haut niveau
intellectuel de Madame G., j'ai senti revenir pour elle cette émotion qui m'assaillait bien plus fort au
temps d'Elma. Madame G., bien sûr, est sensible à ces fluctuations – sans en parler – et elle a même
trouvé le moyen de repousser la décision; malgré tout cela, elle me reste fidèlement attachée.
Je ne suis pas arrivé bien loin dans la résolution de ce problème par
l'analyse ; il est vrai que, jusqu'à présent, je n'ai fait que deux tentatives.
1) Le brusque refroidissement, à la suite de la nouvelle du conflit avec
Monsieur Pälos, est la copie de la rupture soudaine avec Elma, lorsqu'elle
fut invitée par son père à repousser les fiançailles. Peut-être la fixation au
père a-t-elle remporté la victoire, en ce temps-là comme aujourd'hui ; je ne veux
rien accomplir contre la volonté du père. Sans doute cette fixation me fait-elle
retirer ma libido hétérosexuelle de la femme, chaque fois qu'on en arrive à un
conflit entre l'hétéro- et l'homosexualité.
2) Après une conversation avec Madame G. au sujet de ma fixation homosexuelle, j'ai fait un
petit rêve. J'avais un étui à cigarettes très lourd, en or, dans la poche intérieure de mon veston (la
poche de poitrine). Il n'était pas tout à fait propre, plutôt terne. Il avait une forme inhabituelle,
étranglée dans le milieu ; il me semble que, dans le rêve, m'est venue la pensée (le doute) : peut-on
mettre des cigarettes dans cet étui?
C'est tout.
Le déclencheur actuel a été un étui à cigarettes en argent que les camarades de Pàpa m'ont acheté
(avec leurs signatures gravées) – mais au moment du rêve, je ne l'avais pas encore reçu. – La
première tentative d'analyse a été quelque peu « fonctionnelle »'. J'ai pensé: l'étui dans la poche
intérieure rappelle la conversation que je venais d'avoir avec Madame G. à qui j'avais dit, entre autres
: « I1 y a une femme cachée en moi et c'est derrière elle seulement qu'est caché l'homme véritable,
tandis que la tendance apparemment dominante à la polygamie est une formation réactionnelle contre
l'homosexualité. » L'étui, d'après cette interprétation, serait la femme en moi. Une idée qui m'est venue
plus tard l'a confirmé : j'ai pensé que l'étranglement au milieu correspondait à ma représentation
infantile du corps féminin ; j'en voyais souvent et volontiers de semblables dans les journaux de
mode, les réclames des fabriques de corsets, etc.
Selon l'érotisme anal, l'or est à prendre pour de l'avarice. Les affaires d'argent de Madame G.,
l'augmentation des dépenses dans un ménage, etc. L'aspect malpropre de l'or est 1) un reproche
contre l'avarice, 2) un authentique produit de l'érotisme anal. Le sphincter anal fabrique aussi de
tels étranglements dans la masse fécale. (A noter que l'étui n'est pas plat, mais rond.) (Sur le
dessin, il est ouvert *.)
A la signification de l'étui comme or-excrément-enfant correspondent aussi
les cigarettes qui s'y trouvent (enfants de l'enfant), fantasme de patriarche –
ou peut-être plutôt de matriarche ! J'ai reçu l'étui en cadeau de mes camarades,
le commandant en tête. (rai failli écrire : Spritze ** !) Ils sont tous gravés dans
l'étui. Il s'agit donc peut-être de l'atmosphère homosexuelle des adieux, comparable
à celle qui semble régner dans les fêtes d'adieux des célibataires avant le
mariage.
Dans ce rêve, en somme, la passivité (cadeau, avoir un enfant) est l'accomplissement de désir, en
opposition au « service actif accompli dans le mariage » (c'est là une idée qui m'est venue en écrivant).
Pendant une nuit d'insomnie (j'avais un peu de fièvre), une autre idée m'est venue : l'étui devait
recevoir également une interprétation hétéro sexuelle et sadique. L'étui est peut-être aussi la femme
que je veux avoir (inconsciemment), l'impure, en opposition avec la supériorité de Madame G. Dans
l'enfance et l'adolescence, celle-là seule m'était accessible, celle-là seule je pouvais fendre (ouverture
de l'étui) sans être angoissé par ma conscience. Elma est la représentante de cette catégorie, voilà
pourquoi tant de libido (et sans doute aussi de puissance) à son égard. Madame G., au contraire, est
la claire, la pure – qu'il faut ménager comme l'étui d'or
non terni, qu'on n'a pas le droit de toucher, comme la mère – si on ne veut pas être
castré. Donc, une combinaison peu favorable entre la surestimation d'un certain
type de femme et la conception sadique du coït.

S'il vous vient une idée à propos de ce que je vous dis là, je vous en prie, ne la
gardez pas pour vous ; peut-être pourriez-vous accélérer ainsi le processus de
fermentation.

Une idée, que je voulais vous communiquer depuis un certain temps, ne me laisse pas en paix. Vous dites que
l'investissement 'bPcs est essentiellement un investissement verbal des représentations de choses 2.Mais
l'observation des sourds-muets montre que l'on peut mettre en oeuvre des fonctions' préconscientes sans
symboles verbaux. (Je pense à des sourds-muets non rééduqués.) Il est donc pensable que le Pcs – quand la
disposition héréditaire est présente (comme chez l'homme) – est peut-être en mesure de se construire aussi à
partir d'autres symboles que les symboles verbaux (chez les sourds-muets éventuellement à partir de restes
sensibles de l'innervation corporelle mimétique).
Sinon, il faudrait se représenter le sourd-muet non rééduqué– à l'instar de l'enfant – comme un être sans Pcs.
Je n'ai pas encore complètement saisi votre idée sur la
création artistique, mais je sens que c'est dans cette direction
que la solution devra être trouvée. Cordiales salutations de
votre Ferenczi
J'habite toujours à l'hôtel, je n'ai pas un seul patient. La question du logement est liée à celle du mariage. Par
ailleurs, une commission de rabatteurs *** circule en ce moment dans les hôpitaux, qui envoie au front les
médecins aptes au service. A Pâpa on était au moins à l'abri de ces gens-là.

* Voir dessin p. 120.


** Homophonie: An der Spitze (à la tête, à la pointe) et Spritze (seringue, piqûre, ce qui éclabousse,
jaillit, gicle).
*** Textuellement: ceux qui ramassent les chiens errants pour les conduire à la fourrière. I . Herbert Silberer
avait attiré l'attention sur les « phénomènes fonctionnels », considérant que les images oniriques pouvaient
représenter non seulement des pensées latentes mais aussi l'état subjectif du rêveur (« Phantasie und
Mythos », Jahrbuch, 1910, 2, p. 541-622 ; voir aussi Freud, 1900a, p. 190, n° 1).
2. « [...1 le système Pcs apparaît, du fait que cette représentation de choses [inconscientes] est surinvestie de
par la connexion avec les représentations de mots lui correspondant » (S. Freud, « L'inconscient », Œuvres
complètes, XIII, PUF, 1988, p. 240). Voir aussi 542 F et la note 1.
91F
Prof. Dr Freud

le 18 janvier 1916
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je ne veux pas vous faire attendre longtemps ma réponse. Vos interprétations sont certainement justes
mais il me semble, à en juger d'après le dessin, qu'il y manque encore l'élément décisif. Ce qui est plus
important cependant, c'est de considérer que l'analyse doit intervenir avant ou après l'action et ne doit pas
gêner celle-ci, surtout là où, s'agissant d'auto-analyse, ses chances sont réduites. Agissez donc avec le plus
de rapidité et de décision possible et laissez pour le moment l'analyse de côté, ou alors, traitez-la comme
un n plaisir supplémentaire, sans influence réelle.
En ce qui concerne l'investissement verbal chez les sourds-muets, vous avez raison aussi. Mais je ne
crois pas que ce soit une objection très forte. Ce qui se passe chez eux, on ne le sait pas, et je ne le
sais pas. On ne peut tirer un fil conducteur de l'ignorance. Pour la théorie du préconscient, entre
essentiellement en ligne de compte le fait qu'il représente la liaison d'un système par un deuxième, plus
proche de la perception. Chez le sujet normal, ce sont les images verbales qui le constituent; elles
peuvent être remplacées par autre chose. Cela dit, je vous suis reconnaissant de cette indication.
Je suppose que vous éprouvez beaucoup de nostalgie pour l'idylle de Pàpa. Je ne sais pas si la
Zeitschrift marchera sans Rank. Pour l'essentiel, il s'agit tout de même pour vous de prendre les
rênes en main depuis Budapest. Pfister écrit aujourd'hui, convaincu, à tort, que l'article accepté
par nous, qui traite des rêves expérimentaux, est bien celui que nous voulions avoir. Il a casé
ailleurs la lettre ouverte au philosophe'. Avec l'éclatement et la perturbation des communications, il
est difficile d'éviter les malentendus.
Je continue à rédiger les conférences, les trois sur le rêve sont terminées, au propre. Dans les
conférences récentes, je traite de la symbolique sexuelle, devant un auditoire mêlé 2.
Je souffre de toutes sortes de troubles et, parfois, il me revient en mémoire qu'il existe une
secrète résolution de ne guère dépasser les 61 ans s.
De fortes espérances se portent sur le Monténégro. Je crois que je connais la motivation de Nikita. Il
veut mériter le prix Nobel de la Paix (pour deux ans 4) et il est vraiment le premier à y avoir droit 5.
Avec des salutations cordiales et dans l'attente,
A notre connaissance, Pfister n'a publié qu'en 1921 un article sur ce thème: « Experimental
Dreams Concerning Theoretical Subjects », in Psyche & Eros, 1921, 2, 1-11, 90-99.
Un raisonnement qui tient compte des vacances de Noël permet de déduire que Freud, après avoir
commencé ses leçons d'Introduction à la psychanalyse, le 23 octobre 1915 (voir 573 F et la note 4), a
donné, le 15 janvier, la dixième leçon, « Le symbolisme dans le rêve », qui est « peut-être la
présentation la plus complète de ce problème », lit-on dans les remarques préliminaires de l'éditeur
de la version allemande de la Studienausgabe. Introduction à la psychanalyse, chap. x, PBP n° 16, p.
134-154.
Voir 519 F et la note 1.
Au cours des deux années passées, aucun prix Nobel pour la Paix n'a été décerné ; il n'y en aura
pas non plus en 1916.
Nicolas I", Petrovic Njegol, dit Nikita (1841-1921). Prince (1860-1910), puis roi (19101918) du
Monténégro. Au début de la guerre, le Monténégro se rangea aux côtés de la Serbie. Toutefois, le 21
décembre 1915, le roi adressa une demande de paix séparée à la Monarchie. Après une offensive des
troupes austro-hongroises, le 4 janvier 1916, qui aboutit à la capitulation du pays le 25 janvier 1916,
le roi Nicolas s'exila en Italie. En 1918, Le Monténégro fut rattaché à la Serbie et le roi fut destitué
par l'Assemblée.

592 Fer
Budapest, le 24 janvier 1916

Cher Monsieur le Professeur,


Je sais bien que « les arguments abondent comme les mûres' » (je vous l'ai assez souvent entendu
dire), je n'ai pourtant pas pu empêcher que des objections rationnelles me viennent contre votre
conseil (de ne pas analyser pendant l'action). J'ai pensé: plutôt pendant, qu'après une action – peut-
être inopportune. Voilà pour le « conscient » que j'ai laissé s'exprimer, sans lui obéir. Dans la réalité,
j'ai simplement suivi votre conseil bien intentionné et j'ai pressé Madame G. de prendre une décision
dans un sens positif. (Elle voudrait attendre le retour d'Elma d'Amérique (Aau mois de mai) car elle a
promis de l'accueillir chez elle, si elle (A Elma) ne se sentait pas heureuse dans son ménage. J'ai
protesté énergiquement contre ce délai, mais je ne peux dissimuler complètement mon clivage
intérieur à Madame G.) La semaine dernière, une méchante indisposition de Madame G. –
névrotiquement majorée, je suppose – m'a probablement montré quelque chose de son inconscient
perturbé. – Consciemment, elle est bonne et gentille comme toujours.
Madame G. s'adressera à vous, ces jours-ci, par lettre. Pardonnez la peine et le tracas qui
vous sont infligés en tant qu'imago paternelle.
Vous écrivez, dans votre dernière lettre, que je n'ai pas découvert « l'élément
décisif» dans le rêve de l'étui à cigarettes. En lisant la lettre, j'ai mal lu ; j'ai lu
: «élément incisif» ; de là, des associations ont conduit vers des fantasmes de
naissance et de castration.
Ce qui précède apporte une forte contribution à ma disposition actuelle, à preuve, entre
autres, des érections douloureuses avec manque de libido 1t, ainsi que des paresthésies du pénis
et une éruption d'herpès au même
endroit. (Je pense que l'herpès est de toute façon psychiquement déterminé;
analogie avec les phlyctènes des brûlures par suggestion.)
Je reconnais que l'on ne doit pas se laisser induire en erreur, dans ses projets de vie, par des craintes
de castration infantiles, et j'admets sans discuter que, dans un tel cas, l'auto-analyse est sans espoir.

Je suis bien volontiers disposé à travailler pour la Zeitschrift. Faites tout envoyer à mon adresse. –
Pour ma part, personnellement, je suis stérile en ce moment.
Ignotus a décidé de se marier avec Mademoiselle Sbmlô (la femme peintre) 2.Je lui ai parlé hier, il
est enthousiasmé par votre article sur l'Ics s.
Je n'ai jamais pris le Pcs pour autre chose qu'un système intermédiaire entre Ics et Cs, « pour la
liaison et l'élévation de niveau » (Freud)'. Je voulais seulement indiquer la possibilité qu'un tel
système se construise à partir d'autres symboles que les symboles verbaux.
J'ai envoyé à Zurich l'essai de Pfister et la lettre d'accompagnement (qui devait être courte à cause
de la censure). Le petit retard était dû au déménagement à Budapest.
J'ai analysé (laissé associer) un traumatisé de guerre pendant une heure. Malheureusement il s'est
avéré que, pendant l'année qui a précédé la commotion causée par la guerre, il a perdu son père,
deux frères (du fait de la guerre) et une épouse, par infidélité. Quand un tel homme doit ensuite
rester 24 heures couché sous un cadavre, il est difficile de dire ce qui, de sa névrose, relève du
traumatisme de guerre. (Il tremble et balbutie.)
Je travaille le matin de 8 h à 1 h et 1/2. L'hôpital5 est à 3/4 d'heure
de l'appartement (en tramway).
Cordiales salutations de votre
Ferenczi
A. Dans le manuscrit, parenthèses dans la parenthèse.
D'après les paroles de Falstaff dans Henri IV de William Shakespeare, acte II, scène tv. « If reasons
were as plentiful as blackberries, I would give no man a reason upon compulsion, I » (« Quand les
raisons seraient aussi abondantes que les mûres, je n'en donnerais à personne par contrainte, moi »,
trad. Victor Hugo). Une comparaison souvent utilisée par Freud, par exemple dans Histoire du mouvement
psychanalytique, op. cit., p. 42 ; « Actuelles sur la guerre et la mort» (OEuvres complètes, XIII, op. cit., p. 103-
142, citation p. 141).
Le mariage avec Lili Somlô se terminera par un divorce.
Freud, 1915e, « L'inconscient », art. cité, p. 203-242.
Les «traductions» par lesquelles le système Pcs se constitue (voir 590 Fer et la note 1) « sont, nous
pouvons le présumer, ces surinvestissements qui entraînent une organisation psychique supérieure et
qui rendent possible le relais du processus primaire par le processus secondaire régnant dans le Pcs »
(Freud, OEuvres complètes, XIII, p. 240).
L'hôpital Maria-Valeria à Budapest, où Ferenczi avait été muté depuis Päpa.
593 Fer
Budapest, Hôtel Royal le 2
février 1916

Cher Monsieur le Professeur,


Écartant les inhibitions qui se mettent en travers de mon chemin sous la forme des prétextes les plus
variés, je veux vous rendre compte, en détail cette fois, de la soirée d'aujourd'hui, au cours de laquelle j'ai
lu votre lettre à Madame G. ; plus exactement, des intuitions qui se sont alors fait jour en moi.
Je suppose que j'ai intentionnellement laissé Madame G. écrire cette lettre', pour que vous retiriez le
conseil que vous m'aviez donné et que je puisse ensuite me dégager de cette responsabilité. C'est
d'ailleurs ce qui s'est produit, dans la mesure où – ayant à présent ouvertement avoué mes hésitations
à G. (saisissant cette occasion pour faire des aveux concernant des temps plus anciens) – elle voit clair,
désormais, et sait qu'il n'est pas question d'un fait accompli *.
Une deuxième idée – un peu moins vraisemblable – m'est alors venue à l'esprit, me disant que,
malgré cela, je n'avais absolument pas l'intention de renoncer à l'idée du mariage avec Madame G. ; je
voulais seulement– pensais je – être débarrassé de la contrainte qu'impliquait votre conseil. En d'autres
termes: je voulais savoir si je désirais épouser Madame G. tout à fait spontanément, même sans ce
conseil. Je pensais aussi que ce conseil– qui avait introduit un élément de doute sur la spontanéité de
mes sentiments – m'avait également induit en erreur sur la part réelle de ces sentiments, et j'espère
qu'une franche discussion montrera le bien-fondé de cette part, laquelle fera advenir par elle-même ce
que vous conseillez.
Une troisième réflexion, cependant, attire l'attention sur la source infantile névrotique de cette «
obéissance aveugle » Cs et de la révolte Ics, c'est-à-dire de cette confiance manifeste et de la méfiance
latente à l'égard dupère. (Il est possible que ces mouvements affectifs m'aient précisément fourni la
matière de la conférence de Munich 2que vous n'avez pas acceptée.)
En fin de compte, je suppose qu'une partie du doute relatif à l'amour pour la femme
relève simplement de la névrose obsessionnelle (homosexuelle-sadique anal-érotique) et,
comme telle, inextirpable.
J'ai dit tout cela à Madame G. et je lui ai fait remarquer, en plaisantant, que je pourrais l'épouser aussi
sans amour, par « convenance », que ce n'en serait pas moins un bon parti.
Le curieux dans l'affaire, c'est que cette conversation a positivement accru mon amour. Je veux
espérer que le plaisir sadique de torturer n'est pas seul en cause, mais qu'il s'agit aussi de la
libération d'authentiques sentiments d'amour.
Cette conversation a eu une action libératrice sur moi. En effet, je dois préciser que depuis mon
arrivée à Budapest je souffrais d'une inhibition intellectuelle totale, incapable de travailler et
physiquement malade. Les signes de la maladie étaient, cette fois : un fort amaigrissement, des sueurs,
un pouls presque jamais inférieur à 120 et des palpitations ; en plus, une anorexie libidinale complète
et de la faiblesse musculaire. Il est possible que le travail intense et désagréable à l'hôpital ait sa part
dans cet état.
Je me sens comme le fils dénaturé, qui n'a jamais que des mauvais tours à raconter. Mais, à vous
aussi, je dois une franchise totale – puisque c'est la première condition de l'amélioration. Je vous rappelle
ma manière d'agir névrotique à l'Hôtel de France, à Palerme. Là aussi, l'angoisse d'être soumis à votre
pouvoir de suggestion dans le travail scientifique commun, et de ne pas écrire selon ma propre
conviction, était responsable de mon refus.
Mais assez d'auto-analyse. J'espère qu'une période meilleure– et surtout plus productive –
commence maintenant. S'il vous plaît, envoyez-moi du matériel à travailler pour la Zeitschrift.
Avec les salutations et les remerciements cordiaux de
votre loyal Ferenczi
[Écrit le long de la marge gauche:]
Pour que vous ayez connaissance du degré quasi paranoïaque de ma folie du doute, je vous
fais part aussi de mon soupçon que, sachant quelle est ma disposition d'esprit, vous auriez
révoqué votre conseil pour cela. Madame G., du reste, a eu la même pensée.

* En français dans le texte.


Cette lettre de Gizella Palos à Freud n'a pas été retrouvée.
Voir 547 F et la note 2.
Prof. Dr Freud

le 4 février 1916
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Poursuivant mon plan démoniaque, je ne vous suivrai pas sur la voie de vos propos auto-analytiques; en
revanche, je répondrai à votre dernier voeu concernant la Zeitschrift. Ce qui ne veut pas dire que je n'accueille
pas avec intérêt les autres nouvelles en provenance de votre champ de bataille intérieur.
Vous aurez appris nos difficultés externes avec Heller et à l'imprimerie par le rapport de Sachs,
qui se donne vraiment du mal. Je vais faire comme si de rien n'était. Sachs est d'accord pour vous
envoyer tout le matériel disponible.
Nous avons actuellement un essai de Stärcke (La Vie quotidienne) qui peut être publié en deux parties 1,
mais dont je vous prie d'éliminer les exemples les moins percutants, et un travail de premier ordre
d'Abraham sur le stade préliminaire oral-cannibalique de l'organisation libidinale, pour len°22.
Il vient de paraître un livre de Kaplan, « Problèmes 'FA » s, que je vous prie de réclamer à Deuticke, au nom
de la rédaction. Il est digne d'éloges, dans la mesure où, pour toutes les questions litigieuses, il défend la
juste conception 1j/OC contre les dissidents, mais à part cela, il n'est certes ni profond ni rigoureux.
Cependant, nous avons toujours trop maltraité Kaplanet nous devrions réparer. Je suis d'avis que, comme
instance critique qualifiée, vous vous chargiez encore une fois de cette tâche. Pour la rubrique « Mouvement
trot », je vais vous envoyer un extrait du Berner Bund * après la séance de la société du mercredi, qui traite
de la réglementation proposée par le directeur de séminaire, Schneider, en Suisse 4. Les signes
annonciateurs d'un sombre destin se multiplient. Le Docteur Sperber à Uppsala A, qui nous a donné ce
somptueux travail dans Imago5,a été recalé pour cette raison même à l'agrégation (à Uppsala), et se trouve de ce
fait dans une situation embarrassante. Un petit pamphlet, tiré de la Deutsch. Med. n° 1, 1916 6, qui sera
joint à l'envoi, vous montrera de façon symptomatique ce que nous avons à attendre de « cette grande
époque ». Peu importe: un vieux Juif est encore plus coriace qu'un Prussien royal germanique. Vous pouvez,
vous aussi, vous préparer doucement à cette fonction.
Pas encore trace de mes corrections'. J'en ai presque fini avec l'esquisse des conférences sur le
rêve, j'espère reprendre demain la série interrompue par la grippe.
Putnam parle, dans une lettre, d'un livre du psychologue Holt, « The Freudian Wish » **, qui m'a
été envoyé 8 ; mais je ne l'ai pas reçu. Peut-être serons-nous bientôt coupés de l'Amérique aussi.
Nous attendons Ernst; pourvu qu'il ne se trompe pas sur sa permission9 !
Ma femme ne veut pas partir à Hambourg avant.
La grippe m'a passablement abattu. Souvent, des semaines passent sans que rien ne me vienne.
Mais, la plupart du temps, mes pensées ne sont pas au travail analytique. Je lis, en revanche,
quatre journaux chaque jour, en dehors de la misérable N.[eue] F.[reie] P.[resse], la Vossische
Zeitung, l'Arbeiterzeitung *** et le J.[ournal] de Cracovie, qui se développe rapidement grâce aux
efforts de Rank.
Quand le moment reviendra-t-il d'envisager une permission, avec Vienne
pour destination? Où en est votre propre département?
Salutations cordiales de votre Freud
A. Dans le texte, ancienne orthographe avec un seul « p ».
* Journal intitulé Union Bernoise.
** Le voeu freudien.
*** Journal des Travailleurs (quotidien paraissant à Berlin).
1. Johan Stärcke, « Aus dem Alltagsleben » (De la vie quotidienne), Zeitschrift, 1916-1917, 4, p. 21-
33 et 98-109.
Johann Stärcke (1882-1917). Médecin exerçant à Amsterdam. Frère cadet d'August Stärcke (voir t. I,
223 F et la note 7), et traducteur de Freud: 1901a (Le Rêve et son interprétation, op. cit.) et 1901b (La
Psychopathologie de la vie quotidienne, trad. S. Jankélévitch, Paris, Payot,
1973). Il fut le premier secrétaire de l'Association hollandaise. Voir la nécrologie de Van Ophuijsen
dans Zeitschrift (1916-1917, 4, p. 274-275).
Voir 573 F et la note 2.
Voir 571 F et la note 10.
Ernst Schneider (1878-1957), devenu en 1905 directeur de l'École normale de Berne,
malgré une opposition massive de ses collègues en raison de ses positions favorables à la
psychanalyse. Il fut finalement contraint de démissionner, sur l'avis d'une «commission
d'experts ». A partir de 1912, membre du groupe local de Zurich; par la suite, devient
chargé de cours à l'institut J.-J. Rousseau à Genève. En 1920, professeur de psychologie
et de pédagogie à Riga (Lettonie) ; à partir de 1926, éditeur, avec Heinrich Meng, de la
Zeitschrift für Psychoanalytische Pädagogik. A partir de 1928, psychothérapeute à Stuttgart
puis, après la guerre, à Bâle, voir Kaspar Weber, « Aus den Anfängen der Psychoanalyse
in Bern » (Les débuts de la psychanalyse à Berne), Bulletin der Schweizerische Gesellschaftfür
Psychoanalyse, 1991, n° 32, p. 6772). Un extrait de l'article mentionné a été publié par
Ferenczi dans la rubrique « Nouvelles du mouvement psychanalytique » (Zeitschrift, 1916-
1917, 4, p. 69 sq.). Peu après, Freud évoqua l'affaire de la destitution de Schneider dans
sa quinzième leçon (« Incertitudes et critiques », Introduction à la psychanalyse, op. cit., p. 218).
Voir t. I, 344 Fer et la note 1.
Le professeur von Luschan de Berlin a introduit son article « Altweiber-Psychologie »
(Psychologie de bonnes femmes) [Deutsche Medizinische Wochenschrift, 6 janvier 1916, 42, p.
20 sq.], article polémique contre les « aberrations défraîchies et décadentes » des
théories de Freud, Fliess et Swoboda, par ces mots ; « Nous vivons actuellement dans
une époque difficile, mais en même temps, une grande époque. »
Il s'agit sans doute des épreuves de la première partie de l'Introduction à la psychanalyse, «
Les actes manqués », qui, tout comme les deux parties suivantes, « Le rêve » et « La
théorie générale des névroses », a d'abord paru sous forme de brochure séparée, chez
Hugo Heller.
Dans une lettre du 3 janvier 1916, Putnam écrit à Freud que Edwin B. Holt, auteur de
The Freudian Wish and Its Place in Ethics (Le voeu freudien et sa place dans l'éthique) [New
York, 1915], lui a envoyé ce livre.
Ernst passa une semaine en permission à Vienne, du 10 au 17 février 1916 (notes de Freud sur
son calendrier).
Budapest [sans date] 1916

Cher Monsieur le Professeur,


Je veux répondre sincèrement, et dans l'ordre, aux trois qùestions que vous
m'avez posées dans votre dernière lettre.
1) (Champ de bataille intérieur.)
a) Je vous approuve totalement de ne pas vouloir vous mêler de mon combat
intérieur, mais je crois que vous pouvez tranquillement me communiquer des
interprétations (par exemple, l'interprétation de l'étui à cigarettes que j'ai dessiné).
Mon état est en perpétuelle fluctuation ; d'un point de vue objectif, je
trouve cela très intéressant.
Les symptômes – jusqu'à présent presque uniquement somatiques –
commencent à s'étendre dans le domaine psychique. Sur le plan somatique :
battements de coeur, tachycardie (toujours à 120 et plus, même la nuit),
sensations de chaleur, soif. (Le Docteur Lévy n'a rien trouvé aux organes
internes.) Sur le plan psychique: fatigue, inaptitude à la moindre persévérance,
impatience incroyable, torturante, par exemple au théâtre, ou le soir, pendant
la dernière séance d'analyse, etc. Tremblements.
J'interprète cela comme un empoisonnement de l'organisme psychosomatique par du poison libidinal;
ceci correspond à mon hypothèse sur le rôle économique de la génitalité comme lieu de dépôt de la libido en
provenance de tous les organes. Seule la décharge génitale, survenant de temps en temps, crée de la place
pour la future substance libidinale. Si la génitalité se paralyse (comme chez moi en ce moment), la substance
libidinale s'accumule dans les organes et agit comme un poison. Les symptômes font penser à une maladie
de Basedow' ; mais qui sait si celle-ci ne repose pas sur un trouble du métabolisme sexuel, auquel s'ajoute,
secondairement, l'atteinte de la thyroïde.
On peut également rapporter la fatigabilité et l'inaptitude psychique au travail (impatience) à une
surcharge des organes (y compris psychiques) en substance libidinale. Les organes perdent leur
capacité d'adaptation, ils ne peuvent fournir un travail qu'en échange d'une prime libidinale immédiate
; ils obéissent de nouveau au principe de plaisir, se soustraient aussi, en partie, à la tâche de fournir le
travail exigé par l'organisme. Ils vivent pour eux-mêmes, pour leur propre plaisir.
Un tel empoisonnement peut être à l'origine des neurasthénies et des troubles climatériques * ;
là encore, le métabolisme génital est perturbé. (Mon état jette une lumière sur la psychologie de
l'impatience en général.)
La sensation permanente de chaleur que j'éprouve rappelle la chaleur de la peau des homosexuels, ce
pourquoi, du reste, on les appelle « warme Brüdèr » * *.

L'aspect psychanalytique de l'affaire a été très intéressant, ces derniers jours. Mardi soir, j'ai fait une
conférence à la réunion scientifique des médecins de notre hôpital, sur les névroses de guerre 2(je vous en
exposerai le contenu plus tard). Après la conférence, qui a été très favorablement accueillie (notamment
par le commandant de l'hôpital, le nouveau père), je me suis soudain senti tout à fait bien. Mon intérêt
pour les objets (féminins aussi) s'est visiblement accru. L'après-midi suivant, j'ai un peu dormi et fait
deux petits rêves :
–Je suis sur le point de pratiquer l'acte sexuel avec Madame G. ; je lui demande alors, au
dernier moment (quelque chose comme) si elle a mis le chapeau (c'est ainsi que nous appelons le
pessaire occlusif 2).En tout cas, le rapport sexuel fut perturbé.

– A l'instant (au moment de l'écrire), je remarque que ceci était le deuxième rêve! (et encore, pas
tout â fait comme cela !). Le premier était le suivant:
Un cocher de fiacre, vêtu de noir, imposant, grossier, ayant l'apparence d'un moujik russe, avec
un petit chapeau haut de forme, une barbe noire
et l'air assuré (un fouet à la main) me dit (à peu près) ceci : « Je préfère quand
même me faire analyser par le Professeur Freud. Il sait quand même mieux, c'est
lui le premier dans sa branche. » Cela me rend furieux et je lui dis : « Mais c'est
de lui que j'ai tout appris, j'en sais donc autant que lui. » Je lui flanque alors
violemment une fleur (sic) à la figure et je me réveille avec de l'angoisse.
Le deuxième rêve, c'est celui que j'ai décrit plus haut, il y avait bien l'histoire
du chapeau ; mais il s'est achevé avec la sensation que quelqu'un ouvrait
brusquement la porte et nous surprenait. (En fait, la porte a été ouverte par mon
domestique; il annonçait un patient [B je crois].)

Pourquoi ai-je confondu l'ordre des deux fragments de rêve, je l'ignore.

Le cocher est une figure paternelle typique. Sa barbe me rappelle celle d'un oncle,
pas tout à fait normal. Le petit haut-de-forme appartient au bedeau juif qui officie
pendant les enterrements. (Donc : symbolique de mort.) A vrai dire, à propos du
haut-de-forme je pense aussi à la symbolique génitale (le pénis court de mon père
; j'ai été déçu, un jour – à l'école de natation – , en voyant les organes génitaux de
mon père). Donc, la mort du père. (Substitut de pensées concernant ma propre
mort, fonctionnant comme accomplissement de désir.) Le fouet est symbole de
sadisme. (Le père conduit avec adresse le cheval et le fiacre [B la femme].) – J'ai
entendu une déclaration semblable d'un patient sur sa préférence à être analysé
par vous. La fleur furieusement jetée me rappelle que, à l'âge de trois ou quatre
ans, j'ai jeté une carabine en bois à la tête de mon frère aîné, si bien qu'il a eu une
bosse sur le front. La fleur est 1) un substitut du coup furieux, 2) symbole d'amour.
Les figures paternelles m'impressionnent tellement que je renonce à la concurrence
et que je tombe amoureux – comme une femme.

Balint avait placé cette lettre, ainsi qu'un bref message (597 Fer) – tous deux sans date – à l'intérieur
de la lettre 630 Fer, soit avant la dernière partie, datée du 24 XI 1916, et désignée par « Fin ». Il semble
pourtant que ces deux lettres sans date (qu'il faut considérer séparément) ont leur place plus tôt. Le
papier à lettres, l'écriture et l'encre ne donnent pas d'indications univoques pour un classement
correct, mais n'excluent pas non plus la place proposée ici par référence au contenu (le rêve de l'étui à
cigarettes, le « champ de bataille intérieur », le symptôme du tremblement, la réponse de Freud à
l'annonce du voyage à Vienne).
Parenthèses dans le manuscrit.
La fin de la lettre manque.
* Troubles en rapport avec le retour d'âge.
** Expression allemande pour désigner les homosexuels. Littéralement: « frères chauds ».
Maladie de Basedow : hyperfonctionnement de la glande thyroïde, accompagné des symptômes
suivants : goitre, tachycardie, exophtalmie, augmentation du métabolisme de base, tremblements. La
crainte de Ferenczi d'être atteint de cette maladie revient régulièrement dans ses lettres suivantes. Peu
après, la maladie fut effectivement diagnostiquée chez lui et, au début de 1917, il alla se soigner au
Semmering.
Sous le titre de « Deux types de névroses de guerre (hystérie)» (Ferenczi, 1916, 189), dans la
Zeitschrift (1916-1917, 4, p. 131-145). Psychanalyse, II, p. 238-252.
Voir 504 Fer et la note 1.
596 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, le 14 février 191 A 6

Cher Monsieur le Professeur,


Une très longue lettre' que je suis en train d'écrire depuis quelques jours
vous informera en détail de tout ce qui me concerne. Entre-temps, je veux
seulement maintenir la continuité de la correspondance, en vous envoyant
mes plus cordiales salutations,
14 II 1916 B
votre
Ferenczi

En-tete pré-imprimé jusqu'ici, avec une vignette en deux couleurs. Voir le fac-similé p. 147.
La date est répétée à la fin de la lettre.
1. Allusion à la lettre précédente.

597 Fer

Budapest, Vendredi soir A

Cher Monsieur le Professeur,


Je dois remettre à la semaine prochaine le voyage à Vienne annoncé. Ici, rien de nouveau.
Ci-joint un bel exemple de psychothérapie moderne'.
Cordialement, votre
Ferenczi

A. Sans date; pour le classement à cet endroit, voir 595 Fer, note A (les vendredis pouvant
entrer en ligne de compte étaient le vendredi 18 ou le vendredi 25 février 1916).
1. Non retrouvé. Peut-être s'agit-il du tiré à part de Kohnstamm, mentionné dans la
lettre suivante.
598 F
Prof. Dr Freud

le 26 février 1916
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Comme vous avez décommandé votre visite, je peux de nouveau vous écrire, brièvement. Toutes
vos nouvelles m'ont énormément intéressé. Permettez-moi cependant d'observer une neutralité
bienveillante, d'une part parce que je suis trop paresseux, d'autre part parce que je ne veux pas
troubler vos élans. Tout ce que je peux vous dire, c'est que la plus grande partie me plaît. J'ai été
frappé par l'explication du tremblement comme exemple type du retournement de l'action vers
l'intérieur, au sens que lui donne Lamarck et que nous avons reconnu, à savoir « piétiner sur
place » * `. Je ne vois rien à dire sur l'histoire de la maladie et des rêves. Je vous renverrai la
grande lettre quand je l'aurai relue. Mieux encore, vous l'emporterez dimanche.
Un essai avec les communications provisoires sur les névroses de guerre serait très bienvenu à la
Zeitschrift. J'imagine que, temporairement, vous garderez pour vous vos beaux points de vue
théoriques et que vous n'y déploierez que le matériel, afin d'en tirer les conclusions les plus
immédiates. Le n° 6 de la Zeitschrift (avec l'École de Bordeaux) 2 est paru aujourd'hui. Le t.[iré] à
p.[art] de Kohnstamm 9 est une absurdité de dilettante, une volonté d'être original avec des biens
d'emprunt. On en vient à se demander s'il est même possible pour la science de prospérer, quand
elle est pratiquée dans l'incohérence démocratique. Mais, malheureusement, l'autorité est encore
pire. Rien à faire, il faut laisser braire tous les ânes et mugir tous les bovidés.
Je n'arrive pas à me souvenir d'avoir déclaré que la névrose traumatique serait une
représentation somatique du fait d'être mort, et je voudrais désavouer cette déclaration.
Chez nous, peu de nouvelles. Ernst est ici jusqu'à la fin du mois, il a été à Hambourg et à Berlin. Oli a
dû prendre une permission à cause d'une poussée de grippe, il la passe ici auprès de sa femme 4.
Samedi prochain je termine les Conférences. Le manuscrit – (Le rêve) – presque terminé.
Cord.[iales] salutations, aussi pour Madame G.
de votre
Freud
* En français dans le texte.
1. Dans « Deux types de névroses de guerre », Ferenczi a caractérisé le symptôme de
tremblement des jambes comme une régression phylogénétique à un mode de réaction autoplas-
tique, le décrivant comme l'action de « piétiner sur place » (1916, 189 ; Zeitschrift, 19161917, 4,
p. 141 sq.). Psychanalyse, II, p. 238-252.
Voir 575 F et la note I.
Non identifié.
Ernst a passé à Vienne la période du 26 février au 1" mars, Oliver celle du 22 février au 3 mars
(notes sur le calendrier de Freud, LOC).

599 Fer
Budapest, le 28 février 1916

Cher Monsieur le Professeur,


La lettre d'aujourd'hui concerne encore ma propre personne ; je dois l'écrire, bien que je pense
parfois que ma personne ne mérite peut-être pas qu'on se donne autant de peine.
La journée d'hier a été critique. J'ai dit à Madame G. qu'à ma grande douleur je n'éprouvais pas de libido
pour elle en ce moment. Surmontant la dépression, elle m'a proposé de nous voir moins souvent, pendant
quelque temps, une fois par semaine par exemple. Ensuite, nous avons encore passé le dimanche soir
ensemble – et aujourd'hui c'était le premier jour de la séparation. – Je suis brisé et comme en deuil. Pas
trace, pour l'instant, d'un sentiment de libération. Malgré cela, je veux attendre la fin de la semaine avant
de la revoir.
Entre-temps, je réfléchis sur moi-même. Mes sentiments ressemblent à ceux que j'ai éprouvés
en renonçant à Elma mais, à ce moment-là, la dépression avait plutôt la forme de l'apathie et
non, comme maintenant, celle de la douleur et du deuil. – On peut se demander si ma résistance
s'exerce vraiment à l'encontre d'une personne, et non à l'encontre de l'institution du mariage.
(Développement insuffisant du primat génital, selon votre expression.)
Ce temps de séparation contribuera certainement à éclaircir la situation.
Après avoir pris congé, un rêve d'angoisse : je veux me rendre dans l'appartement de Madame G.
(avec une nouvelle pressante– qui ne peut être remise à plus tard), bien que je redoute de rencontrer
son mari. Effectivement, je vois Monsieur Pàlos dans le vestibule, il est justement entrain de retirer
son chapeau du (à la place du mot juste me vient:) canne à vêtements, à ce moment-là une canne (ma
canne ?) jette son chapeau à terre. Je m'éveille dans une grande angoisse.

Essai d'analyse
Nouvelle pressante serait un remaniement secondaire. Par ailleurs : pressant
– qui ne peut être remis à plus tard : un besoin physique (coït).
Addenda: Je me suis tenu caché, un moment, quand j'ai vu venir
M.[onsieur] P.[alos]. Je me suis serré dans une encoignure de porte.
Ce détail me rappelle que je supportais difficilement le rôle du troisième à cause du conflit (avec le
père) qui devenait plus apparent ces derniers temps. Et si c'était quand même ça, la cause ultime
de ma résistance?
La bagarre avec Monsieur Pdlos et sa castration (jeter son chapeau à terre) représenteraient le
désir secret en moi, transformé en angoisse. Si c'est exact, alors la séparation a été la fuite
névrotique devant ce conflit.
Mais, s'il en est ainsi, l'affaire peut encore avoir une issue heureuse. Je
crois que je serai finalement en mesure de venir à bout de ce combat.
La canne à vêtements vient du « Mannequin d'osier» d'Anatole France', où le cocuage de M. Bergeret
est présenté de façon sympathique pour la victime et humiliante pour le fauteur d'adultère.
Deuxième addenda: dans le vestibule, j'étais frappé par la maladresse
du comportement et de la démarche de Monsieur Palos.
Interprétation: quand j'étais enfant, j'avais découvert de petites faiblesses de mon père
(mauvaise prononciation du hongrois, calvitie, etc.), mais j'avais refoulé ma critique.
Le lieu me rappelle un appartement d'étudiant où j'habitais à Vienne, et où il m'était arrivé une
histoire dont on avait beaucoup ri à l'époque. Mon compagnon de chambre avait une aventure avec
la femme de chambre. Une nuit je me suis rendu, avec son assentiment, chez la bien-aimée, que j'ai
trompée en portant le bonnet de mon ami. — Par la suite, cela marchait même sans ce déguisement, je
crois. Il semble que je veuille commettre tous les « péchés » sans qu'il y ait de conséquences. D'abord,
j'ai voulu aimer la mère et la fille et les garder toutes les deux. Maintenant, je veux tromper le père
avec son consentement.
La science, ce sera pour une autre fois. II paraît, malheureusement, que dimanche prochain
sera jour d'inspection, ce qui m'empêchera de venir à Vienne.
S'il vous plaît, écrivez bientôt.
Cordialement, votre
Ferenczi
1. Anatole France, LeMannequin d'osier, Paris, Calmann-Lévy, 1897.
[Budapest,] mardi 9 mars 1916

Cher Monsieur le Professeur,


On ne peut ni demander ni espérer d'objectivité de la part d'un patient, tout au plus de la
sincérité. C'est pourquoi je sais d'avance que, dans ce que j'écris sur moi-même, vous ne prenez
pas tout pour argent comptant. Cela étant, je continue mes comptes rendus.
Telles que je vois les choses en ce moment, la souffrance physique– la gêne de la respiration nasale qui
dure depuis de nombreuses années avec une intensité variable – se trouve au centre, en tant que noyau de
mes malaises ; les symptômes psychiques sont secondaires, je crois. J'ai toujours su que, dans l'économie
psychique du plaisir-déplaisir, la plus grande importance revenait à l'oxygène ; une perturbation sérieuse de la
respiration peut entraîner des perturbations de la libido, surtout pendant le coït lui-même, qui produit un
besoin accru d'air. Il semble que ce soit par là que j'aie commencé à me détourner de Madame G. Je me suis
mépris sur la fatigue et le sentiment de déplaisir après les relations sexuelles avec elle, et j'ai cru que j'étais
lassé d'elle. Ces derniers temps, la dyspnée s'est considérablement accrue, je ne faisais que m'occuper de mon
cher moi (le Dr Zwillinger a constaté que l'opération de la cloison n'avait pas bien réussi et qu'une membrane
obstruait les voies nasales).
A ce moment-là, me méprenant encore, j'ai renvoyé Madame G. Lorsqu'elle est revenue, dimanche, et que
j'ai assuré ma liberté de respiration par des moyens artificiels, je me suis comporté envers elle comme aux
meilleurs jours. Je crois que nos lettres vont se croiser, mais je tenais à vous faire part de cela rapidement. Cet
état de choses m'a surpris agréablement et m'a délivré de soucis pesants.
Mais l'autre souci reste. Sur le conseil de Zwillinger, je dois aller à Berlin, chez Killian', le meilleur oto-rhino
en Allemagne. Si je passe par Vienne, je viendrai vous rendre visite avant cette excursion.

Pour le n° 2, je compte écrire encore quelques petites choses avant mon départ, entre autres le cas
intéressant d'un homme qui, dans l'enfance (à l'âge de trois ans), a été réellement castré (circoncis) 2. Un
pendant au « Petit Homme-coq ». – Cette opération est devenue le destin de cet homme. Tous ses affects se
manifestent en termes de défense contre la castration (plus ou moins grande rétraction du pénis, impulsion
contraignante de saisir le membre de quelqu'un pour le caresser ou l'arracher, etc.).
Ci-joint un extrait de journal qu'Elma 8 nous a envoyé d'Amérique. Il est possible que la situation
s'améliore là-bas. (Je veux dire, la situation entre Elma et son mari.)
Le voyage à Berlin perturbe évidemment tout projet pour Pâques. Mais j'espère pouvoir m'arranger,
au retour, et passer quelques jours près de Vienne (peut-être au Semmering).
Je ne suis pas encore sûr de la date de mon départ. Je pense qu'il s'écoulera encore deux semaines
d'ici là.
Cordiales salutations à vous et à votre famille,
de votre Ferenczi

Gustav Killian (1860-1921).


« Conséquences psychiques d'une " castration" dans l'enfance » (Ferenczi, 1917, 196), Zeitschrift, 1916-17,
4, p. 263-266 ; Psychanalyse, II, p. 278-282.
Non retrouvé.
Prof. Dr Freud

le 12 mars 1916 Vienne, IX.


Berggasse 19

Cher Ami,
Que vous ayez peur du père, cela semblait ressortir à coup sûr de votre dernière lettre. Les déductions
psychologiques, dans celle d'aujourd'hui, sont moins éclairantes pour moi. Qu'on aime une femme ou
non, on doit pouvoir en décider même les narines bouchées. Je sais, naturellement, combien il est
difficile de distinguer entre ce qui est psychique et ce qui est somatique, sur sa propre personne.
Je regrette que votre venue soit tellement retardée. A Pâques, quoi qu'il en soit, vous devriez pouvoir prendre
une permission pour Vienne. Premièrement, c'est à peine si on peut encore aller quelque part; on ne trouve
rien, tout est follement cher, et deuxièmement, ma maisonnée n'est plus faite que de trois personnes, moi y
compris. Ma femme est depuis deux jours à Hambourg, Anna va entreprendre une randonnée de Pâques, ce
ne serait pas très amical de laisser ma belle-soeur seule dans l'appartement, au moment des fêtes.
Il y a si longtemps que je ne vous ai écrit, que je ne sais plus jusqu'à quel point vous êtes informé. Mon
gendre est toujours à l'hôpital militaire' ; d'après les photos qu'il nous a fait parvenir, il a bonne mine.
J'en ai fini avec la deuxième livraison – (du rêve) – , je dois l'envoyer à l'impression, mais je n'ai pas
encore vu une ligne de la première, à corriger. Sachs fait tout son possible pour la conduite des affaires.
La clientèle s'accroît sans conteste, mais avec l'augmentation de tous les prix, elle ne peut quand même
pas suivre. La traduction de la Vie quotidienne par Stärcke 2 a été effectuée, et déjà honorée. L'éditeur de
Berlin s demande d'ailleurs une cinquième édition pour l'automne. Il n'est pas au courant de l'imminence
de la parution des « Conférences ».
Avec mon cordial salut et dans l'attente de vos prochaines nouvelles, votre Freud

Le 23 février, Max Halberstadt, blessé en France, fut hospitalisé à Valenciennes et obtint par la suite sa
réforme de l'armée. (Notes sur le calendrier de Freud, LOC ; Freud à Lou Andreas-Salomé du 21 III 1916,
Correspondance, op. cit., p. 521 ; Jones, II, p. 201.)
Voir 594 F, note 1.
S. Karger.
602 Fer
[Budapest,] le 23 mars 1916

Cher Monsieur le Professeur,


Ma demande de permission n'est partie qu'aujourd'hui. Il me faudra bien encore dix à douze jours
avant de pouvoir aller à Berlin. Je compte n'y rester que le temps strictement nécessaire ; peut-être
2 à 3 jours seulement, car je tiens pour peu probable que le professeur Killian propose une
opération. J'ai l'intention de passer le reste du temps à Vienne, et j'espère que vous pourrez me
réserver une, ou si possible deux séances. Je vous tiendrai constamment informé de l'endroit où je
me trouverai. J'ai envoyé deux articles assez courts et deux interprétations de rêves' à Sachs, pour le
deuxième numéro de la Zeitschrift. J'ai voulu vous épargner la lecture du manuscrit.
Dans notre hôpital, des changements sont intervenus au niveau du commandement. Le
commandant (médecin d'état-major Dr Feistmantel) a été envoyé en Syrie, comme conseiller
sanitaire. Parmi les médecins qui l'accompagnent, il y a le docteur Urbantschitsch et le docteur
Wittels de Vienne. Je serais peut-être bien parti avec eux si j'avais sympathisé avec la. personne
du chef, ce qui n'est pas le cas.
Chaque soir, 1/4 de gramme de Medinal 2 me procure le repos de la nuit, si bien que, pendant
la journée, je suis apte au travail et qu'on peut à peine me déclarer malade. Il faut,
naturellement, que je favorise la respiration en dilatant artificiellement les voies nasales.
Un neurologue de Hambourg 8 vient de m'écrire qu'il voudrait se faire examiner et, au
besoin, analyser par moi. J'ai l'intention de le convoquer à Berlin.
Les quatre séances sont remplies et je pourrais en remplir quatre autres. J'analyse un jeune
ethnologue très doué, qui deviendra peut-être une bonne recrue pour la psychanalyse'.
Je vous envoie mes cordiales salutations et attends votre prompte réponse. votre
Ferenczi
Deuticke ne m'a pas envoyé le livre de Kaplan, je ne peux donc pas en faire la critique!
[Sur un autre feuillet:]
Je vous prie de me renvoyer, si possible par retour du courrier, la lettre
contenant les idées sur la névrose traumatique.
Salutations à Mademoiselle votre belle-soeur et à Annerl.
F.
187) et « Une variante du symbole" chaussure " pour représenter le vagin » (1916, 188), tous les
quatre parus dans la Zeitschrift (p. 146 sq., 155 sq. et 112 sq.) ; Psychanalyse, II, p. 278-282, 255256,
236 et 237. Ce dernier article rapporte un rêve de Ferenczi lui-même et l'analyse qu'il en fait.
Voir aussi le rêve mentionné dans 599 Fer et l'article de Ferenczi « Le rêve du pessaire occlusif»
(1915, 160), Psychanalyse, II, p. 171-176.
Produit calmant et somnifère.
Non identifié. Voir 605 F et la note 1.
Géza R6heim (1891-1953). Ethnologue. Deviendra psychanalyste par la suite. Fondateur de
l'anthropologie psychanalytique, créateur de la théorie ontogénétique de la culture. Après une
deuxième analyse avec Vilma Kovàcs, il devient analyste didactique dans l'Association
hongroise. En 1921, il obtient le prix Freud décerné à des travaux de psychanalyse appliquée
(voir Freud, 1919c). En 1928, il entreprend, avec l'aide financière de Marie Bonaparte, une
expédition scientifique en Australie centrale et en Mélanésie, afin de collecter des données
pour démentir les objections de Bronislaw Malinowski à l'idée d'universalité du complexe
d'OEdipe (avant tout dans les sociétés matrilinéaires). En 1938, R6heim s'exile aux États-Unis
et exerce comme psychanalyste à New York. Il laissa une oeuvre abondante: douze livres et un
grand nombre d'articles, dont certains sont encore inédits. Voir Roger Dadoun, Géza R6heim,
Paris, Payot (PBP n° 196) et Eva Brabant, « Géza R6heim », in Ferenczi et l'École hongroise de
psychanalyse, op. cit., p. 255-268.
603 F
Prof. Dr Freud

le 24 mars 1916
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Il est étonnant de voir tous les artifices que vous mettez en oeuvre quand vous approchez de
l'accomplissement du voeu refoulé et qu'il s'agit de vous rendre maître de la mère, sous toutes ses
formes. Je sous-estime sans doute, par manque d'expérience personnelle, la force de ce complexe.
Je serai très heureux de vous voir à Vienne. Si vous veniez d'abord ici, ce serait une occasion
d'apporter le dossier de la Métapsychologie. J'ai l'intention de supprimer l'essai sur le Cs, et de
le remplacer par un autre, mieux adapté, par exemple: « Les trois points de vue de la ». Mais si
vous alliez d'abord à Berlin, il est évident que cela ne marcherait pas. J'envoie demain vos notes
sur les névroses traumatiques, en recommandé.
Votre croisade en Syrie, comme fuite devant la femme, m'a hautement intéressé. Si le
neurologue de Hambourg s'appelle Gerstein ' (ou quelque chose d'analogue), je ne peux pas
vous féliciter à son propos.
Ici, quelques petites nouvelles. Martin est là avec sa batterie pour changer d'arme, et il
obtiendra probablement ensuite une autre affectation. Ernst, auquel il a parlé, est arrivé à
Lavarone. Oli est toujours souffrant et on ne lui donne pas de permission. Ma femme rentre le 8 ou
9 avril, Sophie et son enfant suivront avant Pâques et resteront ici jusqu'à l'automne. Le Dr
Eitingon vient de téléphoner, il est tombé malade à Kassa et part pour Karlsbad 2.
Je vais rappeler Deuticke à l'ordre (c'est déjà fait).
Prochaska 9m'a promis des corrections des conférences pour la
semaine prochaine.
J'ai commencé au moins trois essais plus petits, mais rien ne presse 4.
Donnez bientôt de vos nouvelles et, dans vos sombres épreuves, recevez le
cordial salut de
votre Freud
Le Dr R. Gerstein de Hambourg. A partir de 1913, figure dans les Korrespondenzblättern comme
membre de l'Association berlinoise. Participe au congrès de Budapest en 1918. En 1923, il est, «à
sa demande, rayé de la liste des membres » (Zeitschrift, 1923, 9, p. 241).
Le 22 mars, Martin fit une visite inopinée à Vienne, où il resta jusqu'au 12 avril. Martha Freud,
partie pour Hambourg le 9 mars, ne revint que le 17 avril. Max Eitingon était à Kassa/ Kaschau,
petite ville du nord de la Hongrie (devenue tchèque depuis 1919). Eitingon dirigeait le département
d'observation psychiatrique de l'hôpital de la garnison. Lui et sa femme Mirra (voir 734 Fer, note 2)
rendirent visite à Freud les deux jours suivants (25 et 26 mars), puis partirent pour Karlsbad où
Eitingon demeura jusqu'au 21 avril ; il prit ensuite deux semaines de vacances à Leipzig, et à son
retour à Kassa fut muté à Miskolcz (notes de Freud sur son calendrier, LOC ; lettres d'Eitingon à
Freud du 28 XII 1915, du 20 IV 1916 et du 21 VIII 1916, Emil Neiser, Max Eitingon, Leben und Werk (Max
Eitingon, sa vie, son œuvre), thèse, Mainz, 1978).
L'imprimerie Karl Prochaska à Teschen, dans les Carpates, où de
nombreux ouvrages de Freud ont été imprimés.
Les travaux qui peuvent entrer en ligne de compte sont: « Quelques types de caractère rencontrés
dans le travail psychanalytique » (Freud, 1916d), Essais de psychanalyse appliquée, op. cit., p. 105-136, «
Parallèles mythologiques à une représentation obsessionnelle plastique» (Freud, 1916-1917b), ibid., p.
83-85, « Une relation entre un symbole et un symptôme » (Freud, 1916-1917c), Résultats, idées, problèmes,
I, PUF, 1985, p. 237-238, « Sur les transpositions des pulsions, plus particulièrement dans l'érotisme
anal» (Freud, 1916-1917e), La Vie sexuelle, PUF, 1969, p. 106-112.

604 Fer
B.[uda]p.[est], le 7 avril 1916 A

Cher Monsieur le Professeur,


J'ai parcouru le livre de Kaplan et je reconnais qu'il contient un certain
nombre de choses ingénieuses et nouvelles. Mais je conteste que ce livre traite
vraiment – comme son titre l'indique – de problèmes psychanalytiques. La `'A n'y
occupe qu'une toute petite place. L'essentiel, pour lui, est la philosophie et la
psychologie de la conscience. J'ai trouvé, il est vrai, des points particuliers dont
je serais en mesure de faire la critique (pour une part, je les reconnaîtrais, pour
l'autre, je les réfuterais, ou les présenterais comme déjà connus), mais la plus
grande partie du livre traite de choses exprimées à l'aide d'une terminologie qui
ne correspond absolument pas à la nôtre et qui exigerait une étude
approfondie dans des domaines qui me sont étrangers. Je ne peux donc pas
me considérer comme compétent pour porter un jugement sur ce livre, et je
vous prie de confier cette tâche à un autre. La critique que j'écrirais ne
rendrait pas justice à toutes les
1916 141

parties de cet ouvrage. Mon opinion personnelle sur ce livre est que Kaplan
n'est pas un vrai psychanalyste, bien plutôt, il utilise la moindre occasion
pour oublier l'inconscient et le sexuel.

J'ai l'intention de discuter en détail du livre de Flournoy 1

Le séjour à Vienne 2 m'a fait beaucoup de bien. Pour confirmer le fait que
j'appartiens bien au type de ceux « qui-ne-veulent-pas-y-toucher », je peux
vous dire qu'il m'est déjà arrivé, autrefois, de renoncer à une liaison au
moment où elle menaçait de se réaliser. Mais je ne peux m'empêcher de
revenir sur le fait que ce type-ci est quand même une forme abâtardie du
type pathologique dont l'Ics n'est pas à la hauteur du consciemment voulu
(infantilisme).
Ici aussi le temps est magnifique, mais je repense souvent au beau dimanche après-
midi à Vienne. Madame G. vous envoie son salut; l'erreur est maintenant corrigée 3.
Salutations cordiales de votre
Ferenczi
A. Dans le manuscrit, lieu et date à la fin de la lettre.
I. Il s'agit probablement du livre de Théodore Flournoy, Die Seherin von Genf (La voyante de
Genève), Leipzig, 1914. En français sous le titre Des Indes à la planète Mars, Paris, Seuil, 1983.
Finalement ce n'est pas Ferenczi qui a rendu compte de cet ouvrage, mais Theodor Reik, dans le
cadre d'un rapport global sur les progrès de la psychanalyse 1914-1919 : Bericht über die Fortschritte
der Psychoanalyse 1914-1919.
Ferenczi s'est rendu à Vienne le 2 avril (notes sur le calendrier de Freud).
Allusion non élucidée.
`S05 F
Prof. Dr Freud

le 13 avril 1916
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami
J'ai fait envoyer le livre de Kaplan à Hitschmann, mais je n'approuve pas entièrement votre
position. Je pense qu'en tant que rédacteur médical et de langue allemande, vous devriez
traiter de toutes les parutions un peu importantes qui touchent à la `I'A ; nous ne pouvons
nous limiter aux rares publications qui, d'un bout à l'autre, sont conformes à notre esprit. Il
ne nous est guère possible de refuser le livre de Kaplan ; mais un compte
rendu ne doit pas exiger, à chaque fois, un approfondissement
très personnel du contenu, comme pour les Bordelais'.
Je n'ai pas été très bien toute la semaine dernière, et je n'ai rien travaillé. Pour Pâques, j'ai
l'intention de rendre visite à Oli 2et de lui faire entendre ce qui lui manque encore pour être
convaincu, à savoir que son prochain divorce est à considérer comme une chance. La venue de
ma fille a été remise en question par l'heureuse circonstance de la présence de Max, enpermission
à Hambourg. Martin est parti hier, via Salzbourg, dans l'artillerie lourde. Il jure qu'il y aura une
offensive contre l'Italie, alors que, par ailleurs, des bruits courent qu'elle a été abandonnée. Je vais
préparer, pour Imago, l'essai sur les types de caractère; celui surles transformations de l'érotisme
anal, je l'offrirai à la Zeitschrift 3.
J'espère avoir de vos bonnes nouvelles et vous salue cordialement,
votre Freud
C'est-à -dire, comme dans le compte rendu de Ferenczi sur le livre de Régis et Hesnard : « La
psychanalyse vue par l'École psychiatrique de Bordeaux » (Ferenczi, 1915, 175), Psychanalyse, II,
p. 209-231. Finalement, Ferenczi a quand même rendu compte de l'ouvrage de Kaplan (voir 571
F, note 10).
Le 23 avril, Freud rendit visite à son fils Oliver qui participait à la construction d'un
nouveau tunnel sous les Carpates, à Mosty, au nord du passage de Jablunka. Le
lendemain, ils se rendirent ensemble à Teschen (ou (`esky Télin ou Cieszyn), ville située à
une trentaine de kilomètres vers le nord, siège de l'imprimerie Prochaska (notes sur le
calendrier de Freud, LOC ; Clarke, Freud, op. cit., p. 380). Voir aussi 607 F.
« Quelques types de caractère rencontrés dans le travail psychanalytique » (Freud, 1916d) et
« Sur les transpositions des pulsions, plus particulièrement dans l'érotisme anal » (Freud, 1916-
1917e). Voir aussi 603 F, note 4.

606 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, le 27 avril 1916

Cher Monsieur le Professeur,


J'espère qu'entre-temps vous êtes rentré chez vous et que votre voyagea atteint son but. Oh est
encore tellement jeune; il a le temps d'oublier cette aventure. La prochaine fois, il sera
plus prudent dans son choix.
J'ai envoyé directement à Sachs la petite communication pour le « parloir»'. Je ne voulais
pas entamer le vaste et difficile sujet de l'intervention active du médecin dans l'analyse, et
je me suis contenté de reproduire ce que j'ai appris de vous à propos des «conseils» 2.
Une seule idée, mais qui ne semble pas tout à fait sans valeur, est venue apporter un peu de
lumière dans cet état d'incubation latente où je me trouve toujours. Je crois pouvoir comparer la
friction au cours du coït au fait de se gratter quand on éprouve une démangeaison (en même temps je
suppose que, dans l'érection, une grande partie de la libido d'organe, accumulée dans la sphère génitale,
est convertie en cette sensation d'excitation). Mais le fait de se gratter me semble être le modèle originaire
de la réaction à une sensation de déplaisir externe (qui frappe l'enveloppe corporelle) : on fait comme si on
voulait arracher la partie du corps importune (ceci étant l'origine de la formation symbolique
correspondante) * : il s'agit donc, effectivement, de la répétition de l'autotomie qui règne chez certains
animaux – l'acte réflexe d'arracher et de laisser tomber des parties douloureuses du corps.
Lorsqu'un homme qui se fait du souci se gratte la tête, peut-être qu'il éloigne – symboliquement –
la pensée désagréable.
Je rapproche évidemment aussi cette partie spécifique du coït de l'impression cutanée inhabituelle
pendant la naissance (après écoulement du liquide amniotique) et, d'un point de vue phylogénétique, de
l'époque où nos ancêtres animaux furent sortis de l'eau et mis au sec » 3.

En ce qui me concerne, par ailleurs, tout est comme avant : indécision (qui débouche rarement sur du
positif, plus souvent sur du négatif). La paralysie s'étend naturellement à toutes les tendances. Comme je
renonce au voyage à Berlin (je n'attends rien de l'oto-rhino de là-bas), j'ai l'intention, à la place, de passer en
analyse la totalité des trois semaines que j'essaie d'obtenir. Peut-être début juin. Deux séances par jour: cela
fait presque quarante séances d'analyse. Manifestement, je n'en suis pas encore arrivé au point où l'on
pourrait me donner des conseils » avec succès. Au demeurant, ceci est un bel exemple du peu d'efficacité, en
analyse, des suggestions» pour lesquelles on n'est pas encore assez mûr.
Avec des salutations cordiales à vous et à ceux qui vous sont chers. Ferenczi
Aussi bien le soulagement que cette lettre m'a procuré témoigne-t-il d'une véritable faim pour l'analyse ».
Les fautes d'écriture frappantes et les ratures dans la lettre reproduisent l'insécurité intérieure.

* Sich einen herunterreissen, « s'en arracher une » : expression argotique pour se masturber ».
L'influence exercée sur le patient en analyse » (Ferenczi, 1919, 215), Psychanalyse, III, p. 24-26. Une
première ébauche de la technique de Ferenczi dite active » n'est parue qu'en 1919 dans la rubrique
Parloir » de la Zeitschrift. Ferenczi envoya le texte à Sachs, car celui-ci remplaçait Rank, mobilisé, non
seulement comme secrétaire de l'Association, mais aussi à la rédaction de la Zeitschrift et d'Imago.
Conseils aux médecins sur le traitement analytique» (Freud, 1912e), La Technique psychanalytique, op. cit., p.
61-71.
Voir Ferenczi (1924, 268), Thalassa, essai d'une théorie de la génitalité», art. cité, p. 250-326.
607 F
Prof. Dr Freud

le 29 avril 1916
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Eitingon a fait savoir, de Karlsbad, qu'il a eu une permission pour Leipzig et qu'il ne
passera pas par Vienne au retour. Je ne sais s'il est rentré à Kassa.
Mon voyage de Pâques a été pénible ; il m'a montré qu'Oli était fortement absorbé par le travail et
qu'il avait bon espoir de venir à bout de douloureux sentiments. Fin mai, il viendra à Vienne accomplir
les formalités du divorce. Nous sommes, pour ainsi dire, coupés des deux autres, et nous ne
connaissons pas même le numéro de poste aux armées de Martin.
Mardi après Pâques, Rank est venu chez moi' ; j'ai eu beaucoup de plaisir à sa
compagnie, même si, en ce moment, il ne peut rien accomplir pour notre travail.
Heller nous fait de nouveau des difficultés; c'est admirable comme il sait gâcher par ses
folies et ses procédés tordus la gratitude que nous inspire son zèle. La conférence avance très
lentement, trois feuillets composés jusqu'à présent.
Les communications à partir de vos spéculations biologiques sont, comme toujours,
extrêmement attrayantes. Je persiste à dire que c'est là votre véritable champ de travail, dans lequel
vous serez sans concurrence. Je considère avec un vif intérêt vos projets de cure. Les choses
auraient dû marcher sans cela.
Mercredi dernier, l'association m'a fêté avec un bouquet
d'orchidées. Cela s'est passé vite et bien.
Pfister m'écrit que la fille Rockefeller a fait un cadeau de 360 000 francs à Jung, pour
l'édification d'un casino, d'un Institut analytique, etc. 2.Ainsi donc, l'éthique suisse est enfin
parvenue à instaurer le lien recherché avecl'argent américain. Ce n'est pas sans amertume que je
pense à la situation misérable des membres de notre association, à nos difficultés avec le Verlag,
etc. Il paraît que Jung parle de nouveau de moi avec « déférence ». J'ai répondu à Pfister que cette
volte-face ne trouvait pas de résonance chez moi.
Je vous salue cordialement,
votre Freud

Le 25 avril.
La somme indiquée par Freud figure, en effet, dans le bilan de février 1917 du « Club
psychologique de Zurich » (dont l'objectif était, selon les statuts de juillet 1916, « l'application
et la promotion de la psychologie analytique »), sous la dénomination de « Fonds »
(communication personnelle de Sonu Shamdasani). Pour Edith Rockefeller-McCormick, voir
t. I, 373 F et la note 2.
608 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, le 13 mai 1916

Cher Monsieur le Professeur,


Il semble que je ne vienne pas à bout de mes affaires intérieures sans aide extérieure. Il est vrai
que je m'abstiens depuis assez longtemps de toute auto-analyse. Visiblement, cela fermente en moi
sans arrêt ; je suis incapable de la moindre décision (et du moindre travail). L'aggravation date
probablement du jour où il a été de nouveau question de résoudre le problème de l'appartement.
Madame G. comprend mon combat — et aujourd'hui elle a déniché pour moi, dans un
arrondissement résidentiel, une garçonnière qui est à louer pour les mois de juin à septembre.
J'apprends par le Dr Lévy (qui le sait par sa belle-soeur, Madame von Freund'), que vous
voulez arrêter les analyses dès le mois de juin. C'est très important pour moi, car il faudra
alors que j'arrange autrement mes vacances (que je veux passer en analyse). S'il vous plaît,
envoyez-moi une carte, si possible tout de suite, avec des informations à ce sujet.
L'article sur les névroses est paru en hongrois 2, mais il ne semble pas avoir fait
grande impression.
J'ai un pavillon d'épileptiques et je vois de nombreuses crises. Je ne peux écarter
l'impression qu'il s'agit là encore d'une organisation analogue à celle du sommeil (de
l'endormissement). L'essentiel en est la modification particulière de la respiration et de la
circulation (cette dernière est secondaire). Ce que l'épileptique veut dire avec cette soudaine
commutation de l'innervation, je l'ignore. Je suppose qu'il simule l'apnée de la période intra-
utérine. Dans plusieurs cas, j'ai pu constater une érection comme symptôme d'accompagnement.
Mais toute l'affaire reste très obscure. (On sait que la plupart des crises surviennent pendant le
sommeil! Peut-être s'agit-il de degrés dans la régression 3.)
Vous avez sans doute entendu parler ou lu quelque chose à propos d'un homme d'ici qui
s'est livré à des meurtres en série 4 ; dans l'analyse, les patients interprètent l'affaire comme de
l'héroïsme. Preuve de l'identité entre le héros et le malfaiteur.
Madame G., qui n'a pas de moyen de communication sûr avec Elma, vous
prie, par mon intermédiaire, de lui donner l'adresse de Van Emden et de Jones.
Les bonnes affaires de Jung m'ont beaucoup irrité. L'argent semble
l'avoir mieux disposé à votre égard ; ceci prouve que c'est vraiment à cause d'« intérêts réels » qu'il a
fait défection.
J'ai été heureux de la décision d'Oli. J'espère que tous les vôtres vont bien.
Avec mes cordiales salutations,
votre Ferenczi
1. Rézsi von Freund, analysante de Freud.
2. Ferenczi (1916, 189), « Deux types de névrose de guerre (Hystérie) », Gyôgydszat, 1916,
11, p. 124-125 ; 14, p. 160-161 ; 18, p. 210-211. Psychanalyse, II, p. 238-252.
3. Voir «A propos de la crise épileptique. Observations et réflexions », rédigé vers 1921,
publication posthume, 302, Psychanalyse, III, p. 143-149.
4. Il s'agit du cas d'un « meurtrier en série » désigné comme « le plombier de Cinkota ». Béla
Kiss (1877-1915), après avoir assassiné de nombreuses femmes, dissimulait les corps dans des
tonneaux. Au moment où ses crimes furent découverts, l'assassin était déjà mort dans un camp
de prisonniers de guerre. Les journaux, rapportant l'événement avec force détails, prétendirent
qu'avant d'achever ses victimes, le meurtrier les hypnotisait (Vildg[Monde], Il,
12, 13, 14 mai 1916).

609 F
ProfDr Freud

le 14 mai 1916
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Jones : 69 Portland Court, London W
Van Emden : Jan van Nassaustraat 84

J'ai l'intention d'arrêter mon travail comme d'habitude, le 15 juillet.

Projets pour l'été: aller à Karlsbad, si on ne me le déconseille pas à cause de l'irritation de la


vessie. Dans ce cas, peut-être Gastein.
Rien de neuf, rien de réjouissant, et vos nouvelles non plus, je ne les trouve pas
satisfaisantes.
Madame le Dr Freund est très obstinée, mais elle est en bonne voie, succès prévisible.
Pas plus que les notes de Pierce Clark', vos notes sur l'épilepsie ne me donnent l'impression
qu'elles contiennent la clef de l'énigme.
Abraham m'a envoyé, comme cadeau personnel, un très bon article sur l'ejaculatio praecox * 2.
Heller s'est marié 2,il s'est de nouveau humanisé, mais il fait peser la
menace de nouvelles difficultés et restrictions en ce qui concerne nos périodiques, dont
j'entendrai parler d'ici peu. L'impression des Conférences va très lentement, mais à quoi d'autre
peut-on s'attendre ?
Je vous salue cordialement,
votre Freud
* En latin dans le texte: éjaculation précoce.
L. Pierce Clark (1870-1933), neurologue et psychanalyste de New York; consultant en
neurologie au Manhattan State Hospital, spécialiste de l'épilepsie. Premier traducteur
d'Inhibition, symptôme et angoisse en anglais (Freud, 1926d 11925], op. dt.). Voir la reproduction de
sa conférence sur « Études psychologiques sur la nature et la pathogenèse de l'épilepsie»
(Zeitschrift, 1915, 3, p. 175179) où il tient comme mobile essentiel « dans toute crise d'épilepsie
authentique 1...] la tentative inconsciente de retourner à la vie intra-utérine » (p. 176).
« De l'éjaculation précoce » (Abraham, 1917, 54), paru dans la Zeitschrift (1916-1917, 4, p.
171186).
Après la mort de sa première femme Hermine (nom de jeune fille Ostersetzer, 18741909),
peintre et graphiste, Heller a épousé, en février 1916, Hedwig Neumayr (1881-1947). Le
surlendemain, ils furent tous deux invités chez Freud. (Notes sur le calendrier de Freud, LOC.)

610 Fer
Grand Hötel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, le 30 mai 1916

Cher Monsieur le Professeur,


C'est presque arrangé (le chef du service de santé me l'a promis en personne), j'obtiendrai une
permission de trois semaines à partir du 15 juin. Je voudrais – comme je vous l'ai déjà écrit – passer
ce temps en traitement chez vous, et je vous prie de me réserver deux séances par jour. Mon long
silence est manifestement une préparation à une abondance de paroles pendant les séances. Aussi
bien, cette fois je n'écrirai rien sur moi-même; à vrai dire, nous entendrons suffisamment parler de
ma précieuse personne.
Mais il faut que je vous fasse part de deux événements bouleversants, tous deux survenus dans ma
propre pratique. – Un patient, médecin, cocaïnomane, a commencé sa cure en même temps que la
désintoxication. La résistance, autrefois insurmontable (il avait tenté une analyse chez moi
auparavant), a fait place brusquement à des abréactions et des perceptions surprenantes et
intempestives, jusqu'à ce qu'il aboutisse à un état de démence paranoïde. L'arrêt immédiat de l'analyse
et une dose copieuse de cocaïne lui ont rendu son bon sens. Il est maintenant à Purkersdorf'. Mon
ami, dont je vous ai souvent parlé, le lieutenant Barthodeiszky de Pàpa, qui est devenu analyste avec
une remarquable absence de résistance, est tombé, après un conflit avec le commandant, dans un état
d'excitation maniaque, montrant des traits franchement paranoïdes et homosexuels.
Hier, je suis allé le chercher à Papa pour le conduire dans une clinique à Budapest. Autrefois,
le Dr Barthodeiszky était aussi un buveur.
Je crois que la prédilection des paranoïaques latents pour les poisons
(cocaïne, alcool) est en rapport avec la symbolique de l'empoisonnement (=
fécondation).
Curieusement, on m'a proposé aujourd'hui un troisième cas analogue pour une cure, et je l'ai
refusé. Il s'agit d'un jeune psychiatre et écrivain qui a publié, il y a six ans déjà, un gros livre sur
la psychanalyse d'une paranoïaque 2. Il s'est révélé être un morphinomane et, depuis quelque
temps, on constate chez lui des traces d'un délire de persécution. Bien sûr, il prend parti dans ce
livre contre l'origine purement sexuelle des névroses.
En s'intoxiquant avec des drogues ou de l'alcool, il semble que le paranoïaque éprouve des
satisfactions qui lui procurent, d'une certaine manière, un sentiment de satisfaction passive et de
fécondation. La combinaison de l'homosexualité et de l'antialcoolisme, comme chez le Dr Stein et
beaucoup d'autres, serait à considérer comme une fuite devant ces mêmes sensations.
Pour tout le reste, à bientôt j'espère, à Vienne.
Avec beaucoup de salutations de
votre Ferenczi

La maison de santé de Purkersdorf, à la périphérie de Vienne (où travaillait Elisabeth Révész ;


voir 630 Fer et 707 Fer).
Jôzsef Brenner (pseudonyme : Géza Csàth), Egy elmebeteg nit naiblôja, Csàth Géza ismeretlen orvosi
tanulmànya (Journal d'une aliénée), Budapest, 1912, rééd. Budapest, Magvetö, 1978. Sur J.
Brenner, voir t. I, 284 Fer et la note 2.
11F
ProfDr Freud

le 1" juin 1916


Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Comme c'est ce que vous voulez – et si votre destin le permet, je vous réserverai donc, à
partir de la mi juin, deux séances par jour. J'espère qu'on vous verra aussi beaucoup
autrement, et j'aimerais que vous preniez au moins un repas par jour chez nous. La technique
exigera cependant qu'en dehors des séances rien de personnel ne soit abordé.
A propos du premier de vos deux cas bouleversants, je voudrais faire la remarque suivante:
l'intoxication à la cocaïne, par elle-même, et donc l'abstinence également, conduisent à
l'apparition d'une maladie paranoïaque, ce que j'ai malheureusement vu moi-même chez l'un
de mes premiers cas'. La rapidité du rétablissement après administration de cocaïne est très en
faveur de cette conception, et à la décharge de l'analyse. Cette
dernière est, du reste, peu appropriée au traitement des intoxications,
car tout mouvement de résistance se termine en rechute.
Nous avons vécu des moments d'inquiétude, ici, avec Heller qui avait l'air de se mettre
définitivement en grève. Mais tout s'est apaisé, et les deux périodiques sont assurés de
continuer à paraître. Son mariage avec une demoiselle très distinguée, plus toute jeune,
petite-fille de Ed. Suess 2, semble avoir une très bonne influence sur lui. La première livraison
des Conférences est terminée et prête à la vente dans deux semaines.
Nous avons très peu, c'est-à-dire très rarement, de nouvelles de nos garçons qui participent à
la grande offensive 3. Mon gendre continue à ne pas bien aller, ce qui devrait aussi avoir
quelques conséquences favorables. Mon envie de travailler a enfin cessé, j'ai largement assez
de matériel pour l'été, je n'y touche pas maintenant.
Je ne sais pas si j'ai déjà eu l'occasion de vous dire que nous
partirons pour Gastein le 15/7 4.
Il n'y a pas de doute que Madame von Freund s'en sortira bien. Ce fut un travail dur,
plein d'enseignements, rien n'aurait pu être fait en moins de temps.
Je vous salue cordialement et j'attends encore de vos nouvelles
avant votre arrivée.
votre Freud
Ernst Fleischl von Marxow (1846-1891), physiologiste et physicien, assistant de
Brücke, ami intime de Freud. Souffrant atrocement à la suite de l'amputation d'un
pouce, il devint morphinodépendant. Aussi Freud lui donna-t-il de la cocaïne ; Fleischl
devint alors cocaïnomane. Voir Jones, I, p. 49, 88-89, 91, 99 et 100-101.
Eduard Suess (1831-1914), géologue et paléontologue éminent de son temps. De 1857 à
1911, professeur à Vienne et président de l'Académie des sciences de cette ville. A partir de
1873, député libéral au Reichstag autrichien.
Il s'agit de l'offensive des troupes austro-hongroises dans le Tyrol du Sud, depuis le 15 mai.
En réalité, Freud se rendit d'abord, le 16 juillet, à Salzbourg (où il résida à l'hôtel Bristol, lieu
de la première rencontre internationale des psychanalystes en 1908), et seulement le 20 août
à Gastein. Le 12 septembre, il revint à Salzbourg pour regagner Vienne le 15 septembre. (Notes
sur le calendrier de Freud, LOC.)

612 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, le 7 juin 1916


Cher Monsieur le Professeur,
La permission a été accordée. J'arrive le 13 ou le 14 au soir à Vienne', et je pourrai peut-
être avoir mes premières séances dès le 14. Je vous préviendrai par télégramme.
Je descendrai tout d'abord à l'Hôtel Regina, mais j'aimerais plutôt loger
dans une bonne pension, quelque part dans la verdure, à la périphérie de la ville.
Cordiales salutations de
votre Ferenczi

1. Ferenczi arriva le 13 juin (notes sur le calendrier de Freud, LOC).


Budapest, le 10 juillet 1916

Cher Monsieur le Professeur,


Après avoir admis que l'idée de ne pas devoir vous écrire avant de pouvoir rendre compte d'une
période assez longue correspondait à une tentative de maintenir la résistance psychanalytique, j'en ai
eu bientôt tant à raconter que continuer à remettre à plus tard m'a paru dépourvu de sens.
Avant tout, je crois pouvoir constater que ces trois semaines ont été les plus décisives de ma vie et pour
ma vie. Je trouve ma disposition psychique changée à l'égard de presque toutes choses et de toutes
personnes. Aujourd'hui, j'ai dit à Gizella que j'étais devenu un autre homme, moins intéressant mais plus
normal. Je lui ai avoué, aussi, que quelque chose en moi regrette l'homme d'avant, un peu instable mais
tellement capable de grands enthousiasmes (et, à vrai dire, souvent inutilement déprimé). J'ai retiré ma
libido de nombreux objets – lui ai-je dit – et ne l'ai pas encore accrochée à de nouveaux. Je sais que c'est
la répétition d'aveux antérieurs analogues, mais ces derniers étaient alors couronnés d'insuccès si
lamentables que je me hâtais de me rétracter. Par exemple: 1) par la destruction du journal sur mes
doutes intérieurs, 2) par ma soudaine infidélité avec Elma, 3) par les tentatives répétées d'infidélité avec
d'autres personnages féminins, etc. Cette fois-ci, je ne me suis pas rétracté et je ne me rétracte pas mais,
au contraire, je crois et j'espère que ce qui me lie encore réellement à G. parviendra à s'exprimer sans
obstacles. Si cela devait se révéler illusoire, je n'hésiterais pas à en tirer les conséquences. – Je pense
malgré tout que votre incertitude sur la question de savoir si l'on écrivait « Thursdai » ou « Thursday » se
rapportait bien – et à juste titre – à mon cas'.
L'amélioration des symptômes pseudo-organiques persiste. Cette nuit, j'ai eu un sommeil angoissé d'un
genre dont je ne vous ai pas encore parlé, accompagné d'un rêve. Sans doute une indication qu'il me
reste encore du travail à faire sur moi-même. Si vous le permettez, au lieu de faire une simple auto-
analyse, j'ai l'intention d'essayer d'analyser les événements importants dans les lettres que je vous
adresse ; le transfert va sûrement me « féconder ».
Mais, pour cette fois, je vais encore m'abstenir.
Les quatre séances dont je dispose sont de nouveau remplies. Vos Serbes
ne se sont pas montrés. J'ai dû constater (après la première journée d'analyse) que j'avais une attitude plus
tempérée à l'égard des patients. Il faut attendre pour savoir si cette attitude sera utile ou nuisible à la cure. J'ai
aussi noté quelques lignes, manifestement afin de me prouver à moi-même que je suis resté capable de
produire. Je crois que vous approuverez mon idée de rapporter les fluctuations de la folie maniaco-dépressive à
la périodicité des temps du rut chez nos ancêtres. Je pense A naturellement que ces périodes, quant à elles, sont
déterminées par le monde extérieur astronomique et géologique. Toutes les causes par ailleurs reconnues ou
admises de la manie-mélancolie ne sont pas affectées par cette hypothèse ; elle n'a pour but que de renvoyer à
cette autre périodicité, en tant que modèle de la périodicité ultérieure.
Le sentiment de reconnaissance que je vous dois pour votre aide amicale me pénétrera de plus en
plus, je l'espère. En attendant, la rupture de notre relation de patient à médecin a été trop soudaine
pour ne pas provoquer un certain effet de choc.
Sur le plan de la théorie, il est très intéressant d'apprendre pourquoi le patient en psychanalyse ne peut pas être
reconnaissant à son médecin. Il est vrai que le médecin l'a « rendu à la santé », autrement dit lui a enseigné de
faire face aux exigences réelles de la vie. Mais il lui a enlevé la jouissance qui, dans l'inconscient, accompagnait
tous ses symptômes, aussi désagréables ou même mortels qu'ils aient été. Celui qui était resté un enfant, donc
un être humain insouciant au fond, l'analyse le transforme soudain en quelqu'un d'autre, qui devient vraiment
conscient de toutes ses responsabilités.
Cet aveu est à mettre en parallèle avec celui que j'ai fait à Madame G. Il signifie : demander pardon aux
personnes des deux sexes, si d'aventure je ne les aimais pas tout autant dans l'avenir que jusqu'alors. En
revanche, ce qui reste sera libéré de l'ombre qui, de l'inconscient, tombait sur tous les mouvements
affectifs. Bon, nous verrons bien. Je ne veux pas prendre de résolutions, mais attendre ce qui viendra.
Beaucoup de salutations profondément sincères de votre – tout de même très reconnaissant
Ferenczi

A. Lecture incertaine entre denke (je pense) et deute (j'interprète). Le mot a été introduit après coup, à la
place du mot barré sind (sont).
1. Probablement une allusion à l'orthographe du nom de Ferenczi. Selon le témoignage de Magda
Ferenczi, fille cadette de Gizella, le père de Ferenczi, démocrate convaincu, aurait refusé d'écrire son nom
avec un « y » à la fin (signe de noblesse), comme on le lui avait proposé au moment de changer son nom de
Fraenkel en Ferenczi. (Voir J. Dupont, « Les sources des inventions », Ferenczi/Groddeck, Correspondance,
Paris, Payot, 1982, p. 29.)
614 F
Prof. Dr Freud

le 13 juillet 1916
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
La correspondante suédoise ' sort de chez moi, malheureuse que vous n'ayez pas répondu à la
lettre qu'elle vous a adressée à l'hôpital Maria Valeria 2. Elle a grand besoin d'une 'IDA et pourrait
être intéressante. Si vous le pouvez, acceptez-la donc. Moi non plus, je n'ai plus entendu parler des
Serbes. La Suédoise devrait être mieux et, de plus, tout à fait capable de payer.
La première livraison des Conférences est assurément entre vos mains. Avec la Zeitschrift il
nous est arrivé un malheur qui va de nouveau nous coûter quatre semaines. Prochaska 9 n'a pas
reçu (?) les épreuves corrigées, envoyées le 31 V. En revanche, il a envoyé de vieux feuillets que
j'ai dû corriger de nouveau depuis le début et qui ne peuvent pas encore être imprimés. Aussi,
Heller devra-t-il faire suivre le deuxième cahier immédiatement après le premier.
Nous comptons partir dimanche' après-midi. Minna et Anna ont déjà quitté
Weissenbach/Attersee 5 et nous retrouvent à Salzbourg. Anna viendra probablement avec
nous à Gastein.
Je n'ai pas besoin de vous dire tout l'intérêt que je trouve à votre lettre. Pour le reste,
nous verrons.
Hier, une lettre de Jones 6, par l'intermédiaire d'Emden, chaleureux comme toujours; il a onze
séances d'analyse, ne travaille à rien d'original, lit beaucoup, s'est acheté une petite auto et un
cottage à quatre-vingt-dix kilomètres de Londres, pour y passer le samedi et le dimanche. Encore
et toujours l'heureuse Angleterre. Cela ne ressemble pas à une fin de guerre.
Je vous salue cordialement. Prochainement une carte de Gastein avec
adresse.
Votre Freud

I1 s'agit de Mme Helberg ou Hellberg, la «Suédoise» souvent mentionnée par la suite.


Voir 592 Fer, note 5.
L'imprimerie. Voir 603 F, note 3.
C'est-à-dire le 16 juin.
Localité dans le Salzkammergut.
Lettre du 30 mai 1916. Freud/Jones, Correspondance, p. 318.
615 F A
Hôtel Bristol
Salzbourg, le 22 juillet 1916

Cher Ami,
Refroidis par Gastein après une brève visite, nous avons élu domicile, pour un peu plus longtemps
(à quatre), ici à l'Hôtel Bristol, où s'était tenule premier congrès. Au moins sommes-nous nourris et
bienvenus. Les séjours à la campagne présentent, cette année, trop de difficultés. Sinon, rien de neuf
et pas grand-chose de bon. Écrivez bientôt
à votre Freud qui
vous salue cordialement.

A. Carte postale.

616 Fer
[Budapest,] le 28 juillet 1916

Cher Monsieur le Professeur,


Il est vrai que votre carte est arrivée ici avec un grand retard, mais il y a longtemps que j'aurais pu
y répondre — si je n'avais voulu exprimer quelque chose de spécial avec ce retard, à savoir que, de
mes symptômes passés, il en est deux, essentiels, qui subsistent toujours : l'incapacité à me décider
dans le problème du mariage, et l'incapacité à travailler. Le parallèle entre les deux symptômes est
trop criant pour qu'il ait pu m'échapper. Mais le rapport plus profond manque encore. C'est pourquoi
j'ai pris la décision suivante : j'ai le droit de prétendre encore à deux semaines de permission
supplémentaires dans le courant de l'année. J'ai l'intention de les prendre fin septembre (ou début
octobre) et de les consacrer à finir ou à parfaire ma cure. Mais je ne voudrais pas renoncer à votre
visite promise à Budapest!
Une autre modalité (bien plaisante) serait la suivante: nous pourrions passer les deux dernières
semaines de vos vacances ensemble dans les Alpes ou les Carpates ; être ensemble et poursuivre la
cure font bon ménage, nous l'avons vu à Vienne. Mais je crains que cela ne vous convienne pas de
combiner ces deux semaines de vacances avec des séances d'analyse.
1916 155

C'est incroyable, tout ce que je dois à la précédente analyse pour ma technique analytique. Il me
semble que c'est maintenant seulement que je saisis l'importance de la répétition pendant la cure,
dans toute sa profondeur. (Symptômes nasaux, insomnie ont presque complètement disparu.)
Je regrette vivement que vous ayez dû vous contenter de Salzbourg, bien que cette petite
ville soit des plus aimables.
J'ai lu les Conférences avec le plus grand plaisir. Dommage que nous devions attendre
pour la suite. Mon libraire, Dick, en a déjà vendu trente exemplaires. La Zeitschrift n'est
toujours pas arrivée.
Le dessinateur du « Rêve de la bonne française » m'a apporté toute une série de dessins de rêves.
Certains d'entre eux sont d'excellentes représentations de rêves. Pourrions-nous les reproduire dans «
Imago », avec un commentaire de ma part? L'artiste (Honti 1) vous a dédié le dessin original du « Rêve
de la bonne française ». Lorsque vous viendrez à Budapest, je vous le donnerai – car je ne veux pas le
confier à la poste.
Cordiales salutations pour vous et les vôtres, de
Ferenczi

1. Nändor Honti (1878 -1935), peintre et dessinateur hongrois. Après la Première Guerre
mondiale, il émigra aux États-Unis. Pour la « bonne française », voir t. I, 216 F et la note 1.
17 F (à Madame G.)
Prof. Dr Freud

le 31 juillet 1916
Vienne, IX. Berggasse 19

Chère Madame,
Je me relève aujourd'hui d'une fièvre de deux jours, due à la grippe, mais je ne veux pas
vous laisser attendre ma réponse'. Ne vous étonnez donc pas si mon écriture est encore assez
chancelante.
Je craignais de devoir vous conseiller, mais non, vous me demandez seulement de répondre
à une question: est-il juste de votre part de vouloir attendre le retour de votre fille ? Peut-être
puis-je encore porter un jugement là-dessus : il ne s'agit pas de dire si c'est juste ou non, mais
d'interpréter, de traduire ce que cela veut dire.
Peut-être avez-vous raison, mais il semble tout de même indubitable que cette proposition veut
dire « non ». Pensez-vous donc attendre six ou neuf mois de plus après avoir déjà attendu tant
d'années, et attendre quoi? Cette même fille qui s'est déjà interposée une fois entre vous deux, et qui
le refera immédiatement, autant par sa propre volonté que par votre consentement à tous deux.
S'agit-il d'autre chose que de cacher le non derrière un report qui conduira peut-être à une nouvelle
motivation du non?
Je ne méconnais pas le fait que vous continuez simplement à jouer un
rôle que l'autre partie a longtemps joué contre vous pour votre douleur, et qu'une telle
revanche est psychologiquement pleinement justifiée. Vraiment, si vous êtes, tous deux,
encore tellement proches du « non », je ne sais pas si le refus n'est pas l'attitude juste de votre
part. Vous devez simplement savoir que c'est un refus.
Après m'être abstenu pendant de longues années, je me suis enfin aventuré à donner un conseil à
notre ami, parce que j'ai cru m'être forgé entre-temps la conviction que rien d'autre n'était possible
et parce que, d'une façon générale, j'ai été amené à croire à la fin prochaine de toute chose – entre
autres la jeunesse. Maintenant, je suis effrayé et je voudrais n'avoir rien conseillé du tout. Non par
lâcheté, en raison de la responsabilité, mais parce que je me sens hésitant et, naturellement, bien
trop engagé pour pouvoir juger en toute certitude de ce qui serait le mieux. Le destin a noué là, avec
Elma, un noeud qu'une personne extérieure aura du mal à dénouer. Mais votre sentiment doit avoir
plus de valeur que nos spéculations. Alors, pardonnez-moi mon indécision.
En cordiale amitié,
votre Freud

1. Aucun écrit de Gizella Pälos n'a été retrouvé.

618 F
H.[ôtel] Bristol
Salzb.[our]g, le 2 août 1916

Cher Ami,
Votre projet de consacrer encore deux semaines de permission à l'analyse a toute mon approbation.
Où et quand, cela dépendra des circonstances extrêmement fluctuantes de cet été. Il est possible
que, fin août, nous allions quand même tous deux à Gastein, jusqu'à la mi-septembre; les séances
d'analyse ne s'accorderaient pas avec cela; ma femme serait toujours seule. Elle pourrait trouver sa
place dans tout autre arrangement. Cependant, à partir de la mi-septembre, nous devrions, de toute
façon, être de retour à Vienne.
Salzbourg est très beau, mais on ne peut pas marcher dans la chaleur,
c'est ainsi dans tout le Salzkammergut, cela ne change qu'en altitude.
J'ai déjà écrit, ici, trois conférences qui m'ont donné bien du mal. Je ne laisse pas Heller
tranquille, même pas pour deux jours. Il assure qu'on peut compter sur la Zeitschrift d'un
jour à l'autre. J'accepte volontiers le dessin de Honti et je vais lui trouver une place d'honneur,
bien en vue. Si je ne peux venir à Budapest, c'est vous qui me l'apporterez.
Nous attendons Ernst, qui doit être en permission à partir du 4.8 et qui
se trouve déjà à Bolzano'. Par ailleurs, l'animation ne manque pas. Il faut,
par tous les moyens, se soustraire à l'affreuse tension qui règne dans le
monde extérieur; ce n'est pas supportable.
Je vous salue cordialement, votre
Freud

1. Le 7 août, Ernst, tout juste promu lieutenant, est arrivé en permission à Salzbourg, pour passer
ensuite quelques jours avec Anna dans la région d'Aussee (notes sur le calendrier de Freud, LOC).
Budapest, le 14 août 1916 A

Cher Monsieur le Professeur,


Je suis heureux qu'en ces temps difficiles vous puissiez au moins vivre dans un environnement
amical, et travailler. Quel dommage que je ne sois pas en mesure d'assister à la naissance de vos
conférences. Les beaux jours de Berchtesgaden' ne veulent pas revenir.
Mes matinées s'écoulent de façon monotone: rien que du travail administratif à l'hôpital. En ce
qui concerne la névrose traumatique, je ne suis pas arrivé au-delà de ce que je vous ai déjà dit. Il y a
des collègues qui font état d'excellents résultats thérapeutiques, grâce à des courants électriques de
forte intensité. Je n'ai pas envie de participer à ce traitement ; j'y répugne autant qu'à l'hypnose ou
à la suggestion.
L'après-midi, de 2 à 6, les analyses. Celles-ci, à vrai dire, vont bien. L'intérêt pour les finesses de la
technique est venu remplacer mes intérêts bio-psychologiques d'avant. Mais après 8 heures du soirje
ne fais plus rien, je passe mon temps dehors jusqu'à 11 heures, la plupart du temps avec Madame G.
J'ai prévu les deux semaines de vacances pour la mi-septembre, et j'irai où vous serez. Le mois
de septembre peut être très beau en Hongrie. Si les Carpates sont encore à nous, nous pourrions y
passer deux semaines splendides dans l'excellent Grand Hôtel (Tàtrafüred ou Tàtralomnicz).
Le Dr Lampl 2 a eu la gentillesse de me rendre visite, de passage de la Bosnie vers Vienne. Rank
m'écrit à l'instant qu'il viendra à Budapest pourla conférence du Danube 3 (au début de septembre).
Je vais prier Sachs de fixer pour ces mêmes jours la visite qu'il a promis de faire à Budapest.
Avec mes plus cordiales salutations,
votre Ferenczi

A. Date et lieu à la fin de la lettre.


Allusion aux vacances passées ensemble en 1908.
Hans Lampl (1889-1958), docteur en médecine, camarade de classe et amide Martin Freud. En
1921, il entreprend sa formation analytique avec Hanns Sachs à Berlin. En 1925,
il épouse Jeanne de Groot, également psychanalyste, qui avait été en analyse avec Freud. En
1933, il regagne Vienne puis, en 1938, s'installe aux Pays-Bas.
3. Il est probablement question du colloque réunissant les représentants de Vienne, Regensburg
et Budapest, le 4 septembre 1916, sur le thème du développement de la navigation sur le Danube.

620 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, le 27 août 1916

Cher Monsieur le Professeur,


Mon congé du 15 septembre au 1°r octobre est presque assuré. Je vous serais très reconnaissant de
me faire savoir si vous serez déjà à Vienne à ce moment-là – et sinon, où vous vous trouverez.
A peu d'intervalle, j'ai reçu des cartes de deux de vos fils. D'Ernst envoyée de Vienne, et d'Oliver de
Cracovie. Rank arrive le 4 septembre à Budapest, à l'occasion de la conférence du Danube, et j'ai
aussi invité Sachs pour ces jours-là. Dommage que vous ne puissiez être ici, pour présider la réunion
de la rédaction'.
De moi-même il y a peu à dire. Physiquement, tout est parfait. Tous les troubles sont
comme envolés. Ces derniers temps, je suis aussi intellectuellement plus mobile ; quelques
très bonnes idées (à ce que je crois) me sont venues. Les analyses vont très bien. Ce qui
persiste encore, c'est l'inhibition devant l'écriture et l'indécision consciente.
Les discours au Parlement 2, la semaine dernière, étaient d'une franchise rafraîchissante.
Mais on se demande si cela changera quelque chose à la situation.
J'attends de vos nouvelles. Ce serait bien de joindre l'utile (la cure) à l'agréable (un voyage
en commun).
Cordiales salutations de
votre Ferenczi
I. Rédaction de la Zeitschrift.
2. Ferenczi fait probablement allusion au discours de Mihäly Kérolyi au Parlement, le 23
août, où celui-ci exigeait une paix séparée et des réformes internes. En juillet 1916, KSrolyi, le
futur dirigeant de l'opposition démocratique, avait fondé son propre parti: « Les Indépendants
de 1848 ».
21 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, le 9 septembre 1916

Cher Monsieur le Professeur,


Hier, 8 septembre, j'ai maintes fois repensé à nos beaux voyages en Italie ;
en fait, nous aurions dû nous trouver en ce jour à Santa Maria del Popolo.
Il est évident que le voyage s'accorde mal avec l'analyse ; c'est pourquoi je
renonce à ce projet — même si c'est à contrecoeur — et je crois que j'arriverai
à Vienne le 22-23 septembre, afin de poursuivre la cure. Entre-temps, j'aurai
sans doute eu de vos nouvelles concernant votre retour à Vienne.
Compte tenu du peu de temps qui me sépare de l'analyse, il ne vaut plus la
peine de parler de mon état, etc.
Ces derniers temps n'ont pas été pauvres en événements extérieurs. La
déclaration de guerre de la Roumanie et son agression 1 nous ont touchés de
près. Si tout n'est pas trompeur, c'est à l'Est qu'interviendra la grande décision.
Il semble qu'un plan Hindenburg 2 de grande envergure se prépare là-bas.
Cordiales salutations de
votre Ferenczi
Nous avons passé une journée plaisante avec Rank s.

La Roumanie déclara la guerre à l'Autriche-Hongrie le 27 août. Les combats commencèrent le


29 août tout le long de la frontière hungaro-roumaine.
Paul von Beneckendorff und von Hindenburg (1847-1934), maréchal (depuis 1914)
puis, plus tard, président du Reich (1925-1934). Le 22 août 1914, il partageait avec
Erich Ludendorff (1865-1937) le commandement du 8' corps d'armée, qui remporte de
grands succès sur le front de l'Est. Entre 1916 et 1918, tous deux prennent en charge
le 3' commandement supérieur qui, fortement influencé par la grande industrie,
décide de la planification et de la conduite de la guerre. Après la défaite, il ne perdit
rien de sa popularité et, malgré ses sympathies monarchistes bien connues, devint le
deuxième président de la République de Weimar, en 1925. En 1933, c'est lui qui
nomma Hitler chancelier du Reich.
Le 4 septembre, Rank quitta Vienne pour effectuer un séjour à Constantinople, en
passant par Budapest (Freud à Eitingon, le 26 août 1916, SFC). Il rentra à Vienne le
18 septembre (notes sur le calendrier de Freud, LOC).
622 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, le 15 septembre 1916

Cher Monsieur le Professeur,


Je pense que vous êtes déjà de retour et que vous vous trouvez dans votre cabinet de
travail, en bonne forme. Pour certaines raisons pratiques, je repousse mon voyage jusqu'au
25 de ce mois' – mais je vous prie de me réserver trois
heures par jour (1 1/2 + 1 1/2/ ou 1
+ 2). Je n'ose vous demander de m'en accorder quatre.
J'ai aussi dirigé Mademoiselle Schwarz, de Szolnok, vers vous. C'est tout de même mieux si elle
continue le travail avec vous. J'ai aussi remarqué son hésitation et je n'ai fait que soutenir son
propre désir par ma décision.
J'aurais beaucoup à raconter, mais je remets le tout pour la cure.
A très bientôt,
votre Ferenczi qui vous salue tous

1. Freud est rentré à Vienne ce même jour (15 septembre) ; cependant, Ferenczi ne put arriver chez
Freud que le 29 septembre, pour la troisième tranche de son analyse. Le 13 octobre, il fut de retour
à Budapest (notes sur le calendrier de Freud, LOC ; Freud à Abraham du 26 septembre 1916, FM ;
Eitingon à Freud, du 9 octobre 1916, SFC). Pendant son séjour à Vienne, Ferenczi assista à la
première réunion de l'année 1916-1917 de l'Association de Vienne (Minutes, IV, p. 339).

623 Fer
Budapest, le 17 octobre 1916 Le soir,
11 h 15

Cher Monsieur le Professeur,


Je n'ai pas trouvé le temps d'écrire jusqu'à cette heure car, au lieu de mon ancienne chambre
spacieuse, j'ai été logé dans une chambre sombre et inconfortable, et ce n'est que cet après-midi que
j'ai pu me réinstaller dans ma pièce habituelle. Il y avait sûrement aussi des raisons intérieures pour
remettre ma lettre à plus tard, comme, par exemple, de vouloir laisser passer un peu de temps avant
de me décider à vous faire un compte rendu, pour ne pas vous donner une fausse image de la
situation telle qu'elle a évolué.
Je commence par le plus important. La première rencontre avec Gizella fut plutôt froide (en ce qui me
concerne). Mais l'après-midi et le soir nous avons fait une promenade dans la région même qui avait été le
théâtre de notre union en 1900 ; et là, je me suis réchauffé ou, plus exactement: une soudaine explosion de
sentiments s'est produite, avec demande en mariage, projets d'avenir, etc. Le jour suivant, de la même
manière, d'abord la résistance puis le dégel. Le coït, il est vrai, ne fut pas satisfaisant (à cause d'une gêne
locale, herpès du pénis), mais cette fois l'épuisement habituel après les rapports ne se manifesta pas. La
respiration nasale est presque toujours complètement libre, comme elle ne l'a pas été depuis des temps
immémoriaux. Je me soustrais assez bien aux velléités hypocondriaques grâce à l'interprétation narcissique;
de temps en temps, je tâte encore ma thyroïde et je contemple mon exophtalmie. Ce qui est remarquable,
c'est la diminution de la sensation de fatigue qui s'installait si rapidement autrefois, et qui devait être
essentiellement une hypersensibilité narcissique. La compulsion à boire et – peut-être – la tendance à
manger vite sont bien moins prononcées qu'avant. Lorsque ces symptômes se manifestent, je peux toujours
les ramener à une dépression émotionnelle actuelle.
Je note que pour le moment je n'ai pas trouvé le ton avec vous. Apparemment, le passage de l'enfant qui se
confesse à l'ami qui écrit des lettres a été trop rapide. Je me permets donc – du moins pendant un temps –
d'associer librement; et ce que je veux taire finira bien par sortir [Amais est-ce que je veux taire quelque
chose ? – je devrais en avoir déjà fini avec mon analyse, n'est-ce pas ? Du moins c'est ce que vous dites.
Moi aussi, je note les progrès, mais je ne suis toujours pas tout à fait capable d'agirl. – Je m'arrête avec ce
genre d'« association libre ». Celle-là non plus ne conduitpas au but – j'essaierai plutôt de continuer à
rendre compte, en résumant.
J'ai failli oublier le plus important: Gizella a fait quelques difficultés lorsque j'ai parlé d'un projet de
mariage. Elle veut, comme elle dit, assurer un foyer à Elma qui pourrait (éventuellement) se séparer de
son mari et revenir en Europe (ce qui, cependant, n'est pas du tout vraisemblable). Son refus m'a piqué
au vif et poussé à insister plus vigoureusement – mais lorsque enfin elle a cédé, je me suis un peu
refroidi (la fameuse histoire: tantôt c'est lui, tantôt c'est elle, tantôt c'est le rabbin qui ne veut pas).
Ce qui est frappant en tout cas, c'est que je trouve G. beaucoup plus jolie qu'avant. Le regard cruel et
aigu sur tous les plis et toutes les rides qui témoignaient de son âge a fait place à un jugement plus
clément. Dans l'ensemble, je crois que je peux définir la situation de la manière suivante : la libido s'est
certes déjà un peu retirée du Moi, mais elle n'a pas encore acquis la maîtrise des objets.
Dans les séances d'analyse, je remarque que je porte un jugement beaucoup, beaucoup plus tempéré sur le
cas des patients. A vrai dire, je perds aussi en partie, de ce fait, mon intérêt antérieur, presque passionné,
pour le travail analytique. C'est du moins ce que je note jusqu'à présent. C'est sûrement la conséquence du
refroidissement de la relation narcissique à tout ce que j'ai accompli moi-même. Ce serait dommage (grand
dommage !) s'il apparaissait que je ne peux, objectivement, mobiliser suffisamment d'intérêt pour le travail
scientifique et qu'en réalité je fais partie de ceux dont
les intérêts supérieurs sont pathologiquement déterminés et dont la
guérison entraîne le renoncement à certaines réalisations.
Il est possible, par ailleurs, que ceci soit une description par trop sombre et toujours hypocondriaque de
mon état. Je vais attendre et voir ce qui se produira par la suite.
J'interromps là ma lettre, et je la reprendrai prochainement (peut-être dans
de meilleures dispositions).

18 X, mercredi soir, 11 h 30

L'humeur est fort changeante. Hier et aujourd'hui, le thème connu de l'infidélité est revenu. Les prétextes: 1)
une jolie infirmière dans mon département, 2) une fille de salle en ce même lieu (que je n'ai pas pu
m'empêcher de peloter à l'occasion) et 3) (plus idéalement) – la Suédoise. Cette dernière m'a surpris par
l'aveu de son amour, dans une lettre, et ce en des termes si passionnément enflammés tout en étant
réfléchis et profondément ressentis, que j'en ai été captivé pendant un quart d'heure. Mais j'ai reconnu tout
de suite à quel point mon rôle était subalterne dans cette affaire, et la claire perception du caractère
transférentiel de son emportement m'a fait retrouver mon sang-froid. Elle retourne prochainement chez elle,
via l'Allemagne, – sans m'avoir revu.
La tentative de me mettre au travail se heurte toujours à des résistances. Les séances d'analyse, elles
aussi, n'ont plus pour moi le même attrait qu'avant. Mon intérêt n'est pas entièrement à ce que je fais.
Mais alors, où est-il? L'expérience m'a apporté la solution: après les séances, je rencontrais Gizella et –
tout d'un coup, j'étais de bonne humeur.
Ergo * : par mon analyse à Vienne, ma libido est devenue partiellement disponible. Les tentatives pour choisir
un nouvel objet ont échoué (comme toujours jusqu'à présent). En compagnie de Gizella, et d'elle seule, je suis
de meilleure humeur et je ressens en même temps de l'intérêt pour la science, etc. C'est donc d'elle qu'il me
faut m'assurer définitivement. Il semble que ma capacité à travailler dépende de mon mariage avec G. Je
prends la résolution de m'occuper enfin sérieusement de cette affaire demain. A vous je n'écrirai que si je
peux vous informer de quelque chose de positif. J'aurais quelque honte de n'avoir toujours pas acquis la
faculté de me décider, après tous ces efforts. Suite au prochain numéro.

19 au soir (minuit, avant d'aller me coucher)

Intérêt un peu accru pour le travail d'analyse. J'ai résolu aujourd'hui quelques
problèmes difficiles. Je constate que je continue toujours à approfondir ce qu'il y
a de plus immédiat à résoudre (avec tout mon narcissisme), mais que je ne survole
pas la marche générale de l'analyse, le « plan de guérison » que le patient s'est
choisi. Toutefois, voir cela de façon aussi précise est déjà un progrès. Aujourd'hui
: agréablement distrait du travail par une tâche militaire (l'accueil, à la gare, de
malades neurologiques et
psychiatriques). Aujourd'hui, j'ai de nouveau parlé sérieusement avec Gizella. Je voulais lui expliquer
qu'elle ne servait notre affaire que si elle ne manifestait pas trop de résistance, sinon, elle ne faisait
qu'augmenter les traces de résistance en moi. Il m'est venu à l'esprit qu'à la vérité j'avais voulu, dès le
départ, « sauter en marche » de ma liaison avec elle, et seul son comportement résolu m'a aidé à dépasser
le point critique névrotique. Sans doute en est-il de même avec le mariage. Si j'ai tant de mal à me décider
à agir, cela tient à la nature maternelle de sa relation à moi; c'est elle qui doit être la plus forte, c'est elle qui
doit commencer. Rentré chez moi après l'entrevue d'aujourd'hui, j'ai soudain retrouvé, cachée dans mon
portefeuille, la clef de ma grande armoire, que je pensais avoir perdue. Acte manqué présumé'.
Interprétation: 1) Dans les réflexions ci-dessus, j'ai trouvé la clef de mon avenir. 2) J'ai toujours possédé
cette clef, je n'ai fait que simuler sa perte (pour l'amour du père).
L'acte manqué B supposé est donc un acte bien réfléchi; l'accent porte sur le non-accomplissement de l'acte
manqué, et sur la mise en évidence de l'accomplissement. A cor et à cri j'annonce au monde entier: « j'ai
perdu la clef (qui conduit à la mère) » (c'est-à-dire, je n'ai rien à faire avec elle) ; en réalité je dis: « Comme
cela, je peux parfaitement tromper les gens ; en secret, je sais bien que je n'ai jamais perdu la clef. » Avec
le temps, j'ai réussi non seulement à tromper les autres, mais à me tromper moi-même (en croyant à mon «
désintérêt » pour la mère). La duperie consciente est devenue inconsciente (donc aussi de la duperie de soi).
Dans tout ce que j'ai écrit jusqu'à présent à propos de l'acte manqué présumé je me suis fourvoyé, même
si on peut y trouver du vrai. Ceci est ma première contribution scientifique depuis Vienne.
Celui qu'on suppose avoir accompli un acte manqué évoque un prestidigitateur; il
trompe tout le monde : l'argent était là, soudain il n'est plus là. – Abracadabra – Il
n'est pourtant pas perdu, il est ici dans la poche de ma veste. Il est remarquable,
en tout cas, que l'on puisse se jouer de tels tours à soi-même.
J'ai beaucoup de nouveaux patients. Les séances de l'après-midi sont pleines.
L'écrivain Lengyel 2 et un autre monsieur veulent faire une cure. C'est seulement
après mon entretien avec Gizella, et sous son influence, que j'ai reconnu qu'il était
de mon devoir d'envoyer ces gens chez vous. Apparemment, je ne veux rien donner,
ni renoncer à rien, je veux « écarter tout le monde » sans ménagement; c'est ainsi
que je voulais également filer avec votre argent (les honoraires). Je pense que cela
aussi révèle mon intention de faire prévaloir ma volonté sans tenir compte des
autorités, autrement dit enlever justement quelque chose à une autorité (au père).
Bonne nuit!!

20 X. Après-midi. Entre deux séances


(une patiente en retard).
164 Correspondance 1914-1919

concerne mon talent analytique. (Ces sentiments ont certainement aussi une justification objective.
Mais il est possible que je l'exagère maintenant névrotiquement, c'est-à-dire que je représente ainsi le
fait de « ne rien réaliser ».)
21 X. Le matin, à l'hôpital.

Goût au travail égale zéro C. En même temps, le sentiment que, si je voulais, je pourrais surmonter un peu
plus facilement ma paresse. Je suis seulement inhibé quand il s'agit de me décider à vouloir.
Dimanche 22 X. La nuit

Pour la deuxième fois avec G. Le premier coït tout à fait normal. Une différence essentielle avec ce qui se passait
avant: 1) le plaisir préliminaire– presque absent auparavant, notamment le plaisir de presser mon visage contre le
sien – a été très manifeste. A tel point que c'est à contrecoeur que je me suis décidé à accomplir l'acte sexuel,
alors que j'y étais tout à fait prêt. La satisfaction a été complète. Immédiatement après, persistance d'un grand
sentiment de tendresse (comme avant le coït). Voici l'idée qui m'est venue à ce propos : depuis plus d'un an et
demi je m'occupe du problème du coït, que j'ai voulu expliquer du point de vue biologique (en utilisant, il est
vrai, l'expérience 4oc). Je vous ai dit récemment que ceci était peut-être la réaction à votre déclaration, selon
laquelle vous ne pouviez pas expliquer la volupté (autrement dit, je voulais en savoir plus que vous). Cela ne
semble pas tout à fait juste. Premièrement, le problème du coït me préoccupait déjà auparavant 8 - si je me
souviens bien. Deuxièmement, j'avais aussi des motivations intérieures pour cela, semble-t-il (la concurrence
mise à part). Ce qui me vient maintenant à l'esprit, c'est l'opposition entre tendresse et sensualité, dévoilée par
vous comme étant le symptôme de fixation à la mère'. Il semble que pendant toutes ces années passées, je ne
me sois intéressé qu'à ce qui était purement érotique (génital) chez la femme, et particulièrement chez Madame
G. ; ceci se manifestait (outre le manque de sentiments tendres) par le fait que je m'occupais presque
exclusivement de la biologie de la vie sexuelle, mais que je négligeais la partie la plus délicate, psychique, de la
vie amoureuse, plus apparentée à la tendresse. L'intérêt particulier pour la tête (visage), qui vient d'apparaître,
fait pendant au processus de refoulement du haut vers le bas, qui sévissait jusqu'à présent, ou encore tout
récemment. A l'état de veille, aussi, j'ai dû me comporter comme ce rêveur incestueux qui ne peut jouir de son
objet d'amour que sans tête. – Normalement, pour l'essentiel, le Cs ne perçoit pendant le coït que les excitations
du plaisir préliminaire ; l'acte lui-même se déroule presque inconsciemment. Dans mon cas, l'acte était troublé
par une attention gênante à tous les processus génitaux.
Le deuxième coït fut une tentative consciente, mais sans succès ; on en vint à un acte qui n'en finissait pas,
où elle trouva son plaisir par deux fois, mais moi pas une seule.
Le soir, dîner avec Gizella et ses deux soeurs : Charlotte et Ilona, ainsi que la
tante Titi 5 ; ensuite nous sommes allés au café. Au moment de
quitter cet endroit, Gizella a fait tomber le parapluie que je lui avais rapporté de Vienne l'avant-dernière
fois, si bien que la poignée en écaille de tortue s'est fendue en deux. – Cela m'a fortement déprimé et,
lorsque nous sommes restés seuls, je lui ai expliqué la signification de cet acte symptomatique et lui ai
clairement montré que, sur ce point, son inconscient contredisait vigoureusement ses projets déjà arrêtés
(divorce, mariage) ; qu'à l'évidence, elle allait me faire payer maintenant toutes les humiliations et tous les
manques d'amour dont je m'étais rendu coupable à son égard – qu'à tout le moins son amour pour moi
avait, pendant ce temps si long, trop souffert pour qu'elle puisse décider facilement de se lier à moi. La
chute du parapluie - lui dis-je – montrait donc clairement ce qu'elle voulait exprimer par la mise en avant
de la personne d'Elma en guise d'obstacle.

Je ne voulais pas envoyer cette lettre avant de pouvoir faire part de décisions
définitives. Mais cet incident m'a montré que, pour tout régler, je devais encore
attendre que les choses se clarifient. En tout cas, j'ai déjà au moins obtenu – à ce
que je crois de ne plus être autant sous l'emprise de forces inconscientes et d'être
plus capable d'amour qu'auparavant. Je suis bien décidé aussi à ne pas laisser durer
beaucoup plus longtemps la situation actuelle. Ou bien nous réussissons à mettre
nos désirs à l'unisson, ou bien il faudra en arriver à une rupture complète de notre
relation. Curieusement, ma capacité à rompre s'est accrue en même temps que ma
capacité à aimer. A vrai dire, je n'aime pas penser à cette éventualité – très
franchement, elle me déprime. J'espère bien que nous n'en arriverons pas là.

Il semble que l'idée de l'onania perpetua (incompleta) ** – soit une petite découverte scientifique ; je l'avais trouvée.
dans mon propre cas et l'avais mentionnée – comme une supposition - (peut-être vous en souvenez-vous encore).
Ma « patiente au viol » – mais qui se masturbe jour et nuit – semble être une personne de ce genre. La cure était
bloquée depuis un certain temps. Pendant des heures, elle ne parlait que des performances artistiques et
humaines les plus élevées qu'elle avait accomplies ou voulait accomplir. – Je remarquai que pendant toute la
séance elle était allongée, jambes croisées, et je lui donnai l'ordre d'y renoncer. Vinrent alors une révolte et une
tentative de désobéissance, etc. Finalement elle baissa le ton et, d'un seul coup, le tableau de l'analyse changea:
elle se souvint de détails concernant l'histoire de son «viol », en particulier de ceux qui mettaient en évidence sa
complicité.Revinrent aussi des souvenirs écran érotiques de la petite enfance. A l'opposé du processus évoqué plus
haut d'un « refoulement vers le bas », il s'agissait chez elle d'un extraordinaire refoulement vers le haut. Jusqu'à
présent elle ne s'occupait, consciemment, que des «formations réactionnelles » (les « contre-investissements ») et, entre-
temps, une excitation génitale ininterrompue nourrissait son Ics, qui se déchargeait sur le mode moteur par une
masturbation continuelle. L'absence de satisfaction oblige maintenant le désir à devenir conscient ou, au moins, à
ce que des fragments du fantasme inconscient deviennent conscients 6. [Voir schéma p. 165.]
A l'occasion de ce cas, je me suis rappelé que je connaissais beaucoup
d'hommes qui gardent toujours une main dans la poche de leur pantalon
pour pratiquer constamment une semi-masturbation.

Le cas de Friedrich Adler m'a bouleversé. Malgré toute la folie qu'il y a derrière
(le meurtre du père), on sent dans cet acte une noble indignation, quelque
chose d'authentiquement héroïque. En savez-vous plus sur lui et sur son cas ?
Puisque vous connaissez son père. Celui-ci, en tout cas, est bien à plaindre'.
De prime abord, lorsque j'ai entendu le nom d'Adler, j'ai pensé à notre Adler et à
sa paranoïa. Après-coup, je reconnais qu'Alfred Adler n'aurait pas été capable d'un
tel martyre, même sous l'effet de la folie.

J'ai envoyé les honoraires (1 245 couronnes) il y a environ huit jours à la


Wiener Bankverein où vous avez un compte — si je me souviens bien. Bien des
salutations et bien des remerciements de
votre Ferenczi
Je voulais vous demander de me renvoyer les notes de cette lettre, pour en
élaborer une partie en essais: Après coup, cependant, j'ai trouvé des motifs non
réels derrière ce voeu, ce pourquoi je vous prie d'en user avec cette lettre comme
avec n'importe quelle autre, c'est-à-dire de la garder.

Entre crochets dans l'original.


« Manqué », souligné trois fois.
Dans le manuscrit, « 0 » au lieu de « zéro ».
* En latin dans le texte : donc.
** En latin dans le texte : onanisme ininterrompu (incomplet).
Voir l'article de Ferenczi, « Erreurs supposées » (1915, 174, Psychanalyse, II, op. cit., p. 204208).
Probablement Menyhért Lengyel (1880-1974), dramaturge hongrois original et prolifique.
Vécut longtemps à Londres, puis aux États-Unis et en Italie, regagna la Hongrie en 1974,
année de sa mort. Il écrivit des pièces de théâtre à sujets sociaux (Typhon, 1909) ; auteur de
nombreux scénarios pour le cinéma (Ninotschka, 1939) ainsi que du scénario de la pantomime de
Bartôk, le Mandarin merveilleux (1918-1919).
Voir par exemple t. I, 155 Fer et la note 2.
« Un type particulier de choix d'objet chez l'homme » (Contributions à la psychologie de la
vie amoureuse, I), in Freud, 1910h, La Vie sexuelle, op. cit., Paris, P.U.F., 1969.
Diminutif pour tante Augustine.
C'est à partir de ce cas que Ferenczi élabora sa technique dite active : « Difficultés
techniques d'une analyse d'hystérie» (Ferenczi, 210), Psychanalyse, III, op. cit., p. 17-23.
Friedrich Adler (1879-1960), homme politique autrichien, militant socialiste. Se fit connaître
dans le monde entier en assassinant le Premier ministre Karl Graf Stürgkh, le 21 octobre 1916.
Il parvint à transformer son procès en plaidoyer contre la tyrannie. Incarcéré, il fut gracié par
l'empereur Charles et libéré à la fin de la guerre. Secrétaire de la III' Internationale socialiste. Il
était par ailleurs chercheur en physique théorique et entretenait une correspondance avec Mach
et Einstein. Son père, Victor Adler (1852-1918), homme politique autrichien, était
dirigeant du Parti social-démocrate autrichien et neurologue et psychiatre de formation.
Pendant leurs années d'études, Adler et Freud se côtoyèrent; la famille Freud résida au 19 de
la Berggasse, dans l'appartement précédemment occupé par Victor Adler. C'est ici que Freud
eut l'occasion de faire la connaissance du petit Friedrich Adler. Voir Freud à Julie Braun V
ogelstein du 30 X 1927, Freud, Correspondance 1873-1939, lettres choisies et présentées
par Ernst Freud, trad. Anne Berman et Philippe Grossein, Paris, Gallimard, coll. « Connaissance
de l'inconscient », 1966, p. 411-412.

624 Fer
B.[uda]pest, lundi le 23 octobre. La

nuit. Cher Monsieur le Professeur,


Je regrette d'avoir envoyé ma lettre, hier. Chaque jour apporte quelquechose qui mérite d'être
raconté. Mais, finalement, je ne peux ni ne dois vous laisser si longtemps sans nouvelles.
Or donc: le ton résolu sur lequel j'ai parlé hier à Gizella a produit son effet. Il semble qu'une crise se
déroule en elle dont l'enjeu est: choisir définitivement entre moi et Elma. Plus exactement: renoncer à
choyer Elma névrotiquement – l'idolâtrer presque (alors que celle-ci l'a trompée en ma compagnie) et
percevoir ses véritables intérêts personnels. Ce soir nous étions ensemble. Tous les deux très silencieux.
G. déprimée, aussi, à cause de ses règles qui commencent – mais principalement en raison de la crise
psychique. En prenant congé, je lui ai dit qu'elle devrait enfin abandonner son rôle d'affligée et me
montrer ouvertement et sincèrement tous les sentiments cachés qui l'agitent depuis des années–, me
reprocher toutes les humiliations que je lui ai infligées, car ces dernièresétaient la cause de ses
hésitations, et non les égards qu'elle avait pour Elma (qui n'avaient plus aucun sens). Au lieu de briser
les cadeaux que je lui offrais, elle ferait mieux de manifester ouvertement tout le ressentiment qu'elle
avait dû « ravaler » jusqu'à présent. J'espère qu'il ne s'agit chez elle que d'un léger accès névrotique et
que cette « abréaction » suffira. Pour ma part, je constate une joie sincère à l'idée de notre union. – Je
dois noter encore une chose qui m'a échappé et que j'aurais pu remarquer depuis longtemps : je ne suis
pas seul en cause, Gizella aussi est devenue beaucoup plus froide dans les relations sexuelles qu'elle ne
l'était auparavant. C'est seulement lorsque ce symptôme aura disparu que je pourrai être rassuré sur sa
volonté sans équivoque de m'épouser.
Mon aptitude au travail est toujours très médiocre (je parle de travail
indépendant – les analyses vont très bien). Monsieur le Dr MortonJellinek1 (un
ami de mon ethnologue Rdheim) s'est fait annoncer chez moi. J'ai appris qu'il
venait de votre part. N'auriez-vous pas pu le garder, vous?
Avec les cordiales salutations de votre
Ferenczi

1. Morton Jellinek, né aux États-Unis en 1885, dans une famille aisée. Il fit des études
d'ethnologie. Il tint une conférence au V° congrès international de psychanalyse à Budapest, en
1918 ; un court moment, membre de l'Association psychanalytique hongroise (Zeitschrift, 1919, 5,
p. 53 et 59). En 1920, les journaux annoncent qu'après avoir détourné un demi-milliard de
couronnes, il s'est enfui en Amérique du Sud.
5F
Prof. Dr Freud

le 24 octobre 1916
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Votre longue lettre est arrivée aujourd'hui, juste après que j'ai envoyé la mienne. J'ai peu de choses à
y ajouter. Si j'ai dit que la cure était finie, je ne pensais pas qu'elle était terminée. La manière dont
vous avez enfourché le cheval du narcissisme au lieu de repérer l'identification à Géza, qui renvoie le
mariage avec G. au niveau du fantasme comme étant déjà accompli, devait donc m'éclairer; mais elle
est finie, car elle ne peut être poursuivie avant six mois au plus tôt et qu'ainsi elle se mettrait au
service de l'intention névrotique de s'esquiver.
Je n'ai pas reçu l'argent. Vous l'avez envoyé à la Bankverein, avec laquelle je n'ai rien à faire. Que la
Bankverein ne vous en ait pas averti ou ne me l'ait pas fait parvenir n'est pas correct. Quelque part il
y a là encore un acte manqué. J'ai écrit aujourd'hui à la Bankverein pour qu'on m'envoie la somme
chez moi, et je m'attends à apprendre qu'ils l'ont versée sur un mauvais compte. Je vous en donnerai
des nouvelles, de toute façon.
Sinon, rien de neuf depuis hier.
Cordiales salutations, votre
Freud
6FA
[Vienne,] le 25 octobre 1917

Cher Ami,
Ceci pour vous épargner des écritures. La Bankverein Bm'a fait parvenir aujourd'hui la somme, par
virement.
Cordialement, Freud

Carte postale.
Dans le manuscrit, VB avec un signe d'inversion.
627 Fer
[Budapest,] le 30 octobre 1916

Cher Monsieur le Professeur,


J'ai rempli la mission que vous m'aviez confiée, et j'ai fait envoyer à Madame von Freund ` une
composition florale qui lui a beaucoup plu, paraît-il. Le prix était de 40 couronnes.
Les affects déchaînés par la cure montent et descendent en moi par vagues. Que je le veuille ou
non, je dois vous donner raison en ce qui concerne l'interprétation. Le refus de Gizella a
promptement rallumé tous les symptômes – mais il est possible qu'il ouvre la voie à des heures
plus plaisantes, me rende ma joie de vivre et, dans une certaine mesure, ma capacité de travail.
Finalement il apparaît que tout au long de ces quinze années je n'ai jamais été capable de me laisser
aller totalement à mes sentiments – tout au moins plus depuis la névrose. En définitive, la
cartomancienne avait raison, qui nous a prédit un jour que quand nous serions vieux nous vivrions unis
« sous de vertes frondaisons ». A l'époque, j'avais interprété cela commeun fantasme de tombeau.
Un Monsieur von Selevér, qui a été assigné à notre hôpital comme officier, va essayer
prochainement de vous envoyer sa fiancée en traitement; il l'a rendue récalcitrante par des caresses
intempestives (cunnilingus). Il paraît qu'elle est fille d'aristocrate ; je ne connais pas son nom.
A cette occasion, j'ai fait par hasard la connaissance du frère de ce Selevér, un autodidacte qui
m'a raconté qu'il travaillait depuis sept ans à un traité de psychologie dont l'axe central est: conception
et explication physique du concept de censure. Il ne m'a pas donné de détails, craignant de perdre sa priorité.
Dans l'ensemble, c'est manifestement un original philosopheur, qui trahit son complexe paternel par
le fait qu'il vous appelle toujours le « vieux monsieur », tout en s'enthousiasmant pour votre génie.
J'ai refusé pour l'instant de m'engager plus avant avec lui, remettant cela au moment où son livre,
déjà presque achevé, aura paru.
Quoi q u' il en soi t , il est fra p pa nt d e voir tout ce que la
psych an al yse a m ob ili sé. En Hon gri e, les esprits sont tous
plus ou moi n s sous son i n fl uen ce. Cordiales sa lutati ons de
votre Ferenczi

1. Il s'agit de l'ex-analysante de Freud, Rôzsi von Freund, épouse d'Anton von Freund qui, le
22 octobre 1916, donna naissance à une petite fille nommée Erzsébet (Élisabeth). Celle-ci
épousera M. Berki et résidera à Paris, où elle s'éteindra en 1989.
628 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, le 13 novembre 1916

Cher Monsieur le Professeur,


Je m'apprêtais déjà à faire valoir l'assèchement de mon encrier comme excuse pour remettre une
fois encore la rédaction d'une lettre, mais l'idée m'est venue que cet assèchement était en soi un
symptôme et, de ce fait, ne pouvait servir d'explication. J'écris donc, même si c'est au crayon A.
Pour dire tout de suite le plus désagréable : je traverse des moments torturants. Au début,
c'était purement psychique; mais depuis quelque temps les affects ont de nouveau trouvé le
chemin des manifestations corporelles. (Accentuation des symptômes du Basedow. Une ou deux
fois, dyspnées nocturnes.)
Vue de l'extérieur, voici la situation: Gizella exerce sa vengeance (inconsciente) sur moi de la
manière suivante: elle répond à mes propositions de mariage, désormais vraiment sincères, en
avançant l'absurde prétexte qu'elle doit d'abord être assurée de l'avenir d'Elma en Amérique, et
attendre son retour à la maison.
Il n'est pas inintéressant de savoir que j'ai réagi, en premier lieu, par des symptômes et non par de
la contrariété — ce qui plaide en faveur de la justesse de vos interprétations. Les symptômes sont
donc certainement des satisfactions de compensation. (Identification à Géza ?) Mais, peu à peu, les
symptômes n'ont plus été à la hauteur de cette charge et Madame G. doit endurer de ma part des
sorties sauvages et passionnées. Je reconnais dans ces sorties les explosions de colère (réprimées
en leur temps) contre ma mère, aimée d'un amour sans espoir.
Le refus de G. a donc au moins ceci de bon, qu'il permet d'approfondir mon analyse.
Malheureusement, je profite peu de cette opportunité— ceci est déjà à ranger au chapitre de
« l'incapacité au travail ». Ce dernier symptôme continue toujours à me dominer complètement
— à l'exception de la pratique de l'analyse, où je peux faire état des plus beaux succès. Mais
cela veut dire: n'accomplir que son devoir (et ce, convenablement) mais rien de plus. Tout
comme je travaillais autrefois à l'école.
Deux courtes analyses de rêves : je crache du sang, couleur framboise — ou plutôt
couleur griotte, un petit gâteau de sang. « Mais ce n'est pas une tuberculose»
B.
Interprétation:
1) Représentation de l'avortement provoqué (le gâteau placentaire) sur mon
propre corps (punition, talion). En même temps, contribution à l'ex-
plication de ma dyspnée nocturne, qui survient toujours accompagnée de sécrétions muqueuses
épaisses provenant de la gorge et du nez.
2) A propos de « griotte », c'est maintenant seulement que l'origine polonaise de ma mère me vient à l'esprit
`. Cracher « la honte du sang». A propos de « framboise » — la syphilis (framboésia syndrome) 2.La dernière
phrase veut escamoter la réalité de l'inceste.
Cette nuit : je vois un petit garçon; une aiguille est plantée en travers de la peau de sa
glabelle s.Avec cela : « mais ça ne fait pas mal ».
Tout enfant, j'aimais bien me piquer des aiguilles sous l'épiderme et je me réjouissais de pouvoir
réaliser cet exploit sans douleur.
La pelote à épingles de ma mère, avec des centaines d'épingles de toutes sortes. [CInterprétation : Madame
G. répète maintenant les mauvais traitements que m'infligeait ma mère. Quand ma mère me battait, je me
disais, plein de fierté et de défi: «ça ne me fait pas mal ».]
J'avais une tache bleue au niveau de la glabelle quand j'étais enfant. (On m'a probablement taquiné —
piqué — pour cela. «Je ne suis pas beau, c'est pour cela que ma mère ne m'aime pas. »)
Les aiguilles plantées en travers menacent de crever les yeux. Une idée surgit à ce propos : celui qui voit les organes
génitaux de la mère, on lui crève les yeux.
La glabelle du petit garçon est remarquablement large. Association: idiotie de type mongoloïde (déplacement de la
tache mongoloïde ' de la région lombaire 5 vers le haut). Pourtant le crâne large plaide plutôt •pour l'intelligence.
C'est-à -dire : je fais l'idiot en ce qui concerne la sexualité des parents, tout comme je dénie les souffrances que me cause ma
mère.
Maintenant je vais encore essayer de voir si le rêve témoigne de l'identification à Géza, comme
vous l'affirmez.
Géza est bête, et il a une grosse tête. Il feint de n'avoir pas remarqué notre liaison (« ça ne fait pas mal »).
Il ne veut pas croire à cet « inceste ». — Je n'en sais pas plus.
Je donne de 6 à 7 séances l'après-midi, de 1 à 8 heures. Le cabinet est très fréquenté. Malheureusement, les
gens ne se décident pas si vite à aller à Vienne. Même la Suédoise s'est trop solidement incrustée ici et ne veut pas
lâcher.
J'espère que ma prochaine lettre sera meilleure et mieux écrite.
Avec les cordiales salutations de Ferenczi
Seules la date et l'adresse sont écrites à l'encre.
Sur deux des feuilles, l'écriture au crayon est très effacée; la lecture du mot keine (ce n'est pas) est
incertaine.
Entre crochets dans l'original.
Wechsel : griotte, mais aussi la Vistule, le plus grand fleuve en Pologne.
Framboesia (de framboise), ou pian; maladie infectieuse épidémique, non vénérienne. Son déroulement
ressemble à celui de la syphilis.
Espace glabre compris entre les deux sourcils.
Mongolenfleck, « tache mongoloïde » : tache de naissance bleu foncé dans le bas du dos, marque distinctive
des Mongols (sans rapport avec le syndrome de trisomie).
Kreuz : terme employé en Autriche pour désigner l'épine dorsale.
629 F
Prof. Dr Freud

le 16 novembre 1916
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Vous savez que je considère votre tentative d'analyse comme arrêtée arrêtée, pas terminée, mais
interrompue par des circonstances défavorables. Si vous faisiez encore dépendre votre décision de la
poursuite de l'analyse, vous mettriez celle-ci au service de l'atermoiement, ce qui n'a pas lieu d'être.
Je crois avoir ainsi reconquis la liberté de vous dire ce que vous auriez pu entendre plus tôt si vous
n'étiez venu en analyse, à savoir que je ne pense rien de bon de toute cette affaire et que je tiens vos
hésitations pour preuve qu'il n'en sortira rien (dernier point de repère dans le temps : Reichenau, mai
1915 '). Cela dit, le fait que vous réagissiez au refus de Madame G. en recommençant à être malade me
confirme encore dans l'idée que cette histoire est mal engagée depuis longtemps et ne peut plus être
redressée. Je veux dire que vous ne devez pas vous évertuer à prouver que vous le voulez, malgré tout.
Je ne vous croirai pas, et Madame G. agit très sagement, à mon avis, lorsqu'elle conclut de tout ce qui
précède qu'elle ne doit pas s'y prêter. Naturellement, je n'ai jamais fait le moindre pas pour l'influencer,
j'ai simplement prévu qu'elle agirait ainsi.
J'ai vu Ignotus et je lui ai promis un article pour sa revue je vais le commencer d'ici peu 2. Nous
attendons Sophie avec son enfant, demain matin S ; après, ce sera de nouveau plus tranquille. Je
suis arrivé à la fin des conférences. Depuis, les consultations ont augmenté, même si ce ne sont pas
toujours des cas de longue durée. Il était à prévoir que tous les Hongrois n'auraient pas le temps de
venir à Vienne pour leur traitement. C'est pourquoi je n'ai pas réagi quand, dans votre avant-dernière
lettre, vous m'avez fait part de vos efforts.
Si la guerre dure encore indéfiniment, tout le reste perd de son importance.
Il y a de bonnes nouvelles des garçons. Oli passera quelques jours de liberté ici, avant son
incorporation, le 1 XII 4. A Cracovie, Rank semble de nouveau très déprimé, peut-être est-il très gêné
matériellement. C'est vraiment dommage pour lui.
Je vous salue cordialement et j'espère que vous me répondrez bientôt en
ayant fait table rase.
votre Freud
Voir 546 Fer et la note 1, et 556 Fer.
« Une difficulté de la psychanalyse » (Freud, 1917a [1916]). Nyugat, 1917, 10, p. 47-52 ; trad. fr. E.
Marty, M. Bonaparte, Essais de psychanalyse appliquée, op. cit., p. 137-147. Ignotus était le rédacteur
en chef de la revue Nyugat.
Sophie, la fille de Freud, et le fils de celle-ci, Ernst, arrivèrent le 17 novembre. Le mari de Sophie,
Max Halberstadt, était alors photographe et servait dans l'armée de l'air. (Freud à Eitingon, 3 janvier
1917, SFC.)
Oliver arriva le 19 novembre, puis rejoignit l'armée le 2 décembre à Cracovie. (Notes sur le
calendrier de Freud, LOC ; Freud à Lou Andreas Salomé, lettre du 3 XII 1916, Correspondance, op.
cit., p. 71-72.)

630 Fer
[Budapest,] le 18 novembre [ 1916] 6
heures du matin A

(Première réaction à votre lettre B)

Cher Monsieur le Professeur,


Je sais que je n'ai plus le droit de vous parler comme à mon médecin, que je ne dois pas parler
librement et sans fil conducteur, mais qu'il me faudrait mesurer mes mots à la réalité. Cependant, je
ne peux me refuser une séance, pour la dernière fois (est-ce vraiment la dernière fois ?).
Aujourd'hui, je suis allé me coucher après minuit, je me suis réveillé à 4 heures, avec une
tachycardie. J'en souffre de façon accrue depuis le refus de Gizella.
(Je remarque quelque chose de forcé, de faussement pathétique dans ma manière d'écrire. Toute
ma tristesse ne ferait-elle que masquer la joie de devenir libre?)
Il est 6 heures maintenant. La lecture n'a pu ni m'endormir ni me distraire. Peut-être le soliloque
analytique m'apportera-t-il la paix intérieure.
Naturellement (avec la méfiance de tous les analysés), j'ai pensé que c'était un truc de votre part de
me donner votre point de vue définitif sur ma liaison avec Gizella. Vous vouliez me libérer de l'influence
suggestive de votre opinion précédente (épouser G.) pour que je puisse décider librement.
Je n'ai pas besoin de vous dire que je n'y crois pas sérieusement. On sait bien que ce n'est pas
l'habitude – moi-même je ne le fais jamais – d'en faire accroire ainsi à un analysé.
En quel sens croyez-vous que la névrose soit une preuve du non-vouloir de ma part, après le refus
de Gizella ?
Pensez-vous que les symptômes soient nés du conflit entre la fidélité etla joie d'être dégagé?
Je reconnais que bien des choses plaident dans ce sens:
La cessation de la surestimation sexuelle. Je relève avec cruauté toute faiblesse extérieure, tout
signe de déchéance chez elle.
La diminution de la puissance. C'est à peine si je peux accomplir l'acte la deuxième fois – et, au cours de
cette tentative, j'ai une tachycardie intense; ensuite, je suis fatigué. (Ne pourrait-on attribuer mes
symptômes basedowiens à cela, au moins en partie?)
A Pàpa (loin d'elle), je me sentais relativement bien, j'avais du goût au travail – je faisais même de grands
projets (que je n'ai jamais réalisés). Ce projet aurait-il symbolisé l'échappatoire, la libération? (Depuis
quelque temps je me surprends à imaginer que je suis de nouveau à Päpa.)
Dans le cas d'Elma, je me souviens d'avoir eu pleinement conscience du sentiment de libération. Ce n'est
qu'après l'échec avec Elma que j'ai tenté de faire retour à Gizella.

(Vous avez dû me dire quelque chose de très important [Cet de juste?] dans votre lettre, pour que
cela ait suscité une réaction aussi orageuse!)

Pourquoi est-ce que je me lève la nuit afin de vous écrire? Est-ce que cela veut dire que ces pensées
étaient vraiment la cause de mon insomnie?

Je me suis levé pour vous écrire que je ne pourrai jamais renoncer à D Gizella. (Avez-
vous remarqué que, dans cette phrase, j'ai dû changer un mot ? En fait, aurais-je
voulu barrer ou changer le mot « jamais » [E et pas le mot « à » ?].)

Hier je me trouvais avec G. Pas seul, il est vrai; Saroltà ' était avec nous. Hier après-midi – avant l'arrivée de
votre lettre – j'avais eu la visite de Saroltà pour une histoire de billets de théâtre. Je n'ai pas pu m'empêcher de
me laisser aller avec elle à des gestes, rien qu'avec les mains. Mais quelque chose (je me F suis donné comme
motif une odeur G) m'a retenu d'aller plus loin. Ça, c'est typiquement moi ! C'est ainsi, également, qu'a commencé
ma névrose proprement dite, avant le voyage à Rome. Je me suis autorisé à avoir un rapport avec une prostituée
– plus tard avec Saroltà – et, en punition, est venue la phobie de la syphilis.
Ma relation à ma mère s'est considérablement détériorée ces dernières années. Je pense qu'il y a un lien
causal entre ce fait et ma relation à Gizella. J'inflige à ma mère ce que j'épargne à Gizella et je retourne ainsi
à la source originaire de ma haine de la femme. Ma mère ne m'a donné aucun motif à la détérioration de
nos relations.
Mais quel est mon destin ? Dois-je renoncer à toute femme – comme le Hollandais
Volant (ou, comme lui H, supprimer la femme ainsi que moi-même?) 2.

Je dis là des choses dont je n'ai pas soufflé mot en analyse, bien qu'apparemment
elles n'aient pas été refoulées si profondément – ou du moins, pas inconscientes. Leur
portée, cependant, ne m'était pas connue.

Hier, Gizella m'a demandé : « N'est-il pas arrivé de lettre ? » Elle a en outre
remarqué ma dépression et, surtout, mon irritabilité. Elle interprète ce dernier signe
en disant que je ne l'aime pas.
Jusqu'à présent, j'ai nié qu'il y ait eu une lettre de vous. Je crains de la lui montrer comme si, ce faisant,
je scellais notre destin.
Curieusement, je lui ai tu le seul élément de réalité dans mon complexe de
symptômes : les symptômes basedowiens. Voici comment j'ai rationalisé ce fait:
Je ne veux plus me laisser dorloter comme un malade parce que ce serait névrotique (et je n'étais pas peu
fier de ma retenue).
Je souhaitais ménager Gizella, ne pas lui causer de soucis.
Je craignais que, me sachant malade, elle se décide encore plus difficilement au mariage.
Si c'est vous qui avez raison avec votre interprétation, ceci trahirait la dissimulation d'un voeu réprimé
qu'il n'advienne rien de ce mariage.
Je soupçonne quelque chose d'analogue derrière le fait de lui avoir caché votre lettre.

Il semble que j'aie ainsi réglé la situation. Je vais montrer votre lettre à Gizella.
(En même temps, cela me fait de la peine que Gizella, qui a pour vous une telle
vénération, doive aussi subir une blessure venant de vous.)

Hier encore, nous allions bras dessus, bras dessous. Est-ce que cela doit
vraiment finir ? Je ne peux pas encore y croire.

Je n'enverrai cette lettre que lorsque je pourrai raconter la suite.


Toujours le 18 XI J, 8 heures du soir K

Après la discussion ci-dessus avec moi-même, soulagement somatique


remarquable (la respiration nasale s'est trouvée libérée), et j'ai encore dormi une demi-
heure. Le matin j'étais très triste, et pendant des heures j'ai eu des airs de marche
funèbre dans la tête. Larmes. Matinée normale, malgré la nuit d'insomnie; j'ai pu
travailler. A midi, revirement soudain ; jusque-là, je prenais en considération la
possibilité de rompre la relation. Mais cette rupture me paraît de plus en plus
impossible. A 1 heure, rencontre avec Gizella (par hasard) chez mon beau-frère
malade s. G., qui ne se doutait de rien, fit une allusion à l'avenir. L'après-midi,
analyses. Une heure libre ; agitation incessante. Respiration nasale très perturbée,
tachycardie (120 pulsations à la minute, sans arrêt). Je fais des projets de conciliation
; par exemple : « Tout ce qui me manque, c'est la légalisation de cette relation. C'est
pourquoi j'étais en bonne santé jusqu'à ce que G. m'ait fait part de son refus. L'interdit
porte uniquement sur la relation (illégale) à la mère. Madame G. m'est précieuse aussi
en tant que femme. Nous nous marions et tout ira bien L. »

Le 19 XI 1916 M, le matin, à l'hôpital.

Je ne veux quand même pas m'abstenir de continuer à noter ce qui se passe, au-dehors comme au-
dedans. Aussi bien, les contenus psychiques ne deviennent pleinement conscients (du moins chez moi) que
lorsqu'ils sont rapportés à une tierce personne. Même dans les affaires scientifiques, c'est pendant la
communication que les meilleures idées me viennent. Ceci doit avoir un rapport avec le fait, constaté par
vous, que chez moi, les intérêts scientifiques ne sont pas vraiment sublimés en réalité, mais encore
intimement liés à l'objet d'amour.
Je note à quel point mon humeur, hier encore si empreinte de passion,
s'est adoucie depuis mon explication avec Gizella.
Le soir, j'ai dîné avec elle. Pendant le repas, violente tachycardie ; j'avais à peine la force de donner votre
lettre à lire à Madame G. Dix fois j'ai pris mon élan avant de le faire. C'était comme si je devais lui signifier
son arrêt de mort. Ensuite, le calme est un peu revenu en moi. Aussi longtemps que j'ai vu chez elle des
manifestations de douleur, je suis resté presque froid. Ce n'est que lorsqu'elle a retrouvé sa bonté et qu'elle
m'a parlé avec indulgence et tendresse – fût-ce tristement – que je me suis à nouveau dégelé.
Elle a finalement admis qu'elle avait remarqué le changement survenu en moi, mais qu'elle ne voulait
pas en tirer les conséquences. Que pour sa part elle m'aimait, maintenant encore comme toujours, et
qu'elle ne me quitterait pas ; mais moi, est-ce que je la quitterais ? J'ai dit non mais, intérieurement, je
n'en étais pas sûr.
J'étais presque joyeux en raccompagnant Gizella chez elle, et je l'aimais vraiment tendrement. Nous
avons parlé de notre rencontre habituelle d'aujourd'hui (dimanche). Je sentis alors que l'idée de la voir
monter dans ma chambre m'était moins agréable que la rencontre dans le hall de l'hôtel;
et ce, malgré le fait que la menstruation aurait rendu toute intimité
impossible. Il semble que *

Le 20 XI 1916, le matin, à l'hôpital.

Votre lettre a suscité en moi une réaction incroyable. Mon état physique et mes états d'âme varient sans
cesse. Du moins peut-on constater que je me sens mieux le matin (à l'hôpital) que l'après-midi et, surtout, le
soir. Malheureusement, je dois concevoir cela comme une confirmation de ce que vous m'avez dit, à savoir que
mes états morbides étaient à attribuer à ma liaison forcée avec Gizella.
Hier, dimanche après-midi, avant que Madame G. ne vienne chez moi, état de profonde dépression
avec tendance insurmontable à pleurer (les larmes coulaient sans qu'il fût possible de les arrêter). Ce
symptôme, qu'on pourrait qualifier d'hystérique, je dois l'interpréter comme un signe de deuil ; c'étaient
des manifestations de sentiments à l'occasion de l'adieu à Gizella.
Gizella m'a prié de vous écrire qu'elle ne m'abandonne pas, même si je ne l'aime pas. Cette démesure
dans la bonté et l'attachement m'a extraordinairement touché. J'ai remarqué qu'un retour de l'ancien
amour tendre se produisait alors en moi. Le soir, dîné ensemble. J'étais taciturne et déprimé. Gizella un
peu triste mais calme.
Les rencontres quotidiennes, le soir, sont donc maintenues. Mais j'ai le vague sentiment que cette situation
ne pourra pas durer. Par moments, j'espère toujours que les anciennes relations vont se rétablir, surtout
lorsque je suis séduit par sa bonté pleine d'abnégation et d'esprit de sacrifice, par sa finesse et sa sagesse. En
même temps, je sais bien que toutes ces qualités ne sont pas les conditions les plus importantes de l'amour –
du moins pas chez moi.
Cette nuit, réveillé en sursaut à 4 heures, avec de violents battements de coeur. Depuis mon retour
de Vienne, je perds visiblement du poids (Basedow ?).

Le 21 XI (mardi), 10 heures du soir.

Entre hier et aujourd'hui, quel écart impressionnant. –


Hier soir, j'ai enfin fait « table rase », comme vous l'écriviez. J'ai raconté à Gizella mes doutes, j'ai raconté
mes tentatives de fuite compulsives (Elma, Saroltà, putains), je lui ai rappelé qu'au tout début de notre liaison,
j'avais mis mes doutes par écrit, mais que j'avais détruit ces pages lorsque j'avais constaté son désespoir. En
même temps se produisait en moi le refoulement du doute. Ce refoulement n'a pas tenu, sous l'effet des
épreuves de surcharge (les attaques du maître-chanteur, l'avortement) 4. Suivirent la tentative de fuite avec
Elma, puis les maladies. Ces dernières (comme de véritables symptômes hystériques) ont servi aussi bien les
tendances à la fuite que les tendances à la punition, etc.
Gizella a fait preuve d'une gentillesse et d'une bonté indescriptibles ; je l'ai de nouveau trouvée helle
et incomparablement bonne et intelligente.
Mais j'ai tout de même réussi à la laisser partir avec l'idée d'une séparation prévisible. Gizella a aussi
reparlé de son idée favorite : le mariage avec Elma. En guise d'acte symptomatique, pour bien prouver la
réalité de la séparation, j'ai oublié de payer le droit d'entrée à son appartement 6, ce que j'ai l'habitude de
faire en manière de plaisanterie. (Cette habitude semble avoir été au service de mon identification
fantasmatique au mari.)
En rentrant chez moi, un certain sentiment de libération, mais ni gai ni joyeux. Au lieu de la bonne nuit
escomptée, une nuit perturbée. Aujourd'hui, toute la journée, profondément triste, très forte tachycardie, troubles
de la respiration nasale. Je suis passé par toutes les tortures d'une cure de désintoxication. Tout ce que nous
avons vécu ensemble de beau et de bon m'est revenu à l'esprit. J'ai ressenti à nouveau les vieilles humeurs
poétiques du début de notre rencontre. Ma capacité de travail, même pendant les séances d'analyse, est très
perturbée. Flots de larmes pendant une heure libre (entre 5 et 6). Le soir, j'ai éprouvé la tristesse de la solitude (il
semble que, jusqu'à présent, j'aie vraiment vécu dans l'illusion d'être le mari de Gizella). Les femmes étrangères
me laissent froid (bien que, même dans la plus grande tristesse, je les regarde).
Le repas a apporté un petit soulagement (réminiscence du sevrage ?). Cependant, l'amertume persiste
dans l'ensemble.
Souvent, je pense : comment serait-ce si je la choisissais, elle, de nouveau? Et, cette fois, sans la moindre
hésitation?!
Finalement, je répète l'histoire de la Dame de la Mer, qui n'est libérée de ses hésitations qu'en
choisissant de nouveau librement 6.
Je reconnais que ceci ne sera démontré que si je choisis vraiment librement, c'est-à-dire si je me fais
violence pour rester éloigné d'elle quelque temps, si je ne me ferme pas à d'autres femmes – et si je reviens
quand même à elle.
Mais, en attendant, même cette séparation-là me semble presque impossible.

Pardonnez-moi de vous importuner avec ces détails. Vous comprendrez à quel point parler ainsi me
soutient dans ce difficile combat – ou du moins me soulage un moment.
Une doctoresse très honorable et apparemment intelligente, Mademoiselle Révész 7, qui est employée à
la Clinique Purkersdorf, voudrait apprendre l'analyse en se faisant elle-même analyser par vous (deux
séances par semaine). En réalité, elle est venue chez moi avec cette demande (elle voulait l'entreprendre
ici, à Budapest, mais seulement après la guerre). C'est moi qui l'ai encouragée à aller plutôt chez vous, et
je vous prie d'accéder à sa demande, si possible. Elle me semble en valoir la peine.
Je vous salue – cette fois très mélancolique –
votre Ferenczi
Je perçois seulement maintenant comment, toute ma vie, j'ai vécu la moindre petite chose « sub specie Gizellae
» **. Vingt fois je me surprends à penser: « cela, je vais le lui raconter quand elle viendra ce soir ».
Fin N

Grand Hôtel Royal Nagyszdlloda

Budapest, le vendredi 24 novembre 1916

Je regrette que vous deviez vous échiner à déchiffrer ma mauvaise écriture. Je


n'avais pas, en fait, l'intention d'envoyer les notes qui précèdent, mais j'ai tout de
même pensé qu'il pourrait être important que vous vous fassiez une impression
exacte à partir de ces notes prises sur le vif.

Je poursuis donc.
Hier, jeudi, il semble que j'aie surmonté la crise.
J'ai lu à Gizella la deuxième partie des notes (écrites à l'encre). Même les passages délicats qu'on y
rencontre n'ont pas réussi à la détourner de son tendre amour; elle n'était inquiète que pour ma santé.
Lorsque, finalement, elle a fait d'elle-même la proposition que je satisfasse ailleurs ma sexualité et ne lui conserve
que l'amitié, j'ai ressenti une soudaine libération, un soulagement. Elle a prononcé la formule magique.
Depuis cet instant, je me sens beaucoup mieux. J'ai passé une nuit tranquille. La tachycardie a
cessé durant toute la matinée.
Il me paraît très plausible que ma relation à Gizella devienne plus normale maintenant que je suis
libéré de la contrainte de l'aimer. Il est possible que je me déclare satisfait de ce que je trouve – en
abondance – chez elle.
Cependant je ne veux pas anticiper sur la suite des événements, mais attendre de voir comment les
choses se développeront autour de moi et en moi. Évidemment, je pense aussi à la seconde possibilité :
la séparation.
Je suis curieux de savoir si ma capacité de travail va maintenant revenir. Sinon, je serai obligé de
reconnaître que, même ainsi, les choses sont intenables.
A la forme et au contenu de ce que je vous communique, vous pouvez mesurer l'impact que votre
lettre a eu sur moi.
Sincères salutations et remerciements de votre
Ferenczi

La partie rédigée le 18 novembre de cette lettre faite au jour le jour est écrite au crayon sur de petites
feuilles parfois séparées (en ce qui concerne le papier à lettres, voir la remarque de Ferenczi dans la
première phrase de sa lettre du 28 XII: 635 Fer) ; l'heure soulignée, ainsi que la remarque qui suit entre
parenthèses sont manifestement introduites ultérieurement (le 20 X1 ?), à l'encre noire, comme celle
utilisée à partir du 19 XI.
Écrit obliquement, dans le coin supérieur gauche, près de la date et de l'adresse (à l'encre noire: voir
note A). Dans le manuscrit, parenthèses dans la parenthèse.
Écrit au-dessus du mot barré « de ».
1916 181

Dans le manuscrit, parenthèses dans la parenthèse.


Ce mot est inséré, à l'aide du signe correspondant, après coup, avec une encre noire
de la même couleur et consistance que celle du 19 XI.
Le «r» esquissé du mot Geruch (odeur) est redessiné à l'encre noire.
Deux virgules introduites après coup à l'encre noire.
Dans le manuscrit, à la place du point d'interrogation, un point.
Inséré après coup (le 24 XI ?), avec le signe correspondant, à l'encre bleue, avant
la mention de l'heure, au crayon comme le reste.
La lecture du chiffre est incertaine ; un six corrigé en huit, ou inversement.
Ici se termine la partie écrite au crayon.
Dans le manuscrit, par erreur : 1915. (A partir de là, les feuilles sont écrites à l'encre noire. Il
s'agit de deux feuilles doubles de taille moyenne, mises l'une dans l'autre de façon à donner huit
pages qui se suivent ; le papier est de nuance brunâtre, comme jauni, et très fin, de sorte que
l'encre apparaît fortement au verso.)
Ce mot, écrit au-dessus de la vignette et souligné deux fois, tout comme la formule de
salutations à la fin de la lettre: « Sincères salutations et remerciements de votre Ferenczi », a pu
être introduit par la suite ; les deux sont écrits avec une encre bleue plus claire que le reste du
texte à partir du 24 XI, à l'encre bleu-noir.
* Phrase en suspens.
** En latin dans le texte : sous le signe de Gizella.
Soeur de Gizella.
Allusion au Vaisseau fantôme de Wagner. Ferenczi était amateur des opéras de
Wagner.
Aladàr Erdös, directeur de la compagnie d'assurances Adria, mari de Zséfia, soeur
cadette de Ferenczi.
Allusion non éclaircie.
Droit d'entrée: il s'agit d'un pourboire donné au concierge qui devait se déplacer
pour ouvrir la porte de l'immeuble, fermée à 22 heures.
Voir t. I, 15 Fer et les notes 1 et 2.
Erzsébet Révész (1887-1923), neurologue hongroise. En 1918, elle se rendit à Vienne pour
entreprendre une analyse avec Freud, et devint membre de l'Association de Vienne. Fin 1919, elle
épousa le psychanalyste Sàndor Radé. Elle mourut début 1923 d'une anémie pernicieuse,
enceinte de six ou sept mois, alors qu'elle faisait une deuxième tranche d'analyse avec Ferenczi. Elle
avait en analyse didactique, entre autres, Imre Hermann. Voir Ferenczi à Groddeck du 19 II 1923,
Ferenczi/Groddeck, Correspondance, op. cil., p. 84.
31F
Prof. Dr Freud

le 26 novembre 1916
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Je ne veux pas laisser longtemps votre lettre sans réponse. Il me semble
que vous vous servez maintenant de l'analyse pour embrouiller vos affaires,
comme vous l'avez utilisée jusqu'à présent pour les faire traîner. Votre
conduite se résume par ce mot du poète
Si l'on veut refuser
C'est en vain que l'on parle;
De tout ce qu'on dit,
L'autre ne retient que le non'.
Que Madame G. partage pleinement ma conviction, cela ressort de
son refus, qui n'est certainement pas névrotique.
Il reste de votre devoir de retrouver votre santé et votre capacité de travail car, dans ces
circonstances, il n'y a guère de plaisir d'amour à espérer.
Je ne comprends pas comment la libération d'une « contrainte » à épouser Madame G. a pu
agir sur vous de façon aussi bienfaisante. On ne perçoit en effet aucune contrainte de ce genre,
d'un côté ou de l'autre. Peut-être parliez-vous de la contrainte au coït.
Il semble que vous en faites beaucoup trop avec votre Basedow.
Sophie est ici avec l'enfant depuis le 17 au matin, Oli est venu deux jours après. J'écris en ce
moment, pour Ignotus, un essai qui me donne un peu trop de mal.
Cordiales salutations
de votre Freud

1. Goethe, Iphigénie en Tauride (1787), I, 3, trad. Jean Tardieu, Paris, Gallimard, Pléiade, 1985,
p. 508.

632 Fer
Budapest, le 27 novembre 1916

Cher Monsieur le Professeur,


Je m'en tiens à cette sorte de compte rendu en forme de journal. La récapitulation des
événements ne sert pas seulement à l'information, mais aussi à l'auto-analyse.

Vendredi, le 24, a eu lieu ma dernière rencontre avec Gizella. Après des adieux plus qu'agités, je me
suis séparé d'elle pour quatre semaines. Elle a été douce, délicate et bonne, comme toujours. – Après
une nuit un peu plus calme, et une matinée supportable bien qu'apathique, sont venues des heures de
profonde tristesse. Le soir, je suis allé au club, mais j'ai trouvé tous les hommes et toutes les femmes
ennuyeux. En moi résonnait sans cesse une musique profondément triste. Passé le dimanche avec un
ami (peintre)' et Ignotus. J'ai dû me forcer à la conversation. Je vois à quel point tout intérêt de ma part,
humain autant qu'intellectuel, était concentré sur Gizella. Il va falloir se donner de la peine pour
restaurer en partie les relations avec le reste de l'humanité.
Aujourd'hui, humeur changeante. J'ai tenté de déplacer la névrose sur le terrain physique
(hypocondrie), mais me suis surpris moi-même en fla-
grant délit. J'ai néanmoins une tachycardie permanente. (La maladie physique
devrait me forcer à retourner en traitement auprès de vous.)
J'ai réussi à tempérer passagèrement la perturbation violente dans la gestion de la libido, en pensant
que dans quatre semaines je pourrais de nouveau avoir Gizella. J'ai résisté au désir de raccourcir ce délai.
– Une faim et une soif insatiables, un dégoût pour les activités intellectuelles constituent les autres
symptômes. La libido génitale se tait.
Il devait y avoir quelque chose d'obsessionnel dans le caractère exclusif de mon
attachement à Gizella. Mais deux cas restent toujours possibles : ou bien il s'avère que
le principal était la contrainte derrière laquelle il n'apparaît plus d'amour véritable, ou
bien il reste assez de cet amour pour me permettre de vivre une vie aux côtés de cette
femme incomparablement aimable. En fin de compte, votre opinion sur notre liaison –
certainement juste sur le fond – pourrait bien être exagérée.

La résistance que j'éprouve à analyser un court rêve survenu après notre séparation justifie cette
tentative d'analyse.
Très confus. Je pousse une femme (assise sur une chaise?) par la fenêtre. Elle flotte dans l'air devant la
fenêtre, au-dessus du milieu de la rue, et ne tombe pas. Gizella aussi est A dans la pièce. Près de la porte,
je vois le visage amer, méchant et un peu boursouflé de Titinéni *.
Le fait de jeter dehors s'explique par ce qui est arrivé. Il est également certain qu'Augustine, la meilleure
amie, presque la mère de Gizella, va me haïr dans le cas d'une séparation. Mais l'idée me vient qu'ainsi, je
détourne sur moi l'hostilité qui règne entre Géza et Augustine. (Je veux donc toujours être l'époux de Gizella ;
peut-être ne la repoussais -je que parce qu'elle m'avait trompé, moi 1Géza] B avec un étranger 1Dr Ferenczi] B.
Il s'ensuit donc 1ce dont je me doute par ailleurs] qu'il ne nous manque que la légitimité, rien d'autre.)
Ce n'est pas le visage d'Augustine qui est boursouflé, mais le pied de mon beau-frère qui, mortellement
malade, se trouve dans une clinique d'ici. (Augustine doit mourir – c'est la devise de Géza. Il prie pour cela
tous les jours.)
Je pense toujours que cela pourra s'arranger, à condition que je sois bien sage et que j'accepte tout ce
que vous me prescrivez. (C'est sous cette forme sarcastique que l'idée m'est venue.)
Mais la chaise aussi, sur laquelle flotte la femme, a son origine dans une conversation concernant le
rapatriement de mon beau-frère chez lui. Ainsi: Gizella, condamnée à mort également. Je sacrifie donc
toutes les femmes pour l'amour du père, mais je me venge, après coup, du père lui-même (sarcasme).
La relation hostile à Géza doit avoir particulièrement perturbé la relation avec Gizella. J'ai surestimé
mon courage (et je l'ai exagéré compulsivement), lorsque j'ai séduit Gizella (lorsque j'ai été, en partie, «séduit»
par elle) et que j'ai maintenu cette liaison durant seize ans. On peut se demander si je parviendrai à un
sentiment de légitimité à son égard, la femme enlevée,
fût-ce dans le mariage C. Est-ce que la pitié pour Géza, l'identification avec lui, vont continuer à semer le
trouble?
Il me semble que j'ai voulu épouser Elma pour me réconcilier avec Géza.

Mercredi, le 28 ou 29 novembre D

Aujourd'hui, j'ai reçu votre lettre. La réaction immédiate à votre affirmation


catégorique a été une aggravation de mon état. Les représentations
hypocondriaques se sont renforcées jusqu'à l'angoisse (maintenant mon Basedow
s'appelle déjà carcinome thyroïdien). Là-dessus, pour la première fois depuis notre
séparation, est survenue une nostalgie sensuelle pour Gizella. J'admets qu'il y a là
une révolte pleine de défi.
Je dois reconnaître aussi que je ne suis arrivé à rien avec l'auto-analyse. Il est
possible que j'aie vraiment embrouillé la situation. J'y renonce donc. Par la même
occasion, je veux ainsi me libérer de votre influence sur mes décisions – comme je
me suis libéré de Gizella par la séparation. Par conséquent, je vous écrirai peu dans
les semaines à venir – du moins en ce qui concerne mon état – , bien que j'ignore
comment je supporterai ce détachement de tous les investissements de la libido.
Peut-être que je veux seulement me punir... mais ceci serait déjà de l'analyse, je
termine donc ma lettre.
Avec de cordiales salutations de votre
Ferenczi

P.S. Je ne sais que trop bien qu'il s'agit ici d'une répétition de la révolte bravache de
Palerme – je le savais déjà en écrivant la lettre, mais je ne voulais pas vous dissimuler
ces idées, si caractéristiques, qui me sont venues. Même après mûre réflexion, je suis
d'avis que si je cède aux tendances à la fuite de mon Ics, supposées, voire réellement
présentes (séparation d'avec Gizella), je dois également laisser travailler, sans les
troubler, les tendances hostiles de l'Ics à l'égard du père, qui sont certainement aussi
présentes en moi. Je suis donc, comme je l'ai dit, pleinement conscient du caractère
transférentiel de ma réaction à votre lettre et, au niveau Cs, je vous en suis même
reconnaissant. Je pense néanmoins que, dans les semaines à venir, je dois rester
autant que possible à l'écart de toute influence.
Encore des salutations.

Dans le manuscrit, est écrit entre parenthèses et de nouveau barré: naturellement.


Dans le manuscrit, ici comme dans les deux autres cas, parenthèses dans la parenthèse.
Dans le manuscrit, un point d'interrogation à la place du point.
Le 28 novembre 1916 n'était pas un mercredi mais un mardi.
* Diminutif hongrois de tante Augustine (tante Titi). En Hongrie, toute personne plus âgée est appelée «
tante » ou « oncle ».
1. Probablement Robert Berény (voir t. I, 238 Fer et la note 3) ou Nândor Honti (voir 616 Fer et la
note 1).
33 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, le 9 décembre 1916

Cher Monsieur le Professeur,


J'ai retenu la lettre ci-jointe, car j'ai fort bien noté le défi névrotique qui se manifestait dans ses
derniers paragraphes. Comme la rétention de cette lettre entraîne, de fait, une entrave à notre
correspondance, je me décide à envoyer, après coup, ce que j'ai écrit.
La seule chose que je puisse ajouter, c'est que je continue encore fermement à m'abstenir de
rencontrer Gizella, que la tristesse qui en résulte a certes diminué, mais pour faire place à une apathie
générale, et que les symptômes corporels et l'incapacité à produire durent toujours.
J'ai rationalisé l'arrêt de notre correspondance de la manière suivante : il faut que je prenne une
décision pour l'avenir, sans être influencé d'aucun côté (ni par l'obligation morale envers G., ni par vos
conseils).

Eitingon était ici, hier. Nous avons passé ensemble deux heures agréables. Il
vous salue cordialement. Je joins mes salutations aux siennes.
votre Ferenczi
34 F
Prof. Dr Freud

le 22 décembre 1916
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Je vous adresse l'écrit ci-joint avec la prière, premièrement de me renseigner sur cette « Harmonia
»', deuxièmement de me dire votre avis sur l'affaire elle-même. Ce n'est pas que je raffole de ce genre
de productions, elles ne me donnent guère l'envie de me précipiter, mais je pourrais m'y forcer si on
insiste, d'autant que j'ai donné congé, aujourd'hui, à ma
dernière patiente et que j'ai de longues vacances devant moi. On peut, apparemment, repousser la
conférence elle-même aux mois prochains. J'ai fait patienter Harmonia en promettant une réponse
rapide.
A y regarder de plus près, je reconnais que l'intervention de Wilson 2 en faveur de la paix,
annoncée aujourd'hui, et qu'il faut quand même prendre assez au sérieux, a sa part dans mon
humeur, davantage tournée vers la vie.
Vous aurez reçu entre-temps le fascicule des conférences consacrées au rêve. Je suis allé aujourd'hui
à la bibliothèque de l'Université pour me commander le Lamarck s. J'ai du mal à rester inoccupé, et voilà
que notre projet d'article sur « Lamarck et la `PA » m'est soudain revenu à l'esprit comme plein d'espoir et
riche de contenu. J'y vois d'avance toutes sortes de choses, et suis en fait déjà convaincu. J'ai quelque
peine à lire ces choses qui me sont assez lointaines, mais peut-être y arriverai-je encore ad majorem Dei
gloriam *', en l'honneur de notre science à laquelle nous payons un douloureux tribut. J'aimerais
cependant avoir maintenant l'assurance que vous maintiendrez votre collaboration, que, dès à présent,
vous vous y mettrez sérieusement, même si vous n'avez pas autant de loisirs que moi. En revanche, vous
me semblez avoir un besoin tout aussi urgent de dérivatif.
Martin est ici, au Cadre, et il s'invite souvent 5. Oli nous envoie, de Cracovie, des nouvelles qui
semblent rassurantes. Le petit bonhomme 6 nous donne bien du plaisir, c'est un membre très
respectable de la famille.
Je vous salue cordialement, dans l'attente de votre réponse,
votre Freud
* En latin dans le texte : pour la plus grande gloire de Dieu.
Une société qui organisait des concerts et autres spectacles.
La veille, le président des États-Unis, Thomas Woodrow Wilson (1854-1924), avait adressé une note à
tous les belligérants, les invitant à faire état des conditions qui permettraient de mettre un terme à la
guerre.
Certainement la Philosophie zoologique. Voir 589 F et la note 4.
Devise des Jésuites.
Le 10 décembre, Martin était passé à Vienne (notes sur le calendrier de Freud, LOC).
Ernst. Voir 629 F et la note 3.

635 Fer
B.[uda]pest, le 28 décembre 1916

Cher Monsieur le Professeur,


Que ce feuillet A soit la preuve que j'ai retrouvé un certain degré de normalité, et ne suis pas tout à fait
incapable de mettre des pensées sur le papier. Ci-joint le premier (petit) échantillon 1. J'ai l'intention de
fournir peu à peu d'autres preuves — éventuellement en rapport avec notre projet de travail commun. Je
dois cependant avouer que mes notes biologiques
précédentes, que j'ai parcourues, me donnent l'impression de m'être tout à
fait étrangères.
A propos de l'histoire de l'amélioration de mon état (dont j'espère qu'elle n'est pas seulement
passagère), je ne peux dire que ceci: elle s'est manifestée vers la deuxième semaine de ma période
d'abstinence que j'avais moi-même voulue. La première rencontre avec G. a apporté une brève rechute.
J'en suis maintenant arrivé au point où j'ai appris à reconnaître que j'ai fortement exagéré mes
sentiments envers Madame G. – que j'ai donc voulu trouver dans cette liaison plus de « plaisir d'amour
» qu'elle ne pouvait m'en offrir. Je dois ajouter pourtant que, même à présent, je ne vois toujours pas
d'objet d'amour qui me convienne mieux, – qu'en fait je continue à compter sur la possibilité de notre
mariage.
Nous nous voyons actuellement une ou deux fois par semaine; les rencontres me sont agréables («
et pourtant ce n'est plus comme autrefois » !). Depuis quelques jours je travaille, le matin, à l'hôpital,
à la révision de « L'Interprétation des rêves » en hongrois, dont Hollôs a déjà traduit plus de la moitié
2. L'après-midi, 6 ou 7 analyses. Le soir je m'ennuie au dîner dans un club. Ensuite, une petite

promenade. – Le temps après 10 heures doit être consacré au travail. Supporterai-je ce mode de vie,
moi (la bête de volupté), je n'en sais rien.

La semaine prochaine, j'ai l'intention d'inviter l'Association de Budapest à


une réunion. Au programme, des cas cliniques.
« Harmonia » est une bonne firme – un peu comme Heller à Vienne. En principe, je suis d'accord
pour accepter l'invitation, mais attendez – s'il vous plaît – que je puisse vous donner d'autres
informations par écrit (et particulièrement le montant des honoraires à demander).
C'est pure ironie que je puisse à peine venir à bout de tous mes patients, alors que les stupides Viennois
manquent une occasion unique de se faire traiter par vous. Ce n'est pas simple chauvinisme de ma part si
je les méprise aussi pour cela. J'ai récemment envoyé à Vienne deux patients (von Hüvös, frère du directeur
des tramways d'ici, et la soeur du Dr Lévy) ; je ne sais s'ils trouveront leur chemin jusque-là.
Vous me pardonnerez si je reviens encore une fois à ma propre personne et vous entretiens
rétrospectivement de quelques idées me concernant. L'un des symptômes de base de ma maladie (en fait,
de mon caractère) est une recherche exagérée de la jouissance (réaction, comme vous savez, aux privations
de l'enfance). Je n'ai jamais pu supporter une tension; solitude et ennui étaient identiques pour moi – sans
doute étais-je toujours dans l'attente de quelque miracle qui m'apporterait bonheur et volupté. Travailler
m'a toujours été pénible (c'est pourquoi je suis d'abord devenu philosophe). Plus tard, aussi, j'ai voulu
résoudre les problèmes davantage sur le mode spéculatif, mais je ne voulais pas « me marier avec » mes
idées s. Sans doute ai-je attendu, en fait de plaisir d'amour, quelque chose qui n'a jamais existé. Je n'ai
pas pu supporter les difficultés qu'impliquait la liaison avec G.
J'espère que je me contenterai de moins maintenant, que je m'éduquerai encore un peu (moi, le vieux
bonhomme) – et que j'abandonnerai l'absurde mélancolie d'autrefois (à laquelle je tends toujours).
Mais je ne veux pas trop promettre— et je sais aussi que cela n'ira pas sans rechutes.
Je me réjouis cependant de me sentir à nouveau reconnaissant et de pouvoir vous souhaiter une
meilleure nouvelle année.
Avec des salutations pour tous, votre
Ferenczi

A. Voir 630 Fer, notes A et M. Il s'agit de ce papier-brouillon de format allongé dont Ferenczi s'était déjà
servi parfois dans le passé (voir par exemple 556 Fer et la note A).
Non retrouvé.
Voir 532 Fer et la note I .
Voir Sur l'histoire du mouvement psychanalytique, op. cit., p. 27.
636 F
Prof. Dr Freud

le lei janvier 1917


Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Les informations de Martin 1 n'ont rien ajouté d'essentiel à votre lettre. Entre-temps, Szàntô, le
directeur de « Harmonia », est venu chez moi, il a beaucoup insisté et vaincu ma résistance, en
m'informant que « les honoraires exceptionnels » pour la conférence se montaient à 1 000 couronnes.
Mais je lui dois encore la réponse et je vous demande de me retourner ma lettre à cause de l'adresse.
J'accepterai pour le 2 février (vendredi).
En ce qui concerne les consultations, il n'y a rien à faire. Vos efforts pour m'envoyer des gens de
Budapest ne peuvent guère être couronnés de succès. Je ne peux plus trouver d'autres relations
avec Vienne, ni Vienne avec moi. Il faut donc attendre tranquillement un changement fondamental
des circonstances.
Je me réjouis de constater que vous n'êtes plus démoralisé et que vous reprenez vos esprits. La
première colombe que vous avez envoyée tait bien jolie. Aujourd'hui, je joins à ma lettre une esquisse
du travail sur Lamarck, car je déduis de votre missive que vous maintenez le projet formulé à
l'époque. (A ne pas renvoyer !) Et puis je commence à lire aujourd'hui la « Philosophie zoologique »
2.En même temps, je prépare un troisième travail sur la vie amoureuse: le tabou de la virginité 5.

Avez-vous bien reçu les conférences 4 ?


Madame G., à qui ma sympathie et ma considération restent acquises, qu'elle se présente ou non
comme votre femme, a eu l'amabilité de m'envoyer une carte du couronnement. J e ne peux la
remercier directement, car je n'ai pas son adresse, et je dois donc vous demander de me l'indiquer ou
de la remercier à ma place.
La première impression de la nouvelle année a été l'extrait de la réponse de l'Entente 5. Difficile
de prendre position à ce sujet. S'ils sont capables
de maintenir ces mensonges pendant 2 ans 1/2, alors la situation n'est pas si mauvaise et le refus
pourra alors aussi être un mensonge. Il en va autrement s'ils ont raison avec leurs accusations et
il est vrai que nos gouvernements nous racontent à nous également tant de mensonges que nous
sommes dans l'incapacité de juger. Quoi qu'il en soit, la dernière vantardise de l'empereur
G.[uillaume] concernant l'armée était vraiment superflue.
Je vous salue cordialement pour le début de cette année décisive et j'attends votre
réponse prochaine,
votre Freud
Après la mort de l'empereur François-Joseph, le 21 novembre 1916, son petit-neveu fut couronné,
le 30 décembre 1916 à Budapest, empereur Charles I" d'Autriche et roi Charles IV de Hongrie. Le
fils de Freud, Martin, se rendit à Budapest à cette occasion, le 29 décembre 1916 (notes sur le
calendrier de Freud, LOC).
Voir 589 F, note 4.
«Le tabou de la virginité » (Freud, 1918a [1917], «Contribution à la psychologie de la vie
amoureuse III », in La Vie sexuelle, op. cit., chap. Di, p. 66-80).
«Du rêve», la deuxième partie de l'Introduction à la psychanalyse (1916-19I7a, Paris, Payot, PBP, n° 16)
est paru séparément chez Hugo Heller, à la mi-décembre 1916 (notes sur le calendrier de Freud,
LOC ; Freud à Binswanger, 25 XII 1916, Freud/Binswanger, Correspondance, op. cit., p. 212).
Le 12 décembre 1916, les gouvernements des Empires centraux ont invité les gouvernements de
l'Entente à entamer des négociations de paix. Les puissances de l'Entente ont décliné la proposition
le 30 décembre, sous prétexte qu'une paix conclue à ce moment-là ne profiterait qu'aux Empires
centraux « qui avaient cru pouvoir atteindre leurs objectifs en deux mois et maintenant, au bout
de deux ans, s'aperçoivent qu'ils ne les atteindront jamais » ; avant de négocier, l'Entente exigeait:
« expiation, réparation et garanties ».

637 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, le 1" décembre 1916 le 2


janvier 1917
Cher Monsieur le Professeur,
Tout d'abord, un mot sur l'affaire Harmonia.
Après mûre réflexion, il devient extrêmement douteux que vous puissiez même accepter
cette proposition – et si oui, à quelles conditions.
Il y a quelques semaines, en effet, Harmonia a organisé toute une série de soirées pour un
hypnotiseur et prestidigitateur«psychologique» du nom de Winterri et le grand intérêt du public, qui
lui a rapporté beaucoup d'argent, semble avoir attiré son attention sur la psychologie. Harmonia et
Winterri sont maintenant ici des notions associées; en troisième association viendraient à présent
s'ajouter votre nom et la psychanalyse. Il vous faut donc ou bien ne pas accepter cette invitation,
ou bien poser les conditions suivantes:
Publication d'une affiche avec le titre « conférences scientifiques et littéraires
», où seront nommées toutes les sommités participantes.
Votre conférence devra être non la première mais, si possible, la dernière de toutes, afin qu'il y ait
la distance dans le temps entre vous et Winterri.
Les honoraires ne devront pas être inférieurs à 2 000 C, car Harmonia gagne beaucoup d'argent avec
une telle soirée, et c'est ce qu'on paie ici, actuellement, à un consultant viennois pour le déplacement.
Ignotus, à qui j'ai aussi demandé conseil, a réagi instantanément par « Winterri » et « refus ». Il
considère les conditions que j'ai évoquées comme éventuellement acceptables.
J'ai bien reçu le « Rêve », et je vous en remercie. Pour l'instant, pas eu
le temps de relire encore une fois les conférences.
Je ne suis pas bien depuis deux jours (grippe) ; j'ai dû rester à la maison aujourd'hui
(probablement demain aussi). Sinon, rien d'important à dire en ce qui me concerne.

Je prends donc la décision solennelle de collaborer à ce beau projet (Lamarckisme). Je vais


considérer vos notes comme base de travail. Pour commencer, je vais recopier et vous envoyer les notes
que j'ai prises sur ce thème. Puis je vous demanderai d'indiquer ce qui est utilisable là-dedans et de
faire des propositions plus précises pour la répartition du travail.
Cordiales salutations
de votre Ferenczi
Vous serez surpris de voir à quel point mon opinion d'aujourd'hui diffère de celle exprimée la dernière
fois sur l'affaire Harmonia. Comme explication, prenez en compte mon désir de vous voir chez nous et
l'indignation à l'idée que vous soyez en proie à des soucis d'argent.

A. Fausse date barrée sur l'original.


638 F
Prof. Dr Freud

le 4 janvier 1917
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
En résultat de votre lettre (affranchie à 1 C), j'ai notifié mon refus au
directeur d'Harmonia. Mais comme vous aviez omis de me retourner sa lettre,
cela s'est fait sans adresse plus précise. Je n'ai pas tenu compte de
vos conditions, car je pense que si ce n'est pas « cachère » à 1 000 G, cela ne peut le devenir à 2 000. Et
il est impossible de surveiller de loin la mise en oeuvre des autres détails. De toute façon, vous vous
inquiétez trop du montant: cette augmentation ne serait d'aucun secours pour combler le manque à
gagner. D'ailleurs, je tiendrai encore un bon moment avant qu'on puisse parler de soucis.
Le travail sur le lamarckisme, je me le représente ainsi, dans un premier temps: chacun d'entre nous lit, si
possible, tout ce qui est nécessaire, afin de dégager pour l'un et l'autre des domaines plus spécialisés. Dès le
début, nous devons nous épauler par des informations indiquant où il y a quelque chose à chercher.
Le temps m'a apporté, à moi aussi, catarrhe, rhume, et la mollesse intellectuelle qui va de pair.
Par chance, on n'a pas besoin de grand-chose en ce moment, et les travaux ne pressent pas.
Ernst (Le grand E.[rnst]) ' a eu un abcès de l'amygdale et nous l'attendons dès ce mois-ci en permission.
Ainsi, tous seraient à présent loin du feu. Martin est encore sous le charme des impressions du
couronnement. Les dames remercient pour le Kugler 2 et refusent de croire à la misère en Hongrie.
Le petit article que j'ai écrit pour la revue d'Ignotus doit aussi, selon le vœu de Sachs, faire
l'ouverture du nouveau numéro d'Imago (dans quelques mois) 3.
Rank est devenu porte-drapeau. Oli continue à se dire très content.
Je vous salue cordialement et j'attends de vous des lettres moins onéreuses, mais plus
fréquentes.
Cordialement,
votre Freud
Il s'agit donc du fils de Freud, et non de Ernst Halberstadt. « 2-3.2. Ernst vainement attendu » ;
« 15.4. Ernst en permission » ; « 3.5. Ernst retour au front » (notes sur le calendrier de Freud,
LOC). Gâteau au chocolat fabriqué par un confiseur de ce nom à Budapest.
Cette publication a bien eu lieu: « Une difficulté de la psychanalyse » (Freud, 1917a), paru dans
Nyugat (1917, 10, p. 47-52) et Imago (1917, 5, p. 1-7), trad. E. Marty et M. Bonaparte in Essais de
psychanalyse appliquée, op. cit., p. 137-147. Voir aussi 629 F et la note 2.

639 Fer
Budapest, le 9 janvier 1917 A

Cher Monsieur le Professeur,


Madame Gizella, dont le jugement est pour moi déterminant, ne partage pas mes réticences ni celles
d'Ignotus. Moi aussi, je trouve que votre refus abrupt à Harmonia n'est pas justifié; nous aurions dû
attendre de voir s'ils garantissaient les conditions que vous auriez pu poser, et comment.
L'augmentation des honoraires à 2 000 C ne pouvait, dans mon esprit, corriger le côté « non cachère »
de la chose. Je pensais seulement que vous ne deviez pas être moins cher de nos jours. Le caractère «
cachère » constituait, de toute façon, la condition préalable à votre venue. Si vous n'avez rien contre,
je vais me démasquer auprès d'Harmonia comme étant à l'origine de votre refus et, si les garanties
proposées sont suffisantes, relancer l'affaire.
J'envoie ci-joint, en vous priant de me la renvoyer, la copie des aphorismes' qui justifient peut-être
ma collaboration au travail sur Lamarck. Les phrases écrites entre [ j B datent de l'époque qui a suivi
votre visite à Päpa.
En principe, je suis d'accord avec la façon dont vous envisagez le travail commun. Mais de quelle
manière cela se passera-t-il in praxi *, cela dépendra beaucoup de mon état de santé. A ce propos,
précisément, je dois encore vous ennuyer.
L'élan psychique que j'ai mentionné dernièrement a été aussitôt coupé net par la grippe. Je me suis senti
physiquement très faible, même après la fin de la fièvre, et le Dr Lévy a constaté une augmentation des
symptômes de Basedow, ainsi qu'une nouvelle flambée de néphrose 2. Naturellement, j'ai immédiatement
mis à profit cette situation pour une dépression psychique, que même la compagnie de Gizella n'a pas
apaisée. Le Dr Lévy veut me faire obtenir un congé de 8 semaines, dont 4 au moins, d'après lui, à passer à
la montagne.
Le congé aurait, en tout cas, dû me tenter... mais cela n'a pas été le cas. J'en remets la demande de
jour en jour. Entre-temps, j'ai réduit de 6 à 5 le nombre des séances, ce qui me fatigue toujours
beaucoup.
Le congé (qui, d'après le Dr Lévy, pourrait encore être prolongé) me permettrait de collaborer plus
assidûment au travail sur Lamarck. Ou bien, devrais-je aller jusqu'à reprendre le fil de l'analyse?
J'attends votre conseil.
Ci-joint la lettre que j'ai reçue de Jones. La correction qui y est mentionnée se rapporte à la
traduction anglaise de mes travaux 3.
Cordiales salutations de
votre Ferenczi

Dans le manuscrit : 1916, par erreur. Le classement à cet endroit se justifie par le contenu et se
trouve confirmé par le papier à lettres.
Ainsi dans le manuscrit.
* En latin dans le texte : dans la pratique.
Non retrouvée.
Néphrose : expression ancienne pour les maladies du parenchyme rénal de nature dégénérative, non
inflammatoire.
Pour la traduction de Jones, voir 519 F et la note 5 (Ferenczi, 1916, 186). Sa lettre à Ferenczi n'a
pas été retrouvée.
640 Fer
Budapest, le 11 janvier 1917

Cher Monsieur le Professeur,


Comme je viens d'expédier les affaires courantes de la rédaction avec le Dr Sachs, et comme, ces
derniers jours, rien de significatif n'est intervenu ni sur le plan personnel, ni dans nos affaires, je
me contente de vous donner un signe de vie et de vous informer que j'ai l'intention de passer à
Vienne les deux prochains jours fériés (les 2 et 3 février),'.
Outre le porcupine, un homme porteur de cigares ne s'est-il pas aussi manifesté chez vous ? S'il
venait, prière de ne pas le payer, mais de me laisser régler cette affaire, je me ferai rembourser par
vous ensuite. En tout cas, je vous prie de m'indiquer s'il en a apporté, et combien.
Cordiales salutations
de votre Ferenczi

1. D'après les notes sur le calendrier de Freud (LOC), Ferenczi était à Vienne le 4 février.

641 F
Prof. Dr Freud

le 12 janvier 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je suis désolé d'apprendre que votre santé a été de nouveau ébranlée. D'ici, je ne saurais rien vous
conseiller d'utile. Chez nous, l'éventualité d'un départ s'est bien éloignée, en raison des frais et des
difficultés de ravitaillement. Nous n'allons tout de même pas envisager de reprendre l'analyse.
Par ailleurs, il ne nous est plus possible de reprendre l'affaire Harmonia.
Mon refus correspondait à votre expertise et à celle d'Ignotus, ainsi qu'à un
penchant intérieur profond pour une décision négative. Il paraîtrait étrange
que vous cherchiez maintenant à renouer, alors que rien n'a changé. S'il avait
eu meilleure conscience, l'homme aurait pu se remanifester lui-même.
De vos envois, je ne joins aujourd'hui que la lettre d'E.[rnest] Jones. Le ton n'en est pas
rassurant. J'ai eu de ses nouvelles la même semaine'. Vos remarques constituent certainement
une bonne voie d'approche ; je les garde encore quelques jours pour une relecture complète.
Je pense que chacun de nous devrait mener la chose à bien comme s'il était seul, et que nous nous
réunissions ensuite. Le prochain envoi que vous recevrez de moi sera une liste bibliographique des
livres qui contiennent ce qui est décisif pour chacun des points. J'en ai déjà commandé quelques-uns,
j'en chercherai d'autres à la bibliothèque de l'Université. Beaucoup d'ouvrages en langue étrangère nous
resteront naturellement inaccessibles.
Sinon, ici rien de nouveau. La dernière session >Jra s'est bien déroulée 2, Sachs est d'une
aide inestimable. Martin est encore ici, Ernst est attendu dans une semaine. Le petit 8est très
sociable et se fait parfois aussi un peu comprendre.
Je vous salue cordialement et je vous souhaite un prompt rétablissement,
Votre Freud
P.S. J'ai dû répondre à un Dr Pârtos de Szeged que, pour l'instant, Heller ne souhaitait pas encore
faire traduire les Conférences. Je donne volontiers mon autorisation pour Totem et tabou 4.

Ne se trouve pas dans la correspondance Freud/Jones.


Réunion de l'Association de Vienne du 10 janvier 1917, avec un exposé de Hermann Nunberg
intitulé « Observation d'un cas d'hypocondrie » (Minutes, IV, p. 343). Hermann (devenu plus tard
Herman) Nunberg (1884-1970) était originaire de Galicie ; il étudia la médecine à Cracovie et à
Zurich, où il travailla au Burghölzli avec Jung, sur les expériences d'association de celui-ci.
Après des séjours à Schaffhouse, Berne, Cracovie et Bistre (à la clinique de Ludwig Jekels), il
s'installa à Vienne au début de la Première Guerre mondiale, et entra en analyse avec Paul
Federn. Didacticien en 1925, bibliothécaire et directeur adjoint de l'Institut de formation en
1926, membre du comité de sélection de l'Association de Vienne en 1930. En 1929, épouse
Margarethe Rie, fille d'Oskar Rie, l'ami de Freud. En 1932, émigre, d'abord en Pennsylvanie,
puis en 1934 à New York. De 1950 à 1952, président de la New York Psychoanalytic Society.
Parmi ses analysants, se trouvent Willi Hoffer et Henri Flournoy. Conjointement avec Ernst
Federn, Nunberg était éditeur des Minutes.
Ernst Halberstadt.
Pour la traduction hongroise de l'Introduction à la psychanalyse (Freud, 1916-1917a), voir 574
Fer ; la traduction de Totem et tabou par Zoltän Pârtos, revue par Ferenczi, a paru en 1918 chez
Marié. Dick (Budapest).

42 F
Prof. Dr Freud

le 22 janvier 1917
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Je voulais vous renvoyer aujourd'hui vos notes sur L.[amarck], mais j'ai
découvert que je ne possédais pas d'enveloppe assez grande et je remets
donc cela à demain. Cette phrase sur l'apparition de la physique et de la biologie s'impose à moi comme
un formidable programme pour la théorie de la connaissance, que je ne vais pas critiquer, mais garder
soigneusement en mémoire. Très satisfait du succès de mes incitations, j'ai noté l'importante contribution
de vos travaux, tant créatifs que critiques, au contenu de notre Zeitschrift, que nous sommes fiers d'avoir
maintenu à un tel niveau.
Mon travail sur L.[amarck] est très retardé par les circonstances. J'attends toujours quelques livres que
j'ai commandés ; d'autres, que j'ai cherchés chez Grobben et pour lesquels j'ai écrit à la bibliothèque de la
Cour, sont impossibles à obtenir. Aller à la bibliothèque de l'Univérsité prend un temps fou et cela m'est
beaucoup plus difficile maintenant que j'ai davantage de patients le matin. De plus, il fait si froid, le soir,
dans la pièce que la production gèle. Le poêle à gaz ne chauffe pas correctement.
Pour Harmonia, j'ai donc accepté, mais repoussé la visite au printemps. Cependant, je suis toujours
aussi embarrassé: de quoi doit-on parler en une heure, devant un public non qualifié?
Bàràny part fin mars pour Uppsala A comme professeur. Mes chances pour le prix passent ainsi de 5 à
6 %. Peu de différence pour le résultat final 1.
Cette folle de Helberg B(association géographique) a fait son apparition ici. Le diagnostic de catarrhe posé
par le Dr L.[évy] a été mis en doute par d'autres médecins ; je l'ai donc fait confirmer ici par Hitchmann et
je l'ai remise entre ses mains.
Anna aussi a une toux suspecte accompagnée de symptômes généraux; elle est en observation, elle aura
probablement besoin d'un congé prolongé 2.
Une sourde attente pèse sur l'époque et les sentiments s'émoussent quelque peu. J'espère que vos états
pathologiques intéressants battent déjà en retraite.
Je vous salue cordialement, votre Freud.

Dans le manuscrit, l'orthographe ancienne avec un seul «p» Upsala.


Dans les Minutes de l'Association psychanalytique de Vienne, éditées par Hermann Nunberg et Ernst Federn,
t. IV, p. 346, le nom de cette patiente de Ferenczi (la « Suédoise ») est écrit avec deux «1» Hellberg.
Voir 573 F et la note 8.
La maladie d'Anna reçut par la suite le diagnostic de tuberculose (E. Young-Bruehl, Anna Freud, op. cit., p. 70).
643 F (à Madame G.)
Prof. Dr Freud

le 23 janvier 1917
Vienne, IX. Berggasse 19

Chère Madame,
Je vous renvoie la lettre d'Elma dont le contenu m'a naturellement
beaucoup touché et je vous remercie pour votre amabilité.
Actuellement, je reçois peu de nouvelles de notre ami. J'attends du bien,
moi aussi, de son séjour dans les Tatras. Moi-même, j'en ai beaucoup
supporté de sa part. Depuis que je vous connais et que je suis au courant
de vos relations, j'ai ardemment souhaité de vous savoir unis. Il n'est pas
homme à pouvoir vivre et travailler sans une relation d'appartenance intime
avec quelqu'un d'autre. Et où trouverait-il une personne plus excellente que
vous ? Bien que, moi aussi, j'aie eu l'impression que le meilleur moment
avait été manqué, j'ai oeuvré à la réalisation de ce souhait par les moyens
les plus variés : directement et indirectement, dans la relation amicale et
par l'analyse, prudemment, afin que mes exhortations ne suscitent pas son
opposition, et en insistant lourdement pour faire valoir mon influence. Je
l'ai poussé à se libérer de vous, pour qu'il mette à l'épreuve sa capacité à se
créer quelque chose d'autre, puis je l'ai orienté vers vous quand il est
apparu qu'il n'était pas en mesure de se passer de vous et de vous
remplacer. J'ai vraiment tout essayé, sans aucun succès. Finalement, il a
fallu que je lui déclare brutalement qu'il ne voulait rien de décisif et faisait
mauvais usage de l'analyse elle-même pour camoufler son refus. Ce n'est
d'ailleurs pas un refus, il ne veut qu'une chose: ne rien changer, ne rien
faire, attendre passivement que quelque chose lui vienne en aide. Et puis
est arrivée cette affection stupide, insignifiante, mais indiscutablement
organique, la maladie de Basedow, qui lui a permis de se libérer des pièges
par où j'espérais l'attraper. Qu'il n'obtienne pas de vous et de la vie plus
qu'il n'a obtenu jusqu'à présent m'affecte profondément. Mais je n'y peux
rien.
En ces temps troublés, je reçois, avec des remerciements cordiaux et une
sympathie respectueuse, votre assurance chaleureuse que vous ne
m'abandonnerez pas.
Votre tout dévoué
Freud
644 Fer
Budapest, le 25 janvier 1917

Cher Monsieur le Professeur,


C'est maintenant, seulement, que je suis en mesure de vous expliquer mon long silence et peut-être,
aussi, quelques aspects de mon comportement étrange par ailleurs. Tout cela découlait d'une souffrance
physique. Depuis quelque temps, je constate chez moi l'apparition de poussées irrégulières de température
(jusqu'à 37,3-4 0). Aujourd'hui, je me suis décidé à faire faire une radiographie. Il est apparu que le sommet
des poumons est moins transparent, en particulier le droit. A l'auscultation aussi, le Dr Lévy a pu constater
un « catarrhe » à droite.
La grande fatigabilité, l'amaigrissement trouvent ainsi leur explication. Même le « Basedow » n'aura
été qu'un « pseudo », ou un phénomène secondaire. Le processus est certainement en cours depuis
longtemps (si j'interprète correctement mes souvenirs).
Si le Dr Lévy nie la nature tuberculeuse de l'affection, ce n'est manifestement pas en tant que
spécialiste des maladies internes, mais comme psychothérapeute.
Je reste en relation télégraphique avec les stations climatiques des Tatras. Le Dr L.[évy] continue
à conseiller un séjour en haute montagne. Il est toutefois possible que je vous rende visite à Vienne
avant le départ en montagne.
Bien que nous ayons l'intention de déplacer vers le bas la limite entre le psychique et le physique, nous
concéderons cependant, dans ce cas, la primauté au physiologique. Encore que, comme vous savez, être
malade est aussi psychiquement significatif, comme motif de fidélité à Madame G.
J'ai trouvé dans la bibliothèque des sciences naturelles d'ici (ainsi que dans la bibliothèque de
l'Université) plusieurs livres que vous m'aviez recommandés ; j'en ai emprunté quelques-uns. Mais la
fatigue après les séances (certainement causée par la fièvre) m'a empêché de les lire.
Je ne sais pas encore comment la maladie et l'envie de travailler vont pouvoir s'accorder. Quand
j'aurai été libéré du travail à l'hôpital (et c'est ce que je veux), il me restera plus de temps pour une
activité scientifique. Mais le temps et l'envie de travailler iront-ils de pair? Qui saurait le dire ? Comme
exemple caractéristique, je vous raconterai que ma première idée après la découverte de l'atteinte
organique a été celle-ci: d'abord mettre de l'ordre dans tous mes écrits, afin qu'ils puissent paraître
au moins à titre posthume.
En même temps, je sais très bien (dans le Pcs) qu'il peut s'agir d'un cas bénin; il y a tant d'atteintes
pulmonaires bénignes.
Votre éloge de mon activité au journal m'a fait honte. Non seulement
parce que j'ai découvert beaucoup d'erreurs dans le dernier article (névroses de guerre)', mais aussi, et
surtout, quand je pense au peu que j'ai fourni dans l'ensemble. A l'évidence, j'ai toujours attendu des
temps plus heureux, où travailler vaudrait la peine. Peut-être y réussirai-je maintenant, à l'aide de la
régression dans la maladie (dans l'infantile).
Vos « Types de caractères » 2 sont très beaux et convaincants. Le « Retour de l'âme » de Sachs 9
est aussi un beau texte.
J'ai lu le roman que vous aviez cité, « Évolution d'une âme » 4. C'est un bricolage ennuyeux, volé en
partie à la psychanalyse, en partie au « Jean-Christophe» de Romain Rolland 5 (à ce dernier, il a volé
la forme et le mode de représentation).
Je considère l'indisposition d'Annerl bien plus bénigne que la mienne, puisqu'il n'y a pas de signes
locaux. Où l'envoyez-vous en vacances — ou bien reste-t-elle à la maison?
Quant à mes oscillations pour ou contre Gizella, qui durent encore, la maladie leur
préparera vraisemblablement une fin dans le sens positif.
Cordiales salutations de
votre Ferenczi
La Suédoise avait annoncé, au moment de son départ, la reprise de sa cure en mars. Comme elle est
maintenant chez Hitschmann, je ne lui réserve plus sa séance (N.B., je suis content d'en être
débarrassé). Comme je ne suis pas sûr de son adresse, je demande à Hitschmann de bien vouloir
l'informer que je ne l'attends plus.

«Deux types de névrose de guerre (Hystérie) » (Ferenczi, 1916, 189), Psychanalyse, II, p. 238-252. «
Quelques types de caractères dégagés par la psychanalyse » (Freud, 1916d), in Essais de psychanalyse
appliquée, op. cit., p. 105-136.
Hanns Sachs, « Die Heimkehr der Seele » (Le retour de l'âme), Imago, 1916, 4, p. 346354.
Probablement Évolution d'une âme (Munich, 1913) d'August Strindberg (1849-1912).
Romain Rolland (1866-1944), jean-Christophe (1914-1917). Freud et Rolland entretenaient des
relations amicales. Voir la discussion de Freud concernant le « sentiment océanique » selon Rolland
dans Malaise dans la civilisation (Freud, 1930a, trad. M. et Mme Odier, Paris, PUF, 1971, p. 6, 15, 16) et
Henri Vermorel et Madeleine Vermorel, Sigmund Freud et Romain Rolland. Correspondance 1923-1936, Paris,
PUF, 1993.
Budapest, le 26 janvier 1917

Cher Monsieur le Professeur,


Post-scriptum à ma lettre d'hier.
On pourrait envisager comme thèmes pour le public de Budapest:
Psychanalyse et Art
Psychopathologie de la vie quotidienne
La névrose comme institution sociale
(Le thème que vous avez promis à Buber'.)
Le mot d'esprit (?)
Je vous demande de n'informer Mlle Hellberg dans le sens indiqué que si elle
est en traitement, non seulement médical mais aussi psychothérapeutique, chez
Hitschmann.
Rien de nouveau au point de vue santé. Je vous tiendrai informé à ce sujet.
Cordialement, votre
déjoué Ferenczi

1. Martin (Mordechaï) Buber (1878-1965), philosophe et théologien juif. Après avoir fait des études
de philosophie chez W. Dilthey et G. Simmel, et d'histoire de l'art à Vienne, Leipzig, Zurich et Berlin,
il se consacre à l'étude et à la traduction des textes hassidiques des Juifs de l'Est. A partir de 1923,
enseigne la théologie judaïque et l'éthique à l'université de Francfort. En 1933, il démissionne de sa
chaire; en 1938, s'installe en Palestine et devient professeur de philosophie et de sociologie à
Jérusalem, jusqu'en 1951. Dans son ouvrage Ich und Du (1923) [Je et Tu, trad. G. Blanquis, Paris,
Aubier, 19691, il pose le dialogue comme la base des relations entre les hommes et entre les hommes
et Dieu. Buber exerça une forte influence sur l'intelligentsia de son temps, aussi bien juive que
chrétienne. Au début de 1908, il rend visite à Freud et lui demande — sans succès — s'il est disposé
à écrire un livre pour la série de monographies qu'il édite, intitulée « La société » (lettre inédite de
Buber à Kurt Elssler, 22 avril 1960, LOC). Bien que très sceptique envers la psychanalyse, Buber
est, à l'occasion de cette visite, fasciné par la personnalité de Freud — en particulier par sa «
tranquillité d'âme » (Meerestille der Seele) — comme il en fit part, plus tard dans sa vie, à Kurt Eissler
(ibid.) et Jochanan Bloch (Die Aporie des Du : Probleme der Dialogik Martin Bubers [L'aporie du Tu : Problèmes
de la dialogique de Martin Buber), Heidelberg, 1977, p. 301).

646 F
Prof. Dr Freud

le 28 janvier 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
J'ai appris avec regret votre état de santé, sans lui attribuer néanmoins la même
importance que vous. Les affections de ce genre semblent être maintenant
extrêmement courantes et n'annoncent sans doute pas toujours quelque chose de
grave. Chez Annerl aussi, il est apparu qu'un sommet pulmonaire était moins clair
que l'autre à la respiration, sinon rien. Pourtant elle a mauvaise mine, elle est
fatiguée, sa température oscille entre 36,9° et 37,3°. Dès que ce sera possible, elle
prendra plusieurs semaines de congé. Mais où aller, par les temps qui courent? En
fin de compte, sans doute au Semmering.
Ce serait très bien si vous veniez pour une journée à Vienne avant votre
voyage, comme vous le laissez entendr
fini par recevoir quelques livres sur L.[amarck]. Mon impression est
que nous rejoindrons entièrement les psycho-lamarckistes comme Pauly 2 et que nous aurons peu de
choses tout à fait nouvelles à dire. Toujours est-il que la `PA aura alors déposé sa carte de visite
auprès de la biologie.
L'impression des Conférences III a enfin commencé.
Mlle Helberg n'a été chez Hitschmann que pour une consultation de
médecine interne. Je ne l'ai pas vue depuis.
Je vous remercie beaucoup de vos propositions pour l'exposé. Aucune ne me paraît bien commode. Le
mieux, dans cette affaire, est de remettre à plus tard. Peut-être, d'ici là, le monde aura-t-il sombré.
Je n'ai pas pu deviner quel roman vous désigniez, au juste, par « Évolution d'une âme ». Est-ce le « Banni
» de Schmitz 8 ? Je le juge plus favorablement que vous et, avant tout, je le crois authentique.
Un froid de canard, des soucis de ravitaillement, de sombres expectatives constituent un bien
mauvais ensemble ces temps-ci. Et le rythme sur lequel on vit maintenant est également difficile à
supporter. Au demeurant, je tiens encore le coup.
Cordiales salutations et meilleurs voeux (antihypocondriaques)
de votre Freud
I. Voir 640 Fer et la note 4.
August Pauly (1850-1914), professeur de zoologie à l'université de Munich, auteur de Darwinismus und
Lamarckismus, Entwurf einer psychophysischen Teleologie (Darwinisme et lamarckisme, esquisse d'une
téléologie psycho-physique), Munich, 1905, et de Wahres und Falsches an Darwins Lehre (Vérités et erreurs
dans la théorie de Darwin), Munich, 1910.
Oscar A. Schmitz (1873-1931), Der Vertriebene; ein Entwicklungsroman (Le banni ; un roman
d'apprentissage), Munich, Müller, 1917.
Südbahnhotel Semmering jeudi [8
février 1917] B

Cher Monsieur le Professeur,


Maintenant que je me suis à peu près installé ici, je peux vous faire un compte
rendu de moi et de la situation.
Tout d'abord, j'ai été logé dans une dépendance, ce qui impliquait malheureusement beaucoup
d'escaliers à monter et à descendre. Depuis aujourd'hui, je suis dans le bâtiment principal.
Hier, je suis allé trouver le médecin résident du « Centre de cure », le Dr K. Kraus, avec une recommandation
du professeur Pineles ' ; il m'a reçu aimablement, m'a donné des prescriptions diététiques et m'a rassuré en ce
qui concerne le pronostic. Le centre de cure est très beau. Les prix, pas trop exorbitants. J'ai parlé au Dr Kraus
des 100 couronnes par jour ; il a déclaré que c'était une « calomnie ».
Je dois rester couché en plein air avant et après le déjeuner, une heure
et demie chaque fois ; cela occupe mon temps de 11 heures à 3 heures. Sinon, je suis dans ma
chambre. Pour l'instant, pas trace d'envie de travailler.
Le temps, ici, est très beau; hier, le soleil chauffait très fort sur la terrasse. Plein de neige sur
les montagnes. Peut-être, ici, arriverai-je progressivement à me ressaisir.
La nourriture est bonne. On a du pain comme à Vienne. Pas de beurre. Comme je mange à la carte, je
dépense plus d'argent qu'il ne m'en faudrait à la maison de cure, où on a la pension complète à partir de 36
couronnes.
Je me suis donc fait inscrire à la maison de cure; dans 14 jours, il y aura une place libre pour
moi. C'est ce genre d'affaires matérielles qui m'occupe actuellement. D'activité intellectuelle, il
n'est pas question.
Certes, vous m'avez donné l'habitude et accordé le privilège * d'être reçu aimablement et avec
affection chez vous, mais cette fois-ci j'en ai été particulièrement touché, peut-être parce que,
conscient d'être malade, j'avais un plus grand besoin de tendresse.
Je vous en remercie de tout coeur, vous et les chers vôtres. On dit que je dois rester ici
jusqu'après Pâques!
Cordialement, votre
Ferenczi

En-tête pré-imprimé.
Cette lettre a été classée par Bâlint « entre le 17 et le 21 février 1917 », mais cette date ne peut être
exacte. D'après le contenu, la date adoptée ici semble plus cohérente. * Gewöhnt und verwöhnt,
allitération intraduisible: habitué et gâté.
1. Friedrich Pineles (1868- 1936), interniste viennois. Voir lettre de Freud à Fliess du 1" août
1899, The Complete Letters of Sigmund Freud to Wilhelm Fliess, 1887-1904, trad. et éd. par J. M. Masson
(Cambridge, Mass.), Londres, Belknap Press, 1985, p. 364.

648 F (à Madame G.)


Prof. Dr Freud

le 11 février 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Chère Madame,
Notre ami a reçu ici, du Prof.[esseur] Pineles, une information qui correspond entièrement à mon
point de vue. Il présente un cas discret de Morbus Basedowii *, sans aucune complication dangereuse;
il a toutes les chances de se rétablir dans une large mesure en 2 à 3 mois, et n'a pas besoin d'accorder
à la maladie une place et un rôle particuliers dans l'économie de sa vie. Un travail aussi intensif que
celui qu'il a fourni dernièrement à Budapest ne vaut rien pour lui, bien sûr, pas plus que les émotions
incessantes. En somme, que ce soit enfin la paix!
1917 205

La dernière lettre que je vous ai adressée n'était destinée qu'à vous seule,
elle était trop sincère pour lui. Il ne m'a d'ailleurs pas dit qu'il l'avait lue.
Les complications avec l'Amérique ' sont inopportunes, indésirables pour tous, mais j'espère
qu'elles n'interrompront pas la correspondance avec votre fille 2. Je vous remercie cordialement de
la sympathie que vous portez aux petits événements de ma maison. Ma petite fille ne semble pas
gravement malade, mais elle n'arrive pas à se débarrasser de son catarrhe et elle a mauvaise mine.
Nous devrions l'envoyer elle aussi au Semmering, mais on ne trouve de place ni au centre de cure,
ni dans une pension, et comme elle ne doit pas attendre des semaines, nous nous sommes décidés
à l'orienter vers la Sulz, à Kaltenleutgeben 9 où elle doit arriver demain. Son école ne lui accorde que
2 semaines de congé ; peut-être n'a-t-elle pas besoin de plus.
Aucun de nous ne s'illusionne sur le fait que des mois difficiles nous attendent encore, avant
que nous puissions reprendre haleine. Peut-être n'est-il pas plus mal que notre ami puisse en
passer une partie dans une agréable réclusion.
Maintenant que je connais votre adresse, vous n'êtes plus du tout sûre
de ne pas avoir la surprise d'une lettre de moi.
Je vous salue très chaleureusement,
votre très dévoué
Freud

* En latin dans le texte: maladie de Basedow.


Les gouvernements allemand et autrichien décrétaient, à partir du 1" février, « la guerre
sous-marine illimitée », ce qui signifiait que des bateaux neutres seraient également attaqués.
Deux jours plus tard, les États-Unis rompaient les relations diplomatiques avec l'Allemagne —
événement que Freud a également noté sur son calendrier (LOC).
Elma.
Village dans le Wienerwald, au sud-ouest de Vienne.
9F
ProfDr Freud

le 16 février 1917
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Je vous aurais écrit depuis très longtemps, s'il y avait eu plus de choses positives à vous dire.
Mais tout est négatif, tout est gêne, restriction, renoncement, au mieux une sombre attente.
C'est le destin d'Annerl qui vous intéressera le plus. Elle est partie lundi pour la Sulz, parce
qu'il n'y avait pas de place à Breitenstein' ni dans les pensions du Semmering. Là, elle a
aussitôt attrapé la grippe, mais elle a déjà quitté le lit aujourd'hui ; toutefois, le séjour ne lui
apporte pas ce
qu'on pourrait souhaiter. Je lui rendrai visite dimanche, et puis je la
ferai revenir bientôt.
Les travaux chez Heller sont perturbés par la disparition définitive de Madame Fischer. Il n'est
personne, à présent, qui connaisse le fonctionnement de l'entreprise. La Zeitschrift est en panne,
parce qu'on n'arrive pas à obtenir un simple cliché pour mon article. L'impression des Conférences
est suspendue. Avec Heller lui-même, il n'y a pratiquement rien à faire.
A ma consultation, j'ai eu deux patients en 10 jours ; rien de neuf n'est venu s'y ajouter.
La journée n'est donc guère remplie. Pendant deux semaines, l'obscurité et le froid m'ont
rendu impossible le travail nocturne habituel. Ainsi, tout le monde attend que les sous-
marins aient rétabli l'ordre dans le monde – s'ils y parviennent.
De l'extérieur, une seule chose réjouissante: les nouvelles du groupe hollandais 2 et
la correspondance avec Ophuijsen.
Les difficultés de circulation des trams menacent de rendre la vie à Vienne tout à fait
impossible. Le froid semble diminuer maintenant, mais c'est la grippe (3 cas dans la famille)
qui vient prendre sa place.
Profitez donc de tout le bien-être que procure votre situation; la fuite dans la maladie est,
cette fois, très justifiée en tant que fuite hors d'une réalité misérable. Rétablissez-vous
suffisamment pour qu'à la fin de la guerre vous apparaissiez comme un travailleur en pleine
possession de ses forces.
Chose étrange, avec tout cela je vais assez bien et mon moral n'est pas ébranlé. La preuve
du peu de motivation dont on a besoin pour cela.
Nous vous saluons tous cordialement et souhaitons apprendre à quel moment vous allez
déménager au centre de cure,
votre Freud
Une localité au Semmering.
La fondation du Nederlandsche Vereeniging voor Psychoanalyse (Association hollandaise de
psychanalyse) en février 1917. A. Van Rhenterghem était le président, J. Stärcke le secrétaire
et A. Van der Chys le trésorier. Voir la communication correspondante dans la Zeitschrift, où
l'événement a été «rendu public avec la satisfaction de constater que l'extension internationale
de la psychanalyse n'a pas été empêchée par la guerre» (19161917, 4, p. 217).

650 Fer
Südbahnhotel Semmering
le 21 février 1917

Cher Monsieur le Professeur,


En ce qui me concerne, peu de nouvelles à rapporter. Le centre de cure a tout simplement
retiré sa promesse, donnée il y a 14 jours, si bien que
je n'y trouverai sans doute pas de place dans un avenir proche. J'ai rendu quelques visites au médecin de là-
bas, le Dr Kraus (une vieille connaissance de Hitschmann) /*/. C'est un collègue aimable, bon médecin de
surcroît, spécialiste de la maladie de Basedow. Il a montré une grande compréhension pour toutes mes plaintes
et a réussi, malgré mon hypocondrie, à me rassurer chaque fois, ne fût-ce qu'un court moment. A mes misères
précédentes se sont, en effet, ajoutées : une légère inflammation veineuse à la cheville, une constipation
spasmodique, une douleur au poignet droit; à la suite de toutes ces, petites choses, insomnie et perte de poids,
environ un 1/2 kg de moins qu'à l'arrivée (entre-temps, j'avais déjà pris 1 1/2 kilo).
Voilà les choses qui m'occupent. J'ai essayé de travailler (j'ai commencé à écrire l'article, qui devrait être
achevé depuis longtemps, sur « l'amphimixie des pulsions partielles dans la génitalité » '). Cependant, le Dr Kraus
a déconseillé le travail pour l'instant. [A Ce Dr Kraus n'entend pas grand-chose à la 'PA, mais il a une vague idée
de l'importance de la sexualité dans les névroses. Il lui est arrivé de faire le lapsus suivant: une darne est amenée
par son mari au centre de cure ; le mari s'inquiète beaucoup de l'y laisser seule. Sur quoi, le Dr Kraus essaie de
le tranquilliser de la façon suivante: « Ne craignez rien, je vais la materner, la paterner, la bais... * » ; là, il s'est-
interrompu à temps. Il voulait dire baiser. La preuve qu'il l'a absolument pensé inconsciemment, c'est que la
darne n'était vraiment pas attirante.]
Ici aussi, la grippe a atteint quelques curistes ainsi qu'une partie du personnel. J'ai été désolé du retour
bien trop rapide de Mlle Annerl ; espérons qu'elle va déjà mieux.
Je corresponds activement avec Budapest ; Madame G m'a écrit notamment que vous aviez été surpris
d'apprendre que j'avais lu la lettre que vous lui aviez adressée, sans le mentionner. Je ne l'ai pas fait, parce que
je n'avais rien à en dire et parce que j'avais trouvé naturel que cette lettre me fût également adressée.
Je dépense beaucoup d'argent ici. 16 couronnes pour la chambre, à peu près 24 couronnes pour la
nourriture (à la carte **), les pourboires en plus.
Le Dr Kraus (dont je parle tant aujourd'hui) est d'avis que je fasse faire à Vienne
quelques irradiations de la thyroïde chez un des meilleurs radiologues. « Vous vous
débarrasseriez ainsi de la moitié de vos troubles », pense-t-il.

Je suis parvenu au bout des lectures que j'ai apportées. J'ai aussi épuisé ce que la boutique d'ici peut offrir
d'utilisable. Il ne me reste plus qu'à demander à Mlle Minna de bien vouloir m'envoyer quelques livres de sa
bibliothèque. Par ailleurs, j'écris aussi à Sachs pour qu'il me fasse expédier quelques nouveautés par Heller.
On n'entend pas beaucoup parler de la guerre ici. On économise le chauffage depuis quelques jours.
Quatre fois par semaine nous avons des
séances de cinéma, mais cela m'émeut beaucoup trop ! Je n'ai pas encore fait de connaissances.
Avec mes salutations cordiales,
votre Ferenczi

Avez-vous déjà de nouvelles épreuves des Conférences sur les névroses 2?


/*/ Comme je ne dois pas aller à pied, chaq e visite me coûte 13
couronnes (pour le traîneau).

A. Entre crochets dans l'original.


* En allemand, begatten (s'accoupler) se construit à partir du mot Gatte (époux), comme «
paterner » et « materner » à partir de père et mère.
** En français dans le texte.
Repris par Ferenczi dans « Thalassa. Essai d'une théorie de la génitalité » (1924, 268,
Psychanalyse, III, p. 250-323).
« Théorie générale des névroses », III° partie de l'Introduction à la psychanalyse, op. cit.

651 Fer
Semmering, le 27 février 1917

Cher Monsieur le Professeur,


On peut constater une amélioration notable de mon état: accroissement des
forces et du poids, diminution des pulsations. Content de ce succès,
j'envisageais de passer aussi le reste de mes vacances à l'Hôtel Südbahn,
mais comme le centre de cure me propose de mettre une chambre à ma
disposition, je ne veux quand même pas la refuser. A partir du 1" mars
j'habiterai donc là-bas. Un ami de Budapest, le professeur Dr Schächter'
(maintenant médecin major), est hospitalisé au centre de cure, gravement
malade (phtisie + diabète) ; quelle que soit ma sympathie pour lui, je ne
passerai avec lui que peu de temps chaque jour, compte tenu de la contagion
possible (surtout en état de moindre résistance).
J'envoie un petit travail par le courrier d'aujourd'hui. Vous en reconnaîtrez facilement le
héros 2.
Je joins à ces lignes quelques menus écrits.
J'ai correspondu avec Rank à l'occasion d'une affaire de famille (neveu malade à Cracovie). Sa
lettre était aimable, mais nettement dépressive. Dans l'attente de vos nouvelles,
votre Ferenczi

Miksa Schächter (voir aussi t. I, 111 Fer, note 2). Voir la notice nécrologique qui lui
est consacrée: Ferenczi, 1917, 199, Psychanalyse, II, p. 288-292.
Dans « Pollution sans rêve orgastique et orgasme en rêve sans pollution » (Ferenczi,
1917, 193, Psychanalyse, II, p. 259-264), Ferenczi décrit un de ses propres rêves.
652 F
Prof. Dr Freud

le 2 mars 1917
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Reçu et lu vos contributions, avec l'impression qu'elles sont fines et tout à
fait justes. Les donnerai demain à Sachs pour le dossier. A propos de votre
rêve, je pourrais faire remarquer que vous n'avez pas à vous inquiéter d'avoir
négligé votre travail sur Lamarck 1. Je n'ai pas avancé non plus ; pendant les
semaines de froid et d'obscurité, j'ai abandonné le travail du soir et je ne m'y
suis plus remis depuis. Maintenant encore, l'éclairage est le plus souvent
insuffisant, il me rend le travail désagréable ou me procure un prétexte rêvé
pour le reporter. Les motivations à travailler sont à présent en partie éteintes,
en partie réprimées. La tension liée à ce qui va advenir dans le monde est
trop grande. Je me familiarise avec le projet de reprendre le travail durant
l'été, quand il faudra renoncer à la nature et que l'on ne saura que faire en
ville. •
En ce qui concerne ce rêve: ajoutons qu'il vaut la peine de noter que, si
vous aviez pu épouser Mathilde, vous n'auriez pas eu d'enfants, ce que,
d'ailleurs, je ne savais pas encore à l'époque 2.
Tout ce qui pourrait nous intéresser scientifiquement est aussi pauvre et
avance aussi lentement qu'avant. Le fait que Stekel ait commis un nouveau
livre (Onanisme et homosexualité)' ne nous donne que l'embarras de savoir
qui en fera le compte rendu et ce qu'il pourra en dire. Rank, qui s'est annoncé
pour le début de la semaine prochaine, affirme qu'il est aussi paru quelque
chose de Jung'. Au demeurant, Rank est de nouveau en forme, il écrit qu'il
vous rendra visite à vous aussi. Oli est arrivé ce matin 5de Cracovie et doit
être dimanche matin à Krems s. Il est gai, il a bonne mine ; je crains que les
dames de la maison ne se plaignent de son odeur de caserne très prononcée.
Toutes sortes de sensibilités se mettent en veilleuse pendant la guerre.
Mes consultations sont plus nombreuses, mais naturellement cela ne
suffit pas aux dépenses. Un Trabouko A 7 coûte maintenant 30 H *. Si je
devais compter sur une longue vie, je ferais maintenant certainement des
économies, ce qui a toujours été pour moi contre nature.
Avec mes souhaits cordiaux pour la poursuite de votre rétablissement,
votre Freud

A. Dans le manuscrit : Trabucco (une marque de cigare).


* Heller : une couronne austro-hongroise égale 100 heller.
1. Ferenczi avait mentionné dans cet article sa « honte de n'avoir encore rien réalisé du
projet élaboré en commun avec son associé » (Ferenczi [ 1917, 193], « Pollution sans rêve
orgastique et orgasme en rêve sans pollution », Psychanalyse, II, p. 263).
Ferenczi parlait de son « sentiment de gêne, également actuel, du fait de ses relations
avec une femme qui n'est plus très jeune (alors qu'il aurait également pu épouser la
fille [Mathilde] de cet ami paternel tant estimé)» (ibid., p. 263). La fille de Freud, Mathilde,
dont celui-ci avait imaginé le mariage avec Ferenczi en 1908, avait déjà fait une fausse
couche en raison d'une opération d'appendicite mal cicatrisée.
Wilhelm Stekel, Onanie und Homosexualität. Die homosexuelle Neurose (Onanisme et homosexualité. La
névrose homosexuelle), Berlin et Vienne, 1917. Le livre a fait l'objet d'une note de lecture par Felix
Boehm dans Bericht über die Fortschritte der Psychoanalyse in den fahren 1914-1919 (Vienne, 1921), par
Eduard Hitschmann dans la Zeitschrift (1921, 7, p. 230-231) ainsi que par Edward Glover dans
International Journal ofPsycho-Analysis (1923, 4, p. 502-503).
Probablement Die Psychologie der unbewussten Prozesse ; ein Überblick über die moderne Theorie und Methode
der analytischen Psychologie (Zurich, 1917). L'Inconscient dans la vie psychique normale et anormale, trad. Dr
Grandjean-Bayard, Paris, Payot, 1928.
Le 2 mars était un vendredi.
Petite ville sur le Danube, à environ soixante kilomètres à l'ouest de Vienne.
Les cigares préférés de Freud.
KURHAUS SEMMERING
PHYSIKALISCH-DIÄTETISCHE
HÖHEN-KURANSTALT
Höhenstation 1000 M.ü.d.Meere
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KAISERL.RAT DR. F. HANSY
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CONSEILLER IMPÉRIAL DR F. HANSY ET DR K. KRAUS
le 4 mars 1917

Cher Monsieur le Professeur,


Malgré certains avantages du centre de cure, le déménagement a entraîné une
petite rechute que je pense passagère (une perte de poids modérée, etc.). La
nourriture est ici incomparablement meilleure, on pourrait dire irréprochable.
Mais naturellement, c'en est fait de l'isolement et de la tranquillité.
Je me suis réjoui de votre jugement sur ma dernière contribution. J'en ai commencé une autre, mais ici lecture
et écriture avancent moins facilement. De tous les livres que Mlle Bernays a eu l'amabilité de m'envoyer, et même
par exprès, la plupart dorment encore dans le tirckir. Je ne lis que la biographie de Hebbel par Kuh ', avec un
grand plaisir; que Mlle Bernays en soit remerciée.
On rencontre ici aussi, bien sûr, des connaissances ; en tant que médecin, on vous demande conseil; et
(pardessus le marché) j'ai ici un double, un Hongrois, mais son exophtalmie est bien plus belle que la
mienne. L'infirmière du troisième étage, qui, apparemment, a le sens de l'humour, nous a présentés l'un à
l'autre. Il m'a raconté qu'il était déjà « en altitude » * depuis trois ans (cette « perspective » ne me plaît guère).
Dernièrement, il a été à Tàtrafüred, où on lui avait prêté un de mes petits livres psychanalytiques en
hongrois. Mais la ressemblance semble se limiter au physique, car il ne montre pas d'intérêt particulier
pour la psychanalyse.
Ici, c'est le règne de l'aristocratie, mais on s'occupe bien aussi des citoyens ordinaires. Deux médecins sont les
directeurs et propriétaires de l'établissement, le Dr Kraus et le Dr Hansy, conseiller impérial. Quelqu'un s'est
renseigné auprès de la femme de chambre pour savoir qui était le médecin-chef. Elle a répondu: « Le médecin-
chef est le Dr Kraus. – Alors, et le Dr Hansy ? – Il est le conseiller impérial! » Après tout, une répartition des tâches
bien pratique: Hansy pour l'aristocratie, Kraus pour la ploutocratie.
Rank, avec qui j'ai correspondu au sujet d'une affaire de famille, m'a écrit à moi aussi qu'il avait
l'intention de me rendre visite. Je m'en réjouis beaucoup. Il aurait pu obtenir une place gratuite au centre
de cure, auprès du quartier général militaire de Vienne. Je vais lui écrire. (Il n'y a pas moins de 15 places
gratuites réservées à l'armée ; je suppose que c'est pour que Kraus et Hansy continuent à être exemptés
du service militaire.)
Le temps est mauvais depuis deux jours. Il neige sans discontinuer. En fait, on sent ici bien peu de
choses des soucis de la guerre.
Salutations cordiales à vous tous
de votre Ferenczi
Comment va Mlle Anna?

A. En-tête pré-imprimé.
* Jeu de mots intraduisible. Auf der Höhe signifie à la fois «en altitude » et «au mieux de sa forme ».
1. Emil Kuh (1828-1876), Friedrich Hebbel, eine Biographie, Vienne, 1877 (2 vol.). Christian Friedrich Hebbel
(1813-1863) : célèbre dramaturge allemand.
654 Fer
KURHAUSSEMMERING
PHYSIKALISCH-DIÄTETISCHE
HÖHEN-KURANSTALT
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2 ST. VON WIEN AN DER SÜDBAHN
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KAISERL.RAT DR. F. HANSY
UND DR. K. KRAUS

Centre de cure du Semmering le 24


mars 1917

Cher Monsieur le Professeur,


Je n'ai pas voulu écrire avant d'être en mesure d'annoncer une amélioration substantielle. Je
dois avouer qu'une sorte de honte d'être malade y a contribué. Cependant, même maintenant je
n'en suis pas encore à pouvoir me déclarer guéri ; mon état est constamment fluctuant – quoi qu'il
en soit, je profite de la bonne humeur d'aujourd'hui (après une meilleure nuit) pour reprendre la
correspondance avec vous.
Il serait beaucoup plus agréable – et plus facile, évidemment – de m'exprimer de vive voix sur
tout ce qui me concerne. Comme je resterai ici jusqu'après Pâques (mon congé se termine le 12
avril), mon souhait de vous voir ici (qui se fonde sur une promesse de votre part) pourrait encore se
réaliser. – (Vous devriez, cependant, m'informer très vite à ce sujet afin que je puisse faire réserver
une chambre pour vous au centre de cure.)
Venons-en au fait. Le succès du séjour au Semmering n'est pas tout à fait proportionnel à sa longue
durée. Je suis beaucoup plus mobile, à vrai dire, que lorsque nous nous sommes vus à Vienne, mais le
poids ne veut pas augmenter correctement, les palpitations surviennent à chaque tentative d'effort, les
nuits sont perturbées. L'exophtalmie' a diminué. Les poussées de température ont cessé dès le jour de
mon arrivée ici. – Sans aucun doute, le mal est aussi entretenu du côté psychique. L'abstinence et les
fantasmes sexuels qu'elle suscite m'ont coûté deux nuits.
Puisque j'aborde ce thème, je vous adresserai une demande qui vous surprendra peut-être. Je
pense avec déplaisir que – bientôt de retour à Budapest – je retrouverai là-bas les vieilles relations
(et la vieille liaison) et devrai continuer à les vivre. La phrase tirée de votre théorie des névroses :
plutôt sombrer au combat que de conclure avec la névrose un compromis boiteux 2, a enfin produit
de l'effet sur moi. Je me suis décidé à légitimer ma liaison avec Madame G. Mais comme elle
répondra
certainement de nouveau à un tel propos de ma part par un ajournement, en invoquant le retour d'Elma et la
possibilité que je tombe e nouveau amoureux d'elle (d'Elma), je dois vous prier (vous, la seule utorité dans cette
affaire) de lui exposer, même brièvement, les motivations inconscientes d'une telle prise de position, et de lui
indiquer que la prolongation de la situation actuelle est intimement liée à l'aspect psychique de ma névrose.
Je crois réellement que mes intentions sont enfin parvenues à maturité; le déplacement de l'accent sur la
souffrance physique semble avoir eu pour conséquence que j'ai pu enfin reconnaître et éliminer les fondements
de ma névrose dont vous avez toujours affirmé la nature psychique.
Après tant d'errements, je reviens ainsi au point dont, apparemment, je ne me
suis jamais détaché intérieurement ; le fait que je veuille recevoir Madame G. par
votre intermédiaire semble aussi avoir une signification symbolique.

Entre-temps, j'ai à moitié terminé un deuxième articles, sans doute afin d'éviter
une fois de plus un travail plus important (sur la théorie sexuelle). Pour le reste,
mon travail quotidien consiste à manger et à me reposer.

Heller m'adresse maintenant avec assiduité toutes les épreuves 4. La théorie des névroses est une des
plus belles oeuvres que vous ayez publiées. Le petit travail d'une certaine a Teller » de Prague (Imago) 5 m'a
surpris par sa précision et par l'exactitude de son savoir >Irot.
Les plus cordiales salutations de
votre Ferenczi
L'adresse de Madame G. Mme Z. Délies pour Mme G. Pälos,
Budapest VII, Nagydiôfa utca 3/ 2` étage.

I. Symptôme typique de la maladie de Basedow.


Dans sa XXIV' conférence, Freud a émis l'opinion «que la solution du conflit par la formation de
symptômes [peut conduire l'homme à renoncer] à utiliser ses forces les meilleures et les plus élevées. S'il y
avait possibilité de choisir, on devrait préférer la défaite héroïque, c'est-à-dire consécutive à un noble corps
à corps avec le destin » (Freud, 1916-1917), Introduction à la psychanalyse, op. cit., p. 363.
Non identifié.
Voir 650 Fer, note 2.
Frida (ou Frieda) Teller, « Musikgenuss und Phantasie » (Plaisir de la musique et fantasme), Imago, 1917,
5, p. 8-15. F. Teller (1889-19 ?) : de 1920 à 1926, membre de l'Association psychanalytique de Vienne. Ses
travaux sont orientés vers l'art et la psychanalyse. Voir Mühlleitner, Lexikon, p. 346-347.
55 F
Prof. Dr Freud

le 25 mars 1917
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Que votre volonté soit faite ! J'écrirai à Madame G., et je lui demanderaide ne pas dissimuler sous des
égards envers Elma les motifs de sa décision, mais je ne peux vous en garantir l'issue. Si elle répond qu'il
faut vous épargner, dans votre état actuel, toute la somme des émotions qui s'attachentinévitablement à
cette démarche, il vous appartiendra de trouver d'autres motivations.
J'aurais bien voulu vous rendre visite; en d'autres temps, cela n'aurait posé aucun problème. Mais,
actuellement, on interdit et empêche les voyages. Je sais que je ne pourrais être de retour le jour même.
Rank s'est laissé retenir par les mêmes considérations. A Pâques, nous aurions bien le temps, mais il y
aura une cohue monstrueuse et, de plus, Oli espère être en mesure de passer ces jours de fête chez nous,
de sorte que je serai encore retenu. Martin arrive en permission le 28 I. Ce sont des temps tristement
restrictifs.
Les nouvelles concernant votre rétablissement ne me paraissent pas défavorables, mais je pense
que vous avez besoin d'une prolongation du séjour et de la permission. D'après mon expérience,
chaque semaine supplémentaire produit un meilleur résultat que la précédente.
Depuis la révolution 2, j'ai vu s'atrophier tout intérêt pour autre chose, et comme on ne peut rien y changer,
on ne fait rien du tout. Les tensions sont maintenant trop grandes. Comme il aurait été bon de prendre part
à ce formidable changement si la première préoccupation n'était en ce moment la paix.
Seule l'impression des Conférences se poursuit 3. Si la cadence se maintient, le livre pourra être
achevé fin mai. Cela me suffirait, mais les exigences des périodiques m'obligeront certainement à
publier autre chose.
Les difficultés croissantes de la vie se manifestent par la mine et l'état
de santé de tous les membres de la famille.
Rank semble rétabli de sa dépression et a promis de se jeter dans le travail. Il a passé récemment
quelques jours à Varsovie. Tausk semble avoir fait une belle découverte sur le délire d'observation'.
Sachs est actif et gai comme toujours. Sinon, le monde est muet.
Je vous salue cordialement et j'espère une bonne et heureuse issue de votre
évolution.
Martin arriva de Linz le 27 mars (notes sur le calendrier de Freud, LOC).
Il s'agit de la révolution de Février russe. Auparavant, il y eut une ,grève dans l'usine d'armement
«Poutilov» à Petrograd, le 3 mars, qui entraîna, le 7 mars, une série de licenciements., Le 8 mars ce
fut le choc entre les militaires et les ouvriers en grève ; le 10 mars, le mouvement de grève prit
l'ampleur d'une grève générale à Petrograd. Le 11 mars, les soldats de la garnison de Petrograd se
mutinèrent, par solidarité avec les grévistes, déclenchant ainsi la révolution de Février (qui porte ce
nom d'après le calendrier julien en vigueur en Russie, bien que, selon le calendrier grégorien, elle se
soit produite en mars). Le 18 mars, le gouvernement provisoire russe assura aux Alliés qu'il
poursuivait la guerre contre les Empires centraux jusqu'à la victoire finale. Le 23 mars, le tsar
Nicolas II fut arrêté avec sa famille. Ce même 23 mars, le gouvernement allemand se déclara
disposé à laisser librement passer le révolutionnaire russe Vladimir Ilitch Oulianov (Lénine) de son
exil suisse vers la Russie.
Freud a présenté sa dernière conférence le 17 mars.
Probablement allusion à l'article de Tausk « De la genèse de " l'appareil à influencer " au cours
de la schizophrénie » (V. Tausk, OEuvres psychanalytiques, Paris, Payot, 1976, p. 177217), présenté à
l'Association de Vienne le 16 janvier 1918 (Minutes, IV, p. 353) et publié en 1919 dans la Zeitschrift (5,
p. 1-33).

656 F (à Madame G.)


Prof. Dr Freud

le 25 mars 1917
Vienne, IX. Berggasse 19

Chère Madame,
Je savais qu'un jour la situation m'obligerait à poursuivre notre correspondance. Ce qui me
rend la tâche plus facile est la certitude que vous êtes aussi convaincue de ma sincérité et de ma
sollicitude que je le suis en ce qui vous concerne.
Notre ami m'écrit qu'il en a fini avec son incertitude névrotique habituelle, qu'il sent un besoin non
équivoque d'établir une union permanente en remplacement de vos rapports précédents, difficiles et
insatisfaisants ; et il vous prie, par mon intermédiaire, de lui donner votre accord, et de renoncer aux
égards envers votre fille, laquelle ne peut plus jouer aucun rôle auprès de lui. Je me suis chargé de cette
mission de confiance parce que, moi non plus, je ne vois d'autre solution, ni de meilleure, pour vous
deux. Il ne serait pas naturel que vous vous sacrifiiez à votre fille, laquelle ne pourrait tirer le moindre
avantage de ce sacrifice. L'ajournement a déjà détruit plus qu'il ne pourra être réparé. Ce qui apparaît
maintenant n'est probablement pas différent de ce qu'on a toujours pu voir en lui. Mais tant qu'il se
sentait jeune et bien portant, il a continué à jouer avec ses fantasmes, il n'a voulu renoncer à aucune
possibilité de plaisir et a voulu jouir de toutes les alternatives. Son état, qui exige toutefois certains
soins et des ménagements durables, a pu lui indiquer que le moment était venu de faire droit à la seule
chose qui compte.
On pourrait objecter que, précisément maintenant, il n'est pas en état d'affronter les émotions
qui seraient liées à une telle démarche de votre
part. Mais j'espère que quand vous serez vraiment décidée, vous saurez
aussi faire tout le nécessaire, autant que possible sans bruit ni embarras.
Cela m'évoque l'histoire des trois livres sibyllins dont le troisième était, après la destruction des
premiers, certes, devenu plus cher que l'ensemble, tout en gardant suffisamment de sa propre valeur'.
Je ne me montrerai pas surpris si vous adressez votre réponse directement à notre ami.
Avec mon cordial dévouement,
votre Freud

1. Les livres sibyllins, contenant les prophéties de la Sibylle grecque légendaire, auraient été
proposés à la vente par la Sibylle de Cumes au roi Tarquin l'Ancien, cinquième des sept rois de Rome.
Lorsque celui-ci refusa d'abord de payer le prix demandé, elle brûla six des neuf livres, pour lui vendre
finalement les trois restants au prix des neuf.
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UND DR. K. KRAUS

Centre de cure, le 6 avril 1917

Cher Monsieur le Professeur,


Cela s'est passé comme vous l'aviez prédit : Madame G. – bien qu'elle ne cesse d'insister sur son
penchant, voire son désir profond, de m'épouser – s'en tient fermement à son idée d'attendre le retour
d'Elma. Elle veut manifestement nous mettre à l'épreuve – ou bien se convaincre qu'elle ne barre pas la
route à sa fille. Elle a utilisé la voie que vous lui aviez laissée ouverte, de m'écrire directement.
Pendant quelques jours, je suis resté sous l'influence déprimante de ce refus. Mais, depuis deux
jours, je suis contraint de penser à moi et à mes projets. Suivant votre conseil, je suis allé hier à Wiener
Neustadt' et j'ai réussi (je crois) à faire prolonger ma permission de 4 semaines complètes, jusqu'au
12 mai.
Je vais considérablement mieux. Mes forces ont augmenté et les symptômes cardiaques se sont
sensiblement améliorés. Toutefois, le Dr Kraus m'a conseillé, pour éviter les récidives et accélérer la
guérison, de faire faire à Vienne une, ou plusieurs, séances de rayons X. Cela m'expose au « danger »
de devenir « trop bien portant » et de ne rien obtenir de l'ar-
bitrage supérieur projeté. – Il semble que j'ai déplacé d'autres doutes sur celui-ci, fondé sur la réalité,
car l'idée de l'alternative me poursuit toute la journée. (Je provoque l'arbitrage supérieur pour ne
pas être de nouveau démesurément surchargé de travail.)
Le Dr Pârtos, traducteur de votre « Totem et tabou », m'écrit qu'il l'a terminé. Je me fais envoyer le
manuscrit ici, cette occupation me conviendra. Chez Hollés aussi, la traduction de l'Interprétation des
rêves progresse vaillamment – Un jeune psychanalyste hongrois, le Dr Radé, séjourne actuellement au
Centre de cure.
J'ai terminé entre-temps l'article dont je vous ai parlé récemment, et je vous l'envoie prochainement. Je
lis les épreuves de la Théorie des névroses avec un intérêt croissant. Les gens ne se douteront pas de tout
ce qu'il y a de nouveau derrière chaque phrase. Une fois cette esquisse achevée, la psychiatrie sera devenue
un édifice monumental.
J'ai donné à lire les épreuves à la Suédoise qui séjourne ici (elle habite dans une autre pension).
Elle se comporte d'une façon de plus en plus voyante et présente de légers traits paranoïdes. C'est
sans doute pour cela qu'elle est réfractaire à toute influence.
Bientôt, j'aurai reçu les dernières épreuves et vraiment je le regrette. – J'aimerais être toute la
journée, et tous les jours, à l'écoute de vos conférences.
Je vous remercie pour la grande gentillesse que vous m'avez témoignée en vous faisant l'intermédiaire
auprès de Madame G. Je sais que cela n'a pas été une tâche agréable. (Savez-vous, au demeurant, que la
comparaison avec les livres sibyllins dissimule aussi une allusion aux problèmes de l'âge? Madame G. m'a
envoyé votre lettre.)
Avec mes meilleurs voeux pour les journées de Pâques,
votre Ferenczi qui
vous salue tous.

1. Petite ville entre le Semmering et Vienne.

658 F
Prof. Dr Freud

le 9 avril 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Ce sont des jours de Pâques particulièrement tristes et maussades, où tout l'appauvrissement de notre
existence apparaît au grand jour. Cela fait trente et un ans hier que j'ai ouvert mon cabinet à Vienne; en
dépit de toutes les difficultés, la vie se montrait alors quand même sous d'autres
couleurs. I1 est vrai qu'une part de ce changement est inévitable, mais une autre n'est que cruauté
du destin.
Les nouvelles de vous retiennent toute mon attention. Que vous vous sentiez beaucoup, beaucoup
mieux, correspond à toutes les attentes. Que vous obteniez une prolongation est juste. Toutefois, je
pense que la crainte de devenir trop bien portant par suite du traitement est à écarter. L'arbitrage
supérieur implique certains égards, de sorte que vous êtes quand même assuré de ne pas être affecté
dans un hôpital de campagne, par exemple. Mais si vous étiez tout à fait libéré (très improbable !), il en
résulterait seulement que vous feriez des analyses toute la journée au lieu d'une demi-journée, ce qui
ne serait guère un allègement. Ainsi, vous avez à redouter du service militaire tout au plus une perte
d'argent et n'avez pas besoin de retarder votre traitement pour autant. Et puis, la radiothérapie vous
inciterait aussi à venir à Vienne.
Il n'y a donc rien à faire avec Madame G. pour le moment, si elle ne cède pas à vos sollicitations
assidues. Ma comparaison avec les livres sibyllins avait non seulement un rapport secret avec l'âge,
mais devait y être une allusion directe. Vous avez, tous deux, gaspillé une si grande part de votre vie
en hésitations que le reste prend une valeur particulière.
Les Conférences, qui contenteront certainement peu de gens autant que vous, devraient donc être
achevées ce mois-ci, et sortir, imprimées, dans le monde rétréci *. Je n'ai pas beaucoup de goût pour
d'autres travaux. Je pressens aussi un été emprisonné dans la ville, ce qui est très fâcheux. Sophie et
l'enfant ne resteront pas ici au-delà du 12 mai. Les bonnes femmes ont toutes mauvaise mine. Je ne
peux pas non plus me féliciter de ma santé. Oli et Martin, qui ont passé Pâques ici, ensemble, sont
encore au mieux de leur forme. Ernst espère une permission avant la fin avril'. Ma pratique a bien
augmenté ces dernières semaines.
Je vous salue cordialement et j'attends de vos nouvelles ainsi que vos envois.
Votre Freud
* Inversion d'une locution familière, « in die weite Welt gehen » : aller dans le vaste monde. 1.
Sophie repartit alors avec le petit Ernst le 14 mai (voir 668 F) ; Ernst arriva en permission le
15 avril ; il dut repartir au front le 3 mai. (Notes sur le calendrier de Freud, LOC.)
K. Semmering, le 11 avril 1917

Cher Monsieur le Professeur,


Au co urrier d'aujo urd'hui, je v ous ai envoyé 2 artic les – un article origina l et une
communication. J'attends avec impatience votre verdict quant au premier'.
État physique: satisfaisant. J'ai écrit au Prof. Pineles et j'attends de ses
220 Correspondance 1914-1919

nouvelles. Il est possible que je lui rende visite à Vienne très bientôt
(ainsi qu'à vous).
Il semble que Madame G. ait, antérieurement, déjà écrit à sa fille de revenir le plus vite possible à
Budapest, où elle sera encore très heureuse. Elle entendait par là le mariage d'Elma avec moi. Maintenant
il semble qu'elle (Madame G.) se sente liée envers Elma par cette promesse tacite.
Au lieu de m'obstiner à la demander en mariage, j'ai réagi à cette dernière rebuffade par de l'apathie
et un peu de dépression. Il semble que le rôle maternel de Madame G. apparaisse aussi dans le fait que
c'est toujours elle qui doit prendre l'initiative, tandis que je suis impuissant face à sa résistance et que
je me résigne aussitôt. – Mais peut-être surmonterai-je, cette fois, ce petit accès. L'augmentation de votre
clientèle me fait plaisir.
Je vous ai adressé une patiente d'ici; alors, finalement, vous ne pourrez
plus la prendre?
Les grands soucis de l'avenir du monde traversent aussi les murs de cette maison, joyeuse et
insouciante en d'autres temps. La situation s'assombrit de jour en jour. Pour vous, s'ajoutent encore
les soucis concernant vos fils. En vérité, ce n'est pas un beau printemps. De plus, il neige de nouveau
depuis trois jours.
Bien des salutations cordiales de votre
Ferenczi

1. Non identifié.

660 Fer
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mardi le 25 avril 1917


mercredi

Cher Monsieur le Professeur,


Voici ce que je peux vous rapporter concernant mon état de santé : le voyage à Vienne' a été
immédiatement suivi d'une récidive caractérisée, surtout des manifestations cardiaques ; de
nouveaux symptômes (intesti-
naux) sont également apparus. Depuis deux jours environ, je me sens de
nouveau comme avant l'expérience viennoise, peut-être même un tout petit peu
mieux. D'ici 8 jours, je serai en mesure de me faire une idée des effets
thérapeutiques des rayons X (sur moi), ce qui sera aussi décisif en ce qui
concerne la poursuite de ce traitement.
Ma permission se termine le 10 mai. Quoi qu'il arrive, je veux m'arrêter au moins deux jours à Vienne, et
je me réjouis de vous revoir à nouveau. En ce moment, je lis le Voyage en Italie de Goethe 2 et suis heureux
quand cela m'évoque nos voyages communs. Malheureusement, il n'y a que très peu de choses que je puisse
me représenter convenablement, en particulier des oeuvres d'art que nous avons vues ; il me semble que ce
sont encore quelques images de paysages qui m'ont fait la plus grande impression : le soir sur le Palatin –
Sélinonte, etc. – Oui, c'est bien l'Italie qu'il faut revoir sans cesse, pour devenir tout à fait intime avec elle.
Mais il est douteux que vous puissiez à nouveau m'utiliser comme compagnon de voyage, à moins que les
rayons X ne fassent des miracles et me rendent ma mobilité d'antan.
Le comportement de Madame G., pas tout à fait compréhensible jusqu'ici, a enfin trouvé son explication
de la façon suivante : sur mon insistance répétée, elle m'a dit, récemment, qu'il y a un certain temps déjà,
elle avait adressé une lettre à Elma où elle lui écrivait que je ne pouvais continuer à vivre ainsi, que je
devais et que j'allais donc me marier. Mais comme, selon sa conviction, je ne pourrais être heureux qu'avec
l'une d'entre elles (mère ou fille), l'une des deux devait devenir ma femme. Aussi l'invitait-elle à rentrer au
plus vite, en vue de trouver la meilleure solution pour nous trois. Compte tenu des conditions postales qui
règnent actuellement, il n'y eut naturellement pas de réponse, et je maintins, pour ma part, énergiquement
que ce projet devait être abandonné, puisqu'il était déjà décidé que je n'épouserais pas E.[lma], mais elle.
J'insistai pour faire vite, afin de ne pas perdre encore plus de temps, et j'évoquai, entre autres,
l'impossibilité de faire dépendre la décision de la fin imprévisible de la guerre. – Finalement, nous aboutîmes
au compromis suivant : j'attendrai jusqu'en septembre. Madame G. passera les mois de juin et juillet à la
campagne et s'efforcera d'arranger avec son mari une séparation à l'amiable; son mari ne doit rien savoir
de notre projet, sinon, il nous ferait des difficultés. En outre, pense Gizella, la situation politique aussi se
clarifiera entre-temps.

Malheureusement A

Ici j'ai été dérangé, et je ne sais plus du tout quelle phrase je voulais
commencer par « malheureusement ».
En tout cas, la situation est beaucoup plus claire maintenant, et quand j'aurai aussi consolidé mon
état de santé, je pourrai rentrer à Budapest en espérant être capable de travailler.
Avec mes salutations cordiales,
A. Mot barré.
Le 13 avril, Ferenczi avait rendu visite à Freud à Vienne (notes sur le calendrier de
Freud, LOC).
Voyage en Italie, deux parties (1816-1817), première parution complète en 1829 ; édité et traduit par
Mutterer, Paris, Slatkine, 1990.

661 Fer
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mercredi après-midi le 25
avril 1917 A

Cher Monsieur le Professeur,


Par le courrier d'aujourd'hui, j'ai envoyé à l'adresse de Madame Gizella, à
Budapest, une lettre qui vous est destinée. Je lui ai déjà écrit de vous faire
suivre aussitôt cette lettre. C'était un acte manqué astucieusement mis en
scène, qui ne peut pas faire de dégâts.
Je vais assez bien.
Le Lynkeus m'a fortement impressionné, il fallait que quelqu'un se décide
à rendre compte de ce livre sur le mode psychanalytique'. Beau temps
depuis hier.
Cordialement, votre
Ferenczi

A. Date à la fin de la lettre.


1. II s'agit probablement de « Nach dem Kriege » (Après la guerre), de Joseph PopperLynkeus (1838-
1921), in Die allgemeine Nährpflicht als Lösung der Sozialen Frage (Le devoir alimentaire universel comme
solution du problème social), Leipzig, 1915. Aucun compte rendu n'a été publié dans les revues de
psychanalyse à propos de l'ouvrage.
'662 F
ProfDr Freud

le 30 avril 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
J'ai retardé ma réponse jusqu'à la réception de la lettre fourvoyée chez Madame G. Elle est arrivée
aujourd'hui et m'a permis de comprendre quelle était la solution enfin satisfaisante. Je sais
maintenant que je vous verrai le
7/8 A[mai]', aussi je me contente de vous demander de vous faire à l'idée de retravailler la critique de
Schultz 2. Non qu'elle soit trop grossière. C'est un méchant ouvrage, typiquement allemand, digne de
toutes les grossièretés. Mais vous êtes trop irrité, vous perdez contenance et vous vous montrez
fortiter, non pas in re mais in modo *. On doit absolument éviter certains mots, comme « éhonté »
ou « pamphlet », trop vulgaires. Sur d'autres points vous êtes tellement indigné que vous laissez
échapper les plus beaux arguments, ainsi, à propos des horreurs du complexe d'OEdipe, la
référence à la mythologie et au livre de Rank. Bref, vous ne prenez pas assez de hauteur et, donc,
n'êtes pas assez méprisant.
Je peux donner une suite à votre « malheureusement », par le fait que les circonstances politiques
s'assombrissent tous les jours, au lieu de s'éclairer. Si septembre n'apporte pas la preuve de la suprême
efficacité des sous-marins, je crois que l'Allemagne se réveillera de ses illusions et les conséquences seront
effrayantes. Actuellement, il semble y avoir une grave mésentente entre Charles I" (c'est-à-dire l'Autriche-
Hongrie) qui veut la paix 3, et Guillaume qui espère encore la victoire et qui joue « banco » pour sa dynastie.
Depuis 5 jours il n'arrive à Vienne aucun journal allemand; à la place, la venue du ministre bavarois,
probablement en tant que négociateur. Les informations de source privée sur la famine et l'état d'esprit
en Allemagne sont très préoccupantes. Il est désolant que l'on ne puisse empêcher Sophie de repartir
dans deux à trois semaines. L'enfant nous manquera à tous.
Pour les Conférences, je n'ai plus rien à faire ; elles pourraient être en librairie fin mai 4. Ces
derniers temps, il y a des manuscrits en abondance pour la Zeitschrift. Je suis trop grognon pour
travailler à quoi que ce soit.
Cordiales salutations et au revoir,
votre Freud
A. Lecture incertaine des deux chiffres.
* En latin dans le texte : suaviter in modo, fortiter in re (souple dans la manière, ferme sur le
fond), devise du général des jésuites, Motto d'Aquaviva (1543-1615).
Voir 665 Fer et 666 Fer.
Dans sa note de lecture sur S. Freuds Sexualpsychoanalyse (La psychanalyse sexuelle de
S. Freud) de J. H. Schultz (Ferenczi, 1917, 205 ; Zeitschrift 1916-1917, 4, p. 270-272), Ferenczi
avait suivi les propositions de Freud.
Dans la seconde moitié de février, l'empereur Charles P' avait cherché à engager des
négociations secrètes de paix avec la France. Il envisageait surtout d'introduire comme
médiateur son beau-frère, le prince Sixte de Bourbon-Parme, un frère de l'impératrice
Zita et officier dans l'armée belge ; ce fut à l'origine de ce qu'on a appelé « l'affaire Sixte
» : Charles avait remis au Prince, le 24 mars, une lettre destinée au président français
Poincaré, où — sans s'être entendu avec l'empire allemand et le ministre autrichien
des Affaires étrangères — il se proposait d'ceuvrer pour que l'Alsace-Lorraine
retournât à la France en échange de la paix, ce qui équivalait à l'annonce d'une paix
séparée.
La troisième et dernière partie de l'Introduction à la psychanalyse a paru le 6 juin (notes sur
le calendrier de Freud, LOC).

663 F (à Madame G.)


Prof. Dr Freud

le 30 avril 1917
Vienne, IX. Berggasse 19

Chère Madame,
L'acte manqué de notre ami n'était qu'unilatéral. Je n'ai pas reçu de lettre
pour vous, mais, des deux lettres, j'ai appris avec une grande satisfaction
où en était votre affaire. Puisse-t-elle bientôt parvenir à une fin souhaitée.
J'ai parfois des accès de dégoût de la vie et du soulagement à l'idée que
s'achève cette existence difficile, mais le coeur me pèse de savoir l'avenir de
mon ami si peu assuré.
J'ai définitivement renoncé à l'idée de la conférence, par manque d'entrain,
au fond, mais aussi pour cause de méfiance envers les organisateurs. Il me
faut donc espérer vous revoir en une autre occasion.
Avec bien des salutations cordiales, votre dévoué
Freud
664 Fer
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Semmering, le 30 avril 1917

Cher Monsieur le Professeur,


Aujourd'hui je n'écris que pour adoucir un peu l'humeur dans laquelle m'a plongé la mort de mon
ami Schächter'. Après mon père biologique, il était, en fait, le modèle que je chérissais et que je
vénérais. C'était un personnage de l'Ancien Testament doté, de plus, d'un naturel combatif, très
conservateur et religieux. Bien que nous n'ayons jamais pu nous comprendre précisément sur ce
dernier point, sa manière d'être m'a longtemps servi d'exemple. Seule la psychanalyse avait quelque
peu distendu nos relations, mais uniquement parce que j'avais perdu mon intérêt pour les questions
éthiques et médico-sociales auxquelles il se consacrait. Sur le plan personnel, nous étions toujours
proches l'un de l'autre, même s'il y avait une grande divergence en ce qui concernait nos intérêts
respectifs. L'amitié atténuait également son jugement sur la psychanalyse, contre laquelle il se serait,
sinon, élevé avec une totale véhémence, au nom de son éthique sexuelle. Son libéralisme allait –
exceptionnellement – jusqu'à ouvrir les colonnes de son journal à la psychanalyse, cependant il ne
manquait presque jamais de faire mention dans l'éditorial de sa divergence d'opinion. Toujours est-
il que je pouvais publier tout ce que je voulais.
Il a passé récemment quelques semaines au centre de cure du Semmering il souffrait de diabète
et de tuberculose, son état s'est rapidement aggravé, il a fallu le transporter chez lui au plus vite.
Maintenant il est en paix.
Jusqu'au dernier moment, il n'a pas démenti son caractère, qu'on pouvait sans exagération
qualifier de noble il savait où il en était. Sans doute trouvait-il un appui dans la religion qu'il avait
gardée depuis l'enfance, cette religion que toute sa vie il avait essayé de réconcilier – en vain – avec
la raison et la science.
A l'époque, je dois avoir transféré sur lui beaucoup de mon amour pour le père. J'ai été moi-
même surpris de l'intensité de ma réaction à sa mort.
Les personnes de ma connaissance qui se trouvaient au centre de cure sont
déjà toutes parties, je vais donc pouvoir passer la dernière semaine de mon
séjour dans la paix et la solitude. Depuis deux jours, nous avons ici un temps
de printemps magnifique, le paysage montre tout ce dont il est capable.
Je crois que je ne devrai commencer les rayons X qu'à Budapest, et j'ai
écrit à ce sujet au docteur Gottwald Schwarz 2. En tout état de cause, je
passerai au moins un jour à Vienne.
Avec mes cordiales salutations,
votre Ferenczi

Voir 655 Fer et la note 1.


Le Dr Gottwald Schwarcz (1880-?) et non Schwarz comme l'écrivait Ferenczi. Il exerça à l'hôpital
général de Vienne, dans le service dirigé par le Dr Holzknecht.

665 Fer
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vendredi matin [4 mai 1917]

Cher Monsieur le Professeur,


Pardonnez-moi si je me suis montré, cette fois, un peu grossier dans ma critique.
Mais, croyez-moi, le bonhomme ne mérite pas mieux. Braumüller ne m'a pas
envoyé le livre de Stekel', il écrit que Rank en aurait déjà reçu un exemplaire et il
demande les justificatifs du compte rendu. J'en informe Sachs.
Je resterai ici jusqu'au 7, puis serai les 7, 8 et 9 à Vienne et partirai le 10 pour Budapest. Etat de
santé satisfaisant.
Salutations,
Ferenczi

A. Sans date. Établissement de la date fondé sur la supposition qu'il s'agit de la réponse à 662 F,
du 30 avril.
1. Voir 652 Fer et la note 3.
66 Fer
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4 mai 1917 A

Cher Monsieur le Professeur,


Les lettres ci-jointes de Jones et de Van Emden 1 devraient vous intéresser.
La critique sera retravaillée. J'espère arriver à Vienne le 9 dans l'après-midi, je
vous téléphonerai encore d'ici le 8 au soir.
Cordiales salutations de
votre Ferenczi

A. Date à la fin de la lettre dans le manuscrit. 1. Non


retrouvées.
667 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, le 13 mai 1917 A

Cher Monsieur le Professeur,


Dès mon arrivée, je me suis jeté dans le travail et, pour l'instant, je le
supporte bien. Mon poste à l'hôpital m'a été gardé ; c'est sur décision
ministérielle (à la demande de la Caisse de Maladie) que je dois rester à
Budapest; beaucoup d'autres ont été envoyés ailleurs.
Sur les 4 séances, trois sont déjà prises, la quatrième le sera probablement à partir de lundi.
Les retrouvailles et la réunion avec Madame G. répondent à tout ce' qu'on pouvait en
attendre.
Le climat hongrois semble être favorable à mon affection thyroïdienne ; malgré le travail, l'agitation,
etc., les pulsations ont diminué. La température à Budapest est subtropicale, mais agréable.
J'ai observé avec beaucoup de satisfaction, hier soir à mon club', que la guerre n'avait pas
interrompu l'intérêt pour les arts, les sciences, etc. C'était comme une libération de la période
glaciaire autrichienne.
Bien sûr, ici aussi il y a des problèmes d'approvisionnement. Mais je vais essayer de faire parvenir
à l'adresse de Martin (Berggasse) les rations de pain de l'intendance militaire. Prière de m'informer de
leurs dates d'arrivée pour que je sache ce qu'il advient des envois. Plus tard, nous essaierons aussi en
non recommandé.
J'ai fait attaquer de plusieurs côtés les stations thermales des Tatras. Je vous écrirai dès que
j'apprendrai quelque chose.
Cordiales salutations de votre
Ferenczi

A. La lettre est écrite au crayon à encre.


1. Il s'agit certainement de l'École libre des sciences sociales.

668 F
ProfDr Freud

le 14 mai 1917
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
D'apprendre combien allègrement vous avez repris votre place dans tous les domaines me semble
porteur de très riches espoirs. Cela donne l'impression d'une affaire définitivement réglée.
Un envoi de pain recommandé est arrivé ce matin; cela fait déjà deux fois (le même jour) que ma
femme m'a rappelé de vous le confirmer, avec nos remerciements. Les frais d'expédition exorbitants
devront être réglés ici, selon sa proposition. Je suis impatient de voir combien de temps cette fraude
douteuse pourra continuer. Quoi qu'il en soit, les plus chaleureux remerciements à vous et à l'auxiliaire
secret, bien au-delà des frais d'envoi! Aujourd'hui, s'y ajoutait la joie de pouvoir en donner un morceau
à Sophie pour le voyage. Ils viennent juste de partir, à 9 h 40, en wagon-lit. L'enfant était charmant,
comme s'il avait compris la situation. Maintenant, ce sera la solitude. Fontes Melusinae * 1 au début
comme à la fin du cycle.
Ici, il n'y a de neuf que la Zeitschrift. Sachs est prodigieux, mais
Heller, comme tout ce qui est en relation avec lui, est une rude
épreuve. Donnez-moi bientôt d'autres nouvelles.
Cordialement, votre Freud
* Fontaines de Mélusine.
1. Mélusine (« douce comme le miel »). Freud fait ici référence à une légende celtique dont il
existe un grand nombre de variantes à travers les époques et les pays (Gervais de Tilbury, 1210
; Jean d'Arras, 1478, etc.). L'héroïne, une fée, fille d'un roi et d'une ondine, rencontre un jeune
seigneur près d'une fontaine, en tombe amoureuse et se transforme en femme. Porteuse d'une
malédiction, elle est condamnée à se changer en serpent tous les samedis dans son bain.
Lorsque, brisant sa promesse, son mari l'épie, elle disparaît pour toujours. La fontaine dans la
légende figure comme lieu de métamorphose par excellence. Voir Jacques Le Goff, « Mélusine
maternelle et défricheuse » ; Émmanuel Le Roy Ladurie, « Mélusine ruralisée ». Annales, mai-août
1971, p. 587-603 et 604-622.
69 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, le 14 mai 1917

Cher Monsieur le Professeur,


L'affaire Tatras se présente bien. Ou bien nous obtiendrons pour vous
deux chambres au Lac Csorba (1 250 m) – funiculaire jusqu'à la maison,
climat à peu près comme au Karersee, bonne nourriture, chauffage –, ou
bien nous en trouverons dans une des deux autres villes d'eaux (Tàtrafüred
= 1 000 m, ou Tätralomnic = 950 m). Les prix sont abordables.
Le jeune ethnologue plein de talent, Dr G. R6heim, qui a été mon patient
jusqu'à présent, a écrit un livre : Le miroir magique 1 – dans lequel il donne
une explication astucieuse de l'usage de cet instrument de magie à l'aide
de votre théorie sexuelle (Narcissisme). Ceci serait donc le premier ouvrage
purement ilict d'un ethnologue de la plus pure espèce. Il aimerait faire
publier le livre sous forme de fascicule dans les [Schriften zur] angewandten
Seelenkunde * – ou bien dans « Imago », et ensuite en tiré à part chez Heller.
L'ouvrage représente de 6 à 7 cahiers **. Dans Imago, il pourrait paraître en
deux fois. – Il faudrait que le livre sorte simultanément en hongrois.
J'appuie chaleureusement sa demande. Peut-être que ce travail
conviendrait mieux aux H.[eftel f.[ür] ang.[ewandte] Seelenkunde *** –, si
Deuticke aussi veut bien.
Cordiales salutations de
votre Ferenczi

* Écrits de psychologie appliquée.


** Bogen : cahiers d'imprimerie.
*** Cahiers de psychologie appliquée.
1. L'article de R6heim a paru sous le titre « Spiegelzauber » dans Imago (1917, 5, p. 63-120) et
en 1919 sous forme de livre au Verlag.
670 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, le 17 mai 1917

Cher Monsieur le Professeur,


Priez votre femme, de ma part, de ne pas garder les timbres des frais de port; elle me complique
ainsi une tâche qui, en fait, n'est pas compliquée du tout: envoyer du pain à Martin. C'est bien le
moins que je doive à un frère d'armes. D'ailleurs, pour vous tranquilliser, j'essaie d'affranchir en
non recommandé. Mais je vous demande, à titre de renseignement, de noter les dates d'arrivée, et
de me les faire savoir.
Pour le moment, travail et santé assez satisfaisants, à peu près comme aux meilleurs moments
du Semmering.
Je l'ai déjà écrit à Sachs, mais je vous informe aussi que j'ai reçu un numéro des « Archives de
psychologie », bloqué depuis environ 1 an et demi, à cause des mouvements de grève, paraît-il. Le
numéro contient un travail de Jung sur l'Inconscient' et d'autres contributions tJra. Je vais les lire et
en faire un compte rendu ; si vous voulez, je vous les enverrai ensuite.
J'ai écrit à Heller, lui ai rappelé que les droits de traduction de la « Guerre et la mort » 2 lui ont déjà été
concédés; en même temps, je lui ai réclamé les honoraires. Je lui ai écrit en recommandé; il ne répondra
probablement pas, sur quoi j'interpréterai son silence comme un accord et l'en informerai.
Quelques jolies coupures de presse m'ont incité à écrire un petit article pour Imago. Il
s'appellera « L'odeur de l'ennemi 8 ». Peut-être recevrai-je de notre ethnologue, le Dr Rdheim, quelques
confirmations ethno-psychologiques quant à la justesse de l'hypothèse que l'organe olfactif
(l'analité) joue un grand rôle dans l'hostilité des peuples.
L'examen de sang de Madame G. a montré une anémie assez importante, probablement à la suite des
pertes de sang causées par la tumeur (fibrome). Le Dr Lévy et le gynécologue préconisent la radiothérapie,
afin d'accélérer artificiellement la ménopause; ensuite, la patiente devra partir à la montagne. Après les
événements que vous connaissez, il m'est difficile de rendre à nouveau la fécondation impossible par des moyens
artificiels, et pourtant c'est à moi que Madame G. demande de prendre la décision. Que conseillez-vous ? Je
vous serais reconnaissant de me répondre rapidement.
Cordialement, votre
Ferenczi
Grand Hötel Royal Nagyszdlloda

Budapest, le 17 mai 1917


Après coup

C'est significatif: le conseil que je vous demande est en fait insuffisamment


explicité dans ma lettre d'aujourd'hui. La question est la suivante : Madame G.
ne devrait-elle pas aller d'abord â la montagne, et n'essayer le traitement
radiologique destructeur que si cela ne donne rien ? Je crains' que la réponse
ne puisse être en faveur du maintien de la fonction.
Votre Ferenczi
Carl Gustav Jung, « La structure de l'Inconscient », Archives de psychologie, 1916, 16, p. 152179. Par
la suite, Raymond de Saussure a publié une note de lecture sur cet article dans Bericht über die
Fortschritte der Psychoanalyse 1914-1918 (Compte rendu sur les progrès de la psychanalyse 1914-1918),
Vienne, 1921.
Il s'agit de « Actuelles sur la guerre et la mort » (Freud, 1915b), OEuvres complètes, XIII, op. cit., p.
125-160. L'article n'a pas été publié en hongrois.
A notre connaissance, Ferenczi n'a rien publié sous ce titre.
71 F
Prof. Dr Freud

le 18 mai 1917
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Je vous remercie pour vos aimables efforts en vue du séjour dans les Tatras,
j'en attends les résultats, bien que je ne sois pas assuré de pouvoir en profiter.
Par ailleurs, on peut envisager Gastein, pour lequel Steiner fait des démarches,
car cet endroit a montré une influence indéniablement favorable sur mes
troubles dus à l'âge (hyp.[ertrophie] prost.[atique] et rhum.[atismes]). Mais à
Gastein les problèmes de pension ne sont pas encore résolus. Nous ne serons
pas très heureux non plus à 3 dans 2 chambres ; pour Annerl toutes les
stations d'altitude sont contre-indiquées. En d'autres termes : le problème est
insoluble en réalité, et je regretterais beaucoup que vous vous soyez donné du
mal pour rien.
Bien sûr, nous accueillons des deux mains le travail proposé par Rûheim, et
espérons que, dès à présent, il nous remplira le prochain numéro dont
l'échéance est proche (n° 2). Heller a – exceptionnellement, comme il dit –
accepté la parution en tiré à part. L'édition hongroise ne devrait pas paraître
avant la publication dans Imago.
Il n'y a actuellement rien à faire pour les écrits sur la psychologie appliquée, puisque D.[euticke]
a déclaré dernièrement ne pas continuer avant le retour de la paix. Je n'ai pas envie de le solliciter
de nouveau; son humeur ne s'est sûrement pas améliorée avec les Conférences I.
J'ai enfin reçu aujourd'hui les épreuves finales, encore incomplètes, de
ces dernières.
Ernst nous a déjà donné une fois (14.5) des nouvelles de la bataille.
Tout va bien, mais en grand manque de sommeil.
Salutations cordiales de
votre Freud

1. Les Conférences (Introduction à la psychanalyse) ont paru chez Heller et se vendaient fort bien.

672 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, le 18 mai 1917

Cher Monsieur le Professeur,


Une dame qui vient d'entreprendre une cure avec moi (la belle-soeur du Dr Lévy, la femme de son
frère 1)a loué deux belles chambres (villa Maria Theresia, n° 10/11, premier étage, chauffage) près
du Csorbatô 2 ; la location va du 1" juillet au 20 août. Le prix de journée des deux chambres ensemble: 24,50
couronnes. La pension complète à l'hôtel voisin est de 14 couronnes par personne et par jour. Cette
darne serait disposée à vous laisser les chambres.
Comme la Hongrie est maintenant submergée par des Autrichiens et des Allemands, on doit
considérer cette occasion comme exceptionnelle ; je peux vous conseiller en toute conscience de
l'accepter. Je vous écris cela avant d'avoir obtenu votre réponse à ma demande télégraphique
concernant vos dates de vacances, car je voudrais être fixé le plus tôt possible sur le principe; le
Dr Lévy pères ne peut pas attendre trop longtemps pour disposer autrement de ses chambres. Je
vous demande donc votre accord.
J'ai déjà été à Csorba ; le site est magnifique, la nourriture bonne. Tout alentour, la haute
montagne ; et aussi de jolies promenades faciles, par exemple celle vers le lac Popper, à environ
1 h-1 h 1/2, ainsi qu'une promenade presque en terrain plat autour de la montagne, etc.
Peut-être y aura-t-il moyen de réduire d'une manière ou d'une autre le
décalage entre la période de vos vacances et celle de la location.
Aujourd'hui, on m'a retourné trois envois de pain, comme colis « à ne
pas acheminer ». Il faudra en rester au « recommandé ».
Cordialement,
votre
Ferenczi
Béla Lévy, juriste, expert en droit commercial international.
Lac Csorba.
Bernai Lévy, né en Prusse, célèbre philologue et orientaliste polyglotte. Bismarck voulait le
nommer ministre, à la condition qu'il accepte de se convertir au catholicisme ; il refusa,
épousa la nièce d'un rabbin et s'établit en Hongrie.
673 F A

[Vienne,] le 19 mai 1917


En tonte hâte!

Cher Ami,
Là, comment pouvez-vous hésiter? Rien ne compte, que la guérison la
plus rapide, sans considérations secondaires. D'ailleurs, ces
considérations secondaires existent-elles seulement?
Cordialement, votre
Freud
A. Carte postale.

74 F
ProfDr Freud

le 22 mai 1917
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Les bienfaits, si vous ne le savez pas encore, sont chose très fâcheuse,
source d'éternelles difficultés. La preuve : vous allez recevoir une lettre de ma
femme qui vous apprendra tout ce que nous attendons et voulons encore
savoir sur notre asile estival. Je ne nie pas que la perspective de ne pas
trouver une (troisième) chambre pour moi, où je puisse fumer ou écrire
7
Correspondance 1914-1919

(ou les deux en même temps), assombrit fortement, en ce qui me concerne, le plaisir des
vacances. De toute façon, je ne peux pas promettre d'apporter beaucoup de bonne humeur dans
ce paradis terrestre.
Comme Martin ne peut manger tout ce que la poste lui apporte, il me charge de vous
demander de le considérer comme bien ravitaillé pour toute la semaine. D'autant plus qu'un
employé de la brasserie mun.[icipale] à Budapest' lui a apporté au même moment un monstre
A de pain géant, pas aussi bon que le vôtre. Jadis c'étaient mes intestins qui étaient meilleurs

que le pain, maintenant c'est le pain qui serait digne de meilleurs intestins.
Il existe des séries de hasards où des faits de même nature s'accumulent. C'est ainsi que, pendant
ces deux jours, j'ai reçu en plus: une lettre charmante de la fille d'un psychiatre de Linz, décédé (auriez-
vous cru que la `PA peut avoir des adeptes à Linz ?) joint à un cahier de rêves, deux pieds d'orchidées
en fleur d'une ancienne patiente, un manuscrit de 700 pages sur la métaphysique des sentiments,
d'un certain professeur Haberl, qui s'appuie soi-disant sur la théorie des rêves et veut être édité chez
Karger ! Espérons qu'il ne s'agit pas d'un nouveau cas Weininger. En attendant, les Conférences n'ont
pas profité de cette fournée.
Après une semaine pleine de souffrance, Sophie est partie avec son mari pour Schwerin.
Espérons qu'ils resteront ensemble là-bas et qu'ils pourront se nourrir.
Puisque je dois être en Hongrie dès le le' juillet, j'espère au moins y voir un peu mes amis de
cette nation. L'altitude ne vous a-t-elle pas fait grand bien ? Et Madame G. ne doit-elle pas partir
à la montagne après le traitement local?
Cordiales salutations, et merci,
votre Freud
A. Dans le manuscrit, la première partie (française) du mot Monstreriesenbrot est écrite en
lettres latines. Le reste, Riesenbrot, en gothique, comme toute la lettre.
1. Dont Anton von Freund était le directeur.

675 Fer
B.[uda]pest, le 27 mai 1917

Cher Monsieur le Professeur,


Selon le Dr Lévy sen.[ior], on peut considérer l'appartement à Csorba comme assuré. Il vous
a avancé les 200 couronnes d'arrhes, que je vais, moi, retirer sur mes honoraires du mois le lei
juin, si bien que c'est à moi que vous devrez cet argent.
J'ai eu une discussion téléphonique avec le Dr Freund, au cours de
laquelle nous avons décidé ce qui suit à propos de votre été:
Comme l'appartement à Csorba n'est loué que jusqu'au 20 août, vous
pourrez aller pour une postcure au lac Balaton, à la station balnéaire de
Balatonföldvdr, où va se libérer, vers le 25 août, la villa du Dr Freund (3 pièces, bonne nourriture). Des
arrangements ont aussi été pris pour l'intervalle ; le Dr F.[reund] a une villa près de Budapest', qu'il
installera de façon appropriée pour la durée prévue de votre séjour. Vous pourriez passer tout le mois de
septembre au lac Balaton.
Rassurez votre femme, il n'y a pas, à Csorba, de problèmes de langue, ni d'autres difficultés pour les
étrangers. Si vous permettez, je vais essayer de trouver pour vous, même si c'est dans une autre villa, une
pièce pour travailler. Mon éditeur, Dick, vous enverra un guide de voyage sur les stations thermales des
Tatras.
Il n'est pas exclu que je réussisse prochainement, par le biais d'un transport de munitions vers l'arsenal
de Vienne, à faire parvenir des denrées plus importantes que du pain (sucre, graisse, farine). Cela ne pourra
pas être une petite oie*.
J'ai un ennui personnel avec l'armée. Hier, tout à trac, j'ai été expédié à Neupest 2 comme directeur de
l'hôpital pour maladies nerveuses. Je veux tout essayer pour faire annuler cette décision (beaucoup de
travail, détection des simulateurs, service d'inspection, etc.). Mon état de santé en souffrirait.
Par Emden, j'ai eu la triste nouvelle de la mort du secrétaire de l'association hollandaise, J. Stärcke 3. Je
ne le connaissais pas personnellement. Quel dommage pour cet homme actif et compétent.
Réheim viendra me voir demain seulement. Son article doit d'abord être traduit en allemand, de sorte
qu'il faudra encore quelque temps avant qu'il soit prêt pour l'impression. Mais cela se fera.
Ici aussi, les choses s'accumulent. Un de mes jeunes élèves (donc indirectement un des vôtres) est en
train d'écrire un livre sur les jeux d'enfants dans une perspective c Il s'appelle Siegm.[und] Pfeifer (Dr en
méd.[ecinel) 4, actuellement ici en permission du front. Il semble avoir évolué au cours de ces dernières
années, de sorte que la possibilité d'un assistant 14rŒ est en vue. Je l'ai invité à présenter quelques
exemples ou un chapitre terminé du livre. Ce qu'il m'a dit est assez joli ; la seule chose qui m'ait déplu,
c'est la trop grande attention accordée à la symbolique fonctionnelle, ce que, d'ailleurs, je lui ai dit. Il semble
vouloir accepter les remarques.
En automne, après tout cela, je pourrais débuter en force avec l'association de Budapest. Espérons que,
d'ici là, la paix sera conclue – je voudrais aussi, alors, être établi dans le mariage.
Avec les plus cordiales salutations de moi-même et de Madame G., qui mettra tout en oeuvre pour trouver
une chambre à Csorba ou dans les alentours.
Votre Ferenczi
* Es wird nicht können Gänsl sein.
A Köbânya ou Steinbruch, une banlieue de Budapest, près de la brasserie des von Freund.
Neupest ou Ujpest, une banlieue de Budapest.
Voir 594 F et note 1.
Zsigmond (Sigmund) Pfeifer « Äusserungen infantil-erotischer Triebe im Spiele (Psychoanalytische
Stellungnahme zu den wichtigsten Spieltheorien) » (Manifestation des pulsions érotiques infantiles dans le
jeu [position de la psychanalyse par rapport aux principales théories du jeu]), Imago, 1919, 5, p. 243-282.
Selon Pfeifer, le jeu est un moyen d'expression des pulsions de l'enfant, en même temps qu'une
manifestation de ses défenses contre celles-ci.
S. Pfeifer (1889-1944), psychiatre originaire de Zalaegerszeg ; à partir de 1919, membre de
l'Association psychanalytique hongroise. Formé par Ferenczi et par Vilma Kovàcs. Clinicien réputé,
il s'intéresse tout particulièrement à la psychologie de la musique. Mort en déportation.

676 F
Prof. Dr Freud

le 29 mai 1917
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Il semble donc que, grâce à votre sollicitude énergique et généreuse, nous serons gratifiés
d'un séjour d'été idéal. Je me sens très redevable envers vous ; je vous fais remarquer aussi que
ma chère femme aime beaucoup trop recevoir cadeaux et protection et qu'il ne faut pas trop la
gâter. Moi non plus, je n'ai pas l'habitude qu'un autre en fasse autant pour moi; à cet égard, je
suis assez peu gâté.
Je ne peux pas vous promettre d'accepter aussi l'hospitalité du Dr von Freund. Quoique je l'aime
beaucoup et que je ressente une grande confiance envers lui, je ne veux pas devenir à ce point son
obligé, alors que notre relation repose sur le rapport médical avec sa femme. Et s'il n'avait été un
disciple aussi intelligent, il y a longtemps que je me serais opposé à ce qui existe déjà. Peut-être
trouverons-nous, le 20 août, qu'il est temps de retourner à Vienne, ou bien arriverai-je encore à me
dénicher un séjour solitaire à Gastein, si des considérations thérapeutiques le justifient. Mais j'accepte
volontiers la troisième chambre à Csorbatô, et la présence de Madame G. augmentera pour nous tous
la valeur de ce séjour. J'espère que vous saurez vous débarrasser le plus tôt possible de cette mutation
importune. Faites-moi savoir bientôt si vous y avez réussi.
La mort de Stärcke est probablement une véritable perte. Les Conférences devraient avoir
entamé leur voyage vers Vienne le 26 V, puis cela prendra encore quelques semaines. Je ne suis
pas du tout d'humeur à faire le travail sur Lamarck cet été, et ce que j'aimerais le mieux, c'est
de vous abandonner le tout. Je ne peux pas non plus emporter tant de livres.
Le Dr Pötzl, l'assistant de Wagner Jauregg], nous a invités, pour le 6. 6, à une démonstration dans
l'amphithéâtre de la clinique, un exposé sur la formation expérimentale du rêve, et il s'est proclamé à
cette occasion un adhérent inconditionnel de la `PA '. En tout cas, c'est un signe!
Ci-joint une lettre de la Suédoise, elle m'a demandé un traitement par suggestion; ce que j'ai
pu refuser avec bonne conscience. Dernièrement, elle était aussi à l'Association 2.
Cordiales salutations et à bientôt pour de bonnes nouvelles,
votre Freud
1917 237

Otto Pötzl (1877-1962), médecin viennois. Entre 1905 et 1921, assistant puis médecin-chef
auprès de Julius Wagner-Jauregg, à la clinique neuropsychiatrique. Un des principaux
représentants de l'École psychiatrique de Vienne, Pötzl est admis comme membre à l'Association
psychanalytique de Vienne le 4 novembre 1917. En 1922, il est professeur titulaire à Prague ; en
1928, retour à Vienne, comme successeur de Wagner-Jauregg. Il a « mis fin [...] au désaveu de la
psychanalyse à l'université de Vienne, soutenant dans la mesure du possible les élèves de Freud.
Cependant sa position à l'égard de la psychanalyse est restée ambivalente tout au long de sa vie
» (Minutes, IV, p. 14). Voir Mühlleitner, Lexikon, p. 245-246. Le 6 juin 1917, il fit un exposé sur la
formation expérimentale du rêve, intitulé « Les images de rêves suscitées expérimentalement
comme illustration de l'analyse freudienne du rêve » (Minutes, IV, p. 348).
A la séance du 16 mai (Minutes, IV, p. 346).

77 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, le 2 juin 1917

Cher Monsieur le Professeur,


Un détachement de transport est venu chercher ce qui vous était destiné.
Mais, par suite d'un malentendu, 20 kg de substance blanche pulvérulente,
ainsi que 20 kg de blé vert granulé — le tout appartenant à quelqu'un d'autre
— ont été également envoyés à votre adresse. Ne soyez pas trop triste quand on
viendra le chercher chez vous. Le reste:

Unguentum simplex *
Poudre blanche
Cristaux blancs

vous appartient ; ainsi, ne rendez pas tout ce qui est blanc


J'ai fait savoir au Dr von Freund que votre venue à Balatonföldvàr restait
extrêmement douteuse. Mais il maintient son invitation.
Les opérations pour l'acquisition de la troisième chambre ont été lancées. La
mutation ne pourra être empêchée : je ne cherche plus qu'à obtenir
des conditions correctes (être exempté des visites, etc.).
En toute hâte, après minuit,

* En latin dans le texte: graisse simple.


678 F
Prof. Dr Freud

le 3 juin 1917
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Au même courrier, je vous adresse par les Chèques postaux les 200 couronnes d'acompte
que vous avez fait débiter pour nous. Dans cette lettre, je vais vous ennuyer avec d'autres voeux
et questions, conséquence de votre médiation.
A ce qu'on dit ici, il n'est pas possible de savoir à Vienne comment circulent les trains en Hongrie.
D'autre part, il y aura le 29 ou le 30 de ce mois, et même le 1" juillet, une folle bousculade sur tous
les trajets. Je vous prie donc de m'indiquer rapidement s'il est raisonnable de voyager via Budapest et
comment le train continue de là vers Csorba. Car on pourrait aller à Budapest de nuit, en wagon-lit,
mais il faudrait se procurer les billets deux à trois semaines à l'avance. Il serait aussi tout à fait souhaitable
d'avoir des informations authentiques sur l'itinéraire Vienne – Csolna – Csorba.
Je vous prie de m'indiquer l'adresse de l'administration de l'hôtel, etc., auprès de laquelle on
peut s'annoncer. Est-ce que Csorbatô se trouve dans le comtat de Liptau ou dans celui de
Szepes ?
Les prix pour le logement et la pension sont-ils réellement aussi modestes que vous nous
l'avez écrit (26,80) ? A Vienne, on raconte des histoires de prix fabuleux qui ne seraient
accessibles qu'aux grands propriétaires terriens hongrois.
Ici, pas grand-chose de neuf. Physiquement je vais bien, dès à présent, j'ai peu à faire. Le temps
d'attendre les Conférences, qui sont toujours en route. Prochainement, je vous enverrai une lettre, la
plus intéressante que j'aie jamais reçue d'un médecin allemand, dont le contenu a de nombreuses
convergences avec vos pathonévroses et la pensée lamarckienne. Il faut d'abord que j'y réponde'.
Mercredi, l'association se réunira à la clinique de Wagner [-Jauregg], sur
l'invitation du Dr Pötzl, qui ne cache plus son adhésion.
Et que se passe-t-il chez vous ? Est-ce que tout s'achemine vers la
solution définitive ? Pouvez-vous bien travailler?
Cordiales salutations,
votre Freud

1. Il s'agit de la première lettre de Groddeck à Freud, du 27 mai 1917 (Freud/Groddeck,


Correspondance, p. 7-13). (Ça et Moi, Paris, Gallimard, 1977, p. 35.)
Walter Georg Groddeck (1866-1934), médecin et écrivain allemand; pionnier de la médecine
psychosomatique et de la médecine holistique ; il considère maints phénomènes physiques et
psychiques comme des formes de manifestation du Ça (expression reprise à Nietzsche). Il
insiste sur le rôle du transfert (particulièrement du transfert négatif) et du contre-transfert en
thérapie associant la psychothérapie à des techniques thérapeutiques physiques, suggestives et
diététiques. Élève et assistant du charismatique Ernst Schweninger. En 1900, ouvre sa clinique à
Baden-Baden. En 1919, encouragé par Freud, Groddeck rejoint l'Association psychanalytique de
Berlin, sans pour autant cesser de se situer en marge des organisations psychanalytiques, se
désignant lui-même comme «analyste sauvage». Groddeck commence par admirer Freud mais, en
1926, il prend ses distances, sans rompre avec lui, et se met à revendiquer son droit de priorité sur
la notion de Ça, que Freud lui a empruntée. Ferenczi, qui considérait d'abord Groddeck avec
scepticisme (voir plus loin), se rendit chez lui à Baden-Baden en août 1921, comme collègue et
comme patient, et une amitié intime se développa entre eux qui dura jusqu'à la mort de Ferenczi
(voir Ferenczi/Groddeck, Correspondance, op. cit., p. 54 et 68). L'influence de Groddeck n'a guère été
jusqu'ici estimée à sa juste valeur ; des psychanalystes comme Ernst Simmel, Frieda Fromm-
Reichmann, Erich Fromm, Heinrich Meng, Karen Horney, Karl Landauer ont [...] étroitement
collaboré avec lui » (Herbert Will, Georg Groddeck, die Geburt der Psychosomatik, Munich, 1984, p. 13).
Publiés en français (trad. Lewinter) : Au fond de l'homme cela (Gallimard, 1963), La Maladie, l'art et le
symbole (Gallimard, 1969), Ça et Moi (op. cit.).
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, le 5 juin 1917

Cher Monsieur le Professeur,


Ad * 2) Ci-joint une carte postale de la direction de la station thermale Szentivdnyi Csorbatô, Hongrie,
dans laquelle on vous demande de signaler le plus vite possible auprès de votre mairie (ou bureau de
ravitaillement) à partir de quel jour et pendant combien de temps vous aurez le droit de toucher votre
ration de farine à Csorbatô ; la validation officielle de votre inscription effective doit être envoyée au
plus tôt à la direction mentionnée ci-dessus.
Dans la lettre également ci-jointe du 30 V 1917, la direction confirme que
c'est vous qui avez loué, à la place du Dr Lévy, les chambres 10 et 11, du lei
juillet au 20 août ; en même temps, on y donne quittance de 200 couronnes
(acompte). Vous devez emporter cet écrit pour faire valoir vos droits là-bas.
Csorbatô se trouve dans le comtat de Liptau (Lipt6).
Ad 3) Les prix sont, comme je l'ai déjà écrit, les suivants: les deux chambres, sans pension,
coûtent ensemble 26,50 couronnes parjour – la pension, 14 couronnes par jour et par personne.
Je vous ai fait envoyer par Dick un guide allemand des Tatras. Mais achetez entre-temps le
très bon guide des Tatras dans la bibliothèque des voyages de Grieben. N'oubliez pas d'apporter
plaids, sous-vêtements, vêtements chauds, galoches, etc.
Ad 1) Je ne peux pas encore vous communiquer avec certitude les
horaires exacts, car je dois me fier au dire du portier de l'hôtel. Demain, je
me rendrai au bureau de voyages et je me renseignerai personnellement,
pour pouvoir vous informer avec certitude.

Demain je commence mon service à Neupest. Je vais devoir faire la visite


une nuit sur cinq. Le commandant ne veut rien savoir d'un allègement.

Les questions personnelles, prochainement.

Le Dr Rôheim ne peut garantir la parution simultanée du «Miroir magique


** » hongrois et allemand, que si Imago le publie encore courant 1917,
car il s'est engagé à ce que l'édition hongroise sorte dans ce laps de temps.
Demain, j'espère pouvoir vous communiquer les horaires.
Votre Ferenczi
* En latin dans le texte: à propos de.
** Der Zauberspiegel.

680 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, le 6 juin 1917

Cher Monsieur le Professeur,


Au bureau des locations, voici les renseignements que j'ai obtenus
concernant les diverses possibilités :

I
Dép. : Vienne-Est train avec wagons-lits 9 h 20 le soir
Arr. : Budapest-Est 7 h du matin
Dép.: Budapest-Est rapide 9 h 20 du matin
(Ne circule qu'à partir du 16 de ce mois.)
Arr. : Popràdfelka 5 h 12 après-midi
Dép.: Popràdfelka omnibus 6 h 32 le soir
Arr. : Csorba 7 h 06
De là, chemin de fer à crémaillère.
II
Dép.: Vienne-Est rapide
Arr. : Budapest-Est
Dép. : Budapest-Est omnibus
Wagons-lits jusqu'à Popràdfelka
Arr. : Popràdfelka 7 h 30 du matin
Arr. : Csorba 8 h 10 du matin De
Csorba, chemin de fer à crémaillère.

[A Les billets de wagons-lits semblent être épuisés du 25 VI au 7 VII,


mais votre frère Alexandre peut éventuellement obtenir quelque chose.]
III
Dép.: Vienne rapide 4 h 50 l'après-midi
Arr. : Galànta 6 h 46 du soir
Dép. : Galânta rapide 8 h 17 du soir
Arr. Zsolna 11 h 55 la nuit
Dép.: Zsolna omnibus 4 h 12 du matin
Arr. : Csorba 8 h 07 du
matin Chemin de fer à crémaillère.
La première formule paraît donc relativement confortable, si vous pouvez
obtenir des billets de wagon-lit. La deuxième est longue et pénible, surtout
si vous n'avez pas de billets de wagon-lit. La troisième demande trois
changements et une attente de nuit (mais qui sera abrégée par le retard) ;
en échange, la durée du voyage est de quelques heures plus courte. Dans le
I et II nous nous verrions, évidemment, mais cela n'entre pas en ligne de
compte, quel que soit le plaisir que j'en aurais.
J'attends avec une grande curiosité la lettre du médecin allemand. Cordiales
salutations, votre
Ferenczi
A. Entre crochets dans l'original.

Grand Hôtel Royal


Nagyszdlloda

Budapest, le 7 juin 1917


Cher Monsieur le Professeur,
Je viens d'apprendre que l'information selon laquelle on aurait aussi déposé
chez vous des choses qui ne vous étaient pas destinées était fausse.
Vous pouvez donc utiliser tranquillement pour vous le peu que j'ai pu vous envoyer.
Cordiales salutations de
Ferenczi

682 F
ProfDr Freud

le 8 juin 1917
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
C'est hier que la lettre intéressante vous a été envoyée, et aujourd'hui, la troisième partie des
conférences. Je regrette que votre mutation ait entraîné des désagréments pour vous, mais ce ne sera
peut-être pas si dur à avaler. Je suis très impatient d'avoir de vos nouvelles personnelles.
J'ai reçu vos envois de Csorbat6 et j'espère maintenant pouvoir vous épargner d'autres
ennuis. Nous avons signalé notre départ d'ici pour le 31 VI à destination de Csorba ; j'en
informerai la direction. J'aurais pu vous épargner une partie de votre peine ; j'ai appris ici
depuis que le meilleur itinéraire passait par le train de nuit via Oderberg ; là nous faisons halte
pendant plusieurs heures et nous pouvons arriver à destination l'après-midi. Les billets sont
pris et les wagons-lits réservés.
Ma femme a déjà réagi à propos du train de munitions. J'ai appris aujourd'hui que le Dr
Freund considère son envoi de 20 kg de saindoux comme une « petite attention », et je ne
voudrais pas que vous suiviez son exemple. A supposer que les restrictions continuent en
automne, nous n'oserions plus vous demander quelque aide que ce soit.
Rank est arrivé par surprise mercredi soir et il vient de prendre congé à l'instant même. Il a fait
très bonne impression, il semble être passé par de lourdes épreuves, mais il revit et il a de bonnes
perspectives d'avenir comme associé dans une nouvelle maison d'édition importante'.
L'exposé de Pötzl était très intéressant, il a jeté un pont entre la physiologie des sens et la `PA
; en conséquence de quoi, nous l'avons invité à venir régulièrement à nos réunions. Il proclame
maintenant sans réserve son adhésion à l'analyse. C'était une impression étrange dans
l'amphithéâtre de Wagner et de la part d'un assistant de la clinique.
Heller a laissé Imago sans papier, et il est parti en voyage en Neutralie. Dans les mois prochains, le
monde s'assombrira encore beaucoup. Savoir ce qui en sortira, ou même en restera...
Cordiales salutations,
votre Freud
83 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, le 13 juin 1917

Cher Monsieur le Professeur,


Dans mes affaires personnelles, les plus personnelles surtout, il n'y a presque rien de changé depuis
que je suis ici. L'état de santé de Madame G. a temporairement relégué à l'arrière-plan tous les autres
projets. Elle est très anémiée, et cependant elle n'a pas maigri ; l'examen de sang a donné le résultat que
je vous ai déjà communiqué ; poussées de température le soir (37,1°-37,7°) *, pas d'atteinte pulmonaire.
Elle a subi, à cause de son fibrome utérin, une série de rayons X, dont il faut encore attendre le résultat.
On a réussi à trouver pour elle une chambre à Tdtra-Lomnitz, où elle séjournera du 20 juin au 1" août.
Elle aura ainsi certainement l'occasion de vous parler.
Les poussées de température, l'anémie et le toussotement pourraient, tous, être rapportés au
fibrome (irritation péritonéale ?) ; mais le psychique, et particulièrement le souci de sa fille en
Amérique, y a certainement une part.
Compte tenu de cet état de choses, je ne voulais pas trop la presser ; mais une conversation
d'hier soir m'a montré que sa résistance n'était pas encore écartée, autrement dit qu'elle n'avait
toujours pas renoncé à son plan : attendre une réaction au moins épistolaire d'Elma à notre projet.
Je l'ai invitée assez énergiquement à n'y plus songer, mais comme elle ne va pas bien, je ne voulais
pas me montrer d'emblée trop rude. — Vous comprendrez que ces circonstances me font à nouveau
apparaître sous un jour moins brillant ce projet que ma disposition névrotique m'a si longtemps
empêché de mettre à exécution ; peut-être la névrose se sert-elle de ces difficultés pour s'exprimer
encore.
Mon propre état de santé continue à être satisfaisant. J'arrive à remplir mes obligations
devenues un peu plus pesantes (au lieu de s'alléger). Cependant, j'ai cessé de prendre du poids ;
mais c'est normal, puisqu'il faut que je circule tous les matins pendant 2 heures et demie en
pleine chaleur, que je fasse mon service dans deux bâtiments éloignés l'un de l'autre et que je
termine avant le repas ma consultation à la Caisse de Maladie. L'après-midi, j'ai 4 à 5 séances.
Je ne termine qu'à 8 heures et demie, je dois dîner rapidement, me promener un peu et aller me
coucher dès 11 heures, afin de pouvoir me lever à 7 heures moins le quart. Pour les visites, je me
fais remplacer par un étudiant en médecine, que je paie 20 couronnes (une ou deux fois par
semaine). C'est l'unique faveur que m'ait accordée le « commandant » (un chargé de cours en
histoire de la médecine, très
ennuyeux, médecin-major de réserve). Je suis le seul neurologue pour 600 malades. Les autres médecins
sont des médecins de campagne d'Ujpest.
J'ai reçu vos Conférences et je vous remercie de votre attention inlassable. Malheureusement, à présent je n'arrive
pas même à les relire. D'activité littéraire ou scientifique il n'est naturellement plus question.
Venons -en maintenant à la missive extrêmement intéressante du Dr Groddeck, que je joins à cette
lettre.

Une partie des choses qu'il vous communique nous est connue, bien sûr : j'ai moi-
même vu un cas où, de temps à autre, sous l'effet de causes psychiques, survenaient
de véritables oedèmes de certaines parties du visage. Les autres faits, même s'ils sont,
pour la plupart, dans le domaine du possible, nécessitent une vérification urgente. Je
considère avec scepticisme le cas du Wassermann ' qui, d'abord positif, devient ensuite
négatif. Outre la valeur douteuse de cette méthode d'investigation, je ne parviens pas à
comprendre par quel chemin l'inconscient pourrait provoquer une telle réaction
sérologique. Il faut donc supposer que doit naître dans l'Ics une image de ce qui sera
produit dans le corps, et à laquelle le corps se conforme ensuite (si toute cette histoire
est vraie). Je peux encore m'expliquer la genèse d'une éruption d'allure syphilitique, ou
la genèse d'une hydarthrose 2, etc. Mais comment, à la suite de l'idée d'un «
Wassermann négatif », le Wassermann pourrait vraiment devenir négatif, c'est
impensable. L'image (l'idée) «Wassermann négatif» n'a rien de commun, assurément,
avec les processus sanguins encore inconnus. Le Dr Groddeck doit donc, même s'il sait
probablement produire bien des nouveautés, être malgré tout un fantaisiste. Mais cela
parle plutôt en sa faveur. A l'évidence, il ne travaille pas avec notre psychanalyse, mais
presque exclusivement avec le transfert (à lui-même partiellement inconscient), c'est-à-
dire avec la suggestion au sens ancien du terme; mais peut-être suggère-t-il avec plus
de succès que d'autres, puisqu'il a acquis des connaissances tira (manifestement par
une voie dont il ne veut pas se souvenir). Emploie-t-il aussi, inconsciemment, d'autres
forces Ili (transmission de pensée), je laisse la question ouverte. – Ce qu'il dit au sujet de
la théorie (possibilités d'application des principes >Ira au corporel) est courant pour nous.
Mais son penchant pour les sectes et le mysticisme s'exprime dans l'utilisation
systématique du mot « ça » au lieu d'« Ics ». Toutefois, certains exemples sont très
intéressants (ainsi le cas d'une sclérodermie 2du pied à la suite d'un fantasme de coup
de pied à l'enfant puîné). Il est certain que l'on devrait faire la connaissance de cet
homme. Malheureusement, cela rappelle la visite au petit curé bavarois Staudenmayer,
qui s'est révélé être une démence précoce. Mais, même ainsi, il pourrait nous enseigner
bien des choses nouvelles. Je suis curieux de savoir comment vous allez interpréter ce
cas.

Je me suis senti un peu honteux lorsque vous m'avez indiqué le seul itinéraire
correct pour Csorba, celui que la demoiselle du bureau de voyages d'ici (au
demeurant encore inexpérimentée) n'a pas su me dire. Il est possible que j'utilise
une brève permission « sans aucun motif », qui m'est
encore due malgré celles accordées pour maladie, et que je vienne vous voir à Csorba.
Quant au petit envoi de munitions, vous n'avez malheureusement pas à y voir un précédent car, ainsi
que je viens de l'apprendre, d'autres envois de ce genre ne seront plus guère possibles. Votre souci disparaît
donc de ne plus pouvoir me mettre à contribution dans l'avenir. En conséquence, considérons-le également
comme une « petite attention ».
Je me réjouis beaucoup de l'amélioration et des bonnes perspectives de Rank. Sachs m'a demandé de louer
une chambre à la montagne à l'intention de son amie. J'ai peu d'espoir d'y parvenir. La demande d'une
troisième chambre pour vous a aussi été refusée. Peut-être trouverez-vous quelque chose sur place.
Ma soeur, qui séjourne jusqu'au 1" juillet dans un petit établissement thermal non loin de Csorba, parle
d'une assez grande fraîcheur dans cette région. Alors, encore une fois : emportez beaucoup de vêtements
chauds!
Prière de faire savoir à Heller que, suite au retard des cahiers d'Imago, l'article de Rôheim devra peut-être
paraître un peu plus tôt en hongrois (à la fin de cette année), mais ceci ne portera guère préjudice à sa
diffusion en langue allemande. En tout cas, je dois obtenir son accord, pour que le Dr Rôheim fasse
entreprendre la traduction.
J'aurais été très intéressé par la conférence de Pötzl. Le Dr Sachs pourrait lui proposer de donner cet
article à la Zeitschrift.
Hier, le traducteur hongrois de Totem et tabou était ici. Il promet de le réviser à fond, dans le sens que j'ai
demandé. Le Dr Röheim est prêt à revoir la traduction du point de vue ethnologique.
Un autre jeune ethnologue hongrois très sympathique, Jellinek (millionnaire, aussi mon patient, névrose
obsessionnelle, passe bientôt son doctorat), a fait une très jolie trouvaille. Il paraît que les étymologistes
pensent que le mot latin amicus provient du mot umbilicus. Et Jellinek dit que les tribus australiennes scellent
leur pacte d'amitié par l'échange de leurs Tschuringas (c'est-à-dire les restes conservés et desséchés de leurs
cordons ombilicaux). J'ai fait remarquer à Jellinek la racine homosexuelle de l'amitié mise en évidence
par la `PA, et lui ai dit que la cérémonie devrait signifier quelque chose comme: les amis deviennent l'un
pour l'autre mère et enfant ; cela correspondrait à l'explication fra de l'inversion : jouer le rôle de la mère
auprès de l'ami.
Jellinek m'a également promis une collection d'intéressantes interprétations de rêve de l'Antiquité. (Je
me souviens de l'une d'elles : « en rêve, une femme est scellée au moyen d'une bague à cachet ».
Interprétation de l'auteur antique : la femme est engrossée, car on ne scelle qu'un récipient plein. Je trouve cela très
bon et s'accordant parfaitement avec l'expression argotique « petschieren » A 4.)
Il règne ici une grande incertitude quant à la politique intérieure. Qu'entendez-vous par
l'assombrissement des mois à venir?
Cordiales salutations de votre Ferenczi

Je remercie Madame le Professeur pour son aimable lettre.


A. La seconde parenthèse manque dans le manuscrit.
* Dans les pays d'Europe centrale, on prend la température sous le bras, ce qui donne 4 à 6
dixièmes de moins que la méthode rectale.
Réaction sérologique dite de « Bordet-Wassermann », établissant le diagnostic de syphilis. Groddeck
parlait dans sa lettre d'un patient « dont le Ça avait provoqué les symptômes de la syphilis, des éruptions
cutanées tout à fait caractéristiques, des ulcères au pénis et au bras, ulcères au cou et un Wasserman.
Le tout, y compris le Wasserman [...] a disparu au cours du traitement psychique ». Voir Briefwechsel
(Correspondance), lettre du 27 V 1917, p. 12.
Maladie de l'articulation avec épanchement de sérosité.
Maladie auto-immune provoquant une altération du tissu conjonctif de la peau. Groddeck a
rapporté la sclérodermie de la jambe de ce même patient à une tentative de piétiner un nouvel
enfant à naître dans le sein de sa mère (op. cit., p. 13).
Textuellement: « cacheter », expression autrichienne vulgaire pour désigner le coït,
correspondant à «baiser» en français.

684 F
Prof. Dr Freud

le 15 juin 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je regrette beaucoup que votre travail quotidien vous dévore entièrement à présent, au point
qu'il ne reste plus rien pour recueillir et produire. Je souffre du contraire, je n'ai plus que 3 séances
et je m'ennuie. Mais le résultat est le même. Manifestement, de l'une ou de l'autre façon, on n'atteint
pas l'optimum.
Vous pouvez rapporter au Dr Rôheim qu'Imago publiera certainement son article en 1917,
pourvu qu'il envoie très rapidement la traduction, et que nous n'attachons pas d'importance à une
petite avance de l'édition hongroise. C'est justement Imago qui est en manque actuellement.
Je retrouve dans votre réaction envers le Dr Groddeck un de vos vieux traits de caractère, la tendance
à laisser l'étranger à la porte. C'est bien ce qu'il souhaite lui-même, il demande, il supplie, de ne pas être
reconnu comme analyste. Je lui ai répondu que je ne pouvais pas lui faire ce plaisir' ; j'ai attiré son
attention sur ses deux péchés capitaux: son ambition banale ainsi que sa partialité philosophique; en
effet, ses expériences ne lui permettent pas, naturellement, de nier la différence entre psychique et
physique, mais ne font que mettre en évidence une force – insoupçonnée – du facteur iJr. J'attends
maintenant sa réponse avec curiosité. Je partage volontiers vos doutes au sujet de certaines de ses
communications. Mais le tout nous pousse vers notre travail sur Lamarck.
Bien sûr, je ne connais pas la distance entre Tàtra-Lomnitz et Csorba, ni les facilités de transport
entre les deux, mais je prévois des occasions multiples de voir Madame G., que nous mettrons toutes
à profit. Il est très dur d'être dans l'impossibilité d'avoir une troisième chambre, et cela ne pourra être
compensé par rien.
1917 247

Quant au monde extérieur, je considère comme certaine la poursuite de la guerre jusqu'à ce que les
Américains puissent s'en mêler 2 et, par conséquent, la disparition de l'espoir de paix pour 1917. Selon
l'humeur, on peut attendre le pire de la quatrième année de guerre. Il faut, heureusement, laisser une
place aux facteurs et aux événements totalement imprévisibles. Tout cela n'est pas beau.
Cordialement, votre
Freud
« Je vous ferais évidemment grand plaisir en vous reléguant avec Adler, Jung et d'autres. Mais je
ne puis le faire, je revendique mes droits sur vous et suis obligé d'affirmer que vous êtes un analyste
de premier ordre qui a, une fois pour toutes, saisi l'essence de la chose. Quiconque a reconnu que le
transfert et la résistance constituent le pivot du traitement appartient sans retour à notre horde
sauvage. » (Lettre du 5 VI 1917 ; Sigmund Freud, Correspondance 1873-1939, op. cit., p. 42.)
Les États-Unis ont déclaré la guerre à l'Allemagne le 6 avril ; les premiers contingents
importants de la flotte américaine depuis la déclaration de guerre sont arrivés dans le Midi de la
France le 7 juin.
85 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, le 21 juin 1917 A

Cher Monsieur le Professeur,


Je suis tout à fait désolé qu'il soit impossible d'avoir une troisième chambre. Peut-être pourrez-
vous arranger quelque chose sur place. Ainsi, ma sœur a réussi à découvrir, pour l'amie de Sachs,
une chambre à l'hôtel Men-y, non loin de Csorbat6. Je ne sais si nous réussirons à la lui réserver.
Madame G. part ce soir en wagôn-lit pour Tàtralomnitz. Son indisposition s'est manifestée ces
derniers temps, entre autres, par des évanouissements, si bien que, sur mon insistance, elle emmène
sa femme de chambre avec elle. Ces états ont manifestement leur racine – outre le psychique – dans
son anémie importante. Elle a aussi de la fièvre, entre 37,1 et 37,4.
Pour se rencontrer, le mieux sera la station de Tàtrafüred, qui est aussi facile d'accès de Csorba
que de Lomnitz. Avez-vous reçu le petit guide de voyage sur la région des Tàtras ?
Si la grande chaleur continue, le climat de Csorba méritera pleinement sa réputation. Outre la
promenade au lac Popper (Poprcid- t6), je recommande comme excursion agréable – pour vous et
Mlle Anna – une balade sur la crête polonaise, et un tour aux « cinq lacs », en partant de Tätrafüred
– au moins jusqu'au « chamois » dans cette direction. (A partir de Tàtrafüred avec le téléférique
jusqu'à la « petite crête» [B Tarajka] – continuer à pied dans la vallée de Kohlbach [B Tarpatak] où il y
a une belle cascade.)
Je doute que je puisse vous rendre visite, à vous et à Madame G. Mon
«chef» se cramponne énergiquement à moi. Une nouvelle tentative a été
effectuée pour obtenir une dispense (la démarche a été faite par la Caisse de
Maladie). J'y mets peu d'espoir.
J'ai pu régler le cas Rbheim. D'ici 3 semaines, les trois premiers cahiers du
« Miroir magique » arriveront chez Sachs. Les 3 suivants restent pour le
prochain numéro d'Imago. – Dimanche, j'envisage de donner éventuellement
suite à l'invitation des Rôheim dans leur villa' ; j'espère aussi, là-bas, mettre
la main sur le Dr Jellinek, déjà mentionné, en vue d'un article qui serait
destiné à Imago. (C'est là une espèce intéressante de fils de millionnaire
savants, venus à la science par réaction contre la profession du père. J'ai
d'ailleurs eu à ma consultation deux frères de cette espèce (les deux barons
[B Hatvany], un écrivain et un peintre 2.)
J'attends avec beaucoup d'intérêt la réponse du Dr Groddeck!
Enfin, je dois vous faire un aveu pénible. J'ai réussi àperdre le manuscrit de la traduction de votre
article sur la guerre et la mort!
J'espère avoir encore de vos nouvelles avant votre départ.
Salutations à vous tous, de votre
Ferenczi

Des parties importantes de cette lettre portent des taches d'encre, de sorte que la
date, en particulier, est difficile à lire.
Dans le manuscrit, parenthèses dans les parenthèses.
Une demeure imposante située au 45 Hermina tilt, à côté du Bois de Ville (Vârosliget). Istvàn
Tisza, le Premier ministre, résidait dans ce même immeuble, et c'est là qu'il fut assassiné le 30
octobre 1918.
Les barons Hatvany appartenaient à une grande famille de Juifs anoblis. Des trois frères et une
soeur, l'un était peintre et les trois autres des gens de lettres. Ici, il s'agit sans doute de Ferenc
Hatvany (1881-1958), peintre (en particulier de nus féminins), et de Lajos Hatvany (1880-1961),
écrivain, personnalité importante de la vie culturelle en Hongrie, un des fondateurs de la revue
Nyugat et mécène des poètes Endre Ady et Attila Jôzsef. Après 1919, il émigra à Vienne, puis, en
1927, retourna en Hongrie. Auteur de nombreux ouvrages.

686 F
Prof. Dr Freud

le 22 juin 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Ci-joint la lettre de Groddeck', arrivée aujourd'hui. Vous le trouverez
certainement, comme moi, un peu fatigant; le patient aurait pu faciliter la
tâche au médecin s'il lui avait communiqué les conclusions au lieu du
matériel, et il faut une bonne dose de contentement de soi pour se conduire
ainsi. Néanmoins, impression globale : laudabiliter se subjecit 2.
A la fin de la lettre, il va jusqu'à solliciter un avis de votre part; il
vous appartient de lui accorder.
1917 249

Nous entamons la dernière semaine avant de partir à la découverte des Tatras. Temps calmes
et sombres. Annerl est encore passée par une otite moyenne bénigne, sans suppuration, que
votre ami Neumann 9 a traitée avec beaucoup de gentillesse.
Le destin semble bien parti pour me faire passer mon vice favori 4. Mais, comme Francis
Bacon, je voudrais dire: « I won't be plucked of my feathers * 5.
Vous êtes certainement encore très occupé.
Cordiales salutations,
votre Freud
* En anglais dans le texte : je ne me laisserai pas plumer.
Incomplètement reproduite dans Ça et Moi, op. cit., p. 44.
Auctor laudabiliter se subjecit : l'auteur a fait amende honorable. Phrase rajoutée à un livre
par l'index de la congrégation (catholique) quand un auteur s'était rétracté après que son
oeuvre eut été déclarée dangereuse ou contestable.
Voir 552 Fer et la note 1.
L'habitude de fumer.
Voir 566 F et la note 1.
87 Fer (à Hanns Sachs)
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, le 23 juin 1917

Cher Ami,
Espérons que l'affaire lancée par mon télégramme ` d'aujourd'hui pourra se
réaliser. Tenez-moi informé.
En ce qui concerne les affaires scientifiques, voici ce que j'ai à vous
communiquer:
Le « Miroir magique » du Dr Rôheim est en cours de traduction. Vous recevrez les trois
premiers cahiers d'ici trois semaines, de sorte qu'un des numéros d'Imago est sauvé. – Le reste
suivra très bientôt.
Je joins à cette lettre deux comptes rendus pour la Zeitschrift : la critique Schultz – corrigée
(atténuée) – et un compte rendu écrit depuis longtemps et que, depuis longtemps, j'aurais dû
compléter sur quelques points (à propos du dernier livre de Mach) ; mais je n'arrive à rien, de
sorte que vous devrez vous contenter du vieux texte. Vous pouvez utiliser le compte rendu sur
Mach à votre guise, pour la Zeitschrift ou pour Imago 2. - L'article sur les stigmates hystériques, que
j'ai écrit bien avant les « pathonévroses » 3, nécessite, à cause de ce Hysteron-proteron 4, un
petit complément dans le sens des « Pathonévroses ». S'il vous plaît, renvoyez-les-moi en vue
d'une utilisation rapide. Je ne sais pas encore si j'aurai le temps d'écrire d'autres comptes rendus.
Pour l'instant, il n'est pas
question de travaux originaux (de ma part). Je suis occupé de 7
heures du matin jusqu'à 8 heures et demie du soir.
Je suis, bien sûr, d'accord avec la maquette de la « Zeitschrift ». Vous devriez user moins
généreusement du nom « Kardos », sous peine d'éveiller trop de curiosité. En fait, vous
pourriez choisir parmi les noms les plus beaux – et «faut-il justement qu'il vienne toujours de
Hongrie 5 ? »
Par le passé, le Prof.[esseur] Freud souhaitait une modification de la critique sur Mach,
essentiellement parce qu'il ne voulait pas que nous nous compromettions avec lui, encore
vivant à l'époque. A l'égard d'un mort, ces considérations tombent s. Sa deuxième objection,
à l'époque: l'insistance exagérée sur « l'idée de la projection d'organe » dans le développement
de la mécanique, devient caduque, je crois, du fait qu'entre-temps nous avons envisagé de
traiter du développement organique sur une base plus large. De toute manière, dans la
pénurie actuelle d'Imago nous pouvons aussi gober cette mouche-là.
Cordiales salutations de
votre Ferenczi

Non retrouvé.
Il s'agit de la note de lecture de Ferenczi (1917, 205) concernant l'ouvrage de Schultz, S.
Freud's Sexualpsychoanalyse (Psychanalyse sexuelle de S. Freud) [voir 662 F et la note 2] et de
l'article « La psychogenèse de la mécanique. Remarques critiques sur un essai d'Ernst Mach
» (1919, 219), Psychanalyse, III, p. 44-52. Ferenczi avait adressé ce dernier article à Freud le 23
novembre 1915 (voir 577 Fer et la note 1) et l'avait modifié selon le désir de celui-ci (voir 579
F) ; l'article parut dans Imago.
«Tentative d'explication de quelques stigmates hystériques » (1919, 221), Psychanalyse, III,
p. 66-72, et « Les psychonévroses » (1917, 195), Psychanalyse, II, p. 268-277.
Figure rhétorique grecque. Hysteron : derrière, dernier ; posteron : antérieur, premier. Il
s'agit du renversement de l'ordre naturel des deux termes.
Deux communications du Dr Kardos ont paru dans la Zeitschrift : « Zur Traumsymbolik » (De
la symbolique du rêve) [1916/1917, 4, p. 113-114] et « Aus einer Traumanalyse (Fragment
d'une analyse de rêve) [ibid., p. 267-269]. Il s'agit du pseudonyme « Kardos » (en hongrois :
homme d'épée), probablement adopté par Sachs. Plus tard, en 1919, deux autres articles
seront signés de ce nom : « Zwei Inzestträume » (Deux rêves d'inceste) et « Zur Stiegensymbolik
im Traume» (Symbolique de l'escalier dans le rêve) [1919, 5, p. 229-230].
Mach est mort en 1916.

688 Fer A
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, le 28 juin 1917

Cher Monsieur le Professeur,


Il apparaît que les guides de voyage sont interdits de vente à cause du danger d'espionnage
(particulièrement ceux des Carpates). Avec l'aide d'un jeune touriste de haute montagne de cette
région, qui est actuellement
employé aux écritures chez moi, à l'hôpital, j'ai réussi à B en trouver un
exemplaire.
La deuxième lettre du Dr Gr.[oddeck], malgré l'amende honorable, me plaît
beaucoup moins que la première. L'absence de critique avec laquelle il se
débarrasse de son « mal de gorge » par des moyens psychogènes fait
également apparaître les autres succès annoncés sous un éclairage
identique.
J'apprends par Madame G. qu'à Csorba on construit et on restaure le
bâtiment principal. Il est bien que vous ayez trouvé un logement dans une
autre maison.
Je brûle d'apprendre si vous vous plaisez à Csorba — mais je demande un jugement
clément, surtout les premiers temps.
Cordiales salutations de
votre Ferenczi
A partir du 24 juillet, j'aurai quinze jours de permission.
Toute la lettre est écrite au crayon à encre.
Dans le manuscrit, ce mot est ensuite barré.

89 F A

Csorbatô le 2 juillet 1917


Cher Ami,
Pour vous, la première carte d'ici. Confirme, en remerciant, réception du
guide. Arrivé hier; immédiatement plaisir d'une pluie soutenue dont nous
avons été longtemps privés, et qui se poursuit aujourd'hui. Commençons à
nous y retrouver. Air, eau, pain, donc 3 substances élémentaires :
magnifique. Service médiocre. Attendons la suite.
A. Carte postale, écrite au crayon.

90 F
Prof. Dr Freud

Csorbatô le 6 juillet 1917


Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Après un séjour si long, je vous dois un rapport détaillé. Avant tout, nos remerciements
officiels pour votre exploit qui nous a valu un si bel été.
Car c'est indéniablement magnifique et singulièrement beau ; la natureextraordinairement inaltérée et
accessible, généreuse et intéressante. Ce serait idéal s'il y avait en plus un souffle du Sud, si les Tatras
pouvaient être chauffées, comme dit Anna. Il est vrai que je ne peux pas beaucoup grimper ; j'ai compris
ici à quel point cette année avait usé ma constitution, plus que je ne le pensais. Mais les Tatras n'y sont
pour rien. La pension est de très bon style, les deux repas principaux plaisants, seul le petit déjeuner
est tout à fait insuffisant et préparé avec des ersatz. Madame G. (voir plus loin) nous a apporté un
salami et d'autres choses à domicile; si vous n'aviez pris l'habitude de transformer en cadeaux les
denrées alimentaires, au lieu d'y joindre les factures, je vous demanderais bien, à vous aussi, de nous
envoyer un peu de lard, de beurre et choses similaires (fromage) comme provisions pour la chambre.
Anna qui n'en a pas fini avec ses oreilles, ni avec son catarrhe purulent, dévore ici, au moins, de façon
très satisfaisante.
Le logement est fort agréable, grâce à une grande véranda où nous nous tenons la plupart du
temps. Le mobilier est tout à fait primitif, mal entretenu et incomplet, mais ma femme a réussi à
en faire quelque chose de vraiment confortable. La direction semble serviable.
Pas question de travailler, les conditions manquent pour cela, ainsi que toute envie, en ce
moment. La mort de Hermann, mon neveu de 20 ans, fils unique de ma soeur Graf sur le front du
Tyrol, a été la dernière impression sur laquelle nous avons quitté Vienne. La correspondance avec
« l'étranger » est rendue ici bien plus difficile.
Venons-en maintenant à ce qui doit vous intéresser au premier chef. Madame G. est passée dès
dimanche, avant notre arrivée, et elle est revenue mercredi pour midi. Nous étions convenus d'un rendez-
vous à Tàtra-Füred pour cet après-midi. Mais il vient d'être décommandé à cause de la pluie, et a été remis
à demain. Nous avons été très contents de la voir et j'ai pu avoir avec elle un entretien assez long. Mais je
l'ai trouvée souffrante et vieillie. La conversation avec elle est un plaisir. J'ai appris qu'elle avait déjà franchi
le pas décisif auprès de son mari. Tout le reste semble incertain, mais j'ai l'absolue conviction qu'elle vous
cédera en tout. A l'arrière-plan il y a Elma, dont j'ai lu une partie des lettres. Mon impression est la suivante:
par votre infidélité envers Elma, vous lui avez infligé une profonde blessure et, avec une habileté
démoniaque, avez embrouillé les possibilités d'avenir. Pourtant, il n'y a rien d'autre à faire ; si Elma revient,
vous devez oublier que vous pouvez être pour elle autre chose qu'un père. Je le répète, la troisième et
dernière partie des livres sibyllins vaut toujours son pesant d'or.

J'étais aujourd'hui à l'hôtel Môry afin de confirmer votre chambre pour le


24/7, mais je n'ai pu obtenir de réponse définitive ; je crois cependant que
cela marchera. En chemin, j'ai rencontré la darne qui s'est fait reconnaître
comme étant votre instrument pour toutes ces réservations de chambres ;
une inénarrable femme – médecin, assez moche, très confiante, qui se
gargarisait de Ferenczi, Sachs, l'analyse. La meute des flatteurs qui veulent
vous pisser dessus (pour parler comme G4ottfried] Keller 2) s'est aussi déjà
manifestée. Je me suis montré assez peu accueillant.
On attend Sachs pour bientôt. Ce serait bien si nous pouvions aussi être à
trois pendant quelques jours.
Je vous salue cordialement et espère avoir de vos nouvelles avant de vous
revoir,
votre Freud
Hermann Graf (1897-1917), fils de Regina (« Rosa ») [1860-ca. 1942] et de l'avocat Heinrich Graf
(ca. 1852-1908). Son deuxième enfant Cäcilie (« Mausi »), née en 1899, se suicida en 1922. Rosa
mourut au camp de concentration de Treblinka.
Gottfried Keller (1819-1890), poète et romancier suisse d'expression allemande. Son ouvrage
principal, Henri le Vert ([1854], Paris, Aubier, 1946), est une autobiographie à peine déguisée. Ce
roman d'apprentissage est considéré comme un des classiques de la littérature allemande.
91 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, le 8 juillet 1917

Cher Monsieur le Professeur,


J'avais quelque appréhension quant à l'impression que feraient sur vous les Tatras et les conditions
de là-bas ; je suis content que vous vous y soyez accoutumé et qu'à la première impression désagréable
ait succédé une autre, plus favorable. Après coup, je m'aperçois de l'immense responsabilité que j'ai
assumée en vous recommandant ce lieu de séjour. Car un mauvais été a un effet défavorable sur toute
l'année. Dieu merci, cela s'est passé, ou semble se passer en douceur.
Les Tatras et moi sommes de vieux bons amis. Cependant, moi non plus, je ne pourrai ni ne
devrai faire de l'escalade. Mais quelques promenades sont encore accessibles, même pour nous.
Je vous remercie de votre démarche auprès de l'hôtel Môry. La «doctoresse » que vous y avez
rencontrée est une bonne connaissance, elle est de la famille d'Ignotus, qui viendra du reste lui
aussi dans les Tatras. Quand vous verrez Madame Garai (c'est ainsi que s'appelle la dentiste),
soyez gentil avec elle, s'il vous plaît. C'est une disciple intelligente, qui a une dette envers l'analyse.
Je l'ai personnellement poussée à vous rendre visite.
Je vous donne raison en tout ce que vous dites de Madame G. et de notre relation. Aujourd'hui,
je lui ai écrit une nouvelle fois dans le même sens. Nous pourrons en parler plus aisément de vive
voix – et très bientôt.
Le 23, je veux rendre visite à ma vieille mère, à Miskolcz, puis reprendre la route le 24 et arriver
dans les Tatras le même jour.
Pour travailler, il me manque l'humeur et le temps. Dans les séances, quelques belles
observations qui demandent à être mises par écrit. – La visite chez le Dr Rôheim fut déplaisante ;
je crains que son livre sur le
« Miroir magique », malgré toute son érudition, ne porte la marque de sa
position quelque peu mégalomaniaque, en même temps que trop mondaine.
La « symbolique fonctionnelle » semble signifier pour lui la même échappatoire
devant la sexualité que, jadis, l'interprétation astrologique des mythes. Quoi
qu'il en soit, le matériel vaudra assurément la peine d'être lu et certaines de
ses propres productions seront sans doute ingénieuses.
Je tâcherai de vous trouver du lard et du fromage. Pour le beurre, c'est
sans espoir. Du pain, vous en aurez tous les huit jours. Renvoyez, s'il vous
plaît, le torchon dans lequel il sera emballé à l'adresse suivante (en
recommandé) : Mlle Ilona Berger, Ujpest, près de Budapest, Hôpital de réserve,
Mezö utca (cuisine de l'hôpital).
Salutations cordiales à Madame le Professeur et à Mlle Anna. J'espère
que vous vous sentez comme chez vous dans ma patrie.
Votre Ferenczi
Veuillez attirer l'attention du Dr Sachs sur le livre suivant: Gustav
Stutzer, Secrets du rêve (Braunschweig, Hellmuth Wollermann)'.
I. Paru en 1917. Note de lecture par Otto Rank dans Bericht über die Fortschritte der Psychoanalyse
1914-1919 (Rapport sur les progrès de la psychanalyse 1914-1919), Vienne, Internationaler
Psychanalytischer Verlag, 1921.

692 F A
Csorbatô, le 9 juillet 1917 =

chambre mory retenue pour vous à partir du dix-huit = Freud

A. Télégramme.

693 F
ProfDr Freud

Vienne, IX. Berggasse 19


Csorbatô, le 13 juillet 1917A
Cher Ami,
Nous confirmons, en remerciant, la réception d'un envoi de pain et de
fromage de Mlle Ilona Berger. Le pain est arrivé au moment psychologique
où, pour la première fois, on en manquait à l'hôtel, à vrai dire pour très peu de temps.
J'ai dû interrompre ma lettre en raison d'une de ces bourrasques effroyables auxquelles on ne
peut résister. Nous avons malheureusement un temps épouvantable, tantôt brouillard épais, tantôt
pluie ininterrompue, tantôt tempête, et un froid de 7 °C ne permettant aucune sensation estivale, ni
plaisir de la nature. J'espère que ce n'est pas toujours ainsi dans les Tatras. Il a pu, de temps à
autre, faire si beau.
Madame G. nous a de nouveau rendu visite mercredi, le 11 VII, cette fois en compagnie de sa
soeur et, malheureusement aussi, de la vieille Madame von Freund, de sorte que je n'ai pu échanger
un seul mot avec elle. Nous avons l'intention de lui rendre sa visite à Lomnitz le plus tôt possible,
mais ces jours derniers, ou même aujourd'hui, c'est tout simplement impossible.
Sachs doit arriver aujourd'hui, mais il y a des difficultés d'hébergement. Certes, il pourrait avoir,
jusqu'au 24, la chambre que j'ai louée à votre intention à partir du 18. Je ne vois rien pour lui
jusqu'au 18, peut-être Mme Garai nous conseillera-t-elle.
Une admiratrice et patiente de Jung m'a envoyé son tout dernier petit livre sur les processus
inconscients', afin que je révise mon jugement sur ce noble personnage ! Mais cela peut attendre. De
Pfister, j'ai reçu une lettre mitigée qui, justement, critique impitoyablement ce livre, et me signale en
passant qu'à cause de sa 'PA il est sous surveillance – et là-dessus, une phrase héroïque; mais je
n'en pense rien de bon.
Pas question, évidemment, de travailler ici. Je vous salue cordialement et
espère vraiment vous voir arriver à la date fixée,
votre Freud
A. Écrit à la main, sous l'en-tête du papier à lettres. 1.
Voir 652 F, note 4.
. 4 Fer
Grand HôtelRoyal
Nagyszdlloda

Budapest, le 15 juillet 1917

Cher Monsieur le Professeur,


Tous mes remerciements pour la peine que vous avez prise en vue de mon hébergement – et mes
excuses pour mon incapacité à vous procurer les victuailles souhaitées. Une de mes soeurs – celle
de Miskolcz – m'a promis de vous envoyer de chez elle un colis de lard à Csorbatô, qui devrait nous
suffire à tous. Un deuxième envoi de pain de la part d'un collègue – le Dr Radô – a dû déjà vous
parvenir. En ce moment, le temps est très
agréable ici, donc dans les Tatras il est froid et désagréable. Je dois dire que je me sens, cette
année, littéralement responsable du temps qu'il fait dans les Tatras. Seul élément d'apaisement:
les choses, actuellement, nevont pas mieux ailleurs en montagne.
J'arriverai, selon toute vraisemblance, le 24 (mardi), le matin, je pense. La proximité de notre
rencontre rend superflu de discuter de nos affaires par lettre.
Salutations cordiales, au revoir,
votre Ferenczi
Je vous télégraphierai avant de partir.
1. Maria (à l'origine Rebecca), épouse Vajda.

695 Fer A
jeudi [le 19 juillet 1917]

Cher Monsieur le Professeur,


Je vous confirme pour la dernière fois mon arrivée à Csorba, dimanche, par le train du soir. Un
deuxième envoi – pain, fromage, salami – doit partir aujourd'hui; considérez-le, je vous prie,
comme notre butin commun. Au revoir,
votre Ferenczi

A. Carte postale.

696 Fer
Kôtaj, le 7 août 1917

Cher Monsieur le Professeur,


Le Dr Sachs, en tant qu'expert, vous a certainement déjà fait savoir si cet endroit était une
villégiature appropriée pour Mlle Anna '. J'envoie ci-joint l'invitation officielle de ma soeur qui
demande qu'on lui précise le moment où elle devra attendre son hôte.
Ici, avec Sachs, nous nous sommes vautrés dans les délices culinaires d'un lieu où
l'approvisionnement n'a pas souffert de la guerre. Malheureusement, les denrées qu'on trouve là
à foison ne supportent pas le long
1917 257

transport jusqu'aux Tatras. De Tàtraf(ired, j'ai envoyé du chocolat et du


sucre en poudre; de K6taj, cinquante cigares, qui ont dû arriver. Mlle
Berger, à Ujpest, fera tout son possible.
La fleur que je vous envoie ci-joint est pour vous un échantillon botanique
très significatif: Nicotiana tabacum. La récolte est – ceci pour vous rassurer –
moyennement bonne.
Vous serez intéressé d'apprendre que, dans le jardin, poussent aussi daturas et figuiers ;
ces derniers portent déjà des fruits à moitié mûrs.
Je commence à regretter la fin trop proche de la permission, dont je n'ai peut-être pas
pleinement profité.
J'écrirai bientôt de Budapest.
Salutations cordiales à Madame le Professeur et à Mlle Anna, de
votre Ferenczi
1. Anna se rendit, le 19 août, à Kotaj, invitée par la soeur de Ferenczi, Ilona, mariée à
Jozsef Zoltàn.
97 F
Prof. Dr Freud

Csorbatô, le 8 août 1917


Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami
Apprenez par la présente ce qui s'est encore passé ici, par suite de votre
séjour à Cs[orbat6] et ses environs. D'abord sont arrivés du chocolat et de la
vaseline (plutôt de la poudre) * venant de votre part, de Tàtraf(ired ; ensuite,
un salami de boeuf de votre ville natale, et aujourd'hui une boîte de cinquante
cigares de Kôtaj ! Entre-temps Varyas 1 était là, et il a apporté des oeufs, du
beurre, un peu de farine et du fromage de brebis fumé. Une personne
anonyme a laissé du fromage blanc et du beurre ; il est apparu qu'il s'agissait
de Madame le Dr Lévy (ce qui doit rester secret). J'ai été hier, avec ma femme,
à Tätra- Lomnicz, pour faire mes adieux à Madame G. et me prêter à
l'entretien secret avec Madame le Dr L.[évy]. Nous avons été invités à un
goûter compliqué chez Vidor 2 et nous sommes partis comblés de cadeaux
comme des Schnorrer **. Que Madame G. s'y soit distinguée à nouveau, cela
va sans dire ***. Elle avait une excellente mine et elle a été très tendre avec
ce garnement de Willi s. J'ai évidemment discuté avec elle des problèmes en
suspens et j'ai eu l'impression qu'elle mettrait en oeuvre tout ce qui était
nécessaire. « Nous serons heureux, j'en suis sûre ! » a-t-elle dit. Je le crois
aussi.
Une révolte aiguë de mon estomac m'empêche aujourd'hui de jouir de
tous ces trésors. Comme je ne peux pas vomir, je me suis senti fort mal ce
matin. A présent, je compte sur un succès rapide de la diète.
258 Correspondance 1914-1919

Anna ira demain à Lomnicz prendre congé de son côté, et éventuellement


discuter encore avec votre soeur de son invitation. L'invitation écrite était
rédigée avec tant de finesse et de naturel qu'elle a grande envie d'accepter.
Varyas m'a incité à chercher des champignons dans les forêts près de
chez lui, et je l'aurais fait dès aujourd'hui si le hasard ne s'était mis en
travers.
Pour une fois, Heller aussi a donné une bonne nouvelle. La traduction
hollandaise des Conférences 4 doit nous rapporter environ 1 700 couronnes ;
d'où il ressort que le cours du florin hollandais est épouvantable.
Madame Grete 5 se comporte très gentiment avec nous. Depuis
votre départ (ou celui de Sachs), le temps s'est vraiment bien gâté!
V o u s v oi là au c o u ra n t d e t o ut . At t e n t i on , un e c h o s e en c o r e ! L a
r e c o m m a n d a t i on d e v ot r e h a ut f o n c t i o nna i r e ( J o nk e ? ) a d é jà
e u p o u r e f f et q u e n o u s p o u v on s p r ol on g e r n otr e s é j o u r i ci , e n
c h an g ea n t d e ch a m b re. D e t o ut e fa ç o n , M a rth a i n cl i n e rai t p o u r
L o m n i c z o ù on n e tr o uv e r i en . P o rt e z - v ou s bie n , é c ri v e z
b i en t ôt . V o t r e l ett r e de K ô t a j e st a r r i v ée h i e r . C o r di a l em e nt ,
v o t r e F r e ud
* Langage secret convenu pour désigner le sucre.
** En yiddish dans le texte: mendiant.
*** En français dans le texte.
Il pourrait s'agir de Sàndor Varjas (voir t. I, 135 Fer, note 3).
Régine (Médi), soeur d'Anton von Freund, et son mari, Emil Vidor.
Vili (diminutif de Vilmos, orthographié à l'allemande— Willi — par Freud), 1911-1995, enfant
unique de la soeur d'Anton von Freund, Kata, et de Lajos Lévy ; a modifié son nom en Peter
Lambda, d'après la lettre grecque dont son père signait ses articles. En 1925, partit pour
Vienne, où il fut hébergé par Aichhorn ; en 1938, émigra en Angleterre. Après avoir interrompu
ses études de médecine, devint sculpteur, écrivain et scénariste. Auteur du buste de Freud qui
se trouve au musée Freud de Londres.
Parues en 1917, dans la traduction d'Albert W. Van Renterghem.
Grete Ilm, l'amie de Hanns Sachs mentionnée dans les lettres 683 Fer et 685 Fer. « 15.7.
Sachs. et Madame Ilm au Môry » (notes sur le calendrier de Freud, LOC). Elle fut invitée à
l'Association de Vienne les 6 juin 1917 et 12 décembre 1917 (Minutes, IV, p. 347 et 351).

698 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, le 15 août 1917


Cher Monsieur le Professeur,
Grâce à votre lettre et aux informations de Madame G., je suis au courant
du présent immédiat et du proche avenir. J'espère que Mademoiselle Anna
acceptera l'invitation de ma soeur et – comme elle n'est pas exigeante – qu'elle
s'y sentira à l'aise. Veuillez m'informer rapidement du jour de son
voyage, car je dois en avertir une de mes soeurs' habitant Miskolcz qui doit
l'accueillir là-bas.
En ce qui concerne les envois à Csorba, je ne peux plus compter que sur un colis d'Ilona Berger
qui, je l'espère, vous sera mieux parvenu que le précédent.
Je me permets d'évoquer à nouveau auprès de Monsieur le Dr von Freund votre projet de séjour
au Plattensee. J'apprends à l'instant par le Dr Lévy que votre déménagement à Lomnicz s'effectue
malgré tout, ce qui me réjouit sincèrement en pensant à Madame le Professeur.
A l'hôpital, il y a plus de travail et même quelques désagréments, notamment une rencontre * avec
un sous-officier. Il fait de nouveau épouvantablement chaud. Deux bains par jour ne servent à rien.
Vous pouvez imaginer notre nostalgie des Tatras.
J'ai à nouveau en main la traduction soi-disant corrigée de « Totem et tabou ». J'ai commencé à
la revoir. La traduction de l'Interprétation des rêves par Hollôs est prête et doit être révisée sous
peu. A part cela, rien de neuf du point de vue scientifique.
Je vous souhaite, même si cela demande beaucoup d'abnégation, un beau temps durable, de la
bonne humeur et une fructueuse cueillette de champignons.
Rien à rapporter, pour le moment, sur mes affaires personnelles.
Subjectivement, je vais bien, je dors sans somnifères.
Salutations cordiales à vous tous et à Madame Grete Ilm, de la part de votre
Ferenczi

* En français dans le texte. Mot français utilise en Autriche dans le sens d'affrontement. 1. Voir
694 Fer, note 1.
Prof. Dr Freud

Csorbatô, le 16 août 1917


Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
La carte de Rank vous a informé de ce qu'il y avait de plus intéressant ces derniers jours. J'espère
que ma femme aussi vous aura remercié pour l'envoi d'Ilona Berger.
Anna se réjouit beaucoup de séjourner chez votre soeur. Je souhaite qu'elle s'y rende agréable et
ne s'y sente pas trop étrangère. Elle veut partir le dimanche 19 de ce mois, de bonne heure, et sera
à Miskolcz à 2 h 59. Là, Eitingon guettera son arrivée', non pour évincer votre soeur
qui habite là-bas, plutôt pour la soulager. J'espère qu'il ne lui arrivera pas
trop d'aventures pendant le voyage.
J'ignore tout d'un éventuel déménagement. Je me renseignerai. Je crois qu'il
y a une confusion avec la prolongation de notre séjour, déjà accordée.
Hier un temps magnifique, aujourd'hui exécrable. Ferenczi et Präger 2
sont partis hier à midi, par un épais brouillard.
La pénurie de cigares semble terminée. Lévy a annoncé une petite caisse, et mon frère parle
de trois caisses qui m'attendent à Vienne. D'ici là, j'espère m'en tirer, étant donné qu'Eitingon et
Rank ont de nouveau apporté leur contribution.
Nous irions bien, si l'ombre de l'avenir ne pesait sur notre humeur. Ernst est à l'hôpital d'Agram, avec
un diagnostic d'ulcère, donc en route pour l'arrière s, avec l'aide du Dr Garai. Mais si la situation présente
continue, alors tous vont y passer. (Ernst a déjà, comme vous le savez, subi une cure pour son ulcère au
Cottage Sanatorium; il s'agit de ce qu'on diagnostique sous le nom d'ulcère duodénal.)
Sachs a de nouveau envoyé aujourd'hui des épreuves d'Imago. Sinon, la
science est toujours aussi loin de moi.
Mon salut cordial à vous et à Madame Gisela,
votre Freud
Eitingon était stationné à Miskolcz.
Non élucidé.
« 22.8.-31.8. Ernst souffrant, à Vienne » (notes sur le calendrier de Freud, LOC).

700 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, le 18 août 1917

Cher Monsieur le Professeur,


Je peux enfin vous faire part d'un tournant favorable dans mes affaires personnelles.
Subjectivement, sans aucun motif extérieur, j'ai noté l'émergence brutale de sentiments jusque-
là bien refoulés, qui m'ont persuadé de la justesse de votre opinion selon laquelle, au fond, j'avais
toujours été fixé sur Madame G. ; les tentatives d'infidélité n'étaient que des tentatives de fuite
devant ce sentiment.
Le tournant dans les relations extérieures est intervenu hier. Géza, le mari de Madame G., a fini, en
effet, par provoquer la rupture de façon tout à fait délibérée, en voulant lui interdire de recevoir sa
maternelle amie Augustine (Titinéni). Dans la discussion qui s'en est suivie, il est apparu que Géza
consentait au divorce et qu'il était disposé à restituer la dot; il souhaite seulement que ce soit Madame
G. et non lui qui quitte l'appar-
tement. Le règlement de ce détail ainsi que d'autres a été confié à un avocat. Je
vous remercie d'avoir insisté pour que je conclue cette affaire dans ce sens, sans
tenir compte de toutes mes objections, en partie bien construites. J'en attends
une amélioration à tous points de vue, y compris ma capacité de travail.

Je ne sais si cette lettre vous parviendra encore à Csorba ou déjà à Lomnicz. Je


suis sûr que les nombreuses allées et venues dans les Tatras – Rank, Eitingon –
vous ont procuré beaucoup de plaisir. Vous ne resterez pas longtemps séparé de
Mademoiselle Anna non plus. J'espère qu'elle se sentira bien à K6taj, malgré le
caractère rudimentaire des installations là-bas.
Je serais heureux si, lors de votre voyage de retour, vous passiez par
Budapest.
Cordialement, votre
Ferenczi reconnaissant
Nos plans doivent évidemment rester secrets pendant quelque temps encore.
701 F
Prof. Dr Freud

Csorbat6, le 20 août 1917


Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Voilà une bonne nouvelle l Vous vous étiez pourtant imaginé que ce serait bien plus difficile. A
présent, ne plus hésiter, accélérer dès que ce sera possible. Je ne doute pas que vous bénirez la
décision prise. Et vous ne comprendrez pas, alors, que vous l'ayez prise si tard.
Nous ne sommes pas allés à Lomnicz, mais nous avons emménagé ici dans une chambre-véranda
au rez-de-chaussée de la même maison; d'où je vous écris maintenant, environné d'insectes, à moitié
dans la rue. Même ainsi, c'est très bien.
Anna est partie hier matin ; pas encore de nouvelles d'elle, peut-être à cause de la fête de Saint-
Étienne 1. J'espère, moi aussi, que cela lui plaira beaucoup.
Nous avons l'intention de partir le 30 ou le 31, en passant probablement par Pressbourg, et en
compagnie de Grete Ilm, avec qui nous nous entendons très bien. Puisque nous ne pouvons rien
emporter à Vienne, nous espérons qu'il n'arrivera plus de denrées alimentaires. Un dernier envoi, ce
jour : un panier de 40 à 50 oeufs de la part d'Eitingon.
Aujourd'hui, de Binswanger, un manuscrit, le chapitre I de la deuxième partie de son grand
ouvrage qui éclaire le rapport de la `PA avec la psychologie proprement dite 2. Je vérifierai à Vienne
si j'ai encore la première partie, et je vous enverrai alors les deux.
Au sujet de Kraus s, je n'ai pu m'empêcher de penser à la remarque de
Méphistophélès : « Avouez qu'il est bien pour le Maître Suprême
4...» Salutations cordiales et voeux de bonheur,

votre Freud

Le 20 juillet est un jour férié en Hongrie, commémorant le couronnement de saint


Étienne, premier roi catholique.
Binswanger n'a pas réalisé, sous cette forme, son projet d'écrire un livre sur la psychanalyse.
Une première partie parut en 1922 sous le titre Einführung in die Probleme der allgemeinen Psychologie
(Introduction aux problèmes de la psychologie générale) à Berlin. Le manuscrit de la seconde
partie a disparu. (Voir Freud/Binswanger, Correspondance, op. cit., p. 213-215.)
Non éclairci.
Goethe : « Avouez qu'il est bien pour le Maître Suprême de traiter le Diable lui-même avec
autant d'humanité », Faust, I (fin du Prologue), trad. Jean Malaplate, Paris, Flammarion, 1984,
p. 34.

702 F (à Madame G.)


Prof. Dr Freud

Csorbatô, le 21 août 1917


Vienne, IX. Berggasse 19

Très chère Madame,


Mes meilleurs voeux de bonheur! A présent, rejetez toutes les hésitations, reliquats de temps difficiles, et
passez vite aux choses sérieuses, arrangez pour vous et pour lui une vie définitivement heureuse. Je suis
terriblement content de ce dénouement facile.
Nous n'avons pas déménagé à Lomnicz, mais nous avons obtenu ici une autre chambre, également
avec véranda. Anna est partie pour Kôtaj avant-hier, et a pu nous prévenir aujourd'hui par télégramme
qu'elle était bien arrivée. D'un certain point de vue, cela nous arrange, aussi, que vous ne soyez plus
dans les Tatras, car nous avons l'intention de dévorer tous les vivres ici et de passer la frontière sans
rien. Les nouveaux envois ne seront donc plus acceptés. Enfin, je peux ajouter que les melons étaient
un régal.
Je vous écris à l'adresse de Ferenczi, car je n'ai pas la vôtre. Laissez-moi
espérer que les deux adresses coïncideront bientôt.
Votre plus que jamais amicalement dévoué,
703 Fer
Budapest, le 27 août 1917

Cher Monsieur le Professeur,


Les choses, à vrai dire, ne vont pas aussi facilement que nous nous l'étions imaginé au départ; la
personne en question fait toutes sortes de difficultés. Je crois cependant que cela pourra être mené à
bonne fin. Gros obstacle également, la question de l'appartement, bientôt résolue je l'espère.
Conformément à votre hypothèse selon laquelle catarrhe et affections similaires surviennent
volontiers après la guérison d'une névrose [à confirmer], j'ai fait la semaine dernière une grosse
pharyngite et un rhume ; mais ce n'étaient que les signes avant-coureurs d'une gastro-entérite
aiguë des plus intenses, dont je commence seulement à me remettre – encore que très affaibli.
La révision de la traduction de Totem et tabou me donne beaucoup de tracas ; il y a
énormément de contresens. Retraduire aurait été plus facile. Sa nouvelle préface est moins bête,
mais quand même bien ennuyeuse et superflue. Je vais lui écrire que vous insistez pour que le
texte ne soit précédé que d'une préface (la mienne). En êtes-vous d'accord?
Consultation, normale. 4 séances, l'après-midi. Un nouveau patient
annoncé.
J'ai espéré jusqu'au bout que vous ne dédaigneriez pas la postcure à Balatonföldvàr. Je
voulais vous y rendre visite avec Madame G. J'ai télégraphié à Mlle Anna pour qu'elle reste à
Budapest au moins 2 ou 3 jours. Le nécessaire est fait pour l'héberger correctement. J'entends
dire qu'elle se sent bien à Kôtaj.
Salutations cordiales. Je vous souhaite un heureux voyage à vous, à
Madame le Professeur et à Madame Grete,
votre Ferenczi
04 F
Prof. Dr Freud

le 10 septembre 1917
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Ci-joint, deux photos' prises en votre présence et avec votre
participation. La plus souriante est dédiée à Madame G.
Je n'ai rien entendu de vous depuis longtemps. Pendant la première semaine à Vienne 2,j'ai
commencé à travailler, et j'ai même livré à Sachs une petite chose (sur « Fiction et vérité ») 3. Je
pense continuer à travailler, puisque de toute façon on ne peut rien entreprendre d'autre. Deux
patients sont revenus, quatre autres sont attendus début octobre. La santé, passablement
fluctuante. Qui a des dons pour l'hypocondrie peut versifier tant et plus là-dessus.
Ernst est ici, à l'hôpital, avec un diagnostic d'ulcère duodénal, et il vient souvent à la
maison. Il n'a pas spécialement bonne mine et aspire à un congé prolongé. Martin est à
l'Isonzo, Oli encore à Krems.
Le temps est chaud, difficile à supporter. L'infection intestinale rôde.
Dans l'attente de vos bonnes nouvelles, cordialement,
votre Freud

Non retrouvées.
Le 1" septembre, Freud était de retour à Vienne. (Notes sur le calendrier de Freud,
LOC.) « Un souvenir d'enfance dans Fiction et Vérité de Goethe » (Freud, 1917b), trad.
E. Marty et M. Bonaparte, Essais de psychanalyse appliquée, op. cit., p. 149-161.

705 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, le 15 septembre 1917

Cher Monsieur le Professeur,


Grand merci pour l'envoi des photos. Votre photo, surtout, a été appréciée par tous;
Madame G. vous remercie de tout coeur pour celle de Mlle Anna.
Voici les nouvelles d'ici : les obstacles opposés au divorce ne semblent pas être de nature sérieuse,
plutôt des vexations. En revanche, la pénurie absolue d'appartements à Budapest entraîne de grandes
difficultés. C'est pour cette raison que Madame G. habite toujours dans son ancien appartement. Mais,
d'ici quelques jours, il lui faudra déménager, faute de mieux, dans une pension.
Physiquement, je me sens bien. Le rendement psychique est à peu près normal. Les symptômes de
la maladie de Basedow ne subsistent plus qu'à l'état de traces.
Je suis content d'apprendre que vous avez recommencé à travailler. Pour moi, c'est exclu en ce
moment. Le matin l'hôpital, l'après-midi les analyses, les soirées en compagnie de Madame G.
occupent tout mon temps.
J'arrête là, puisque ma plume est devenue inutilisable A. Mes salutations les
plus cordiales à vous et à tous les vôtres,
votre Ferenczi

A. De ce fait, la seconde page de la lettre est de plus en plus difficile à déchiffrer.


06 F
Prof. Dr Freud

Le 17 septembre 1917
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
C'est la première fois qu'une lettre de vous me produit un étrange effet.
Je dois retenir des chambres à Budapest, vous me devez encore 300
couronnes. Votre écriture aussi m'a paru changée. Dans mon humeur
assombrie qui, à présent, surgit de temps en temps, je me suis dit, résigné
: alors celui-là aussi est devenu meschugge *.
Tout à coup, m'est venue une pensée salvatrice à laquelle je me tiens. La
lettre est adressée à Rank et a été intervertie. Je la renvoie avec celle-ci,
mais, puisque je n'ai encore rien reçu de vous ce mois-ci, j'exige un
dédommagement.
Avec un salut cord.[ial],
votre Freud
* En yiddish dans le texte : fou, timbré.
07 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, le 23 septembre 1917

Cher Monsieur le Professeur,


Eh bien .J'ai encore fait du propre Je peux fort bien m'imaginer votre triste
figure devant ma lettre dépourvue de sens. Du reste, je ne sais pas encore si
vous devez retirer complètement votre jugement, même si c'est l'inconscient
qui a causé le non-sens.
Bien sûr, la lettre était adressée à Rank. J'ai ensuite essayé de le joindre
par télégramme, pour remplacer la lettre erronée. Mais cela aussi a échoué! Il vient de me télégraphier qu'il
ne comprend pas mon télégramme. Je ne sais si mon deuxième télégramme, envoyé en urgence, ne
connaîtra pas le même sort.
Si l'inversion des lettres a un sens, ce ne peut être que l'anticipation de l'annonce de mon mariage. Dans
cette petite lettre, je donnais des détails sur les circonstances du divorce de Madame G., dont Rank peut
facilement déduire le reste.
Mon mode de vie est celui que vous connaissez. Le matin: hôpital; l'après-midi: analyse; le soir: Madame
G. – Celle-ci, toutefois, plus jamais seule; pour des raisons de tactique, il nous semble indiqué de renoncer
à la liberté de la vie commune antérieure. Il n'y en a plus que pour 8 jours; Madame G. et sa soeur
déménageront alors dans l'appartement qu'elles viennent de louer.
Madame G. se remet peu à peu, mais ne se fait pas facilement à l'énorme changement dans sa vie, ce qui
se reflète, entre autres, dans sa mine et l'état de ses forces. J'espère que cela s'arrangera bientôt.
Du côté de son mari, il semble qu'il n'y ait plus à craindre de difficultés sérieuses, tout au plus des
tracasseries qui, cependant, ne manquent pas leur effet sur l'humeur de Madame G.
En ce qui concerne ma personne, je me sens fort bien, quoad sanitatem *. Dans mes demi-heures et
quarts d'heures de liberté, j'ai achevé la révision du Totem et Tabou hongrois, qui est actuellement sous
presse. De même, 100 pages de L'Interprétation des rêves en hongrois sont revues. Le travail de Hollôs est très
convenable et intelligent.
Récemment, un aviateur qui se trouve dans notre hôpital a voulu m'emmener à Vienne ; j'aurais pu ainsi
vous apporter au moins quelques victuailles, en contournant (survolant) tous les postes de contrôle.
Comment vont Madame le Professeur, Mlle Bernays et Mlle Anna ? Cette fois, je compte absolument sur
la virée de Noël à Budapest. Cela en vaut la peine!
A quelle nouveauté travaillez -vous ? Comment vont les séances?
A propos ** ! J'ai été appelé aujourd'hui en consultation chez un certain M. Berger. La patiente était sa
fille (16 ans), que vous avez reçue il y a déjà assez longtemps (un ou deux ans ?). Vous lui auriez
recommandé, alors, Purkersdorf et Mile le Dr Révész'.
Il s'agit d'une jeune fille souffrant d'une légère ptôse à l'oeil droit, avec parésie bilatérale des paupières ;
une voix nasonnée ; des lèvres gonflées, en protrusion, qu'elle ne peut pas contracter; elle ne peut pas non
plus prononcer les sons laryngés ; asthénie à la marche et en jouant du piano.
Le diagnostic porté devant ce tableau était celui de « myasthénie ». Je pense qu'il s'agit d'une dystrophie
musculaire 2 juvénile, avec troubles de la musculature oculaire et faciale (je ne sais plus comment s'appelle
ce syndrome). (Elle ne peut se relever d'une position couchée qu'en prenant appui sur son propre corps
pour se redresser.)
Mais comme cet état serait survenu à la suite d'une émotion et qu'à l'époque vous aviez proposé d'essayer la
psychanalyse, je n'ai pas fait d'opposition de principe à une telle tentative. Actuellement, je n'ai pas de place.
1917 267

Si vous disposez de séances et si vous voulez vous charger de ce cas, je


vous prie de me le faire savoir. Ces gens peuvent se le permettre.

Or donc, salutations cordiales de la part de votre ami Ferenczi


supposé perdu.

* En latin dans le texte: en ce qui concerne la santé. **


En français dans le texte.
Voir 610 Fer, note 1.
Nom collectif pour les myasthénies d'origine non nerveuse.
708 F
Prof. Dr Freud

le 24 septembre 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Non, j'ai été vite apaisé. La lettre que Rank m'a renvoyée peu après, sans l'avoir lue, m'a paru
rassurante, ainsi que votre missive d'aujourd'hui. Reste une tâche analytique intéressante et le
fait que vous ne vous accordiezpas encore le droit d'atteindre au but. Mais suffit, tout va bien.
Dommage que vous n'ayez pas volé jusqu'ici, et pas pour les victuailles: ce qui nous manque, vous
ne l'avez plus non plus. Dans l'ensemble, on se nourrit mieux qu'au printemps et l'été dans notre ville.
Mais nous aurions bavardé de nouveau. Que vous ne puissiez rien faire actuellement, outre les affaires
courantes, je le crois volontiers. J'espère que vous ne lâcherez pas la Zeitschrift.
Je progresse en matière de sérénité, je travaille donc aussi sans passion. « Un souvenir d'enfance
tiré de " Fiction et Vérité "» a été remis à Imago. Je rédige en ce montent une troisième contribution à
la vie amoureuse : Le Tabou de la virginité et la soumission sexuelle ' (reposant sur R6zsi F.[reund]).
Vous voyez, rien n'est trop petit pour moi. Peut-être me mettrai-je moi-même à notre grand travail sur
Lamarck, si tout va bien. La pratique n'est pas encore assez importante pour provoquer une activité
réactionnelle. 6 patients seulement, tous des hommes en ces temps si pauvres en hommes; 2
seulement sont hongrois. J'en attends cependant encore 2 ou
Mais je ne prendrai sûrement pas Mlle Berger. Le cas se présente comme une paralysie bulbaire
2, une amyotrophie, une sclérose multiple, etc. Je suis d'ailleurs certain de ne pas l'avoir vue, peut-

être ai-je eu une correspondance à son sujet. Ma mémoire pour tout ce qui est médical, sauf pour
ce qui a trait à mes patients analytiques, est très mauvaise.
Minna est rentrée hier, bien reposée, Anna est tout feu tout flamme à
son travail s, elle a un contrat qui lui rapporte 2 000 couronnes par an.
Ernst a obtenu de l'hôpital un congé de quatre semaines qu'il passe
maintenant à la maison. Le gredin est encore allé se chercher une petite
gonorrhée (à Graz ou à Agram) dont il faut maintenant le débarrasser en
secret. Oli est à Cracovie et fait l'éloge du ravitaillement. Martin,
actuellement observateur sur l'Isonzo (Wippach), est celui qui nous donne
des soucis. Je ne crois pas à la paix prochaine.
Salutations cordiales pour vous et Madame G.,
votre Freud
« Le tabou de la virginité », in La Vie sexuelle, op. cit., chap. [v, n° 3, p. 66-80.
Paralysie consécutive à une maladie de la moelle épinière. En 1885 et 1886, Freud avait
concentré ses recherches sur la moelle épinière et publié trois articles concernant sa structure
(1885d, 1886b [en collaboration avec L. O. Darkschewitsch], 1886c).
Comme institutrice au Cottage Lyzeum. Après deux années comme suppléante (19151916
et 1916-1917), elle fut titularisée. en 1917-1918 et obtint un contrat de quatre ans (E. Young-
Bruehl, Anna Freud, op. cit., p. 69).

709 F
Prof. Dr Freud

le 9 octobre 1917
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Sachs vous enverra une petite publication de Groddeck de Baden-Baden, à laquelle vous êtes
préparé par sa correspondance avec moi et à laquelle je vous prie de consacrer, sans trop tarder, un
compte rendu détaillé et bienveillant'. Je connais et partage vos objections, mais le noyau de l'affaire
coïncide avec vos pathonévroses et notre idée lamarckienne, et mérite certainement notre attention.
Savoir dans quelle mesure les constructions de Groddeck sont justifiées, cela reste à vérifier par une
expérimentation appropriée. En outre, nous avons un intérêt personnel à l'attirer dans le cercle de
nos collaborateurs et à veiller sur ce qui dévie de nos schémas de pensée sans s'en écarter
fondamentalement. Il m'a aussi proposé aujourd'hui, dans une lettre, des contributions que je dois
accepter, me semble-t-il.
Ces derniers temps, je n'ai eu de vous que des nouvelles indirectes, mais toutes étaient bonnes. Sans
doute vous réservez-vous les nouvelles de votre affaire, d'autant que la décision est plus proche.
J'ai reçu récemment une lettre touchante d'Abraham, avec une plainte contenue à propos du
changement des temps et des circonstances 2. Tausk a déjà envoyé sa contribution sur l'éj.[aculation]
pr.[écoce] 8 ;je ne sais pas si vous voulez que la vôtre soit imprimée en même temps'.
Je travaille en ce moment avec neuf patients, huit séances par jour, sans
aucun surmenage, simplement effrayé qu'avec de telles recettes je n'arrive pas à subvenir aux
besoins du ménage. Mon jugement sur les temps qui courent est extrêmement pessimiste et je pense
que, s'il ne se produit pas une révolution parlementaire en Allemagne, nous devons nous attendre
à la poursuite de la guerre jusqu'à l'effondrement final.
Ernst est encore à la maison, mais il ne lui sera pas facile d'obtenir une prolongation de son congé;
Martin écrit régulièrement, toujours avec un décalage de 12 à 15 jours.
Ces jours-ci, mon intestin a rendu le problème du ravitaillement encore plus difficile. Sinon, je me
sens beaucoup mieux qu'au temps de la belle oisiveté.
Je vous salue, ainsi que Madame G. ; que ceci soit désormais la formule
consacrée.
Cordialement, votre
Freud

Il s'agit de « Détermination psychique et traitement psychanalytique des affections organiques »


(Leipzig, Hierzel, 1917), in La Maladie, l'art et le symbole, op. cit., p. 37-60 ; Ferenczi a rédigé une note de
lecture assez chaleureuse sur cet article : « La psychanalyse des états organiques », pour la Zeitschrift
(Ferenczi [1917, 206], Psychanalyse, II, p. 299-300).
Lettre du 23 septembre 1917 ; version abrégée dans Correspondance Freud-Abraham, Paris,
Gallimard, 1965, p. 261-262.
Victor Tausk, « Remarques sur l'essai d'Abraham " L'éjaculation précoce" (Zeitschrift, 1916-1917, 4,
p. 315-327), OEuvres psychanalytiques, op. cit., p. 157-176.
Aucun article correspondant de Ferenczi n'a été publié.
Budapest, le 10 octobre 1917

Cher Monsieur le Professeur,


J'aime à penser que j'ai quand même visé juste en me décidant pour le mariage ; je le déduis de
la consolidation de ma santé physique, ainsi que de l'état de mon humeur, qu'on peut qualifier de
normal. J'ai parfois l'impression de pouvoir observer, par une sorte de perception intérieure, les
déplacements qui se produisent dans ma libido. Ainsi, par exemple, suis-je pris de sentiments de
tendresse et d'amitié à votre égard, comme si, jusqu'à présent, des inhibitions m'en avaient
empêché.
Le déménagement des deux dames (Madame G. et sa soeur) est en cours.
J'ai le ferme espoir – lorsque enfin je pourrai mener une vie de famille normale – de devenir aussi
apte au travail. Je pense alors me mettre sérieusement à l'ouvrage sur Lamarck. Je ne peux dire si
ce sera possible dans ce temps riche en émotions qui nous sépare du divorce.
J'ai reçu hier les épreuves du nouveau numéro de la Zeitschrift. Je trouve que notre Zeitschrift est
toujours beaucoup plus intéressante que la plupart des périodiques.
J'aurais eu aujourd'hui l'occasion d'aller à Vienne, mais seulement si j'avais assisté, à Baden, au
Congrès de l'Union des Frères d'arme allemands, autrichiens et hongrois. Alors, j'ai préféré renoncer.
Mon chef et le Dr Gonda (le « traumaturge ») ' y seront. Ce dernier se répand de plus en plus ici, il fait
écrire à longueur de colonnes (dans les quotidiens) sur ses cures miraculeuses, et tout un peuple naïf,
de l'Archiduc au professeur d'Université, vient à l'hôpital pour assister au miracle. Je suis convaincu
qu'il recevra prochainement le titre de maître de conférences.
Les deux journées avec Rank ont été fort agréables. Nous sommes tombés d'accord pour vous
demander de supprimer dans le titre de votre nouvel article, « Le tabou de la virginité », la deuxième
désignation, « et la soumission sexuelle ». Nous trouvons qu'il sonne mieux sans cela. Je suis
curieux de connaître l'article lui-même.
Salutations cordiales de
votre Ferenczi.

1. Voir aussi 716 Fer. Victor Gonda réalisa des « guérisons » spectaculaires de traumatismes de guerre
en employant la suggestion et le courant faradique. Comme en témoignent certains de ses écrits, sa
pratique était teintée d'un certain sadisme. V. Gonda, «Guérison rapide de la névrose traumatique
déclenchée par la guerre », Oruosi Hetilap (Hebdomadaire médical), 13 août 1915.

711 Fer
Dimanche, le 14 octobre 1917

Cher Monsieur le Professeur,


J'espère avoir, dans le compte rendu ci-joint, été à la hauteur de la mission qui m'avait été
confiée (tuto cito et jucunde * '). Je dois dire que la brochure m'a bien plu; sans vos indications,
j'aurais donc fait à peu près le même développement. Je vous envoie aussi la brochure, bien que je
l'eusse volontiers gardée. Peut-être qu'un jour l'auteur m'en adressera un exemplaire.
Je poursuis à présent le récit de l'histoire de ma maladie (de sa guérison). Je peux annoncer, comme
un signe certain de ce que nous avons pris le bon chemin, l'augmentation de ma puissance; à cet égard,
je suis devenu tout à fait juvénile, plus exactement : il est apparu que mon vieillissement n'était que
névrotique.
Tout le reste est à l'avenant : je mange beaucoup, je prends du poids, je ne me fatigue pas en
travaillant, etc. C'est donc bien une preuve de l'origine névrotique de mes états physiques.
J'ai aussi trouvé une idée pour le projet Lamarck. L'homme a presque totalement renoncé à
l'autoplastie et s'adapte de façon hétéroplastique. Toutefois, il n'en devient capable qu'en maintenant
un reste de l'ancienne plasticité. Je pense à la plasticité de la musculature striée qui, sous l'influence
de la volonté, prend justement aussitôt la forme et la consistance néces-
saires. Seule cette automodification rend possible la modification du monde extérieur
2.
Mardi, les dames emménagent dans leur nouvel appartement. Mais la procédure de divorce prendra
plus de 6 mois, en admettant que Monsieur Pàlos ne fasse pas de nouvelles difficultés. Peut-être
réussirai-je entre-temps à trouver un appartement convenable.
Salutations cordiales de
votre Ferenczi
* En latin dans le texte: de manière sûre, rapide et avec joie.
Voir « La psychanalyse elle non plus n'est pas une panacée commode pour affections
psychiques (cito, tuto, jucunde) » [Freud, 19261], trad. R. Roschlitz, in Résultats, Idées, Problèmes, II, op.
cit., p. 153-160, citation p. 155.
Voir Ferenczi (1924, 268), « Thalassa, essai sur la théorie de la génitalité », Psychanalyse, III, p.
321, note 1.
Budapest, le 3 novembre 1917

Cher Monsieur le Professeur,


J'ai reçu l'article de Lou Salomé', dont je vous remercie, mais ne l'ai pas encore lu. Elle est
certainement très capable, et son style un peu ampoulé comme toujours.
En ces temps riches en événements, je suis beaucoup trop occupé par mes petits soucis :
désagréments à l'hôpital, tentatives pour être exempté du service militaire, indispositions passagères,
etc.
Pour l'essentiel, je vais bien. Je passe les soirées dans le nouvel appartement de Madame G. (IV
Molnàr utca 12. II). Entièrement occupé dans la journée. Il semble que les chrétiens aient enfin
commencé à s'intéresser à mon savoir-faire thérapeutique. Jusqu'à présent, j'avais presque
exclusivement des juifs comme patients. Je pourrais facilement en avoir deux à trois fois plus que je
ne peux en accueillir. Il semble que je ne me sépare pas volontiers des anciens patients ; la plupart
sont chez moi depuis plus d'un an ! Il y a là une faute quelque part!
Que savez-vous de vos fils — surtout de Martin ? J'espère que vous avez déjà des nouvelles
rassurantes de ce qui lui est arrivé pendant la grande offensive.
Madame Gizella compte fermement sur la venue de votre Annerl à Budapest, pour Noël (comme elle
l'a promis). Son hébergement chez elle est assuré. D'ailleurs, vous et les dames pourriez aussi passer
les fêtes de Noël à Budapest cette fois, et vivre ainsi libérés quelques jours des pénibles soucis du
ménage.
Salutations cordiales de
votre Ferenczi
1. Probablement « Psychosexualität » (Psychosexualité), in Zeitschrift für Sexualwissenschaft, 1917, 4,
p. 1-12 et 49-57. Lou Andreas-Salomé en a envoyé des tirés à part à Freud (lettre de Freud à Andreas-
Salomé du 22 XI 1917, Lou Andreas-Salomé, Correspondance avec Sigmund Freud, op. cit., p. 8990). Article
traduit en français par Henri Plard, Éros, Paris, Minuit, 1984, p. 131-162.

713 F
Prof. Dr Freud

le 6 novembre 1917
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Je ne vous ai pas écrit depuis longtemps, et c'est hier seulement que j'ai eu de vos nouvelles. D'une
façon générale, je m'impatiente pour vous, les choses avancent trop lentement à mon gré, et je
n'aimerais laisser partir Annerl pour Budapest que lorsque vous et Madame G. aurez une chambre
d'amis disponible. Au demeurant, nous autres ne sommes pas d'humeur très voyageuse ; la haute
autorité prie instamment de renoncer à tout voyage et, en attendant, rend les choses aussi
inconfortables que possible.
Pas une ligne de Martin ne nous est parvenue depuis le début de l'offensive, le 23 X t, pas plus que
des autres qui sont là-bas. Oli écrit, très satisfait de son nouveau poste à la frontière de la Bucovine-
Bessarabie, où ils construisent des ponts. Ernst est ici jusqu'à la mi-novembre, pour le plaisir de tous; il
ira ensuite à Szombathely, mais il a fait une demande de mutation pour Vienne. Quand il repartira de là-
bas, il vous rendra visite à Budapest.
Chez moi, la bousculade continue, 8 ou 9 analyses par jour, 3 personnes « sur la liste » attendant leur
tour. (J'espère que vous avez augmenté vos honoraires comme il convient.) Je m'en trouve fort bien, seule
l'abstinence de tabac n'est pas compatible avec un tel travail. Hier, j'ai fumé mon dernier cigare; ensuite,
j'étais fatigué et de méchante humeur, j'avais des palpitations et une augmentation de l'oedème douloureux
du palais, notable depuis les jours maigres (carcinome?, etc.). Puis un patient m'a apporté 50 cigares, j'en
ai allumé un, je suis devenu gai et l'affection du palais a rapidement régressé ! Je ne l'aurais pas cru si cela
n'avait été aussi flagrant. Tout à fait Groddeck.
Le Tabou de la virginité est achevé. Maintenant, je vais préparer l'essai sur la mélancolie pour la
publication 2.A part cela, je suis surtout occupé par ce que j'observe chez les malades, en premier
lieu le sentiment de culpabilité.
Le 24 octobre commençait la douzième et dernière bataille de l'Isonzo, qui devait durer jusqu'au 2
décembre et s'achever par l'effondrement de l'armée italienne.
Voir lettre de Freud du 7 II 1915 (non numérotée), et la note A.
Dimanche
Budapest, le 18 novembre 1917

Cher Monsieur le Professeur,


Malgré l'heure avancée – il est une heure et demie du matin – je me suis décidé à sortir du lit où je
me retournais sans dormir, et à vous écrire. Après tout, pour moi vous n'êtes pas seulement l'ami
auquel je dois épargner mes « métamorphoses de la libido »1, mais aussi le médecin à qui je dois rendre
compte d'une phase de ma névrose, la dernière je l'espère.
Eh bien, comment vous la raconter ? Et comment cela m'est-il arrivé ? Je ne peux assurément pas
parler d'« illumination », puisque cela a eu tant de mal à se frayer un passage ; le plus souvent, ce
n'était qu'une faible lueur aussitôt éteinte pour laisser à nouveau place à l'obscurité. Mais je ne veux
pas devenir poétique. Restons plutôt précis.
Donc, pour commencer enfin : j'ai traversé, depuis notre dernière rencontre dans les Tatras (vous avez
dû vous en douter au ton sec de mes lettres) une période bien singulière que je ne saurais facilement
qualifier. J'ai considéré comme un signe favorable le fait de me sentir physiquement de mieux en mieux
et de prendre du poids de façon notable. Mais, 'psychiquement, je n'étais pas entièrement satisfait de moi.
C'est mécaniquement, comme par devoir, que je remplissais les tâches qui m'étaient dès à présent
imparties par ma nouvelle position auprès de Madame G., sans qu'il m'en coûte trop, ce que j'interprétais
aussi dans un sens favorable. Mais « ce n'était pas le véritable amour » ! Lors des rares rencontres intimes,
ce qu'il y avait d'obligatoire dans la mise en oeuvre de cet amour me devenait souvent désagréablement
conscient. Je n'en ai pas fait part à Madame G. (comme cela m'était arrivé auparavant, sub titulo * «
sincérité »), ce qui était un progrès par rapport au passé. Vous aviez une fois de plus raison. Il était difficile
d'obtenir quelque chose de moi par l'analyse, je devais être placé devant un devoir réel, ainsi qu'il en est
maintenant, pour concrétiser un progrès psychique essentiel.
Mais je n'en suis pas encore là. Je poursuis : l'instabilité de la libido, dont je voulais d'abord
attribuer la responsabilité à des perturbations externes fortuites, s'attacha de toute sa force aux signes
indéniables de l'âge sur les traits du visage et sur les formes de Gizella. Puis je me mis à penser, plus
exactement à ruminer, à propos de la ménopause déjà installée (artificiellement) et de l'absence d'espoir
liée à une union sans enfants. Naturellement, je n'accomplissais que le travail strictement nécessaire
(les séances, l'hôpital), comme si je voulais manifester ainsi mon mécontente-
ment du destin. Même mon imagination scientifique, d'habitude si foisonnante, se tarissait par moments ;
je parvenais finalement tout juste à me remémorer l'une ou l'autre des suites d'idées scientifiques
antérieures.
Notons que j'ai toujours besoin de 0,25 gr de Médinal pour dormir.
Dans cet état de sourde tension que je supportais néanmoins sans autres symptômes névrotiques,
une solution apparut, il y a quelques jours, d'abord du côté scientifique. L'analyse d'une patiente
évoluant vers une réussite complète, ainsi que des observations analogues antérieures et présentes,
ont abouti à un projet d'article sur les « phénomènes de matérialisation
hystérique » 2 , principalement dans le tractus gastro-intestinal: une série ininterrompue allant
du globus hy.[stericus] 3 (fantasmes de fellation) en passant par l'aérophagie (estomac), puis par
le cas déjà évoqué où la patiente pouvait, à volonté, faire apparaître un pénis dans son vagin et un
enfant dans ses intestins, jusqu'à un beau cas de « matérialisation » d'un pénis enfoncé dans le
rectum. (Tout ceci à l'aide de tours de passe-passe au niveau de la musculature intestinale.) Je ne
veux pas parler maintenant des relations intéressantes de ce thème avec celui du lamarckisme,
et avec mes idées anciennes (à nouveau réveillées) à propos des racines de la génitalité
(déplacement qualitatif, etc., etc.). Il faudra bien qu'un jour cela soit vraiment écrit. J'en reviens
donc à mon cas.
Quand je parlais de ces découvertes à Madame G., je lui disais déjà : j'aurai la conviction que tout cela
est vrai quand je constaterai des choses semblables sur moi-même.
Une ou deux nuits après cette prophétie, à la suite d'une rémission de presque deux mois, j'ai de nouveau
passé une mauvaise nuit, tout comme autrefois. Je me suis réveillé soudain avec le nez bouché, la bouche
sèche, une tachycardie, des bourdonnements d'oreilles, une dyspnée, etc. J'ai constaté plus précisément
un symptôme déjà connu : une respiration purement thoracique ; l'abdomen ne bougeait absolument pas
; j'ai dû commander activement la respiration abdominale.
Le réveil est survenu à la suite du rêve que voici : je suis couché, au lit. Madame G. est à mes côtés
(habillée). Tout à coup, mon frère Max (un de mes frères aînés décédés) entre, hoche la tête d'un air
réprobateur ; après quoi, Madame G., en robe de chambre, les cheveux défaits, quitte la pièce
majestueusement. Elle porte une robe de chambre grise rayée de noir. Max s'assied au bord de mon lit et
me prouve, crayon en main, qu'en ce qui concerne son procès il était dans son droit (je pensais qu'il faisait
allusion au procès qu'il a réellement eu avec la ville de Brass6)...
C'est tout!
Les associations m'ont appris (car, un grand moment après, je me suis décidé à cette analyse) que
la robe de chambré et les cheveux étaient empruntés à ma belle-soeur (la femme de Max). Qu'il m'avait
donc surpris auprès de sa femme. Par conséquent, Max = Géza. Max avait raison dans son procès.
Je donne donc aussi raison à Géza dans son procès de divorce, ce qu'il peut me prouver noir sur
blanc (crayon).
Fondé sur des expériences hétéro-analytiques antérieures, j'ai dû interpréter la position assise de mon
frère au bord du lit comme celle d'un incube et supposer que si je respirais ainsi par le thorax (comme
les femmes)
c'est que, à la manière d'un coït homosexuel matérialisé, je devais maintenir mon abdomen au repos.
J'en suis venu à me convaincre de la pesanteur du lien au père (enfant, j'ai eu quelques « incubes ») ; en
outre, quand j'ai raconté ceci à Madame G., la libido manifestement retenue s'est libérée et je suis
redevenu normalement disponible pour elle.
Aujourd'hui (dimanche), j'étais chez elle, mais je n'ai pas été assez prompt pour profiter de l'occasion,
je suis rentré chez moi insatisfait, j'ai pris mes 0,25 gr et je voulais dormir. Cela n'a pas marché ! J'avais
mal à la gorge (déjà, d'ailleurs, l'après-midi). Aha ! Dr Groddeck, me dis-je. J'ai chaud (de la fièvre
?). J'essaie d'augmenter un peu la dose. Aucun succès. Je rêvasse, je vois (ou, plutôt, je pense
visuellement) un pied de diable noir, etc. La pensée suivante : hallucinations, devenir fou. — Soudain
l'idée : je ne me laisse plus berner par ces hypocondries. En effet, ce n'est là qu'une tentative
d'intimidation pour empêcher le mariage. Et pourquoi aujourd'hui? Parce que demain matin
j'ai la perspective d'un appartement (donc, du definitivum **). Finalement, le « pied de diable
» signifie le diable qu'il ne faut pas peindre sur le mur ***. Vivement je me lève, et je fais comme
Luther (à propos duquel, d'ailleurs, je lisais un article avant de me coucher) et je chasse le diable
avec l'encre que j'emploie pour vous écrire cette lettre.
Je me suis promis de vous remercier pour la persévérance avec laquelle vous vous êtes tenu à votre
opinion initiale quant à la nécessité de ce mariage, ne vous laissant pas dissuader par mon pessimisme.
Je crois que je finis par croire **** que l'apparence de Gizella, l'absence d'enfant, ainsi que la maladie
psychique et somatique, je les ai utilisées comme des visions d'épouvante contre le mariage, contre le
mariage avec Gizella dont je suis manifestement, incurablement et depuis longtemps, amoureux.

Alors, maintenant, je vais de nouveau essayer de dormir. Je dois — et je veux — me lever à 7 h du matin,
aller voir cet appartement et éventuellement surprendre Gizella avec la nouvelle que notre nouveau foyer
est prêt.
N.B. Toutes mes hésitations n'ont pas retardé l'affaire du divorce. Malheureusement, en Hongrie il est
juridiquement inévitable que les époux qui veulent se séparer n'habitent plus ensemble depuis au moins
six mois.
Toutes mes salutations, et merci pour votre dernière lettre.
Votre Ferenczi
* En latin dans le texte: sous prétexte de.
** En latin dans le texte: stade définitif.
*** Littéralement, selon le dicton autrichien: il ne faut pas peindre le diable sur le mur, au risque de le
faire apparaître.
**** Ainsi dans le texte.
Allusion à l'ouvrage de Jung Métamorphoses et symboles de la libido dont Ferenczi a rédigé la critique détaillée
en 1913 (Psychanalyse, II, p. 88-104).
« Phénomènes de matérialisation hystériques. Un essai d'explication de la conversion et du
symbolisme hystérique » (Ferenczi, 1919, 220), Psychanalyse, III, p. 53-65.
Sensation de « boule dans la gorge », symptôme caractéristique de l'hystérie.
715 F
Prof. Dr Freud

le 20 novembre 1917
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Votre lettre m'a conforté dans toutes mes convictions : d'abord il n'y a pas d'autre issue
pour vous que d'épouser Madame G., ensuite, vous ne cesserez de produire des « évitements
» que devant le fait accompli. Si seulement les malheureux six mois étaient déjà passés ! Il ne
vous manquera plus, alors, que de recevoir un beau cadeau de mariage.
Vous insistez sur la répugnance qu'ont suscitée en vous les signes de vieillissement chez
Madame G. Ceux-ci sont indéniables, mais vous les considérez sous une fausse
perspective. Peut-être pensez-vous que, étant moi-même devenu vieux, coupé de la
jeunesse, je ne vous accorde, à vous aussi, qu'une vieille femme. Non, je n'aurais pas cru
cela de votre part. Mais il ne s'agit pas, ici, de choisir une femme. Elle est déjà votre femme
depuis quinze ans, elle l'est devenue quand elle était jeune et belle, elle a vieilli avec vous
et on n'a pas le droit, pour ce motif, de repousser sa femme après de si longues années. Il
ne s'agit plus, à présent, que de transformer un mariage inconfortable en une agréable vie
commune. D'ailleurs elle a, aujourd'hui, avec tous les défauts de l'âge – purement
somatiques – toujours incomparablement plus de valeur que la plupart des femmes à la
peau fraîche et aux formes parfaites qu'on épouse. Enfin – vous le savez vous-même. Ce
qui vous échappe par ailleurs vous sert de juste punition et, en tant que telle, satisfera de
nouveau un besoin intérieur.
Que vous ayez réveillé votre imagination scientifique est une bonne chose. Aussi bien les
temps exigent-ils des performances de chacun d'entre nous ; ils vont devenir difficiles. Je suis
sans doute le seul à avoir le droit de flirter avec le repos. J'ai beaucoup travaillé, je suis usé
et commence à trouver le monde affreusement repoussant. La superstition qui limite ma vie
au mois de février 1918 me semble souvent bien aimable. Il m'arrive d'avoir à lutter longtemps
pour reprendre le dessus.
Dans une sorte d'urgence à faire tourner la maison, j'ai remis à Sachs deux essais de
métapsychologie (Deuil et mélancolie, complément 1.4 des rêves)', pour le dernier cahier
de la Zeitschrift. (Le reste pourra être passé sous silence.) En effet, si la guerre continue,
je crains un arrêt de nos revues ; contre cela il n'y aurait rien à faire.
Ernst vous rendra visite ces jours-ci, il est de nouveau en bonne forme ; une caisse est
arrivée de la part de Martin, avec son butin de Palmanova ; Oli écrit du Dniestr, très
content.
Un de mes patients me pourvoit en cigares, plus abondamment que,
jusqu'à présent, la buraliste. En ce qui concerne les vivres, cela va presque
mieux que l'année dernière.
Aujourd'hui m'est tombé entre les mains un écrit d'Adler sur le problème
de l'homosexualité, tout à fait stupide et singulièrement insuffisant 2.
Pfister a envoyé une série d'exposés bien honnêtes ( Qu'offre la `PA à l'éducateur? »)
que nous avons confiée à Madame Hug pour en faire un compte rendu 3. La dernière
soirée de l'Association était très animée 4. Par bonté d'âme, je vous épargne l'envoi
imbécile d'un Zurichois, le Dr Schneiter 5, qui semble s'être détaché de Jung.
Cordiales salutations de
votre Freud
Freud 1916-1917g [1915] et 1916-1917f [1915] (Dans la S. E., ces deux articles correspondent à
1917e [ Deuil et mélancolie », OEuvres complètes, XIII, p. 259-278] et 1917d [ Complément
métapsychologique à la doctrine des rêves », ibid., p. 243-258].)
Le Problème de l'homosexualité, Munich, 1917.
Oskar Pfister, Was bietet die Psychoanalyse dem Erzieher ? (Qu'offre la psychanalyse à l'éducateur?),
Leipzig, 1917 ; note de lecture par Hermine Hug-Hellmuth dans la Zeitschrift (19161917, 4, p. 344-
345) et dans Bericht über die Fortschritte der Psychoanalyse 1914-1919 (Leipzig, 1921).
Réunion du 14 novembre 1917 avec des exposés et des comptes rendus de différents membres
(Minutes, IV, p. 349-351).
Probablement le Dr Carl Schneiter. L'Index of Psychoanalytic Writings de Grinstein ne mentionne aucun
article entre 1914 et 1921. En 1917, Schneiter était membre et expert-comptable du
Psychologischen Club Zürich de Jung.
B.[udajpest, le 13 décembre 1917

Cher Monsieur le Professeur,


Depuis votre dernière lettre il ne s'est rien passé qui eût valu d'être rapporté. C'est
maintenant, seulement, que je peux vous faire part de quelques nouvelles.
Les efforts du Dr Lévy ont réussi à me libérer de l'hôpital d'Ujpest. J'ai été réaffecté à
l'hôpital Maria Valeria où j'avais servi autrefois et où le Dr Lévy fait fonction de commandant.
Ici, c'est bien plus confortable; la distance n'est pas si épouvantable et, par ailleurs, je suis
débarrassé d'un commandant tatillon et tracassier. De plus, je dois considérer comme l'un
des avantages de ce transfert de ne plus devoir servir en compagnie du Dr Gonda, mi-fou,
mi-escroc (notre photographe de Csorba). Aussi habile soit-il à conduire ses cures par
suggestion, son ignorance et son délire de grandeur me sont, à la longue, devenus
insupportables. Je serais déjà bien content si je pouvais attendre la fin de la guerre dans
mon affectation actuelle.
On m'a transmis les salutations de votre Ernst par l'intermédiaire d'un lieutenant de
son régiment, hospitalisé à Ujpest. Je n'ai malheureusement
pas entendu parler de son projet de faire un tour à Budapest, dont nous nous
réjouissions déjà beaucoup, quelques amis et moi. Quand viendra-t-il donc ? –
L'ajournement du voyage à Budapest de votre fille nous a aussi causé une déception.
Puisque je suis dans une affectation confortable, je peux au moins songer à une visite
chez vous. J'espère qu'il y aura bientôt pour cela un double jour de fête.
Que pensez-vous des chances de paix ? Votre mauvaise humeur ne s'est-elle pas quand
même un peu améliorée au cours des dernières semaines ? J'ai déjà partagé avec vous
quelques-unes de ces « humeurs d'adieu ». Chaque fois, il s'en est suivi un rajeunissement
et un bien pour nous, vos élèves. Pardonnez-moi si je ne prends pas cette humeur trop au
tragique et si je m'en tiens à mon optimisme.
Peu à peu, mon mode de vie devient rangé et petit-bourgeois. Le matin, l'hôpital, l'après-
midi, la consultation et les analyses, le soir chez Madame G., comme tout époux convenable.
Quand je vois à quel point ces soirées me sont indispensables, j'en augure le meilleur pour
notre avenir.
Il n'y a que la question de l'appartement qui nous donne du souci.
Salutations cordiales à vous et aux vôtres de ma part et de celle de Madame G., votre
fidèle
Ferenczi

717 F
Prof. Dr Freud

le 16 décembre 1917
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Je vois avec plaisir que vous menez une vie idyllique et calme, en guise d'introduction
à une vie plus plaisante et enrichissante encore. En obtenant votre mutation, Lévy a eu
bien du mérite. J'espère aussi que vous réaliserez maintenant bientôt votre projet de
venir à Vienne.
J'ai insisté énergiquement auprès d'Annerl pour qu'elle n'aille pas passer les jours de fête à
Budapest. De quelque côté que l'on se tourne, le moment n'est pas opportun. Ernst a dû
attendre à Sz.[ombat]h.[ely] plus longtemps qu'il ne le pensait son transfert à Vienne, et n'a donc
pu réaliser son projet. Maintenant il est ici, bien confortable, et vit comme dans une paix
séparée'.
J'ai souri de votre optimisme avec quelque indulgence. Vous semblez croire à un « éternel
retour du même 2 » et vouloir ignorer absolument la direction univoque dans le déroulement
de la courbe. En effet, il n'y a rien de remarquable à ce qu'un homme de mon âge constate
l'inévitable déclin de son être, par à-coups. J'espère que vous serez bientôt convaincu que je
ne souffre pas pour autant de mauvaise humeur. Avec mes 9 détraqués, je
domine parfaitement mon travail toute la journée, je peux à peine calmer
mon appétit, mais je ne trouve plus le bon vieux sommeil.
L'interruption de nos revues est imminente, pour cause de pénurie de papier, comme
vous devez le savoir par Sachs. On cherche en vain un papier de couverture pour le n° 2
d'Imago, prêt depuis longtemps. J'aimerais bien sortir encore le n° 6 de la Zeitschrift.
C'est un cas de vis major *.
Dans l'ensemble, nous sommes dans un tel état de désolation qu'une paix immédiate
pourrait à peine nous en sortir. Dans la querelle entre Entente et Pacte des Quatre, j'ai
adopté définitivement le point de vue de la reine de Heine dans la controverse:
Mais volontiers je croirais que 3...
Avec mes salutations cordiales à Madame G. et à vous,
votre Freud
*' En latin dans le texte: force majeure.
Ernst est venu le 6 décembre 1917 à Vienne, d'où il est reparti pour Dresde le 3 janvier 1918.
(Notes sur le calendrier de Freud, LOC.)
Idée déjà conçue par les philosophes grecs (par exemple Platon), reprise et élaborée par Nietzsche.
«Je ne sais qui a raison/Mais volontiers je croirais/Que le moine et le rabbin/Sentent tous deux
mauvais. » (Derniers vers de la « Discussion » de Heinrich Heine, Romanzero, livre III, Mélodies
hébraïques, trad. Louis Laloy, Paris, Rieder, 1926, p. 178.)
Budapest de nouveau après minuit le
19/20 décembre 1917

Cher Monsieur le Professeur,


Hélas ! je dois à nouveau – in absentia * – obtenir une séance de vous ou avec vous, car
un triste événement du jour m'empêche de trouver le sommeil, malgré un somnifère. Cette
technique singulière de l'auto-analyse – par lettres (c'est-à-dire avec la représentation
constante de la présence d'un analyste) – n'est peut-être pas du tout inappropriée pour
terminer une cure.

Cet après-midi, la soeur d'une ancienne patiente s'est présentée chez moi
et m'a annoncé que celle-ci s'était tuée d'un coup de revolver.
Je dois tout de suite rectifier. En réalité, il ne s'agissait pas d'une patiente « ancienne »,
mais d'une patiente « débutée » puis renvoyée. Je crois avoir parlé d'elle ou écrit à son sujet
une fois.
Elle est venue chez moi il y a un an à peu près, avant mon voyage de convalescence au
Semmering; une jeune fille très pauvre, très belle, très
intelligente et fort sensible. Des conditions matérielles rendaient la cure impossible.
De mon côté, j'étais justement dans une période d'hésitation à propos de Madame
G. ; sa jeunesse et sa gentillesse m'ont enchanté ; je me suis laissé entraîner à lui
donner un baiser. [La répétition du cas Elma.] A. Elle est revenue peu après. Je me
suis abstenu de toute autre intimité et, comme elle était très malheureuse et
(névrotiquement) attirée par la mort, et comme, par ailleurs, elle semblait posséder
un don littéraire, je lui ai fait écrire quelques souvenirs d'enfance, une ergothérapie
en quelque sorte'. Mais, en même temps, j'empêchai (par jalousie aussi, peut-être)
qu'elle ne soit « abîmée » dans les cercles littéraires, pensant que ce serait dommage
pour elle. Elle ne s'est pas laissé expédier de la sorte et a réclamé énergiquement
une analyse. Aussi lui ai-je donné 2 séances par semaine, à 3 couronnes par séance,
pour le principe ; elle apporta pas mal de choses, mais parut vouloir s'attarder dans
le transfert (ce qui n'est pas étonnant après ce qui s'était passé). L'analyse s'enlisait
de plus en plus ; après l'interruption due à ma maladie, elle est revenue — pour peu
de temps —, mais demanda bientôt elle-même une nouvelle interruption que je lui
accordai. Je ne l'ai pas revue pendant longtemps.
Il y a quelques semaines, son beau-frère (qui, pendant des années, avait été son idéal et
voulait aussi un contact sexuel avec elle) s'est tiré une balle. Elle m'a écrit une lettre
désespérée. Il y a 15 jours à peu près, elle est venue, tout à fait résignée en ce qui concerne
son beau-frère, mais avec le projet de poursuivre l'analyse. Je me suis dérobé, prétextant des
obligations militaires, etc., et je l'ai fait patienter en proposant une date ultérieure. Vendredi
dernier, elle est venue pour la dernière fois. Elle a demandé encore une fois l'analyse, me
disant qu'elle voulait se tuer, qu'elle avait déjà acheté un revolver, etc. Son intention avait
une cause névrotique : « elle ne pouvait pas aimer », disait-elle. Je l'ai instamment priée
d'attendre la cure ; mais rien n'y a fait. Au cours de cette semaine, j'ai beaucoup pensé à elle,
jusqu'à ce que j'apprenne aujourd'hui qu'elle s'était tuée le lendemain de sa dernière visite,
donc depuis plusieurs jours déjà.
La soeur paraissait plus ou moins au courant ; soupçonnant confusément la réalité, elle me
demanda si sa soeur n'était pas morte parce que j'aurais « suggéré » qu'elle était amoureuse de son
beau-frère (le suicidé). Mais elle ajouta tout à coup qu'elle savait que sa soeur était morte pour la seule
raison qu'elle était amoureuse de moi, et qu'en effet elle avait voulu aimer en
moi l'homme et pas seulement le médecin ; et puisque je ne l'aimais pas, elle aurait choisi la
mort. Elle fonde ces suppositions sur des propos obscurs de sa soeur.
Je suis extraordinairement déprimé par ce cas ; mais j'ai gardé contenance devant la porteuse de
mauvaises nouvelles ** (ce que j'ai interprété comme un signe de santé chez moi).
L'insomnie, toutefois, me montre que, inconsciemment, je veux être coupable de cette mort.
Certains mouvements intérieurs voudraient regretter de nouveau d'avoir chassé loin de moi la
jeunesse (Elma, le fruit des entrailles, la descendance et, maintenant, cette possibilité encore).
Il est vrai aussi que, dans cette affaire, mon comportement équivoque (et finalement, peut-être,
le refus frénétique comme jadis lors de l'avortement provoqué) n'a pas favorablement influencé
le cas, qui était certainement
condamné de toute façon. Mon remords est la répétition de remords
antérieurs (justifiés).
Jusque-là, je vois clair dans cette affaire. Je n'aurai peut-être plus du tout besoin d'envoyer
cette lettre. Mais il serait stupide de vous priver précisément de ce chapitre. Madame G. est au
courant de tout. Elle connaissait la jeune fille et la plaint avec moi.
Bien des salutations cordiales de votre
Ferenczi
A. Crochets dans l'original.
* En latin dans le texte : en l'absence de.
** En allemand, Hiobspost. Textuellement: « courrier de Job ».
1. Ferenczi publia par la suite les notes concernant cette patiente sous le titre « Les mémoires d'une jeune
prolétaire » (Zeitschrift für Psychoanalytische Pädagogik, III, cahier 5/6, février-mai 1929). In Le Coq-Héron,
1987, 104, p. 13-40.
Budapest, le 25 décembre 1917

Cher Monsieur le Professeur,


Je ne veux pas vous maintenir longtemps dans la croyance que la sinistre histoire de ma
patiente, dont je vous ai fait part, a exercé sur moi une influence durable. L'évaluation correcte
du cas n'est pas venue de façon logique, mais plus tard, et grâce à une discussion à ce sujet
avec Madame G.
Le « dialogue des inconscients' », comme je l'appelle, a commencé ainsi : Madame G. a réagi
à ma dépression avec une évidente mauvaise humeur. Manifestement, elle y a reconnu une
allusion à mon insatisfaction et mon désir pour la jeunesse (cas Elma). De mon côté, la
réaction a d'abord été une irritation non motivée (ce qui, certainement, n'avait qu'une
signification : avec ses suppositions, Madame G. était dans le vrai). Pour finir, on en vint à la
réconciliation « normale » (comme si souvent entre conjoints) dont l'accord final fut une union
pleinement satisfaisante.
En parfaite correspondance avec vos vues sur le sentiment de culpabilité, pour autant
que je les connaisse, à compter de ce moment je n'ai pas éprouvé la moindre trace de
culpabilité due à l'événement que je vous ai raconté, bien que je continue à plaindre
sincèrement cette jeune fille.
Vous voyez, je commence à vivre la vie d'un époux normal, avec ses fantasmes d'infidélité
obligatoires et ses réconciliations. La relation entre Madame G. et moi devient typique aussi,
dans la mesure où je me soucie de façon un peu trop anxieuse de sa santé et où je la
tourmente avec mes reproches à ce sujet. Mais, par ailleurs, elle présente vraiment une petite
récidive de son état de l'été dernier, elle maigrit, mange peu, et sa température est de 37,1-
37,2 le matin. Il semble qu'elle fasse de nouveau de timides essais à la Groddeck *. Peut-être
ne s'accorde-t-elle pas la nourriture
(et le mariage) qu'elle s'imagine avoir dérobée à sa fille. J'espère que la thérapie contre
le sentiment de culpabilité, décrite plus haut, la guérira elle aussi.
J'ai passé le soir de Noël chez Madame Dénes 2,où toute la famille était réunie. J'ai pu
mesurer la grande différence de mon état '4î à la veillée de Noël d'hier avec celui des
veillées précédentes, à ma bonne humeur, je voudrais dire mon humeur normale, et à
ma capacité de me réjouir. Pas de doute, c'est à l'analyse que je le dois.
Je déplore vraiment l'interruption, voire la menace de suppression durable de nos
périodiques. Voilà ce que je pense : vous ne devriez pas attendre la reprise de la
parution du Jahrbuch, mais publier sous forme de livre, chez Deuticke, les articles prêts
depuis longtemps. Nous savons bien qu'on ne manquera jamais de matériel pour les
revues. S'il y a du papier pour les articles de Kaplans, il y en aura aussi pour les vôtres.
J'ai enfin commencé à rédiger un article sur les « phénomènes de matérialisation
hystérique ». Mais pour cela il me faudrait la lettre dans laquelle je vous racontais
mon dernier cauchemar (Incube). Pourrais-je la récupérer pour m'en servir?
Écrivez-moi, s'il vous plaît, si vous avez reçu un animal en bronze qui nous
intéresse particulièrement et que je vous ai fait envoyer.

J'ai appris par un journaliste qui a participé à l'expédition sur le front de l'Ouest à
Heligoland que les Allemands ne pensaient même pas à la paix. Ils veulent vaincre et
comptent sur la victoire.
Cordiales salutations pour Noël et le jour de l'An à vous tous, de
votre Ferenczi

* En français dans le texte.


« [...] dialogue des inconscients, à savoir lorsque les inconscients de deux personnes se
comprennent parfaitement sans que la conscience d'aucun des deux en ait le moindre
soupçon » (Ferenczi [ 1915, 159], « Anomalies psychogènes de la voix », Psychanalyse, II, p.
170).
Il s'agit probablement de l'écrivain Zséfia Dénes (1885-1987), nièce de Gizella.
Voir 571 F et la note 10, ainsi que 594 F.

720 F
Prof Dr Freud

le 27 décembre 1917
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Vous aurez probablement compris pourquoi je n'ai pas répondu à votre
avant-dernière lettre. J'ai vu que vous remplissiez le temps d'attente
en répétant les mêmes tours, désormais atténués, il est vrai, et non sans un bon
étayage sur des événements extérieurs, et je me suis consolé avec la conviction
que vous ne le feriez plus, une fois passé le provisorium *.
J'ai recherché votre rêve d'incube et vous le trouverez ci-joint. Aucun animal en bronze,
pour reprendre votre expression imagée, ne s'est présenté à moi.
L'interruption de nos revues n'est pour l'instant qu'une menace et qui pré vient
pas de Heller. En ce moment, il se comporte plutôt aimablement avec nous,
peut-être parce que son hostilité s'est trouvée matérialisée par les
circonstances, de sorte qu'il peut attendre tranquillement que ces circonstances
nous aient anéantis, sans sa participation et avec ses condoléances. Votre plan de
sauvetage n'est pas réalisable, car il n'y a rien à entreprendre avec Deuticke qui,
de plus, est gravement malade. Je ne suis d'ailleurs pas pressé et peut-être tiendrons-
nous le coup.
Rank était ici pendant les fêtes pour un bref congé, pas au mieux de sa forme, très accroché
au journal qu'il fabrique actuellement tout seul. Durant quelques heures
nous nous sommes replongés dans les temps anciens. Quand viendrez-vous, et
votre jeune femme vous accordera-t-elle des vacances ?
Sachs est assez malheureux, il ne supporte pas de geler. Je constate que c'est toujours
moi le géant. Parfois il me vient encore des idées à propos du problème du
c[on]s.[cient]. Mais je ne parviens pas à me décider pour le Lamarck. Il en est peut-
être pour nous comme pour les deux nobles polonais au moment de payer :
« Aucun des deux ne voulant souffrir que l'autre payât pour lui, aucun des deux
n'a payé'.»
Ernst est en congé de maladie. En effet, on ne peut vraiment pas dire qu'il soit bien
portant ; après le Nouvel An, il veut aller à Dresde et à Berlin.
Salutations cordiales à Madame G. et à vous-même, meilleurs voeux pour 1919 A, dont
nous attendons les changements et les décisions les plus grandioses.
Votre Freud

A. Ainsi dans le manuscrit.


* En latin dans le texte: situation provisoire.
I. Heinrich Heine, « Zwei Ritter » (Deux chevaliers), Romanzero, I, op. cit.
721 FA
le 31 décembre 1917

Porc-épic riche de sens arrivé aujourd'hui sans dommage. Santé


pour 1918.
votre Freud
[Au crayon:]
Cordial remerciement à Madame G. pour le calendrier de l'année de la paix.
A. Carte postale.
722 F A
Vienne, le 15 janvier 1918

Cher Ami,
Vous êtes attendu ici le 2 II. J'ai eu beaucoup de plaisir avec Hollés. — Quand
l'homme aux cigares viendra, il sera traité selon votre prescription. Sur le calendrier
de Madame G., j'inscris chaque jour des projets non accomplis et des attentes déçues.
Cordialement vôtre, Freud
A. Carte postale.
723 Fer
Budapest, le 19 janvier 1918

Cher Monsieur le Professeur,


Bref point de la situation:
Depuis hier midi, nous avons une grève générale à Budapest '. Un ouvrier appelé
Mosolygös 2 a su, sans le concours des dirigeants ouvriers actuels paraît-il, amener
les différentes organisations à cesser le travail. D'abord ce sont les tramways qui
se sont arrêtés, puis toutes les usines, aujourd'hui aussi les imprimeries. Les places
principales sont investies par l'armée, avec des mitrailleuses. Le programme des
grévistes — selon les nombreux tracts rouges — est 1) la paix immédiate, sans
annexions et sans considération pour Hoffmann 2 , Hindenburg et Ludendorf ; 2)
droit de vote à bulletins
secrets pour tous ; 3) suppression de la spéculation sur la nourriture et
les marchandises. Jusqu'à présent, l'ordre n'a pas été troublé.
Les trains circulent encore. Le ministre juif, le Dr Vàzsonyi 4, s'est révélé
un nationaliste hongrois ; les ouvriers ont rompu avec lui.
Qui sait si je pourrai arriver le 2 au matin, comme j'en avais l'intention.
En tout cas, je me suis procuré mon billet de wagon-lit.
Je n'ai pas pu sortir aujourd'hui pour me rendre à l'hôpital. Demain, le Dr Lévy va
me conduire.
J'ai parlé, ce jour, au Dr Freund, qui veut m'amener une petite parente 5. Comme il
a appris que toutes mes heures étaient prises, il a promis d'obtenir ma libération du
service. Peut-être parviendra-t-il à cela aussi.
Que pensez-vous : ces manifestations d'ouvriers à Vienne et à Budapest ne seraient-
elles pas provoquées par le gouvernement, pour démontrer à l'Allemagne l'impossibilité
de poursuivre la guerre?
Votre F.[erenczi]

Le 7 novembre 1917, les bolcheviks prennent le pouvoir en Russie (révolution


d'Octobre) et entreprennent de négocier un armistice. Le 14 janvier, une vague de
grèves commence dans les grandes villes d'Autriche et de Hongrie. Les revendications
portent, selon le modèle russe, sur une paix sans annexions, l'instauration du suffrage
universel et un meilleur ravitaillement.
Antal Mosolygôs (1891-1927). Ouvrier, militant syndicaliste, proche du cercle Galilée; il
joue un rôle très actif dans le déclenchement de la grève de janvier 1918. Arrêté et
incarcéré, puis libéré après la révolution d'Octobre, devient un des fondateurs du Parti
communiste hongrois. En 1919, volontaire dans l'armée Rouge ; après la chute de la
république des Conseils, de nouveau incarcéré. Bénéficiant d'un échange de prisonniers, il
s'établit en Union soviétique.
Max Hoffmann (1869-1927). Général ; à partir de 1916, chef d'état-major général
auprès du commandant en chef de l'Ouest ; représentant des Empires centraux aux
négociations de paix de Brest-Litovsk.
Vilmos Vàzsonyi (1868-1926). Avocat, homme politique juif. De tendance libérale et
légitimiste, il fut le fondateur du Cercle démocratique. A partir de 1902, député; entre
janvier et mai 1918, ministre de la Justice. Partisan du suffrage universel, il instaura
cependant une censure plus rigoureuse de la presse. Lors de la « révolution des Reines-
Marguerites », il s'exila et ne regagna le pays qu'après la chute du régime communiste
dont il était l'adversaire.
Il pourrait s'agir de la fille de von Freund, Vera. Voir 730 Fer et la note 3.

724 F
Prof. Dr Freud

le 19 janvier 1918
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Vous savez que nous vous attendons le 2 II. A cette circonstance de votre arrivée se
rattache un projet mitonné par Aranka Schwarcz 1, dont vous déclinerez naturellement
l'exécution s'il présente pour vous des désagréments ou des difficultés. Pas de TA, mais le
contraire ; pas d'amour, mais la faim.
Si vous pouvez envoyer un militaire avec un grand sac à dos à l'adresse de la
lettre ci-jointe A, aux frais de l'expéditrice, celle-ci apportera à Budapest — en
toute certitude, paraît-il — une grande quantité de farine, peut-être 40, 50 kilos,
avec la facture jointe, qui n'a pas à être réglée immédiatement. Ce doux fardeau
dans votre valise, vous serez le bienvenu ici, plus encore que d'habitude, et la
tante d'Aranka partagera le butin avec nous. J'espère avoir exposé le projet avec
clarté.
Les éventualités à venir nous sont inconnues. Aujourd'hui, il n'y avait aucun
journal, à l'exception d'une feuille d'information du Journal des Travailleurs. Il
court des bruits de grève générale pour lundi. Espérons que les choses en
resteront à cette démonstration. Si les travailleurs autrichiens demeurent isolés,
cela ne sert assurément à rien et ne fait que nuire à notre situation.
Ernst est de retour et sera très heureux de vous voir. Il a rapporté de
bonnes nouvelles d'Allemagne. L'exposé de Tausk, le 16 I 2 était très bon, à
l'exception de théories peu claires sur la projection, mais il reste un
meschugge * ingouvernable. Un éditeur de Madrid a demandé l'autorisation,
par l'intermédiaire de l'ambassade et du ministère, de traduire la Vie
Quotidienne en espagnol. Il semble que la Sokolnicka 2 soit en train de fonder
une Association tira à Varsovie.
Je vous salue cordialement, ainsi que Madame G., et j'espère que les six mois
seront vite écoulés.
votre Freud
A. Écrit dans la marge, entre parenthèses : « avec la lettre ».
* En yiddish dans le texte. Voir 706 F, note*.
I. Voir 571 F et la note 3.
« De la genèse de " l'appareil à influencer " dans la schizophrénie » ; séance de l'Association
de Vienne du 16 janvier 1918 (Minutes, IV, p. 353). V. Tausk, OEuvres psychanalytiques, op. cit., p.
177217.
Eugenia Sokolnicka, née Kutner (1884-1934), originaire de Varsovie. A étudié à Paris, à la
Sorbonne, les sciences de la nature et la biologie, et fréquenté les conférences de Pierre Janet. En
191 1-1912, formation au Burghölzli. En 1913-1914, analyse avec Freud; membre de l'Association
de Vienne de 1916 à 1926. Après la Première Guerre mondiale, fait une deuxième analyse avec
Ferenczi. Sa tentative de fonder une association psychanalytique à Varsovie échoue, et elle se rend
à Paris, en 1921, comme «envoyée» de Freud, mais elle y est mal accueillie par les milieux médicaux.
Analyste, entre autres, de Sophie Morgenstern, de René Laforgue et d'Édouard Pichon. Cofondatrice,
en 1926, et vice-présidente de la Société psychanalytique de Paris. Dans la solitude et la misère,
elle se suicide en 1934. Voir Élisabeth Roudinesco, Histoire de la psychanalyse en France, Paris, Seuil,
1986, vol. II, p. 107.

725 Fer
Budapest, le 24 janvier 1918 A
Cher Monsieur le Professeur,
Vous pouvez bien penser que je me suis moi-même assez cassé la tête pour
savoir comment je pourrais vous apporter des victuailles d'ici. Mais
le dernier entretien avec le Dr Freund m'a appris qu'il serait vraiment dangereux, pour moi
et pour la chose, d'oser transporter de telles marchandises en guise de bagages. Tout ce que
je peux faire est prendre ces produits par voie militaire, les déposer ensuite chez le Dr
Freund, qui les fera parvenir à Vienne peu à peu, par petites portions (de 5 à 6 kilos). Je
reconnais que cette solution n'est pas aussi brillante que celle proposée par Mlle Schwarz,
mais elle est moins dangereuse.
Ici, tout est calme à nouveau. Dans l'immédiat, le danger bolchevique est écarté.
Je travaille sur le dernier tiers de l'Interprétation des rêves en hongrois par Hollés. Il a fait du
travail honnête, mais il a mal compris un certain nombre de choses — et il sait trop peu
l'allemand!
Hier, un jeune étudiant en médecine s'est présenté comme psychanalyste, avec un fort bon
article pour la revue d'Ignotus. Peut-être l'avenir nous adresse-t-il là un signe. Il s'appelle Aladàr
Balint ' ; de notre souche, évidemment.
J'ai oublié de mentionner que, compte tenu des problèmes de wagons dans les gares, je
dois de toute façon voyager sans bagages. Cet argument aurait rendu tous les autres
superflus.
Au revoir,
votre Ferenczi
A. Date et lieu à la fin de la lettre. L'indication du jour est peu lisible, un 26 a été corrigé en
24, ou peut-être 27.
1. Aladàr Balint (1881-1924). Journaliste, écrivain, critique musical et artistique. A partir de
1909, collaborateur du journal socialiste Népszava (La voix du peuple). Il a assisté au V° congrès
international de psychanalyse à Budapest, en qualité d'invité.

726 Fer
[Budapest, entre le 5 et le 9 février 1918 A]
Cher Monsieur le Professeur,
De retour après un voyage sans histoire', je suis plongé jusqu'au cou dans le travail. Le
manque de temps m'a amené à entreprendre avec quelques patients, au lieu d'une `PA dans
les règles, au moins une révision >4i sommaire, et je ne peux que m'étonner de l'efficacité
thérapeutique de ces cures accélérées, à l'opposé du manque de souplesse de la thérapie
menée avec la rigueur ordinaire, dont je me suis plaint à vous. J'ai guéri une cantatrice
atteinte d'enrouement psychogène en une seule séance. (C'est-à-dire : je l'ai débarrassée du
symptôme.)
Un jeune collègue m'a amené sa femme, que je n'ai évidemment pas pu prendre. Il est entré
en relation avec la psychanalyse par le Dr Otto Gross. Le Dr Gross aurait travaillé à Ungvdr,
comme médecin au régiment de défense territoriale, à l'hôpital des maladies infectieuses 2.
Bien sûr, là aussi
il s'est constitué son cercle d'adeptes qui avaient pour tâche, entre autres, d'avoir des relations
sexuelles, tous sans exception, avec sa maîtresse, surnommée « Petite chatte ». Le jeune collègue
qui y répugnait a, paraît-il, été catalogué comme « moralement indigne de confiance ». Au
demeurant, le collègue a reçu, il y a quelque temps, la nouvelle de la mort du Dr Gross, nouvelle qui
n'a pas été confirmée. Il va encore réapparaître, par-ci par-là, sous forme de « Golem ».
Je réécris actuellement le petit article sur les stigmates hystériques 3. Il manque encore 200
pages de la traduction de l'Interprétation des rêves. Ce n'est qu'après avoir expédié cette
obligation que je pourrai m'attaquer à la biologie.
Madame G. répond cordialement à vos salutations et vous prie d'en faire aussi aux vôtres.
Balatonfüred est assez cher. Si Mlle Bernays se contente d'une chambre modeste, le Dr
Schmidt, médecin-chef du sanatorium, évalue le minimum à 43 couronnes par jour. En fait, il
a dit 43 à 50 couronnes.
Dois-je demander à Balatonfüred si, dans le voisinage des bains, il y aurait des logements et
des restaurants équivalents disponibles (comme je l'ai vu, du reste)?

Maintenant, une autre question. Supposons que Csorba, aussi, ait augmenté dans les
mêmes proportions : puis-je me mettre en quête d'un appartement pour vous et votre famille
aux environs de Budapest, dans la montagne (Visegràd sur le Danube) ? – Je veux dire, un
appartement avec cuisine.
Pourrait également être envisagé : une villa tout installée sur le Schwabenberg 4 près de
Budapest (où nous avons fait un jour une excursion en auto) ou une pension au Grand Hôtel
sur le Schwabenberg.
Quoi qu'il en soit, je vous demande une réponse rapide, afin que je puisse faire un choix. Vous
devriez, naturellement, vous informer au préalable des prix à Csorba.
Je crois pouvoir obtenir au moins quatre semaines de congé d'été à l'hôpital où je travaille
actuellement.
Avec mes salutations cordiales, votre
Ferenczi

A. Bälint a classé cette lettre entre le 5 et le 28, peut-être parce qu'il a lu la lettre 728 comme étant du
5, alors qu'elle est du 15.
Ferenczi était à Vienne les 3 et 4 février (note sur le calendrier de Freud, LOC).
Voir 522 Fer et la note 2.
Voir 687 Fer et la note 2.
Quartier résidentiel sur une colline de Buda.
727 F
Prof. Dr Freud

le 10 février 1918
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Je vous réponds par retour du courrier, puisque vous me l'avez demandé, bien qu'il n'y
ait rien de nouveau à rapporter en ce qui nous concerne. Un grand merci pour vos
informations. Minna trouve les prix à Balatonfüred vraiment trop élevés et je dois avouer,
moi aussi, que nous renoncerions à Csorba si l'augmentation dépassait les 30 couronnes.
Nous espérons savoir bientôt si tel est le cas si l'information tarde à venir, nous
renouvellerons notre demande.
Tous les membres de la famille s'insurgent contre un séjour à proximité de Budapest. Ils
pensent que ce ne sera ni plus beau, ni plus confortable, ni meilleur marché qu'un séjour près
de Vienne, et que s'y ajouteraient, en revanche, les difficultés du voyage et la différence de
langues. Je ne décèle en moi aucun empressement à adopter cette solution. Ce que je
souhaiterais, ce serait d'arrêter un séjour commun avec vous (à savoir avec Madame G.[izella]
F.[erenczi]), mais je ne vois pas du tout pour le moment où cette rencontre pourrait avoir lieu.
Trouver, cet été, une terre promise risque d'être très difficile, même en Hongrie. J'ai tendance
à m'en remettre en tout à des impressions et impulsions ultérieures, ce qui, bien sûr, peut
facilement conduire à l'absence d'hébergement au moment des vacances. De toute façon, si la
décomposition de la société se poursuit, voyager avec des bagages ou quitter sa maison risque
de devenir impossible.
Abraham est tout à fait enchanté de votre article sur les pathon.[évroses] et déclare
que c'est ce que vous avez écrit de meilleur jusqu'ici. Il connaît aussi ce Schultz dont vous
avez fait un compte rendu, ce serait un homme fort intelligent, mais dépourvu de toute
qualité morale '. Je ne suis toujours pas d'accord avec votre intention de publier
séparément les 3 articles (Pathon.[évroses] – Stigmates – Phénomènes de matérial.[isation]
hyst.[ériques]). Premièrement, je ne voudrais pas piller la Zeitschrift deuxièmement, je ne
veux pas renoncer à l'espoir de la continuer. Heller vient de me transmettre un manuscrit
de Kaplan pour avis je vais lui conseiller de l'imprimer, et l'obliger à admettre qu'il a
encore du papier 2.
Salutations cordiales de votre
Fr eu d

Lettre du 4 février 1918: Freud/Abraham, Correspondance, op. cit., p. 274 la note sur Schultz est
dans un passage inédit (FM).
Leo Kaplan n'a rien publié entre 1918 et 1921, après avoir fait paraître trois livres chez
Deuticke en 1914, 1916 et 1917 (Grundzüge der Psychoanalyse [Éléments de psychanalyse], Psychoanalytische
Probleme [Problèmes psychanalytiques] et Hypnotismus, Animismus und Psychoanalyse [Hypnotisme,
animisme et psychanalyse]).

728 Fer
Budapest, le 15 A février 1918

Cher Monsieur le Professeur,


Compte tenu de l'actuelle situation ferroviaire et postale, il n'est pas superflu de vous
demander si vous avez reçu l'envoi recommandé (Stigmates).
En ce qui concerne Csorba, vous devriez bientôt prendre des renseignements, en vous référant,
naturellement, à la promesse qui vous a été faite à l'époque.
Il serait possible, à présent, d'avoir, aux environs de Budapest, deux merveilleuses chambres
avec dépendances, dans une villa.
Je suis, moi aussi, aux prises avec la calamité du logement. Il est question, maintenant,
d'un appartement très grand et très cher. Demandez à Mlle le Dr Révész' si, éventuellement,
elle serait disposée à prendre deux pièces — fort onéreuses — de cet appartement (au centre
de la ville). Certes, la soeur de Madame G. est la première à y prétendre, de toute façon
l'appartement n'est pas encore à ma disposition. Quelle croix!
Le malaise éprouvé pendant mon séjour à Vienne s'est peu à peu aggravé en une petite récidive
des signes de Basedow (essentiellement, faiblesse cardiaque). Les symptômes cèdent
progressivement avec un mode de vie approprié. Pour le moment, je ne vais pas à l'hôpital. La
décision concernant ma démobilisation doit intervenir dans les 8 à 10 jours. Si elle se révélait
négative, je ne me gênerais pas pour solliciter une permission plus longue par la voie d'un
arbitrage suprême.
Vos deux essais (Métapsychologie des processus du rêve, Deuil et mélancolie 2) m'occupent
sans relâche. C'est maintenant seulement qu'on peut arriver à appréhender le mécanisme de
l'appareil 'P. Je crains cependant que vous ayez raison de supposer qu' 1 ou 2 personnes tout
au plus saisiront la portée de ce qui est dit là. Il sera nécessaire de réviser le concept
d'introjection sur la base des nouvelles découvertes. Je vais y réfléchir.
La publication des 4 articles ([Phénomènes de] matérialisation [hystérique], stigmates,
pathonévroses et névroses de guerre) dans un cahier séparé aurait une certaine importance
pour moi. Ici, en Hongrie, la valeur scientifique d'un auteur se juge — en partie à juste titre
— sur le fait qu'il publie ou non aussi en langue allemande. Naturellement, je veux bien
attendre que ces articles aient paru dans notre Zeitschrift 3.
Salutations cordiales de votre
A. La date est difficile à lire, le 1 est effacé, mais avec un éclairage et un agrandissement
adéquats, on parvient à le distinguer.
I. E. Révész était justement en analyse avec Freud.
Freud 1916-1917f 11915] et 1916-1917 11915].
Ces articles ont paru, en même temps que deux autres (1 1919, 210] « Difficultés techniques
d'une analyse d'hystérie », Psychanalyse, III, p. 16-23 et 1 1919, 220] « Phénomènes de matérialisation
hystérique », Psychanalyse, III, p. 53-65), à l'Internationalen Psychoanalytischen Verlag (1919) en
allemand, et comme quatrième recueil d'articles en hongrois.

729 F
ProfDr Freud

le 17 février 1918
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Martin est arrivé aujourd'hui, en excellente condition, avec de menues contributions de café,
riz, cuir, etc.
En réponse à vos propositions pour l'été, je peux simplement répéter que je n'irais en Hongrie
que pour me joindre à vous ainsi qu'à Madame G., et que la proximité de la capitale ne saurait
nous inciter à nous engager prématurément.
Que vous aussi vouliez faire votre paix séparée, je trouve cela très compréhensible et j'aimerais
l'appuyer au moins de la toute-puissance de mes voeux. Je verrai les Drs Lévy et Freund mercredi.
Si vous tenez beaucoup à ce que vos 4 derniers articles paraissent sous forme de livre,
nous devons réfléchir soigneusement à la façon dont ce projet s'articulerait avec la
publication dans la Zeitschrift. Il faudrait alors s'arranger d'abord avec Heller pour qu'il
en assure l'édition, car il ne consentira certainement pas à une parution en langue
allemande chez un autre éditeur, avant l'écoulement du délai légal de 2 ans. Dans le cas
contraire, vous devriez chercher un autre éditeur allemand et laisser de côté la
Zeitschrift.
Un livre reçu avant-hier : Ernst Simmel, « Névroses de guerre et trauma psychique »,
Munich, 19181, va beaucoup vous intéresser et vous réjouir, vous aussi. Il a vu le jour à
l'hôpital militaire de Posen, se situe sans réserves sur le terrain analytique, même si, pour
l'essentiel, c'est un « travail cathartique », et montre que la médecine militaire allemande y a
mordu. Commandez-le, et si Abraham ne peut en faire le compte rendu, alors chargez-vous-
en 2. Dans son genre, ce n'est pas moins important que Groddeck.
Avant-hier, un patient m'a laissé, pour la guérison de son masochisme, une prime de 10 000
couronnes qui me permet de jouer maintenant les riches envers les enfants et la parentèle. Un
intermède tout à fait agréable.
Que mon écriture se détériore rapidement à présent (l'effet du froid y aurait-
il sa part?) ne vous aura pas échappé.
Je vous salue très cordialement, ainsi que Madame G.
Votre Freud

I . Ernst Simmel, Kriegsneurosen und psychisches Trauma. Ihre gegenseitigen Beziehungen, dagestellt auf Grund
psychoanalytischer, hypnotischer Studien (Névroses de guerre et trauma psychique. Leurs rapports
mutuels, présentés à partir d'études psychanalytiques et hypnotiques), Munich et Leipzig, 1918.
Simmel (1882-1947), médecin de Breslau. Membre de l'Association des médecins socialistes ;
pendant la Première Guerre mondiale, médecin-chef et médecin-directeur d'un hôpital militaire
réservé aux névrosés de guerre à Posen. A suivi une psychanalyse avec Abraham. A partir de 1920,
avec Abraham et Eitingon, dirige la polyclinique de Berlin. En 1927, directeur de la maison de santé
psychanalytique Schloss Tegel à Berlin. Freud y séjournait lors des traitements qu'il devait suivre à
Berlin du fait de sa prothèse du palais. En 1934, Simmel émigra à Topeka, puis à Los Angeles, où,
en compagnie d'Otto Fenichel, il fonda l'Association psychanalytique locale.
2. L'ouvrage fut discuté par Abraham et Hàrnik, ainsi que par Van Ophuijsen, dans Bericht
über die Fortschritte der Psychoanalyse 1914-1919 (op. cit., Vienne, 1921).

730 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, le 17 février 1918 A, le soir.

Cher Monsieur le Professeur,


Voici ce que je peux vous dire du cas du Dr v.[on] Freund:
Comme je vous l'ai déjà raconté, il m'avait confié, il y a environ 3 semaines,
qu'il préférait avoir une petite fille car il aimerait prendre des dispositions « à
court terme ». J'y ai vu un rapport avec l'idée d'une mort précoce par suite d'une
récidive de son sarcome '. Peu après, lui naquit un petit garçon 2.
Hier le Dr Lévy m'a dit que le Dr v.[on] F.[reund] était soudain tombé malade,
atteint d'une « névrose d'angoisse ». Je l'ai vu aujourd'hui et j'ai
malheureusement constaté l'installation d'une psychose aiguë. Les symptômes
se composent de fantasmes délirants parano-hypocondriaques et de
phénomènes d'excitation hypomaniaques, ainsi que de crises d'angoisse
périodiques. Je l'ai trouvé au lit, occupé à son testament, qu'il a entrepris de
modifier au bénéfice de sa fille aînée 3. Avec une grande vivacité de paroles et de
gestes, il m'a exposé son plan selon lequel il me faudrait, après sa mort
assurément proche, prendre en charge le traitement psychanalytique
prophylactique de son aînée. Je devrais me présenter à elle comme professeur,
gagner peu à peu son affection. Par testament, il a décidé, en outre, que je
reprendrais son appartement avec tous ses meubles, afin, notamment, que la
petite puisse toujours avoir accès à moi, comme auparavant à son père.
Pour les leçons, je devrais recevoir les honoraires II1a normaux, ainsi que
des honoraires supplémentaires de 25 000 C en
plus. Mais en échange de cette dernière somme, j'aurais aussi à soigner une de ses petites
cousines. De sa femme, il parle très froidement ; il dit qu'elle est de toute façon à l'abri
: sa libido n'est toujours pas détachée de vous et si vous-même avez de l'affection à son
endroit, vous ferez le nécessaire pour que sa mort ne lui soit pas préjudiciable. Les deux
petits sont également en bonnes mains avec leur mère.
Ce qui me paraît plus grave, c'est qu'il a uriné une fois dans son pantalon et parlé de ce qu'il fera quand
il devra également lâcher ses excréments. Il craint aussi de devoir hurler.
Il s'estime en bonne santé psychique. Des métastases cérébrales de son sarcome seraient
apparues chez lui. « Le centre fonctionne encore bien, mais plus la périphérie. » Il se mettrait
volontiers à la disposition de la science comme sujet d'études, car ce serait certainement un cas
unique : un homme formé à la psychanalyse communiquant ses auto-observations jusqu'à la mort.
En même temps, il n'exclut pas (fût-ce sur un mode ironique) d'être malade et de devoir être guéri
par la psychanalyse.
La psychanalyse semble avoir pris chez lui la place du déisme ; il nourrit pour elle les mêmes
sentiments que pour la divinité, et elle serait également appelée à occuper cette place pour l'humanité
tout entière.
Parmi les signes physiques, sans examen plus approfondi, j'ai pu constater des renvois fréquents
non maîtrisés et un hochement de tête intermittent. Les renvois seraient le symptôme de métastases
dans l'estomac, le hochement lui rappelle un ami mort du Basedow en Russie. Il parle aussi d'un
chimiste de Munich, de sa connaissance, qui s'est empoisonné au cyanure et a pris des notes sur lui-
même jusqu'à sa mort.
Sa conscience sociale a beaucoup diminué, il ne se soucie plus maintenant que du sort de ses parents
les plus proches.
A une tentative timide de le rassurer, il a répondu assez rudement : « Voyons, ne faites pas semblant.
»
Il parle beaucoup de vouloir gagner mon amitié pour que j'en aime d'autant plus sa fille.

J'ai conseillé au Dr Lévy de le faire transporter à Vienne dans une maison de santé et de vous consulter,
ce qui était d'ailleurs en projet auparavant. Madame le Dr Lévy l'accompagne elle aussi à Vienne, où ils
devraient arriver mercredi à midi.
J'espère qu'il s'agit d'un état passager, déclenché par la castration' et la naissance de
son fils. Ce serait très, très dommage de le perdre. Votre
Ferenczi
A. Le chiffre 8 semble corrigé à partir d'un 7. Dans la version microfilmée, la lettre était classée en 1917.
D'après les recherches des éditeurs sur l'histoire de la maladie d'Anton von Freund et sur la naissance de
son fils, cette lettre a cependant dû être écrite en 1918. Le contexte laisse supposer que, dans la lettre
suivante, Ferenczi a commis un lapsus calami, en écrivant 1916 au lieu de 1918.
Tumeur maligne qui commence dans le mésenchyme et donne des métastases précoces.
Antal, né le 6 février 1918 ; actuellement Dr Anthony Tôszeghi, exerçant à Londres.
Vera (1912-1991), enfant unique du premier mariage de von Freund avec Lily Kugel. Une seconde fille,
Erzsi (Elisabeth, 1916-1989), naîtra de son mariage avec Rôzsi Brôdy.
Par suite d'une tumeur du testicule.
731 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, le 18 février 1916 A

Cher Monsieur le Professeur,


Pour compléter le rapport d'hier: -
Le patient est un peu plus calme aujourd'hui, comme s'il avait réglé les
affaires les plus importantes (il entend par là l'affaire de la petite Vera).
J'ai procédé à un examen physique. Le réflexe rotulien est difficile à obtenir,
la réaction pupillaire est normale, aucun symptôme organique non plus par
ailleurs.
En réponse à mes questions, il a raconté comment il en était arrivé à son état
actuel. Il était torturé de doutes concernant la nature de la tumeur testiculaire,
jusqu'au moment où il a mis la main sur le manuel de chirurgie (?) de Kocher'. Celui-
ci lui apprit que son mal allait récidiver (faire des métastases) dans 5 mois au plus
tard. Un apaisement bienheureux, un sentiment de sécurité l'envahit alors; il se mit
au lit et admit qu'il n'avait plus à s'occuper de futilités comme la brasserie, mais
qu'il devait régler les affaires de Vera, etc.
Ses métastases se trouvent 1) au cerveau, 2) au cou-de-pied des deux côtés.

Sinon, je n'ai rien d'important à vous dire, tout au plus sa déclaration : il


aurait artificiellement refoulé son amour pour son fils nouveau-né, afin que la
séparation ne devienne pas encore plus difficile.
Salutations cordiales de
Ferenczi
A. Certainement un lapsus calami pour 1918. Voir 730 Fer, note A.
1. Emil Theodor Kocher (1841-1917), chirurgien suisse de Berne. Obtient le prix Nobel
de médecine en 1909.

732 Fer
Budapest, le 28 février 1918

Cher Monsieur le Professeur,


Entre-temps j'ai eu, par le Dr Lévy, de bonnes nouvelles de votre capacité
de travail inaltérée. En revanche, il a dû vous informer de ma rechute.
Elle n'est pas très préoccupante; l'élimination d'une partie des facteurs 1V a manifestement
aidé quand même. J'expérimente maintenant la belladone – le médicament contre la
«vagotonie»'. L'efficacité indéniable de ce produit montre cependant que ce n'est pas le «
vague » qui est malade, mais que diverses substances chimiques (endotoxiques) pianotent
sur le vague. En fin de compte, aussi de purs poisons psychiques !
Je me réjouis de votre avis sur l'état du Dr v.[on] Freund – qui sonne plus favorablement
que le mien. Espérons qu'il se ressaisira bientôt.
Les travaux tin sont naturellement destinés en premier lieu à la Zeitschrift. Si Heller devait
refuser la parution en volume, alors je renoncerais à ce désir.
J'apprends que ma démobilisation n'a pas été accordée, malgré les efforts de Freund. La paix
séparée a donc échoué!
Samedi, je me rends à Miskolcz et Kassa, pour l'examen médico-légal d'un homosexuel.
Eitingon 2 m'a désigné comme expert. L'autre expert est le professeur agrégé Hudovernig
9 de Budapest, que je vous ai montré à Csorba.

Ma patiente, la femme du Dr Lévy, le juriste, interviendra ces jours prochains en faveur de votre
appartement d'été, auprès des instances adéquates. Dès que j'obtiendrai des précisions sur les
prix, etc., je vous écrirai. Je ne peux décider de mes propres projets d'été tant que l'affaire du
divorce de Madame G. n'est pas réglée. Mais peut-être retiendrai-je, pour toute éventualité, une
chambre au mois de juillet (ou de mi juillet à mi-août).
Je crois que j'avais encore quelque chose à vous dire, mais cela ne veut pas me revenir à
l'esprit.
Donc: salutations cordiales de
votre Ferenczi
Voir t. I, 374 Fer et la note 5.
Eitingon avait été affecté à l'hôpital de réserve à Igl6, d'août 1914 à la mi-novembre 1915 ; puis,
jusqu'au début mai 1916 au département de psychiatrie à Kassa ; enfin, jusqu'à la fin de la guerre,
à l'hôpital de réserve à Miskolcz (Emil Neiser, Max Eitingon, Leben und Werk [Max Eitingon, sa vie,
son oeuvre], op. cit.).
Kàroly Hudovernig (1873-1928), psychiatre. En 1897-1898, professeur à l'hôpital universitaire,
puis médecin-chef à l'hôpital Saint-Jean. En 1913, directeur d'un hôpital psychiatrique. Ses
recherches portent sur la neurosyphilis et le délire alcoolique.

733 F
Prof. Dr Freud

le 3 mars 1918 Vienne,


IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je n'ai pas répondu à plusieurs de vos lettres, car j'ai eu à faire face à la semaine la plus
éprouvante, peut-être, de ma pratique : 10 patients par jour. Aujourd'hui, du moins, depuis 5
heures, c'est dimanche.
Je regrette beaucoup que votre paix séparée n'ait pas été conclue – comme aujourd'hui pour
la Russie'. Votre récidive aussi est fâcheuse mais elle nous donne, justement de ce côté-là,
quelque espoir, à savoir une explication diagnostique. Je veux espérer que, pour l'objet, il ne
s'en est suivi aucune perturbation.
Freund, Lévy vous le racontera, s'est beaucoup amélioré cette semaine; il a renoncé au sarcome
et aux métastases comme nous l'avions supposé. Cela s'est révélé une hypocondrie postopératoire
(hystérie d'angoisse à contenu narcissique). Il craint la perte de son deuxième testicule, donc, la
castration. Les traits psychotiques ont régressé à un point tel que je peux espérer commencer
avec lui une analyse en règle. Moi-même, aujourd'hui, je ne parlerais plus de mélancolie à son
sujet. On devient ainsi attentif aux différences et formes intermédiaires de ces tableaux cliniques.
Au mois de juillet 1916, chez un patient qui est maintenant sur le point de terminer sa cure, j'ai
vu la même chose après la même opération (tuberculose).
J'ai en ce moment trois combattants à la maison mais, à vrai dire, un seul d'entre eux, Martin,
lieutenant depuis avant-hier, est vraiment frais et en forme. Ernst est très assidu au travail, il veut
à toute force obtenir de poursuivre ses études, mais il a mauvaise mine, souffre de troubles digestifs
et laisse soupçonner un processus pulmonaire. Le service armé pourrait bien, chez lui, empêcher
une amélioration. Oli n'en a pas fini avec son eczéma généralisé, il a des troubles intestinaux et,
dans l'ensemble, est mal fichu. Aucun d'entre eux ne sait où il ira après la permission.

« Celui qui est las de son errance,


Où sera, un jour, son dernier lieu de repos 2 ?»

Je nourris les plus noirs pressentiments pour cet été. La perspective de paix a complètement
disparu ; en appendice à la volonté de vaincre de l'Allemagne, nous allons mener une nouvelle
offensive en Italie, participer au combat décisif en France et prendre part nous-mêmes à
l'expédition en Mésopotamie. Vous savez, je l'espère, que l'ordre donné par la marine était en fin
de compte la réaction à une formidable mutinerie de notre flotte qui, à ce qu'on dit, a été écrasée
par des sous-marins allemands. La famine, chez nous, s'aggrave de plus en plus.
Dans la mesure où ces circonstances permettent d'envisager un séjour d'été, je suis prêt à venir en
Hongrie, si la perspective existe d'y rencontrer des personnes amies (en premier lieu Madame G.) ; je
vous remercie donc beaucoup de vos efforts en vue d'obtenir des informations sûres concernant la
situation dans les Tatras. (D'ailleurs, pour vous aussi, l'altitude est préférable.)
Heller est absent de Vienne, on l'a envoyé chez ce bavard de Johannes Müller s, probablement
afin de lui remonter le moral, aussi n'a-t-on pas pu faire avancer votre affaire. Dès qu'il arrive, je
vais lui parler.
Je vous salue cordialement. Avez-vous déjà Simmel ?
Votre Freud
Les premières lignes du poème de Heine « Wo ? » (Où ?), dans Nachlese (Grappillage). Date
incertaine.
Johannes Müller (1864-1949), directeur de plusieurs établissements de soins et auteur
d'ouvrages populaires consacrés aux questions psychologiques et sociales.

734 Fer
Kassa, le 3 mars 1918

Cher Monsieur le Professeur,


Le soir même où je vous ai envoyé ma lettre, m'est revenu ce que j'avais encore à dire. La
petite coupure ci-jointe du Pester Lloyd vous montre (ainsi qu'à moi) qu'en Hongrie, un nouveau
psychanalyste est apparu. Madame G. a eu la gentillesse d'aller entendre sa conférence à ma
place, car j'étais occupé. Elle était tout à fait satisfaite. Apparemment, Monsieur Hermann '
a parlé de la `FA, de vous, et aussi de moi, avec un total enthousiasme. Les explications
n'allaient pas très loin, mais elles étaient habilement présentées. Monsieur Hermann se situe
résolument du côté tua.
Ce qui est curieux, c'est que je ne sais absolument rien de lui, n'en ai jamais entendu parler.
Vous voyez, la semence répandue germe quand même en secret.
Hier, je suis allé à Miskolcz ; j'ai trouvé ma mère étonnamment bien. Elle est vive, active,
gaie, pleine d'entrain. Je crois que le règlement de l'affaire avec Madame G. va aussi résoudre
certaines tensions entre ma mère et moi.
Aujourd'hui, j'ai eu la visite d'Eitingon à Miskolcz. Il a bonne mine, c'est quelqu'un de bien
et de fidèle. Il se dévoue corps et âme au service hospitalier, qu'il semble diriger de façon
exemplaire. Sa femme 2 l'assiste dans sa tâche. Malheureusement, je n'ai pu faire sa
connaissance. Dans les quelques analyses dont Eitingon s'est chargé, il semble avoir eu de bons
résultats.
Demain matin (lundi), aura lieu la séance du tribunal pour laquelle le Pr Dr Hudovernig et
moi-même avons été appelés comme experts. Outre l'honneur, ce voyage me rapporte 3 000
couronnes.
Les états pathologiques qui m'occupent actuellement sont à peu près les mêmes que l'année
dernière, mais beaucoup plus atténués qu'à l'époque. La curieuse combinaison d'atteintes du
cœur, des intestins, du nez et du sommeil semble indiquer certaines relations encore inexpliquées
entre la neurasthénie et la maladie de Basedow. Il est, en effet, beaucoup question de
l'influence réciproque des hormones (compensatrice ? substitutive ?). La neurasthénie
(conséquence de la pénurie de certaines hormones sexuelles) pourrait fort bien entraîner, comme
complication, un dysfonctionnement de la thyroïde. Les symptômes neurasthéniques sont peut-
être essentiellement des effets toxiques du vague. Le Basedow est un effet toxique du sympathique
*. A vrai dire, leur rapport réciproque n'est pas clair.
Malheureusement, ces auto-observations quelque peu hypocondriaques me
préoccupent ces temps-ci plus que de raison!
N.B. J'ai de nouveau le sentiment de n'avoir pas dit quelque chose que j'avais
l'intention de dire!!
Salutations cordiales de votre
Ferenczi
L'état d'esprit au pays hongrois n'est pas mauvais. La guerre n'a pas eu d'effet sur les gens d'ici.
Cela, sans doute, vient de ce qu'on y est mieux nourri!
P.S. Je sais ce que je voulais ajouter : j'apprends par Eitingon qu'il a fait venir, de
Törökszentmiklôs, à votre intention, 40 kilos de « poudre blanche fortifiante ». J'en ai, de mon
côté, commandé 25 kilos de même provenance, quantité que j'ai fait livrer en son temps à
l'adresse de Monsieur von Freund (Gyàr utca). S'il vous plaît, informez-vous à l'occasion auprès
de lui du destin de cette substance.
F.

* Aujourd'hui on parle plutôt de systèmes sympathique et parasympathique.


Imre Hermann (1889-1984), psychanalyste, chercheur et théoricien hongrois. En 1913, doctorat en
médecine. En 1919, devient membre de l'Association psychanalytique hongroise; en 1921-1922, suit
une analyse avec Erzsébet Révész ; en 1925, secrétaire de l'Association, de 1936 à 1944 vice-président
et, après 1945, président. Auteur de dix ouvrages et d'une centaine d'articles. Outre la psychanalyse, il
s'intéresse, entre autres, à la logique, aux mathématiques, à la psychologie expérimentale, à la
philosophie et à l'éthologie. Le plus connu des concepts dont il fut l'auteur est celui de l'instinct de
cramponnement. Hermann a joué un rôle central pour le maintien de la psychanalyse en Hongrie durant
l'époque des persécutions antisémites et sous le régime communiste.
Mirra Jacovleina, née Raigorodsky ; épouse Eitingon en 1913.

735 F
Prof. Dr Freud

le 17 mars 1918
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
J'ai été, cette semaine, surmené par dix analyses ; c'est là l'unique raison pour laquelle j'ai
laissé votre lettre sans réponse. La réponse, aujourd'hui, c'est que la « substance » est arrivée
depuis longtemps, tandis que celle envoyée par Eitingon se dépose par fournées hebdomadaires
*.
J'attends avec beaucoup d'impatience vos informations sur Csorbatô, car l'éventail des séjours
d'été possibles semble se rétrécir de plus en plus.
Je n'accorde pas un grand intérêt scientifique à vos théories hypocondriaques, car l'état de
maladie n'est pas très favorable à ces recherches organiques. Je suis d'avis que vous guérissiez,
que vous ne dédaigniez pas
non plus l'altitude, et ne suis pas sans m'inquiéter de savoir si tout va bien pour Madame G.
Hollôs vous aura donné directement de mes nouvelles. Son inhibition au travail, que j'ai étudiée en
9 séances, repose vraisemblablement sur le fait qu'il est allé assez loin dans son dépassement du
père. Il est venu chez moi pour constater que, vu de près, moi non plus je ne vaux pas grand-chose.
Le Dr Freund passe le dimanche à Budapest ; sa psychose postopératoire est bel et bien derrière lui.
L'idée délirante hypocondriaque s'est, pour ainsi dire, retirée dans « la petite maison ** » et a
abandonné la scène à la névrose hystérique, pour laquelle il fait maintenant une analyse en bonne et
due forme.
Il y a quelques jours encore, nous avions les trois guerriers à la maison, la « Caserne Rossauer ' »,
comme disait ma femme. Martin est devenu lieutenant ici, et il est de retour à Tagliamento; Oli a
regagné sa compagnie, son eczéma presque guéri 2. Les deux ne resteront pas longtemps sur place ;
où iront-ils, on l'ignore. Ernst a réussi à obtenir pour lui-même une paix anticipée ; lors d'un conseil
de révision récent, il a eu un certificat C et espère, lors de l'arbitrage supérieur auquel il s'attend à
présent, en rester au moins au certificat B. Malheureusement, il a de bonnes raisons pour cela : je
ne serais pas autrement surpris qu'il souffre d'un catarrhe pulmonaire suspect.
Mû par la conviction que cette situation de guerre ne peut plus être considérée comme provisoire,
j'ai proposé à Heller de publier un 4e tome du recueil sur la théorie des névroses et j'attends à
présent sa réponse. Il est maintenant de retour ; quand je lui parlerai, je soulèverai aussi votre
affaire. Aux 26 essais que je peux rassembler, j'ajouterai l'histoire clinique du Russe s que j'ai mise
par écrit dès 1914, et destinée au prochain Jahrbuch. Sinon, cela me paraîtra trop rassis. Je crois
que vous l'avez lue.
Parmi les cas que j'ai actuellement, tous ne sont pas aussi intéressants. Certains sont simplement
torturants. L'affluence a sensiblement diminué ces dernières semaines. Il y a en outre plusieurs jours
par semaine où il n'arrive aucune lettre. J'ai pu reprendre Mademoiselle Révész ; dès l'automne, elle
sera en mesure de vous servir d'assistante.
Dans l'attente de vos nouvelles, vous saluant cordialement,
votre Freud

* Phrase intentionnellement obscure pour déjouer la censure concernant le trafic de denrées alimentaires.
** Il s'agit de l'annexe où se retirent les vieux parents pour laisser la maison principale aux enfants.
I. La caserne Rossauer se trouvait dans le IXe arrondissement, à quelques minutes à pied seulement de la
maison de Freud.
« 1.3. Martin lieutenant... 13.3. Départ d'Oli. 15.3. A Odessa. 16.3. Départ de Martin » (notes sur le
calendrier de Freud, LOC).
Le quatrième volume de la Sammlung kleiner Schriften zur Neurosenlehre (Recueil de petits écrits pour l'étude
des névroses) a paru en 1918, avec l'histoire du cas de 1'« Homme aux loups» (Freud, 1918b [1914], in
OEuvres complètes, XIII, p. 5-118).
736 Fer
Budapest, lundi 25 mars 1918

Cher Monsieur le Professeur,


La différence fondamentale entre l'optimiste et le pessimiste est intéressante. Jusqu'au
moment où la nouvelle offensive de printemps a débuté, j'ai continué à croire à un
règlement pacifique du conflit. Je ne pouvais imaginer que l'une des parties belligérantes
prendrait la responsabilité de l'échec de sa propre cause. Et pourtant, il en a été autrement
! Il ne reste plus, maintenant, qu'à se remettre à spéculer sur la « victoire », pour que cette
épouvantable situation cesse enfin.
Le Dr Lévy qui, à ma connaissance, est à Vienne aujourd'hui s'efforce avec zèle de
vous arranger un séjour d'été à Lomnitz. Avec succès, j'espère.
Eitingon se trouve ici depuis 3 jours, en compagnie de sa femme. Le consulat
allemand n'a pas autorisé Madame Eitingon à se rendre en Allemagne, avant que ne
soit obtenu, par télégramme, son certificat de moralité. (Elle est russe.)
C'est une occasion de rencontrer Eitingon assez souvent et je suis surpris de la
profondeur et de la clarté de son savoir psychanalytique. Jusqu'à présent, je le
soupçonnais toujours d'obscurités philosophiques.
Dimanche dernier, l'Association psychanalytique hongroise a été reconstituée et quelques
membres ont été admis. La première réunion scientifique doit avoir lieu début avril. Je
projette de faire un exposé didactique sur « la construction métapsychologique chez Freud
». Ce ne sera pas facile'.
Les études auto-hypocondriaques n'ont pas été tout à fait vaines. J'ai découvert
quelques mécanismes au moyen desquels le trouble de la libido se transforme en
symptômes psychiques. En déconnectant certains de ces mécanismes, j'ai aidé à canaliser
la libido sur des voies plus normales. En un mot : je vais de nouveau mieux, les relations
avec Madame G. ne sont pas troublées, ce qui, par voie de conséquence, a également un
effet favorable sur elle. Pour elle, la bataille du divorce commence dans quelques semaines.
Il n'est pas certain que le Dr Pàlos y consente. Entre-temps, il est opportun de manifester
le moins possible son intention de se remarier. J'ai été surpris d'apprendre que vous aviez
parlé de cette affaire à Hollôs. Je crains que cette nouvelle ne mette le Dr Pàlos en fureur.
Mon frère de Berlin 2 est venu en Hongrie pour rendre visite à notre mère. Il dit que
les milieux militaires de Berlin espèrent une victoire complète.
J'ai été contrarié d'apprendre les mauvaises nouvelles de la santé d'Ernst.
Débrouillard comme il est, il se sortira de cet ennui-là aussi.
Les salutations les plus cordiales de votre
Ferenczi
« L'Association psychanalytique hongroise a repris son activité, interrompue par la
guerre, avec sa réunion annuelle tenue le 17 mars 1918 [...1 Onze membres furent
élus « (Zeitschrift, 1919, 5, p. 59). En 1918, Ferenczi parla, à l'Association, des
phénomènes de matérialisation hystérique et des questions de technique
psychanalytique (ibid.).
Zsigmond (ou Sigmund). Voir t. I, 70 Fer et la note 2.

737 F
Prof. Dr Freud

le 7 avril 1918
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
La tendance des temps actuels à la mendicité, qui ne vous est pas inconnue, m'amène à
vous demander encore une fois quelque chose, à savoir, d'envoyer la lettre ci-jointe, traduite
sommairement, à la Direction du Centre de Cure de Matlàrhàza. Je n'ai aucune raison de
présumer que cette haute autorité comprenne l'allemand, et spécialement le mien, et je
peux supposer qu'ils utiliseront volontiers ce prétexte pour nous éconduire. Matlàrhàza,
cependant, nous serait très sympathique. De Csorbatô nous avons seulement reçu la
nouvelle que les négociations avec la banque n'étaient pas terminées ; le grand hôtel de
Lomnitz ne serait guère envisageable pour nous et, à Matlàrhàza, nous aurions aussi la
compagnie de Kata Lévy, que nous rencontrerions volontiers. Il ne faut pas compter, cette
année, sur un séjour d'été en Autriche.
Ne vous effrayez pas de mon écriture, sa détérioration évidente, ces derniers temps,
a été attribuée à une crise de goutte à la main droite (arthrite due à l'âge). Le déplaisir
y aura, naturellement, eu aussi sa part.
Le Dr Freund est en train de se détacher d'un bout de sa vieille névrose. Il est délivré
de ce qui était délirant, mais son humeur est encore inégale. Sa propension à aider est
maintenant au premier plan, moi aussi il veut m'aider, et il a formulé à cet égard une
intention sur laquelle j'aurais voulu avoir votre opinion. Sa tendance à surpayer mérite
d'être notée.
Il n'y a pas longtemps, j'ai parlé à Heller, qui se remet lentement de je ne sais quel
choc. En principe, il a accepté mon quatrième tome, ainsi que votre livre composé des
4 essais ; bien sûr, il le fait encore dépendre de l'approvisionnement en papier et il
faudra le bousculer plus d'une fois ; mais il se trouve qu'il ne peut pas vous interdire
de publier chez un autre éditeur, même s'il doit lui-même refuser et que les articles
ont paru peu avant dans la Zeitschrift. Vous savez bien qu'on n'en a jamais fini avec
lui du premier coup.
Ernst passe son arbitrage supérieur le 14, Anna son examen le 15 de ce mois. Je vous
salue cordialement, ainsi que Madame G., et vous remercie avec toute mon énergie,
votre Freud
738 Fer
Budapest, le 8 avril 1918

Cher Monsieur le Professeur,


Voilà où en est à présent notre préoccupation principale : selon nos lois, le
divorce est une affaire civile et non religieuse, tout comme le mariage et la
naissance. Cependant, les lois hongroises, malheureusement, adoptent presque
complètement le point de vue catholique et ne dissolvent le mariage que 1) si les
deux parties sont d'accord, 2) s'il y a un «motif» de divorce. On utilise
généralement comme motif de ce genre « l'abandon par infidélité » de l'autre
conjoint. L'état d'abandon existe quand un époux (une épouse) quitte son conjoint
et en reste séparé pendant plus de six mois. Pour nous, ces six mois seront écoulés
d'ici quelques semaines. Il dépendra alors du bon vouloir de P clos d'accorder ou
non le divorce à sa femme. Je crains que, par vengeance, il n'y consente pas, ou
alors à des conditions très lourdes. Madame G. assume, naturellement, l'opprobre
de « l'abandon par infidélité » et, de ce fait, les « torts » dans la dissolution du
mariage, ainsi que les conséquences qui en découlent (renoncement à la pension
alimentaire, etc.) ; mais Pàlos va tenter d'exiger, en guise de compensation en
quelque sorte, la dot de Madame G. (bien que lui-même ait de la fortune) ; peut-
être sous le prétexte d'obtenir, c'est-à-dire d'assurer cet argent (80 000
couronnes) pour les deux filles. Mais Madame G. ne voudrait évidemment pas
renoncer à ce bien. — Une autre éventualité à prendre en considération, compte
tenu de sa soif de vengeance, serait que Pdlos demande le divorce sur la base de
l'« infidélité » de sa femme (au demeurant, de toute façon, c'est lui qui doit être
la partie plaignante, Madame G. n'a aucun motif légal suffisant pour cela). Il
existe un paragraphe du code civil hongrois, aux termes duquel la femme n'a pas
le droit d'épouser celui avec qui elle a trompé son mari (toutefois, l'application de ce
paragraphe implique probablement le constat légal de l'adultère).
Si Pälos ne le veut pas, on ne peut pas le forcer à divorcer.
Entre-temps, la nouvelle de mon mariage prochain, avec tous les détails
essentiels, est parvenue jusqu'aux coins les plus reculés de Hongrie, pour peu que
des patients y habitent. En premier lieu, bien sûr, aux membres de ma famille
auxquels j'ai aussi peu eu la possibilité d'en parler qu'aux étrangers. Je dois
préserver les apparences jusqu'au dernier moment (jusqu'à l'accomplissement du
divorce). J'ai seulement dû donner des explications à certains patients en cours de
traitement.
Dans quelques jours, notre avocat entreprendra les premières démarches ; nous en
apprendrons alors davantage sur nos perspectives.
En tout cas, j'ai dû préparer Madame G. aux difficultés qui nous attendent;
mais je me suis déclaré prêt à m'engager avec elle dans une union libre, si
l'on ne pouvait faire autrement.
Elma est déjà au courant, et elle nous écrit de façon très compréhensive et affectueuse,
en allant dans notre sens. Même de loin, elle voudrait engager son père au divorce, c'est-
à-dire à une séparation à l'amiable. Sa soeur — d'une nature beaucoup plus « mondaine
» — tremble à l'idée de ce qui va arriver; son mari (mon frère) est certainement aussi un
adversaire acharné. Il est à craindre qu'il aille jusqu'à aider Pälos par des conseils
juridiques.
Depuis que le véritable combat est aussi proche et que les dés sont jetés, je me sens
assuré et bien mieux psychiquement et physiquement. Mes rapports avec Madame G.
ont cette sorte de tendresse qui a marqué les débuts de notre relation.
Avec cela, je pense avoir fait le tour de l'essentiel.
Je suis attendu à dîner chez Madame G., aussi je prends congé de vous,
votre fidèle
Ferenczi
J'ai oublié de mentionner que mon problème de logement n'était toujours pas résolu.
En ce qui concerne Tdtralomnicz, nous devrions en apprendre davantage par Lévy,
la semaine prochaine.

739 Fer
Budapest, le 15 avril 1918
La nuit, vers 1 h moins 1/4

Cher Monsieur le Professeur,


Apprenez, du moins par cette voie, que Madame G. et moi avons bu, ce soir, un verre
de bon vin rouge à votre santé, pour l'achèvement de la révision de l'« Interprétation
des rêves » hongroise.
Le travail de correction a été assez dur ; en échange, je lui dois un nouvel
approfondissement de mes connaissances concernant le rêve et la psychologie de
l'inconscient. L'obligation de recréer, en quelque sorte, par la traduction dans une autre
langue, ce que j'ai lu, liée à la recherche critique des contresens dans la traduction brute
du Dr Hollôs, au demeurant très méritant et consciencieux, m'a permis de prendre
pleinement conscience, pour la première fois, de nombreuses notions cachées du texte.
C'est incroyable, tout ce que vous avez introduit dans la partie psychologique de
l'oeuvre. Tout ce que la `FA a trouvé depuis, on le trouve déjà dans l'Interprétation des
rêves.
Passons maintenant aux choses plus pratiques. — Matlàrhàza a été informé, ou
plutôt, sollicité dans votre sens ; la réponse n'est pas encore arrivée; en revanche,
j'apprends que même les Lévy n'ont pas trouvé d'héberge-
ment à Matlârhàza. J'apprends aussi que cet endroit est assez médiocre à bien des
égards (par exemple, en ce qui concerne la propreté).
Le Dr Freund s'occupe à présent essentiellement du problème de votre logement pour
l'été et de mon logement à l'année. Il est possible qu'il vous obtienne à nouveau vos
anciennes chambres de Csorba. Bien sûr, je viens me rajouter partout. Cette année, je
veux obtenir 2 pleins mois de vacances, comme récompense pour ne m'être pas fait
porter malade depuis un an.
Mon pessimisme dans l'affaire du divorce ne semble pas se vérifier. C'est Pdlos qui a
franchi, dès à présent, les premiers pas vers le divorce. Il semble donc qu'il ne s'agisse plus
désormais que de détails à « négocier » ; manifestement, il n'a rien contre le divorce, en
principe.
Salutations cordiales de
votre Ferenczi
L'affaire Clemenceau-Czernin est très fâcheuse '. Tisza va nous faire passer entièrement
sous le joug de l'Allemagne.

1. Allusion à ce qu'on appelle l'affaire Sixte. (Voir 662 F, note 3.) Ottokar, comte Czernin von und zu
Chudenitz, ministre des Affaires étrangères austro-hongrois, qui n'avait pas connaissance de la lettre
secrète de Sixte à Poincaré, offrant l'Alsace-Lorraine en échange de la paix, déclara, le 2-avril 1918, que
Georges Clemenceau, le Premier ministre français, souhaitait engager des négociations de paix, mais
que celles-ci avaient échoué sur les exigences de la France qui réclamait l'Alsace-Lorraine. En réponse
à cette déclaration, Clemenceau publia la « lettre Sixte », qui ébranla la confiance des Alliés et le crédit
de l'empereur Charles.

740 F
Prof. Dr Freud

le 21 avril 1918
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Chaque petit bout de bonne nouvelle est doublement bienvenu par les temps qui courent,
et donc, aussi, l'information selon laquelle vous aviez fort surestimé les difficultés du divorce.
Je me suis toujours dit qu'une telle affaire se réglerait plus facilement à l'intérieur d'une même
famille qu'entre deux familles séparées et hostiles. Espérons que tout se passera bien
maintenant. Si un été devait nous être accordé — ailleurs que dans le IX' arrondissement —,
la plus belle solution serait assurément d'être avec vous ; le travail sur Lamarck, longtemps
ajourné, pourrait en bénéficier.
En ce qui concerne l'entreprise scientifique, une seule nouvelle: il y a quelques jours, j'ai
remis à Heller les articles qui me restaient encore, réunis en une 4e suite du recueil. Ce
sont plus de 30 articles provenant de la Zeitschrift, d'Imago et du Jahrbuch, augmentés du
Tabou de la virginité et de la grande histoire clinique de mon Russe 1, qui dort depuis 1914,
et
menace de moisir. Peut-être ce volume verra-t-il le jour en même temps que paraîtra
l'Interprétation des rêves en hongrois.
Nouvelles de la maison: Ernst s'efforce, en vain jusqu'à présent, de se faire envoyer
dans un sanatorium; ce qu'il aimerait le mieux, c'est d'aller au soleil, à Abbazia. Anna
a obtenu son examen avec un beau succès, mais aussi avec une angine, une forte
fièvre et juste de l'aspirine ; depuis, elle est bien misérable.
Le Dr Freund passe par une analyse de névrose dans les règles, qui doit en finir avec le
matériel accumulé sa vie durant et rendre son besoin d'aider moins contraignant. De plus,
c'est pour lui une occasion rêvée de se reposer ; rien ne presse A. Une certaine Mlle Lula
Steiner, venue chez moi de votre part, est terriblement intéressante, mais n'a pas encore
été vraiment accrochée — plein de choses à faire et plus vraiment la tête à cela.
Les événements du monde sont définitivement abominables. On ne peut rien
souhaiter qu'une victoire allemande, et celle-ci est 1) très antipathique, 2) toujours
pas vraisemblable.
Je ne peux vous priver de deux des meilleures blagues juives avec lesquelles on se
console ici.
Quel est le contraire de Emmes ? — S.M. * 2.
Un client demande un rôti à la broche chez Tonello. Le voulez-vous avec des oignons?
demande le serveur. Bien sûr, avec quoi d'autre? des épées, peut-être?
L'empereur Charles a toutes les raisons d'encadrer un portrait de Trotski en diamants.
Car la dernière affaire aurait été le signal de la révolution, si Trotski ne l'avait rendue aussi
résolument effrayante.
Je vous salue cordialement, ainsi que Madame Gisela,
votre Freud
A. En allemand, lecture incertaine : Er drängt nicht (Il ne me presse pas) ou Es drängt nicht
(Cela ne presse pas, ou rien ne presse).
* Emmes (M.S.) : mot hébreu, passé dans le yiddish, qui signifie « vérité ». S.M. : Sa
Majesté.
Freud 1918a [1917], «Le tabou de la virginité », La Vie sexuelle, PUF, et 1918b [1914],
« Extrait de l'histoire d'une névrose infantile (L'Homme aux loups) », OEuvres complètes,
XIII, p. 5-118.
Voir t. I, 185 F note 3.

741 Fer
Budapest, le 4 mai 1918

Cher Monsieur le Professeur,


Je vous envoie, ci-joints, trois petits articles.
Les deux premiers (Technique d'une analyse d'hystérie, Névroses du
dimanche) pour le livre qui doit paraître chez Heller, le dernier (Cornélia)
pour la Zeitschrift ou Imago `. Naturellement, je vous prie d'en disposer comme il
vous plaira, au cas où Heller n'en voudrait pas.
Demain (dimanche), je donne lecture, pour l'Association >Irce hongroise, du travail sur la
matérialisation, que je vous remercie de m'avoir fait parvenir. Je vous le renverrai directement
par Sachs.
Je vais admettre quelques nouveaux membres dans l'Association, un certain Dr Pfeifer (avec
un article mica, sur les jeux d'enfants 2), un Dr en médecine, Bàlint (avec un petit travail t4ra
littéraire), le Dr Pärtos, traducteur de « Totem et tabou », et Dick, l'éditeur de la l'A en Hongrie
3.
Hollôs était ici hier, avec sa femme. A la dernière tranche d'analyse avec vous, un peu rude,
il a réagi par une petite dépression et un délire de jalousie que, toutefois, il reconnaît comme
tel et domine. Je lui ai conseillé de faire plutôt une petite postcure chez vous.

Le 5 V. J'ai été dérangé en écrivant ma lettre et ne peux la poursuivre que maintenant.


Aujourd'hui a eu lieu la séance de l'Association psychanalytique ; j'ai raconté le contenu du
travail sur la « matérialisation » et je crois avoir été compris. C'est le Dr Freund qui a été le
plus attentif; il est assez aimable pour emporter les articles à Vienne.
En ce qui concerne les nouvelles scientifiques, encore ceci : un médecin-major de Berlin, le
Dr Hirsch 4, rédacteur des « Archivs für Frauenkunde und Eugenik » (Archives de gynécologie et
d'eugénisme), stimulé par des remarques faites dans l'article sur les « pathonévroses », m'a
invité à écrire deux articles pour ses Archives, l'un sur les psychoses puerpérales, l'autre sur la
génitalité féminine. Je déclinerai le premier car je manque de matériel, mais lui écrirai le second,
à l'occasion.
L'affaire de Madame G. a semblé chancelante pendant un certain temps. Monsieur P.[àlos] s'est
obstiné à dire « non ». Par la suite, il a quand même cédé, à la condition que l'argent de Madame G.
revienne à coup sûr aux deux enfants. Madame G. a accepté, et les négociations entre les deux avocats
semblent suivre leur cours normal. Espérons que tout sera accompli d'ici les vacances d'été. Moi aussi,
je me réjouis d'être avec vous à Csorba ; je pense être physiquement plus robuste et psychiquement
plus performant que l'année dernière.
La mort du pauvre Dr Halberstadt 5 m'a bouleversé. Je l'ai apprise par hasard dans la liste des
pertes de la « Münchener medizinischen Wochenschrift» (Hebdomadaire médical de Munich).
Les Eitingon sont passés par ici hier, et sont restés pour la nuit. E.[itingon] a promis de
venir à la prochaine réunion. Par ailleurs, dans notre hôpital travaille actuellement une
doctoresse de Leipzig, qui est la femme de Thesing, l'agitateur pacifiste de là-bas. J'essaie de
la gagner à l'analyse, mais j'en obtiens beaucoup moins auprès d'elle que, récemment, von
Hattingberg, qui semble lui avoir beaucoup plu personnellement.
Salutations cordiales à tous,
Ferenczi, 1919, 210 (« Difficultés techniques d'une analyse d'hystérie», Psychanalyse, III, p. 17-23)
; 1919, 211 (« Névroses du dimanche », Psychanalyse, II, p. 314-318) ; 1919, 214 (« Cornelia, la mère
des Gracques », Psychanalyse, II, p. 323-326). Tous trois ont paru dans la Zeitschrift.
Voir 675 Fer et la note 4.
Seuls Mano Dick et Zsigmond Pfeifer apparaissent sur la liste des membres du 31
décembre 1918 (Zeitschrift, 1919, 5, p. 59).
Max Hirsch (1877-1948), gynécologue et hygiéniste. Éditeur de l'Archiv für Frauenkunde
und Konstitutionsforschung. Officier de santé au cours de la Première Guerre mondiale.
Créateur de la gynécologie sociale. Sous le régime nazi, il lui était interdit d'exercer la
médecine. Peu avant le début de la Seconde Guerre mondiale, il parvint à s'exiler en
Angleterre.
Le Dr Rudolf Halberstadt, pédiatre, frère du mari de Sophie, Max Halberstadt, est tombé au front.

742 F
Prof. Dr Freud

le 9 mai 1918
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Très réjoui par vos bonnes nouvelles. Une partie de celles-ci me sont confirmées par les
3 travaux que le Dr Fr.[eund] m'a transmis. Ce sont des pièces rares, parfaitement claires
et rigoureuses, preuves d'une complète maîtrise. Le travail qui évoque les équivalents de
l'onanisme fait un bon début, avec un thème important tant du point de vue théorique
que pratique, celui de la thérapie active. Je ne conseillerais la prudence que sur un point,
là où vous parlez (névroses du dimanche) de façon mystérieuse de la conception paléo-
biologique du coït. Le lecteur ne vous en saura pas gré ; il vaut mieux laisser ce point de
côté jusqu'à ce que vous puissiez en livrer plus 1.
En attendant, les travaux reposent dans le carton de Sachs. L'impression demandera
encore un bon moment. Il est trop facile pour Heller de nous retarder. Ainsi, le matériel
de mon 4e tome du recueil est à l'imprimerie depuis 3 semaines. Le seul résultat est
cette nouvelle d'aujourd'hui, que l'impression doit être repoussée sine die, à cause
d'une pénurie de caractères.
J'ai été très intéressé d'apprendre que vous vous réjouissiez de notre rencontre à
Csorbatô. Mais j'aimerais vous demander d'où vous tenez cela. Le Dr Fr.[eund] nous a
raconté la même chose, or nous sommes perplexes car, jusqu'à ce jour, nous n'avons
reçu aucune notification de Csorbatô.
La belle superstition du 62 doit désormais être définitivement abandonnée. On ne
peut vraiment pas se fier au surnaturel 2!
Ernst est parti pour Abbazia, ma belle-soeur pour Reichenhall ; la maison est
très silencieuse, à présent. Mes consultations marchent toujours aussi
fort, probablement jusqu'à la fin de ce mois. Quelques idées intéressantes
me sont venues, mais aucune ^ envie de les élaborer maintenant.
Vous sera-t-il permis, dès juillet, de partager la chambre de Madame G. ? En tout
cas, le tour pris par les choses jusqu'à présent est réjouissant, et l'effet sur vous en
est une incomparable justification.
Je vous salue cordialement,
votre Freud
A. Il n'est pas certain que ce mot soit souligné. Il pourrait aussi s'agir de la barre d'un « t » de la
ligne suivante.
Ce passage ne figure plus dans la version publiée.
Le 6 mai était le soixante-deuxième anniversaire de Freud. (Voir t. I, 99 F ; 519 F et la note 1,
591 F.)

743 Fer
Budapest, le 18 mai 1918

Cher Monsieur le Professeur,


Voilà où en est la question du logement d'été : le commissaire du gouvernement aux
établissements de bains de l'État a fermement promis au Dr Freund de réserver 3
chambres pour vous et 1 pour moi, à Csorba. Il apparaît maintenant que monsieur le
commissaire a fait des réservations imprécises en ce qui concerne le nombre de chambres,
etc. Mais, selon toute probabilité, cela pourra s'arranger.
Le procès en divorce de Madame G. se déroule avec une terrible lenteur; Pàlos et son avocat
font traîner les choses en longueur. Il est donc possible que, cet été, je n'aie pas encore le droit
de partager la chambre de Madame G. De là surgit une nouvelle complication, dont vous
pouvez me sauver, si vous me laissez votre troisième chambre (en cas de nécessité). Si cela ne
peut se faire, Madame G. ou moi-même devrons renoncer à Csorba. J'espère que vous serez
bientôt en mesure de prendre une décision à ce sujet, en d'autres termes que vous serez en
possession de l'accord officiel pour les trois chambres.
Le Dr Freund a mijoté le projet de vous inviter, avec votre famille, dans sa villa de
Köbänya , pour le mois d'août. Car il est probable que personne ne pourra rester à
Csorba plus de 4 semaines. Aujourd'hui, j'étais invité à Köbànya et je peux attester
qu'on met à votre disposition toutes les pièces dont le confort répond à vos désirs; la
villa est située dans un parc agréable et frais. Les conditions de ravitaillement sont
naturellement très bonnes. Mademoiselle Anna pourrait de nouveau passer quelques
semaines du mois d'août à Kdtaj, où ma soeur lui offrirait volontiers l'hospitalité ;
l'invitation officielle arrivera bientôt. Entre-temps, je demande qu'on poursuive les
recherches pour le mois d'août dans deux stations thermales plus petites.
Ces jours-ci, paraissent les nouvelles éditions de mes trois volumes d'articles tjra (en
hongrois) 2. 1 ou 2 semaines plus tard sortira « Totem et tabou » ; en automne (je
l'espère), 1'« Interprétation des rêves » hongroise. Dès maintenant, Dick a déjà 200
personnes qui s'intéressent à cette dernière.
Mon problème de logement n'est toujours pas résolu; mais, maintenant, j'ai
au moins la perspective d'un appartement convenable.
Ces derniers temps, je n'ai travaillé à rien, en dehors des séances. II serait bien que
l'ouvrage sur Lamarck prenne forme cet été de façon tangible. Dans les prochaines
semaines, après un dur combat final, j'espère terminer victorieusement une cure de
trois ans. Ce sera un véritable triomphe de la 'FA.
Salutations cordiales de
votre Ferenczi
Madame G. vous remercie et vous envoie ses salutations en retour.

Voir 675 Fer, note 1, et 753 F, note 3.


Volume I (Ferenczi, 1910, 70), troisième édition en 1918. La deuxième édition des volumes II
(1912, 98) et III (1914, 149) porte la date de 1919, bien qu'ils soient déjà parus fin 1918 (voir 777
Fer).

744 F
Prof. Dr Freud

le 26 mai 1918
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
J'avoue que l'exigence de 3 chambres à Csorbatô tenait déjà compte de l'éventualité que
vous puissiez avoir besoin d'une pièce de plus. A l'époque, je comptais sur la validité de
notre réservation d'une grande et d'une petite chambre. Si cela peut se faire, il va de soi que
nous vous en céderons une, ce qui implique que je renonce de nouveau à la possibilité
d'écrire quelque chose là-bas.
Mais nous n'avons toujours pas l'accord officiel de la direction, nous ne savons pas
quelles chambres nous aurons et ce que coûtera le séjour. S'il se devait agir de 3 petites
chambres dans la maison principale, il nous serait impossible de nous limiter à 2, et
le projet de notre séjour commun à Csorbatô échouerait.
Cette incertitude, et la contrariété d'avoir à quitter les lieux le 1" août, sans point de chute
pour passer le reste du temps, font que nous ne pouvons toujours pas nous considérer comme
hôtes des Tatras. Quant à l'aimable invite du Dr Freund, nous la considérons tous trois
comme inacceptable. Nous nous accrochons donc obstinément à la recherche d'un paradis
autri-
chien dont on ne serait pas expulsé et à date fixe, nous jouons même avec le vieux
projet de ne pas quitter la maison.
Je veux absolument offrir un séjour d'été à Anna, et K6taj me conviendrait tout à fait,
mais elle est fermement résolue à ne pas y accepter l'hospitalité si elle ne peut pas payer
pour cela; et je dois l'approuver. Je voudrais proposer 25 couronnes par jour, mais Anna
pense que votre soeur n'acceptera pas, et alors même cela ne se fera pas.
Reik a tenu, le mercredi 15 (mai), une splendide conférence sur le Kol Nidré', et le
lendemain, il est parti pour le front, sur le Monte Asolone. Espérons que ses intuitions ne
se vérifieront pas, il est dans sa plus belle productivité. Des autres, rien de neuf.
Je vous salue cordialement, dans une de ces humeurs bien accordées à cette
belle époque,
votre Freud
1. Kol Nidré, terme hébreu signifiant voeu, promesse solennelle. Prière prononcée au début de
Yom Kippour (le jour du Grand Pardon), fête juive importante dans laquelle il est question
d'annuler tous les voeux et promesses faits précédemment. La conférence de Reik est indiquée
sous le titre « Études bibliques psychanalytiques, II° partie », dans les Minutes (IV, p. 355). Voir
Theodor Reik, « Le Kol Nidré », Das Ritual. Probleme der Religionspsychologie, Vienne, 1919 (Le Rituel.
Psychanalyse des rites religieux, trad. fr. Michel-François Demet, Paris, Denoël, 1974, p. 184-239).

745 Fer
[Budapest,] le 29 mai 1918

Cher Monsieur le Professeur,


Mon télégramme concernant l'affaire de la troisième chambre à Csorba est parti ce matin
— je n'ai reçu votre lettre à ce sujet que vers midi. Cela vous permet de voir que, même sans
votre lettre, ma demande inconsidérée pesait suffisamment lourd sur ma conscience. Je suis
fermement convaincu que j'obtiendrai très vite une chambre à Csorba ou à M6ry, une fois
sur place; mais ce sera encore plus efficace si je laisse d'abord Madame G. aller à Csorba et
qu'elle m'y procure une chambre. Rien, en aucun cas, ne justifierait qu'à cause de mes
vacances vous ne disposiez pas d'espace pour travailler.
J'attends aussi avec impatience la réponse pour l'arrangement Feketehegy.
L'idée de payer quelque chose pour le séjour d'Annerl à K6taj est si inconcevable pour
nous que je me garderai d'en faire mention devant ma soeur. Il n'est pas exagéré
d'affirmer qu'une telle exigence serait propre à troubler la bonne impression que les
gens de Kétaj gardent de Mademoiselle Anna; telle n'est sûrement pas l'intention
d'Annerl ?
J'ai parcouru rapidement le travail de Tausk sur la machine à influencer'. Je crois
que c'est ce qu'il a écrit de mieux jusqu'à présent. J'attends avec
beaucoup de curiosité la métapsychologie du centre visuel par Pötz12. – En
Hongrie, l'intérêt pour la `PA ne semble pas vouloir retomber. De nouveaux
adeptes apparaissent sans cesse, jusqu'ici inconnus. Le 9 juillet, nous avons
une réunion. Réheim et Jellinek parleront ethnologie s. Le premier a tenu
aujourd'hui, à la Société d'ethnologie, une conférence sur «Ambivalence et la
loi de l'inversion 4 ».
Salutations cordiales de
votre Ferenczi
I. Voir 655 F et la note 4.
Les conférences de Pötzl sur « Traces métapsychologiques dans la disposition spatiale
des centres optiques dans le cerveau », les 5 et 12 juin 1918 à l'Association de Vienne
(Minutes, IV, p. 359-360).
Dans le « Korrespondenzblatt », il n'est fait mention, aux dates du 2 et du 9 juin, que
d'un exposé de Réheim : « Ethnologische Beiträge zur Frage der Endogamie »
(Contributions ethnologiques à la question de l'endogamie), Zeitschrift, 1919, 5, p. 59.
Géza Réheim, « Psychanalyse et ethnologie I, L'ambivalence et la loi de l'inversion »,
Ethnologia, XXIX, 1918, p. 49-90.

746 F
Prof. Dr Freud

le 2 juin 1918
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Je n'envie pas au pauvre ami * Antal ses relations avec Monsieur von Toth. Cet âne
officiel ne sait jamais ce qu'on veut de lui et il est trop paresseux pour se faire
comprendre. Finalement, ce qui en ressort avec certitude, c'est qu'il ne veut nous
donner les 4 chambres à Csorbaté que pour août-septembre. Quelles chambres, et à
quel prix, impossible de le savoir. Ainsi, l'affaire évoquée dans votre télégramme reste
insoluble. Ensuite, la question se pose de ce que l'on fera en juillet. (J'arrête le 1 VII ;
je suis, cette année, franchement fatigué.) Une tentative alléchante pour aller à Velden'
a échoué, et nous n'avons rien d'autre. Le mieux serait de rester à Vienne pendant le
mois de juillet.
Votre projet de Feketehegy présente aussi ses difficultés. Je n'ose amener ma femme dans
un lieu de cure hongrois inconnu, de deuxième ou troisième ordre. Elle peut être facilement
malheureuse à propos de petits riens et manquer d'humour ; voilà, c'est de ce côté que se
trouvent ses insuffisances et, par voie de déplacement, j'en viens à mal supporter qu'elle m'en
rende responsable. Je crois aussi que vous ne pouvez louer là-bas sans aller y voir et sans
expérience personnelle. Donc l'embarras demeure.
J'ai sous les yeux une copie de l'exposé de Pötzl pour le mercredi 5 VI. C'est un homme
remarquable ; en lui sont réunies, pour la première fois, la maîtrise souveraine de
l'appareil clinique et la sensibilité aux idées tira.
Il a compris ce que voulait la MW [Métapsychologie]. Je ne prétends pas que
sa première tentative ait donné un résultat tangible.
Martin et Oh ont annoncé simultanément hier leur participation à
l'offensive imminente. Martin fait ses bagages et part au front. La compagnie
d'Oli a mission de se tenir prête pour le voyage de Stanislau 2, vers l'Italie.
Mon dessin 2 est prêt, très réussi et pas très réjouissant ; je le fais reproduire.
Tausk est très bon, cette fois, mais verbeux, sans le tact de savoir où il faut
interrompre.
Je vous salue cordialement, ainsi que Madame G.
Votre Freud
* Jeu de mots intraduisible entre Freund Antal et l'ami Antal, dont le nom, Freund, signifie « ami », en
allemand.
Localité près du lac Wörther, dans le sud de l'Autriche actuelle.
Ville de Galicie orientale, près de Tysmenitz, lieu de naissance du père de Freud, Jacob.
Un portrait exécuté par Rudolf Kriser, «un patient rendu à l'Art» (Freud/Abraham du 29 mai
1918, Correspondance, op. cit., p. 280). Apparemment, ce dessin a été perdu.
747 Fer
Budapest, le 2 VI A 1918 B

Cher Monsieur le Professeur,


Cette fois, seulement quelques brèves nouvelles.
Avec le courrier d'aujourd'hui, j'envoie à votre adresse, pour Imago, un excellent
travail sur la psychanalyse du jeu d'enfants' de notre membre Sigm.[und] Pfeifer qui,
jusqu'à présent, prospérait en cachette (au front). Il vaut la peine de le lire en entier.
Le Dr Sachs, aussi, va se réjouir de ce nouveau collaborateur.
Hier, mon neveu de Kôtaj 2était ici. Là-bas, on compte avec certitude
sur la visite promise de Mlle Anna.
Le Dr Freund m'apprend vos difficultés concernant le séjour d'été. Mais que
vous alliez à Velden ou ailleurs, vous ne vous débarrasserez pas de nous de
sitôt.
Bien des salutations de votre
Ferenczi
Verte l*
Je viens juste de lire l'Anti-psychanalyse de E. Wolfram s, plein de
steinérismes 4. Puis un livre intéressant de O. A. H. Schmitz (Le Crépuscule de
l'humanité, paru chez G. Müller à Munich) B. J'ai l'impression que les gens
veulent se réfugier maintenant dans un brahmanisme, une sorte d'auto-
divinisation supérieure, pour échapper aux connaissances désespérantes,
pour le moi rabaissantes, apportées par la `PA.
Dans le manuscrit, 2 VII. Cependant, il doit s'agir de juin, car Ferenczi, dans sa lettre 750,
s'informe de la réaction de Freud à l'article de Pfeifer.
Date et lieu à la fin de la lettre.
* En latin dans le texte : TSVP.
Voir 675 Fer et la note 4.
L'un des deux fils d'Ilona Ferenczi et J6zsef Zoltàn, Bertalan ou Gyula.
Elise Wolfram (1868- ?), Gegen Psycho-Analyse, Imagination : Zerrbild und Angesicht (Contre la
psychanalyse, imagination: caricature et aspect), Leipzig, Altmann, 1918.
C'est-à-dire s'appuyant sur les théories de Rudolf Steiner (1861-1925), fondateur de
l'anthroposophie. La doctrine anthroposophique, fortement marquée par les idées de Goethe,
s'efforce de créer un lien entre la spiritualité dans l'homme et la spiritualité dans l'univers. Elle a eu
des prolongements pédagogiques, esthétiques et médicaux.
Oscar A. Schmitz (1873-1931) : Menschheitsdämmerung, Märchenhafte Geschichten (Le crépuscule de
l'humanité, histoires fabuleuses), Munich, 1917. Voir 646 F et la note 3.

748 Fer
[Budapest, sans date] A

Cher Monsieur le Professeur,


Je dois avouer que, moi non plus, je n'aimerais pas porter la responsabilité du
mécontentement de quelques semaines, éventuellement pénibles, à Feketehegy;
aussi vais-je ajouter à mon télégramme' d'aujourd'hui les informations sur
Feketehegy dont je dispose actuellement: c'est, en effet, une toute petite ville
d'eaux – merveilleusement située, il est vrai (à environ 700 m d'altitude), au milieu
de forêts somptueuses – mais la nourriture et les chambres étaient, jusqu'ici,
médiocres. Cette année, une banque a repris la gestion de l'établissement, et on
peut en attendre des transformations favorables. On y trouve l'eau courante, des
installations de bains et une très bonne eau de boisson. Pour votre chambre, ils
promettent la lumière électrique. Sinon, en général, éclairage au pétrole.
C'est tout ce que j'ai pu apprendre. Si, sur la base de cette lettre, vous vouliez
changer quelque chose à la réponse que je vous ai demandée par télégramme,
je vous prie d'envoyer immédiatement un autre télégramme. Je réserverai ma
réponse à Feketehegy jusqu'au 8 VI, 6 heures de l'après-midi.
En vous saluant cordialement,
Ferenczi
N.B. Pour juillet, seules les chambres qui vous sont destinées sont disponibles à
partir du 1" ; je ne pourrai vous rejoindre que le 12.
A. Réponse à la lettre de Freud du 2 VI (746 F). 1. Non
retrouvé.
749 F
Prof. Dr Freud

le 11 juin 1918
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
J'ai signé aujourd'hui le contrat qui nous lie à Csorbatô à partir du lei août.
Quand même un petit succès ! Nos chambres seront celles que nous avions
réservées l'an dernier, si bien que vous pouvez prendre sans regrets la
troisième qui reste dans le [Pavillon] Augusta (no 20, 8 + 24 couronnes). Ma
femme et ma fille vont habiter le splendide salon avec véranda, moi j'occuperai
la pièce à côté. Pour juillet, il n'y a rien de sûr; ma femme ne veut absolument
pas rester à Vienne ; Anna acceptera de toute façon l'invitation à Steinbruch,
nous-mêmes irons soit à Schwerin, soit ailleurs. Il semble très improbable que
nous obtenions les 2 chambres dans le bâtiment principal, en juillet; en aucun
cas nous ne pourrions vous en céder une. Si nous n'en avions qu'une, même
pour deux d'entre nous, l'existence ne serait pas très enviable ; nous serions
alors amenés à refuser.
Ma mauvaise humeur (rage contenue contre le monde) et ma fatigue ont,
entre-temps, atteint leur point culminant. Rien, absolument rien ne bouge, si
bien que je peux m'épargner de donner de plus amples nouvelles.
Demain a lieu le deuxième exposé de Pötzl, dernier de la saison. Le 29 de
ce mois, je chasse tous les patients.
Je ne sais rien depuis longtemps de l'état de vos affaires.
Salutations cordiales, votre
Freud
750 Fer
B.[uda]p.[est], le 14 juin 1918

Cher Monsieur le Professeur,


Je suis heureux que le problème du logement soit réglé, du moins pour
août. Je n'ai encore aucune nouvelle de la 4e chambre. Peut-être pouvez-vous,
à l'occasion, en faire part au Dr von Freund que je vais d'ailleurs informer,
dès réception de l'accord de Csorba.
Il serait très bien aussi, naturellement, que vous obteniez des chambres pour
juillet ; mais cela ne me paraît guère probable. – Je note toutefois que le séjour à
Köb tnya n'entre aucunement dans vos projets ; jusqu'à présent, j'avais d'autres
informations du Dr Freund ; et je suis peiné à l'idée de renoncer à
la rencontre de juillet.
En ce qui concerne mes propres affaires, brièvement ceci : la procédure de
divorce semble enfin suivre la voie normale. Si l'expérience ne m'avait rendu
méfiant, je dirais que le mariage aura lieu dans 5 ou 6 semaines. En même
temps, le Dr Pälos lance de mystérieuses remarques sur la Némésis au service
de laquelle il entend désormais se consacrer.
Sur le plan de la santé (physique et psychique), je ne peux rien dire de fâcheux en ce
qui me concerne.
Au sujet de notre association, vous êtes certainement bien informé par le Dr Freund.
La lettre ci-jointe de la Suédoise cinglée nous apporte d'intéressants
aperçus sur les méthodes de traitement du Dr Groddeck. Ce doit être un
homme singulièrement dépourvu de sens critique s'il met une patiente telle que
cette Suédoise au courant de la correspondance avec vous. Finalement, il me
paraît de plus en plus vraisemblable que Groddeck ne guérit pas du tout avec
l'analyse, mais qu'il met, avec l'aide du transfert, la force plastique de l'hystérie
au service de la tendance organique à la guérison. C'est justement parce qu'il
n'analyse pas, mais déplace les tendances en bloc *, qu'il peut réaliser de tels
tours de force. – Dois-je amener la Suédoise à en dire plus?
Pour ce qui est de mon appartement d'hiver, les choses vont beaucoup plus
mal que pour l'appartement d'été. Jusqu'ici, rien que des déceptions.
Votre rage contre le monde, je ne la comprends que trop bien.
Votre Ferenczi

Comment trouvez-vous l'article de Pfeifer, ou : qu'en dit le Dr Sachs A?

A. Au verso de la dernière feuille, il y a, au crayon, d'une autre écriture (probablement celle


de Freud), la note suivante: 12 h. Prinz Eugen 34, Goldschläger.
* En français dans le texte.
1. Non retrouvée.

751 F
Prof. Dr Freud

le 18 juin 1918
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
L'affaire de cet été a trouvé une solution qui vous conviendra bien, sans
doute, car elle nous promet un maximum de temps à passer ensemble. Je
pars avec Anna, le 5 VII au matin (en bateau) pour Steinbruch, comme hôte de
von Freund, c'est-à-dire de sa soeur Lévy ; pendant ce temps, ma femme se rend
à Schwerin, où Sophie souhaite sa présence de façon pressante. Je m'abstiens
de faire des projets concernant un séjour si proche de Budapest; tout devrait
s'arranger. Espérons qu'il n'y aura pas de perturbations trop graves. Martin
participe à l'offensive sur la Piave', et cette fois c'est vraiment dur. Oh vient, juste
aujourd'hui, de traverser Fiume ; il ne sait pas encore si son chemin se poursuit
vers la Dalmatie ou vers l'Albanie. Ernst est rentré hier d'Abbazia, noir comme
du café, mais pas débarrassé de son catarrhe, et il veut continuer à se battre.
Ma mère, âgée de 83 ans, est à Ischl.
Parmi les petits travaux prévus pour Steinbruch, il y a aussi la rédaction de la cinquième
édition de l'Interprétation des rêves, qui vient d'être commandée par Deuticke 2. Je ne peux
emporter la littérature sur Lamarck-Darwin, en raison des difficultés de transport. Ce n'est
d'ailleurs pas à cela que vous devez occuper votre lune de miel.
Ci-joint les lettres suédoises. Je n'interrogerais pas cette personne plus avant ; c'est
vraiment une source trop trouble. Le travail de Pfeifer a également mon approbation.
Mais en ce qui concerne le jeu d'enfants au sens plus large, il y a quelque chose d'autre,
de plus général à dire.
Le Dr Freund montre à présent de l'intérêt pour nos affaires d'édition et d'impression,
ce qui peut avoir des suites pratiques bénéfiques. Il est très curieux de voir comment
cela se rattache à son traitement.
Je vous salue cordialement et j'espère que les prochaines 5 à 6 semaines
passeront rapidement pour Madame G.
Votre Freud
Reçu quand même la lettre d'Elma ?

La dernière grande offensive de la monarchie austro-hongroise contre l'Italie. Après les batailles
particulièrement meurtrières de l'Isonzo, les troupes austro-hungaro-allemandes progressèrent, au cours
de novembre 1917, jusqu'à la Piave. Le 15 juin, elles passèrent le fleuve mais, le 20, durent faire à nouveau
retraite; le 25 juin, les troupes austro-hongroises étaient revenues à leur point de départ.
La cinquième édition parut en 1919 chez Deuticke, comme la quatrième, avec des
contributions d'Otto Rank.

Budapest, le 26 juin 1918 A

Cher Monsieur le Professeur,


La situation épouvantable en ville et dans le pays m'a presque gâché le plaisir que
m'a donné la nouvelle de votre séjour * à Budapest. Peu à peu, l'ordre revient quand
même ici, de sorte que cet état de choses ne peut
représenter un obstacle à votre venue. Savez-vous déjà quelque chose de votre Martin ?
Durant ces jours d'horreur, j'ai dû penser à lui d'innombrables fois. Je peux aussi fort bien
m'imaginer ce que vous ressentez !
Le temps est d'une fraîcheur automnale – même le yankee d'autrefois aurait préféré
maintenant Budapest à la Suisse. J'espère que l'été nous réserve toute la chaleur pour le
séjour à Csorba.
En juillet, je ne travaillerai qu'au ralenti, afin d'être plus souvent avec vous. Je suis heureux
d'apprendre qu'Ernst aussi vient à Budapest.
En ce qui concerne votre programme, nous peaufinerons les projets sur place. D'agréables
promenades aux environs de Budapest devront y avoir une part importante ; un bon
restaurant devra toujours servir de but à nos excursions. – En ce moment, je pense souvent
à la « lune de miel » lors de notre rencontre, il y ajuste 10 ans, à Berchtesgaden. Entre-temps,
bien des changements se sont produits en moi – le plus récent devrait me rendre cette liberté
intérieure qui, à Palerme encore, me faisait défaut.
La littérature Lamarck-Darwin, nous pourrions également la rassembler dans les bibliothèques
d'ici. J'aimerais, moi aussi, collaborer à laVe édition de l'« Interprétation des rêves », pour porter la
traduction hongroise au niveau de celle-ci.
De mon côté, je livrerai deux-trois petits articles au cours de cet été.
J'apprends à l'instant de Kétaj qu'aucune réponse n'est arrivée, à ce jour, de Mlle Anna. La
lettre de ma soeur se serait-elle perdue?
Je ne sais rien encore des projets du Dr Freund concernant la littérature tfra. J'espère que
j'en apprendrai bientôt davantage.
Nous devrions inclure dans les projets de Budapest-Csorba la visite de Rank, comme un des
points du programme.
Madame G. et sa soeur Charlotte 2 se réjouissent beaucoup de vous voir ici, et échafaudent
toutes sortes de plans.
Avec mes salutations cordiales,
votre Ferenczi
A. Lieu et date à la fin de la lettre.
* En français dans le texte.
Allusion à l'agitation révolutionnaire qui a également gagné la Hongrie. 18 janvier : grève d'un demi-
million d'ouvriers, stoppée par la répression; 20 mai: révolte d'unités militaires à Pécs ; 20 juin: série de
grèves entraînant une intervention de l'armée; en réaction, une grève générale qui dura neuf jours et prit
fin après l'intervention du Parti social-démocrate. La revendication principale de ces grèves et
manifestations était l'arrêt des combats.
Charlotte ou Sarolta, Mme Morando.
1918 321

753 F
Prof. Dr Freud

le 29 juin 1918
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
J'ai achevé mon travail il y a quelques heures. Je ne suis pas encore assez libre pour
éprouver le sentiment bienheureux d'un « Hans im Glück 1». Mais cela viendra.
Pendant 8 jours, nous n'avons eu aucune nouvelle de Martin. Comme nous savions qu'il
participait à l'offensive, nous nous faisions du mauvais sang, et j'ai ressenti de l'angoisse
à son sujet, de façon plus torturante que de coutume, en fait, pour la première fois peut-
être de façon vraiment torturante ; j'ai même rejeté les apaisements évidents tels que :
l'artillerie lourde n'a pas encore traversé le fleuve. L'analyse m'a montré ensuite la
contribution névrotique soupçonnée. Il y avait malgré tout là-dedans de l'envie à l'égard
des fils, dont je n'avais rien perçu par ailleurs, et c'était l'envie de leur jeunesse. Hier, une
autre carte verte est arrivée enfin 2. Oli, qui est, lui aussi, sur la Piave, n'y était pas encore
lors de ces journées critiques.
Quant à juillet à Budapest, j'espère qu'il ne sera pas plus chaud que juin. Sinon, il est
à craindre que je ne le supporte absolument pas. En ce cas extrême, je devrais fuir Dieu
seul sait où. Mes projets de travail sont beaucoup plus modestes que les vôtres. Hormis
l'Interprétation des rêves, il n'y a rien de fixe. Je compte trouver les secours littéraires à
cet effet dans la bibliothèque du Dr Fr.[eund]. Lorsque j'aurai repris la conscience de moi-
même, je crois qu'une formidable fatigue apparaîtra.
L'analyse avec notre hôte était très intéressante. Comme elle a pour but le
remaniement d'un être humain, elle peut se poursuivre au-delà de la disparition des
symptômes. Quant à ses intentions de porter secours à la 'l'A, il vous les développera
lui-même. De toute façon, j'espère que cela aboutira à une vengeance contre Heller,
longuement désirée.
Annerl est en bonne forme, cette année, et fera certainement plaisir à tout le monde à
Budapest A. Nous partons le vendredi 5 au matin, probablement en bateau. Ma femme
entreprendra, le lundi suivant, l'aventure d'un voyage à Schwerin 3.
Dites à Madame Gisela combien je me réjouis de la revoir enfin libre. Mes
salutations les plus cordiales,
votre Freud
A. Incertitude dans l'original sur wird Freude machen (fera plaisir) et wird Freunde machen (se fera
des amis).
Traduit en français par«Jeannot la Chance» (conte des frères Grimm).
Quelques jours plus tard, le 2 juillet, Martin revint de la Piave, en permission.
D'après les notes sur le calendrier de Freud (LOC), lui et Anna se rendirent d'abord à Köbànya
(Steinbruch en allemand), faubourg de Budapest, le 8 juillet, où ils résidèrent dans la villa de von
Freund (voir 743 Fer, note 1). Le 1" août, Freud partit, sans Anna, pour le lac Csorba, où il retrouva
sa femme. Le 11, Anna qui était restée à Budapest, d'abord chez von Freund, ensuite chez le couple
Lévy, vint les rejoindre. Le 4 septembre, Freud se rendit à Lomnicz et le 25 à Budapest, au V' congrès
international de psychanalyse (28-29 septembre 1918). Voir aussi les souvenirs de Kata Lévy-Freund
concernant ce séjour: « Dernières vacances avant la fin du monde », Le Coq-Héron, 1990, 117, p. 39-
44.

754 Fer
Budapest, le 10 septembre 1918

Cher Monsieur le Professeur,


La lenteur et la perspective toujours remise en question d'une réponse favorable à la
demande adressée au Dr Frisch, au ministère de la Guerre, ont, de toute façon,
compromis la possibilité de tenir notre congrès 1. Lorsque j'ai proposé que le congrès ait
lieu à Budapest, il est apparu que je n'avais fait que formuler le voeu secret de Rank et
du Dr Freund. Là-dessus, nous avons décidé, « en petit comité * », d'agir sous notre
propre responsabilité ; nous avons télégraphié « à tous ceux » que cela concerne et avons
commencé les préparatifs du « Congrès de psychanalyse à Budapest ». Demander votre
avis aurait pris beaucoup de temps ; et puis, nous savions que, dans de telles affaires,
vous répondez volontiers : « Je reste passif ! » – Nous avons fait parvenir des informations
télégr.[aphiques] à Mlle Annerl sur cette évolution.
La collaboration avec Rank et le Dr Freund semble très bien marcher. La bonne
volonté et l'énergie du premier A ainsi que l'ingéniosité et le savoir-faire de Rank se
complètent parfaitement. – J'espère maintenant pouvoir les rencontrer souvent tous
les deux. – Demain soir, Rank est mon invité à l'hôtel, nous sommes reçus à dîner par
Madame Palos.
Les derniers jours à Csorbat6 étaient très beaux, le temps splendide. En chemin,
nous avons encore rencontré Ernst à Széplak 2.
J'apprends que vous êtes installés confortablement à Lomnicz. Peut-être septembre vous
offrira-t-il les beaux jours que nous avons vainement attendus en août. – J'espère que vous et
Madame Freud prolongerez de quelques jours votre séjour à Budapest.
Cordiales salutations de moi-même et de Madame Palos à tous les habitants de la
villa Vidor 9 !
Votre Ferenczi
* En français dans le texte.
A l'origine, le congrès aurait dû se tenir à Breslau.
Széplak : village situé près de Tätralomnic, dans le comté de Szepes.
La villa d'Emil et Regine Vidor, une soeur d'Anton von Freund.

755 F
Prof. Dr Freud

Lomnitz, le 13 septembre 1918


Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Je suis maintenant au courant de tout. Je réponds à votre lettre en toute hâte pour
qu'elle puisse partir avec le courrier.
Le changement en ce qui concerne le congrès est à tous égards favorable, sauf l'éventualité
que nous ne puissions avoir les Allemands. On verra bien. Je tiens la présence de Rank à
Budapest pour une très bonne chose.
Notre séjour ici dépendra, a) du temps, qui est exécrable, b) du Dr Lévy dont l'arrivée
est incertaine ; quoi qu'il en soit, nous voulons aussi nous arrêter à Budapest et être à
Vienne vers le 20-22.
La fin des vacances s'annonce chez moi. Aujourd'hui, inopinément, une « idée » relative à
nos fantaisies lamarckiennes, la première impulsion du genre depuis 2 mois.
Adieu, portez-vous bien en attendant de nous revoir prochainement et saluez très
cordialement de ma part votre chère Madame Gisela, anciennement Pàlos.
Votre Freud

756 Fer
Budapest, le 13 septembre 1918

Cher Monsieur le Professeur,


Rank, le Dr Freund et moi-même sommes très mal à l'aise, car votre accord pour notre
action — énergique, il est vrai — n'est toujours pas arrivé. Vous comprendrez, je l'espère, que
nous ne pouvions guère agir autrement, car sans cela la tenue du congrès eût été de toute
façon compromise. Le Dr Sachs, malgré de multiples demandes au ministère de la Guerre,
ne nous a rien apporté de positif, et il n'est même pas certain que nous — les
médecins militaires — soyons autorisés à nous absenter. — Le Dr Freund a aussi
cité votre propos — il est vrai, humoristique — (il le tient de Mlle Anna), que vous
espériez rester à Lomnicz jusqu'à la fin septembre, au cas où le congrès de Breslau
n'aurait pas lieu.
Rassurez-nous, je vous prie, par retour du courrier et informez-nous de vos
projets de voyage.
Cordiales salutations de votre
Ferenczi
Madame Pälos envoie ses civilités les plus cordiales.

757 Fer
[Budapest,] le 14 septembre [1918] A

Cher Monsieur le Professeur,


J'écris en toute hâte, depuis la Caisse de Maladie, pour atteindre le Dr Lévy avant
son départ.
Au fond, je n'ai rien à vous dire, sauf que les préparatifs du congrès
suivent leur cours. Sachs arrive aussi aujourd'hui, de sorte que les 4/6e du comité
sont réunis.
Salutations très cordiales !
Ferenczi

A. La date (sans mention de lieu ni d'année, laquelle est déterminée par l'allusion aux
préparatifs du congrès) est écrite à la main, à la fin de la lettre.
758 F
Prof. Dr Freud

T. Lomnicz
le 17 septembre 1918
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Vous devriez maintenant être rassuré sur le fait que le déplacement du congrès ne
m'a pas du tout déplu. Le petit bout de déception que vous aviez deviné se rapporte à
l'abandon du voyage à Schwerin, devenu impossible pour d'autres raisons.
Ma seule réserve portait sur le fait que nous allions être privés des Allemands et
qu'alors le pauvre Abraham ne tirerait même pas de sa présidence le bénéfice de diriger
le congrès. Mais Freund m'a rassuré à cet égard ; selon ses renseignements, les visites
hors des frontières de l'Empire seront plutôt facilitées.
Les indices selon lesquels vous voudriez que le congrès se déroule dans une atmosphère
de solennité officielle me sont moins sympathiques. En tout cas, je n'y contribuerai en rien
et resterai, durant tous les discours, réceptions, etc., entièrement «passif». Je vous demande
aussi d'agir sur le Dr Freund pour qu'il réfrène ses penchants à la trop généreuse
hospitalité. Il s'attirerait ainsi, de la part des participants, la réaction même qu'il a de
bonnes raisons de vouloir éviter.
J'espère pouvoir encore ajouter à cette lettre la date de notre arrivée à Budapest et
la durée de notre séjour. Vos pêches étaient sublimes et méritent des remerciements
tout particuliers.
Salutations cordiales pour vous et Madame Gisela,
votre Freud
Post-scriptum : Je ne sais toujours pas quand nous pourrons arriver à Budapest. Si
nous n'obtenons pas de wagon-lit, nous partirons le vendredi 20 au matin. Le Dr Lévy
veut absolument que vous nous reteniez une chambre au Bristol, ou dans un autre
hôtel du bord du Danube, plutôt qu'au Royal. Si notre voyage s'arrange quand même
autrement, j'essaierai de donner des nouvelles, à vous ou à Steinbruch. Le télégraphe,
malheureusement, est totalement défaillant'.

1. Le 25 septembre, Freud se rendit de Lomnicz à Budapest pour le V' congrès international de


psychanalyse (28-29 septembre 1918), au cours duquel Ferenczi fut élu président et von Freund
secrétaire de l'Association psychanalytique internationale. Freud fit un exposé sur « Wege der
psychoanalytischen Therapie » (Freud, 1919a, « Les voies nouvelles de la thérapeutique
psychanalytique », trad. A. Berman, La Technique psychanalytique, op. cit., p. 131-141),
1918 327

Ferenczi sur « La psychanalyse des névroses de guerre » (Ferenczi, 1919, 218, Psychanalyse, III,
p. 27-43). Voir les présentations dans Jones (Jones, II, p. 210-212), Clark (Freud, op. cit., p.
387-389), Gay (Freud, une vie, op. cit., p. 431-432, p. 530) et le rapport sur le congrès dans la
Zeitschrift (1919, 5, p. 52-57). En ce qui concerne la fondation de von Freund, utilisée pour la
création de l'Internationaler Psychoanalytischer Verlag et des prix décernés pour des travaux
psychanalytiques de premier plan, voir Freud, 1919c : Internationaler psychoanalytischer Verlag und
Preiszuteilungen für psychoanalytische Arbeiten (G.W., 12, 333), « Mise au concours d'un prix », trad.
P. Cotet, OEuvres complètes, XVI, p. 251-254.
759 F
Prof. Dr Freud

le 30 septembre 1918
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Dès mon retour, au seuil d'une nouvelle année de travail, je ne peux
manquer de vous remercier pour toutes les preuves d'amitié cordiale de ces
derniers jours et de vous féliciter pour le beau succès du congrès auquel
vous avez pris une si grande part, ainsi que pour votre élection. Rappelez-
vous les paroles prophétiques que je vous ai dites avant le premier congrès
de Salzbourg, à savoir que nous avions de grands desseins en ce qui vous
concerne.
Je nage dans la satisfaction, j'ai le cœur léger, car je sais que
l'enfantde-tous-mes-soucis, l'oeuvre de ma vie, sera protégé par l'intérêt
que vous et d'autres y prenez, et ainsi préservé pour l'avenir. Je verrai
advenir des temps meilleurs, ne fût-ce que de loin.
Consolidez maintenant votre amitié avec l'homme que nous a envoyé la
Providence au bon moment, et avec Rank, qui ne peut être remplacé par
personne, et laissez-moi jouir de la satisfaction d'observer comme les plus
jeunes font bien ce que la force et l'âge des anciens n'ont pu accomplir.
A Budapest, peu de possibilités étaient offertes pour des échanges d'idées
d'ordre privé. On était beaucoup trop sollicité. Ceci, pour justifier ces
manifestations d'affect, après coup.
Je viens de trouver ici une lettre dans laquelle Karger réclame la 6e édition
de la Vie quotidienne'.
Voulez-vous faire parvenir les lignes ci-jointes à Sachs 2, dont je ne connais
pas la nouvelle adresse.
Je vous salue cordialement,
votre Freud
Freud, 1901b, sixième édition, Berlin, 1919.
Le matin même où débutait le congrès, Sachs avait fait une grave hémorragie pulmonaire qui
entraîna son hospitalisation à Budapest. Il dut finalement effectuer un séjour assez long
dans un sanatorium de Davos où il se rétablit de la tuberculose. Voir Jones, II, p. 212.
760 Fer
Budapest, le 4 octobre 1918

Cher Monsieur le Professeur,


C'est hier seulement que j'ai eu votre lettre datée du 30 IX ; en même temps est
arrivée la lettre adressée à Gizella. Elle m'apprend qu'elle a déjà répondu et a dissipé
le soupçon d'avoir été offensée. En effet, nous étions convenus, le dernier soir, que
nous, les « membres du comité », allions manger ensemble. Il ne m'a plus été possible
de vous mettre au courant du changement de ce projet.
Je ne peux, moi aussi, vous rapporter que des choses agréables concernant mes affects
pendant ces derniers jours. Le sol sur lequel nous nous retrouverons certainement toujours
est bien celui de la science. Dans sa lumière, tout brouillard se dissipe, de même que les
petites susceptibilités ridicules des mois d'été. La seule chose qui m'ait probablement déçu
cet été est que le travail prévu en commun n'ait pu se faire. La réplique, donc, de l'incident de
Palerme !
En fait, le congrès a été un succès. Le mérite de tout l'apparat ne me revient pas, il
est exclusivement l'oeuvre du Dr Freund. Nous avons eri lui un chef d'état-major très
efficace.
Le jour suivant votre départ, les journaux ont encore beaucoup parlé de nous ; je laisse
au Dr Freund le soin de traduire en allemand un croquis * de vous, fumant à l'Académie 1.
Mercredi, j'ai été réveillé aux aurores par une entreprise cinématographique, qui voulait
acquérir votre portrait pour la série « Événements de la semaine ».
Je crois que nous allons bien nous entendre avec le Dr Freund. Il est vrai que, pour
le moment, il semble s'être précipité sur ses obligations commerciales, sérieusement
négligées; c'est un signe qu'il va quand même bien réfléchir avant d'abandonner une
position aussi puissante dans la vie des affaires.
Il semble que nous ayons beaucoup impressionné les médecins de Budapest. On me
félicite de tous côtés. Mais je dois avouer que ces honneurs ne m'ont pas rendu plus
fier; ils n'ont fait que fortifier en moi la conscience du devoir.
Vos idées quelque peu mélancoliques concernant l'observation des événements « de
loin », je les connais depuis le voyage en Amérique, où vous vouliez abdiquer en faveur
de Jung. Songez seulement à ce que vous avez accompli depuis !
Le début d'effondrement de notre vieux monde politique, notamment celui du Globus
Hungaricus **, blesse très sensiblement notre narcissisme. Il est bon d'avoir, à côté de son
moi hongrois, un moi juif et psychanalytique aussi, que ces événements n'atteignent pas.
Donc, bonne chance pour la nouvelle année de travail ! Et n'oubliez pas que je n'ai
jamais cessé et ne cesserai jamais d'être au service de votre personne et de votre
cause.
Salutations à vous tous de votre
Ferenczi

* En français dans le texte.


** En latin dans le texte: le monde hongrois.
I. Dezsö Kosztolànyi, « Freud szivarja », in Tollrajzok, karcolatok (Dessins à la plume, esquisses), 1918 ;
trad. fr. Sophie Képès : « Le cigare de Freud », in Michelle Moreau-Ricaud (éd.), Cure d'ennui, écrivains
hongrois autour de Sdndor Ferenczi, Paris, Gallimard, 1992, p. 78-81.

B.[uda]pest, le 8 octobre 1918

Cher Monsieur le Professeur,


Avant-hier, j'ai eu un appel téléphonique du chef du service sanitaire du
commandement militaire de Budapest, le médecin-major qui a assisté au congrès `. Il m'a
dit qu'il avait terminé son rapport au ministère de la Guerre, dans lequel il recommande
l'établissement d'une antenne >Ira à Budapest. Il m'a invité à faire des propositions pour
ce projet. Je lui ai répondu : nous devrions d'abord avoir une petite antenne
expérimentale pour une trentaine de malades. A sa demande, j'ai alors accepté, en
principe, la direction de celle-ci, mais signalé aussitôt que j'avais absolument besoin d'un
assistant compétent en la matière. J'ai nommé Eitingon et Hollôs. Il a fait des difficultés et
il insiste pour que je me trouve un assistant à Budapest. Aujourd'hui, nous sommes allés
voir (le Dr Freund, Lévy et moi) le chef du service sanitaire, mais il n'était pas à Budapest.
J'ai clairement exposé mon point de vue à son suppléant, le médecin-major, et j'ai
énergiquement souligné la nécessité d'engager comme assistant l'un des susnommés. –
Le Dr Lévy a promis de s'adresser directement, pour cette affaire, au chef du service
sanitaire à Vienne.
Voilà des soucis dont nous n'aurions osé rêver auparavant. La question : Eitingon ou
Hollôs ? – si la décision dépend de moi, je devrai, de toute façon, la trancher au détriment
de Hollôs. A moins que nous n'arrivions à les avoir tous les deux. Eitingon obtient de
brillants résultats avec l'hypnose. Il devrait seulement y ajouter encore la catharsis. –
Pour ma part, je vais me consacrer à l'analyse pure, non hypnotique. Ce sera une étude
préliminaire intéressante pour l'établissement tua civilprojeté.
Aujourd'hui, nous avons eu avec le Dr Freund une conférence de plusieurs heures
sur toutes les affaires courantes. Entre autres, nous nous sommes informés auprès du
directeur général d'une grande maison d'édition sur la situation du commerce et de
l'édition de livres.
Je rends souvent visite au Dr Sachs. Il va déjà tout à fait bien. Le Dr Lévy
pense que, dès lundi, il pourra voyager.
Je fais ici officiellement la proposition d'utiliser, pour couvrir les frais de maladie et
de convalescence du Dr Sachs, les 10 000 couronnes correspondant aux intérêts déjà
produits par le fonds littéraire pour cette année. Le Dr Freund est tout à fait d'accord. Si
vous l'êtes aussi, la somme sera versée au Dr Sachs, sur votre ordre, ici même, à
Budapest.
Salutations cordiales de votre
Ferenczi
1. Un certain Dr Adalbert Pausz (Kurt Eissler, Freud und Wagner-Jauregg vor der Kommission zur
Erhebung militärischer Pflichtverletzungen [Freud et Wagner-Jauregg devant la commission de réforme
militaire], Vienne 1979, p. 276).

762 F
Prof. Dr Freud

le 11 octobre 1918
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Votre proposition de verser au Dr Sachs 10 000 couronnes comme contribution à
ses frais de maladie a mon assentiment sans réserves. La première fois qu'à Budapest
j'ai reparlé à Freund, je lui ai demandé si subvenir aux besoins de ceux qui sont
précieux pour la `PA ne devrait pas aussi faire partie des attributions du fonds, et il a
répondu par l'affirmative. Je ne savais pas, alors, que le premier cas se présenterait si
vite.
Je ne vois pas clairement quelles pourraient être les modalités de prélèvement, car le
fonds n'existe pas encore et le droit d'en disposer ne m'a pas encore été transféré. Je
crois que nous devrions laisser Freund en décider. Il est peut-être préférable de prélever
cette somme sur le capital ; en aucun cas ce don ne devrait retarder la fondation du
Verlag, car il y a urgence. Heller, comme je vous l'ai déjà écrit, s'est entièrement fait à
l'idée de céder les deux revues. Il ne devrait pas y avoir, maintenant, une trop longue
interruption de notre côté. Heller m'a aussi laissé entendre récemment que l'Office du
Papier d'ici pourrait ne pas autoriser l'exportation vers la Hongrie de papier pour Imago.
J'approuve hautement votre obstination à ne vous déclarer satisfait que si vous avez 1
ou 2 assistants éprouvés pour l'antenne lima. Si on vous impose Gonda 1 ou quelque autre
personne extérieure, vous êtes perdu ; vous ne devez pas céder. A Budapest, on ne pourra
guère se passer de la connaissance de la langue hongroise. Le mieux serait Hollôs et
Eitingon !
La consultation, ici, est encore déserte, sans intérêt. La sourde tension avec laquelle
tous attendent la décomposition imminente de l'État autri-
chien est peut-être un facteur défavorable. Je ne peux réprimer la
satisfaction que me procure cette issue.
Anna, Ernst et Mathilde sont sur le point de se remettre de leur
grippe espagnole. Oli aussi en a souffert 2 ; de Martin, aucune nouvelle.
Salutations cordiales, votre
Freud
P.S. Hier, demande a été faite pour une traduction danoisedes Cinq Leçons 3.

Voir 710 Fer et la note 1.


« 7.10. Grippe : Anna Ernst Math Oli » (notes sur le calendrier de Freud, LOC). La grippe espagnole
qui sévissait dans toute l'Europe avait atteint l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie en juillet et s'était
rapidement répandue. Le 6 octobre, toutes les écoles de Vienne furent fermées à cause de l'épidémie.
Freud, 1910a [1909], trad. O. Gelsted, Copenhague, 1920.

763 Fer
Budapest, le 12 octobre 1918

Cher Monsieur le Professeur,


Nous nous sommes mis d'accord avec le Dr Freund pour qu'il envoie d'abord 5 000
couronnes à votre adresse, avec prière de verser cette somme au Dr Sachs. Les autres 5 000
couronnes ne seraient débloquées qu'au cas où le Dr Sachs devrait effectivement aller en
Suisse, ce qui n'est pas encore sûr.
Dans l'affaire de l'antenne >Irot : depuis notre dernière visite – manquée – chez le
médecin-major, il n'y a rien eu de nouveau. J'ai commencé en prenant en analyse trois
traumatisés. Jusqu'à présent, je n'ai trouvé que des confirmations de nos hypothèses.
Moi et mon entourage le plus proche avons été épargnés jusqu'ici par la grippe
espagnole, bien que notre hôpital centralise les cas graves. Je déplore que vous ayez
tant à faire avec cet hôte importun.
Il y a lieu de se réjouir que le Danois soit si pressé. Claparède, aussi, m'a récemment
donné signe de vie. Je lui ai écrit lors du congrès et l'ai prié de rédiger quelques lignes
pour les Archives à ce sujet. Il semble donc que le vaste monde ne nous ait pas oubliés.
Salutations cordiales de
votre Ferenczi
Le Dr Sachs part pour Vienne mardi, il habitera Augustengasse.
764 F
Prof. Dr Freud

le 16 octobre 1918
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Sachs était chez moi aujourd'hui, il m'a fait part des idées nouvelles concernant sa
maladie ainsi que des projets qui s'y rattachent; il a en outre reçu l'annonce officielle
de la somme que la fondation lui destine. Je n'ai pas lié les autres 5 000 à son départ
en Suisse, car même s'il reste ici, sa maladie lui occasionnera assez de dépenses. J'ai
pensé: si c'est oui, alors c'est oui.
Cela étant, j'aurais peut-être pratiqué la bienfaisance de façon moins impulsive si j'avais
été seul. Maintenant que tout est réglé, je peux le dire. Car sa famille est plutôt aisée ' et
ne lui aurait pas refusé les moyens de son rétablissement. Si tel avait pourtant été le cas,
ou s'il avait craint de faire appel à elle, le moment en fût venu pour nous d'intervenir. Ne
perdons pas de vue que le fonds est destiné à des opérations d'intérêt général et que nous
ne devons pas en disposer selon nos états d'âme.
Mais ne surestimez pas notre différend et ne supposez pas que j'ai agi ainsi contre mon
inclination. Je l'ai plutôt assuré, dès avant votre proposition, que ses amis seraient à sa
disposition. Par ailleurs, je lui trouve mauvaise mine et j'aimerais souhaiter – sans
conviction – que la façon de voir de Lévy soit la bonne. L'autre facteur de maladie m'était
connu depuis longtemps.
Pour le reste, tristes temps. Pratique calme, 3 cas enlevés pour cause de maladie.
J'attends l'arrivée de Rank afin d'en savoir plus et de rallier les espoirs concernant la
fondation du Verlag. Peu disposé moi-même au travail, en partie trop bien portant, en
partie trop désoeuvré, en partie trop intéressé par l'issue du drame mondial. Quoi qu'il
en soit, pour votre indépendance politique en tant que Hongrois, je vous félicite s. Si
seulement votre peuple pouvait être capable d'en faire quelque chose et se garder du
chauvinisme. Sous quel jour Wilson apparaîtra-t-il finalement, c'est toute la question
; je n'espère rien de bon de lui s.
Saluez Madame Gisela cordialement de ma part. Vous n'avez rien dit de la suite de
cette affaire.
Dans l'attente d'une prompte réponse,
votre Freud
Le père de Sachs, Samuel, était avocat.
Le même jour, l'empereur Charles I" avait publié un manifeste, annonçant la transformation de
la monarchie austro-hongroise en une fédération, ce que Freud, sur son calendrier,
a noté de la façon suivante : « Proclamation impériale fédéralisme » (LOC). Cela
n'empêcha cependant pas la dislocation de la Monarchie.
3. Thomas Woodrow Wilson avait répondu de façon réservée à la proposition de paix des
Empires centraux. A propos de la disposition – négative – de Freud à l'égard de Wilson, voir
Freud, 19666 [1938], introduction à S. Freud/W. Bullitt, Le Président T. W. Wilson, Paris, Payot,
1990, p. 1322.

765 F
ProfDr Freud

le 20 octobre 1918
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Je voudrais vous parler franchement de Sachs. Il a toujours une mine pitoyable, comme
s'il portait la marque sur le front'. Ici les experts, en particulier Pineles, n'ont pas suivi Lévy
qui privilégie la syphilis – ce qui était aussi ma tendance de profane. C'est donc
pratiquement acquis : il va, dès que possible, à Davos, c'est-à-dire dès qu'il sera venu à
bout des inévitables tracasseries. Il espère pouvoir partir après la première semaine de
novembre. Résultat d'un compromis, il aura encore droit, avant de partir, à quelques
injections de Salvarsan.
Il m'a dit qu'avec l'aide des relations de Heller en Suisse il pourrait faire passer là-bas,
en une seule fois, la totalité de la somme nécessaire pour le voyage. (Ici on ne trouve
pratiquement pas de francs suisses.) Cela impliquerait donc que nous mettions à sa
disposition, avant son départ, les 5 000 couronnes qui restent encore. Dites-le à Freund,
et dites-lui en même temps que je peux, tout comme lui, avancer cette somme à la
fondation, comme il le sait, d'ailleurs.
Vous m'aurez trouvé inconséquent dans cette affaire, parce que je n'ai pas réfréné
certaine critique à l'égard de toute cette affaire de participation. Mais croyez bien qu'il
n'y a là aucun mauvais vouloir de ma part, seulement de l'incertitude quant à ce que
nous avons effectivement le droit de faire, une répugnance générale pour les bienfaits
ad hominem * et l'intention pédagogique qui consiste à ne pas intervenir dans le sens
d'une aide, avant que les moyens personnels de l'intéressé ne soient épuisés.
Sinon, rien de neuf. L'épidémie domine toujours la scène. On entend parler de cas
abominables, on est toujours tranquillisé quand quelqu'un l'a déjà eue. Il semble que chez
le beau-frère de Lévy cela se termine bien ; pendant un temps, c'était critique. La pauvre
femme 2a beaucoup souffert. L'analyse d'Annerl évolue très bien s, sinon, les cas sont sans
intérêt. Écri-
vez- moi bientôt pour me dire comment vous allez, et comment se portent
Madame Gisela et sa famille.
Salutations cordiales,
votre Freud
* En latin dans le texte : personnellement adressés.
D'après la Genèse, IV, 15.
Eva, la sœur de Lévy, mariée à Emil Balogh, directeur des Transports publics de
Budapest (B.SZ.K.R.T.). Morte en 1954 à Londres, ainsi qu'Emil Balogh vers 1959.
Leur fils Thomas deviendra sir Thomas Balogh, conseiller économique du Premier
ministre Wilson.
Freud avait entrepris, en octobre 1918, l'analyse de sa fille Anna, qui se prolongea jusqu'au
printemps 1922. Elle fut reprise en mai 1924 et poursuivie jusqu'en été 1925. Voir E. Young-
Bruehl, Anna Freud, op. cit., p. 93-127.

766 Fer
Budapest, le 22 octobre 1918 A

Cher Monsieur le Professeur,


Ces jours-ci, j'achève de faire mes tristes adieux à la Hongrie d'autrefois 1. Le sentiment
qui m'envahit à cette occasion ressemble au deuil. Il s'agit tout de même de renoncer à une
partie du pays auquel je m'étais identifié.
Il n'y a rien de nouveau à dire de mes affaires privées. Les formalités du divorce
requièrent beaucoup trop de temps, du fait des objections et craintes continuelles de Pälos
à propos de la restitution de la dot. Tout devrait être réglé d'ici 1 ou 2 mois. Madame
P.[àlos] est constamment sous l'effet de l'impression déprimante du mariage malheureux
d'Elma. Le hasard a voulu que son époux soit effectivement un homme fixé à sa mère et
à sa sœur, peu susceptible de rendre heureuse Elma, qui présente les mêmes fixations.
Elle devrait rentrer à la maison dès que possible, et ne plus retourner auprès de lui. Cette
perspective perturbe évidemment quelque peu la paix que j'attendais de ma vie conjugale,
et cela jette d'avance une ombre par-ci, par-là. Mais, apparemment, je m'arrange
beaucoup mieux qu'autrefois de telles perturbations. Toujours pas question
d'appartement !
La grippe – ou quel que soit le nom qu'on veuille donner à cette peste
se propage à Budapest de façon effroyable. 10 à 15 personnes meurent chaque jour
dans notre hôpital. Dans mon entourage immédiat, personne n'a encore été atteint.
Le chef du service sanitaire s'est récemment intéressé à Eitingon et Hollés
peut-être à la suite d'un signe venu de Vienne. Il se peut qu'il en sorte quand même
quelque chose. Le plus beau serait que la paix fasse échouer ce projet.
Ci-joint une brochure intéressante 2 pour compléter votre bibliothèque *oc. C'est un
demi-patient, le baron Szentkereszthy, qui me l'a offerte. Peut-être publierez-vous une
note à ce sujet dans la Zeitschrift.
J'ai discuté par téléphone avec le Dr Freund au sujet de l'affaire de l'aide à
Sachs, pour sa maladie. A l'avenir, nous tiendrons compte de votre conseil.
Les salutations les plus cordiales de votre
Ferenczi
A. Date et lieu à la fin de la lettre, dans le manuscrit.
I. Les événements des semaines précédentes semblaient annoncer l'effondrement et la
dislocation de la Monarchie : le 17 octobre, Tisza déclarait au Parlement que la guerre était
perdue et les soldats refluaient en désordre du front. « C'était la débâcle partout ; et pour les
Hongrois, perdre ce qu'ils ressentaient comme étant la Hongrie depuis un millier d'années
représentait la fin du monde » (Ignotus, Hungary, p. 142).
2. Non identifiée.

767 Fer
Budapest, le 25 octobre [19]18 A

Cher Monsieur le Professeur,


J'ai lu votre lettre au Dr Freund, par téléphone, plus exactement
les passages concernant Sachs.
Comme supplément intéressant à mes affaires personnelles, sachez que
le Dr Pälos a pris chez lui une cousine restée veuve avec deux enfants. Il
semble qu'il veuille l'épouser.
Quelques étudiants en médecine ont demandé que je leur fasse des
conférences sur la `PA. J'ai accepté, à condition qu'ils disposent d'un local
convenable. Instantanément, un mouvement s'est enclenché! 180 signataires
veulent adresser au recteur de l'Université une demande pour qu'on me donne
la possibilité d'enseigner'. Je ne veux pas porter cette affaire sur la place
publique, car il n'en résulterait que des discussions déplaisantes sur les
principes de la `PA. En tout cas, c'est un signe de grand intérêt!
Sinon – tout n'est que politique 2.
En vous saluant cordialement,
votre Ferenczi

A. Date et lieu écrits à la main, à la fin de la lettre.


Il existe deux pétitions des étudiants en médecine en faveur du professorat de Ferenczi : la première,
celle dont il est question ici, date de l'automne 1918 ; la seconde fut remise au nouveau ministre de
l'Éducation, Zsigmond Kunfi, le 28 janvier 1919. Malgré une forte opposition, notamment de la part
d'Ernö Jendràssik, Ferenczi fut finalement nommé par Kunfi professeur de psychanalyse sous la
république des Conseils, le 25 avril 1919. Voir Patrizia Giampieri et Ferenc Erös, « The Beginnings of
the Reception of Psychoanalysis in Hungary 1900-1920 » (Les débuts de l'introduction de la
psychanalyse en Hongrie, 1900-1920), in Sigmund Freud House Bulletin, 1987, Il', p. 13-27.
Dans une tentative pour retarder le cours des événements, fut fondé, ce jour, le « Conseil
national hongrois » (Magyar Nemzeti Tanâcs), composé de membres du Parti de l'indépendance,
de sociaux-démocrates et de radicaux bourgeois. Cependant, les concessions sur le fond et les
personnes arrivèrent trop tard.
Le président du Conseil national était le comte Mihâly Kârolyi de Nagykârolyi (1875-1955),
du Parti de l'indépendance. Président de l'État, de novembre 1918 à mars 1919, il a vécu en exil à
Londres de 1919 à 1946 ; ambassadeur de Hongrie en France de 1947 à 1949, puis de nouveau
en exil à Londres.

768 F
Prof. Dr Freud

le 27 octobre 1918
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Je sais que vous êtes un patriote hongrois et que vous devez vous attendre à quelques
expériences douloureuses de ce côté-là. Il semble que les Hongrois se bercent de l'illusion
qu'eux seuls pourraient échapper à la réduction [territoriale] qui menace, parce que le
monde extérieur les aimerait ou les respecterait tout particulièrement, bref: qu'ils seraient
des « exceptions » '. D'où la hâte quelque peu indigne à dissoudre la communauté avec
l'Autriche, et à dénoncer l'alliance avec l'Allemagne, bien que les troupes allemandes aient
sauvé la Hongrie deux fois au cours de cette guerre, et l'empressement à faire allégeance
à l'Entente 2. La déception ne manquera pas de se produire et d'engendrer des temps
difficiles. Tous les défauts des Hongrois en tant que politiciens menacent de se retourner
contre eux. Retirez à temps votre libido de la patrie et mettez-là à l'abri dans la TA, sinon
vous allez, nécessairement, vous sentir mal.
Ici, la sourde tension se maintient. Il semble, cependant, que la décomposition
devrait s'effectuer sans explosions.
Chez moi, il ne se passe absolument rien. J'attends l'arrivée de Rank, fixée au 5
novembre, mais rien n'est sûr. Je n'ai pas non plus réuni l'Association. Sachs s'est alité
avec une fièvre soudaine, je lui ai rendu visite, je l'ai trouvé sans fièvre, je ne crois même
pas que c'était la grippe. Je lui ai apporté à cette occasion la deuxième partie de la somme.
Espérons qu'il arrivera malgré tout à partir à temps.
La consultation était très réduite pendant ces semaines d'épidémie. Ernst part lundi
pour Munich, il semble qu'Oli n'ait pu venir en permission de l'actuel blocus. Son
bataillon doit regagner Serajewo A.
J'ai, en ce moment, le plus souvent la tête vide de pensées, j'ai des idées le matin,
au réveil. La dernière, relative aux névroses de guerre traumatiques, je la mets à votre
disposition. Ce n'est probablement qu'une construction de rêve:
Il s'agit d'un conflit entre deux Idéaux du Moi, l'habituel et celui que la guerre a
imposé. Ce dernier repose entièrement sur des relations d'objet récentes (supérieurs,
camarades) et doit donc être considéré comme équivalent à un investissement d'objet,
un choix d'objet, pour ainsi dire non conforme au Moi. De ce fait, le conflit peut se
dérouler comme dans une
psychonévrose. L'important, sur le plan théorique, serait justement que, sur la base
d'un investissement d'objet libidinal, un nouveau Moi se développe, qui doive être
renversé par le Moi antérieur; une lutte dans le Moi, au lieu d'une lutte entre le Moi
et la libido mais, fondamentalement, c'est la même chose s.
Cela viendrait en parallèle avec la mélancolie, où un nouveau Moi se trouve
également érigé, mais ici sans Idéal, et sur la base d'un investissement d'objet laissé
vacant.
Sinon, je n'ai trouvé que des faits isolés dans la pratique quotidienne, comme par
exemple une réaction à la perte de la position d'unique ; comment quelqu'un devient
un collectionneur passionné, parce que, du fait d'un nouveau mariage du père, il
cesse d'être un enfant unique, ou bien : la part orale du complexe de désir
homosexuel, puisqu'on obtient les enfants en mangeant quelque chose de spécial.
Je vous salue cordialement, ainsi que Madame Gisela. J'espère que l'épidémie
continuera à vous épargner tous.
Votre Freud

A. Ancienne orthographe allemande pour Sarajevo.


« Quelques types de caractère dégagés par la psychanalyse , Essais de psychanalyse appliquée, op.
cit., p. 105-136.
La Hongrie avait conclu un armistice séparé avec les Alliés, à Belgrade, qui ne lui apporta
cependant aucun avantage.
Freud a repris ces idées dans son introduction au recueil intitulé La Psychanalyse des névroses de
guerre (Leipzig, 1919) : dans les névroses de guerre, « il se joue entre l'ancien moi pacifique et le
nouveau moi guerrier du soldat [...] un conflit du moi (Freud, 1919d, Résultats, Idées, Problèmes, 1, op.
cit., p. 245).

769 F
Prof. Dr Freud

le 3 novembre 1918
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Votre télégramme' m'a apporté la nouvelle réjouissante que vous allez bien, et la
preuve que Budapest est de nouveau calme et accessible 2. L'isolement est une source
effroyable du sentiment d'impuissance, si fort ces temps-ci.
Le soir, est arrivée la nouvelle de l'armistices et, avec elle, la certitude que, pour nous, la
guerre à l'extérieur était terminée. Si Martin n'est pas encore prisonnier, espérons qu'il va
maintenant se frayer un passage vers un territoire allemand. Je dois la présence d'Oli à la
maison à la bienveillance de vos compatriotes et je leur en demeurerai reconnaissant. Il
était en Hongrie, sur un transport à destination de Sarajevo, lorsque sa compagnie fut
encerclée, désarmée, et leur train pillé. On n'a rien pris aux
officiers ; ils ont tous été mis dans un train qui leur a fait traverser la frontière pour
l'A.[utriche] A.[llemande]. C'est ainsi qu'il est arrivé hier matin, et s'est aussitôt présenté à la
nouvelle armée a.[ustro]-a.[llemande].
Dans l'ensemble, nous tenons debout, bien que, certains jours, quand les événements et les
craintes qui s'y rattachent s'accumulent, ce ne soit pas une tâche facile. La ville est parfaitement
calme et tout ce qui se passe ne vaut guère la peine qu'on en parle. Mais Sachs dit, avec raison :
au début, toutes les révolutions sont non sanglantes et raisonnables. Au demeurant, Sachs veut
partir demain soir ; je ne sais s'il y parviendra. Rank, qui est ici, tout à fait en forme, aimerait partir
ce soir pour Cracovie, afin d'en ramener ses biens, puis commencer ici tranquillement son travail.
Nous ignorons si, lui aussi, pourra faire ce voyage.
Tout le reste attend la visite de Freund, mais nous savons, bien entendu, qu'il ne faut pas y
compter en ce moment. Au premier plan des projets que je suis en train de forger, ici, avec Rank,
il y a le Verlag, avec l'appui de Heller, d'autant que nous sommes préparés à ce que le quart de
million que Bârczy 4 doit m'envoyer ces jours-ci n'aura peut-être pas de suite.
Freund doit apporter des informations sur tout cela. Il est bon d'avoir ses propres petits
intérêts, car les grands intérêts généraux n'ont rien de réjouissant. Même la consultation
promet de devenir bien misérable.
J'attends avec impatience de savoir ce que vous allez dire de ma théorie des névroses de
guerre, esquissée dernièrement, et s'il adviendra quelque chose de votre antenne ou si la fin
de la guerre mettra également fin à l'intérêt pour ce sujet.
Les nouvelles de votre substitut de père redouté 5 me semblent la promesse que je pourrai
bientôt vous féliciter pour un fait accompli *.
La prochaine innovation sur la scène mondiale, je l'attends maintenant de l'Allemagne, où
ce Guillaume fait penser au géant de l'Arioste qui, mortellement frappé, continue à charger
parce qu'il ne s'en est pas encore aperçu s. Certes, des surprises ne sont exclues nulle part.
Je ne compterai pas parmi celles-ci l'entrée des Anglais à Constantinople.
J'ai été particulièrement soulagé que les Hongrois se soient résolus à ne plus tenir l'éclat
mythique de la couronne de saint Étienne pour ce qu'il y a de plus élevé dans la vie d'une
nation. Encore un morceau de romantisme en moins. Les hommes sont beaucoup trop remplis
de cette substance.
Je vous salue cordialement, ainsi que Madame G., et j'espère que vous allez bientôt user
abondamment des possibilités de circulation nouvellement ouvertes.
Cordialement, votre Freud
* En français dans le texte.
Non retrouvé.
Freud se réfère à la révolution dite des « Reines-Marguerites » (parfois aussi nommée en France « révolution
des Chrysanthèmes») du 31 octobre, appelée ainsi d'après les reines-marguerites que les soldats
révolutionnaires avaient introduites dans le canon de leur fusil. Cette révolution avait pour devises la
démocratie, l'égalité des droits, la prospérité et la réforme agraire. Il y eut de violents combats dans les rues de
Budapest et le comte Istv£n Tisza, représentant de l'ordre ancien, fut assassiné. Notes sur le calendrier de
Freud, à la date du 1°rnovembre : «Tisza assassiné. Communications avec l'Allemagne et la Hongrie
interrompues » (LOC). Peu après, K£rolyi fut nommé Premier ministre par l'empereur Charles I°" (le
1918 339

roi Charles IV de Hongrie). Appartenaient à son cabinet, entre autres, Ernö Garami (voir 770
Fer et la note 3) et Oszkàr Jàszi (voir t. I, 471 Fer et la note 1.). Le 16 novembre, la Hongrie fut
proclamée république indépendante. Voir Eva Brabant-Gerö, Ferenczi et l'École hongroise de
psychanalyse, op. dt., p. 61.
L'armistice entre l'Autriche-Hongrie et l'Entente fut signé ce jour-là à Padoue. Freud nota:
«Armistice avec l'Italie, guerre terminée!» (LOC). Le commandement suprême de l'armée
austro-hongroise ordonna la cessation des hostilités pour le 3 novembre à 1 h 20 ; mais l'Italie
s'en tint à l'entrée en vigueur le 4 novembre; de ce fait, 400 000 soldats autrichiens, dont
Martin Freud, furent, sans combat, faits prisonniers par les Italiens.
Le Dr Istvàn Bàrczy (1866-1943) était, de 1906 à 1917, maire-adjoint, puis, en 1917 et 1918, maire
de Budapest; du 25 novembre 1919 au 14 mars 1920, il sera ministre de la Justice, puis député
jusqu'en 1931. Intéressé par les problèmes de pédagogie. Il participa au NT°congrès international de
psychanalyse en tant que délégué officiel de la capitale. Freud déclara au congrès que « le maire de
Budapest, qui disposait de l'ensemble de la somme [de la fondation de von Freund], avait mis celle-ci
à sa [professeur Freud] disposition personnelle » (Zeitschrift, 1919, 5, p. 56 sq.).
Géza Pàlos.
Dans Ludovic Arioste (1474-1533), Orlando furioso (Roland furieux) [1516]. Freud utilisera par la
suite la même comparaison à propos de la psychologie académique : elle poursuit ses assauts,
sans remarquer que la psychanalyse lui a coupé la tête.

770 Fer
Budapest, le 7 novembre 1918 A

Cher Monsieur le Professeur,


Bien souvent, au cours de la journée, je pense : cela, il faut que je vous le dise. Mais le
même jour apporte encore tant de choses invraisemblables – souvent insupportables – que
l'envie d'écrire me passe de nouveau. Mon humeur change de direction comme une
girouette. A peine ai-je commencé à m'adapter, douloureusement, au morcellement
imminent du territoire de la Hongrie, et entrepris de chercher, dans le bouleversement
social promis et l'évolution libérale qu'on peut en attendre, un substitut à l'idéal perdu,
que les nouvelles de pillages en province, essentiellement dirigés contre les Juifs enrichis
et les notables de village (parce qu'ils maltraitaient le peuple) ont ébranlé le sol sous mes
pieds. A peine l'ordre était-il à moitié rétabli, que parvenait l'information du traitement
humiliant infligé à mes compatriotes à toutes les frontières du pays – et le deuil patriotique
se rallumait. – Votre prophétie concernant notre prolétarisation imminente se réalise –
mais à présent les magnats et les capitalistes sont exposés au même danger. Si le
bolchevisme parvient à s'imposer en Allemagne, alors l'effondrement de la civilisation dans
le monde entier devient inévitable – ce sera, ensuite, le tour de la France, de l'Angleterre,
de l'Amérique et du Japon, et le monde se trouvera devant une ère de sauvagerie et
d'abêtissement. Nous vivons – nebbich * – une grande époque' !
Il est difficile de continuer à travailler, tel Archimède, sur ses cercles scientifiques 2. Sur
le plan scientifique, cela ne va d'ailleurs absolument pas, je peux tout au plus venir à
bout de ma pratique. A l'hôpital, je me suis
fait porter malade, mais â la maison je suis occupé toute la journée. Je suis profondément dégoûté
de tout ce qui est militaire ! Le pillage des troupes étrangères de passage et le traitement infligé à celle
d'Oli se fondent sur une totale réciprocité. Toutes les notions de camaraderie, de moralité, de décence
ont été perdues ces jours-ci, ou plutôt leur absence ne m'apparaît véritablement qu'aujourd'hui. Aux
Français, cette canaille, je ne reconnais pas leur victoire. Ils ne se comportent pas avec noblesse,
comme il sied à des vainqueurs, mais avec insolence et sans dignité.
C'était une bonne idée de ma part de presser le Dr Freund de remettre les 250 000 couronnes.
En effet, on ne sait pas quand sera réquisitionné tout l'argent officiel. Il est douteux que la `I'A
puisse compter sur d'autres sommes. Bien entendu, j'approuve entièrement le plan
d'administration du fonds que vous m'avez envoyé aujourd'hui.
Les deux cents étudiants qui veulent que je leur enseigne la l'A semblent avoir inclus ce projet
dans un mouvement plus vaste, concernant les études universitaires en général. Si ce régime reste
en place, j'espère avoir, d'une façon ou d'une autre, accès à un amphithéâtre. Le frère de ma
patiente Madame Dubovicz est ministre socialiste du Commerce 5 ; quelques autres membres du
cabinet ont aussi connaissance de la 51'A ; seul, justement, le ministre de la Culture (en même
temps ministre de l'Éducation 4) semble être moins radical ! Vedremo * * !
Madame Gizella est malheureusement occupée par un nouveau déménagement ; elle
emménage avec sa soeur, le 11 de ce mois, dans un petit appartement qui s'est libéré dans la
maison de ses parents.
Dick a déjà vendu comptant 700 exemplaires de Totem et tabou 5 !
Ci-joint le « Korrespondenzblatt » 6. Les quelques modifications qui y ont été apportées visent
à effacer le caractère martial de notre congrès, devenu anachronique.
Bientôt, par l'intermédiaire des troupes de l'Entente, nous pourrons avoir des nouvelles de
Jones. Ce n'est pas ainsi que j'avais envisagé les choses !
Cordialement, votre
Ferenczi
J'ai eu une magnifique confirmation de l'explication de la pulsion de collectionneur dès
le lendemain de votre communication. Il faudrait pouvoir vérifier l'interprétation de
la névrose traumatique à partir d'un cas.
A. Date et lieu à la fin de la lettre.
* Nebbich : mot yiddish, équivalant approximativement à «hélas», avec une nuance de dérision, ou à « pauvre
de nous ».
** En italien dans le texte: nous verrons.
Voir 594 F et la note 6.
Noli turbare circulos meos (ne dérangez pas mes cercles, en latin), aurait dit Archimède lorsque les
Romains occupèrent Syracuse et qu'un soldat fit irruption chez lui.
Margit Dubovicz, née Garami, mariée au Dr Hugo Dubovicz. Son frère, Ernö Garami (1876-1935), est un
des dirigeants du Parti social-démocrate; il est rédacteur en chef de Népszava (La Voix du peuple), l'organe
de ce parti. Ministre du Commerce dans le gouvernement Kàrolyi. En 1919, lors de la prise du pouvoir par
les communistes, Garami émigre, d'abord en Suisse, puis à Vienne. En 1929, il rentre en Hongrie, mais
peu après il quitte à nouveau le pays pour n'y revenir qu'en 1934. Par la suite, Margit Dubovicz deviendra
psychanalyste d'enfants et directrice de la consultation psychanalytique pour enfants, ouverte en 1930.
Voir t. III, 1174 Fer et 1197 Fer.
Màrton Lovaszy (1864-1927), juriste et homme politique libéral. Du 31 octobre au 23
décembre 1918, ministre de l'Éducation.
C'est-à-dire la traduction hongroise parue à la fin de septembre ; voir 641 F et la
note 4. Le rapport sur le congrès dans la Zeiischrtft (voir 758 F, note 1).

771 F
Prof. Dr Freud

le 9 novembre 1918
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Une carte d'Emden, arrivée aujourd'hui, annonce que Jones a perdu sa jeune femme,
début octobre, d'une opération de l'appendicite `. Pauvre garçon, ajoute Emden. Nous
n'avons pas même la possibilité de lui exprimer directement nos condoléances.
Je vous ai envoyé, il y a 2 jours, un projet de statuts pour l'administration de la
fondation, dont les fonds m'ont été transférés, depuis, pour un montant de 250 000
couronnes. J'attends maintenant vos propositions, ainsi que celles des autres, aux fins
de modifications.
Nous sommes à présent coupés de 3 de nos enfants, Martin, Ernst et Sophie.
Évidemment, seul le premier nous donne du souci ; nous n'avons aucune idée de
l'endroit où il est ni de ce qui lui arrive. Il se passe actuellement dans le monde tant
de choses que l'on ignore. Et ce que l'on apprend est assez surprenant. Auriez-vous
imaginé qu'un soulèvement républicain à Munich fût possible 2 ?
En Allemagne, je m'attends à des événements effroyables. Bien pires que chez vous
ou chez nous. Pensez à la tension épouvantable de ces 4 ans 1/2 et à la terrible
déception qui vient maintenant lever tout d'un coup cette pression. De plus, il y aura
de la résistance, une résistance sanglante. Ce Guillaume est un fou romantique
incurable, il se trompe sur la révolution, comme il vient de le faire sur la guerre. Il ne
sait pas que l'époque chevaleresque s'est achevée avec Don Quichotte.
Ne prenez pas trop à coeur le destin de la Hongrie, il conduira peut-être à la guérison
cette nation douée et vigoureuse. Le déclin de la vieille Autriche ne pouvait susciter en
moi que la plus grande satisfaction. Malheureusement, je ne suis pas non plus austro-
allemand ou pangermaniste.
Naturellement, tous nos projets personnels doivent maintenant être remis à plus
tard. A quoi bon le vin, s'il nous manque la coupe 8 ? Peut-être l'aurons-nous bientôt.
— Est-il vrai que tous les névrosés de guerre ont soudain guéri, sauf un ? Qu'en dira
Oppenheim ?
Rank est parti pour Cracovie lundi soir, Sachs pour la Suisse. Autant dire, disparus
tous deux dans la nature ! Saluez cordialement Madame Gisela de ma part, écrivez
bientôt à
Morfydd Owen (née en 1891), compositrice et chanteuse galloise; décédée en septembre 1918
dans des conditions qui ne sont toujours pas tout à fait éclaircies ; voir Jones à Freud du 4 X
1918, Freud/Jones, Correspondance, p. 324.
Après la chute des Wittelsbach, la famille régnante en Bavière, le 7 novembre, Kurt
Eisner, proclamait la République populaire bavaroise à Munich, et Liebknecht, le 9
novembre, la république des Conseils à Berlin.
Allusion aux lignes de Christian Friedrich Hebbel: «Tantôt c'est le vin qui manque, tantôt
c'est le gobelet. »

772 F
Prof. Dr Freud

le 17 novembre 1918
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Votre lettre exprès recommandée, du 7, est arrivée chez moi le 14 ; je vous écris donc
aujourd'hui sans cérémonie, et sans contenu ; je n'ai pratiquement rien à raconter et je
compte sur le fait que Rank sera chez vous depuis longtemps quand vous lirez ceci, et
vous aura rapporté toutes les nouvelles le concernant, ainsi que Jones, Sachs, etc.
J'ajoute encore qu'il n'y a toujours ni Martin, ni aucune nouvelle de lui. Quant à l'arrêt de
toutes les négociations, travaux et entreprises, vous êtes, évidemment, au courant!
De tous nos soucis, le plus grand, le plus lourd, semble bien vain. L'Allemagne ne devient
pas bolchevique, mais continue à se développer sagement et, grâce à l'organisation héritée
des Hohenzollern, elle aura bientôt surmonté le plus difficile. Nous, en revanche, rien ne
peut nous aider. Les Habsbourg n'ont laissé derrière eux qu'un tas d'ordures. Tout est
calme, ici, à l'exception des gares; mais rien ne marche non plus. Les restrictions et la
pénurie sont pires que jamais. L'homme le meilleur, le seul peut-être qui eût été à la
hauteur de la situation, la mort nous l'a enlevé 1; et avec les sociaux-chrétiens et les
nationaux allemands il n'y a probablement rien à faire. Malgré la modification soi-disant
radicale de la situation, il n'y a rien de changé dans les rapports avec les peuples voisins.
La dynastie a dissimulé bien des choses à ce sujet; maintenant tout est là, à nu. La nouvelle
Hongrie en est au même point avec nous que l'ancienne Hongrie avec l'ancienne Autriche.
J'aimerais faire montre d'une grande sympathie pour les Hongrois, mais je n'y parviens pas.
Je n'arrive pas à me faire à la sauvagerie et à l'immaturité de ce peuple sans éducation. Je
n'étais certainement pas un partisan de l'Ancien Régime *, mais je me demande si l'on peut
considérer comme un signe de sagesse politique le fait d'abattre le plus intelligent des
nombreux comtes 2 et de prendre pour président le plus bête 3. - En fin de compte, notre analyse
aussi a joué de malchance. A peine commence-t-elle à inté-
resser le monde, à partir des névroses de guerre, que la guerre prend fin, et quand,
pour une fois, nous trouvons une source qui nous accorde des moyens financiers,
elle doit aussitôt se tarir. Mais la malchance est une des constantes de la vie.
Notre royaume n'est tout de même pas de ce monde'. Écrivez-moi encore bientôt!
Avec mes salutations cordiales,
votre Freud
* En français dans le texte.
I. Victor Adler (né en 1852), fondateur du Parti social-démocrate (1888), est mort subitement
le 11 novembre.
Comte Istven Tisza.
Comte Mihäly Kârolyi.
Jean 18, 36.

773 F
Vienne, le 17 novembre 1918

Circulaire
concernant les affaires de la fondation psychanalytique

Si les finances le permettent, j'aimerais employer les intérêts de la fondation à la


création de deux prix annuels. Je consulte à ce sujet les membres du comité : le Dr
Ferenczi, le Dr von Freund et le Dr Rank.
L'un des prix doit être attribué à un travail purement médical, l'autre à un travail appliquant
avec succès l'analyse à un thème non médical. (Donc, du type : Zeitschrift et Imago.)
Les prix devront être d'un montant de 1 000 couronnes chacun, versées au moment
de l'attribution. On devra se ménager la possibilité d'attribuer deux petits prix de 500
couronnes à deux auteurs différents, au lieu d'un grand prix.
La remise du prix aura lieu le 27 septembre de chaque année et sera proclamée peu
après, en souvenir du congrès de Budapest, auquel la fondation analytique est liée. Si un
congrès a lieu à l'automne, la proclamation des prix se fera lors de ce congrès.
Je me demande s'il faut donner à ce prix le nom de la ville de Budapest, ou celui du
fondateur en titre, le Dr Stefan Bdrezy. En faveur de ce dernier: le fait que le fonds porte
aussi ce nom ; en sa défaveur : le maire de Budapest est arrivé à la psychanalyse à
peu près comme Ponce Pilate dans le Credo. Le nom du véritable fondateur ne doit pas
être mentionné.
Les prix ne peuvent avoir un caractère de soutien ou d'aide, pour lesquels la reconnaissance
du travail ne serait qu'un prétexte. Ils ne seront pas accordés aux personnes, mais aux travaux
publiés, de sorte que même un analyste non nécessiteux pourra les accepter sans scrupules.
Cependant,
l'effet secondaire de l'aspect matériel ne sera pas sans influence sur cette
attribution.
J'aimerais réserver à moi seul la décision concernant les travaux à distinguer chaque
année de cette façon. J'y suis conduit par la constatation que le nombre de personnes dont
on peut attendre des travaux dignes du prix n'est guère élevé actuellement, Si j'en prenais
plusieurs pour former un jury de concours – car d'autres sont assurément incapables –
celles-ci seraient exclues de la compétition, et il n'y a aucune raison à cela.
Je ne pense pas qu'il soit opportun, dans le jugement porté sur un travail important
pour la psychanalyse, de prendre en considération le fait que l'auteur soit membre de
l'Association psychanalytique.
J'aimerais prendre comme première réserve temporelle de travaux couronnés les
années allant du début de la guerre jusqu'au congrès de Budapest (donc la fin de la
guerre), laps de temps où l'on a relativement peu publié. Plus tard, chaque année
apportera bien, à elle seule, un choix suffisant. Si aucune considération pratique
n'impose un délai, la première attribution du prix peut encore avoir lieu cette année –
à vrai dire, avec un retard sur la proposition faite par ailleurs.
Dans l'attente de commentaires fondés sur l'intérêt que vous portez à la
psychanalyse, salutations cordiales,
Freud
A. Cette circulaire, à l'exception des deux dernières lignes de salutations, est tapée à la
machine.

774 Fer
Budapest, le 24 novembre 1918
Cher Monsieur le Professeur,
Il se passe actuellement tous les jours tant de choses dans la vie, dont on aimerait discuter
avec ses amis, qu'on n'en arrive absolument plus à écrire, car ce qu'il y a à dire est sans
cesse refoulé par de nouveaux événements. Curieusement, mon humeur pessimiste ne s'est
pas maintenue longtemps, même si elle revient encore de temps à autre. Cela est sans doute
en rapport avec les conditions de ravitaillement, identiques à celles que vous avez observées
cet été. Certes, l'avenir national du pays est sombre, mais la direction radical-socialiste qui
a maintenant pris le pouvoir a d'abord fortement favorisé toutes les tendances progressistes.
Des centaines d'associations, de groupements professionnels, d'organisations ont vu le jour;
les éléments clérico-chauvinistes se taisent pour le moment, ou préparent la réaction en
silence et espèrent en cela l'aide de l'Entente, en particulier celle des Français. La population
s'habitue à l'idée républicaine ; si la royauté devait revenir, Charles ' ne serait certainement
pas couronné de
nouveau, mais plutôt le populaire archiduc Joseph 2. Mais rien de tout cela n'apparaît pour le
moment. Au contraire, les sociaux-démocrates au gouvernement ont entrepris de mener quelques
très vives attaques contre la propriété privée : ils ont simplement annexé les Sociétés des Tramways
et les ont remises à la ville en toute propriété ; pour les soldats qui reviennent, ils ont aussi
réquisitionné quantité de vêtements auprès de tous ceux qui possèdent plus de 3 costumes et
pardessus d'hiver, plus de 7 chemises, etc. – Jusqu'à présent, je me suis toujours tenu éloigné de
la politique, je n'ai encore jamais pris part à des élections de députés. Mais, ces jours-ci, l'utilité de
l'organisation des travailleurs, qui a sauvé la civilisation à Budapest, a produit sur moi une telle
impression, que j'ai adhéré au syndicat social-démocrate des médecins, nouvellement fondé. –
Peut-être sera-t-il utile à la 'PA en Hongrie que je participe également à une association qui a pour
nom : « Association des artistes créateurs et des chercheurs scientifiques ». Présidée par le Pr Pikler',
elle a proposé ma candidature comme membre du comité directeur de la section scientifique. Je
compte exposer prochainement, dans une conférence, l'importance centrale de la 'VA dans les
sciences de l'esprit. – En même temps, quelques adeptes de la 'FA ont réuni des signatures pour
une pétition à l'Université (environ 1 000 jusqu'ici) ; ils demandent qu'on leur donne la possibilité
d'étudier la 'FA. – La semaine prochaine, nous avons une réunion de l'Association (tua), où ces
choses aussi devront être discutées. – Un membre (le Dr von Felszeghy 4), actuellement secrétaire
privé du ministre des Nationalités Jäszi, m'a dit, à juste titre, que la 'PA serait soutenue par les
hommes nouveaux aussi longtemps qu'ils ne devineraient pas, comme à présent, ce dont il s'agit.
– Naturellement, tous ces projets peuvent être contrecarrés par un changement dans la situation
politique.
Avec le retour des médecins militaires, le nombre des tira (praticiens) à Budapest est monté jusqu'à
5 : Hollôs, Härnik, Pfeifer, Radé et moi. J'ai déjà rempli les séances de Hollôs et Radé. Mes 8 séances
aussi sont complètes. La patrie de la 'FA est donc quand même Budapest, et non Vienne; vous devriez
venir vous installer ici !
Le sort de Martin doit vous causer beaucoup de souci, bien que, selon toute probabilité, il
ait été fait prisonnier avec toute sa troupe.
L'arrivée de Rank – et les nouvelles qu'il a apportées 5 - a été une grande surprise. Je dois
reconnaître franchement que je ne sais pas encore si je dois me réjouir ou non de ce
changement dans son destin. Attendons la suite ! – Pour le moment, ses perspectives au
journal N. P. semblent incertaines, car Vienne a perdu son importance centrale.
J'approuve entièrement vos projets concernant l'attribution du prix. Le nom de « Prix de
Budapest » me semble le plus approprié. Je me permets de proposer, comme candidats pour
celui qui doit être attribué maintenant, Abraham et Rank, le premier pour ses travaux sur
l'érotisme oral et urétral 6, le second pour son travail sur Homère, et son « Artiste »71
Aujourd'hui, nous tenons conférence avec Freund sur l'organisation du fonds principal. Le
ministre Garami a accepté de devenir membre du conseil d'administration.
Salutations cordiales de
Charles IV, roi de Hongrie. Il avait renoncé, le 11 novembre, au trône d'Autriche et, le
13 novembre, à celui de Hongrie.
L'archiduc Joseph de Habsbourg-Lorraine (1872-1962). Représentant de la couronne en
Hongrie. Après la chute de la Commune, il se proclama gouverneur du pays, mais démissionna
bientôt et rejoignit peu après les rangs des fidèles de Horthy. En 1944, il jura fidélité au nazi
hongrois Szälasi. Il émigra en 1945.
Gyula Pikler (1864-1934), professeur de philosophie du droit, personnalité éminente de la « Société
des sciences sociales » et fondateur du cercle Galilée. En réaction aux attaques cléricales
et nationalistes menées contre lui, la jeunesse radicale en fit son idole.
Béla von Felszeghy, magistrat, participant au congrès de Budapest et auteur de « A Pan
Complexum », Imago, 1920, 6, p. 1-40, et de « Totem es tabu nyomok a jogban » (Traces de totem
et tabou dans le droit), Huszadik Szdzad, 1919, janv.-févr. En 1927, démissionne de l'Association
hongroise (Zeitschrift, 1928, 14, p. 289). Voir aussi 786 Fer.
Le mariage d'Otto Rank avec Beata (« Tola ») Mincer (Münzer), native de Pologne (18961967),
en novembre; à cette occasion, Otto Rank se reconvertit au judaïsme. Bien qu'au début Freud
l'ait considérée avec méfiance, Beata Rank entra bientôt en rapport étroit avec lui et sa
famille, en particulier avec Anna; elle-même devint analyste, collabora au Verlag et traduisit
Freud en polonais. Dans les conflits entre Otto Rank et Freud, elle chercha à se poser en
médiatrice et resta en rapport amical avec Freud. En 1926, elle émigra avec son mari tout
d'abord à Paris, où ils divorcèrent (1934), puis en 1936 à Boston, où elle devint une analyste
d'enfants connue, didacticienne et superviseur, ainsi que la présidente de l'« Educational
Committee» de l'Institut psychanalytique de Boston. Leur fille Hélène, née en 1919, vit
aujourd'hui à San Francisco et exerce la profession de psychothérapeute.
«Examen de l'étape prégénitale la plus précoce du développement de la libido» (Abraham, 1916,
52), OEuvres complètes, II, Paris, Payot, 1966, p. 231-254 et « L'éjaculation précoce» (Abraham,
1917, 54), op. cit., p. 62-76.
«Homer, I. Psychologische Beiträge zur Entstehungsgeschichte des Volksepos, II. Das
Volksepos» (Homère, I. Contributions psychologiques à l'histoire de la genèse de l'épopée
populaire, II. L'épopée populaire), Imago, 1917, 5, p. 133-169 et 372-393, et Der Künstler (l'Artiste),
Vienne, 1907.

775 F
Prof. Dr Freud

le 27 novembre 1918
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Je m'habitue à répondre par retour du courrier, puisque de toute façon on
ne peut pas calculer le moment où une lettre arrive. Votre dernière lettre
exprès a pris huit jours, celle d'aujourd'hui est arrivée le surlendemain. Ce
sont des circonstances qui pourraient vous faire perdre jusqu'au goût d'écrire.
Vos propositions concernant l'attribution du prix ne correspondent pas tout
à fait à mes intentions. Ce ne sont pas des auteurs que je veux distinguer,
mais des travaux ; je ne peux donc prendre les deux articles d'Abraham, et
devrai me décider pour l'un d'eux. L'« Artiste » est un travail ancien, alors
que j'ai choisi la période de la guerre, de 1914 à 18, pour le prix de cette
année. « Homère » est avant tout un préambule, il ne peut entrer en ligne
de compte pour cette distinction. Quand Rank sera de
nouveau là, j'espère apprendre que vous aurez aussi discuté avec lui des prix
de Budapest.
Je me réjouis d'apprendre que vous avez repris le travail à plein temps. Pour moi, ici, les
choses ne vont naturellement pas aussi bien ; je travaille avec 6 patients, pour la plupart «
en voie d'extinction », et je risque chaque semaine de tomber à 3. Budapest est résolument
plus favorable à la SPA, sans que je songe pour autant à m'y installer. Votre secrétaire
ministériel doit être quelqu'un d'astucieux, sa remarque sur la situation future de la `PA en
Hongrie est certainement juste. Cela se passera peut-être de la même façon qu'en Suisse.
Mais d'ici là, vous devriez avoir obtenu quelque chose.
A moi non plus, le mariage de Rank n'a pas produit une impression particulièrement
favorable'. Mais, dans ces choses-là, on ne peut guère porter de jugement, encore
moins pour autrui. Il n'est rien où l'autre ne soit autant autre. Je suis absolument
incapable de faire ici quoi que ce soit sans lui, mais je m'attends à apprendre qu'il
s'installe à Budapest.
La situation locale est oppressante, l'incertitude absolue, les restrictions à peine
supportables. Nulle trace de jubilation révolutionnaire ; il est vrai qu'on n'a pas fait le
ménage à fond.
Aucune nouvelle de Martin ; diverses rumeurs prétendent que tout le corps d'armée
serait prisonnier. Vous ne dites rien de Madame Gisela ; aussi, faites-vous un devoir
de lui transmettre que nous ne l'avons pas oubliée.
L'isolement contribue beaucoup à ma mauvaise humeur; à ajouter au reste !
Avec mes salutations cordiales, •
votre Freud
1. Dans une lettre à Karl Abraham du 25 décembre 1918 (FM), Freud qualifiait Beata Rank de
«petite bonne femme judéo-polonaise qui n'est sympathique à personne et ne manifeste aucun
intérêt supérieur ».

776 F
Prof. Dr Freud

le 3 décembre 1918
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Je vous remercie, vous et Madame Gisela, en mon nom et au nom de tous, pour le
savoureux rôti qui nous a donné, un court moment, l'illusion de l'abondance et du superflu.
Il n'y a pas de mérite à aimer ses amis quand ils prennent ainsi soin de vous; la difficulté bien
connue que Schiller a rencontrée dans l'impératif catégorique de Kant'.
Voici ce que j'ai décidé pour les prix: le prix médical pour l'article d'Abraham sur la phase
la plus précoce, prégénitale, de la libido d'une part, et la brochure de Simmel 2 de l'autre; le
prix Imago pour l'article de Reik sur les rites de la puberté chez les sauvages'. Pour cela, il me
faut 2 000 couronnes que vous et Freund voudrez bien prélever à la banque et confier à Rank,
la prochaine fois qu'il se rendra à Budapest, ainsi que je l'ai écrit à Fr.[eund] dans ma dernière
lettre.
Rank a aujourd'hui son entretien décisif avec Heller sur sa participation au Verlag, ou plutôt le
premier de ces entretiens. Je suis très opposé au transfert du Verlag et de la personne de Rank à
Budapest, je voudrais garder les deux ici. Au fait, que pensez-vous de sa femme?
Nous avons reçu aujourd'hui la première carte de Martin, qui laisse supposer que des
nouvelles antérieures se sont perdues. II écrit, le 24 novembre, depuis l'Ospedale del Campo
n° 107 zona di guerra *, qu'il se trouve toujours à l'hôpital, qu'il va déjà mieux mais souffre
encore du pied qu'il s'était cassé précédemment. Il s'attend à être transféré prochainement dans
l'arrière-pays italien et ne sait ce qui se passe chez nous. Dans une carte envoyée en même
temps à une jeune dame à laquelle il fait actuellement la cour, il dit encore qu'il a beaucoup
souffert et s'est trouvé en danger de mort. A quoi fait-il allusion? Et pourquoi a-t-il été
hospitalisé? S'agit-il d'une blessure, d'un accident ou d'une maladie (une grippe sévère, peut-
être) ? Impossible de le deviner. Mais suffit, il est vivant, il peut écrire. Je me suis aussitôt
adressé à Sachs pour qu'il obtienne d'autres nouvelles par la Croix-Rouge. Je ne nie pas que
j'imagine quelque chose de grave.
Comment cela se passe-t-il chez vous, sous l'autorité étrangère ? Y a-t-il vraiment une
censure? Alors, finalement vous pourriez même ne pas recevoir cette lettre ? Écrivez-moi donc
le plus vite possible ! Et où en sont appartement et mariage? Il n'est que temps !
Cordialement,
votre Freud

* En italien dans le texte: Hôpital de campagne n° 107, zone de guerre.


Schiller étudia systématiquement la philosophie de Kant (en particulier La Critique du jugement, parue en 1790) et
publia, à partir de 1791, pendant quatre années consécutives, des écrits consacrés à une réflexion sur l'esthétique.
Dans ces écrits, il cherche à adapter à l'individu l'impératif catégorique de Kant. Alors que pour Kant la Beauté
est symbole de Moralité, pour Schiller la Beauté devient la « liberté dans l'apparence ». Schiller insiste sur la
contradiction fondamentale inhérente au destin humain: l'action, tout en fondant la liberté morale, enchaîne
l'homme aux conséquences de ses actes. Voir Victor Hell, Schiller, Paris, Seghers, 1960.
Voir 729 F et la note 1.
« Les rites de puberté chez les primitifs. Remarques sur les correspondances entre la vie psychique des
primitifs et des névrosés» (Le Rituel, op. cit., p. 105-183 ; Imago, 1915-1916, 6, p. 125-144, 189-222).
777 Fer
Budapest, le 6 décembre 1918

Cher Monsieur le Professeur,


Je vais, moi aussi, introduire le système de la réponse immédiate. Il est vrai que je n'ai
rien de particulier à rapporter, sauf peut-être que je corrige actuellement les nouvelles
éditions de vos « Cinq Leçons » (3e édition), des « Trois Essais» (2e édition) et du « Rêve [et
son interprétation] » (2e édition)'. Mes trois recueils aussi ont été réimprimés 2 et deux
nouveaux volumes sont sous presse; dans l'un, on n'a regroupé que les essais sur l'hystérie
et les pathonévroses, dans l'autre, tous les autres « petits écrits ». Si notre Verlag glu devait
voir le jour, je leur proposerais de publier le premier (Hystérie et pathonévroses) s.
Rank vous aura suffisamment informé sur les événements de Budapest. Hier, j'étais
chez Béla Lévy 4 ; j'y ai rencontré Madame Kata, qui m'a fait part de l'heureuse arrivée
de Rank avec épouse et provisions. Dommage que nous ne puissions envoyer un
courrier tous les jours.
Les chances de la « psychanalyse académique » varient beaucoup ; les dernières
nouvelles ne paraissaient pas défavorables. L'opposition s'est déjà manifestée en la
personne d'un jeune anatomo-pathologiste juif, Goldzieher, le neveu du célèbre
orientaliste 5, qui est d'ailleurs, lui aussi, un opposant. C'est seulement si le
gouvernement octroie la TA (comme il octroie le droit de vote), que celle-ci a une chance
de pénétrer à l'Université.
Madame Gizella se donne du mal pour faire marcher sa maison. Différentes obligations
associatives et sociales m'empêchent souvent de passer les soirées chez elle. — Le jugement
dans le procès de divorce sera prononcé vers la mi-décembre, paraît-il. Le mariage peut avoir
lieu immédiatement après — bien qu'il n'y ait toujours pas d'appartement.
Je ne suis pas trop inquiet pour Martin ; je suis convaincu que nous le reverrons
bientôt, sain et sauf.
Quelles nouvelles d'Ernst ? Et d'Eitingon ?
Il y a quelques jours, Storfer a fait son apparition ici s. Il arrivait du front français, est
encore tout à fait soldat et ne se retrouve pas très bien dans le désordre
révolutionnaire. Il est resté fidèle à la 'FA.
Salutations les plus cordiales à vous et à votre famille,
de votre
Ferenczi

Après coup, le 7 décembre

Entre-temps, votre deuxième lettre est arrivée, avec Rank, auquel j'ai fait
votre commission. Nous nous réjouissons que Martin ait donné signe
de vie et ne doutons pas de le revoir bientôt, en bonne santé. L'attribution des
prix a toute mon approbation.
Bien des salutations cordiales,
Ferenczi

Freud, 1910a [1909], troisième édition, Budapest, 1919 ; Freud 1905d, deuxième
édition, Budapest, 1919 ; Freud, 1901a, deuxième édition, Budapest, 1919 ; tous ces
textes sont traduits par Ferenczi.
Voir 743 Fer et la note 2.
Le recueil d'articles Hystérie et pathonévroses (1919, 223) a paru au Verlag ; les « petits
écrits » sous le titre A pszichoanalizis haladdsa (Les progrès de la psychanalyse) [1919,
225], chez Mani) Dick.
Voir 786 Fer.
Ignâc Goldzieher (1850-1921), orientaliste hongrois, philologue des langues
sémitiques, historien de l'islam et du judaïsme, membre de l'Académie hongroise ainsi
que de plusieurs académies européennes.
Storfer (voir t. I, 188 F, note 6) s'était porté volontaire en 1914. Envoyé au front, il fut blessé
et devint estropié d'une main. Il s'installe d'abord à Budapest, puis, en 1919, après
l'effondrement de la république des Conseils, à Vienne.

778 Fer
Budapest, le 26 décembre 1918

Cher Monsieur le Professeur,


Encore une année passée – et quelle année ! Je crois en vérité que nous n'avons, pour le
moment, aucune notion des effets psychiques que le bouleversement des douze derniers
mois aura produits en nous. Mais l'épreuve de force à laquelle nous serons confrontés dans
le proche avenir ne sera pas moindre ; quoi qu'il en soit, les conditions entièrement
nouvelles vont épuiser toute la mesure de notre capacité d'adaptation. – Vraiment, des
perspectives peu reluisantes.
La seule chose qui m'a maintenu ces jours-ci, et me maintient toujours, est l'optimisme
engendré par le sentiment qu'en ma qualité de collaborateur de la psychanalyse je participe
à une orientation spirituelle qui, indubitablement, appartient à l'avenir. Considéré sub
specie psychanalysis *, les événements les plus épouvantables ne sont rien d'autre que des
épisodes dans une organisation sociale encore très primitive. Et même si l'optimisme était
trompeur et que l'humanité restât jusqu'au bout victime de son propre inconscient, à nous,
il a été donné de jeter un coup d'oeil dans la coulisse, et la connaissance de la vérité peut
nous dédommager de bien des manques dans d'autres domaines, et de bien des
souffrances aussi.
A vrai dire, je trouve indigne que le créateur de cette science qui renverse toutes les valeurs
n'ait pas même trouvé, après tant de décennies, assez de compréhension dans sa propre
patrie pour que les gens, dans leur propre intérêt, aillent plutôt chez lui que chez des
ignorants. Si jamais ville a eu la gloire imméritée d'être la ville natale d'une idée
nouvelle, c'est bien Vienne.
J'admets être suffisamment rancunier pour réfléchir à la manière de faire payer aux
Viennois l'accueil honteux qu'ils ont réservé à la psychanalyse. L'école viennoise de TA
– à l'exception des incomparables Rank et Dr Sachs
ne s'est, en fait, pas montrée non plus tellement à la hauteur. Je n'abandonne
pas l'idée qu'un jour, vous finissiez par déménager à Budapest.
Il est vrai que la fière – mais féodale – Hongrie est devenue, depuis les quelques mois durant
lesquels nous ne nous sommes pas vus, une Hongrie libre, mais pauvre comme Job. Ce qu'il
adviendra de la science dans cette Hongrie-là reste problématique. Je pense qu'il y aura très
rapidement un raz-de-marée clérico-réactionnaire, qui affectera probablement aussi la jeune
psychanalyse hongroise. Mais je compte, même chez les opposants, sur un certain sens de la
liberté de pensée, afin que nous puissions maintenir malgré tout dans ce pays, pour l'avenir,
l'enfant-de-tous-nos-soucis.
Sinon, estimons-nous déjà heureux – vous comme moi – et ceux qui nous sont
proches, d'avoir au moins eu la vie sauve jusqu'à présent.
Par ailleurs, l'année écoulée a aussi eu son importance : celle de l'acte juridique
nécessaire dans la vie de Gizella. Dans quelques semaines, nous serons aussi
officiellement mari et femme.
Saluez pour moi tous ceux qui vous sont chers.
Votre Ferenczi
reconnaissant
Meilleures salutations à l'ami ** Toni !
* En latin dans le texte : du point de vue de la psychanalyse. ** Jeu
de mots sur le nom de Freund (voir 746 F, note *).

779 Fer
[Supplément:]

Je joins les développements intéressants de F. Schanz ' sur la sensibilité à la lumière. Je


pense que la manière dont la lumière agit en premier lieu sur la rétine et dont la substance
« photochimique » est tout d'abord « sensibilisée » par les modifications de la rétine devrait
servir de modèle pour les modifications dans l'ensemble de l'appareil neuro-psychique. La
modification surviendrait donc vraiment (comme vous le supposiez) entre les systèmes (au niveau
de la substance intermédiaire des neurones *) ; c'est cette modification qui « sensibilise » tout d'abord
l'élément nerveux, d'ordinaire « transparent » (perméable) à l'excitation. J'ai aussi la vague
intuition qu'un lien pourra être établi entre la manière de penser de Schanz et votre point
de vue sur le processus de la conscience. De toute façon, il faudra attribuer une
signification fonctionnelle plus importante que celle supposée jusqu'à présent au lieu de
connexion des neurones ainsi qu'à la gaine de myéline considérée jusqu'à présent comme
une simple enveloppe protectrice et un
isolant. De fait, de nombreux somnifères et anesthésiques exercent leur effet par
leur action sur les lipoïdes de la gaine de myéline.
A. Sans date. Balint a noté « probablement 1918 » ; figure dans le microfilm comme dernier écrit de 1918.
* Aujourd'hui, on parle de médiateur chimique.
1. Il pourrait s'agir de Fritz Schantz (1863-1887), ophtalmologue exerçant à Dresde.
780 F
Prof. Dr Freud

1" janvier 1919


Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Après une pause épistolaire aussi longue, votre lettre de Nouvel An (du 26 XII) était doublement
bienvenue : je sais que vous êtes dans votre élément, une position dirigeante, entouré d'élèves et
d'adeptes, bientôt, très bientôt je l'espère, en possession d'un foyer chaleureux et d'une femme
incomparable à bien des égards. Je sais que vous avez devant vous beaucoup de travail et de
grands tourments intérieurs, mais il ne faut pas souhaiter qu'il en soit autrement. Quant au
résultat, il sera ce qu'il pourra être, sous l'effet des antagonismes de puissances extérieures et de
forces intérieures. En tout cas très honorable, et j'espère aussi, heureux. On ne se laissera ni
corrompre ni détourner par des espérances diverses. L'âge d'or serait-il déjà là, ces douleurs
annonceraient -elles celles de l'enfantement?
Nous avons beaucoup parlé de l'alternative : s'adapter – changer le monde extérieur'. Et
voilà: ma capacité d'adaptation se met en grève, et, face au monde, je suis impuissant. Je reste
un mécontent dont il faudrait éviter la contagion tant qu'on se sent jeune et vigoureux.
Toni est de nouveau arrivé chez moi en mauvais état, mais seulement
névrotique, et manifeste maintenant ce comportement étrange qui consiste à
être candidat à la mort le matin, et bien-portant l'après-midi. Dieu sait quelle
nouvelle forme cyclique en ferait la psychiatrie officielle. C'est une phase
passagère ; les deux états commencent déjà à se confondre et l'amélioration
globale est indéniable. J'espère l'amener à bien progresser cette fois, à moins
que quelque chose d'organique, qui tire les ficelles, ne se joue de nous.
Naturellement, il a dû me révéler votre fameux plan pour me rendre riche, que
je juge absolument irréalisable, voire inadmissible. Je trouve intéressant que
vous supportiez si bien ce dont lui est tombé malade. Indubitablement, la
poussée actuelle de sa maladie repose sur le fait qu'il
se rend compte de l'impossibilité de me transformer en Nabab par un de ses tours d'adresse. Avec
lui en plus, et l'arrivée de deux patients de retourau pays, je suis de nouveau entièrement occupé,
mais je ne travaille pas avec plaisir ; j'ai maintenant 8 ou 9 séances par jour.
Rank se précipite dans le travail avec son zèle habituel, peut-être aussi pour se réhabiliter à cause
de son mariage. Le Verlag, nous le ferons quand même chez Heller, c'est-à-dire qu'il sera notre
conseiller et le lieu de distribution aux libraires. Malgré toutes ses faiblesses et mesquineries, nous
ne nous débrouillons tous deux pas si mal avec lui, et il peut aussi montrer ses meilleurs côtés. Toni
l'a par trop intimidé. Le premier livre sera la Vie Quotidienne que je commence à préparer
aujourd'hui 2.Il sera sans doute nécessaire d'engager un auxiliaire qui puisse de temps en temps le
remplacer. Je pense à Reik, qui y est tout disposé, et me propose de lui allouer un traitement de 5
000 couronnes à cet effet (plus 1 000 couronnes pour les affaires de l'Association). Ceci, et les deux
prix, font un total de 8 000 couronnes, ce qui correspond donc presque à la somme que vous et les
autres avez mise, à ma libre disposition pour ainsi dire, aux fins de primes et frais de tous ordres. Je
tiens tous les autres projets pour moins importants et vais concentrer notre action sur le Verlag.
Fait étonnant, nous n'avons aucune nouvelle de Sachs depuis le 21 XII, alors qu'il avait
l'habitude d'écrire très souvent.
Hier enfin, deux autres cartes sont parvenues de Martin, l'une périmée, mais l'autre du 30
novembre, avec la nouvelle qu'il est dans un hôpital pour convalescents à Teramo et s'y trouve fort
bien. Teramo est du côté adriatique de l'Italie, sur la ligne de chemin de fer Ancona-Foggia, à peu
près à la hauteur de Rome, avec vue sur les Abruzzes. Actuellement, il n'yest probablement plus,
bien sûr. Où est-il, et a-t-il reçu de nos nouvelles, nous n'en savons rien. Peut-être pouvez-vous
transmettre aussi cette piste.
Je ne vous ai sans doute pas annoncé que Sophie avait un deuxième garçon, qu'on a appelé
Heinz Rudolf 3 ? Tous deux vont très bien. Le père a rouvert son studio à Hambourg.
Dois-je me laisser surprendre par la date de votre mariage, ou serai-je informé à
temps? Je vous salue tous deux cordialement,
votre Freud
Voir aussi 589 F et la note 4.
En 1919, le livre (Freud, 1901b) a encore paru chez Karger, à Berlin, dans la sixième édition;
puis en 1920 pour la première fois au Verlag.
Dit « Heinerle » (8 décembre 1918-19 juin 1923).
781 Fer
Budapest, le 1" janvier 1919 A

Cher Monsieur le Professeur,


Je dois vous remercier tout spécialement pour les « Petits écrits »' transmis par Mademoiselle le
Dr Révész, qui mériteraient plutôt d'être appelés grands écrits, pas seulement à cause de leurs
dimensions.
J'ai suivi avec un intérêt intense les méandres de l'analyse du Russe 2. Les constructions
qui y sont faites pour la première fois se confirment dans toutes les analyses, sans exception.
De nouveau, vous avez trouvé dans l'examen d'un cas particulier ce qui est valable de façon
générale.
Comment va notre ami Toni ? Si dans vos entretiens vous deviez en venir à parler du cas de
Madame Dubovicz, je vous prierais de prendre en considération que j'ai récemment donné à Toni
l'explication suivante, comme la plus probable, de l'échec du transfert de Madame Dubovicz sur
moi: lorsqu'elle était jeune fille, Madame Dubovicz a suivi chez moi un traitement hypnotique et
je lui aurais manifesté les signes d'une compassion amicale et tendre, ce qui rend la méthode
analytique-ascétique inadmissible pour elle, du moins par ma personne.
Naturellement, je représente maintenant les intérêts du Dr Dubovicz, mon actuel patient.
Mais il serait aussi de l'intérêt général que les relations entre Toni et Madame Dubovicz soient
totalement rompues. Pour le Dr Dubovicz c'est une question vitale, tandis que Toni s'en
remettra facilement. Cependant, tant que Madame Dubovicz a quelque chose à attendre de
T.[oni], elle ne se tournera jamais vers son époux, ce qui devrait bientôt avoir pour
conséquence la dissolution de ce mariage.
Cela ne doit servir qu'à votre information personnelle, bien sûr.
Salutations cordiales
de votre Ferenczi

A. Lieu et date à la fin de la lettre.


Voir 735 F et la note 3.
L'analyse du Russe, « l'Homme aux loups» (1918b [1914]), a paru pour la première fois dans
le recueil évoqué dans cette lettre.
782 F
ProfDr Freud

le 6 janvier 1919
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Fidèle à ma résolution, je vous réponds rapidement, même sans aucun motif pressant particulier. Toni
va mieux, en pleine névrose; cette fois, l'influence est plus lente à agir car la dernière guérison miraculeuse
était venue de la perspective de rendre le père riche, ce qui se révèle à présent irréalisable. Je suis
naturellement prêt à le laisser rentrer chez lui pour une interruption, si les circonstances à Budapest
l'exigent. L'occasion de beaucoup parler de Madame D.[ubowitz] ne s'est pas encore présentée.
Le Verlag s'est donc maintenant constitué, avec l'appui de Heller. Je n'envie pas Rank, il a
énormément à faire. (Au demeurant, moi aussi, maintenant, dans ma consultation, 9 à 10 séances.)
Nous avons engagé Reik comme adjoint et le payons 6 000 couronnes pour ce travail et les affaires
de l'Association. Nous allons de toute façon dépenser un argent fou. L'insouciance hongroise nous a
contaminés.
Hitschmann et Abraham doivent entrer à la Zeitschrift comme rédacteurs' et s'attaquer aux rapports
afin de préparer le compte rendu annuel. Mais je voudrais tout de même que vous conserviez fermement
votre rôle de directeur, et que vous l'exprimiez par des prises de position critiques sur les parutions
réellement importantes dans la littérature. Encouragez également vos membres à rédiger des notes de
lecture avec zèle.
De Martin, rien de nouveau; deux cartes périmées, au contenu encourageant.
Scientifiquement, je suis toujours bloqué. Demain, j'ai à faire de 8 h à 8 h, là non plus la
productivité n'est pas au rendez-vous. Je dois me coucher plus tôt que d'habitude. Portez-vous le
mieux possible et saluez votre Madame G. cordialement de la part de nous tous et spécialement
de votre
Freud

1. Ils y occupèrent effectivement cette fonction.


783 Fer
Dr Ferenczi Sdndor
Idegorvos *

Budapest, 19 A 19, le 6 janvier

Cher Monsieur le Professeur,


J'ai bien reçu votre lettre de Nouvel An ; je n'en aborde pas maintenant le thème le plus
important, puisque toute la question du fonds principal n'est pas, pour le moment, mûre pour
la discussion. En ce qui concerne l'utilisation du petit fonds pour les honoraires de Reik et le
lancement des deux prix, je n'ai pas d'opinion particulière. Sachs devrait toucher à lui seul les
honoraires versés jusqu'ici à nous trois (Rank, Sachs et moi), puisqueAbraham et moi ne
sommes que rédacteurs honoraires et n'en méritons pas.
Madame le Dr Dubovicz m'a rendu visite aujourd'hui et vous demande, par mon
intermédiaire, de l'accepter comme patiente. Il est vrai qu'il ne lui reste rien d'autre à faire. La
cure décidera si elle doit rester avec sa famille ou non. Comme vous le savez, je ne suis pas la
personne appropriée en ce qui concerne son traitement. Et puis, je n'ai pas d'heure libre.
Dans quelques jours, le jugement officiel du tribunal doit rendre effectif le divorce de Gizella. Nous
nous marierons peu après, bien que nous n'ayons pas de logement.
La situation politique ici devient de plus en plus critique'. Tout pousse à une confrontation
décisive entre les partis extrêmes : les communistes d'une part – les réactionnaires de l'autre.
Les partis du centre (dont la social-démocratie actuellement au pouvoir) ne pourront sans doute
pas se maintenir. Les réactionnaires B seront probablement protégés par les Français. L'ultime
décision dépend bien sûr de l'issue de ce même combat en Allemagne.
La psychanalyse n'intéresse naturellement pas grand monde en un tel moment. L'Université,
qui a d'abord très lâchement rampé comme un chien devant les nouveaux maîtres, commence,
maintenant que la réaction s'agite, à affirmer sa « dignité » et à refuser toute innovation, en appelant
au « droit à l'autodétermination » des grandes écoles. Au demeurant, même parmi les radicaux et
les sociaux-démocrates, nous (la `PA) n'avons pas de véritable ami; tout au plus les « libres-
penseurs », par libéralisme doctrinaire, ne nous réduisent-ils pas au silence.
La petite Association hongroise travaille tout à fait correctement
cette année.
J'ai donné l'adresse de Martin à Madame Sarolta.
Bien des salutations cordiales de votre
Ferenczi
Je vous prie de répondre à la question de Madame Dubovicz par
retour du courrier.

* Neurologue.
En-tête pré-imprimé jusqu'ici.
Lecture incertaine ; la feuille est froissée à cet endroit et l'écriture effacée ; le mot pourrait être
soit Reaktionäre, soit Reaktionären.

1. Voir 767 Fer, note 2, et 769 F, notes 2 et 3. Après l'armistice du 3 novembre 1918, de
nouveaux États se constituèrent autour de la Hongrie : Tchécoslovaquie, Roumanie, Pologne et
Yougoslavie. L'Entente exigea que les troupes hongroises se retirent derrière les lignes de
démarcation. Le gouvernement hongrois se trouvait confronté à des problèmes considérables,
tels que le grand nombre de réfugiés et les graves problèmes économiques engendrés par l'arrêt
de la production, la pénurie de produits alimentaires de base et le chômage. Avec le soutien de
l'Entente, les troupes roumaines, tchèques et yougoslaves occupèrent les régions frontalières. Le
1" décembre 1918, survint la première crise du nouveau gouvernement Kàrolyi. L'influence du
Parti communiste, fondé en novembre, s'accrut ; le Parti social-démocrate chercha vainement à
constituer un gouvernement ; sur ce, Kàrolyi remit sa démission au Conseil national. Elle ne fut
pas acceptée et il fut désigné comme président de la République. Il nomma Dénes Berinkey,
auparavant ministre de la Justice, Premier ministre. Le 18 janvier 1919, Berinkey forma son
gouvernement, avec Ernö Garami, ministre du Commerce, et (à partir du 22 janvier 1919)
Zsigmond Kunfi, l'autre personnalité dominante du Parti socialiste, ministre de l'Édùcation. En
même temps, à l'occasion de la Conférence de paix du 18 janvier 1919, les nouveaux États,
toujours soutenus par l'Entente, formulèrent des revendications territoriales au détriment de la
Hongrie.

784 F
Prof. Dr Freud

le 9 janvier 1919
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Je vous réponds par retour du courrier, et donc brièvement.
Je ferai naturellement preuve du plus vif intérêt envers Madame Margit
Dubowitz, mais je travaille ces temps-ci 9 heures par jour, et ne peux me
charger davantage. La prochaine séance libre, que ce soit dans quelques
semaines ou quelques mois, sera pour elle. Essayez de la faire patienter
jusque-là; sinon, je conseillerais Madame le Dr Révész, en qui j'ai grande
confiance.
Toni souffre à présent d'une périostite qu'il n'ose quand même pas
considérer comme une métastase. Je ne fais pas de sa présence à Vienne
une contre-indication au traitement de Madame D.[ubowitz] ; car lui, je
pourrai le retenir ; sur elle, en revanche, s'ils étaient ensemble ici, je
n'aurais aucune influence. Alors, il est bon que cela ne puisse se faire
maintenant.
Le Verlag travaille déjà avec beaucoup d'ardeur. La traduction hollandaise des
Conférences, 1" partie', est arrivée aujourd'hui.
Je suis peiné de trouver dans votre dernière lettre les signes d'un certain abattement.
Cordialement vôtre,
Freud
1. La première partie de la traduction hollandaise de Freud, 1916-1917a, par A. W. Van
Renterghem, parut en 1918 chez Maatsch, à Anvers. La seconde partie fut publiée en 1919.

785 F
Prof. Dr Freud

le 12 janvier 1919
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Auriez-vous l'amabilité de transmettre sans délai la lettre ci-jointe à Madame
le Dr Révész ? Elle m'a récemment écrit mais, en véritable bonne femme, a
omis de donner son adresse dans la lettre, ce que les hommes font toujours.
Et les enveloppes, je les jette systématiquement. La lettre traite d'une patiente.
Aujourd'hui, c'est vous seul que je salue cordialement, et je remercie d'une gentille lettre celle
qui sera bientôt votre femme.
Votre Freud

786 Fer
Dr Ferenczi Sdndor Idegorvos
*

Budapest, le 19 janvier 19 A 19

Cher Monsieur le Professeur,


Une lettre de Jones, reçue il y a quelques jours par l'intermédiaire de Sachs,
m'a appris le décès de notre bon Putnam ' ; il a expiré, semble-t-il, pendant son
sommeil, c'est-à-dire sans souffrance. Je regrette extraordinairement cet
homme aimable et loyal. Sa façon virile de prendre parti pour la psychanalyse
à Worcester et après était une aide importante pour nous en Amérique. Je
pense que nous devons à sa mémoire un hommage
particulier, que j'imagine de la façon suivante : vous pourriez écrire vous-même sa
notice nécrologique, et la Zeitschrift, si possible, publierait aussi son portrait. En
même temps, Rank devrait établir la liste de ses travaux psychanalytiques. J'étais
sur le point d'aller voir le professeur Coolidge 2 de Harvard, qui séjourne ici avec la
commission américaine, pour m'informer de Putnam lorsque j'ai reçu la nouvelle
par Jones.
De la lettre de Jones, je mentionne encore le propos suivant lequel la `PA a accompli en
Angleterre, durant la guerre, « des progrès considérables » s. Savez-vous quelque chose de plus
précis là-dessus ? – En même temps, je vous demande si nous devons dès maintenant faire
quelque chose, et quoi, pour rétablir la liaison avec les tira de l'Entente ? Ou bien dois-je encore
attendre jusqu'à la conclusion des négociations de paix?
L'Association de Budapest fonctionne bien, au-delà de toute attente. Notre chrétien
d'honneur, le Dr von Felszeghy, a produit dernièrement un très beau travail sur la psychanalyse
de l'accès de panique,où il a donné, en fait, l'interprétation tira de la légende de Pan 4. Les
discussions sont instructives et substantielles.
A la demande de Madame le Dr Révész (à qui j'ai fait suivre votre lettre), il y aura, outre les séances
plénières, des réunions spéciales des membres médecins, notamment dans le but d'entendre mes
conseils au sujet des difficultés actuelles des analyses. J'ai accepté, bien que j'aie moi-même encore
souvent des difficultés en matière de technique, de moins en moins souvent il est vrai.
Le Dr Béla Lévy (sa femme est en cours de traitement pour une analyse de caractère, longue mais
intéressante) ne m'a raconté que des choses satisfaisantes sur votre santé et celle de votre famille.
Ici, en Hongrie, juste pour les dernières semaines – ou mois – de la guerre, nous apprenons à
connaître la faim. Les Tchèques ont fait tout ce qu'il fallait pour cela.
Mon problème de logement va peut-être quand même se résoudre, avec l'aide de mon
patient Dubovicz. Mais je ne veux pas que le mariage en dépende; nous n'attendons que la
notification du jugement de divorce.
L'ombre des problèmes avec Elma plane sur nous dès à présent. Elle ne veut manifestement
pas rester chez son mari– mais ici elle ne peut pas demeurer chez son père qui a pris une
gouvernante avec lui (une parente). – Elle va sans doute venir à Budapest dès que possible.
Gizella l'attend impatiemment; car E.[lma] est et reste son souci principal. Elle aussi, c'est l'enfant qui lui
donne le plus de soucis qu'elle aime le plus.
En fait, je ne peux raconter grand-chose sur la dépression que vous percevez dans mes lettres. Je
suis parfaitement apte au travail, je me laisse peu influencer par des troubles modérés physiques et
de sommeil. Certes, je ne peux pas non plus rendre compte de sentiments de bonheur
particulièrement exaltants.
Maintenant, une demande!
Vous savez qu'à Csorba j'ai adapté la traduction hongroise de l'Interprétation des rêves pour
la Ve édition. Je note à présent qu'il faut y apporter quelques compléments.
Il me manque l'additif de la page 274 de la IV° édition, qui traite du « sentiment de
réalité et de la répétition dans le rêve ».
Il manque la notice intercalaire de la page 455.
3) Je me permets d'attirer votre attention sur un point qui prête au malentendu. A la page 469,
on lit: « Fälschungen der normalen Denkfehler » [Falsifications des erreurs de pensée normales]. Ne
faudrait-il pas lire « Fälschungen des Normalen, Denkfehler » [Falsifications du normal, erreurs de
pensée »1 5 ?
Bien des salutations cordiales de votre
Ferenczi
* Neurologue.
A. En-tête pré-imprimé jusqu'ici.
Putnam est mort en novembre 1918 (Jones à Freud du 31 décembre 1918, Correspondance, p. 327).
Freud rédigea une courte nécrologie: «James J. Putnam » (19196), et Jones une appréciation plus
détaillée, qui contenait aussi un portrait de Putnam et une bibliographie de ses écrits
psychologiques (Zeitschrift, 1919, 5, p. 233-243).
Il pourrait s'agir de William David Coolidge (1873-1975), physicien américain, inventeur du
tube à rayons X qui porte son nom.
Jones faisait allusion à un essor de la psychanalyse dans l'opinion. Au sein de l'Association de
Londres elle-même, des controverses eurent lieu pendant les années de guerre ; certains membres,
dont David Eder, le secrétaire, se rapprochèrent des idées de Jung. Les efforts de Jones pour rétablir
une unité de l'orientation échouèrent ; l'Association fut dissoute et, le 20 février 1919, reconstituée
comme Société britannique de psychanalyse, désormais sans Eder. Parmi les onze membres
fondateurs, six avaient été analysés par Jones (Jones à Freud du 5 mars 1919, Correspondance, p.
336).
Voir 774 Fer et la note 4.
Il manquait une virgule. Freud, 1900a, Interprétation des rêves, trad. I. Meyerson, Paris,
P.U.F., 1967, chap. vu, p. 508.

787 F
Prof. Dr Freud

le 24 janvier 1919
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je vous joins ici les deux pages avec les additifs qui vous manquent. A l'endroit des « Fälschungen der
normalen Denkfehler » [Falsifications du normal, erreurs de pensée], seule la virgule, avant le dernier mot,
a été oubliée.
Moi aussi, j'ai pensé à notre devoir envers Putnam. J'ai immédiatement écrit à Jones pour lui
demander s'il voulait rédiger la notice nécrologique lui-même, ou me la confier. Dans ce dernier cas, qu'il
veuille bien m'envoyer les données biographiques et la liste de ses travaux d'avant 1910. Après, je les
ai, dans une publication qui donne aussi une bonne image de lui. Si Rank ne peut faire état d'objections
graves, nous donnerons suite à votre proposition, très justifiée, dans le n° 2.
C'est grand dommage pour lui; c'est-à-dire pour nous. Il a eu une fin enviable.
A moi aussi, Jones exprime sa grande satisfaction devant le vif intérêt apparu en Angleterre. Il
veut publier le plus rapidement possible une revue anglaise, si possible une édition anglaise de
l'Intern.[ationale] Zeitschrift.
364 Correspondance 1914-1919

Rank a eu la très sage idée de l'inviter à une rencontre en Suisse, où ils pourront statuer sur cette question
ainsi que sur une autre. En effet, Pfister nous fait savoir qu'un éditeur de Berne 1 veut également créer une
édition >Vot trilingue, dirigée par lui-même, Claparède et une troisième personne, et demande quelle attitude
adopter. Rank va essayer de voir si, là, une coopération ne serait pas possible.
J'ai reçu aussi de Sachs la deuxième édition, très honorable, des Papers on `PA de Jones 2. J.iones] aimerait
que nous en traduisions deux nouveaux articles pour les inclure dans la Zeitschrift ; Anna s'occupe déjà de
l'un, et Sachs de l'autre 3.Je pense que vous pouvez aussi lui demander maintenant l'envoi de votre livre
(traduction de vos articles)', et un deuxième exemplaire éventuel me ferait très plaisir.
Selon les informations de Pfister, l'affaire de Jung va très mal à Zurich, et à son initiative ide
Pfister], la création de la nouvelle filiale est en cours. Le président devrait être Oberholzer, qui ne me
pose problème qu'en sa qualité de névrosé grave 5. Assurément, ils ont en Suisse un élevage de fous
pur sang tout à fait particulier.
J'ai pris connaissance avec beaucoup de satisfaction des progrès de vos affaires personnelles. Bien
des choses vont encore s'aplanir, une fois établil'état de fait.
Toni va naturellement beaucoup mieux qu'à la maison, mais passe par un état de révolte névrotique
parce que je ne veux plus accepter aucun don de lui. Quelques morceaux de sa sauvagerie primitive ne
sont pas encore démantelés. Pour l'instant, il n'est guère enclin à retourner à Budapest ; il a suspendu
aussi, pour le moment, ses efforts concernant le fonds principal. J'espère que cette interruption ne
présente pas de danger pour la cause. Il a invité Madame le Dr D.iubowitz] à venir à Vienne, mais il se
fait périodiquement peur à lui-même en évoquant la possibilité qu'elle se tue ici. Je ne peux pas la prendre
maintenant – si tant est que ce soit opportun–, j'espère aussi qu'on ne la laissera pas voyager si son état
n'offre pas quelques garanties contre le suicide.
Martin a indiqué son lieu de séjour par télégramme: « Genova S. Benigno inferiore », et a pu ajouter
: je suis en bonne santé. S. Benigno inferiore est une grande caserne au bord de la mer près du
phare, à proximité de la gare.
Je suis toujours occupé à plein temps. J'aurai bientôt mis au propre quelques nouveautés
confirmées concernant la genèse du masochisme S.
L'argent et les impôts constituent actuellement des thèmes tout à fait exécrables. Maintenant on «
se consume » vraiment. Ces 4 années de guerre étaient une plaisanterie, comparées à l'amère rigueur
de ces mois et certainement des prochains.
L'Association travaille un dimanche sur deux. Ici aussi l'ambiance est bonne et animée.
Salutations cordiales à vous et à votre chère femme.
Votre Freud
Ernst Bircher.
Papers on Psycho-Analysis, Londres, 1913 ; deuxième édition: 1918. Théorie et pratique de la psychanalyse,
trad. Annette Stronck, Paris, Payot, 1969.
« Traits de caractère anal-érotiques », trad. Anna Freud (Zeitschrift, 1919, 5, p. 69-92),
Théorie et pratique de la psychanalyse, op. cit., p. 378-398, et « La théorie du symbolisme », trad. Hanns
Sachs (ibid., p. 244-273, et 1922, 8, p. 259-289), Théorie et pratique de la psychanalyse, op. cit., p.
82131.
Ferenczi, Contributions to Psychoanalysis, Boston, 1916.
Le 10 février, Pfister, Mira et Emil Oberholzer annonçaient, dans une lettre circulaire, la création
d'une Association suisse de psychanalyse. La réunion constitutive eut lieu le 21 mars, la première
séance le 24 mars, avec, comme invités, Jones, Rank et Sachs qui parlèrent de « la psychanalyse
comme mouvement spirituel ». Emil Oberholzer était le président, Hermann Rorschach le vice-
président, Binswanger, Mord et Pfister les autres membres du bureau.
« Un enfant est battu. Contribution à la connaissance de la genèse des perversions sexuelles»
(Freud, 1919e), Névrose, psychose et perversion, op. cit., p. 219-243.

788 F
Prof. Dr Freud

le 3 février 1919
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami
Je profite du retour à la maison de Toni pour vous envoyer une lettre qui voyagera rapidement.
Pas grand-chose de nouveau chez nous ; j'attends plutôt de grandes nouvelles de votre part.
Beaucoup à faire; je travaille aussi sur la 2e édition du Leonardo 1,qu'au bout de 9 ans il m'a enfin été
donné de voir. Les discussions avec Rank mobilisent une grande part de mon intérêt; il travaille dur, mais
volontiers. Une telle maison d'édition donne de l'occupation. A présent, son voyage en Suisse se prépare ;
il pourra y convoquer Jones et interroger Pfister pour en savoir un peu plus sur le projet des concurrents
bernois. Notre entreprise va nous coûter beaucoup d'argent et, chaque jour, de nouvelles occasions se
présentent pour en investir. Nous ne savons rien du fonds principal. Espérons qu'il n'est pas perdu ; Toni,
qui est actuellement fâché avec l'analyse, ne s'en est pas occupé, semble-t-il.
J'ai écrit une courte notice nécrologique sur Putnam et promis un éloge accompagné d'une
photographie pour le n° 3. Il n'y a pas moyen de travailler avec Heller, des achats de papier nous
rendront tout à fait indépendants de lui. Dès qu'il y aura du papier, votre livre et la discussion sur
les névroses de guerre iront à l'impression, mais le manuscrit de Simmel n'est pas encore arrivé. Et
il y a ainsi d'innombrables soucis et difficultés du même ordre. Comme je l'ai dit, toutefois, les deux
jeunes gens, Rank et Reik, travaillent très vaillamment.
Pas d'autres nouvelles de Martin.
Vive activité à l'association.
Je vous salue cordialement, ainsi que Madame Gisela. Nous parlons
souvent de vous.
Votre Freud

1. Freud, 1910c, deuxième édition, 1919, chez Deuticke.


789 Fer
Dr Sdndor Ferenczi Idegorvos

Budapest, le 9 février 1919

Cher Monsieur le Professeur,


Quand on veut taire quelque chose, d'ordinaire, on se tait complètement. Je voulais vous épargner les
péripéties de mes chances académiques jusqu'à ce qu'elles soient définitivement réglées ; mais cela m'a
totalement empêché de correspondre avec vous ! – L'affaire ne se présente pas de façon entièrement
défavorable ; le nouveau ministre de l'Éducation est bien disposé envers la cause, ainsi que le commissaire
du gouvernement, nouvellement nommé, pour l'Université. Notre Association a adressé un mémorandum
au ministère, les étudiants ont envoyé, en même temps, une pétition dans le même sens'. L'affaire peut se
décider en quelques semaines.
Peu à peu, je remplis les séances des analystes nouvellement installés. Hollés a maintenant 7 séances,
Révész 8, Radé 5, Hàrnik 3. Moi-même, je peine sur mes vieux cas; par ambition pure, je ne veux pas les
laisser partir inachevés. Comme bonne nouvelle acquisition, je nommerai le Dr Feldmann 2, l'ami de
Lampl. Il comptera bientôt parmi les plus capables. Pour le moment, il est à l'Association à titre d'invité;
celle-ci, au demeurant, travaille bien. Quant au Dr Eisler, je ne pouvais le refuser plus longtemps ; il a été
admis aujourd'hui.
J'ai trouvé Toni en grand émoi. J'ai l'impression que la résistance fait surgir les couches plus
profondes, plus brutes de sa personnalité. Peut-être cela signifie-t-il pour lui la guérison ; mais –
présentement, du moins – il est inutilisable pour nous.
Il s'est occupé du fonds, il est vrai, mais certainement pas avec l'énergie qu'il aurait manifestée
auparavant. Actuellement, l'affaire est encore très incertaine pour le moment. Le maire Bédy 9 rejette
la responsabilité sur le fisc, lequel s'oppose au transfert de la somme vouée à nos objectifs. Le
ministre du Commerce Garami va essayer de faire aboutir les choses.
Le divorce de Gizella est enfin prononcé. Nous nous marierons dans les plus brefs délais. Nous
n'avons toujours pas de logement, bien que le gouvernement et la ville soient déjà mobilisés. Il
semble que, pour le moment, je sois encore obligé de consulter à l'hôtel.
En ce qui concerne ma santé, tout va très bien.
Je vous remercie de l'intérêt que vous montrez pour mon petit livre (l'Hystérie) 4. Espérons que
Rank va surmonter les difficultés. La parution du livre, si elle a lieu bientôt, pourrait conforter mes
chances universitaires.
Bien des salutations cordiales à vous, à Madame le Professeur et à Mlle
Annerl,
Voir 767 Fer et la note 1.
Sändor Feldmann (1890-?). Devient membre de l'Association hongroise en 1919, mais au
cours des années vingt, est contraint – dans des circonstances mal éclaircies – de démissionner
de l'Association psychanalytique hongroise ; il se joint alors aux « analystes actifs » d'orientation
stekelienne. Sur cet épisode et sur la polémique entre Ferenczi et Feldmann en 1930, voir
Ferenczi: 1930, 289, « A " pszichoanalizis " név illetéktelen hasznälata » (Utilisation non autorisée
de la dénomination de « psychanalyse »), Gyôgydszat, 1930, 1 ; 1930, 290, «" Viszonvàlasz " Dr.
Feldmann vàlaszàra » (« Réplique » à la réponse du Dr Feldmann), Gydgydszat, 1930, 2 ; Harmat,
Freud, Ferenczi, p. 157 sq. ; voir aussi t. III, 915 Fer, 1006 Fer, 1032 Fer, 1 109 Fer et 1166 Fer.
Feldmann émigre à New York dans les années trente. Devient membre de l'Association
psychanalytique de New York.
Tivadar Body (1868-1934). Juriste. Anobli en 1912. De 1918 à 1920, sauf pendant les mois de
la Commune, maire de Budapest. Spécialisé dans les problèmes financiers. En 1927, entre au Sénat.
Voir 828 Fer.
Voir 777 Fer et la note 3.

790 F
Prof. Dr Freud

le 13 février 1919
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
J'ai été très heureux de revoir votre écriture. Il est compréhensible que l'on veuille communiquer de
bonnes nouvelles, mais cela ne se trouve pas tous les jours et ne saurait remplir une correspondance.
Malgré tout, vous parlez d'espoirs et de progrès; certains points vont se réaliser bientôt. En ce qui concerne
vos chances universitaires, il faut bien tenir compte du fait que tous vos protecteurs ne resteront pas en
fonction le temps nécessaire pour prendre la décision. Mariage et logement sont sans doute plus assurés,
mais le professorat, je vous le souhaiterais vraiment.
Votre article technique' est de l'or pur analytique, que seul le praticien pourra pleinement
apprécier. A certains endroits j'ai ressenti l'envie d'y ajouter une phrase qui prolonge ou conclut.
L'affaire du fonds principal ne se présente pas aussi mal que vous le croyez. Plus tard, Toni est
encore intervenu énergiquement et a finalement obtenu de Bôdy la promesse que l'affaire serait
réglée dans un sens favorable lors d'une prochaine visite.
Toni, comme vous l'avez vous-même constaté, est déchaîné et révolté, subjectivement très bien,
objectivement en état de résistance. Je prévois avec certitude que la sublimation, actuellement
défaillante, se rétablira, après la cure, sur une base plus sûre. A moins que la situation réelle dans
son entreprise l'empêche prématurément de prolonger son absence ou ne produise un nouveau
semblant de guérison!
Vous serez certainement informé de nos perspectives et travaux par Rank, qui fonctionne de
façon tout à fait impeccable. Nous allons tout particulièrement accélérer votre livre, bien sûr. Quant
au travail de Pfei-
fer 2, vous devrez y apporter des corrections de style. C'est trop difficile à lire.
Le Leonardo, sans doute la seule jolie chose que j'aie écrite, est déjà corrigé pour la deuxième
édition et remis. Après 9 ans. Cela fera bientôt 10 ans que nous étions en Amérique.
De Martin, enfin, à nouveau 2 cartes, la dernière du 28 I. Il a – enfin – reçu les premières nouvelles
de nous. Il se dit en bonne santé, raconte qu'avec des centaines d'autres ils sont installés dans une
grande maison avec vue sur le port et la mer, autrement dit qu'ils ne peuvent quitter la caserne.
Cette fois, il demande aussi de l'argent; Gênes serait très cher.
De nous autres, pas grand-chose de réjouissant à rapporter. Privations, aggravation des
difficultés et insécurités nous dévorent lentement. Je ne suis bien que quand il n'est pas d'heure,
dans une journée, où je prenne conscience de moi-même.
J'aimerais déjà pouvoir remercier votre chère femme pour le gâteau qui a le goût de la paix.
Salutations cordiales à vous deux!
Votre Freud

« Difficultés techniques d'une analyse d'hystérie (avec des remarques sur l'onanisme larvé et les"
équivalents masturbatoires ") », Ferenczi, 1919, Psychanalyse, III, p. 17-23.
Voir 675 Fer, note 2.

791 Fer

Budapest le 1°r mars 1919

Cher Monsieur le Professeur,


Notre premier salut vous revient, à vous que nous aurions tant aimé choisir comme témoin à
notre mariage.
Il vous intéressera de savoir que le jour de nos noces a été troublé par une coïncidence tragique. Le
Dr P.[àlos], le mari divorcé de Gizella, est mort brutalement d'une crise cardiaque ce même jour ; la
nouvelle nous est parvenue avant même la cérémonie.
Vous saluant cordialement,
votre fidèle
Ferenczi et votre
fidèle Gizella, Mme
Sändor Ferenczi A

A. Les deux dernières lignes sont de la main de Gizella.


792 F
Prof. Dr Freud

le 4 mars 1919
Vienne, IX. Berggasse 19
Mes très chers Amis,
Enfin, je reçois de vous la nouvelle si longtemps attendue : votre union s'est accomplie, une
cérémonie officielle a couronné un mariage d'une demi-vie, qui s'est révélé indissoluble malgré les
tiraillements et les pressions! Je sais tout ce que chacun de vous a subi entre-temps, et à quoi vous
avez renoncé, mais ma conviction, forgée au cours d'une décennie, reste ferme : tout le bonheur que
vous êtes en droit d'attendre tous les deux ne pouvait être assuré que de cette façon et il en sortira,
malgré le temps que vous avez laissé passer, quelque chose de beau et d'unique. Comme vous m'avez
fait l'honneur de souhaiter que je sois le témoin de votre union, il m'est permis de parler de ma
personne et de vous avouer que, souvent, lorsque je devais penser à mettre de l'ordre dans mes
affaires et à prendre congé, j'étais tourmenté par le souci de ce qu'il adviendrait de vous deux qui
m'êtes devenus si chers – souci à présent apaisé.
Imaginez, en autant de mots que vous voudrez, tous les voeux de bonheur que les miens, pour
lesquels j'écris, vous envoient dès maintenant. Je vous souhaite un bel appartement, de sorte que,
vous aussi mon cher ami, puissiez, entre deux séances, passer du côté où votre femme vaque à ses
occupations; et à part cela, de vous à moi, un bon conseil: que je trouve un jour dans votre logis –
quand on pourra de nouveau voyager – quelque chose que j'ai connu avant vous.
Le hasard qui a jeté une ombre sur le jour de vos noces est bien étrange. Peut-être n'est-ce pas
un hasard, mais quelque chose de démoniaque, au sens de Groddeck. Vous l'avez certainement
perçu de la même façon.
Plus les choses vont mal autour de nous, plus fort nous voulons nous réjouir des perspectives de
notre cause scientifique. Espérons que le destin se montrera généreux avec vous et vous offrira
bientôt, après ce grand accomplissement, de plus petits aussi: le livre en allemand, le professorat,
etc.
Je vous salue tous deux cordialement et j'aimerais vous dire: au revoir,
votre fidèle
Freud
793 F A
Vienne, le 9 mars 1919

Cher Ami
Rank est parti le vendredi 7 III au soir, pour la Suisse. Auparavant, un télégramme de Sachs,
annonçant l'arrivée de Jones là-bas pour le 20 III. Cordialement,
votre Freud
A. Carte postale.

794 F
Prof. Dr Freud

le 17 mars 1919
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Aujourd'hui j'ai une occasion de vous écrire, car je dois vous faire suivre la
lettre ci-jointe de Jones'. Pour que vous appreniez ce qui se passe au-dehors
2, j'y joins la lettre de Sachs-Rank 2, arrivée en même temps, que je vous prie

de me renvoyer.
Par ailleurs, je ne sais pas grand-chose de vous depuis votre mariage,
pas même si ma réponse à votre annonce est arrivée.
De nous, peu de choses à dire, sauf ce que l'on n'avoue pas volontiers.
Le travail est encore ce qu'il y a de plus satisfaisant.
Rank me manque beaucoup et, en vérité, Freund aussi, dans un autre sens
mais tout autant. J'ai terminé un article « fort » de 26 pages sur la genèse du
masochisme, qui porte le titre : Un enfant est battu'. Un deuxième, au titre
énigmatique : Au-delà du principe de plaisir 5, est en gestation. Je ne sais si
c'est le printemps frileux ou l'alimentation végétarienne qui me rend soudain
aussi productif. Au demeurant, on est en train de devenir plus généreux dans
notre économie alimentaire. On s'apprête à supprimer les semaines sans viande
pour les remplacer par des mois sans viande. Une stupide plaisanterie d'affamé
!
Il semble qu'en ce qui concerne le fonds principal, vous n'ayez pas encore
abouti, sinon, je le saurais. Le Verlag travaille courageusement, mais dans les
difficultés les plus stupides qui, en l'absence de Rank, sont impossibles à
résoudre. Votre livre sur l'hystérie sera certainement le premier à être prêt. Les
névroses de guerre 6 sont retardées par Simmel. Le gredin a avoué qu'il n'avait
pas encore envoyé le manuscrit, qui aurait dû arriver depuis longtemps. Je
n'aurais certainement pas écrit l'introduction (« Préface ») si la communication
avec vous et Jones n'était aussi compliquée.
Un thème de discorde favori chez nous est l'été. Les discussions à ce sujet se terminent généralement
par: on ne peut faire aucun projet. Nous apprenons aujourd'hui qu'il nous est interdit de nous rattacher
à l'Allemagne, mais permis de céder le Tyrol du Sud. Je ne suis certes pas un patriote, mais il est
douloureux de penser que le monde entier, pour ainsi dire, deviendra l'étranger.
A vous et à votre jeune épousée, salutations cordiales de votre
Freud
Lettre du 5 III 1919 ; Freud/Jones, Correspondance, p. 335 et suiv.
Voir 787 F. «J'arrivai à Berne le 15 mars 1919 et y rencontrai le docteur Otto Rank. Hanns Sachs
nous y rejoignit deux jours plus tard. Rank se trouvait à Berne depuis une semaine déjà, pour
négocier avec un éditeur suisse [Bircher] » (Jones, III, p. 13).
Non retrouvée.
Voir 787 F et la note 6. Freud en avait terminé la rédaction le 14 mars (lettre inédite de
Freud à Kata Lévy, du 14 III 1919, LOC).
Freud, 1920g. « Au-delà du principe de plaisir », trad. J. Laplanche et J. B. Pontalis, Essais de
psychanalyse, op. cit., p. 41-115. Freud en a commencé la rédaction en mars et l'a terminée en mai.
Zur Psychoanalyse der Kriegsneurosen (La psychanalyse des névroses de guerre), Leipzig et Vienne,
1919 ; avec les comptes rendus d'Abraham, Ferenczi et Simmel au congrès de Budapest, une
contribution de Jones et une introduction de Freud (1919d).

795 Fer
Budapest, le 18 mars 1919

Cher Monsieur le Professeur,


Je me trouve au stade d'acclimatation à l'état de mariage. Hormis de petites
fluctuations qui passent rapidement, tout semble en bonne voie. L'avenir devrait
vous donner raison, à vous qui, malgré mes manifestations de résistance souvent
tout à fait dramatiques, ne vous êtes pas laissé détourner de cette solution. J'ai
l'impression que le règlement définitif de mon affaire personnelle va
substantiellement accroître ma capacité de travail. En tout cas, de nouveaux projets
de travail émergent sans cesse, par exemple celui de réaliser la spéculation paléo-
biologique. – Il vous intéressera sûrement d'apprendre que les restes de Basedow
commencent à disparaître ces derniers temps ; le pouls, qui approchait les 90, est
descendu à 60-70 ; le tour du cou s'est réduit de 2 cm. Donc, chez moi aussi, «
Groddeck » ! – La mort du Dr P.[àlos], le jour du mariage, n'était quand
même qu'un hasard;
il ne connaissait pas la date, c'est certain. Toujours est-il que sa brève maladie s'est déroulée
approximativement entre le divorce définitif et le mariage qui était une certitude. La
coïncidence est donc assurément singulière.
Votre gentille lettre nous a fait très plaisir. Nous espérons tous deux que notre amitié restera
toujours sans nuages. Je pense qu'il me sera désormais accordé de pouvoir aussi vous montrer
toute la gratitude que j'ai toujours éprouvée à votre égard. Les inhibitions névrotiques qui m'en ont
parfois empêché devraient avoir définitivement disparu de l'horizon. – Il est bon de sentir, en ces
temps effroyables, qu'on a quelques amis sur lesquels on peut compter en toutes circonstances et
pour lesquels on est prêt à tous les sacrifices. Remerciez aussi votre femme et votre belle-soeur
pour leurs aimables lignes. Gizella leur répondra bientôt.

Toni est de nouveau alerte et tout à fait présent. Ces temps-ci brasseur seulement,
il est vrai.
Je parlerai plus particulièrement des affaires \fra la prochaine fois; aujourd'hui, je voulais seulement donner
signe de vie.
Cordialement, votre reconnaissant
F.[erenczi]

A. Date et lieu à la fin de la lettre.

Budapest, le 18 mars 1919 B

Cher Monsieur le Professeur,


Je viens de recevoir de Berne le télégramme suivant: « Rank et Jones ici, salutations,
Ignotus. » (N.B. : Ignotus est actuellement en Suisse comme représentant diplomatique du
gouvernement.) Bien des salutations cordiales,
Ferenczi

Une lettre part aussi avec le courrier d'aujourd'hui.

Carte postale.
Date et lieu à la fin de la lettre.
797 F A
Vienne, le 25 mars 1919

Cher Ami,
Vous avez tout à fait raison dans votre remarque sur Tausk, laquelle, au
fond, s'adresse à moi '. Plus spécifiquement, cela aurait dû s'appeler : le
symptôme de conversion. Mais Tausk a retiré son article.
J'aimerais bien savoir comment vont à présent nos affaires, le
fonds principal et le petit fonds.
Cordialement,
votre Freud
A. Carte postale.
1. Une lettre de Ferenczi manque, semble-t-il.

798 Fer
Budapest, le 25 mars 1919

Chère Mlle Bernays !


Cher Monsieur le Pr.[ofesseur],
J'ai été surpris de recevoir aujourd'hui une lettre transmise par le Dr Reik. Cela
m'encourage à faire un essai avec celle-ci; peut-être vous parviendra-t-elle.
En ce qui concerne les effets t]i des événements ' – qui, en apparence, se sont
déroulés dans une tranquillité parfaite – tout ce que je peux dire est qu'ils ont
été et sont écrasants. Les émotions de la guerre et de la 1" révolution ne peuvent
y être comparées. La demande actuelle de redistribution d'investissements
libidinaux si importants et si profondément enracinés fait peser des exigences
monstrueuses sur la capacité d'adaptation de ce qui était jusqu'à présent la
classe possédante à laquelle je commençais, moi aussi, à appartenir et à laquelle,
au fond, j'ai toujours appartenu en tant qu'enfant de parents aisés. Le premier
jour de la révolution s'est passé en spéculations; l'effet plus profond n'est apparu
que les 2`, 3e et 4e jours. La menace d'isolement de la Hongrie non occupée, privée
ainsi de tout ravitaillement alimentaire, aggrave sérieusement la icptrtç *
intérieure. Ma petite fortune se composait d'actions industrielles et d'un dépôt
bancaire;
les premières sont dévaluées, le second (à peu près 20 mille) me sera versé par mensualités de 2 000
couronnes. Me restera, comme revenu fixe, le poste à la Caisse de Maladie des Ouvriers, que j'ai toujours
voulu abandonner, vous le savez. Les clients ne peuvent plus guère me payer; quelques-uns souhaitent
continuer à me verser mes honoraires. J'apprends que l'État envisage de nous payer, à nous les «
travailleurs de la tête », un salaire annuel de 12 x 1 800 couronnes, mais disposer en échange de notre
force de travail. (Un membre de l'Association glu, le Dr V. 2, est le délégué du peuple aux finances.) D'ici
quelques jours, je vais quitter mon logement actuel et emménager chez ma femme. La maison, qui
appartient à sa famille, sera « socialisée » comme toutes les maisons, c'est-à-dire qu'aucun loyer ne sera
payé. Une commission va entreprendre la répartition des appartements.
J'apprends qu'on prépare une réquisition rigoureuse des vivres, ainsi que de l'or, de l'argent, des bijoux et
des espèces. On est aussi revenu à l'état primitif dans la mesure où presque tous les crimes sont passibles de
la peine de mort.
Aujourd'hui je me sens beaucoup plus tranquille, c'est-à-dire prêt à tout ; je commence même à
m'interroger sur ce qu'il en sera de la 111A dans cette ère nouvelle. Naturellement, les nouveaux
dirigeants aussi nous sont profondément hostiles, mais peut-être croient-ils démontrer leur modernité en
voulant nous soutenir, comme on me le dit. Il faudra, bien sûr, s'en tenir à ce qui est strictement
scientifique, car la censure de la dictature est très sévère. – Toni va finalement atteindre son but, devenir
tira. Mais pourra-t-il conserver sa fabrique (comme « contremaître ») ? Cela reste problématique. – Mon
beau-frère, le frère de Gizella, un magistrat de haut rang (conseiller à la cour d'appel régionale) 3, va
probablement perdre son poste. La faculté de droit de l'Université a été dissoute, puisque désormais il n'y
aura plus de procès. L'État administre tout, essentiellement par ordonnances.
On se prépare à une nouvelle guerre contre les Tchèques, les Serbes et les Roumains. Deux cuirassés
du Danube que les Anglais avaient pris ont été capturés et les troupes d'occupation françaises faites
prisonnières 4. La nouvelle armée sera une légion purement prolétarienne, bourgeoisie exclue.
Tout dépend des progrès que le communisme fera à l'étranger, et de la
rapidité des Russes à venir nous secourir.
Quant à mes affaires de famille, ce sera pour la prochaine fois. Il est bon
qu'en ces moments, nous puissions enfin être ensemble.
L'Association travaille, comme par le passé.
Salutations cordiales à vous tous !
Je vous prie de me donner fréquemment de vos nouvelles.
Merci à Mlle Bernays !
Votre fidèle Alexander
**
Saluez le Dr Reik de ma part.

* En grec dans le texte: crise.


** Alexander : Sândor, en allemand. Corrigé en traits épais par-dessus le nom Ferenczi. 1. Les
crises graves, extérieures et intérieures, mettent fin au régime démocratique et les
communistes prennent le pouvoir. Le facteur déclenchant est la note remise par le
lieutenant-colonel Vix, exigeant le retrait des troupes hongroises à cent kilomètres
derrière la ligne de démarcation entre la Roumanie et la Hongrie, à partir du 20 mars.
Le jour même de la réception de cette note, le gouvernement Berinkey annonce sa
démission. Le 21 mars, la république hongroise des Conseils est proclamée, dirigée par
le «Conseil de gouvernement révolutionnaire ». Le social-démocrate Sändor Garbai
(1879-1947) est nommé président, mais la direction effective revient au communiste
Béla Kùn (1866-1939), commissaire aux Affaires étrangères.
Sândor Varjas. Voir t. I, 135 Fer, note 3. Varjas, membre du Parti social-démocrate,
très actif sous la république des Conseils, fut nommé professeur de sociologie à
l'Université. Après la chute du régime, il fut emprisonné et sauvé in extremis de la
condamnation à mort par une campagne internationale à laquelle participaient les
psychanalystes américains. Il fut finalement extradé en Union soviétique où il devint un
adversaire de la psychanalyse. Pàl Harmat, Freud, Ferenczi és a magyarorszàgi psychoanalizis
(Freud, Ferenczi et la psychanalyse en Hongrie), Berne, Université protestante libre,
1986, p. 51.
Dr Altschul.
Les Français avaient occupé le sud du pays. Après avoir opposé un refus catégorique à la note
présentée par le lieutenant-colonel Vix, le nouveau gouvernement, mettant tous ses espoirs dans
l'extension mondiale de la révolution, organisa une armée Rouge pour combattre les troupes
tchèques, roumaines et serbes.

799 F
Prof. Dr Freud

le 28 mars 1919
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Il n'y a qu'une chose pour me satisfaire et me tranquilliser: savoir qu'à présent, vous êtes avec
votre femme. Pour le reste – je regrette de ne pouvoir tout dire de ce que j'aimerais discuter avec
vous. Je vous enverrai régulièrement de brèves nouvelles et vous prie d'en faire autant. Mais
n'oubliez pas de me communiquer votre adresse. Nous avons une grève des trains, j'ignore donc
quand vous recevrez cette lettre. La vôtre, celle du 25, est arrivée ce matin.
Je peux me montrer plus explicite en ce qui concerne nos affaires d'édition. Selon le rapport de
Rank, Sachs et Jones, on peut en faire beaucoup à l'étranger mais, encore une fois, tout dépend
de l'argent, comme dit la chanson de Marguerite'. Je n'ai pas de nouvelles de Toni, j'espère qu'il va
se battre comme un lion, en tout cas notre fonds est déposé à 1'Agrarbank, et je ne sais si je peux
en disposer. Si un blocage des comptes intervient, nous ne pourrons pas même mener à terme les
entreprises déjà commencées. Sans l'appui du fonds principal, nous ne devons rien engager de
nouveau. Mais ce fonds, où est-il? Écrivez-moi tout ce que vous apprendrez à ce sujet, c'est d'une
très grande importance pratique.
Ne croyez pas, toutefois, que je sois soucieux ou ému. Je me suis doté d'une indifférence à
toute épreuve. Le manque de viande et la faim chronique contribuent également chez moi à
atténuer les affects. Et puis, à la
fin, nous sommes tout de même des Grands d'Espagne, autorisés à
s'exclamer fièrement avant l'exécution:

Nos têtes ont le droit


De tomber couvertes devant de toi * 2.

Je m'amuse beaucoup avec un travail : Au-delà du principe de plaisir,


que je ferai copier ensuite afin d'avoir votre opinion.
Pour Martin, tout va à merveille sur la Riviera, à une heure de Gênes. Il parle d'une demande
d'information, à laquelle il doit beaucoup. Ne serait-ce pas Madame Sarolta ?
Je vous salue, ainsi que Madame Gizella, très cordialement, j'attends de vos
nouvelles et vous prie de ne croire à rien sauf au changement.
Votre Freud

* En français ainsi dans le texte.


« L'or est partout/L'or soutient tout/Au pauvre la détresse!» (Goethe, Faust, I, op. cit., p. 127).
Ainsi rédigé dans l'original, en français. «Dans Hernani, de Victor Hugo, le bandit qui a participé à
une conjuration contre son souverain, le roi Charles Ir d'Espagne et empereur d'Allemagne Charles
Quint, est tombé entre les mains de son puissant ennemi ; il connaît le sort réservé aux hommes
convaincus de haute trahison, il sait que sa tête va tomber. Mais cette perspective ne l'empêche pas
de se faire reconnaître comme grand d'Espagne et de déclarer qu'il n'envisage de renoncer à aucun
des privilèges de son rang. Un grand d'Espagne avait le droit de rester couvert devant son seigneur
le roi. Voici donc la citation:
Oui, nos têtes ont le droit, ô Roi,
De tomber couvertes devant toi. " »
(Freud, 1905c, Le Mot d'esprit et son rapport à l'inconscient, op. cit., p. 401-402.)

800 F
Prof. Dr Freud

le 31 mars 1919
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je vous ai écrit le 28 III, mais je suis très heureux d'avoir de nouveau l'occasion, aujourd'hui, de vous
envoyer une lettre que, par l'entremise du Dr J.[ellinek], vous recevrez peut-être avant l'autre. Je ne
connais pas même votre adresse, quand vous quitterez l'hôtel. Cela dit, nous pensons à vous toute la
journée et aurions tant de choses à vous demander qui, par écrit, seraient trop longues à traiter.
Je ne m'étendrai que sur un problème concernant nos affaires. Je vous prie de faire le nécessaire,
avec Toni, pour que l'Agrarbank règle les formalités permettant d'effectuer le transfert du fonds
scientifique libellé à mon nom à sa filiale de Vienne. Comme il s'agit d'une donation et non
d'un bien privé, il n'y aura pas de difficultés. Car nous avons besoin d'argent pour les frais d'impression,
les salaires, les honoraires ; nos livres seront bientôt prêts et nous serons dans l'embarras si, à chaque
paiement, nous devons affronter les difficultés de communication avec la Hongrie. Rank doit rentrer d'ici
2 à 3 jours, alors les activités reprendront. Je n'envisage pas actuellement d'entreprises scientifiques plus
importantes, mais j'aimerais voir sauvegardées celles déjà en chantier.
J'ai de très bonnes nouvelles de Martin, de Cogoleto, à 1 heure de Gênes. Les restrictions de la
captivité y sont bien moindres, il manque seulement d'argent pour des vêtements et du linge.
Je suis encore fort occupé, mais j'écris en même temps mon nouvel essai, « Au-delà du principe de
plaisir », et dans ce cas, comme toujours, je sais pouvoir compter sur votre faculté de compréhension
jamais défaillante à ce jour. Je dis là beaucoup de choses bien peu claires, dont le lecteur devra s'arranger.
Impossible, parfois, de faire autrement. J'espère cependant que vous y trouverez des choses intéressantes.
Malheureusement, cela ne vaut pas un échange d'idées de vive voix.
Saluez cordialement votre chère femme de ma part,
votre Freud

801 F
Prof. Dr Freud

le 1°* avril 1919


Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Le lundi de Pâques Aest si calme qu'il peut justifier une lettre sans motif et sans contenu. Il est vrai
que j'ai reçu de vous, aujourd'hui, une coupure de revue médicale allemande ' qui témoigne que la science
allemande semble se rapprocher de la tFA, mais cet événement même me laisse si indifférent et la
réapparition de ce cochon de Friedländer éveille en moi tant de dégoût non recraché que cela ne m'incite
pas à participer plus activement aux événements du monde. La tension excessive, la perception du
désarroi, de la perplexité et de l'incompréhension devant tout ce qui se passe finissent par rendre
apathique et nous renvoient à notre malaise propre, motivé par de petits soucis, des difficultés de
ravitaillement et de santé. J'ai encore eu une journée plaisante récemment, lorsque Rank était là. Sachs
ne le remplace quand même pas complètement, malgré toute sa bonne volonté et ses capacités. Sinon, je
vis solitaire, une fois mes dix plaies derrière moi, et je ne pense pas volontiers à un nouveau travail.
Un membre de votre association vous reviendra dans quelques semaines,
guéri de son incursion dans la psychose et sous la forme d'un névrosé à moitié
analysé : Anton Freund. Espérons qu'il va bien aussi pour le reste.
J'ai trouvé chez lui la confirmation d'une hypothèse sur l'origine du fameux « sentiment d'infériorité 2 », que
je me réserve pour une communication orale.
Ernst a rapidement surmonté son catarrhe fébrile aigu, mais il a sans aucun doute une inflammation
apicales en pleine évolution, à laquelle il s'efforce maintenant de donner un tour favorable. – Nous estimons
ici que les chances d'un séjour d'été convenable sont très faibles peu à peu, on apprend à mesurer
l'appauvrissement entraîné par la guerre. Nous n'avons aucune nouvelle des Tatras.
Heller devrait devenir accessible après Pâques je guette le moment de l'intéresser à vos projets
comme aux miens, mais il ne va guère se hâter.
J'aimerais en savoir plus sur l'état de vos affaires il semble donc qu'il n'y ait encore rien d'assuré.
Je vous salue cordialement, ainsi que Madame G.
votre Freud
A. En fait, le 1° avril 1919 était un mardi.
Non identifiée.
C'est-à -dire le concept forgé par Alfred Adler.
Inflammation du sommet du poumon.

802 Fer
Dr Sdndor Ferenczi
Idegorvos

Budapest, le 4 avril 1919

Cher Monsieur le Professeur,


Reçu votre lettre du 28 ainsi que celle apportée par le Dr J.[ellinek]. Je me réjouis de votre
productivité de mon côté, on ne peut parler que d'un « métabolisme latent ».
Vous devez faire transférer d'urgence à la filiale de là-bas le f.[onds] libellé à votre nom. D'après les
règlements d'ici, vous en avez absolument le droit. Adressez-vous, dans cette affaire, à la filiale
viennoise! Pour le f.[onds] principal, nous faisons l'impossible peut-être tout se décidera-t-il dans
les jours qui viennent. Je vous tiendrai toujours informé du plus important.
L'adresse de mon appartement: Budapest VII, Nagydiôfa utca 3 II. Nous sommes passablement
entassés ici – pour le moment je n'ai pas d'accès convenable à mon cabinet de consultation.
Les chances de la psychanalyse « fluctuant nec merguntur * ` ». Aujourd'hui
j'ai eu chez moi 1) une délégation d'étudiants qui veulent fonder une association
jra d'étudiants en médecine. Je vais les soutenir. 2) Le médecin-chef de la
Caisse-Maladie des Ouvriers, qui voudrait créer un dispensaire lIrce, et le
mettre à la disposition de l'Université. (Accessoirement, bien sûr, il veut obtenir
la chaire des maladies professionnelles.)
Puis vint la nouvelle que Jendrässik 2 ! et Décsi 2 ! ! avaient été chargés de la
réorganisation de l'enseignement de la neurologie. (Je ne sais pas si c'est vrai.
Ce soir j'en apprendrai plus par Radd qui a été appelé à remplir des fonctions au
commissariat à l'Enseignement [auparavant ministère] et y a de l'influence. N.B.:
Avant-hier, tous les professeurs d'Université ont été suspendus, les nouveaux
doivent être nommés dans quelques jours.)
Au nom d'un représentant du peuple, j'ai été invité à prendre la responsabilité
d'une clinique privée, réquisitionnée pour l'Institut Ira. – C'est assez pour une
journée ! Ajoutons une commission qui voulait nous enlever une pièce de notre
appartement.
Rdheim serait parmi les professeurs qui vont être nommés et devrait commencer les cours dès
lundi.
J'ai oublié 5) de raconter que j'étais invité, hier, à participer à une réunion où
l'on traitait de la coopération entre associations et institutions scientifiques.
Et tout cela à une époque où – comme vous dites – rien n'est durable, sauf le changement.
Bien des salutations cordiales de
votre F.[erenczi]
Dommage que je ne puisse aller à Vienne! Pour le moment il est tout à fait exclu que je puisse
vous rendre visite.

A. Dans le manuscrit, parenthèses dans les parenthèses.


* En latin (ainsi) dans le texte : fluctuent mais ne sombrent pas.
Fluctuai nec mergitur était l'épigraphe choisie par Freud pour son « Histoire du mouvement
psychanalytique» (1914d, Sur l'histoire du mouvement psychanalytique, op. cit.).
Voir t. I, 295 Fer, note 6.
Voir t. I, 85 Fer, note 4.

803 Fer
Dr Sdndor Ferenczi
Idegorvos

Budapest, le 5 avril 1919

Après coup!

Cher Monsieur le Professeur,


Je vous prie de vous en tenir aux instructions données par Toni et de
demander le transfert du petit fonds directement à l'établissement d'ici, car il
n'y a pas de filiale à Vienne.
Salutations!
Ferenczi
comme: « Il faudrait consacrer une section psychiatrique à la recherche gice sur les psychoses'. »

1. «Kell-e az egyetemen a pszichoanalizist tanitani ? » (Faut-il enseigner la psychanalyse à


l'université ?), Gyégydszat, 1919, 59, p. 192 ; Freud, 1919j. Voici cette phrase telle qu'elle figure dans
la version française (traduite du hongrois) publiée dans le n° 19 de la revue du Coq-Héron (septembre
1971) : «Pour pratiquer la psychiatrie psychanalytique, un service hospitalier psychiatrique serait
également d'une grande utilité » (p. 14-15). Voir également la traduction de J. Dor à partir de
l'allemand: « Doit-on enseigner la psychanalyse à l'Université? », in Résultats, Idées, Problèmes, I, op. cit.,
p. 239-242.

804 F
ProfDr Freud

le 9 avril 1919
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Merci beaucoup pour vos deux lettres arrivées hier et aujourd'hui. Je vous écrirais volontiers
très souvent, si je pouvais espérer que les lettres parviennent à destination. Je n'ai pas reçu la lettre
de Toni à laquelle vous semblez faire allusion, aussi ai-je demandé à la banque, de mon propre chef,
le transfert des deux comptes à Vienne.
Rank, ce vaurien, se donne du bon temps en Suisse, il ne viendra que vendredi. Je ne peux rien
dire à l'avance, bien sûr, mais je conclus, à partir d'une lettre de Genève, que dans toutes les
négociations il a insisté pour qu'il soit tenu compte de l'insécurité de notre situation. Son travail a
été, somme toute, irréprochable jusqu'à présent.
Simmel a enfin envoyé le manuscrit, les n°' 1 et 2 de la Bibliothèque tira I.[nternationale] sont
donc pratiquement prêts, les autres progressent vaillamment. Dès que Rank sera de nouveau là,
tout repartira d'un seul coup.
Ma pratique se maintient encore ; j'y prends actuellement peu d'intérêt et ne suis pas satisfait des
résultats. D'une certaine façon, ici aussi ces temps ont provoqué un relâchement général. J'aimerais
savoir dans quelle mesure vous arrivez à travailler. La cure avec Madame Margit D.[ubowitz], que je
mène avec une grande prudence, est de loin le plus important. Je sais aussi par elle où Börne' veut en
venir dans l'article que vous destiniez à Imago. La chose me paraît extrêmement plausible ; j'ai reçu très
tôt Börne en cadeau, peut-être pour mon 13° anniversaire, l'ai lu avec grand enthousiasme, et le souvenir
de certains de ces petits articles m'est toujours resté très présent. Pas les cryptomnésiques,
naturellement. Quand je les ai relus, j'ai été étonné de constater à quel point certaines choses qui s'y
trouvent recouvrent quasi textuellement des choses que j'ai toujours soutenues et pensées. Il pourrait
alors vraiment être la source de mon originalité.
Malgré toute la générosité de l'Entente, notre alimentation est toujours
parcimonieuse et misérable; en fait, un régime de famine. Mais le manque
de cigares menaçant est presque pire pour moi, car je n'arrive pas à me
restreindre. Sachant à présent que Budapest ne peut me venir en aide, j'ai
le droit de m'en plaindre sérieusement.
Sinon, nous apprenons – curieusement – à être de bonne humeur.
Avec les salutations les plus cordiales à vous et à votre chère épouse,
votre Freud

1. Ludwig Börne (de son vrai nom Löb Baruch, 1786-1837), homme de lettres. Freud a
reconnu l'influence de Börne sur ses idées, en particulier sur celle d'association libre, dans son
article « La préhistoire de la technique analytique » (Freud, 19206), qui parut ensuite dans la
Zeitschrift de façon anonyme, signé d'un simple « F. ». « Sur la préhistoire de la technique
analytique », trad. J. Altounian, A. Bourguignon, P. Cotet, A. Rauzy, Résultats, Idées, Problèmes, I,
op. cit., p. 255-258 : «Il y a peu, le Dr Hugo Dubowitz de Budapest signala au Dr Ferenczi un petit
article de Ludwig Bôme comprenant seulement quatre pages et demie, composé en 1823 et
reproduit dans les Ouvres complètes [...] Il a pour titre: " L'art de devenir un écrivain original en
trois jours " [...] Le Pr Freud [...] était particulièrement étonné de trouver exprimées dans les
instructions à suivre pour devenir un écrivain original quelques pensées qu'il avait lui-même
toujours cultivées et défendues [...] Il ne nous semble donc pas exclu que cette référence ait
peut-être dévoilé cette part de cryptomnésie qu'en de si nombreux cas il est permis de présumer
derrière une apparente originalité » (Résultats, Idées, Problèmes, I, op. cit., p. 254-258, citation p. 257-
258).

805 F
Prof. Dr Freud

le 12 avril 1919
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Juste la brève nouvelle que Rank est rentré hier de Suisse. Comme toujours,
il s'est comporté avec beaucoup d'intelligence, a noué beaucoup de contacts ;
il pense qu'il est indispensable que Sachs reste en Suisse pour y être notre
agent ; entièrement d'accord, à condition que ce soit financièrement réalisable.
Jones est entièrement avec nous, très chaleureux, malheureusement vieilli,
maladivement déprimé. Il va créer la revue anglo-américaine sans notre argent,
et considère qu'un congrès, ou du moins une réunion du Comité à l'automne,
en Hollande, est indispensable. J'espère que vous pourrez vous libérer tous les
deux. Ils pensent qu'il sera nécessaire de déplacer le centre de gravité vers
l'ouest ; à la longue, nos associés ne s'en laisseront pas conter par nous, gens
d'Europe centrale.
Je vous demanderai de nous donner, à moi et à Rank, un certain nombre
de procurations pour régler les affaires de moindre importance qui,
autrement, passeraient dans les attributions de la direction centrale. Nous
nous efforcerons de vous tenir au courant, vous et Toni, de tout ce qui est
important.
Le groupe suisse ne vaut apparemment pas grand-chose.
ClaparèdeGenève ' ne songe pas encore à adhérer.
Rank a reçu de Jones une valise avec les affaires d'Anna 2 et nous l'a apportée sans encombre.
Grande jubilation, accompagnée de chocolat, mandarines et havanes.
J'ai écrit à la banque et j'attends la réponse.
Salutations les plus cordiales à Gizella et à vous ; j'attends d'autres
nouvelles de vous,
votre Freud
Un groupe psychanalytique s'était formé à Genève, sous l'égide de Claparéde. Il se réunissait
irrégulièrement, était ouvert à tous ceux qui étaient intéressés et ne prenait aucune disposition
pour se joindre à l'Association psychanalytique internationale (voir aussi Jones à Freud du 25 mars
1919, Correspondance, p. 338).
Qu'Anna avait dû laisser en Angleterre en 1914.

806 Fer
Dr Sdndor Ferenczi
ldegorvos

Budapest, le 13 avril 1919, dimanche soir

Cher Monsieur le Professeur,


Avant tout, encore une fois ma nouvelle adresse : VII, Nagydibfa utca
II. Peut-être cet écrit-là vous parviendra-t-il ; je n'ai pas encore reçu de réponse à ma dernière
lettre, de sorte que je ne suis pas rassuré sur son sort. – Le fait est que nous ne pouvons pas
correspondre comme autrefois.
Je pense être en mesure de vous donner des nouvelles réconfortantes, du moins partiellement, du
petit f.[onds] (et de votre f.[onds] privé). Une personnalité autorisée m'a promis aujourd'hui de
rendre le f.[onds] privé entièrement disponible; quant au petit, elle en débloquera mensuellement
dix à quinze mille. J'espère pouvoir améliorer encore ces conditions et poursuis mes tentatives pour
le f.[onds] principal. Quoi qu'il en soit, essayez d'obtenir directement le transfert de la totalité du
petit f.[onds] suivant les indications de Toni, par un acte écrit.
Toni est de nouveau passablement hypocondriaque. Il a de fortes douleurs qu'il localise dans le
dos et la région du foie; il s'abandonne de plus en plus à l'état de maladie. Inconsciemment (et sans
doute aussi consciemment), il voudrait aller à Vienne. Je vais essayer d'avoir quelques entretiens
analytiques avec lui.
De moi-même, je ne peux vous raconter grand-chose, cela irait mieux de vive voix. Peut-être
essaierai-je, une fois, de faire un saut jusqu'à Vienne. Physiquement je vais bien, je dors mieux, je
prends du poids – tous signes favorables. (La censure a un effet paralysant sur ma 'faculté, au
demeurant médiocre, de donner des informations sur moi-même.)
384 Correspondance 1914-1919

La PA est courtisée de toutes parts ; j'ai quelque peine à décliner toutes


les avances. Hier, cependant, je n'ai pu échapper à l'invitation directe de
me charger d'un service hospitalier d'État. Dans la nouvelle ère, on va
communiser toute la pratique médicale; la pratique privée sera totalement supprimée. La
'PA va devoir se déplacer sur le matériel hospitalier.
La conférence inaugurale de Réheim était une profession de foi ouverte et
totale en faveur de la LPA. Son enseignement est indigeste mais ses
conférences seront très utiles à la 'PA lorsqu'elles paraîtront sous forme de
livre.
Je pense à vous très, très souvent et je maudis les obstacles qui m'empêchent actuellement de
discuter de tout avec vous.
Gizella vous salue, ainsi que votre famille, le plus cordialement; moi de même.
Votre fidèle
Ferenczi
Hier j'ai fait un exposé « sur la psychosexualité », à la Société de formation
post-universitaire des étudiants en médecine. L'auditoire était nombreux et
attentif.
14 IV. Votre lettre du 9 de ce mois arrive à l'instant même!

807 Fer
INTERNATIONALE PSYCHOANALYTISCHE VEREINIGUNG
Präsidium : Budapest, VII, Erzsébet Korut 45

ASSOCIATION PSYCHANALYTIQUE INTERNATIONALE


Présidence: Budapest, VII, Erzsébet Korut 45

Budapest, 19 ^ 19, le 15 avril

Cher Monsieur le Professeur,


J'utilise cette occasion rare de vous faire parvenir directement quelques lignes. –
D'abord le cas Toni : depuis le moment où l'éventualité de votre venue a été
évoquée', j'ai cessé de pratiquer avec lui des discussions analytiques
approfondies – aussi est-il complètement suspendu à votre venue. Si vous deviez
en être empêché, je pourrais toujours prendre le relais. Au demeurant, nous
n'étions pas encore parvenus à une véritable ambiance analytique.
Je peux vous avouer à présent que j'avais le projet de vous rendre visite
à Pâques. J'espère que cette rencontre va maintenant se réaliser en sens
inverse – il y a terriblement longtemps que nous ne nous sommes parlé –
et précisément maintenant, où chaque jour représente des éternités!
Je suis surchargé de problèmes personnels et professionnels. Cet éloi-
gnement trop prolongé augmente la tension de façon excessive. Je me
demande si nous pourrons tout discuter ici comme il faut. –
Alors, en bref: au revoir!
Bien des salutations de votre
Ferenczi
A. En-tete pré-imprimé jusqu'ici.
1. Voir lettre de Freud à Ernst Freud, du 27 avril 1919: «[]]'ai [été] invité à y aller pour 8 à 15
jours, afin de le [von Freund] soigner à l'occasion d'une rechute. Cela ne m'a pas été possible »
(LOC).

808 F
Prof. Dr Freud

le 20 avril 1919
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Il y a 33 ans aujourd'hui, j'étais là, médecin frais émoulu, ignorant de mon avenir, avec le projet
d'aller en Amérique, alors que les 3 mois pour lesquels j'avais assez de réserves ne se montraient pas
assez riches en promesses. Tout compte fait, est-ce qu'il n'aurait pas mieux valu que la chance ne me
sourie pas aussi amicalement à l'époque? Malgré tout ce qui a pu être accompli depuis, jamais la
sécurité n'a été au rendez-vous. Il me sera impossible de fournir beaucoup plus d'un tiers de siècle
de dur labeuravec les hommes et les démons.
A Budapest, on a fait l'addition sans l'aubergiste, en présentant à Toni ma visite comme une
certitude. Hormis tout ce que commanderait la sagesse, avec ma prostate qui exige un libre accès aux
toilettes toutes les heures, je ne suis pas en mesure d'affronter actuellement les difficultés d'un voyage
et je me retrouverais dans les situations les plus pénibles comme la première fois, il y a 10 ans, en
Amérique t. Si je venais, ce serait pour vous revoir. J'éprouve le même besoin d'échanger des idées
que celui dont vous faites état, aussi ai-je mijoté le projet que vous accompagniez Toni à Vienne. Je
n'imagine pas qu'on puisse empêcher le malade de faire ce voyage, alors que, de toute façon, il ne
peut pas travailler là où il est.
La lettre d'information de Lajos * n'est pas arrivée, aussi me suis-je demandé pendant un
certain temps s'il ne s'agissait que de la suite de sa névrose, dont j'espère venir à bout
rapidement. Mais une réponse télégraphique de Lajos semble exclure cette possibilité. J'espère
qu'il est tout à fait sûr du diagnostic. Il est facile de se tromper.
Ce que Toni pense de la situation actuelle de la TA chez vous semble très sensé. De la retenue :
nous ne sommes faits pour aucune espèce d'existence officielle, nous avons besoin de notre
indépendance tous azimuts. Peut-être sommes-nous aussi fondés à dire: que Dieu nous protège
de nos amis. Des ennemis, jusqu'à présent nous sommes venus à bout. Et
puis, il y aura un après, où nous devrons de nouveau trouver notre place.
Nous sommes et restons libres de toute tendance, sauf une : faire de la
recherche et aider.
De nous, privatim ** : nous apprenons par un télégramme de Munich
qu'Ernst, au milieu des troubles de la révolution, a obtenu son diplôme 2
avec mention.
A vous je demande de recourir, chaque fois que ce sera possible, aux
voyageurs pour notre correspondance. Le courrier est peu sûr. Si cela
marche, que le petit fonds parvienne entre mes mains en une fois et le plus
rapidement possible. J'ai ici la sensation de flotter en l'air, ce qui serait
plus agréable en rêve que dans la réalité.
Avec mes salutations les plus cordiales à vous et à Madame Gizella,
jusqu'à nos retrouvailles,
votre Freud
Rank est encore alité, mais avec une simple angine. Federn a eu le mauvais
goût de faire une pleurésie.
* Lajos Lévy.
** En latin dans le texte : personnellement.
Où Freud avait fait une prostatite accompagnée d'incontinence (Saul Rosenzweig, Freud, Jung and
Hall the King-Maker, Seattle, 1992, p. 64).
Diplôme d'architecte.

809 Fer
INTERNATIONALE PSYCHOANALYTISCHE VEREINIGUNG
Präsidium : Budapest, VII, Erzsébet Korut 45

Budapest, le 21 avril 1919

Cher Monsieur le Professeur,


Il arrive sans cesse tant de choses, actuellement, qu'on a bien de la
peine à tout résumer brièvement.
D'abord, le cas Toni.
On vient d'appeler en consultation un chirurgien très compétent qui
soupçonne un petit calcul rénal et demande une radiographie précise ; j'espère
que Toni sera désormais plus apaisé encore qu'il ne le semble déjà. Du point
de vue psychique, ni pendant les crises douloureuses, ni après, il n'a manifesté
l'hypocondrie exagérée dont il avait fait montre en des occasions antérieures. Il
prend une part active aux affaires de l'Association. En
un mot : je suis très satisfait de lui.
Les affaires de l'Association.
Grâce â l'intervention d'un ami qui a de l'influence dans ce genre de
circonstances, il a été possible de faire pencher la décision dans un sens
trèsfavorable. Dès que les conditions de communication se seront améliorées, la maison d'édition (Rank
ou Reik) recevra un visiteur très distingué : le porteur de l'heureux message concernant l'état de
notre mouvement scientifique. Toute la confiance que vous avez mise dans la bonne volonté des
éléments actifs d'ici va se confirmer. Ainsi, nous cesserons d'être vos débiteurs et vous serez, de
ce fait, en mesure de régler facilement les engagements du Verlag à l'étranger et de disposer de 2
fonds en toute indépendance. Je veux parler du fonds privé et du plus petit fonds. La décision
concernant le principal n'est pas encore tombée mais, comme il est apparu que votre nom et nous
qui vous représentons rencontrions partout des portes ouvertes et la plus grande prévenance,
nous pouvons nous montrer optimistes à cet égard aussi. Nous attendons impatiemment de vos
nouvelles, concernant la dernière étape de nos efforts.
Dans le groupe local hongrois, il ne se passe rien d'essentiel actuellement; tout le monde
s'occupe de politique, l'intérêt scientifique s'est quelque peu relâché.
Les affaires universitaires bougent également. Le Dr Radé a été nommé assistant à la clinique
Moravcsik ; Mlle le Dr Révész y a été officiellement engagée, elle aussi.
A moi-même, comme je vous l'ai dit, on a offert un beau département hospitalier, que je vais
accepter.
Mes affaires personnelles exigent une lettre particulière, que je ne pourrai écrire que demain.
Donc — assez pour aujourd'hui!
Les salutations les plus cordiales
de votre fidèle
Ferenczi
P.S.
J'ai dû montrer cette lettre à Toni !
En réalité, il s'agit d'une récidive de sa maladie !!

810 Fer
[Budapest, sans date]

Cher Monsieur le Professeur,


Je ne peux dire à quel point il m'est difficile de supporter la séparation intellectuelle d'avec vous,
qui devient de plus en plus chronique. Tous les moyens de communication écrite sont fermés, la
perspective plus ou moins proche de vous parler personnellement a pratiquement disparu. Et ce,
au moment précis où j'ai cent choses personnelles et professionnelles qui demanderaient qu'on les
évoque et qu'on en délibère ensemble.
L'état de T.[oni] me chagrine plus que je ne saurais le dire. Il supporte ses symptômes avec une
admirable résignation quant à son destin; certes,
388 Correspondance 1914-1919

au fond de lui-même, il nourrit l'espoir qu'il s'agit cette fois encore d'un problème
psychique. Il m'en coûte beaucoup de garder en face de lui bonne humeur et
insouciance. Je le vois tous les jours, mais je me contente d'écouter ses plaintes
et de le distraire. Sa famille ne se doute de rien. Seule Madame R6zsi ' montre les
signes d'une inquiétude croissante. Au fond, c'est seulement ces jours-ci que
nous (Toni et moi) nous rapprochons davantage; il m'est d'autant plus
douloureux de savoir dans quel triste état il se trouve. Le Dr L.[évy] a fait, il y a
quelques jours, des déclarations optimistes quant à l'effet qu'on peut attendre de
la cure de rayons X et il s'est référé à un cas qui aurait été guéri par quelques
séances de rayons. Mais, entre-temps, l'avis de décès de ce patient a paru dans
les journaux.
C'est d'abord à une plus grande intimité avec T[oni] que je dois d'avoir pu apprécier la subtilité
intellectuelle et affective de cet homme remarquable. – S'il devait nous rester, alors notre lien
d'amitié serait scellé pour toujours. Malheureusement, j'ai très peu d'espoir!
Je vous dois encore une information sur ma nouvelle vie de famille. – Le bien-être physique a toujours
été pour moi la mesure de mon équilibre psychique, et je me sens physiquement parfaitement bien,
malgré les bouleversements considérables et violents de cette époque volcanique.
Que Madame G. soit une excellente compagne de tous les espoirs et de toutes les craintes, de toutes
les aspirations et de tous les travaux, vous le savez. Mais elle est aussi celle qui arrange tout, se dévoue
toujours uniquement pour les autres, la femme la plus aimante que l'on puisse imaginer. – Un petit reste
de névrose perturbe encore certains mécanismes de plaisir d'importance vitale. Mais de cela, elle ne sait
rien.
Maintenant, venons-en à la science. –
Nous ne cessons de nous demander avec inquiétude si M. Salzer a bien transmis, à vous, à Rank ou
à Reik, la bonne nouvelle, à savoir que le Verlag est devenu actif et opérationnel, et si les démarches
appropriées ont été effectuées. Nous attendons avec impatience un télégramme à ce sujet, d'autant que le
Dr Sz.[abô] Sàndor 2, à Vienne, est personnellement toujours indisponible. – Quant au fonds principal,
nous devons pour l'instant laisser les choses en suspens. Les éléments actifs compétents en la matière
ont actuellement d'autres soucis. Cependant, d'ici quelques jours, je reprendrai mes efforts, avec autant
de bonheur j'espère que pour les deux plus petits fonds. Pour le reste, nous – Toni et moi – en avons
obtenu la libre disposition.
Radé travaille comme secrétaire chez une haute personnalités de l'Éducation. C'est assurément à sa
diligence que je dois – comme il vient de me le raconter – d'avoir été nommé officiellement professeur
titulaire et directeur à la clinique III ct qui doit être nouvellement fondée à l'université d'ici 4. Je n'ai pas
encore reçu le décret. Si les conditions à l'université le permettent, je commencerai aussi mes activités
d'enseignement. Pour le moment, je dois me présenter le 30, à l'armée r.[évolutionnaire] 5, en tant que
médecin. Mais à mon âge, on n'aura pas besoin de moi là-bas.
La nouvelle de la maladie de Rank m'a beaucoup attristé, j'espère qu'à présent il est hors de
danger. Nous ne savons pratiquement rien à ce sujet et vous prions de nous informer rapidement,
si possible par télégramme.
Je trouve très bonne l'idée de désigner Sachs comme représentant de
nos intérêts dans son lieu de séjour actuel. D'ici, les communications avec
l'étranger sont momentanément très compliquées. Je tiens pour
indispensable la réunion du comité à l'automne.
Pas question de songer à un travail scientifique paisible en ce moment. Dans quelques jours, on
décidera si j'ai le droit d'être simplement enseignant et médecin en institution, ou également
médecin privé. C'est alors seulement que je pourrai penser à élaborer des projets de travail.
J'ai appris que l'aisance et l'abondance s'étaient installées chez vous après tant d'années de
privations. Est-ce vrai?
Les salutations les plus cordiales de
votre dévoué
Ferenczi

A. Lettre classée par Bàlint «entre le 1°" et le 18 mars 1919 ». Mais il semble que ce soit trop
tôt, car la république des Conseils n'a été proclamée que le 21 mars 1919 et les communications
n'ont été interrompues qu'après. La lettre a donc dû être écrite après le 21 mars. D'après le
contenu (suite de l'affaire du professorat; maladie d'Anton von Freund), la lettre devrait s'intégrer
au plus tôt après le 21 avril; peut-être s'agit-il de la « lettre particulière sur les affaires
personnelles » annoncée dans 809 Fer pour le lendemain et qui, sinon,
manquerait. Le papier à lettres, l'écriture et l'encre ne donnent pas d'indications, ils s'intègrent
à cet endroit, mais tout aussi bien à d'autres.
La femme d'Anton von Freund.
Sàndor Szabô, docteur en droit, avocat, a participé au congrès de Budapest. Apparenté à von
Freund (voir 814 Fer). Fut admis comme membre de l'Association hongroise à la séance du 3
ou du 9 mars 1919 (Zeitschrift, 1920, 6, p. 111). Peu après, il émigra à Zurich. En 1941, la
Zeitschrift publia la notice nécrologique suivante : « Le Dr Alexander Szabô, membre de
l'Association psychanalytique hongroise, est subitement décédé le 16 mai 1941 àZurich » (ibid.,
26, p. 375).
Il pourrait s'agir de György Lukàcs (1885-1971), commissaire à l'Éducation sous la république
des Conseils.
Pendant le semestre d'été, Ferenczi présenta un cours de trois heures sur « Psychologie
psychanalytique pour médecins », et dirigea en même temps la clinique universitaire
psychanalytique nouvellement fondée à Budapest (Zeitschrift, 1919, 5, p.
228). Manifestement l'armée « révolutionnaire » ou « rouge ».

811 F
Prof Dr Freud

le 24 avril 1919 Vienne,


IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Aucune chance de nous voir de sitôt. J'espère que vous et Madame Gizella allez bien.
Aujourd'hui, nous avons eu de grands soucis pour Toni, jusqu'au soir où un entretien
téléphonique avec le Journal nous a tranquillisés'.
En ce qui concerne le transfert du fonds par le ministre à votre ambassadeur
d'ici, grande jubilation, hier. Malheureusement, l'ambassadeur ne s'est déclaré
prêt à verser qu'un cinquième de la somme, car il ne dispose
pas d'assez d'argent sur place. Et même cela n'aura lieu que demain. Le reste
flotte dans les airs, plus encore qu'avant. Je vous en fais part, afin que vous
effectuiez les démarches nécessaires pour garantir le versement au ministre. Le
Dr Jellinek est au courant, il était justement chez l'ambassadeur.
La seule bonne nouvelle de nous qu'aucun nuage ne vient obscurcir est qu'Ernst a obtenu son diplôme
d'ing.[énieur] architecte. Sinon, tout compte fait, chaque semaine est plus difficile que la précédente.
A Leipzig, s'est constituée une société analytique, pour l'instant privée 2, et en rapports avec moi.
Bien cordialement
votre Freud
Voir lettre de Freud à Ernst Freud, du 27 IV 1919 : « La semaine dernière nous avons eu de grands
soucis pour le Dr Freund, il avait en effet été arrêté avec les otages [...], mais ses ouvriers avaient réussi
à obtenir sa libération. En tout cas, maintenant il est libre » (LOC). En tant que représentant d'un
journal (voir 774 Fer), Rank téléphonait chaque soir à Budapest (Freud à Eitingon, du 26 juin 1919,
SFC).
«A l'initiative de M. R. [en réalité: Karl] H. Voitel, étudiant en médecine, une « Société pour la
recherche psychanalytique » s'est formée à Leipzig, qui rassemble déjà un nombre considérable de
personnes appartenant à diverses professions universitaires et qui oeuvre à la réalisation de ses buts
par un travail sérieux comprenant des conférences, des discussions et des lectures en groupe. La jeune
société, à soutenir par les meilleurs voeux de prospérité, a pris contact avec l'Association
psychanalytique internationale » (Zeitschrift, 1919, 5, p. 228). Au cours des deux années suivantes, la
Zeitschrift a publié les rapports d'activité de Voitel (1920, 6, p. 290 ; 1921, 7, p. 388) ; en 1922 est
constituée, sous sa présidence, « une nouvelle Association de plusieurs étudiants-cliniciens, avec une
organisation plus rigoureuse, pour l'étude de la psychanalyse » (ibid., 1922, 8, p. 528).

812 Fer
Budapest, le 29 avril 1919 A

Cher Monsieur le Professeur,


Dans une des lettres confiées à la poste, je vous informais de mes affaires personnelles, des transformations
qui se produisent dans le mouvement i4ta, etc.
Aujourd'hui, en possession de votre lettre transmise par Szabô S.[àndor], je suis en mesure de
vous faire parvenir quelques lignes par un porteur personnel ; je répète donc ce que j'ai déjà écrit.
1) Ad T.[oni]. Dans l'ensemble, son état reste stationnaire. Pendant quelques jours, il a subi les
répercussions de l'irradiation aux rayons X, autrement dit, il était déprimé et nauséeux. Cela a
partiellement cédé. Mais il se plaint de paresthésies dans le ventre.
En fait, son état psychique est calme, on ne remarque pas grand-chose de la névrose; la psychose,
cette fois, ne s'est absolument pas manifestée. Je m'efforce de l'égayer et de l'occuper, et lui rends
visite tous les jours.
Je me fais beaucoup de soucis pour lui, bien sûr, et j'ai du mal à me montrer
paisible et de bonne humeur. Nous nous sommes beaucoup rapprochés ces
derniers temps – et il est d'autant plus douloureux de le savoir si souffrant.
Personnel
Bien-être physique comme reflet symptomatique d'une solidité en progrès
sur tous les autres plans. Là-dessus, je ne pourrai vous rendre compte que
personnellement.
Psychanalyse.
Ma nomination comme professeur « pour la psychanalyse» est arrivée. Celui qui
en est responsable au premier chef, c'est Radé, qui a mené l'affaire tambour
battant à la section de l'enseignement.
Ça va bien * – dit l'homme à la hauteur du premier étage!
Le danger d'avoir trop d'amis ne nous menace pas pour le moment. Il y
aura aussi des combats intra muros **. Pourvu que ça dure ***. Je dois
conclure maintenant – le messager me presse!
Saluts « à tous » !
Tout spécialement à Ernst.
Cordialement,
votre Ferenczi
A. Lieu et date à la fin de la lettre.
* En français dans le texte.
** En latin dans le texte : à l'intérieur des murs.
*** En français dans le texte. Allusion, avec la note *, à l'histoire de l'homme qui tombe du
sixième étage et se dit, vers le premier: « Jusqu'ici, tout va bien ; pourvu que ça dure.

813 F
Prof. Dr Freud

le 12 mai 1919
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
J'entends dire qu'une lettre arrive par-ci par-là et je vous écris donc au hasard,
car il y a bien longtemps que je ne me rappelle plus ce que je vous ai déjà raconté.
L'isolement est très pénible ; à part les informations téléphoniques euphoriques
que Rank reçoit du Journal, je n'ai rien de vous tous et suis entièrement livré à
mon imagination. Concernant Toni, je lis entre vos dernières lignes quelque chose
que je pressentais dès le début de cette prétendue rechute et qui a trouvé
confirmation depuis, dans une lettre de Lajos du 20 IV, parvenue tardivement. Je
ne sais donc pas comment il va depuis;
et comme mes propres ennuis, dont je vous ai déjà parlé', vont en
augmentant, je compte avec l'éventualité de ne plus le revoir. Cette nouvelle,
le 6 de ce mois, a entraîné une inhibition dans ma productivité, jusqu'alors
accrue. J'ai non seulement terminé le projet de l'« Au-delà du
principe de plaisir », qui sera recopié pour vous, mais aussi repris ce petit rien
sur 1'« inquiétante étrangeté » 2 et tenté, au moyen d'une idée simple, de donner
une base glu à la psychologie des foules 8. Il faut maintenant que cela repose.
D'ailleurs, je souffre d'une grippe mal définie, tandis que Martha fait de la fièvre
depuis trois jours avec la même grippe, mais de forme classique 4.
Rank est rétabli et fait ses preuves dans toutes les fonctions imaginables en
rapport lointain avec la science. Provisoirement, nous sommes enchantés de notre
cinquième de fonds. Sachs donne des cours sur la TA devant un bon public
payant et il est optimiste, comme toujours. Il n'écrit plus rien de l'Association de
Zurich. Les publications du Verlag font des progrès : Névroses de guerre, votre
Hystérie et ma Vie quotidienne 5 sont prêtes, les deux premières pourraient déjà
être diffusées.
Chez Deuticke, la parution du Léonardo 6 et de l'Interprétation des rêves'
est imminente. Cependant, la communication avec Teschen 8présente des
difficultés particulières et le rythme est ralenti de tous côtés.
Je désirerais tant jeter un coup d'oeil à votre nouvelle existence d'homme
marié et de professeur ! Désir aussi grand que difficile à réaliser. Saluez
cordialement votre chère épouse de ma part; a-t-elle reçu une petite babiole
de couleur jaune par l'intermédiaire du Dr. J.[ellinek] 9 ? Dans l'attente de
ce que l'avenir nous réserve,
votre Freud
Voir 808 F.
« L'inquiétante étrangeté » (1919h), in L'Inquiétante Étrangeté et autres essais, op. cil., p. 209265.
« Psychologie des foules et analyse du Moi » (Freud, 192 1c), trad. J. Altounian, A.
Bourguignon, P. Cotet, A. Rauzy, Œuvres complètes, XVI, p. 1-84.
Martha Freud souffrait d'une grippe sévère avec pneumonie, dont elle ne s'est remise qu'au
bout de plusieurs mois (Jones, III, p. 11).
Voir 780 F et la note 2.
Voir 788 F et la note 1.
Voir 751 F et la note 2.
C'est-à-dire avec l'imprimerie Prochaska de Teschen, qui travaillait pour Deuticke.
La matière brute pour 1'« anneau d'alliance » dont Freud a fait cadeau à tous les membres du
Comité et à quelques-uns de ses partisans et partisanes les plus fidèles. (Voir aussi 815 Fer et 816
Fer.)

814 Fer
INTERNATIONALE PSYCHOANALYTISCHE VEREINIGUNG
Präsidium : Budapest, VII, Erzsébet Korut 45

Budapest, le 23 mai 1919


Cher Monsieur le Professeur,
L'occasion rare de pouvoir enfin vous envoyer une lettre presque non censurée me pousse à
céder à la tentation de vous adresser un compte
rendu plus détaillé que je n'ai pu le faire depuis des mois. – Les obstacles étaient de nature
extérieure et intérieure. – Sur ces derniers, je reviendrai plus tard. Avant tout, je veux vous
parler de l'état de notre ami ; je déduis de l'appel téléphonique à ce sujet que vous avez reçu
l'attristante nouvelle.
Les choses sont comme je vous les ai décrites ; au dire de l'interniste * et du chirurgien, la
présence et la nature de l'enflure constatée ne permettent pas le doute. Le traitement
radiothérapique entrepris a eu pour résultat une aggravation passagère, qui ne s'est toutefois
manifestée que par de la dépression et des nausées, et a disparu en 10 jours. Depuis, notre ami
se sent beaucoup mieux, il est très mobile; certes, il se tient complètement à l'écart de ses
affaires professionnelles antérieures, mais il s'occupe quotidiennement, et avec satisfaction, de
la nouvelle profession – que je lui donne l'occasion d'exercer. Avec sa connaissance des choses,
son intelligence et sa diplomatie, il m'assiste dans la confusion de ces jours agités, il est pour
ainsi dire le seul fra de mon entourage auquel je puisse me fier entièrement. Nous sommes
devenus très amis, et je n'arrive absolument pas à me faire à l'idée que nous pourrions le perdre. Il
est vrai que son interniste n'abandonne pas tout espoir. Il aurait déjà vu des cas de guérison. Le
radiologue en juge autrement– il est pessimiste. –
Par un fait de hasard, la demande que vous m'avez adressée aujourd'hui ', déposée- au
Journal par Rank, est tombée entre les mains de notre plus jeune membre, un avocat, le Dr
Sz.[abô] qui, en tant qu'adhérent proche, s'est aussitôt empressé de venir me trouver et à qui
j'ai bien sûr tout expliqué. En même temps, je l'ai invité à se mettre en rapport avec l'interniste,
ce qu'il n'a pas manqué de faire.
Il n'y a absolument pas trace de traits névrotiques, voire psychotiques chez notre ami. La TA
plus ou moins engagée à l'époque est suspendue depuis qu'a surgi le projet d'aller à Vienne. –
Dès que la communication avec Vienne sera rétablie, le patient devra immédiatement se rendre
auprès de vous, pas seulement pour son apaisement tIr, mais aussi pour que les spécialistes de
là-bas donnent leur avis sur la tumeur et son traitement. –
Tous les autres projets, espoirs, craintes et conflits, difficultés dont je voulais tellement vous
parler en détail me paraissent en ce moment si mesquins, comparés à l'éventualité de voir finir
si tragiquement une vie précieuse, que j'ai presque honte de les évoquer dans le même souffle. Il
le faut cependant. Je vous ai assez longtemps ennuyé avec des nouvelles sèches, dans un style
quasi télégraphique. Il y a peu– lors du déménagement dans mon foyer actuel – j'ai été amené à
reprendre le gros paquet de lettres détaillées, amicales et patientes que vous m'avez adressées
au cours des dix dernières années. Toute l'histoire récente des derniers développements de la
psychanalyse s'y trouve consignée. En même temps, ce sont aussi des documents montrant
avec quelle amitié, quelle sollicitude, bienveillance et – oui, je peux dire: amour – vous avez
suivi, guidé, protégé mon développement, ô combien difficile.
A cette occasion, j'ai compris comme dans une illumination que, depuis le moment où vous
m'avez déconseillé [d'épouser] Elma, j'avais fait preuve d'une résistance contre votre personne
que même la tentative de cure iln e n'a pu surmonter, et qui était responsable de toutes mes
susceptibilités. Une rancune inconsciente au coeur, j'ai cependant suivi en «fils» fidèle
tous vos conseils, j'ai quitté Elma, je me suis de nouveau tourné vers ma femme
actuelle, auprès de laquelle j'ai persévéré malgré d'innombrables tentations répétées.
Le mariage – conclu dans des circonstances si extraordinairement tragiques – n'a
d'abord pas apporté la stabilisation intérieure espérée. Mais la résistance semble peu
à peu s'épuiser – et une lettre comme celle-ci peut vous montrer que j'ai la volonté
de reprendre avec vous – en fait, de commencer peut-être – la relation franche et libre
de toute susceptibilité mesquine. Il semble que je ne sois capable d'être heureux de
vivre et de travailler que quand je peux être et rester dans de bons, voire dans les
meilleurs termes avec vous. La conviction que j'ai trouvé en Madame G. ce qui est le
mieux pour moi, compte tenu de ma constitution, est le premier fruit de ma
réconciliation intérieure avec vous.
Je vous en prie, ne perdez pas patience avec moi-même dans l'avenir.
J'espère vous en donner moins souvent l'occasion que par le passé.

Maintenant, venons-en à la `PA.


Mon souhait ardent de faire valoir la `VA et mes penchants didactiques à l'Université s'est trouvé
réalisé de façon trop impétueuse, du fait de la politique quelque peu aventureuse du Dr Radé. J'espère
que je réussirai à garder la TA libre de toute tendance politique, comme par le passé, et je pense avec
plaisir aux temps, j'espère pas trop lointains, où – avec ou sans professorat, peu importe – je serai avec
vous en quelque endroit plaisant de la terre et où, enfin, je travaillerai de nouveau.
Pour le petit fonds, j'ai fait tout ce qui est humainement possible; pour le principal, nous nous
remettrons encore une fois en campagne avec Toni.
L'Association hongroise est moins prompte au travail depuis que Rade, est surchargé d'affaires d'État.
Dimanche prochain, j'inaugure par un exposé l'Association %lia universitaire fondée par les étudiants en
médecine. Vers le 4-5 juin, je commence les cours sur la `PA. La maison de santé qui m'a été attribuée pourra-
t-elle être transformée en clinique 4roc, il faut attendre pour le savoir. En tout cas, le recteur et le doyen m'ont
déjà « extorqué » le serment d'entrée en fonction (comme professeur titulaire de la TA).
Holldsest devenu « conférencier » en psychiatrie (un nouveau grade universitaire d'ici).
Sur le plan scientifique, je ne produis rien en ce moment. Les séances sont occupées.
Parmi les membres de l'Association, il se forme de petites coteries. Un de ces groupes est celui de
Radb-Révész, par exemple. Bien sûr, il n'est pas question de tendances à la dissidence. Peut-être s'agit-
il seulement d'un mariage en train de prendre forme entre eux deux 2. En effet, Radio vient de divorcer
de sa femme et se fait analyser par la darne Révész.
Mes collègues Jra sont tous pourvus de patients. Je pourrais encore avoir
besoin d' 1 ou 2 analystes.
Ma vie de famille s'écoule doucement, comme sur du velours. L'aimable et fidèle dévouement de
mon épouse y veille. L'étroite communauté de vie avec sa famille a ses avantages et ses inconvénients.
Les premiers l'emportent, en ces jours difficiles. C'est une chance que je n'aie pas à les passer dans
une triste chambre d'hôtel.
Je me suis réjoui de tout coeur de l'examen réussi d'Ernst, j'aimerais avoir des nouvelles de votre
Martin et j'espère que tout va bien pour vous, votre femme, Mlle Minna et Annerl. Oli est-il à Vienne
et que fait-il ? Vous voyez, je pose trop de questions. (Je ne voudrais naturellement pas oublier la
famille Hollitscher.) Mais vous devez me pardonner mon bavardage – c'est comme l'ouverture d'une
vanne fermée depuis trop longtemps – presque rouillée.
Soyez cordialement salué
par votre ami dévoué
F.[erenczi]

* Médecins de médecine interne.


Allusion à l'état de von Freund.
Ils se marièrent effectivement.

815 Fer
INTERNATIONALE PSYCHOANALYTISCHE VEREINIGUNG
Präsidium : Budapest, VII, Erzsébet Korut 45

Jeudi A
Budapest, le 19 juin 1919
Cher Monsieur le Professeur,
Ni notre conversation téléphonique, ni les nouvelles apportées par Margit G.[arami] B ne m'ont
permis de savoir avec certitude si vous aviez reçu ou non ma lettre détaillée, où je rendais compte
assez précisément de tous les événements personnels et professionnels de quelque importance. Je
veux parler de la lettre confiée au Dr Szab6 S.[andor] pour vous l'expédier, après qu'il eut pris
connaissance, fortuitement, de la gravité du mal dont souffre notre patient. Je me dispense de répéter
les informations rapportées dans ce courrier sur les changements psychiques plus intimes, etc., liés
aux événements personnels (mariage, professorat, etc.), et je vais, avant tout, vous mettre encore
une fois au courant de l'état de notre ami.
Comme vous l'avez certainement appris par ma première lettre (celle avec le « post-scriptum »), de
sourdes paresthésies dans l'abdomen étaient apparues chez lui à l'époque, auxquelles, avec son
hypocondrie d'alors, il avait aussitôt réagi par une peur de la mort, du découragement, etc. Des
signes discrets d'une tendance à basculer dans la psychose étaient impossibles à méconnaître. Comme le
chemin de Vienne était fermé, je me suis occupé de lui ; je l'ai trouvé extrêmement abordable, communicatif,
prêt au transfert. Les traits psychotiques avaient disparu après quelques entretiens. Puis, est venu le projet
de son voyage à Vienne (qui n'a pu se réaliser). Depuis lors, il ne se passe rien entre nous qui ressemble à
de l'analyse ; je me contente de le rencontrer quotidiennement si possible, et de l'occuper. Il analyse une
hystérique à ma «clinique», ravi des découvertes qu'il fait tous les jours avec elle.
Après l'échec du projet de voyage à Vienne, une consultation sur le cas de Toni a été décidée entre le Dr
L.[évy] et un professeur de chirurgie. – Tous deux ont constaté une tumeur de la grosseur d'un œuf de
poule à la paroi postérieure de la cavité abdominale, rétropéritonéale, située au-dessus de l'aorte. (En
fait, c'est Toni lui-même qui a insisté pour cette rencontre avec le chirurgien; il voulait le convaincre de
le soumettre à une opération fictive et de lui faire une anesthésie mortelle.) L'opérabilité – une question
soulevée par moi – a été résolument infirmée par le Dr L.[évy] – comme je l'avais malheureusement
supposé. En revanche, nous avons réussi à convaincre Toni d'accepter la radiothérapie. – Jusqu'ici, il y
a eu trois irradiations intensives. Toni a réagi à toutes les trois par une forte indisposition et de la
dépression, réactions qui ont duré une semaine et plus. Mais à chaque fois, il s'est remis et a bien vite
retrouvé son équilibre 11. On ne peut même plus dire, maintenant, qu'il soit névrosé : il se montre
tellement raisonnable, compréhensif, sachant tout, se pliant à tout, prenant les décisions justes, etc.
Bien entendu, je ne lui avoue jamais la réalité de son état ; il semble puiser là malgré tout, et dans le
fait que je l'occupe et forge avec lui des projets qui demandent beaucoup de temps, une très, très petite
lueur d'espoir. Il m'aide à la constitution de l'association tira des étudiants, s'occupe beaucoup des
affaires du fonds, etc.
Le Dr L.[évy] ne semble pas juger du cas de façon totalement pessimiste, et prétend avoir déjà vu des
exemples de guérison. Je suis d'un autre avis ; j'ai donc insisté pour qu'il consulte aussi un chirurgien
viennois. Je me suis dit: peut-être une tentative désespérée de cure radicale pourrait-elle être entreprise !
Mais, intérieurement, il me paraissait fort improbable qu'un chirurgien veuille en prendre le risque.
T[oni] est un peu amaigri, sinon tout à fait libre de ses mouvements, mais quand il se tient debout,
il a des sensations de tiraillement dans l'abdomen. Lorsqu'on le distrait, il se sent tout à fait bien,
peut parler avec humour, s'enthousiasmer pour la 'PA comme avant, etc. –Je n'ai pas besoin de
vous dire à quel point son état me touche. La seule force qui aurait effectivement pu m'aider ici, et
le seul avec lequel j'ai pu me lier aussi d'amitié, c'était, c'est justement lui.

Le soir du même jour.


le petit fonds est désormais en ma possession. Cinquante grosses unités (gros coupons) devraient déjà
être à votredisposition. Je vous prie d'utiliser toute opportunité qui se présenterait pour nous en informer.
Au cas où Monsieur Lichtenstein aurait mérité après coup la confiance que nous avons mise en lui, ce
premier 1/4 pourrait être suivi par les 3 autres quarts qui, présentement, sont entre mes mains. En ce
qui concerne le fonds principal, nous n'avons pas encore fait de pas décisifs; on nous dit qu'il est pour le
moment intact, sur le livret de la ville, séparé des autres valeurs.
Je vous remercie tous, en particulier Rank, pour le travail fourni dans l'intérêt d'une parution
rapide du petit livre sur l'hystérie et de la discussion sur les névroses de guerre. Tous deux sont
très joliment présentés. Le Cahier II de la Zeitschrift est aussi très respectable, seul l'article de
Hollôs' est un peu obscur.
L'anneau des Nibelungen pour ma femme est déjà forgé. Jellinek l'a gardé par-devers lui un
peu trop longtemps, c'est pour cela qu'elle a tant tardé à vous remercier.
A l'Université je présente, depuis le 10 VI, un cours sur la « Psychologie psychanalytique pour les
médecins », 3 heures par semaine (2 x 1 1/2, les mardi et vendredi de 6 à 7 1/2). Nous avons
maintenant un semestre de rattrapage pour médecins militaires ; une centaine se sont inscrits chez
moi; pas moins que chez les internistes. Je m'appuie sur votre article dans « Gyôgyàszat » 2 et j'ai
parlé, au cours de la Iie heure, de façon générale, de la position de la 'PA par rapport aux autres
sciences (sciences de la nature – philosophie – psychologie, etc.) ; dans la IIeet la IIIe, de l'influence
du tir au cp3 demain, et dans l'exposé suivant, je parlerai de l'hypnose, de la suggestion et autres
matières – puis ce sera le tour de la `PA. Dans l'ensemble, je vais faire une vingtaine de cours d'ici le
1" août, si je ne suis pas vidé entre-temps par suite d'une crise. – S'il est possible de passer les
frontières, j'irai ensuite là où je pourrai vous parler; avec ma femme, naturellement. Gastein serait
trèsbien. La Suisse ou la Hollande me seraient financièrement impossibles.
Ici, nous avons notre compte d'émotions. Hier fut un jour noir pour moi: la publication
des nouvelles frontières (projetées) de la Hongrie.
Je suis, comme je l'ai déjà annoncé, entièrement d'accord avec vos dispositions en ce
qui concerne Sachs et Jones.
Nous sera-t-il vraiment encore accordé de travailler en paix? Pourrons-nous de nouveau,
comme à Sélinonte 4, nous promener sans soucis sous le ciel bleu, près de la mer bleue?
En ce qui concerne les questions de santé, je peux cette fois garder le silence. Je
vais relativement bien.
Saluez tous ceux qui vous sont chers,
de la part de votre
Ferenczi
qui vous salue cordialement.
J'ai trouvé Margit Dubovicz * très changée. Elle semble avoir surmonté ses
tendances suicidaires. Son mari va déjà physiquement mieux. Nous nous
sommes tous beaucoup réjouis du rétablissement complet de votre femme. Nous
sommes heureux de la revoir à Gastein.
* L'orthographe de ce nom varie selon les lettres, chez les deux correspondants: Dubovitz ou
Dubovicz.
A la main, au-dessus de la date.
C'est-à-dire Margit Dubovicz, née Garami.
« Die Phasen des Selbstbewusstseinsaktes » (Les stades de l'acte d'avoir conscience de soi), Zeitschrift,
1919, 5, p. 93-101.
Freud, 1919j (« Faut-il enseigner la psychanalyse à l'Université?»). Voir 803 Fer et la note 1.
Du psychique au physique.
Voir t. I, 386 Fer et la note 1.

816 Fer
Budapest, le 29 juin 1919

Cher Monsieur le Professeur,


Mlle Aranka Schwarz de Szolnok a la bonté de veiller à la remise de cette lettre
à votre adresse. – J'espère que vous êtes en possession de mon courrier détaillé
où (pour la II° fois) je vous communiquais des données précises sur un cas
clinique qui vous intéresse; la lettre où je l'ai fait pour la Ire fois semble s'être
perdue. – Je pense que Toni vous écrit aujourd'hui – en même temps que moi, de
sorte qu'il est inutile de vous donner un bulletin à son sujet. Il est vrai qu'il
continue toujours à s'occuper de ses états physiques (paresthésies, etc.), mais il
se sent tout à fait bien quand il travaille. Je suis en mesure de l'occuper à ma «
clinique », et aussi en privé. La dernière tâche que je lui ai confiée est
l'organisation de l'enseignement ici à « l'Association pour la recherche infantile »,
qui s'est adressée à moi pour obtenir un collaborateur tira'. Une certaine Mme le
Dr Klein [Melanie] 2 (pas médecin), qui a fait dernièrement quelques très bonnes
observations sur les enfants, après avoir suivi une formation de plusieurs années
chez moi, devra le seconder.
Hdrnik fait actuellement des conférences à l'association >Ira des étudiants ;
il explique aux jeunes le livre sur l'hystérie de Breuer-Freud s, page par page.
Cette association compte 23 membres (après une sélection rigoureuse). Le
nombre de mes auditeurs aux conférences universitaires augmente d'heure
en heure. Des médecins et des pédagogues, etc., demandent aussi à y être
admis. J'ai déjà dépassé l'introduction et suis en train de présenter les
transformations de la `FA depuis la catharsis.
L'association freudienne travaille toujours. Aujourd'hui Pfeifer a fait un
exposé assez stimulant sur un thème intéressant sur le plan théorique
(formation de symptômes).
Le Dr Dubovicz est remis maintenant, mais physiquement bien bas, et
comme il traîne aussi un vieux catarrhe pulmonaire apical, le Dr Lévy
souhaite qu'il parte en Suisse, dans un sanatorium. S'il parvient à se procurer
un passeport, il nous montrera alors le chemin (à moi, Mme G. [et Toni ?] A) par
lequel la sortie vers l'Autriche (Gastein) pourrait se réaliser.
L'année écoulée, chargée en événements et fatigante, permet d'expliquer mon désir ardent d'un peu de
liberté et d'une conversation approfondie avec vous. Depuis que nous nous connaissons, il n'y a jamais eu
entre nous de séparation aussi longue. J'ai hâte de vous faire part de mes expériences extérieures et
intérieures. Dès à présent, je peux vous en fournir un petit échantillon. La semaine dernière j'ai payé 2 800
couronnes B pour 18 kilos de graisse de porc (dont 10 kilos, cependant, étaient de l'os et de la viande), presque le
salaire que je touche pour deux mois en tant que professeur d'Université. Mais j'ai dû payer avec de l'argent «
bleu », c'est-à-dire rajouter encore environ 20 % à l'argent « blanc » 4.
Le petit fonds se trouve (bleu!) en ma possession (150 M.[ille]). J'espère que les 50 que nous vous
avons récemment envoyés sont déjà chez vous.
Quoi qu'il en soit, nous demandons que les efforts auprès de l'ambassade de Hongrie à Vienne soient
poursuivis. Il paraît que Madame Berény, la femme du peintre 5 dans le jardin duquel nous avons reçu de
si bons rafraîchissements l'année dernière (vous vous souvenez peut-être encore de cette soirée agréable
à Buda), travaillera désormais à l'ambassade hongroise de Vienne comme sténodactylo. Cela ne peut pas
faire de mal si Rank prenait de ses nouvelles et s'entendait avec elle.
Une répétition de la Ire lettre perdue : une petite coalition s'est formée ici, au sein des psychanalystes.
Le Dr Radô et Mlle le Dr Révész sont inséparables et ont tendance à être «brâuges * » contre moi. Je
pense qu'ils vont bientôt se marier et ensuite se réconcilier avec moi. Tous deux sont quelque peu grisés
par les grandioses succès personnels enregistrés depuis l'ère nouvelle, et mécontents de mon attitude,
trop mesurée à leur goût. Ils projettent d'aller prochainement en Autriche et vous rendront certainement
visite.
Ma femme est légèrement surmenée et amaigrie. Il est vrai que les soucis du ménage sont incroyablement
pesants. Cependant, elle a réussi jusqu'ici, à grands frais d'argent et de peine, à tenir la maison décemment.
(Seul le café noir est tout à fait comme autrefois.) Elle porte dignement son alliance.
Bien des salutations cordiales de
votre F.[erenczi]
Parenthèses dans les parenthèses.
Souligné trois fois.
* En yiddish dans le texte: fâchés.
La Société hongroise pour l'étude de l'enfance, sous la direction du Dr Päl Ranschburg, fondée en
1904. Ses objectifs étaient aussi bien pédagogiques que thérapeutiques. Elle oeuvrait également pour
l'amélioration de la protection infantile et de la législation dans le domaine de l'enfance. Publiait la
revue L'Enfant. Istvàn Bàrczy en était un des membres éminents.
Le 13 juillet 1919, Melanie Klein fera un exposé devant l'Association psychanalytique hongroise
intitulé « Remarques sur le développement intellectuel de l'enfant ».
Melanie Klein (1882-1960), née Reizes. Figure importante dans le domaine de la psychanalyse
d'enfants. Née à Vienne. En 1903, épouse Arthur Klein, chimiste, et le suit à Budapest en 1910. Elle y
prend connaissance des écrits de Freud et entre en analyse avec Ferenczi ; en 1919, membre de
l'Association psychanalytique hongroise ; en 1922, déménage à Berlin. En 1923, membre de
l'Association de Berlin. En 1924, reprend une analyse avec Abraham et se sépare définitivement de son
mari (divorce en 1926). Après la mort d'Abraham, s'installe à Londres, soutenue principalement par
Jones dont elle analyse les enfants et avec lequel elle collabore. En 1927, admise à la Société
britannique de psychanalyse.
M. Klein a centré sa recherche sur la vie fantasmatique du nourrisson. Son apport théorique insiste
sur le rôle des objets partiels, la précocité du complexe d'OEdipe et la primauté de
l'agressivité. Sa technique fait appel aux interprétations « profondes », contrairement à Anna Freud,
et vise à débarrasser la psychanalyse d'enfants de tout objectif pédagogique. Après l'émigration de
nombreux analystes viennois à Londres, ses thèses et sa pratique ont conduit à des conflits
importants avec le groupe d'Anna Freud, aboutissant, en 1946, à l'instauration de deux types de
cursus de formation, au sein de l'Association britannique.
Certains analystes formés par Melanie Klein, tels Hanna Segal, Wilfred Bion, Donald Winnicott,
Herbert Rosenfeld sont des personnages marquants de la psychanalyse contemporaine. Voir Phyllis
Grosskurth, Melanie Klein, son monde et son œuvre, trad. Cedric Anthony, Paris, PUF, 1986, et Pearl King
et Ricardo Steiner, The Freud-Klein Controversies 1941-1945, Tavistock & Routledge, Londres et New York,
1991.
Freud et Breuer, 1895d, Études sur l'hystérie, trad. Anne Berman, Paris, PUF, 1967.
A partir d'octobre 1918, l'État était privé de revenus. Le gouvernement Kàrolyi imprima de
nouveaux billets de banque, dont le dos était resté blanc. Le billet bleu (ancien) était thésaurisé par
la population.
Voir t. I, 238 Fer et la note 3.

817 F
Prof. Dr Freud

le 10 juillet 1919
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
Je reçois à l'instant votre lettre du 29 VI. (Mais rien de Toni.) Avant tout, remerciez la bonne Aranka
si vous la voyez à la conférence. Toutes les lettres que vous mentionnez sont arrivées, semble-t-il,
celle avec la confession, les rapports sur l'état de santé de Toni, etc. La faible opportunité que j'ai de
vous répondre, je ne veux pas l'employer à donner mes réactions, mais plutôt à tenter de vous
communiquer des faits objectifs. Il me suffira d'indiquer que je viens juste de comprendre à quel point
vous pouviez me manquer.
Alors, les faits. Vous savez depuis longtemps que l'envoi de ce quart bleu n'est pas arrivé.
L'éventualité d'avoir perdu un aussi gros morceau du trésor de Nibelung' n'a pas eu un effet très
revigorant sur l'humeur générale de l'Internationaler Psychoanalytischer Verlag ; comme Rank vient
de l'apprendre justement aujourd'hui par téléphone, Toni a une vue plus favorable de cette affaire.
Les travaux avancent très lentement pour le moment.
Tausk s'est tué d'un coup de feu, le 4 VII, huit jours avant la date d'un mariage déjà fixé, en laissant
des lettres tendres et conciliantes. Étiologie obscure, probablement impuissance III et dernier acte de son
combat infantile contre le fantôme du père. Malgré l'hommage que je rends à ses dons, pas de véritable
compassion en moi 4.
Je pars le 15 de ce mois pour Gastein, Martha descend à Salzbourg
(Sanatorium Parsch) ; Minna m'accompagne à Gastein, sur l'injonction
directe – mais à mon avis discutable – de son médecin, le Prof. Braun 3 ;
Anna, peut-être avec une amie, part en direction de la Bavière (près
de Reichenhall) 4.
Je suis très fatigué, et surtout hargneux et dévoré par une rage impuissante. J'ai encore
terminé un article – pas indispensable – sur « l'inquiétante étrangeté » 5, pour Imago. « Au-
delà du principe de plaisir » vient avec moi à G.[astein] s. Jones écrit aujourd'hui qu'il ne peut
obtenir de passeport pour ici avant la conclusion de la paix ; il promet de venir ensuite à
Vienne, de façon tout à fait certaine.
Nous voulons introduire une courte note dans la prochaine Zeitschrift, indiquant que,
du fait de l'isolement de la Centrale, Rank et moi acceptons par intérim toutes les
communications adressées à celle-ci'.
Remerciez Madame Margit D.[ubowitz] de sa lettre. Rappelez-lui que j'ai encore pour
elle de l'argent qui, pendant mon absence, sera confié à la garde de Rank. On se
procurera ce qui est destiné à la Suisse (Vevey = Latour) 8.
Portez-vous bien et saluez très cordialement votre chère épouse de la part de
tous,
votre Freud

Le trésor de Nibelung, maître démoniaque de la légende héroïque germanique. Siegfried s'est emparé
du trésor de Nibelung.
Voir t. I, 302 F, note 15. Freud a rédigé une notice nécrologique (1919f) pour la Zeitschrift.
Dr Ludwig Braun (1881-1936), professeur de médecine interne à l'université de Vienne,
ami très intime de Freud (Freud, 1936d) et, à l'occasion, aussi son médecin (Freud,
1926j). Cousin de Heinrich Braun, ami de jeunesse de Freud. Braun a prononcé le
compliment pour le soixante-dixième anniversaire de Freud à la loge B'nai B'rith (voir
Freud, 1926j).
Du 15 juillet à la mi-août, Freud et Minna Bernays étaient en cure à Bad Gastein ; Martha
Freud soignait sa pneumonie au sanatorium de Parsch (prés de Salzbourg), tandis
qu'Anna était à Bayrisch Gmain, entre Salzbourg et Reichenhall, avec Margarethe Rie (qui
épousa par la suite Nunberg). Les deux jeunes femmes étaient à l'époque en analyse avec
Freud. Le 13 août, ils se rendirent tous ensemble à Munich chez Ernst, puis, jusqu'à
la mi-septembre, à Badersee près de Garmisch-Partenkirchen en Bavière. A cette même
époque eut lieu le retour de captivité de Martin, à Vienne.
Voir 813 F et la note 2.
De là, Freud écrivit à Anna, le 21 juillet : « Ce qui reste après les promenades, je le
consacre au manuscrit " Au-delà du principe de plaisir ", que j'ai apporté avec moi et
qui progresse bien ici » (LOC).
« Par suite des communications difficiles avec la direction centrale actuelle à Budapest, la filiale de
Vienne, en la personne de son président le Pr Dr Freud et celle de son secrétaire le Dr Otto Rank, reprend
provisoirement la direction des affaires de l'Association psychanalytique internationale » (Zeitschrift,
1919, 5, p. 230).
Allusion non éclaircie.
818 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda

Budapest, 19 A 19, le 26 juillet


Nagydiôfa utca 3
Cher Monsieur le Professeur,
C'est de nouveau Mlle Aranka Schwarz qui maintient la liaison avec vous. –
J'ai reçu votre lettre du 10 VII il y a 3 jours. – Mes projets d'été sont en principe
les mêmes. Si nous réussissons à obtenir la sortie et l'entrée vers l'A.[llemagne]-
Aut.[riche], c'est-à-dire la Bavière, alors nous venons – vers le 4-6 août à Vienne,
d'où Rank nous aidera peut-être à continuer vers Gastein. – Si cela ne marche
pas, nous resterons au pays pour nous nourrir « honnêtement 1» (peut-être au
Balaton).
Je vais terminer les conférences début août.
J'ai fait votre commission à Madame Dubovicz.
Pour tout ce qui est personnel – bientôt personnellement, j'espère ! Entre-
temps, il me faut prendre patience, ce qui nous est, à nous aussi, très difficile.
A part la didactique, je ne peux rendre compte d'aucune activité scien-
tifique ces derniers temps. Peut-être le changement d'air sera-t-il profitable. Toni travaille courageusement
; subjectivement, il va mieux. J'aspire à pouvoir enfin avoir une vraie bonne conversation
avec vous. Au revoir!
Ferenczi

A. En-tête pré-imprimé jusqu'ici, dont la partie gauche est barrée dans


l'original. 1. D'après la Bible, Ps., XXXVII, 3.

819 Fer
Dr Sdndor Ferenczi Idegorvos

Budapest, le 28 août 1919


Cher Monsieur le Professeur,
Malheureusement les semaines passent, l'une après l'autre, l'été est déjà.
presque écoulé, et j'attends toujours l'occasion qui me libérerait de cet
enfer, ne fût-ce qu'un court moment, et qui nous permettrait, à moi et à ma
femme, de passer, où que ce soit, quelques semaines auprès de vous, afin de
nous ressaisir et de nous reposer après tant d'expériences bouleversantes. Mais
j'apprends à l'instant que les documents à l'aide desquels je voulais obtenir un
passeport ont « disparu ». Entre-temps, de plus habiles que nous se sont déjà
procuré leur autorisation de voyage, en échange de « bonnes paroles ». Comme je
les envie quand ils roulent, fût-ce entassés, dans un compartiment de chemin de
fer.
Après l'insupportable terreur rouge, qui pesait sur notre humeur comme un cauchemar, nous avons
maintenant la blanche'. Pendant quelque temps, il semblait qu'on parviendrait à modérer les partis et à les
amener à un juste compromis, mais, finalement, c'est l'esprit clérical-antisémite sans scrupules qui semble
avoir remporté la victoire. Si tout n'est pas trompeur, alors une période de persécution brutale des Juifs nous
attend, nous autres, Juifs hongrois. On va nous guérir dans les meilleurs délais de l'illusion dans laquelle
nous avons été élevés, à savoir que nous étions des « Hongrois de confession juive ». En conformité avec le
caractère national, je me représente l'antisémitisme hongrois plus brutal que l'autrichien, haineux et
mesquin.
On verra bientôt comment il sera possible de vivre et travailler ici. Pour la `l'A, le mieux serait,
naturellement, de poursuivre le travail dans une retraite absolue et sans faire de bruit. A titre
personnel, il faudra saisir l'occasion de ce traumatisme pour se débarrasser de certains préjugés venus
de l'enfance et se résigner à l'amère réalité d'être, en tant que Juif, vraiment sans patrie. La libido ainsi
libérée devra être répartie entre le petit nombre d'amis sauvés de cette débâcle *, l'unique âme fidèle
qui nous a accompagnés partout et toujours, et la science. Vous devrez donc me pardonner si, au cours
des temps à venir, je cherche plus souvent qu'auparavant l'occasion d'entrer en contact avec vous,
personnellement ou au moins par lettre.
Je ne vous dirai pas grand-chose maintenant de notre devenir extérieur, car j'espère toujours vous
voir à Vienne, dans la deuxième semaine de septembre. Je ne veux renoncer à mes vacances sous
aucun prétexte, dussé-je soustraire au travail thérapeutique la plus grande partie du mois d'octobre.
En effet, j'ai continué à travailler presque à plein régime durant tout l'été.
Nous avons un peu plus à manger, mais toujours pas de viande. Les prix restent exorbitants ; peu à
peu, on note cependant une certaine tendance à la baisse. Ma femme passe la journée à rassembler et
faire préparer nos maigres repas. J'assure mes 8 séances. Le soir, impossible de sortir; quand on a fini
de manger, il est 9 heures, et après 9 h 1/2 plus une âme ne doit se montrer dans les rues, sauf à
risquer d'être arrêté par la garde roumaine. — Les prisons de la police sont pleines de « bolcheviks »
dénoncés anonymement, et qui y sont maltraités. A l'université, règne la réaction la plus noire. Tous
les assistants juifs ont été congédiés, les étudiants juifs sont expulsés et battus. Par ces quelques
données vous pouvez vous faire une image de la situation ici!
Salutations cordiales — et au revoir aussi, j'espère! Écrivez-moi chez Rank, peut-
être sera-t-il en mesure de m'envoyer de nouveau une lettre.
Votre Ferenczi
404 Correspondance 1914-1919

* En français dans le texte.


1. Fin juillet, les Roumains commençaient leur marche sur Budapest. Le 31 juillet, les communistes
passaient le pouvoir aux sociaux-démocrates. Les 3 et 4 août, les Roumains faisaient leur entrée à
Budapest ; les communistes étaient arrêtés ou en fuite. Un gouvernement contre-révolutionnaire,
présidé par Miklés Horthy, fut formé à Szeged, le gouvernement social-démocrate fut renversé et il y
eut des exécutions massives et des arrestations arbitraires. Des bandes terroristes blanches se
livrèrent à des massacres à travers le pays ; les Juifs étaient plus particulièrement accusés d'avoir
collaboré avec les communistes. Le 16 novembre, «l'armée nationale » entra à Budapest et, le 1°' mars
1920, les militaires forcèrent l'Assemblée nationale à élire Miklés von Horthy régent de Hongrie (voir
Ignotus, Hungary, op. cit., p. 149-151, et Rolf Fischer, Entwicklungstufen des Antisemitismus in Ungaren 1867-1939
[Étapes de l'antisémitisme en Hongrie 1867-1939], Munich, 1988). Au cours des événements, début
août, Ferenczi fut relevé de son professorat.

820 F
Prof. Dr Freud

Badersee, le 5 septembre 1919


Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Quand je vous reverrai à Vienne, à la fin de ce mois, toute une année aura passé, une année sans
échanges personnels, la première dans l'histoire de nos relations. Par ailleurs, l'année peut-être la plus
difficile pour vous, comme elle a été une des plus difficiles pour moi; une année qui se termine par une
déception cuisante pour vous, en vous dérobant une patrie; cependant, vous devez lui être reconnaissant,
car elle vous a apporté l'épouse sans laquelle vous ne supporteriez pas la vie aujourd'hui, avec le poste de
professeur que vous désiriez depuis si longtemps et qui vous sera maintenu, je l'espère, sans parler de la
certitude – si vous ne l'aviez pas encore – que notre mouvement scientifique, où vous avez pris une place
dirigeante, est en mesure d'affronter toutes les tempêtes et tous les dangers. Je vous souhaite donc ici, par
écrit, bonne chance pour tout ce qui a été atteint et tout ce qui est encore devant vous, de sorte que je
pourrai, quand nous nous rencontrerons, m'abandonner à la seule joie des retrouvailles.
Vous savez combien vous m'avez manqué, cette année ; je l'aurais ressenti encore plus douloureusement
si je n'avais pas, en même temps, souffert de la menace qui pesait sur le destin de notre ami Toni. Jamais
il ne devra savoir à quel point il m'a éprouvé et quelle grande part il a dans mon vieillissement. Mais existe-
t-il encore une autre possibilité pour lui ? Tout ce que j'apprends contredit pourtant les attentes fâcheuses
que vous avez encore justifiées dans votre dernière lettre.
Je pourrais vous revoir plus tôt, si la tentation d'aller contempler mes enfants à Hambourg n'était
pas irrésistible. Souvent, j'ai le sentiment que je ne devrais rien remettre à plus tard et j'ai sûrement
raison, même abstraction faite de ce pronostic.
Les Eitingon, qui sont actuellement chez nous, nous prennent en remorque
jusqu'à Berlin – de là nous trouverons bien notre chemin tout seuls'. Nous devons
passer la frontière à Salzbourg, au plus tard le 24. Un séjour commun ici, à
Badersee, aurait été très beau et aurait convenu à votre femme. Comme je n'ai pas
eu de réponse au télégramme que je vous avais adressé, indiquant que
l'autorisation de séjour était partie pour Budapest, j'ai renoncé à l'espoir de vous
voir ici tous les deux. L'arrivée de Martin, en excellente condition, fut un grand
soulagement, mais chaque souci réglé est bientôt remplacé par un autre.
Que l'année commence agréablement, par une joyeuse rencontre d'amis
qui ne se sont pas vus depuis longtemps 2 !
Avec mes voeux les plus cordiaux pour vous et votre chère épouse, votre
Freud
I. « Ernst est encore venu. Mardi 9/9 nous partons tous pour Munich, puis à Berlin avec Eitingon.
Nous espérons être à H[a]mb[our]g le 13. Anna viendra plus tôt» (Freud à Martin Freud, Badersee, le 7
septembre 1919, LOC).
2. La correspondance se trouve ici interrompue pour deux mois et demi. Freud quitta Badersee le 9
septembre, pour se rendre à Hambourg chez sa fille Sophie, et ensuite à Berlin, où il rencontra Abraham
et Eitingon. Le 24 septembre, il était de nouveau à Vienne où, peu après, il eut la visite de Jones et
d'Eric Hiller, les premiers civils à se rendre à Vienne après la guerre. Jones y fit la connaissance de
Katherina Jokl, qu'il épousa le 9 octobre à Zurich. Puis, arrivèrent aussi Ferenczi et von Freund. Sur
proposition de Freud, Ferenczi transmit la présidence de l'Association psychanalytique internationale
à Jones ; également sur proposition de Freud, Eitingon fut admis au Comité, à la place d'Anton von
Freund, gravement malade. En octobre, Freud obtint le titre de professeur titulaire (Titular-Ordinarius).
A cette même époque eut lieu, pendant sept semaines, l'analyse de David Forsyth avec Freud.
Budapest, le 20 novembre 1919

Cher Monsieur le Professeur,


Après les beaux jours à Vienne – les plus beaux de l'année écoulée, malgré les
contrariétés que j'ai dû y apprendre – je suis remonté, dès le lendemain de notre
arrivée, au front du travail. A régime réduit, il est vrai. Sur les 10 patients
attendus, 4 entiers et 2 demis seulement se sont présentés jusqu'ici. J'avais
donc mes après-midi pour m'occuper des travaux biologiques de Schax[e]l et de
Lipschütz ' ; j'ai déjà envoyé le compte rendu du premier à Rank, par
l'intermédiaire de Toni ; ci-joint le second. J'espère avoir trouvé le ton permettant
d'exprimer notre supériorité face aux nouvelles trouvailles, tout en manifestant
un certain rapprochement ; un peu comme nous en étions tombés d'accord lors
d'une de nos belles soirées du jeudi. – Maintenant, reste encore le rapport annuel
2 -, mais ensuite, je
406 Correspondance 1914-1919

n'aurai plus aucune excuse pour ne pas écrire mon propre travail biologique °.
Quant à la situation politique à Budapest, vous en savez autant que nous par les journaux. De mon
propre point de vue je peux ajouter que la terreur antisémite continue à se déchaîner sans répit; on ne
laisse pas les auditeurs juifs entrer à l'Université. On tourmente les Juifs partout où c'est possible. Le
régime de coalition (s'il voit le jour) devrait apporter un certain adoucissement à cette situation, bien que
les élections en France, la situation en Allemagne, etc., rendent très probable l'irruption d'une vaste
réaction mondiale. Les espoirs de progrès social de notre Forsyth ne seront pas exaucés, je le crains.
Pour en revenir aux vacances viennoises (le meilleur est quand même d'évoquer nos relations
scientifiques et amicales), je dois constater qu'à bien des égards elles me resteront inoubliables. Durant
les quelques heures à notre disposition, nous avons pu échanger abondance d'idées, comme jamais
auparavant, peut-être. A cela se sont ajoutés la stimulation venue de l'étranger, les projets intéressants
concernant nos affaires littéraires et associatives. Tout cela m'a permis de me sentir pleinement
dédommagé du manque de vacances d'été, cette année. Il est vrai qu'il me sera difficile de renoncer à
nouveau, pour des mois, à cet échange confiant qui m'est devenu si cher.
A la maison, tout va bien. Ma femme se débat avec les soucis du ménage ; ici aussi, tout est
devenu terriblement cher; le froid précoce, la pénurie de combustible empoisonnent sa vie et la nôtre.
Elle se joint à moi pour vous remercier, vous et votre chère famille, de tout ce que nous avons reçu de
bien et de beau.
Votre Ferenczi
reconnaissant.

Je vous prie de faire envoyer d'urgence (éventuellement par l'intermédiaire de Rank) la lettre ci-
jointe 4.

I. Notes de lecture de Ferenczi: « A propos de Essais sur la biologie théorique » (1920, 227), de Julius
Schaxel, et « A propos de Les Glandes pubertaires et leur action » (1920, 228), d'Alexander Lipschütz pour
la Zeitschrift.
Évidemment le «Rapport sur les activités de l'Association [hongroise] du P' janvier au 31
décembre 1919 », Zeitschrift, 1920, 6, p. 110-112.
Il s'agit de « Thalassa, essai d'une théorie de la génitalité », publié par Ferenczi en 1924 (268),
Psychanalyse, III, p. 250-323.
Non identifiée.
822 Fer
[Budapest,] le 22 novembre [1919] A
Cher Monsieur le Professeur,
Nous n'avions pas de grande valise avec nous, aussi n'avons-nous pu
emporter votre photographie. Si Madame Kata' est assez aimable pour la loger
dans sa valise-Mädler *, alors je vous prie de la [lui] remettre avant son départ.
Salutations cordiales à Toni et à Rank.
Votre Ferenczi
A. Date (sans mention de lieu et d'année) à la fin de la lettre. .
* Une marque de valise.
1. Kata Lévy avait rendu visite à son frère, von Freund, à Vienne (Freud à Kata Lévy, 15
novembre 1919, LOC).

823 Fer
B.[uda]pest, le 28 novembre 1919
Cher Monsieur le Professeur,
Ces derniers jours se sont passés sous le signe des espoirs et déceptions à
propos du diagnostic de Toni. Comme par oscillations sismographiques, nous
tremblions avec les Viennois. A présent, nous voici dégrisés, face à la réalité.
Lévy Lajos nous console avec les chances d'un traitement au radium. Nous
sommes devenus modestes à présent, et voulons nous réjouir de chaque mois
que notre ami peut encore vivre parmi nous. Nous espérons que le destin lui
épargnera de trop grandes souffrances. Les médecins doivent accéder à sa
demande d'euthanasie, c'est son droit absolu. Probablement s'occupera-t-il,
maintenant, plus encore qu'auparavant, de sa famille et de sa succession.
J'aimerais lui procurer la satisfaction de mettre sa grande fondation en
sécurité. Demain, je vais chez Bârczy, l'actuel ministre de la Justice'. Je
rapporterai à Garami les renseignements qu'il m'aura donnés et qu'il vous
transmettra personnellement.
Il vous demandera aussi des informations sur sa soeur. Très probablement, le
Dr Dubovicz prendra-t-il d'ici peu des dispositions pour son divorce. Son projet
d'aller maintenant en Suisse avec les Garami (par Vienne !), qui
408 Correspondance 1914-1919

n'était qu'un plan pour mettre la cure en échec et une « tentative de réconciliation » avec Margit,
c'est moi qui l'ai fait échouer.
Mes séances sont maintenant occupées, à l'exception de celle réservée au
Polonais. Je vous prie d'écrire une carte au Dr Dubrovicz 2, lui indiquant que je
ne peux pas réserver cette séance au-delà du 1" décembre (je ne connais pas
son adresse exacte). Qu'il veuille bien me télégraphier, immédiatement et en
urgence.
Je n'ai absolument aucune information sur l'état actuel du projet de voyage de Rank s. N'a-t-il
pas été contrecarré par l'état de Toni ?
Et vous, maintenant, comment avez-vous vécu ces jours difficiles ? A
J'espère que cela ne vous a pas trop éprouvé. – Parlez-moi, s'il vous plaît,
des événements les plus importants, fût-ce brièvement. Vous pouvez
maintenant confier vos lettres à la poste, en recommandé, surtout.
Saluez tous nos bons amis de notre part à tous deux,
votre Ferenczi

A. Dans le manuscrit, un point à la place du point d'interrogation.


Le 24 novembre, un gouvernement fut formé (le troisième depuis le mois d'août), présidé par Kàroly
Huszàr, où Istvàn Bàrczy était ministre de la Justice (voir 769 F, note 4).
Voir 825 F et 826 Fer.
Afin de s'occuper des affaires du fonds et du Verlag, Rank partit le 19 novembre pour
l'Angleterre, en passant par la Hollande, et revint à Vienne, le 2 janvier 1920, via Berlin et Leipzig.

824 F
Prof. Dr Freud

le 3 décembre 1919
Vienne, IX. Berggasse 19

Cher Ami,
S'il est vrai que je peux à nouveau vous écrire, c'est déjà le signe d'un mieux
en ces temps si tourmentés. L'état de Toni est mauvais, et son état général pire
encore que ne le justifient les résultats tangibles et son évolution antérieure, si
bien qu'on soupçonne une progression incontrôlable du mal, se préparant en
profondeur. Il s'est lui-même fixé le terme du 12 décembre (à partir de certains
fantasmes de talion) et je me demande parfois s'il ne va pas le respecter. Il
produit souvent l'impression d'avoir dit adieu au monde, pris
ses distances avec la vie. Vous connaissez certainement les faits par les récits
de Lajos. Dans les prochains jours, Holzknecht' doit commencer la
radiothérapie, en même temps que le radium. Schütz a fait, très correctement et
à temps, tout ce qui relève de la médecine, je peux l'assurer ; malheureusement,
trop affecté lui-même, il ne sait pas susciter un sentiment de sécurité. C'est
Margit qui a la haute main sur les
soins au chevet du malade; elle se comporte admirablement, réfrène Kata et soutient
Rôzsi. Elle-même ne s'effondrera probablement qu'après.
J'ai vu Garami une fois, je n'ai pas encore eu l'occasion de le remercier, mais j'ai
connaissance de la situation risquée de l'affaire et pense que seul Bârczy peut nous
apporter le salut.
J'ai d'abord eu une carte de Rank en provenance de Francfort, mais pas de lettre, je sais
qu'il est parti le lei décembre avec Emden et Ophuijsen pour Londres. J'espère qu'[il]
pourra arranger quelque chose, d'une façon ou d'une autre, pour nous et pour lui.
Reik est considéré par les deux dames comme très inefficace 2. Anna est en vérité très
surmenée par ses deux professions S. La Zeitschrift est constamment retardée par de
nouvelles insertions, comme dernièrement celle de l'Appel 4. La vente de la bibliothèque
en Allemagne paraît très satisfaisante.
Peu de jours nous séparent maintenant du mariage de Martin, le 7 décembre 6.Cet
événement, le sanatorium 6 et les 9 heures de travail me laissent peu de temps pour
l'imagination scientifique. J'ai lu vos comptes rendus et je suis entièrement d'accord. Mais
avez-vous le droit de révéler quelque chose des découvertes de Steinach, tenues secrètes 7 ?
Aujourd'hui, une lettre de Federn, de Stockholm. Il dépeint la situation de la TA comme «
désespérée ». De ce fait, mon prix Nobel est également enterré. Il ne prolongera pas
son séjour là-bas.
Je vous écrirai bientôt de nouveau.
Soyez cordialement salué, ainsi que votre chère Madame Gisela,
par votre Freud

Guido Holzknecht (voir t. I, 171 F, note 3), membre de l'Association viennoise, était un
pionnier éminent de la radiothérapie et considéré comme le meilleur radiologue de Vienne.
Depuis l'année précédente, Reik était deuxième secrétaire et bibliothécaire de l'Association viennoise. Il
travailla également, en 1919 et 1920, comme employé du Verlag. En l'absence de Rank, il reprit
probablement aussi les activités de celui-ci.
Outre son activité d'enseignante au Cottage-Lyzeum, Anna Freud travaillait dans une crèche (E.
Young-Bruehl, Anna Freud, op. cit., p. 90).
« Aufruf fia die Kinder der vom Hunger heimgesuchten Länder » (Appel pour les enfants des pays
où règne la faim), Zeitschrift, 1919, 5, p. 333-334.
Le mariage de Martin Freud avec Ernestine (« Esti ») Drucker (1896 -1980).
C'est-à-dire la visite quotidienne de Freud à Anton von Freund au Cottage-Sanatorium.
Ferenczi a laissé passer la remarque selon laquelle Steinach « a pu apporter la preuve que des effets
purement psychiques pouvaient inhiber ou favoriser le développement des glandes pubertaires », avec
la note en bas de page : « En fait, ces résultats de Steinach ne sont pas encore publiés. Il a eu l'amabilité
de me les communiquer dans un entretien privé » (Ferenczi [1920, 228], Zeitschrift, 1920, 6, p. 86). Voir
826 Fer.
825 F
Prof. Dr Freud

le 11 décembre 1919
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Merci pour votre télégramme'. Il a eu l'effet d'un briseur de blocus. Ces jours-ci, je ne suis pas
parvenu à écrire. 9 heures d'analyse, mariage et sanatorium, c'était bien assez. Je n'arrive
absolument plus à suivre. La correspondance est surabondante et les contributions pour nos
revues s'accumulent comme jamais auparavant. Pas une heure pour mon propre travail.
Cette fois encore, je me limite au plus pressé. Je tiens l'état de Toni pour désespéré; son état
général dépasse largement ce que les résultats connus justifient. Aujourd'hui, on a introduit, au
moyen d'un drain, une capsule de r.[adium]. Comme réaction, température à 39,7 et pouls à 140 ;
le soir, un mieux de nouveau. Psychiquement, il vit à des niveaux divers, tantôt très haut, tantôt
avec une libido en retrait complet, un phénomène bien connu chez les grands malades. Il rouspète
et se tourmente beaucoup, pleure pour de la morphine, mais il est très souvent tendre et spirituel
comme il a toujours été. L'euthanasie, ce n'est pas facile quand on ne veut pas directement
assassiner le malade. Margit dirige les soins d'une main ferme, j'espère qu'elle tiendra le coup
jusqu'à la catastrophe finale.
J'ai vu Garami une fois, je n'ai pas pu parler du fonds. Je sais que la décision est actuellement
entre les mains de Bàrczy.
Rank est maintenant – probablement – à Londres. Les communications à travers le monde sont
actuellement pires qu'elles n'ont jamais été, aussi n'avons-nous aucune certitude. Il devrait
rentrer vers le 20 XII, avec un transport d'enfants 2.
Je ne connais pas l'adresse du Polonais D.[ubrowitz]. Ne lui réservez rien et réjouissez-vous s'il
n'arrive pas.
C'était un très joli mariage, dans la plus stricte intimité. Martin vient de téléphoner pour annoncer
son retour du bref voyage de noces. Le lendemain, Ernst a quitté définitivement la maison puis, 2 jours
plus tard, Oli, qui part pour Hambourg et va prospecter en Allemagne. Nous ne sommes donc que 3, et
très seuls.
Bircher 8 a envoyé un exemplaire complet du Lipschütz pour vous, ainsi que 2 autres ouvrages
biologiques que je vais remettre au Verlag pour qu'ils vous soient expédiés. Vos notes de lecture
sont très bonnes.
J'augmente mes patients à 200 [couronnes], je demande aux étrangers de
payer dans leur monnaie ; je vais réduire ainsi le nombre de mes séances et
accroître mes revenus. Un Américain envoyé par Jones ne paie que
5 dollars, qui font néanmoins 750 couronnes 4 ; économiquement tout cela
reste vain.
Il est impossible d'avoir une lettre de Brill, mais il m'a quand même envoyé les traductions du Mot
d'esprit, du Leonardo et du Totem 5. Federn, de Stockholm, rend compte d'une grande animosité à
l'égard de la `PA. Au bout de six mois, une nouvelle édition des Cinq Conférences 6 est nécessaire. De
vous aussi, j'attends le nouveau livre, « Progrès »', qui est à venir.
Soyez cordialement salué avec votre chère femme, par votre
Freud

Non retrouvé.
Ces trains transportaient des enfants des grandes villes de l'Allemagne du Nord, où régnaient la
poliomyélite et la tuberculose, vers des climats plus favorables, pendant les vacances scolaires.
Ernst Bircher, l'éditeur bernois du livre d'Alexandre Lipschütz dont Ferenczi a rendu compte.
« Dr Bieber [un dentiste américain] est arrivé. Il a le droit de ne payer que la moitié du prix, n'étant
qu'à moitié américain. Pour l'autre moitié c'est un Juif hongrois. » (Freud/Jones, 11 XII 1919,
Correspondance, p. 360.)
Les traductions par Brill de Freud, 1905c (New York, 1916, deuxième édition: 1917), 1910c (New
York, 1916) et 1912-1913a (New York, 1918, deuxième édition: 1919).
Freud, 1910a [1909], deuxième édition : 1920 chez Deuticke. Cinq Leçons sur la psychanalyse, trad.
Y. Le Lay, Paris, Payot, 1973.
Le recueil d'articles de Ferenczi intitulé A pszichoanalizis haladdsa (Progrès de la psychanalyse) [1919,
225], paru chez Mané Dick, à Budapest.
INTERNATIONALE PSYCHOANALYTISCHE VEREINIGUNG
Präsidium : Budapest, VII, Erzsébet Korut 45

Budapest, le 17 décembre 1919

Cher Monsieur le Professeur,


Je suis en possession de vos deux lettres du 3 et du 11 décembre. J'y reviendrai encore, mais je veux
d'abord, en toute hâte, vous tenir au courant de choses plus importantes.
Je me suis rendu compte que, étant donné l'orientation dominante en ce moment, nos protecteurs
actuels : G.[arami] et Bâ.[rczy] n'ont aucune influence sur B6.[dy]. C'est pourquoi j'ai profité du fait que
je connaissais par hasard, personnellement, le Dr Barànsky ' (avocat), qui occupe une position
dirigeante dans un des partis chrétiens et s'intéresse aux affaires humanitaires de la ville, pour l'envoyer
chez B6.[dy].
B6.[dy] l'a reçu aimablement et a promis d'envoyer le jour même (hier) une lettre à notre ami à
Steinbruch, dans laquelle il se dit prêt à entamer les discussions. En même temps, il a communiqué
au Dr Baransky le contenu
d'un avis défavorable à la `PA 2, provenant d'un médecin hospitalier. Il a aussi reconnu qu'il aurait
préféré que l'argent fût consacré à une oeuvre de bienfaisance, au profit de l'enfance. Il a demandé en
outre 1) une réplique scientifique de ma part à l'avis du médecin hospitalier (le médecin directeur
Wenhardt), 2) une proposition détaillée concernant l'opération financière projetée : frais de personnel, frais de
location des locaux, etc., etc.
Cette lettre devrait arriver rapidement entre les mains de notre ami. Ma proposition consiste donc à
télégraphier tout de suite en urgence à Monsieur B6.[dy] que les pleins pouvoirs pour traiter des
détails me seront transférés, et à prier B6.[dy] de se mettre au plus tôt en rapport avec moi. Moi-même, je
devrais recevoir deux télégrammes de notre ami: l'un officiel, par lequel je serais chargé de poursuivre les
discussions et de les mener à leur terme (avec celui-ci, je pourrais me rendre sans tarder chez Monsieur
B6.[dy]), et l'autre privé.
Ce dernier devrait me donner des directives pour la conduite des discussions. Pour faciliter la
correspondance télégraphique, je propose de désigner simplement par les lettres alpha, bêta, gamma, les
modalités suivantes:
Alpha :autorisation d'apporter des modifications au projet de fondation initial (connu de Rank), comme
de faire entrer d'autres personnes au conseil d'administration, qui seraient désignées, pour moitié, par la
capitale [sic]. Éventuellement, le directeur du Service d'hygiène du moment et d'autres semblables.
Bêta : Partage du capital de la fondationentre la PA et une autre institution d'utilité publique. En restant,
si possible, totalement indépendant de la capitale, bien sûr.
Gamma: Répartition identique, même si la capitale veut également se mêler de la moitié qui
nous revient.
Delta : Directives concernant la rédaction de cette proposition d'opération financière demandée par
B6.[dy]. (Très important car on peut ainsi nous lier totalement les mains. De toute façon, je vais
demander conseil au Dr Béla Lévy pour cette décision, comme pour toutes les autres, en général.)
Epsilon: Directives éventuelles pour la rédaction de la réplique « scientifique ».

L'affaire est très urgente, ne serait-ce qu'à cause de la situation politique qui
change sans cesse. – Au demeurant, notre ami n'a aucun besoin d'attendre la
lettre de Bo'.[dy], il peut se référer aux discussions de B6.[dy] avec Barànsky
(éventuellement aussi Bârczy ?) et lui télégraphier immédiatement – comme il
est expliqué plus haut.
macrobiotique. Steinach m'a expressément autorisé à publier ses
expériences concernant l'influence tfr sur les glandes pubertaires.

Le Dr Dubrovicz est quand même arrivé. Il est vraiment « meschugge 4 », mais en tant que tel,
tout à fait remarquable. –
Je travaille 10 heures par jour, dont une heure de repos tous les deux jours (l'heure de consultation
qui est presque toujours vide). Les gens sont pauvres. On me paie actuellement 60-80 couronnes, il y en
a un qui en paie 100. Je ne peux guère monter plus haut. – Pas de nouveaux malades en vue. Tous les
autres collègues tira sont presque inoccupés. – A peine possible de couvrir les frais du ménage. Le mois
passé (les frais viennois mis à part), dépensé 16 000 couronnes. Ce mois-ci, 10 000 couronnes rien que
pour le charbon et le bois. – La sécurité, ici, vacille dangereusement. – Je crois que nous aurons encore
deux-trois périodes de bouleversement à vivre dans ce pays.

Veuillez me faire commander par le Verlag le nouveau livre de/ H.


Schulz (Iéna) : Psychothérapie (Éditions G. Fischer, Iéna)', pour un compte
rendu. Salutations les plus cordiales de votre
Ferenczi
Ma belle-soeur emporte cette lettre. Je n'ai pas le temps d'entrer dans les autres détails de votre
missive. – Les lettres ordinaires en provenance de Vienne mettent désormais 3 ou 4 jours pour
atteindre Budapest.

Gyula Baranszky (1867-1953), avocat. Durant vingt ans, membre du Comité législatif de la ville
de Budapest. Collaborateur de plusieurs revues juridiques. En 1924, il est nommé conseiller du
gouvernement.
Voir 828 Fer.
Il pourrait s'agir de Johannes Heinrich Schultz, Die seelische Krankenbehandlung (Psychotherapie), ein
Grundriss für Fach-und Allgemeinpraxis (Traitement des maladies psychiques. [Psychothérapie], un
manuel pour spécialistes et généralistes), Iéna, Fischer, 1919.
En yiddish : timbré, dingue.

827 F
Prof. Dr Freud

le 18 décembre 1919
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je suis heureux que vous ayez reçu mes deux courriers. Aujourd'hui, Madame Sarolta a apporté
votre lettre lourde de contenu, à la suite de laquelle je ferai le nécessaire demain. Je parle à Toni à
midi, je ferai
envoyer les télégrammes, et j'espère que vous pourrez tout mener à bien vous-même. J'ai déjà vu,
il y a plusieurs jours, une lettre du maire adressée à Toni, disant qu'il était prêt à négocier. Mais
il n'y est pas fait mention d'une deuxième fondation proposée par B6.[dy] lui-même.
Je veux simplement vous expliquer ici, d'avance, le télégramme qui vous sera adressé. D'après
moi, le projet initial d'un grand institut de formation et de traitement ne pourra être mis en oeuvre à
Budapest avant longtemps. Notre ami emportera ce bel espoir avec lui. Abandonnons ce plan et
sauvons ce qui peut l'être. Tout projet qui vise à collaborer avec une quelconque autorité est à rejeter.
On nous mettrait toujours le dos au mur. La seule possibilité semble être un compromis tel que :
abandonner une moitié à la ville, l'autre moitié, en revanche, étant remise entre les mains du comité
actuel (c'est-à-dire les vôtres) en toute liberté. N'admettre aucune autre restriction, exiger la remise
immédiate de la moitié du montant, sinon refus total de votre part, ce qui rendrait le fonds inutilisable
pour la ville également.
Si cette moitié est sauvée, alors vous garderez la plus grosse part pour des temps meilleurs à
Budapest, et injecterez la plus petite dans le Verlag, qui est actuellement notre principal centre
d'intérêt.
Rank n'est pas encore de retour, peut-être ne pourra-t-il venir qu'au Nouvel An ; au
demeurant, je ne m'y retrouve pas non plus dans les embrouillaminis qu'il a fabriqués, mais je
crains que nous ne soyons déjà finis, ou en faillite. Je ne laisse cependant pas toucher aux devises
étrangères, surtout pas maintenant que la couverture constituée par le fonds principal nous a
échappé.
Je vous télégraphierai donc probablement un Bêta absolu.
Quant à la réplique « scientifique », vous pourrez la remplacer par une sévère engueulade à
l'adresse de 136.[dy].
Donc demain, chez Toni. Il est lucide, mais pas vraiment présent. Son esprit est occupé à
certains problèmes difficilement solubles (Vera), la fièvre (résorption?) le dévore. Holzknecht va
maintenant interrompre le radium et remettre les rayons X à plus tard.
Vos nouvelles personnelles sont exécrables.
Salutations cordiales à vous et à Madame Gisela,
votre Freud

828 Fer
Budapest, le 26 décembre 1919

Cher Monsieur le Professeur,


1) La situation de l'affaire du fonds:
Nous avons été reçus (Béla Lévy et moi) par le maire B6dy, le 24.
L'audience a été brève. Il nous a lu sa lettre adressée à Toni, dont j'avais
déjà vu la copie, celle de l'« expertise » du Dr Wenhardt, le directeur de l'hôpital municipal
St Roch `. L'expertise, environ une 1 page et demie dactylographiée en tout, n'était rien
d'autre que la citation des propos de Hoche (secte, danger, etc.). Le maire a dit qu'il n'avait
pas mentionné cette expertise dans la lettre à Toni parce qu'il voulait ménager le malade.
Mais, en aucun cas, cela ne veut dire – comme Toni le laisse entendre dans sa lettre
adressée à vous – qu'il a déjà pris une décision favorable. – Cependant, il a fini par adopter
un ton plus amical ; il était naturellement plutôt porté – disait-il – à se conformer aux
intentions que le créateur du fonds « s'était mises en tête » (sic !). Mais il devait se couvrir et
apporter la preuve qu'il s'agissait d'objectifs conformes. Je dois donc présenter une
réfutation écrite. Il voudrait aussi consulter d'autres personnes. – Je lui ai dit : peut-être le
conseiller à la cour Moravcsik. Sur ce, nous avons pris congé.
Le Dr Béla Lévy était choqué. Il ne savait pas encore que des gens scientifiquement
responsables comme Hoche pouvaient être capables de porter de tels jugements, sans
expérience adéquate. Aussi m'a-t-il demandé si moi, j'étais vraiment convaincu par vos thèses.
J'ai refusé de lui répondre ; il en a conclu que sa question était absurde et s'est excusé.
L'après-midi, je suis allé chez Moravcsik. Je l'ai trouvé «boutonné jusqu'au menton ». Il ne
voulait pas gâcher les choses avec Wenhardt. Et puis, quelle que soit sa sympathie personnelle
pour moi, le fait que les psychanalystes se comportent comme des gens à part lui était
antipathique. La psychanalyse en tant que science particulière, cela n'avait pas plus de sens
que si quelqu'un se spécialisait en pneumonie (!). Il faudrait prescrire l'hydrothérapie, la
galvanothérapie, l'hypnose ou la psychanalyse de la même manière, en fonction du cas. « Nous
devons tous nous occuper de psychanalyse et c'est ce que nous faisons »,(!?) – Un institut
spécifique serait superflu. Freund pourrait aussi bien fonder un département de neurologie ; et là,
on pourrait, entre autres, pratiquer aussi la psychanalyse. Il a proféré encore maintes sottises
et, sur ce, je l'ai quitté. N.B. : il m'a prié de dire au maire qu'il n'avait pas le temps,
actuellement, d'effectuer cette expertise.
Aujourd'hui, j'ai rédigé la riposte, 12 feuillets manuscrits. J'ai d'abord spécifié que je ne
laisserais pas le fonds dépendre d'une quelconque expertise. Le but de mon mémorandum est
simplement de le persuader (le maire) que son expert a commis une injustice malveillante. J'ai
cité la contre-critique de Régis et Bleuler contre Hoche et énuméré les professeurs et les pays qui
reconnaissaient la psychanalyse. (Il était particulièrement curieux en ce qui concerne les
professeurs.) J'ai insulté Hoche et son expert, et ajouté qu'en Hongrie j'étais le seul spécialiste
en la matière. C'est pourquoi, d'avance, je récusais l'avis des professeurs hongrois.
Finalement, je me suis réclamé des intentions du fondateur et de sa famille et j'ai sollicité une
décision favorable.
L.[évy] Bêla est satisfait du texte que j'ai élaboré, je vais le déposer demain et reprendre
les pourparlers dès que possible.
N.B. J'ai fait connaître à Bdrczy, par lettre, l'état des discussions et l'ai prié d'exercer sur
Bôdy la pression nécessaire. J'ignore s'il s'y emploiera et, si oui, avec quel succès.
Lévy Béla pense que Toni devrait faire légaliser verbalement, devant un
notaire assermenté, le plein pouvoir qui m'a été donné.
416 Correspondance 1914-1919

Par l'intermédiaire d'un neveu de Madame G., impliqué dans une affaire de trafic de devises avec
le fils de B6.[dy], j'ai de nouveau incité B6.[dy] à régler le problème.
Veuillez remercier G.[arami] Margit pour sa lettre. Dites-lui qu'à mon avis, dans le cas de figure
qu'elle évoque, Emil Freund 2 va hériter des droits de Toni, y compris en ce qui concerne le fonds.
C'est du moins ce que je pense. Il serait bon de poser la question à Toni, car je n'ai pu prendre
connaissance des actes orig.[inaux].
J'ai beaucoup de mal avec le Dr Dubovicz. Depuis que nous en sommes venus à parler, de la relation
Toni-Margit, on ne peut plus le tenir. Il souffre effroyablement. Il prétend avoir pris, hier, 1 gramme de
morphine, mais il l'a vomi. – En fait, il ne demande rien de plus que d'être traité courtoisement par Margit et
qu'ils se séparent à l'amiable. Si vous pouvez obtenir de Margit qu'elle lui écrive une telle lettre qui, in merito *,
n'a pas besoin d'être enjolivée, cela nous aidera peut-être un peu. N.B. Il s'était déjà quelque peu familiarisé
avec l'idée de la séparation, et pensait même à un nouveau mariage. Mais l'affaire Toni semble avoir blessé
son homosex.[ualité] et il a rechuté dans son état amoureux. – Il représente un véritable casse-tête pour
Madame Vidor S qui, actuellement, a bien d'autres soucis. Il n'est pas nécessaire que Margit apprenne, par
vous, quelque chose de cette tentative de suicide. Elle en entendra bien parler par ailleurs.
Cette fois j'en reste à ces deux communications.
Avec des salutations cordiales,
votre Ferenczi
Le journal de l'adolescente 4 est un événement de premier ordre.
* En latin dans le texte: avec raison.
L Jànos Wenhardt, interniste et neurologue. De 1917 à 1927, directeur de l'hôpital Saint-
Roch. Le frère d'Anton von Freund.
Régine, épouse Vidor, une des deux soeurs d'Anton von Freund.
Le Journal d'une adolescente a paru en 1919, comme tome I des Sources littéraires du développement psychique, au
Verlag (Leipzig, 1919). Freud a cautionné son authenticité dans une lettre (Freud, 1919i 119151), que
l'éditrice, Hermine Hug-Hellmuth, restée d'abord anonyme, a reproduite dans sa préface. La parution du
Journal a suscité de violentes controverses; si certains l'ont grandement loué, d'autres, tels Cyril Burt et
Charlotte Bailler, ont noté des imprécisions et l'ont décrit comme une falsification. Le Verlag a finalement
retiré le livre de la vente en 1927. Le problème d'une éventuelle falsification n'a pas été écarté à ce jour,
mais il n'est pas impossible qu'il s'agisse du journal, peut-être plus tardif, de H. Hug-Hellmuth elle-même.

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