II - FERENCZI Juillet 1914-Décembre 1919
II - FERENCZI Juillet 1914-Décembre 1919
II - FERENCZI Juillet 1914-Décembre 1919
A. Télégramme.
1. Avant de partir pour sa cure à Karlsbad, Freud avait invité Ferenczi à Vienne (voir t. I, 479 Fer, note 9, et
483 F).
N.d.E. Les notes du transcripteur sont signalées par des lettres majuscules: A.
Les notes des traducteurs par des astérisques : *. Les notes des
commentateurs par des chiffres: '. Les notes des auteurs par: /*/.
Préférerais passer samedi soir avec vous et amis après fin consultations car jours de
semaine trop chargés.
Freud
INTERNATIONALE ZEITSCHRIFT FÜR
ÄRZTLICHE PSYCHOANALYSE
Herausgegeben von Professor Dr Sigm. Freud
Schriftleitung : Dr. S. Ferenczi, Budapest, VII. Elisabethring 54/
Dr. Otto Rank, Wien IX/4, Simondenkgasse 8
Verlas Hugo Heller & C°, Wien, I. Bauernmarkt N° 3
Abonnementspreis : ganzjährig (6 Hefte, 36-40 Bogen) K 21.60 = MK. 18. A
A. En-tête pré-imprimé.
le 13 juillet 1914
Cher Ami,
Ainsi donc, nous voici de nouveau près des sources chaudes, jouissant de
la chaleur et de la pluie comme elles se présentent, et je peux observer la façon
dont les effets exercés sur la fonction intestinale se prolongent toujours sur la
relation à l'argent qui en découle'. Cette fois, je ne ressens pas la rupture avec
le passé aussi nettement que d'habitude, je repense au travail et j'ai commencé
à étudier Macbeth 2, qui me tracasse depuis longtemps, sans que j'aie pu en
trouver la solution jusqu'à présent. Étrange, j'ai abandonné Macbeth à Jones
il y a des années, et maintenant je le reprends, en quelque sorte. Il y a là de
sombres puissances en jeu. Annerl a télégraphié, hier, qu'elle était bien arrivée
à Southampton et qu'elle était attendue par Ernest Jones. J'ai profité de
l'occasion pour lui exposer tout de suite ma position dans cette affaire, car je
suis censé n'en rien savoir et je ne tiens tout de même pas à perdre la chère
enfant du fait d'un acte de vengeance évident, abstraction faite de tout ce qui,
rationnellement, témoigne du contraire. Je pense que Loe aussi veillera comme
un dragon 3.
Dans une lettre d'avant-hier, Pfister 4 m'assure de façon inattendue qu'il se
compte parmi les nôtres et qu'il est prêt à entrer dans le groupe viennois si les
Zurichois effectuent la retraite qu'ils projettent 5. Voilà donc une première nouvelle
et elle est bonne. La lettre circule et vous arrivera d'ici peu.
Sinon, bien sûr, rien de nouveau. Je vais bientôt m'attaquer à quelques
essais techniques de moindre importance 6, pour la Zeitschrift.
Avec mes salutations cordiales,
votre Freud
A. Écrit à la main, au-dessus et au-dessous de l'en-tête imprimé.
I. Voir « Caractère et érotisme anal » (Freud, 1908b), in Névrose, psychose et perversion, trad.
fr. D. Guétineau, Paris, PUF, 1972, p. 143-148.
2. Dans L'Interprétation des rêves (1900a, Paris, PUF, 1973), Freud avait brièvement mentionné Macbeth;
plus tard, il a rassemblé du matériel sur ce sujet (Freud à Jones, 31 X 1909), mais ensuite, il a écrit
à Jones : «Quant à Macbeth, le sujet vous est réservé » (6 XI 1910). Cependant, ce ne fut pas Jones,
mais Ludwig Jekels qui rédigea une étude psychanalytique sur Macbeth (« Shakespeare's Macbeth »,
Imago, 5, 1917-1919, p. 170-195). Voir également Freud, 1916d, « Quelques types de caractère
dégagés par le travail psychanalytique », I : Les exceptions, II : Ceux qui échouent devant le succès,
III : Les criminels par conscience de culpabilité, in Inquiétante Étrangeté et autres essais, trad. B. Féron, Paris,
Gallimard, coll. « Connaissance de l'inconscient », trad. nouv., 1985, p. 136172. Le passage
concernant Lady Macbeth et Macbeth : p. 149-158.
1914 7
A propos du voyage d'Anna Freud en Angleterre, voir t. I, 483 F, note 7. Jones ayant envisagé de
demander la main d'Anna, Freud lui écrit, le 22 juillet 1914 : «Je vous remercie beaucoup de
votre gentillesse pour ma petite fille. Peut-être ne la connaissez-vous pas assez. C'est la plus
douée et la plus remarquable de mes enfants, de plus, dotée d'un caractère d'une qualité rare.
Elle ne demande qu'à apprendre, à voir toutes sortes de curiosités, voulant apprendre et
comprendre le monde. Elle ne demande pas à être traitée en femme, elle est encore loin
d'éprouver des émois sexuels et se montre plutôt rejetante à l'égard des hommes. Entre elle et
moi, il est expressément entendu qu'elle n'envisagera ni mariage ni aucun pas dans ce sens
avant d'avoir deux à trois ans de plus. Je ne pense pas qu'elle rompe cette convention. » La
demande en mariage d'Anna par Jones – qui ne sera pas couronnée de succès – est brièvement
évoquée par Elisabeth Young-Bruehl dans son ouvrage Anna Freud, trad. Pierre Ricard, Paris,
Payot, 1991, p. 59-62.
Aucune lettre (même inédite) de la correspondance Freud-Pfister, entre le 11 mars 1913 et le 9
octobre 1918, n'a été conservée.
Les analystes suisses avaient déjà annoncé qu'ils n'assisteraient pas au congrès prévu en
septembre à Dresde (lettre du 26 VII 1914, Freud/Abraham, Correspondance, Paris, Gallimard, coll.
« Connaissance de l'inconscient », 1969, p. 190. Jones, II, p. 181-182). Une grande partie d'entre
eux ayant rejoint le groupe de Jung, la Société suisse de psychanalyse ne fut fondée que le 24
mars 1919.
A savoir, les deux derniers articles sur la technique thérapeutique entre 1911 et 1915, parus en
novembre 1914 et en janvier 1915 dans la Zeitschrift : «Remémoration, répétition et élaboration »
(1914g) et « Observations sur l'amour de transfert » (1915a [1914]), in La Technique psychanalytique,
trad. A. Berman, Paris, PUF, 1970 (1981), p. 105-115 et 116-130.
9F
Prof. Dr Freud
Cher ami,
Vous vous étonnez certainement de tout le temps dont je dispose à
Karlsbad, pour écrire. Mais c'est la première fois que je suis ici sans être
dérangé, sans les Emden ; je passe la journée très agréablement avec ma
femme, et je reste tout de même encore assez frais et dispos pour travailler.
Je suis effectivement en train d'écrire un article technique 1, pas sans
importance de surcroît mais la lettre d'aujourd'hui est entièrement
consacrée aux problèmes de la rédaction.
Avant tout, réjouissez-vous d'apprendre que vous êtes autorisé à rayer
Maeder de l'en-tête de la Zeitschrift. Les autres aussi bientôt, j'espère 2 !
Selon le rapport d'Abraham, il n'y a pas de doute : nous serons débarrassés
de tous. Les lettres qui circulent vous apprendront la suite.
D'autre part, dans le numéro de la Zeitschrift arrivé aujourd'hui, je
remarque quelques fautes de style pour lesquelles je vous prie de tirer les
oreilles du coupable — Reik. Il m'a sérieusement demandé de le critiquer
toujours avec la plus grande rigueur. Vous pouvez donc tranquillement vous
réclamer de moi. Je pourrais le lui écrire moi-même, mais je préfère
suivre la voie hiérarchique. C'est un bon garçon, mais il ne doit pas se laisser aller
à une telle vulgarité B.
Dans le compte rendu de Reik concernant Schmidt, p. 389 3, on lit (en bas) : « Depuis
quand de tels sentiments paraissent-ils quasi normaux à Monsieur le Conseiller? » Nous
devons nous abstenir d'un ton aussi familier, tout particulièrement envers nos
adversaires, surtout maintenant que la polémique va devenir inévitable.
[Barré] : p. 391, tout en bas, un «Schnoferl » * pas tout à fait digne. [Sous-entendu
:] Là je me suis trompé.
Idem au feuillet 33.
J. H. Schultz 4 : La TA. Entièrement manqué dans le ton, presque une
dénonciation. Pourquoi un tel non-sens ne se trouverait-il pas dans un journal de
littérature théologique?
Pfister à qui dites-vous cela ** ? A rayer absolument, c'est une incongruité juive!
Sec, plutôt ironique ! Plus loin, la parenthèse « (Ce n'est certainement pas le motif
d'adhésion aux théories de Jung?) ». Une insinuation, là où il faudrait dire de façon
plus digne : Nous voulons espérer que ce n'est pas là le motif...
Windelband. Ici, je critique seulement un manque de clarté. Est-ce Wind.[elband]
lui-même ou quelqu'un d'autre qui prononce les phrases citées ? (« exprimait » est
incompréhensible) 5.
Vous voyez, je suis d'avis que la rédaction s'occupe énergiquement des
rapporteurs, de leurs bons usages autant que de leur bon esprit.
Très cordialement, votre
Freud
A la main, au-dessus du texte pré-imprimé.
Le long de la marge gauche, en haut de la feuille, écrite au crayon de la main de Ferenczi, la note suivante :
«J'ai écrit à Reik, dans l'esprit de Freud, et je lui ai demandé la rectification des passages en question. »
* Schnoferl, terme viennois intraduisible : moue de mécontentement et de bouderie d'un petit enfant
qui s'apprête à pleurer.
** En français dans le texte.
« Remémoration, répétition et élaboration » (Freud, 1914g, Rank à Freud, 23 VII 1914). A cette époque, Freud
manifesta aussi un grand intérêt pour les problèmes techniques, en se proposant de parler des « Aspects de la
technique psychanalytique » au congrès projeté (lettre du 26 VII 1914, Freud/Abraham, Correspondance, op. cit., p.
190).
Parmi les personnes figurant sur la couverture de la Zeitschrift en 1913, les noms des collaborateurs
permanents suivants furent supprimés en 1914: Alphonse Maeder et Franz Riklin de Zurich, Leonhard
Seif de Munich. Voir également la lettre de Freud à Abraham du 18 VII 1914 (op. cit., p. 188).
Theodor Reik (voir t. I, 251 F, note 3), analyse de l'ouvrage de Willi Schmidt, Inzestuöser Eifersuchtswahn
(Délire incestueux de jalousie), 1914, Zeitschrift, 2, p. 389.
Johannes Heinrich Schultz (1884-1970), psychiatre et psychothérapeute allemand. Professeur à Iéna à
partir de 1919, directeur de l'Institut de psychothérapie de Berlin à partir de 1936 ; inventeur du training
autogène. Il publia un article sur la psychanalyse intitulé «Die Psychoanalyse », dans Theologische Literaturzeitung
(17 janvier 1914). Pfister lui répondit, dans la même revue, par un article intitulé « Psychoanalyse und
Theologie », le 6 juin 1914. Reik, dans sa note de lecture analysant ces deux articles, a critiqué Schultz pour
«la banalité et l'absurdité de ses arguments » (Zeitschrift, 1914, 2, p. 474) ainsi que Pfister, pour « la faiblesse
et la pauvreté de sa défense ». L'expression : « à qui dites-vous cela ? » ne se trouve plus dans le texte
imprimé. Voir également la lettre de Freud à Reik du 24 VII 1914, in Trente Ans avec Freud, trad. Evelyne Sznycer,
Bruxelles, Complexe, 1975, p. 100- 101.
T. Reik, analyse critique de Windelband, « Die Hypothese des Unbewussten »
(L'hypothèse de l'inconscient), Zeitschrift, 1914, 2, p. 476.
Wilhelm Windelband (1848-1915), philosophe allemand, représentant du néo-kantisme, se fit
surtout connaître par l'introduction d'une distinction entre sciences nomothétiques et sciences
idiographiques. Son livre, Lehrbuch der Geschichte der Philosophie (Manuel d'histoire de la philosophie,
1892), était un ouvrage de référence dans les pays germanophones.
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491 F
Prof. Dr Freud
Karlsbad
Vienne, IX. Berggasse 19 le
22 juillet 1914
Cher Ami,
Je vous réponds par retour du courrier parce que vous êtes sur le point de vous
soustraire à la correspondance pour un certain temps. Votre lettre ne m'a pas
entièrement satisfait. Je pense que vous surestimez l'importance de Jung dans
ma vie affective, tout comme lui-même. Je ne sais rien d'un changement de cap
avec mes amis. Je vous accorde ceci : une fois de plus, j'ai fait l'expérience qu'il
était trop tôt pour se retirer et se débarrasser du travail sur d'autres, et il est
probable que je ne ferai plus de nouvelle tentative dans ce sens. C'est sans doute
une grande fatigue qui s'exprimait dans ces états d'âme à la façon du Roi Lear ',
et peut-être en avais-je acquis le droit au cours des vingt dernières années. Mais
on n'est absolument pas obligé de faire valoir tous ses droits. J'y renonce donc et
je porterai patiemment ma croix.
Quant à notre rencontre de cette année, je ne l'ai pas sacrifiée au bien-être,
mais à un nouveau travail 2 pour lequel la compagnie me serait importune. De
plus, il ne m'est pas facile de travailler justement avec vous. Vous attaquez
les choses différemment, et c'est pourquoi vous êtes souvent éprouvant pour
moi. Jusqu'à présent je peux dire : Nulla dies sine linea * s, et j'espère que cela
continuera ainsi jusqu'en automne. Un manuscrit a été envoyé à Rank,
aujourd'hui 4.
Anna écrit d'Angleterre que Jones se comporte très gentiment avec elle et la
famille qui la reçoit, qu'il y est venu le premier dimanche et qu'il a promis de
revenir dimanche prochain. Je ne veux rien faire qui dérange cette relation. La
petite n'a qu'à apprendre à s'affirmer ; mais elle sera certainement assez habile
pour éviter une explication qui ne peut conduire qu'à une déception. Elle-même
se sent tout à fait sûre.
Saluez cordialement Madame Gisela * * et écrivez encore avant de partir
pour l'Angleterre.
Avec mes salutations cordiales,
votre Freud
A. A la main, au-dessus du texte pré-imprimé.
* En latin dans le texte.
** Dans les lettres des deux correspondants, le prénom de Mme Ferenczi est orthographié tantôt
à l'allemande: Gisela, tantôt à la hongroise: Gizella.
I. Voir la description freudienne du drame de Shakespeare: « Le vieux roi Lear se décide, de son
vivant encore, à partager son royaume entre ses trois filles, et ceci en proportion de l'amour qu'elles
sauront lui manifester. Les deux aînées, Goneril et Régane, s'épuisent en protestations d'amour et
en vantardises ; la troisième, Cordélia, s'y refuse. Le père devrait reconnaître et récompenser cet
amour silencieux et effacé de la troisième, mais il le méconnaît, il repousse Cordélia et partage le
royaume entre les deux autres, pour son propre malheur et celui de tous ». (Freud, 1913f : « Le
thème des trois coffrets », in Essais de psychanalyse appliquée, Paris, Gallimard, 1971, p. 87-103, citation
p. 90.)
Freud voulait travailler sur l'article destiné au manuel de Kraus et Brugsch (voir t. I, 325 F et la
note 2, et Freud à Binswanger, 16 février 1919, in Freud/Binswanger, Correspondance 1908-1938, Paris,
Calmann-Lévy, 1995, p. 219-220.
« Pas un jour sans une ligne » : citation extraite de l'Histoire naturelle (XXXV, 10) de Pline (23-
97).
Probablement « Remémoration, Répétition et Élaboration ».
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A. Lieu et date manuscrits, à la fin. La mention de l'année manque, elle est donnée par le
contexte.
* Honvéd : soldat de l'armée hongroise. Littéralement: défenseur de la patrie.
Le 23 juillet, le gouvernement autrichien adressait un ultimatum à la Serbie, avec un délai de
quarante-huit heures. Dans sa réponse du 25 juillet, la Serbie acceptait la plupart des exigences de
l'ultimatum, mais l'Autriche-Hongrie réagissait le jour même par la rupture des relations
diplomatiques et une mobilisation partielle. Le 28 juillet, l'Autriche-Hongrie déclarait la guerre à la
Serbie.
Enfin seul: titre d'un tableau de Toffano, très largement reproduit et répandu au xix'
siècle.
494 Fer
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A. Télégramme.
Vienne, le 14 août 1914
Cher Ami,
J e ten t e m a ch a n ce a ve c un e ca rt e B . Qu e fai te s- v ou s ? O ù ête s-
v o us p a s sé ? Dep ui s le 5 d u m ois n o us s om me s t o us en sembl e à
Vi en n e' , sa u f Ma rtin qu i s ' e st p ort é vol on tai re à S al zb ou rg 2 et
A nne rl q ui est en An gl et er r e, co up ée d e no us. Po u r tr a va il le r, je
n'a i pas l a m oi n d r e con cen t ra t ion . C e son t d e s t emp s dif fici l es ; n os
c ent re s d 'i n t ér êt on t p e rd u l eu r va le ur d an s l 'i mm éd iat. Sal utati ons
c o rdi ale s, v otre F r eud
Carte postale.
La carte est adressée à Budapest et porte en post-scriptum, de la main de Freud: « Faire suivre ! »
Voir la lettre de Freud à Sophie et Max Halberstadt, du 6 août 1914 : « De plus, à Karlsbad, on
ne pouvait pas se rendre compte de toute la gravité de la situation. Mais Tante Minna et
Mathilde, déjà rentrées à Vienne, ne nous ont pas laissés en paix jusqu'à ce que nous repartions
[...] le mardi 4 au soir, par le tout dernier train. » (Library of Congress, Washington D.C.
[désormais : LOC].)
Martin Freud, qui travaillait au tribunal de Salzbourg, venait de s'engager comme volontaire, bien
qu'il ait été précédemment réformé (voir t. I, 195 F et la note 4, ainsi que 272 F).
497 Fer
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L'un des deux fils de la soeur aînée de Ferenczi, Ilona (née en 1865), Bertalan ou Gyula.
Voir également 580 Fer.
En effet, Loe Kann avait eu bien du mal à sortir son chien Trottie en fraude des Pays-Bas
pour le faire passer en Angleterre (Jones à Freud, 3 août 1914, Freud/Jones, Correspondance, p.
297-298).
498 F
Prof. Dr Freud
Cher Ami,
Naturellement, je vous croyais déjà mobilisé, et hier je vous ai porté
disparu en donnant des nouvelles à Emden, lui qui est neutre. J'accepte
d'autant plus volontiers votre offre de venir à Vienne, où il ne vous est
imposé aucune limite de temps ni obligation de me ménager. De toute façon,
je ne veux pas tenter d'ouvrir ma consultation avant le 1°r octobre, tentative
qui serait, du reste, maintenant comme plus tard, purement « symbolique ».
Je n'arrive absolument pas à travailler. Pendant la première semaine après
Karlsbad, j'avais bien commencé ; je pouvais consacrer trois ou quatre
heures à lire et à réfléchir ; à la fin de cette semaine, très peu, et aujourd'hui
cela fait une semaine que je n'ai pas pensé à la science. Des problèmes
psychiques trop durs étaient à régler et, dès qu'une adaptation avait réussi,
survenait une nouvelle exigence qui vous enlevait le bénéfice de l'équilibre
déjà acquis. Je constate seulement que je suis devenu plus irritable, et je
fais des lapsus à longueur de journée – comme beaucoup d'autres,
d'ailleurs. Ceux des nôtres auxquels je parle sont dans le même état. Pour
échapper à l'ennui, Rank a entrepris d'établir un catalogue de ma
bibliothèque; il va commencer dès demain, et moi, je me suis inventé une
amusette semblable : je vais prendre mes antiquités, les étudier et les décrire
une par une.
Le processus intérieur a été le suivant : la montée d'enthousiasme, en
Autriche, m'a d'abord emporté moi aussi. En échange de la prospérité et de
la clientèle internationale, disparues à présent pour longtemps, j'espérais
qu'une patrie viable me serait donnée, d'où la tempête de la guerre aurait
balayé les pires miasmes, et où les enfants pourraient vivre en confiance. J'ai
mobilisé tout d'un coup, comme beaucoup d'autres, de la libido pour
l'Autriche-Hongrie, comme par exemple mon frère Alexander qui, se trouvant
au beau milieu de l'agitation administrative, a pu constater avec surprise
combien de force de travail et de disponibilité pouvaient être trouvées chez
les fonctionnaires, dont le nombre est maintenant réduit.
Tous les jours, j'ai partagé avec lui l'émotion du moment. Peu à peu, un
malaise s'est installé lorsque la sévérité de la censure et le gonflement des
plus petits succès m'ont fait penser à l'histoire du « Dätsch » * : revenant
18 Correspondance 1914-1919
dans sa famille orthodoxe habillé en homme moderne, il se laisse admirer par tous
ses parents, jusqu'au moment où le vieux grand-père donne l'ordre de le
déshabiller. On découvre alors, sous toutes les couches de vêtements modernes,
que les pans de son caleçon sont attachés avec un petit bout de bois parce que les
cordons ont été arrachés ; sur quoi le grand-père décide qu'il n'est malgré tout pas
un « Dätsch ». Depuis le communiqué d'avant-hier sur la situation en Serbie `, j'en
suis parfaitement convaincu en ce qui concerne l'A.[utriche]-H.[ongrie] et je vois ma
libido tourner en rage, dont on ne peut rien faire. La seule chose réelle qui demeure,
c'est l'espoir que notre auguste allié 2 se batte pour nous en sortir. J'ai maintenant
l'espoir que tout notre intérêt, après s'en être écarté, reviendra quand même à notre
science, et votre visite agira certainement dans ce sens.
Martin a justifié sa décision en nous disant qu'il ne veut pas manquer l'occasion
de passer la frontière russe sans changer de religion 3. Je ne suis pas très heureux
que, jusqu'à présent, il n'ait fait qu'une carrière en pointillé, mais je comprends
ses considérations et finalement il me faut lui donner raison. Il doit rester encore
deux semaines à Salzbourg pour l'instruction, avant de partir compléter les
effectifs de son régiment (Artillerie de campagne n° 41). Hier, j'ai enfin reçu une
carte postale d'Annerl, réexpédiée depuis La Haye ; j'apprends qu'elle a passé une
journée à Londres chez Loe et Davy Jones 4 et puis qu'elle est retournée à St
Leonards. Elle écrit que Trottie s'est beaucoup réjouie de la revoir ! Vos prévisions
pessimistes ne se sont donc pas réalisées. Davy Jones ajoute ces mots : Your
daughter is frightfully brave, if you could see her, you would be extremely proud
of her behaviour ** 5.
Après la guerre, on ne pourra pas aller en Angleterre avant longtemps, peut-
être même pas en Italie ? L'Allemagne aussi sera impossible, à cause de la
morgue des Allemands, qui n'est pas sans justification.
Nous sommes tous là, bouclés à la maison, à faire des économies, ce qui est
une occupation détestable et inhabituelle. Minna se remet de sa mauvaise
grippe, lentement, mais de façon évidente.
Surtout, venez bientôt, et voyez si le bateau ne va pas plus vite
qu'un télégramme!
Salutations cordiales, votre
Freud
s'appuie sur ses entretiens avec Hermann Nunberg, Philippe Sarasin et Hélène Deutsch,
Freud aurait refusé — mais seulement quelque quatre ans plus tard — d'analyser Tausk
parce qu'il se sentait inhibé en sa présence, et parce qu'il craignait que Tausk ne lui vole
ses idées (Paul Roazen, Animal mon frère, toi, Paris, Payot, 1971, p. 112 sq., et La Saga freudienne,
Paris, PUF, 1986, p. 250 -251).
500 Fer A
A. Carte postale.
501 Fer A
Budapest, le 29 août 1914
A. Carte postale.
Fer
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503 F A
E.F. Canonnier Dr Freud
Régiment des Canonniers 41
Compagnie en déplacement
Cher Ami,
Il m'a encore été donné de voir Martin ici, avant qu'il ne parte, à
ma grande surprise, en direction du Sud'.
Cordialement,
Freud
[Écrit au crayon, de la main de Martin Freud:]
Bien cordiales salutations de Martin.
A. Télégramme.
506 Fer A
Budapest, le 29 septembre 1914
A. Télégramme.
507 Fer A
Budapest, le 30 septembre 1914
A. Télégramme.
508 Fer A
Budapest, le 30 septembre 1914
Train raté – Du matériel pour deux séances que je sollicite pour demain
après-midi' – Arrivée midi Regina.
Ferenczi
A. Télégramme.
1. Ferenczi a commencé le le' octobre une analyse avec Freud, interrompue au bout de trois
semaines et demie par suite de son incorporation comme médecin militaire aux hussards hongrois
cantonnés à Pàpa. (Voir J. Dupont, « Freud's analysis of Ferenczi as revealed by their correspondence
» [L'analyse de Ferenczi par Freud, telle que la révèle leur correspondance], International Journal of
Psychoanalysis, 1994, 75, p. 301-320.)
509 Fer A
Pâpa, le 25 octobre 1914
Les épreuves des Trois Essais sur la théorie sexuelle de Freud (1905d), dont la troisième édition a
paru chez Deuticke, en 1915.
11 F
ProfDr Freud
le 30 octobre 1914
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je me suis arrêté hier à la page 54 de la nouvelle histoire clinique' et je ne
peux pas mieux occuper ma tête ravagée (par le rhume) qu'en écrivant des
lettres.
Je déduis de la lecture de votre lettre à quel point est encore vivace votre
sentiment de culpabilité infantile! C'était bien bête, cette interruption
brutale de la cure, au moment où elle était la plus intéressante et la plus
productive, mais il n'y avait rien à y faire. Je vous donne à présent le pronostic :
l'auto-analyse va échouer très bientôt et c'est bien ainsi, car l'auto-analyse et
l'analyse avec un étranger ne peuvent pas s'additionner. A l'évidence, tout ce que
nous pouvons faire ici pour vous, afin que vous ne vous enlisiez pas dans le
service, est de vous pousser vers les intérêts >Ira. Je vous ai fait envoyer par
Rank quelques nouvelles parutions dont vous voudrez bien avoir l'obligeance de
rendre compte pour la Zeitschrift en tant que rédacteur, et qui sont d'ailleurs
intéressantes en elles-mêmes. Binswanger mérite une attention particulière 2.
Pfister s'est soudain montré capable de voir Adler sous l'éclairage que j'ai projeté
sur lui s. Il ne fait d'ailleurs rien d'autre que de délayer quelques-unes de mes
remarques. Il a l'art de distiller des louanges grandioses à partir de ce type
d'objections. Partialité, opiniâtreté spéculative et absurdité semblent à la base
de grands mérites en matière de science. Vous allez beaucoup vous amuser. En
outre, vous avez le Kollarits 4. La bibliothèque en demande naturellement le
retour.
Hier, sont aussi arrivées les épreuves du nouveau numéro de la Zeitschrift.
Je me suis beaucoup réjoui de voir combien vos contributions, même les plus
brèves, sont judicieuses et substantielles 5.
Un Italien, Lévi-Bianchini 6, chargé de cours à Naples et directeur du «
Manicomio », veut publier une bibliothèque psychiatrique internationale, et
commencer par une traduction de mes « Cinq Leçons ». Il offre aussi un
échange de journaux. Accepté.
En ce qui concerne mes travaux, je vous enverrai ce qui est transportable, les
épreuves de la théorie sexuelle', dès qu'elles arriveront, le texte de la nouvelle
histoire clinique, si je peux avoir une copie dactylographiée. Si la liaison ferroviaire
était humaine, je pourrais vous rendre visite un dimanche. Vederemo * !
Tous vous saluent cordialement,
votre Freud
le 9 novembre 1914
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je vous écris aujourd'hui, 1) pour vous accuser réception de votre lettre du 3 et
de votre carte qui est arrivée ce jour, 2) parce que je vous ai envoyé, à l'adresse de
l'hôtel, une feuille d'épreuves de la théorie sexuelle, 3) parce que j'ai énormément
de temps – plus qu'un patient – et 4) parce que je conclus, d'après vos actes, que
vous ne vous êtes pas encore ressaisi et j'en suis fort mécontent.
De nouvelles, fort peu. L'Italien de Nocera (Bianchini) m'a envoyé,
aujourd'hui déjà, la traduction de la première des Cinq Leçons, pour laquelle
j'ai écrit une préface'. L'histoire clinique 2, forte de 116 pages, est achevée. Rank
l'a emportée aujourd'hui pour la lire. Elle m'a précipité dans de sérieux doutes,
qui n'ont pas pu être totalement résolus rationnellement, et je présume que le
doute latent, tapi dans l'ombre, quant à savoir si nous allons vaincre, y a
rajouté son grain de sel *. Mais il y a là quelque chose sur quoi je voudrais avoir
votre opinion. Il est vrai qu'il reste encore six mois jusqu'à l'impression.
L'éditeur du manuel de Kraus m'a fait savoir aujourd'hui qu'il n'aura pas besoin
avant fin 15-début 16 de mon manuscrit, qui était programmé pour avril 1915.
Tous les jours, quelque chose s'effrite. Je ne sais pas maintenant avec quoi
remplir ma journée.
Martin a été incorporé dimanche à Steyr s, Ernst a été malade de la grippe
et doit encore être bien mal en point. Oli trouve sans cesse du travail', et il
semble avoir bien réussi. Annerl est, comme toujours, active et plaisante. De
Pfister, une lettre bête et disciplinée ; sinon, quand le canon tonne, la voix de
la psychanalyse ne se fait pas entendre dans le monde.
Si nos amis n'ont pas réalisé quelque chose de tout à fait décisif d'ici Noël,
ils auront affaire aux Japonais, que l'Angleterre laissera sûrement venir en
France, et alors l'espoir d'une issue heureuse devra être enterré 5.
Je vous salue cordialement et attends de vos nouvelles,
votre Freud
* Textuellement: « y a rajouté son raifort », assaisonnement presque aussi banal en Autriche que
le sel. Le raifort revient dans d'autres locutions familières, comme: « j'ai besoin de lui pour râper du
raifort », c'est-à-dire, je n'ai aucun besoin de lui.
1. C'est ce passage de la lettre de Freud qui a attiré l'attention sur la préface en question, inédite
jusqu'à présent. Dans la prochaine édition de la Bibliographie de Freud elle figurera sous le numéro
1915j. En voici le texte : « Préface. J'ai bien volontiers donné mon accord pour cette traduction, qui
réalise un souhait ancien. Depuis de longues années, j'éprouve le besoin, pour continuer le travail,
de puiser des forces dans les beautés de l'Italie; pays dans
la littérature duquel je ne serai désormais plus un étranger, grâce aux efforts du traducteur. La
remarquable faculté de compréhension du professeur Levi-Bianchini garantit une fidélité de
reproduction dont tout auteur n'a pas la chance de pouvoir jouir. Je pense que la psychanalyse
mérite l'attention des médecins et des personnes cultivées en général, parce qu'elle établit une
relation étroite entre la psychiatrie et les autres sciences humaines. J'ai essayé d'en donner une
description plus générale dans un article de la revue Scientia (Bologne, 1913). Vienne, 1915, Freud.
»
Voir 511 F et la note 1.
Petite ville de la Haute-Autriche.
Oliver Freud, ingénieur, était alors en train d'effectuer des travaux d'arpentage pour la
construction de baraquements d'infirmerie (Freud à Mitzi Freud, 30 X 1914, LOC).
Dès le début de la guerre, le Japon s'était rangé aux côtés de l'Entente et avait attaqué les positions
allemandes en Chine et dans l'océan Pacifique. La colonie allemande de TsingTao tomba le 7 novembre
1914. Cependant, malgré la demande de l'Angleterre et de la France, les Japonais refusèrent de
participer à la guerre en Europe.
PapaA, le 10 novembre 1914 Adresse :
Caserne des Hussards
515 F
Prof. Dr Freud
le 11 novembre 1914
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je vous écris de nouveau aujourd'hui, parce que je me suis occupé de vos
comptes rendus et que, dans ma solitude, je suis content de pouvoir écrire
une lettre cachetée.
J'ai dit la dernière fois que, chaque jour, quelque chose s'effritait. J'ai reçu
hier la nouvelle de la mort de mon frère aîné'. Il avait, certes, quatre-vingt
un ans, mais le faire-part dit : accident ferroviaire. Je pense qu'il n'aura pas
supporté la guerre ; il avait une grande vitalité et il a atteint exactement le
même âge que notre père. J'ai déploré aujourd'hui que l'Emden 2 ait sombré,
nous nous y étions véritablement attachés.
Au sujet de vos notes de lecture, je pense que Kollarits 3 n'aurait pas mérité
tant d'égards ad personam *, mais on peut comprendre qu'en pareils temps on
éprouve la tentation de montrer ce qui, dans un exemple, a valeur de modèle, si
bien que le lecteur devient élève. La première critique est donc excellente à
tous points de vue. Au sujet de la seconde, sur l'interprétation des rêves, j'ai
plusieurs choses à redire. Les différences ne sont pas assez nettement
accentuées ; des deux arguments principaux, il en
manque un : ce qui est crainte dans un système est justement désir dans
l'autre, et c'est ce qui importe. Le deuxième argument est mentionné : c'est
celui du rêve de punition (conscience de culpabilité masochique). Dans
l'exemple de K.[ollarits] au sujet de la gifle, vous donnez trop d'importance au
fait que c'est un autre qui la reçoit ; il ne faut pas chercher là-dedans
l'accomplissement du désir; c'est un rêve de punition avec adoucissement par
déplacement. Dans l'exemple de la gonorrhée, il aurait été judicieux de
mentionner un rêve analogue, mais bien analysé, de Stärcke (à propos de
l'affect primaire), dans feu le Zentralblatt 4, et de faire une réprimande sérieuse
pour la confusion constante entre rêve manifeste et latent. Rank vous enverra
donc cette note de lecture afin de lui donner plus de tranchant.
Je vous ai adressé aujourd'hui les feuillets d'épreuves numéro 2 de la
thé.[orie] sex.[uelle] ; dans votre ennui, vous lirez peut-être cela aussi. J'ai
abandonné de nouveau le x et le double x pour caractériser la distinction
d'après les couches originaires 5.
Avec mes salutations cordiales et dans l'espoir d'apprendre bientôt
votre mutation 6,
votre Freud
* En latin dans le texte: « pour la personne » ou « personnellement ».
Le demi-frère de Freud, Emanuel (né en. 1833), est décédé le 17 octobre 1914. La notice suivante
parut dans le Southport Guardian, le 21 octobre 1914 : « Le samedi après-midi, lors du passage à Parbold
Station de l'express en provenance de Manchester et à destination de Southport, on s'aperçut qu'une
portière d'un wagon était ouverte et qu'un homme d'un certain âge était étendu sur les rails.
Apparemment, il était tombé du compartiment où il voyageait seul. Lorsqu'on vint le relever, il était
mort. On l'identifia comme étant Emanuel Freud... » (The Family Letters of Sigmund Freud and the Freuds of
Manchester, Tom Roberts, Mark Paterson et Ass. (éds), 1991, inédit.)
Il s'agit du croiseur auxiliaire Emden, coulé le 9 novembre par un croiseur australien, devant les
îles Cocos, ou Keeling, dans l'océan Indien, au sud-ouest de Java.
Voir 511 F, note 4. II s'agit des articles intitulés «Observation de psychologie quotidienne » et «
Contribution à l'étude des rêves ». Apparemment, dans la version publiée dans la Zeitschrift, Ferenczi
avait tenu compte des critiques exprimées par Freud dans cette lettre.
August Stärcke : « Ein Traum der das Gegenteil einer Wunscherfüllung zu verwirklichen schien,
zugleich ein Beispiel eines Traumes, der von einem anderen Traume gedeutet wird » (Un rêve qui
semble réaliser le contraire d'un accomplissement de désir, en même temps exemple d'un rêve
interprété par un autre rêve), (Zentralblatt, 1912, 2, p. 86-88), cité, par la suite, par Ferenczi.
Avec L'Interprétation des rêves (1900a), les Trois Essais sur la théorie sexuelle (1905d) était le seul
ouvrage que Freud cherchait à remettre à jour lors de chaque nouvelle édition. Seule la deuxième
édition (1910) met en évidence les notes nouvellement ajoutées, au moyen d'astérisques. (Voir «
Préface à la deuxième édition », Freud, 1910n [1909].) S. Freud (1905d), Trois Essais sur la théorie
sexuelle, trad. Philippe Koeppel, Paris, Gallimard, coll. « Connaissance de l'inconscient », trad.
nouv., 1987, p. 28.
C'est-à-dire le retour de Ferenczi à Budapest.
516 Fer A
Papa Ble 15 novembre 1914 c
517 Fer
Papa, le 22 novembre 1914
519 F
Prof. Dr Freud
le 25 novembre 1914
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Votre photo étoilée, qui vient juste d'arriver, précipite la réponse que je vous
dois. Je veux d'abord vous reprocher de penser à une chose aussi insensée que
la prédiction de Jung, en une occasion aussi inadéquate. Vous êtes bien plus
profondément plongé dans l'occulte que nous ne le pensons. S'il en était ainsi,
ne vous semble-t-il pas que c'est à la guerre elle-même que l'oracle devait faire
allusion? Si elle se prolonge et qu'elle me tue, d'une manière ou d'une autre, ma
propre superstition, que vous connaissez, concernant les chiffres, l'aura quand
même emporté 1.
Je vous ai envoyé aussi les dernières corrections de la Théorie sexuelle dont vous
aurez tiré quelques nouveaux aperçus 2. Depuis que nous nous sommes quittes,
j'ai été très actif. Outre l'histoire clinique, forte de ses cent douze feuillets, quelque
chose d'autre est en route, dont il ne faut pas encore parler. On travaille quand
même tout autrement quand on a la tête aussi complètement reposée. Je vous
révélerai seulement que, sur des chemins depuis longtemps tracés, j'ai enfin
trouvé la solution de l'énigme du
temps et de l'espace, ainsi que le mécanisme depuis si longtemps recherché de la
déliaison de l'angoisse s. Depuis lors, il est vrai, il y a une certaine paresse.
Rank échappera très probablement au conseil de révision et il pourra alors faire
son travail %ra sur l'épopée'. Jones a envoyé aujourd'hui une longue lettre via
Emden, dans laquelle il rapporte beaucoup de choses personnelles et il juge de
l'issue de la guerre avec l'étroitesse d'esprit de l'Anglais ; il y mentionne aussi, parmi
ses projets de travail, la traduction de vos écrits 5.
De la part de Brill, il y avait une lettre concernant ses difficultés personnelles. Il
se comporte vraiment comme le vrai chien du jardinier * 6, il ne peut faire toutes
les traductions lui-même et ne veut en déléguer aucune à quiconque.
Madame Lou Salomé fait mention de vous aujourd'hui dans un écrit fort intelligent
". J'espère apprendre en même temps votre promotion et votre mutation, et je vous
salue cordialement,
votre Freud
Les deux questions ont déjà été abordées précédemment par Freud (celle du temps et de l'espace dans
1901a [Le Rêve et son interprétation, trad. Hélène Legros, Paris, Gallimard, coll. « Idées », 1969, p. 64], celle de la
déliaison de l'angoisse dans 1895f [« Zur Kritik des Angstneurose »]) mais reprises seulement plus tard dans
(1920g) « Au-delà du principe de plaisir» (trad. S. Jankélévitch, Essais de psychanalyse, Paris, Payot, PBP n° 15,
p. 7-81 ; référence p. 34-35) et dans (1926d) Inhibition, symptôme et angoisse (trad. Michel Tort, Paris, PUF, 1968).
Jones pense (Jones, II, p. 186) que le problème du temps et de l'espace se réfère à la conception: « Le premier
de ces concepts [temps] se rapporte à la topographie du psychisme, particulièrement à celle du psychisme
inconscient, tandis que le second [espace] ne se trouve pas dans l'inconscient, mais demeure confiné dans
les couches plus conscientes du psychisme. » Vers la même époque, Freud a caractérisé les systèmes du
conscient (Cs) et de l'inconscient (Ics) de
la façon suivante : « Tous les investissements de chose constituent le système Ics, le système Cs
correspond à la mise en relation de ces représentations inconscientes avec les représentations de mots
qui rendent possible l'accès à la conscience. » (Freud à Abraham, 21 XII 1914, Correspondance, op. cit., p.
210.)
Otto Rank : « Homer, Psychologische Beiträge zur Entstehungsgeschichte des Volksepos, -I»
(Contributions psychologiques à l'histoire de la genèse de l'épopée populaire), Imago, 1917, 5, p.
133169 ; «Psychologische Beiträge zur Entstehungsgeschichte des Volksepos, II », ibid., p. 372-393.
Rank voulait présenter ces travaux pour l'agrégation (Freud à Abraham, lettre du 11 XII 1914,
Correspondance, op. cit., p. 208-209).
Lettre de Jones à Freud, du 15 XI 1914 : « 1...] manifestement, l'Allemagne ne peut ni vaincre
ni être véritablement défaite » (Correspondance, p. 197, en anglais.) La traduction des articles de
Ferenczi par Jones parut sous le titre de Contributions to Psychoanalysis (Ferenczi, 1916 11861) chez
R. G. Badger (Boston). Nouvelle édition : First Contributions to Psychoanalysis, New York, Brunner-
Mazel, 1980.
Référence à une pièce de Lope de Vega, Le Chien du jardinier, où le chien veille jalousement sur son
os sans pouvoir tirer aucun bénéfice de sa possession. Les droits de traduction anglais et
américains pour les oeuvres de Freud constituaient une source de conflits permanents entre Brill
et Jones (voir par exemple Jones, II, p. 47-48).
Lettre du 19 XI 1914 (Freud/Andreas-Salomé, Correspondance, Paris, Gallimard, 1970, p. 28-29).
520 Fer
INTERNATIONALE ZEITSCHRIFT FÜR
ÄRZTLICHEPSYCHOANALYSE
Herausgegeben von Professor Dr Sigm. Freud
Schriftleitung : Dr. S. Ferenczi, Budapest, VII. Elisabethring 54/
Dr. Otto Rank, Wien IX/4, Simondenkgasse 8
Verlag Hugo Heller & C°, Wien, I. Bauernmarkt N° 3
Abonnementspreis : ganzjährig (6 Hefte, 36-40 Bogen) K 21.60 = MK. 18.
521 F
Prof. Dr Freud
le 2 décembre 1914
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Reçu votre lettre aujourd'hui. Regrette aussi l'interruption de l'analyse si
prometteuse. Il faut penser que tout a été fait pour que les arbres ne
poussent pas jusqu'au ciel *. En revanche, si la guerre n'était pas arrivée,
vous n'auriez pas eu l'occasion de passer vos vacances à Vienne et, pour ma
part, j'aurais peut-être hésité à me charger de vous. L'état des choses reste
toutefois déplaisant.
Vous ne devez conclure de mon silence à propos du rêve de la femme de
Loth que ceci : j'ai voulu attendre l'envoi de cette petite publication, avant de
m'exprimer à son sujet. Pourquoi devrais-je m'y opposer?
Sachs a été libéré aujourd'hui, nous en espérons prochainement autant pour
Rank, qui se défend comme un lion contre la patrie'. Des lettres relativement
joyeuses de la part des deux garçons qui sont à Salzbourg et à Klagenfurt 2.Ma
femme rentre demain de Hambourg. Rank vous enverra une lettre circulaire
que Jones m'a adressée s.
Je n'ai nullement abandonné l'idée de ma visite à Pàpa. J'attends vos
informations sur les opportunités ferroviaires. Ce ne serait malgré tout pas dans
l'immédiat, compte tenu de mon travail. Mon sort en la matière a été semblable
à celui des Allemands dans la guerre. Les premiers succès ont été d'une facilité
et d'une ampleur surprenantes; ils m'ont donc entraîné
à poursuivre, et à présent je suis parvenu à des choses si dures et opaques que je ne
suis pas certain d'en venir à bout. La guerre me laissera, quoi qu'il en soit, le temps
pour toutes les expériences, mais je suis maintenant sous l'effet des difficultés actuelles
et je ne peux rien en dire. Il s'agit d'aller plus loin dans les problèmes auxquels je m'étais
arrêté dans la Théorie sexuelle.
La clientèle est en nette diminution par rapport à ses débuts et a donc droit à
une totale négligence de ma part. J'ai exactement deux patients, tous les deux
hongrois! Avec mes salutations cordiales et dans l'attente de vos nouvelles,
votre Freud
* Proverbe aussi bien autrichien que hongrois pour dire qu'il y a des limites à tout.
Hanns Sachs avait été réformé à cause de sa myopie, mais il fut appelé de nouveau, ainsi que Rank,
au cours de l'été de l'année suivante (Jones, II, p. 188).
Il s'agit de Martin, qui resta plus longtemps que prévu à Salzbourg (voir 498 F) et ne fut mobilisé qu'en
janvier 1915 (Freud à Eitingon, 17.I.1915, Sigmund Freud Copyrights, Wivenhoe [désormais : SFC]) et
d'Ernst qui, depuis le 8 octobre 1914, faisait son instruction militaire dans l'artillerie à Klagenfurt (capitale
de la province de Kärnten, dans le sud de l'Autriche actuelle).
Il s'agit probablement de la lettre mentionnée dans 519 F.
x ; 2 2 Fer
523 Fer A
Dr.FERENCZISÄNDOR
IDEGORVOS, KIR. TÖRVÉNYSZ. ORVOSSZAKÉRTÖ *
TELEFON : 42-46 BUDAPEST VII. ERZSÉBET-KÖRUT 54 B
Staatsbahnhof
Vienne départ à 9 h 10 du matin (train rapide)
Györ arrivée à 11 h 21 (omnibus à partir de Györ)
Pâpa arrivée à 12 h 58
le 15 décembre 1914
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Nouvelle preuve de la petitesse du monde. Un de mes patients sporadiques
s'est trouvé, quelques jours avant votre lettre, dans votre cher Pâpa et m'a remis
les horaires de départ, mais il pense qu'il ne serait pas possible de rentrer dans
la même journée. Ma visite est à présent remise en question par une énergique
réapparition de mes troubles intestinaux chroniques. Voilà trois ans déjà que
l'effet Karlsbad persiste pendant quatre mois.
Dans le travail, en revanche, tout marche bien à nouveau. Je vis, comme dit
mon frère, dans ma tranchée privée, je me livre à des spéculations et j'écris ; et,
après de durs combats, j'ai bien franchi la première série d'énigmes
et de difficultés. Angoisse, hystérie et paranoïa ont capitulé 1. Nous verrons bien jusqu'où
les succès pourront être poussés. Beaucoup de belles choses en sont sorties, le choix de
la névrose et les régressions sont achevés sans difficultés. Votre introjection 2 s'est révélée
tout à fait utilisable ; quelques progrès dans les phases du développement du moi. La
signification de l'ensemble dépend de ma réussite à maîtriser ce qui est proprement
dynamique, soit le problème du plaisir-déplaisir, ce dont je doute, au vrai, après mes
tentatives précédentes. Mais, même sans cela, je peux me dire que j'ai déjà donné à
l'univers plus qu'il ne m'a donné. Je suis plus que jamais isolé du monde maintenant, et
je le serai aussi plus tard, du fait des conséquences prévisibles de la guerre ; je sais que
j'écris actuellement pour cinq personnes 8, pour vous et les quelques autres. L'Allemagne
n'a pas mérité mes sympathies en tant qu'analyste, et mieux vaut ne pas parler de notre
patrie commune.
Mon gendre Max 4, lui aussi, est passé devant le conseil de révision à Hambourg ; il
ne sera toutefois mobilisé que dans un temps indéterminé. Au printemps, quand
arrivera le grand bain de sang, j'y aurai, pour ma part, trois ou quatre fils. Ma
confiance dans l'avenir après la guerre est fort réduite. D'ailleurs, nous avons appris
aujourd'hui l'évacuation de Belgrade 6, occupée si spectaculairement il y a quinze
jours. On nous entretient depuis trois mois de l'inévitable effondrement de la Serbie.
Beaucoup de dégoût pour la façon dont nous menons les choses.
Je ne peux pas m'attendre à ce que vous travailliez beaucoup à Päpa ; je présume
d'ailleurs qu'au Nouvel An Heller proposera l'arrêt de nos revues 6, et nous n'aurons rien
de pertinent à lui opposer, puisqu'il y a peu de travaux, pas de lecteurs ni d'abonnés. On
n'évitera pas l'effritement. Il promettra naturellement de les reprendre après la guerre.
Mais... l'Association, elle aussi, est morte. On ne la réveillera plus. Nous ne pouvons
garder le mot « internationale » dans notre intitulé'.
Rank a trouvé entre-temps une solution séduisante au problème d'Homère, à
l'aide d'une hypothèse Jra. 8. Cela nous a bien amusés, c'était presque aussi drôle
que les recherches sur le feu à Brioni 2.
A la maison, nous avons traversé, heureusement sans dégâts, y compris ma mère
âgée de soixante-dix-neuf ans, l'épidémie de grippe qui sévit actuellement. A Noël,
Ernst viendra peut-être ; pour Martin, c'est peu probable. Ne comptez-vous pas,
vous aussi, sur une permission de Noël ?
Je vous salue cordialement et attends de vos nouvelles,
votre Freud
II s'agit de trois articles métapsychologiques, non publiés. Voir « L'introduction aux écrits
métapsychologiques » de 1915 dans l'édition allemande: Studienausgabe, III, p. 71 sq.
Concept introduit par Ferenczi dans « Transfert et introjection » (1909 [671), Psychanalyse, I, p. 93-
125. Les cinq membres que comprenait alors le Comité secret: Abraham, Ferenczi, Jones, Rank et
Sachs. Max Halberstadt, mari de Sophie Freud.
Le 15 décembre, Belgrade fut abandonnée sans résistance.
La Zeitschrift et Imago. La première parut encore en 1915 ; l'année 1916-1917 ne fut imprimée qu'en 1918.
Imago interrompit sa publication en 1915 et reparut en 1916 ; elle interrompit de nouveau sa publication
entre 1917 et 1918 ; l'année 1919 fut publiée à l'Internationaler Psychoanalytischer Verlag qui venait d'être
fondée.
Il s'agit du titre de la Internationale Zeitschrift für ärztliche Psychoanalyse.
Voir 519 F, note 4
Voir t. 1, 469 Fer et la note 3, ainsi que 470 F.
25 Fer
Pâpa, le 18 décembre 1914
526 Fer
Pâpa, le 31 décembre 1914
529 Fer
Pàpa, le 9 janvier 1915
Non retrouvé.
Le manuscrit de l'analyse de «l'Homme aux loups» (Freud, 1918b [19141).
Sàndor Brôdy (1863-1924). Journaliste, romancier et dramaturge hongrois. Auteur de pièces
célèbres à l'époque, comme La Nounou ou L'Institutrice. Il s'intéressa plus particulièrement à la
situation sociale de la femme. Voir Éva Brabant, Ferenczi et l'École hongroise de psychanalyse, Paris,
L'Harmattan, 1993, p. 46-47.
0F
Prof. Dr Freud
le 11 janvier 1915
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Le télégramme était correct. Je ne voulais pas télégraphier tout
simplement « Impossible venir », et j'ai décidé de faire un additif qui vous
empê-
cherait de penser qu'un obstacle particulier était survenu. Or, la chose la
plus particulière était que, deux jours auparavant, une éruption d'idées
s'était soudainement produite après une longue pause – exactement comme
vous le décrivez en ce qui vous concerne – et d'un contenu si important que
j'en ai été d'abord comme ébloui. Elle concernait la métapsychologie de la
conscience, rien de moins.
J'ai donc promis de vous faire savoir ces choses-là de façon globale et
ordonnée. Quand je m'y suis mis deux jours plus tard, le dégrisement est
venu. La matière était réfractaire à toute description et montrait des lacunes
tellement effroyables et de telles difficultés que j'ai tout interrompu et que,
maintenant, je retire aussi ma promesse. Pour le moment, je ne vous enverrai
rien. Pas davantage, peut-être, ultérieurement car, depuis, plus aucune
éruption souterraine n'a été observée. J'en conclus donc simplement que ces
énigmes µ11r * m'intéressent encore, rien de plus.
Je suis très curieux de connaître vos productions, mais je ne voudrais
pas vous influencer en vous dérangeant prématurément. Je souhaite très
sincèrement que vous soyez muté dans vos foyers, si vous y trouvez la
même sécurité qu'en ce moment.
Ici, rien de nouveau, hormis la traduction italienne des Cinq
Conférences', qui a pris une très belle allure.
Monsieur Dukes, contre qui vous m'aviez mis en garde, n'est pas
apparu. Votre ami Brôdy sera bien accueilli.
Salutations cordiales ; vous souhaitant une patience sans limites,
votre fidèle
Freud
* Métapsychologiques.
1. Voir 511 F et la note 6.
531 F
Prof. Dr Freud
le 12 janvier 1915
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
La lettre ci-jointe, pour votre aimable appréciation'.
Voilà comment je me situe en ce qui concerne cette affaire: au fond, je ne
souhaitais cette traduction que dans l'intérêt de Deuticke, c'est-à-dire en
faveur de ma position auprès de Deuticke. Qu'elle soit souhaitable en tant que
telle, c'est vous qui pouvez le mieux en juger. Je ne connais pas l'homme, sa
lettre ne permet pas non plus un jugement sûr quant au degré de confiance
qu'il mérite, elle parle plutôt contre lui. Je ne voudrais en aucun cas que vous
vous en chargiez vous-même, car vous avez des choses
plus productives à faire, mais je poserai de toute façon à cet homme la
condition de vous soumettre la traduction pour révision, ou que vous y soyez
associé d'une manière officielle et visible – en acceptant par exemple une
préface de vous. Je vous prie de me répondre bientôt pour que je puisse
informer le postulant.
Je vous salue cordialement, votre
Freud
533 Fer
Pàpa, le 23. janvier 1915
[sans numéro] F A
Vienne, le 7 février 1915
Cher Ami,
Le mécanisme de la mélancolie que je vous présente ici est un début
d'exploration des névroses narcissiques que nous devons aborder maintenant'.
La mélancolie a un modèle normal, c'est le deuil que nous comprenons bien
(sauf ce qui est le plus important sur le plan i4) *. Le moi doit concéder à
l'épreuve de réalité qu'il a perdu son objet libidinal et qu'il doit en retirer sa
libido. Un processus se met alors en place, au cours duquel tous les souvenirs
et tous les fantasmes d'anticipation concernant cet objet sont repris un par un
et expressément déniés (dénoués), mais ceci alors que l'objet perdu a encore
une existence psychique et repousse tous les autres objets à l'arrière-plan. Celui
qui n'arrive pas à accomplir ce travail de deuil est contraint à s'installer dans
une psychose hallucinatoire de désir, dans laquelle l'objet est maintenu à toute
force, autrement dit, tout se passe comme dans le deuil, sauf que la dénégation,
à la fin, est omise.
Le propre du deuil est de consumer tout intérêt et toute libido : la
mélancolie montre le même trait sous forme d'inhibition. On est conduit à
admettre que la mélancolie aussi a perdu quelque chose, mais peut-être qu'elle ne
sait pas quoi. (Ce qui est incompréhensible dans le deuil, au sens
métapsychologique, c'est : pourquoi le détachement de la libido fait-il si mal
?)
Le tableau de la mélancolie est uniforme et très facile à interpréter. La
mélancolie montre un extraordinaire appauvrissement du Moi, et une
perception douloureusement accrue de celui-ci. Le degré de conscience de
l'autocritique y est extraordinairement fort et nous brosse un tableau dont
nous devons admettre la justesse. Le Moi est dévalorisé, il reste très en
deçà de l'idéal, ne peut rien réaliser, doit accepter de se faire les pires reproches, ne
mérite ni soins ni attention. C'est donc vraiment dans cet état-là qu'il se trouve. Il
est remarquable que l'auto-observation (la conscience morale, la censure du Moi, le
Moi réel) est intacte et aiguisée. Mais comment le Moi de la mélancolie
en est-il arrivé à cet état ? Qu'a-t-il fait de mal pour mériter pareille
condamnation?
On est mis sur la voie, inconnue jusqu'alors, par une observation facile à mettre
en oeuvre. On a très souvent l'impression que les reproches à soi-même de la
mélancolie ne sont rien d'autre que des reproches à quelqu'un d'autre, détournés
de celui-ci et dirigés contre le Moi propre. On est donc en présence d'une
identification du Moi avec l'objet libidinal. Le Moi est en deuil parce qu'il a perdu son
objet par dévalorisation, mais il projette l'objet sur lui-même et se trouve alors lui-
même dévalorisé. L'ombre de l'objet tombe sur le Moi et l'obscurcit. Le processus du
deuil ne se déroule pas aux dépens des investissements d'objet, mais des investissements du
Moi.
Nous avons déjà rencontré'des cas semblables d'influence de l'investissement du
Moi par l'investissement d'objet. Ainsi, dans la vie amoureuse, quand le névrosé
compense les manques de son propre Moi par les qualités supérieures de son objet
sexuel. Nous connaissons aussi une identification hystérique et nous devons nous
demander comment elle se distingue de celle que nous rencontrons dans la
mélancolie. Dans l'identification hystérique, le Moi est également modelé sur l'objet,
mais l'investissement objectal n'est pas lâché, il persiste dans l'inconscient avec
une force exagérée et soumet le Moi (y compris la censure du Moi). Dans
l'identification narcissique de la mélancolie, l'investissement d'objet est levé, le. Moi
s'empare de son image et la censure du Moi reste intacte. Au lieu d'un conflit
entre Moi et objet, il y en a un, maintenant, entre Moi-objet et censure du Moi. Mais,
dans les deux cas, l'identification est l'expression de l'énamouration.
Les conditions spécifiques du mécanisme ne sont pas encore explorées. Que, si
souvent, les individus à la sensibilité émoussée succombent à la mélancolie a
certainement son importance ; la prépondérance du choix d'objet narcissique,
l'incapacité à l'investissement d'objet semblent en être les conditions. La manie
n'est pas non plus expliquée par ce mécanisme de la mélancolie. Elle semble avoir
pour condition que la censure du Moi, intacte, soit levée.
Dans l'attente de vos remarques, cordiales salutations de
Freud
* Métapsychologique.
A. Cette esquisse inconnue de Deuil et mélancolie, que Ferenczi a ensuite adressée à Abraham (voir la lettre
suivante, ainsi que Freud/Abraham, Correspondance, op. cit., lettre du 18 II 1915, p. 202, et voir la lettre
inédite d'Abraham à Freud du 5 III 1915, FM, dans laquelle il en accuse réception), a été découverte par
Ernst Falzeder à l'occasion d'un séjour d'études aux Archives Freud, LOC, container B.7, en novembre
1991. Comme elle est, sans aucun doute, adressée à Ferenczi, elle a été intégrée après coup, sans
numérotation, à cet endroit. Elle n'est pas écrite sur du papier à lettres, mais sur les feuillets de grand
format que Freud avait l'habitude d'utiliser pour ses manuscrits. La transcription par Ingeborg Meyer-
Palmedo a été effectuée selon les mêmes principes que le reste de la correspondance. (Voir à
propos de la transcription.)
1. Voir Deuil et mélancolie, trad. J. Altounian, A. Bourguignon, P. Cotet, A. Rauzy, OEuvres
complètes, XIII, p. 259-278.
536 F A
Vienne, le 18 février 1915
Cher Ami,
Voici quinze jours que vous ne me donnez pas de vos nouvelles. S'il vous
plaît, envoyez l'article sur la mélancolie directement à Abraham. Ici, rien de
nouveau.
Martin écrit, du front, des cartes postales où il paraît content. Cordialement,
votre Freud
A. Carte postale.
537 Fer
Pâpa, le 22 février 1915
538 Fer
Papa, le 25 février 1915
542 F
Prof. Dr Freud
Cher Ami,
Je crois que c'est vraiment trop d'honneur, je peux donc à peine m'en réjouir.
Je ne me connais aucune ressemblance avec le grand homme que vous citez,
toute modestie mise à part ; je serai assez ami de la vérité, ou plutôt : de
l'objectivité, pour renoncer à cette vertu. Je m'explique une partie de ce que vous
ressentez par la nécessaire similitude d'impressions quand, par exemple,
quelqu'un observe deux peintres maniant pinceau et palette. Cela ne dit rien
pour autant de l'égalité de valeur des tableaux. Une autre partie est
probablement née d'une assimilation, provenant d'une sensation personnelle et
actuelle. Laissez-moi avouer que je n'ai trouvé en moi qu'une seule qualité de
premier ordre, une sorte de courage qui n'est pas dévié par les conventions. Vous
comptez d'ailleurs vous-même parmi les gens productifs et devriez avoir observé
sur vous le mécanisme de la production, la succession du jeu audacieux de
l'imagination et d'une critique réaliste sans concession.
Ces derniers temps, j'ai travaillé régulièrement, terminé le deuxième article de
ma série synthétique. Il a pour sujet le refoulement; le premier, les pulsions et
les destins des pulsions ; mon préféré sera le troisième, qui traitera de
l'inconscient, et qui en fournira la conceptualisation que vous connaissez'. En
tant que rédacteur, vous recevrez très bientôt les épreuves des deux premiers.
Je n'ai rien d'écrit, actuellement, sauf des choses illisibles, à l'état d'ébauche.
Je vous enverrai un exposé désinvolte, inspiré par un humour macabre, que j'ai
présenté ici à l'Association juive (sous presse) 2. Mais, s'il vous plaît, renvoyez-
le-moi aussitôt, il est souvent demandé, étant très accessible au grand public,
et n'existe qu'en un seul exemplaire.
Ma productivité est vraisemblablement liée à la magnifique amélioration du
fonctionnement de mes intestins. Que je le doive à un facteur mécanique: le
dur pain de la guerre, ou bien à un facteur psychique : la relation
à l'argent, nécessairement modifiée, je laisse la question ouverte. De toute façon,
la guerre me coûte déjà un manque à gagner de plus de 40 000 couronnes ; si .
j'ai acheté de la santé pour cette somme, je citerai alors le mendiant qui dit au
baron: pour ma santé, rien n'est trop cher 8.
Depuis hier, je souffre d'une nouvelle trachéite, je suis très fatigué et
complètement abruti; aussi, aujourd'hui, je ne suis bon qu'à écrire des lettres.
Oli a accepté hier un travail de construction de baraquements dans la région de
Pöchlarn 4; il espère pouvoir, en même temps, continuer à préparer son examen.
Ma femme part demain à Hambourg, pour quelques semaines, si bien que nous
serons trois à table 5. Annerl se prépare également à son examen d'enseignante
; espérons qu'elle sera refusée, à cause de son manque de voix pour chanter.
Elle devient d'ailleurs de plus en plus charmante, elle est la plus agréable des
six enfants.
C'est Ernst qui nous envoie les nouvelles les plus drôles, de Klagenfurt ; il
profite de l'incertitude : est-ce que cela va démarrer contre l'Italie, oui ou non 8?
Martin souffre de l'estomac et de l'intestin depuis les deux vaccinations contre
le typhus, mais tant qu'il le peut, il reste au service.
Pfister a demandé hier s'il pouvait faire un crochet par Vienne au cours d'un
voyage à Dresde ; je l'y ai invité cordialement.
Il me reste toujours trois patients, tous hongrois et nobles.
La tension incessante due à l'état de guerre est épuisante. Les rumeurs selon
lesquelles la paix serait pour le mois de mai n'arrêtent pas de circuler ; elles
résultent manifestement d'un besoin profond, mais elles me semblent insensées.
En ce qui concerne le pain, la situation prend les dimensions d'une calamité. La
population ne voudra pas se laisser affamer pendant trois mois 7.
Je me demande si vous n'obtiendriez pas une courte permission pour Vienne,
même sans être malade. Nous examinerions alors si notre ami Ignotus a raison
avec son rejet. Il y a un an, nous étions à Brioni, à bien nous divertir avec des
fantaisies à propos de la préhistoire psychanalytique. Heu quo mutatus ab illo...
* 8!
Je vous salue cordialement et j'attends de vos nouvelles à des intervalles
plus rapprochés.
543 Fer
Päpa, le 21 avril 1915
Johann Kaspar Lavater (1741-1801), orateur, poète, théologien protestant suisse, ami de
Herder, Goethe et Hamann. Connu pour son étude de la physionomie humaine, déduisant le
caractère d'un individu à partir de sa morphologie.
Johann Gottfried von Herder (1744-1803). Célébre théologien protestant, philosophe et
écrivain fécond. Sa pensée a exercé une grande influence sur l'histoire des idées dans les pays
appartenant à l'espace culturel européen et plus particulièrement germanique et slave,
notamment dans les domaines de la philosophie, la linguistique, l'histoire et l'anthropologie. Il
a insisté sur le « génie de la langue» et sur la nécessité, pour l'écrivain, de puiser dans le fonds
populaire et national. Un des fondateurs du mouvement littéraire « Sturm und Drang ». Il a
entretenu des rapports avec Goethe, d'Alembert et Diderot. Considéré comme un des grands
penseurs synthétiques du xvitr siècle.
Voir Freud, 19156, « Actuelles sur la guerre et la mort », trad. J. Altounian et al., Œuvres
complètes, XIII, p. 125-155.
544 F
ProfDr Freud
le 23 avril 1915
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Comme vous ne voulez pas renoncer à la comparaison avec G.[oethe], je
peux moi-même ajouter encore certaines choses, positives et négatives. De
la première espèce, mes séjours à Karlsbad et mon respect pour Schiller, que
je considère comme une des personnalités les plus éminentes de la nation
allemande ; de la seconde, il y a mon rapport au tabac dont Goethe avait une
sainte horreur, tandis que moi je ne trouve au fond aucune autre excuse au
forfait de Colomb. En somme, la grandeur ne me pèse pas.
L'annonce de votre venue à Vienne promet de satisfaire un besoin
retenu. J'ai incroyablement peu à faire. Pfister est déjà venu, seul avec
nous à midi, le soir avec Rank et Sachs. C'est un brave type, et tout de
même de notre côté. Sa présence a convaincu les autres de la part énorme
qu'avait la simple ignorance dans la défection des Suisses. Du reste, le
mercredi 28 sera la soirée de l'association ; exposé de Sachs sur le
Visionnaire de Schiller t. Je vous écris cela pour vous influencer, dans un
sens ou dans l'autre.
La série : « Pulsions – refoulement – inconscient » 2 est maintenant
terminée. La première partie, déjà composée par la Zeitschrift, est entre vos
Correspondance 1914-1919
545 Fer
Pâpa, le 28 avril 1915
547 Fer
Papa, le 18 juin 1915
me suis fait ici semble être par trop anormal et prisonnier de certains préjugés,
si bien que l'avenir de cette nouvelle conquête n'est pas aussi prometteur que
je pouvais l'espérer, compte tenu de son génie psychologique indéniable. Je
crains que sa surprenante intuition soit partiellement due à son anomalie
(dans la famille il y avait des cas de paranoïa).
C'est le manque absolu de distraction qui me donne de l'ardeur au travail. Nous nous sommes
finalement habitués, pour ainsi dire, aux vicissitudes de la guerre. Le front se trouve
maintenant un peu plus près de nous ; la gare est toujours pleine de trains provenant de (et
partant pour) l'Italie. Les prophéties de paix se sont tues.
Comment allez-vous, vous et les vôtres – et surtout ceux qui sont à la guerre? A l'occasion,
saluez aussi de ma part, je vous prie, Martin et Ernst. Que deviennent les projets d'été?
En vous saluant cordialement,
votre Ferenczi
le 21 juin 1915
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Merci pour votre lettre et vos nouvelles, je suis très content que vous ayez trouvé du matériel
nouveau pour l'introduction de votre travail. Vos envois à Rank me sont parvenus, par son
intermédiaire. Lu avec beaucoup de plaisir les paraboles et le petit verset latin'. Je suis encore
un peu réticent quant au travail sur la conviction2, peut-être s'y rattache-t-il quelque chose
qui viendrait de Munich.
Je ne peux pas dire grand-chose de mes projets d'été. Ma femme veut absolument Karlsbad, bien que
je sois mieux à cet égard 2 que je ne l'ai jamais été depuis 1909. Cela viendra probablement en
premier lieu. Ce samedi je pars à Berchtesgaden, pour un tour d'horizon du haut du Salzberg.
Minna se trouve à Reichenhall et me rejoindra sans doute, sinon je devrai aller aussi à Reichenhall.
Vous voyez, les perspectives d'une ren-
74 Correspondance 1914-1919
contre durant l'été proprement dit sont minces. Mais, à l'automne, j'irai
certainement vous voir à Päpa.
Je travaille à contrecoeur, certes, mais néanmoins avec constance. Dix des douze essais sont
terminés, dont deux (conscience et angoisse) demandentcependant des remaniements. Je viens de
finir l'hystérie de conversion, manquent encore la névrose obsessionnelle et la synthèse des névroses
de transfert'. Il y a bien des choses là-dedans, mais beaucoup de bizarreries, et ce n'est pas achevé
comme il faudrait.
Rank et Sachs sont tous les deux mobilisés, mais le premier reste à Vienne et peut continuer
encore un certain temps à porter le drapeau. Je crains fort que nous ne soyons obligés d'amener
pavillon dès maintenant.
Il semble que mon fils Martin participe à la grande offensive 6, il lui arrive à l'occasion d'écrire
des communiqués de guerre intéressants, et puis après, une carte postale disant qu'il s'ennuie.
Manifestement, il ne supporte pas les pauses. Ernst est venu de Wiener Neustadt à plusieurs
reprises déjà, toujours superbe. Oli et Anna passent leurs examens en même temps, dans les
premiers jours de juillet; actuellement, ils bûchent.
Pour ce soir, on attend l'annonce de l'évacuation de Lemberg 6. On n'a aucune certitude que
cela mette fin aux hostilités.
Je vous salue cordialement, votre
Freud
Ferenczi, «Nonum prematur in annum » (1915, 162), Psychanalyse, II, p. 181-182. Voir 579 F.
Ferenczi (1913, 109). Voir aussi 577 Fer et 593 Fer.
Allusion aux troubles gastriques, intestinaux et digestifs récurrents de Freud.
Freud ne publia aucun de ces cinq articles. Quant à la synthèse, il s'agit de « Vue d'ensemble
des névroses de transfert. Un essai métapsychologique », trad. J. Laplanche, Œuvres complètes, XIII, p.
279-300. Voir aussi plus loin 558 F et la note A.
Il s'agit de l'offensive contre la Russie.
La bataille de Lemberg a commencé le 17 juin et s'est terminée par la reconquête de la ville, par
les forces de la Monarchie.
549 Fer
Päpa, le 8 juillet 1915 A
crasseuse, j'ai enfin trouvé une chambre plus supportable, mais pas aussi
agréable que celle du château qui m'était devenue si intime et où je trouvais le
calme, la fraîcheur et ne voyais, alentour, que de la verdure.
Notre régiment (le 7° Régiment territorial de hussards) a subi des pertes terribles le 26
juin. Le commandant de la brigade (de cavalerie de l'armée territoriale) a été fait
prisonnier, 41 officiers et environ 1 000 soldats ont été tués ou capturés; nous
déplorons surtout la mort d'un capitaine de cavalerie qui était aimé de tous. Les
Tcherkesses (car ce sont eux qui ont mené l'attaque) ont coupé le pénis d'un jeune
cadet et le lui ont mis dans la bouche. Je me dis : cet acte de vengeance étrange et très
répandu est à rapporter à l'ambivalence. Le conscient n'est empli que de haine, la
compassion refoulée se manifeste dans le choix du mode de punition (comme, par
exemple, dans le juron : baise ta mère, etc.). Cette débâcle * a eu lieu en Bucovine, à la
frontière de la Bessarabie ; la brigade fait partie de l'armée Pflanzer-Baltin.
Toutes ces choses paralysent pour le moment mon énergie au travail ; la semaine
dernière, à Budapest, je me sentais encore très en forme et j'ai aussi pu admirer la
capacité de Mme G. à suivre les raisonnements les plus ardus, et même souvent à les
devancer. Notre relation s'améliore de jour en jour.
Je vous envoie mes cordiales salutations et vous prie de me donner des nouvelles,
votre fidèle Ferenczi
A. Date et lieu à la fin de la lettre.
* En français dans le texte.
1. Le comte Pàl Eszterhàzy, né à Papa en 1886, mort à Dziewietniki (Galicie) le 26 juin 1915. Voir aussi
520 Fer, note 2.
50 F
Prof. Dr Freud
Cher Ami,
En préparant la « Vue d'ensemble des névroses de transfert » ', j'ai maintenant affaire à des
fantaisies qui me dérangent et qui n'auront guère de retombées sur le public. Alors, écoutez:
On note dans l'apparition des phénomènes chez les malades
pris individuellement la suite chronologique que voici:
Hystérie d'angoisse – hystérie de conversion – compulsion –
démence précoce – paranoïa – mélancolie-manie.
Les dispositions libidinales à celles-ci vont en général en sens inverse, c'est-à-dire que la
fixation se situe dans des phases de développement très tardives pour les premières, très
précoces pour les dernières, mais cela ne tombe pas toujours parfaitement juste.
En revanche, cette succession semble répéter, au sens phylogénétique, un déroulement
historique. Les névroses actuelles étaient autrefois des stades d'évolution de l'humanité.
Avec l'irruption des privations de l'ère glaciaire 2, les humains sont devenus anxieux, ils
avaient toutes les raisons de transformer la libido en angoisse.
Lorsqu'ils eurent appris que la reproduction était désormais l'ennemie de la survie et
devait être restreinte, ils sont devenus – quoique encore sans paroles – hystériques.
Après avoir développé langage et intelligence à la rude école des ères glaciaires –
essentiellement les hommes – la horde primitive s'est formée avec les deux interdits du père
originaire, tandis que la vie amoureuse devait rester égoïste et agressive. C'est contre ce retour
que se défend la
névrose obsessionnelle. Les névroses ultérieures appartiennent aux ères
nouvelles et ont été acquises par les fils.
Ils furent d'abord contraints d'abandonner complètement l'objet sexuel, peut-être furent-ils
privés de toute libido par castration: démence précoce.
Chassés par le père, ils ont alors appris à s'organiser sur une base homosexuelle. C'est contre
cela que se défend la paranoïa. Finalement, ils ont vaincu le père, pour réaliser l'identification
avec lui, ont triomphé de lui et porté son deuil: manie-mélancolie.
Par ailleurs, rien de nouveau sur le plan personnel. Votre droit d'auteur sur ce qui
précède est évident.
Je vous salue cordialement, Freud
552 Fer
Papa, le 15 juillet 1915
Peut-être Joseph Neumann (voir t. I, 113 F, 114 Fer et 118 F). Voir aussi 686 F.
Knut Hamsun (pseudonyme de Knut Pedersen, 1859-1952). Écrivain considéré comme le romancier le
plus important de la littérature norvégienne. En 1920, il obtient le prix Nobel de littérature. Pendant
l'occupation allemande, il milite en faveur de la collaboration avec les nazis.
Selma Lagerlöf (1858-1940), écrivain suédois ; connue surtout pour Le Merveilleux voyage de Nils
Holgerson (1906/1907) et La Saga de Gô'sta Gerling (1891). Elle obtient le prix Nobel de littérature en 1909.
La première femme à être élue à l'Académie suédoise.
Karlsbad, le 18 juillet 1915 A
Cher Ami,
Vous voyez, ma constitution a, encore une fois, résisté `. Écrivez-moi [à] « Rudolfshof». Reçu votre lettre
encore à Vienne ; j'aurais aimé en savoir plus sur ce que vous pensez de la fantaisie phylogénétique.
Cordialement, votre
Freud
A. Carte postale.
1. Allusion à une histoire évoquée dans L'Interprétation des rives (Freud, 1900a) : « Un pauvre Juif
qui s'est glissé sans billet dans le rapide de Karlsbad ; on l'attrape et on le chasse du train chaque
fois qu'on le contrôle, et on le traite de plus en plus mal. Un ami qui le rencontre lors de l'une des
stations de cette voie douloureuse lui demande où il va et il répond : à Karlsbad — si ma constitution
peut le supporter » (L'Interprétation des rêves, trad. I. Meyerson, rev. D. Berger, Paris, PUF, 1971, p.
173).
554 F
Prof. Dr Freud
Cher Ami,
Le hasard qui a fait tomber entre vos' mains un exemplaire de votre article (pas
le dernier, j'espère) comble mes voeux. Je m'étais proposé de faire seulement une
brève allusion à la série phylogénétique, en me référant à votre travail, et de
rendre dûment hommage à vos idées fécondes et originales sur l'influence des
devenirs géologiques ; mais maintenant, vous m'avez donné l'envie d'une
présentation plus développée, que je veux entreprendre et vous montrer avant de
me décider à la publication. En effet, bien des choses dépendent de l'humeur:
quand on est bien disposé, on est plus hardi. Dès hier, le deuxième jour, je me
suis remis au travail et je trouve que cela n'avance pas mal dans le bien-être de
la cure, à Karlsbad.
On a presque honte de se permettre tant de choses tandis que le monde lutte
et s'essouffle. Nous non plus, nous ne sommes pas encore dans le réseau postal.
Nous n'avons aucune nouvelle de Martin depuis le 4 de ce mois. Avec Sophie qui,
certes, ne tire ni ne monte à cheval, la liaison est à peine meilleure.
Karlsbad est très beau et on y est formidablement bien. Qu'il y ait moins de
cohue ne peut être qu'un plaisir pour chacun. La nourriture est bonne et pas
beaucoup plus chère ; bien sûr, on vit avec la carte de pain et le ravitaillement
en farine n'est pas assuré.
Rank a réuni entre ses mains toutes les affaires. Si vous pouviez trouverle moyen de le soutenir
ponctuellement, ce serait très bien.
J'espère avoir bientôt de vos nouvelles et aussi savoir comment évoluent vos relations personnelles.
Salutations cordiales, votre
Freud
Rudolfshof A
Vienne, IX. Berggasse 19 le
21 juillet 1915
Cher Ami,
Vous serez étonné que je vous bombarde de lettres en ce moment. Mais c'est ainsi.
Je sais que vous n'êtes pas sans nourrir une inclination secrète pour les choses occultes. Vous vous
souvenez que dans la nuit du 8 au 9 B,j'ai fait un rêve de mort transparent concernant Martin, après
avoir lu le livre de Putnam'. A cette époque, nous avions eu de ses nouvelles le 4 VII. Après cela, rien
n'est venu pendant longtemps. Aujourd'hui, une carte est arrivée, du 11 VII. Donc, la prophétie a
déjà échoué. Mais, dans notre cas, il ne s'agit certes pas de choses aussi grossières. Les nouvelles
d'aujourd'hui nous apprennent cependant qu'à l'occasion d'une rencontre avec une patrouille russe,
une balle lui a éraflé le bras dr.[oitj, qui est déjà en voie de guérison. Comme il écrit lui-même, cela
ne doit pas être si grave. Il affirme en outre qu'il va très bien. Il n'indique pas de date. Je vais encore
essayer de l'apprendre de lui. Par avance, nous renonçons à la coïncidence relative au moment de la
journée. Je reconnais qu'on est probablement beaucoup plus sensible la nuit. S'il précise encore
quelque chose, je vous le ferai savoir.
Salutations cord.[iales], votre
Freud
Écrit à la main au-dessus de l'en-tête imprimé.
Après cette date, à l'encre violette, un point d'interrogation entre crochets, manifestement d'une
autre écriture (Ferenczi ?). Le point d'interrogation recouvre partiellement un autre chiffre, de la
main de Freud, vraisemblablement un '7.
1. Voir 550 F, et la note 3.
556 Fer
Pàpa, le 24 juillet 1915
La thérapie, dans ces institutions, consiste d'une part en physiothérapie (exercices des muscles et de la
parole), d'autre part en psychothérapie. Seule cette dernière me conviendrait, naturellement ; vous vous
souvenez que nous avons déjà discuté de ce problème à Reichenau'.
Ce qui me retient et m'amène à vous demander conseil, c'est la crainte que cette institution me donne trop à
faire, de sorte que j'aurai encore beaucoup moins de temps que maintenant pour ma pratique et tout autre travail.
De plus, j'ai des doutes quant au succès thérapeutique qu'on peut obtenir, chez de tels malades, par la
psychothérapie. S'il vous plaît, soyez mon conseiller pour cette question aussi. (Le mémorandum devrait être
présenté d'ici peu.)
Mes salutations les plus cordiales pour vous et les vôtres,
de la part de votre
Ferenczi
A. Ces doubles feuilles particulièrement longues (34 x 21 cm), Ferenczi les avaient déjà utilisées
plusieurs fois et notamment dans ses lettres 83 Fer, 160 Fer (supplément) 357 Fer et 458 Fer. Voir
aussi 635 Fer, note A.
* Gehirnkrüppel : mot créé par Ferenczi.
Petite ville hongroise à la frontière avec l'Autriche, située à mi-chemin de Papa et de Vienne.
Selon la mythologie romaine, Romulus, pour pallier le manque de femmes, fit attirer les Sabins dans
la ville de Rome afin de les massacrer et de s'approprier leurs femmes.
Bien que Ferenczi désirât beaucoup un enfant, il craignait que Gizella Pälos, par suite d'un périnée
« mal recousu [...] ne subisse quelque dommage ». (Ferenczi [ 1915, 160], « Le rêve du pessaire occlusif
», Psychanalyse, II, p. 172.)
Première allusion au problème des « névroses de guerre » dont l'étude sera d'une grande importance
pour la psychanalyse au cours des années suivantes.
Emil Fröschels (1884-1972), médecin viennois, spécialiste en phoniatrie et logopédie (c'est lui qui a
créé ce terme). Il s'intéressa en particulier au bégaiement. Fröschels était membre de la Société de
psychologie individuelle. De 1924 à 1928, professeur d'université et directeur du département de
Logopédie à la clinique universitaire. En 1939, il émigra aux États-Unis, s'installa à New York; à partir
de 1940, il travailla à l'hôpital Mont-Sinat, puis à l'hôpital Beth-David. Premier doyen de l'institut
Alfred-Adler à New York (1950).
Istvàn Tisza (1861-1918), comte de Geszt. Homme politique hongrois, Premier ministre
entre 1903 et 1905, puis de 1913 à 1917 ; fils de Kàlmàn Tisza, lui-même Premier ministre.
Fondateur du Parti national du travail (1910), un parti libéral. En 1912-1913, président du
Parlement; en juin 1913, de nouveau Premier ministre, et ce durant toute la Première Guerre
mondiale. Il était connu comme le représentant de la gentry conservatrice, voire réactionnaire,
et adversaire notamment du suffrage universel. Rendu responsable d'une politique belliciste
et pro-allemande, il fut assassiné le 31 octobre 1918, lors de la révolution dite des « Reines-
Marguerites >›.
7. Lieu de villégiature près de Vienne (entre le Semmering et le Schneeberg), fréquenté par de
nombreux écrivains et artistes viennois, tel Arthur Schnitzler. Freud et Ferenczi y firent une
excursion au cours du mois de mai (voir 546 Fer et la note 1).
557 F
ProfDr Freud
Cher Ami,
Votre prise de position, longtemps attendue, sur la série phylogénétique est venue fort à propos,
et a remis la chose à flot. Cependant, ce n'est pas à cela que je réponds par retour du courrier, mais
à votre nouveau projet, que vous qualifiez d'urgent.
Mon conseil est de le promouvoir le plus rapidement possible, par tous les moyens, car il offre plus
d'un avantage. Non seulement il vous aide à lever l'ancre de Pàpa et vous procure une situation sûre à
Budapest, mais aussi, ce qui me semble précieux, il vous ouvre un nouveau champ de travail du point
de vue de la `YA ; et il se pourrait bien qu'il ait un effet préparatoire pour votre chaire d'enseignement, à
laquelle il ne faut pas renoncer. Que cela vous prenne trop de temps ne me semble pas une objection
importante. Notre littérature est de toute façon en friche pendant la guerre, on peut même se demander
si l'on parviendra encore longtemps à maintenir les périodiques. Pour les thérapies qui ne vous
conviennent pas, comme par exemple les exercices de la parole, etc., vous pourrez toujours vous faire
assister. Je ne vois pas d'argument contre, tout plaide pour, sauf une chose : je ne sais pas si le projet
aboutira ou, dans l'affirmative, si on vous en confiera la direction générale. Mais pour vous, même la
direction du département de psychothérapie vaudrait encore la peine.
Nous avons un temps variable, aussi je suis souvent fatigué et je souffreplus fréquemment que
d'habitude du syndrome de Karlsbad. Martin continue joyeusement à écrire qu'il a également reçu
une balle à travers son. calot ; il a envoyé aujourd'hui une très bonne photo de lui et de son cheval. A
ma demande concernant la date de la blessure, pas encore de réponse possible.
Je vous salue cordialement, votre
Freud
58 FA
[Karlsbad] le 28 juillet 1915
Cher Ami,
Je vous envoie ici l'esquisse du n° XII, qui va certainement vous intéresser.
Vous pouvez la jeter ou la garder. La version corrigée la respecte phrase pour
phrase et ne s'en écarte que peu. Les pages 21-23 ont été ajoutées après
réception de votre lettre, que j'attendais. Votre excellente objection était, par
chance, prévue.
Je me propose à présent de faire une pause, avant d'élaborer définitivement
Cs. et angoisse.
Je souffre beaucoup du syndrome de Karlsbad.
Cord.[iales] salutations, votre
Freud
Cher Ami,
Merci pour votre dernier bel envoi'. Je me suis très bien rappelé votre idée de la
répétition abrégée de chaque acte fr et je ne crois pas l'avoir sous-estimée. Au
contraire, elle m'a tout de suite plu, je m'en suis simplement tenu à distance parce
que c'était la vôtre. Aussi bien, à l'époque, paraissait-elle inutilisable. Dans votre
version et votre utilisation actuelles, je n'hésiterai pas à la reconnaître comme
l'accomplissement légitime et la
conséquence nécessaire de mes points de vue sur le. Je tiens à ce qu'on ne fabrique pas des théories,
elles doivent vous tomber dessus dans la maison comme des invités inattendus, alors qu'on est occupé
à des recherchesde détail. Voilà où en serait à présent cette théorie. Mais vous devez, à l'occasion, la
mettre au point vous-même, je ne me l'approprie pas, bien que je l'admette.
Votre opposition à la projection dans l'hystérie d'angoisse repose sans doute sur une connaissance
insuffisante de mes analyses de l'angoisse qui débouchent sur le fait que l'investissement pulsionnel
est remplacé par une peur réelle; donc le moi a peur comme si le danger ne venait pas de l'intérieur
mais de l'extérieur. C'est bien de la véritable projection.
D'autres remarques contiennent aussi beaucoup de choses percutantes et stimulantes et c'est
pourquoi j'aimerais bien garder votre manuscrit encore quelque temps avec moi. Quant à la critique de
la série phylogénétique, vous en trouvez la réponse dans l'Esquisse que je vous ai envoyée *.
A présent, vous êtes vraiment le seul à travailler encore à mes côtés. Les autres sont tous «
militairement » paralysés. C'est à peine si j'ai des nouvelles de Vienne. En deux semaines, une lettre de
Rank, aucune épreuve à corriger, aucune demande. Quant à moi, je me suis maintenant tourné vers
le Cs, qui demande à être remanié de fond en comble ; pour l'instant, encore arrivé à rien. Peut-être
Lublin, Ivangorod et Varsovie me viendront-ils en aide 2.
D'après des nouvelles arrivées hier, Ernst part aujourd'hui en Galicie, au bord du Dniestr. Martin
écrit qu'on lui a proposé une permission de quinze jours. Il est au front depuis le 20 janvier. Je
vous salue cordialement et je souhaite longue vie à votre phase productive,
votre Freud
Je pense maintenir le nom de paraphrénie s.
A. Écrit à la main, sous l'adresse pré-imprimée.
* Voir lettre 558 F.
Non retrouvé.
La veille, les troupes austro-hongroises avaient conquis Lublin et franchi la Vistule au nord
d'Ivangorod. Le 4 août, elles avaient occupé Ivangorod et, le lendemain, Varsovie.
Voir t. I, 425 Fer et la note 3.
560 F
ProfDr Freud
Après de longs combats sanglants, Görz fut finalement prise, le 9 août 1916, par les troupes
italiennes, et Riga, le 3 septembre 1917, par les troupes allemandes.
Le lendemain, Freud reçut une carte postale rassurante de Martin (lettre inédite de Freud à Adolfine
Freud, du 10 août 1915, LOC).
Cette ville de Galicie a été prise le 12 mai par les troupes austro-hongroises.
Voir 562 F et la note 1.
Pàpa, le 12 août 1915
* Jeu de mots intraduisible: zwei tage lang weilen : séjourner deux jours; langweilen :
s'ennuyer.
1. II s'agit de visiter, à Vienne et à Graz, les institutions où les traumatisés de guerre sont traités.
Voir 556 Fer.
562 F A
Königssee, Oberb. le 14
août 1915
Cher Ami,
Arrivé ici hier. En d'autres temps, vous y auriez été invité aussi. A l'heure même
du départ de Karlsbad sont arrivés les trois livres de Dick', qui m'ont
beaucoup impressionné.
Donnez-nous de vos nouvelles ici, mais plus ouvertement encore que
d'habitude, à
votre Freud
A. Carte postale.
1. Mann Dick était l'éditeur des ouvrages de Freud Sur le rêve (Freud 1901a), Trois Essais sur la théorie
sexuelle (Freud 1905d) et Cinq Leçons sur la psychanalyse (1910a [1909)), tous trois traduits en hongrois par
Ferenczi.
Györ, le 24 août 1915
Cher Monsieur le Professeur,
Il semble que, depuis peu, un deuxième stade du temps de guerre ait commencé, plus éprouvant
pour moi. Le 19 de ce mois, à peine étais-je revenu à Pâpa de mon « voyage d'études » à Vienne et à Graz,
qu'un ordre télégraphique du haut commandement me désignait pour la corvée de recrutement. Le 20 je
suis allé à Veszprém', et avant-hier ici même, à Györ où, depuis trois jours maintenant, je dois examiner
les malheureux de quarante-trois à cinquante ans pour décider de leur aptitude au service armé. Je
resterai ici trois pleines semaines. J'habite à l'Hôtel Royal; sous ma chambre, un orchestre tzigane joue
pendant la moitié de la nuit. J'ai bien emporté des livres à lire et du papier pour écrire, mais mon
humeur ne me permet pas de coucher par écrit la moindre phrase sensée. Je serai absent de Pâpa
pendant six semaines entières. Les démarches pour la création d'un service de malades atteints de
troubles psychiques et du langage, je les ferai à partir d'ici – sans le moindre espoir de succès.
Les menus événements de mon voyage d'études, dont je voulais vous faire part, m'ont échappé
dans ce nouvel environnement. A Vienne, j'ai passé plusieurs heures avec Rank. Il était, comme
toujours, aimable et – même dans la situation nouvelle– de bonne humeur, ce que je ne pourrais pas
dire de moi.
Salutations cordiales à vous et à ceux qui vous sont chers,
de Ferenczi
J'ai oublié le nom de la villa où vous habitez ; je ne veux pas écrire « poste restante » car – pour
autant que je sache – ce n'est pas autorisé en temps de guerre.
565 Fer
Györ, le 2 septembre 1915
Cher Monsieur- le Professeur,
Si nous avons perdu le contact épistolaire, sans doute la faute en revient-elle à mon mode de vie
instable et agité, mes changements continuels de lieu de séjour. Votre dernière carte date du 14
août; depuis, je vous ai écrit deux fois, à Berchtesgaden, sans indications précises, il est vrai. La lettre
précisant votre adresse exacte se trouve à Pâpa.
Toute la matinée, je suis en fonction au conseil de révision, sinon je suis libre, mais intell(ectuellement
tout à fait stérile ; ce milieu paralyse toute activité de l'espriit. Les impressions du dernier voyage à
Budapest m'ont amené à pratique r une auto-analyse d'une heure, qui amis au jour l'énorme
importance, chez moi, de l'angoisse de castration. —Par ailleurs, je me sens physiquement bit2n. La ville
de Györ est assez agréable, comparée à Päpa c'est une grande Wille. J'ai aussi parlé au docteur
Königstein ', qui est interné ici.
S'il vous plaît, écrivez-moi, peut-être votre lettre secouera-t-elle mon apathie.
Salutations cordiales à vous tous !
J'espère que vous tiendrez votre promesse de venir en Hongrie à l'automne ! Je préfétrerais que vous
me rendiez visite à Veszprém, où je vais déménager le 10 septembre. Il n'y a qu'une demi-heure de
train d'ici au Plattensee. Vous pourriez y séjourner quelques jours ; les après-midi et les soirées,
nous les )passerions toujours ensemble.
Je vous serais ttrès reconnaissant de me télégraphier si mes lettres vous parviennent
(Adrresse : Györ, Royal Hôtel).
votre Ferenczi
1. Il pourrait s'agirr de Hans Königstein, auditeur de Freud en 1900, qui avait assisté à la rencontre
de Salzbourrg en 1908. Il pourrait être un parent du professeur Leopold Königstein, ami et
partenaire de tarot de Freud, car tous deux habitaient à la même adresse (Minutes, 1, p. 402).
6F
Prof. Dr Freud
Cher Ami
Demain je vous confirmerai la réception de vos deux lettres de Györ par télégramme. J'avais
répondu à la première par une carte, pensant que ce serait plus rapide.
Nous envisageons de rester ici jusqu'au 11 ou 13, selon le temps, auquel nous voulons absolument
arracher encore quelques belles journées. Ensuitej'irai à Hambourg, jusqu'à Berlin avec ma belle-
soeur, et je rentrerai probablement quelques jours avant la fin du mois. C'est pendant ces derniers
jours que j'ai l'intention de venir vous voir – dans la mesure où il est possible de faire des projets cette
année. Nous recevons de bonnes mais rares nouvelles des deux garçons ; la liaison avec eux est à peu
près comme avec l'Amérique. Ernst s'est rapproché de nous depuis que nous savons qu'il a pris
position sur le Karst, non loin d'un grand port.
Tout comme vous, je n'ai absolument plus rien travaillé ces jours-ci, mais plutôt sous l'influence de
la forêt que de la situation mondiale. La récolte des champignons, mon plaisir de chasseur a, en effet,
beaucoup souffert du temps froid. Aujourd'hui j'ai raccompagné mes deux filles à Salzbourg et, sur le
chemin de retour, j'ai été assez surpris de constater, par l'assombrissement de mon humeur après les
adieux, combien ma libido s'était assouvie auprès d'elles. Mais il est vrai que la petite est une créature
particulièrement aimable et intéressante. Maintenant, il ne me reste que les deux vieilles.
En ce moment, je reçois de nouveau des épreuves d'Imago et de la Zeitschrift. Heller semble
donc avoir retrouvé son équilibre après avoir été remis au pas. Sachs est rentré, réformé, après
un service de dix jours, et il promet de travailler à la deuxième partie du Visionnaire. Tausk est
à l'hôpital à Rszészow et m'écrit de là-bas des lettres bien sombres.
I won't be plucked of my feathers *, disait Lord Bacon' quand, au moment de son procès, on lui
reprocha de poursuivre son mode de vie libertin. De la même manière, je me défends aussi pour que la
guerre ne me plume pas de toutes mes marottes. En effet, dès le 4 A octobre, tout le sérieux de la vie va
reprendre ses droits. Vous serez intéressé d'apprendre qu'Oli, à présent ingénieur avec un poste
stable, s'est fiancé à une femme médecin2, dont il avait fait la connaissance lors du voyage de
l'Université en Égypte. Ils pensent se marier prochainement, projet auquel ne s'oppose
que l'incertitude d'être encore éventuellement mobilisé. J'espère que tout se
passera bien pour lui.
Forcé d'être bref B,je vous envoie mes salutations les plus cordiales, votre
Freud
Prochaine adresse: Hambourg, Parkallee 18.
Lecture incertaine. Le chiffre pourrait être un « 1 ».
La fin de cette lettre est écrite le long de la marge gauche de la feuille, complètement
remplie.
* En anglais dans le texte : « je ne veux pas me laisser dépouiller de mes plumes ».
Francis Bacon, Lord Verulam, Viscount Saint-Albans (1561-1626). Philosophe, écrivain, juriste,
homme d'État (lord-chancelier en 1618). En 1621, Bacon fut accusé de corruption, et un procès
retentissant mit un terme à sa carrière politique. Fondateur de la recherche empirique en sciences
(à l'opposé des méthodes déductives). Freud était très intéressé par l'hypothèse qui fait de Bacon
le véritable auteur de l'eeuvre de Shakespeare (voir Jones, III, p. 486). Cette phrase de Bacon —
sa réaction à l'accusation de corruption —, Freud la cite en plusieurs occasions, ainsi que dans
une autre lettre à Ferenczi (686 F) et dans une lettre de 1931 à Eitingon (Max Schur, La Mort dans
la vie de Freud, op. dt., p. 661).
Oliver Freud et l'étudiante en médecine Ella Haim se marièrent le 19 décembre 1915 à Vienne
(581 F et la lettre de Freud à Eitingon du 1" janvier 1916, SFC). Le mariage fut cependant de
courte durée. Oliver vint «fin mai » 1916 (607 F) à Vienne pour les formalités officielles du divorce
et, le 10 septembre 1916, le couple divorçait selon le rite juif (notes sur le calendrier de Freud,
LOC). Voir notre Introduction.
567 Fer
Györ le 8 septembre 1915 A
Cher Monsieur le Professeur,
Reçu enfin, avant-hier, votre carte du 1" septembre. Je suis heureux que
vous alliez bien. Mon détachement ici se termine dès le 10 septembre, le
11 je serai de nouveau à Päpa. Au verso, le conseil de révision B.
Salutations cordiales,
Ferenczi
En d'autres temps, à cette date, nous étions sur la Piazza del Popolo.
Carte postale avec photographie.
Ferenczi et un officier plus âgé assis à une table, un autre officier debout près d'eux, tous trois en
uniforme.
- 568 Fer
Pàpa, le 15 septembre 1915 A
Cher Monsieur le Professeur,
Après une absence de trois semaines (qui a suivi immédiatement le voyage à
Vienne et à Graz), je suis enfin de nouveau installé à Pâpa. Ma théorie
selon laquelle toute libido repose sur le «Naches » * explique que je me sente
maintenant beaucoup mieux ici qu'avant. Au demeurant, les projets de mutation
sont toujours d'actualité. Cette fois, c'est le conseiller à la cour Moravcsik' qui est
intervenu en ma faveur. J'ai parlé à ce dernier – malheureusement en de tristes
circonstances. Un de mes frères (Joseph, 46 ans) 2, libraire à Nyiregyhàza, qui,
dans sa jeunesse, a traversé une période maniaque d'un an et demi, est tombé
malade de dépression mélancolique après une rémission de trente ans. Je me
suis empressé de le faire admettre à la clinique de M.[oravcsik] et j'espère que la
maladie évoluera favorablement. Je dois ajouter qu'à mon avis, pendant toute la
période de « bonne santé », le patient était légèrement hypomaniaque.
Je me réjouis beaucoup de pouvoir bientôt vous voir. Je continue de penser
que vous devriez combiner Päpa et Budapest; Budapest est encore plus belle en
automne qu'au printemps, quand vous l'avez vue.
Les bonnes nouvelles de votre famille, en particulier d'Anna et Oli, sont très,
très réjouissantes. Je partage votre optimisme en ce qui concerne leur avenir à
tous deux.
Le voyage à Hambourg doit être doublement intéressant ces temps-ci.
Rapportez-nous de vraies bonnes nouvelles fraîches et saluez en mon nom ceux
qui vous sont chers là-bas.
Des salutations cordiales de
votre Ferenczi
A. Lieu et date à la fin de la lettre.
* Naches, mot yiddish : plaisir, bien-être.
Moravcsik : voir t. I, 203 Fer et la note 1.
Jézsef Ferenczi (1869- ?), célibataire, mélomane. Tenait la succursale de la librairie familiale à
Nyiregyhàza.
9FA
Vienne, le 29 septembre 1915
Viens de recevoir télégramme', arrive cinq heures dix-huit.
Freud
A. Télégramme.
1. Le télégramme de Ferenczi n'a pas été retrouvé.
70 Fer
Papa, le 14 octobre 1915
le 17 octobre 1915
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Le mercredi 13, de bon matin, je fus tiré du sommeil par une silhouette obscure et, reprenant
mes esprits, je pus reconnaître en elle mon fils Martin. Il avait très bonne mine, était porte-drapeau,
arborait la grande médaille d'argent des combattants valeureux sur son uniforme crasseux, montrait
fièrement l'entrée et la sortie de la balle dans son calot, et se trouvait en route pour Innsbruck, par
Cholm – Lublin – Cracovie, vers quelque poste d'artillerie du côté de l'Italie. L'après-midi, il est
reparti. Il n'a pas changé dans sa nature, plutôt plus insolent et plus sûr de lui, décidé à se marier
dès qu'il pourra rentrer, sans se soucier du tout de son avenir civil. Naturellement, il a eu aussi ses
difficultés il ne peut pas faire autrement. On lui a rapporté que son commandant l'avait promu, lui,
le seul Juif du régiment, au grade de « Cochon-de-Juif », et il n'a pas hésité une seconde à se
présenter au rapport et à lui en demander raison, réglementairement. On trouvera probablement
quelque arrangement j'espère, comme lui-même du reste, qu'il sera bientôt muté, car il est bien trop
tentant pour ce supérieur de se débarrasser d'un subordonné gênant par une mission appropriée.
Être tué n'est, de toute façon, qu'une question de temps.
Ernst nous a fait savoir habilement qu'il se trouvait dans un village au-dessus de Monfalcone.
Le même mercredi, nous avons eu notre première soirée de l'Association `, avec les
participants au complet. Nous nous sommes mis d'accord pour une réunion toutes les
trois semaines.
Les consultations occupent mon temps de 4 à 7 h 1/2 la matinée est complètement libre. Un
jeune Allemand, qui avait des intentions sérieuses, a été enlevé par le dernier conseil de révision
allemand j'ai appris aujourd'hui que mon intéressant Hongrois, de votre région (Herény, près de
Szombathely), était mort d'un typhus grave. C'est bien dommage, je m'étais pris d'affection pour
lui et c'était presque un 'succès significatif, il n'y manquait plus grand-chose. Ma seule
acquisition nouvelle est une bécasse de Szolnok 2, Mademoiselle Schwarcz 3, qui serait allée chez
vous, si vous résidiez à Budapest. Ainsi, l'année de travail commence-t-elle sans bonheur. Pfister
écrit des lettres sensées et envoie des contributions il trouve lui-même que d'être libéré de Jung
lui a fait beaucoup de bien. Récemment, il a rencontré Flournoy 4 et Claparède à Genève.
Dans le dernier numéro de la Zeitschrift, le n° 5, qui comprendra aussi mon identification de
l'inconscient 8, vos articles m'ont agréablement surpris par leur plus grande liberté de pensée et une
moindre rigidité des concepts 6.
Cela dit, j'en arriverai maintenant à vous et à l'histoire de votre maladie. Je comprends la soif ardente de
jeunesse, mais ne saurais vous donner des conseils ; ce qu'on ne doit pas faire de toute façon. Je trouve
également très intéressante la disparition de vos symptômes physiques. Monsieur P.[àlos] 7 n'est-il pas, lui aussi,
très dur d'oreille? Une nouvelle « jeunesse » ne vous aurait-elle pas, d'une quelconque façon, tapé dans l'oeil ?
Contrairement à vous, les symptômes névrotiques se transforment chez moi en symptômes organiques. Steiner
a confirmé mon diagnostic d'hypertrophie de la prostate, d'après mes indications, et va m'examiner dans les
prochains jours. Après avoir suivi quelques-uns de ses conseils, je constate une amélioration considérable des
troubles (restriction des boissons, abandon des eaux alcalines). J'ai suspendu la production intellectuelle après
quelques intuitions-éclair, comme par exemple l'idée que la censure, dans la névrose obsessionnelle, n'était pas
située entre inconscient et préconscient, mais entre préconscient et conscient 8.Pour le moment, sans ennui ni
regret. La guerre devient insupportable, d'autant plus que les perspectives s'améliorent. Je ne suis
certainement pas le seul dans ce cas.
Deuticke avoue que la vente des livres psychanalytiques est satisfaisante, même par les temps qui courent ! fl a
fait imprimer la 3eédition des Études 9, et il publie un nouveau livre de Kaplan, « Problèmes analytiques» 10, ou
quelque chose de ce genre.
Avec mes salutations cordiales, dans l'attente de vos nouvelles, votre Freud
Cette réunion n'est pas mentionnée dans les Minutes.
Petite ville à environ soixante-quinze kilomètres au sud de Budapest.
Aranka Schwartz qui, plus tard, a souvent servi de messagère entre Freud et Ferenczi, pour les
nouvelles et le ravitaillement.
Théodore Flournoy (1854-1920). Psychiatre et psychologue suisse. Étudia les sciences naturelles à Genève,
puis la médecine à Strasbourg (1878), enfin la psychologie auprès de Wilhelm Wundt. En 1891, l'université
de Genève institua une chaire de psychologie physiologique, créée spécialement à son intention. Éditeur
des Archives de psychologie, avec Édouard Claparède, son élève. Tout comme son ami William James, Flournoy
s'intéressa à l'hypnose, aux états de conscience modifiés, au mysticisme, à la psychologie de la religion
ainsi qu'aux phénomènes parapsychologiques. Dès 1900, il fit mention de L'Interprétation des rêves et exerça
une forte influence sur le jeune Jung. Pfister rédigea une notice nécrologique élogieuse sur Flournoy, dans
la Zeitschrift, 7, 1921, p. 101-106.
Voir 542 F et la note 1.
« Analyse des comparaisons » (Ferenczi, 1915, 164) et des contributions de Ferenczi à la rubrique «
Expériences et exemples pris dans la pratique analytique » (Ferenczi, 1915, 165 à 173).
Géza Pàlos, mari de Gizella et père d'Elma.
Dans son article intitulé « L'inconscient » (1915e), Freud postule l'existence des censures entre l'inconscient et
le préconscient, entre le préconscient et le conscient. Loc. cit. La référence se trouve p. 227 et 231.
La troisième édition des Études sur l'hystérie de Breuer et Freud (1895d) parut en 1916 chez Deuticke.
Trad. fr. A. Berman, Paris, PUF, coll. « Bibliothèque de la psychanalyse », 1981.
Leo Kaplan, Psychoanalytische Probleme (Problèmes psychanalytiques), 1916, mentionné
par Freud dans sa préface à Introduction à la psychanalyse (p. 9) et discuté par Ferenczi dans la Zeitschrift (1916-
1917, 4, p. 120-122).
Le Dr Leo Kaplan (1876-1956), né en Russie, s'installa à Zurich en 1897, et y demeura jusqu'à sa mort. Il
étudia les mathématiques, la physique et la philosophie; à partir de 1910, il s'orienta vers la psychanalyse,
mais n'appartint à aucune association psychanalytique. Son ouvrage Grundzüge der Psychoanalyse
(Fondements de la psychanalyse), Vienne, 1914, présente un des premiers résumés systématiques de la
théorie freudienne.
Pàpa, le 26 octobre 1915
Ferenczi ne réalisa pas ce projet sous cette forme; la plupart des idées évoquées ici seront traitées
dans «Thalassa. Essai d'une théorie de la génitalité» (1924, 168), Psychanalyse, III, p. 250-323.
Voir Ferenczi (1919, 221), « Tentative d'explication de quelques stigmates hystériques », Psychanalyse, III,
p. 66-72.
573 F
Prof. Dr Freud
le 31 octobre 1915
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je me force aujourd'hui à écrire pour me distraire, et je commence par vous assurer que j'ai pris
connaissance de votre savoureux menu scientifique, en me sentant nettement venir l'eau à la
bouche. Pour ce qui est de la forme de la publication, j'aimerais vous proposer de mettre le tout dans
le prochain volume du Jahrbuch, et de le publier en même temps sous forme de livre, ce qui est
facile et représente le double d'honoraires. Vous savez que Jung l'a déjà fait'. A la condition, bien
entendu, que nous obtenions de Deuticke qu'il publie en temps voulu un nouveau volume du
Jahrbuch, pour lequel il n'y a, cependant, rien d'autre que mon grand cas clinique et un article
d'Abraham 2. Avec le vôtre il deviendra présentable.
Je ne sais depuis combien de temps je ne vous ai pas écrit, je cours donc le risque de répéter mes
informations. Je crois que c'était le 17 X. Sans doute vous ai-je raconté que Martin a été ici une demi-
journée. Depuis, il écrit d'un lieu calme et paisible, entre palmiers et magnolias, donc
vraisemblablement Riva Arco, etc. En revanche, je n'ai probablement pas mentionné que mon très cher
patient, de tout près de chez vous (Herény, près de Szombathely) était mort du typhus, et qu'un autre,
un jeune homme de Brême, m'avait été enlevé par le dernier conseil de révision allemand. Mon activité
est donc très modeste. Les matinées sont presque entièrement libres. Dans cette oisiveté, je me suis
décidé à commencer les cours °, et jeme suis trouvé, le 23 X comme le 30 X, face à un auditoire
d'environ 70 personnes, parmi lesquelles deux de mes filles et une belle-fille'. Aussi m'a-t-on
recommandé de faire de cette conférence quelque chose de plus que d'habitude, de m'y préparer
convenablement ; j'en suis venu à former le projet de publier aussi les conférences prononcées dans
ces conditions. Rank m'a aussitôt interprété cette intention : je voudrais faire en sorte qu'il me soit
impossible de présenter une fois encore cette « introduction à la `FA ». Malgré l'interprétation, le projeta
été maintenu. J'ai déjà parlé avec Heller, qui donnera bientôt un avis décisif sur cette question, et mon
idée est de laisser poursuivre la publication par livraisons de deux à trois cours à la fois, même
pendant la guerre. Qu'en pensez-vous * ? Il est vrai qu'il s'agit de ce vieux matériel qui me fait horreur,
mais j'essaie de le regrouper de façon nouvelle, et de l'arranger pour un enseignement dialectique ; je
parviens ainsi à surmonter, la moitié de la journée, le sentiment torturant de ne pas avoir de projet.
574 Fer
Pàpa, le 12 novembre 1915
« La psychanalyse vue par l'École psychiatrique de Bordeaux » (1915, 175), Psychanalyse, 1I, p. 209-
231. Voir aussi 492 Fer, note 2.
Les conférences destinées à figurer dans l'Introduction à la psychanalyse (Freud, 1916 1917a) ont
finalement quand même été publiées par Hugo Heller (la première partie en 1916, les deuxième et
troisième parties en 1917).
Au sujet de la contribution d'Abraham, voir 573 F, note 2. La contribution de Lou Andreas-Salomé
: « "Anal" et " Sexuel" », in L'Amour du narcissisme, trad. I. Hildebrand, Paris,
Gallimard, 1980, p. 89-130. D'Oskar Pfister, rien ne parut au cours des deux années suivantes, ni dans
la Zeitschrift, ni dans Imago. Voir à ce propos 591 F.
4. La censure des correspondances durant la guerre.
576 F
Prof. Dr Freud
le 23 novembre 1915
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Que faites-vous ? Pourquoi n'ai-je aucun écho de vous ? Je voudrais seulement vous faire savoir que
Martin est chez nous pour une permission de dix jours, bien portant et de bonne humeur, et qu'Ernst
est actuellement en lieu sûr, au-dessus de Trieste, dans un détachement antiaérien. Il habite une
maison meublée, il est élève officier et, au moins, il a la petite médaille d'argent des braves.
Je n'ai pas surmonté mon humeur maussade, j'ai davantage à faire, je le fais sans plaisir et j'écris au
fur et à mesure les cours que je donne (une centaine d'auditeurs), mais cette guerre qui dure nous
ronge et la victoire permanente, tandis que la détresse augmente, fait réfléchir et se demander si le
perfide calcul anglais ne se révélerait pas juste, en fin de compte'.
Scientifiquement, rien de nouveau. Lou a envoyé un bel article, « Anal et sexuel », pour Imago,
Pfister et Abraham se remuent de nouveau.
Le mariage d'Oli est imminent, impossible d'en déterminer la date, en raison de la fin
prochaine du père de la fiancée.
Je suis curieux de savoir comment évoluent vos travaux et vos affaires. Salut
cordial votre Freud
577 Fer
Pàpa, le 23 novembre 1915
579 F
Prof. Dr Freud
le 26 novembre 1915
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Ma lettre était prématurée. Le jour même, votre envoi est arrivé, mais malheureusement un
seul, l'autre, celui que vous désignez comme le meilleur et que je suis si curieux de
connaître, manque encore.
J'ignorais absolument que votre critique de R.[égis] et H.[esnard] ne m'avait pas plu initialement,
je n'y crois pas vraiment et je reste tributaire à cet égard de votre autorité. Votre affirmation se
rapporte peut-être à l'habitude que j'ai, dans mes rapports familiers, de toujours mettre en avant
mes objections.
Je dois pourtant faire quelques remarques sur la critique de Mach. Je pense qu'elle manque de
distance, qu'elle est encore trop marquée par l'impression toute fraîche de la lecture; elle a
simplement besoin que vous appliquiez votre recette : prematur *1 et réduction correspondante. Le
début et la fin sont très beaux, témoignent de vos qualités artistiques et poétiques, comme jadis
l'interprétation fonctionnelle de l'OEdipe 2.Des objections, j'en ai deux: premièrement, on ne doit
jamais proclamer analyste quelqu'un qui ne veut pas l'être, comme le moine qui revendique Nathan
pour les chrétiens 3. En règle générale, il ne sait pas qu'on veut luifaire un honneur, et il devient
facilement grossier en guise de remerciement. Et puis, cela donne l'impression que l'on manque
d'appuis. De Mach, je sais qu'il s'est fait envoyer par moi l'Interprétation des rêves, et qu'il l'a mise
de côté en hochant la tête. Deuxièmement, et c'est une véritable faiblesse du travail, vous n'êtes pas
en mesure de lui prouver, par des exemples, quels éclaircissements il a manqué d'apporter du fait
de son ignorance de la'PA, à l'exception d'un seul, celui du pétrissage de l'argile'. Il est vrai que je
n'en sais pas plus, mais ainsi vos regrets resteront sans effet sur le lecteur. La projection d'organes
aurait mérité une défense plus active 5. N'avez-vous pas pris en considération l'article de Giese dans
Imago III : Modèles sexuels dans les inventions simples 6 ?
Ce même Imago vous prie donc de faire quelques modifications. Rank
vous renverra l'article.
Ici, pas grand-chose de neuf. Je suis de nouveau en meilleure santé. Saviez-vous
déjà qu'il y a des criminels par sentiment de culpabilité lequel, naturellement,
provient du complexe d'OEdipe 7 ? Et des bègues qui ont projeté le chier sur le
parler? C'est ce que m'a enseigné un nouveau cas 8, très évident.
Salutations cordiales en attendant votre
Freud
581 F
ProfDr Freud
le 6 décembre 1915
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je préfère tout de même vous écrire à Papa, le service postal étant actuellement tout à fait
imprévisible ; j'espère que vos trois voeux seront exaucés dès avant Noël, et je vous invite à
passer quelques-uns de vos jours de congé à Vienne. Toute initiative, quelle qu'elle soit, est
maintenant exclue pour les personnes privées. Chez nous, au moins, un peu de votre farine
pourrait vous être servie.
Certes, je suis occupé, mais modérément, 6 heures et demie, et largement disponible pour toutes
les discussions. Un travail tel que celui que vous avez entamé n'est jamais un pur plaisir ; pour
moi, c'était le plus souvent un combat atroce. Pourquoi vous en tireriez-vous mieux? Je peux
vous annoncer un grand succès diplomatique. Heller a accepté de prendre mes deux livres 1 et,
en échange, de maintenir la Zeitschrift. Je doutais un peu de lui, mais il s'est montré digne de
confiance et enthou-
siaste. Pour les conférences, il veut payer 100 couronnes par fascicule, faire une double édition
dès le début, et augmenter encore mon pourcentage lors du deuxième tirage. Je dois lui livrer une
partie du manuscrit le PT janvier 16, la première livraison devrait paraître en février. Il est, en effet,
envisagé une division en trois parties: acte manqué, rêve, et introduction à la théorie des névroses.
Il veut publier le deuxième livre, les articles 14, un peu plus tard. J'ai rédigé les conférences
chaque semaine, et j'en suis maintenant à la huitième. Les auditeurs, au nombre d'une centaine,
semblent vivement intéressés, mais à vrai dire, seulement 7 % d'entre eux sont inscrits. De là
peur-erre l'affluence 2.
Pour ce qui est des affaires de famille, je vous informe que mon gendre de Hambourg a été appelé
pour le 8 de ce mois et qu'il est peu probable qu'il obtienne un nouveau sursis. Il est heureux qu'il
doive passer sa période d'instruction pour l'artillerie tout près de Hambourg. Le mariage d'Oli a été fixé
pour le 19 de ce mois, tout à fait dans le style d'un mariage de guerre. Il peut à peine se libérer, la veille
du mariage il passe la nuit dans le train et a, en tout, deux jours de congé pour cette affaire
importante. L'entourage sera mis au courant une fois la chose accomplie ; il n'a pas de place dans sa
baraque pour des cadeaux de mariage et les voeux de bonheur ne pourront que le rendre malheureux,
dans la mesure où ce n'est pas nous qui pouvons y répondre. L'événement n'est pas une joie sans
nuages. C'est une fille de grande culture, sincère et distinguée, mais, médecin enthousiaste, elle ne
veut en aucun cas abandonner sa profession, et nous comprenons mal comment ces intérêts peuvent
être compatibles avec ceux d'Oli qui, dans les prochaines années, ne pourra certainement pas fonder
un foyer dans une ville universitaire. Nous nous demandons par ailleurs si, ayant grandi dans la
richesse, elle sera prête à partager les vicissitudes du mode de vie d'Oli. Jouer le rôle d'un prince
consort ou d'un capitaine au long cours ne lui conviendra guère. Il voudra avoir sa femme auprès de
lui. Naturellement, toutes ces difficultés disparaîtront si ces deux-là s'aiment assez, mais qui peut
connaître une bonne femme? Et il est certain qu'elle ne sait rien d'elle-même non plus, avant d'avoir
fait l'expérience de l'homme. Ainsi, n'envisageons-nous pas l'avenir du couple sans soucis. J'ignore
dans quelle mesure vous connaissez Oli ; sa névrose, un peu. Celle-ci ne fera pas de lui un amant
habile ou ardent, bien qu'il ait grand besoin de la femme de toutes les manières. Ce qui me donne le
plus à penser c'est, me semble-t-il, son manque de souplesse, qui le rendra intolérant à l'égard des
faiblesses féminines, incapable de supporter une déception et d'en venir à bout sans dommage.
L'essentiel de son être n'est d'ailleurs pas dans sa névrose ; je le tiens pour quelqu'un de génialement
doué et j'espère que, tout d'un coup, un jour, par des trouvailles importantes dans sa spécialité, il
deviendra une personnalité de premier plan. Chez un homme de cette trempe on peut accepter, en
toute tranquillité, l'étiolement dans certains domaines, mais je me demande si sa femme y sera prête,
elle aussi? Comme nous ne pouvons pas lui parler et à peine lui écrire à cause de la censure, nous
devons laisser les choses aller comme elles peuvent, et nous sommes d'ailleurs retenus par la
considération qu'une immixtion des vieux fait rarement du bien. Peut -être voyons-nous les choses trop
en noir.
Martin nous écrit qu'on l'envoie avec son artillerie sur une haute mon-
tagne enneigée. Ernst gèle au-dessus de Trieste, il semble assez à l'abri, mais avec très
peu de confort.
Le jeune Sisa a l'air très bien. On pourrait peut-être un jour le lancer sur les criminels par sentiment de
culpabilité, qui justement m'occupent en ce moment. Votre prudence est, dans l'ensemble, fort
justifiée, les jeunes sont ou bien sans originalité, ou bien rebelles.
Je vous salue cordialement, votre
Freud
I. L'Introduction à la psychanalyse (Freud, 1916-1917a), et le volume des écrits métapsychologiques de
Freud, qui, finalement, ne verra pas le jour.
2. En s'inscrivant, il fallait acquitter des droits.
582 Fer
Papa, le 16 décembre 1915
le 17 décembre 1915
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Citation: « Au Prince Piccolomini t. » Je vous félicite pour votre promotion plus sérieusement
sans doute que vous ne m'en croyez capable; car si j'en viens précisément à me convaincre à
quel point votre existence est d'ores et déjà assurée comme `Y Analyste, je suis résolument
opposé à toute espèce de retrait du monde, et à l'existence de mendicité et d'inefficience qui s'y
rattache ; par ailleurs, j'escompte que l'amélioration de votre situation favorisera la réalisation
de vos autres projets. Parmi ceux-ci, le département à Budapest est la chance la plus
immédiate, et pas la
moins importante. Monsieur von Freund m'a paru très aimable. En fait,
je vis actuellement de votre clientèle.
Moi aussi, je suis tout à la pensée de vous revoir bientôt à Vienne. Jamais
je n'aurai eu autant de temps libre lors d'une de vos visites – sans être
vraiment inoccupé – ni un tel sentiment d'impuissance. Comme je vous
l'ai avoué, les circonstances ont fini par m'user.
Rank a un poste en perspective, à Cracovie, auprès d'un journal
allemand de là-bas, et je n'ai pas le droit de le lui déconseiller, vu les
dangers et incertitudes que lui réserve ici la situation militaire. Mais il me
manquera certainement beaucoup, et il est difficile de prévoir comment le
remplacer auprès des journaux.
Martin est de nouveau sur une montagne de 1 900 m A et on lui tire
vigoureusement dessus ; sans doute tire-t-il aussi de son côté ; Ernst écrit
que la splendeur dont il jouit au-dessus de Trieste sera de courte durée et
que déjà un « monte » * les attend. Oli arrive demain matin pour le mariage
qui va être une expérience intéressante. Annerl s'est annoncée pour les
vacances à Hambourg, où mon gendre a maintenant quitté sa maison,
appelé à l'instruction militaire.
Je vous écris brièvement, afin que la lettre soit postée dès aujourd'hui et vous
parvienne avant votre départ.
Au revoir,
votre Freud
Les prophéties étaient encore une fois très bonnes!
A. Lecture incertaine. On pourrait lire: 1 100 m.
* En italien dans le texte: montagne.
1. Dernière réplique de la pièce de Friedrich Schiller, La Mort de Wallenstein (1800). (F. Schiller,
La Mort de Wallenstein, trad. fr. Jean Peyraube, Paris, Aubier, coll. bilingue des classiques
étrangers, 1949, acte V, scène xn, p. 156.) Le comte Octavio Piccolomini abandonne Wallenstein
pour rejoindre le camp de l'empereur. A la fin de la pièce, il entre, victorieux, au château où
Wallenstein vient d'être assassiné. Juste avant que le rideau ne tombe, un des personnages
annonce d'une voix forte le nom du destinataire d'une lettre de l'empereur: « Au prince
Piccolomini ! »
584 Fer
Lsz A
Dr. Jakab-Féle
Liget Szanatdrium
Budapest VI, Nagy Jdnos u. 47 B
585 F
Prof. Dr Freud
24 décembre 1915
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
En raison du changement rapide de vos lieux de séjour, je suis amené à vous répondre par
retour du courrier. Je me serais aussi informé télégraphiquement de l'état de santé de votre
mère si j'avais su où vous étiez et si vous aviez encore votre appartement à Budapest. Nous
sommes très heureux d'apprendre qu'elle a bien surmonté sa maladie. L'expérience montre
qu'après une bonne pneumonie, les gens âgés ont encore de très longues années à vivre.
Ma femme exulte à l'idée de l'arrivée simultanée d'un envoi de farine. Rank est parti hier pour
Cracovie inspecter le lieu probable de son destin futur. Je ne peux le retenir, même s'il risque de
beaucoup me manquer, à moi et aux revues, car son existence à Vienne est très précaire du point
de vue militaire; à d'autres points de vue aussi, malheureusement. Il aurait aimé se mettre d'accord
avec vous au sujet de l'Internationale Zeitschrift, qui souffre actuellement d'un manque absolu de
matière, mais il sera certainement encore ici pour le Nouvel An.
Votre déménagement à Budapest est mon voeu le plus immédiat. Comme je suis actuellement
plus mobile que vous, nous sommes sûrs de nous revoir plus souvent. Cette fois, nous serons
tout seuls à Noël, tout à fait sans enfants. Annerl est partie pour Hambourg; depuis, elle nous a
informés que Max avait été inopinément transféré quelque part très loin, alors qu'il espérait rester
à Hambourg pendant toute son instruction. Pas de nouvelles des autres, cette semaine. Le
mariage d'Oli a été très animé. Lundi soir, ils étaient encore chez nous, avec Rainer Maria Rilke',
qui est à Vienne pour son service militaire, et qui a été un convive charmant. Vous aussi, vous
vous entendriez très facilement avec lui.
Horizon sombre par ailleurs, envie de travailler médiocre. Je dois tou-
tefois commencer prochainement la mise au net des Conférences. En espérant
vous voir ou vous entendre très bientôt, cordialement,
votre Freud
P.S. Jones a publié dans l'Internationale Rundschau (Zurich) un article sur « Guerre et sublimation
» 2e, dans lequel une note mentionne : Voir aussi l'article « Réflexions actuelles », etc. de F.[reud]. Mais
l'écrit lui-même est une reproduction évidente de cet article.
Rainer (René) Maria Rilke (1875-1926), originaire de Prague, a publié, entre autres, Le Livre
d'heures (1899-1901), Les Récits praguois (1899), Les Cahiers de Malte Laurids Brigge (19041912), les
Élégies de Duino (1911, 1913, 1915), etc. Grand voyageur. Pendant la guerre, réside la plupart
du temps à Munich. Incorporé à l'armée en 1915-1916 pendant six mois à Vienne, fut
réformé pour raisons de santé. Après la guerre, s'installa en Suisse. Il mourut à Val Mont,
près de Montreux. Une de ses visites inspira à Freud son article « Passagèreté » (trad. A.
Bourguignon, P. Cotet, A. Rauzy, OEuvres complètes, XIII, p. 319-324). Sur son amitié avec Lou
Andreas-Salomé, voir En Russie avec Rilke, Journal inédit, texte établi par S. Michaud et D. Pfeiffer,
trad. par S. Michaud, Paris, Seuil, 1992.
E. Jones, « Krieg und Sublimation » (Guerre et sublimation), Internationale Rundschau, 20
décembre 1915, 1 (10/11), p. 497-506, note p. 505. « Guerre et sublimation », in Essais de
psychanalyse appliquée, trad. Janine Morche, Paris, Payot, 1973, p. 62-70.
586 Fer
Päpa, le 26 décembre 1915
A. Le classement de la lettre à cet endroit est déterminé par le contexte (mutation, successeur).
1. Ce séjour eut effectivement lieu (Freud à Eitingon, ltt janvier 1916, SFC).
Pàpa, le 3 janvier 1916
le 6 janvier 1916
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
L'adresse de cette lettre vous rappellera que vous ne m'en avez pas encore indiqué une à
Budapest.
Je vous écris pour vous donner quelques nouvelles. En même temps que
Martin est monté en grade, Ernst est devenu aspirant 1, il est de retour dans
le Karst. Rank a fait aujourd'hui ses adieux, en partance pour Cracovie 2, bien
triste et incertain, et décidément je n'ai pas aimé le voir partir. La réunion de
l'Association, hier, était déjà fort déplaisante. Sachs va s'efforcer maintenant
de le remplacer dans ses activités, aussi longtemps que nous pourrons
maintenir les nôtres s.
Je ne peux nier que je suis passablement dégoûté de tout. Cette humeur a
donné naissance à une idée, que je vous soumets. Elle est formée à partir
d'un matériau connu.
Ne connaîtrions-nous pas déjà deux conditions aux dispositions artistiques ?
Premièrement, une richesse en matériel phylogénétique transmis, comme chez le
névrosé, deuxièmement, un bon reste de la vieille technique qui consiste à se
modifier plutôt que de modifier le monde environnant. (Voir Lamarck 4, etc.) Cette
capacité, appliquée à certaines activités tir produirait la mimicry A * singulière de
l'artiste, consistant à rendre ses représentations de choses semblables à celles-
ci, puis – retour au monde environnant – à les recréer (ces représentations) en
mots, matières, couleurs... Finalement, ce même détour qui caractérise, d'une
façon générale, l'accomplissement de désir de l'artiste.
Sinon, je ne sais rien de neuf. Je vous souhaite bonne chance pour votre retour à Budapest
et votre insertion dans la nouvelle situation.
Cordialement,
votre Freud
A. Mimicry en lettres latines et non gothiques comme le reste de la lettre.
* En allemand dans le texte (dans une orthographe ancienne) : mimétisme.
« Martin L[ieu]t[enan]t, Ernst porte-drapeau », écrivait Freud, le 1" janvier, sur son calendrier
(LOC). Voir 573 F, note 6.
Séance du 5 janvier 1916, avec un rapport de Hitschmann sur l'agoraphobie. Il apparaît
clairement que le protocole abrégé de cette séance a été rédigé par Sachs (Minutes, IV, p. 334).
Jean-Baptiste (Antoine Pierre) de Monet, chevalier de Lamarck (1744-1829), naturaliste français.
Considéré comme le fondateur de la biologie. Il formule la première théorie de l'évolution organique
dans son ouvrage principal, La Philosophie zoologique ou exposition des considérations relatives à l'histoire
naturelle des animaux (2 vol., 1809). Essentiellement connu
pour sa théorie selon laquelle les caractères acquis s'inscrivent dans le génotype et deviennent
héréditaires. Cette thèse était d'ailleurs partagée par la plupart des naturalistes des xvin° et xix° siècles.
En réaction au darwinisme qui rejetait cette thèse, le néo-lamarckisme soulignait l'action directe du
milieu sur le génotype.
Ces idées ont joué un rôle important dans la pensée de Freud et de Ferenczi, bien que le travail
commun projeté sur Lamarck et Darwin n'ait jamais vu le jour. Voir Freud, « Vue d'ensemble des
névroses de transfert » (OEuvres complètes, XIII, p. 279-300), et Ferenczi, « Thalassa, essai sur la théorie
de la génitalité » (1924, 268, art. cité, p. 250-323). En 1924, Freud revient sur l'examen de la différence
entre adaptation autoplastique et alloplastique dans « La perte de réalité dans la névrose et dans la
psychose» (1924e), in Névrose, psychose et perversion, op. cit., p. 299-303 ; voir p. 301.
Cher Monsieur le Professeur,
Les faux-fuyants mesquins au moyen desquels je repoussais toujours le moment de vous écrire, je
les ai enfin démasqués comme étant de la résistance; après avoir lutté quelque peu, je me suis
décidé à vous informer honnêtement – comme toujours – de ce qui se passe en moi.
J'ai fait part à Madame G. de mes projets de mariage, comme je vous l'ai écrit. L'humeur joyeuse qui a
suivi a duré 24 heures. Le début du conflit, inévitable, entre Madame G. et Monsieur Pàlos a déjà
entraîné le revirement d'humeur. En un clin d'oeil j'étais remis dans la situation tif où je m'étais trouvé
au temps du clivage intérieur, à cause d'Elma ; ma libido s'est retirée de Madame G. ; après que la
surestimation sexuelle eut pris fin, je vis sur elle, avec une cruelle précision, les changements
perceptibles dus à l'âge. Mais à la différence de l'état dans lequel je me trouvais alors, je ne suis pas
tombé malade, psychiquement ou somatiquement, à la suite de ce sentiment de vide intérieur. Tout au
plus pourrait-on interpréter de façon névrotico-sexuelle le fait que, depuis huit jours, mon transit
intestinal est un peu perturbé et que j'ai eu, pendant deux jours, un embarras gastrique avec un peu de
fièvre. En deux occasions, particulièrement propres à mettre en valeur la clarté et le haut niveau
intellectuel de Madame G., j'ai senti revenir pour elle cette émotion qui m'assaillait bien plus fort au
temps d'Elma. Madame G., bien sûr, est sensible à ces fluctuations – sans en parler – et elle a même
trouvé le moyen de repousser la décision; malgré tout cela, elle me reste fidèlement attachée.
Je ne suis pas arrivé bien loin dans la résolution de ce problème par
l'analyse ; il est vrai que, jusqu'à présent, je n'ai fait que deux tentatives.
1) Le brusque refroidissement, à la suite de la nouvelle du conflit avec
Monsieur Pälos, est la copie de la rupture soudaine avec Elma, lorsqu'elle
fut invitée par son père à repousser les fiançailles. Peut-être la fixation au
père a-t-elle remporté la victoire, en ce temps-là comme aujourd'hui ; je ne veux
rien accomplir contre la volonté du père. Sans doute cette fixation me fait-elle
retirer ma libido hétérosexuelle de la femme, chaque fois qu'on en arrive à un
conflit entre l'hétéro- et l'homosexualité.
2) Après une conversation avec Madame G. au sujet de ma fixation homosexuelle, j'ai fait un
petit rêve. J'avais un étui à cigarettes très lourd, en or, dans la poche intérieure de mon veston (la
poche de poitrine). Il n'était pas tout à fait propre, plutôt terne. Il avait une forme inhabituelle,
étranglée dans le milieu ; il me semble que, dans le rêve, m'est venue la pensée (le doute) : peut-on
mettre des cigarettes dans cet étui?
C'est tout.
Le déclencheur actuel a été un étui à cigarettes en argent que les camarades de Pàpa m'ont acheté
(avec leurs signatures gravées) – mais au moment du rêve, je ne l'avais pas encore reçu. – La
première tentative d'analyse a été quelque peu « fonctionnelle »'. J'ai pensé: l'étui dans la poche
intérieure rappelle la conversation que je venais d'avoir avec Madame G. à qui j'avais dit, entre autres
: « I1 y a une femme cachée en moi et c'est derrière elle seulement qu'est caché l'homme véritable,
tandis que la tendance apparemment dominante à la polygamie est une formation réactionnelle contre
l'homosexualité. » L'étui, d'après cette interprétation, serait la femme en moi. Une idée qui m'est venue
plus tard l'a confirmé : j'ai pensé que l'étranglement au milieu correspondait à ma représentation
infantile du corps féminin ; j'en voyais souvent et volontiers de semblables dans les journaux de
mode, les réclames des fabriques de corsets, etc.
Selon l'érotisme anal, l'or est à prendre pour de l'avarice. Les affaires d'argent de Madame G.,
l'augmentation des dépenses dans un ménage, etc. L'aspect malpropre de l'or est 1) un reproche
contre l'avarice, 2) un authentique produit de l'érotisme anal. Le sphincter anal fabrique aussi de
tels étranglements dans la masse fécale. (A noter que l'étui n'est pas plat, mais rond.) (Sur le
dessin, il est ouvert *.)
A la signification de l'étui comme or-excrément-enfant correspondent aussi
les cigarettes qui s'y trouvent (enfants de l'enfant), fantasme de patriarche –
ou peut-être plutôt de matriarche ! J'ai reçu l'étui en cadeau de mes camarades,
le commandant en tête. (rai failli écrire : Spritze ** !) Ils sont tous gravés dans
l'étui. Il s'agit donc peut-être de l'atmosphère homosexuelle des adieux, comparable
à celle qui semble régner dans les fêtes d'adieux des célibataires avant le
mariage.
Dans ce rêve, en somme, la passivité (cadeau, avoir un enfant) est l'accomplissement de désir, en
opposition au « service actif accompli dans le mariage » (c'est là une idée qui m'est venue en écrivant).
Pendant une nuit d'insomnie (j'avais un peu de fièvre), une autre idée m'est venue : l'étui devait
recevoir également une interprétation hétéro sexuelle et sadique. L'étui est peut-être aussi la femme
que je veux avoir (inconsciemment), l'impure, en opposition avec la supériorité de Madame G. Dans
l'enfance et l'adolescence, celle-là seule m'était accessible, celle-là seule je pouvais fendre (ouverture
de l'étui) sans être angoissé par ma conscience. Elma est la représentante de cette catégorie, voilà
pourquoi tant de libido (et sans doute aussi de puissance) à son égard. Madame G., au contraire, est
la claire, la pure – qu'il faut ménager comme l'étui d'or
non terni, qu'on n'a pas le droit de toucher, comme la mère – si on ne veut pas être
castré. Donc, une combinaison peu favorable entre la surestimation d'un certain
type de femme et la conception sadique du coït.
S'il vous vient une idée à propos de ce que je vous dis là, je vous en prie, ne la
gardez pas pour vous ; peut-être pourriez-vous accélérer ainsi le processus de
fermentation.
Une idée, que je voulais vous communiquer depuis un certain temps, ne me laisse pas en paix. Vous dites que
l'investissement 'bPcs est essentiellement un investissement verbal des représentations de choses 2.Mais
l'observation des sourds-muets montre que l'on peut mettre en oeuvre des fonctions' préconscientes sans
symboles verbaux. (Je pense à des sourds-muets non rééduqués.) Il est donc pensable que le Pcs – quand la
disposition héréditaire est présente (comme chez l'homme) – est peut-être en mesure de se construire aussi à
partir d'autres symboles que les symboles verbaux (chez les sourds-muets éventuellement à partir de restes
sensibles de l'innervation corporelle mimétique).
Sinon, il faudrait se représenter le sourd-muet non rééduqué– à l'instar de l'enfant – comme un être sans Pcs.
Je n'ai pas encore complètement saisi votre idée sur la
création artistique, mais je sens que c'est dans cette direction
que la solution devra être trouvée. Cordiales salutations de
votre Ferenczi
J'habite toujours à l'hôtel, je n'ai pas un seul patient. La question du logement est liée à celle du mariage. Par
ailleurs, une commission de rabatteurs *** circule en ce moment dans les hôpitaux, qui envoie au front les
médecins aptes au service. A Pâpa on était au moins à l'abri de ces gens-là.
le 18 janvier 1916
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je ne veux pas vous faire attendre longtemps ma réponse. Vos interprétations sont certainement justes
mais il me semble, à en juger d'après le dessin, qu'il y manque encore l'élément décisif. Ce qui est plus
important cependant, c'est de considérer que l'analyse doit intervenir avant ou après l'action et ne doit pas
gêner celle-ci, surtout là où, s'agissant d'auto-analyse, ses chances sont réduites. Agissez donc avec le plus
de rapidité et de décision possible et laissez pour le moment l'analyse de côté, ou alors, traitez-la comme
un n plaisir supplémentaire, sans influence réelle.
En ce qui concerne l'investissement verbal chez les sourds-muets, vous avez raison aussi. Mais je ne
crois pas que ce soit une objection très forte. Ce qui se passe chez eux, on ne le sait pas, et je ne le
sais pas. On ne peut tirer un fil conducteur de l'ignorance. Pour la théorie du préconscient, entre
essentiellement en ligne de compte le fait qu'il représente la liaison d'un système par un deuxième, plus
proche de la perception. Chez le sujet normal, ce sont les images verbales qui le constituent; elles
peuvent être remplacées par autre chose. Cela dit, je vous suis reconnaissant de cette indication.
Je suppose que vous éprouvez beaucoup de nostalgie pour l'idylle de Pàpa. Je ne sais pas si la
Zeitschrift marchera sans Rank. Pour l'essentiel, il s'agit tout de même pour vous de prendre les
rênes en main depuis Budapest. Pfister écrit aujourd'hui, convaincu, à tort, que l'article accepté
par nous, qui traite des rêves expérimentaux, est bien celui que nous voulions avoir. Il a casé
ailleurs la lettre ouverte au philosophe'. Avec l'éclatement et la perturbation des communications, il
est difficile d'éviter les malentendus.
Je continue à rédiger les conférences, les trois sur le rêve sont terminées, au propre. Dans les
conférences récentes, je traite de la symbolique sexuelle, devant un auditoire mêlé 2.
Je souffre de toutes sortes de troubles et, parfois, il me revient en mémoire qu'il existe une
secrète résolution de ne guère dépasser les 61 ans s.
De fortes espérances se portent sur le Monténégro. Je crois que je connais la motivation de Nikita. Il
veut mériter le prix Nobel de la Paix (pour deux ans 4) et il est vraiment le premier à y avoir droit 5.
Avec des salutations cordiales et dans l'attente,
A notre connaissance, Pfister n'a publié qu'en 1921 un article sur ce thème: « Experimental
Dreams Concerning Theoretical Subjects », in Psyche & Eros, 1921, 2, 1-11, 90-99.
Un raisonnement qui tient compte des vacances de Noël permet de déduire que Freud, après avoir
commencé ses leçons d'Introduction à la psychanalyse, le 23 octobre 1915 (voir 573 F et la note 4), a
donné, le 15 janvier, la dixième leçon, « Le symbolisme dans le rêve », qui est « peut-être la
présentation la plus complète de ce problème », lit-on dans les remarques préliminaires de l'éditeur
de la version allemande de la Studienausgabe. Introduction à la psychanalyse, chap. x, PBP n° 16, p.
134-154.
Voir 519 F et la note 1.
Au cours des deux années passées, aucun prix Nobel pour la Paix n'a été décerné ; il n'y en aura
pas non plus en 1916.
Nicolas I", Petrovic Njegol, dit Nikita (1841-1921). Prince (1860-1910), puis roi (19101918) du
Monténégro. Au début de la guerre, le Monténégro se rangea aux côtés de la Serbie. Toutefois, le 21
décembre 1915, le roi adressa une demande de paix séparée à la Monarchie. Après une offensive des
troupes austro-hongroises, le 4 janvier 1916, qui aboutit à la capitulation du pays le 25 janvier 1916,
le roi Nicolas s'exila en Italie. En 1918, Le Monténégro fut rattaché à la Serbie et le roi fut destitué
par l'Assemblée.
592 Fer
Budapest, le 24 janvier 1916
Je suis bien volontiers disposé à travailler pour la Zeitschrift. Faites tout envoyer à mon adresse. –
Pour ma part, personnellement, je suis stérile en ce moment.
Ignotus a décidé de se marier avec Mademoiselle Sbmlô (la femme peintre) 2.Je lui ai parlé hier, il
est enthousiasmé par votre article sur l'Ics s.
Je n'ai jamais pris le Pcs pour autre chose qu'un système intermédiaire entre Ics et Cs, « pour la
liaison et l'élévation de niveau » (Freud)'. Je voulais seulement indiquer la possibilité qu'un tel
système se construise à partir d'autres symboles que les symboles verbaux.
J'ai envoyé à Zurich l'essai de Pfister et la lettre d'accompagnement (qui devait être courte à cause
de la censure). Le petit retard était dû au déménagement à Budapest.
J'ai analysé (laissé associer) un traumatisé de guerre pendant une heure. Malheureusement il s'est
avéré que, pendant l'année qui a précédé la commotion causée par la guerre, il a perdu son père,
deux frères (du fait de la guerre) et une épouse, par infidélité. Quand un tel homme doit ensuite
rester 24 heures couché sous un cadavre, il est difficile de dire ce qui, de sa névrose, relève du
traumatisme de guerre. (Il tremble et balbutie.)
Je travaille le matin de 8 h à 1 h et 1/2. L'hôpital5 est à 3/4 d'heure
de l'appartement (en tramway).
Cordiales salutations de votre
Ferenczi
A. Dans le manuscrit, parenthèses dans la parenthèse.
D'après les paroles de Falstaff dans Henri IV de William Shakespeare, acte II, scène tv. « If reasons
were as plentiful as blackberries, I would give no man a reason upon compulsion, I » (« Quand les
raisons seraient aussi abondantes que les mûres, je n'en donnerais à personne par contrainte, moi »,
trad. Victor Hugo). Une comparaison souvent utilisée par Freud, par exemple dans Histoire du mouvement
psychanalytique, op. cit., p. 42 ; « Actuelles sur la guerre et la mort» (OEuvres complètes, XIII, op. cit., p. 103-
142, citation p. 141).
Le mariage avec Lili Somlô se terminera par un divorce.
Freud, 1915e, « L'inconscient », art. cité, p. 203-242.
Les «traductions» par lesquelles le système Pcs se constitue (voir 590 Fer et la note 1) « sont, nous
pouvons le présumer, ces surinvestissements qui entraînent une organisation psychique supérieure et
qui rendent possible le relais du processus primaire par le processus secondaire régnant dans le Pcs »
(Freud, OEuvres complètes, XIII, p. 240).
L'hôpital Maria-Valeria à Budapest, où Ferenczi avait été muté depuis Päpa.
593 Fer
Budapest, Hôtel Royal le 2
février 1916
le 4 février 1916
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Poursuivant mon plan démoniaque, je ne vous suivrai pas sur la voie de vos propos auto-analytiques; en
revanche, je répondrai à votre dernier voeu concernant la Zeitschrift. Ce qui ne veut pas dire que je n'accueille
pas avec intérêt les autres nouvelles en provenance de votre champ de bataille intérieur.
Vous aurez appris nos difficultés externes avec Heller et à l'imprimerie par le rapport de Sachs,
qui se donne vraiment du mal. Je vais faire comme si de rien n'était. Sachs est d'accord pour vous
envoyer tout le matériel disponible.
Nous avons actuellement un essai de Stärcke (La Vie quotidienne) qui peut être publié en deux parties 1,
mais dont je vous prie d'éliminer les exemples les moins percutants, et un travail de premier ordre
d'Abraham sur le stade préliminaire oral-cannibalique de l'organisation libidinale, pour len°22.
Il vient de paraître un livre de Kaplan, « Problèmes 'FA » s, que je vous prie de réclamer à Deuticke, au nom
de la rédaction. Il est digne d'éloges, dans la mesure où, pour toutes les questions litigieuses, il défend la
juste conception 1j/OC contre les dissidents, mais à part cela, il n'est certes ni profond ni rigoureux.
Cependant, nous avons toujours trop maltraité Kaplanet nous devrions réparer. Je suis d'avis que, comme
instance critique qualifiée, vous vous chargiez encore une fois de cette tâche. Pour la rubrique « Mouvement
trot », je vais vous envoyer un extrait du Berner Bund * après la séance de la société du mercredi, qui traite
de la réglementation proposée par le directeur de séminaire, Schneider, en Suisse 4. Les signes
annonciateurs d'un sombre destin se multiplient. Le Docteur Sperber à Uppsala A, qui nous a donné ce
somptueux travail dans Imago5,a été recalé pour cette raison même à l'agrégation (à Uppsala), et se trouve de ce
fait dans une situation embarrassante. Un petit pamphlet, tiré de la Deutsch. Med. n° 1, 1916 6, qui sera
joint à l'envoi, vous montrera de façon symptomatique ce que nous avons à attendre de « cette grande
époque ». Peu importe: un vieux Juif est encore plus coriace qu'un Prussien royal germanique. Vous pouvez,
vous aussi, vous préparer doucement à cette fonction.
Pas encore trace de mes corrections'. J'en ai presque fini avec l'esquisse des conférences sur le
rêve, j'espère reprendre demain la série interrompue par la grippe.
Putnam parle, dans une lettre, d'un livre du psychologue Holt, « The Freudian Wish » **, qui m'a
été envoyé 8 ; mais je ne l'ai pas reçu. Peut-être serons-nous bientôt coupés de l'Amérique aussi.
Nous attendons Ernst; pourvu qu'il ne se trompe pas sur sa permission9 !
Ma femme ne veut pas partir à Hambourg avant.
La grippe m'a passablement abattu. Souvent, des semaines passent sans que rien ne me vienne.
Mais, la plupart du temps, mes pensées ne sont pas au travail analytique. Je lis, en revanche,
quatre journaux chaque jour, en dehors de la misérable N.[eue] F.[reie] P.[resse], la Vossische
Zeitung, l'Arbeiterzeitung *** et le J.[ournal] de Cracovie, qui se développe rapidement grâce aux
efforts de Rank.
Quand le moment reviendra-t-il d'envisager une permission, avec Vienne
pour destination? Où en est votre propre département?
Salutations cordiales de votre Freud
A. Dans le texte, ancienne orthographe avec un seul « p ».
* Journal intitulé Union Bernoise.
** Le voeu freudien.
*** Journal des Travailleurs (quotidien paraissant à Berlin).
1. Johan Stärcke, « Aus dem Alltagsleben » (De la vie quotidienne), Zeitschrift, 1916-1917, 4, p. 21-
33 et 98-109.
Johann Stärcke (1882-1917). Médecin exerçant à Amsterdam. Frère cadet d'August Stärcke (voir t. I,
223 F et la note 7), et traducteur de Freud: 1901a (Le Rêve et son interprétation, op. cit.) et 1901b (La
Psychopathologie de la vie quotidienne, trad. S. Jankélévitch, Paris, Payot,
1973). Il fut le premier secrétaire de l'Association hollandaise. Voir la nécrologie de Van Ophuijsen
dans Zeitschrift (1916-1917, 4, p. 274-275).
Voir 573 F et la note 2.
Voir 571 F et la note 10.
Ernst Schneider (1878-1957), devenu en 1905 directeur de l'École normale de Berne,
malgré une opposition massive de ses collègues en raison de ses positions favorables à la
psychanalyse. Il fut finalement contraint de démissionner, sur l'avis d'une «commission
d'experts ». A partir de 1912, membre du groupe local de Zurich; par la suite, devient
chargé de cours à l'institut J.-J. Rousseau à Genève. En 1920, professeur de psychologie
et de pédagogie à Riga (Lettonie) ; à partir de 1926, éditeur, avec Heinrich Meng, de la
Zeitschrift für Psychoanalytische Pädagogik. A partir de 1928, psychothérapeute à Stuttgart
puis, après la guerre, à Bâle, voir Kaspar Weber, « Aus den Anfängen der Psychoanalyse
in Bern » (Les débuts de la psychanalyse à Berne), Bulletin der Schweizerische Gesellschaftfür
Psychoanalyse, 1991, n° 32, p. 6772). Un extrait de l'article mentionné a été publié par
Ferenczi dans la rubrique « Nouvelles du mouvement psychanalytique » (Zeitschrift, 1916-
1917, 4, p. 69 sq.). Peu après, Freud évoqua l'affaire de la destitution de Schneider dans
sa quinzième leçon (« Incertitudes et critiques », Introduction à la psychanalyse, op. cit., p. 218).
Voir t. I, 344 Fer et la note 1.
Le professeur von Luschan de Berlin a introduit son article « Altweiber-Psychologie »
(Psychologie de bonnes femmes) [Deutsche Medizinische Wochenschrift, 6 janvier 1916, 42, p.
20 sq.], article polémique contre les « aberrations défraîchies et décadentes » des
théories de Freud, Fliess et Swoboda, par ces mots ; « Nous vivons actuellement dans
une époque difficile, mais en même temps, une grande époque. »
Il s'agit sans doute des épreuves de la première partie de l'Introduction à la psychanalyse, «
Les actes manqués », qui, tout comme les deux parties suivantes, « Le rêve » et « La
théorie générale des névroses », a d'abord paru sous forme de brochure séparée, chez
Hugo Heller.
Dans une lettre du 3 janvier 1916, Putnam écrit à Freud que Edwin B. Holt, auteur de
The Freudian Wish and Its Place in Ethics (Le voeu freudien et sa place dans l'éthique) [New
York, 1915], lui a envoyé ce livre.
Ernst passa une semaine en permission à Vienne, du 10 au 17 février 1916 (notes de Freud sur
son calendrier).
Budapest [sans date] 1916
L'aspect psychanalytique de l'affaire a été très intéressant, ces derniers jours. Mardi soir, j'ai fait une
conférence à la réunion scientifique des médecins de notre hôpital, sur les névroses de guerre 2(je vous en
exposerai le contenu plus tard). Après la conférence, qui a été très favorablement accueillie (notamment
par le commandant de l'hôpital, le nouveau père), je me suis soudain senti tout à fait bien. Mon intérêt
pour les objets (féminins aussi) s'est visiblement accru. L'après-midi suivant, j'ai un peu dormi et fait
deux petits rêves :
–Je suis sur le point de pratiquer l'acte sexuel avec Madame G. ; je lui demande alors, au
dernier moment (quelque chose comme) si elle a mis le chapeau (c'est ainsi que nous appelons le
pessaire occlusif 2).En tout cas, le rapport sexuel fut perturbé.
– A l'instant (au moment de l'écrire), je remarque que ceci était le deuxième rêve! (et encore, pas
tout â fait comme cela !). Le premier était le suivant:
Un cocher de fiacre, vêtu de noir, imposant, grossier, ayant l'apparence d'un moujik russe, avec
un petit chapeau haut de forme, une barbe noire
et l'air assuré (un fouet à la main) me dit (à peu près) ceci : « Je préfère quand
même me faire analyser par le Professeur Freud. Il sait quand même mieux, c'est
lui le premier dans sa branche. » Cela me rend furieux et je lui dis : « Mais c'est
de lui que j'ai tout appris, j'en sais donc autant que lui. » Je lui flanque alors
violemment une fleur (sic) à la figure et je me réveille avec de l'angoisse.
Le deuxième rêve, c'est celui que j'ai décrit plus haut, il y avait bien l'histoire
du chapeau ; mais il s'est achevé avec la sensation que quelqu'un ouvrait
brusquement la porte et nous surprenait. (En fait, la porte a été ouverte par mon
domestique; il annonçait un patient [B je crois].)
Le cocher est une figure paternelle typique. Sa barbe me rappelle celle d'un oncle,
pas tout à fait normal. Le petit haut-de-forme appartient au bedeau juif qui officie
pendant les enterrements. (Donc : symbolique de mort.) A vrai dire, à propos du
haut-de-forme je pense aussi à la symbolique génitale (le pénis court de mon père
; j'ai été déçu, un jour – à l'école de natation – , en voyant les organes génitaux de
mon père). Donc, la mort du père. (Substitut de pensées concernant ma propre
mort, fonctionnant comme accomplissement de désir.) Le fouet est symbole de
sadisme. (Le père conduit avec adresse le cheval et le fiacre [B la femme].) – J'ai
entendu une déclaration semblable d'un patient sur sa préférence à être analysé
par vous. La fleur furieusement jetée me rappelle que, à l'âge de trois ou quatre
ans, j'ai jeté une carabine en bois à la tête de mon frère aîné, si bien qu'il a eu une
bosse sur le front. La fleur est 1) un substitut du coup furieux, 2) symbole d'amour.
Les figures paternelles m'impressionnent tellement que je renonce à la concurrence
et que je tombe amoureux – comme une femme.
Balint avait placé cette lettre, ainsi qu'un bref message (597 Fer) – tous deux sans date – à l'intérieur
de la lettre 630 Fer, soit avant la dernière partie, datée du 24 XI 1916, et désignée par « Fin ». Il semble
pourtant que ces deux lettres sans date (qu'il faut considérer séparément) ont leur place plus tôt. Le
papier à lettres, l'écriture et l'encre ne donnent pas d'indications univoques pour un classement
correct, mais n'excluent pas non plus la place proposée ici par référence au contenu (le rêve de l'étui à
cigarettes, le « champ de bataille intérieur », le symptôme du tremblement, la réponse de Freud à
l'annonce du voyage à Vienne).
Parenthèses dans le manuscrit.
La fin de la lettre manque.
* Troubles en rapport avec le retour d'âge.
** Expression allemande pour désigner les homosexuels. Littéralement: « frères chauds ».
Maladie de Basedow : hyperfonctionnement de la glande thyroïde, accompagné des symptômes
suivants : goitre, tachycardie, exophtalmie, augmentation du métabolisme de base, tremblements. La
crainte de Ferenczi d'être atteint de cette maladie revient régulièrement dans ses lettres suivantes. Peu
après, la maladie fut effectivement diagnostiquée chez lui et, au début de 1917, il alla se soigner au
Semmering.
Sous le titre de « Deux types de névroses de guerre (hystérie)» (Ferenczi, 1916, 189), dans la
Zeitschrift (1916-1917, 4, p. 131-145). Psychanalyse, II, p. 238-252.
Voir 504 Fer et la note 1.
596 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda
En-tete pré-imprimé jusqu'ici, avec une vignette en deux couleurs. Voir le fac-similé p. 147.
La date est répétée à la fin de la lettre.
1. Allusion à la lettre précédente.
597 Fer
A. Sans date; pour le classement à cet endroit, voir 595 Fer, note A (les vendredis pouvant
entrer en ligne de compte étaient le vendredi 18 ou le vendredi 25 février 1916).
1. Non retrouvé. Peut-être s'agit-il du tiré à part de Kohnstamm, mentionné dans la
lettre suivante.
598 F
Prof. Dr Freud
le 26 février 1916
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Comme vous avez décommandé votre visite, je peux de nouveau vous écrire, brièvement. Toutes
vos nouvelles m'ont énormément intéressé. Permettez-moi cependant d'observer une neutralité
bienveillante, d'une part parce que je suis trop paresseux, d'autre part parce que je ne veux pas
troubler vos élans. Tout ce que je peux vous dire, c'est que la plus grande partie me plaît. J'ai été
frappé par l'explication du tremblement comme exemple type du retournement de l'action vers
l'intérieur, au sens que lui donne Lamarck et que nous avons reconnu, à savoir « piétiner sur
place » * `. Je ne vois rien à dire sur l'histoire de la maladie et des rêves. Je vous renverrai la
grande lettre quand je l'aurai relue. Mieux encore, vous l'emporterez dimanche.
Un essai avec les communications provisoires sur les névroses de guerre serait très bienvenu à la
Zeitschrift. J'imagine que, temporairement, vous garderez pour vous vos beaux points de vue
théoriques et que vous n'y déploierez que le matériel, afin d'en tirer les conclusions les plus
immédiates. Le n° 6 de la Zeitschrift (avec l'École de Bordeaux) 2 est paru aujourd'hui. Le t.[iré] à
p.[art] de Kohnstamm 9 est une absurdité de dilettante, une volonté d'être original avec des biens
d'emprunt. On en vient à se demander s'il est même possible pour la science de prospérer, quand
elle est pratiquée dans l'incohérence démocratique. Mais, malheureusement, l'autorité est encore
pire. Rien à faire, il faut laisser braire tous les ânes et mugir tous les bovidés.
Je n'arrive pas à me souvenir d'avoir déclaré que la névrose traumatique serait une
représentation somatique du fait d'être mort, et je voudrais désavouer cette déclaration.
Chez nous, peu de nouvelles. Ernst est ici jusqu'à la fin du mois, il a été à Hambourg et à Berlin. Oli a
dû prendre une permission à cause d'une poussée de grippe, il la passe ici auprès de sa femme 4.
Samedi prochain je termine les Conférences. Le manuscrit – (Le rêve) – presque terminé.
Cord.[iales] salutations, aussi pour Madame G.
de votre
Freud
* En français dans le texte.
1. Dans « Deux types de névroses de guerre », Ferenczi a caractérisé le symptôme de
tremblement des jambes comme une régression phylogénétique à un mode de réaction autoplas-
tique, le décrivant comme l'action de « piétiner sur place » (1916, 189 ; Zeitschrift, 19161917, 4,
p. 141 sq.). Psychanalyse, II, p. 238-252.
Voir 575 F et la note I.
Non identifié.
Ernst a passé à Vienne la période du 26 février au 1" mars, Oliver celle du 22 février au 3 mars
(notes sur le calendrier de Freud, LOC).
599 Fer
Budapest, le 28 février 1916
Essai d'analyse
Nouvelle pressante serait un remaniement secondaire. Par ailleurs : pressant
– qui ne peut être remis à plus tard : un besoin physique (coït).
Addenda: Je me suis tenu caché, un moment, quand j'ai vu venir
M.[onsieur] P.[alos]. Je me suis serré dans une encoignure de porte.
Ce détail me rappelle que je supportais difficilement le rôle du troisième à cause du conflit (avec le
père) qui devenait plus apparent ces derniers temps. Et si c'était quand même ça, la cause ultime
de ma résistance?
La bagarre avec Monsieur Pdlos et sa castration (jeter son chapeau à terre) représenteraient le
désir secret en moi, transformé en angoisse. Si c'est exact, alors la séparation a été la fuite
névrotique devant ce conflit.
Mais, s'il en est ainsi, l'affaire peut encore avoir une issue heureuse. Je
crois que je serai finalement en mesure de venir à bout de ce combat.
La canne à vêtements vient du « Mannequin d'osier» d'Anatole France', où le cocuage de M. Bergeret
est présenté de façon sympathique pour la victime et humiliante pour le fauteur d'adultère.
Deuxième addenda: dans le vestibule, j'étais frappé par la maladresse
du comportement et de la démarche de Monsieur Palos.
Interprétation: quand j'étais enfant, j'avais découvert de petites faiblesses de mon père
(mauvaise prononciation du hongrois, calvitie, etc.), mais j'avais refoulé ma critique.
Le lieu me rappelle un appartement d'étudiant où j'habitais à Vienne, et où il m'était arrivé une
histoire dont on avait beaucoup ri à l'époque. Mon compagnon de chambre avait une aventure avec
la femme de chambre. Une nuit je me suis rendu, avec son assentiment, chez la bien-aimée, que j'ai
trompée en portant le bonnet de mon ami. — Par la suite, cela marchait même sans ce déguisement, je
crois. Il semble que je veuille commettre tous les « péchés » sans qu'il y ait de conséquences. D'abord,
j'ai voulu aimer la mère et la fille et les garder toutes les deux. Maintenant, je veux tromper le père
avec son consentement.
La science, ce sera pour une autre fois. II paraît, malheureusement, que dimanche prochain
sera jour d'inspection, ce qui m'empêchera de venir à Vienne.
S'il vous plaît, écrivez bientôt.
Cordialement, votre
Ferenczi
1. Anatole France, LeMannequin d'osier, Paris, Calmann-Lévy, 1897.
[Budapest,] mardi 9 mars 1916
Pour le n° 2, je compte écrire encore quelques petites choses avant mon départ, entre autres le cas
intéressant d'un homme qui, dans l'enfance (à l'âge de trois ans), a été réellement castré (circoncis) 2. Un
pendant au « Petit Homme-coq ». – Cette opération est devenue le destin de cet homme. Tous ses affects se
manifestent en termes de défense contre la castration (plus ou moins grande rétraction du pénis, impulsion
contraignante de saisir le membre de quelqu'un pour le caresser ou l'arracher, etc.).
Ci-joint un extrait de journal qu'Elma 8 nous a envoyé d'Amérique. Il est possible que la situation
s'améliore là-bas. (Je veux dire, la situation entre Elma et son mari.)
Le voyage à Berlin perturbe évidemment tout projet pour Pâques. Mais j'espère pouvoir m'arranger,
au retour, et passer quelques jours près de Vienne (peut-être au Semmering).
Je ne suis pas encore sûr de la date de mon départ. Je pense qu'il s'écoulera encore deux semaines
d'ici là.
Cordiales salutations à vous et à votre famille,
de votre Ferenczi
Cher Ami,
Que vous ayez peur du père, cela semblait ressortir à coup sûr de votre dernière lettre. Les déductions
psychologiques, dans celle d'aujourd'hui, sont moins éclairantes pour moi. Qu'on aime une femme ou
non, on doit pouvoir en décider même les narines bouchées. Je sais, naturellement, combien il est
difficile de distinguer entre ce qui est psychique et ce qui est somatique, sur sa propre personne.
Je regrette que votre venue soit tellement retardée. A Pâques, quoi qu'il en soit, vous devriez pouvoir prendre
une permission pour Vienne. Premièrement, c'est à peine si on peut encore aller quelque part; on ne trouve
rien, tout est follement cher, et deuxièmement, ma maisonnée n'est plus faite que de trois personnes, moi y
compris. Ma femme est depuis deux jours à Hambourg, Anna va entreprendre une randonnée de Pâques, ce
ne serait pas très amical de laisser ma belle-soeur seule dans l'appartement, au moment des fêtes.
Il y a si longtemps que je ne vous ai écrit, que je ne sais plus jusqu'à quel point vous êtes informé. Mon
gendre est toujours à l'hôpital militaire' ; d'après les photos qu'il nous a fait parvenir, il a bonne mine.
J'en ai fini avec la deuxième livraison – (du rêve) – , je dois l'envoyer à l'impression, mais je n'ai pas
encore vu une ligne de la première, à corriger. Sachs fait tout son possible pour la conduite des affaires.
La clientèle s'accroît sans conteste, mais avec l'augmentation de tous les prix, elle ne peut quand même
pas suivre. La traduction de la Vie quotidienne par Stärcke 2 a été effectuée, et déjà honorée. L'éditeur de
Berlin s demande d'ailleurs une cinquième édition pour l'automne. Il n'est pas au courant de l'imminence
de la parution des « Conférences ».
Avec mon cordial salut et dans l'attente de vos prochaines nouvelles, votre Freud
Le 23 février, Max Halberstadt, blessé en France, fut hospitalisé à Valenciennes et obtint par la suite sa
réforme de l'armée. (Notes sur le calendrier de Freud, LOC ; Freud à Lou Andreas-Salomé du 21 III 1916,
Correspondance, op. cit., p. 521 ; Jones, II, p. 201.)
Voir 594 F, note 1.
S. Karger.
602 Fer
[Budapest,] le 23 mars 1916
le 24 mars 1916
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Il est étonnant de voir tous les artifices que vous mettez en oeuvre quand vous approchez de
l'accomplissement du voeu refoulé et qu'il s'agit de vous rendre maître de la mère, sous toutes ses
formes. Je sous-estime sans doute, par manque d'expérience personnelle, la force de ce complexe.
Je serai très heureux de vous voir à Vienne. Si vous veniez d'abord ici, ce serait une occasion
d'apporter le dossier de la Métapsychologie. J'ai l'intention de supprimer l'essai sur le Cs, et de
le remplacer par un autre, mieux adapté, par exemple: « Les trois points de vue de la ». Mais si
vous alliez d'abord à Berlin, il est évident que cela ne marcherait pas. J'envoie demain vos notes
sur les névroses traumatiques, en recommandé.
Votre croisade en Syrie, comme fuite devant la femme, m'a hautement intéressé. Si le
neurologue de Hambourg s'appelle Gerstein ' (ou quelque chose d'analogue), je ne peux pas
vous féliciter à son propos.
Ici, quelques petites nouvelles. Martin est là avec sa batterie pour changer d'arme, et il
obtiendra probablement ensuite une autre affectation. Ernst, auquel il a parlé, est arrivé à
Lavarone. Oli est toujours souffrant et on ne lui donne pas de permission. Ma femme rentre le 8 ou
9 avril, Sophie et son enfant suivront avant Pâques et resteront ici jusqu'à l'automne. Le Dr
Eitingon vient de téléphoner, il est tombé malade à Kassa et part pour Karlsbad 2.
Je vais rappeler Deuticke à l'ordre (c'est déjà fait).
Prochaska 9m'a promis des corrections des conférences pour la
semaine prochaine.
J'ai commencé au moins trois essais plus petits, mais rien ne presse 4.
Donnez bientôt de vos nouvelles et, dans vos sombres épreuves, recevez le
cordial salut de
votre Freud
Le Dr R. Gerstein de Hambourg. A partir de 1913, figure dans les Korrespondenzblättern comme
membre de l'Association berlinoise. Participe au congrès de Budapest en 1918. En 1923, il est, «à
sa demande, rayé de la liste des membres » (Zeitschrift, 1923, 9, p. 241).
Le 22 mars, Martin fit une visite inopinée à Vienne, où il resta jusqu'au 12 avril. Martha Freud,
partie pour Hambourg le 9 mars, ne revint que le 17 avril. Max Eitingon était à Kassa/ Kaschau,
petite ville du nord de la Hongrie (devenue tchèque depuis 1919). Eitingon dirigeait le département
d'observation psychiatrique de l'hôpital de la garnison. Lui et sa femme Mirra (voir 734 Fer, note 2)
rendirent visite à Freud les deux jours suivants (25 et 26 mars), puis partirent pour Karlsbad où
Eitingon demeura jusqu'au 21 avril ; il prit ensuite deux semaines de vacances à Leipzig, et à son
retour à Kassa fut muté à Miskolcz (notes de Freud sur son calendrier, LOC ; lettres d'Eitingon à
Freud du 28 XII 1915, du 20 IV 1916 et du 21 VIII 1916, Emil Neiser, Max Eitingon, Leben und Werk (Max
Eitingon, sa vie, son œuvre), thèse, Mainz, 1978).
L'imprimerie Karl Prochaska à Teschen, dans les Carpates, où de
nombreux ouvrages de Freud ont été imprimés.
Les travaux qui peuvent entrer en ligne de compte sont: « Quelques types de caractère rencontrés
dans le travail psychanalytique » (Freud, 1916d), Essais de psychanalyse appliquée, op. cit., p. 105-136, «
Parallèles mythologiques à une représentation obsessionnelle plastique» (Freud, 1916-1917b), ibid., p.
83-85, « Une relation entre un symbole et un symptôme » (Freud, 1916-1917c), Résultats, idées, problèmes,
I, PUF, 1985, p. 237-238, « Sur les transpositions des pulsions, plus particulièrement dans l'érotisme
anal» (Freud, 1916-1917e), La Vie sexuelle, PUF, 1969, p. 106-112.
604 Fer
B.[uda]p.[est], le 7 avril 1916 A
parties de cet ouvrage. Mon opinion personnelle sur ce livre est que Kaplan
n'est pas un vrai psychanalyste, bien plutôt, il utilise la moindre occasion
pour oublier l'inconscient et le sexuel.
Le séjour à Vienne 2 m'a fait beaucoup de bien. Pour confirmer le fait que
j'appartiens bien au type de ceux « qui-ne-veulent-pas-y-toucher », je peux
vous dire qu'il m'est déjà arrivé, autrefois, de renoncer à une liaison au
moment où elle menaçait de se réaliser. Mais je ne peux m'empêcher de
revenir sur le fait que ce type-ci est quand même une forme abâtardie du
type pathologique dont l'Ics n'est pas à la hauteur du consciemment voulu
(infantilisme).
Ici aussi le temps est magnifique, mais je repense souvent au beau dimanche après-
midi à Vienne. Madame G. vous envoie son salut; l'erreur est maintenant corrigée 3.
Salutations cordiales de votre
Ferenczi
A. Dans le manuscrit, lieu et date à la fin de la lettre.
I. Il s'agit probablement du livre de Théodore Flournoy, Die Seherin von Genf (La voyante de
Genève), Leipzig, 1914. En français sous le titre Des Indes à la planète Mars, Paris, Seuil, 1983.
Finalement ce n'est pas Ferenczi qui a rendu compte de cet ouvrage, mais Theodor Reik, dans le
cadre d'un rapport global sur les progrès de la psychanalyse 1914-1919 : Bericht über die Fortschritte
der Psychoanalyse 1914-1919.
Ferenczi s'est rendu à Vienne le 2 avril (notes sur le calendrier de Freud).
Allusion non élucidée.
`S05 F
Prof. Dr Freud
le 13 avril 1916
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami
J'ai fait envoyer le livre de Kaplan à Hitschmann, mais je n'approuve pas entièrement votre
position. Je pense qu'en tant que rédacteur médical et de langue allemande, vous devriez
traiter de toutes les parutions un peu importantes qui touchent à la `I'A ; nous ne pouvons
nous limiter aux rares publications qui, d'un bout à l'autre, sont conformes à notre esprit. Il
ne nous est guère possible de refuser le livre de Kaplan ; mais un compte
rendu ne doit pas exiger, à chaque fois, un approfondissement
très personnel du contenu, comme pour les Bordelais'.
Je n'ai pas été très bien toute la semaine dernière, et je n'ai rien travaillé. Pour Pâques, j'ai
l'intention de rendre visite à Oli 2et de lui faire entendre ce qui lui manque encore pour être
convaincu, à savoir que son prochain divorce est à considérer comme une chance. La venue de
ma fille a été remise en question par l'heureuse circonstance de la présence de Max, enpermission
à Hambourg. Martin est parti hier, via Salzbourg, dans l'artillerie lourde. Il jure qu'il y aura une
offensive contre l'Italie, alors que, par ailleurs, des bruits courent qu'elle a été abandonnée. Je vais
préparer, pour Imago, l'essai sur les types de caractère; celui surles transformations de l'érotisme
anal, je l'offrirai à la Zeitschrift 3.
J'espère avoir de vos bonnes nouvelles et vous salue cordialement,
votre Freud
C'est-à -dire, comme dans le compte rendu de Ferenczi sur le livre de Régis et Hesnard : « La
psychanalyse vue par l'École psychiatrique de Bordeaux » (Ferenczi, 1915, 175), Psychanalyse, II,
p. 209-231. Finalement, Ferenczi a quand même rendu compte de l'ouvrage de Kaplan (voir 571
F, note 10).
Le 23 avril, Freud rendit visite à son fils Oliver qui participait à la construction d'un
nouveau tunnel sous les Carpates, à Mosty, au nord du passage de Jablunka. Le
lendemain, ils se rendirent ensemble à Teschen (ou (`esky Télin ou Cieszyn), ville située à
une trentaine de kilomètres vers le nord, siège de l'imprimerie Prochaska (notes sur le
calendrier de Freud, LOC ; Clarke, Freud, op. cit., p. 380). Voir aussi 607 F.
« Quelques types de caractère rencontrés dans le travail psychanalytique » (Freud, 1916d) et
« Sur les transpositions des pulsions, plus particulièrement dans l'érotisme anal » (Freud, 1916-
1917e). Voir aussi 603 F, note 4.
606 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda
En ce qui me concerne, par ailleurs, tout est comme avant : indécision (qui débouche rarement sur du
positif, plus souvent sur du négatif). La paralysie s'étend naturellement à toutes les tendances. Comme je
renonce au voyage à Berlin (je n'attends rien de l'oto-rhino de là-bas), j'ai l'intention, à la place, de passer en
analyse la totalité des trois semaines que j'essaie d'obtenir. Peut-être début juin. Deux séances par jour: cela
fait presque quarante séances d'analyse. Manifestement, je n'en suis pas encore arrivé au point où l'on
pourrait me donner des conseils » avec succès. Au demeurant, ceci est un bel exemple du peu d'efficacité, en
analyse, des suggestions» pour lesquelles on n'est pas encore assez mûr.
Avec des salutations cordiales à vous et à ceux qui vous sont chers. Ferenczi
Aussi bien le soulagement que cette lettre m'a procuré témoigne-t-il d'une véritable faim pour l'analyse ».
Les fautes d'écriture frappantes et les ratures dans la lettre reproduisent l'insécurité intérieure.
* Sich einen herunterreissen, « s'en arracher une » : expression argotique pour se masturber ».
L'influence exercée sur le patient en analyse » (Ferenczi, 1919, 215), Psychanalyse, III, p. 24-26. Une
première ébauche de la technique de Ferenczi dite active » n'est parue qu'en 1919 dans la rubrique
Parloir » de la Zeitschrift. Ferenczi envoya le texte à Sachs, car celui-ci remplaçait Rank, mobilisé, non
seulement comme secrétaire de l'Association, mais aussi à la rédaction de la Zeitschrift et d'Imago.
Conseils aux médecins sur le traitement analytique» (Freud, 1912e), La Technique psychanalytique, op. cit., p.
61-71.
Voir Ferenczi (1924, 268), Thalassa, essai d'une théorie de la génitalité», art. cité, p. 250-326.
607 F
Prof. Dr Freud
le 29 avril 1916
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Eitingon a fait savoir, de Karlsbad, qu'il a eu une permission pour Leipzig et qu'il ne
passera pas par Vienne au retour. Je ne sais s'il est rentré à Kassa.
Mon voyage de Pâques a été pénible ; il m'a montré qu'Oli était fortement absorbé par le travail et
qu'il avait bon espoir de venir à bout de douloureux sentiments. Fin mai, il viendra à Vienne accomplir
les formalités du divorce. Nous sommes, pour ainsi dire, coupés des deux autres, et nous ne
connaissons pas même le numéro de poste aux armées de Martin.
Mardi après Pâques, Rank est venu chez moi' ; j'ai eu beaucoup de plaisir à sa
compagnie, même si, en ce moment, il ne peut rien accomplir pour notre travail.
Heller nous fait de nouveau des difficultés; c'est admirable comme il sait gâcher par ses
folies et ses procédés tordus la gratitude que nous inspire son zèle. La conférence avance très
lentement, trois feuillets composés jusqu'à présent.
Les communications à partir de vos spéculations biologiques sont, comme toujours,
extrêmement attrayantes. Je persiste à dire que c'est là votre véritable champ de travail, dans lequel
vous serez sans concurrence. Je considère avec un vif intérêt vos projets de cure. Les choses
auraient dû marcher sans cela.
Mercredi dernier, l'association m'a fêté avec un bouquet
d'orchidées. Cela s'est passé vite et bien.
Pfister m'écrit que la fille Rockefeller a fait un cadeau de 360 000 francs à Jung, pour
l'édification d'un casino, d'un Institut analytique, etc. 2.Ainsi donc, l'éthique suisse est enfin
parvenue à instaurer le lien recherché avecl'argent américain. Ce n'est pas sans amertume que je
pense à la situation misérable des membres de notre association, à nos difficultés avec le Verlag,
etc. Il paraît que Jung parle de nouveau de moi avec « déférence ». J'ai répondu à Pfister que cette
volte-face ne trouvait pas de résonance chez moi.
Je vous salue cordialement,
votre Freud
Le 25 avril.
La somme indiquée par Freud figure, en effet, dans le bilan de février 1917 du « Club
psychologique de Zurich » (dont l'objectif était, selon les statuts de juillet 1916, « l'application
et la promotion de la psychologie analytique »), sous la dénomination de « Fonds »
(communication personnelle de Sonu Shamdasani). Pour Edith Rockefeller-McCormick, voir
t. I, 373 F et la note 2.
608 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda
609 F
ProfDr Freud
le 14 mai 1916
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Jones : 69 Portland Court, London W
Van Emden : Jan van Nassaustraat 84
610 Fer
Grand Hötel Royal
Nagyszdlloda
612 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda
A. Lecture incertaine entre denke (je pense) et deute (j'interprète). Le mot a été introduit après coup, à la
place du mot barré sind (sont).
1. Probablement une allusion à l'orthographe du nom de Ferenczi. Selon le témoignage de Magda
Ferenczi, fille cadette de Gizella, le père de Ferenczi, démocrate convaincu, aurait refusé d'écrire son nom
avec un « y » à la fin (signe de noblesse), comme on le lui avait proposé au moment de changer son nom de
Fraenkel en Ferenczi. (Voir J. Dupont, « Les sources des inventions », Ferenczi/Groddeck, Correspondance,
Paris, Payot, 1982, p. 29.)
614 F
Prof. Dr Freud
le 13 juillet 1916
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
La correspondante suédoise ' sort de chez moi, malheureuse que vous n'ayez pas répondu à la
lettre qu'elle vous a adressée à l'hôpital Maria Valeria 2. Elle a grand besoin d'une 'IDA et pourrait
être intéressante. Si vous le pouvez, acceptez-la donc. Moi non plus, je n'ai plus entendu parler des
Serbes. La Suédoise devrait être mieux et, de plus, tout à fait capable de payer.
La première livraison des Conférences est assurément entre vos mains. Avec la Zeitschrift il
nous est arrivé un malheur qui va de nouveau nous coûter quatre semaines. Prochaska 9 n'a pas
reçu (?) les épreuves corrigées, envoyées le 31 V. En revanche, il a envoyé de vieux feuillets que
j'ai dû corriger de nouveau depuis le début et qui ne peuvent pas encore être imprimés. Aussi,
Heller devra-t-il faire suivre le deuxième cahier immédiatement après le premier.
Nous comptons partir dimanche' après-midi. Minna et Anna ont déjà quitté
Weissenbach/Attersee 5 et nous retrouvent à Salzbourg. Anna viendra probablement avec
nous à Gastein.
Je n'ai pas besoin de vous dire tout l'intérêt que je trouve à votre lettre. Pour le reste,
nous verrons.
Hier, une lettre de Jones 6, par l'intermédiaire d'Emden, chaleureux comme toujours; il a onze
séances d'analyse, ne travaille à rien d'original, lit beaucoup, s'est acheté une petite auto et un
cottage à quatre-vingt-dix kilomètres de Londres, pour y passer le samedi et le dimanche. Encore
et toujours l'heureuse Angleterre. Cela ne ressemble pas à une fin de guerre.
Je vous salue cordialement. Prochainement une carte de Gastein avec
adresse.
Votre Freud
Cher Ami,
Refroidis par Gastein après une brève visite, nous avons élu domicile, pour un peu plus longtemps
(à quatre), ici à l'Hôtel Bristol, où s'était tenule premier congrès. Au moins sommes-nous nourris et
bienvenus. Les séjours à la campagne présentent, cette année, trop de difficultés. Sinon, rien de neuf
et pas grand-chose de bon. Écrivez bientôt
à votre Freud qui
vous salue cordialement.
A. Carte postale.
616 Fer
[Budapest,] le 28 juillet 1916
C'est incroyable, tout ce que je dois à la précédente analyse pour ma technique analytique. Il me
semble que c'est maintenant seulement que je saisis l'importance de la répétition pendant la cure,
dans toute sa profondeur. (Symptômes nasaux, insomnie ont presque complètement disparu.)
Je regrette vivement que vous ayez dû vous contenter de Salzbourg, bien que cette petite
ville soit des plus aimables.
J'ai lu les Conférences avec le plus grand plaisir. Dommage que nous devions attendre
pour la suite. Mon libraire, Dick, en a déjà vendu trente exemplaires. La Zeitschrift n'est
toujours pas arrivée.
Le dessinateur du « Rêve de la bonne française » m'a apporté toute une série de dessins de rêves.
Certains d'entre eux sont d'excellentes représentations de rêves. Pourrions-nous les reproduire dans «
Imago », avec un commentaire de ma part? L'artiste (Honti 1) vous a dédié le dessin original du « Rêve
de la bonne française ». Lorsque vous viendrez à Budapest, je vous le donnerai – car je ne veux pas le
confier à la poste.
Cordiales salutations pour vous et les vôtres, de
Ferenczi
1. Nändor Honti (1878 -1935), peintre et dessinateur hongrois. Après la Première Guerre
mondiale, il émigra aux États-Unis. Pour la « bonne française », voir t. I, 216 F et la note 1.
17 F (à Madame G.)
Prof. Dr Freud
le 31 juillet 1916
Vienne, IX. Berggasse 19
Chère Madame,
Je me relève aujourd'hui d'une fièvre de deux jours, due à la grippe, mais je ne veux pas
vous laisser attendre ma réponse'. Ne vous étonnez donc pas si mon écriture est encore assez
chancelante.
Je craignais de devoir vous conseiller, mais non, vous me demandez seulement de répondre
à une question: est-il juste de votre part de vouloir attendre le retour de votre fille ? Peut-être
puis-je encore porter un jugement là-dessus : il ne s'agit pas de dire si c'est juste ou non, mais
d'interpréter, de traduire ce que cela veut dire.
Peut-être avez-vous raison, mais il semble tout de même indubitable que cette proposition veut
dire « non ». Pensez-vous donc attendre six ou neuf mois de plus après avoir déjà attendu tant
d'années, et attendre quoi? Cette même fille qui s'est déjà interposée une fois entre vous deux, et qui
le refera immédiatement, autant par sa propre volonté que par votre consentement à tous deux.
S'agit-il d'autre chose que de cacher le non derrière un report qui conduira peut-être à une nouvelle
motivation du non?
Je ne méconnais pas le fait que vous continuez simplement à jouer un
rôle que l'autre partie a longtemps joué contre vous pour votre douleur, et qu'une telle
revanche est psychologiquement pleinement justifiée. Vraiment, si vous êtes, tous deux,
encore tellement proches du « non », je ne sais pas si le refus n'est pas l'attitude juste de votre
part. Vous devez simplement savoir que c'est un refus.
Après m'être abstenu pendant de longues années, je me suis enfin aventuré à donner un conseil à
notre ami, parce que j'ai cru m'être forgé entre-temps la conviction que rien d'autre n'était possible
et parce que, d'une façon générale, j'ai été amené à croire à la fin prochaine de toute chose – entre
autres la jeunesse. Maintenant, je suis effrayé et je voudrais n'avoir rien conseillé du tout. Non par
lâcheté, en raison de la responsabilité, mais parce que je me sens hésitant et, naturellement, bien
trop engagé pour pouvoir juger en toute certitude de ce qui serait le mieux. Le destin a noué là, avec
Elma, un noeud qu'une personne extérieure aura du mal à dénouer. Mais votre sentiment doit avoir
plus de valeur que nos spéculations. Alors, pardonnez-moi mon indécision.
En cordiale amitié,
votre Freud
618 F
H.[ôtel] Bristol
Salzb.[our]g, le 2 août 1916
Cher Ami,
Votre projet de consacrer encore deux semaines de permission à l'analyse a toute mon approbation.
Où et quand, cela dépendra des circonstances extrêmement fluctuantes de cet été. Il est possible
que, fin août, nous allions quand même tous deux à Gastein, jusqu'à la mi-septembre; les séances
d'analyse ne s'accorderaient pas avec cela; ma femme serait toujours seule. Elle pourrait trouver sa
place dans tout autre arrangement. Cependant, à partir de la mi-septembre, nous devrions, de toute
façon, être de retour à Vienne.
Salzbourg est très beau, mais on ne peut pas marcher dans la chaleur,
c'est ainsi dans tout le Salzkammergut, cela ne change qu'en altitude.
J'ai déjà écrit, ici, trois conférences qui m'ont donné bien du mal. Je ne laisse pas Heller
tranquille, même pas pour deux jours. Il assure qu'on peut compter sur la Zeitschrift d'un
jour à l'autre. J'accepte volontiers le dessin de Honti et je vais lui trouver une place d'honneur,
bien en vue. Si je ne peux venir à Budapest, c'est vous qui me l'apporterez.
Nous attendons Ernst, qui doit être en permission à partir du 4.8 et qui
se trouve déjà à Bolzano'. Par ailleurs, l'animation ne manque pas. Il faut,
par tous les moyens, se soustraire à l'affreuse tension qui règne dans le
monde extérieur; ce n'est pas supportable.
Je vous salue cordialement, votre
Freud
1. Le 7 août, Ernst, tout juste promu lieutenant, est arrivé en permission à Salzbourg, pour passer
ensuite quelques jours avec Anna dans la région d'Aussee (notes sur le calendrier de Freud, LOC).
Budapest, le 14 août 1916 A
620 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda
1. Freud est rentré à Vienne ce même jour (15 septembre) ; cependant, Ferenczi ne put arriver chez
Freud que le 29 septembre, pour la troisième tranche de son analyse. Le 13 octobre, il fut de retour
à Budapest (notes sur le calendrier de Freud, LOC ; Freud à Abraham du 26 septembre 1916, FM ;
Eitingon à Freud, du 9 octobre 1916, SFC). Pendant son séjour à Vienne, Ferenczi assista à la
première réunion de l'année 1916-1917 de l'Association de Vienne (Minutes, IV, p. 339).
623 Fer
Budapest, le 17 octobre 1916 Le soir,
11 h 15
18 X, mercredi soir, 11 h 30
L'humeur est fort changeante. Hier et aujourd'hui, le thème connu de l'infidélité est revenu. Les prétextes: 1)
une jolie infirmière dans mon département, 2) une fille de salle en ce même lieu (que je n'ai pas pu
m'empêcher de peloter à l'occasion) et 3) (plus idéalement) – la Suédoise. Cette dernière m'a surpris par
l'aveu de son amour, dans une lettre, et ce en des termes si passionnément enflammés tout en étant
réfléchis et profondément ressentis, que j'en ai été captivé pendant un quart d'heure. Mais j'ai reconnu tout
de suite à quel point mon rôle était subalterne dans cette affaire, et la claire perception du caractère
transférentiel de son emportement m'a fait retrouver mon sang-froid. Elle retourne prochainement chez elle,
via l'Allemagne, – sans m'avoir revu.
La tentative de me mettre au travail se heurte toujours à des résistances. Les séances d'analyse, elles
aussi, n'ont plus pour moi le même attrait qu'avant. Mon intérêt n'est pas entièrement à ce que je fais.
Mais alors, où est-il? L'expérience m'a apporté la solution: après les séances, je rencontrais Gizella et –
tout d'un coup, j'étais de bonne humeur.
Ergo * : par mon analyse à Vienne, ma libido est devenue partiellement disponible. Les tentatives pour choisir
un nouvel objet ont échoué (comme toujours jusqu'à présent). En compagnie de Gizella, et d'elle seule, je suis
de meilleure humeur et je ressens en même temps de l'intérêt pour la science, etc. C'est donc d'elle qu'il me
faut m'assurer définitivement. Il semble que ma capacité à travailler dépende de mon mariage avec G. Je
prends la résolution de m'occuper enfin sérieusement de cette affaire demain. A vous je n'écrirai que si je
peux vous informer de quelque chose de positif. J'aurais quelque honte de n'avoir toujours pas acquis la
faculté de me décider, après tous ces efforts. Suite au prochain numéro.
Intérêt un peu accru pour le travail d'analyse. J'ai résolu aujourd'hui quelques
problèmes difficiles. Je constate que je continue toujours à approfondir ce qu'il y
a de plus immédiat à résoudre (avec tout mon narcissisme), mais que je ne survole
pas la marche générale de l'analyse, le « plan de guérison » que le patient s'est
choisi. Toutefois, voir cela de façon aussi précise est déjà un progrès. Aujourd'hui
: agréablement distrait du travail par une tâche militaire (l'accueil, à la gare, de
malades neurologiques et
psychiatriques). Aujourd'hui, j'ai de nouveau parlé sérieusement avec Gizella. Je voulais lui expliquer
qu'elle ne servait notre affaire que si elle ne manifestait pas trop de résistance, sinon, elle ne faisait
qu'augmenter les traces de résistance en moi. Il m'est venu à l'esprit qu'à la vérité j'avais voulu, dès le
départ, « sauter en marche » de ma liaison avec elle, et seul son comportement résolu m'a aidé à dépasser
le point critique névrotique. Sans doute en est-il de même avec le mariage. Si j'ai tant de mal à me décider
à agir, cela tient à la nature maternelle de sa relation à moi; c'est elle qui doit être la plus forte, c'est elle qui
doit commencer. Rentré chez moi après l'entrevue d'aujourd'hui, j'ai soudain retrouvé, cachée dans mon
portefeuille, la clef de ma grande armoire, que je pensais avoir perdue. Acte manqué présumé'.
Interprétation: 1) Dans les réflexions ci-dessus, j'ai trouvé la clef de mon avenir. 2) J'ai toujours possédé
cette clef, je n'ai fait que simuler sa perte (pour l'amour du père).
L'acte manqué B supposé est donc un acte bien réfléchi; l'accent porte sur le non-accomplissement de l'acte
manqué, et sur la mise en évidence de l'accomplissement. A cor et à cri j'annonce au monde entier: « j'ai
perdu la clef (qui conduit à la mère) » (c'est-à-dire, je n'ai rien à faire avec elle) ; en réalité je dis: « Comme
cela, je peux parfaitement tromper les gens ; en secret, je sais bien que je n'ai jamais perdu la clef. » Avec
le temps, j'ai réussi non seulement à tromper les autres, mais à me tromper moi-même (en croyant à mon «
désintérêt » pour la mère). La duperie consciente est devenue inconsciente (donc aussi de la duperie de soi).
Dans tout ce que j'ai écrit jusqu'à présent à propos de l'acte manqué présumé je me suis fourvoyé, même
si on peut y trouver du vrai. Ceci est ma première contribution scientifique depuis Vienne.
Celui qu'on suppose avoir accompli un acte manqué évoque un prestidigitateur; il
trompe tout le monde : l'argent était là, soudain il n'est plus là. – Abracadabra – Il
n'est pourtant pas perdu, il est ici dans la poche de ma veste. Il est remarquable,
en tout cas, que l'on puisse se jouer de tels tours à soi-même.
J'ai beaucoup de nouveaux patients. Les séances de l'après-midi sont pleines.
L'écrivain Lengyel 2 et un autre monsieur veulent faire une cure. C'est seulement
après mon entretien avec Gizella, et sous son influence, que j'ai reconnu qu'il était
de mon devoir d'envoyer ces gens chez vous. Apparemment, je ne veux rien donner,
ni renoncer à rien, je veux « écarter tout le monde » sans ménagement; c'est ainsi
que je voulais également filer avec votre argent (les honoraires). Je pense que cela
aussi révèle mon intention de faire prévaloir ma volonté sans tenir compte des
autorités, autrement dit enlever justement quelque chose à une autorité (au père).
Bonne nuit!!
concerne mon talent analytique. (Ces sentiments ont certainement aussi une justification objective.
Mais il est possible que je l'exagère maintenant névrotiquement, c'est-à-dire que je représente ainsi le
fait de « ne rien réaliser ».)
21 X. Le matin, à l'hôpital.
Goût au travail égale zéro C. En même temps, le sentiment que, si je voulais, je pourrais surmonter un peu
plus facilement ma paresse. Je suis seulement inhibé quand il s'agit de me décider à vouloir.
Dimanche 22 X. La nuit
Pour la deuxième fois avec G. Le premier coït tout à fait normal. Une différence essentielle avec ce qui se passait
avant: 1) le plaisir préliminaire– presque absent auparavant, notamment le plaisir de presser mon visage contre le
sien – a été très manifeste. A tel point que c'est à contrecoeur que je me suis décidé à accomplir l'acte sexuel,
alors que j'y étais tout à fait prêt. La satisfaction a été complète. Immédiatement après, persistance d'un grand
sentiment de tendresse (comme avant le coït). Voici l'idée qui m'est venue à ce propos : depuis plus d'un an et
demi je m'occupe du problème du coït, que j'ai voulu expliquer du point de vue biologique (en utilisant, il est
vrai, l'expérience 4oc). Je vous ai dit récemment que ceci était peut-être la réaction à votre déclaration, selon
laquelle vous ne pouviez pas expliquer la volupté (autrement dit, je voulais en savoir plus que vous). Cela ne
semble pas tout à fait juste. Premièrement, le problème du coït me préoccupait déjà auparavant 8 - si je me
souviens bien. Deuxièmement, j'avais aussi des motivations intérieures pour cela, semble-t-il (la concurrence
mise à part). Ce qui me vient maintenant à l'esprit, c'est l'opposition entre tendresse et sensualité, dévoilée par
vous comme étant le symptôme de fixation à la mère'. Il semble que pendant toutes ces années passées, je ne
me sois intéressé qu'à ce qui était purement érotique (génital) chez la femme, et particulièrement chez Madame
G. ; ceci se manifestait (outre le manque de sentiments tendres) par le fait que je m'occupais presque
exclusivement de la biologie de la vie sexuelle, mais que je négligeais la partie la plus délicate, psychique, de la
vie amoureuse, plus apparentée à la tendresse. L'intérêt particulier pour la tête (visage), qui vient d'apparaître,
fait pendant au processus de refoulement du haut vers le bas, qui sévissait jusqu'à présent, ou encore tout
récemment. A l'état de veille, aussi, j'ai dû me comporter comme ce rêveur incestueux qui ne peut jouir de son
objet d'amour que sans tête. – Normalement, pour l'essentiel, le Cs ne perçoit pendant le coït que les excitations
du plaisir préliminaire ; l'acte lui-même se déroule presque inconsciemment. Dans mon cas, l'acte était troublé
par une attention gênante à tous les processus génitaux.
Le deuxième coït fut une tentative consciente, mais sans succès ; on en vint à un acte qui n'en finissait pas,
où elle trouva son plaisir par deux fois, mais moi pas une seule.
Le soir, dîner avec Gizella et ses deux soeurs : Charlotte et Ilona, ainsi que la
tante Titi 5 ; ensuite nous sommes allés au café. Au moment de
quitter cet endroit, Gizella a fait tomber le parapluie que je lui avais rapporté de Vienne l'avant-dernière
fois, si bien que la poignée en écaille de tortue s'est fendue en deux. – Cela m'a fortement déprimé et,
lorsque nous sommes restés seuls, je lui ai expliqué la signification de cet acte symptomatique et lui ai
clairement montré que, sur ce point, son inconscient contredisait vigoureusement ses projets déjà arrêtés
(divorce, mariage) ; qu'à l'évidence, elle allait me faire payer maintenant toutes les humiliations et tous les
manques d'amour dont je m'étais rendu coupable à son égard – qu'à tout le moins son amour pour moi
avait, pendant ce temps si long, trop souffert pour qu'elle puisse décider facilement de se lier à moi. La
chute du parapluie - lui dis-je – montrait donc clairement ce qu'elle voulait exprimer par la mise en avant
de la personne d'Elma en guise d'obstacle.
Je ne voulais pas envoyer cette lettre avant de pouvoir faire part de décisions
définitives. Mais cet incident m'a montré que, pour tout régler, je devais encore
attendre que les choses se clarifient. En tout cas, j'ai déjà au moins obtenu – à ce
que je crois de ne plus être autant sous l'emprise de forces inconscientes et d'être
plus capable d'amour qu'auparavant. Je suis bien décidé aussi à ne pas laisser durer
beaucoup plus longtemps la situation actuelle. Ou bien nous réussissons à mettre
nos désirs à l'unisson, ou bien il faudra en arriver à une rupture complète de notre
relation. Curieusement, ma capacité à rompre s'est accrue en même temps que ma
capacité à aimer. A vrai dire, je n'aime pas penser à cette éventualité – très
franchement, elle me déprime. J'espère bien que nous n'en arriverons pas là.
Il semble que l'idée de l'onania perpetua (incompleta) ** – soit une petite découverte scientifique ; je l'avais trouvée.
dans mon propre cas et l'avais mentionnée – comme une supposition - (peut-être vous en souvenez-vous encore).
Ma « patiente au viol » – mais qui se masturbe jour et nuit – semble être une personne de ce genre. La cure était
bloquée depuis un certain temps. Pendant des heures, elle ne parlait que des performances artistiques et
humaines les plus élevées qu'elle avait accomplies ou voulait accomplir. – Je remarquai que pendant toute la
séance elle était allongée, jambes croisées, et je lui donnai l'ordre d'y renoncer. Vinrent alors une révolte et une
tentative de désobéissance, etc. Finalement elle baissa le ton et, d'un seul coup, le tableau de l'analyse changea:
elle se souvint de détails concernant l'histoire de son «viol », en particulier de ceux qui mettaient en évidence sa
complicité.Revinrent aussi des souvenirs écran érotiques de la petite enfance. A l'opposé du processus évoqué plus
haut d'un « refoulement vers le bas », il s'agissait chez elle d'un extraordinaire refoulement vers le haut. Jusqu'à
présent elle ne s'occupait, consciemment, que des «formations réactionnelles » (les « contre-investissements ») et, entre-
temps, une excitation génitale ininterrompue nourrissait son Ics, qui se déchargeait sur le mode moteur par une
masturbation continuelle. L'absence de satisfaction oblige maintenant le désir à devenir conscient ou, au moins, à
ce que des fragments du fantasme inconscient deviennent conscients 6. [Voir schéma p. 165.]
A l'occasion de ce cas, je me suis rappelé que je connaissais beaucoup
d'hommes qui gardent toujours une main dans la poche de leur pantalon
pour pratiquer constamment une semi-masturbation.
Le cas de Friedrich Adler m'a bouleversé. Malgré toute la folie qu'il y a derrière
(le meurtre du père), on sent dans cet acte une noble indignation, quelque
chose d'authentiquement héroïque. En savez-vous plus sur lui et sur son cas ?
Puisque vous connaissez son père. Celui-ci, en tout cas, est bien à plaindre'.
De prime abord, lorsque j'ai entendu le nom d'Adler, j'ai pensé à notre Adler et à
sa paranoïa. Après-coup, je reconnais qu'Alfred Adler n'aurait pas été capable d'un
tel martyre, même sous l'effet de la folie.
624 Fer
B.[uda]pest, lundi le 23 octobre. La
1. Morton Jellinek, né aux États-Unis en 1885, dans une famille aisée. Il fit des études
d'ethnologie. Il tint une conférence au V° congrès international de psychanalyse à Budapest, en
1918 ; un court moment, membre de l'Association psychanalytique hongroise (Zeitschrift, 1919, 5,
p. 53 et 59). En 1920, les journaux annoncent qu'après avoir détourné un demi-milliard de
couronnes, il s'est enfui en Amérique du Sud.
5F
Prof. Dr Freud
le 24 octobre 1916
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Votre longue lettre est arrivée aujourd'hui, juste après que j'ai envoyé la mienne. J'ai peu de choses à
y ajouter. Si j'ai dit que la cure était finie, je ne pensais pas qu'elle était terminée. La manière dont
vous avez enfourché le cheval du narcissisme au lieu de repérer l'identification à Géza, qui renvoie le
mariage avec G. au niveau du fantasme comme étant déjà accompli, devait donc m'éclairer; mais elle
est finie, car elle ne peut être poursuivie avant six mois au plus tôt et qu'ainsi elle se mettrait au
service de l'intention névrotique de s'esquiver.
Je n'ai pas reçu l'argent. Vous l'avez envoyé à la Bankverein, avec laquelle je n'ai rien à faire. Que la
Bankverein ne vous en ait pas averti ou ne me l'ait pas fait parvenir n'est pas correct. Quelque part il
y a là encore un acte manqué. J'ai écrit aujourd'hui à la Bankverein pour qu'on m'envoie la somme
chez moi, et je m'attends à apprendre qu'ils l'ont versée sur un mauvais compte. Je vous en donnerai
des nouvelles, de toute façon.
Sinon, rien de neuf depuis hier.
Cordiales salutations, votre
Freud
6FA
[Vienne,] le 25 octobre 1917
Cher Ami,
Ceci pour vous épargner des écritures. La Bankverein Bm'a fait parvenir aujourd'hui la somme, par
virement.
Cordialement, Freud
Carte postale.
Dans le manuscrit, VB avec un signe d'inversion.
627 Fer
[Budapest,] le 30 octobre 1916
1. Il s'agit de l'ex-analysante de Freud, Rôzsi von Freund, épouse d'Anton von Freund qui, le
22 octobre 1916, donna naissance à une petite fille nommée Erzsébet (Élisabeth). Celle-ci
épousera M. Berki et résidera à Paris, où elle s'éteindra en 1989.
628 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda
le 16 novembre 1916
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Vous savez que je considère votre tentative d'analyse comme arrêtée arrêtée, pas terminée, mais
interrompue par des circonstances défavorables. Si vous faisiez encore dépendre votre décision de la
poursuite de l'analyse, vous mettriez celle-ci au service de l'atermoiement, ce qui n'a pas lieu d'être.
Je crois avoir ainsi reconquis la liberté de vous dire ce que vous auriez pu entendre plus tôt si vous
n'étiez venu en analyse, à savoir que je ne pense rien de bon de toute cette affaire et que je tiens vos
hésitations pour preuve qu'il n'en sortira rien (dernier point de repère dans le temps : Reichenau, mai
1915 '). Cela dit, le fait que vous réagissiez au refus de Madame G. en recommençant à être malade me
confirme encore dans l'idée que cette histoire est mal engagée depuis longtemps et ne peut plus être
redressée. Je veux dire que vous ne devez pas vous évertuer à prouver que vous le voulez, malgré tout.
Je ne vous croirai pas, et Madame G. agit très sagement, à mon avis, lorsqu'elle conclut de tout ce qui
précède qu'elle ne doit pas s'y prêter. Naturellement, je n'ai jamais fait le moindre pas pour l'influencer,
j'ai simplement prévu qu'elle agirait ainsi.
J'ai vu Ignotus et je lui ai promis un article pour sa revue je vais le commencer d'ici peu 2. Nous
attendons Sophie avec son enfant, demain matin S ; après, ce sera de nouveau plus tranquille. Je
suis arrivé à la fin des conférences. Depuis, les consultations ont augmenté, même si ce ne sont pas
toujours des cas de longue durée. Il était à prévoir que tous les Hongrois n'auraient pas le temps de
venir à Vienne pour leur traitement. C'est pourquoi je n'ai pas réagi quand, dans votre avant-dernière
lettre, vous m'avez fait part de vos efforts.
Si la guerre dure encore indéfiniment, tout le reste perd de son importance.
Il y a de bonnes nouvelles des garçons. Oli passera quelques jours de liberté ici, avant son
incorporation, le 1 XII 4. A Cracovie, Rank semble de nouveau très déprimé, peut-être est-il très gêné
matériellement. C'est vraiment dommage pour lui.
Je vous salue cordialement et j'espère que vous me répondrez bientôt en
ayant fait table rase.
votre Freud
Voir 546 Fer et la note 1, et 556 Fer.
« Une difficulté de la psychanalyse » (Freud, 1917a [1916]). Nyugat, 1917, 10, p. 47-52 ; trad. fr. E.
Marty, M. Bonaparte, Essais de psychanalyse appliquée, op. cit., p. 137-147. Ignotus était le rédacteur
en chef de la revue Nyugat.
Sophie, la fille de Freud, et le fils de celle-ci, Ernst, arrivèrent le 17 novembre. Le mari de Sophie,
Max Halberstadt, était alors photographe et servait dans l'armée de l'air. (Freud à Eitingon, 3 janvier
1917, SFC.)
Oliver arriva le 19 novembre, puis rejoignit l'armée le 2 décembre à Cracovie. (Notes sur le
calendrier de Freud, LOC ; Freud à Lou Andreas Salomé, lettre du 3 XII 1916, Correspondance, op.
cit., p. 71-72.)
630 Fer
[Budapest,] le 18 novembre [ 1916] 6
heures du matin A
(Vous avez dû me dire quelque chose de très important [Cet de juste?] dans votre lettre, pour que
cela ait suscité une réaction aussi orageuse!)
Pourquoi est-ce que je me lève la nuit afin de vous écrire? Est-ce que cela veut dire que ces pensées
étaient vraiment la cause de mon insomnie?
Je me suis levé pour vous écrire que je ne pourrai jamais renoncer à D Gizella. (Avez-
vous remarqué que, dans cette phrase, j'ai dû changer un mot ? En fait, aurais-je
voulu barrer ou changer le mot « jamais » [E et pas le mot « à » ?].)
Hier je me trouvais avec G. Pas seul, il est vrai; Saroltà ' était avec nous. Hier après-midi – avant l'arrivée de
votre lettre – j'avais eu la visite de Saroltà pour une histoire de billets de théâtre. Je n'ai pas pu m'empêcher de
me laisser aller avec elle à des gestes, rien qu'avec les mains. Mais quelque chose (je me F suis donné comme
motif une odeur G) m'a retenu d'aller plus loin. Ça, c'est typiquement moi ! C'est ainsi, également, qu'a commencé
ma névrose proprement dite, avant le voyage à Rome. Je me suis autorisé à avoir un rapport avec une prostituée
– plus tard avec Saroltà – et, en punition, est venue la phobie de la syphilis.
Ma relation à ma mère s'est considérablement détériorée ces dernières années. Je pense qu'il y a un lien
causal entre ce fait et ma relation à Gizella. J'inflige à ma mère ce que j'épargne à Gizella et je retourne ainsi
à la source originaire de ma haine de la femme. Ma mère ne m'a donné aucun motif à la détérioration de
nos relations.
Mais quel est mon destin ? Dois-je renoncer à toute femme – comme le Hollandais
Volant (ou, comme lui H, supprimer la femme ainsi que moi-même?) 2.
Je dis là des choses dont je n'ai pas soufflé mot en analyse, bien qu'apparemment
elles n'aient pas été refoulées si profondément – ou du moins, pas inconscientes. Leur
portée, cependant, ne m'était pas connue.
Hier, Gizella m'a demandé : « N'est-il pas arrivé de lettre ? » Elle a en outre
remarqué ma dépression et, surtout, mon irritabilité. Elle interprète ce dernier signe
en disant que je ne l'aime pas.
Jusqu'à présent, j'ai nié qu'il y ait eu une lettre de vous. Je crains de la lui montrer comme si, ce faisant,
je scellais notre destin.
Curieusement, je lui ai tu le seul élément de réalité dans mon complexe de
symptômes : les symptômes basedowiens. Voici comment j'ai rationalisé ce fait:
Je ne veux plus me laisser dorloter comme un malade parce que ce serait névrotique (et je n'étais pas peu
fier de ma retenue).
Je souhaitais ménager Gizella, ne pas lui causer de soucis.
Je craignais que, me sachant malade, elle se décide encore plus difficilement au mariage.
Si c'est vous qui avez raison avec votre interprétation, ceci trahirait la dissimulation d'un voeu réprimé
qu'il n'advienne rien de ce mariage.
Je soupçonne quelque chose d'analogue derrière le fait de lui avoir caché votre lettre.
Il semble que j'aie ainsi réglé la situation. Je vais montrer votre lettre à Gizella.
(En même temps, cela me fait de la peine que Gizella, qui a pour vous une telle
vénération, doive aussi subir une blessure venant de vous.)
Hier encore, nous allions bras dessus, bras dessous. Est-ce que cela doit
vraiment finir ? Je ne peux pas encore y croire.
Je ne veux quand même pas m'abstenir de continuer à noter ce qui se passe, au-dehors comme au-
dedans. Aussi bien, les contenus psychiques ne deviennent pleinement conscients (du moins chez moi) que
lorsqu'ils sont rapportés à une tierce personne. Même dans les affaires scientifiques, c'est pendant la
communication que les meilleures idées me viennent. Ceci doit avoir un rapport avec le fait, constaté par
vous, que chez moi, les intérêts scientifiques ne sont pas vraiment sublimés en réalité, mais encore
intimement liés à l'objet d'amour.
Je note à quel point mon humeur, hier encore si empreinte de passion,
s'est adoucie depuis mon explication avec Gizella.
Le soir, j'ai dîné avec elle. Pendant le repas, violente tachycardie ; j'avais à peine la force de donner votre
lettre à lire à Madame G. Dix fois j'ai pris mon élan avant de le faire. C'était comme si je devais lui signifier
son arrêt de mort. Ensuite, le calme est un peu revenu en moi. Aussi longtemps que j'ai vu chez elle des
manifestations de douleur, je suis resté presque froid. Ce n'est que lorsqu'elle a retrouvé sa bonté et qu'elle
m'a parlé avec indulgence et tendresse – fût-ce tristement – que je me suis à nouveau dégelé.
Elle a finalement admis qu'elle avait remarqué le changement survenu en moi, mais qu'elle ne voulait
pas en tirer les conséquences. Que pour sa part elle m'aimait, maintenant encore comme toujours, et
qu'elle ne me quitterait pas ; mais moi, est-ce que je la quitterais ? J'ai dit non mais, intérieurement, je
n'en étais pas sûr.
J'étais presque joyeux en raccompagnant Gizella chez elle, et je l'aimais vraiment tendrement. Nous
avons parlé de notre rencontre habituelle d'aujourd'hui (dimanche). Je sentis alors que l'idée de la voir
monter dans ma chambre m'était moins agréable que la rencontre dans le hall de l'hôtel;
et ce, malgré le fait que la menstruation aurait rendu toute intimité
impossible. Il semble que *
Votre lettre a suscité en moi une réaction incroyable. Mon état physique et mes états d'âme varient sans
cesse. Du moins peut-on constater que je me sens mieux le matin (à l'hôpital) que l'après-midi et, surtout, le
soir. Malheureusement, je dois concevoir cela comme une confirmation de ce que vous m'avez dit, à savoir que
mes états morbides étaient à attribuer à ma liaison forcée avec Gizella.
Hier, dimanche après-midi, avant que Madame G. ne vienne chez moi, état de profonde dépression
avec tendance insurmontable à pleurer (les larmes coulaient sans qu'il fût possible de les arrêter). Ce
symptôme, qu'on pourrait qualifier d'hystérique, je dois l'interpréter comme un signe de deuil ; c'étaient
des manifestations de sentiments à l'occasion de l'adieu à Gizella.
Gizella m'a prié de vous écrire qu'elle ne m'abandonne pas, même si je ne l'aime pas. Cette démesure
dans la bonté et l'attachement m'a extraordinairement touché. J'ai remarqué qu'un retour de l'ancien
amour tendre se produisait alors en moi. Le soir, dîné ensemble. J'étais taciturne et déprimé. Gizella un
peu triste mais calme.
Les rencontres quotidiennes, le soir, sont donc maintenues. Mais j'ai le vague sentiment que cette situation
ne pourra pas durer. Par moments, j'espère toujours que les anciennes relations vont se rétablir, surtout
lorsque je suis séduit par sa bonté pleine d'abnégation et d'esprit de sacrifice, par sa finesse et sa sagesse. En
même temps, je sais bien que toutes ces qualités ne sont pas les conditions les plus importantes de l'amour –
du moins pas chez moi.
Cette nuit, réveillé en sursaut à 4 heures, avec de violents battements de coeur. Depuis mon retour
de Vienne, je perds visiblement du poids (Basedow ?).
Pardonnez-moi de vous importuner avec ces détails. Vous comprendrez à quel point parler ainsi me
soutient dans ce difficile combat – ou du moins me soulage un moment.
Une doctoresse très honorable et apparemment intelligente, Mademoiselle Révész 7, qui est employée à
la Clinique Purkersdorf, voudrait apprendre l'analyse en se faisant elle-même analyser par vous (deux
séances par semaine). En réalité, elle est venue chez moi avec cette demande (elle voulait l'entreprendre
ici, à Budapest, mais seulement après la guerre). C'est moi qui l'ai encouragée à aller plutôt chez vous, et
je vous prie d'accéder à sa demande, si possible. Elle me semble en valoir la peine.
Je vous salue – cette fois très mélancolique –
votre Ferenczi
Je perçois seulement maintenant comment, toute ma vie, j'ai vécu la moindre petite chose « sub specie Gizellae
» **. Vingt fois je me surprends à penser: « cela, je vais le lui raconter quand elle viendra ce soir ».
Fin N
Je poursuis donc.
Hier, jeudi, il semble que j'aie surmonté la crise.
J'ai lu à Gizella la deuxième partie des notes (écrites à l'encre). Même les passages délicats qu'on y
rencontre n'ont pas réussi à la détourner de son tendre amour; elle n'était inquiète que pour ma santé.
Lorsque, finalement, elle a fait d'elle-même la proposition que je satisfasse ailleurs ma sexualité et ne lui conserve
que l'amitié, j'ai ressenti une soudaine libération, un soulagement. Elle a prononcé la formule magique.
Depuis cet instant, je me sens beaucoup mieux. J'ai passé une nuit tranquille. La tachycardie a
cessé durant toute la matinée.
Il me paraît très plausible que ma relation à Gizella devienne plus normale maintenant que je suis
libéré de la contrainte de l'aimer. Il est possible que je me déclare satisfait de ce que je trouve – en
abondance – chez elle.
Cependant je ne veux pas anticiper sur la suite des événements, mais attendre de voir comment les
choses se développeront autour de moi et en moi. Évidemment, je pense aussi à la seconde possibilité :
la séparation.
Je suis curieux de savoir si ma capacité de travail va maintenant revenir. Sinon, je serai obligé de
reconnaître que, même ainsi, les choses sont intenables.
A la forme et au contenu de ce que je vous communique, vous pouvez mesurer l'impact que votre
lettre a eu sur moi.
Sincères salutations et remerciements de votre
Ferenczi
La partie rédigée le 18 novembre de cette lettre faite au jour le jour est écrite au crayon sur de petites
feuilles parfois séparées (en ce qui concerne le papier à lettres, voir la remarque de Ferenczi dans la
première phrase de sa lettre du 28 XII: 635 Fer) ; l'heure soulignée, ainsi que la remarque qui suit entre
parenthèses sont manifestement introduites ultérieurement (le 20 X1 ?), à l'encre noire, comme celle
utilisée à partir du 19 XI.
Écrit obliquement, dans le coin supérieur gauche, près de la date et de l'adresse (à l'encre noire: voir
note A). Dans le manuscrit, parenthèses dans la parenthèse.
Écrit au-dessus du mot barré « de ».
1916 181
le 26 novembre 1916
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je ne veux pas laisser longtemps votre lettre sans réponse. Il me semble
que vous vous servez maintenant de l'analyse pour embrouiller vos affaires,
comme vous l'avez utilisée jusqu'à présent pour les faire traîner. Votre
conduite se résume par ce mot du poète
Si l'on veut refuser
C'est en vain que l'on parle;
De tout ce qu'on dit,
L'autre ne retient que le non'.
Que Madame G. partage pleinement ma conviction, cela ressort de
son refus, qui n'est certainement pas névrotique.
Il reste de votre devoir de retrouver votre santé et votre capacité de travail car, dans ces
circonstances, il n'y a guère de plaisir d'amour à espérer.
Je ne comprends pas comment la libération d'une « contrainte » à épouser Madame G. a pu
agir sur vous de façon aussi bienfaisante. On ne perçoit en effet aucune contrainte de ce genre,
d'un côté ou de l'autre. Peut-être parliez-vous de la contrainte au coït.
Il semble que vous en faites beaucoup trop avec votre Basedow.
Sophie est ici avec l'enfant depuis le 17 au matin, Oli est venu deux jours après. J'écris en ce
moment, pour Ignotus, un essai qui me donne un peu trop de mal.
Cordiales salutations
de votre Freud
1. Goethe, Iphigénie en Tauride (1787), I, 3, trad. Jean Tardieu, Paris, Gallimard, Pléiade, 1985,
p. 508.
632 Fer
Budapest, le 27 novembre 1916
Vendredi, le 24, a eu lieu ma dernière rencontre avec Gizella. Après des adieux plus qu'agités, je me
suis séparé d'elle pour quatre semaines. Elle a été douce, délicate et bonne, comme toujours. – Après
une nuit un peu plus calme, et une matinée supportable bien qu'apathique, sont venues des heures de
profonde tristesse. Le soir, je suis allé au club, mais j'ai trouvé tous les hommes et toutes les femmes
ennuyeux. En moi résonnait sans cesse une musique profondément triste. Passé le dimanche avec un
ami (peintre)' et Ignotus. J'ai dû me forcer à la conversation. Je vois à quel point tout intérêt de ma part,
humain autant qu'intellectuel, était concentré sur Gizella. Il va falloir se donner de la peine pour
restaurer en partie les relations avec le reste de l'humanité.
Aujourd'hui, humeur changeante. J'ai tenté de déplacer la névrose sur le terrain physique
(hypocondrie), mais me suis surpris moi-même en fla-
grant délit. J'ai néanmoins une tachycardie permanente. (La maladie physique
devrait me forcer à retourner en traitement auprès de vous.)
J'ai réussi à tempérer passagèrement la perturbation violente dans la gestion de la libido, en pensant
que dans quatre semaines je pourrais de nouveau avoir Gizella. J'ai résisté au désir de raccourcir ce délai.
– Une faim et une soif insatiables, un dégoût pour les activités intellectuelles constituent les autres
symptômes. La libido génitale se tait.
Il devait y avoir quelque chose d'obsessionnel dans le caractère exclusif de mon
attachement à Gizella. Mais deux cas restent toujours possibles : ou bien il s'avère que
le principal était la contrainte derrière laquelle il n'apparaît plus d'amour véritable, ou
bien il reste assez de cet amour pour me permettre de vivre une vie aux côtés de cette
femme incomparablement aimable. En fin de compte, votre opinion sur notre liaison –
certainement juste sur le fond – pourrait bien être exagérée.
La résistance que j'éprouve à analyser un court rêve survenu après notre séparation justifie cette
tentative d'analyse.
Très confus. Je pousse une femme (assise sur une chaise?) par la fenêtre. Elle flotte dans l'air devant la
fenêtre, au-dessus du milieu de la rue, et ne tombe pas. Gizella aussi est A dans la pièce. Près de la porte,
je vois le visage amer, méchant et un peu boursouflé de Titinéni *.
Le fait de jeter dehors s'explique par ce qui est arrivé. Il est également certain qu'Augustine, la meilleure
amie, presque la mère de Gizella, va me haïr dans le cas d'une séparation. Mais l'idée me vient qu'ainsi, je
détourne sur moi l'hostilité qui règne entre Géza et Augustine. (Je veux donc toujours être l'époux de Gizella ;
peut-être ne la repoussais -je que parce qu'elle m'avait trompé, moi 1Géza] B avec un étranger 1Dr Ferenczi] B.
Il s'ensuit donc 1ce dont je me doute par ailleurs] qu'il ne nous manque que la légitimité, rien d'autre.)
Ce n'est pas le visage d'Augustine qui est boursouflé, mais le pied de mon beau-frère qui, mortellement
malade, se trouve dans une clinique d'ici. (Augustine doit mourir – c'est la devise de Géza. Il prie pour cela
tous les jours.)
Je pense toujours que cela pourra s'arranger, à condition que je sois bien sage et que j'accepte tout ce
que vous me prescrivez. (C'est sous cette forme sarcastique que l'idée m'est venue.)
Mais la chaise aussi, sur laquelle flotte la femme, a son origine dans une conversation concernant le
rapatriement de mon beau-frère chez lui. Ainsi: Gizella, condamnée à mort également. Je sacrifie donc
toutes les femmes pour l'amour du père, mais je me venge, après coup, du père lui-même (sarcasme).
La relation hostile à Géza doit avoir particulièrement perturbé la relation avec Gizella. J'ai surestimé
mon courage (et je l'ai exagéré compulsivement), lorsque j'ai séduit Gizella (lorsque j'ai été, en partie, «séduit»
par elle) et que j'ai maintenu cette liaison durant seize ans. On peut se demander si je parviendrai à un
sentiment de légitimité à son égard, la femme enlevée,
fût-ce dans le mariage C. Est-ce que la pitié pour Géza, l'identification avec lui, vont continuer à semer le
trouble?
Il me semble que j'ai voulu épouser Elma pour me réconcilier avec Géza.
Mercredi, le 28 ou 29 novembre D
P.S. Je ne sais que trop bien qu'il s'agit ici d'une répétition de la révolte bravache de
Palerme – je le savais déjà en écrivant la lettre, mais je ne voulais pas vous dissimuler
ces idées, si caractéristiques, qui me sont venues. Même après mûre réflexion, je suis
d'avis que si je cède aux tendances à la fuite de mon Ics, supposées, voire réellement
présentes (séparation d'avec Gizella), je dois également laisser travailler, sans les
troubler, les tendances hostiles de l'Ics à l'égard du père, qui sont certainement aussi
présentes en moi. Je suis donc, comme je l'ai dit, pleinement conscient du caractère
transférentiel de ma réaction à votre lettre et, au niveau Cs, je vous en suis même
reconnaissant. Je pense néanmoins que, dans les semaines à venir, je dois rester
autant que possible à l'écart de toute influence.
Encore des salutations.
Eitingon était ici, hier. Nous avons passé ensemble deux heures agréables. Il
vous salue cordialement. Je joins mes salutations aux siennes.
votre Ferenczi
34 F
Prof. Dr Freud
le 22 décembre 1916
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je vous adresse l'écrit ci-joint avec la prière, premièrement de me renseigner sur cette « Harmonia
»', deuxièmement de me dire votre avis sur l'affaire elle-même. Ce n'est pas que je raffole de ce genre
de productions, elles ne me donnent guère l'envie de me précipiter, mais je pourrais m'y forcer si on
insiste, d'autant que j'ai donné congé, aujourd'hui, à ma
dernière patiente et que j'ai de longues vacances devant moi. On peut, apparemment, repousser la
conférence elle-même aux mois prochains. J'ai fait patienter Harmonia en promettant une réponse
rapide.
A y regarder de plus près, je reconnais que l'intervention de Wilson 2 en faveur de la paix,
annoncée aujourd'hui, et qu'il faut quand même prendre assez au sérieux, a sa part dans mon
humeur, davantage tournée vers la vie.
Vous aurez reçu entre-temps le fascicule des conférences consacrées au rêve. Je suis allé aujourd'hui
à la bibliothèque de l'Université pour me commander le Lamarck s. J'ai du mal à rester inoccupé, et voilà
que notre projet d'article sur « Lamarck et la `PA » m'est soudain revenu à l'esprit comme plein d'espoir et
riche de contenu. J'y vois d'avance toutes sortes de choses, et suis en fait déjà convaincu. J'ai quelque
peine à lire ces choses qui me sont assez lointaines, mais peut-être y arriverai-je encore ad majorem Dei
gloriam *', en l'honneur de notre science à laquelle nous payons un douloureux tribut. J'aimerais
cependant avoir maintenant l'assurance que vous maintiendrez votre collaboration, que, dès à présent,
vous vous y mettrez sérieusement, même si vous n'avez pas autant de loisirs que moi. En revanche, vous
me semblez avoir un besoin tout aussi urgent de dérivatif.
Martin est ici, au Cadre, et il s'invite souvent 5. Oli nous envoie, de Cracovie, des nouvelles qui
semblent rassurantes. Le petit bonhomme 6 nous donne bien du plaisir, c'est un membre très
respectable de la famille.
Je vous salue cordialement, dans l'attente de votre réponse,
votre Freud
* En latin dans le texte : pour la plus grande gloire de Dieu.
Une société qui organisait des concerts et autres spectacles.
La veille, le président des États-Unis, Thomas Woodrow Wilson (1854-1924), avait adressé une note à
tous les belligérants, les invitant à faire état des conditions qui permettraient de mettre un terme à la
guerre.
Certainement la Philosophie zoologique. Voir 589 F et la note 4.
Devise des Jésuites.
Le 10 décembre, Martin était passé à Vienne (notes sur le calendrier de Freud, LOC).
Ernst. Voir 629 F et la note 3.
635 Fer
B.[uda]pest, le 28 décembre 1916
promenade. – Le temps après 10 heures doit être consacré au travail. Supporterai-je ce mode de vie,
moi (la bête de volupté), je n'en sais rien.
A. Voir 630 Fer, notes A et M. Il s'agit de ce papier-brouillon de format allongé dont Ferenczi s'était déjà
servi parfois dans le passé (voir par exemple 556 Fer et la note A).
Non retrouvé.
Voir 532 Fer et la note I .
Voir Sur l'histoire du mouvement psychanalytique, op. cit., p. 27.
636 F
Prof. Dr Freud
Cher Ami,
Les informations de Martin 1 n'ont rien ajouté d'essentiel à votre lettre. Entre-temps, Szàntô, le
directeur de « Harmonia », est venu chez moi, il a beaucoup insisté et vaincu ma résistance, en
m'informant que « les honoraires exceptionnels » pour la conférence se montaient à 1 000 couronnes.
Mais je lui dois encore la réponse et je vous demande de me retourner ma lettre à cause de l'adresse.
J'accepterai pour le 2 février (vendredi).
En ce qui concerne les consultations, il n'y a rien à faire. Vos efforts pour m'envoyer des gens de
Budapest ne peuvent guère être couronnés de succès. Je ne peux plus trouver d'autres relations
avec Vienne, ni Vienne avec moi. Il faut donc attendre tranquillement un changement fondamental
des circonstances.
Je me réjouis de constater que vous n'êtes plus démoralisé et que vous reprenez vos esprits. La
première colombe que vous avez envoyée tait bien jolie. Aujourd'hui, je joins à ma lettre une esquisse
du travail sur Lamarck, car je déduis de votre missive que vous maintenez le projet formulé à
l'époque. (A ne pas renvoyer !) Et puis je commence à lire aujourd'hui la « Philosophie zoologique »
2.En même temps, je prépare un troisième travail sur la vie amoureuse: le tabou de la virginité 5.
637 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda
le 4 janvier 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
En résultat de votre lettre (affranchie à 1 C), j'ai notifié mon refus au
directeur d'Harmonia. Mais comme vous aviez omis de me retourner sa lettre,
cela s'est fait sans adresse plus précise. Je n'ai pas tenu compte de
vos conditions, car je pense que si ce n'est pas « cachère » à 1 000 G, cela ne peut le devenir à 2 000. Et
il est impossible de surveiller de loin la mise en oeuvre des autres détails. De toute façon, vous vous
inquiétez trop du montant: cette augmentation ne serait d'aucun secours pour combler le manque à
gagner. D'ailleurs, je tiendrai encore un bon moment avant qu'on puisse parler de soucis.
Le travail sur le lamarckisme, je me le représente ainsi, dans un premier temps: chacun d'entre nous lit, si
possible, tout ce qui est nécessaire, afin de dégager pour l'un et l'autre des domaines plus spécialisés. Dès le
début, nous devons nous épauler par des informations indiquant où il y a quelque chose à chercher.
Le temps m'a apporté, à moi aussi, catarrhe, rhume, et la mollesse intellectuelle qui va de pair.
Par chance, on n'a pas besoin de grand-chose en ce moment, et les travaux ne pressent pas.
Ernst (Le grand E.[rnst]) ' a eu un abcès de l'amygdale et nous l'attendons dès ce mois-ci en permission.
Ainsi, tous seraient à présent loin du feu. Martin est encore sous le charme des impressions du
couronnement. Les dames remercient pour le Kugler 2 et refusent de croire à la misère en Hongrie.
Le petit article que j'ai écrit pour la revue d'Ignotus doit aussi, selon le vœu de Sachs, faire
l'ouverture du nouveau numéro d'Imago (dans quelques mois) 3.
Rank est devenu porte-drapeau. Oli continue à se dire très content.
Je vous salue cordialement et j'attends de vous des lettres moins onéreuses, mais plus
fréquentes.
Cordialement,
votre Freud
Il s'agit donc du fils de Freud, et non de Ernst Halberstadt. « 2-3.2. Ernst vainement attendu » ;
« 15.4. Ernst en permission » ; « 3.5. Ernst retour au front » (notes sur le calendrier de Freud,
LOC). Gâteau au chocolat fabriqué par un confiseur de ce nom à Budapest.
Cette publication a bien eu lieu: « Une difficulté de la psychanalyse » (Freud, 1917a), paru dans
Nyugat (1917, 10, p. 47-52) et Imago (1917, 5, p. 1-7), trad. E. Marty et M. Bonaparte in Essais de
psychanalyse appliquée, op. cit., p. 137-147. Voir aussi 629 F et la note 2.
639 Fer
Budapest, le 9 janvier 1917 A
Dans le manuscrit : 1916, par erreur. Le classement à cet endroit se justifie par le contenu et se
trouve confirmé par le papier à lettres.
Ainsi dans le manuscrit.
* En latin dans le texte : dans la pratique.
Non retrouvée.
Néphrose : expression ancienne pour les maladies du parenchyme rénal de nature dégénérative, non
inflammatoire.
Pour la traduction de Jones, voir 519 F et la note 5 (Ferenczi, 1916, 186). Sa lettre à Ferenczi n'a
pas été retrouvée.
640 Fer
Budapest, le 11 janvier 1917
1. D'après les notes sur le calendrier de Freud (LOC), Ferenczi était à Vienne le 4 février.
641 F
Prof. Dr Freud
le 12 janvier 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je suis désolé d'apprendre que votre santé a été de nouveau ébranlée. D'ici, je ne saurais rien vous
conseiller d'utile. Chez nous, l'éventualité d'un départ s'est bien éloignée, en raison des frais et des
difficultés de ravitaillement. Nous n'allons tout de même pas envisager de reprendre l'analyse.
Par ailleurs, il ne nous est plus possible de reprendre l'affaire Harmonia.
Mon refus correspondait à votre expertise et à celle d'Ignotus, ainsi qu'à un
penchant intérieur profond pour une décision négative. Il paraîtrait étrange
que vous cherchiez maintenant à renouer, alors que rien n'a changé. S'il avait
eu meilleure conscience, l'homme aurait pu se remanifester lui-même.
De vos envois, je ne joins aujourd'hui que la lettre d'E.[rnest] Jones. Le ton n'en est pas
rassurant. J'ai eu de ses nouvelles la même semaine'. Vos remarques constituent certainement
une bonne voie d'approche ; je les garde encore quelques jours pour une relecture complète.
Je pense que chacun de nous devrait mener la chose à bien comme s'il était seul, et que nous nous
réunissions ensuite. Le prochain envoi que vous recevrez de moi sera une liste bibliographique des
livres qui contiennent ce qui est décisif pour chacun des points. J'en ai déjà commandé quelques-uns,
j'en chercherai d'autres à la bibliothèque de l'Université. Beaucoup d'ouvrages en langue étrangère nous
resteront naturellement inaccessibles.
Sinon, ici rien de nouveau. La dernière session >Jra s'est bien déroulée 2, Sachs est d'une
aide inestimable. Martin est encore ici, Ernst est attendu dans une semaine. Le petit 8est très
sociable et se fait parfois aussi un peu comprendre.
Je vous salue cordialement et je vous souhaite un prompt rétablissement,
Votre Freud
P.S. J'ai dû répondre à un Dr Pârtos de Szeged que, pour l'instant, Heller ne souhaitait pas encore
faire traduire les Conférences. Je donne volontiers mon autorisation pour Totem et tabou 4.
42 F
Prof. Dr Freud
le 22 janvier 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je voulais vous renvoyer aujourd'hui vos notes sur L.[amarck], mais j'ai
découvert que je ne possédais pas d'enveloppe assez grande et je remets
donc cela à demain. Cette phrase sur l'apparition de la physique et de la biologie s'impose à moi comme
un formidable programme pour la théorie de la connaissance, que je ne vais pas critiquer, mais garder
soigneusement en mémoire. Très satisfait du succès de mes incitations, j'ai noté l'importante contribution
de vos travaux, tant créatifs que critiques, au contenu de notre Zeitschrift, que nous sommes fiers d'avoir
maintenu à un tel niveau.
Mon travail sur L.[amarck] est très retardé par les circonstances. J'attends toujours quelques livres que
j'ai commandés ; d'autres, que j'ai cherchés chez Grobben et pour lesquels j'ai écrit à la bibliothèque de la
Cour, sont impossibles à obtenir. Aller à la bibliothèque de l'Univérsité prend un temps fou et cela m'est
beaucoup plus difficile maintenant que j'ai davantage de patients le matin. De plus, il fait si froid, le soir,
dans la pièce que la production gèle. Le poêle à gaz ne chauffe pas correctement.
Pour Harmonia, j'ai donc accepté, mais repoussé la visite au printemps. Cependant, je suis toujours
aussi embarrassé: de quoi doit-on parler en une heure, devant un public non qualifié?
Bàràny part fin mars pour Uppsala A comme professeur. Mes chances pour le prix passent ainsi de 5 à
6 %. Peu de différence pour le résultat final 1.
Cette folle de Helberg B(association géographique) a fait son apparition ici. Le diagnostic de catarrhe posé
par le Dr L.[évy] a été mis en doute par d'autres médecins ; je l'ai donc fait confirmer ici par Hitchmann et
je l'ai remise entre ses mains.
Anna aussi a une toux suspecte accompagnée de symptômes généraux; elle est en observation, elle aura
probablement besoin d'un congé prolongé 2.
Une sourde attente pèse sur l'époque et les sentiments s'émoussent quelque peu. J'espère que vos états
pathologiques intéressants battent déjà en retraite.
Je vous salue cordialement, votre Freud.
le 23 janvier 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Chère Madame,
Je vous renvoie la lettre d'Elma dont le contenu m'a naturellement
beaucoup touché et je vous remercie pour votre amabilité.
Actuellement, je reçois peu de nouvelles de notre ami. J'attends du bien,
moi aussi, de son séjour dans les Tatras. Moi-même, j'en ai beaucoup
supporté de sa part. Depuis que je vous connais et que je suis au courant
de vos relations, j'ai ardemment souhaité de vous savoir unis. Il n'est pas
homme à pouvoir vivre et travailler sans une relation d'appartenance intime
avec quelqu'un d'autre. Et où trouverait-il une personne plus excellente que
vous ? Bien que, moi aussi, j'aie eu l'impression que le meilleur moment
avait été manqué, j'ai oeuvré à la réalisation de ce souhait par les moyens
les plus variés : directement et indirectement, dans la relation amicale et
par l'analyse, prudemment, afin que mes exhortations ne suscitent pas son
opposition, et en insistant lourdement pour faire valoir mon influence. Je
l'ai poussé à se libérer de vous, pour qu'il mette à l'épreuve sa capacité à se
créer quelque chose d'autre, puis je l'ai orienté vers vous quand il est
apparu qu'il n'était pas en mesure de se passer de vous et de vous
remplacer. J'ai vraiment tout essayé, sans aucun succès. Finalement, il a
fallu que je lui déclare brutalement qu'il ne voulait rien de décisif et faisait
mauvais usage de l'analyse elle-même pour camoufler son refus. Ce n'est
d'ailleurs pas un refus, il ne veut qu'une chose: ne rien changer, ne rien
faire, attendre passivement que quelque chose lui vienne en aide. Et puis
est arrivée cette affection stupide, insignifiante, mais indiscutablement
organique, la maladie de Basedow, qui lui a permis de se libérer des pièges
par où j'espérais l'attraper. Qu'il n'obtienne pas de vous et de la vie plus
qu'il n'a obtenu jusqu'à présent m'affecte profondément. Mais je n'y peux
rien.
En ces temps troublés, je reçois, avec des remerciements cordiaux et une
sympathie respectueuse, votre assurance chaleureuse que vous ne
m'abandonnerez pas.
Votre tout dévoué
Freud
644 Fer
Budapest, le 25 janvier 1917
«Deux types de névrose de guerre (Hystérie) » (Ferenczi, 1916, 189), Psychanalyse, II, p. 238-252. «
Quelques types de caractères dégagés par la psychanalyse » (Freud, 1916d), in Essais de psychanalyse
appliquée, op. cit., p. 105-136.
Hanns Sachs, « Die Heimkehr der Seele » (Le retour de l'âme), Imago, 1916, 4, p. 346354.
Probablement Évolution d'une âme (Munich, 1913) d'August Strindberg (1849-1912).
Romain Rolland (1866-1944), jean-Christophe (1914-1917). Freud et Rolland entretenaient des
relations amicales. Voir la discussion de Freud concernant le « sentiment océanique » selon Rolland
dans Malaise dans la civilisation (Freud, 1930a, trad. M. et Mme Odier, Paris, PUF, 1971, p. 6, 15, 16) et
Henri Vermorel et Madeleine Vermorel, Sigmund Freud et Romain Rolland. Correspondance 1923-1936, Paris,
PUF, 1993.
Budapest, le 26 janvier 1917
1. Martin (Mordechaï) Buber (1878-1965), philosophe et théologien juif. Après avoir fait des études
de philosophie chez W. Dilthey et G. Simmel, et d'histoire de l'art à Vienne, Leipzig, Zurich et Berlin,
il se consacre à l'étude et à la traduction des textes hassidiques des Juifs de l'Est. A partir de 1923,
enseigne la théologie judaïque et l'éthique à l'université de Francfort. En 1933, il démissionne de sa
chaire; en 1938, s'installe en Palestine et devient professeur de philosophie et de sociologie à
Jérusalem, jusqu'en 1951. Dans son ouvrage Ich und Du (1923) [Je et Tu, trad. G. Blanquis, Paris,
Aubier, 19691, il pose le dialogue comme la base des relations entre les hommes et entre les hommes
et Dieu. Buber exerça une forte influence sur l'intelligentsia de son temps, aussi bien juive que
chrétienne. Au début de 1908, il rend visite à Freud et lui demande — sans succès — s'il est disposé
à écrire un livre pour la série de monographies qu'il édite, intitulée « La société » (lettre inédite de
Buber à Kurt Elssler, 22 avril 1960, LOC). Bien que très sceptique envers la psychanalyse, Buber
est, à l'occasion de cette visite, fasciné par la personnalité de Freud — en particulier par sa «
tranquillité d'âme » (Meerestille der Seele) — comme il en fit part, plus tard dans sa vie, à Kurt Eissler
(ibid.) et Jochanan Bloch (Die Aporie des Du : Probleme der Dialogik Martin Bubers [L'aporie du Tu : Problèmes
de la dialogique de Martin Buber), Heidelberg, 1977, p. 301).
646 F
Prof. Dr Freud
le 28 janvier 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
J'ai appris avec regret votre état de santé, sans lui attribuer néanmoins la même
importance que vous. Les affections de ce genre semblent être maintenant
extrêmement courantes et n'annoncent sans doute pas toujours quelque chose de
grave. Chez Annerl aussi, il est apparu qu'un sommet pulmonaire était moins clair
que l'autre à la respiration, sinon rien. Pourtant elle a mauvaise mine, elle est
fatiguée, sa température oscille entre 36,9° et 37,3°. Dès que ce sera possible, elle
prendra plusieurs semaines de congé. Mais où aller, par les temps qui courent? En
fin de compte, sans doute au Semmering.
Ce serait très bien si vous veniez pour une journée à Vienne avant votre
voyage, comme vous le laissez entendr
fini par recevoir quelques livres sur L.[amarck]. Mon impression est
que nous rejoindrons entièrement les psycho-lamarckistes comme Pauly 2 et que nous aurons peu de
choses tout à fait nouvelles à dire. Toujours est-il que la `PA aura alors déposé sa carte de visite
auprès de la biologie.
L'impression des Conférences III a enfin commencé.
Mlle Helberg n'a été chez Hitschmann que pour une consultation de
médecine interne. Je ne l'ai pas vue depuis.
Je vous remercie beaucoup de vos propositions pour l'exposé. Aucune ne me paraît bien commode. Le
mieux, dans cette affaire, est de remettre à plus tard. Peut-être, d'ici là, le monde aura-t-il sombré.
Je n'ai pas pu deviner quel roman vous désigniez, au juste, par « Évolution d'une âme ». Est-ce le « Banni
» de Schmitz 8 ? Je le juge plus favorablement que vous et, avant tout, je le crois authentique.
Un froid de canard, des soucis de ravitaillement, de sombres expectatives constituent un bien
mauvais ensemble ces temps-ci. Et le rythme sur lequel on vit maintenant est également difficile à
supporter. Au demeurant, je tiens encore le coup.
Cordiales salutations et meilleurs voeux (antihypocondriaques)
de votre Freud
I. Voir 640 Fer et la note 4.
August Pauly (1850-1914), professeur de zoologie à l'université de Munich, auteur de Darwinismus und
Lamarckismus, Entwurf einer psychophysischen Teleologie (Darwinisme et lamarckisme, esquisse d'une
téléologie psycho-physique), Munich, 1905, et de Wahres und Falsches an Darwins Lehre (Vérités et erreurs
dans la théorie de Darwin), Munich, 1910.
Oscar A. Schmitz (1873-1931), Der Vertriebene; ein Entwicklungsroman (Le banni ; un roman
d'apprentissage), Munich, Müller, 1917.
Südbahnhotel Semmering jeudi [8
février 1917] B
En-tête pré-imprimé.
Cette lettre a été classée par Bâlint « entre le 17 et le 21 février 1917 », mais cette date ne peut être
exacte. D'après le contenu, la date adoptée ici semble plus cohérente. * Gewöhnt und verwöhnt,
allitération intraduisible: habitué et gâté.
1. Friedrich Pineles (1868- 1936), interniste viennois. Voir lettre de Freud à Fliess du 1" août
1899, The Complete Letters of Sigmund Freud to Wilhelm Fliess, 1887-1904, trad. et éd. par J. M. Masson
(Cambridge, Mass.), Londres, Belknap Press, 1985, p. 364.
le 11 février 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Chère Madame,
Notre ami a reçu ici, du Prof.[esseur] Pineles, une information qui correspond entièrement à mon
point de vue. Il présente un cas discret de Morbus Basedowii *, sans aucune complication dangereuse;
il a toutes les chances de se rétablir dans une large mesure en 2 à 3 mois, et n'a pas besoin d'accorder
à la maladie une place et un rôle particuliers dans l'économie de sa vie. Un travail aussi intensif que
celui qu'il a fourni dernièrement à Budapest ne vaut rien pour lui, bien sûr, pas plus que les émotions
incessantes. En somme, que ce soit enfin la paix!
1917 205
La dernière lettre que je vous ai adressée n'était destinée qu'à vous seule,
elle était trop sincère pour lui. Il ne m'a d'ailleurs pas dit qu'il l'avait lue.
Les complications avec l'Amérique ' sont inopportunes, indésirables pour tous, mais j'espère
qu'elles n'interrompront pas la correspondance avec votre fille 2. Je vous remercie cordialement de
la sympathie que vous portez aux petits événements de ma maison. Ma petite fille ne semble pas
gravement malade, mais elle n'arrive pas à se débarrasser de son catarrhe et elle a mauvaise mine.
Nous devrions l'envoyer elle aussi au Semmering, mais on ne trouve de place ni au centre de cure,
ni dans une pension, et comme elle ne doit pas attendre des semaines, nous nous sommes décidés
à l'orienter vers la Sulz, à Kaltenleutgeben 9 où elle doit arriver demain. Son école ne lui accorde que
2 semaines de congé ; peut-être n'a-t-elle pas besoin de plus.
Aucun de nous ne s'illusionne sur le fait que des mois difficiles nous attendent encore, avant
que nous puissions reprendre haleine. Peut-être n'est-il pas plus mal que notre ami puisse en
passer une partie dans une agréable réclusion.
Maintenant que je connais votre adresse, vous n'êtes plus du tout sûre
de ne pas avoir la surprise d'une lettre de moi.
Je vous salue très chaleureusement,
votre très dévoué
Freud
le 16 février 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je vous aurais écrit depuis très longtemps, s'il y avait eu plus de choses positives à vous dire.
Mais tout est négatif, tout est gêne, restriction, renoncement, au mieux une sombre attente.
C'est le destin d'Annerl qui vous intéressera le plus. Elle est partie lundi pour la Sulz, parce
qu'il n'y avait pas de place à Breitenstein' ni dans les pensions du Semmering. Là, elle a
aussitôt attrapé la grippe, mais elle a déjà quitté le lit aujourd'hui ; toutefois, le séjour ne lui
apporte pas ce
qu'on pourrait souhaiter. Je lui rendrai visite dimanche, et puis je la
ferai revenir bientôt.
Les travaux chez Heller sont perturbés par la disparition définitive de Madame Fischer. Il n'est
personne, à présent, qui connaisse le fonctionnement de l'entreprise. La Zeitschrift est en panne,
parce qu'on n'arrive pas à obtenir un simple cliché pour mon article. L'impression des Conférences
est suspendue. Avec Heller lui-même, il n'y a pratiquement rien à faire.
A ma consultation, j'ai eu deux patients en 10 jours ; rien de neuf n'est venu s'y ajouter.
La journée n'est donc guère remplie. Pendant deux semaines, l'obscurité et le froid m'ont
rendu impossible le travail nocturne habituel. Ainsi, tout le monde attend que les sous-
marins aient rétabli l'ordre dans le monde – s'ils y parviennent.
De l'extérieur, une seule chose réjouissante: les nouvelles du groupe hollandais 2 et
la correspondance avec Ophuijsen.
Les difficultés de circulation des trams menacent de rendre la vie à Vienne tout à fait
impossible. Le froid semble diminuer maintenant, mais c'est la grippe (3 cas dans la famille)
qui vient prendre sa place.
Profitez donc de tout le bien-être que procure votre situation; la fuite dans la maladie est,
cette fois, très justifiée en tant que fuite hors d'une réalité misérable. Rétablissez-vous
suffisamment pour qu'à la fin de la guerre vous apparaissiez comme un travailleur en pleine
possession de ses forces.
Chose étrange, avec tout cela je vais assez bien et mon moral n'est pas ébranlé. La preuve
du peu de motivation dont on a besoin pour cela.
Nous vous saluons tous cordialement et souhaitons apprendre à quel moment vous allez
déménager au centre de cure,
votre Freud
Une localité au Semmering.
La fondation du Nederlandsche Vereeniging voor Psychoanalyse (Association hollandaise de
psychanalyse) en février 1917. A. Van Rhenterghem était le président, J. Stärcke le secrétaire
et A. Van der Chys le trésorier. Voir la communication correspondante dans la Zeitschrift, où
l'événement a été «rendu public avec la satisfaction de constater que l'extension internationale
de la psychanalyse n'a pas été empêchée par la guerre» (19161917, 4, p. 217).
650 Fer
Südbahnhotel Semmering
le 21 février 1917
Je suis parvenu au bout des lectures que j'ai apportées. J'ai aussi épuisé ce que la boutique d'ici peut offrir
d'utilisable. Il ne me reste plus qu'à demander à Mlle Minna de bien vouloir m'envoyer quelques livres de sa
bibliothèque. Par ailleurs, j'écris aussi à Sachs pour qu'il me fasse expédier quelques nouveautés par Heller.
On n'entend pas beaucoup parler de la guerre ici. On économise le chauffage depuis quelques jours.
Quatre fois par semaine nous avons des
séances de cinéma, mais cela m'émeut beaucoup trop ! Je n'ai pas encore fait de connaissances.
Avec mes salutations cordiales,
votre Ferenczi
651 Fer
Semmering, le 27 février 1917
Miksa Schächter (voir aussi t. I, 111 Fer, note 2). Voir la notice nécrologique qui lui
est consacrée: Ferenczi, 1917, 199, Psychanalyse, II, p. 288-292.
Dans « Pollution sans rêve orgastique et orgasme en rêve sans pollution » (Ferenczi,
1917, 193, Psychanalyse, II, p. 259-264), Ferenczi décrit un de ses propres rêves.
652 F
Prof. Dr Freud
le 2 mars 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Reçu et lu vos contributions, avec l'impression qu'elles sont fines et tout à
fait justes. Les donnerai demain à Sachs pour le dossier. A propos de votre
rêve, je pourrais faire remarquer que vous n'avez pas à vous inquiéter d'avoir
négligé votre travail sur Lamarck 1. Je n'ai pas avancé non plus ; pendant les
semaines de froid et d'obscurité, j'ai abandonné le travail du soir et je ne m'y
suis plus remis depuis. Maintenant encore, l'éclairage est le plus souvent
insuffisant, il me rend le travail désagréable ou me procure un prétexte rêvé
pour le reporter. Les motivations à travailler sont à présent en partie éteintes,
en partie réprimées. La tension liée à ce qui va advenir dans le monde est
trop grande. Je me familiarise avec le projet de reprendre le travail durant
l'été, quand il faudra renoncer à la nature et que l'on ne saura que faire en
ville. •
En ce qui concerne ce rêve: ajoutons qu'il vaut la peine de noter que, si
vous aviez pu épouser Mathilde, vous n'auriez pas eu d'enfants, ce que,
d'ailleurs, je ne savais pas encore à l'époque 2.
Tout ce qui pourrait nous intéresser scientifiquement est aussi pauvre et
avance aussi lentement qu'avant. Le fait que Stekel ait commis un nouveau
livre (Onanisme et homosexualité)' ne nous donne que l'embarras de savoir
qui en fera le compte rendu et ce qu'il pourra en dire. Rank, qui s'est annoncé
pour le début de la semaine prochaine, affirme qu'il est aussi paru quelque
chose de Jung'. Au demeurant, Rank est de nouveau en forme, il écrit qu'il
vous rendra visite à vous aussi. Oli est arrivé ce matin 5de Cracovie et doit
être dimanche matin à Krems s. Il est gai, il a bonne mine ; je crains que les
dames de la maison ne se plaignent de son odeur de caserne très prononcée.
Toutes sortes de sensibilités se mettent en veilleuse pendant la guerre.
Mes consultations sont plus nombreuses, mais naturellement cela ne
suffit pas aux dépenses. Un Trabouko A 7 coûte maintenant 30 H *. Si je
devais compter sur une longue vie, je ferais maintenant certainement des
économies, ce qui a toujours été pour moi contre nature.
Avec mes souhaits cordiaux pour la poursuite de votre rétablissement,
votre Freud
A. En-tête pré-imprimé.
* Jeu de mots intraduisible. Auf der Höhe signifie à la fois «en altitude » et «au mieux de sa forme ».
1. Emil Kuh (1828-1876), Friedrich Hebbel, eine Biographie, Vienne, 1877 (2 vol.). Christian Friedrich Hebbel
(1813-1863) : célèbre dramaturge allemand.
654 Fer
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KAISERL.RAT DR. F. HANSY
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Entre-temps, j'ai à moitié terminé un deuxième articles, sans doute afin d'éviter
une fois de plus un travail plus important (sur la théorie sexuelle). Pour le reste,
mon travail quotidien consiste à manger et à me reposer.
Heller m'adresse maintenant avec assiduité toutes les épreuves 4. La théorie des névroses est une des
plus belles oeuvres que vous ayez publiées. Le petit travail d'une certaine a Teller » de Prague (Imago) 5 m'a
surpris par sa précision et par l'exactitude de son savoir >Irot.
Les plus cordiales salutations de
votre Ferenczi
L'adresse de Madame G. Mme Z. Délies pour Mme G. Pälos,
Budapest VII, Nagydiôfa utca 3/ 2` étage.
le 25 mars 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Que votre volonté soit faite ! J'écrirai à Madame G., et je lui demanderaide ne pas dissimuler sous des
égards envers Elma les motifs de sa décision, mais je ne peux vous en garantir l'issue. Si elle répond qu'il
faut vous épargner, dans votre état actuel, toute la somme des émotions qui s'attachentinévitablement à
cette démarche, il vous appartiendra de trouver d'autres motivations.
J'aurais bien voulu vous rendre visite; en d'autres temps, cela n'aurait posé aucun problème. Mais,
actuellement, on interdit et empêche les voyages. Je sais que je ne pourrais être de retour le jour même.
Rank s'est laissé retenir par les mêmes considérations. A Pâques, nous aurions bien le temps, mais il y
aura une cohue monstrueuse et, de plus, Oli espère être en mesure de passer ces jours de fête chez nous,
de sorte que je serai encore retenu. Martin arrive en permission le 28 I. Ce sont des temps tristement
restrictifs.
Les nouvelles concernant votre rétablissement ne me paraissent pas défavorables, mais je pense
que vous avez besoin d'une prolongation du séjour et de la permission. D'après mon expérience,
chaque semaine supplémentaire produit un meilleur résultat que la précédente.
Depuis la révolution 2, j'ai vu s'atrophier tout intérêt pour autre chose, et comme on ne peut rien y changer,
on ne fait rien du tout. Les tensions sont maintenant trop grandes. Comme il aurait été bon de prendre part
à ce formidable changement si la première préoccupation n'était en ce moment la paix.
Seule l'impression des Conférences se poursuit 3. Si la cadence se maintient, le livre pourra être
achevé fin mai. Cela me suffirait, mais les exigences des périodiques m'obligeront certainement à
publier autre chose.
Les difficultés croissantes de la vie se manifestent par la mine et l'état
de santé de tous les membres de la famille.
Rank semble rétabli de sa dépression et a promis de se jeter dans le travail. Il a passé récemment
quelques jours à Varsovie. Tausk semble avoir fait une belle découverte sur le délire d'observation'.
Sachs est actif et gai comme toujours. Sinon, le monde est muet.
Je vous salue cordialement et j'espère une bonne et heureuse issue de votre
évolution.
Martin arriva de Linz le 27 mars (notes sur le calendrier de Freud, LOC).
Il s'agit de la révolution de Février russe. Auparavant, il y eut une ,grève dans l'usine d'armement
«Poutilov» à Petrograd, le 3 mars, qui entraîna, le 7 mars, une série de licenciements., Le 8 mars ce
fut le choc entre les militaires et les ouvriers en grève ; le 10 mars, le mouvement de grève prit
l'ampleur d'une grève générale à Petrograd. Le 11 mars, les soldats de la garnison de Petrograd se
mutinèrent, par solidarité avec les grévistes, déclenchant ainsi la révolution de Février (qui porte ce
nom d'après le calendrier julien en vigueur en Russie, bien que, selon le calendrier grégorien, elle se
soit produite en mars). Le 18 mars, le gouvernement provisoire russe assura aux Alliés qu'il
poursuivait la guerre contre les Empires centraux jusqu'à la victoire finale. Le 23 mars, le tsar
Nicolas II fut arrêté avec sa famille. Ce même 23 mars, le gouvernement allemand se déclara
disposé à laisser librement passer le révolutionnaire russe Vladimir Ilitch Oulianov (Lénine) de son
exil suisse vers la Russie.
Freud a présenté sa dernière conférence le 17 mars.
Probablement allusion à l'article de Tausk « De la genèse de " l'appareil à influencer " au cours
de la schizophrénie » (V. Tausk, OEuvres psychanalytiques, Paris, Payot, 1976, p. 177217), présenté à
l'Association de Vienne le 16 janvier 1918 (Minutes, IV, p. 353) et publié en 1919 dans la Zeitschrift (5,
p. 1-33).
le 25 mars 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Chère Madame,
Je savais qu'un jour la situation m'obligerait à poursuivre notre correspondance. Ce qui me
rend la tâche plus facile est la certitude que vous êtes aussi convaincue de ma sincérité et de ma
sollicitude que je le suis en ce qui vous concerne.
Notre ami m'écrit qu'il en a fini avec son incertitude névrotique habituelle, qu'il sent un besoin non
équivoque d'établir une union permanente en remplacement de vos rapports précédents, difficiles et
insatisfaisants ; et il vous prie, par mon intermédiaire, de lui donner votre accord, et de renoncer aux
égards envers votre fille, laquelle ne peut plus jouer aucun rôle auprès de lui. Je me suis chargé de cette
mission de confiance parce que, moi non plus, je ne vois d'autre solution, ni de meilleure, pour vous
deux. Il ne serait pas naturel que vous vous sacrifiiez à votre fille, laquelle ne pourrait tirer le moindre
avantage de ce sacrifice. L'ajournement a déjà détruit plus qu'il ne pourra être réparé. Ce qui apparaît
maintenant n'est probablement pas différent de ce qu'on a toujours pu voir en lui. Mais tant qu'il se
sentait jeune et bien portant, il a continué à jouer avec ses fantasmes, il n'a voulu renoncer à aucune
possibilité de plaisir et a voulu jouir de toutes les alternatives. Son état, qui exige toutefois certains
soins et des ménagements durables, a pu lui indiquer que le moment était venu de faire droit à la seule
chose qui compte.
On pourrait objecter que, précisément maintenant, il n'est pas en état d'affronter les émotions
qui seraient liées à une telle démarche de votre
part. Mais j'espère que quand vous serez vraiment décidée, vous saurez
aussi faire tout le nécessaire, autant que possible sans bruit ni embarras.
Cela m'évoque l'histoire des trois livres sibyllins dont le troisième était, après la destruction des
premiers, certes, devenu plus cher que l'ensemble, tout en gardant suffisamment de sa propre valeur'.
Je ne me montrerai pas surpris si vous adressez votre réponse directement à notre ami.
Avec mon cordial dévouement,
votre Freud
1. Les livres sibyllins, contenant les prophéties de la Sibylle grecque légendaire, auraient été
proposés à la vente par la Sibylle de Cumes au roi Tarquin l'Ancien, cinquième des sept rois de Rome.
Lorsque celui-ci refusa d'abord de payer le prix demandé, elle brûla six des neuf livres, pour lui vendre
finalement les trois restants au prix des neuf.
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658 F
Prof. Dr Freud
le 9 avril 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Ce sont des jours de Pâques particulièrement tristes et maussades, où tout l'appauvrissement de notre
existence apparaît au grand jour. Cela fait trente et un ans hier que j'ai ouvert mon cabinet à Vienne; en
dépit de toutes les difficultés, la vie se montrait alors quand même sous d'autres
couleurs. I1 est vrai qu'une part de ce changement est inévitable, mais une autre n'est que cruauté
du destin.
Les nouvelles de vous retiennent toute mon attention. Que vous vous sentiez beaucoup, beaucoup
mieux, correspond à toutes les attentes. Que vous obteniez une prolongation est juste. Toutefois, je
pense que la crainte de devenir trop bien portant par suite du traitement est à écarter. L'arbitrage
supérieur implique certains égards, de sorte que vous êtes quand même assuré de ne pas être affecté
dans un hôpital de campagne, par exemple. Mais si vous étiez tout à fait libéré (très improbable !), il en
résulterait seulement que vous feriez des analyses toute la journée au lieu d'une demi-journée, ce qui
ne serait guère un allègement. Ainsi, vous avez à redouter du service militaire tout au plus une perte
d'argent et n'avez pas besoin de retarder votre traitement pour autant. Et puis, la radiothérapie vous
inciterait aussi à venir à Vienne.
Il n'y a donc rien à faire avec Madame G. pour le moment, si elle ne cède pas à vos sollicitations
assidues. Ma comparaison avec les livres sibyllins avait non seulement un rapport secret avec l'âge,
mais devait y être une allusion directe. Vous avez, tous deux, gaspillé une si grande part de votre vie
en hésitations que le reste prend une valeur particulière.
Les Conférences, qui contenteront certainement peu de gens autant que vous, devraient donc être
achevées ce mois-ci, et sortir, imprimées, dans le monde rétréci *. Je n'ai pas beaucoup de goût pour
d'autres travaux. Je pressens aussi un été emprisonné dans la ville, ce qui est très fâcheux. Sophie et
l'enfant ne resteront pas ici au-delà du 12 mai. Les bonnes femmes ont toutes mauvaise mine. Je ne
peux pas non plus me féliciter de ma santé. Oli et Martin, qui ont passé Pâques ici, ensemble, sont
encore au mieux de leur forme. Ernst espère une permission avant la fin avril'. Ma pratique a bien
augmenté ces dernières semaines.
Je vous salue cordialement et j'attends de vos nouvelles ainsi que vos envois.
Votre Freud
* Inversion d'une locution familière, « in die weite Welt gehen » : aller dans le vaste monde. 1.
Sophie repartit alors avec le petit Ernst le 14 mai (voir 668 F) ; Ernst arriva en permission le
15 avril ; il dut repartir au front le 3 mai. (Notes sur le calendrier de Freud, LOC.)
K. Semmering, le 11 avril 1917
nouvelles. Il est possible que je lui rende visite à Vienne très bientôt
(ainsi qu'à vous).
Il semble que Madame G. ait, antérieurement, déjà écrit à sa fille de revenir le plus vite possible à
Budapest, où elle sera encore très heureuse. Elle entendait par là le mariage d'Elma avec moi. Maintenant
il semble qu'elle (Madame G.) se sente liée envers Elma par cette promesse tacite.
Au lieu de m'obstiner à la demander en mariage, j'ai réagi à cette dernière rebuffade par de l'apathie
et un peu de dépression. Il semble que le rôle maternel de Madame G. apparaisse aussi dans le fait que
c'est toujours elle qui doit prendre l'initiative, tandis que je suis impuissant face à sa résistance et que
je me résigne aussitôt. – Mais peut-être surmonterai-je, cette fois, ce petit accès. L'augmentation de votre
clientèle me fait plaisir.
Je vous ai adressé une patiente d'ici; alors, finalement, vous ne pourrez
plus la prendre?
Les grands soucis de l'avenir du monde traversent aussi les murs de cette maison, joyeuse et
insouciante en d'autres temps. La situation s'assombrit de jour en jour. Pour vous, s'ajoutent encore
les soucis concernant vos fils. En vérité, ce n'est pas un beau printemps. De plus, il neige de nouveau
depuis trois jours.
Bien des salutations cordiales de votre
Ferenczi
1. Non identifié.
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Malheureusement A
Ici j'ai été dérangé, et je ne sais plus du tout quelle phrase je voulais
commencer par « malheureusement ».
En tout cas, la situation est beaucoup plus claire maintenant, et quand j'aurai aussi consolidé mon
état de santé, je pourrai rentrer à Budapest en espérant être capable de travailler.
Avec mes salutations cordiales,
A. Mot barré.
Le 13 avril, Ferenczi avait rendu visite à Freud à Vienne (notes sur le calendrier de
Freud, LOC).
Voyage en Italie, deux parties (1816-1817), première parution complète en 1829 ; édité et traduit par
Mutterer, Paris, Slatkine, 1990.
661 Fer
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mercredi après-midi le 25
avril 1917 A
le 30 avril 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
J'ai retardé ma réponse jusqu'à la réception de la lettre fourvoyée chez Madame G. Elle est arrivée
aujourd'hui et m'a permis de comprendre quelle était la solution enfin satisfaisante. Je sais
maintenant que je vous verrai le
7/8 A[mai]', aussi je me contente de vous demander de vous faire à l'idée de retravailler la critique de
Schultz 2. Non qu'elle soit trop grossière. C'est un méchant ouvrage, typiquement allemand, digne de
toutes les grossièretés. Mais vous êtes trop irrité, vous perdez contenance et vous vous montrez
fortiter, non pas in re mais in modo *. On doit absolument éviter certains mots, comme « éhonté »
ou « pamphlet », trop vulgaires. Sur d'autres points vous êtes tellement indigné que vous laissez
échapper les plus beaux arguments, ainsi, à propos des horreurs du complexe d'OEdipe, la
référence à la mythologie et au livre de Rank. Bref, vous ne prenez pas assez de hauteur et, donc,
n'êtes pas assez méprisant.
Je peux donner une suite à votre « malheureusement », par le fait que les circonstances politiques
s'assombrissent tous les jours, au lieu de s'éclairer. Si septembre n'apporte pas la preuve de la suprême
efficacité des sous-marins, je crois que l'Allemagne se réveillera de ses illusions et les conséquences seront
effrayantes. Actuellement, il semble y avoir une grave mésentente entre Charles I" (c'est-à-dire l'Autriche-
Hongrie) qui veut la paix 3, et Guillaume qui espère encore la victoire et qui joue « banco » pour sa dynastie.
Depuis 5 jours il n'arrive à Vienne aucun journal allemand; à la place, la venue du ministre bavarois,
probablement en tant que négociateur. Les informations de source privée sur la famine et l'état d'esprit
en Allemagne sont très préoccupantes. Il est désolant que l'on ne puisse empêcher Sophie de repartir
dans deux à trois semaines. L'enfant nous manquera à tous.
Pour les Conférences, je n'ai plus rien à faire ; elles pourraient être en librairie fin mai 4. Ces
derniers temps, il y a des manuscrits en abondance pour la Zeitschrift. Je suis trop grognon pour
travailler à quoi que ce soit.
Cordiales salutations et au revoir,
votre Freud
A. Lecture incertaine des deux chiffres.
* En latin dans le texte : suaviter in modo, fortiter in re (souple dans la manière, ferme sur le
fond), devise du général des jésuites, Motto d'Aquaviva (1543-1615).
Voir 665 Fer et 666 Fer.
Dans sa note de lecture sur S. Freuds Sexualpsychoanalyse (La psychanalyse sexuelle de
S. Freud) de J. H. Schultz (Ferenczi, 1917, 205 ; Zeitschrift 1916-1917, 4, p. 270-272), Ferenczi
avait suivi les propositions de Freud.
Dans la seconde moitié de février, l'empereur Charles P' avait cherché à engager des
négociations secrètes de paix avec la France. Il envisageait surtout d'introduire comme
médiateur son beau-frère, le prince Sixte de Bourbon-Parme, un frère de l'impératrice
Zita et officier dans l'armée belge ; ce fut à l'origine de ce qu'on a appelé « l'affaire Sixte
» : Charles avait remis au Prince, le 24 mars, une lettre destinée au président français
Poincaré, où — sans s'être entendu avec l'empire allemand et le ministre autrichien
des Affaires étrangères — il se proposait d'ceuvrer pour que l'Alsace-Lorraine
retournât à la France en échange de la paix, ce qui équivalait à l'annonce d'une paix
séparée.
La troisième et dernière partie de l'Introduction à la psychanalyse a paru le 6 juin (notes sur
le calendrier de Freud, LOC).
le 30 avril 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Chère Madame,
L'acte manqué de notre ami n'était qu'unilatéral. Je n'ai pas reçu de lettre
pour vous, mais, des deux lettres, j'ai appris avec une grande satisfaction
où en était votre affaire. Puisse-t-elle bientôt parvenir à une fin souhaitée.
J'ai parfois des accès de dégoût de la vie et du soulagement à l'idée que
s'achève cette existence difficile, mais le coeur me pèse de savoir l'avenir de
mon ami si peu assuré.
J'ai définitivement renoncé à l'idée de la conférence, par manque d'entrain,
au fond, mais aussi pour cause de méfiance envers les organisateurs. Il me
faut donc espérer vous revoir en une autre occasion.
Avec bien des salutations cordiales, votre dévoué
Freud
664 Fer
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Semmering, le 30 avril 1917
665 Fer
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A. Sans date. Établissement de la date fondé sur la supposition qu'il s'agit de la réponse à 662 F,
du 30 avril.
1. Voir 652 Fer et la note 3.
66 Fer
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4 mai 1917 A
668 F
ProfDr Freud
le 14 mai 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
D'apprendre combien allègrement vous avez repris votre place dans tous les domaines me semble
porteur de très riches espoirs. Cela donne l'impression d'une affaire définitivement réglée.
Un envoi de pain recommandé est arrivé ce matin; cela fait déjà deux fois (le même jour) que ma
femme m'a rappelé de vous le confirmer, avec nos remerciements. Les frais d'expédition exorbitants
devront être réglés ici, selon sa proposition. Je suis impatient de voir combien de temps cette fraude
douteuse pourra continuer. Quoi qu'il en soit, les plus chaleureux remerciements à vous et à l'auxiliaire
secret, bien au-delà des frais d'envoi! Aujourd'hui, s'y ajoutait la joie de pouvoir en donner un morceau
à Sophie pour le voyage. Ils viennent juste de partir, à 9 h 40, en wagon-lit. L'enfant était charmant,
comme s'il avait compris la situation. Maintenant, ce sera la solitude. Fontes Melusinae * 1 au début
comme à la fin du cycle.
Ici, il n'y a de neuf que la Zeitschrift. Sachs est prodigieux, mais
Heller, comme tout ce qui est en relation avec lui, est une rude
épreuve. Donnez-moi bientôt d'autres nouvelles.
Cordialement, votre Freud
* Fontaines de Mélusine.
1. Mélusine (« douce comme le miel »). Freud fait ici référence à une légende celtique dont il
existe un grand nombre de variantes à travers les époques et les pays (Gervais de Tilbury, 1210
; Jean d'Arras, 1478, etc.). L'héroïne, une fée, fille d'un roi et d'une ondine, rencontre un jeune
seigneur près d'une fontaine, en tombe amoureuse et se transforme en femme. Porteuse d'une
malédiction, elle est condamnée à se changer en serpent tous les samedis dans son bain.
Lorsque, brisant sa promesse, son mari l'épie, elle disparaît pour toujours. La fontaine dans la
légende figure comme lieu de métamorphose par excellence. Voir Jacques Le Goff, « Mélusine
maternelle et défricheuse » ; Émmanuel Le Roy Ladurie, « Mélusine ruralisée ». Annales, mai-août
1971, p. 587-603 et 604-622.
69 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda
le 18 mai 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je vous remercie pour vos aimables efforts en vue du séjour dans les Tatras,
j'en attends les résultats, bien que je ne sois pas assuré de pouvoir en profiter.
Par ailleurs, on peut envisager Gastein, pour lequel Steiner fait des démarches,
car cet endroit a montré une influence indéniablement favorable sur mes
troubles dus à l'âge (hyp.[ertrophie] prost.[atique] et rhum.[atismes]). Mais à
Gastein les problèmes de pension ne sont pas encore résolus. Nous ne serons
pas très heureux non plus à 3 dans 2 chambres ; pour Annerl toutes les
stations d'altitude sont contre-indiquées. En d'autres termes : le problème est
insoluble en réalité, et je regretterais beaucoup que vous vous soyez donné du
mal pour rien.
Bien sûr, nous accueillons des deux mains le travail proposé par Rûheim, et
espérons que, dès à présent, il nous remplira le prochain numéro dont
l'échéance est proche (n° 2). Heller a – exceptionnellement, comme il dit –
accepté la parution en tiré à part. L'édition hongroise ne devrait pas paraître
avant la publication dans Imago.
Il n'y a actuellement rien à faire pour les écrits sur la psychologie appliquée, puisque D.[euticke]
a déclaré dernièrement ne pas continuer avant le retour de la paix. Je n'ai pas envie de le solliciter
de nouveau; son humeur ne s'est sûrement pas améliorée avec les Conférences I.
J'ai enfin reçu aujourd'hui les épreuves finales, encore incomplètes, de
ces dernières.
Ernst nous a déjà donné une fois (14.5) des nouvelles de la bataille.
Tout va bien, mais en grand manque de sommeil.
Salutations cordiales de
votre Freud
1. Les Conférences (Introduction à la psychanalyse) ont paru chez Heller et se vendaient fort bien.
672 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda
Cher Ami,
Là, comment pouvez-vous hésiter? Rien ne compte, que la guérison la
plus rapide, sans considérations secondaires. D'ailleurs, ces
considérations secondaires existent-elles seulement?
Cordialement, votre
Freud
A. Carte postale.
74 F
ProfDr Freud
le 22 mai 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Les bienfaits, si vous ne le savez pas encore, sont chose très fâcheuse,
source d'éternelles difficultés. La preuve : vous allez recevoir une lettre de ma
femme qui vous apprendra tout ce que nous attendons et voulons encore
savoir sur notre asile estival. Je ne nie pas que la perspective de ne pas
trouver une (troisième) chambre pour moi, où je puisse fumer ou écrire
7
Correspondance 1914-1919
(ou les deux en même temps), assombrit fortement, en ce qui me concerne, le plaisir des
vacances. De toute façon, je ne peux pas promettre d'apporter beaucoup de bonne humeur dans
ce paradis terrestre.
Comme Martin ne peut manger tout ce que la poste lui apporte, il me charge de vous
demander de le considérer comme bien ravitaillé pour toute la semaine. D'autant plus qu'un
employé de la brasserie mun.[icipale] à Budapest' lui a apporté au même moment un monstre
A de pain géant, pas aussi bon que le vôtre. Jadis c'étaient mes intestins qui étaient meilleurs
que le pain, maintenant c'est le pain qui serait digne de meilleurs intestins.
Il existe des séries de hasards où des faits de même nature s'accumulent. C'est ainsi que, pendant
ces deux jours, j'ai reçu en plus: une lettre charmante de la fille d'un psychiatre de Linz, décédé (auriez-
vous cru que la `PA peut avoir des adeptes à Linz ?) joint à un cahier de rêves, deux pieds d'orchidées
en fleur d'une ancienne patiente, un manuscrit de 700 pages sur la métaphysique des sentiments,
d'un certain professeur Haberl, qui s'appuie soi-disant sur la théorie des rêves et veut être édité chez
Karger ! Espérons qu'il ne s'agit pas d'un nouveau cas Weininger. En attendant, les Conférences n'ont
pas profité de cette fournée.
Après une semaine pleine de souffrance, Sophie est partie avec son mari pour Schwerin.
Espérons qu'ils resteront ensemble là-bas et qu'ils pourront se nourrir.
Puisque je dois être en Hongrie dès le le' juillet, j'espère au moins y voir un peu mes amis de
cette nation. L'altitude ne vous a-t-elle pas fait grand bien ? Et Madame G. ne doit-elle pas partir
à la montagne après le traitement local?
Cordiales salutations, et merci,
votre Freud
A. Dans le manuscrit, la première partie (française) du mot Monstreriesenbrot est écrite en
lettres latines. Le reste, Riesenbrot, en gothique, comme toute la lettre.
1. Dont Anton von Freund était le directeur.
675 Fer
B.[uda]pest, le 27 mai 1917
676 F
Prof. Dr Freud
le 29 mai 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Il semble donc que, grâce à votre sollicitude énergique et généreuse, nous serons gratifiés
d'un séjour d'été idéal. Je me sens très redevable envers vous ; je vous fais remarquer aussi que
ma chère femme aime beaucoup trop recevoir cadeaux et protection et qu'il ne faut pas trop la
gâter. Moi non plus, je n'ai pas l'habitude qu'un autre en fasse autant pour moi; à cet égard, je
suis assez peu gâté.
Je ne peux pas vous promettre d'accepter aussi l'hospitalité du Dr von Freund. Quoique je l'aime
beaucoup et que je ressente une grande confiance envers lui, je ne veux pas devenir à ce point son
obligé, alors que notre relation repose sur le rapport médical avec sa femme. Et s'il n'avait été un
disciple aussi intelligent, il y a longtemps que je me serais opposé à ce qui existe déjà. Peut-être
trouverons-nous, le 20 août, qu'il est temps de retourner à Vienne, ou bien arriverai-je encore à me
dénicher un séjour solitaire à Gastein, si des considérations thérapeutiques le justifient. Mais j'accepte
volontiers la troisième chambre à Csorbatô, et la présence de Madame G. augmentera pour nous tous
la valeur de ce séjour. J'espère que vous saurez vous débarrasser le plus tôt possible de cette mutation
importune. Faites-moi savoir bientôt si vous y avez réussi.
La mort de Stärcke est probablement une véritable perte. Les Conférences devraient avoir
entamé leur voyage vers Vienne le 26 V, puis cela prendra encore quelques semaines. Je ne suis
pas du tout d'humeur à faire le travail sur Lamarck cet été, et ce que j'aimerais le mieux, c'est
de vous abandonner le tout. Je ne peux pas non plus emporter tant de livres.
Le Dr Pötzl, l'assistant de Wagner Jauregg], nous a invités, pour le 6. 6, à une démonstration dans
l'amphithéâtre de la clinique, un exposé sur la formation expérimentale du rêve, et il s'est proclamé à
cette occasion un adhérent inconditionnel de la `PA '. En tout cas, c'est un signe!
Ci-joint une lettre de la Suédoise, elle m'a demandé un traitement par suggestion; ce que j'ai
pu refuser avec bonne conscience. Dernièrement, elle était aussi à l'Association 2.
Cordiales salutations et à bientôt pour de bonnes nouvelles,
votre Freud
1917 237
Otto Pötzl (1877-1962), médecin viennois. Entre 1905 et 1921, assistant puis médecin-chef
auprès de Julius Wagner-Jauregg, à la clinique neuropsychiatrique. Un des principaux
représentants de l'École psychiatrique de Vienne, Pötzl est admis comme membre à l'Association
psychanalytique de Vienne le 4 novembre 1917. En 1922, il est professeur titulaire à Prague ; en
1928, retour à Vienne, comme successeur de Wagner-Jauregg. Il a « mis fin [...] au désaveu de la
psychanalyse à l'université de Vienne, soutenant dans la mesure du possible les élèves de Freud.
Cependant sa position à l'égard de la psychanalyse est restée ambivalente tout au long de sa vie
» (Minutes, IV, p. 14). Voir Mühlleitner, Lexikon, p. 245-246. Le 6 juin 1917, il fit un exposé sur la
formation expérimentale du rêve, intitulé « Les images de rêves suscitées expérimentalement
comme illustration de l'analyse freudienne du rêve » (Minutes, IV, p. 348).
A la séance du 16 mai (Minutes, IV, p. 346).
77 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda
Unguentum simplex *
Poudre blanche
Cristaux blancs
le 3 juin 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Au même courrier, je vous adresse par les Chèques postaux les 200 couronnes d'acompte
que vous avez fait débiter pour nous. Dans cette lettre, je vais vous ennuyer avec d'autres voeux
et questions, conséquence de votre médiation.
A ce qu'on dit ici, il n'est pas possible de savoir à Vienne comment circulent les trains en Hongrie.
D'autre part, il y aura le 29 ou le 30 de ce mois, et même le 1" juillet, une folle bousculade sur tous
les trajets. Je vous prie donc de m'indiquer rapidement s'il est raisonnable de voyager via Budapest et
comment le train continue de là vers Csorba. Car on pourrait aller à Budapest de nuit, en wagon-lit,
mais il faudrait se procurer les billets deux à trois semaines à l'avance. Il serait aussi tout à fait souhaitable
d'avoir des informations authentiques sur l'itinéraire Vienne – Csolna – Csorba.
Je vous prie de m'indiquer l'adresse de l'administration de l'hôtel, etc., auprès de laquelle on
peut s'annoncer. Est-ce que Csorbatô se trouve dans le comtat de Liptau ou dans celui de
Szepes ?
Les prix pour le logement et la pension sont-ils réellement aussi modestes que vous nous
l'avez écrit (26,80) ? A Vienne, on raconte des histoires de prix fabuleux qui ne seraient
accessibles qu'aux grands propriétaires terriens hongrois.
Ici, pas grand-chose de neuf. Physiquement je vais bien, dès à présent, j'ai peu à faire. Le temps
d'attendre les Conférences, qui sont toujours en route. Prochainement, je vous enverrai une lettre, la
plus intéressante que j'aie jamais reçue d'un médecin allemand, dont le contenu a de nombreuses
convergences avec vos pathonévroses et la pensée lamarckienne. Il faut d'abord que j'y réponde'.
Mercredi, l'association se réunira à la clinique de Wagner [-Jauregg], sur
l'invitation du Dr Pötzl, qui ne cache plus son adhésion.
Et que se passe-t-il chez vous ? Est-ce que tout s'achemine vers la
solution définitive ? Pouvez-vous bien travailler?
Cordiales salutations,
votre Freud
680 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda
I
Dép. : Vienne-Est train avec wagons-lits 9 h 20 le soir
Arr. : Budapest-Est 7 h du matin
Dép.: Budapest-Est rapide 9 h 20 du matin
(Ne circule qu'à partir du 16 de ce mois.)
Arr. : Popràdfelka 5 h 12 après-midi
Dép.: Popràdfelka omnibus 6 h 32 le soir
Arr. : Csorba 7 h 06
De là, chemin de fer à crémaillère.
II
Dép.: Vienne-Est rapide
Arr. : Budapest-Est
Dép. : Budapest-Est omnibus
Wagons-lits jusqu'à Popràdfelka
Arr. : Popràdfelka 7 h 30 du matin
Arr. : Csorba 8 h 10 du matin De
Csorba, chemin de fer à crémaillère.
682 F
ProfDr Freud
le 8 juin 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
C'est hier que la lettre intéressante vous a été envoyée, et aujourd'hui, la troisième partie des
conférences. Je regrette que votre mutation ait entraîné des désagréments pour vous, mais ce ne sera
peut-être pas si dur à avaler. Je suis très impatient d'avoir de vos nouvelles personnelles.
J'ai reçu vos envois de Csorbat6 et j'espère maintenant pouvoir vous épargner d'autres
ennuis. Nous avons signalé notre départ d'ici pour le 31 VI à destination de Csorba ; j'en
informerai la direction. J'aurais pu vous épargner une partie de votre peine ; j'ai appris ici
depuis que le meilleur itinéraire passait par le train de nuit via Oderberg ; là nous faisons halte
pendant plusieurs heures et nous pouvons arriver à destination l'après-midi. Les billets sont
pris et les wagons-lits réservés.
Ma femme a déjà réagi à propos du train de munitions. J'ai appris aujourd'hui que le Dr
Freund considère son envoi de 20 kg de saindoux comme une « petite attention », et je ne
voudrais pas que vous suiviez son exemple. A supposer que les restrictions continuent en
automne, nous n'oserions plus vous demander quelque aide que ce soit.
Rank est arrivé par surprise mercredi soir et il vient de prendre congé à l'instant même. Il a fait
très bonne impression, il semble être passé par de lourdes épreuves, mais il revit et il a de bonnes
perspectives d'avenir comme associé dans une nouvelle maison d'édition importante'.
L'exposé de Pötzl était très intéressant, il a jeté un pont entre la physiologie des sens et la `PA
; en conséquence de quoi, nous l'avons invité à venir régulièrement à nos réunions. Il proclame
maintenant sans réserve son adhésion à l'analyse. C'était une impression étrange dans
l'amphithéâtre de Wagner et de la part d'un assistant de la clinique.
Heller a laissé Imago sans papier, et il est parti en voyage en Neutralie. Dans les mois prochains, le
monde s'assombrira encore beaucoup. Savoir ce qui en sortira, ou même en restera...
Cordiales salutations,
votre Freud
83 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda
Une partie des choses qu'il vous communique nous est connue, bien sûr : j'ai moi-
même vu un cas où, de temps à autre, sous l'effet de causes psychiques, survenaient
de véritables oedèmes de certaines parties du visage. Les autres faits, même s'ils sont,
pour la plupart, dans le domaine du possible, nécessitent une vérification urgente. Je
considère avec scepticisme le cas du Wassermann ' qui, d'abord positif, devient ensuite
négatif. Outre la valeur douteuse de cette méthode d'investigation, je ne parviens pas à
comprendre par quel chemin l'inconscient pourrait provoquer une telle réaction
sérologique. Il faut donc supposer que doit naître dans l'Ics une image de ce qui sera
produit dans le corps, et à laquelle le corps se conforme ensuite (si toute cette histoire
est vraie). Je peux encore m'expliquer la genèse d'une éruption d'allure syphilitique, ou
la genèse d'une hydarthrose 2, etc. Mais comment, à la suite de l'idée d'un «
Wassermann négatif », le Wassermann pourrait vraiment devenir négatif, c'est
impensable. L'image (l'idée) «Wassermann négatif» n'a rien de commun, assurément,
avec les processus sanguins encore inconnus. Le Dr Groddeck doit donc, même s'il sait
probablement produire bien des nouveautés, être malgré tout un fantaisiste. Mais cela
parle plutôt en sa faveur. A l'évidence, il ne travaille pas avec notre psychanalyse, mais
presque exclusivement avec le transfert (à lui-même partiellement inconscient), c'est-à-
dire avec la suggestion au sens ancien du terme; mais peut-être suggère-t-il avec plus
de succès que d'autres, puisqu'il a acquis des connaissances tira (manifestement par
une voie dont il ne veut pas se souvenir). Emploie-t-il aussi, inconsciemment, d'autres
forces Ili (transmission de pensée), je laisse la question ouverte. – Ce qu'il dit au sujet de
la théorie (possibilités d'application des principes >Ira au corporel) est courant pour nous.
Mais son penchant pour les sectes et le mysticisme s'exprime dans l'utilisation
systématique du mot « ça » au lieu d'« Ics ». Toutefois, certains exemples sont très
intéressants (ainsi le cas d'une sclérodermie 2du pied à la suite d'un fantasme de coup
de pied à l'enfant puîné). Il est certain que l'on devrait faire la connaissance de cet
homme. Malheureusement, cela rappelle la visite au petit curé bavarois Staudenmayer,
qui s'est révélé être une démence précoce. Mais, même ainsi, il pourrait nous enseigner
bien des choses nouvelles. Je suis curieux de savoir comment vous allez interpréter ce
cas.
Je me suis senti un peu honteux lorsque vous m'avez indiqué le seul itinéraire
correct pour Csorba, celui que la demoiselle du bureau de voyages d'ici (au
demeurant encore inexpérimentée) n'a pas su me dire. Il est possible que j'utilise
une brève permission « sans aucun motif », qui m'est
encore due malgré celles accordées pour maladie, et que je vienne vous voir à Csorba.
Quant au petit envoi de munitions, vous n'avez malheureusement pas à y voir un précédent car, ainsi
que je viens de l'apprendre, d'autres envois de ce genre ne seront plus guère possibles. Votre souci disparaît
donc de ne plus pouvoir me mettre à contribution dans l'avenir. En conséquence, considérons-le également
comme une « petite attention ».
Je me réjouis beaucoup de l'amélioration et des bonnes perspectives de Rank. Sachs m'a demandé de louer
une chambre à la montagne à l'intention de son amie. J'ai peu d'espoir d'y parvenir. La demande d'une
troisième chambre pour vous a aussi été refusée. Peut-être trouverez-vous quelque chose sur place.
Ma soeur, qui séjourne jusqu'au 1" juillet dans un petit établissement thermal non loin de Csorba, parle
d'une assez grande fraîcheur dans cette région. Alors, encore une fois : emportez beaucoup de vêtements
chauds!
Prière de faire savoir à Heller que, suite au retard des cahiers d'Imago, l'article de Rôheim devra peut-être
paraître un peu plus tôt en hongrois (à la fin de cette année), mais ceci ne portera guère préjudice à sa
diffusion en langue allemande. En tout cas, je dois obtenir son accord, pour que le Dr Rôheim fasse
entreprendre la traduction.
J'aurais été très intéressé par la conférence de Pötzl. Le Dr Sachs pourrait lui proposer de donner cet
article à la Zeitschrift.
Hier, le traducteur hongrois de Totem et tabou était ici. Il promet de le réviser à fond, dans le sens que j'ai
demandé. Le Dr Röheim est prêt à revoir la traduction du point de vue ethnologique.
Un autre jeune ethnologue hongrois très sympathique, Jellinek (millionnaire, aussi mon patient, névrose
obsessionnelle, passe bientôt son doctorat), a fait une très jolie trouvaille. Il paraît que les étymologistes
pensent que le mot latin amicus provient du mot umbilicus. Et Jellinek dit que les tribus australiennes scellent
leur pacte d'amitié par l'échange de leurs Tschuringas (c'est-à-dire les restes conservés et desséchés de leurs
cordons ombilicaux). J'ai fait remarquer à Jellinek la racine homosexuelle de l'amitié mise en évidence
par la `PA, et lui ai dit que la cérémonie devrait signifier quelque chose comme: les amis deviennent l'un
pour l'autre mère et enfant ; cela correspondrait à l'explication fra de l'inversion : jouer le rôle de la mère
auprès de l'ami.
Jellinek m'a également promis une collection d'intéressantes interprétations de rêve de l'Antiquité. (Je
me souviens de l'une d'elles : « en rêve, une femme est scellée au moyen d'une bague à cachet ».
Interprétation de l'auteur antique : la femme est engrossée, car on ne scelle qu'un récipient plein. Je trouve cela très
bon et s'accordant parfaitement avec l'expression argotique « petschieren » A 4.)
Il règne ici une grande incertitude quant à la politique intérieure. Qu'entendez-vous par
l'assombrissement des mois à venir?
Cordiales salutations de votre Ferenczi
684 F
Prof. Dr Freud
le 15 juin 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je regrette beaucoup que votre travail quotidien vous dévore entièrement à présent, au point
qu'il ne reste plus rien pour recueillir et produire. Je souffre du contraire, je n'ai plus que 3 séances
et je m'ennuie. Mais le résultat est le même. Manifestement, de l'une ou de l'autre façon, on n'atteint
pas l'optimum.
Vous pouvez rapporter au Dr Rôheim qu'Imago publiera certainement son article en 1917,
pourvu qu'il envoie très rapidement la traduction, et que nous n'attachons pas d'importance à une
petite avance de l'édition hongroise. C'est justement Imago qui est en manque actuellement.
Je retrouve dans votre réaction envers le Dr Groddeck un de vos vieux traits de caractère, la tendance
à laisser l'étranger à la porte. C'est bien ce qu'il souhaite lui-même, il demande, il supplie, de ne pas être
reconnu comme analyste. Je lui ai répondu que je ne pouvais pas lui faire ce plaisir' ; j'ai attiré son
attention sur ses deux péchés capitaux: son ambition banale ainsi que sa partialité philosophique; en
effet, ses expériences ne lui permettent pas, naturellement, de nier la différence entre psychique et
physique, mais ne font que mettre en évidence une force – insoupçonnée – du facteur iJr. J'attends
maintenant sa réponse avec curiosité. Je partage volontiers vos doutes au sujet de certaines de ses
communications. Mais le tout nous pousse vers notre travail sur Lamarck.
Bien sûr, je ne connais pas la distance entre Tàtra-Lomnitz et Csorba, ni les facilités de transport
entre les deux, mais je prévois des occasions multiples de voir Madame G., que nous mettrons toutes
à profit. Il est très dur d'être dans l'impossibilité d'avoir une troisième chambre, et cela ne pourra être
compensé par rien.
1917 247
Quant au monde extérieur, je considère comme certaine la poursuite de la guerre jusqu'à ce que les
Américains puissent s'en mêler 2 et, par conséquent, la disparition de l'espoir de paix pour 1917. Selon
l'humeur, on peut attendre le pire de la quatrième année de guerre. Il faut, heureusement, laisser une
place aux facteurs et aux événements totalement imprévisibles. Tout cela n'est pas beau.
Cordialement, votre
Freud
« Je vous ferais évidemment grand plaisir en vous reléguant avec Adler, Jung et d'autres. Mais je
ne puis le faire, je revendique mes droits sur vous et suis obligé d'affirmer que vous êtes un analyste
de premier ordre qui a, une fois pour toutes, saisi l'essence de la chose. Quiconque a reconnu que le
transfert et la résistance constituent le pivot du traitement appartient sans retour à notre horde
sauvage. » (Lettre du 5 VI 1917 ; Sigmund Freud, Correspondance 1873-1939, op. cit., p. 42.)
Les États-Unis ont déclaré la guerre à l'Allemagne le 6 avril ; les premiers contingents
importants de la flotte américaine depuis la déclaration de guerre sont arrivés dans le Midi de la
France le 7 juin.
85 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda
Des parties importantes de cette lettre portent des taches d'encre, de sorte que la
date, en particulier, est difficile à lire.
Dans le manuscrit, parenthèses dans les parenthèses.
Une demeure imposante située au 45 Hermina tilt, à côté du Bois de Ville (Vârosliget). Istvàn
Tisza, le Premier ministre, résidait dans ce même immeuble, et c'est là qu'il fut assassiné le 30
octobre 1918.
Les barons Hatvany appartenaient à une grande famille de Juifs anoblis. Des trois frères et une
soeur, l'un était peintre et les trois autres des gens de lettres. Ici, il s'agit sans doute de Ferenc
Hatvany (1881-1958), peintre (en particulier de nus féminins), et de Lajos Hatvany (1880-1961),
écrivain, personnalité importante de la vie culturelle en Hongrie, un des fondateurs de la revue
Nyugat et mécène des poètes Endre Ady et Attila Jôzsef. Après 1919, il émigra à Vienne, puis, en
1927, retourna en Hongrie. Auteur de nombreux ouvrages.
686 F
Prof. Dr Freud
le 22 juin 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Ci-joint la lettre de Groddeck', arrivée aujourd'hui. Vous le trouverez
certainement, comme moi, un peu fatigant; le patient aurait pu faciliter la
tâche au médecin s'il lui avait communiqué les conclusions au lieu du
matériel, et il faut une bonne dose de contentement de soi pour se conduire
ainsi. Néanmoins, impression globale : laudabiliter se subjecit 2.
A la fin de la lettre, il va jusqu'à solliciter un avis de votre part; il
vous appartient de lui accorder.
1917 249
Nous entamons la dernière semaine avant de partir à la découverte des Tatras. Temps calmes
et sombres. Annerl est encore passée par une otite moyenne bénigne, sans suppuration, que
votre ami Neumann 9 a traitée avec beaucoup de gentillesse.
Le destin semble bien parti pour me faire passer mon vice favori 4. Mais, comme Francis
Bacon, je voudrais dire: « I won't be plucked of my feathers * 5.
Vous êtes certainement encore très occupé.
Cordiales salutations,
votre Freud
* En anglais dans le texte : je ne me laisserai pas plumer.
Incomplètement reproduite dans Ça et Moi, op. cit., p. 44.
Auctor laudabiliter se subjecit : l'auteur a fait amende honorable. Phrase rajoutée à un livre
par l'index de la congrégation (catholique) quand un auteur s'était rétracté après que son
oeuvre eut été déclarée dangereuse ou contestable.
Voir 552 Fer et la note 1.
L'habitude de fumer.
Voir 566 F et la note 1.
87 Fer (à Hanns Sachs)
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda
Cher Ami,
Espérons que l'affaire lancée par mon télégramme ` d'aujourd'hui pourra se
réaliser. Tenez-moi informé.
En ce qui concerne les affaires scientifiques, voici ce que j'ai à vous
communiquer:
Le « Miroir magique » du Dr Rôheim est en cours de traduction. Vous recevrez les trois
premiers cahiers d'ici trois semaines, de sorte qu'un des numéros d'Imago est sauvé. – Le reste
suivra très bientôt.
Je joins à cette lettre deux comptes rendus pour la Zeitschrift : la critique Schultz – corrigée
(atténuée) – et un compte rendu écrit depuis longtemps et que, depuis longtemps, j'aurais dû
compléter sur quelques points (à propos du dernier livre de Mach) ; mais je n'arrive à rien, de
sorte que vous devrez vous contenter du vieux texte. Vous pouvez utiliser le compte rendu sur
Mach à votre guise, pour la Zeitschrift ou pour Imago 2. - L'article sur les stigmates hystériques, que
j'ai écrit bien avant les « pathonévroses » 3, nécessite, à cause de ce Hysteron-proteron 4, un
petit complément dans le sens des « Pathonévroses ». S'il vous plaît, renvoyez-les-moi en vue
d'une utilisation rapide. Je ne sais pas encore si j'aurai le temps d'écrire d'autres comptes rendus.
Pour l'instant, il n'est pas
question de travaux originaux (de ma part). Je suis occupé de 7
heures du matin jusqu'à 8 heures et demie du soir.
Je suis, bien sûr, d'accord avec la maquette de la « Zeitschrift ». Vous devriez user moins
généreusement du nom « Kardos », sous peine d'éveiller trop de curiosité. En fait, vous
pourriez choisir parmi les noms les plus beaux – et «faut-il justement qu'il vienne toujours de
Hongrie 5 ? »
Par le passé, le Prof.[esseur] Freud souhaitait une modification de la critique sur Mach,
essentiellement parce qu'il ne voulait pas que nous nous compromettions avec lui, encore
vivant à l'époque. A l'égard d'un mort, ces considérations tombent s. Sa deuxième objection,
à l'époque: l'insistance exagérée sur « l'idée de la projection d'organe » dans le développement
de la mécanique, devient caduque, je crois, du fait qu'entre-temps nous avons envisagé de
traiter du développement organique sur une base plus large. De toute manière, dans la
pénurie actuelle d'Imago nous pouvons aussi gober cette mouche-là.
Cordiales salutations de
votre Ferenczi
Non retrouvé.
Il s'agit de la note de lecture de Ferenczi (1917, 205) concernant l'ouvrage de Schultz, S.
Freud's Sexualpsychoanalyse (Psychanalyse sexuelle de S. Freud) [voir 662 F et la note 2] et de
l'article « La psychogenèse de la mécanique. Remarques critiques sur un essai d'Ernst Mach
» (1919, 219), Psychanalyse, III, p. 44-52. Ferenczi avait adressé ce dernier article à Freud le 23
novembre 1915 (voir 577 Fer et la note 1) et l'avait modifié selon le désir de celui-ci (voir 579
F) ; l'article parut dans Imago.
«Tentative d'explication de quelques stigmates hystériques » (1919, 221), Psychanalyse, III,
p. 66-72, et « Les psychonévroses » (1917, 195), Psychanalyse, II, p. 268-277.
Figure rhétorique grecque. Hysteron : derrière, dernier ; posteron : antérieur, premier. Il
s'agit du renversement de l'ordre naturel des deux termes.
Deux communications du Dr Kardos ont paru dans la Zeitschrift : « Zur Traumsymbolik » (De
la symbolique du rêve) [1916/1917, 4, p. 113-114] et « Aus einer Traumanalyse (Fragment
d'une analyse de rêve) [ibid., p. 267-269]. Il s'agit du pseudonyme « Kardos » (en hongrois :
homme d'épée), probablement adopté par Sachs. Plus tard, en 1919, deux autres articles
seront signés de ce nom : « Zwei Inzestträume » (Deux rêves d'inceste) et « Zur Stiegensymbolik
im Traume» (Symbolique de l'escalier dans le rêve) [1919, 5, p. 229-230].
Mach est mort en 1916.
688 Fer A
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda
89 F A
90 F
Prof. Dr Freud
692 F A
Csorbatô, le 9 juillet 1917 =
A. Télégramme.
693 F
ProfDr Freud
695 Fer A
jeudi [le 19 juillet 1917]
A. Carte postale.
696 Fer
Kôtaj, le 7 août 1917
Cher Ami
Apprenez par la présente ce qui s'est encore passé ici, par suite de votre
séjour à Cs[orbat6] et ses environs. D'abord sont arrivés du chocolat et de la
vaseline (plutôt de la poudre) * venant de votre part, de Tàtraf(ired ; ensuite,
un salami de boeuf de votre ville natale, et aujourd'hui une boîte de cinquante
cigares de Kôtaj ! Entre-temps Varyas 1 était là, et il a apporté des oeufs, du
beurre, un peu de farine et du fromage de brebis fumé. Une personne
anonyme a laissé du fromage blanc et du beurre ; il est apparu qu'il s'agissait
de Madame le Dr Lévy (ce qui doit rester secret). J'ai été hier, avec ma femme,
à Tätra- Lomnicz, pour faire mes adieux à Madame G. et me prêter à
l'entretien secret avec Madame le Dr L.[évy]. Nous avons été invités à un
goûter compliqué chez Vidor 2 et nous sommes partis comblés de cadeaux
comme des Schnorrer **. Que Madame G. s'y soit distinguée à nouveau, cela
va sans dire ***. Elle avait une excellente mine et elle a été très tendre avec
ce garnement de Willi s. J'ai évidemment discuté avec elle des problèmes en
suspens et j'ai eu l'impression qu'elle mettrait en oeuvre tout ce qui était
nécessaire. « Nous serons heureux, j'en suis sûre ! » a-t-elle dit. Je le crois
aussi.
Une révolte aiguë de mon estomac m'empêche aujourd'hui de jouir de
tous ces trésors. Comme je ne peux pas vomir, je me suis senti fort mal ce
matin. A présent, je compte sur un succès rapide de la diète.
258 Correspondance 1914-1919
698 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda
* En français dans le texte. Mot français utilise en Autriche dans le sens d'affrontement. 1. Voir
694 Fer, note 1.
Prof. Dr Freud
700 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda
votre Freud
le 10 septembre 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Ci-joint, deux photos' prises en votre présence et avec votre
participation. La plus souriante est dédiée à Madame G.
Je n'ai rien entendu de vous depuis longtemps. Pendant la première semaine à Vienne 2,j'ai
commencé à travailler, et j'ai même livré à Sachs une petite chose (sur « Fiction et vérité ») 3. Je
pense continuer à travailler, puisque de toute façon on ne peut rien entreprendre d'autre. Deux
patients sont revenus, quatre autres sont attendus début octobre. La santé, passablement
fluctuante. Qui a des dons pour l'hypocondrie peut versifier tant et plus là-dessus.
Ernst est ici, à l'hôpital, avec un diagnostic d'ulcère duodénal, et il vient souvent à la
maison. Il n'a pas spécialement bonne mine et aspire à un congé prolongé. Martin est à
l'Isonzo, Oli encore à Krems.
Le temps est chaud, difficile à supporter. L'infection intestinale rôde.
Dans l'attente de vos bonnes nouvelles, cordialement,
votre Freud
Non retrouvées.
Le 1" septembre, Freud était de retour à Vienne. (Notes sur le calendrier de Freud,
LOC.) « Un souvenir d'enfance dans Fiction et Vérité de Goethe » (Freud, 1917b), trad.
E. Marty et M. Bonaparte, Essais de psychanalyse appliquée, op. cit., p. 149-161.
705 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda
Le 17 septembre 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
C'est la première fois qu'une lettre de vous me produit un étrange effet.
Je dois retenir des chambres à Budapest, vous me devez encore 300
couronnes. Votre écriture aussi m'a paru changée. Dans mon humeur
assombrie qui, à présent, surgit de temps en temps, je me suis dit, résigné
: alors celui-là aussi est devenu meschugge *.
Tout à coup, m'est venue une pensée salvatrice à laquelle je me tiens. La
lettre est adressée à Rank et a été intervertie. Je la renvoie avec celle-ci,
mais, puisque je n'ai encore rien reçu de vous ce mois-ci, j'exige un
dédommagement.
Avec un salut cord.[ial],
votre Freud
* En yiddish dans le texte : fou, timbré.
07 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda
le 24 septembre 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Non, j'ai été vite apaisé. La lettre que Rank m'a renvoyée peu après, sans l'avoir lue, m'a paru
rassurante, ainsi que votre missive d'aujourd'hui. Reste une tâche analytique intéressante et le
fait que vous ne vous accordiezpas encore le droit d'atteindre au but. Mais suffit, tout va bien.
Dommage que vous n'ayez pas volé jusqu'ici, et pas pour les victuailles: ce qui nous manque, vous
ne l'avez plus non plus. Dans l'ensemble, on se nourrit mieux qu'au printemps et l'été dans notre ville.
Mais nous aurions bavardé de nouveau. Que vous ne puissiez rien faire actuellement, outre les affaires
courantes, je le crois volontiers. J'espère que vous ne lâcherez pas la Zeitschrift.
Je progresse en matière de sérénité, je travaille donc aussi sans passion. « Un souvenir d'enfance
tiré de " Fiction et Vérité "» a été remis à Imago. Je rédige en ce montent une troisième contribution à
la vie amoureuse : Le Tabou de la virginité et la soumission sexuelle ' (reposant sur R6zsi F.[reund]).
Vous voyez, rien n'est trop petit pour moi. Peut-être me mettrai-je moi-même à notre grand travail sur
Lamarck, si tout va bien. La pratique n'est pas encore assez importante pour provoquer une activité
réactionnelle. 6 patients seulement, tous des hommes en ces temps si pauvres en hommes; 2
seulement sont hongrois. J'en attends cependant encore 2 ou
Mais je ne prendrai sûrement pas Mlle Berger. Le cas se présente comme une paralysie bulbaire
2, une amyotrophie, une sclérose multiple, etc. Je suis d'ailleurs certain de ne pas l'avoir vue, peut-
être ai-je eu une correspondance à son sujet. Ma mémoire pour tout ce qui est médical, sauf pour
ce qui a trait à mes patients analytiques, est très mauvaise.
Minna est rentrée hier, bien reposée, Anna est tout feu tout flamme à
son travail s, elle a un contrat qui lui rapporte 2 000 couronnes par an.
Ernst a obtenu de l'hôpital un congé de quatre semaines qu'il passe
maintenant à la maison. Le gredin est encore allé se chercher une petite
gonorrhée (à Graz ou à Agram) dont il faut maintenant le débarrasser en
secret. Oli est à Cracovie et fait l'éloge du ravitaillement. Martin,
actuellement observateur sur l'Isonzo (Wippach), est celui qui nous donne
des soucis. Je ne crois pas à la paix prochaine.
Salutations cordiales pour vous et Madame G.,
votre Freud
« Le tabou de la virginité », in La Vie sexuelle, op. cit., chap. [v, n° 3, p. 66-80.
Paralysie consécutive à une maladie de la moelle épinière. En 1885 et 1886, Freud avait
concentré ses recherches sur la moelle épinière et publié trois articles concernant sa structure
(1885d, 1886b [en collaboration avec L. O. Darkschewitsch], 1886c).
Comme institutrice au Cottage Lyzeum. Après deux années comme suppléante (19151916
et 1916-1917), elle fut titularisée. en 1917-1918 et obtint un contrat de quatre ans (E. Young-
Bruehl, Anna Freud, op. cit., p. 69).
709 F
Prof. Dr Freud
le 9 octobre 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Sachs vous enverra une petite publication de Groddeck de Baden-Baden, à laquelle vous êtes
préparé par sa correspondance avec moi et à laquelle je vous prie de consacrer, sans trop tarder, un
compte rendu détaillé et bienveillant'. Je connais et partage vos objections, mais le noyau de l'affaire
coïncide avec vos pathonévroses et notre idée lamarckienne, et mérite certainement notre attention.
Savoir dans quelle mesure les constructions de Groddeck sont justifiées, cela reste à vérifier par une
expérimentation appropriée. En outre, nous avons un intérêt personnel à l'attirer dans le cercle de
nos collaborateurs et à veiller sur ce qui dévie de nos schémas de pensée sans s'en écarter
fondamentalement. Il m'a aussi proposé aujourd'hui, dans une lettre, des contributions que je dois
accepter, me semble-t-il.
Ces derniers temps, je n'ai eu de vous que des nouvelles indirectes, mais toutes étaient bonnes. Sans
doute vous réservez-vous les nouvelles de votre affaire, d'autant que la décision est plus proche.
J'ai reçu récemment une lettre touchante d'Abraham, avec une plainte contenue à propos du
changement des temps et des circonstances 2. Tausk a déjà envoyé sa contribution sur l'éj.[aculation]
pr.[écoce] 8 ;je ne sais pas si vous voulez que la vôtre soit imprimée en même temps'.
Je travaille en ce moment avec neuf patients, huit séances par jour, sans
aucun surmenage, simplement effrayé qu'avec de telles recettes je n'arrive pas à subvenir aux
besoins du ménage. Mon jugement sur les temps qui courent est extrêmement pessimiste et je pense
que, s'il ne se produit pas une révolution parlementaire en Allemagne, nous devons nous attendre
à la poursuite de la guerre jusqu'à l'effondrement final.
Ernst est encore à la maison, mais il ne lui sera pas facile d'obtenir une prolongation de son congé;
Martin écrit régulièrement, toujours avec un décalage de 12 à 15 jours.
Ces jours-ci, mon intestin a rendu le problème du ravitaillement encore plus difficile. Sinon, je me
sens beaucoup mieux qu'au temps de la belle oisiveté.
Je vous salue, ainsi que Madame G. ; que ceci soit désormais la formule
consacrée.
Cordialement, votre
Freud
1. Voir aussi 716 Fer. Victor Gonda réalisa des « guérisons » spectaculaires de traumatismes de guerre
en employant la suggestion et le courant faradique. Comme en témoignent certains de ses écrits, sa
pratique était teintée d'un certain sadisme. V. Gonda, «Guérison rapide de la névrose traumatique
déclenchée par la guerre », Oruosi Hetilap (Hebdomadaire médical), 13 août 1915.
711 Fer
Dimanche, le 14 octobre 1917
713 F
Prof. Dr Freud
le 6 novembre 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je ne vous ai pas écrit depuis longtemps, et c'est hier seulement que j'ai eu de vos nouvelles. D'une
façon générale, je m'impatiente pour vous, les choses avancent trop lentement à mon gré, et je
n'aimerais laisser partir Annerl pour Budapest que lorsque vous et Madame G. aurez une chambre
d'amis disponible. Au demeurant, nous autres ne sommes pas d'humeur très voyageuse ; la haute
autorité prie instamment de renoncer à tout voyage et, en attendant, rend les choses aussi
inconfortables que possible.
Pas une ligne de Martin ne nous est parvenue depuis le début de l'offensive, le 23 X t, pas plus que
des autres qui sont là-bas. Oli écrit, très satisfait de son nouveau poste à la frontière de la Bucovine-
Bessarabie, où ils construisent des ponts. Ernst est ici jusqu'à la mi-novembre, pour le plaisir de tous; il
ira ensuite à Szombathely, mais il a fait une demande de mutation pour Vienne. Quand il repartira de là-
bas, il vous rendra visite à Budapest.
Chez moi, la bousculade continue, 8 ou 9 analyses par jour, 3 personnes « sur la liste » attendant leur
tour. (J'espère que vous avez augmenté vos honoraires comme il convient.) Je m'en trouve fort bien, seule
l'abstinence de tabac n'est pas compatible avec un tel travail. Hier, j'ai fumé mon dernier cigare; ensuite,
j'étais fatigué et de méchante humeur, j'avais des palpitations et une augmentation de l'oedème douloureux
du palais, notable depuis les jours maigres (carcinome?, etc.). Puis un patient m'a apporté 50 cigares, j'en
ai allumé un, je suis devenu gai et l'affection du palais a rapidement régressé ! Je ne l'aurais pas cru si cela
n'avait été aussi flagrant. Tout à fait Groddeck.
Le Tabou de la virginité est achevé. Maintenant, je vais préparer l'essai sur la mélancolie pour la
publication 2.A part cela, je suis surtout occupé par ce que j'observe chez les malades, en premier
lieu le sentiment de culpabilité.
Le 24 octobre commençait la douzième et dernière bataille de l'Isonzo, qui devait durer jusqu'au 2
décembre et s'achever par l'effondrement de l'armée italienne.
Voir lettre de Freud du 7 II 1915 (non numérotée), et la note A.
Dimanche
Budapest, le 18 novembre 1917
Alors, maintenant, je vais de nouveau essayer de dormir. Je dois — et je veux — me lever à 7 h du matin,
aller voir cet appartement et éventuellement surprendre Gizella avec la nouvelle que notre nouveau foyer
est prêt.
N.B. Toutes mes hésitations n'ont pas retardé l'affaire du divorce. Malheureusement, en Hongrie il est
juridiquement inévitable que les époux qui veulent se séparer n'habitent plus ensemble depuis au moins
six mois.
Toutes mes salutations, et merci pour votre dernière lettre.
Votre Ferenczi
* En latin dans le texte: sous prétexte de.
** En latin dans le texte: stade définitif.
*** Littéralement, selon le dicton autrichien: il ne faut pas peindre le diable sur le mur, au risque de le
faire apparaître.
**** Ainsi dans le texte.
Allusion à l'ouvrage de Jung Métamorphoses et symboles de la libido dont Ferenczi a rédigé la critique détaillée
en 1913 (Psychanalyse, II, p. 88-104).
« Phénomènes de matérialisation hystériques. Un essai d'explication de la conversion et du
symbolisme hystérique » (Ferenczi, 1919, 220), Psychanalyse, III, p. 53-65.
Sensation de « boule dans la gorge », symptôme caractéristique de l'hystérie.
715 F
Prof. Dr Freud
le 20 novembre 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Votre lettre m'a conforté dans toutes mes convictions : d'abord il n'y a pas d'autre issue
pour vous que d'épouser Madame G., ensuite, vous ne cesserez de produire des « évitements
» que devant le fait accompli. Si seulement les malheureux six mois étaient déjà passés ! Il ne
vous manquera plus, alors, que de recevoir un beau cadeau de mariage.
Vous insistez sur la répugnance qu'ont suscitée en vous les signes de vieillissement chez
Madame G. Ceux-ci sont indéniables, mais vous les considérez sous une fausse
perspective. Peut-être pensez-vous que, étant moi-même devenu vieux, coupé de la
jeunesse, je ne vous accorde, à vous aussi, qu'une vieille femme. Non, je n'aurais pas cru
cela de votre part. Mais il ne s'agit pas, ici, de choisir une femme. Elle est déjà votre femme
depuis quinze ans, elle l'est devenue quand elle était jeune et belle, elle a vieilli avec vous
et on n'a pas le droit, pour ce motif, de repousser sa femme après de si longues années. Il
ne s'agit plus, à présent, que de transformer un mariage inconfortable en une agréable vie
commune. D'ailleurs elle a, aujourd'hui, avec tous les défauts de l'âge – purement
somatiques – toujours incomparablement plus de valeur que la plupart des femmes à la
peau fraîche et aux formes parfaites qu'on épouse. Enfin – vous le savez vous-même. Ce
qui vous échappe par ailleurs vous sert de juste punition et, en tant que telle, satisfera de
nouveau un besoin intérieur.
Que vous ayez réveillé votre imagination scientifique est une bonne chose. Aussi bien les
temps exigent-ils des performances de chacun d'entre nous ; ils vont devenir difficiles. Je suis
sans doute le seul à avoir le droit de flirter avec le repos. J'ai beaucoup travaillé, je suis usé
et commence à trouver le monde affreusement repoussant. La superstition qui limite ma vie
au mois de février 1918 me semble souvent bien aimable. Il m'arrive d'avoir à lutter longtemps
pour reprendre le dessus.
Dans une sorte d'urgence à faire tourner la maison, j'ai remis à Sachs deux essais de
métapsychologie (Deuil et mélancolie, complément 1.4 des rêves)', pour le dernier cahier
de la Zeitschrift. (Le reste pourra être passé sous silence.) En effet, si la guerre continue,
je crains un arrêt de nos revues ; contre cela il n'y aurait rien à faire.
Ernst vous rendra visite ces jours-ci, il est de nouveau en bonne forme ; une caisse est
arrivée de la part de Martin, avec son butin de Palmanova ; Oli écrit du Dniestr, très
content.
Un de mes patients me pourvoit en cigares, plus abondamment que,
jusqu'à présent, la buraliste. En ce qui concerne les vivres, cela va presque
mieux que l'année dernière.
Aujourd'hui m'est tombé entre les mains un écrit d'Adler sur le problème
de l'homosexualité, tout à fait stupide et singulièrement insuffisant 2.
Pfister a envoyé une série d'exposés bien honnêtes ( Qu'offre la `PA à l'éducateur? »)
que nous avons confiée à Madame Hug pour en faire un compte rendu 3. La dernière
soirée de l'Association était très animée 4. Par bonté d'âme, je vous épargne l'envoi
imbécile d'un Zurichois, le Dr Schneiter 5, qui semble s'être détaché de Jung.
Cordiales salutations de
votre Freud
Freud 1916-1917g [1915] et 1916-1917f [1915] (Dans la S. E., ces deux articles correspondent à
1917e [ Deuil et mélancolie », OEuvres complètes, XIII, p. 259-278] et 1917d [ Complément
métapsychologique à la doctrine des rêves », ibid., p. 243-258].)
Le Problème de l'homosexualité, Munich, 1917.
Oskar Pfister, Was bietet die Psychoanalyse dem Erzieher ? (Qu'offre la psychanalyse à l'éducateur?),
Leipzig, 1917 ; note de lecture par Hermine Hug-Hellmuth dans la Zeitschrift (19161917, 4, p. 344-
345) et dans Bericht über die Fortschritte der Psychoanalyse 1914-1919 (Leipzig, 1921).
Réunion du 14 novembre 1917 avec des exposés et des comptes rendus de différents membres
(Minutes, IV, p. 349-351).
Probablement le Dr Carl Schneiter. L'Index of Psychoanalytic Writings de Grinstein ne mentionne aucun
article entre 1914 et 1921. En 1917, Schneiter était membre et expert-comptable du
Psychologischen Club Zürich de Jung.
B.[udajpest, le 13 décembre 1917
717 F
Prof. Dr Freud
le 16 décembre 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je vois avec plaisir que vous menez une vie idyllique et calme, en guise d'introduction
à une vie plus plaisante et enrichissante encore. En obtenant votre mutation, Lévy a eu
bien du mérite. J'espère aussi que vous réaliserez maintenant bientôt votre projet de
venir à Vienne.
J'ai insisté énergiquement auprès d'Annerl pour qu'elle n'aille pas passer les jours de fête à
Budapest. De quelque côté que l'on se tourne, le moment n'est pas opportun. Ernst a dû
attendre à Sz.[ombat]h.[ely] plus longtemps qu'il ne le pensait son transfert à Vienne, et n'a donc
pu réaliser son projet. Maintenant il est ici, bien confortable, et vit comme dans une paix
séparée'.
J'ai souri de votre optimisme avec quelque indulgence. Vous semblez croire à un « éternel
retour du même 2 » et vouloir ignorer absolument la direction univoque dans le déroulement
de la courbe. En effet, il n'y a rien de remarquable à ce qu'un homme de mon âge constate
l'inévitable déclin de son être, par à-coups. J'espère que vous serez bientôt convaincu que je
ne souffre pas pour autant de mauvaise humeur. Avec mes 9 détraqués, je
domine parfaitement mon travail toute la journée, je peux à peine calmer
mon appétit, mais je ne trouve plus le bon vieux sommeil.
L'interruption de nos revues est imminente, pour cause de pénurie de papier, comme
vous devez le savoir par Sachs. On cherche en vain un papier de couverture pour le n° 2
d'Imago, prêt depuis longtemps. J'aimerais bien sortir encore le n° 6 de la Zeitschrift.
C'est un cas de vis major *.
Dans l'ensemble, nous sommes dans un tel état de désolation qu'une paix immédiate
pourrait à peine nous en sortir. Dans la querelle entre Entente et Pacte des Quatre, j'ai
adopté définitivement le point de vue de la reine de Heine dans la controverse:
Mais volontiers je croirais que 3...
Avec mes salutations cordiales à Madame G. et à vous,
votre Freud
*' En latin dans le texte: force majeure.
Ernst est venu le 6 décembre 1917 à Vienne, d'où il est reparti pour Dresde le 3 janvier 1918.
(Notes sur le calendrier de Freud, LOC.)
Idée déjà conçue par les philosophes grecs (par exemple Platon), reprise et élaborée par Nietzsche.
«Je ne sais qui a raison/Mais volontiers je croirais/Que le moine et le rabbin/Sentent tous deux
mauvais. » (Derniers vers de la « Discussion » de Heinrich Heine, Romanzero, livre III, Mélodies
hébraïques, trad. Louis Laloy, Paris, Rieder, 1926, p. 178.)
Budapest de nouveau après minuit le
19/20 décembre 1917
Cet après-midi, la soeur d'une ancienne patiente s'est présentée chez moi
et m'a annoncé que celle-ci s'était tuée d'un coup de revolver.
Je dois tout de suite rectifier. En réalité, il ne s'agissait pas d'une patiente « ancienne »,
mais d'une patiente « débutée » puis renvoyée. Je crois avoir parlé d'elle ou écrit à son sujet
une fois.
Elle est venue chez moi il y a un an à peu près, avant mon voyage de convalescence au
Semmering; une jeune fille très pauvre, très belle, très
intelligente et fort sensible. Des conditions matérielles rendaient la cure impossible.
De mon côté, j'étais justement dans une période d'hésitation à propos de Madame
G. ; sa jeunesse et sa gentillesse m'ont enchanté ; je me suis laissé entraîner à lui
donner un baiser. [La répétition du cas Elma.] A. Elle est revenue peu après. Je me
suis abstenu de toute autre intimité et, comme elle était très malheureuse et
(névrotiquement) attirée par la mort, et comme, par ailleurs, elle semblait posséder
un don littéraire, je lui ai fait écrire quelques souvenirs d'enfance, une ergothérapie
en quelque sorte'. Mais, en même temps, j'empêchai (par jalousie aussi, peut-être)
qu'elle ne soit « abîmée » dans les cercles littéraires, pensant que ce serait dommage
pour elle. Elle ne s'est pas laissé expédier de la sorte et a réclamé énergiquement
une analyse. Aussi lui ai-je donné 2 séances par semaine, à 3 couronnes par séance,
pour le principe ; elle apporta pas mal de choses, mais parut vouloir s'attarder dans
le transfert (ce qui n'est pas étonnant après ce qui s'était passé). L'analyse s'enlisait
de plus en plus ; après l'interruption due à ma maladie, elle est revenue — pour peu
de temps —, mais demanda bientôt elle-même une nouvelle interruption que je lui
accordai. Je ne l'ai pas revue pendant longtemps.
Il y a quelques semaines, son beau-frère (qui, pendant des années, avait été son idéal et
voulait aussi un contact sexuel avec elle) s'est tiré une balle. Elle m'a écrit une lettre
désespérée. Il y a 15 jours à peu près, elle est venue, tout à fait résignée en ce qui concerne
son beau-frère, mais avec le projet de poursuivre l'analyse. Je me suis dérobé, prétextant des
obligations militaires, etc., et je l'ai fait patienter en proposant une date ultérieure. Vendredi
dernier, elle est venue pour la dernière fois. Elle a demandé encore une fois l'analyse, me
disant qu'elle voulait se tuer, qu'elle avait déjà acheté un revolver, etc. Son intention avait
une cause névrotique : « elle ne pouvait pas aimer », disait-elle. Je l'ai instamment priée
d'attendre la cure ; mais rien n'y a fait. Au cours de cette semaine, j'ai beaucoup pensé à elle,
jusqu'à ce que j'apprenne aujourd'hui qu'elle s'était tuée le lendemain de sa dernière visite,
donc depuis plusieurs jours déjà.
La soeur paraissait plus ou moins au courant ; soupçonnant confusément la réalité, elle me
demanda si sa soeur n'était pas morte parce que j'aurais « suggéré » qu'elle était amoureuse de son
beau-frère (le suicidé). Mais elle ajouta tout à coup qu'elle savait que sa soeur était morte pour la seule
raison qu'elle était amoureuse de moi, et qu'en effet elle avait voulu aimer en
moi l'homme et pas seulement le médecin ; et puisque je ne l'aimais pas, elle aurait choisi la
mort. Elle fonde ces suppositions sur des propos obscurs de sa soeur.
Je suis extraordinairement déprimé par ce cas ; mais j'ai gardé contenance devant la porteuse de
mauvaises nouvelles ** (ce que j'ai interprété comme un signe de santé chez moi).
L'insomnie, toutefois, me montre que, inconsciemment, je veux être coupable de cette mort.
Certains mouvements intérieurs voudraient regretter de nouveau d'avoir chassé loin de moi la
jeunesse (Elma, le fruit des entrailles, la descendance et, maintenant, cette possibilité encore).
Il est vrai aussi que, dans cette affaire, mon comportement équivoque (et finalement, peut-être,
le refus frénétique comme jadis lors de l'avortement provoqué) n'a pas favorablement influencé
le cas, qui était certainement
condamné de toute façon. Mon remords est la répétition de remords
antérieurs (justifiés).
Jusque-là, je vois clair dans cette affaire. Je n'aurai peut-être plus du tout besoin d'envoyer
cette lettre. Mais il serait stupide de vous priver précisément de ce chapitre. Madame G. est au
courant de tout. Elle connaissait la jeune fille et la plaint avec moi.
Bien des salutations cordiales de votre
Ferenczi
A. Crochets dans l'original.
* En latin dans le texte : en l'absence de.
** En allemand, Hiobspost. Textuellement: « courrier de Job ».
1. Ferenczi publia par la suite les notes concernant cette patiente sous le titre « Les mémoires d'une jeune
prolétaire » (Zeitschrift für Psychoanalytische Pädagogik, III, cahier 5/6, février-mai 1929). In Le Coq-Héron,
1987, 104, p. 13-40.
Budapest, le 25 décembre 1917
J'ai appris par un journaliste qui a participé à l'expédition sur le front de l'Ouest à
Heligoland que les Allemands ne pensaient même pas à la paix. Ils veulent vaincre et
comptent sur la victoire.
Cordiales salutations pour Noël et le jour de l'An à vous tous, de
votre Ferenczi
720 F
Prof Dr Freud
le 27 décembre 1917
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Vous aurez probablement compris pourquoi je n'ai pas répondu à votre
avant-dernière lettre. J'ai vu que vous remplissiez le temps d'attente
en répétant les mêmes tours, désormais atténués, il est vrai, et non sans un bon
étayage sur des événements extérieurs, et je me suis consolé avec la conviction
que vous ne le feriez plus, une fois passé le provisorium *.
J'ai recherché votre rêve d'incube et vous le trouverez ci-joint. Aucun animal en bronze,
pour reprendre votre expression imagée, ne s'est présenté à moi.
L'interruption de nos revues n'est pour l'instant qu'une menace et qui pré vient
pas de Heller. En ce moment, il se comporte plutôt aimablement avec nous,
peut-être parce que son hostilité s'est trouvée matérialisée par les
circonstances, de sorte qu'il peut attendre tranquillement que ces circonstances
nous aient anéantis, sans sa participation et avec ses condoléances. Votre plan de
sauvetage n'est pas réalisable, car il n'y a rien à entreprendre avec Deuticke qui,
de plus, est gravement malade. Je ne suis d'ailleurs pas pressé et peut-être tiendrons-
nous le coup.
Rank était ici pendant les fêtes pour un bref congé, pas au mieux de sa forme, très accroché
au journal qu'il fabrique actuellement tout seul. Durant quelques heures
nous nous sommes replongés dans les temps anciens. Quand viendrez-vous, et
votre jeune femme vous accordera-t-elle des vacances ?
Sachs est assez malheureux, il ne supporte pas de geler. Je constate que c'est toujours
moi le géant. Parfois il me vient encore des idées à propos du problème du
c[on]s.[cient]. Mais je ne parviens pas à me décider pour le Lamarck. Il en est peut-
être pour nous comme pour les deux nobles polonais au moment de payer :
« Aucun des deux ne voulant souffrir que l'autre payât pour lui, aucun des deux
n'a payé'.»
Ernst est en congé de maladie. En effet, on ne peut vraiment pas dire qu'il soit bien
portant ; après le Nouvel An, il veut aller à Dresde et à Berlin.
Salutations cordiales à Madame G. et à vous-même, meilleurs voeux pour 1919 A, dont
nous attendons les changements et les décisions les plus grandioses.
Votre Freud
Cher Ami,
Vous êtes attendu ici le 2 II. J'ai eu beaucoup de plaisir avec Hollés. — Quand
l'homme aux cigares viendra, il sera traité selon votre prescription. Sur le calendrier
de Madame G., j'inscris chaque jour des projets non accomplis et des attentes déçues.
Cordialement vôtre, Freud
A. Carte postale.
723 Fer
Budapest, le 19 janvier 1918
724 F
Prof. Dr Freud
le 19 janvier 1918
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Vous savez que nous vous attendons le 2 II. A cette circonstance de votre arrivée se
rattache un projet mitonné par Aranka Schwarcz 1, dont vous déclinerez naturellement
l'exécution s'il présente pour vous des désagréments ou des difficultés. Pas de TA, mais le
contraire ; pas d'amour, mais la faim.
Si vous pouvez envoyer un militaire avec un grand sac à dos à l'adresse de la
lettre ci-jointe A, aux frais de l'expéditrice, celle-ci apportera à Budapest — en
toute certitude, paraît-il — une grande quantité de farine, peut-être 40, 50 kilos,
avec la facture jointe, qui n'a pas à être réglée immédiatement. Ce doux fardeau
dans votre valise, vous serez le bienvenu ici, plus encore que d'habitude, et la
tante d'Aranka partagera le butin avec nous. J'espère avoir exposé le projet avec
clarté.
Les éventualités à venir nous sont inconnues. Aujourd'hui, il n'y avait aucun
journal, à l'exception d'une feuille d'information du Journal des Travailleurs. Il
court des bruits de grève générale pour lundi. Espérons que les choses en
resteront à cette démonstration. Si les travailleurs autrichiens demeurent isolés,
cela ne sert assurément à rien et ne fait que nuire à notre situation.
Ernst est de retour et sera très heureux de vous voir. Il a rapporté de
bonnes nouvelles d'Allemagne. L'exposé de Tausk, le 16 I 2 était très bon, à
l'exception de théories peu claires sur la projection, mais il reste un
meschugge * ingouvernable. Un éditeur de Madrid a demandé l'autorisation,
par l'intermédiaire de l'ambassade et du ministère, de traduire la Vie
Quotidienne en espagnol. Il semble que la Sokolnicka 2 soit en train de fonder
une Association tira à Varsovie.
Je vous salue cordialement, ainsi que Madame G., et j'espère que les six mois
seront vite écoulés.
votre Freud
A. Écrit dans la marge, entre parenthèses : « avec la lettre ».
* En yiddish dans le texte. Voir 706 F, note*.
I. Voir 571 F et la note 3.
« De la genèse de " l'appareil à influencer " dans la schizophrénie » ; séance de l'Association
de Vienne du 16 janvier 1918 (Minutes, IV, p. 353). V. Tausk, OEuvres psychanalytiques, op. cit., p.
177217.
Eugenia Sokolnicka, née Kutner (1884-1934), originaire de Varsovie. A étudié à Paris, à la
Sorbonne, les sciences de la nature et la biologie, et fréquenté les conférences de Pierre Janet. En
191 1-1912, formation au Burghölzli. En 1913-1914, analyse avec Freud; membre de l'Association
de Vienne de 1916 à 1926. Après la Première Guerre mondiale, fait une deuxième analyse avec
Ferenczi. Sa tentative de fonder une association psychanalytique à Varsovie échoue, et elle se rend
à Paris, en 1921, comme «envoyée» de Freud, mais elle y est mal accueillie par les milieux médicaux.
Analyste, entre autres, de Sophie Morgenstern, de René Laforgue et d'Édouard Pichon. Cofondatrice,
en 1926, et vice-présidente de la Société psychanalytique de Paris. Dans la solitude et la misère,
elle se suicide en 1934. Voir Élisabeth Roudinesco, Histoire de la psychanalyse en France, Paris, Seuil,
1986, vol. II, p. 107.
725 Fer
Budapest, le 24 janvier 1918 A
Cher Monsieur le Professeur,
Vous pouvez bien penser que je me suis moi-même assez cassé la tête pour
savoir comment je pourrais vous apporter des victuailles d'ici. Mais
le dernier entretien avec le Dr Freund m'a appris qu'il serait vraiment dangereux, pour moi
et pour la chose, d'oser transporter de telles marchandises en guise de bagages. Tout ce que
je peux faire est prendre ces produits par voie militaire, les déposer ensuite chez le Dr
Freund, qui les fera parvenir à Vienne peu à peu, par petites portions (de 5 à 6 kilos). Je
reconnais que cette solution n'est pas aussi brillante que celle proposée par Mlle Schwarz,
mais elle est moins dangereuse.
Ici, tout est calme à nouveau. Dans l'immédiat, le danger bolchevique est écarté.
Je travaille sur le dernier tiers de l'Interprétation des rêves en hongrois par Hollés. Il a fait du
travail honnête, mais il a mal compris un certain nombre de choses — et il sait trop peu
l'allemand!
Hier, un jeune étudiant en médecine s'est présenté comme psychanalyste, avec un fort bon
article pour la revue d'Ignotus. Peut-être l'avenir nous adresse-t-il là un signe. Il s'appelle Aladàr
Balint ' ; de notre souche, évidemment.
J'ai oublié de mentionner que, compte tenu des problèmes de wagons dans les gares, je
dois de toute façon voyager sans bagages. Cet argument aurait rendu tous les autres
superflus.
Au revoir,
votre Ferenczi
A. Date et lieu à la fin de la lettre. L'indication du jour est peu lisible, un 26 a été corrigé en
24, ou peut-être 27.
1. Aladàr Balint (1881-1924). Journaliste, écrivain, critique musical et artistique. A partir de
1909, collaborateur du journal socialiste Népszava (La voix du peuple). Il a assisté au V° congrès
international de psychanalyse à Budapest, en qualité d'invité.
726 Fer
[Budapest, entre le 5 et le 9 février 1918 A]
Cher Monsieur le Professeur,
De retour après un voyage sans histoire', je suis plongé jusqu'au cou dans le travail. Le
manque de temps m'a amené à entreprendre avec quelques patients, au lieu d'une `PA dans
les règles, au moins une révision >4i sommaire, et je ne peux que m'étonner de l'efficacité
thérapeutique de ces cures accélérées, à l'opposé du manque de souplesse de la thérapie
menée avec la rigueur ordinaire, dont je me suis plaint à vous. J'ai guéri une cantatrice
atteinte d'enrouement psychogène en une seule séance. (C'est-à-dire : je l'ai débarrassée du
symptôme.)
Un jeune collègue m'a amené sa femme, que je n'ai évidemment pas pu prendre. Il est entré
en relation avec la psychanalyse par le Dr Otto Gross. Le Dr Gross aurait travaillé à Ungvdr,
comme médecin au régiment de défense territoriale, à l'hôpital des maladies infectieuses 2.
Bien sûr, là aussi
il s'est constitué son cercle d'adeptes qui avaient pour tâche, entre autres, d'avoir des relations
sexuelles, tous sans exception, avec sa maîtresse, surnommée « Petite chatte ». Le jeune collègue
qui y répugnait a, paraît-il, été catalogué comme « moralement indigne de confiance ». Au
demeurant, le collègue a reçu, il y a quelque temps, la nouvelle de la mort du Dr Gross, nouvelle qui
n'a pas été confirmée. Il va encore réapparaître, par-ci par-là, sous forme de « Golem ».
Je réécris actuellement le petit article sur les stigmates hystériques 3. Il manque encore 200
pages de la traduction de l'Interprétation des rêves. Ce n'est qu'après avoir expédié cette
obligation que je pourrai m'attaquer à la biologie.
Madame G. répond cordialement à vos salutations et vous prie d'en faire aussi aux vôtres.
Balatonfüred est assez cher. Si Mlle Bernays se contente d'une chambre modeste, le Dr
Schmidt, médecin-chef du sanatorium, évalue le minimum à 43 couronnes par jour. En fait, il
a dit 43 à 50 couronnes.
Dois-je demander à Balatonfüred si, dans le voisinage des bains, il y aurait des logements et
des restaurants équivalents disponibles (comme je l'ai vu, du reste)?
Maintenant, une autre question. Supposons que Csorba, aussi, ait augmenté dans les
mêmes proportions : puis-je me mettre en quête d'un appartement pour vous et votre famille
aux environs de Budapest, dans la montagne (Visegràd sur le Danube) ? – Je veux dire, un
appartement avec cuisine.
Pourrait également être envisagé : une villa tout installée sur le Schwabenberg 4 près de
Budapest (où nous avons fait un jour une excursion en auto) ou une pension au Grand Hôtel
sur le Schwabenberg.
Quoi qu'il en soit, je vous demande une réponse rapide, afin que je puisse faire un choix. Vous
devriez, naturellement, vous informer au préalable des prix à Csorba.
Je crois pouvoir obtenir au moins quatre semaines de congé d'été à l'hôpital où je travaille
actuellement.
Avec mes salutations cordiales, votre
Ferenczi
A. Bälint a classé cette lettre entre le 5 et le 28, peut-être parce qu'il a lu la lettre 728 comme étant du
5, alors qu'elle est du 15.
Ferenczi était à Vienne les 3 et 4 février (note sur le calendrier de Freud, LOC).
Voir 522 Fer et la note 2.
Voir 687 Fer et la note 2.
Quartier résidentiel sur une colline de Buda.
727 F
Prof. Dr Freud
le 10 février 1918
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je vous réponds par retour du courrier, puisque vous me l'avez demandé, bien qu'il n'y
ait rien de nouveau à rapporter en ce qui nous concerne. Un grand merci pour vos
informations. Minna trouve les prix à Balatonfüred vraiment trop élevés et je dois avouer,
moi aussi, que nous renoncerions à Csorba si l'augmentation dépassait les 30 couronnes.
Nous espérons savoir bientôt si tel est le cas si l'information tarde à venir, nous
renouvellerons notre demande.
Tous les membres de la famille s'insurgent contre un séjour à proximité de Budapest. Ils
pensent que ce ne sera ni plus beau, ni plus confortable, ni meilleur marché qu'un séjour près
de Vienne, et que s'y ajouteraient, en revanche, les difficultés du voyage et la différence de
langues. Je ne décèle en moi aucun empressement à adopter cette solution. Ce que je
souhaiterais, ce serait d'arrêter un séjour commun avec vous (à savoir avec Madame G.[izella]
F.[erenczi]), mais je ne vois pas du tout pour le moment où cette rencontre pourrait avoir lieu.
Trouver, cet été, une terre promise risque d'être très difficile, même en Hongrie. J'ai tendance
à m'en remettre en tout à des impressions et impulsions ultérieures, ce qui, bien sûr, peut
facilement conduire à l'absence d'hébergement au moment des vacances. De toute façon, si la
décomposition de la société se poursuit, voyager avec des bagages ou quitter sa maison risque
de devenir impossible.
Abraham est tout à fait enchanté de votre article sur les pathon.[évroses] et déclare
que c'est ce que vous avez écrit de meilleur jusqu'ici. Il connaît aussi ce Schultz dont vous
avez fait un compte rendu, ce serait un homme fort intelligent, mais dépourvu de toute
qualité morale '. Je ne suis toujours pas d'accord avec votre intention de publier
séparément les 3 articles (Pathon.[évroses] – Stigmates – Phénomènes de matérial.[isation]
hyst.[ériques]). Premièrement, je ne voudrais pas piller la Zeitschrift deuxièmement, je ne
veux pas renoncer à l'espoir de la continuer. Heller vient de me transmettre un manuscrit
de Kaplan pour avis je vais lui conseiller de l'imprimer, et l'obliger à admettre qu'il a
encore du papier 2.
Salutations cordiales de votre
Fr eu d
Lettre du 4 février 1918: Freud/Abraham, Correspondance, op. cit., p. 274 la note sur Schultz est
dans un passage inédit (FM).
Leo Kaplan n'a rien publié entre 1918 et 1921, après avoir fait paraître trois livres chez
Deuticke en 1914, 1916 et 1917 (Grundzüge der Psychoanalyse [Éléments de psychanalyse], Psychoanalytische
Probleme [Problèmes psychanalytiques] et Hypnotismus, Animismus und Psychoanalyse [Hypnotisme,
animisme et psychanalyse]).
728 Fer
Budapest, le 15 A février 1918
729 F
ProfDr Freud
le 17 février 1918
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Martin est arrivé aujourd'hui, en excellente condition, avec de menues contributions de café,
riz, cuir, etc.
En réponse à vos propositions pour l'été, je peux simplement répéter que je n'irais en Hongrie
que pour me joindre à vous ainsi qu'à Madame G., et que la proximité de la capitale ne saurait
nous inciter à nous engager prématurément.
Que vous aussi vouliez faire votre paix séparée, je trouve cela très compréhensible et j'aimerais
l'appuyer au moins de la toute-puissance de mes voeux. Je verrai les Drs Lévy et Freund mercredi.
Si vous tenez beaucoup à ce que vos 4 derniers articles paraissent sous forme de livre,
nous devons réfléchir soigneusement à la façon dont ce projet s'articulerait avec la
publication dans la Zeitschrift. Il faudrait alors s'arranger d'abord avec Heller pour qu'il
en assure l'édition, car il ne consentira certainement pas à une parution en langue
allemande chez un autre éditeur, avant l'écoulement du délai légal de 2 ans. Dans le cas
contraire, vous devriez chercher un autre éditeur allemand et laisser de côté la
Zeitschrift.
Un livre reçu avant-hier : Ernst Simmel, « Névroses de guerre et trauma psychique »,
Munich, 19181, va beaucoup vous intéresser et vous réjouir, vous aussi. Il a vu le jour à
l'hôpital militaire de Posen, se situe sans réserves sur le terrain analytique, même si, pour
l'essentiel, c'est un « travail cathartique », et montre que la médecine militaire allemande y a
mordu. Commandez-le, et si Abraham ne peut en faire le compte rendu, alors chargez-vous-
en 2. Dans son genre, ce n'est pas moins important que Groddeck.
Avant-hier, un patient m'a laissé, pour la guérison de son masochisme, une prime de 10 000
couronnes qui me permet de jouer maintenant les riches envers les enfants et la parentèle. Un
intermède tout à fait agréable.
Que mon écriture se détériore rapidement à présent (l'effet du froid y aurait-
il sa part?) ne vous aura pas échappé.
Je vous salue très cordialement, ainsi que Madame G.
Votre Freud
I . Ernst Simmel, Kriegsneurosen und psychisches Trauma. Ihre gegenseitigen Beziehungen, dagestellt auf Grund
psychoanalytischer, hypnotischer Studien (Névroses de guerre et trauma psychique. Leurs rapports
mutuels, présentés à partir d'études psychanalytiques et hypnotiques), Munich et Leipzig, 1918.
Simmel (1882-1947), médecin de Breslau. Membre de l'Association des médecins socialistes ;
pendant la Première Guerre mondiale, médecin-chef et médecin-directeur d'un hôpital militaire
réservé aux névrosés de guerre à Posen. A suivi une psychanalyse avec Abraham. A partir de 1920,
avec Abraham et Eitingon, dirige la polyclinique de Berlin. En 1927, directeur de la maison de santé
psychanalytique Schloss Tegel à Berlin. Freud y séjournait lors des traitements qu'il devait suivre à
Berlin du fait de sa prothèse du palais. En 1934, Simmel émigra à Topeka, puis à Los Angeles, où,
en compagnie d'Otto Fenichel, il fonda l'Association psychanalytique locale.
2. L'ouvrage fut discuté par Abraham et Hàrnik, ainsi que par Van Ophuijsen, dans Bericht
über die Fortschritte der Psychoanalyse 1914-1919 (op. cit., Vienne, 1921).
730 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda
J'ai conseillé au Dr Lévy de le faire transporter à Vienne dans une maison de santé et de vous consulter,
ce qui était d'ailleurs en projet auparavant. Madame le Dr Lévy l'accompagne elle aussi à Vienne, où ils
devraient arriver mercredi à midi.
J'espère qu'il s'agit d'un état passager, déclenché par la castration' et la naissance de
son fils. Ce serait très, très dommage de le perdre. Votre
Ferenczi
A. Le chiffre 8 semble corrigé à partir d'un 7. Dans la version microfilmée, la lettre était classée en 1917.
D'après les recherches des éditeurs sur l'histoire de la maladie d'Anton von Freund et sur la naissance de
son fils, cette lettre a cependant dû être écrite en 1918. Le contexte laisse supposer que, dans la lettre
suivante, Ferenczi a commis un lapsus calami, en écrivant 1916 au lieu de 1918.
Tumeur maligne qui commence dans le mésenchyme et donne des métastases précoces.
Antal, né le 6 février 1918 ; actuellement Dr Anthony Tôszeghi, exerçant à Londres.
Vera (1912-1991), enfant unique du premier mariage de von Freund avec Lily Kugel. Une seconde fille,
Erzsi (Elisabeth, 1916-1989), naîtra de son mariage avec Rôzsi Brôdy.
Par suite d'une tumeur du testicule.
731 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda
732 Fer
Budapest, le 28 février 1918
Ma patiente, la femme du Dr Lévy, le juriste, interviendra ces jours prochains en faveur de votre
appartement d'été, auprès des instances adéquates. Dès que j'obtiendrai des précisions sur les
prix, etc., je vous écrirai. Je ne peux décider de mes propres projets d'été tant que l'affaire du
divorce de Madame G. n'est pas réglée. Mais peut-être retiendrai-je, pour toute éventualité, une
chambre au mois de juillet (ou de mi juillet à mi-août).
Je crois que j'avais encore quelque chose à vous dire, mais cela ne veut pas me revenir à
l'esprit.
Donc: salutations cordiales de
votre Ferenczi
Voir t. I, 374 Fer et la note 5.
Eitingon avait été affecté à l'hôpital de réserve à Igl6, d'août 1914 à la mi-novembre 1915 ; puis,
jusqu'au début mai 1916 au département de psychiatrie à Kassa ; enfin, jusqu'à la fin de la guerre,
à l'hôpital de réserve à Miskolcz (Emil Neiser, Max Eitingon, Leben und Werk [Max Eitingon, sa vie,
son oeuvre], op. cit.).
Kàroly Hudovernig (1873-1928), psychiatre. En 1897-1898, professeur à l'hôpital universitaire,
puis médecin-chef à l'hôpital Saint-Jean. En 1913, directeur d'un hôpital psychiatrique. Ses
recherches portent sur la neurosyphilis et le délire alcoolique.
733 F
Prof. Dr Freud
Je nourris les plus noirs pressentiments pour cet été. La perspective de paix a complètement
disparu ; en appendice à la volonté de vaincre de l'Allemagne, nous allons mener une nouvelle
offensive en Italie, participer au combat décisif en France et prendre part nous-mêmes à
l'expédition en Mésopotamie. Vous savez, je l'espère, que l'ordre donné par la marine était en fin
de compte la réaction à une formidable mutinerie de notre flotte qui, à ce qu'on dit, a été écrasée
par des sous-marins allemands. La famine, chez nous, s'aggrave de plus en plus.
Dans la mesure où ces circonstances permettent d'envisager un séjour d'été, je suis prêt à venir en
Hongrie, si la perspective existe d'y rencontrer des personnes amies (en premier lieu Madame G.) ; je
vous remercie donc beaucoup de vos efforts en vue d'obtenir des informations sûres concernant la
situation dans les Tatras. (D'ailleurs, pour vous aussi, l'altitude est préférable.)
Heller est absent de Vienne, on l'a envoyé chez ce bavard de Johannes Müller s, probablement
afin de lui remonter le moral, aussi n'a-t-on pas pu faire avancer votre affaire. Dès qu'il arrive, je
vais lui parler.
Je vous salue cordialement. Avez-vous déjà Simmel ?
Votre Freud
Les premières lignes du poème de Heine « Wo ? » (Où ?), dans Nachlese (Grappillage). Date
incertaine.
Johannes Müller (1864-1949), directeur de plusieurs établissements de soins et auteur
d'ouvrages populaires consacrés aux questions psychologiques et sociales.
734 Fer
Kassa, le 3 mars 1918
735 F
Prof. Dr Freud
le 17 mars 1918
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
J'ai été, cette semaine, surmené par dix analyses ; c'est là l'unique raison pour laquelle j'ai
laissé votre lettre sans réponse. La réponse, aujourd'hui, c'est que la « substance » est arrivée
depuis longtemps, tandis que celle envoyée par Eitingon se dépose par fournées hebdomadaires
*.
J'attends avec beaucoup d'impatience vos informations sur Csorbatô, car l'éventail des séjours
d'été possibles semble se rétrécir de plus en plus.
Je n'accorde pas un grand intérêt scientifique à vos théories hypocondriaques, car l'état de
maladie n'est pas très favorable à ces recherches organiques. Je suis d'avis que vous guérissiez,
que vous ne dédaigniez pas
non plus l'altitude, et ne suis pas sans m'inquiéter de savoir si tout va bien pour Madame G.
Hollôs vous aura donné directement de mes nouvelles. Son inhibition au travail, que j'ai étudiée en
9 séances, repose vraisemblablement sur le fait qu'il est allé assez loin dans son dépassement du
père. Il est venu chez moi pour constater que, vu de près, moi non plus je ne vaux pas grand-chose.
Le Dr Freund passe le dimanche à Budapest ; sa psychose postopératoire est bel et bien derrière lui.
L'idée délirante hypocondriaque s'est, pour ainsi dire, retirée dans « la petite maison ** » et a
abandonné la scène à la névrose hystérique, pour laquelle il fait maintenant une analyse en bonne et
due forme.
Il y a quelques jours encore, nous avions les trois guerriers à la maison, la « Caserne Rossauer ' »,
comme disait ma femme. Martin est devenu lieutenant ici, et il est de retour à Tagliamento; Oli a
regagné sa compagnie, son eczéma presque guéri 2. Les deux ne resteront pas longtemps sur place ;
où iront-ils, on l'ignore. Ernst a réussi à obtenir pour lui-même une paix anticipée ; lors d'un conseil
de révision récent, il a eu un certificat C et espère, lors de l'arbitrage supérieur auquel il s'attend à
présent, en rester au moins au certificat B. Malheureusement, il a de bonnes raisons pour cela : je
ne serais pas autrement surpris qu'il souffre d'un catarrhe pulmonaire suspect.
Mû par la conviction que cette situation de guerre ne peut plus être considérée comme provisoire,
j'ai proposé à Heller de publier un 4e tome du recueil sur la théorie des névroses et j'attends à
présent sa réponse. Il est maintenant de retour ; quand je lui parlerai, je soulèverai aussi votre
affaire. Aux 26 essais que je peux rassembler, j'ajouterai l'histoire clinique du Russe s que j'ai mise
par écrit dès 1914, et destinée au prochain Jahrbuch. Sinon, cela me paraîtra trop rassis. Je crois
que vous l'avez lue.
Parmi les cas que j'ai actuellement, tous ne sont pas aussi intéressants. Certains sont simplement
torturants. L'affluence a sensiblement diminué ces dernières semaines. Il y a en outre plusieurs jours
par semaine où il n'arrive aucune lettre. J'ai pu reprendre Mademoiselle Révész ; dès l'automne, elle
sera en mesure de vous servir d'assistante.
Dans l'attente de vos nouvelles, vous saluant cordialement,
votre Freud
* Phrase intentionnellement obscure pour déjouer la censure concernant le trafic de denrées alimentaires.
** Il s'agit de l'annexe où se retirent les vieux parents pour laisser la maison principale aux enfants.
I. La caserne Rossauer se trouvait dans le IXe arrondissement, à quelques minutes à pied seulement de la
maison de Freud.
« 1.3. Martin lieutenant... 13.3. Départ d'Oli. 15.3. A Odessa. 16.3. Départ de Martin » (notes sur le
calendrier de Freud, LOC).
Le quatrième volume de la Sammlung kleiner Schriften zur Neurosenlehre (Recueil de petits écrits pour l'étude
des névroses) a paru en 1918, avec l'histoire du cas de 1'« Homme aux loups» (Freud, 1918b [1914], in
OEuvres complètes, XIII, p. 5-118).
736 Fer
Budapest, lundi 25 mars 1918
737 F
Prof. Dr Freud
le 7 avril 1918
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
La tendance des temps actuels à la mendicité, qui ne vous est pas inconnue, m'amène à
vous demander encore une fois quelque chose, à savoir, d'envoyer la lettre ci-jointe, traduite
sommairement, à la Direction du Centre de Cure de Matlàrhàza. Je n'ai aucune raison de
présumer que cette haute autorité comprenne l'allemand, et spécialement le mien, et je
peux supposer qu'ils utiliseront volontiers ce prétexte pour nous éconduire. Matlàrhàza,
cependant, nous serait très sympathique. De Csorbatô nous avons seulement reçu la
nouvelle que les négociations avec la banque n'étaient pas terminées ; le grand hôtel de
Lomnitz ne serait guère envisageable pour nous et, à Matlàrhàza, nous aurions aussi la
compagnie de Kata Lévy, que nous rencontrerions volontiers. Il ne faut pas compter, cette
année, sur un séjour d'été en Autriche.
Ne vous effrayez pas de mon écriture, sa détérioration évidente, ces derniers temps,
a été attribuée à une crise de goutte à la main droite (arthrite due à l'âge). Le déplaisir
y aura, naturellement, eu aussi sa part.
Le Dr Freund est en train de se détacher d'un bout de sa vieille névrose. Il est délivré
de ce qui était délirant, mais son humeur est encore inégale. Sa propension à aider est
maintenant au premier plan, moi aussi il veut m'aider, et il a formulé à cet égard une
intention sur laquelle j'aurais voulu avoir votre opinion. Sa tendance à surpayer mérite
d'être notée.
Il n'y a pas longtemps, j'ai parlé à Heller, qui se remet lentement de je ne sais quel
choc. En principe, il a accepté mon quatrième tome, ainsi que votre livre composé des
4 essais ; bien sûr, il le fait encore dépendre de l'approvisionnement en papier et il
faudra le bousculer plus d'une fois ; mais il se trouve qu'il ne peut pas vous interdire
de publier chez un autre éditeur, même s'il doit lui-même refuser et que les articles
ont paru peu avant dans la Zeitschrift. Vous savez bien qu'on n'en a jamais fini avec
lui du premier coup.
Ernst passe son arbitrage supérieur le 14, Anna son examen le 15 de ce mois. Je vous
salue cordialement, ainsi que Madame G., et vous remercie avec toute mon énergie,
votre Freud
738 Fer
Budapest, le 8 avril 1918
739 Fer
Budapest, le 15 avril 1918
La nuit, vers 1 h moins 1/4
1. Allusion à ce qu'on appelle l'affaire Sixte. (Voir 662 F, note 3.) Ottokar, comte Czernin von und zu
Chudenitz, ministre des Affaires étrangères austro-hongrois, qui n'avait pas connaissance de la lettre
secrète de Sixte à Poincaré, offrant l'Alsace-Lorraine en échange de la paix, déclara, le 2-avril 1918, que
Georges Clemenceau, le Premier ministre français, souhaitait engager des négociations de paix, mais
que celles-ci avaient échoué sur les exigences de la France qui réclamait l'Alsace-Lorraine. En réponse
à cette déclaration, Clemenceau publia la « lettre Sixte », qui ébranla la confiance des Alliés et le crédit
de l'empereur Charles.
740 F
Prof. Dr Freud
le 21 avril 1918
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Chaque petit bout de bonne nouvelle est doublement bienvenu par les temps qui courent,
et donc, aussi, l'information selon laquelle vous aviez fort surestimé les difficultés du divorce.
Je me suis toujours dit qu'une telle affaire se réglerait plus facilement à l'intérieur d'une même
famille qu'entre deux familles séparées et hostiles. Espérons que tout se passera bien
maintenant. Si un été devait nous être accordé — ailleurs que dans le IX' arrondissement —,
la plus belle solution serait assurément d'être avec vous ; le travail sur Lamarck, longtemps
ajourné, pourrait en bénéficier.
En ce qui concerne l'entreprise scientifique, une seule nouvelle: il y a quelques jours, j'ai
remis à Heller les articles qui me restaient encore, réunis en une 4e suite du recueil. Ce
sont plus de 30 articles provenant de la Zeitschrift, d'Imago et du Jahrbuch, augmentés du
Tabou de la virginité et de la grande histoire clinique de mon Russe 1, qui dort depuis 1914,
et
menace de moisir. Peut-être ce volume verra-t-il le jour en même temps que paraîtra
l'Interprétation des rêves en hongrois.
Nouvelles de la maison: Ernst s'efforce, en vain jusqu'à présent, de se faire envoyer
dans un sanatorium; ce qu'il aimerait le mieux, c'est d'aller au soleil, à Abbazia. Anna
a obtenu son examen avec un beau succès, mais aussi avec une angine, une forte
fièvre et juste de l'aspirine ; depuis, elle est bien misérable.
Le Dr Freund passe par une analyse de névrose dans les règles, qui doit en finir avec le
matériel accumulé sa vie durant et rendre son besoin d'aider moins contraignant. De plus,
c'est pour lui une occasion rêvée de se reposer ; rien ne presse A. Une certaine Mlle Lula
Steiner, venue chez moi de votre part, est terriblement intéressante, mais n'a pas encore
été vraiment accrochée — plein de choses à faire et plus vraiment la tête à cela.
Les événements du monde sont définitivement abominables. On ne peut rien
souhaiter qu'une victoire allemande, et celle-ci est 1) très antipathique, 2) toujours
pas vraisemblable.
Je ne peux vous priver de deux des meilleures blagues juives avec lesquelles on se
console ici.
Quel est le contraire de Emmes ? — S.M. * 2.
Un client demande un rôti à la broche chez Tonello. Le voulez-vous avec des oignons?
demande le serveur. Bien sûr, avec quoi d'autre? des épées, peut-être?
L'empereur Charles a toutes les raisons d'encadrer un portrait de Trotski en diamants.
Car la dernière affaire aurait été le signal de la révolution, si Trotski ne l'avait rendue aussi
résolument effrayante.
Je vous salue cordialement, ainsi que Madame Gisela,
votre Freud
A. En allemand, lecture incertaine : Er drängt nicht (Il ne me presse pas) ou Es drängt nicht
(Cela ne presse pas, ou rien ne presse).
* Emmes (M.S.) : mot hébreu, passé dans le yiddish, qui signifie « vérité ». S.M. : Sa
Majesté.
Freud 1918a [1917], «Le tabou de la virginité », La Vie sexuelle, PUF, et 1918b [1914],
« Extrait de l'histoire d'une névrose infantile (L'Homme aux loups) », OEuvres complètes,
XIII, p. 5-118.
Voir t. I, 185 F note 3.
741 Fer
Budapest, le 4 mai 1918
742 F
Prof. Dr Freud
le 9 mai 1918
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Très réjoui par vos bonnes nouvelles. Une partie de celles-ci me sont confirmées par les
3 travaux que le Dr Fr.[eund] m'a transmis. Ce sont des pièces rares, parfaitement claires
et rigoureuses, preuves d'une complète maîtrise. Le travail qui évoque les équivalents de
l'onanisme fait un bon début, avec un thème important tant du point de vue théorique
que pratique, celui de la thérapie active. Je ne conseillerais la prudence que sur un point,
là où vous parlez (névroses du dimanche) de façon mystérieuse de la conception paléo-
biologique du coït. Le lecteur ne vous en saura pas gré ; il vaut mieux laisser ce point de
côté jusqu'à ce que vous puissiez en livrer plus 1.
En attendant, les travaux reposent dans le carton de Sachs. L'impression demandera
encore un bon moment. Il est trop facile pour Heller de nous retarder. Ainsi, le matériel
de mon 4e tome du recueil est à l'imprimerie depuis 3 semaines. Le seul résultat est
cette nouvelle d'aujourd'hui, que l'impression doit être repoussée sine die, à cause
d'une pénurie de caractères.
J'ai été très intéressé d'apprendre que vous vous réjouissiez de notre rencontre à
Csorbatô. Mais j'aimerais vous demander d'où vous tenez cela. Le Dr Fr.[eund] nous a
raconté la même chose, or nous sommes perplexes car, jusqu'à ce jour, nous n'avons
reçu aucune notification de Csorbatô.
La belle superstition du 62 doit désormais être définitivement abandonnée. On ne
peut vraiment pas se fier au surnaturel 2!
Ernst est parti pour Abbazia, ma belle-soeur pour Reichenhall ; la maison est
très silencieuse, à présent. Mes consultations marchent toujours aussi
fort, probablement jusqu'à la fin de ce mois. Quelques idées intéressantes
me sont venues, mais aucune ^ envie de les élaborer maintenant.
Vous sera-t-il permis, dès juillet, de partager la chambre de Madame G. ? En tout
cas, le tour pris par les choses jusqu'à présent est réjouissant, et l'effet sur vous en
est une incomparable justification.
Je vous salue cordialement,
votre Freud
A. Il n'est pas certain que ce mot soit souligné. Il pourrait aussi s'agir de la barre d'un « t » de la
ligne suivante.
Ce passage ne figure plus dans la version publiée.
Le 6 mai était le soixante-deuxième anniversaire de Freud. (Voir t. I, 99 F ; 519 F et la note 1,
591 F.)
743 Fer
Budapest, le 18 mai 1918
744 F
Prof. Dr Freud
le 26 mai 1918
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
J'avoue que l'exigence de 3 chambres à Csorbatô tenait déjà compte de l'éventualité que
vous puissiez avoir besoin d'une pièce de plus. A l'époque, je comptais sur la validité de
notre réservation d'une grande et d'une petite chambre. Si cela peut se faire, il va de soi que
nous vous en céderons une, ce qui implique que je renonce de nouveau à la possibilité
d'écrire quelque chose là-bas.
Mais nous n'avons toujours pas l'accord officiel de la direction, nous ne savons pas
quelles chambres nous aurons et ce que coûtera le séjour. S'il se devait agir de 3 petites
chambres dans la maison principale, il nous serait impossible de nous limiter à 2, et
le projet de notre séjour commun à Csorbatô échouerait.
Cette incertitude, et la contrariété d'avoir à quitter les lieux le 1" août, sans point de chute
pour passer le reste du temps, font que nous ne pouvons toujours pas nous considérer comme
hôtes des Tatras. Quant à l'aimable invite du Dr Freund, nous la considérons tous trois
comme inacceptable. Nous nous accrochons donc obstinément à la recherche d'un paradis
autri-
chien dont on ne serait pas expulsé et à date fixe, nous jouons même avec le vieux
projet de ne pas quitter la maison.
Je veux absolument offrir un séjour d'été à Anna, et K6taj me conviendrait tout à fait,
mais elle est fermement résolue à ne pas y accepter l'hospitalité si elle ne peut pas payer
pour cela; et je dois l'approuver. Je voudrais proposer 25 couronnes par jour, mais Anna
pense que votre soeur n'acceptera pas, et alors même cela ne se fera pas.
Reik a tenu, le mercredi 15 (mai), une splendide conférence sur le Kol Nidré', et le
lendemain, il est parti pour le front, sur le Monte Asolone. Espérons que ses intuitions ne
se vérifieront pas, il est dans sa plus belle productivité. Des autres, rien de neuf.
Je vous salue cordialement, dans une de ces humeurs bien accordées à cette
belle époque,
votre Freud
1. Kol Nidré, terme hébreu signifiant voeu, promesse solennelle. Prière prononcée au début de
Yom Kippour (le jour du Grand Pardon), fête juive importante dans laquelle il est question
d'annuler tous les voeux et promesses faits précédemment. La conférence de Reik est indiquée
sous le titre « Études bibliques psychanalytiques, II° partie », dans les Minutes (IV, p. 355). Voir
Theodor Reik, « Le Kol Nidré », Das Ritual. Probleme der Religionspsychologie, Vienne, 1919 (Le Rituel.
Psychanalyse des rites religieux, trad. fr. Michel-François Demet, Paris, Denoël, 1974, p. 184-239).
745 Fer
[Budapest,] le 29 mai 1918
746 F
Prof. Dr Freud
le 2 juin 1918
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je n'envie pas au pauvre ami * Antal ses relations avec Monsieur von Toth. Cet âne
officiel ne sait jamais ce qu'on veut de lui et il est trop paresseux pour se faire
comprendre. Finalement, ce qui en ressort avec certitude, c'est qu'il ne veut nous
donner les 4 chambres à Csorbaté que pour août-septembre. Quelles chambres, et à
quel prix, impossible de le savoir. Ainsi, l'affaire évoquée dans votre télégramme reste
insoluble. Ensuite, la question se pose de ce que l'on fera en juillet. (J'arrête le 1 VII ;
je suis, cette année, franchement fatigué.) Une tentative alléchante pour aller à Velden'
a échoué, et nous n'avons rien d'autre. Le mieux serait de rester à Vienne pendant le
mois de juillet.
Votre projet de Feketehegy présente aussi ses difficultés. Je n'ose amener ma femme dans
un lieu de cure hongrois inconnu, de deuxième ou troisième ordre. Elle peut être facilement
malheureuse à propos de petits riens et manquer d'humour ; voilà, c'est de ce côté que se
trouvent ses insuffisances et, par voie de déplacement, j'en viens à mal supporter qu'elle m'en
rende responsable. Je crois aussi que vous ne pouvez louer là-bas sans aller y voir et sans
expérience personnelle. Donc l'embarras demeure.
J'ai sous les yeux une copie de l'exposé de Pötzl pour le mercredi 5 VI. C'est un homme
remarquable ; en lui sont réunies, pour la première fois, la maîtrise souveraine de
l'appareil clinique et la sensibilité aux idées tira.
Il a compris ce que voulait la MW [Métapsychologie]. Je ne prétends pas que
sa première tentative ait donné un résultat tangible.
Martin et Oh ont annoncé simultanément hier leur participation à
l'offensive imminente. Martin fait ses bagages et part au front. La compagnie
d'Oli a mission de se tenir prête pour le voyage de Stanislau 2, vers l'Italie.
Mon dessin 2 est prêt, très réussi et pas très réjouissant ; je le fais reproduire.
Tausk est très bon, cette fois, mais verbeux, sans le tact de savoir où il faut
interrompre.
Je vous salue cordialement, ainsi que Madame G.
Votre Freud
* Jeu de mots intraduisible entre Freund Antal et l'ami Antal, dont le nom, Freund, signifie « ami », en
allemand.
Localité près du lac Wörther, dans le sud de l'Autriche actuelle.
Ville de Galicie orientale, près de Tysmenitz, lieu de naissance du père de Freud, Jacob.
Un portrait exécuté par Rudolf Kriser, «un patient rendu à l'Art» (Freud/Abraham du 29 mai
1918, Correspondance, op. cit., p. 280). Apparemment, ce dessin a été perdu.
747 Fer
Budapest, le 2 VI A 1918 B
748 Fer
[Budapest, sans date] A
le 11 juin 1918
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
J'ai signé aujourd'hui le contrat qui nous lie à Csorbatô à partir du lei août.
Quand même un petit succès ! Nos chambres seront celles que nous avions
réservées l'an dernier, si bien que vous pouvez prendre sans regrets la
troisième qui reste dans le [Pavillon] Augusta (no 20, 8 + 24 couronnes). Ma
femme et ma fille vont habiter le splendide salon avec véranda, moi j'occuperai
la pièce à côté. Pour juillet, il n'y a rien de sûr; ma femme ne veut absolument
pas rester à Vienne ; Anna acceptera de toute façon l'invitation à Steinbruch,
nous-mêmes irons soit à Schwerin, soit ailleurs. Il semble très improbable que
nous obtenions les 2 chambres dans le bâtiment principal, en juillet; en aucun
cas nous ne pourrions vous en céder une. Si nous n'en avions qu'une, même
pour deux d'entre nous, l'existence ne serait pas très enviable ; nous serions
alors amenés à refuser.
Ma mauvaise humeur (rage contenue contre le monde) et ma fatigue ont,
entre-temps, atteint leur point culminant. Rien, absolument rien ne bouge, si
bien que je peux m'épargner de donner de plus amples nouvelles.
Demain a lieu le deuxième exposé de Pötzl, dernier de la saison. Le 29 de
ce mois, je chasse tous les patients.
Je ne sais rien depuis longtemps de l'état de vos affaires.
Salutations cordiales, votre
Freud
750 Fer
B.[uda]p.[est], le 14 juin 1918
751 F
Prof. Dr Freud
le 18 juin 1918
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
L'affaire de cet été a trouvé une solution qui vous conviendra bien, sans
doute, car elle nous promet un maximum de temps à passer ensemble. Je
pars avec Anna, le 5 VII au matin (en bateau) pour Steinbruch, comme hôte de
von Freund, c'est-à-dire de sa soeur Lévy ; pendant ce temps, ma femme se rend
à Schwerin, où Sophie souhaite sa présence de façon pressante. Je m'abstiens
de faire des projets concernant un séjour si proche de Budapest; tout devrait
s'arranger. Espérons qu'il n'y aura pas de perturbations trop graves. Martin
participe à l'offensive sur la Piave', et cette fois c'est vraiment dur. Oh vient, juste
aujourd'hui, de traverser Fiume ; il ne sait pas encore si son chemin se poursuit
vers la Dalmatie ou vers l'Albanie. Ernst est rentré hier d'Abbazia, noir comme
du café, mais pas débarrassé de son catarrhe, et il veut continuer à se battre.
Ma mère, âgée de 83 ans, est à Ischl.
Parmi les petits travaux prévus pour Steinbruch, il y a aussi la rédaction de la cinquième
édition de l'Interprétation des rêves, qui vient d'être commandée par Deuticke 2. Je ne peux
emporter la littérature sur Lamarck-Darwin, en raison des difficultés de transport. Ce n'est
d'ailleurs pas à cela que vous devez occuper votre lune de miel.
Ci-joint les lettres suédoises. Je n'interrogerais pas cette personne plus avant ; c'est
vraiment une source trop trouble. Le travail de Pfeifer a également mon approbation.
Mais en ce qui concerne le jeu d'enfants au sens plus large, il y a quelque chose d'autre,
de plus général à dire.
Le Dr Freund montre à présent de l'intérêt pour nos affaires d'édition et d'impression,
ce qui peut avoir des suites pratiques bénéfiques. Il est très curieux de voir comment
cela se rattache à son traitement.
Je vous salue cordialement et j'espère que les prochaines 5 à 6 semaines
passeront rapidement pour Madame G.
Votre Freud
Reçu quand même la lettre d'Elma ?
La dernière grande offensive de la monarchie austro-hongroise contre l'Italie. Après les batailles
particulièrement meurtrières de l'Isonzo, les troupes austro-hungaro-allemandes progressèrent, au cours
de novembre 1917, jusqu'à la Piave. Le 15 juin, elles passèrent le fleuve mais, le 20, durent faire à nouveau
retraite; le 25 juin, les troupes austro-hongroises étaient revenues à leur point de départ.
La cinquième édition parut en 1919 chez Deuticke, comme la quatrième, avec des
contributions d'Otto Rank.
753 F
Prof. Dr Freud
le 29 juin 1918
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
J'ai achevé mon travail il y a quelques heures. Je ne suis pas encore assez libre pour
éprouver le sentiment bienheureux d'un « Hans im Glück 1». Mais cela viendra.
Pendant 8 jours, nous n'avons eu aucune nouvelle de Martin. Comme nous savions qu'il
participait à l'offensive, nous nous faisions du mauvais sang, et j'ai ressenti de l'angoisse
à son sujet, de façon plus torturante que de coutume, en fait, pour la première fois peut-
être de façon vraiment torturante ; j'ai même rejeté les apaisements évidents tels que :
l'artillerie lourde n'a pas encore traversé le fleuve. L'analyse m'a montré ensuite la
contribution névrotique soupçonnée. Il y avait malgré tout là-dedans de l'envie à l'égard
des fils, dont je n'avais rien perçu par ailleurs, et c'était l'envie de leur jeunesse. Hier, une
autre carte verte est arrivée enfin 2. Oli, qui est, lui aussi, sur la Piave, n'y était pas encore
lors de ces journées critiques.
Quant à juillet à Budapest, j'espère qu'il ne sera pas plus chaud que juin. Sinon, il est
à craindre que je ne le supporte absolument pas. En ce cas extrême, je devrais fuir Dieu
seul sait où. Mes projets de travail sont beaucoup plus modestes que les vôtres. Hormis
l'Interprétation des rêves, il n'y a rien de fixe. Je compte trouver les secours littéraires à
cet effet dans la bibliothèque du Dr Fr.[eund]. Lorsque j'aurai repris la conscience de moi-
même, je crois qu'une formidable fatigue apparaîtra.
L'analyse avec notre hôte était très intéressante. Comme elle a pour but le
remaniement d'un être humain, elle peut se poursuivre au-delà de la disparition des
symptômes. Quant à ses intentions de porter secours à la 'l'A, il vous les développera
lui-même. De toute façon, j'espère que cela aboutira à une vengeance contre Heller,
longuement désirée.
Annerl est en bonne forme, cette année, et fera certainement plaisir à tout le monde à
Budapest A. Nous partons le vendredi 5 au matin, probablement en bateau. Ma femme
entreprendra, le lundi suivant, l'aventure d'un voyage à Schwerin 3.
Dites à Madame Gisela combien je me réjouis de la revoir enfin libre. Mes
salutations les plus cordiales,
votre Freud
A. Incertitude dans l'original sur wird Freude machen (fera plaisir) et wird Freunde machen (se fera
des amis).
Traduit en français par«Jeannot la Chance» (conte des frères Grimm).
Quelques jours plus tard, le 2 juillet, Martin revint de la Piave, en permission.
D'après les notes sur le calendrier de Freud (LOC), lui et Anna se rendirent d'abord à Köbànya
(Steinbruch en allemand), faubourg de Budapest, le 8 juillet, où ils résidèrent dans la villa de von
Freund (voir 743 Fer, note 1). Le 1" août, Freud partit, sans Anna, pour le lac Csorba, où il retrouva
sa femme. Le 11, Anna qui était restée à Budapest, d'abord chez von Freund, ensuite chez le couple
Lévy, vint les rejoindre. Le 4 septembre, Freud se rendit à Lomnicz et le 25 à Budapest, au V' congrès
international de psychanalyse (28-29 septembre 1918). Voir aussi les souvenirs de Kata Lévy-Freund
concernant ce séjour: « Dernières vacances avant la fin du monde », Le Coq-Héron, 1990, 117, p. 39-
44.
754 Fer
Budapest, le 10 septembre 1918
755 F
Prof. Dr Freud
Cher Ami,
Je suis maintenant au courant de tout. Je réponds à votre lettre en toute hâte pour
qu'elle puisse partir avec le courrier.
Le changement en ce qui concerne le congrès est à tous égards favorable, sauf l'éventualité
que nous ne puissions avoir les Allemands. On verra bien. Je tiens la présence de Rank à
Budapest pour une très bonne chose.
Notre séjour ici dépendra, a) du temps, qui est exécrable, b) du Dr Lévy dont l'arrivée
est incertaine ; quoi qu'il en soit, nous voulons aussi nous arrêter à Budapest et être à
Vienne vers le 20-22.
La fin des vacances s'annonce chez moi. Aujourd'hui, inopinément, une « idée » relative à
nos fantaisies lamarckiennes, la première impulsion du genre depuis 2 mois.
Adieu, portez-vous bien en attendant de nous revoir prochainement et saluez très
cordialement de ma part votre chère Madame Gisela, anciennement Pàlos.
Votre Freud
756 Fer
Budapest, le 13 septembre 1918
757 Fer
[Budapest,] le 14 septembre [1918] A
A. La date (sans mention de lieu ni d'année, laquelle est déterminée par l'allusion aux
préparatifs du congrès) est écrite à la main, à la fin de la lettre.
758 F
Prof. Dr Freud
T. Lomnicz
le 17 septembre 1918
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Vous devriez maintenant être rassuré sur le fait que le déplacement du congrès ne
m'a pas du tout déplu. Le petit bout de déception que vous aviez deviné se rapporte à
l'abandon du voyage à Schwerin, devenu impossible pour d'autres raisons.
Ma seule réserve portait sur le fait que nous allions être privés des Allemands et
qu'alors le pauvre Abraham ne tirerait même pas de sa présidence le bénéfice de diriger
le congrès. Mais Freund m'a rassuré à cet égard ; selon ses renseignements, les visites
hors des frontières de l'Empire seront plutôt facilitées.
Les indices selon lesquels vous voudriez que le congrès se déroule dans une atmosphère
de solennité officielle me sont moins sympathiques. En tout cas, je n'y contribuerai en rien
et resterai, durant tous les discours, réceptions, etc., entièrement «passif». Je vous demande
aussi d'agir sur le Dr Freund pour qu'il réfrène ses penchants à la trop généreuse
hospitalité. Il s'attirerait ainsi, de la part des participants, la réaction même qu'il a de
bonnes raisons de vouloir éviter.
J'espère pouvoir encore ajouter à cette lettre la date de notre arrivée à Budapest et
la durée de notre séjour. Vos pêches étaient sublimes et méritent des remerciements
tout particuliers.
Salutations cordiales pour vous et Madame Gisela,
votre Freud
Post-scriptum : Je ne sais toujours pas quand nous pourrons arriver à Budapest. Si
nous n'obtenons pas de wagon-lit, nous partirons le vendredi 20 au matin. Le Dr Lévy
veut absolument que vous nous reteniez une chambre au Bristol, ou dans un autre
hôtel du bord du Danube, plutôt qu'au Royal. Si notre voyage s'arrange quand même
autrement, j'essaierai de donner des nouvelles, à vous ou à Steinbruch. Le télégraphe,
malheureusement, est totalement défaillant'.
Ferenczi sur « La psychanalyse des névroses de guerre » (Ferenczi, 1919, 218, Psychanalyse, III,
p. 27-43). Voir les présentations dans Jones (Jones, II, p. 210-212), Clark (Freud, op. cit., p.
387-389), Gay (Freud, une vie, op. cit., p. 431-432, p. 530) et le rapport sur le congrès dans la
Zeitschrift (1919, 5, p. 52-57). En ce qui concerne la fondation de von Freund, utilisée pour la
création de l'Internationaler Psychoanalytischer Verlag et des prix décernés pour des travaux
psychanalytiques de premier plan, voir Freud, 1919c : Internationaler psychoanalytischer Verlag und
Preiszuteilungen für psychoanalytische Arbeiten (G.W., 12, 333), « Mise au concours d'un prix », trad.
P. Cotet, OEuvres complètes, XVI, p. 251-254.
759 F
Prof. Dr Freud
le 30 septembre 1918
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Dès mon retour, au seuil d'une nouvelle année de travail, je ne peux
manquer de vous remercier pour toutes les preuves d'amitié cordiale de ces
derniers jours et de vous féliciter pour le beau succès du congrès auquel
vous avez pris une si grande part, ainsi que pour votre élection. Rappelez-
vous les paroles prophétiques que je vous ai dites avant le premier congrès
de Salzbourg, à savoir que nous avions de grands desseins en ce qui vous
concerne.
Je nage dans la satisfaction, j'ai le cœur léger, car je sais que
l'enfantde-tous-mes-soucis, l'oeuvre de ma vie, sera protégé par l'intérêt
que vous et d'autres y prenez, et ainsi préservé pour l'avenir. Je verrai
advenir des temps meilleurs, ne fût-ce que de loin.
Consolidez maintenant votre amitié avec l'homme que nous a envoyé la
Providence au bon moment, et avec Rank, qui ne peut être remplacé par
personne, et laissez-moi jouir de la satisfaction d'observer comme les plus
jeunes font bien ce que la force et l'âge des anciens n'ont pu accomplir.
A Budapest, peu de possibilités étaient offertes pour des échanges d'idées
d'ordre privé. On était beaucoup trop sollicité. Ceci, pour justifier ces
manifestations d'affect, après coup.
Je viens de trouver ici une lettre dans laquelle Karger réclame la 6e édition
de la Vie quotidienne'.
Voulez-vous faire parvenir les lignes ci-jointes à Sachs 2, dont je ne connais
pas la nouvelle adresse.
Je vous salue cordialement,
votre Freud
Freud, 1901b, sixième édition, Berlin, 1919.
Le matin même où débutait le congrès, Sachs avait fait une grave hémorragie pulmonaire qui
entraîna son hospitalisation à Budapest. Il dut finalement effectuer un séjour assez long
dans un sanatorium de Davos où il se rétablit de la tuberculose. Voir Jones, II, p. 212.
760 Fer
Budapest, le 4 octobre 1918
762 F
Prof. Dr Freud
le 11 octobre 1918
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Votre proposition de verser au Dr Sachs 10 000 couronnes comme contribution à
ses frais de maladie a mon assentiment sans réserves. La première fois qu'à Budapest
j'ai reparlé à Freund, je lui ai demandé si subvenir aux besoins de ceux qui sont
précieux pour la `PA ne devrait pas aussi faire partie des attributions du fonds, et il a
répondu par l'affirmative. Je ne savais pas, alors, que le premier cas se présenterait si
vite.
Je ne vois pas clairement quelles pourraient être les modalités de prélèvement, car le
fonds n'existe pas encore et le droit d'en disposer ne m'a pas encore été transféré. Je
crois que nous devrions laisser Freund en décider. Il est peut-être préférable de prélever
cette somme sur le capital ; en aucun cas ce don ne devrait retarder la fondation du
Verlag, car il y a urgence. Heller, comme je vous l'ai déjà écrit, s'est entièrement fait à
l'idée de céder les deux revues. Il ne devrait pas y avoir, maintenant, une trop longue
interruption de notre côté. Heller m'a aussi laissé entendre récemment que l'Office du
Papier d'ici pourrait ne pas autoriser l'exportation vers la Hongrie de papier pour Imago.
J'approuve hautement votre obstination à ne vous déclarer satisfait que si vous avez 1
ou 2 assistants éprouvés pour l'antenne lima. Si on vous impose Gonda 1 ou quelque autre
personne extérieure, vous êtes perdu ; vous ne devez pas céder. A Budapest, on ne pourra
guère se passer de la connaissance de la langue hongroise. Le mieux serait Hollôs et
Eitingon !
La consultation, ici, est encore déserte, sans intérêt. La sourde tension avec laquelle
tous attendent la décomposition imminente de l'État autri-
chien est peut-être un facteur défavorable. Je ne peux réprimer la
satisfaction que me procure cette issue.
Anna, Ernst et Mathilde sont sur le point de se remettre de leur
grippe espagnole. Oli aussi en a souffert 2 ; de Martin, aucune nouvelle.
Salutations cordiales, votre
Freud
P.S. Hier, demande a été faite pour une traduction danoisedes Cinq Leçons 3.
763 Fer
Budapest, le 12 octobre 1918
le 16 octobre 1918
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Sachs était chez moi aujourd'hui, il m'a fait part des idées nouvelles concernant sa
maladie ainsi que des projets qui s'y rattachent; il a en outre reçu l'annonce officielle
de la somme que la fondation lui destine. Je n'ai pas lié les autres 5 000 à son départ
en Suisse, car même s'il reste ici, sa maladie lui occasionnera assez de dépenses. J'ai
pensé: si c'est oui, alors c'est oui.
Cela étant, j'aurais peut-être pratiqué la bienfaisance de façon moins impulsive si j'avais
été seul. Maintenant que tout est réglé, je peux le dire. Car sa famille est plutôt aisée ' et
ne lui aurait pas refusé les moyens de son rétablissement. Si tel avait pourtant été le cas,
ou s'il avait craint de faire appel à elle, le moment en fût venu pour nous d'intervenir. Ne
perdons pas de vue que le fonds est destiné à des opérations d'intérêt général et que nous
ne devons pas en disposer selon nos états d'âme.
Mais ne surestimez pas notre différend et ne supposez pas que j'ai agi ainsi contre mon
inclination. Je l'ai plutôt assuré, dès avant votre proposition, que ses amis seraient à sa
disposition. Par ailleurs, je lui trouve mauvaise mine et j'aimerais souhaiter – sans
conviction – que la façon de voir de Lévy soit la bonne. L'autre facteur de maladie m'était
connu depuis longtemps.
Pour le reste, tristes temps. Pratique calme, 3 cas enlevés pour cause de maladie.
J'attends l'arrivée de Rank afin d'en savoir plus et de rallier les espoirs concernant la
fondation du Verlag. Peu disposé moi-même au travail, en partie trop bien portant, en
partie trop désoeuvré, en partie trop intéressé par l'issue du drame mondial. Quoi qu'il
en soit, pour votre indépendance politique en tant que Hongrois, je vous félicite s. Si
seulement votre peuple pouvait être capable d'en faire quelque chose et se garder du
chauvinisme. Sous quel jour Wilson apparaîtra-t-il finalement, c'est toute la question
; je n'espère rien de bon de lui s.
Saluez Madame Gisela cordialement de ma part. Vous n'avez rien dit de la suite de
cette affaire.
Dans l'attente d'une prompte réponse,
votre Freud
Le père de Sachs, Samuel, était avocat.
Le même jour, l'empereur Charles I" avait publié un manifeste, annonçant la transformation de
la monarchie austro-hongroise en une fédération, ce que Freud, sur son calendrier,
a noté de la façon suivante : « Proclamation impériale fédéralisme » (LOC). Cela
n'empêcha cependant pas la dislocation de la Monarchie.
3. Thomas Woodrow Wilson avait répondu de façon réservée à la proposition de paix des
Empires centraux. A propos de la disposition – négative – de Freud à l'égard de Wilson, voir
Freud, 19666 [1938], introduction à S. Freud/W. Bullitt, Le Président T. W. Wilson, Paris, Payot,
1990, p. 1322.
765 F
ProfDr Freud
le 20 octobre 1918
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je voudrais vous parler franchement de Sachs. Il a toujours une mine pitoyable, comme
s'il portait la marque sur le front'. Ici les experts, en particulier Pineles, n'ont pas suivi Lévy
qui privilégie la syphilis – ce qui était aussi ma tendance de profane. C'est donc
pratiquement acquis : il va, dès que possible, à Davos, c'est-à-dire dès qu'il sera venu à
bout des inévitables tracasseries. Il espère pouvoir partir après la première semaine de
novembre. Résultat d'un compromis, il aura encore droit, avant de partir, à quelques
injections de Salvarsan.
Il m'a dit qu'avec l'aide des relations de Heller en Suisse il pourrait faire passer là-bas,
en une seule fois, la totalité de la somme nécessaire pour le voyage. (Ici on ne trouve
pratiquement pas de francs suisses.) Cela impliquerait donc que nous mettions à sa
disposition, avant son départ, les 5 000 couronnes qui restent encore. Dites-le à Freund,
et dites-lui en même temps que je peux, tout comme lui, avancer cette somme à la
fondation, comme il le sait, d'ailleurs.
Vous m'aurez trouvé inconséquent dans cette affaire, parce que je n'ai pas réfréné
certaine critique à l'égard de toute cette affaire de participation. Mais croyez bien qu'il
n'y a là aucun mauvais vouloir de ma part, seulement de l'incertitude quant à ce que
nous avons effectivement le droit de faire, une répugnance générale pour les bienfaits
ad hominem * et l'intention pédagogique qui consiste à ne pas intervenir dans le sens
d'une aide, avant que les moyens personnels de l'intéressé ne soient épuisés.
Sinon, rien de neuf. L'épidémie domine toujours la scène. On entend parler de cas
abominables, on est toujours tranquillisé quand quelqu'un l'a déjà eue. Il semble que chez
le beau-frère de Lévy cela se termine bien ; pendant un temps, c'était critique. La pauvre
femme 2a beaucoup souffert. L'analyse d'Annerl évolue très bien s, sinon, les cas sont sans
intérêt. Écri-
vez- moi bientôt pour me dire comment vous allez, et comment se portent
Madame Gisela et sa famille.
Salutations cordiales,
votre Freud
* En latin dans le texte : personnellement adressés.
D'après la Genèse, IV, 15.
Eva, la sœur de Lévy, mariée à Emil Balogh, directeur des Transports publics de
Budapest (B.SZ.K.R.T.). Morte en 1954 à Londres, ainsi qu'Emil Balogh vers 1959.
Leur fils Thomas deviendra sir Thomas Balogh, conseiller économique du Premier
ministre Wilson.
Freud avait entrepris, en octobre 1918, l'analyse de sa fille Anna, qui se prolongea jusqu'au
printemps 1922. Elle fut reprise en mai 1924 et poursuivie jusqu'en été 1925. Voir E. Young-
Bruehl, Anna Freud, op. cit., p. 93-127.
766 Fer
Budapest, le 22 octobre 1918 A
767 Fer
Budapest, le 25 octobre [19]18 A
768 F
Prof. Dr Freud
le 27 octobre 1918
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je sais que vous êtes un patriote hongrois et que vous devez vous attendre à quelques
expériences douloureuses de ce côté-là. Il semble que les Hongrois se bercent de l'illusion
qu'eux seuls pourraient échapper à la réduction [territoriale] qui menace, parce que le
monde extérieur les aimerait ou les respecterait tout particulièrement, bref: qu'ils seraient
des « exceptions » '. D'où la hâte quelque peu indigne à dissoudre la communauté avec
l'Autriche, et à dénoncer l'alliance avec l'Allemagne, bien que les troupes allemandes aient
sauvé la Hongrie deux fois au cours de cette guerre, et l'empressement à faire allégeance
à l'Entente 2. La déception ne manquera pas de se produire et d'engendrer des temps
difficiles. Tous les défauts des Hongrois en tant que politiciens menacent de se retourner
contre eux. Retirez à temps votre libido de la patrie et mettez-là à l'abri dans la TA, sinon
vous allez, nécessairement, vous sentir mal.
Ici, la sourde tension se maintient. Il semble, cependant, que la décomposition
devrait s'effectuer sans explosions.
Chez moi, il ne se passe absolument rien. J'attends l'arrivée de Rank, fixée au 5
novembre, mais rien n'est sûr. Je n'ai pas non plus réuni l'Association. Sachs s'est alité
avec une fièvre soudaine, je lui ai rendu visite, je l'ai trouvé sans fièvre, je ne crois même
pas que c'était la grippe. Je lui ai apporté à cette occasion la deuxième partie de la somme.
Espérons qu'il arrivera malgré tout à partir à temps.
La consultation était très réduite pendant ces semaines d'épidémie. Ernst part lundi
pour Munich, il semble qu'Oli n'ait pu venir en permission de l'actuel blocus. Son
bataillon doit regagner Serajewo A.
J'ai, en ce moment, le plus souvent la tête vide de pensées, j'ai des idées le matin,
au réveil. La dernière, relative aux névroses de guerre traumatiques, je la mets à votre
disposition. Ce n'est probablement qu'une construction de rêve:
Il s'agit d'un conflit entre deux Idéaux du Moi, l'habituel et celui que la guerre a
imposé. Ce dernier repose entièrement sur des relations d'objet récentes (supérieurs,
camarades) et doit donc être considéré comme équivalent à un investissement d'objet,
un choix d'objet, pour ainsi dire non conforme au Moi. De ce fait, le conflit peut se
dérouler comme dans une
psychonévrose. L'important, sur le plan théorique, serait justement que, sur la base
d'un investissement d'objet libidinal, un nouveau Moi se développe, qui doive être
renversé par le Moi antérieur; une lutte dans le Moi, au lieu d'une lutte entre le Moi
et la libido mais, fondamentalement, c'est la même chose s.
Cela viendrait en parallèle avec la mélancolie, où un nouveau Moi se trouve
également érigé, mais ici sans Idéal, et sur la base d'un investissement d'objet laissé
vacant.
Sinon, je n'ai trouvé que des faits isolés dans la pratique quotidienne, comme par
exemple une réaction à la perte de la position d'unique ; comment quelqu'un devient
un collectionneur passionné, parce que, du fait d'un nouveau mariage du père, il
cesse d'être un enfant unique, ou bien : la part orale du complexe de désir
homosexuel, puisqu'on obtient les enfants en mangeant quelque chose de spécial.
Je vous salue cordialement, ainsi que Madame Gisela. J'espère que l'épidémie
continuera à vous épargner tous.
Votre Freud
769 F
Prof. Dr Freud
le 3 novembre 1918
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Votre télégramme' m'a apporté la nouvelle réjouissante que vous allez bien, et la
preuve que Budapest est de nouveau calme et accessible 2. L'isolement est une source
effroyable du sentiment d'impuissance, si fort ces temps-ci.
Le soir, est arrivée la nouvelle de l'armistices et, avec elle, la certitude que, pour nous, la
guerre à l'extérieur était terminée. Si Martin n'est pas encore prisonnier, espérons qu'il va
maintenant se frayer un passage vers un territoire allemand. Je dois la présence d'Oli à la
maison à la bienveillance de vos compatriotes et je leur en demeurerai reconnaissant. Il
était en Hongrie, sur un transport à destination de Sarajevo, lorsque sa compagnie fut
encerclée, désarmée, et leur train pillé. On n'a rien pris aux
officiers ; ils ont tous été mis dans un train qui leur a fait traverser la frontière pour
l'A.[utriche] A.[llemande]. C'est ainsi qu'il est arrivé hier matin, et s'est aussitôt présenté à la
nouvelle armée a.[ustro]-a.[llemande].
Dans l'ensemble, nous tenons debout, bien que, certains jours, quand les événements et les
craintes qui s'y rattachent s'accumulent, ce ne soit pas une tâche facile. La ville est parfaitement
calme et tout ce qui se passe ne vaut guère la peine qu'on en parle. Mais Sachs dit, avec raison :
au début, toutes les révolutions sont non sanglantes et raisonnables. Au demeurant, Sachs veut
partir demain soir ; je ne sais s'il y parviendra. Rank, qui est ici, tout à fait en forme, aimerait partir
ce soir pour Cracovie, afin d'en ramener ses biens, puis commencer ici tranquillement son travail.
Nous ignorons si, lui aussi, pourra faire ce voyage.
Tout le reste attend la visite de Freund, mais nous savons, bien entendu, qu'il ne faut pas y
compter en ce moment. Au premier plan des projets que je suis en train de forger, ici, avec Rank,
il y a le Verlag, avec l'appui de Heller, d'autant que nous sommes préparés à ce que le quart de
million que Bârczy 4 doit m'envoyer ces jours-ci n'aura peut-être pas de suite.
Freund doit apporter des informations sur tout cela. Il est bon d'avoir ses propres petits
intérêts, car les grands intérêts généraux n'ont rien de réjouissant. Même la consultation
promet de devenir bien misérable.
J'attends avec impatience de savoir ce que vous allez dire de ma théorie des névroses de
guerre, esquissée dernièrement, et s'il adviendra quelque chose de votre antenne ou si la fin
de la guerre mettra également fin à l'intérêt pour ce sujet.
Les nouvelles de votre substitut de père redouté 5 me semblent la promesse que je pourrai
bientôt vous féliciter pour un fait accompli *.
La prochaine innovation sur la scène mondiale, je l'attends maintenant de l'Allemagne, où
ce Guillaume fait penser au géant de l'Arioste qui, mortellement frappé, continue à charger
parce qu'il ne s'en est pas encore aperçu s. Certes, des surprises ne sont exclues nulle part.
Je ne compterai pas parmi celles-ci l'entrée des Anglais à Constantinople.
J'ai été particulièrement soulagé que les Hongrois se soient résolus à ne plus tenir l'éclat
mythique de la couronne de saint Étienne pour ce qu'il y a de plus élevé dans la vie d'une
nation. Encore un morceau de romantisme en moins. Les hommes sont beaucoup trop remplis
de cette substance.
Je vous salue cordialement, ainsi que Madame G., et j'espère que vous allez bientôt user
abondamment des possibilités de circulation nouvellement ouvertes.
Cordialement, votre Freud
* En français dans le texte.
Non retrouvé.
Freud se réfère à la révolution dite des « Reines-Marguerites » (parfois aussi nommée en France « révolution
des Chrysanthèmes») du 31 octobre, appelée ainsi d'après les reines-marguerites que les soldats
révolutionnaires avaient introduites dans le canon de leur fusil. Cette révolution avait pour devises la
démocratie, l'égalité des droits, la prospérité et la réforme agraire. Il y eut de violents combats dans les rues de
Budapest et le comte Istv£n Tisza, représentant de l'ordre ancien, fut assassiné. Notes sur le calendrier de
Freud, à la date du 1°rnovembre : «Tisza assassiné. Communications avec l'Allemagne et la Hongrie
interrompues » (LOC). Peu après, K£rolyi fut nommé Premier ministre par l'empereur Charles I°" (le
1918 339
roi Charles IV de Hongrie). Appartenaient à son cabinet, entre autres, Ernö Garami (voir 770
Fer et la note 3) et Oszkàr Jàszi (voir t. I, 471 Fer et la note 1.). Le 16 novembre, la Hongrie fut
proclamée république indépendante. Voir Eva Brabant-Gerö, Ferenczi et l'École hongroise de
psychanalyse, op. dt., p. 61.
L'armistice entre l'Autriche-Hongrie et l'Entente fut signé ce jour-là à Padoue. Freud nota:
«Armistice avec l'Italie, guerre terminée!» (LOC). Le commandement suprême de l'armée
austro-hongroise ordonna la cessation des hostilités pour le 3 novembre à 1 h 20 ; mais l'Italie
s'en tint à l'entrée en vigueur le 4 novembre; de ce fait, 400 000 soldats autrichiens, dont
Martin Freud, furent, sans combat, faits prisonniers par les Italiens.
Le Dr Istvàn Bàrczy (1866-1943) était, de 1906 à 1917, maire-adjoint, puis, en 1917 et 1918, maire
de Budapest; du 25 novembre 1919 au 14 mars 1920, il sera ministre de la Justice, puis député
jusqu'en 1931. Intéressé par les problèmes de pédagogie. Il participa au NT°congrès international de
psychanalyse en tant que délégué officiel de la capitale. Freud déclara au congrès que « le maire de
Budapest, qui disposait de l'ensemble de la somme [de la fondation de von Freund], avait mis celle-ci
à sa [professeur Freud] disposition personnelle » (Zeitschrift, 1919, 5, p. 56 sq.).
Géza Pàlos.
Dans Ludovic Arioste (1474-1533), Orlando furioso (Roland furieux) [1516]. Freud utilisera par la
suite la même comparaison à propos de la psychologie académique : elle poursuit ses assauts,
sans remarquer que la psychanalyse lui a coupé la tête.
770 Fer
Budapest, le 7 novembre 1918 A
771 F
Prof. Dr Freud
le 9 novembre 1918
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Une carte d'Emden, arrivée aujourd'hui, annonce que Jones a perdu sa jeune femme,
début octobre, d'une opération de l'appendicite `. Pauvre garçon, ajoute Emden. Nous
n'avons pas même la possibilité de lui exprimer directement nos condoléances.
Je vous ai envoyé, il y a 2 jours, un projet de statuts pour l'administration de la
fondation, dont les fonds m'ont été transférés, depuis, pour un montant de 250 000
couronnes. J'attends maintenant vos propositions, ainsi que celles des autres, aux fins
de modifications.
Nous sommes à présent coupés de 3 de nos enfants, Martin, Ernst et Sophie.
Évidemment, seul le premier nous donne du souci ; nous n'avons aucune idée de
l'endroit où il est ni de ce qui lui arrive. Il se passe actuellement dans le monde tant
de choses que l'on ignore. Et ce que l'on apprend est assez surprenant. Auriez-vous
imaginé qu'un soulèvement républicain à Munich fût possible 2 ?
En Allemagne, je m'attends à des événements effroyables. Bien pires que chez vous
ou chez nous. Pensez à la tension épouvantable de ces 4 ans 1/2 et à la terrible
déception qui vient maintenant lever tout d'un coup cette pression. De plus, il y aura
de la résistance, une résistance sanglante. Ce Guillaume est un fou romantique
incurable, il se trompe sur la révolution, comme il vient de le faire sur la guerre. Il ne
sait pas que l'époque chevaleresque s'est achevée avec Don Quichotte.
Ne prenez pas trop à coeur le destin de la Hongrie, il conduira peut-être à la guérison
cette nation douée et vigoureuse. Le déclin de la vieille Autriche ne pouvait susciter en
moi que la plus grande satisfaction. Malheureusement, je ne suis pas non plus austro-
allemand ou pangermaniste.
Naturellement, tous nos projets personnels doivent maintenant être remis à plus
tard. A quoi bon le vin, s'il nous manque la coupe 8 ? Peut-être l'aurons-nous bientôt.
— Est-il vrai que tous les névrosés de guerre ont soudain guéri, sauf un ? Qu'en dira
Oppenheim ?
Rank est parti pour Cracovie lundi soir, Sachs pour la Suisse. Autant dire, disparus
tous deux dans la nature ! Saluez cordialement Madame Gisela de ma part, écrivez
bientôt à
Morfydd Owen (née en 1891), compositrice et chanteuse galloise; décédée en septembre 1918
dans des conditions qui ne sont toujours pas tout à fait éclaircies ; voir Jones à Freud du 4 X
1918, Freud/Jones, Correspondance, p. 324.
Après la chute des Wittelsbach, la famille régnante en Bavière, le 7 novembre, Kurt
Eisner, proclamait la République populaire bavaroise à Munich, et Liebknecht, le 9
novembre, la république des Conseils à Berlin.
Allusion aux lignes de Christian Friedrich Hebbel: «Tantôt c'est le vin qui manque, tantôt
c'est le gobelet. »
772 F
Prof. Dr Freud
le 17 novembre 1918
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Votre lettre exprès recommandée, du 7, est arrivée chez moi le 14 ; je vous écris donc
aujourd'hui sans cérémonie, et sans contenu ; je n'ai pratiquement rien à raconter et je
compte sur le fait que Rank sera chez vous depuis longtemps quand vous lirez ceci, et
vous aura rapporté toutes les nouvelles le concernant, ainsi que Jones, Sachs, etc.
J'ajoute encore qu'il n'y a toujours ni Martin, ni aucune nouvelle de lui. Quant à l'arrêt de
toutes les négociations, travaux et entreprises, vous êtes, évidemment, au courant!
De tous nos soucis, le plus grand, le plus lourd, semble bien vain. L'Allemagne ne devient
pas bolchevique, mais continue à se développer sagement et, grâce à l'organisation héritée
des Hohenzollern, elle aura bientôt surmonté le plus difficile. Nous, en revanche, rien ne
peut nous aider. Les Habsbourg n'ont laissé derrière eux qu'un tas d'ordures. Tout est
calme, ici, à l'exception des gares; mais rien ne marche non plus. Les restrictions et la
pénurie sont pires que jamais. L'homme le meilleur, le seul peut-être qui eût été à la
hauteur de la situation, la mort nous l'a enlevé 1; et avec les sociaux-chrétiens et les
nationaux allemands il n'y a probablement rien à faire. Malgré la modification soi-disant
radicale de la situation, il n'y a rien de changé dans les rapports avec les peuples voisins.
La dynastie a dissimulé bien des choses à ce sujet; maintenant tout est là, à nu. La nouvelle
Hongrie en est au même point avec nous que l'ancienne Hongrie avec l'ancienne Autriche.
J'aimerais faire montre d'une grande sympathie pour les Hongrois, mais je n'y parviens pas.
Je n'arrive pas à me faire à la sauvagerie et à l'immaturité de ce peuple sans éducation. Je
n'étais certainement pas un partisan de l'Ancien Régime *, mais je me demande si l'on peut
considérer comme un signe de sagesse politique le fait d'abattre le plus intelligent des
nombreux comtes 2 et de prendre pour président le plus bête 3. - En fin de compte, notre analyse
aussi a joué de malchance. A peine commence-t-elle à inté-
resser le monde, à partir des névroses de guerre, que la guerre prend fin, et quand,
pour une fois, nous trouvons une source qui nous accorde des moyens financiers,
elle doit aussitôt se tarir. Mais la malchance est une des constantes de la vie.
Notre royaume n'est tout de même pas de ce monde'. Écrivez-moi encore bientôt!
Avec mes salutations cordiales,
votre Freud
* En français dans le texte.
I. Victor Adler (né en 1852), fondateur du Parti social-démocrate (1888), est mort subitement
le 11 novembre.
Comte Istven Tisza.
Comte Mihäly Kârolyi.
Jean 18, 36.
773 F
Vienne, le 17 novembre 1918
Circulaire
concernant les affaires de la fondation psychanalytique
774 Fer
Budapest, le 24 novembre 1918
Cher Monsieur le Professeur,
Il se passe actuellement tous les jours tant de choses dans la vie, dont on aimerait discuter
avec ses amis, qu'on n'en arrive absolument plus à écrire, car ce qu'il y a à dire est sans
cesse refoulé par de nouveaux événements. Curieusement, mon humeur pessimiste ne s'est
pas maintenue longtemps, même si elle revient encore de temps à autre. Cela est sans doute
en rapport avec les conditions de ravitaillement, identiques à celles que vous avez observées
cet été. Certes, l'avenir national du pays est sombre, mais la direction radical-socialiste qui
a maintenant pris le pouvoir a d'abord fortement favorisé toutes les tendances progressistes.
Des centaines d'associations, de groupements professionnels, d'organisations ont vu le jour;
les éléments clérico-chauvinistes se taisent pour le moment, ou préparent la réaction en
silence et espèrent en cela l'aide de l'Entente, en particulier celle des Français. La population
s'habitue à l'idée républicaine ; si la royauté devait revenir, Charles ' ne serait certainement
pas couronné de
nouveau, mais plutôt le populaire archiduc Joseph 2. Mais rien de tout cela n'apparaît pour le
moment. Au contraire, les sociaux-démocrates au gouvernement ont entrepris de mener quelques
très vives attaques contre la propriété privée : ils ont simplement annexé les Sociétés des Tramways
et les ont remises à la ville en toute propriété ; pour les soldats qui reviennent, ils ont aussi
réquisitionné quantité de vêtements auprès de tous ceux qui possèdent plus de 3 costumes et
pardessus d'hiver, plus de 7 chemises, etc. – Jusqu'à présent, je me suis toujours tenu éloigné de
la politique, je n'ai encore jamais pris part à des élections de députés. Mais, ces jours-ci, l'utilité de
l'organisation des travailleurs, qui a sauvé la civilisation à Budapest, a produit sur moi une telle
impression, que j'ai adhéré au syndicat social-démocrate des médecins, nouvellement fondé. –
Peut-être sera-t-il utile à la 'PA en Hongrie que je participe également à une association qui a pour
nom : « Association des artistes créateurs et des chercheurs scientifiques ». Présidée par le Pr Pikler',
elle a proposé ma candidature comme membre du comité directeur de la section scientifique. Je
compte exposer prochainement, dans une conférence, l'importance centrale de la 'VA dans les
sciences de l'esprit. – En même temps, quelques adeptes de la 'FA ont réuni des signatures pour
une pétition à l'Université (environ 1 000 jusqu'ici) ; ils demandent qu'on leur donne la possibilité
d'étudier la 'FA. – La semaine prochaine, nous avons une réunion de l'Association (tua), où ces
choses aussi devront être discutées. – Un membre (le Dr von Felszeghy 4), actuellement secrétaire
privé du ministre des Nationalités Jäszi, m'a dit, à juste titre, que la 'PA serait soutenue par les
hommes nouveaux aussi longtemps qu'ils ne devineraient pas, comme à présent, ce dont il s'agit.
– Naturellement, tous ces projets peuvent être contrecarrés par un changement dans la situation
politique.
Avec le retour des médecins militaires, le nombre des tira (praticiens) à Budapest est monté jusqu'à
5 : Hollôs, Härnik, Pfeifer, Radé et moi. J'ai déjà rempli les séances de Hollôs et Radé. Mes 8 séances
aussi sont complètes. La patrie de la 'FA est donc quand même Budapest, et non Vienne; vous devriez
venir vous installer ici !
Le sort de Martin doit vous causer beaucoup de souci, bien que, selon toute probabilité, il
ait été fait prisonnier avec toute sa troupe.
L'arrivée de Rank – et les nouvelles qu'il a apportées 5 - a été une grande surprise. Je dois
reconnaître franchement que je ne sais pas encore si je dois me réjouir ou non de ce
changement dans son destin. Attendons la suite ! – Pour le moment, ses perspectives au
journal N. P. semblent incertaines, car Vienne a perdu son importance centrale.
J'approuve entièrement vos projets concernant l'attribution du prix. Le nom de « Prix de
Budapest » me semble le plus approprié. Je me permets de proposer, comme candidats pour
celui qui doit être attribué maintenant, Abraham et Rank, le premier pour ses travaux sur
l'érotisme oral et urétral 6, le second pour son travail sur Homère, et son « Artiste »71
Aujourd'hui, nous tenons conférence avec Freund sur l'organisation du fonds principal. Le
ministre Garami a accepté de devenir membre du conseil d'administration.
Salutations cordiales de
Charles IV, roi de Hongrie. Il avait renoncé, le 11 novembre, au trône d'Autriche et, le
13 novembre, à celui de Hongrie.
L'archiduc Joseph de Habsbourg-Lorraine (1872-1962). Représentant de la couronne en
Hongrie. Après la chute de la Commune, il se proclama gouverneur du pays, mais démissionna
bientôt et rejoignit peu après les rangs des fidèles de Horthy. En 1944, il jura fidélité au nazi
hongrois Szälasi. Il émigra en 1945.
Gyula Pikler (1864-1934), professeur de philosophie du droit, personnalité éminente de la « Société
des sciences sociales » et fondateur du cercle Galilée. En réaction aux attaques cléricales
et nationalistes menées contre lui, la jeunesse radicale en fit son idole.
Béla von Felszeghy, magistrat, participant au congrès de Budapest et auteur de « A Pan
Complexum », Imago, 1920, 6, p. 1-40, et de « Totem es tabu nyomok a jogban » (Traces de totem
et tabou dans le droit), Huszadik Szdzad, 1919, janv.-févr. En 1927, démissionne de l'Association
hongroise (Zeitschrift, 1928, 14, p. 289). Voir aussi 786 Fer.
Le mariage d'Otto Rank avec Beata (« Tola ») Mincer (Münzer), native de Pologne (18961967),
en novembre; à cette occasion, Otto Rank se reconvertit au judaïsme. Bien qu'au début Freud
l'ait considérée avec méfiance, Beata Rank entra bientôt en rapport étroit avec lui et sa
famille, en particulier avec Anna; elle-même devint analyste, collabora au Verlag et traduisit
Freud en polonais. Dans les conflits entre Otto Rank et Freud, elle chercha à se poser en
médiatrice et resta en rapport amical avec Freud. En 1926, elle émigra avec son mari tout
d'abord à Paris, où ils divorcèrent (1934), puis en 1936 à Boston, où elle devint une analyste
d'enfants connue, didacticienne et superviseur, ainsi que la présidente de l'« Educational
Committee» de l'Institut psychanalytique de Boston. Leur fille Hélène, née en 1919, vit
aujourd'hui à San Francisco et exerce la profession de psychothérapeute.
«Examen de l'étape prégénitale la plus précoce du développement de la libido» (Abraham, 1916,
52), OEuvres complètes, II, Paris, Payot, 1966, p. 231-254 et « L'éjaculation précoce» (Abraham,
1917, 54), op. cit., p. 62-76.
«Homer, I. Psychologische Beiträge zur Entstehungsgeschichte des Volksepos, II. Das
Volksepos» (Homère, I. Contributions psychologiques à l'histoire de la genèse de l'épopée
populaire, II. L'épopée populaire), Imago, 1917, 5, p. 133-169 et 372-393, et Der Künstler (l'Artiste),
Vienne, 1907.
775 F
Prof. Dr Freud
le 27 novembre 1918
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je m'habitue à répondre par retour du courrier, puisque de toute façon on
ne peut pas calculer le moment où une lettre arrive. Votre dernière lettre
exprès a pris huit jours, celle d'aujourd'hui est arrivée le surlendemain. Ce
sont des circonstances qui pourraient vous faire perdre jusqu'au goût d'écrire.
Vos propositions concernant l'attribution du prix ne correspondent pas tout
à fait à mes intentions. Ce ne sont pas des auteurs que je veux distinguer,
mais des travaux ; je ne peux donc prendre les deux articles d'Abraham, et
devrai me décider pour l'un d'eux. L'« Artiste » est un travail ancien, alors
que j'ai choisi la période de la guerre, de 1914 à 18, pour le prix de cette
année. « Homère » est avant tout un préambule, il ne peut entrer en ligne
de compte pour cette distinction. Quand Rank sera de
nouveau là, j'espère apprendre que vous aurez aussi discuté avec lui des prix
de Budapest.
Je me réjouis d'apprendre que vous avez repris le travail à plein temps. Pour moi, ici, les
choses ne vont naturellement pas aussi bien ; je travaille avec 6 patients, pour la plupart «
en voie d'extinction », et je risque chaque semaine de tomber à 3. Budapest est résolument
plus favorable à la SPA, sans que je songe pour autant à m'y installer. Votre secrétaire
ministériel doit être quelqu'un d'astucieux, sa remarque sur la situation future de la `PA en
Hongrie est certainement juste. Cela se passera peut-être de la même façon qu'en Suisse.
Mais d'ici là, vous devriez avoir obtenu quelque chose.
A moi non plus, le mariage de Rank n'a pas produit une impression particulièrement
favorable'. Mais, dans ces choses-là, on ne peut guère porter de jugement, encore
moins pour autrui. Il n'est rien où l'autre ne soit autant autre. Je suis absolument
incapable de faire ici quoi que ce soit sans lui, mais je m'attends à apprendre qu'il
s'installe à Budapest.
La situation locale est oppressante, l'incertitude absolue, les restrictions à peine
supportables. Nulle trace de jubilation révolutionnaire ; il est vrai qu'on n'a pas fait le
ménage à fond.
Aucune nouvelle de Martin ; diverses rumeurs prétendent que tout le corps d'armée
serait prisonnier. Vous ne dites rien de Madame Gisela ; aussi, faites-vous un devoir
de lui transmettre que nous ne l'avons pas oubliée.
L'isolement contribue beaucoup à ma mauvaise humeur; à ajouter au reste !
Avec mes salutations cordiales, •
votre Freud
1. Dans une lettre à Karl Abraham du 25 décembre 1918 (FM), Freud qualifiait Beata Rank de
«petite bonne femme judéo-polonaise qui n'est sympathique à personne et ne manifeste aucun
intérêt supérieur ».
776 F
Prof. Dr Freud
le 3 décembre 1918
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je vous remercie, vous et Madame Gisela, en mon nom et au nom de tous, pour le
savoureux rôti qui nous a donné, un court moment, l'illusion de l'abondance et du superflu.
Il n'y a pas de mérite à aimer ses amis quand ils prennent ainsi soin de vous; la difficulté bien
connue que Schiller a rencontrée dans l'impératif catégorique de Kant'.
Voici ce que j'ai décidé pour les prix: le prix médical pour l'article d'Abraham sur la phase
la plus précoce, prégénitale, de la libido d'une part, et la brochure de Simmel 2 de l'autre; le
prix Imago pour l'article de Reik sur les rites de la puberté chez les sauvages'. Pour cela, il me
faut 2 000 couronnes que vous et Freund voudrez bien prélever à la banque et confier à Rank,
la prochaine fois qu'il se rendra à Budapest, ainsi que je l'ai écrit à Fr.[eund] dans ma dernière
lettre.
Rank a aujourd'hui son entretien décisif avec Heller sur sa participation au Verlag, ou plutôt le
premier de ces entretiens. Je suis très opposé au transfert du Verlag et de la personne de Rank à
Budapest, je voudrais garder les deux ici. Au fait, que pensez-vous de sa femme?
Nous avons reçu aujourd'hui la première carte de Martin, qui laisse supposer que des
nouvelles antérieures se sont perdues. II écrit, le 24 novembre, depuis l'Ospedale del Campo
n° 107 zona di guerra *, qu'il se trouve toujours à l'hôpital, qu'il va déjà mieux mais souffre
encore du pied qu'il s'était cassé précédemment. Il s'attend à être transféré prochainement dans
l'arrière-pays italien et ne sait ce qui se passe chez nous. Dans une carte envoyée en même
temps à une jeune dame à laquelle il fait actuellement la cour, il dit encore qu'il a beaucoup
souffert et s'est trouvé en danger de mort. A quoi fait-il allusion? Et pourquoi a-t-il été
hospitalisé? S'agit-il d'une blessure, d'un accident ou d'une maladie (une grippe sévère, peut-
être) ? Impossible de le deviner. Mais suffit, il est vivant, il peut écrire. Je me suis aussitôt
adressé à Sachs pour qu'il obtienne d'autres nouvelles par la Croix-Rouge. Je ne nie pas que
j'imagine quelque chose de grave.
Comment cela se passe-t-il chez vous, sous l'autorité étrangère ? Y a-t-il vraiment une
censure? Alors, finalement vous pourriez même ne pas recevoir cette lettre ? Écrivez-moi donc
le plus vite possible ! Et où en sont appartement et mariage? Il n'est que temps !
Cordialement,
votre Freud
Entre-temps, votre deuxième lettre est arrivée, avec Rank, auquel j'ai fait
votre commission. Nous nous réjouissons que Martin ait donné signe
de vie et ne doutons pas de le revoir bientôt, en bonne santé. L'attribution des
prix a toute mon approbation.
Bien des salutations cordiales,
Ferenczi
Freud, 1910a [1909], troisième édition, Budapest, 1919 ; Freud 1905d, deuxième
édition, Budapest, 1919 ; Freud, 1901a, deuxième édition, Budapest, 1919 ; tous ces
textes sont traduits par Ferenczi.
Voir 743 Fer et la note 2.
Le recueil d'articles Hystérie et pathonévroses (1919, 223) a paru au Verlag ; les « petits
écrits » sous le titre A pszichoanalizis haladdsa (Les progrès de la psychanalyse) [1919,
225], chez Mani) Dick.
Voir 786 Fer.
Ignâc Goldzieher (1850-1921), orientaliste hongrois, philologue des langues
sémitiques, historien de l'islam et du judaïsme, membre de l'Académie hongroise ainsi
que de plusieurs académies européennes.
Storfer (voir t. I, 188 F, note 6) s'était porté volontaire en 1914. Envoyé au front, il fut blessé
et devint estropié d'une main. Il s'installe d'abord à Budapest, puis, en 1919, après
l'effondrement de la république des Conseils, à Vienne.
778 Fer
Budapest, le 26 décembre 1918
779 Fer
[Supplément:]
Cher Ami,
Après une pause épistolaire aussi longue, votre lettre de Nouvel An (du 26 XII) était doublement
bienvenue : je sais que vous êtes dans votre élément, une position dirigeante, entouré d'élèves et
d'adeptes, bientôt, très bientôt je l'espère, en possession d'un foyer chaleureux et d'une femme
incomparable à bien des égards. Je sais que vous avez devant vous beaucoup de travail et de
grands tourments intérieurs, mais il ne faut pas souhaiter qu'il en soit autrement. Quant au
résultat, il sera ce qu'il pourra être, sous l'effet des antagonismes de puissances extérieures et de
forces intérieures. En tout cas très honorable, et j'espère aussi, heureux. On ne se laissera ni
corrompre ni détourner par des espérances diverses. L'âge d'or serait-il déjà là, ces douleurs
annonceraient -elles celles de l'enfantement?
Nous avons beaucoup parlé de l'alternative : s'adapter – changer le monde extérieur'. Et
voilà: ma capacité d'adaptation se met en grève, et, face au monde, je suis impuissant. Je reste
un mécontent dont il faudrait éviter la contagion tant qu'on se sent jeune et vigoureux.
Toni est de nouveau arrivé chez moi en mauvais état, mais seulement
névrotique, et manifeste maintenant ce comportement étrange qui consiste à
être candidat à la mort le matin, et bien-portant l'après-midi. Dieu sait quelle
nouvelle forme cyclique en ferait la psychiatrie officielle. C'est une phase
passagère ; les deux états commencent déjà à se confondre et l'amélioration
globale est indéniable. J'espère l'amener à bien progresser cette fois, à moins
que quelque chose d'organique, qui tire les ficelles, ne se joue de nous.
Naturellement, il a dû me révéler votre fameux plan pour me rendre riche, que
je juge absolument irréalisable, voire inadmissible. Je trouve intéressant que
vous supportiez si bien ce dont lui est tombé malade. Indubitablement, la
poussée actuelle de sa maladie repose sur le fait qu'il
se rend compte de l'impossibilité de me transformer en Nabab par un de ses tours d'adresse. Avec
lui en plus, et l'arrivée de deux patients de retourau pays, je suis de nouveau entièrement occupé,
mais je ne travaille pas avec plaisir ; j'ai maintenant 8 ou 9 séances par jour.
Rank se précipite dans le travail avec son zèle habituel, peut-être aussi pour se réhabiliter à cause
de son mariage. Le Verlag, nous le ferons quand même chez Heller, c'est-à-dire qu'il sera notre
conseiller et le lieu de distribution aux libraires. Malgré toutes ses faiblesses et mesquineries, nous
ne nous débrouillons tous deux pas si mal avec lui, et il peut aussi montrer ses meilleurs côtés. Toni
l'a par trop intimidé. Le premier livre sera la Vie Quotidienne que je commence à préparer
aujourd'hui 2.Il sera sans doute nécessaire d'engager un auxiliaire qui puisse de temps en temps le
remplacer. Je pense à Reik, qui y est tout disposé, et me propose de lui allouer un traitement de 5
000 couronnes à cet effet (plus 1 000 couronnes pour les affaires de l'Association). Ceci, et les deux
prix, font un total de 8 000 couronnes, ce qui correspond donc presque à la somme que vous et les
autres avez mise, à ma libre disposition pour ainsi dire, aux fins de primes et frais de tous ordres. Je
tiens tous les autres projets pour moins importants et vais concentrer notre action sur le Verlag.
Fait étonnant, nous n'avons aucune nouvelle de Sachs depuis le 21 XII, alors qu'il avait
l'habitude d'écrire très souvent.
Hier enfin, deux autres cartes sont parvenues de Martin, l'une périmée, mais l'autre du 30
novembre, avec la nouvelle qu'il est dans un hôpital pour convalescents à Teramo et s'y trouve fort
bien. Teramo est du côté adriatique de l'Italie, sur la ligne de chemin de fer Ancona-Foggia, à peu
près à la hauteur de Rome, avec vue sur les Abruzzes. Actuellement, il n'yest probablement plus,
bien sûr. Où est-il, et a-t-il reçu de nos nouvelles, nous n'en savons rien. Peut-être pouvez-vous
transmettre aussi cette piste.
Je ne vous ai sans doute pas annoncé que Sophie avait un deuxième garçon, qu'on a appelé
Heinz Rudolf 3 ? Tous deux vont très bien. Le père a rouvert son studio à Hambourg.
Dois-je me laisser surprendre par la date de votre mariage, ou serai-je informé à
temps? Je vous salue tous deux cordialement,
votre Freud
Voir aussi 589 F et la note 4.
En 1919, le livre (Freud, 1901b) a encore paru chez Karger, à Berlin, dans la sixième édition;
puis en 1920 pour la première fois au Verlag.
Dit « Heinerle » (8 décembre 1918-19 juin 1923).
781 Fer
Budapest, le 1" janvier 1919 A
le 6 janvier 1919
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Fidèle à ma résolution, je vous réponds rapidement, même sans aucun motif pressant particulier. Toni
va mieux, en pleine névrose; cette fois, l'influence est plus lente à agir car la dernière guérison miraculeuse
était venue de la perspective de rendre le père riche, ce qui se révèle à présent irréalisable. Je suis
naturellement prêt à le laisser rentrer chez lui pour une interruption, si les circonstances à Budapest
l'exigent. L'occasion de beaucoup parler de Madame D.[ubowitz] ne s'est pas encore présentée.
Le Verlag s'est donc maintenant constitué, avec l'appui de Heller. Je n'envie pas Rank, il a
énormément à faire. (Au demeurant, moi aussi, maintenant, dans ma consultation, 9 à 10 séances.)
Nous avons engagé Reik comme adjoint et le payons 6 000 couronnes pour ce travail et les affaires
de l'Association. Nous allons de toute façon dépenser un argent fou. L'insouciance hongroise nous a
contaminés.
Hitschmann et Abraham doivent entrer à la Zeitschrift comme rédacteurs' et s'attaquer aux rapports
afin de préparer le compte rendu annuel. Mais je voudrais tout de même que vous conserviez fermement
votre rôle de directeur, et que vous l'exprimiez par des prises de position critiques sur les parutions
réellement importantes dans la littérature. Encouragez également vos membres à rédiger des notes de
lecture avec zèle.
De Martin, rien de nouveau; deux cartes périmées, au contenu encourageant.
Scientifiquement, je suis toujours bloqué. Demain, j'ai à faire de 8 h à 8 h, là non plus la
productivité n'est pas au rendez-vous. Je dois me coucher plus tôt que d'habitude. Portez-vous le
mieux possible et saluez votre Madame G. cordialement de la part de nous tous et spécialement
de votre
Freud
* Neurologue.
En-tête pré-imprimé jusqu'ici.
Lecture incertaine ; la feuille est froissée à cet endroit et l'écriture effacée ; le mot pourrait être
soit Reaktionäre, soit Reaktionären.
1. Voir 767 Fer, note 2, et 769 F, notes 2 et 3. Après l'armistice du 3 novembre 1918, de
nouveaux États se constituèrent autour de la Hongrie : Tchécoslovaquie, Roumanie, Pologne et
Yougoslavie. L'Entente exigea que les troupes hongroises se retirent derrière les lignes de
démarcation. Le gouvernement hongrois se trouvait confronté à des problèmes considérables,
tels que le grand nombre de réfugiés et les graves problèmes économiques engendrés par l'arrêt
de la production, la pénurie de produits alimentaires de base et le chômage. Avec le soutien de
l'Entente, les troupes roumaines, tchèques et yougoslaves occupèrent les régions frontalières. Le
1" décembre 1918, survint la première crise du nouveau gouvernement Kàrolyi. L'influence du
Parti communiste, fondé en novembre, s'accrut ; le Parti social-démocrate chercha vainement à
constituer un gouvernement ; sur ce, Kàrolyi remit sa démission au Conseil national. Elle ne fut
pas acceptée et il fut désigné comme président de la République. Il nomma Dénes Berinkey,
auparavant ministre de la Justice, Premier ministre. Le 18 janvier 1919, Berinkey forma son
gouvernement, avec Ernö Garami, ministre du Commerce, et (à partir du 22 janvier 1919)
Zsigmond Kunfi, l'autre personnalité dominante du Parti socialiste, ministre de l'Édùcation. En
même temps, à l'occasion de la Conférence de paix du 18 janvier 1919, les nouveaux États,
toujours soutenus par l'Entente, formulèrent des revendications territoriales au détriment de la
Hongrie.
784 F
Prof. Dr Freud
le 9 janvier 1919
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je vous réponds par retour du courrier, et donc brièvement.
Je ferai naturellement preuve du plus vif intérêt envers Madame Margit
Dubowitz, mais je travaille ces temps-ci 9 heures par jour, et ne peux me
charger davantage. La prochaine séance libre, que ce soit dans quelques
semaines ou quelques mois, sera pour elle. Essayez de la faire patienter
jusque-là; sinon, je conseillerais Madame le Dr Révész, en qui j'ai grande
confiance.
Toni souffre à présent d'une périostite qu'il n'ose quand même pas
considérer comme une métastase. Je ne fais pas de sa présence à Vienne
une contre-indication au traitement de Madame D.[ubowitz] ; car lui, je
pourrai le retenir ; sur elle, en revanche, s'ils étaient ensemble ici, je
n'aurais aucune influence. Alors, il est bon que cela ne puisse se faire
maintenant.
Le Verlag travaille déjà avec beaucoup d'ardeur. La traduction hollandaise des
Conférences, 1" partie', est arrivée aujourd'hui.
Je suis peiné de trouver dans votre dernière lettre les signes d'un certain abattement.
Cordialement vôtre,
Freud
1. La première partie de la traduction hollandaise de Freud, 1916-1917a, par A. W. Van
Renterghem, parut en 1918 chez Maatsch, à Anvers. La seconde partie fut publiée en 1919.
785 F
Prof. Dr Freud
le 12 janvier 1919
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Auriez-vous l'amabilité de transmettre sans délai la lettre ci-jointe à Madame
le Dr Révész ? Elle m'a récemment écrit mais, en véritable bonne femme, a
omis de donner son adresse dans la lettre, ce que les hommes font toujours.
Et les enveloppes, je les jette systématiquement. La lettre traite d'une patiente.
Aujourd'hui, c'est vous seul que je salue cordialement, et je remercie d'une gentille lettre celle
qui sera bientôt votre femme.
Votre Freud
786 Fer
Dr Ferenczi Sdndor Idegorvos
*
Budapest, le 19 janvier 19 A 19
787 F
Prof. Dr Freud
le 24 janvier 1919
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je vous joins ici les deux pages avec les additifs qui vous manquent. A l'endroit des « Fälschungen der
normalen Denkfehler » [Falsifications du normal, erreurs de pensée], seule la virgule, avant le dernier mot,
a été oubliée.
Moi aussi, j'ai pensé à notre devoir envers Putnam. J'ai immédiatement écrit à Jones pour lui
demander s'il voulait rédiger la notice nécrologique lui-même, ou me la confier. Dans ce dernier cas, qu'il
veuille bien m'envoyer les données biographiques et la liste de ses travaux d'avant 1910. Après, je les
ai, dans une publication qui donne aussi une bonne image de lui. Si Rank ne peut faire état d'objections
graves, nous donnerons suite à votre proposition, très justifiée, dans le n° 2.
C'est grand dommage pour lui; c'est-à-dire pour nous. Il a eu une fin enviable.
A moi aussi, Jones exprime sa grande satisfaction devant le vif intérêt apparu en Angleterre. Il
veut publier le plus rapidement possible une revue anglaise, si possible une édition anglaise de
l'Intern.[ationale] Zeitschrift.
364 Correspondance 1914-1919
Rank a eu la très sage idée de l'inviter à une rencontre en Suisse, où ils pourront statuer sur cette question
ainsi que sur une autre. En effet, Pfister nous fait savoir qu'un éditeur de Berne 1 veut également créer une
édition >Vot trilingue, dirigée par lui-même, Claparède et une troisième personne, et demande quelle attitude
adopter. Rank va essayer de voir si, là, une coopération ne serait pas possible.
J'ai reçu aussi de Sachs la deuxième édition, très honorable, des Papers on `PA de Jones 2. J.iones] aimerait
que nous en traduisions deux nouveaux articles pour les inclure dans la Zeitschrift ; Anna s'occupe déjà de
l'un, et Sachs de l'autre 3.Je pense que vous pouvez aussi lui demander maintenant l'envoi de votre livre
(traduction de vos articles)', et un deuxième exemplaire éventuel me ferait très plaisir.
Selon les informations de Pfister, l'affaire de Jung va très mal à Zurich, et à son initiative ide
Pfister], la création de la nouvelle filiale est en cours. Le président devrait être Oberholzer, qui ne me
pose problème qu'en sa qualité de névrosé grave 5. Assurément, ils ont en Suisse un élevage de fous
pur sang tout à fait particulier.
J'ai pris connaissance avec beaucoup de satisfaction des progrès de vos affaires personnelles. Bien
des choses vont encore s'aplanir, une fois établil'état de fait.
Toni va naturellement beaucoup mieux qu'à la maison, mais passe par un état de révolte névrotique
parce que je ne veux plus accepter aucun don de lui. Quelques morceaux de sa sauvagerie primitive ne
sont pas encore démantelés. Pour l'instant, il n'est guère enclin à retourner à Budapest ; il a suspendu
aussi, pour le moment, ses efforts concernant le fonds principal. J'espère que cette interruption ne
présente pas de danger pour la cause. Il a invité Madame le Dr D.iubowitz] à venir à Vienne, mais il se
fait périodiquement peur à lui-même en évoquant la possibilité qu'elle se tue ici. Je ne peux pas la prendre
maintenant – si tant est que ce soit opportun–, j'espère aussi qu'on ne la laissera pas voyager si son état
n'offre pas quelques garanties contre le suicide.
Martin a indiqué son lieu de séjour par télégramme: « Genova S. Benigno inferiore », et a pu ajouter
: je suis en bonne santé. S. Benigno inferiore est une grande caserne au bord de la mer près du
phare, à proximité de la gare.
Je suis toujours occupé à plein temps. J'aurai bientôt mis au propre quelques nouveautés
confirmées concernant la genèse du masochisme S.
L'argent et les impôts constituent actuellement des thèmes tout à fait exécrables. Maintenant on «
se consume » vraiment. Ces 4 années de guerre étaient une plaisanterie, comparées à l'amère rigueur
de ces mois et certainement des prochains.
L'Association travaille un dimanche sur deux. Ici aussi l'ambiance est bonne et animée.
Salutations cordiales à vous et à votre chère femme.
Votre Freud
Ernst Bircher.
Papers on Psycho-Analysis, Londres, 1913 ; deuxième édition: 1918. Théorie et pratique de la psychanalyse,
trad. Annette Stronck, Paris, Payot, 1969.
« Traits de caractère anal-érotiques », trad. Anna Freud (Zeitschrift, 1919, 5, p. 69-92),
Théorie et pratique de la psychanalyse, op. cit., p. 378-398, et « La théorie du symbolisme », trad. Hanns
Sachs (ibid., p. 244-273, et 1922, 8, p. 259-289), Théorie et pratique de la psychanalyse, op. cit., p.
82131.
Ferenczi, Contributions to Psychoanalysis, Boston, 1916.
Le 10 février, Pfister, Mira et Emil Oberholzer annonçaient, dans une lettre circulaire, la création
d'une Association suisse de psychanalyse. La réunion constitutive eut lieu le 21 mars, la première
séance le 24 mars, avec, comme invités, Jones, Rank et Sachs qui parlèrent de « la psychanalyse
comme mouvement spirituel ». Emil Oberholzer était le président, Hermann Rorschach le vice-
président, Binswanger, Mord et Pfister les autres membres du bureau.
« Un enfant est battu. Contribution à la connaissance de la genèse des perversions sexuelles»
(Freud, 1919e), Névrose, psychose et perversion, op. cit., p. 219-243.
788 F
Prof. Dr Freud
le 3 février 1919
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami
Je profite du retour à la maison de Toni pour vous envoyer une lettre qui voyagera rapidement.
Pas grand-chose de nouveau chez nous ; j'attends plutôt de grandes nouvelles de votre part.
Beaucoup à faire; je travaille aussi sur la 2e édition du Leonardo 1,qu'au bout de 9 ans il m'a enfin été
donné de voir. Les discussions avec Rank mobilisent une grande part de mon intérêt; il travaille dur, mais
volontiers. Une telle maison d'édition donne de l'occupation. A présent, son voyage en Suisse se prépare ;
il pourra y convoquer Jones et interroger Pfister pour en savoir un peu plus sur le projet des concurrents
bernois. Notre entreprise va nous coûter beaucoup d'argent et, chaque jour, de nouvelles occasions se
présentent pour en investir. Nous ne savons rien du fonds principal. Espérons qu'il n'est pas perdu ; Toni,
qui est actuellement fâché avec l'analyse, ne s'en est pas occupé, semble-t-il.
J'ai écrit une courte notice nécrologique sur Putnam et promis un éloge accompagné d'une
photographie pour le n° 3. Il n'y a pas moyen de travailler avec Heller, des achats de papier nous
rendront tout à fait indépendants de lui. Dès qu'il y aura du papier, votre livre et la discussion sur
les névroses de guerre iront à l'impression, mais le manuscrit de Simmel n'est pas encore arrivé. Et
il y a ainsi d'innombrables soucis et difficultés du même ordre. Comme je l'ai dit, toutefois, les deux
jeunes gens, Rank et Reik, travaillent très vaillamment.
Pas d'autres nouvelles de Martin.
Vive activité à l'association.
Je vous salue cordialement, ainsi que Madame Gisela. Nous parlons
souvent de vous.
Votre Freud
790 F
Prof. Dr Freud
le 13 février 1919
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
J'ai été très heureux de revoir votre écriture. Il est compréhensible que l'on veuille communiquer de
bonnes nouvelles, mais cela ne se trouve pas tous les jours et ne saurait remplir une correspondance.
Malgré tout, vous parlez d'espoirs et de progrès; certains points vont se réaliser bientôt. En ce qui concerne
vos chances universitaires, il faut bien tenir compte du fait que tous vos protecteurs ne resteront pas en
fonction le temps nécessaire pour prendre la décision. Mariage et logement sont sans doute plus assurés,
mais le professorat, je vous le souhaiterais vraiment.
Votre article technique' est de l'or pur analytique, que seul le praticien pourra pleinement
apprécier. A certains endroits j'ai ressenti l'envie d'y ajouter une phrase qui prolonge ou conclut.
L'affaire du fonds principal ne se présente pas aussi mal que vous le croyez. Plus tard, Toni est
encore intervenu énergiquement et a finalement obtenu de Bôdy la promesse que l'affaire serait
réglée dans un sens favorable lors d'une prochaine visite.
Toni, comme vous l'avez vous-même constaté, est déchaîné et révolté, subjectivement très bien,
objectivement en état de résistance. Je prévois avec certitude que la sublimation, actuellement
défaillante, se rétablira, après la cure, sur une base plus sûre. A moins que la situation réelle dans
son entreprise l'empêche prématurément de prolonger son absence ou ne produise un nouveau
semblant de guérison!
Vous serez certainement informé de nos perspectives et travaux par Rank, qui fonctionne de
façon tout à fait impeccable. Nous allons tout particulièrement accélérer votre livre, bien sûr. Quant
au travail de Pfei-
fer 2, vous devrez y apporter des corrections de style. C'est trop difficile à lire.
Le Leonardo, sans doute la seule jolie chose que j'aie écrite, est déjà corrigé pour la deuxième
édition et remis. Après 9 ans. Cela fera bientôt 10 ans que nous étions en Amérique.
De Martin, enfin, à nouveau 2 cartes, la dernière du 28 I. Il a – enfin – reçu les premières nouvelles
de nous. Il se dit en bonne santé, raconte qu'avec des centaines d'autres ils sont installés dans une
grande maison avec vue sur le port et la mer, autrement dit qu'ils ne peuvent quitter la caserne.
Cette fois, il demande aussi de l'argent; Gênes serait très cher.
De nous autres, pas grand-chose de réjouissant à rapporter. Privations, aggravation des
difficultés et insécurités nous dévorent lentement. Je ne suis bien que quand il n'est pas d'heure,
dans une journée, où je prenne conscience de moi-même.
J'aimerais déjà pouvoir remercier votre chère femme pour le gâteau qui a le goût de la paix.
Salutations cordiales à vous deux!
Votre Freud
« Difficultés techniques d'une analyse d'hystérie (avec des remarques sur l'onanisme larvé et les"
équivalents masturbatoires ") », Ferenczi, 1919, Psychanalyse, III, p. 17-23.
Voir 675 Fer, note 2.
791 Fer
le 4 mars 1919
Vienne, IX. Berggasse 19
Mes très chers Amis,
Enfin, je reçois de vous la nouvelle si longtemps attendue : votre union s'est accomplie, une
cérémonie officielle a couronné un mariage d'une demi-vie, qui s'est révélé indissoluble malgré les
tiraillements et les pressions! Je sais tout ce que chacun de vous a subi entre-temps, et à quoi vous
avez renoncé, mais ma conviction, forgée au cours d'une décennie, reste ferme : tout le bonheur que
vous êtes en droit d'attendre tous les deux ne pouvait être assuré que de cette façon et il en sortira,
malgré le temps que vous avez laissé passer, quelque chose de beau et d'unique. Comme vous m'avez
fait l'honneur de souhaiter que je sois le témoin de votre union, il m'est permis de parler de ma
personne et de vous avouer que, souvent, lorsque je devais penser à mettre de l'ordre dans mes
affaires et à prendre congé, j'étais tourmenté par le souci de ce qu'il adviendrait de vous deux qui
m'êtes devenus si chers – souci à présent apaisé.
Imaginez, en autant de mots que vous voudrez, tous les voeux de bonheur que les miens, pour
lesquels j'écris, vous envoient dès maintenant. Je vous souhaite un bel appartement, de sorte que,
vous aussi mon cher ami, puissiez, entre deux séances, passer du côté où votre femme vaque à ses
occupations; et à part cela, de vous à moi, un bon conseil: que je trouve un jour dans votre logis –
quand on pourra de nouveau voyager – quelque chose que j'ai connu avant vous.
Le hasard qui a jeté une ombre sur le jour de vos noces est bien étrange. Peut-être n'est-ce pas
un hasard, mais quelque chose de démoniaque, au sens de Groddeck. Vous l'avez certainement
perçu de la même façon.
Plus les choses vont mal autour de nous, plus fort nous voulons nous réjouir des perspectives de
notre cause scientifique. Espérons que le destin se montrera généreux avec vous et vous offrira
bientôt, après ce grand accomplissement, de plus petits aussi: le livre en allemand, le professorat,
etc.
Je vous salue tous deux cordialement et j'aimerais vous dire: au revoir,
votre fidèle
Freud
793 F A
Vienne, le 9 mars 1919
Cher Ami
Rank est parti le vendredi 7 III au soir, pour la Suisse. Auparavant, un télégramme de Sachs,
annonçant l'arrivée de Jones là-bas pour le 20 III. Cordialement,
votre Freud
A. Carte postale.
794 F
Prof. Dr Freud
le 17 mars 1919
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Aujourd'hui j'ai une occasion de vous écrire, car je dois vous faire suivre la
lettre ci-jointe de Jones'. Pour que vous appreniez ce qui se passe au-dehors
2, j'y joins la lettre de Sachs-Rank 2, arrivée en même temps, que je vous prie
de me renvoyer.
Par ailleurs, je ne sais pas grand-chose de vous depuis votre mariage,
pas même si ma réponse à votre annonce est arrivée.
De nous, peu de choses à dire, sauf ce que l'on n'avoue pas volontiers.
Le travail est encore ce qu'il y a de plus satisfaisant.
Rank me manque beaucoup et, en vérité, Freund aussi, dans un autre sens
mais tout autant. J'ai terminé un article « fort » de 26 pages sur la genèse du
masochisme, qui porte le titre : Un enfant est battu'. Un deuxième, au titre
énigmatique : Au-delà du principe de plaisir 5, est en gestation. Je ne sais si
c'est le printemps frileux ou l'alimentation végétarienne qui me rend soudain
aussi productif. Au demeurant, on est en train de devenir plus généreux dans
notre économie alimentaire. On s'apprête à supprimer les semaines sans viande
pour les remplacer par des mois sans viande. Une stupide plaisanterie d'affamé
!
Il semble qu'en ce qui concerne le fonds principal, vous n'ayez pas encore
abouti, sinon, je le saurais. Le Verlag travaille courageusement, mais dans les
difficultés les plus stupides qui, en l'absence de Rank, sont impossibles à
résoudre. Votre livre sur l'hystérie sera certainement le premier à être prêt. Les
névroses de guerre 6 sont retardées par Simmel. Le gredin a avoué qu'il n'avait
pas encore envoyé le manuscrit, qui aurait dû arriver depuis longtemps. Je
n'aurais certainement pas écrit l'introduction (« Préface ») si la communication
avec vous et Jones n'était aussi compliquée.
Un thème de discorde favori chez nous est l'été. Les discussions à ce sujet se terminent généralement
par: on ne peut faire aucun projet. Nous apprenons aujourd'hui qu'il nous est interdit de nous rattacher
à l'Allemagne, mais permis de céder le Tyrol du Sud. Je ne suis certes pas un patriote, mais il est
douloureux de penser que le monde entier, pour ainsi dire, deviendra l'étranger.
A vous et à votre jeune épousée, salutations cordiales de votre
Freud
Lettre du 5 III 1919 ; Freud/Jones, Correspondance, p. 335 et suiv.
Voir 787 F. «J'arrivai à Berne le 15 mars 1919 et y rencontrai le docteur Otto Rank. Hanns Sachs
nous y rejoignit deux jours plus tard. Rank se trouvait à Berne depuis une semaine déjà, pour
négocier avec un éditeur suisse [Bircher] » (Jones, III, p. 13).
Non retrouvée.
Voir 787 F et la note 6. Freud en avait terminé la rédaction le 14 mars (lettre inédite de
Freud à Kata Lévy, du 14 III 1919, LOC).
Freud, 1920g. « Au-delà du principe de plaisir », trad. J. Laplanche et J. B. Pontalis, Essais de
psychanalyse, op. cit., p. 41-115. Freud en a commencé la rédaction en mars et l'a terminée en mai.
Zur Psychoanalyse der Kriegsneurosen (La psychanalyse des névroses de guerre), Leipzig et Vienne,
1919 ; avec les comptes rendus d'Abraham, Ferenczi et Simmel au congrès de Budapest, une
contribution de Jones et une introduction de Freud (1919d).
795 Fer
Budapest, le 18 mars 1919
Toni est de nouveau alerte et tout à fait présent. Ces temps-ci brasseur seulement,
il est vrai.
Je parlerai plus particulièrement des affaires \fra la prochaine fois; aujourd'hui, je voulais seulement donner
signe de vie.
Cordialement, votre reconnaissant
F.[erenczi]
Carte postale.
Date et lieu à la fin de la lettre.
797 F A
Vienne, le 25 mars 1919
Cher Ami,
Vous avez tout à fait raison dans votre remarque sur Tausk, laquelle, au
fond, s'adresse à moi '. Plus spécifiquement, cela aurait dû s'appeler : le
symptôme de conversion. Mais Tausk a retiré son article.
J'aimerais bien savoir comment vont à présent nos affaires, le
fonds principal et le petit fonds.
Cordialement,
votre Freud
A. Carte postale.
1. Une lettre de Ferenczi manque, semble-t-il.
798 Fer
Budapest, le 25 mars 1919
799 F
Prof. Dr Freud
le 28 mars 1919
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Il n'y a qu'une chose pour me satisfaire et me tranquilliser: savoir qu'à présent, vous êtes avec
votre femme. Pour le reste – je regrette de ne pouvoir tout dire de ce que j'aimerais discuter avec
vous. Je vous enverrai régulièrement de brèves nouvelles et vous prie d'en faire autant. Mais
n'oubliez pas de me communiquer votre adresse. Nous avons une grève des trains, j'ignore donc
quand vous recevrez cette lettre. La vôtre, celle du 25, est arrivée ce matin.
Je peux me montrer plus explicite en ce qui concerne nos affaires d'édition. Selon le rapport de
Rank, Sachs et Jones, on peut en faire beaucoup à l'étranger mais, encore une fois, tout dépend
de l'argent, comme dit la chanson de Marguerite'. Je n'ai pas de nouvelles de Toni, j'espère qu'il va
se battre comme un lion, en tout cas notre fonds est déposé à 1'Agrarbank, et je ne sais si je peux
en disposer. Si un blocage des comptes intervient, nous ne pourrons pas même mener à terme les
entreprises déjà commencées. Sans l'appui du fonds principal, nous ne devons rien engager de
nouveau. Mais ce fonds, où est-il? Écrivez-moi tout ce que vous apprendrez à ce sujet, c'est d'une
très grande importance pratique.
Ne croyez pas, toutefois, que je sois soucieux ou ému. Je me suis doté d'une indifférence à
toute épreuve. Le manque de viande et la faim chronique contribuent également chez moi à
atténuer les affects. Et puis, à la
fin, nous sommes tout de même des Grands d'Espagne, autorisés à
s'exclamer fièrement avant l'exécution:
800 F
Prof. Dr Freud
le 31 mars 1919
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je vous ai écrit le 28 III, mais je suis très heureux d'avoir de nouveau l'occasion, aujourd'hui, de vous
envoyer une lettre que, par l'entremise du Dr J.[ellinek], vous recevrez peut-être avant l'autre. Je ne
connais pas même votre adresse, quand vous quitterez l'hôtel. Cela dit, nous pensons à vous toute la
journée et aurions tant de choses à vous demander qui, par écrit, seraient trop longues à traiter.
Je ne m'étendrai que sur un problème concernant nos affaires. Je vous prie de faire le nécessaire,
avec Toni, pour que l'Agrarbank règle les formalités permettant d'effectuer le transfert du fonds
scientifique libellé à mon nom à sa filiale de Vienne. Comme il s'agit d'une donation et non
d'un bien privé, il n'y aura pas de difficultés. Car nous avons besoin d'argent pour les frais d'impression,
les salaires, les honoraires ; nos livres seront bientôt prêts et nous serons dans l'embarras si, à chaque
paiement, nous devons affronter les difficultés de communication avec la Hongrie. Rank doit rentrer d'ici
2 à 3 jours, alors les activités reprendront. Je n'envisage pas actuellement d'entreprises scientifiques plus
importantes, mais j'aimerais voir sauvegardées celles déjà en chantier.
J'ai de très bonnes nouvelles de Martin, de Cogoleto, à 1 heure de Gênes. Les restrictions de la
captivité y sont bien moindres, il manque seulement d'argent pour des vêtements et du linge.
Je suis encore fort occupé, mais j'écris en même temps mon nouvel essai, « Au-delà du principe de
plaisir », et dans ce cas, comme toujours, je sais pouvoir compter sur votre faculté de compréhension
jamais défaillante à ce jour. Je dis là beaucoup de choses bien peu claires, dont le lecteur devra s'arranger.
Impossible, parfois, de faire autrement. J'espère cependant que vous y trouverez des choses intéressantes.
Malheureusement, cela ne vaut pas un échange d'idées de vive voix.
Saluez cordialement votre chère femme de ma part,
votre Freud
801 F
Prof. Dr Freud
Cher Ami,
Le lundi de Pâques Aest si calme qu'il peut justifier une lettre sans motif et sans contenu. Il est vrai
que j'ai reçu de vous, aujourd'hui, une coupure de revue médicale allemande ' qui témoigne que la science
allemande semble se rapprocher de la tFA, mais cet événement même me laisse si indifférent et la
réapparition de ce cochon de Friedländer éveille en moi tant de dégoût non recraché que cela ne m'incite
pas à participer plus activement aux événements du monde. La tension excessive, la perception du
désarroi, de la perplexité et de l'incompréhension devant tout ce qui se passe finissent par rendre
apathique et nous renvoient à notre malaise propre, motivé par de petits soucis, des difficultés de
ravitaillement et de santé. J'ai encore eu une journée plaisante récemment, lorsque Rank était là. Sachs
ne le remplace quand même pas complètement, malgré toute sa bonne volonté et ses capacités. Sinon, je
vis solitaire, une fois mes dix plaies derrière moi, et je ne pense pas volontiers à un nouveau travail.
Un membre de votre association vous reviendra dans quelques semaines,
guéri de son incursion dans la psychose et sous la forme d'un névrosé à moitié
analysé : Anton Freund. Espérons qu'il va bien aussi pour le reste.
J'ai trouvé chez lui la confirmation d'une hypothèse sur l'origine du fameux « sentiment d'infériorité 2 », que
je me réserve pour une communication orale.
Ernst a rapidement surmonté son catarrhe fébrile aigu, mais il a sans aucun doute une inflammation
apicales en pleine évolution, à laquelle il s'efforce maintenant de donner un tour favorable. – Nous estimons
ici que les chances d'un séjour d'été convenable sont très faibles peu à peu, on apprend à mesurer
l'appauvrissement entraîné par la guerre. Nous n'avons aucune nouvelle des Tatras.
Heller devrait devenir accessible après Pâques je guette le moment de l'intéresser à vos projets
comme aux miens, mais il ne va guère se hâter.
J'aimerais en savoir plus sur l'état de vos affaires il semble donc qu'il n'y ait encore rien d'assuré.
Je vous salue cordialement, ainsi que Madame G.
votre Freud
A. En fait, le 1° avril 1919 était un mardi.
Non identifiée.
C'est-à -dire le concept forgé par Alfred Adler.
Inflammation du sommet du poumon.
802 Fer
Dr Sdndor Ferenczi
Idegorvos
803 Fer
Dr Sdndor Ferenczi
Idegorvos
Après coup!
804 F
ProfDr Freud
le 9 avril 1919
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Merci beaucoup pour vos deux lettres arrivées hier et aujourd'hui. Je vous écrirais volontiers
très souvent, si je pouvais espérer que les lettres parviennent à destination. Je n'ai pas reçu la lettre
de Toni à laquelle vous semblez faire allusion, aussi ai-je demandé à la banque, de mon propre chef,
le transfert des deux comptes à Vienne.
Rank, ce vaurien, se donne du bon temps en Suisse, il ne viendra que vendredi. Je ne peux rien
dire à l'avance, bien sûr, mais je conclus, à partir d'une lettre de Genève, que dans toutes les
négociations il a insisté pour qu'il soit tenu compte de l'insécurité de notre situation. Son travail a
été, somme toute, irréprochable jusqu'à présent.
Simmel a enfin envoyé le manuscrit, les n°' 1 et 2 de la Bibliothèque tira I.[nternationale] sont
donc pratiquement prêts, les autres progressent vaillamment. Dès que Rank sera de nouveau là,
tout repartira d'un seul coup.
Ma pratique se maintient encore ; j'y prends actuellement peu d'intérêt et ne suis pas satisfait des
résultats. D'une certaine façon, ici aussi ces temps ont provoqué un relâchement général. J'aimerais
savoir dans quelle mesure vous arrivez à travailler. La cure avec Madame Margit D.[ubowitz], que je
mène avec une grande prudence, est de loin le plus important. Je sais aussi par elle où Börne' veut en
venir dans l'article que vous destiniez à Imago. La chose me paraît extrêmement plausible ; j'ai reçu très
tôt Börne en cadeau, peut-être pour mon 13° anniversaire, l'ai lu avec grand enthousiasme, et le souvenir
de certains de ces petits articles m'est toujours resté très présent. Pas les cryptomnésiques,
naturellement. Quand je les ai relus, j'ai été étonné de constater à quel point certaines choses qui s'y
trouvent recouvrent quasi textuellement des choses que j'ai toujours soutenues et pensées. Il pourrait
alors vraiment être la source de mon originalité.
Malgré toute la générosité de l'Entente, notre alimentation est toujours
parcimonieuse et misérable; en fait, un régime de famine. Mais le manque
de cigares menaçant est presque pire pour moi, car je n'arrive pas à me
restreindre. Sachant à présent que Budapest ne peut me venir en aide, j'ai
le droit de m'en plaindre sérieusement.
Sinon, nous apprenons – curieusement – à être de bonne humeur.
Avec les salutations les plus cordiales à vous et à votre chère épouse,
votre Freud
1. Ludwig Börne (de son vrai nom Löb Baruch, 1786-1837), homme de lettres. Freud a
reconnu l'influence de Börne sur ses idées, en particulier sur celle d'association libre, dans son
article « La préhistoire de la technique analytique » (Freud, 19206), qui parut ensuite dans la
Zeitschrift de façon anonyme, signé d'un simple « F. ». « Sur la préhistoire de la technique
analytique », trad. J. Altounian, A. Bourguignon, P. Cotet, A. Rauzy, Résultats, Idées, Problèmes, I,
op. cit., p. 255-258 : «Il y a peu, le Dr Hugo Dubowitz de Budapest signala au Dr Ferenczi un petit
article de Ludwig Bôme comprenant seulement quatre pages et demie, composé en 1823 et
reproduit dans les Ouvres complètes [...] Il a pour titre: " L'art de devenir un écrivain original en
trois jours " [...] Le Pr Freud [...] était particulièrement étonné de trouver exprimées dans les
instructions à suivre pour devenir un écrivain original quelques pensées qu'il avait lui-même
toujours cultivées et défendues [...] Il ne nous semble donc pas exclu que cette référence ait
peut-être dévoilé cette part de cryptomnésie qu'en de si nombreux cas il est permis de présumer
derrière une apparente originalité » (Résultats, Idées, Problèmes, I, op. cit., p. 254-258, citation p. 257-
258).
805 F
Prof. Dr Freud
le 12 avril 1919
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Juste la brève nouvelle que Rank est rentré hier de Suisse. Comme toujours,
il s'est comporté avec beaucoup d'intelligence, a noué beaucoup de contacts ;
il pense qu'il est indispensable que Sachs reste en Suisse pour y être notre
agent ; entièrement d'accord, à condition que ce soit financièrement réalisable.
Jones est entièrement avec nous, très chaleureux, malheureusement vieilli,
maladivement déprimé. Il va créer la revue anglo-américaine sans notre argent,
et considère qu'un congrès, ou du moins une réunion du Comité à l'automne,
en Hollande, est indispensable. J'espère que vous pourrez vous libérer tous les
deux. Ils pensent qu'il sera nécessaire de déplacer le centre de gravité vers
l'ouest ; à la longue, nos associés ne s'en laisseront pas conter par nous, gens
d'Europe centrale.
Je vous demanderai de nous donner, à moi et à Rank, un certain nombre
de procurations pour régler les affaires de moindre importance qui,
autrement, passeraient dans les attributions de la direction centrale. Nous
nous efforcerons de vous tenir au courant, vous et Toni, de tout ce qui est
important.
Le groupe suisse ne vaut apparemment pas grand-chose.
ClaparèdeGenève ' ne songe pas encore à adhérer.
Rank a reçu de Jones une valise avec les affaires d'Anna 2 et nous l'a apportée sans encombre.
Grande jubilation, accompagnée de chocolat, mandarines et havanes.
J'ai écrit à la banque et j'attends la réponse.
Salutations les plus cordiales à Gizella et à vous ; j'attends d'autres
nouvelles de vous,
votre Freud
Un groupe psychanalytique s'était formé à Genève, sous l'égide de Claparéde. Il se réunissait
irrégulièrement, était ouvert à tous ceux qui étaient intéressés et ne prenait aucune disposition
pour se joindre à l'Association psychanalytique internationale (voir aussi Jones à Freud du 25 mars
1919, Correspondance, p. 338).
Qu'Anna avait dû laisser en Angleterre en 1914.
806 Fer
Dr Sdndor Ferenczi
ldegorvos
807 Fer
INTERNATIONALE PSYCHOANALYTISCHE VEREINIGUNG
Präsidium : Budapest, VII, Erzsébet Korut 45
808 F
Prof. Dr Freud
le 20 avril 1919
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Il y a 33 ans aujourd'hui, j'étais là, médecin frais émoulu, ignorant de mon avenir, avec le projet
d'aller en Amérique, alors que les 3 mois pour lesquels j'avais assez de réserves ne se montraient pas
assez riches en promesses. Tout compte fait, est-ce qu'il n'aurait pas mieux valu que la chance ne me
sourie pas aussi amicalement à l'époque? Malgré tout ce qui a pu être accompli depuis, jamais la
sécurité n'a été au rendez-vous. Il me sera impossible de fournir beaucoup plus d'un tiers de siècle
de dur labeuravec les hommes et les démons.
A Budapest, on a fait l'addition sans l'aubergiste, en présentant à Toni ma visite comme une
certitude. Hormis tout ce que commanderait la sagesse, avec ma prostate qui exige un libre accès aux
toilettes toutes les heures, je ne suis pas en mesure d'affronter actuellement les difficultés d'un voyage
et je me retrouverais dans les situations les plus pénibles comme la première fois, il y a 10 ans, en
Amérique t. Si je venais, ce serait pour vous revoir. J'éprouve le même besoin d'échanger des idées
que celui dont vous faites état, aussi ai-je mijoté le projet que vous accompagniez Toni à Vienne. Je
n'imagine pas qu'on puisse empêcher le malade de faire ce voyage, alors que, de toute façon, il ne
peut pas travailler là où il est.
La lettre d'information de Lajos * n'est pas arrivée, aussi me suis-je demandé pendant un
certain temps s'il ne s'agissait que de la suite de sa névrose, dont j'espère venir à bout
rapidement. Mais une réponse télégraphique de Lajos semble exclure cette possibilité. J'espère
qu'il est tout à fait sûr du diagnostic. Il est facile de se tromper.
Ce que Toni pense de la situation actuelle de la TA chez vous semble très sensé. De la retenue :
nous ne sommes faits pour aucune espèce d'existence officielle, nous avons besoin de notre
indépendance tous azimuts. Peut-être sommes-nous aussi fondés à dire: que Dieu nous protège
de nos amis. Des ennemis, jusqu'à présent nous sommes venus à bout. Et
puis, il y aura un après, où nous devrons de nouveau trouver notre place.
Nous sommes et restons libres de toute tendance, sauf une : faire de la
recherche et aider.
De nous, privatim ** : nous apprenons par un télégramme de Munich
qu'Ernst, au milieu des troubles de la révolution, a obtenu son diplôme 2
avec mention.
A vous je demande de recourir, chaque fois que ce sera possible, aux
voyageurs pour notre correspondance. Le courrier est peu sûr. Si cela
marche, que le petit fonds parvienne entre mes mains en une fois et le plus
rapidement possible. J'ai ici la sensation de flotter en l'air, ce qui serait
plus agréable en rêve que dans la réalité.
Avec mes salutations les plus cordiales à vous et à Madame Gizella,
jusqu'à nos retrouvailles,
votre Freud
Rank est encore alité, mais avec une simple angine. Federn a eu le mauvais
goût de faire une pleurésie.
* Lajos Lévy.
** En latin dans le texte : personnellement.
Où Freud avait fait une prostatite accompagnée d'incontinence (Saul Rosenzweig, Freud, Jung and
Hall the King-Maker, Seattle, 1992, p. 64).
Diplôme d'architecte.
809 Fer
INTERNATIONALE PSYCHOANALYTISCHE VEREINIGUNG
Präsidium : Budapest, VII, Erzsébet Korut 45
810 Fer
[Budapest, sans date]
au fond de lui-même, il nourrit l'espoir qu'il s'agit cette fois encore d'un problème
psychique. Il m'en coûte beaucoup de garder en face de lui bonne humeur et
insouciance. Je le vois tous les jours, mais je me contente d'écouter ses plaintes
et de le distraire. Sa famille ne se doute de rien. Seule Madame R6zsi ' montre les
signes d'une inquiétude croissante. Au fond, c'est seulement ces jours-ci que
nous (Toni et moi) nous rapprochons davantage; il m'est d'autant plus
douloureux de savoir dans quel triste état il se trouve. Le Dr L.[évy] a fait, il y a
quelques jours, des déclarations optimistes quant à l'effet qu'on peut attendre de
la cure de rayons X et il s'est référé à un cas qui aurait été guéri par quelques
séances de rayons. Mais, entre-temps, l'avis de décès de ce patient a paru dans
les journaux.
C'est d'abord à une plus grande intimité avec T[oni] que je dois d'avoir pu apprécier la subtilité
intellectuelle et affective de cet homme remarquable. – S'il devait nous rester, alors notre lien
d'amitié serait scellé pour toujours. Malheureusement, j'ai très peu d'espoir!
Je vous dois encore une information sur ma nouvelle vie de famille. – Le bien-être physique a toujours
été pour moi la mesure de mon équilibre psychique, et je me sens physiquement parfaitement bien,
malgré les bouleversements considérables et violents de cette époque volcanique.
Que Madame G. soit une excellente compagne de tous les espoirs et de toutes les craintes, de toutes
les aspirations et de tous les travaux, vous le savez. Mais elle est aussi celle qui arrange tout, se dévoue
toujours uniquement pour les autres, la femme la plus aimante que l'on puisse imaginer. – Un petit reste
de névrose perturbe encore certains mécanismes de plaisir d'importance vitale. Mais de cela, elle ne sait
rien.
Maintenant, venons-en à la science. –
Nous ne cessons de nous demander avec inquiétude si M. Salzer a bien transmis, à vous, à Rank ou
à Reik, la bonne nouvelle, à savoir que le Verlag est devenu actif et opérationnel, et si les démarches
appropriées ont été effectuées. Nous attendons avec impatience un télégramme à ce sujet, d'autant que le
Dr Sz.[abô] Sàndor 2, à Vienne, est personnellement toujours indisponible. – Quant au fonds principal,
nous devons pour l'instant laisser les choses en suspens. Les éléments actifs compétents en la matière
ont actuellement d'autres soucis. Cependant, d'ici quelques jours, je reprendrai mes efforts, avec autant
de bonheur j'espère que pour les deux plus petits fonds. Pour le reste, nous – Toni et moi – en avons
obtenu la libre disposition.
Radé travaille comme secrétaire chez une haute personnalités de l'Éducation. C'est assurément à sa
diligence que je dois – comme il vient de me le raconter – d'avoir été nommé officiellement professeur
titulaire et directeur à la clinique III ct qui doit être nouvellement fondée à l'université d'ici 4. Je n'ai pas
encore reçu le décret. Si les conditions à l'université le permettent, je commencerai aussi mes activités
d'enseignement. Pour le moment, je dois me présenter le 30, à l'armée r.[évolutionnaire] 5, en tant que
médecin. Mais à mon âge, on n'aura pas besoin de moi là-bas.
La nouvelle de la maladie de Rank m'a beaucoup attristé, j'espère qu'à présent il est hors de
danger. Nous ne savons pratiquement rien à ce sujet et vous prions de nous informer rapidement,
si possible par télégramme.
Je trouve très bonne l'idée de désigner Sachs comme représentant de
nos intérêts dans son lieu de séjour actuel. D'ici, les communications avec
l'étranger sont momentanément très compliquées. Je tiens pour
indispensable la réunion du comité à l'automne.
Pas question de songer à un travail scientifique paisible en ce moment. Dans quelques jours, on
décidera si j'ai le droit d'être simplement enseignant et médecin en institution, ou également
médecin privé. C'est alors seulement que je pourrai penser à élaborer des projets de travail.
J'ai appris que l'aisance et l'abondance s'étaient installées chez vous après tant d'années de
privations. Est-ce vrai?
Les salutations les plus cordiales de
votre dévoué
Ferenczi
A. Lettre classée par Bàlint «entre le 1°" et le 18 mars 1919 ». Mais il semble que ce soit trop
tôt, car la république des Conseils n'a été proclamée que le 21 mars 1919 et les communications
n'ont été interrompues qu'après. La lettre a donc dû être écrite après le 21 mars. D'après le
contenu (suite de l'affaire du professorat; maladie d'Anton von Freund), la lettre devrait s'intégrer
au plus tôt après le 21 avril; peut-être s'agit-il de la « lettre particulière sur les affaires
personnelles » annoncée dans 809 Fer pour le lendemain et qui, sinon,
manquerait. Le papier à lettres, l'écriture et l'encre ne donnent pas d'indications, ils s'intègrent
à cet endroit, mais tout aussi bien à d'autres.
La femme d'Anton von Freund.
Sàndor Szabô, docteur en droit, avocat, a participé au congrès de Budapest. Apparenté à von
Freund (voir 814 Fer). Fut admis comme membre de l'Association hongroise à la séance du 3
ou du 9 mars 1919 (Zeitschrift, 1920, 6, p. 111). Peu après, il émigra à Zurich. En 1941, la
Zeitschrift publia la notice nécrologique suivante : « Le Dr Alexander Szabô, membre de
l'Association psychanalytique hongroise, est subitement décédé le 16 mai 1941 àZurich » (ibid.,
26, p. 375).
Il pourrait s'agir de György Lukàcs (1885-1971), commissaire à l'Éducation sous la république
des Conseils.
Pendant le semestre d'été, Ferenczi présenta un cours de trois heures sur « Psychologie
psychanalytique pour médecins », et dirigea en même temps la clinique universitaire
psychanalytique nouvellement fondée à Budapest (Zeitschrift, 1919, 5, p.
228). Manifestement l'armée « révolutionnaire » ou « rouge ».
811 F
Prof Dr Freud
Cher Ami,
Aucune chance de nous voir de sitôt. J'espère que vous et Madame Gizella allez bien.
Aujourd'hui, nous avons eu de grands soucis pour Toni, jusqu'au soir où un entretien
téléphonique avec le Journal nous a tranquillisés'.
En ce qui concerne le transfert du fonds par le ministre à votre ambassadeur
d'ici, grande jubilation, hier. Malheureusement, l'ambassadeur ne s'est déclaré
prêt à verser qu'un cinquième de la somme, car il ne dispose
pas d'assez d'argent sur place. Et même cela n'aura lieu que demain. Le reste
flotte dans les airs, plus encore qu'avant. Je vous en fais part, afin que vous
effectuiez les démarches nécessaires pour garantir le versement au ministre. Le
Dr Jellinek est au courant, il était justement chez l'ambassadeur.
La seule bonne nouvelle de nous qu'aucun nuage ne vient obscurcir est qu'Ernst a obtenu son diplôme
d'ing.[énieur] architecte. Sinon, tout compte fait, chaque semaine est plus difficile que la précédente.
A Leipzig, s'est constituée une société analytique, pour l'instant privée 2, et en rapports avec moi.
Bien cordialement
votre Freud
Voir lettre de Freud à Ernst Freud, du 27 IV 1919 : « La semaine dernière nous avons eu de grands
soucis pour le Dr Freund, il avait en effet été arrêté avec les otages [...], mais ses ouvriers avaient réussi
à obtenir sa libération. En tout cas, maintenant il est libre » (LOC). En tant que représentant d'un
journal (voir 774 Fer), Rank téléphonait chaque soir à Budapest (Freud à Eitingon, du 26 juin 1919,
SFC).
«A l'initiative de M. R. [en réalité: Karl] H. Voitel, étudiant en médecine, une « Société pour la
recherche psychanalytique » s'est formée à Leipzig, qui rassemble déjà un nombre considérable de
personnes appartenant à diverses professions universitaires et qui oeuvre à la réalisation de ses buts
par un travail sérieux comprenant des conférences, des discussions et des lectures en groupe. La jeune
société, à soutenir par les meilleurs voeux de prospérité, a pris contact avec l'Association
psychanalytique internationale » (Zeitschrift, 1919, 5, p. 228). Au cours des deux années suivantes, la
Zeitschrift a publié les rapports d'activité de Voitel (1920, 6, p. 290 ; 1921, 7, p. 388) ; en 1922 est
constituée, sous sa présidence, « une nouvelle Association de plusieurs étudiants-cliniciens, avec une
organisation plus rigoureuse, pour l'étude de la psychanalyse » (ibid., 1922, 8, p. 528).
812 Fer
Budapest, le 29 avril 1919 A
813 F
Prof. Dr Freud
le 12 mai 1919
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
J'entends dire qu'une lettre arrive par-ci par-là et je vous écris donc au hasard,
car il y a bien longtemps que je ne me rappelle plus ce que je vous ai déjà raconté.
L'isolement est très pénible ; à part les informations téléphoniques euphoriques
que Rank reçoit du Journal, je n'ai rien de vous tous et suis entièrement livré à
mon imagination. Concernant Toni, je lis entre vos dernières lignes quelque chose
que je pressentais dès le début de cette prétendue rechute et qui a trouvé
confirmation depuis, dans une lettre de Lajos du 20 IV, parvenue tardivement. Je
ne sais donc pas comment il va depuis;
et comme mes propres ennuis, dont je vous ai déjà parlé', vont en
augmentant, je compte avec l'éventualité de ne plus le revoir. Cette nouvelle,
le 6 de ce mois, a entraîné une inhibition dans ma productivité, jusqu'alors
accrue. J'ai non seulement terminé le projet de l'« Au-delà du
principe de plaisir », qui sera recopié pour vous, mais aussi repris ce petit rien
sur 1'« inquiétante étrangeté » 2 et tenté, au moyen d'une idée simple, de donner
une base glu à la psychologie des foules 8. Il faut maintenant que cela repose.
D'ailleurs, je souffre d'une grippe mal définie, tandis que Martha fait de la fièvre
depuis trois jours avec la même grippe, mais de forme classique 4.
Rank est rétabli et fait ses preuves dans toutes les fonctions imaginables en
rapport lointain avec la science. Provisoirement, nous sommes enchantés de notre
cinquième de fonds. Sachs donne des cours sur la TA devant un bon public
payant et il est optimiste, comme toujours. Il n'écrit plus rien de l'Association de
Zurich. Les publications du Verlag font des progrès : Névroses de guerre, votre
Hystérie et ma Vie quotidienne 5 sont prêtes, les deux premières pourraient déjà
être diffusées.
Chez Deuticke, la parution du Léonardo 6 et de l'Interprétation des rêves'
est imminente. Cependant, la communication avec Teschen 8présente des
difficultés particulières et le rythme est ralenti de tous côtés.
Je désirerais tant jeter un coup d'oeil à votre nouvelle existence d'homme
marié et de professeur ! Désir aussi grand que difficile à réaliser. Saluez
cordialement votre chère épouse de ma part; a-t-elle reçu une petite babiole
de couleur jaune par l'intermédiaire du Dr. J.[ellinek] 9 ? Dans l'attente de
ce que l'avenir nous réserve,
votre Freud
Voir 808 F.
« L'inquiétante étrangeté » (1919h), in L'Inquiétante Étrangeté et autres essais, op. cil., p. 209265.
« Psychologie des foules et analyse du Moi » (Freud, 192 1c), trad. J. Altounian, A.
Bourguignon, P. Cotet, A. Rauzy, Œuvres complètes, XVI, p. 1-84.
Martha Freud souffrait d'une grippe sévère avec pneumonie, dont elle ne s'est remise qu'au
bout de plusieurs mois (Jones, III, p. 11).
Voir 780 F et la note 2.
Voir 788 F et la note 1.
Voir 751 F et la note 2.
C'est-à-dire avec l'imprimerie Prochaska de Teschen, qui travaillait pour Deuticke.
La matière brute pour 1'« anneau d'alliance » dont Freud a fait cadeau à tous les membres du
Comité et à quelques-uns de ses partisans et partisanes les plus fidèles. (Voir aussi 815 Fer et 816
Fer.)
814 Fer
INTERNATIONALE PSYCHOANALYTISCHE VEREINIGUNG
Präsidium : Budapest, VII, Erzsébet Korut 45
815 Fer
INTERNATIONALE PSYCHOANALYTISCHE VEREINIGUNG
Präsidium : Budapest, VII, Erzsébet Korut 45
Jeudi A
Budapest, le 19 juin 1919
Cher Monsieur le Professeur,
Ni notre conversation téléphonique, ni les nouvelles apportées par Margit G.[arami] B ne m'ont
permis de savoir avec certitude si vous aviez reçu ou non ma lettre détaillée, où je rendais compte
assez précisément de tous les événements personnels et professionnels de quelque importance. Je
veux parler de la lettre confiée au Dr Szab6 S.[andor] pour vous l'expédier, après qu'il eut pris
connaissance, fortuitement, de la gravité du mal dont souffre notre patient. Je me dispense de répéter
les informations rapportées dans ce courrier sur les changements psychiques plus intimes, etc., liés
aux événements personnels (mariage, professorat, etc.), et je vais, avant tout, vous mettre encore
une fois au courant de l'état de notre ami.
Comme vous l'avez certainement appris par ma première lettre (celle avec le « post-scriptum »), de
sourdes paresthésies dans l'abdomen étaient apparues chez lui à l'époque, auxquelles, avec son
hypocondrie d'alors, il avait aussitôt réagi par une peur de la mort, du découragement, etc. Des
signes discrets d'une tendance à basculer dans la psychose étaient impossibles à méconnaître. Comme le
chemin de Vienne était fermé, je me suis occupé de lui ; je l'ai trouvé extrêmement abordable, communicatif,
prêt au transfert. Les traits psychotiques avaient disparu après quelques entretiens. Puis, est venu le projet
de son voyage à Vienne (qui n'a pu se réaliser). Depuis lors, il ne se passe rien entre nous qui ressemble à
de l'analyse ; je me contente de le rencontrer quotidiennement si possible, et de l'occuper. Il analyse une
hystérique à ma «clinique», ravi des découvertes qu'il fait tous les jours avec elle.
Après l'échec du projet de voyage à Vienne, une consultation sur le cas de Toni a été décidée entre le Dr
L.[évy] et un professeur de chirurgie. – Tous deux ont constaté une tumeur de la grosseur d'un œuf de
poule à la paroi postérieure de la cavité abdominale, rétropéritonéale, située au-dessus de l'aorte. (En
fait, c'est Toni lui-même qui a insisté pour cette rencontre avec le chirurgien; il voulait le convaincre de
le soumettre à une opération fictive et de lui faire une anesthésie mortelle.) L'opérabilité – une question
soulevée par moi – a été résolument infirmée par le Dr L.[évy] – comme je l'avais malheureusement
supposé. En revanche, nous avons réussi à convaincre Toni d'accepter la radiothérapie. – Jusqu'ici, il y
a eu trois irradiations intensives. Toni a réagi à toutes les trois par une forte indisposition et de la
dépression, réactions qui ont duré une semaine et plus. Mais à chaque fois, il s'est remis et a bien vite
retrouvé son équilibre 11. On ne peut même plus dire, maintenant, qu'il soit névrosé : il se montre
tellement raisonnable, compréhensif, sachant tout, se pliant à tout, prenant les décisions justes, etc.
Bien entendu, je ne lui avoue jamais la réalité de son état ; il semble puiser là malgré tout, et dans le
fait que je l'occupe et forge avec lui des projets qui demandent beaucoup de temps, une très, très petite
lueur d'espoir. Il m'aide à la constitution de l'association tira des étudiants, s'occupe beaucoup des
affaires du fonds, etc.
Le Dr L.[évy] ne semble pas juger du cas de façon totalement pessimiste, et prétend avoir déjà vu des
exemples de guérison. Je suis d'un autre avis ; j'ai donc insisté pour qu'il consulte aussi un chirurgien
viennois. Je me suis dit: peut-être une tentative désespérée de cure radicale pourrait-elle être entreprise !
Mais, intérieurement, il me paraissait fort improbable qu'un chirurgien veuille en prendre le risque.
T[oni] est un peu amaigri, sinon tout à fait libre de ses mouvements, mais quand il se tient debout,
il a des sensations de tiraillement dans l'abdomen. Lorsqu'on le distrait, il se sent tout à fait bien,
peut parler avec humour, s'enthousiasmer pour la 'PA comme avant, etc. –Je n'ai pas besoin de
vous dire à quel point son état me touche. La seule force qui aurait effectivement pu m'aider ici, et
le seul avec lequel j'ai pu me lier aussi d'amitié, c'était, c'est justement lui.
816 Fer
Budapest, le 29 juin 1919
817 F
Prof. Dr Freud
le 10 juillet 1919
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je reçois à l'instant votre lettre du 29 VI. (Mais rien de Toni.) Avant tout, remerciez la bonne Aranka
si vous la voyez à la conférence. Toutes les lettres que vous mentionnez sont arrivées, semble-t-il,
celle avec la confession, les rapports sur l'état de santé de Toni, etc. La faible opportunité que j'ai de
vous répondre, je ne veux pas l'employer à donner mes réactions, mais plutôt à tenter de vous
communiquer des faits objectifs. Il me suffira d'indiquer que je viens juste de comprendre à quel point
vous pouviez me manquer.
Alors, les faits. Vous savez depuis longtemps que l'envoi de ce quart bleu n'est pas arrivé.
L'éventualité d'avoir perdu un aussi gros morceau du trésor de Nibelung' n'a pas eu un effet très
revigorant sur l'humeur générale de l'Internationaler Psychoanalytischer Verlag ; comme Rank vient
de l'apprendre justement aujourd'hui par téléphone, Toni a une vue plus favorable de cette affaire.
Les travaux avancent très lentement pour le moment.
Tausk s'est tué d'un coup de feu, le 4 VII, huit jours avant la date d'un mariage déjà fixé, en laissant
des lettres tendres et conciliantes. Étiologie obscure, probablement impuissance III et dernier acte de son
combat infantile contre le fantôme du père. Malgré l'hommage que je rends à ses dons, pas de véritable
compassion en moi 4.
Je pars le 15 de ce mois pour Gastein, Martha descend à Salzbourg
(Sanatorium Parsch) ; Minna m'accompagne à Gastein, sur l'injonction
directe – mais à mon avis discutable – de son médecin, le Prof. Braun 3 ;
Anna, peut-être avec une amie, part en direction de la Bavière (près
de Reichenhall) 4.
Je suis très fatigué, et surtout hargneux et dévoré par une rage impuissante. J'ai encore
terminé un article – pas indispensable – sur « l'inquiétante étrangeté » 5, pour Imago. « Au-
delà du principe de plaisir » vient avec moi à G.[astein] s. Jones écrit aujourd'hui qu'il ne peut
obtenir de passeport pour ici avant la conclusion de la paix ; il promet de venir ensuite à
Vienne, de façon tout à fait certaine.
Nous voulons introduire une courte note dans la prochaine Zeitschrift, indiquant que,
du fait de l'isolement de la Centrale, Rank et moi acceptons par intérim toutes les
communications adressées à celle-ci'.
Remerciez Madame Margit D.[ubowitz] de sa lettre. Rappelez-lui que j'ai encore pour
elle de l'argent qui, pendant mon absence, sera confié à la garde de Rank. On se
procurera ce qui est destiné à la Suisse (Vevey = Latour) 8.
Portez-vous bien et saluez très cordialement votre chère épouse de la part de
tous,
votre Freud
Le trésor de Nibelung, maître démoniaque de la légende héroïque germanique. Siegfried s'est emparé
du trésor de Nibelung.
Voir t. I, 302 F, note 15. Freud a rédigé une notice nécrologique (1919f) pour la Zeitschrift.
Dr Ludwig Braun (1881-1936), professeur de médecine interne à l'université de Vienne,
ami très intime de Freud (Freud, 1936d) et, à l'occasion, aussi son médecin (Freud,
1926j). Cousin de Heinrich Braun, ami de jeunesse de Freud. Braun a prononcé le
compliment pour le soixante-dixième anniversaire de Freud à la loge B'nai B'rith (voir
Freud, 1926j).
Du 15 juillet à la mi-août, Freud et Minna Bernays étaient en cure à Bad Gastein ; Martha
Freud soignait sa pneumonie au sanatorium de Parsch (prés de Salzbourg), tandis
qu'Anna était à Bayrisch Gmain, entre Salzbourg et Reichenhall, avec Margarethe Rie (qui
épousa par la suite Nunberg). Les deux jeunes femmes étaient à l'époque en analyse avec
Freud. Le 13 août, ils se rendirent tous ensemble à Munich chez Ernst, puis, jusqu'à
la mi-septembre, à Badersee près de Garmisch-Partenkirchen en Bavière. A cette même
époque eut lieu le retour de captivité de Martin, à Vienne.
Voir 813 F et la note 2.
De là, Freud écrivit à Anna, le 21 juillet : « Ce qui reste après les promenades, je le
consacre au manuscrit " Au-delà du principe de plaisir ", que j'ai apporté avec moi et
qui progresse bien ici » (LOC).
« Par suite des communications difficiles avec la direction centrale actuelle à Budapest, la filiale de
Vienne, en la personne de son président le Pr Dr Freud et celle de son secrétaire le Dr Otto Rank, reprend
provisoirement la direction des affaires de l'Association psychanalytique internationale » (Zeitschrift,
1919, 5, p. 230).
Allusion non éclaircie.
818 Fer
Grand Hôtel Royal
Nagyszdlloda
819 Fer
Dr Sdndor Ferenczi Idegorvos
820 F
Prof. Dr Freud
n'aurai plus aucune excuse pour ne pas écrire mon propre travail biologique °.
Quant à la situation politique à Budapest, vous en savez autant que nous par les journaux. De mon
propre point de vue je peux ajouter que la terreur antisémite continue à se déchaîner sans répit; on ne
laisse pas les auditeurs juifs entrer à l'Université. On tourmente les Juifs partout où c'est possible. Le
régime de coalition (s'il voit le jour) devrait apporter un certain adoucissement à cette situation, bien que
les élections en France, la situation en Allemagne, etc., rendent très probable l'irruption d'une vaste
réaction mondiale. Les espoirs de progrès social de notre Forsyth ne seront pas exaucés, je le crains.
Pour en revenir aux vacances viennoises (le meilleur est quand même d'évoquer nos relations
scientifiques et amicales), je dois constater qu'à bien des égards elles me resteront inoubliables. Durant
les quelques heures à notre disposition, nous avons pu échanger abondance d'idées, comme jamais
auparavant, peut-être. A cela se sont ajoutés la stimulation venue de l'étranger, les projets intéressants
concernant nos affaires littéraires et associatives. Tout cela m'a permis de me sentir pleinement
dédommagé du manque de vacances d'été, cette année. Il est vrai qu'il me sera difficile de renoncer à
nouveau, pour des mois, à cet échange confiant qui m'est devenu si cher.
A la maison, tout va bien. Ma femme se débat avec les soucis du ménage ; ici aussi, tout est
devenu terriblement cher; le froid précoce, la pénurie de combustible empoisonnent sa vie et la nôtre.
Elle se joint à moi pour vous remercier, vous et votre chère famille, de tout ce que nous avons reçu de
bien et de beau.
Votre Ferenczi
reconnaissant.
Je vous prie de faire envoyer d'urgence (éventuellement par l'intermédiaire de Rank) la lettre ci-
jointe 4.
I. Notes de lecture de Ferenczi: « A propos de Essais sur la biologie théorique » (1920, 227), de Julius
Schaxel, et « A propos de Les Glandes pubertaires et leur action » (1920, 228), d'Alexander Lipschütz pour
la Zeitschrift.
Évidemment le «Rapport sur les activités de l'Association [hongroise] du P' janvier au 31
décembre 1919 », Zeitschrift, 1920, 6, p. 110-112.
Il s'agit de « Thalassa, essai d'une théorie de la génitalité », publié par Ferenczi en 1924 (268),
Psychanalyse, III, p. 250-323.
Non identifiée.
822 Fer
[Budapest,] le 22 novembre [1919] A
Cher Monsieur le Professeur,
Nous n'avions pas de grande valise avec nous, aussi n'avons-nous pu
emporter votre photographie. Si Madame Kata' est assez aimable pour la loger
dans sa valise-Mädler *, alors je vous prie de la [lui] remettre avant son départ.
Salutations cordiales à Toni et à Rank.
Votre Ferenczi
A. Date (sans mention de lieu et d'année) à la fin de la lettre. .
* Une marque de valise.
1. Kata Lévy avait rendu visite à son frère, von Freund, à Vienne (Freud à Kata Lévy, 15
novembre 1919, LOC).
823 Fer
B.[uda]pest, le 28 novembre 1919
Cher Monsieur le Professeur,
Ces derniers jours se sont passés sous le signe des espoirs et déceptions à
propos du diagnostic de Toni. Comme par oscillations sismographiques, nous
tremblions avec les Viennois. A présent, nous voici dégrisés, face à la réalité.
Lévy Lajos nous console avec les chances d'un traitement au radium. Nous
sommes devenus modestes à présent, et voulons nous réjouir de chaque mois
que notre ami peut encore vivre parmi nous. Nous espérons que le destin lui
épargnera de trop grandes souffrances. Les médecins doivent accéder à sa
demande d'euthanasie, c'est son droit absolu. Probablement s'occupera-t-il,
maintenant, plus encore qu'auparavant, de sa famille et de sa succession.
J'aimerais lui procurer la satisfaction de mettre sa grande fondation en
sécurité. Demain, je vais chez Bârczy, l'actuel ministre de la Justice'. Je
rapporterai à Garami les renseignements qu'il m'aura donnés et qu'il vous
transmettra personnellement.
Il vous demandera aussi des informations sur sa soeur. Très probablement, le
Dr Dubovicz prendra-t-il d'ici peu des dispositions pour son divorce. Son projet
d'aller maintenant en Suisse avec les Garami (par Vienne !), qui
408 Correspondance 1914-1919
n'était qu'un plan pour mettre la cure en échec et une « tentative de réconciliation » avec Margit,
c'est moi qui l'ai fait échouer.
Mes séances sont maintenant occupées, à l'exception de celle réservée au
Polonais. Je vous prie d'écrire une carte au Dr Dubrovicz 2, lui indiquant que je
ne peux pas réserver cette séance au-delà du 1" décembre (je ne connais pas
son adresse exacte). Qu'il veuille bien me télégraphier, immédiatement et en
urgence.
Je n'ai absolument aucune information sur l'état actuel du projet de voyage de Rank s. N'a-t-il
pas été contrecarré par l'état de Toni ?
Et vous, maintenant, comment avez-vous vécu ces jours difficiles ? A
J'espère que cela ne vous a pas trop éprouvé. – Parlez-moi, s'il vous plaît,
des événements les plus importants, fût-ce brièvement. Vous pouvez
maintenant confier vos lettres à la poste, en recommandé, surtout.
Saluez tous nos bons amis de notre part à tous deux,
votre Ferenczi
824 F
Prof. Dr Freud
le 3 décembre 1919
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
S'il est vrai que je peux à nouveau vous écrire, c'est déjà le signe d'un mieux
en ces temps si tourmentés. L'état de Toni est mauvais, et son état général pire
encore que ne le justifient les résultats tangibles et son évolution antérieure, si
bien qu'on soupçonne une progression incontrôlable du mal, se préparant en
profondeur. Il s'est lui-même fixé le terme du 12 décembre (à partir de certains
fantasmes de talion) et je me demande parfois s'il ne va pas le respecter. Il
produit souvent l'impression d'avoir dit adieu au monde, pris
ses distances avec la vie. Vous connaissez certainement les faits par les récits
de Lajos. Dans les prochains jours, Holzknecht' doit commencer la
radiothérapie, en même temps que le radium. Schütz a fait, très correctement et
à temps, tout ce qui relève de la médecine, je peux l'assurer ; malheureusement,
trop affecté lui-même, il ne sait pas susciter un sentiment de sécurité. C'est
Margit qui a la haute main sur les
soins au chevet du malade; elle se comporte admirablement, réfrène Kata et soutient
Rôzsi. Elle-même ne s'effondrera probablement qu'après.
J'ai vu Garami une fois, je n'ai pas encore eu l'occasion de le remercier, mais j'ai
connaissance de la situation risquée de l'affaire et pense que seul Bârczy peut nous
apporter le salut.
J'ai d'abord eu une carte de Rank en provenance de Francfort, mais pas de lettre, je sais
qu'il est parti le lei décembre avec Emden et Ophuijsen pour Londres. J'espère qu'[il]
pourra arranger quelque chose, d'une façon ou d'une autre, pour nous et pour lui.
Reik est considéré par les deux dames comme très inefficace 2. Anna est en vérité très
surmenée par ses deux professions S. La Zeitschrift est constamment retardée par de
nouvelles insertions, comme dernièrement celle de l'Appel 4. La vente de la bibliothèque
en Allemagne paraît très satisfaisante.
Peu de jours nous séparent maintenant du mariage de Martin, le 7 décembre 6.Cet
événement, le sanatorium 6 et les 9 heures de travail me laissent peu de temps pour
l'imagination scientifique. J'ai lu vos comptes rendus et je suis entièrement d'accord. Mais
avez-vous le droit de révéler quelque chose des découvertes de Steinach, tenues secrètes 7 ?
Aujourd'hui, une lettre de Federn, de Stockholm. Il dépeint la situation de la TA comme «
désespérée ». De ce fait, mon prix Nobel est également enterré. Il ne prolongera pas
son séjour là-bas.
Je vous écrirai bientôt de nouveau.
Soyez cordialement salué, ainsi que votre chère Madame Gisela,
par votre Freud
Guido Holzknecht (voir t. I, 171 F, note 3), membre de l'Association viennoise, était un
pionnier éminent de la radiothérapie et considéré comme le meilleur radiologue de Vienne.
Depuis l'année précédente, Reik était deuxième secrétaire et bibliothécaire de l'Association viennoise. Il
travailla également, en 1919 et 1920, comme employé du Verlag. En l'absence de Rank, il reprit
probablement aussi les activités de celui-ci.
Outre son activité d'enseignante au Cottage-Lyzeum, Anna Freud travaillait dans une crèche (E.
Young-Bruehl, Anna Freud, op. cit., p. 90).
« Aufruf fia die Kinder der vom Hunger heimgesuchten Länder » (Appel pour les enfants des pays
où règne la faim), Zeitschrift, 1919, 5, p. 333-334.
Le mariage de Martin Freud avec Ernestine (« Esti ») Drucker (1896 -1980).
C'est-à-dire la visite quotidienne de Freud à Anton von Freund au Cottage-Sanatorium.
Ferenczi a laissé passer la remarque selon laquelle Steinach « a pu apporter la preuve que des effets
purement psychiques pouvaient inhiber ou favoriser le développement des glandes pubertaires », avec
la note en bas de page : « En fait, ces résultats de Steinach ne sont pas encore publiés. Il a eu l'amabilité
de me les communiquer dans un entretien privé » (Ferenczi [1920, 228], Zeitschrift, 1920, 6, p. 86). Voir
826 Fer.
825 F
Prof. Dr Freud
le 11 décembre 1919
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Merci pour votre télégramme'. Il a eu l'effet d'un briseur de blocus. Ces jours-ci, je ne suis pas
parvenu à écrire. 9 heures d'analyse, mariage et sanatorium, c'était bien assez. Je n'arrive
absolument plus à suivre. La correspondance est surabondante et les contributions pour nos
revues s'accumulent comme jamais auparavant. Pas une heure pour mon propre travail.
Cette fois encore, je me limite au plus pressé. Je tiens l'état de Toni pour désespéré; son état
général dépasse largement ce que les résultats connus justifient. Aujourd'hui, on a introduit, au
moyen d'un drain, une capsule de r.[adium]. Comme réaction, température à 39,7 et pouls à 140 ;
le soir, un mieux de nouveau. Psychiquement, il vit à des niveaux divers, tantôt très haut, tantôt
avec une libido en retrait complet, un phénomène bien connu chez les grands malades. Il rouspète
et se tourmente beaucoup, pleure pour de la morphine, mais il est très souvent tendre et spirituel
comme il a toujours été. L'euthanasie, ce n'est pas facile quand on ne veut pas directement
assassiner le malade. Margit dirige les soins d'une main ferme, j'espère qu'elle tiendra le coup
jusqu'à la catastrophe finale.
J'ai vu Garami une fois, je n'ai pas pu parler du fonds. Je sais que la décision est actuellement
entre les mains de Bàrczy.
Rank est maintenant – probablement – à Londres. Les communications à travers le monde sont
actuellement pires qu'elles n'ont jamais été, aussi n'avons-nous aucune certitude. Il devrait
rentrer vers le 20 XII, avec un transport d'enfants 2.
Je ne connais pas l'adresse du Polonais D.[ubrowitz]. Ne lui réservez rien et réjouissez-vous s'il
n'arrive pas.
C'était un très joli mariage, dans la plus stricte intimité. Martin vient de téléphoner pour annoncer
son retour du bref voyage de noces. Le lendemain, Ernst a quitté définitivement la maison puis, 2 jours
plus tard, Oli, qui part pour Hambourg et va prospecter en Allemagne. Nous ne sommes donc que 3, et
très seuls.
Bircher 8 a envoyé un exemplaire complet du Lipschütz pour vous, ainsi que 2 autres ouvrages
biologiques que je vais remettre au Verlag pour qu'ils vous soient expédiés. Vos notes de lecture
sont très bonnes.
J'augmente mes patients à 200 [couronnes], je demande aux étrangers de
payer dans leur monnaie ; je vais réduire ainsi le nombre de mes séances et
accroître mes revenus. Un Américain envoyé par Jones ne paie que
5 dollars, qui font néanmoins 750 couronnes 4 ; économiquement tout cela
reste vain.
Il est impossible d'avoir une lettre de Brill, mais il m'a quand même envoyé les traductions du Mot
d'esprit, du Leonardo et du Totem 5. Federn, de Stockholm, rend compte d'une grande animosité à
l'égard de la `PA. Au bout de six mois, une nouvelle édition des Cinq Conférences 6 est nécessaire. De
vous aussi, j'attends le nouveau livre, « Progrès »', qui est à venir.
Soyez cordialement salué avec votre chère femme, par votre
Freud
Non retrouvé.
Ces trains transportaient des enfants des grandes villes de l'Allemagne du Nord, où régnaient la
poliomyélite et la tuberculose, vers des climats plus favorables, pendant les vacances scolaires.
Ernst Bircher, l'éditeur bernois du livre d'Alexandre Lipschütz dont Ferenczi a rendu compte.
« Dr Bieber [un dentiste américain] est arrivé. Il a le droit de ne payer que la moitié du prix, n'étant
qu'à moitié américain. Pour l'autre moitié c'est un Juif hongrois. » (Freud/Jones, 11 XII 1919,
Correspondance, p. 360.)
Les traductions par Brill de Freud, 1905c (New York, 1916, deuxième édition: 1917), 1910c (New
York, 1916) et 1912-1913a (New York, 1918, deuxième édition: 1919).
Freud, 1910a [1909], deuxième édition : 1920 chez Deuticke. Cinq Leçons sur la psychanalyse, trad.
Y. Le Lay, Paris, Payot, 1973.
Le recueil d'articles de Ferenczi intitulé A pszichoanalizis haladdsa (Progrès de la psychanalyse) [1919,
225], paru chez Mané Dick, à Budapest.
INTERNATIONALE PSYCHOANALYTISCHE VEREINIGUNG
Präsidium : Budapest, VII, Erzsébet Korut 45
L'affaire est très urgente, ne serait-ce qu'à cause de la situation politique qui
change sans cesse. – Au demeurant, notre ami n'a aucun besoin d'attendre la
lettre de Bo'.[dy], il peut se référer aux discussions de B6.[dy] avec Barànsky
(éventuellement aussi Bârczy ?) et lui télégraphier immédiatement – comme il
est expliqué plus haut.
macrobiotique. Steinach m'a expressément autorisé à publier ses
expériences concernant l'influence tfr sur les glandes pubertaires.
Le Dr Dubrovicz est quand même arrivé. Il est vraiment « meschugge 4 », mais en tant que tel,
tout à fait remarquable. –
Je travaille 10 heures par jour, dont une heure de repos tous les deux jours (l'heure de consultation
qui est presque toujours vide). Les gens sont pauvres. On me paie actuellement 60-80 couronnes, il y en
a un qui en paie 100. Je ne peux guère monter plus haut. – Pas de nouveaux malades en vue. Tous les
autres collègues tira sont presque inoccupés. – A peine possible de couvrir les frais du ménage. Le mois
passé (les frais viennois mis à part), dépensé 16 000 couronnes. Ce mois-ci, 10 000 couronnes rien que
pour le charbon et le bois. – La sécurité, ici, vacille dangereusement. – Je crois que nous aurons encore
deux-trois périodes de bouleversement à vivre dans ce pays.
Gyula Baranszky (1867-1953), avocat. Durant vingt ans, membre du Comité législatif de la ville
de Budapest. Collaborateur de plusieurs revues juridiques. En 1924, il est nommé conseiller du
gouvernement.
Voir 828 Fer.
Il pourrait s'agir de Johannes Heinrich Schultz, Die seelische Krankenbehandlung (Psychotherapie), ein
Grundriss für Fach-und Allgemeinpraxis (Traitement des maladies psychiques. [Psychothérapie], un
manuel pour spécialistes et généralistes), Iéna, Fischer, 1919.
En yiddish : timbré, dingue.
827 F
Prof. Dr Freud
le 18 décembre 1919
Vienne, IX. Berggasse 19
Cher Ami,
Je suis heureux que vous ayez reçu mes deux courriers. Aujourd'hui, Madame Sarolta a apporté
votre lettre lourde de contenu, à la suite de laquelle je ferai le nécessaire demain. Je parle à Toni à
midi, je ferai
envoyer les télégrammes, et j'espère que vous pourrez tout mener à bien vous-même. J'ai déjà vu,
il y a plusieurs jours, une lettre du maire adressée à Toni, disant qu'il était prêt à négocier. Mais
il n'y est pas fait mention d'une deuxième fondation proposée par B6.[dy] lui-même.
Je veux simplement vous expliquer ici, d'avance, le télégramme qui vous sera adressé. D'après
moi, le projet initial d'un grand institut de formation et de traitement ne pourra être mis en oeuvre à
Budapest avant longtemps. Notre ami emportera ce bel espoir avec lui. Abandonnons ce plan et
sauvons ce qui peut l'être. Tout projet qui vise à collaborer avec une quelconque autorité est à rejeter.
On nous mettrait toujours le dos au mur. La seule possibilité semble être un compromis tel que :
abandonner une moitié à la ville, l'autre moitié, en revanche, étant remise entre les mains du comité
actuel (c'est-à-dire les vôtres) en toute liberté. N'admettre aucune autre restriction, exiger la remise
immédiate de la moitié du montant, sinon refus total de votre part, ce qui rendrait le fonds inutilisable
pour la ville également.
Si cette moitié est sauvée, alors vous garderez la plus grosse part pour des temps meilleurs à
Budapest, et injecterez la plus petite dans le Verlag, qui est actuellement notre principal centre
d'intérêt.
Rank n'est pas encore de retour, peut-être ne pourra-t-il venir qu'au Nouvel An ; au
demeurant, je ne m'y retrouve pas non plus dans les embrouillaminis qu'il a fabriqués, mais je
crains que nous ne soyons déjà finis, ou en faillite. Je ne laisse cependant pas toucher aux devises
étrangères, surtout pas maintenant que la couverture constituée par le fonds principal nous a
échappé.
Je vous télégraphierai donc probablement un Bêta absolu.
Quant à la réplique « scientifique », vous pourrez la remplacer par une sévère engueulade à
l'adresse de 136.[dy].
Donc demain, chez Toni. Il est lucide, mais pas vraiment présent. Son esprit est occupé à
certains problèmes difficilement solubles (Vera), la fièvre (résorption?) le dévore. Holzknecht va
maintenant interrompre le radium et remettre les rayons X à plus tard.
Vos nouvelles personnelles sont exécrables.
Salutations cordiales à vous et à Madame Gisela,
votre Freud
828 Fer
Budapest, le 26 décembre 1919
Par l'intermédiaire d'un neveu de Madame G., impliqué dans une affaire de trafic de devises avec
le fils de B6.[dy], j'ai de nouveau incité B6.[dy] à régler le problème.
Veuillez remercier G.[arami] Margit pour sa lettre. Dites-lui qu'à mon avis, dans le cas de figure
qu'elle évoque, Emil Freund 2 va hériter des droits de Toni, y compris en ce qui concerne le fonds.
C'est du moins ce que je pense. Il serait bon de poser la question à Toni, car je n'ai pu prendre
connaissance des actes orig.[inaux].
J'ai beaucoup de mal avec le Dr Dubovicz. Depuis que nous en sommes venus à parler, de la relation
Toni-Margit, on ne peut plus le tenir. Il souffre effroyablement. Il prétend avoir pris, hier, 1 gramme de
morphine, mais il l'a vomi. – En fait, il ne demande rien de plus que d'être traité courtoisement par Margit et
qu'ils se séparent à l'amiable. Si vous pouvez obtenir de Margit qu'elle lui écrive une telle lettre qui, in merito *,
n'a pas besoin d'être enjolivée, cela nous aidera peut-être un peu. N.B. Il s'était déjà quelque peu familiarisé
avec l'idée de la séparation, et pensait même à un nouveau mariage. Mais l'affaire Toni semble avoir blessé
son homosex.[ualité] et il a rechuté dans son état amoureux. – Il représente un véritable casse-tête pour
Madame Vidor S qui, actuellement, a bien d'autres soucis. Il n'est pas nécessaire que Margit apprenne, par
vous, quelque chose de cette tentative de suicide. Elle en entendra bien parler par ailleurs.
Cette fois j'en reste à ces deux communications.
Avec des salutations cordiales,
votre Ferenczi
Le journal de l'adolescente 4 est un événement de premier ordre.
* En latin dans le texte: avec raison.
L Jànos Wenhardt, interniste et neurologue. De 1917 à 1927, directeur de l'hôpital Saint-
Roch. Le frère d'Anton von Freund.
Régine, épouse Vidor, une des deux soeurs d'Anton von Freund.
Le Journal d'une adolescente a paru en 1919, comme tome I des Sources littéraires du développement psychique, au
Verlag (Leipzig, 1919). Freud a cautionné son authenticité dans une lettre (Freud, 1919i 119151), que
l'éditrice, Hermine Hug-Hellmuth, restée d'abord anonyme, a reproduite dans sa préface. La parution du
Journal a suscité de violentes controverses; si certains l'ont grandement loué, d'autres, tels Cyril Burt et
Charlotte Bailler, ont noté des imprécisions et l'ont décrit comme une falsification. Le Verlag a finalement
retiré le livre de la vente en 1927. Le problème d'une éventuelle falsification n'a pas été écarté à ce jour,
mais il n'est pas impossible qu'il s'agisse du journal, peut-être plus tardif, de H. Hug-Hellmuth elle-même.