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Thèse 27.04.2018 - PDF

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UNIVERSITÉ DE REIMS CHAMPAGNE-ARDENNE

ÉCOLE DOCTORALE SCIENCES DE L’HOMME ET DE LA SOCIETE (555)

THÈSE

Pour obtenir le grade de

DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ DE REIMS CHAMPAGNE-ARDENNE

Discipline : SCIENCES JURIDIQUES

Spécialité : DROIT PUBLIC

Présentée et soutenue publiquement par

VADYM CHOVGAN

Le 20 avril 2018

___________________________________________________________________________

LES LIMITATIONS DES DROITS DES DÉTENUS:

NATURE JURIDIQUE ET JUSTIFICATION


Thèse dirigée par Madame le Professeur, MARTINE HERZOG-EVANS

JURY
M. Serge SLAMA, Professeur, Université Grenoble Alpes, Président
Mme Martine HERZOG-EVANS, Professeur, Université Reims Champagne-Ardenne, Directeur de thèse
M. Thomas HOCHMANN, Professeur, Université Reims Champagne-Ardenne, Examinateur
Mme Juliette LELIEUR, Professeur, Université de Strasbourg, Rapporteur
M. Tom VANDER BEKEN, Professeur, Université de Gand, Rapporteur
Remerciements

Je remercie tout d’abord le Gouvernement français et l’Institut français en Ukraine de m’avoir


attribué une bourse pour mener une recherche en France sur un sujet si particulier. Le droit ne
figurant pas, à la différence des sciences naturelles, au nombre des priorités des financements
français, l’importance d’une telle démarche ne saurait être trop soulignée.

Cette recherche a été précédée d’un véritable combat administratif que ma directrice de thèse
Professeur Martine Herzog-Evans et moi-même avons dû subir lors de ma première
inscription à l’Université de Reims. Avec de tels efforts, une inscription à l’Université Paris-
Sorbonne aurait sans doute été acquise. Pourtant, je ne regrette en aucun cas mon choix : il
n’y a qu’à Reims que je pouvais me retrouver entre les mains de ma directrice, véritable génie
juridique français et star incontestable du droit pénitentiaire français. Ceux qui connaissent
Mme Evans et son travail savent qu’il n’y a nulle exagération dans mes mots. Par l’exemple
personnel d’effort dans le travail (qui commence à 4 heures du matin), par son soutien
inconditionnel à ses doctorants (souvent même avec indulgence) et ses plaisanteries toutes
britanniques (je ne serai jamais à la hauteur), elle ne cessera de m’inspirer pour le restant de
ma vie.

Je remercie mes précepteurs de droit pénitentiaire en Ukraine, Madame Iryna Yakovets et


Monsieur Anatoliy Stepaniuk. Je suis fier d’avoir bénéficié de la possibilité unique d’être
dirigé par les spécialistes les plus connus du droit pénitentiaire, tour à tour en Ukraine et en
France.

Mes remerciements vont également à toutes les personnes qui m’ont énormément aidé,
compte tenu de mon français défectueux, et en particulier :

- à Monsieur Eugène Maritchev pour la haute qualité de son travail, s’agissant de traductions
très spécifiques ;

- à Madame Nadia Beddiar pour ses corrections juridiques / linguistiques et pour avoir
accepté de m’aider lorsque d’autres m’avaient tourné le dos ;

- à Monsieur Hugues de Suremain pour son aide dans l’utilisation de la terminologie


professionnelle et sur les questions de droit pénitentiaire, ainsi que pour toutes les discussions
intéressantes que nous continuons d’avoir régulièrement.

Sans soutien administratif et logistique, mon parcours aurait été très compliqué. Aussi je
remercie tout particulièrement Mlle Maroua Bouali et Monsieur Roman Milotskyi, que j’ai
certainement dû beaucoup embêter.

Merci enfin à toi Karen, qui est à l’origine de ma volonté de venir en France. Cette page n’est
pas un endroit approprié pour expliquer à quel point ton rôle a été décisif dans
l’accompagnement de mon inscription et mes premiers pas en France.
Sommaire

Introduction ................................................................................................................................ 7
Partie I : Nature juridique des limitations des droits des détenus ............................................ 47
1.1. Notions et caractéristiques des limitations des droits .................................................... 49
1.2. Formes de limitations des droits .................................................................................... 72
1.3. Classification des limitations des droits ...................................................................... 101
1.4. Limites des droits subjectifs ........................................................................................ 123
1.5. Point de vue philosophique sur la nature des limitations des droits ............................ 129
Conclusion (Partie I) .............................................................................................................. 160
Partie ІІ : Normes internationales de limitation des droits des détenus ................................. 163
2.1. Normes des Nations Unies en matière de limitation des droits des détenus ............... 163
2.2. Normes du Conseil d'Europe en matière de limitation des droits des détenus ............ 178
Conclusion (Partie ІІ) ............................................................................................................. 286
Partie ІІІ : Limitations des droits des détenus: expérience par pays ...................................... 289
3. 1. France ......................................................................................................................... 289
3.2. États-Unis .................................................................................................................... 389
3.3. Grande-Bretagne .......................................................................................................... 416
3.4. Canada ......................................................................................................................... 434
3.5. Belgique ....................................................................................................................... 474
3.6. Pays-Bas ...................................................................................................................... 495
3.7. L'Ukraine (évolution actuelle de la législation en rapport avec la limitation des droits
des détenus) ........................................................................................................................ 506
Conclusion (Partie ІІІ) ............................................................................................................ 546
Conclusion générale ............................................................................................................... 549
Liste des annexes .................................................................................................................... 558
Annexe n° 1 ........................................................................................................................ 559
Annexe n° 2 ........................................................................................................................ 573
Annexe n° 3 ........................................................................................................................ 615
Bibliographie .......................................................................................................................... 630
Table de matières ................................................................................................................... 675
5

Liste d'abréviations et de sigles

Convention: Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des


libertés fondamentales

CEP de l'Ukraine: Code de l'exécution des peines de l'Ukraine

CP de l'Ukraine: Code pénal de l'Ukraine

CPP: Code de procédure pénale (français ou ukrainien en fonction du contexte)

SPT de l'Ukraine: Service pénitentiaire d'État de l'Ukraine

RI: Règlement intérieur (français ou ukrainien en fonction du contexte)

CEDH: Cour européenne des droits de l'homme

CPT, Comité: Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou


traitement inhumains ou dégradants

RPE: Règles pénitentiaires européennes

RMT: Règles minima pour le traitement des détenus

Etablissements pénitentiaires: établissements d'exécution des peines et/ou (selon le


contexte) établissement de détention provisoire

Détenus: condamnés et/ou (selon le contexte) personnes placées en détention


provisoire

Clause/clause limitative: partie de la norme du droit prévoyant les raisons, les


conditions ou toute autre indication relatives aux possibilités et aux modalités de la limitation
du droit subjectif de la personne
6

“Plus la société se dissocie des détenus et

des anciens détenus et plus elle est prête à limiter

les droits d'autres membres de la société"1

1
«The more a society excludes prisoners and ex-prisoners, the more ready it is to limit the rights
of other members of that society», in Cnaan R. A., Draine J. N., Frazier B., Sinha J. W., The Limits of
Citizenship: Rights of Prisoners and ex-Prisoners in USA, Journal of Policy Practice, 2008, Vol. 7,
Issue 2-3, p. 178.
Toutes les traductions qui suivent sont de Vadym Chovgan, à moins qu'il ne soit précisé
autrement et à l'exception des traductions officielles des conventions, recommendations ou décisions
jurisprudentielles européennes existantes en français.
7

Introduction

L'idée de cette recherche remonte à six ans. À l'époque, nous préparant à intégrer
l’administration pénitentiaire, nous nous sommes attachés à étudier les détails des exigences
du régime contenues dans le Règlement interne des établissements pénitentiaires en Ukraine.
Notre regard se porta en particulier sur la liste des objets interdits pour les personnes purgeant
leur peine. La liste importante comportait l'interdiction de garder et de se servir de stylos et de
crayons de couleur, de peinture pour aquarelle, de papier carbone. Stylos noirs, bleus ou
violets et pour des crayons à papier mis à part.

Cette interdiction devait nécessairement susciter des questions: d'où tire-t-elle son
origine ? A quoi sert-elle ? Quels dangers dériveraient du manquement à cette interdiction et
celle-ci ne serait-elle pas absurde en fin de compte? Nous nous sommes mis à chercher la
réponse ou du moins des explications à ce propos. Nous avons d’abord cherché dans les
livres, puis auprès des représentants de la communauté académique et ensuite auprès
d'hommes de terrain. Il s'est avéré que c'étaient justement ces derniers qui pouvaient détenir
des explications relatives à ce sujet. Elles ont été exprimées sous forme de suppositions ;
personne ne pouvait donc attester de quoi que ce soit. Leurs suppositions se fondaient sur la
modélisation de situations réelles et elles s'appuyaient sur leurs expériences. Toute
justification juridique était hors de propos, parce que c'était en fait inscrit dans le Règlement
interne, qui apparaissait comme un écrit quasiment sacré, car chacune de leurs dispositions
"avait été écrite avec le sang de plusieurs générations d’employés pénitentiaires et de
détenus"2.

Ainsi trouvait-on parmi les raisons principales que: de la peinture pourrait contenir des
substances stupéfiantes que les détenus risqueraient d'utiliser; les crayons, la peinture et le
papier carbone pourraient servir à falsifier de l'argent, des documents et à confectionner des
cartes à jouer; le papier carbone pourrait être utilisé pour préparer des copies de plans
d'évasion. Ces raisons pourraient-elles être qualifiées de rationnelles à l'époque actuelle ? Une
époque où les billets de banque présentent un niveau de sécurité extrêmement difficile à
déjouer même en ayant accès à des imprimantes de haute qualité, à l'époque où les détenus
possèdent souvent des téléphones portables (de plus avec accès à un GPS) et où le contrôle de

2
Citation de l'un de nos interlocuteurs de l'époque.
8

la présence de stupéfiants dans la peinture pour aquarelle n'est pas plus compliqué que celui
de toute autre matière autorisée que les détenus reçoivent de l'extérieur.

Les premières considérations des employés pénitentiaires relatives à leurs propres


suppositions attestaient sûrement qu'ils étaient persuadés de la même chose: l'interdiction des
crayons de couleur, de la peinture pour aquarelle et du papier carbone pour les détenus n'avait
manifestement pas de sens. Cette restriction était absurde. Par la suite, cette interdiction fut
annulée en partie pour les personnes condamnées3 tout en étant maintenue pour les personnes
placées en détention provisoire4.

Notre intérêt particulier pour cette question d'interdiction des crayons de couleur et de
la peinture pour aquarelle n'ayant, à première vue, que peu d'importance visait en réalité un
problème plus global, à savoir la justification des restrictions des droits des détenus. Par la
suite, en regardant à travers le prisme de la rationalité, d'autres restrictions des droits des
détenus figurant dans le Code d'exécution des peines de l'Ukraine durent être analysées. Est-il
utile d'interdire les visites, les communications téléphoniques, les colis voire les livres lors du
séjour d’un détenu dans la cellule disciplinaire? Pourquoi les visites des parents ne sont
autorisées que rigoureusement une fois par mois (ou tous les trois mois dans certains cas)? La
règle selon laquelle toutes les visites de courte durée s'effectuent à travers une vitre, est-elle
bien pondérée? La règle interdisant aux détenus placés dans des conditions à niveau maximal
de sécurité d'assister à l'enterrement de leur mère ou de leur père, même avec une escorte
d'employés pénitentiaires est-elle véritablement fondée? Les questions de ce type étaient bien
plus nombreuses et elles étaient et demeurent toujours des symptômes d'un problème plus
général: l'absence d'une norme générale de justification des restrictions des droits des détenus
dans le droit pénitentiaire ukrainien.

Les constitutionnalistes estiment que l'action de l'État en matière d'établissement des


restrictions des droits, tout comme la limitation des droits elle-même devraient avoir des
limites, ce qui s'explique par la nature des droits constitutionnels5. La pensée juridique
internationale et la jurisprudence des pays développés sont bien avancées dans ce sens en

3
L'Annexe 6 au Règlement interne des établissements pénitentiaires datant de 2014 prévoit
l'interdiction de garder du papier carbone sans interdire les crayons et la peinture. Dès l'étape de la
mise au point de son texte, lors d'une réunion portant sur l'examen du Règlement organisée avec
l'assistance du Bureau de l'Ombudsman, nous avons eu l'occasion d'essayer de convaincre la direction
du Service pénitentiaire d'État de l'absurdité de l'interdiction tant des crayons, que de la peinture pour
aquarelle et du papier carbone. Il apparaît toutefois que le résultat ne fut que partiel car il ne concerne
que les crayons et la peinture.
4
Paragraphe 4.5 du Règlement interne des maisons d'arrêt de 2013.
5
Alexy R., A Theory of Constitutional Rights, translated by J. Rivers, New York, Oxford
University Press, 2004, p. 192.
9

adoptant la norme de la proportionnalité des restrictions. Cette norme fixe certains repères
dans le fondement des restrictions, tout en restant instable et n'offrant pas de directives
précises s’agissant de la pratique pénitentiaire. Ceci nous a incité à étudier le caractère
spécifique des normes de restrictions applicables dans le domaine pénitentiaire. Une question
inévitable en découle, elle porte sur la nature juridique des restrictions des droits des détenus
et sur la justification de celles-ci dans un contexte plus large.

La question posée est difficile, car, d'une part, la personne condamnée est membre de
la société et dispose de droits comme tout autre citoyen. D'autre part, cette personne purge sa
peine et se trouve isolée par rapport à la société et est limitée dans ses droits pour cette raison.
Ces restrictions sont différentes justement par leur origine: elles s'appliquent en tant que
conséquence d'une punition et leur application aux personnes en liberté n'a ni sens ni
fondement juridique.

Il existe nécessairement une différence entre l'étendue des droits exercés en liberté et
ceux exercés dans un établissement pénitentiaire. La même chose vaut pour les restrictions
des droits. L'absence de cette différence signifierait l'abolition des murs de prison et l'absence
de la prison même. L'établissement pénitentiaire le plus humain, au régime le moins dur,
prévoit certaines restrictions à la liberté de déplacement et d'existence que l'on ne trouve pas
en liberté. Les restrictions de cette sorte constituent la différence principale entre la vie en
prison et en dehors de ses murs. Ce sont elles qui définissent le "design de la vie
pénitentiaire". Elles deviennent en outre la cause de différences d'un autre type: la création
d'une sous-culture et d'autres phénomènes propres à l'environnement fermé. En termes plus
généraux, la prison est en elle-même une restriction complexe. L’essence de la prison est la
restriction. Aussi la réponse à la question de savoir quelles devraient être les restrictions aux
droits des détenus est-elle en fait la réponse à la question de savoir ce que la prison même doit
être. C'est la raison pour laquelle nous sommes convaincus que le sujet choisi est d'une
actualité particulière pour la science pénitentiaire.

Il est important de ne pas oublier que les restrictions dans les établissements
pénitentiaires sont considérées par rapport à celles qui existent en liberté. Ces dernières
servent de point de départ pour les réflexions sur l'existence de restrictions "pénitentiaires". À
partir de ce point de départ, nous (la société) formulons en partie nos conclusions sur le bien-
fondé des restrictions aux droits des détenus. Ceci dit, la tolérance à l'égard de ces restrictions
est plus grande qu'en liberté, c'est-à-dire que nous acceptons des restrictions plus sévères au
sein de la détention.
10

Il convient de citer l'une des différences de restrictions aux droits des détenus par
rapport à celles des personnes libres étant donné que dans le cas du droit du détenu il existe
une sorte de "modèle" - le niveau existant des restrictions aux droits de l'homme libre. Les
restrictions imposées aux détenus sont analysées en comparant leur étendue et leur contenu à
ceux des droits et des restrictions applicables aux citoyens libres. Il en résulte la thèse
soutenant que la différence entre les restrictions en question est un fait de principe qui est pris
en compte dans la justification des limitations des droits dans le domaine pénitentiaire. Dans
le même temps, cela ne nie pas la possibilité d'analyser la nature juridique des restrictions aux
droits des détenus sans faire référence aux droits des personnes libres. Il est ainsi tout à fait
acceptable d'analyser le bien-fondé des restrictions par rapport aux limitations
correspondantes imposées aux détenus dans le passé ou dans d'autres pays.

La doctrine de la normalisation, répandue dans la pensée académique d'aujourd'hui,


affirme que les conditions et les règles de la vie dans l'établissement pénitentiaire doivent se
rapprocher autant que possible de celles de la vie hors de l'établissement. Cependant, que doit-
on entendre par "autant que possible" ?, comment déterminer les limites du rapprochement
entre les restrictions pour les détenus et les personnes libres? Voilà la question la plus difficile.
C'est donc elle qui est placée au centre de notre recherche.

Selon nous, puisque les avis sur le bien-fondé des restrictions pour les détenus se
forment aujourd'hui en partant de leur comparaison avec celles appliquées aux droits des
personnes libres, l'étude de leur fondement devrait s'effectuer sous ce point de vue sans
toutefois se limiter à ce dernier. À partir de là, nous avons formulé l'objectif principal de la
présente recherche : déterminer comment pourrait être justifié le rapprochement (et la
différence) admissible entre les droits des détenus et ceux des personnes libres. Cet objectif
est lié avec la problématique suivante: quelles sont les approches juridiques et doctrinales vis-
à-vis de la détermination de la limitation admissible des droits des détenus et de leur
rapprochement avec les droits des personnes libres?

Afin de mieux nous orienter sur l'objectif nous posons des questions clés auxiliaires
qui permettent d'esquisser l'objet de la présente recherche.

- Jusqu'où peut aller l'État dans la limitation des droits des détenus?

- En quoi consiste la nature juridique et les particularités des restrictions aux droits des
détenus, quels sont leurs types et formes?
11

- Quelles sont les normes internationales fondant les limitations des droits des détenus
et quelles sont leurs spécificités ?

- Quelles sont les approches juridiques et philosophiques principales vis-à-vis des


restrictions aux droits des détenus?

- Quels sont le contenu, les avantages et les inconvénients des normes de justification
des droits des détenus en France, aux États-Unis, au Canada, au Royaume Uni, en Belgique,
aux Pays-Bas et en Ukraine?

Ces questions servent de guides à la présente recherche, tout en étant intimement liées
entre elles. L'avancement dans la recherche de la réponse à chacune d'elles était souvent la
condition nécessaire pour trouver des réponses à d'autres questions. C'est ainsi que sans
comprendre la nature juridique des limitations des droits des détenus il était impossible
d'avancer dans la question portant sur les limites de l'action de l'État quant à leur application.
L'étude de l'état des limitations des droits dans le droit pénitentiaire ukrainien ne serait pas
complète sans prendre en compte l'expérience et les normes d'autres pays, ainsi que les
pratiques et les règles des organismes et des institutions internationaux.

Notre étude vise à parvenir aux conclusions qui seront tout d'abord utilisées pour
améliorer la théorie de justification des limitations des droits au niveau international, mais
avec une attention spéciale sur le système français et ukrainien. Pour cette raison elle est
traduite aussi en ukrainien. Néanmoins, nous sommes convaincus qu’elle parvient à des
conclusions qui sont applicables aux autres pays. La comparaison du problème des limitations
dans tous les pays qui font objet de cette recherche démontre beaucoup de défauts similaires.
Les idées que nous développons pour les résoudre sont tout à fait adaptées à d'autres pays. De
plus, une partie importante de cette thèse est consacrée à la théorie générale concernant les
limitations des droits des détenus, ce qui la rend applicable aux systèmes pénitentiaires divers.
Pour ces raisons, nous concevons nos conclusions comme ayant un caractère universel valable
internationalement.

Compte tenu du cadre fixé pour ce travail, nous soutiendrons les thèses essentielles
suivantes:

i. La norme internationalement reconnue selon laquelle les "détenus conservent tous


les droits sauf ceux qui sont incompatibles avec l'emprisonnement" est contre-
productive du point de vue de la protection des droits de l'homme au vu du
12

caractère imprécis de ce qui doit être considéré comme "incompatible" avec


l'emprisonnement (ou considéré comme inévitable).

ii. L'application de la norme de proportionnalité à la limitation des droits des détenus


revêt nécessairement un caractère spécifique, tenant aux particularités de leurs
nature juridique à la lumière de l’exécution de la peine. Notamment, à la différence
des citoyens libres, ces limitations doivent aussi viser les buts de la peine et de son
exécution.

iii. La justification des restrictions dans le contexte pénitentiaire exige non seulement
des considérations juridiques et logiques, mais aussi l'usage de données empiriques
ou d'autres données similaires (expérience nationale et internationale) portant sur
les conséquences des restrictions et la réalisation des objectifs de celles-ci. Ceci
concerne en particuliers les objectifs de la sécurité.

iv. Le contrôle judiciaire du bien-fondé des limitations des droits est la condition
nécessaire pour le développement et l'efficience de la norme de proportionnalité
dans l'environnement pénitentiaire.

v. Les normes relatives aux limitations des droits des détenus dans les pays examinés
(France, États-Unis, Canada, Royaume-Uni, Belgique, Pays Bas, Ukraine) sont
problématiques en termes de protection des droits de l'homme. Elles sont
controversées du point de vue juridique et manquent de mécanismes fiables pour
protéger effectivement la personne détenue contre des limitations injustifiées à
leurs droits.

Notre étude avait été conçue dès le début comme une réflexion théorique. La méthode
appropriée fut donc choisie.

Pour pouvoir identifier la nature juridique des limitations des droits, leurs types et
leurs formes, nous avons eu recours à des ouvrages relatifs à la théorie du droit et du droit
constitutionnel. Par ailleurs, certaines approches spécifiques à l'égard des limitations des
droits dans le domaine pénitentiaire ont été trouvées dans des ouvrages soviétiques sur le droit
pénitentiaire. Dans cette partie théorique générale, nous nous référons essentiellement à la
doctrine tout en essayant de l’illustrer avec des exemples du droit français et ukrainien. Nos
observations touchent la théorie générale du droit en ce qui concerne la nature juridique des
limitations des droits.
13

En étudiant les normes internationales, nous nous sommes servis de textes


internationaux, de leurs travaux préparatoires, de la pratique de leur application et de la
doctrine appropriée. Une attention particulière a été donné aux productions des institutions
internationales en la matière, à savoir les décisions de la Cour européenne des droits de
l'homme (CEDH) et les rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des
peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT). Ces textes, ainsi que d'autres
documents juridiques internationaux, ont été obtenus essentiellement sur Internet. Dans le
même temps, nous avons étudié les commentaires de ces textes, des décisions et des normes
accessibles dans la doctrine. Il convient de remarquer que la quantité et le détail de ces
commentaires sont assez limités. Nous n'avons pu identifier aucun ouvrage étudiant la
question de la limitation des droits des détenus dans les normes internationales6. Cet état de
fait nous a contraint à chercher des commentaires fragmentaires des normes considérées et
faire notre propre analyse juridique et logique de celles-ci.

En ce qui concerne l'étude des restrictions dans le domaine pénitentiaire dans les pays
comme la France, les États-Unis, le Canada, le Royaume Uni, le Royaume de Belgique et le
Royaume des Pays Bas, l'objet principal de l'exploration de l'expérience de ces pays a porté
sur leurs textes législatifs, la jurisprudence ainsi que la doctrine relative aux limitations des
droits des détenus. Certaines remarques méthodologiques s'imposent ici.

Tout d'abord, notre étude ne saurait être qualifiée de véritablement comparative. À la


différence des études comparées volumineuses en matière pénitentiaire à la méthodologie
classique7, notre travail ne fait pas de comparaison parallèle de plusieurs systèmes nationaux.
Plusieurs raisons nous ont conduit à éviter la méthode de la comparaison parallèle:

6
De rares exceptions partielles nous sont fournies par des ouvrages comme : Van Zyl Smit D.,
Snacken S., Principles of European Prison Law and Policy: Penology and Human Rights, New York,
Oxford University Press, 2009 ; Lazarus L., Contrasting Prisoners' Rights: A Comparative
Examination of Germany and England, New York, Oxford University Press, 2004 ; Belda B., Les
droits de l'homme des personnes privées de liberté: contribution à l'étude du pouvoir normatif de la
Cour Européenne des Droits de l'Homme, Bruxelles, Établissements Evile Bruylant, 2010 ; Herzog-
Evans M., Droit pénitentiaire, 2nd ed, Paris, Dalloz, 2012. Leurs auteurs apportent une contribution
inestimable à l'étude des normes internationales de limitation des droits dans le domaine pénitentiaire,
leurs travaux étant devenus, sans exagération, des livres de chevet pour la réalisation de cette étude.
Toutefois, ils n'avaient pas pour objectif d'étudier la question spécifique de la limitation des droits des
détenus, en se focalisant pour l'essentiel sur la question de la justification de certaines restrictions et en
attachant beaucoup moins d'importance à la nature et aux traits caractéristiques de la norme de
limitation de ces droits en général.
7
Cf., par exemple: Falxa J., Le droit disciplinaire pénitentiaire: une approche européenne.
Analyse des systèmes anglo-gallois, espagnol et français à la lumière du droit européen des droits de
l’homme, Thèse, Pau, Université de Pau et des pays de l’Adour, 2014.
14

а) L’objectif de notre étude est différent. Nous nous proposions de rechercher les
acquis concernant la limitation des droits des détenus dans les pays susmentionnés avec des
objectifs concrets: 1) l’utilisation de l’information recueillie pour soutenir ou contester les
thèses de la présente étude qui n’ont pas de caractère comparatif; 2) l’étude du droit de divers
pays en vue de dégager des aspects positifs et négatifs dans les approches nationales à l'égard
de la restriction des droits dans les établissements pénitentiaires. Reprenant les expressions
des comparatistes connus, René David et John Brierley, nous utilisons la méthode
comparative pour faciliter la réalisation de nos propres objectifs spécifiques, sans prétendre
donc au titre de comparatiste qui "prépare le terrain" afin que d'autres juristes puissent user
avec profit de la méthode comparative dans leurs domaines d'intérêt8. D'autre part, nous
regardons l'étude de l'expérience des autres pays comme "l'équivalent de ce qu'est la méthode
expérimentale dans les sciences naturelles"9 et nous nous en servons pour la confirmation
"expérimentale" de telles ou telles conclusions dans le domaine juridique. Cela ne veut pas
dire que les informations recueillies par nous-mêmes ne pourraient pas être considérées par
elles-mêmes comme un acquis pour le droit de l'exécution des peines. Bien au contraire, elles
pourraient être utiles pour les études et les développements à venir en matière de droits des
détenus en Ukraine et dans d'autres pays10;

b) L’impossibilité d’une comparaison détaillée dans le cadre d’une seule thèse. Même
la comparaison de trois pays nécessite des volumes de travail assez importants11. L'on ne peut
que supposer les difficultés qui surgiraient en essayant de comparer en parallèle six pays ;
d'autant plus s'ils appartiennent à des systèmes juridiques différents. C'est ainsi qu'il serait peu
pertinent de comparer la norme de limitation des droits des détenus aux États-Unis, qui est
entièrement basée sur la jurisprudence, à la norme correspondante française qui est contenue
dans la législation et les sources doctrinales12. De plus, l’obstacle de langue se serait présenté
s’agissant du néerlandais, rendant une comparaison exhaustive impossible dans le cas des
Pays-Bas et aussi en partie pour la Belgique;

8
David R., Brierley J., Major Legal Systems in the World Today: An Introduction to the
Comparative Study of Law. 2nd ed., New York, The Free Press, 1978, p. 11.
9
David R., Le droit comparé, enseignement de culture générale, Revue internationale de droit
comparé, 1950, Vol. 2, n° 4, p. 684.
10
Les pays de l'espace post-soviétique présenteraient sur ce plan une perspective particulière,
sachant que les études qui y sont conduites en la matière (y compris l'Ukraine) sont assez modestes.
Une traduction en russe de cette thèse est donc envisagée.
11
Par exemple la thèse déjà citée de J. Falxa qui compare le droit pénitentiaire dans trois pays
compte 656 pages de texte (bibliographie et annexes non compris) et 3066 renvois.
12
Il s'agit, par exemple, de l'idée influente de la doctrine du droit pénitentiaire français selon
laquelle la personne détenue n'est privée que de la liberté d’aller et de venir.
15

c) L’absence d'un objet commun bien précis de comparaison. Cette raison découle de
la différence déjà évoquée entre les systèmes juridiques des pays à examiner. Tantôt la clause
limitative13 est fixée dans la loi, tantôt elle est totalement absente (États-Unis, Royaume Uni).
Le cas échéant, nous y utilisons la norme de proportionnalité développée par la jurisprudence
et qui se fonde sur l'équilibre entre les intérêts de l'individu et de la société. D'un autre côté,
les pays dont la loi pénitentiaire comporte la clause limitative (France, Belgique, Pays Bas)
attribuent une portée spéciale à la norme d’équilibre des droits et des intérêts publics
développée dans la jurisprudence de la CEDH. Le Canada fait exception, puisqu'il présente
des traits caractéristiques de ces deux groupes de pays: la clause limitative dans la loi et la
norme d’équilibre développée par la jurisprudence. C'est dire que la comparaison de leurs
normes serait probablement peu conséquente, étant donné qu'il s'agit de phénomènes
différents par leur nature juridique: les normes législatives et judiciaires.

Pour parvenir à nos objectifs, nous avons utilisé en outre une méthode difficile à
intituler et qui sera nommée ici à titre conventionnel comme "advocacy feedback". Il s'agit de
la possibilité d'évaluer la réaction de l'administration pénitentiaire et d'autres agences à nos
propositions d'introduire de meilleures normes des limitations des droits dans le domaine du
droit pénitentiaire. Cette évaluation a été utilisée pour formuler ou corriger nos conclusions.
En réalisant cette étude, nous avons eu la possibilité de travailler dans des organisations non
gouvernementales de défense des droits, de même que dans une organisation internationale
jouant le rôle de conseil stratégique pour le Gouvernement ukrainien. Dans le cadre de ce
travail, nous avons souvent élaboré des textes législatifs et réglementaires, ou plaidé pour leur
élaboration. Une partie importante de nos initiatives législatives portait sur la résolution du
problème des restrictions non fondées des droits des détenus en Ukraine, notamment à travers
la mise en place d'une norme de restrictions.

Nous nous sommes trouvés dans une situation curieuse: les observations et les
conclusions préliminaires, parfois non achevées, de cette étude devaient être appliquées
d'urgence pour mettre au point la politique et la pratique pénitentiaires. Une approche
prudente et pondérée était nécessaire pour aboutir aux dispositions législatives voulues. Des
défenseurs des droits, des théoriciens, des experts internationaux et des praticiens nationaux

13
Il est entendu par clause limitative dans cette thèse la partie de la norme du droit qui prévoit
les raisons, les conditions ou toutes autres indications concernant les possibilités et les modalités de la
limitation du droit subjectif de la personne. La clause limitative n'établit pas de restrictions mais fixe
seulement la possibilité de leur application par les autorités. De telles normes sont aussi qualifiées de
"normes de compétences", car elles créent pour l'État des pouvoirs afin d’appliquer des limitations
(Alexy R., A Theory of Constitutional Rights, translated by J. Rivers, New York, Oxford University
Press, 2004, p. 182).
16

nous aidaient par leurs remarques savantes à constituer une telle approche14. Leurs réactions
et leurs commentaires visant les règles du droit que nous proposions en matière de limitations
des droits eurent un effet notable sur l'avancement de la présente étude. Les prenant en
considération et prévoyant des difficultés pratiques dans la réalisation des droits, nous nous
sommes attachés à corriger nos idées tant dans la partie théorique générale de l'ouvrage que
dans les parties relatives aux normes internationales et à l'expérience d'autres pays.

Il convient, par ailleurs, de faire une importante remarque méthodologique. Notre


participation directe à l'élaboration des normes de limitation des droits des détenus au niveau
national ne pouvait pas ne pas déboucher sur des difficultés d’ordre méthodologique pendant
l’analyse de ces normes. Aussi admettons-nous que le chapitre consacré à l'évolution actuelle
des normes de limitation des droits des détenus en Ukraine est, dans une certaine mesure,
marqué par un défaut d'objectivité. Cependant, il nous a semblé que cette analyse présentait
un intérêt particulier, justifiant son incorporation dans la présente étude. En effet, l’exemple
ukrainien est démonstratif en tant qu’exemple des difficultes d’introduction des normes des
limitations des droits en contexte pénitentiaire dans un pays où de telles normes n’existaient
pas avant.

14
C'est ainsi que des discussions difficiles, mais constructives, en ce qui concerne la
correspondance des droits des détenus aux impératifs de la sécurité et du régime dans les
établissements pénitentiaires ont été engagées à l'occasion de l'examen de quelques-uns de nos projets
de loi dans le Service pénitentiaire d'État. Nous avons beaucoup apprécié notamment les observations
pratiques et détaillées du chef de la Direction du régime, de la surveillance et de la sécurité, I.M.
Ostrenko, concernant les propositions des projets relatives aux raisons et aux modalités de l'application
des restrictions aux droits pendant la détention provisoire et en période d'exécution de la peine. Nous
avons également trouvé utiles les discussions particulièrement ouvertes sur l’équilibre entre la
limitation des droits et la sécurité dans les établissements que nous avons eues avec les employés du
pénitentiaire à travers toute l'Ukraine.
Des observations précieuses ont été faites par les experts du projet du Conseil de l'Europe
"Soutien continu à la réforme pénitentiaire en Ukraine" qui ont rédigé leurs avis par écrit. Il convient
de citer notamment E. Svanidze, ancien membre du CPT et vice-ministre de la justice de la Géorgie en
charge des questions pénitentiaires, J. McGuckin, expert du Conseil de l'Europe et praticien
pénitentiaire irlandais. Outre ceci, beaucoup d'idées utiles proviennent des réunions du Sous-comité
parlementaire en charge des questions du Service pénitentiaire d'État, ainsi que des corrections
proposées à nos projets de loi en deuxième lecture. Ces observations ont été faites par des défenseurs
des droits, des fonctionnaires, l'ombudsman, des universitaires.
Un grand nombre d'observations relatives aux solutions que nous avions proposées pour
résoudre le problème de la limitation des droits des détenus ont été formulées par le Ministère de la
justice pendant la mise au point du Plan d'action pour la Stratégie nationale en matière de droits de
l'homme. Les activistes, défenseurs des droits, qui coopéraient avec nous exprimaient eux aussi de
nouvelles idées concernant nos problématiques. Voir plus de détail au chapitre 3.7 "L'Ukraine
(évolution actuelle de la législation en rapport avec la limitation des droits des détenus)".
17

Comme signalé plus tôt, les questions clés qui se posent concernent les limites tolérées
de rapprochement (et les limites des différences) entre les droits des détenus et ceux des
personnes libres.

Au début de notre étude, il était prévu d'examiner uniquement la question de la


limitation des droits des personnes condamnées seules, parce qu'une étude complémentaire
sur les limitations des droits des personnes placées en détention provisoire aurait présenté des
difficultés spécifiques et aurait dû, pour ce motif, faire l'objet d'un travail particulier. Or, nous
avons dû reconnaitre avec le temps que les approches existantes aux problèmes de limitation
des droits dans le domaine pénitentiaire concernaient aussi bien les condamnés que les
personnes placées en détention provisoire. Bien qu'un grand nombre de différences de fond
entre ces deux catégories de détenus justifie réellement la nécessité d'une étude spéciale de la
question des restrictions appliquées aux personnes en détention provisoire, notre avis est que
nos conclusions relatives aux personnes condamnées pourraient être mutatis mutandis
transposables aux restrictions frappant les personnes placées en détention provisoire.

La différence principale entre ces deux types de limitation des droits réside dans leur
nature juridique, qui découle de leurs objectifs respectifs. En fait, si les restrictions appliquées
aux condamnés constituent le contenu de la punition et obéissent aux objectifs de celle-ci, les
restrictions pratiquées sur les droits des personnes en détention provisoire obéissent aux buts
de la détention provisoire qui sont liés aux besoins de la justice et de l'enquête. En réalité, les
besoins de l'enquête et les modalités de la détention provisoire risquent souvent de causer
davantage de restrictions aux droits des personnes innocentes (en accord avec la présomption
d'innocence) que la punition ne cause de limitation des droits des condamnés, dont la
culpabilité a été prouvée15. Ceci est contraire à la logique puisque les limitations des droits
des personnes en détention provisoire ont beaucoup plus de raisons d'être moins sévères que
les limitations pour les condamnés.

15
Ceci est particulièrement caractéristique de l'Ukraine où les droits des personnes prévenues
sont limités de manière non proportionnelle. Cf.: Ashchenko O., Chovgan V., Ukrainian Penitentiary
Legislation in the Light of the Standards of the UN and Council of Europe Anti-torture Committees.
Preface by M. Hnatovsky. Ed. by E. Zakharov, Kharkiv: Prava ludyny, 2014, p. 59-65, disponible sur
http://library.khpg.org/files/docs/1413663931.pdf (accedé le 01.07.2017) ; Човган В. «Нагальні
проблеми застосування правообмежень до осіб, взятих під варту» // Дотримання прав людини у
пенітенціарній системі України / К. А. Автухов, А. П. Гель, М. В. Романов, В. О. Човган, І. С.
Яковець; за заг. ред. М. В. Романова; ГО «Харківська правозахисна група». — Харків: Права
людини, 2015. - С. 146-157. (Chovgan V. "Problèmes actuels d'application des limitations des droits
aux personnes prévenues", in Respect des droits de l'homme dans le système pénitentiaire de
l'Ukraine, K.A. Avtoukhov, A.P. Gel, M.V. Romanov, V.O. Chovgan, I.S. Iakovets; sous la dir. gén.
de M.V. Romanov; ONG "Groupe de défense des droits de Kharkiv", Kharkiv, Droits de l’Homme,
2015, p. 146-157.
18

Dans tous les cas, les restrictions concernant les deux catégories de personnes
obéissent aux exigences relatives aux limitations des droits des personnes libres, tout en ayant
leur propre spécificité, s'expliquant par le fait d'être incarcéré. Il s’agit notamment des buts de
prévention d’évasion, d’atteinte à l’ordre et à la sécurité.. Une attention particulière sera
donnée à l'éclaircissement de cette spécificité.

Les thèmes examinés sont en relation directe avec la question importante des limites
de la liberté individuelle et celles de la répression pénale de l'individu par l'État. S'agissant des
limites de la répression pénale, la doctrine nationale ukrainienne tend à reconnaître une valeur
incontestable au principe d'économie de la répression pénale. Ce principe se distingue, en
droit pénal, par deux composantes: une dimension d'application du droit ; une dimension
politique. La composante d'application consiste en ce que la peine appliquée au criminel par
la justice doit se réduire au strict minimum et les alternatives à l'emprisonnement doivent être
appliquées au maximum. La composante politique prévoit, autant que possible, la tendance à
l’humanisation de la politique de droit pénal, en particulier par la décriminalisation de la loi
pénale.

Ce principe n'est généralement pas appliqué au droit pénitentiaire. Son prolongement


dans le contexte pénitentiaire peut toutefois être observé dans le principe de minimalité qui se
trouve au cœur du principe de proportionnalité et prévoit la même exigence de réduction
autant que possible la répression par l'État, cette dernière étant appréhendée comme la
limitation des droits de l'homme. Le principe de minimisation des limitations des droits doit
donc être considéré comme le prolongement du principe d'économie de la répression pénale
de l'État.

L'inutilité de l'application par l'État de restrictions surabondantes a été remarquée il y a


longtemps.

C'est ainsi que J. Bentham s'interrogeait sur les privations auxquelles devaient être
soumises les personnes pendant leur séjour en prison. Il les regardait dans l'optique de la
nécessité d'atteindre les objectifs de la peine, tels que par exemple la réhabilitation. Une
attention particulière était accordée à la privation de "plaisirs" et à ce que des "privations" ou
des "douleurs"16 soient infligées pendant l'exécution de la peine. Le fait de frapper le détenu
doit être considéré comme causant de nouvelles "douleurs" qui empêcherait la personne
concernée de se concentrer sur le rapport de cette punition avec l'infraction pour laquelle elle

16
Parmi ces "privations" et "douleurs", l’auteur citait notamment la solitude, l'obscurité et les
limitations alimentaires.
19

avait été condamnée. D'autre part, l'effet pouvait être totalement contraire au but recherché de
la punition17. J. Bentham indiquait que les pénalités devraient se caractériser par la
"modération" ce qui nécessiterait de limiter les souffrances inutiles, c'est-à-dire ne pas les
rendre "plus grandes qu'il n'est nécessaire"18.

Les idées qui mettaient en doute le bien-fondé de certaines limitations des droits des
détenus préoccupaient aussi l'un des pères des réformes pénitentiaires au plan international, E.
Wines, commissaire américain, Président de la Commission pénitentiaire internationale qui
organisa à Londres le premier congrès international sur la discipline pénitentiaire (1872), puis
un autre congrès à Stockholm (1878). En décrivant les systèmes pénitentiaires nationaux, il
prêta une attention particulière aux limitations des droits à la correspondance, aux contacts
avec le monde extérieur, et au droit de recevoir et de lire des livres. Bien qu'il n'ait pas élaboré
de normes universelles qui pourraient être utilisées par la suite pour justifier les limitations
des droits, des idées étaient déjà énoncées à l'époque pour préciser les fondements de la
rationalisation de telles limitations. Ce faisant nous prenons en compte les aspects
psychologiques de la perception des restrictions par les détenus, la justification de celles-ci
par les besoins de la sécurité et les problèmes de réintégration dans la société après la
libération.

Wines a, par exemple, affirmé que la limitation de la correspondance et des contacts


des détenus en dehors des parents et des amis pouvait être considérée normalement comme
une restriction raisonnable19. Il a remarqué que la question des limitations de la
correspondance et des visites aux détenus avait été posée lors du Congrès pénitentiaire de
Londres lorsqu’il avait statué sur le fait que ces limitations devraient être modérées (ou
adéquates), car la correspondance et les visites exercent une influence morale positive sur les
détenus. E. Wines insistait justement sur la difficulté de définir ce que sont les restrictions
"adéquates". S'il n'y avait pas de problèmes quant à la nécessité de vérifier la correspondance

17
Bentham J., Principles of penal law. Book II., The works of Jeremy Bentham, now first
collected: under the superintendence of His Executor, John Bowring, Edinburgh, William Tait, 78
Prince’s Street, 1838, р. 424-429.
18
Easton S., Prisoners' Rights: Principles and Practice, New York, Routledge, 2011, p. 6;
Бентам И. Введение в основания нравственности и законодательства. – М.: Российская
политическая энциклопедия, 1998. – С. 231-241.: Цит. за: Тепляшин П.В. Истоки и развитие
английского тюрьмоведения: Монография. – Красноярск: Сибирский юридический институт
МВД России. 2005. – С. 69. (Bentham J., An Introduction to the Principles of Moral and Legislation,
Moscou, Encyclopédie politique russe, 1998, p. 231-241, cité dans Tepliachine P.V., Sources et
développement de la sicence pénitentiaore anglaise. Monographie, Krasnoïarsk, Institut juridique
sibérien du Ministère de l'Intérieur de la Russie, 2005, p. 69).
19
Wines E.C., The State of Prisons and of Child-saving Institutions in the Civilized World,
Cambridge, Harvard University Press, 1880, p. 336.
20

entrante et sortante des détenus et quant à ce que les visites devaient être limitées au public
possédant les gages de bonne moralité, l’intensité de ces limitations apparaissait comme un
"point de difficulté"20. Ceci n'empêcha pourtant pas de mettre au point des points de repère
pour une telle justification.

E. Wines indiquait que les périodes entre les visites autorisées qui varient de un à trois
mois ("périodes d'accalmie") étaient néfastes pour les détenus et le sens (compréhension) du
bien qu’ils pouvaient avoir encore conservé. Aussi justifiait-il l'idée que les épouses, les
mères, les sœurs et les enfants des détenus devaient pouvoir communiquer avec ceux-ci au
moyen de lettres ou de visites aussi souvent qu'ils le souhaitaient. La question suivante était
donc posée: "Est-il vraiment raisonnable, est-il absolument dans l'intérêt de la société
d’empêcher les détenus d’avoir la possibilité de prendre profondément conscience de la honte,
de la peine et des souffrances que les crimes qu'ils ont commis ont fait subir aux gens qui leur
sont les plus chers ou d'affaiblir sinon rompre les liens qui, s'ils avaient été maintenus,
auraient pu aider à leurs retour dans la société et stimuler leur désir d’y retourner?" 21. La
réponse était que l'interdiction de la communication visait à alourdir les souffrances des
détenus, mais dans la plupart des cas elle s'avérait être plutôt un soulagement pour ces
derniers pour avoir évité la réprobation morale de la part de leur proches, car souvent c'était
en fait une punition tant pour les parents affectueux et attentifs, que pour les détenus eux-
mêmes22. Cette idée est toujours d’actualité, parce que la justification des limitations des
droits des détenus est rarement regardée à travers le prisme des parents que ces limitations
affectent "par ricochet" entrainant une sorte de pénalité parallèle, essentiellement pour les
femmes et leurs enfants23.

Beaucoup d'idées citées d'E. Wines ont été trouvées dans les présentations faites au
cours du premier congrès pénitentiaire. La question de l'utilité de certaines restrictions aux
droits des détenus a souvent été posée aussi bien lors de ce congrès qu'à l'occasion d'autres
congrès pénitentiaires internationaux. Toutefois, la question du bien-fondé des restrictions ne
bénéficiait pas à l'époque d'une attention spéciale. Il y était cependant discuté, de temps à
autre, de façon parcelaire du bien-fondé des limitations de certains droits qui étaient
pratiquées dans les prisons de l'époque et concernaient la correspondance et les visites.

20
Wines E.C., Ibid, p. 638.
21
Ibid.
22
Ibid.
23
Granja R., Beyond prison walls: The experiences of prisoners’ relatives and meanings
associated with imprisonment, Probation Journal, 2016, Vol. 63 (3), p. 288.
21

Les questionnaires qui avaient été envoyés au préalable aux gouvernements des pays
participant au Premier congrès de Londres comportaient des points concernant directement
l'étendue et le bien-fondé des restrictions. Des questions étaient posées par exemple sur les
pratiques de ces pays: à quelle fréquence les détenus sont-ils autorisés à écrire et à recevoir
des lettres? Sont-ils autorisés à recevoir des visites d'amis? Comment sont réglementées les
visites ? Les entretiens sont-ils écoutés par le personnel de la prison ou celui-ci ne peut-il
qu'observer sans intervenir dans ce qui est privé?24 Il est intéressant de constater que
quasiment tous les pays participants constataient l'impact positif des contacts avec le monde
extérieur sur les détenus.

Le rapport du Congrès de Londres comporte par ailleurs des observations concernant


les restrictions proprement dites. C'est ainsi que la représentante de l'Angleterre, Mme
Carpenter, indiquait que la sécurité de la société était essentielle, que plus sécurisé était le lieu
de détention, moins grand était le besoin de soumettre le détenu à des restrictions
assommantes et de lui rappeler constamment sa situation25. L'inspecteur pénitentiaire belge
M. Stevens soutenait que la "réhabilitation juridique" des détenus pourrait être effective en
libérant le détenu de toutes les restrictions, à l'exception de celles auxquelles sont soumis les
citoyens libres. La privation des droits politiques du fait de l'emprisonnement, par exemple,
signifie charger le détenu d'un nouveau fardeau alors qu'il aurait déjà eu des problèmes avec
le rétablissement de son statut26.

Le Congrès pénitentiaire de Paris donna lieu à des discussions animées sur la question
de l'acceptabilité d'une privation de liberté qui n'obligerait pas au travail. La majorité des
délégués excluait cette éventualité malgré quelques voix d'opposition. Dans le même temps,
les particularités auxquelles devrait répondre le travail des détenus étaient précisées. L'idéal
serait de donner aux détenus des occupations adaptées à leurs capacités et qui pourraient leur
servir après la libération. Si le travail présentait ces caractéristiques, la question de son
caractère obligatoire ne serait plus de mise27.

De véritables débats s'étaient engagés autour du droit des détenus à un salaire. Une
discussion complémentaire portait sur la question de savoir si les détenus avaient droit à une

24
International Congress on the Prevention and Repression of Crime, Penal and Reformatory
Treatment: Preliminary Report of the Comissioner, Washington, Government Printing Office, 1872, p.
13-15.
25
Report on the International Penitentiary Congress of London, held July 3-13, 1872. By E.C.
Wines, US Commissioner, Washington, Government Printing Office, 1873, p. 352.
26
Ibid, p. 148.
27
5ème Congrès pénitentiaire international. Paris-1895, Melun: Imprimerie Administrative,
1897, p. 29.
22

récompense pour leur travail. La section qui étudiait cette question présenta à l'Assemblée
générale du Congrès une proposition de résolution affirmant que les détenus ne bénéficient
pas du droit au salaire, mais que les autorités disposent des pouvoirs discrétionnaires pour les
encourager sous forme de récompense correspondant à leurs mérites individuels28. La
motivation principale de la contestation du droit au salaire résidait en ce que les détenus ne
pouvaient pas être comparés aux citoyens libres et "honnêtes" au plan de la rémunération du
travail et, de plus, en ce que l'État devait affecter des ressources pour les garder, les vêtir et les
nourrir. La seule voix divergente appartenait à Mme. Pognon, une journaliste et oratrice
française, qui défendait la position selon laquelle les détenus ont droit au salaire. L'un de ses
arguments essentiels se résumait à ce que le fait de laisser la récompense pour le travail à la
discrétion des autorités conduirait à des abus. Un autre de ses arguments s’attachait au fait que
la possibilité de recevoir une telle récompense pourrait dépendre du respect de la discipline
pénitentiaire alors qu'un détenu peut être en conflit avec la discipline tout en travaillant bien.
D'un autre côté, cette spécialiste admettait comme chose rationnelle le fait qu’on ne devrait
payer aux détenus qu'une partie de leur salaire pour compenser les frais de leur entretien29.

Dans l'ensemble, en discutant de la question du bien-fondé de la limitation (ou, pour


être plus précis de la privation) du droit au salaire, les rapporteurs se référaient à des
arguments philosophiques (question de l'équité), juridiques (abus éventuel des pouvoirs) et
économiques (indemnisation du coût du séjour à l'établissement pénitentiaire). De tels
arguments sont aussi avancés pendant les discussions sur les limitations des droits imposées
aux détenus qui ont lieu de nos jours.

Les questions relatives aux marges des limitations du droit au travail ont également été
soulevées à d'autres congrès. C'est ainsi qu'au Congrès de Budapest (1905), les délégués ont
tenu des propos positifs pendant la discussion et ont voté par une réponse affirmative à la
question de savoir si des indemnités devaient être versées aux détenus ou aux membres de
leur famille au cas où un incident mettant en danger leur santé se produirait pendant le travail
en prison30. Bien plus, les pays où de telles indemnités étaient prévues pour les personnes
libres devraient se munir d'une loi réglementant le droit des personnes détenues à ces
indemnités31.

28
Ibid, p. 33.
29
Ibid, р. 31-35.
30
Actes du Congrès pénitentiaire international de Budapest. Septembre 1905, Procès-verbaux
des séances, Volume I. Publiés sous la direction de J. Rickl de Bellye par Dr. Guillaume, Budapest et
Berne, Imprimerie Stampfli & Cie., 1907, p. 160-173.
31
Ibid, p. 172.
23

Le Congrès de Rome (1885) soulevait une question plus globale concernant la


compatibilité de la pénalité sous forme d'interdiction à disposer des droits civils et politiques
avec l'orientation du système pénitentiaire vers la réhabilitation. La plupart des participants
étaient d'accord avec cette compatibilité : la privation de certains droits (droit de vote
notamment) étant tout à fait justifiée et compatible avec la réhabilitation de la personne32. Les
délégués opposés affirmaient que cette question prêtait à discussion, car la privation d'un droit
donne une mauvaise leçon de morale et, qui plus est, au lieu d'unir le détenu à la société, elle
l’éloigne encore plus de celle-ci. Le professeur Pols, présidant l'une des sessions du Congrès,
disait qu'en privant le détenu d'un droit, la société porte un coup non seulement à son
encontre, mais aussi à l'intérêt social que ce droit vise à garantir. Il était d'avis qu'il ne faut pas
limiter les droits pour causer des souffrances, mais uniquement dans un but préventif. C'est-à-
dire que la restriction n'était, selon lui, admissible que lorsque l'exercice du droit concerné
risquait de nuire à l'intérêt qu'il était censé servir. Il s'ensuivait que l'application d'une
restriction devait être soumise à la discrétion du juge en tant que pénalité supplémentaire,
contrairement à l'application automatique en tant que pénalité obligatoire33. La position
commune resta cependant inchangée.

Curieusement, l’année précédente, au cours du Congrès de Stockholm, les délégués


qui discutaient de cette question dans le contexte de la Suède, penchaient plutôt pour une idée
différente: la privation de droits en tant que pénalité, surtout après la sortie de prison, exerçait
une influence négative sur la réinsertion de l'individu34. Toutefois ce congrès ne put donner
une réponse nette à la question de l'utilité de la limitation (de la privation) de certains droits.

Les documents issus des congrès illustrent bien les germes de la discussion relative à
la rationalité de certaines limitations de droits. Or le problème du bien-fondé des limitations
des droits ne surgissait pas de manière systémique, mais au regard d’aspects particuliers de la
vie pénitentiaire. Il s'agissait des aspects considérés comme étant les plus controversés en
pratique (ils le sont toujours) alors que beaucoup d'autres n'étaient pas pris en compte.

La nature des arguments avancés au cours de ces congrès à propos des limitations des
droits reste également toujours d’actualité. Le droit, la philosophie et l'économie restent
toujours à l'heure actuelle des espaces de débats sur le bien-fondé des restrictions. Il est vrai

32
Actes du Congrès pénitentiaire international de Rome. Novembre 1885. Tome Premier,
Rome, Imprimerie des “Mantellate”, 1887, p. 61-86.
33
Ibid, p. 65-66.
34
Le Congrès pénitentiaire international de Stockholm. 15-26 Août 1878. Comptes-Rendus des
séances, Publies sous la Direction de la Commission pénitentiaire internationale par le Dr. Guillaume,
Stockholm, Bureau de la Commission penitentiaire internationale, 1879, p. 489-499.
24

que l'aspect de la sécurité et de la protection de la société acquiert actuellement un rôle


essentiel, sinon déterminant, en devenant un critère toujours plus important de la justification
des limitations pénitentiaires.

Une approche intégrale vis-à-vis des limitations des droits des détenus ne se retrouve
donc pas au XIXème siècle, comme nous n'y voyons pas de discours clairs au sujet des droits
de l'homme dans le contexte pénitentiaire.

Pourtant, dès cette époque-là, germait la doctrine de la proportionnalité qui n'admettait


pas de limitations exagérées et superflues et qui devait acquérir, un siècle plus tard, une
importance particulière dans la justification de telles limitations des droits. C'est l'Allemagne
qui est considérée comme la patrie de la proportionnalité, parce que dès la seconde moitié du
XIXème siècle, les juges administratifs y pesaient la nécessité de telles ou telles mesures
appliquées par la police dans des cas concrets. Les mesures prises ne devaient pas excéder le
niveau nécessaire pour atteindre leur but. Le principe de proportionnalité occupait déjà une
place sûre dans le droit administratif allemand35. F. Fleiner décrivait métaphoriquement le
contenu de ce principe: "La police ne doit pas tirer sur les moineaux au canon" 36. Cependant,
les discussions concernant la proportionnalité des limitations des droits s'arrêtaient alors à la
porte de la prison, bien que, comme cela a été signalé, le débat sur le caractère exagéré de
certaines restrictions fût déjà entamé.

Par ailleurs, la question de la proportionnalité était discutée par tradition dans un autre
domaine, le droit pénal. Dans le cadre de la discussion sur la proportionnalité du crime et de
la punition, les scientifiques abordaient la question des limites de la répression pénale de
l'individu par l'État. L'établissement de la proportionnalité était une tâche difficile que l'on
essayait souvent de résoudre dans le cadre de la théorie du châtiment. Les moyens les plus
divers étaient proposés37. Il y avait même un procédé mathématique qui prévoyait que
"l'offense" (l’infraction) et le châtiment (la punition) pouvaient être mesurés et corrélés en
valeurs mathématiques, le châtiment devant avoir la même valeur mesurable que "l'offense"38.

35
Mathews J., Stone Sweet A., Proportionality Balancing and Global Constitutionalism,
Columbia Journal of Transnational Law, 2009, n°. 47, p. 98-101.
36
Fleiner F., Institutionen des deutschen Verwaltungsrechts, Tübingen: 8. neubearbeiteten
Auflage, 1928, p. 404, cité dans Barak A., Proportionality: Constitutional Rights and their Limitations,
Cambridge, Cambridge University Press, 2012, p. 179).
37
Фойницкий И.Я. Учение о наказании в связи с тюрьмоведением. – Санкт-Петербург:
Типография министерства путей сообщенія, 1889. - С. 17-24. (Foynitski I.Ia., La pénologie en
rapport avec la science pénitentiaire, Saint-Pétersbourg, Imprimerie du Ministère des voies de
communication, 1889, p. 17-24).
38
Ibid, p. 17-18.
25

Cet établissement de la proportionnalité comprenait non seulement l'estimation de la


durée admissible et du type de pénalité, mais aussi la définition des composantes possibles de
son contenu: privations et restrictions applicables par l'État39 et le contenu de ces dernières40.
Il est évident que les discussions sur la proportionnalité de la pénalité ont touché, ne serait-ce
qu'accessoirement, les restrictions pendant l'exécution de la peine étant donné que le contenu
de la pénalité résidait justement dans les restrictions.

Pourtant, en tant que telles, les limitations des droits des détenus ne firent l'objet
d'attentions particulières ni au XIXème siècle ni même au début du XXème siècle. Ce n'est
que la période de la Seconde guerre mondiale qui obligea à regarder plus près les droits des
détenus41, bien que les premières initiatives importantes soient apparues au lendemain de la
Première guerre mondiale42. Une défense active du maintien des droits de la personne, malgré
son emprisonnement, commença au niveau international et aux niveaux nationaux. Bien que
de telles idées aient été avancées déjà auparavant43, le début d'un débat sérieux sur le maintien
des droits des détenus devrait être situé dans l'après-guerre.

La Déclaration universelle des droits de l'homme dispose, dans son article 29, que
"Dans l'exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n'est soumis qu'aux
limitations établies par la loi exclusivement en vue d'assurer la reconnaissance et le respect
des droits et libertés d'autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l'ordre
public et du bien-être général dans une société démocratique". Cette norme visait aussi bien
les personnes libres que les détenus. L'expression "chacun" ne laissait aucune possibilité de
distinguer un groupe de personnes dont l'exercice des droits peut être limité autrement que
pour les motifs cités. D'un autre côté, l'application d'une même norme de limitations aux

39
«Границы карательной деятельности (государства)» // Таганцев Н.С. Русское уголовное
право. Лекции. Часть общая. Томь І. Изд. Второе, пересмотренное и дополненное. – СПб: Гос.
Тип., 1902. - С. 598-622. (Cf. par exemple chapitre "Limites de l'action répressive (de l'État), in
Tagantsev N.S., Droit pénal russe. Conférences. Généralités., T. I. 2e éd. Revue et complétée, Saint-
Pétersbourg, Gos. Typ. 1902, p. 598-622).
40
A. Lokhvitski nomme l'une des deux "grandes questions pour le législateur en fixant les
peines" la question de savoir en quoi doit consister la peine, les souffrances qui sont infligées pour le
crime (Курсъ Русскаго уголовнаго права. Соч. А. Лохвицкого. – СПб.: Типографія
правительствующаго сената, 1867. – С. 41. / Cours du droit pénal russe par A. Lokhvitski, Saint-
Pétersbourg, Imprimerie du Sénat gouvernant, 1867, p. 41).
41
Abels D., Prisoners of the International Community: The Legal Position of Persons Detained
at International Criminal Tribunals, The Hague, Asser Press, 2012, p. 15.
42
Les normes correspondantes ont été adoptées dès 1934 par la Société des Nations (Abels D.
Ibid).
43
L'arrêt de la Cour suprême US de 1892 soutenait que les détenus continuaient à bénéficier des
droits fixés dans la Constitution et les lois des États-Unis. Tout en disposant du plein droit d'incarcérer
de telles personnes, l'État doit aussi les protéger (Logan v. United States. Opinion of the court
delivered by Mr. Justice Gray, 144 U.S. 263 (12 S.Ct. 617, 36 L.Ed. 429).
26

personnes libres et aux détenus se heurtait à des difficultés objectives dès le début. L'exigence
d'isolement des détenus excluait à l'évidence l'application des mêmes restrictions en liberté et
en prison. De plus, l'étendue de leurs droits respectifs différait à tel point qu'il était difficile de
spéculer pour concilier, d’une part, les déclarations sur l'unification de la norme de limitation
des droits et l'égalité des droits et, d’autre part, les réalités des établissements pénitentiaires.

De ce fait, l'article 29 de la Déclaration universelle acquérait une valeur effective pour


les prisons par la voie d'adoption des Règles minima des Nations Unis pour le traitement des
détenus. Ces Règles ne fixaient pas de normes spéciales contenant celles des limitations, mais
elles donnaient des références générales en rapport direct avec la justification des limitations
dans les prisons. Un principe important, contenu dans la disposition, précise que
l'emprisonnement est afflictif par le fait même qu'il dépouille l'individu du droit de disposer
de sa personne en la privant de sa liberté, le système pénitentiaire ne devant donc pas aggraver
les souffrances inhérentes à une telle situation (par. 57). Le paragraphe 27 considérait que
l'ordre et la discipline doivent être maintenus avec fermeté, mais sans apporter plus de
restrictions qu'il n'est nécessaire pour le maintien de la sécurité et d'une vie communautaire
bien organisée. Nous observons, dans cette disposition, le principe de proportionnalité selon
lequel il est inadmissible d'appliquer des limitations non justifiées par des objectifs rationnels.
Toutefois, cette règle ne permet à l’évidence pas de conclure que les limitations doivent être
minimales ou proportionnelles. C'est pourquoi l'on ne saurait parler de la consécration
intégrale du principe de proportionnalité des limitations applicables aux détenus dans les
"Règles minima" ou de l'influence directe de la Déclaration universelle sur la mise au point de
la norme des droits des détenus.

Par la suite, le Pacte international relatifs aux droits civils et politiques mentionnait le
caractère spécifique du système pénitentiaire sans formuler toutefois d’exigences spéciales
pour les limitations des droits. Le Pacte indique notamment au 3e alinéa de l'article 10, que "le
régime pénitentiaire comporte un traitement des condamnés dont le but essentiel est leur
amendement et leur reclassement social". Or, l'interprétation officielle de cet article démontre
son rôle essentiel dans l'élaboration de la norme de limitation des droits.

Conformément au par. 3 du Commentaire général à l'article 10 du Pacte, préparé par le


Comité des droits de l'homme de l'ONU, les personnes privées de leur liberté, non seulement,
ne peuvent être soumises à un traitement contraire à l’article 7 (la torture, des peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants), mais encore, ne doivent pas subir de privation
27

ou de contrainte autres que celles qui sont inhérentes à la privation de liberté44.


L'interprétation selon laquelle l'article 10 du Pacte prévoit des exigences applicables aux
limitations des droits des détenus fut retenues par la suite par les organismes quasi-judiciaires
de l'ONU comme le Comité des droits de l’homme. Plus tard, cette approche vis-à-vis des
limitations s’est reflétée dans le droit mou (soft law) de l'ONU.

La Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés


fondamentales a, quant à elle, précisé celles de ses dispositions qui admettaient des limitations
des droits, sous réserve du respect de la proportionnalité (art. 8, 9, 10, 11). Sa structure est
plus concrète, car presque chaque droit qu'elle consacre s'accompagne d'une norme relative à
la possibilité et aux raisons des exceptions de ce droit, c'est-à-dire aux raisons permettant de
limiter des droits. Ceci étant, la Convention ne contient pas non plus de normes spécifiques
concernant les limitations des droits des détenus45.

Dans le même temps, le facteur objectif de privation de liberté ne pouvait pas être
ignoré en appliquant la norme des limitations. C'est peut-être pour cette raison que la première
jurisprudence de la Commission européenne, organe qui existait avant la création d’une Cour
européenne permanente, priva pratiquement les détenus de la protection égale par la
Convention. L'argument formel s'appuyait sur le fait que le détenu est soumis, de par son
statut, aux limitations dites inévitables en prison. La raison véritable de cette jurisprudence
venait des craintes que l'arbitre de Strasbourg ne puisse venir à bout du grand nombre
d'affaires des détenus, qui représentaient alors près de 60 % de toutes les affaires46. Ce n'est
que 20 ans après, dans l'affaire Golder c. le Royaume Uni47, que la Commission changea son
approche48 pour reconnaître que les droits des détenus devaient être soumis aux mêmes
exigences concernant les limitations que ceux des personnes libres. Notons que l'idée des

44
General Comment No. 21: Replaces general comment 9 concerning humane treatment of
persons deprived of liberty (Art. 10): 10.04.1992. CCPR General Comment No. 21. (General
Comments) Forty-fourth session, 1992 , disponible sur :
http://tbinternet.ohchr.org/_layouts/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=INT%2fCCPR%2f
GEC%2f4731&Lang=en (accedé le 26.07. 2016).
45
Une sorte d'exception est fournie à l'article 4 de la Convention prévoyant que tout travail
requis normalement d'une personne soumise à la détention dans les conditions prévues par l'article 5
de la Convention n'est pas considéré comme interdit, forcé ou obligatoire. Cf. decisions de la CEDH:
Stummer c. Austriche (GC) (07.07.2011, nº 37452/02), Van Droogenbroeck c. Belgique (nº 7906/77,
24.06.1982), Floroiu c. Roumanie (nº 15303/10, 12.03.2013).
46
Jacq C. Vers un droit commun de la sanction – l’incidence de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme, Thèse de doctorat en droit, Université de Paris-Sud, 1989, р. 348-
349.
47
Golder c. Royaume-Uni § 44 (nº 4451/70, 21.02.1975).
48
Une analyse historique plus détaillée voir in Jacq C., Ibid, spéc. р. 348-349.
28

"limitations inévitables" est utilisée et est assez populaire aujourd'hui, bien qu'ayant changé de
contenu49. Elle fera l'objet de notre critique dans ce travail.

La décision rendue dans l'affaire Golder marque le début d'un développement actif du
droit jurisprudentiel de la CEDH à l'égard des droits des détenus. La norme de limitation de
ces droits commence à être développé. Les décisions dans les affaires Campbell et Fell50
(limitation de la correspondance et des visites, régime disciplinaire), Hirst51 (limitation du
droit de vote des détenus) et Dickson52 (limitation du droit à la procréation) serviront de base
au développement de cette norme. Ces décisions représentent une tentative de recours à la
même norme de limitation que pour les personnes libres. Toutefois, dans la décision Golder, la
Cour admettait déjà l'application aux détenus de limitations plus importantes que pour les
personnes libres53. Dans la présente recherche, nous montrerons qu'avec l'évolution de la
jurisprudence, la norme n’a pu échapper à certaines spécificités, ce en lien avec la situation
particulière de la personne privée de liberté.

L'accent sur la nécessité d'appliquer le principe de proportionnalité dans le domaine


pénitentiaire a été reprise dans la règle 3 des Règles pénitentiaires européennes de 2006. Pour
la première fois, un texte de droit international consacrait la norme de la proportionnalité des
limitations des droits dans le contexte pénitentiaire. Il était notamment précisé au par. 3 que
les restrictions imposées aux personnes privées de liberté devaient être réduites au strict
nécessaire et être proportionnelles aux objectifs légitimes pour lesquelles elles avaient été
imposées. La version précédente des règles de 1987 comportait des dispositions qui
rappelaient quelque peu les Règles minima pour le traitement des détenus et recommandaient

49
Si l'idée des "limitations inévitables" était utilisée à l'époque pour justifier une protection plus
faible des droits, elle fut utilisée avec le temps pour assurer une protection plus forte des droits. Les
normes internationales précisent notamment que les détenus ne doivent pas être soumis à des
limitations autres que celles qui "sont inhérentes" à l'emprisonnement. Voir nos observations critiques:
Chovgan V. Le principe des limitations inhérentes à la détention: la valeur incertaine des Règles
Mandela, Actualité juridique pénale, 2015, n° 12, p. 576-578; Човган В.О. Стандарт
«правообмежень обумовлених ізоляцією» // Дотримання прав людини у пенітенціарній системі
України / К. А. Автухов, А. П. Гель, М. В. Романов, В. О. Човган, І. С. Яковець; за заг. ред. М.
В. Романова; ГО «Харківська правозахисна група». — Харків: Права людини, 2015. - С. 146-
157. (Chovgan V.O., La norme de "limitation des droits inhérentes à l'incarcération", in Respect des
droits de l'homme dans le système pénitentiaire de l'Ukraine/K.A. Avtoukhov, A.P. Gel, M.V.
Romanov, V.O. Chovgan, I.S. Iakovets, sous la dir. Gén. de M.V. Romanov. ONG "Groupe de
défense des droits de Kharkiv", Kharkiv: Droits de l'homme, 2015, p. 146-157).
50
Campbell et Fell c. Royaume-Uni (nº 7819/77, 28.06.1984).
51
Hirst c. Royaume-Uni (No. 2) (GC) (nº 74025/01, 06.10.2005)
52
Dickson c. Royaume-Uni (GC) (nº 44362/04, 02.12.2007).
53
Golder, Ibid, § 45.
29

d'appliquer des limitations minimales54, sans formuler cependant une norme générale qui
s'appliquerait à tous les droits sans exception. Les Règles de 2006 fixent une approche
générale vis-à-vis des limitations appliquées à toutes les personnes privées de liberté et
surpassent même leur texte-mère: la Convention européenne, et la jurisprudence de la CEDH.
La règle 3, déjà citée, recommande le recours au principe de proportionnalité s’agissant de
toutes les limitations des droits appliquées aux détenus, alors que la Convention ne consacre
ce principe que pour les droits qu'elle cite elle-même55.

Ainsi les Règles européennes pénitentiaires jetaient-elles, à travers la règle 3, les bases
pour le développement d'une théorie spéciale des limitations des droits des personnes
incarcérées. Toutefois, nous n’avons pas pu constater un grand intérêt pour cette question dans
les textes sur le droit international. Nous voyons plutôt que des décisions de la CEDH
relatives aux limitations des droits des détenus font l'objet de discussions animées et
provoquent un retentissement tant dans les milieux académiques que dans l'ensemble de la
société, certaines d'entre elles mettant en question l'existence de la Cour européenne sous sa
forme actuelle56.

Malgré le fait que la théorie des limitations des droits des détenus ait évolué en
parallèle avec l'élaboration des normes susmentionnées, nous n’avons pas pu trouver un seul
ouvrage qui soit consacré totalement à la limitation des droits des détenus. Des exceptions
partielles se trouvent dans les travaux traitant des droits des personnes détenues. Ceux-ci ne
visent cependant pas une analyse détaillée des limitations des droits. Ces ouvrages peuvent se
concentrer sur la justifications des limitations de certains droits (droit de vote ou droit aux
visites) en ne prêtant que peu d'attention à la théorie générale de ces limitations. Les tentatives
de dégager des traits généraux dans la justification des limitations dans l'environnement

54
Le paragraphe 64 des Règles de 1987 énonçait par exemple que "l'emprisonnement de par la
privation de liberté est une punition en tant que telle. Les conditions de détention et le régime
pénitentiaire ne doivent donc pas aggraver la souffrance ainsi causée, sauf si la ségrégation ou le
maintien de la discipline le justifie".
55
Exception faite des droits absolus non soumis à aucune limitation: la protection du droit à la
vie (art. 2), le droit à ne pas 'être soumis à la torture (art. 3) et à ne pas être esclavé ou forcé de
travailler (art. 4).
56
La décision dans l'affaire Hirst relative à l'inadmissibilité du retrait automatique des droits
électoraux actif a eu un fort retentissement dans la société britannique. Les autorités de l'État ont
refusé de la respecter. Cependant, la Cour européenne continue de rendre des décisions-clones. C'est
ainsi que dans sa décision dans l'affaire McHugh (McHugh et autres c. Royaume-Uni (nº 51987/08,
10.02.2015) la Cour a constaté la violation de l'article 3 du Protocole 1 à la Convention à l'égard de
plus d'un millier de détenus. Refusant d'appliquer les décisions concernées, les politiques britanniques
ont exprimé à maintes reprises le souhait de se soustraire à la juridiction de la CEDH (ce qui a
contribué au discours du "Brexit"). Des avis se sont fait entendre sur le fait que le retrait du Royaume
Uni de la juridiction de la CEDH risquerait de créer un précédent dangereux pour d'autres pays qui ne
voudraient pas appliquer certaines décisions "incommodantes" de la Cour.
30

pénitentiaire et d'en analyser la nature juridique revêtent un caractère fragmentaire, le nombre


de ces ouvrages n'étant pas important.

Parmi les ouvrages soviétiques, la thèse de V.I. Seliverstov mérite d'être citée57. Les
limitations des droits y sont analysées dans l'optique du statut juridique des personnes
incarcérées. L'auteur s'interroge sur la nature juridique de la limitation de ces droits, sur le
sens attribué aux droits et aux obligations dites "spécifiques" et à la correspondance de ceux-
ci avec les droits et obligations des personnes libres, ainsi que sur leurs sources (loi ou texte
réglementaire, sachant que l’incarcération est appréhendée en tant que cause de limitations),
etc. Ces aspects théoriques étaient débattus spécialement par d'autres spécialistes
soviétiques58.

À l'époque soviétique, les limitations des droits des détenus étaient souvent analysées
à travers le prisme de la punition. Qu'est-ce que la punition? Quelles en sont les limites?
Quelles limitations sont justifiées par la punition et quelles sont celles qui ne le sont pas? Ces
questions étaient caractéristiques de beaucoup d'ouvrages de l'époque. Leur bilan détaillé et
leur importance pour le processus d'exécution de la peine ont été analysés par A.F.
Stepaniouk59.

Les ouvrages ukrainiens et russes de la période post-soviétique ne s’écartaient pas


sensiblement des marges fixées à l'époque soviétique sur la question de la limitation des droits
des détenus. Nous sommes d'avis que cela résultait de l'insuffisance (sinon de l'absence) de
tentatives d'analyse de ce problème dans les systèmes pénitentiaires étrangers. Un rôle
particulier dans le développement de ce problème aurait pu être joué notamment par l'étude de

57
Селиверстов В.И. Теоретические проблемы правового положения лиц, отбывающих
наказание. – М.: Акад. МВД РФ, 1992. (Seliverstov V.I., Problèmes théoriques de la situation
juridique des personnes purgeant une peine, Moscou, Akad. MVD de FR, 1992). Bien que la thèse ait
été soutenue en 1992, son contenu et ses sources indiquent qu'une partie importante de sa préparation
datait d'avant la désintégration de l'Union Soviétique.
58
Voir par. ex. Иоффе О.С. Гражданско-правовое положение заключенных в
исправительно-трудовых учреждениях. – М., 1959; (Cf. Ioffe O.S., Droits civils des détenus dans
les établissements pénitentiaires, Moscou, 1959) ; Беляев А.А. Правовое положение осужденных к
лишению свободы. - Горький: Горьковская высшая школа МВД СССР, 1976 (Beliaev A.A.,
Situation juridique des personnes condamnées à la privation de liberté, Gorki, Ecole supérieure du MI
de l'URSS, 1976) ; Наташев А.Е., Стручков Н.А. Основы теории исправительно-трудового
права. – М., 1967 (Natachev A.E., Principes de la théorie du droit correctionnel, Moscou, 1967) ;
Стручков Н.А. Курс исправительно-трудового права. Проблемы общей части. – М.: Юрид. лит.,
1984 (Stroutchkov N.A., Cours du droit correctionnel. Problèmes de la partie générale, Moscou,
Iourid. Lit., 1984) ; Сундуров Ф.Р. Лишение свободы и социально-психологические
предпосылки его эффективности. – Казань: Издательство Казанского университета, 1980
(Soundourov F.R., Privation de liberté et prémisses socio-psychologiques de son efficacité, Kazan,
Editions de l'Université de Kazan, 1980).
59
Степанюк А.Ф. Сущность исполнения наказания. – Харьков: Фолио, 1999 (Stepaniouk
A.F., Contenu de l'exécution de la peine, Kharkiv, Folio, 1999).
31

la mise en place et de l'application du principe de proportionnalité des limitations en détention


dans les pays différents. Aussi concentrerons-nous sur la norme de la proportionnalité dans les
systèmes pénitentiaires differents tout en prenant en compte les acquis théoriques nationaux
en matière de nature juridique des limitations des droits des détenus60. Une telle approche
permettra d'assurer une complémentarité entre les études théoriques nationales portant sur la
nature juridique des limitations et les études des normes internationales relatives à la
justification des limitations des droits.

Un rôle important dans la théorie des limitations des droits des détenus revient en
Europe aux travaux relatifs à la jurisprudence de la Cour européenne. Un bon exemple en est
offert par l'ouvrage de D. Van Zyl Smit et S. Snacken "Principes du droit et des pratiques
pénitentiaires européennes: pénologie et droits de l'homme"61. Les auteurs y procèdent à une
analyse détaillée de la jurisprudence de la CEDH. Étant donné que les arrêts de la Cour
relatifs aux détenus comportent le plus souvent l'application du principe de proportionnalité
des limitations en accord avec la Convention, l'analyse des arrêts dans l'ouvrage ne pouvait
pas négliger l'analyse des limitations. En outre, les auteurs se sont focalisés sur le principe de
minimalité (principe d’ingérence minimale) des limitations en tant que principe incarné dans
les Règles pénitentiaires européennes.

Des chercheurs français ont, pour leur part, étudié le problème en rapport avec la
jurisprudence de la Cour européenne. C'est ainsi que B. Belda cherche, dans sa thèse, à
comprendre le caractère spécifique de la vision des droits des détenus (et de leurs limitations)

60
En travaillant sur cette question nous ne nous nous sommes pas uniquement appuyé sur des
travaux existant dans le domaine du droit correctionnel soviétique et du droit pénitentiaire actuel. Des
ouvrages en théorie générale du droit et du droit constituionnel nous ont également servi de référence.
Ainsi, un apport théorique général au développement de la théorie des limitations des droits a-t-il été
celui de P.M. Rabinovitch et I.M. Pankevitch dont l'ouvrage a été pris comme base (Рабінович П.М.,
Панкевич І.М. Здійснення прав людини: проблеми обмежування (загальнотеоретичні аспекти).
Праці Львівської лабораторії прав людини і громадянина Науково-дослідного інституту
державного будівництва та місцевого самоврядування Академії правових наук України/
Редкол.: П.М. Рабінович ― Серія 1. Дослідження, видання реферати. Випуск 3. ― Львів.:
«Астрон», 2001/ Rabinovitch P.M, Pankevitch I.M., Réalisation des droits de l'homme: problème
d'établissement des limites (aspects théoriques généraux). Œuvres du Laboratoire de Lviv des droits de
l'homme et du citoyen auprès de l'Institut de recherches sur le développement institutionnel et
l'autogestion locale de l'Académie des sciences juridiques de l'Ukraine, Dir. P.M. Rabinovitch, Série 1.
Etudes, publications, résumés. Fascicule 3, Lviv, Astron, 2001). En ce qui concerne la vision
constitutionnelle des limitations des droits, il convient de signaler tout particulièrement les travaux de
A. Barak: Proportionality: Constitutional Rights and their Limitations, Cambridge, Cambridge
University Press, 2012) та Р. Алексі (Alexy R., A Theory of Constitutional Rights, translated by J.
Rivers, New York, Oxford University Press, 2004).
61
Van Zyl Smit D., Snacken S. Principles of European Prison Law and Policy: Penology and
Human Rights, New York, Oxford University Press, 2009.
32

par la Cour européenne62. M. Herzog-Evans étudie des aspects des limitations dans la
jurisprudence de la CEDH en défendant aussi l'idée de rapprochement des approches des
limitations des droits des détenus avec les approches relatives aux limitations des droits des
personnes libres63.

La chercheure britannique L. Lazarus64 qui comparait les approches des droits des
détenus en Grande-Bretagne et en Allemagne s'intéresse, dans ses ouvrages, à la question de
la limitation de leurs droits. Son intérêt se porte en particulier sur l'application du principe de
proportionnalité des limitations, sur les objectifs variés posés pendant l'exécution de la peine,
et sur la motivation des décisions des administrations pénitentiaires. Tout ceci est considéré
comme ayant un impact sur la limitation des droits dans les prisons.

Le philosophe américain R. Lippke propose une théorie du contenu et de l'étendue des


limitations des droits des détenus65. Sa tentative de conciliation de la théorie rétributiviste
avec les droits de l'homme, bien que critiquée par nous-même, présente un intérêt indubitable
en tant que concept original. Nous analysons de près son idée maîtresse : le besoin de la
"conversion" des conséquences causées à la victime par l'infraction en limitation des droits du
détenu qui devient ainsi une sorte de "compensation" desdites conséquences. Bien que R.
Lippke essaye de fixer certaines limites pour éviter la transformation de sa théorie en un
véritable Talion, nous montrons qu'il a peu de chances de le faire de manière suffisamment
convaincante.

Les études des limitations des droits des détenus dans la jurisprudence des juges
américains furent menées aux États-Unis par J. Palmer66. Des juristes britanniques ont, pour
leur part, réalisé d’importantes études sur la jurisprudence nationale relative aux limitations

62
Belda В., Les droits de l’homme des personnes privées de liberté: contribution à l’étude du
pouvoir normatif de la Cour européenne des droits de l’homme, Montpellier, Université Montpellier 1,
2007.
63
Herzog-Evans M., La gestion du comportement du détenu: Essai de droit pénitentiaire, Paris,
L’Harmattan, 1994; Herzog-Evans M., L’intimité du détenu et de ses proches en droit comparé, Paris,
L’Harmattan, 2000; Herzog-Evans M., Droit pénitentiaire, 2nd ed, Paris, Dalloz, 2012.
64
Voir : Lazarus L., Contrasting Prisoners' Rights: A Comparative Examination of Germany
and England, New York, Oxford University Press, 2004; Lazarus L., Conceptions Of Liberty
Deprivation, The Modern Law Review, 2006, n° 69 (5), p. 738-769.
65
Lippke R. L., Rethinking Imprisonment, New York, Oxford University Press, 2007; Lippke
R.L., Toward a Theory of Prisoners' Rights, Ratio Juris, 2002, Vol. 15, p. 122-145; Lippke R.L,
The Disenfranchisement of Felons, Law and Philoshophy, 2002, Vol. 20, p. 553-580; Lippke R.L.,
Prison Labor: Its Control, Facilitation, and Terms, Law and Philosophy, 1998, n° 17(5/6), p. 533-557.
66
Voir : Palmer J.W. Constitutional Righs of Prisoners, 9th edition. - Cincinnati : LexisNexis,
2010.
33

de ces droits67. Les études de la jurisprudence permettent de mieux comprendre les normes
des limitations des droits dans les pays de droit commun.

Nombre d'ouvrages sur les limitations des droits dans l'environnement pénitentiaire
portent sur des aspects particuliers et paraissent périodiquement en tant que réaction à des
événements socio-politiques comme, par exemple, le vote de nouvelles lois, les décisions
judiciaires retentissantes ou simplement intéressantes. Ces ouvrages ne se donnent pourtant
pas pour objectif de formuler des conclusions de synthèse sur la justification des limitations
des droits et leur nature juridique.

C'est pourquoi, afin de parvenir à des conclusions, nous nous référerons aux pratiques
des pays comme la France, les États-Unis, le Canada, le Royaume Uni, le Royaume de
Belgique et le Royaume des Pays-Bas.

L'ancienne URSS ne fait pas l'objet d'une analyse à part, mais sa théorie et ses
pratiques constituent une partie des sources de la présente étude.

URSS. Un contraste notable existait dans l'ancienne Union Soviétique entre les
pratiques critiquables de respect des droits des détenus et la théorie raffinée traitant les thèmes
de ces droits. Pourtant, même au vu de ce contexte, la théorie des limitations des droits des
détenus ne faisait pas l'objet de recherches spécifiques. Les spécialistes ne prêtaient attention
qu'à certains aspects de ces limitations. L'idée répandue consistait à laisser les détenus
disposer de tous les droits, sauf ceux qui ne pouvaient s'exercer au cours de l'incarcération ou
ceux qui découlaient du régime d'emprisonnement.

Des auteurs reconnaissaient que l'emprisonnement confèrait des particularités propres


à l'exercice des droits et des obligations68. Ils affirmaient souvent que, du fait de
l'incarcération, les détenus étaient privés de certaines possibilités d'exercer leurs droits69,
qu’ils disposaient toujours de tous les droits et qu'ils n'étaient pas limités en droits mais dans

67
Voir : Livingstone S., Owen T., Macdonald A., Prison Law, 4th ed., New York, Oxford
University Press, 2008.
68
Советское исправительно-трудовое право: учебник. – М.: Госюриздат, 1960. – С. 109
(Droit correctionnel soviétique: manuel, Moscou, Gosjurizdat, 1960, p. 109).
69
Ширвиндт Е.Г., Утевский Б.С. Советское исправительно-трудовое право. – М., 1957. –
С. 83-84 (Chirvindt E.G., Outevski B.S., Droit correctionnel soviétique, Moscou, 1957, p. 83-84) ;
Рагулин Г.И. Правовое положение заключенных в исправительно-трудовых учреждениях.
Учебное пособие. – М., 1958. – С. 7 (Ragouline G.I., Situation juridique des détenus dans les
établissements correctionnels. Manuel, Moscou, 1958, p. 7) ; Советское исправительно-трудовое
право: учебник. – М.: Госюриздат, 1960. – С. 109-110 (Droit correctionnel soviétique: manuel,
Moscou, Gosjurizdat, 1960, p. 109-110).
34

l'exercice de certains d'entre eux70. Il était fréquent d'entendre dire que le "fait de priver de
liberté" ou que "l'incarcération" expliquait l'application de limitations objectives. Ces
limitations (nommons-les "limitations de fait") doivent nécessairement découler du fait de
l'incarcération et ne pas excéder ce qui est imposé par cette circonstance.

Ces idées étaient vivement critiquées par N.A. Stroutchkov, le spécialiste peut-être le
plus connu du droit soviétique de l'exécution des peines71. Il y voyait un danger potentiel pour
le principe de légalité, qui occupait une place à part dans le droit soviétique. Il était d'avis
notamment que la possibilité d'appliquer des limitations non prévues par la loi, mais qui
soient tout simplement des limitations "de fait" (objectives) , ouvrait la porte à des abus et à
des dérogations par rapport aux normes légales. Des critiques sérieuses ont été énoncées aussi
par V. M. Seliverstov qui voyait, lui aussi, dans les limitations de fait un danger d'abus à cause
de leur imprécision72.

Une autre idée semblable à l’idée des restrictions de fait permettant de déroger au
principe de légalité consiste à dire que les limitations résultent du régime pénitentiaire. Par
conséquent les normes qui établissent le régime peuvent générer des limitations des droits.
Cette idée était basée sur les dispositions de l'art. 8 des Principes de la législation
correctionnele de l'URSS et des Républiques sovietiques, qui citait parmi les sources des
limitations des droits la loi, la décision judiciaire mais aussi le régime.

Concernant le thème des limitations des droits, le droit correctionnel soviétique y


rattachait souvent la question de la punition et du contenu de celle-ci. L'idée des limitations de
fait, telle que formulée à l'époque, consistait dans l’exécution du châtiment en tant que sens de
la punition par l'incarcération physique. Le contenu de la punition sous forme de privation de
liberté se réduisait à l'incarcération73, tout ce qui la "complétait" étant considéré comme
infondé. Des considérations semblables sont également soutenues dans le droit des pays ex-
URSS de nos jours. Il est affirmé par exemple que la punition doit s'exercer avec tel ou tel
degré d'incarcération physique (selon le régime de détention appliqué), alors que les autres

70
Beliaev A.A., Ibid, p. 14.
71
Стручков Н.А. Курс исправительно-трудового права. Проблемы общей части. – М.:
Юрид. лит., 1984. – С. 181-182 (Stroutchkov N.A., Cours du droit correctionnel. Problèmes de la
partie générale, Moscou, Jurid. Lit., 1984, p. 181-182); Наташев А.Е., Стручков Н.А. Основы
теории исправительно-трудового права. – М.: Юрид. лит., 1967. – С. 121 (Natachev A.E.,
Stroutchkov N.A. Principes de la théorie du droit correctionnel, Moscou, Jurid. Lit, 1967, p. 121).
72
Селиверстов В.М. Теоретические проблемы правового положения лиц, отбывающих
наказание. – М.: Акад. МВД РФ, 1992. – С. 18 (Seliverstov V.M., Problèmes théoriques de la
situation juridique des personnes purgeant leur peine, Moscou, Akad. MVD de la FR, 1992, p. 18).
73
L'article 63 du CP de l'Ukraine reconnaît toujours l'incarcération comme contenu de la
punition sous forme de privation de liberté.
35

conditions de l'exécution de la peine qui n'en découlent pas directement doivent rester
identiques. Toutes limitations des besoins naturels ne doivent pas avoir de nature juridique et
ne peuvent que résulter objectivement du fait de l'incarcération74. L'avis sur l’impossibilité
d'entériner certaines limitations dans le droit constituent la quintessence démonstrative des
effets négatifs de l'idée des limitations de fait sur le principe de légalité. L'idée des limitations
de fait légitime ainsi l'application de certaines limitations, à défaut pour celle-ci d'avoir des
fondements concrets dans la loi.

Dans la présente thèse, nous nous pencherons sur la théorie des limitations de fait et en
ferons la critique. Cette théorie ne possède en effet pas, à notre avis, le potentiel positif
qu'attendent d'elle les spécialistes Ukrainiens et la communauté internationale75. Notre
argument contre les limitations de fait se fonde sur un flou trop important de ce que l'on
pourrait considérer comme "objectivement inévitable" en prison.

États-Unis. Le rôle principal dans le développement de la théorie des limitations des


droits dans ce pays revient à la justice. Ainsi qu'il a été montré supra, dès le XIXe s. déjà, la
Cour suprême américaine signifiait que les droits des détenus étaient protégés par la
Constitution au même titre que les droits des citoyens libres 76. C'est donc la Constitution
américaine qui servit par la suite de terrain pour le développement de la théorie des
limitations des droits des détenus.

Prenant appui sur la Constitution, la jurisprudence devait développer une norme de


proportionnalité assez spécifique. Les arrêts principaux ayant donné le départ à ce
développement furent ceux rendus dans les affaires Martinez77 et Turner78.

74
Ceci posé, il est inadmissible, par exemple, d'appliquer une limitation telles que la réduction
des rations alimentaires pour les personnes placées dans le quartier disciplinaire (Яковець І.С.
Теоретичні та прикладні засади оптимізації процесу виконання кримінальних покарань :
монографія. – Харків: Право, 2013. – С. 236-237, 242 (Iakovets I.S., Principes théoriques et
appliqués d'optimisation du processus d'exécution des peines: monographie, Kharkiv, Pravo, 2013, p.
236-237, 242).
75
Човган В.О. Стандарт «правообмежень обумовлених ізоляцією» // Дотримання прав
людини у пенітенціарній системі України / К. А. Автухов, А. П. Гель, М. В. Романов, В. О.
Човган, І. С. Яковець; за заг. ред. М. В. Романова; ГО «Харківська правозахисна група». —
Харків: Права людини, 2015. - С. 146-157 (Chovgan V.O., La norme de "limitation des droits
inhérentes à l'incarcération", in Respect des droits de l'homme dans le système pénitentiaire de
l'Ukraine/K.A. Avtoukhov, A.P. Gel, M.V. Romanov, V.O. Chovgan, I.S. Iakovets, sous la dir. Gén.
de M.V. Romanov. ONG "Groupe de défense des droits de Kharkiv", Kharkiv, Droits de l'homme,
2015, p. 146-157); Chovgan V. Le principe des limitations inhérentes à la détention: la valeur
incertaine des Règles Mandela, Actualité juridique pénale, 2015, n°12, p. 576-578.
76
Logan v. United States (144 U.S. 263 (12 S.Ct. 617, 36 L.Ed. 429))
77
Procunier v. Martinez - 416 U.S. 396 (1974)
78
Turner v. Safley - 482 U.S. 78 (1987)
36

Le premier se proposait de déterminer si les limitations visent la réalisation d'un ou


plusieurs intérêts gouvernementaux sur la sécurité, l'ordre et la réhabilitation des condamnés
et de savoir si ces limitations n'excédaient pas ce qui est nécessaire pour atteindre ces intérêts.

Le second consistait : à établir un "rapport rationnel" entre les limitations et les intérêts
publics; à voir s'il y avait des moyens alternatifs de réalisation du droit après la limitation ; à
savoir comment la réalisation du droit influerait les ressources pénitentiaires, le personnel et
la liberté des condamnés ; à vérifier si la limitation n'était pas démesurée ; et s'il y a des
limitations alternatives qui affecteraient moins le droit.

Dans la pratique, la norme fixée dans l'arrêt Martinez était considérée par les juges
comme nécessitant un établissement obligatoire de la minimalité de la limitation, celle de
l'arrêt Turner étant perçue comme ne le nécessitant pas. C'est pourquoi le "test Turner"
marquait l'allégement des exigences vis-à-vis de la justification des limitations par les
autorités: il suffisait de démontrer que la limitation visait des "intérêts pénologiques justifiés"
quelle que fût sa portée.

La jurisprudence des tribunaux américains en matière d'utilisation de ces normes


apparaît comme assez contradictoire. Des limitations aux contenus semblables pouvaient être
qualifiées de constitutionnelles ou non constitutionnelles selon la norme en question. C'est
dire qu'aucune d'elles ne consacrait une norme précise et stable des limitations. De plus,
certains arrêts de la Cour suprême appliquaient les deux normes à la fois79.

L'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Beard v. Banks indique que le système
judiciaire des États-Unis devait être déférent envers les autorités pénitentiaires 80. La déférence
devait être de mise parce que les employés pénitentiaires "savaient mieux" ce qui était
nécessaire pour le fonctionnement quotidien et les juges devaient donc leur "faire confiance".
Le principe de séparation des pouvoirs, le nivelage du test Turner, la disparition des droits
constitutionnels, telles étaient les thèses de la communauté académique après l'arrêt rendu
dans l'affaire Beard v. Banks81.

79
Thornburgh v. Abbott, 490, U.S. 401 (1989)
80
Beard v. Bandks 399 F. 3d 134; Palmer J.W., Constitutional Righs of Prisoners, 9th edition,
Cincinnati, LexisNexis, 2010, p. 91.
81
Sweeney M., Beard v. Banks: Deprivation as Rehabilitation, Publications of the Modern
Language Association of America, Vol. 122, n° 3 (May, 2007), p. 779-783 ; Wimsatt J. N., Rendering
"Turner" Toothless: The Supreme Court's Decision in Beard v. Banks, Duke Law Journal, Vol. 57, n°
4 (Feb., 2008), p. 1209-1243 ; Wu S., Persona Non Grata in the Courts: The Disappearance of
Prisoners' First Amendment Constitutional Rights in Beard v. Banks, Whittier Law Review, 2006-
2007, Vol. 28, p. 981-1006.
37

Dans l'ensemble, la jurisprudence des États-Unis paraît volumineuse, confuse, voire


inconséquente. Nous essayons, dans la présente étude, d'y voir clair dans la mesure où ceci est
nécessaire pour déterminer les caractéristiques générales de justification de la limitation des
droits des détenus.

Canada. La norme des limitations des droits, appliquée dans ce pays, se base sur la
Charte des droits et libertés (1982). Ses dispositions relatives aux droits et à leurs limitations
admissibles sont reproduites dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous
condition82. Nombre de ces dispositions concernant les limitations des droits des détenus
furent mises au point par des chercheurs et praticiens progressistes dans les années 1970-80.

La loi canadienne de 1992 sur le système correctionnel offre peut-être l'exemple le


plus progressiste de normes de limitations applicables aux détenus. La question de la
limitation des droits y est traitée directement. La loi fixe clairement le principe de minimalité
des limitations en tant que composante du principe de proportionnalité. Cependant, le
caractère "trop progressiste" de la loi a poussé les autorités à y apporter des modifications
malgré diverses observations critiques de la part des spécialistes de tendance libérale83.

L'expérience canadienne en matière de limitations des droits des détenus est également
unique parce qu'elle comporte non seulement des normes législatives progressistes, mais
encore une jurisprudence progressiste. La norme des limitations fut établie tant par le pouvoir
législatif que par le pouvoir judiciaire.

Dans l'affaire Solosky v. The Queen (1980)84, la Cour suprême a rejeté la demande du
détenu se plaignant de l'ingérence dans son droit à la correspondance. La Cour a pourtant
reconnu que les détenus conservaient tous les droits civils sauf ceux dont ils étaient privés de
fait ou spécialement par la loi. La Cour a par ailleurs insisté sur la nécessité de réduire au
minimum les ingérences dans les droits des détenus85. Cet arrêt a établi un fondement solide
pour le développement de la théorie libérale des limitations fondées sur le principe de
proportionnalité.

82
Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (L.C. 1992, ch. 20).
83
Submission on Bill C-10 Safe Streets and Communities Act, Ottawa, Canadian Bar
Association, 2011, p. 35-36.
84
Solosky v. The Queen, [1980] 1 S.C.R. 821.
85
On estime que cet arrêt contribua à l'inclusion de l'exigence de la minimalité des limitations
dans la Loi "Sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition" (Ghedia J., Prisoners:
Rights, Rhetoric and Reality, A thesis submitted in partial fulfilment of the requirements for the
degree of Master of Laws in the Faculty of Graduate Studies, the University of British Columbia,
Vancouver, University of British Columbia, 2002, p. 38).
38

L'arrêt rendu dans l'affaire Sauvé (Sauvé c. Canada, 1993, 2003) a acquis une notoriété
mondiale. Dans son arrêt de 2003, la Cour suprême du Canada, ayant utilisé une ample
argumentation relative aux limitations, a dit que l'interdiction de voter appliquée aux
personnes condamnées à plus de deux ans de réclusion était contraire à la Charte des droits et
libertés. Cet arrêt est connu du fait que la Cour y a appliqué la norme de proportionnalité des
limitations avec une analyse minutieuse de l'application de celle-ci, ce, justement dans le
contexte de l'exécution de la peine.

Une combinaison efficace de la jurisprudence et de l'action législative dans le


développement de la norme canadienne des limitations des droits des détenus rend
l'expérience de ce pays particulièrement intéressante. Son étude permet de regarder, sous un
autre point de vue, aussi bien la norme élaborée par la jurisprudence dans des systèmes
jurisprudentiels, que la norme fixée dans les lois des pays continentaux.

Royaume-Uni. "Même un détenu reste sujet de la Reine et ne devient pas son ennemi
en raison du seul fait de la violation de la loi"86: c'est ainsi que certains chercheurs définissent
l'approche britannique à l'égard des droits des détenus dans l'histoire87.

Tout comme aux États-Unis, l'évolution des droits des détenus au Royaume-Uni est
étroitement liée à celle de la jurisprudence. Cependant, les juges britanniques commencèrent à
intervenir dans le domaine pénitentiaire plus tard, sous l'influence de l'abandon par les juges
américains de la politique de non-ingérence ("hands off approach"). Avant, les juges
cherchaient également à concilier les intérêts de l'administration pénitentiaire avec les droits
des détenus88, généralement pas au bénéfice de ces derniers.

Les détenus en Grande-Bretagne peuvent se plaindre des limitations injustifiées au


titre de la procédure administrative en invoquant quatre raisons. Il s’agit de : l'illégalité de la
limitation ; l'irrationalité de la limitation ; la procédure inadéquate de limitation ; et la non-
conformité de la limitation à la Convention européenne (la quatrième raison fut introduite
avec la mise en vigueur de l'Acte des droits de l'homme en 1998)89.

86
« Еven a convict remains the Queen's subject, and does not become her enemy merely by
breaking the law ».
87
Valson M.C., Rights of the Prisoner: An Evolving Jurisprudence. Thesis submitted for the
award of the degree of Doctor of Philosophy, Cochin, Cochin University of Science and Technology,
1994, p. 25.
88
Easton S., Prisoners' Rights: Principles and Practice, New York, Routledge, 2011, р. 30, 48.
89
Leech M., The Prisons Handbook 2007: The Definitive 800 Page Annual Guide to Prisons in
England and Wales, Prisons.Org.Uk Ltd, 2008, p. 520.
39

L'arrêt Raymond contre Honey, rendu en 1982, peut être considéré comme
fondamental pour le développement de la norme des limitations des droits des détenus90. La
Cour y a indiqué que les détenus conservaient "tous les droits civils dont ils n'[avaie]nt pas été
privés expressément ou par nécessité par le fait d'incarcération". Cette formulation, qui
semble empruntée aux États-Unis91, créait les conditions d’une interprétation trop
discrétionnaire92. La cause en résidait dans l'expression "par nécessité" qui autorisait en fait à
appliquer des limitations non fixées dans la loi93.

Bien qu'attestant la reconnaissance des droits des détenus, cette approche ne contribue
toutefois pas à la mise en place de barrières sûres contre les limitations infondées de ces
droits. Ainsi, comme l'affirment des auteurs britanniques éminents, leur pays pratique
abondamment une approche partiellement régressive vis-à-vis des droits des condamnés, le
degré de limitation justifié par la peine de réclusion étant beaucoup plus écrasant au
Royaume-Uni que dans les autres pays d'Europe94. D'un autre côté, le Royaume-Uni applique
aux affaires relatives à la limitation des droits des détenus le principe de proportionnalité95 qui
prévoit la minimalité des limitations.

Le fondement de nos critiques des limitations "de fait" trouve sa confirmation dans les
pratiques de ce pays. Des discussions s'y poursuivent concernant les limitations des droits qui
sont inhérentes à l'emprisonnement. Les intérêts de la sécurité et de l'ordre constituent
également des raisons habituelles pour justifier les limitations ce qui ne manque pas de
conduire à un risque excessif des abus des autorités dans ses pratiques.

Ce pays connaît une forte popularité de l'individualisation des limitations,


l'inadmissibilité des limitations automatiques (systématiques) constituent une vérité connue à
la lumière des arrêts rendus par la CEDH contre le Royaume-Uni dans les affaires de Hirst et
Dickson96. Ces arrêts sont connus non seulement dans le pays, mais aussi dans le monde
entier. S'agissant de l'affaire Hirst, la CEDH a constaté la violation de la Convention du fait de

90
Raymond v. Honey [1982] AC 1, [1981] UKHL 8
91
Coffin v. Reichard (143 F.2d 443 (6th Cir. 1944).
92
Coyle A., The Treatment of Prisoners: International Standards and Case Law, Legal and
Criminological Psychology, 2008, n° 13, p. 220, 229.
93
Easton S., Ibid, p. 29.
94
Livingstone S., Owen T., Macdonald A., Prison Law., 3rd ed., Oxford, Oxford University
Press, 2003, in: Codd H., Policing Procreation: Prisoners, Artificial Insemination and the Law,
Genomics, Society and Policy, 2006, Vol.2, n°1, p. 113. .
95
Livingstone S., Owen T., Macdonald A., Prison law, 4th ed., New York, Oxford University
Press, 2008, p. 23.
96
Hirst c. Royaume-Uni (nº. 2) (GC) (nº 74025/01, 06.10.2005), Dickson c. Royaume-Uni
(GC) (nº 44362/04, 02.12.2007).
40

la limitation d'office du droit de vote, alors que l'arrêt Dickson a retenu la violation de l'article
8 à cause de la limitation automatique du droit à la procréation.

L'individualisation des limitations constitue un trait important de l'approche


britannique. Toutefois, lorsque les autres pays examinés prennent pour point de départ
l'individualisation des limitations, l'existence des droits pouvant être limités dans des cas
individuels, les restrictions de nombreux droits des détenus au Royaume-Uni sont appliquées
à l'avance et il faut être méritant pour être exempt de ces restrictions. Cette "présomption" des
limitations des droits et ces conséquences fait aussi l'objet de notre attention.

France. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 fixait des


dispositions de base relatives aux restrictions des droits de l'homme. Ces dispositions ne
visaient pas les détenus, bien que la personne détenue fût considérée, en vertu de la
Déclaration, comme un homme, un citoyen né libre et égal aux autres 97. La Déclaration n'en
contribua pas moins à la formulation du postulat selon lequel la personne emprisonnée restait
citoyenne à part entière98. La personne détenue n'était pas exclue de la vie sociale, sauf si elle
était soumise à des punitions spéciales visant à la dégradation civique ou à la mort civile. Ces
punitions signifiaient la privation ou la limitation de certains droits.

Les milieux académiques français se solidarisaient ouvertement et continuent de se


solidariser avec l'assertion idéaliste selon laquelle le détenu n'est privé que de la "liberté
d'aller et venir" et qu'il n'est soumis qu'aux restrictions qui sont inhérentes à la perte de cette
liberté. Cette idée est semblable en bien des points aux concepts relatifs aux limitations de fait
(objectives) répandus dans l'ancienne URSS et actuellement en Ukraine. La critique des
limitations dites "de fait" concernera donc en parallèle cette doctrine et sera utile non
seulement pour la France mais aussi pour l'Ukraine.

Un autre trait spécifique du droit pénitentiaire français s’est manifesté au travers du


débat portant sur les limites du rapprochement de ce domaine du droit avec le droit commun.
La doctrine française entend par « droit commun » l’application ou le domaine du droit

97
Morange J., Introduction générale, in La prison : quel(s) droit (s) ? Actes du colloque
organisé à Limoges, le 7 octobre 2011, Limoges, Presses Universitaires de Limoges, 2013, p. 17.
98
Le détenu citoyen, Séance de section du 22 avril 1989, Revue pénitentiaire et de droit pénal,
1989, p. 255-279 ; Renaut M.-H., Les conséquences civiles et civiques des condamnations pénales. Le
condamné reste un citoyen à part entière, Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 1998,
p. 265-277 ; Exposito W., Citoyenneté du détenu, Revue pénitentiaire et de droit pénal, 2005, n° 1, р.
87-105 ; Exposé de M. Favard; Aubenas F., Bach J., Marrest P., Mécary C., Bianchi V., Pelletier W.,
Sire-Marin E., Les détenus sont-ils des citoyens ? , Paris, Notes et documents de la Fondation
Copernic, 2010 ; Chapitre « La reconnaissance des qualités inhérentes au détenu, l’humanité et la
citoyenneté », in Belda B. Ibid, spéc. p. 161-169 ; Martucci F., Le détenu-citoyen, Les droits de la
personne détenue après la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, Paris, Dalloz, 2013, p. 217-231.
41

« normal » ou bien, s'agissant des droits, le statut juridique général. L'opposition du droit
commun et du droit pénitentiaire rappelle celle de lex generalis et de lex specialis.

Le rapprochement du droit pénitentiaire avec le "droit commun" signifie que ce


domaine du droit passe du "droit de l'exception" au "droit égal à tous les autres". En fin de
compte, ce rapprochement vise à maximiser la réglementation des rapports dans le domaine
pénitentiaire à l'aide du droit commun et à minimiser les exceptions. Cela touche directement
à l'objet de notre étude, car cela suppose l'établissement des limites de rapprochement du
statut juridique spécial des détenus avec le statut juridique commun des citoyens. En
conséquence, cela concerne les limitations des droits des détenus.

Le professeur M. Herzog-Evans, partisan connu du rapprochement du droit


pénitentiaire avec le "droit commun", fait un lien entre un tel rapprochement et l'apparition
d'un "véritable droit pénitentiaire"99. Les éléments clés de premières démarches de cette
révolution ne furent pas autre chose que le rapprochement des procédures du droit
pénitentiaire avec celles du "droit commun". Les arrêts rendus dans les affaires des détenus
Korber et Marie servirent de symboles de ce rapprochement, les juges y ayant reconnu aux
détenus des droits procéduraux de défense, des droits liés à l'application de la mise en liberté
sous condition et de sanctions disciplinaires. Ces arrêts marquent le début de la
"juridicisation", c'est-à-dire l'extension de la protection judiciaire aux rapports de droit dans le
domaine du droit pénitentiaire. La juridicisation, en tant qu'élément important du
développement de la doctrine des restrictions des droits en France, est analysée et utilisée ci-
bas pour pouvoir tirer des conclusions.

Une attention particulière est accordée à la Loi pénitentiaire française de 2009 qui
revêt une importance spéciale pour notre étude. Cette loi comporte une clause limitative
stipulant que "l'exercice de ceux-ci (droits des détenus, N.D.L.A.) ne peut faire l'objet d'autres
restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la
sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection
de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du
handicap et de la personnalité de la personne détenue" (art. 22). Outre ceci, d'autres normes de
la loi contiennent des dispositions relatives aux restrictions de certains droits qui font aussi
l'objet de notre analyse.

99
Herzog-Evans M., Droit commun pour les détenus, Revue de sciences criminelles et de droit
pénal comparé, 1995, Vol. 3, р. 621- 638.
42

Cherchant à mettre en œuvre des normes internationales, la loi n'en perd pas moins de
vue le principe de proportionnalité, ce pour quoi elle a été critiquée par les spécialistes, étant
donné que les raisons de l'ingérence dans le droit n’ont pas été suffisamment précises et ont
ainsi menacé les droits de l'homme100. Ainsi que nous le montrons dans le présent travail, à
défaut d'exprimer le principe de proportionnalité des restrictions, l'inclusion de la clause
limitative est sans effet parce qu'autorisant quasiment n'importe quelles restrictions et ne
garantissant pas contre les ingérences les plus démesurées dans le droit.

De plus, la clause limitative générale fixée à l'art. 22 de la loi est souvent en conflit ou
corrèle mal avec les autres clauses limitatives spéciales de la loi qui sont codifiées en tant
qu'exceptions sur certains droits. Le problème similaire est présent dans d'autres pays.

La norme française de limitation des droits des détenus est un bon exemple des erreurs
du législateur faites dans le processus d’élaboration des règles qui prévoient des raisons pour
la restriction des droits. Cette question sera traitée spécialement dans notre travail.

Belgique. L'étude de l'approche belge vis-à-vis des limitations des droits des détenus
est centrée essentiellement sur la loi de principes qui concerne l'administration pénitentiaire et
le statut juridique des détenus101 dite Loi Dupont102. Ce texte a subi une forte influence des
normes de la CEDH, du CPT et des Règles pénitentiaires européennes. Avant son adoption,
les droits des détenus et les limitations de ceux-ci étaient laissés essentiellement à la
discrétion de l'administration pénitentiaire103.

L'article 5 de cette loi dispose que le "détenu n'est soumis à aucune limitation de ses
droits politiques, civils, sociaux, économiques ou culturels autre que les limitations qui
découlent de sa condamnation pénale ou de la mesure privative de liberté, celles qui sont
indissociables de la privation de liberté et celles qui sont déterminées par ou en vertu de la

100
Herzog-Evans M., La sécurité pénitentiaire est l’ennemie de la sécurité publique (Entretien
réalisé par Stéphane Laurent), Dedans Dehors, 2009, n°70-71, p. 15 ; Herzog-Evans M., Loi
pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009: changement de paradigme pénologique et toute
puissance administrative, Recueil Dalloz, 2010, n° 1, р. 32-33 ; Herzog-Evans M., Droit pénitentiaire,
2nd ed. Paris, Dalloz, 2012, p. 104; Enderlin S., Droit constitutionnel et droit pénitentiaire. Les
prémices de la protection constitutionnelle des personnes détenus, in Dialectique carcérale. Quand la
prison s’ouvre et résiste au changement. Sous la direction de Pierre V. Tournier, Paris, L’Harmattan,
2012, р. 59-60 ; Assemblée Nationale, Rapport au nom de La Comission des lois constitutionnelles, de
la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi pénitentiaire (No
1506) adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, par M. J.-P. Garraud, p. 21, 538.
101
Loi de principes concernant l'administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des
détenus (loi du 12 janvier 2005).
102
Nommée ainsi en l'honneur de son artisan et auteur principal, le professeur Lieven Dupont.
103
Voir l'analyse de l'histoire de l'élaboration de l'adoption de cette loi.: Mary Р., La nouvelle loi
pénitentiaire. Retour sur un processus de réforme (1996-2006), Courrier hebdomadaire du CRISP,
2006, n°11 (1916), p. 5-51.
43

loi". Cette norme a fait l'objet d'une analyse détaillée et critique de la part de spécialistes
belges104. L'une des causes principales de ces critiques a résidé dans le caractère ambigu des
sources de limitation et notamment dans les limitations "de fait" auxquelles nous prêtons un
intérêt particulier dans cette recherche. Comparée aux autres pays examinés, la Loi
pénitentiaire belge a ceci de particulier qu'elle fixe le principe de proportionnalité des
limitations. Bien plus, la proportionnalité constitue l'un des principes inclus dans la loi.

En référence au principe de proportionnalité qui suppose une individualisation


maximale des restrictions, la loi insiste sur la nécessité d'évaluer les circonstances de chaque
affaire concrète en vue de l'application par l'administration pénitentiaire de certaines
limitations (par exemple lecture de la correspondance, communications téléphoniques,
interdiction des visites).

L'importance particulière de l'expérience belge vient de la motivation obligatoire de


toutes les décisions prises conformément aux normes de la loi pénitentiaire. Comme cela sera
montré, la motivation des décisions concernant la limitation des droits des détenus est
nécessaire pour leur légitimité conditionnelle. Elle est également nécessaire pour assurer un
bon contrôle du bien-fondé des limitations des droits par des organismes ne dépendant pas des
administrations pénitentiaires.

Pays-Bas. Un rôle important dans le développement de la norme des limitations dans


ce pays revient à l'école de l'Université d'Utrecht. Elle réunit des scientifiques à tendance
pratique qui exercèrent une influence notable sur le contenu de l'Acte des principes du
système pénitentiaire (1953). En définitive, cet Acte a jeté les bases pour une politique
relativement clémente dans le domaine de la justice pénale et pour que les détenus soient
traités comme sujets du droit qu'il faut aider à réintégrer la société105.

Cependant, en pratique cet Acte a avec le temps été nivelé. Un nouvel Acte des
principes pénitentiaires a finalement été adopté en 1998 avec une norme spéciale relative aux
limitations des droits. Il y est précisé notamment que les condamnés ou les détenus "ne
doivent être soumis à aucune limitation autre que celles nécessaires à atteindre les objectifs de
l'emprisonnement ou pour maintenir l'ordre ou la sécurité dans l'établissement" (art. 2.4).
Cette règle fixe le principe de minimalité qui, en même temps que le principe de réintégration

104
Dijon X., Prolégomènes : la protection sociale des détenus : pour quelle sécurité?, in Van der
Plancke V., Van Limberghen G., La sécurité sociale des (ex-) détenus et de leurs proches, Bruxelles,
La Charte, 2008, p. 14-15.
105
Van Swaaningen R, De Jonge G., The Dutch Prison System and Penal Policy in the 1990s:
from Humanitarian Paternalism to Penal Business Management, in Mick Ryan, Joe Sim Western
European Penal Systems: A Critical Anatomy, London, SAGE, 1995, p. 34.
44

qui a une portée considérable aux Pays-Bas, constitue le cœur du droit pénitentiaire
néerlandais106. Ses racines remontent manifestement à la Constitution des Pays-Bas107.

Le trait essentiel de l'approche des limitations des droits dans ce pays passe par la
vision de ces limitations à travers le prisme de la normalisation et de la réintégration. Plus le
volume et le contenu des limitations sont faibles, plus proche reste la personne de la société et
plus grandes sont ses chances de réintégrer celle-ci. Ce que l'on appelle normalisation
(rapprochement des conditions de vie dans l'établissement pénitentiaire et en liberté) se
conçoit aussi comme "normalisation juridique", terme qui est proposé dans le présent travail
et qui marque le rapprochement des procédures juridiques des deux côtés des murs.

Outre la norme générale relative aux limitations, l'Acte des principes pénitentiaires
inclut d'autres normes limitatives concernant des droits dérivant du droit à la vie privée. Ces
normes spécifiques et leurs liens réciproques nécessitent une analyse séparée. En
conséquence, nous nous proposerons de montrer les inconvénients de l'Acte qui, d'une
certaine manière, ressemblent à ceux de la Loi pénitentiaire française de 2009. Cela nous
permettra de formuler des conclusions sur les erreurs législatives typiques dans l'élaboration
des clauses limitatives des lois pénitentiaires.

Détermination de la norme de limitations en Ukraine. Un autre aspect important


dans l'élaboration d'une bonne norme de limitation des droits consiste dans le processus
législatif lui-même. Les arguments avancés pour et contre l'établissement d'une norme
restrictive spéciale pour les détenus et la libéralisation des restrictions aident par eux-mêmes à
mieux comprendre les facteurs influant sur les limites admissibles des restrictions des droits
par l'État. Sur ce plan, nous faisons partager notre propre expérience d'élaboration et
d'inclusion de clauses limitatives dans la législation ukrainienne. Elle démontre que la mise en
œuvre d'approches progressistes vis-à-vis des limitations des droits se heurte à une résistance
de la part de la "tradition juridique" dans le domaine pénitentiaire. La juridicisation du
processus d'exécution des peines, lorsque le droit pénètre autant que possible dans ces
procédures, notamment en créant des garanties procédurales de protection des droits, se
présente comme difficile étant donné la tendance actuelle de "déjuridicisation" de ce

106
Van Swaaningen R, De Jonge G., Ibid, p. 35.
107
Vermeulen G., Paterson N., Material Detention Conditions, Execution of Custodial Sentences
and Prisoner Transfer in the EU Member States, Antwerpen, Maklu Publishers, 2011, p. 746.
45

processus observée dans le pays (A.Kh. Stepaniouk)108. Il nous semble plus opportun
d'analyser le mécanisme de création de la norme de limitation des droits des détenus en
Ukraine, vu que le besoin d'une telle norme n'a pas été exprimé jusqu'à ces derniers temps en
Ukraine.

Dans l'ensemble, la présente étude couvre les questions de théorie générale des
limitations des droits des détenus ainsi relatives à la norme de limitation de ces droits. Nous
avons tenté de cerner et de faire la synthèse des aspects principaux concernant toutes les
limitations des droits des détenus. Pourtant, une partie non moins importante de la question
reste en marge de cette étude, à savoir l'admissibilité, les limites et la justification des
limitations de certains droits. Par exemple, les questions autour des limitations des droits des
détenus à la communication avec l'extérieur à l'aide du téléphone mobile et du réseau Internet
acquièrent une importance particulière en période actuelle. Des limitations de droits concrets
demanderont des études détaillées à l'avenir et notre étude pourrait être utile par la base
théorique que nous proposons.

Il reste à noter que le but initial de notre travail sur ce sujet portait justement sur la
détermination du bien-fondé des limitations de certains droits. Or, il s'avéra très vite que le
nombre de droits des détenus dont l'analyse des limitations serait utile et opportune serait trop
élevé. D'autre part, une telle analyse ne pourrait correcte si elle ne pouvait s’appuyer sur une
ladite base théorique générale. Il fut donc décidé que le premier pas inévitable à réaliser dans
l'étude des limitations des droits devait consister à formuler précisément une telle base.

Nous espérons donc que cette recherche deviendra un outil de valeur pour de futures
études inéluctables sur la justification des limitations de certains droits des détenus. Nous
espérons aussi que les idées recueillies et exprimées ici serviront à résoudre les problèmes
posés au cours de ces études.

Pour y parvenir, nous allons explorer la théorie générale des limitations des droits des
détenus. Nous allons donc étudier les problèmes liés à leur compréhension, leur classification,
leurs formes et origines juridiques et philosophiques (Partie I). Après avoir étudié la base
théorique, il conviendra ensuite d’analyser les normes des limitations selon les standards
internationaux dans le domaine pénitentiaire. Il s’agit notamment de normes développées par

108
Теоретичні основи забезпечення якості кримінального законодавства та
правозастосовної діяльності у сфері боротьби зі злочинністю в Україні: монографія / за заг.
ред.. В.І. Борисова, В.С. Зеленецького. — Х.: Право, 2011. — С. 328 (Principes théoriques pour
assurer la qualité de la législation pénale et de l'application de la loi dans le domaine de la lutte contre
le crime en Ukraine: monographie/sous la dir. Gén. De V.I. Borissov, V.S. Zelenetski, Kharkiv, Pravo,
2011, p. 328).
46

l’ONU et surtout par les organes du Conseil de l’Europe comme le CPT et la CEDH (Partie
II). Enfin, à la lumière des conclusions des deux premières parties, il conviendra d’identifier
quels sont les défauts des normes nationales de limitations des droits dans les prisons des pays
de l’Europe et d’Amérique du Nord. Il s’agit d’analyser leur doctrine, leur législation ainsi
que leur jurisprudence (Partie III).
47

Partie I : Nature juridique des limitations des droits des


détenus

Tout droit relatif aux actions présente des limites, du fait de l’exercice de droits
analogues de la part d’autrui109. Les théoriciens du droit naturel procédaient depuis longtemps
à la distinction entre «le droit en lui-même et l’exercice de ce droit vu que son exercice est
souvent restreint par de justes raisons qui ne permettent pas que l’on fasse usage de son droit,
ou limité par les droits d’autrui, qu’il faut concilier avec les nôtres»110.

Les limites des droits des individus dans la société sont nécessaires pour organiser leur
vie en commun. L'apparition des limitations et, avec le temps, celle des limitations en droit
s’est expliquée par le besoin d'ordonner les rapports sociaux, de rendre possible la vie en
commun des individus (de leurs groupes) ayant des intérêts différents, voire opposés.
L'établissement des limitations en droit est mis en rapport avec la naissance du droit en tant
que telle dans son sens positiviste. Quant aux limitations qui n'étaient pas encore objectivées
en droit, elles remontent à des périodes historiques plus éloignées où commençaient à voir le
jour les civilisations humaines.

Les premiers exemples des limitations dans la société sont fournis par les tabous, c'est-
à-dire les restrictions qui avaient des objectifs précis, dont notamment la contention des
instincts biologiques afin de sauvegarder la souche. Le tabou n'est autre chose que la
limitation de certains comportements111. Plus tard, s'étant objectivées dans la loi, elles
acquirent, avec les autres limitations, le caractère d'un moyen universel d'influence sur le
comportement des individus.

Chaque règle de droit pourrait être qualifiée comme étant une forme de limitation.
Toute norme définit des choix parmi des modes de comportement en limitant ainsi le
comportement par des formes socialement utiles, en fixant et en interdisant d’autres

109
Ahrens M.H., Cours de droit naturel ou de philosophie du droit, Bruxelles, Meline, Cans et
Compagnie, 1844, p. 114.
110
De Vattel E., Questions de droit naturel et observations sur le Traité du droit de la nature de
M. le Baron de Wolf, Berne, Société typographique, 1762, p. 328.
111
Приходько И.М. Правовые ограничения в законодательстве: проблемы теории и
практики // Известия высших учебных заведений. Правоведение. – 1999. – №1 (224). – С. 241.
(Prikhodko I.M., Limitations de droits dans la législation: problèmes de la théorie et de la pratique,
Bulletin des grandes écoles. Jurisprudence, 1999, n° 1 (224), p. 241).
48

comportements112. Certains auteurs sont catégoriques en affirmant qu'une règle juridique est
une limitation113.

Développant son concept de "guerre de tous contre tous", Thomas Hobbes parlait déjà
de la nécessité d'établir un contrat social et des normes juridiques pour limiter les effets
négatifs de cet état114. Des représentants de l'école du droit naturel, ainsi que certains
philosophes idéalistes allemands, considéraient les normes juridiques comme fixant et
limitant la liberté115.

Vu dans un sens large, le droit objectif peut toujours être considéré en tant que
limitation ou, plus précisément, comme limitation réciproque des libertés individuelles.
Toutefois, les approches modernes des limitations de droit ont évolué depuis la définition de
toutes les prescriptions juridiques en tant que limitations de droit et caratérisent différemment
la nature de ces dernières. A la place de l'approche précitée voyant dans les normes autant de
limitations de droit, ces dernières sont considérées aujourd'hui comme constituant une
certaine exception du statut juridique existant des sujets des rapports de droit.

112
Кудрявцев В.Н. Право и поведение. – М., 1979. – С. 107 (Koudriavtsev V.N., Le droit et
les comportements, Moscou, 1979, p. 107).
113
Борисов В.В. Правовой порядок развитого социализма. – Саратов, 1977. – С. 69 (цит.
за: Малько А.В. Стимулы и ограничения в праве (теоретико-информационный аспект)
[Электронный ресурс]: Дис. ... д-ра юрид. науки : 12.00.01. – М.: РГБ, 2007. – С. 130) (Borissov
V.V., Ordre juridique du socialisme développé, Saratov, 1977, p. 69 (cité dans Malko A.V. Stimulants
et limitations en droit (aspect théorique et informationnel), Thèse de doctorat en droit, Moscou, RGB,
2007, p. 130).
114
Hampton J., Hobbes and the Social Contract Tradition, Cambridge, Cambridge University
Press, 1988.
115
Voir: Кистяковский Б.А. В защиту права (Интеллигенция и правосознание) // Вехи:
Сборник статей о русской интеллигенции. – М.: Правда, 1991. – С. 122–149 (Kistiakovski B.A.,
Pour la défense du droit (L'intelligentsia et le sens de la justice), Vekhi, Recueil d'article sur
l'intelligentsia russe, Moscou, Pravda, 1991, p. 122-149).
49

1.1. Notions et caractéristiques des limitations des droits

D’un point de vue étymologique, le mot « limitation » provient du latin limitatio, qui
signifie bornage ou délimitation116. Ainsi, existe-t-il deux sens au concept de limitation : selon
le premier sens, la limitation est l’ « action de marquer une limite sur le terrain » ; selon le
second, le terme « limitation » signifie l’« action de borner, de restreindre », dont les
synonymes seraient des mots tels que : « restriction, contrôle et contingentement »117.

Le glossaire des termes relatifs à la théorie de l'État et du droit définit les limitations
juridiques (de droit) comme étant des exclusions légales du statut juridique du citoyen, ce, en
raison de certaines circonstances. Ces limitations lèsent la liberté et les intérêts de la personne,
mais revêtent toujours un caractère préventif : elles préviennent d’éventuels effets
désavantageux aussi bien pour les personnes concernées par les limitations que pour les
autres118. Les limitations constituent non pas la question des moyens, mais celle des droits
dont dispose la personne et qui caractérisent le résultat de la réglementation juridique. Ce
résultat s'obtient à l'aide des moyens de réglementation juridique comme le resserrement des
autorisations, les nouvelles interdictions et des obligations complémentaires119. En
conséquence de leur application, le droit devient limité.

Toutefois, les limitations des droits sont parfois définies comme moyens légaux visant
à maintenir le sujet de droit dans des limites fixées pour la régularisaiton des rapports sociaux
en assurant les intérêts du contre-sujet120. De ce point de vue, les limitations des droits
devraient être perçues autant en tant qu'exclusions légales du statut juridique du citoyen121.
Tout ce qui fait diminuer l'étendue des possibilités réduit la diversité des comportements des
116
Rolain M., Les limitations au droit de propriété en matière immobilière, Thèse pour le doctorat
en Droit, Université Nice Sophia Antipolis, 2015, p. 20.
117
Ibid.
118
Русско-украинский словарь терминов по теории государства и права / Под ред.
Н. И. Панова. — Х.: Укр. юрид. академия, 1993. — С. 83 (Dictionnaire russe-ukrainien des termes
de la théorie de l'État et du droit/Dir. N.I. Panov. Kharkiv, Académie juridique ukrainienne, 1993, p.
83).
119
Алексеев С.С. Общие дозволения и общие запреты в советском праве. – М.: Юрид.
лит., 1989. – С. 67 (Alexeiev S.S., Permissions générales et interdictions générales en droit
soviétique, Moscou, Jurid. Lit., 1989, p. 67).
120
Приходько Н.М. Правовые ограничения в законодательстве: проблемы теории и
практики // Известия высших учебных заведений. Правоведение. – 1999. – №1. – С. 241–242
(Prikhodko I.M., Limitations de droits dans la législation: problèmes de la théorie et de la pratique,
Bulletin des grandes écoles. Jurisprudence, 1999, n° 1, p. 241-242).
121
Денисова А.М. Правові обмеження: поняття, види, функції // Часопис Київського
університету права. – 2011. – №2. – С. 52 (Denissova A.M., Limitations des droits: notions, types,
fonctions//Bulletin de l'Université de droit de Kiev, 2001, n° 2, p. 52).
50

individus à un état "limite" et constitue une restriction des droits122. Ainsi, la vision des
limitations en tant que moyen exceptionnel de réglementation juridique est-elle suffisamment
répandue. Dans ce sens, la question de la restriction des droits fondamentaux d’une personne
se pose lorsque la protection de ces mêmes droits se heurte aux intérêts de la communauté ou
d’un tiers123.

La limitation des droits constitue un changement du sens ou de la portée de la norme


du droit lorsqu'il y est nécessaire de mettre en concordance les intérêts contradictoires de la
société, de l'État et de la personne. Elles sont traitées d’une manière ponctuelle pour
mentionner l’ « intervention étatique » dans le cadre de la politique d’aménagement 124. En
d’autres termes, dans le cas où il existe des intérêts contradictoires dans la société, l'État
intervient en utilisant les limitations des droits.

La limitation d'un droit constitue le resserrement de sa portée à partir des fondements


prévus par la loi et suivant une procédure précise125. La réduction du contenu du droit est
considérée comme caractéristique substantielle de la limitation, étant précisé qu'il convient
d'entendre par limitations des droits un resserrement légal du contenu de certains droits et
libertés ou l'interdiction totale de les exercer, ce, en vue d'assurer la protection voulue des
droits et libertés d'autres personnes et de développer et faire fonctionner la société et l'État126.

Dans sa thèse portant sur les problèmes des limitations des droits, O.V. Ossinska
définit celle-ci comme étant le "resserrement de leur contenu et (ou) de l'étendue des droits et
libertés concernant la possibilité d'avoir, de posséder, de mettre à profit les valeurs sociales, la
liberté d'agir et de comporter, dans le but de protéger la souveraineté et l'intégrité ou l'ordre
public, d'assurer la protection des droits et libertés caractérisant les standards nationaux du
niveau de vie de l'homme"127. Ces définitions peuvent être considérées d'ailleurs comme

122
Ibid, p. 54.
123
Schmidt Noël A., La limitation des droits fondamentaux en droit constitutionnel comparé,
Thèse, Université de Neuchâtel, 2011, p. 42
124
Cornu G., Droit civil, les biens, Montchrestien, Coll. Précis Domat droit privé, 13e éd, Paris,
2007, p. 188 et s., cité dans Rolain M. Ibid, p. 25.
125
Селівон М. Критерії обмеження прав людини у практиці конституційного правосуддя //
Вісник Конституційного Суду України. – 2005. – №3. – С. 41 (Selivon M., Critères de la limitation
des droits de l'homme dans la jurisprudence de la justice constitutionnelle, Bulletin de la Cour
constitutionnelle de l'Ukraine, 2005, n° 3, p. 41).
126
Мельник К.Ю. Обмеження прав особистості як наслідок володіння спеціальним
правовим статусом // Право і безпека. – 2005. – № 4,3. – С. 126 (Melnik K.You, Limitation des
droits de la personne en tant que conséquence de la posséssion d'un statut juridique spécial, Droit et
sécurité, 2005, n°4.3, p. 126).
127
Осинська О.В. Обмеження прав і свобод людини: теоретико-прикладні аспекти:
Автореф. дис…. канд.. юрид. наук. – К., 2010. – С. 6 (Ossinska O.V., Limitation des droits et
libertés de l'homme: aspects théoriques et appliqués, Thèse de doctorat en droit, Kyiv, 2010, p. 6).
51

caractéristiques des marques de limitations sous des points de vue différents: dans l'optique du
contenu (définition de la limitation par son contenu) et de la fonctionnalité (définition de la
limitation par ses fonctions).

Résumant toutes les définitions citées ci-dessus, il est possible de dégager les
caractères suivants des limitations des droits que la majorité des juristes soviétiques et post-
soviétiques s'intéressant à ce sujet considèrent comme obligatoires. Ce sont : 1) le
rétrécissement de l'étendue et du contenu des droits existants; 2) la détermination formelle de
la limitation; 3) la mise en œuvre de la limitation avec des buts précis; 4) l'application de la
limitation par l'État.

1.1.1. Rétrécissement de l'étendue et du contenu des droits existants

La particularité substantielle de ce caractère consiste en ce qu'en raison de l'application


des limitations des droits, la personne voit se réduire la liberté de ses actes. Il y a ainsi
diminution ou privation complète des possibilités de la personne fixées dans la législation ou
en découlant.

Nous proposons de porter notre attention sur les caractéristiques des notions de
"contenu" et d'"étendue" du droit subjectif. Selon ces notions, les droits se caractérisent par
des indicateurs qualitatifs et quantitatifs. Les indicateurs qualitatifs se manifestent dans le
contenu des droits et les indicateurs quantitatifs dans leur étendue128.

Etant donné que les limitations des droits consistent en une modification négative des
indicateurs quantitatifs et qualitatifs des droits, c'est-à-dire dans une modification de leur
étendue et de leur contenu, il importe d'analyser ces deux notions pour pouvoir bien
comprendre la nature de la limitation des droits. Soulignons que c'est la diminution du
contenu et de l'étendue d'un droit qui constitue l’essence de la limitation juridique.

1.1.1.1. Contenu du droit

Pris dans son sens le plus général, le contenu d'un droit s'entend des prérogatives
constituant le droit subjectif dont dispose l'individu. Nous entendons par prérogatives les

128
Rabinovitch P.M., Pankevitch I.M., Ibid, p. 16.
52

capacités juridiques, les éléments dont se compose le contenu du droit subjectif. Ce sont donc
les "composantes", les "petites" parties du droit subjectif que l'on qualifie de prérogatives 129.

Par tradition, les droits subjectifs donnent lieu à la distinction de trois prérogatives à
savoir : le droit d'agir ; le droit aux actes d'autrui ; et le droit à la défense130. La première
comprend le droit aux actes propres visant à l'utilisation des propriétés utiles de l'objet du
droit, le droit aux actes juridiques (le propriétaire d'un objet, par exemple, peut l'utiliser
d'après sa destination) et le droit aux décisions juridiques (le propriétaire d'un objet peut le
donner en cadeau, le vendre); la deuxième comprend le droit de réclamer à la partie opposée
de remplir l'obligation correspondant à un droit; la troisième consiste dans la possibilité de
mettre en œuvre l'appareil coercitif contre la personne obligée, c'est-à-dire le droit à
l'exécution forcée de l'obligation131. Jean Dabin énumère ces éléments comme suit :
l’appartenance (l’attribution par l’ordre juridique d’un bien déterminé à un sujet de droit); la
maîtrise (le sujet a pouvoir sur la chose); la faculté d’exiger son respect par les tiers
(inviolabilité et exigibilité). Dabin ajoute un quatrième élément : la protection juridique par
l’action ou la voie de droit132.

La limitation des droits peut résulter de l'annulation ou de la diminution de l’une des


prérogatives qui font le contenu des droits fondamentaux et des libertés de l'homme. Dans ce
sens, les limitations des droits fondamentaux peuvent aussi être qualifiées de rabaissement, ce
qui signifie la réduction du contenu matériel des droits fondamentaux, de l'étendue des biens
sociaux, politiques et autres, dont doit disposer leur titulaire, et la minimisation des garanties

129
Алексєєв С.С. Государство и право. Начальный курс. 3-е изд., перераб. и доп. — М.:
Юрид. лит., 1996. – С. 96 (Alexeiev S.S., L'État et le droit. Cours introductif. 3e éd. revue et
complétée, Moscou, Jurid. Lit., 1996, p. 96).
130
Notons que dans le droit international, le concept de droit subjectif n’a guère été développé.
Il est presque complètement absent de la pratique internationale et a été peu analysé par la doctrine.
L’existence même du droit subjectif est directement niée dans deux courants majeurs de la doctrine
internationale : celui du « normativisme » dont Kelsen est le fondateur ; et celui de l’« objectivisme
sociologique » développé particulièrement par Scelle (Chapitre « La contestation procédurale de
l’actio popularis », in Voeffray F. L’actio popularis ou la défense de l’intérêt collectif devant les
juridictions internationales, Genève, Graduate Institute Publications, 2004, p. 324-354).
131
Теория государства и права. Учебник для юридических вузов и факультетов. / Под ред.
В. М. Корельского и В. Д. Перевалова. – М.: Издательская группа «Норма-Инфра», 1998. – С.
342 (Théorie de l'État et du droit. Manuel pour les facultés juridiques, Sous la dir. de M. Korelski et
V.D. Perevalov, Moscou, Groupe d'étideurs "Norma-Infa", 1998, p. 342).
132
Dabin J., Le droit subjectif, Paris, Dalloz, 1952, p. 80-98.
53

des droits fondamentaux, notamment du fait de l'avantage public d'un groupe de droits (ou de
certains droits) au préjudice d'un autre groupe (ou d'autres droits)133.

L'exemple le plus simple de la prérogative d'agir vient du droit de propriété, qui


comprend, pour sa part, trois capacités d'agir: posséder en propre ; user ; et disposer de ses
biens (article 317 du Code civil de l'Ukraine: "Contenu du droit de propriété"). La capacité de
posséder c'est la capacité d'être titulaire d'un droit et la capacité d'utiliser suppose la
possibilité d’exercer ces droits134. L'élimination de l'une d'entre elles, aussi bien que la
modification dans le sens de la diminution en pratique des possibilités des personnes détenant
un droit subjectif, démontre un rétrécissement du contenu d'un droit et, par conséquent, la
limitation de celui-ci.

Il en va ainsi par exemple pour les personnes privées de liberté. Le détenu peut
posséder, en vertu du droit de propriété privée, un logement, une maison située en dehors de
l'établissement pénitentaire et dont il peut disposer en la vendant, en la donnant ou en
l'échangeant135 ; cependant, il ne peut pas avoir l’usage du fait de son incarcération. Il y a
ainsi élimination de l’une des prérogatives (ou plutôt d'une partie de prérogative): l’usage de
son bien. Cela signifiera donc l'existence de la limitation du droit de propriété sur la maison
d'habitation.

D'autre part, le détenu ne peut pas exercer la prérogative d'agir et notamment celle de
disposer de sa maison (exercer le droit de prise de décisions juridiques) directement, sans un
mandataire. Il y a donc pour ce qui le concerne, une modification des modalités d'exercice du
droit par rapport aux personnes libres.

Un autre exemple probant vient du décret du 30 avril 2013 relatif aux Règlements
intérieurs types des établissements pénitentiaires français, où il est précisé que la personne
détenue ne peut conserver en détention ni argent ni moyen de paiement (art. 23). En revanche,
cette règle n’empêche pas le détenu d’avoir de l’argent sur un compte bancaire externe de

133
Конституционные права и свободы человека и гражданина в Российской Федерации:
учебник для вузов / Под. ред. д.ю.н., проф. О.И. Тиунова. – М.: Норма, 2005. – С. 310 (Droits
constitutionnels et libertés de l'homme et du citoyen en Fédération de Russie, Sous la dir. du prof. O.I.
Tiounov, Moscou, Norma, 2005, p. 310).
134
Allain С. Introduction. Le « doit des détenus », sens et probablité, L’Institution du droit
pénitentiaire - Enjeux de la reconnaissance de droits aux détenus. De Schutterr O and Kaminski (eds),
Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2002, p. 10.
135
Il convient de préciser toutefois que cette capacité de disposer ne peut être exercée qu'au
moyen d'un mandataire, c'est-à-dire d'un tiers qui sera habilité par la procuration d'accomplir les actes
voulus. Cela démontre l'existence d'une limitation de fait, c'est-à-dire une limitation résultant de
l'incarcération du détenu. Sur ce type de limitations et les autres voir chapitre 1.3 "Classification des
limitations des droits".
54

droit commun et de l’utiliser par le biais d’un intermédiaire. Dans ce cas, le détenu voit sa
prérogative d’exercer du droit diminuée. D’une manière similaire, nous pouvons traiter
l'interdiction faite aux condamnés et aux personnes placées en détention provisoire de céder
les postes de télévision qu'ils ont reçus et qui leur appartiennent en jouissance personnelle à
d'autres personnes (par. 2.8 du Chapitre 6 du Règlement intérieur des maisons d’arrêt du
Service d'État d'exécution des peines de l'Ukraine). Dans ce cas, les condamnés et les détenus
conservent la prérogative de posséder en propre et de se servir de leur poste télévision, mais
ils voient leur prérogative d'en disposer diminuée. Il y a donc bien une limitation des droits.

Les conclusions pouvant être tirées de ce qui précède sont importantes pour mieux
comprendre la nature juridique des limitations:

Premièrement, la limitation du droit a lieu en cas de détérioration du statut juridique,


qui se traduit par la diminution du nombre de modes possibles de comportements à l'aide
desquels le détenu peut exercer son droit de propriété, dès lors qu'il aurait pu accomplir l'acte
voulu en liberté à tout moment et par tout moyen convenable.

Deuxièmement, cette limitation du droit a son propre caractère spécifique, parce


qu'elle est ce qu'on appelle une limitation « de fait » ou « factuelle », laquelle n'est pas
directement codifiée dans les normes du droit, mais qui relève du fait d'être isolé. Sous ce
rapport, un autre terme juridique, soit la limitation de l'exercice du droit, caractérise ce type de
limitation du droit. Etant donné que la possibilité de réaliser un droit (disposer de sa maison
ou de son poste TV) est une prérogative composant le droit subjectif, c'est-à-dire une
composante du contenu de celui-ci, la limitation de l'exercice du droit constitue en fait la
limitation de ce droit136. Bien que différentes par la dénomination, ces limitations ne diffèrent
pas d'après leurs caractéristiques essentielles et conduisent à la diminution du contenu et de
l'étendue du droit dont la personne peut bénéficier. Ainsi, convient-il de distinguer deux types
de limitations des droits: limitation directe et limitation de l'exercice du droit, cette dernière
pouvant être volontaire ou imposée137. Nous estimons que le fait d'être incarcéré constitue
pour les détenus un exemple de limitation forcée de l'exercice des droits, en accord avec la
classification proposée.

136
La pertinence de cet avis dépend de l'approche pratiquée vis-à-vis des limitations des droits:
théories interne ou externe évoquées ci-bas.
137
Фігель Ю.О. Теоретичні аспекти обмеження прав людини // Вісник Національного
університету "Львівська політехніка" : Юридичні науки / Нац. ун-т "Львів. політехніка". –
Львів: Вид-во Львів. політехніки, 2016. – №837. – С. 359 (Figel You.O., Aspects théoriques de la
limitation des droits de l'homme, Bulletin de l'Université nationale "Lvivska politekhnika": Sciences
juridiques/Université nationale "Lvivska politekhnika, Lviv, Editions de Lvivska politekhnika, 2016,
n° 837, p. 359).
55

Toutefois, cette situation devrait être distinguée par rapport à la théorie des limitations
"naturelles" ou "inhérentes à l'incarcération", laquelle se fonde sur la supposition erronée que
la pratique de mise à part de ces limitations garantit la protection contre des limitations
démesurées138. La limitation de l'exécution du droit constitue, à notre sens, tout aussi bien la
limitation du droit.

Certains auteurs distinguent, par ailleurs, limitations juridiques et limitations


factuelles. Ces dernières concernent les cas où la possibilité d'exercer un droit tient à la
situation économique ou sociale de la personne. Ils citent en exemple l'exercice du droit à la
liberté d'expression, dont le contenu est limité pour les personnes ahalphabètes. La même
chose concerne les cas d'impossibilité d'exercer le droit au travail dans le contexte d'un
manque d'emploi. Ces exemples touchent plutôt à l'efficacité des droits, car il convient de
distinguer la possibilité (formelle) d'exercer un droit et l'existence d'une telle possibilité (en
pratique)139.

Troisièmement, le changement du mode d'exercice du droit peut être considéré aussi


comme étant une forme de limitation des droits140, mais à condition que ce changement
détériore la situation du détenu par rapport au citoyen libre ou par rapport à sa situation
antérieure141.

Un autre exemple de retrait de prérogative est constaté dans la privation éventuelle des
condamnés du droit à l'égilibilité. Dans le même temps, en général les condamnés ne sont pas
privés du droit de vote actif, c'est-à-dire du droit d'élire. Cependant, comme le droit de vote
actif et l'égibilité font partie du droit de participer à la vie politique et à la gestion des affaires
publiques, le fait de priver le citoyen de l'égibilité ,en raison de sa condamnation, constituent
un exemple de la limitation de ce droit.

Le contenu du droit subjectif peut être élucidé en précisant le type de comportement


qui peut être exigé par le sujet et de la part de: "autrement dit, le contenu du droit subjectif ne
peut être élucidé autrement que par l'indication du sujet et du contenu de l'obligation qui

138
Voir chapitre 1.3.2 "Classification selon l'origine de la limitation. Restrictions de droits
découlant de l'incarcération".
139
Peces-Barba G., Théorie générale des droits fondamentaux. Traduction de Ilié Antonio Pelé,
présentation de Samir Naїr, Préface d’André-Jean Arnaud, Paris: Librairie générale de droit et de
jurisprudence, 2004, p. 426.
140
Voir plus de détails sur les formes des limitations des droits des détenus au chapitre 1.2
"Formes des limitations des droits".
141
S. Enderlin cite l'exemple de la limitation de ce type: elle s'applique lorsque le détenu doit
obtenir l'autorisation de l'administration pénitentiaire pour publier son manuscrit (Enderlin S., Le droit
de l’exécution de la peine privative de liberté : D’un droit de la prison aux droits des condamnés,
Thèse, Paris, Université de Paris Ouest Nanterre la Défense, 2008, p. 35).
56

correspond au droit donné"142. Cela veut dire que le contenu du droit embrasse tous les actes
que le sujet peut accomplir par le fait que les autres sujets ont l'obligation correspondant à la
possibilité d'accomplir ces actes.

C'est ainsi que le droit du détenu à la correspondance postale détermine l'obligation de


l'administration de recevoir et d'expédier son courrier. De même, le droit d’être informé par la
remise d'un livret d'accueil comprenant des dispositions relatives à son régime de détention, à
ses droits et obligations et aux recours qu'elle peut former (art. 23 de la Loi pénitentiaire
française), oblige l’administration pénitentiaire à remettre un tel livret.

Les problèmes posés par cette approche surgissent lorsque le droit établi par la loi ne
prévoit pas de mécanisme permettant son exercice. En Ukraine, par exemple, cela concerne la
possibilité des condamnés de se servir de leur droit aux communications téléphoniques
(notamment dans les réseaux de téléphonie mobile) sans limitation de quantité, mais sous
contrôle de l'administration (art. 110, 5e al., du CEP). Tous les condamnés emprisonnés ont
droit aux "communications téléphoniques, notamment pour les réseaux de téléphonie mobile
et à utiliser le réseau global d'Internet" (art. 107, 1er al., du CEP). Ce droit a provoqué de
sérieux malentendus au cours de son application, parce qu'à la différence des personnes
condamnées à la semi-liberté (art. 59, 2e al., du CEP), les personnes privées de liberté ne sont
pas autorisées à avoir sur eux des ordinateurs portables, des téléphones mobiles et leurs
accessoires. Dés lors, le droit existe, mais la possibilité de l'exercer n'existe pas143. La

142
Александров Н.Г. Юридическая норма и правоотношение. (Сокращенная стенограмма
доклада, прочитаного на научной сессии института 6 мая 1946 г.) / Под редакцией проф.. И.Т.
Голякова. – М., 1947. – С. 18 (Alexandrov N.G., Norme juridique et rapport de droit. (Sténogramme
résumé du rapport à la session scientifique de l'Institut du 6 mai 1946), Sous la dir. du prof. I.T.
Goliakov, Moscou, 1947, p. 18).
143
C'est ce qu'invoquait par exemple le Tribunal administratif de Soumy dans son arrêt en
refusant de reconnaître le droit du condamné de se servir de son portable compte tenu des dernières
modifications du CEP de l'Ukraine relatives à la téléphonie mobile (arrêt du 17.09.2014 dans l'affaire
N° 818/2336/14 , disponible sur: http://www.reyestr.court.gov.ua/Review/40619485 (accedé le
19.06.2016). Selon le représentant du bureau d'ombudsman, You. Biloussov, une réaction similaire
avait été manifestée par le parquet qui, dans ses réponses aux plaintes des condamnés sur
l'impossibilité d'utiliser la téléphonie mobile, se référait au fait que les téléphones portables étaient des
objets interdits. Fait instructif: le parquet reliait le problème à ce qu'après avoir adopté les
modifications au CEP le Gouvernement ne mit pas en conformité les textes normatifs qui
réglementeraient les modalités d'utilisation de la téléphonie mobile. Le Ministère de la justice, saisi par
l'ombudsman avec la demande d'expliquer la norme sur la téléphonie mobile pour les condamnés,
donnait une réponse assez étrange disant que la règle permettant aux condamnés de communiquer par
téléphone dans les limites du réseau de téléphonie mobile signifiait en fait qu'ils n'avaient le droit que
d'appeler leurs correspondants dans ces réseaux. Nous constatons ainsi l'existence d'un droit et
l'absence de mécanisme pour sa réalisation (Didenko A., Chovgan V.,Chapter « Prisoners’ Rights », in
Human Rights in Ukraine. – 2014, Report of Human Rights Organisations, Eds.: O.A. Martinenko,
E.You. Zakharov, Helsinki Human Rights Union, Kharkiv, Human Rights Ed., 2015, p. 306-308 /
http://khpg.org/files/docs/1432628556.pdf (accedé le 05.11.2017).
57

polémique reste donc ouverte pour savoir si l'attribution d'un droit vaut aussi la
reconnaissance du droit du sujet à l'exercice de ce droit, en l'absence du mécanisme
permettant sa réalisation. Ceci pose également le problème des obligations reposant sur
l'administration pénitentiaire.

Si la réponse à cette question est négative (l'obligation correspondante ne naît pas), la


limitation du droit pourrait se traduire aussi par l'inaction de l'État en matière d'établissement
du mécanisme de réalisation du droit reconnu à la personne.

Ce qui apparaît très souvent comme une limitation n'est souvent qu'une situation qui
n'est pas couverte par le droit et qui ne se trouve pas sous sa protection144. La situation la plus
évidente est celle où le droit pénitentiaire reconnaît un type particulier de réglementation
juridique ("est permis tout ce qui directement prévu par la loi") et, dans le cas contraire,
l'absence de la réglementation d'un droit ou d'un autre signifie en fait l'absence de ce droit145.
Nonobstant ce fait, l'absence de réglementtion légale relative à l'exercice d'un droit, quand le
droit ne peut pas être exercé en réalité sans une telle réglementation, peut être considérée
comme une limitation du droit.

Pour finir, il résulte de ce qui précède que la réduction du contenu ou de l'étendue d'un
droit peut être signifiée par une diminution ou à un élargissement des droits ou des devoirs de
l'administration pénitentiaire. Il s'agit bien entendu uniquement des droits ou des devoirs du
personnel pénitentiaire auxquels correspondent ceux des détenus.

1.1.1.2. Etendue du droit


Le resserrement de l'étendue des droits et libertés signifie la réduction du domaine des
rapports sociaux dans le cadre duquel l'homme peut exercer ses droits et libertés (c'est-à-dire
la réduction du cercle possible des sujets, du territoire, du temps d'utilisation des droits et
libertés)146. A partir de là, l'étendue du droit est une caractéristique ayant des unités de mesure.

144
Peces-Barba G., Ibid, p. 427.
145
Mezghani R., La condition jurdique du détenu. Thèse pour le doctorat d’état, Paris, Université
de droit, d’économie et d Sciences Sociales de Paris (Paris 2), 1975, p. 254.
146
Рабінович П.М. Права людини і громадянина у Конституції України (до інтерпретації
вихідних положень). – Харків: Право, 1997. – С. 23 (Rabinovitch P.M., Droits de l'homme et du
citoyen dans la Constitution de l'Ukraine (pour l'interprétation des dispositions générales), Kharkiv,
Pravo, 1997, p. 23).
58

Il est évident que ces mesures ne peuvent pas être universelles, univalentes, homogènes pour
tous les droits quels qu'ils soient147.

Citons quelques exemples concernant les droits des détenus. Suivant l’article 3 du
décret portant sur les Règlements intérieurs types des établissements pénitentiaires français le
régime alimentaire comporte trois distributions par jour. Chaque personne détenue doit
pouvoir se doucher au moins trois fois par semaine (art. 12 des RI français). Citons encore la
fréquence des visites que peut recevoir la personne détenue qui est de trois fois par semaine,
au moins, lorsque celle-ci est prévenue et d'une fois par semaine au moins, lorsqu'elle est
condamnée (art. 29 des RI français). Dans ces cas, les caractéristiques quantitatives des droits
sont déterminées. Il s'agit de la fréquence des repas, de la douche et des visites. En faisant
diminuer cette fréquence une limitation du droit surviendrait. Par contre, l'augmentation de la
fréquence autorisée signifierait une diminution de la portée de la limitation du droit.

Un autre exemple de diminution de l'étendue du droit consiste dans la fixation du


nombre maximum de livres que les condamnés sont autorisés à détenir (par exemple cette
limitation jusqu’à récemment existait en Grande-Bretagne et existe toujours en Ukraine).
Cette limitation n'existe pas pour les personnes libres. Ainsi, l'étendue du droit est-elle
diminuée en passant du nombre non fixé (illimité de jure) à un nombre fixé.

Il est logique de constater que les limitations elles-mêmes se définissent aussi par un
contenu et une étendue. Leur caractéristique dépend de la manière dont la limitation modifie
le droit subjectif. Ainsi, le contenu et l'étendue de la limitation définissent-ils directement le
contenu et l'étendue du droit auquel elles s'appliquent. L'analyse du contenu et de l'étendue du
droit subjectif avant et après leur modification permet de caractériser la limitation qui lui a été
appliquée. Ce procédé logique convient pour établir les limitations appliquées aux condamnés
ainsi que le fait de leur application.

Pour simplifier, nous pouvons présumer que le contenu du droit se présente en ce que
la personne peut faire et l’étendue du droit se présente sous forme de caractéristique
quantitative de ce qu’elle peut faire ( : combien de fois ; pour combien de temps; en quelle
quantité; etc).

Des avis sont émis dans la littérature sur le fait que le resserrement du contenu des
droits implique nécessairement le resserrement de leur étendue. Par contre, selon ces avis, les
changements dans l'étendue des droits n'entraînent pas forcément des changements dans le

147
Rabinovitch P.M., Pankevitch I.M., Ibid, p. 17.
59

contenu du droit148. Cette thèse est toutefois contraire à la loi philosophique de transition
réciproque des changements quantitatifs et qualitatifs. D'après cette loi, la qualité et la
quantité se trouvent dans un rapport dialectique: il n'y a pas de quantitité qui n'exprime une
certaine qualité, comme il n'y a pas de qualité sans quantité. Les changements quantitatifs
entraînent nécessairement des changements qualitatifs149.

1.1.2. Détermination formelle de la limitation

Une autre marque générale des limitations des droits, citée par la majorité des auteurs,
est la détermination formelle. Elle signifie que les limitations des droits doivent être toujours
prévues par des normes du droit. Presque tous les spécialistes nationaux évoquent cette
marque comme un élément obligatoire.

Leur avis est que si la limitation n'est pas prévue par les normes du droit adoptées par
les autorités compétentes, elle ne pourra pas être tenue pour légale. Bien plus, de telles
limitations tomberaient nécessairement sous le coup du critère d'infraction, car la diminution
du contenu et de l'étendue des droits et libertés s'appliquerait par violation des normes qui en
fixent le contenu et l'étendue existants.

Nous ne pouvons partager cette vision générale. Le fait de n'être pas prévue par la loi
n'enlève pas à la limitation du droit son caractère de limitation. Celle-ci cesse, en revanche,
d'être une limitation justifiée et passe dans la catégorie des limitations injustifiées.

La question de la source de fixation des limitations pose surtout problème dans le


contexte pénitentiaire. En examinant la question de la source de fixation des limitations de
droits pour les condamnés, le regard se pose sur l'ambivalence des normes nationales en la
matière concernant la source des limitations : la loi doit-elle être comprise comme acte du
Parlement ou aussi comme acte infra-réglementaire ?

L'exigence selon laquelle les limitations des droits ne devraient être établies que par le
législateur découle du concept de séparation des pouvoirs. John Locke insistait sur la
nécessité de définir les droits de la personne dans la loi (à l'opposé des autres textes
réglementaires "non préparés") en tant que moyen de prévenir des abus commis par les

148
Ibid, p. 19.
149
Hegel G.W., La science de la logique, second tome, Paris, Librairie Philosophique de
Ladrange, 1859, p. 61.
60

pouvoirs réglementaires150. Le concept de mise en place des limitations uniquement prévues


par la loi remonte à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui proclame:
"La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui: ainsi, l'exercice des droits
naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la
société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la
Loi" (art. 4).
Par exemple, en France cette discussion a été portée devant le Conseil Constitutionnel
dans le cadre de l’interprétation de l’article 34 de la Constitution, qui enonce que la loi fixe
les règles concernant la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont
applicables et la procédure pénale. À la lumière de cet article, l'article 728 du code de
procédure pénale énonce que : «Un décret détermine l'organisation et le régime intérieur des
établissements pénitentiaires » a été déclaré contraire à la Constitution151.

Selon le Conseil Constitutionnel, « en renvoyant au décret le soin de déterminer ces


conditions qui incluent notamment les principes de l'organisation de la vie en détention, de la
surveillance des détenus et de leurs relations avec l'extérieur, les dispositions contestées
confient au pouvoir réglementaire le soin de fixer des règles qui relèvent de la loi » (par. 6).
Par la suite, « en adoptant les dispositions contestées, le législateur a méconnu l'étendue de sa
compétence » (par. 6). Cela privait de garanties légales l'ensemble des droits et libertés
constitutionnellement garantis, dont bénéficient les détenus, dans les limites inhérentes à la
détention (par. 7).

Cette décision du Conseil peut être considérée comme un fort argument dans les
discussions relatives à la compétence des pouvoirs en matière des limitations des droit en
droit pénitentiaire152. La clarification de règles constitutionnelles à cet égard est
particulièrement importante. En l’absence d’une telle clarté, les batailles théoriques se
poursuivent en Ukraine.

La cause en réside dans l'interprétation de l'article 63, 3e al., de la Constition de


l'Ukraine, qui énonce que le détenu jouit des droits et libertés de l'homme et du citoyen sous
réserve des exceptions prévues par la loi et appliquées par le tribunal.

150
Locke J., Two Treaties of Government. A new edition, corrected. In ten volumes. Vol. V.,
London, Printed for Thomas Tegg,W. Sharpe and son, et al., 1823, р. 164-165.
151
Conseil Constitutionnel, Décision n° 2014-393 QPC du 25 avril 2014, Organisation et régime
intérieur des établissements pénitentiaires.
152
La question a été déjà soulévée auparavant dans le Conseil d’État, mais elle n’avait pas été
résoulue : CE, 31 octobre 2008, n° 293785, Section française de l’Observatoire des prisons.
61

L'exigence de l'institution des limitations par la loi est en relation directe avec la
garantie de la séparation des pouvoirs. Concernant le problème cité, V.S. Nersessiantz indique
que les normes limitatives créées par l'exécutif, quels que soient ses arguments, enfreignent
les prérogatives du législateur et dévalorisent le principe de suprématie de la loi. Les
fondements juridiques généraux des textes de droit sont ainsi érodés153.

Se référant à l'art. 63 de la Constitution, I.S. Iakovets précise que les droits des
condamnés ne peuvent être limités que par les lois et n'être fixés que par l'arrêt du tribunal et,
non par d'autres textes réglementaires, y compris ceux émanant d'une administration154. Cet
avis est confirmé par les conclusions d'une autre étude portant sur ce problème155. Les
spécialistes démontrent que les textes d'application ne peuvent qu'expliciter certaines
limitations des droits concernant l'exercice de ceux-ci, l'exécutif n'ayant pas compétence pour
décréter de nouvelles limitations des droits156.

La question de la nature du texte pouvant établir des limitations suscite d'autres points
de vue. K. Eckstein estime par exemple que l'exigence visant à fixer les limitations des droits
dans la loi ne peut pas être réalisée. La loi formelle ne devrait pas décrire les limitations
possibles dans les moindres détails. Les autorités de l'exécutif, qui formulent plus en détails
de telles limitations, devraient toutefois pouvoir s'appuyer sur une loi formelle, en choisissant
la formulation, la loi concernée devant être suffisamment concrète. Plus une limitation est
importante et plus précis doit être son lien avec une loi formelle157.

153
Нерсесянц В. Конституционная модель российской правовой государственности: опыт
прошлого, проблемы и перспективы // Правовое государство, личность, законность. – М., 1997.
– С. 34 (Nersessiantz V., Modèle constitutionnel de la structure de l'État juridique russe: expérience du
passé, problèmes et perspectives, État de droit, personnalité, légalité, Moscou, 1997, p. 34).
154
Яковець І.С. Первинна класифікація засуджених до позбавлення волі та їх розподіл в
установи виконання покарань / Моногр. – Харків, 2006. – С. 185 (Iakovets I.S., Classification
primaire des personnes condamnées à la privation de liberté et leur affectation aux établissement
d'exécution des peines/Monogr., Kharkiv, 2006, p. 185).
155
Майоров В.В. Соотношение закона и подзаконного акта в исправительно-трудовом
праве: Автореф. дис… канд. юрид. наук. – Москва, 1976; Майоров В.В. Ведомственные
нормативные акты как источники исправительно-трудового права. – Рязань, 1978 (Mayorov
V.V., Rapport entre loi et texte d'aplication dans le droit correctionnel: Thèse de doctorat en droit,
Moscou, 1976: Mayrorov V.V., Textes réglementaires administratifs en tant que sources du droit
correctionnel, Riazan, 1978).
156
Осинська О.В. Визначення форми обмежень прав людини // Часопис Київського
університету права. – 2009. – №1. – С. 77 (Ossinska O.V., Détermination de la forme de limitation
des droits de l'homme, Revue de l'Université du droit de Kyiv, 2009, n° 1, p. 77).
157
Экштайн К. Основные права и свободы. По российской Конституции и Европейской
Конвенции. Учебное пособие для вузов. – М.: Nota Bene, 2004. – С. 61, 63 (Ekcstein K., Droits
fondamentaux et libertés. D'après la Constitution russe et la Convention européenne. Manuel pour
université, Moscou, Nota Bene, 2004, p. 61, 63).
62

V.I. Seliverstov estime qu'il est impossible de fixer, d'une manière précise et
exhaustive, le statut juridique des condamnés au niveau de la loi. Il estime que du fait des
possibilités objectives de développement de la législation sur l'exécution des peines, il n'est
pas possible de fixer dans les lois l'ensemble des droits, des obligations et des intérêts
légitimes des condamnés. Ceci étant, certains droits et obligations des condamnés qui
caractérisent le statut général des citoyens et, à plus forte raison, les droits et obligations
spécifiques, ne seraient probablement pas adaptables par la loi158.

Ne partageant pas cet avis, I.S. Iakovets présente sa position disant que les limitations
des droits devraient être prévues uniquement par la norme sous forme de texte législatif en
s'appuyant sur les arguments suivants:

Premièrement, la loi peut (et doit autant que possible) fixer toutes les limitations des
droits de l'homme. La théorie générale du droit ne les divise pas en celles qui sont valables et
qui ne sont pas valables pour la loi et il est douteux qu'il soit justifié de le faire dans le droit
d'exécution des peines;
Deuxièmement, les textes d'application du droit d'exécution des peines sont, pour
l’essentiel, élaborés justement par les autorités d'exécution des peines qui risquent d'y réaliser
leurs propres intérêts qui ne répondent pas toujours aux principes constitutionnels dans ce
domaine;
Troisièmement, il convient de prendre en compte les différences en termes de
possibilité de contrôle, d’une part, des activités législatives du Parlement en tant qu’institution
adoptant les lois et, d’autre part, des activités en matière de textes réglementaires de
l'administration pénitentiaire, dont beaucoup sont inaccessibles au public;
Quatrièmement, l'obligation de fixation des limitations des droits dans les lois est
énoncée dans certains textes internationaux. C'est ainsi que l'art. 29 de la La Déclaration
universelle des droits de l'homme souligne que, dans l'exercice de ses droits et dans la
jouissance de ses libertés, chacun n'est soumis qu'aux limitations établies par la loi;
Cinquièmement, conformément à l'art. 63, 3e al. de la Constitution de l'Ukraine, les
personnes condamnées jouissent des droits et libertés de l'homme et du citoyen sous réserve
des exceptions prévues par la loi et appliquées par le tribunal. C'est pourquoi la législation
relative à l'exécution des peines devrait évoluer de manière à ce que les droits, les obligations
et les intérêts légitimes ne soient pas définis dans les textes réglementaires, mais uniquement

158
Селиверстов В.И.. Теоретические проблемы правового положения лиц, отбывающих
наказание. – М.: Акад. МВД РФ, 1992. – С. 60 (Seliverstov V.I., Problèmes théoriques du statut
juridique des personnes purgeant leur peine, Moscou, Académie du MI de la F.R., 1992, p. 60).
63

dans les lois, ce qui permettrait non seulement d'améliorer la législation, mais aussi de la
rapprocher des normes internationales159.
Il est important de noter qu’aux termes de l'art. 102, 1er al. du CEP, les modalités
d'exécution de la peine (dont le non-respect sert de fondement pour l’application des sanctions
disciplinaires (art. 132, 1er al.) peuvent être fixées par la loi et d'autres textes réglementaires.
En d'autres termes, l'autorisation de déterminer les modalités d'exécution de la peine par des
textes d'application prévoit aussi celle de fixer les restrictions des droits par des textes
d'application. La question se pose donc de savoir si une telle "délégation" de la compétence
juridique de la source des restrictions est autorisée par la Constitution en vigueur. En
admettant que la Constitution ne prévoit la possibilité de déterminer les restrictions des droits
que par les lois de l'Ukraine, n'en résulte-t-il pas que la loi, pour sa part, peut déterminer une
autre source de fixation des restrictions160?

Les réponses aux interprétations ambivalentes de la notion de "loi" dans la Constitution


ne seraient pas suffisantes tant que la Cour constitutionnelle n'a pas fourni une interprétation
officielle. Dans tous les cas, au regard de la forme ambivalente sous laquelle sont instituées
maintenant les sources des limitations161, elles n'ont pas de potentiel de défense des droits.
Disons qu'il serait difficile pour un détenu de démontrer au tribunal qu'aux termes de la
Constitution les limitations ne peuvent être déterminées que par la loi en tant qu'acte du

159
Яковець І.С. Первинна класифікація засуджених до позбавлення волі та їх розподіл в
установи виконання покарань. – С. 118 (Iakovets I.S. Classification primaire des personnes
condamnées à la privation de liberté et leur affectation aux établissement d'exécution des
peines/Monogr., Kharkiv, 2006, p. 118). Cependant, cet argument doit être reconsidéré étant donné
que souvent ce sont les administrations pénitentiaires qui préparent des projets de lois en la matière.
Cela peut être le cas en France.
160
Si l'on pose quand même l’hypothèse que la Constitution exige que les limitations soient
fixées par la loi en tant qu'acte du Parlement, cette conclusion nous amène à la question de savoir s'il
est possible de déléguer les compétences pour fixer les limitations dans le cadre de la loi même. Si la
loi en tant qu'acte du Parlement accorde la possibilité de fixer les limitations par un texte d'application,
il est à se demander si les limitations du niveau d'application ne seraient pas fixées "en conformité
avec" la loi (en tant qu'acte du Parlement)?
161
En évoquant la possibilité de limiter des droits et libertés, la Constitution de l'Ukraine définit la
source qui peut les contenir par la catégorie "loi" (art. 33, 34, 35, 36, 39). Dans le même temps, les
limitations de l'appartenance aux partis politiques et aux syndicats sont fixées uniquement par la
Constitution et les lois de l'Ukraine (art. 36, p. 2, en Ukraine le terme souligné par l'auteur signifie
clairement les lois comme actes du Parlement). C'est-à-dire que la Constitution se sert de la catégorie
"loi" dans certains cas et de la catégorie "loi de l'Ukraine" dans d'autres. Il serait utile de citer ici
l'article 92 de la Constitution qui dispose que seules les lois de l'Ukraine déterminent les droits et
libertés de l'homme et du citoyen, les garanties de ces droits et libertés, les principales obligations du
citoyen. Une question se pose: est-ce que la phrase "déterminent les droits et libertés de l'homme et du
citoyen" concerne-t-elle aussi les limitations de ces droits? Nous pensons que c'est le cas puisque la
"détermination" des droits devrait prévoir l'établissement de leurs paramètres et de leurs limitations
admissibles.
64

Parlement et, c'est la raison pour laquelle elles ne devraient pas faire partie, par exemple, du
Règlement intérieur des établissements pénitentiaires. Tant que subsiste la lecture
ambivalente de la Constitution, les perspectives d'une utilisation pratique de cet outil-là sont
illusoires.

A supposer que la Constitution doive déterminer un jour que c'est la loi en tant qu'acte du
Parlement qui est la source obligatoire des limitations des droits des détenus, la mise en œuvre
de cette norme dans le contexte pénitentiaire semble difficile. Au vu de la large conception
des limitations illustrée dans la présente thèse et compte tenu du fait que les modalités de
réalisation d'un droit peuvent refléter les limitations du droit, toutes les normes, y compris au
niveau du plus petit détail, devraient être portées au niveau de la loi.

Sous cette condition, le Règlement intérieur des établissements pénitentiaires ukrainiens


devrait devenir une loi, car sa majeure partie détermine des limitations des droits d'une façon
ou d'une autre. Ce serait le cas aussi d'un certain nombre de textes d'application. Sans exclure
une telle possibilité en théorie, nous ne pouvons problablement pas nous attendre à un intérêt
sérieux du Parlement dans son processus législatif envers des détails de ce niveau. Peut-être,
ceci permettrait de prévenir des abus de pouvoirs au niveau de l'application ce qui se passe
très souvent dans le domaine pénitentiaire. D'un autre côté, l'adoption d'un tel document par le
Parlement n'en garantit pas le caractère professionnel, car il existe des subtilités de l'exécution
des peines qui sont vraisemblablement peu connues des parlementaires et qui ne les
intéressent pas particulièrement162. De plus, les projets de lois adoptés par les Parlements sont
en fait souvent developpés par les administrations pénitentiaires. Une menace peserait
également sur le dynamisme du processus de changement des normes relatives aux limitations
des droits.

De son côté, n’étant pas en accord avec nous, le professeur M. Herzog-Evans estime que
la loi peut contenir aussi les règles les plus détaillées sur le fonctionnement des établissements
pénitentiaires en ce qui concerne les droits des détenus et leurs limitations. Elle se réfère aux
exemples des pays dans lesquels les codes pénaux contiennent des listes très longues et
détaillées d’infractions. Son avis est que le développement de tels projets de loi semble
également possible dans le domaine pénitentiaire grâce, par exemple, à la création d’une

162
Comme il est observé dans l’opinion d’expert de la Commission de Venise « Rapport entre
la législation primaire et secondaire» , une claire distinction entre les questions générales et
spécifiques dans le processus législatif est nécessaire pour améliorer la qualité de la législation (Report
“The Relation Between Primary and Secondary Legislation” by A. Bradley / European Commission
for Democracy Through Law / CDL-UDT(2010)020 , p. 3 , disponible sur :
http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-UDT(2010)020-e (accedé
le 08.06.2017).
65

«commission de codification»163. Sans rejeter la possibilité de mettre une telle codification en


oeuvre, nous restons néanmoins dubitatifs quant à la probabilité d’échapper aux obstacles
mentionnés supra.

En revenant à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés


fondamentales, nous y verrons que pour pouvoir être admises comme justifiées les limitations
doivent être aussi "prévues par la loi". Or, la jurisprudence de la Cour européenne montre que
la "loi" a un sens plus large que le texte normatif voté par le Parlement et qu'elle inclut des
textes d'application164. La CEDH fait remarquer que l'exigence de déterminer toutes les
restrictions au niveau d'un texte d'application serait difficile à imaginer165. Par contre, pour
pouvoir reconnaître que les limitations sont prévues par la loi, des exigences sont avancées
tant à l'égard de la qualité de la loi qu'envers la procédure de son adoption166. En admettant
que la catégorie "loi" dans une constitution est conçue en tant que texte adopté par le
Parlement, il faut admettre que la constitution fixe une norme plus haute par rapport à la
Convention. Ceci peut avoir lieu si nous constatons que la constitution exige la détermination
des limitations par une loi, alors que pour satisfaire les exigences de la Convention il suffit
qu'elles soient déterminées par un texte réglementaire.

1.1.3. Instauration d'une limitation à but précis

D'une manière semblable, est dégagée une autre marque des limitations: leur caractère
ciblé, toute limitation devant avoir un objectif. Pourtant, comme dans le cas de la marque
précédente, le caractère ciblé de la limitation n'en est pas une marque obligatoire mais
seulement une condition de sa justification: marque de la limitation fondée. Examinons donc
cette marque en tant qu'indice de la limitation fondée.

La conception des objectifs en tant qu'élément de la notion de limitations de droits est


mise le plus souvent en relation avec les exigences des textes legislatifs. Celles-ci sont
contenues tant dans les textes internationaux relatifs aux droits de l'homme que, par exemple,

163
Correspondance personnelle du mois d’août de 2017.
164
Biržietis c. Lituanie (nº 49304/09, 14.06.2016).
165
Silver et autres c. Royaume-Uni § 88-89 (nº 5947/72; 6205/73; 7052/75; 7061/75; 7107/75;
7113/75; 7136/75, 25.03.1983).
166
Voir sous-chapitre 2.2.1.2.1 "Préconisation par la loi".
66

dans les constitutions nationales et elles dépendent des conditions spécifiques de la


réalisation, du contenu et des résultats éventuels de l'exercice d'un droit subjectif précis.

Par exemple, la Convention détermine les objectifs suivants : la sécurité nationale ; la


sûreté publique ; le bien-être économique du pays ; la défense de l’ordre et à la prévention des
infractions pénales ; la protection de la santé ou de la morale ; la protection des droits et
libertés d’autrui (art. 8) ; la sécurité publique ; la protection de l’ordre ; de la santé ou de la
morale publiques ; ou à la protection des droits et libertés d’autrui (art. 9) ; l’intégrité
territoriale ou la sûreté publique ; la défense de l’ordre et à la prévention du crime ; la
protection de la santé ou de la morale ; à la protection de la réputation ou des droits d’autrui ;
pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et
l’impartialité du pouvoir judiciaire (art. 10).

Il est à noter que ces objectifs concernent directement les détenus en indiquant les cas
où les limitations des droits sont admissibles. Ces objectifs sont cités littéralement ou sous
une forme modifiée pour décrire la nature juridique et énumérer les buts admissibles des
limitations de droits.

Il convient de remarquer que la question des objectifs suivis par les limitations des
droits des détenus reste souvent au-delà du focus du droit national d'exécution des peines. Le
droit pénal et le droit d'exécution des peines ne s'intéressaient essentiellement qu'aux buts de
la peine et de l'exécution de la peine. Or, les objectifs des limitations des droits des détenus et
les buts de la peine ou de son exécution ne sont pas les mêmes, tout en étant en étroite
corrélation.

Notons par anticipation que le trait spécifique des limitations de droits applicables aux
condamnés consiste en ce que ces limitations, en tant que composants du contenu de la peine,
ont un caractère non seulement utilitaire, mais aussi punitif167. Ceci ne concerne pas les
limitations de droits applicables aux citoyens libres.

Pour conclure, parmi les marques des limitations de droits évoquées ci-dessus, seule la
première pourrait être qualifiée d'obligatoire à notre avis. L'existence de cette marque est
nécessaire pour savoir si une limitation de droits est appliquée. Cette marque est donc une
caractéristique essentielle. Par contre, le fait de rattacher l'objectif de la limitation ainsi que la
préconisation par la loi aux marques obligatoires de la limitation peut être mis en doute.

167
Dans les pays conservant les objectifs rétributifs de la pénalité, comme c'est le cas en
Ukraine, nous trouvons le "châtiment" (punition) parmi les objectifs de la peine.
67

L'absence d’objectif d'une limitation de droits signifierait-elle qu'il ne s'agit pas d'une
limitation? L'absence d’objectif manifeste ou caché de la limitation, de même que l'existence
de l'objectif non autorisé par la législation, ne signifie pas l'absence de la limitation du droit.
Cela ne signifie pas que celle-ci ne soit pas justifiée et qu’il y a donc violation du droit. C'est
ainsi que la retenue de la correspondance des détenus ou la lecture de leurs lettre ne peut pas
être justifiée par l'objectif de voir si elles ne contiennent pas d'informations susceptibles de
révéler des actes illégaux de l'administration pénitentiaire. Dans ce cas-ci, la limitation aura
lieu, mais elle sera injustifiée et constituera une violation du droit à la vie privée (au sens de la
Convention).

En d'autres termes, l'existence des objectifs se rattache à la liste des exigences aux
restrictions et pas à leurs caractéristiques essentielles.

La même chose concerne la préconisation de la limitation par la loi en tant que marque
de la limitation. Toutefois, au cas où la limitation des droits du détenu ne serait pas prévue par
la loi, elle devrait être qualifiée d'injustifiée et elle constituerait donc une violation du droit.
Cette thèse s'appuie sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui
atteste que les violations des droits de l'homme sont considérées comme des restrictions
injustifiées, ce qui va à l'encontre de certaines dispositions de la Convention.

1.1.4. Mise en œuvre des limitations par l'État

Il est intéressant de prêter attention à la marque caractérisant la mise en œuvre de la


limitation par l'État168. L'instauration d'une restriction par l'Etat en tant que caractéristique
essentielle impose une remarque particulière. Dans les cas où le contenu et l'étendue d'un droit
sont réduits par un individu, lorsque, par exemple, un détenu prive un autre détenu de son
droit de propriété, il peut s'agir aussi, semble-t-il, d'une limitation du droit ou de la violation
de celui-ci. Cependant, tout comme les autres violations horizontales des droits de l'homme, à

168
Cornu G., Droit civil, les biens, Montchrestien, Coll. Précis Domat droit privé, 13e éd, Paris,
2007, p. 188 et s., cité dans Rolain M. Ibid, p. 25 ; Осинська О.В. Характеристика поняття
обмеження прав і свобод людини // Законодавство України: проблеми та перспективи розвитку:
Зб. наук. праць Міжнарод. наук.-практ. конф. Косів, 27-31 січня 2009 р. / Редкол.: Ю.С.
Шемшученко, О.Ф. Андрійко, С.В. Бобровник, Ю.Л. Бошицький, О.І. Мацегорін, З.А. Тростюк,
О.В. Чернецька. – К.: Вид-во Європ. університету, 2009. – С. 247 (Ossinska O.V., Caractéristique
de la notion de limitation des droits et libertés de l'homme, Législation de l'Ukraine: problèmes et
perspectives. Recueil de doc. de la Conf. scient. et prat. Internationale. Kossiv, les 27-31 janvier 2009,
Dir. You.S. Chemchoutchenko, O.F. Andriyko, S.V. Bobrovnik, You.L. Bochitski, O.I. Matsegorine,
Z.A. Trostiouk, O.V. Tchernetska, Kyiv, Editions de l'Université européenne, 2009, p. 247).
68

savoir les violations des droits individuels par d'autres individus, elles sortent du cadre de la
présente thèse et, en général, ne sont pas examinées par les juristes dans l'éventail des sujets
relatives aux limitations des droits. Ceci tient à la conception classique des droits de l'homme
en tant que phénomène requérant des rapports verticaux, où l'État est nécessairement l'un des
acteurs.

Remarquons toutefois que lorsque la limitation du droit d'un individu par un autre dans
le plan horizontal s'effectue avec l'appui ou l'accord tacite de l'administration, laquelle était
obligée d'intervenir conformément à la loi, la limitation en question doit être considérée du
point de vue des normes de limitations des droits déterminées par les textes internationaux.
Dans tous les cas, aux fins de la présente thèse, l'application de la limitation par une
administration ou par le représentant de celle-ci est nécessaire et nous proposons donc de
l'examiner en tant que marque essentielle des limitations des droits des détenus. La littérature
offre aussi d'autres modèles qui reconnaissent l'existence des droits entre les individus169;
certains modèles peuvent avoir un caractère mixte et ne reconnaître qu’un certain rôle de
l'État170. Si on est d’accord avec les modèles « privés » l'utilisation des restrictions par l'État
peut être considérée comme une caractéristique facultative.

Dans le cadre d’une conception classique des droits et compte tenu de ce que
l'application de la restriction par une autorité publique ou son représentant est habituel en
matière pénitentiaire, nous proposons de considérer cette application comme étant
caractéristique essentielle des restrictions sur les droits des détenus.

Toutefois, il convient de noter que, dans les cas où les restrictions des droits de
l'individu par un autre individu sont faites avec le soutien, la négligence, ou le défaut de
prendre les mesures appropriées par l’autorité publique, de telles restrictions sont considérées
comme restrictions selon les normes relatives aux droits consacrées dans les instruments
internationaux. Les normes internationales stipulent que l'État est responsable des droits de la
personne détenue pendant son séjour en prison171. Par conséquent, il est possible que lorsque
la violation / limitation des droits des détenus est infligée par d'autres détenus, l’État sera
responsable.

Compte tenu de ce qui précède, lorsque l'activité legislative présente des signes d'actes
visant à la mise en œuvre des moyens légaux qui rétrécissent le contenu et l'ampleur des

169
Barak A., Constitutional Human Rights and Private Law, Review of Constitutional Studies,
1996, Vol. III, n° 2, p. 224-226.
170
Ibid.
171
Kudla c. Pologne (GC) § 94 (nº 30210/96, 26.10.2000).
69

droits, il peut être affirmé que ces actes visent l'instauration de restrictions. De même, les
actes destinés à mettre en œuvre des limitations ont lieu lorsque, en s'appuyant sur des normes
juridiques, il est procédé à une limitation effective d'un droit du détenu (par exemple saisie
des lettres contenant des offenses ou des injures). Il y a dans ce cas limitation pratique ou
limitation de l'application de la loi172.

La limitation peut se traduire par l'inaction de l'État quand il s'agit d'assurer un droit.
C'est ainsi que l'absence de conditions appropriées pour permettre les visites des détenus ou le
fait de ne pas accorder de visites peuvent être considérés comme étant des limitations d'un
droit.

En résumé, la notion générale de restriction légale peut être formulée comme suit: c'est
la réduction du contenu et de l'étendue des droits et libertés existants par le pouvoir public.

De fait, elle se traduit par toute diminution des capacités légales. Le rôle de message
est joué par ailleurs par la conjonction "et" entre les termes "contenu" et "étendue". Elle
signifie que toute réduction du contenu entraîne celle de l'étendue du droit et inversement.
Ceci découle, ainsi qu'il a été montré précédemment, de la loi de la transition réciproque des
changements quantitatifs et qualitatifs.

La limitation des droits du détenu se caractérise par une autre marque évidente: le sujet
auquel ces limitations sont appliquées et la raison de leur application, à savoir le fait de passer
au statut de détenu. Dans le cas où une limitation identique est appliquée au citoyens
libres et aux détenus, elle n'est pas à considérer comme étant une limitation des droits du
détenu.

La concrétisation de cette définition par rapport aux détenus nous amène à soutenir
que la limitation des droits des détenus est la réduction par l'État du contenu et de l'étendue
des droits et libertés existants du fait de l'attribution à la personne concernée du statut
juridique spécial de détenu.

Il découle de ce qui précède que nous soutenons l’approche large de la constatation de


la limitation du droit du détenu. Elle se produit, à notre avis, dans tous les cas de diminution
des capacités légales de la personne par une autorité ou le représentant de celle-ci. Cette
diminution peut avoir lieu tant à cause des actes positifs de l'État qu’à cause d’actes négatifs
(si l’obligation positive n’est pas respectée).

172
Voir plus de détails sur le classement des limitations en limitations normatives et limitation
pratiques au sous-chapitre 1.3.1 "Classification en fonction de l'application selon la discrétion".
70

Conclusion du chapitre 1.1

Les points de vue relatifs à l'essence de la limitation du droit sont divergents car cette
limitation est considérée comme constituant l’instrument de réglementation juridique et
comme résultat d'une telle réglementation. Divers auteurs citent des marques différentes de la
restriction légale qui caractérisent sa notion. Sa marque principale consiste en un resserrement
du contenu et de l'étendue du droit.

Le contenu du droit est un indicateur qualitatif alors que l'étendue est un indicateur
quantitatif. Le contenu consiste en des prérogatives qui constituent le droit subjectif (par
tradition, elles comprennent le droit d'agir, le droit aux actes d'autrui et le droit à la défense).
C'est pourquoi "l'amputation" du contenu peut se traduire par l'annulation ou le changement
d'une des prérogatives qui forment le contenu normatif des droits et libertés fondamentales.
Dans le cas des détenus, la réduction de la prérogative d'agir peut se traduire, notamment, par
l'impossibilité de se servir de son habitation alors que la prérogative d'en disposer demeure.
Le changement des modalités de réalisation du droit peut servir d'exemple de limitation
procédurale du droit. Pour sa part, l'étendue du droit reflète la dimension d'une prérogative. La
réduction de l'étendue du droit peut se traduire par la diminution du nombre d'objets que la
personne peut avoir sur elle, par la dimunition de la durée des visites etc.

Les réductions du contenu et de l'étendue du droit sont interdépendantes. La réduction


de l'étendue du droit influe sur le changement de son contenu et inversement, ce qui
s'explique par la loi philosophique de transition du quantitatif au qualitatif.

D'autres marques des limitations des droits citées par les théoriciens résident dans la
détermination formelle et le caractère ciblé. Ces marques ne sont toutefois pas obligatoires.
Elles ne peuvent l'être que pour les limitations justifiées. Les limitations injustifiées, ne
répondant pas à ces marques, n'en restent pas moins des limitations, bien que pouvant être
reconnues alors comme violations des droits. Nous signalons, de manière complémentaire, le
caractère problématique de la détermination de toutes les limitations des droits des détenus
uniquement au niveau de la loi et de l'exclusion de la possibilité d'une telle détermination dans
les textes réglementaires.

Un signe inaliènable de la limitation du droit est celui de l'application de la limitation


par l'État. Quand la réalisation du contenu ou de l'étendue d'un droit est empêchée par une
autre personne physique, il s’agit uniquement d'une violation des droits et non de leur
limitation. Un autre signe évident consiste en l'application de la limitation au détenu en raison
71

de son statut. Lorsqu’une telle limitation existe non seulement pour le détenu, mais aussi pour
les citoyens libres, il ne s'agira plus d’une limitation du droit du détenu.

Ces considérations permettent de définir la limitation du droit du détenu en tant que


réduction du contenu et de l'étendue des droits et libertés existants par l'État du fait du statut
spécial de détenu attribué à la personne concernée.
72

1.2. Formes de limitations des droits

La question des formes de limitations des droits est celle de l'objectivation de la


diminution de l'étendue ou du contenu des droits et libertés. Elle vise à déterminer la forme
juridique que prend une telle diminution. La détermination de ces formes facilite
l'établissement de la liste des cas des restrictions appliquées aux droits des détenus tout en
aidant à mieux connaître leur nature juridique.

Pour pouvoir répondre à cette question, il est nécessaire de savoir:

1) Comment la diminution du contenu et de l'étendue du droit est traduite dans les


normes de droit. Ceci permettra de constater l'existence de nouvelles limitations du droit lors
de réformes législatives (limitations normatives);

2) Comment la diminution du contenu et de l'étendue du droit du détenu se manifeste


dans les actes concrets des représentants du pouvoir public (limitations pratiques).

En décrivant la première marque des limitations des droits, à savoir la diminution du


contenu et de l'étendue des droits et libertés, il a été indiqué que celle-ci se traduit par
l'amoindrissement des capacités juridiques de la personne. Un tel amoindrissement a ainsi été
choisi comme point de repère pour chercher la réponse sur les formes possibles de
restrictions : Or, le fait de constater la diminution des capacités par la seule "perception" n'est
pas un moyen sûr pour formuler des conclusions de droit, ce qui oblige à analyser les
manifestations juridiques concrètes d'une telle diminution.

Le rôle clé dans la constatation de la diminution du contenu et de l'étendue du droit


peut se donner à voir au travers de deux procédés logiques. Premièrement il est possible de
comparer le statut du détenu avant que la limitation du droit ne soit appliquée avec son statut
après l'application de la mesure dont le caractère limitatif est à analyser (approche
dynamique). Deuxièmement, il est possible de comparer le statut du détenu et le statut
juridique général du citoyen (approche statique). L'analyse de l'existence de la limitation par
l'application des formes qui suivent se prête à l'approche statique et à l'approche dynamique.
73

1.2.1. Formes des limitations normatives

1.2.1.1. Privation du droit subjectif en tant que forme de limitation du droit

Des positions se sont exprimées pour savoir si la privation d'un droit peut être
considérée comme la limitation de ce droit. C'est ainsi que "la privation d’un droit constitue
pour ainsi dire le plus mauvais type de limitation des droits de l'homme et du citoyen, leur
limitation, on dirait, à zéro, conduisant à la liquidation totale, à l'anéantissement des droits de
l'homme"173. La privation d'un droit renvoie avant toute chose à l'action législative restrictive
des droits. Elle peut se traduire notamment par l'élimination d'un droit existant formel de la
loi. Ceci étant, la privation d'un droit peut être considérée comme sa restriction "à zéro".

Cette position trouve sa confirmation dans la Convention de sauvegarde des droits de


l'homme et des libertés fondamentales. L'article 2, 2e al., de la Convention admet que la mort
peut être infligée lorsqu'elle "résulterait d'un recours à la force rendu absolument nécessaire"
pour défendre toute personne contre la violence illégale, pour effectuer une arrestation
régulière ou pour empêcher l'évasion d'une personne régulièrement détenue, pour réprimer,
conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. Ces exceptions sont considérées
comme des restrictions du droit à la vie.

Ainsi donc, la restriction d'un droit peut-elle s'effectuer par la privation de ce droit, ici
la privation de la vie174. En ce qui concerne le statut juridique du condamné, cela se manifeste,
par exemple, par le fait de priver les condamnés d'égilibilité. Ne pas bénéficier de ce droit
pendant une période déterminée signifie que le condamné est privé de ce droit pendant cette
période ou bien, que son exercice en est "limité à zéro".

Sur ce plan, il est intéressant de citer A.A. Beliaev, lequel a soutenu l'idée que "les
condamnés ne sont pas privés des droits et obligations des citoyens de l'URSS, ils ne sont que

173
Rabinovitch P.M., Pankevitch I.M., Ibid, p. 25.
174
Il convient de distinguer la restriction du droit "à zéro" et la doctrine de l'inadmissibilité de
l'intervention dans l'essence même du droit (subjectif). La CEDH considère l'intervention dans
l'essence du droit comme synonyme d'intervention non proportionnelle. C'est-à-dire une intervention
proportionnelle ne saurait être qualifée de celle qui touche à l'essence même du droit. Cela conduit à
des malentendus théoriques, puisque la possibilité de constater une intervention dans l'essence du droit
d'après l’équilibre entre les intérêts sociaux et inviduels apparaît comme étrange (Goss R., Criminal
Fair Trial Rights: Article 6 of the European Convention on Human Rights, Oxford, Portland: Hart
Publishing, 2014, p. 198.). Il en résulte que l'essence du droit n'est pas objective et peut différer dans
des affaires différentes en fonction de l’équilibre des intérêts. R. Alexy, théoricien constitutionnaliste,
critique l'idée de la "lésion du droit même", puisque une telle lésion est considérée comme légitime en
pratique lorsqu'elle est proportionnelle (Alexy R., A Theory of Constitutional Rights, translated by J.
Rivers, New York, Oxford University Press, 2004, p. 196).
74

limités dans leur utilisation", en soulignant que la loi correctionnelle ne fait que limiter
l'utilisation des droits mais n’en prive pas. "La restriction ne peut être vue comme étant en
adéquation (en équivalence – N.D.L.A.) avec la privation", écrivait-il175.

Cette idée était déjà critiquée à l'époque par le spécialiste soviétique du droit
correctionnel, A.L. Remenson qui écrivait: "Prenons un exemple. L'un des droits importants
du citoyen de l'URSS est le droit à la libre circulation et au choix du lieu de résidence (art. 5
cu CC de la RSFSR). Or, la privation de la liberté représente notamment la privation (souligné
par A.L. Remenson – N.D.L.A.) de ce droit"176. La reconnaissance du fait que le détenu
continue d'être citoyen de l'URSS ne résulte pas du tout du fait qu'il ne soit pas
prétendumment privé de droits des citoyens de l'URSS (et il n'est que limité dans leur
utilisation), mais du fait qu'au-delà des limitations fixées par la loi le détenu reste toujours
sujet des droits et obligations qu'il détient en tant citoyen de l'URSS177.

Un autre exemple de limitation d’un droit par sa privation peut être trouvé au
Royaume-Uni : antérieurement, les détenus étaient privés du droit d’avoir les enfants en
raison de la non reconnaissance du droit avoir des relations sexuelles avec des partenaires
venant les visiter et de l’absence de dispositif permettant de réaliser une insémination
artificielle178. D’une manière contraire, la privation du droit au mariage peut être considérée
aussi comme étant la violation de la Convention dans le cas où elle viole l'essence même du
droit179.

175
Беляев А.А. Правовое положение осужденных к лишению свободы. – Горький:
Горьковская высшая школа МВД СССР, 1976. – С. 8 (Beliaev A.A., Statut juridique des personnes
condamnées à la privation de liberté, Gorki, Ecole supérieure du MI de l'URSS de Gorki, 1976, p. 8).
176
Ременсон А.Л. Некоторые вопросы правового положення осужденных, отбывающих
уголовное наказание в виде лишения свободы // Вопросы повышения эффективности борьбы с
преступностью. – Томск, 1979. – С. 30 (Remenson A.L., Certaines questions du statut juridique des
condamnés à la privation de liberté, Question d'amélioration de l'efficacité de la lutte contre le crime,
Tomsk, 1979, p. 30).
177
Ibid, p. 30.
178
Dickson c. Royaume-Uni (GC) (nº 44362/04, 02.12.2007).
179
Jaremowicz c. Pologne (nº 24023/03, 05.01. 2010).
75

1.2.1.2. Interdiction en tant que forme de limitation du droit

Il y a tout lieu de penser que la première forme sous laquelle le droit naquît naguère en
tant que droit fût bien l'interdiction180. L'interdiction veut dire la diminution des capacités.
Pour être plus précis du point de vue juridique, elle signifie l'abolition totale ou la diminution
d'une prérogative. Ainsi donc, l'interdiction sert-elle d'exemple probant de la limitation d'un
droit, du fait du changement dans son contenu sous forme de modification des prérogatives
qui en font partie181.

Le rapport entre l'interdiction et la restriction fait l'objet d'études de théoriciens du


droit. Il a été signalé que la restriction ressemble à l'interdiction ; cependant, elle se distingue
par l'incomplétude, puisque, à la différence de l'interdiction, elle ne souligne pas la plénitude
de l'exigence inhibitoire. Ainsi la restriction est-elle proche de l'interdiction, quoi qu’elle ne
vise pas l'élimination complète d'un rapport social ou d'un autre, mais plutôt son maintien
dans un cadre strictement limité, etc.182 C'est-à-dire que la restriction est considérée comme
étant moins sévère que l'interdiction, comme une sorte de "sous-interdiction".

Selon une autre idée, la restriction est un moyen indépendant de réglementation


juridique qui existe à côté de l'interdiction. Les interdictions et les restrictions se présentent
comme deux modes différents de réglementation juridique183. Cette position se fonde sur
l'idée qu’il existe trois modes de réglementation juridique: permission ; interdiction ; et
obligation.

180
Денисов Ю.А. Общая теория правонарушения и ответственности (социологический и
юридический аспекты). – Л.: ЛГУ, 1983. – С. 65 (Denissov You.A., Théorie générale de l'infraction
et de la responsabilité (aspect sociologique et juridique), Léningrad, Université d'État de Léningrad,
1983, p. 65).
181
Voir sous-chapitre 1.1.1 "Rétrécissement de l'étendue et du contenu des droits existants".
182
Фаткуллин Ф.Н. Проблемы теории государства и права. – Казань, 1987. – С. 157
(Fatkoulline F.N., Problèmes de la théorie de l'État et du droit, – Kazan, 1987, p. 157).
183
Братко А.Г. Запреты в советском праве. – Саратов, 1979. – С. 17; Рыбушкин Н.Н.
Запрещающие нормы в советском праве. – Казань, 1990. – С. 10–11; Иванова З.Д.
Запрещающие нормы в механизме правового регулирования // Сов. государство и право. –
1975. – №11 – С. 105-112 (Bratko A.G., Interdictions dans le droit soviétique, Saratov, 1979, p 17 ;
Rybouchkine N.N., Normes inhibitoires dans le droit soviétique, Kazan, 1990, p. 10-11 ; Ivanova
Z.D., Normes inhibitoires dans le mécanisme de réglementation juridique, État et droit soviétique,
1975, n° 11, p. 105-112).
76

Plus fondée semble être la position d'après laquelle toute interdiction constitue une
restriction, mais qu’inversement, toute restriction dans le domaine du droit n'est pas
interdiction184. L'interdiction n'est que la forme de la restriction185.

Cette thèse est bien illustrée par l'exemple de l'interdiction aux détenus de boire de
l'alcool (art. 107 du CEP ukrainien et art. D. 249-2, D. 346 du CPP français). Ici, l'utilisation
de la forme d'interdiction aide à appliquer une restriction, car cette interdiction ne concerne
généralement pas les citoyens libres. Nous utilisons ainsi dans cet exemple le deuxième
procédé logique cité ci-dessus, qui consiste à comparer le statut juridique général des citoyens
libres et le statut juridique spécial des détenus.

Une idée découle des exemples d'emploi de ce procédé logique. Puisque la restriction
légale constitue une certaine exclusion du statut juridique général, un amoindrissement de
capacité, l'interdiction appliquée au détenu ne serait restriction légale que lorsqu'elle ne
concerne le détenu qu’en tant que sujet de rapports juridiques spécifiques à un statut juridique
spécial. Lorsque cette interdiction concerne de la même manière les citoyens libres, elle ne
peut pas être considérée comme étant une restriction. Par exemple, l'interdiction de la création
d'une organisation dont les objectifs de programme ou les actes vise au changement du régime
constitutionnel par la violence, à la violation de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de
l'État, à la prise illégale du pouvoir ou, plus généralement, à la violence concerne également
les détenus et les citoyens libres. Elle ne peut donc être considérée comme constituant une
restriction des droits des détenus ; mais elle représente une limite (qualificateur186) du contenu
du droit. Par contre, l'interdiction faite aux détenus de créer des organisations qui ne
poursuivent pas les buts susmentionnés devrait être à qualifier de limitation du droit si elle
n’existait pas pour les citoyens libres.

Par ailleurs, nous pourrions ajouter que les interdictions constituent l'une des formes
les plus répandues de limitation des droits des personnes détenues. Elles concrétisent le sens
de la peine, lequel ne se réduit toutefois pas à elles seules. Le fait est que les obligations
auxquelles sont soumis les condamnés peuvent être considérées elles aussi comme forme de
restrictions qui constituent le sens de la peine, comme nous le verrons infra.

184
Султыгов Н.Н. Место и роль правовых запретов в системе правовых ограничений //
История государства и права. – 2004. – №4. – С. 14 (Soultygov N.N., Place et rôle des interdictions
légales dans le système des restrictions légales, Histoire de l'État et du droit, 2004, n° 4, p. 14 ;
Малько А.В. Стимулы и ограничения в праве: теоретический аспект. – Саратов, 1994. – С. 62
(Malko A.V., Stimulants et restriction dans le droit: aspect théorique, Saratov, 1994, p. 62).
185
Ibid.
186
Infra.
77

Une analyse plus poussée exige la réponse à la question de savoir quelle place occupe
l'interdiction parmi les autres formes de restriction? Pour ce faire, il convient de se pencher
sur le type de réglementation juridique appliqué dans le droit d'exécution des peines.

L’on reconnaît la réglementation juridique permissive générale (règle générale) et la


réglementation permissive spéciale (principe de prohibition), qui ont leurs origines dans les
travaux de Kelsen187. Le droit d'exécution des peines n'a toujours pas de réponse précise, ni
même de discussion concrète entre des théoriciens à propos du type de réglementation
appliqué dans ce droit; ce problème devrait immanquablement prêter à une étude minutieuse à
l'avenir. La réglementation permissive générale permet aux détenus tout ce qui n'est pas
interdit. Vue sous cette oprique, l'interdiction ne s'applique qu'à ce qui est déterminé dans le
droit pénitentiaire en tant qu'ensemble de normes ou dans un autre domaine du droit. La
réglementation spéciale (de prohibition) ne permet aux détenus que ce qui est directement
prévu par des textes juridiques. Dans ce cas, le champ des interdictions, et, partant, celui des
restrictions des droits des détenus, devient indéterminé et potentiellement très vaste.

Cette dernière version semble être contraire à l'idée de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales incluse dans la Convention européenne.

La mise en place de la réglementation spéciale (de prohibition) signifie que les


interdictions ne doivent pas être déterminées nécessairement dans les règles juridiques. La
nébulosité d’une règle, dans sa lettre, permet alors aisément d’en tirer des interdictions. Cela
est contraire à la norme internationale selon laquelle la restriction devrait être prévue dans la
loi. D'autre part, ce type de réglementation n'exige aucune justification des buts poursuivis par
des interdictions (restrictions) concrètes, ce qui rend impossible l'application du principe de
proportionnalité des limitations en tant qu'autre composante du test de contrôle du bien-fondé
de la limitation d'après la Convention.

L'approche dynamique est parfaitement valable pour identifier cette forme de


restriction. Pour distinguer la restriction sous forme d'interdiction, il suffirait, par exemple, de
comparer l'ampleur des droits avant et après l'adoption du texte législatif. Lorsque celui-ci
donne naissance à une nouvelle interdiction ou à une interdiction de portée plus importante,
cela signifierait qu’une limitation d'un droit a été créée. La limitation aurait lieu aussi
lorsqu'une interdiction serait remplacée par une autre et que cette dernière serait plus
rigoureuse que la précédente.

187
Papaefthymiou S., Mind the gap. Dits et non-dits sur les pouvoirs du juge suisse, in L’office
du juge : part de souveraineté ou puissance nulle. Etudes rassemblées par O. Cayla, M.-F. Renoux-
Zagamé, Paris, L.G.D.J., 2001, p. 204-213.
78

1.2.1.3. Devoir en tant que forme de limitation du droit

Les devoirs revêtent une importance particulière dans l'exécution des peines. C’est
dans les devoirs du sujet des rapports d'exécution des peines qu'il faut chercher la
démonstration de la punition exprimée par la peine privative de liberté188. Déjà Georg Hegel
écrivait que le devoir était une restriction189. Toutefois, la place du devoir dans le système des
moyens de réglementation juridique n'est pas toujours bien claire. Il est considéré comme
restriction, et comme interdiction, voire comme facteur de stimulation.

Nous sommes d'avis que toute réglementation sur les obligations des détenus
auxquelles ils sont astreints du fait de leur statut juridique spécial constitue une restriction de
leurs droits. Une obligation entraîne toujours la limitation d'un droit subjectif ou d'un autre.

Nous pouvons classifier l’obligation : elle peut être active/positive (la personne
concernée est obligée d'accomplir des actes actifs déterminés) ou passive/négative (la
personne concernée doit s'abstenir d’accepter certains actes). En fait, le sens de l'obligation
active et de l'obligation passive peut être considéré comme interdiction. Ceci concerne
évidemment l'obligation passive, puisque l'obligation de ne pas faire quelque chose constitue
l'interdiction de le faire.

Nombre d'obligations spécifiques sont imposées aux détenus. Leur caractère


"spécifique" consiste en ce qu'elles ne sont pas du tout prévues pour les citoyens libres, parce
qu’elles constituent des attributs de l’exécution de la peine. En est le témoin, le par. 10.1 du
Règlement intérieur ukrainien des établissements pénitentiaires aux termes duquel les
condamnés sont tenus de garder les produits alimentaires et les objets à usage personnel dans
les endroits et locaux affectés à cette fin. L'exigence leur est faite ainsi de ne pas accomplir
certains actes: ne pas garder les produits alimentaires et les objets d'usage personnels dans les
endroits non prévus à cette fin. Un exemple a contrario se trouve dans l’article 11 des
Règlements intérieurs types des établissements pénitentiaires français, qui interdit de jeter des
détritus ou tout autre objet dans les toilettes et lavabos des cellules, dans les coursives,
couloirs de circulation et autres locaux. Cette interdiction crée le devoir passif des détenus de
ne pas jeter ces objets.

188
Beliaev A.A., Ibid, p. 72.
189
Гегель Г. Философия права. – М., 1990. – С. 202 (Hegel G., Philosophie du droit, M.,
1990, p. 202).
79

Quant à l'obligation active, elle prévoit l'accomplissement nécessaire d'actes. De tels


actes pourraient être réduits de la même manière à une interdiction, puisqu'il est interdit de ne
pas accomplir les actes déterminés. C'est ainsi que, conformément à l’article 11 des
Règlements intérieurs types des établissements pénitentiaires français, chaque personne
détenue valide fait son lit et entretient sa cellule ou la place qui lui est réservée dans un état
constant de propreté. De même, conformément au par. 3.2 du Règlement intérieur ukrainien,
les détenus sont tenus de respecter les normes d'hygiène et d'avoir une allure soignée. Ces
obligations passives contiennent donc des interdictions de ne pas faire ce qu’elles prévoient.

Il existe, par ailleurs, des obligations pour les condamnés dont le contenu comprend
des éléments actifs et passifs. Citons notamment le devoir d'être poli avec le personnel, les
personnes en visite dans les établissements pénitentiaires et les autres détenus (art. 9, 1er al.,
du CEP ukrainien). L'obligation est donc imposée de ne pas commettre des actes
d'impolitesse, aussi bien que le contraire, à savoir être poli, saluer les autres, etc. Cette
obligation peut conduire à l’abus à cause d’imprécision de ce qu’il faut entendre par être poli.
De ce point de vue, l’exemple français de la règle qui interdit de « formuler des insultes, des
menaces ou des outrages » semble plus approprié (art. R 57-7-2 du CPP français).

Un autre exemple des obligations mixtes repose sur l’article 5 du décret sur les
Règlements intérieurs types des établissements pénitentiaires français qui prévoit que « [L]a
personne détenue doit obéir aux fonctionnaires ou agents ayant autorité dans l'établissement
pénitentiaire en tout ce qu'ils lui prescrivent pour l'exécution des dispositions législatives ou
réglementaires, du règlement intérieur ou de toute autre instruction de service ». Dans ce sens,
« obéir » peut signifier une obligation mixte : active (faire ce qui est demandé) et passive
(s’abstenir de faire ce qui est interdit).

Le fait que toute obligation juridique comporte une interdiction en tant que variété de
la restriction est démontré par la possibilité d'appliquer des sanctions en cas de non respect de
l’obligation. D'après N.I. Matouzov et B.M. Semenko, le sens de l'obligation juridique
consiste à exiger un comportement nécessaire, régulier, utile du point de vue du pouvoir
public, de la loi. Ce comportement est obligatoire et incontestable ; il est assuré au besoin par
des mesures de coercition publique190.

190
Матузов Н.И., Семенко Б.М. О сущности, содержании и структуре юридической
обязанности // Вопросы теории государства и права. – Саратов, 1983. – С. 68 (Matouzov N.I.,
Semenko B.M., Du sens, du contenu et de la structure de l'obligation juridique, Questions de théorie
de l'État et du droit, Saratov, 1983, p. 68).
80

De notre point de vue, l'application des sanctions n'est possible qu'en cas de violation
de l'interdiction (qui peut être contenue dans une obligation active ou passive). Les sanctions
renseignent sur les mesures de coercition publique applicables en cas de violation de
l'interdiction juridique191. Ceci reflète l'unité dialectique des sanctions et interdictions
juridiques.

Le législateur ukrainien n'omet pas cette question et détermine directement que le fait
pour les détenus de ne pas remplir leurs obligations et de ne pas respecter les exigences
déterminées par la législation et mises en œuvre par l'administration pénitentiaire, les organes
et les établissements d'exécution des peines, entraîne l’engagement de leur responsabilité tel
que fixée par la loi (art. 9, 2e al., du CEP ukrainien). Le système français est different, dans le
sens où il établit des listes exhaustives des fautes disciplinaires qui peuvent être punies.
Cependant, l’exemple français cité, c’est-à-dire « obéir aux fonctionnaires ou agents ayant
autorité dans l'établissement pénitentiaire en tout ce qu'ils lui prescrivent pour l'exécution des
dispositions législatives ou réglementaires », accorde de facto une marge de manoeuvre
importante pour infliger les sanctions disciplinaires pour chaque violation de règles existantes
sous condition qu’il ait été demandé au détenu d’y obéir.

La codification des obligations dans la législation présente la marque principale de la


restriction du droit: le rétrécissement du contenu et de l'étendue des droits et libertés existants.
Elles réduisent, dans tous les cas, la mesure du comportement possible en faisant diminuer
ainsi les droits subjectifs. La mise en place de l'obligation affecte immanquablement les
compétences de la personne.

De plus, la restriction peut avoir lieu aussi lorsqu'on institue des exigences non
obligatoires à respecter qui ne pourraient être qualifées d'obligation au sens propre. Il s'agit
des exigences dont l'accomplissement ne peut pas être sanctionné directement, mais qui
peuvent influer sur la mise en œuvre de stimulants tels que la libération conditionnelle. La
mise en place de conditions plus rigoureuses d'application de telles règles peut être considérée
comme restriction du droit. Ces conditions peuvent consister non seulement dans le
changement d'obligations positives auxquels est tenu le condamné pour obtenir la libération
conditionnelle, mais aussi dans celui d'actes négatif, c'est-à-dire dans le respect de telles
interdictions. Il convient de remarquer pourtant qu'il ne s'agit d'une restriction du droit que si
l'application d'une telle règle incitative est reconnue comme droit du détenu. Toutefois,

191
Самощенко И.С., Фарукшин М.Х. Ответственность по советскому законодательству. –
М., 1971. – С. 115 (Samochtchenko I.S., Faroukchine M.Kh., Responsabilité d'après la législation
soviétique, Moscou, 1971, p. 115).
81

l'existence du droit dans des cas semblables, où l'application des règles incitatives telles que la
libération conditionnelle dépend du respect par les condamnés de certaines conditions, prête
plutôt à discussion192.

Compte tenu de ce qui précède, l'astreinte de la personne à des obligations


complémentaires, qui ne sont pas propres au statut juridique général, constitue un acte
restrictif de droits. C'est la raison pour laquelle toutes les obligations spécifiques des détenus,
c'est-à-dire celles qui n'existent pas pour les citoyens libres, devraient être qualifiées de
restrictions des droits. En théorie, des exceptions pourraient exister, qui prendraient la forme
d’obligations imposées aux détenus qui seraient moins strictes que celles exigées des citoyens
libres ou qui n'existeraient pas du tout pour les condamnés. De tels exemples sont toutefois
rarissimes. L'un d’eux concerne la conscription, qui existe toujours dans les pays post-
sovietiques193.

Notons encore que les obligations des détenus peuvent être considérées comme
spécifiques dans les cas où elles n'existent pas pour toutes les personnes libres sans un statut
spécial. Toutefois, lorsque de telles obligations existent pour les citoyens libres, du fait de leur
statut juridique particulier (par exemple, employé d'une entreprise), ce ne serait pas une raison
valable pour ne pas les considérer comme spécifiques et ne pas les reconnaître comme
restrictions. Ainsi, l'obligation d'avoir un aspect soigné devrait-elle être considérée comme
étant une restriction, en dépit du fait que la même obligation s'applique aux personnes libres
ayant un statut juridique particulier (écolier, employé d'un établissement déterminé, etc.), ce,
parce que les détenus ne sont pas libres de mettre fin à leur privation de liberté. Il y a
également institution d'une obligation lorsque la loi fixe les droits des personnels
pénitentiaires et prévoit des obligations correspondantes pour les détenus. De même, la
détermination des obligations de agents pénitentiaires peut signifier l'annulation de la
limitation de certains droits des détenus et/ou la naissance pour eux d'un droit subjectif
spécifique. Ce procédé "en miroir" a déjà été évoqué plus haut. Il peut servir pour identifier
d'autres formes de restrictions des droits que nous proposons.
192
Herzog-Evans M. Is prison leave a privilege?, Disponible sur:
https://tashalaw.wordpress.com/2012/04/24/guest-post-by-professor-martine-herzog-
evanscommentary-on-article-6-and-prison-leave/ (accedé le 05.09.2016). I.S. Iakovets propose au lieu
du "droit" d'utiliser la catégorie "d'intérêt légitime" des détenus qu'elle analyse en détail (Яковець І.С.
Умовно-дострокове звільнення та заміна невідбутої частини покарання більш м’яким. – М.:
Penal Reform International, 2012. – С. 70–81: Iakovets I.S., Liberté conditionnelle et commutation de
la partie non purgée de la peine par une peine moins dure, Moscou, Penal Reform International, 2012,
p. 70-81).
193
Cette obligation étant considérée parfois comme droit, parce que la personne pourrait vouloir
profiter de sa possibilité de défendre son pays. Ce fut le cas lors du début des hostilités dans le
Donbass, où nombre de détenus ukrainiens se portèrent volontaires pour participer aux combats.
82

1.2.1.4. Consécration du droit subjectif spécifique des détenus en tant que


forme de limitation du droit

1.2.1.4.1. Droits subjectifs spécifiques

De manière générale, il est considéré que le droit subjectif est une prérogative
accordée aux individus par le droit objectif, mais plus spécifiquement que tout droit subjectif
représente « une restriction légitime à la liberté d’autrui établie par la norme objective »194.
Une telle interprétation provient d’une idée selon laquelle la liberté de chacun, telle que
reconnue par le droit, représente la condition de la liberté d’autrui195. En tout état de cause, le
droit subjectif dépend entièrement de sa reconnaissance par le droit objectif ; il n’existe pas en
dehors de ce droit196.

La question de savoir si les droits subjectifs spécifiques des détenus peuvent être
classés comme restrictions des droits s'avère difficile à trancher, dès lors que la thèse selon
laquelle l'institution d'un droit peut être considérée comme limitation du droit semble être
surprenante à première vue. Des positions contraires sont exprimées sur cette question, mais
nous n’avons pu trouver dans la littérature juridique la réponse qui aurait pu servir de base.
Les positions exprimées sont de nature éparse et ne démontrent pas une vision nette de la
nature juridique des droits spéciaux des détenus, à plus forte raison dans le contexte de leur
reconnaissance en tant que restrictions de droits.

Ceci tient au fait, entre autres, qu'il n'existe même pas de conception commune de la
définition des droits concernés. Les uns disent qu'il s'agit de droits nouveaux qui ne touchent
que les détenus197; d'autres estiment que ces droits ne font pas partie du statut juridique
général des citoyens198. Ils sont parfois qualifiés ainsi car ils n’ont pas de « prototype direct

194
Kaczmarek L., La responsabilité pour fait normal : étude critique sur son originalité en matière
civile extracontractuelle, Paris, Editions Publibook, 2012, p. 290.
195
Renaut A., L'idée contemporaine du droit, Droits 1989 n° 10, p. 73, 76, cité dans Kaczmarek
L., La responsabilité pour fait normal : étude critique sur son originalité en matière civile
extracontractuelle, Paris, Editions Publibook, 2012, p. 423.
196
Herrera C.-M. La philosophie du droit de Hans Kelsen: une introduction, Québec, Presses
Université Laval, 2004, p. 34.
197
Ткачевский Ю.М. Советское исправительно трудовое право. – М., 1971. – С. 174: цит.
за Селиверстов В.И. Теоретические проблемы правового положения лиц, отбывающих
наказание. С. 84 (Tkatchevski You.M., Droit correctionnel soviétique, Moscou, 1971, p. 174: cité
dans Seliverstov V.I., Ibid, p. 84).
198
Ефимов М.А. Основы советского исправительно-трудового права. – Свердловск, 1963.
– С. 22: цит. за Селиверстов В.И. Вказ. праця. – С. 84 (Efimov M.A., Principes du droit
correctionnel soviétique, Sverdlovsk, 1963, p. 22: cité dans Seliverstov V.I., Ibid, p. 84).
83

ou d'analogie dans les rapports sociaux qui sont généralement réglementés par le droit »199.
Malgré toute la variété des définitions, le sens des droits spécifiques ne change pas: ceux-ci
sont entendus comme étant un ensemble de droits qui naissent ou qui subissent des
changements essentiels du fait d'avoir à purger une condamnation200.

Concernant la possibilité de convenir que ces droits représentent une forme


d'expression des restrictions de droits, il a pu être avancé que les droits spéciaux ne peuvent
pas exprimer le châtiment (en tant qu'ensemble de restrictions de droits) puisqu'ils accordent
divers avantages aux détenus201. Par ailleurs, il a été affirmé qu'il existerait des droits spéciaux
des détenus qui ne devraient pas être considérés comme étant des restrictions, tandis que
d’autres devraient être classés parmi les restrictions. D'après cette approche, certains droits
spécifiques ne doivent pas être considérés comme des restrictions étant donné qu'ils
garantissent la vie de la personne et les buts de la peine (garantie des repas, de l'habitation, du
lit inviduel, de l'habillement, des services collectifs…). Une autre catégorie de ces droits
(visites des proches ou d'autres personnes, colis, paquets…202) accorde certains avantages aux
condamnés, tout en jouant le rôle de régulateur de la punition, puisqu'ils expriment le degré de
limitation des éléments de la liberté personnelle du citoyen purgeant la peine203.

Il existe un autre courant d’opinions sur la nature juridique du droit subjectif spécial
et, respectivement, sur la possibilité de les reconnaître comme forme de restriction de droits.
Cela s'explique par une divergence de vues quant au rapport des droits spéciaux avec le statut
juridique général. Deux analyses de ces droits seront ci-après examinées, selon qu’ils sont
conçus 1) soit comme les "restes" des droits déjà existants en liberté, 2) soit comme droits
n'ayant pas existé avant la condamnation204.

La question posée dans ce cas vise à savoir si les droits spéciaux des détenus peuvent
être considérés comme étant "résiduels", c'est-à-dire comme droits de qualité homogène par
rapport à un droit déterminé du citoyen libre? Ceux qui répondent par l'affirmative admettent

199
Seliverstov V.I., Ibid, 84.
200
Ширвинд Е.Г., Утевский Б.С. Советское исправительно-трудовое право. – М., 1957. –
С. 83–84; Исправительно-трудовое право. – М., 1971. – С. 77: цит. за Селиверстов В.И. Вказ.
праця. – С. 84 (Chirvind E.G., Droit correctionnel soviétique, Moscou, 1957, p. 83-84; Droit
correctioinnel, Moscou, 1971, p. 71: cité dans Seliverstov V.I., Ibid, p. 84).
201
Детальніше див.: Човган В.О. Специфічні права засуджених та їх обов’язки як форми
правообмежень // Проблеми законності. – 2014. – Вип. 125. – С. 234 (Pour plus de détail voir:
Chovgan V.O., Droits spécifiques des condamnés et leurs obligations en tant formes de restrictions,
Problèmes de la légalité, 2014, Vol. 125, p. 234).
202
Il s'agit de la période où le droit de recevoir des colis et des paquets était encore limité.
203
Ossaoulenko O.I., Ibid, p. 96.
204
Enderlin S., Le droit de l’exécution de la peine privative de liberté : D’un droit de la prison
aux droits des condamnés, Thèse, Paris, Université de Paris Ouest Nanterre la Défense, 2008, p. 423.
84

que les droits des détenus ont une différence, mais celle-ci ne consiste que dans un contenu et
une étendue réduits par rapport aux droits faisant partie du statut juridique des citoyens libres.
Les droits spécifiques sont considérés alors comme une sorte de "copie réduite" des droits des
citoyens libres.

Il est cité à titre d'exemple le droit du couple incarcéré de choisir leur lieu de
résidence. L'une des prérogatives constituant le contenu de ce droit réside dans la possibilité
de la cohabitation et de la communication du couple. La condamnation à la privation de
liberté réduit cette possibilité, qui est pourtant gardée en partie dans le résidu de la garantie
des visites pour les condamnés205. D'autres auteurs considèrent également le droit spécial
comme étant un droit "résiduel"206.

Des positions contraires existent également. А.E. Natachev estime, par exemple, que
le droit aux visites ne peut pas être classé en tant que résidu des droits des citoyens, parce que
ces droits ne sont pas prévus pour les citoyens libres207. De même, l'inégalité desdits droits
d'avec ceux qui font partie du statut juridique commun des citoyens libres est signalée par
ceux qui nient l'existence d'un équivalent correspondant aux droits spécifiques dans le statut
juridique général208.

En admettant que certains droits spéciaux puissent être considérés comme étant
"résiduels", c'est-à-dire comme droits restant après la limitation d'un droit subjectif, nous
sommes en droit de les qualifier de restrictions. Comme déjà remarqué, la limitation du droit
signifie la réduction de son contenu, notamment en excluant une prérogative. D'après cette
approche, la limitation aboutit à une sorte de droit "entamé". A partir de là, le contenu connu
du droit subjectif pourrait changer jusqu'à devenir "méconnaissable", ce qui n'exclut pas qu'il
tienne son origine ou qu'il soit en rapport avec un droit ou un autre.

Le droit résiduel lui-même, il peut revêtir des formes variées. Il peut être codifié
directement, en vertu d'une prescription législative directe. Prenons, par exemple, le droit des
détenus de disposer de leur temps libre. Conformément à l'article 129, 1er al., du CEP
ukrainien, les heures libres du travail principal et des occupations obligatoires prévues par
l'emploi du temps des condamnés en prison, constituent leur temps libre. Dans ce cas, la

205
Seliverstov V.I., Ibid, p. 81.
206
Советское исправительно-трудовое право. – Л., 1989. – С. 196: Цит. за: Селиверстов
В.И. Вказ. праця. – С. 81 (Droit correctionnel soviétique, Léningrad, 1989, p. 196. cité dans
Seliverstov V.I., Ibid p. 81).
207
Cité dans: Seliverstov V.I., Ibid, p. 80.
208
Малинин В.Б., Смирнов Л.Б. Уголовно-исполнительное право: учеб. – СПб.: ЛГУ им.
А.С. Пушкина, 2009. – С. 111 (Malinine V.B., Smirnov L.B., Droit d'exécution des peines: manuel,
Saint-Pétersbourg, LGU A. S. Pouchkine, 2009, p. 111.
85

restriction du droit peut être identifiée en comparant le contenu de ce droit avec son prototype
chez les personnes libres : il faut prendre en compte le fait que le droit au repos est différent
pour les travailleurs et les personnes ne travaillant pas. Naturellement, le contenu du droit au
repos sous conditions de privation de liberté diffère sensiblement du fait de sa réglementation
par le Règlement intérieur. D'autre part, les activités pouvant être exercées pendant les heures
libres sont limitées par le CEP (art. 129, 2e al.). Selon l’article 33 de la Loi pénitentiaire
française de 2009, la participation des personnes détenues aux activités professionnelles
organisées dans les établissements pénitentiaires donne lieu à l'établissement d'un acte
d'engagement par l'administration pénitentiaire, qui énonce les droits et obligations
professionnels de celle-ci ainsi que ses conditions de travail et sa rémunération. Il est donc
énoncé qu’à la différence des citoyens libres, les détenus n’ont pas le droit de travailler selon
un contrat de travail normal.

Le droit subjectif résiduel peut découler de l'interdiction de certains actes. N'ayant pas
d'expression directe, le droit spécial est dans ce cas-là déduit de la restriction. Son contenu est
fixé d'après la formule: contenu et étendue du droit subjectif qui fait partie du statut juridique
général des citoyens moins contenu et étendue de la restriction de droit appliqué. Selon
l’article 18 des Règlements intérieurs types français, il est interdit de porter des vêtements
religieux dans les lieux à usage collectif, à l'exception de la salle de culte. Cela signifie qu’il
n’est pas interdit de les porter dans sa cellule. Si l'article 107, 4e al., du CEP ukrainien interdit
aux condamnés les jeux de société pour gagner de l'argent ou d'autres avantages, cela signifie
qu'il peuvent jouer sans faire de mises en argent ou de biens matériels. À travers ces
permissions, il est possible de reconnaitre les restes du droit subjectif existant en liberté, mais
il en devient un droit spécifique (résiduel) en détention. Cette approche n'est possible
évidemment qu'en exigeant que les rapports en question soient réglementés par la
réglementation permissive générale, c'est-à-dire que "tout ce qui n'est pas interdit est
autorisé".

Cependant, le droit pénitentiaire montre en parallèle des signes d'application d'un autre
mode de réglementation juridique : "tout ce qui n'est pas autorisé est interdit". L'Annexe 2 du
Règlement intérieur des établissements pénitentiaires de l’Ukraine prévoit les denrées, les
objets et les matières que les condamnés peuvent (souligné par nous – N.D.L.A.) recevoir
dans leurs colis, acheter dans les magasins des établissements pénitentaires et conserver sur
eux. La liste en question énumère les objets pouvant être conservés et leur quantité autorisée
et non l'inverse, c'est-à-dire les objets interdits. Cette approche entend l'interdiction de
recevoir en colis, d'acheter dans les magasins de l'établissement et de conserver des produits
86

autres que ceux figurant dans la liste. Cette interdiction n'est pas déterminée directement
(littéralement) dans la norme, mais elle fait partie de son contenu. Ce régime témoigne de
l'utilisation dans le droit d'exécution des peines, du type permissif spécial de réglementation
juridique (n'est autorisé que ce qui prévu dans la loi). Ceci est aussi prévu dans le CEP de
l'Ukraine dont l'article 102 dispose, dans son 7e alinéa, que la liste des objets que les
condamnés peuvent garder sur eux est fixée par l'administration chargée de l'exécution des
peines.

De plus, la liste des objets que les condamnés peuvent avoir sur eux semble être
limitée "des deux côtés". D'une part, il existe une liste qui indique ce que l'on est autorisé à
avoir, mais d’autre part, il existe aussi une liste d’objets et de matières dont la conservation et
l'utilisation par les condamnés sont interdites209. Il est assez difficile de comprendre la logique
choisie par cette réglementation juridique, qui donne l'impression qu'en rajoutant à la liste des
objets autorisés une liste d'objets interdits le législateur agit par "excès de précaution" dans le
cas où il aurait permis aux condamnés d'avoir quelque chose en "trop". Ou, peut-être, se
rendant compte de la possibilité potentiel d'abuser de l'interprétation des interdictions en
pratique, il aurait décidé d’établir une liste d’objets autorisés.

Nous trouvons un exemple similaire en France où les Règlements intérieurs types


permettent aux personnels pénitentiaires de priver les détenus non seulement de leurs objets
« qui ne sont pas conformes à la réglementation », mais aussi d’objets « dont l'utilisation
présente un risque » (art. 7.II). Cette règle est un autre exemple d’une « double » interdiction.

Pour savoir si les droits spéciaux peuvent être vus comme des formes à l'aide
desquelles il est possible d'établir l'existence d'une limitation, il convient de distinguer deux
situations différentes dans lesquelles ces formes se manifestent.

La première situation, situation statique, prévoit l'identification par comparaison des


droits des détenus avec ceux des citoyens libres. La comparaison porte sur le contenu effectif
et l'étendue des droits du détenu et du citoyen libre. La seconde, situation dynamique, prévoit
l'instauration de nouveaux droits spécifiques aux détenus ou l'annulation de droits anciens. La
comparaison porte alors sur le contenu et l'étendue du droit avant et après l'application de la
limitation par le codificateur.

Dans le cas de l’approche statique, bien que présentant une mesure du comportement
possible, les droits spéciaux font tout de même diminuer cette mesure par rapport aux droits

209
Annexe 6 au Règlement interieur des établissements pénitentiaires.
87

qu'ils "remplacent", mais seulement dans le cas de la première forme de limitation, soit la
forme statique210. Le fait est que les droits spéciaux comportent une interdiction. Il est vrai
que, vu sous ce point, tout droit subjectif comporte une interdiction immanente parce qu'ayant
ses propres limites (qualificateurs), tout ce qui se situe au-delà de ces limites est interdit.
Toutefois, les interdictions qui découlent, ou, pour être plus précis, qui font partie des droits
subjectifs spéciaux, sont plus importantes que les interdictions propres aux droits subjectifs
des citoyens libres. Ceci s'explique par un volume plus grand de la partie "interdite" du droit
spécifique par rapport aux droits correspondants des citoyens libres, d'où la diminution de ce
qui est autorisé. Cela veut dire que là où l'approche statique est admise, l'attribution d'un droit
subjectif spécifique à la place d'un droit subjectif normal de la personne libre peut être
considérée comme une restriction.

Imaginons une situation : l’administration pénitentiaire établit un droit spécifique pour


les détenus de posséder dix livres dans leur cellule. Cela signifie qu’il leur est interdit d’avoir
plus de dix livres. Pour les citoyens libres, il n’existe pas une telle limitation. En créant ce
droit spécifique aux détenus, l’administration pénitentiaire a en même temps établit une
restriction du droit des personnes libres de détenir les livres. La conclusion serait contraire si
nous admettions l’application d'un autre mode de réglementation juridique : "tout ce qui n'est
pas autorisé est interdit". Dans ce cas, sans un tel droit spécifique, les détenus n’auraient le
droit de ne disposer d’aucun livre.

Dans le cas de l'approche dynamique, l'institution d'un droit subjectif spécifique ne


peut être considérée comme restriction que lorsqu'elle remplace le droit déjà existant et se
distingue par un volume et une étendue plus petits et réduit ainsi les possibilités qui existaient
auparavant. Dans le cas contraire, il n'y aurait pas de restriction, puisque le droit spécifique
élargirait les possibilités ayant existé auparavent. Cela peut se produire par l'institution d'un
droit absolument nouveau, qui n'avait pas existé avant, pour le détenu.

Revenons à notre exemple relatif à la quantité de livres. Si la quantité de livres qu’il


n’est pas interdit de détenir augmente de dix à vingt, cela ne peut être considéré comme
limitation selon l’approche dynamique. Au contraire, cela élargit le droit existant. Par contre,
selon l’approche statique ce droit reste toujours une limitation, parce qu’elle n’existe pas pour
les citoyens libres.

210
Notons que la conclusion serait opposée en rejetant l'idée que tous les droits spécifiques des
détenus dérivent des droits des citoyens libres. La conslusion différerait aussi par rapport aux droits
dits complémentaires qui seront évoqués infra.
88

Le droit spécifique lui-même peut être limité, comme, par exemple, dans le cas de la
surveillance obligatoire des visites. La levée d'une telle restriction pourrait-elle être
considérée comme étant une forme de limitation du droit? A priori, le droit spécifique dont le
contenu et l'étendue sont plus petits que les droits de la personne libre resterait en place même
après la mise en œuvre d'une telle mesure. La réponse dépend de l'approche dynamique ou
statique qui sera choisie. L'approche dynamique compare la situation "avant" et "après": il
apparaît que la situation s'améliore, parce que les visites ne sont plus surveillées, et il n'y a
donc plus de limitation. L'approche statique compare la situation "derrière les barreaux" et "en
liberté" : dans ce cas, le droit nouveau serait toujours une limitation du droit dont il dérive,
soit le droit à la vie privée qui prévoit la possibilité de rencontres libres pour les personnes
libres.

De manière ultime, l'emploi de l'approche statique témoignerait toujours de l'existence


d'une limitation, parce que le droit spécifique résiduel serait toujours plus petit que son
prototype, le droit subjectif des personnes libres. L'augmentation du contenu et de l'étendue
du droit spécifique signifierait la levée ou la diminution d'une restriction, mais dans ce cas-là
aussi, le droit résiduel spécifique amélioré, droit nouveau, resterait une limitation par rapport
au droit de la personne libre. L'emploi de l'approche dynamique ne signalerait l'existence
d'une limitation que lorsque le contenu et l'étendue du droit spécifique seraient réduits.

La situation mérite cependant d'être envisagée sous l'angle du type de réglementation


juridique. En adoptant l'approche dynamique et en admettant l'effet de la réglementation
spéciale permissive (prohibitive), lorsque "tout est autorisé car directement régi par la loi", il
convient de conclure que les droits subjectifs résiduels spéciaux ne pourraient être considérés
comme étant des restrictions de droit. Le fait de priver d'un droit spécifique signifierait le
retrait aux détenus des possibilités qu'ils avaient auparavant. Il ne serait pas logique qu'une
privation de possibilités ne soit pas considérée comme une restriction.

Imaginons une situation. Une législation prévoit que "les condamnés purgeant leur
peine dans les prisons de niveau minimal de sécurité peuvent conserver une télévision". Dans
le cas de la réglementation prohibitive, l'annulation de cette norme signifierait l'abrogation du
droit de conserver une télévision. En admettant la réglementation juridique permissive, on
aboutit à l'autorisation de conserver les télévisions étant donné qu’est permis tout ce qui n’est
pas interdit. Cette construction théorique amène encore à l'idée de la domination de la
réglementation permissive dans le droit pénitentiaire, lequel prévoit l’interdiction s’il n’existe
pas de permission.
89

Le fait de reconnaître le droit subjectif spécifique en tant que forme de limitation du


droit dépend donc de l'approche choisie (statique ou dynamique) aussi bien que du type de
réglementation juridique. De plus, nous supposons, dans ce chapitre, que les droits subjectifs
spécifiques des détenus dérivent des droits des citoyens libres et qu'ils seraient des "copies
réduites" de ceux-ci. Examinons la situation où les droits spéciaux ne seraient pas conçus
comme dérivant des droits des personnes libres. Nommons-les droits spécifiques
complémentaires des détenus ; ceux-ci présentent des particularités importantes.

1.2.1.4.2. Droits spécifiques complémentaires

Pour pouvoir mieux comprendre le droit spécifique (particulier) en tant que forme de
limitation du droit, il conviendrait, à notre avis, de distinguer deux types de droits spécifiques:
droits résiduels et droits complémentaires. La conception des droits résiduels est décrite
supra ; celle des droits complémentaires sera présentée ci-après.

Les détenus disposent d'un nombre de droits subjectifs qui n'appartiennent pas aux
citoyens libres. Leur contenu diffère radicalement de celui des droits des citoyens libres. Les
droits spécifiques complémentaires peuvent porter, par exemple, sur l'utilisation des services
proposés dans les établissements pénitentiaires, sur l'habillement et la nourriture, la
participation à des organisations d'initiative locale et à des activités socialement utiles...

Ces droits sont accordés prétendument "en remplacement" de l'impossibilité d'exercer


des droits semblables dont bénéficient les citoyens libres. Ils existent pour "compenser
partiellement les restrictions légales" des détenus211, et résultent du fait que les détenus sont
pratiquement pris en charge par un établisement pénitentiaire212. Ils ne réduisent pas le
contenu et l'étendue des droits faisant partie du statut juridique général, car leur contenu
diffère sur le fond de celui des droits des citoyens libres. Par contre, leur abolition conduirait à
une limitation des droits des détenus et c'est la raison pour laquelle ces droits devraient être
vus comme élargissant la mesure existante du comportement possible et peuvent donc être
considérés comme étant des restrictions légales. Les citoyens libres n'ont pas ces droits, parce
que leur nécessité est déterminée par les conditions d'exécution de la peine dans un

211
Михлин А.С. Уголовно-исполнительное право: краткое пособие и основные
нормативные правовые акты / Сост. алф..-предм. указ. В.А. Казакова. – М.: ЗАО Юстицинформ,
2008. – С. 38 (Mikhlin A.S., Droit de l'exécution des peines: mémento concis et textes normatifs
principaux/Index par V.A. Kazakov, Moscou, ZAO "Justitsinform", 2008, p. 38).
212
Vernet J. Le sauvegarde des droits des détenus, Revue de science criminelle et de droit pénal
comparé, 1968, р. 69–94.
90

environnement fermé ainsi que par l'impossibilité d'exercer en réalité les droits qu'il
conservent de jure.

C'est ainsi qu’en général, les citoyens libres ne se voient pas accorder le droit d'avoir
un lit individuel ou des vêtements spéciaux gratuits adaptés à la saison. Il est vrai d'ailleurs
que pour les détenus, ces droits sont souvent reliés à des interdictions. Le droit d'avoir le lit
inviduel est, par exemple, lié à l'interdiction de le changer ou de le choisir librement. Le droit
à l'habillement selon la saison est lié à l’obligation de maintenir les vêtements propres et en
bon état.

Ainsi qu'il a été relevé précédemment, la conclusion relative à l'impossibilité de


considérer tels droits comme restrictions peut changer selon la combinaison de l'approche
(statique et dynamique) et le type de réglémentation juridique (permissive et prohibitive).

La division proposée des droits spécifiques en droits résiduels et complémentaires se


fonde sur le critère de présence d'un lien entre le droit subjectif spécifique et tel ou tel droit
qui fait partie du statut juridique général. Au cas où un tel lien est observé il s'agirait du droit
résiduel, sinon ce serait un droit complémentaire. La limite délicate entre le droit résiduel et le
droit complémentaire consiste en la différence substantielle de contenu entre ces droits et ceux
des citoyens libres auxquels nous les rapportons pour pouvoir établir leur provenance depuis
ces derniers. La pertinence de cette différence, qui est nécessaire pour pouvoir rattacher un
droit spécial à un droit complémentaire, reste conventionnelle. En analysant plus en détail la
législation en vigueur et le contenu des droits des personnes libres qu'elle détermine, il est
possible d'identifier certaines prérogatives (bien que, peut-être, sous un aspect "entamé" ou
modifié d'une autre manière) qui constituent le contenu des droits complémentaires. C'est
pourquoi des indices du droit résiduel peuvent être constatés dans tout droit complémentaire.

1.2.1.5. Instauration de la responsabilité spécifique en tant que forme de


limitation du droit

La présence d'une restriction dans la loi peut être signalée par l'instauration de la
responsabilité spécifique. Celle-ci naît lorsque certains actes du détenu entraînent une action
en responsabilité alors que cette responsabilité n'existe pas pour les personnes libres. D'autre
part, la responsabilité spécifique peut se traduire par le fait que les mêmes actes de la
personne libre entraînent pour elle une responsabilité moins lourde.
91

L'instauration de la responsabilité spécifique atteste de la présence d'une obligation qui


n'existe que pour le détenu ou qui est plus dure pour lui que pour les citoyens libres. De telles
obligations devraient donc être considérées comme des limitations du droit. Compte tenu de
cette circonstance, bien que nous envisagions la responsabilité spécifique comme forme
(instauration) de la limitation du droit, il serait probablement utile de concevoir la
responsabilité spécifique en tant que forme d'instauration de l'obligation.

Les détenus sont responsables en cas de commission d’actes qui sont licites pour les
citoyens libres dans les cas où de tels actes font l'objet d'une interdiction spéciale ou d'une
obligation spécifique. C’est ainsi que les détenus peuvent être responsables du fait d'obtenir
ou de tenter d'obtenir d'un membre du personnel de l'établissement un avantage quelconque
par des dons ou des présents, de ne pas respecter les dispositions du règlement intérieur de
l'établissement ou les instructions particulières arrêtées par le chef d'établissement, d'entraver
ou de tenter d'entraver les activités de travail, de formation, culturelles, cultuelles ou de
loisirs, de négliger de préserver ou d'entretenir la propreté de sa cellule ou des locaux
communs, de pratiquer des jeux interdits par le règlement intérieur etc. (articles R57-7-2 et
R57-7-3 du CPP français).

La différence entre la responsabilité des détenus et celle des citoyens libres peut se
présenter sous la forme d’une responsabilité plus stricte et d’une autre nature. Par exemple,
les détenus peuvent être responsables selon le code pénal alors qu’une telle responsabilité
n’existe pas pour les mêmes faits s’ils sont commis par des personnes libres.

En est le témoin le risque des poursuites pénales pour la préservation d’un téléphone
portable. C’est ainsi que le détenu peut être sanctionné pour ce délit par les articles 321-1 et
434-35 du Code pénal français213. Une personne libre ne saurait être reprimée pour le fait de
posséder un téléphone portable (sous la condition de ne pas tenter de le transmettre aux
détenus).

Un autre exemple est la « désobéissance obstinée » aux exigences de l'administration


pénitentiaire ou autre opposition à l'administration dans l'exercice légitime de ses fonctions
d'après l'article 391 du CP ukrainien. Le sujet de cette infraction est un sujet spécial: la
personne purgeant une peine de restriction ou de privation de liberté. Cela signifie que le sujet
concerné est soumis à une restriction légale qui n'existe pas pour les citoyens libres, à savoir
l'obligation de remplir les exigences de l'administration pénitentiaire. D'un autre côté, les
citoyens libres sont soumis à une obligation semblable: se plier aux exigences légitimes de la

213
Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 24 octobre 2007, 07-81.583, Inédit.
92

police. Notons que la différence entre ces deux obligations ne porte pas que sur les exigences
et les entités qui posent ces exigences, mais aussi dans une responsabilité accrue des détenus
qui ne satisfont pas aux exigences légitimes de l'agent pénitentiaire.

Il convient de remarquer aussi que l'existence d’exemples d’engagement de la


responsabilité mentionnés est en rapport avec l'instauration spéciale des obligations des
détenus prévues par les règles disciplinaires. Pourtant, à défaut de responsabilité pénale, le
détenu ne serait poursuivi qu'au titre de la procédure disciplinaire. A partir de là, l'abrogation
de la responsabilité spécifique, moins sévère ou non existante pour les citoyens libres,
signifierait l'abolition de la restriction et vice versa. Cela atteste donc l'existence de la
restriction qui découle justement de la responsabilité spécifique.

Ainsi qu'il a été noté, la responsabilité spécifique peut être engagée non seulement
dans les cas où le citoyen libre n'est pas poursuivi pour tels actes alors que le détenu le sera,
mais aussi lorsqu'elle existe pour les deux, mais qu’elle est plus sévère ou entraîne une
responsabilité supplémentaire pour les détenus. C'est ainsi que les règles disciplinaires
disposent souvent que les détenus doivent être polis ou ne pas insulter les autres. En même
temps, si une personne physique subit un préjudice moral à la suite de la violation de son droit
moral, ce préjudice devra être réparé selon la législation civile. Cependant, le comportement
impoli du détenu risque de lui coûter plus que la responsabilité civile, car la responsabilité
disciplinaire peut être appliquée et elle peut se traduire par le placement en cellule
disciplinaire et le risque de compromettre l’obtention d’un aménagement de peine.

Cet exemple amène à une autre idée: des barrières juridiques plus faibles dans
l'application de la responsabilité peuvent être l'une des formes de réalisation de la
responsabilité spécifique en tant que limitation du droit. Il est assez peu probable qu’un agent
pénitentiaire qui a été insulté dans la rue saisisse la justice (sauf si c’est sa qualité de
fonctionnaire qui est visée par l’agression), alors que la probabilité de l'application de la
responsabilité disciplinaire aux détenus pour les mêmes actes est beaucoup plus importante.
De même, la probabilité de la mise en détention du citoyen libre par la police qui offense une
personne libre est plus faible qu’au regard des conditions de l'établissement pénitentiaire.

Compte tenu de la position décrite selon laquelle l'existence d'une reponsabilité plus
sévère témoigne de la limitation des droits du détenu, il convient de remarquer que l'art. 132
du CEP de l'Ukraine institue des sanctions disciplinaires applicables aux détenus pour avoir
enfreint l'ordre d'exécution de la peine. De fait, il s'agit de la possibilité d'appliquer des
sanctions pour tout manquement au régime si celui-ci est conçu comme ordre d'exécution des
93

peines (art. 102 du CEP). Ce motif est trop vaste et il crée un champ extêmement large pour
les abus et excès dans l'application de la loi. De plus, cet article précise que l'ordre d'exécution
de la peine peut être fixé par la loi et d'autres textes normatifs ce qui rend ce motif encore plus
large. Autrement dit, l'autorisation de fixer l'ordre d'exécution des peines par des textes
réglementaires suppose l'autorisation de fixer les restriction par de tels textes.

Au vu de ces thèses, nous en venons à l'idée que les limitations du droit trouvent leur
expression dans les normes du régime. Cela ne veut pas dire toutefois qu'elles sont instaurées
par toutes les normes de régime. Les limitations du droit ne se retrouvent que dans les normes
comportant des exigences vis-à-vis des détenus qui sont tenus de les respecter et risquent des
sanctions pour leur négligence. Les normes de régime imposant des obligations pour
l'administration ne peuvent comporter de limitations des droits des détenus que lorsqu'elles
prévoient des obligations ou des interdictions correspondantes pour ceux-ci.

Ainsi, la partie du régime fixée par les normes comportant des obligations pour les
détenus consiste-t-elle dans la limitation du droit. Il s'ensuit que la marque déterminante du
caractère obligatoire des exigences pour les détenus consiste en la possibilité d'appliquer des
sanctions. De même, la marque déterminante des limitations consiste en leur potentiel de
coercition. Notre avis est donc que la question des limites d'application des sanctions
disciplinaires concerne en même temps l'ampleur et la liste des restrictions. Elle concerne
également la caractéristique de la peine, car le contenu de celle-ci est formé justement par les
limitations des droits.

L'on peut en déduire que la situation découlant de l'indétermination des raisons des
sanctions disciplinaires crée des conditions pour que le contenu de la peine reste imprécis.
Ceci étant, il est à constater le caractère imprécis des limitations des droits en rapport avec la
mise en œuvre de la responsabilité disciplinaire. Tous ces facteurs engendrent l'ambiguité,
l'indétermination et les doutes quant à savoir ce que doit être l'exécution de la peine, étant
donné qu'elle n'est pas autre chose que la mise en œuvre des restrictions des droits propres à la
peine. En pratique, cela provoque au surplus des différends et des conflits entre
l'administration et les détenus.

Il convient aussi de remarquer que la possibilité d'admettre que la procédure


disciplinaire des détenus constitue la limitation des droits est attestée par la jurisprudence de
la CEDH. Ainsi que le montre Joana Falxa, la jurisprudence de la Cour européenne ne prévoit
pas l'application de l'article 6 de la Convention et des garanties du procès équitable inclues
dans celui-ci à l'égard des procédures disciplinaires en prison. L'exception ne vient que des
94

cas d'ingérence dans un droit civil (la limitation de ce dernier). Dans le cas donné, l'article 6
devrait être appliqué, mais seulement par son paragraphe 1 dans le volet civil, les autres
garanties importantes propres au procès équitable dans le volet pénal n'étant pas appliquées.
Cependant, à son avis, on peut vaguement entrevoir au futur l'application des garanties
prévues par d'autres parties de cet article214.

L'engagement de la responsabilité disciplinaire signifierait, à notre avis, l'application


des limitations des droits dans la plupart des cas. La limitation du droit pourrait déjà exister
(interdiction de fumer en cellule, interdiction des jurons), mais son expression pratique
consisterait justement dans l'application de la responsabilité. C'est pourquoi la mise en œuvre
des garanties d'après l'article 6 de la Convention devrait être logiquement complétée par
l'application des garanties des clauses limitatives de la Convention.

Par exemple, le fait de placer le détenu en cellule disciplinaire pour avoir enfreint
l'interdiction de dire des obscénités nécessite de savoir si une telle restriction serait justifiée à
la lumière de l'article 6 de la Convention et de l'article 10 (liberté d'expression). La
jurisprudence de la CEDH confirme l'approche selon laquelle elle considère l'application de la
responsabilité disciplinaire aux détenus comme forme de limitation du droit215. Dans son arrêt
rendu dans l'affaire Buglov contre Ukraine, la Cour dénote l'excès de restriction se traduisant
par le placement dans la cellule disciplinaire pour dix jours à cause d'une infraction
insignifiante au régime216. Dans l'affaire Shahanov et Palfreeman contre la Bulgarie la Cour
signifie sans ambiguité que l'application de la sanction disciplinaire à la suite des plaintes des
détenus "était une interférence dans le droit des requérants à la liberté d'expression"217, elle
était donc une limitation de ce droit.

Il apparaît ainsi que l'analyse des restrictions du droit dans un lien étroit avec la
responsabilité disciplinaire constitue une base méthodologique très importante. Tout ceci nous
amène à l'idée que l'étude des thèmes portant sur l'essence des restrictions des droits des
détenus revêt une grande importance pour l'exploration de la question de la responsabilité
disciplinaire. Les fondements théoriques des restrictions des droits dépendent de la
compréhension des raisons de l'application de cette responsabilité.

214
Falxa J., Le droit disciplinaire pénitentiaire: une approche européenne. Analyse des systèmes
anglo-gallois, espagnol et français à la lumière du droit européen des droits de l’homme, Thèse, Pau,
Université de Pau et des pays de l’Adour, 2014, p. 652.
215
Shahanov et Palfreeman c. Boulgarie § 54 (nº 35365/12 et 69125/12, 21.07. 2016), Marin
Kostov c. Bulgarie § 42 (nº 13801/07, 24.10.2012), Yankov c. Boulgarie § 126 (nº 39084/97,
11.12.2003), Puzinas c. Lituanie (nº 2) § 30 (nº 63767/00, 09.01.2007).
216
Buglov c. Ukraine § 138 (nº 28825/02, 10.07.2014).
217
Shahanov et Palfreeman c. Boulgarie § 54.
95

En conclusion, la limitation du droit peut consister tant en l’interdiction de certains


actes par l’instauration de la responsabilité pour de tels actes ou par son application pratique.
Le premier cas signifie la limitation normative (interdiction dans la loi), alors que le second
concerne la limitation dans l'application de la loi (application de la responsabilité). Il s’agit
donc de deux formes des limitations : normative et pratique.

De plus, au vu ce contexte, les restrictions par l'application de la responsabilité


peuvent être considérées comme étant à caractère rétrospectif et perspectif. Elles sont
distinguées par Eric Heinze: dans le cas où la personne commet des actes interdits et subit
plus tard une peine, il s'agit d'une restriction; la restriction a lieu aussi lorsque le sujet
s'abstient d'un acte sous peine d'être puni218.

1.2.2. Formes des limitations pratiques

Nous venons d'illustrer ci-dessus essentiellement des formes de restrictions de droits


dans la législation (formes normatives). Or, les détenus peuvent subir ce qui est appelé
restrictions d'application de la loi ou restrictions pratiques219. Celles-ci consistent en un
rétrécissement du contenu et de l'étendue des droits existants des détenus qui se trouve soumis
au pouvoir discrétionnnaire de l'administration pénitentiaire. La discrétion a lieu là où le droit
du détenu dépend de l'administration220. En décidant ainsi d'user ou non de ses compétences
discrétionnaires en matière de limitation de droits, l'administration tranche la question de la
mise en place d'une restriction d'application de la loi.

Les formes des limitations pratiques dépendent des formes des compétences
discrétionnaires dont est nanti le personnel pénitentiaire. C'est ainsi que le droit de contrôler la
correspondance peut être exercé à la discrétion de l'administration. Ce contrôle sera une
limitation du droit. Les sanctions disciplinaires appliquées au détenu peuvent être également
considérées comme étant des limitations du droit, leur application pouvant être justifiée ou
non. La justification de la limitation dépendra du fait si la procédure de l’application de
restriction est observée et si la restriction en elle-même est proportionnelle.
218
Heinze E., The Logic of Constitutional Rights, Surrey, Ashgate Publishing Company, 2005,
p. 20.
219
Voir 1.3.1 "Classification en fonction de l'application selon la discrétion".
220
Guastadini C., Droit pénal et droits de l’Homme. La dignité en prison : genèse et avènement,
Paris, Editions Buenos Books International, 2010, p. 68.
96

Les limitations pratiques peuvent se traduire par des actes contraires aux limitations
législatives (normatives). Si, par exemple, la loi accorde à la personne le droit aux
communications téléphoniques à une fréquence définie, leur interdiction serait une limitation
du droit. Tout comme, par exemple, l'interdiction de conserver des livres en l'absence de
raisons légales appropriées constituerait une forme de limitation du droit. C'est-à-dire que
l'application des restrictions en l'absence de cadre législatif approprié ou outrepassant celui-ci
sera toujours considérée comme limitation du droit. Selon que la limitation fût légale ou non,
il s'agira de limitations justifiées et non justifiées.

Une certaine ressemblance peut être constatée entre les formes des limitations de
droits normatives et d'application de la loi. Aussi bien l'instauration de la responsabilité que
celle de l'interdiction ou d'autres formes de limitations normatives déjà citées peuvent se
concevoir, non seulement comme formes de restrictions normatives, mais aussi comme
formes de limitations en application de la loi. L'emploi des méthodes, statique et dynamique,
d'identification du mode d'instauration de la limitation221 convient parfaitement aux
limitations en application de la loi.

La méthode dynamique sera utilisée, par exemple, en comparant les possibilités


ordinaires du détenu avec son statut après l'usage par l'administration de ses compétences
discrétionnaires.

La méthode statique pourra être utilisée en comparant les possibilités du détenu après
la mise en oeuvre par l'administration de ses compétences discrétionnaires en matière
d'instauration des restrictions avec les possibilités des personnes libres. La méthode statique
convient par le fait que la comparaison du statut du détenu et de la personne libre se fait non
pas de jure, mais de facto. Est prise en compte, non pas la différence nominale entre le statut
juridique des détenus et des personnes libres tel qu'il devrait être d'après la loi, mais la
situation réelle du détenu du fait de l'application par l'administraioin pénitentiaire de ses
compétences discrétionnaires par rapport au droit juridique des personnes libres en pratique.
Ceci permettrait de ne pas perdre de vue les limitations illégitimes.

Le thème des limitations pratiques est non moins important que celui des limitations
normatives. La plupart des limitations injustifiées sont instaurées du fait de leur application
par l'administration pénitentiaire, souvent contrairement à la loi, mais plus fréquemment dans
le cadre de la discrétion accordée par la loi. Cela ne signifie pourtant pas, par exemple, que
l'application de la limitation en vertu de la loi serait proportionnelle au regard de la

221
Voir supra.
97

Convention. Il en résulte que l'application de la limitation même en vertu des normes de la loi
nationale peut être injustifiée.

Un exemple d'application des limitations pratiques est donné par les sanctions
disciplinaires. Deux situations sont à distinguer: а) application des sanctions en vertu des
normes de la loi. Il s'agit alors de la limitation normative (interdiction, obligation dans la loi),
qui est mise en oeuvre par la limitation pratiques (poursuites en responsabilité)); b)
application illégitime des sanctions à cause de l'absence de raisons ou application de sanctions
non prévues (ou excessives). Dans ce dernier cas, il s'agit de limitation du droit, mais celle-ci
ne serait pas qualifiée comme justifiée, car l'une des marques nécessaires du caractère justifié
de la limitation consiste dans son application sur la base de normes juridiques. Le caractère
non justifié de la limitation du droit signifierait la violation de ce droit.
98

Conclusion du chapitre 1.2

Il existe deux procédés logiques pour établir l'application d'une restriction au détenu:
1) comparaison des possibilités du détenu "avant" et "après" l'application de la mesure dont le
caractère limitatif est à établir (approche dynamique). La mesure en question pourrait porter,
par exemple, sur des changements de la législation; 2) comparaison du statut du détenu avec
le statut juridique général des personnes libres (approche statique). Il peut s'agir, dans ce cas,
de comparer les possiblités de la personne des deux côtés des barreaux, ce, tant de jure
(limitations normatives) que de facto (limitations en application de la loi).

Nous dégageons les formes suivantes des limitations normatives des droits (celles qui
sont objectivées dans la législation):

1) La privation du droit subjectif. La privation d'un droit représente en fait la limitation


du droit "à zéro". Il s'agit ainsi de la limitation maximale du droit;

2) L'interdiction. L'interdiction en tant que limitation se manifeste en cas d'emploi de


l'approche statique, à savoir la comparaison de ce qui est interdit aux personnes libres et aux
détenus. Au cas où une interdiction existe pour les détenus et non pour les personnes libres,
cette interdiction constitue une limitation du droit. La même chose s'observe en cas d'emploi
de l'approche dynamique, lorsque la limitation du droit se produit du fait d’un texte normatif
qui crée une nouvelle interdiction. La limitation peut avoir lieu aussi lorsqu'une interdiction
est remplacée par une autre et que cette dernière est plus sévère que la précédente;

3) L'obligation. Toute instauration d'obligation pour les détenus du fait de leur statut
juridique spécial constitue une restriction du droit. Une obligation limite toujours un droit
subjectif ou un autre. L'obligation se trouve dans un rapport étroit avec l'interdiction,
l'obligation passive offrant l'exemple classique d'interdiction inhérente (la personne est
obligée de ne pas réaliser certains actes). L'obligation active pourrait être interprétée comme
interdiction de ne pas faire certains actes;

4) Les droits subjectifs spécifiques. La possibilité de reconnaître les droits spécifiques


comme étant des limitations fait l'objet d'un débat. Compte tenu de cette circonstance, la
réponse à cette question sera donnée selon le caractère du droit spécial dont il s'agit. Nous
proposons de classer les droits spécifiques en droits spécifiques résiduels et droits spécifiques
complémentaires. Les droits spécifiques résiduels constitueront toujours des limitations, parce
qu'ils représentent une copie "entamée" ou "réduite" du droit des citoyens libres. C'est ainsi
99

que le droit de disposer de son temps est un droit tronqué, puisque les détenus n'ont qu'un
droit spécifique: disposer de leur temps en accord avec les horaires du jour dans lesquels des
heures libres sont prévues. Quant au droit spécifique complémentaire, il est douteux qu'il
puisse être qualifié de limitation. C'est que le droit à la nourriture, à l'habitation et à
l'habillement est juridiquement garanti dans le contexte pénitentiaire, même en cas de pénurie
de ressources. Les citoyens libres n'ont pas ce droit, bien que certaines catégories d'entre eux
puissent bénéficier d'une assistance de ce genre de la part de l'État. Toutefois, selon le type de
la réglementation juridique (est autorisé tout ce qui n'est pas interdit ou inversement) et le
mode d'analyse choisi (dynamique ou statique), cette conclusion pourrait changer.

La division des droits spécifiques en droits résiduels et droits complémentaires dépend


de l'importance du rapport du droit spécifique du détenu avec tel droit spécifique de la
personne libre. Cette division est assez conventionnelle et dépend de la conception de la
nature juridique du droit spécifique;

5) L'instauration de la responsabilité spécifique. En ce qui concerne les détenus, cette


responsabilité ne se rencontre pas d’habitude "à l'état pur". Les détenus ne répondent
généralement des actes qui sont réguliers pour les citoyens libres que dans les cas où il existe
une interdiction spéciale ou une obligation spécifique qui est elle-même une forme de
restrictions de droits. Les cas où la responsabilité spécifique existe sans l'interdiction ou sans
l'obligation instaurées directement sont peu nombreux dans la législation pénitentiaire, bien
que pouvant exister. En tous état de cause, l'interdiction (ou l'obligation) découle de cette
responsabilité. Il est certain que l'instauration de la responsabilité pour les actes qui
n'entraînent pas la responsabilité pour les citoyens libres devrait être qualifiée de restriction.
De même, il est à considérer comme restriction, l'application pour certains actes d'une
responsabilité plus sévère que pour les personnes libres. La responsabilité disciplinaire peut
être considérée également comme restriction. Les raisons et les caractéristiques de cette
responsabilité permettent de statuer sur la présence de restrictions de droits.

Les formes susmentionnées de restrictions concernent les limitations pratiques qui


consistent en un rétrécissement du contenu et de l'ampleur des droits des détenus, ce, du fait
du recours de l'administration pénitentiaire à ses compétences discrétionnaires. Cette
limitation peut être légale comme elle pourrait être illégale. Les cinq formes des limitations
normatives présentées ci-dessus conviennent pour les limitations pratiques compte tenu de sa
spécificité. Pour pouvoir identifier les formes des limitations pratiques tout comme pour
identifier les formes normatives des restrictions, les méthodes statique et dynamique peuvent
100

servir, une importance particulière étant dévolue à leur emploi à la situation de facto, puisqu'il
peut s'agir de restrictions illégales.
101

1.3. Classification des limitations des droits

Bien que le thème des limitations des droits des détenus se trouve au cœur des thèmes
du droit pénitentiaire, leur classification intégrale n'était pas réalisée jusqu'à ce jour. Il est vrai
que les spécialistes du droit pénitentiaire en avaient fait des tentatives. Il se bornaient le plus
souvent à l’un des critères de division. Le principal intérêt ne se concentrait pas sur les
restrictions de droits en tant que catégorie particulière à étudier, mais sur les aspects
discutables des classifications possibles.

Notre objectif vise non seulement à essayer de reproduire le débat des auteurs, mais
aussi à émettre des observations et à proposer des critères nouveaux de classification. Ceci
permettrait d'examiner, sous tous leurs aspects et en profondeur, les restrictions des droits des
détenus en tant que catégorie juridique, ainsi que de comprendre leurs particularités par
rapport aux limitations des droits des personnes libres.

Les critères suivants sont proposés pour la classification des limitations: a) selon
l'existence de la discrétion dans leur application; b) selon l'origine.

1.3.1. Classification en fonction de l'application selon la discrétion

En étudiant la littérature juridique, le constat est fait qu'elle ne comporte pas toujours
la classification, pourtant très importante pour comprendre la nature juridique des limitations,
selon l'usage de la discrétion pour leur application. D'après ce critère, elles devraient être
classées en limitations normatives (automatiques) et limitations pratiques (facultatives).

À notre étonnement, une telle classification, il nous semble, n'est pas effectuée dans
les écrits analysant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme bien que la
Cour soit confrontée en permanence à ces deux types de limitations. La classification
proposée part de l'idée que certaines limitations sont fixées dans la législation et s'appliquent à
tous les sujets des rapports de droit (limitations normatives ou automatiques), alors que
d'autres sont appliquées à la discrétion du sujet d'application de la loi (limitations pratiques ou
facultatives).
102

La distinction entre ces deux types de limitations consiste en ce qui suit. Tout d’abord,
les limitations normatives sont fixées dans la législation sous un aspect précis ce qui veut dire
que leur contenu reste inchangé lors de l'application visant à réglementer les rapports de droit.
Ensuite, elles s'appliquent de manière automatique dans les cas visés par la norme, ce qui
n'admet pas la discrétion.

A la différence des limitations normatives, les limitations pratiques ne sont pas


définies clairement dans la loi et s'appliquent de façon individuelle. Cela signifie que
l'application d'une limitation de droit n'est pas automatique et demeure en totalité ou en partie
à la discrétion de l'autorité appliquant la loi, celle-ci décidant à sa discrétion aussi de l'ampleur
voire du type de la limitation.

Un exemple du premier type de limitation est fourni par l'interdiction faite aux
personnes détenues de consommer des boissons alcoolisées, des stupéfiants, des substances
psychotropes ou similaires ainsi que d'autres substances narcotiques (art. 107, 4e al., du CEP
ukrainien) ou l’interdiction d'accéder aux façades et aux toits de l'établissement ainsi qu'aux
chemins de ronde ou aux zones neutres (art. 7.V du Règlement intérieur type français). Ces
règles n'admetent aucune discrétion de l'administration pénitentiaire.

Un exemple du deuxième type de limitation consiste dans le placement du détenu dans


la cellule disciplinaire, cette sanction pouvant entraîner nombre d'autres limitations. De plus,
le placement en cellule disciplinaire constitue une restriction complémentaire de la liberté de
circulation, c'est-à-dire une sorte de "supplément" à la limitation du droit à la liberté de
circulation. La possibilité d'appliquer cet ensemble de restrictions de droits dépend donc des
compétences discrétionnaires de l'administration pénitentiaire.

Les distinctions citées ne signifient pas que l'application des limitations facultatives
s'effectue sans les justifications normatives. Comme tout autre restriction de droit, elle doit
être justifiée et se fonder sur les fondements fixées par la loi. Au cas où cette limitation ne
serait pas conforme à loi, elle serait non justifiée.

Un autre exemple de limitation facultative de droits est donné par l'application du


contrôle sélectif du courrier, qui ne peut être appliqué que dans des cas précis de soupçons
fondés concernant la menace éventuelle à la sécurité et à l'ordre dans l'établissement ou à la
réinsertion (art. 40 de la Loi pénitentiaire 2009)222. Un exemple de plus s'exprime par la règle
25.5 du Règlement intérieur des établissements pénitentiaires ukrainien en vertu de laquelle,

222
L'Ukraine pratique toujours le contrôle automatique (de fait la censure) du courrier entrant et
sortant des condamnés (art. 113 du CEP ukrainien).
103

en l'absence du directeur de l'établissement et dans l'impossibilité de remédier à un crime ou à


une faute grave par d'autres mesures, les détenus peuvent être placés en cellule disciplinaire
avant l'arrivée du directeur ou de la personne qui le remplace, mais pour un délai ne dépassant
pas 48 heures.

Dans la plupart des cas, les restrictions mentionnées n'existent pas à l'état pur et elles
contiennent des éléments des restrictions du type opposé. Les limitations normatives peuvent
admettre un certain niveau de discrétion, alors que les limitations pratiques peuvent avoir des
limites définies à l'avance.

C'est ainsi que les limitations pratiques telles que le placement en cellule disciplinaire,
sont applicables pour une durée allant à vingt jours (art. R57-7-47 du CPP français), la
privation ou la restriction d'activités culturelles, sportives et de loisirs peuvent durer au
maximum huit jours, tandis que la privation de la faculté d'effectuer en cantine tout achat
autre que celui de produits d'hygiène et du nécessaire de correspondance (art. R57-7-35 du
CPP français) peut être prononcée une période maximum de quinze jours. C'est dire que
l'importance et la possibilité d'application de ces limitations comportent des limites également
fixées par la loi.

Certaines restrictions automatiques de droit peuvent, pour leur part, se combiner avec
les limitations en application de la loi. L'art. 114 du CEP de l'Ukraine établit le droit
inconditionnel des condamnés de recevoir et d'envoyer des mandats postaux à des parents
uniquement. Toutefois, l'administration de la prison peut autoriser à recevoir et à envoyer des
mandats à d'autres personnes. Cela signifie qu'en règle générale, il est interdit d'envoyer ou de
recevoir des mandats à toutes les personnes, sauf les parents, mais que cette interdiction peut
être abolie concernant une personne déterminé, ce, à la discrétion de l'administration de la
colonie. D'autre part, le sujet d'application de la loi est limité dans la réduction de l'ampleur
des restrictions de droits existantes, comme c'est le cas de la mesure de stimulation prévoyant
l'autorisation d'une visite complémentaire de courte ou de longue durée, car elle ne peut être
autorisée qu'une fois par an (art. 131, 4e al., du CEP).

Conclusion du sous-chapitre 1.3.1

Pour pouvoir diviser les restrictions en limitations normatives et limitations pratiques,


il est nécessaire de savoir si l'autorité publique dispose de compétences discrétionnaires dans
l'application des limitations ou si ces limitations sont appliquées de manière automatique. Les
104

limitations normatives indiquent le contenu concret et l'ampleur de la limitation à appliquer


(par exemple l'interdiction de consommer les boissons alcoolisées) et excluent la possibilité
de leur changement par l'autorité qui les applique. Les limitations pratiques sont appliquées
par le personnel pénitentiaire à leur discrétion conformément à la loi (fixation de la durée de
séjour en cellule disciplinaire) ou même contrairement à la loi (placement en cellule
disciplinaire en l'absence de raisons suffisantes ou pour une durée excessive).

1.3.2. Classification selon l'origine de la limitation. Restrictions de droits


découlant de l'incarcération

En fonction de l'origine des limitations, il convient de distinguer: а) les restrictions


juridiques; б) les restrictions de fait ou factuelles (découlant de l'incarcération du détenu).

Les restrictions juridiques sont fixées dans la loi. Elles sont objectivées dans l'une des
formes évoquées des limitaions des droits.

Les restrictions de fait ne sont pas fixées dans la loi223. Elles "existent de façon
objective" même si elle ne sont pas déterminées par la loi. Ces restrictions sont qualifiées
aussi de limitations découlant de l'incarcération, objectives ou inévitables dans la détention.
La conception de la nature juridique de ces limitations concerne directement le statut juridique
des détenus, de l'ampleur de leur peine.

La doctrine du droit pénitentiaire n'a point à ce jour d’élaboration théorique


susceptible d’aider à comprendre l'incarcération en tant que source de restrictions de droits.
Par contre, l'idée des restrictions découlant de l'incarcération est perçue de manière tout à fait
positive et elle est considérée comme une norme facilitant la défense des droits des détenus.
Cette conception est présente non seulement en Ukraine, mais aussi à l'étranger et au niveau
international.

Pourtant, il est difficile de trouver aujourd'hui la réponse à la question de savoir


comment comprendre le caractère "inévitable" des restrictions de droits en raison de
l'incarcération et quels sont les droits qui ne peuvent pas et qui peuvent être exercés dans les
établissements pénitentiaires. La littérature ne comporte pas non plus de considérations

223
Cela ne veut pas dire que la mention sur l'admissibilité de restrictions de fait ne peut pas être
formulée dans la loi. Dans ce cas-là, le rôle des restrictions de fait devient plus important que
lorsqu'elles sont reconnues au niveau doctrinal.
105

relatives à la variation de la conception du potentiel restrictif de l'incarcération en fonction des


conditions historiques et politiques.

Pour mieux comprendre le sens des restrictions de fait, prenons l'exemple déjà cité de
la maison. Le détenu peut être propriétaire d’un bien immobilier en tant que résidence
principale. Il peut en disposer en la vendant, en la donnant, en l'échangeant sans pouvoir en
jouir du fait qu'il soit emprisonné. Cela signifie la perte de l’une des prérogatives dont se
compose le droit de propriété (possession, disposition et jouissance), à savoir la possibilité
d'utiliser sa propre chose. Il y a ainsi restriction du droit, puisque, comme il a été déjà dit, la
perte ne portant que sur une seule prérogative est à considérer comme limitation du droit.

L'originalité des restrictions de fait consiste en ce, qu'à la différence de leur contraire,
les restrictions juridiques, ne sont pas directement instituées par la loi. Le détenu est privé de
tels ou tels biens, il est limité dans ses droits, néanmoins ceci n'est pas directement déterminé
par la loi. C'est ainsi qu'aucune norme juridique ne dit que le détenu se voit interdire
l'utilisation de sa propre habitation en dehors de la prison. Ceci découle en fait de
l'interdiction de quitter la prison fixée par le Code pénal, c'est-à-dire de la limitation de sa
liberté de circulation, par le fait de l'incarcération.

L'idée des restrictions de fait sert de référence aux normes internationales relatives aux
limites des droits des détenus224. En dépit du fait qu'elle soit apparue dès le milieu du XXème
siècle, elle ne fût consacrée pour la première fois, semble-t-il, au plan juridique que dans les
Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus (adoptés par la Résolution 45/111
de l'Assemblée générale des Nations Unies du 14 décembre 1990), dont le par. 5 dispose que
sauf pour ce qui est des limitations qui sont évidemment rendues nécessaires par leur
incarcération (souligné par nous – N.D.L.A.), tous les détenus doivent continuer à jouir des
droits de l'homme et des libertés fondamentales énoncés dans la Déclaration universelle des
droits de l'homme, dans le Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et
culturels, le Pacte international relatifs aux droits civils et politiques et le protocole qui
l'accompagne, ainsi que de tous les autres droits énoncés dans d'autres pactes des Nations
Unies.

Cette idée fût assez populaire, témoin le fait qu’elle fut plus tard examinée par le
Comité des Nations Unies des droits de l'homme en tant que composante de l'article 10, 1er al.,
du Pacte international relatifs aux droits civils et politique, lequel stipule que toute personne

224
Coyle A., The Treatment of Prisoners: International Standards and Case Law, Legal and
Criminological Psychology, 2008, n° 13, p. 219.
106

privée de sa liberté doit être traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à
la personne humaine. L'idée se confirme au par. 3 de l'Observation générale à l'article 10 du
Pacte élaborée par le Comité des droits de l'homme, qui souligne que les personnes privées de
leur liberté "ne doivent pas subir de privation ou de contrainte autre que celles qui sont
inhérentes à la privation de liberté", et aussi: "Les personnes privées de leur liberté jouissent
de tous les droits énoncés dans le Pacte, sous réserve des restrictions inhérentes à un milieu
fermé"225.

Ainsi a été formulé le principe qui consistait dans la présomption de la jouissance par
les détenus de tous les droits prévus pour les autres citoyens, à l'exception des limitations
découlant de l'emprisonnement (de l'incarcération). Cela signifie, en même temps, non
seulement l'enracinement de l'idée des restrictions de fait, mais aussi la formulation de
l'exigence à l'égard de toutes les limitations de droits juridiques existantes, c'est-à-dire celles
qui sont fixées dans la loi. Nous notamment sommes d'avis que cette exigence vise à ce que
toutes les limitations de droits auxquelles sont soumis les détenus devraient être mesurées à
l’aune de leur inhérence à la privation de liberté ou bien, en reprenant les formules des auteurs
de l'Observation générale du fait "qu'elles sont inhérentes à un milieu fermé". En
conséquence, telle limitation juridique qui ne relève pas du fait d'emprisonnement ne devrait
pas être jugée comme justifiée.

Il convient de noter que l'idée des restrictions de fait est complétée par la mention de
l'admissibilité des limitations aux fins de sécurité et de l'ordre en plus de celles qui sont
inhérentes à l'emprisonnement. Il est pourtant pertinent de se demander s'il est possible
d'entendre par limitations instaurées aux fins de sécurité les limitations inhérentes au milieu
fermé, car ce dernier nécessite d'assurer la sécurité ? Nous sommes d'avis qu'il s'agit là d'un
autre aspect de la "détermination" des limitations par l'incarcération 226. Cette "détermination"
découle non seulement de la limitation du mouvement, mais aussi de la nécessité d'ordonner
la cohabitation dans un tel établissement, ce qui entraîne nécessairement la restriction de
certains droits.

225
Observation générale no 21: Article 10 (Droit des personnes privées de liberté d’être traitées
avec humanité). Quarante quatrième session (1992), disponible sur :
http://tbinternet.ohchr.org/_layouts/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=INT%2fCCPR%2f
GEC%2f4731&Lang=en (останній доступ 26.07. 2016)
226
Ce point de vue semble être reconnu par la CEDH qui indique que la justification des
restrictions des droits des détenus peut s'appuyer par exemple sur des considerations de sécurité qui
découlent nécessairement des conditions d'incarcération. Il peut s'agir notamment de prévenir des
infractions ou des troubles comme considération inévitable dans les circonstances de
l'emprisonnement (Gulmez c. Turquie § 46 (nº 16330/02, 20.05.2008)).
107

L'idée des limitations a pu être intégrée à la juriusprudence d’application de la


Convention du Conseil de l'Europe. Au départ, l'argument des limitations inhérentes à
l'incarcération servait en effet à justifier l'inapplication de la Convention pour la défense des
détenus227.

Des analystes de la Convention et de la jurisprudence de la Cour estiment que malgré


l'incorporation dans la Convention d'une liste exhaustive des raisons permettant de restreindre
les droits qu'elle contient (par exemple la prévention des troubles ou des crimes, la protection
de la santé ou de la morale), celle-ci admet en outre des restrictions qui constituent les
conséquences inévitables de l'emprisonnement228. Il est indiqué par ailleurs que l'État n'en doit
pas moins justifier la nécessité et la proportionnalité de ces restrictions et les consacrer
clairement dans le droit national229. Il importe d'insister sur cette évolution de l'idée des
restrictions de fait: tout en admettant l'application de restrictions de droits résultant de
l'incarcération la nécessité est soulignée par leur justification. C'est-à-dire que toute
restriction de fait doit être rapprochée des objectifs admissibles justifiés formulés dans la
Convention.

Dans nombre de ses arrêts, la CEDH évoque les restrictions dites inhérentes à la
privation de liberté en entendant par là les limitations découlant de la mise en détention. C'est
ainsi que, dans son arrêt rendu dans l'affaire Dickson contre le Royaume-Uni, la Cour indique
au par. 27 que "toute mesure de privation de liberté a par définition un impact sur les
circonstances ordinaires de la vie en liberté et entraîne inévitablement des limitations et un
certain frein à l’exercice des droits consacrés par la Convention […]"230. L'arrêt de la Grande
Chambre rendu dans la même affaire déclare au par. 68: "les personnes en détention
conservent leurs droits garantis par la Convention, de sorte que toute restriction à ces droits
doit être justifiée dans une affaire donnée. Cette justification peut tenir notamment aux
conséquences nécessaires et inévitables de la détention […]"231.

Le par. 2 du Commentaire aux Règles pénitentiaires européennes, développé par le


Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, rappelle que la privation de liberté ne signifie

227
Pour plus de détails voir 2.2.1.1.1 "Évolution de la doctrine des limitations inhérentes à
l'incarcération".
228
Fitzgerald E., Case Law Under the European Convention of Human Rights Human Rights,
The Professional Training of Prison Officials: Proceedings, Seminar, Strasbourg, 7-9 July 1993,
Human Rights Information Centre. Orientation Committee, Strasbourg, Council of Europe, 1995, p.
10.
229
Ibid.
230
Dickson c. Royaume-Uni (nº 44362/04, 18.04.2006).
231
Dickson c. Royaume-Uni (GC) (nº 44362/04, 02.12.2007).
108

pas que les détenus soient dépossédés de façon automatique de leurs droits politiques, civils,
sociaux, économiques et culturels232. Les droits des détenus sont nécessairement limités par
leur perte de liberté, mais le nombre de ces limitations doit être le plus faible possible233.

Les spécialistes soviétiques eurent à traiter de questions semblables234. En 1960, les


auteurs du manuel du droit correctionnel soviétique indiquaient que la privation de liberté
ajoutait des "particularités spécifiques à l'exercice effectif par les détenus de leurs obligations
et droits"235. Cette thèse devait être développée dans l'assertion que les détenus étaient privés
de jouir d'un droit ou d'un autre du fait de la privation de liberté236.

A.A. Beliaev modifiait quelque peu cette idée en notant que "Bénéficiant des droits et
obligations des citoyens de l'URSS, les détenus sont limités dans leur jouissance" en citant, à
titre d'exemple, le fait que le détenu ne peut pas exercer le droit de la liberté d’association et
de manifestation, celui d'être mandataire de pouvoir (au titre d'un contrat civil – N.D.L.A.)237.
Dans son étude du statut civil des détenus et de la réalisation de leurs droits civil, O.S. Ioffe
indiquait que les limites de l'impact direct de la privation de liberté sont clairement exprimées
dans la notion même de privation de liberté, qui englobe la liberté de circulation, de
résidence… qui fait partie de la capacité civile. En revanche, les limites de l'impact indirect ne
sont pas définies dans la loi238.

Cette idée a été critiquée par le spécialiste soviétique éminent du droit correctionnel,
N.A. Stroutchkov, qui a montré que de telles conceptions font penser que ce n'est pas

232
Commentary to Recommendation REC (2006) 2 of the Committee of Ministers to Member
States on the European Prison Rules , disponible sur:
http://www.coe.int/t/dghl/standardsetting/prisons/E%20commentary%20to%20the%20EPR.pdf
(останній доступ 20.06.2016).
233
Ibid.
234
En ce qui concerne la France nous faisons une analyse détaillée sur le même sujet dans le
chapitre 3.1.3.2. « Le détenu n'est privé que de la liberté "d'aller et venir" ».
235
Droit correctionnel soviétique: manuel, Ibid, p. 109.
236
Droit correctionnel soviétique: manuel, Ibid, p. 109, 110).; Ширвиндт Е.Г., Утевский Б.С.
Советское исправительно-трудовое право. – М., 1957. – С.83-84 (Chirvindt E.G., Outevski B.S.,
Droit correctionnel soviétique, Moscou, 1957, p. 83-84); Рагулин Г.И. Правовое положение
заключенных в исправительно-трудовых учреждениях. Учебное пособие. – М., 1958. – С. 7
(Ragouline G.I., Statut juridique des détenus dans les établissements correctionnels. Manuel, Moscou,
1958, p. 7). Des idées assez originales sur la nature des restrictions de fait apparaissaient aussi dans la
littérature. Elles étaient désignées comme limitations que le citoyen subit "du fait de l'exécution de la
peine", une partie de ces limitations étant nées du fait de l'incarcération (Наташев А.Е., Стручков
Н.А. Основы теории исправительно-трудового права. – М., 1967. – С. 19: Natachev A.E.,
Stroutchkov N.A., Principes de la théorie du droit correctionnel, Moscou, 1967, p. 19).
237
Beliaev A.A., Ibid, 1976, p. 14.
238
Иоффе О.С. Гражданско-правовое положение заключенных в исправительно-трудовых
учреждениях. – М., 1959. – С. 14 (Ioffe O.S., Statut civil des détenus dans les établissements
correctionnels, Moscou, 1959, p. 14). Il s'agit justement des restrictions de droits de fait (N.D.L.A.).
109

l'étendue des droits et obligations du détenu qui influe sur son statut juridique, mais le fait
d'être privé de liberté. Il ironisait à ce propos: "L'impossibilité pour le détenu de vivre dans sa
maison ne résulte pas de l'interdiction par l'administration de la prison de partir chez lui, mais
de son obligation d’y séjourner à titre permanent"239.

I.V. Shmarov défendait une position semblable à celle que critiquait N.A. Stroutchkov.
Il écrivait notamment: "Le fait de priver le citoyen d'un de ses droits subjectifs principaux, la
liberté, entraîne la restriction de l'ensemble des valeurs sociales et des biens les plus
importants pour elle: la liberté de circulation, la liberté de communication, les liens sociaux,
les possibilités de disposer de beaucoup de droits subjectifs importants. C'est pourquoi la
privation de liberté par rapport à la société devrait être considérée comme un ensemble de
restrictions de droits étant donné que la privation ou le rétrécissement de l'ampleur des droits
résultent justement de cette privation"240. Il était admis que l'incarcération comprenait tout un
complexe de restrictions de droits politiques, socio-économiques et individuels des personnes
détenues241.

Cette position subit, à son tour, des critiques sérieuses, émises cette fois par V.I.
Seliverstov dans son ouvrage connu dans les pays post-soviétiques "Problèmes théoriques de
la situation juridique des personnes purgeant leur peine" (1992). Parmi les objectifs de son
étude, il citait la nécessité de résoudre les doutes existant à propos de la conception de
l'incarcération comme interdiction universelle, qui fait naître tout un nombre de limitations
des droits des détenus. Cette question se fondait, de l'avis de l'auteur, sur le fait que le
législateur de l'époque renonçait progressivement à l'incarcération en tant que source de
restrictions factuelles des droits des personnes détenues en les replaçant dans la catégorie des
restrictions juridiques242.

Ce chercheur observait avec pertinence que le choix d’écarter le détenu de la société,


en tant que restriction générale de droit, était une mesure mal inspirée, parce que le contenu
de la séparation n’était pas défini dans la législation pénale et correctionnelle et qu'il était

239
Stroutchkov N.A., Ibid, 1984, p. 181-182 ; Natachev A.E., Stroutchkov N.A., Ibid, p. 121.
240
Уголовно-исполнительное право. Учебник / Под ред.. проф. И.В. Шмарова. – М.:
Издательство БЕК, 1996. – С. 76 (Droit d'exécution des peines. Manuel/Sous la dir. du prof. I.V.
Chmarov, Moscou, Editions BEK, 1996, p. 76).
241
Советское исправительно-трудовое право. Общая часть: Учебник для слушателей вузов
МВД СССР / Артамонов В.П., Васильев А.И., Мелентьев М.П., Наташев А.Е., и др.; Под ред.:
Мелентьев М.П., Стручков Н.А., Шмаров И.В. – Рязань: Изд-во РВШ МВД СССР, 1987. – С.
252 (Droit correctionnel soviétique. Partie générale: Manuel pour les écoles du MI de
l'URSS/Artamonov V.P., Vassiliev A.I., Melentiev M.P., Natachev A.E. et al.; sous la dir.: Melentiev
M.P., Stroutchkov ?.A., Chmarov I.V., Riazan, Editions RVCh MI de l'URSS, 1987, p. 252.
242
Seliverstov V.I., Ibid, p. 18.
110

interprété de manières différentes dans la doctrine. Etant donné cette variété de conceptions
de l'incarcération, il est difficile de se prononcer sur sa notion. Malgré le fait que
l'incarcération existe comme l'une des exigences du régime des établissements correctionnels,
elle se présente plutôt comme un phénomène scientifique et théorique et non comme
phénomène juridique. Aussi, le soutien de la position disant que l'incarcération constitue la
source des restrictions de fait est-il l'une des conditions de la contravention à la légalité dans
l'application de la loi et dans l'activité législative243. Cela résulte du fait, selon V.I. Seliverstov,
que puisque le phénomène de privation de liberté (ou d’incarcération) n'est pas défini, il ne
peut pas être source de restrictions de droit, parce que ceci ne permet pas d'établir la liste
exhaustive des restrictions des droits imposées aux personnes privées de libertés, ce qui
signifie en fait "l'érosion de leur statut juridique".

D'autre part, l'orientation aux restrictions de droits qui ne sont pas définies par la loi
(qui découlent du fait d'incarcération – N.D.L.A.) ouvre la voie aux abus de pouvoirs de la
part de l'administration pénitentiaire244. Il est difficile d'en comprendre les raisons, mais la
position de principe de l'auteur concernant la "nocivité" de l'idée des restrictions de fait et la
nécessité de juridiciser les restrictions (en démontrant l'origine juridique et non "factuelle" des
restrictions) s’est mue en une position contraire selon laquelle l'incarcération devrait être
considéré comme un complexe de restrictions de droits et que celles-ci en découlent, c'est-à-
dire que l'incarcération est la source des restrictions de fait245.

La question portant sur la provenance possible des restrictions découlant de fait était
étudiée aussi par F.R. Soundourov. Il se demandait notamment si les restrictions des droits
ayant lieu dans les établissements correctionnels étaient génétiquement propres à la privation
de liberté ou si elles n'étaient qu'une sorte de "complément" à la séparation du monde
extérieur en tant qu'élément principal de ce type de peine. L'auteur doutait de pouvoir trouver
une réponse univalente à cette question. La limitation de certains besoins et droits du détenu
constitue l'élément inaliénable de la privation de liberté (droit de circulation, choix du lieu de

243
Ibid, p. 114.
244
Ibid, p. 115.
245
Уголовно-исполнительное право: Учеб. для юрид. вузов / Под ред.. д.ю.н. В.И.
Селиверстова. 3-е изд., испр. и доп. – М.: Юриспруденция, 2002. – С. 55 (Droit correctionnel:
Manuel pour écoles juridiques/Sous la dir. du docteur de droit V.I. Seliverstov. 3 e éd. revue et
complétée, Moscou, Jurisprudentsia, 2002, p. 55).
111

résidence, libre communication…). Le renoncement à ces limitations risque de déformer le


sens et l'application de ce type de peine 246.

A.L. Remenson estime, pour sa part, que la privation de liberté ne consiste pas
uniquement dans le fait de l'incarcération (dans le sens de liberté d’aller et venir), mais aussi
dans la privation d'autres droits247. Il aborda dans l’un de ses ouvrages, bien que de manière
assez succincte, les problèmes des restrictions de fait, comme le demandaient les impératifs
de l'époque. L'article 8 des Principes de la législation correctionnelle de l'Union Soviétique et
des Républiques fédérées, qui définissait les fondements du statut juridique des personnes
purgeant leur peine, contenait la catégorie des restrictions qui découlent du régime d'exécution
de la peine. Il était souligné que "les personnes qui purgent la peine privative de liberté…
assument les obligations et jouissent des droits établis par la législation pour les citoyens de
l'URSS sous réserve des restrictions prévues par la loi pour les détenus et découlant de l'arrêt
du tribunal et du régime fixé par les présents Principes et les Codes d'exécution des peines des
Républiques fédérées pour l'exécution des peines de ce type". La tentative de définition des
critères des limites du possible et, ce qui est encore plus difficile, de l'impact nécessaire du
régime sur le statut juridique du détenu, s'avérait être trop compliquée et l'on peut dire
effectivement qu'elle ne fut pas résolue par les théoriciens soviétiques du droit correctionnel.
C'est peut-être la raison pour laquelle A.L. Remenson s’est borné à une liste de critères
possibles pouvant servir à définir ces limites.

Il estimait que l'un des moyens de définir ces critères passait par la fixation dans la loi
de la norme relative à l'admissibilité des restrictions de fait, par exemple une règle générale
énonçant que les limitations portassent sur les droits et obligations dont le détenu ne pouvait
pas disposer en fait (cette position était soutenue notamment par I. Nenov248). A l'opposé de
cette position, celle de N.A. Stroutchkov, déjà citée, estimait qu'il était inadmissible que le
citoyen disposât formellement de certains droits sans pouvoir en jouir en réalité.

246
Сундуров Ф.Р. Лишение свободы и социально-психологические предпосылки его
эффективности. – Казань: Издательство Казанского университета, 1980. – С. 27 (Soudourov F.R.,
Privation de liberté et préalables socio-psychologique de son efficacité, Kazan, Editions de l'Université
de Kazan, 1980, p. 27).
247
Ременсон А.Л. Некоторые вопросы правового положення осужденных, отбывающих
уголовное наказание в виде лишения свободы // Вопросы повышения эффективности борьбы с
преступностью. – Томск: Изд-во Томского университета, 1979. – С. 30 (Remenson A.L.,
Certaines questions du statut juridique des condamnés purgeant la peine privative de liberté, Questions
d'amélioration de l'efficacité de la lutte contre la délinquance, Tomsk, Editions de l'Université de
Tomsk, 1979, p. 30).
248
Ibid, p. 31.
112

Néanmoins, A.L. Remenson propose une solution assez originale à cette question. Il
dit que tant que la possibilité des restrictions de fait est prévue au niveau doctrinal, il convient
de soutenir la position de N.A. Stroutchkov. En revanche, dès lors qu’elles sont prévues par la
loi, les restrictions de fait passent à la catégorie des restrictions formelles. A titre d'exemple, il
cite le par. 7 des Règles relatives aux colonies correctionnelles et aux prisons de la
République de Bulgarie qui énonce que "les personnes privées de libertés bénéficient de tous
les droits prévus par la loi, sauf ceux dont ils sont privés par le jugement et ceux qui ne
peuvent pas être exercés du fait de la privation de liberté"249.

Nous pouvons admettre que l'idée de l'auteur relative à la possibibilité de transfert des
restrictions de fait à la catégorie des restrictions formelles par le biais de l’introduction de la
mention voulue dans la loi soit logique. Dans ce cas, cela signifierait légaliser une discrétion
quasiment illimitée, par conséquent, les effets négatifs de la doctrine des restrictions de fait,
dont il s'agira plus loin, n'ont qu'une raison de plus d’apparaître.

1.3.2.1. Caractère ambigu du contenu de l’incarcération250

Tous les spécialistes étudiant l’incarcération pointent du doigt le problème d'absence


de sa définition dans la doctrine et surtout dans la législation. Pour être plus précis, il n'y a pas
de consensus quant à savoir quels sont les effets de l'incarcération (de l'emprisonnement) qui
en constitue effectivement le contenu.

Il y a concorde à propos de l'idée selon laquelle l’incarcération entraîne des restrictions


de droits juridiques (liberté de circulation) et des restrictions de fait. Les spécialistes
observent que l’incarcération physique s'accompagne inévitablement et, de manière objective,
de certaines restrictions de fait de la vie privée. Elles constituent le trait "accompagnateur" de
l'incarcération. C'est pourquoi les restrictions de droits concernent (à des degrés différents)
quasiment toute la gamme des droits et libertés constitutionnels fixés par la législation. En
même temps que les restrictions de droits, l'incarcération engendre de façon inévitable des

249
Ibidem.
250
Dans le contexte de l'idée des restrictions de fait, la littérature fait usage de synonymes du
terme "l'incarcération" tels que: "emprisonnement"; "privation de liberté"; "placement en milieu
fermé", « détention »…
113

"atteintes" de fait à l'exercice des droits et instaure un "champ de fait" à côté du "champ
juridique"251.

C'est donc compte tenu de la conception ambivalente de l'incarcération et de ce qui est


"inhérent" à celle-ci et de ce qui ne l'est pas, que nous défendons l'idée que la doctrine des
restrictions de fait (factuelles) est inadmissible que ce soit quant à son application pratique ou
quant à son incorporation dans la loi252.

Cette thèse pourrait être soutenue par les arguments qui suivent. D'abord,
l’incarcération peut être considéré comme étant une catégorie métaphysique (stable,
invariable) et comme une catégorie dialectique (qui change en permanence). Dans les deux
cas, une définition nette serait diffile à proposer.

En essayant d'utiliser la conception métaphysique de l’incarcération en tant que base


pour des restrictions de fait, il faudrait admettre aussi que les détenus soient privés d'un
nombre de droits qui leur appartiennent. C'est ainsi que l'abrogation du droit des détenus aux
visites de courte et de longue durée pourrait bien être reconnue comme répondant à l'idée des
restrictions de fait. C'est dire qu'il serait possible d'affirmer que l'interdiction de tous contacts
avec le monde extérieur pour les détenus pourrait être justifiée en tant que mesure "inhérente
au fait d'incarcération". Il est difficile d'imaginer combien d'autres restrictions variées
pourraient être qualifées comme étant inhérentes du fait de l'incarcération. Il serait possible
d’y ajouter l'interdiction de la correspondance, des colis, des communications téléphoniques,
etc.

Il est évident qu'une telle conception absolue de l'incarcération ne saurait être admise
dans une société moderne. Cela signifie la nécessité de définir l'incarcération comme une
catégorie "moins sévère", "relative". Cependant, il est difficile de savoir à quoi il faudrait se

251
Изоляция личности в российском праве и законодательстве. Учебник / Бессараб Н.Р.,
Маковик Р.С. – М.: Экзамен, 2007. – С. 103, 116, 121 (L’incarcération de la personne dans le droit
et la législation russe. Manuel/Bessarab N.R., Makovik R.S., Moscou, Examen, 2007, p. 103, 116,
121).
252
Chovgan V., Le principe des limitations inhérentes à la détention: la valeur incertaine des
Règles Mandela, Actualité juridque pénal, 2015, n° 12, p. 576-578; Chovgan V., L’accès des détenus à
internet devant la Cour EDH (commentaire de l’arrêt Kalda c. Estonie du 19 janvier 2016), Actualité
juridique pénal, 2016, n° 4, p. 224-226. Voir aussi: Човган В. Правообмеження засуджених, що
обумовлені ізоліцією (частина 1) // Наше право. – 2014. – №1. – С. 120–126 (Chovgan V.,
Restrictions de droits des détenus inhérentes à l'incarcération (1er partie), Notre droit, 2014, n° 1, p.
120-126); Човган В. Правообмеження засуджених, що обумовлені ізоліцією (частина 2) //
Європейські перспективи. – 2014. – №1. – С. 93–99 (Chovgan V., Restrictions de droits des détenus
inhérentes à l'incarcération (2e partie), Perspectives européennes, 2014, n° 1, p. 93-99); Човган В. О.
Правообмеження засуджених, що обумовлені ізоляцією: доцільність виокремлення // Право і
суспільство. – 2014. – № 3. – С. 272–279 (Chovgan V.O., Restriction de droits des détenus
inhérentes à l'incarcération : raisons pour les mettre à part, Droit et société, 2014, n° 3, p. 272-279).
114

référer en fixant un tel degré de sévérité. Dans tous les cas, même si un certain degré
d'incarcération admissible devait être fixé, il serait difficile de l'imaginer comme stable
définitivement.

En considérant la conception dialectique (dynamique) de l'incarcération, nous voyons


passer au premier plan le caractère juridique de l'incarcération, car le niveau d'incarcération
change en fonction des normes de droit et des exceptions sur la conception de l'incarcération
contenue dans la loi pénitentiaire (prenons encore les droits aux visites, aux communications
téléphoniques). Nous entendons l'incarcération comme il est fixé, "régularisé" dans le droit
pénitentiaire: au moyen d'autorisations et d'interdictions, de droits et d'obligations.

Il n'y a pas de doute que le degré d'incarcération des détenus est évolutif, ce dont
atteste l'histoire. Quelques dizaines d'années plus tôt, il aurait été difficile de croire que les
détenus pourraient recevoir des colis, avoir des communications téléphoniques et de disposer
de la correpondance postale sans limitation ou même avoir des contacts sexuels avec un
partenaire de l'extérieur. Pourtant, c'est déjà une réalité dans beaucoup de pays. Au début des
années 2000, il était difficile d'imaginer l'usage du réseau Internet en prison, mais aujourd'hui
son accès limité étonnerait peu de gens. La même chose concerne, au passage, la conception
de certains droits comme menace à la sécurité. C'est ainsi que, comme le signalait naguère M.
Favard, l'autorisation dans les prisons françaises des magazines (1971), de la radio (1974), de
la télévision (1985) fut initialement perçue comme étant une menace à la sécurité, mais le
temps a prouvé le contraire253.

Même en tenant compte du "design juridique" de l'incarcération, il est impossible de le


considérer comme source de restrictions de fait, parce que les normes qui fixent ce "design"
dans la législation changent en permanence. En abrogeant ou en allégeant telles ou telles
restrictions appliquées aux détenus, c'est le degré d'incarcération qui diminue. Cependant, une
faute logique apparaît alors dans la doctrine des restrictions de fait: il est impossible
d'examiner l'incarcération en tant que source de restrictions de droits, alors que la conception
de l'incarcération dépend des restrictions de droits incorporées dans la législation.

Dans le cas contraire, il faudrait admettre que l'allègement ou l'abrogation d'une


restriction ne serait pas possible à l'avenir. C'est qu'il y aurait un manque de cohérence dans
l'approche selon laquelle telle restriction serait inévitable du fait de l'incarcération pendant un

253
« Le détenu citoyen », Séance de section du 22 avril 1989. Exposé de M. Favard, Revue
pénitentiaire et de droit pénal, 1989, p. 262.
115

certain temps et que, soudainement, elle cesserait d'être inévitable254. Cela aurait signifié
sceller le processus législatif et la mise en œuvre de la politique dans le domaine de
l'exécution des peines. Il y a donc toutes les raisons d'affirmer que les droits des détenus
doivent se concevoir dans le contexte politique et social255. Ainsi que le fait noter l'éminent
théoricien espagnol des droits de l'homme, G. Peses- Barba: "En ce qui concerne
l'interprétation des restrictions… il faut tenir compte de l'énoncé de la loi, de la réalité sociale,
du contexte dans lequel la limite est analysée, du moment historique et culturel dans lequel
elle intervient… l'interprétation des limites doit se faire en tenant compte de la culture
politique …"256. L'historicité des restrictions implique leur possible modification257. Ce qui
peut être contrariant est le fait que la conception des restrictions de fait de l'incarcération
puisse même dépendre de la situation économique de l'État258, le risque d'application de
restrictions injustifiées des droits augmentant par temps de crise259.

Nous ne pouvons dire avec certitude ce qui constitue le fait d'incarcération permettant
de définir le cercle des restrictions de fait. La spécialiste belge S. Snacken, qui s'interroge sur
les restrictions inévitables en cas de privation de liberté, souligne avec pertinence qu'il n'y a
pas de réponse unique à cette question compte tenu de circonstances distinctes dans les
sociétés différentes260.

Il semble que l'idée des restrictions de droits de fait soit née à l'origine en tant que
notion de limitation de l'arbitraire de l'État à l'égard des droits des détenus. Elle aurait dû
empêcher l'instauration de restrictions non justifiées. Dans un souci de créer une barrière
protectrice, il fut proposé d'interdire de fixer dans la législation ou d'user dans la pratique des
restrictions qui ne découleraient pas du fait l'incarcération ou d'emprisonnement. Or, on peut
voir clairement que l'idée des restrictions de fait en tant que prévention de l'application de

254
La doctrine des restrictions de fait exige que même les restrictions contenues dans la
législation soient de nature à être inhérentes à l'incarcération. En conséquence, les restrictions existant
dans la législation pendant une période concrète du temps doivent répondre à cette idée. L'instauration
de restrictions nouvelles signifie la reconnaissance d'une conception nouvelle de l'incarcération.
255
Easton S., Prisoners' Rights: Principles and Practice, New York, Routledge, 2011, p. 25.
256
Peces-Barba G., Ibid, pp. 450–451.
257
Ibid, p. 452.
258
Van Swaaningen R., De Jonge G., The Dutch Prison System and Penal Policy in the 1990s:
from Humanitarian Paternalism to Penal Business Management, Western European Penal Systems: A
Critical Anatomy, Edited by V. Ruggiero, M. Ryan and J. Sim, London, Sage Publications, 1995, p.
35.
259
Zimring F.E., Hawkins G., Democracy and the Limits of Punishment: A Preface to Prisoners’
Rights, The Future of Imprisonment. Еd. by Tonry M., New York, Oxford University Press, 2004, p.
177.
260
Snacken S., « Normalisation » dans les prisons : concept et défis. L’exemple de l’Avant-
projet de la loi pénitentiaire belge, in L’institution du droit pénitentiaire : enjeux de la reconnaissance
de droits aux détenus. De Schutter O., Kaminski D. (Eds.), Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 136.
116

restrictions non justifiées aux droits des détenus ne peut constituer une barrière véritablement
efficace. Ceci est dû tant à la nature peu claire de l'incarcération qu'à la conception variable
des restrictions qui découlent du fait d'incarcération et qui n'en découlent pas.

Ceci étant, nous ne nions pas que la limitation de la liberté de circulation implique le
rétrécissement du contenu et de l'étendue des droits subjectifs par rapport à la personne libre.
Autrement dit, l'incarcération telle qu'elle est formulée dans la loi conduit en réalité et de
manière objective à des restrictions. En l'admettant, nous démontrons que cette idée ne
pourrait pas être efficace pour atteindre les buts de la défense des droits de la personne
purgeant sa peine contre l'arbitraire de l'État, mais que, bien au contraire, elle pourrait nuire
compte tenu des motifs évoqués: catégorie peu précise et création de conditions pour une
discrétion trop large ce qui ouvre un vaste champ pour des abus.

En fin de compte, le fait d'incarcération en tant que barrière pour l'exerice des droits
pourrait servir de "passerelle" pour l'exercice de n'importe quel droit des détenus par
l'établissement d'exceptions concrètes sur les interdictions, la diminution d'obligations et
d'autres variétés de restrictions261. Cela pourrait se traduire par l'autorisation de permissions
de courte durée ou de sortie au-delà de l'établissement pénitentiaire. Cet exemple démontre
que l’incarcération n’a pas de caractère absolu et peut être réduite au minimum par la
discrétion l’État selon les règles juridiques qui peuvent elles-mêmes changer en fonction de la
conjoncture.

Ainsi que le notaient des membres du Secrétariat de l'ancienne Commission


européenne du Conseil de l'Europe, il est difficile de connaître avec précision la portée des
restrictions inhérentes à l'emprisonnement262. Le professeur Van Kempen, Secrétaire général
de la Fondation internationale pénale et pénitentiaire, tient sur ce sujet des propos fort
pertinents: "[…] les restrictions qui sont inévitables en milieu fermé sont autorisées. Bien qu'à
première vue cela paraisse comme étant logiquement inévitable, il est difficile de savoir, d'un
autre côté, comment déterminer si une restriction est inévitable ou inhérente à
l'emprisonnement. Existe-t-il en général des restrictions inévitables outre la restriction du
droit même à la liberté? Peut-être presque tout pourrait être organisé entre les murs de la
prison, du moins, en théorie. La question demeure donc si cette exception du principe général

261
D. Brown cite les restrictions qui sont absolument nécessaires du fait des conditions
"insurmontables" de l'incarcération (Brown D., Prisoners as Citizens, in Prisoners as citizens. Human
rights in Australian prisons. Ed. by D. Brown and M. Wilkie, Leichhardt, The Federation Press, 2002,
p. 321). Les propos sur les restrictions "insurmontables" semblent signifier que certains facteurs
"inévitables" de l'incarcération ne seraient pas inévitables à ce point.
262
Sujets de jurisprudence « Les droits de l’homme dans les prisons », Strasbourg, Commission
européenne des droits de l’homme, 1971, p. 46.
117

a une nature objective ou bien une nature purement factuelle ou partiellement subjective et
normative au fond"263. Ces propos sont surtout précieux par l'allusion au fait que
l'incarcération se conçoit comme une notion objective représentant en réalité une catégorie
subjective. Van Kempen illustre le problème principal de l'incarcération en tant que source de
restrictions de droits: la fausseté des idées sur le caractère objectif de l'incarcération
pénitentiaire, ce qui nous amène à la pensée sur l'inconsistance de l'incarcération en tant que
catégorie juridique.

Il ressort de ce qui précède que le fait d'incarcération est tel qu'il est fixé dans la
législation et il n’y a donc pas de catégorie amorphe appelée "incarcération" qui conduirait
objectivement à des restrictions. L'incarcération, qui constitue le sens de la peine de privation
de liberté, n'est pas un obstacle pour l'exercice par les détenus de tous droits. Le contenu et
l'étendue des droits ne dépend que des normes juridiques qui fixent leurs degrés. Le degré
d'incarcération fixé par ces normes dépend du législateur, qui est soumis à l'influence de
divers facteurs tels que l'opportunité politique, les données criminologiques, le niveau de
libéralisation de la société et d'autres.

Un autre aspect mérite d'être ajouté à la discussion sur l'incarcération comme source
de restrictions. Certains auteurs signalent tout à fait logiquement l'existence de restrictions de
fait à l'égard des personnes placées en détention provisoire. Ces personnes bénéficient de tous
les droits, sauf ceux qui sont limités par l'incarcération264. Dans le même temps, il n'y a pas de
raisons de penser que les caractéristiques objectives de la détention des condamnés et des
personnes placées en détention provisoire soient différentes. Il serait alors logique d'assimiler
les restrictions des droits des condamnés à celles des personnes en détention provisoire. Or, il
est évident, à la lumière de la présomption d'innocence, qu'elles devraient être différentes: les
restrictions des droits des personnes placées en détention provisoire devraient être moins
importantes que celles des condamnés. Cela démontre qu'à part la restriction "objective" des
droits par l'incarcération, il existe des facteurs différents sur le fond qui déterminent la
restriction. Ce sont par exemple les buts des restrictions.

263
Van Kempen Р.Н., Positive Obligations to Ensure the Human Rights of Prisoners, Prison
Policy and Prisoners’ Rights, Proceedings of the Colloquium of the IPPF, Stavern, Norway, 25-28
June 2008, Nijmegen, Wolf Legal Publishers, 2008, р. 25–26.
264
Les systèmes pénitentiaires dans le monde. 2e ed., Céré J.-P, Japiassu C.E. (Eds), Paris,
Dalloz, 2011, p. 362.
118

Il est tout à fait logique de constater le changement de la vision des restrictions


inhérentes à l'incarcération en comparant divers pays265. Cette thèse pourrait être mise en
valeur par l'interrogation suivante: s'il y a des pays qui appliquent des restrictions des droits
des détenus qui n'existent pas au sein d'autres pays, ces dernières devraient-elles être
qualifiées de restrictions qui ne découlent pas nécessairement de l'incarcération? Cet
argument comparatif atteste en appoint le caractère subjectif et non pas objectif de
l'incarcération. Cette catégorie ne saurait donc faire partie des raisons pour attribuer des
compétences de discrétion en matière d'application de restrictions des droits dans le contexte
pénitentiaire.

L'idée que "les restrictions découlent du fait d'incarcération" est donc incapable
d'améliorer la protection des droits de l'homme en théorie et dans la pratique d'exécution des
peines. Elle est floue et trop mal définie pour avoir un impact positif sur la facilitation de
l'exercice des droits des détenus ou pour préciser la théorie et la pratique en ce qui concerne
les sources de restriction de ces droits. Dans le même temps, elle est déjà universellement
reconnue et bénéficie d'un soutien inconditionnel dans les milieux scientifiques.

Il semble que cet état de choses ne s'explique pas du tout par son bien-fondé ou son
utilité théorique ou pratique. La tendance générale de la science juridique vers la
reconnaissance inconditionnelle de la valeur des droits de l'homme et vers une appréciation
positive de quasiment toutes les théories censées favoriser le développement et l'exercice des
droits de l'homme sont rarement analysées de façon critique dans la doctrine. C'est pourquoi
la doctrine des restrictions dérivant de l'incarcération (restrictions objectives) était considérée
comme étant une valeur irrécusable, car l'idée avait pour but à l'origine la prévention des
restrictions non justifiées, la création de barrières complémentaires à la restriction non
justifiée des droits des détenus. Or, en analysant cette idée plus en profondeur, la conclusion
s'impose que son effet ne peut être que contraire à ce que l'on souhaite.

En travaillant sur cette thèse, un exemple pratique vivant vint confirmer cette position.
Un condamné qui était détenu dans la colonie correctionnelle N° 3 de Kriviy Rig (r. de
Dnipropetrovsk) reçut du Département d'enseignement supérieur du Ministère de l'éducation
de l'Ukraine la réponse à sa demande d'inscription dans un établissement d’enseignement

265
Livingstone S., Owen T., Macdonald A., Prison Law, 4th ed., New York, Oxford University
Press, 2008, p. 240.
119

supérieur266. Le détenu s'était vu refuser l'accès aux études supérieures au motif que "les
personnes purgeant la peine privative de liberté dans une prison se trouvent en conditions
d'incarcération, qui rendent impossible leur participation personnelle aux épreuves, au
contrôle courant et au contrôle de fin d'études d'après les textes réglementaires relatifs à
l'inscription et aux études dans les établissements d'enseignement supérieur de l'Ukraine.
C'est-à-dire que la législation de l'Ukraine et les textes applicables à cette catégorie de détenus
fixent, en accord avec la Constitution de l'Ukraine des restrictions naturelles en matière
d'études supérieures" (souligné par nous – N.D.L.A.).

En effet, en poussant plus loin les considérations du ministère de l'Éducation, le fait


d'incarcération pourrait justifier beaucoup de restrictions pour les détenus (qui n'existent pas
aujourd'hui). Par exemple, du fait de l'impossibilité pour le détenu d'enregistrer son mariage
au bureau de l'état civil, il pourrait se voir refuser ce droit. Toutefois, le législateur suivit une
autre voie et fit exception de cette "restriction naturelle" en établissant des devoirs positifs de
l'État en matière de conclusion du mariage, ce, même dans les établissements pénitentiaires.
Résultat: on ne s'étonne plus aujourd'hui que l'incarcération ne soit pas une source de
restriction du droit de se marier267.

De la même manière, l'incarcération en tant que source inévitable de restictions était


utilisée récemment par le Service pénitentiaire d'État, lequel arguait de l'impossibilité de
l'exercice du droit instauré il y a peu de temps à l'utilisation de la téléphonie mobile et
d'Internet. C'est justement l'argument des exigences "de privation de liberté" dont s'était servie
la Direction d'expertise du Secrétariat du Parlement de l'Ukraine pour critiquer et s'opposer à
l'adoption du projet de loi prévoyant l'autorisation des portables (finalement le projet fut
quand même voté). La Direction d'expertise insistait: "Sans séparation des détenus de la

266
Non publié. Le document fut fourni par l'activiste V. Botcharov-Touz. Voir les détail de
l'affaire dans l'article contenant notre commentaire juridique: Виртосу І. Освіта для довічників:
доступ обмежений // Дзеркало тижня. Україна. — 2014. — № 32 (12 вересня 2014) / Virtossu I.,
Enseignement pour les condamnés à vie: accès limité, Dzerkalo Tyzhnia. Ukraine, 2014, n° 32 (le 12
septembre 2014), disponible sur : http://gazeta.dt.ua/socium/osvita-dlya-dovichnikiv-dostup-
obmezheniy-_.html (accedé le 20.06.2016); voir aussi: Човган В. Стандарт «правообмежень
обумовлених ізоляцією» // Дотримання прав людини у пенітенціарній системі України / К. А.
Автухов, А. П. Гель, М. В. Романов, В. О. Човган, І. С. Яковець; за заг. ред. М. В. Романова; ГО
«Харківська правозахисна група». – Харків: Права людини, 2015. – С. 144–145 (Chovgan V.,
Normes des "restrictions de droits inhérentes à l'incarcération", in Respect des droits de l'homme dans
le système pénitentiaire de l'Ukraine/K.A. Avtoukhov, A.P. Gel, M.V. Romanov, V.O. Chovgan, I.S.
Iakovets, sous la dir. gén. de M.V. Romanov; "Groupe de défense des droits de Kharkiv", Kharkiv:
Droits de l'homme, 2015, p. 144-145).
267
Cependant, il existe toujours des exemples contraires. C’est ainsi que l’impossibilité de sortir
de prison pour récupérer le certificat de divorce empêchait le détenu de se marier en prison de
nouveau, ce qui a constitué une violation de la Convention selon la CEDH (Chernetskiy c. Ukraine (nº
44316/07, 08.12.2016).
120

societé et les restrictions qui en dérivent il ne peut y avoir, à proprement parler, de privation
de liberté en tant que type de peine"268.

Les exemples de ce genre illustrent le possibilité d'utiliser l'argument des restrictions


dérivant de l'incarcération, pour qu'il soit plus facile de justifier l'inadmissibilité de la
libéralisation de certaines restrictions et à plus forte raison pour se justifier dans
l'impossibilite d'exercer tel ou tel droit en pratique.

Conclusion du sous-chapitre 1.3.2

La doctrine des restrictions de droits découlant de l'incarcération (restrictions de fait) a


gagné une considérable popularité ainsi que la reconnaissance tant dans les systèmes de droit
nationaux, que dans des normes internationales269. Il est généralement reconnu que les
détenus continuent de jouir de tous les droits de l'homme, sauf ceux dont l'exercice est
impossible du fait de l'incarcération. Cette thèse vise à insister sur un rapprochement
maximum du niveau de restriction des droits du détenu avec ceux de la personne libre. Ce
sous-chapitre illustre pourtant que ses effets potentiels pourraient être diamétralement
opposés.

L'idée des restrictions de fait contient une composante dangereuse: l'imprésion de ce


qui est l'effet "inhérent" de l'emprisonnement, c'est-à-dire le fait de savoir quelles restrictions
de droits sont "inhérentes" au milieu fermé. Il est précisé que les restrictions qui constituaient
des effets inévitables de l'emprisonnement il y a quelques dizaines d'années (impossibilité
d'avoir des concats sexuels avec un partenaire restant en liberté, nombre limité de courriers,
etc.) ne sont plus inévitables aujourd'hui. En conséquence, les restrictions qui semblent
inévitables aujourd'hui pourraient être levées avec le temps, moyennant des amendements à la
législation.

Par ailleurs, l'admissibilité de la mise en œuvre de l'idée sur "l'inhérence" de certaines


restrictions crée des bases pour un nombre et un volume excessif des restrictions pratiques qui
sont appliquées par l'administration pénitentiaire. La mise en jeu de l'idée de l'inévitabilité de

268
Avis sur le projet de loi de l'Ukraine "Sur les modifications à apporter au Code d'exécution
des peines de l'Ukraine en vue de l'adaptation du statut juridique du condamné aux normes
européennes" (27.03.2014), disponible sur:
http://w1.c1.rada.gov.ua/pls/zweb2/webproc4_1?pf3511=50363 (accédé le 20.06.2016).
269
Pour une analyse plus détaillée de cette doctrine dans les systèmes nationaux et droit
international voir infra.
121

certaines restrictions ouvre la porte à un pouvoir discrétionnaire excessif des agents


pénitentiaires et, potentiellement, à des abus de ce pouvoir. Cette idée mène droit à la
violation du principe de légalité270 étant donné que la conception de l'incarcération en tant que
circonstance qui restreint "inévitablement" les droits n'est pas non plus claire.

Nous ne prouvons pas que certains droits ne peuvent s'exercer dans l'incarcération et
nous ne nions pas que l'incarcération implique certaines restrictions inévitables de droits. Par
contre, nous insistons sur la nature contreproductive de la norme juridique qui serait fondée
sur cette idée. Une telle norme ne pourrait que nuire à la protection des droits contre les
restrictions non justifiées, parce qu’elle crée un vaste champ pour des abus des pouvoirs
discrétionnaires de la part de l'état.

Conclusion du chapitre 1.3

La consultation de la littérature confirme l'absence de tentatives cohérentes de classer


les restrictions des droits des détenus, c'est pourquoi les classifications proposées supra
reflètent les idées de l'auteur qui invite à les mettre au débat.

Les classifications les plus importantes qui nous permettent de comprendre la nature
juridique des restrictions consistent en la division selon le sujet d'application (restrictions
normatives et restrictions en application de la loi) et selon la source de la restriction
(restrictions juridiques et restrictions de fait). Cette division permet d'englober les questions
disputables et d'essayer de proposer notre propre analyse de la division des restrictions des
droits.

Une attention particulière a été attachée à l'utilité de dégager les restrictions dites
"inhérentes à l’incarcération" que l'on nomme aussi restrictions "de fait". La conclusion tirée
consiste à dire que la conception des restrictions de fait, tout comme celles qui aideraient à
défendre les droits des détenus, est erronée. Les conséquences du soutien de l'idée des
restrictions de fait risquent d'être tout à fait contraires et conduire à une diminution des
garanties contre l'application de restrictions non justifiées de droits. Ceci tient au caractère

270
Cela pourrait être justifié par l’application de limitations de fait sous la forme d’«usages»:
Herzog-Evans M., La vie et le droit : usages et « groupes sociaux cohérents », Revue de la recherche
juridique, 1998, n° 4, p. 1203-1222; voir à ce sujet aussi: Herzog-Evans M., Le principe de légalité et
la procédure pénale, Petites affiches, 6 août 1999, p. 4-13.
122

subjectif de la conception et à la difficulté de définir ce qui est "inhérent" à l'incarcération.


123

1.4. Limites des droits subjectifs

Les limites des droits caractérisent l'étendue et le contenu des possibilités de la


personne devant être protégées et garanties par l'État, et vice versa. A partir de là, il peut être
difficile de distinguer ce qui relève de la fixation de la limite du droit et ce qui relève de la
restriction du droit en tant que telle, car la restriction se traduit justement par la fixation de
limites. Mieux encore, aussi bien les limites à l’exercice des droits subjectifs que les
restrictions de droits ont un caractère limitatif. Les unes et les autres posent une certaine
mesure juridique, soit un cadre que la personne ne saurait excéder par son comportement.

Aline Schmidt Noël, qui a étudié la question des limitation des droits sous l’angle du
droit comparé, distingue les limites internes ou intrinsèques des limites externes ou
extrinsèques271. Selon son opinion : « Une limite interne découle de la sphère de protection du
droit fondamental. Les droits fondamentaux ne protègent pas tout comportement humain quel
qu’il soit. Chaque droit protège certaines valeurs juridiques et a donc une sphère de protection
déterminée. Une fois le domaine de protection défini, les limites externes entrent en jeu. Le
droit fondamental est exposé à des limitations consécutives à l’activité étatique. Ces limites
doivent permettre d’atteindre divers buts que l’État considère comme légitimes »272. En effet,
il s’agit de la distinction par l’auteur entre les limitations (limites externes) et les limites du
droit (limites extrinsèques ou externes).

La différence entre les limites des droits et les restrictions des droits est également
reconnue par des auteurs qui qualifient les limites des droits de qualificateurs. Ceux-ci
représentent des indices internes du droit qui en caractérisent le contenu. Aharon Barak cite un
exemple: le droit de chacun de participer à des réunions pacifiques, sans armes, d'organiser
des manifestations, des piquets et de déposer des pétitions. La formulation elle-même de cette
norme comporte des qualificateurs du droit: des mentions concrètes montrant en quoi consiste
le contenu du droit. Celui-ci ne comprend pas la possibilité de réunions avec armes ou à des
fins non pacifiques. L'auteur considére qu'il s'agit, dans ce cas-là, non pas de la restriction,
mais de l'interprétation de l'étendue du droit273. Il convient de distinguer nettement
l'application de la restriction de droits par rapport au changement du contenu constitutionnel

271
Schmidt Noël A., La limitation des droits fondamentaux en droit constitutionnel comparé,
Thèse, Université de Neuchâtel, 2011, p. 301
272
Ibid.
273
Barak A., Proportionality: Constitutional Rights and their Limitations, Cambridge,
Cambridge University Press, 2012, p. 33.
124

de ces droits274. Autrement dit, soutient cet auteur, en fixant les limites d'un droit on en fixe le
contenu. Par la suite, la réalisation de ce contenu défini peut être limitée tant dans la loi qu'en
pratique. Dans le cas donné, l'interdiction normative de se réunir à des fins non pacifiques ne
serait pas considérée comme restriction, dès lors que ce droit n'existe pas du tout. Il s'agirait
alors des limites du droit.

Notons que les qualificateurs peuvent retenir aussi bien un caractère négatif (en
indiquant ce qui ne fait partie du contenu du droit) qu'un caractère positif (en indiquant quel
est le contenu du droit subjectif). C'est ainsi que les Règles pénitentiaires européennes
énoncent, au 27.1, que tout détenu a droit à au moins une promenade journalière d'une
heure/des exercices en plein air. Par conséquent, si le détenu ne se voit accorder que 45
minutes de promenade par jour, il y aurait violation du droit par non-respect de son contenu.
Cette violation constituerait en même temps une restriction abusive.

Les deux exemples cités de qualificateurs sont fixés dans des dispositions du droit
constitutionnel et international. Il est plus difficile de distinguer les limites et les restrictions
du droit lorsqu'il s'agit d'établir le contenu du droit dans la législation nationale (surtout au
niveau des textes d'application) ou en se référant à la législation judiciaire, à la doctrine, voire
à la logique.

Imaginons la simple mention de la législation constitutionnelle indiquant que la


personne peut professer librement sa religion. Quelle est l’étendue du contenu de ce droit en
cas de privation de liberté ? Que comprend-il et ne comprend-il pas? Comprend-il, par
exemple, la possibilité pour les détenus de se réunir pour des prières collectives, de
consommer de l'alcool (du vin) ou allumer le feu dans la cellule dans le cadre de cérémonies
religieuses?

Les réponses à ces questions dépendront, en premier lieu, des autorités nationales qui
établissent les qualificateurs correspondant au niveau des lois et des textes d'application. Elles
seront guidées, en même temps, grâce à l'expérience en matière d'exécution des peines et des
mesures de prévention, par la doctrine, la logique, les normes internationales, etc. Cela
signifie que les qualificateurs du droit sont absents, mais qu’il faut les créer. D'un autre côté,
la création de ces qualificateurs pourrait être considérée comme étant une restriction du droit,
puisqu'il est supposé que la personne jouisse du droit qui n'est pas limité par la Constitution.

274
Barak A., Ibid, p. 9.
125

Néanmoins, nombre de questions resteraient non réglées par la loi, ce qui oblige à les
résoudre en pratique. Le juge saisi en défense d'un droit devrait donc établir ce qui fait partie
du contenu du droit et ce qui n'en fait pas partie, ce, en créant des qualificateurs. De la même
manière, en décidant de la constitutionnalité des normes concernées de la loi, la Cour
constitutionnelle doit établir le contenu du droit. Elle aura nécessairement à agir comme le
législateur, puisqu'en établissant la conformité/ou la non-conformité de la règle concrète (par
exemple celle concernant les prières collectives en prison) à la norme constitutionnelle
générale, la Cour créerait involontairement son contenu. Cela concerne aussi les requêtes
adressées aux instances internationales, telle la CEDH, laquelle établirait à sa manière le
contenu d'un droit ou d'un autre contenu dans la Convention et déterminerait si l'interprétation
nationale du droit concerné est conforme à l'interprétation des droits conventionnels.

En ce qui concerne les exemples cités, le bien-fondé des restrictions sera à établir en
partant du dénominateur commun qui pourra être fourni, entre autres, par la Constitution ou la
Convention. L'établissement du contenu d'un droit constitutionnel par des autorités nationales
au niveau des lois ou des textes d'application constitue une restriction qui peut être justifiée ou
non. Si elle n'est pas justifiée, il y a violation du droit, puisque la personne se voit interdire de
jouir d'une partie du contenu d’un droit sans raison valable. De ce point de vue, peut-on
assimiler la violation et la restriction d'un droit? En se référant à l'approche de la CEDH, la
réponse sera affirmative parce qu'en constatant la violation des droits conventionnels (de
l'article concerné de la Convention), la Cour se sert de la catégorie de justification de la
restriction. Dans le cas de restriction non justifiée, il y aura violation du droit tel qu'il est fixé
dans l'article concerné.

Robert Alexy propose deux théories expliquant comment comprendre la différence


entre restrictions des droits et limites de ceux-ci. Il examine notamment la théorie interne et la
théorie externe de restriction des droits. La théorie externe admet que le droit n'est pas limité
dès l'origine, mais que, par la suite, après l'application d'une restriction, il reste un droit limité.
La théorie interne soutient que les restrictions n'existent pas: l'idée des restrictions y est
remplacée par celle du contenu du droit. Les doutes concernant l'étendue d'un droit ne sont
pas des doutes sur la restriction mais les doutes sur le contenu. Cela veut dire que le droit
comporte des limites dites immanentes275.

Ainsi, s'agissant de la théorie interne, les limites d'exercice admissible des droits sont-
elles établies à l'occasion de leur interprétation: "…aux termes de l'article N° … tu a le droit

275
Alexy R., A Theory of Constitutional Rights, translated by J. Rivers, New York, Oxford
University Press, 2004, p. 179.
126

de faire… et tu n'as pas le droit de faire…". Quand c'est la théorie externe qui est en jeu, le
contenu du droit est également défini ("tu as droit à…"), mais des restrictions peuvent être
appliquées ("… mais en cas de… ce droit peut être limité"). Elles ne s'appliquent que
lorsqu'une intervention dans ce contenu se produit. Lorsque certains actes ne sont pas couverts
par le contenu du droit, la restriction de celui-ci (l'ingérence dans le droit) ne peut pas être
appliquée, étant donné que la défense du droit ne s'exerce pas au titre de ces actes276. D'autre
part, pour constater une ingérence, il est nécessaire de connaître le contenu du droit subjectif
concerné, c'est-à-dire connaître ses limites.

En reprenant Aharon Barak, il faut bien distinguer l'étendue d'un droit et l'ampleur de
son exercice ou de sa défense277. L'ampleur de l’exercice et de la défense d'un droit varie
selon la période historique, alors que l'étendue du droit reste inchangée278. C'est donc la
possibilité de modifier l'ampleur de l’exercice qui permet de sauvegarder le droit concerné,
mais aussi de la modifier en fonction de la société et du moment donnés, ce qui permet de
résoudre certains conflits. Il est à noter aussi que le conflit est résolu au niveau
subconstitutionnel et non au niveau constitutionnel279. Par conséquent, l'étendue du droit peut
être plus importante que celle de sa défense et de son exercice admissible, ces derniers
dépendant de divers facteurs.

D'un certain point de vue, les limites (qualificateurs) du droit et les restrictions du droit
pourraient être mises en corrélation en tant qu’entité générale et qu’entité particulière. La
restriction du droit dans ce cas-là serait une notion au contenu plus restreint que la limite du
droit subjectif. Toute restriction du droit au sens de l'établissement des restrictions (de la
limitation) représente l'établissement des limites du droit subjectif. Or tout établissement de
limites d’un droit subjectif ne saurait être qualifiée de restriction du droit, parce que, par
exemple, un élargissement des possibilités de la personne, en fixant dans la loi des
compétences complémentaires en matière d'exercice du droit, se caractériserait par une
augmentation de l'étendue et du contenu du droit donné. Il en découle que la restriction du

276
R. Alexy soutient que la restriction des droits constitutionnel conduit à la limitation de leur
défense constitutionnelle (Ibid, p. 196).
277
Barak A., Ibid, p. 24 ; Dans ce contexte, se référant à la doctrine du droit allemand dans
laquelle cette idée trouve son origine, Thomas Hochmann fait remarquer la différence entre le
"domaine de réglementation" et le "domaine de protection". Il utilise l’exemple évoqué ci-dessus
concernant le droit de se réunir paisiblement et sans arme pour affirmer que le domaine de
réglementation englobe toutes formes de réunions, tandis que le domaine de protection est limité aux
assemblées pacifiques (Hochmann T., Le négationnisme face aux limites de la liberté d’expression :
étude de droit comparé, Paris, Pedone, 2012, p. 67-68).
278
Barak A., Ibid, p. 23.
279
Ibid, p. 82. L'auteur entend par niveau subconstitutionnel l'établissement de restrictions dans la
législation ordinaire (non dans la constitution).
127

droit représente l'établissement "négatif" des limites du droit (au sens de la diminution de la
liberté existante), ce que les spécialistes considèrent d'ailleurs comme l'un des indices de la
restriction du droit.

Par ailleurs, cette vision ne serait correcte que sous réserve d'admettre que le contenu
du droit est variable. Dans le cas contraire, suivant le point de vue cité de A. Barak, le contenu
du droit reste le même et seules les limites de son exercice admissible peuvent changer. Dans
ce cas, les limites du droit ne pourraient pas être élargies, et seules les limites admissibles de
son exercice pourrait augmenter. Il est à noter aussi que cette augmentation ne pourrait se
réaliser tant que les limites d'exercice du droit ne dépassent pas celles de son contenu. Le
rétrécissement des limites d'exercice des droits ne serait pas considéré non plus comme étant
une limitation du droit, puisque l'étendue de celui-ci reste inchangée. Un tel rétrécissement ne
serait être considéré que comme limitation de l'exercice du droit.

Des auteurs proposent des prototypes de la théorie externe et de la théorie interne:


méthode catégorique et méthode équilibrante280. La méthode catégorique est en fait une
méthode d'interprétation. Elle suppose l'interprétation du droit de la personne d'accomplir tels
actes d'après tel article. L'objectif de cet exercice consiste à révéler la signification véritable
du droit par l'interprétation, et non par l'évaluation des intérêts concurrents. Il s'agit de
l'approche de type "tout ou rien", qui n'implique pas la souplesse. La méthode équilibrante
permet au décideur de peser les différents droits et intérêts de l'affaire et d'être plus souple281.
Toutefois, à la différence de la méthode catégorique, celle-ci crée de possibles abus,
puisqu'elle accorde un pouvoir discrétionnaire à la personne censée évaluer le bien-fondé de
la restriction. La méthode catégorique ne vise pas à établir si la restriction porte sur un but
justifié ou si elle est proportionnelle ; elle a de fait pour objet de constater si la restriction
affecte ou non le contenu concret de la norme du droit. En définitive, l'approche de ce type
risque de se traduire par un "gel" des droits, parce qu'elle supprime les outils servant à
développer le droit subjectif282.

280
Sottiaux S., Terrorism and the Limitation of Rights. The ECHR and the US Constitution,
Oxford, Portland, Oregon, Hart Publishing, 2008, р. 38-58.
281
Une telle souplesse conduit forcément à une application ambivalente de la loi. L'équilibrage
des intérêts en conflit aboutit à des "messages différents" concernant l'étendue des droits (Hievert J.E.,
Limiting Rights: The Dilemma of Judicial Review, Montreal, McGill-Queen’s University Press, 1996,
p. 5).
282
Hievert J.E., Ibid., p. 45.
128

Conclusion du chapitre 1.4

Tout droit subjectif a ses limites. Les limites du droit déterminent son contenu et en
constitue une propriété intrinsèque. Le droit subjectif n'existe pas au-dejà de ses limites. Aussi
ces dernières devraient-elles désigner les limites de ce qui bénéficie de la protection par l'État.
Or notre analyse montre qu'une autre conception du droit est possible, lorsque la restriction du
droit est admissible dans le cadre des limites de son contenu. De ce fait, la protection de l'État
ne porte pas sur une partie du contenu du droit.

Les limites des droits et les restrictions de droits sont parfois confondues, voire
assimilées. Ce phénomène devient plus évident lorsque les limites du droit sont appelées
comme « qualificateurs ». Ceux-ci représentent des marques internes du droit subjectif qui en
caractérisent le contenu. Les qualificateurs peuvent être explicites (la norme indiquant ce qui
se rattache au contenu du droit et ce qui ne s'y rattache pas) et implicites (le contenu du droit
devant être établi en se référant à la norme qui ne comporte qu'une mention générale
concernant ce droit).

Toutefois, cette vision peut évoluer selon que l'on opte pour la théorie externe ou la
théorie interne de limitation du droit. La théorie externe suppose que le contenu du droit reste
toujours invariable et ce n'est que l'ampleur de son exercice qui change en fonction des
circonstances historiques et sociales données. La théorie interne, quant à elle, suppose que le
contenu du droit peut changer par son interprétation et c'est ainsi que peut se produire la
restriction du droit. La première théorie soutient l'impossibilité de limiter le droit et admet des
limitations de son exercice; la seconde admet la possibilité de la restriction du droit qu'elle
désigne comme interprétation du droit.

Nous en concluons que les limites du droit ne devraient être considérées comme
restriction / limitation du droit (ou restriction de son exercice) que dans le cas où il s’agit de la
conséquence négative de l’application de telles limites: la diminution du niveau existant de la
liberté.
129

1.5. Point de vue philosophique sur la nature des limitations des


droits

1.5.1. Idées fondamentales de la philosophie des limitations des droits des


détenus

La philosophie des droits de l'homme fut toujours une force motrice du progrès des
droits de l'homme. Toutefois, les ouvrages philosophiques concernant les droits des détenus
restent aujourd'hui une exception. Aussi, les thèmes importants comme le rapport des droits
des détenus et des personnes libres, l'origine et la nature des droits des détenus intéressent-ils
davantage les juristes et sociologues que les philosophes. Ceci devait nécessairement se faire
sentir sur le niveau de développement de la doctrine des droits des personnes privées de
liberté sur le plan philosophique, laquelle demeure relativement bas et devrait également avoir
un impact sur la qualité de la théorie relative à la nature des droits et restrictions dans le
domaine pénitentiaire.

Les approches relatives à la conception des droits dépendent de celles qui concernent
la conception des restrictions des droits et inversement. Cela concerne tout aussi bien les
personnes privées de liberté. L'objectif du présent chapitre vise donc à mieux éclairer la
conception de la nature des restrictions des droits des détenus à travers le prisme des
tentatives des philosophes, peu nombreuses et limitées, d'élucider la question de la nature de
ces droits. Il ne s'agit pas de déterminer la nature philosophique des droits des détenus, cette
question attendant toujours son explorateur.

Il est à prendre en compre que les droits des détenus peuvent ne pas trop différer des
droits des citoyens en général. Mieux que cela, il pourrait être démontré que les détenus,
comme les autres citoyens, sont réputés jouir de la plupart des droits moraux de l'homme,
même si ceux-ci sont modifiés par les circonstances et les conditions de l'incarcération283, ou
bien de droits additionnels tels que l'habitation et la nourriture. Il existe, à côté, un désaccord
notable quant à savoir quels droits sont maintenus pour les détenus et si ces derniers
continuent de jouir de ces droits en tant qu'impératifs ou en tant que privilèges284.

Il est évident que la nature des droits des détenus dépend de plusieurs facteurs clés:

283
Kleinig J., Introduction, in Prisoners’ Rights (The international library of essays on rights)
Ed. By John Kleinig, Burlington, Surrey, Ashgate Publishing Company, 2014, p. 13.
284
Ibid, p. 15.
130

- Ils ont commis une infraction en manifestant ainsi un danger pour la société et à
cause de cela ils doivent subir une peine;

- Ils se trouvent en détention et ils sont limités dans leur droit à la libre circulation;

- Ils dépendent de l'administration pénitentiaire;

- Ils sont tenus de respecter les règles de cohabitation à l'intérieur de l'établissement


pénitentiaire.

Eu égard à ces facteurs, les détenus perdent et acquièrent à la fois certains droits. C'est
ainsi que compte tenu de leur dépendance, ils bénéficient d'une compensation, à savoir des
droits spéciaux, car "la dépendance leur attribue des droits"285. L'obligation du personnel
d'assurer la sécurité justifie la perte de droits des détenus correspondant à cette obligation286.

Hugo Adam Bedau, l'un des philosophes connus dans le domaine de la justice pénale,
fait partie de ceux qui s'intéressent à la nature des droits des détenus. Des idées importantes
quant à la possibilié de relier les droits des détenus au concept juridique naturel des droits
peuvent lui être attribuées.

Cet auteur estime que la doctrine du droit naturel n'a pas de sources dans lesquelles il
serait possible de retrouver une doctrine des droits des détenus qui pourrait être tenue pour
valable aujourd'hui. Cela veut dire que, soit il n'existe pas de théorie qui puisse être suffisante
à cette fin, soit il existe une théorie d'une nature très différente (par rapport aux droits des
personnes libres - N.D.L.A.)287. Néanmoins, même si la théorie du droit naturel crée des
fondements pour les droits des détenus, ce fondement ne pourrait pas s'appuyer sur la version
d’Hobbes288.

Le plus souvent, lorsqu’ils tentent de justifier les restrictions des droits des détenus, les
auteurs essayent de développer la théorie des droits de ces reclus en se référant aux idées de
John Locke sur le contrat social. C'est ainsi que, de nos jours, la théorie du contrat social sert
de référence aux auteurs traitant des questions d'admissibilité de la privation du droit de vote

285
Richardson G., The Case for Prisoners’ Rights, in Accountability and the Prisons: Opening
Up a Closed World. M. Maguire, J. Vagg and R. Morgan (Eds.), London, Tavistock, 1985, p. 25 ; voir
aussi Bedau H.A., Prisoners’ Rights, Criminal Justice Ethics, 1982, n° 1, p. 38.
286
Kiphins K., Social Justice and Correctional Health Services, in Medicine and Social Justice:
Essays on the Distribution of Health Care, Rhodes R., Battin M. and Silvers A. (eds), 2 nd ed., New
York, Oxford University Press, 2012, p. 377.
287
Bedau H.A., Prisoners’ Rights, Criminal Justice Ethics, 1982, n°1, p. 30.
288
Ibid, p. 29.
131

en raison de l'exécution d'une peine289. Elle avait une importance beaucoup plus grande par le
passé, ayant même servi de justification à la peine de "mort civile", c’est-à-dire la perte pour
la personne de ses droits civils.

D'après cette théorie, la personne qui commet une infraction renie le contrat social, et
la société obtient le droit de la punir afin de protéger ce contrat290. Par conséquent, les droits
dont la personne est privée (dans lesquels elle est limitée) constituent une sorte de "paiement"
pour le rejet du contrat. Au surplus, plus fort serait le rejet, plus grave serait l'infraction et plus
sévèrement devrait être puni son auteur291. Certains spécialistes précisent que l'infraction ne
saurait être considerée comme constituant un rejet du contrat social, car des études montrent
que les détenus sont conscients qu'ils "ont mal agi", c'est-à-dire qu'ils comprennent qu'ils
dérogent au contrat, mais ils ne le rejettent pas292.

La même chose concerne l'assertion par laquelle le criminel renie sa nationalité en


commetant une infraction. Il est fort douteux que la personne pense à sa nationalité ou au
contrat social en commettant une infraction293.

Melinda Ridley-Smith et Ronnit Redman expliquent la manière dont la théorie du


contrat social est liée aux restrictions appliquées aux détenus. Ils estiment que le détenu est
limité dans ses droits pour avoir renié le contrat social. Etant donné qu'il renie les droits et la
responsabilité vis-à-vis de la société, il devrait se faire refuser d'autres droits et
responsabilités. La restriction du droit en tant que partie de la peine peut être considérée

289
Cette théorie exerce une influence tellement forte sur la pensée juridique moderne qu'elle est
utilisée dans la pratique juridique. Le Gouvernement de la Grande Bretagne, par exemple, s'en est
servi devant la Cour européenne pour défendre ses positions sur la privation du droit de vote pour les
condamnés ayant commis certains types d'infractions (voir l'arrêt Hirst c. Royaume-Uni (nº 2) § 50 (nº
74025/01, 06.10. 2005)).
290
De cette façon, la société s'autodéfend et se protège et son ordre de la désintégration
(Фойницкий И.Я. Учение о наказании в связи с тюрьмоведением. – Санкт-Петербург:
Типография министерства путей сообщенія, 1889. – С. 3 / Foynitski I.Ya., Enseignement sur la
punition en rapport avec la pénologie, Saint-Pétersbourg, Imprimérie du Ministère des voies de
communication, 1889, p. 3).
291
Ramsay Р., Faking Democracy with Prisoners’ Voting Rights, LSE Law, Society and
Economy Working Papers, 2013, n° 7, p. 5.
292
Reiman J., Liberal and Republican Arguments Against the Disenfranchisement of Felons,
Criminal Justice Ethics, 2005, n° 24, p. 10. Une question à part se pose à propos de l'application de la
théorie du contrat social aux infractions commises par imprudence, car l'absence de compréhension
consciente de la violation du contrat dans ce cas empêche la justification de toutes restrictions en tant
que conséquence de cette violation.
293
Duff A., Citizens (Even) in Prison, Netherlands Journal of Legal Philosophy, 2014, n° 1 (43),
p. 3-6.
132

comme une expression symbolique de la réprobation sociale294. L'exemple bien parlant sous
ce rapport est celui de la limitation du droit de vote des détenus. Elle est conçue comme étant
directement liée à la violation du contrat social et constitue donc, un effet moral édifiant.

Cependant, selon Christopher Bennett, une telle perte de droit serait difficile à justifier
du point de vue de la théorie du contrat social295. Cet auteur distingue deux interprétations de
cette théorie: 1) la personne est limitée dans le droit qu'elle a violé; 2) la personne est limitée
dans tous les droits du fait de l'infraction. Cette dernière conception n'est pas admissible,
tandis que la première permet la restriction du droit de vote uniquement pour les personnes
qui ont violé le droit de vote d'autrui. Cependant, la première vision est tout aussi
inadmissible puisque, d'après elle, le violeur perdrait le droit de n'être pas violé296. Toutefois,
il n'est pas clair pourquoi la conception du contrat social ne permet pas l'application de la
peine en tant que restriction d'un certain nombre de droits et non de tous les droits ou d'un
seul droit come le propose l’auteur. Sa conception du contrat social met en doute
l'admissibilité de l'incarcération en tant que peine du point de vue du contrat social.

L'aspect moral constitue l'un des facteurs déterminants pris en compte dans les
approches philosophiques concernant les restrictions des droits297. Un exemple instructif tient
à la théorie de la perte des droits.

La théorie de la perte des droits298 est l'une des théories de la peine299, bien qu'elle soit
spécifique et différant sensiblement par rapport à d'autres théories. Elle explique l'origine des
restrictions des droits qui constituent la peine par le fait que lorsque la personne enfreint les
règles juridiques, elle peut être punie et elle perd la possibilité de profiter de ses droits300. Le
trait principal de cette théorie est de donner la réponse à la question: "Pourquoi est-il
admissible de punir?" et non "Punir dans quelle mesure?". Elle joue le rôle de justification
morale et elle explique pourquoi la peine est moralement admissible. Cependant, à la
différence d'autres théories, elle n'est ne permet pas de fixer un point de départ dans le débat

294
Ridley-Smith M., Ronnit R., Prisoners and the Rights to Vote, Prisoners as citizens. Human
rights in Australian prisons, edited by Brown D. and Wilkie M., Leichhardt, The Federation Press,
2002, р. 284–285.
295
Bennett C., Penal Disenfranchisement, Criminal Law and Philosophy, 2016, Vol. 10, 3, p
411–425.
296
Ibid.
297
La nécessité d'assurer la sécurité de la société et des autres individues représente un autre
facteur significatif.
298
"The Right Forfeiture Theory of Punishment" (angl.).
299
Wellman C., The Rights Forfeiture Theory of Punishment, Ethics, 2012, Vol. 122 (2), p. 371-
393.
300
Lippke R.L., Criminal Offenders and Right Forfeiture, Journal of Social Philosophy, 2001,
Vol. 32, 1, p. 78.
133

relatif au traitement des détenus301. Par conséquent, elle n'est pas appropriée pour déterminer
quelle devrait être l'exécution de la peine. Ainsi que le fait remarquer William Bülow, une
chose est de dire pourquoi la peine est moralement justifiée et c'en est une toute autre de
définir quelles sont les conditions moralement souhaitables de l'exécution de la peine302.

Comme cette théorie ne précise pas l'ampleur de la restriction admissible des droits,
Richard Lippke la soumet à une critique virulente. Du moment, dit-il, que l'on n'indique pas le
droit concret que la personne perd pour avoir commis une infraction, l'assertion même que la
personne subit cette perte n'explique pas pourquoi l'application de la peine par l'État est
admissible. La théorie de la perte des droits, même avec son rôle explicatif réduit, semble en
être venu au point où elle n'a plus aucun rôle du tout303.

Bien qu'il y ait des philosophes qui estiment que cette théorie suppose la perte
(restriction) de certains droits afin que la peine puissent être considérée comme étant
moralement justifiée, elle nécessite d'être complétée par au moins une autre théorie de la
peine pour pouvoir établir le contenu admissible de celle-ci qui se traduit par des
restrictions304. Ainsi donc, la théorie de la perte (restriction) des droits du fait de la peine ne
répond-elle pas à la question de savoir à quel point cette perte doit être importante. La réponse
est à chercher dans d'autres théories et se concentrer plus particulièrement sur les buts de la
peine qu'elles soutiennent.

La question de l'admissibilité de la peine est à proprement parler une question relative


aux droits de l'homme, quoi que cette idée importante se perde parmi les théories de la
peine305. La théorie de la perte des droits se fonde sur l'idée que l'individu a le droit de ne pas
être soumis à une peine, mais il perd ce droit en commettant l'infraction qui affecte les droits
d'autrui. Le droit de n'être pas soumis à la peine sert en quelque sorte de bouclier, lequel sera
retiré du fait de la violation des droits d'autrui306. Bien que toutes les infractions ne donnent
pas lieu facilement à la révélation de la violation des droits d'autrui, comme c'est le cas des
infractions mala prohibita à la différence des infractions mala in se, il existe des arguments
bien fondés confirmant que le criminel viole les droits des autres dans ces cas-là aussi. Il s'agit

301
Bülow W., Ethics of Imprisonment: Essays in Criminal Justice Ethics, Licentiate Thesis in
Philosophy, Stockholm: US-AB, 2014, p. 4.
302
Ibid, p. 4.
303
Lippke R.L., Criminal Offenders and Right Forfeiture, Journal of Social Philosophy, 2001,
Vol. 32, 1, р. 78, 84.
304
Bülow W., Ibid, p. 5.
305
Wellman C., Rights Forfeiture and Mala Prohibita, The Constitution of the Criminal Law. Ed.
By R.A. Duff, L. Farmer, S.E. Marshall, M. Renzo, V. Tardos, Croydon, Oxford University Press,
2013, p. 78.
306
Ibid, p. 79.
134

entre autres, par exemple, du droit à ce que autrui ne viole pas la loi à laquelle la "victime" de
la violation du droit doit elle-même obéir307.

Comme il a déjà été montré, la théorie de la perte des droits n'explique pas quelle
pourrait ou quel devrait être la peine. Cependant, tentés de fournir également un repère à cette
question, ceux qui la soutiennent signalent la perte par le délinquant du droit de ne pas être
soumis à une peine en proportion directe de sa violation des droits de la victime308. Il en
découle que cette théorie croise naturellement la théorie du retributivisme. Nous pensons
avoir des raisons d'affirmer qu'elle peut être considérée comme dérivant de cette dernière.

Genevra Richardson fait remarquer à juste titre que la perte partielle du droit par le
détenu, l'ampleur de cette perte dépend de la vision choisie de la peine. C'est dire que
l'étendue des droits dépendrait de la théorie choisie de la justification de la peine309. Si, par
exemple, la justification principale consiste dans la protection de la société, la perte des droits
dans l'incarcération ne pourrait survenir que dans la mesure où elle est nécessaire pour la
ségrégation par rapport à la société. D'un autre côté, si la justification principale consiste à
rendre la pareille, l'étendue des droits restants dépendrait de la nature de la sanction que la
société entend appliquer310.

John Dawes fait une remarque pertinente à ce propos, lorsqu’il affirme que le manque
de concordance entre les buts de l'incarcération et le mode de gestion des prisons a des
conséquences considérables pour les droits des détenus311. Dans cette thèse, nous nous
servons aussi d'arguments montrant que les buts de la peine et de son exécution exercent une
influence significative sur l'analyse de la justification des restrictions312. Ces buts servent, en
outre, d'importants déterminants de la philosophie des restrictions des droits des détenus.

307
L'auteur montre, arguments à l'appui, qu'il faut être très prudent à l'égard du bien-fondé des
lois établissant mala prohibita. Voir plus de détails dans l'explication de la thèse selon laquelle les
infractions mala prohibita peuvent être considérées comme violant les droits d'autrui: Wellman C.,
Rights Forfeiture and Mala Prohibita, The Constitution of the Criminal Law. Ed. By R.A. Duff, L.
Farmer, S.E. Marshall, M. Renzo, V. Tardos, Croydon, Oxford University Press, 2013, p. 77–96.
308
Ibid, p. 79.
309
Richardson G., Des droits aux attentes, in L’Institution du droit pénitentiaire - Enjeux de la
reconnaissance de droits aux détenus, sous la direction de O. De Schutter et D. Kaminski, Ibid, p. 190.
310
Richardson G., The Case for Prisoners’ Rights, in Accountability and the Prisons: Opening
Up a Closed World. M. Maguire, J. Vagg and R. Morgan (Ed.), London, Tavistock, 1985, p. 23. Par
ailleurs, les droits naturels sont considérés comme un domaine essentiel de la théorie rétributiviste qui
reconnaît le droit du criminel à un traitement respectueux comme celui à accorder à l'être humain
autonome (Easton S., Piper C., Sentencing and Punishment: The Quest for Justice, Oxford: Oxford
University Press, 2012, p. 8.
311
Dawes J., Institutional Perspectives and Constraints, Prisoners as citizens. Human rights in
Australian prisons. Ed. by D. Brown and M. Wilkie, Leichhardt, The Federation Press, 2002, p. 119.
312
Cf. chapitre 1.5.2 "Limites de rapprochement des droits des détenus avec les droits des
citoyens libres".
135

Selon la version de la théorie des peines que nous retiendrons, nous saurons quelle vision
philosophique de la nature et de l'ampleur admissible des restrictions des droits nous
conviendrait.

Les restrictions des droits en prison ressemblent aux restrictions des droits en liberté
par ce qu'elles visent à réconcilier les intérêts individuels et sociaux. Il était naturellement
toujours difficile de parvenir à un équilibre entre ces intérêts, le contexte pénitentiaire
modifiant les facteurs de départ pour la mise en équilibre. Par exemple, les intérêts sociaux
dans le domaine de la sécurité pèsent plus qu'en liberté. Ou, pour être plus précis, leur
importance est plus visible et plus influente au cours de l'équilibrage des intérêts de l'individu
et de la société. D'autre part, les vues de la société sur la peine apportent leur contricution à
cet équilibre.

La question clé porte sur le rapport de la philosophie générale et des approches de la


restriction des droits en liberté et en prison. Le point de départ dont dépend la conception
philosophique des restrictions des droits des détenus réside dans le degré de rapprochement
des droits des détenus avec les droits des citoyens libres. Il comprend aussi le degré de
similitude des approches relatives à la justification des restrictions de leurs droits.

1.5.2. Limites du rapprochement des droits des détenus avec les droits des
citoyens libres

Parmi les titres nombreux d’ouvrages relatifs aux droits des détenus, quelques uns
seulement se sont spécialement concentrés sur la question de l'ampleur des restrictions des
droits des détenus que les pouvoirs publics peuvent appliquer. Cette question exige une
réponse à une autre question qui s'y rapporte: à quel point l'étendue des droits des détenus et
celle des droits des citoyens libres peuvent ou doivent se rapprocher?

La réponse à cette question requiert que soit prise en compte la philosophie de la peine
et de la prison, la philosophie des droits de l'homme, le droit international et national en
matière de restrictions et de leur proportionnalité, ainsi que, ce qui n'est pas moins important,
ou est peut-être même plus important, l'aspect pratique de l'application des restrictions. Il
nécessite une connaissance parfaite de la vie en prison, de la psychologie et des activités
illégales des détenus dans l'établissement pénitentiaire, celle de l'impact éventuel de telles ou
telles restrictions (ou de leur absence) sur la sécurité et l'ordre au sein de l'établissement. De
plus, il faut prendre en compte la spécificité nationale du domaine pénitentiaire.
136

De manière générale, la justification des limitations des droits n’intervient pas du seul
point de vue juridique, car la jurisprudence elle-même dans ce cas se base sur les
conséquences négatives possibles du comportement. Thomas Hochmann, qui étudie la
question des limites de la liberté d’expression, considère à juste titre que le dommage
provoqué par le comportement qui est contraint est au cœur de la controverse sur
l’opportunité de la limitation de cette liberté. Comme résultat, la réponse à la question des
limites admissibles devient souvent non seulement une question purement juridique, mais
philosophique, morale, axiologique voire politique313. Cette conclusion est également
applicable aux restrictions d’autres droits.

Il n’est pas surprenant que l'aspect sécuritaire suscite des problèmes du point de vue de
la difficulté excessive liée à la prévision des effets de l'allégement ou de l'abrogation des
restrictions existantes. Cela concerne surtout la prévention de nouvelles infractions et de la
menace potentielle à la sécurité et à l'ordre de l'établissement. Cette question est parfaitement
illustrée par "l'abrogation" de la restriction frappant l'usage des téléphones portables et
d'Internet dans les établissements pénitentiaires. Il est difficile d’être sûr en prevoyant les
conséquences possibles de l'utilisation par les détenus de ces avancées pour des activités
illégales exercées dans l'établissement pénitentiaire. La cause n'en réside pas seulement dans
l'expérience quasiment inexistante ou très faible de l'autorisation d'utiliser les téléphones
portables314 et Internet dans les prisons de divers pays, mais aussi, ce qui est bien logique,
dans l'absence d'études empiriques portant sur l'influence positive et négative de l'utilisation
de ces moyens. Tout aussi modestes se présentent les études empiriques qui illustreraient
l'influence possible sur la vie dans et hors les murs d'autres restrictions classiques comme
l'usage des instruments de musique ou des équipements sportifs individuels (gants de boxeurs,
poids et haltères…).

Aussi, certains aspects de l'application des restrictions sont suffisamment étudiées


pour pouvoir orienter la pratique d'exécution des peines vers la levée maximale des
restrictions. C'est ainsi que les études sur les effets des visites sur les détenus et la vie
carcérale, ainsi que sur les perspectives de la réinsertion ou de la récidive après la libération
montrent des résultats extrêmement positifs qui témoignent, de manière probante, de la

313
Hochmann T., Le négationnisme face aux limites de la liberté d’expression : étude de droit
comparé, Paris, Pedone, 2012, p. 28-42.
314
Herzog-Evans M., Cell phones in European prisons, disponible sur: http://herzog-
evans.com/cell-phones-in-european-prisons (accedé le 20.06.2016).
137

nécessité d'élargir ces droits (aussi bien la durée que la fréquence et les conditions des
visites)315.

Au vu de l'insuffisance d'études empiriques sur la sécurité ou l'insécurité


qu’engendrerait la libéralisation de certaines restrictions, le débat correspondant bascule dans
la pure théorie.

Le philosophe américain et professeur Richard Lippke formule par exemple dans son
livre "Rethinking Imprisonment" une théorie des restrictions des droits des détenus qui
propose de donner des réponses aux questions relatives aux limites de la répression de l'État
concernant l'ingérence dans les droits des détenus316.

Il attire, à juste titre, l’attention sur le rôle décisif des buts assignés à la peine et à la
prison du point de vue de l'application des restrictions. "Sans prendre en compte ce que nous
cherchons en punissant les criminels, nous ne pouvons pas savoir ce qu'il faut faire d'eux ou
pour eux (c'est-à-dire comment les punir – N.D.L.A.)", écrit-il317. Pour Lippke, ces buts sont
la rétribution et la réintégration. L'une des principales thèses de son ouvrage porte sur la
nécessité d'abolir la sévérité excessive des restrictions existant dans le système pénitentiaire:
"des conditions moins restrictives et humaines de la prison suffisent pour atteindre les buts de
la peine légitime"318. Soutenant dans ce contexte Alison Liebling319, il insiste sur l'importance
de ne pas confondre les régimes libéralisés avec le laxisme: "Une chose est d'affirmer que les
détenus doivent subir moins de restrictions d'un certain type et c'en est tout à fait une autre
que de dire que les prisons ne devraient pas avoir de règles à respecter rigoureusement"320. Il
est d'avis que la plupart des théoriciens des droits de l'homme conviennent que les détenus
continuent de jouir des droits fondamentaux et que ces droits ne peuvent être réduits avec
raison par les autorités si celles-ci se fondent uniquement sur "des spéculations". Des

315
Clarc V., Duwe G., Blessed be the Social Tie that Binds: the Effects of Prison Visitation on
Offender Recidivism, Criminal Justice Policy Review, 2013, n° 3, Vol. 24, p. 271–296 ; Cochran J.C.,
The Ties that Bind or the Ties that Break: Examining the Relationship Between Visitation and
Prisoner Misconduct, Journal of Criminal Justice, 2012, Vol. 40, Issue 5, p. 433-440; Cochran J.C.,
Daniel P. Mears D.P., Social Isolement and Inmate Behavior: A Conceptual Framework for
Theorizing Prison Visitation and Guiding and Assessing Research, Journal of Criminal Justice, 2013,
Vol. 41, Issue 4, p. 252–261.
316
Lippke R. L., Rethinking Imprisonment, New York, Oxford University Press, 2007.
317
Ibid, p. 2.
318
Ibid, p. 4.
319
Liebling A., Prisons and Their Moral Performance: a Study of Values, Quality, and Prison
Life (assisted by Arnold H.), Oxford, Oxford University Press, 2004.
320
Lippke R.L, Ibid, p. 4.
138

spécialistes affirment par expérience que cela risque de nuire aux intérêts plus importants
d'autres personnes (des personnes libres)321.

L'idée principale, dans la théorie de Lippke, porte sur la nécessité d'assurer la


correspondance des restrictions appliquéees aux détenus aux conséquences des crimes
commis pour leurs victimes. En fait, l'auteur s'appuie sur le postulat ordinaire des
rétributivistes selon lequel les détenus ont enfreint les règles obligatoires pour tous qui
assurent des avantages à chacun et qu’ils perdent de ce fait la possibilité d'exiger de pouvoir
exercer leurs propres droits et d'exiger ces avantages322. L'important est de savoir que le
comportement qui respecte les droits d'autrui est la condition nécessaire permettant de
conserver ses propres droits323. Nous ne pouvons pas nous plaindre raisonnablement d'être
limités dans nos privilèges en nous référant aux règles que nous refusons nous-mêmes de
respecter324. La rétribution exige, dit Lippke, que le préjudice causé par l'État au criminel à
titre de vengeance soit le même que celui qui avait été causé à la victime. Cela sert à fixer les
limites des restrictions applicables aux détenus. Comment comprendre, par exemple, pourquoi
les personnes condamnées pour cambriolage ne devraient pas avoir accès à la pornographie
pendant l'exécution de la peine325.

Néanmoins, une telle approche risque d'être même amorale dans certains cas (l'auteur
cite le cas du viol). C'est pourquoi l'État devrait appliquer des peines qui rappellent, d'une
certaine manière, les moyens causant le préjudice à la victime; la comparabilité ne devant pas
porter sur les conséquences du crime, mais sur la mesure de réprobation (blameworthiness)
pour avoir causé ces conséquences326. Cette approche diffère du rétributivisme classique et
elle est nommée par l'auteur "égalisation censurée" (censuring equalization)327. Il serait
difficile de trouver un équivalent "non censuré" puisque l'État doit chercher à réduire la
qualité de la vie des délinquants en imitant les conséquences négatives qui pourraient être
comparées aux conséquences du crime pour la victime328. Il est important, par ailleurs, que

321
Ibid, p. 10.
322
Ibid, p. 204.
323
Ibid, p. 137.
324
Ibid.
325
Lippke R.L., Prisoner Access to Recreation, Entertainment and Diversion, Punishment and
Society, 2003, n° 5, p. 48.
326
Sur les méthodes générales et individualisées de mesure des conséquences pour la victime et
sur la classification des infractions sous ce rapport voir: Lippke R.L., Prisoner Access to Recreation,
Entertainment and Diversion, Ibid, p. 51–53, 62.
327
Lippke R.L., Rethinking Imprisonment, Ibid, p. 26.
328
Ibid, p. 54.
139

malgré les conséquences pour la victime, il existe des barrières à l'établissement des
restrictions329:

– Les besoins basiques des détenus doivent être assurés (nourriture, conditions de vie);

– La capacité de la personne à mener une vie autonome et, notamment, celle de


prendre des décisions importantes, ne doit pas être affectée. Cela comprend, en particulier, la
les droits à la vie politique, à la confession, à la liberté d'expression, etc. A défaut, la peine ne
serait pas perçue par le condamné comme une "leçon de morale", mais seulement comme une
douleur qu'il faut tout simplement supporter. C'est pourquoi la punition des personnes
irresponsables du point de vue moral n'est qu'une duperie et ne fait que nuire à la réalisation
des vrais buts de la rétribution. De plus, les condamnés s'opposeraient à la punition s'ils
estimaient, par exemple, que l'État souhaite les manipuler et contrôler leurs capacités de
penser librement (cela concerne notamment le droit à la liberté de conscience)330;

– La barrière de l'administration équitable n'admet pas de restrictions en matière de


contrôle des détenus lorsque celles-ci sont excessives. Cette barrière est en corrélation avec la
barrière de proportionnalité qui s'appuie sur la thèse selon laquelle la proportionnalité de la
peine doit se traduire, non seulement dans sa durée, mais aussi dans l'ordre et le régime
d'exécution de la peine. Il est indiqué, par exemple, que le durcissement du régime devrait
conduire à une réduction de la durée de la peine331.

Ces considérations témoignent de l'application "sélective" du rétributivisme dans la


théorie de Lippke. Au cas où les restrictions ne répondraient pas aux souffrances de la victime
ou bien lorsqu’elles ne seraient pas suffisantes, elles ne devraient pas être appliquées.
Cependant, si les restrictions qui correspondent aux souffrances de la victime étaient trop
"accablantes", elles ne devraient pas être appliquées non plus. Cette contradiction complexe
ne bénéficie toutefois pas d'un intérêt adéquat de l’auteur.

Un autre aspect de l'œuvre de Lippke porte sur la critique de l'objectif visant à réduire
la délinquance comme telle, qui ne peut que jouer un rôle limité dans la prise de décision

329
Ibid, p. 112–118, 183, 195.
330
Ibid, p. 212.
331
Dans ce contexte, est évoquée la diminution de la durée de la punition en tant que mesure
compensatoire pour la détention dans de mauvaises conditions. Voir sur les idées semblables dans le
contexte ukrainien in: Човган В.О., Яковець І.С. Превентивні та компенсаційні заходи як захист
від катувань і жорстокого, нелюдського чи такого, що принижує гідність, поводження чи
покарання // Вісник кримінологічної асоціації. Збірник наукових праць. – 2016. – №2. – С. 184–
198 (Chovgan V.O., Iakovets I.S., Mesures préventives et compensatoires en tant que défense contre
la torture et le traitement ou des peines inhumains et dégradants, Revue de l'association
criminologique. Recueil d'ouvrages scientifiques, 2016, n° 2, p. 184-198).
140

relative à la sévérité de la punition des délinquants, c'est-à-dire sur les restrictions à appliquer.
Il s'agit, à son avis, de l'insuffisance de preuves empiriques concernant l'impact des conditions
d'incarcération et des restriction sur des facteurs de la délinquance. En revanche, l'égalisation
censurée, en tant que version du rétributivisme, permet de construire un large tableau du côté
répressif de la peine332. Même en disposant d'informations relative à l'impact de la durée des
peines sur la prévention des infractions, ces actions disent peu de choses des restrictions et des
privations applicables aux délinquants333. Cela invite à partager l'opinion de l'auteur, parce
qu’en réalité, l'étude du lien entre taux de récidive et nature du régime d'exécution des peines
représente une mission scientifique difficile, sans parler de l'impact que peuvent avoir des
restrictions particulières.

Vu l'orientation répressive répandue dans certains systèmes pénitentiaires aujourd'hui,


une importance particulière doit être attribuée aux observations de Lippke portant sur l'étude
plus grande de l'impact négatif, et non point positif, des restrictions sur la récidive. Il soutient
que les effets positifs des restrictions minimales sont moins étudiés que les effets négatifs des
restrictions excessives334. Il n'en reste pas moins que certaines restrictions ont été étudiées sur
le plan de l'impact positif et de l'impact négatif sur les indicateurs de la récidive. Cela
concerne notamment les limitations des contacts des détenus avec leurs familles.

Il convient de rendre justice à l'attitude sceptique vis-à-vis du rôle "dissuasif"


(préventif) des restrictions. La grande majorité des délinquants ne pensent pas aux privations
qu'ils devraient subir du fait de la condamnation à une peine privative de liberté. Il est peu
probable que les délinquants puissent être dissuadés, par exemple, par la menace d'être limités
dans leurs droits électoraux335. Nous pourrions ajouter aussi que l'incarcération en tant que
châtiment menaçant pour avoir commis une infraction est perçue par les délinquants, dans le
meilleur des cas, comme un ensemble illusoire de restrictions de droits sans prendre en
compte des particularités: les limitations de certains droits. La position de Lippke est donc
tout à fait logique lorsqu’il avance que pour limiter les droits du condamné en usant de
l'argument de la dissuasion, il convient de démontrer que la personne qui commet une
infraction tient compte de l'éventualité de ces restrictions336.

Lippke théorise le problème en dégageant, à titre conventionnel, quatre groupes de


détenus: 1) ceux dont les conditions dures et les restrictions des droits ne préviennent pas la

332
Lippke R.L., Rethinking Imprisonment, Ibid, p. 29.
333
Ibid, p. 43.
334
Ibid, p. 265.
335
Ibid, p. 213-214.
336
Lippke R.L., Toward a Theory of Prisoners’ Rights, Ratio Juris, 2002, Vol. 15, 2, p. 132.
141

commission d’infractions; 2) ceux qu’il est possible de dissuader par un nombre minimum de
restrictions; 3) ceux qu’il est possible de dissuader par des restrictions modérées (de sévérité
moyenne – N.D.L.A.; 4) ceux qui ne sont dissuadés que par la perspective d'être incarcérés
dans des conditions dures. Le problème est que, ne sachant pas combien de délinquants se
rattachent au groupe N°2 et en leur appliquant toutes les restrictions modérées automatiques,
nous appliquons des restrictions non nécessaires à ceux qu'il aurait été possible de dissuader
par des restrictions minimales337.

Compte tenu de ce qui précède, au vu de la théorie de l’auteur citée et à défaut


d'information sur l'impact des restrictions sur la récidive, il convient de prendre en compte le
but rétributif en tant qu'objectif basé sur le concept permettant de définir le cadre précis des
actes en restriction des droits. Selon Lippke, cela signifie que le rapport entre l'application des
restrictions pendant l'exécution des peines avec la réalisation du but visant à prévenir la
récidive est, pour le moment, peu connu, et ce but ne convient pas pour déterminer le volume
des restrictions à appliquer.

Le mérite de la théorie de Lippke ne réside pas, semble-t-il, dans le sens prévu par
l’auteur. Celui-ci attire l'attention, en premier lieu, sur l'aspect de la rétribution qui restait
auparavant à l'écart du thème de la justification des restrictions. Parlant de la sévérité de la
peine, qui exprime le degré de proportionnalité de l'infraction et de la peine, il met au premier
plan non seulement la dimension temporelle de la peine, mais aussi sa composante qualitative:
l'ensemble des restrictions auxquelles sont soumis les condamnés. Cette idée est logique et
elle se fonde sur le but rétributif assigné à la peine. C'est dire que ce but devrait être atteint,
non seulement par la durée et le type de peine, mais aussi par son essence même: les
restrictions des droits faisant partie de la peine.

Selon nous, l'importance des idées dont est imprégné l'ouvrage du professeur consiste
essentiellement en ce qu'elles permettent de souligner le rôle des buts de la peine que se fixe
l'État afin de mettre en œuvre des restrictions de droits. Ces restrictions doivent être
subordonnées au but posé à la peine et elles doivent être minimales pour pouvoir atteindre le
but fixé ou bien (la position de l'auteur de la théorie ne présente pas une délimitation nette) ne
pas être plus importantes qu'il n'est nécessaire pour le but donné.

Un autre aspect susceptible de passer pour une contribution de poids à la théorie des
restrictions des droits des condamnés met en valeur la nécessité de réaliser des études de
manière à relever l'impact de telles ou telles restrictions sur les buts de l'incarcération. Les

337
Ibid, p. 136-137.
142

études de ce type sont nécessaires afin de déterminer les restrictions qui sont suffisantes ou,
au contraire, excessives pour pouvoir atteindre les buts de la peine.

L'importance de cet aspect est difficile à surestimer du fait de son intérêt potentiel pour
le développement de la science pénitentiaire et de la criminologie en particulier, qui étudie les
prisons. Dès lors que les buts de la peine orientent l'action des établissements pénitentiaires,
l'amélioration de leur efficacité demande aussi de savoir quelles restrictions y contribueraient
de façon positive ou non. Autrement dit, en se posant les questions dont dépendront
directement les intérêts de la protection de la société dans l'optique criminologique, les
criminologues s'interrogeront aussi sur l'admissibilité de l'immixtion dans les droits de
l'homme. Leurs études devraient donc permettre de constater quelles sont les restrictions de
droits qui méritent effectivement d'être reconnues comme utiles et comme étant justifiées tant
du point de vue de la peine, que du point de vue de l'exécution de la peine et de la protection
de la société. Elles permettraient aussi de déterminer quelles sont les restrictions qui ne le
méritent pas338. L'importance particulière de la justification scientifique de l'application de
restrictions aux détenus est de permettre d’éviter de considérer par erreur une restriction
comme étant justifiée, notamment du point de vue de la sécurité de l'établissement, au risque
de voir se produire des effets absolument négatifs, en particulier pour la vie et la santé des
personnes.

Dans le même temps, l'inconsistence de cette théorie, fondée sur la rétribution, est
évidente, en dépit de toutes les tentatives qui ont pu être faites pour la réhabiliter et la mettre
en conformité avec les impératifs actuels des droits de l'homme. Sa faiblesse est néanmoins
présentée par Lippke comme étant justement une force. Il s'agit de "convertir" les
conséquences négatives de l'infraction pour la victime en restrictions à appliquer aux
condamnés, ce, de manière proportionnelle. C'est-à-dire que les souffrances de la victime
devraient être converties en souffances du condamné de façon à ce qu’elles soient égales les
unes aux autres.

Cette idée suscite nombre d'observations critiques. D’abord, une observation formelle
consiste à rappeler que toutes les infractions n'ont pas une victime individuelle concrétisée
comme c'est le cas de la corruption. Ensuite, même dans le cas de la "conversion" proposée
des souffrances en une forme de qualité différente, qui ne répond aux souffrances causées à la

338
La vision utilitariste des restrictions des droits des détenus revêt une importance particulière
pour l'efficacité de celles-ci. L'utilitarisme, pour sa part, exige toujours des études empiriques. D'après
X. Bebin, les recommandations visant les buts à atteindre dépendent de considérations empiriques
lesquelles sont par nature révisables (Bebin X., Pourquoi punir? L’approche utilitariste de la sanction
pénale. Préface de Slama A.-G., Paris, L’Harmattan, 2006, p. 39) .
143

victime que par son degré de gravité et n'y répond jamais directement (littéralement), la
nécessité de sa restriction par les droits de l'homme est évidente. L'auteur lui-même s'en rend
compte puisqu’il propose des barrières au fait de causer des souffrances, à savoir les droits de
l'homme. Il ne s'aperçoit pourtant pas qu'une telle approche prive sa théorie de sens. Le fait
est que la théorie développée pour servir de barrière contre des restrictions excessives des
droits de l'homme nécessite elle-même des restrictions au moyen de ces droits.

En effet, Lippke souligne à maintes reprises la nécessité de barrières de rétribution


comme, par exemple, le renoncement à l'ingérence excessive dans l'autonomie du condamné
et dans son contrôle de sa vie. Ces barrières nivelènt l'objectif que se pose l'auteur: mettre en
place une théorie qui permettrait de donner des réponses claires à la question de savoir quelles
restrictions sont justifiées et lesquelles ne le sont pas. Des réponses claires ne sont pas
possibles là où il n'y a pas de critères précis, comme c'est le cas de la barrière proposée par
l'auteur concernant l'inadmissibilité de s'immiscer dans l'autonomie (l'indépendance) de
l'individu. Toute restriction de droit constitue une certaine ingérence dans l'autonomie du
condamné et exerce une influence sur sa prise de décisions importantes et sur le contrôle de
ses actes.

Il est tout aussi difficile d'imaginer la mise en œuvre de l'exigence de tenir compte de
la faute du condamné ou du caractère réprouvé ("blameworthiness") de son infraction. Cette
dernière catégorie représente une des parties du fondement sur lequel se base la théorie
rétributive des restrictions des droits des condamnés. Toutefois, Lippke ne répond pas à une
question importante: de quelle manière l'administration pénitentiaire, qui n'est pas un organe
judiciaire, va-t-elle prendre en compte le degré individuel de "blameworthiness" pour
l'infraction commise dans la pratique d'application des restrictions de droits? Quel impact cela
pourrait avoir sur la détermination et la légalité de la pratique d'exécution des peines?

Nous ne voyons pas d'autre potentiel pratique possible à la réalisation de cette idée,
dans laquelle, d'ailleurs, se désagrégerait toute la théorie construite comme violation totale du
principe de légalité et de séparation des pouvoirs. Il n'est pas question de pouvoir réglementer
cet aspect dans la législation. Difficile d'imaginer la prise en compte du degré de
"blameworthiness" du condamné pour établir les souffrances proportionnelles causées à la
victime en fixant des restrictions normatives des droits du condamné.

Pour finir, malgré le but affiché de la théorie visant à former une approche précise
pour argumenter les restrictions admissibles et leur volume, le problème de "conversion" des
souffrances de la victime constitue un problème clé. Dans aucun de ses travaux, l'auteur ne
144

cite pas des exemples de la conversion possible, il renvoie seulement à quelques exemples de
conversion inadmissible (viols ou coups et blessures). Dans ce contexte, nous pouvons nous
étonner de l'exemple portant sur l'inadmissibilité de défendre aux personnes condamnées pour
cambriolage à main armée d'avoir accès à des produits pornographiques, puisqu'elle n'est pas
un équivalent et n'exprime pas la rétribution339. Néanmoins, que faire alors de la position de
l'auteur soutenant que les souffrances de ce type causées par l'infraction, et relevant de la
violence, devraient être "converties" en restrictions différentes non liées à la violence. Quelles
devraient être dans ce cas ces restrictions mises à part la privation de liberté?

Ce qui frappe surtout, c'est la proposition de "convertir" le préjudice causé à la victime


en l'appliquant au crime d'homicide intentionnel. La théorie ne donne pas même une réponse
approximative à la question de savoir quelles devraient être les restrictions "proportionnelles"
pour le condamné (mis à part, bien entendu, infliger la mort), surtout si l'on prend en compte
la masse des barrières décrites ci-dessus. Le sens même de la rétribution possible est mis en
doute, étant donné que la peine (et les restrictions qui la constituent) pour l'homicide et, par
exemple, pour le brigandage (vol aggravé) pourrait être la même en prenant en compte les
barrières citées pour les restrictions admissibles d'après la théorie rétributive. De plus, dans le
cas de l'homicide intentionnel, cette théorie présente une apparence assez cynique, puisque la
"conversion" devrait être mise en œuvre sachant qu'elle est tenue de prendre en considération
à mesure égale pour tous les types de crimes, le degré de la culpabilité causant la "privation
des victimes de la possibilité de vivre normalement"340.

La question de savoir jusqu’où peut aller l'État en limitant les droits des condamnés a
été spécialement étudiée par la spécialiste britannique Liora Lasarus qui a analysé la
justification des restrictions au Royaume-Uni et en Allemagne en mettant un accent sur le rôle
de la jurisprudence341. L'étude de la théorie allemande et de la pratique très élaborées des
justification des restrictions des condamnés, comparé au Royaume-Uni, moins avancé sur ce
plan, lui permet de former à grands traits sa propre vision de la théorie relative à la
justification des restrictions.

Tout comme Lippke, elle souligne l'importance directrice des buts des restrictions aux
droits des condamnés. Alors que la peine limite les droits de l'homme, l'ampleur de la
restriction devrait dépendre du but de l'incarcération, ce qui, à son tour, devrait être relié à la

339
Lippke R.L., Rethinking Imprisonment, Ibid, p. 238.
340
Ibid, p. 210-211.
341
Lazarus L., Contrasting Prisoners' Rights: A Comparative Examination of Germany and
England, New York, Oxford University Press, 2004.
145

théorie adoptée de justification de la peine342. Pour restreindre les droits, il convient


d'appliquer trois principes qui constituent la "road map" (schéma directeur) de la justification
des restrictions: le principe des droits de l'homme ; le principe de légalité ; et le principe de
proportionnalité343. Il est aisé de voir que cette vision a beaucoup de choses en commun avec
le test de la CEDH à trois éléments, qui rappelle toutefois la norme adoptée en Allemagne
pour analyser la justification des restrictions.

Les interprétations de ces principes sont originaux. Le principe des droits de l'homme
oblige le pouvoir judiciaire et les autres pouvoirs à justifier la restriction des droits344. Il est
très important, sous cet angle, de remplacer la "culture du pouvoir" par la "culture de la
justification"345. Les principes de légalité et de proportionnalité s'appliquent à l'établissement
de la légitimité des restrictions des droits de l'homme ou, autrement dit, ils représentent le
"langage par lequel nous justifions les restrictions des droits des détenus"346. Le principe de
légalité exige que les restrictions aient une base légale et que cette base elle-même soit
"accessible, claire et prévisible". Dans le cadre de l’établissement d’une "road map", le
résultat de l'application du principe de proportionnalité est moins important que la
transparence de la justification à laquelle la proportionnalité incite. L’on peut s’interroger sur
les raisons de l’exigence de transparence de la justification. La raison en est que les citoyens
peuvent participer amplement et de façon critique à la justification judiciaire, ce, soit comme
observateurs critiques, soit comme parties au procès; ils doivent au moins connaître les motifs
se trouvant derrière les restrictions des droits347.

Il apparaît donc que le principe de la proportionnalité vise à légitimiser des restrictions


de droits, vu que la procédure permet au citoyen de connaître les motifs de la décision le
concernant, ce qui représente l'une des conditions de la légitimité de toute décision du

342
Ibid, p. 2-3.
343
Lazarus L., Conceptions Of Liberty Deprivation, The Modern Law Review, 2006, n° 69(5), р.
739-740.
344
La législation ukrainienne de l'exécution des peines prévoit le principe de respect des droits d'
l'homme (art. 5 du CEP). Nous partageons l'avis de l'auteur et nous y rattachons la nécessité d'une
justification valable des restrictions des droits (Човган В. Обґрунтованість правових обмежень як
складова змісту принципу поваги до прав і свобод людини у кримінально-виконавчому праві
України // Від громадянського суспільства до правової держави. Збірник тез Internet-
конференції 27 квітня 2012 року. – Харків: ХНУ імені В.Н. Каразіна, 2012. – С. 546–551 /
Chovgan V., Justification des restrictions de droits en tant que composante du contenu du principe de
respect des droits et libertés de l'homme dans le droit d'exécution des peines de l'Ukraine, De la société
civile à l'État de droit. Recueil des thèses de la conférence Internet du 27 avril 2012, Kharkiv,
Université V.N. Karazine, 2012, p. 546-551).
345
Lazarus L., Conceptions Of Liberty Deprivation, Ibid, p. 740.
346
Ibid, p. 740-741.
347
Ibid, p. 741-742.
146

pouvoir348 et de l'obéissance volontaire des détenus à cette décision349. Le traitement équitable


des détenus comprend le devoir du personnel d'expliquer les motifs des décisions prises à leur
encontre350.

Or, ce n'est là qu'un petit avantage procédural de la proportionnalité. Nous insistons,


ici, sur la nécessité d'étendre la compétence judiciaire au contrôle de la justification des
restrictions faites aux détenus351. Il convient de convenir avec Liora Lasarus que le principe
de proportionnalité a pour fonction première de garantir que la justification et la motivation
des restrictions ne restent pas incompris. Ceci oblige le juge à réfléchir plus profondément à la
justification de la restriction, ce qui est positif et peut contribuer à faire diminuer le nombre de
restrictions normatives ou pratiques appliquées par l'administration pénitentiaire ou une autre
autorité et qui seraient qualifiées de justifiées.

Lazarus place au cœur de sa théorie une observation de valeur sur la délimitation des
buts de la peine et des buts de l'administration pénitentiaire dans le concept allemand du statut
juridique des détenus352. Une telle délimitation est extrêmement importante pour valablement
justifier les restrictions des droits des détenus. L'auteur la nomme "distinction clé" (key
distinction) qui consiste en ce que la justification des restrictions devrait se baser sur une
distinction claire des restrictions en tant que conséquence de la peine et des restrictions en tant
que conséquence de la gestion pénitentiaire. Elle cite notamment la limitation du droit aux
visites. Au cas où cette restriction serait rattachée à la peine et en ferait partie, sa justification
devrait s'apprécier sur la base de l'équilibre des droits et des buts de la peine. Au cas où elle
ferait l'objet d'une mesure administrative, sa justification devrait s'apprécier sur la base de

348
Tyler T.R., Why People Obey the Law, New Jersey, Princeton University Press, 2006. Cela
concerne également le contexte pénitentiaire: Sparks J. R., Bottoms A. E., Legitimacy and Order in
Prisons, The British Journal of Sociology, 1995, Vol. 46, n° 1 (Mar., 1995), p. 45-62 ; Jackson J.,
Tyler T. R., Bradford B., Taylor D., Shiner M., Legitimacy and Procedural Justice in Prisons, Prison
Service Journal, 2010, n° 191, p. 4-10; Beijersbergen K.A., Dirkzwager A. E., Eichelsheim V. I., van
der Laan P. H., Nieuwbeerta P., Procedural Justice, Anger, and Prisoners’ Misconduct. A Longitudinal
Study, Criminal Justice and Behavior, 2014, n° 20(10), р. 1-23 ; Karin A., Beijersbergen К.А.,
Dirkzwager А.J.E., Nieuwbeerta P., Does Procedural Justice During Imprisonment Matter? , Criminal
Justice and Behavior, 2016, n° 43 (1), р. 63-82 ; Herzog-Evans M., Law as an Extrinsic Responsivity
Factor: What’s Just is What Works! , European Journal of Probation, 2016, Vol. 8(3), p. 146-169 ;
Herzog-Evans M., Les vertus criminologiques de l’équité processuelle : le modèle « LJ-PJ-TJ », AJ
pénal, 2016, mars, p. 130-132.
349
Pinatel J., Traité élémentaire de science pénitentiaire et de défense sociale, Melun:
Imprimerie Administrative Melun, 1950, p. 266.
350
Sens de la peine et droits de l’homme, Actes du colloque international inaugural de l’Ecole
Nationale d’Administration Pénitentiaire, Agen, École Nationale d'Administration Pénitentiaire, 2000,
p. 178.
351
Voir sous-chapitre 3.1.4 "Juridicisation du domaine pénitentiaire".
352
Lazarus L., Conceptions Of Liberty Deprivation, Ibid, p. 744.
147

l'équilibre des droits et des objectifs de la sécurité et de l'ordre au sein de l'établissement. Non
seulement l'absence d'une frontière nette entre ces deux cas affecte la rigidité de la
proportionnalité, mais elle favorise en plus l'indétermination juridique353. La distinction clé
exige une fixation précise des buts de la peine au même titre que la fixation des objectifs de
l'administration pénitentiaire, ainsi qu'une conception claire du cas auquel se rattache la
justification de la restriction354.

En résumé, les idées de Lazarus, bien qu'ayant une nuance philosophique, démontrent
une nette tendance juridique. Elles se fondent sur le soutien de la proportionnalité en tant que
principe qui conviendrait le mieux pour limiter les droits des détenus. Une place particulière y
est réservée aux juges et à la motivation de leurs décisions. Elle fournit une observation
originale concernant la délimitation des buts des restrictions des droits dans le contexte
carcéral à la différence du contexte des personnes libres. Elle ignore pourtant la possibilité de
justifier certaines restrictions à la fois par les objectifs de l'administration pénitentiaire et par
les buts de la peine. C'est ainsi que l'interdiction des téléphones portables peut être justifiée
tant par les buts préventifs de la peine que par les objectifs de l'administration pénitentiaire.
L'approche de Lazarus se distingue par le problème lié à l'absence de prise en compte des
objectifs fixés dans les clauses limitatives de la Convention en tant qu’elles sont uniquement
possibles pour la restriction des droits qu'elle proclame, ainsi que le rapport avec les autres
buts juridiquement justifiés déterminant le caractère ciblé des restrictions355.

L'essentiel dans les études théoriques de Lazarus et Lippke, pour les objectifs de notre
analyse, est de montrer le rôle décisif des buts affectés à l'application des restrictions. Lippke
attire de plus l'attention sur la nécessité des recherches visant à confirmer que les buts servant
de raison à l'application des restrictions peuvent ou ne peuvent pas être atteints. Ce sont donc
les buts visés par les restrictions et la possibilité de les atteindre qui devraient être déterminant
pour pouvoir instaurer et appliquer des restrictions.

Les juristes se servent de cette vision dans la doctrine de proportionnalité des


restrictions qui sera abordée plus bas. Pour trouver la réponse à la question relative aux
limites tolérées du rapprochement des restrictions en liberté et en prison, d'autres méthodes
traditionnelles peuvent être utilisées comme, par exemple, le contrôle de la constitutionnalité

353
Lazarus L., Conceptions Of Liberty Deprivation, Ibid, p. 742.
354
Ibid, p. 743–744.
355
Voir plus de détails sur la corrélation des but à 2.2.1.2.2 "Légitimité des objectifs". Voir
aussi: Човган В.О. Співвідношення цілей обмежень прав засуджених // Проблеми законності. –
2014. – Вип. 126. – С. 155–162 (Chovgan V.O., Corrélation des buts des restrictions des droits des
condamnés, Problèmes de la légitimité, 2014, Fasc. 126, p. 155-162).
148

et de la conformité aux normes internationales. En Europe, une importance particulière


revient à la Convention et à la jurisprudence de la CEDH, que nous examinons supra. Un rôle
non négligeable appartient à l'analyse rationnelle de la justification de la restriction, cette
analyse pouvant être réalisée tant par les juges que par l'organe ayant une fonction normative :
le Parlement et l'administration pénitentiaire.

Lorsque les juristes signalent l'irrationnalité, voire l'absurdité, de certaines restrictions,


ils peuvent se référer au bon sens, à leurs propres considérations logiques, à leur expérience
des contacts avec les prisons ou des détenus, ou à des exemples d'absence de restrictions en
cause dans d'autres établissements pénitentiaires qui n'entraînent pas d'effets négatifs pour la
sécurité et l'ordre dans l'établissement.

Une importance particulière dans la détermination du cadre admissible de l'application


de la loi doit être accordée aux études comparées du droit. Elles ne peuvent pas donner une
réponse formelle à la question de savoir si une restriction de droit est justifiée. En revanche,
elles sont capables d'indiquer avec certitude au législateur et aux praticiens chargés de
l’application de la loi, quelles sont les restrictions à potentiel positif ou, au contraire, négatif.
L'effet le plus important des études comparées, pour la théorie de limitation des droits des
détenus, réside dans l'analyse de l'expérience positive et négative de l'application ou de
l'abrogation et de la réduction de telles ou telles restrictions.

Des spécialistes connus du droit pénitentiaire international attribuent un rôle important


à ce qu'on appelle les "meilleures pratiques" (best practices) dans les prisons d'autres pays
pouvant servir à développer les systèmes pénitentiaires356. Les bonnes pratiques sont
généralement étudiées par des instituts de recherche et des organisations non
gouvernementales internationales, qui font appel à des spécialistes éminents de la justice
pénale comparée357. Nous n'ignorons pourtant pas que les meilleures pratiques empruntées,
qualifiées aussi de "greffes légales", ne s'acclimatent et ne réussisent que sous certaines

356
Dünkel F., International vergleichende Strafvollzugsforschung, Schneider H.-J. (Hrsg.):
Internationales Handbuch der Kriminologie.Band 2: Besondere Probleme der Kriminologie, Berlin: de
Gruyter 2009, р. 145-226.
357
Voir par. ex.: Making Standards Work. Аn International Handbook on Good Prison Practice.
2nd ed./ Penal Reform International, London, Astron Printers Ltd, 2001 ; A Compendium of
Comparative Prison Legislation Researched by Adam Stapleton and Dirk van Zyl Smit with Dilafruz
Nazarova, London, Penal Reform International, 2008 ; Subramanian R., Shames A., Sentencing and
Prison Practices in Germany and the Netherlands: Implications for the United States, New York, Vera
Institute of Justice, 2013 ; Crétenot M. From National Practices to European Guidelines: Interesting
Initiatives in Prisons Management / European Prison Observatory, Rome, Antigone Edizioni, 2013.
149

conditions358. Elles possèdent cependant un potentiel considérable pour l'établissement de


restrictions justifiées. L'instauration des restrictions qui firent leur preuve d'être sans danger
ou d'être dangereuses dans certains pays permet de prévoir des effets similaires de leur
application dans d'autres pays.

Un exemple positif de cet effet est fourni par l'autorisation de visites de longue durée
(familiales) dans des prisons d'Europe de l'Est. Alors que ces visites suscitaient des craintes en
Europe occidentale, elles firent leur preuves à l'Est et notamment en Ukraine. La Cour
européenne et le Comité en ont une appréciation favorable.

Il convient de noter, par ailleurs, que les études de droit comparé comportent certains
défauts. Elles ne visent essentiellement que les pratiques positives en laissant totalement de
côté les pratiques négatives. Ces dernières peuvent pourtant avoir une importance notable
pour contester certaines des restrictions imposées aux droits des détenus. Elles peuvent avoir
aussi une valeur particulière pour assurer la réalisation voulue des buts de la prévention en
même temps que la sécurité des citoyens.

L'étroitesse de l'approche juridique vis-à-vis des actes restrictifs des droits est
évidente. Le juriste ne saurait donner une réponse catégorique sur l'impact produit sur les
pratiques pénitentiaires par la levée de certaines restrictions appliquées aux détenus. Cela
concerne surtout la détermination de divers risques, étant donné que les juristes impliqués
dans les droits de l'homme ont un sens aigu du risque en tant que savoir "non juridique"359. En
outre, bien qu'ils aient accès à de telles preuves, la critique du risque se rattache aux domaines
techniques et empiriques, c'est-à-dire à des disciplines autres que le droit360. Les restrictions
dont la justification serait difficile à démontrer par les juristes (aussi bien les théoriciens que
les praticiens) portent notamment sur l'interdiction des téléphones portables, d'Internet, le
contrôle des visites, des communications téléphoniques, de la correspondance, la
vidéosurveillance des détenus dans leur lieu de résidence, la limitation de l'accès à distance à
divers services au-delà de l'établissement, la limitation de la liste des denrées pouvant être

358
Canton R. Taking Probation Abroad, European Journal of Probation, 2009, Vol.1, n° 1, p. 55-
78; Bowen P., Fox A., The Limits of Legal Transplants. Is there a Problem with English and Welsh
Problem-Solving Courts? , in Offender Release and Supervision: the Role of Courts and the Use of
Discretion. M. Herzog-Evans (ed.), Nijmegen, Wolf Legal Publishers, 2015, p. 447-463 ; Watson A.,
Legal Transplants: An Approach to Comparative Law, 2nd ed., Athens, London,University of Georgia
Press, 1993.
359
Murphy T., Whitty N., Risk and Human Rights: Ending Slopping Out in a Scottish prison,
Judges, Transition, and Human Rights, Morison J., McEvoy K., Anthony G. (Eds), Oxford, Oxford
University Press, 2007, p. 539.
360
Ibid.
150

conservées, l'interdiction de détenir certains objets (instruments de musique, ordinateurs…),


etc.

Du point de vue juridique, les réponses concernant le bien-fondé de ces restrictions ne


peuvent s'appuyer que sur le cadre réglementaire, la présence/l'absence de normes voulues, la
conformité des interdictions en vigueur aux normes internationales ou à la Constitution.
Néanmoins, lorsqu'il s'agit d'appliquer le principe de proportionnalité en tant qu'outil juridique
d'appréciation des restrictions, nous nous heurtons à de nombreuses complications et
ambiguités.

Prenons, à titre d'exemple, la norme de proportionnalité de la CEDH. Au plan


juridique, elle n'est claire que dans quelques-unes de ses dimensions. Il ne fait pas de doute,
par exemple, que la lecture systématique du courrier des détenus soit non justifiée. De même,
il ne fait pas de doute que l'interdiction totale des visites aux détenus soit injustifiée. Leur
caractère infondé est constaté par la CEDH, dont la position juridique suffit généralement au
juriste pour argumenter son avis. Il n'a pas besoin d'analyse complémentaire relative à la
justification de la restriction du point de vue philosophique ou à partir des considérations de
sécurité. Dans le même temps, le principe de proportionnalité comporte des exigences dont
l'analyse du respect se fonde sur une analyse purement rationnelle. Ce sont, par exemple, la
nécessité de subordonner la restriction à la réalisation des buts des restrictions définis dans la
Convention, et l'absence d’alternative minimale qui permette de ne pas limiter les droits ou
d'atteindre le but visé en causant un moindre préjudice. Nous pensons cependant que cette
analyse n’est pas utile sans connaissances empiriques.

Citons quelques exemples.

L'administration pénitentiaire instaure des restrictions du droit à la vie privée en


installant des cloisons de verre dans les parloirs. La CEDH peut considérer cette mesure
comme l'un des facteurs enfreignant l'article 8 au cas où une telle restriction serait
systématique et ne comporterait pas l'évaluation du risque individuel361. La restriction était-
elle vraiment injustifiée et le fait de ne pas l'appliquer risque-t-il de dégénérer en violences
pendant les visites? Il est impossible de le savoir avec certitude sans connaître la personne du
détenu auquel la restriction est appliquée. C’est pourquoi la CEDH use de la norme en
énonçant que l'application automatique des restrictions peut signifer leur mal fondé, ce, sans

361
Voir par ex.: Murphy T., Whitty N., Ibid, p. 535–557. Concernant les effets psychologiques
connus depuis longtemps de cette restriction voir: Kotarba J.A., The Accomplishment of Intimacy in
the Jail Visiting Room, Qualitative Sociology, 1979, Vol. 2.2, p 80–103.
151

entrer dans les détails pour chaque détenu concerné et relatif à son comportement dans le
passé.

Cependent, le bien-fondé de la restriction ne peut être affirmé qu'en présence de


données signifiant que sa non-application ne nuirait pas à la sécurité ou à l'ordre de
l'établissement (pourtant ces données ne sont pas toujours fiables). De telles données peuvent
provenir de l'évaluation concréte du danger représenté par le détenu, ce, sur la base de son
comportement précédent ou bien, lorsque la restriction concerne un cercle large de personnes,
elles peuvent être fournies par des études de spécialistes relatives aux conséquences
éventuelles de l'absence de cloisons. Dans la plupart des cas, de telles données sont
incomplètes ou absolument inaccessibles. C'est peut-être la raison pour laquelle les services
qui répondent des restrictions préfèrent continuer à les appliquer tant que ceci est possible,
puisqu'ils ne sont pas sûrs des résultats de la levée d'une restriction et souhaitent tout
simplement éviter les risques.

Un autre exemple concerne la levée du contrôle systématique du courrier des détenus.


Les employés pénitentiaires estiment que ce contrôle systématique est nécessaire pour
prévenir des infractions, en particulier, les évasions. Son absence suppose la nécessité de
prendre une décision individuelle de contrôler le courrier dans chaque cas concret. Cette
mesure aurait-elle des effets négatifs en matière de prévention des infractions? La réponse ne
peut être donnée qu'en abrogeant le contrôle systématique du courrier ou en menant des
études capables de démontrer de manière justifiée que l'abrogation du contrôle systématique
du courrier ne servirait probablement pas aux détenus pour transmettre des informations
susceptibles de nuire à la sécurité et à l'ordre de l'établissement ou, du moins, que la
transmission d'informations n'entraînerait effectivement pas de risques considérables.

Les exemples cités soulèvent des questions clés relatives au principe de


proportionnalité: la restriction est-elle nécessaire pour atteindre ses buts? Une autre question
est de savoir si la restriction est une restriction minimale nécessaire pour atteindre les buts des
restrictions? Si, par exemple, la fréquence légale des visites aux détenus est fixée à toutes les
semaines, la question est de savoir si cette restriction est minimale. Il faudrait déterminer si,
par exemple, les visites journalières atteignent les buts poursuivis par la restriction du nombre
de visites. Ou, peut-être, une telle fréquence serait contraire à la gestion normale de
l'établissement ou nécessiterait des ressources économiques supplémentaires considérables362?

362
Rappelons que, d'après les Règles pénitentiaires européennes, le manque de ressources ne
saurait justifier des conditions de détention violant les droits de l’homme (4e règle).
152

La réponse à ces questions pourrait être donnée en partant de l'expérience accumulée


en matière d'abrogation de restrictions dans d'autres établissements pénitentiaires du pays en
cause ou dans d'autres pays. Cependant, comment faire si cette expérience n'existe pas? Dans
ce cas, l’on ne pourrait probablement s'appuyer avec sûreté que sur des études de nature
empirique. Celles-ci devraient jouer le rôle de facteur clé pour déterminer le bien-fondé de la
restriction en répondant notamment à la question: la restriction atteint-elle le but qui lui
assigne le pouvoir public ?; ce but pourrait-il être atteint efficacement par un moyen différent,
moins restrictif ?; Quelles sont les conséquences négatives possibles de l'instauration ou de
l'abrogation de la restriction; quels pourraient en être les effets positifs ?

Le retour d'expérience et l'utilisation de telles études constituent la condition


nécessaire de la mise en œuvre de ce qu'on appelle la "politique fondée sur les données
acquises de la science" (Evidence-Based Policies), une approche dans le domaine de la justice
pénale qui devient de plus en plus populaire ces dernières années. Notre travail démontre sa
nécessité pour une politique libérale et, en même temps, non dangereuse de l'État en matière
de limitation des droits des détenus.

Le domaine pénitentiaire souffre par ailleurs d'un manque d'études empiriques visant à
évaluer le bien-fondé des restrictions. Il existe toutefois des études qui sont potentiellement
capables d'influer sur l'élaboration d'un "design" sûr et utile des restrictions. Certaines études
illustrent assez clairement l'utilité de la libéralisation de telles ou telles restrictions. C'est ainsi
qu'une amélioration des contacts sociaux contribue à la diminution de la récidive363 et des
infractions disciplinaires dans les établissements pénitentiaires364. L'amélioration du droit des
détenus à l'éducation exerce un effet positif sur la prévention de la récidive365. D'un autre côté,
l'impact négatif de la maximisation des restrictions est également connu366.

Cependant, les études de ce type ne suffisent souvent pas pour répondre à la question
de savoir quelles sont les restrictions superflues du point de vue de la sécurité. Elles peuvent

363
Clarc V., Duwe G., Ibid, p. 271–296.
364
Cochran J.C., Ibid, p. 433-440; Cochran J.C., Daniel P., Mears D.P., Ibid, p. 252–261.
365
Vacca S.J., Educated Prisoners Are Less Likely to Return to Prison, Journal of Correctional
Education, 2004, Vol. 55, n° 4, p. 297–305; Erisman W., Contardo J.B., Learning to Reduce
Recidivism: a 50-state Analysis of Postsecondary Correctional Education Policy, The Institute for
Higher Education Policy, 2005, disponible sur: http://files.eric.ed.gov/fulltext/ED558210.pdf (accede
le 09.08.2016); Esperian J.H., The Effect of Prison Education Programs on Recidivism, Journal of
Correctional Education, 2010, Vol. 61, n° 4, p. 316–334.
366
Sykes G.M., The Society of Captives. A Study of Maximum Security Prison, Princeton,
Princeton University Press, 1958; Drake D., The ‘Dangerous Other’ in Maximum-Security Prisons,
Criminology and Criminal Justice, 2011, Vol. 11, n° 4, p. 367–382; Chen K., Shapiro J., Do Harsher
Prison Conditions Reduce Recidivism? A Discontinuity-Based Approach, American Law and
Economics Review, 2007, n° 1, Vol. 9, p. 1–29.
153

toutefois être considérées comme constituant des arguments complémentaires en vue d'attirer
plus d'attention envers les restrictions suscitant des doutes quant à leur nécessité. Elles
peuvent aussi servir de poids additionnel en pesant l'utilité et les effets négatifs de telles ou
telles restrictions.

Compte tenu de ce qui précède, il faut comprendre qu'il n'est pas possible d'évaluer le
bien-fondé des restrictions en ne prenant en compte que leur subordination aux exigences de
sécurité ou d'ordre ou bien de protection de la société dans son ensemble. L'abrogation de la
restriction peut empêcher la réalisation des buts de ce genre dans les établissements
pénitentiaires, mais la restriction ne continuerait pas moins d'être considérée comme étant
injustifiée. Ce cas surviendrait lorsque la valeur du droit à restreindre dépasserait la valeur des
exigences de sécurité. La valeur de l'abrogation de la restriction serait alors plus importante
que celle des résultats positifs éventuels pour la sécurité si la restriction était appliquée 367. Il
s'agit de l’équilibre de diverses valeurs et des priorités de la société. Les considérations
relatives aux questions de ce genre nécessitent des connaissances en axiologie et en
philosophie.

Même en admettant la présence d'une base solide pour les thèses relatives aux dangers
de telles ou telles restrictions, celle-ci ne serait pas suffisante pour parler de la corrélation de
la valeur des intérêts de la sécurité par rapport aux intérêts individuels dans des cas concrets.
La philosophie, et surtout la philosophie du droit et de la peine, doit aider à trouver les
réponses aux questions de l'équilibre des droits individuels et des intérêts de la société.

Le rôle de la philosophie dans la détermination des restrictions admissibles et non


admissible sera illustré ici au moyen de la méthode de modélisation.

Imaginons que les détenus soient autorisés à utiliser Internet sans aucune limitation de
moyens (téléphones portables, ordinateurs portables) et de contenu des sites à visiter (sites
pornographiques, violents, terroristes, divers réseaux sociaux). Supposons que, d'après les
statistiques, 2 détenus sur 100 se servent d'Internet pour commettre des infractions. Les autres
s’en servent pour communiquer avec leurs familles, amis (dont ceux des milieux criminels),
pour l'auto-éducation ou pour se distraire (notamment en visionnant des films avec des scènes
de violences cruelles et pornographiques), selon des modalités qui peuvent compromettre leur
réinsertion.

367
L’équilibre entre l'utilité de la restriction du droit et le préjudice causé par cette restriction
constitue la partie la plus difficile de l'application du test de proportionnalité (Revers J., The
Presumption of Proportionality, The Modern Law Review, 2014, n°. 73 (3), p. 409–433).
154

Faut-il, dans ce cas, autoriser l'accès libre à Internet aux détenus? La réponse va
dépendre non seulement du type d'infractions qui seraient commises, mais aussi d'autres
questions à caractère moral. Par exemple: est-il moral que le condamné pour homicide
accompagné ou précéde de viol passe son temps en prison à visionner des scènes de violence
sur Internet?

Il est vrai, qu’en ce qui concerne les questions de ce type, la philosophie peut se
référer aux données scientifiques existantes relatives aux scenarii possibles d'évolution des
événements tout comme elle peut se référer aux outils de prévention des abus par la levée des
restriction (par exemple, la possibilité d'identifier les personnes qui se servent d'Internet pour
des activités illégales). Supposons que l'on puisse s'attendre en pratique à des débats sans
données empiriques qui s'appuieraient, dans le meilleur des cas, justement sur la
méthodologie de modélisation et sur l'expérience précédente, ou bien, au pire, sur des
considérations populistes. Cette supposition est confirmée par les évaluations de l'expérience
des pays où la politique de l'État dans le domaine de l'incarcération se construit sans prendre
en compte les données de la science sur l'impact négatif de l'emprisonnement pour les buts
poursuivis, ce qui fait que l'État et la société doivent la payer trop cher368.

Il ne serait pas difficile de mettre en lumière l’infondé d'une restriction du droit et la


nécessité de l'abroger en étant sûr que cela ne provoquerait pas de problèmes graves et ne
nuirait pas aux intérêts de la société. Cela peut concerner, par exemple, l'augmentation du
nombre de visites pour les détenus. La situation est toute autre lorsque cette certitude fait
défaut et que l'administration pénitentiaire et la société doivent décider jusqu’où elles sont
prêtes à prendre les risques et ce qu'elles peuvent se permettre en matière de reconnaissance
des droits de l'homme incarcéré. Dans ce cas, à défaut de preuves établies de l'exercice sûr
d'un droit, des problèmes de légitimation par la société risquent de surgir. Nous savons que la
peur du crime conduit les masses à céder facilement aux pouvoirs publics lorsqu'il s'agit des
délinquants369. Le public peut soutenir des restrictions applicables aux détenus qu'il n'aurait
pas toléré dans d'autres domaines370, le sentiment d'anxiété devenant l'ennemi principal de la
modération et de la limitation de la répression de la part du pouvoir371.

368
Cullen F., Jonson C., Nagin D., Prisons Do Not Reduce Recidivism: The High Cost of
Ignoring Science, The Prison Journal, 2011, Vol. 91, n° 3, p. 49–65.
369
Zimring F.E., Hawkins G. Democracy and the Limits of Punishment: A Preface to Prisoners’
Rights, The Future of Imprisonment. Еd. by Tonry M., New York, Oxford University Press, 2004, p.
159.
370
Ibid.
371
Ibid, p. 162.
155

La philosophie a, par ailleurs, une mission plus globale: déterminer à quel point
peuvent s'effacer les frontières entre la prison et la société. Tout en proposant sa vision du
problème, elle oriente le droit, notamment en ce qui concerne les limites des restrictions des
droits. La philosophie donne des réponses aux questions relatives aux buts de la peine, les
buts de l'incarcération, les moyens à appliquer pour les atteindre, le degré de développement
de la société et sa disponibilité à humaniser le système d'exécution des peines et son besoin de
le faire. Elle est un moteur des états d'esprit dans la société tout en subissant leur influence en
retour.

La politique, et notamment la politique en matière de droit pénal et d'exécution des


peines, influe sur le degré de répression dans les établissements pénitentiaires. Ceci se traduit,
en particulier, par la politique restrictive des droits. Etant donné que, pareille à toute autre
politique, elle dépend de l’opinion générale dans la société, elle ne met en œuvre et ne
soutient que les restrictions des droits des détenus qui répondent aux dispositions de la société
ainsi qu'au niveau de son évolution et de sa tolérance. Dans le même temps, la société peut
être plus répressive que la politique pénitentiaire, bien que l'opinion publique puisse tolérer en
silence les restrictions clémentes. Ce serait aussi un exemple de la conformité des restrictions
à l’état d'esprit de la société. L'autorisation des téléphones portables aux condamnés en
Ukraine en constitue une bonne illustration372. Cette autorisation fut incorporée dans la
législation ukrainienne d'exécution des peines en 2014. Malgré une forte propagation de cette
innovation, la vague du "mécontentement populaire" fut oubliée assez vite dans les médias.

Même en critiquant l'atténuation des conditions d'exécution des peines et le


rappochement du statut des détenus par rapport aux citoyens libres, la société peut y consentir
tacitement avec le temps. Le degré de répression des restrictions existantes dépend aussi de
l'étape historique de la société. Des situations impossibles à imaginer il y a trente ou quarante
ans (télévision, correspondance par écrit sans limites, rapports sexuels avec l'épouse/l'époux),
constituent aujourd’hui une réalité, sans laquelle il est difficile de se représenter le système
pénitentiaire. De la même manière, l'accès libre à Internet et à la téléphonie mobile pourrait
devenir, au terme de quelques dizaines d'années, chose normale dans les prisons. Pour y
parvenir, l'expérience pratique de leur utilisation sans danger sera toutefois nécessaire.

Toute l'histoire de l'évolution de la prison se compose d'une abrogation progressive des


restrictions. Cependant, la condition nécessaire de ce processus réside dans la certitude de
l'absence ou du faible degré de menace pour la société de la part des détenus du fait de la

372
Elle fut considérablement rapidement réduite par des textes d'application du Service
pénitentiaire ukrainien.
156

levée des restrictions en vigueur. C'est pourquoi le rôle clé, dans l'abrogation des restrictions
et dans le rapprochement du droit pénitentiaire du droit commun, reviendrait à l'expérience
qui nécessite du temps, ainsi qu'aux études empiriques et comparées qui montreront le
caractère sans danger de telles ou telles restrictions pour le maintien de la sécurité et de l'ordre
dans l'établissement et hors de ses murs.

L'abrogation subséquente des restrictions des droits des détenus s'arrêterait au moment
où le risque encouru par la société du fait de l'abrogation ou de l'atténuation de la restriction
dépasserait l'avantage qu'elle en tirerait. Cet avantage peut être pratique (diminution de la
récidive) et axiologique (maintien d'un droit de l'individu sans restriction concrète, protection
d'un autre intérêt social, de la démocratie). L'évaluation de la restriction du point de vue de
son intérêt pratique, pour la société peut devenir un discours nécessaire, bien qu'indésirable
pour masquer la libéralisation des restrictions à une époque ou la société éprouve peu de
sympathie vis-à-vis des besoins du délinquant373. L'évaluation de la composante axiologique
de la libéralisation des restrictions dépendra toujours des valeurs défendues par la société et
de la maturité de celle-ci. Finalement, la mission de mise en équilibre des avantages et des
dangers pour la société374, de leur comparaison et leur évaluation restera toujours celle de la
philosophie dominante de la société.

Il apparaît donc que, comme la priorité des droits de l'homme exige que leur restriction
soit d'un strict minimum, la bonne réalisation de ce principe nécessite de déterminer le risque
inhérent à l'abrogation ou à l'atténuation de la restriction d'un droit. Il fut déjà montré que les
études existantes ne suffisent pas à résoudre ce problème.

Dans cette optique, à côté des études comparées, un potentiel considérable dans
l'évaluation du bien-fondé des restrictions peut être contenu dans des expérimentations portant
sur la levée de telles ou telles restrictions dans des établissements pénitentiaires. A défaut
d'études empiriques, l'expérimentation de ce type représente peut-être l'unique voie pour
pouvoir évaluer de manière légitime le bien-fondé ou le mal fondé des restrictions concernées.
373
Genders E., Player E., Rehabilitation, Risk Management and Prisoners’ Rights, Criminology
& Criminal Justice, 2014, Vol. 14(4), p. 436.
374
Les théoriciens du droit naturel notent sur ce plan: "Un principe du droit naturel, c'est qu'un
homme ne peut pousser la sévérité contre un autre homme que dans la mesure nécessaire à sa défense.
Or la loi positive, qui doit se régler sur la loi naturelle, ne peut adopter un autre principe; elle
n'atteindrait donc pas le but qu'elle doit se proposer, celui d'ajouter au bonheur public, si, ne se bornant
point à garantir au citoyen la paisible jouissance de ses droits naturels (ou acquis), elle ajouterait aux
maux réels par des rigueurs inutiles, non nécessaires, elle perdrait de vue le principe politique qui
l'oblige dans ses créations à rendre la somme des biens supérieure à celle des maux" (Carmignani G.,
Teoria delle leggi della sicurezza sociale, Napoli: Tipografia dell'Ariosto, 1843, cité dans: Tissot J.
Indroduction philosophique à l’étude du droit pénal et de la réforme pénitentiaire, Paris, Librairie A.
Marescq Ainé, éditeur 17, rue soufflot, 17, 1894, p. 6).
157

Elle pourrait êtré réalisée sous forme de projets pilotes, dont le statut juridique nécessiterait
toutefois d'être examiné attentivement et d'être réglementé. Souvent un projet pilote exigerait
l'abrogation des restrictions instituées par la loi en ce que la possibilité et les détails de la
réalisation d'une telle expérience devraient être validées par un texte normatif ayant la même
valeur juridique.

Toujours dans cet ordre d'idée, l'étude comparée des meilleures et des pires pratiques
pénitentiaires devrait être considérée comme un outil sérieux d'influence sur la politique
pénitentiaire en matière de droits de l'homme. Cela nous montre que le droit comparé devrait
occuper des positions clés parmi les spécialistes s'intéressant aux restrictions des droits des
détenus. L'expérience internationale fournit ce que la philosophie ne donne pas et ce qu'il
faudrait attendre longtemps de la part des études empiriques: une certitude sur les effets
éventuels de la libéralisation de telles ou telles restrictions et vice versa – sur les effets de leur
renforcement.
158

Conclusion du chapitre 1.5

La philosophe des droits des détenus ne représentant pas un domaine bien développé,
les approches philosophiques vis-à-vis des restrictions de ces droits sont difficile à trouver
dans la littérature. Pour cette raison, les thèmes aussi importants que la corrélation des droits
des détenus et des personnes libres et l'origine et la nature des droits des détenus intéressent
davantage les juristes.

La nature des droits des détenus, tout comme celle de leurs restrictions, se distingue
par son caractère spécifique dû à plusieurs facteurs: activité criminelle c'est-à-dire la violation
de l'ordre social ; séparation de la société et de la vie en milieu fermé ; dépendance vis-à-vis
de l'administration pénitentiaire ; etc. La restriction des droits des détenus est justifiée par
tradition à l'aide d'arguments soutenant que, puisque le délinquant a enfreint le contrat social,
il doit le payer par une punition qui se traduit par des restrictions. Il en découle un fondement
moral de la restriction des droits. Cependant, la théorie de la perte des droits (de la
justification morale) ne donne par de réponse claire à la question de savoir quelle est la
restriction justifiée des droits, puisqu'elle se focalise sur la question: "Pourquoi est-il
admissible de punir ?" et non "Punir dans quelle mesure ?".

Le degré de perte des droits par la personne dépend des conceptions de la peine. C'est-
à-dire que l'étendue des droits après l'incarcération dépendra de la théorie adoptée de
justification de la peine. Cela implique, tout d'abord, l'influence des buts de la peine sur le
choix des restrictions à appliquer. Une importance de principe est attachée au fait que les
restrictions ne devraient pas être supérieures à ce qui est demandé par les buts de la peine
et/ou par son exécution (ces buts étant à distinguer). Pour certains auteurs, les restrictions
appliquées aux condamnés devraient correspondre aux conséquences de leurs infractions pour
leurs victimes. Nous critiquons cette vision rétributiviste et montrons l'incapacité pratique de
l'idée de "conversion" proportionnelle des conséquences négatives pour la victime en
restrictions à faire aux condamnés.

Les études philosophiques, tout en étant assez limitées, s’imbriquent dans l'analyse
juridique et inversement. Pour sa part, la pensée juridique est elle aussi assez limitée pour
pouvoir répondre à des questions philosophiques complexes, dont notamment des questions
morales. Nous sommes d'avis que les réponses pertinentes aux questions formulées dans ce
chapitre (concernant l'étendue admissible des restrictions) ne peuvent pas être données par la
philosophie et la jurisprudence, tant qu'elles ne se fondent pas sur les recherches scientifiques
159

et l'expérience internationale, ce, de façon à déterminer quelles sont les restrictions vraiment
nécessaires du point de vue de la sécurité et quelles sont celles qui sont inutiles. Un rôle
particulier en cette matière pourrait être tenu par l'expérimentation en tant que moyen de
vérifier par la pratique que les restrictions ne présentent pas de danger.

Des thèmes philosophiques élaborés sont formulés dans ce chapitre en ce qui concerne
les restrictions applicables aux détenus et les réponses à trouver à l’avenir. Il comporte, entre
autres, la question de savoir à quel point pourraient s'effacer les frontières entre la prison et la
société (dans le contexte de l'abrogation admissible et de la réduction des restrictions
existantes des droits). Dans ce contexte, la nécessité de reconnaitre le rôle des données
empiriques à la lumière du populisme à l’égard des détenus dans les sociétés modernes ainsi
que des valeurs de la société apparait indéniable.
160

Conclusion (Partie I)

Tout droit subjectif se distingue par deux caractéristiques clés: le contenu et l'étendue.
Le contenu du droit est un indicateur qualitatif alors que son étendue est un indicateur
quantitatif. Le rétrécissement du contenu ou de l'étendue du droit (qui sont interdépendants
puisque le rétrécissement de l'un entraîne le resserrement de l'autre) représente une restriction
du droit. D'autre part, le changement de l'ordre d'exercice du droit peut constituer aussi une
restriction, puisqu'il peut s'agir d'en diminuer le contenu et l'étendue. Dans tous les cas, le
rétrécissement du contenu ou de l'étendue du droit consiste à modifier les prérogatives dont ce
droit se compose. Il en résulte une diminution des capacités juridiques de la personne et des
versions admissibles de comportement de celle-ci.

Des signes tels que le fait de prévoir la restriction dans la loi ou de comporter des buts
ne sauraient être considérées comme marques obligatoires de la restriction. En revanche, ils
peuvent être un indice de sa justification. La marque nécessaire de la restriction du droit, en
plus du rétrécissement de son contenu ou de son étendue, est constituée par le sujet d'un tel
rétrécissement, l'État; une personne privée ne peut pas restreindre un droit, mais elle peut
l'enfreindre en empêchant son exercice.

Il ne peut s’agir des restrictions des droits du détenu que lorsque celles-ci sont
appliquées en raison du statut spécial de l'intéressé. Autrement, lorsque la restriction est
appliquée à une personne sans rapport avec son statut spécial, il s'agirait de la restriction du
droit de la personne en tant que citoyen libre.

Nous proposons deux procédés permettant de constater si une restriction du droit du


détenu se justifie. Le premier procédé, procédé dynamique, consiste à comparer les
possibilités du détenu "avant" et "après" l'application d'une mesure (par exemple changement
de la loi); le second procédé, procédé statique, consiste à comparer les possibilités du détenu
avec celles de la personne libre (de jure et de facto).

Nous distinguons les formes suivantes de restrictions des droits dans la législation:
déchéance d'un droit ; interdiction, obligation ; droits subjectifs spécifiques (à certaines
exceptions) ; responsabilité spécifique.

Les modes et les formes évoquées d'application des restrictions concernent aussi les
restrictions dites pratiques. Ces dernières consistent à réduire le contenu et l'étendue des droits
161

existants des détenus à la discrétion de l'administration pénitentiaire. Une telle restriction peut
être légale aussi bien qu'illégale. Les restrictions pratiques sont répandues et ce sont elles qui
causent le plus grand préjudice aux droits de l'homme dans les établissements pénitentiaires.

A partir de ces éléments, il est proposé dans cette thèse de classer les restrictions en
restrictions normatives et restrictions pratiques (en application de la loi). Nous n'avons pas
rencontré cette classification dans d'autres travaux sur le droit pénitentiaire, mais son intérêt
est évident, puisqu'elle permet de distinguer deux caractéristiques de la nature juridique des
restrictions qui diffèrent sur le fond.

Une autre classification importante par principe présente la division des restrictions en
restrictions juridiques et restrictions de fait. Les restrictions juridiques sont prévues dans la
loi. Les restrictions de fait sont "inhérentes au fait" d'incarcération/privation de liberté. Selon
une thèse-norme répandue, toutes les restrictions qui "ne sont pas inhérentes à l'incarcération"
seraient superflues et non justifiées. Cette idée suscite pourtant des difficultés considérables.

La doctrine des restrictions de fait, nonobstant le nombre d'études théoriques et de


normes théoriques considérant la mise en œuvre de leur idée comme une mesure positive pour
les droits de l'homme, ne peut servir de garanties complémentaires des droits ; bien au
contraire. L'un des objectifs de la présente thèse vise à proposer une vision critique de la
doctrine des restrictions de fait. La conception de ce qui est "inhérent à l'incarcération" et de
ce qui ne l'est pas n'est pas universelle. Elle est différente selon la culture, selon la période
historique et même selon les conditions économiques. D'autre part, la conception de la notion
"d'incarcération" (ou privation de liberté) n'est ni stable ni claire. C'est pourquoi l'utilisation
de l'idée des restrictions de fait peut servir à violer le principe de légalité et à fournir des
compétences discrétionnaires illimitées lors de l'application des restrictions. Les restrictions
de fait présentent une voie vers l'indétermination juridique, qui ne justifie pas les espoirs
doctrinaux en leur utilisation pour faire rapprocher le statut des détenus de celui des personnes
libres.

La conception de la nature juridique des restrictions des droits diffère selon la théorie
des restrictions des droits adoptée. Les théories les plus connues sont, semble-t-il la théorie
dite interne et la théorie externe. La théorie interne suppose que la restriction du droit peut
rétrécir l'interprétation de son contenu. La théorie externe suppose que le contenu du droit
reste inchangé au cours de l'histoire et ce n'est que l'ampleur de son exercice qui change. Elle
signifie en fait qu'il n'est pas possible de restreindre un droit, la restriction ne pouvant porter
162

que sur son exercice. Le droit lui-même a ses propres limites, les qualificateurs ou les
marques internes du droit subjectif qui en caractérisent le contenu.

Tenter d’examiner brièvement les démonstrations philosophiques dans l'optique des


limites de rapprochement des droits du détenu et de la personne libre n'aide pas à trouver des
réponses même superficielles et ne fait que montrer la carence de l'œuvre doctrinale en la
matière. L'admissibilité morale de la peine et les restrictions des droits font partie des sujets
de réflexion des philosophes. L'une des raisons principales de cette admissibilité réside dans
la violation par le détenu du contrat social. Néanmoins, l’admissibilité ne répond pas à la
question : quel doit être le contenu de la peine (qui consiste en limitations des droits) ? Les
réponses aux questions relatives aux restrictions des droits doivent être données du point de
vue de la théorie adoptée de la peine et des buts de celle-ci. Tout ceci ne représente pourtant
qu'un des aspects d'une question plus difficile, à savoir : quelles sont les limites tolérées à la
répression de l'État ? A quel point est-il admissible de rapprocher (et d'espacer) les statuts
juridiques des deux côtés des grilles ? Plus progresserait l'humanisation de la prison, laquelle
est, pour beaucoup, nécessairement croissante, et plus il y aurait de raisons pour les
philosophes d'y réfléchir.

Toutefois, leurs considérations nécessiteraient une base pratique pour appuyer leurs
conclusions. La société exprime toujours une demande de sécurité. Aussi, lorsqu'il s'agit
d'abroger/d'appliquer des restrictions des droits des détenus, faut-il prendre en compte leur
équilibre par rapport aux intérêts et aux valeurs sociales contradictoires, ainsi que l'aspect
pratique de leur rationalisation. Des études empiriques et comparées devraient y contribuer, de
même que l'expérience nationale et internationale en matière de sécurité de la libéralisation
des restrictions des droits et vice versa – de leur renforcement.
163

Partie ІІ : Normes internationales de limitation des droits


des détenus

Les normes internationales revêtent une importance particulière dans la formation de la


théorie des restrictions applicables aux détenus et dans la pratique de leur mise en œuvre,
parce que ces normes ont fixé les premières barrières de protection contre les restrictions non
justifiées des droits des personnes détenues. En déterminant le minimum à atteindre, elles
fixent la limite au-delà de laquelle la restriction devient non justifiée et devrait être révisée et
modifiée. Nous concevons les normes internationales en matière de droits des détenus en tant
qu'idéal du bien-fondé des restrictions des droits de ces derniers. La plupart des normes
figurant dans des textes internationaux concernent, d'une manière ou d'une autre, le problème
de la limitation des droits de la personne dans toute leur variété. C'est-à-dire qu'en indiquant
"ce qui doit se faire" et "ce qui ne doit pas se faire" en prison, les textes internationaux portent
souvent justement sur les restrictions des droits des détenus. Cela constitue l'influence
générale des normes sur les actions de l'État en matière de restriction de droits, alors qu'une
influence spéciale consiste en instauration des exigences directes à l'égard des restrictions
relatives aux détenus.

2.1. Normes des Nations Unies en matière de limitation des droits


des détenus

La Déclaration universelle des droits de l'homme représente le document international


clé en matière de limitation des droits de l'homme. Une signification particulière pour la
théorie des restrictions des droits figure à l'article 29, 2e al., de la Déclaration qui énonce que
"Dans l'exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n'est soumis qu'aux
limitations établies par la loi exclusivement en vue d'assurer la reconnaissance et le respect
des droits et libertés d'autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l'ordre
public et du bien-être général dans une société démocratique". La Déclaration ne contient pas
de normes spécifiques relatives aux limitations des détenus et revêt, par définition, un
caractère de déclaration. Cela veut dire qu’elle a peu d’effet pour être utilisée pour la
164

protection des droits en pratique, mais elle joue un rôle important en tant que guide des
gouvernements nationaux quant à leur politique dans le domaine de droits de l’homme.

La Déclaration a acquis une dimension pratique dans le Pacte international relatif aux
droits civils et politiques. Ses violations peuvent être constatées par des mécanismes de
protection appropriés et notamment par le Comité des droits de l'homme de l'ONU.

Le Pacte définit des causes justifiant les limitations de divers droits des personnes qui
s'appliquent entièrement aux détenus. Son article 12 stipule notamment en son 2e alinéa que le
droit à la liberté de circulation ne peut être l'objet de restrictions que si celles-ci sont prévues
par la loi, nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l'ordre public, la santé ou la moralité
publiques, ou les droits et libertés d'autrui, et compatibles avec les autres droits reconnus par
le Pacte. Le droit à la liberté de convictions, de conscience et de religion ne peut faire l'objet
que de seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaire à la protection de la sécurité,
de l'ordre et de la santé publique ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux
d'autrui (art. 18, 3e al.). Le droit à la liberté d'expression qui comprend la liberté de
rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans
considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique ou par tout
autre moyen du choix de la personne peut être soumis à des restrictions qui sont nécessaires
au respect des droits ou de la réputation d'autrui, à la sauvegarde de la sécurité nationale, de
l'ordre publique, de la santé ou de la moralité publiques (art. 19, 3e al.). Le droit à la liberté
d'association avec d'autres, y compris le droit de constituer des syndicats et d'y adhérer ne
peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi qui sont nécessaires dans une
société démocratique dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sécurité publique, de l'ordre
public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et libertés d'autrui (art.
22).

Le Pacte comporte une stipulation qui concerne directement les limitations des droits
des détenus. L'article 10 énonce en son 3e al., que le système pénitentiaire doit prévoir un
traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur reclassement
social. Cette norme-principe acquiert sa portée concrète en pratique. Le Comité des droits de
l'homme de l'ONU élabora même un commentaire de cette disposition375. Ce dernier prévoit,
entre autres, que les personnes privées de liberté ne doivent pas subir de privation ou de

375
Observation générale no 21: Article 10 (Droit des personnes privées de liberté d’être traitées
avec humanité). Quarante quatrième session (1992), disponible sur :
http://tbinternet.ohchr.org/_layouts/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=INT%2fCCPR%2f
GEC%2f4731&Lang=en (accedé le 26.07. 2016)
165

contrainte autre que celles qui sont inhérentes à la privation de liberté et que les personnes
privées de leur liberté jouissent de tous les droits énoncés dans le Pacte, sous réserve des
restrictions inhérentes à un milieu fermé.

Le Comité a recours à la norme évoquée dans ses décisions relatives aux violations des
droits des détenus. C'est ainsi que dans l'affaire de Yevdokimov et Rezanov contre la Russie le
Comité devait apprécier à quel point l'interdiction constitutionnelle de voter faite aux
condamnés était conforme au Pacte376. Il a conclu à la violation de l'article 25 conjointement
avec l'art. 2.3 du Pacte. Le Comité s’est référé à l'article 10, 3e al., déjà cité du Pacte et à l'idée
des restrictions inhérentes à l'incarcération (par. 7.4). Se référant à l'arrêt de la CEDH rendu
dans l'affaire Hirst377, le Comité a en particulier précisé que la privation automatique du droit
de voter ne répondait pas au critère de rationalité des restrictions (par. 7.5).

Le Comité a été assez laconique dans l'argumentation de ses conclusions. Dans


certains cas, pour constater une dérogation, il s’est borné à se référer à des normes pertinentes.
C'est ainsi que s'agissant des droits des détenus, il a pu se borner à se référer au Commentaire
n° 21, notamment sur la disposition disposant que les personnes privées de liberté continuent
de jouir des droits avec des restrictions inhérentes à un milieu fermé378.

Le Comité peut aussi faire référence à certaines clauses limitatives du Pacte en se


prononçant sur le respect des exigences de celles-ci. C'est ainsi que la limitation excessive du
droit à la correspondance dérogeait à l'article 17 du Pacte, étant donné que les restrictions des
droits sous forme de censure ou de contrôle nécessitaient des garanties juridiques valables
contre les abus (par. 9.2)379.

A la différence de la Convention européenne, la Déclaration et le Pacte n’ont pas joué


un rôle particulier dans les pratiques d’établissements pénitentiaires. Toutefois, après
l'adoption de ces textes, leurs dispositions ont été développées en élaborant des normes
spécialisées qui concrétisaient les exigences à l'égard des restrictions de droits compte tenu du
statut spécifique des détenus. Ces normes comprennent en particulier un texte important, les
Règles minima pour le traitement des détenus de 1957.

376
Yevdokimov and Rezanov v. Russia, Communication No. 1410/2005,
CCPR/C/101/D/1410/2005 (adoption of views).
377
Hirst c. Royaume-Uni (nº. 2) (GC) (nº 74025/01, 06.10.2005).
378
Pustovoit v. Ukraine, Communication No. 1405/2005, CCPR/C/110/D/1405/2005/ Dans cette
décition le Comité constatait nombre de violations du Pacte en raison du menottage excessif du
requérant.
379
Miguel Angel Estrella v. Uruguay, Communication No. 74/1980, CCPR/C/OP/2 (1990).
166

2.1.1. Limitations des droits des détenus dans les Règles minima pour le
traitement des détenus de 1957 (RMT) et de 2015 (RMT Mandela)

2.1.1.1. Limitations dans les RMT

Malgré le remplacement de RMT 1957 par une version nouvelle, les Règles Mandela,
une analyse succincte de ce document nous permettrait de mieux comprendre la logique de
l'ONU sur les questions relatives aux restrictions des droits des détenus. Bien mieux, presque
toutes les normes concernant les restrictions sont reprises par les RMT Mandela.

Les RMT comportent des normes qui définissent les références concernant l'ampleur
et la nature des restrictions, aussi bien que des normes qui concernent indirectement des
restrictions plus concrètes des droits des détenus. Par exemple, le par. 20.2 représente une
norme de restriction concrète indiquant que chaque détenu doit avoir la possibilité de se
pourvoir d’eau potable lorsqu'il en a besoin. Cela veut dire que l'on ne peut pas instaurer une
restriction telle que des horaires limités de consommation d'eau. La règle 33, qui prévoit
l'interdiction absolue des fers et chaînes en tant que moyens de contrainte, vise le procédé
inadmissible de restriction du droit.

Toutefois, l'intérêt le plus grand revient aux dispositions définissant les principes qui
déterminent directement les références relatives à l'ampleur et à la nature des restrictions. Le
par. 27 au chapitre "Discipline et punitions" des RMT prévoit que "L'ordre et la discipline
doivent être maintenus avec fermeté, mais sans apporter plus de restrictions qu'il n'est
nécessaire pour le maintien de la sécurité et d'une vie communautaire bien organisée". Cette
disposition entérine le caractère ciblé obligatoire des restrictions afin que les restrictions ne
soient appliquées pour assurer une bonne surveillance et le respect des règles de la vie
communautaire dans l'établissement pénitentiaire.

L'interprétation littérale de cette norme montre que les buts cités doivent être
exhaustifs. Cependant, le caractère flou du contenu des catégories de "bonne surveillance" et
de "vie communautaire bien organisée" permettent d'utiliser cette norme en tant qu’idée
générale ou principe en fonction desquelles les activités pratiques et législatives doivent être
guidées, mais non en tant qu’exigence concrète. Certains auteurs proposent même une
interprétation élargie de cette norme, en indiquant que les conditions de détention devraient
être restrictives autant que ceci est nécessaire pour la sécurité et la bonne cohabitation dans
167

l'établissement380. Il est estimé que l'exigence du caractère minimal des restrictions


applicables aux fins de sécurité est indispensable pour respecter l'article 3 de la Déclaration
universelle des droits de l'homme qui énonce que "Tout individu a droit à la vie, à la liberté et
à la sûreté de sa personne"381.

Ainsi que le fait noter la Commission pour la prévention du crime et la justice pénale
dans son observation aux RMT, cette règle signifie que "… les États doivent assurer la
sécurité et l'ordre dans les prisons, mais elle ne signifie pas qu'ils peuvent le faire par des
moyens démesurés ou brutaux. Le devoir de l'administration pénitentiaire est d'exécuter la
peine prononcée par le juge, mais pas d'appliquer des restrictions supplémentaires"382. Cela
étant, la fermeté de la discipline à assurer ne signifie pas sa cruauté (sévérité) ; elle doit se
concevoir comme justice et conséquence dans la mise en œuvre de toutes les mesures visant à
maintenir l'ordre.

La règle du par. 57 des RMT a influencé le développement de la théorie des


restrictions des droits dans la science pénitentiaire. Elle énonce que "L'emprisonnement et les
autres mesures qui ont pour effet de retrancher un délinquant du monde extérieur sont
afflictives par le fait même qu'elles dépouillent l'individu du droit de disposer de sa personne
en le privant de sa liberté. Sous réserve des mesures de ségrégation justifiées ou du maintien
de la discipline, le système pénitentiaire ne doit donc pas aggraver les souffrances inhérentes à
une telle situation".

Cette règle est importante pour plusieurs raisons. En premier lieu, elle contient les
germes de l'idée selon laquelle des souffrances sont inhérentes à la privation de liberté. Alors
que la théorie et d'autres normes internationales spécifient que l'incarcération cause au détenu
des souffrances en tant que fait concret, les RMT expliquent pourquoi l'emprisonnement cause
de telles souffrances: le détenu est dépossédé du droit de disposer de sa personne. D'un côté,
cela peut renvoyer à l’idée que l’incarcération cause la souffrance par elle-même ; d'un autre
côté, il se peut que les auteurs des RMT aient souhaité souligner ce qui est la cause directe des
souffrances dans le milieu fermé ou bien la conséquence la plus accablante pour les détenus.

380
Bastick M., Women in Prison: A Commentary on the UN Standard Minimum Rules for the
Treatment of Prisoners, Geneva, The Quaker United Nations Office, 2008, p. 13.
381
Making Standards Work: An International Handbook on Good Prison Practice, 2nd ed. /
Penal Reform International, London, Astron Printers Ltd, 2001, p. 12.
382
Notes and comments on the Standard Minimum Rules for the Treatment of Prisoners: use and
application of United Nations standards and norms in crime prevention and criminal justice. Twenty-
first session, Vienna, 23-27 April 2012 / E/CN.15/2012/CRP.1.
168

Il est également, et en second lieu, important de se pencher sur la seconde partie de


cette règle: "Sous réserve des mesures de ségrégation justifiées ou du maintien de la
discipline, le système pénitentiaire ne doit donc pas aggraver les souffrances inhérentes à une
telle situation". Il est ainsi permis d'alourdir les souffrances inhérentes à la privation de
liberté, sous réserve qu'une telle mesure soit un effet nécessaire de l'incarcération ou
indispensable pour le maintien de la discipline. Évidemment, la règle 57 ne fournit pas de
repères aidant à comprendre quels sont les "effets nécessaires".

Les auteurs de l'observation aux RMT, préparée par l'organisation "Réforme pénale
internationale", signalent un certain nombre d'études dans le domaine de la criminologie
montrent que les épreuves et les souffrances supportées en prison rapprochent les détenus des
règles du monde cellulaire et des groupes criminels et les mènent à renier les valeurs sociales
reconnues par tous. Cela veut dire que même si le droit de disposer de sa personne perd son
sens en cas d'incarcération, les possibilités de disposer de sa personne et la responsabilité
personnelle doivent être assurées autant que possible383. Les auteurs estiment qu'en partant de
cette idée, le sens de la justice et les considérations pratiques exigent que les souffrances
induites par l'incarcération soient limitées strictement à ce qui découle inévitablement du fait
même de la détention en prison. Tout en reconnaissant le problème venant du caractère
imprécis de ce qu'il faudrait considérer comme cette restriction (de fait), ils soulignent
l'instabilité du problème et l'absence d'une conception bien établie de l'inévitabilité: "Tout ce
qui est considéré comme conséquence inévitable de l'emprisonnement devrait faire l'objet d'un
contrôle permanent d’une révision en vue de faire diminuer ces conséquences"384.

Une disposition importante des RMT relative aux restrictions des droits des détenus
est formulée au par. 60 qui déclare que "Le régime de l'établissement doit chercher à réduire
les différences qui peuvent exister entre la vie en prison et la vie libre dans la mesure où ces
différences tendent à établir le sens de la responsabilité du détenu ou le respect de la dignité
de sa personne". De fait, cette règle exige aussi de réduire au minimum les restrictions
appliquées au détenu du fait de sa réclusion, car le régime se traduit justement par des
restrictions des droits385.

383
Making Standards Work. An International Handbook on Good Prison Practice, London, Penal
Reform International, 2001, p.18-19.
384
Ibid, p. 19: “What are seen as the unavoidable consequences of imprisonment should be
subject to constant monitoring and reappraisal with a view to their reduction”.
385
Степанюк А. Х. Режим відбування позбавлення волі в установах виконання покарань:
конспект лекції. – Х.: Укр. юрид. акад., 1994 (Stepaniouk A.Kh., Régime de privation de liberté
dans les établissements pénitentiaires: résumé de la conference, Kharkiv, Académie juridique
ukrainienne, 1994).
169

Cette règle a exercé une influence sensible sur la philosophie de l'exécution des peines
dans le monde entier. Elle a été incorporée, par exemple, dans le CEP de l'Ukraine. L'article
102, 2e al., du CEP dispose notamment que "le régime dans les prisons doit réduire au
minimum la différence entre les conditions de vie en prison et en liberté de manière à
accroître la responsabilité des détenus par leur comportement et à leur faire prendre
conscience de la dignité humaine". Malgré la reproduction pratique de cette règle, le
législateur ukrainien l’a modifiée quelque peu, avec des conséquences sur son contenu. C'est
ainsi que les RMT précisent que le régime doit chercher à réduire au minimum la différence
entre la vie en prison et la vie libre, alors que le CEP de l'Ukraine admet que le régime doit
réduire cette différence au minimum. La règle ukrainienne semble être même plus ambitieuse
en soulignant le devoir de réduire au minimum la différence entre les conditions en prison et
en liberté.

De même, nous voyons l’influence de cette disposition sur l’article D. 433, alinéa 2,
du CPP français qui prévoit que l’ « organisation, les méthodes et les rémunérations du travail
doivent se rapprocher autant que possible de celles des activités professionnelles extérieures
afin notamment de préparer les détenus aux conditions normales du travail libre ». Cette règle
réduit le contenu de la règle correspondante des RMT en se limitant au travail pénitentiaire.
Cela est contraire aux RMT ainsi qu’à des règles similaires aux RPE386.

Cette disposition des RMT soulève des difficultés de conception. D’abord, il n'existe
pas d'accord aujourd'hui à propos de ce qu'il faut considérer comme différence minimale entre
les conditions en prison et en liberté, cette règle perdant ainsi son caractère précis et acquérant
un caractère d'appréciation. De plus, il est problématique que les limites de minimisation de la
différence en question puissent être définies. La différence pourrait être minimisée jusqu'à
l'égalisation totale de la situation en prison et en liberté, la prison devant alors cesser d'exister.
Les points de vue relatifs à la limite maximale tolérée dépendent de plusieurs facteurs qui
déterminent la philosophie et la pratique d'exécution de la peine.

La règle citée reflète la théorie de normalisation. Elle insiste sur la nécessité de


rapprocher les conditions de la prison de celles existant en société libre, ce qui devrait faciliter

386
Shea E., Les paradoxes de la normalisation du travail pénitentiaire en France et en Allemagne,
Déviance et Société, 2005, n°3, Vol. 29, p. 351.
170

le reclassement du détenu dans la société387. Le principe de la normalisation concerne


directement la justification des restrictions des droits, étant donné que, pour pouvoir
rapprocher la vie en prison au maximum des aspects positifs de la vie en société, il est
nécessaire, en premier lieu, que les détenus subissent le moins possible de restrictions de leurs
droits, et, en second lieu, que ces restrictions soient minimales. Appliqué de cette manière, le
principe de la normalisation favoriserait la mise en œuvre des principes de minimalité et de
proportionnalité et vice versa.

Cela nous amène par ailleurs à l'idée que la minimisation des restrictions contribue à
faciliter l'adaptation sociale des personnes mises en liberté, puisque moins il y aurait de
restrictions des droits des détenus et plus proches ils se sentiraient de la société libre pour
pouvoir s'intégrer plus facilement dans le processus de réinsertion, ce qui est toujours délicat
en raison du contraste entre les conditions de vie en prison et en liberté.

De plus, les restrictions plus larges stimulent le rapprochement avec la sous-culture


carcérale en éloignant ainsi les perspectives de réintégration. Gresham Sykes admettait que le
code non écrit des détenus était l'une des tentatives collectives d'atténuer les "douleurs" et les
"privations" inhérentes au milieu pénitentiaire388. La sous-culture servait donc de réaction aux
restrictions. Cette vision est parfois désignée comme théorie déprivative. Certains auteurs
contestent pourtant cette idée en accordant leur appui à la théorie d'importation389. Cette
dernière veut dire que la sous-culturene serait pas une conséquence des conditions du milieu
fermé mais serait importée de la sous-culture extérieure à laquelle appartenaient les
détenus390.

Les RMT évoquent, par ailleurs, les exigences relatives aux restrictions des droits des
personnes en détention provisoire. La règle 92 énonce que les prévenus doivent
immédiatement pouvoir informer leur famille de leur détention et se voir attribuer toutes les

387
Платек М. Значение минимальных правил ООН обращения с заключенными и
Европейських тюремных правил для процесса нормализации // Неустанно прививать
убеждение: Метериалы для сотрудников исправительных учреждений. – Варшава, 2002. – С.
148 (Platek M., Importance des règles miminales de l'ONU de traitement des détenus et des Règles
pénitentiaires européennes pour le processus de normalisation, Inculquer inlassablement la conviction:
Documentation pour les employés des établissements correctionnels, Varsovie, 2002, p. 148).
388
In Liebling A., Crewe B., Prison Life, Penal Power, and Prison Effects, The Oxford
Handbook of Criminology. Edited by Maguire M., Morgan R. and Reiner R., Oxford, Oxford
University Press, 2012, p. 913.
389
Les auteurs contestant la théorie déprivative sont cités in: Liebling A., Crewe B., Ibid, p. 913.
390
Cette théorie est portée aux sociologues J. Irwin et D. Cressey: (Jacobs J., Race Relations and
the Prisoner Subculture, Crime and Justice. An Annual Review of Research. Ed. By N. Morris and M.
Tonry, Vol. 1, Chicago-London, The University of Chicago Press, 1980, p. 3). Ses premiers germes
sont déjà constatés dans les travaux de E. Goffman:(Goffman E., Asylums : Essays on the Social
Situation of Mental Patients and Other Inmates, London, Penguin Books, 1961, p. 22).
171

facilités raisonnables pour pouvoir communiquer avec celle-ci et leurs amis, sous la seule
réserve des restrictions et de la surveillance qui sont nécessaires dans l'intérêt de
l'administration de la justice, de la sécurité et du bon ordre de l'établissement. Nous voyons
que ces buts sont limités par les exigences de "facilités raisonnables" pour pouvoir maintenir
les contacts avec les parents, ce qui montre la nécessité de mettre en équilibre les intérêts
communs et individuels.

2.1.1.2. Règles Mandela

Les Règles Nelson Mandela sont le résultat de la synthèse des pratiques


pénitentiaires progressistes empruntées à l'expérience de divers pays, le processus de leur
développement par la révision des RMT ayant été complexe et long. L'objectif principal de la
révision des RMT visait à les modifier de manière à renforcer les garanties effectives des
droits existants et les plus importants pour la vie en prison et à compléter ce texte par les
pratiques mondiales progressistes dans le domaine pénitentiaire391. Il ne s'agissait pas de
revoir totalement les Règles ou d'aborder la question des droits dont les détenus doivent
pouvoir jouir, ni de la limite des restrictions à ces droits. Les observations précédentes
relatives aux RMT sont donc applicables aux dispositions analogues des RMT Nelson
Mandela.

Toutefois, les normes relatives aux restrictions des droits ne sont pas demeurées
entièrement inchangées. Le préambule des Règles Mandela renvoie, pour la première fois, au
principe énoncé dans la Résolution 69/172 du 18 décembre 2014 : "Les droits de l'homme
dans l'administration de la justice", qui reconnaissait l'importance du principe selon lequel,
sous réserve des restrictions légitimes nécessairement liées à leur incarcération, les personnes
privées de liberté devaient continuer à jouir de leurs droits individuels intangibles et de tous
les autres droits de l'homme et libertés fondamentales392. Ainsi, le principe qui fournit

391
Човган В.О. Современные тенденции развития минимальных стандартных правил
обращения с заключенными (Chovgan V.O., Tendances actuelles de développement des règles
minimales standards de traitement des détenus), disponible sur:
http://www.khpg.org.ua/pda/index.php?id=1333969919 (accedé le 26.06.2016).
392
Ce principe avait été déjà fixé dans les Principes de base de traitement des détenus (résolution
45/111 of 14 December 1990), mais les auteurs des RMT Mandela font référence à la résolution plus
récente.
172

beaucoup de prétextes pour des critiques et qui semble être douteux du point de vue théorique
et pratique, constitue-t-il la base de la philosophie des Règles Mandela393.

Les Règles conservent littéralement certaines normes fondamentales relatives aux


restrictions des droits qui faisaient partie des RMT. Il s'agit des règles prévoyant que
l'emprisonnement cause des souffrances par le fait même de dépouiller le détenu de la
possibilité de disposer de sa personne (règle 57 (RMT) – 3 (Règles Mandela), que le régime
pénitentiaire doit chercher à réduire la différence entre la vie en prison et la vie en liberté
(règle 60.1 RVT – 5.1 Règles Mandela).

Certaines normes ont tout de même subi des modifications. La règle 27 déclarait
notamment que "l'ordre et la discipline doivent être maintenus avec fermeté, mais sans
apporter plus de restrictions qu'il n'est nécessaire pour le maintien de la sécurité et d'une vie
communautaire bien organisée". Cette règle est désormais ainsi libellée: "L’ordre et la
discipline doivent être maintenus sans apporter plus de restrictions qu’il n’est nécessaire pour
le maintien de la sécurité, le bon fonctionnement de la prison et le bon ordre de la vie
communautaire" (règle 36). Nous voyons apparaître au nombre des buts admissibles des
restrictions, celui du bon fonctionnement de la prison. Nous sommes en droit de supposer que
l'objectif principal de cette innovation a visé à retirer l'ancienne formulation provocatrice
soutenant que "l'ordre et la discipline doivent être maintenus avec fermeté". Les documents de
travail du groupe d'experts chargé de la révision des RMT ne permettent cependant pas de
savoir à qui appartenait cette initiative et quelle était son fondement authentique394.

Les Règles Mandela comportent quelques nouvelles dispositions relatives aux


restrictions, dont la règle de minimalité pour l'application des mesures de contrainte. La règle
48 précise, en particulier, que les moyens de contrainte ne peuvent être utilisés que
lorsqu'aucune autre forme de contrôle moins extrême ne permet de réduire les risques. Le
moyen de contrainte doit être la méthode la moins attentatoire au droit qui est nécessaire et
raisonnablement disponible pour le contrôle, compte tenu du niveau et de la nature du risque
présenté par le détenu. Les moyens de contrainte doivent être utilisés pendant le temps
strictement nécessaire. Ils ne doivent jamais être utilisés sur des femmes pendant le travail,
l'accouchement ou immédiatement après l'accouchement.

393
Chovgan V., Le principe des limitations inhérentes à la détention: la valeur incertaine des
Règles Mandela, Actualité juridque pénal, 2015, n°12, p. 576–578. Voir sous-chapitre 1.3.2
"Classification selon l'origine de la limitation. Restrictions de droits découlant de l'incarcération".
394
Voir par ex. les documents de travail des réunions des groups d'experts à Buenos-Aires
UNODC/CCPCJ/EG.6/2012/2 et à Vienne UNODC/CCPCJ/EG.6/2014/CRP.1 , disponible sur :
https://www.unodc.org/unodc/en/justice-and-prison-reform/ieg-standards.html (accedé le 26.06.2016).
173

Les Règles prescrivent le respect rigoureux de la proportionnalité en cas d'emploi de


la force. Les membres du personnel qui recourent à la force doivent en limiter l’emploi au
strict nécessaire (règle 82.1).

Des garanties sont assurées contre des limitations non justifiées du droit à la vie
privée pendant les fouilles. La règle 51 dispose notamment que « les fouilles ne doivent pas
servir à harceler, à intimider ou à affecter la vie privée des détenus sans nécessité. Les fouilles
trop intrusives impliquant le déshabillement ou les investigations corporelles internes ne
doivent être effectuées que si elles sont absolument nécessaires. Des garanties procédurales
sont prévues également à l'égard des restrictions irrégulières, en ce sens que la fouille doit
faire l'objet d'un constat de même que les motifs de cet acte. La fouille doit être effectuée par
des professionnels de la santé ayant les qualifications voulues (autres que le personnel
médical chargé des soins dans l'établissement) ou par du personnel médical ayant suivi une
formation sur les normes d'hygiène, de santé et de sécurité ».

2.1.2. Principes de base pour le traitement des détenus

Les principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus constituent l'un des
textes internationaux principaux consacrés aux droits des détenus395. Ce document a ceci de
particulier qu'il comporte "l'aspect le plus important concernant les établissements
correctionnels, à savoir: dans quelle mesure les détenus ne doivent pas jouir des droits qu'ils
avaient en liberté. C'est un important succès du 5e Congrès de l'ONU sur la prévention du
crime et le traitement des délinquants, puisqu'il apporte d'une certaine manière la réponse à la
question posée au 4e Congrès visant à déterminer dans quelle mesure les détenus continuent
de jouir de leurs droits"396.

Le document comprend un principe important ainsi formulé: " Sauf pour ce qui est des
limitations qui sont évidemment rendues nécessaires par leur incarcération, tous les détenus
doivent continuer à jouir des droits de l'homme et des libertés fondamentales énoncés dans la

395
Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus. Adoptés par l'Assemblée générale
dans sa résolution 45/111 du 14 décembre 1990 , disponible sur :
http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/BasicPrinciplesTreatmentOfPrisoners.aspx
(accedé le 10.11.2016).
396
Shikita M., Standard Minimum Rules for the Treatment of Prisoners as Prisoners’ Magna
Carta and their Implementation in Japan and other Asian Countries in Light of Changing World
Conditons, Droits fondamentaux et détention pénale. Actes du 7e Colloque international de la
Fondation internationale Pénale et Pénitentiaire. Neuchâtel, 3 au 7 octobre 1992, sous la direction de
Pierre-Henri Bolle, Neuchâtel, Edition Ides et Calendes, 1993, p. 148.
174

Déclaration universelle des droits de l'homme et, lorsque l'État concerné y est partie, le Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Pacte international relatif
aux droits civils et politiques et le Protocole facultatif qui l'accompagne, ainsi que de tous les
autres droits énoncés dans d'autres pactes des Nations Unies" (par. 5).

Minoru Shikita fait noter que certains auteurs relèvent la spécificité insuffisante de
cette règle. L'une de ses rédactions initiales prévoyait des modalités moins strictes: "exception
faite pour la limitation nécessaire de la liberté", alors que la version actuelle dispose:
restrictions "qui sont évidemment rendues nécessaires par leur incarcération". Néanmoins,
cette règle garde toujours son caractère ambivalent397. Cette disposition peut être interprétée
par les autorités nationales même à défaut de définir le mécanisme de sa mise en œuvre398.
Reste à savoir d'ailleurs quelles sont les restrictions " qui sont évidemment rendues
nécessaires par leur incarcération"? Cela suppose pour le moins la limitation des droits qui
peuvent menacer la sécurité, mais s'agit-il aussi d'autres restrictions399?

Le but des Principes fondamentaux était de montrer que le nombre et l'ampleur des
restrictions applicables aux détenus devaient être réduits au minimum autant que possible.
Cette disposition soulignait l'attachement de l'Assemblée générale de l'ONU à l'idée selon
laquelle les détenus devaient jouir du nombre le plus grand possible des droits fixés dans les
textes principaux des Nations Unies, en confirmant l'idée fondamentale qu’étaient suffisantes
en termes de sanction, les souffrances induites par le fait même d'être emprisonné. Pourtant,
ainsi que nous le montrons, la conception ambivalente de "l'inévitabilité" peut conduire à des
conséquences tout à fait contraires et créer des conditions pour des abus dans l'application des
restrictions.

397
Shikita M., Ibid. Voir aussi par. 5 du Projet des Principes fondamentaux: Latin American and
Caribbean regional preparatory meeting for the eights UN Congress on the Prevention of Crime and
Treatment of Offenders. San José, Costa Rica, 8-12 May 1989. Report (A/Conf.144/RPM.3 25 August
1989).
398
Shikita M., Ibid, p. 149.
399
Naylor B., Human Rights and Their Application in Prisons, Prison Service Journal, 2016, n°
227, p. 17.
175

2.1.3. Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes


soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement

En adoptant l'ensemble des principes pour la protection de toutes les personnes


soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement 400, l'Assemblée générale
focalise l'attention sur la prise en compte des besoins spécifiques des personnes lors de
l'interpellation ou des personnes arrêtées et placées en détention provisoire. Néanmoins, les
principes contenus dans cet Ensemble et qui portent sur les restrictions des droits concernent
également les détenus.

Le principe 19 prévoit que toute personne détenue ou emprisonnée a le droit de


recevoir des visites, en particulier de membres de sa famille, et de correspondre, en particulier
avec eux, et elle doit disposer de possibilités adéquates permettant de communiquer avec le
monde extérieur, sous réserve des conditions et restrictions raisonnables que peuvent spécifier
la loi ou les règlements pris conformément à la loi. Ce principe est intéressant, tout d'abord,
par le fait qu'il soumet les restrictions à la condition de raisonnabilité et qu'il prévoit aussi la
possibilité de spécifier les restrictions dans la loi ou dans les règlements pris conformément à
la loi. Ce dernier élément constitue la particularité de l'Ensemble, étant donné que les normes
internationales utilisent la catégorie "loi" en tant que source admissible des restrictions. Or, le
sens de cette catégorie prête parfois à discussion et notamment sur le point de savoir si elle
comprend aussi les textes réglementaire. L'Ensemble indique clairement qu’il est possible de
fixer des restrictions dans des textes d'application.

Avant tout concerné par la période de détention provisoire, l'Ensemble prévoit, par
ailleurs, que le droit du détenu à la visite de son défenseur à titre confidentiel ne peut être
limité en règle générale. Toutefois, des limitations sont admissibles dans des cas exceptionnels
définis par la loi ou par des règlements conformes à la loi lorsque cette restriction est
considérée comme absolument nécessaire par l'autorité judiciaire ou une autre autorité afin de
maintenir la sécurité et le bon ordre (par. 18.3). Des restrictions mixtes sont ainsi autorisées:
des restrictions normatives et des restrictions pratiques.

400
Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme
quelconque de détention ou d'emprisonnement. Adopté par l'Assemblée générale dans sa résolution
43/173 du 9 décembre 1988, disponible sur:
http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/DetentionOrImprisonment.aspx (accedé le
11.11.2015).
176

Conclusion du chapitre 2.1

La Déclaration universelle des droits de l'homme a incorporé une clause limitative


générale relative aux restrictions des droits. A la différence de la Déclaration, le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques comporte des clauses limitatives
spécifiques concernant des droits concrets. Aucun de ces documents ne détermine la
spécificité de la limitation des droits des détenus. Par ailleurs, le Comité onusien des droits
de l'homme propose une vision assez particulière des restrictions des droits. Il formule
l’opinion que les personnes détenues ne doivent être sujettes qu’à des restrictions inhérentes
en milieu fermé. Dès lors, si la restriction n'est pas "inhérente" elle ne serait pas justifiée.
L'idée de "l'inhérence", que nous critiquons plus haut, est ainsi élevée au rang de norme
internationale.

Les exigences formulées dans la Déclaration et le Pacte concernant les restrictions des
droits, du point de vue du contexte pénitentiaire, trouvent leur matérialisation plus concrète
dans le droit dit "mou" (soft law). Le chapitre 2.1 analyse, par exemple, les deux versions
des Règles minimales de traitement des détenus datant de 1957 et 2015. Bien que très
comparables en matière de restriction des droits, elles présentent des différences.

Les deux textes comportent essentiellement des normes qui fixent des standards
minima en déterminant ainsi les limites maximales d'application possible des restrictions. À
part les exigences indirectes vis-à-vis des restrictions, les deux versions des Règles
comprennent des normes qui prescrivent que les restrictions doivent être minimales et
qu'elles doivent viser un objectif justifié (par exemple le maintien de l'ordre ou la sécurité).
Les Règles comportent l'exigence de réduction au minimum la différence entre les
conditions de vie en liberté et en prison, en soulignant ainsi, une fois de plus, le principe des
restrictions minimales en tant que composante de la normalisation.

Contrairement à la version précédente des RMT, les Règles Nelson Mandela


instaurent le principe des restrictions inhérentes à l'incarcération, un principe douteux du
point de vue de la défense des droits de l'homme. Dans le même temps, sans apporter des
modifications considérables aux normes contenues dans la version précédente et relatives
aux restrictions des droits, les Règles Mandela mettent à nouveau l'accent sur la
proportionnalité (la minimalité) des restrictions.

Les principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus représentent l'un des
premiers documents de l'ONU qui instaure également le principe problématique
177

d'inadmissibilité des restrictions des droits des détenus qui "ne sont pas manifestement
consécutives au fait d'être incarcéré". Les spécialistes de l'ONU confirment cette approche
en insistant sur le fait que la personne n'est privée que de la liberté de circulation, les autres
restrictions n'étant que des dérivés.

L'ensemble de principes pour la protection de toutes personnes soumises à une forme


quelconque de détention ou d'emprisonnement diffère des autres normes de l'ONU, en ce
qu'il formule l'exigence de raisonnabilité à l'égard des restrictions. Ce document insiste, par
ailleurs, sur le fait que les restrictions doivent être prévues dans la loi ou les règlements
conformes à la loi. L'admission de l'instauration des restrictions au niveau des textes
réglementaires semble être un aspect inhabituel du document.

En résumé, une attention particulière aux restrictions des droits des détenus n'est
attachée que par les normes de l'ONU qui relèvent du droit mou et ont caractère de
recommandation. Celles-ci, pour leur part, ne comportent pas de recommandations
systématisées à l'égard des restrictions. Chacune d'elle peut présenter un aspect spécifique
dans l'approche des restrictions, mais elles se regroupent autour de plusieurs idées clés: ne
sont applicables que les restrictions inhérentes à un milieu fermé; les restrictions doivent être
proportionnelles et prévues par des textes normatifs.
178

2.2. Normes du Conseil d'Europe en matière de limitation des


droits des détenus

2.2.1. Limitations des droits des détenus dans la jurisprudence de la CEDH

2.2.1.1. Doctrine des limitations inhérentes à l'incarcération et caractère


spécifique de la norme de limitation des droits des détenus

Le présent chapitre a pour objectif de décrire les normes de limitation des droits de
l'homme dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme dans le contexte
des restrictions des droits des personnes détenues. Nous nous pencherons brièvement, à cette
fin, sur les approches générales de la Cour pratiquées à l'égard de la question de la restriction
des droits de l'homme, en les concrétisant par la suite compte tenu de la spécificité des
restrictions des droits des détenus, de leur origine et de leur nature juridique.

Les détenus, tout comme les citoyens libres, bénéficient de la protection de la


Convention et de tous les droits que celle-ci garantit401. Le principe conventionnel de
proportionnalité des restrictions est appliqué quasiment dans tous les arrêts relatifs à la vie en
prison402. Néanmoins, bien que les normes du droit conventionnel devraient être appliquées
sans aucune différence au vu du statut de la personne, la jurisprudence de la Cour est ambiguë
quant aux spécificités de leur application dans les affaires relatives à des détenus. Allant au-
delà, il convient de ne point omettre du récit relafif à l'histoire de l'interprétation de la
Convention, l’époque où les détenus se voyaient refuser l'évaluation de la restriction de leurs
droits au niveau des normes de restriction des droits des personnes libres.

2.2.1.1.1. Évolution de la doctrine des limitations inhérentes à l'incarcération

La jurisprudence de la CEDH réserve, dans son évolution, une place particulière à la


doctrine des limitations dites implicites des droits applicables aux personnes privées de

401
Livingstone S., Harley C., Protecting the Marginalized: the Role of the European Convention
on Human Rights, Northern Ireland Legal Quarterly, 2000, n°51, р. 445-465.
402
Reynaud A., Les droits de l’homme dans les prisons, Strasbourg, Les éditions du Conseil de
l’Europe, 1995, р. 57–58.
179

liberté. Selon cette doctrine, il existe des limitations découlant du statut juridique de la
personne. Il s'agissait au fond de l'idée, évoquée précédement, relative aux restrictions de fait
applicables aux détenus. Ces restrictions ne devaient pas correspondre aux normes générales
de limitation des droits de l'homme d'après la Convention.

Avant d'être remplacée par la Cour403, la Commission des droits de l'homme saisie des
plaintes sur la violation de la Convention se rangeait à l'avis des autorités nationales en ce
sens que la privation légale de liberté entraînait nécessairement des conséquences juridiques
négatives inhérentes au statut des intéressés404. La jurisprudence correspondante apparut au
milieu des années 1960 et elle admit, pendant une dizaine d’années, toutes les limitations
possibles aux droits des détenus.

Dans sa thèse analysant l'évolution de la jurisprudence de la CEDH dans le domaine


des droits des détenus, Christian Jacq suppose que cette jurisprudence s'explique par les
pratiques judiciaires nationales défavorables aux détenus, ainsi que par des politiques
restrictives visant à assurer l'ordre et la sécurité dans les établissements pénitentiaires.
Toutefois, le motif principal résidait le plus probablement dans la "prudence" du Conseil de
l’Europe. Il faut savoir que dans les années 1962 – 1975, le taux des plaintes des détenus
s'élevait à environ 60 % sur le nombre total de pétitions405, ce qui ne manquait pas d'inquiéter
le mécanisme nouvellement créé à Strasbourg de défense des droits de l'homme.

Outre l'établissement d'une base pour éviter d'évaluer le bien-fondé des limitations406
et la dérogation de fait par rapport aux dispositions de la Convention relatives aux limitations
des droits, la doctrine des limitations implicites avait pour trait essentiel de rejeter le fardeau
de la preuve du bien-fondé depuis l'État vers la personne. Ce n'était pas donc à l'État de
démontrer le bien-fondé des limitations, mais aux détenus de prouver que les restrictions dont
ils faisaient l'objet n'étaient pas justifiées. Ils devaient ainsi démontrer que les limitations qui

403
La Commission examinait les dossiers avant la mise en place de la Cour européenne des
droits de l'homme et elle cessa de fonctionner en 1998.
404
Elle n'en reconnaissait pas moins nominalement dès 1962 que l'emprisonnement ne prive pas
la personne des garanties de défense des droits inclus dans la Convention (Koch c. la République
fédérale d'Allemagne (nº 1270/61, 08.03.1962, décision)).
405
Jacq C., Vers un droit commun de la sanction – l’incidence de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme, Thèse de doctorat en droit, Paris, Université de Paris-Sud, 1989, р.
348–349.
406
Jacobs F.G., The European Convention on Human Rights, Oxford, Clarendon Press, 1975, р.
198–201.
180

étaient appliquées à leur égard dépassaient les limites des conséquences normales des
restrictions407.

Il n'en reste pas moins que la Cour devait rejeter, avec le temps, cette doctrine. La
Cour devait indiquer que les moyens de justification des limitations étaient exhaustifs et que
les articles de la Convention qui prévoient des possibilités de restreindre les droits qu'ils
établissent ne laissaient aucune place à la libre appréciation et aux arguments en soutien de la
doctrine des limitations implicites concernant des catégories spécifiques de personnes, telles
les personnes privées de liberté408. Il était dès lors impensable qu'un détenu fût privé de ses
droits uniquement en raison de son statut409. En conséquence, la personne conservait ses
droits conventionnels en prison et toute limitation de ces droits devait être justifiée dans
chaque cas concret410. La doctrine considère qu'en renonçant à la doctrine des limitations
implicites par la mise en place du principe d'interprétation précise des raisons des limitations,
la Cour a contribué à assurer la supériorité des intérêts individuels sur la volonté de l'État de
garder sa position prépondérante411.

C'est ainsi qu'en 1975 la Cour considéra qu'il était inadmissible de s'appuyer sur le
statut de la personne comme facteur à prendre en considération en vue de la restriction de ses
droits et libertés. C'est ce qui arriva dans l'affaire Golder, détenu qui s’était vu refuser l'envoi
du courrier à son avocat412.

Le gouvernement prétendait, pour se justifier, que le droit à la correspondance était


soumis non seulement aux limitations autorisées par l'article 8, 2e al., de la Convention mais
aussi aux limitations implicites qui constituaient la conséquence de la peine, laquelle
entraînait inévitablement des conséquences rejaillissant sur le jeu d’autres articles de la
Convention, dont l’article 8 (§ 44). La Cour répondit à ces argument que l'approche du
gouvernement était contraire au texte précis de l'article 8, en raison de quoi la "tournure
restrictive dont se ser[ai]t le paragraphe 2 (art. 8-2) ("Il ne peut y avoir ingérence ... que pour

407
Jacq C.Ibid, p. 350. Un exemple d'application des limitations implicites est fourni par l'arrêt
dans l'affaire K.H.C. c. Royaume-Uni (nº 2749/66, 11.07.1967, décision), où la Commission conclut
que la limitation du droit à la correspondance était une conséquence immanquable de la peine
privative de liberté.
408
Gomien D., Harris D.J., Zwaak L., Law and Practice of the European Convention on Human
Rights and the European Social Charter, Strasbourg, Council of Europe, 1996, p. 210..
409
Hirst c. Royaume-Uni (nº 2) §§ 69-70 (nº 74025/01, 06.10.2005), Dickson c. Royaume-Uni
(GC) § 67 (nº 44362/04, 02.12.2007).
410
Stumer c. Austriche § 67 (nº 37452/02, 07.07.2011).
411
Gomien D., Harris D.J., Zwaak L., Ibid, p. 211.
412
Golder c. Royaume-Uni (nº 4451/70, 21.02.1975).
181

autant que ...") ne laiss[ait] pas place à l’idée de limitations implicites" (§. 44). La Cour statua
sur la violation de la Convention du fait de l'interdiction de correspondre avec l'avocat.

À l'époque, le constat de l'irrégularité dans l'affaire litigieuse fut considéré comme un


pas important de par lui-même. L'intérêt particulier de cet arrêt consistait en ce la Cour eut
recours dans son argumentation à une motivation rejetant la théorie des limitations
implicites413. La thèse du § 44 sur la nécessité de se baser sur des raisons communes pour
limiter les droits des détenus eut une importance de principe pour l'interprétation future de la
Convention dans les affaires concernant des personnes privées de liberté. La limitation des
droits derrière les murs des prisons devait répondre aux mêmes exigences que la limitation
des droits en liberté.

L'arrêt Golder semble être le premier arrêt à rejeter la doctrine des limitations
implicites414, bien que le Conseil d'Europe ait remarqué que, même après cet arrêt, la doctrine
concernée fût modifiée et ne fût plus utilisée que d'une manière limitée415. L'arrêt cité eut pour
effet une impulsion forte pour le développement de la jurisprudence de la Cour relative aux
droits des détenus. Le rejet de la doctrine des limitations implicites devait conduire, par la
suite, au constat d'un grand nombre de violations de la Convention 416. C'était logique, car
l'application des normes communes de limitation des droits à la place de la théorie des
limitations implicites, qui permettait d'éviter un contrôle convenable du bien-fondé des
restrictions, obligea la Cour à être plus compréhensive au sujet des droits des personnes
derrière les murs des prisons.

L'arrêt Golder statue sur l'inadmissibilité des limitations "implicites" qui, de l'avis de
certains auteurs, sont souvent confondues avec les limitations "inhérentes". L’on a tendance à
dire que c'est la doctrine des limitations inhérentes qui a été rejetée grâce à l'affaire Golder.
Sébastien Van Drooghenbroeck, qui étudie spécialement cette question dans une partie de sa
thèse, estime qu'il y a confusion entre limitations inhérentes et limitations implicites dans
l'arrêt Golder417. Toutefois, cette confusion ne réduit pas le fait que les deux types de

413
Van Zyl Smit D., Snacken S., Principles of European Prison Law and Policy: Penology and
Human Rights, New York: Oxford University Press, 2009, р. 10–11.
414
Abels D., Prisoners of the International Community: The Legal Position of Persons Detained
at International Criminal Tribunals, The Hague, Asser Press, 2012, p. 46; Yutaka A., Yutaka A.T. The
Margin of Appreciation Doctrine and the Principle of Proportionality in the Jurisprudence of the
ECHR, New York, Intersentia, 2001, p. 78.
415
Council of Europe Decisions and Reports 10 - European Commission of Human Rights (June
1978), Strasbourg: Council of Europe Publishing, 1978 (reprinted in 1995), p. 43.
416
Jacq C., Ibid, p. 376.
417
Van Drooghenbroeck S., La proportionnalité dans le droit de la Convention européenne des
droits de l'homme: prendre l'idée simple au sérieux, Bruxelles, Publications Fac St Louis, 2001, p. 55.
182

limitations sont en conflit avec les articles 17 et 18 de la Convention 418, qui disposent que les
limitations ne doivent pas être plus importantes que celles prévues à la Convention et que les
limitations ne peuvent être appliquées que dans le but pour lequel elles ont été prévues.

Malgré ce rejet si ancien par la Cour de la doctrine des limitations inhérentes à


l'emprisonnement dans sa forme la plus radicale, quelques-unes de ses modifications ont
continué à s’appliquer dans le domaine pénitentiaire ainsi que dans d'autres sphères419,
certaines d'entre elles étant maintenues dans la jurisprudence de la CEDH jusqu'à nos jours.
Cela se produit à une telle fréquence, que certains auteurs en ont même tiré des conclusions
erronées. C'est ainsi que l'on insiste sur le fait que les détenus conservent tous les droits
conventionnels qu'ils ne perdent pas nécessairement du fait de l'incarcération 420. D'autres
affirment que ces limitations ne relèvent d'aucun but justifié des limitations d'après la
Convention (et sont donc non justifiées pour cette raison), tout en admettant la justification
des limitations minimales en raison de leur "inhérence"421.

Il est plus difficile de comprendre la norme que les détenus bénéficient de tous les
droits, sauf ceux qu'ils perdent en tant que conséquence directe de la privation de liberté dans
le contexte de l'application des articles 2 et 3 de la Convention. Notons que l'article 3
comporte un droit absolu qui ne peut pas être limité en général (le droit de n'être pas soumis à
la torture), la limitation du droit consacré par l'article 2 (droit à la vie) du fait de
l'emprisonnement ne s'accordant pas du tout avec les principes fondamentaux de la
Convention.

2.2.1.1.2. État actuel de la doctrine des limitations inhérentes à l'incarcération

Nous pouvons constater que la place de la doctrine des limitations des droits
inhérentes à l'emprisonnement n'est pas définie très clairement dans la jurisprudence de la
CEDH. L'exception vient, semble-t-il, de l'avis précis de la Cour disant que cette doctrine ne

418
Jacobs F.G., White R.A., The European Convention on Human Rights, 2nd ed., Oxford,
Clarendon Press, 1996, p. 300-302; Drooghenbroeck S., Ibid, p. 96.
419
Une philsophie similaire admettant la dérogation aux causes générales des limitations des
droits continuait à être appliquée dans les affaires concernant le service miliaire, l'administration
publique, l'éducation (Van Drooghenbroeck S., Ibid, р. 55–56).
420
Davis H., Human Rights Law : Directions. 3rd edition, Oxford: Oxford University Press,
2013, p. 432.
421
Enderlin S., Le droit de l’exécution de la peine privative de liberté : D’un droit de la prison
aux droits des condamnés, Thèse, Paris, Université de Paris Ouest Nanterre la Défense, 2008, р. 445–
446.
183

saurait créer des raisons supplémentaires pour les limitations des droits en contournant les
causes déjà fixées dans les clauses limitatives de la Convention (arrêt Golder). Quant à l'idée
même selon laquelle les limitations sont inhérentes à l'emprisonnement, elle continue d'être
utilisée par la Cour. Cette circonstance engendre ainsi la confusion dans la question de savoir
quel rôle continue de jouer la doctrine des limitations inhérentes dans la jurisprudence de la
CEDH? Essayons de trouver la réponse.

2.2.1.1.2.1. Limitations inhérentes et article 3 de la Convention

L'exemple classique d'application de la théorie des limitations inhérentes est fourni par
l'arrêt Kudla c. Pologne422. La Cour y rappelle sa jurisprudence précédente, selon laquelle
l'article 3 de la Convention n'est applicable que sous réserve du dépassement du niveau
minimum de sévérité du traitement inapproprié. L'évaluation de cette sévérité est relative et
elle dépend des faits, de la nature et du contexte du traitement, du mode et de la méthode du
traitement, de sa durée, de l'incidence physique et psychique et, dans des cas concrets, du
sexe, de l'âge et de l'état de santé de l'intéressé.

Dans le même temps, les souffrances et l'humiliation doivent aller au-delà de l'élément
inévitable de souffrance ou d'humiliation en rapport avec le traitement ou la peine justifiée423.
L'emprisonnement en tant que mesure coercitive peut comprendre un tel élément ce qui ne
signifie pourtant pas que l'incarcération, en tant que telle, soulève la question de l'article 3 de
la Convention. Cet article exige que l'État garantisse la détention de la personne dans des
conditions compatibles avec la dignité humaine de celle-ci, que le mode et la méthode
d'incarcération ne lui fassent pas subir des souffrances dont l'intensité dépasse le niveau des
souffrances inhérentes à l'incarcération et, compte tenu des impératifs pratiques de
l'emprisonnement, la santé de la personne soit assurée par l'assistance médicale424. La Cour
conclut donc que l'article 3 de la Convention n'a pas été violé puisque le traitement de M.
Kudla n'avait pas atteint le niveau suffisant de sévérité pour pouvoir invoquer l'article 3.

422
Kudla c. Pologne (GC) §91 (nº 30210/96, 26.10.2000)
423
Mutatis mutandis, Tyrer c. Royaume-Uni § 30 (nº 5856/72, 25.03.1978), Soering c.
Royaume-Uni § 100 (nº 14038/88, 07.07. 1989), V. c. Royaume-Uni [GC] § 71 (nº 24888/94,
16.12.1999)
424
Kudla §§ 93-94.
184

Cette approche plonge ses racines dans l'arrêt rendu dans l'affaire Tyrer contre
Royaume-Uni425. La Cour y spécifiait que la condamnation elle-même ne pouvait être
considérée comme violation de l'article 3, puisque l'article traite des peines "dégradantes" ou
"inhumaines". Il convient pourtant de noter que toute limitation pourrait être dégradante. Par
conséquent, le traitement dégradant doit atteindre un certain niveau pour être qualifié de
violation de l'article 3. D'autre part, le traitement dégradant doit résulter non seulement de la
condamnation, mais aussi du mode d'exécution de la peine, pour que l'article 3 puisse être
invoqué426.

La position juridique adoptée dans l'affaire Kudla est devenue classique, de sorte
qu'elle est citée systématiquement dans les affaires relatives aux détenus. Cette position nous
semble discutable, en ce sens qu'elle peut être interprétée comme une position de la Cour
admettant les limitations des droits en raison des limitations inhérentes à l'incarcération ou des
souffrances inhérentes.

Il est à préciser que, conformément à l'article 15 de la Convention, la limitation du


droit stipulée dans l'article 3 n'est pas admissible, même en cas d'état d'urgence. Cependant, la
limitation est appliquée de manière voilée, en faisant recours à la doctrine des limitations
inhérentes, afin de réduire le contenu du droit par l'interprétation. Pour pouvoir appliquer le
droit prévu à l'article 3 de la Convention, il est nécessaire d'en établir le contenu. Ce contenu
est déterminé moyennant l'interprétation de la Convention par la Cour qui définit les limites
du droit, c'est-à-dire qu'elle statue sur ce qui est couvert par le droit et ce qui ne l'est pas. Par
conséquent, lorsque la Cour conclut que l'emprisonnement entraîne un niveau minimum de
souffrance qui, cependant, n'est pas suffisant pour statuer sur la violation de l'article 3 de la
Convention, elle évoque le contenu du droit prévu par l'article 3. Autrement dit, le droit de
n'être pas soumis à des souffrances inévitables du fait de l’emprisonnement n'existerait pas.
L'interdiction de faire subir aux détenus des souffrances inévitables ne fait pas partie du
contenu du droit prévu par l'article 3. En cherchant à déterminer ce qui est inévitable, on
détermine le contenu du droit. Le fait de reconnaître telle souffrance inévitable en prison
réduit en fait le contenu du droit d'après l'article 3 et pourrait donc être considéré, selon nous,
comme une limitation de nature interprétative.

425
Tyrer c. Royaume-Uni (nº 5856/72, 25.03.1978).
426
Tyrer c. Royaume-Uni § 30. Par la suite, la Cour modifiera quelque peu cette position en
indiquant que la réclusion à perpétuité sans la perspective de libération enfreint l'article 3 de la
Convention (Vinter c. Royaume-Uni (nº 66069/09, 130/10 et 3896/10, 09.07.2013)).
185

Rappelons-nous l'exemple du professeur Barak qui aide à mieux comprendre la


situation: la norme selon laquelle existe le droit de se réunir pacifiquement, sans armes,
d’organiser des manifestations, des piquets et de présenter des pétitions. La formulation même
de cette norme comporte ce qu'on appelle des qualificateurs du droit, c’est-à-dire des
mentions concrètes expliquant le contenu du droit. D'après cet exemple, le contenu dans le cas
donné, ne comprend pas la possibilité des réunions avec armes ou à des fins non pacifiques. Il
ne s'agit donc pas de la limitation d'un droit, mais de l'interprétation de son étendue427. La
seule différence entre cet exemple et celui de l'affaire Kudla consiste en ce que le fait de ne
pas inclure les souffrances inévitables en prison ne découle pas du texte de l'article 3 de la
Convention, mais est formulé par la Cour qui interprète l'article 3.

Il serait utile de mentionner aussi que cette approche est opposée à celle d’Alexy428,
qui estime que l'idée des limitations serait remplacée dans ce cas par l'idée d'étendue. Cette
idée est propre à la théorie des limitations des droits dite interne, qui considère que les
limitations des droits n'existent pas, puisque l'idée de limitations est remplacée par celle
d'étendue. Nous avons, à l'opposé de cette théorie, la théorie externe des limitations, qui
distingue le droit et la limitation du droit. Dès qu'une limitation est appliquée, le droit illimité
devient limité429. Il en résulte que, d'après la théorie interne, la limitation du droit serait
"voilée" selon l'interprétation de son contenu. Nous pensons, cependant, que cela ne pourrait
pas démentir le fait que le droit s'avère finalement être limité.

A la lumière de ce qui précède, nous relevons des difficultés concernant l'approche de


la CEDH pour l'application de l'article 3. La Cour indique qu'il est applicable sous réserve que
le mauvais traitement atteigne "un minimum de gravité"430. Il en découle un effet assez
inattendu du point de vue humain: le mauvais traitement qui n'atteint pas un certain degré ne
violerait pas l'article 3 (et serait donc admissible?). Les souffrances inévitables en prison ne
devraient pas être considérées comme mauvais traitement, au lieu d'être qualifiées de mauvais
traitement qui ne tombe pas sous le coup de l'article 3 de la Convention. Par ailleurs,
l'approche actuelle est assimilée, en fait, à l'idée que tout mauvais traitement devrait relever en

427
Barak A., Proportionality: Constitutional Rights and their Limitations, Cambridge,
Cambridge University Press, 2012, p. 33.
428
Voir plus de détails sur les théorie de Barak et Alexy au sous-chapitre 1.5.2 "Limites de
rapprochement des droits des détenus d'aves les droits des citoyens libres".
429
Alexy R., A Theory of Constitutional Rights, translated by J. Rivers, New York, Oxford
University Press, 2004, p. 179.
430
«… ill-treatment must attain a minimum level of severity if it is to fall within the scope of
Article 3 », Kudla c. Pologne (GC) §91 (nº 30210/96, 26.10.2000)
186

principe de l'article, mais il existe un niveau minimum de traitement de ce type au-delà duquel
la Cour applique la défense sur la base de cet article.

Dans tous les cas, la limite entre le contenu du droit prévu à l'article 3 de la
Convention, que la Cour détermine par l'interprétation, d'une part, et la limitation de ce droit,
d'autre part, est illusoire. Quel que soit le nom qu’on lui attribue, la limitation du droit ne peut
pas être soumise à la torture ou l'interprétation du contenu du droit ; la personne serait alors
privée de défense d'après l'article 3431.

Néanmoins, l'assimilation de l'interprétation du contenu d'un droit à la limitation du


droit signifierait que la théorie des limitations inhérentes continue toujours à fournir une
raison pour restreindre les droits. Dès lors, même le rejet d'une telle assimilation ne signifirait
pas que la doctrine des limitations inhérentes n'impacte pas le niveau de protection prévu par
la Convention. Le niveau de différence dans la protection d'un détenu par rapport à une
personne libre serait déterminé en fonction de ce qui est considéré comme souffrance
inévitable en prison. C'est ce qui représente pour nous le caractère spécifique de l'approche de
la Cour à l’égard des détenus.

Il convient donc de reconnaître, dans le contexte de l'article 3, que la théorie des


limitations inhérentes trouve un écho dans la théorie des souffrances inhérentes, ce qui ne
change pas toutefois l'essentiel: la catégorie "d'inhérence" de telles ou telles conséquences de
l'emprisonnement continue d'être évaluée par la Cour et d'influer sur le degré de protection de
la Convention. Rappelons que la catégorie "d'inévitabilité" des limitations en prison est trop
floue et peu fiable pour pouvoir être appliquée en tant que fondement servant à déterminer
l'étendue de la protection des droits des détenus432. De plus, traitant des affaires relatives à la
violation de l'article 3, la Cour conclut que le niveau "minimum" des souffrances doit
atteindre un certain niveau minimal pour pouvoir statuer sur la violation dudit article. Ce
minimum est relatif et dépend de facteurs tels que la durée, les effets physiques et psychiques
et, dans certains cas, du sexe, de l'âge, de l'état de santé de l'intéressé433. Nous voyons ainsi
renier en fait le caractère objectif de ce qui est "minimal" pour violer l'article 3. Comment la
Cour peut-elle, dans ces conditions, invoquer en même temps la catégorie de caractère

431
Voir par ex. l'affaire dans laquelle la détention prolongée du détenu qui circulait en fauteuil
roulant sous une surveillance renforcée n'était pas reconnue comme violation de l'article 3 puisqu'elle
n’allait pas au-delà des souffrances inhérentes (Enea c. Italie § 67 (nº 74912/01, 17.09.2009).
432
Voir sous-chapitre 1.3.2 "Classification selon l'origine de la limitation. Limitations des droits
découlant de l'incarcération".
433
Frérot c. France § 35 (nº 70204/01, 12.06.2007).
187

"objectif" des souffrances inévitables (inhérentes) à la privation de liberté (incarcération) pour


statuer sur la violation de l'article 3?

Ceux qui veulent défendre la théorie des souffrances inhérentes dans la jurisprudence
de la CEDH et d’autres standards internationaux pourraient aussi arguer que ces souffrances
ont lieu de façon objective et elles devraient donc être prises en compte pour appliquer les
normes de la Cour. Cependant, cette logique pourrait signifier la prise en compte d'autres
situations spécifiques auxquelles la Convention peut s'appliquer. Il serait logique, par
exemple, de demander, pourquoi l'idée du "niveau inhérent" de souffrance ne s'applique pas,
selon la Cour, pour déterminer si l'article 3 de la Convention a été violé on non en raison de
l'interpellation de la personne? C’est qu’une telle situation donne lieu aussi à des souffrances
"inhérentes à l'interpellation".

Nous voyons là une démonstration de plus du fait que l'inhérence des souffrances en
tant que théorie servant à déterminer le niveau minimum de sévérité du traitement irrégulier
aux fins de l'article 3 est artificielle et non rationnelle. Elle illustre la spécificité de la norme
de la Cour concernant les détenus. Ceci dit, nous ne contestons pas, rappelons-le, l'existence
de souffrances inhérentes, mais nous insistons sur l'inadmissibilité de l'utilisation dans la
jurisprudence d'une catégorie aussi peu précise qu'inhérence des limitations (souffrances) dans
le contexte de l’incarcération. En revanche, les limitations inhérentes dans le contexte de
l'application de l'article 3 de la Convention sont le reflet de l'ancienne théorie des limitations
implicites en prison. Ce reflet se traduit, à notre avis, par la détermination des distinctions
dans la norme des droits des personnes libres et des détenus en raison de leur incarcération.

Nous proposons donc l'idée selon laquelle il vaudrait mieux que la Cour ne constate
pas le niveau minimum du mauvais traitement aux fins d'application de l'article 3, mais qu'elle
détermine si le traitement concerné relève de la disposition de l'article 3. Cependant, il existe
un même inconvénient: un trop grand pouvoir discrétionnaire. Cependant, ce pouvoir
discrétionnaire ne dépendrait que de la définition donnée par la Cour à la torture, au
traitement inhumain ou dégradant ou à la peine, relativement à l’état d’avancement de la
société et de la jurisprudence de la Cour. Or, l'approche actuelle admet, non seulement
l'impact de l'évolution de la société sur la conception des catégories évoquées, mais aussi son
impact sur la conception de ce qui est la conséquence inévitable de l'emprisonnement. Cette
approche nous semble moins progressiste du point de vue de l'évolution des droits de l'homme
et des droits des détenus en particulier, parce qu'elle établit, à l'égard de ces derniers, des
188

raisons supplémentaires pour rétrécir le degré de protection de la Convention434. Elle


représente une tentative mal réussie de la Cour de surmonter la difficulté immanente dans
l'application de la norme générale de protection des droits de l'homme vis-à-vis des personnes
emprisonnées. Les analystes de la jurisprudence de la Cour constatent eux aussi un
abaissement de la norme de l'article 3 concernant les détenus; ils y voient une conséquence
des idées préconçues des juges de la CEDH435.

2.2.1.1.2.2. Limitations inhérentes et autres articles de la Convention

La Cour rappelle assez souvent que l'emprisonnement implique des restrictions en


raison de sa nature. Ces restrictions se constatent le plus souvent s'agissant de la limitation du
droit à la vie privée prévu à l'article 8 de la Convention436. Dans ce cas, la Cour se borne
généralement à rappeler le fait que l'emprisonnement implique naturellement ou
inévitablement des limitations de droits. Il est vrai que dans certains cas, le constat des
limitations inévitables est suivi d’une recommandation énonçant que les autorités
pénitentiaires et les autres services concernés doivent tout de même prendre des mesures
destinées à aider les détenus à maintenir les contacts avec leurs familles437.

La CEDH considère comme bien établi le principe selon lequel les détenus continuent
de jouir de tous les droits fondamentaux et libertés garantis par la Convention, sauf le droit à
la liberté (dans les cas où la privation de liberté est légitime et relève de l'article 5 de la
Convention)438. Dès lors, toute limitation de ces droits doit être justifiée dans chaque cas

434
La jurisprudence de la Cour illustre d'autres discordances du caractère absolu déclaré du droit
prévu à l'article 3 de la Convention d'avec ses propres pratiques. Cela se manifeste, par exemple, dans
la prise en compte du comportement antérieur de la personne en constatant la violation de cet article.
D'une part, la Cour dit que le droit prévu à l'art. 3 est absolu, en ce sens que l'interdiction de la torture
ne connait pas d'exception, et peu importe donc le comportement du détenu (Raninen c. Finlande § 55
(nº 20972/92, 16.12.1997)). Dans le même temps, s'agissant d'autres cas, la Cour détermine la
proportionnalité de la mesure appliquée pour constater la violation de l'article 3 de la Convention tout
en attirant l'attention sur l'absence du comportement qui puisse justifier l'application de la mesure de
sécurité concernée (Mouisel c. France § 47 (nº 67263/01, 14.11.2002)).
435
Murdoch J., The Treatment of Prisoners: European Standards, Strasbourg, Council of Europe
Publishing, 2006, p. 117.
436
Inter alia, Messina c. Italie (nº 2) §§ 61-62 (nº 25498/94, 28.09.2000); Lavents c. Lettonie §
139 (nº 58442/00, 28.11.2002); Estrikh c. Lettonie § 166 (nº 73819/01, 18.01.2007); Nazarenko c.
Lettonie § 73 (nº 76843/01, 01.11.2007); Trosin c. Ukraine § 39 (nº 39758/05, 23.02.2012); Epners-
Gefners c. Lettonie §§ 60-66 (nº 37862/02, 29.05.2012).
437
Nazarenko c. Lettonie § 73 (nº 76843/01, 01.02.2007), Khoroshenko c. Russie (GC) § 106 (nº
41418/04, 30.06.2015).
438
Hirst c. the United Kingdom (nº 2) § 69 (nº 74025/01, 06.10.2005).
189

concret. Par ailleurs, cette justification peut découler, entre autres439, des conséquences
inévitables de l'emprisonnement440. Bien que la personne continue de jouir de tous les droits à
l'exception du droit à la liberté, la Cour reconnaît que toute mesure privative de liberté exerce
par définition une influence sur les conditions normales de liberté et conduit nécessairement à
des restrictions et au contrôle de l'exercice des droits conventionnels441. Le caractère
inévitable des restrictions prévoit pour l'État la mise en œuvre de mesures visant l'exercice du
droit limité442. La Cour reconnaît donc, dans les arrêts cités, que l'inhérence des limitations
peut être considérée comme une raison permettant de les qualifier de justifiées.

L'arrêt Dickson en fournit une confirmation instructive443. La Cour y constate la


violation de l'article 8 de la Convention, le condamné et sa femme s'étant vu refuser de
procéder à une insémination artificielle. En soutenant cette interdiction, le gouvernement
signifiait que la perte de possibilité de concevoir des enfants était la conséquence inévitable
de l'emprisonnement. La Cour, pour sa part, disait que "bien que l'impossibilité de concevoir
des enfants puisse être consécutive à l'emprisonnement, elle n'en est pas une conséquence
inévitable"444. Il en découle logiquement que si le gouvernement avait prouvé que
l'impossibilité de concevoir des enfants, en tant que conséquence, était inévitable en prison, la
Cour aurait accepté cette justification comme étant suffisante pour reconnaître que la
limitation concernée était justifiée.

Dans certains cas, la Cour peut expliquer ce qu'elle entend par limitation inévitable en
raison de l'incarcération. C'est ainsi qu'elle indique dans l'affaire Vintman contre Ukraine, que
la Convention ne garantit pas aux détenus le droit de choisir le lieu de leur détention et le fait
d'être séparés de leurs familles et de se trouver ainsi à une certaine distance par rapport à elles

439
La justification peut s'appuyer par exemple sur des considerations de sécurité qui découlent
nécessairement des conditions d'incarcération. Il peut s'agir notamment de prévenir des infractions ou
des troubles (Gulmez c. Turquie § 46 (nº 16330/02, 20.05.2008)).
440
Dickson c. Royaume-Uni (GC) § 68 (nº 44362/04, 02.12.2007), Stummer c. Austriche [GC]
§ 99 (07.07.2011, nº 37452/02).
441
Dickson c. Royaume-Uni § 27 (nº 44362/04, 18.04.2006), Dickson c. Royaume-Uni (GC) §
68 (nº 44362/04, 02.12.2007).
442
Istvan Gabor Kovacs c. Hongrie § 35 (nº 15707/10, 17.01.2012).
443
Dickson v United Kingdom (GC).
444
Dickson v United Kingdom (GC) § 74. Cette thèse nous rappelle d'ailleurs tout suite les
arguments cités selon lesquels toute limitations pourrait être reconnue comme n'étant pas inévitable,
car il existe toujours des moyens d'assurer tout droit de la personne libre. L'on pourrait par exemple
organiser la sortie au-delà de l'établissement. Nous montront que la justification de la limitation des
droits en tant que conséquence inévitable de l'incarcération permet de contester et de limiter nombre
de droits qui peuvent être réalisés assez facilement en réalité.
190

est la conséquence inévitable de l'emprisonnement445. Toutefois, la détention à une distance


trop grande par rapport à la famille peut être qualifiée de violation de la Convention446.

Bien que reconnue comme pouvant servir de justification à des restrictions, la doctrine
des limitations inhérentes est rarement appliquée. L'analyse détaillée des arrêts de la Cour en
matière pénitentiaire montre que cette doctrine n'exerce pas d'influence pratique447. La Cour
ne fait généralement que la rappeler, mais elle n'est presque pas utilisée aux fins de motivation
du bien-fondé ou du mal-fondé des limitations. De même, mis à part des cas particuliers, la
Cour ne se livre pas à des considérations visant à dire quelles limitations sont inévitables et
lesquelles ne le sont pas. Elle utilise plutôt la norme ordinaire de proportionnalité. Il est
normal donc que les autorités nationales aient rarement recours actuellement à cette théorie
pour justifier les limitations et défendre leur position à la Cour.

Il est ainsi possible d'affirmer que la doctrine des limitations inhérentes ne conserve
son influence que dans le contexte de l'application de l'article 3 et qu'elle a perdu sa portée
pratique pour pouvoir constater la violation d'autres articles.

2.2.1.1.3. D’autres preuves de l’approche spécifique de la CEDH en matière de limitation


des droits des détenus

La Convention fut créée comme outil général de mesure de la justification des


limitations appliquées à tous les citoyens sans rentrer dans la situation spécifique des
détenus448. Toutefois, la jurisprudence de la Cour montre que cette approche a donné lieu et
continue de produire une contradiction fondamentale: la situation des détenus exige en
pratique une approche différente pour justifier la limitation de leurs droits. Cette contradiction
entre le statut juridique général de la personne et l'impossibilité de l'exercer pleinement sous
conditions de privation de liberté exige de constamment rectifier les normes générales de la
CEDH relatives aux limitations des droits de l'homme et de les adapter aux affaires
concernant les détenus. Les tentatives visant à nier cette contradiction conduisent non
seulement à un rejet, de la part de la Cour, de la doctrine des limitations inhérentes à

445
Vintman c. Ukraine § 78 (nº 28403/05, 23.10.2014)
446
Khodorkovskiy et Lebedev c. Russie (nº 11082/06 et 13772/05, 25.07.2013).
447
Son application à l'article 3 de la Convention est une sorte d'exception. Voir supra.
448
Tulkens F., Droits de l’homme et prison. Jurisprudence de la nouvelle Cour européenne des
droits de l’homme, in L’Institution du droit pénitentiaire – Enjeux de la reconnaissance de droits aux
détenus. De Schutterr O and Kaminski (eds), Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence,
2002, p. 252.
191

l'incarcération, mais aussi dans la thèse selon laquelle il n'appartient pas à la Cour de créer
une théorie générale des limitations applicables aux détenus449.

Pourtant, le problème de l'assimilation des approches vis-à-vis des limitations des


droits des personnes libres et des détenus n’a pas manqué de se manifester, puisque la prison
"est une sorte de prisme à travers lequel les droits de l'homme font l'objet d'une lecture
spéciale"450. C'est ainsi que dès l'affaire Golder (§ 45), la Cour signifiait qu'elle acceptait
l'argument selon lequel la "nécessité" de la limitation du droit à la correspondance du détenu
devait être appréciée compte tenu "des exigences normales et raisonnables de la détention"451.
Il en résulte que la "défense de l’ordre" et la "prévention des infractions pénales", par
exemple, peuvent justifier des ingérences (limitations des droits – N.D.L.A.) plus amples à
l’égard d’un détenu que d’une personne en liberté"452.

La Cour signifie ensuite que, dans cette mesure, mais dans cette mesure seulement,
une privation régulière de liberté, au sens de l’article 5, ne manque pas de se répercuter sur
l’application de l’article 8 (art. 8). Précisons que cette opinion tient à ce que le gouvernement
s'appuyait dans ses arguments contre Golder, justement sur le fait que l'article 5 admet la
limitation du droit fixé à l'article 8, en ce sens qu'une telle limitation était admissible en raison
même de la privation de liberté. C'est-à-dire que la Cour expliquait aussitôt en quoi pouvait
consister l'incidence de la privation de liberté sur l'application de la norme de limitation en
accord avec l'article 8, à savoir une signification plus importante du but visant à assurer
l'ordre et la sécurité.

Il est indiscutable que la Cour reconnaît l'existence même de la spécificité dans son
arrêt rendu dans l'affaire Golder. De manière ironique, l'acte de reconnaissance intervient dans
l'arrêt qui vise à argumenter l'inadmissibilité de toute spécificité, puisque l'idée des
"limitations inhérentes" est rejetée en tant que motif de refus de défendre les droits des
détenus.

Ainsi, en évaluant si la limitation est "nécessaire" dans une société démocratique, la


Cour attire-t-elle, par ailleurs, l'attention sur les exigences dites "normales et rationnelles de la

449
Golder c. Royaume-Uni § 39 (nº 4451/70, 21.02.1975).
450
Gouttenoire A., Les droits de l’homme en prison, Revue pénitentiaire et de droit pénal, 2005,
n°1, p. 107.
451
Voir aussi : Silver et autres c. Royaume-Uni § 98 (nº 5947/72; 6205/73; 7052/75; 7061/75;
7107/75; 7113/75; 7136/75, 25.03.1983), Malone c. Royaume-Uni (nº 8691/79, 02.08.1984).
452
Golder c. Royaume-Uni § 45.
192

détention"453. Ces exigences sont évoquées principalement pour dire qu'un contrôle de la
correspondance des détenus n'est pas incompatible avec la Convention, l'idée même étant
rattachée au principe général de la jurisprudence de la CEDH454.

Par ailleurs, l'analyse de la jurisprudence de la Cour ne montre pas que les "exigences
normales et rationnelles" puissent avoir un impact en tant qu'éléments justifiant des
limitations concrètes ou permettant une ampleur plus importante de ces limitations. Il n'en
existe pas moins des exceptions. Quelques arrêts indiquent directement que la prévention des
troubles et des crimes peut justifier une marge discrétionnaire plus large dans l'ingérence dans
les droits455. La Cour précise que ces considérations ne signifient pas que les plaintes des
détenus puissent être bloquées456. Ces exigences justifient également le système des mesures
disciplinaires applicables en cas de violation du régime457. Pour pouvoir reconnaître le bien-
fondé de la limitation de certains droits, ces exigences sont évoquées en tant qu'éléments
nécessaires à la lumière de la vie communautaire avec les autres détenus 458. La Cour n'essaie
pourtant pas de conclure quel pourrait être le résultat pratique de l'application des "exigences
normales et rationnelles" et il n'est donc pas clairement établi quelles sont les limitations qui
dépassent les limites de ces exigences459.

Les résultats de l'examen des affaires par la Cour ne sont pas, non plus, impactés par
l'équivalent des exigences normales et rationnelles: les "exigences pratiques de la détention".
Celles-ci sont évoquées dans les affaires relatives à la violation de l'article 3 de la Convention,
ce, par une formule standard soutenant que les souffrances ne doivent pas surpasser le niveau
inévitable en prison compte tenu "des exigences pratiques de la détention". Dans certains cas,
la Cour précise directement que la justification des limitations des droits des détenus peut

453
Golder c. Royaume-Uni § 45 (nº 4451/70, 21.02.1975), Silver et autres c. Royaume-Uni § 98
(nº 5947/72; 6205/73; 7052/75; 7061/75; 7107/75; 7113/75; 7136/75, 25.03.1983), Malone c.
Royaume-Uni (nº 8691/79, 02.08.1984); Campbell c. Royaume-Uni § 45 (nº 13590/88, 25/03/1992),
Doerga с. Pays-Bas § 53 (nº 50210/99, 27.04.2004), Szuluk c. Royaume-Uni § 46 (nº 36936/05,
02.06.2009), Yefimenko c. Russie § 143 (nº 152/04, 12.02.2013).
454
Piechowicz c. Pologne § 232 (nº 20071/07, 17.04.2012).
455
Golder § 45; Boyle et Rice c. Royaume-Uni § 74 (nº 9659/82, 27.04.1988); Schönenberger et
Durmaz c. Suisse § 25 (nº 11368/85, 20.06.1988); Dikme c. Turquie § 117 (nº 20869/92, 11.07.2000).
456
Puzanis c. Lituanie § 33 (nº 63767/00, 09.01.2007).
457
Stitic c. Croatie § 72 (nº 29660/03, 08.11.2007).
458
A. B. c. Pays-Bas § 93 (nº 37328/97, 29.01.2002); Nusret Kaya et autres c. Turquie § 42 (nº
43750/06, 43752/06, 32054/08, 37753/08 et 60915/08, 22.04.2014); Hagyó c. Hongrie § 79 (nº
52624/10, 23.07.2013).
459
Toner H., Foreign National Prisoners, Deportations and Gender, Gender and migration in 21st
century Europe. Stalford, H, Currie, S and Velluti, S (eds), Abingdon, Routledge, 2016, p. 189;
Lazarus L., Contrasting Prisoners' Rights: A Comparative Examination of Germany and England, New
York, Oxford University Press, 2004, p. 196.
193

découler, inter alia, des conséquences nécessaires et inévitables de la détention ou d’un lien
suffisant entre la restriction et la situation du détenu en question460.

Il s'ensuit que la régularité de la limitation des droits des détenus peut être considérée
sous un point de vue un peu différent par rapport à la limitation des droits des personnes
libres. Ainsi qu'il a été déjà montré, cela peut concerner, en particulier, les différences en
termes de marge d'interprétation du but poursuivi par les limitations. D'autres différences sont
également présentes.

Les théoriciens admettent, qu'en examinant les affaires relatives aux limitations des
droits des personnes privées de libertés, la CEDH ne saurait ignorer le statut juridique
spécifique des personnes concernées.

Dirk Van Zyl Smit et Sonja Snacken offrent la meilleure explication de la situation. Ils
soulignent que la CEDH ne s'occupe pas directement des prisons, mais que la Cour s'attache
nécessairement à l'interprétation des droits conventionnels communs applicables aux prisons.
Des problèmes n'en demeurent pas moins, nonobstant le fait qu'une meilleure conception des
droits dont continuent de jouir les détenus et une meilleure compréhension des buts de
l'emprisonnement aient aidé à l'interprétation des droits communs461. Bien que chacun peut
argumenter que la Cour accomplit assez bien sa mission d'interprétation de la Convention,
laquelle ne vise pas directement les droits des détenus, il est probable que si elle pouvait se
référer à un protocole spécial relatif aux droits des détenus, elle pourrait avancer beaucoup
plus loin dans le développement du droit pénitentiaire et dans la défense des droits des
détenus462.

Il est évident que les questions de l'application efficace des dispositions générales de la
Convention à l'égard de la situation spécifique des détenus portent aussi sur la nécessité de
l'élaboration, au sein de la Convention, d'un protocole relatif aux droits des détenus, qui
viserait la situation des personnes privées de liberté. Certains analystes concluent que le rejet
de l'idée d'un protocole additionnel de la Convention consacré aux détenus démontre le refus
de l'idée de reconnaissance des droits spécifiques des détenus463. Cela démontrerait plutôt
l'absence, au sein du Conseil de l'Europe, de volonté et de ressources pour se charger d’un
certain nombre d'affaires qui surgiraient nécessairement au cas où un protocole de ce genre

460
Stummer c. Austriche [GC] § 99 (nº 37452/02, 07.07.2011); Dickson c. Royaume-Uni (GC) §
68 (nº 44362/04, 02.12.2007).
461
Van Zyl Smit D., Snacken S., Ibid, p. 265.
462
Ibid, p. 377.
463
Enderlin S., Ibid, p. 422.
194

serait adopté. Ainsi que le remarquait bien Stefan Trechsel,464 la Cour ne pourrait toujours pas
réaliser une sorte de "restructuration" des systèmes pénitentiaires européennes à cause de sa
surcharge et aussi par manque de compétence et d'expérience voulue465.

Bien que la question de la nécessité d'un protocole additionnel à la Convention


concernant les droits des détenus dépasse le cadre de la présente thèse, l'idée même de son
élaboration témoigne finalement du potentiel insuffisant des dispositions générales de la
Convention pour prendre en compte tout le caractère spécifique du milieu pénitentiaire466.
Ainsi que le fait noter à juste titre Béatrice Belda, la Convention n'est pas conçue
spécialement pour les détenus et à plus forte raison pour les conditions de détention. C'est
pourquoi une sorte de "défense par ricochet" est mise en œuvre467. Citons, à titre d'exemple,
les sphères extrêmement importantes des droits des détenus comme l'application de sanctions
disciplinaires et la mise en liberté conditionnelle que la Cour considère comme ne relevant
pas de la protection de la Convention (sauf quelques exceptions spécifiques).

Belda étudie spécialement, dans sa thèse l'approche spécifique de la CEDH vis-à-vis


des droits des détenus. Elle estime que puisque le détenu dépend des autorités publiques, il est
vulnérable. La dépendance constitue un frein inévitable à l'action interprétative de la CEDH.
La personne possède donc des qualités que le juge européen devrait prendre en compte à titre
obligatoire. Sur ce plan, le juge de la CEDH élabore une norme spécifique d'application de la
Convention aux détenus. La Convention s'adapte à toutes les complexités du statut de la
personne privée de liberté, en ce sens qu'il y a adaptation du droit textuel et de la
jurisprudence au statut effectif et juridique du requérant. Les droits conventionnels sont
appliqués en prenant en considération le contexte d'exécution des peines, les missions de cet
environnement social et, notamment, la sécurité de la société. Il en résulte une sorte de "droit
commun" de la détention animé par le juge européen, qui mobilise divers modes

464
Second vice-président de l'ancienne Commission européenne des droits de l'homme.
465
Trechsel S., Droits de l’homme des personnes privées de leur liberté. Les droits des détenus,
Droits des personnes privées de leur liberté : égalité et non-discrimination, 7e Colloque international
sur la Convention européenne des droits de l’homme, Copenhague-Oslo-Lund, Conseil de l’Europe,
1990, p. 33–60.
466
A. Spielmann, ancien juge de la CEDH et juriste luxembourgeois connu, regrettait déjà en
1988 que la Convention ne prévoyait pas un texte prenant en compte la spécificité des détenus. Il
faisait remarquer que selon la théorie, telle que la formule la CEDH, "la justice ne peut pas s'arrêter
devant la porte de la prison". Néanmoins, en pratique la Convention se heurte parfois à de graves
difficultés pour pouvoir se frayer un chemin à travers les grilles des lieux de détention (Spielmann A.,
Les détenus et leurs droits (de l’homme), Les droits de l’homme au seuil du troisième millénaire;
Mélanges en hommage à Pierre Lambert, Bruxelles, Bruylant, 2000, р. 782, 787–788).
467
Belda В., Les droits de l'homme des personnes privées de liberté: contribution à l'étude du
pouvoir normatif de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, Bruxelles, Établissements Evile
Bruylant, 2010, p. 69.
195

d'interprétation pour adapter le droit conventionnel à la situation des détenus468. Dans ce


contexte, la CEDH essaie de s'acquitter de sa mission fondamentale: garantir au détenu la
jouissance et la défense de ses droits fondamentaux et, d'autre part, mettre cette mission en
concordance avec les contraintes inévitables dans le contexte fonctionnel ou social
d'interprétation. Cela concerne surtout les limitations qui sont absolument nécessaires à
l'impératif des intérêts sociaux généraux469.

La prise en considération par la Cour des particularités de la situation de la personne


privée de liberté, pour ce qui concerne l'adaptation des exigences de la Convention, peut se
traduire par la mention d’un devoir positif de l'État, d'après l'article 1 de la Convention,
d'assurer certains droits, ce qui implique la garantie de tous les droits protégés par la
Convention. Compte tenu de ce facteur et dans les cas où la situation de la personne fait naître
des obstacles dans l'exercice d'un droit ou d'un autre, l'État se doit d'aplanir ces obstacles.
Autrement dit, la défense des droits, dans ce cas, ne consiste pas dans l'obligation passive de
ne pas accomplir des actes et de ne pas s'immiscer dans ces droits, mais dans l'exigence de
réaliser des actes positifs de manière à aider à les exercer. Cette technique des obligations
positives permet ainsi d'adapter la défense conventionnelle traditionnelle à la situation
particulière des personnes privées de libertés, cette dernière représentant elle-même une
limitation de l'exercice effectif de ces droits, compte tenu des contraintes liées au milieu fermé
et à la sécurité470 et au regard de la dépendance des détenus vis-à-vis de l'administration471. Le
meilleur exemple de ces obligations positives repose sur l'exigence pour l'État d'assurer le
soutien des liens sociaux des détenus avec le monde extérieur472. Cet exemple s'inscrit dans la
logique selon laquelle l'emprisonnement exerce de par lui-même des effets négatifs sur les
liens familiaux, la Cour invitant donc à faire diminuer de tels effets 473. Un autre exemple
instructif des obligations positives est fourni par l'engagement de l'État à assurer le droit du

468
Ibid, p. 26-31, 202, 262.
469
Ibid, p. 15.
470
Ibid, p. 172-173, 186.
471
Enderlin S., Ibid, p. 432.
472
Van Kempen P.H., Positive Obligations to Ensure the Human Rights of Prisoners: Safety,
Healthcare, Conjugal Visits and the Possibility of Founding a Family under the ICCPR, the ECHR, the
ACHR and the AfChHPR, Prison Policy and Prisoners’ Rights. The protection of prisoners’
fundamental rights in international and domestic law. / Tak P.J.P. & Jendly M., eds., Nijmegen, Wolf
Legal Publishers, 2008, p. 21–44.
473
Herzog-Evans M., Droit civil commun, droit européen et incarcération, in Droit au respect de
la vie familiale au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, F. Sudre (dir.), Bruxelles,
Bruyllant, 2002, p. 242.
196

détenu de saisir la Cour (art. 34 de la Convention) et de faire des copies des documents
nécessaires474.

Le caractère spécifique d'application de la Convention dans le contexte pénitentiaire


peut donc se traduire par une interprétation édictant que les détenus sont dotés de droits
complémentaires par rapport aux citoyens libres. Bien que, selon les théoriciens, la CEDH ait
rejeté la doctrine aux termes de laquelle les détenus jouissent de droits spécifiques475, la
pratique démontre l'inverse.

Conclusions du sous-chapitre 2.2.1.1

La doctrine des limitations inévitables en prison fut pratiquée dès le début de


l’acceptation des plaintes émanant des détenus relativement à la violation de la Convention.
L'une des principales causes cachées de la non-application de celle-ci a consisté à faciliter le
travail du juge strasbourgeois, qui devait justifier le rejet des plaintes des détenus. La doctrine
permettait notamment de refuser de constater les violations de la Convention et de qualifier
des restrictions comme non justifiées, non pas compte tenu des raisons formulées dans la
Convention elle-même, mais en se référant à ce que la limitation était inévitable (inhérente) en
situation de privation de liberté. La Cour abandonna cette doctrine après son arrêt de 1975
dans l'affaire Golder.

Par ailleurs, après avoir subi quelques transformations, l'idée des "limitations
inévitables" continue d'exercer une certaine influence sur la jurisprudence de la Cour. En
examinant les affaires portant sur la violation de l'article 3 de la Convention, la Cour établit si
les souffrances de l'intéressé ont dépassé le niveau inévitable en prison. Dans la négative, la
violation de l'article 3 n'est pas constatée. Reste à discuter si la notion de "niveau inévitable de
souffrances" peut servir de motif pour limiter le droit prévu à l'article 3 : la limitation de ce
droit est interdite par la Convention elle-même. La réponse à cette question est fonction de la
théorie de limitation des droits à appliquer et renvoie à la dichotomie théorie externe et théorie
interne476.

Dans tous les cas, la limite entre la définition interprétative par la Cour du contenu du
droit fixé à l'article 3 de la Convention et la limitation de ce droit n'est pas nette. En pratique,

474
Naydyon c. Ukraine §§ 64-69 (nº 1647/03, 14.10.2010).
475
Enderlin S. Ibid. – P. 420.
476
Voir chapitre 1.4 "Limites des droits subjectifs".
197

l'application de l'idée des "souffrances inévitables en prison" prive la personne de la défense


accordée par l'article 3, quel que soit le nom pouvant être attribué à cette privation: la
limitation du droit de ne pas être soumis à la torture ou à un autre mauvais traitement ou
interprétation du contenu de ce droit. S'agissant donc du contexte de l'article 3, il convient
d'admettre que la théorie des limitations inhérentes trouve un écho dans la théorie des
souffrances inhérentes, ce qui ne change pourtant pas l'essentiel: la Cour évalue toujours
l'inhérence des effets de l'incarcération. Cela se répercute sur le degré de protection de la
personne par la Convention. Cette approche représente une tentative mal réussie de la Cour de
surmonter la difficulté immanente dans l'application de la norme de défense des droits de
l'homme à l'égard des personnes emprisonnées. Il s'ensuit que le contenu du droit prévu à
l'article 3 reste indéterminé, une approche spécifique étant pratiquée par la Cour vis-à-vis des
personnes privées de liberté par rapport aux citoyens libres.

Certains arrêts de la Cour montrent qu'elle reconnaît actuellement la doctrine des


limitations inhérentes, ce, non seulement dans le contexte du droit garanti par l'article 3, mais
aussi dans le contexte d'autres droits conventionnels. Il est vrai que cette doctrine n'est
qu'évoquée dans les arrêts concernés et qu’elle n'est pas appliquée de manière explicite aux
fins de motivation du bien-fondé ou du mal-fondé des limitations. Il en est de même en ce qui
concerne ce qu'on appelle les "exigences normales et raisonnables de la détention", dont la
Cour tiendrait compte en statuant sur la violation des droits conventionnels. En réalité, elles
ne sont que mentionnées et ne semblent pas avoir une incidence effective sur la jurisprudence.

La possibilité d'une application intégrale de la norme générale de justification des


limitations à l'égard des restrictions relatives aux droits des détenus semble être incertaine.
Une telle application est objectivement impossible tant que l'incarcération reste un attribut de
la prison. Les buts des limitations (la sécurité et l'ordre) peuvent, suivant la position de la
Cour, justifier des ingérences plus amples à l’égard d’un détenu que d’une personne en liberté.
La particularité de l'approche vis-à-vis des limitations, dans les affaires concernant des
détenus, peut se traduire aussi par l'attribution à ceux-ci de droits positifs complémentaires,
par l'individualisation des limitations, ce, compte tenu du comportement antérieur de la
personne, etc. L'insuffisance du potentiel des dispositions générales de la Convention pour la
prise en compte de toute la spécificité de l'environnement pénitentiaire est confirmée par les
initiatives visant à élaborer un protocole additionnel à la Convention relatif aux droits des
détenus.
198

2.2.1.2. Exigences de la Convention vis-à-vis des limitations justifiées

Nombre des droits protégés par la Convention sont des droits conditionnels, en ce sens
qu'ils peuvent faire l'objet d'ingérences (ou limitations) dans certaines circonstances. Une telle
ingérence doit cependant répondre à certaines caractéristiques pour pouvoir être reconnue
d'après la Convention et sa jurisprudence. Toute limitation qualifiée d'ingérence dans le
droit477, doit être prévue par la loi, être nécessaire dans une société démocratique pour
protéger un ou plusieurs buts énoncés à l'article qui établit la possibilité de limitation478. Cette
approche de la CEDH peut être qualifié de test à trois composantes, lequel implique: la
préconisation de la limitation par la loi ; la présence de buts justifiant la limitation ; la
proportionnalité de la limitation à ses buts (nécessité dans une société démocratique).

Il suffit qu'une seule de ces composantes ne soit pas respectée pour qu’il soit considéré
que la limitation ait été adoptée en violation de la Convention.

Nous avons déjà fait remarquer que, bien que la Cour n'ait pas élaboré une norme
spéciale relative aux limitations des droits des détenus, il existe néanmoins certaines
particularités dans son approche479. L'analyse de l'application du test à trois composantes,
aussi bien que l'approche citée dans l'application de l'article 3 et les particularités d'application
d'autres articles de la Convention, permettent de constater le caractère spécifique d'application
de la norme générale relative aux limitations concernant les affaires des détenus. Nous y
voyons une confirmation de plus des considérations énoncées plus haut en ce qui concerne le
caractère spécifique des normes de la Cour relatives aux détenus.

477
D'habitude, la Cour statue catégoriquement à la présence d'une ingérence dans le droit, c'est-
à-dire à la limitation du droit. Les cas où la Cour ne constate pas l'ingérence dans le droit sont
extrêmement rares. Les parties ne contestent généralement pas que l'ingérence a eu lieu ce que la Cour
signifie souvent spécialement dans ses arrêts. Toutefois, de telles affaires ont lieu dans des cas
exceptionnels. C'est ainsi que dans l'affaire Raninen contre Finlande, la Cour constate, contrairement à
sa jurisprudence antérieure et postérieure, que le menottage ne constituait pas une limitation du droit
puisque le niveau d'incidence de cette mesure sur l'intégralité physique et psychique n'était pas
suffisant (Raninen c. Finlande § 55 (nº 20972/92, 16.12.1997)).
478
Foster S., Human Rights and Civil Liberties, 2nd ed., Dorchester, Pearson Education, 2008, p.
54.
479
Човган В. Стандарти обмежень прав засуджених у практиці Європейського суду з прав
людини // Проблеми законності. – 2013. – Вип. 122. – С. 251–258 (Chovgan V., Normes de
limitations des droits des détenus dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme,
Problèmes de la légalité, 2013, Fasc. 122, p. 251–258).
199

2.2.1.2.1. Préconisation par la loi

La définition de ce qu'il convient d'entendre par préconisation par la loi revêt une
importance particulière pour le droit pénitentiaire. Ce domaine prête souvent à des discussions
visant à identifier les textes dans lesquels il est admissible de déterminer les limitations des
droits des détenus. Cela tient au fait que le rôle des activités normatives des administrations
pénitentiaires dans la réglementation des droits des détenus est essentiel et parfois
déterminant. Cette activité normative devient souvent arbitraire ou est contraire aux lois et
aux normes des droits de l'homme.

La notion de "loi" est présente dans beaucoup d'articles de la Convention. Elle énonce
par exemple, en son article 2, 1er al., que le droit de chacun à la vie est protégé par la loi.
L'article 5 traite de l'arrestation régulière, de la décision régulière, de l'exécution des
obligations prescrites par la loi. L'article 6 impose qu’intervienne un tribunal indépendant
établi par la loi. L'article 7 stipule qu’il doit pas y avoir de peine sans loi. D'autre part, les
articles 8 à 11 qui, comme il a été déjà noté, fixent des droits conditionnels, énoncent que les
limitations de ceux-ci doivent être prescrites par la loi.

La Cour a eu à traiter de la notion "prévue par la loi" dans beaucoup de dossiers. Elle
fait remarquer qu'il n'est pas absolument nécessaire de rattacher l'exigence d'un cadre
législatif approprié aux formules différentes de la version anglophone de la Convention
(«prescribed by law» et «in accordance with law ») 480
, en reconnaissant ainsi de fait la
signification identique de ces termes. D'autant plus que la version française de la Convention
comporte la formulation "prévue par la loi" qui est identique aux expressions anglaises
"prescrit par la loi" et "en accord avec la loi"481. Cela veut dire que l'application d'une
limitation doit être établie par la loi ou admise par elle.

La Cour a développé un test à quatre composantes482 pour déterminer ce qui est


entendu par ces notions aux fins des articles 8 à 11 de la Convention.

1. Premièrement la limitation doit être prévue par la législation interne (nationale).

480
Silver et autres c. Royaume-Uni (nº 5947/72; 6205/73; 7052/75; 7061/75; 7107/75; 7113/75;
7136/75, 25.03.1983), Malone c. Royaume-Uni (nº 8691/79, 02.08.1984).
481
Dijk P., Hoof G..J.H, Van Hoof J.G.F., Heringa A.W., Theory and Practice of the European
Convention on Human Rights, 3rd ed., The Hague, Kluwer Law International, 1998, p. 766.
482
Greer S., The European Convention on Human Rights: Achievements, Problems and
Prospects, New York, Cambridge University Press, 2006, p. 201–203.
200

La notion de législation intérieure peut changer selon le pays. Comme les


gouvernements nationaux sont mieux placés pour déterminer ce qui doit être considéré
comme loi interne ou non, et pour savoir si la procédure législative nationale a été respectée
ou non, la Cour leur attribue une large marge de manœuvre sur ce plan483. Cela ne signifie
cependant pas que les "Institutions de Strasbourg doivent tout simplement accepter la position
de l'État défendeur… La Cour peut et doit examiner la conformité de ces "faits" à la
Convention. Ce qui prête à discussion à cette étape, ce n'est pas l'interprétation ni l'application
de la législation interne mais l'interprétation et l'utilisation des expressions "prévus par la loi"
et "en accord avec la loi"484.

Comme souligné précédemment, une question importante, pour le droit pénitentiaire,


est de savoir s'il est admissible d'instaurer des limitations par des textes d'application. D'après
notre analyse, cette question est propre tant aux pays d'Europe de l'Est que de l'Ouest. La
réponse est tout à fait claire et elle a été donnée par la Cour elle-même à l'occasion d'affaires
"pénitentiaires".

Dans l'affaire Lavents contre Lettonie485, la Cour a rappelé que les mots « prévue par la
loi», au sens de l'article 8 § 2 de la Convention, signifient en premier lieu que la mesure
incriminée doit avoir une base en droit interne. A cet égard, la Cour a toujours entendu le
terme « loi » dans son acception matérielle et non formelle ; elle y a également inclus des
textes de rang infralégislatif, édictés par les autorités compétentes sur la base d'un pouvoir
normatif délégué 486" (§ 135). Cela veut dire que, conformément à cet arrêt et, contrairement à
l'interprétation doctrinale de la Convention487, les limitations peuvent être prévues aussi par
des textes dits infralégislatifs.

Cette approche est confirmée de manière catégorique dans l'affaire Biržietis contre
Lituanie488. Le requérant se plaignait que l'interdiction de porter la barbe en prison affectait
son droit à la vie privée. La Cour a reconnu à la violation de l'article 8, mais a rejeté

483
Chorherr c. Austriche § 26 (nº 13308/87, 25.08. 1994), Kokkinakis c. Grèce § 40
(nº 14307/88, 25.05.1993).
484
Dijk P., Hoof G..J.H, Van Hoof J.G.F., Heringa A.W., Ibid, p. 766; voir aussi: Doebbler C.F.,
International Human Rights Law: Cases and Materials. Volume 1, Washington, CD Publishing, 2004,
p. 391.
485
Lavents c. Lettonie §§ 134-135 (nº 58442/00, 28.11.2002).
486
La Cour se réfère ici aux arrêts: Silver et autres c. Royaume-Uni §§ 85-90 (nº 5947/72;
6205/73; 7052/75; 7061/75; 7107/75; 7113/75; 7136/75, 25.03.1983), Huvig c. France §§ 27-30 (nº
11105/84, 24.04.1990).
487
Seriaux A., Des intérêts légitimes sans protection juridique : les droits des détenus, Revue
pénitentiaire et de droit pénal, 1979, p. 464.
488
Biržietis c. Lituanie (nº 49304/09, 14.06.2016).
201

l'argument du requérant disant que cette restriction n'était pas prévue dans un texte législatif
de niveau suffisant. L'interdiction de porter la barbe était contenue notamment dans le
Règlement de l'établissement dans lequel le condamné était détenu (ce Règlement avait été
validé par le chef d'établissement) et non dans le Code d'exécution des peines ou dans le
Règlement intérieur des établissements pénitentiaires validé par le Ministère de la justice. La
Cour devait rappeler que la notion de "loi" devait être considérée d'après son essence et non
de manière formelle. Cette notion comprend donc non seulement les lois votées par le
Parlement, mais aussi d'autres textes réglementaires établis par les autorités auxquelles des
pouvoirs normatifs sont délégués ainsi que le droit non écrit. Même si le droit national prévoit
que les limitations des droits ne peuvent être instaurées que par des textes réglementaires
d’une certaine valeur, l'article 8 de la Convention ne comporte pas cette exigence (§ 50).
L'important était que le texte réglementaire établissant les limitations fût accessible aux
détenus et que ses règles fussent suffisamment claires et prévisibles (§ 47).

De même, l'arrêt Silver montre que les normes contenues dans les Règlements
intérieurs des établissements pénitentiaires ou dans d'autres textes réglementaires sont
considérées par la Cour comme relevant de la notion "prévues par la loi", puisqu'il serait
difficile d'imaginer que la loi (par opposition aux textes d'application) puisse fixer tous les
détails nécessaires relatifs aux limitations489. Cela n'en signifie pas moins que la non-
conformité des règlements aux critères qualitatifs de la "loi" ne puisse être constatée490.

En plus, la notion de "loi" ne concerne pas que la législation, mais inclut aussi le droit
commun (la jurisprudence). Sinon il faudrait restreindre l'accès à la protection par la
Convention pour les pays à droit jurisprudentiel491.

2. Les dispositions normatives instaurant les limitations doivent être accessibles aux
citoyens.

La "loi" ne doit pas être forcément publiée dans des sources nationales pour être
accessible. Il suffit que la personne concernée par le document en prenne connaissance
comme dans le cas de l'affaire Biržietis évoquée ci-dessus492. Nous pourrons affirmer que la
prise de connaissance prévoit non seulement une communication du contenu du document,
mais aussi la possibilité de l'obtenir et de le conserver.

489
Silver et autres c. Royaume-Uni § 88-89 (nº 5947/72; 6205/73; 7052/75; 7061/75; 7107/75;
7113/75; 7136/75, 25.03.1983).
490
Voir ci-bas.
491
Sunday Times c. Royaume-Uni § 47 (nº 6538/74, 26.04.1979).
492
Biržietis c. Lituanie (nº 49304/09, 14.06.2016).
202

La Cour peut également admettre que le document qui n'a pas été publié comme
faisant partie des lois de l'État défendeur est "accessible", puisqu'il était conçu premièrement
pour les spécialistes qui savaient comment obtenir l'information voulue, fournie dans le corps
officiel des lois. La Cour se fonde sur le fait que l'idée de la prévisibilité et de l'accessibilité
dépend de l'affaire concrète, de la sphère qu'il fallait traiter, du nombre et du statut des
personnes que visaient les normes concernées493. Ce dernier élément est surtout important
pour les personnes condamnées. Il est nécessaire, à notre avis, de fournir des garanties
supplémentaires d'accès aux textes concernant les limitations de leurs droits par rapport aux
citoyens libres, compte tenu de leur situation spécifique et des difficultés éventuelles pour
obtenir l'accès aux documents.

Dans son arrêt Ciorap contre Moldavie494, la Cour a constaté la violation du droit à la
vie privée du fait que l'administration pénitentiaire installait une paroi de verre pendant les
visites des parents du requérant. La législation signifiait que l'administration pénitentiaire
pouvait contrôler les visites. La possibilité de placer une cloison était prévue par les Statuts
pénitentiaires N° 13 qui n'étaient jamais publiés, n'étaient jamais invoqués par les juges
nationaux et ne furent même pas communiqués à la CEDH (§113). Cet arrêt atteste de
l'inadmissibilité de l’établissement de causes et de modalités de la restriction des droits dans
des textes qui sont classés secrets ou qui sont inaccessibles pour les personnes qu'ils
concernent.

Dans le contexte ukrainien, cela signifie que les documents classés "réservés au
service" ne peuvent contenir des normes portant sur des limitations des droits. Par ailleurs, à
notre connaissance, certaines notes de service classées "réservées au service" comportent de
telles règles. Elles portent généralement sur les aspects de procédure pour l'application des
mesures de contrainte, telles que le menottage.

L'exigence de l'accessibilité concerne non seulement la publication du document, mais


aussi le contenu de celui-ci. La Cour constate que, d'après cette exigence, les citoyens doivent
être dûment informés sur les normes législatives applicables dans l'affaire donnée; celles-ci
doivent être formulées avec suffisamment de clarté pour que la personne puisse adapter son
comportement et en prévoir les suites495. Une norme ne peut pas être considérée comme "loi"
si elle n'est pas formulée clairement: la personne doit pouvoir prévoir les conséquences de ses

493
Loukaides L.G., Essays on the Developing Law of Human Rights, The Netherlands, Martinus
Nijhoff Publishers, 1995, p. 187.
494
Ciorap c. Moldavie (nº 12066/02, 19.06.2007).
495
Silver et autres c. Royaume-Uni § 88 (nº 5947/72; 6205/73; 7052/75; 7061/75; 7107/75;
7113/75; 7136/75, 25.03.1983), Sunday Times c. Royaume-Uni § 49.
203

actes dans la mesure où cela serait rationnel dans les circonstances données 496. Cette partie du
test peut être rattachée à la deuxième et à la troisième composante.

3. Les dispositions normatives doivent permettre de prévoir avec suffisamment de


précision les conséquences légales du comportement de l'intéressé.

La Cour constate que le degré voulu de concrétisation dépend de chaque cas 497. Il
dépend aussi du domaine d'application concerné: s'agissant notamment de l'article 8 de la
Convention, la loi doit comporter une terminologie précise pour déterminer les circonstances
et les conditions à respecter par les autorités pour pouvoir s'ingérer dans un droit498. La
position de la Cour selon laquelle la loi qui attribue le pouvoir discrétionnaire doit en
déterminer l'étendue est particulièrement importante dans le contexte pénitentiaire499.

Ainsi, lorsque la loi autorise l'ingérence dans les communications téléphoniques des
détenus par l'écoute, en limitant par là leur droit à la vie privée, la possibilité d'une telle
ingérence peut-elle être concrétisée au maximum, compte tenu de la gravité de l'ingérence
dans la vie privée, de l'insuffisance du contrôle public et du risque des abus de pouvoirs,
surtout eu égard aux techniques modernes qui deviennent rapidement de plus en plus
sophistiquées500. La règle étant formulée avec tant d'imprécision que sa signification et sa
portée ne peuvent pas être rationnellement prévues, elle ne peut pas être considérée comme la
loi exigée par la Convention, et l'ingérence sera illégale501.

L'absence de mention relative aux motifs admissibles à l'application d'une restriction


au détenu ou la durée de celle-ci suffisent pour qualifier la loi d’insuffisamment claire et à
constater que la restriction n'était pas prévue par la loi502.

La troisième exigence est étroitement liée à la quatrième.

4. Les dispositions normatives doivent assurer une protection sûre contre


l'ingérence arbitraire dans le droit.

496
Silver et autres c. Royaume-Uni § 88.
497
Vogt c. Allemagne § 68 (nº 17851/91, 26.09.1996), Malone c. Royaume-Uni § 68
(nº 8691/79, 02.08.1984).
498
Lavents c. Lettonie § 135 (nº 58442/00, 28.11.2002).
499
Malone c. Royaume-Uni § 68 (nº 8691/79, 02.08.1984).
500
Doerga с. Pays-Bas §33 (nº 50210/99, 27.04.2004); Kruslin c. France §33 (nº 11801/85,
24.04.1990).
501
Foster S., Human Rights and Civil Liberties, 2nd ed., Dorchester, Pearson Education, 2008,
p. 56.
502
Lavents c. Lettonie § 136.
204

Cette exigence revêt une importance particulière pour les détenus, parce qu'elle se
focalise sur la nécessite de déterminer nettement l'étendue du pouvoir discrétionnaire attribué
au personnel pénitentiaire pour l'application des limitations. Connaissant la tension existante
entre les compétences discrétionnaires du personnel et la résistance à celles-ci de la part des
détenus503, il n'est pas étonnant que ce soit cette exigence qui fournisse des raisons pour
statuer aux violations dans les affaires des détenus.

La Cour spécifie dans l'affaire Malone que la phrase "prévue par la loi" signifie que le
droit national doit comporter des mesures de protection légale contre l'ingérence arbitraire des
administrations et que la loi doit déterminer l'étendue de tout pouvoir discrétionnaire attribué
aux autorités compétentes et les modes d'exercice de ce dernier avec toute la netteté
suffisante, compte tenu du but légitime poursuivi pour fournir à l’individu une protection
adéquate contre l’arbitraire504. Pour qu'une limitation puisse être considérée comme étant
"prévue par la loi", la loi doit elle-même prévoir la possibilité de recours. La limitation du
droit des détenus à la correspondance dans la loi doit prévoir la possibilité de recours, c'est-à-
dire qu'elle ne doit pas être "non assujettie à des voies de recours"505, car la possibilité de
recourir contre une décision est l'un des aspects de la garantie du niveau minimum de
protection voulue par la prééminence du droit dans une société démocratique506.

Dans l'affaire Messina contre Italie507, la violation de l'article 8 de la Convention fut


retenue en raison du contrôle de la correspondance par l'administration pénitentiaire. En dépit
du fait que la possibilité du contrôle fût prévue par la législation nationale, il était constaté
que les règles concernées ne réglementaient ni la durée des mesures de contrôle de la
correspondance des détenus, ni les motifs pouvant les justifier, et n'indiquaient pas avec assez
de clarté l'étendue et les modalités d'exercice du pouvoir d'appréciation des autorités
compétentes dans le domaine considéré (§ 81).

L'affaire Moiseyev contre Russie508 constitue encore un exemple parlant montrant


comment un grand nombre de restrictions à la vie privée du requérant sont contraires à la
Convention parce qu'elles ne sont pas prévues par la loi.

503
Noali L., Les résistances carcérales du comment au pourquoi. Une approche juridique et
pluridisciplinaire. Préface de Martine Herzog-Evans Martine. Postface de Reynald Ottenhof, Paris,
L’Harmattan, 2012.
504
Malone c. Royaume-Uni §§ 66-68.
505
Petra c. Roumanie § 37 (nº 27273/95, 23.09.1998), Puzinas c. Lituanie (No. 2) § 32 (nº
63767/00, 09.01.2007).
506
Petra c. Roumanie § 39.
507
Messina c. Italy (nº 2) (nº 25498/94, 28.09.2000).
508
Moiseyev c. Russie (nº 62936/00, 09.10.2008).
205

Le requérant, qui était placé en détention provisoire, s'était vu interdire toutes visites
de sa famille pendant plusieurs périodes d’une durée d’un an chacune. Cette interdiction était
appliquée par l'agent enquêtant sur son affaire, conformément à l'article 18 de la loi sur la
détention provisoire. La Cour spécifia que cette loi avait été publiée officiellement et était
donc accessible au requérant. Toutefois, elle ne répondait pas à l'exigence de la préconisation
par la loi, parce qu'accordant à l'agent d'enquête une marge d'appréciation trop large pour
interdire le droit aux visites pendant l'enquête. La loi se bornait à mentionner la possibilité
d'une telle interdiction, sans fixer sa durée ni les motifs de son application. Elle ne comportait
pas non plus de dispositions relatives à la possibilité de se pourvoir contre le refus d'autoriser
les visites. Le requérant ne bénéficiait donc pas de protection convenable contre le pouvoir
d'appréciation qui, d'ailleurs, était trop vaste. La "préconisation par la loi" était ainsi absente à
cause d'une qualité insuffisante des normes de la loi.

Dans ce même arrêt, invoquant le non-respect de l'exigence relative à la préconisation


par la loi, la Cour devait qualifier de non justifiées deux autres restrictions: l'utilisation de la
paroi de verre pendant les visites et le contrôle systématique de la correspondance.

En ce qui concerne la paroi de verre, cette restriction n'était pas "prévue par la loi",
puisque la règle appropriée n'existait pas dans la législation nationale. C'est que le requérant
était détenu dans le centre de détention provisoire du Service de sécurité, qui ne relevait pas
du Règlement intérieur des établissements de détention provisoire du Service fédéral
d'exécution des peines, ledit Règlement prévoyant justement la règle en question. Bien que ce
fait fût suffisant pour conclure au mal-fondé de la restriction, la Cour alla jusqu'à signifier que
la séparation physique pendant les visites devait se baser sur des considérations de sécurité à
la lumière des circonstances individuelles. L'installation de la paroi ne pouvait pas être
considérée comme nécessaire en l'absence d'un risque établi pour la sécurité (§§ 257-258)509.

La limitation du droit à la correspondance consistait dans l'ouverture et la lecture


systématique du courrier. La Cour a estimé que cette limitation s'appuyait sur les dispositions
de la législation nationale. Cependant, l'article concerné était formulé en termes trop généraux
en admettant le contrôle routinier du courrier. La situation était, en outre, aggravée par le fait
que la législation attribuait aux autorités pénitentiaires un pouvoir d'appréciation trop large sur
ce point et qu'elle ne comportait pas de normes relatives au recours, à l'étendue et à la durée
des mesures de censure. D'autre part, la législation nationale ne prévoyait pas de mesures

509
La Cour se référait, entre autres, aux arrêts rendus dans les affaires Van der Ven c. Pays-Bas
§ 71 (nº 50901/99, 04.02.2003), et Lorsé et autres c. Pays-Bas § 85 (nº 52750/99, 04.02.2003), Ciorap
c. Moldavie § 117 (nº 12066/02, 19.06.2007).
206

convenables de protection pour attaquer l'application arbitraire des limitations de la


correspondance (§ 266).

L'arrêt Moiseyev fixe donc des exigences précises envers la norme "prévue par la loi"
dans le contexte pénitentiaire. Les dispositions législatives doivent être non seulement écrites
et accessibles, mais elle doivent aussi avoir la qualité voulue en prévoyant notamment des
raisons claires, la durée et les modalités de leur application, de manière à ne pas laisser de
place à un pouvoir d'appréciation excessif des autorités pénitentiaires. Il convient, par ailleurs,
de prévoir des mesures convenables de recours contre de telles restrictions.

Il est à noter que l'exigence de la règle relative à la possibilité et aux modalités du


recours ne s'inscrit pas tout à fait dans l'exigence "prévue par la loi". Elle représente plutôt un
aspect de procédure qui servirait de garantie supplémentaire contre les restrictions non
justifiées. Elle n'en continue pas moins d'être utilisée par la Cour pour établir si une restriction
était "prévue par la loi". Cette exigence semble être une "copie incorporée" réduite du droit à
un recours effectif prévu à l'article 13 de la Convention. La CEDH constate elle-même cet
aspect de l'exigence "prévue par la loi"510.

Un autre exemple de combinaison d'exigences variées visant à déterminer la qualité de


la loi vient de l'arrêt rendu dans l'affaire Mesut Yurtsever et autres contre Turquie511. Dans
cette affaire collective qui regroupe plus d'une dizaine de requérants, l'administration
pénitentiaire turque avait limité le droit des condamnés de recevoir un magazine au motif qu'il
était publié en langue kurde et non en turque.

La Cour rappelait que les termes « prévue par la loi » non seulement imposent que la
mesure incriminée ait une base en droit interne, mais visent aussi la qualité de la loi en cause :
ainsi, celle-ci doit être accessible aux justiciables et prévisible dans ses effets (§ 103)512. Elle
signifiait, par ailleurs, que l'existence du cadre législatif pour l'ingérence dans cette affaire, de
même que l'accessibilité de celui-ci, ne suscitait pas de discussion. Le problème résidait
pourtant dans la condition de prévisibilité de la loi quant au sens et à la nature des mesures
applicables (§104). La Cour soulignait, dans ce contexte, que la norme était "prévisible"
lorsqu’elle offrait une garantie certaine contre les atteintes arbitraires de la puissance publique

510
Silver et autres c. Royaume-Uni § 90.
511
Mesut Yurtsever et autres c. Turquie (nº 14946/08, 20.01. 2015).
512
La Cour se référait au § 52 de l'arrêt Rotaru c. Roumanie [GC] (nº 28341/95, 04.05.2000).
207

et contre une application extensive d’une restriction faite au détriment des justiciables (§
103)513.

Défendant la justification des restrictions, le pouvoir public se référait à l'article 62, §


3, de la Loi N° 5275, qui disposait : "Aucune publication contenant des informations, des
écrits, des photographies et des commentaires obscènes ou de nature à mettre en péril la
sécurité de l’établissement ne peut être remise au condamné" (in § 78). La Cour observe que,
bien que se référant à la norme susindiquée, les autorités refusaient de remettre des
publications en kurde, non point parce que le contenu de celles-ci aurait été obscène ou de
nature à mettre en péril la sécurité au sein de l’établissement pénitentiaire, mais en raison de
l’incapacité de ces instances à apprécier la teneur des publications en cause (§ 106). Les
instances nationales tentèrent, par ailleurs, de se défendre en arguant que la présence dans le
contenu de publications interdites d'informations soutenant une organisation terroriste et les
actions de celle-ci, laquelle menaçait la réputation de la Turquie et de ses militaires. La Cour
rejeta cet argument en observant que cette motivation ne découlait d'aucune décision des
instances nationales examinées dans cette affaire (§ 106).

Finalement, la Cour conclut à la violation de l'article 10 de la Convention. La cause


principale en était le fait que la législation ne prévoyait pas, parmi les raisons de retrait de
publications, leur impression en langues étrangères, ainsi que le fait que le pouvoir ait pris sa
décision sans avoir apprécié au préalable le contenu des publications, en limitant l'accès des
détenus à certaines catégories de publications et en appliquant ainsi l'approche discrétionnaire
(§ 109). C'est-à-dire que le motif selon lequel une publication en langue étrangère puisse
menacer la sécurité de l'établissement était insuffisant pour être qualifié de prévu par la loi.
Cette dernière thèse fait transparaître une allusion à l'attitude sceptique de la Cour vis-à-vis du
motif aussi répandu pour les restrictions que "menace à la sécurité de l'établissement" quand
celui-ci n'est pas concrétisé.

La Cour avait déjà fait preuve d'une démarche de pensée semblable, dans une affaire
similaire liée à la traduction. L'arrêt Mehmet Nuri Ozen et autres contre Turquie514 soulevait la
question de la saisie des lettres envoyées et reçues par les détenus au motif qu'elles étaient
écrites en kurde. Or, la législation nationale n'autorisait la saisie du courrier des détenus qu'en
raison de son continu: lorsque les lettres pouvaient nuire à l'ordre et à la sécurité de
l'établissement, étaient dirigées contre le personnel, permettaient des échanges d'informations

513
La Cour se référait au § 143 de l'arrêt Centro Europa 7 S.R.L. et Di Stefano c. Italie [GC] (nº
38433/09, 07/06/2012).
514
Mehmet Nuri Özen et autres c. Turquie (nº 15672/08, 11/01/2011).
208

entre les organisations terroristes ou autres organisations à tendance négative ou criminelle,


contenaient des informations fausses ou mensongères susceptibles de provoquer la panique de
personnes ou d'institutions ou encore contenaient des menaces ou des insultes (§ 30).
Toutefois, comme la législation ne prévoyait pas que le courrier puisse être saisi pour avoir
été écrit en langue étrangère, cette question relevait totalement du pouvoir discrétionnaire de
l'administration pénitentiaire (§ 60). La Cour statuait donc à la violation de l'article 8 de la
Convention515.

En ce qui concerne la clarté des motifs des restrictions, la Cour leur reconnait un
caractère flou516. Dans ses arrêts relatifs à cette question (par exemple deux arrêts contre la
Turquie évoqués ci-dessus), la Cour se réfère souvent à son arrêt Silver. Elle y observe
notamment : " Une loi conférant un pouvoir d'appréciation doit en fixer la portée, mais la
Cour a déjà reconnu l'impossibilité d'arriver à une certitude absolue dans la rédaction des lois
et le risque de voir le souci de certitude engendrer une rigidité excessive [...]. Il ne saurait
guère possible de libeller une loi capable de parer à toute éventualité [...]. Dès lors, la Cour
souligne à nouveau que "beaucoup de lois se servent", inévitablement, "de formules plus ou
moins vagues dont l'interprétation et l'application dépendent de la pratique"517.

Tout en acceptant cette approche, la Cour observe qu'un pouvoir discrétionnaire trop
vaste des autorités nationale n'est pas admissible non plus. Ce fut le cas de l'affaire Calogero
Diana contre Italie518. La loi invoquée ici ne définissait que la catégorie des détenus dont la
correspondance pouvait être contrôlée et le service compétent habilité au contrôle, ni ne fixait
la durée admissible de cette mesure, pas plus que les motifs pouvant justifier l'application de
celle-ci.

La Cour estimait insuffisants les arguments du gouvernement, lequel avançait que la


décision sur le contrôle de la correspondance relevait de la compétence exclusive des juges et
que ceux-ci étaient tenus à l'obligation spéciale de motiver leurs décisions, ce qui excluait
l'arbitraire (§ 29). L'absence de raisons claires sur le contrôle de la correspondance (bien que
la législation contînt la norme autorisant le contrôle) conduisit à la conclusion selon laquelle
la discrétion des autorités concernées n’avait pas été fixée par la loi et que le détenu n’avait
donc pas bénéficié du niveau minimum de protection dont jouissaient les citoyens libres dans

515
La Cour qualifia de contraire à la Convention la pratique visant à obliger les détenus à faire
traduire le courrier à leurs propres frais (§ 60) et devant combler la lacune dans les motifs légaux pour
la saisie du courrier écrit en langue étrangère.
516
Domenichini с. Italie § 32 (nº 15943/90, 15.11. 1996).
517
Silver et autres c. Royaume-Uni § 88.
518
Calogero Diana c. Italy (nº 15211/89, 15.11. 1996).
209

une société démocratique (§ 32-33). La Cour utilisa la même motivation dans d'autres arrêts
similaires en consacrant ainsi des exigences concrètes à l'égard de la clarté des normes
législatives servant de raisons pour les restrictions519.

Il est à noter que, même sous réserve du respect des autres normes relatives aux
limitations des droits, la Cour constate la violation de la Convention lorsque le motif pour
l'application d'une restriction n'est pas prévu par la loi. C'est ainsi que dans son arrêt Enea
contre Italie520, la Cour a apprécié les efforts du juge en charge du contrôle de l'exécution des
peines visant à respecter les normes de la Convention relatives au contrôle de la
correspondance, telles que la détermination de l'étendue et de la durée du contrôle. Elle a
toutefois observé que la législation pénitentiaire concernée ne réglementait ni la durée du
contrôle de la correspondance, ni les motifs pouvant justifier cette mesure et qu'elle ne
déterminait pas avec suffisamment de précisions, l'étendue et les modalités de l'exercice par
les autorités de leur pouvoir discrétionnaire. Elle a dès lors conclu à la violation de l'exigence
de la préconisation par la loi et de l'article 8 de la Convention (§ 143-144).

Nombre d'autres arrêts attestent que la Cour attirent l'attention sur le fait qu'elle ne
reconnaît pas la limitation du droit à la correspondance comme étant "prévue par la loi" si la
loi ne fixe pas la durée pendant laquelle le contrôle de la correspondance doit être exercé, les
modalités de cette ingérence, si ce contrôle se fait de façon automatique et que les autorités ne
sont pas tenues de prendre des décisions motivées et de justifier les causes du contrôle521. De
même, pour se fixer sur la qualité d'une loi, il importe de savoir si elle prévoyait des moyens
de défense spécifiques pour former le recours contre l'étendue d'application des mesures
obligatoires de contrôle522. Il est important aussi de savoir si la législation avait prévu la
possibilité d'associer le détenu au contrôle à l'une des étape de celui-ci et si elle faisait une
distinction du contrôle selon le type des correspondants avec lesquels le détenu
communiquait523. Pour conclure, la limitation n'est pas "prévue par la loi" dans le cas où

519
Domenichini c. Italie § 32-33 (nº 15943/90, 15.11. 1996); Rinzivillo c. Italie (nº 31543/96,
21.12.2000).
520
Enea c. Italie (nº 74912/01, 17.09.2009).
521
Onoufriou c. Chypre § 109 (nº 24407/04, 07.01.2010), Niedbała c. Pologne §§ 81-82 (nº
27915/95, 04.07.2000), Sałapa c. Pologne §§ 97-102 (nº 35489/97, 19.10.2002), Vintman c. Ukraine
§128 (nº 28403/05, 23.10.2014), Sergey Volosyuk c. Ukraine §§ 85-86 (nº 1291/03, 12.04.2009),
Labita c. Italie (GC) § 176, 180 (nº 26772/95, 06.04.2000).
522
Belyaev et Digtyar c. Ukraine §53 (nº 16984/04 et 9947/05, 16.02.2012), Vintman c. Ukraine
§ 130-131.
523
Niedbała c. Pologne §§ 81, Sergey Volosyuk c. Ukraine § 85, Belyaev et Digtyar c. Ukraine
§53.
210

l'imprécision des normes législatives n'assure pas à l'individu le niveau minimum de


protection exigé par la suprématie du droit dans une société démocratique524.

La limitation peut être qualifiée aussi de non "prévue par la loi" lorsque les normes du
droit national n'ont pas été respectées. Dans son arrêt Ciorap contre Moldavie525, la Cour
constate que l'ingérence dans le droit du détenu à la correspondance n'était pas justifiée, parce
que la législation concernée ne l'autorisait que sur le fondement d'une décision judiciaire alors
que la correspondance était contrôlée sans cette décision (§§ 103-104).

Une conclusion importante s'ensuit: bien que la Cour soit censée n'examiner que les
questions relatives à la violation de la Convention, et non celle de la législation nationale,
elle peut statuer à une limitation non justifiée de la Convention en cas de violation de la
législation nationale en matière d'instauration des limitations des droits prévus par la
Convention. C'est que la limitation n'est pas "prévue par la loi" dans ce cas de figure. Cela
signifie que, concernant un cas concret, contrairement à l'avis généralement admis, selon
lequel la Cour n'est pas compétente pour traiter des questions de violation de la législation
nationale et ne doit se pencher que sur les violations de la Convention, elle décide
nécessairement, de manière indirecte, des questions de violation de la législation nationale.

Cet exemple fait apparaître la possibilité de faire appel à la CEDH sur les cas où la
limitation était appliquée en violation de la législation nationale. Le cas échéant, une telle
limitation ne serait pas non plus "prévue par la loi".

Ainsi la Cour s'attache-t-elle dans ces affaires, non seulement à établir si une
restriction est prévue par la loi mais aussi à apprécier si la qualité d'une telle loi existe. Il
ressort de ce qui précède que la qualité de la loi, telle que la Cour l'entend, se caractérise par
la présence de garanties pratiques de non-application des limitations non justifiées. Ces
garanties revêtent, pour la plupart, un caractère de procédure: raisons précises ; existence et
motivation de la décision ; durée ; mode d'application ; possibilité de faire récours contre la
limitation ; etc. Quant à la loi, elle ne doit pas être nécessairement constituer une loi au sens
propre, au regard de sa source organique. Cette notion peut porter sur des textes
réglementaires (infralégislatifs).

Il est important que la CEDH considère comme suffisant le constat que la restriction
n'est pas "prévue par la loi" pour conclure à son mal-fondé et, respectivement, à la violation

524
Belyaev et Digtyar c. Ukraine §53 (nº 16984/04 et 9947/05, 16.02.2012), Vintman c. Ukraine
§ 130-131.
525
Ciorap c. Moldavie (nº 12066/02, 19.06.2007).
211

de la Convention. S'il est établi à cette première étape que la restriction n'a pas été " prévue
par la loi", l'analyse de la restriction concernée n'est plus menée à la deuxième étape
(existence de buts légitimes de la restriction) et à la troisième étape (proportionnalité de la
restriction).

2.2.1.2.2. Légitimité des objectifs

L'article 18 de la Convention dispose que les restrictions qui, aux termes de la présente
Convention, sont apportées auxdits droits et libertés ne peuvent être appliquées que dans le
but pour lequel elles ont été prévues. Normalement, ces buts permettant de limiter un droit
sont prévus dans la deuxième partie de l'article établissant le droit pouvant être limité. Par
ailleurs, les buts admissibles des restrictions ne sont pas définis pour certains droits prévus par
la Convention. Il s'agit notamment de droits prévus par les protocoles additionnels à la
Convention (droit de vote, droit à l'instruction…) adoptés après la Convention. Aussi bien
dans les cas où les buts admissibles de restrictions des droits sont déterminés dans la
Convention que dans les cas où ils ne le sont pas, la constatation des restrictions des droits des
détenus et de leur conformité aux buts invoqués se fonde sur la jurisprudence de la Cour en
matière de compréhension de ces buts.

La Cour n'attache généralement pas beaucoup d'attention à cette partie du test. Ainsi
que l'observe James Sweeny, la partie correspondante de l'arrêt est toujours l'une des plus
succinctes, parce que la Cour tend à déterminer si les mesures (restrictions) appliquées
répondant au but fixé526, c'est-à-dire à établir si elles sont proportionnelles au but (troisième
composante du test qui va être examiné plus bas) et non si le but lui-même est justifié. Quant
à l'établissement du bien-fondé du but, cela ne pose normalement aucun problème sérieux, ce
qui serait lié au contenu large des formulations générales des buts pouvant justifier les
restrictions. Ceci fait que la résolution par la Cour de cette question pose rarement
problème527. Il s'ensuit que les gouvernements n'éprouvent pas de difficultés particulières pour
prouver que la restriction vise un but justifié.

526
Sweenеy J.A., Margins of Appreciation, Cultural Relativity and the European Court of
Human Rights: a thesis submitted for the Degree of Doctor of Philosophy, Hull, The University of
Hull, 2003, p. 198.
527
Dijk P., Hoof G..J.H., Theory and Practice of the European Convention on Human Rights,
2nd ed., Boston, Kluwer, 1990, p. 606.
212

Il existe plusieurs explications permettant de voir pourquoi l'établissement de la


présence du but de la restriction en tant que condition du bien-fondé de celle-ci ne crée pas de
difficultés notables. Premièrement, cela s'explique par le niveau de gestion démocratique
dominant dans les Parties contractantes. Aucun pays se voulant démocratique ne souhaite être
accusé d'inclure dans sa législation des buts despotiques528. Deuxièmement, il est possible de
relier la restriction au but justifié de manière artificielle (par exemple, il est facile de
considérer toute limitation comme nécessaire pour prévenir des infractions). Il n'en va pas de
même lorsqu'il s'agit de prouver que ce rapport était pertinent. La pertinence est évaluée à
l'étape suivante (composante du test): l'établissement de la nécessité dans une société
démocratique, que nous examinons plus loin. Aussi, la Cour attache-t-elle beaucoup plus
d'importance à la troisième étape de justification des restrictions.

Par ailleurs, il arrive toutefois à la Cour d'adopter une attitude critique à l'égard des
buts de restriction des droits des détenus. C'est ainsi que dans l'arrêt Khoroshenko contre
Russie529 la Cour observe que les buts posés par le gouvernement pour les limitations du droit
du détenu aux visites (interdiction de visites de longue durée et caractère trop restrictif de la
fréquence et des modalités des visites) étaient contestables à la lumière de l'article 8, 2e al., de
la Convention. Le gouvernement justifiait les buts des restrictions tout d'abord par les buts de
la peine: redressement de la justice ; amendement du condamné ; et prévention d'autres
infractions pénales. Or, il découle du contenu de l'arrêt que la Cour est critique, non pas à
l'égard de ces buts, mais vis-à-vis des buts énoncés par le représentant du gouvernement russe
pendant l'audience devant la Cour. Il s'agit d'une précision du gouvernement selon laquelle la
législation relative aux restrictions du droit aux visites ne vise pas la réinsertion sociale mais
se borne plutôt au but de séparation de la personne concernée par rapport à la société (§§ 99,
113). Cependant, bien que faisant part de ses doutes quant à la conformité de ces buts à
l'article 8, 2e al., de la Convention, la Cour n’a pas jugé utile d'analyser en détail le bien-fondé
des buts, puisque cela n'était plus nécessaire à la lumière de l'analyse de la proportionnalité
(troisième étape de l'analyse) qui fut tout de même effectuée dans l'arrêt (§§ 114-115)530.

528
Arai-Takahashi Y., The Margin of Appreciation Doctrine and the Principle of Proportionality
in the Jurisprudence of the ECHR, Antwerpen-Oxford-New York, Inrersintia, 2001, p. 11.
529
Khoroshenko c. Russie (GC) (nº 41418/04, 30.06.2015)
530
Dans leurs dissentiments concordant les juges Pinto de Albuquerque et Turkovic critiquent la
Cour pour ne pas faire cette analyse. Ces juges estiment que la Cour aurait dû indiquer clairement que
le but de la punition et de l'incarcération ne pouvait pas être justifié au sens de l'article 8 de la
Convention, sachant surtout que les autorités russes ne fournirent aucune preuve attestant que les
restrictions automatiques et sévères avaient d'autres buts que des buts punitifs. De l'avis des juges, les
buts du pouvoir russe n'étaient pas justifiés puisqu'ils ne répondaient pas au principe de réinsertion
sociale qui jouit d'une priorité dans la politique pénitentiaire européenne.
213

En évaluant la proportionnalité dans l'arrêt évoqué, la Cour soulignait, par ailleurs,


quelques aspects des buts des limitations des droits des détenus. Elle faisait remarquer que
l'approche de l'évaluation de la proportionnalité des restrictions en référence aux "buts
punitifs" a évolué au cours de ces dernières années. Elle a indiqué qu’il faudrait davantage
mettre l'accent sur l’équilibre convenable entre la punition et la réhabilitation (l'amendement)
des condamnés531. Évoquant les arrêts antérieurs qui insistaient sur le besoin de faire dominer
la politique pénitentiaire de réhabilitation sur la politique punitive532, la Cour a rappelé son
scepticisme envers les buts punitifs des restrictions et sa préférence pour les buts de
réintégration et de réhabilitation (§ 121). Cette approche fait allusion à ce que les restrictions
appliquées dans des buts purement punitifs ont peu de chances d'être qualifiées de justifiées.
Nous pouvons admettre aussi qu'une restriction aurait beaucoup moins de chances d'être
sanctionnée par la Cour si son but avait un caractère punitif et ne visait pas la réhabilitation.

Selon un avis, il est plus facile pour les instances nationales de justifier devant la Cour
la conformité des restrictions des droits des détenus au x buts justifiés que celles des droits
des personnes libres. Citons, à titre d'exemple, le but visant à prévenir des troubles, ce qui
justifie certaines limitations du droit à la correspondance533. Ce but fait écho à la thèse déjà
avancée d'après laquelle, malgré la position générale de la Cour disant que le statut spécial du
détenu ne peut justifier d'exception à la doctrine des limitations des droits de l'homme d'après
la Convention, la situation particulière de ces personnes n'en permet pas moins de considérer
un peu différemment certains éléments de la justification par rapport aux personnes libres.
Cette idée trouve sa confirmation dans la jurisprudence de la Cour534.

L'établissement du but légitime est facilité par le fait que la Convention autorise un
grand nombre de buts relativement large autorisant des restrictions aux droits qu'elle prévoit:
les intérêts de la sécurité nationale et publique ou du bien-être économique du pays ; la
prévention des troubles ou des infractions ; la protection de la santé ou de la morale ; la
défense des droits et libertés d'autrui (pour la restriction du respect de la vie privée et
familiale) ; les intérêts de la sécurité publique ; la protection de l'ordre public, de la santé ou
de la morale ; ou la défense des droits et libertés d'autrui (pour la restriction de la liberté de

531
La Cour se référe aux arrêts Мastromatteo c. Italie [GC] § 72 (nº 37703/97, 24.10.2002);
Schemkamper c. France § 31 (nº 75833/01, 18.10.2005); Maiorano et autres c. Italie § 108 (nº
28634/06, 15.12.2009).
532
Vinter et autres c. Royaume-Uni [GC] §§ 111-116 (nº 66069/09, 130/10 et 3896/10);
Harakchiev et Tolumov c. Bulgarie §§ 243-246 (nº 15018/11 et 61199/12).
533
Gomien D., Harris D.J., Zwaak L., Ibid, p. 218.
534
Golder c. Royaume-Uni § 45 (21.02.1975, nº 4451/70), Boyle et Rice c. Royaume-Uni § 74
(nº 9659/82, 27.04.1988); Schönenberger et Durmaz c. Suisse § 25 (nº 11368/85, 20.06.1988); Dikme
c. Turquie § 117 (nº 20869/92, 11.07.2000).
214

pensée, de conscience et de religion) ; les intérêts de la sécurité nationale, de l'intégrité


territoriale ou de la sécurité publique ; la prévention des troubles ou des infractions ; la
protection de la santé ou de la morale ; la défense de la réputation ou des droits d'autrui ; la
prévention de la diffusion d'informations confidentielles ; ou le maintien de l'autorité et de
l'impartialité du tribunal (pour limiter la liberté d'expression) ; les intérêts de la sécurité
nationale ou publique ; la prévention des troubles ou des infractions ; la protection de la santé
ou de la morale ; la défense des droits et libertés d'autrui (pour limiter la liberté de réunion et
d'association). D'autre part, certains buts des restrictions sont parfois définis dans les
protocoles à la Convention.

La jurisprudence de la Cour montre qu'une restriction peut porter à la fois sur plusieurs
buts fixés par la Convention. Toutefois, pour pouvoir constater la légitimité de l'application de
la restriction, il suffit d'établir la présence d'un seul but. Très souvent, ce but représente en fait
la sécurité, matière dans laquelle les États-membres du Conseil de l'Europe disposent d'un
pouvoir d'appréciation assez peu défini535.

D'autre part, comme énoncé plus haut, les buts admissibles de limitation de certains
droits d'après la Convention ne sont pas définis et peuvent comprendre un large cercle de ces
buts. Cela concerne notamment le droit à des élections libres (article 3, Protocole N° 1 à la
Convention), le droit à l'instruction (article 2, Protocole N° 1 à la Convention). Dans ces cas,
la Cour analyse le bien-fondé des buts qui sont présentés par le gouvernement, au cours de la
communication dans l'affaire, en tant que buts des restrictions appliquées. C'est ainsi que dans
l'affaire Hirst contre Royaume-Uni le gouvernement alléguait que la limitation du droit de
vote des condamnés avait pour but de prévenir des infractions et d'améliorer leur sens de
responsabilité civile et le respect de la suprématie du droit. La Cour observait toutefois, qu'au
moment où devait être adoptée la loi prévoyant l'interdiction de voter des condamnés, le
gouvernement invoquait en guise de but la punition supplémentaire des condamnés, ce qui
signifiait que la privation du droit de vote était considérée comme une peine additionnelle à
l'incarcération. La Cour rejetait donc l'idée estimant que l'emprisonnement implique la perte
des droits au-delà de celle du droit à la liberté (beyond the right to liberty)536. Elle formulait
ainsi une position incitant les pratiques nationales à chercher à supprimer les restrictions
superflues appliquées aux détenus, puisque l'incarcération constitue par lui-même une
punition suffisante. Toutefois, il découle de la position juridique de la Cour un certain degré

535
Rubi-Cavagna E., Le respect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales par la France et l’Espagne concernant la protection de la
personne du détenu, Thèse, Montpellier, Université Montpellier I, 1995, p. 113.
536
Hirst c. Royaume-Uni (nº. 2) (GC) §75 (nº 74025/01, 06.10.2005).
215

d'ambiguïté, car celle-ci n’est pas allée jusqu'à condamner formellement le but punitif de la
privation de liberté.

La conception de l'incarcération en tant que punition en elle-même est maintenant


généralement admise et elle tient son origine de l'expression connue d'Alexander Paterson
selon qui les personnes sont envoyées en prison en tant que punition et non pour subir une
punition537. Par ailleurs, ainsi que nous le démontrons dans le présent travail, la réponse à la
question de savoir ce qu'il faut entendre par aller "au-delà" de la limitation du droit à la liberté
n'est pas suffisamment précise.

2.2.1.2.2.1 Harmonisation des buts des limitations à la lumière de divers textes normatifs

Une place particulière revient à la question de l'harmonisation des buts des restrictions
à la lumière de divers textes normatifs réglementant les finalités de la politique pénale et
pénitentiaire de l'État.

Le problème de la corrélation des buts des restrictions des droits des détenus tient à ce
que les exigences vis-à-vis de ces buts sont formulées directement ou indirectement dans
plusieurs textes normatifs à la fois. Premièrement, ce sont les exigences générales à l'égard
des limitations des droits énoncées dans les constitutions. Deuxièmement, ce sont celles de la
Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Troisièmement, ce sont les buts de la peine au plan pénal et les buts de l'emprisonnement (ou
de l'exécution de la peine en tant que telle) fixés dans la législation d'exécution des sanctions
pénales.

Dans l'arrêt rendu par la Grande chambre de la Cour dans l'affaire Dickson contre
Royaume-Uni538, après l'examen des arguments du gouvernement soutenant que la limitation
de la vie familiale (refus de la fécondation artificielle) avait pour but la punition, la Cour a
répondu qu'elle admettait la punition comme l'un des but de l'emprisonnement, tout en
observant que la politique pénale européenne s'orientait vers une augmentation de

537
Angl. « Men are sent to prison as a punishment, not for punishment ».
538
Dickson c. Royaume-Uni (GC) (nº 44362/04, 02.12.2007).
216

l'importance du but réhabilitatif de la peine (§ 75). La Cour reconnaissait ainsi indirectement


comme recevables les arguments du gouvernement lorsqu’il affirmait que l'application d'une
restriction pouvait avoir un but punitif. Toutfois, elle observait aussi qu'il était souhaitable
d'appliquer les restrictions aux fins de réhabilitation (de l'amendement). Nous pouvons en
conclure que la CEDH admet que les restrictions des droits des détenus peuvent avoir des buts
punitifs, bien que ce but ne soit pas reconnu comme souhaitable.

Cet arrêt nous amène à l'idée que les buts des restrictions des droits des détenus
admissibles, selon la Convention, sont en corrélation avec les buts de la peine qui peuvent être
énumérés dans le code pénal. Il est, en outre, évident qu'il est nécessaire de résoudre la
question de leur harmonisation, ce qui constitue une tâche difficile étant donné le caractère
contradictoire de certains buts.

Selon l’article 130-1 du Code pénal français, afin d'assurer la protection de la société,
de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l'équilibre social, dans le
respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions : (1) de sanctionner l'auteur de
l'infraction et (2) de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion. Nous voyons
ainsi une liste des indications concernant les finalités de la peine. Il est possible d’y
reconnaître une certaine confusion, étant donné que cet article annonce d’abord des finalités
« ultimes » (prévenir la commission de nouvelles infractions et restaurer l'équilibre social,
dans le respect des intérêts de la victime) ainsi que ce que nous pouvons appeler les « sous-
finalités » (déguisées comme « fonctions »), qui sont censées faciliter la réalisation des
finalité « ultimes ».

Quels que soient les termes utilisés, il est possible d’identifier les catégories qui
définissent à quoi doit parvenir la peine, même si chacune d’entre elles permet de parvenir à
une autre. Par exemple, la finalité de protection de la société est assurée par la prévention de
la commission de nouvelles infractions. Cette dernière peut être, en partie, facilitée par
l’amendement, l’insertion et la réinsertion du détenu. De même, la finalité de restauration de
l'équilibre social est en partie assurée par la sanction de l'auteur de l'infraction.

Il s’ensuit que ces finalités sont étroitement liées. Par ailleurs, elles s’équilibrent l’une
l’autre et sont limitées par elles-mêmes. Par exemple, il peut sembler que la réclusion à
perpétuité pourrait être le meilleur choix pour protéger la société, mais il ne faut pas perdre de
vue la « fonction » (sous-finalité selon nous) d’amendement du détenu et sa réinsertion. Il en
va de même pour la sous-finalité de sanction du détenu, celle-ci étant liée par la finalité de
restauration de l'équilibre social, ce qui est peu probable dans le cas où la sanction serait
217

exagérée. Il est possible de noter d’autres contradictions entre ces finalités qui existent de
manière déguisée. Ainsi, le respect des intérêts de la victime peut-il être facilement mobilisé
pour renforcer la finalité de punition et pour contredire la finalité de réinsertion. De surcroît,
dans le cas où une finalité facilite l’autre, cette dernière peut être considérée comme contraire
aux finalités et donc comme contredisant la première.

Nous pouvons donc admettre que les finalités mentionnées à l’article 130-1 du CP sont
dans une certaine mesure contradictoires. Cela étant dit, se pose la question de l’équilibre
entre celles-ci et les objectifs des limitations appliquées aux droits des détenus. Selon nous,
ces dernières doivent poursuivre non seulement les objectifs prévus (permis) par la
Convention, mais aussi les finalités de la peine. Cette conclusion se fonde sur l’idée que les
finalités (buts) de la peine sont au moins partiellement atteintes par les restrictions qui font
partie de son contenu (ainsi que par l’application de la peine elle-même). De ce point de vue,
la Convention restreint les finalités de la peine, parce qu’elle établit les objectifs que peuvent
et doivent poursuivre les limitations qui font partie du contenu de la peine, laquelle se traduit,
en revanche, par le régime pénitentiaire et d’autres aspects de l'emprisonnement.

Pour illustrer cette idée, prenons un autre exemple.

Aux termes de l'article 50, 1er al., du Code pénal de l'Ukraine, la peine représente une
mesure de contrainte appliquée au nom de l'État par jugement du tribunal à l'égard de la
personne reconnue coupable d'avoir commis une infraction et qui consiste dans la limitation
prévue par la loi des droits et libertés du condamné (souligné par nous). Autrement dit, la
peine consiste dans la limitation des droits et libertés.

En même temps, les restrictions traduisant le contenu de la peine (par exemple, la


limitation de la liberté de circulation, l’interdiction des téléphones portables, la limitation des
sommes d'argent permises, la limitation des visites, et de la vie privée etc.) doivent répondre
aux dispositions de la Convention quand elles touchent aux droits garantis par elle539.
Néanmoins, elles doivent également poursuivre les buts de la peine retenus dans le CP de
l'Ukraine, soient la rétribution (punition), l’amendement (réhabilitation) et la prévention
spéciale et générale). Cela s'explique par le fait que les restrictions constituent le contenu de la
peine, c'est-à-dire qu'elles en sont les composantes et, en même temps, les moyens dont l'effet
cumulatif doit permettre d'atteindre les buts de la peine. Cette idée est confirmée par le

539
Cette hypothèse est confirmée par l’article 18 de la Convention qui dispose que « les restrictions
qui, aux termes de la présente Convention, sont apportées auxdits droits et libertés ne peuvent être
appliquées que dans le but pour lequel elles ont été prévues ».
218

philosophe américain Richard Lippke qui écrit: "Pour chaque droit, nous devons réfléchir si sa
limitation ou sa perte peut contribuer à atteindre les buts de la peine"540.

Établir quelles sont les finalités que doit/peut poursuivre la limitation du droit du
condamné est un problème difficile. Ne serait-ce que parce qu’il est délicat de déterminer
l'une des quelques finalités poursuivies par la peine que doit viser une restriction. Une
restriction devrait-elle viser à la fois toutes les finalités de la peine ou certaines d'entre elles
seulement? Est-il possible, généralement, qu'une même restriction atteigne des finalités
différentes? Par exemple, l'interdiction faite aux condamnés de consommer des boissons
alcoolisées doit-elle punir et, en même temps, prévenir des infractions, redresser ou seulement
prévenir les infractions?

Les différentes réponses à ces questions peuvent être proposées: 1) les restrictions
constituant la peine visent à mesure égale toutes les finalités de celle-ci; 2) chaque restriction
peut/doit poursuivre une seule finalité de la peine; 3) la restriction peut/doit poursuivre
plusieurs finalités à la fois et ne pas en viser une autre/d'autres; 4) certaines restrictions n'ont
qu'une seule finalité alors que d'autres peuvent/doivent poursuivre à la fois plusieurs ou toutes
les finalités de la peine; 5) chaque restriction particulière a une sorte d'accent, c'est-à-dire vise
en premier lieu certaines finalités de la peine.

La première approche semble être logique, mais elle ignore les cas où le contenu des
restrictions appliquées aux condamnés peut être diamétralement opposé.

La deuxième, la troisième et la quatrième approches présentent une certaine


contradiction logique. Dès lors que les quatre buts de la peine sont déclarés, tous les éléments
constituant celle-ci, y compris les restrictions, devraient aussi viser tous ces buts à la fois.
Dans ce cas, les buts de la peine sont à considérer comme caractéristiques de la peine en tant
que phénomène entier, ces buts devant être propres, dans une mesure ou une autre, à tous ses
éléments.

La quatrième approche permet d'affirmer que la limitation de la liberté de circulation


épuise le but de la punition, toutes les autres restrictions ne pouvant plus avoir pour but la
punition et devant donc viser d'autres buts de la peine. Il faut savoir aussi, à ce propos, comme
il était déjà dit, que toute restriction traduit la peine, mais cela ne veut pas dire nécessairement
que la punition constitue leur but.

540
Lippke R.L., Toward a Theory of Prisoners’ Rights, Ratio Juris, 2002, Vol. 15.2, p. 125.
219

La cinquième approche, qui porte sur "l'accentuation" des buts, prévoit l'identification
de buts prioritaires poursuivis par certaines restrictions: l’incarcération vise la punition et la
prévention, tandis que les sanctions disciplinaires et le régime de la journée visent
l'amendement du détenu. Elle permet d'éviter les contradictions logiques évoquées supra,
mais ne donne aucune possibilité pratique de contenir, d'une manière ou d'une autre les
pratiques législatives et celles d'application du droit. Cette "accentuation" des buts, qu’il est à
l'évidence impossible d'instituer par une norme, dépend totalement de l'appréciation de celui
qui applique la loi et laisse un large champ d’interprétation de la fonction de chaque limitation
et, par conséquent, tant à leur élargissement qu’à leur rétrécissement maximum. Cela pourrait
rapprocher la politique de l'État de l'approche ressemblant à "l'utilité socialiste", lorsque le
droit est interprété et écrit comme le veut l'État, ce qui est inadmissible dans le domaine des
droits de l'homme.

Le problème se compléfixie du fait des contradictions existant entre les buts eux-
mêmes de la peine, puisque celle-ci est censée punir et réhabiliter en même temps541. Certains
spécialistes ont qualifié de "collision" cette corrélation entre les buts de la peine542. D'autres
ont montré du doigt la contradiction entre les buts de la peine sous forme de privation de
liberté et la nature même de cette peine, car le "bon sens" atteste qu'il est impossible de
préparer l'individu à la vie dans la société lorsqu'il en est isolé ou de lui apprendre des
comportements utiles en le maintenant dans le milieu de ses semblables 543. La réinsertion, la
protection, le rétablissement de l'équilibre social et de la dignité de la personne et
l'intimidation: tous ces buts de la peine sont contraires les uns aux autres544.

La question posée se complique aussi à la lumière de la présence de buts attributifs


qu'il ne faut pas perdre de vue. De tels buts sont inclus, par exemple, dans l’article 707 du
CPP français, qui énonce que le régime d'exécution des peines privatives et restrictives de
liberté vise à préparer l'insertion ou la réinsertion de la personne condamnée afin de lui
permettre d'agir en personne responsable, respectueuse des règles et des intérêts de la société
et d'éviter la commission de nouvelles infractions.

541
Bageric M., Punishment & Sentencing: A Rational Approach, London, Routledge, 2001, p.
157.
542
Natachev A.E., Stroutchkov N.A., Ibid, p. 136.
543
Хохряков Г.Ф. Парадоксы тюрьмы. – М.: Юрид. лит., 1991. – С. 5 (Khokhoriakov G.F.,
Paradoxes de la prison, Moscou, Jurid. lit., 1991, p. 5).
544
Valloton A., La protection de la dignité en prison – brève approche analytique des agences de
régulation en Europe, in L’Administration pénitentiaire face aux princepes de la nouvelle gestion
publique. Une réforme en question(s), Sous la direction de J.-C. Froment et M. Kaluszynski, Grenoble,
Presses universitaires de Grenoble, 2011, p. 204.
220

Comme les limitations constituant la peine sont le plus souvent retenues justement
dans la partie « législation » qui régit les questions du régime, elles doivent ainsi répondre au
but et aux objectifs de celle-ci. Il s'ensuit que, l’article 707 du CPP français peut être
considéré comme un texte qui crée un surplus de confusion dans la détermination des limites
des restrictions des droits des condamnés dans la détermination des caractéristiques
quantitatives et qualitatives de ces restrictions. C'est ainsi que les moyens d'atteindre le but
visant à préparer l'insertion ou la réinsertion de la personne condamnée peuvent être perçus
différemment par des spécialistes en fonction de la théorie criminologique qu’ils favorisent.
Ceci amène à ce que les caractéristiques voulues des limitations de droits à l'aide desquelles
ce but devrait être atteint peuvent être interprétées de manière opposée par les représentants
de diverses écoles criminologiques, juridiques ou par les praticiens.

Au vu de ce qui précède, il est possible de prétendre à l'existence d'un lien obligatoire


entre la Convention et la Constitution, d'une part, et le contenu de la peine, d'autre part. Les
éléments composant le contenu de la peine représentent les limitations des droits qui doivent
répondre aux buts fixés dans la Constitution et dans la Convention. De plus, elles doivent
répondre à d'autres exigences les concernant retenues dans la Convention, comme, par
exemple, leur nécessité dans une société démocratique (proportionnalité). La Constitution et
la Convention comportent donc des exigences qui déterminent indirectement le contenu
admissible de la peine ainsi que les finalités de celle-ci. Nous sommes donc en droit de parler
de la réalité d'un potentiel modérateur de la Convention et de la jurisprudence de la Cour
concernant la politique pénale et la politique en matière d'exécution des peines, parce que les
deux touchent directement ou indirectement aux limitations des droits des personnes
condamnées545. C'est ainsi que le fait que les limitations constituant la peine doivent répondre
aux buts de la Convention pourrait à l'avenir mettre en doute la conformité à la Convention du
but de la peine retenu en Ukraine, tel que la punition. Cependant, la CEDH n’a pas pour
l'instant fait un tel pas à l'égard des pays attribuant des buts punitifs à la peine.

La thèse selon laquelle la limitation des droits des détenus doit poursuivre des buts
complémentaires par rapport aux citoyens libres indique la source des différences d'approches
vis-à-vis de la limitation de leurs droits. Ceci permet de mieux comprendre la spécificité de la
nature juridique de telles limitations.

545
Човган В.О. Співвідношення цілей обмежень прав засуджених // Проблеми законності.
– 2014. – Вип. 126. – С. 160-161 (Chovgan V.O., Corrélation des buts des restrictions aux droits des
condamnés, Problèmes de la légalité, 2014, Fasc. 126, p. 160-161).
221

2.2.1.2.3. Nécessité dans une société démocratique

Le plus souvent, les limitations des droits des détenus sont qualifiées de non justifiées
à l'étape destinée à établir si elles étaient nécessaires dans une société démocratique. Cette
étape suit la constatation de deux autres exigences: être prévue par la loi et viser un but
justifié. La nécessité dans une société démocratique est étroitement reliée à la
proportionnalité. L'idée maîtresse de la proportionnalité consiste en ce que la limitation ne
doit pas dépasser ce qui est nécessaire pour atteindre un but justifié.

La conception de la proportionnalité par la Cour est formulée dans l'affaire Silver et


autres contre Royaume-Uni546. L'arrêt rendu dans cette affaire est considéré comme une
décision clé dans l'établissement de la norme de la nécessité dans une société démocratique.
Le requérant se plaignait de restrictions non justifiées à sa correspondance qui se traduisaient
par l'arrêt de la transmission de ses lettres au Ministre de l'Intérieur par l'administration
pénitentiaire. La Cour retient la violation de la Convention et à la non-conformité de cette
restriction à la condition de nécessité dans une société démocratique.

Il est intéressant de citer la partie de l'arrêt relative à la norme de proportionnalité:

"97. La Cour a plusieurs fois précisé comment elle comprend les termes "nécessaire
dans une société démocratique", la nature de ses fonctions lors de l'examen des questions les
concernant et la manière dont elle s'en acquitte. Il suffit ici de résumer certains principes:

[…](b) les États contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation - non
illimitée - en matière de recours à des restrictions, mais la décision finale sur la compatibilité
de celles-ci avec la Convention appartient à la Cour;

(с) "nécessaire dans une société démocratique" signifie que, pour se concilier avec la
Convention, l'ingérence (la restriction – N.D.L.A.) doit notamment correspondre à un "besoin
social impérieux" et être "proportionnée au but légitime poursuivi";

(d) appellent une interprétation restrictive de celles des clauses de la Convention qui
ménagent une exception à un droit garanti (c'est-à-dire des clauses limitatives – N.D.L.A.)".

Un critère nécessaire d'une "société démocratique" est représenté par le pluralisme, la


tolérance, l’ampleur de la liberté de pensée547, sans lesquels il ne peut pas y avoir une "société

546
Silver et autres c. Royaume-Uni (nº 5947/72; 6205/73; 7052/75; 7061/75; 7107/75; 7113/75;
7136/75, 25.03.1983).
547
Bayatyan c. Arménie § 126 (nº 23459/03, 07.07.2011).
222

démocratique"548. Ces indices deviennent essentiels dans l'établissement de l’équilibre entre


les intérêts sociaux et individuels. Ils doivent être pris en compte en cas de concurrence entre
intérêts individuels et sociaux. Cela signifie, en fait, que la préférence doit être donnée au
maximum à l'intérêt individuel.

La "nécessité" d'une restriction implique l'existence d'un "besoin social impérieux"549


pour la restriction d'un droit. Cela étant, les pays bénéficient d'une certaine marge
d'appréciation dans la détermination de la réalité d'un tel besoin. Néanmoins, la doctrine
appliquée de la "marge d'appréciation" peut être appréciée par la Cour du point de vue des
normes établies.

On estime par ailleurs que son application ne convient probablement pas à tous les cas
de restrictions. Les spécialistes du droit conventionnel observent, par exemple, que lorsque la
police s’immisce dans la vie privée par le suivi d'informations confidentielles, il peut
effectivement s'agir d'un "besoin social impérieux", mais la pertinence de ce terme à l'égard
d'autres droits retenus dans la Convention est en question550. La Cour utilise, par ailleurs, cette
catégorie pour les affaires relatives à la vie privée des détenus; elle prévoit, notamment,
l'obligation de l'État de démontrer la pertinence de ce but pour s'ingérer dans les droits des
détenus551.

Steve Foster décrit, dans son livre, le procédé général dont use la Cour pour constater
si une restriction était nécessaire dans une société démocratique552. La Cour cherche à savoir
d'abord s'il y a un besoin social impérieux pour la restriction. Si un tel besoin existe, il
convient ensuite d’établir si la restriction répond à ce besoin. Au cas où cette condition est
satisfaite, il convient de voir si la restriction répondrait à ce besoin dans d'autres
circonstances, et si les motifs invoqués par les autorités sont pertinents.

La question peut alors se poser de savoir en quoi diffèrent le principe de « besoin


social impérieux » et le but justifié de la restriction, dont l'existence constitue la deuxième
composante du test évoqué à trois éléments. Au fond, le besoin social impérieux est aussi un
but déterminé, que le pouvoir doit poursuivre en appliquant des restrictions à la personne.

548
Handyside c. Royaume-Uni § 49 (nº 5493/72, 07.12.1976).
549
Polat c. Turquie § 43 (nº 23500/94, 08.07.1999).
550
Cooper J., Understanding Human Rights Principles, Portland, Hart Publishing, 2001, p. 75.
551
Khoroshenko c. Russie (GC) § 118 (nº 41418/04, 30.06.2015), Biržietis c. Lituanie § 55 (nº
49304/09, 14.06.2016).
552
Foster S., Human Rights and Civil Liberties: 2008 and 2009, New York, Oxford University
Press, 2008, p.42.
223

Le fait de constater l'existence d'un but justifié ne signifie pas encore l'existence d'un
besoin social impérieux de la restriction. Autrement, nous n’aurions plus besoin de la
deuxième composante du test à trois éléments. La différence réside en ce que le gouvernement
doit démontrer pourquoi la restriction vise un besoin social impérieux, ce, dans chaque cas
concret553. Cette thèse était devenue particulièrement importante depuis que la Cour ne se
prête plus à l'analyse critique des arguments de l'État sur l'existence de buts justifiés, c'est-
à-dire de l'autre composante du test à trois éléments qui a été nivelée avec le temps.

En appréciant si la restriction est "nécessaire" dans une société démocratique, la Cour


se penche aussi sur ce qu'on appelle les "exigences normales et raisonnables de
l'emprisonnement"554. Ce concept n'exerce toutefois pas un effet sensible sur la jurisprudence
de la Cour555.

L'élément peut-être le plus important, dans l'établissement de la nécessité de


restreindre le droit du détenu dans une société démocratique, consiste dans l'établissement de
la proportionnalité entre la restriction appliquée et le but de celle-ci. Pour analyser cette
condition, la Cour se sert depuis longtemps du test précis de proportionnalité qui comprend
les réponses aux questions de savoir si l'ingérence dans le droit de la personne (la restriction)
était convenable et pertinente, s'il y avait un "besoin social impérieux" pour l'ingérence, si
l'ingérence répondait au but justifié qui était poursuivi. Dans ses arrêts plus récents, la Cour
utilise un test moins rigoureux: l'ingérence était-elle "justifiée sur le fond et proportionnée?",
Y avait-il un "rapport justifié de proportionnalité" entre la restriction et le but justifié
poursuivi?556.

En appréciant la proportionnalité de l'ingérence dans le droit, il convient d'examiner


l'impact de cette ingérence sur le droit, les motifs de l'ingérence, l'effet produit et le contexte
de l'application de la restriction. Depuis l'adoption de l'idée selon laquelle c'est à l'État qu'il
appartient de justifier de la nécessité de l'ingérence, la Commission et la Cour ont usé
d'expressions variées à ce propos. C'est ainsi que les motifs doivent être "convenables et
pertinents", la nécessité de la restriction doit être "établie de manière concluante", les

553
Guild E., Minderhoud E.P., Security of Residence and Expulsion: Protection of Aliens in
Europe, The Hague, Martinus Nijhoff Publishers, 2001, p. 30–31.
554
Szuluk c. Royaume-Uni § 46 (nº 36936/05, 02.06.2009).
555
Supra.
556
Dijk P., Hoof G..J.H, Van Hoof J.G.F., Heringa A.W., Theory and Practice of the European
Convention on Human Rights. 3rd ed., The Hague, Kluwer Law International, 1998, p. 94.
224

exceptions doivent être formulées de la manière la plus stricte possible et l'ingérence doit
répondre au "besoin social impérieux"557.

Bien que non évoqué, ni dans la Convention, ni dans ses Protocoles, le principe de
proportionnalité occupe toutefois une place clef dans la jurisprudence de la Cour. C'est
pourquoi l'examen de la proportionnalité de la restriction par rapport au but représente un
sujet extrêmement volumineux, la détermination de la proportionnalité se basant sur la vaste
doctrine s’y référant. Quant à la conception du principe, elle est toujours variable chez les
théoriciens du droit. Il est admis qu'il est assez difficile de "deviner" quand la Cour est
susceptible de constater la proportionnalité ou le défaut de celle-ci, car son expérience
antérieure dans ce domaine montre une différence notable d'approches selon le cas à
examiner. Les chercheurs en déduisent même qu'il est difficile de prévoir quels peuvent être
les résultats de requêtes particulières, notamment pour savoir en quoi l'idée de la
proportionnalité aurait "une valeur déductive faible en tant que principe général"558.

L'on comprend ainsi que l'absence de doctrine claire de la Cour permettant de


déterminer avec précision la proportionnalité d'une restriction fait et fera naître des problèmes
pour les Parties contractantes de la Convention. Lord Lester, théoricien de l'application de la
Convention, propose une métaphore à ce propos: "Si la trompette lance un son incertain de
Strasbourg, qui parmi les Parties Contractantes se préparera à la bataille?"559.

Malgré le fait que la théorie du droit conventionnel tende à établir une approche
uniforme dans l'appréciation de la proportionnalité, il est extrêmement important de
mentionner la liste précise des critères et leur ordre invariable en tant que caractéristique
généralisée des approches de la Cour. Ainsi que l'observe à juste titre Jonas Christoffersen,
analyste connu du principe de proportionnalité, "le principe de proportionnalité dans la
Convention est bien loin de pouvoir retracer son interprétation doctrinale. Il est très douteux
qu'un tel test à trois éléments conçu à l'avance puisse être jamais créé. Le principe de
proportionnalité détermine l'interprétation et l'application du droit international et national
dans un grand nombre de domaines, et il serait contre-intuitif de penser que les décisions

557
Greer S., The Margin of Appreciation: Interpretation and Discretion under the European
Convention on Human Rights, Human Rights Files No.17, Strasbourg, Council of Europe Publishing,
2000, p. 20.
558
Viljanen J., The European Court of Human Rights as a Developer of General Doctrines of
Human Rights Law — A Study of the Limitation Clauses of the European Convention on Human
Rights, Tampere, Tampere University Press, 2003, p. 339.
559
Lester A., Universality versus Subsidiarity: A Reply, European Human Rights Law Review,
1998, p. 81.
225

concernant les droits internationaux de l'homme puissent être réduites à une formule simple
pouvant être appliquée pour résoudre tous les litiges et chacun d'eux"560.

La Cour examine tantôt trois éléments de proportionnalité tantôt deux éléments. Le


premier cas comprend la pertinence de la restriction, sa nécessité et le caractère non
disproportionné (proportionnalité au sens strict). Le second cas comprend l'exigence de la
conformité de la restriction à l'importance du but poursuivi et la nécessité de la restriction
pour atteindre le but visé. Nous ne voyons toutefois pas comment les éléments de l'approche à
deux composantes sont corrélés avec les éléments de l'approche à trois composantes. C'est
que la conformité à l'importance du but peut être rattachée tant au premier élément, la
pertinence, qu'au troisième élément, le caractère non disproportionné561. En ce qui concerne
l'approche à trois composantes, des formules d'orientation peuvent être utilisée pour
comprendre ses éléments: "Les mesures ont-elles été pertinentes et nécessaires pour réaliser le
but légitime ?", Y avait-il des restrictions alternatives moins accablantes ? Dans l'affirmative,
la préférence aurait dû être donnée à la restriction la moins limitative", "les privations causées
par la restriction ne peuvent pas être incompatibles avec le but visé"562.

Le contenu du principe de proportionnalité pourrait être synthétisé en quelques mots.


Selon la définition trouvée par certains chercheurs, la proportionnalité de la restriction signifie
que "la restriction ne doit pas être supérieure à ce qui est nécessaire pour atteindre un but
justifié"563. La proportionnalité concerne généralement la question de savoir s'il était possible
d'atteindre le but légitime poursuivi par des moyens moins restrictifs ou si la restriction a
causé au titulaire du droit un préjudice qui peut outrepasser le profit d'une telle restriction,
laquelle aurait pu être réalisé en poursuivant un but justifié564.

560
Christoffersen J., Fair Balance: A Study of Proportionality, Subsidiarity and Primarity in the
European Convention on Human Rights, The Hague, BRILL, 2009, p. 71.
561
Van Gerven W., The Effect of Proportionality on the Actions of Member States of the
European Community: National Viewpoints from Continental Europe, The Principle оf
Proportionality іn Laws of Europe. Ed. by E.Ellis, Portland, Hart Publishing, 1999, p. 38.
562
La Cour a sa propre vision de la proportionnalité alors que des approches plus originales
existent par ailleurs. A. Barak estime que la proportionnalité exige un équilibre entre l'importance
sociale maximale de la réalisation du but de la loi et l'importance de pouvoir prévenir un préjudice au
droit du fait de sa restriction (Barak A., Proportionality: Constitutional Rights and their Limitations,
Cambridge, Cambridge University Press, 2012, p. 11, 350-353). D'autres spécialistes considèrent que
la proportionnalité peut découler de l'importance de la valeur (Verdussen M., Contours et enjeux du
droit constitutionnel pénal. Préface de F. Delpérée, Bruxelles, Bruylant, 1995, p. 140).
563
Webley L., Samuels H., Complete Public Law: Text, Cases, and Materials. 2nd ed., Oxford,
Oxford University Press, 2012, p. 254 ; Malloy R.P., Diamond M.R., The Public Nature of Private
Property, Surrey, Ashgate Publishing, Ltd., 2011, p. 113.
564
Feldman D., Civil Liberties and Human Rights in England and Wales, Oxford, Oxford
University Press, 2002, p. 57.
226

La possibilité de mettre en œuvre des mesures moins accablantes pour atteindre les
mêmes objectifs représente la question centrale dans la doctrine de proportionnalité de la
CEDH, l'application d'une restriction non proportionnée étant comparée à l'écrasement d'une
noix à l'aide d’une massue565. Une autre analogie semblable est fournie par l'expression "tirer
au canon sur des moineaux" ou, en français « écraser une mouche avec un marteau ». Parlant
du degré admissible de restriction des droits des détenus, Lippke fait une comparaison avec le
médecin. Pareil au médecin auquel nous donnons le "mandat" de causer de la douleur avec un
but déterminé au cours d’une opération, le pouvoir ne doit causer que la "douleur" (les
restrictions) qui soit nécessaire pour atteindre les buts voulus566.

En appréciant si la restriction était démesurée, la forme de la restriction, sa


procédure567 et sa durée568 sont prises en compte. La restriction ne serait être proportionnée
que lorsque le but de la restriction justifie l'ingérence dans le droit. Il doit y avoir un lien
rationnel entre le but et la restriction, les moyens mis en œuvre ne devant pas excéder ce qui
est nécessaire pour atteindre le but569.

L'analyse de la restriction au regard de la proportionnalité implique l'examen de la


question du rapport entre les intérêts individuels et sociaux. En comparant, d’une part, le
préjudice causé à l'individu par la restriction et, d’autre part, le profit ainsi obtenu, il est
nécessaire de s'interroger sur ce que doit être un rapport raisonnable, justifié. Cela s'explique
par le fait que le préjudice causé aux intérêts individuels par la restriction des droits pourrait
toujours être placé au-dessous des intérêts de la société. Pour l'éviter, il faut que ce rapport
soit nécessaire dans une société démocratique, ce, en tant que caractéristique qualitative de la
société qui prône la liberté individuelle la plus large possible. En appréciant l'existence d'un
équilibre, l'existence d’un juste équilibre est ainsi apprécié.

La définition du juste équilibre dépend, pour sa part, des facteurs qui ne sont pas
invariables et qui sont pris en compte différemment dans chaque affaire individuelle. C'est
pourquoi, pour pouvoir caractériser le juste équilibre, il est intéressant de suivre la
jurisprudence de la Cour dans les affaires où elle constatait l'altération de ce juste équilibre.

565
Brems E., ‘Don’t Use a Sledgehammer to Crack a Nut’: Less Restrictive Means in the Case
Law of the European Court of Human Rights, Human Rights Law Review, 2015, n° 15 (1), p. 139–
168.
566
Lippke R.L., Criminal Offenders and Right Forfeiture, Journal of Social Philosophy, 2001,
Vol. 32, 1, p. 80.
567
Reid K. A., Practitioner's Guide to the European Convention on Human Rights. 4th ed.,
London: Sweet & Maxwell, 2012, p. 67.
568
Istvan Gabor Kovacs c. Hongrie § 38 (nº 15707/10, 17.01.2012).
569
Ormerod D., Hooper A., Blackstone's Criminal Practice 2012, Oxford, Oxford University
Press, 2011, p. 122.
227

La violation de la proportionnalité peut ainsi se traduire par les cas de figure suivants: une
limitation alternative moins restrictive pouvait être appliquée; la restriction appliquée ne
prenait pas en compte les cas individuels, mais limitait les droits de manière automatique; la
restriction n'était pas justifiée par des motifs pertinents; les procédures appropriées à l'aide
desquelles la restriction aurait pu être minimisée faisaient défaut, etc.570. La proportionnalité
est appréciée, selon le contexte, en prenant en compte, dans chaque cas individuel, les effets
négatifs de la restriction pour l'intéressé ainsi que les autres facteurs571.

L'un des arrêts clefs de la Cour relatif à la mise en place de la norme de "nécessité
dans une société démocratique" est celui qu'elle a rendu dans l'affaire Handyside contre
Royaume Uni572. La Cour y observe que toute restriction doit répondre clairement au but
légitime qu'elle vise et que la restriction ne doit pas aller plus loin que ce qui est strictement
nécessaire pour atteindre ce but. L'aptitude de la Cour à examiner la restriction au regard de la
proportionnalité peut dépendre d'un grand nombre de facteurs, tels que l'importance du droit
limité, l'ampleur de cette limitation, l'urgence du besoin social impérieux et la sanction
appliquée au titulaire du droit, y compris la question de savoir si la restriction appliquée est la
moins limitative parmi les alternatives dont dispose le pouvoir573.

Il apparaît ainsi que la question peut-être la plus importante pouvant surgir en


appréciant la proportionnalité d'une restriction consiste à s'interroger sur la nécessité
minimale de celle-ci (et sur sa nécessité en général) pour atteindre un but justifié. Dans le
contexte des droits des détenus, cette question acquiert une signification particulière s'agissant
du but qui justifie le plus souvent la restriction de ces droits, à savoir la sécurité et l'ordre. La
restriction concernée était-elle nécessaire et minimale pour atteindre le but visé ou y avait-il
une alternative moins lourde ? A notre avis, la CEDH risque de ne pas se retrouver dans la
meilleure position pour répondre à cette question si elle porte sur le domaine pénitentiaire.

Le dernier exemple instructif vient de l'arrêt rendu dans l'affaire Kalda contre
Estonie574. Le détenu s'était vu refuser l'accès à Internet. La question principale discutée était
de savoir si l'accès au réseau mettrait en péril la sécurité. La Cour rejetait les arguments du
gouvernement, en observant que des condamnés avaient déjà, dans ce pays, accès à des sites
web et il n'y avait donc pas de raison de penser que l'accès à plusieurs autres sites à contenu

570
Davis H., Human Rights Law: Directions, New York, Oxford University Press, 2007, p. 12.
571
Shahanov et Palfreeman c. Boulgarie (nº 35365/12 et 69125/12, 21.07. 2016).
572
Handyside c. Royaume-Uni (nº 5493/72, 07.12.1976).
573
Foster S., Human Rights and Civil Liberties: 2008 and 2009, New York, Oxford University
Press, 2008, p. 43.
574
Kalda c. Estonie (nº 17429/10, 19.01.2016).
228

juridique constituerait un tel danger. Le gouvernement, quant à lui, invoquait la difficulté de


contrôler cet accès.

Le juge Kjølbro faisait noter, dans son opinion dissidente, que la Cour n'avait pas de
raisons plausibles pour mettre en doute l'évaluation des risques et de la menace à la sécurité
effectuée par les instances nationales (§ 7 du dissentiment). Il observait, à juste titre, que pour
pouvoir faire de telles conclusions la Cour devrait disposer de preuves tirées de la pratique et
du droit comparé sur la sécurité d'accès des condamnés à Internet. Ce dissentiment du juge
souligne, à notre avis, la quintessence du problème: la carence des juristes pour répondre à la
sécurité de certaines restrictions des droits des détenus. Nous sommes convaincus que ces
réponses devraient être données par les criminologues, les spécialistes de techniques
informatiques, d'autres scientifiques réalisant des études empiriques, les comparativistes575.

L'arrêt cité permet d'opérer la meilleure démonstration des capacités limitées de la


CEDH et des juristes en général pour apprécier la nécessité et le niveau minimum des
restrictions applicables dans le domaine pénitentiaire pour atteindre les buts visés par le
gouvernement. Souvent, le recours à la logique et aux arguments rationnels ne suffirait pas
pour évaluer la sécurité de l'annulation des restrictions des droits dans les établissements
pénitentiaires. A défaut de pouvoir confirmer cette sécurité par l'expérience ou des données
empiriques, l'arrêt de la Cour aura un niveau bas de légitimité parmi les pays – membres du
Conseil de l'Europe. Cela est particulièrement vrai des restrictions à propos desquelles ces
pays ne sont pas parvenus à un accord. Elles ne se limitent pas aux questions de sécurité dans
les établissements pénitentiaires ou de prévention des infractions en général, mais elles
couvrent toutes les affaires présentant des doutes sur la proportionnalité de la restriction pour
la réalisation d'un but justifié.

2.2.1.2.3.1. Proportionnalité dans les arrêts de la CEDH

En décidant du bien-fondé des restrictions appliquées aux détenus, la Cour prend


même en compte les informations pénitentiaires relatives à l’intéressé, et notamment quant à
son comportement antérieur pendant l'exécution de la peine.

575
Chovgan V., L’accès des détenus à internet devant la Cour EDH (commentaire de l’arrêt
Kalda c. Estonie du 19 janvier 2016), Actualité juridique pénal, 2016, n° 4, p. 225–226.
229

Ainsi, dans l'affaire Julin contre Estonie (§§ 191-192)576, le requérant se plaignait-il
qu'après être reconduit de l'audience judiciaire en prison, où il devait être soumis sans raison à
une fouille et contraint à se dévêtir en présence de cinq agents de l'établissement. En
déterminant à quel point cette restriction à la vie privée (art. 8 de la Convention) était
justifiée, la Cour observa qu'il était nécessaire de voir si le procédé par lequel la fouille du
requérant était pratiquée était proportionné au but posé. La Cour examina la question de
savoir si ces actes constituaient des mesures minimales nécessaires dans le cas présent et elle
constata que compte tenu du fait que l'intéressé s'était déjà fait prendre par le passé, pour la
conservation d'objets interdits et qu'il avait déclenché, à maintes reprises, des conflits avec
l'administration de l'établissement, cette ingérence (en présence de cinq personnes) n'était pas
injustifiée, eu égard à l'évaluation du risque individuel et pour assurer les exigences de
sécurité dans l'établissement.

Outre le comportement de la personne lors de l'exécution de la peine (caractéristique


pénitentiaire de l'individu), les facteurs qui influent sur l'appréciation de la restriction par la
Cour comprennent le type d'infraction que l'intéressé a commis ou qu'il est soupçonné d'avoir
commis (caractéristique pénale). Concernant l'affaire Erdem contre Allemagne577 par exemple,
la Cour constatait que le soupçon portant sur la commission d'une infraction liée au terrorisme
justifiait le contrôle de la correspondance du détenu avec son avocat. Il est vrai que cette
reconnaissance du bien-fondé de la restriction à la lumière d’infractions commises, si
inhabituelle pour la Cour, était facilitée par deux autres facteurs: а) le contrôle de la
correspondance n'était pas opéré par l'administration pénitentiaire, mais par le tribunal qui
était tenu de garder la confidentialité sur le contenu de la correspondance; b) la norme
motivant ce contrôle était formulée avec une grande précision. Cet arrêt devait d'ailleurs
susciter des doutes chez les spécialistes quant à la compatibilité de cette approche avec le
traitement égal des détenus578, puisque la justification de la restriction du droit dépendait du
type d'infraction commise. Malheureusement, ce doute absolument logique ne contribua pas à
essayer de mettre en rapport l'individualisation des restrictions dans le domaine pénitentiaire
et le principe d'égalité des droits des personnes condamnées pour des infractions
différentes579. Nous sommes d'avis que l'infraction commise ne peut déterminer l'appréciation

576
Julin c. Estonie (nº 16563/08, 29.05.2012).
577
Erdem c. Allemagne (nº 38321/97, 05.07.2001).
578
Hild B., La liberté de correspondance des personnes détenues : étude de la correspondance
épistolaire en prison : Mémoire de recherche réalisé sous la direction des Pr. A. Darsonville et J.
Fernandez, Année 2012-2013, Lille, Université Lille 2, 2013, p. 70.
579
Ceci nous fait penser que l'individualisation des restrictions en tant que composante nécessaire
du principe de proportionnalité comprend la classification des condamnés pour leur faire purger leur
230

de la restriction du droit pendant l'exécution de la peine que lorsqu'elle a une incidence directe
sur l'évaluation des risques. Ce facteur ne devrait pas être sans alternative, et d'autres
circonstances telles que le comportement au sein de l'établissement devraient être prises en
compte.

En ce qui concerne les affaires portant sur les restrictions des droits des détenus en cas
de fouille, la Cour tient toujours compte du mode de la fouille ce qui permet d'établir la
nécessité minimale de restriction du droit en tant que composante de l'exigence de la nécessité
dans une société démocratique. Parfois, en cas de violation grossière de ces exigences, la
Cour considère de tels cas comme traitement dégradant au sens de l'article 3 de la Convention.
C'est ainsi qu'il fut établi dans l'affaire Malenko contre Ukraine580 qu'à l'entrée et à la sortie de
la zone de travail de l'établissement pénitentiaire, le condamné était soumis à la fouille par
déshabillage en présence d'autres détenus et dans des locaux non spécialement aménagés. La
Cour ne reçut aucun détail concernant par exemple les particularités des activités de
production dans cet établissement ou toute autre information expliquant la justification de
cette ingérence. Par conséquent, et compte tenu des autres circonstances (mauvaises
conditions de détention et mauvaise assistance médicale), la Cour a conclu à la violation de
l'article 3 de la Convention (§ 61).

Un autre exemple de mode inadmissible de restriction des droits des détenus pendant
la fouille est fourni dans l'affaire Valašinas contre Lituanie581. Le détenu fut fouillé (avec
déshabillage complet) en présence d'une personne de sexe féminin. Les agents touchaient
avec des mains nues ses organes génitaux ainsi que les aliments qu'il avait sur lui (§ 117). De
plus, pour être justifiée la fouille devait être considérée comme étant imposée par les besoins
de la sécurité dans l'établissement pénitentiaire dans chaque cas concret 582. C'est pourquoi les
fouilles hebdomadaires sans une justification valable sont également considérées comme
violant la Convention583.

peine dans des établissements à types de sécurité (régime) différents selon des critères formels, tels
que l'infraction commise. Une telle classification devrait être appliquée généralement selon
l'évaluation individuelle des risques. L'auteur peut inclure l'objectif visant ce problème au Plan
d'action relatif à la mise en œuvre de la stratégie nationale en matière de droits de l'homme (cf..:
Човган В. Ключові напрями пенітенціарної реформи як складові національного Плану дій у
сфері прав людини // Chovgan V., Axes clefs de la réforme pénitentiaire en tant que composantes du
Plans d'action nationale en matière de droits de l'homme), disponible sur :
http://www.khpg.org/index.php?id=1453461065#_ftn1 (accedé le 29.11.2016).
580
Malenko c. Ukraine (nº 18660/03, 19.02.2009).
581
Valašinas c. Lituanie (nº 44558/98, 24.07.2001).
582
Valašinas c. Lituanie § 117, Iwańczuk c. Pologne § 59 (nº 25196/94, 15.11. 2001), McFeeley
et autres c. Royaume-Uni §§ 60-61 (nº 8317/78, 15.05.1980).
583
Lorsé et autres c. Pays-Bas §74 (nº 52750/99, 04/02/2003).
231

Nous pouvons supposer que si la restriction sous forme de fouille était justifiée dans
les cas cités, la Cour aurait constaté probablement la légitimité de son application en accord
avec l'article 8, 2e al., de la Convention (raisons et conditions de la limitation du droit à la vie
privée). Cela veut dire que la restriction du droit peut être examinée non seulement à la
lumière de l'article 8 "spécialisé" ou d'un autre article comportant une clause limitative, mais
aussi à la lumière de l'article 3. Ceci peut se produire lorsque la non-justification de la
restriction, y compris au vu du mode humiliant de sa mise en oeuvre, atteint un tel niveau
qu'elle est en violation de l'article 3. Le niveau de non-proportionnalité de la restriction étant
trop élevé, la Cour peut renoncer à examiner la justification de la restriction au titre du test à
trois composantes, en constatant d'emblée la violation de l'article 3. Les restrictions des droits
peuvent, par ailleurs, servir de facteur à prendre en compte pour constater la violation de
l'article 3584. De plus, la restriction n'atteignant pas le niveau de sévérité suffisant pour la
violation de l'article 3, sa justification peut être examinée au titre de l'article 8 de la
Convention585.

Comme déjà indiqué, il est important, pour déterminer la proportionnalité, d'établir un


juste équilibre entre l'intérêt social de la restriction et les limitations des droits individuels.

Dans l'affaire Yankov contre Bulgarie586, le requérant se plaignait, entre autre, d'avoir
été placé dans la cellule disciplinaire pour sept jours au motif d'avoir essayé de transmettre
par l'intermédiaire de son avocat le manuscrit d’un livre, qui critiquait le système pénitentiaire
du pays et notamment la prison où il était détenu, ainsi que son personnel. De plus,
l'administration pénitentiaire lui avait interdit de transmettre le manuscrit. Les autorités
prétendaient que cette restriction avait pour but de soutenir la réputation de la justice et de
défendre celle des fonctionnaires. La Cour a toutefois insisté sur l'absence d'un juste équilibre
entre la restriction appliquée au requérant et les buts déclarés. La diffusion du manuscrit et
même son édition ne pourraient pas constituer une menace grave à la réputation de
l'administration pénitentiaire (§ 143). La Cour a retenu la violation de la liberté d'expression
visée à l'article 10 de la Convention.

Saisie de l'affaire Marin Kostov contre Bulgarie, la Cour a constaté que l'application
au détenu de la sanction maximale, prévoyant son placement dans la cellule disciplinaire pour
quatorze jours, n'était pas proportionnée à l'infraction invoquée (tentative d'envoyer au

584
En plus de la surface habitable insuffisante c'est le manque d'activités utiles hors de cellules
qui peut être un de ces facteurs. Truten c. Ukraine §§ 52-54 (nº 18041/08, 23.06.2016).
585
Raninen c. Finlande § 63 (nº 20972/92, 16.12.1997).
586
Yankov c. Boulgarie (nº 39084/97, 11.12.2003).
232

procureur la plainte qui, de l'avis du personnel pénitentiaire, contenait des griefs faux
concernant la non-remise d'un colis) et au but de protection de la réputation du personnel
pénitentiaire défendu par le gouvernement587. La Cour devait statuer aussi sur la violation de
l'article 10 de la Convention au motif que la restriction du droit n'était pas nécessaire dans une
société démocratique.

Il ressort des exemples cités que, s'agissant du contexte des droits des détenus, la
proportionnalité des restrictions peut porter sur celle de la sanction appliquée pour le
manquement aux normes de conduites en vigueur dans l'établissement, c'est-à-dire sur la
proportionnalité de la responsabilité disciplinaire. Cette thèse est confirmée par un autre arrêt
récent de la Cour contre la Bulgarie588.

L'absence de juste équilibre (en tant que partie du principe de proportionnalité) était
constatée par ailleurs dans l'affaire Horych contre Pologne589. Le requérant se plaignait de
restrictions injustement accablantes du droit au respect de la vie privée, en particulier au droit
aux visites. Étant donné la gravité de l'infraction commise, un régime spécial était appliqué au
condamné. Il était, de ce fait, plus limité en nombre de visites et dans l'ordre de celles-ci, ce
qui se traduisait par l'absence de contact direct avec ses parents pendant les visites. Une paroi
de verre était placée entre le requérant et sa famille ainsi qu'une grille supplémentaire.
L'administration pénitentiaire n'avait pas créé des conditions convenables pour la visite des
filles du requérant qui devaient passer par un long couloir à l'intérieur de l'établissement le
long des cellules avec les détenus qui réagissaient avec forte agitation à la présence de
mineures. Cet ordre était à tel point accablant pour les filles du requérant qu'il dut renoncer à
leurs visites. En examinant les circonstances de l'affaire, il fut constaté que les restrictions
appliquées au requérant n'exprimaient pas le juste équilibre entre les exigences du régime
spécial, d'une part, et le droit du requérant au respect de sa vie familiale, d'autre part (§ 132),
ce qui se traduisit par la violation de l'article 8 de la Convention.

L'absence d'appréciation individuelle des risques précédant l'application d’une


restriction peut aussi conduire au constat de la violation de l'exigence de nécessité dans une
société démocratique. La mise en place de cloisons pendant les visites, par exemple, n'est
admissible qu'après une évaluation individuelle des risques et n'est pas admissible sur une
base routinière. C'est ainsi que, dans l'affaire déjà citée Ciorap contre Moldavie590, la Cour

587
Marin Kostov c. Bulgarie §§ 48-51 (nº 13801/07, 24.07.2012).
588
Shahanov et Palfreeman c. Bulgarie (nº 35365/12 et 69125/12, 21.07.2016).
589
Horych c. Pologne (nº 13621/08, 17.07.2012).
590
Ciorap c. Moldavie (nº 12066/02, 19.06.2007).
233

relevait l'absence dans les tribunaux locaux de tentatives d’établissement de l'existence d'un
risque pour la sécurité de l'établissement, qui avait servi à justifier l'aménagement de la
cloison, à la lumière des caractéristiques individuelles du requérant. La Cour constata donc la
violation de l'exigence de nécessité dans une société démocratique. La Cour observait, par
ailleurs, que le requérant avait même bénéficié auparavant de visites de longue durée qui
admettaient un contact physique. Il était donc d'autant moins logique d'invoquer les
considérations de sécurité pour lui interdire ce type de contact pendant les visites de courte
durée (§§ 117-118). Cette logique concerne d'ailleurs pleinement la pratique pénitentiaire
ukrainienne, en vertu de laquelle une cloison est mise en place à titre obligatoire pendant les
visites de courte durée, alors que tous les condamnés ont droit à des visites de longue durée
(visites familiales)! La seule justification consiste dans un cercle plus large de personnes
pouvant avoir des visites de courte durée.

Dans l'affaire Donaldson contre Royaume-Uni591, le condamné se plaignait de


l'administration pénitentiaire, qui lui interdisait de porter sur ses vêtements la fleur de lys de
Pâques, symbole spécial étroitement lié au conflit militaire et politique en Irlande du Nord.
Comme il y avait dans l'établissement des condamnés qui soutenaient les parties opposées de
ce conflit, la démonstration de ce symbole aurait pu provoquer des réactions agressives et des
violences. La Cour constata que cette restriction de la liberté d'expression des opinions
politique était justifiée, parce qu'elle avait pour but de prévenir des infractions, des troubles et
de protéger les droits d'autrui, c'est-à-dire les buts pour lesquels la Convention permet de
limiter la liberté d'expression. Cela était nécessaire, notamment pour éviter le port en milieu
pénitentiaire de signes figurant l'une des parties au conflit en Irlande du Nord. L'intérêt social
devait ainsi dominer l'intérêt individuel.

L'affaire Dickson contre Royaume Uni revêt une grande importance pour la théorie des
restrictions des droits des détenus592. Dans cette affaire, le condamné se plaignait de la
prohibition qui lui avait été faite de recourir à l'insémination artificielle pour concevoir un
enfant. La Cour a constaté que l'absence de condition de proportionnalité au regard de chaque
cas individuel de refus constituait une violation du juste équilibre des intérêts de la personne
et de la société (§§ 83-85). Cela veut dire que la non-pondération des intérêts individuels et
sociaux dans chaque cas concret peut signifier, par elle-même, la dérogation au juste
équilibre. L'argument selon lequel les restrictions contestées ne concernaient que quelques
affaires individuelles n'était pas convainquant (§ 84).

591
Donaldson c. Royaume-Uni § 32 (nº 56975/09, 25.01.2011, décision).
592
Dickson c. Royaume-Uni (GC) (nº 44362/04, 02.12.2007).
234

D'autre part, la Cour a mis en doute les intérêts de l'État que celui-ci invoquait pour
justifier les restrictions. Le gouvernement avait notamment affirmé que la restriction du droit
de concevoir un enfant était une conséquence inévitable et nécessaire de la privation de liberté
(§ 74). Le gouvernement insistait qu'en autorisant les détenus à concevoir un enfant l’on
risquait d'ébranler la confiance envers le système pénitentiaire, parce que les éléments punitifs
et préventifs de la peine aurait été négligés (§ 75). Le gouvernement alléguait, en outre, que
l'autorisation d’insémination artificielle aurait mis en danger les intérêts de l'enfant à venir lui-
même, car son développement en l'absence de père aurait pu être déficient.

La Cour devait toutefois répondre au premier argument que, bien que l'impossibilité
d'avoir des enfants puisse être une conséquence de la détention, elle n’est pas inévitable,
puisque nul ne prétend que le fait d’accueillir la demande d’insémination artificielle
impliquerait une charge importante en matière de sécurité ou sur les plans administratif ou
financier pour l’État (§ 74). Cette dernière thèse montre aussi que la nécessité d'appliquer une
restriction (dans le cas donné par le refus de l'administration pénitentiaire de réaliser des actes
positifs) peut être justifiée par des considérations administratives et, curieusement, par des
considérations financières. L'admissibilité des motifs financiers en tant que justification des
restrictions des droits détenus est directement admise aussi dans d'autres arrêts de la Cour593.
A ce propos, il convient de noter une certaine discordance de cette thèse par rapport à la
recommandation des Règles pénitentiaires européennes rappellant que la violation des droits
ne saurait être justifiée par des motifs financiers594.

Quant à la deuxième argumentation, la Cour observait que, dans un pays où la


tolérance et la bienveillance à l'égard des opinions et des jugements les plus différents sont
des traits reconnus d'une société démocratique595, la Convention ne laisse pas de place pour la
privation automatique des droits appliqués aux condamnés, même si leur exercice peut ne pas
concorder avec les jugements de la société (§ 75). Concernant le troisième argument relatif à
une possible menace sur l'avenir de l'enfant, il a été indiqué que l'État a pour devoir d'assurer
le bien-être des enfants et que, dans tous les cas, l'un des futurs parents était en liberté.

593
Kalda c. Estonie § 53 (n°17429/10, 19.01.2016); Chovgan V. L’accès des détenus à internet
devant la Cour EDH (commentaire de l’arrêt Kalda c. Estonie du 19 janvier 2016), Actualité juridique
pénale, 2016, n° 4, p. 224–226.
594
Règle 4 de RPE.
595
Ainsi qu'il a été dit, la tolérance d'après la jurisprudence de la Cour est un signe inaliénable
d'une société démocratique, du fait de quoi le troisième élément du test à trois composantes: la
nécessité dans une société démocratique implique d'étudier la question de la compatibilité de la
restriction avec la tolérance de la société et la bienveillance envers les jugements différents. La Cour
insiste sur cette idée en faisant noter que la détermination de ce qui est inévitable en conditions
d'emprisonnement ne peut se fonder sur ce qui pourrait heurter l’opinion publique (Dickson, § 68).
235

2.2.1.2.3.2. Le caractère automatique des limitations en tant que violation de la


proportionnalité

Ainsi qu'il ressort de ce qui précède, la non-proportionnalité de la restriction peut


consister en ce que celle-ci est appliquée à la personne de façon automatique, sans prendre en
compte les considérations de sécurité et l'évaluation du risque individuel dans chaque cas
concerné.

Ce problème est d'une actualité particulière dans le cadre pénitentiaire, considérant le


grand nombre de restrictions des droits au titre de la loi, sans aucune appréciation individuelle
de la part de l'administration de l'établissement. Les organisations internationales connues, qui
luttent contre la torture, estiment que les restrictions automatiques résultent du fait que le
travail dans les établissements pénitentiaires finit par devenir routinier de sorte que les
détenus commencent à perdre leur statut d'individus aux yeux du personnel en se transformant
en "objets inanimés"596.

Nous pensons que la cause de l'application automatique des restrictions tient aussi au
fait que la mise en équilibre des intérêts individuels du condamné et de l'intérêt général de la
société, dans chaque affaire particulière, dans le contexte pénitentiaire est assez pénalisante du
point de vue pratique. Dans le même temps, l'exigence de proportionnalité de la limitation du
droit est inévitable pour un système pénitentiaire qui affirme le primat des droits de l'homme.
Cette exigence demande une approche individuelle dans l'appréciation de la justification des
limitations des droits597. Elle est d'une actualité particulière pour l'Ukraine, compte tenu de
son passé soviétique, lorsque l'approche consistant à "mettre tout le monde dans le même sac"
constituait le fondement de la philosophie collectiviste de l'État, ce qui influençait et continue
d'influencer l'attitude envers les droits en prison598.

596
Institutional Culture in Detention: A Framework for Preventive Monitoring. Association for
the Prevention of Torture, Penal Reform International. 2nd ed. – London: PRI, APT, 2015. – Р. 8.
597
La nécessité d'appréciation de la limitation du droit sur la base individuelle est considrée
comme l'un des traits les plus importants de la jurisprudence de la CEDH concernant les droits des
détenus (Easton S., Ibid, p. 245).
598
Човган В. О. Усіх засуджених під одну гребінку або Проблеми індивідуалізації
обмежень прав в’язнів у пенітенціарних установах України // Правові засади гарантування та
захисту прав і свобод людини і громадянина. – Харків: Права людини, 2015. – С. 489–494
(Chovgan V., Tous les détenus dans le même bain ou Problèmes d'individualisation des restrictions
des droits des détenus dans les établissements pénitentiaires de l'Ukraine, Principes théoriques de
garantie et de défense des droits et libertés de l'homme et du citoyen, Kharkiv, Droits de l'homme,
2015, p. 489-494).
236

Selon la jurisprudence de la Cour, l'absence de juste équilibre entre le but poursuivi et


la restriction, peut provenir de la non-proportionnalité entre l'intérêt attendu du but poursuivi
et le préjudice causé aux intérêts individuels. Néanmoins, le fait, pour l'autorité appliquant la
restriction, de ne pas même essayer d'apprécier cette proportionnalité ou d'évaluer l’ la juste
équilibre des intérêts individuels et sociaux, peut constituer la violation de l’exigence de
nécessité dans une société démocratique. Le caractère automatique des restrictions peut
attester de l'absence d'une telle tentative.

L'arrêt Dicskon constate qu'en examinant la possibilité d'accorder au condamné et à


son épouse la possibilité de réaliser l'insémination artificielle, les circonstances individuelles
de l'affaire n’avaient pas été prises en compte. Le gouvernement affirmait, toutefois, que les
textes normatifs intérieurs prévoyaient la possibilité, pour chaque condamné, de demander à
bénéficier de ce droit, tout en prouvant le caractère exceptionnel des circonstances pouvant
servir de raison pour exercer concrètement ce droit. C'est-à-dire que le gouvernement niait de
fait que les restrictions au droit de concevoir un enfant fussent automatiques et il prouvait que
l'éventualité d'une telle restriction était déterminée au cas par cas. La Cour jugea pourtant que
ces arguments n'étaient pas convaincants dans la mesure où il appartenait au requérant, et non
point à l’Etat, de démontrer la nature exceptionnelle des circonstance, et compte tenu aussi
des statistiques fournies lesquelles attestaient que la grande majorité des demandes
d'insémination artificielle émanant de détenus avaient été rejetées (§§ 60, 84).

Il était observé, dans l'affaire citée, qu'il existe une différence entre les dérogations à
l'exigence d'évaluation nécessaire dans chaque cas déterminé et la situation où les restrictions
sont définies comme étant automatiques dans la législation. Un exemple de ce type de
restriction automatique est présent dans de l'affaire Hirst contre Royaume-Uni599, où la
limitation des droits électoraux était consacrée dans la législation.

Il était constaté dans l'affaire Hirst que la privation automatique du droit de vote
appliquée aux condamnés n'était pas proportionnée au but poursuivi. Le défaut de
proportionnalité tenait au fait que la restriction était automatique et que sa nécessité n'était pas
examinée dans chaque cas. En conséquence, le droit de vote était retiré aussi bien aux
personnes condamnées à un jour de privation de liberté qu'à celles qui purgeaient la peine de
réclusion à perpétuité; et aussi bien aux personnes condamnées pour avoir commis les
infractions les moins graves qu’à celles ayant commis les infractions les plus graves. L'arrêt

599
Hirst c. Royaume-Uni (nº. 2) (GC) (nº 74025/01, 06.10.2005).
237

se réfère aussi aux normes de la Commission de Venise600, selon lesquelles les limitations des
droits politiques ne peuvent être appliquées que par le tribunal dans chaque cas concret (§ 32).
Ainsi, lorsque la limitation d'un droit politique tel que le droit de voter aux élections
parlementaires est appliquée sur une base législative, cela signifie qu’il n’y a pas d’approche
individuelle.

Dans l'affaire Hirst, la non-proportionnalité de la restriction découlait, d’autre part, de


l'absence de tentatives de pondération des intérêts publics et individuels concurrents, ce qui
pouvait constituer un défaut de justification de la restriction du point de vue de la
proportionnalité. Compte tenu de tous ces faits, la Cour devait constater que la restriction
donnée avait été appliquée en violation de l'article 3 du Protocole N° 1 à la Convention (§ 85).

Inversement, lorsque l'État arrive à prouver qu'il avait essayé de résoudre la question
de la nécessité de restreindre un droit dans chaque cas concret, la Cour conclue à la non-
violation de la Convention. C'est ainsi que dans l'affaire Messina contre Italie601, la Cour a
pris en compte l'évaluation par le gouvernement de la nécessité de soumettre le condamné à
un régime spécial, qui prévoyait des restrictions considérables des visites eu égard à la
situation donnée (le condamné appartenait à la mafia italienne). La Cour a également apprécié
les tentatives de l'État d'accorder au condamné des visites supplémentaires. La non-violation
de la Convention a donc été retenue, en raison de la détention sous un régime spécial, qui
comprenait des règles spécifiques comportant des restrictions considérables de visites de la
famille (§§ 70-74).

Ainsi, dans le cadre de sa jurisprudence relative aux restrictions automatiques, la Cour


a-t-elle élaboré une approche visant à ce que les restrictions soient individualisées au
maximum du point de vue de leur ampleur, de leur quantité et de leur contenu. Cela signifie
que les voies de résolution du problème des restrictions non fondées peuvent inclure
l'individualisation maximale de l'exécution de la peine dès lors qu'une telle approche exclut la
privation automatique d'un droit (en l'occurrence du droit de vote)602.

Le caractère automatique de l'application des restrictions est particulièrement illustratif


dans les affaires relatives aux limitations des droits électoraux. Sans entrer dans les
différences d'une série d'arrêts similaires concernant la limitation automatique des droits

600
Code of Good Practice in Electoral Matters, Adopted by the Venice Commission at its 52nd
session (Venice, 18-19 October 2002), Opinion no. 190/2002.
601
Messina c. Italie (No. 2) (nº 25498/94, 28.09.2000).
602
Martucci F., Le détenu-citoyen, Les droits de la personne détenue après la loi pénitentiaire du
24 novembre 2009, Paris, Dalloz, 2013, p. 225.
238

électoraux des condamnés, il convient de prêter une attention particulière à la manière dont,
de l'avis de la Cour, la limitation du droit de vote peut être appliquée pour ne pas être qualifiée
d'automatique. Il est notamment important de savoir si les autorités doivent prendre une
décision individuelle sur l'application d'une restriction pour que celle-ci ne soit pas qualifiée
d'automatique. Cela nous fournirait aussi une base méthodologique importante pour
comprendre la logique du procédé devant servir à instaurer des restrictions normatives, de
manière à ce qu'elles ne soient pas qualifiées de non justifiées par la Cour européenne.

Saisie de l'affaire Frodl contre Autriche603, la Cour a constaté que la décision portant
restriction du droit de vote devait être prise par le juge et présenter les motifs permettant de
voir pourquoi la limitation du droit dans une affaire donnée était justifiée (§§ 34-35).
Cependant, par la suite, dans l'arrêt Scoppola contre Italie604, la Grande chambre de la Cour a
abandonné cette vision au profit d'une approche nouvelle vis-à-vis du caractère "non-
automatique" de la restriction. La raison résidait en ce que, de l'avis de la Grande chambre,
dans l'affaire Frodl, la Cour était allée plus loin que la norme retenue dans l'arrêt Hirst, ayant
manqué de "faire une observation évidente à propos de l'ingérence du juge, parmi les critères
essentiels pour déterminer la proportionnalité de la restriction du droit de vote. Les critères
correspondants ne concernent que la question de savoir si la mesure était appliquée sous
forme générale, de manière automatique et sans distinction entre les catégories différentes des
personnes au sens de la Cour. Dès lors que l'action de la Cour a en principe une haute
probabilité de garantir la proportionnalité des limitations des droits des condamnés de voter,
ces limitations ne seraient pas automatiques, générales et ne distinguant pas les catégories
différentes des personnes si elles ne sont pas appliquées par le juge. Bien plus, les
circonstances où le droit de vote retiré peuvent être détaillées dans la loi (souligné par
nous) l'application d'une telle privation de droit dépendant alors de la nature et de la gravité de
l'infraction commise" (§ 99). Il en découle que les autorités nationales des pays membres du
Conseil de l'Europe "… peuvent décider si la limitation du droit de vote des condamnés
devrait être laissée à la discrétion des juges ou s'il faut inclure dans la législation les
dispositions qui détermineraient les circonstances dans lesquelles de telles mesures
devraient être appliquées (il s’agit des restrictions, souligné par nous). Dans ce dernier cas il
appartient au législateur de mettre en la juste équilibre les intérêts opposés pour éviter des
restrictions automatiques et sans distinction entre les catégories différentes de personnes" (§
102).

603
Frodl c. Autriche (nº 20201/04, 08.042010).
604
Scoppola c. Italie (nº 3) [GC] (nº 126/05, 22.05.2012).
239

La position de la Cour dans l'arrêt Scoppola montre que l'État n'est pas obligé de
prendre une décision individuelle pour appliquer des restrictions, afin que celles-ci soient
qualifiées de non-automatiques. Nous pouvons supposer que cette vision ne concerne pas que
les limitations du droit de vote, mais aussi toutes les autres limitations des droits. Il en ressort
que, lorsque la législation comporte des dispositions qui individualisent dûment telle ou telle
restriction, cela peut tout à fait satisfaire les exigences de la Convention. Dans le cas
contraire, l’absence de reconnaissance pleine et entière des restrictions automatiques frise la
non-reconnaissance de toutes restrictions normatives qui ne comportent pas d’élément de
limitations pratiques, c'est-à-dire qui ne comportent pas de bases pour une application flexible
en pratique. Il semble donc que la jurisprudence de la Cour fait justement preuve de cette
vision: la Convention exige un élément de flexibilité dans les restrictions normatives.

L'analyse de la jurisprudence de la Cour révèle qu'elle privilégie les décisions


individuelles sur l'application des restrictions afin de qualifier celles-ci de proportionnées605.
Il est difficile de dire comment cette manière d'agir s'accorde avec la thèse de la Cour,
évoquée ci-dessus, relativement à la possibilité de juger les restrictions au niveau de la
législation comme étant non-automatiques, sans prendre des décisions individuelles. Nous
pensons que l'exigence maintes fois soulignée de prise de décisions individuelles, comme
faisant partie du caractère "non-automatique" des restrictions, nécessiterait un nouveau débat
dans la jurisprudence de la Cour.

Dans l'affaire Trosin contre Ukraine606, le condamné à la réclusion à perpétuité se


plaignait des conditions dans lesquelles lui étaient accordées les visites de sa famille et de la
fréquence extrêmement réduite de ces visites conformément à la législation (au début, une
visite tous les six mois et ensuite, après l'amendement de la loi, tous les trois mois). La Cour
observait que les "dispositions appropriées de la législation intérieure prévoient des
restrictions automatiques de la fréquence et de la durée des visites de tous les condamnés à
perpétuité sans admettre aucun degré de souplesse pour déterminer si ces restrictions sévères
étaient conformes et si elles étaient effectivement nécessaires dans chaque cas même si elles
étaient appliquées aux personnes condamnées à la peine la plus sévère conformément à la loi
pénale. La Cour estime que la réglementation de ces questions ne pourrait relever des

605
Ainsi qu'il était déjà noté, l'exigence de la qualité de la loi admettant les limitations des droits
comprend parfois des exigences portant sur la nécessité d'indiquer les motifs et les modalités, les
exigences de décisions inviduelles sur l'application des restrictions et l'inadmissibilité de restrictions
automatiques en général (voir sous-chapitre 2.2.1.2.1 "Précoisation par la loi").
606
Trosin c. Ukraine (nº 39758/05, 23.02.2012).
240

restrictions non souples607 (souligné par nous), et que les États devraient développer leurs
propres techniques d'évaluation de la proportionnalité des restrictions, ce qui permettrait au
pouvoir d'équilibrer les intérêts individuels et sociaux concurrents, ainsi que de prendre en
compte les particularité de chaque cas concret". L'arrêt observait ensuite qu'il fallait constater
l'absence de considérations justifiées permettant de limiter les visites de famille au requérant à
tous les six mois (c'était le cas avant l'amendement du Code d'exécution des peines en 2010 –
N.D.L.A.). D'autre part, la Cour observait que, malgré l'augmentation du nombre de visites au
profit des condamnés à perpétuité, la nouvelle règle de fréquence des visites était toujours
appliquée à tous les condamnés, sans évaluation de la nécessité d'une telle restriction au vu
des circonstances concrètes de chaque condamné.

Des irrégularités étaient constatées aussi dans les conditions des visites. Il était
observé que, concernant l'affaire du requérant, la législation interdisait la présence dans le
parloir de plus trois adultes à la fois, ce qui privait le condamné de voir toute sa famille608.
Les visites se déroulaient en présence d'un agent de l'établissement pénitentiaire, qui écoutait
les conversations, alors que le requérant était placé derrière une paroi de verre. Du point de
vue de la Cour, ce procédé n'admettait aucune intimité et excluait tout contact physique entre
le condamné et ses visiteurs. Finalement, ces conditions de visites furent qualifiées de "non
souples" car leur nécessité n'était pas déterminée pour chaque cas concret. La Cour ne trouva
aucune preuve disant que ces restrictions étaient nécessaires dans le cas de ce requérant.

Compte tenu de la totalité des circonstances évoquées, l'arrêt constatait que l'État
n'avait pris aucune mesure permettant d’apprécier le rapport entre les intérêts individuels du

607
Les phrases de cette sorte insitent à penser que la Cour peut considérer certaines restrictions
selon qu’elles nécessitent de la souplesse et inversement. Nous y voyons un argument de plus à
l'appui de notre thèse selon laquelle cette question aurait besoin d'être précisée par la Cour à l'avenir.
608
Sur notre insistance, la Service pénitentiaire d'État promettait de modifier cette règle en
élaborant le nouveau Règlement intérieur. Toutefois, nos recommandations n'ont pas été prises en
compte entièrement. Par contre, le par. 14.1 du nouveau Règlement intérieur prévoit que le nombre de
personnes pouvant être présentes en même temps à la visite du détenu est déterminé selon la capacité
des parloirs en conformité avec les normes en vigueur ainsi que selon les possibilités d'assurer leur
sécurité. Bien que présentant des possibilités de souplesse en déterminant le nombre maximum toléré
des personnes présentes, cette disposition comporte des risques d'abus. Ce risque est évoqué par des
chercheurs ukrainiens qui estiment qu'une telle formulation de la norme peut aboutir à une restriction
plus grande des droits des détenus (Яковець І.С. Сімейні права засуджених // Права і законні
інтереси засуджених до позбавлення волі в умовах реформування Державної кримінально-
виконавчої служби України: моногр. / К. А. Автухов, А. П. Гель, О. Г. Колб, І.С. Яковець ; за
заг. ред. А. Х. Степанюка. – Х. : Право, 2015. – С. 165 / Iakovets I.S., Droits familiaux des
condamnés, Droits et intérêts légitimes des personnes condamnées à la privation de liberté dans le
contexte de la réforme du Service d'exécution des peines de l'Ukraine: monogr., K.A. Avtoukhov, A.P.
Gel, O.G. Kolb, I.S. Iakovets, sous la dir. de A.Kh. Stepankouk, Kharkiv, Droit, 2015, p. 165). Un
exemple similaire concerne la France où chaque prison peut limiter le nombre de visiteurs présents
lors d’une visite.
241

condamné et les intérêts sociaux correspondants. En résumant toutes les considérations, la


violation de l'article 8 de la Convention (respect de la vie privée) fut retenue, puisque les
intérêts privés du condamné n'avaient pas été convenablement équilibrés avec l'intérêt social
de restriction du droit des condamnés aux contacts avec l'extérieur (§§ 39-47).

Une fois encore, s'agissant de cet arrêt et à la lumière de l'arrêt Scoppola, il n'est pas
évident comment peut être effectuée l'appréciation des risques pour l'application des
restrictions, sans que soit prise une décision individuelle justifiant de la nécessité de
restreindre le droit au vu de cette appréciation.

Dans tous les cas, malgré la position claire de la Cour sur l'irrégularité de l'instauration
de restrictions automatiques au droit aux visites des condamnés à perpétuité, en ce qui
concerne notamment, la fréquence, les modalités et les conditions de ces visites, la législation
ukrainienne en matière d'exécution des peines n’a toujours pas été convenablement modifiée.
Cela signifie que les dispositions du Code de l’exécution des peines de l'Ukraine et celles du
Règlement intérieur relatives aux visites se trouvent en état de violation permanente de la
Convention. Cela concerne également les personnes condamnées aux peines privatives de
liberté609. A ce propos, il convient d'insister particulièrement sur l'inadmissibilité de l'approche
automatique répandue vis-à-vis de la fixation de la fréquence et de la durée des visites.

Un autre exemple parlant de l'attitude sceptique de la Cour à l'égard des restrictions


automatiques et non souples est fourni par l'affaire Khoroshenko contre Russie610. Le
requérant était condamné à la réclusion à vie et il purgeait sa peine de dix ans sous un régime
sévère qui ne l'autorisait qu'à une seule visite de courte durée (jusqu'à 4 heures) tous les six
mois, limitée à deux personnes, à travers une cloison de verre et en présence d'un employé de
l'établissement. Il était interdit de communications téléphoniques (sauf en cas de circonstances

609
Para 98, Report to the Russian Government on the visit to the Russian Federation carried out
by the CPT from 21 May to 4 June 2012, disponible sur : https://rm.coe.int/1680697bd6 (accedé le
16.07.2017).
610
Khoroshenko c. Russie (GC) (nº 41418/04, 30.06.2015)
242

exceptionnelles) et de visites de longue durée. Ces interdictions étaient fixées par la loi sans
individualisation et sans aucune possibilité de souplesse pour les modifier (§§ 128-129)611.

Se référant à l'arrêt Trosin en ce qui concerne la limitation automatique et inadmissible


de la fréquence, de la durée et des modalités des visites au condamné, la Cour a observé que
l'État n’était pas libre dans l'instauration des restrictions à titre général et devait agir avec
souplesse pour déterminer si ces restrictions étaient adéquates et nécessaires (§ 126). La Cour
en est arrivée à se prononcer sur la non-proportionnalité des restrictions visées aux buts
déclarés. Il convient d'attirer l'attention sur l'absence, dans l'arrêt, de motivation concernant
l’équilibre des intérêts individuels et sociaux. La Cour a conclu au défaut de proportionnalité
par référence aux normes internationales. Elle s’est aussi apppuyée sur sa propre
jurisprudence en matière d'inadmissibilité des restrictions automatiques, sur la base de la seule
peine prononcée et sans évaluation du risque individuel612, ainsi que sur l'analyse comparée de
différents systèmes pénitentiaires613 et au regard de l'importance du but de réintégration614.
Même l'absence d’équilibre des intérêts ou de rapport entre les restrictions et les buts
poursuivis, constitue un défaut évident de la détermination de la proportionnalité dans l'arrêt
en cause. En conséquence, le juste équilibre entre la restriction et les buts poursuivi par le
gouvernement n’avait pas été respecté (§ 148).

Une thèse importante sur ce plan concerne le fait que la Russie avait ignoré les intérêts
de la famille du requérant, alors que la Convention demande aux États contractants de tenir
compte des intérêts des condamnés et de leurs familles (§ 142). Cette position accentue
encore le fait que la mise en équilibre des intérêts sociaux et de ceux du condamné en
appliquant des restrictions de droits doit comprendre les intérêts des tiers, les membres de
famille. Généralement, les intérêts de ces derniers ne sont pas examinés en pondérant les

611
La Cour observait qu'elle était frappée par la sévérité et la durée de toutes ces restrictions et,
surtout, par le fait que les visites de courte durée n'étaient autorisées que deux fois par an (§ 140). Les
juges Pinto de Albuquerque et Turkovic estiment dans leurs opinions concordantes que la Cour devait
insister d'une manière plus précise sur le fait qu'une telle fréquence était inhumaine per se. Ils
observent en outre que la Cour aurait dû être plus pointue en disant que les autorités pénitentiaires
devaient examiner toutes les demandes portant sur les visites de famille dans chaque cas concret et sur
la base de l'évaluation individuelle des risques et besoins. Le manque de souplesse constaté en Russie
était à leur avis l'antithèse des techniques d'appréciation (des risques) qui sont exigées par les normes
pénologiques européennes actuelles.
612
L'analyse de l'arrêt permet d'estimer que c'était là le facteur principal ayant servi à établir le
défaut de proportionnalité entre la restriction et les buts.
613
La Cour faisait remarquer que la Russie était probablement le seul pays au sein du Conseil de
l'Europr à pratiquer des restrictions des droits aussi sévères (§ 135).
614
Malgré le fait que le gouvernement affirmât que ce but ne concernait pas les condamnés à
perpétuité, la Cour se référait à la législation russe qui admettait la possibilité de demander la mise en
liberté avant terme au bout de 25 ans de détention (§ 144).
243

intérêts individuels des condamnés et les intérêts de la société. Cela est surprenant car la
limitation des droits des condamnés aux contacts avec l'extérieur produit un effet négatif, non
moindre, sinon plus grand, sur les parents qui sont également membres de la société dont les
intérêts sont en jeu615.

Dans son arrêt Jankauskas contre Lituanie616, la Cour constatait la violation de la


Convention en raison du contrôle routinier des correspondances pendant la détention
provisoire du requérant . Malgré la nature spécifique des infractions (abus de pouvoir et
corruption) incriminées, la Cour qualifiait de non justifié le contrôle automatique (la lecture)
de sa correspondance avec des organisations non gouvernementales, les administrations et des
personnes privées. Il était observé notamment qu'il n'y avait aucune raison de contrôler le
courrier adressé aux administrations saisies par le requérant. La Cour signifiait que les buts du
gouvernement consistant à prévenir que l'intéressé se dérobât à l'enquête ou influence celle-ci
pouvaient être valables pour justifier la restriction, mais qu'ils n'étaient pas suffisants en eux-
mêmes pour justifier le contrôle total de la correspondance. En conséquence, le contrôle total
de la correspondance fut qualifiée de "non nécessaire dans une société démocratique" (§§ 22-
23).

Dans un autre arrêt contre la Lituanie rendu dans l'affaire Ciapas617, la Cour abordait,
d'une manière plus concrète, la détermination du problème des limitations du droit à la
correspondance pendant la détention provisoire. Il était notamment observé que l'autorisation
du contrôle de la correspondance ne précisait pas en quoi ce contrôle devait consister (lecture,
saisie ou une autre forme). Cela revenait de facto à donner aux autorités « carte blanche »
pour des restrictions excessives. Pour s'en tenir aux règles de la clause limitative de l'article 8
de la Convention, il fallait indiquer avec précision le type du contrôle et la période pendant
laquelle ce contrôle pouvait être opéré (§ 25)618.

615
M. Herzog-Evans signale un autre aspect important de l'incidence des restrictions
pénitentiaires sur les tiers en liberté. La limitation de la correspondance des détenus par
l'administration pénitentiaire peut être justifiée par la sécurité et le fonctionnement normal des
établissements pénitentiaires. Cependant, il est beaucoup plus difficile de justifier par cette
considération les limitations correspondantes inévitables des tiers consécutives aux restrictions des
droits des détenus (Herzog-Evans M., L’intimité du détenu et de ses proches en droit comparé, Paris,
L’Harmattan, 2000, p. 49). Cela attire l'attention sur la double nature des restrictions des droits des
détenus et pose la question de la nécessité de prendre en compte les différences de justification des
limitations correspondantes des personnes libres. Il semble pourtant que même la jurisprudence de la
CEDH ne tient pour l'instant pas compte de cet aspect.
616
Jankauskas c. Lituanie (nº 59304/00, 24.02.2005).
617
Ciapas c. Lituanie (nº 4902/02, 16.11.2006).
618
L'arrêt de la Cour ne permet pas de voir clairement s'il a été dérogé à la condition de la
préconisation par la loi ou à celle de la nécessité dans une société démocratique.
244

De la même manière, l'arrêt Moiseyev contre Russie619 constate des irrégularités à


cause du défaut de souplesse des restrictions appliquées selon la procédure générale. Pendant
une période de détention, le requérant n'avait eu droit qu'à deux visites par mois au maximum
de la part de sa femme et de sa fille. La Cour observait que cette restriction aurait pu être
justifiée, par exemple, dans des circonstances spécifiques en Italie, où cela aurait pu être
nécessaire pour prévenir des crimes de la mafia à laquelle pourraient appartenir des membres
de famille. Toutefois, l’espèce ne présentait pas de motifs permettant de supposer que l'épouse
du détenu ou sa fille mineure pussent être mêlées à des activités criminelles. Tout en acceptant
le but de cette restriction (la prévention d'infraction et la sécurité publique), la Cour attirait
l'attention sur la détermination automatique de la fréquence des visites, sans qu'il soit possible
de la modifier selon le cas concret. C'est pourquoi la restriction était beaucoup plus
importante que ce qui était justifié par les limitations inévitables de la vie familiale ou ce qui
était nécessaire pour atteindre le but visé (§§ 254-255). L'autorité nationale ne parvint pa à
démontrer le juste équilibre entre la restriction et le but que l'on se proposait d'atteindre.

L'un des procédés permettant de déterminer la présence de l'indice de proportionnalité


dans la restriction consiste à établir s'il y avait d'autres mesures, alternatives à la restriction
(souligné par nous) à l'aide desquelles la restriction aurait pu être évitée ou allégée au
maximum pour l'intéressé.

Dans l'affaire Ploski contre Pologne620, le requérant se plaignait de n'avoir pas été
autorisé à quitter temporairement l'établissement pénitentiaire pour assister à l'enterrement de
ses parents morts au cours du mois. Dans les deux cas, la demande du requérant avait été
rejetée. En défendant l'administration pénitentiaire, le gouvernement arguait que ce refus était
justifié par le danger qui pouvaient menacer la société, du fait de la sortie des condamnés hors
de la prison, et qu'il n'y avait pas de garantie que le condamné, un récidiviste, retournerait à
l'établissement après l'enterrement. La Cour observait que cette argumentation n'était pas
pertinente, tout d’abord, compte tenu de la conduite irréprochable du condamné et, ensuite,
parce que le gouvernement n'avait pas examiné la possibilité de faire accompagner le
condamné par des employés de l'établissement621.

Il était souligné que même si le condamné pouvait être, de par la nature de sa situation,
sujet à diverses limitations de ses droits et libertés, chacune de ces limitations n'en devrait pas

619
Moiseyev c. Russie (nº 62936/00, 09.10.2008).
620
Płoski c. Pologne (nº 26761/95, 12.11.2002).
621
Tout comme dans les affaires Dickson et Messina, on voit ici, l'exemple qui confirme qu'en
établissant la proportionnalité de la restriction, la Cour prend en compte la souplesse et la réalité des
tentatives du gouvernement de trouver des moyens d'éviter l'application de telle restriction.
245

moins être justifiée comme étant nécessaire dans une société démocratique622. L'État devait
démontrer que cette nécessité était bien réelle en démontrant le besoin social impératif.
Toutefois, en prenant en considération la situation donnée, à savoir le refus de laisser le
requérant assister à l'enterrement de ses parents, la Cour a estimé que l'État défendeur n'aurait
à opposer ce refus qu'en présence de motifs très graves et à défaut de pouvoir trouver une
solution alternative, telle que la sortie de l'établissement sous escorte (§ 39). La violation de
l'article 8 de la Convention fut donc constaté dans cette affaire, puisque la restriction en
question n'était pas nécessaire dans une société démocratique et qu’elle n'était pas
proportionnée au but poursuivi. La cause principale en résidait dans l'existence d'alternatives
moins accablantes à la restriction appliquée.

Dans l'affaire Hagyo contre Hongrie623, le requérant se plaignait de l'interdiction qui


avait été faite pendant trois mois, de recevoir des visites et de profiter de communications
téléphoniques avec sa concubine. Selon l’administration pénitentiaire, le requérant et sa
concubine abusaient du droit aux visites privilégiées, du fait que ladite concubine était
devenue son conseil légal et représentait les intérêts juridiques de M. Hagyo. D'autre part, ils
avaient tenté de contourner certaines règles des visites. Une enquête pénale fut engagée et,
selon le gouvernement, les restrictions appliquées visaient à éviter un complot (§ 82). La Cour
observait que ces restrictions n'étaient pas nécessaires dans une société démocratique et ne
répondaient pas à la condition du juste équilibre entre ces restrictions et les buts poursuivis,
puisque la possibilité de mettre en œuvre des mesures alternatives moins contraignantes
n'avait pas été examinée (§ 88). Il pourrait s'agir, par exemple, du contrôle des visites et de
l'écoute des communications téléphoniques (§ 87).

Le non-respect de la proportionnalité entre la limitation du droit et les buts qu'elle vise


peut être attesté aussi par le fait que la limitation frappe l'essence même du droit (souligné par
nous), c'est-à-dire qu'elle restreint le droit à tel point que celui-ci perd son essence. Cette
norme fut élaborée dans l'affaire Hamer contre Royaume Uni624 où le condamné se plaignait
de l'interdiction légale de se marier appliquée aux condamnés. L'arrêt constatait que
l'interdiction faite aux condamnés de se marier détruisait l'essence même du droit retenu à
l'article 12 de la Convention. Le fait de constater l'ingérence dans l'essence même du droit

622
Ceci nous renvoit encore à notre thèse disant que même en admettant l'incarcération comme
origine de certaines restrictions, celles-ci n'en devraient pas moins être justifiées, car toute restriction
de ce genre peut être surmontée avec la volonté de l'autorité pénitentiaire.
623
Hagyó c. Hongrie (nº 52624/10, 23.07.2013).
624
Hamer c. Royaume-Uni §§ 71-72 (nº 7114/75, 13.12.1979).
246

signifie la non-proportionnalité de la restriction625. L'ingérence dans l'essence du droit ne peut


donc pas avoir lieu si la restriction est proportionnée.

Dans l'ensemble, la Cour donne une appréciation négative des restrictions


automatiques, de la non-évaluation des risques et du manquement à la mise en mise en
équilibre des intérêts individuels et sociaux. La violation de la règle d'individualisation des
restrictions et le caractère automatique de celles-ci conduisent à les qualifier de non
proportionnées, c'est-à-dire non nécessaires dans une société démocratique.

Cependant, manquer à la condition d'individualisation ne signifie pas toujours qu’il y a


manquement à la troisième composante du test de la Cour relatif au bien-fondé des
restrictions, à savoir la proportionnalité. Notre analyse montre que l'application automatique
des restrictions pourrait aussi être examinée à travers le prisme de la première composante du
test de la Cour, c’est à dire la préconisation par la loi. La loi est reconnue de mauvaise qualité
lorsque la restriction qu'elle prévoit est automatique et n'admet pas la souplesse compte tenu
de l'individualisation. Une telle loi ne serait pas donc conforme aux exigences avancées à
l'égard de la "loi" au sens de la Convention. Il s'ensuit ainsi que, s'agissant des affaires à
restrictions automatiques, la Cour peut suivre deux voies: soit constater que la restriction n'est
pas prévue par la loi, soit constater que la restriction n'est pas nécessaire dans une société
démocratique.

Ce n'est pas pour rien que la condition d'individualisation des restrictions est l'un des
traits principaux de la jurisprudence de la CEDH dans les affaires intéressant des détenus. Les
systèmes pénitentiaires tendent à instaurer des restrictions automatiques parce que les prisons
abritent des collectivités entières et il est donc beaucoup plus simple, au plan pratique,
d'appliquer des restrictions d'un même type pour tous. Dans le cas contraire, l'exigence de
l'évaluation individuelle constante des risques pour l'application de chaque restriction
particulière risque de surcharger le personnel pénitentiaire. D'un autre côté, il ne faudrait pas
oublier que l'individualisation aide à "diviser pour mieux gérer". Il est vrai que ceci n'est
possible qu'à la condition d'un développement convenable des techniques nationales
d'individualisation des restrictions626.

625
Goss R., Criminal Fair Trial Rights: Article 6 of the European Convention on Human Rights,
Oxford, Portland, Hart Publishind, 2014, p. 198.
626
Ces techniques doivent prendre en compte le risque d’abus dans le cas d’une flexibilité
extrême et, pour cette raison, doit prévoir les garanties contre lui. Nous allons discuter deux techniques
opposées dans le chapitre 3.3. intitulé « Grande-Bretagne ».
247

L'utilisation pratique de l'exigence d'individualisation en accord avec la jurisprudence


de la CEDH sera un sujet complexe pour les chercheurs du futur. Il est difficile d'imaginer que
l'individualisation vise toutes les restrictions applicables aux détenus. Toutefois, l’état actuel
de la jurisprudence de la CEDH, les problèmes liés au respect de la règle d'individualisation
des restrictions des droits des détenus se limitent essentiellement à un cercle étroit de
questions en rapport avec le droit à la vie privée, à savoir la correspondance et les visites.

Il est difficile, pour l'instant, de prévoir comment évoluera la vision négative par la
Cour des restrictions automatiques d'autres droits qui engloberaient un nombre beaucoup plus
important d'aspects de la vie en prison. La question la plus discutable est celle de pouvoir
déterminer les cas où les décisions individuelles sont à prendre conformément à la
Convention à partir de l'évaluation individuelle des risques et les cas où cela ne se ferait pas.
Il est difficile de deviner la réponse à la question de savoir comment devrait être formulée la
norme de la loi pour pouvoir être qualifiée de norme ne contenant pas de restrictions
automatiques. Il s’agit particulièrement de la question de savoir à quel point le caractère non
automatique des restrictions des droits des détenus, d’après la Convention, exige de prendre
des décisions individuelles pour restreindre les droits.

Conclusions du sous-chapitre 2.2.1.2

En décidant de la justification des restrictions des droits des détenus, la CEDH


emploie un test dit à trois composantes. Dans l'ensemble, il s’agit du même test que pour les
citoyens libres. Notre analyse n'en montre pas moins qu'il présente des particularités compte
tenu de la situation spécifique des détenus. Dans tous les cas, les restrictions des droits des
personnes détenues dans les établissements pénitentiaires : 1) doivent être prévues par la loi ;
2) doivent poursuivre des buts justifiés ; 3) être nécessaires dans une société démocratique
(être proportionnées).

1) "Prévue par la loi". S'agissant du contexte pénitentiaire, une importance


particulière appartient à la question de reconnaissance par la Cour des textes réglementaire en
tant que documents relevant de la catégorie "loi". Malgré l'idée bien assise selon laquelle les
documents internes de l'administration pénitentiaire et d'autres textes d'application ne relèvent
pas de la catégorie "loi", nous avons trouvé confirmation du contraire. L'accès des détenus
aux documents justifiant les restrictions des droits acquiert également une grande importance.
248

La pratique montre que les restrictions des droits sur la base des documents inaccessibles de
l'administration pénitentiaire seront qualifiées de non justifiées.

La condition principale de l’admission des normes instaurant des restrictions "prévues


par la loi" consiste en la qualité de telles normes. Lorsque les normes attribuent au personnel
pénitentiaire un pouvoir discrétionnaire excessif pour l'instauration de restrictions éventuelles
ou lorsque les raisons pour l'application des restrictions sont insuffisamment concrètes ou
n'existent pas du tout, les restrictions seront qualifiées de non justifiées. Un certain niveau
d'imprécision est toutefois admis, lorsque des garanties suffisantes protègent des abus du
pouvoir discrétionnaire. La qualité de la loi prévoit l'existence de garanties procédurales
concrètes qui sont formulées par la Cour.

2) But légitime. Cette composante du test est la moins souvent transgressée. La


détermination de la justification du but et de la réalisation de celui-ci par la restriction ne
suscite généralement pas de doute pour la Cour. Les doutes tenant à la réalisation du but se
manifestent principalement dans la troisième composante du test, la proportionnalité.

Le caractère spécifique de cette composante consiste en ce qu'il est parfois plus facile
pour les État de justifier, devant la Cour, la conformité des buts déterminés s’agissant de
restrictions des droits des détenus que des droits des personnes libres. Cela concerne, en
premier lieu, le but de sécurité dans les établissements pénitentiaires. Le fait qu'il justifie les
restrictions qui ne seraient peut-être pas ustifiées dans les affaires concernant des personnes
libres est confirmé par la Cour elle-même.

Un intérêt particulier revient au lien entre buts de la peine et de l'incarcération et buts


des restrictions d'après la Convention. Les restrictions constituent le contenu de la peine et
elles doivent donc, de ce fait, viser non seulement les buts retenus à la Convention mais aussi
les buts de la peine. Une question difficile est de savoir si la restriction peut/doit viser un seul
but ou plusieurs buts de la peine à la fois. Cette question se complique par les contradictions
entre les buts mêmes de la peine, parce que celle-ci peut punir et réhabiliter en même temps;
une autre complication vient de la nécessité de subordonner la restriction aux buts de
l’emprisonnement ou de l’exécution de la peine si ceux-ci existent réellement. Dans ce sous-
chapitre, nous avons examiné les différentes réponses pouvant être apportées à ces questions.
Nous en sommes venu à la conclusion que, puisque les buts de la peine et de
l'emprisonnement au niveau national ont une incidence directe sur les exigences vis-à-vis des
limitations des droits, ces buts doivent s'accorder avec la Convention. C'est là l'une des
249

illustrations de notre thèse soutenant que la Convention exerce une influence modératrice sur
les politiques pénales et pénitentiaires.

La diversité des buts à prendre en compte en appliquant des restrictions aux détenus
ainsi que leurs contradictions internes confirment, une fois de plus, le caractère spécifique de
la nature juridique des restrictions des droits des détenus par rapport aux citoyens libres.

3) Nécessité dans une société démocratique. La nécessité dans une société


démocratique suppose que la restriction vise un but social impératif et qu'elle soit
proportionnée à ce dernier. Ceci dit, l'existence d'un but justifié (2e élément du test à trois
composantes) ne signifie pas que le but soit impérieux. L'impériosité est évaluée à la lumière
de la proportionnalité.

La proportionnalité comprend les conditions déterminées dans la jurisprudence de la


Cour: la pertinence de la restriction ; le caractère non disproportionné ; la conformité de la
restriction au but poursuivi ; et sa nécessité pour atteindre le but visé. La Cour peut, en outre,
évaluer si des restrictions moins accablantes étaient accessibles pour atteindre le même but,
tout comme elle peut poser la question du juste équilibre entre les intérêts individuels et
collectifs.

La question la plus difficile concernant les limitations des droits des détenus peut être
celle qui porte sur la nécessité et l'ampleur de la restriction à appliquer pour atteindre les buts
visés. Dès lors que ces buts consistent souvent dans l'ordre, la sécurité et la prévention des
infractions, le rôle de la Cour dans l'évaluation de la restriction ne pourrait qu’être limité. Cela
concerne surtout les cas où l'on ne dispose pas de données appropriées concernant la
jurisprudence et du droit comparé, qui permettent d'anticiper les conséquences possibles de
l'abrogation des restrictions. Il s'ensuit que pour que l'appréciation juridique de la
proportionnalité soit légitime pour les pays-membres du Conseil de l'Europe et les praticiens
pénitentiaires, elle devrait se fonder non seulement sur des arguments logiques et rationnels,
mais aussi sur des données empiriques et l'expérience concrète.

L'un des problèmes spécifiques de la proportionnalité dans l'application des


restrictions aux droits des détenus tient à l'utilisation de restrictions dites automatiques.
Souvent, des restrictions de droits sont appliquées de façon automatique à un groupe ou à tous
les détenus, ce, sans évaluation individuelle des risques et sans motifs appropriés. Une telle
évaluation et leur motivation constituent un vrai défi pour les pratiques pénitentiaires, car il
est, en réalité, difficile d'assurer une évaluation convenable des risques dans chaque cas
250

d'application des restrictions. Aussi, les restrictions automatiques sont-elles beaucoup plus
commodes pour l'administration pénitentiaire.

Le recours aux restrictions automatiques démontre l'absence de tentatives pour


analyser la nécessité et la proportionnalité de la restriction au but visé. C'est en cela que
consiste la violation de la proportionnalité par la restriction automatique. Dans les
établissements pénitentiaires, les restrictions automatiques sont appliquées le plus souvent à
l'égard du droit à la vie privée et prennent la forme de contrôles et de conditions à la
correspondance et aux communications téléphoniques, d’autorisation et de contrôle des
visites, ou encore d’isolement supplémentaire. Il est pourtant inadmissible que ces restrictions
ne soient pas souples et qu'elles s'appliquent sans prendre en compte les particularités de
chaque cas donné.

La jurisprudence de la Cour montre que l'application des restrictions automatiques


peut enfreindre tant la règle d'instauration de la restriction par la loi, que la règle de
proportionnalité (nécessité dans une société démocratique). Le caractère automatique des
restrictions peut donc témoigner, non seulement, de leur non-proportionnalité, mais aussi de la
mauvaise qualité de la loi en tant que fondement aux limitations des droits.

La résolution du problème de l'individualisation des restrictions participe, à notre avis,


de la mission principale du système pénitentiaire, qui essaie de mettre en œuvre les normes
des restrictions justifiées des droits. La jurisprudence de la Cour ne comporte que des repères
isolés, mais loin d'être suffisants pour pouvoir déterminer les normes fondant les restrictions
des droits, afin que celles-ci ne soient pas qualifiées d'automatiques et, par conséquent, de non
proportionnées. Le même caractère ambivalent est propre à l'exigence de la Convention
relative à la prise de décision individuelle dans chaque cas d'application de restriction, le
respect de cette exigence étant confirmé par nombre d'arrêts de la Cour, mais étant contesté
dans des cas isolés.

En complément, l'utilisation de cette composante du test de justification des


restrictions implique nécessairement que l'exigence de la différenciation constante de
l'exécution de la peine, selon les risques pour la sécurité et l'ordre, soit associée à l'application
d'une même peine à des personnes différentes. Il convient d'insister également sur le besoin de
mise en accord du principe d'individualisation des restrictions et de prise en compte du type
d'infraction commise par la personne soumise à la restriction. La question se pose donc de
savoir quelle est le lien entre le principe de proportionnalité et le principe de l'égalité dans le
domaine pénitentiaire. C’est là où le droit de common law, lequel se concentre sur
251

l’individualisation entre en collision avec les systèmes du droit écrit destiné à créer des règles
applicables à tous. Nous allons analyser cet aspect de l’individualisation dans le chapitre
consacré à la Grande-Bretagne.
252

2.2.2. Droit mou du Conseil de l'Europe

2.2.2.1 Normes du CPT en matière de limitations des droits des détenus

Notre étude sur l’état de la mise en œuvre des recommandations du CPT en Ukraine
montre que ce sont justement les recommandations relatives aux limitations des droits des
détenus dont la mise en œuvre s'effectue le moins bien627. Cela pourrait peut-être s'expliquer
par le fait que ces recommandations font augmenter notablement la responsabilité et
compliquent les missions des autorités pénitentiaires, alors que le mode de leur réalisation
n'est pas toujours indiqué par le CPT et reste donc laissé à la discrétion des autorités
nationales. Toutefois, même si le Comité propose des voies concrètes d'exécution des
recommandations cela ne garantit pas leur mise en œuvre adéquate.

Le Comité formule sa position concernant les restrictions des droits en partant du


principe que les "détenus sont envoyés en prison en tant que punition et non pour subir une
punition"628. Il se base ainsi sur le principe de minimisation et de prévention des restrictions
inutiles, non nécessaires du point de vue de la sécurité.

L'approche du CPT envers les limitations des droits des détenus se base sur les normes
de la Cour européenne (mais elles ne le limitent pas). Le Comité l'indique lui-même de façon
explicite dans ses propres normes: "Afin de vérifier si l'imposition particulière d'une mesure
est justifiée, il convient d'appliquer les critères traditionnels consacrés dans les articles de la
Convention européenne des droits de l'homme et développés par la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l'homme"629.

Par ailleurs, le Comité propose une vision assez spécifique des normes de la Cour
qu’il interprète à sa manière. Cette norme a été décrite de la façon la plus complète s'agissant

627
Ashchenko O., Chovgan V., Ukrainian Penitentiary Legislation in the Light of the Standards
of the UN and Council of Europe Anti-torture Committees. Preface by M. Gnatovskyy. Ed. by E.
Zakharov, Kharkiv, Prava Ludyny, 2014, disponible sur :
http://library.khpg.org/files/docs/1413663931.pdf (accedé le 01.07.2017).
628
Ce principe est évoqué au par. 56 de son 21er Rapport général relatif à la détention en régime
d'isolement renforcé. Il est par ailleurs évoqué dans les rapports sur des pays concernant les limitations
des droits de toutes les catégories des détenus.
629
Para 55, 21e rapport général d'activités du CPT couvrant la période du 1er août 2010 au 31
juillet 2011 (CPT/Inf (2011) 28).
253

des restrictions consécutives à la détention630. Elle donne des repères, non seulement en
matière d’isolement, mais aussi concernant les restrictions en général. En voici un résumé:

1. Les restrictions doivent être proportionnées : toute restriction supplémentaire des


droits d’un détenu doit être en rapport avec les dommages potentiels ou réels causés par le
détenu ou qu’il causera par ses actes (ou le dommage potentiel auquel il est exposé) dans
l’environnement carcéral. Le niveau des dommages potentiels ou réels doit être au moins
aussi grave et pouvoir être traité seulement par ce moyen. Plus la durée de la mesure se
prolonge, plus les raisons qui la motivent doivent être importantes et plus il faut veiller à ce
qu’elle atteigne son objectif 631.

2. Les restrictions doivent être légales: des dispositions doivent être prises, en droit
interne, pour chacun des différents types de placement à l’isolement autorisés dans un pays, et
ces dispositions doivent être raisonnables. Elles doivent être communiquées de façon
compréhensible à toute personne qui peut y être soumise. La loi doit spécifier dans quelles
circonstances précises chaque forme d’isolement (et donc d’autres restrictions, N.D.L.A.)
peut être appliquée, les personnes compétentes pour l’imposer, les procédures à suivre par ces
personnes, le droit du détenu concerné d’exprimer son point de vue dans le cadre de la
procédure, l’obligation de communiquer au détenu les motivations les plus détaillées
possibles de la décision, la fréquence et les modalités de réexamen de la décision et les voies
de recours à l’encontre de celle-ci

Ces exigences concernent, dans une mesure égale, le placement à l’isolement et


d’autres restrictions des droits et elles reflètent directement la première composante du test de
la CEDH de justification des limitations: l'instauration des restrictions dans une loi de bonne
qualité. Par rapport à la Cour, le CPT impose des conditions complémentaires à cette
exigence: la nécessité d'une réglementation la plus précise possible de l'application des
restrictions; une attention particulière à prêter concernant la fixation des garanties
procédurales telles que la possibilité d'être représenté par un conseil ; et la communication des
motifs détaillés de la décision. Ces conditions sont dues à la nature spécifique de la sanction
disciplinaire sous forme d'isolement cellulaire et ils y sont directement liés. Notre analyse

630
Ibid.
631
Le Comité développe à sa manière la norme de proportionnalité en faisant noter, à part la
nécessité de mettre en équilibre les intérêts individuels et ceux de la sécurité, que les restrictions
devraient être compensées par des privilèges. Cela peut signifier, par exemple, qu'étant interdits de
communiquer avec les autres détenus, ils devraient pouvoir avoir des contacts avec le personnel
pénitentiaire pour compenser le manque de communication (Morgan R., Evans M., Combating Torture
in Europe: The Work and Standards of the European Committee for the Prevention of Torture (CPT),
Strasbourg, Council of Europe, 2001, p. 119).
254

suivante montrera pourtant que le caractère détaillé de la procédure d'application des


restrictions et de leur motivation est souligné par le CPT s'agissant aussi des limitations
d'autres droits, notamment des droits aux contacts avec le monde extérieur.

3. Les restrictions doivent être justifiables : il convient d'établir des notes détaillées
(enregistrées) concernant toutes les décisions sur l'application des restrictions (souvenons-
nous qu'il s'agit justement de l'isolement cellulaire en tant que forme de restrictions). Les
notes doivent contenir des informations sur les facteurs et les informations qui sont prises en
compte. Il convient de mentionner aussi le refus du détenu de participer à la procédure
relative à son affaire. De même, les commentaires du détenu concerné ou son refus d’en
formuler dans le processus de décision doivent être consignés.

S'agissant d'un contexte plus large d'application d'autres restrictions, ces exigences
démontrent la nécessité de refléter le plus pleinement possible, dans les décisions portant sur
les restrictions, toutes les informations et tous les faits ayant été pris en compte pour
l'adoption de la décision concernée.

4. Les restrictions doivent être nécessaires: ne sont autorisées que les restrictions qui sont
nécessaires à une détention en sécurité et en bon ordre et pour les besoins de la justice. Par
conséquence, il ne peut pas y avoir de privation automatique de droit aux visites, aux
communications téléphoniques, à la correspondance ou d’accès à des loisirs généralement à la
disposition des détenus (tels que la lecture)632. Le régime doit être suffisamment flexible pour
permettre la levée de toute restriction qui n’est pas nécessaire dans un cas individuel.

La nécessité de la souplesse des restrictions signifie que, même lorsque l'application


automatique d'une restriction a lieu contrairement aux normes, il faut que des procédures
soient prévues pour son annulation dans des cas individuels. Sur ce plan, le CPT (tout comme
la CEDH) tend à attribuer un pouvoir discrétionnaire aussi important que possible, non
seulement dans les cas où il s'agit de la possibilité d'alléger les limitations des droits, mais
aussi dans tous les cas où la possibilité d'application d'une restriction est en jeu. Notons que

632
La législation et les pratiques ukrainiennes sont directement contraires à cette règle. C'est
ainsi que les condamnés placés en cellule disciplinaire se voient interdire les visites (sauf celles des
avocats), l'achat des denrées alimentaires et des objets de première nécessité, les colis (art. 134, 11e al.,
du Code d'exécution des peines de l'Ukraine). La restriction tout aussi non justifiée pour des motifs
semblables concerne l'interdiction des visites des condamnés lors de leur maintien dans le bloc de
quarantaine, de diagnostic et d’affectation (sauf les visites de l'avocat). Ces condamnés n'ont pas droit
à l'accès aux documents de lecture et à beaucoup d'autres qui sont accessibles aux autres condamnés. Il
est à noter que le CPT a exorté l'Ukraine à maintes reprises, bien que sans effet, à abroger cette
restriction (voir rapports des visites en 1999 (par. 53), 2002 (par. 131), 2005 (par. 141), 2009 (par.
149).
255

des garanties procédurales convenables d'application de la restriction devraient servir de


contrepoids au pouvoir discrétionnaire.

5. Les restrictions doivent être non discriminatoires: il convient non seulement de veiller à
prendre en compte toutes les questions importantes pour l'affaire donnée, mais encore de
s’assurer que les éléments non pertinents ne soient pas pris en compte. Les autorités doivent
surveiller l'application de tout type d'isolement pour s'assurer que cette mesure ne soit pas
appliquée de manière disproportionnée, sans une justification objective et raisonnable, ni ne
vise un détenu concret ou un groupe de détenus.

S'agissant de l'applicabilité de ces normes aux détenus qui ne sont pas placés en
isolement, une conclusion peut être tirée du paragraphe 61 de ce même Rapport: "Comme
pour tous les régimes appliqués aux détenus, le principe selon lequel les détenus placés à
l'isolement ne doivent pas être soumis à davantage de restrictions que ce qui est nécessaire
pour un confinement sûr et correctement mis en œuvre, doit être respecté".

L'inadmissibilité du caractère automatique des restrictions est à nouveau soulignée:


"Par ailleurs, des efforts spéciaux doivent être faits pour améliorer le régime de ceux qui sont
maintenus à l'isolement pour une longue durée, lesquels ont besoin d'une attention particulière
afin de minimiser les dommages que cette mesure peut leur causer. Il n'est pas nécessaire
d'adopter une approche "tout ou rien" de cette question. Chaque restriction particulière ne
devrait être appliquée qu'en réponse, appropriée, à une évaluation du risque d'un détenu
individuel".

Dans ce cas, on entend par "tout ou rien" l'approche où tous les détenus sans exception
se voient interdire d'accomplir tel ou tel acte, de posséder des objets et, ce, sans aucune
individualisation, c'est-à-dire sans égard pour l'exigence d’application de ces restrictions
uniquement lorsqu'elles sont effectivement nécessaires dans chaque cas concret. Au lieu de
chercher un compromis pour une application souple des restrictions, on met en œuvre une
restriction automatique de certains droits à l'égard de tous les détenus à statut particulier (par
exemple ceux qui sont maintenus en cellule disciplinaire, en quartier disciplinaire).

C'est ce qui a été souligné dans le Rapport sur la visite en Ukraine en 2009 (par. 150):
"Il convient d'ajouter que les détenus qui sont maintenus en cellule disciplinaire et en quartier
disciplinaire sont en général privés de contacts avec le monde extérieur (visites,
correspondance et communications téléphoniques). Le CPT recommande aux autorités
ukrainiennes de prendre des mesures de manière à ce que le maintien des détenus en
cellule disciplinaire et en quartier disciplinaire ne comprenne pas l'interdiction totale
256

des contacts familiaux (voir aussi règle 60 (40 des Règles pénitentiaires européennes). Toute
restriction des contacts familiaux en tant que forme de sanction n'est à appliquer que là
où le manquement disciplinaire est lié à ces contacts (souligné par nous)". La dernière
phrase précise que si la sanction disciplinaire est appliquée à cause de la dérogation à la
procédure des visites, l'intéressé peut être limité de manière justifiée dans les visites (cette
interprétation découle des rapports du CPT)633.

Le droit aux contacts familiaux convient le plus pour analyser les normes de limitation
des droits. Cela concerne également l'analyse des normes correspondantes du CPT. Le Comité
attire l'attention, par exemple, sur l'inadmissibilité du caractère automatique de ces
restrictions. Elles sont considérées comme faisant partie de la peine, parce qu'étant appliquées
de manière automatique sur la base de la peine appliquée à une catégorie particulière des
détenus634. Pour le CPT, le système où l'ampleur des contacts des détenus avec le monde
extérieur est déterminé de façon automatique en tant que partie de la peine appliquée
est foncièrement erroné (souligné par nous)635. "L'autorisation des contacts avec le monde
extérieur doit être une norme, leur interdiction devant être une exception", observe le CPT
après une visite au Liechtenstein636. Ces principes, qui découlent de la jurisprudence de la
CEDH et des RPE637, sont suivis par le Comité de manière infaillible pour évaluer la
justification des limitations des contacts avec le monde extérieur.

En visitant la Finlande en 2014638, le Comité observait que les détenus des prisons
Riihimäki et Vantaa se plaignaient de ne pas être autorisés à toucher leurs proches et/ou
enfants pendant les visites. Ils se plaignaient aussi que ces restrictions étaient appliquées

633
Dans son rapport sur la visite à Monaco en 2012, le CPT observait que "… toute restriction de
ces contacts ne devrait être imposée que lorsque l’infraction ayant été à l’origine de la sanction
disciplinaire à un lien avec ces contacts (comme, par exemple, la remise de stupéfiants lors d’une
visite)" (par. 54, Rapport au Gouvernement de la Principauté de Monaco relatif à la visite effectuée à
Monaco par le CPT du 27 au 30 novembre 2012 (CPT/Inf (2013) 39).
634
Voir par exemple par. 98 du Rapport sur la visite en Russie en 2012 (Report to the Russian
Government on the visit to the Russian Federation carried out by the CPT from 21 May to 4 June 2012
(CPT/Inf (2013) 41)).
635
Par. 90 du Rapport sur la visite de la Géorgie en 2007 (Report to the Georgian Government
on the visit to Georgia carried out by the CPT from 21 March to 2 April 2007 (CPT/Inf (2007) 42)).
636
Par. 43 du Rapport sur la visite de 2007 au Liechtenstein (Report to the Government of the
Principality of Liechtenstein on the visit to Liechtenstein carried out by the CPT from 5 to 9 February
2007 (CPT/Inf (2008) 20).
637
Les RPE ne prévoient pas directement l'interdiction des restrictions automatiques, bien que le
commentaire à la règle 4 déclare que les politiques et les pratiques pénitentiaires qui permettent des
ingérences systématiques dans les droits ne sont pas admissibles (Commentary to recommendation
Rec (2006) 2 of the Committee of Ministers to Member states on the European Prison Rules).

638
Rapport sur la visite de la Finlande en 2014 (Report to the Finnish Government on the visit to
Finland carried out by the CPT from 22 September to 2 October 2014 (CPT/Inf (2015) 25)).
257

automatiquement. Cela pouvait être dû au fait que le détenu avait été condamné pour des
infractions liées au trafic de la drogue, sans tenir compte de sa conduite dans l'établissement
pénitentiaire. Le Comité insistait d'une manière assez pondérée sur sa norme. Il observait
"qu'en acceptant que certains détenus devraient être soumis, pendant une période déterminée,
à des restrictions concernant la procédure des visites, le CPT recommande que la pratique
actuelle soit révisée de manière à garantir que ces restrictions soient appliquées dans une
mesure et pendant une période qui soit justifiée par le danger (telle que la pénétration de
substances illégales ou d'objets interdits) que représente le détenu concerné" (par. 84).

Les motifs types qui permettent, de l'avis du CPT, des restrictions du droit à la visite
sont la sécurité639 et les intérêts justifiés de l'enquête (s'agissant des personnes en détention
provisoire)640. Toutefois, les restrictions ne devraient rester qu'une exception qui ne s'applique
que dans des affaires individuelles particulières (par. 56)641. Cela souligne la nécessité de
prendre en compte le principe de proportionnalité et sa composante: nécessité minimale de la
restriction.

Par ailleurs, le fait que le Comité admette la possibilité de limiter un droit eu égard
"aux considérations tenant aux ressources disponibles" semble être quelque peu
contradictoire642. Il est à noter que les Règles pénitentiaires européennes dénient cette
justification dans le principe retenu à la règle 4, qui prévoit que les conditions de détention
violant les droits des détenus ne sauraient être justifiées par le manque de ressources. Sur le
plan formel, cette règle ne concerne que les conditions, mais l'esprit de ce principe n'est
manifestement pas favorable aux restrictions des droits, autres que le droit d'être détenu dans
des conditions convenables, au motif du manque de ressources. Ainsi que l'observent les
auteurs des RPE, cette règle va au-delà des conditions de détention et concerne les limitations
des droits en exigeant de l'État d'affecter des ressources suffisantes pour assurer un régime
capable de garantir l'exercice des droits. Bien plus, compte tenu de l'existence de sanctions

639
Les motifs de sécurité doivent permettre leur évaluation (Par. 43 du Rapport sur la visite au
Liechtehnstein en 2007 (Report to the Government of the Principality of Liechtenstein on the visit to
Liechtenstein carried out by the CPT from 5 to 9 February 2007 (CPT/Inf (2008) 20)). Par des
précisions de ce genre, le Comité souligne suffisamment dans ses rapports la nécessité du caractère
concret et l'inadmissibilité du caractère non concret des motifs de sécurité.
640
Rapport sur la visite de l’Islande en 2004 (Report to the Icelandic Government on the visit to
Iceland carried out by the CPT from 3 to 10 June 2004 (CPT/Inf (2006) 3)).
641
Ibid.
642
Par. 51, 2e rapport général d'activités du CPT couvrant la période du 1er janvier au 31
décembre 1991 (CPT/Inf (92) 3); par. 56 Rapport sur la visite de la Géorgie en 2012 (Report to the
Georgian Governement on the visit to Georgia carried out by the CPT from 19 to 23 November 2012
(CPT/Inf (2013) 18)).
258

alternatives, l'État ne devrait pas avoir un système pénitentiaire ne permettant pas d'assurer
l'exercice des droits des détenus643.

Le Comité renvoie parfois directement à la jurisprudence de la CEDH en formulant sa


position relative à telle ou telle restriction. C'est ainsi que dans son rapport sur la visite en
Arménie en 2014644, il se référait à l'arrêt Trosin contre Ukraine, dans lequel la Cour statuait à
la violation de la Convention car "des dispositions pertinentes du droit interne imposaient des
restrictions automatiques à la fréquence et à la durée des visites familiales pour tous les
détenus à perpétuité et ne permettaient aucune souplesse pour déterminer si de telles
restrictions draconiennes étaient pertinentes ou nécessaires dans chaque cas individuel, même
nonobstant le fait qu'elles étaient appliquées aux personnes condamnées à des peines les plus
sévères". En conséquence, le Comité recommandait aux autorités arméniennes que tous les
condamnés à perpétuité "eussent droit à des visites de courte durée en conditions ouvertes
(c'est-à-dire visite à table) et que les visites à travers la paroi ne fussent appliquées que sur la
base de l'évaluation individuelle des risques" (par. 22). Le Comité déclare même sans
ambiguïté que les visites à tables (sans paroi) devraient être la règle et les visites à travers la
paroi l'exception645.

Le Comité prend en compte, traditionnellement, la question de la sécurité en tant que


facteur pouvant justifier des restrictions critiquées des droits. Il use souvent de formules du
type "Le Comité est totalement conscient de la nécessité de certaines restrictions". Cela
concerne tant les restrictions concrètes des droits que les mesures excessives de sécurité qui
peuvent limiter les droits de manière indirecte.

En visitant l'une des prisons slovaques, le Comité a attiré l'attention sur la vitre
spéciale de la fenêtre de la cellule qui ne permettait pas de voir l'environnement hors de la
cellule et produisait, de l'avis du Comité, un effet déprimant. Le Comité observait: "Le CPT
est pleinement conscient que certaines mesures spécifiques de sécurité qui visent la
prévention du risque de conspiration et/ou d'infractions peuvent être nécessaires à l'égard de
certains détenus. Toutefois, l'application des mesures de ce genre devrait être plutôt une
exception qu'une règle. Cela signifie que l'autorité concernée doit examiner le cas de chaque

643
Van Zyl Smit D., Snacken S., Principles of European Prison Law and Policy: Penology and
Human Rights, New York, Oxford University Press, 2009, p. 103.
644
Rapport sur la visite de l’Arménie en 2014 (Report to the Armenian Government on the visit
to Armenia carried out by the CPT from 20 to 23 May 2014 (CPT/Inf (2015) 10)).
645
Par. 43, Rapport sur la visite des Pays-Bas en 2012 (Report to the Government of the
Netherlands on the visit to the Caribbean part of the Kingdom of the Netherlands carried out by the
CPT from 12 to 22 May 2014 (CPT/Inf (2015) 27)).
259

détenu pour s'assurer si les mesures spécifiques de sécurité sont vraiment justifiées en ce qui
le concerne"646.

Parfois, lorsqu'il s'agit des questions de sécurité, le CPT fait état de cas concrets où
l'application de restrictions peut être justifiée. Pendant la visite en Italie en 2012 647, il était
observé que "le CPT comprend que la vidéosurveillance dans les cellules peut être justifiée
dans des cas individuels, par exemple lorsque l'intéressé est considéré comme pouvant risquer
à se blesser volontairement ou à se suicider ou lorsqu'il y a un soupçon concret que le détenu
s'adonne dans la cellule à des actes qui peuvent nuire à la sécurité. La décision d'appliquer la
vidéosurveillance au détenu concret doit se fonder toujours sur l'évaluation individuelle des
risques et elle doit être régulièrement révisée" (par. 60)648. Outre l'exigence traditionnelle de
l'évaluation individuelle, des risques le Comité évoque ainsi une autre garantie procédurale: la
révision régulière de la restriction. Cette exigence se retrouve assez souvent dans les rapports
du CPT, mais principalement dans le contexte des garanties des personnes maintenues en
isolement complémentaire, et non comme exigence à l'égard d'autres restrictions.

Néanmoins, quelque soit le risque, « compte tenu du caractère particulièrement


intrusif de la mesure, le CPT considère que les détenus soumis à une vidéosurveillance
devraient bénéficier d'une intimité raisonnable lorsqu'ils utilisent les toilettes, les lavabos et la
douche »649. Toutefois, selon l’autorité française le détenu actuellement soumis à un
placement sous vidéosurveillance voit son intimité préservée grâce à l’installation dans sa
cellule d’un pare-vue cachant le bas de son corps lors de l’utilisation du coin sanitaire650.

Tout comme les autres mesures portant sur la sécurité, les restrictions sous forme de
menottage doivent être réduites au minimum. Nous lisons ainsi au par. 33 du 11e Rapport
général du CPT relatif aux condamnés à perpétuité651: "… nombre de ces détenus étaient
soumis à des restrictions spéciales de nature à exacerber les effets délétères associés à un
emprisonnement de longue durée ; des exemples de ces restrictions sont la séparation

646
Par. 74, Rapport sur la visite de la République slovaque en 2013 (Report to the Government
of the Slovak Republic on the visit to the Slovak Republic carried out by the CPT from 24 September
to 3 October 2013 (CPT/Inf (2014) 29)).
647
Rapport sur la visite de l’Italie en 2012 (Report to the Italian Government on the visit to Italy
carried out by the CPT from 13 to 25 May 2012 (CPT/Inf (2013) 32)).
648
Le CPT estime que même dans ce cas il convient de préserver l'intimité lors de l'usage des
toilettes et de l'endroit de lavage.
649
Par. 61, Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en
France par le CPT du 15 au 27 novembre 2015 (CPT/Inf (2017) 7)
650
Page 52, Réponse du Gouvernement de la République française au rapport du CPT relatif à la
visite effectuée en France du 15 au 27 novembre 2015 (CPT/Inf (2017) 8)
651
11e rapport général d'activités du CPT couvrant la période du 1er janvier au 31 décembre
2000.
260

permanente du reste de la population pénitentiaire, le menottage du détenu à chaque


extraction de cellule, l’interdiction de communiquer avec les autres détenus, et des droits de
visite limités. Le CPT n’entrevoit aucune justification pour une application de restrictions
indifféremment à tous les détenus soumis à un type donné de peines, sans que l’on tienne
dûment compte des risques qu’ils peuvent (ou ne peuvent pas) présenter à titre individuel".

Le par. 102 du Rapport sur la visite en Ukraine en 2002652 spécifie: "Le CPT rappelle
que la pratique consistant à systématiquement menotter des condamnés à perpétuité lorsqu'ils
sont hors cellule est hautement contestable, ce d'autant plus si cela est effectué dans un
environnement déjà sécurisé. Une telle mesure ne peut être vue que comme étant
disproportionnée et punitive. Enfin, recevoir une visite en étant menotté doit à l'évidence être
considéré comme dégradant tant pour le détenu que son visiteur. Le CPT recommande aux
autorités ukrainiennes de mettre immédiatement un terme aux pratiques décrites ci-dessus".
La nécessité d'évaluer le risque individuel concerne aussi la séparation d’autres condamnés,
l'interdiction de communiquer avec eux, etc.

La même chose concerne l'utilisation des chiens dans les établissements pénitentiaires.
Dans son Rapport sur la visite en Ukraine en 2012, le CPT se prononce sur l'utilisation
systématique des chiens (par. 49): "Le CPT constate avec préoccupation qu'aucune révision
des mesures excessives de sécurité appliquées aux hommes condamnés à perpétuité n'a été
opérée depuis les visites précédentes. Les détenus de cette catégorie continuent d'être
systématiquement menottés lors de l'extraction de cellule par le personnel qui doit être
toujours accompagné d'un maître-chien et d'un chien de garde. Les chiens de garde, comme il
a été déjà constaté, étaient sans muselière et étaient incités parfois à aboyer. Le Comité invite
à nouveau les autorités ukrainiennes à mettre un terme au menottage systématiques des
hommes condamnés à perpétuité détenus… Le Comité recommande de mettre un terme à
la pratique systématique d'utilisation des chiens de service dans les circonstances
décrites ci-dessus" (souligné dans l'original – N.D.L.A.).

652
Rapport relatif à la visite effectuée en Ukraine par le CPT du 24 novembre au 6 décembre
2002.
261

Les fouilles systématiques, notamment avec déshabillage, sans évaluation individuelle


du risque ne sont pas non plus compatibles avec les normes du CPT653. Par exemple, le fait
que les détenus fassent systématiquement l’objet d’une fouille intégrale après les parloirs a été
critiqué comme étant peu conforme à la Loi pénitentiaire française par le Comité lors de sa
visite en France654. De plus, le CPT estime qu’une fréquence élevée des fouilles à corps (avec
mise à nu systématique) dans ce pays comporte un risque élevé de traitement dégradant655. Le
Comité s'exprime d'ailleurs logiquement sur l'inadmissibilité des fouilles collectives656.

L'individualisation des restrictions au moyen de l'hébergement des détenus en cellule


est tout aussi justifiée. Dans son 11e Rapport général657 le Comité critiquait le principe même
des modalités d'hébergement dans de grands dortoirs, parce que, souvent, les dortoirs en
question hébergent des détenus dans des espaces extrêmement exigus et insalubres. En plus du
manque d'intimité, le Comité constatait un grand risque d'intimidation et de violence à l'égard
de détenus et des problèmes de contrôle pour le personnel. Bien plus, l'hébergement
convenable des détenus selon leur risque individuel devenait quasiment impossible.
L'abandon de l'hébergement collectif est l'une des conditions de la non-application des
restrictions automatiques, collectives. Il est, par exemple, difficile d'imaginer
l'individualisation des restrictions du droit à l'intimité dans un local abritant de 50 à 100
personnes.

Dans son document "Espace vital par détenu dans les établissements pénitentiaires:
normes du CPT", le Comité résume qu'au vu des problèmes d'hébergement collectif massif en
dortoirs, il se prononce depuis longtemps pour remplacer les dortoirs collectif par des locaux
moins grands658. Ces normes sont d'une actualité particulière pour les pays post-soviétiques,

653
Voir par ex. par. 86, Rapport sur la visite de la République tchèque en 2015 (Report to the
Czech Government on the visit to the Czech Republic carried out by the CPT from 1 to 10 April 2014
(CPT/Inf (2015) 18)). Le Comité commente parfois avec retenue les fouilles systématiques en
acceptant le fait qu'elles sont répandues mais en observant qu'elle doivent être opérées en respectant au
maximum la dignité des détenus (par. 101, Report to the Government of "the former Yugoslav
Republic of Macedonia" on the visit to "the former Yugoslav Republic of Macedonia" carried out by
the CPT from 15 to 26 May 2006 (CPT/Inf (2008) 5)).
654
Par. 111, Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en
France par le CPT du 28 novembre au 10 décembre 2010 (CPT/Inf (2012) 13).
655
Par. 168, Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée
en France par le CPT du 27 septembre au 9 octobre 2006 (CPT/Inf (2007) 44).
656
Par. 57, Rapport sur la visite de la République slovaque en 2009 (Report to the Government
of the Slovak Republic on the visit to the Slovak Republic carried out by the CPT from 24 March to 2
April 2009 (CPT/Inf (2010) 1)).
657
Par. 29, 11e rapport général d'activités du CPT couvrant la période du 1er janvier au 31
décembre 2000 CPT/Inf (2001) 16.
658
Living space per prisoner in prison establishments: CPT standards (CPT/Inf (2015) 44,
15.12.2015).
262

notamment pour l'Ukraine, où l'hébergement collectif engendre nombre de problèmes sous


l'angle des droits de l'homme et du management pénitentiaire659.

Dans son Rapport général de 2015, le CPT examine les normes d'exécution des peines
à perpétuité, en attirant une attention particulière sur la nécessité d'individualiser les
restrictions. Tout comme les condamnés à des peines à durée limitée, les condamnés à
perpétuité ne doivent pas être soumis à des restrictions qui ne soient pas nécessaires au
maintien de l'ordre, de la sécurité ou de la discipline en prison660. Le niveau de sécurité
applicable à chaque individu doit être proportionnel au risque individuel que présente
l'individu. Ceci étant, l'infraction commise par l'individu n'est qu'un seul des facteurs à
prendre en compte pour cette évaluation. L'application du régime doit toujours se baser sur
l'évaluation individuelle et ne pas résulter de façon automatique de la peine prononcée (par.
77)661.

Les normes du Comité ne permettent donc pas l'application automatique des


restrictions aux détenus sans avoir procédé à l'évaluation individuelle du risque. Ces normes
de restrictions sont le plus souvent évoquées dans ses rapports dans le contexte de la
limitation du droit à la vie privée et familiale (droit au communications téléphoniques, à la
correspondance écrite, aux visites) bien que n'ignorant pas les mesures de sécurité (menottage,
utilisation des chiens).

Dans certains cas, le Comité décrit une approche plus générale des restrictions dans le
contexte du régime auquel est soumis l'individu. C'est ainsi que le Rapport sur la visite en
Albanie en 2010 insistait sur le fait que: "…toutes restrictions du régime appliqué aux détenus
doivent se fonder sur des considérations de sécurité pouvant être évaluées et s'appliquer dans
chaque cas concret par l'administration pénitentiaire au lieu d'être appliquées
automatiquement en tant que partie de la peine"662. Dans l'ensemble, la critique par le Comité

659
Alternative interim report by Ukrainian Helsinki Human Rights Union on implementation of
recommendations, provided by the Committee against Torture based on the consideration of the sixth
periodic report of Ukraine (CAT/ C/UKR/6), Blaga А., Martynenko О., Telychkin I., Chovgan V.,
Ed. by A. Bushchenko, Кyiv, KIT, 2015, р. 14–16.
660
Cette thèse suscite un malentendu car elle contient la liste exhaustive des buts justifiant les
restrictions. La liste des buts qui sont pleinement applicables aux détenus est beaucoup plus large dans
la Convention.
661
25e rapport général d'activités du CPT couvrant la période du 1er janvier au 31 décembre
2015 (CPT/Inf (2016) 10.
662
Par. 60, Rapport sur la visite de l’Albanie en 2010 (Report to the Albanian Government on
the visit to Albania carried out by the CPT from 10 to 21 May 2010 (CPT/Inf (2012) 11); voir aussi
par. 55, Rapport sur la visite de l’Ukraine en 2012 (Report to the Ukrainian Government on the visit to
Ukraine carried out by the CPT from 01 to 10 December 2012 (CPT/Inf (2013) 23).
263

des restrictions automatiques et l'exigence de l'individualisation s'inscrit dans la continuation


logique des approches de la CEDH vis-à-vis du principe de proportionnalité dans les prisons.

Le Comité porte un intérêt particulier à la restriction des droits pendant la détention


provisoire. De l'avis du Comité, l'évaluation du régime des personnes en détention provisoire
doit avoir pour point de départ la présomption d'innocence et le principe selon lequel les
détenus ne doivent pas être soumis à plus de restrictions que ce qui est strictement nécessaire
à leur détention en termes de sécurité et des intérêts de la justice. Toutes restrictions doivent
être réduites au minimum et avoir une durée la plus courte possible663. Le Comité estime aussi
que les personnes placées en détention provisoire doivent même bénéficier de droits plus
larges, notamment en ce qui concerne les visites664.

Conformément à l'article 12 de la Loi de l'Ukraine "Sur la détention provisoire", les


visites des parents ou d'autres personnes peuvent665 être accordées aux personnes en détention
provisoire par l'administration de l'établissement seulement avec l'autorisation écrite de
l'enquêteur ou du juge d’instruction. Cela signifie que s'il n'y a pas d'autorisation de
l'enquêteur ou du juge chargé de la procédure, les visites sont interdites.

Voyons cette « présomption de non contact » dans d’autres pays. Par exemple, en
France toute personne placée en détention provisoire peut, avec l'autorisation du juge
d'instruction, recevoir des visites sur son lieu de détention ou téléphoner à un tiers (art. 145-4
du CPC français)666.

Le principe essentiel sur lequel se fondent les normes du CPT consiste en ce que les
"personnes placées en détention provisoire doivent bénéficier généralement des visites et
pouvoir communiquer avec leurs familles et d'autres personnes (y compris par téléphone) de
la même manière que les condamnés; cette position est exprimée également dans les Règles
pénitentiaires européennes"667.

663
Par. 60, Rapport sur la visite de la Serbie en 2007 (Report to the Government of Serbia on the
visit to Serbia carried out by the CPT from 19 to 29 November 2007 (CPT/Inf (2009) 1).
664
Morgan R., Evans M., Combating Torture in Europe: The Work and Standards of the
European Committee for the Prevention of Torture (CPT), Strasbourg, Council of Europe, 2001, p. 89.
665
Le terme "peuvent" est, dans ce cas, inacceptable et nécessite une attention particulière à
cause d'un niveau excessif de la marge discrétionnaire, d'où le risque d'abus.
666
D’ailleurs, cette règle semble contradictoire étant donné que le même article prévoit que « le
juge d'instruction peut prescrire à son encontre l'interdiction de communiquer pour une période de dix
jours. Cette mesure peut être renouvelée, mais pour une nouvelle période de dix jours seulement ».
D’un côté l’article 145-4 prévoit la possibilité d’interdire des visites, de l’autre il établit la possibilité
de communiquer avec le monde extérieur seulement sous la condition de présence d’une autorisation.
667
Par. 95, Rapport sur la visite de la Pologne en 2013 (Report to the Polish Government on the
visit to Poland carried out by the CPT from 5 to 17 June 2013 (CPT/Inf (2014) 21).
264

Dans son Rapport relatif à la visite en Ukraine en 2012, le Comité observe au par. 50:
«...malgré les recommandations concrètes faites par le Comité après toutes les visites
précédentes en Ukraine, des restrictions sévères sont souvent appliquées, comme auparavant,
aux contacts avec l'extérieur des prévenus. Beaucoup de personnes placées en détention
provisoire n'étaient pas autorisées à avoir des visites de personnes qui ne sont pas leur avocat
(ou représentant officiel), à passer des communications téléphoniques pendant une longue
période de temps; dans certains cas, cette situation durait déjà depuis plus d'un an. Cet état de
choses est inacceptable.
Tout refus d'accorder l'autorisation à la visite ou à l'expédition/réception de lettre doit
être spécialement justifiée par les besoins de l'enquête, être validé par l'autorité non liée à
l'affaire concernée et être appliquée pendant la durée déterminée avec indication des motifs.
Au besoin, la législation et les règles correspondantes sont à modifier".
L'exigence de la motivation des décisions constitue une garantie substantielle de
prévention des abus et de l'arbitraire, de la possibilité de se pourvoir contre la décision (le
détenu étant au courant des motifs de la décision concernée) et de sa légitimité. Conscient de
l'importance extraordinaire de la motivation régulière, le CPT souligne particulièrement cette
exigence dans le contexte de l'appréciation de certaines restrictions des droits. Dans certains
cas, il précise en détails sa recommandation. C'est ainsi que le Rapport relatif à la visite en
Islande en 2004668 attire l'attention sur les formulations trop générales des motifs de
l'interdiction des contacts avec l'extérieur et sur la nécessité de "l'exposition par écrit des
motifs spécifiques qui justifient l'application des restrictions à la personne en détention
provisoire, sur la nécessité d'informer le détenu sur ces motifs (évidemment ces motifs
peuvent ne pas comporter les détails que l'on aura intérêt à ne pas communiquer aux détenus
dans l'intérêt de l'enquête). Ces recommandations ont pour objectif de faire en sorte que les
tribunaux puissent opérer une évaluation pertinente de la nécessité des restrictions
spécifiques. Les restrictions doivent être réduites aux situations présentant un risque réel de
nuisibilité dans le contexte de l'enquête pénale concernée et lorsque ce risque est suffisant
pour garantir l'application de restrictions concrètes dans une affaire concrète".
On ne saurait passer outre les références du Comité aux Règles pénitentiaires
européennes, qui s'appliquent dans une mesure égale aux prévenus. Il s'agit notamment de la
règle 24.1, qui est ainsi libellée: "Les détenus doivent être autorisés à communiquer aussi
fréquemment que possible - par lettre, par téléphone ou par d’autres moyens de
communication - avec leur famille, des tiers et des représentants d’organismes extérieurs,

668
Par. 58, Rapport sur la visite de l’Islande en 2004 (Report to the Icelandic Government on the
visit to Iceland carried out by the CPT from 3 to 10 June 2004 (CPT/Inf (2006) 3).
265

ainsi qu’à recevoir des visites desdites personnes", et de la règle 99: " À moins qu’une autorité
judiciaire n’ait, dans un cas individuel, prononcé une interdiction spécifique pour une période
donnée, les prévenus : a) doivent pouvoir recevoir des visites et être autorisés à communiquer
avec leur famille et d’autres personnes dans les mêmes conditions que les détenus condamnés
; b) peuvent recevoir des visites supplémentaires et aussi accéder plus facilement aux autres
formes de communication ; et c) doivent avoir accès aux livres, journaux et autres moyens
d’information".
En règle générale, le CPT observe que les restrictions à appliquer aux personnes en
détention provisoire doivent être validées par l'autorité judiciaire. Toutefois, des
recommandations un peu différentes sont formulées dans certains cas. C'est ainsi que l'on
relève la recommandation suivante au par. 137 du Rapport relatif à la visite en Azerbaïdjan en
2002669: "Tout refus opposé par l'enquêteur à la demande de visite doit être spécialement
justifié par les besoins de l'enquête et nécessite d'être validé par l'autorité non liée à l'affaire
donnée, cette interdiction devant être appliquée pour une période déterminée". La même
recommandation est formulée au par. 152 du Rapport sur la visite en Ukraine en 2009670.
Dans tous les cas, lorsque l’autorité compétente valide les limitations des contacts
avec l'extérieur, celles-ci doivent être strictement nécessaires et être appliquées pendant une
période la plus courte possible671. Outre ceci, les restrictions applicables en détention
provisoire et leur justification doivent être révisées régulièrement, les détenus devant pouvoir
former un recours devant un tribunal ou devant une autre autorité indépendante672.

669
Rapport sur la visite en Azerbaïdjan en 2002 (Report to the Azerbaijani Government on the
visit to Azerbaijan carried out by the CPT from 24 November to 6 December 2002 (CPT/Inf (2004)
36).
670
Rapport sur la visite de l’Ukraine en 2009 (Report to the Ukrainian Government on the visit to
Ukraine carried out by the CPT from 9 to 21 September 2009 CPT/Inf (2011) 29).
671
Par. 71, Rapport au Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg relatif à la visite
effectuée au Luxembourg par le CPT du 28 janvier au 2 février 2015 (CPT/Inf (2015) 30).
672
Evans M.D., Morgan R., Protecting Prisoners: The Standards of the European Committee for
the Prevention of Torture in Context, New York, Oxford University Press, 1999, p. 56.
266

Il convient de souligner aussi que la nécessité des restrictions pour les besoins de
l'enquête attire toujours l’attention particulière du Comité673. Dans son Rapport relatif à sa
visite au Danemark en 2014, il insistait sur le sens particulier des garanties visant à éviter des
restrictions démesurées. Les restrictions devaient être imposées par les objectifs de l'enquête.
C'est ainsi que l'enquête concernant un détenu rencontré par la délégation visait à prévenir
l'intimidation des témoins, bien que, d'un autre côté, il lui fût interdit de téléphoner à sa
famille. Le Comité considère ces restrictions comme excessives. Dès lors, il recommande de
renforcer les garanties contre les restrictions disproportionnées, en insistant particulièrement
sur la nécessité de la motivation et en précisant que l'application de restrictions concernant les
visites, les communications téléphoniques et la correspondance, doit être examinée à part674.
Il en découle un aspect important de la norme: l'exigence de différenciation des restrictions,
mais non de leur application en tant qu’ensemble unique, même si cet ensemble est utilisé sur
le fondement d'une décision motivée. La différenciation des restrictions peut s'examiner dans
ce cas comme un prolongement logique de l'exigence d'approche flexible vis-à-vis des
restrictions.
Ces exigences sont sans doute formulées d’une façon plus complète encore, dans le
Rapport sur la visite du Comité en Suède en 2003675. Il y particulièrement été souligné que les
restrictions ne devaient être appliquées que dans les cas où le procureur, en tant qu'autorité
pouvant saisir le juge pour faire valider les restrictions voulues, "pouvait convaincre le juge
qu'il y avait un risque réel de nuisibilité dans le contexte de l'enquête pénale concernée et que
ce risque était suffisant pour justifier la restriction donnée dans l'affaire" (par. 43). Chaque
fois où le procureur saisit le juge pour pouvoir appliquer ou prolonger les restrictions, il est
tenu de fournir: a) la description des restrictions spécifiques qu'il souhaite appliquer à
l'individu; b) les motifs pertinents qui justifient ces restrictions à la lumière des circonstances

673
Cette question se posait souvent lors des visites aux pays scandinaves: Danemark, Norvège et
Suède, ceux-ci pratiquant largement la limitation des contacts des prévenues en vue de prévenir la
conjuration et de conserver les preuves (Morgan R., Evans M.D. Protecting Prisoners: The Standards
of the European Committee for the Prevention of Torture in Context. – New York: Oxford University
Press, 1999. – Р. 37; Tonry M., Frase R.S. Sentencing and Sanctions in Western Countries. – New
York: Oxford University Press, 2001. – Р. 396). Les commentateurs des Règles pénitentiaires
européennes qui examinent la règle 51 relative aux exigences en matière de mesures de sécurité
observent que beaucoup de systèmes pénitentiaires se fondent sur la supposition que tous les prévenus
nécessitent un niveau élevé de sécurité. Toutefois, ce n'est pas toujours le cas et il faut avoir la
possibilité de procéder à l'évaluation individuelle du risque pour la sécurité (Commentary to
recommendation Rec (2006) 2 of the Committee of Ministers to Member states on the European
Prison Rules. Ibid).
674
Par. 34-35, Rapport sur la visite du Danemark en 2014 (Report to the Danish Government on
the visit to Denmark carried out by the CPT from 4 to 13 February 2014 (CPT/Inf (2014) 25).
675
Par. 40-49, Rapport sur la visite de la Suède en 2003 (Report to the Swedish Government on
the visit to Sweden carried out by the CPT from 27 January to 5 February 2003 (CPT/Inf (2004) 32).
267

de l'affaire. Les documents nécessaires doivent être établis de manière à préciser les motifs
justifiés pour l'application des restrictions. Les normes législatives doivent disposer que tant
la première restriction que la reconduite des restrictions doivent être individualisées et
pleinement justifiées (par. 49). Il est à noter que le CPT a prêté une attention aussi importante
aux détails en matière d'application et de prolongement des restrictions visant les prévenus.
Les juges examinaient, d'une manière très formelle, les demandes de validation des
restrictions et les procureurs n'évoquaient pratiquement pas les motifs ou ne faisaient que les
mentionner pour la forme en termes généraux. Les avocats rencontrés par la délégation se
plaignaient donc que, par manque d'information sur les motifs des restrictions contestées, les
juges ne les annulaient presque jamais.
Malgré la critique de la position suédoise relative à la restriction des droits des
personnes placées en détention provisoire qui avait débuté dès la première visite du Comité en
ce pays en 1991, le problème des restrictions excessive demeure. Ces dernières années,
certains changements ont été opérés dans le cadre normatif, sans toutefois qu'ils aient une
incidence visible sur les pratiques. Dès lors, pendant sa dernière visite en ce pays en 2015, le
Comité a résolument invité la Suède à prendre les mesures nécessaires676 en recourant à une
menace diplomatique implicite pour ce pays.
Il convient de remarquer que le Comité avait établi auparavant certaines preuves
attestant que des restrictions étaient parfois utilisées par la police pour faire pression sur les
personnes soupçonnées d'infractions. Cependant, il ne s’est pas risqué à constater l’existence
de "tortures psychologiques" à ce propos, à la différence des allusions faisant voir que la
détention durable en isolement pouvait se présenter, sous certaines conditions, comme
traitement inhumain ou dégradant677.
Le Comité estime que, même si les restrictions (contacts avec l'extérieur) sont
justifiées par la loi, elles peuvent avoir des conséquences fâcheuses qui peuvent être
compensées par les mesures suivantes:
– l'examen médical de l'état physique et psychique du détenu et, au besoin, la
conclusion sur les conséquences possibles de la restriction;
– des activités utiles en plus des promenades journalières678.

676
Par. 48-53, Rapport sur la visite de la Suède en 2015 (Report to the Swedish Government on
the visit to Sweden carried out by the CPT from 18 to 28 May 2015 (CPT/Inf (2016) 1).
677
Evans M.D., Morgan R., Protecting Prisoners: The Standards of the European Committee for
the Prevention of Torture in Context, New York: Oxford University Press, 1999, p. 37.
678
Evans M., Morgan R. Combating Torture in Europe: The Work and Standards of the
European Committee for the Prevention of Torture (CPT), Strasbourg: Council of Europe, 2001, p.
89–90.
268

L'analyse de toutes les normes évoquées précédemment montre que la philosophie


même de la limitation des contacts en détention provisoire doit être changée. La présomption
d'interdiction des contacts (visites, correspondance, téléphone) doit céder la place à la
présomption d'autorisation de ces contacts. Ce n'est qu'en présence de besoins impérieux de
l'enquête et sous réserve du respect du principe de proportionnalité et de justification
pertinente que l'autorité concernée doit pouvoir limiter ces contacts. Ainsi que cela ressort des
normes évoquées du CPT, chaque décision en matière de restriction doit être étayée par des
motifs justifiés lorsqu'il y a un risque élevé de conjuration ou d'autres activités illégales de la
personne prévenus, avec une fixation précise de la durée de la restriction appliquée.
Évidemment, une telle décision doit pouvoir être attaquée par les détenus, cette possibilité
devant être fixée dans la législation, de même que la nécessité pour l'enquêteur ou le service
d'enquête de prendre des décisions individuelles justifiées et motivées.
Il convient de distinguer, à notre avis, deux types de restrictions en détention
provisoire. Le premier comprend les restrictions en rapport avec l'enquête. Elles doivent être
appliquées par le service chargé de l'enquête, l'administration de l'établissement pénitentiaire
ne devant pas être compétente pour les appliquer. Le second type comprend les restrictions
tenant à la nécessité d'assurer la sécurité et l'ordre dans l'établissement. Ces restrictions
peuvent être mises en œuvre par l'administration pénitentiaire, par exemple, pour les
modalités des visites679, des fouilles, etc. Le cas échéant, l'administration doit pouvoir
appliquer les restrictions sans égard aux décisions de l'autorité d'enquête.
Pour le reste, demeure la question du rapport entre l'application de ces restrictions.
L’adminisration de l'établissement devrait-elle, par exemple, prévenir le service d'enquête sur
l'utilité de limiter les contacts avec tel individu si elle a des raisons de supposer la préparation
de tentatives pour porter atteinte à l’intégrité de l'enquête? Cette question porte sur les limites
des compétences et les missions des administrations des maisons d'arrêt, ainsi que sur leur
rôle dans la conduite de l'enquête. Or, l'acceptation même d'un tel rôle devrait être mise en
doute.

679
Les restrictions dans les modalités de visites peuvent elles aussi être rattachées au premier
type, puisque le contrôle de l'échange d'informations pourrait être utile pour l'enquête.
269

Conclusion du sous-chapitre 2.2.2.1

Les normes du CPT relatives aux restrictions des droits des détenus se basent
essentiellement sur les normes de la CEDH et ressemblent donc à ces dernières, tout en
présentant certaines particularités.

La vision la plus complète des normes du CPT a été formulée en rapport avec les
principes d'application de l’isolement individuel. Il est dit notamment que les restrictions
doivent être proportionnés, légales, justifiables (une attention particulière est prêtée à la
présentation juridique des restrictions et de son contrôle), nécessaires et non discriminatoires.
Tout comme la CEDH, le Comité se prononce contre les restrictions automatiques et non
individualisées que la loi instaure pour tous les détenus ou pour un groupe de détenus, compte
tenu de leur statut (par exemple les condamnés à perpétuité). Il observe qu'il ne convient pas
d'agir selon le principe "tout ou rien". Cela veut dire que les restrictions ne peuvent pas être
figées une fois pour toutes, mais qu’elles doivent être flexibles, et cela signifie, en outre, qu’il
doit être possible de les modifier à la lumière des circonstances données. Cela concerne tout
particulièrement la restriction du droit aux contacts avec le monde extérieur.

Les normes du Comité reflètent et défendent le principe de minimalité des restrictions.


La minimalité s'apprécie compte tenu des buts des restrictions comme la sécurité ou les
besoins de la justice (dans le cas des prévenus).

Le Comité formule, dans ses rapports, des garanties pratiques importantes contre
l'application de restrictions non justifiées. L'une de ces garanties consiste dans la fixation des
limites temporelles pour l'application des restrictions. Cela peut se traduire par l'exigence de
détermination de la durée d'application d'une restriction, aussi bien que par l'exigence de
révision systématique d'une restriction. D'autres garanties de ce type prévoient la
communication des motifs détaillés de la restriction, la détermination de la forme des
restrictions, l'identification des personnes qu'elles concernent (en cas d'interdiction des
visites), etc.

Les normes du CPT relatives aux restrictions ont connu un développement particulier
dans le domaine de la détention provisoire. Force est de constater que, malgré la présomption
d'innocence, la philosophie de la détention provisoire en usage dans nombre de pays, dont
l'Ukraine, se base sur la réduction maximale des contacts avec le monde extérieur. La cause
en réside dans l’injuste équilibre des intérêts de l'enquête et de l'individu, ce qui signifie en
fait que les intérêts sociaux et individuels s’opposent. La limitation excessive des contacts
270

dans l'intérêt de l'enquête conduit justement à la présomption de restriction des contacts.


Cependant, c'est la présomption d'exercice des droits qui devrait dominer, les restrictions
devant constituer une exception strictement nécessaire. Un exemple parlant en est fourni par
la norme du Comité relative à l'inadmissibilité des restrictions automatiques et des
autorisations de l'enquêteur (ou du juge) pour les contacts avec l'extérieur. Ces contacts
devraient être autorisés, à moins qu'il y ait une décision justifiée qui les interdise.

Le Comité utilise ainsi activement les idées de la norme de justification des droits de
l'homme de la Cour européenne, sans toutefois appliquer le test à trois composantes en tant
que tel. D'un autre côté, ses propres normes comportent des garanties spécifiques et détaillées
ainsi que des mécanismes de protection contre des restrictions non justifiées des droits. La
formulation de ces garanties devint une nécessité logique pour mettre en concordance les
normes générales des restrictions de la CEDH et les réalités pénitentiaires constatées par le
Comité. Cette expérience démontre le besoin de garanties juridiques concrètes permettant
d'éviter les restrictions non justifiées des droits.

2.2.2.2. Recommandations du Comité des ministres du Conseil de l'Europe

Les recommandations du Conseil de l'Europe relèvent du droit mou et ont le


caractère de recommandation. Elles exercent cependant une influence considérable sur les
pratiques pénitentiaires nationales, en aidant notamment à mettre en place les normes de
limitation des droits des détenus. Les Règles pénitentiaires européennes occupent une place
particulière à cet égard.

2.2.2.2.1. Règles pénitentiaires européennes

Les règles pénitentiaires européennes (RPE, Règles) se présentent comme un


document important pour la théorie de limitation des droits680. Déjà, le par. 2 des Règles

680
Човган В.О. Вимоги до правообмежень осіб, які позбавлені волі, за Європейськими
тюремними правилами і їх втілення у національному законодавстві // Право та управління. –
2012. – №2. – С. 977–988. (Chovgan V.O., Exigences relatives aux restrictions de droits des
personnes privées de liberté d'après les Règles pénitentiaires européennes et leur mise en œuvre dans
la législation nationale, Droit et gestion, 2012, n° 2, p. 977–988).
271

énonce que les individus privés de liberté conservent tous les droits dont ils n'ont pas été
légalement privés par le tribunal les ayant condamnés à une peine privative de liberté ou
placés en détention provisoire. Le Comité des ministres du Conseil de l'Europe observe, dans
son commentaire des RPE, que la règle 2 complète la règle 1, laquelle prévoit que les
personnes privées de liberté doivent être traitées dans le respect des droits de l'homme. Le
Comité estime que la règle 2 souligne aussi que les souffrances irréfutables subies par le
détenu en perdant le droit à la liberté ne doivent pas impliquer automatiquement le retrait de
ses droits politiques, civils, sociaux, économiques et culturels. Il est inévitable que les droits
des condamnés subissent des restrictions du fait de leur privation de liberté, mais ces
restrictions doivent être aussi peu nombreuses que possible. Cette règle montre quelques-unes
des mesures à prendre pour réduire les effets négatifs de la privation de liberté. Toutes
restrictions dérivant de l'incarcération doivent être prévues par la loi et n'être introduites que
lorsqu'elles sont essentielles au maintien de l'ordre et de la sécurité dans les prisons681.

La justification des restrictions des droits des détenus, contenue dans les règles 1 et 2,
trouve son prolongement logique dans la règle 3, qui comporte une disposition de base pour
l'établissement des normes de limitation des droits des détenus. Elle signifie que "les
restrictions imposées aux personnes privées de liberté doivent être réduites au strict nécessaire
et doivent être proportionnelles aux objectifs légitimes pour lesquels elles ont été imposées".
Le commentaire à la règle 3 ne comporte pas un grand nombre de détails. Il se borne à
indiquer que cette règle vise à souligner le principe de proportionnalité qui doit être respecté
dans les restrictions de ce type682.

Compte tenu de l'importance de cette règle pour notre thèse, nous avons sollicité des
commentaires de la part de l’un des auteurs des RPE, le professeur Dirk Van Zyl Smit683. Il
observe notamment que cette règle fut l'une des dernières à être intégrée aux RPE. Son
objectif était "de clarifier la Règle 2 qui permet la privation "légale" de droits, mais ne fournit
pas de repères permettant de déterminer la mesure dans laquelle cela peut être fait et pourquoi
cela doit se faire". La toute première version du commentaire des Règles comprenait une
phrase qui fut retirée par la suite: "Aucune restriction non proportionnée des droits pour
atteindre un objectif relativement insignifiant ne sera autorisée"684.

681
Commentary to recommendation Rec (2006) 2 of the Committee of Ministers to Member
states on the European Prison Rules

682
Ibid.
683
Correspondance personnelle. Nous citerons infra le message du professeur reçu le 23.08.2016.
684
Ibidem.
272

Il apparaît donc que la Règle 3 comporte deux exigences principales concernant les
dimensions de restrictions: elles doivent être minimales et proportionnelles. Or, la minimalité
est une composante de la proportionnalité, car la restriction proportionnée est une restriction
appliquée en l'absence d'une restriction alternative moins grande qui pourrait servir à atteindre
un même but. C'est dire que la proportionnalité de la restriction prévoit nécessairement sa
minimalité, car la restriction la moins grande doit être choisie pour atteindre le but visé. C'est
la raison pour laquelle nous nous intéressons surtout à la motivation de l'inclusion spéciale
dans la Règle 3 des conditions de minimalité et de proportionnalité.

D. Van Zyl Smit se souvient que, pendant l'élaboration des RPE, cette approche
pouvait avoir deux explications alternatives. Selon la première, la règle donnait lieu "à
l'association de deux idées en une seule: l'ingérence minimale dans les droits en général et le
lien spécifique de la proportionnalité et d'un objectif particulier, par exemple, tel que la
réhabilitation". La seconde explication soutenait notre supposition : puisque la perception de
la proportionnalité était assez difficile en pratique, la "nécessité minimale" pouvait servir de
notion plus compréhensible et étayant son application pratique685.

Nous considérons qu'un tel intérêt vis-à-vis du principe de proportionnalité dans les
RPE est dû à une influence importante qu'exerçait sur les auteurs de la nouvelle rédaction des
RPE les formulations tirées de la jurisprudence de la CEDH686 qui, se base sur l'exigence de
proportionnalité des restrictions en examinant les affaires sur les limitations des droits des
déténus.

Le principe lui-même constitue le "concept clef" dans l'application du droit et de la


politique pénitentiaire, car une ingérence importante et disproportionnée dans le droit, même
avec des motifs acceptables, comme par exemple, la sécurité, peut nuire au statut juridique
des détenus687. Il peut être vu comme un développement de l'idée d'Alexander Paterson selon
qui la privation de liberté est une punition suffisante et des contraintes ou restrictions
complémentaires ne devraient pas être imposées688. Cette vision reflète la théorie de l'école de

685
Une conception semblable avait lieu au Canada, où le remplacement dans la législation de
l'exigence de minimalité par celle de proportionnalité mettait en danger l'exigence pratique concrète
ainsi que le craignaient les spécialistes. Cela se confirme par le fait que ce remplacement était défendu
par l'administration pénitentiaire canadienne qui considérait le concept de minimalité trop contraignant
par rapport à la proportionnélité.
686
Eudes M., La révision des règles pénitentiaires européennes, les limites d’un droit commun
des conditions de détention, Droits fondamentaux, 2006, n° 6, p. 10.
687
Van Zyl Smit D., Snacken S., Ibid, p. 99.
688
Paterson on Prisons. The Collected Papers of Sir Alexander Paterson. Ruck S.K. (ed.). –
London: Muller, 1951., in Van Zyl Smit D., Snacken S. Ibid. – P. 99.
273

la "pénologie nouvelle" qui prône la réduction à une nécessité stricte des restrictions
accompagnant la sanction pénale689.

Notons la présence dans la Règle 3 d'un important lien syntaxique entre la nécessité
minimale et le but légitime pour lequel les restrictions sont imposées. La règle souligne que
les restrictions doivent être strictement nécessaires pour atteindre un but justifié, ce qui traduit
aussi l'approche de la CEDH, qui conçoit cette idée comme partie inaliénable dans
l'établissement d'un équilibre équitable entre les restrictions et les buts qu'elles visent.

En ce qui concerne les objectifs des restrictions, la Règle 3 insiste sur leur conformité
à "l'objectif légitime", sans que ces objectifs soient nommés directement. Il n'est pas donc
précisé ce que l'on entend par "objectif légitime". Le commentaire des RPE ne donne pas non
plus de réponse à cette question. Cependant, les objectifs considérés comme légitimes sont
contenus en partie dans les RPE relatives à des droits particuliers690.

Les repères servant à déterminer l'objectif légitime sont fournis par la jurisprudence de
la CEDH et la Convention elle-même, lesquelles définissent les buts pour lesquels des
restrictions peuvent être imposées. Ce sont donc probablement ces buts qui devraient être
considérés comme légitimes d'après les RPE. Aussi, les objectifs des restrictions des droits
figurant dans la Convention ne concernent-ils qu'une partie des droits dont bénéficient les
détenus conformément à la Convention. Pour ce qui est de l'autre partie, les objectifs les
concernant ne sont pas évoqués du tout (limitation du droit de vote au Protocole N° 1 à la
Convention) ou bien ces droits ne sont pas protégés par la Convention (droits sociaux) d'où
l'absence de précision sur les buts légitimes de leur restriction.

Le principe de minimalité est exposé, à titre complémentaire, dans la norme générale


relative à l'application des mesures liées à la sécurité. Elle prévoit, par ailleurs, des buts
légitimes des restrictions. C'est ainsi que les restrictions doivent être strictement nécessaires
pour assurer la sécurité de la détention (règle 51.1)691. Les commentateurs de cette règle
observent692 qu'il y a trois raisons principales pour lesquelles les mesures de sécurité
applicables aux détenus doivent être minimales:

689
Gontard P.-R., L’utilisation européenne des prisons ouvertes : l’exemple de la France,
Thèse de doctorat, Avignon, Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse, 2013, p. 441.
690
Voir ci-bas.
691
Les règles 53.1 – 53.7 complètent cette règle en faisant voir que les mesures particulière de
haute sécurité ne doivent être appliquées que dans des cas exceptionnels et pendant une période aussi
courte que possible.
692
Commentary to recommendation Rec (2006) 2 of the Committee of Ministers to Member
states on the European Prison Rules.
274

- Le personnel préfère plutôt décider sans autres difficultés qui, parmi les détenus,
nécessite un niveau de sécurité élevé lorsque le nombre de mesures de sécurité est limité;

- Moins élevé est le niveau de sécurité et plus forte est la probabilité d'un traitement
plus humain;

- La sécurité est coûteuse et plus élevé est son niveau, plus haut en sera le prix. Il
existe des motifs financiers pour ne pas appliquer aux détenus un niveau de sécurité plus
élevé qu'il ne faut.

Il apparaît que la Règle 51.1 marque avant tout la nécessité d'avoir un niveau
minimum de sécurité dans l'établissement de détention. Cette règle concerne toutefois les
mesures de sécurité particulières. La mise en œuvre des mesures de sécurité, tant sous forme
de fixation du niveau de sécurité que sous forme de mesures individuelles, correspond
toujours à la restriction de certains droits. Il sera donc logique de conclure que les restrictions
des droits par l'application des mesures de sécurité (aussi bien mesures individuelles que
mesures d'ensemble du point de vue de la définition du niveau de sécurité) doivent être elles
aussi réduites au minimum. Cette même logique peut concerner les restrictions complexes
applicables à titre de sanctions disciplinaires puisque celles-ci doivent être appliquées
exceptionnellement et être proportionnées (règles 56.1, 60.2).

Les trois premières règles évoquées revêtent une importance particulière pour la
politique pénitentiaire européenne693 et trouvent, pour cette raison, leur juste place dans le
chapitre "Principes fondamentaux" des RPE. Soulignons que la politique pénitentiaire
européenne concerne non seulement les autorités appliquant le droit, mais aussi le législateur,
dès lors que les restrictions sont imposées, non seulement par les premières, mais aussi par les
organes législatifs, ce, au moyen de l'adoption des textes normatifs. À partir de notre
classification des restrictions, on est en droit de considérer que la Règle 3 des RPE porte tant
sur les restrictions en application de la loi que sur les restrictions normatives.

La Règle 5 (également principe fondamental) dispose que la vie en prison doit être
autant que possible rapprochée des aspects positifs de la vie en société694. Elle rappelle le par.
5.1 des Règles Mandela (l'ancien par. 60.1 des RMT), qui prévoit le rapprochement maximal
des conditions de vie en liberté et en prison.

693
Van Zyl Smit D., Snacken S., Ibid, p. 99.
694
Ce principe trouve un prolongement dans la règle 26.7 qui dispose que l'organisation et les
méthodes de travail dans les prisons doivent se rapprocher autant que possible de celles qui régissent
le travail analogue en société libre.
275

Le Comité des ministres observe que cette règle insiste sur les aspects positifs de la
normalisation. Il est évident que la vie en prison ne pourra jamais être la même que la vie
dans le monde libre. Toutefois, des tentatives doivent être faites de manière à rapprocher les
conditions de détention en prison autant que possible des conditions de la vie normale et à
veiller à ce que cette normalisation ne se traduise pas par des conditions inhumaines
d'emprisonnement695. Bien plus, aux termes de la Règle 5, la vie en prison doit justement se
rapprocher le plus possible des aspects positifs de la vie en société. C'est pourquoi l'idée
retenue dans la Règle 5 est nommée principe de normalisation ou "principe de normalité"696.

Un rapport direct existe entre le principe de normalisation et les questions de


l'imposition des restrictions697. Si la vie en prison doit s'aligner le plus possible sur les aspects
positifs de la vie en liberté, le rôle clé appartient donc aux restrictions, car c'est par leur
intermédiaire que se manifeste le sens de la peine. La normalisation nécessite, en
conséquence, que les restrictions des droits des détenus soient rapprochées au maximum des
limitations des droits des citoyens libres. Cela concerne aussi bien les motifs d'application des
restrictions que l'ampleur de celles-ci.

En revenant au principe de minimalité, dont sont empreintes les RPE, nous constatons
que le problème le plus important pour la législation et l'application du droit consiste à
déterminer ce qu’est la restriction minimale des droits.

Cependant, la non-conformité de certaines normes de la législation nationale au


principe de minimalité est évidente. Il y a des cas où l'on fait usage de la méthode logique "du
contraire", car les restrictions minimales ne sont pas maximales et vice versa. A titre
d’illustration, l’article 134 du Code d'exécution des peines ukrainien dispose en son 11e alinéa
que les condamnés placés en cellule disciplinaire ou en quartier discilinaire se voient interdire
les visites, l'achat d'aliments et d'objets de première nécessité et les colis. Ces restrictions sont
maximales et sont donc contraire aux RPE.

695
Commentary to recommendation Rec (2006) 2 of the Committee of Ministers to Member
states on the European Prison Rules.

696
Making Standards Work: An International Handbook on Good Prison Practice. 2nd ed.,
London, Penal Reform International, 2001, p. 21.
697
Voir plus détails au 3.1.3.3 "Doctrine de rapprochement avec le droit commun". Le CPT
observe d'ailleurs que le principe de normalisation prévoit que les détenus ne doivent être soumis
qu'aux restrictions nécessaires pour assurer la sécurité et la gestion normale de la détention (par. 74,
25e rapport général d'activités du CPT couvrant la période du 1er janvier au 31 décembre 2015
(CPT/Inf (2016) 10)).
276

Ajoutons aussi que la limitation totale des contacts avec l'extérieur est en contradiction
directe avec les normes du CPT et la Règle 24.2 des RPE, selon lesquelles la communication
et les visites peuvent être limitées ou soumis au contrôle, si cela est nécessaire pour l'enquête,
le maintien de l'ordre et de la sécurité, la prévention de crimes et la protection des victimes
d'infractions, mais ces restrictions, y compris les restrictions spéciales imposées par le
tribunal, doivent permettre un niveau minimum de communication.

Cette règle mentionne les buts des restrictions concernées, qui visent en fait à assurer
la sécurité de l'individu et aider l'enquête sur les délits commis (dans le cas des prévenus).
Toutefois, s'agissant de la sécurité des personnes soumises à des sanctions disciplinaires
impliquant leur placement en cellule disciplinaire ou en quartier disciplinaire, cette norme
n'est pas non plus respectée au regard de la dérogation relative au niveau minimum de
communication.

Il serait aussi utile de rappeler la Règle 24.1 des RPE, qui recommande d'autoriser les
détenus à communiquer le plus souvent possible par lettre, par téléphone ou par d'autres
moyens, ce, avec leurs familles, des tiers et des représentants d'organismes extérieurs. Cette
exigence vise l'application du même principe de minimalité qui est retenu dans la Règle 3 des
RPE, puisqu'elle prévoit l'orientation à la réduction maximale des restrictions. Ainsi que
l'observe, dans son Commentaire, le Comité des ministres, de telles exigences vis-à-vis des
restrictions sont formulées à l'article 8.2 de la Convention, qui dispose que l'ingérence dans le
droit qui y est énoncé (restriction du droit à la vie privée) doit être réduite au minimum. A la
lumière de cette règle, nous constatons le caractère injustifié des normes prévues à l'article 95,
3e al., du Code d'exécution des peines qui interdisent les visites au cours des quatorze
premiers jours de séjour dans l'établissement pénitentiaire (sauf les visites de l'avocat).

La Règle 24.2 des RPE signifie que les contacts et les visites peuvent être limités ou
mis sous surveillance, si cela est nécessaire à la poursuite de l'enquête, au maintien de l'ordre
et de la sécurité, à la prévention d'infractions pénales et à la protection des victimes, sous
réserve que ces restrictions, y compris celles imposées par le juge, doivent permettre un
niveau minimum de contacts. Cette règle est importante compte tenu de ce qui suit.

Premièrement, elle fixe des objectifs possibles à la limitation des contacts avec
l'extérieur, à savoir: la poursuite de l'enquête ; le maintien de l'ordre et de la sécurité ; la
prévention d'infractions pénales ; et la protection des victimes. Même en présence de ces
objectifs, une décision de l'administration pénitentiaire est nécessaire, ce qui se trouve souvent
277

au-delà des connaissances que celle-ci est tenue d'avoir pour remplir ses missions698. Le
Comité des ministres estime qu'une bonne politique consisterait à demander des décisions aux
tribunaux avant d'imposer des restrictions sur la base des motifs évoqués 699. D'autre part, en
justifiant la restriction, il faut montrer que le préjudice potentiel résultant de la non-
application de celle-ci serait bien réel, d’où la conclusion que, par exemple, le contrôle des
lettres pendant une période indéterminée est inacceptable700.

Deuxièmement, la règle déclare que dans tous les cas, les restrictions du droit aux
visites doivent admettre un niveau minimum acceptable de contacts. Cela signifie, en réalité,
que l'interdiction totale des contacts des détenus avec le monde extérieur est inadmissible. Le
Comité des ministres estime que lorsque les visites menacent la sécurité de l'établissement,
elles devraient être soumises à un contrôle proportionné, mais non point être interdites.

Les règles comportent nombre de clauses limitatives dans les dispositions consacrant
des droits. Notamment, le droit à l'information au moyen des mass media doit être assuré, sauf
lorsqu’il est justifié d’imposer des restrictions pour une période déterminée. De telles
restrictions ne peuvent être décidées que par le tribunal dans les cas individuels (règle 24.10).
Les buts de ces restrictions ne sont pas fixés, mais ils doivent répondre, dans tous les cas, aux
buts retenus à l'article 10 de la Convention. D’autre part, les détenus doivent pouvoir
communiquer avec les médias, sauf dans les cas où l'interdiction vise le maintien de l'ordre et
de la sécurité, les intérêts de la société ou la protection des victimes, des autres détenus ou du
personnel (règle 24.12). Par ailleurs, ces buts répondent, mais ne reproduisent pas
littéralement les objectifs que peuvent viser les limitations du droit à la liberté d'expression
d'après l'article 10 de la Convention701. D'autres normes, qui déterminent les buts de la
restriction des droits dans les RPE, révèlent aussi une reproduction partielle des buts de
restrictions admissibles d'après la Convention, en indiquant que leur adaptation au contexte
pénitentiaire constitue un trait spécifique des RPE.

S'agissant du droit de participer aux éléctions et aux référendums, il est indiqué que les
autorités pénitentiaires doivent veiller à ce que les détenus puissent participer aux élections,
aux référendums et aux autres aspects de la vie publique, à moins que l’exercice de ce droit

698
Commentary to recommendation Rec (2006) 2 of the Committee of Ministers to Member
states on the European Prison Rules.
699
Ibid.
700
Ibid.
701
C'est-à-dire "dans l'intérêt de la sécurité nationale, de l'intégrité territoriale ou de la sureté
publique, de la défense de l’ordre et à la prévention du crime, de la protection de la santé ou de la
morale, de la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation
d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire".
278

par les intéressés ne soit limité en vertu du droit interne (règle 24.11). L’interprétation de cette
règle pourrait être assez surprenante. En effet, elle prévoit que les détenus ont le droit sauf
s’ils...ne l’ont pas. La valeur d’une telle règle est incertaine. De plus, l'établissement d'une
seule exigence pour justifier les restrictions des droits électoraux, à savoir la préconisation par
la loi, constitue un inconvénient majeur de cette règle. L’on peut penser que d'autres
exigences de justification des restrictions, telles le caractère ciblé et la proportionnalité, ne
seraient pas obligatoires, ce qui est une erreur702. Il est vrai que la Règle 3 des RPE, qui est
considérée comme une règle générale, soit une règle-principe, établit la nécessité de
poursuivre un "objectif légitime" par toutes restrictions des droits, y compris celles des droits
électoraux.

Les mesures de sécurité individuellement appliquées aux détenus doivent correspondre


à un minimum nécessaire pour assurer la sécurité de leur détention (règle 51.1). Sans formuler
directement de nouvelles exigences, cette règle ne fait que souligner le principe de minimalité
des restrictions des droits sur lequel se fondent les RPE.

Les interprétations des RPE montrent qu'il n'est pas permis de limiter le droits des
détenus à l'assistance médicale. La règle 40.5 indique que tous les soins médicaux,
chirurgicaux et psychiatriques nécessaires, y compris ceux disponibles en milieu libre, doivent
être accordés aux détenus. Les détenus doivent avoir accès aux soins médicaux disponibles
dans le pays, ce, sans discrimination liée à leur statut juridique (règle 40.3). Ces règles font
écho au 3e Rapport général du CPT. Cependant, une telle approche des restrictions exige-t-elle
non seulement l'accès aux mêmes soins qu'en milieu libre dans le cadre de l'établissement,
mais encore le droit d'être hospitalisé dans un établissement médical civil, selon le souhait de
l'intéressé ? La réponse apportée par la Cour à cette question est négative703 ; ce qui atteste de
la restriction immanente des droits médicaux.

L'exigence de la proportionnalité et de la minimalité des restrictions se retrouve aussi


dans la règle 64, qui détermine les exigences vis-à-vis de l'emploi de la force à l’encontre des
détenus et qui dispose que celui-ci doit correspondre au minimum nécessaire et ne durer que

702
Hirst c. Royaume-Uni (nº 2) (GC) (nº 74025/01, 06.10.2005).
703
Dans son arrêt Kudla contre Pologne, la Cour observe que l'article 3 de la Convention ne
peut pas s'interpréter en tant qu’imposant le devoir général des autorités d'hospitaliser le détenu dans
un hôpital civil pour bénéficier des soins voulus (Kudla c. Pologne (GC) §93 (nº 30210/96,
26.10.2000). Рar ailleurs, la CEDH reconnaît le droit du détenu au même niveau et à la même méthode
des soins qu'en milieu libre dans le cadre de l'établissement pénitentiaire. C'est ainsi que, dans un de
ses arrêts récents, la Cour statuait que le fait de ne pas accorder à l'individu narcodépendant une
thérapie opioïde de substutition dérogeant à l'article 3 de la Convention (Wenner c. Allemagne (nº
62303/13, 01.09.2016).
279

pendant une période aussi courte que possible. La règle 68.3. énonce que les moyens de
contrainte ne doivent pas être appliqués plus longtemps qu'il est strictement nécessaire.
Les RPE comportent nombre de règles fixant les droits essentiels des détenus.
Néanmoins, à la différence de la pratique qui est souvent utilisée dans les lois nationales
analysées dans cette thèse sur l'exécution des peines, ces droits ne s'accompagnent
généralement pas de clauses relatives aux motifs et aux modalités d'application des
restrictions de ces droits. Cela ne veut pas dire que de telles restrictions ne pourraient pas être
appliquées d'après la Convention, par exemple, lorsqu'il s’agit de la liberté d'expression, de
conscience et de confession (sauf la communication avec les médias, dont la limitation était
évoquée ci-dessus), le droit à l'instruction, aux loisirs, à la propriété, au travail. Quant aux
normes relatives aux fouilles, elles indiquent directement la nécessité de mettre en équilibre,
d’une part, le devoir de l'administration de protéger la sécurité et, d’autre part, l'intimité de la
personne.Cependant, cette exigence de juste équilibre n'est mentionnée que pour les fouilles
des visiteurs (règle 54.9). Les règles de fouille des détenus ne comportent pas non plus de
mentions relatives au motif et au but de la restriction du droit à l'intimité.

Certes, la Règle 3 contient un principe général, qui détermine l'application des


restrictions de tous les droits sans exception retenue dans les RPE. Elle ne prend toutefois pas
en compte la nature spécifique des restrictions de chaque droit particulier, celle-ci déterminant
le caractère spécifique de la réalisation de la restriction donnée. Les imperfections des RPE
touchant les restrictions des droits des détenus, y compris la concrétisation insuffisante des
garanties pratiques de leur justification peuvent être compensées par les normes des
restrictions contenues dans la jurisprudence de la CEDH et dans les recommandations du
CPT. Il semble donc que les auteurs des RPE ont manqué l'occasion de préciser et de
développer davantage ces normes compte tenu du contexte pénitentiaire.

2.2.2.2.2. Normes des limitations des droits des détenus dans les autres recommandations
du Comité des ministres du Conseil de l'Europe

Les principes et les prescriptions des RPE, qui concernent les limitations des droits des
détenus, rejoignent de manière importante les dispositions d'autres recommandations du
Conseil de l'Europe. Outre son effet synergique, cela nous apporte la confirmation du
caractère polyvalent de certaines normes de restrictions émanant de cette organisation.
280

Déjà en 1962, la Recommandation sous le titre "Droits électoraux, civils et sociaux du


détenu"704 posait une base solide pour les normes de limitation des droits des détenus. Bien
avant le progrès visible de la Cour européenne dans l'évaluation critique du principe des
restrictions inhérentes à l'emprisonnement, cette recommandation entérinait le principe qui
rejetait cette doctrine sans ambiguïté. C'est ainsi que le par. 3 explique le contenu de ce
principe: le seul fait de l'incarcération n'enlève pas au détenu ses droits électoraux, civils et
sociaux, leur exercice pouvant, cependant, être limité lorsqu'il est incompatible avec les buts
de la privation de liberté ou avec le maintien de l'ordre et de la sécurité dans l'établissement
pénitentiaire.

Malgré l'instauration d'un principe de limitation des droits assez progressiste pour son
temps, il fut relativement nivelé pour certaines catégories de droits. Le par. 8 de la
Recommandation disposait, par exemple, que l'administration pénitentiaire pouvait interdire
au détenu d'exercer ses droits civils: a) lorsque cet exercice est incompatible avec les buts de
la détention ou du traitement pénitentiaire; (b) lorsque, dans le cas d'un détenu, cet exercice
peut être différé sans péril jusqu'à sa mise en liberté sans nuire à ses intérêts. Ce dernier motif,
contrairement au principe déclaré au par. 4. de la Recommandation, légitimait indirectement
la limitation des droits en raison de l'emprisonnement.

En ce qui concerne les droits sociaux, un chapitre spécial citait certaines normes
relatives à leurs restrictions. Le détenu ne devait pas perdre le droit aux prestations de sécurité
sociale du fait de son emprisonnement, du moment qu'il en bénéficiait avant son incarcération
(par. 9). Le droit à la sécurité sociale devait être maintenu autant que possible, et l'État devait
prendre les mesures nécessaires dans ce sens (par. 10).

Le contenu de la Recommandation montre qu'une attention particulière est attachée à


la question d’exercice d'un droit plutôt qu'à celle de sa possession. La Recommandation
contenait même des dispositions permettant l'exercice des droits du détenu en son nom par
l'intermédiaire d'un représentant et elle précisait la question de la participation personnelle au
procès portant sur la défense des droits concernés (par. 7, 12-17).

Une attention notable était prêtée aux possibilités de restreindre l'exercice des droits.
Cela ne signifie toutefois pas qu'il s'agissait de mettre l'accent sur la nécessité des limitations.
Au contraire, le but visé portait sur la garantie de la protection des droits contre des

704
Résolution (62) 2 (adoptée par les Délégués des Ministres le Ier février 1962) Droits
électoraux, civils et sociaux du détenu – Recommandation No. 195.
281

restrictions superflues, bien que les normes de l'époque ne permissent pas d'imposer des
normes analogues à celles d'aujourd'hui.

En 1982 déjà, la Recommandation relative à la détention et au traitement des détenus


dangereux (Rec. R (82) 17) faisait noter l'attachement au principe de minimalité des
restrictions imposées aux détenus705. Le par. 2 disposait, notamment, que les mesures de
sécurité devaient être appliquées uniquement dans les limites où elles s'imposaient. La
Recommandation insistait, par ailleurs, sur l'approche individuelle des restrictions, étant
donné que les mesures de sécurité devaient prendre en compte divers types de dangerosité
(par. 4). Il était recommandé également que la nécessité des mesures de sécurité fût révisée de
manière régulière afin que la durée de détention de sécurité n'excède pas les besoins (par. 8).

Le paragraphe 5 de la Recommandation comporte, par ailleurs, une disposition qui


invite à alléger autant que possible les effets négatifs de la sécurité renforcée. C'est-à-dire que
sont acceptées, d'une part, les restrictions préjudiciables aux droits de l'homme, alors que,
d’autre part, on insiste aussi sur la nécessité d'atténuer ces effets. C'est ainsi que, dans l'une
des recommandations anciennes relative aux détenus étrangers, (No. R (84) 12) 1984), il était
énoncé que pour adoucir le sentiment d'incarcération chez les détenus étrangers il y aurait
intérêt à faciliter leur communication avec les personnes de la même nationalité, langue,
religion ou culture, par exemple, en les autorisant à passer ensemble leur temps libre. De
même, la règle 24.2 des RPE admet les restrictions des contacts avec le monde extérieur tout
en acceptant un niveau minimal de contacts.

L'exigence de la minimalité de l'effet répressif est visible dans d'autres textes relatifs
au traitement des délinquants dangereux. C'est ainsi que la Recommandation la plus récente
relative aux délinquants dangereux (Rec. (2014)3) dispose que les mesures restrictives ne
devraient pas disproportionnées par rapport au niveau du risque. Il convient d'appliquer la
mesure la moins restrictive possible de nature à protéger la société et à réduire le risque (par.
4). L'évaluation des risques devrait servir à établir l'interprétation la moins restrictive de la
mesure ou de la sanction (par. 29). Le commentaire à cette Recommandation observe que ces

705
Ce principe ne concerne pas que les mesures liées à la privation de liberté. L'application des
sanctions n'impliquant pas la privation de liberté doit également suivre ce principe. La règle 21 de la
Recommandation No. R (92) 16 (relative aux règles européennes concernant les mesures non liées à la
privation de liberté) dispose que les droits de la personne soumise aux sanctions appropriées ne
doivent pas être limités plus qu'il n'en découle nécessairement de la décision les imposant. Cette
Recommandation déterminait d'ailleurs des normes plus concrètes relatives à la limitation de certains
droits. Les droits sociaux, par exemple, ne doivent pas être limités du fait de l'application de sanctions
n'impliquant pas la privation de liberté (règle 28).
282

normes sont commandées par les exigences de la proportionnalité formulées dans la


jurisprudence de la CEDH706.

Comme nous le voyons, la nécessité de prendre en compte les circonstances


individuelles dans chaque cas concret de restrictions est assez souvent soulignée dans diverses
recommandations thématiques du Comité des ministres et dans les normes du CPT et de la
CEDH. Citons en complément la Recommandation Rec(2012)12 relative aux détenus
étrangers qui signifie qu'à moins de considérations de sécurité spécifiques, les détenus
étrangers doivent être autorisés, dans des cas particuliers, à communiquer dans leur langue
natale pendant leurs contacts avec la famille (par. 22.2).

Le principe de minimalité retenu dans les principes fondamentaux des RPE est évoqué
spécialement, non seulement à l'égard des délinquants dangereux, mais aussi à l'égard d'autres
catégories spécifiques des déténus. C'est ainsi que la Recommandation Rec. (2008)11 Sur les
Règles européennes pour les délinquants mineurs faisant l'objet de sanctions ou de mesures,
dispose en son par. 53.2 que les institutions pour mineurs doivent disposer des équipements de
sécurité et de contrôle les moins restrictifs possibles, nécessaires pour empêcher les mineurs
de se nuire à eux-mêmes ou de faire du tort au personnel ou aux autres707.

Le principe de minimalité des restrictions consistant dans l'emploi de mesures de


contrainte (dont les mesures de contrainte physique) est particulièrement accentué. Il est
souligné aussi que de telles mesures doivent être appliquées pendant une durée la plus courte
possible, être les moins intenses possibles et n'être employées que dans des cas exceptionnel,
lorsque d'autres mesures s'avèrent être inefficaces (chapitre E.13.3 des Règles européennes
relatives aux délinquants mineurs).

Le principe selon lequel la détention dans des conditions violant les droits de l'homme
ne peut pas se justifier par le manque de ressources (Règle 4 des RPE), non seulement,
concerne les violations des droits, mais encore, peut aussi toucher les limitations des droits.
Cette vision est confirmée par le fait que, conformément à la Recommandation Rec (2008)11

706
Commentary to Recommendation CM/Rec(2014)3, disponible sur:
https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=CM(2014)14&Language=lanEnglish&Ver=add1&Site=CM&B
ackColorInternet=C3C3C3&BackColorIntranet=EDB021&BackColorLogged=F5D383 (accedé le
10.11.2015).
707
D'après le Commentaire à cette règle, elle reflète le principe de minimalité des restrictions des
droits qui est lié au principe de proportionnalité inclut dans nombre nomvre de Constitutions
nationales (Commentary to the European Rules for juvenile offenders subject to sanctions or measures
// http://www.coe.int/t/dghl/standardsetting/prisons/Commentary_Rec_2008_11E.pdf (accedé le
10.11.2015).
283

relative aux mineurs évoquée ci-dessus, le manque de ressources ne saurait jamais justifier les
atteintes (restrictions) N.D.L.A.) aux droits des mineurs (par. 19)708.

Tout comme pour les mineurs, un accent particulier est mis sur les normes de
limitation des droits des personnes placées en détention provisoire, ce qui s'explique par leur
statut à la lumière de la présomption d'innocence. La Recommandation Rec. (2006)13
concernant la détention provisoire, les conditions dans lesquelles elle est exécutée et la mise
en place de garanties contre des abus709 mentionne le principe selon lequel « les personnes
placées en détention provisoire doivent être soumises aux conditions appropriées liées à leur
statut juridique ; cela suppose l’absence de restrictions autres que celles nécessaires pour
l’administration de la justice, la sécurité de l’institution, la sûreté des détenus et du personnel
et la protection des droits d’autrui ... » (par. 5). La formulation de la Recommandation est
dans le cas cité, particulièrement rigoureuse: il ne peut y avoir aucune autre restriction que
celles qui sont nécessaires aux objectifs légitimes mentionnés. Il convient d'insister qu'à la
différence d'autres normes semblables dans les autres recommandations du Comité des
ministres, ces objectifs légitimes comportent la garantie des droits d'autrui. C'est-à-dire que
l'on prévoit ainsi, non seulement un processus assez difficile de mise en équilibre des intérêts
institutionnels et des intérêts individuels, mais aussi celle des intérêts individuels d'une
personne avec ceux d'autrui.

Conclusion du sous-chapitre 2.2.2.2

Les Règles pénitentiaires européennes représentent la recommandation principale du


Conseil de l'Europe fixant les normes des droits des détenus, y compris les normes de ses
restrictions.

Ce document expose, entre autres, un principe essentiel selon lequel les détenus
continuent, en règle générale, de bénéficier de tous les droits dont jouissent les citoyens libres
sous réserve d’exceptions légales nécessaires (Règle 2) 2); le principe de minimalité et du
caractère bien déterminé des restrictions (Règle 3), qui incarne en fait le principe de

708
Les auteurs relient cette règle à la Règle 4 des RPE (cf. Commentary to the European Rules
for juvenile offenders subject to sanctions or measures. – Ibid.), bien que ces dispositions ne soient pas
identiques.
709
Recommandation Rec (2006)13 du Comité des Ministres concernant la détention provisoire,
les conditions dans lesquelles elle est exécutée et la mise en place de garanties contre les abus, 27
septembre 2006.
284

proportionnalité; et le principe de normalité, qui exige de rapprocher la vie en prison des


aspects positifs de la vie en société (Règle 5) et prévoit ainsi le rapprochement du niveau de
restrictions en prison et en liberté. Le principe de minimalité a été introduit sous l'influence de
la jurisprudence de la CEDH. Le fait de le placer parmi les normes principales distingue les
RPE des autres normes internationales. De plus, dans la mesure où la compréhension du
principe de proportionnalité aurait été assez difficile en pratique, les RPE s’appuient sur le
concept de "nécessité minimale" en tant que notion plus compréhensible de son application
pratique.

Les RPE soulignent également que les restrictions relatives à la sécurité doivent être
minimales. Cette accentuation renforce la signification du principe de minimalité, car ce sont
les considérations de sécurité qui servent souvent à justifier les ingérences excessives dans les
droits.

Les Règles comportent, par ailleurs, nombre de clauses limitatives dans les
dispositions fixant certains droits, tout en présentant des divergences avec les stipulations de
la Convention européenne, même lorsqu'il s'agit des mêmes droits. Ces divergences ne
contribuent pas à la cohérence des normes de restrictions dans la politique pénitentiaire
européenne. Nous pouvons supposer que les auteurs se proposaient de préciser les normes de
limitations de la Convention applicables au domaine pénitentiaire. Toutefois, au lieu de
préciser et de développer les clauses limitatives de la Convention, en prenant en compte les
recommandations du CPT, certains de ses aspects importants ont été mal formulés, voire ne
l’ont pas été du tout. De la même manière, l’occasion a été manquée de systématiser les
garanties pratiques de la justification des restrictions.

D'autres recommandations du Conseil de l'Europe concernant certains droits des


détenus mentionnent par endroits les limitations des droits. Dès 1962, la Recommandation
Rec. (62)2 relative aux "Droits électoraux, civils et sociaux" observait que le seul fait de
l'incarcération n'enlève pas au détenu ses droits électoraux, civils et sociaux, leur exercice
pouvant, cependant, être limité lorsqu'il est incompatible avec les buts de la privation de
liberté ou avec le maintien de l'ordre et de la sécurité dans l'établissement pénitentiaire. D'un
autre côté, cette Recommandations contenait des motifs très larges permettant des restrictions
considérables.

La Recommandation de 1982 sur la détention et le traitement des délinquants


dangereux (Rec. R(82)17) comporte des dispositions incitant à individualiser et aussi à
réduire au minimum les restrictions relatives à la sécurité (y compris en réduisant au
285

minimum la durée de la restriction). L'exigence des mesures répressives minimales, même à


l'égard des personnes ayant commis les crimes les plus graves, est également inscrite dans la
nouvelle Recommandation sur le traitement des délinquants dangereux (Rec. (2014)3). Le
principe de minimalité et de l'individualisation des restrictions est inclus dans d'autres
recommandations récentes concernant des groupes de détenus tels que les mineurs ou les
étrangers (Rec. (2012)12, Rec. (2008)11, Rec. (2006)13).
286

Conclusion (Partie ІІ)

Les dispositions relatives aux limitations des droits des détenus font autant partie des
normes internationales générales en matière de droits de l'homme que de normes spéciales
contenues dans les documents internationaux portant sur les droits des détenus. Certaines
d'entre elles comportent des clauses limitatives générales et/ou spéciales, alors que d'autres ne
comprennent que des normes particulières entérinant indirectement les normes des restrictions
justifiées.

Toutes les normes analysées s'en tiennent au principe reconnu selon lequel les détenus
doivent pouvoir jouir au maximum des mêmes droits que les citoyens libres. Les exceptions à
cette règle doivent être réduites au minimum, les restrictions elles-mêmes devant être
strictement nécessaires.

Une autre idée universellement reconnue réside dans la doctrine des "restrictions
inhérentes", qui suppose que les détenus continuent de bénéficier des droits dont la restriction
ne "découle pas nécessairement" de l'emprisonnement. Nous la critiquons néanmoins pour son
incapacité à constituer une garantie complémentaire de la non-application des restrictions non
justifiées, voire à susciter le contraire.

Les normes générales des restrictions formulées dans les documents de l'ONU (pour
l'essentiel dans la Déclaration et le Pacte relatif aux droits civils et politiques) concernent
entièrement les droits des détenus. Or, elles sont concrétisées dans le droit mou: les Règles
minimales des Nations Unies pour le traitement des détenus et d'autres textes onusiens. Le
droit mou développe les dispositions générales citées, tout en insistant sur la minimisation des
restrictions des droits des détenus.

La contribution principale au développement de la théorie et des pratiques de restriction


des droits des détenus appartient au Conseil de l'Europe. La Cour européenne s’est au départ
servi de la théorie des restrictions inhérentes à l'incarcération, qui permettait de priver les
droits des détenus de la protection conventionnelle. Par la suite, la Cour a accepté
intégralement le test à trois composante,s pour évaluer le bien-fondé des limitations des droits
des détenus. Toutefois, la doctrine des restrictions inhérentes continue toujours d'exercer une
influence sur la jurisprudence de la Cour, notamment dans le contexte des souffrances
287

inévitables liées à l'incarcération faisant l'objet d’affaires portant sur la violation de l'article 3
de la Convention.

Tout comme dans les autres domaines de la jurisprudence de la Cour, la norme de


proportionnalité est devenu la norme clé dans le domaine pénitentiaire. Néanmoins, notre
analyse de la jurisprudence révèle des traits spécifiques d'utilisation dudit test dans le contexte
pénitentiaire. Dans l'ensemble, ces traits démontrent que la Cour est mieux disposée à faire
des concessions en matière d’atteintes aux droits des détenus. De plus, le caractère spécifique
du cadre pénitentiaire mène à des situations où les normes de restriction des droits dépendent
des buts de la peine et de l'incarcération, tels qu’énoncés dans la législation nationale. Nos
conclusions confirment le fait que, malgré les efforts de la CEDH pour maintenir son
approche générale vis-à-vis des limitations des droits de l'homme dans le domaine
pénitentiaire, il est possible d’observer une adaptation de celle-ci compte tenu des spécificités
de ce domaine.

S'agissant du droit mou du Conseil de l'Europe, il s'appuie largement sur la jurisprudence


de la CEDH. Les normes du CPT, pour leur part, présentent néanmoins une vision quelque
peu différente de la norme des restrictions, le CPT lui-même n'appliquant pas le test à trois
composantes de la Cour. Par ailleurs, le Comité a développé nombre de garanties pratiques
qui contribuent à la mise en œuvre de la norme de la Cour dans les réalités carcérales. Citons,
en particulier, l’exigence d’établissement de la durée exacte d'application des restrictions, des
personnes qu'elles concernent, de prise de décisions individuelles pour l'application des
restrictions, et l’exigence de motivation de celles-ci, etc.

Aussi bien les normes du CPT que les recommandations du Comité des ministres du
Conseil de l'Europe sont imprégnées de l'idée selon laquelle les restrictions doivent être
minimales. Elles doivent être aussi individualisées, ce qui réprimerait la tendance négative à
appliquer l'approche "tous dans le même panier", soit le fait d’imposer les mêmes restrictions
à tous les détenus ou à un groupe d'entre eux. Les principes de minimalité et
d'individualisation reflètent le principe plus général de proportionnalité. Le principe de
minimalité est déterminé dans la Règle 3 des RPE et il est aussi exprimé dans d'autres
dispositions concernant certains droits. Le principe d'individualisation est reflété dans
beaucoup de dispositions des RPE et d'autres recommandations du Conseil de l'Europe.

Notre analyse montre une certaine incohérence entre la jurisprudence de la CEDH et le


droit mou du Conseil de l'Europe en matière de norme de restriction des droits des détenus.
Cette incohérence se manifeste principalement dans une vision un peu différente de la
288

proportionnalité et des buts légitimes des restrictions. Néanmoins, les deux types de normes
s'accordent en ce qu'il est nécessaire de réduire au minimum l'action punitive de l'État par la
minimisation des restrictions.

À la différence des normes de l'ONU, celles du Conseil de l'Europe ne prêtent pas une
attention particulière à la doctrine des restrictions inhérentes à l'incarcération. Par contre, ces
normes insistent beaucoup plus sur les principes de minimalité (en tant qu’aspect majeur de la
proportionnalité) et d'individualisation. Il est, de plus, particulièrement important que ces
principes soient reflétés dans des normes concrètes à orientation pratique, qui sont
développées au cours de l'application des normes du Conseil de l'Europe par la Cour
européenne et le CPT.

Les exigences portant sur l'individualisation et la minimisation des restrictions, sur le


rapprochement maximum du statut juridique des détenus et des citoyens libres et sur la
limitation de l'action répressive de l'État visant à limiter les droits, sont devenus en fait des
impératifs déterminant le contenu et l'orientation des normes pénitentiaires internationales. Il
n’en demeure pas moins qu’il reste, dans ces normes, peu de repères pour comprendre dans
quelles mesure les restrictions peuvent/doivent être minimalisées. À notre avis, c’est l’aspect
de sécurité qui va jouer le rôle principal dans l’avenir de la proportionnalité au sein du
contexte pénitentiaire, alors que les données empiriques et études comparatives sont
insuffisantes pour faciliter l’application des normes internationales à cet égard.
289

Partie ІІІ : Limitations des droits des détenus: expérience


par pays
3. 1. France
3.1.1. Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789

La France a une histoire du droit particulière qui a touché la question de la limitation


des droits des citoyens. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, fondée
sur les idées philosophiques progressistes de l'époque, servit d'exemple et de promotion de la
conception des restrictions des droits à travers le monde entier. Cependant, en pratique, son
influence ne s’observe pas, étant donné qu’elle n’est pas en général appliquée par les
tribunaux. La raison en est le statut peu clair de la Déclaration, qui est attachée à la
Constitution d’une manière juridiquement imprécise. Par conséquent, les juristes français ne
l’utilisent en général pas en tant qu’instrument juridique efficace et préfèrent se référer aux
règles juridiques. Néanmoins, la Déclaration reste un « instrument philosophique » quant il
s’agit du domaine des droit de l’homme.

L'article 4 de la Déclaration énonce que la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui
ne nuit pas à autrui: ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que
celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces
bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.

La norme qui porte la définition de la liberté fut qualifiée d'une "des clauses les plus
sacrées" pour le contrat social710. Les spécialistes considèrent cet article comme
"probablement le plus théorique" de toute la Déclaration. Elle comporte plus d'abstraction que
de pragmatisme711 et engendre plus de questions que de réponses concernant les problèmes
des limites réciproques des droits de l'individu dans les rapports sociaux712.

Il est à noter que les auteurs de l'époque voyaient avant tout, dans cet article, le
fondement des restrictions en matière pénale, c'est-à-dire en tant que points de repère pour

710
De Clermont-Tonnerre S., Analyse raisonnée de la Constitution Française décrétée par
l’Assemblée Nationale, Paris, L’Imprimerie de Migneret, 1791, p. 37-38.
711
Costa J.-P. Article 4, La déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Histoire,
analyse et commentaires sous la direction de Conac G., Deben M., Teboul G., Paris, Economica, 1993,
p. 101.
712
Jeanneau B., Juridictionnalisation et actualisation de la Déclaration des Droits de l’Homme,
Revue de Droit public, 1969, p. 659.
290

déterminer les raisons des punitions713, et non comme restrictions des droits en tant que telles.
Or, on observe actuellement un impact direct de la Déclaration sur la détermination des
limites de la liberté au travers la détermination de la responsabilité dans le droit civil, pénal et
les autres domaines du droit qui entérinent les libertés individuelles714. L'impact de la
Déclaration atteint également le domaine pénitentiaire.

Cet article n’a pu éviter des critiques acerbes émanant de penseurs en vue. J. Bentham,
juriste anglais connu, observait que l'article se composait de trois parties et il y faisait les
remarques suivantes715:

1) "La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui". J. Bentham
affirme, s'adressant aux auteurs, qu'ils ont recours à un "petit artifice" pour donner à ce grand
mot (liberté) une définition fausse. D'après cette définition, on ne saurait jamais si l'on a la
liberté de faire une chose avant d'avoir examiné toutes ses conséquences. Si telle action
paraissait nuisible à un seul individu, fût-elle permise par la loi, on ne serait pas libre de la
faire. Il cite l'exemple selon lequel l'officier de justice n'aurait pas la liberté de punir un
voleur, à moins d'être sûr de ne pas nuire à celui-ci. Il s'agit là, pour cet auteur, d'une absurdité
extrême mais, elle est nécessairement impliquée dans cette définition de la liberté.

2) "L'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui
assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits". Bentham dit
que s'il y avait une telle législation dans le monde, elle serait arrivée à la perfection absolue.

3) " Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi". Citons une partie de son
commentaire: "Vous me parlez d'une liberté qui était mon droit naturel et vous me dites
maintenant que c'est à la loi seule à régler l'usage de ma liberté. Vous m'avez trop donné et
vous m'ôtez trop716. Vous avez commencé par établir mon indépendance absolue, et vous me
replacez dans une dépendance totale. N'est-ce pas me traiter comme un prince imbécile à qui
l'on accorderait une pleine puissance, à condition de ne s'en servir que d'après un code qui
règlerait les moindres actions? [...] Voici ce qu'on aurait pu dire dans cet article: "La loi doit

713
Cabet M., Histoire populaire de la Révolution Française de 1789 à 1830. Tome 1, Paris,
Pagnerre éditeur, 1839, p. 270.
714
Costa J.-P., Ibid, р. 106-113.
715
Bentham J., Dumont E., Tactique des assemblées législatives, suivie d’un traité des
sophismes politiques : ouvrages extraits des manuscrits. Tome second, Paris, Bossange frères,
libraires-éditeurs, 1822, p. 289-292.
716
L'auteur cite ensuite une expression métaphorique à ce propos: "Pourquoi transporter les
hommes sur le sommet d'une montagne et de là leur montrer tout le domaine de leurs droits, puisque
nous sommes obligés de les en faire redescendre, d'assigner les limites et de les rejeter dans le monde
réel, où ils trouveront des bornes à chaque pas?".
291

laisser aux sujets une liberté entière, concernant les actes dont l'exercice n'a rien de
préjudiciable à la communauté, soit immédiatement, soit par des conséquences éloignées.
L'exercice des droits accordés à chaque individu ne doit avoir d'autres bornes légales que
celles qui sont nécessaires pour maintenir chaque individu dans la possession et l'exercice des
mêmes droits, autant que le plus grand bien de la communauté le permet ainsi. Il ne doit
appartenir qu'au législateur suprême de déterminer ces bornes: cela ne doit être permis à
aucun autre individu, soit qu'il possède ou non quelque autorité subordonnée"717.

D'ailleurs, c'est justement l'article 4 qui est considéré comme expression formelle du
principe selon lequel "tout ce qui n'est pas interdit est permis", l'un des principes essentiels
concernant la détermination des limitations des droits de l'homme. Il est aussi vrai que
certains auteurs de l'époque étaient d'un autre avis et indiquaient qu'il existait des domaines et
des activités qui ne préoccupaient pas la société directement et dans lesquels l'État ne pouvait
pas s'ingérer. C'est la raison pour laquelle cet article ne dit pas que tout ce qui n'est pas interdit
par la loi est permis, en disant que l'on ne peut pas interdire ce qui n'est pas interdit718.

Les craintes des pères de la Déclaration de voir les lois aller au-delà de ce qui était
juste devait se confirmer par la suite719. Ce fut le résultat de l'imprécision, propre notamment
à cette norme-ci. La définition du concept de "préjudiciable à la société", en tant que
détermination des limites des droits, a été critiquée. Il a été observé que ce qui est nuisible à la
société ne doit pas toujours être interdit720.

De nos jours, l'interprétation de cet article continue d'attirer l'attention de spécialistes


français. Ainsi que le fait noter Jean-Paul Costa, "Seul Robinson sur son île – avant
l'apparition de Vendredi… - serait parfaitement libre, n'ayant pas d'autrui à lui nuire: dans un
monde de plus de cinq milliards d'humains et où les interrelations sont innombrables, la
liberté se trouve, semble-t-il, fort limitée: d'ailleurs qu'est-ce que nuire? Faire du tort à
quelqu'un, le gêner? Singulière liberté que celle qui dépend de la subjectivité des autres, de
leur propre appréciation, de leur humeur peut-être [...] On pourrait sans peine en déduire que
cette définition négative n'apporte à l'affirmation de la liberté qu'un progrès modeste, qu'un

717
Bentham J., Dumont E., Ibid, p. 291.
718
Merlin M., Répertoire universel et raisonné de jurisprudence. Troisième édition, Paris,
Carnery, 1808, p. 444.
719
Rivero J., La jurisprudence du Conseil constitutionnel et le principe de liberté proclamé par la
Déclaration de 1789, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la jurisprudence, Colloque
des 25-26 mai 1989 au Conseil constitutionnel, Paris, Presses Universitaires de France, 1989, p. 75-76.
720
Сhoix de rapports, opinions et discours prononcés à la Tribune Nationale depuis 1789 jusqu’à
ce jour. Tome 8. Années 1791-1792, Paris, Alexis Eymery, Libraire de la Minerve française et
Correard, 1819, p. 174-175.
292

mince contenu"721. Сet auteur insistait encore sur le caractère théorique de l'article 4, dont
l'application pratique était difficile à imaginer.

La force juridique et l'efficacité pratique de la Déclaration étaient limitées et restent


toujours discutables722. Cela concerne aussi son application aux droits autres que ceux de la
première génération, qui, à l’époque, abandonna les idées du droit naturel723. Dans le même
temps, son importance pour le développement de l'idéologie de la Première République est
difficile à surestimer. Elle fixa trois repères méthodologiques pour la politique en matière de
concordance des libertés en conflit (mention du préjudice à autrui, constance du sens des
libertés et recherche de l'équilibre entre droits), sans qu'il désignât toutefois une voie concrète
d'harmonisation, puisqu’il ne faisait qu'affirmer le principe d'une telle harmonisation724.
L’absence de détermination des limites aux restrictives de droits constitue l'une des raisons
pour lesquelles la Déclaration a créé, en même temps que la définition des principes de
limitation des droits, un champ pour des abus du pouvoir discrétionnaire dans l'imposition des
restrictions. Par la suite, ces idées se sont traduites par des discussions nombreuses portant sur
la conception de l'harmonisation des droits des individus différents.

La Déclaration française des droits de l'homme et du citoyen de 1789 est devenu un


monument juridique de l'histoire, entre autre, grâce à sa célèbre disposition relative à la
limitation des droits. L'article 4 souligne que les limites des droits sont celles qui sont
nécessaires pour assurer les droits d'autrui; toute limitation doit être ordonnée par la loi. La
Déclaration envisageait pourtant, au travers de l'article 4, les fondements des limitations en
matière pénale, soit servant de fondement à la sanctipon pénale en tant que telle ; elle ne
servait pas de fondement à la restriction de tous les droits en tant que tels. D'un autre côté,
l'article 4 de la Déclaration a joué un rôle important, non seulement sur le terrain juridique
mais, autant et même plus, sur le terrain philosophique et politique du domaine des droits de
l'homme.

Toutefois, la formulation des normes spécifiques concernant les restrictions des droits
des détenus interviendra beaucoup plus tard.

721
Costa J.-P., Article 4., Ibid., p. 102.
722
Voir chapitre "L’ineffectivité juridique de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
de 1789", in Machelon J.-P. La République contre les libertés ? Les restrictions aux libertés publiques.
– Paris, Presses de la Fondation Nationale Des Sciences Politiques, 1976, p. 33-40.
723
Saint-James V., La conciliation des droits de l’homme et des libertés en droit public français.
Thèse pour le Doctorat en Droit Public, Université de Limoges, Limoges, Presses universitaires de
France, 1995, p. 63-66.
724
Ibid, p. 75-77.
293

3.1.2. Loi pénitentiaire de 2009

La société française attendait une loi pénitentiaire spéciale depuis près de dix ans,
lorsque son élaboration fut entamée à la suite d'arrêts de la CEDH contre la France 725. La
problématisation de la prison à la lumière des droits de l'homme avait fait de la résolution des
questions pénitentiaires une mission "noble" pour le Parlement726, la loi jouissait d'un intérêt
considérable. Malgré cela le Parlement avait joué un rôle très limité dans sa rédaction. Le rôle
principal était attribué à l’administration pénitentiaire. Le Parlement avait quelques jours pour
analyser le projet et soumettre des amendements pertinents alors que sa préparation par
l’Administration pénitentiaire s’étendait sur plusieurs années. Nous pouvons y reconnaître
l’origine d’un nombre important de problèmes de la loi du point de vue des droits de l’homme
dont il s’agira infra.

L’objectif principal de la loi était de rendre les normes nationales appliquées dans le
domaine pénitentiaire conformes aux normes internationales727. Elle devait devenir une sorte
de complément à la législation française volumineuse régissant le domaine pénitentiaire et
celui de l'exécution des peines. Elle complète parfois, par ses normes et règle, d'une nouvelle
manière les rapports concernant les questions d'exécution des peines, lesquelles avaient été
déjà réglées par le CPP en France.

La loi ne devint pas toutefois le régulateur intégral des rapports complexes qui se
créent dans le domaine pénitentiaire, car elle devait même parfois embrouiller le cadre
réglementaire. En réalité, le pays discutait déjà depuis longtemps de la nécessité d'un code728,
mais l'éloignement de la Loi par rapport à la perspective de marquer un pas dans la
codification et de combler les lacunes dans le domaine de l'exécution des peines étant très

725
Cliquennois G., Herzog-Evans M., European Oversight of Belgian, French and British Prison
Policies, Prison Service Journal, 2016, n° 227, p. 28.
726
Chabbal J., Changer la prison : la cause du parlement. L’intrusion parlementaire dans les
politiques pénitentiaires françaises (1999-2009), Thèse, doctorat de sciences politiques, Paris,
Université Paris-Dauphine, 2014, p. 624.
727
Herzog-Evans M., Loi pénitentiaire et liens familiaux : de timides avancées, Actualité
juridique familiale, 2009, n° 12, p. 484.
728
La France face à ses prisons, rapport de la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale,
2000 et Prisons : une humiliation pour la République, rapport de la Commission d’enquête du Sénat,
Document du Sénat n° 449, 2000.
294

important dès son étape de conception729. Comme résultat, en reprenant les termes de Juliette
Lelieur qui critique le processus législatif en matière de procédure pénale française730, il nous
semble approprié de qualifier cette loi de "réformette", le législateur en ayant "manifestement
perdu – ou détourné – le fil directeur".
Toutefois, cette loi présente une grande importance pour notre thèse par sa clause
limitative relative aux droits des détenus. Elle est formulée à l'article 22 ainsi libellé:
"L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de
ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant
des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des
établissements, de la prévention de la récidive et de la protection des intérêts des victimes.
Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap et de la personnalité
de la personne détenue".

Par ailleurs, d'autres normes de la loi comportent des règles complémentaires qui
fixent d'une manière ou d'une autre, les limites des actions étatiques en matière de limitation
des droits des détenus.

Nous analyserons ci-après cette loi sur le plan des idées portant sur les limitations des
droits déterminées tant dans une clause limitative générale que dans les clauses faisant partie
de normes particulières.

3.1.2.1. Clause limitative générale (article 22 de la Loi pénitentiaire)


3.1.2.1.1. Critique de l'article 22 de la Loi pénitentiaire

La clause générale fit l'objet de critiques virulentes de la part de spécialistes français


comme il sera vu infra. Les observations principales portaient sur les motifs d'application des
restrictions (ou les buts de celles-ci), de même que sur les facteurs à prendre en compte pour
pouvoir appliquer cette clause.

729
Herzog-Evans M., Vers une codification de l’exécution des péines, Revue pénitentiaire et du
droit pénal, 2009, n° 1, p. 121-132 ; Herzog-Evans M., Les grandes lignes de la codification, in Les
nouvelles orientations de la phase exécutoire du procès pénal (dir. M. Danti-Juan), Travaux de
l’Institut de Sciences Criminelles de Poitiers, Paris, Cujas, 2006, p. 187-222 ; Herzog-Evans M., Droit.
Citoyenneté. Prison, disponible sur : http://www.revue-projet.com/articles/2002-1-le-droit-en-
prison/#noteno6 (accedé le 27.01.2015).
730
Lelieur J., L’application de la reconnaissance mutuelle à l’obtention transnationale de preuves
pénales dans l’Union européenne: une chance pour un droit probatoire français en crise?, Revue de
science criminelle et de droit pénal comparé, 2011, n° 1, p. 591.
295

L'article 22, qui comporte la clause limitative générale provoqua des débats sérieux et
des modifications dès l'étape du projet de loi en sa première rédaction731. Il disposait
simplement que "l'administration pénitentiaire garantit à tout détenu le respect des droits
fondamentaux inhérents à la personne". Au moment du dépôt du projet de loi, cette norme
avait disparu du texte, ayant cédé la place à une norme semblable pour la version de l'article
22 évoquée ci-dessus. C'est-à-dire que le projet de loi comprenait une norme qui admettait les
restrictions et déterminait les conditions de celles-ci.

Cette norme fut intensément critiquée, surtout par la Commission nationale


consultative des droits de l'homme (CNCDH)732 qui accusait cette version de préférer les
restrictions en tant que principe plutôt que les droits eux-mêmes733. L'exercice des droits par
les détenus devenait ainsi une exception et les restrictions, une règle734. De ce fait, la
Commission des lois du Sénat observait, elle aussi, qu'il lui semblait "préférable de poser
d'abord l'obligation pour l'administration pénitentiaire de garantir les droits des détenus avant
d'en rappeler les limites". Elle ajoutait, par ailleurs, que l'invocation de la sécurité de la
personne en tant que circonstance à prendre en considération pour l'application des
restrictions n'était pas nécessaire et elle concrétisa sa critique en apportant des modifications
au texte de l'article examiné735. Par la suite, l'état de santé de la personne compléta les
circonstances à prendre en compte.

Ainsi que le fait noter le professeur M. Herzog-Evans, dans son commentaire à la loi
nouvellement adoptée, et à son article 22 en particulier, "Après une vaguissime et expéditive
proclamation de droits [...] et de la dignité, un long pan de phases et une seconde phrase
permettent d'y porter atteinte pour des motifs aussi flous et compréhensifs que l'ordre interne

731
Assemblée Nationale, Rapport au nom de La Commission des lois constitutionnelles, de la
législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi pénitentiaire (No. 1506)
adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, par M. J.-P. Garraud, р. 141–147.
732
Organisme administratif indépendant consultant le parlement et le gouvernement français en
matière des droits de l'homme.
733
S'agissant de la mise en place continue d'exceptions possibles sur les droits dans cet article et
d'autres, l'organisation non gouvernementale GENEPI, bien connue dans le domaine pénitentiaire,
faisait observer à juste titre qu'elle réprouvait cette loi du "sauf si" et exigeait que les restrictions
pouvant être ou ne pas être appliquées par l'administration pénitentiaire aient une durée admissible
précise et les motifs de leur application (Position du Genepi sur la loi pénitentiaire de 2009 Adoptée
par l’assemblée générale du 12 juin 2010 suite à un travail de consultation et de concertation, par
boucles mail, avec l’ensemble des bénévoles de l’association, disponible sur :
http://www.genepi.fr/upload/files/2009%20-
%20Position%20du%20Genepi%20sur%20la%20loi%20p%C3%A9nitentiaire%20de%202009.pdf
(accedé le 28.01.2015)).
734
Commission consultative nationale des droits de l’Homme, avis sur le projet de loi
pénitentiaire adopté par l’Assemblée plénière le 6 novembre 2008, p. 4.
735
Rapport (n° 143, session ordinaire de 2008-2009) de M. Jean-René Lecerf, au nom de la
commission des Lois du Sénat sur le projet de loi pénitentiaire, p. 93.
296

des établissements pénitentiaires"736. Dans son interview sous le titre "La sécurité
pénitentiaire est l'ennemie de la sécurité publique"737, elle indiquait: "Le but (de cette norme –
N.D.L.A.) est clair: il s'agit de donner un fondement légal aux atteintes aux droits des détenus.
On a donc d'authentiques régressions (en ce qui concerne les droits dans les autres articles
dont la liste suit – N.D.L.A.)…"738. Par exemple, cet article donna le ton à l'article 43 de la loi
qui, prévoit l’accès des détenus aux publications écrites et audiovisuelles. Selon cet article
l'autorité administrative peut interdire l'accès des personnes détenues aux publications du
motif tel que les "menaces précises contre la sécurité des personnes ou celle des
établissements pénitentiaires", qui figurait auparavant à l'art. 444 du CPP français. Nous
savons que l'administration pouvait déjà en interdire l'accès, non en présence de menaces
graves précises, mais simplement en présence de menace grave ainsi que lorsque les
publications contiennent "des propos ou signes injurieux ou diffamatoires à l'encontre des
agents et collaborateurs du service public pénitentiaire". De tels pouvoirs sont choquants par
rapport au droit commun en liberté739.

Cette même auteure estime que l'approche exposée dans la loi privilégie les
restrictions aux droits et le pose en principe; l'exercice des droits par les détenus constitue une
exception. En ce qui concerne l'affirmation des droits et libertés, la loi les diminue et elle vise
à permettre l'ingérence dans les droits au nom de motifs vastes qui ont trait à l'ordre à la
sécurité et que le service pénitentiaire maîtrise parfaitement en tant qu'outil740. Dans tous les
cas, les droits sont déduits des restrictions741 ; cela est un fait malgré la formulation assez
prudente choisie par le législateur.
Néanmoins, ainsi que le font remarquer à juste titre des auteurs français, malgré la
formulation apparemment restrictive de l'article 22, l'exercice des droits ne pourrait être
soumis à des restrictions "autres que…", les raisons légitimes d’appliquer ces restrictions aux
droits des détenus restent nombreuses, surtout s’agissant des impératifs de sécurité, qui

736
Herzog-Evans M., Loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009: changement de
paradigme pénologique et toute puissance administrative, Recueil Dalloz, 2010, n° 1 (janvier), p. 31-
32.
737
Cela veut dire que les régimes trop sévères dont l'application était allégée par la Loi
produisent davantage de récidivistes.
738
Herzog-Evans M., La sécurité pénitentiaire est l’ennemie de la sécurité publique (Entretien
réalisé par Stéphane Laurent), Dedans Dehors, 2009, n° 70-71, p. 15.
739
Herzog-Evans M., Loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009: changement de
paradigme pénologique et toute puissance administrative, Recueil Dalloz, 2010, n° 1 (janvier), p. 32-
33.
740
Herzog-Evans M. Droit pénitentiaire, 2e éd. - Paris: Dalloz, 2012. – p. 92.
741
Ibid, p. 103.
297

tendent à entraver l'exercice des droits proclamés comme fondamentaux 742. En conséquence,
les détenus ne pourraient pas espérer exercer totalement les droits qu'ils essayent d'obtenir,
cette norme remplaçant systématiquement l'obligation de l'administration pénitentiaire de
garantir au détenu le respect de sa dignité et de ses droits743.

Par ailleurs, déjà pendant l'examen du projet de loi, les députés proposaient le principe
selon lequel les détenus bénéficieraient des mêmes droits que les citoyens libres, mises à part
quelques restrictions. Il était considéré que cela permettrait de mettre plus d'ordre dans
l'univers pénitentiaire744. Il était proposé ainsi d'énoncer explicitement que les restrictions
n'était qu'une exception et l'exercice des droits une règle. Cependant, cette idée ne fut pas
prise en compte.

La clause limitative de la loi a été critiquée sous de nombreux angles.

C'est ainsi que la norme énonçant que la personnalité du détenu doit être prise en
considération en appliquant les restrictions, avait un but plus global servant notamment à
établir la base des régimes différenciés au sein de l'établissement pénitentiaire745. L'idée
trouva son prolongement dans l'article 89, qui prévoyait que le détenu arrivant dans
l'établissement pénitentiaire serait soumis à un examen pluridisciplinaire de personnalité pour
en dresser le bilan. C'est donc cette évaluation qui devrait être prise en considération en
imposant des restrictions ainsi qu'en différenciant le régime de chaque détenu. Une telle
différenciation présentait des risques notables, puisque, à défaut d'être détaillée dans la loi,
elle était laissée totalement à la discrétion de l'administration pénitentiaire, ce qui faisait dire
que "l'administration pourrait faire ce qu'elle voudrait"746. Signalons à ce propos qu'avant
cette loi, il n'y avait pas de normes contenant des dispositions aussi larges en matière de
compétences portant sur la différenciation.

Commentant l'article 22, Samantha Enderlin souligne son imperfection et attire

742
Lochak D., Défendre en justice la cause des détenus, défendre en justice la cause des
étrangers : différences et convergences, Défendre en justice la cause des personnes détenues.
Colloque, CREDOF-CNCDH-OIP, 25-26 janvier 2013, Palais du Luxembourg. La Documentation
française (ed.), Paris, Commission nationale consultative des Droits de l'homme, 2014, р. 98–100.
743
Touillier M., L’effectivité des droits des personnes détenues à l’aune des évolutions récentes
du droit français, Enfermements. Populations, Espaces, Temps, Processus, Politiques. Sous la direction
de Tournier P.V., Préface de Serge Blisko, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 167.
744
Herzog-Evans M., Droit pénitentiaire. 2e éd., Paris, Dalloz, 2012, p. 146.
745
Ibid, p. 15.
746
Ibid.
298

l'attention sur des points fondamentaux747:

а) En ce qui concerne les citoyens libres, les restrictions ne peuvent être appliquées
que pour atteindre des objectifs tels que la protection des droits et libertés d'autrui et
poursuivre des buts à valeur constitutionnelle tels que l'ordre public.

De cette façon, estime-t-elle, le droit pénitentiaire pourrait limiter les droits des
détenus en invoquant les mêmes buts sans préjudice pour l'ordre et la sécurité de
l'établissement. Fort inutile est la mention de buts aussi imprécis que la prévention des
évasions, des infractions et la protection des intérêts des victimes, puisque le but de l'ordre
public les intègre inévitablement748;

b) L'article ne comporte pas l'exigence de la stricte nécessité et de la proportionnalité


des restrictions compte tenu du but poursuivi749.

D'ailleurs la nécessité de cette exigence de la Commission des lois constitutionnelles


était signalé dans l'avis de Michel Vaxès, qui observait que les restrictions devaient être
exceptionnelles et proportionnées et qui proposait aussi des critères de non-discrimination.
Cependant, la Commission les rejeta en avançant comme argument que "l'article 1 er de la

747
Enderlin S., Droit constitutionnel et droit pénitentiaire. Les prémices de la protection
constitutionnelle des personnes détenues, in Dialectique carcérale. Quand la prison s’ouvre et résiste
au changement. Sous la direction de Pierre V. Tournier, Paris, L’Harmattan, 2012, р. 59–60.
748
Il est à noter que les RPE admettent aussi le but des restrictions visant la protection des droits
des victimes (règle 24.2 relative aux contacts avec le monde extérieur). La CEDH semble montrer , par
sa jurisprudence, qu'elle cherche à équilibrer les droits des délinquants avec ceux des victimes
(Snacken S., Legitimacy of Penal Policies: Punishment Between Normative and Empirical
Legitimacy, Legitimacy and Compliance in Criminal Justice, Ed. by A. Crawford and A. Hucklesby,
Abingdon, Routledge, 2013, p. 56). S. Snacken, professeur belge de criminologie, observe à juste titre
qu'il y a des victimes qui peuvent détester les délinquants, comme il y en a d'autres qui leur pardonner.
Elle laisse entendre qu'il est inadmissible que des peines différentes soient appliquées par l'État pour
une même infraction selon le type de chaque individu victime (Honorary Doctorates 2009 - Prof
Sonja Snacken about the honorary doctorate title of David Garland (à partir de 02:55), disponible sur :
https://www.youtube.com/watch?v=fE_Ct-DxHF0 (accedé le 30.11.2016).
Il existe par ailleurs la position selon laquelle le but de la protection des droits des victimes ne
s'inscrit dans un aucun des buts légitimes de restrictions dans le droit constitutionnel et européen
(Enderlin S., Ibid, p. 444).
Un tel but suscite plus de questions qu'il ne donne de réponses. S. Garkawe s'interroge à juste
titre: "Les droits des victimes ont-ils une incidence négative sur l’équilibre qui devrait être établie
entre les droits de la victime et du condamné?" (Garkawe S., Crime Victims and Prisoners Rights,
Prisoners as Citizens. Human rights in Australian Prisons, Ed. by D. Brown and M. Wilkie,
Leichhardt, The Federation Press, 2002, p. 263). Cette question pourrait être complétée par une
question plus complexe encore: est-il admissible que la prise en compte des droits des victimes influe
sur les restrictions des droits des détenus plus que la prise en compte des droits de toute autre
personne?
749
Le problème d'absence de mention de la nécessité des restrictions dans une société
démocratique (qui se fonde sur la norme de proportionnalité) est aussi signalé par M. Herzog-Evans:
Herzog-Evans M., Droit pénitentiaire, 2e éd., Paris, Dalloz, 2012, p. 104.
299

Constitution suffit à garantir les principes de non-discrimination, et l'article 10 du texte


prévoit un encadrement suffisant des restrictions aux libertés"750.

L'absence totale d'argumentation de la part de la Commission, à l'appui de la position


visant à ignorer le principe de proportionnalité, attire nécessairement l'attention du fait de son
contraste sensible avec les considérations du rapporteur exposées dans l'introduction au
rapport sur le projet de la loi donnée. Il citait notamment la Règle 3 des RPE (qui suppose la
stricte nécessité et l'ampleur minimale des restrictions – N.D.L.A.) et observait qu'elle n'avait
pas trouvé son expression juridique et était inconnue du droit pénitentiaire français, lequel
tendait à privilégier les considérations de sécurité au détriment de l'exercice des droits, au
risque d'imposer à certaines personnes des contraintes disproportionnées751. D'autre part, les
députés proposaient de mentionner que les restrictions "doivent être exceptionnelles, justifiées
et proportionnelles au but poursuivi"752. Cependant, l'exigence de proportionnalité ne fut pas
incluse dans la clause limitative.

Le constat de ce que le principe de proportionnalité n’a pas été énoncé est


particulièrement pertinente et demande certaines explications.

La proportionnalité est l'exigence qui protège de l'arbitraire et de la domination du


principe d'utilité dans les administrations servant à réaliser leurs propres buts au détriment des
droits de l'homme. Elle offre en même temps la possibilité de concilier les intérêts de
l'administration et du détenu, en assurant un équilibre de ces intérêts, ce, sans privilégier l'une
des parties. Or, la formulation des buts des restrictions et l'orientation de celles-ci à la
réalisation de ces buts, non seulement ne garantissent pas suffisamment contre les restrictions
excessives des droits des détenus, mais, bien au contraire, légitiment des activités restrictives
démesurées des autorités pénitentiaires.

C'est ainsi que, sous prétexte que la restriction vise à assurer l'ordre dans
l'établissement, on pourrait admettre la limitation absolue du droit à la correspondance écrite
ou téléphonique avec le monde extérieur. Il serait même possible d’interdire les promenades
journalières, les divertissements collectifs des détenus, etc. Il est vrai que ces mesures peuvent
réduire jusqu'à une certaine mesure les risques pour la sécurité et l'ordre de l'établissement et
elles pourraient donc théoriquement être imposées aux détenus en vertu d'une clause

750
Assemblée Nationale, Rapport au nom de La Comission des lois constitutionnelles, de la
législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi pénitentiaire (No. 1506)
adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, par M. J.-P. Garraud, p. 145.
751
Ibid, p. 21
752
Ibid, p. 538.
300

limitative pareille à celle qui figure à l'article 22 de la loi. C'est-à-dire que du point de vue
théorique, à défaut d'exigence de proportionnalité, le pouvoir public ne se limite pas
réellement dans sa politique répressive par la mise en œuvre de restrictions des droits des
détenus dès lors qu’il peut, sans grande difficulté, affirmer qu'il poursuit l'un des buts compris
dans la clause limitative générale.

D'autre part, l'absence de proportionnalité dans l'article 22753 produit des conséquences
négatives graves pour la défense en justice des droits des détenus. N'importe quel argument
du détenu réclamant l'invalidation de la restriction de ses droits, pourrait être contesté par
l'État affirmant que la restriction donnée vise en réalité un but légitime.

L'absence d'exigence de proportionnalité des restrictions conduit à une autre


conséquence négative: le manque de base pour le développement de la jurisprudence en
matière de droits des détenus. La théorie de justification des restrictions a plus de raisons
d’évoluer quand les tribunaux sont obligés de mettre en équilibre les intérêts individuels et
institutionnels en prenant en compte les exigences de proportionnalité. Cela permet de
développer l'argumentation juridique et contribue indirectement à développer les techniques
de motivation et de justification des restrictions par les administrations pénitentiaires pour
défendre leur position en justice. Par ailleurs, la motivation appropriée de la décision sur
l'application d'une restriction, tout comme la motivation de n'importe quelle décision
déterminant l'étendue des droits et libertés fera que la personne concernée prendrait, de
manière adéquate, les motifs et les causes de cette décision, ou bien, au cas où l'intéressé
serait mécontent de la décision, il pourrait l'invoquer pour son recours.

D'autres défauts de l'article 22 ont été signalés dans l'étude spéciale du projet de loi
pénitentiaire réalisée par la Commission nationale consultative des droits de l'homme 754. Dans
ses critiques, la Commission mettait en relief les préconisations d’une autre commission
(commission Canivet) qui observait que "le défaut de praticabilité des règles et la trop grande
marge d'appréciation qu'elles laissent à l'administration [pénitentiaire] sont à l'origine de

753
Il convient d'observer que le CPP français connaît le principe de proportionnalité dans la
détermination des restrictions justifiées imposées aux détenus. Témoin l'article D 242 du CPP qui fut
annulé en 2010. Il disposait notamment: "L'ordre et la discipline doivent être maintenus avec fermeté,
mais sans apporter plus de contraintes qu'il n'est nécessaire pour le maintien de la sécurité et d'une
bonne organisation de la vie en collectivité". Cette norme traduit la proportionnalité. La phrase "sans
apporter plus de contraintes qu'il n'est nécessaire" est essentielle pour la proportionnalité. Cette norme
reproduisait d'ailleurs presque littéralement la règle 27 des Règles minima pour le traitement des
détenus de 1977.
754
Étude sur le projet de la loi pénitentiaire. Commission nationale consultative des droits de
l’homme, disponible sur :
http://prison.eu.org/IMG/pdf/Etude_CNCDH_projet_de_loi_penitentiaire.pdf (accedé le 28.06.2016)
301

litiges et de frustrations"755. Quant à l'article, il abusait des formulations du type "contraintes


inévitables dans l'emprisonnement", "maintien de la sécurité et du bon ordre de
l'établissement", "prévention des infractions", "protection des intérêts" des victimes, ce qui
n'assure ni une réglementation juridique précise, ni une prévisibilité756. Du point de vue de la
Commission, la règle de l'article 22 précisant que les restrictions "tiennent compte de l'âge, de
l'état de santé, de la dangerosité et de la personnalité des détenus" est inadmissible757. Si l'âge
peut être considéré comme un élément légitime au regard de la nécessaire distinction entre les
individus majeurs et mineurs, les autres facteurs peuvent être considérés comme
discriminatoires, à cause de critères flous et subjectifs de personnalité et de dangerosité. La
commission exprima sa préoccupation concernant les possibilités qui s'ouvraient ainsi pour
l'administration pénitentiaire de restreindre, de manière discrétionnaire, les droits
fondamentaux des détenus sur une base éminemment incertaine758. La contre-argumentation
portait, en partie, par exemple, sur le fait que la signification du concept de dangerosité qui
pouvait acquérir un sens le plus varié, selon qu'elle est vue sous l'angle criminologique ou
pénitentiaire759. Une référence apparait dans l'observation du Comité des droits de l'homme de
l'ONU qui critiquait l'absence de critères de dangerosité en France760. Finalement, il était
proposé de supprimer les formulations qui tenaient compte de l'âge, de la personnalité et de la
dangerosité des détenus761.

Un autre inconvénient majeur de l'article 22 consiste dans l'admissibilité des


restrictions de fait. Une fois inscrit dans la loi, ce concept, déjà critiqué par nous762, eut une
grande influence sur la justification des restrictions des droits en France.

755
Rapport Canivet, Amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, mars
2000, in Le nouveau guide du prisonnier. Observatoire international des prisons, Paris, Éditions de
l'Atelier, 2000, p. 181.
756
Étude sur le projet de la loi pénitentiaire, Ibid, p. 15.
757
La rédaction définitive de la loi ne comportait plus la "dangerosité" en tant facteur à prendre
en compte pour imposer des restrictions.
758
Étude sur le projet de la loi pénitentiaire, Ibid, p. 15.
759
Ibid, p. 15.
760
Observations finales du Comité des droits de l’homme 93ème session CCPR/C/FRA/CO/4 du
22 juillet 2008 recommandation n°16.
761
Étude sur le projet de la loi pénitentiaire, Ibid, p. 15. La Commission était si critique envers
cette norme qu'elle usa d'une conception "radicale" des droits des détenus et insistait sur le fait que
ceux-ci "ne doivent souffrir d'aucunes restrictions" (Étude sur le projet de la loi pénitentiaire, Ibid, p.
8.). Les auteurs de ces documents voulaient probablement souligner l'idée d'inadmissibilité de
nouvelles restrictions par rapport au statut juridique des citoyens libres.
762
Voir 1.3.2 "Classification selon l'origine de la limitation. Restrictions des droits découlant de
l'incarcération".
302

3.1.2.1.1.1. Limitations inhérentes à l'incarcération en tant que dérogations admissibles au


principe de légalité

Aux termes de l'article 22 de la loi pénitentiaire, "l'administration pénitentiaire garantit


à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut
faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la
détention (souligné par nous – N.D.L.A.), du maintien de la sécurité et du bon ordre des
établissements, de la prévention de la récidive et de la protection des intérêts des victimes".
Cela signifie en fait que les détenus peuvent être soumis à des restrictions qui sont inévitables
dans le contexte de d'emprisonnement.

En instaurant cette norme, le législateur n'en ignorait pas moins ses propres
observations relatives aux restrictions des droits. L’une des explications de ce fait est le rôle
principal de l’Administration pénitentiaire dans la préparation du projet de la loi. C'est ainsi
que le rapport sur la loi pénitentiaire adressé à la Commission législative des lois
constitutionnelles et à l'administration de la République en général, et qui fut adopté par le
Sénat, faisait noter qu' "en l'état actuel du droit, la plupart des normes régissant les droits et
obligations des personnes détenues sont de nature réglementaire. Les restrictions apportées
aux droits fondamentaux induites par la privation de liberté doivent être fixées par le
législateur"763. D'autre part, sans doute à l’opposé de la proposition énoncée, était rejetée
l'observation des députés à propos du projet qui visait à énoncer clairement que les restrictions
n’étaient fixées que par la loi. Il était souligné que cela permettrait de se mettre en conformité
avec les suggestions évoquées ci-dessus de la commission Canivet764.

Dans le même temps, l'article 22 permet d'ignorer la loi. Car dès lors qu'il est
nécessaire de niveler les droits au profit de l'administration pénitentiaire, le juge peut toujours
appliquer la norme de cet article précisant que les restrictions peuvent être imposées au regard
des contraintes inévitables de l'emprisonnement. A ce propos, l'ancien juge de la Commission
européenne, M. Petiti, observait à juste titre: "Dire que le détenu a tous les droits sauf ceux
qui s'opposeraient aux contraintes (inévitables – N.D.L.A.) de la détention me paraît une
formule un peu brutale, car chaque État peut fixer certaines limitations à condition qu'elles
soient conformes aux principes de nécessité et de proportionnalité admis dans les sociétés

763
Assemblée Nationale, Rapport au nom de La Comission des lois constitutionnelles, de la
législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi pénitentiaire (No. 1506)
adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, par M. J.-P. Garraud, p. 13.
764
Ibid, p. 146.
303

démocratiques: la Convention n'interdit pas ces limitations si elle ne sont pas exorbitantes"765.
En outre, le terme de "restrictions inhérentes à la détention" est "éminemment flou"766, ce qui
concerne d'ailleurs les notions de "protection des victimes" et "prévention de la récidive"767. Il
n'en reste pas moins que l'idée formalisée de l'admissibilité de la justification de l'ingérence
dans les droits subjectifs, compte tenu des restrictions inhérentes à la détention, a été
réaffirmée par le Conseil constitutionnel768. Ce dernier n’a toutefois jamais ce qu'il fallait
entendre par "restrictions inhérentes à la détention769".

Malgré l'attachement de la France à l'idée que les restrictions doivent être fixées par la
loi, l'article 22 n'évoque absolument pas la nécessité de fixer les restrictions par la loi ou par
un autre texte. L'absence de mention de la source admissible de la restriction peut être
compensée évidemment par les prescriptions de la Convention européenne mais, ce fait
témoigne encore une fois du problème de qualité rédactionnelle de l'article 22 de la Loi.

Notons qu'une autre rédaction de cet article avait été proposée au cours de l'élaboration
du projet de loi, mais elle fut rejetée. Elle reflétait une idée française populaire mais, bien
éloignée de la pratique, soutenant que les détenus ne sont privés que de liberté de circulation
tout en conservant les autres droits. La proposition était ainsi libellée: "Les droits et garanties
du détenu, autres que sa liberté d'aller et venir, ne peuvent recevoir de restrictions que de la
loi"770. Cette idée est non seulement détachée de la pratique, mais elle n'a pas de perspectives
sous l'angle de la protection des droits de l'homme contre les restrictions non justifiées. Nous
proposons de l'analyser plus bas.

765
Les droits du détenu et la convention européenne des droits de l’homme, Séance de section du
9 mai 1981 (1), sous la présidence de Monsieur Ancel, Revue pénitentiaire et de droit pénal, 1981, n°
3 (juillet-septembre), p. 324.
766
Herzog-Evans M., Droit pénitentiaire, 2e éd., Paris, Dalloz, 2012, p. 226.
767
Ibid.
768
Conseil Constitutionnel, Décision n° 2009-593 DC du 19 novembre 2009, Loi pénitentiaire,
cons. 4 et 6 ; Conseil Constitutionnel, Décision n° 2014-393 QPC du 25 avril 2014, Organisation et
régime intérieur des établissements pénitentiaires.
769
Slama S., Petit pas supplémentaire sur le plancher de garanties des droits fondamentaux et
enlisement du statut constitutionnel des personnes détenues, La Revue des droits de l’homme [En
ligne], Actualités Droits-Libertés, disponible sur : http://revdh.revues.org/652 (accedé le 27.01.2015)
770
Amendement N° 289 (Rejeté). Discuté en séance le 16 septembre 2009 // http://2007-
2012.nosdeputes.fr/amendement/1899/289 (accedé le 28.01.2015).
304

3.1.2.1.1.2. Sécurité et ordre en tant que raisons (objectifs) des limitations des droits des
détenus

Les spécialistes sont aussi critiques à l'égard des notions de "sécurité" et d'"ordre" en
tant motifs (buts) de restrictions des droits conformément à l'article 22. Ces deux formulations
sont même dénommées "antédiluviennes" ou "diptyque antédiluvien"771 par l'histoire de leur
application, ce qui atteste le flou de ces termes en tant base du pouvoir discrétionnaire exercé
par l'administration pénitentiaire. La Loi ne sut pas remédier au problème de ces termes qui,
de ce fait, peuvent être facilement utilisés pour réduire des droits772.

Les deux catégories peuvent être rapportées aux indices qui distinguent l'ampleur des
restrictions des droits des détenus par rapport à celles des droits des citoyens libres. Ce sont
elles qui justifient régulièrement une plus large limitation des droits des détenus. Elles sont
utilisées aussi bien au niveau national que pour justifier la position de l'État lors de l'examen
par la CEDH des affaires portant sur la restriction des droits des détenus. Elles sont acceptées,
par ailleurs, dans le droit mou du Conseil de l'Europe773.

Deux aspects de sécurité sont distingués dans la langue anglaise. Parfois « sécurité »
(security) est appelée «l’incarcération » et on la considère comme aspect externe de
l'emprisonnement (par exemple, prévention des évasions). La sûreté (safety) est appelée
« l'ordre » qui représente l'aspect interne de gestion des détenus774. Des avis sont exprimés
pour que la notion de sécurité comprenne aussi bien l'aspect externe (concernant le monde
extérieur) que l'aspect interne (concernant la vie derrière les murs de la prison)775.

L’on entend aussi par sécurité le résultat-objectif et le droit de l'individu: "[la sécurité
désigne] une situation dans laquelle un individu ou une collectivité a le sentiment d'être plus
ou moins objectivement à l'abri d'un danger, d'une menace ou d'un risque… elle peut être

771
Herzog-Evans M., Droit pénitentiaire, 2e éd., Paris, Dalloz, 2012, p. 104.
772
Céré J.-P.,Virage ou mirage pénitentiaire? - À propos de la loi du 24 novembre 2009, La
Semaine Juridique Edition Générale, 2009, n° 50 (décembre), p. 552 ; Herzog-Evans M., Ibid, p. 107.
773
Il est curieux que les Règles pénitentiaires européennes placent la sécurité et la sûreté parmi
les buts admissibles de la restriction des droits aux contacts et à la communication (Règle 24.2). Dans
ce contexte, il convient de souligner le manque d'accord entre les RPE et la Convention. La Règle 24.2
ne reprend pas littéralement les buts légitimes des restrictions fixés dans la Convention. Au lieu des
termes "sécurité nationale" (“national security”) et "sûreté publique" (“public safety”) utilisés dans les
clauses limitatives de la Convention, les RPE les adaptent aux réalités pénitentiaires et n'utilisent que
"sécurité" et "sûreté".
774
Van Zyl Smit D., Snacken S., Ibid, p. 267.
775
Pédron P., La prison et les droits de l’homme, Paris, Librairie générale de droit et de
jurisprudence, 1995, p. 44.
305

appréhendée simultanément comme un objectif et un droit"776. Le Code de la sécurité


intérieure de la France777 donne la définition suivante de la sécurité: "La sécurité est un droit
fondamental et l'une des conditions de l'exercice des libertés individuelles et collectives"
(article L111-1).

Citons une thèse importante selon laquelle la sécurité n'est pas qu'un objectif, mais
qu'elle comprend les moyens qui aident à la réaliser778. Cette idée pourrait être développée en
ajoutant que la sécurité elle-même est parfois considérée comme un moyen779. Elle constitue
par exemple un moyen (ou une condition) nécessaire pour une bonne organisation de la
réalisation d'autres objectifs liés à la réinsertion.

Dans l'ensemble, la sécurité et l'ordre sont des notions très floues quand il s'agit des
limitations des droits de l'homme dans les établissements pénitentiaires780. Les spécialistes des
questions de l'ordre dans les prisons observent que l'ordre constitue une notion complexe
difficile à mesurer781.

La conception des exigences de sécurité diffère selon les approches principales :


statique et dynamique. Par exemple, une approche statique qui est basée sur le contrôle
physique peut justifier des restrictions dans la vie normale, alors qu'une approche dynamique,
se fondant sur les contacts poussés entre le personnel et les détenus, ne pourrait jamais le
justifier. Au contraire, la sécurité dynamique exige que les restrictions visant à prévenir des
comportements indésirables soient remplacées par d'autres mesures, moins restrictives mais

776
Dieu F., L’administration pénitentiaire : une force de sécurité intérieure ? , Administration
pénitentiaire et justice. Un siècle de rattachement. Sous la direction de P. Mbanzoulou et F. Dieu,
Paris, Harmattan, 2013, p. 156.
777
Code de la sécurité intérieure.
778
Falxa J., Le droit disciplinaire pénitentiaire: une approche européenne. Analyse des systèmes
anglo-gallois, espagnol et français à la lumière du droit européen des droits de l’homme, Thèse, Pau,
Université de Pau et des pays de l’Adour, 2014, p. 443.
779
Sens de la peine et droits de l’homme, Actes du colloque international inaugural de l’École
Nationale d’Administration Pénitentiaire, Agen, École Nationale d'Administration Pénitentiaire, 2000,
p. 183.
780
Souvent ces deux termes sont utilisés pour signaler ordinairement l'absence de désordre et
d'insécurité. C'est-à-dire que leur conception est plutôt négative et tend à une définition a contrario. J.
Falxa le rappelle dans son observation relative à la définition de l'ordre interne dans des sources
variées (Falxa J., Ibid, p. 443.)
781
Bennett J., Measuring Order and Control in HM Prison Service, in Handbook on prisons, Ed.
by Y. Jewkes, Cullompton, Willan publishing, 2007, p. 535.
306

non moins efficaces782. A ce propos, Joanna Falxa observe, à bon droit, que l'utilisation de la
sécurité statique, par opposition à la sécurité dynamique, s'effectue aux dépens des droits des
détenus783. Bien que les normes internationales préconisent les deux types de sécurité sous
réserve de leur bon équilibre784, il serait logique de supposer que certaines restrictions, qui
étaient justifiées conformément à la seule vision administrative de la sécurité, ne pourraient
pas l'être conformément à la seconde vision. L'ampleur des restrictions liées à la sécurité et à
l'ordre dépend sensiblement de notre conception et des approches de la politique pénitentiaire.

L'ordre et la sécurité peuvent être facilement utilisés comme buts des restrictions des
droits pour aider à justifier les restrictions. Cela ne signifie pas pour autant qu'il faudrait
renoncer pour cette raison à justifier les restrictions des droits sur la base de ces motifs.
Penser autrement signifierait ne pas tenir compte des réalités pratiques de l'univers
pénitentiaire. La nécessité de l'ordre et de la sécurité existe sans égard à ce qu'elle menace
constamment les droits de l'homme en prison et les subordonne aux larges pouvoirs
discrétionnaires. Il faudrait, en revanche, développer les garanties des droits qui établissent un
équilibre entre les restrictions et la sécurité et l'ordre. De telles garanties pourraient être
assurées par la mise en œuvre du principe de proportionnalité.

Il semblerait que la définition de la sécurité et de l'ordre puisse être donnée par la


législation. Cela faciliterait, d'une certaine manière, la pratique de leur utilisation en tant
qu'objectif, mais il s'agit là d'une tâche délicate, puisque chaque prison est un "État
particulier" avec ses règles et ses besoins propres pour s'adapter à ses missions quotidiennes.
Il est difficile de définir les notions de sécurité et d'ordre sans préciser ce que doivent être la
sécurité et l'ordre dans chaque établissement. En outre, toute tentative de définir la sécurité ou
l'ordre au plan juridique pour les rendre utilisables en tant que justification rationnelle de
l'appréciation officielle, en cas d'application des restrictions des droits de l'homme, serait

782
Un milieu pénitentiaire moins restrictif s'associe à une diminution de la résistance de la part
des détenus et favorise une meilleure atmosphère de rapports, bien qu'un régime trop allégé puisse
mener à un effet contraire, soit l'épanouissement de la sous-culture (Liebling A., Crewe B. Prison Life,
Penal Power, and Prison, The Oxford Handbook of Criminology, Ed. by M. Maguire, R. Morgan and
R. Reiner, Oxford, Oxford University Press, 2012, р. 914-915). A. Symkovytch, chercheur à l'Institut
de criminologie de Cambridge, qui a étudié les réalités pénitentiaires en Ukraine , émet la supposition
que l'humanisation et l'assouplissement du régime pénitentiaire réalisés ces dernières années en
Ukraine, font diminuer l'attirance des détenus par la sous-culture pénitentiaire. Cette adhésion servait
au passé de réponse des détenus aux conditions dures d'exécution des peines et au traitement dont ils
étaient l'objet (Symkovych A., Sex in Prisoner Power Relations: Attitudes and Practices in a Ukrainian
Correctional Colony for Men, The Howard Journal of Crime and Justice, 2016,
DOI:10.1111/hojo.12177,First published: 19 September 2016, p. 9).
783
Falxa J., Ibid, p. 447.
784
Handbook on Dynamic Security and Prison Intelligence. Criminal justice handbook series
(UNODC), New York, United Nations, 2015, p. 5–6.
307

vaine, sachant que toute définition juridique serait interprétée différemment et a fortiori
s’agissant de notions comme "sécurité" et "ordre". Citons, à ce propos, l'observation
pertinente du professeur Plawski: "[...] il faut, certes, assurer l'ordre et la sécurité, mais un
simple catalogue de règles sécuritaires n'y suffit pas en même temps parce que trop de
sécurité tue la sécurité"785.

Les catégories de sécurité et d'ordre sont souvent perçues comme étant des motifs
justifiant en pratique des restrictions supplémentaires. D'un autre côté, leur rôle est sous-
évalué dans le processus législatif, bien qu'il doive être reconnu, mais sous réserve de
proposer des définitions et les règles de leur utilisation claires pour justifier les restrictions.

La condition de proportionnalité se présente, ainsi qu'il a déjà été démontré, en


limitation efficace et garantie contre les effets négatifs du recours aux notions de sécurité et
d'ordre. Dans ce cas, ces deux notions peuvent servir de buts des restrictions ou à élaborer les
buts correspondant à leur réalisation. Il convient de rappeler, par ailleurs, que la
proportionnalité exige absolument que les restrictions soient minimales afin d’atteindre les
buts déclarés. Dans le contexte de la Convention européenne, les objectifs de sécurité et
d'ordre ne peuvent être considérés comme objectifs effectifs que lorsqu'ils sont intégrés au
sein de buts plus larges déterminés dans les clauses limitatives des articles fixant des droits.
La Cour admet la sécurité et l'ordre comme motifs acceptables des restrictions, étant donné
que la sécurité comprend la prévention des infractions et des troubles (qui sont des buts
admissibles des restrictions – N.D.L.A.)786. Les objectifs de sécurité et/ou d'ordre peuvent être
englobés par d'autres buts légitimes autorisés par la Convention: sécurité publique et
protection de l'ordre public en vue de prévenir des troubles ou des infractions.

Ainsi que nous le démontrons, l'existence d'un but légitime ne suffit pas pour se
protéger contre les restrictions non justifiées des droits, bien que nécessaire pour la norme de
proportionnalité. Des problèmes plus sérieux surgissent lorsqu'il s'agit d'établir le niveau
minimal de la restriction et le rapport rationnel entre les restrictions et leurs buts.

L'administration pénitentiaire privilégie habituellement la sécurité et l'ordre en tant


qu'objectifs de la restriction et non les formulations des buts telles que fixées dans la
Convention, car les premiers sont un peu plus larges et assurent à l'administration davantage
de pouvoirs discrétionnaires. Il est, toutefois, peu probable que les restrictions justifiées par
les objectifs de sécurité et d'ordre soient qualifiées par la Cour de non justifiées sous l'angle

785
Les droits sociaux du détenu, Séance de section du 13 mars 1982, sous la présidence de M.
Ancel, Revue pénitintiaire et de droit pénal, 1982, n° 3 juillet-septembre, p. 261.
786
Voir par ex.: Hirst c. Royaume-Uni § 69 (nº 2) (GC) (nº 74025/01, 06.10.2005).
308

des intérêts de prévention des infractions ou des troubles, de la sécurité nationale, de la


sécurité publique ou de la protection des droits et libertés d'autrui. Dans cette situation, le
débat sur la sécurité et l'ordre, en tant que buts admissibles des restrictions, n'a pas de grande
valeur pratique sous l'angle de l'étude de la proportionnalité des mesures applicables pour
atteindre les buts visés. Nous l'avons déjà confirmé par notre conclusion sur le peu
d'importance que la Cour européenne attache à la présence du but légitime en tant qu'élément
pour évaluer le bien-fondé de la restriction et par la grande importance de l'établissement de la
proportionnalité.

3.1.2.2. Clauses limitatives des autres droits prévues par la Loi pénitentiaire

L'article 22 de la loi a donné le ton pour tous ses autres articles concernant les
restrictions des droits. Ces derniers reflètent tous, d'une manière ou d'une autre, la norme que
cet article prévoit, tout en comportant des exigences spécifiques liées au caractère des droits et
à leurs modalités d'exercice. Ceci a demandé une adaptation des restrictions de ces droits et la
détermination des modalités de leur application compte tenu des réalités carcérales.

De nombreux articles comportent des clauses limitatives justifiée par le biais d’une
variété des justification, soient : pour la liberté d'opinion, de conscience et de religion – la
sécurité et le bon ordre de l'établissement (art. 26) ; pour le droit de visite – le maintien du bon
ordre et de la sécurité ou à la prévention des infractions (art. 35) ; pour l'accès au téléphone –
le maintien du bon ordre et de la sécurité ou à la prévention des infractions (art. 39) ; pour la
correspondance écrite – la réinsertion ou le maintien du bon ordre et la sécurité (art. 40) ; pour
la diffusion ou à l'utilisation de l'image ou de la voix – l'ordre public, la prévention des
infractions, la protection des droits des victimes ou de ceux des tiers ainsi que la réinsertion
de la personne concernée (art. 41) ; pour l’accès aux publications écrites et audiovisuelles – la
sécurité des personnes et des établissement ou des propos ou signes injurieux ou diffamatoires
(art. 43) ; pour le droit à la vie privée (limité en cas de fouilles) – la sécurité des personnes et
au maintien du bon ordre dans l'établissement (art. 57).

Outre le fait que toutes les clauses limitatives citées n'évoquent pas le principe de
proportionnalité, elles présentent toutes un autre trait commun: la mention de l'ordre et/ou de
la sécurité en tant que buts admissibles pour appliquer des restrictions. Les buts
complémentaires, que certaines d'entre elles fixent, portent sur la protection de l'information,
la réinsertion, l'ordre public, la protection des droits des victimes ou des tiers.
309

Il est intéressant de mentionner deux types de buts figurant dans les clauses
limitatives: le but positif, lorsqu'il est dit que la restriction peut être appliquée "pour" assurer
un élément déterminé (par exemple la sécurité) ; et le but négatif, lorsqu'il est dit que les
restrictions peuvent être introduites pour "éviter quelque chose" (par exemple pour ne pas
compromettre la réinsertion). Évidemment, les buts positifs comprennent des buts négatifs et
inversement, les formulations différentes ne traduisent pas de différence au fond.

En fait, il est difficile de savoir quelle était la logique du législateur en sélectionnant


des buts différents pour des droits différents. Pourquoi, par exemple, l'objectif de protection
des droits des victimes est-il mentionné en tant que but admissible de la restriction du droit à
la diffusion d'informations sur la personne détenue (art. 41), mais n'est pas mentionné comme
but admissible de la restriction du droit d'accès à l'information (art. 43)? Pourquoi la
prévention des infractions mentionnée en tant que but admissible des restrictions aux côtés de
l'objectif de bon ordre et de sécurité pour la restriction du droit de visite (art. 35) n'est pas
mentionnée également s'agissant du droit à la vie privée dans le cas du contrôle de la
correspondance (art. 40)?

Il ne semble pas que les auteurs de ces règles aient réfléchi à la corrélation des buts
différents. Peut-être, est-ce dû au manque d'attitude sérieuse à l'égard de la portée pratique que
devrait avoir l'exigence légale de la nature ciblée des restrictions. L'incohérence dans la
définition des objectifs engendre davantage de problèmes lorsque l’on analyse leurs rapports
avec la clause limitative générale.

3.1.2.2.1. Question de la corrélation des objectifs des limitations d'après l'article 22


et les clauses limitatives d'autres articles

La comparaison des objectifs des limitations énoncés à l'article 22, qui se présente en
référence pour les actes restrictifs de droits dans le domaine pénitentiaire et des objectifs
contenus dans d'autres articles, démontre leurs différences. Ces articles peuvent comporter
aussi bien les objectifs non indiqués à l'article 22 que ceux qui y figurent ou seulement
quelques-uns.

L'administration pénitentiaire peut limiter, par exemple, le droit à la correspondance


écrite en saisissant les lettres reçues ou envoyées au cas où celles-ci pourraient compromettre
gravement la réinsertion (art. 40). Or, ce but des restrictions n'est pas prévu à l'article 22.
Nous pouvons supposer que le souci de réinsertion du condamné puisse faire partie d'un
310

objectif plus large qui permet d'appliquer des restrictions d'après l'article 22 en vue de la
prévention de la récidive notamment. Cependant, cette précision faite dans l'article 40 ne
paraît dès lors pas logique. Pourquoi ne pas garder la formulation plus large de l'article 22?

De même, l'article 41 permet d'interdire la diffusion, par exemple, de photos de


détenus, ce qui peut signifier, en fait, l'interdiction de les interviewer en vue de protéger
l'ordre public, les droits des victimes ou des tiers ou encore de faciliter la réinsertion du
détenu concerné. Dans le même temps, l'objectif de protection de l'ordre public est plus large
que celui énoncé à l'article 22, qui ne vise que l'objectif de "bon ordre dans l'établissement".
Une interprétation logique fait penser que l'article 41 comporte un but plus large pour les
restrictions et permet donc théoriquement des restrictions plus larges que l'article 22.

La question relative au rapport entre l'ordre public et l'ordre pénitentiaire interne prête
à discussion. Eric Péchillon estime, par exemple, que "l'ordre public, largement employé en
droit public, est une formule trop générale, trop imprécise pour qualifier la sécurité
pénitentiaire"787. Il observe qu'il est "possible de distinguer deux degrés dans l'ordre public:
l'ordre public général et un ordre public pénitentiaire. Le premier, plus global, et faisant des
règles de principe, suit les variations de l'intérêt général. Le second est plus rigoureux et
microcosme clos, dont les orientations sont prédéfinies. La notion de sécurité, au cœur de ces
deux ordres publics, est également différente dans chacun des cas"788.

Samantha Enderlin examine l'ordre interne et l'ordre public sous un angle critique et
considère, en fait, que l'ordre interne peut même ne pas faire partie de l'ordre public. Elle cite
l'exemple du détenu qui refuse de retourner dans sa cellule après la promenade. Dans ce cas-
ci, estime-t-elle, il ne peut s'agir de l'ordre public, vu qu'une telle infraction n'existe pas dans
l'ordre public général, ce dernier ne pouvant donc pas justifier la restriction du droit (par
application d'une sanction disciplinaire – N.D.L.A.)789.

D'autre part, le maintien de la sécurité, qui est également cité comme but admissible
des restrictions à l'article 41, est lié à l'objectif d'ordre public. Citons, à titre d'exemples, les
cas d'ingérence dans l'intégrité physique des détenus, du personnel pénitentiaire, des visiteurs
de l'établissement, l'atteinte à la propriété publique ou privée, les menaces ou la rébellion790.
E. Péchillon indique aussi que "la sécurité constitue avant tout une notion particulière

787
Péchillon E., Sécurité et droit du service public pénitentiaire, Paris, Librairie générale de droit
et de jurisprudence, 1998, p. 59.
788
Ibid, p. 64.
789
Enderlin S., Le droit de l’exécution de la peine privative de liberté, Ibid, р. 444-445.
790
Ibid, p. 444.
311

composant l'ordre public". Cette mesure sert à maintenir la stabilité publique791. La sécurité
pourrait se concevoir comme une simple fraction de l'ordre public792.

L'article 41 comporte un autre but complétant ceux figurant à l'article 22: il s'agit non
seulement de la protection des victimes, comme à l'article 25, mais aussi de celle des tiers.
L'article 43 complète l'objectif de "sécurité des établissements", tel qu'il est formulé à l'article
22, par l'objectif de sécurité des personnes. L'article 57, qui fixe la norme relative aux fouilles
spécifie, renvoie non point à la sécurité des établissements, mais seulement à celle des
personnes.

Il découle de ce qui précède, que la loi présente certaines incohérences entre les buts
généraux d'application des restrictions des droits et les buts spéciaux de restriction de droits
particuliers.

Des questions difficiles surgissent à ce propos. Les buts de restrictions de certains


droits, tels qu'ils sont énoncés dans certains articles, constituent-ils des buts exhaustifs qui
permettent les restrictions appropriées ou, au contraire, complètent-ils les buts fixés à l'article
22? L'article 22 a-t-il une signification juridique en tant que repère pour d'autres articles qui
comportent les buts de restriction des droits? Dans l'affirmative, les buts des restrictions
figurant dans ces articles ne devraient-ils pas correspondre littéralement aux formulations de
l'article 22? Sinon, l'article 22 ne sert-il pas de fondement complémentaire pour les
restrictions des droits au lieu d'être une barrière contre les restrictions non justifiées?

Nous pouvons affirmer que l'administration pénitentiaire peut restreindre un droit


subjectif ou un autre en se référant tant à la clause limitative spéciale relative à chaque droit
qu'à la clause générale de l'article 22. Dès lors, le fait de reprendre plusieurs fois l'objectif de
maintien de la sécurité et de l'ordre dans l'établissement est inutile, l'invocation de cet objectif
au titre des restrictions admissibles de l'article 22 ainsi que dans les clauses limitatives
spéciales ne saurait démontrer rien d'autre que la volonté de rappeler son importance. S'il n'y
avait que l'article 22, cette norme suffirait à elle seule pour justifier les restrictions par les
objectifs d'ordre et de sécurité793. Sa reprise dans les autres buts ne répond pas au principe de
concision de l'action législative et semble être superflue.
791
Péchillon E., Sécurité et droit du service public pénitentiaire, Ibid, p. 60.
792
Ibid.
793
Notons que certains auteurs peuvent ne pas accepter ce point de vue. M. Herzog-Evans
observe, par exemple, que le droit des détenus à l'information est un principe absolu (c'est-à-dire le
même droit que pour les citoyens libres), étant donné que la Loi pénitentiaire de 2009 ne prévoit pas
spécialement d'exceptions pour ce droit (Herzog-Evans M., Droit pénitentiaire, 2e éd., Paris, Dalloz,
2012, p. 104). Cela veut dire que la clause limitative générale de l'article 22 ne suffit pas elle seule
pour justifier la restriction.
312

D'un autre côté, tous les buts contenus à l'article 23 ne se répètent jamais totalement
dans aucune autre clause limitative. Ceci peut signifier que le législateur a voulu choisir les
buts "convenant le plus" pour les restrictions de chaque droit subjectif particulier. Cela ne
veut pas dire, toutefois, que les buts non énumérés dans la clause limitative spéciale ne
pourraient être utilisés avec une simple référence aux buts figurant à l'article 22, en tant que
clause limitative générale. Cette thèse pourrait cependant être mise en doute au regard du
principe lex specialis derogat generali.

Cependant, en supposant que les buts de la clause générale puissent être utilisés en
même temps que ceux de la clause spéciale, il serait justifié d’élargir les motifs des
restrictions des droits en se servant des buts de la clause qui seraient plus utiles à l'autorité
chargée de l'application de la loi.

Dès lors, se pose la question de l'exclusion réciproque des buts admissibles des
restrictions dans la clause générale et dans la clause spéciale. Compte tenu de ce qui précède,
les buts des restrictions inclus dans la loi ne deviennent pas des barrières complémentaires
pour les restrictions non justifiées. C'est que la loi elle-même prévoit, en son article 22, que
les restrictions ne peuvent être imposées que pour les buts qu'il énonce, mais cette règle est
aussitôt enfreinte dans les articles suivants. Outre ceci, il existe beaucoup de contradictions
entre les buts et leur formulation est trop floue, ce qui offre de larges possibilités pour le
pouvoir discrétionnaire de l'administration pénitentiaire et pour l'utilisation de celui-ci en vue
de justifier les restrictions les plus variées devant les juridictions nationales.

Ajoutons aussi que l'article 22 peut être invoqué aussi en cas de limitation d'autres
droits non énumérés dans la loi elle-même. A la différence de la Convention européenne, la
loi suit la voie du "fractionnement" des droits en leurs composantes avec, par la suite,
l'admission de leur restriction. C'est ainsi que le droit à la vie privée comprend inter alia le
droit au téléphone, le droit aux visites, et le droit à la correspondance. Or, en fixant les buts
concernant chacune de ces restrictions, la loi définit des buts différents (ce qui pourrait
d'ailleurs être en contradiction avec la Convention qui comporte des buts unifiés pour la
restriction du droit à la vie privée). Par ailleurs, il aurait suffi de définir la liste non exhaustive
des droits composant les droits plus globaux en mentionnant l'approche générale à l'égard des
restrictions de ce droit global (droit à la vie privée ou à la liberté d'expression). Cela
permettrait d'appliquer la clause limitative unifiée à toutes les composantes du droit global.

Dans le même temps, tous les buts des restrictions du droit à la vie privée doivent
répondre aux buts unifiés à l'article 8 de la Convention européenne. Ils sont formulés si
313

largement qu'ils peuvent inclure théoriquement quasiment tous les buts fixés comme
admissibles dans la loi. Aussi, leur fixation par rapport à chaque droit particulier au niveau de
la législation nationale ne pouvait-il avoir qu'un but: donner aux formulations générales de la
Convention une tonalité plus pratique.

Il convient de rappeler que l'absence de mention de la proportionnalité des restrictions


aux buts qu'elles visent nivèle par elle-même la portée de l'article 22. En l'absence de
proportionnalité, quasiment chaque but peut justifier n'importe quelle restriction.
L'établissement ne serait-ce que d'un seul lien entre la restriction et son but est une tâche très
facile, car en réalité ce lien existe presque toujours. C’est tout autre chose que de déterminer
quel est le niveau de rationalité de ce lien794.

Ce qui précède nous amène à la conclusion que l'article 22 dispose d'un potentiel très
limité pour garantir la non-application des restrictions non justifiées des droits. Ceci tient tant
au manque de concordance entre les buts des restrictions qu'à l'absence de la norme de
proportionnalité des restrictions aux buts visés795. Tel qu'il est, cet article facilite plutôt le
travail du personnel des établissements pénitentiaires qu'il ne favorise la protection des droits
contre des ingérences excessives et non rationnelles. Arnaud Deflou s'interroge à ce propos:
cet article n'est-il destiné à devenir une base pour les ingérences dans les droits des détenus au
lieu de les protéger796?

Le problème du rapport des buts des restrictions des droits devient encore plus
complexe lorsque l’on traite non plus de la loi pénitentiaire, mais des autres textes normatifs,
tels ceux figurant dans CPP français. Ce code contient, lui aussi, des clauses limitatives
relatives aux restrictions des droits des détenus.

Conformément à l'article R53-8-66 dudit code, "l'exercice des droits reconnus aux
personnes retenues ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles strictement nécessaires
au maintien de l'ordre et de la sécurité dans les centres, à la protection d'autrui, à la prévention
794
Citons à ce propos l'exemple des États-Unis où l'application de la norme de proportionnalité
revêt un caractère limité, les juges constatant et soulignant normalement non seulement la nécessité
d'un rapport entre les restrictions des droits des détenus et les buts, mais surtout celle d'un rapport
rationnel (voir chapitre 3.2 "États-Unis").
795
Nous nous rendons compte que la tradition juridique française n’appréhende pas la
proportionnalité comme l’une des ses doctrines majeures. Son application serait compliquée au vu de
l’histoire et de la culture juridique. En revanche, le fait que la France soit sous la juridiction de la
CEDH et qu’elle soit liée par la Convention implique la nécessité d’attribuer plus d’importance à ce
principe. La CEDH vérifie si les autorités nationales le respectent, c’est à dire que le refus d’examiner
son respect est égal au refus d’implementer la Convention.
796
Deflou А. La justice ne saurait s’arrêter à la porte des prisons : le Conseil d’État et les
détenus, Le droit des détenus : sécurité ou réinsertion ? Sous la direction de A. Deflou. avec les
contributions de C. Allain, A. Deflou, J. Andriantsimbazovina [et al.], Paris, Dalloz, 2010, p. 79.
314

des infractions et de toute soustraction des personnes retenues à la mesure dont elles font
l'objet". L'article R53-8-68 présente la liste des droits des personnes concernées, en rappelant
que les restrictions imposées par le responsable de l'établissement doivent être dûment
justifiées dans le respect des dispositions de l'article R53-8-66.

Comme on le voit, en plus des buts pouvant justifier les restrictions, cette norme
comporte la protection des tiers, et non point seulement des victimes, ainsi que la prévention
des restrictions inutiles à l'égard des personnes retenues à titre préventif. Par ailleurs, la norme
omet de souligner que sont admises les restrictions résultant des contraintes inhérentes à
l'emprisonnement, comme c'est le cas de l'article 22 de la loi pénitentiaire. La disposition de
l'article R53-8-68 n'exige pas que les restrictions soient conformes aux prescriptions de
l'article 22 de la loi pénitentiaire.

Le Code comporte d'autres clauses limitatives. L'article 706-53-22 dispose que le


Conseil d'État doit émettre un document qui déterminerait les conditions dans lesquelles
s'exercent les droits des personnes retenues, y compris en matière d'emploi, de formation, de
visites, de correspondance, d'exercice du culte, de permission de sortie sous escorte ou sous
surveillance électronique. Il précise aussi qu'il est inadmissible d'apporter à l'exercice de ces
droits des restrictions autres que celles strictement nécessaires aux exigences de l'ordre public.

L'article R57-6-18, qui régit le contenu du Règlement intérieur type des établissements
pénitentiaires, reproduit entièrement l'article 22 en ce qui concerne les buts des restrictions
des droits.

Il est impossible de ne pas voir le lien de l'article 22 avec le 2ème alinéa de l'article
717-1 du CPP, qui dispose que les détenus sont répartis par établissements compte tenu de
leur catégorie pénale, de leur âge, de leur état de santé et de leur personnalité. Leur régime de
détention est "déterminé en prenant en compte leur personnalité, leur santé, leur dangerosité et
leurs efforts en matière de réinsertion sociale". Il est à signaler, par ailleurs que ces critères
d'individualisation existent en parallèle avec le principe d'égalité des détenus797.

Il est à remarquer que ce même article précise en outre que "le placement d'une
personne détenue sous un régime de détention plus sévère ne saurait porter atteinte aux droits
visés à l'article 22 de la loi pénitentiaire". L'article 22 ne propose cependant pas une liste bien
définie des droits et ne fait que signifier le "respect de la dignité et du droit du détenu". Une
analyse logique aboutit à une conclusion intéressante: l'article 717-1 du CPP interdit que le

797
Duroché J.-P., Pédron P., Droit pénitentiaire, 2e éd., Paris, Vuibert, 2013, p. 150.
315

placement sous un régime plus sévère affecte quelques-uns (!) des droits des détenus. Il est
probable que le législateur ait eu une conception illusoire du lien entre les restrictions et le
régime, car un régime plus sévère implique nécessairement des restrictions plus sévères ou
nouvelles des droits.

L’on pourrait supposer que le législateur s’est trompé de formulation, en voulant


prévoir que les restrictions applicables aux détenus en raison de leur placement sous un
régime plus sévère doivent obéir aux exigences fixées à l'article 22 et ne doivent donc pas
s'ingérer dans les droits de manière non justifiée. Par contre, la lecture littérale de la
formulation de l'article 717-1 permet de présumer que le législateur a commis une erreur
grossière.

La formulation du 2e al. dans l'article 726-1 du CPP contient aussi une erreur. Il
énonce notamment: "Le placement à l'isolement n'affecte pas l'exercice des droits visés à
l'article 22 de la loi pénitentiaire, sous réserve des aménagements qu'impose la sécurité".
L'article 726-1 se réfère ainsi à une liste concrète des droits qui n'existe pas dans l'article 22. Il
évoque donc tous les droits des détenus, parce que c'est de cette façon que sont mentionnés les
droits à l'article 22.

3.1.2.3. Jurisprudence relative à l'application de l'article 22

La jurisprudence des juridictions françaises confirme certaines de nos conclusions sur


le caractère problématique de l'article 22: absence d'exigence de proportionnalité et confusion
des buts dont le contenu, de plus, n'est pas bien clair. Analysons certaines décisions.

L'arrêt du Conseil d'État du 24.10.2014798 porte sur la demande de l'organisation non


gouvernementale "Observatoire pénitentiaire international" exigeant la suppression de
certaines règles types du Règlement intérieur qui étaient incluses dans le décret n° 2013-368
du 30.04.2013. Ces règles permettaient, entre autre, de pratiquer des fouilles fréquentes et
minutieuses de la cellule en l'absence de la personne détenue et elles contenaient l'exigence
d’obtention de l'autorisation du directeur interrégional des services pénitentiaires pour la
publication ou la diffusion des textes écrits par le détenu.

Les règles en question ont été qualifiées de justifiées. Le Conseil d'État, en tant que
juridiction administrative supérieure, ne faisait pas preuve d'une originalité particulière en se

798
CE, 6ème / 1ère SSR, 24/10/2014, 369766, Inédit au recueil Lebon.
316

référant par ailleurs à l'article 22 de la loi pénitentiaire pour motiver la légalité de la règle
relative aux fouilles. S'agissant de la possibilité pour l'administration pénitentiaire de saisir les
œuvres écrites, le Conseil mentionne la norme qui faisait partie du Règlement intérieur et qui
autorisait une telle saisie "pour des raisons d'ordre". Le Conseil a pris en compte cette norme
en la combinant avec les dispositions de l'article 22 de la loi pénitentiaire, ce qui lui permet de
dire que les motifs de retrait des écrits étaient suffisants (par. 6).

Dans les deux cas, l'article 22 a servi de justification complémentaire des restrictions
des droits. De plus, dans le second cas, il a été utilisé pour compléter l'argumentation sur la
précision suffisante des motifs pour l'ingérence dans le droit à la vie privée au moyen des
fouilles.

Malgré notre thèse énoncée ci-dessus, selon laquelle la loi pénitentiaire ne comporte
pas d'exigence de proportionnalité, le Conseil d'État n'en a pas moins confirmé l'idée qu’il
convenait de vérifier si une restriction n'était pas excessive. Par ailleurs, la vérification du
caractère excessif des restrictions, qui ne répond qu'en partie aux exigences de contrôle de la
proportionnalité, a été opérée en vertu des exigences appropriées contenues aux articles 8 et
10 de la Convention européenne (par. 3 et 6 de l'Arrêté cité).

Les juges se réfèrent, dans certains jugements, à l’équilibre entre les intérêts
individuels et ceux de l'administration pénitentiaire, ce qui représente une composante de
l'exigence de proportionnalité. Cela se confirme, par exemple, dans une décision de la Cour
d'appel de Lyon799. L'autorité française concernée contestait, dans cette affaire, le jugement de
la juridiction administrative de première instance, lequel donnait satisfaction aux réclamations
d'un détenu et obligeait le directeur de l'établissement pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier
à approvisionner les détenus de confession musulmane en viande halal au lieu de viande
ordinaire. La Cour d'appel a annulé ce jugement, ainsi que l'obligation d'approvisionner les
détenus de confession musulmane en viande halal.

La Cour argumentait son arrêt notamment comme suit (par. 3): а) l'administration
pénitentiaire fournissait trois menus: ordinaire, végétarien et sans porc (sans une signification
religieuse spéciale); b) ceci permettait aux détenus de n'être pas obligés de consommer les
aliments interdits par leur religion; c) les musulmans détenus avaient la possibilité de recevoir
des menus adaptés à l'occasion des fêtes religieuses, ce qui veut dire qu'ils pouvaient se faire
approvisionner en viande halal; d) les détenus pouvaient s'approvisionner en cette viande par
le système de la cantine.

799
CAA de Lyon N° 14LY00113 4ème chambre - formation à 5 Inédit au recueil Lebon.
317

Ces arguments ont permis à la Cour de conclure à l'existence d'un équilibre juste
(justifié) "entre les nécessités du service public et les droits des personnes détenues en matière
religieuse" (par. 3)800. Par ailleurs, la Cour ne s’est pas appuyée sur la norme de
proportionnalité de la Cour européenne. De même, elle ne s’est pas référée, ne serait-ce qu'à
un seul but des restrictions des droits figurant dans la liste exhaustive de l'article 22 de la loi
pénitentiaire et de l'article 26 de cette même loi, alors qu’elle concerne pourtant spécialement
les restrictions des droits religieux. La référence faite portait sur les "nécessités du service
public" en tant que motif de la restriction.

Les juges s'interrogent parfois sur les excès des restrictions, sans se référer à la
Convention européenne, mais aussi sans se référer à l'article 22 de la loi pénitentiaire. C'est
ainsi que le Conseil d'État signifiait dans son arrêt du 11.07. 2014 801 qu'il devait être refusé de
satisfaire à la demande faite au ministère de la Justice d'annuler l'article R. 57-7-44 du Code
de procédure pénale de la France qui interdisait l'accès à toute activité, y compris les activités
culturelles (sauf certains cas rarissimes) aux détenus placés en cellule disciplinaire. Les
arguments principaux portaient sur le fait que cette disposition visait à l'intérêt général de
protection de la sécurité et du bon ordre, qu'elle prenait en compte la durée de la sanction
infligée et les autres droits dont les détenus continuent à bénéficier lors de leur séjour dans les
établissements pénitentiaires, de même que le fait que la sanction n'était pas excessive
(souligné par nous - N.D.L.A.).

Ce faisant, l'excès de limitation n’est pas regardé sous l’angle de la nécessité


d'atteindre certains buts. Bien au contraire, il découle de ce contexte que l'existence même de
ces buts est devenue l'une des raisons de ne pas qualifier la restriction d'excessive. C'est-dire
que l'excès est traité par la juridiction comme une notion amorphe, sans égard pour les
objectifs, ce qui ne rappelle que de loin la norme de proportionnalité.

De même, le Conseil d'État observait, dans sa décision du 17.07.2013802, que les


restrictions imposées au détenu pour ses achats au magasin de la prison (sauf les produits
d'hygiène, les objets nécessaires à la correspondance et le tabac) pendant l'exécution de la
sanction disciplinaire étaient justifiées. Cette conclusion découlait du fait que l'interdiction

800
L'argument principal de cet arrêt consistait en fait en ce que la distribution de la viande halal
était trop onéreuse du point de vue financier (nécessité d'avoir un personnel spécialement formé, des
équipements, y compris pour la conservation des produits, etc.). Le motif financier représente un
facteur assez douteux qui devrait être pris en compte en appliquant le test de proportionnalité à la
lumière de la Règle 4 des RPE selon laquelle le manque de ressources ne saurait justifier des
conditions de détention violant les droits de l’homme.
801
CE, 6ème / 1ère SSR, 11/06/2014, 365237
802
CE, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 17/07/2013, 357405, Inédit au recueil Lebon.
318

appliquée ne limitait pas les droits plus que nécessaire (par. 6). La décision n'indiquait
pourtant pas le but pour lequel c'était "nécessaire". Bien que la décision mentionnât l'ordre et
la sécurité comme motif admissible de la restriction appliquée d'après la Convention
européenne, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et l'art. 22 de la loi
pénitentiaire (par. 5), il ne ressort pas de cette décision avec évidence qu'une analyse
organisée et structurée ait été faite au sujet de la nécessité de la sanction pour atteindre des
objectifs concrets (par. 7) (souligné par nous – N.D.L.A.). La seule chose à remarquer
concerne l'attention attachée au fait qu'en adoptant cette norme du CPP, le Premier ministre
n'avait pas dépassé les pouvoirs qui lui avaient été accordés par le législateur. Il n'en reste pas
moins que la notion amorphe de "nécessité" est évaluée sans mesurer cette nécessité et dépend
totalement de ce que chaque juge concerné considérerait comme nécessaire. En fait, le but
pour lequel la restriction est "nécessaire" relève dans chaque cas de la sphère subjective de
chaque juge particulier.

Le caractère excessif de la restriction doit être apprécié par les juridictions, étant
donné que les juges administratifs se servent de la technique générale de contrôle
administratif. En appliquant cette technique, l'intensité du contrôle juridictionnel dépend de la
nature des mesures contestées, et les juges opèrent un contrôle particulier lorsque le litige
concerne les droits de l'homme803. Cependant, la pratique enseigne que le contrôle de la
proportionnalité des restrictions par les juridictions administratives revêt plutôt un caractère
déterminé par la situation et, est non systématique.

La jurisprudence confirme d'ailleurs notre supposition sur le caractère complémentaire


des clauses limitatives de l'article 22 de la loi pénitentiaire. La décision du Conseil d'État du
06.06.2013804 portait sur la justification de la restriction du détenu à l'intimité qui se traduisait
par des fouilles permanentes. Le détenu contestait la décision du directeur de la maison d'arrêt
de Fleury-Mérogis, qui mettait en place un régime de trois mois prévoyant des fouilles
complètes et systématiques de chaque détenu après les visites, ainsi que la décision du
directeur en vertu de laquelle ce détenu devait être soumis aux fouilles après chaque visite au
parloir.

Se référant d'abord à la formulation de l'article 22, le Conseil d'État constatait que les
"nécessités de l'ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire peuvent légitimer

803
Labetoulle D., Regard du juge administratif, in La prison : quel(s) droit (s) ? Actes du
colloque organisé à Limoges, le 7 octobre 2011, Limoges, Presses Universitaires de Limoges, 2013, p.
101.
804
CE, Juge des référés, 06/06/2013, 368875.
319

l'application aux détenus d'un régime de fouilles corporelles intégrales" et, qu'à défaut de
pouvoir utiliser les portiques de sécurité à l'époque à cause des travaux de rénovation, ces
mesures étaient justifiées "par la nécessité d'assurer la sécurité ainsi que le maintien de l'ordre
du sein de l'établissement, mais que, toutefois l'exigence de proportionnalité des modalités
selon lesquelles les fouilles intégrales sont organisées implique qu'elles soient strictement
adaptées non seulement aux objectifs qu'elles poursuivent, mais aussi à la personnalité des
personnes détenues" (par. 6). Ensuite, le détenu fut débouté de sa demande compte tenu de
l'argument principal: son comportement antérieur négatif, qui démontrait la nécessité des
fouilles corporelles intégrales. Le Conseil d'État appliqua ainsi les possibilités de l'article 57
de la loi pénitentiaire, qui dispose que la nature et la fréquence des fouilles doivent être
adaptées (prendre en compte) aux buts de sécurité des personnes et de maintien du bon ordre,
ainsi qu'à la personnalité des personnes détenues. La prise en considération de la personnalité
ne pourrait évidemment pas être considérée dans le cas donné comme objectif de la
restriction, mais elle a déterminé des règles complémentaires relatives à l'application de la
restriction du droit telle que la fouille. Dans la décision analysée, c'est justement la prise en
considération de la personnalité, qui a été utilisée pour justifier la restriction. Ceci confirme la
thèse selon laquelle il est possible d'appliquer en même temps les dispositions fixées dans
plusieurs clauses limitatives en tant qu'outil additionnel servant à justifier la légitimité des
restrictions des droits des détenus.

Nous observons une certaine incohérence concernant l'énoncé exhaustif des motifs
(buts) pour les restrictions des droits dans les clauses limitatives générales et spéciales de la
loi pénitentiaire. C'est ainsi que la décision du Conseil d'État du 20.02. 2013805 note que le
détenu invoquait le 2e alinéa de l'article 35 de la loi pénitentiaire806 faisant remarquer son
caractère trop général et imprécis en ce qui concernait les compétences de la direction des
établissements pénitentiaires. Il estimait que l'article 34 de la Constitution était transgressé,
puisque des garanties solides n'étaient pas prévues contre l'ingérence non justifiée dans le
droit fondamental de maintien des liens familiaux (par. 4). La Cour objectait que les
dispositions légales contestées énuméraient quand même d'une manière précise et exhaustive
les motifs qui permettaient à l'autorité administrative de limiter ou de retirer le permis de
visite.

La cour a indiqué, par la suite, que les motifs pour de telles restrictions étaient

805
CE, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 20/02/2013, 364081.
806
Rappelons qu'elle prévoit que l'administration ne peut pas refuser le permis de visite aux
membres de famille du condamné, d'ajourner ou d'annuler ce permis dans un but autre que le maintien
du bon ordre et de la sécurité ou la prévention des infractions.
320

consignés à l'article 22 avec l'article 35. Il en ressort que "les restrictions susceptibles d'être
apportées aux droits des détenus, notamment en matière de permis de visite des détenus, sont
inhérentes au maintien du bon ordre et de la sécurité ou à la prévention des infractions et que
les décisions de refus, de suspension ou de retrait d'un permis de visite ne peuvent intervenir
que pour l'un de ces motifs" (par. 8). À l'évidence, la Cour estime que les articles 22 et 35 font
apparaître seuls (souligné par nous – N.D.L.A.) les buts admissibles des restrictions comme le
bon ordre, la sécurité ou la prévention des infractions. Ce faisant, elle ne prend pas en compte
tous les buts fixés à l'article 22. La protection des intérêts des victimes, par exemple, en tant
que but admissible des restrictions, n'est pas mentionnée. Une telle association des exigences
de restrictions fixées dans les articles 22 et 35 semble illogique et démontre une nouvelle fois
l'ambiguïté de leur application simultanée pour légitimer les restrictions des droits.

Nous pouvons arguer de l'existence d’un problème de mise en concordance des buts
d'après la clause limitative de l'article 22 et de ceux des clauses spéciales. Tantôt les juges
évoquent la nécessité de restrictions pour atteindre les buts d'un seul article, tantôt ils
combinent des exigences concernant les buts des plusieurs articles. Il manque une vision
précise permettant de savoir si les buts des seules normes spéciales sont exhaustifs pour
pouvoir limiter un droit concret ou s'il faut aussi prendre en compte la norme générale de
l'article 22 de la loi pénitentiaire. Nous y voyons une conséquence logique des insuffisances
de la loi elle-même.

La jurisprudence ne manifeste pas un respect net du principe par lequel les restrictions
ne sont admissibles qu'avec des buts concrets. Même si les juges le disent, leur motivation ne
touche pratiquement pas à l'existence de la justification des buts et à leur réalisation au moyen
des restrictions. Autrement dit, la question n'est pas posée à savoir si la restriction visait
justement le but autorisé par les normes légales relatives aux restrictions. Du reste, à défaut
d'appliquer la norme de proportionnalité, le fait de poser cette question aurait, dans tous les
cas, un caractère très limité pour protéger des droits contre les restrictions non justifiées.

D’habitude les tribunaux n’analysent pas si les limitations respectent les exigences de
l’article 22. Cet article n'est que peu cité et, dans la plupart des cas, son incidence sur le
résultat du jugement n’est pas examinée. Malgré l'évocation devenue traditionnelle de l'article
22 dans les jugements, les juges s'y réfèrent pour considérer l'ingérence dans les droits des
321

détenus comme légitime807.

En ce qui concerne la jurisprudence du Conseil d'État en matière pénitentiaire, elle fait


apparaître un certain nombre d'imperfections. Celles-ci portent sur la non-application du
principe de proportionnalité des restrictions, sur la reconnaissance du type spécial de la
réglementation juridique dans ces affaires (ce qui n'est pas permis est interdit) et sur la
reconnaissance et l'application d'une doctrine imprécise aux termes de laquelle les détenus
sont soumis aux restrictions inhérentes à l'emprisonnement808. La fixation des restrictions
inhérentes à l'emprisonnement dans la loi pénitentiaire est due aussi au Conseil d'État809.

Conclusion du sous-chapitre 3.1.2

La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 était attendue par la société française en tant
que texte pouvant aider à rapprocher sensiblement les normes pénitentiaires nationales des
exigences internationales. Ce rapprochement devait passer notamment par la mise en
conformité des clauses limitatives relatives aux droits des détenus. À cette fin, des exigences
étaient formulées envers les restrictions de certains droits ainsi que l'exigence générale
concernant les restrictions légitimes.

L'article 22 de la loi dispose en particulier que l'exercice des droits des détenus ne
pouvait être soumis à des restrictions autres que celles résultant des contraintes inhérentes à
l'emprisonnement, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la
prévention de la récidive et de la protection des intérêts des victimes. Ces restrictions doivent
prendre en considération l'âge, la santé, le handicap et la personnalité des personnes détenues.

La formulation de cette clause limitative a subi d'amères critiques dès son élaboration.
Les critiques ont principalement porté sur l'imprécision de la norme elle-même, des motifs et
des buts admissibles des restrictions. Il lui a été reproché aussi l'ambiguïté des buts des
restrictions (surtout celui de protection des intérêts des victimes), la mention des facteurs à
prendre en compte en appliquant les restrictions, la conception ambiguë des restrictions
inhérentes à l'emprisonnement, l'absence de mention sur la proportionnalité des restrictions.

807
Voir par ex.: CAA de Bordeaux, 20/11/2013, 13BX01140, Inédit au recueil Lebon; CAA de
Nantes, 3ème Chambre, 20/06/2013, 12NT01050, Inédit au recueil Lebon; CAA de Paris, 1ère
chambre, 31/07/2014, 13PA04134, Inédit au recueil Lebon; Cour Administrative d'Appel de Nantes,
3ème Chambre, 31/12/2014, 13NT02085, Inédit au recueil Lebon.
808
Enderlin S., Ibid, p. 468-470.
809
Ibid, p. 470.
322

Malgré ces observations, le projet de loi n’a subi que des modifications insignifiantes et ne
n’a presque pas tenu compte des remarques des experts.

Nous estimons que l'absence de référence relative à l'exigence de proportionnalité des


restrictions constitue le défaut majeur de l'article 22. Le fait de n'énoncer que les buts
admissibles des restrictions et l'exigence de viser ces buts par les restrictions ne fournit pas
une garantie suffisante contre les restrictions excessives des droits mais, bien au contraire,
légitime les actions restrictives excessives des autorités pénitentiaires. Des garanties contre les
restrictions excessives ne sont pas non plus définies. Or, la proportionnalité vise à prévenir
ces excès. L'orientation des restrictions sur les buts légitimes est assez aisée à prouver ainsi
que le montre notre analyse de la jurisprudence de la CEDH présentée dans les chapitres
précédents. La fixation de l'exigence de proportionnalité est nécessaire pour le développement
de la jurisprudence en matière de justification des restrictions des droits, car elle crée des
bases pour ce qu'on appelle "équilibre entre les droits individuels et les intérêts de la
société/de l'État". Même si la tradition juridique française n’appréhende pas la
proportionnalité comme l’une des ses doctrines majeures, le fait que la France est sous la
juridiction de la CEDH et qu’elle est liée par la Convention implique la nécessité d’attribuer
plus d’importance à ce principe.

Un autre défaut notable de l'article 22 porte sur la fixation de la doctrine des


restrictions inhérentes à l'emprisonnement. Cette disposition a donné lieu à de multiples
débats pendant l'élaboration du projet de loi. Notre avis s'accorde avec celui de certains
juristes français estimant que la doctrine des restrictions inhérentes fournit des conditions
pour les abus du pouvoir discrétionnaire dans l'imposition des restrictions, étant donné que
cette notion est extrêmement floue du point de vue théorique et, à plus forte raison, du point
de vue pratique. Aussi, est-elle probablement peu suffisante pour la protection contre de telles
restrictions (ce qui est confirmée par la jurisprudence), mais elle peut devenir, en revanche, un
prétexte pour des restrictions non justifiées.

Un défaut particulier de la norme consiste en l'absence de référence à la loi en tant que


base formelle obligatoire des restrictions. De ce fait, l'admission par l'article 22 des
restrictions inhérentes à la détention crée des conditions particulièrement favorables pour les
dérogations au principe de légalité.

La sécurité et l'ordre sont des objectifs permettant les restrictions des droits des
détenus. Ces deux notions suscitent les soupçons des juristes français quant à leur impact
négatif potentiel sur le niveau des droits des détenus. Ils sont associés à l'arbitraire de
323

l'administration pénitentiaire dans la limitation des droits individuels. Bien plus, la sécurité et
l'ordre ne sont définis clairement, ni dans la législation pénitentiaire, ni dans la doctrine, ce
qui en fait des buts encore plus discutables pour les restrictions. Elles sont considérées aussi
comme différant des buts semblables des restrictions dans la Convention européenne (par
exemple, la prévention des infractions ou des troubles, la sécurité publique, la sécurité
nationale ou la protection des droits et libertés d'autrui), bien que, à notre avis, ces différences
soient sur-évaluées. Quant à la fixation de la sécurité et de l'ordre en tant que buts légitimes
des restrictions, elle ne semble pas être aussi critique que l'absence d'exigence de
proportionnalité des restrictions.

Outre la clause limitative générale de l'article 22, la loi comporte des clauses
limitatives spécifiques relatives à des droits particuliers. Une observation importante porte sur
la non-conformité des motifs et des buts des restrictions de certains droits aux buts qui sont
fixés dans la clause limitative générale. Une question difficile est celle de l'invocation des
motifs des restrictions dans les cas où la norme spéciale ne comprend pas les buts définis des
restrictions contenus dans la norme générale (article 22). C'est ainsi que les buts énoncés à
l'article 22 ne sont jamais reproduits complètement dans aucune autre clause limitative.
L'application du principe lex specialis derogat generali peut fournir la réponse à la question
posée: son application doit permettre de considérer comme admissibles les buts de la norme
spéciale qui excluent les exigences relatives aux buts de la norme générale. Par ailleurs, la
concurrence des normes produit des suites juridiques qui n'apportent pas de clarté dans la
législation en ce qui concerne le problème d'imposition des restrictions. De plus, la clause
limitative de la loi ne présente pas une bonne corrélation avec les clauses limitatives de la
Convention européenne et du CPP français.

Une analyse détaillée des clauses limitatives de la loi et de l'article 22, en particulier,
démontre leur imperfection considérable. Cette analyse signale les erreurs à éviter en
élaborant les clauses de ce type: défaut de corrélation entre la clause limitative générale et les
clauses spéciales ; buts nébuleux ; absence d'exigence de proportionnalité ; motifs imprécis
des restrictions ; et caractère discutable du contenu des facteurs à prendre en compte pour
pouvoir limiter les droits.

Notre bref aperçu de la jurisprudence confirme aussi ces conclusions. Les jugements
attestent une application parallèle de la clause limitative générale et des clauses spéciales.
Quant à l'analyse elle-même de la conformité des restrictions aux clauses limitatives, elles
laisse à désirer.
324

D'un autre côté, en dépit de l'absence dans la loi d'exigence de proportionnalité des
restrictions, les juges appliquent tout de même certains éléments de ce principe, sans que cela
ne permette à la loi de devenir une barrière sûre contre l'application de restrictions non
justifiées. Notre analyse montre plutôt l'inverse: les clauses limitatives de la loi sont utilisées
en tant qu'argument complémentaire servant à confirmer la pertinence des restrictions que
l'État impose aux détenus, plutôt que le contraire. Bien plus, les cas où les juges statuent tout
de même à la non-justification des restrictions ne sont pas dus à l'application des clauses
limitatives.

3.1.3. Doctrine française des limitations des droits

3.1.3.1. Le détenu, citoyen à part entière

La doctrine française relative aux limitations des droits se fonde sur le postulat selon
lequel la personne incarcérée reste un citoyen à part entière810.

Le terme "citoyen" comprend beaucoup d'éléments qui caractérisent la personne en


tant que membre à part entière de la société dans laquelle elle vit. C'est pourquoi la formule
française disant que "le détenu reste un citoyen à part entière" caractérise sa participation ou
sa possibilité de participer à la vie de la société, son lien avec la société. Aussi, le "détenu-
citoyen" est-il, en premier lieu, une personne qui conserve la possibilité de prendre part à la
vie sociale moyennant l'exercice des droits politiques tels que le droit de suffrage, mais
également d'autres droits: celui de maintenir les contacts avec les autres membres de la
société, etc.

Une étude réalisée sur ce sujet par la sociologue Caroline Touraut met en lumière la

810
Le détenu citoyen, Séance de section du 22 avril 1989, Revue pénitentiaire et de droit pénal,
1989, p. 255-279 ; Renaut M.-H., Les conséquences civiles et civiques des condamnations pénales. Le
condamné reste un citoyen à part entière, Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 1998,
p. 265-277 ; Exposito W., Citoyenneté du détenu, Revue pénitentiaire et de droit pénal, 2005, n° 1
(mars), р. 87–105 ; Exposé de M. Favard; Aubenas F., Bach J., Marrest P., Mécary C., Bianchi V.,
Pelletier W., Sire-Marin E., Les détenus sont-ils des citoyens ? , Paris, Notes et documents de la
Fondation Copernic, 2010; Chapitre « La reconnaissance des qualités inhérentes au détenu, l’humanité
et la citoyenneté », in Belda B. Les droits de l'homme des personnes privées de liberté: contribution à
l'étude du pouvoir normatif de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, Bruxelles : Établissements
Evile Bruylant, 2010, spéc. pp. 161-169 ; Martucci F., Le détenu-citoyen, in Les droits de la personne
détenue après la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, Paris, Dalloz, 2013, p. 217–231.
325

conception multidimensionnelle de la notion de "citoyenneté"811. Il ressort de son analyse


qu'elle comprend : une dimension juridique, qui comprend les droits et obligations des
citoyens ; une dimension effective qui marque l'exercice pratique de la dimension
juridique812 ; une dimension identitaire qui marque le sentiment d'appartenir à une collectivité
politique et sociale ; et une dimension morale qui signifie la volonté de remplir les obligations
collectives telles que l'acquittement des impôts. Vue dans le contexte de la doctrine du droit
pénitentiaire, cette notion est utilisée dans ses dimensions juridique et effective.

La conception large de ce terme tire ses racines de la Révolution française, lorsque les
citoyens s'étaient divisés en citoyens actifs et passifs813. Cette division était opérée selon que
le citoyen se servait, en premier lieu, de ses droits politiques ou s'il ne faisait que les détenir.
C'est-à-dire que nommer un individu en tant que "citoyen" signifiait que cette personne se
servait de son statut juridique. Il est vrai que s'agissant de la "citoyenneté", la question n'était
pas de savoir si elle était effective ou non mais plutôt quel en était le niveau814. C'est alors que
débute la conception actuelle du détenu-citoyen en tant que citoyen qui ne doit pas être exclu
de la vie sociale.

Ce terme avait en outre un rapport direct avec une punition en tant que "dégradation
civique" et aussi une autre: la "mort civile".

La dégradation civique pouvait s'appliquer en tant que peine principale et comme


peine complémentaire815 et elle faisait partie des punitions de type spécial, soient les peines
privatives de droits816. Elle consistait à priver l'individu des droits politiques, civils et
familiaux817 "dont il s'est rendu indigne ou qu'il serait dangereux de lui laisser" 818. Capitis

811
Touraut С., Étude dynamique des rapports à la citoyenneté d’acteurs incarcérés, Champ
pénal/Penal field [Online], 2005, Vol. II., http://champpenal.revues.org/453 (accedé le 30.01.2015).
812
Hassenteufel P., L’État-providence ou les métaphores de la citoyenneté, L’année
sociologique, 1996, n°46.1, р. 127-149.
813
Simonin А., Être non citoyen sous la Révolution Française. Comment un sujet de droit perd
ses droits, Raymonde Monnier (dir.), Citoyens et citoyenneté sous la Révolution française, Paris:
L’Harmattan, 2006, p. 294-300.
814
Ibid, p. 296.
815
Exposito W., Citoyenneté du détenu, Revue pénitentiaire et de droit pénal, 2005, n° 1, p. 89.
816
Vidal G., Cours de droit criminel et de science pénitentiaire. Septième édition refondue et
mise au courant de la législation et de la jurisprudence par Joseph Magno, Paris, Librairie Nouvelle de
Droit et de Jurisprudence Arthur Rousseau, 1928, p. 708-713.
817
Ibid, p. 712.
818
Ibid, p. 709.
326

diminutio maxima819 est l'institution du droit romain dont provenaient les sources des
restrictions et des privations des droits820.

"Votre pays vous a trouvé convaincu d'une action infâme. La loi et le tribunal vous
dégradent de la qualité de citoyen français" ; telles étaient les paroles prononcées par le
greffier lors de la lecture du jugement prévoyant cette peine. Après ceci, le détenu était amené
sur une place publique en portant sur lui une plaque mentionnant son nom, son crime et la
peine qui lui était infligée, pour y rester pendant plusieurs heures de manière à ce que le
peuple puisse le voir821.

Il convient de faire remarquer que la dégradation civique portait justement sur la


privation de la possession des droits et non sur leur jouissance. À l'époque, une nette
distinction était faite entre ces formules. Il était dit que "devenir sujet de droits, c'est acquérir
des droits, en être titulaire, en avoir la jouissance; faire valoir ses droits, c'est les mettre en
mouvement, pour retirer les avantages qu'ils sont susceptibles de procurer, [...] en un mot, les
exercer"822. Cette distinction servait à établir le degré de participation à la vie sociale et à
établir d'une certaine manière le type de "citoyenneté".

La mort civile était "une fiction par laquelle le détenu était réputé mort à la société: sa
succession était ouverte au profit de ses héritiers naturels, son mariage était dissous et il était
incapable d'en contracter un nouveau: en outre, il était incapable de recevoir par donation des
biens [...]". Cette peine fut supprimée comme immorale et l’on n’en conserva que certains
éléments tels que "l'incapacité" d'envoyer et de recevoir des fonds, de laisser ses biens à
quelqu'un autre que l'héritier désigné par la loi. Cette incapacité, ainsi que la considère G.
Vidal, privait le détenu non seulement de la possibilité d'exercer des droits mais lui retirait
aussi leur jouissance823. La personne à qui cette peine était appliquée était considérée comme

819
Littér. "Privation maximale de capacité". Cela signifié dans le droit romain la privation de
liberté, de citoyenneté et de famille. Ceci arrivait aux individus ayant commis des crimes et
condamnés au servage. Il y avait aussi des degrés moins sévères de diminution de la capacité: degré
moyen (capitis deminutio media) qui prévoyait la perte de citoyenneté et de famille sans la privation
de liberté, et degré minimum (capitis deminutio minima), d'après lequel l'individu cessait d'appartenir
à une famille sans être privé de liberté ou de citoyenneté (Mackenzie T., Studies in Roman Law with
Comparative Views of the Laws in France, England and Scotland. 3rd ed., Edinburgh, London,
William Blackwood and Sons, 1870, p. 80).
820
Mezghani R., La condition jurdique du détenu. Thèse pour le doctorat d’état, Paris,
Université de droit, d’économie et d Sciences Sociales de Paris (Paris 2), 1975, p. 252.
821
Simonin А., Ibid, p. 293 ; Exposito W., Ibid, p. 87.
822
In: Simonin А., Ibid, p. 294. Certains auteurs estiment que la "citoyenneté" n'est considérée
que sous l'angle d'exercice des droits (voir par ex.: Exposito W., Ibid, p. 88).
823
Vidal G., Cours de droit criminel et de science pénitentiaire. Septième édition refondue et
mise au courant de la législation et de la jurisprudence par Joseph Magno, Quatrième édition, Paris,
Librairie Nouvelle de Droit et de Jurisprudence Arthur Rousseau, 1910, р. 673-674.
327

ayant perdu le statut de citoyen français824.

Il est estimé que l'idée du statut de "citoyen" appliquée aux détenus provient
notamment des idées posées dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1791.
Selon Jean Morange, le détenu, perçu à travers le prisme de la Déclaration de 1789, est un
individu ou citoyen né libre et égal aux autres. Il peut jouir de tous les droits reconnus à
chaque individu ou citoyen. S'il est reconnu coupable, c'est uniquement parce qu'il aurait
attenté aux droits des autres. S'il est privé de liberté, c'est parce qu'il s'est avéré incapable de
prendre les responsabilités liées à son statut d'homme et de citoyen825. Les droits de l'homme
se fondent, non seulement, sur la liberté, mais aussi, dans une mesure égale, sur la dignité. Le
détenu est privé de liberté, mais la jouissance de sa dignité demeure dans une mesure plus
grande. En d'autres termes, il ne peut être privé que de la liberté d'aller et venir, ce qui
constitue l'objet de la condamnation elle-même, mais il n'est pas privé d'autres droits
fondamentaux, sauf dans les cas où la restriction des droits ou leur privation sont intrinsèques
à l'emprisonnement lui-même ou qu'elles sont nécessaires pour assurer l'ordre public826.

La conception du détenu comme "citoyen" a évolué avec la théorie des droits des
personnes détenues. Dans son article "Grandeur et limites des droits des détenus", Guy
Lemire observe que "le discours des droits des détenus a véritablement redonné au détenu son
statut de citoyen. Pour être plus précis, il ne perd plus ce statut civil lorsqu'il est incarcéré".
Ceci permet à l'auteur de citer un exemple qui en découle, à savoir que le détenu peut de sa
cellule contracter des engagements financiers et légaux sans restriction827. Cela veut dire que
certains droits civils concernant les engagements légaux peuvent être considérés comme un
témoignage de la reconnaissance du statut de "citoyen" au détenu.

Certains auteurs considèrent, de leur côté, le statut de "citoyen" des détenus tout
d'abord comme la possibilité pour eux d'exercer leur droit de vote828. D'autres observent à
juste titre pourtant que la perte du suffrage par les détenus ne saurait être qualifiée de perte de
"citoyenneté". Il est à noter que la "citoyenneté" comprend d'autres droits comme, par

824
Boudon J.-O., Citoyenneté, République et Démocratie en France - 1789-1899: 1789-1899,
Paris, Armand Colin, 2014.
825
Morange J., Introduction générale, La prison : quel(s) droit (s) ? Actes du colloque organisé à
Limoges, le 7 octobre 2011., Limoges, Presses Universitaires de Limoges, 2013, p. 17.
826
Morange J., Ibid, p. 21.
827
Lemire G., Grandeurs et limites des droits des détenus, in La condition juridique du détenu,
sous la direction de Pradel J., Travaux de l’Institut de sciences criminelles de Poitiers, Volume 8,
Paris: Éditions Cujas, 1993, p. 64.
828
Martucci F. Le détenu-citoyen, in Les droits de la personne détenue après la loi pénitentiaire
du 24 novembre 2009, Paris, Dalloz, 2013, p. 217-231.
328

exemple, le droit de réclamer des comptes aux fonctionnaires, le droit d'accès aux documents
administratifs, le droit de motivation des actes administratifs, le droit de pétition et le droit
d'accès à la fonction publique829.

Cette conception s'accorde avec le lien primordial de la "citoyenneté" avec les droits
politique, ce qui tient au contexte historique français. Toutefois, dans la plupart des cas, la
conception de la "citoyenneté" comme statut des détenus qui leur permet d'avoir les mêmes
droits que les citoyens libres n’est pas contestée. Cela incite à comparer tous les droits, et non
seulement les droits politiques, des citoyens libres et des citoyens détenus et cela concerne
toutes les catégories830. La thèse selon laquelle le détenu "conserve tous les droits du citoyen"
ou "les mêmes droits que les citoyens libres" est commune, sauf à quelques exceptions: il
s’agit des ouvrages traitant des droits des détenus et des restrictions de ceux-ci831. Elle trouve
sa confirmation de la part de ceux qui estiment que le principe d'après lequel la personne
détenue reste "citoyenne" à part entière est un principe essentiel pour les Règles pénitentiaires
européennes. La loi pénitentiaire de 2009 a tenté d'adapter la législation nationale à ce
principe832.

La Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) insistait sur la


nécessité de fonder sur ce principe la future loi pénitentiaire. M. Herzog-Evans observait
notamment que "…les propositions de la CNCDH sont particulièrement intéressantes. Cette
commission suggère que le droit positif soit fondé sur une hiérarchisation des priorités. Il
s'agit de reconnaître, à un premier niveau, que le détenu est une personne humaine, à un
second niveau, qu'il est citoyen, à un troisième niveau qu'il est justiciable et à un quatrième
niveau qu'il est un usager"833. Nous ne devrions pas oublier que la reconnaissance de la
dignité humaine concerne directement pour les détenus la jouissance de tous les droits dont

829
Exposito W., Citoyenneté du détenu, Revue pénitentiaire et de droit pénal, 2005, n° 1 (mars),
p. 95.
830
C'est cette conception qui, à notre avis, donna naissance à l'idée de rapprochement des
approches à l'exercice des droits des détenus avec les normes du "droit commun" français (voir plus de
détails au 3.1.3.3 "Doctrine de rapprochement avec le droit commun"). Sur l'inclusion dans la
conception de la "citoyenneté" de divers types de droits voir par ex.: Marshall T.H., Citizenship and
Social Class, Cambridge, Cambridge University Press, 1950.
831
Pradel J., Aperçus sur le droit pénitentiaire comparé, Revue pénitentiaire et de droit pénal,
2009, n° 2, p. 425 ; Landreville Р., Les détenus et les droits de l’homme, Criminologie, 1976, Vol. 9,
n° 1-2, p. 108 ; Belda B., Les droits de l'homme des personnes privées de liberté: contribution à l'étude
du pouvoir normatif de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, Bruxelles, Établissements Evile
Bruylant, 2010, spéc. p. 161-169.
832
Boussard S., Le service public pénitentiaire, cadre de la reconnaissance des droits de la
personne détenue, in Les droits de la personne détenue après la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009,
Paris, Dalloz, 2013, p. 27.
833
Herzog-Evans M., Une loi pénitentiaire comme unique réponse au problème carcéral, Revue
pénitentiaire et de droit pénal, 2005, n° 1, p. 161.
329

jouissent les citoyens libres834, ce qui fait que les aspects cités ci-dessus sont liés entre eux. La
Commission spéciale de l'Assemblée Nationale faisait noter dans un de ses rapports: "On ne
peut imaginer qu'il ait deux qualités de normes selon qu'il s'agit d'un citoyen libre ou d'un
citoyen détenu. La garantie des droits est la même, le détenu n'étant privé que de sa liberté
d'aller et venir"835.

La conception décrite ci-dessus de la "citoyenneté" est évoquée le plus souvent sous


forme d'affirmation. Il est ainsi indiqué que le détenu "jouit des mêmes droits que les
personnes libres à l'exception de…". Cette formulation est déjà standardisée et elle est utilisée
comme une sorte de tradition dans la plupart des ouvrages portant sur les droits des détenus.
L’on se sert à cette occasion de la forme affirmative, alors qu'il s'agit en fait d'un idéal auquel
devrait tendre la politique publique en matière de droits des détenus.

Des avis sceptiques se font pourtant entendre, qui insistent sur le détachement de cette
idée par rapport aux réalités. La perte du revenu, de l'assurance sociale ou du droit de vote
devient nécessairement effective dans la détention. De là, vient la question de l'existence de
"citoyens à deux vitesses"836. Le détenu est toujours loin de pouvoir être considéré comme un
citoyen. Son statut juridique est vu comme un statut mineur par rapport à celui des personnes
libres837.

Ainsi que le montre dans sa thèse Loup Noali, qui eut l'occasion de sentir sur lui-
même la différence entre le statut juridique en prison et en liberté, le régime carcéral et son
ordre disciplinaire qui ne devraient que priver de liberté, entraînent un effet en quelque sorte
collatéral: sinon la déchéance des droits attachée à la "citoyenneté", à tous le moins une forte
réduction de ceux-ci, soit une "citoyenneté" au rabais838.

834
Tzitzis S., Humanisme, dignité de la personne et droits des détenus, Revue Pénitentiaire et de
Droit Pénal, 2010, n° 1, p. 205-222.
835
La France face à ses prisons, rapport (n° 2521, Xème législature) de M. Jacques Floch au nom
de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la situation dans les prisons françaises.
836
Lebrun V., Les organes de concertation des détenus : approche de droit comparé, in La
prison : quel(s) droit (s) ? Actes du colloque organisé à Limoges, le 7 octobre 2011, Limoges, Presses
Universitaires de Limoges, 2013, p. 86.
837
Herzog-Evans M., La révolution pénitentiaire française, in L’Institution du droit pénitentiaire
- Enjeux de la reconnaissance de droits aux détenus, sous la direction de O. De Schutter et D.
Kaminski, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2002, p. 29.
838
Noali L., Les résistances carcérales du comment au pourquoi. Une approche juridique et
pluridisciplinaire. Préface de Martine Herzog-Evans Martine. Postface de Reynald Ottenhof, Paris,
Harmattan, 2012, p. 225.
330

3.1.3.1.1. Résistance à la reconnaissance des droits des détenus

L’on s'étonnerait aujourd'hui que la théorie des droits des détenus ait longtemps tourné
en France autour du débat visant à savoir dire s'il fallait les reconnaître. La première
polémique concernait la question pour laquelle la réponse est maintenant évidente: faut-il
reconnaître aux détenus les droits attribués aux citoyens libres? Depuis l'après-guerre, les
débats autour de la possibilité de reconnaître les droits des détenus se transformèrent
progressivement en un processus durable d'élargissement de leur statut juridique.

Dès 1988, Michel Sagliocco, auteur d'un des premiers ouvrages volumineux traitant
des droits des détenus, intitulé "Le statut social des détenus: contribution à une théorie
générale des droits", partait du postulat que les détenus jouissent des droits qui constituent un
patrimoine universel et inébranlable de l'humanité839. Il observait pourtant aussitôt que ces
droits découlaient du but poursuivi dans le domaine de la politique pénitentiaire: pour la
France depuis 1945 c’était la resocialisation840. L'auteur était persuadé que ce but devait être
atteint en rapprochant le plus possible le statut des détenus de celui des travailleurs libres 841.

La reconnaissance des droits aux détenus se heurtait à une opposition ferme. Cela ne
devrait pas étonner, surtout dans le contexte pénitentiaire, car reconnaître un droit au détenu
revient à ôter une parcelle d'autorité à l'administration pénitentiaire842. D'après M. Ferber, les
détenus et le personnel participent à un "jeu" en vue de sauvegarder leur marge de liberté. Les
détenus et le personnel sont considérés dans ce jeu comme étant des acteurs ayant une certaine
marge de manœuvre843. Cette vision fait que le personnel estime justes les mesures de
restriction des droits détenus, alors que ceux-ci pensent qu'il serait juste de limiter les
fonctions de contrôle attribuées au personnel844. Dans ces conditions, le personnel

839
Sagliocco M., Le statut social des détenus : contribution à une théorie générale des droits.
Thèse pour le doctorat d’état, Paris, Université de Paris 10, UER de Sciences juridiques et politiques,
1988, p. 393.
840
Ibid, p. 393.
841
Ibid, p. 7.
842
Mezghani R., La condition juridique du détenu, Thèse pour le doctorat d’état, Paris,
Université de droit, d’économie et d Sciences Sociales de Paris (Paris 2) 1975, p. 236. Cette thèse
s'accorde avec la théorie générale des droits de l'homme selon laquelle les droits de l'homme se
fondent sur des valeurs reposant sur la limitation de l'autorité. Les droits de l'homme se présentent en
outil de répartition du pouvoir entre le domaine public et le domaine (les intérêts) privé (Hottelier M.,
La démocratie contre les droits de l’homme ?, in Les droits de l’homme en évolution, Mélanges en
l’honneur du professeur Petros J. Pararas, Bruxelles, Athènes, Bruylant, Sakkoulas, 2009, p. 257).
843
Ferber M., Enseigner en prison : entre contraintes ; incertitudes et expertises. Thèse pour le
doctorat, Bordeaux, Université de Bordeaux 2, 2009, p. 10.
844
Faugeron C., Chauvenet A., Combessie P., Approches de la prison, Montréal, Les presses de
l’Université de Montréal, 1996, p. 319.
331

pénitentiaire fut le premier à s'opposer à la reconnaissance des droits des détenus.

Ainsi que l'observe à juste titre Jean-Charles Froment, le pouvoir du personnel


pénitentiaire dépend fondamentalement de leur aptitude à négocier la discipline et l'ordre avec
les détenus. Leur succès, à son tour, dépend de la marge de manœuvre des gardiens, des
"arguments" dont ils disposent pendant la négociation. Il en découle que plus les avantages
privilèges des détenus deviennent des droits, et moins les surveillants ont de liberté pour les
leur accorder ou refuser, et moins ils peuvent s'en servir comme outils de négociation. Ainsi,
le surveillant doit-il rechercher de nouveaux avantages et de nouvelles sanctions à appliquer
de manière à pouvoir les utiliser dans la négociation avec les détenus 845. Il est logique de dire
que toute autorité ou toute autonomie concédée au détenu sont ôtées au personnel
pénitentiaire846.

Il n'est pas surprenant que le personnel pénitentiaire ait toujours craint et regardé d'un
œil critique les réformes visant à élargir les droits détenus, dès lors que sa marge de
manœuvre serait ainsi limitée847. L'avis donné à ce propos par les spécialistes des questions
pénitentiaires peut être réduit à l'idée que l'attribution de droits aux détenus apporte certains
avantages, mais, en même temps, il faut le faire avec un grand nombre d'exceptions, qui sont
dictées par les impératifs de protection sociale de même que d'efficacité pénitentiaire848.

L'une des raisons de cette réaction réside dans d'autres considérations pragmatiques.
Comme le souligne Georges Benguigui, "… les directeurs de prison sont jugés sur leurs
capacités à maintenir l'ordre dans leur établissement et à éviter les évasions. Jamais un
directeur n'est évalué sur sa capacité à faire de sa prison un lieu de préparation à la
réinsertion"849. L'idée que la direction de l'établissement pénitentiaire doive faire face à des
effets négatifs beaucoup plus forts en cas de problèmes liés à l'ordre et à la sécurité dans
l'établissement qu'à des effets positifs en cas de bons résultats dans le respect des droits des
détenus garde toute son actualité850.

845
Froment J.-C., Vers une « prison de droit » ? , Revue de science criminelle et de droit pénal
comparé, 1997, n° 3, p. 537-560.
846
Zimring F.E., Hawkins G., Democracy and the Limits of Punishment: A Preface to Prisoners’
Rights, The Future of Imprisonment, Еd. by Tonry M., New York, Oxford University Press, 2004, p.
170.
847
Dünkel F., van Zyl Smit D., Conclusion, in Imprisonment Today and Tomorrow :
International Perspectives on Prisoners’ Rights and Prison Conditions, Edited by D. van Zyl Smit and
F. Dunkel, Second edition, The Hague, Kluwer law international, 2001, p. 853.
848
Mezghani R., Ibid, p. 293.
849
Benguigui G., La paranoїa pénitentiaire in Prisons sous tensions. Sous la direction de
Benguigui G., Guilbaud F., Malochet G., Nîmes, Champ social éditions, 2011, p. 83.
850
Par exemple, lors de notre participation au séminaire du Conseil de l'Europe sur le management
332

Cette thèse est toutefois manipulatrice, car toute violation grave relevée des droits peut
devenir facilement l'indicateur sur lequel on juge l'établissement. En témoignent les cas où les
informations sur les violations des droits sont largement diffusées par les médias. C'est
pourquoi l'évaluation de l'établissement peut se baser sur l'application de restrictions non
justifiées (allant jusqu'à des violations grossières de la loi). En ce qui concerne les restrictions
dont la légitimité/illégitimité n'est pas évidente, elles ne sont effectivement pas prises en
compte comme indicateur d'évaluation pouvant avoir une incidence importante sur les actions
du directeur d'établissement. C'est la raison pour laquelle la direction d'établissement préfère
accorder moins de droits plutôt que de permettre leur exercice là où il y aurait des risques
pour la sécurité et l'ordre.

Une place importante dans la formation de la conception des droits de l'homme à la


seconde moitié du XXème siècle en France appartenait à la théorie de la "sujétion spéciale".
Populaire dans le droit administratif allemand, elle eut des effets en France. Elle admettait
notamment que le détenu fût assujetti à l'administration pénitentiaire, ce qui "rognait" ses
droits. Sur ce plan, le détenu était assimilé aux militaires, voire aux écoliers. Par la suite,
certains auteurs qualifièrent cette théorie de minimaliste851.

L’expert allemand Klaus Tiedemann écrivait: "Puisque l'État exerce, dans le cadre des
rapports de sujétion spéciale, une autorité accrue sur l'administré, il résulte de la nature et du
but de chaque ordre spécial en question une limite des droits fondamentaux. Ces limites non
écrites sont implicitement contenues dans la Constitution dès lors qu'elles découlent de
l'ensemble des données préconstitutionnelles, présupposé et tacitement adopté par le pouvoir
constituant, ou bien de l'institutionnalisation des rapports de sujétion spéciale par la Loi
fondamentale elle-même. En ce qui concerne le détenu, ses droits fondamentaux sont, selon
cette doctrine, restreints dans la mesure où le maintien de l'ordre et de la sécurité dans
l'établissement pénitentiaire l'exige. C'est d'ailleurs au même résultat qu'aboutissent les
auteurs qui ne fondent pas les restrictions des droits fondamentaux seulement sur le rapport de
pouvoir particulier, mais déjà sur le droit pénal substantif"852.

Rhida Mezghani récapitule cette théorie dans le chapitre "Restriction des droits des

pénitentiaire qui s'est tenu à l'Ecole de Bila Tserkva de formation du personnel du Service d'exécution
des peines de l'Ukraine (Ukraine, 15-16 novembre 2016), les représentants de l'administration
pénitentiaire partageaient vivement cet avis du conférencier.
851
Mathieu G., Les droits des personnes incarcérées dans les pays de la communauté
européenne, Thèse pour l’obtention du Doctorat en Droit privé et sciences criminelles, Marseille,
Université de droit d’économie et des sciences d’Aix-Marseille, 1993, p. 19.
852
Tiedemann K., La protection des droits des détenus, Revue de science criminelle et de droit
pénal comparé, oct.-déc, 1962, n° 1., Reprint Schmidt Periodicals GMBH, 1990, p. 491.
333

détenus" de sa thèse. Elle suppose que les restrictions faites aux détenus tiennent à leur
sujétion spéciale (particulière). La sujétion de ce type concerne aussi, par exemple, les
écoliers, les étudiants et les autres "clients" des établissements publics. La situation juridique
du détenu, écrit cet auteur, engendre l'indétermination qui explique l'impossibilité d'accorder
aux détenus des droits sans limitations853. Mezghani bâtit sa thèse sur l'idée que la
détermination des droits des détenus et des restrictions de ces droits tourne autour de la
situation juridique spéciale de ces personnes. Par ailleurs, elle décrit d'autres concepts
classiques et modernes de l'époque.

Le rapport entre l'administration et le détenu est qualifié de sujétion spéciale. Ce


rapport aurait dû faire l'objet d'une étude poussée dans la théorie des droits des détenus,
puisqu'il était annoncé en fait comme fondement de la restriction de leurs droits. Cependant,
diverses tentatives pour formuler sa définition n’ont pas abouti à une vision concordante du
sujet, bien qu'on ait considéré que l'une des composantes principales de ce rapport spécifique
consistait dans les pouvoirs disciplinaires de l'administration pénitentiaire854. C'est ainsi que
l'obligation des détenus de se soumettre aux ordres de l'administration pénitentiaire peut être
l'une des sources de l'imprécision de la sujétion spéciale855. Le concept de la sujétion spéciale,
en tant que fondement de la restriction des droits, fait apparaître clairement l'influence de la
doctrine du droit administratif français, qui est considéré en France comme l'une des
disciplines-mères du droit pénitentiaire.

Nous n'y voyons pas une base sûre pour pouvoir déterminer la portée des restrictions
imposées aux détenus, parce qu'elle se concentre plutôt sur la justification morale et juridique
des restrictions en expliquant pourquoi celles-ci sont nécessaires, mais sans apporter de la
clarté dans la description de ce qu'elles devraient être. Elle est d’ailleurs douteuse, compte
tenu de la tendance répressive qu'il est aisé de reconnaître. En outre, il est difficile d'expliquer
pourquoi ne pas prendre, pour légitimer les restrictions, un autre rapport spécifique entre
l'administration pénitentiaire et les détenus, celui qui découle du fait de l’existence des
détenus placés sous la responsabilité et le contrôle de l'administration856. À supposer que l’on

853
Mezgani R., Ibid, p. 252.
854
Falxa J., Ibid, p. 423.
855
Herzog-Evans M., La gestion du comportement du détenu: Essai de droit pénitentiaire, Paris,
L’Harmattan, 1994, р. 57–58.
856
L'un des exemples montrant comment ce rapport pourrait déterminer la portée des restrictions
appliquées au détenu pourrait être fourni par les modalités d'exercice du droit de recours. Comme
l'administration pénitentiaire doit avoir intérêt à l'exercice en temps voulu des droits, y compris ceux
qui sont critiques pour eux, comme l'assistance médicale, il faudrait mettre en place un mécanisme de
recours qui aurait réduit au minimum l'ingérence de l'administration dans la correspondance des
détenus avec n'importe quelle institution de l’État.
334

ait à élaborer une approche objective s'appuyant sur le rapport entre l'administration et les
détenus, celle-ci devrait probablement commencer par réunir les deux rapports spécifiques
mentionnés ci-dessus: la sujétion (l'autorité) ; et la responsabilité à l’égard des personnes
assujetties.

Le concept classique, évoquée par Clerc, reconnaît que le détenu n'est pas dépossédé
de ses droits. Cependant, partant du principe que l'exercice des droits nécessite "d'être libre",
ceux-ci sont "suspendus" pour la durée de la peine. La conception moderne voit les droits des
détenus et les restrictions de ceux-ci d'une manière plus libérale. Le détenu continue d'exercer
ses droits dans la mesure où il n'en est pas limité par la loi ou le jugement. C'est cette
conception-là qui puise ses sources dans la non-exclusion des détenus de la société et qui tend
à l'amélioration du sort du détenu857.

Le concept classique fait penser à la théorie des restrictions de fait que nous
critiquons. Il est remarquable que Mezghani ait déjà soupçonné, à l'époque, les abus qui
auraient pu en découler. Il a fait fait noter que les limitations de l'exercice des droits dits
"suspendus" par la détention n'ont pas de base juridique suffisante, puisqu'il s'agit d'une
interdiction de fait dont on risque d'abuser et qui empêche le détenu d'exercer ses droits 858. Il
évoquait déjà, mais n'expliquait pas et n'insistait pas sur le classement des restrictions selon
qu'elles sont de droit ou de fait.

L'histoire de l'évolution des droits des détenus en France a connu des théories plus
spécifiques encore. Il convient de porter à ce nombre la théorie fondée sur la répartition de ces
droits selon leur conception en tant que résidus d'autres droits 859. Une telle conception exige
de prendre en compte la priorité de l'ordre, de la discipline, de la sécurité sur les droits des
détenus. La subordination des droits à ces impératifs implique, non seulement, la restriction
des droits objectivement incompatibles avec eux, mais aussi, la restriction des droits
subjectivement incompatibles. Elle veut dire, en outre, que l'incompatibilité peut être
déterminée par l'autorité appliquant le droit. Les droits sont utilisés comme un instrument au
service de l'ordre, de la discipline de la sécurité. Dans ce système, les droits deviennent des
privilèges toujours susceptibles d'être retirés de manière discrétionnaire. En droit, hormis la
liberté d'aller et venir, le détenu reste titulaire de presque tous ses droits. Toutefois, le fait
d'être détenu ne permet pas d'exercer ses droits. De plus, non seulement les restrictions

857
Mezghani R., La condition juridique du détenu, Ibid, p. 263.
858
Ibid, p. 264.
859
Giudicelli-Delage G., Massé M., Rapport introductif, in La condition juridique du détenu,
sous la direction de Pradel J., Travauх de l’Institut de sciences criminelles de Poitiers, Volume 8,
Paris, Editions Cujas, 1993, p. 18–19.
335

découlent de la privation de liberté, mais elles cèdent encore plus aux exigences d'ordre, de
discipline et de sécurité"860.

Conclusion du sous-chapitre 3.1.3.1

"Le détenu est un citoyen à part entière. Il possède tous les droits que les citoyens
libres, sauf…": ainsi pourrait être caractérisée brièvement l'idée devenue un impératif
généralement reconnu en France. Ce pays attache traditionnellement à la notion de "citoyen"
une signification plus grande qu'un rapport ordinaire avec l'État. Le citoyen désigne la
personne qui participe à la vie de la société, qui en fait partie. C'est cette vision qui constitue
l'une des idées fondamentales des approches des droits des détenus dans les ouvrages des
spécialistes du domaine pénitentiaire. Elle s'était formée comme contrepoids à l'idée selon
laquelle le détenu pouvait subir une peine comme la mort civile, laquelle était pratiquée par le
passé dans ce pays et qui signifiait la privation totale de certains droits.

"Le détenu est un citoyen à part entière" ; c'est là une sorte d'idéal auquel devrait
aspirer le système pénitentiaire. C'est la raison pour laquelle les critiques de cette idée
observent qu'elle est détachée des réalités et que les détenus sont loin d'être "citoyens" au sens
large.

L'histoire de la reconnaissance du détenu en tant que citoyen à part entière s’est donc
heurtée à des oppositions. Des théories variées ont été utilisées à cette fin, comme, par
exemple, celle de la sujétion spéciale qui alléguait que les droits des détenus étaient des droits
exceptionnels du fait de leur "sujétion" à l'administration des établissements. L’attribution des
droits complémentaires des détenus était considérée comme la perte par l'autorité pénitentiaire
d'instruments d'influence. Cette conception de la libéralisation des restrictions des droits par le
personnel pénitentiaire est toujours de mise.

3.1.3.2. Le détenu n'est privé que de la liberté "d'aller et venir"

Toux ceux qui ont étudié la question des droits des personnes dans les établissements
pénitentiaires en France connaissent la thèse en vertu de laquelle le détenu n'est privé que de
la liberté d'aller et venir. Ce droit ne figure directement ni dans la Constitution française ni

860
Ibid.
336

dans la Déclaration de 1789. Il est pourtant présent dans la Constitution de manière indirecte
(art. 66861) et renvoie, en fait, au droit à la liberté de circulation et au choix du lieu de
résidence862, qui a une valeur constitutionnelle863.On considère que la loi pénitentiaire de
2009 fixant les normes relatives aux droits des détenus a consacré le principe selon lequel les
détenus ne sont pas privés d'autres droits que celui d'aller et venir864.

Cette opinion acquit une popularité assez importante après la fameuse visite du
Président de la République française, Valéry Giscard d'Estaing à la prison Saint-Paul de Lyon
qui donna lieu à l'époque (1974) à une explosion de protestation des détenus contre les
conditions d'incarcération. La visite fut connue par la poignée de main entre le Président et
l'un des détenus. Après cette visite, le Président devait proclamer que "la prison, c'est la
privation de la liberté d'aller et venir, et rien d'autre"865.

Depuis, l'idée de cette formule n’a plus quitté les pages des ouvrages émanant de
spécialistes du domaine pénitentiaire. L'attitude vis-à-vis d'elle est extrêmement variée, mais
toutes les approches pourraient être réduites à trois: a) le détenu n'est effectivement privé que
de la liberté d'aller et venir; b) le détenu est privé de la liberté de circulation et des droits dont
l'exercice est, de ce fait, limité; c) le détenu ne peut pas être privé que de la liberté d'aller et
venir, l'idée contraire étant utopique.

Le professeur Jean Pradel, représentant de la première approche, dénommée aussi


maximaliste866, a tenu ce propos: "Avec l'évolution plus libérale des législations, on parle de
plus en plus des droits du détenu. L'idée de base est que la détention est seulement la privation
de la liberté d'aller et venir et rien d'autre"867. Dans le même état d'esprit, Eric Péchillon
observe que "la mise en détention ne devrait entraîner que la privation de la liberté d'aller et

861
Cet article dispose: "Nul ne peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de
la liberté individuelle, assure le respect de principe dans les conditions prévues par la loi".
862
Vimbert С., La tradition républicaine en droit public français, Rouen, Publication Université
Rouen Havre, 1992, p. 145.
863
Conseil constitutionnel, n° 80-127 des 19 et 20 janvier 1981 relative à la loi renforçant la
sécurité et la liberté des personnes.
864
Leroyer A.-M., Famille du détenu - Vie privée et familiale, Revue trimestrielle de droit civil.
Éditions Dalloz, 2010, n° 1436, p. 165. L'application de ce principe en tant que principe de base dans
la nouvelle loi pénitentiaire était exigée déjà par la Commission Canivet qui exerça une influence
substantielle sur la vision du développement de la loi pénitentiaire (Stern V., Prisoners as Citizens : A
View from Europe, in Prisoners as citizens. Human rights in Australian prisons. Ed. by D. Brown and
M. Wilkie, Leichhardt: The Federation Press, 2002, p. 169).
865
Favard J., Les prisons, Paris: Flammarion, Coll Dominos, 1994, p. 7 (avant-propos).
866
Mathieu G., Les droits des personnes incarcérées dans les pays de la communauté
européenne, Thèse pour l’obtention du Doctorat en Droit privé et sciences criminelles, Marseille,
Université de droit d’économie et des sciences d’Aix-Marseille, 1993, p. 15.
867
Pradel J., Aperçus sur le droit pénitentiaire comparé, Revue pénitentiaire et de droit pénal,
2009, n° 2, p. 425.
337

venir, entendue strictement comme l'interdiction de quitter l'établissement d'incarcération"868.


Pierre Landreville est catégorique en insistant que le détenu doit conserver tous les droits du
citoyen, sauf le droit d'aller et venir librement dans la société869.

Une approche semblable fut choisie par la Commission Canivet dont le rapport relatif
au statut juridique des détenus se fondait également sur ce que le détenu, même s'il était privé
de la liberté d'aller et venir, conserve tous les autres droits870. Elle indiquait que la personne
mise en détention n'en conservait pas moins ses droits. Dans le même temps, sa position était
que : "l'État de droit, que la hiérarchie des normes assure sur le fondement de la Constitution,
conserve le même contenu et la même force dans le milieu carcéral que dans la société libre,
sans pouvoir être amoindri ou dissocié. Les droits et garanties du détenu, autres que sa liberté
d'aller et venir, ne peuvent donc recevoir de limitations que de la loi". L'approche de la
Commission est néanmoins plus réaliste, puisqu'elle déclare que ces droits peuvent être
limités, sous réserve d'être prévus dans la loi. D'autre part, cette formulation démontre la
possibilité de limiter un droit en l'absence de fondement dans la loi, notamment lorsqu'il s'agit
de la privation de la liberté d'aller et venir. Cela nous rappelle la théorie des restrictions de fait
que nous avons déjà critiquée, en raison de son incompatibilité avec le principe de légitimité.

Les représentants de la seconde approche se constituent en avocats classiques de l'idée


des restrictions de fait. Vincent Tchen écrit, dans son article sur les droits des détenus: "La
privation d'un droit fondamental, celui d'aller et venir, commande ainsi l'effectivité des autres
droits: le détenu n'en est pas directement privé mais leur traduction suppose une intervention

868
Péchillon E., Sécurité et droit du service public pénitentiaire, Paris, Librairie Générale de
Droit et de Jurisprudence, 1998, p. 274.
869
Landreville Р., Les détenus et les droits de l’homme, Criminologie, 1976, Vol. 9, n° 1-2, p.
108. Il est intéressant que l'auteur reconnaît plus loin dans ce même article que "seule une menace
directe et concrète à la sécurité de l'établissement peut permettre à l'administration de restreindre les
droits, et ce, sous réserve qu'elle soit en mesure de le prouver de manière convaincante et claire" (Ibid,
p. 109). Sont admissibles, par exemple, les restrictions visant au contrôle de la correspondance pour
repérer les messages susceptibles de mettre en grave danger la sécurité de l'établissement (Ibid, p.
112).
870
Rapport Canivet, Amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, mars
2000, in Le nouveau guide du prisonnier. Observatoire international des prisons, Paris, Éditions de
l'Atelier, 2000, p. 15. Le fait que la privation de liberté n'implique que la privation totale ou partielle
de la liberté d'aller et venir fut utilisé par la Commission belge Dupont. (Rapport final de la
Commission Dupont, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2000-2001, n° 50-1076/1, p. 158-159, in:
Beernaert М.-А., Manuel de droit pénitentiaire, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2007, р. 130-131). Dans
l'un de ses rapports relatifs aux prisons françaises, la Commission nationale des droits de l'homme
observait que les normes concernant les citoyens libres devraient être appliquées en prison aussi, à
l'exception, évidemment, de la liberté d'aller et venir (Commission nationale consultative des droits de
l’homme. Les droits de l’homme dans la prison. Volume 1, Paris, La Documentation française, 2007,
p. 11).
338

de l'État"871. Il convient de noter que, du fait de la limitation de la liberté d'aller et venir,


l'exercice d'autres droits peut demander non seulement des actes négatifs de l'État, comme,
par exemple, s'abstenir d'intervenir, qui n’est pas appliquée aux personnes libres, mais aussi
des actes positifs 872.

Une position semblable est adoptée par d'autres spécialistes qui estiment que "la
souffrance qui naît de la prison, ne peut sérieusement résulter de la seule faculté de se
déplacer, d'aller et venir… Cette souffrance est ailleurs. Elle tient au fait que, dans la réalité,
l'emprisonnement impose brutalement la privation des êtres, des choses que l'on aime, qui
nous sont familiers et auxquels nous sommes habitués"873. L'emprisonnement prive le détenu
de la liberté d'aller et venir et l'empêche d'exercer d'autres droits, dont l'usage est paralysé ou
réduit du fait de cet emprisonnement874. Alors que les détenus sont privés de la liberté d'aller
et venir, beaucoup d'autres libertés disparaissent en prison, sans parler de celles qu'il n'est pas
possible d'exercer à cause du surpeuplement carcéral875.

La troisième approche mériterait d'être nommée sceptique ou même réaliste. Elle


soutient formellement l'idée qui pourrait être exprimée ainsi: "La prison ne se réduira jamais à
la stricte privation de la liberté d'aller et de venir"876. L'idée selon laquelle le détenu n'est

871
Tchen V., Les droits fondamentaux du détenu à l'épreuve des exigences du service public
pénitentiaire, Revue Française de Droit Administratif, 1997, disponible sur : www.dalloz.fr (accedé le
01.07.2016).
872
La nécessité de ces actes n’est pas uniquement reconnue au niveau doctrinal. C'est ainsi que
le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a insisté sur le besoin "d'adapter" les droits à la
privation de la liberté d'aller et venir. Il a indiqué que la possibilité d'accès des détenus aux
informations en ligne (mass media, enseignement, emploi, procédures administratives, contrôle de
diverses informations) est d'autant plus importante qu'ils sont privés de la liberté de circulation et il en
découle leur limitation dans une grande partie d'actions admissibles (Avis du Contrôleur général des
lieux de privation de liberté du 20 juin 2011 relatif à l’accès à l’informatique des personnes détenues,
Journal officiel de la République Française, 2011, 12 juillet, texte 82 sur 134). S'appuyant sur la
jurisprudence, J. Danet prouve que le détenu privé de la liberté d'aller et venir se trouve en situation de
vulnérabilité qui est la composante de la partie objective d'un des articles du Code pénal (le fait de
soumettre une personne à des conditions d'hébergement ou de travail incompatibles avec la dignité)
(Danet J., Les conditions de détention et l'article 225-14 du code pénal, Recueil Dalloz, 2007, р. 2218–
2223).
873
El Tari K., Les sources internationales du droit pénitentiaire, Thèse de doctorat en droit,
Poitiers, Université de Poitiers, 2004, p. 24.
874
Cornil V.P., Rapport général de la Société internationale de défense sociale, in: Mbanzoulou
P. La réinsertion sociale des détenus : l’apport des surveillants de prison et des autres professionnels
pénitentiaires, Paris, L'Harmattan, 2000, p. 13.
875
Larralde J.-M., Les droits des personnes incarcérées : entre punition et réhabilitation, Cahiers
de la recherche sur les droits fondamentaux, 2003, n° 2, p. 71.
876
Touillier M., L’effectivité des droits des personnes détenues à l’aune des évolutions récentes
du droit français, in Enfermements. Populations, Espaces, Temps, Processus, Politiques. Sous la
direction de Tournier P.V., Préface de Serge Blisko, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 169. Voir aussi
Verdussen M., Contours et enjeux du droit constitutionnel pénal. Préface de F. Delpérée, Bruxelles,
Bruylant, 1995, p. 490-491.
339

privé que de la liberté d'aller et venir mène à l'impasse, puisque la prison représente
nécessairement quelque chose de plus large que la seule privation de la liberté de se déplacer.
Elle ne peut pas et ne pourra dès lors jamais n'être que cela, quels que soient les
accommodements mis en œuvre877. Pour cette approche, la restriction des droits est inévitable,
dès lors que l'organisation de la vie dans l'établissement et les exigences de sécurité ne
constituent pas simplement un but, mais aussi une nécessité. "Un enfermement ne peut jamais
être qu'une simple privation de liberté. En milieu fermé les impératifs, en particulier, de
sécurité, d'ordre, de protection d'autrui accroissent le poids de la discipline et réduisent, en
pratique, les possibilités d'exercice des droits garantis", observe Christian Jacq878.

D'autres auteurs qui réfléchissent sur les droits des détenus posent des questions
pertinentes à propos de la privation exclusive de la liberté d'aller et venir: l'accroissement des
droits des détenus s'inscrit dans le cadre d'un mouvement plus général en faveur des droits de
l'homme. C'est ainsi que se développe la problématique pouvant être nommée "protection": la
protection de tous les droits des détenus outre la liberté d'aller et venir. Est-ce une utopie ou
une illusion? Le droit pénitentiaire évolue-t-il en ce sens ou peut-il évoluer?879 Cependant, ces
auteurs donnent ensuite des réponses caractéristiques de la seconde approche: "En droit,
hormis la liberté d'aller et venir, le détenu est titulaire de presque tous les droits accordés aux
citoyens libres… Le droit ne retire rien ou presque, mais l'application qui en est faite ne
permet pas l'exercice des droits [...]»880.

Le professeur Gérard Soulier, qui soutient une position similaire, estime que "la
privation de liberté ne concerne pas seulement la liberté d'aller et venir, elle est dépossession à
peu près totale de toutes les libertés fondamentales: privation de la liberté de mouvement,
mais aussi de décision, d'expression, de libre correspondance, privation de toute autonomie,
privation de toute intimité, même dans les fonctions d'hygiène, privation de la libre
disposition de son temps et de son corps (même pas le droit de rester couché...)"881.

J.-P. Céré estime que l'affirmation abolitionniste selon laquelle les détenus ne sont privés que
de la liberté d'aller et venir se brise contre les réalités carcérales "sur le terrain" (Céré J.-P., La prison,
Paris, Dalloz, 2007, p. 54).
877
Philippe P., Repenser la peine de prison après la loi du 24 novembre 2009, Pouvoirs, 2010, n°
135, p. 150.
878
Jacq C., Ibid, p. 357.
879
Giudicelli-Delage G., Massé M., Ibid, p. 16.
880
Ibid, p. 19.
881
In Sagliocco M., Le statut social des détenus : contribution à une théorie générale des droits.
Thèse pour le doctorat d’état, Paris, Université de Paris 10, 1988, p. 36.
340

Par ailleurs, le détenu continue de bénéficier "d'une relative liberté d'aller et venir"882.
Malgré la privation de la liberté d'aller et venir, lui, comme tout autre citoyen doit pouvoir
chercher à obtenir le respect de ses droits fondamentaux883.

La privation de la liberté d'aller et venir, en tant que seul droit dont sont dépossédés les
détenus, subit parfois des critiques plus vives. Pour certains auteurs, elle est ridicule si elle
veut dire que la personne ne peut pas sortir de prison quand elle le souhaite (le terme "prison"
étant plus que clair !) et elle est fausse si cette privation pouvait être appliquée dans les murs
de la prison, puisque même entre ces murs, il existe toujours des lieux où les détenus auront la
liberté "d'aller et venir" (au minimum, il existe les promenades dans une cour spéciale). Il est
impossible de priver de cette liberté, à moins d'attacher le détenu dans sa cellule884. La prison,
ce n'est pas que la privation de la liberté d'aller et venir, mais c’est aussi celle de la plupart
d'autres libertés qui disparaissent. N'évoquer que la "privation de liberté" a ses avantages,
notamment lors de la fixation de la peine, car cette formulation permet d'appliquer une peine
en ne mesurant que sa composante arithmétique, la durée de la peine. Ainsi, la responsabilité
des autorités fixant la peine par rapport à la composante qualitative de celle-ci se trouve-elle
en dehors du focus des considérations, l’application de la peine devient, pour la plupart des
citoyens libres, un symbole quantitatif qui ne reflète pas le côté punitif véritable de la
peine885. Par ailleurs, le côté qualitatif se manifeste justement dans le contenu et l'étendue des
restrictions.

Ajoutons que l'absence d'autres restrictions que celle de la liberté d'aller et venir exclut
la possibilité d'installer tout régime et toute discipline dans l'établissement. Or, le régime et la
discipline impliquent nécessairement certaines restrictions. Il est ainsi difficile d'imaginer
comment fonctionnerait une prison dans laquelle les restrictions ne porteraient que sur la
liberté d'aller et venir. Un tel établissement se résumerait à la détention des personnes dans
l'enceinte de la prison.

Même en admettant que les restrictions complémentaires pourraient découler de la


restriction de la liberté d'aller et venir, les exigences de régime pourraient être difficilement
rapportées à ces restrictions "inhérentes". L’on ne saurait affirmer le contraire qu'en admettant
que la restriction de la liberté d'aller et venir comprend la nécessité d'assurer la sécurité à

882
Herzog-Evans M., Les droits de la défense et la prison. Actualité du droit pénitentiaire
français, Revue trimestrielle des droits de l'homme, 2001, n° 1, p. 20.
883
Herzog-Evans M., Céré J.-P., Péchillon E., Les avocats aux portes des prisons, Recueil
Dalloz, chroniques, 14 septembre 2000, p. 481.
884
Demonchy C., Que signifie punir quelqu’un en le privant de sa liberté ? , Revue de la
FARAPEJ, 2010, n°104, p. 3.
885
Ibid, p. 3.
341

l'intérieur du territoire qui limite la liberté d'aller et venir. Or, une telle vision de la restriction
de la liberté n'est pas logique. La sécurité et l'ordre sont les attributs qui permettent des
restrictions additionnelles de la liberté d'aller et venir.

Conclusion du sous-chapitre 3.1.3.2

Un autre idéal semblable à la doctrine du "citoyen à part entière" est exprimé dans la
thèse selon laquelle le détenu n'est privé que de la "liberté d'aller et venir". Cela rappelle la
doctrine légitimant l'incarcération comme source de restrictions de fait. Elle suppose ainsi que
les détenus ne devraient être soumis qu'aux restrictions qui sont la conséquence de la perte de
la liberté de mouvement. Cet idéal présente trois degrés selon le scepticisme de ses partisans:
1) le détenu ne doit être privé que de la liberté d'aller et venir et rien d'autre; 2) le détenu est
privé de la liberté d'aller et venir et des droits dont l'exercice est limité de ce fait; 3) l'idée que
le détenu ne peut être privé de rien d'autre que la liberté de mouvement est une utopie.
L'analyse des considérations des adeptes de chacun de ces trois degrés nous amène à conclure
que le troisième degré semble le plus rationnel. L'inadmissibilité des autres restrictions est
idéaliste et elle est difficile à imaginer du point de vue pratique.

3.1.3.3. Doctrine de rapprochement avec le droit commun

Le terme "droit commun" a une signification toute différente par rapport au terme
anglo-saxon "common law". Sa signification, dans la doctrine du droit français, se rapproche
de la notion "de régime juridique commun" ou "ensemble de normes juridiques générales", ou
bien, s'agissant des droits de l'homme, statut juridique commun. Ce terme peut avoir comme
antonyme plus ou moins proche, l'ensemble des normes de droits relatives aux rapports de
droit spécifiques. Le rapprochement du droit pénitentiaire vers le "droit commun" suppose
l'application maximale aux détenus des mêmes normes de droit que ceux des citoyens libres.

Les droits des détenus, qui sont souvent considérés comme une exception du statut
juridique commun, sont fréquemment réglementés d'une manière différente que ne le fait le
droit commun, c'est-à-dire différemment par rapport aux citoyens libres. C'est ce qui a fait
l'objet d'intérêt du droit pénitentiaire français, lequel se place toujours davantage sur la
342

position prônant le rapprochement maximal du droit pénitentiaire avec le droit commun886.

Cette vision démontre plusieurs tendances à la fois.

En premier lieu, elle est le prolongement de l'idée que le détenu jouit de tous les droits
sauf la liberté d'aller et venir. Le rapprochement des normes du droit pénitentiaire
réglementant les rapports concernés avec les normes du droit qui régissent les rapports des
personnes libres s'inscrit bien dans la théorie du maintien maximal aux détenus des droits des
citoyens libres. Il est donc en rapport direct avec l'idée citée déjà selon laquelle le détenu reste
un citoyen à part entière.

En deuxième lieu, elle est une conséquence logique de la bataille historique contre
l'existence de la prison comme une zone de non-droit. L'élaboration par l'administration
pénitentiaire de règlements qui sont conçus souvent à l'encontre de la loi constitue l'un des
aspects de l'affaiblissement du rôle du droit en prison. De ce fait, le droit pénitentiaire a pu
être un droit de restrictions, un droit de contradictions entre le pouvoir et la bientraitance,
entre les droits et la punition887. Un aspect important de cette tendance se traduit par l'accès
difficile à la justice des personnes détenues dans les établissements pénitentiaires.

En troisième lieu, le rapprochement des normes du droit pénitentiaire et du droit


commun fait partie du processus de normalisation. La tradition du droit français est originale
sur ce plan, étant donné que les autres pays ne marquent pas un accent clair sur la nécessité de
rapprocher la réglementation des droits de l'homme en prison avec ce qui existe en liberté en
tant que partie de la normalisation. Un tel rapprochement juridique diffère de la simple
accentuation de la nécessité d'un rapprochement maximal des conditions de vie en prison avec
celles de la liberté, ainsi que l'exigent les textes internationaux (voir par ex., RMT, RPE). Il
attire l'attention sur l'aspect juridique du rapprochement.

Il est évident que le droit définit les conditions de l’exécution des peines. C'est
pourquoi la norme d'après laquelle les conditions de vie en prison devraient être rapprochées
des conditions de vie en liberté concerne directement le côté juridique de l'exécution des
peines. Une bonne normalisation est impossible sans rapprocher les normes traitant des droits
en prison et en liberté. Cette thèse est surtout pertinente en ce qui concerne le rapprochement

886
Remarquons que le terme "droit commun" était aussi utilisé dans le domaine pénitentiaire
notamment pour distinguer les "détenus de droit commun" c'est-à-dire les détenus "ordinaires" et les
détenus politiques. A l'époque des représailles politiques en France, ces derniers avaient un statut
juridique distinct (voir Plawski S., Droit pénitentiaire, Lille, Publications de l’Université de Lille
(P.U.L.), 1977, p. 70).
887
Pauliat H., Synthèse, in La prison : quel(s) droit (s) ? Actes du colloque organisé à Limoges,
le 7 octobre 2011, Limoges, Presses Universitaires de Limoges, 2013, p. 165.
343

des normes régissant les droits de l'homme en liberté et en prison.

Ainsi, la doctrine française du droit pénitentiaire se distingue-t-elle par la mise en


valeur de l'aspect juridique de la normalisation. Nous proposons de le désigner par un terme
spécial: "normalisation juridique".

La normalisation juridique fait partie de la normalisation générale des établissements


pénitentiaires. Tout rapprochement de la norme juridique fait rapprocher des conditions de vie
dans ces établissements des conditions de vie des citoyens libres. L'idée de la normalisation se
répandit en Europe avec son inclusion dans les RPE de 1987 dont l'article 64 énonçait:
"L'emprisonnement, par la privation de liberté, est une punition en tant que telle. Les
conditions de détention et les régimes pénitentiaires ne doivent donc pas aggraver la
souffrance ainsi causée, sauf si la ségrégation ou le maintien de la discipline le justifie".
Comme on le voit, cette norme, qui est une règle de base pour la doctrine européenne de
normalisation, fixait non seulement le rapprochement des conditions de détention par rapport
aux conditions de vie en liberté, ainsi qu'on l'estime souvent, mais aussi le rapprochement du
régime qui signifie en fait l’ensemble des règles de conduite et les modalités d'exécution des
peines régies par ces règles. Cela veut dire que l'exigence de normalisation, conformément
aux RPE, devait toucher aussi l'aspect juridique de l’exécution des peines, et non seulement
l'aspect matériel.

La mise en œuvre de la normalisation juridique présente des avantages par rapport à la


notion commune de normalisation. Ces avantages tiennent à la détermination du repère relatif
à la mise en œuvre de la normalisation, à savoir le standard de la vie en liberté comme point
de comparaison avec la vie en prison. Ainsi que l'observe Dan Kaminski, la normalisation
requiert que soit déterminé l'étalon, de la "norme" de la vie en dehors de l'établissement
pénitentiaire888. C'est dire que le but de la normalisation reste incompris tant qu'on n'a pas
compris par rapport à quel niveau de vie en liberté il doit s'orienter. Cela pourrait être, par
exemple, le niveau de revenus moyens, et alors il servira de standard de vie, ou bien il s'agirait

888
Kaminski D., Droits des détenus, normalisation et moindre éligibilité, Criminologie, 2010,
Vol. 43, n° 1, p. 209.
344

du niveau moyen, et l'on aurait alors des standards tous différents 889. La difficulté dans ce
dernier cas est de savoir ce qu'il faudrait considérer comme niveau minimal de vie en liberté,
car celui-ci pourrait s'avérer moins bon que dans l'établissement pénitentiaire, par exemple,
pour ce qui est des SDF. Devons-nous reproduire dans l'établissement pénitentiaire l'égalité
sociale existant en dehors de ses murs? – c’est sous la forme de cette question que
s’interrogent Véronique Van der Plancke et Guido Van Limberghen890.

Joseph Tissot soulignait déjà au XIXème siècle : "Il ne faut pas que les
adoucissements apportés à la peine, à quel titre que ce soit, la rendent plus tolérable ou aussi
tolérable même que peut l'être physiquement la vie moyenne de la classe la moins favorisée
de la fortune, autrement le délit pourrait devenir un appât, et la peine une dérision" 891. Cette
idée est la quintessence de la doctrine d'infériorité des détenus selon laquelle les détenus ne
devraient aucunement vivre mieux que les gens libres et que seule la privation de liberté
remplit la fonction dissuasive892. Sinon, la prison ne ferait que favoriser l'accroissement de la
délinquance puisque l'effet dissuasif céderait la place à l'effet attrayant d'où l'idée que les
"souffrances de la peine" devaient surpasser le profit tiré de l'infraction commise893, ce
principe, se présentant pour cette raison en fondement de la prévention de la délinquance894.
Hermann Mannheim décrit ainsi le principe d'infériorité: le détenu ne pourrait être placé en
situation meilleure que celle des délinquants en liberté895.

C'est Jeremy Bentham qui passe pour être l'idéologue principal de la doctrine

889
Des facteurs supplémentaires sont parfois cités pour comparer les conditions de vie dans
l'établissement pénitentiaire et en liberté. C'est ainsi que les documents du 4e Congrès des Nations
Unies pour la prévention du crime et le traitement des détenus insistent sur la nécessité d'assurer,
autant que possible, un rapport étroit entre les conditions de vie dans les établissements pénitentiaires
et celles des populations des lieux où l'établissement donné est situé. Il s’agissait même d'ajuster les
horaires des repas correspondant à ceux des populations de la région donnée (Fourth United Nations
Congress on the Prevention of Crime and the Treatment of Offenders. Kyoto, Japan, 17-26 August
1970. Report Prepared by the Secretariat, New York, United Nations, 1971, p. 21-22).
890
La référence est faite à S. Snacken: Van der Plancke V., Van Limberghen G., La justice
sociale ne saurait s’arrêter à la porte des prisons. Le (non) droit des détenus à la sécurité sociale en
Belgique, in Les limitations au droit à la sécurité sociale des détenus : une double peine ? Actes du
colloque du 28 novembre 2008 à la Maison des Parlementaires, Bruxelles, La Chartre, 2010, p. 54.
891
Tissot J., Introduction philosophique à l’étude du droit pénal et de la réforme pénitentiaire,
Paris, Librairie A. Marescq Ainé, éditeur 17, rue Soufflot, 17, 1894, p. 373.
892
Hubert H.-O., Van Der Plancke V., Peine et sécurité sociale : le jeu de la less eligibility, in
Les limitations au droit à la sécurité sociale des détenus : une double peine ? Actes du colloque du 28
novembre 2008 à la Maison des Parlementaires, Bruxelles, La Chartre, 2010, p. 224.
893
Scott D., The Changing Face of the English Prison : A Critical Review of the Aims of
Imprisonment, Handbook on prisons. Ed by Y. Jewkes, Cullompton, Willan publishing, 2007, p. 50.
894
Sieh E.W., Less Eligibility: The Upper Limits Of Penal Policy, Criminal Justice Policy
Review, 1989, Vol. 3, n° 2, p. 169.
895
In Hubert H.-O., Van Der Plancke V., Ibid, p. 223.
345

d'infériorité. Celle-ci visait initialement les pauvres et non les détenus. Il observait: "Si les
conditions des personnes démunies sont maintenues par le travail des autres et si elles étaient
meilleures que celles des personnes qui s'entretiennent elles-mêmes par le travail… les
démunis passeraient constamment de la classe des personnes entretenues par leur propre
travail à la classe des personnes entretenues par le travail des autres"896. Cette doctrine est liée
directement à l'idée que chacun doit résoudre lui-même ses problèmes897. Charles Dickens,
qui raisonnait dans le même sens, disait qu'il était monstrueux que le pauvre malhonnête fût
mieux traité que le pauvre honnête898.

Dan Kaminski juge la réflexion de Dickens comme "monstrueuse" en elle-même. En


effet, elle n'ouvre pas la voie de l'amélioration des conditions de vie des pauvres, mais
seulement la voie à un durcissement des conditions de vie dans les établissements
pénitentiaires899. Il ajoute, par ailleurs, que s'il s'avère que nous vivons dans des conditions
pires que les détenus, nous devrions faire de cette jalousie une arme politique pour améliorer
les standards de notre vie au lieu d'amoindrir ceux de la vie en prison900.

Les obstacles cités sont surmontés en partie lorsqu'il s'agit de la normalisation


juridique. Le statut juridique a un standard assez précis: il est fixé dans la loi. En réponse à
cette normalisation, le droit pénitentiaire devrait tendre à une réduction maximale de la
différence entre le statut juridique des détenus et des citoyens libres. La question est de savoir
à quel point un tel rapprochement est admissible?

Parlant de la nécessité d'une politique renouvelée de normalisation, Kaminski attire


l'attention à son instrument principal: l'amélioration de l'efficacité d'exercice des droits 901. Il
s'agit, de fait, de ce qu'on appelle la normalisation juridique. Cet auteur propose de supprimer
les barrières entravant l'efficacité des droits. Ceci doit se concevoir comme l'application du
principe de normalisation à l'exercice des droits qui se réaliserait comme suit: 1) Supprimer
l'obstacle de sécurité, à savoir lutter contre l'hégémonie de la fonction de sécurité en prison et
sa conception comme argument pour restreindre les droits et l'exercice de ceux-ci; 2) Lever

896
Bentham Papers: Copies of the Essays of 1796, London, University College, London and
British Museum, p. 25-26, cité dans Sieh E.W., Ibid, p. 162.
897
Sieh E.W., Ibid, p. 160.
898
In: Kaminski D. Droits des détenus, normalisation et moindre éligibilité, Criminologie, 2010,
Vol. 43, n° 1, p. 213.
899
Kaminski D., Ibid, p. 213
900
Ibid, p. 222.
901
Ibid, p. 221. Le rapprochement des droits des détenus de ceux des citoyens libres offre, ainsi
que le montre l'expérience de certains pays, le gage d'une normalisation réussie du système
pénitentiaire (cf. Pratt J., Scandinavian Exceptionalism in Era of Penal Excess. Part 1 : The Nature and
Roots of Scandinavian Exceptionalism, British Journal of Criminology, 2008, n° 48, p. 131-132).
346

l'obstacle pénologique, c'est-à-dire la subordination de la logique des droits à tel ou tel but de
la punition; 3) Lever l'obstacle économique c'est-à-dire la dépendance de l'exercice des droits
par rapport aux ressources disponibles; 4) Lever l'obstacle social, c'est-à-dire faire baisser la
domination néolibérale de la doctrine d'infériorité902.

Nous ne pouvons accepter cette position qu'en partie. Le point de divergence de nos
positions est celui de savoir si les buts de la punition et de la sécurité interne dans
l'établissement sont des obstacles pour les droits des détenus. Dans ses conclusions, Kaminski
se fonde sur une longue expérience et les nombreux témoignages attestant que les buts de la
punition et de la sécurité pénitentiaire sont des obstacles à l'exercice des droits903.
Argumentant sa position, il se réfère entre autre au professeur Landreville904 et observe que
les droits ne devraient pas être limités en raison de n'importe quel but de l'emprisonnement,
sauf le but incontestable de l'enfermement: la restriction de la liberté d'aller et venir. Cette
dernière thèse présente, d'ailleurs, une certaine ressemblance avec l'idée des restrictions de
fait.

Nous ne contestons pas que les buts de la punition et le but de la sécurité interne de
l'établissement puissent effectivement constituer des motifs pour des restrictions non justifiées
des droits des détenus. Cependant, la raison n'en est pas la "nocivité des buts" pour les droits
de l'homme, mais l'ordre juridique qui en permet leur application excessive. L'inconvénient
majeur de cet ordre consiste en l'absence ou une mauvaise application du principe de
proportionnalité. C'est ce qui explique le fait que les buts soient utilisés comme barrières non
justifiées à l'exercice des droits. Cependant la dénégation du rôle déterminant des buts de la
punition ou de la sécurité de la prison pour la justification des restrictions est dénuée de
fondement. Sinon, les restrictions des droits perdraient leur rôle instrumental et ne pourraient
plus être considérées comme des moyens pour atteindre les buts pour lesquels le détenu est
détenu en prison. Ainsi qu'il était déjà indiqué, les punitions des détenus se traduisent par des
restrictions. C'est au moyen des restrictions (mais pas seulement) que se réalisent les buts de
la punition et de l'incarcération.

Le professeur Johannes Feest observe que le but de normalisation demande des


réflexions permanentes de manière à mettre constamment en cause les questions des

902
Kaminski D., Ibid, p. 221.
903
Ibid, p. 202-204.
904
Landreville P., Les détenus et les droits de l’homme, Revue de droit pénal et de criminologie,
1978, p. 390.
347

restrictions qui sont définies comme inhérentes à l'emprisonnement905. Sonja Snacken


souligne: si la reconnaissance du statut juridique des détenus constitue l'un des aspects de la
normalisation, cette dernière, à son tour, joue le rôle du cadre dans lequel doivent être
interprétées les restrictions faites aux droits des détenus906.

Des germes de l'idée de rapprochement du droit commun et du droit pénitentiaire se


retrouvent aussi dans les Règles pénitentiaires européennes907. Les RPE fixent le principe de
proportionnalité des restrictions, de même que le principe de leur minimalité qui reflète le
principe de proportionnalité. Le principe de minimalité de la restriction est un principe sans
"point d'arrivée" final, c'est-à-dire qu'il est défini de manière à orienter la politique
pénitentiaire vers une réduction permanente des restrictions au minimum. Il importe de
souligner, en particulier, que les RPE de 2006 lèvent en partie, en leur paragraphe 5, la
question de savoir quel devrait être l'étalon de la vie en liberté dont les conditions de vie en
prison devraient tendre à se rapprocher. Cette règle dispose que la vie en prison doit être
alignée autant que possible sur les aspects positifs (souligné par nous – N.D.L.A.) de la vie
dans la société. La conception déformée des normes internationales relatives à la
normalisation en tant que celles qui admettent le rapprochement des conditions de la prison
avec les aspects négatifs de la vie en liberté est ainsi contestée.

Le professeur Martine Herzog-Evans peut être désigné comme l'un des avocats
principaux de la normalisation juridique en France. Il y a plus de vingt ans depuis que la
"Revue de sciences criminelles et de droit pénal comparé" avait publié son article intitulé
"Droit commun pour les détenus"908. Cet article analyse la jurisprudence de l'époque en
matière d'exécution des peines. Celle-ci se distinguait par un trait spécifique consistant en ce
que les juges refusaient systématiquement les affaires des détenus909 portant, en particulier,
sur l'indétermination des juridictions dont relevaient de telles affaires. Cependant, les arrêts
Korber et Marie auxquels l'auteur attache une attention particulière dans son article durent

905
In Snacken S. « Normalisation » dans les prisons : concept et défis. L’exemple de l’Avant-
projet de la loi pénitentiaire belge, in L’institution du droit pénitentiaire : enjeux de la reconnaissance
de droits aux détenus. De Schutter O., Kaminski D. (Eds.), Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 136-137.
906
Ibid, p. 139.
907
Herzog-Evans M., Droit pénitentiaire, 2e éd., Paris, Dalloz, 2012, p. 276 ; Eudes M., La
révision des règles pénitentiaires européennes, les limites d’un droit commun des conditions de
détention, Droits fondamentaux, 2006, n° 6, p. 1-17.
908
Herzog-Evans M., Droit commun pour les détenus, Revue de sciences criminelles et de droit
pénal comparé, 1995, Vol. 3, р. 621-638.
909
Certains auteurs qui évaluaient la portée de ce rapprochement observaient même que le refus
de la défense pour les détenus qui existait auparavant était une sorte de punition supplémentaire
rattachée immanquablement à la peine principale de privation de liberté (Martens Р. in: Nève M., Les
droits de l’homme en amont et en aval du procès pénal, in Le point sur les droits de l’homme. Vol. 39.
Scholsem J.-C. (coord.), Liège, Edition Formation Permanente CUP, 2000, p. 61).
348

renverser la vision du droit pénitentiaire de l'époque. Dans le premier, les juges


reconnaissaient de fait le droit des détenus de saisir la justice en exécution de la peine (dans le
cas Korber il s'agissait de la libération conditionnelle"), le second arrêt reconnaissant la
compétence des juges à examiner les plaintes contre les sanctions disciplinaires en prison. Les
deux arrêts devenaient effectivement les premières impulsions vers une "révolution
pénitentiaire" par la "juridictionnalisation" des procédures dans les prisons, c'est-à-dire par
l'établissement de la possibilité de recours pour les détenus910.

Herzog-Evans conclut dans cet article: "Si, comme nous le pensions, les arrêts Korber
et Marie sont les premiers pas, révolutionnaires, de nombreux autres changements, alors un
bouleversement majeur se profile à moyen terme: la naissance d'un véritable droit
pénitentiaire. Comme toute branche du droit, cette matière devrait alors progressivement
s'enrichir des précisions jurisprudentielles [de ses normes –N.D.L.A.]. [...] La prévisibilité du
droit, la crédibilité de la sanction privative de liberté, et, partant, du rappel à la loi devraient
s'en trouver renforcées. Aussi, ne peut-on qu'être enthousiaste devant la soumission au droit
commun de la matière pénitentiaire"911.

Nous pouvons constater qu'aux étapes initiales de développement du droit pénitentiaire


dans ce pays dans le contexte de son rapprochement avec le droit commun, le débat portait ,en
premier lieu, sur l'aspect procédural: la subordination aux juridictions des mesures appliquées
aux détenus. Les détenus étaient rapprochés du statut des citoyens libres en ce qu'ils avaient
toujours plus de possibilités juridiques de se plaindre et d'exiger le respect de leurs droits
même pendant l'exécution des peines.

Dans le même temps, la sortie de la prison de la "zone de non-droit" qui


s'accompagnait du processus total de pénétration du droit derrière les grilles était liée non
seulement à l'aspect procédural mais aussi à l'aspect matériel. À côté du développement du
contrôle judiciaire, l'intégration du droit pénitentiaire dans le régime du droit commun est
confirmée par l'élargissement de la base des normes juridiques à laquelle est soumise la
prison912.

Une grande importance pour la promotion de la normalisation juridique appartient au


rapport de la Commission nationale consultative des droits de l'homme "Étude relative aux

910
La question de juridictionnalisation est étudiée en détail au 3.1.4 "Juridictionnalisation du
domaine pénitentiaire".
911
Herzog-Evans M., Droit commun pour les détenus, Ibid, р. 621-638.
912
Froment J.-C., Vers une « prison de droit » ? , Revue de science criminelle et de droit pénal
comparé, 1997, n° 3, p. 537-560.
349

droits de l'homme en prison". Son chapitre intitulé "Sortir la prison de l'exception juridique"
insistait sur la nécessité d'étendre le droit commun au domaine pénitentiaire. Le rapport
déterminait trois axes principaux de réforme. La première place était réservée à "l'application
du droit commun à l'administration pénitentiaire, pour assurer un meilleur équilibre entre les
impératifs de sécurité et la protection des droits et libertés"913, car en appliquant les normes
applicables à tous les services publics le législateur renforçait la place des droits
fondamentaux de l'individu914. Les auteurs du rapport proposent leur propre recette pour
atteindre le résultat voulu: pour pouvoir appliquer le droit commun dans l'emprisonnement, il
est nécessaire que le service pénitentiaire ne soit pas considéré comme un service
exceptionnel par rapport aux autres domaines d'activité de l'État915.

L'application du droit commune en prison s'appuie sur l'absence, en droit pénitentiaire,


de l'autorisation permettant de limiter l'application des règles du droit commun916. Il est
également applicable en l'absence de normes spéciales relatives aux détenus917. Le droit
commun limite fortement le droit pénitentiaire et toute dérogation918 devrait être absolument
nécessaire pour le maintien de la sécurité919. Cette logique se retrouve dans la jurisprudence
européenne920. S'il est possible d'admettre que le détenu ne puisse pas jouir totalement de ses
droits familiaux en raison des contraintes de l'emprisonnement (accès des familles dans
l'établissement, impératifs de sécurité, limitation de la durée des visites, etc.), on ne pourrait
imaginer que cela se fasse au prix d'un préjudice causé à l'application des normes du droit
commun921.

Le droit pénitentiaire reste cependant, sur beaucoup de points, un domaine


"exceptionnel" du droit en ce sens que les normes civiles, sanitaires et sociales générales du

913
Étude sur les droits de l’homme dans la prison. Propositions [Adoptée par l’assemblée
plénière du 11 mars 2004, p. 5.
914
Ibid, p. 5.
915
Ibid, р. 6-7.
916
Herzog-Evans M., Droit pénitentiaire, 2e éd., Paris, Dalloz, 2012, p. 61.
917
Herzog-Evans M., La déjuridictionnalisation de l’application des peines, in Les droits de la
personne détenue après la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, Paris, Dalloz, 2013, p. 265.
918
Le rapprochement du droit commun et du droit pénitentiaire exige qu'ils se rapprochent non
seulement par le contenu mais aussi par leurs formes. L'on ne saurait admettre ainsi que les normes
permettant les fouilles, notamment celles qui portent sur la fouille intégrales, ne soient contenues que
dans les textes réglementaires ou bien dans des circulaires. Il vaudrait mieux que ces normes fassent
partie du droit commun, à savoir le code de procédure pénale qui s'appliquerait (mis à part des
dispositions spéciales) au domaine pénitentiaire (Herzog-Evans M., Fouilles corporelles et dignité de
l’homme, Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 1998, n° 4, p. 748-749).
919
Herzog-Evans M., Droit pénitentiaire, 2e éd., Paris, Dalloz, 2012, p. 379, 385.
920
Ibid.
921
Ibid, p. 10.
350

droit, voire parfois les droits de l'homme sont souvent laissées de côté922. Les textes législatifs
n’ont pas, pour l'instant, adopté une conception de droit commun des droits des détenus lors
de l'exécution des peines, bien que le pouvoir public cherche à parvenir à une certaine
efficacité de ces droits923. Autrement dit, le caractère "exceptionnel" du droit pénitentiaire
devrait être évité autant que possible bien que ce souhait reste encore un idéal.

Par ailleurs, certains spécialistes estiment que bien que le droit soit l'un des
instruments de pacification des établissements pénitentiaires, la possibilité d'introduire le droit
dans la prison est associée à une "adaptation" complémentaire de ce droit. L'approche
juridique traditionnelle ne serait pas "adaptée" à la prison924. Dire que la prison soit une sorte
d'exception du droit commun "revient à énoncer une banalité sociologique, juridique et même
médiatique"925. Plus que dans tout autre lieu, le droit en prison ne signifie pas toujours
application mécanique, puisque ce sont l'individualisation et le bon sens qui devraient primer
à son application926. En subordonnant la possibilité d'application du droit dans l'établissement
pénitentiaire à des considérations rationnelles, cette affirmation met en doute celle d'un
rapprochement valable du droit pénitentiaire avec le droit commun.

L'exemple illustrant la possibilité du contraire peut être tiré du droit civil qui confirme
la possibilité de l'application complète du droit commun927. L'exemple classique vient des
mariages contractés en prison qui, bien que nécessitant une certaine organisation spécifique,
se déroulent suivant presque la même procédure qu'en liberté. L'exemple similaire concerne
par ailleurs d'autres droits civils comme par exemple celui de gérer le patrimoine restant.

La question probablement la plus illustratrice et ambiguë dans le contexte de la


normalisation juridique porte sur le travail des détenus pendant leur séjour d'établissement
d'exécution des peines. Le principe de normalisation dont l'interprétation n'est jamais facile
devient encore plus flou lorsqu'il s'applique au travail928. Cela concerne notamment la
question de l'application des mêmes règles que pour les citoyens libres pour l'établissement du
contrat de travail, la rémunération, les congés, l'assurance…

922
Ibid, p. 15.
923
Enderlin S., Ibid, p. 493.
924
Pauliat H., Synthèse, in La prison : quel(s) droit (s) ? Actes du colloque organisé à Limoges,
le 7 octobre 2011, Limoges, Presses Universitaires de Limoges, 2013, p. 163-164.
925
Grégory S., Gilles C., Le droit emprisonné ? , Politix, 2009, n° 87, p. 93.
926
Pédron P., La prison et les droits de l’homme, Paris, Librairie générale de droit et de
jurisprudence, 1995, p. 125.
927
Herzog-Evans M., Ibid, p. 58.
928
Shea E., Les paradoxes de la normalisation du travail pénitentiaire en France et en
Allemagne, Déviance et Société, 2005, n°3, Vol. 29, p. 349.
351

Philippe Auvergnon estime, en particulier, que la possibilité de conclusion d'un contrat


de travail avec le détenu signifie la suppression d'une partie du "vide juridique" qui caractérise
toujours très souvent l'environnement pénitentiaire929. Le problème de la régularisation
juridique des rapports, malgré la reconnaissance des efforts faits par l'administration
pénitentiaire pour rapprocher la réglementation du travail des détenus des normes du droit
commun, était évoqué par la Commission des droits de l'homme930. La normalisation
juridique du travail reste un problème pour d'autres pays développés d'Europe de l'Ouest 931.

Les débats sur la nécessité sur la consécration législative de la possibilité de conclure


des contrats de travail bénéficient en France d'une attention particulière932. Cette question a
même poussé le Constitutionnel à se prononcer et à reconnaître que l'absence du contrat avec
le détenu qui travaille est conforme à la Constitution933.

Or, la vision de la doctrine est toute différente. Il existe, par exemple, des propositions
visant à mettre en place dans le système pénitentiaire un service spécial qui répondrait de la
négociation des contrats entre les détenus et les employeurs934. Е. Madelennat se demande si
l'État est tenu de procurer du travail aux détenus, car il s'agit de leur droit, ce qui veut dire que
l'État a une obligation correspondante de réaliser ce droit (comme c'est le cas du droit
commun). D'un autre côté, il n'est pas non plus possible de poursuivre l'État, en étant libre,
pour ne pas offrir un emploi. Il est vrai que dans ce cas naît le droit à l'aide sociale pour les

929
Auvergnon P., Une approche juridique comparée du travail pénitentiaire dans quelques pays
européens, in Les limitations au droit à la sécurité sociale des détenus : une double peine ? Actes du
colloque du 28 novembre 2008 à la Maison des Parlementaires, Bruxelles, La Chartre, 2010, p. 214.
930
Étude sur les droits de l’homme dans la prison Propositions [Adoptée par l’assemblée
plénière du 11 mars 2004, p. 34.
931
Shea E., Le travail pénitentiaire, un défi européen: étude comparée, France, Allemagne,
Angleterre, Paris, Harmattan, 2006.
932
Voir par ex.: Auvergnon P., Guillemain C. Le travail pénitentiaire en question. Perspectives
sur la justice, Paris, La documentation française, 2006 ; Giudicelle-Delage G., Massé M., Travail
pénitentiaire : absence de contrat de travail, Droit social, 1997, n° 4 (avril), p. 344-346 ; Danti-Juan
M., L’absence de contrat de travail dans l’univers pénitentiaire, Revue pénitentiaire et de droit pénal,
1998, n° 1-2, p. 127-135; Commentaire de Décision n° 2013-320 /321 QPC du 14 juin 2013 (M.
Yacine T. et autres) (Absence de contrat de travail pour les relations de travail des personnes
incarcérées), disponible sur : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-
constitutionnel/root/bank/download/2013320_321QPCccc_320qpc.pdf (accedé le 26.11.2016); Droit
du travail en prison. D'un déni à une reconnaissance ? Sous la direction de Philippe Auvergnon,
Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2015.
933
Décision du Conseil constitutionnel n° 2013-320/321 QPC du 14 juin 2013.
934
Madelennat E., Le travail pénitentiaire à l’épreuve des droits de l’homme, Limoges,
Université de Limoges, DEA de droit privé général et européen, 2007, p. 86-87.
352

chômeurs qui n'existe pas en prison935.

Cette dernière thèse touche à l'un des problèmes se trouvant au cœur de la


problématique relative au rapprochement du droit commun et du droit pénitentiaire: la
restriction des droits économiques et sociaux des détenus936. Bien que certains auteurs
reconnaissent que les droits sociaux peuvent être limités à cause de l'emprisonnement937, il est
assez difficile de justifier la restriction de ces droits, dès lors qu'ils ne sont contraires ni à la
sécurité, ni à l'ordre ni "ne découle[nt] de l'emprisonnement" ou de la restriction du "droit
d'aller et venir"!

La normalisation juridique peut être considérée comme une partie du processus


d'abolition, soit l'effacement des frontières entre la prison et la liberté. D'un côté, la
diminution de la souffrance en prison est controversée, car cela signifie, en fin de compte,
"…faire du détenu l'homme libre à l'intérieur de l'établissement"938, se rapprocher de
l'ordinaire dans un cadre extraordinaire939. D'un autre côté, toute l'histoire de la prison tend,
d'une manière ou d'une autre, à réduire l'effet de la rupture des contacts avec la société, et elle
est ainsi l'histoire d'un abolitionnisme progressif. L'histoire de la punition trouve son
expression dans une "abolition constante de la peine"940.

Une vision pareille de l'abolitionnisme se retrouve dans l'ouvrage de Thomas

935
Ibid, p. 42. Cette thèse s'avère être pertinente pour l'Ukraine. Les propositions de l'auteur de
cet étude d'inclure l'obligation de la négociation des contrats de travail avec les personnes condamnées
à la privation de liberté fut prise en compte par le législateur ukrainien qui apporta des amendements
dans ce sens dans le projet de loi n° 2490а et au Code d'exécution des peines (art. 118). La brève
pratique de mise en œuvre de cette norme montra déjà des difficultés. Citons quelques exemples
surgissant en pratique: Que faire en cas d'isolement dans la cellule disciplinaire du détenu travaillant
au titre d'un contrat? Comment licencier le détenu sur les mêmes bases que les personnes libres? Tout
ceci montre en premier lieu les difficultés procédurales de la normalisation juridique en prison.
936
Les organisateurs de la conférence à Bruxelles consacrée à cette question soulignaient dans
son nom que les limitations des droits sociaux et économiques rendaient "double" la peine privative de
liberté. Tous les débats de la conférence portaient sur les problèmes de rapprochement du droit
commun et du droit pénitentiaire. Voir: Les limitations au droit à la sécurité sociale des détenus : une
double peine ? Actes du colloque du 28 novembre 2008 à la Maison des Parlementaires. Sous la
direction de Van der Plancke V., Van Limberghen G. , Bruxelles, La Chartre, 2010. T. Moreau
attribue un rôle peu ordinaire à ces droits. Elle estime que les droits sociaux et économiques des
détenus sont en fait les moyens de reconnaître la dignité d'un homme dans un État de droit. (Moreau
T., Le regard des détenus sur le droit à la sécurité sociale, Les limitations au droit à la sécurité sociale
des détenus, Ibid, p. 174 ).
937
Mezghani R., La condition juridique du détenu, Thèse pour le doctorat d’état, Paris,
Université de droit, d’économie et d Sciences Sociales de Paris (Paris 2), 1975, p. 262.
938
Giudicelli-Delage G., Massé M., Ibid, p. 24.
939
Duguid S., Can Prisons Work : the Prisoner as Object and Subject in Modern Corrections,
Toronto, University of Toronto Press, 2000, p. 266.
940
Mathieu G., Les droits des personnes incarcérées dans les pays de la communauté
européenne, Thèse pour l’obtention du Doctorat en Droit privé et sciences criminelles, Marseille,
Université de droit d’économie et des sciences d’Aix-Marseille, 1993, p. 450.
353

Mathiesen "The Politics of Abolition". Il écrit qu'il ne serait pas possible de se libérer des
prisons du jour au lendemain. Pour lui, ce processus pourrait se dérouler par "la démolition
progressive des murs" en remplaçant les privilèges pénitentiaires par des droits réels941. La
stratégie principale de ce livre, fait noter Guy Lemire, ne vise évidemment pas à bâtir
l'illusion que la prison viendrait à disparaître demain. En remplaçant les privilèges 942 par les
droits, nous repoussons les frontières de la prison jusqu'au jour où elles n'existeraient plus.
Ceci n'est pas dénué de bon sens, estime cet auteur, et il n'est pas à exclure que l'accumulation
progressive des droits rende l'incarcération, telle que nous la connaissons, impossible943. Cette
vision est toutefois contredite par Michel Foucault et d'autres abolitionnistes, car cette idée ne
prend pas en compte le fait que l'allègement constant du régime est une sorte d'hypocrisie,
puisqu'il aide à légitimer et conserver la prison944.

Cela veut dire que les progrès en matière de droits des détenus, leur rapprochement
avec ceux des citoyens libres qui fait partie de la normalisation juridique vise l'idéal final:
l'effacement des frontières entre la société libre et la prison jusqu'à la disparition totale de
celle-ci en tant qu'institution et la fusion entière du statut de détenu avec le statut des citoyens
libres. Il ressort de cette thèse que les détenus ne pourraient obtenir les mêmes droits que les
personnes libres et, partant, les mêmes restrictions que lorsque la prison aurait disparu
définitivement.

Le droit pénitentiaire ne peut pas suivre entièrement le droit commun, mais, en même
temps, il ne doit pas s'en éloigner945. L'avantage de cette approche consiste en ce qu'elle
contribue à la réinsertion des détenus: "le meilleur moyen de réinsérer les détenus est de faire
en sorte que le droit, rien que le droit, mais tout le droit, les concerne, à la fois dans les
contraintes qu'il suppose et dans les facultés qu'il encadre. Rien n'est plus anti-pédagogique
qu'un système qui fonctionne sur un sous-droit"946. L'exercice normal d'une plénitude de
droits suppose un sens social qui a souvent manqué au détenu947. De ce point de vue, on juge
comme parfaitement logique la proposition d'utiliser le droit dans un "but thérapeutique",

941
Mathiesen T., The Politics of Abolition, London: Martin Robertson, 1974.
942
Il s'agit de l'approche selon laquelle les droits devraient être "mérités" par les détenus. Voir
plus de détails au 3.3 "Grande-Bretagne".
943
Lemire G., Grandeurs et limites des droits des détenus, La condition juridique du détenu.
Sous la direction de Pradel J. Travaux de l’Institut de sciences criminelles de Poitiers, Volume 8,
Paris, Éditions Cujas, 1993, p. 67.
944
Mathieu G., Les droits des personnes incarcérées dans les pays de la communauté
européenne, Thèse pour l’obtention du Doctorat en Droit privé et sciences criminelles, Marseille,
Université de droit d’économie et des sciences d’Aix-Marseille, 1993, p. 382.
945
Herzog-Evans M., Le droit en prison, Revue Projet, 2002, n° 1 (n° 269), p. 89.
946
Ibid.
947
Mezghani R., Ibid, p. 239.
354

c'est-à-dire comme un instrument de retour à une vie sociale normale. En fin de compte,
l'exercice des droits et le respect des obligations sont deux aspects essentiels de la vie de la
personne libre948.

C'est pourquoi la normalisation classique, qui englobe la normalisation juridique, vise,


en premier lieu, à faciliter la réinsertion. La normalisation suppose que le curseur sur l'échelle
des objectifs de la peine se déplace du châtiment rétrospectif vers l'investissement prospectif,
du besoin d'exclure de la société vers le besoin d'inclure949. La conception de cette catégorie
s'établit donc à travers le prisme des chances de la future réinsertion950. En reprenant les
paroles de Erving Goffman, on peut dire que plus la prison s'éloigne du modèle de l'institution
totale951, et plus il y a de chances pour une réinsertion réussie. En conséquence, la
normalisation juridique ne peut contourner cet aspect, bien au contraire, elle devrait mettre au
nombre de ses priorités la facilitation de la future réinsertion des détenus en rapprochant leur
statut juridique du statut juridique commun.

Conclusion du sous-chapitre 3.1.3.3

Le terme "droit commun" a une signification toute différente par rapport au terme
anglo-saxon "common law". Sa signification se rapproche de la notion "de régime juridique
commun" ou "ensemble de normes juridiques générales", ou bien, s'agissant des droits de
l'homme, statut juridique commun. Dans le contexte pénitentiaire, le "droit commun" suppose
l'application aux détenus et à leurs droits des mêmes approches et normes juridiques qu'aux

948
Seriaux A., Des intérêts légitimes sans protection juridique : les droits des détenus, Revue
pénitentiaire et de droit pénal, 1979, p. 454.
949
Van der Plancke V., Van Limberghen G., La justice sociale ne saurait s’arrêter à la porte des
prisons. Le (non) droit des détenus à la sécurité sociale en Belgique, Les limitations au droit à la
sécurité sociale des détenus : une double peine ? Actes du colloque du 28 novembre 2008 à la Maison
des Parlementaires, Bruxelles, La Chartre, 2010, p. 49-98.
950
Cf. Snacken S., « Normalisation » dans les prisons : concept et défis. L’exemple de l’Avant-
projet de la loi pénitentiaire belge, in L’institution du droit pénitentiaire : enjeux de la reconnaissance
de droits aux détenus. De Schutter O., Kaminski D. (Eds.), Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 133-152.;
Shea E., Les paradoxes de la normalisation du travail pénitentiaire en France et en Allemagne,
Déviance et Société, 2005, n° 3, Vol. 29, p. 350-351.
951
Ce modèle se caractérise par le fait que la vie quotidienne se déroule au même endroit et
qu'elle est strictement réglementée, les personnes qui s'y trouvent perdant leur identité sociale et en
acquérant une nouvelle. La perte d'identité se fait par la "mortification" de l'identité sociale. L'un des
aspects de la mortification est l'aspect juridique qui se traduit par la perte (la limitation) de droits
(Goffman E., Asylums: Essays on the Social Situation of Mental Patients and Other Inmates, London,
Penguin Books, 1961, p. 24-25).
355

citoyens libres.
La littérature juridique française popularise l'idée selon laquelle le "droit commun"
devrait pénétrer autant que possible en prison. Les règles et les procédures spécifiques
applicables aux détenus devraient tendre à se mettre en conformité avec le régime juridique
établi pour les personnes libres. Nous considérons ces idées comme étant l’une des
manifestations de la théorie de normalisation, qui entend rapprocher la vie en prison des
aspects positifs de la vie en société. Nous proposons de la désigner comme normalisation
juridique, le processus de rapprochement des normes juridiques réglementant la vie en prison
avec les normes régissant la vie en liberté. La normalisation juridique fait partie intégrante de
la normalisation au sens large et constitue, en même temps, sa condition sine qua non.

La doctrine française du droit pénitentiaire a tendance à mettre en valeur l'aspect


juridique de la normalisation. Aux étapes initiales de développement de cette branche du droit
en France, il s'agissait surtout de l'aspect procédural, et tout d'abord de la soumission au
contrôle judiciaire des mesures applicables aux détenus, ce qui supposait la possibilité de se
pourvoir contre les sanctions disciplinaires, la non-application de la libération conditionnelle,
etc. L'idée principale ayant connu un développement porta sur l'extension des compétences
des tribunaux sur les rapports de droit dans les prisons. Par ailleurs, la sortie de la prison de la
"zone du non droit" qui s'accompagnait d'une pénétration totale du droit derrière les grilles des
prisons était liée non seulement à l'aspect procédural mais aussi à l'aspect matériel: l'ampleur
des restrictions des droits applicables aux détenus.

L'exemple du rapprochement du "droit commun" avec le droit pénitentiaire peut être


fourni par la conclusion du mariage en prison qui, bien que nécessitant une organisation
déterminée, s'effectue suivant la même procédure juridique et sur le même fondement qu'en
liberté. L'exemple inverse vient du droit de travail, puisque les normes spécifiques du droit
pénitentiaire relatives à l'embauche, au licenciement, aux modalités et aux conditions de
travail présentent une image précise d'exception au "droit commun".

La normalisation juridique fait partie du processus d'abolitionnisme entendu comme


renvoyant l'effacement des frontières entre la prison et la liberté. La question principale est de
savoir à quel point ces frontières peuvent être effacées, et cette question est plutôt d'ordre
philosophique que juridique. Les juristes reconnaissent le principe lui-même estimant que les
approches des droits des détenus (et de leurs restrictions) devraient se rapprocher de la
conception des droits des personnes libres.

Les murs des prisons constituent toutefois, un obstacle objectif à une application
356

complète du droit commun en prison. De ce fait, l'effacement de la différence des droits et des
restrictions des droits des détenus et des citoyens libres, aussi bien que l'application complète
du droit commun aux détenus nécessite l'effondrement définitif de cet obstacle objectif.

3.1.4. Juridictionnalisation du domaine pénitentiaire

3.1.4.1. Juridictionnalisation et évolution du droit pénitentiaire français

La normalisation juridique est liée logiquement à ce qu'on appelle


"juridictionnalisation" ou "juridictionnalisation" du droit pénitentiaire952. Elle signifie
l'application des mécanismes de protection du droit à certains rapports sociaux. Le processus
de juridictionnalisation assure aux sujets du droit l'attribution ainsi que l'extension des
possibilités procédurales existantes pour se pourvoir contre tels ou tels actes illégitimes, à leur
avis, ou contre l'inaction. Soulignons que la conception de la juridictionnalisation a une
connotation directe avec l'augmentation des possibilités de saisir la justice.

Ce terme présente une particularité dans la tradition juridique française et il connaît un


vaste emploi dans la littérature juridique portant sur les sujets pénitentiaires. À côté de lui, un
autre terme est utilisé: la judiciarisation. Ce dernier signifie une intensification des recours à
la justice par les personnes se plaignant des violations de la loi à leur égard.

Ces deux termes sont souvent confondus dans la doctrine française alors qu'ils
diffèrent sensiblement953. Si le premier entend l'augmentation juridique des possibilités de
saisir la justice, le second signifie l'accroissement effectif de ces recours. La
juridictionnalisation est une condition nécessaire, mais non unique de la judiciarisation954.

Le droit français s’est historiquement formé sous la forte influence du pouvoir


judiciaire, en dépit du fait qu'à la différence des systèmes de common law, le juge crée en

952
Nous négligeons consciemment la question de la juridictionnalisation des mesures concernant
la modification de la durée d'exécution de la peine. En France ce thème est examiné spécialement dans
le cadre du droit de l'exécution des peines et il diffère de la juridictionnalisation du droit pénitentiaire
proprement dit). Voir l'analyse détaillée de ce thème dans le domaine du droit de l'exécution des
peines à: François С., La juridictionnalisation des procès de l’exécution des peines, Thèse, Lille,
Université de Lille 2, 2012; Herzog-Evans M., Droit de l’exécution des peines. 5e éd., Paris, Dalloz,
2017, p. 131-135.
953
Pélisse J., Judiciarisation ou juridicisation ? , Politix, 2009, n° 2 (n° 86), p. 73-96.
954
Ibid, p. 74-75.
357

principe pas le droit mais ne fasse que le "dire"955. La vocation principale du juge français est,
dans ce contexte, de "dire la vérité"956, et non de la créer. Il n'est dès lors pas étonnant que la
juridictionnalisation ait eu une importance particulière pour la doctrine du droit pénitentiaire
français et qu'elle ait contribué à la formation de ce droit comme d'une discipline juridique
autonome957. Toute l'histoire de cette branche du droit est déterminée par le degré de
développement de la juridictionnalisation.

A quel point il est possible de se pourvoir en justice contre les conflits surgissant
pendant l'exécution de la peine a toujours été considéré comme un indice de développement
du système pénitentiaire et du droit qui le régit. De nombreux livres portant sur le thème du
droit pénitentiaire attachent un intérêt à la juridictionnalisation et l'incidence de celle-ci sur la
modification des rapports sociaux qui se sont formés dans les prisons françaises. Cela ne
devrait pas étonner, car c'est grâce à la juridictionnalisation que la prison est devenue un lieu
juridique après avoir été une "humiliation de la République"958.

Nous ne procédons pas, dans ce sous-chapitre, à une analyse détaillée du processus


évoqué ci-dessus, puisque son étude ne fait l'objet de la présente thèse. Nous nous proposons,
par contre, de décrire brièvement le sens du développement de la juridictionnalisation
pénitentiaire, de manière à montrer sa signification et son influence sur la problématique de la
restriction des droits des détenus.

Aux étapes initiales d'affermissement du droit pénitentiaire en tant que discipline (fin
des années 1980 – début des années 1990), toute nouvelle pénétration du droit dans
l'environnement pénitentiaire semblait représenter un danger potentiel, réduire le contrôle du
personnel sur les détenus et provoquer des troubles959. Du point de vue des spécialistes
français, cette vision était pour le moins incorrecte, sinon ridicule, car une telle pénétration a
pour objectif, au contraire, d'offrir la possibilité d'un bon règlement qui puisse être appliqué à
tous sans distinction et réduire ainsi la tension dans les rapports960. Avec le temps, le fossé
démocratique creusé entre la prison et le monde extérieur devait être comblé961. Des moyens

955
Salas D., La réforme pénale : un tournant du quinquennat, Justice et prison : Entre la sécurité
et le droit, Paris, Études hors-série, 2012, p. 53-63.
956
Ibid.
957
Herzog-Evans M., Droit commun pour les détenus, Revue de sciences criminelles et de droit
pénal comparé, 1995, Vol. 3, р. 621-638.
958
Le droit des détenus : sécurité ou réinsertion ? Sous la direction de Arnaud Deflou; avec les
contributions de C. Allain, A. Deflou, J. Andriantsimbazovina... [et al.], Paris, Dalloz, 2010, p. 2
(avant-propos).
959
Herzog-Evans M., Droit pénitentiaire, 2e éd., Paris, Dalloz, 2012, p. 20.
960
Ibid.
961
Ibid, p. 21.
358

de protection des droits des détenus commençaient à apparaître, une jurisprudence prenait du
corps et ceci contribuait à des progrès notables dans le domaine du droit pénitentiaire962.

Les principaux problèmes surgissant à l'occasion des recours des détenus à la justice
tournaient autour d'une question fondamentale. Elle concernait l'établissement de la
recevabilité des plaintes des détenus. La possibilité pour les détenus de contester en justice les
mesures dont ils faisaient l'objet découlait de l'ingérence dans leur droit en tant que
conséquence de l'application desdites mesures. Cependant, il est possible de constater pendant
longtemps en France l'influence déterminante de la théorie des "mesures d'ordre intérieur",
qui a permis aux juges de justifier de ne pas intervenir dans la plupart des conflits juridiques
naissant au cours de l'exécution des peines et de rejeter en masse les recours jugés
irrecevables963. Ce concept supposait l'incompétence des tribunaux pour résoudre le problème
de l'application des sanctions concernées. Le monopole d'appréciation de la rationalité de leur
application appartenait à l'administration pénitentiaire, ce qui ne manquait pas de déformer la
vision de la nécessité des restrictions964.

Si une mesure était censée relever de l'ordre intérieur, elle relevait alors du domaine
d'appréciation totale de l'administration pénitentiaire, les juges ne devant pas intervenir et la
mesure n'étant pas passible de recours. La mesure pouvait être classée en tant que relevant de
l'ordre intérieur d'après certains critères: 1) Ces mesures n'étaient pas considérées comme
ayant un effet sur la situation juridique des détenus, c'est-à-dire qu'il n'y avait pas ingérence
dans les droits et libertés de ces derniers, ni modification de leur statut juridique965; 2) Les

962
Ibid, p. 23; Céré J.-P., Herzog-Evans M., La discipline pénitentiaire : naissance d'une
jurisprudence, Recueil Dalloz, 1999, p. 509-516 ; Céré J.-P., Herzog-Evans M., Péchillon E., Actualité
jurisprudentielle du droit de l'exécution des peines, Recueil Dalloz, 2001, p. 562-569 ; Céré J.-P.,
Herzog-Evans M., Péchillon E., Actualité du droit de l'exécution des peines, Recueil Dalloz, 2002, p.
110-118 ; Céré J.-P., Herzog-Evans M., Péchillon E., Droit de l'exécution des peines : panorama
2004, Recueil Dalloz, 2005, p. 995-1001; De Suremain H., Genèse de la naissance de la "guérilla
juridique" et premiers combats contentieux, Défendre en justice la cause des personnes détenues,
vendredi 25 et samedi 26 janvier 2013. Slama S., Ferran N. (eds), Paris, La Documentation Française,
2014, р. 47-52 ; Rostaing C. Processus de judiciarisation carcérale : le droit en prison, une ressource
pour les acteurs ?, Droit et Société, 2007, n° 67, p. 577-595.
963
Parmi les mesures irrecevables du fait de leur classement dans la catégorie de "l'ordre
intérieur" figuraient aussi les affaires portant sur des conflits dans les établissements scolaires, dans
l'armée.
964
À ce propos il convient de s'interroger sur la manière d'apprécier le besoin réel de restrictions
lorsque l'incarcération et les restrictions se fondent sur les craintes que peut avoir le personnel.
(Zimring F.E., Hawkins G., Democracy and the Limits of Punishment: A Preface to Prisoners’ Rights,
in The Future of Imprisonment, Еd. by Tonry M., New York, Oxford University Press, 2004, p. 169).
965
Herzog-Evans M., La révolution pénitentiaire française, in L’Institution du droit pénitentiaire
- Enjeux de la reconnaissance de droits aux détenus, sous la direction de O. De Schutter et D.
Kaminski, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2002, p. 22.
359

mesures avaient un caractère intérieur; 3) Les mesures étaient discrétionnaires 966. La


qualification d'une mesure en tant que mesure d'ordre intérieur était facilité par l'absence de
définition commune claire et prévisible, ce qui encourageait les interprétations arbitraires.
Cela touchait surtout la question de l'affection par une mesure des droits de la personne.

Le rapport établi par la Commission d'enquête spéciale de l'Assemblée Nationale


comportait une recommandation visant à limiter fermement par la loi l'application le nombre
de mesures d'ordre intérieur qui n’étaient pas passibles de recours967. Cette recommandation
ne fut pas mise en œuvre. En pratique, les exemples traditionnels de ces mesures prenaient
toujours la forme d’un isolement supplémentaire au sein de l'établissement, du placement en
cellule disciplinaire, du transfèrement dans un autre établissement, du changement des
modalités d'exercice de divers droits, etc.

Avec le temps, l’approche du juge changea considérablement. Le Conseil d'État


commença à reconnaître que certains actes de l'administration pénitentiaire pouvaient être
contestés en justice. Cela concernait le refus de respecter la confidentialité de la
correspondance entre le détenu et son avocat968, le refus de restituer au détenu les sommes
bloquées sur son compte969, le refus de certains types de publications, les décisions relatives à
l'organisation des repas970.

Il ne s'agissait pourtant que de pas très modestes dans le sens de la


juridictionnalisation. La "révolution juridictionnelle" véritable de droit pénitentiaire fut
consacrée par l'arrêt Marie de 1995. Par cet arrêt, le Conseil d'État reçut pour examen la
demande d'annulation de la décision de placement du détenu en cellule disciplinaire pour huit
jours. Des critères furent enfin établis pour déterminer si la décision de l'administration
pénitentiaire pouvait faire l'objet d'un recours: la nature de la mesure contestée et sa sévérité
au regard de la situation du détenu. Ainsi, pour pouvoir décider si la mesure en question
relevait de l'ordre intérieur, on devait prendre en compte non seulement l'effet juridique, mais
aussi l'effet réel de la mesure sur le détenu, y compris l'effet sur sa situation matérielle.
966
Cf. Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur la situation dans les prions
françaises, Assemblée nationale, le 28 juin 2000. Cette doctrine se fonde sur le principe du droit
romain de minimis non curat pretor, dont l'application permettait aux juges d'éviter les nombreuses
plaintes insignifiantes et d'économiser ainsi les ressources disponibles. Par ailleurs, ce principe faisait
l'objet de critiques vives en raison de la marge d'appréciation extrêmement large des juges lorsqu'il
s'agissait de déterminer si la gravité des effets des mesures d'ordre intérieur a atteint la limite après
laquelle le recours était possible.
967
Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur la situation dans les prions françaises,
Assemblée nationale, le 28 juin 2000.
968
CE, 12 mars 1980, Centre hospitalier spécialisé de Sarreguemines, n°12572.
969
CE, 3 novembre 1989, M. Jean-Jacques M., n°85424.
970
CE, 15 janvier 1992, C., n°97149.
360

Par la suite, la position affichée dans l'arrêt Marie fut développée dans d'autres
décisions: à propos des conditions sous quelles les détenus pouvait recevoir du matériel
informatique971, à propos de la mise à l'isolement d'un détenu972. En 2007, Le Conseil d'État
devait développer, à titre complémentaire, la question des critères de recevabilité des
demandes émanant des détenus. L’on commençait à reconnaître comme recevables les
plaintes sur le transfèrement vers un autre établissement qui était différent par le niveau de
sécurité et les conditions de la détention973, sur le déclassement d'emploi974, sur la soumission
du détenu à un régime de rotation de sécurité impliquant un changement constant du lieu
d'exécution de la peine975. Le développement de cette jurisprudence se traduisit par des arrêts
reconnaissant le droit des détenus à se pourvoir contre d'autres mesures, qui pouvaient être
qualifiées avant de mesures d'ordre intérieur: la fouille corporelle intégrale976, le placement en
isolement préventif977, le changement du régime de détention différant du régime antérieur978,
les modalités et les conditions des visites979, le classement dans la catégorie des détenus
particulièrement signalés980, l'application de sanctions disciplinaires comme
l'avertissement981. Malgré un développement impétueux de la jurisprudence, il était
accompagné de changements assez progressifs en pratique982. Les demandes des détenus d'un
même type pouvaient être reçues comme elles pouvaient être rejetées.

Malgré les progrès des vingt dernières années, la notion de "mesure d'ordre intérieur"
continue d'être appliquée pour rejeter les demandes des détenus. Ces mesures comprennent
toujours, par exemple, la question de la classification primaire d'après le lieu d'exécution de la
peine, le transfèrement depuis la maison d'arrêt vers l'établissement pour peine (dont le régime

971
CE, 18 mars 1998, D., n°191630.
972
30 juillet 2003, Garde des Sceaux c/ M. Saï n°191630.
973
CE, 14 décembre 2007, M.Miloud A., n°290730.
974
CE, 14 décembre 2007, M. Franck A., n°290420.
975
CE, 14 décembre 2007, M. Pascal A, n°306432.
976
CE, 14 novembre 2008, M. E. S, n°315622; la possibilité de recourir contre de telles mesures
était reconnue avant, lorsqu'elles étaient appliquées dans le cadre disciplinaire (CE, 12 mars 2003,
Garde des Sceaux c/ Frérot, n°237437).
977
CE, 17 décembre 2008, SFOIP, n°293786.
978
CE, 28 mars 2011, Garde des Sceaux c/ M. A. B., n°316977.
979
CE, 26 novembre 2010, Ministre d'Etat, Garde des sceaux, ministre de la justice c/ M. Hervé
A., n°329564.
980
CE, 30 novembre 2009, Garde des sceaux, ministre de la justice c/ M. Ali A., n° 318589.
981
CE, 21 mai 2014, Garde des sceaux, ministre de la justice c/ Mme A., n° 359672.
982
Voir : Céré J.-P., Herzog-Evans M. La discipline pénitentiaire : naissance d'une
jurisprudence, Recueil Dalloz, 1999, p. 509-516 ; Céré J.-P., Herzog-Evans M., Péchillon E.,
Actualité jurisprudentielle du droit de l'exécution des peines, Recueil Dalloz, 2001, p. 562-569 ; Céré
J.-P., Herzog-Evans M., Péchillon E., Actualité du droit de l'exécution des peines, Recueil Dalloz,
2002, p. 110-118 ; Céré J.-P., Herzog-Evans M., Péchillon E., Droit de l'exécution des peines :
panorama 2004, Recueil Dalloz, 2005, p. 995-1001.
361

est considéré comme étant plus clément), le changement du lieu d'exécution de la peine au
même niveau de sécurité ou le refus d'un tel changement983. Pourtant, cette approche n'est
plus réputée non souple, une attention beaucoup plus importante étant prêtée maintenant, non
pas au classement formel dans cette catégorie, mais l'effet réel pour les droits des détenus; en
constatant un effet important pour les droits de la personne, la mesure traitée par tradition
comme relevant de l'ordre intérieur peut faire l'objet d'un recours984. Il est à noter qu'en même
temps que les mesures à caractère individuel, la juridiction administrative commence
progressivement à admettre le contrôle judiciaire des règlements régissant les aspects
particuliers de l'exécution des peines985.

Nonobstant le fait que la jurisprudence française ne puisse être considérée comme


source du droit, elle joue en réalité un rôle immense dans le développement du droit et de la
politique juridique. Cela concerne surtout les décisions du Conseil d'État et des Cours
administratives d’appel. Notons, à titre d'exemple, que la loi pénitentiaire de 2009 s'appuie sur
beaucoup de points sur les apports jurisprudentiels. Des évolutions importantes sont visibles
dans les textes réglementaires. Il est à signaler, tout particulièrement, les innovations dans le
domaine disciplinaire, consécutives aux modifications de la circulaire relative au régime
disciplinaire dans les prisons986, qui prend en compte les observations de la jurisprudence.

Le développement de la jurisprudence est étroitement lié au développement de la


doctrine du droit pénitentiaire. Les commentaires détaillés par les spécialistes français des
décisions des juges nationaux en matière de droits des détenus sont devenus très fréquents.

Ainsi que l'observe Dan Kaminski, l'évolution du système pénitentiaire exige que la
reconnaissance des droits des détenus tende à l'établissement de normes législatives et à
l'intervention des juges dans le contrôle de leur application987. L'intervention judiciaire est

983
Conseil d’Etat. L’administration pénitentiaire et le juge administratif (août 2014). Dossier
thématique : L’état du droit, p. 4 , disponible sur : http://www.conseil-
etat.fr/content/download/33120/287166/version/2/file/Dossier%20thematique_Administration%20peni
tentiaire.pdf (accedé le 29.11.2016).
984
Ibid.
985
CE, 29 février 2008, M. A. et autres, n°s 308145,308147; CE section 31 octobre 2008,
Section française de l’OIP, n° 293785; CE, 17 décembre 2008, Section française de l’OIP, n° 293786;
CE, 17 décembre 2008, Section française de l’OIP, n° 305594.
986
Circulaire JUSK1140024C du 9 juin 2011 relative au régime disciplinaire des personnes
détenues majeures.
987
Kaminski D. Les droits des détenus au Canada et en Angleterre : entre révolution normative
et légitimation de la prison, in L’Institution du droit pénitentiaire - Enjeux de la reconnaissance de
droits aux détenus, sous la direction de O. De Schutter et D. Kaminski, Paris, Librairie générale de
droit et de jurisprudence, 2002, p. 92.
362

essentielle pour le vecteur de détermination de la protection juridique des détenus 988. La


bataille juridique portant sur l'identification du contrôle judiciaire et l'effet positif de celui-ci
sert de toile de fond pour une question plus globale: l'admissibilité de l'intervention des
juridictions dans les affaires pénitentiaires.

À la différence de la position des administrations pénitentiaires estimant que


l'intervention judiciaire nuirait aux rapports normaux, les auteurs français pensent que la
situation réelle est bien différente. C'est l'absence de la juridictionnalisation et de la
réglementation totale à l'aide du droit qui constituent la cause véritable des conflits989, car la
possibilité du recours en justice sert de "soupape d'échappement" et de moyen pour les
détenus de faire valoir leur position sans violence et sans alerter les médias 990. C'est pourquoi
le statut juridique des détenus dans le droit interne devrait être renforcé et les rapports entre
les détenus et l'administration pénitentiaire se transformeraient ainsi en rapports juridiques991.

Néanmoins, il faut comprendre que l'application totale du droit aux rapports qui se
forment lors de l'exécution de la peine ne peut être considérée comme pratique positive que
sous réserve d'une bonne qualité des normes du droit. Sinon, une application non souple du
droit risque d'engendrer de graves problèmes dans le maintien de l'ordre et un climat
gravement négatif dans l'établissement. Il ne faudrait pas oublier non plus l'avertissement
d'Erving Goffmann considérant que la réglementation totale du régime pénitentiaire est la
mortification de "l'ego civil" du détenu992. Notre thèse consiste donc en ce que le droit devrait
être appliqué au domaine de l'exécution des peines, sans créer un climat de réglementation
excessive au préjudice des deux parties, car on sait qu’une telle réglementation cause des

988
Ibid, p. 102.
989
Herzog-Evans M., Droit pénitentiaire, 2e éd., Paris, Dalloz, 2012, p. 325. Certains auteur
citent, au contraire, des études qui confirment que l'intervention des juges dans les affaires
pénitentiaires risque d'aiguiser l'opposition entre les détenus et l'administration (Landreville P.,
Lemonde L., La reconnaissance des droits fondamentaux des personnes incarcérées : l’expérience
canadienne, in L’Institution du droit pénitentiaire - Enjeux de la reconnaissance de droits aux détenus,
sous la direction de O. De Schutter et D. Kaminski, Paris: Librairie générale de droit et de
jurisprudence, 2002, p. 83).
990
Mathieu G., Les droits des personnes incarcérées dans les pays de la communauté
européenne, Thèse pour l’obtention du Doctorat en Droit privé et sciences criminelles, Marseille,
Université de droit d’économie et des sciences d’Aix-Marseille, 1993, p. 244.
991
De Jonge G., L’émancipation juridique des détenus aux Pays-Bas. Mise en oeuvre et
développement du droit de plainte pénitentiaire, in L’Institution du droit pénitentiaire - Enjeux de la
reconnaissance de droits aux détenus, sous la direction de O. De Schutter et D. Kaminski, Paris,
Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2002, p. 45-49.
992
Goffmann E., On the Characteristics of Total Institutions: the Inmate World, in The Prison:
Studies in Institutional Organisation and Change. Cressey D. (Ed.), New York, Holt, Rinehart
&Winston, 1961, p. 16, 23.
363

troubles avec le maintien de l’ordre993. Dans ces conditions, il y aurait moins de place pour
bâtir des rapports favorables entre le personnel pénitentiaire et les détenus. Un système
pénitentiaire de ce type ne laisserait pas de place à la mise en œuvre d'une sécurité
dynamique.

Le problème de la résistance à la juridictionnalisation est un problème général et


ancien des systèmes pénitentiaires. Les juges ne veulent pas passer pour l'autorité intervenant
dans l'élaboration des politiques pénales, bien que ce soit inévitable en pratique. Il est
considéré qu'ils sont conscients que le devoir d'entretenir les prisons ne leur incombe pas,
mais relève bien des administrateurs pénitentiaires. Cette idée est à la source de la prudence
maximale et de la mauvaise volonté des juges pour intervenir dans les réalités pratiques du
domaine pénitentiaire994. La sécurité, le bon ordre et la discipline risqueraient d'avoir des
impact si le directeur de prison devait remplir ses fonctions en se retournant sur le juge qui
regarde par-dessus son épaule995. Par ailleurs, les juges craignent d'être surchargés, bien
qu'avec le temps ils s'habituent assez bien à la juridictionnalisation996.

Probablement, l'administration pénitentiaire s'en tient à la même idée, car elle croit
"savoir mieux" ce qu'il faut faire en matière de sécurité et de maintien du régime. Les
partisans de cette approche estiment que l'intervention de l'autorité judiciaire dans le domaine
pénitentiaire est souvent peu productive sinon contre-productive997. Cette intervention
risquerait de compromettre le pouvoir et l'autorité de l'administration 998. C'est la raison pour
laquelle l'évolution de la composante juridique de l'exécution des peines ne se réalisait pas
toujours avec l'accord des établissements. Celles-ci cherchaient toujours à éviter les exigences

993
Bottoms A.E., Tankebe J., Criminology Beyond Procedural Justice: A Dialogic Approach to
Legitimacy, The Journal of Criminal Law and Criminology, 2012, Vol. 102, Issue 1, p. 119-170.
994
Scott D., The Politics of Prisoner Legal Rights, The Howard Journal, 2013, n° 3, Vol 52, p.
247 ; Jacobs J.B. Prison Reform Amid the Ruins of Prisoners’ Rights, The Future of Imprisonment.
Ed. by Tonry M., New York, Oxford University Press, 2004, p. 179-198; Lazarus L., Contrasting
Prisoners' Rights: A Comparative Examination of Germany and England, New York, Oxford
University Press, 2004, p. 197.
995
Livingstone S., Owen T., Macdonald A., Prison Law. 4th edition, New York, Oxford
University Press, 2008, p. 100.
996
Herzog-Evans M., Droit pénitentiaire, Ibid, p. 995.
997
Feely M., Hanson A.R., The Impact of Judicial Intervention on Prisons and Jails: A
Framework for Analysis and a Review of the Literature, in Courts, Corrections and the Constitution:
The Impact of Judicial Intervention on Prisons and Jails. Dilulio J.J. (Ed.), New York: Oxford
University Press, 1990, p. 13. Cette publication comporte des études des effets reels de l'influence de
la jurisprudence sur le fonctionnement du système pénitentiaire et de ses établissements particuliers.
Comme notre objectif n'est pas d'analyser l'influence mais de décrire seulement les positions des deux
parties opposées en matière d'intervention juridique dans le domaine pénitentiaire, un exposé plus
détaillé du problème pourra être trouvé dans la publication citée.
998
Ibid, p. 17.
364

juridiques999.

Malgré les points de vue critiques en ce qui concerne l'admissibilité de l'intervention


des juridictions dans la vie "intérieure" des établissements pénitentiaires, il serait difficile de
contester que le progrès des approches envers la justification des restrictions des droits
dépend du degré d'implication du processus de juridictionnalisation dans le système
pénitentiaire.

Il serait intéressant d'examiner deux aspects de l'influence de la juridictionnalisation


sur les pratiques de l'exécution des peines: l'aspect procédural et l'aspect matériel.

L'aspect procédural consiste en ce qu'il existe une possibilité réelle d'introduire des
recours en justice contre telles ou telles mesures qui s'ingèrent (limitent) dans les droits du
détenu. Il permet de se protéger contre les restrictions non justifiées et il modifie également la
pratique d'application ultérieure de ces restrictions à l'égard d'un détenu ou d'un cercle plus
large de personnes.

L'aspect matériel consiste en l'influence de la jurisprudence sur "l'épuration" de la


législation pénitentiaire des restrictions non justifiées. Cela peut se faire tant par une influence
indirecte progressive de la jurisprudence sur la modification, la suppression ou la création de
normes du droit que par le changement direct ou l'annulation de normes dans les cas où la
juridiction dispose de la compétence correspondante (administrative ou constitutionnelle).

L'exemple français illustre l'importance de la juridictionnalisation pour le


développement d'une doctrine particulière relative aux restrictions des droits des détenus.
L'examen constant par les juridictions de la question du bien-fondé ou du mal-fondé des
restrictions incite logiquement le pouvoir judiciaire, de même que le pouvoir exécutif et le
pouvoir législatif à modifier et à élaborer des normes nouvelles de restrictions.

Pourtant, l'influence de la juridictionnalisation dans ce pays n'est pas unique en son


genre. C'est ainsi que la juridictionnalisation a joué un rôle essentiel dans la réforme
pénitentiaire aux États-Unis. Ses principaux effets ont porté sur: 1) La bureaucratisation des
prisons au sens positif, à savoir une meilleure documentation et motivation des décisions; 2)
L'augmentation des garanties procédurales; 3) L'apparition d'une génération nouvelle
d'employés pénitentiaires qui travaillent en accord avec des standards nouveaux, plus élevés;
4) Une meilleure information du public sur les prisons; 5) Une intensification des actions des
détenus pour la défense de leurs droits; 6) Une démoralisation des employés pénitentiaires; 7)

999
Herzog-Evans M., Droit pénitentiaire, Ibid, p. 566.
365

Un contrôle plus difficile des détenus; 8) L'initiation du mouvement en faveur de


l'amélioration des normes pénitentiaires nationales1000. Il est à souligner que les effets 6) et 7)
étaient dus au fait que l'administration pénitentiaire n'était pas prête à fonctionner en accord
avec les nombreuses procédures. Selon certains fonctionnaires pénitentiaires, les attaques
juridiques et l'intervention des juridictions ébranlèrent leur capacité d'administrer leurs
établissements et de maintenir l'ordre et la discipline minimum1001. D'un autre côté, à long
terme, ces effets ont contribué à des évolutions positives telles que le recrutement de
personnels préparés à un travail efficace malgré les procédures strictes, et, finalement, une
meilleure protection des droits de l'homme.

Le rôle particulier des juridictions dans la lutte contre les restrictions non justifiées est
relevé par Zimring et Hawkins1002. Ceux-ci soutiennent que lorsque ce n'est pas le juge qui
devient l'acteur principal du processus d'établissement et de justification des restrictions mais
le législateur, ce dernier s'appuie probablement sur des considérations d'utilité
politique/réputation (le soutien de la part des citoyens exige normalement une politique
pénitentiaire contraignante (répressive) au maximum) et des économies budgétaires. La même
chose concerne approximativement le pouvoir exécutif. C'est pourquoi une juridiction
spéciale ou de droit commun a de meilleures chances d'être la seule actrice véritablement
indépendante, qui puisse intervenir dans le contrôle de l'exécution des peines1003.

La restriction du droit peut être qualifiée de non justifiée tant à l'égard de détenus
particuliers, comme, par exemple, le placement en cellule disciplinaire, l'interdiction des
visites, qu'à l'égard d'un nombre indéterminé de détenus comme, par exemple, les restrictions
automatiques par des règlements ou des lois. Pour former un recours dans le premier cas, les
détenus doivent pouvoir saisir la juridiction administrative ou celle de droit commun selon
leurs compétences respectives en matière d'annulation d'actes.

Le contrôle judiciaire acquiert une importance particulière pour la prise de décisions


individuelles. Cela tient au fait qu'un contrôle judiciaire plus sévère, surtout quand il peut
produire un effet sur le fonctionnaire dont les actions contraignantes ou les décisions ont été
qualifiées illégitimes, favorise la motivation des décisions par l'autorité appliquant le droit.
C'est la bonne motivation qui est à la base, pour la constatation par le juge, du bien-fondé de

1000
Jacobs J., The Prisoners’ Rights Movement and Its Impacts 1960-1980, Crime and Justice,
1980, n° 2, p. 453-462.
1001
Ibid, p. 430.
1002
Zimring F.E., Hawkins G., Democracy and the Limits of Punishment: A Preface to Prisoners’
Rights, The Future of Imprisonment., Еd. by Tonry M., New York, Oxford University Press, 2004, p.
157-178.
1003
Ibid, р. 170-171.
366

la restriction imposée. Ceci exige des autorités pénitentiaires qu’elles développent une
technique de motivation de l'application des restrictions. En ce qui concerne l'autorité
législative qui crée les normes servant de fondement aux restrictions, elle réalise que ses
textes sont analysés en détail par les juges sur la base de la proportionnalité et elle manifestera
plus d'attention à ses projets de textes1004. Aussi, le manque d'arguments qui s’ensuit pour
l'administration pénitentiaire permet-il potentiellement d'empêcher celle-ci de restreindre
l’application du droit.

Un autre rôle du juge réside dans le complément des actions du législateur par
l'explication des normes du droit comportant des restrictions. Comme le législateur n'explique
pas les motifs d'un texte normatif adopté, le juge évalue a posteriori la rationalité des
restrictions que ce texte comporte1005.

L'amélioration de l'aspect procédural dans la mise en œuvre de la contrainte d'État


exerce un impact direct sur la légitimité de la justice1006, et c'est donc lui qui détermine à quel
point les détenus souhaiteraient en bonne volonté de se soumettre à la décision qui limite leurs
droits et qui détermine en général l'ordre dans l'établissement pénitentiaire1007.

Certains auteurs citent deux aspects de la légitimité: l'aspect matériel et l'aspect


procédural (qui peuvent être considéré comme opposés)1008. L'aspect matériel comprend la
conformité de la norme de la vie quotidienne aux attentes. Dans le contexte de notre étude,
ceci concerne l'ampleur des restrictions applicables aux détenus. L'aspect procédural porte sur

1004
Hill L., Koch C., The Voting Rights of Incarcerated Australian Citizens, Australian Journal of
Political Science, 2011, Vol. 46, n° 2, p. 226.
1005
Peces-Barba G., Théorie générale des droits fondamentaux. Traduction de Ilié Antonio Pelé,
présentation de Samir Naїr, Préface d’André-Jean Arnaud, Paris, Librairie générale de droit et de
jurisprudence, 2004, p. 442.
1006
Tyler T.R., Why People Obey the Law, New Jersey, Princeton University Press, 2006 ; De
Mesmaecker V., Perceptions of Criminal Justice, New York, Abingdon, Routledge of Criminal
Justice, 2014. La même chose concerne les prisons: Sparks J. R., Bottoms A. E., Legitimacy and Order
in Prisons, The British Journal of Sociology, 1995, Vol. 46, n° 1, p. 45-62 ; Bottoms A., Hay W.,
Sparks R., Prisons and the Problem of Order, Oxford, Oxford University Press, 1996 ; Jackson J.,
Tyler T. R., Bradford B., Taylor D., Shiner M., Legitimacy and Procedural Justice in Prisons, Prison
Service Journal, 2010, n° 191, p. 4-10 ; Beijersbergen K.A., Dirkzwager A. E., Eichelsheim V. I., van
der Laan P. H., Nieuwbeerta P., Procedural Justice, Anger, and Prisoners’ Misconduct. A Longitudinal
Study, Criminal Justice and Behavior, 2014, n° 20(10), р. 1-23. Voir aussi le commentaire de M.
Herzog-Evans: Herzog-Evans M., Une étude hollandaise demontre le lien entre équité processuelle et
comportement des détenus, disponible sur : http://herzog-evans.com/une-etude-hollandaise-demontre-
le-lien-entre-equite-processuelle-et-comportement-des-detenus/ (accedé le 20.06.2016); Karin A.,
Beijersbergen К.А., Dirkzwager А.J.E., Nieuwbeerta P., Does Procedural Justice During
Imprisonment Matter? , Criminal Justice and Behavior, 2016, n° 43 (1), р. 63-82.
1007
Bottoms A., Hay W., Sparks R., Prisons and the Problem of Order, Oxford, Oxford
University Press, 1996, p. 302.
1008
Ibid, p. 305.
367

les modalités d'application des restrictions et sur la résolution des conflits qui y sont liés. Il
convient de noter, par ailleurs, que la légitimité au plan matériel ne suppose pas la
"complaisance" (pleasing) vis-à-vis des détenus, mais la conformité des normes aux attentes
rationnelles1009. Par exemple, dans le contexte ukrainien, les détenus acceptent généralement
les limitations, si elles répondent à la compréhension générale de la raisonnabilité et
acceptabilité1010. De plus, le personnel pénitentiaire peut lui-même évaluer la raisonnabilité de
certaines règles juridiques. Dans le cas de leur caractère déraisonnable, il peut recourir à leur
«sous application ». À cet égard, Anton Symkovytch signale qu’il est difficile d’identifier
empirequement les règles raisonnables et pose la question provocatrice : à quel point doivent
être irraisonnables et désuètes les règles juridiques pour moralement justifier leur non-
application (en prison) ?1011

En tout cas les attentes des détenus concernant des normes des limitations dans
l’établissement pénitentiaire peut être exagérée ou déformée du fait que cet aspect de la
légitimité pourrait être particulièrement difficile à assurer. Vu sous cet angle, l'aspect
procédural acquiert une importance extrême.

La juridictionnalisation des restrictions des droits des détenus constitue un pas


nécessaire pour la normalisation juridique ; elle a fait l'objet du chapitre précédent. Elle
requiert une organisation législative déterminée et la fixation des normes procédurales
concernées. Dans le cas des détenus, ceci pourrait être assuré par la fixation de quelques
normes qui garantiraient le droit de recours à la justice pour chercher une protection efficace
contre les restrictions non justifiées. Comme le fait noter à juste titre Guillaume Faugère, il est
nécessaire d'assouplir les conditions de recours à la justice pour défendre les droits, parce que
cela s'explique par le caractère spécifique de la détention elle-même. En admettant que la
restriction des droits matériels soit imposée du fait des contraintes inhérentes à la détention, il
ne pourrait y avoir de restrictions aux droits procéduraux, dans la mesure où ils sont
indispensables pour la protection de ces droits matériels1012. Partant du rôle des juridictions
dans le développement des normes de restrictions de droits, voyons plus en détails comment il
serait possible de favoriser le développement de la jurisprudence en matière pénitentiaire.

1009
Ibid, p. 329 ; Sparks J. R., Bottoms A. E., Legitimacy and Order in Prisons, The British
Journal of Sociology, 1995, Vol. 46.1, p. 59.
1010
Symkovych A., Compromised Power and Negotiated Order in a Ukrainian Prison, The British
Journal of Criminology, 2017, DOI: https://doi.org/10.1093/bjc/azx012. First published: 03 March
2017, p. 6.
1011
Ibid.
1012
Faugère G., L’accès des personnes détenues aux recours. Étude de droit administratif, Thèse
en vue d’obtention du doctorat de l’Université de Toulouse, Toulouse, Université de Toulouse, 2015,
p. 487.
368

3.1.4.2. Conception des normes garantissant le recours des détenus à la justice

а) Fixation précise du droit de recours

Avant toute chose, les normes du droit doivent indiquer clairement qu'en cas
d'application de restrictions, le détenu peut former un recours devant la justice et exiger
l'annulation de telles mesures en tant qu'elles seraient non justifiées1013. Cette mention
pourrait être complétée par une définition de la restriction au sens large.

De plus, afin d'éviter des abus de cette norme pour qualifier les recours d'irrecevables,
un tel article pourrait être libellé sous forme d'une liste non exhaustive de restrictions
susceptibles de faire l'objet de recours par les détenus. Présenté ainsi, il fournirait des repères
aussi bien aux détenus au cas où ils souhaiteraient saisir la justice, qu'à l'administration
pénitentiaire sur laquelle il exercerait l'influence "développante" évoquée ci-dessus:
l'incitation à une application mieux pesée de la répression par restriction de droits et à une
modification mieux justifiée des restrictions.

Par exemple, l’affirmation selon laquelle l'application d'une sanction disciplinaire


constitue la mise en œuvre d'une restriction ou de restrictions serait une bonne façon de fixer
dans la loi que des recours contre de telles mesures sont possibles. Le caractère ouvert de la
liste pourrait être assuré par l'énumération des restrictions les plus fréquentes, telles que, par
exemple, les sanctions disciplinaires, les fouilles, la limitation du droit à la vie privée par le
contrôle du courrier, l'écoute des appels téléphoniques, l'organisation des visites, la
vidéosurveillance. Pour préciser le caractère non exhaustif de la liste, celle-ci pourrait être
suivie de la mention "et toutes restrictions aux droits".

b) Norme de justification des restrictions

Des règles doivent fixer la norme à l'aide de laquelle sera évaluée la justification d'une
restriction. Cette norme pourrait se fonder sur la doctrine de proportionnalité. Elle devrait
prendre en compte le contexte pénitentiaire (par exemple en établissant les objectifs
admissibles, la durée des restrictions…) et fixer les modes d'analyse de la proportionnalité de

1013
C'est l'approche que nous avions choisi en élaborant le projet de loi portant amendement du
CPP en matière d'accès des détenus à la justice (voir au 3.7.1 "Projets de loi relaltifs aux limitations
des droits des détenus").
369

la restriction.

La mise en place d'une telle norme permettrait aux juges de substituer au contrôle
simple de la conformité des pratiques concernées aux règles de la loi, une norme plus souple
qui suppose l'équilibre des intérêts individuels et sociaux. C'est précisément la recherche d’un
tel équilibre qui permet de développer la jurisprudence puisqu’elle implique que soient
exigées de l’administration pénitentiaire comme aux juges qu’ils justifient leurs décisions, en
présentant des arguments et des contre-arguments. D'autre part, cette norme autorise
l'application directe de la clause limitative générale dans les cas où une autre législation ne
donne pas de réponse nette à la question de savoir si la limitation d'un droit ou d'un autre est
bien légitime.

La nécessité de vérifier la restriction à travers une norme d'évaluation de la


justification de la mesure restrictive dépend du type de la restriction. Dans le cas d'une
restriction automatique, l'application de la norme est problématique, voire impossible, car
l'application de la restriction donnée est obligatoire par définition, indépendamment de la
volonté de l'autorité appliquant le droit ou du juge. Le cas échéant, le juge ne peut que se
borner à vérifier si l'application de la restriction était conforme à la loi.

Il est vrai que si la juridiction concernée a compétence pour annuler des normes de
droit, la norme en question peut être utilisée pour vérifier la justification de la règle
déterminant la restriction. Les règles de compétence, ainsi que les règles servant à qualifier
certaines normes d'illégitimes et/ou inconstitutionnelles se trouvent généralement dans la
législation réglementant le fonctionnement des juridictions administratives et
constitutionnelles. L'identification de la bonne juridiction peut poser elle-même des
problèmes.

c) Détermination de la compétence juridictionnelle

Il est de règle de relever que la détermination des questions relevant de la compétence


des juridictions administratives ou autres conduit à de multiples imbroglios. Des règles
précises devraient dont être fixées pour déterminer la juridiction devant examiner les affaires
relatives au domaine pénitentiaire.

L'une des solutions visant à surmonter le problème de la compétence pourrait consister


en la spécialisation des juges. La fonction de juge pénitentiaire pourrait, par exemple, être
instituée. Outre le règlement du problème de la compétence, l'institution des juges
370

pénitentiaires aurait une incidence positive sur l'efficacité du contrôle judiciaire des services
et établissements de l'exécution des peines dans les pays où un tel contrôle est pratiqué1014.
Fort prometteur est, par exemple, le modèle du juge pénitentiaire qui peut examiner non
seulement les questions concernant l'exécution des peines, comme la mise en liberté
conditionnelle, ainsi que cela se fait en France, mais aussi connaître des plaintes relatives aux
conditions d'exécution des peines, comme c'est le cas de l'Italie ou de la Roumanie. Nous
sommes convaincus que l'institution du juge pénitentiaire en ce sens produirait plusieurs effets
positifs1015:

- Le fait de rapprocher le juge des détenus est l'un des moyens d'améliorer l'accès à la
justice, étant donné que la présence personnelle en audience du tribunal ordinaire peut être
problématique si l'intéressé est détenu dans un établissement pénitentiaire1016. Or, la présence
effective du détenu est fondamentale quand il s'agit de recueillir les explications de
l'administration sur les motifs de sa décision de restreindre les droits et d'entendre les
objections des détenus. De plus, l'impossibilité pour le détenu de faire valoir lui-même ses
arguments au juge peut être considérée comme une violation de la Convention dans certaines

1014
Сикал М.М. Контроль за діяльністю Державної кримінально-виконавчої служби
України: правові та організаційні засади. Дис. канд. юрид. наук. – Київ: Національна академія
внутрішніх справ України, 2012. – С. 62–75 (Sikal M.M., Contrôle des activités du Service
d'exécution des peines d'Etat de l'Ukraine: principes juridiques et organisationnels, Thèse de doctorat
en droit, Kyiv: Académie nationale de l'Intérieur de l'Ukraine, 2012, p. 62-75).
1015
Notre projet de loi relatif aux juges pénitentiaires comporte, entre autre, une formulation nette
disant que la question de la justification des restrictions de droits est soumise aux juges pénitentiaires.
Ceci doit permettre de régler les problèmes de subordination juridictionnelle. Cf. Annexe n°1. Voir
aussi: Човган В.О., Яковець І.С. Превентивні та компенсаційні заходи як захист від катувань і
жорстокого, нелюдського чи такого, що принижує гідність, поводження чи покарання // Вісник
кримінологічної асоціації. Збірник наукових праць. – 2016. - №2. – С. 184–198 (Chovgan V.O.,
Iakovets I.S., Mesures préventives et compensatoires en tant que défense contre la torture et le
traitement ou des peines inhumains et dégradants, Revue de l'association criminologique. Recueil
d'ouvrages scientifiques, 2016, n° 2, p. 184-198) ; Проект Закону про превентивні та
компенсаційні засоби у зв’язку з катуванням, нелюдським чи таким, що принижує гідність,
поводженням або покаранням щодо засуджених та осіб, узятих під варту, й запровадження
інституту пенітенціарних суддів №4936 від 08.07.2016, (Projet de loi sur les mesures préventives et
compensatoires en rapport avec la torture, les peines ou le traitement inhumain ou dégradant des
personnes condamnées et des prévenus et sur l'instutition des juges pénitentiaires, N° 4936 du
08.07.2016), disponible sur : http://w1.c1.rada.gov.ua/pls/zweb2/webproc4_1?pf3511=59613 (accedé
le 18.07.2016)
1016
Voir plus de détails sur ce problème en Ukraine: Човган В. Ключові напрями
пенітенціарної реформи як складові національного Плану дій у сфері прав людини / Chovgan
V., Principaux axes de la réforme pénitentiaire en tant que partie du Plan d'action national dans le
domaine des droits de l'homme), disponible sur :
http://www.khpg.org/index.php?id=1453461065#_ftn1 (accedé le 29.11.2016)
371

catégories d'affaires1017;

- Une meilleure vision par les juges des problèmes portant sur l'exécution des peines et
la sécurité en général. L'administration de l'établissement pénitentiaire cesse d'avoir le
monopole d'appréciation de la sécurité de telles ou telles restrictions. Quant au juge, bien qu'il
ne soit pas spécialiste en matière pénitentiaire, il apprend sur sa propre expérience et devient
expert dans les aspects discutables du domaine pénitentiaire1018;

- La possibilité d'étudier directement les preuves se trouvant dans l'établissement1019.

d) Accès aux documents nécessaires

L'exercice efficace du droit des détenus à la protection juridique exige une bonne
régularisation de la question de leur accès aux documents nécessaires pour former le recours.
Le droit au recours individuel, ainsi que le confirme la jurisprudence de la CEDH, d'après
l'article 34 de la Convention (droit aux requêtes individuelles), comprend le droit de libre
accès aux documents nécessaires pour établir la requête. Nombreux sont les problèmes
résultant de la non-régularisation de cet accès, à commencer par le dépassement des délais de
recours ou d'actes procéduraux visant à former le recours et en allant jusqu'à l'impossibilité
absolue d'obtenir le document nécessaire à la requête. Ce problème revêt un caractère
systématique pour l'Ukraine, ce qui a été relevé par la Cour européenne et ce que nous

1017
Karpenko c. Russie (nº 5605/04, 13.03.2012), Kovalev c. Russie (nº 78145/01, 10.05.2007),
Khuzhin et autres c. Russie (nº 13470/02, 23.10.2008), Shilbergs c. Russie (nº 20075/03, 17.10.2009),
Artyomov c. Russie (nº 14146/02, 27.05. 2010), Roman Karasev c. Russie(nº 30251/03, 25.11.2010).
1018
Ces conclusions font partie de l'étude spéciale sur les juges pénitentiaires français qui
confirme le principe de “learning by doing” (apprendre en travaillant) dans leur pratique: Herzog-
Evans M., Le juge de l’application des peines: Monsieur Jordain de la désistance, Paris, L’Harmattan,
2013.
1019
Cet aspect de l'action des juges pénitentiaires est problématique. Le projet évoqué portant sur
les juges pénitentiaires a subi, pendant son étude, des critiques importantes à propos de la possibilité
des juges d'apprécier les preuves de façon directe. Le fait est que de l'avis des critiques (dont la
Procurature générale de l'Ukraine était l'acteur principal) l'intervention du juge dans l'appréciation
directe des preuves (comme, par exemple, les mauvaises conditions de détention dans la cellule) est
contraire au principe de séparation des pouvoirs. Notre contre-argument a consisté à dire que le juge
était toujours impliqué dans l'appréciation des preuves dans le cadre du procès pénal. D'autre part, au
cas où l'étude des preuves au sein de l'établissement pénitentiaire nécessiterait l'intervention d'un
expert, cette possibilité existera toujours.
372

soulignons antérieurement1020.

Il est à signaler, qu'au cours des débats publics en Ukraine sur le projet du nouveau
Règlement intérieur, nous avons réussi à introduire certains amendements relatifs à la
question soulevée ci-dessus. Cependant, le Service d'État d'exécution des peines a fortement
déformé le contenu de nos propositions. Nous proposions notamment qu'au cas où les détenus
auraient besoin de documents ayant trait à l'exercice de leurs droits et intérêts légitimes qui
sont conservés dans le dossier du détenu ou de documents médicaux1021, ils se verraient
accorder la possibilité d'en faire des copies. Au cas où l'intéressé n'aurait pas la somme voulue
sur son compte personnel, les copies des documents demandés seraient faites aux frais de
l'établissement pénitentiaire. Le cas échéant, les copies des documents voulus seraient
communiquées par l'administration de l'établissement à l'intéressé dans les trois jours suivant
sa demande écrite soumise au directeur de l'établissement1022.

Contrairement à nos propositions, le Règlement intérieur comporte quelques règles


précisant les modalités d'obtention des copies des documents nécessaires à la requête. Ces
règles rétrécissent notablement la possibilité d'accès par rapport à la norme proposée. Le
Règlement intérieur dispose désormais en son par. 13.1: "En cas de besoins tenant à l'exercice
des droits et intérêts légitimes de la personne détenue, les copies de ces documents (provenant

1020
C'est le refus des administrations d'établissements pénitentiaires de mettre à disposition des
copies de documents nécessaires au tribunal qui a constitué la cause de la violation de l'article 34 de la
Convention dans l'arrêt Vasiliy Ivashchenko c. Ukraine (nº 760/03, 26.10.2012), où le détenu se voyait
refuser la communication de copie au motif qu'il n'avait le droit de garder sur lui que sa sentence (la
norme correspondante est fixée d'ailleurs toujours dans l'annexe 6 au Règlement intérieur des
établissements de l'exécution des peines). Dans son arrêt fondamental Nаydyon c. Ukraine (nº
1647/03, 14.10.2010) la Cour observait clairement, contrairement aux arguments du gouvernement
disant qu'il n'avait pas obligation de faire des copies, que l'art. 34 de la Convention impose aux États
signataires le devoir positif de ne pas entraver l'exercice du droit à la requête individuelle et
notamment de communiquer aux requérants les copies des documents nécessaires à l'examen de leurs
requêtes. Cette obligation découle de nombreux autres arrêts de la CEDH qui insistent sur l'obligation
des États de mettre à la disposition des personnes se trouvant sous sa responsabilité, y compris les
personnes détenues, les éléments nécessaires à la requête à soumettre au tribunal (voir par ex., Iambor
c. Romanie (nº 1) § 216 (nº 64536/01, 24.06.2008); Novinskiy c. Russie § 120 (nº 11982/02,
10.02.2009); Gagiu c. Roumanie §§ 93-99 (nº 63258/00, 24.02.2009). L'arrêt récent de la CEDH dans
l'affaire de Vorobyev contre Ukraine souligne encore cette problématique. L'arrêt constate la violation
de la Convention due, ainsi que le formule la Cour, au problème systémique de la non-régularisation
du processus d'établissement de copies dans les établissements pénitentiaires (Vorobyev c. Ukraine (nº
28242/10, 16.01.2015)).
1021
L'exigence d'assurer cette possibilité en ce qui concerne les documents médicaux est fixée par
ailleurs au par. 46 du 3e rapport général du CPT (3e rapport général d'activités du CPT couvrant la
période du 1er janvier au 31 décembre 1992 (CPT/Inf (93) 12). – N.D.L.A.
1022
Човган В.О. Реформування кримінально-виконавчого законодавства у світлі
міжнародних стандартів (пропозиції та зауваження). – Харків: Права людини, 2014. – С. 111
(Chovgan V.O., Réforme de la législation de l'exécution des peines à la lumière des normes
internationales (propositions et observations), Kharkiv, Drois de l'homme, 2014, p. 111).
373

des tribunaux, d'autres administrations et organismes saisis par l'intéressé - N.D.L.A.) lui sont
communiquées par l'administration de l'établissement d'exécution des peines sur sa demande
écrite dans les cinq jours"1023. Le par. 12.1 du Règlement intérieur énonce aussi qu'au cas où
"le détenu disposerait de copies de documents qui auraient été faites pendant l'enquête
préliminaire et pendant le procès et qui sont déposées au magasin de l'établissement
d'exécution des peines, ces copies sont mises à la disposition du détenu suite à sa demande
pour les besoins relatifs à l'exercice des droits et intérêts légitimes". De plus, le Règlement
intérieur comporte une norme selon laquelle "au cas où le détenu recevrait une lettre de la
Cour européenne des droits de l'homme demandant de fournir des copies des documents
annexés à son dossier et que l'intéressé ne disposerait pas de la somme nécessaire sur son
compte personnel, les copies des documents demandés sont réalisées aux frais de
l'établissement d'exécution des peines…" (par. 9.2 du RI). La possibilité d'obtenir des copies
gratuitement a donc ainsi été réglée en ce qui concerne les requêtes à la CEDH, et non aux
juridictions nationales, bien que les requêtes auprès de celles-ci constituent une condition de
la saisine de la CEDH. Même dans le cas d'une saisine de la CEDH, la règle prévoit que, pour
obtenir gratuitement des copies en vue de saisir la CEDH, il faudrait… envoyer une demande
à la CEDH afin que l'administration de l'établissement reçoive le message confirmant le
besoin des copies demandées1024.

Tous les exemples cités montrent l'utilité de l'autorisation de l'accès complet des
détenus aux documents dont ils besoin pour introduire des requêtes aussi bien à la CEDH
qu'aux autres juridictions. Un obstacle complémentaire entravant l'exercice du droit à la
requête tient en outre à la règle portant sur la liste des documents que peuvent conserver les
détenus. C'est ainsi qu'auparavant l'Annexe 6 à l'ancien RI autorisait les détenus à conserver
les copies des sentences et des jugements, ainsi que la correspondance relative à leurs requêtes

1023
Le RI garde par ailleurs la règle critiquée selon laquelle "au cas où le détenu recevrait une
lettre de la Cour européenne des droits de l'homme demandant de fournir des copies des documents
annexés à son dossier et que l'intéressé ne disposerait pas de la somme nécessaire sur son compte
personnel, les copies des documents demandés sont réalisées aux frais de l'établissement d'exécution
des peines. Le cas échéant les copies des documents demandés sont mises à la disposition de
l'intéressé par l'administration de l'établissement d'exécution des peines dans les cinq jours suivant sa
demande écrite soumise au directeur de l'établissement d'exécution des peines" (par. 9.2). Non
seulement cette règle présente une corrélation assez étonnante avec celle du 13.1, mais elle constitue
un obstacle de plus pour pouvoir recourir à la CEDH, car les autorités peuvent en abuser afin de
compliquer et faire traîner en longueur l'exercice du droit à la défense auprès de la CEDH.
1024
La situation avec la régularisation législative changea après la fin de ce travail. En particulier, en
travaillant sur le projet de loi N° 2490а au Parlement, l'auteur de ces lignes sut obtenir l'intégration au
Code d'exécution des peines de l'Ukraine la règle selon laquelle les détenus "ont droit à se faire
délivrer les copies des documents de leurs dossiers et d'autres documents relatifs à l'exercice de leur
droit suivant les modalités fixées par le Ministère de la justice de l'Ukraine (art. 8, 1er al., du Code
d'exécution des peines).
374

soumises à la Cour européenne des droits de l'homme. Dans le Règlement actuel, cette
autorisation s'applique aussi aux documents financiers, d'objets et de valeurs, ainsi qu'à la
correspondance provenant de l'ombudsman et des représentants de ce dernier, ainsi que des
organisations internationales dont l'Ukraine est membre ou participante, des délégués de ces
organisations internationales, du juge, du procureur ou du défenseur en justice. Toutefois, à
part le fait que les exceptions relatives à la conservation des documents ne concernent de jure
que la correspondance entrante et non la correspondance sortante, elles ne s'appliquent pas à
tous les autres documents dont, par exemple, les cértificats de toute sorte y compris ceux
délivrés par le service médical de l'établissement pénitentiaire. Nous pouvons imaginer le
grand nombre de documents nécessaires à l'exercice des droits des détenus dont la
conservation pourrait être formellement interdite d'après le Règlement intérieur.

Cette problématique n'est pas étrangère à la France. Dans son avis sur la conservation
de documents personnels par les détenus et leur accès aux documents, le Contrôleur général
des lieux de privation de liberté touche au problème du respect de la confidentialité, tout en
attirant l'attention sur nombre de problèmes relatifs à l'accès aux documents nécessaires
notamment pour l'exercice du droit à la défense en justice1025. Il mentionne, en particulier,
l'accès difficile aux documents indiquant le motif d'emprisonnement, étant donné que les
détenus n'ont pas d'accès libre au greffe et doivent demander l'autorisation de le visiter (celui
ayant par ailleurs des heures de fermeture), la procédure complexe d'obtention des copies,
puisque l'administration pénitentiaire invoque l'article 42 de la loi pénitentiaire qui,
curieusement, vise la défense des droits des détenus. Selon le Contrôleur général elle « a
voulu créer une protection de la personne détenue, dans un contexte traditionnel où tout ce
que fait cette dernière doit pouvoir être connu. Paradoxalement, cette protection se retourne
contre ses bénéficiaires, qui y voient une manière de ne plus avoir la libre disposition de
documents dont ils ont besoin, et un renforcement de la suspicion de l’administration
pénitentiaire à leur endroit »1026. Les problèmes concernent tant les documents du dossier
pénal que les autres pièces.
Le Contrôleur général estime que les détenus doivent pouvoir conserver tous
documents personnels, sauf, par exemple, la pièce d'identité, la carte Vitale, ou peut, à défaut,
les faire conserver au greffe dans le respect de la confidentialité (par. 5-7). Ils doivent avoir
accès à ces documents, aux autres pièces les concernant, les retirer à tout moment du dépôt

1025
Avis du Contrôleur général des lieux de privation de liberté du 13 juin 2013 relatif à la
possession de documents personnels par les personnes détenues et à l’accès de celles-ci aux documents
communicables NOR : CPLX1317489V.
1026
Ibid, par. 5.
375

(par 9, 10). Les documents personnels doivent être considérés comme étant la propriété du
détenu protégée par le Protocole 1 à la Convention européenne (par. 10). Aux termes de la loi
relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, les détenus ont droit, comme les
personnes libres, à l’accès dans des délais raisonnables aux documents administratifs qui ne
sont pas personnels. Le Contrôleur général recommandait, en conséquence, de modifier la
législation concernée (art. 42 de la loi pénitentiaire et art. 19-V, 2e par., du Règlement
intérieur type) (par. 13).

Les insuffisances de l'accès libre aux documents nécessaires pour former des recours
en justice peuvent entraver considérablement la défense contre les restrictions mal fondées.
C'est ainsi qu'il est difficile de prouver la restriction non justifiée du droit à l'assistance
médicale, faute de pouvoir fournir les pièces justificatives voulues. Le droit d'accès à la
documentation acquiert une importance particulière en cas de restriction d'un droit ou d'un
autre par des sanctions disciplinaires. La personne détenue doit pouvoir faire des copies de
son dossier disciplinaire pour bâtir sa défense devant le tribunal ou dans le cadre d’un recours
administratif. Autrement, l'efficacité de la défense contre les restrictions illégitimes sera
nécessairement mise en danger. Il est non moins important d'assurer l'obtention rapide des
documents demandés car le respect des délais processuels et la défense efficace en général en
dépendent.

e) Besoin de formaliser l'application des restrictions et motivation des décisions

L'exercice efficace du droit à la défense en justice implique pour les détenus la


possibilité d'introduire un recours contre le document par lequel des restrictions sont imposées
à leurs droits. Un tel document n'est pas la condition indispensable du recours, puisque la
justice peut être saisie même en l'absence de la forme écrite pour l'application de la restriction.
Toutefois, le fait de disposer d'un tel document facilite sensiblement un recours efficace.

D'abord, l'existence du document écrit imposant la restriction confirme l'application de


celle-ci. Imaginons une situation: le détenu est soumis à des contraintes telles que la
vidéosurveillance permanente, le contrôle de sa correspondance ou les fouilles et, ce, en
l'absence de décision écrite correspondante. Le détenu serait alors obligé de prouver devant le
juge, non seulement l'illégitimité de cette contrainte, mais aussi le fait qu'elle ait eu lieu.
Prouver ces faits n'est pas chose aisée en détention. C'est ainsi que l'administration de la
preuve à l'aide des témoins est délicate parce que, même s'il y a des détenus pouvant
confirmer l'application de la restriction, ils pourraient bien ne pas souhaiter apporter leur aide
376

par crainte des conséquences fâcheuses de la part de l'administration de l'établissement.

La décision peut être prise aussi bien avant qu'après la mise en œuvre des restrictions,
lorsque cela paraît être utile du point de vue du caractère spécifique de la restriction. Par
exemple, en cas de restriction du droit en procédant à la fouille ou au menottage, son
application peut requérir des actions rapides, ce qui ne permet pas de rédiger au préalable le
document processuel. Dans ce cas, la décision peut être prise sans respecter la forme écrite et
elle pourra être formalisée et motivée par la suite. Évidemment, cela ne concerne
généralement pas les différentes restrictions durables comme, par exemple, le droit à la
correspondance, la vidéosurveillance ou l'interdiction d'accès à certaines publications ou sites
Internet.

Tout comme dans le procès pénal, la bonne communication dans le droit d'exécution
des peines de la décision relative aux droits de la personne constitue un indicateur permettant
de juger de la défense procédurale de la personne contre les abus de pouvoirs de la part des
représentants de l'État. Bien plus, compte tenu des difficultés dans l'accès aux documents dans
les établissements pénitentiaires, cet aspect procédural acquiert une signification particulière.
Le détenu pourrait avoir des problèmes d'accès à la décision portant application de la
restriction au regard des problèmes évoqués ci-dessus. Toutefois, l'obstacle principal vient du
fait que tout accès aux décisions de ce type est regardé par l'administration pénitentiaire
comme une menace potentielle à ses intérêts de service. Il est donc logique que les détenus ne
puissent pas compter sur un accès libre et, à plus forte raison, rapide, aux documents.

Un facteur important, du point de vue du recours en justice, pourrait consister dans la


fixation des modalités et des délais de recours contre la décision restrictive tant auprès de
l'autorité pénitentiaire supérieure qu'auprès du juge ou du procureur. La décision imposant des
restrictions pourrait être communiquée au détenu sous sa signature personnelle.

Ensuite, l'existence de la décision procédurale est un facteur contribuant à


l'amélioration de la motivation des décisions et permettant de bâtir la stratégie de la défense
devant le juge en partant de la motivation citée. Bien plus, la communication des motifs de la
décision et le fait, pour l'intéressé de les comprendre, contribue à la légitimité des décisions
des administrations1027. L'importance d'une telle compréhension concerne pleinement les

1027
Tyler T.R., Why People Obey the Law, New Jersey, Princeton University Press, 2006, p. 164,
172 ; Herzog-Evans M., Le juge de l’application des peines: Monsieur Jourdain de la desistance, Paris,
L’Harmattan, 2013, p. 222.
377

décisions de l'administration pénitentiaire1028, vu que les détenus ont "le sentiment profond
d'injustice subie"1029.

La bonne motivation répond à l'exigence de justification des restrictions qui est


également formulée dans la Convention européenne. De plus, le droit à un recours effectif
(art. 13 de la Convention) comprend l'exigence de bonne motivation de la décision contestée.
C'est ainsi que, s'agissant des décisions portant application de la sanction disciplinaire sous
forme de placement en isolement (avec restriction consécutive des droits), le détenu doit
nécessairement pouvoir "contester aussi bien la forme que le fond, et donc les motifs d'une
telle mesure"1030. La motivation détaillée obligatoire peut garantir que les restrictions
s'appliqueraient d'une manière plus pondérée. Le fait de peser tous les "pour" et les "contre"
contribuerait nécessairement à des décisions bien réfléchies et mieux fondées que lorsqu'une
telle exigence n'existe pas.

Enfin, l'indication des motifs de la décision permet de déterminer le fondement légal


de son application. Le fait de mentionner dans la décision le fondement légal permet de mieux
comprendre son interprétation et le contexte du recours. C'est à partir de ces éléments que le
détenu ou son représentant légal bâtirait sa stratégie de la défense et choisirait les arguments
pertinents pour le juge.

La motivation de la décision permet, en outre, de constater les faits ayant précédé la


restriction du droit et présidé à sa motivation. Ces faits doivent comprendre, en premier lieu,
le comportement antérieur du détenu, y compris dans les autres établissements d'exécution des
peines. C'est sur cette base-là que doit être apprécié le niveau de risque individuel de chaque
détenu.

La nécessité de déterminer le risque individual, lors de l'application des restrictions, a


été soulignée à maintes reprises et clairement par la CEDH et le CPT 1031. La Cour a même
spécifié dans ses arrêts, de façon directe, que les État doivent développer leurs techniques

1028
Sens de la peine et droits de l’homme (intervention de F. Dünkel). Actes du colloque
international inaugural de l’ENAP. Agen, 8, 9 et 10 novembre 2000, Agen, École Nationale
d'Administration Pénitentiaire, 2000, p. 178 ; Bottoms A., Hay W., Sparks R., Prisons and the Problem
of Order, Oxford, Oxford University Press, 1996, p. 304 ; Liebling A., Prisons and their Moral
Performance: a Study of Values, Quality, and Prison Life, New York, Oxford University Press, 2004,
p. 31, 273 ; Easton S., Prisoners' Rights: Principles and Practice, New York, Routledge, 2011, p. 112.
1029
Syr J.-H., Punir et réhabiliter. Préface de Dintilhac Jean-Pierre, Paris, Economica, 1990, p.
105.
1030
Payet c. France § 133 (nº 19606/08, 20.01.2011).
1031
Voir 2.2.1 "Limitations des droits des détenus dans la jurisprudence de la CEDH" et 2.2.2.1
"Normes du CPT en matière de limitations des droits des détenus".
378

d'évaluation du risque individuel des détenus1032. Cette recommandation concernait


l'évaluation des risques en tant que motif d'application de restrictions de droits.

Il convient de remarquer le caractère problématique de l'évaluation du risque de


détenus particuliers. L'administration pénitentiaire tend à évaluer le risque en partant de la
gravité des délits commis par le détenu concerné, sachant que la dangerosité pénitentiaire et le
risque de récidive pénale ne sont pas identiques1033. La dangerosité elle-même présente un
concept dépendant des valeurs sociales et de la conception du délit et de la punition1034. En
plus, les systèmes existants d'évaluation du risque individuel visent essentiellement la
détermination du risque de récidive et non le risque lors du séjour en milieu pénitentiaire.

f) Exonération des dépens

Les détenus sont des personnes beaucoup plus actives que les autres dans leurs recours
en justice. Aussi, l'exonération totale de dépens au profit de ces personnes peut-elle comporter
le risque d'abus du droit à la requête. D'un autre côté, ils ne sont souvent pas en mesure de
payer eux-mêmes leurs recours. La règle portant l'exonération totale des dépens des détenus,
sans moyen associé à l'augmentation des recours, aboutirait à un accroissement du nombre de
recours non justifiés. Faut-il faire courir aux juges le risque d'une surcharge excessive?

Selon un ministre néerlandais, ce fait engendra, à l'époque de la réforme du droit à la


requête individuelle dans ce pays, une augmentation sensible des requêtes émanant des
détenus, mais le grand nombre de requêtes non justifiées ne devrait pas servir de raison pour
ne pas reconnaître le droit à la requête1035. En effet, à cause des limites auxquelles sont
confrontés les détenus dans leur droit au recours, ils sont privés ou limités dans la possibilité
de défendre leurs droits en raison de leur statut et de leur situation financière, ce qui frôle la
discrimination.

Les limitations du droit à la requête peuvent se traduire par la mise en place d'autres

1032
Trosin c. Ukraine § 42 (nº 39758/05, 12.02.2012), Dickson c. Royaume-Uni (GC) §§ 82-85
(nº 44362/04, 02.12.2007).
1033
Mbanzoulou P., "Dangerousness" La "dangerosité", in M. Herzog-Evans (ed.), Transnational
criminology manual. Volume I, Nijmegen, Wolf Legal Publishers, 2010, р. 109-112.
1034
Holmes S., Soothill K., Dangerous Offenders and Dangerousness, in Handbook on Prisons,
Ed. by Jewkes Y., Cullompton, Willan publishing, 2007, р. 590-591.
1035
De Jonge G., L’émancipation juridique des détenus aux Pays-Bas. Mise en oeuvre et
développement du droit de plainte pénitentiaire, in L’Institution du droit pénitentiaire - Enjeux de la
reconnaissance de droits aux détenus, sous la direction de O. De Schutter et D. Kaminski, Paris,
Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2002, p. 43-68.
379

obstacles pour l'exonération. À titre d'exemple, il est possible de citer le recours hiérarchique
préalable obligatoire à titre administratif. C'est-à-dire qu'avant de saisir le juge, le détenu
devrait d’abord essayer de s'adresser à l'administration pénitentiaire au niveau hiérarchique
supérieur.

L'exemple de telles restrictions est fourni notamment par les États-Unis et la France.
Une telle exigence est formulée en particulier à l'article R. 57-7-32 du CPP français: "Le
détenu qui entend contester la sanction disciplinaire dont il est l'objet doit, dans le délai de
quinze jours à compter du jour de la notification de la décision, la déférer au directeur
interrégional des services pénitentiaires préalablement à tout autre recours. Le directeur
interrégional dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception du recours pour répondre
par décision motivée. L'absence de réponse dans ce délai vaut décision de rejet". Le Conseil
d'État a rendu, à ce propos, un arrêt (la norme concernée à l’époque était formulée à l'ancien
article D250-5 du CPP – N.D.L.A.)1036 qui a affirmé que l'exigence de recours préalable ne
constituait ni la violation des garanties du droit à la défense, ni une atteinte au droit d'exercer
un recours effectif devant une juridiction.

Par ailleurs, une telle approche, à défaut de suspendre la sanction et sous réserve du
recours préalable, signifie en fait qu'avant d'avoir la chance de recevoir la décision relative à
la légitimité de la sanction dont le détenu a été l'objet, celle-ci aurait déjà été appliquée. Ces
motifs ont été pris en compte dans l'arrêt de la CEDH Payet c. France1037. La Cour constatait
la violation du droit à la défense effective, en raison de l'exigence du recours préalable fixée
par la législation française. Cependant, cet arrêt et d'autres arrêts similaires1038 n’ont pas été
exécuté : la norme concernée du CPP reste toujours en vigueur. Martine Herzog-Evans estime
que même l'annulation de la règle du recours préalable à titre administratif ne signifierait pas

1036
CE, Avis 2 / 6 SSR, du 29 décembre 1999, 210147, publié au recueil Lebon. La même chose
concerne le recours préalable même dans le cas de la procédure de référé (CE, 6ème et 1ère sous-
sections réunies, 28/12/2012, 357494). Cette procédure pourrait avoir une importance particulière pour
les détenus car son application permettrait de suspendre le placement en isolement avant la décision du
juge qui surveille les cas évidents d'abus. Pourtant, même si le détenu essaye de saisir le juge après le
refus apposé par le directeur pénitentiaire interrégional, l'obligation du recours préalable ôte tout sens
à cette procédure puisque la sanction aurait été déjà infligée.
1037
Payet c. France § 133 (nº 19606/08, 20.01.2011). Voir les commentaires à l'arrêt et les
problèmes du recours préalable à: Marguénaud J.-P., L'ineffectivité du recours organisé par l'article D.
250-5 du code de procédure pénale contre les sanctions disciplinaires infligées aux détenus, Revue de
Science Criminelle, 2011, n° 3, p. 718-721 ; Herzog-Evans M. Prisons : la France à nouveau
condamnée par deux fois par la Cour européenne des droits de l'homme, Actualité juridique pénal,
2011 (février), p. 88-93 ; Céré J.-P., La procédure disciplinaire pénitentiaire à l'épreuve de la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, Actualité juridique pénal, 2012, n° 10, p.
533-536.
1038
Voir par ex.: Cocaign c. France (nº 32010/07, 03.11.2011).
380

la conformité à l'article 13 de la Convention, puisque la démarche traditionnelle des


juridictions administratives n'est pas suffisamment rapide, ce qui fait que le détenu aurait déjà
subi la sanction et ses consequences en matière d’application de la peine avant que la décision
soir rendue. L'article 13 de la Convention ne pourrait être satisfait dans les cas pareils que par
la procédure du référé1039.

3.1.4.3. Facteurs supplémentaires d'amélioration de l'influence de la


jurisprudence sur les pratiques d'exécution des peines

Ainsi qu'il a déjà été soutenu, l'influence de la jurisprudence sur l'administration


pénitentiaire occupe une place particulière dans la réforme pénitentiaire. Elle ne pourrait être
efficace que dans le cas où les décisions négatives des juges relatives aux restrictions
appliquées par le personnel pénitentiaire auraient un impact sur la situation du fonctionnaire
ayant imposé une restriction illégitime. Cependant, lorsque l'application d'une restriction non
justifiée n'entraîne aucune responsabilité de l'autorité qui l'applique, le rôle des juges
examinant les restrictions des droits des détenus resterait réduit.

Certes, une responsabilisation trop importante des autorités ayant imposé des
restrictions non justifiées risquerait de paralyser le fonctionnement des établissements
pénitentiaires. Elles pourraient ainsi avoir des doutes même en ce qui concerne les restrictions
clairement légitimes. Par ailleurs, la mise en place de la responsabilité personnelle modérée
pour les restrictions non justifiées présente un côté positif: le développement de l'intérêt pour
les normes des droits de l'homme derrière les barreaux.

Qu'entendons-nous par mise en place de la responsabilité personnelle modérée? Cela


veut dire, en premier lieu, que le degré de conséquences négatives pour le fonctionnaire
appliquant des restrictions non justifiées, doit refléter clairement le niveau d'importance du
droit injustement affecté, ainsi que les effets de la restriction pour le détenu concerné. C'est
ainsi que la restriction du droit à l'inviolabilité physique ou le droit de n'être pas soumis à la
torture ou à un autre mauvais traitement devrait entraîner des conséquences disciplinaires les
plus sévères allant même à la mise à pied1040. Dans le même temps, la recherche d'une
responsabilisation personnelle peut être compliquée dans le contexte pénitentiaire, où il est

1039
Herzog-Evans M., Droit pénitentiaire, Ibid, p. 1000.
1040
Il n'est pas à oublier que certains types de traitement peuvent être qualifiés de délit pénal. Les
situations de ce type ne font pas l'objet de notre analyse qui ne porte que sur les restrictions ne pouvant
pas entraîner la responsabilité pénale.
381

toujours difficile d'établir la responsabilité, par exemple en cas de mauvaises conditions de


détention, ce qui peut constituer aussi la violation du droit de ne être pas soumis à de mauvais
traitements.

Les restrictions non justifiées à caractère moins grave pourraient conduire à une
responsabilité disciplinaire moins drastique, par exemple un blâme ou la privation d’une
prime. Cela pourrait concerner les cas tels que l'ingérence non motivée au droit à la
correspondance par le contrôle des lettres, l'écoute des communications téléphoniques, la
perquisition dans la cellule, etc.

Par ailleurs, en cas de répétition de restrictions des droits non justifiées de ce type,
celles-ci devraient pouvoir entraîner des conséquences plus graves pour le fonctionnaire
abusant de son pouvoir. Cela pourrait être assuré par le cumul des jugements constatant les
restrictions non fondées des droits. Le fait d'atteindre un niveau maximum fixé de
manquements condamnables constituerait la raison suffisante pour la mise à pied de la
personne responsable.

Il convient de prêter attention aux idées du juge et chercheur ukrainien Volodymyr


Kravtchouk qui étudia cette question afin d'associer les juges à une sorte de "lustration à l'aide
des tribunaux"1041. Ces articles publiés à une époque où la question de la lustration et de
l'efficacité de l'influence des tribunaux dans le pouvoir ukrainien était l'une des plus débattues
comportaient des propositions capables d'améliorer le processus d'influence des tribunaux sur
les fonctionnaires1042. Certaines de ses propositions ont une importance particulière et
conviennent parfaitement aux réalités des requêtes dans le domaine pénitentiaire:

1) Participation personnelle du fonctionnaire. Selon Kravtchouk, la pratique fournit des


cas fréquents où le fonctionnaire attaqué en justice et présent en audience n'arrive pas à
expliquer les motifs de sa décision. Aussi, faudrait-il demander aux juges de convoquer au

1041
L’idée de lustration a été mise en oeuvre en Ukraine après Maidan. De manière générale, elle
consistait en l’utilisation de règles juridiques pour licencier les fonctionnaires considérés comme
adversaires de la démocratie liés au régime de Yanoukovitch. L’idée a été critiquée par une partie de la
société qui a considéré que la démission automatique en raison de l’occupation de postes de haut
niveau était une atteinte à la démocratie en elle-même.
1042
Кравчук В. Практичний курс «народного люстратора». Які процесуальні інструменти
можна використати для персоналізації відповідальності чиновника за правопорушення
(Kravtchouk V., Cours pratique du "lustrateur populaire" , disponible sur : http://zib.com.ua/ua/84531-
ucheniy-yurist_stvoriv_praktichniy_kurs_narodnogo_lyustrator.html (accedé le 23.02.2015); Кравчук
В. Люстрація починається з тебе. Персоналізація відповідальності чиновника є єдиним
ефективним засобом очищення влади (Kravtchouk V., La lustration commence par toi-même.
Personnalisation de la responsabilité du fonctionnaire en tant que seul moyen efficace d'épuration du
pouvoir), disponible sur : http://zib.com.ua/ua/82750-lyustraciya_pochinaetsya_z_tebe.html (accedé le
23.02.2015).
382

procès le fonctionnaire concerné. À titre de recommandation pratique visant à améliorer


l'influence des tribunaux sur les fonctionnaires, l'auteur conseille aux demandeurs de citer en
justice non pas les établissements publics, mais directement les fonctionnaires.

Le caractère pertinent de ces observations consiste dans le fait que, dans la plupart des
actions intentées par les détenus, c'est le représentant de l'administration en charge du
contentieux qui prend part au procès et non le fonctionnaire ayant appliqué la mesure
restrictive. La participation personnelle du responsable pourrait créer des garanties d'une
étude plus détaillée de la légitimité des restrictions et devenir aussi une sorte de "vaccination
juridique" contre de telles restrictions à l'avenir. Ceci est vrai surtout si le fonctionnaire
concerné devait se présenter souvent au tribunal, ce fait indésirable pour lui pouvant servir de
stimulant négatif qui le retiendrait de l'imposition de restrictions non justifiées. Néanmoins,
cette proposition pourrait se heurter à des considérations pratiques de l'administration
pénitentiaire pour qui l'absence du fonctionnaire au travail en raison de sa convocation au
tribunal peut causer beaucoup d'inconvénients. Nous estimons toutefois que ceci ne devrait
pas empêcher la comparution du fonctionnaire dans les affaires portant sur sa responsabilité
personnelle pour ses actions ou ses décisions. Autrement, s'il n'y a que les juristes
représentant les établissements pénitentiaires au tribunal, l'impact et la sensibilisation à la
portée et à la justification des restrictions seraient réduits pour les fonctionnaires en cause.

2) Décision spéciale du juge sur l'éradication des atteintes aux droits. La décision
spéciale pourrait contenir des prescriptions portant sur la nécessité d'éliminer les causes tant
au niveau personnel qu'à celui de l'administration. Nous sommes d'avis qu'en nantissant le
juge d'une telle possibilité obligatoire, il serait possible d'assurer l'influence juridique du
pouvoir judiciaire sur le pouvoir exécutif et de prévenir efficacement les atteintes aux droits.

3) Mesures disciplinaires. V. Kravtchouk fait remarquer qu'une fois prouvé le


caractère illégitime des actions, des décisions ou de l'inaction du fonctionnaire, la
responsabilité disciplinaire de celui-ci pourrait être engagée. C'est le seul instrument qui ne
permet pas au fonctionnaire de se distancer de ses actes. La législation devrait fixer
l'obligation du responsable concerné de l'administration d'entamer une enquête de service si la
juridiction administrative qualifie la restriction appliquée par le fonctionnaire subordonnée de
non justifiée (c'est-à-dire qu'elle qualifie d'illégitime la décision, les actions ou l'inaction dans
l'application des restrictions). L'une des versions de la responsabilité disciplinaire en cas de
faute établie du fonctionnaire serait de limiter par la loi ses droits à la promotion de carrière. Il
est proposé, en fait, de réagir en appliquent des restrictions à la personne ayant imposé des
383

restrictions illégitimes à des citoyens (détenus)1043.

Il est donc nécessaire que les règles fixant les modalités de prise en compte des
décisions judiciaires et de leur impact sur les fonctionnaires dont les actions illégitimes se
traduisent par des atteintes aux droits soient consignées dans la législation appropriée. Les
règles élaborées dans ce sens devraient se distinguer par une haute qualité et un haut niveau
de clarté. Elles devraient fixer les modalités des inspections, les facteurs à prendre en compte
pour déterminer le degré de culpabilité et de responsabilité à engager pour avoir imposé des
restrictions malfondées.

L’on devine quelles remarques pourraient susciter les idées présentées ci-dessus: cela
compliquerait le travail du personnel pénitentiaire en le soumettant à des consignes formelles
excessives dans l'exercice de ses fonctions. Il est vrai parce que beaucoup de cas d'application
de restrictions qui s'effectuent aujourd'hui sans trop de difficultés, sans décisions ou
motivations spéciales, nécessiteraient une prise de décision appropriée et une justification.
Cette approche nécessiterait évidemment du temps et des ressources complémentaires.
Cependant, elle pourrait provoquer, au sein des prisons, la "peur du droit" qui se solderait par
une organisation de l'exécution des peines où la culture professionnelle du personnel
pénitentiaire subirait un impact important en raison des effets de la juridictionnalisation qui a
pour vocation de réduire le cadre d'autonomie de ce personnel1044.

L'approche décrite ci-dessus présente un moyen sûr de relever le rôle du droit dans la
pratique d'exécution des peines, de juridiciser celle-ci et de contribuer, de manière ultime, à
l'affirmation de la suprématie du droit et de la légalité dans l'imposition des restrictions de
droits aux détenus. Il ne faut pas oublier, cependant, que la juridictionnalisation pourrait
exercer en pratique une influence limitée sur les réalités pénitentiaires, puisqu’elle peut se
heurter à la mauvaise volonté des juges de résoudre les affaires en faveur des détenus1045.

1043
Ainsi que l'observe G. Mathieu, "on ne peut en effet parler de droits des détenus qu'à
condition que ces derniers aient la possibilité de faire sanctionner une atteinte à l'un de leurs droits
individuels" (Mathieu G., Les droits des personnes incarcérées dans les pays de la communauté
européenne, Thèse pour l’obtention du Doctorat en Droit privé et sciences criminelles, Marseille,
Université de droit d’économie et des sciences d’Aix-Marseille, 1993, p. 169).
1044
De Galembert C., Rostaing C., Ce que les droits fondamentaux changent à la prison.
Présentation du dossier, Droit et Société, 2014, n° 87, p. 299.
1045
Landreville P., Lemonde L., La reconnaissance des droits fondamentaux des personnes
incarcérées : l’expérience canadienne, in L’Institution du droit pénitentiaire - Enjeux de la
reconnaissance de droits aux détenus, sous la direction de O. De Schutter et D. Kaminski, Paris,
Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2002, p. 83.
384

Conclusion du sous-chapitre 3.1.4

L'expérience française en matière de juridictionnalisation du processus d'exécution des


peines occupe une place centrale dans l'histoire de l'évolution du droit pénitentiaire dans ce
pays. La possibilité pour les détenus de défendre leurs droits devant la justice sert toujours
d'indicateur de développement de cette branche du droit et de la défense des droits des
détenus en particulier. L'abandon progressif de la doctrine dite des "mesures d'ordre intérieur"
qui offre aux juges des raisons de ne pas examiner les affaires pénitentiaires, qui étaient
censées relever de l'appréciation de l'administration pénitentiaire, continue d'être partie
prenante de cet indicateur.

Le contrôle judiciaire du processus d'exécution des peines représente, non seulement,


une condition pour garantir les droits et les protéger des restrictions infondées. Il assure, en
outre, dans une mesure notable, la légitimation du pouvoir pénitentiaire aux yeux des détenus.
L'absence de contrôle judiciaire conduit à un accroissement de l'appréhension conflictuelle
des autorités pénitentiaires et des décisions du personnel.

L'expérience française montre que la juridictionnalisation a constitué le moteur du


progrès de la législation et de la pratique pénitentiaire. Elle atteste, de plus, que la
juridictionnalisation peut être considérée comme un instrument positif pour le renforcement
de la défense des droits des détenus et pour le système pénitentiaire en général. Ainsi,
l'instrumentalisation des juridictions avec une prise en compte de la spécificité pénitentiaire
ouvre la voie d'une meilleure protection contre les restrictions non justifiées. Dans le même
temps, la capacité des juges d'examiner toutes les catégories de contentieux concernant le
détenus et l’admissibilité de l'intervention des juridictions dans les questions internes liées au
management pénitentiaire restent au rang des questions discutables qui freinent ce processus.

L'analyse de l'expérience et de l'état de la juridictionnalisation du domaine


pénitentiaire indique les voies à suivre pour l'instrumentalisation et le renforcement du
contrôle judiciaire sur la prison en général et les restrictions des droits en particulier. Ce sont,
notamment : un renforcement précis du droit à la requête; la détermination de la norme de
justification des restrictions des droits; l'élaboration de règles précises régissant la compétence
sur ces affaires; l'application des restrictions en vertu de décisions individuelles qui, pour leur
part, doivent être motivées et dûment notifiées à l'intéressé; l'exonération des dépens. En
complément, d'autres moyens de renforcement de l'impact édifiant de la jurisprudence en
matière de restrictions non justifiées peuvent être signalés: la participation du fonctionnaire
385

concerné au procès et l'incidence des jugements sur le statut de la personne ayant appliqué des
restrictions non justifiées (y compris la responsabilité disciplinaire du fonctionnaire coupable
d'abus de pouvoirs, etc.).
386

Conclusion du chapitre 3.1

La France se distingue des autres pays étudiés, en premier lieu, par le fait que déjà en
1789, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen fixait une première "norme" véritable
en matière de restriction des droits. Il était prévu que les restrictions devaient être déterminées
par la loi et être nécessaires pour la défense des droits d'autrui. Toutefois, pour ce qui est du
domaine pénitentiaire, la norme de restriction de droits n'a été introduite qu'en 2009 dans la
loi pénitentiaire qui fut attendue durant près de dix ans.

Ce texte constitue un exemple parfait permetant de révéler les erreurs que peut
commettre un législateur dans la détermination des normes de restrictions de droits dans la
législation. Ces erreurs ne sont pas passées inaperçues dès la mise au point de la loi, mais
toutes les observations n’ont pas été prises en compte, loin de là. Il est ainsi possible de
dégager les principales imperfections de la norme française:

● L'absence de mention relative à l'exigence de la proportionnalité des restrictions. La


seule règle imposant que les restrictions doivent viser un but déterminé, voire justifié, ne
suffit pas pour se prévenir contre les restrictions illégitimes. La proportionnalité suppose la
minimalité de la restriction pour pouvoir atteindre le but visé. Sans l'exigence de minimalité,
n'importe quelle restriction, même la plus dure, peut être reliée au besoin d'atteindre le but. La
démonstration du lien entre la restriction et le but ne rencontre également aucune difficulté
pour la Cour européenne. D'autre part, l'absence de la proportionnalité réduit la jurisprudence
à une interprétation sèche de la loi, qui prend la place d'une réflexion fondamentale sur
l'équilibre des intérêts individuels et sociaux;

● L'implantation de l'idée selon laquelle la personne ne doit être soumise à aucune


restrictions, sauf celles qui sont inhérentes à l'incarcération. La détermination de ce qui est
inhérent à l'emprisonnement se présente, ainsi que cela a été montré dans les chapitres
précédents, comme assez problématique et susceptible de causer plutôt de nouvelles atteintes
aux droits sans leur procurer une protection complémentaire;

● Le défaut de concordance entre les buts des restrictions dans la clause limitative
générale relative aux restrictions des droits et les clauses limitatives particulières relatives à
des droits spécifiques;

● Les chercheurs français évoquent un autre problème: la sécurité et l'ordre en tant


qu'objectifs peu clairs permettant toutes restrictions conformément à la loi. Notre avis est que
387

l'importance négative de ces objectifs serait surévaluée, ce qui aurait un rapport avec
l'utilisation de ces catégories pour les refus de se saisir de requêtes que les juridictions
françaises apposent depuis un bon temps aux demandes des détenus. Les problèmes ne
résident pas dans les objectifs à proprement parler, mais dans leur utilisation pour justifier les
restrictions sans tenir compte des exigences du principe de proportionnalité.

Le caractère problématique de la norme est également illustré par la jurisprudence


française analysée. Il en résulte que la clause limitative est utilisée beaucoup plus souvent par
les juges, non pour défendre les droits des détenus, mais comme argument pour soutenir la
position de l'administration des établissements plaidant ainsi en faveur de la justification des
restrictions appliquées.

La doctrine française se distingue par le fait qu'elle prend conscience de l'importance


particulière que revêt le rapprochement du statut juridique des détenus avec celui des citoyens
libres.

"Un détenu est un citoyen à part entière", telle est l'idée généralement reconnue, un
certain idéal auquel devrait tendre le système pénitentiaire. L'aspiration des théoriciens à un
tel rapprochement des statuts est tellement forte qu'elle en vient à une appréhension quasiment
inconditionnelle par l'opinion publique de l'idée utopique selon laquelle le détenu n'est privé
que de "liberté d'aller et venir", c'est-à-dire de sa liberté de circulation. Cette idée est
populaire par ailleurs dans d'autre pays, mais c'est en France qu'elle semble être perçue d'une
manière beaucoup plus sérieuse.

Nous considérons comme beaucoup plus réalistes et progressistes les idées des
chercheurs français sur la nécessité d'un rapprochement maximum des règles du droit
pénitentiaires avec les autres branches du droit applicables aux citoyens libres "ce qu'on
appelle "droit commun". En d'autres termes, les règles du droit applicables aux détenus
doivent être identiques autant que possible ou, au mieux, être les mêmes que celles qui
s'appliquent aux personnes libres. Pour désigner le rapprochement du droit pénitentiaire avec
le droit commun, nous proposons le terme de "normalisation juridique". Ce terme souligne
l'importance particulière de l'aspect juridique de la normalisation, qui vise à réduire au
maximum la différence entre la prison et la liberté par la voie juridique. La question à
résoudre est celle des limites de cette normalisation juridique, étant donné son résultat final
devrait être la disparition de la prison elle-même.

Une autre observation importante porte sur le rôle singulier de la jurisprudence pour le
développement de la législation pénitentiaire française. Le début des réformes globales et
388

radicales, dans le domaine pénitentiaire en France, est marqué par la recevabilité en justice de
certaines catégories d'affaires relatives notamment au recours contre les sanctions
disciplinaires (1995). Les spécialistes continuent toujours d'apprécier le développement des
droits des détenus en fonction de l'ampleur de la propagation de la compétence des juges à
tous les aspects de la vie des d'établissements pénitentiaires.

L'exemple de la juridictionnalisation et de son rôle inestimable dans la défense des


droits des détenus nous amène à la conclusion que la possibilité pour les juges d'apprécier la
légitimité des restrictions est l'un des principaux facteurs dans la prévention des restrictions
non justifiées. Nous proposons notre propre vision de la manière dont la justification des
restrictions pourrait faire l'objet d'un examen efficace par les juges. Les propositions relatives
à la prise obligatoire de décisions écrites et motivées pour l'application de restrictions de
droits ou encore la comparution en audience du fonctionnaire ayant imposé des restrictions, sa
responsibilisation, la mise en place de juges spécialisés devraient améliorer le rôle des
juridictions dans le domaine pénitentiaire et dans l'application des restrictions aux droits des
détenus en particulier. Nos propositions visant au renforcement du rôle du juge dans le
contrôle de la légitimité des restrictions sont formulées sur la base de l'expérience nationale et
internationale, mais elles devraient être vérifiées par l'expérience de leur mise en œuvre.
389

3.2. États-Unis
3.2.1. Juges et limitations des droits des détenus

Les États-Unis d'Amérique ont développé une théorie originale de limitation des droits
des détenus qu'ils doivent, en premier lieu, à leurs juridiction. Les juges sont considérés
comme les acteurs principaux des réformes pénitentiaires dans ce pays. Le spécialiste
américain connu, James Jacobs, observait que les litiges "peuvent être estimés comme un
équivalent pacifique de complot parce qu'ils signalent, à l'attention du public, les
revendications des détenus et mobilisent le soutien politique des changements"1046. L'ancien
chef du Service pénitentiaire fédéral, Norman Carlson, estime que "le pouvoir judiciaire
fédéral est, dans l'ensemble, la force la plus efficace pour des changements constructifs dans
les prisons"1047.

L'analyse de la jurisprudence américaine montre toutefois une confusion dans les


approches des juges relatives à la détermination de l'ampleur admissible des restrictions des
droits des détenus. Les affaires d'un même type sont parfois traitées avec des normes
fondamentalement différentes, d’où l'esprit général d'indétermination dans chaque affaire
concrète. Les juges rendent parfois des décisions absolument contraires dans des situations
similaires, même en s'appuyant sur les mêmes normes. Il est à constater également le manque
de vision générale à propos de la norme à appliquer dans tel ou tel cas.

Aux États-Unis, les premières affaires portant sur les restrictions de droits sont
relativement anciennes. La jouissance par les détenus de leurs droits était confirmée dès 1944,
dans l'arrêt Coffin v. Reichard, qui indiquait que "le détenu conserve tous les droits du citoyen
ordinaire, à l'exception de ceux que la loi lui retire de droit ou par nécessité", mais aussi: "le
juge ne se borne pas uniquement à la condamnation ou à l'acquittement, il peut également
donner des consignes disant que les droits conservés par les détenus doivent être
respectés"1048.

Il convient de signaler que les premières évocations de la reconnaissance en justice des

1046
Jacobs J., The Prisoners’ Rights Movement and Its Impacts, 1960-80, Crime and Justice: An
Annual Review of Research, vol. 2, edited by Norval Morris and Michael Tonry, Chicago, University
of Chicago Press, 1980, p. 460.
1047
In: Bronstein A.J., Prisoners and Their Endangered Rights, The Prison Journal, 1985, Vol. 65,
n° 1, p. 4.
1048
Coffin v. Reichard, 143 F.2d 443 (6th Cir. 1944).
390

droits des détenus est bien antérieure à l'arrêt cité. C'est ainsi que la Cour suprême observait,
dans son arrêt de 1892, que les "États-Unis, ayant tous les droits pour retenir les détenus, ont
le devoir de les défendre dans une mesure égale… Ce devoir du gouvernement conduit
nécessairement à l'existence du droit correspondant des détenus d'être protégés; ce droit des
détenus étant protégé par la Constitution et les lois des États-Unis"1049.

Pourtant, les tribunaux américains n’ont pas évité pas la politique dite "hands off", qui
se traduit par la non-intervention dans les affaires touchant au domaine pénitentiaire. Cette
doctrine se manifestait par la mauvaise volonté des juges à se saisir des affaires intéressant
des détenus. À cette fin, on faisait usage de motifs tels que la séparation des pouvoirs
(l'inadmissibilité pour les juridictions d'intervenir dans l'exercice du pouvoir exécutif),
l'insuffisance des connaissances pénologiques spéciales chez les juges, ou encore la crainte de
créer des problèmes pour la discipline pénitentiaire du fait de l'intervention judiciaire1050.
Cette politique fut initiée par l'arrêt Ruffin v. Commonwealth of Virginia1051, qui supposait que
le détenu fût "l'esclave de l'État" qui ne disposait que de droits que l'État lui accordait.

Cette approche dura jusqu'aux années 1960. Toutefois, dans les années 1960 encore, la
sécurité dans les prisons prévalait sur les droits. Les juges observaient même que "la vision
romantique ou sentimentale des droits constitutionnels… ne devrait pas pousser les juges à
intervenir dans le régime disciplinaire nécessaire mis en place en prison"1052.

Il est considéré que le feu vert pour les requêtes relatives aux droits des détenus fut
donné en 1961, dans l'affaire Monroe v. Pape1053. En conséquence, trois ans après, la politique
dite "hands off" fut abandonnée par l'arrêt Cooper v. Pate (1964)1054.

Analysant l'approche américaine vis-à-vis de la justification des restrictions des droits


des détenus, il convient de prendre en compte qu'elle a une nature évolutive et que certains
droits des détenus existant aujourd'hui peuvent être modifiés brusquement par un seul arrêt de
la Cour suprême adoptée à la majorité d'une voix1055. Par ailleurs, les approches générales à

1049
Logan v. United States. Opinion of the court delivered by Mr. Justice Gray, 144 U.S. 263 (12
S.Ct. 617, 36 L.Ed. 429).
1050
Palmer J.W., Constitutional Righs of Prisoners, 9th ed., Cincinnati, LexisNexis, 2010, p. 351.
1051
Ruffin v. Commonwealth (62, Va. 790, 1871).
1052
Cité dans: Varner J.E., Battle of the Lists: The Use of Approved Versus Restricted Religious
Book Lists in Prisons, McGeorge Law Review, 2009, Vol. 40, p. 803-829.
1053
Monroe v. Pape 365 US 167 (1961).
1054
Easton S., Ibid, p. 37-38.
1055
Rock G., Prisoners’ Rights Handbook: A Guide to Correctional Law Decisions of the
Supreme Court of the United States & the Federal Courts of the Third Circuit., Ed. by A. Love, Esq.,
Philadelphia, Pennsylvania Institutional Law Project, 2009, p. 2.
391

l'égard de la nature juridique et des justifications des restrictions des droits des personnes
purgeant leur peine, restent assez stables, malgré leur application contradictoire. Les normes
élaborées par les juridictions, des dizaines d'années plus tôt, sont toujours applicables.

Une attention particulière est justement accordée dans les décisions des juges
américains aux restrictions des droits constitutionnels, les requêtes des détenus portant
d'habitude sur les violations de la Constitution des États-Unis.

Dès la fin de la Seconde guerre mondiale, la Cour suprême a déclaré que


l'emprisonnement légal entraînait des privations obligatoires et des limitations de nombreux
privilèges et droits, cette réserve s'expliquant par des considérations soulignant le système
punitif des États-Unis1056. Toutefois, dès 1974, une phrase célèbre fut formulée, en vertu de
laquelle il n’y avait "pas de rideau métallique entre la Constitution et les prisons de ce
pays"1057. Bien que les droits pussent être réduits en partant des besoins de l'environnement
intérieur (institutionnel), le détenu, condamné pour un délit, ne devait pas être totalement
privé de la protection constitutionnelle1058. Il était également spécifié que les droits pouvaient
être limités compte tenu de la nature du régime auquel le détenu était soumis1059.

L'évolution positive de la jurisprudence des tribunaux américains, en matière d'affaires


pénitentiaires et en ce qui concernait l'appréciation de la justification des restrictions de leurs
droits, aboutit à une quantité exorbitante de requêtes dans ce sens. Ainsi que le fait noter John
Palmer, "la détermination des droits limités et des droits garantis est à la source d'une
augmentation explosive des requêtes liées aux prisons"1060. Cette thèse juste s'explique
effectivement par un immense accroissement du nombre de requêtes provenant des prisons
qui s'abattit sur les États-Unis1061. En conséquence, en 1996 fut voté la loi "Sur la réforme des
litiges pénitentiaires" (Prison Litigation Reform Act).

Cette loi visait à une diminution du nombre de requêtes mineures et à en supprimer


beaucoup avant que soit dépensé l'argent pour leur résolution au tribunal. Se prononçant en
faveur de ce texte, le sénateur Bob Dole dit au Congrès que "les prisons devaient n'être que
prisons et non pas des cabinets juridiques"1062. La loi prévoyait une modification de la

1056
Price v. Johnston 334 U.S. 266, 285 (1948).
1057
Wolff v. McDonnell 418 U.S. 539, 555, 556 (1974).
1058
Ibid.
1059
Ibid.
1060
Palmer J.W., Ibid, p. 294.
1061
Il est indiqué par exemple que rien que les recours contre le mauvais traitement étaient passés
de 6600 en 1975 à 39000 en 1994 (données de l'Institut Walter Berns), Hudson D.L., Prisoners’ Rights
/ A. Marzilli (Consulting Editor), New York, Chelsea House Publishers, 2007, p. 23).
1062
Hudson D.L., Ibid, p. 22.
392

procédure de recours dans le sens de la diminution de leur nombre, les détenus devant épuiser
les voies administratives de résolution du problème "par l'intermédiaire de l'administration
pénitentiaire" avant de pouvoir saisir la justice1063. De nouvelles conditions contraignantes du
paiement des dépens furent mises en place, car auparavant les détenus pouvaient ne pas les
payer, en raison de leur situation financière précaire, mais après l'adoption de la loi, une faible
part seulement d’entre eux fut exonérée des dépens pour ce motif1064. De plus, une nouvelle
norme prévoyait le tri des demandeurs dits "en série", c'est-à-dire ceux qui avaient déjà
introduit plus de trois actions mineures1065.

Toutes ces mesures eurent leurs effets. Le Bureau américain des statistiques judiciaires
révélait, dans une étude spéciale, que le nombre de recours était passé de 41 679 en 1995
(l'année avant l'adoption de la loi) à 25 504 en 20001066. Entre 1996 et 1997, leur nombre
baissa de 20 %, et, de 1997 à 1998, il diminua de 11 %1067. Palmer affirme qu'un autre
objectif, peut-être l'objectif véritable, fut atteint par ailleurs: laisser les établissements
pénitentiaires fonctionner sans subir les contraintes de l’intervention judiciaire1068.

Le processus de justification des restrictions des droits des détenus dans ce pays se
distingue par l'approche selon laquelle toute limitation du droit du détenu doit être pertinente.
Cela veut dire que les juges établissent toujours l'existence d'objectifs justifiés pour la
limitation des droits des personnes privées de liberté. Ces objectifs diffèrent toutefois de ceux
que retient comme admissibles par la Convention européenne, ainsi que cela sera démontré
ultérieurement. Les juridictions américaines se distinguent en outre par une vision spécifique
de la doctrine de la proportionnalité et de l'évaluation des moyens de réalisation des objectifs
visés par des restrictions.

1063
En 2007, cette exigence était invalidée par la Cour suprême des États-Unis dans l'arrêt Jones
v. Bock (The U.S. Justice System: An Encyclopedia / Ed. by S.H. Wilson, Santa Barbara, ABC-
CLIO, 2012, p. 287).
1064
Cet argument servit de moteur au soutien de la réforme par la population qui ne voulait pas
que ses impôts servent à payer les procès des détenus (Palmer J.W., Ibid, p. 413.)
1065
Hudson D.L., Ibid, p. 29; l'auteur cite l'exemple du détenu qui avait introduit près de 500
recours.
1066
Hudson D.L., Ibid, p. 25.
1067
Siegel L., Bartollas C., Corrections Today. 2nd ed., Wadsworth, Cengage Learning, 2013, p.
213.
1068
Palmer J.W., Ibid, p. 435.
393

3.2.2. Normes judiciaires des limitations

3.2.2.1. Test de Turner et Martinez


Plusieurs normes de justification des restrictions des droits des détenus sont utilisées
en parallèle aux États-Unis. L'une des plus connues fut établie par la Cour suprême dans
l'affaire Turner (elle est désignée ainsi comme "Test de Turner") portant sur la violation du
premier amendement à la Constitution (liberté d'information). Il fut constaté que la limitation
de la correspondance des détenus avec d'autres détenus était justifiée eu égard aux intérêts de
l'établissement pénitentiaire, mais, la Cour devait estimer non justifiée, en parallèle, la
restriction totale du droit des détenus au mariage.

Ce test requiert que la restriction réponde à quatre questions: а) Y a-t-il eu un "lien


véritable, raisonnable" entre la norme prévoyant la restriction et les intérêts légitimes et
neutres du gouvernement, qui devraient fonder sa justification, ledit lien ne pouvant pas
transformer la norme en règle arbitraire ou non rationnelle ? b) Y a-t-il eu des mesures
alternatives d'exercice du droit constitutionnel qui restent accessibles aux détenus ? c)
Comment l'exercice du droit concerné influera-t-il le personnel pénitentiaire, la liberté des
détenus et la répartition des ressources limitées de l'établissement ? d) Cette norme serait-elle
une "réponse excessive" aux besoins pénitentiaire d'alternative permettant d'intervenir le
moins possible dans les droits des détenus compte tenu des intérêts pénologiques
appropriés1069 ? En appliquant ce test, la Cour précisait que la limitation de la communication
entre détenus relevait des considérations justifiées par la sécurité de l'établissement, étant
donné que la communication entre prisons pourrait servir à échanger des plans d'évasion, à
organiser des actions violentes et à encourager le crime organisé. L'exigence de sécurité est
reconnue, le plus souvent, comme un objectif justifié de restriction des droits des personnes
détenues dans les prisons américaines.

La norme évoquée devait remplacer une norme, plus ancienne et plus contraignante,
élaborée dans la décision rendue dans l'affaire Martinez qui précisait que la limitation d'un
droit (la liberté d'expression dans le cas cité) pouvait être justifiée par les critères suivants: 1)
Elle devait viser un intérêt ou plusieurs intérêts gouvernementaux importants et essentiels de
sécurité, d'ordre et d'amendement des détenus, et 2) Elle ne devait pas excéder ce qui était
nécessaire pour atteindre ces intérêts1070, mais cela ne signifiait pas que l'administration
pénitentiaire dût démontrer les effets absolument négatifs de l'absence de la restriction qu'elle
entendait appliquer. Elle devait avoir une certaine marge d'appréciation dans la détermination

1069
Turner v. Safley 482 U.S. 78 (1987).
1070
Procunier v. Martinez 416 U.S. 396 (1974).
394

des conséquences possibles, étant donné que ce facteur était très important pour l'exercice par
l'administration de ses attributions: "la limitation du Premier amendement ne [devait] pas être
plus grande que nécessaire ou inévitable pour protéger certains intérêts gouvernementaux"1071.
À la différence du test de Turner, le test Martinez comportait une condition extrêmement
importante, qui exigeait de déterminer, à titre obligatoire, si la restriction était minimale, c'est-
à-dire s'il était possible de limiter le droit concerné moins que cela n'ait été fait pour atteindre
le même but légitime. C'est pourquoi, même si la restriction vise un but légitime, comme
l'exige la norme Turner et qu'elle n’est pas la moins nécessaire, elle doit être qualifiée de non
justifiée.

A l’occasion de l'arrêt Turner, la nécessité de modifier la norme élaborée dans l'arrêt


Martinez s'expliquait par les difficultés de son application pratique. Cela tenait au fait que la
décision sur l'imposition de restrictions devait être prise par l'administration pénitentiaire et
non par le juge. En obligeant l'administration pénitentiaire à appliquer la norme sévère
progressivement, l’on risquait de perturber gravement la capacité de l'administration à
résoudre les problèmes de sécurité dans l'établissement1072. La norme élaborée dans l'arrêt
Turner avait donc, pour but de simplifier l'imposition des restrictions des droits des détenus
en pratique. Conformément à cette norme, il suffisait de prouver que la restriction visait
l'objectif qui faisait partie des intérêts pénologiques légitimes1073. En revanche, le test de
Martinez exigeait de prouver que la restriction était "nécessaire" pour atteindre un but
légitime.

Même la Cour suprême admettait que le test utilisé dans l'affaire Martinez était plus
exigeant que le test de Turner1074. C'est ce qui conduisait à penser qu'en utilisant le test de
Turner, les juges soutenaient presque toujours la régularité des normes pénitentiaires qui
limitaient le droit des détenus1075. Les juristes américains notent que ce test permet de facto de
considérer comme justifiée n'importe quelle restriction1076 et ils vont même jusqu'à proposer
de le supprimer pour cette raison1077. Certains juges qui ont fait partie de la Cour, lors de

1071
Procunier v. Martinez 416 U.S. 396 (1974).
1072
Turner v. Safley 482 U.S. 78, 89 (1987).
1073
C'est ainsi que cet arrêt est appréhendé par la pratique malgré son exigence de déterminer
l'existence d'alternatives moins contraignantes.
1074
Thornburgh v. Abbott 490 U.S. 401 (1989).
1075
Rock G., Prisoners’ Rights Handbook, Ibid, p. 20.
1076
Giles C.D., Turner v. Safley and Its Progeny: A Gradual Retreat to the « Hands Off »
Doctrine ? , Arizona Law Review, 1993, n° 35, p. 230-231 ; Golichowski L., The New Standard of
Review for Prisoners’ Rights: A “Turner” for the Worse? Turner v. Safley, Villanova Law Review,
1998, n° 33, р. 393-436.
1077
Mushlin M.B., Galtz N., Getting Real about Race and Prisoners’ Rights, Fordham Urban Law
Journal, 2008, Vol. 36.1, p. 52.
395

l'examen de cette affaire, ont attiré l'attention sur ce problème.

Le juge Stevens a observé, dans son opinion dissidente, que la Cour a plutôt fixé, dans
cet arrêt, une norme qui permettrait de justifier facilement les restrictions du droit prévu par le
Premier amendement, en s'appuyant sur des considérations administratives et sur des
spéculations relatives aux risques éventuels pour la sécurité, et non sur le fait que les
restrictions seraient nécessaires pour réaliser les intérêts importants du gouvernement. D'après
les spécialistes, en utilisant le test de Martinez, il fallait démontrer comment la restriction
donnée contribuerait à la réalisation de l'intérêt pénologique légitime, alors que le test de
Turner exigeait, quant à lui, une démonstration ordinaire d'un rapport rationnel. La différence
portait sur le fait que le premier cas exigeait des confirmations effectives de la nécessité d'une
restriction alors que le second se bornait à des spéculations1078.

De même, malgré la norme assez élevée relative aux restrictions des droits des détenus
dans l'affaire Martinez, les juges s'en sont aussi servi pour soutenir certaines restrictions
douteuses qui étaient pratiquées dans le système pénitentiaire à l'époque, tout en élaborant
leurs propres normes distinctes. C'est que, suite à la requête de journalistes californiens se
plaignant de l'interdiction d'interviewer des détenus, la Cour suprême a estimé que cette
restriction était légitime, puisqu'il y avait un moyen alternatif d'exercice du droit, moyennant
la communication par correspondance et que cette restriction poursuivait un intérêt
pénologique légitime1079. Ledit arrêt comportait, en outre, une idée intéressante selon laquelle
les détenus conservaient tous les droits prévus par le Premier amendement qui n'étaient pas
incompatibles avec leur statut de détenu ou avec les objectifs pénologiques légitimes du
système correctionnel. Il était précisé que les limitations de la liberté d'expression des détenus
devaient être en équilibre avec les intérêts publics en matière de restrictions des droits des
détenus afin de prévenir les infractions, de protéger la société en isolant les délinquants pour
la période pendant laquelle des mesures correctionnelles pouvaient être mises en œuvre, ainsi
que pour assurer la sécurité intérieure dans les établissements pénitentiaires. C'est ce qui
confirmait l'idée selon laquelle toute restriction devait viser nécessairement un objectif

1078
Rock G., Ibid, p. 22.
1079
Pell v. Procunier 417 U.S. 817, 818 (1974).
396

légitime compatible avec la philosophie du système pénitentiaire américain1080.

Le test de Turner complique la démonstration de l'illégitimité d'une restriction, car il a


été appliqué par la jurisprudence d'une manière quelque peu déformée. Beaucoup de décisions
ne prirent pas en compte toutes les quatre composantes du test: la quatrième composante
prévoyait en fait la nécessité de minimaliser la restriction. En pratique, il était prétendu qu'il
suffisait de démontrer un lien rationnel entre la restriction et l'objectif légitime. Dans l'un de
ses arrêts, par exemple, la Cour suprême a qualifié de légitimes les restrictions imposées aux
détenus soumis à un régime de détention renforcé qui leurs interdisait de recevoir journaux,
magazines et photos. Cet arrêt était motivé notamment, par le soutien à la politique
pénitentiaire qui se proposait d'inciter les détenus à une bonne conduite de manière à mériter
un régime moins sévère1081. La Cour confirmait ainsi que, conformément au test de Turner,
les objectifs pénologiques pouvaient prévaloir sur la restriction minimale des droits des
détenus. C'est donc non sans raison que la communauté scientifique a évalué cette décision
comme constituant un pas en arrière et comme une nouvelle menace aux droits des
détenus1082. Malgré le fait que le test de Turner n'exigeait pas, en pratique, la minimalité de la
restriction, il n'en constituait pas moins un argument pour soulever la question de savoir si le
détenu avait mentionné une alternative évidente qui eut permis de jouir du droit concerné, ce,
sans appliquer des restrictions plus sévères que nécessaires parmi les contraintes minimales
aux fins d'objectif pénologique légitime1083.

La pratique montre que la norme élaborée dans l'affaire Turner garde son actualité
depuis plus de 20 ans maintenant.

3.2.2.2. Correspondance

Les arrêts de la Cour suprême comprennent des cas où une même question a été traitée
en utilisant la norme Martinez et la norme Turner en même temps. Dans l'affaire Abbott, par

1080
L'arrêt dans l'affaire Pell initiait une approche nouvelle vis-à-vis des droits des détenus qui ne
demandait pas aux administrations pénitentiaires de démontrer que la restriction n'excédait pas le strict
nécessaire. Il en résulta des confusions dans les juridictions inférieures dont les unes appliquaient la
norme Martinez en déterminant si la restriction était la moins nécessaire, alors que d'autres estimaient
qu'il suffisait de déterminer si la restriction répondait aux objectifs légitimes. C'est donc à la résolution
de ce problème que visait l'arrêt dans l'affaire Turner (Rock G., Ibid, p. 21; Turner v. Safley 482 U.S.
78, 89 (1987).
1081
Beard, Secretary, Pennsylvania Department of Corrections v. Banks 548 U.S. 521 (2006).
1082
The Supreme Court — Leading Cases, Harvard Law Review, 2006, Vol. 120, n°1, p. 263,
273.
1083
Palmer J.W., Ibid, p. 506.
397

exemple, la Cour suprême a appliqué à la limitation de la correspondance sortante des détenus


le test de Martinez (qui nécessite de démontrer que la restriction était une restriction minimale
nécessaire)1084 et le test de Turner (il suffit de démontrer que la restriction vise un objectif
rationnel) au courrier entrant1085. En appliquant le test de Turner, la Cour a déclaré que la
norme Martinez était trop "dure" et "exagérée" et qu'une telle norme dure n'était tout
simplement pas convenable eu égard aux normes centrales pour le maintien de l'ordre et de la
sécurité au sein de l'établissement. Il faut savoir que la Cour peut dire, en principe, d'une
décision administrative qu'elle aurait pu être moins restrictive1086. C'est dire que la Cour a
tourné le dos au principe de minimalité, compte tenu des difficultés de sa mise en œuvre
pratique, puisqu'une alternative moins contraignante pourrait toujours être trouvée.

L'arrêt Abbott est également intéressant en ce qu'il parle de la possibilité à assurer aux
détenus l'accès à la correspondance saisie. Cet accès est nécessaire pour pouvoir justifier le
recours contre l'administration, par exemple, pour citer le contenu du courrier afin de prouver
l'absence de paroles ou d'informations susceptibles de menacer la sécurité et l'ordre dans
l'établissement pénitentiaire. Par ailleurs, l'arrêt contient la disposition autorisant la restriction
de l'accès à ce courrier s'il y a risque de danger pour la sécurité ou l'ordre. Il apparaît donc
que, malgré les tentatives positives de mise en place des garanties du droit, l’on constate, en
ralité, un cercle vicieux en ce qui concerne la défense du droit à la correspondance.

L'arrêt énonce, en outre, qu'en appliquant les restrictions, il est nécessaire de prendre
en compte, d’une part, l'équilibre entre les restrictions visant à la sécurité et à l'ordre au sein
de la prison et, d’autre part, les exigences légitimes "de l'extérieur", c'est-à-dire la sécurité de
ceux qui essaient d'écrire aux établissements pénitentiaires. Nous voyons là un témoignage de
la compréhension de la "dualité" des limitations des droits des détenus, en ce sens que la
restriction de leur droit aux contacts affecte les droits de ceux qui communiquent avec eux.
L'arrêt précise aussi que les restrictions devraient être "neutres", c'est-à-dire non engagées de
la part de l'administration pénitentiaire. La Cour insiste donc sur le fait qu'il faut distinguer les
restrictions aux motifs de "contenu religieux, philosophique, social, sexuel, impopulaire ou
désagréable" et celles qui ont trait à la menace pour la sécurité. La Cour estime que s'agissant
uniquement de la sécurité, la restriction peut être qualifiée de neutre.

Certains arrêts relatifs à la limitation du droit à la correspondance et portant sur le


courrier sortant, la Cour fait appel au test de Martinez, ce qui aboutit d'ailleurs à la prise de

1084
Thornburgh v. Abbott, 490 U.S. 401 (1989).
1085
Rock G., Ibid, p. 25.
1086
Palmer J.W., Ibid, p. 517-518.
398

décisions de justice en faveur des détenus. La Cour qualifie, par exemple, de non justifiée
l'interdiction d'expédier la lettre dans laquelle un des fonctionnaires de l'établissement était
traité par un mot injurieux, parce que les intérêts de la sécurité n'étaient pas concernés 1087. La
Cour considère comme non justifiée la sanction visant l'expédition d'une lettre au motif que
celle-ci contenait une phrase disant que l'un des fonctionnaires de l'établissement "avait eu
une relation sexuelle avec un chat"1088. D'autres arrêts confirment la légitimité du contrôle des
lettres, mais non celle de la censure de leur contenu1089.

Dans l'ensemble, la jurisprudence en matière de limitation du droit à la correspondance


est assez ambiguë. Les principaux objectifs cités pour limiter le droit des détenus à la
correspondance portent généralement sur: а) La sécurité (danger d'évasions, contrebande); b)
L'ordre intérieur (en rapport direct avec l'objectif précédent); c) La réhabilitation. C'est ainsi
que la réhabilitation justifie l'établissement de la liste des personnes avec lesquelles le détenu
peut communiquer, alors que l'exigence de sécurité et les restrictions ne pourraient être
justifiées dans ce cas1090. Les juges soutiennent l'idée selon laquelle la lecture des lettre aide
pour le moins: а) à prévenir la contrebande à destination de l'établissement et depuis celui-ci;
b) à découvrir les plans d'actions illégales, notamment ceux d'évasion1091.

Par ailleurs, l'approche générale vis-à-vis de cette question consiste à dire que le
contrôle de la correspondance est une question administrative et que les juges ne doivent donc
intervenir que lorsque la violation d'un droit constitutionnel en jeu: c'est ce qu'on appelle
l'approche ordinaire1092. S'agissant de l'ingérence dans le droit à la correspondance, par
exemple, les juges examinent le bien-fondé de la restriction collatérale d'un autre droit, tel que
la liberté d'expression, l'accès à la justice, à l'avocat, aux administrations… Quant à l'approche
"nouvelle", on considère qu'elle fut élaborée par les arrêts Abbott, Turner et Martinez1093.
Quelle que soit la norme appliquée: celle de Turner ou de Martinez, les juges s'accordent à
dire que les droits des détenus prévus par le Premier amendement ne sont pas affectés par le
contrôle de la correspondance ordinaire (non destinée à l'avocat) 1094. Ceci étant, le courrier ne
peut être que lu et non soumis à la censure1095.

1087
Loggins v. Delo 999 F.2d 364, 367 (8th Cir. 1993).
1088
McNamara v. Moody 606 F.2d 621, 624 (5th Cir. 1979).
1089
Belville v. Ednie 74 F.3d 210, 214 (10th Cir. 1996).
1090
Palmer J.W., Ibid, p. 71-72.
1091
Ibid, p. 73.
1092
Ibid, 72.
1093
Ibid, p. 75.
1094
Rock G., Ibid, p. 25.
1095
Belville v. Ednie 74 F. 3d 210, 214 (10th Cir. 1996).
399

L'imposition des restrictions aux détenus est plus facile que dans le cas des citoyens
libres. La justification de ces restrictions en pratique est moins complexe pour l'État. Dans son
arrêt rendu dans l'affaire Beard v. Banks, relative à la limitation de l'accès à certains textes
publiés, la Cour observe que, bien que la détention ne retire pas automatiquement la
protection constitutionnelle, la Constitution autorise parfois des restrictions plus larges de tels
droits en prison qu'elle ne l'autorise dans tout autre lieu. Le système judiciaire se montre
bienveillant envers les décisions professionnelles des responsables pénitentiaires, alors que les
règles pénitentiaires restrictives ne sont autorisées que lorsqu'elles visent un objectif
pénologique légitime1096. Ceci étant, la clause de la défense égale n’oblige les juges "à se
montrer bienveillants" que si les responsables pénitentiaires n'abusent pas de leur pouvoir
d'appréciation: "les juges doivent permettre aux autorités pénitentiaires un certain volume de
pouvoir discrétionnaire, sauf s'il n'est pas clairement établi [...] qu'il y a eu abus de ce pouvoir
discrétionnaire"1097.

Dans certains cas, les juges examinent la question de l'alternative possible à l'exercice
du droit des détenus en tant que condition obligatoire pour l'application d'une restriction. Dans
l'affaire portant sur l'interdiction faite aux détenus de se faire assister par d'autres détenus pour
écrire des plaintes à la justice contre des actions de l'administration de l'établissement, la Cour
observe que la restriction appliquée à l'assistance juridique entre détenus n'est admissible que
sous réserve qu'ils aient accès à des sources alternatives pour pouvoir bénéficier de
l'assistance d'un juriste (et non un autre détenu)1098. La Cour suprême interdit, par ailleurs, la
correspondance entre détenus d'établissements différents en vue de l'assistance juridique, au
motif que ceci est contraire aux intérêts de la sécurité pénitentiaire et aux autres intérêts
gouvernementaux légitimes1099.

3.2.2.3. Contacts avec l'extérieur

L'affaire Overton v. Bazzetta1100 représente un des cas les plus instructifs sur ce plan.
Le département pénitentiaire du Michigan avait pris la décision de limiter les visites en
prison. Toutes les personnes autorisées à visiter les détenus figuraient sur une liste spéciale.

1096
Palmer J.W., Ibid, p. 91.
1097
Jones v. North Carolina Prisoners' Labor Union, Inc. 433 U.S. 119 (1977).
1098
Bryan v. Werner, 516 F.2d 233 (3d Cir. 1975).
1099
Shaw v. Murphy 532 U.S.223 (2001).
1100
Overton v. Bazzetta (02-94) 539 U.S. 126 (2003).
400

Les détenus se voyaient interdire les visites d'enfants, à l'exception de leurs propres enfants;
beaux-fils et belles-filles, frères et sœurs, petits-enfants (l'interdiction concernait ainsi, par
exemple, les neveux et nièces). Leurs enfants devaient être accompagnés d'un membre de
famille ou d’un surveillant. Il leur fut interdit aussi d'avoir des visites d'anciens détenus, à
l'exception de parents de détenus et sous réserve de la permission spéciale du surveillant. De
plus, les détenus ayant commis deux manquements graves à la discipline ne pouvaient plus
recevoir de visites, sauf celles des prêtres et des avocats. Ils ne pouvaient rétablir leurs droits,
qui étaient considérés dans ce cas comme des privilèges, qu'au bout de deux ans. Suite à la
mise en place de ces règles contraignantes, les détenus, leurs amis et les membres de famille
introduisirent des recours en invoquant la violation du premier, du huitième et du quatorzième
amendement à la Constitution.

La Cour suprême appliqua le test de Turner, en arguant que la décision contestée sur la
limitation des visites poursuivait des intérêts pénologiques légitimes suffisants pour soutenir
sa légitimité, malgré le droit constitutionnel des détenus aux contacts qui leur revenait
toujours en prison. L'intérêt pénologique à satisfaire comportait le maintien de la sécurité
intérieure et la protection des visiteurs en bas âge contre les agressions sexuelles ou d'autres
violences et d'éventuelles lésions corporelles. La restriction contribuait aussi au maintien de la
sécurité intérieure, "probablement le but pénologique le plus légitime" grâce à la diminution
du nombre total des visiteurs et à une réduction des "perturbations du travail" provoquées par
les enfants. L'interdiction de voir d'anciens détenus avait pour but de satisfaire l'intérêt public
de maintien de la sécurité en prison et de prévention de nouveaux délits. La restriction des
visites pour les détenus ayant commis deux manquements graves à la discipline visait le but
légitime de prévenir la consommation de stupéfiants et d'alcool dans les prisons.

La deuxième composante du test de Turner était satisfaite par les moyens alternatifs
d'exercice des droits aux contacts avec l'extérieur au moyen de la transmission de messages
par l'intermédiaire des personnes que les détenus étaient autorisés à voir, ainsi que par la poste
et les communications téléphoniques.

La troisième composante consistait en ce que la non-application de cette restriction ait


pu exercer une influence considérable sur les surveillants, les autres détenus, les ressources de
l'établissement et la sécurité des visiteurs en raison de l'impact sensible sur les ressources
financières et de l'affaiblissement des capacités du personnel pénitentiaire de protéger les
personnes à l'intérieur de la prison.

La quatrième composante se traduisait par l'absence d'alternative au fait de laisser un


401

droit sans restriction sans affecter gravement les objectifs pénologiques légitimes.

Les analystes ont fait aussitôt remarquer que cette décision représentait un recul
notable dans le problème de la restriction du droit aux visites1101. Marsha Yasuda relevait
l'erreur de la Cour dans l'application de la première composante de la norme Turner, c'est-à-
dire dans l'établissement d'un rapport rationnel entre la restriction et l'intérêt gouvernemental
à "maintenir la sécurité intérieure et à protéger les visiteurs en bas âge contre les agressions
sexuelles, d'autres violences ou d'éventuelles lésions corporelles". Elle arguait notamment que
les visites jouaient un rôle clef dans la réhabilitation, les visites sans contact ne soumettant pas
les enfants à l'influence du comportement négatif des détenus. Il n'y avait pas non plus de
rapport rationnel entre la restriction et l'objectif de prévention de la contrebande puisqu'il
s'agissait de visites sans contact. La Cour n'expliquait pas comment les visites sans contact
pouvaient soumettre les enfants à l'influence des comportements négatifs en se référant à ce
propos à une publication du Bureau pénitentiaire fédéral, qui soulignait que "les visites à
contacts étaient la cause principale de transmission de stupéfiants", le problème pouvant être
réglé "en remplaçant les visites à contact par celles sans contact". De même, le département
pénitentiaire de Michigan avait reconnu qu'aucun cas de comportement négatif n'avait été
constaté pendant les visites sans contact des détenus par leurs enfants depuis 19841102.
L'interdiction des visites pour non-respect du régime était contre-productive du point de vue
de l'objectif visant à prévenir la consommation d'alcool et de stupéfiant, car, ainsi que
constataient les experts, une telle restriction était contraire aux intérêts thérapeutiques et, au
lieu de prévenir, elle ne produisait que des abus plus importants1103.

Quant à l'application de la deuxième composante du test de Turner, la Cour admettait


que la correspondance et la communication par téléphone n'étaient pas une bonne alternative
au droit aux visites. Elle énonçait, toutefois, une idée importante pour la pratique d'utilisation
de ce test: "[...] les alternatives aux visites ne doivent pas pour autant être idéales; elles ne
doivent être qu'accessibles". Les commentateurs de cette décision ont observé que cette
phrase constituait un écart considérable par rapport à la deuxième composante du test de

1101
Yasuda М., Taking a Step Back: The United States Supreme Court's Ruling in Overton v.
Bazzetta, Loyola of Los Angeles Law Review, 2004, Vol. 37, p. 1831-1851 ; Sinema K., Overton v.
Bazzetta: How the Supreme Court Used Turner to Sound the Death Knell for Prisoner Rehabilitation,
Arizona State Law Journal, 2004, Vol. 36, p. 471-486 ; Farrell D., Correctional Facilities: Prisoners'
Visitation Rights, the Effect of Overton v. Bazetta and Lawrence v. Texas, Georgetown Journal of
Gender and Law, 2004, Vol. 5, p. 167-174.
1102
Yasuda М., Ibid, p. 1840.
1103
Ibid, p. 1841.
402

Turner, car l'exigence des seuls moyens alternatifs, mais non pratiques (effectifs)1104
d'exercice du droit ôte tout son sens à la deuxième composante du test.

Il convient aussi de prêter attention à la détermination par la Cour de la quatrième


composante du test. La Cour a observé que "la norme de Turner n'impose pas d'appliquer le
test de l'alternative minimale nécessaire", elle exige du détenu qu’il montre l’existence d’une
alternative accessible et évidente qui ne causerait que des pertes minimales aux intérêts du
gouvernement. D'ailleurs, l'exigence de minimis pouvait être satisfaite, par exemple, quand les
visites auraient été permises aux neveux et nièces, ainsi qu'aux enfants à l'égard desquels les
détenus étaient déchus de l'autorité parentale1105.

In fine, malgré la reconnaissance par la Cour suprême du rôle essentiel de la


réhabilitation pour le fonctionnement du système pénitentiaire, la décision analysée ci-dessus
bouleversa la vision des buts légitimes et permit d'aller de facto à l'encontre des intérêts de
réhabilitation en déterminant les restrictions des droits des détenus. Ceci eut pour résultat
l'affectation des objectifs de diminution de la récidive, de protection des enfants et de
réduction de la population carcérale1106.

Il est à noter aussi qu'en argumentant ses idées dans cet arrêt, la Cour a employé la
théorie des restrictions véritables des droits par l'incarcération, en indiquant que "le détenu ne
continue pas de jouir des droits incompatibles avec l'emprisonnement" et que "la liberté des
contacts est l'un des droits les moins compatibles avec l'emprisonnement". Cette décision
confirme, une fois de plus, le caractère contre-productif de l'idée des restrictions des droits
inhérentes à l'emprisonnement dans le contexte américain.

D'un autre côté, le test de Turner peut favoriser des décisions en faveur des détenus,
même quand il s'agit de restrictions assez controversées. C'est ainsi que la restriction faite aux
détenus homosexuels de recevoir les visites de leurs partenaires, quel que soit leur sexe, est
non justifiée d'après le test de Turner1107.

Pour compléter ce qui précède en ce qui concerne les normes de limitation des droits
relatifs à la communication avec le monde extérieur, l'ancien arrêt de la Cour suprême rendu

1104
À titre d'exemple, est cité l'avis d'expert selon lequel de 40 à 80 % des détenus étaient illettrés
et ne pouvaient pas donc échanger normalement de courrier. La communication avec les enfants qui ne
savaient pas parler était totalement exclue. Les communications téléphoniques étaient mises à l'écoute
et les interlocuteurs en étaient avertis toutes les quelques minutes.
1105
Yasuda М., Ibid, p. 1845-1846.
1106
Ibid, p. 1847-1851.
1107
Doe v. Sparks 733 F. Supp. 227 (W.D. Pa. 1990).
403

dans l'affaire Pell v. Procunier1108 a retenu que les détenus conservaient tous les droits prévus
par le Premier amendement, sauf ceux qui étaient incompatibles avec leur statut de détenu ou
avec des objectifs pénologiques légitimes du système correctionnel. Cet arrêt a qualifié
comme justifiées les restrictions faites à la possibilité d'interviews individuels des détenus
pour les media, puisque l’alternative de la correspondance existait. La Cour a argué que, bien
que les exigences de sécurité ne permissent pas au personnel pénitentiaire d'interdire toute
réflexion ou toute communication avec les détenus, elles étaient suffisamment importantes
dans le fonctionnement de la prison pour justifier l'imposition de certaines limitations à l'accès
des media à la prison pour des contacts directs1109. L'une des explications des restrictions était
que puisque certains détenus (par exemple ceux qui ne coopèrent avec l'administration)
pouvaient faire l'objet d'une attention particulière des media, et partant de celle des autres
détenus, on risquerait des complications dans la gestion de la population carérale.

3.2.2.4. Accès aux documents imprimés (arrêt Banks)

Dans l'affaire Beard v. Banks1110 entendue par la Cour suprême, les détenus étaient
classés au début dans la catégorie « haute sécurité » (no 2), qui prévoyait des restrictions
sévères de leurs droits. Celles-ci en comprenaient une en particulier qui fit l'objet de recours,
au motif de la violation du Premier amendement à la Constitution, soit l’interdiction d'accès à
tous les journaux, magazines et photos. La permission de les recevoir ne pouvait être accordée
qu'en étant promu dans une autre catégorie de détenus, à un moindre niveau de moindre
sécurité.

L'administration pénitentiaire justifiait ainsi cette restriction: а) Il convient de motiver


leur bon comportement dès lors qu'il s'agit de personnalités difficiles; b) Il convient de réduire
au minimum les biens contrôlés par les détenus. L'administration pénitentiaire estimait "que
moins il y a de biens et plus il est facile d'identifier la contrebande et d'assurer la sécurité"; c)
Il convient de diminuer le nombre d'objets (surtout les journaux et les magazines) que les
détenus pourraient utiliser comme des armes ("catapultes" et "sarbacanes").

La Cour soutenait ces arguments et convenait d'un lien logique entre la restriction et
les buts déclarés tout en observant que "le vrai objectif vise à démontrer non seulement le lien

1108
Pell v. Procunier 417 U.S. 817, 818 (1974).
1109
Cf. Palmer J.W., Ibid, p. 481.
1110
Beard v. Banks 548 U.S. 521 (2006).
404

logique mais aussi le lien raisonnable". Elle s'appuyait, en outre, sur la doctrine soutenant que
les juges devaient respecter les décisions de l'administration pénitentiaire qui les élaborait en
se basant sur sa propre expérience professionnelle. Quant à l'arrêt proprement dit, il annulait
la position prise par le tribunal régional, qui avait exprimé un avis contraire en qualifiant la
restriction en cause de non justifiée. La Cour suprême estimait que cela était dû au fait que le
tribunal régional "avait imposé une charge de la preuve trop lourde [sur l'administration
pénitentiaire] en faisant preuve d'une déférence (angl. «deference») trop réduite vis-à-vis de la
décision du personnel pénitentiaire". Cet arrêt fait partie des décisions illustrant l'influence
pratique de la doctrine exigeant une "déférence" envers l'administration pénitentiaire de la
part des juges. Dans le même temps, il suscite des doutes du point de vue du principe de
séparation des pouvoirs: si le juge ne veut pas intervenir dans l'exercice du pouvoir exécutif
parce qu'il doit "être déférent", il affecte ainsi le mécanisme de freins et contrepoids.

Il apparaît, dans cette affaire, que les détenus n'avaient pratiquement pas d'alternatives
à l'exercice de leur droit d'accès à l'information, cette restriction devant donc être qualifiée de
non justifiée. Passant à côté de cette évidence et se référant à l'arrêt Overton, la Cour a
observé que, même si l'absence d'alternative à l'exercice d'un droit en cas de limitation de
celui-ci constituait un certain signe de son caractère non justifié, elle n'était pas décisive dans
la détermination du bien-fondé de la restriction. L'argument définitif ayant convaincu la Cour
de justifier la restriction en question, était l'idée que les détenus auraient la possibilité de
bénéficier d'une alternative à l'exercice du droit invoqué en cas de changement de leur statut
qui leur fait obstacle. Un avis contraire et plus convaincant était formulé par les juges Tomas
et Scalia dans leurs opinion dissidente. Ils faisaient noter, en particulier, que l'existence ou
l'absence d'alternative à une restriction porte sur le présent et non sur l'avenir.

Les titres des articles commentant cet arrêt parlent d'eux-mêmes: "Beard v. Banks: La
restriction en tant que réhabilitation"1111, "Priver Turner d’efficacité: l'arrêt de la Cour
suprême dans l'affaire Beard v. Bank"1112, "Persona non grata dans les tribunaux: disparition
des droits constitutionnels des détenus d'après le Premier amendement dans l'arrêt Beard v.
Banks"1113. L'attention est souvent attirée sur les opinions dissidentes des juges dans cette
affaire. Citons, à titre d'exemple, le juge Stevens, qui observait que la limitation de l'accès aux
documents de lecture dans cette affaire se basait sur la théorie de "réhabilitation restrictive",

1111
Sweeney M., Beard v. Banks: Deprivation as Rehabilitation, Publications of the Modern
Language Association of America, 2007, Vol. 122, n° 3, p. 779-783.
1112
Wimsatt J. N., Rendering "Turner" Toothless: The Supreme Court's Decision in Beard v.
Banks, Duke Law Journal, 2008, Vol. 57, n° 4, p. 1209-1243.
1113
Wu S., Persona Non Grata in the Courts: The Disappearance of Prisoners' First Amendment
Constitutional Rights in Beard v. Banks, Whittier Law Review, 2007, Vol. 28, p. 981-1006.
405

laquelle s'appuie sur l'idée en vertu de laquelle "toute restriction apportée à quelque chose que
souhaite le détenu l'incite à améliorer son comportement". Le juge devait mettre en garde: une
telle approche comporte un grand danger, car elle n'a pas de caractère limitatif et pourrait
justifier n'importe quelle norme privant le détenu de son droit constitutionnel, du moment
qu'il est habilité à le recouvrer dans un certain avenir en modifiant son comportement1114.

La divergence des opinions dissidentes qui soutenaient ou n'étaient pas d'accord avec
l'arrêt examiné se réduisait en fait à la question de savoir à quel point les juges devaient avoir
de la déférence envers les autorités pénitentiaires. Les avis convergents exprimaient des
arguments en faveur d'une "déférence" absolue. Ils étaient contraires aux opinions dissidentes
des juges qui estimaient, quant à eux, qu'il fallait déterminer si la règle (la restriction)
constituait une mesure excessive pour atteindre les objectifs pénologiques légitimes.

Les commentateurs de l'arrêt indiquent que la grande bienveillance à l'égard des


décisions des autorités pénitentiaires était devenue possible en nivelant trois facteurs du test
de Turner et en les fondant sur une seule de ses composantes1115. Au lieu d'un "lien rationnel
légitime " (valid rational connection) entre la restriction d'un droit et les objectifs
pénologiques, l'arrêt ne constate qu'un "lien rationnel", ce qui n'est pas l'équivalent du bien-
fondé, parce qu’il nivèle les trois autres composantes du test. Ainsi, la seule référence de
l'administration pénitentiaire au but réhabilitatif de la sanction permet d'éviter de se fonder sur
les trois autres composantes du test de Turner, en n'invoquant que l'exigence d'un lien entre la
restriction et le but poursuivi. C'est ce qui offre prise à une sorte de contournement de la
défense des droits constitutionnels1116.

Jennifer Wimsatt s'interroge sur l'approche (celle de Turner ou de Banks) à adopter par
les juridictions inférieures. Il répond que c'est la norme Turner qui devrait être appliquée en
combinaison avec les opinions dissidentes exprimées dans l'arrêt Banks en vertu desquelles
les restrictions ne devraient pas être excessives pour résoudre les problèmes de
l'administration pénitentiaire1117. Parmi les causes d'un tel changement du test de Turner
figurait celle qui l'accusait de ne pas bien s'accorder avec la justification des restrictions en
vue de la réhabilitation. A cette fin, une sorte d'argumentation fut développée qui devait
contourner le test précédent de Turner1118. Le caractère inadmissible de l'argumentation de la
Cour revêtait quatre dimensions: а) Cette agumentation était inadmissible au regard des

1114
Sweeney M., Ibid, p. 781.
1115
Wimsatt J. N., Ibid, p. 1227.
1116
Ibid, p. 1237-1239.
1117
Ibid, p. 1227-1228.
1118
Ibid, p. 1230.
406

décisions antérieures des juges qui constataient que les détenus conservaient tous leurs droits
constitutionnels; b) Les détenus constituent une minorité emprisonnée qui nécessite un niveau
plus élevé et non un niveau plus faible de protection judiciaire contre des politiques
discriminatoires; c) Une bonne protection judiciaire responsabilise davantage l'administration
pénitentiaire; d) Une bonne protection judiciaire peut faire baisser les abus caractéristiques
des institutions autoritaires1119.

Notons, par ailleurs, qu'en accord avec le test de Turner, les juges refusent souvent aux
détenus la conservation de documents à contenu sexuel. Il est vrai que les fondements de ces
décisions sont ici quelque peu différents. Dans un cas, par exemple, l'interdiction s’est
appuyée sur l'argument selon lequel le retrait de tels documents relevait de la nécessité de
prévenir des obstacles à l'exercice des fonctions des fonctionnaires de sexe féminin et à la
sécurité des détenus1120. Dans un autre cas, la décision s'appuyait sur la possibilité de
consulter de tels documents dans un local spécialement aménagé, mais pour des détenus
"psychologiquement convenables" (psychologically fit)1121.

3.2.2.5. Liberté de religion

Des normes originales concernent les limitations de la liberté de religion dans les
prisons américaines. En statuant sur le bien-fondé de telles limitations le juge examine à titre
obligatoire deux problématiques : а) L'existence effective de la religion concernée; b) La
sincérité de la foi du détenu. Les réponses à ces problèmes sont recherchées par des procédés
appropriés dont le besoin s’est fait sentir à cause d'un grand nombre de cas où les détenus
voulaient obtenir des droits en invoquant des croyances imaginaires ou des religions
inexistantes.

En présence d’une réponse affirmative aux deux problématiques, la Cour peut passer à
la question de savoir si la restriction de ce droit était justifiée par des intérêts d'État 1122. Ces
restrictions sont traitées à l'aide du test de Turner1123. Cette norme subit toutefois des
changements en ce qui concerne la liberté d'expression, ce qui pourrait s'expliquer par

1119
Ibid, р. 1236-1237.
1120
Frost v. Symington 197 F.3d 348, 357 (9th Cir. 1999).
1121
Dawson v. Scurr 986 F.2d 257, 261-262 (8th Cir. 1993).
1122
United States v. Seeger 380 U.S. 163, 185 (1965).
1123
O’Lone v. Estate of Shabazz 482 U.S. 342 (1987).
407

l'adoption de la Loi sur la restauration de la liberté de religion (1993) 1124 qui obligeait à
prouver la nécessité minimale de la restriction.

Cette loi a eu un effet sur la jurisprudence dès 1994, notamment dans une affaire où
deux détenus se plaignaient de l'interdiction de porter des habits religieux spéciaux. La Cour
signifiait que cette interdiction n'était pas justifiée, puisqu'il y avait des mesures moins
restrictives, comme, par exemple, le port de ces habits sous d'autres vêtements 1125. Dans
l'affaire Mayweathers, la Cour soutenait la position de la juridiction inférieure et qualifiait de
non justifiée l'application de sanctions disciplinaires à l'égard de musulmans qui manquaient
quelques heures de travail le vendredi, étant donné que ces sanctions ne portaient pas sur des
intérêts légitimes1126. Ainsi, la limitation de la liberté d'expression des convictions religieuses
a-t-elle été considérée comme non justifiée dès lors qu’elle ne visait pas un intérêt légitime du
gouvernement ou si elle était plus sévère que nécessaire pour atteindre un but légitime.

Parfois, les juges qualifiaient de non justifié le refus de distribuer aux détenus des
repas qui correspondent à leurs croyances religieuses, parce que de tels refus ne portaient pas
sur les intérêts pénologiques et sur la nécessité de mobiliser des sommes complémentaires 1127.
Cependant, d'autres décisions ont été rendues dans lesquelles les juges se sont référés au test
de Turner et ont signifié que le refus de distribuer de la viande halal portaient rationnellement
sur des intérêts légitimes visant à simplifier le service des repas, à la sécurité et aux
contraintes budgétaires. D'autre part, le détenu pouvait exprimer ses convictions d'une autre
manière, sans consommer du porc1128. En d’autres termes, l'existence même d'alternatives non
absolues d'exercice du droit limité a été considérée comme étant suffisante. L’on classe
pareillement dans les intérêts légitimes le refus de la diète bouddhiste spéciale, en arguant de
la complication éventuelle du service des repas et de l'envie que ces repas pourraient
provoquer chez d'autres détenus1129. En règle générale, les musulmans et les juifs se voient
refuser des aliments spéciaux, ce refus n'étant qualifié de restriction non justifiée de leurs
droits que dans de rares cas1130.

Un autre exemple de l'attitude déloyale des juges envers la liberté de religion vient de

1124
The Religious Freedom Restoration Act.
1125
Campos v. Coughlin 854 F. Supp. 194 (S.D.N.Y. 1994).
1126
Mayweathers v. Newland, 258 F.3d 930 (9th Cir. 2001).
1127
Love v. Reed 216 F.3d 682, 690-691 (8th Cir. 2000); Ashelman v. Wawraszek 111 F.3d 674,
678 (9th Cir. 1997); Makin v. Colorado Dept. Of Corrections 183 F.3d 1205, 1213-1214 (10th
Cir.1999).
1128
Williams v. Morton 343 F.3d 212 (3d Cir. 2003).
1129
Dehart v. Horn 390 F.3d 262 (3d Cir. 2004).
1130
Voir la liste des decisions et leur analyse in: Parmer J. Ibid. – pp. 131,140–142.
408

l'affaire Cooper où les détenus se plaignaient d'avoir été soumis à des sanctions disciplinaires
pour avoir prié en groupe dans la cour de promenade, la Cour ayant confirmé cette
sanction1131.

La question de la longueur des cheveux, de la barbe en prison est également examinée


en référence aux normes évoquées plus haut. Les décisions des juges divergent
considérablement, tout comme pour d'autres catégories d'affaires. C'est ainsi que l'interdiction
de porter la barbe1132 a été reconnue comme étant justifiée et n'affectant pas la liberté
d'expression, sous réserve que la barbe ne soit nécessaire pour des raisons médicales. Il a ainsi
été statué sur la nécessite d'interdire aux détenus les cheveux longs (tout en admettant les
cheveux de longueur moyenne) pour prévenir la conservation de la contrebande et aux fins
d'identification des personnes1133.

Notons que la Cour suprême a reconnu, par la suite, le droit des détenus de porter la
barbe pour des motifs religieux sous réserve que la barbe soit courte et soignée1134.
L'argument des autorités pénitentiaires disant que des lames pouvaient être cachées dans la
barbé fut rejeté, parce qu'il serait plus facile de cacher une lame dans les cheveux que dans
une barbe courte (d'environ 1 cm).

La conclusion des auteurs américains est qu'une bonne justification des limitations des
droits religieux par les autorités pénitentiaires aboutirait toujours à leur confirmation par les
juges1135. Dans l'ensemble, l'intérêt gouvernemental au maintien de la sécurité au sein des
établissements associé au besoin d'un pouvoir administratif discrétionnaire dans le règlement
des problèmes disciplinaires constitue toujours une justification suffisante des limitations des
droits prévus par le Premier amendement (à propos de la religion)1136.

3.2.2.6. Liberté d'association

L'affaire Jones contre Le Syndicat des prisonniers de la Caroline du Nord1137 illustre


l’approche américaine des limitations du droit d’association des détenus.

1131
Cooper v. Tard 855 F.2d 125 (3d Cir. 1988).
1132
Green v. Polunsky 229 F.3d 486, 491 (5th Cir. 2000).
1133
Harris v. Chapman 97 F.3d 499, 504 (11th Cir. 1996).
1134
Holt v. Hobbs 574 U.S. (2015)
1135
Palmer J., Ibid, p. 126.
1136
Ibid, p. 157.
1137
Jones v. North Carolina Prisoners' Labor Union, Inc. 433 U.S. 119 (1977).
409

Les détenus membres de leur Syndicat se plaignaient de la violation du Premier


amendement par le document normatif émanant du Département du service correctionnel de
la Caroline du Nord. Ce document interdisait aux détenus d'inviter d'autres détenus à adhérer
au Syndicat, de tenir les réunions du Syndicat et d'entretenir une correspondance avec
l'extérieur à propos des activités du Syndicat.

A la différence des juridictions inférieures, la Cour suprême estima que cette


restriction était justifiée. Les arguments suivants furent pris en compte: а) Le fait d'être
emprisonné et les besoins de l'établissement pénitentiaire prévoient des restrictions de droits,
dont ceux prévus par le Premier amendement, la limitation de la liberté d'association pouvant
être considérée comme l'une des restrictions qui sont à l'évidence les plus indispensables dans
l'établissement pénitentiaire; b) La restriction en cause visait les objectifs légitimes de
l'administration pénitentiaire, s'accordait avec le statut des détenus et les considérations
opérationnelles de l'établissement; c) Les normes prévoyant cette restriction n'étaient pas plus
larges que ce qui était exigé pour prévenir le danger liés à la tenue de réunions et à la
nécessité d'organiser des actions visant au maintien de l'ordre et à la sécurité; d) La prison ne
doit pas être considérée comme un "forum public".

La Cour indiquait que les droits protégés par le Premier amendement "[...] doivent
céder la place aux considérations rationnelles de la gestion pénitentiaire. Beaucoup de droits
d'association sont nécessairement limités par les réalités de l'emprisonnement. Ils peuvent être
limités lorsque les fonctionnaires pénitentiaires, usant de leur pouvoir discrétionnaire,
estiment, de manière justifiée, que de telles associations présentent, tant par des réunions de
groupes que d’autre manière, l'éventualité de la violation de l'ordre et de la stabilité dans
l'établissement ou bien, en d'autres termes, risquent d'affecter les buts pénologiques légitimes
de l'emprisonnement… Le but central de tous les autres objectifs pénitentiaires consiste dans
les considérations institutionnelles de sécurité intérieure dans les établissements pénitentiaires
eux-mêmes". La Cour fondait aussi son arrêt sur le fait qu’un tel Syndicat portait en lui-même
des dangers pour la sécurité de l'établissement et pouvait provoquer des tensions dans les
rapports entre les détenus et l'administration de l'établissement ou bien entre les détenus
membres du Syndicat et ceux n'en faisant pas partie.

Toutefois, les détenus disposent parfois de la possibilité d'exercer leur droit de créer
des associations et d'y adhérer. C'est ainsi qu'il y eut notamment aux États-Unis des
associations de condamnés à perpétuité, des vétérans de la guerre du Vietnam ou d’autres
encore.
410

3.2.2.7. Cas de non-application du test de Turner

Il existe dans la jurisprudence américaine une certaine catégorie de contentieux dans


laquelle les restrictions sont validées sans employer le test de Turner. C'est ainsi que dans
l'arrêt Sandin v. Conner1138, la Cour a élaboré un autre test, incompatible avec le test de
Turner.

L'affaire portait sur l'application de la garantie constitutionnelle du "procès équitable"


(due process) en matière de disciplinaire pénitentiaire. Cette garantie vise la défense de la
personne contre l'État au cours de l'administration de la justice. Selon l'approche développée,
la Cour doit s'interroger si l'exigence du "procès equitable" pouvait être appliquée, ce qui
n'était possible que si la sanction prévoyait une "cruauté atypique et non négligeable envers le
détenu". La Cour statua que le refus d'entendre les dépositions du détenu au cours de la
procédure disciplinaire n'était pas une restriction atypique et excessive et elle soutient donc
une telle politique pénitentiaire sans faire usage du test de Turner.

Les juges n’ont pas appliqué le test de Turner dans les affaires relatives au 8e
amendement (interdiction de cautions et d'amendes démesurées, de châtiments cruels et
exceptionnels)1139. Les contentieux de ce type sont, en revanche, résolus en faisant recours
aux "normes de décence qui évoluent". Conformément à ces normes, il convient d’évaluer si
le châtiment était disproportionné au point d'affecter les "normes de décence qui marque
l'évolution d'une société mûre" ou s'il était "choquant". C'est donc seulement dans de tels cas
que le châtiment serait considéré comme cruel et exceptionnel et dès lors comme illégitime.

Le test de Turner n’a pas non plus été utilisé dans les affaires portant sur la ségrégation
raciale des détenus1140. Les affaires de ce type bénéficiaient d'un test plus sévère, l'autorité
pénitentiaire jouissant d'un respect moindre. Or, en appliquant le test de Turner et en prenant
en compte les idées de nécessaire correspondance de la sanction à la bonne administration
pénitentiaire, ce test aurait même pu justifier la ségrégation raciale1141.

1138
Sandin v. Conner 515 U.S. 472 (1995).
1139
Selon Т. McFadden, bien qu'il soit admis que le test de Turner peut être utilisé
essentiellement pour les droits des détenus, mais il n'est pas appliqué dans beaucoup de cas. In:
Wimsatt J. N., Ibid, p. 1218).
1140
Johnson v. California 543 U.S. 499 (2005).
1141
Dimitrakopoulos I.G., Individual Rights and Liberties Under the U.S. Constitution: The Case
Law of the U.S. Supreme Court, Leiden, Martinus Nijhoff Publishers, 2007, p. 95.
411

3.2.2.7.1 Théorie de la bonne "administration pénitentiaire"

L'arrêt Banks évoqué précédemment, dénote une forte influence de la théorie dite
"d'administration pénitentiaire correcte" (proper prison administration) dénommée encore
"théorie de l'incarcération correcte" (proper incarceration)1142. Cette théorie suppose
l'évaluation du bien-fondé des restrictions selon qu'elles soient compatibles avec la bonne
organisation du fonctionnement de la prison. Il faut savoir pour cela comment est la prison et
comment elle doit être administrée. La théorie en question n'est pas formulée avec précision,
ses composantes étant éparpillées dans la jurisprudence américaine.

Sa présence indirecte dans la jurisprudence est mise en valeur et expliquée par


Jennifer Wimsatt1143. Cette théorie se base sur une conception de la bonne prison et de la
manière d'administrer celle-ci1144. D'après les propos critiques du juge Tomas, cette théorie
aide les juges à déterminer les restrictions des droits en prison qui sont constitutionnelles. Il
explique que la "jurisprudence de la Cour concernant les droits des détenus est toujours basée
sur la présomption non fixée (et incorrecte) en vertu de laquelle la Constitution comporte une
définition cachée de l'emprisonnement"1145. Ce même juge estime que "l'incompatibilité avec
la bonne administration pénitentiaire prétend résoudre le problème par anticipation... Pour
savoir si tel droit peut être incompatible avec la bonne administration pénitentiaire, le juge
devrait avoir une idée immanente de ce que doit être une bonne prison et comment elle doit
être administrée". Ainsi, la détention "correcte" n'est que la définition simple de la détention
"constitutionnelle". Les normes de celle-ci avaient été fixées par la jurisprudence antérieure
de la Cour, notamment dans l'arrêt Martinez où la Cour avait fixé deux facteurs principaux qui
devraient être équilibrés dans les affaires portant sur les droits des détenus. Ces normes
mettent ainsi en équilibre le besoin de défendre les droits constitutionnels dont continuent de
jouir les détenus et le besoin des juges d'exprimer leur bienveillance à l'administration
pénitentiaire en cas de problèmes difficiles dans les prisons américaines1146.

Cette critique n'est pas surprenante, car la théorie de la bonne détention veut que les
juges doivent corréler les restrictions avec la bonne administration de la prison. Il s’en infère

1142
The Supreme Court, 2005 Term-Leading Cases, Harvard Law Review, 2006, Vol. 120, p.
263-273; Wimsatt J.N., Ibid.
1143
Wimsatt J. N., Ibid, p. 1228-1231. Voir aussi: Rose M.D., Prisoners and Public Employees:
Bridges To a New Future in Prisoners’ Free Speech Retaliation Claims, Seventh Circuit Review, 2009,
Vol. 5, Issue 1, p. 159-220.
1144
Dissentiment du juge Tomas J. Dans l'arrêt Johnson v. California, 543 U.S. 449, 541-542
(2005) (ici et plus loin, ce juge est cité d'après Wimsatt J.N. Ibid.).
1145
Au sens de la détention telle qu'elle doit être.
1146
Wimsatt J.N., Ibid, р. 1229-1230.
412

qu’il leur appartient de déterminer, dans leurs décisions, quelle doit être une telle
administration et quelles sont les restrictions justifiées. Ce cercle vicieux offre un vaste champ
aux abus tant de la part de l'autorité pénitentiaire que de la part des juridictions.

Cette idée est plutôt utilisée dans la doctrine et rarement appliquée dans la
jurisprudence. Toutefois, elle a été utilisée directement dans des affaires concernant la
ségrégation raciale (qui n’était pas justifiée pour cette raison)1147 et l’exercise des droits de la
défense1148.

3.2.2.7.2 Norme de contrôle rigoureux (strict scrutiny standard)

Ce test "plus sévère" des restrictions des droits est utilisé dans certaines catégories
d'affaires. Il diffère des normes fondées sur la rationalité, qui comptent en leur nombre le test
de Turner. La doctrine désigne cette norme comme "dure en théorie et fatale en réalité"1149,
car la plupart des restrictions sont qualifiées de non justifiées d'après ce test, bien que la
statistique démontre des tendances contraires aussi1150.

Les juges américains emploient ce test dans deux contextes: lorsque l'affaire porte sur
les droits constitutionnels fondamentaux1151, surtout ceux contenus dans la Déclaration des
droits (Bill of Rights) et ceux qui concernent la norme du procès équitable (due process
clause) ou celle relative à la liberté (liberty clause) du 14e amendement ou encore lorsqu'il
s'agit de pratiques discriminatoires, telles que la ségrégation raciale. En effet, ce test a été
appliqué aux détenus dans les cas de ségrégation raciale1152, ainsi que dans des cas particuliers
concernant les droits religieux1153.

Pour satisfaire ce test, il faut réunir trois composantes de la restriction légitime. Celle-

1147
Johnson v. California 543 U.S. 499 (2005)
1148
Cruz et al. v. Beto and Estelle, 77-1641 (5th Circuit, 1979).
1149
Gunther G., The Supreme Court, 1971 Term-Foreword: In Search of Evolving Doctrine on a
Changing Court: A Model for a Newer Equal Protection, Harvard Law Review, 1972, Vol. 86, p. 8.
1150
Winkler А., Fatal in Theory and Strict in Fact: An Empirical Analysis of Strict Scrutiny in the
Federal Courts, Vanderbilt Law Review, 2006, Vol. 59, p. 793-871.
1151
La restriction des droits fondamentaux est considérée comme critère principal pour
l'application de ce test. Voir plus en détail les catégories des affaires auxquelles ce test est appliqué à:
De Leo J., Administrative Law, New York, Cengage Learning, 2008, p. 182-185.
1152
Actuellement deux décisions seulement dans les affaires de ce type sont connues: Del Carmen
R., Ritter S., Witt B., Briefs of Leading Cases in Corrections. 5th ed., New York, Routledge, 2014, р.
65-67.
1153
Moustafa N., The Right to Free Exercise of Religion in Prisons: How Courts Should
Determine Sincerity of Religious Belief Under RLUIPA, Michigan Journal of Race and Law, 2014,
Vol. 20, Issue 1, p. 214-215.
413

ci doit être: а) Justifiée par un intérêt gouvernemental pertinent1154; b) Être formulée le plus
limitativement (angl. « narrowly ») possible; c) Constituer une mesure restrictive minimale
pour atteindre l'intérêt (le but), c'est-à-dire qu'il ne doit pas y avoir de mesures moins
restrictives permettant d’atteindre le même intérêt (but). La doctrine dit que le troisième
facteur se rapporte au second, bien que les juges les évaluent séparément.

La différence de ce test par rapport aux "tests rationnels" de Turner et de Martinez


consiste, notamment, en ce que la charge de la preuve du bien-fondé de la restriction incombe
à l'État. Quant à sa particularité principale, malgré la ressemblance notable de cette norme aux
tests rationnels, elle réside en ce que la décision de l'employer signifie que le juge est
beaucoup moins favorable aux politiques pénitentiaires. La décision du juge d'y avoir recours
signifie donc de toute évidence que le caractère non justifié de la restriction en cause sera
retenu. Par ailleurs, les spécialistes américains s'accordent à dire que, même lorsqu’il s'agit de
limitation de droits fondamentaux des détenus (ce qui devrait signifier en théorie l'application
de la norme de contrôle rigoureux), le test de contrôle rigoureux n'est pas utilisé, sauf dans de
rares exceptions1155.

Une analyse plus poussée des exemples de justification d'autres droits des détenus
serait très volumineuse et inutile compte tenu de l’ampleur des publications détaillées par des
spécialistes américains sur la question1156. Notons seulement que notre étude de la
jurisprudence américaine montre que les affaires concernant les autres droits des détenus,
comme, par exemple, celui à la vie privée, sont examinés par les juges au regard de la norme
élaborée dans l'arrêt Turner.

1154
La définition d'un tel intérêt n'est pas bien précise. Il devrait être pour le moins quelque chose
de fondamentalement important et non simplement "souhaitable".
1155
Boston J., Manville D.E., Prisoners' Self-help Litigation Manual, New York, Oxford
University Press, 2010, p. 413.
1156
Voi notamment l’ouvrage volumineux de J. Palmer supra.
414

Conclusion du chapitre 3.2

Les juridictions américaines ont joué un rôle majeur dans la mise en place de la norme
de limitation des droits des détenus et de la réforme pénitentiaire en général. Ces juridictions
comptent parmi les premières au monde à formuler la norme selon laquelle "les détenus
conservent tous les droits du citoyen ordinaire à l'exception de…"1157. Ceci se produisit
malgré l'utilisation pendant longtemps (depuis le XIXème siècle et jusque dans les années
1960) de la doctrine de non-intervention dans le fonctionnement des établissements
correctionnels (hands off approach), puisque le détenu était alors considéré comme "esclave
de l'État".

Les normes de restrictions étaient élaborées essentiellement à la lumière des recours


des détenus contre la violation de la Constitution américaine. L'application de la défense
constitutionnelle aux droits des personnes privées de liberté peut être appréciée comme un
facteur clef de l’impulsion au développement de ces normes. La défense en justice a été
utilisée d'une manière si intense que certains fonctionnaires ont comparé les prisons à des
cabinets juridiques.

Deux normes de restrictions sont devenues essentielles pour le domaine pénitentiaire:


le test de Martinez et le test de Turner (désignés ainsi d'après les noms des parties aux procès).

Bien que fondés sur la doctrine de la proportionnalité, ces deux tests en diffèrent
sensiblement. Le test plus ancien, Martinez, était très exigeant, parce qu'il imposait à
l'administration pénitentiaire de prouver la nécessité de la restriction appliquée et
l'impossibilité d'user de mesures moins restrictives pour atteindre les mêmes buts. Le test de
Turner avait vocation de faciliter le travail des personnels pénitentiaires; en fait il suffisait,
d'après ce test, de prouver que la restriction appliquée visait un objectif légitime (celui de
sécurité généralement)1158, alors que l'exigence de proportionnalité était nivelée. Son
interprétation était déformée dans un sens répressif, ce qui est confirmé par les publications
relatives aux arrêts analysés dans le présent chapitre. C'est ainsi que l'on traite de régressives
les approches des juges à l'égard de l'interprétation de la condition de minimalité de la
restriction allant jusqu'à nier totalement sa nécessité, contrairement à l'avis concret figurant
dans l'arrêt Turner. De la même manière, la condition tenant à l’existence de moyens
alternatifs d'exercice d'un droit est interprétée essentiellement en faveur de l'autorité

1157
Coffin v. Reichard 143 F.2d 443 (6th Cir. 1944).
1158
Le test de Martinez exigeait de démontrer non seulement le lien mais aussi la manière dont la
restriction arriverait au but visé.
415

pénitentiaire.

En complément des décisions variées, parfois antagoniques, relatives aux restrictions


de droits, les tribunaux des États-Unis se réfèrent à la théorie selon laquelle la jurisprudence
devrait faire preuve de déférence vis-à-vis de la position de l'administration pénitentiaire. Une
telle "déférence" de la part des juges est exigée en raison de l'idée selon laquelle le personnel
pénitentiaire "sait mieux" ce qui est sans danger et légitime et ce qui ne l'est pas". La Cour
suprême reconnaît que la Constitution autorise des restrictions plus importantes des droits de
l'homme en prison qu'elle ne l'autorise ailleurs. L'exigence de bienveillance ou de respect à
l'égard des décisions de l'administration pénitentiaire s’est transformée avec le temps en une
doctrine puissance utilisée par les juges. Cette doctrine est particulièrement dangereuse, car
elle nivelle la valeur du droit dans la justification des restrictions des droits tout en portant
atteinte au principe de séparation des pouvoirs, en ruinant ainsi le système de freins et
contrepoids.

L'utilisation du test de Turner est chose fréquente dans les affaires relatives aux
restrictions des droits des détenus. Toutefois, les juges font appel à une norme plus dure dans
certaines catégories d'affaires. Cela se produit lorsque les affaires portent sur les droits
fondamentaux, notamment les affaires relatives à la ségrégation raciale, à certains droits
religieux et autres. D'autre part, ils se servent parfois de la théorie dite de la "détention
correcte", qui joue finalement en faveur de l'autorité pénitentiaire.
416

3.3. Grande-Bretagne
3.3.1. Doctrine et jurisprudence

La question de l'étendue des limitations des droits des détenus est en rapport direct
avec la détermination des caractéristiques essentielles de la punition et de la puissance de la
répression pénale de l'État. C'est sous cet angle que la question donnée a été soulevée en
Grande-Bretagne avec les premières tendances humanistes qui ont porté sur le domaine des
châtiments et du droit pénal.

Ainsi que le fait noter le professeur Julius Stone, un premier ensemble de réformes a
été réalisé en conformité avec les idées allant depuis Montesquieu et Beccaria à Bentham. Ces
réformes ont porté sur le droit pénal et l'administration et elles ont eu pour résultat la
diminution de la "souffrance inutile" causée par la répression pénale au sens qui lui donne
Jeremy Bentham1159. Celui-ci a défendu l'idée selon laquelle les châtiments devaient avoir
pour propriété la "modération", ce qui exige de limiter la souffrance inutile, c'est-à-dire "ne
pas la rendre plus grande que nécessaire"1160.

Un autre penseur anglais, John Howard, jouit de la réputation de père de la réforme


pénitentiaire, non seulement en Grande-Bretagne, mais dans le monde entier. L'un des
principaux objets de son inquiétude, qui bénéficia d'une attention méritée à l'époque, portait
sur la dureté excessive des conditions et des pratiques pénitentiaires en vigueur en Angleterre,
au Pays de Galles et dans d’autres pays. Il s'intéressait, notamment, à la limitation de certains
droits. Il condamnait, par exemple, la pratique de port de lourdes chaînes, la surpopulation, la
mauvaise construction des établissements pénitentiaires, qui était à la source des mauvaises
conditions de détention, le paiement exigé pour certains service et l'absence de la
rémunération appropriée du personnel1161. De manière plus générale, il était préoccupé par les
conditions de détention et le régime appliqué1162.

1159
In: Valson M.C., Rights of the Prisoner: An Evolving Jurisprudence, Thesis submitted for the
award of the degree of Doctor of Philosophy, Cochin: Cochin University of Science and Technology,
1994, p. 25.
1160
In: Тепляшин П.В. Истоки и развитие английского тюрьмоведения: Монография. –
Красноярск: Сибирский юридический институт МВД России. 2005. – С. 69 (Tepliachine P.V.,
Sources et développement de la science pénitentiaire anglaise. Monographie, Krasnoyarsk, Institut
juridique sibérien du MI de la Russie, 2005, p. 69) ; Easton S., Ibid, p. 6.
1161
Howard J., State of the Prisons in England and Wales with Preliminary Observation, and an
Account of Some Foreign Prisons, Warrington, William Eyres, 1777, p. 25-58.
1162
Vander Beken T., The Role of Prison in Europe : Travelling in the Footsteps of John Howard,
London, Palgrave Macmillan, 2016, p. 21.
417

Malgré les germes précoces de l’humanisation des établissements pénitentiaires, les


juges britanniques ont longtemps peu considéré le détenu comme un sujet de droit à part
entière et ne se sont pas risqués à intervenir dans les affaires pénitentiaires. Ce n'est qu'avec le
temps, sous l'influence des développements survenus dans la jurisprudence américaine et du
mouvement américain pour les droits des détenus, que les juridictions ont commencé à jouer
un rôle actif dans la défense des droits contre les restrictions non justifiées dans le domaine
pénitentiaire1163. Cela s’est produit au cours de la seconde moitié du XXème siècle. Jusque-là,
le détenu était souvent limité dans sa capacité juridique et ne pouvait pas agir en tant que
demandeur en justice cherchant à défendre ses droits.

Le patrimoine théorique de ce pays continue toujours de soutenir la minimisation des


limitations des droits des détenus, du rapprochement maximal du statut juridique des détenus
d'avec celui des citoyens libres. Ces tendances se manifestent contrairement à une opinion
publique plus punitive1164.

Par ailleurs, certains spécialistes britanniques vont plus loin en reconnaissant que les
détenus nécessitent, dans certains cas, des droits plus amples que les citoyens libres. Steve
Foster écrit notamment: "Le détenu peut réclamer un droit plus large que les autres en
argumentant que sa détention par l'État exige que la loi et le système lui accordent des droits
plus nombreux que ceux sur lesquels il peut compter en liberté, et ce en raison du statut
dépendant de détenu et de sa vulnérabilité par rapport à l'administration pénitentiaire" 1165. Des
idées semblables sont énoncées à propos des droits spécifiques des détenus1166. En effet, les
détenus placés dans les établissements d'exécution des peines jouissent souvent de droits que
ne possèdent pas les citoyens qui ne purgent pas une peine ou bénéficient d'une étendue plus
large de droits. Il s'agit, notamment, de repas gratuits, de vêtements et de services quotidiens.
Il serait difficile d'imaginer l'absence de ces droits chez les détenus, puisqu'ils nécessitent des
possibilités supplémentaires assurées par l'État en rapport direct avec la situation des détenus.

Des spécialistes britanniques n'en concluent pas moins à la domination, dans leur pays,
d'une approche régressive à l'égard des droits des détenus, le niveau de contrainte justifié par

1163
Valson M.C., Ibid, p. 21-27.
1164
Le gouvernement britannique utilise l'argument d'opinion publique pour justifier certaines
restrictions des droits des détenus même devant la CEDH qui est critique vis-à-vis de cet argument
(Snacken S., Legitimacy of Penal Policies: Punishment Between Normative and Empirical
Legitimacy, Legitimacy and Compliance in Criminal Justice, Ed. by A. Crawford and A. Hucklesby,
Abingdon, Routledge, 2013, р. 55-56).
1165
Foster S., Human Rights and Civil Liberties: 2008 and 2009. 2nd ed., New York: Oxford
University Press, 2008, p.168.
1166
Voir au 1.2.1.4 "Consécration du droit subjectif spécifique des détenus en tant que forme de
limitation du droit".
418

la peine privative de liberté étant beaucoup plus accablant au Royaume-Uni que dans d'autres
pays d'Europe1167.

Les théoriciens britanniques estiment que les droits des détenus (et par conséquent
leurs restrictions) peuvent être justifiés à partir de plusieurs positions. Premièrement, la
dignité intrinsèque propre à chaque individu exige qu'il soit traité avec dignité et respect,
indépendamment de son passé, les détenus devant donc bénéficier de droits fondamentaux
malgré leur détention. Deuxièmement, la défense des droits des détenus peut être justifiée en
référence à la suprématie du droit, ce qui exige des autorités pénitentiaires qu’elles justifient
leur pouvoir par des normes réglementaires précises et équitables, les fonctionnaires
concernés devant répondre légalement de l'utilisation illégitime de leurs pouvoirs. Ce motif
peut servir de justification à la nécessité d'un recours juste contre leurs actions.
Troisièmement, la défense des droits des détenus peut servir un grand nombre de buts de la
peine tels que la réhabilitation des condamnés1168.

Ces dispositions se fondent sur les normes élaborées par les juridictions britanniques.
C'est donc la vision qu’ont les juges des limitations des droits des détenus qui a jeté les bases
de la politique pénitentiaire en matière de droits de l'homme. Pourtant, les juges se saisissaient
à contrecœur des questions touchant aux considérations opérationnelles des administrations
pénitentiaires et ils cherchent toujours à accorder les intérêts institutionnels avec les droits des
détenus1169. Ils reconnaissent le droit du service pénitentiaire de formuler la politique qui tient
compte de la bonne administration des prisons et de la protection de la société, tout en
soulignant qu'une telle politique ne devait pas s'appliquer automatiquement (sous forme de
blanc seing), sans un examen approprié dans les affaires individuelles1170. C'est-à-dire que,
tout comme aux États-Unis, les juges limitent leur rôle eu regard au problème de leur propre
compétence dans les questions de la vie carcérale.

Les personnes détenues en Grande-Bretagne peuvent introduire des recours auprès de


la Cour administrative, en se fondant sur quatre motifs: l’illégitimité de la restriction ; le
caractère non rationnel (non raisonnable) de la restriction ; le caractère irrégulier de la
procédure ; et la non-conformité de la restriction à la Convention européenne (le quatrième

1167
Livingstone S., Owen T., Macdonald A., Prison Law. Third Edition, Oxford, Oxford
University Press, 2003 (cité dans: Codd H. Policing Procreation: Prisoners, Artificial Insemination and
the Law, Genomics, Society and Policy 2006, Vol.2, n° 1, p. 113).
1168
Foster S., Human rights and civil liberties, Ibid, p. 169.
1169
Easton S., Ibid, р. 30, 48.
1170
Ibid, p. 33.
419

motif fut introduit avec l’entrée en vigueur de l'Acte des droits de l'homme en 1998 1171). L’on
considère qu'il faut déterminer si la restriction du droit du détenu était nécessaire et
proportionné, le test de proportionnalité étant plus sérieux que le simple établissement du
bien-fondé de la décision destinée à appliquer la restriction 1172. L'application de restrictions
non fondées constitue un motif clair pour un recours à la justice dans ce pays.

L'un des jugements les plus connus pour la théorie des restrictions dans ce pays a été
rendu au sujet de l'affaire Raymond v. Honey1173 où la Cour a statué sur le fait que les détenus
conservaient tous les droits civils qui n'avaient pas été retirés explicitement ou de manière
nécessaire par la loi1174. Cette formulation concernant les droits des détenus est considérée
comme classique1175.

C'est justement ce jugement qu'évoquent les théoriciens qui se demandent jusqu'où


doivent aller les restrictions à la liberté et à la libre circulation1176. Cependant, malgré le
principe clairement formulé soulignant que la restriction ne peut être appliquée que si elle
découle nécessairement de la loi, la littérature juridique et les jugements rendus en offrent des
interprétations larges. Cette formule accorde une très grande marge d'appréciation à l'autorité
pénitentiaire, du fait de l'emploi de la condition " de manière nécessaire " qui laisse libre cours
à une interprétation trop discrétionnaire en pratique1177. Bien que ce "concept potentiellement
élastique" prévoit que les détenus ne soient privés que des droits ayant un rapport spécifique
avec la nature et le fonctionnement légal de la détention1178, il exige une interprétation
spéciale1179.

Dans un autre arrêt, devenu aussi une référence dans le domaine des droits des

1171
Leech M., The Prisons Handbook 2007: The Definitive 800 Page Annual Guide to Prisons in
England and Wales, London, Prisons.Org.Uk Ltd, 2006, p. 520.
1172
Ibid, p. 521.
1173
Raymond v. Honey [1982] AC 1.
1174
L'origine de cette formulation, devenue célèbre au Royaume Uni, peut être trouvée dans la
jurisprudence américaine. L'arrêt Coffin v. Reichard 1944 contient pratiquement la même phrase
(Coffin v. Reichard, 143 F.2d 443 (6th Cir. 1944)). D'après S. Easton, cet arrêt anticipa celui rendu
dans l'affaire Raymond (Easton S., Ibid, p. 36).
1175
Van Zyl Smit D., Prisoners’ Rights, Handbook on prisons. Ed by Jewkes Y., Cullompton,
Willan publishing, 2007, p. 569.
1176
Coyle A., What are Prisons For? What is Their Contribution to Public Safety and Security? ,
Rethinking Crime and Punishment, 2012, n° 5, p. 3.
1177
Eady D., Prisoners' Rights Since the Woolf Report: Progress or Procrastination? , The
Howard Journal, 2007, Vol 46.3, p. 266 ; Easton S., Ibid, p. 29.
1178
Scott D., The Politics of Prisoner Legal Rights, The Howard Journal, 2013, n° 52.3, p. 239-
240.
1179
Bottoms A., Hay W., Sparks R., Prisons and the Problem of Order, Oxford, Oxford
University Press, 1996, p. 311.
420

détenus1180, la cour signifie que le droit ne peut être limité " de manière nécessaire " que s'il
existe pour ceci un but urgent ou s'il est le moins nécessaire pour atteindre le besoin visé. En
plus, en résolvant la question de savoir si la restriction découlait " de manière nécessaire ", il
convient d'établir si un besoin effectif urgent avait lieu et s'il ne nécessitait pas d'être justifié.
Dès lors qu'un tel besoin est constaté, l'intervention dans le droit doit être "la moins nécessaire
pour assurer la satisfaction de ce besoin"1181. Or, une telle norme conduit à une étendue trop
grande de la marge d'appréciation1182. Bien que l’expression " de manière nécessaire " prévoit
l'application de la norme de proportionnalité en accord avec la jurisprudence des juges
anglais, son sens reste peu précis.

Le grand nombre de jugements statuant sur la restriction non justifiée des droits des
détenus, rendus tant au niveau national qu'international (CEDH), a obligé le Royaume-Uni à
élaborer des normes intelligibles de restriction des droits des détenus. Pour mettre en place
une restriction, il ne suffit pas d'avoir seulement une autorisation légale, car toutes les
restrictions de droits doivent être justifiées par l'autorité qui les applique1183. Ainsi que le
notent les juristes britanniques, il existe une conception claire selon laquelle toute restriction
des droits des détenus demande à être vérifiée au moyen du test de proportionnalité: la
restriction donnée est-elle appliquée dans un but légitime (sécurité, ordre, etc.)? Cette
restriction représente-t-elle le minimum nécessaire permettant d’atteindre le but recherché? La
mise en œuvre d'une telle norme traduit-elle des progrès notables sur le thème des droits des
détenus par rapport aux temps où ils n'étaient même pas considérés comme devant être
justifiés1184. Bien plus, depuis quelque temps, les juges manifestent la volonté de mettre en
doute les restrictions automatiques applicables aux détenus1185, mais lorsque l'autorité
pénitentiaire arrive à prouver la nécessité de ces restrictions pour les besoins de sécurité et de
contrôle, les juges soutiennent, comme auparavant, les pratiques excessivement
répressives1186.

Le Lord Bingham a souligné, dans quelques arrêts, l'importance de la justification des


restrictions des droits des détenus. Il a admis que les détenus perdaient nécessairement un

1180
R v. Secretary of State for the Home Department ex parte Leech (No. 2).
1181
Livingstone S., Owen T., Macdonald A., Prison law. 4th ed., New York, Oxford University
Press, 2008, p. 22.
1182
Easton S., Ibid, p. 29.
1183
Livingstone S., Owen T., Macdonald A., Ibid, p. 23.
1184
Livingstone S., Owen T., Macdonald A., Ibid, p. 24.
1185
L'application des restrictions automatiques faisait l'objet de critiques à l'gard du Royaume Uni
de la part de la CEDH (voir arrêts Dickson v. the UK, Hirst v. the UK. No. 2).
1186
Scott D., The Politics of Prisoner Legal Rights, The Howard Journal, 2013, n°. 3, Vol 52, p.
248.
421

certain volume de leurs droits du fait de l'incarcération. Ceci étant, il était reconnu également
que la personne continuait à conserver des droits dont certains revêtaient une importance
particulière résultant de la perte partielle d'autres droits. Ce sont notamment le droit d'accès à
la justice, à l'assistance juridique, ainsi qu’aux visites confidentielles de la personne assurant
l'assistance juridique. C'est la raison pour laquelle les restrictions de ces droits ne sont
admissibles qu'avec des formulations précises et, pour autant que ceci représente une
nécessité justifiée pour atteindre les buts d'intervention dans le droit1187.

Notre critique de l'idée des restrictions de fait, c'est-à-dire des restrictions qui
découlent de l'incarcération, est appuyée par l'expérience britannique. Des débats sont menés
en Grande-Bretagne à propos des limites de l'influence objective de la détention sur les droits
de l'homme pour déterminer jusqu'où peut s'étendre cette influence et le nombre et l'ampleur
des restrictions qu'elle est susceptible de produire. Ces tendances sont très bien reflétées par
les travaux concernant la limitation du droit des détenus à fonder une famille et, en particulier,
du droit à l'insémination artificielle1188. Toutefois, le problème des restrictions de fait garde
également son actualité à un niveau plus général.

Helen Codd écrit, par exemple, que l'emprisonnement change ou restreint certains
droits des détenus, mais il est incontestable, par ailleurs, que l'emprisonnement n'entraîne pas
automatiquement la perte de tous les droits quand les portes de la prison sont franchies. Elle
observe que le principe déjà formulé dans l'arrêt Raymond v. Honey, dès 1982, visant à ce que
les détenus conservent tous les droits civils qui ne soient pas limités directement ou
indirectement, a été réaffirmé par la suite et garde la même importance et la même actualité
qu'en 19821189.

Codd exprime une idée importante basée sur la position prise dans l'affaire Mellor1190.
La thèse selon laquelle les restrictions seraient un effet nécessaire de l'emprisonnement peut
être mise en doute dans le cas de restrictions disproportionnées1191. Cette conclusion résulte
logiquement des débats continus visant à déterminer ce qui est la restriction dérivant de
l'emprisonnement, mais elle résulte également du fait que la constatation de ces restrictions
dépend totalement de leur perception individuelle et de l'absence de la possibilité d'élaborer

1187
R (Daly) v. Home Secretary [2001] 2 AC 532.
1188
Le Royaume Uni est connu pour avoir donné à l'Europe l'arrêt dans l'affaire Dickson qui fixe
nombre de positions de la Cour à l'égard des drois des détenus. La Cour y constate la violation de la
Convention par l'interdiction faite au détenu de pratiquer l'insémination artificielle.
1189
Codd H., Ibid, p. 112-113.
1190
The Queen on the Application of Mellor v. Secretary of State for the Home Department, 3
WLR 533 (2001).
1191
Codd H., Prisoners’ Families: Issues in Law and Policy, Amicus Curiae, 2004, Issue 55, p. 4.
422

des critères convenables pouvant aider à résoudre ce problème.

La valeur de la norme de proportionnalité dans ce pays prime sur l'idée de restrictions


de fait. C'est donc cette norme qui est appliquée généralement dans les décisions portant sur
les restrictions des droits des détenus.

L'une des décisions de principe des juridictions britanniques en matière de restrictions


des droits des détenus fut prise dans l'affaire Daly. Ce dernier se plaignait qu'il lui avait été
interdit d'assister à la perquisition de sa cellule, ce qui avait permis aux surveillants de lire son
courrier destiné à son défenseur. Outre les visa de principe posés dans cette affaire en vue de
décisions futures pouvant survenir en ce domaine, la Cour a déterminé le rapport des
approches des juges nationaux avec la sienne à l'égard de la justification des restrictions.
L'idée maîtresse de tous les jugements tient au clef dans la détermination de l'admissibilité des
restrictions des droits des détenus, de l’analyse de la proportionnalité de la restriction, encore
que cette analyse soit quelque peu différente de celle de la CEDH.

S'agissant de la justification de la restriction dans l’espèce précitée, la question


principale était de savoir si cette restriction était nécessaire pour le maintien de la sécurité, de
l'ordre ou de la discipline dans la prison ou pour prévenir des infractions. L'administration
insistait sur le fait que l'absence du détenu pendant la perquisition opérée dans sa cellule était
nécessaire pour deux raisons: il aurait pu empêcher la procédure normale de perquisition et
connaître les méthodes des perquisitions afin d'en profiter à l'avenir. Néanmoins, les Lords
furent unanimes pour conclure à l'illégalité de cette restriction en argumentant que
l'intervention dans le droit des détenus était plus sévère que nécessaire pour atteindre les buts
légitimes visés. Il était observé aussi que plus forte était l'ingérence dans le droit et plus
étoffée devrait être la justification de sa nécessité pour que le juge puisse le reconnaitre
comme légitime1192. Cet arrêt se place au nombre de ceux qui ont influé sur la conception de
la doctrine de la proportionnalité par la jurisprudence britannique et qui ont servi à mettre en
oeuvre l'analyse de la proportionnalité à la place de l'ancienne doctrine de non-justification ou
d'irrationalité en tant que motif pour examen en justice1193.

Avec le temps, il est possible de voir une application de plus en plus large de
l'approche de la proportionnalité telle qu’elle s’est développée dans la jurisprudence de la
CEDH. Après l'adoption en 1998 d'un texte intitulé Human Rights Act, les juridictions
britanniques se sont davantage servi des approches élaborées par la jurisprudence européenne

1192
Secretary of State For The Home Department, Ex Parte Daly, R v. [2001] UKHL 26.
1193
Bailey S. H., Cases, Materials and Commentary on Administrative Law. 4th ed., London,
Sweet & Maxwell, 2005, p. 347.
423

pour résoudre les affaires relatives aux restrictions des droits des détenus. Cela étant, l’on
considère que les jugements des juridictions anglaises concernant les restrictions des droits
des détenus diffèrent souvent de la jurisprudence de la CEDH malgré l'existence de normes
assez pertinentes en la matière1194. Dans tous les cas, le Human Rights Act devait contribuer à
ce que les droits des détenus ne fussent plus limités du fait de leur incarcération. La
jurisprudence qui s'était formée avant l'entrée en vigueur dudit texte montrait que les
personnes soumises à une peine perdaient, de ce fait, certains droits, ce qui ne correspondait
pas à la jurisprudence de la CEDH.

Un exemple édifiant vient de l'arrêt Simms portant sur la limitation du droit du détenu
à recevoir les visites des journalistes. Cet arrêt a élaboré une norme particulière qui devait
provoquer des débats parmi les juristes anglais. La Cour signifiait notamment que la peine
privative de liberté visait à limiter les droits et libertés du détenu. Aussi, la liberté des détenus,
leur autonomie personnelle de même que la liberté de circulation et de communications
étaient-elles limitées1195. La Cour montrait ainsi que le détenu pouvait exercer tous droits dont
il aurait pu jouir en liberté, tant que ces droits étaient compatibles avec le maintien du bon
ordre et de la discipline en prison. La question était de savoir si la mesure donnée était
proportionnée au but spécifique de l'administration pénitentiaire1196. Dans le cas présent, la
théorie des restrictions de fait a pris le dessus sur l'évaluation du respect des exigences de
proportionnalité.

Il existe, par ailleurs, une autre approche dans l'interprétation de l'arrêt Simms. La
Chambre des Lords a constaté que "la limitation de la liberté d'expression fait partie de la
restriction de la liberté visée par la mise en réclusion". D'un autre côté, les spécialistes
estiment que la limitation des possibilités de contacter les journalistes "n'est pas proportionnée
au besoin social justifié par la détention". La question n'est pas donc de savoir si la restriction
est proportionnée au but de "maintien du bon ordre et de la discipline dans les prisons", mais
plutôt si elle était proportionnée à un objectif social plus large lié à la privation de liberté des
délinquants1197. Cela rappele notre thèse1198 selon laquelle les restrictions faisant partie de la
peine devraient suivre les buts de la punition.

1194
Foster S. Q & A Revision Guide: Human Rights and Civil Liberties 2012 and 2013. 4-th ed.,
New York, Oxford University Press, 2012, p. 129-132.
1195
Regina v. Secretary of State for the Home Department Ex Parte Simms (A.P.) (1999).
1196
Lazarus L., Contrasting Prisoners' Rights: A Comparative Examination of Germany and
England, New York, Oxford University Press, 2004, p. 236.
1197
Ibid, p. 235-236.
1198
Voir 2.2.1.2.2.1 « Harmonisation des buts des limitations à la lumière de divers textes
normatifs ».
424

Le Lord Philips argumentait, pour sa part, que l'arrêt Simms constatait que le degré de
limitation du droit à la liberté d'expression servait d'élément justifié de l'incarcération, non
seulement pour assurer le bon ordre en prison, mais aussi pour atteindre le but visé par la
privation de liberté. Il formula par ailleurs une autre idée importante relative à la justification
des restrictions faites aux détenus: "Les approches selon la jurisprudence de Strasbourg et
selon le droit national anglais sont les mêmes. Les effets de la peine privative de liberté sur
l'exercice des droits de l'homme sont justifiés s'ils ne sont pas disproportionnés par rapport au
but sous-tendant la mission du système pénitentiaire, qui est autant de punir que de prévenir.
Les effets étant disproportionnés, il convient de prendre des mesures spéciales pour alléger
l'effet normal de la restriction de liberté"1199. En reconnaissant l'application de la théorie de
restrictions de fait on établissait ainsi ses limites: la proportionnalité.

Liora Lazarus n'en voit pas moins dans cette approche une divergence par rapport au
test de proportionnalité des restrictions applicables aux détenus qui se fondait sur une
"intervention minimale". Le fait est que le principe de proportionnalité exige de justifier la
restriction au regard du but administratif spécifique, alors que le test proposé porte plutôt sur
l'évaluation de l'équilibre entre la restriction et le but social plus large de la punition de
l'individu. Selon Lazarus, une telle approche pouvait affecter gravement le statut juridique des
détenus d'après la Convention européenne1200.

Les normes relatives aux restrictions des droits des détenus élaborées par la
jurisprudence, ainsi que par la doctrine, ressemblent à celles qui avaient été intégrées dans la
législation de ce pays. C'est ainsi que les Règles pénitentiaires britanniques de 1999 prévoient
au 6.1 du chapitre intitulé "Maintien de l'ordre et de la discipline" que: "L'ordre et la
discipline doivent être maintenus fermement, mais sans que les contraintes excèdent ce qui est
nécessaire pour la sécurité de la détention et une vie communautaire bien organisée"1201. Ces
Règles comportent aussi des normes relatives aux limitations de la communication. La règle
34.1 précise notamment que le "Ministre de l'intérieur (Secretary of State) peut imposer, eu
égard au maintien de la discipline et du bon ordre ou à la prévention des infractions ou encore
aux intérêts de toute personne, des restrictions de la correspondance ou des visites entre les
détenus ou les autres personnes de manière générale ou sur un cas concret". Les spécialistes
observent que cela oblige les directeurs des prisons à prendre en compte les exigences de la
CEDH et de faire en sorte que toute restriction aux droits conventionnels des détenus soit

1199
R (Mellor) v Secretary of State for the Home Department [2001] 3 WLR 533 ; cité dans:
Lazarus L., Ibid, p. 237.
1200
Lazarus L., Ibid, p. 241.
1201
The Prison Rules 1999 (SI 1999 No 728).
425

nécessaire et proportionnée1202.

Le directeur de prison dispose du pouvoir discrétionnaire de limiter la liberté de


circulation au sein de l'établissement pénitentiaire: "Le directeur de prison peut ordonner de
limiter la circulation du détenu lorsque cela est nécessaire pour l'empêcher de se blesser lui-
même ou de blesser d'autres personnes, d'endommager des biens ou de provoquer des troubles
massifs" (règle 49.1).

La littérature juridique britannique évoque, par ailleurs, la souplesse en tant


qu'exigence vis-à-vis des restrictions. Citons, par exemple, la limitation bien connue du
nombre d'objets que le détenu purgeant sa peine en prison peut garder sur lui ou ce qu'on
appelle "la limitation d'espace". Le détenu n'était pas autorisé à garder plus d'objets que
peuvent contenir deux cartons de taille standard. Vu le manque de souplesse dans cette
contrainte, l'ombudsman pénitentiaire a plusieurs critiqué fois le Service pénitentiaire pour
son application1203.

La souplesse des restrictions exige leur individualisation, celle-ci demandant une


évaluation individuelle des risques, dont la nécessité est parfois soulignée dans les arrêts
rendus par les cours. Les juges britanniques ont, par exemple, critiqué l'enchaînement au
moyen de menottes dans une chambre d'hôpital, sans une évaluation individuelle des
risques1204. Les spécialistes britanniques précisent que la nécessité d'évaluer les risques reflète
les normes de la Cour européenne, qui ne soutiennent pas les approches sous forme de blanc
seing (automatiques) à l'égard des contraintes applicables à des groupes entiers de détenus1205.

Dans le même temps, l'idée de l'individualisation des restrictions fait partie de la


politique de motivation et de privilèges (IEP, Incentives and Earned Privileges policy) qui est
assez ambiguë tant du point de vue des droits de l'homme que du point de vue de son sens
pratique.

1202
Livingstone S., Owen T., Macdonald A., Prison law. 4th ed., New York, Oxford University
Press, 2008, p. 21.
1203
Loucks N., Prison Rules: A Working Guide. The Millennium edition, fully revised and
updated, London, Prison Reform Trust, 2000, p. 92.
1204
R (Graham) v Secretary of State for Justice (2007); R (Allen) v Secretary of State for Justice
(2008).
1205
Easton S., Ibid, p. 34; Livingstone S., Owen T., Macdonald A., Ibid, p. 321.
426

3.3.2. Politique de motivation et de privilèges

Cette politique a des racines profondes dans l'histoire anglaise, bien qu'elle ne soit
apparue au sens moderne que vers la fin du XXème siècle.

Le premier système détaillé de motivation et de privilèges fut développé par le


commandant de la colonie punitive de l'Île Norfolk, Alexander Maconochie. Il est connu aussi
comme "Système des notes" (marks system). Le système prévoyait pour les détenus,
moyennant un comportement exemplaire et un travail dur, la possibilité de progresser depuis
le régime initial qui imposait des restrictions maximales et la détention en isolement vers des
conditions améliorées avec possibilité de communiquer dans la journée et d'être finalement
libéré sous surveillance. Le système des notes eut une forte influence sur la réforme
pénitentiaire en Europe et aux États-Unis. Il subit des modifications avant de passer, en 1949,
à un système nouveau "de révision des niveaux du régime" qui rejeta la partie essentielle du
système des notes, tout en gardant son sens: la progression au cours de la détention. L'un des
exemples les plus connus de l'approche motivante des temps modernes est fourni par le
système de Borstal qui exista de 1906 à 19821206.

Sous son aspect actuel, la politique de motivation et de privilèges fut mise en œuvre en
1995. Elle eut pour objectif de motiver les détenus au travail, à un comportement responsable,
et en vue de la création d’un environnement plus discipliné et mieux contrôlé des détenus et
du personnel1207.

L'essence de cette politique diffère du système des notes, principalement par le fait
qu'elle se concentre, non pas sur le changement de régime, mais sur l'acquisition et la perte
par les détenus de droits spécifiques. Ce sont, par exemple, la permission de conserver une
somme d'argent, des visites complémentaires et améliorées, le port de leurs propres
vêtements, l'augmentation du temps passé hors de la cellule, l'usage de la télévision dans la
cellule, l'utilisation de jeux vidéo, etc. Ces droits peuvent être accordés ou retirés selon le
comportement et le travail du détenu. L'étendue de ces droits dépend du niveau attribué au
détenu: basique ; initial ; standard ; ou amélioré. Le niveau amélioré procure beaucoup plus de

1206
Liebling A., Bosworth M., Incentives in Prison Regimes: A Review of the Literature, Prison
Service Journal, 1994, n° 98, p. 58.
1207
Khan Z., An Exploration of Prisoners’ Perceptions of the Incentives and Earned Privileges
(IEP) Scheme: The Role of Legitimacy, Prison Service Journal, 2016, n° 227, p. 11.
427

privilèges que celui de base. Le tableau ci-dessous1208 présente les distinctions d'après
l'exemple de la disposition des sommes d'argent pouvant être dépensées par les détenus en
semaine1209:

Niveau Non condamnés Condamnés

Base £22.00 £4.00

Initial £35.00 £10.00

Standard £47.50 £15.50

Amélioré £51.00 £25.50

Il apparaît ainsi que, selon leur comportement, les détenus peuvent acquérir ou perdre
des droits en passant d'un niveau à un autre1210. Dans certains cas, ils bénéficient d'un niveau
de droits dit de base, invariable, lorsqu'ils ont droit à un nombre fixe de visites qui ne
pourraient pas être interdites totalement.

S'agissant de l'application des restrictions des droits, la différence principale et


l'inconvénient du système britannique par rapport à l'approche ordinairement pratiquée en
Europe, consiste en ce que l'approche européenne prévoit un nombre de droits (surtout les
droits aux contacts avec l'extérieur) qui sont garantis et ne doivent pas "être mérités". L’on
sait que lorsqu'un droit ne peut pas être accordé, il y a tendance à le remplacer par des
privilèges, ce qui rend imprécis le statut du détenu1211. Le système de privilèges britannique
comporte des restrictions dès le début, et, selon le comportement de l'individu, elles peuvent
être supprimées, alors que, dans le cas du système européen ordinaire, ces droits existent
initialement , les restrictions étant appliquées selon le comportement des détenus. Il y a ainsi

1208
Le tableau est inclus au 9.16 de l'Instruction du Service pénitentiaire relative à la motivation
et aux privileges acquis (Instruction on Incentives and Earned Priviliges) du 24 août 2015 (PSI
30/2013).
1209
Les sommes disponibles déterminent la possibilité et la durée des communications
téléphoniques autorisées.
1210
Il convient de remarquer comment le Service pénitentiaire fait la différence entre le système
disciplinaire et le système de privilèges: alors que le premier vise au "maintien de l'ordre et de la
discipline par application de sanctions pour des incidents", le second "se distingue par une tendance au
redressement, à une activité concrète et au bon comportement". Il peut y avoir ainsi des cas où le
comportement entraîne et l'application de sanctions et le changement du régime de privilèges (par. 8.1
de l'Instruction du Service pénitentiaire relative à la motivation et aux privilèges acquis du 24 août
2015 (PSI 30/2013).
1211
Vacheret M., Lemire G., Anatomie de la prison contemporaine. Deuxième édition, Montréal,
Les presses de l’Université de Montréal, 2007, p. 176.
428

deux approches opposées de la vision des restrictions des droits: motivation positive et
négative.

Le fonctionnement réel du système de privilèges a été étudié par les spécialistes


britanniques. Leurs études fournissent beaucoup d'arguments contre ce système, mais ils
n'invitent pas à le supprimer et à adopter l'approche ordinaire. Dans le système de privilèges,
le fait de "mériter" des droits est une chose qui va de soi. L'idée que les détenues ne méritent
pas des droits, mais qu'ils se moyennent selon un bon comportement est très ancrée dans
l'esprit des politiques et de la société britannique1212. Ainsi que le fait noter M. Herzog-Evans,
ils seraient à peine capables d'imaginer une approche différente1213.

Pourtant, le système suscite nombre de reproches, ses résultats pratiques étant


modestes ou totalement absents pour ne pas dire plus.

En 1994, Alison Liebling et Mary Bosworth de l'Institut de criminologie de


Cambridge, travaillant dans le cadre du Projet spécial du Service pénitentiaire, réalisèrent une
analyse des études portant sur les approches du régime basées sur la motivation. Les résultats
de leurs travaux furent réunis dans un rapport à la conclusion catégorique: le système de
motivation (et, partant, celui de privilèges – N.D.L.A.) était un échec1214. Ainsi qu'il ressort de
leur travail, l'une des causes principales de cet échec résidait dans la conception simpliste du
comportement humain dans le cadre du système de motivation, ainsi que dans l'absence de
buts précis du système. La conception simpliste du comportement humain se traduisait par
une surévaluation des possibilités de la théorie du choix rationnel1215, sur laquelle se fonde
directement le système de motivation. Selon les auteurs, les études montrèrent que les détenus
pouvaient réagir d'une manière plus complexe et moins attendue que ce que suppose la théorie
du choix rationnel, en raison de quoi les motivations pouvaient avoir des conséquences
paradoxales et inattendues. Dans ces conditions, l'approche simpliste pourrait même produire
en effet "de ricochet"1216 en donnant des résultats contraires.

En 1999, l'équipe de l'Institut de criminologie de Cambridge termina sa mission1217

1212
Easton S., Protecting Prisoners: the Impact of International Human Rights Law on the
Treatment of Prisoners in the United Kingdom, The Prison Journal, 2013, n° 93, p. 489.
1213
Correspondance personnelle avec la prof. M. Herzog-Evans (message électronique du
10.06.2014).
1214
Liebling A., Bosworth M. Incentives in Prison Regimes: A Review of the Literature, Prison
Service Journal, 1994, n° 98, p. 57, 63.
1215
Selon cette théorie, l'homme choisit le comportement social plus avantageux du point de vue
de ce qu'il préfère.
1216
Liebling A., Bosworth M., Ibid, p. 63.
1217
Les spécialistes furent sollicités officiellement par le Service pénitentiaire.
429

d'évaluation du fonctionnement pratique du nouveau Système de motivation et de privilèges


mis en œuvre en 1995. Leur rapport1218 avec ses principaux résultats1219 présentait les
conclusions essentielles suivantes:

- L'application du système de motivation et de privilèges était sensiblement différente


d'un établissement à l'autre. Des contradictions notables furent constatées entre les exigences
formelles relatives à son application et la pratique;

- Le système de motivation et de privilèges ne révéla d'amélioration dans aucun des


dix domaines étudiés1220. Bien plus, il fut constaté une baisse générale de l'évaluation par les
détenus de l'équité du personnel, de leurs rapports avec le personnel, de l'équité du régime, de
la cohérence du comportement, des progrès en prison. Il est à ajouter que les chercheurs
évaluaient non seulement la vision des progrès par les détenus, mais aussi des facteurs
objectifs. Ils constatèrent que l'information relative aux agressions et aux coups et blessures
causées par les détenus n’avait pas révélé d'améliorations sensibles;

- Le personnel pénitentiaire avait accueilli d'une manière très positive la mise en place
du système de motivation et de privilèges. De l'avis du personnel, c'était un instrument utile,
qui lui permettait de venir à bout des problèmes de détenus, sans y consacrer beaucoup de
temps. L'étude montra que le système de privilèges contribuait à améliorer la confiance en soi
du personnel et le contrôle, les détenus ayant moins de possibilités d'intimider le personnel.
La raison principale d'une telle attitude du personnel s'expliquait par le fait qu'il obtenait ainsi
beaucoup plus de pouvoir discrétionnaire qu'avant. Le même avis était partagé par les détenus
qui observaient un net accroissement du pouvoir du personnel1221. Par ailleurs, l'usage de ce
pouvoir était assez problématique du point de vue de son application équitable et de la
légitimité des décisions. Malgré le fait que les détenus considéraient le système de privilèges
lui-même comme équitable, sa mise en œuvre posait des problèmes de légitimité.

Dans l'ensemble, ainsi que le fit plus tard remarquer Liebling, l'analyse du système de

1218
An evaluation of incentives and earned privileges, an unpublished final report to the Prison
Service by Alison Liebling, Grant Muir, Gerry Rose and Anthony Bottoms (non-published).
1219
Incentives and earned privileges for prisoners - an evaluation. Alison Liebling, Grant Muir,
Gerry Rose and Anthony Bottoms. Home Office Research, Development and Statistics Directorate.
Research Findings, No. 87, 1999 (non-published).
1220
Évaluation du système par les détenus, leur auto-évaluation en termes du comportement et de
la perception de l'organisation du régime, des conditions de détention, des rapports avec le personnel,
de l'équité du personnel, de l'équité du régime, de la cohérence du et de l'intelligibilité du
comportement, des progrès en prison, de la participation aux actions sociales.
1221
Liebling А., Incentives and Earned Privileges Revisited: Fairness, Discretion, and the Quality
of Prison Life, Journal of Scandinavian Studies in Criminology and Crime Prevention, 2008, Vol. 9, p.
33.
430

motivation et de privilèges révéla ses nombreux inconvénients dans le comportement des


détenus et dans leur attitude vis-à-vis du personnel. Ce dernier se servait des règles de ce
système lorsqu'il ne parvenait pas à remplir ses missions au cours des contacts courants1222,
l'usage excessif de ces règles attestant généralement des rapports distancés et mauvais du
personnel avec les détenus et inversement1223.

Les conclusions de l'étude révèlent que la vision britannique spécifique de


l'individualisation des restrictions pêche par des défauts importants. Le principal d'entre eux
consiste en un pouvoir discrétionnaire excessif de l'administration pénitentiaire qui conduit les
détenus à appréhender le processus d'exécution de leur peine comme injuste. La mise en
œuvre de la possibilité de supprimer les privilèges engendre une mise à distance entre les
détenus et le personnel1224. Finalement, ces mécanismes ne contribuent pas à une bonne
organisation de l'ordre, sans parler du respect des droits de l'homme.

Cet avis est confirmé par une étude qualitative récente relative à l'appréhension par les
détenus du système de motivation et de privilèges1225. Son auteur illustre la délégitimation de
ce système en tant que conséquence des défauts de la justice procédurale sur ses deux aspects:
l'objectivité dans le traitement et le respect.

Mises à part quelques exceptions, les détenus rapportaient un pouvoir discrétionnaire


excessif de l'autorité pénitentiaire, l'abus de pouvoirs en matière de motivation et de privilèges
en tant qu'instrument de contrôle1226. Une telle appréhension révèle le caractère problématique
du système, qui est loin de favoriser une amélioration des rapports entre le personnel et les
détenus. Outre ceci, son influence sur la vie pénitentiaire est beaucoup plus importante qu'il
n'en ressort des règles pénitentiaires officielles1227.

Professeur Vander Beken, dans son livre sur un voyage contemporain dans les pays
visités par John Howard à son époque, critique le système britannique de motivation et
privilèges1228. Selon lui, dans ce système, l’égalité même des détenus peut être mise en cause.
La perte du bénéfice des conditions communesn’intervient pas suite à une sanction

1222
Ibid, p. 25.
1223
Ibid, p. 34.
1224
Liebling A., Prisons and Their Moral Performance: A Study of Values, Quality, and Prison
Life (assisted by Arnold H.), Oxford, Oxford University Press, 2004, p. 138.
1225
Khan Z., An Exploration of Prisoners’ Perceptions of the Incentives and Earned Privileges
(IEP) Scheme: The Role of Legitimacy, Prison Service Journal, 2016, n° 227, p. 11-16.
1226
Ibid, р. 14-16.
1227
Ibid, p. 16.
1228
Vander Beken T., The Role of Prison in Europe : Travelling in the Footsteps of John Howard,
London, Palgrave Macmillan, 2016, p. 28-29.
431

disciplinaire, comme on aurait pu le supposer, mais le régime favorable doit être mérité. Il est
même possible de reconnaitre quel est le statut (régime) du détenu d’après ses vêtements1229.

L'approche britannique des droits en tant que privilèges démontre ainsi un autre aspect
de l'individualisation des restrictions où le détenu dispose d'un minimum de droits qui pourrait
être élargi sous réserve de son comportement positif (« approche positive »). Par contre, la
compréhenstion de l'individualisation habituelle pour nous suppose que l'individu jouisse d'un
nombre large et standardisé de droits qui pourrait être restreint au cas où le détenu ferait
preuve d'un comportement négatif qui est confirmé par l'évaluation individuelle des risques
(« approche négative »).

Le détenu peut se voir accorder des droits supplémentaires, mais qui seraient rajoutés
au nombre minimal standardisé des droits1230. Ceci rappelle la thèse selon laquelle l'évaluation
des risques au cours de l'exécution de la peine pourrait entraîner des punitions encore plus
sévères pour les détenus déjà placés en situation désavantageuse1231. L'individualisation de
l'exécution de la peine et des restrictions peut donc être opérée de deux manières opposées.

Nous pouvons douter, par ailleurs, de l'approche « négative » citée, classique pour
l'Europe, qui peut souffrir de problèmes similaires à l’approche britannique « positive ». Le
fait pour le personnel de disposer d'une marge d'appréciation en matière de restriction des
droits suscitera toujours une indignation contre l'injustice. Reste alors à déterminer laquelle
des deux approches attribue le pouvoir discrétionnaire qui serait mieux appréhendé par les
détenus, laquelle d'entre elles est "plus légitime" à leurs yeux? La comparaison de ces deux
approches sous l'angle de la justice procédurale devrait faire l'objet d'études futures.

1229
Ibid, p. 29.
1230
L'existence d'un nombre de droits de base n'exclut pas pour autant l'application du système de
privilèges. Voir l'exemple d'une prison d'Australie: Rynne J., Protection of Prisoners’ Rights in
Аutralian Private Prisons, in Prisoners as citizens. Human rights in Australian prisons, ed. by D.
Brown and M. Wilkie, Leichhardt, The Federation Press, 2002, p. 135.
1231
Trotter C., Effective Work with Offenders, in Insertion et desistance des personnes placées
sous main de justice. Sous la direction de P. Mbanzoulou et M. Herzog-Evans et S. Courtine, Paris,
L’Harmattan, 2012, p. 117.
432

Conclusion du chapitre 3.3

Depuis l'époque de Jeremy Bentham, l'approche britannique à l'égard des restrictions


de droits a visé à la minimisation des effets négatifs de l'emprisonnement et de la répression
pénale. Néanmoins, les juges ne commencèrent à intervenir dans les affaires pénitentiaires
que sous l'influence de la montée du mouvement américain pour les droits des détenus dans
les années 1960-1970.

Les spécialistes britanniques du droit reconnaissent, pour la plupart, l'imperfection des


approches des droits des détenus en Grande-Bretagne. La minimisation des restrictions aux
droits n'est pas appréhendée sans ambiguïté tant par les pouvoirs publics que par l'opinion
publique.

La norme la plus connue dont usent les juges de ce pays a été formulée dans l'arrêt
Raymond v. Honey. La Cour y a signifié que les détenus conservaient tous les droits civils
dont ils n'avaient pas été privés expressément ou nécessairement du fait de l'emprisonnement.
La norme qui devait manifestement stimuler des progrès en matière de restriction des droits
subit des critiques pour son défaut de clarté. Elle sert de base habituelle à des jugements
rendus non en faveur des détenus, parce qu’elle fournit des fondements pour un pouvoir
discrétionnaire considérable des fonctionnaires pénitentiaires. L'idée des restrictions de fait
contenue dans cet arrêt a été critiquée pour son imprécision et son incommodité dans la
garantie du bien-fondé des restrictions.

Avec le temps, la jurisprudence s’est de de plus en plus tournée vers la norme de la


proportionnalité, essentiellement sous l'influence de la jurisprudence de la CEDH. La
législation a elle aussi subi des modifications en conséquence.

Le droit britannique révèle, d'autre part, une certaine influence de l'idée relative à la
nécessité de l'individualisation des restrictions en tant que fondement de leur justification.
Cette approche présente, cependant, une vision assez spécifique, qui ne se fonde pas sur les
normes de la CEDH en la matière, mais sur la tradition juridique nationale: l'application des
restrictions en tant qu'outil de motivation/contention du comportement des détenus. Les
détenus acquièrent et perdent des droits selon leur comportement, alors que
l'individualisation, au sens de la CEDH, ne suppose normalement que la limitation de droits
existants dont l’imposition ne saurait découler d'un comportement négatif. Souvent, les
restrictions des droits existent dès le début et l'individualisation se traduit alors par leur
suppression méritée en raison d'un comportement convenable. Les spécialistes ayant étudié ce
433

système, dénommé système de motivation et de privilèges, en arrivèrent à des conclusions


assez négatives à propos de son utilité.
434

3.4. Canada
3.4.1. Loi pénitentiaire

La Loi canadienne sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition


(LSCMLC), dénommée ci-après Loi, entra en vigueur en 1992. Elle était censée préciser les
normes prévues par la Charte canadienne des droits et libertés (1982)1232 aux fins de leur
application dans le domaine pénitentiaire1233. La Loi définit nombre de principes de
fonctionnement du service pénitentiaires dont une partie concerne directement la mise en
œuvre de restrictions de droits.

Cette partie a suscité, à maintes reprises, des débats animés dans les milieux d'experts
canadiens. Le service correctionnel du Canada a tenté à plusieurs reprises de modifier
certaines normes de restrictions de droits, figurant dans la loi, qui avaient été élaborées par la
jurisprudence et passent pour être un exemple de l'attitude libérale des juges à l'égard des
détenus. Malgré l'opposition des experts et de l'opinion publique, les normes ont toutefois été
réformées, mais d'une façon plus souple que ne l'exigeait le Service correctionnel. Le
processus de cette survie de la norme canadienne des restrictions n’a pas affecté son caractère
progressiste. Nous le devons, à notre avis, à la position ferme du public et aussi au fait que la
norme a été élaborée à partir des travaux des scientifiques et du Groupe de travail spécial dans
les années 1970-801234 pour être ensuite améliorée de manière importante par la jurisprudence.

3.4.1.1. Groupe de travail

Les idées du groupe de travail s'appuyaient sur une réduction du pouvoir de


l'administration pénitentiaire en matière de restrictions des droits des détenus. Les autorités

1232
La Charte canadienne des droits et libertés.
1233
Kerr L., Contesting Expertise in Prison Law, McGill Law Journal, Revue de droit de McGill,
2014, n° 60/1, p. 53.
1234
Il est à noter spécialement l'action du Groupe de travail qui travaillait sous les auspices du
Solliciteur général du Canada en 1986 - 1988 et comprenait des représentants du Service
correctionnel, de la Commission nationale à la mise en liberté sous condition et du Cabinet du
Ministère du Solliciteur général. Ces travaux servirent de base pour la future Loi sur le système
correctionnel. Voir sur les restrictions des droits les documents du Groupe de travail: Correctional
Law Review, Working Group, "Correctional Authority and Inmate Rights" [Working Paper No. 5],
Ottawa, Solicitor General of Canada, 1987.
435

pénitentiaires devaient justifier toutes les restrictions des droits et libertés des délinquants,
sauf la liberté de circulation. Il était considéré que l'incarcération, ainsi que la responsabilité
de l'établissement pour le maintien de la sécurité et d'une bonne organisation de
l'environnement, justifiait elle-même les interventions dans les droits ou les contraintes à
l'égard des délinquants qui pourraient être évités aux citoyens ordinaires. Cependant,
l'exigence fondamentale était que les restrictions concernées fussent justifiées par des
considérations nécessaires légitimes ou institutionnelles1235. Se référant aux conclusions de
l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Solosky v. the Queen1236, il fut admis que
les restrictions ne devaient pas être simplement justifiées, mais "manifestement justifiées".
Elles ne pouvaient pas être arbitraires et elles devaient constituer un effet nécessaire de la
peine privative de liberté1237.

La partie III "Énoncé d'objet et de principes pour le système correctionnel", du


Document de travail n° 1 intitulé "La philosophe correctionnelle", consacre un grand nombre
de principes relatifs aux restrictions des droits des détenus. Nous verrons, par la suite, que les
principes modernes qui concernent les limitations des droits des détenus et qui sont inclus
dans la Loi reflètent directement ceux qui ont été fixés dans le Document de travail n° 1. Dans
certains cas, les idées du Groupe de travail relatives aux principes de restriction des droits ont
été presque littéralement transcrites.

Dès le début du chapitre portant sur les principes, les auteurs du document laissent
entendre quels devraient être ces principes: "À partir de notre postulat que la détention est
punitive par sa nature même, quels doivent être les principes qui permettent de déterminer le
niveau de sanction requis?"1238. Il semble que, pour ces auteurs, l'incarcération reste une
limitation suffisante par nature.

Le Groupe de travail propose ensuite les principes suivants1239:

● " Les individus qui sont sous le coup d'une sentence conservent tous les droits
et privilèges des membres de la société, à l'exception de ceux qui leur sont retirés ou limités
du fait même de la détention. Ces droits et privilèges, de même que toute restriction qui les
affecte, doivent être exposés clairement et simplement dans la loi" (Principe 1). D'après les
auteurs, ce principe exerce une influence directe sur les pratiques des établissements. Les

1235
Correctional Law Review, Working Group, "Correctional Authority and Inmate Rights"
[Working Paper No. 5], Ibid, p. 26.
1236
Solosky v. The Queen, [1980] 1 S.C.R. 821.
1237
Correctional Law Review, Ibid, p. 32.
1238
Ibid, p. 32.
1239
Ibid, p. 32-35.
436

autorités pénitentiaires doivent examiner chaque restriction applicable au détenu pour


déterminer si elle est nécessaire à la protection de la société ou bien au bon fonctionnement et
à la sécurité de l'établissement et pas seulement pour satisfaire les besoins administratifs. Il
convient ainsi de prendre pour point de départ le fait que le délinquant conserve tous les droits
du citoyen normal, comme, par exemple, le droit d'aller et venir. Le principe 1 dispose que ce
droit ne pas être être limité davantage que nécessaire pour maintenir la sécurité dans
l'établissement, ainsi que pour la bonne administration du système correctionnel.

● "La peine se limite à la perte de liberté, à la restriction des déplacements ou à


toute autre mesure légale prescrite par le tribunal. Aucune peine supplémentaire ne doit être
imposée par les autorités carcérales à l'égard de l'infraction commise par un individu"
(principe 2). Les auteurs ont toutefois admis que ce principe peut faire obstacle aux pratiques
disciplinaires, ce qui les a contraints à introduire un principe complémentaire (principe 3)
énonçant que toute peine ou perte de liberté résultant d'une violation, par le détenu, des règles
de l'établissement doit être imposée conformément à la loi. Notons que l'idée maîtresse du
principe 2 consiste à réduire au minimum les restrictions non nécessaires.

● "Dans l'application de la peine, les mesures les moins restrictives doivent être
prises de manière à répondre aux exigences de la loi, tout en tenant compte de la nécessité
d'assurer la protection du public, ainsi que la sécurité et l'ordre dans l'établissement" (principe
4). Ce principe, pris avec les autres, a pour effet de faire peser sur les services correctionnels
le fardeau de la preuve des raisons pour lesquelles les conditions d'un milieu carcéral donné
ne doivent pas, dans l'ensemble ou à l'égard d'un détenu en particulier, se rapprocher des
conditions et des libertés dont jouit la société en général. S'il existe deux moyens d'atteindre le
même but, c'est le moyen le moins sévère qui doit alors être choisi.

Citons à titre d'illustration la situation dans laquelle, pour prévenir les évasions, le
détenu est obligé à se raser constamment, ceci étant nécessaire à l'identification à l'aide de la
photo qui est prise au moment de l'admission dans l'établissement. Or, il existe un autre
moyen: prendre la photo avec et sans poils au visage avant d'autoriser le port de la barbe ou de
la moustache. Le même principe peut s'appliquer à des questions plus importantes telles que
le choix du programme individuel de traitement et la détermination des conditions de mise en
liberté sous condition. Les auteurs reconnaissent la nécessité d'user du pouvoir
discrétionnaire, qui peut être aussi bien contraignant que nécessaire. Cependant, la condition
principale consiste à déterminer clairement les conditions d'utilisation des pouvoirs
discrétionnaires, ce qui peut être fait, en partie, en définissant avec précision les objectifs et
les principes de prise des décisions. Parmi les impératifs l’on trouve la bonne motivation des
437

décisions concernant les droits, ainsi que la possibilité, accordée aux personnes concernées,
de se prononcer à propos de telles décisions et celle du recours convenable auprès des
autorités compétentes.

Le Groupe de travail a attaché une importance particulière à ce que les restrictions


soient fixées par la loi et non par des normes réglementaires. Cet impératif était spécialement
souligné dans le contexte des limitations des droits prévues par la Charte, qui exigeait la
détermination des restrictions au niveau de la loi. Il a, d’autre part, été observé, que les
détenus devaient être informés des restrictions pouvant leur être légalement appliquées et
qu’ils devaient les comprendre. Cela concernait aussi leurs droits et devoirs, le personnel
devant connaître sa responsabilité et ses obligations, de même que l'étendue de ses propres
pouvoirs1240.

Un accent particulier a été mis sur les principes énoncés. Soulignons que le principe
selon lequel les détenus ne perdent pas "le droit d'avoir des droits" est reconnu par le droit
canadien. Le principe de conservation de droits par les détenus et celui de nécessité minimale
des restrictions ont été reconnus par la Cour suprême avant la Charte dans l'affaire R. v.
Solosky1241. Une idée importante pour la vision des droits repose sur le fait que ce n'est pas
l'exercice des droits, mais leurs restrictions, qui doivent être justifiées. Or, les restrictions
justifiées sont celles qui sont nécessaires à la réalisation de l'objectif correctionnel et qui sont
minimales1242. Dans le même temps, en déterminant l'ampleur des pouvoirs du personnel
carcéral, il convient de prendre en compte le fait que les droits et libertés des détenus ne
peuvent être limités que dans la mesure nécessaire pour garantir la sécurité et la santé des
personnes, ainsi que la sécurité de l'établissement. En outre, la conservation des droits est
indispensable pour atteindre l'objectif à long terme de réinsertion et de mode de vie
respectueux de la loi1243.

En ce qui concerne des droits particuliers, le Groupe de travail s'en est tenu aux idées
qu'il avait formulées dans les principes généraux des restrictions. Il s'agissait de faire en sorte
que les restrictions fussent minimales et qu'elles correspondissent raisonnablement aux
considérations de sécurité.

Un bon exemple est celui du droit à la correspondance écrite. S'appuyant sur


l'expérience positive étrangère en matière de suppression de la censure du courrier des

1240
Ibid, p. 187.
1241
R. v. Solosky [1980], 50 C.C.C. (2d) 495 (S.C.C.).
1242
Correctional Law Review, Ibid, p. 188.
1243
Ibid, p. 188-192.
438

détenus et en observant que le souci principal provenait, en pratique, non du contenu de la


correspondance, mais du contenu des enveloppes, les experts proposaient une approche assez
libérale vis-à-vis des limitations de ce droit. Il était proposé que les détenus puissent désigner
leur représentant pour suivre le contrôle de la correspondance, d'assister ainsi à la saisie
d'objets interdits et de lui permettre d'être témoin de la non-application de la lecture et de la
censure. Le courrier entrant pourrait être vérifié sans être lu. Le courrier à expédier pourrait
être envoyé en étant cacheté et ne devrait pas être ouvert en règle générale sauf s'il existait des
motifs justifiés de considérer que l'enveloppe contenait un objet susceptible de menacer la
sécurité publique ou représentait la preuve d'un délit. Le cas échéant, la lecture ne devait pas
plus être autorisée, et un représentant des détenus devrait être présent, l'expéditeur devant être
informé sur les motifs d'une telle restriction de son droit.

De même, les motifs devraient être notifiés en cas de limitation d'autres droits, tels que
le droit à l'information et, notamment, le droit de recevoir et de lire certains types de
publications1244. Cette dernière restriction n'était admissible que pour des motifs justifiés
proposés par les experts. L'introduction de publications dans l'établissement pouvait être
interdite lorsque: a) Elles contrevenaient à la législation régissant les publications; b) Elles
décrivaient des violences excessives et/ou des agressions qui pourraient inciter les détenus à
la violence; c) Elles contenaient des informations sur la fabrication d'armes ou la commission
d'actes criminels.

La vision des limitations du droit aux visites fut présentée d'une manière semblable. Il
fut proposé d'accorder à tous les détenus le droit de recevoir des visites des personnes qu'ils
souhaitent. Les visites pourraient être refusées ou suspendues, s'il existait des raisons
justifiées de penser que des motifs immédiats de sécurité l'exigeaient et que les restrictions
ordinaires aux modalités des visites ne pourraient pas prévenir le risque couru, lorsque le
détenu ou le visiteur se comportaient pendant la visite d'une façon qui contrevenait aux
normes de comportement convenable dans un lieu public. La surveillance des visites (y
compris en vidéo et écoute) ne serait permise que s'il y avait des signes de menace à la
sécurité de l'établissement et sur autorisation du directeur d'établissement. La règle générale
n'autoriserait pas non plus les cloisons pendant la visite, à l'exception des cas où un tel
obstacle serait nécessaire pour la sécurité de l'établissement ou des personnes et lorsque les
mesures moins contraignantes (par exemple la fouille) ne seraient pas suffisantes. Les motifs
de la restriction du droit aux visites devraient être communiqués au détenu concerné1245. Il

1244
Ibid, p. 248-249.
1245
Ibid, p. 254-255.
439

apparaît donc que les propositions mettaient surtout l'accent sur les aspects procéduraux de la
justification des restrictions. Ces propositions gardent leur actualité sur beaucoup de points,
des idées similaires étant suggérées dans des normes internationales (comme par exemple les
normes de limitation de droits du CPT du Conseil de l'Europe).

Le droit de réunion pouvait être limité pour des considérations de sécurité. La


restriction pouvait porter sur la désignation d'un observateur sélectionné parmi les employés
de l'établissement (les détenus pouvant être consultés, le cas échéant), ainsi que sur
l'interdiction de réunions. Le droit d'association des détenus pouvait être limité en interdisant
de s'associer à certains détenus en cas de menace à la sécurité de l'établissement, à la sécurité
publique ou si le détenu concerné abusait de son état de membre de l'organisation pour
atteindre des buts non compatibles avec la sécurité de l'établissement. Une telle restriction,
tout comme les cas décrits plus haut, devait être imposée par une décision motivée
communiquée au détenu, ce dernier pouvant faire valoir son point de vue1246.

La question de la régulation des limitations des droits religieux bénéficia d'une


approche encore plus prudente. Il était observé que ces droits ne pouvaient être limités qu'en
raison de "préoccupations immédiates et pressantes en ce qui concerne la sécurité de
l'établissement". La nécessité "pressante" servait de motif particulier pour donner des
garanties complémentaires à la justification des restrictions1247.

Les études du groupe de travail avaient ceci d’important, qu’il convenait non
seulement de fixer des droits, mais aussi d'établir l'ordre et le cadre de sa restriction avec
prudence. Le groupe de travail prêtait davantage attention aux modalités d'exercice du droit,
de même qu'aux motifs et à la procédure de sa limitation. C'est cet aspect-là qui procura à ce
texte son caractère raisonnable.

Les experts réussirent à élaborer aussi bien une approche généralisée à l'égard de la
restriction de tous les droits, que celle visant des droits particuliers et, ce, en dépit des
difficultés qu’il pouvait y avoir à prévoir les situations et problèmes concrets pouvant surgir
au cours de l'exercice de ces droits, surtout en ce qui concernait leur restriction et leur
équilibre avec les besoins institutionnels. Leur réalisation principale fut de se focaliser sur la
nature spécifique de chaque droit et de son exercice. Ceci permit de mieux adapter la clause
limitative à l'impératif spécifique de mise en équilibre du droit et des préoccupations de
sécurité et d'ordre.

1246
Ibid, p. 257-258.
1247
Ibid, p. 260-261.
440

Il convient d'insister, par ailleurs, sur la portée pratique de la détermination des


garanties en matière d'application de restrictions de droits. Relevons notamment l'obligation
de la communication écrite au détenu des motifs de la mesure restrictive le concernant, la
possibilité pour l'intéressé de faire valoir ses observations à propos de cette décision, de même
que l'accent mis sur les modalités de recours1248. Il est évident que le processus de limitation
des droits des détenus, malgré sa nature "conflictuelle", a plutôt été, pour les experts, une
question de concertation et non de confrontation. Ils ont clairement mis toutes ces garanties en
rapport avec les questions de la légitimité de la démarche décisionnelle en tant que gage de
l'ordre et de la sécurité dans l'établissement.

En analysant la législation pénitentiaire actuelle du Canada à la lumière des


propositions évoquées du groupe de travail, nous notons la forte influence de ses idées.
Nombre de ses propositions ont été transposées presque littéralement dans la Loi et dans son
Règlement d'application1249.

3.4.1.2. Limitations dans la Loi

Dès le début de l'analyse de la Loi, il convient de dégager le principe selon lequel "le
délinquant continue à jouir des droits reconnus à tout citoyen, sauf de ceux dont la
suppression ou la restriction légitime est une conséquence nécessaire de la peine qui lui est
infligée" (art. 4, d). Il présente un lien notable avec un autre principe, aux termes duquel le
service pénitentiaire "prend les mesures qui, compte tenu de la protection de la société, des
agents et des délinquants, ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire et proportionnel aux
objectifs de la présente Loi"1250 (art. 4, с). D'une part, la Loi autorise les restrictions qui sont
proches des restrictions de fait, soient celles qui sont la conséquence nécessaire de la peine
infligée, tout en les limitant, d'autre part, par le principe de proportionnalité.

Ces principes trouvent leur prolongement dans d'autres normes de la Loi. C'est ainsi
que l'article 28 signifie que le Service doit s’assurer, dans la mesure du possible, que le
pénitencier dans lequel est incarcéré le détenu constitue un milieu où seules existent les

1248
D'importantes parties des Documents de travail sont consacrées à cette question.
1249
Corrections and Conditional Release Regulations (SOR/92-620).
1250
La Loi ne contient pas de normes définissant ses propres objectifs. Toutefois le Service
correctionnel du Canada interpète ces objectifs comme devant contribuer à la justice, la paix et la
sécurité de la société ainsi qu'à faciliter la réhabilitation et la réinsertion des délinquants (Corrections
and Conditional Release Act Guiding Principles (Canada), disponible sur : http://www.csc-
scc.gc.ca/acts-and-regulations/005006-1003-eng.shtml#_4 (accedé le 26.11.2016)).
441

restrictions nécessaires à la lumière des éléments suivants:

a) Le degré de garde et de surveillance nécessaire à la sécurité du public, à celle du


pénitencier, des personnes qui s'y trouvent;

b) La facilité d'accès à la collectivité à laquelle il appartient, à sa famille et à un milieu


culturel et linguistique compatible;

c) L'existence de programmes et services qui lui conviennent et sa volonté d'y


participer.

Il convient de souligner que les principes généraux de limitation de droits, cités plus
haut, on été récemment modifiés. Ils diffèrent à présent sensiblement des dispositions
antérieures. Les modifications apportées marquent une régression considérable survenue dans
le cadre régulateur canadien relatif aux restrictions des droits et, notamment, concernant la
nécessaire justification de la proportionnalité des restrictions appliquées. Ainsi qu'il ressort de
notre analyse, ces modifications se manifestent par un abaissement des normes par rapport
aux précédentes, ce qui s'explique par l'influence des préoccupations pratiques de
l'administration pénitentiaire.

La loi prévoyait auparavant que les mesures nécessaires à la protection de la société,


des agents et des délinquants eux-mêmes devaient être, autant que possible, moins restrictives
(ancienne rédaction de l'article 4d). À présent, ces mesures ne doivent pas aller "au-delà de ce
qui est nécessaire et proportionnels aux objectifs de la loi" (4 с). Le même changement de
formulations a été subi par l'article 101 (с), qui détermine le principe d'action des
commissions des libérations conditionnelles.

Alors qu’antérieurement le lieu de détention devait être aussi peu restrictif que
possible, il ne s'agit désormais que d'un "milieu où seules existent les restrictions nécessaires"
(art. 28).

Ces changements, insignifiants à première vue, cachent en vérité le souci d'alléger le


fonctionnement de l'administration pénitentiaire. La minimalité de la restriction est perçue
comme une formulation plus exigeante que la proportionnalité, bien que celle-ci comprenne la
minimalité. La différence consiste dans l'accent mis sur le fait que les restrictions dans le
cadre de la minimalité doivent être aussi minimales que possible alors que la proportionnalité
des restrictions prévoit que les restrictions ne doivent pas être plus contraignantes qu'il n'est
nécessaire pour atteindre l'objectif posé.

D'autre part, le principe de proportionnalité comporte une exigence implicite, qui veut
442

que, non seulement, les restrictions doivent être minimales, mais encore que l'administration
pénitentiaire fournisse les arguments voulus et justifie l'absence de mesure moins restrictive
dans chaque cas d'espèce. Cette opposition de l'administration pénitentiaire canadienne ne
surprend pas, puisqu'elle estime qu'accorder aux détenus "trop de droits" limite sa capacité
d'administrer efficacement les prisons du point de vue de la sécurité1251.

D'un autre côté, la vision canadienne du principe de proportionnalité pose que: 1) Une
sanction ne doit pas être arbitraire et elle doit être appliquée avec prudence pour atteindre les
objectifs qui sont rationnellement liés à elle; 2) La sanction doit le moins possible affecter un
droit; 3) La sanction restrictive et son objectif doivent avoir entre eux un rapport de
proportionnalité: plus négatifs sont les effets de la sanction, plus important devra être le but de
la restriction1252.

L'association canadienne des avocats estime, cependant, que la rédaction actuelle de la


norme de l'article 4 comprend le premier et le troisième élément tout en ignorant le deuxième.
L'association propose, en conséquence, d'inclure dans la norme la condition de
proportionnalité, en insistant sur la nécessité de respecter la minimalité 1253. Lors des débats
dans le cadre du Comité de la justice et des droits de l'homme portant sur les modifications à
apporter à la Loi, le représentant de l'Association observait que, tout en pouvant discuter du
point de savoir si le principe de minimalité des restrictions faisait partie de la norme de
proportionnalité, le projet d'amendement de la Loi était déjà appréhendé en tant que texte qui
supprimait la condition de minimalité1254.

L'ombudsman canadien, Howard Sapers, réagit ainsi au changement de la formulation


de la minimalité des restrictions en proportionnalité: "Le changement de formulation exerce
un impact direct sur la pratique. Cela peut signifier l'application de sanctions plus restrictives,
alors que l’on pourrait user d'une contention physique ordinaire. Cela peut également signifier
qu’il est possible de recourir au gaz poivre, alors que la contention physique aurait suffi ; à la
ségrégation, alors qu'il suffirait d'une détention temporaire en cellule ; ou encore à
l'application du niveau maximum de sécurité, alors que le niveau moyen aurait suffi. Cela

1251
Beliveau P., La condition juridique du détenu au regard de la Charte canadienne des droits et
liberté, La condition juridique du détenu. Sous la direction de Pradel J. Travauх de l’Institut de
sciences criminelles de Poitiers, Volume 8, Paris, Editions Cujas, 1993, p. 170.
1252
R v Oakes, [1986] 1 SCR. 103.
1253
Submission on Bill C-10 Safe Streets and Communities Act, Ottawa, Canadian Bar
Association, 2011, p. 35-36.
1254
Standing Committee on Justice and Human Rights. Recorded by Electronic Apparatus of the
Meeting on Thursday, November 3, 2011, disponible sur :
http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?Language=E&DocId=5228779 (accede le
26.11.2016).
443

permet donc d'être plus restrictif qu'il n'est absolument nécessaire"1255. De même, lors des
débats relatifs aux modifications de la Loi, Sapers observait que son personnel se servait
quotidiennement du principe de minimalité pour examiner les situations très graves dans les
pénitenciers, à savoir le transfèrement forcé, le placement à l'isolement, le changement du
niveau de sécurité, l'application de mesures physiques1256. Il existe ainsi une différence
pratique d'application du principe de minimalité par rapport à celui de proportionnalité.

L'expérience canadienne nous semble confirmer l'utilité d'approches combinées. La


formulation approximative pourrait se présenter ainsi : "Les restrictions doivent être
proportionnées à l'objectif (légitime) et être réduites à un minimum nécessaire". Une telle
formulation permettrait de prévenir les interprétations régressives du point de vue des droits
de l'homme de la part de l'autorité appliquant le droit, tout en soulignant la nécessité de
rechercher une mesure moins restrictive.

Il serait probablement utile de formaliser l'exigence de vérification de l’existence


d’une alternative moins restrictive car, bien qu'elle se comprenne elle-même, elle peut
parfaitement, en pratique faire l’objet d’interprétations erronées ou de sous-estimation de sa
portée. Il pourrait être ainsi énoncé que l'administration pénitentiaire appliquant des
restrictions aux détenus devrait examiner la possibilité d'atteindre le but qu'elle viserait par
des mesures moins restrictives. Elle aurait acquis une importance particulière en indiquant
qu'une décision écrite serait nécessaire pour appliquer une sanction. Cette exigence fournirait
des points de référence à valeur juridique complémentaires pour les deux parties au cas où une
décision portant application de restrictions ferait l'objet d'un recours en justice.

Dans son rapport final de 2007 intitulé "Feuille de route pour une sécurité publique
accrue", le Comité d'examen indépendant du Service correctionnel du Canada a confirmé la
complication du travail des personnels pénitentiaires à cause du principe de minimalité: "Les
employés et la gestion du Service correctionnel, de même que les tribunaux, ont accordé trop
d'importance à ce principe (principe voulant que les mesures nécessaires soient les moins
restrictives possibles) dans les décisions prises quotidiennement au sujet des délinquants. Ce
déséquilibre fait en sorte que le Service correctionnel a le fardeau de justifier pourquoi il ne
peut pas prendre une mesure moins restrictive, alors que ce devrait être au délinquant de
justifier son accès aux privilèges en fonction de son rendement par rapport à son plan de

1255
Fine S., Five Fundamental Ways Harper Has Changed the Justice System,
http://www.theglobeandmail.com/news/politics/five-fundamental-ways-harper-has-changed-the-
justice-system/article18503381/?page=all (accedé le 26.11.2016).
1256
Standing Committee on Justice and Human Rights, Ibid.
444

correction"1257.

Les critiques ont observé que le Comité ne prenait pas en compte le fait que le principe
de minimalité des restrictions répondait à la Charte des droits et libertés1258, puisque la Cour
suprême du Canada avait fixé, dans son célèbre arrêt Oakes, la norme selon laquelle toute
restriction des droits contenus dans la Charte devrait se traduire par une intervention la
moindre possible dans le droit1259. D'ailleurs, la Cour suprême du Canada avait appliqué cette
norme dans l'arrêt Sauvé c. Canada1260. Les critiques estiment, en outre, que le retrait de
l'exigence de minimalité du texte de la Loi est contraire aux normes internationales et
notamment aux Règles minima pour le traitement des détenus (la règle disant que les autorités
doivent réduire les différences qui peuvent exister entre la vie en prison et la vie libre) et les
Règles pénitentiaires européennes (Règle 3 réduisant les restrictions au minimum).

Il convient de remarquer que les propositions finales du projet d'amendement de la Loi


sur le système correctionnel représentent une sorte de compromis, car les structures
concernées avaient exigé un retrait plus radical du principe de minimalité. Il était proposé, par
exemple, que les restrictions (les mesures) fussent "appropriées", de manière à assurer la
protection du public. Il était également proposé de compléter l'exception à la règle disant que
les détenus continuaient de jouir de tous les droits, sauf ceux dont la limitation est l'effet
nécessaire de la peine prononcée. Il était proposé, notamment, d'autoriser les restrictions
nécessaires "pour inciter le délinquant à entreprendre ou à poursuivre son plan
correctionnel"1261. Il a, de plus, été proposé de compléter cette norme de manière à entériner
une autre vision de la conservation des droits des détenus. Selon la formule proposée, les
détenus devraient continuer de jouir de tous les droits de base des membres de la société, à
l'exception de (…).

Ces propositions subirent des critiques virulentes de la part d'experts et c'est peut-être
la raison pour laquelle elles ne furent reflétées que partiellement dans les modifications
apportées à la Loi. Les principaux reproches qui leurs étaient faites se résument ainsi:

1257
Rapport du Comité d’examen du Service correctionnel du Canada «Feuille de route pour une
sécurité publique accrue», Ottawa, Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux, 2007,
p. 17.
1258
La Charte fait partie de la Constitution.
1259
Mémoire présenté au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et
constitutionnelles, au sujet de l’étude du projet de loi C-10, Loi édictant la Loi sur la justice pour les
victimes d’actes de terrorisme et modifiant la Loi sur l’immunité des États, le Code criminel et
d’autres lois. Février 2012, Ottawa, Réseau juridique canadien VIH/sida, 2012, р. 8-10.
1260
Voir infra.
1261
Rapport du Comité d’examen du Service correctionnel du Canada, Ibid, p. 18.
445

- Le principe de strict nécessité découlait de la Charte et il fut repris dans la


jurisprudence de la Cour suprême du Canada. La formulation proposée de ce principe était
contraire aux réalisations constatées en matière de droit constitutionnel, ainsi qu'à la
philosophie des droits de l'homme et à la philosophie pénitentiaire du Canada. Le principe
constitutionnel était remplacé par des préoccupations opérationnelles (pratiques).
Conformément à la Charte la charge de la preuve de la justification des restrictions devraient
être supportées par les autorités publiques et non par la personne. Par conséquent, le détenu ne
devait pas prouver que la restriction de son droit n'était pas justifiée, mais l'autorité
pénitentiaire devait démontrer d'abord la légitimité des restrictions. La formule des
restrictions "appropriées", qui devait s'appliquer à la place de la notion de restrictions
"minimales", n'était pas claire sur le fond et accordait trop de pouvoirs discrétionnaires aux
autorités. D'après Benzvy Miller, l'un des fonctionnaires canadiens en charge du respect des
droits de l'homme dans le service pénitentiaire, "les mesures les moins restrictives sont
justement les seules et les plus appropriées…" . Bien que, à son avis, le principe de
minimalité des restrictions n'obligeât pas le Service correctionnel canadien, mais l'incitât
seulement à ne pas oublier qu'elle répondait de la détention et du contrôle des personnes ayant
des droits1262;

- La proposition soutenant que les détenus ne conservent que des droits de base 1263 est
contreproductive, car elle remplace le droit aux privilèges. C'est-à-dire qu'elle se fonde sur le
principe selon lequel les détenus ne jouissent que de droits de base (le sens de cette notion ne
fut pas expliqué, ce qui suscitait déjà des observations), alors qu'ils devraient acquérir tous les

1262
Jackson M., Stewart G. A Flawed Compass: A Human Rights Analysis of the Roadmap to
Strengthening Public Safety, 2009. – pp. 48, 55 //
http://www.justicebehindthewalls.net/resources/news/flawed_Compass.pdf (accedé le 26.11.2016).
1263
Les critiques voient les racines de cette approche dans la position de l'ancien Parti de
l'Alliance, qui déclarait dans son rapport négatif relatif aux 5 années d'examen de la Loi par le sous-
comité pénitentiaire au Parlement: "L'article 4 de la Loi stipule que les détenus conservent les droits et
privilèges de tous les membres de la société à l'exception de ceux qui ont été retirés ou limités avec
nécessité en conséquence de la peine infligée. L'Alliance canadienne estime que toute personne
condamnée par la justice canadienne doit perdre temporairement certains de ses droits et privilèges de
Canadien. Les exceptions principales en sont les droits de base comme le droit au défenseur et au
traitement humain et sain. Nous le voyons comme droit d'être placé dans des conditions à
l'environnement approprié, de bénéficier de soins de base, d'être nourri conformément à la norme
canadienne d'alimentation, et d'obtenir l'accès à l'assistance médicale de base. Hors ceci, les détenus
doivent pouvoir mériter des droits et privilèges tels que la liberté dans le cadre de la prison, le
transfèrement à des établissements préférés, la participation à des formations, aux programmes
sportifs, le privilège des visites, le salaire pour le travail, les privilèges de cantine, les permissions
temporaire et la libération sous condition. Chacun de ces droits et privilèges doit être mérité par le
comportement approprié qui signifie pour sa part qu'ils peuvent aussi être retiré pour la conduite
mauvaise" (Canadian Alliance Official Opposition Minority Report on the Corrections and
Conditional Release Act, Jim Gouk M.P. in A Work in Progress: The Corrections and Conditional
Release Act. – Ottawa: Public Works and Government Services, 2000).
446

autres droits. Autrement dit, les détenus ayant une bonne conduite mériteraient d'avoir
certains droits, ceux dont la conduite est mauvaise ne le mériteraient pas et ne devraient donc
pas avoir certains droits. Il était proposé de créer une base pour mettre en place le système de
droits en tant que privilèges à la manière britannique1264.

En invoquant l'arrêt de la Cour dans l'affaire Sauvé, les critiques ont remarqué que cela
était contraire à la Charte qui prévoyait l'attribution des droits aux personnes sans savoir s'ils
le méritaient; cela était contraire également à la philosophie des droits de l'homme qui
s'appuyait sur l'idée que les droits ne devaient pas être mérités et qu'ils appartienaient à
chaque être humain qui représentait une valeur par le fait même de l'être1265. En considérant
les hommes comme "méritant" ou "ne méritant pas" des droits, on entame la valeur de la
dignité humaine. La Cour signifiait notamment dans son arrêt Sauvé: "Les droits garantis par
la Charte ne sont pas une question de privilège ou de mérite, mais une question
d’appartenance à la société canadienne qui ne peut être écartée à la légère". D'autre part, l'idée
des auteurs du projet de loi, selon laquelle les restrictions de droits seraient une sorte de
punition et d'incitation à une bonne conduite fut qualifiée de "mauvaise pédagogie", car les
droits sont attribués aux détenus pour leur insuffler le sens de participation à la vie de la
société. L'attribution de droits ne doit pas être justifiée, à la différence de leurs restrictions.
Une approche contraire, qui s'appuie sur l'idée que la détention rompt le lien entre les détenus
et les droits, ne répond pas aux traditions du droit au Canada1266.

Il convient de noter que le retrait du principe de minimalité de la Loi ou, du moins, la


réduction de son rôle, se traduisit aussitôt par certains actes réglementaires. C'est ainsi qu'au
lendemain même de l'amendement de la Loi était adoptée une nouvelle Directive sur les effets
personnels des délinquants (N° 566-12). Alors que la directive précédente (du 14.10.2009)
relative à ces mêmes questions contenait la règle énonçait que les décisions concernant les
biens privés des détenus devaient être prises en fonction des besoins de ces personnes et être
les moins restrictives possibles (art. 6), la nouvelle directive dispose simplement que le
directeur d'établissement pourra, au besoin, imposer des restrictions voulues afin de ne pas
compromettre la sécurité de l'établissement, la sécurité et la santé des détenus et de respecter
les exigences en matière de prévention des incendies (art. 7, b).

Toutefois, ce changement ne fut pas intégré dans d'autres textes. C'est ainsi que la
directive portant sur la gestion des comportements d'automutilation et suicidaires chez les

1264
Voir au 3.3.2 " Politique de motivation et de privilèges".
1265
Cette idée fondamentale est posée dans la Déclaration universelle des droits de l'homme.
1266
Jackson M., Stewart G. A., Ibid, p. 36-55.
447

détenus définit l'objectif que voici: "Assurer la sécurité des détenus qui ont des
comportements d'automutilation ou suicidaires en utilisant les mesures les moins restrictives
possibles pour préserver la vie et prévenir toute blessure physique grave tout en maintenant
leur dignité dans un environnement sûr et sécuritaire".

Alors que dans d'autres pays et au niveau international, les normes de restrictions sont
souvent formulées à l'exemple du droit à la vie privée, la Loi canadienne ne fixe
qu'incidemment les normes relatives à l'intervention dans ce droit. Ainsi, le droit de maintenir
des rapports avec l'extérieur à l'aide de visites ou de la correspondance s'exerce-t-il dans les
limites raisonnables fixées par règlement pour assurer la sécurité de quiconque ou du
pénitencier (art. 71). Cependant, le taux de détails insuffisant de la Loi est compensé par le
Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (dénommé ci-
après Règlement). Nous nous proposons d'analyser un peu plus les dispositions du Règlement
relatives aux restrictions de droits.

Le principe de minimalité des restrictions peut être remarqué dans les normes du
Règlement qui concernent les pratiques disciplinaires. L'article 34 du Règlement, par
exemple, dispose que la personne présidant la commission des sanctions disciplinaires doit
prendre en compte la sanction la moins restrictive dans les circonstances données.

Les détenus ont droit aux visites sans cloison excluant le contact physique, à moins
que le directeur d'établissement ou un autre agent n'ait des motifs raisonnables d'estimer que
la cloison est nécessaire pour la sécurité de l'établissement ou des personnes et s'il n'existe pas
une mesure moins restrictive (art. 90). De même, pour assurer la sécurité de l'établissement ou
des personnes, les visites peuvent être surveillées par des agents du pénitencier ou par des
moyens techniques, cette surveillance devant être opérée de la façon la moins gênante dans les
circonstances (art. 90.2).

Les visites elles-mêmes peuvent être interdites ou suspendues provisoirement. Ces


limitations du droit sont applicables s'il y a des motifs légitimes d'estimer que:

a) D’une part, que le détenu ou le visiteur risque, au cours de la visite :

(i) Soit de compromettre la sécurité du pénitencier ou de quiconque,

(ii) Soit de préparer ou de commettre un acte criminel;

b) D’autre part, que l’imposition de restrictions à la visite ne permettrait pas d’enrayer le


risque (art. 91).
448

La législation canadienne se distingue par l'option de l'arrêt total des visites de tous les
détenus lorsque la sécurité de l'établissement est est sérieusement menacée et qu’il n’existe
aucune autre solution moins restrictive (art. 92.1). En règle générale, les visites ne peuvent
pas être interdites aux députés, sénateurs ou juges, sous réserve, toutefois, que la visite ne
risque pas de compromettre la sécurité du pénitencier ou de quiconque et que l’imposition de
restrictions à la visite ne permettrait pas d’enrayer le risque (art. 93). Les mesures de ce type
doivent être communiquées aux personnes concernées avec indication des motifs les
justifiant.

Il est possible de limiter les droits à la correspondance et aux communications


téléphoniques au moyen de la lecture du courrier et de l'écoute des communications lorsqu’il a
des motifs raisonnables de croire :

a) D’une part, que la communication contient ou contiendra des éléments de preuve


relatifs:

(i) Soit à un acte qui compromettrait la sécurité du pénitencier ou de quiconque;

(ii) Soit à une infraction criminelle ou à un projet de commission d’une infraction


criminelle;

b) D’autre part, que l’interception des communications est la solution la moins


restrictive dans les circonstances (art. 94).

De telles restrictions sont soumises à l'autorisation écrite du directeur d'établissement


ou de l'agent habilité par lui.

Le détenu doit être informé des restrictions appliquées à son égard avec indication des
motifs et il a le droit d'exprimer ses observations à ce propos. L'exigence de notification peut
être omise, lorsque cette information risque d'affecter l'enquête en cours. Dans ce cas, la
décision doit être communiquée au détenu avec la possibilité pour lui de faire valoir ses
observations à ce sujet (art. 94.3). Des restrictions complémentaires concernent les mineurs
dont le droit à la correspondance et aux communications téléphoniques peut être limité à la
demande écrite des parents (art. 95).

Le Règlement prévoit, par ailleurs, des restrictions au droit à l'information. Il peut être
ainsi interdit d’introduire dans le pénitencier, ou de faire circuler à l’intérieur du pénitencier,
des publications, des enregistrements vidéo et audio, des films ou des programmes
informatiques, lorsqu’il existe des motifs raisonnables de croire que ceux-ci compromettraient
la sécurité du pénitencier ou de quiconque (art. 96). L'utilisation de ces informations peut être
449

interdite aussi lorsqu'il y a des raisons d'estimer qu'elles seraient probablement vues par
d’autres personnes ou qu’elles porteraient atteinte à la dignité d’une autre personne en la
dégradant, en l’humiliant ou en l’embarrassant pour des motifs de race, d’origine nationale ou
ethnique, de couleur, de religion ou de sexe (art. 96.2).

Le système canadien n'interdit pas aux détenus d'exercer leur droit à l'association, tout
en prévoyant la possibilité de certaines limitations. Le directeur d'établissement peut charger
ses agents de surveiller les réunions des détenus afin de garantir la sécurité de l'établissement
ou des personnes. De même, en présence de motifs raisonnables d'estimer que les réunions
des détenus ou les activités de l'organisation ou du comité des détenus peuvent menacer la
sécurité de l'établissement ou de quiconque, les réunions ou les activités concernées peuvent
être interdites (art. 98.1). Le cas échéant, les détenus seraient informés par écrit de
l'application de la restriction avec exposé des motifs, les détenus, pour leur part, pouvant
présenter leurs observations (art. 98.2). Les motifs de menace possible à la sécurité de
l'établissement ou des personnes peuvent être invoqués pour interdire à des détenus d'assister
aux réunions ou de participer aux activités susmentionnées. La décision motivée sera notifiée
par écrit en confirmant la possibilité pour l'intéressé de faire valoir ses observations (art. 99).

Tout détenu a le droit de pratiquer sa religion et sa vie spirituelle, sous réserve que ces
pratiques ou la vie spirituelle ne menacent pas la sécurité de l'établissement ou de quiconque
et ne prévoit pas l'utilisation d'objets interdits (art. 100).

Le Canada permet aux personnes détenues dans les pénitenciers d'exercer des activités
d'entreprise, sous réserve d'obtenir une autorisation du commissaire ou de l’agent désigné par
lui (art. 112). L'exercice de ces activités ne peut être autorisé que si, d'un côté, cela ne
compromet pas la sécurité et les préoccupations opérationnelles et que, d'un autre côté, ces
activités sont compatibles avec le plan individuel de détention.

La question des garanties de justification des restrictions et de leur proportionnalité ne


figure pas dans les normes relatives aux fouilles (art. 47-50). Bien plus, la fouille périodique
de la cellule peut être opérée par l'agent pénitentiaire "sans soupçons précis" (art. 51.1), ce qui
vise toutefois à découvrir des objets interdits ou d'autres objets qui peuvent compromettre la
sécurité de l'établissement ou de quiconque (art. 51), ces fouilles étant opérées conformément
au plan de fouilles correspondant (art. 51).

Il ressort, de ce qui précède, que le Règlement contient nombre de normes détaillées


relatives aux restrictions, ce qui le distingue par rapport à la Loi. Ces normes incarnent le
principe de proportionnalité et comprennent parfois la mention exigeant le respect du strict
450

nécessaire dans les restrictions. Dans le même temps, la mention de la minimalité des
restrictions, qui reflétait le principe du strict nécessaire dans l'application des restrictions aux
droits des détenus, a été supprimée dans la clause limitative générale de la Loi. Alors que,
dans la loi, la proportionnalité a pris la place de la minimalité, cette dernière trouve une
expression partielle en ayant été insérée dans le Règlement.

Conclusion du sous-chapitre 3.4.1

La Loi canadienne sur le système correctionnel et la libération sous condition (1992) a


été élaborée pour une meilleure réalisation des normes contenues dans la Charte canadienne
des droits et libertés dans le contexte pénitentiaire. La Loi contient des normes relatives aux
limitations des droits. Leur mise au point a donné lieu à de vifs débats entre les experts et le
Service correctionnel. Elles se sont appuyées sur une position ferme de l'opinion publique et
sur la jurisprudence ce qui a permis de les adopter et de les maintenir pendant plus de trente
ans sans grandes concessions au préjudice des droits de l'homme.

Les universitaires ayant longtemps préparé la Loi sont partis du principe de limitation
maximale du pouvoir pénitentiaire. Celui-ci devait attacher une attention particulière à la
justification des restrictions à appliquer. Grâce à ce texte législatif, la charge de justification a
été reportée par les juges sur les autorités, qui devaient désormais démontrer, entre autres,
pourquoi une restriction moins sévère n'avait pas été appliquée dans une situation donnée. De
plus, le groupe de travail en cause insistait sur l'exigence de minimalité des restrictions et sur
la nécessité de déterminer celles-ci par voie législative et non par voie réglementaire. Une
attitude prudente était adoptée, par ailleurs, à l'égard de la sécurité en tant que motif pour des
restrictions potentielles inutiles.

Un aspect important dans les résultats du groupe de travail était de comprendre qu'il
était important, non seulement, de fixer un droit, mais aussi, de veiller à une détermination
prudente des modalités et du cadre admissible pour sa restriction, le groupe de travail prêtant
donc l'attention la plus grande à la procédure d'exercice d'un droit et aux motifs ainsi qu’aux
modalités de ses restrictions. Il convient de citer, parmi ses résultats notables, les normes
fixant le caractère spécifique de l'exercice et de la limitation de certains droits, qui s'ajoutaient
à la norme générale de restrictions.

La norme canadienne se distingue ainsi par la détermination de garanties procédurales


451

essentielles contre des restrictions irrégulières de droits. Il s'agit de la notification écrite au


détenu des motifs de la restriction dont il fait l'objet, de sa possibilité de faire valoir ses
observations à propos d'une telle décision, de l'importance accrue de la procédure de recours,
etc.

Les difficultés de la réalisation pratique du principe de minimalité ont incité le pouvoir


canadien à amender la Loi de manière à supprimer l'exigence en question. Ces amendements
ont suscité des critiques virulentes de la part d'institutions de la société civile, des avocats et
de l'ombudsman. La suppression de la minimalité revêt, à leur avis, non seulement une
importance théorique, mais aussi, une importance pratique considérable. La défense du
principe de minimalité dans la loi s’est transformée en une véritable guerre juridique, qui a
montré combien il était important pour la société. Finalement, tout en étant supprimée, la
minimalité a été remplacée par l'exigence de proportionnalité. Bien que l'exigence de
proportionnalité ne soit pas perçue par les spécialistes canadiens comme exigeant clairement
de minimiser les restrictions, il existe une tendance à concevoir la proportionnalité en tant que
principe incluant l'exigence du strict minimum. Cela se confirme par les normes du
Règlement relatif au système correctionnel et à la libération sous conditions qui visent à la
mise en œuvre de la Loi.

L'expérience canadienne en matière d'application de la clause limitative démontre la


pertinence d'une mention complémentaire relative à la minimalité des restrictions dans les
clauses limitatives, même si celles-ci contiennent l'exigence de proportionnalité dans les
restrictions des droits. Elle donne aussi l'exemple de l'importance attachée aux aspects
procéduraux d'application des restrictions de droits.

3.4.2. Jurisprudence de la Cour suprême du Canada et limitations des


droits des détenus

Il est considéré que les juges canadiens saisis des affaires de détenus qualifient plus
facilement comme justifiées les restrictions des droits fixés dans la Charte. Cela tient à ce
qu'une grande importance est attachée aux objectifs de la peine privative de liberté1267. Dans
le même temps, la jurisprudence canadienne peut servir d'exemple pour une évaluation
détaillée du bien-fondé des restrictions.

1267
Beliveau P., La condition juridique du détenu au regard de la Charte canadienne des droits et
libertés, in La condition juridique du détenu. Sous la direction de Pradel J. Travauх de l’Institut de
sciences criminelles de Poitiers, Volume 8, Paris, Editions Cujas, 1993, p. 151-152.
452

3.4.2.1. Affaire Solosky

L'un des arrêts les plus importants relatifs aux restrictions des droits des détenus au
Canada a été rendu dans l'affaire Solosky1268. Cet arrêt est connu pour avoir déterminé les
bases d'application de la norme de proportionnalité dans le domaine pénitentiaire.

S'appuyant sur les documents régulateurs internes, le directeur de la prison dans


laquelle était détenu le détenu Solosky décida de contrôler sa correspondance avec son avocat.
Le directeur d'établissement se fondait sur le comportement de Solosky qui, à son avis,
justifiait qu’il fût accordé une attention particulière à son courrier entrant et sortant. Les lettres
qui pouvaient être potentiellement importantes pour la sécurité dans l'établissement étaient
portées à la connaissance du directeur. Les recours en justice n'aidèrent pas à annuler cette
restriction.

La Cour d'appel observait, par exemple, que, pour savoir si la correspondance était
vraiment protégée, il fallait d'abord l'ouvrir, parce que les privilèges n'étaient accordés qu'au
courrier qui répondait aux critères de correspondance protégée: le courrier devait s'échanger
entre l'avocat et le détenu ; il devait viser la prestation d'assistance juridique ; et être défini
comme confidentiel par les correspondants eux-mêmes. La Cour spécifiait, par ailleurs, que
l'interdiction totale de l'ouverture de ces courriers signifierait l'attribution aux détenus des
mêmes droits qu'aux autres citoyens.

Solosky réclamait, pour sa part, que la Directive qui autorisait le contrôle de la


correspondance avec les avocats ne fût pas appliquée pour violer ou restreindre les droits
reconnus par la Déclaration des droits.

La Cour suprême s'interrogea sur le point de savoir si le droit du requérant de


consulter l'avocat était incompatible avec le droit des autorités pénitentiaires de prévenir les
dangers menaçant la sécurité de l'établissement. Du point de vue du juge Dickson, qui rédigea
l'arrêt pour la majorité des juges, cette incompatibilité n'avait pas lieu, à moins que les
autorités n'exerçassent des pouvoirs plus importants que nécessaires pour garantir la sécurité.
Les dispositions pertinentes de la Directive admettaient trois interprétations alternatives
possibles: 1) Les lettres ne devaient pas être ouvertes ; 2) Le droit de recevoir le courrier de ce
type pouvait être suspendu ; 3) Le courrier pouvait être ouvert pour un contrôle qui était
strictement nécessaire pour savoir si le courrier pouvait être classé dans la catégorie protégée.
De l'avis de Dickson, en adoptant la première interprétation, on risquait de priver le directeur

1268
Solosky v. The Queen, [1980] 1 S.C.R. 821.
453

d'établissement de sa possibilité de prévenir la contrebande dans l'établissement, ce qui


pouvait mettre en danger sa sécurité.

La solution optimale, pour ce juge, était donnée par la troisième version. Il en proposa
d'ailleurs sa propre interprétation: 1) Le contenu de l'enveloppe pouvait être contrôlé; 2) Dans
des circonstances limitées, le courrier pouvait être lu pour s'assurer qu'il était écrit en vue de
l'assistance juridique; 3) Le courrier ne devait être lu que lorsqu'il existait des raisons
rationnelles et probables d'estimer qu'une intention contraire pourrait avoir lieu; 4) La
personne chargée de contrôler la correspondance devait être tenue à la confidentialité.

Finalement, la Cour rejeta les requêtes du détenu. Toutefois, nonobstant le résultat


négatif pour Solosky, on estime que cet arrêt a apporté une contribution notable au
développement de la théorie des droits des détenus au Canada.

La Cour a reconnu, en premier lieu, que les détenus conservaient tous leurs droits
civils, sauf ceux qui leur avaient été retirés explicitement ou indirectement par la loi. La Cour
soulignait aussi la nécessité d'une intervention minimale dans les droits1269, en observant que
le rôle des juges dans les cas appropriés (restrictions de droits) était de veiller à l'équilibre des
intérêts de la société et de l'individu (détenu).

Pourtant, la Cour a manqué de résolution pour admettre le droit à la confidentialité


totale de la correspondance avec l'avocat. La cause en est clairement démontrée par cette
phrase du juge Dickson: "En règle générale, je ne pense pas que les juges doivent mettre en
doute les considérations du directeur d'établissement à propos de ce qui peut ou ne peut pas
être nécessaire pour le maintien de la sécurité dans l'établissement". C'est pourquoi le rôle du
juge dans cette affaire devait, estimait-on, tendre vers l'équilibre de l'intérêt public de
maintien de la sécurité dans l'établissement correctionnel, de la sécurité du personnel et des
détenus, contre l'intérêt lié à la protection de la confidentialité de la correspondance avec
l'avocat. Le résultat fit que, même en tenant compte de la reconnaissance totale du droit du
détenu à la libre correspondance avec l'avocat et de la nécessité d'exceptions minimale à ce
droit, la balance devait pencher en faveur de l'intérêt social. La Cour a indiqué que l'intérêt
social portait sur les possibilités à accorder à l'attribution pénitentiaire pour découvrir la
contrebande, les armes et les plans d'évasion.

1269
L'on considère comme l'un des effets de cet arrêt l'inclusion du principe de minimalité à l'art.
4 de la Loi relative au système correctionnel et à la liberation sous condition (1992) (Ghedia J.,
Prisoners: Rights, Rhetoric and Reality, A thesis submitted in partial fulfilment of the requirements for
the degree of Master of Laws in the Faculty of Graduate Studies, the University of British Columbia,
Vancouver, University of British Columbia, 2002, p. 38).
454

Cette approche de la Cour suprême montre qu'elle n’a pas entendu se risquer à
intervenir dans les questions de garantie de la sécurité de l'établissement. Sur ce plan, la Cour
a été très proche de la position des juges américains qui estiment qu'il est nécessaire
d'accorder un certain niveau de confiance (déférence) à l'administration pénitentiaire qui est
censée connaître mieux que le juge comment s'acquitter de ses tâches 1270. Cette vision atteste
que les juges peuvent ne pas être prêts à prendre sur eux la responsabilité de la suppression de
certaines restrictions de droits lorsqu'il y a risque de compromettre la sécurité dans les
établissements. Cela est vrai surtout des démarches radicales visant à élargir les droits des
détenus. Avec le temps, toutefois, les données de la science et de la pratique permettent
d'adopter une attitude plus libérale vis-à-vis de l'équilibre des droits individuels et des
préoccupations de sécurité. De telles décisions semblent alors "avoir mûri" bien que parfois
avec un retard considérable.

3.4.2.2. Affaire Oakes

L'affaire Oakes de 19861271 ne portait pas sur les restrictions de droits dans les
établissements pénitentiaires. La Cour suprême y qualifiait de non constitutionnelle la
disposition de la Loi sur le contrôle des stupéfiants, qui présumait qu'au cas où des stupéfiants
seraient trouvés sur la personne, celle-ci devrait être considérée comme étant coupable du
trafic de stupéfiants et prouver elle-même le contraire. L'arrêt de la Cour revêt une importance
notable pour les questions de restriction des droits, notamment en ce qui concerne les
restrictions des droits des personnes privées de liberté.

La Cour suprême a exprimé, dans l'arrêt Oakes, sa vision de la manière dont il faut
évaluer la justification des restrictions des droits. La Cour a formulé un "test" pouvant servir à
évaluer à quel point une restriction donnée répond aux stipulations de la Charte. Ce test
représente une sorte de mémento pratique montrant comment il faudrait analyser et évaluer le
bien-fondé des restrictions.

L'article 1 de la Charte canadienne dispose que des restrictions de droits sont permises
lorsqu'elles sont explicitement justifiées et nécessaires dans une société démocratique. Dans
l'affaire Oakes, la Cour s’est mise à élaborer sa propre position pour savoir ce que ces
formulations signifiaient en pratique (par. 62-71).

1270
Voir chapitre 3.2 "Etats-Unis".
1271
R. v. Oakes, [1986] 1 S.C.R. 103.
455

À cette fin, deux critères principaux de légitimité ont été posés. En premier lieu,
l'objectif poursuivi par la restriction du droit inclus dans la Charte doit être suffisamment
important pour permettre l'intervention dans le droit ou la liberté constitutionnelle. La norme
doit être suffisamment élevée pour garantir que ces objectifs ne soient pas superficiels ou ne
répondent pas aux principes d'une société libre et démocratique1272. Pour pouvoir être traité
d'important, l'objectif doit au moins relever des besoins sociaux qui sont impératifs et
fondamentaux dans une société libre et démocratique. En second lieu, l'établissement de la
légitimité des mesures prises pour atteindre ces objectifs nécessite l'utilisation du test de
proportionnalité. Celui-ci comprend trois éléments: а) Les mesures (restrictions) doivent être
justes et ne peuvent pas être arbitraires, elles doivent être élaborées en détail pour atteindre les
objectifs visés et avoir un rapport rationnel (raisonnable) avec ces derniers; b) Les restrictions
doivent porter le moins possible atteinte au droit et être minimales. Pour pouvoir constater si
ces règles sont respectées, la Cour doit savoir quelles étaient les mesures restrictives
alternatives accessibles et si elles porter atteinte au droit dans une mesure moindre, mais avec
le même taux d'efficacité dans la réalisation des objectifs visés 1273; c) Une proportionnalité est
nécessaire entre les effets de la mesure restrictive et son but: plus graves sont les effets de la
sanction et plus important devrait être son but. Plus graves sont les effets de la restriction pour
la personne et plus important doit être l'objectif poursuivi par cette mesure.

Il importe aussi de remarquer que la charge de la preuve du caractère justifié des


restrictions des droits et libertés prévus par la Charte incombe à la partie qui démontre le bien-
fondé de la restriction, c'est-à-dire à l'État. D'autre part, les restrictions des droits doivent être
exceptionnelles, alors que la garantie des droits doit être la règle (par. 66).

Il convient d'observer, dans le contexte de l'affaire Oakes, que les théoriciens


distinguent deux types de restrictions des droits prévus par la Charte: les restrictions
intérieures et les restrictions extérieures. Les restrictions intérieures d'un droit dépendent
directement du contenu de celui-ci et elles sont établies par l'interprétation de la notion de
droit subjectif. La Cour suprême du Canada, par exemple, défend la position selon laquelle la

1272
La Cour désigne plusieurs exemples des signes d'une société démocratique: le respect de la
dignité humaine inaliénable, l'attachement à la justice sociale et à l'égalité, la prise en compte des
variations des convictions individuelles, le respect de l'identité culturelle et collective, la confiance en
institutions sociales et politiques qui font augmenter la participation des individus et des groupes à la
société (par. 64).
1273
L'élément de minimalité est dénommé encore élément "paretonien" à cause d'un lien étroit
avec les théories économiques d'optimum de Pareto. L'optimum de Pareto se réduit à l'idée que pour
mieux atteindre les objectifs nécessitant des ressources il faut garantir le profit maximum avec des
frais minima (Foley B., The Proportionality Test: Present Problems, Judicial Studies Institute Journal,
2008, n° 1, р. 70-71).
456

liberté d'expression n'inclut pas les actes de violence, c'est pourquoi un meurtre ne saurait être
considéré comme un acte d'expression de convictions. Il s'agit en fait de "qualificateurs" des
droits évoqués dans la première partie de cette thèse. Les restrictions extérieures ont des
sources différentes: par exemple, les lois qui limitent les droits déjà existants dans leur
définition actuelle1274. En évoquant le test de proportionnalité, nous visons justement les
restrictions extérieures.

Un lien étroit existe entre les restrictions extérieures et intérieures. Pour pouvoir
appliquer une restriction extérieure, il faut connaître le contenu du droit, c'est-à-dire quelles
sont ses restrictions intérieures (qualificateurs). La norme élaborée dans l'arrêt Oakes laisse
telle quelle la question du rapport de la proportionnalité avec les restrictions intérieures
définies dans d'autres articles de la Charte. La Cour suprême a fait appel, dans certaines
affaires, à ces clauses, et les juges eux-mêmes ont constaté la problématique de leur rapport
avec la norme de proportionnalité générale dans l'affaire Oakes, notamment en ce qui
concerne la nécessité d'appliquer la clause limitative générale au cas où la clause limitative
spéciale aurait déjà été appliquée1275. Ce débat fut reporté à plus tard.

Le mérite le plus grand de l'arrêt Oakes consiste dans la mise en œuvre d'une
interprétation vaste et libérale des droits protégés au stade de son examen; si une application
rigoureuse du critère de proportionnalité y était associée, cela aboutirait à des rejets fréquents
des preuves du gouvernement. Pourtant, il fut très vite évident que la majorité à la Cour ne se
sentait pas très à l'aise avec cette possibilité1276. Avec le temps, le test d'Oakes se déprécia
sensiblement et se réduisit à l’obligation pour le gouvernement de prouver qu'il y avait "des
raisons justifiées" pour une restriction de droits1277. L'une des principales causes de cette
dégradation a tenu à la difficulté et à la mauvaise volonté de la Cour à établir l'existence d'une
alternative moins restrictive dans chaque cas concret1278, la Cour ayant ainsi commencé à
"faire confiance" aux allégations du gouvernement sur l'absence de restrictions moins
contraignantes1279. Du grand nombre de tentatives de compréhension de la décision Oakes,

1274
Slattery B., The Pluralism of the Charter: Revisiting the Oakes Test, Charte : Essais critiques
sur l’arrêt R. c. Oakes / The Limitation of Charter Rights : Critical Essays on R. v. Oakes. sous la
direction de Luc B. Tremblay et Grégoire C.N. Webber, Montréal, Éditions Thémis, 2009, p. 23.
1275
Ibid, p. 28-29.
1276
Hievert J.E., Limiting Rights: The Dilemma of Judicial Review, Montreal, McGill-Queen’s
University Press, 1996, p. 70.
1277
Hievert J.E., Ibid, p. 87.
1278
Ibid, p. 7, 76-77, 152.
1279
Ibid, p. 80, 87.
457

l’on peut retirer une formule : "Tout dépend des circonstances" (angl. "it all depends")1280.

Du reste, ainsi que le montrent les décisions analysées ci-après1281, la Cour suprême ne
se borne pas à la norme d'Oakes et à l'article 1 de la Charte dans les affaires où il faut trancher
sur la justification des restrictions. L'existence de plusieurs solutions possibles pour décider
de leur légitimité découle de la Charte elle-même. C'est ainsi que, conformément à l'article 7
de la Charte, chacun a le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité, de même que le droit de ne
pas en être privé, sauf dans les cas où la décision en ce sens est prise en accord avec les
principes de justice fondamentale. Ces principes concernent, en premier lieu, la justice
procédurale et les garanties d'empêchement des abus. Ils prévoient toutefois l'équilibre entre
les intérêts de la société et les intérêts individuels de la personne dont les droits sont affectés.
Il convient de noter aussi que l’équilibre des intérêts dans ce cas est très limitée et cède
beaucoup au test d'Oakes d'après le niveau d’attention à la comparaison des intérêts et la
motivation.

3.4.2.3. Affaire Sauvé

L'arrêt Sauvé rendu en 20031282 est l'une des décisions clefs de la Cour suprême du
Canada. Il est aussi l'un des plus cités, lorsqu'il s'agit d'analyser la justification des restrictions
des droits dans les établissements pénitentiaires.

Il fut précédé d'une autre décision rendue en 1993 dans une affaire concernant ce
même détenu1283, par laquelle la Cour suprême constatait la violation de la Charte par l'article
51 de la Loi électorale canadienne. Aux termes de l'article 51 de cette loi, toutes les personnes
purgeant leur peine étaient privées du droit de vote. La décision était motivée d'une manière
très succincte et s'appuyait sur un seul argument: le contenu de l'article était trop vaste (c'est-
à-dire qu'il concernait un cercle trop large de personnes) et ne répondait pas au test de
proportionnalité, en particulier à l'exigence de minimalité en tant que partie de ce test.

Cependant, la Cour dut s'attacher, d'une manière plus conséquente, à la résolution du


problème dans sa nouvelle décision concernant ce même détenu en 2003. La requête portait

1280
Lokan А., The Rise and Fall of Doctrine under Section 1 of the Charter, Ottawa Law Review,
1992, Vol. 24.1, p. 184.
1281
Cf. arrêts May v. Ferndale Institution, [2005] 3 S.C.R. 809, 2005 SCC 82 et Cunningham v.
Canada, [1993] 2 S.C.R. 143.
1282
Sauvé v. Canada (Chief Electoral Officer), [2002] 3 S.C.R. 519, 2002 SCC 68.
1283
Sauvé v. Canada (Attorney General), [1993] 2 S.C.R. 438.
458

sur le fait que, conformément à l'article 51 de la Loi électorale canadienne, les personnes
condamnées à des peines privatives de liberté pour une durée de deux ans ou plus étaient
privées du droit de vote. Dans son recours auprès de la Cour suprême, le requérant mettait en
doute la conformité de l'article 51 de la Loi aux articles 3 et 15 de la Charte 1284. La Cour
statuait en conséquence que l'article 51 de la Loi n'était pas conforme à l'article 3 de la Charte
et ne crut pas nécessaire d'examiner à part la conformité à l'article 15.

L'importance et l'influence de cette décision de la Cour tiennent au grand nombre


d'arguments théoriques qu'elle renferme et à la motivation volumineuse des juges qui ont
soutenu l'attribution aux détenus du droit de vote ainsi que des juges qui s'y sont opposés.
Ainsi que le montrent les spécialistes, les arguments de la Cour ont été "particulièrement
solides" et ils ont ainsi exercé un impact considérable, y compris sur les décisions judiciaires
étrangères en matière de droit de vote des détenus1285. La Cour européenne des droits de
l'homme a ainsi appuyé ses arguments sur la décision Sauvé dans l'affaire fondamentale Hirst
v. Royaume Uni portant sur les droits des détenus1286. La CEDH qualifia la décision
canadienne de "détaillée et pertinente"1287. Des juges d'Afrique du Sud et d'Australie s'en sont
servis, pour leur part, pour débattre des décisions connues relatives au vote des détenus1288.
Du fait d'une prise de position nette et d'un rejet rigoureux des arguments gouvernementaux,
les experts estiment qu'il est peu probable que les détenus au Canada soient privés un jour à
nouveau du droit de vote1289. Cela n'empêche toutefois pas de voir subsister des doutes à ce
propos1290.

Bien qu'exerçant une influence sensible sur la doctrine dans le domaine des droits des
détenus, cette décision a reçu un accueil négatif dans l'opinion publique. Les media ont
rapporté sur ce sujet dans le contexte du respect des victimes de crimes en ajoutant des
informations détaillées sur les crimes les plus graves. Bien plus, les théoriciens du droit

1284
Article 3: droit de vote; article 15: égalité de tous devant la loi.
1285
Fatin-Rouge Stéfanini M., Le droit de vote des détenus en droits canadien, sud-africain et
conventionnel européen, Révue internationale de droit comparé, 2007, n° 3, Vol. 59, p. 630-631;
Plaxton M., Lardy H., Prisoner Disenfranchisement: Four Judicial Approaches, Berkeley Journal of
International Law, 2010, Vol. 28, Issue 1, 2010, р. 101-141.
1286
Hirst c. Royaume-Uni (nº 2) (GC) (nº 74025/01, 06.10.2005).
1287
Ewald A.C, Rottinghaus B., Criminal Disenfranchisement in an International Perspective,
New York, Cambridge University Press, 2009, p. 8.
1288
In Ewald A.C, Rottinghaus B., Ibid, p. 8.
1289
Parkes D., Ballot Boxes Behind Bars: Toward the Repeal of Prisoner Disenfranchisement
Laws, Temple Political & Civil Rights Law Review, 2003, Vol. 13, р. 71-92.
1290
M. Dhami estime que peut-être à l'avenir des détenus canadiens puissent être privés du droit
de vote pour des infractions spécifiques (concrètes). En plus, les juges pourraient appliquer
l'interdiction de voter en tant que partie de la peine (Dhami M., Prisoner Disenfranchisement Policy: A
Threat to Democracy? , Analyses of Social Issues and Public Policy, 2005, Vol. 5, n° 1, p. 238).
459

s'associaient aux media dans leurs critiques sévères de cette décision en la traitant d'attitude
non démocratique et "d'activisme judiciaire" libéral1291.

Dans cette affaire, la Cour suprême a appliqué la norme de proportionnalité élaborée


dans l'affaire d'Oakes. Les principaux arguments du gouvernement portaient sur deux
dispositions: 1) La peine privative de liberté pour deux ans et plus a pour but d'inculquer la
responsabilité civique et le respect de la suprématie du droit (objectif 1); 2) La privation du
droit de vote était une punition nécessaire "pour renforcer les buts généraux de la sanction
pénale" (objectif 2).

Examinant ces arguments relatifs aux buts de la restriction, la Cour répondait par ses
propres arguments en appliquant le test de proportionnalité:

- Les objectifs vastes et symboliques compliquent l'analyse de la proportionnalité1292


(mais ne l'excluent pas). Le premier objectif peut concerner n'importe quelle loi pénale et
même les sanctions non liées à la privation de liberté. Quant au deuxième objectif, rien ne dit
qu'il n’a pas déjà été atteint par la peine elle-même;

- Le gouvernement n’a pas pu prouver le lien rationnel entre la privation du droit de


vote et les objectifs cités:

- En ce qui concerne l'objectif 1, non seulement l'interdiction de voter ne leur inculque


pas la responsabilité civique, mais elle compromet le respect de la démocratie, car la
légitimité des lois et l'obligation de leur obéir découle directement du droit de chaque citoyen
de voter et d'élire l'autorité qui adopte ces lois. L'interdiction du droit de voter au motif que
l'individu "ne le mérite pas" est incompatible avec le respect de la dignité de chaque homme
qui est placé au cœur de la Charte;

- En ce qui concerne l'objectif 2, le gouvernement ne fournit aucune théorie fondée


expliquant pourquoi la privation d'un droit fondamental devrait être permise en tant que forme
de sanction. De même, la sanction doit être individualisée pour ne pas être arbitraire. Or, la
privation du droit de vote constitue une sanction automatique d'un vaste groupe de personnes,

1291
Voir plus de détails in: Parkes D., Prisoner Voting Rights, in Mele C. and Miller T.A.
(eds.).Canada : Rejecting the Notion of Temporary Outcasts. Civil penalties, social consequences,
Abingdon, Routledge, 2005, p. 245.
1292
D'après la Cour, de tels objectifs vastes et symboliques presque garantissent leur convenance
pour un large cercle de restriction de droits. Qui pourrait prétendre que le respect de la loi n'est pas
nécessaire? Qui pourrait contester que les punitions appropriées ne sont pas importantes? Qui pourrait
contester que n'importe lequel de ces objectifs est contraire aux principes démocratiques? (par. 22). En
posant ces questions la Cour observait que les objectifs allégués n'expliquaient pas pour quoi sont
nécessaires les restrictions et quel était le résultat concret attendu. Du reste, les gens ne devaient pas
être obligés à se demander pourquoi les droits garantis par la Charte furent limités (par. 22-23).
460

quelles que soient les circonstances concrètes de leurs infractions, le préjudice qu'ils ont causé
ou leur comportement. Les exigences de châtiment proportionné sont ainsi ignorées. En plus,
ni les preuves, ni la logique ne démontrent que la privation du droit de vote retient les détenus
de la commission d'infractions;

- La disposition de l'article 51 privant de vote les personnes condamnées à la privation


de liberté pour deux ans et plus n'est pas une restriction minimale parce que concernant un
grand nombre de personnes. Une restriction ne pourrait être considérée comme minimale au
seul motif qu'elle ne concerne pas la totalité des détenus;

- Les effets négatifs de l'interdiction de voter faite aux détenus excèdent


considérablement l'utilité d'une telle interdiction, car ils compromettent la voie du
développement social et la politique de réhabilitation et de réinsertion.

Les juges dissidents présentèrent dans leur avis les arguments suivants:

- L'affaire ne se fonde pas sur des "preuves scientifiques" de réalisation des objectifs
allégués, mais sur des considérations philosophiques, politiques et sociales;

- La Cour suprême n'a pas à se pencher sur les questions portant sur les avantages ou
les inconvénients d'un choix politique ou d'un autre (priver ou ne pas priver les détenus du
droit de vote) du Parlement qui avait pris la décision de retirer ce droit aux détenus. La Cour
ne doit que dire si cette restriction était justifiée ou non dans une société démocratique et si
elle répondait aux exigences de la Charte;

- La privation du droit de vote est liée à des objectifs justifiés, car elle sort d'une sorte
de "leçon" pour les détenus qui représente une barrière morale protégeant le contrat social et
la suprématie du droit. Bien que l'inculcation de la responsabilité civique puisse être conçue
comme un objectif abstrait et symbolique, cela ne veut pas dire que ces objectifs ne soient pas
valables pour cette raison;

- La restriction répond au test de proportionnalité. Tout d'abord, la législation


concernée est rationnellement liée aux objectifs appropriés. Bien que ce lien ne puisse pas être
démontré de façon empirique, les arguments d'experts attestent que la privation du droit de
voter pour avoir commis des infractions graves se trouve en lien rationnel avec la
transmission de la responsabilité civique, de la suprématie du droit et sert aussi à
l'élargissement des objectifs généraux de la sanction. La privation du droit de vote est perçue
comme une mesure significative par les délinquants eux-mêmes;

- Cette restriction porte aux délinquants et à la société le message disant que les
461

infractions graves ne sont pas tolérées. Cette restriction constitue aussi une condition pour la
participation démocratique à la vie de la société. Nombre de démocraties actuelles admettent
une forme ou une autre de privation des détenus du droit de vote;

- Le principe de minimalité a été respecté, car le vote n'est interdit qu'aux délinquants
les plus dangereux. C'est une moindre mesure restrictive qui était accessible pour garantir la
réalisation efficace des objectifs visés. D'autres alternatives n'auraient pas permis d'atteindre
le même niveau d'efficacité dans la réalisation desdits objectifs. Deux ans d'emprisonnement
n'est pas un chiffre choisi au hasard, puisqu'il concerne une catégorie concrète d'infractions
que le Parlement considère comme graves.

Dans le contexte de notre étude, l'arrêt examiné est également important en raison
du fait qu’il a retenu que, s'agissant de la justification des restrictions, c’était au gouvernement
qu'incombait la charge de prouver qu'il visait les objectifs appropriés, que les restrictions
étaient liées à ces objectifs et qu'elles étaient minimales et proportionnées aux effets
bénéfiques obtenus (par. 7, 10). La Cour a observé que l'absence de preuves empiriques
démontrant que telle ou telle restriction pouvait atteindre les objectifs que le gouvernement
tentait de réaliser n’était pas un obstacle pour justifier les restrictions (par. 18). Faute de
données quantitatives ou empiriques, la tâche de justification relève de l'analyse de la
motivation humaine, de la détermination des objectifs et de la compréhension des
philosophies sociales et politiques (par. 90). Cela montre que certaines restrictions pourraient,
peut-être, être justifiées avec une précision mathématique, alors que d'autres, celles qui
concernent les considérations philosophiques, politiques et sociales ne pourraient pas l'être.
Dans ces cas, il faudrait recourir à la logique avec une prise en compte du contexte social.
Cela veut dire qu'une personne raisonnable qui analyse les preuves fournies doit pouvoir
parvenir à des conclusions quant à la conformité de la restriction aux objectifs.

Il serait difficile de ne pas donner raison à cet avis. Il convient aussi de rappeler la,
d’une part, le fait que la Cour en tant qu'organe ne peut être impliquée dans la recherche et
l'évaluation des données empiriques et que, d’autre part, elle pourrait être limitée dans une
telle entreprise, par la nature spécifique des questions mêmes que ces données
462

concerneraient1293. Il en irait ainsi à plus forte raison si les données en question étaient
contradictoires, inaccessibles ou échappaient à la compréhension du public.

D'un autre côté, au cas où le rapport entre la restriction et l'objectif ne pourrait être
établi avec une précision mathématique, il n'est pas à exclure que les situations où les données
empiriques puissent servir de repères. Même en invoquant la logique en tant que motif de la
justification, la Cour part d'une information communément accessible, dont une partie
pourrait être considérée comme une sorte de "données empiriques". En sont les témoins les
publications relatant l'expérience du fonctionnement des établissements pénitentiaires. La
Cour peut, en outre, avoir accès à des informations contenant les avis des théoriciens sur
l'impact de certaines restrictions ou sur l'absence de témoignages pertinents. Toutefois, de
telles preuves seraient "douteuses" aux fins du test d'Oakes1294. Ce fut le cas de l'affaire Sauvé
où l'insuffisance ou, pour être plus précis, l'absence de preuves empiriques1295 attestant que la
restriction contribuait à la prévention des infractions ou à la responsabilité fut utilisée comme
une preuve a contrario1296. Il apparaît donc que l'accessibilité des données empiriques pour le

1293
Dans ce contexte, D. Pinard apprécie la phrase de K. Davis disant que "Le droit répond à
certaines questions en s'appuyant sur la science, à certaines autres à la place de la science et il répond à
beaucoup de questions auxquelles la science ne peut répondre" (Davis K.C., Administrative Law of
the Eighties, Supplement to Administrative Law Treaties, San Diego: K.C. Davis Pub. Co., 1989, p.
371 : Cité dans Pinard D., La promesse brisée de Oakes, in Charte : Essais critiques sur l’arrêt R. c.
Oakes / The Limitation of Charter Rights : Critical Essays on R. v. Oakes. sous la direction de Luc B.
Tremblay et Grégoire C.N. Webber, Montréal, Éditions Thémis, 2009, p. 136). Commentant l'arrêt de
la Cour dans l'affaire Oakes D. Pinard affirme qu'une erreur a été commise. Le fait que le test de
proportionnalité doit être objectif, vu qu'il est considéré comme étant valable pour prouver le bien-
fondé ou le mal-fondé des restrictions. Il s'avère toutefois que la Cour n'a pas pu s'en tenir à ce postulat
étant donné que les faits sociaux sont imprécis d'après leur nature. Les affirmations les concernant ne
sont ni justes ni fausses. Il s'agit du "monde d’approximations". De plus, les sciences sociales qui
maîtrisent généralement les questions qui se posent devant la Cour ne savent pas en règle générale ce
qui pourrait être utile pour la résolution des affaires (Pinard D., Ibid, p. 134-135).
1294
Pal M., Democratic Rights and Social Science Evidence, National Journal of Constitutional
Law, 2014, n° 32, р. 155-156.
1295
La minorité dans cette affaire soulignait que les preuves se fondaient principalement sur un
grand nombre d'avis experts de théoriciens dans le domaine de la philosophie du droit et de la
philosophie politique auxquels on ne devrait pas se fier aussi librement. Dans le même temps, les
données empiriques relatives aux effets de l'instauration ou de la suppression de l'interdiction du vote
pour les détenus n'étaient pas suffisantes par exemple en matière de criminologie (par. 101 de l'arrêt).
D'un autre côté, la majorité qui demandait à la minorité des preuves empiriques s'appuyait elle-même
sur des preuves théoriques et des repères axiologiques. Ainsi que le fait noter G. Webber, l'argument
moral et politique de la majorité dans cet arrêt s'avéra être inadmissible de la même manière et avait en
général peu de chances d'être accepté (Webber G., The Negotiable Constitution: On the Limitation of
Rights, New York, Cambridge University Press, 2009, p. 83).
1296
Nous pensons que l'absence de preuves empiriques du rapport de la restriction des droits des
détenus avec un objectif légitime devrait être comprise comme un argument en leur faveur pour
plusieurs raisons: а) l'application du principe іn dubio pro reo, bien que son application dans le droit
pénitentiaire soit relativement limité et nécessite d'être modifiée; b) la reconnaissance par la théorie
des restrictions des droits et par la jurisprudence des juges étrangers du fait que la charge de la preuve
de justification des restrictions des droits doit incomber à l'État.
463

sujet de justification des restrictions constitue un autre dimension revêtant une importance
fondamentale.

À côté des aspects juridiques évoqués, l’arrêt Sauvé a soulevé des questions
importantes de fonctionnement et d'interprétation de la Charte. Le résultat du vote de la
décision qui donna cinq voix de juges "pour" et quatre voix "contre" en témoigne avec
éloquence.

D. Brown présente une analyse détaillée de l'arrêt 1297 en pointant du doigt nombre
de ses défauts et effets possibles. En soutenant les juges de la minorité, il critique la Cour
suprême pour son manque de conséquence dans la vision du rôle des objectifs abstraits
pouvant servir de motif aux restrictions. La Cour critique les objectifs de la restriction
défendus par le gouvernement pour leur flou et, d'après la Cour elle-même, pour leur
"suspicion". Dans le même temps, elle se réfère aux objectifs abstraits analogues en justifiant
la nécessité de supprimer la restriction du droit des détenus de voter. Parmi ceux-ci, il y a
aussi le but de renforcement des principes démocratiques par le fait que les détenus peuvent
élire les personnes qui écrivent les lois que doivent respecter ces mêmes détenus. Autrement,
la non-participation au processus d'élection du législateur compromet la légitimité de ce
dernier.

D'autre part, David Brown estime que l'arrêt a soulevé le problème du rapport de
l'interprétation de la Charte avec la Charte elle-même. Dans cette affaire, la Cour a utilisé la
norme Oakes élaborée par elle-même, laquelle, pourtant, n'est qu'une interprétation de la
clause limitative fixée à l'article 1 de la Charte: "(La Charte) garantit les droits et libertés qui y
sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui
soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société
libre et démocratique". Le principe retenu dans l'affaire Oakes, qui joue le rôle de guide
pratique dans l'application de l'article 1 de la Charte1298 est en même temps plus limité, d'où la
question de savoir pourquoi la Cour n’a pas pris en compte un contenu plus large pour l'article
1 de la Charte.

L'observation citée de David Brown est directement liée à la pierre d'achoppement


dans l'affaire Sauvé: le problème du dialogue entre le Parlement et la Cour suprême du

1297
Brown D.M., Sauvé and Prisoners’ Voting Rights : the Death of the Good Citizen, Supreme
Court Law Review, 2003, Vol. 20, р. 297-342.
1298
Dans l'affaire RJR-MacDonald Inc. v. Canada (Attorney General), [1995] 3 S.C.R. 199 (par.
126) la Cour rappelait aux instances inférieures que la norme du test d'Oakes n'était qu'un guide pour
l'application de l'article. Quant au contenu de celui-ci il devrait être trouvé dans l'article même.
464

Canada1299. Il a tenu à la possibilité de l'intervention de la Cour sur les questions politiques


par l'utilisation de ses compétences1300. La question de la privation du droit de vote des
détenus était considérée comme relevant de cette matière. Ainsi qu'il a déjà été observé, les
juges de la minorité ont critiqué la Cour pour s’être occupé de questions de nature politique,
au lieu d'étudier la conformité de la norme de la loi aux dispositions de la Charte relatives à
l'interdiction de voter.

Il convient de souligner que la majorité des juges s'appuyant, dans cette affaire, sur
le test d'Oakes, a conclu à la non-justification de la restriction du droit de vote des détenus.
Par ailleurs, les juges de la minorité en sont venus à une conclusion opposée en s'appuyant sur
le même test d'Oakes. La juge Gontier, par exemple, a invoqué la jurisprudence antérieure de
la Cour pour observer qu'un lien rationnel existait entre la restriction donnée et les objectifs
qu'elle devait atteindre. Pour elle, cela ne demandait pas de confirmations empiriques, ainsi
que l'argumentait la majorité dans cette affaire. Seuls la logique générale et le bon sens
auraient suffi. Il serait suffisant, pour le moins, que le Parlement disposât d'arguments
logiques appropriés1301. Cet exemple démontre que le test de proportionnalité d'Oakes
(comme tout autre test de proportionnalité) n'est pas une panacée. Tout en étant assez sûres de
la justification des restrictions des droits, les idées qui les fondent peuvent, en outre, être
interprétées d'une manière souple et diverger de façon visible, selon le sujet d'application.
L'utilisation de ce test et son résultat peuvent différer en fonction des données empiriques
disponibles ou absentes qui concernent le lien entre la restriction et son objectif.

1299
Une vision critique de ce dialogue dans le contexte de l'arrêt Sauvé voir plus en détail à:
Manfredi С.Р., The Day the Dialogue Died: A Comment on Sauve v. Canada, Osgoode Hall Law
Journal, 2007, Volume 45, n° 1, р. 105-123; Manfredi C.P., Rush M.E., Judging Democracy, Toronto,
University of Toronto Press, 2008, р. 52-62; McCormick P.J., The End of the Charter Revolution:
Looking Back from the New Normal, Toronto, University of Toronto Press, 2014, р. 121-125.
1300
L'arrêt Sauvé est exceptionnel en ce qu’avant son adoption la Cour suprême prêtait très peu
d'attention au rôle du parlement dans les affaires concernant la privation du droit de vote qui existaient
en grand nombre (Hulme K.C., The Unnatural Likeness of Deference: the Supreme Court of Canada
and the Democratic Process. A thesis for the degree of Doctor of Philosophy, Ontario, Queen’s
University Kingston, 2011, p. 204.). Ainsi que le note C. Feasby, la décision dans l'affaire Sauvé fait
partie de celles qui peuvent se caractériser comme étant attachées à l'évaluation parlementaire des
valeurs démocratiques mais sceptiques quant au choix des moyens (des restrictions – N.D.L.A.) par le
parlement pour atteindre les objectifs voulus (Feasby C., Freedom of Expression and the Law of the
Democratic Process, Supreme Court Law Review, 2005, n° 29, S.C.L.R. (2d), p. 285). Cette thèse
n'est pas bien fondée car la Cour était assez critique et dans l'appréciation des objectifs mêmes tout en
les considérant comme acceptables. Dans l'ensemble cette critique est considérée comme un exemple
de l'analyse minutieuse des motifs de l'État pour la restriction de droits (Partisan M.P., Manipulation
of the Democratic Process and the Comparative Law of Democracy, A thesis for the degree of Doctor
of Juridical Science, Toronto, University of Toronto, 2014, р. 274-275).
1301
Manfredi C.P., Rush M.E., Judging Democracy, Toronto, University of Toronto Press, 2008,
p. 58.
465

La décision Sauvé est examinée comme visant la résolution du conflit portant sur
le droit politique de voter, mais elle est aussi envisagée comme un acte pouvait être utilisé
pour justifier les restrictions des droits des autres détenus. Elle reste importante pour l'avenir
des droits des autres détenus, y compris les droits énoncés dans la Charte1302. Certes, la
restriction du droit de vote des détenus revêt son propre caractère spécifique. Son principal
trait distinctif tient à ce que cette restriction ne peut pas être justifiée par des considérations de
sécurité de l'établissement servant ordinairement à justifier les restrictions d'autres droits, car
ces arguments ne seraient pas pertinents1303. Cela n'empêche toutefois pas d'évaluer les
conclusions générales de cette décision en matière de proportionnalité des restrictions des
droits des détenus comme étant tout à fait convenables pour l'examen portant sur la restriction
d'autres droits.

Efrat Arbel estime notamment que cette décision peut être utilisée dans la mise en
œuvre des mesures d'isolement dans le cadre des établissements pénitentiaires. L'auteur
dégage, dans ce contexte, des principes normatifs tels que contenus dans l'affaire Sauvé et qui
peuvent être utiles. L'un d'eux prévoit, par exemple, que la sanction ne doit pas être exécutée
suivant des modalités non modulées (non flexibles) de manière à ne pas permettre de traiter
les détenus comme des "outsiders temporaires" du système de protection des droits par l'État.
Cette approche ne répond pas aux principes d'inclusivité et d'égalité. La décision fournit des
outils permettant de faire la distinction entre les mesures d'isolement qui limitent les droits,
contenus dans la Charte et qui peuvent être autorisés et les mesures qui contestent des droits et
doivent être soumises à une justification plus détaillée1304. Cette position reflète, entre autre,
l'applicabilité de certaines dispositions de la norme de proportionnalité dans le contexte
pénitentiaire. Ainsi, l'exigence de souplesse prévoit-elle que les restrictions applicables aux
détenus pour le temps de leur mise à l'isolement (administratif ou disciplinaire) ne devraient
pas être non individualisées.

Notons, pour conclure, que l'exécution au Canada de l'arrêt rendu dans l'affaire
Sauvé reste toujours problématique. Ceci tient au fait que les litiges accessoires portant sur la

1302
Parkes D., A Prisoners’ Charter?: Reflections on Prisoner Litigation under the Canadian
Charter of Rights and Freedoms, University of British Columbia Law Review, 2007, Vol. 40.2, p.
641.
1303
Parkes D., The Punishment Agenda in the Courts, Supreme Court Law Review, 2014, n° 67,
p. 605.
1304
Arbel Е., Contesting Unmodulated Deprivation: Sauvé v Canada and the Normative Limits
of Punishment, Canadian Journal of Human Rights, 2015, Vol. 4.1, р. 121-141.
466

protection de ce même droit des détenus se poursuivent malgré l'arrêt de la Cour suprême1305.
L'une des causes d'un tel rejet réside, à notre avis, en ce que le résultat de l’application de la
norme de proportionnalité choisi par la Cour n'a pas été confirmé par des preuves empiriques
suffisamment "fermes" pour pouvoir contester les arguments du gouvernement. Il est à
souligner, par ailleurs, que cette thèse concerne la restriction qui, normalement, ne doit pas
être mise en rapport avec la sécurité. Si la décision d'une telle portée concernait une restriction
ayant un impact potentiel sur la protection et la sécurité de la société, les attentes de l'opinion
publique quant à la fermeté de la justification auraient été encore plus élevées.

3.4.2.4 Autres décisions en matière de restrictions de droits des détenus

En dépit de l’importante influence des décisions Sauvé et Oakes sur les pratiques
pénitentiaires et la jurisprudence, sur la législation pénitentiaire ainsi que sur la doctrine, la
Cour suprême du Canada (à la différence de la Cour suprême des États-Unis) n’a pas eu à
examiner un grand nombre d'affaires portant sur les restrictions des droits des détenus dans
lesquels seraient directement en équilibre les intérêts de l'individu et de la société. Le peu
d'affaires dans lesquelles cette mise en équilibre a eu lieu ont essentiellement concerné des
aspects d'exercice de certains droits procéduraux. En plus, certains d'entre elles n’ont pas fait
usage du test d'Oakes et se sont bornées à la mise en œuvre d'autres approches vis-à-vis de
l'équilibre et de la proportionnalité sans qu'une importance notable leur fusse accordée.

Dans l'affaire May v. Ferndale Institution1306, la Cour suprême a étudié la


question de l’application possible de l'habeas corpus (liberté fondamentale de ne pas être
emprisonné sans jugement) dans le contexte du changement du régime d'exécution de la peine
pour un régime plus élevé1307. Les requérants, condamnées à la réclusion à vie, se plaignaient
de la nouvelle procédure d'évaluation des risques des détenus, selon laquelle ils avaient été
soumis à un régime de sécurité plus élevé. Cette procédure évaluait automatiquement le
niveau du risque sur la base des données de l'administration pénitentiaire relatives au profil de
l'individu et à son comportement. Bien que ces détenus n’eussent pas enfreint le régime, ils

1305
Dhami M., Cruise P., Prisoner Disenfranchisement: Prisoner and Public Views of an Invisible
Punishment, Analyses of Social Issues and Public Policy, 2013, Vol. 13, n° 1, p. 213.
1306
May v. Ferndale Institution, [2005] 3 S.C.R. 809, 2005 SCC 82.
1307
Cette interprétation découle de la jurisprudence de la Cour selon laquelle l'adjonction de
nouvelles restrictions aux conditions ordinaires de privation de liberté constituait une limitation de la
liberté aux fins d'application de habeas corpus (R. v. Miller, [1985] 2 S.C.R. 613 (§ 637); Dumas v.
Leclerc Institute, [1986] 2 S.C.R. 459 (§ 464)).
467

furent transférés dans un établissement à niveau de sécurité plus élevé.

Un tel changement de la politique, estimaient les requérants, ne répondait pas aux


exigences de la Charte, puisqu'il entraînait une augmentation automatique de l'ensemble des
restrictions qui leur étaient appliquées. La Cour signifia toutefois que, même si la fixation du
niveau de sécurité était réévaluée automatiquement, elle s'appuyait sur une approche
individuelle, compte tenu de l'ensemble des caractéristiques individuelles ayant une
signification pour la détermination du niveau de sécurité1308. Dans le même temps, cette
restriction fut qualifiée de non justifiée, parce que les requérants ne purent pas se faire
communiquer, à leur demande, la matrice sur la base de laquelle le logiciel avait calculé leur
niveau de risque. Les requérants furent informés sur les facteurs ayant influé sur l'évaluation
du niveau de risque, mais ils ne savaient pas quelle valeur avait chacun de ces facteurs pour
l'évaluation du risque. En d'autres termes, ils ne savaient pas quels étaient les facteurs ayant
influé plus ou moins sur leur évaluation négative. Ceci permit de conclure à une irrégularité
de nature procédurale: le non-respect des garanties de la prise correcte des décisions. Le fait
de manquer d'informations complètes prises en compte pour la prise de décision priva ces
condamnés de possibilité de mieux fonder leur recours contre la décision les concernant1309.
La Cour suprême conclut donc que la restriction portant sur le changement du régime de
sécurité n'était pas conforme à la Charte.

Dans l'affaire Cunningham v. Canada1310, le requérant invoquait la violation de


l'article 7 de la Charte, en raison de la modification des modalités de la mise en liberté sous
condition. L'individu bénéficiait du droit d'être mis en liberté automatiquement avec mise
sous surveillance obligatoire, ce, après l'expiration d'environ les deux tiers de sa peine, sous
réserve d'une bonne conduite dans l'établissement correctionnel. Toutefois, peu avant la date
attendue de mise en liberté, la législation en la matière fut modifiée.

Conformément aux modifications survenues, le Commissaire du Service

1308
Notons à ce propos que la rédaction antérieure de la Loi sur le système correctionnel et la mise
en liberté sous condition exigeait un environnement le moins restrictif pour les détenus. Cette exigence
concernait également la détermination du niveau de sécurité de l'établissement d'exécution de la peine,
étant donné que ce niveau devait être strict nécessaire. L'article 28 de la Loi dispose toujours que dans
la détermination du niveau de sécurité l'environnement ne doit assurer que les restrictions nécessaires
compte tenu de la protection de la société, de la sécurité des détenus et des autres personnes, y compris
le personnel.
1309
Cette exigence est fixée à l'article 27 de la Loi citée. Dans l'affaire semblable Mission
Institution v. Khela, [2014] SCC 24, 1 S.C.R. 502, le détenu fut transféré dans l'établissement d'un
niveau de sécurité différent mais il n'eut pas l'accès à l'information sur la base de laquelle était prise la
décision de changer le niveau de sécurité. La Cour constatait que la décision n'était pas juste au plan
procédural.
1310
Cunningham v. Canada, [1993] 2 S.C.R. 143.
468

correctionnel1311 reçut le droit de soumettre à la Commission des libérations conditionnelles


du Canada des avis négatifs à propos de la mise en liberté sous condition, ce, s'il avait des
raisons d'estimer que l'intéressé pouvait commettre, pendant la période de surveillance, un
crime grave causant la mort ou un autre préjudice considérable. La Commission, pour sa part,
pouvait refuser la mise en liberté anticipée. Suite à la mise en application des modifications
évoquées, la demande de refus de la mise en liberté sous conditions fut satisfaite en raison de
quoi le requérant se plaignait de la violation de l'habeas corpus.

Examinant cette affaire, la Cour se référait notamment, à l’équilibre des intérêts


individuels et sociaux. Elle observait que l'intérêt de la société était de se protéger contre la
violence susceptible de survenir du fait de la mise en liberté anticipée. L'équilibre fut
maintenu au détriment des attentes du détenu concernant les modalités d'exécution de sa
peine. Ce changement n'était contraire en soi à aucun principe de justice fondamentale.

Toutefois, la Cour n'étudia pas les détails de la mise en équilibre en tant que
justification de la restriction. Elle insista, en revanche, sur le respect d'autres principes de
justice fondamentale de nature procédurale. Ceux-ci étaient assurés par la fixation des
modifications en question dans la loi, par l’audience relative à la mise en liberté sous
conditions, par la possibilité d'y assister, par des audiences nouvelles et par le caractère limité
de la marge d'appréciation du Commissaire pénitentiaire.

Il est intéressant de noter que la norme de proportionnalité élaborée dans l'affaire


Oakes en accord avec l'article 1 de la Charte fut utilisée pour établir la proportionnalité de la
sanction. C'est ainsi que dans l'affaire R. v. Smith (Edward Dewey)1312, le requérant se
plaignait de la non-proportionnalité de la condamnation minimale automatique pour sept ans
et demi de privation de liberté pour avoir introduit au Canada environ 200 grammes de
cocaïne1313. La Cour constatait que cette approche du législateur était contraire à la Charte,
parce qu'elle ne correspondait pas aux dispositions de l'article 1. L'originalité de cette décision
consiste en ce que la Cour a considéré la sanction qui représentait un ensemble de restrictions
comme étant une seule restriction complexe d'après l'article 1 de la Charte. La Cour a utilisé
la clause limitative de l'article 1 de la Charte pour statuer sur la justification de l'intervention

1311
Сommissaire du Service correctionnel – officier supérieur du Service correctionnel répondant
du contrôle et du management du Service, y compris les programmes réalisés en période de detention
et la surveillance après la mise en liberté.
1312
R. v. Smith, [1987] 1 S.C.R. 1045.
1313
La loi prévoyait une peine minimale de sept ans.
469

au regard du droit de ne pas être soumis à un "traitement cruel ou inusité" (article 12)1314.

Il est à noter que la Convention européenne utilise aussi les clauses limitatives de
certains droits pour déterminer le bien-fondé d'une sanction, qui est considérée, dans ce cas,
comme étant une catégorie de limitation du droit1315. La différence tient au fait que le Canada
accorde la possibilité d'évaluer directement le bien-fondé du droit de ne pas être soumis à un
"traitement cruel ou inusité" alors que la Convention européenne n'admet absolument pas la
restriction de ce droit.

Nous voyons donc qu'il est possible d'évaluer l'ensemble des restrictions à l'aide
de la norme de proportionnalité. Son application à des sanctions particulières, en tant que
restrictions complexes (par exemple punitions ou changement du régime de détention),
demande que la norme de proportionnalité soit fixée au niveau constitutionnel. Nous
obtiendrions ainsi la garantie que cette norme puisse s'appliquer à un cercle plus large de
rapports, et non seulement aux cas de restrictions individuelles de droits.

Conclusion du sous-chapitre 3.4.2

La décision de la Cour suprême du Canada rendue dans l'affaire Solosky représente


l'une des décisions judiciaires principales en matière de restrictions de droits. Dans cette
affaire, le détenu perdit le procès portant sur son droit à la correspondance confidentielle avec
l'avocat. Cependant, la Cour fit une analyse de la proportionnalité de restriction de droits qui
eut, par la suite, un effet sur l'application de la norme aux affaires concernant des détenus. La
Cour insistait sur le maintien, pour ces derniers, de tous les droits, sauf exceptions prévues par
la loi, le principe de restrictions minimales ainsi que sur l'équilibre des intérêts individuels et
des intérêts de la société. Cet arrêt montra, en outre, que la Cour ne s’était pas décidée à
mettre en doute la décision de l'administration pénitentiaire pour déterminer si une telle
restriction du droit à la correspondance était nécessaire à la sécurité.

Une autre décision considérée comme progrès essentiel dans le domaine des normes
de restriction des droits des détenus a été rendue dans l'affaire Sauvé. La Cour suprême y a

1314
Cela confirme la restriction possible de ce droit au Canada. Notons que la Convention
européenne n'admet aucune restriction du droit similaire énoncé à l'article 3 de la Convention mais
n'est pas identique à la formulation de l'article 12 de la Charte: "Chacun a droit à la protection contre
tous traitements ou peines cruels et inusités ".
1315
L'emprisonnement peut être considéré par exemple comme une restriction non justifiée du
droit à la liberté d'expression d'après l'article 10 de la Convention (cf. Perinçek c. Suisse (nº 27510/08,
15.10.2015), Shvydka c. Ukraine (nº 17888/12, 30/10/2014)).
470

conclu que l'interdiction de voter, faite aux personnes condamnées à deux ans et plus de
privation de liberté, était contraire aux normes de la Charte. L'un des points principaux des
débats conduisant à l'adoption de cette décision a porté sur la question de savoir si
l'interdiction de voter imposée aux détenus contribuait à l'objectif de renforcement de leur
responsabilité civique et à celui de prévention des infractions. Les parties furent confrontées
au problème d'absence de preuves empiriques valables pour confirmer ou réfuter cette thèse.
Dans ces conditions, la Cour suprême décida de s'appuyer, dans ses jugements, sur l'analyse
de la motivation humaine, sur la détermination des buts et sur la compréhension de la
philosophie sociale et politique. La Cour a estimé que certaines restrictions pouvaient être
justifiées avec une précision mathématique, alors que d'autres, celles qui concernaient les
considérations philosophiques, politiques et sociales, ne pouvaient pas l'être. Dans ces cas, il
fallait recourir à la logique et à la philosophie. Le caractère controversé de la décision (cinq
juges étaient "pour", tandis que quatre étaient "contre") tenait, à notre avis, à l'impossibilité de
prouver, en l'absence de preuves empiriques, que la restriction pouvait atteindre les objectifs
qu'elle visait.

La jurisprudence de la Cour suprême du Canada n'abonde pas en décisions qui, de


manière semblable à l'arrêt Sauvé, soient focalisées sur le bien-fondé des restrictions de droits
au sens commun. D'un autre côté, certains traits de la norme de restrictions de droits peuvent
être remarqués dans les décisions portant sur le lieu d'exécution des peines, sur l'évaluation
automatique des risques en tant que motif de changement de régime, de mise en liberté sous
condition, de sanction minimale automatique, etc. Ces décisions se distinguent
fondamentalement par la démonstration du lien entre la restriction et l'objectif qu'elle poursuit
et qui doit être légitime, ladite restriction devant être proportionnée ce qui suppose qu'elle soit
minimale. Nous observons que la norme de restrictions peut être appliquée à un vaste cercle
de questions, qui naissent pendant l'exécution des peines. C'est la raison pour laquelle la
norme de proportionnalité des restrictions acquiert une nouvelle importance qui s'explique par
la possibilité de son application, non seulement aux restrictions ponctuelles, mais aussi, à des
restrictions complexes telles que la punition, le changement de régime d'exécution de la peine,
l’application d’une sanction disciplinaire et autres.

Le Canada fournit l'exemple d'une application attentive par le juge de la norme de


proportionnalité dans les affaires carcérales. D'autre part, l'expérience de ce pays montre toute
l'importance de l'attitude sérieuse des juges à l'égard de l'application de la norme de
proportionnalité contenue dans la législation. Cette attitude contribue à un débat large et
argumenté entre toutes les parties intéressées, en exigeant des juges une motivation détaillée
471

de la question de bien-fondé ou de mal-fondé des restrictions. L'exemple canadien montre que


l'analyse approfondie de la proportionnalité des restrictions des détenus peut avoir besoin, non
seulement, de logique et de rationalité, mais aussi de données empiriques. Leur défaut peut
conduire à des avis controversés au sein de la société à propos des décisions arrêtées.
472

Conclusion du chapitre 3.4

La norme canadienne de restrictions de droits est unique en son genre, par rapport aux
autres pays que nous analysons ici. Cette unicité tient à deux aspects: 1) La norme de
restriction du droit est fixée dans la loi comprenant des garanties procédurales importantes qui
revêtent non pas un caractère déclaratif, mais pratique, puisqu'elles sont effectivement
appliquées; 2) La jurisprudence s'appuie sur la norme de restriction qui est conçue comme une
exigence concrète. La norme a été élaborée en prenant en compte les dispositions de la Charte
et elle a été utilisée dans les dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en
liberté sous condition de 1992.

Résultat d'un long travail d'experts, la Loi reflète nombre de normes relatives aux
restrictions des droits dont le niveau de modernité n'est pas en retard sur l'actualité. Les
composantes essentielles de cette norme consistent en l’exigence de garanties procédurales
contre l'application de restrictions non justifiées de droits, ainsi que de minimalité des
restrictions ainsi que de proportionnalité. Tout ceci distingue, à notre avis, le Canada, de
manière positive, par rapport à d'autres pays. Il est à noter que les débats dans la société
canadienne montrent l'importance attachée à la mention spéciale de l'exigence de minimalité à
côté du principe de proportionnalité, bien que ce dernier doive être considéré comme incluant
la minimalité. C'est pourquoi le maintien par le Canada de l'exigence de proportionnalité et la
suppression de l'exigence nette de minimalité des restrictions dans la Loi qui a été opérée pour
faciliter le fonctionnement du système pénitentiaire, a été accueilli par les juristes et les
activistes comme un pas en arrière dans le rôle pratique de la clause limitative pour la défense
des droits des détenus.

L'attitude sérieuse de la société canadienne vis-à-vis de la norme de restrictions permet


d'observer l'importance des preuves empiriques servant à démontrer que la restriction est
nécessaire pour atteindre tel objectif et qu'elle n'est pas excessive. Par ailleurs, il apparaît
évident, dans ces conditions, que les juges sont limités dans la résolution de la question
principale: La restriction était-elle nécessaire pour la sécurité/la prévention d'infractions ou
pour tout autre objectif que la société assigne à la prison ? Ceci fait que, pour résoudre des
questions discutables relatives à la proportionnalité d'une restriction ou d'une autre, les juges
réclament des preuves "fermes", que peuvent fournir les données empiriques appropriées.
Cela peut concerner surtout les affaires où la restriction paraît douteuse du point de vue de la
sécurité de la société, car celle-ci demande à être sûre de la sécurité des restrictions.
473

L'exemple canadien montre, également, que la norme de restrictions de droits peut


s'appliquer, non seulement, comme une mesure du bien-fondé des restrictions individuelles,
mais aussi pour évaluer la justification d'un ensemble de restrictions aux droits, comprenant,
notamment, le type de la peine, le changement de régime ou l'extradition. Cela souligne le
rôle complémentaire de cette norme et les perspectives qu’offre son développement dans le
domaine pénitentiaire.
474

3.5. Belgique

Tout comme le Canada, la Belgique peut être analysée comme fournissant un autre
exemple d'introduction directe dans la législation d'idées théoriques marquantes dans le
domaine des droits des détenus. Cela concerne totalement les restrictions des droits.

La Constitution de ce pays ne prévoit pas des normes spécifiques concernant les


détenus. D'après les théoriciens belges, cela signifie que leurs droits doivent être définis à
partir des droits fondamentaux reconnus à chaque citoyen, ce, en analysant, pour chacun de
ces droits, à quel point l'emprisonnement justifie les restrictions qui leur sont appliquées1316.

3.5.1. Loi pénitentiaire

La Loi de Principes concernant l'administration pénitentiaire ainsi que le statut


juridique des détenus de 2005, désignée généralement "Loi Dupont" est considérée comme un
pas décisif franchi sur le chemin historique d'évolution de l'exécution des peines en
Belgique1317. Avant cette loi, la plupart des aspects de la vie pénitentiaire relevaient de la
marge d'appréciation du pouvoir pénitentiaire1318. Le pouvoir exécutif organisait le
fonctionnement du système pénitentiaire au moyen d'arrêtés et de circulaires. Cette situation
était souvent source d' "insécurité juridique", car elle posait des barrières à l'égard des normes
internationales, du milieu politique belge et du pouvoir législatif en général 1319. La crise

1316
Verdussen M., Contours et enjeux du droit constitutionnel pénal, Bruxelles, Bruylant, 1995,
p. 474.
1317
En 1996, le ministre de la justice S. De Clerck soumettait au parlement la note d'orientation
"Politique pénale et exécution des peines" dans laquelle il soulignait la nécessite des réformes dans le
domaine des peines et présentait des voies de réalisation de ces réformes. En conséquence, le ministre
chargea Lieven Dupont, professeur de droit pénal, de pénologie et de droit pénitentiaire à l'Université
catholique de Louvain, de préparer l'avant-projet de loi relative aux principes d'administration
pénitentiaire et d'exécution des peines privatives de liberté. Le prof. Dupont commença son travail le 1
octobre 1996 dans le cadre d'un comité d'accompagnement qui comprenait des fonctionnaires dont les
activités étaient en rapport avec la politique pénale, un juge et un expert indépendant. Son rapport
sortit au bout d'un an. Cet événement fut suivi par la mise en place de la "Commission Dupont" qui
termina en 2000 son rapport final. Ce document est considéré comme base préparatoire principale de
la Loi pénitentiaire.
1318
Giovannini N., Zingoni M., Belgium – Country Report. Imprisonment in Europe, Brussels,
European Commission, 2013, p. 13.
1319
Mary P., La nouvelle loi pénitentiaire. Retour sur un processus de réforme (1996-2006),
Courrier hebdomadaire du CRISP, 2006, n° 11 (n° 1916), p. 5.
475

législative portait notamment sur la définition, par le pouvoir exécutif, du contenu et de la


signification de la peine privative de liberté, sur l'absence de la protection juridique des
détenus, sur la révision de jugements en mettant à contribution le pouvoir législatif, etc.1320.
Aussi, malgré le long ajournement de son entrée en vigueur1321, son adoption fut-elle
accueillie comme un contraste important dans le développement du cadre régulateur dans le
domaine pénitentiaire1322. L'effet était renforcé par le fait que la loi reflétait des idées fixées
dans les normes de la CEDH, du CPT et des RPE1323.

Le document comporte nombre de règles détaillées, qui fixent directement les normes
de restrictions de droits. Dès le chapitre "Principes fondamentaux généraux", l'article 6
dispose que "le détenu n'est soumis à aucune limitation de ses droits politiques, civils,
sociaux, économiques ou culturels autre que les limitations qui découlent de sa condamnation
pénale ou de la mesure privative de liberté, celles qui sont indissociables de la privation de
liberté et celles qui sont déterminées par ou en vertu de la loi".

Il convient de souligner d'emblée que cette norme peut être interprétée de façon
ambiguë, à savoir: la condamnation (ou la mesure privative de liberté) et la loi constituent des
sources distinctes de restrictions. Il est donc possible que la condamnation soit source de
restrictions malgré l'absence de l'éventualité prévisible de limitation d'un droit dans la loi. Les
théoriciens belges observent à ce propos que les restrictions justifiées par l'emprisonnement
n'en doivent pas moins être déterminées par la loi1324.

Le professeur Xavier Dijon soumet la loi à une juste critique grammaticale, en


insistant sur la nécessite d'analyser le concept même de privation de liberté en tant source de
restrictions. En désignant la virgule placée entre la source de nature juridique (limitations qui

1320
Mary P., Ibid, p. 9 ; voir aussi: Seron V., La loi de principes concernant l’administration
pénitentiaire et le statut juridique des détenus : vers la fin d’un non-droit ? , Journal des Tribunaux,
2006 (30 sept.), p. 553-563 ; Bartholeyns F., Béghin J., La loi de principes du 12 janvier 2005, vecteur
de changements dans l’univers carcéral belge ? , Revue de Droit Pénal et de Criminologie, 2005, liv.
9-10, p. 862–893.
1321
Beernaert M.-A., Manuel de droit pénitentiaire. Préface de Françoise Tulkens, Louvain-la-
Neuve, Anthemis, 2007, р. 26-30.
1322
En 2006 était adoptée également la Loi relative au statut juridique externe des personnes
condamnées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des
modalités d'exécution de la peine. Cette loi porte sur les questions de mise en liberté sous conditions et
sur d'autres types de mise en liberté, les permissions, d'autres questions à caractère purement
procédural, sur le statut de la victime pendant l'exécution de la peine.
1323
Dupont L., Smaers G., Les nouvelles règles pénitentiaires européennes et la loi de principes
de 12 janvier 2005 concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus,
Une criminologie de la tradition à l’innovation (en hommage à Georges Kellens), Bruxelles, Éditions
Larcier, 2006, p. 297-322.
1324
Giovannini N., Zingoni M., Belgium – Country Report. Imprisonment in Europe, Brussels,
European Commission, 2013, p. 11.
476

découlent de la condamnation pénale ou de la mesure privative de liberté) et la source de


nature effective (limitations qui sont indissociables de la privation de liberté), le professeur
pose la question: quelles sont les privations qu'entraîne la condamnation pénale elle-même?
Une autre question consiste à savoir s'il est admissible qu'une limitation ne découlant pas de la
condamnation, ne soit pas indissociable de la privation de liberté, tout en étant déterminée par
la loi? Le professeur problématise le sujet par d'autres interrogations. Citons notamment la
question du rapport des normes relatives aux limitations dans cette loi et dans d'autres lois
pouvant comporter de telles normes. Sachant que cela peut influer sur la résolution du
problème de concurrence des normes, celle de l'article 6 serait-elle une norme à caractère
général ou à caractère spécial1325?

D'autres spécialistes ayant analysé en détail cette norme observent son caractère
ambigu. Dans leur étude portant sur le droit des détenus à la sécurité sociale, Véronique Van
der Plancke et Guido Van Limberghen procèdent à une analyse minutieuse de cette norme
dans le contexte de son impact éventuel sur la limitation du droit à l'assurance sociale.

Les auteurs font remarquer, à juste titre, qu'à la lumière de l’article 6, la limitation du
droit à la sécurité sociale des détenus paraît douteuse. La loi prévoit, à leur avis, trois sources
de limitation:

1. La condamnation en elle-même (par exemple en cas d'interdiction d'exercer une


activité) ;

2. Les impératifs indissociables de la privation de liberté (sécurité extérieure ou


intérieure, maintien de la vie communautaire dans l'établissement) ;

3. La loi (motifs découlant des règles du procès pénal; par exemple privation du droit
de vote d'après la loi électorale)1326.

Les deux premières sources ne posent pas de problèmes, ainsi que l'estiment ces
auteurs, sous réserve, certes, qu'il n'y ait pas besoin d'analyser correctement et logiquement ce
qui "découle" effectivement de la condamnation ou ce qui est indissociable de la privation de
liberté1327. Les auteurs se sont posés une question fort proche de celle des restrictions de fait:

1325
Dijon X., Prolégomènes : la protection sociale des détenus : pour quelle sécurité? , Van der
Plancke V., Van Limberghen G., La sécurité sociale des (ex-) détenus et de leurs proches, Bruxelles,
La Charte, 2008, p. 14-15.
1326
Van der Plancke V., Van Limberghen G., Ibid, p. 51.
1327
C'est cette analyse elle-même qui constitue un problème inevitable qui surgit en essayant de
justifier les restrictions de fait (voir les details au 1.3.2 "Classification selon l'origine de la limitation.
Restrictions de droits découlant de l'incarcération").
477

à quel titre la limitation du droit à la sécurité sociale n'est-il pas compatible avec la privation
de liberté? Pourquoi ce droit devrait-il être limité? Sans revenir à la problématique des
restrictions de faits, soulignons seulement que cela confirme à nouveau qu'au lieu de fournir
un instrument complémentaire de protection des droits, ainsi que le souhaitaient probablement
les auteurs de la loi, la fixation de la norme relative à la non-restriction des droits, à moins
d’exceptions tenant à leur exercice en détention, provoque une confusion. Cette norme
n'accorde pas d'arguments complémentaires à la personne nécessitant la défense de son droit.
Elle pourrait plutôt être utile en cas d'application par le représentant du pouvoir de sa marge
d'appréciation en faisant recours à des limitations de droits.

En ce qui concerne la troisième source, les auteurs estiment qu'elle suscite un doute:
ne créerait-t-elle pas le risque de violation du principe de "protection juridique", car il s'avère
que le détenu a droit à tout ce qui n'est pas interdit par une autre loi. Il en découle que la loi
relative aux principes admet elle-même des limitations de son propre principe de respect des
droits de l'homme par une autre loi.

Van der Plancke et Van Limberghen soutiennent, en partant de la loi, que la limitation
du droit des détenus à la sécurité sociale devrait être soumise au test correspondant de
"justification". Ils se réfèrent à ce propos au rapport de la Commission Dupont 1328, lequel
soutenait que les limitations des droits fondamentaux devraient être fixées dans la loi et
qu'elles devraient être justifiées du point de vue de leur nécessité et de leur but. C'est pourquoi
au cas où serait posée la question de la conformité de la limitation du droit à la sécurité
sociale à la Constitution de la Belgique, la Cour constitutionnelle aurait à répondre à la
question de savoir si la limitation donnée poursuivait un objectif légitime compatible avec la
Loi pénitentiaire, puis, dans l'affirmative, à établir si les mesures utilisées étaient
proportionnelles au but poursuivi1329?

La Loi pénitentiaire dispose spécialement en quoi consiste le caractère punitif de la


peine privative de liberté: il "se traduit exclusivement par la perte totale ou partielle de la
liberté de mouvement et les restrictions à la liberté qui y sont liées de manière indissociable"
(article 9.1). L'exécution des peines doit, pour sa part, être axée sur la réparation du tort causé
aux victimes de l'infraction, sur la réhabilitation du détenu et sur sa préparation personnalisée
à la réinsertion dans la société libre (art. 9.2).

Il convient de noter que la législation belge utilise les termes "réhabilitation" et

1328
Rapport Commission Dupont, Doc. parl., Ch. repr., 2000-2001, Doc 50 n° 1076/001, pp. 49–
60.
1329
Van der Plancke V., Van Limberghen G. Ibid, p. 52.
478

"réinsertion" comme étant deux concepts distincts. La réhabilitation renvoie, de manière


traditionnelle, au renouvellement du statut de citoyen à part entière, tandis que la réinsertion
est considérée comme renvoyant à la limitation des effets négatifs de l'emprisonnement, ainsi
qu’à l’éducation et à l’emploi dans le but de préparer la personne détenue à son retour à la
société1330.

Le principe fondamental de la loi, dès le stade de son élaboration, portait sur la


détermination du statut de détenu en tant que sujet du droit, ce qui devait améliorer les
perspectives de la réinsertion. À cette fin, la privation de liberté devait être définie comme
limitation de la liberté de mouvement qui ne devait être augmentée d'aucun effet punitif de
manière à ce que le détenu puisse conserver tous les autres droits1331. L'attribution d'un tel
statut juridique s'inscrit dans le concept de la punition d'après lequel "la lutte contre le
traumatisme carcéral (…) est considérée comme une condition sine qua non de la réalisation
d'objectifs individualisés, constructifs et orientés vers l'avenir"1332. Si la détention a pour
objectif la réinsertion de l'individu dans la société, dont il a enfreint les normes,
l'encouragement à l'apprentissage de ces normes doit s'effectuer en incitant à l'exercice des
droits et non par la privation de ces droits1333.

La Loi pénitentiaire belge a, en outre, ceci de spécifique, qu'elle fixe clairement le


principe de proportionnalité des restrictions. Les généralités du chapitre "De l'ordre, de la
sécurité et du recours à la coercition" (Chapitre 6) ne comprennent que trois principes: la
combinaison de la sécurité dynamique et de la sécurité statique ; la proportionnalité des
limitations ; et la responsabilité du directeur d'établissement et de son personnel pour le
maintien de l'ordre et de la sécurité (article 105).

Le principe de proportionnalité qui fut un peu modifié par le gouvernement par


rapport à sa version initiale au cours du processus législatif1334, est ainsi exprimé: "Les
obligations et restrictions de droits imposées au détenu en vue du maintien de l'ordre et de la
sécurité doivent être proportionnées à ces objectifs, tant par leur nature que par leur durée"
(article 105.1). Il est intéressant de noter que cette norme, bien que ne faisant pas partie du
chapitre relatif aux principes fondamentaux généraux, vise, de fait, à régler le problème
général de l’application des restrictions, ce qui tient au rapport des objectifs de sécurité et

1330
Giovannini N., Zingoni M., Ibid, p. 15.
1331
Mary P., Ibid, p. 11.
1332
Dupont L., Essai d’avant-projet de loi de principes concernant l’administration pénitentiaire
et l’exécution des peines privatives de liberté. Instituut voor strafrecht, Louvain, KUL, 1997, p. 16.
1333
Détienne J. Les droits fondamentaux des détenus et le droit belge, Revue pénitentiaire et de
droit pénal, 2003, n° 3, p. 532.
1334
Mary P., Ibid, p. 46.
479

d'ordre avec les droits de l'homme. En outre, elle signifie qu'en évaluant la proportionnalité
des restrictions, il faudrait prendre en compte, non seulement, le contenu des restrictions, mais
aussi leur durée.

Le principe de proportionnalité touche directement à l'application de sanctions


disciplinaires qui peuvent porter sur l'application de restrictions de droits concrets. L'article
133 de la Loi pénitentiaire établit la possibilité de limiter le droit de posséder certains objets,
de retirer ou de limiter le droit de servir de la bibliothèque (sauf certains types de littérature
tels que livres religieux), de retirer ou de limiter le droits aux visites ce qui peut se traduire,
notamment, par la mise en place de la cloison pendant les visites, de retirer ou de limiter le
droit au téléphone (ce qui peut se traduire par l'écoute des communications, leur
enregistrement et leur remise aux services de police dans les cas prévus par la loi). Ces
restrictions sont applicables pour une durée maximale de trente jours pour la première
catégorie d'infractions (art. 129) et de quinze jours pour la deuxième catégorie (art. 130).

Une attention particulière est attachée aux personnes placées en détention provisoire.
Même si la Loi ne comporte pas de dispositions concrètes relatives aux limitations de leurs
droits, elle détermine des principes pouvant avoir une incidence sur l'appréhension et l'attitude
vis-à-vis de pareilles limitations. C'est ainsi que l'article dispose que les inculpés doivent être
traités de manière à ne donner aucunement l'impression que leur privation de liberté présente
un caractère punitif. De même, conformément à l'article 13 de la Loi et sauf les restrictions
appliquées en vertu de la loi, les personnes prévenues bénéficient de toutes les facilités
compatibles avec l'ordre et la sécurité.

Un exemple vivant de la tentative législative de recherche de compromis dans


l'application des limitations de droits, est fourni par la règle relative à la nécessité d'accorder
au détenu le droit d'aménager sa cellule, pour autant que cela s'accorde avec l'ordre et la
sécurité d'après le règlement intérieur. Aux termes de l'article 41 de la Loi pénitentiaire, le
détenu peut aménager à sa guise sa cellule pour autant qu'il respecte les dispositions du
règlement d'ordre intérieur relatives à l'ordre et la sécurité. Une disposition similaire concerne
les vêtements des détenus qui doivent être compatibles avec la cohabitation forcée avec les
autres détenus, ainsi qu'avec l'hygiène, la bienséance, l'ordre et la sécurité (article 43.1). De
même, le règlement intérieur permet de conserver des objets lorsque cela n'est pas
incompatible avec l'ordre et la sécurité dans l'établissement (article 45.2). Il est à noter, par
ailleurs, que la concertation avec le détenu à propos des questions relatives aux modalités de
la détention constitue l'une des principes de la Loi. C'est ainsi qu'un plan individuel de
détention est établi en concertation avec le détenu et avec sa participation (article 38.1).
480

Le principe de concertation est une caractéristique spécifique importante de la Loi


pénitentiaire belge. L'article 7 de la Loi signifie que chaque prison doit essayer d'instaurer un
"climat de concertation". L’on crée, à cet effet, dans chaque établissement un organe de
concertation permettant aux détenus de s'exprimer à propos des questions d'intérêt
communautaire auxquelles ils peuvent contribuer. Il en ressort que le détenu participe d'une
certaine manière à l'établissement de l'ordre dans l'établissement dont le respect peut par
ailleurs servir de motif de limitation de ses droits.

La Loi pénitentiaire belge se distingue aussi par une attention particulière attachée à
l'individualisation des limitations des droits. L'article 55 de la Loi, par exemple, permet le
contrôle des lettres pour assurer l'ordre et la sécurité, mais l'article 56 précise que ce contrôle
ne peut s'opérer qu'en présence de signes individuels de la nécessité d'un tel contrôle dans
l'intérêt de la sécurité et de l'ordre. Une règle générale est fixée: la lecture des lettres est
interdite. Or une exception est instaurée aussitôt: la lecture est autorisée en présence d'indices
personnalisés que cela est nécessaire pour le maintien de l'ordre et de la sécurité. L'intérêt de
la sécurité et de l'ordre est établi compte tenu des caractéristiques individuelles de la
personne.

Un accent additionnel est mis sur la modération à respecter en cas d'ingérence dans le
droit à la vie privée dans le 2e alinéa de l'article évoqué, qui dispose que dans les cas où "cela
est absolument nécessaire pour le maintien de l'ordre ou de la sécurité", le directeur
d'établissement peut (en vertu d'une décision motivée) ne pas transmettre au détenu les lettres
ou les objets qui ont été découverts. Le législateur distingue ainsi sur un mode douteux deux
niveaux du bien-fondé de l'application des restrictions: lorsque la sécurité et l'ordre le
nécessitent ; et lorsque la sécurité et l'ordre le nécessitent "absolument".

De la même manière, nous pouvons qualifier d'exigence complémentaire du bien-


fondé la norme selon laquelle les visites des détenus peuvent être interdites en présence
d'indices personnalisés que "la visite pourrait présenter un grave (souligné par nous –
N.D.L.A.) danger pour le maintien de l'ordre ou de la sécurité" (art. 59). Il est vrai que cette
interdiction peut survenir seulement lorsque la sécurité et l'ordre ne peuvent pas être assurés
par la visite à travers une cloison. Ce qu'on appelle des visites intimes peuvent être également
interdites "lorsque la personnalité du détenu constitue une contre-indication à l'octroi de la
visite dans l'intimité" (article 59.1.3).

La visite des personnes n’ont pas de lien de parenté avec le détenu nécessite
l'autorisation préalable du directeur d'établissement. Cette autorisation peut être refusée si la
481

personne concernée ne peut pas justifier d'un intérêt valable ou lorsqu'il existe des indices
individualisés que la visite peut présenter un danger pour le maintien de l'ordre ou de la
sécurité.

La limitation du droit à la vie privée, par la mise en place d’une cloison au parloir,
peut s'appliquer dans les cas où cela est demandé par le visiteur ou le détenu lui-même, si le
visiteur ou le détenu a enfreint antérieurement le règlement des visites et qu'il y a des raison
de soupçonner que cette infraction est susceptible de se reproduire ou encore s'il existe des
motifs sérieux de craindre pendant la visite des incidents pouvant mettre en danger l'ordre ou
la sécurité (article 60.3). Cela confirme l'idée que le législateur exige une approche
individualisée même pour des interventions relativement insignifiantes dans le droit à la vie
privée. Il est exigé à cette fin aux administrations pénitentiaires de prendre en compte le
comportement antérieur du détenu.

Par ailleurs, la restriction portant sur la surveillance de la visite est automatique et


n'admet aucun degré de souplesse (article 62) qui ne réponde pas aux normes de la CEDH et
du CPT. D'un autre côté, la surveillance visuelle est autorisée (c'est-à-dire qu'elle peut être
opérée on non) en cas des visites d'avocats (article 67). La même chose s'applique à la
correspondance (article 40). La Loi insiste sur la nécessité d'une justification plus sérieuse de
l'intervention dans le droit à la visite de l'avocat. Le directeur d'établissement ne peut interdire
ces visites que lorsqu'il y a "de sérieuses raisons de penser que la visite de l'avocat peut
compromettre gravement la sécurité"1335 (souligné par nous – N.D.L.A.). La conception du
caractère "sérieux", tout comme à l'article 40, est assez floue et dépend essentiellement de la
personne appliquant la restriction1336. Une question logique surgit en plus: les restrictions
sont-elles autorisées quand le danger menaçant la sécurité "n'est pas sérieux"?

La limitation totale ou partielle des communications téléphoniques peut être imposée


sous réserve d'indices individualisés révélant qu'elles peuvent menacer le maintien de l'ordre
et de la sécurité (article 64). Cette interdiction, comme dans le cas des visites, doit être
précédée d'une décision motivée qui sera notifiée au détenu par écrit.

Une approche particulière est pratiquée à l'égard du droit aux contacts avec les media.
Ces contacts ne peuvent être autorisés qu'après accord préalable du ministre et ils doivent être

1335
Pour une raison inconnue, la catégorie "ordre" qui est d’habitude placée à côté de la sécurité
dans les clauses limitatives a été oubliée.
1336
Hild B. La liberté de correspondance des personnes détenues : étude de la correspondance
épistolaire en prison : Mémoire de recherche réalisé sous la direction des Pr. A. Darsonville et J.
Fernandez, Année 2012-2013, Lille, Université Lille 2, 2013, pp. 73, 94-95.
482

compatibles non seulement avec le maintien de l'ordre et de la sécurité, mais aussi avec la
morale et la protection des droits et libertés des tierces personnes, ainsi qu'avec le respect des
victimes des infractions (article 70). C'est dire que les objectifs, en vertu desquels peuvent
s'appliquer les restrictions correspondantes, sont un peu élargis par rapport aux objectifs
habituels, soient l'ordre et la sécurité de l'établissement.

La limitation du droit de pratiquer une religion ou une philosophie est reliée à la


nécessité de respecter les droits d'autrui (article 71). La mention d'après laquelle les
restrictions peuvent être liées à la sécurité et à l'ordre ne figure pas dans la règle générale
relative au droit à la profession d'une religion ou d'une philosophie. Elle est toutefois contenue
dans la règle relative au droit aux visites des ministres du culte. De la même manière, la
participation aux rites religieux est autorisée sous réserve de l'ordre, de la dignité et de la
tolérance indissociables de ces rites (article 74.2).

La limitation de la lecture de certaines publications ne peut intervenir que sur décision


du directeur d'établissement. Au besoin, cette décision sera motivée et notifiée par écrit au
détenu concerné. Cette limitation (interdiction) ne peut concerner la publication en totalité ou
en partie que cela est absolument nécessaire pour le maintien de l'ordre et de la sécurité
(article 77.3). Les mêmes motifs servent à interdire certains programmes télévisés ou
radiodiffusés (article 77.4).

L'ordre et la sécurité sont les intérêts (la Loi n'utilise pas le terme "objectifs" dans ce
contexte) justifiant d’appliquer des limitations au droit à la vie privée dans les cas de la fouille
des vêtements (art. 108.1) et de la perquisition dans la cellule1337 (art. 109).

La Loi autorise, par ailleurs, des mesures particulières de sécurité. Elles peuvent porter
sur le retrait de certains objets, sur l'interdiction de participer à certaines types d'activité, la
surveillance durant la journée et la nuit, le séjour obligatoire dans la cellule, le placement en
cellule sécurisée spéciale (art. 112). Ces mesures doivent être proportionnées au danger (art.
110) et s'appliquer pendant un temps strictement nécessaire (art. 112). Les mesures
disciplinaires doivent être limitées aux situations dans lesquelles le maintien de l'ordre et de la
sécurité de l'établissement le justifient "de manière impérieuse" et lorsqu’aucune autre mesure
ne peut être employée pour l'assurer (art. 122).

1337
Les spécialistes estiment toutefois que l'intervention dans la cellule, à la différence des
pratiques actuelles, doit se fonder sur des dispositions législatives (Détienne J., Seron V., Politique
pénitentiaire et droits des détenus en Belgique , in Politiques pénitentiaires et droits des détenus. La
protection des droits fondamentaux des détenus en droit national et international. P. J. P. Tak & M.
Jendly (Eds), Nijmegen, Wolf Legal Publishers, 2008, p. 250).
483

Les détenus conservent le droit aux visites, à la participation à des activités utiles.
Toutefois, ces droits peuvent être exercés pour autant qu'ils soient compatibles avec les
mesures de sécurité (art. 113). Celles-ci constituent un motif complémentaire pour de telles
restrictions qui est de nature évolutive et relève de la marge d'appréciation de la direction
d'établissement.

Les conditions de travail doivent, autant que possible, être proches de celles existant
dans la société libre. Les limitations de ce principe sont admissibles dans les cas où un tel
rapprochement est contraire à la "nature de l'emprisonnement" (article 83), c'est-à-dire qu'il
s'agit de l'existence de l'élément d'admissibilité des restrictions de faits imposées aux détenus.
La permission d'effectuer un travail autre que celui qui est proposé par l'établissement peut
être refusée si ce travail représente un danger pour l'ordre et la sécurité ou si le contrôle
nécessaire de la part de l'administration est trop incommodant (article 85). Le refus doit être
motivé et notifié au détenu par écrit.

Une importance particulière revient à la disposition relative à la motivation obligatoire


de toutes les décisions prises en conformité avec les règles de la Loi pénitentiaire. L'exception
concerne les situations où une telle motivation n'est pas exigée par la loi du 29 juillet 1991
("Loi relative à la motivation formelle des actes administratifs"1338) ou lorsque la notification
d'une telle motivation risque de mettre en grand danger la sécurité de l'établissement (article
8).

Cela produit un effet direct sur la procédure de restriction des droits, car la motivation
de la décision dans ce sens est bénéfique et même nécessaire pour une application convenable
du principe de proportionnalité. Ainsi qu'il a été déjà indiqué, le caractère automatique
d'application d'une restriction qui se traduit le plus souvent par l'absence de motivation écrite
et relève du pouvoir discrétionnaire de l'administration ne favorise par la mise en œuvre du
principe de proportionnalité. Notons, à ce propos, que la loi citée relative à la motivation est
constamment invoquée par les détenus dans leurs recours contre les décisions de
l'administration pénitentiaire1339. En se basant sur cette dernière le Conseil d’État belge a
suspendu diverses décisions de l’administration pénitentiaire, en ce qui concerne, par

1338
En 1991 aussi sortait la circulaire prévoyant la possibilité d'annulation des décisions des
autorités pénitentiaires si elles influaient sur le statut d'une personne ou plus et si elles n'étaient pas
motivées (Snacken S. Belgium, in Imprisonment Today and Tomorrow : International Perspectives on
Prisoners’ Rights and Prison Conditions, Ed. by D. van Zyl Smit and F. Dunkel, Second edition, The
Hague, Kluwer Law International, 2001, р. 51-52).
1339
Giovannini N., Zingoni M., Ibid, p. 12.
484

exemple, une motivation des décisions trop laconique, inexistante ou inadéquate1340.

Comme il a été signalé plus haut, la nécessité de motiver les décisions se manifeste
dans d'autres normes, plus spécifiques, concernant l'application de restrictions. Ainsi, la
motivation de la décision et sa notification au détenu est-elle exigée dans certains cas de
limitations du droit à la correspondance, du droit aux visites, du droit aux communications
téléphoniques, du droit de prendre connaissance de publications (droit à l'information), du
droit au travail…

3.5.2 La Loi Dupont en pratique

Malgré le caractère progressiste de la Loi belge de principes concernant


l’administration des établissements pénitentiaires ainsi que le statut juridique des détenus de
2005, ses dispositions sont peu respectées en pratique1341. D’ailleurs, une partie de ces règles
ne sont pas entrées en vigueur depuis une dizaine d’années, en raison de l’absence d’arrêtés-
royaux d’application1342. C’est pourquoi le CPT a appelé les autorités belges à prendre sans
délai toutes les mesures nécessaires afin d’assurer une entrée en vigueur totale et entière de
l’ensemble de la loi1343. Toutefois, même les règles qui sont en vigueur ne sont pas toujours
respectées.

Ainsi, ne sont souvent pas respectées les règles concernant : l’exigence que les
inculpés ne soient pas tenus à l’écart des condamnés ; le droit des détenus en détention
préventive à une visite par jour ; le droit des condamnés à un minimum de trois visites par
semaine ; la possibilité d’exercer une activité sportive durant au moins deux heures par
semaine ; la normalisation du travail (sécurité sociale, contrat de travail etc.) ; les fouilles
etc1344. L’une des raisons de ce non-respect peut être que le ministère de la Justice n’a pas
impliqué le personnel pénitentiaire dans le processus de rédaction du projet de loi. Il existe
ainsi la crainte de voir une radicalisation des positions de certains agents qui ne percevraient
pas l’intérêt de conférer des droits aux détenus1345. Dans ces conditions, les spécialistes

1340
Beernaert M.-A., Manuel de droit pénitentiaire, Préface de Françoise Tulkens, Louvain-la-
Neuve, Anthemis, 2007, p. 376.
1341
L'Observatoire international des prisons (section belge), Notice 2016, p. 51-61 /
http://oipbelgique.be/fr/wp-content/uploads/2017/01/Notice-2016.pdf (accedé le 07.11. 2017).
1342
Ibid.
1343
Par. 57, Rapport au gouvernement de la Belgique relative à la visite effectuée en Belgique par
le CPT du 24 septembre au 4 octobre 2013, CPT/Inf (2016) 13.
1344
L’OIP, Ibid.
1345
Ibid, p. 60.
485

appellent à être vigilant quant aux modifications de la loi, qui vont toutes dans le sens d’un
durcissement du système pour les détenus1346, ainsi que quant à l’introduction de nouvelles
restrictions visant à répondre aux tensions ou encore quant au recours à la violence au sein des
prisons (ensuite elles ont en partie été annulées)1347.

De ce point de vue, nous notons que les spécialistes belges ont pointé la nécessité
d’impliquer l’administration pénitentiaire dans la rédaction des règles qu’elle doit appliquer.
Dans le cas contraire, il peut se produire que la loi progressiste puisse être sérieusement
affaiblie en pratique. Nous voyons comment, lors du développement d’un projet de loi, il est
possible de se trouver face à un dilemme : développer les règles selon les hautes normes
internationales et la nécessité d’y impliquer l’administration pénitentiaire pour leur donner de
la légitimité à ses yeux.

D’une manière similaire, l’application de la Loi dans la jurisprudence semble être peu
favorable aux principes et garanties enoncées par elle.

Commençons par indiquer que la Belgique a été recemment condamnée par la CEDH
pour la violation de l’article 13 de la Convention à cause de l’absence de recours effectif pour
faire valoir les griefs tirés de l’article 3 de la Convention1348. L’affaire concernait l’absence de
recours effectif pour se plaindre des transferts et des modalités d’exécution de la détention.
Les procédures devant les juridictions judiciaires et devant le Conseil d’État n’avaient pas été
effectives1349. Avant cet arrêt, la CEDH a aussi établi qu’en Belgique il n’y avait pas une
certitude suffisante que l’usage des recours fût de nature à offrir une réparation au requérant
quant à la plainte concernant les conditions matérielles de sa détention1350.

Selon les spécialistes belges1351 « l’accès aux juridictions administratives est entravé
par les compétences spécifiques et techniques requises en droit administratif. Cet accès
restreint est renforcé par la jurisprudence extrêmement restrictive du Conseil d’État belge,
contrairement à celle de son homologue français. Ainsi, le Conseil d’État belge a-t-il rejeté les
recours en annulation de la plupart des décisions en matière pénitentiaire. ... [il] a défini son

1346
Ibid, p. 61.
1347
Le Conseil central de surveillance pénitentiaire, Rapport annuel 2011-2014, p. 89 /
https://5058.f2w.fedict.be/fr/system/files/jv_ctrg_fr-sans_chiffres.pdf (accedé le 08.11.2017)
1348
Bamouhammad c. Belgique (nº 47687/13, 17.11.2015).
1349
Ibid, §§ 97-99, 165-173.
1350
Vasilescu c. Belgique (nº 64682/12, 25.11.2014)..
1351
Le réseau contentieux pénitentiaire, Rapport sur les contentieux pénitentiaires en Belgique /
http://www.prisonlitigationnetwork.eu/?page_id=601&lang=fr#_ftn50 (consulté le 07.11. 2017)
486

champ d’intervention en utilisant le concept de « mesure interne » en tant que critère du


contentieux administratif. Cette notion est utilisée par le juge pour rejeter les recours
considérés comme irrecevables au motif que la mesure litigieuse est une mesure relevant
exclusivement du fonctionnement interne de l’administration »1352. Le Conseil d’État s’est
ainsi déclaré incompétent pour statuer sur les affaires concernant des mesures de sécurité à
cause de considérations de sécurité et de prudence1353.

L’arrêt principal dans ce domaine a été rendu dans l’affaire de M. De Smedt1354. Citons
entièrement la partie principale de cet arrêt : « Considérant que le directeur d'un établissement
pénitentiaire est chargé de veiller au bon fonctionnement de celui-ci ainsi qu'au maintien de
l'ordre; qu'à cette fin, il peut prendre de nombreuses mesures susceptibles d'occasionner
certains désagréments ou certaines contrariétés au détenu; que, toutefois, pour autant que ces
mesures soient exclusivement ou principalement dictées par un souci de sécurité ou de
prudence, elles s'avèrent être de simples mesures d'ordre intérieur qui, en principe, ne sont pas
susceptibles d'annulation; qu'il en va autrement si la mesure a pour objet exclusivement ou
principalement de punir un détenu en raison de manquements disciplinaires; que, dans ce cas,
la mesure est avant tout motivée par le comportement reconnu fautif du détenu et par la
volonté que celui-ci soit puni; que pareille mesure […] est effectivement susceptible
d'annulation devant le Conseil d'État »1355.

Toutefois, malgré le fait que l’arrêt rendu dans l’affaire De Smedt soit antérieur à la loi
de principes du 12 janvier 2005, il est depuis de jurisprudence constante qu'il appartient au
requérant de démontrer que la mesure de placement en régime de sécurité particulier, qu’il
attaque, constitue non une mesure d’ordre, à l’égard de laquelle le Conseil d’État est sans
compétence, mais une sanction disciplinaire déguisée qui vise à punir son comportement1356.
Dans cette logique le Conseil d’État rejette les recours concernant le placement sous régime
de sécurité particulier prévu aux articles 110 de la Loi Dupont1357 et les autres placements

1352
Ibid.
1353
Mary P., Enjeux contemporains de la prison, Bruxelles, Publications de l’Université Saint-
Louis Bruxelles, 2013, p. 100.
1354
Conseil d’État, section du contentieux administratif, 11 mars 2003, arrêt De Smedt c. État
belge.
1355
Ibid.
1356
Conseil d’État, section du contentieux administratif, 15 septembre 2016, arrêt de El Jaabari c.
État belge.
1357
Conseil d’État, section du contentieux administratif, 31 mars 2007, Sekkaki c. État belge;
Conseil d’État, section d’administration, 21 mai 2015, Budisavljevik c. État belge.
Art. 110 § 1 de la Loi dispose : « Sans préjudice des règles de sécurité générales à déterminer par le
Roi, le directeur peut, s'il existe de sérieux indices que l'ordre ou la sécurité sont menacés, ordonner
487

similaires comme le placement sous prévu par article 1161358.

Ainsi, pour que la mesure soit susceptible d’appel, elle droit viser à punir le détenu ou,
en utilisant des termes du Conseil d’État, elle doit « avoir pour objet exclusivement ou
principalement de punir un détenu en raison de manquements disciplinaires ». Seulement de
ce point de vue, les mesures de nature disciplinaire ou concernant le régime en Belgique
peuvent être contestées devant une autorité judiciaire ou administrative. Toutefois, le critère
de contestation d’une mesure ne se base pas sur les effets qu’elle cause au détenu ou encore
les effets sur ses droits, mais sur le but de cette mesure. Il est donc admis, que quelques soient
les effets négatifs d’une restriction, elle ne saura être objet du recours, si elle n’a pas été
appliquée pour punir. Il en ressort que les restrictions ne peuvent être contestées, même si
elles punissent une personne objectivement sans toutefois avoir un tel but.

Par exemple, la mesure de placement sous le régime de sécurité particulier limite


clairement les droits des détenus. En effet, cette mesure peut prévoir : le retrait ou la privation
d'objets dont l’utilisation peut être dangeureuse; l'exclusion de certaines activités communes
ou individuelles; l'observation durant la journée et la nuit, tout en respectant au maximum le
repos nocturne; le séjour obligatoire dans l'espace de séjour attribué au détenu; le placement
en cellule sécurisée, sans objets dont l'utilisation peut être dangereuse (art. 112 de la Loi).

En ce qui concerne les mesures qui visent à punir les détenus, le Conseil d’État a
rendu de nombreux d’arrêts. Les exemples des décisions favorables aux détenus sont
nombreux. Nous en retiendrons quelques uns.

Dans l’affaire de Feratovic1359, le détenu s’est vu infliger une sanction disciplinaire


d’isolement dans l’espace de séjour attribué, ce, pendant sept jours, pour avoir perturbé le
calme de l’aile et pour avoir insulté et violemment repoussé un infirmier. Le requérant
souffrant de la maladie de Parkinson a fait valoir que chaque jour qui passe aggravait son état
de santé et qu’il y avait urgence à agir, dès lors que la mesure attaquée violait ses droits
fondamentaux «à ne pas subir de traitement inhumain et dégradant et à voir sa dignité

des mesures de sécurité particulières à l'égard d'un détenu. La mesure de sécurité particulière doit être
proportionnelle à la menace et de nature à y porter remède ».
1358
Conseil d’État, section du contentieux administratif, 6 décembre 2012, Hilami c. État belge
Art. 116 § 1 de la Loi dispose : « S'il ressort de circonstances concrètes ou des attitudes d'un détenu
que celuici représente une menace constante pour la sécurité, et s'il est apparu que tant les mesures de
contrôle prévues à la section Ire que les mesures de sécurité particulières prévues à la section II sont
insuffisantes, le détenu peut être placé sous régime de sécurité particulier individuel ».
1359
Conseil d’État, section du contentieux administratif, 08 octobre 2014, arrêt de Feratovic c.
État belge.
488

respectée». Étant donné son état de santé et la violation de la Loi Dupont exigeant que le
médecin-conseil déclare au directeur d’établissement l’absence de contre-indication médicale
à l’enfermement en cellule de punition, le Conseil d’État a ordonné la suspension de
l’exécution de la décision disciplinaire1360.

L’application de la sanction disciplinaire d’isolement, pour une durée de sept jours,


aurait été suspendue aussi, s’il y avait eu des doutes concernant les capacités de discernement
du détenu1361. De même, l'exécution de la décision disciplinaire aurait été suspendue si le
détenu s’était vu infligé quelques sanctions excédant la durée maximale de quatorze jours,
prescrite par la Loi Dupont (art. 139)1362.

Dans l’affaire de De Rouck1363 la sanction de quinze jours a été infligée pour le refus
du détenu de se soumettre à la fouille demandée, contrairement aux exigences de la Loi
Dupont. La sanction a été suspendue par le Conseil d’État parce que la décision n’avait pas
été suffisamment motivée et que la fouille présentait un caractère systématique (non-
individualisée)1364, malgré le changement de la Loi qui obligeait le directeur de prison à
prendre une décision formelle, individualisée et motivée1365. Similairement, dans l’affaire de
Preud’homme d'Hailly de Nieuport le Conseil d’État a suspendu la sanction disciplinaire de
quatre semaines de placement en régime cellulaire strict en raison du manque de motivation.
Cela constituait une violation de la loi mentionnée du 29 juillet 1991 relative à la motivation
formelle des actes administratifs1366.

Plus généralement, le manque de motivation devient souvent le fondement de la


suspension de l’exécution de la décision. Ainsi, le Conseil d’État décide-t-il de suspendre la
mesure si le choix et le degré de la sanction (de trente jours) n’ont pas été motivés au regard
de la Loi Dupont1367, si l’administration s’est limitée à faire état concernant les considérations
de droit qui lui servent de fondement, sans expliquer quelle était la disposition du règlement

1360
Ibid.
1361
Conseil d’État, section du contentieux administratif, 16 janvier 2017, arrêt de Riahi Hichal c.
État belge.
1362
Conseil d’État, section du contentieux administratif, 20 mai 2013, arrêt de Afkir c. État belge.
1363
Conseil d’État, section du contentieux administratif, 18 février 2015, arrêt de De Rouck c. État
belge.
1364
De plus, elle a été prise verbalement et plus tard remplacée par une décision formelle, mais
avec une motivation très courte et non-individualisée.
1365
Ibid.
1366
Conseil d’État, section du contentieux administratif, 01 décembre 2010, arrêt de Preud’homme
d'Hailly de Nieuport c. État belge.
1367
Conseil d’État, section du contentieux administratif, 12 septembre 2017, arrêt de Trimini
Langeri c. État belge.
489

d’ordre intérieur qui était méconnue1368, lorsque la décision ne démontre pas en quoi l'action
collective concernée, qui ne s'est pas accompagnée de violences, a mis sérieusement en péril
la sécurité ou l'ordre dans la prison1369, si l’administration n’a pas expliqué les raisons
précises pour lesquelles elle n’avait pas tenu compte de la teneur d'un avis médical négatif de
placer un détenu à l'isolement1370, lorsque la motivation d'une sanction disciplinaire ne répond
ni en fait ni en droit aux arguments qui ont été soulevés par le détenu sanctionné et son
conseil1371. Dans tous ces cas, comme dans beaucoup d’autres arrêts similaires favorables aux
détenus, le Conseil d’État s’est fondé sur les exigences concernant la motivation de la Loi
Dupont et de la Loi relative à la motivation formelle des actes administratifs de 1991. La loi
Dupont devient donc un argument sérieux dans ce type de contentieux. Néanmoins, nous
observons qu’auparavant le Conseil d’État était plus résistant à reconnaitre l’absence de la
motivation suffisante1372.

Si l’application de la Loi Dupont est fréquente dans les affaires concernant


l’application des sanctions pénitentiaires, il ne semble pas que le Conseil d’État se serve de la
Loi dans beaucoup d’autres cas concernant les limitations d’autres droits des détenus. Si la
Loi est appliquée dans le contexte de limitations des droits (droit de communiquer avec
autrui, de participer aux activités, fouilles etc), elle est plutôt utilisée dans les cas où ces
limitations ont été les conséquences des décisions disciplinaires. Dans ces circonstances, les
règles sophistiquées concernant les restrictions des droits en matière pénitentiaire analysées
supra semblent avoir peu d’importance, en pratique, pour le Conseil d’État.

Cependant, en Belgique, un rôle important dans la protection des droits des détenus est
joué par les juridictions civiles. Comme le fait remarquer le spécialiste franco-belge Gaëtan
Cliquennois, un certain nombre d’affaires ont été jugées recevables par le juge des référés
concernant l’imposition de mesures spéciales de sécurité, le système individuel de sécurité
spécifique, les transfèrements d’un établissement à l’autre, les fouilles, le refus ou la
révocation de la libération conditionnelle, l’isolement pour des raisons médicales (détenus

1368
Conseil d’État, section du contentieux administratif, 27 janvier 2017, arrêt de Detournay c.
État belge.
1369
Conseil d’État, section du contentieux administratif, 09 février 2017, arrêt de Van Vinkenroije
c. État belge.
1370
Conseil d’État, section du contentieux administratif, 10 novembre 2015, arrêt de Dahmani c.
État belge.
1371
Conseil d’État, section du contentieux administratif, 14 mars 2012, arrêt de Soufiani c. État
belge.
1372
Voir par exemple les arrêts de Conseil d’État dans les affaires de de Mouffe (03.05.2012),
Malengreaux (26.11.2010), d’Evita (03.09.2010), de Badra (25.06.2010), de Devolli (11.03.2008), de
Goorickx (09.09.2005).
490

atteints du sida), le droit à l’information et l’imposition d’un traitement dégradant etc. 1373
.
Souvent, dans ce type d’affaire, la Loi pénitentiaire est utilisée en tant qu’acte qui désigne les
droits dont les détenus peuvent bénéficier. Un exemple pertinent se trouve dans une affaire
récente où les détenus se sont référés aux nombreuses règles de la Loi qui leur guarantissaient
leur droits et qui avaient été violés en raison de grèves des agents pénitentiaires1374. De plus,
les spécialistes observent que, dans de « nombreuses décisions récentes, la référence à la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 3 de la
Convention (interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants), ou aux
rapports du CPT, ce qui tend à souligner l’influence croissante du contrôle direct ou indirect
des autorités européennes sur les juges belges »1375.

Nous observons également des affaires où les juridictions civiles utilisent la Loi
Dupont dans les cas défavorables aux détenus. Par exemple, la Cour d’appel de Bruxelles n’a
pas trouvé1376 de violation de la loi en raison du déshabillage du détenu selon les règles de
fouilles de vêtements, au lieu des règles de fouilles à corps1377. D’après la Cour, si, dans le
cadre d’une fouille complète des vêtements, le corps du détenu n’était pas examiné en
détails1378, il n’y aurait pas de raison d’appliquer les règles propres à la fouille à courps, même
s’il était amené à remettre tous ses vêtements1379. Dans ce cas, la Cour n’a pas appliqué les
garanties prévues par la Loi ; elle les a écartées sur la base de l’ambiguїté de la frontière entre
fouille à corps et fouille de vêtement.

Plus généralement, l’une des idées de la Loi a été d’éviter les fouilles systématiques
par la création de l’obligation, pour l’administration pénitentiaire, de motiver ses décisions.
En pratique, cette idée a été ignorée par la création d’une motivation... standardisée. Par
exemple, cette motivation devait avoir lieu dans tous les cas de contact du détenu sans
surveillance avec des personnes externes à l’établissement et consistait en quelques

1373
Cliquennois G., Report on Belgian remedies, p. 15 / http://www.prisonlitigationnetwork.eu/wp-
content/uploads/2016/11/country-report-belgium.pdf (accedé le 07.11.2017).
1374
Cour d’appel, Mons, 21.06.2017, 2017/RF/1 (2ème chambre).
1375
Le réseau contentieux pénitentiaire, Ibid.
1376
Bruxelles (8e ch.), 11 décembre 2007, R.G. 2007 / KR / 232, inédit , cité dans Beernaert M.-A.,
L’exécution des peines et mesures privatives de liberté en Belgique : le droit nouveau est-il vraiment
arrivé ? , in L’exécution des condamnation pénales, sous dir. d’A. Masset, Liège, Commission
Université-Palais, Université de Liège, Anthemis, 2008, p. 20.
1377
Ces derniers ne peuvent avoir lieu que dans un espace fermé, en l'absence d'autres détenus, et
doit être effectuée par au moins deux membres du personnel du même sexe que le détenu, mandatés à
cet effet par le directeur (art. 108, § 2 de la Loi).
1378
Le détenu n’est pas invité à dénouer ses cheveux, à les secouer, à montrer la plante de ses
pieds, à ouvrir sa bouche ou à se pencher en avant et à fléchir les genoux.
1379
Beernaert M.-A., Ibid.
491

phrases1380. L’article 108 §2 de la Loi Dupont concernant les fouilles au corps systématiques a
été annulé par la Cour Constitutionnelle1381. Par la suite, l’administration pénitentiaire belge a
fait, contrairement à la Loi Dupont, des efforts pour restaurer la pratique des fouilles
systématiques par ses « lettres collectives » (décisions infra-normatives), mais elle a dû
formellement l’abandonner en janvier 20171382. Ces efforts ont été accomplis en ignorant la
décision de la Cour constitutionnelle et la Loi, ce qui a été aussi constaté par le Conseil
d’État1383.

Même si la Loi suscite une attention des tribunaux, suite aux arguments du requérant,
cela ne veut pas dire que ses exigences telles que la nécessité des mesures vont être analysées
en détail. Par exemple, en statuant sur la question du placement en régime de sécurité
particulier individuel d’un détenu incarcéré pour des faits de terrorisme, la Cour d’appel a fait
plutôt attention au respect de la procédure de son application prévue par une circulaire (ce
placement a été en fait automatique) qu’au fait de l’absence de considération de possibilités
d’appliques les mesures moins strictes, comme cela est exigé par l’article 116 de la Loi)1384.

Peu protectrice semble être l’article 6 de la Loi, qui énonce la clause limitative selon
laquelle les droits des détenus peuvent être limités : « Le détenu n'est soumis à aucune
limitation de ses droits politiques, civils, sociaux, économiques ou culturels autre que les
limitations qui découlent de sa condamnation pénale ou de la mesure privative de liberté,
celles qui sont indissociables de la privation de liberté et celles qui sont déterminées par ou en
vertu de la loi ». En effet, il suffit qu’une loi détermine n’importe quelle restriction pour éviter
toute autre justification. En quoi consiste la portée de cette garantie si une autre loi peut
facilement contredire l’idée de minimisation des limitations ? Un exemple très pertinent est
donné par la Cour de cassation de Belgique1385. Selon elle, la suspension de la pension de
retraite et de survie est faite conformément à l’article 6, dès lors qu’elle est imposée aux
détenus en vertu d’une norme législative (l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967 relatif à la
pension de retraite et de survie des travailleurs salariés).

Nous observons que la Loi est peu utilisée comme point de départ par les juridictions
autres que les juridictions administratives. Cela peut être attribué au fait qu’elles utilisent

1380
Ibid, p. 21.
1381
Cour Constitutionnelle, 29 janvier 2014, arrêt nº 20/2014.
1382
Avis du Conseil central de surveillance pénitentiaire, 2017-07.
1383
Conseil d’État, section du contentieux administratif, 18 février 2015, arrêt de De Rouck c. État
belge.
1384
Cour d’appel de Liège (1re chambre civile), 03 février 2016, 2015/RF/48.
1385
Cour de cassation de Belgique, 04 mai 2015, N° S.13.0128.F.
492

plutôt les règles du Code judiciaire. En effet, l’intervention des juridictions civiles requiert la
violation de droits individuels de la personne détenue qui semble résulter d’une faute
commise par l’autorité dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (art. 584 § 1 du Code
judiciaire) , notamment en cas d’urgence1386.

Dans ces conditions, nous pouvons constater que malgré le caractère progressiste de la
Loi Dupont, elle n’est pas devenue, à ce jour, une barrière efficace contre l'application de
limitations non justifiées de droits en prison. Cela tient tant à la résistance de l’appliquer de la
part de l’administration pénitentiaire qu’à l’application superficielle de ses règles par le juge
administratif.

1386
Cliquennois G., Ibid, p. 14.
493

Conclusion du chapitre 3.5

Un trait important de la norme belge de limitation des droits consiste dans sa fixation
détaillée dans une loi spéciale dénommée aussi "Loi Dupont" (en l'honneur de son auteur
principal). Cette loi a été essentiellement élaborée par la doctrine et elle reflète, pour cette
raison, sur beaucoup de points les normes de restrictions correspondant aux normes de la
CEDH, du CPT et des RPE.

La norme belge comprend un principe général qui prévoit que les restrictions doivent
être établies par la loi, "découler de la condamnation pénale ou de la peine privative de
liberté" et être indissociables de la privation de liberté. Elle comporte, en outre, des normes
spéciales relatives aux limitations de certains droits. Le principe général a suscité des débats
parmi les spécialistes belges à cause de la nature problématique d'établissement de deux
sources de limitations: source de nature juridique (condamnation pénale) ; et source de nature
factuelle (indissociabilité de la privation de liberté). Des débats se sont engagés à propos de la
conception de l'indissociabilité des limitations de la privation de liberté. Il est difficile de
comprendre pourquoi, par exemple, le droit à la sécurité sociale n'est pas compatible avec la
privation de liberté.

L'unicité de la Loi Dupont réside, en outre, dans la disposition concrète visant le


principe de proportionnalité de restriction de droits. Il n'est pas étonnant que la Loi attache
une grande importance à l'individualisation des restrictions de droits. Celle-ci peut se traduire,
par exemple, par la prise en compte du comportement antérieur du détenu, de sa personnalité,
voire des "contre-indications" personnelles.

Pourtant, l'évaluation des restrictions doit s'opérer de préférence du point de vue de


leur besoin en matière de sécurité et d'ordre. La Loi définit divers degrés de ce besoin qui peut
être "nécessaire", "absolument nécessaire", ou traduire un "danger grave" (à la sécurité et
l'ordre). La sécurité et l'ordre peuvent déterminer les restrictions d'une autre manière
également. C'est ainsi que l'exercice de droits doit "être compatible" avec eux, comme cela se
voit, par exemple, pour l'aménagement de la cellule ou le choix des vêtements. Dans ce cas, la
sécurité et l'ordre ne sont pas définis en tant que buts directs des restrictions, mais il est
évident qu'ils définissent ces objectifs de manière indirecte.

L'exemple belge montre que, même en prenant en compte au plus haut point les
494

normes de proportionnalité du Conseil de l'Europe à propos des restrictions de droits, la


sécurité et l'ordre restent tout naturellement les facteurs décisifs de l'établissement du bien-
fondé des limitations. D'autre part, en vue de réduire la marge d'appréciation de
l'administration pénitentiaire qui naît de l'application inconditionnelle de ces notions, il est
exigé la motivation des décisions portant application de restrictions.

La Loi pénitentiaire belge inclut nombre de règles éparses, qui définissent diverses
exigences pratiques en matière d'application de restrictions. Un tel éparpillement ne favorise
pas l'uniformité des exigences faites aux restrictions, ce ne peut guère contribuer à une
meilleure appréhension et une meilleure mise en œuvre de la norme de restrictions. La
détermination non-uniforme des objectifs et des motifs des restrictions, l'indétermination de la
clause limitative générale sont des imperfections propres tant à la Belgique qu'à d'autres pays.

Il est possible de constater qu’à ce jour la Loi Dupont n’est pas devenue une barrière
efficace contre l'application de limitations non justifiées de droits en prison. Cela tient tant à
la résistance de l’appliquer de la part de l’administration pénitentiaire qu’à l’application
superficielle de ses règles par les autorités judiciaires. Ainsi, les dispositions de la Loi
inspirées de normes progressistes internationales de droits des détenus se sont-elles heurtées
aux réalités juridiques dans le champ pénitentiaire belge.
495

3.6. Pays-Bas

Le caractère humain du système pénitentiaire néerlandais tient à plusieurs facteurs.


Ceux-ci comprennent, entre autres, la tradition de tolérance néerlandaise et l'expérience de
l'occupation nazie. Son humanité est expliquée, en outre, par des facteurs plus spécifiques, à
savoir l'influence de l'École de criminologie d'Utrecht qui s'associe avec l'Institut de
criminologie de l'Université d'Utrecht. Cette école a rejeté l'approche criminologique
positiviste au profit de la réhabilitation au lieu de la punition, ainsi qu'au profit du
développement d'alternatives à l'emprisonnement1387.

3.6.1. Loi sur les principes de l'administration pénitentiaire

Comprenant des chercheurs à orientation pratique, cette école a apporté une


contribution considérable à la rédaction de la Loi sur les principes de l'administration
pénitentiaire (1953) et à la constitution de bases pour une politique relativement souple dans
le domaine de la justice pénale. L'une de ses réalisations consiste dans la mise en pratique de
l'idée selon laquelle les détenus doivent être traités comme des sujets du droit qu'il faut aider à
réintégrer la société1388.

Susan Easton estime que la vision positive de la tolérance en politique pénale


néerlandaise concerne plutôt le passé que les années récentes1389. Elle souligne, néanmoins,
que ceci n’a pas eu d'impact sur la réduction des droits des détenus, qui restent à ce jour assez
solides par rapport aux États-Unis et le Royaume-Uni où les juges cherchent toujours à
accorder les droits avec les besoins des établissements pénitentiaire (au sens négatif –
N.D.L.A.)1390.

La nouvelle Loi portant principes pénitentiaires (1998) constitua une sorte de réaction

1387
Easton S., p. 45.
1388
De Jonge G., Van Swaaningen R., The Dutch Prison System and Penal Policy in the 1990s :
from Humanitarian Paternalism to Penal Business Management, in Western European Penal Systems:
A Critical Anatomy, M. Ryan, J. Sim, V. Ruggiero (Eds), London, SAGE, 1995, p. 34.
1389
Easton S., Ibid, p. 47.
1390
Ibid, p. 48.
496

à la mise en œuvre, dans les années 1980, du principe développé antérieurement, selon lequel
le traitement des détenus en tant que sujets de droit responsables était le seul moyen de
garantir qu'ils se comporteraient convenablement dans la société1391.

Cette Loi est intéressante pour notre étude en ce qu'elle comporte une norme spéciale
consacrée à la question de restriction des droits des détenus. Son article 2.4 dispose
notamment que les personnes détenues ne doivent être soumises à aucune restriction autre que
celles qui sont nécessaires pour les objectifs de l'emprisonnement ou pour le maintien de
l'ordre ou de la sécurité dans l'établissement1392. Il est considéré que, pris avec la deuxième
partie de la Loi, qui prévoit que les peines infligées doivent préparer, autant que possible, le
détenu à son retour dans la société, le principe de minimalité des restrictions de droits se situe
au cœur du droit pénitentiaire néerlandais depuis 19531393.

La Loi a subi l’influence notable des Règles minima pour le traitement des détenus de
1957. Nous retrouvons, notamment, dans le libellé de l'article 2.4, des éléments de la logique
présente dans les Règles: "la discipline et l'ordre doivent être maintenus avec fermeté, mais
sans apporter plus de restrictions qu'il n'est nécessaire pour une incarcération sécurisée et
l'organisation normale de la vie communautaire" (par. 27) ; "la personne en détention
provisoire… ne doit être soumise qu'aux restrictions et à la surveillance qui sont nécessaires
dans l'intérêt de la justice ou de la sécurité ou de l'ordre normal dans l'établissement" (par.
92), " ;… les détenus ne doivent ainsi être soumis à aucune restriction ou sévérité plus
contraignante qu'il n'est nécessaire pour garantir la sécurité de la détention et l'ordre normal"
(par. 94).

Il convient de signaler, toutefois, une différence notable entre les règles relatives aux
restrictions dans les RMT et dans la règle énoncée à l'article 2.4 de la Loi. La formulation de
celle-ci ne comporte aucun renvoi à l'exigence selon laquelle l'on ne doit pas apporter plus de
restrictions qu'il n'est nécessaire, mais mentionne seulement la "nécessité" des restrictions. En
prenant cette règle à la lettre, il s'avère que toute restriction nécessaire pour atteindre les
objectifs de sécurité ou d'ordre dans l'établissement pourrait être considérée comme justifiée
d'après la Loi. Cependant, une interprétation légaliste de cette règle ne convient probablement
pas au contexte du système pénitentiaire néerlandais où elle est lue comme principe de
restrictions minimales des droits des détenus. Le fait est que l'on entend par "nécessité" la

1391
De Jonge G., Van Swaaningen R., Ibid, p. 35.
1392
Toutes les traductions dans ce chapitre sont faites à partir des traductions de néerlandais en
anglais disponsible en libre accès. C’est pourquoi nous ne pouvons garantir une traduction précise.
1393
Boone M., Judicial Rehabilitation in the Netherlands: Balancing Between Safety and Privacy,
European Journal of Probation, 2011, Vol. 3, n° 1, p. 64.
497

"stricte nécessité" qui suppose la minimalité.

Ainsi que l'observe Peter Tak, la Loi pénitentiaire a pour principes directeurs la règle
selon laquelle la peine doit être exécutée le plus vite possible après avoir été prononcée, ainsi
que le principe selon lequel le détenu ne doit être soumis que le moins possible à des
restrictions1394.

De l'avis de certains scientifiques, le principe de resocialisation (ou de réhabilitation,


synonyme par lequel on le remplace souvent), de même que le principe de restrictions
minimales furent placés au cœur du droit pénitentiaire hollandais dès 1953. Cela s'explique
par l'humanisation du système pénitentiaire hollandais après la Seconde guerre mondiale1395.
D'autres considèrent le principe de restrictions minimales comme étant l'un des points de
départ les plus importants du droit pénal néerlandais et font remonter ses racines à la
Constitution de ce pays1396 qui fait partie de ceux dont les textes constitutionnels comportent
des dispositions relatives aux restrictions des droits des détenus.

L'article 15.4 de la Constitution dispose notamment que "celui qui a été légitimement
privé de sa liberté peut être limité dans l'exercice des droits fondamentaux pour autant que cet
exercice n'est pas conciliable avec la privation de liberté". Cette norme est considérée comme
une exception de la Constitution hollandaise qui ne comporte pas la mention de "société
démocratique" ou d'autres formulations similaires qui permettraient l'application de la
proportionnalité pour déterminer l'admissibilité du moyen servant à atteindre le but des
restrictions. Elle contient, toutefois, la formulation "pour autant", laquelle est considérée
comme autorisant à appliquer le principe de proportionnalité et, de ce fait, comme une
barrière appréciable permettant de savoir à quel point les droits de la personne peuvent être
limités1397. L'interprétation littérale de cette norme signifie la formalisation des restrictions de
fait.

Van Kalmthout A.M., Van der Landen D., estiment, par exemple, que conformément à
ce principe le gouvernement est tenu de justifier de manière concrète l'ingérence dans les

1394
Tak P., Prison Policy, Prison Regime and Prisoners’ Rights in the Netherlands under the 1998
Penitentiary Principles Act, in Prison Policy and Prisoners’ rights, Proceedings of the Colloquium of
the IPPF, Stavern, Norway, 25-28 June 2008, Nijmegen, Wolf Legal Publishers, 2008, p. 460. Voir
aussi: Tak P., The Dutch Criminal Justice System, Nijmegen, Wolf Legal Publishers, 2008, p. 141.
1395
Boone М., Kox М., What Works for Irregular Migrants in the Netherlands? , European
Journal of Probation, 2012, Vol. 4, n° 3, p. 55.
1396
Vermeulen G., Paterson N., Material Detention Conditions, Execution of Custodial Sentences
and Prisoner Transfer in the EU Member States, Antwerpen, Maklu Publishers, 2011, p. 746.
1397
Van der Schyff G. When is a Bill of Rights Fit for Judicial Review? The Limitation of Rights
Regime in the Netherlands Considered, Utrecht Law Review, 2013, Vol. 9, Issue 2, p. 11.
498

droits des détenus sans qu'il puisse se considérer comme ayant raison a priori1398. Le fait est
que la peine prononcée par le juge ne peut entraîner, en principe, que la privation de la liberté
physique du citoyen. C'est pourquoi le principe de restrictions minimales signifie que le
détenu bénéficie des mêmes droits que tout autre citoyen, sauf les cas où l'exercice de ces
droits est impossible dans les conditions de détention1399.

Cependant, nous ne doutons pas de la portée que les juristes attribuent au rapport entre
le principe de restrictions minimales et les considérations en matière de réinsertion, ce qui
reflète, d'une certaine manière, les caractéristique du terme "normalisation juridique" que nous
avons proposé précédemment. Il est supposé que le respect des restrictions minimales et la
limitation des effets secondaires négatifs peuvent faciliter la réhabilitation des détenus et
réduire la probabilité de la récidive. En pratique, cela concerne l'atténuation ou la prévention
de la perte du revenu, de l'emploi, du domicile ou de la rupture avec la vie sociale. Ce
principe prévoit que la prison ressemble aux conditions de la vie hors de ses murs. Plus les
conditions sont humaines, moins de mal cause l'emprisonnement, ce qui peut présager un
avenir sans infractions. De plus, ce principe signifie que c'est l'emprisonnement lui-même (sa
durée) qui doit servir d'inhibiteur contre de nouvelles infractions (c'est-à-dire jouer un rôle
préventif général) et non les conditions de la détention1400.

La réduction des restrictions au strict minimum est également considérée non


seulement comme un principe, mais encore comme un devoir du système pénitentiaire. Il
existe une conception originale de cette tâche en tant que type de critère pouvant servir de
base pour évaluer l'efficacité du système pénitentiaire. Toon Molleman examine l'exigence
des restrictions minimales dans le cadre du mécanisme d'orientation du système pénitentiaire
néerlandais vers un but précis. Les restrictions réduites au minimum visent la réalisation de
l'objectif réhabilitatif de l'emprisonnement, cet objectif faisant, pour sa part, partie de la
prévention individualisée en tant qu'objectif encore plus grand de la justice pénale1401.

Dans le même temps, cette tâche est critiquée, à juste titre, en raison de son manque de
précision, ce qui empêche de l'évaluer valablement en période de détention. En résumant les

1398
Van Kalmthout A.M., Van der Landen D., Breda Prison, Holland, in From State of the
Prisons: 200 Years On. D. Whitfield (ed.), New York, Routledge 1991, p 88-118.
1399
Ibid.
1400
Molleman T., Performance Measurement in the Dutch Prison System: Methodological
Guidance for Public Sector Performance Assessment, Enschede, Ipskamp Drukkers, 2014, p. 38-39. Il
entend par ”conditions” dans ce cas les modalités d'exécution de la peine, c'est-à-dire les questions de
statut juridique des détenus.
1401
Molleman T., Ibid, p. 41.
499

idées de T. Molleman1402, une série de raisons expliquant l’échec d'un tel critère peut être
dégagée:

a) Les restrictions ne peuvent être imposées que pour atteindre "les objectifs de
l'emprisonnement ou pour le maintien de l'ordre ou de la sécurité dans
l'établissement". Cette règle suscite dès lors une question: pourquoi les détenus sont-
ils limités dans le contrôle de leur argent, de la qualité de la nourriture, de leur vie
privée et de leur liberté de mouvement dans l'établissement et pourquoi les placer en
cellule ? Ces restrictions sont considérées comme relevant plutôt de représailles,
d'intimidation, d'économie financière ou bien comme servant à donner le signal
(politique) à la société: l'emprisonnement ne doit pas être luxueux;

b) L'article 2.2 de la Loi portant principes pénitentiaires dispose que "tout en maintenant
le caractère de la peine liée à l'incarcération ou de la décision relative à
l'emprisonnement, son exécution doit viser à préparer la personne autant que possible
à sa réinsertion dans la société". L'expression "tout en maintenant le caractère (de la
peine)" pose problème. Nous pouvons deviner dans cette phrase un contrepoids caché
au principe de restrictions minimales. Autrement dit, les restrictions doivent être
minimales, mais pas au point de désavouer le caractère de la peine. Il semble que
l'idée selon laquelle la peine doit comprendre un élément de souffrance soit ainsi
masquée;

c) La réalisation "des objectifs de l'emprisonnement" se trouve parmi les buts


admissibles des restrictions. Or, la législation nationale ne définit pas ces objectifs ce
qui rajoute de l'indétermination au principe de restrictions minimales en tant que tâche
du système pénitentiaire.

Il en résulte, d'après l'auteur, un manque de clarté dans la vision pratique de la


réduction des restrictions au minimum en tant que mission fixée dans la législation
néerlandaise. Cela peut conduire à l'indétermination dans l'évaluation de la réalisation de cette
mission et aussi à sa mise en œuvre différente d'un établissement à l'autre.

La vision des restrictions minimales en tant que mission ou devoir semble en effet être
trop audacieuse. En premier lieu, cette vision exige l’identification d'un dénominateur par
rapport auquel la réalisation de la mission serait évaluée. Cependant, compte tenu du fait que
les restrictions nécessitent d'être déterminées dans la législation, la réalisation d'un tel "idéal"

1402
Ibid, p. 42-43, 135.
500

de restrictions minimales serait assimilée au respect convenable de la loi. Pour sa part, la


"minimisation" des restrictions est une mission, non seulement pour l'autorité appliquant la
loi, mais encore pour le législateur. Sa réalisation est donc difficilement imaginable au moyen
du critère d'évaluation du système pénitentiaire, mais elle pourrait servir potentiellement
comme critère d'évaluation de la politique pénitentiaire. En deuxième lieu, non seulement la
vision de la "minimalité" des restrictions diffère considérablement dans des pays différents,
même voisins, mais elle change constamment avec le temps. Les variations de la perception
des restrictions "minimales" à des époques différentes ne permettraient probablement pas de
l'utiliser comme un critère stable d'évaluation du fonctionnement des prisons.

D'un autre côté, le critère de respect de la loi, qui peut être évalué en partie, peut
comprendre le respect du principe de minimalité. Cela nécessite toutefois une détermination
plus nette de la condition de minimalité au niveau de la législation ce qui fait défaut à la Loi
néerlandaise portant principes pénitentiaires, laquelle insiste seulement sur l'inadmissibilité de
restrictions superflues et non sur la condition de minimalité des caractéristiques du contenu
des restrictions.

Cela n’a toutefois pas empêché d'inclure dans la Loi certaines garanties relatives aux
restrictions de droits. Ainsi l'article 36 dispose-t-il que le directeur d'établissement peut
contrôler – et donc ouvrir à cette fin – les enveloppes ou d'autres objets postaux qui sont
envoyés par les détenus ou qui leur sont destinés, ce, afin de découvrir des objets cachés. Une
exception est apportée pour certaines personnes (l'ombudsman, l'autorité judiciaire, les
organes de surveillance, le défenseur…), avec lesquelles la correspondance ne peut être
ouverte qu'en présence du détenu concerné. Le directeur d'établissement peut aussi contrôler
le courrier lui-même avec la possibilité pour lui de faire des copies des lettres ou des envois
postaux. Il peut interdire la remise au détenus de lettres ou d'envois postaux en vue d'assurer
les intérêts appropriés: а) Le maintien de l'ordre ou de la sécurité dans l'établissement; b) La
prévention des infractions ou la conduite de l'enquête; c) La protection des victimes ou des
personnes autrement concernées par l'infraction.

L'article 39.2 prévoit que le directeur de prison peut déterminer la nécessité de l'écoute
des communications téléphoniques des détenus lorsqu'il est nécessaire d'identifier
l'interlocuteur du détenu ou dans l'intérêt des trois objectifs admissibles de limitation du droit
à la correspondance cités ci-dessus. Ces mêmes objectifs peuvent justifier l'interdiction ou
l'interruption de la communication (article 39.3). Le détenu doit être prévenu au préalable de
l'écoute de sa communication.
501

La possibilité de limiter le droit aux visites est définie un peu différemment (article
38). Le directeur d'établissement peut limiter le nombre de personnes pouvant être autorisées
à visiter le détenu, lorsque ceci s'explique par les intérêts de maintien de l'ordre ou de la
sécurité de l'établissement. Il peut, en outre, interdire la visite à une personne ou à des
personnes, mais lorsque cette décision est nécessaire pour les trois objectifs cités ci-dessus
(l'ordre et la sécurité, la prévention d'infractions et la conduite de l'enquête, la protection des
victimes). À cet effet, il peut être mis fin à la visite avant terme.

Nous constatons, par ailleurs, des différences d'objectifs pour lesquels peut être limité
le droit de communiquer avec les journalistes. Ces contacts sont acceptés s'ils "n'ont pas
d'effet négatif" pour les intérêts de maintien de l'ordre et de la sécurité de l'établissement, de
la protection de l'ordre public et de la bienséance, pour la protection des droits et libertés
d'autrui et la prévention de la commission d’'infractions ou la réalisation d'enquêtes. Les
entretiens peuvent être organisés sous la surveillance d'un agent de l'administration dans
l'intérêt des trois objectifs cités ci-dessus.

Le directeur d'établissement peut aussi intervenir dans les restrictions relatives aux
objets que le détenu est autorisé à garder. La liste des objets peut être fixée lorsque ceci est
nécessaire dans l'intérêt de maintien de l'ordre et de la sécurité dans l'établissement ou dans
l'intérêt de la "limitation de la responsabilité du directeur pour ces objets". De plus, le
directeur peut autoriser le détenu à garder des objets qui lui appartiennent, lorsque cela est
conciliable avec les intérêts de maintien de l'ordre et de la sécurité dans l'établissement,
nonobstant la responsabilité du directeur pour ces objets. L'autorisation de se servir de ces
objets peut être assortie de certaines conditions qui peuvent comprendre la responsabilité
restreinte du directeur (une somme déterminée d'argent).

Il est à spécifier, en outre, que la Loi ne comporte pas de règles spéciales concernant
les restrictions possibles pour la profession d'une religion ni de restrictions des fouilles. Sur ce
dernier point, une exception est apportée pour la fouille des cavités corporelles et l'analyse
forcée d'urine, qui sont autorisées pour les besoins de maintien de l'ordre et de la sécurité. La
fouille des cavités corporelles s'opère sous réserve de la nécessité "de prévenir un risque grave
pour le maintien de l'ordre ou de la sécurité ou pour la santé du détenu". Le législateur
souligne ainsi de manière complémentaire la signification de la nature exceptionnelle des
situations admissibles et celle de la modération dans les restrictions applicables dans le cas
des fouilles en question.

L'analyse de la Loi sur les principes de l'administration pénitentiaire et de ses règles


502

relatives aux limitations des droits des détenus aux Pays-Bas montre qu’elle présente de
similaires imperfections à la Loi pénitentiaire française, comme il sera vu ci-après.

L'absence de détermination explicite du principe de minimalité (ou de


proportionnalité) des restrictions dans la clause limitative générale.

La phrase "les détenus ne doivent pas être soumis à aucune autre restriction sauf
celles…" (article 2.4) contenue dans la Loi néerlandaise n'indique pas avec évidence le
principe de proportionnalité. Par ailleurs, en procédant à une interprétation systémique avec
l'article 15.4 de la Constitution des Pays-Bas, qui est envisagée comme reflétant, d'une
certaine manière, le principe de proportionnalité dans la limitation des droits des détenus, l’on
peut conclure qu’existe une exigence, du moins contextuellement. Cela se confirme d'ailleurs
par l'approche de la doctrine qui ne désigne par la règle fixée à l'article 2.4 de la Loi
autrement que principe de minimalité des restrictions.

Les règles spéciales portant sur les restrictions de certains droits de détenus ne
contiennent aucune indication relative à la proportionnalité nécessaire entre les restrictions et
les objectifs admissibles.

Ainsi qu'il a déjà été observé, cette situation limite la portée de l'orientation des
restrictions vers un but déterminé, en tant que barrière contre l'application de limitations non
justifiées des droits.

Les objectifs des restrictions admissibles diffèrent selon les droits concernés. Il est
difficile de voir une logique quelconque ni la moindre cohérence dans ses dissemblances.

Ainsi, l'écoute des communications téléphoniques et l'interdiction de ces


communications peuvent-elles être justifiées par les mêmes objectifs: а) Le maintien de
l'ordre ou de la sécurité dans l'établissement; b) La prévention de la commission d’infractions
ou la réalisation d’enquêtes; c) La protection des victimes ou des personnes autrement
concernées par l'infraction. La limitation du nombre de personnes pouvant être admis en visite
peut être opérée sur la base d’un objectif d'ordre et de sécurité, alors que les restrictions
portant sur les personnes dont les visites sont autorisées, peuvent poursuivre les mêmes
objectifs cités. Il peut être mis fin à la visite avant terme dans le même but.

Les contacts des détenus avec les media peuvent être interdits au titre des objectifs
suivants: la protection de l'ordre et de la sécurité de l'établissement, la protection de l'ordre
public et de la bienséance, la protection des droits et libertés d'autrui, la prévention
d'infraction ou la conduite d'enquêtes. L'entretien peut être surveillé par un agent de
503

l'administration avec les objectifs cités ci-dessus. Une question se pose: pourquoi la protection
de l'ordre public ou celle des droits et libertés d'autrui, par exemple, ne pourrait-elle servir
d'objectif légitime pour ordonner la surveillance de l'entretien avec le représentant des
médias? Pourquoi ces mêmes objectifs ne s'appliquent-ils pas, par exemple, au droit à la
correspondance ou aux visites? La Loi néerlandaise comporte ainsi des imperfections en
termes de concordance et de cohérence dans la définition des objectifs admissibles pour les
restrictions.

Non seulement les exigences spéciales relatives aux limitations de droits particuliers
ne sont pas en corrélation convenable entre elles, mais encore elles ne le sont pas plus avec la
clause limitative générale contenue à l'article 2.4 de la Loi néerlandaise. Elle cite les objectifs
admissibles suivants pour toutes les restrictions: "les objectifs d'emprisonnement ou le
maintien de l'ordre ou de la sécurité dans l'établissement". Or, les autres règles de la Loi ne
mentionnent pas les objectifs de l’emprisonnement. De plus, les auteurs néerlandais disent ne
pas comprendre ce qu'il faut classer dans ces objectifs1403.

Cela suscite la question suivante: pourquoi mentionner à l'article 2.4 les objectifs de
l’emprisonnement en tant qu'objectifs admissibles des restrictions? Il apparaît ainsi que toute
règle de la Loi qui comporte des objectifs admissibles pour les restrictions peut être élargie en
y rajoutant les "objectifs de l’emprisonnement ". Comment, dans ces conditions, expliquer la
formulation de règles particulières, évoquées plus haut, où l'admissibilité de restrictions est
rédigée de manière à faire supposer que les objectifs énumérés dans ces règles sont
exhaustifs? En outre, en admettant l'application du principe de supériorité de la règle spéciale
sur la règle générale, il apparaît que les "objectifs d'emprisonnement" ne peuvent pas être
appliqués en tant que motifs des restrictions.

L'exemple néerlandais rappelle, sur ce plan, les exemples français et belge, qui
présentent eux aussi des imperfections similaires de rapport entre les normes générales et
spéciales en matière de limitation des droits.

La coordination entre la clause limitative générale et les clauses limitatives spéciales


est nécessaire en pratique, si le législateur se propose d'assurer une application efficace de ces
normes dans la limitation des droits des détenus. Le problème d'incohérence entre ces deux
types de normes pourrait être évité, à notre avis, en fixant, dans la clause générale, les
exigences relatives à l'application des restrictions, exception faite des objectifs pour lesquels

1403
Molleman T., Performance Measurement in the Dutch Prison System: Methodological
Guidance for Public Sector Performance Assessment, Enschede, Ipskamp Drukkers, 2014, p. 135.
504

elles sont admissibles. Ainsi, la norme générale pourrait-elle contenir la mention de la


minimalité et de la proportionnalité des restrictions par rapport aux objectifs qui permettent
d'appliquer les restrictions. Elle pourrait aussi indiquer les qualités admissibles de l'objectif ou
leur origine. Les objectifs eux-mêmes devraient être définis pour chaque restriction
particulière compte tenu de sa spécificité.

Il serait utile de préciser en détails, dans chaque clause limitative spéciale, quelles sont
les garanties procédurales particulières applicables, telles que la notification de la décision
prise, la nécessité même d'une telle décision, la motivation convenable de celle-ci, l'autorité
prenant la décision, les délais d'application de la restriction, les personnes qu'elle concerne,
etc. Une telle approche est exigée par le besoin d'un équilibre optimal entre l'exercice d'un
droit et les considérations pratiques de sécurité et d'ordre, compte tenu de la nature spécifique
de chaque droit subjectif.
505

Conclusion du chapitre 3.6

La Loi néerlandaise sur les principes de l'administration pénitentiaire de 1998, qui


entérine les normes de limitation des droits des détenus, succède aux normes progressistes de
la Loi analogue précédente de 1953. Elle a été élaborée sous l'influence des acquis théoriques
innovants antérieurs dans le domaine de l'exécution des peines.

Ce texte fixe une norme générale laconique concernant les restrictions, lesquelles
doivent être nécessaires pour atteindre les objectifs de l'emprisonnement ou pour le maintien
de l'ordre ou de la sécurité dans l'établissement. La mention de l'orientation des restrictions
vers les objectifs de l'emprisonnement vise, en premier lieu, la réinsertion, qui occupe une
place privilégiée parmi les principes du droit pénitentiaire néerlandais. Le but de
l'emprisonnement n'est toutefois pas clairement défini.

La minimalité des restrictions, en tant que principe, revêt une importance concrète
pour la réinsertion: moins il y a de différence entre les droits en prison et ceux en liberté, et
plus facile serait l'adaptation à la nouvelle situation juridique après la libération. C'est ce que
nous appelons "normalisation juridique".

La Loi néerlandaise n'est pas dépourvue d'imperfections propres à d'autres pays: elle
ne fixe pas, de manière explicite, le principe de minimalité ou de proportionnalité; les
objectifs de restrictions particulières cités dans les clauses limitatives sont différents et ne sont
pas cohérents entre eux, ce qui risque de limiter ces normes à une valeur purement théorique
sans mise en œuvre pratique convenable.

Au vu du problème répandu de corrélation des objectifs des restrictions, nous


proposons notre propre modèle de rapport entre la clause limitative générale et les clauses
limitatives spéciales pour le cas où elles auraient été incluses dans la loi pénitentiaire spéciale.
La clause générale ne devrait pas comporter des indications concernant les objectifs concrets
des restrictions, mais seulement celles concernant des exigences générales particulières, telles
que la proportionnalité ou la minimalité des restrictions dans la réalisation des objectifs
légitimes (il serait possible de mentionner l'exigence de justification de ces objectifs). Les
clauses spéciales pourraient préciser quels doivent être les objectifs légitimes des droits qu'ils
concernent. Ces clauses pourraient comporter en outre des exigences portant sur la prise de
décision, sur sa notification et la procédure de recours.
506

3.7. L'Ukraine (évolution actuelle de la législation en rapport avec


la limitation des droits des détenus)

Le développement de la théorie de restriction des droits des détenus en Ukraine dans la


période post-soviétique a subi un retard considérable par rapport aux normes internationales et
l'expérience d'autres pays. L'Ukraine ne dispose pas de clauses limitatives relatives aux
restrictions des droits des détenus et elle n'a pas de vision de la nature ciblée des restrictions.
Les exigences de proportionnalité ne sont mentionnées que lorsqu'il s'agit de l'utilisation de
moyens de coercition physiques et des armes.

Cependant, l'évolution de la législation ces dernières années atteste de timides


avancées dans la mise en œuvre des normes de restriction. Comme il est signalé dans
l'introduction à cette thèse, nous avons pu exercer une influence directe sur cette évolution par
la mise au point d'un certain nombre de normes juridiques, dont beaucoup sont déjà adoptées
par le pouvoir ukrainien. Il se trouve que les conclusions de la présente étude ont été
incorporées dans le champ du droit ukrainien avant leur formulation définitive. D'une part,
cela a eu un impact sur la qualité des modifications proposées à la législation n’ont pu intégrer
en totalité les idées de notre thèse. D'autre part, cela ne pouvait pas déformer l'étude elle-
même car, du point de vue méthodologique, l'analyse des propositions propres à l'auteur pour
la législation aurait été discutable. Nous estimons, cependant, que les propositions étudiées
pour la mise en place de certaines normes de restriction de droits des détenus, ainsi que les
conditions de leur validation par les autorités nationales et les spécialistes pourraient
intéresser les chercheurs concernés. Cette expérience illustre les difficultés et les particularités
du processus d'implantation qui, à leur tour, permettent de tirer certaines conclusions. C'est ce
qui nous a décidé à présenter ce chapitre d'une manière concise et à commenter les
modifications correspondantes à la législation nationale, ainsi que le processus de leur
avancement.

3.7.1. Projets de loi relatifs aux limitations des droits des détenus

En 2014, l'auteur de ces lignes fut coordinateur du projet du Groupe de Kharkiv de


défense des droits de l'homme portant sur la mise en œuvre des normes du Comité européen
pour la prévention de la torture et du Comité des Nations Unies contre la torture dans la
507

législation pénitentiaire ukrainienne1404. Le projet aboutit entre autre à une étude1405 qui révéla
la non-conformité, dans des proportions considérables, de la législation pénitentiaire
ukrainienne à ces normes, notamment en ce qui concerne les restrictions des droits des
détenus. En conséquence, nous avons formulé nombre de propositions de modifications à
apporter au Code de l'exécution des peines de l'Ukraine, à la Loi de l'Ukraine "Sur la
détention provisoire", ainsi qu’à d'autres lois et textes normatifs d'application1406. Il convient
de noter que ces modifications reflétaient, non seulement, les résultats de notre étude dans le
cadre du projet évoqué en ce qui concerne les normes du CPT, mais aussi, en partie, les
premiers résultats de notre étude de la jurisprudence de la Cour européenne.

Nous n'allons pas nous livrer dans ce chapitre à l'analyse des modifications concernant
les restrictions des droits dans les règlements1407. Des exemples éclairants sont notamment
fournis par le Règlement intérieur des maisons d'arrêt (Note de service du Ministre de la
justice du 18.03.2013, N° 460/5) et des établissements d'exécution des peines (Note de service
du Ministre de la justice du 29.12.2014, N° 2186/5). Ces documents ont subi récemment une
révision, sans toutefois que ne se trouvent modifiées les restrictions existantes, lesquelles ont
même été aggravées, dans certains cas. Il en est principalement ainsi des interdictions
concernant la vie quotidienne (interdiction de garder la vaisselle, des documents, des photos,
certains aliments…). Or, ces interdictions sont vécues difficilement par les personnes
purgeant leur peine ou placées en détention provisoire. Certaines de nos observations visant
ces notes de services ont été prises en compte, mais ce, uniquement dans une mesure

1404
Le projet était réalisé dans le cadre du projet "Démocratisation, droits de l'homme et
développement de la société civile" mis en place par le Programme des Nations Unies pour le
développement (PNUD) en Ukraine et financé par le Ministère des affaires étrangères du Danemark en
2013–2016. L'auteur exprime sa profonde reconnaissance au PNUD Ukraine et au Gouvernement du
Danemark pour le soutien de notre projet dont une partie portait sur l'étude de la mise en œuvre de
certaines normes de restriction des droits des détenus.
1405
Ashchenko O., Chovgan V., Ukrainian Penitentiary Legislation in the Light of the Standards
of the UN and Council of Europe Anti-torture Committees. Preface by M. Gnatovskyy, Ed. by E.
Zakharov, Kharkiv, Prava Ludyny, 2014, disponible sur :
http://library.khpg.org/files/docs/1413663931.pdf (accedé le 01.07.2017).
1406
Une partie de ces propositions furent publiées dans l'ouvrage: Човган В.О. Реформування
кримінально-виконавчого законодавства у світлі міжнародних стандартів (пропозиції та
зауваження). – Харків: ТОВ «Права людини», 2014 (Chovgan V.O., Réforme de la législation de
l'exécution des peines à la lumière des normes internationales (propositions et observations), Kharkiv,
Droits de l’Homme, 2014).
1407
Ceux-ci révélèrent également des problèmes tenant à des restrictions excessives ou tout
simplement non rationnelles à propos des quoi quelles nous avons soumis, à maintes reprises, nos
observations au Service pénitentiaire d'État et au Ministère de la justice.
508

restreinte. Toutefois, leur analyse serait trop détaillée pour la présente thèse1408. Aussi nous
proposons-nous d'examiner les projets de loi que nous avons élaboré nous-même.

Il s'agit, en premier lieu, des modifications à apporter au Code de l'exécution des


peines et à la Loi de l'Ukraine "Sur la détention provisoire". Les projets de loi les concernant
furent adoptés par le Parlement en première lecture et recommandés à la seconde lecture. Leur
préparation fut un processus long et épuisant de discussions avec les représentants
d'administrations et d'associations. Ce processus représente un intérêt parce qu'il permet de
comprendre les positions des autorités appliquant les normes à mettre en œuvre, dont
l'administration pénitentiaire. Il éclaircit, en outre, la position des experts internationaux. À
titre d’illustration, nous analyserons uniquement les normes concernant les limitations des
droits.

Le projet de loi "Sur les amendements du Code de l'exécution des peines de


l'Ukraine (sur l'amélioration des conditions de la détention)" N° 2685 fut déposé au
Parlement le 21 avril 20151409. Il avait pour titre original "Sur les amendements du Code de
l'exécution des peines de l'Ukraine (sur la mise en œuvre des recommandations et des normes
du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou
dégradants)"1410.

Le projet comportait nombre de règles portant sur la prise en compte du principe de


proportionnalité des restrictions. Il proposait notamment l'inclusion de clauses limitatives
conformément à la Convention européenne. Le titre initial du projet indiquait que son idée
principale était d’appliquer les normes du CPT, l'accent étant mis sur les normes relatives aux
restrictions des droits.

Il convient de préciser, tout d'abord, que l'organe chargé de l'initiative des lois a
apporté au projet original des changements complémentaires qui n'ont pas toujours été de
nature progressiste.
1408
Nous proposons de consulter certaines d'entre elles: Човган В.О. Презумпція винуватості
від Міністерства юстиції України або крок у минуле в діяльності слідчих ізоляторів (Chovgan
V.O., La présomption de culpabilité proposée par le Ministère de la justice ou un pas vers le passé
dans le fonctionnement des maisons d'arrêt), disponible sur :
http://ukrprison.org.ua/expert/1365497506 (accedé le 14.07.2016); Човган В.О. Реформування
кримінально-виконавчого законодавства у світлі міжнародних стандартів (пропозиції та
зауваження). – Харків: ТОВ «Права людини», 2014. – С. 105–154 (Chovgan V.O., Réforme de la
législation de l'exécution des peines à la lumière des normes internationales (propositions et
observations), p. 105-154).
1409
À présent le projet est adopté en première lecture et recommandé pour adoption en deuxième.
1410
Le texte du projet de loi original était un peu différent par rapport à sa version déposée. Voir:
Човган В.О. Реформування кримінально-виконавчого законодавства у світлі міжнародних
стандартів (пропозиції та зауваження). – С. 5–27. (Chovgan V.O., Ibid, p. 5-27).
509

C'est ainsi que le projet initial perdit les modifications prévues à l'article 7 du Code de
l'exécution des peines de l'Ukraine, qui régissait les bases du statut juridique des détenus et
qui était ainsi formulée: "Les restrictions des droits des détenus doivent être proportionnées
conformément aux dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits
de l'homme". Cette règle devait fixer le statu quo, puisque l'Ukraine devait s'en tenir à
l'exigence de proportionnalité, en accord avec la Convention. D'autre part, elle diffèrait
sensiblement de l’idée de clause limitative générale que nous proposons dans la présente
thèse. Son vrai but, toutefois, était d’énoncer l'idée même de proportionnalité dans la
législation de l'exécution des peines, ainsi que d'initier un débat à ce sujet dans les milieux
académiques, en vue de combler par la suite les lacunes existantes. Cette condition devait
s’appliquer à toutes les autres clauses limitatives et régler également les situations difficiles
lorsqu'un droit ou un autre ne prévoyait pas de clause limitative spéciale.

Il est d’ailleurs à noter que, par la suite, lors de la mise au point en 2016 du projet de
loi gouvernemental "Sur le système pénitentiaire", réalisée en coopération avec l'ONG
"Reanimation Package of Reforms", nous réussîmes tout de même à insérer la clause
limitative générale au 2e alinéa de l'article 4: "Les limitations des droits et libertés de l'homme
et du citoyen doivent être prévues par la loi, poursuivre des objectifs légitimes fixés par la
Constitution de l'Ukraine et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et
des libertés fondamentales et être nécessaires (proportionnées) dans une société
démocratique".

Cette clause presente quelques difficultés. D’abord, elle fait partie d'une loi
particulière, et non de la Loi de l'Ukraine "Sur la détention provisoire" ou du Code de
l'exécution des peines, qui comportent des règles relatives aux droits des détenus susceptibles
d'être limités. Ensuite, compte tenu de la valeur juridique supérieure de la Constitution, il a
fallu prouver que les objectifs légitimes des restrictions étaient déterminés, non seulement par
la Convention, mais encore par la Constitution. Enfin, nous avons dû choisir entre l'insertion
de l'exigence de "proportionnalité" ou de "minimalité" des restrictions. D'un côté, compte tenu
de l'expérience canadienne, dans le contexte d'une sensibilisation insuffisante des
scientifiques, sans parler des praticiens, à ce que suppose le principe de proportionnalité, il
aurait fallu indiquer spécialement que les restrictions devraient être minimales. Il était
toutefois difficile, dans ce cas, d'expliquer l’énonciation séparée de la minimalité et de la
proportionnalité, la proportionnalité englobant la minimalité. La mention de ces deux notions
aurait signifié leur tautologie. Aussi, avait-on choisi la "proportionnalité" en tant que notion
510

plus large. Il est vrai qu'une formulation convenable fut trouvée par la suite.

Lors des dernières étapes de la discussion du projet, cette règle fut critiquée par des
experts au motif qu'elle aurait été "dépourvu de sens pratique". L'une des causes de ces
critiques était liée, à notre avis, au peu de connaissances dans le milieu des professionels et
experts à propos du rôle de la norme de proportionnalité dans la jurisprudence de la CEDH
relative aux droits des détenus. Cependant, cette critique conduisit à l'élaboration d'une
formulation améliorée, plus détaillée et pratique, de la norme (art. 4, al. 2-3 du Projet): "Les
restrictions des droits et libertés applicables aux personnes condamnées et aux personnes
placées en détention provisoire doivent être prévues par la loi, poursuivre des objectifs
justifiés du point de vue des normes internationales et être nécessaires dans une société
démocratique au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. De
telles restrictions doivent se fonder sur un équilibre juste des intérêts individuels et sociaux.
Elles doivent être aussi minimales que possible pour atteindre les objectifs légitimes et elles
ne doivent pas être appliquées lorsqu'une mesure restrictive alternative moins contraignante
existe pour la réalisation efficace des objectifs qu'elles visent. Dans les cas où l'application de
la restriction de droits et de libertés relève des compétences discrétionnaires du personnel du
système pénitentiaire1411, la restriction sera appliquée en vertu d'une décision motivée écrite
adoptée avec prise en compte du 2e alinéa [cité ci-dessus, N.D.L.A] du présent article et avec
indication des modalités du recours. Une copie de la décision sera remise au condamné ou à la
personne placée en détention provisoire". A la date où le travail sur ce chapitre touchait à sa
fin, l'acceptation de cette formulation de la clause limitative demeurait incertaine, le Ministère
de la justice ayant décidé de remanier considérablement le projet de loi.

Malgré le retrait de la clause limitative générale du projet de loi N° 2685, le projet


conserva des clauses limitatives plus concrètes, qui ne fixent toutefois qu'en partie le principe
de proportionnalité. Nous montrons plus loin les leçons que nous avons tirées de l’énonciation
insuffisante du principe de proportionnalité dans ces clauses. C'est ainsi que le projet
d'amendement de la loi "Sur la détention provisoire" contient déjà des clauses limitatives plus
détaillées, même s'il ne prévoit pas non plus l'insertion d'une clause limitative générale.

Aux termes de la rédaction actuelle de l'article 110 du Code de l'exécution des peines
de l'Ukraine, les visites de courte durée sont accordées en présence d'un agent de la colonie. Il
n’existe qu’une exception dans le cas des d'avocat. Les modifications proposées prévoient que
les visites doivent se dérouler, en règle générale, en dehors de tout contrôle et ce n'est que

1411
Il s'agit de restrictions en application de la loi (pratiques) dont la mise en œuvre, à la
différence des restrictions normatives, pourrait, à notre avis, être réglée par cette norme.
511

"dans des cas exceptionnels, les visites de courte durée peuvent être surveillées par un agent
de la colonie. L'administration de l'établissement pénitentiaire agissant sur la base de
l'évaluation individualisée des risques prend la décision motivée en indiquant les motifs, la
période, le type du contrôle et les modalités de recours. Une copie de la décision sera remise
au détenu. Les modalités d'évaluation individualisée des risques sont définies par les textes
normatifs du Ministère de la justice de l'Ukraine" 1412.

Notons que le libellé initial de l'article fut complété, de façon inattendue, par une
nouvelle formulation introduite par l'organe d'initiative des lois: "Les visites de courte durée
des personnes condamnées à la peine privative de liberté au titre des articles 109-114-1, 258-
258-5, 260, 261 du Code pénal de l'Ukraine se déroulent uniquement sous contrôle et en
présence d'un agent de la colonie". Cette phrase prévoit le contrôle automatique des visites
accordées aux personnes ayant commis des crimes liés à l'atteinte à l'intégrité territoriale du
pays. Il est évident qu'elle a été intégrée dans le projet de loi pour des considérations
populistes: les députés considéraient comme inacceptable que de telles personnes pussent
avoir des visites sans contrôle. Or, cette approche déforme l'idée principale des modifications
proposées: les restrictions ne devraient pas être appliquées de manière automatique, sans
examen des risques individualisés dans chaque cas particulier.

Les garanties procédurales principales contre des restrictions non justifiées se


résument ainsi comme suit:

- La surveillance de la visite n'est admise que dans des cas exceptionnels, c'est-à-dire
que la limitation du droit à l'intimité constitue une exception et non la règle comme c'était le
cas auparavant;

- Le contrôle de la visite nécessite une décision motivée avec indication des motifs, de
la période, du type de contrôle et des modalités de recours. Une copie de la décision est
remise au détenu concerné.

Outre le fait que ces modifications créent une base pour le renforcement du contrôle
judiciaire des décisions portant sur les restrictions de droits et qu'elles contribuent à la
juridictionnalisation, elles reflètent presque littéralement les normes correspondantes du

1412
Cette norme oblige le Ministère de la justice à mettre au point un règlement d'évaluation
individualisée des risques.
512

CPT1413.

Le projet de loi prévoit, par ailleurs, le changement de la fréquence des visites. Quel
que soit le niveau de sécurité de l'établissement pénitentiaire, les détenus doivent pouvoir
bénéficier d'au moins une visite de courte durée par mois. L'accent est mis sur l'expression "au
moins", qui concerne aussi les normes existantes pour les visites de longue durée. Ceci prévoit
la constitution d'un pouvoir discrétionnaire "positif" complémentaire pour l'administration des
établissements. Par conséquent, la norme change de manière à admettre une augmentation du
nombre de visites1414, même si ce nombre est toujours insuffisant. Ainsi qu'il sera observé
plus loin, nous avons pu, par la suite, initier un plan gouvernemental visant à prévoir le droit
des détenus à des visites hebdomadaires de courte durée.

Une approche analogue en matière de restrictions est pratiquée envers le droit à la


correspondance écrite, aux communications téléphoniques voire l'utilisation d'Internet
(modifications des art. 110, 5e al., et 113, 3e al. du Code de l'exécution des peines de
l'Ukraine). Les garanties prévues doivent concerner les limitations de ces droits.

La limitation du droit à la correspondance présente des particularités. Il est énoncé, par


exemple, que la correspondance sortante des détenus n’est pas contrôlée. Quant au courrier
entrant, il peut être contrôlé en prenant en compte les garanties procédurales citées ci-dessus
pour le droit aux visites. L'aspect spécifique consiste en ce que le détenu concerné doit
assister au contrôle de son courrier si un tel contrôle a lieu.

Le contrôle de la correspondance est opéré sur le fondement de l'évaluation


individualisée des risques, dans des cas exceptionnels, en présence de raisons plausibles de
supposer que celle-ci contient des objets interdits ou des informations susceptibles d'être
utilisées pour des infractions au régime de détention. L'ingérence dans les communications
téléphoniques et l'utilisation d'Internet est autorisée sur le fondement "de raisons bien fondées
et sur la base de l'évaluation individualisée des risques".

Il est possible de voir, de ce qui précède, que des garanties procédurales importantes
ont été créées contre des limitations indues des droits indiqués. Elles reflètent le principe
d'individualisation et sont destinées à mettre en œuvre une approche plus souple de

1413
Lors de ses visites en Ukraine, le CPT insistait en particulier sur les garanties procédurales
contre les restrictions non justifiées: Ащенко О.М., Човган В.О. Вказ. праця. – C. 61–67 (Aschenko
O.M., Chovgan V.O., Ibid, p. 61-67).
1414
Le projet n'établit pas la motivation d'une telle augmentation au risque de certains effets
négatif en raison de cette indétermination. Néanmoins, en réalité cela ne risque pas d'aggraver le
niveau de restrictions pour certaines personnes, ce serait plutôt le contraire. La suppression de cette
lacune n'en devrait pas moins être considérée comme une tâche importante à l'avenir.
513

l'application de restrictions. L'individualisation est le contraire de l'approche automatique


actuelle, selon laquelle les droits en question sont soumis à des restrictions automatiques
(contrôle automatique du courrier, surveillance automatique des visites, etc.).

Conformément au Code de l'exécution des peines de l'Ukraine en vigueur, les courriers


que les détenus adressent au délégué de l’Ombudsman, à la Cour européenne des droits de
l'homme et à d'autres institutions concernées des organisations internationales, dont l'Ukraine
est membre ou auxquelles elle participe, aux mandataires de ces organisations internationales,
au tribunal ou au procureur, ne sont pas soumis au contrôle et sont envoyés à leur destinataire
dans les 24 heures suivant leur dépôt. Le courrier que les détenus reçoivent des organismes et
agents cités ci-dessus n'est pas non plus soumis au contrôle (art. 113, 5e al.). Les
amendements proposés exonèrent du contrôle la correspondance avec toute administration
publique.

Cette approche paraît logique, puisque le contrôle par l'administration de


l'établissement pénitentiaire de la correspondance entrante et sortante avec d’autres
administrations publiques signifierait le manque de confiance de l'État en lui-même. Est
significatif, à cet égard, l'exemple des autorités pénitentiaires, puisque l'article 13 dispose en
son 5e al. que doit être contrôlée y compris la correspondance des détenus avec les directions
territoriales, voire avec l'administration pénitentiaire! Ce fait donne déjà lieu à des
constatations de violation de l'article 8 de la Convention 1415. Ces circonstances nous
confirment l'idée qu’il convient de lever les limitations à la correspondance avec les
administrations publiques1416.

Il est prévu d'interdire, non seulement, le contrôle de la correspondance avec l’avocat


chargé de la défence dans le dossier pénal, tel que c’est le cas aujourd’hui, mais aussi avec les

1415
Dans l'affaire Sergey Volosyuk c. Ukraine (nº 1291/03, 12.06. 2009) la violation de l'article 8
de la Convention était constatée du fait de la punition du détenu par le placement en cellule
disciplinaire pour 10 jours pour s'être plaint des conditions de détention auprès de la direction
régionale du service pénitentiaire en contournant la procédure officielle. Dans l'affaire Buglov c.
Ukraine (nº 28825/02, 10.07.2014), une violation de l'article 8 de la Convention fut constatée dans des
circonstances semblables, sauf que le détenu avait été puni pour avoir envoyé un courrier à
l'administration pénitentiaire centrale même.
1416
Notons qu'il peut y avoir un problème pratique d'établissement des adresses officielles des
administrations où le courrier peut être envoyé. Or le gros du courrier est destiné aux mêmes
administrations dont la vérification de l'adresse ne présenterait pas de difficultés. En revanche il peut
être plus difficile de s'assurer que le courrier entrant était envoyé par une administration.
514

avocats dans d'autres procédures (civiles, administratives…)1417. De telles procédures sont


conduites en vertu d'une procuration que le détenu délivre au spécialiste qui n'est pas toutefois
tenu d’être avocat ou d’avoir une formation juridique. Il importe de noter que le contentieux
pénitentiaire n’est pas "attrayants" pour les avocats, car la rentabilité est faible, sinon absente.
Les affaires de ce type peuvent intéresser les défenseurs des droits de l'homme, qui, souvent,
ne sont pas avocats. D'autre part, beaucoup de spécialistes ukrainiens concernés par la
protection des droits des détenus auprès de la Cour européenne sont intervenus et
interviennent toujours au titre d'une procuration, sans avoir la carte d'avocat. Dans ce cas,
l'autorisation en vigueur permettant de contrôler la correspondance avec ces personnes peut
relever de la violation de l'article 34 de la Convention, laquelle prévoit l'obligation des États
de ne faire aucun obstacle à l'exercice efficace du droit à la requête individuelle à la Cour
européenne.

Par ailleurs, le projet de loi proposé modifie radicalement la procédure disciplinaire


des détenus. Jusqu'ici, la procédure devant la commission disciplinaire, et notamment
l'assistance du détenu et de son défenseur au cours de celle-ci, relevaient essentiellement d'un
domaine non réglementé, ce qui rendait les garanties procédurales pratiques faibles sinon
absentes.

Aux termes des modifications devant être apportées à l'article 134, le placement du
détenu en cellule disciplinaire ou en isolement administratif s'opèrerait au titre de la décision
motivée de la commission disciplinaire. Le texte prévoit que le détenu peut être représenté par
un spécialiste du droit. Le détenu ou son représentant peut se faire communiquer les
informations écrites sur les sanctions disciplinaires dont il fait l'objet, assister à la réunion de
la commission saisie de la question de sa responsabilité disciplinaire, prendre connaissance du
dossier de la procédure disciplinaire et de son dossier personnel, et en prendre copie. Il peut
également fournir des explications, des objections et présenter des requêtes verbales et écrites,
fournir des preuves, demander la convocation de témoins et leur poser ses questions. Le
détenu se voit remettre une copie de la décision de sanction avec indication des possibilités et
des modalités du recours. Le placement en cellule disciplinaire des personnes condamnées à
la restriction de liberté doit être opéré suivant la même procédure.

Les garanties procédurales citées visent à assurer le bien-fondé des restrictions

1417
Les effets de la législation imparfaite en vigueur s'observent dans la jurisprudence. C'est ainsi
que le Tribunal administratif du district de Jitomir rejeta l'action en illégalité du contrôle de la
correspondance avec l'avocat qui n'était le défenseur du détenu dans l'affaire pénale. Le tribunal se
référa à juste titre à l'article 113 du Code de l'exécution des peines qui n'interdit le contrôle de la
correspondance qu'avec le défenseur au pénal (cf. Aschenko O.M., Chovgan V.O., Ibid, p. 68-69).
515

appliquées aux détenus. Ainsi qu'il a déjà été observé, l'engagement de la responsabilité
disciplinaire spécifique constitue l'une des formes témoignant de la restriction du droit1418, car
elle signifie que la personne est punie pour des actes ou pour une inaction qui n’est pas
punissable dans le monde libre.

L’octroi de garanties procédurales de l'engagement de la responsabilité disciplinaire a


été recommandée depuis longtemps par le CPT qui a notamment observé dans son rapport de
la visite en Ukraine en 2009 (par. 147): "Le CPT invite les autorités ukrainiennes à revoir les
modalités de placement en cellule d'isolement/cellule disciplinaire et en local du type
cellulaire afin d'assurer que les détenus: (I) soient informés par écrit des accusations portées
contre eux, (II) bénéficient d'un temps suffisant pour préparer leur défense, (III) puissent faire
venir des témoins qui déposeraient en leur propre nom et lors du contre-interrogatoire contre
eux, et (IV) se fassent remettre la copie de la décision comportant les motifs du placement et
des informations régulières sur ses droits, y compris le droit à l'assistance juridique, et sur les
moyens disponibles pour contester la décision devant un organe indépendant (par exemple le
juge)". Des exigences similaires ont été reprises au par. 174 du Rapport de la visite en
Ukraine en 2012. Dans ce même rapport de 2012, le CPT observe au par. 57: "Les mesures
relatives au placement du détenu en cellule d'isolement, en local du type cellulaire ou en zone
de contrôle renforcé doivent être appliquées toujours pour une durée aussi réduite que
possible après avoir, entre autre, pris en compte l'avis du détenu, et sous réserve seulement de
lui remettre la copie de la décision comportant les motifs de ce placement et des informations
de base sur ses droits, y compris les moyens disponibles pour contester la décision le
concernant auprès d'un organe indépendant".

La mise en place de ces procédures est nécessaire, en outre, à la lumière des études
empiriques selon lesquelles la "justice procédurale" (Tom Tyler) produit un effet bénéfique
sur la situation dans l'établissement1419 et sur la prévention de la récidive1420. D'autre part, la
valeur symbolique de la sanction diminue lorsque les détenus n'ont pas de garanties

1418
Voir au 1.2.1.5 "Instauration de la responsabilité spécifique en tant que forme de limitation du
droit".
1419
Beijersbergen K.A., Dirkzwager A. E., Eichelsheim V. I., van der Laan P. H., Nieuwbeerta
P., Procedural Justice, Anger, and Prisoners’ Misconduct. A Longitudinal Study, Criminal Justice and
Behavior, 2014, n° 20(10), р. 1-23; Herzog-Evans M., Les vertus criminologiques de l’équité
processuelle : le modèle « LJ-PJ-TJ », AJ pénal, 2016, mars, p. 130-132 ; Ross M. W., Diamond P.
M., Liebling A., SaylorW. G., Measurement of Prison Social Climate: A Comparison of an Inmate
Measure in England and the US, The Prison Journal, 2008, n° 10, p. 447-474, Cesaroni C., Peterson-
Badali M., The Role of Fairness in the Adjustment of Adolescent Boys to Pretrial Detention, The
Prison Journal, 2016 (first published on June 9 as doi:10.1177/0032885516650873), p. 1-20.
1420
Beijersbergen К.А., Dirkzwager А.J.E., Nieuwbeerta P., Does Procedural Justice During
Imprisonment Matter? , Criminal Justice and Behavior, 2016, n° 43 (1), р. 63–82.
516

procédurales de protection de leurs droits, ce qui suscite l'impression du traitement injuste1421.

Ainsi qu'il sera montré plus loin, des garanties similaires sont proposées par le projet
d'amendement de la Loi de l'Ukraine "Sur la détention provisoire". Par la suite, compte tenu
des observations des spécialistes formulées en vue de la deuxième lecture au Parlement, les
procédures ont été améliorées et unifiées, aussi bien pour les personnes placées en détention
provisoire que pour les condamnés.

Le projet de loi modifie certaines limitations substantielles lors de la détention en


isolement disciplinaire. Actuellement, les personnes qui y sont placées se voient interdire les
visites, sauf celles des avocats ou d'autres juristes qui ont le droit, en vertu de la loi,
d'accorder l'assistance juridique. Il est également interdit d'acheter des produits alimentaires et
des objets de première nécessité, de recevoir les colis et les paquets, de jouer aux jeux de
société (art. 134, 11 al., du CEP).

Cette règle est contraire aux normes du CPT en matière de restrictions de droits. Les
Normes générales contiennent notamment la recommandation (par. 61 du Rapport général de
2011): "Comme pour tous les régimes appliqués aux détenus, le principe selon lequel les
détenus placés à l’isolement ne doivent pas être soumis à davantage de restrictions que ce qui
est nécessaire pour un confinement sûr et correctement mis en œuvre, doit être respecté. Par
ailleurs, des efforts spéciaux doivent être faits pour améliorer le régime de ceux qui sont
maintenus à l’isolement pour une longue durée, lesquels ont besoin d’une attention
particulière afin de minimiser les dommages que cette mesure peut leur causer. Il n’est pas
nécessaire d’adopter une approche "tout ou rien" de cette question. Chaque restriction
particulière ne devrait être appliquée qu’en réponse, appropriée, à une évaluation du risque
d’un détenu individuel". La formulation "tout ou rien" sous-entend, dans ce cas, l'approche
selon laquelle il est interdit à tous les détenus d'effectuer ou de ne pas effectuer de tels actes,
de détenir des objets sans aucune procédure d'individualisation préalable, c'est-à-dire sans la
possibilité d'imposer ces restrictions lorsqu'elles vraiment nécessaires. En revanche, on
applique une restriction automatique des droits de tous les détenus à statut spécifique (dans le
cas présent, c'est, par exemple, le statut de détenu placé à l'isolement disciplinaire).

Il ressort de ce qui précède que l'interdiction des communications téléphoniques à


toutes les personnes placées à l'isolement disciplinaire est contraire aux Normes générales du
Comité. Cela concerne, au même titre, l'interdiction des visites aux détenus placés à

1421
Faugeron C., Chauvenet A., Combessie P., Approches de la prison, Montréal, Les presses de
l’Université de Montréal, 1996, p. 309, 316.
517

l'isolement disciplinaire, compte tenu de l'absence de justifications valables pour ce type de


restrictions et du caractère automatique de celles-ci. Les normes du CPT le confirment, une
nouvelle fois, notamment par le biais du par. 55 du Rapport général pour 2011, qui insiste sur
le respect du principe de nécessité des restrictions durant l'exécution de la sanction
disciplinaire: "la règle selon laquelle seules sont permises les restrictions nécessaires à un
confinement sûr et correctement mis en œuvre et répondant aux exigences de la justice,
s’applique de la même manière aux détenus soumis à l’isolement. En conséquence, lors d’un
placement à l’isolement, il ne devrait, par exemple, y avoir aucune suppression automatique
des droits de visite, d’accès au téléphone et à la correspondance... De la même manière, le
régime doit être suffisamment flexible pour permettre la levée de toute restriction qui n’est
pas nécessaire dans un cas individuel". Les mêmes insistances se retrouvent dans le rapport
sur la visite en Ukraine en 2009 (par. 150): "Il convient d'ajouter que les détenus placés à
l'isolement disciplinaire/cellule disciplinaire et en local du type cellulaire sont généralement
privés automatiquement de contacts avec le monde extérieur (visites, correspondances et
communications téléphoniques). Le CPT recommande aux autorités ukrainiennes de
prendre des mesures de manière à ce que le placement des détenus à l'isolement
disciplinaire/cellule disciplinaire et en local du type cellulaire ne comprenne pas
l'interdiction totale des contacts familiaux (cf. aussi Règle 60 (4) des Règles
pénitentiaires européennes") (souligné par le Comité ( N.D.L.A.).

Ainsi qu'il a déjà été remarqué, le caractère non souple et non proportionné des
restrictions est contraire, non seulement aux normes du CPT, mais aussi à celles de la CEDH.
D'autre part, l'interdiction totale des visites, des colis, de l'achat de produits alimentaires,
d'objets de première nécessité… est également contraire à la règle 3 des Règles pénitentiaires
européennes, qui prévoit le degré minimal des restrictions. Or, non seulement ces restrictions
ne sont pas minimales, mais, bien au contraire, elles sont maximales, ce qui va à l'encontre de
l'idée même des règles1422.

Le projet de loi n° 2685 a suscité l'opposition tant du Service pénitentiaire d'État que
de certains députés.

C'est ainsi qu'un grand nombre d'amendements ont été présentés en deuxième lecture
qui visaient non à améliorer les règles en questions, mais à les supprimer tout simplement.

1422
Човган В.О. Вимоги до правообмежень осіб, які позбавлені волі, за Європейськими
тюремними правилами і їх втілення в національному законодавстві // Право та управління. –
2012. – №2. – С. 977–988 (Chovgan V.O., Exigences relatives aux restrictions de droits des personnes
privées de liberté d'après les Règles pénitentiaires européennes et leur mise en œuvre dans la
législation nationale, Droit et gestion, 2012, n° 2, p. 977-988).
518

Il a, par exemple, été proposé de supprimer les règles concernant:

- L'application des garanties procédurales en cas d'engagement de la responsabilité


disciplinaire des détenus condamnés à la privation de liberté (dép. Némirovski A.V.);

- La suppression de l'interdiction des visites dans le quartier de quarantaine, de


diagnostic et d'affectation où le détenu séjourne les quatorze premiers jours suivants son
arrivée dans l'établissement (dép. Némirovski A.V., Institut du Service d'État d'exécution des
peines);

- La révision périodique obligatoire de la nécessité de maintenir la personne dans le


quartier à contrôle renforcé (dép. Lenski O.O., Némirovski A.V.);

- Les restrictions des appels téléphoniques uniquement sur la base de l'évaluation


individualisée des risques (Service pénitentiaire d'État);

- La révision des approches à l'égard de la limitation du droit à la correspondance et


aux visites (Service pénitentiaire d'État).

Les observations qui concernaient les nouvelles approches vis-à-vis des restrictions
étaient expliquées par leur caractère incompréhensible pour le système pénitentiaire national.
Une justification habituelle portait sur la question de sécurité, car il était considéré qu’une
approche plus libérale des restrictions "constituerait une menace" envers le maintien de l'ordre
dans les établissements1423. Nos arguments se référant à l'expérience de la mise en œuvre de
ces approches dans d'autres pays ont été réfutés par des phrases du type: "Les détenus dans
ces pays ont une mentalité différente". Nous voyons donc que l'opposition aux nouvelles
normes s'explique essentiellement par l'incertitude quant à leur sécurité, étant donné les
réalités du système pénitentiaire national. La seule référence aux normes internationales n’a
pas suffi. De la même manière, les praticiens ont exigé des assurances que de telles normes
libérales "fonctionneraient" en Ukraine. Évidemment de telles assurances étaient impossibles
à donner, car la mise à l'épreuve de ces normes en Ukraine n'était pas possible du fait de la
législation en vigueur.

Projet de loi "Sur la détention provisoire" (portant sur l'implémentation de


certaines normes du Conseil de l'Europe) n° 2291а du 06.07.2015

Le Projet n° 2291а, tout comme le Projet n° 2685, été focalisé sur la mise en place des

1423
Cette réaction est normale sachant que la mise en place d'un nombre plus grand de procédures
est accueilli par le personnel pénitentiaire comme une réduction de la capacité de maîtriser la situation
et d'assurer la discipline dans l'établissement (Faugeron C., Chauvenet A., Combessie P., Ibid, p. 318).
519

normes du Conseil de l'Europe en matière de limitation des droits1424. En Ukraine, les


restrictions des droits applicables aux personnes en détention provisoire sont beaucoup plus
importantes que celles imposées aux condamnés, ce qui ne s'accorde pas avec la présomption
d'innocence. Cela concerne surtout les contacts avec le monde extérieur que la Loi actuelle
autorise à titre exceptionnel. Le Projet change cette approche en "présomption en faveurs du
maintien de contacts avec le monde extérieur", lorsque les limitations de ces contacts sont
exceptionnelles, alors que leur facilitation devient la règle1425.

Aux termes de l'article 12 de la Loi de l'Ukraine "Sur la détention provisoire", les


visites de parents ou d'autres personnes ne peuvent être autorisées pour les prévenus par
l'administration de la maison d'arrêt qu'avec l'accord de l'enquêteur ou du juge en charge de la
procédure pénale au moins trois fois par mois. La partie finale de cette règle présente un
aspect assez hypocrite, quand on apprend que le nombre de visite ne devrait pas être inférieur
à trois par mois. En réalité, en l'absence d'autorisation de l'enquêteur ou du juge concernés par
l'enquête pénale donnée, il n'y aurait pas de visites, ce qui rend cette garantie bien chimérique.
Ajoutons que, d'après le par. 1.1 du Règlement intérieur des maisons d'arrêt du Service
d'exécution des peines de l'Ukraine, l'autorisation de l'enquêteur ou du juge effectuant
l'enquête n'est valable que pour une seule visite (note de service du Ministère de la justice du
18.03.2013). Cela se traduit par des allées et venues des parents (ou du défenseur qui aide les
parents à obtenir la visite) pour se faire accorder une visite à la personne prévenue,
l'autorisation devant être obtenue pour chaque visite.

Les amendements proposés prévoient que "les personnes placées en détention


provisoire ont droit aux visites de parents ou d'autres personnes au moins tous les sept jours, à
moins que l'enquêteur ou le juge en charge de l'enquête pénale ne les interdise. La décision
portant interdiction de visite doit être justifiée et motivée avec l'indication possible du cercle
de personnes qui ne sont pas concernée par cette interdiction. La décision doit préciser la
durée de cette mesure, qui devrait être la plus courte possible, sans pouvoir toutefois excéder
trente jours avec la possibilité de sa reconduite mensuelle par une décision spéciale à prendre
dans des cas exceptionnels et avec un complément de justification. L'interdiction doit être
nécessaire dans une société démocratique dans l'intérêt de la sécurité nationale et publique ou
du bien-être économique du pays, pour prévenir des troubles ou des crimes, pour protéger la
santé ou la morale ou pour protéger les droits et libertés d'autrui. Les copies des décisions

1424
À présent le projet est adopté en première lecture et recommandé pour adoption en deuxième.
1425
Dans l'ensemble, l'idée de la présomption de mal-fondé des restrictions du point de vue de la
sécurité est un sujet à perspective pour l'avenir en l'absence des preuves du contraire. Il dépasse
toutefois le cadre de la présente thèse.
520

avec l'indication des modalités de recours seront remises à la personne concernée placée en
détention provisoire".

Il est proposé, en outre, de modifier l'approche des restrictions pendant les visites. La
loi actuellement en vigueur les soumet au contrôle de l'administration de la maison d'arrêt.
Les amendements proposés modifient radicalement cette approche: "La visite autorisée à la
personne prévenue s'effectue dans des conditions assurant sa confidentialité, sauf les cas où
une évaluation individualisée des risques fait apparaître une ingérence nécessaire dans une
société démocratique dans l'intérêt de la sécurité nationale et publique ou du bien-être
économique du pays, pour prévenir des troubles ou des crimes, pour protéger la santé ou la
morale ou pour protéger les droits et libertés d'autrui. Le cas échéant, l'administration de la
maison d'arrêt prend une décision justifiée et motivée avec indication du cercle de personnes
qu'elle concerne et de la durée de la mesure appliquée qui doit être la plus courte possible
mais sans pouvoir excéder trente jours avec la possibilité de sa reconduite mensuelle par une
décisions spéciale à prendre dans des cas exceptionnels et avec un complément de
justification. Les copies des décisions avec l'indication des modalités de recours seront
remises à la personne placée en détention provisoire. Les modalités de l'évaluation
individualisée des risques sont définies par des règlements du Ministère de la justice de
l'Ukraine". Il est prévu également que les visites peuvent être accordées dans des conditions
ouvertes (avec possibilité de contact physique). Les exceptions sont admises sous la même
réserve que le contrôle des visites.

Une approche quasiment analogue est proposée pour la mise en œuvre des restrictions
du droit aux appels téléphoniques et à la correspondance écrite.

Au vu de ce qui précède les clauses limitatives du Projet n° 2291 diffèrent de celles du


Projet n° 2685 par quelques caractéristiques essentielles:

- L'uniformisation des restrictions de divers droits. S’agissant de la limitation du droit


aux visites, à la correspondance, aux appels téléphoniques, le Projet fixe les mêmes conditions
pour toutes ces restrictions: une restriction doit être nécessaire (c'est-à-dire proportionnée)
dans une société démocratique et répondre aux objectifs qui se recoupent littéralement avec
les objectifs dans l'intérêt desquels est admise la restriction du droit à la vie privée d'après la
Convention (art. 8, 2e al.), à savoir les intérêts de la sécurité nationale et publique ou du bien-
être économique du pays, la prévention des troubles ou des crimes, la protection de la santé ou
de la morale ou la protection des droits et libertés d'autrui;

- L'invalidation automatique de certaines restrictions au bout d'un temps déterminé


521

(trente jours). La restriction ne peut être renouvelée que dans des cas exceptionnels;

- La détermination du cercle de personnes non concernées par la restriction (par


exemple, les parents);

- Les restrictions concernent tant la possibilité même d'exercice d'un droit


(correspondance, visites, appels téléphoniques) que les modalités de leur application (contrôle
de la correspondance, des visites, des appels).

L'uniformisation des conditions de limitation de certains droits est importante, à notre


avis, pour éviter des incohérences dans le développement de la théorie et de la pratique des
restrictions. Sur ce plan, nous tirons des leçons des incohérences observées dans les clauses
limitatives d'autres pays examinés dans la présente thèse.

Les amendements portent, en outre, sur les modalités d'accès à Internet, droit que les
prévenus n'avaient pas auparavant. Le projet prévoit, toutefois, que l'accès au réseau global
d'Internet pourrait être interdit par l'enquêteur ou le juge chargé de l'enquête pénale suivant les
modalités applicables pour les limitations des appels téléphoniques, des visites et de la
correspondance, c'est-à-dire en appliquant le principe de proportionnalité et en prenant en
compte nombre de garanties procédurales (projet de l'article 131). Le projet d'article dispose
que les personnes prévenues bénéficient du droit d'accès au réseau global d'Internet suivant
les modalités fixées par les règlements du Ministère de la justice de l'Ukraine au moins tous
les sept jours et chacun à son tour. Cela permet au Ministère de la justice d'élaborer les
modifications qu'il considérerait comme étant plus pratiques. Dans le même temps, on assiste
à une menace d'abus de pouvoirs dans la mise au point des restrictions réglementaires.
Malheureusement, nos propositions visant une détermination plus détaillée de ce droit dans la
loi ne furent pas soutenues par la Direction juridique générale du Parlement pendant la
522

préparation du projet à la deuxième lecture1426.

Il est à souligner, en particulier, que cette direction était catégoriquement opposée à


cet article, en alléguant que cette exigence était contraire à celle "d'incarcération" contenue
dans la Loi "Sur la détention provisoire". Nous voyons là une nouvelle confirmation de
l'enracinement de l'idée négative des restrictions de fait et un témoignage de
l'incompréhension de la portée de cette exigence. Si l'incarcération veut dire incarcération
totale, il faudrait alors interdire aussi le droit de ces personnes aux visites. Cependant, s'il
s'agit d'une incarcération relative, il faut voir à quel point l'accès à Internet est contraire à
l'incarcération en tentant compte des conditions déterminées garantissant la sécurité.
Potentiellement, toute innovation visant à l'augmentation des contacts des détenus avec le
monde extérieur pourrait se heurter à des objections tenant au risque d’atteinte à
l'incarcération au lieu de susciter un débat constructif sur sa sécurité et son utilité.

Le projet de loi fixe des garanties procédurales portant sur les sanctions disciplinaires.
Les spécialistes du Conseil de l'Europe Eric Svanidze et John McGuckin ont exprimé leurs
observations à propos de ces garanties1427. L'observation la plus importante concernait

1426
Nous avons réussi tout de même à intégrer des amendements similaires au CEP. Le Projet de
loi n° 2490а "Sur l'amendement de certains textes législatifs de l'Ukraine relatifs à l'exécution des
peines et à la réalisation des droits des condamnés" adopté par le parlement au printemps 2016 et déjà
entré en vigueur modifie l'art. 110, 7e al., du CEP: "Les personnes condamnées bénéficient du droit
d'accès au réseau Internet sous le contrôle de l'administration. Les condamnés peuvent créer leur boîte
postale électronique et s'en servir sous le contrôle de l'administration de l'établissement pénitentiaire.
L'administration de l'établissement pénitentiaire prend connaissance du contenu des messages entrants
et sortants dans les cas où cela est nécessaire compte tenu des risques individualisés des condamnés
concernés. En utilisant le réseau global d'Internet les condamnés se voient interdire: de saisir toutes
informations et notamment d'envoyer des lettres, des commentaires, des signes, de se faire enregistrer
sur des sites web, sauf les cas de création et d'utilisation de la boîte postale électronique suivant les
modalités fixées par le présent article et les cas d'enregistrement obligatoire pour pouvoir consulter les
sites autorisés; de constituer toutes bases de données et des disques d'emmagasinage y compris les
disques virtuels; de consulter les sites web des réseaux sociaux, les sites qui font l'apologie de la
cruauté, de la violence, les sites à contenu érotique ou pornographique, de visionner les sites
susceptible d'exercer un effet négatif sur l'état psychologique du condamné. La liste des sites autorisés
est établie par l'administration centrale en charge de la politique de l'État dans le domaine de
l'exécution des peines et de la probation, cette liste pouvant être complétée, suite à la demande des
condamnés, par des sites qui ne sont pas contraires aux dispositions du présent article. L'accès du
réseau global d'Internet est autorisé dans la journée, pendant les heures libres du travail et en dehors
des heures fixées pour les repas et le sommeil ininterrompu. L'utilisation du réseau global d'Internet
est payée par les condamnés sur leurs propres fonds ou sur les fonds d'autres personnes en les versant
en porte-monnaie électronique. Les condamnés séjournant dans des établissements de santé
stationnaires ne relevant pas de l'administration centrale en charge de la politique de l'État dans le
domaine d'exécution des peines et de probation peuvent garder, avec l'autorisation de l'administration
de l'établissement pénitentiaire, et utiliser sous le contrôle de l'administration des ordinateurs portables
avec accès au réseau global d'Internet".
1427
Des spécialistes furent sollicités pour l'analyse de ce projet de loi et de quelques autres dans le
cadre du projet du Conseil de l'Europe "Soutien à la réforme pénitentiaire en Ukraine". Voir analyse
en Annexe n°2.
523

l'incohérence entre des projets de loi parallèle (le projet 2291а évoqué et le projet de loi 2251а
d'I.S. Iakovets élaboré sur la base d'une étude spéciale portant sur ce thème 1428). Tous ces
projets avaient notamment des traits progressistes que les autres n'avaient pas. Il était
nécessaire d'accorder cette norme avec le projet n° 2685 cité qui contenait lui aussi des
normes similaires1429.

Finalement, des amendements quasiment identiques ont été proposés pour ce projet et
le projet n° 2685 en deuxième lecture. Ils contenaient notamment les dispositions suivantes:

- La notion de faute disciplinaire qui constitue un acte illicite, coupable ou une


inaction portant atteinte aux rapports de droit inhérents à la détention en détention provisoire
et qui se traduit par un manquement aux exigences auxquelles est soumis le comportement de
l'intéressé en vertu des règles appropriées;

- Le personnel de l'établissement est tenu de prouver la présence effective de tous les


éléments constitutifs des fautes disciplinaires dans les actes ou manquement du détenu;

- La détermination des modalités de procédures administratives concernant des fautes


disciplinaires dans un règlement approprié;

- L'application de la sanction est décidée par la commission disciplinaire de


l'établissement (cette question n'avait pas de règles précises auparavant). La disposition porte
sur la composition de la commission, les modalités de ses réunions et de la délibération;

- La nécessité de motiver la décision de la commission avec une argumentation


détaillée en cas de placement du détenu en cellule disciplinaire. Une copie de la décision sera
remise au détenu;

- La personne sujette à la sanction devra être informée en temps utile de la date de


1428
Правове регулювання застосування заходів заохочення та стягнення в процесі
виконання покарань, пов’язаних з ізоляцією засуджених: монографія / В.В. Карелін, І.С.
Яковець, К.А. Автухов; за заг. Ред.. А.Х. Степанюка. – Х. : Право, 2014 (Réglementation
juridique des mesures de stimulation et des sanctions au cours de l'exécution des peines liées à
l'isolement des condamnés: monographie/V.V. Kareline, I.S. Iakovets, K.A. Avtoukhov, sous la dir. de
A.H. Stepaniouk, Kharkiv, Pravo, 2014). Cette étude servit notamment à faire une conclusion
importante sur l'inclusion au CEP de la notion de faute disciplinaire en tant que fondement de la
sanction disciplinaire.
1429
Au cours de la deuxième lecture, il fut décidé, pour accorder nos propositions avec celles de
I.S. Iakovets, de réunir les garanties procédurales des deux propositions et d'amender l'art. 135 du CEP
par le projet de loi sur l'amendement du Code de l'exécution des peines de l'Ukraine (sur l'amélioration
des modalités d'application aux détenus des mesures de stimulation et des sanctions) n° 2251а du
03.07.2015. Ce projet de loi fut adopté récemment par le Parlement et entrait en vigueur le 07.04.2017.
Cela veut dire que désormais la liste des garanties procédurales citée ci-dessous devient applicable aux
détenus.
524

réunion de la commission (trois jours au plus tard avant la réunion);

- La participation de représentants de la commission de surveillance avec voix


consultative;

- La possibilité d'audition des témoins de l'infraction;

- La possibilité pour l'avocat d'assister à la réunion de la commission;

- La détermination d'un certain nombre de droits du détenu et/ou de son représentant,


dont notamment: le droit de se faire communiquer l'information sur le procédé de
l’administration, y compris les documents concernant l'affaire, trois jours avant la réunion de
la commission disciplinaire (sauf les cas de réduction motivée de ce délai par décision du
directeur d'établissement); le droit d'assister à la réunion de la commission décidant de
l'application de la sanction; le droit de prendre connaissance des documents de la procédure
disciplinaire et de son dossier personnel, d'en faire des relevés et d’en prendre copie; le droit
d'exprimer ses explications, ses objections et de former des requêtes verbales et écrites; le
droit de fournir des preuves; le droit de citer des témoins et de les interroger;

- La mise en place de la médiation disciplinaire dont les modalités de fonctionnement


sont définies par le Ministère de la justice (cette novation ne fut pas accueillie positivement
par les experts et fut par la suite retirée).

Il convient de souligner, en complément, que beaucoup de garanties procédurales


citées, de même que nombre d'autres dispositions des projets préparés, représentent quasiment
la mise en miroir des normes correspondantes du CPT1430.

Le projet de loi comporte, par ailleurs, des normes moins étendues relatives aux
restrictions. Il prévoit, notamment, la confidentialité de l'examen médical lors de l'admission
dans la maison d'arrêt. L'examen s'effectue hors les limites de l’écoute et, à moins que le
spécialiste médical ne souhaite le contraire, en dehors de la visibilité du personnel non
médical1431.

Lors de la deuxième lecture du Projet au Parlement il a été proposé de retirer la norme

1430
Voir par exemple l'évocation des recommandations correspondantes: Ащенко О.М., Човган
В.О. Українське пенітенціарне законодавство у світлі стандартів Комітетів проти катувань
ООН та Ради Європи. – С. 111–116 (Ashshenko O.M., Chovgan V.O., Ibid, p. 111-116)
1431
Cette approche répond aux normes fixes du CPT (par ex. para. 40-44, 12th 12e rapport
général d'activités du CPT couvrant la période du 1er janvier au 31 décembre 2001 (CPT/Inf. (2002)
15); para. 18-25, 21e rapport général d'activités du CPT couvrant la période du 1er août 2010 au 31
juillet 2011 (CPT/Inf (2011) 28); para. 71- 84, 23e rapport général d'activités du CPT couvrant la
période du 1er août 2012 au 31 juillet 2013 (CPT/Inf. (2013) 29)).
525

présente de la Loi selon laquelle les plaintes, les requêtes, les propositions et les lettres
contenant des renseignements dont la diffusion pouvait compromettre l'enquête pénale ne
seraient pas envoyées à qui de droit, mais seraient remises pour examen à l'agent ou au
service en charge de l'enquête pénale, avec notification signifiée à la personne prévenue et au
procureur supervisant le respect des lois lors de l'enquête préliminaire. La suppression de cette
norme était préconisée par les experts susmentionnés du Conseil de l'Europe, en raison de sa
formulation contradictoire: d'un côté, elle interdit le contrôle de la correspondance avec les
administrations alors que, d'un autre côté, elle exige de la réexpédier si son contenu peut
affecter l'enquête (ce qui suppose inévitablement la lecture de ce courrier).

De la même manière, est passée en deuxième lecture la règle qui garantit aux détenus
manquant de fonds au moins une heure d'appels téléphoniques par semaine au frais de l'État.

Des limitations non justifiées concernant la vie quotidienne ont été supprimées: les
détenus sont autorisés à se servir du réfrigérateur personnel, de garder des documents, des
photos et des notes sauf celles pouvant servir à l'évasion ou à la préparation d'autres
infractions (avant il était interdit de garder les objets de ce type à l'exception des documents
relatifs à la procédure pénale); la surface habitable admissible est augmentée de 2,5 m2 à 4 m2,
les cellules de moins de 6 m2 et/ou celles ayant moins de 2 m entre les murs sont interdites.

Le projet de la loi évoqué ci-dessus est le résultat de la concertation à propos de la


première version du projet de loi avec le Service pénitentiaire d'État. Il a subi, de ce fait, des
modifications nécessaires pour satisfaire les préoccupations administratives.

Les discussions avec le Service pénitentiaire d'État, qui ont eu lieu lors de la phase de
préparation du projet pour la première lecture, portaient sur les sujets suivants:

- L'impossibilité ou la difficulté d'assurer certaines règles au plan matériel. Il était


observé, par exemple, que le droit aux appels téléphoniques (la loi en vigueur ne prévoit pas
ce droit pour les personnes en détention provisoire!) nécessiterait l'aménagement d'espaces
complémentaires à cette fin et entraînerait aussi des obligations en plus pour le personnel de
la maison d'arrêt déjà bien chargé. Les problèmes potentiels formulés concernaient également
les normes de surface augmentées. En effet, les maisons d'arrêt ont été construites à une
époque ancienne et les exigences proposées par le Projet, malgré la diminution ces dernières
années de la population des prévenus, risquaient de maintenir l'exploitation de certaines
cellules qui ne répondraient plus à un autre des paramètres architecturaux recommandés;

- L'équilibre entre le régime de détention et les limitations libérales des droits. Cette
526

question provoqua les débats les plus actifs. Du point de vue du Service pénitentiaire d'État,
les garanties procédurales contre une restriction excessive des droits (individualisation,
constat écrit de la sanction, motivation de celle-ci, application temporaire, etc.) étaient trop
difficiles à appliquer en réalité.

L'un de nos contre-arguments a consisté à dire que les restrictions automatiques


prenaient elles aussi beaucoup de temps, dès lors que les restrictions devaient être appliquées
à tous. La lecture de la correspondance, par exemple, ou encore la surveillance des visites,
sont actuellement obligatoires et ne connaissent pas d'exceptions. En changeant d'approche,
lorsque toutes ces actions ne seraient plus exigées de l'administration, l’on dégagerait du
temps pour une application convenable des restrictions individualisées. Cela permettrait, de
plus, de ne pas trop affecter les droits de l'homme.

Un compromis assez libéral fut trouvé dans ces discussions. Le Service pénitentiaire
consentit à la plupart des amendements sous réserves de quelques concessions. C'est ainsi que
la première version du Projet prévoyait un délai maximum de trente jours pour les restrictions
du droit aux appels téléphoniques, à la correspondance, aux visites, mais après les débats, un
accord fut trouvé sur la possibilité de prolonger ce délai dans des cas exceptionnels et une fois
seulement pour la même durée, avec justification complémentaire de la part de
l'administration1432.

Suite à ces discussions, le Service pénitentiaire ne présenta pratiquement pas


d'observations sur le fond pour la deuxième lecture de ce projet, à la différence des
amendements visant en deuxième lecture le projet 2685, où l'Institut du Service d'exécution
des peines s'opposait formellement à l'inclusion de clauses limitatives au CEP, le projet 2291а
ayant été ainsi accueilli d'une manière plus favorable. Cela ne manque pas de surprendre, dans
la mesure où les amendements relatifs aux restrictions dans la Loi "Sur la détention
provisoire" modifient d'une manière beaucoup plus radicale l'approche actuelle dure à l'égard
des restrictions imposées aux prévenus que les amendements au CEP concernant les droits des
condamnés.

Il est ainsi aisé de voir que les observations visant la mise en œuvre de nouvelles
normes de restrictions se sont essentiellement concentrées sur les difficultés de leur réalisation

1432
Pour l'analyse d'autres compromis et une comparaison plus détaillée de la version initiale du
projet de loi et de la version déposée au Parlement voir: Човган В.О. Реформування кримінально-
виконавчого законодавства у світлі міжнародних стандартів (пропозиції та зауваження). – С.
85–90 (Chovgan V.O., Réforme de la législation de l'exécution des peines à la lumière des normes
internationales (propositions et observations), Ibid, p. 85-90).
527

pratique, de même que sur la sécurité publique. Une solution de compromis a néanmoins été
trouvée en donnant ainsi un exemple d'accommodation des intérêts de l'ordre et de la sécurité
avec des approches plus libérales envers les limitations des droits.

Loi sur les juges pénitentiaires

La plupart des plaintes des détenus ukrainiens adressées à la CEDH concernent les
mauvaises conditions de détention. L'Ukraine se trouve face à la menace d'une décision pilote
la concernant du fait de l'absence de mesures préventives et compensatoires efficaces1433
visant les victimes des tortures et du traitement dégradant (article 3 de la Convention), ainsi
que cela découle du contexte de l'article 13 de la Convention.

Compte tenu de la situation, les spécialistes du Conseil de l'Europe ont établi un


rapport précisant la manière dont il est possible de mettre en place en Ukraine les mesures
préventives et compensatoires appropriées aux fins d'exécution des décisions correspondantes
de la CEDH. Le 12 octobre 2015, le Ministre de la justice de l'Ukraine a mis en place, par sa
note de service n° 283/7, le groupe de travail interministériel avec pour mission de résoudre le
problème évoqué. L'auteur de la présente thèse y a été associé. Dans le cadre de ce groupe,
nous avons élaboré un projet de loi qui prenait en compte les meilleures pratiques de certains
pays de l'UE et la jurisprudence de la CEDH. Le projet propose de mettre en place des
mesures préventives et compensatoires, ainsi que d'instituer la fonction de juge pénitentiaire
en charge de leur application1434.

Le projet de loi porte principalement sur des questions autres que la justification des
limitations, tout en comportant des règles destinées à améliorer les normes existant en la
matière.

1433
Les mesures préventives visent à faire cesser et à ne pas admettre le traitement dégradant à
l'avenir. Les mesures compensatoires visent à indemniser les victimes de traitements dégradants
moyennant une indemnisation pécuniaire ou, par exemple, la réduction de la peine.
1434
Voir les détails relatifs à l'argumentation et les mécanismes concret de mise en œuvre des
novation au projet et dans la note explicative: Projet de Loi sur les mesures préventives et
compensatoires à appliquer du fait des tortures, du traitement inhumain ou dégradant ou bien des
punitions des personnes condamnées, prévenues et sur l'institution de la fonction de juge pénitentiaire
n° 4936 du 08.07.2016, disponible sur :
http://w1.c1.rada.gov.ua/pls/zweb2/webproc4_1?pf3511=59613 (accedé le 18.07.2016). À propos du
contexte voir aussi: Човган В.О., Яковець І.С. Превентивні та компенсаційні заходи як захист від
катувань і жорстокого, нелюдського чи такого, що принижує гідність, поводження чи
покарання // Вісник кримінологічної асоціації. Збірник наукових праць. – 2016. – №2. – С. 184–
198 (Chovgan V.O., Iakovets I.S., Mesures préventives et compensatoires en tant que défense contre
la torture et le traitement ou des peines inhumains et dégradants, Revue de l'association
criminologique. Recueil d'ouvrages scientifiques, 2016, n° 2, p. 184-198).
528

Ainsi qu'il a déjà été démontré, l'intervention maximale des juridictions pour
l'appréciation des limitations des droits des détenus constitue un important facteur potentiel
d’évolution de la norme nationale de restrictions de droits. Il convient de préciser que la
législation actuelle et la pratique créent des conditions rendant l'accès des détenus à la justice
difficile (voire impossible)1435.

Eu égard à ces circonstances, il est proposé de compléter les multiples compétences du


juge pénitentiaire par celles portant sur l'établissement du bien-fondé des restrictions
individualisées des droits des personnes en détention provisoire ou purgeant leur peine
(amendements à l'article 537 du CPP).

Il apparaît que le juge pénitentiaire est mieux placé que le juge d'un tribunal local pour
examiner les questions de ce type1436. Il aura, en effet, immanquablement une meilleure
formation en matière de législation pénitentiaire et pourra analyser plus en profondeur les
aspects juridiques. De plus, il pourra entendre en personne les deux parties, le détenu et
l'administration, tout en pouvant examiner les preuves directement. Ensuite, il pourra résoudre
les affaires de ce type plus rapidement.

La résolution de ces affaires par les tribunaux d'arrondissement risque d'être trop
superficielle à cause de leur relative "insignifiance" pour les tribunaux d'arrondissement ainsi
qu'à cause de leur mauvaise volonté (ou de leurs craintes) d'intervenir dans le fonctionnement
des établissements pénitentiaires1437. D'autre part, la participation personnelle du détenu à ces
audiences est exclue en règle générale.

Notons aussi que l'application des mesures préventives et compensatoires tenant aux
mauvais traitements peut inclure la résolution de questions concernant telle ou telle

1435
Le problème principal est celui du refus des tribunaux d'arrondissement d'examiner ces
affaires, parce que, à leur avis, celles-ci devraient incomber à la justice administrative, cette dernière,
pour sa part, les refusant en disant que ces affaires devraient être examinées dans le cadre d'exécution
des peines, c'est-à-dire au titre du CPP. Cet état de choses se traduisit déjà par la violation de la
Convention européenne (Vintman c. Ukraine (23.01.2015, nº 28403/05)).
1436
Nous avions mis au point déjà et examiné dans le cadre du sous-comité du Parlement le Projet
de loi portant amendement de plusieurs textes législatifs de l'Ukraine (sur l'amélioration de l'accès à la
justice des personnes détenues dans les établissements de détention provisoires et d'exécution des
peines) (2255а du 03.07.2015) qui fut par la suite adopté et devine Loi. Il prévoyait le règlement de la
question de compétence des juridictions relative aux affaires des détenus. Ces affaires doivent
maintenant relever de la compétence des tribunaux d'arrondissement mais être examinées au titre de la
procédure administrative ce qui permettrait d'appliquer le principe de proportionnalité des restrictions
qui est directement fixé dans le Code de procédure administrative (article 2, par. 3.8, du CPA de
l'Ukraine). Cette approche peut créer une base pour l'extension de l'application pratique du principe de
proportionnalité dans le domaine pénitentiaire.
1437
L'une des raisons peut provenir du manque de formation et de l'incompréhension des
pratiques pénitentiaires.
529

restriction. Nous savons qu'en statuant sur la violation de l'article 3, il y a lieu de prendre en
compte, non seulement, les actes concrets ou l'inaction de l'administration, mais encore
l'ensemble de divers facteurs concernant les conditions de détention1438. Ces facteurs peuvent
comprendre, en particulier, les limitations du droit à la vie privée. La prise en compte des
restrictions applicables servant à l'analyse du respect de l'article 3 de la Convention est surtout
indispensable pour examiner les conditions et les modalités de l'emprisonnement individuel.

Compte tenu du fait que le Projet de loi contient des règles relatives à l’utilisation des
récours préventifs, il permet, par ailleurs, de résoudre les questions des restrictions non
justifiées au titre de la prévention, c'est-à-dire de prendre des décisions visant à ne pas
admettre des restrictions non justifiées que l’administration de l’établissement pénitentiaire
prévoit appliquer.

3.7.2. Plan d'action dans le domaine des droits de l'homme

En décembre 2015, le gouvernement ukrainien publiait le Plan d'action relatif à la


réalisation de la Stratégie nationale dans le domaine des droits de l'homme à horizon de
20201439. Ce Plan d'action avait été mis au point par des groupes de travail mis en place par le
Ministère de la justice de l'Ukraine et comprenant des représentants de la société civile,
d'administrations et d'organisations internationales. Il est à noter que ces groupes ont travaillé
sur un rythme assez soutenu, car l'adoption du Plan avant la fin de 2015 était l'une des
exigences liées aux processus d'intégration européenne.

Nous avons eu l'occasion d'élaborer directement les dispositions du Plan relatives aux
droits de l'homme dans le domaine pénitentiaire1440. Certaines d'entre elles visent à introduire
de meilleures normes en matière de restriction de droits, alors que d'autres embrassent des
axes plus globaux de la réforme pénitentiaire, tels que la démilitarisation du système
pénitentiaire, l'intégration de celui-ci dans le système du Ministère de la justice, le maintien de
la détention collective des condamnés, la réduction de la capacité d'accueil maximale des

1438
Kalashnikov c. Russie § 95 (nº 47095/99, 15.10.2002).
1439
Arrêté du Cabinet des ministres de l'Ukraine du 23 novembre 2015, N° 1393-р "Sur la
validation du plan d'action relatif à la réalisation de la Stratégie nationale dans le domaine des droits
de l'homme à horizon de 2020" , disponible sur :
http://www.kmu.gov.ua/control/uk/cardnpd?docid=248740679 (accedé le 26.11.2016).
1440
Voir leur liste dans l’extrait du Plan dans Annexe n°3.
530

établissement pénitentiaire, la mise en œuvre de techniques novatrices du management de


l'exécution des peines et de la détention provisoire, l'amélioration du mécanisme de mise en
oeuvre des normes pénitentiaires internationales, l'attribution d'un statut indépendant au
service médical pénitentiaire et beaucoup d'autres aspects1441.

Comme les projets de loi précités comportaient des dispositions visant à l'intégration,
dans la législation ukrainienne, du principe de proportionnalité des restrictions1442, le Plan
d'action était appelé à remplir un rôle subsidiaire dans leur mise en œuvre.

Une grande attention a notamment été prêtée à la limitation du droit à la vie privée.

Le par. 7.8 du Plan prévoit la nécessité pour chaque établissement d'exécution des
peines et de détention provisoire de se munir de boîtes pour la correspondance, dont l'accès ne
serait pas autorisé à l'autorité en charge du retrait du courrier. L'accès des boîtes et du courrier
qu'elles contiennent est fermé à l'administration des établissements d'exécution des peines et
de détention provisoire. Le retrait du courrier doit être confié à l'Entreprise publique
ukrainienne postale "Ukrposhta" (par. 7.7).

L'idée d’un intermédiaire indépendant entre les détenus et les destinataires de leurs
courriers était exprimée dans les recommandations du CPT à l'Ukraine. Son rapport sur la
visite en Ukraine en 2000 indique, au par. 124, que l'un des moyens d'assurer la
confidentialité des plaintes des détenus est la mise en place de boîtes dont l'accès ne serait
autorisé qu'aux personnes de confiance. Dans son rapport sur la visite en Ukraine de 2002, le
Comité insistait déjà, au par. 136, sur la mise en œuvre urgente de la recommandation relative
à la confidentialité de la procédure de recours formulée dans le rapport précédent et,
notamment, sur l'aménagement de boîtes pouvant être contrôlées par les personnes de
confiance. Le Comité laissait ainsi entendre que les personnes en charge de l'expédition du
courrier ne devaient pas appartenir à l'administration pénitentiaire.

La disposition portant l'aménagement des boîtes postales prévoit la suppression de la

1441
Voir la description détaillée et l'explicitation des innovations à: Човган В. Ключові напрями
пенітенціарної реформи як складові національного Плану дій у сфері прав людини (Chovgan V.,
Principaux axes de la réforme pénitentiaire en tant qu'élément du Plan d'action dans le domaine des
droits de l'homme), disponible sur : http://www.khpg.org/index.php?id=1453461065#_ftn1 (accedé le
26.11.2016). en russe : http://www.prison.org/content/mezhdunarodnyy-opyt-klyuchevye-
napravleniya-penitenciarnoy-reformy-v-ukraine (accedé le 26.11.2016).
1442
Le projet de loi "Sur les amendements du Code de l'exécution des peines de l'Ukraine (sur
l'amélioration des conditions de la détention)" n° 2685, "Sur la détention provisoire" (portant sur
l'implémentation de certaines normes du Conseil de l'Europe) n° 2291а, "Sur le Système pénitentiaire"
(attendant d’être soumis au Parlement)
531

procédure de contrôle du courrier sortant. La règle correspondante est formulée dans le projet
de loi cité ci-dessus "Sur l'amendement du Code de l'exécution des peines de l'Ukraine (sur
l'amélioration des conditions de détention des personnes condamnées)" (n° 2685 du
21.04.2015). La nouvelle rédaction de l'art. 111, 3e al., du CEP dispose que le courrier envoyé
par les condamnés n'est pas soumis à la lecture.

Cela n'exclut cependant pas la possibilité de limiter le droit à la vie privée et


d'intervenir dans cette correspondance selon les modalités générales fixées par le Code de
procédure pénale de l'Ukraine, ce, en cas de soupçon justifié du risque de commission d'une
infraction. Les arguments du Service pénitentiaire d'État à propos de la dangerosité de cette
initiative (par exemple risque de transmission de plans d'évasion, etc.) semblent être assez
douteux à la lumière des techniques modernes d'Internet et de GPS, sachant aussi que les
détenus de presque chaque établissement peuvent se procurer un accès illégal aux téléphones
portables. De plus, cette restriction n'est pas justifiée, étant donné que les détenus ont de
nombreuses possibilités de transmettre l'information pendant les visites de longue durée de
parents (durant lesquelles le contrôle de l'administration ne porte pas sur le contenu des
entretien) ou pendant les visites confidentielles avec leurs avocats.

D'autre part, la suppression du contrôle obligatoire de tout le courrier épargne du


temps aux agents chargés de la lecture de la correspondance. Ce temps pourrait être utilisé
d'une manière plus efficace pour le contrôle du courrier entrant à partir de l'évaluation
individualisée des risques, ainsi que le prévoit le projet n° 2685 évoqué.

En ce qui concerne la détention provisoire, les amendements à la loi correspondante


attribuent à l'enquêteur, ainsi qu'il a été déjà signalé, la possibilité de soumettre au contrôle la
correspondance de personnes désignées, sous réserve de respecter les procédures en vigueur.
Cela suppose, par ailleurs, la mise en place d'un mécanisme permettant aux agents de
l'établissement de contrôler le courrier des personnes concernées déposé dans les boîtes
confidentielles. L'une des solutions à ce problème pourrait consister à remettre à
l'administration de la maison d'arrêt la liste des personnes auxquelles l'enquêteur limite le
droit à la correspondance. Pour éviter des abus, le représentant de la poste devrait enregistrer
cette information à titre complémentaire.

Le paragraphe 8.7 du Plan prévoit la mise en place de la plainte en ligne. Il est


notamment prévu la possibilité, pour les personnes placées en détention provisoire et les
condamnés, d'adresser des plaintes confidentielles en lignes portant sur les mauvais
traitements ou les conditions de détention à l'aide d'un système spécial d'information et de
532

communication du Service pénitentiaire d'État vers l'Autorité préventive nationale, les


autorités supérieures du Service pénitentiaire d'État, les procureurs. Cela suppose la
suppression de la possibilité pour les personnes non concernées d'intervenir dans le processus
de dépôt des plaintes, ainsi que la mise au point de propositions relatives au financement de
ces mesures. A l'heure actuelle, ce système fonctionne déjà en mode pilote, mais il a suscité
tout de suite l'opposition des responsables directs des établissements, dans la mesure où les
plaintes parviennent aux autorités supérieures en contournant l’administration de
l’établissement. Il est prévu de mettre au point, par la suite, un mécanisme de formalisation du
droit d'expédition de plaintes confidentielles en ligne.

Cette innovation correspond aux amendements apportés au CEP de l'Ukraine par le


projet susmentionné n° 2685 tout en assurant la confidentialité complète de la correspondance
avec les administrations.

La possibilité d'appels téléphoniques confidentiels aux administrations publiques (Par.


8.4 du Plan) est un prolongement logique de l'initiative relative au droit de plainte en ligne.
Tout d'abord, ces appels peuvent être effectués depuis les téléphones stationnaires des
établissements ainsi que depuis les téléphones portables autorisés par l'établissement et
auxquels les détenus ont l'accès. Cependant, à la différence des appels ordinaires, les
communications avec les administrations ne doivent être soumises à aucune écoute, même à
titre exceptionnel. Il est à ajouter, qu'ainsi que l'atteste la pratique, les détenus se permettent à
présent d'appeler diverses hot lines même avec leurs propres téléphones portables illégaux.

L'échange confidentiel d'informations avec les administrations signifie un


rapprochement maximal du droit des détenus de saisir les autorités avec ce qui se passe pour
les citoyens libres, ce qui constitue un exemple vivant de normalisation juridique. Les
préoccupations de sécurité et d'ordre ne sauraient, de ce fait, être considérées comme des
motifs valables pour la restriction de ce droit, car cela reviendrait à dire que l'État ne se fait
pas confiance. Il convient d'insister aussi sur le fait que l'exercice non limité du droit de
communiquer avec les administrations à l'aide de la correspondance, du téléphone et
d'Internet peut être pour les détenus plus impératif encore que pour les citoyens libres,
puisque les moyens de défense des droits dans les établissements pénitentiaires sont plus
réduits qu'en liberté.

Le Plan d'action prévoit également d'autres normes portant sur la libéralisation des
restrictions du droit à la vie privée.

C'est ainsi que, parmi les mesures de lutte contre la torture, il prévoit l'examen médical
533

des détenus en dehors de l’écoute et de la vue du personnel non médical, si le spécialiste de la


santé n'y voit pas d'objections. Ceci contribue à la mise en oeuvre des exigences sur le constat
des dommages corporels relevés chez les condamnés ou les personnes en détention provisoire.
Cette exigence est directement prévue par les normes du Comité européen pour la prévention
de la torture1443.

Nos propositions dans ce sens avaient déjà été soumises au Service pénitentiaire
d'État, mais elles s’étaient heurtées à des critiques acerbes. Il était notamment soutenu que
cela mettait en danger le personnel médical et que la mesure manquait de clarté: comment
organiser cette procédure sur les lieux? comment effectuer la surveillance visuelle sans
écoute1444? Or, le Service pénitentiaire ne prit pas en compte nos arguments selon lesquels le
personnel soignant pourrait, s'il le souhaitait, demander aux agents de l'établissement de
surveiller l'auscultation. Il est également possible d'assurer la surveillance visuelle en dehors
des limites d'audibilité, en installant dans une salle de visites une porte insonorisée avec
lucarne.

Le paragraphe 7.12 du Plan prévoit, pour les condamnés et les prévenus, des
conversations via Internet confidentielles de leurs défenseurs. Cette mesure est capable de
faciliter sensiblement l'accès des détenus à l'assistance juridique. Sous réserve d'assurer la
possibilité de consulter à distance divers documents (par exemple, à l'aide de copies
scannées), cette innovation peut se substituer valablement à une partie de visites particulières
des personnes accordant l'assistance juridique. Cette mesure revêt une actualité particulière
pour les condamnés du fait de la possibilité de bénéficier d'une assistance juridique gratuite,
car ils purgent leur peine en grande partie dans des établissements situés en dehors de grandes
villes (parfois à plus d'une centaine de kilomètres), rendant les visites des défenseurs
délicates. À ce jour, nous avons préparé, en coopération avec le Ministère de la justice, la note
de service appropriée qui est en cours de validation.

La mesure décrite est intéressante, en ce que certains fonctionnaires du Service


pénitentiaire d'État ont d’emblée exprimé leur soutien à sa mise en œuvre. Ils constatent
toutefois la mauvaise volonté des responsables des centres d'assistance juridique gratuite. Aux
termes de la Loi de l'Ukraine "Sur l'assistance juridique gratuite", les condamnés représentent
la catégorie de la population qui bénéficie de l'assistance juridique gratuite. La mise en œuvre

1443
Voir par ex. le 3e Rapport général de 2012/2013 et le par. 30 du Rapport sur la visite en
Ukraine en 2012.
1444
De tels arguments furent énoncés le 03.09.2015 lors de notre réunion avec les responsables de
la direction de la santé du Service pénitentiaire d'Etat portant sur la mise en œuvre de normes
médicales internationales dans les activités des établissements et des unités médicales concernées.
534

effective de ce droit nécessite la mobilisation de ressources supplémentaires de la part des


centres accordant cette assistance. Or, ces centres viennent seulement d'être constitués et ils
sont donc au tout début de leur mise en place. C'est peut-être la raison de la mauvaise volonté
à prendre en charge en plus les consultations des détenus via Internet. D'un autre côté, les
techniques nouvelles épargnent le temps nécessaire à la visite les établissements
pénitentiaires.

À côté des rencontres par Internet des défenseurs, le Plan comporte des mesures visant
à créer des possibilités de rencontres par Internet d'autres personnes (par.11.2). Il est
important de noter que le Plan traite de la nécessité d'amender la législation de manière à y
prévoir la clause limitative en accord avec l'art. 8, 2e al. de la Convention européenne. La
mesure proposée est ainsi libellée: "Mise au point du projet de loi relatif aux amendements à
apporter au Code de l'exécution des peines de l'Ukraine et du projet de note de service du
Ministère de la justice relative à la libre tenue de rencontres par Internet des condamnés et des
personnes placées en détention provisoire avec possibilité de restriction de leur confidentialité
dans les cas exceptionnels conformément aux dispositions de l'article 8, deuxième alinéa, de
la Convention et en vertu d'une décisions individualisée motivée".

Certes, l'organisation technique des visites de ce type constitue un véritable défi pour
le Service pénitentiaire d'État. Néanmoins, ce Service a déjà mis au point un logiciel spécial
dédié aux rencontres par Internet, qui permet la sauvegarde de l'entretien enregistré sur un
serveur dont l'accès pourrait être autorisé en cas de besoin. Des garanties complémentaires
sont ainsi assurées pour prévenir les abus. Ceci étant, la procédure d'accès à ce serveur devrait
être spécialement réglementée, afin d'éviter son accès non justifié de la part de
l'administration de l'établissement pénitentiaire, sinon la clause limitative en tant que garantie
de la non-intervention dans l'entretien pourrait être totalement annihilée.

Le Plan accorde une attention particulière au droit des visites. A notre avis, la
limitation du droit à la vie privée (surtout pendant les visites) constitue l'un des meilleurs
indicateurs de la mise en œuvre des normes de restriction de droits dans les établissements
pénitentiaires.

Sur ce point, le Plan prévoit l'élaboration d'un projet de loi d'amendement du Code de
l'exécution des peines de l'Ukraine, de manière à augmenter la fréquence des visites des
condamnés jusqu'à une fois par semaine1445 au moins, quel que soit le type et le niveau de
sécurité de l'établissement pénitentiaire (par. 32.4). Une telle fréquence des visites est

1445
A ce jour, il s'agit d'une visite par mois.
535

recommandée par le CPT1446.

Il est prévu, d'autre part, de modifier les règlements intérieurs des maisons d'arrêt et
des établissements d'exécution des peines, pour ce qui concerne les visites fermées (avec
cloison) des condamnés et des prévenus pratiquées à titre exceptionnel et les visites ouvertes
(avec possibilité de contact physique) en règle générale. Cette approche est clairement
préconisée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et par le Comité
pour la prévention de la torture, notamment dans leurs normes, qui concernent directement
l'Ukraine.

Dans son rapport sur la visite de 2002, le Comité pour la prévention de la torture
observe au paragraphe 137: "le CPT regrette que dans tous les établissements visités, les
visites de courte durée se déroulaient généralement en parloir vitré, détenus et visiteurs devant
se parler au téléphone... Une exception positive était la pièce réservée au SIZO n° 21, aux
visites “à table” des mineurs et détenus “économiques”. C’est là un exemple à suivre… Le
CPT souhaite enfin avoir les vues des autorités ukrainiennes sur l’invitation qu’il a réitérée au
paragraphe 123 de son rapport relatif à la visite de 2000 de revoir les conditions de
déroulement des visites, pour assurer, autant que possible, que tant les condamnés que les
prévenus puissent recevoir des visites dans des conditions plus ouvertes". Le gouvernement
ukrainien répondait à cette observation: "En vue d'améliorer les conditions de contact direct
lors des visites de courte durée, la colonie correctionnelle n° 56 de Romny et la colonie n° 66
de Chostka ont démonté, à titre expérimental, les barrières de verre qui séparaient les détenus
et leurs visiteurs. En cas de succès de cette expérimentation, des recommandations seront
données aux autres établissements pénitentiaires à cet effet"1447.

Dans son rapport sur la visite de 2005, le CPT signalait (par. 145): "Comme par le
passé, les visites de courte durée ont lieu dans des parloirs de verre, les détenus et les visiteurs
parlant à travers une cloison de verre au téléphone (certains d'entre eux, par exemple dans la
colonie N° 65, sont hors de service). Les autorités ukrainiennes ont annoncé à ce propos que
l'aménagement des lieux de visites sans la cloison de verre était prévu dans le cadre des
travaux de reconstruction dans les sections de visite".

La recommandation était à nouveau modifiée et reprise dans le rapport de 2009 (par.


153): "Changer les conditions pour les visites de courte durée de manière à ce que les détenus
puissent recevoir les visiteurs dans des conditions assez ouvertes. Les visites ouvertes doivent

1446
Par. 37, Rapport sur la visite du CPT en Ukraine en 2016 (Report to the Ukrainian Government
on the visit to Ukraine carried out by the CPT from 21 to 30 November 2016 (CPT/Inf (2017) 15).
1447
Cette expérimentation n'eut pas de prolongement appréciable.
536

être la règle, les visites fermées, une exception. De telles exceptions doivent se fonder sur des
décisions justifiées et motivées prenant en compte l'évaluation individualisée du risque
potentiel provenant du détenu concerné. D'autre part, le nombre de locaux pour visites de
courte durée doit être augmenté pour satisfaire les besoins des détenus".

L'usage systématique des cloisons de verre pendant les visites était qualifié de
violation de la Convention européenne. L'absence du contact avec les proches pendant les
visites et la communication au moyen d'un combiné de téléphone et à travers une vitre
peuvent se traduire par la violation de l'article 8 de la Convention1448.

D'autres types de limitation du droit à la vie privée mentionnés dans le Plan relèvent
des fouilles et de l'utilisation de moyens technique de surveillance et de contrôle.

Le par. 32.2 prévoit, notamment, la mise au point et la validation du règlement relatif à


l'utilisation des moyens techniques de surveillance et de contrôle dans les lieux de détention
des condamnés et des personnes placées en détention provisoire avec mise en place de
garanties sûres contre les restrictions non justifiées du droit à la vie privée, compte tenu des
propositions exprimées lors des débats publics sur le projet de note de service du Ministère de
la justice "Sur la validation des règlements relatifs à l'utilisation des moyens techniques de
surveillance et de contrôle dans les lieux de détention des condamnés et des personnes placées
en détention provisoire". Dans le cadre de notre coopération avec le groupe de défense des
droits de Kharkiv, des propositions1449 ont été envoyées au Ministère de la justice lors des
débats sur le projet de règlement susmentionné. Elles prévoyaient l'individualisation des
restrictions et des garanties procédurales contre les abus dans leur application. Cependant, la
mise au point de ce document par le Ministère de la justice a ensuite été suspendue pour des
raisons inintelligibles. Il avait pour défaut principal l'absence totale de toute évocation de la
proportionnalité ou de l'individualisation de l'utilisation des moyens techniques et en arrivait
parfois, à des absurdités. Le projet de note de service ne contenait, par exemple, aucune
restriction d'emploi des moyens techniques (tels que surveillance vidéo), ce, y compris aux
toilettes.

En ce qui concerne les fouilles, le Plan comporte un par. 32.7, qui préconise une
amélioration du règlement intérieur des maisons d'arrêt et des établissements pénitentiaires en

1448
Voir par ex., les Arrêts de la CEDH dans les affaires Trosin c. Ukraine (nº 39758/05,
23.02.2012), Horych c. Pologne (nº 13621/08, 17.04.2012).
1449
Човган В.О. Реформування кримінально-виконавчого законодавства у світлі
міжнародних стандартів (пропозиції та зауваження). – С. 189–198 (Chovgan V.O., Réforme de la
législation de l'exécution des peines à la lumière des normes internationales (propositions et
observations), p. 189-198).
537

matière de fouilles dans les établissements d'exécution des peines et de détention provisoire
en vue d'interdire des fouilles systématiques, dépourvues de motifs justifiés et non basées sur
une décision argumentée. Comme on le voit, cette mesure met l'accent sur le refus des fouilles
systématiques (donc sans évaluation individualisée) de même que sur la nécessité de motiver
la décision sur la fouille et de formuler les raisons qui la justifient. Une telle accentuation
s'accorde avec les conclusions de la présente thèse à propos de l'importance de la motivation
des restrictions de droits.

Il reste, par ailleurs, la question de l'admissibilité de la fouille dans les cas urgents.
Cela concerne particulièrement les fouilles personnelles. Pour encadrer cette question, l’on
pourrait, par exemple, s’inspirer de la procédure employée par le CPP, lorsque le document
prévu à cet effet est établi post factum, étant entendu qu'un tel mode d'action doit être aussi
limité que possible. En règle générale, les perquisitions (fouilles de locaux), surtout celles des
locaux devraient être opérée en vertu d'une décision motivée. Les documents actuels classés
"réservé au service" prévoient des perquisitions "planifiées" qui n'ont rien à voir avec la
garantie convenable du droit à la vie privée. D'un autre côté, le système de détention dans des
locaux collectifs accueillant des condamnés, qui est toujours pratiqué en Ukraine, facilite la
tâche de l'administration pour justifier la perquisition dans les locaux communs. Ce système
crée, de manière objective, l'impératif de perquisitions fréquentes, au regard de la probabilité
élevée, par rapport au système de détention cellulaire, de pénétration et de diffusion d'objets
interdits dans les baraquements.

L'abandon du système de détention collective constitue l'un des axes stratégiques du


Plan. Il est envisagé de préparer et soumettre au gouvernement ukrainien un Programme
d'État relatif à la réorganisation progressive du système de détention collective dans les
établissements pénitentiaires en système de détention cellulaire (par. 32.1). Le système de
détention collective engendre tout un complexe de restrictions indues aux droits et d'autres
effets négatifs.

Dans son 11e Rapport général (2001), le Comité européen pour la prévention de la
torture critiquait le principe d'hébergement des détenus dans de grands dortoirs, dès lors que
de tels dortoirs hébergent souvent les détenus dans des espaces exigus et insalubres. En plus
de l'insuffisance d'intimité, le Comité constatait un grand risque d'intimidation et de violence
à l'égard de certaines catégories de détenus, ainsi que des problèmes de contrôle de la part du
personnel. Au surplus, l'hébergement convenable des détenus compte tenu de leur risque
individualisé devenait pratiquement impossible.
538

Lors de la visite en Ukraine en 2009, le Comité critiquait la détention collective en


citant des violations concrètes découlant de ce type de détention dans la colonie
correctionnelle de Boutcha (Rapport sur la visite en Ukraine en 2009, par. 113).

Dans son document "Espace vital par détenu dans les établissements pénitentiaires:
normes du CPT", le Comité résume qu'étant donné les problèmes de la détention collective
massive dans des dortoirs, il se prononce depuis longtemps pour l'abandon des dortoirs
multiplaces, ce, au profit de locaux d'hébergement moins grands1450.

Le caractère spécifique des prisons ukrainiennes tient au passé soviétique. La


philosophie soviétique de l'exécution des peines prévoyait que le condamné devait se corriger
en s'associant au travail, ainsi que "par le collectif et à travers le collectif". Cette approche se
traduisit par la construction d'établissements pénitentiaires du type collectif ou de "colonies",
ainsi qu'ils sont désignés en Ukraine. Les colonies représentent des prisons avec des
« chauffoirs » de type baraquement conçus généralement pour un grand nombre de personnes.
Un local peut contenir jusqu'à 50 personnes ou plus.

Nous avions déjà évoqué les nombreux problèmes de droits de l'homme qui surgissent
du fait de la détention collective dans ce qu'on appelle "casernes"1451. Nous y constatons des
problèmes de management, lorsque l'administration de l'établissement est obligée de compter
sur les leaders informels qui dirigent la masse des détenus séjournant dans le local
multiplaces, ainsi que le problème de violence entre les détenus. La cohabitation d'un grand
nombre de personnes ayant au surplus un passé criminel, engendre inévitablement des
situations conflictuelles systématiques, qui peuvent dégénérer dans certains cas en violences
psychiques et physiques. Cela concerne surtout les groupes vulnérables de détenus qui, se
trouvant constamment dans le milieu d'autres détenus, sont soumis à un risque
particulièrement élevé de violence et de discrimination1452.

C'est le droit à la vie privée qui est le plus affecté. Les locaux hébergeant un grand
nombre de détenus donnent lieu en fait à une ingérence permanente dans le droit à la vie
privée. L'absence presque totale de la possibilité de rester seul, sans compter les cas des
sanctions disciplinaires et certains moments à courte durée constituent une intervention

1450
Living space per prisoner in prison establishments: CPT standards (CPT/Inf (2015) 44,
15.12.2015). – Р. 3.
1451
Voir plus de detail: Alternative interim report by Ukrainian Helsinki Human Rights Union on
implementation of recommendations, provided by the Committee against Torture based on the
consideration of the sixth periodic report of Ukraine (CAT/ C/UKR/6) / Blaga А., Martynenko О.,
Telychkin I., Chovgan V. Ed. by Arkadiy Bushchenko. – Кyiv, KIT, 2015. – pp. 14–16.
1452
Ibid.
539

sensible dans le droit à la vie privée. Il en résulte des tentatives variées de la part des détenus,
visant à éviter cette intervention, par exemple, en voilant leurs lits (souvent à plusieurs
niveaux) avec des draps pour s'isoler. Or, de tels actes violent le régime d'exécution de la
peine, car qu'ils sont interdits par le Règlement intérieur des établissements pénitentiaires
(Chapitre 3, par. 3). Les détenus doivent donc se trouver en permanence parmi d'autres
personnes, subir diverses incommodités: bruits et odeurs extérieures. Les détenus se plaignent
souvent des cas où l'hébergement de ce type provoque des maladies transmissibles, comme
des infections respiratoires virales aiguës ou la tuberculose.

Nous constatons ainsi que l'architecture pénitentiaire peut être déterminante quant aux
restrictions des droits. L'administration pénitentiaire se retrouve, de ce fait, face à la difficile
tâche de mise en équilibre des intérêts individuels, non seulement, avec les impératifs de
sécurité, mais aussi avec les exigences du collectif dans lequel vivent les détenus. Un exemple
bien simple et parlant est celui de la difficulté de trouver un accord dans un grand collectif de
détenus à propos de l'écoute des chaînes radio différentes, compte tenu des préférences de
chacun.

Le Plan prévoit, en outre, de créer le droit de sortie accompagnée des personnes


condamnées pour des crimes graves et particulièrement graves et des garanties de sortie
accompagnée hors les murs de l'établissement pénitentiaire en cas de décès de parents
proches. Il est ainsi exigé d'assurer la possibilité de sortie accompagnée hors les murs de la
maison d'arrêt ou de l'établissement pénitentiaire en cas de décès ou de maladie grave
(menaçant la vie du malade) d'un parent proche pour toutes les catégories des personnes en
détention provisoire et des condamnés (par. 32.6).

L'article 111 du CEP prévoit la possibilité d'une sortie de courte durée (pas plus de
sept jours) en cas de décès ou de maladie grave (menaçant la vie) de parents uniquement pour
les condamnés détenus dans les colonies correctionnelles à niveau minimal de sécurité et à
conditions allégées de détention, dans les sections de réhabilitation sociale des colonies à
niveau de sécurité minimal et à niveau général de détention, ainsi que dans les colonies à
niveau de sécurité moyen et les colonies correctionnelles. La rédaction actuelle du Code
exclut tous les autres condamnés détenus dans les colonies. Ils n'ont aucune possibilité de
sortie de l'établissement en cas de décès ou de maladie grave, y compris de leurs parents les
plus proches, sans égard pour leur comportement dans l'établissement et leurs risques
540

individualisés. Cette approche ne correspond pas à la Convention européenne 1453. Or, le


Ministère de la justice nous a déjà laissé comprendre qu'aucune souplesse concernant cette
restriction ne serait possible en pratique. Sa position est que le lent système de convoyage
pratiqué en Ukraine (essentiellement par le chemin de fer)1454 ne permettait pas d'assurer la
présence des détenus aux funérailles de leurs proches.

Le Plan d'action prévoit également de régir le droit d'assister à l'audience du tribunal.


Sont projetées des modifications à apporter aux textes de branches différentes du droit,
concernant les raisons et les modalités de la présence à l'audience des condamnés et des
prévenus, compte tenu de l'arrêt de la Cour constitutionnelle de l'Ukraine, rendu à la requête
de Troyan1455, ainsi qu'en se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l'homme. Dans son arrêt, la Cour constitutionnelle de l'Ukraine a signifié que le condamné
bénéficiait du droit d'être représenté en justice en personne en vertu de la législation
procédurale. Cependant, en l’absence d’une telle législation, il est bien difficile d'obtenir la
présence du détenu à l’audience. Cela risque de déboucher sur un constat de violation de la
Convention européenne. C'est pourquoi la mise en œuvre de cette mesure devrait s'opérer
avec une prise en compte de la jurisprudence de la CEDH en la matière (voir par exemple,
l'arrêt Karpenko c. Russie1456), dans lequel la Cour conclut à la violation de l'article 6 de la
Convention, du fait de l'interdiction faite au condamné de participer directement à l'audience
portant sur le retrait de son autorité parentale). La jurisprudence relative à la Russie illustre le
besoin impératif d'assurer la présence personnelle des détenus lors de l'examen de certaines
catégories d'affaires en justice1457. De concert avec le Ministère de la justice, nous avons
récemment amendé le projet de loi en ce sens ; ce point étant actuellement en cours de
validation. Pour leur part, les représentants des autorités ont allégué, à plusieurs reprises, que
la mise en place d'un système de participation des détenus aux audiences par visioconférence
pourrait se substituer de manière satisfaisante à la participation physique au procès ; une

1453
Voir par ex. les arrêts de la Cour européenne Giszczak c. Pologne (nº 40195/08, 29.11.2011)
(refus de visiter la fille mineure mourante), Płoski c. Pologne (nº 26761/95, 12.11.2002) (refus
d'assister à l'enterrement des parents mors l'un après l'autre), ainsi que l'affaire inverse où la CEDH
statue à l'absence de violations de la Convention du fait du refus d'assister à l'enterrement de la grand-
mère (Kubiak c. Pologne (nº 2900/11, 21.04.2015).
1454
Parfois le convoyage entre des régions voisines peut durer plusieurs jours sans parler du
transport vers des régions éloignées.
1455
Cour constitutionnelle de l'Ukraine dans l’affaire de Troyan A.P. du 12 avril 2012 n° 9-
рп/2012
1456
Karpenko c. Russie (nº 5605/04, 13.03.2012).
1457
Cf. mutatis mutandis Kovalev c. Russie (nº 78145/01, 10.05.2007), Khuzhin et autres c.
Russie (nº 13470/02, 23.10.2008), Shilbergs c. Russie (nº 20075/03, 17.12.2009), Artyomov c. Russie
(nº 14146/02, 27.05. 2010), Roman Karasev c. Russie (nº 30251/03, 25.11.2010)
541

affirmation démentie par l'expérience acquise des procès conduit par visioconférence1458.

Le Plan d'action comporte en outre des dispositions relatives à l'exercice de certains


droits civils.

Il s'agit, en l'occurrence, de faciliter, pour les condamnés et les personnes en détention


provisoire, l'usage des sommes qu'ils gagnent (après les prélèvements nécessaires), ce, en
mettant en place un mécanisme de conservation de ces fonds dans les comptes bancaires à
carte de leur choix et d'usage libre, de même qu'en mettant en place un système de cartes de
paiement individuels. L'utilisation libre de l’argent est en effet complexe si la personne n’a
pas le libre choix des modalités de sa conservation. Cet usage devient encore plus difficile si
le compte personnel du détenu est géré par l'administration pénitentiaire.

Dès lors qu'il ne paraît pas y avoir de raisons valables pour limiter le droit de décider
du lieu de dépôt des fonds légaux du détenu, la législation doit élaborer des mécanismes leur
permettant de gérer librement leur argent. Le droit de détenir librement et, surtout, de gérer
des fonds scripturalement, à la différence de la disposition de fonds en numéraires au sein de
l'établissement pénitentiaire, peut avoir un intérêt différent. Ainsi, s’agit-t-il de la facilitation
du soutien de la famille ou du soutien de sa part, la résolution des questions de la vie
quotidienne et d'autres questions surgissant pendant l'exécution de la peine (y compris la
gestion d'autres biens restés en libertés), voire les intérêts de la conduite des affaires à
l’extérieur1459. Bien que, normalement, la gestion des comptes restés en liberté par
procuration ne soulève pas d’importantes difficultés, l'utilisation de l'argent gagné dans
l'établissement et de celui qui vient des proches devrait être réglementé. L'absence de
réglementation relative à la libre gestion du compte bancaire illustre en quoi l'absence de

1458
Comme le confirme le Contrôleur général des lieux de privation de liberté français dans son
Avis relatif à l’emploi de la visioconférence à l’égard de personnes privées de liberté, dans de
nombreux cas «la visioconférence constitue un affaiblissement des droits de la défense en ce qu’elle
met fin à la présence physique du comparant qui est aussi un moyen d’expression (d’autant plus que
bon nombre de prévenus ont de grandes difficultés à s’exprimer oralement). Elle suppose une facilité
d’expression devant une caméra ou devant un pupitre et une égalité à cet égard selon les personnes qui
sont loin d’être acquises, notamment pour celles souffrant d’affections mentales. Dans les cas où la
personne bénéficie d’un avocat, ce dernier est contraint d’avoir à choisir entre se trouver auprès du
juge (ce qui se fait dans la majorité des cas) ou demeurer auprès de son client : les liens avec l’un ou
l’autre s’en trouvent moins aisés et la tâche du conseil rendue plus difficile. Des aléas techniques
peuvent accentuer les difficultés (montrer un document, contester la présentation d’un objet...)» Avis
du Contrôleur général des lieux de privation de liberté du 14 octobre 2011 relatif à l’emploi de la
visioconférence à l’égard de personnes privées de liberté NOR : CPLX1130072V, sur :
http://www.cglpl.fr/wp-content/uploads/2011/11/Avis-JO_visioconference_20111109.pdf (accedé le
16.07.2017).
1459
La pratique ukrainienne connaît des cas d'emprisonnement de millionnaires.
542

mécanisme d'exercice d'un droit peut constituer une forme de limitation du droit1460. Le
besoin d'un ordre libéral de gestion des fonds est encore plus impérieux, si l’on prend en
compte les amendements apportés au CEP en vue de supprimer totalement les limites
d'utilisation de leur argent par les détenus1461. Actuellement, le Ministère de la justice
envisage un projet pilote visant à tester l'utilisation de cartes bancaires dans deux
établissements pénitentiaires. Cependant, il se heurte à de multiples barrières bureaucratiques,
qui illustrent à quel point il peut être difficile de préparer la suppression d'une restriction au
nom de la normalisation juridique ne serait-ce que d'un seul aspect de la vie carcérale, et ce
même lorsque les préoccupations de sécurité ne sont pas le problème principal.

Le Plan d'action prévoit, par ailleurs, la suppression de motifs provoquant


l'application de restrictions automatiques. Il s'agit, par exemple, du nouveau système de
classification primaire (choix de l'établissement où le condamné devrait être placé pour purger
sa peine) et secondaire (choix du lieu d'hébergement au sein de l'établissement). Ce système
devrait s'appuyer sur l'évaluation des risques relevant de la classification concernée. Il
conviendrait aussi de procéder à une réévaluation périodique des risques, compte tenu des
données recueillies au cours de l'exécution de la peine (par. 8.15).

Pour l'heure, l'Ukraine n'a pas de système spécial d'évaluation des risques, qui pourrait
être utilisé dans le système de classification proposé. L'approche actuelle se fonde sur une
vision formaliste, et la classification ne dépend souvent que de critères formels, tels que le fait
d'avoir purgé une peine par le passé ou le type de l'infraction commise. Cette approche
n'admet pas la souplesse et, par conséquent, l'individualisation des restrictions. Il en résulte le
risque de restrictions de droits qui ne soient pas justifiées dans les cas individuels et soient
donc disproportionnées.

Le désaccord du système de classification existant avec les normes internationales


était signalé dans le rapport du CPT relatif à sa visite en Ukraine en 2012. Il citait notamment
le problème de la faible marge d'appréciation de l'administration pénitentiaire dans la
détermination du type de prison dans laquelle les condamnés devaient purger leur peine (par.
55): "La marge de manœuvre des autorités pénitentiaires est trop limitée par la loi. Certaines
catégories de condamnés sont détenus automatiquement dans des conditions maximales de

1460
Voir au 1.1.1.1 "Contenu du droit".
1461
Le CEP de l'Ukraine fixait avant des limites déterminées pour l'utilisation de leur argent par
les détenus. De plus cet argent devrait être gagné dans l'établissement. À titre de stimulation, des
sommes supplémentaires pouvaient être autorisées à dépenser (art. 138, 139, 140). Le projet de Loi sur
l'amendement de certains textes législatifs de l'Ukraine relatifs à l'exécution des peines et à l'exercice
des droits des détenus N° 2490а du 10.08.2015, adopté récemment, supprima les deux types de
limitations.
543

sécurité et sont placés en isolement dans un but préventif pendant une longue durée après le
jugement et compte tenu seulement des infractions qu'ils ont commises... La décision
d'appliquer ou non tel niveau de sécurité ou des mesures d'isolement dans des buts préventifs
ne doit dépendre que de l'administration pénitentiaire et ne pas faire partie de la sanction
pénale. Le Comité réitère sa recommandation d'amender dans ce sens les règlements
concernés" (souligné par le Comité).

Le fait que l'affectation par établissement ne doive pas faire partie de la peine infligée
signifie, avant toute chose, qu'une telle affectation ne doit pas découler automatiquement du
type d'infraction commise, l'administration devant pouvoir affecter les détenus, par exemple,
vers des établissement à niveau de sécurité inférieur et vice versa en se fondant sur
l'évaluation des risques individualisés.
544

Conclusion du chapitre 3.7

La théorie des restrictions des droits des détenus est nouvelle pour l'Ukraine. Les idées
des théoriciens soviétiques en la matière qui sont toujours utilisées sont loin des concepts
progressistes de la norme de proportionnalité. Il n'est donc pas surprenant que la législation
ukrainienne n’ait pas le pouvoir de réguler les motifs et le processus de limitation des droits,
les spécialistes nationaux n'abordant quasiment pas ces sujets de manière ciblée. Il est
également logique que les limitations des droits prévues par la législation ukrainienne soient
souvent applicables de façon automatique, dès lors que l'approche consistant à "mettre tout le
monde dans le même panier" était normale dans le cadre du système soviétique de l'exécution
collective des peines. Dans ces conditions, la souplesse de restriction des droits est perçue
avant tout, non comme la possibilité d'user de l'approche individualisée et d'allégement de la
situation de la personne, mais comme celle de l'arbitraire et d'un pouvoir discrétionnaire
excessif.

Certes, les normes en vigueur régissaient d'une manière ou d'une autre (ne serait-ce
qu'indirectement) les questions des restrictions. Toutefois, elles ne fixaient pas de clauses
limitatives au sens universellement admis à l'étranger. Sur ce plan, nos développements dans
le domaine de la législation permettent au moins d'initier dans les milieux scientifiques un
débat sur un sujet aussi important que les limitations des droits. D'autre part, il y a des raisons
d'espérer que ces initiatives seront le point de départ d'un développement adéquat de la norme
de restriction de droits dans la législation pénitentiaire à venir.

Notre association au développement de la législation, surtout en matière de restrictions


de droits, a permis de dégager quelques leçons.

La méconnaissance des normes internationales de restriction des droits des détenus et


des pratiques de leur mise en œuvre débouche conduit à des critiques des idées portant sur la
mise en place de clauses limitatives et de garanties procédurales correspondantes, non
seulement de la part d'administrations, mais aussi de la part de certains experts dans les
milieux scientifiques. Dans cette situation, les références aux normes concrètes se sont
avérées utiles, quoique souvent insuffisantes. L'inquiétude a principalement porté sur la
sécurité des approches nouvelles, plus libérales. A ces craintes, a pu être opposée l'expérience
d'autres États, de même que sur l'expérience nationale, laquelle semble démontrer que la
suppression (de la réduction) de certaines restrictions n’impacte pas sur la sécurité.

Il a aussi été important de constater que l'idée même de l'humanisation n'était presque
545

pas mise en doute. La question fondamentale a été celle de la sécurité de nouvelles restrictions
plus libérales du point de vue empirique, ainsi que celle des possibilités pratiques de
l'administration pénitentiaire de remplir ses deux devoirs essentiels: la garantie des droits et
celle de la sécurité et de l'ordre dans l'établissement.

L'exemple ukrainien permet ainsi d’affirmer qu'une justification empirique convenable


sert d'instrument fondamentalement important en matière d'établissement d'un équilibre
optimal entre l'exercice des droits, d'une part, et la sécurité et l'ordre, d'autre part. Ainsi que
nous le montrons dans la présente thèse, l'expérience propre de l’Ukraine et celle d'autres pays
est capable de remplacer, dans une certaine mesure, cette argumentation empirique.
546

Conclusion (Partie ІІІ)

L'analyse présentée de la législation et des pratiques de pays étrangers dévoile des


problèmes similaires dans les normes de limitation des droits des détenus. Notre principale
observation révèle qu'ils possèdent presque tous une norme de restrictions, qui n'incarne pas
totalement l'idée de proportionnalité et l'exigence de minimalité des restrictions qui en
découle. Le problème peut provenir, notamment, de l'absence d'exigence claire de
proportionnalité/minimalité des restrictions (Pays-Bas, France, Grande-Bretagne, États-Unis),
d'une conception dénaturée/répressive de la proportionnalité (États-Unis), de l'idée instituée
de restrictions de fait (restrictions découlant de l'incarcération) (France, Belgique), ainsi que
de la dissonance des objectifs admissibles des restrictions entre la clause limitative générale et
les clauses spéciales relatives aux limitations de droits particuliers (France, Canada). Nous
formulons, à ce sujet, des propositions qui portent sur la rédaction optimale de la clause
limitative générale, sur l'inadmissibilité de la fixation concomitante dans la clause générale et
les clauses spéciales d'objectifs différents permettant d'imposer des restrictions et, enfin, sur
l'inadmissibilité de l'ancrage de l'idée des restrictions de fait.

Notre analyse montre, par ailleurs, que le rôle de la clause limitative dépend de son
utilisation pratique, car souvent la norme revêt un caractère déclaratif plutôt que régulateur.
L'effet régulateur de la clause limitative peut s'opérer en lui attribuant un caractère procédural,
en indiquant les modalités de son application, les durées des restrictions, etc. En outre, l'effet
pratique de la norme de restrictions dépend de sa mise en œuvre et de son application aussi
complète que possible par les juges afin d'évaluer le bien-fondé des restrictions. C'est donc
une jurisprudence bien développée qui constitue le meilleur indicateur de l'efficacité et de la
qualité de la norme de restriction. Une administration pénitentiaire qui réalise que la
restriction de droit peut être annulée par le juge, en entraînant en plus certains effets
juridiques pour elle-même, sera plus disposée à la mise en œuvre effective des normes de
restrictions.

L'acceptation et les limites de l'intervention du pouvoir judiciaire dans le fonctionnement


de l'administration pénitentiaire se trouvent au cœur des questions de renforcement du rôle
des juges dans la prévention des restrictions non justifiées (États-Unis, France, Grande-
Bretagne). D'autre part, l'histoire du progrès de la défense des droits contre les restrictions non
justifiées à l'étranger illustre que le renforcement du contrôle judiciaire des restrictions des
547

droits constitue un facteur important, sinon déterminant dans ce processus. Plus élevées sont
les normes judiciaires, qui, à leur tour, sont fonction des normes fixées dans la législation, et
moins grande sera la probabilité des restrictions non justifiées de droits. Il est donc
particulièrement important pour le développement des normes de restrictions de droits
d'affermir le rôle des juges en ce qui concerne les restrictions imposées aux détenus et le
domaine pénitentiaire dans son ensemble. L'expérience étrangère et nationale nous permet de
formuler quelques idées à propos de la manière de renforcer le rôle des juges. Ces mesures
comprennent notamment l'implication directe au procès des fonctionnaires ayant appliqué les
restrictions, l'éventualité de sanctions disciplinaires vis-à-vis de ces fonctionnaires,
l'amélioration de l'accès des détenus à la justice, y compris en instituant la fonction de juge
pénitentiaire, l'exemption des frais pour les détenus saisissant le tribunal, la fixation directe
par la loi des restrictions de droits soumises au contrôle judiciaire, etc.

La Partie III illustre, par ailleurs, les oppositions suscités par les tentatives d'intégrer dans
la législation et la pratique les exigences de proportionnalité/minimalité des restrictions. Il est
tout à fait logique de voir s'y opposer l'administration pénitentiaire (Canada, Ukraine), car le
développement de la norme de restrictions entraîne inévitablement un renforcement des
garanties juridiques contre les restrictions non justifiées. Ces garanties peuvent imposer à
l'administration pénitentiaire des actions qui ne lui sont pas jusque-là demandées: l'élaboration
et la motivation des décisions spéciales, l'évaluation des risques individualisés, la défense de
sa position devant le juge.

Le trait commun de tous les pays analysés tient à la détermination de l'admissibilité d'une
restriction, compte tenu de ses conséquences potentielles pour la sécurité et l'ordre dans
l'établissement. L’équilibre des restrictions et des incidences qu’elles comportent pour la
sécurité est le facteur le plus répandu influant sur la libéralisation des restrictions et la mise en
forme de la norme de restriction de droits. Si une telle mise en équilibre s'effectue au tribunal,
c'est l'administration pénitentiaire qui bénéficiera d'une meilleure position, dans la mesure où
elle est considérée comme ayant le monopole de la compréhension des questions de sécurité
dans les établissements. Cette situation aboutit souvent à une limitation non justifiée et non
nécessaire des droits. Dans ces conditions, la démonopolisation du rôle du service
pénitentiaire dans l'établissement de ce qui peut être considéré comme posant un problème de
sécurité devient une question fondamentale. Les modes d'une telle démonopolisation peuvent
viser la mise en œuvre de sources alternatives de connaissances en matière de sécurité:
normes internationales, analyses comparées avec d'autres pays de l'expérience, études
empiriques. L'utilisation de ces moyens permet d'approcher d'une manière plus pragmatique la
548

question de savoir à quel point il est possible d'admettre le rapprochement du niveau de


limitation des droits dans l'établissement pénitentiaire par rapport à celui prévalant en liberté.
Cela devient évident lorsque l'application de la norme de proportionnalité exige de prouver le
rapport entre les restrictions concrètes et les objectifs qu'elles visent.
549

Conclusion générale

En conclusion de notre étude, il convient de remarquer que la question des limites de


rapprochement du statut juridique des détenus avec celui des citoyens libres ne continue pas
seulement d'alimenter le débat juridique, mais devient aussi le déclencheur de réflexions
philosophiques. Quelle devrait être l’intensité de la peine infligée aux délinquants? À quel
point est-il possible de justifier la minimisation de la différence des droits entre les personnes
se trouvant derrière les grilles de la prison et les citoyens libres? En fin de compte, où se
situent les limites de l'humanisation du système pénitentiaire? Ce sont là des questions
logiques inévitables qui se posent lorsqu'il en va des droits des détenus et de leurs limitations.

Malheureusement, la nature philosophique de ces questions ne suscite pas un intérêt


particulier de la part des philosophes. Ou, pour être plus précis, le focus de leur intérêt est un
peu décalé. Au lieu de débattre des limites admissibles/inadmissibles de la répression par
l'État, ils parlent plus souvent d'une argumentation inconditionnelle en faveur du besoin de
libéralisation des restrictions malgré des menaces collatérales. Sans condamner cette manière
de traiter les droits de l'homme, il convient de reconnaître qu'elle présente un défaut évident:
elle est peu convaincante pour une grande partie de la société. Une situation curieuse en
résulte: d'une part, les spécialistes (juristes, sociologues, philosophes) se laissent entraîner
inévitablement par cette tendance et se prononcent pour la libéralisation, et, d'autre part, une
partie considérable de la société doute de sa sécurité ou, pis encore, se laisse séduire par
l'influence des discours répressifs populistes.

Au vu des réalités actuelles, cette approche aboutit parfois à la libéralisation des


restrictions de droits, malgré une opposition sérieuse de la société. Cela engendre alors des
problèmes de légitimation. L’ignorer est délicat, car, en matière pénale, la société réagit
essentiellement de manière émotionnelle et il est difficile d’emporter sa conviction, y compris
avec des arguments rationnels (ainsi des débats à propos de la peine de mort dans certains
pays). Il est d'autant plus difficile de convaincre lorsque ces arguments sont faibles ou qu'ils
sont très peu nombreux, comme dans les cas où il est nécessaire de démontrer le caractère
superflu d’une limitation de droits. Ces arguments rappellent plutôt des exhortations ou des
conjectures se fondant sur la logique et le bon sens et non pas des affirmations "fermes",
s'appuyant sur la science ou l'expérience.
550

Bien que propre aux sciences humaines comme le droit, le langage des conjectures est
particulièrement vulnérable lorsqu’il s'agit de la sécurité de l'individu/de la société. Il ne faut
donc pas s'étonner que "l'effet secondaire" de l'objectif de sécurité se traduise par une
restriction démesurée de droits. Lorsqu'une restriction n'est pas sûre du point de vue de la
sécurité, on observe une tendance à son durcissement excessif de la part de l'État "à toute fin
utile": pour le cas où une restriction moins importante ne suffirait pas. En outre, la notion de
"sécurité" n'est pas perçue d'une manière bien précise, ce qui ouvre la voie à des restrictions
excessives. De plus, le monopole de la détermination de ce que constitue la "sécurité"
appartient, en pratique, à l'administration pénitentiaire, pour laquelle la libéralisation des
restrictions des droits des détenus signifie la perte d'une partie de sa propre autorité et une
complexification de ses tâches. Il est donc normal que la sécurité, en tant que justification des
restrictions, suscite des critiques de la part des scientifiques et des défenseurs des droits. La
perception que l’Etat peut avoir de la dangerosité, tend, à leur avis, à augmenter les atteintes
aux droits de l'homme.

D'un autre côté, chaque norme de restrictions, que nous analysons, désigne les intérêts de
la sécurité en tant que fondement essentiel (objectif) des restrictions de droits. Bien plus,
l'objectif de sécurité, en tant que justification des restrictions, acquiert un statut particulier
dans le contexte pénitentiaire. Aussi, demande-t-on au droit de dire comment déterminer le
bien-fondé des restrictions et ne pas surestimer celles-ci. La norme de proportionnalité est
utilisée à cette fin. Il semblerait que son contenu et son application à l'égard des citoyens
libres et des détenus ne diffèrent pratiquement pas. Nous observons, toutefois, une certaine
spécificité de son utilisation compte tenu de l'incarcération de l'individu et de la raison des
restrictions: l'application de la peine.

La conception et la mise en place de la norme de proportionnalité peuvent différer


sensiblement d'un pays à l'autre. Dans le même temps, leurs pratiques et leurs législations
peuvent être analysées repèrent à l’aune du trait essentiel que revêt la proportionnalité des
restrictions au sens des normes internationales, soit la conformité des restrictions à des
objectifs définis.

Par ailleurs, les normes nationales de restrictions des droits des détenus, revèlent, dans les
pays examinés, des problèmes à caractère juridique. L'un des problèmes principaux porte sur
le fait que l'exigence même de proportionnalité des restrictions ne soit pas clairement fixée.
En revanche, sont fixés les objectifs pour lesquels les restrictions sont admissibles, ce qui
s'avère être insuffisant, dès lors qu'il est facile de justifier la restriction en rapport au regard
d’objectifs de ce type. C'est tout autre chose de déterminer si la restriction donnée n'est pas
551

excessive pour atteindre ces objectifs. C'est ce que préconise la norme de proportionnalité.

Parmi d'autres défauts des normes nationales sous l'angle de la défense des droits de
l'homme, il convient de citer: l'absence de mention du caractère minimal des restrictions (avec
la proportionnalité) ; la mauvaise formulation de la clause limitative générale ou l'absence de
celle-ci ; la consécration de l'admissibilité des restrictions de fait ; la mauvaise corrélation des
objectifs de la clause limitative générale et des clauses limitatives spéciales ; de même que la
déficience d'une approche unifiée dans les clauses limitatives spéciales elles-mêmes ; et la
conception des droits en tant que privilèges à mériter. Le défaut caractéristique de toutes les
normes nationales (des clauses limitatives) consiste souvent en leur tournure déclarative, qui
ne peut acquérir une coloration pratique que lorsque leur sont adjointes des garanties
procédurales contre toutes limitations excessives. Un autre moyen d'attribuer un caractère
pratique aux clauses limitatives consiste à assurer convenablement le contrôle judiciaire de
leur application par les autorités pénitentiaires.

Il apparaît donc que la démonstration du bien-fondé d'un objectif et de la réalisation de


celui-ci par la restriction ne pose pas de problèmes particuliers. C'est la question de savoir ce
que devrait être la restriction minimale nécessaire pour atteindre l'objectif visé qui est la plus
difficile et se trouve au cœur du thème de la présente étude. En prenant en compte ce
problème, nous avons essayé d'examiner le potentiel de la norme de proportionnalité à partir
des positions du juriste, car la norme elle-même se présente tout d'abord comme un
instrument juridique. C'est ce qui nous amène à constater une déficience évidente du droit
dans l'argumentation des restrictions des droits des détenus.

Imaginons le juriste auquel est posée la question: "Le fait de priver les détenus d'accès à
la téléphonie mobile est-il justifié?". Il devra conclure au besoin d'une telle restriction pour la
sécurité, l'ordre ou d'autres objectifs similaires. Les limites de la restriction admissible
dépendront de cette conclusion. D'où ce juriste pourra-t-il tirer potentiellement ses arguments
pour et contre? Il est naturel que ses sources principales puissent être trouvées dans la logique,
laquelle s'appuiera tant sur les connaissances professionnelles que sur l'expérience
personnelle. Or, les arguments rationnels sont apparemment insuffisants, puisque la question
principale revêt à la fois un caractère technique et pratique. Pour pouvoir y répondre, il est
nécessaire, non seulement, de bien connaître les capacités techniques modernes, mais de
savoir aussi à quel point il est probable que les détenus abuseront de ces capacités et comment
ils s'y prendront.

Ceci étant, les problèmes de sécurité ne constituent pas un ultimatum: tout ce qui est
552

nécessaire à la sécurité ne saurait justifier les restrictions, et il faut donc maintenir en équilibre
les intérêts individuels et ceux de la sécurité. Il importe de savoir comment les droits de
l'homme peuvent avoir le dessus sans pour autant porter atteinte à la sécurité.

L'aspect technique et pratique de la justification concerne, dans une mesure ou une autre,
toutes les restrictions. Il en va de la nécessité de déterminer, non seulement, les effets
éventuels négatifs, mais encore, les effets positifs de la non-application des restrictions, étant
donné qu'ils peuvent servir à mettre en équilibre les intérêts individuels et ceux de la société.
Tout le monde reconnaît, par exemple, l'effet positif de la réduction au minimum des
restrictions des contacts avec le monde extérieur. Cela est positif pour l'individu, mais aussi
pour la société du fait de la diminution de la probabilité de récidive après la mise en liberté.
Compte tenu de ces éléments, les données empiriques et d'autres données pratiques relatives à
la sécurité des restrictions deviennent incontournables pour une application convenable de la
norme de proportionnalité dans le contexte pénitentiaire.

La pratique d'application de la proportionnalité, tant par certains pays que par les
institutions internationales, telles que la CEDH, démontre le rôle insignifiant de la preuve
empirique dans l'évaluation du bien-fondé des restrictions des droits des détenus. Ceci
s’explique par plusieurs raisons: principalement, les données sont actuellement encore
insuffisantes ; en outre, ces données sont largement inaccessibles aux praticiens. Pour ce
motif, pour l’analyse la proportionnalité d’une restriction, le rôle essentiel revient à l'analyse
rationnelle, laquelle peut prendre appui sur la philosophie, la logique et l'expérience non
systématisée de l'exécution des peines. Il est peu probable, cependant, qu'une telle approche
soit véritablement judicieuse, puisque la détermination de la proportionnalité de la restriction
devient artificielle, détachée des réalités pratiques.

Notons que le recours à des preuves "fermes" de la nécessité d'une restriction n'exclut pas
l'utilisation d'arguments rationnels. La mise en équilibre des intérêts individuels du détenu et
des intérêts collectifs de la société suppose aussi l'évaluation axiologique. L'évaluation du
bien et du mal pour ces deux sujets se base sur les valeurs considérées comme prioritaires
dans la philosophie du droit de la société donnée. Cela peut inclure la défense de droits
individuels, quand bien même l'on se rend compte d'un préjudice potentiel considérable pour
la société.

Quoi qu'il en soit, l'aspect empirique de la justification reste le fondement sur lequel doit
s'opérer l'évaluation de la restriction. S'il fait défaut, l'évaluation de l'équilibre des intérêts, qui
déjà porte une forte mesure de subjectivisme, s'appuierait sur des argumentations rationnelles
553

(non scientifiques mais fondées sur la logique). Elle ne serait pas sûre du point de vue de la
protection de la société et d'autres intérêts semblables. Cette évaluation soulèverait, de plus,
des problèmes de légitimation des restrictions allégées aux yeux de la population. Pour cette
raison, l'évaluation de la restriction au regard de la protection de la société devient un
instrument forcé, mais incontournable, de la libéralisation légitime, à l’heure d’un certain
scepticisme à l'égard de "l'attribution de droits excessifs aux détenus".

La composante empirique de la justification des restrictions peut porter notamment sur la


réalisation d'études purement empiriques. Nous sommes d'avis qu'il serait intéressant, sur ce
plan, d'utiliser la méthode comparée (la comparaison des pratiques d'application de
restrictions controversées dans divers pays), l'expérimentation (le test de suppression des
restrictions d'un droit concret uniquement dans quelques établissements pénitentiaires) et
l'étude de l'expérience propre ou étrangère d'application de restrictions similaires (la
confirmation de la non-dangerosité de la suppression d'une restriction). Les normes
internationales, en tant que quintessence de l'expérience mondiale, pourraient être pleinement
utiles, mais l'attitude des praticiens vis-à-vis de ces normes risque d'être problématique par
manque de retour d'expérience sur les conditions de leur utilisation.

Le débat sur la justification rationnelle et la justification empirique touche aussi bien les
restrictions pratiques, en tant que conséquences de la mise en œuvre par les praticiens de leur
pouvoir discrétionnaire, que les restrictions normatives instituées par l'autorité compétente.
Notre expérience atteste que, dans le cas de l'activité normative, ce sont les vérifications
empiriques de l'innocuité pratique de la suppression d'une restriction donnée qui s'avèrent
essentielles pour convaincre les autorités concernées. Les acteurs principaux en charge de la
politique pénitentiaire ne s'opposent pas, ainsi qu'il apparaît, à l'idée de libéralisation des
restrictions, mais exigent des preuves que celle-ci sera sans danger. Cette approche est dictée
par une demande de sécurité croissante dans la société.

Il ne faut pas, pour autant, sous-estimer l'aspect rationnel de l'application de la


proportionnalité. Il fournit nombre d'instruments pour justifier les restrictions. Il suffit de voir
l'attitude critique envers les restrictions automatiques imposées aux détenus selon le principe
d’uniformité, en lieu et place de l'approche individualisée. Peut-on contester la valeur du
procédé logique de "moindre alternative", qui suppose de répondre à la question de savoir s'il
est possible d'atteindre le même objectif par une restriction alternative de moindre sévérité?
Notre thèse consiste à dire que la rationalité seule, non appuyée par des données empiriques
ou quasi-empiriques (expérience, analyse comparée, expérimentation, etc.) débouche sur un
niveau sensiblement plus faible de l'évaluation de la restriction. Une telle justification
554

artificielle peut présenter de nombreux inconvénients. Doit être cité, notamment, la menace
d'insécurité provenant d'une mauvaise évaluation des risques associés à la suppression de la
restriction et à la délégitimation des restrictions moindres aux yeux de la société en général et
des praticiens en particulier.

L'efficacité de la conception même de la norme de proportionnalité dans le domaine


pénitentiaire soulève une autre question. La possibilité de l'appliquer aux détenus n'est pas
pratiquement mise en doute et c'est donc, à première vue, la même norme que celle appliquée
aux citoyens libres. Or, il existe objectivement un obstacle essentiel à l’application égale de la
norme de proportionnalité, à savoir l'exécution de la peine infligée à la personne sous forme
d'incarcération de celle-ci. L’objectif de sécurité, qui justifie de limiter les droits des citoyens
libres, peut justifier de plus grande limitations encore s’agissant des personnes détenues.
D'autre part, concernant ces derniers, les restrictions portent sur des objectifs
complémentaires: ceux de la peine infligée et de son exécution. De la même manière, le
besoin de maintien de l'ordre intérieur constitue une exigence objective, que l'on ne saurait
ignorer. Quelle est toutefois la mesure selon laquelle l'incarcération peut justifier une
différence des droits par rapport aux citoyens libres?

Sur ce plan, l'idée que la personne ne doit être soumise qu'aux restrictions qui découlent
"inévitablement" de l'incarcération est très utilisée. Cette idée avait été conçue en tant une
barrière contre des restrictions non nécessaires de droits. Elle dénote que le détenu bénéficie
des mêmes droits que les citoyens libres, sauf exceptions rigoureuses de nature objective.
Cependant, une analyse plus approfondie de cette idée révèle son caractère contre-productif.

Le véritable problème tient à la détermination des restrictions qui sont "inévitables".


Nous sommes convaincus qu'il s'agit là d'une notion absolument subjective qui dépend, pour
le moins, de l'étape d'évolution où sont parvenues la société et la science. Ce qui était
"inévitable" en prison il y a cinquante ans ne l'est plus aujourd'hui. Priver les détenus d'accès à
Internet qui semblait inévitable il y a tout juste dix ou quinze ans, commence petit à petit à
être reconsidérée, un tel accès cessant progressivement d'être vu comme étant contraire à
l'emprisonnement. En fin de compte, peut-on dire que la restriction de tout contact avec le
monde extérieur est inévitable en prison? D'un autre côté, peut-on les qualifier de restrictions
inévitables en situation d'incarcération alors que, par exemple, les détenus de certaines
catégories sont autorisés à s'absenter de l'établissement pénitentiaire? En effet, la définition
même de ce qui constitue une incarcération est fournie par le droit lui-même, en sorte qu’il
n’est point d'obstacles objectifs qui ne puissent être surmontés par le droit.
555

Il serait plus pertinent, pour cette raison, de ne pas se pencher sur les restrictions
inévitables en prison, de tâcher de déterminer la restriction moindre dont la non-application
risque de s'avérer dangereuse en situation d'emprisonnement. Certes, la sécurité n'est pas
l'objectif unique, mais elle semble être l'objectif le plus important. Dans l'ensemble, en traitant
des questions de restrictions applicables aux détenus, nous débattons du rapport entre les
intérêts individuels et ceux de la société. L'exemple idéal est fourni par la limitation du droit
des détenus à l'assurance sociale, laquelle n'a rien à avoir avec "l'impossibilité d'être réalisé en
situation d'incarcération" et a pour cause la prépondérance des intérêts financiers de la société.

L'idée des restrictions inévitables (restrictions de fait) présente un important aspect


négatif, que la présente thèse analyse en détail. Nous en arrivons à la conclusion que les
restrictions de fait ne constituent pas une barrière forte contre les restrictions non justifiées, et,
qu’au contraire, elles constituents un motif de plus permettant de justifier des restrictions qui
ne sont même pas prévues par la loi. Le fait est que l'admissibilité des restrictions qui
découlent objectivement de l'emprisonnement (l'incarcération) suppose inévitablement une
forte marge d'appréciation de la part de l’autorité. L'appréhension même de l'emprisonnement
(de l'incarcération) n'est ni statique ni objective, mais dépend en réalité essentiellement de son
"design juridique", c'est-à-dire de sa description dans les normes juridiques. Il s'ensuit que la
popularité de l'idée des restrictions de fait dans divers pays et dans les normes internationales
ne saurait probablement pas se justifier du point de vue de défense efficace des droits de
l'homme. À cet égard il est à noter que cette idée critiquée continue à être appliquée par la
CEDH sous une forme implicite dans le cadre de l’article 3 de la convention. De plus, elle a
été recemment refletée dans les nouvelles Règles Mandela sur le traitement des détenus.

Un autre aspect de l'application du principe de proportionnalité dans le domaine


pénitentiaire, qui illustre la nature spécifique inéluctable des restrictions de droits, consiste
dans la compatibilité des objectifs avec lesquels les limitations de droits des citoyens libres
sont admises et du but de la peine infligée et/ou de l'incarcération. La peine prononcée tout
comme, d'ailleurs, la détention provisoire, représente un ensemble de restrictions et c'est la
raison pour laquelle ces dernières doivent viser dans une certaine mesure le but de la punition.
C'est en cela que réside la différence importante entre les restrictions des droits des détenus et
des citoyens libres. Cela risque de conduire à une confusion entre les objectifs des restrictions
dans les normes internationales et la législation nationale. Bien plus, notre analyse montre que
la confusion entre les buts des restrictions est également chose habituelle dans la législation
nationale.

La mise en œuvre de la norme de proportionnalité dans les pratiques pénitentiaires


556

présente un caractère spécifique et soulève au surplus d’autres problèmes. L'une des causes
réside en ce que cette norme exige l'individualisation des restrictions. Par ailleurs, les
pratiques pénitentiaires actuelles sont souvent axées sur les restrictions automatiques, lorsque
les restrictions sont imposées à des détenus comme à un groupe ou à un groupe particulier de
détenus sans tenir compte des caractéristiques individuelles. Cela facilite l'action de
l'administration pénitentiaire, car une restriction automatique n'exige pas d'effort pour justifier
et motiver son application.

L'individualisation, en tant que composante intégrante de la proportionnalité, demande


souvent, en prison, une décision formalisée assortie d’une motivation. Cela stimule
l'individualisation et rend possible un recours efficace contre la sanction prononcée, ce qui
constitue en lui-même un facteur important de limitation de restrictions non justifiées. Le rôle
clef y est joué par un contrôle judiciaire efficace, dont la valeur se traduit, non seulement, par
la possibilité de défendre un droit, mais aussi par le rôle préventif dans la protection contre
l'imposition de restrictions infondées.

Notre thèse met l'accent sur la juridictionnalisation des restrictions en tant que voie
menant à une amélioration de la protection juridique contre les restrictions non justifiées.
Nous entendons, par juridictionnalisation, le renforcement (ou la mise en place) du contrôle
judiciaire, visant des aspects particuliers de la vie pénitentiaire qui se trouvaient auparant non
assujetis à un tel contrôle. S'agissant du domaine pénitentiaire, c'est l'intervention des juges
dans le processus d'exécution des peines, que la juridictionnalisation prévoit. Les limites d'une
telle intervention prêtent à discussion. Notre analyse, surtout celle tirée de l'expérience
française, montre que le renforcement du contrôle judiciaire exerce une action motrice sur le
processus de pénétration globale du droit dans les prisons, ce processus marquant un progrès
sous l'angle des droits de l'homme.

La juridictionnalisation demande des mesures concrètes, surtout dans le domaine


législatif. Après avoir analysé les problèmes d'accès des détenus à la justice dans plusieurs
pays, nous formulons les conditions à remplir pour pouvoir résoudre ces problèmes. Ce sont
donc, notamment, une attribution claire de compétence, une accessibilité du point de vue
économique, la possibilité d’une participation personnelle à l'audience, l'exigence de
motivation des décisions imposant les restrictions, une mise en jeu de la responsabilité de
l'État et notamment ses agents individuels pour l'application de restrictions non justifiées, etc.

L'influence du juge sur les restrictions de droits existantes est considérable, parce qu’elle
permet de changer les pratiques pénitentiaires. Cependant, la jurisprudence recèle également
557

un potentiel pour le développement de la législation et des politiques pénitentiaires au niveau


stratégique. C’est à ce niveau que s'opére l'établissement du "design" admissible des
restrictions dans le domaine pénitentiaire. De plus, la jurisprudence peut alimenter le débat
portant sur les limites des restrictions admissibles au niveau doctrinal et politique.

Nous voyons les perspectives de la norme de proportionnalité dans le domaine


pénitentiaire, ce, tant au plan pratique qu'au niveau normatif. Pourtant, l'application de cette
norme, pour ce qui concerne la prison, est problématique étant donné: a) La séparation
objective de la personne par rapport à la société; b) Le statut de la personne purgeant sa peine.
La présente thèse expose des réflexions relatives à la manière dont ces aspects devraient/ne
devraient pas être pris en compte. Nous avons essayé d’analyser comment le droit peut aider à
fixer des limites aux restrictions. Nous avons voulu ainsi trouver des réponses à la question
fondamentale sur les limites admissibles des restrictions sur le plan juridique.

Toutefois, en revenant à cette question principale à la fin de ce travail, après six années
de réflexion, nous en arrivons à la conclusion que la réponse dépasse de loin le cadre du droit.
Le droit n'est pas en mesure de donner une réponse exclusive à la question de savoir jusqu'où
l'État peut aller dans la limitation des droits des détenus. Associé à l'aspect technique ou,
comme nous l'appelons, à l'aspect empirique de détermination du bien-fondé d'une restriction,
l'instrument juridique acquiert un niveau plus elevé de justification. Cependant, l'aspect
empirique semble ne pas suffire non plus.

En définitive, nous ne pouvons éviter, s’agissant de la réponse à la question des limites de


l'humanisation de la prison, le point de vue philosophique. Quel degré d'allègement de la
peine serait juste? Quelles sont les limites admissibles "d'effacement" de la différence entre
les droits des détenus et ceux des citoyens libres? La norme de proportionnalité peut fournir
une réponse un peu sèche, "juridique" à ces questions. Pourtant, elles resteront ouvertes tant
qu'existera la prison.
558

Liste des annexes

ANNEXE n° 1 : Projet de loi ukrainien sur les juges pénitentiaires (loi sur les recours
préventifs et compensatoires en ce qui concerne le traitement cruel, inhumain ou dégradant
des détenus et la création de juges pénitentiaires)

ANNEXE n° 2 : L'analyse des experts du Conseil de l’Europe de certains projets des lois
concernant la limitation des droits des détenus en Ukraine préparés par nous ou avec
cooperation de nous (deux analyses de John McGuckin et Eric Svanidze)

ANNEXE n° 3 : Plan d'action relatif à la réalisation de la Stratégie nationale dans le domaine


des droits de l'homme à horizon de 2020 adopté par arrêté du Cabinet des ministres de
l'Ukraine du 23 novembre 2015, n° 1393-р (la partie sur les droits des détenus)
559

Annexe n° 1
Projet de loi ukrainien sur les juges pénitentiaires (loi sur les recours préventifs et
compensatoires en ce qui concerne le traitement cruel, inhumain ou dégradant des détenus et
la création de juges pénitentiaires)
560

Draft law
Submitted by the Members of Parliament of Ukraine

Miroshnichenko Yu. R.
Barvinenko V. D.
Kotvitskyi I. O.
Kostenko P. P.
Bukhariev V. V.
Korol V. M.
Heraschenko A. Yu.
Palamarchuk M. P.
Razvadovskyi V. Y.

THE LAW OF UKRAINE


On Preventive and Compensatory Measures in Respect of Torture, Inhuman or
Degrading Treatment and Punishment of Convicts and Detainees and Establishment of
the institution of Penitentiary Judges

This Law regulates the relations related to the establishment and functioning of the
mechanism of preventive and compensatory measures intended to ensure safeguards of rights
of persons detained at pre-trial detention facilities or penitentiary facility in order to prevent
torture, inhuman or degrading treatment or punishment as well as establishes the institution of
penitentiary judges for its practical implementation.

Article 1. Definitions
1. For the purpose of this Law the following meanings shall apply:
Preventive measures shall mean actions taken based upon a relevant decision of a
penitentiary judge in order to stop or prevent torture or inhuman or degrading treatment or
punishment.
561

Compensatory measures shall mean actions taken based upon a relevant decision of a
penitentiary judge in order to provide compensation to victims of torture or inhuman or
degrading treatment or punishment for physical and (or) non-pecuniary damage.

Article 2. Absolute prohibition of torture or inhuman or degrading treatment or


punishment
1. No one shall be subjected to torture or to inhuman or degrading treatment or
punishment.
2. The right of a person not to be subjected to torture or inhuman or degrading
treatment or punishment is absolute. There shall be no exception to this right.
3. The State and its official shall refrain from any actions that violate paragraph one
of this Article and take measure in order to prevent such violations.

Article 3. Elements of torture, inhuman or degrading treatment or punishment


1. In order to determine what shall be deemed torture, inhuman or degrading treatment
or punishment, a penitentiary judge should be guided by provisions of Article 3 of the
Convention for the Protection of Human Rights and Fundamental Freedoms, and by
respective case-law of the European Court of Human Rights against Ukraine or any other
states, as well as standards of the European Committee for the Prevention of Torture and
Inhuman or Degrading Treatment or Punishment and Article 1 of the Convention against
Torture and Other Cruel, Inhuman or Degrading Treatment or Punishment.

Article 4. Types of Preventive measures


1. Preventive measures shall include measures intended to prevent (stop) violation of
provisions of Article 2 of this Law, to prevent its reoccurrence or prevent the violation which
may take place in view of totality of the circumstances in particular individual cases.
2. Preventive measures may include cancellation of decisions taken by an
administration of a penitentiary facility or of a pre-trial detention facility and a decision to
bind relevant officials to:
change the pre-trial detention facility or the penitentiary facility where a detainee or a
convict is detained;
change a cell where a detainee or a convict is detained, including by placing them in a
solitary-confinement cell or any other structural unit of the facility;
completely or partially renovate or equip a cell where a detainee or a convict is
detained, including its disinfection, desinfestation or deratting or suspend operations of such
cells;
provide proper nourishment, material or sanitary support;

ensure proper medical support, including by transferring a person to a relevant health-


care institution irrespective of its chain of command;
prevent certain decisions, actions or inactivity from taking place subsequently;
562

take other individual measures necessary to prevent or stop violation of provisions of


part of Article 2 of this Law.
3. A decision to use preventive measures as defined by paragraph 2 of this Article
may be taken irrespective of consent of a detainee or a convict and must contain detailed
instructions pertaining to them, terms of their execution and persons responsible for their
execution.

4. A preventive measure shall be applied based on the nature of a violation or a possible


violation of provisions of Article 2 of this Law, and its consequences for the person, with
consideration of its health, age and other features.

Article 5. Compensatory measures


1. A person who was subjected to violations of Article of this Law, shall be entitled
to compensation in accordance with this Law or other legislation.
2. Compensatory measures may be applied in the amount of one to five minimum
wages per fifteen days of detention in conditions that is considered a violation of Article 2 of
this Law and depending on the nature of such violation and (or) its consequences for the
individual - inflicted physical or non-pecuniary damage considering his/her state of health,
age and other features. Calculation of monetary compensation for periods less than fifteen
days shall be made proportionally.
3. Monetary compensation may also be applied for single violations of Article 2 of this
Law. In such case its minimum amount shall be at least at the amount of a minimum wage.
4. Monetary compensation may be applied simultaneously for lasting violation
(improper conditions of detention) and single violation or repeated violations of Article 2 of
this Law. In case of application of monetary compensation simultaneously for several
violations of Article 2 of this Law it shall be applied as a single amount.
5. Monetary compensation shall not be subject for taxation and shall be paid within
three months from the date of decision on its payment. For each month of delay of payment of
monetary compensation a person shall receive an additional interest of 3 per cent on the
payable amount.

Article 6. Initiation and jurisdiction of applying preventive and compensatory measures


1. Motion on application of preventive and compensatory measures shall be filed by
a detainee or convict to a penitentiary judge of a local court at the location of a pre-trial
detention facility or penitentiary institution where such individual is detained. A motion shall
be addressed to a relevant court in accordance with a procedure established by the Penal Code
of Ukraine.
2. Proceedings in cases where preventive or compensatory measures are involved
shall follow the criminal procedure and with proper regard to the provisions of this Law.
When deciding on monetary compensation a penitentiary judge shall also honor provisions of
the Civil Procedure Code of Ukraine related to the compensation of damage. When deciding
on proportionality of exercise of his/her powers by an official, relevant provisions of the
Administrative Court Procedure Code of Ukraine shall be considered.
3. A penitentiary judge shall be entitled to make a decision on application of
preventive and compensatory measures in accordance with the legislation in force. In the view
of authority and jurisdiction of an investigating judge and penitentiary judge an individual
563

filing a relevant motion shall be entitled to select a method to protect his/her rights at his/her
discretion.
In case a detainee files a motion to apply preventive or compensatory measures, such
individual must notify a penitentiary judge on the fact of proceedings in accordance with the
procedure envisaged by Article 206 of the Criminal Procedure Code of Ukraine, if such
proceedings is or was based on grounds due to which an individual addressed a penitentiary
judge.
A penitentiary judge shall be entitled to refuse considering a motion, if there is a
relevant proceedings in accordance with the procedure envisaged by Article 206 of the
Criminal Procedure Code of Ukraine.
In case a penitentiary judge initiates proceedings on application of preventive or
compensatory measures personally, then a penitentiary judge must verify that an investigative
judge has proceedings on the same matters in accordance with the procedure envisaged by
Article 206 of the Criminal Procedure Code of Ukraine.
In case when a penitentiary judge receives a motion on application of preventive and
compensatory measures that is already being considered by an investigative judge in
accordance with the procedure envisaged by Article 206 of the Criminal Procedure Code of
Ukraine, a penitentiary judge shall refuse in initiating proceedings based on those grounds.
An individual shall not be denied a right to file a relevant motion to a penitentiary judge after
this motion was considered by an investigative judge in accordance with the procedure
envisaged by Article 206 of the Criminal Procedure Code of Ukraine.
An individual shall be entitled to file a motion to an investigation judge on ceasing
proceedings in accordance with the procedure envisaged by Article 206 of the Criminal
Procedure Code of Ukraine due to a reason of filing a motion on application of preventive or
compensatory measures to a penitentiary judge. In such case an investigating judge shall
cease relevant proceedings.

Article 7. Specific features of proceedings pertaining to application of preventive


measures
1. A motion for preventive measures shall be considered within three business days
from the date of filing thereof. This term can be extended for as long as one month subject to
motivated decision of a penitentiary judge if this is required by reasons of ensuring neutrality
of verification or other circumstances. In any case such extension shall be possible only to
ensure more effective protection of rights of a detainee or a convict and shall not be used on
grounds of inability of administration of penal authority or institution to perform certain
actions.
2. For the purpose of verifying grounds for application of preventive measures,
securing evidence of violations of Article 2 of this Law, a penitentiary judge shall be obliged
to personally visit a pre-trial detention facility or a penitentiary facility and premises which
pertain to the request for motion of applying preventive measures. During such visit, a
penitentiary judge shall take all measures to establish facts about which an applicant
complains, including the size and condition of cells, number of people detained therein,
availability and quality of health care and food, bodily injuries suffered and other facts that
may demonstrate a violation of Article 2 of this Law.
3. In order to properly secure evidence of violations of Article 2 of this Law, a
penitentiary judge can use necessary technical aids, as well as to involve relevant experts,
564

including the Commissioner on Human Rights to the President of Ukraine, staff of the Office
of the Ukrainian Parliament Commissioner for Human Rights, his/her regional
representatives, members of Supervisory Commissions at the penitentiary facility, members
of public councils at the central executive authority that implements state policy in the area of
execution of criminal sentences, its territorial agencies, staff of the Ministry of Health, subject
to their consent.
4. In course of consideration of a motion to apply preventive measures, a
penitentiary judge shall use information regarding relevant facility obtained from judgments
of the European Court of Human Rights, previous remarks and reports of the European
Committee for the Prevention of Torture and Inhuman or Degrading Treatment or
Punishment.
5. In order to find out whether there are grounds for application of preventive
measures, a penitentiary judge shall be entitled to personally communicate with staff of a pre-
trial detention facility. penitentiary facility or a remand prison, any detainee or a convict, and
shall also be obliged to have an anonymous personal meeting with the person who filed the
relevant motion. A defense counsel may be present at the anonymous meeting at request of
the detainee or a convict. At the request of a penitentiary judge and in order to follow
security requirements, an anonymous meeting may be held at the place where the meeting can
be observed but not heard by staff of a pre-trial detention facility or a penitentiary facility.
6. Information collected during the proceedings on application of preventive
measures shall be used to confirm that there are grounds for applying preventive measures in
other proceedings concerning the events occurred at the same facility, if such information is
still up-to-date.
7. Where the facts that may confirm that a criminal offense took place have been
established, a penitentiary judge shall address relevant law-enforcement agencies in order to
register the information at the Unified Register of Pre-Trial Investigations. Applying to the
authorities as mentioned above shall be without prejudice to the application of preventive
measures.
8. The burden of proof that there are no grounds for application of preventive
measures shall lie with the administration of pre-trial detention facilities or penitentiary
institutions.

Article 8. Specific features of proceedings pertaining to application of compensatory


measures
1. Where a motion for application of compensatory measures is filed,
proceedings shall be executed within the terms envisaged by the Criminal Procedure Code of
Ukraine. An individual shall indicate a period during which he/she allegedly was subject to
violation of rights envisaged by Article 2 of this Law. A motion can be filed at any moment
during the detention of an individual at a penitentiary institution.
2. Filing a motion on application of compensatory measures shall be
inconsistent with a motion on compensation of damage in civil or administrative proceedings
on the same subject or on the same grounds.
3. Motion for compensation of damage in civil or administrative proceedings
shall be inconsistent with a claim for application of compensatory measures in accordance
with this Law in connection with the same subject or on the same grounds.
4. For the purpose of confirmation that there are grounds for application of
compensatory measures, a penitentiary judge shall establish relevant violations personally and
with assistance of experts, and shall be obliged to use information collected in the course of
proceedings regarding application of preventive measures and to visit a relevant pre-trial
detention facility or a penitentiary facility.
565

5. Information collected in one set of proceedings regarding application of


preventive or compensatory measures shall be used to confirm that there are grounds for
application of preventive or compensatory measures in the course of the other set of
proceedings concerning the events that occurred at the same facility, if such information is
still up-to-date. Information collected during the proceedings regarding application of
preventive measures can be used in the course of a pre-trial investigation, if the relevant entity
took a decision to initiate it. Such information can be used in a pre-trial investigation, if in the
course of proceedings regarding application of preventive or compensatory measures, a
relevant entity took a decision to initiate it.
6. Absence of fault on the part of the officials of administration of a pre-trial
detention facility or penitentiary institution for violation of Article 2 of this Law shall not
constitute grounds for refusal to apply compensatory measures.
7. The burden of proof that there are no grounds for application of
compensatory measures shall lie with the administration of pre-trial detention facilities or
penitentiary institutions..
8. In case a pre-trial investigation was initiated on the grounds of crime
envisaged by the Criminal Code of Ukraine regarding the facts that constituted grounds for
proceedings on application of compensatory measures, a matter of application of
compensation shall be considered after such investigation is finished. If a compensation of
damage is awarded to a convict or a detainee as the result of a pre-trial investigation and
conviction of a guilty party, a penitentiary judge shall cease relevant proceedings.

Article 9. Execution of judgments on application of preventive and compensatory


measures
1. Judgments on application of preventive measures shall be executed
immediately upon becoming final (coming into effect). A penitentiary judge making a
judgment shall be responsible for supervision over its execution.
2. If officials specified in a judgment on application of preventive measures
fail to commence its immediate execution or execute it improperly, a penitentiary judge shall
submit a ruling to the relevant central executive authority that implements state policy in the
area of execution of criminal sentences, its territorial department, for bringing the persons
concerned to disciplinary responsibility, and, if necessary, shall apply to law-enforcement
agencies for recording information about failure to execute a court judgment into the Unified
Register of Pre-Trial Investigations.
3. Having established a violation of Article 2 of this Law, a penitentiary judge
shall decide upon the matter of establishing those guilty of such violation, and, where such
persons have been established, the penitentiary judge shall file a motion to the heads of the
superior authorities on bringing the officials of subordinate pre-trial detention facilities,
penitentiary facilities or territorial departments of the authority that implements state policy in
the area of execution of criminal sentences to a disciplinary responsibility.
4. If a violation of Article 2 of this Law involved actions that contain elements
of a criminal offense, a penitentiary judge shall apply to relevant law-enforcement agencies
for the registration of the information into the Unified Register of Pre-Trial Investigations.
5. Judgments on application of compensatory measures shall be executed in
accordance with a procedure established by a legislation in force with consideration of
provisions hereof.
6. A penitentiary judge can demand that officials submit a written report on the
execution of his/her judgment and set a deadline to submit such report. As a result of
considering a report submitted by officials following the execution of his/her judgment or in
case of failure to submit such report, a penitentiary judge can adopt a ruling to set a new
566

deadline to submit such report or impose a fine of ten to thirty minimum wages to an official
responsible for execution of such judgment. Half of the fine shall be levied in favor of an
individual that is subject to violation of Article 2 of this Law, and the other half shall go into
the State Budget of Ukraine. Decision of a penitentiary judge on imposing a fine that came
into effect shall be forwarded for execution to the State enforcement service. Late charges in
the amount of 3% per annum shall be accrued to the total due amount for each day past due
(including inflation rate), following the day the decision came into effect and without
requirement for any additional decisions. A judgment of a penitentiary judge shall be
executed and a report on its execution shall be submitted regardless of a fact of paying a fine.
Repeated failure to comply with such obligation shall result in consequences envisaged by
this paragraph of the Article, however the total payable amount of a fine shall increase for the
amount that was or had to be paid in accordance with a previous ruling.

Article 10. Periods of limitation in respect of application of preventive and


compensatory measures
1. A motion for application of preventive measures may be filed during
detention of an individual at a pre-trial detention facility or penitentiary institution.
2. A motion for application of compensatory measures may be filed during
detention of an individual at a pre-trial detention facility or serving the sentence, as well as
after release from custody or from a sentence or from serving it, but no later than within one
year from the date of release from pre-trial detention facility or penitentiary institution.

FINAL PROVISIONS

I. This Law shall come into effect on the day following the day when it is
published.
II. Amend the following legal acts of Ukraine

1. The Law of Ukraine On the Judiciary and Status of Judges (Vidomosti


Verkhovnoyi Rady Ukrainy (VVR), 2010, No. 41-42, No. 43, No. 44-45, p. 529) shall be
amended as follows:
1) Paragraph six with the following content shall be added to Article 21:
'6. A penitentiary judge shall be elected from among judges of a local court of general
jurisdiction, to exercise powers in certain categories of cases concerning detainees, convicts
and persons released from such facilities. The meeting of judges of that court shall elect a
penitentiary judge following a proposition forwarded by a court chairman or following a
proposition forwarded by any judge of that court, if a proposition forwarded by a court
chairman had not been supported, for a period not exceeding three years, and may be re-
elected again. Before a penitentiary judge of the relevant court is elected, his/her powers shall
be discharged by the eldest judge of that court or, in accordance with a decision by the court
chairman, the next eldest judge. The penitentiary judge shall not be released from discharging
duties of a judge of first instance, however his duties as such shall be taken in consideration
during the allocation of court cases and shall have a priority. It is allowed to elect more than
one penitentiary judge, if there are two or more penitentiary facilities or pre-trial detention
facilities within his/her territorial jurisdiction'.
2) a following phrase shall be added to subparagraph 9 of paragraph 1 of
Article 24:
567

'and on a candidate for a position of a penitentiary judge'.

2. The Criminal Procedure Code of Ukraine (Vidomosti Verkhovnoyi Rady


Ukrainy (VVR), 2013, No. 9-10, No. 11-12, No. 13, Article 88) shall be amended as
follows:
1) in article 3:
in subparagraph 10 of paragraph 1 the words 'in connection with' shall be replaced with
the words
'related to';
subparagraph 27 shall be added to read as follows:
'a penitentiary judge is a judge of a court of first instance empowered to administer
justice in accordance with the present Code and other Laws of Ukraine in certain categories of
cases concerning individuals detained in pre-trial detention facilities and penitentiary
institution, and persons released from such facilities. The main form of work of a penitentiary
judge shall be direct meetings held at a pre-trial detention facility or a penitentiary institution'.
2) paragraphs 2 and 3 of Article 20 shall read as follows:
'2. An investigator, a public prosecutor, an investigating and a penitentiary judge, a
court shall familiarize a suspect, accused or convict with his/her rights and ensure that the
right to qualified legal aid is provided by a defense counsel of that person’s choice or
appointed for him/her;
3. In cases envisaged by this Code and (or) the legislation in force governing provision
of free legal aid, a suspect, an accused, a convict shall be provided with free publicly-funded
legal aid';
3) in paragraph 1 of Article 48
the word 'a convict' shall be added after the word 'an accused';
the words 'a penitentiary judge' shall be added after the words 'an investigating judge',
the word 'a convict' shall be added after the words 'a detainee';
4) in paragraph 1 of Article 49 the sentence 'A defense counsel may be
appointed by an investigator, a public prosecutor, an investigating judge or a court in other
cases stipulated by the law governing provision of free legal aid' shall be replaced with the
following sentence: 'A defense counsel may be appointed by an investigator, a public
prosecutor, an investigating judge, a penitentiary judge or a court in other cases stipulated by
the law governing provision of free legal aid';
5) in Article 53:
in paragraph 1 of Article 53 the words 'a penitentiary judge' shall be added after the
words
'an investigating judge';
part two shall be amended to read
'2. A suspect, an accused or a convict shall be entitled to invite a defense counsel to
participate in an individual procedural action. In case there is no urgent need for a defense
counsel to participate in individual procedural action or when a defense counsel elected by a
568

suspect, an accused or a convict cannot arrive within twenty four hours, an investigator, a
prosecutor, an investigating judge, a penitentiary judge or a court shall be entitled to offer to
appoint another defense council for the suspect, the accused or the convict';
in paragraph 4 of Article 53 the words 'by a convict' shall be added after the words 'by
an accused';
6) in paragraph 4 of Article 65 the words 'a penitentiary judge' shall be added
after the words 'an investigating judge';
7) a new sentence shall be added in paragraph 1 of Article 82: 'Where a
motion for disqualification (self-disqualification) of a penitentiary judge is satisfied, criminal
proceedings shall be transferred to another judge of the relevant court for consideration, in
accordance with the procedure defined by paragraph 3 of Article 35 of this Code';
8) in paragraph 1 of Article 84 the words 'a penitentiary judge' shall be added
after the words 'an investigating judge';
9) paragraph 3 of Article 135 shall be amended to read as follows:
'A detainee or a convict shall be summoned via administration of a relevant facility';
10) insert a sentence into part three of article 318 to read: 'Meetings a
penitentiary judge shall be held at an actual pre-trial detention facility or a penitentiary
institution'.
11) a new paragraph 4 shall be added to Article 392, to read as follows:
'Rulings of a penitentiary judge shall be subject to appeal';
12) in Article 395:
a new subparagraph 4 shall be added to paragraph 2, to read as follows:
'a ruling of a penitentiary judge – within fifteen days from the day when it was
announced';
in paragraph three words 'an investigating judge' shall be replaced with words
'investigating or
a penitentiary judge';
13) in paragraph two of Article 400 words 'an investigating judge' shall be
replaced with words 'investigating or penitentiary judge';
14) the following paragraph 4 shall be added to Article 407:
'Based on the results of consideration of an appeal against a ruling of a penitentiary
judge by the appellate court, the latter shall be entitled to:
uphold a ruling;
change a ruling;
quash a ruling completely or in part and deliver a new ruling;
quash a ruling and schedule a new hearing by another judge of a relevant court
in accordance with a procedure envisaged for a penitentiary judge';
15) in Article 422:
in a title of the Article words 'an investigating judge' shall be replaced with words
'investigating or penitentiary judge';
in paragraphs one and two words 'an investigating judge' shall be replaced with words
'investigating or penitentiary judge';
16) in paragraph four of Article 424 words 'an investigating judge' shall be
replaced with words 'investigating or penitentiary judge';
569

17) in paragraph one and three of Article 532 words 'an investigating judge'
shall be replaced with words 'investigating or penitentiary judge'.
18) Article 537 shall be amended to read as follows:
'Article 537. Matters that can be settled by a penitentiary judge or a court during
detention or execution of a sentence
1. During execution of sentences or detention, a court or a judge defined by paragraph 2
of Article 539 of this Code shall be entitled to settle the following matters:
suspension of a sentence;
release from sentence on parole; replacement of the unserved sentence with a more
lenient sentence;
release from a sentence of pregnant women and women with children under the age
of three years;
forwarding women who had been released from a sentence because of pregnancy or
because of having children under the age of three years for serving a sentence;
release from a sentence as a result of a disease;
compulsory medical treatment which convicts must undergo and termination thereof;
forwarding an individual on a probation for serving punishment in accordance with a
sentence;
release from serving a sentence upon expiry of the period of probation;
change of punishment in accordance with paragraph 5 of Article 53, paragraph 3 of
Article 57, paragraph 1 of Article 58, paragraph 1 of Article 62 of the Criminal Code
of Ukraine;
application of punishment in cases where there are several sentences;
temporary detention of a convict at a pre-trial remand prison or transfer of a convict
from a lockup house, a correctional center, a disciplinary battalion or a correctional
facility to a pre-trial detention center in order to carry out the relevant procedural
actions in the course of a pre-trial investigation of criminal offenses committed by a
different or the same individual, for which such individual had not been not
convicted, or because of proceedings pending in a court;
release from serving a sentence and mitigation of a sentence in cases envisaged by
paragraphs 2 and 3 of Article 74 of the Criminal Code of Ukraine;
appeals against decisions, actions or omissions of the administrations of penitentiary
facilities, the central executive authority that implements state policy in the area of
execution of criminal sentences, its territorial agencies, their officials, where such
decisions, actions or omissions concern exercise of rights of the person kept in pre-
trial
detention facilities or penitentiary institutions;
justification of individual restrictions of human rights of individuals detained at pre-
trial detention facilities or penitentiary institutions;
application of preventive and compensatory measures for persons detained at pre-
trial detention facilities or penitentiary institutions;
immediate release of an individual who is unlawfully (in case of lack of legal reason)
detained at a penitentiary institution
other matters concerning all kinds of doubt and contradictions arising in the course of
execution of a sentence and detention”;
Article 538i shall be added to read as follows:
'Article 538i. Matters to be decided upon by a penitentiary judge after release from custody,
or from a punishment or from serving a sentence
After release from custody, or from a punishment, or from serving a sentence has been
ordered, a penitentiary judge, at the location of the relevant pre-trial detention facility or
570

penitentiary facility, may consider issues pertaining to application of compensatory measures';


19) Article 539 shall be amended to read as follows:
'Article 539. The procedure of deciding on the matters arising during detention in
custody or execution of sentences by a court or a judge
1. Issues arising during detention in custody or during execution of a sentence shall
be decided by the court upon a request (motion) lodged by a public prosecutor, a convict,
his/her defense counsel, legal representative, penitentiary facility or an agency, as well as by
other persons, facilities or agencies in cases established by the legislation.
A victim, a civil claimant, civil defendant and other individuals shall be entitled to
apply to a court for settlement of matters directly related to their rights, obligations or
legitimate interests.
2. A request (motion) for settlement of matters arising during detention in custody or
execution of a sentence shall be submitted to:
1) a penitentiary judge of a local court having territorial jurisdiction over a detainee
or a convict serving a sentence – where there is a necessity to resolve issues specified in
subparagraphs 2-4, 6, 7 (except in case of a request for termination of a compulsory medical
treatment which is to be lodged with a local court having territorial jurisdiction over an
establishment or a facility where a convict is treated), 14-18 of paragraph 1 of Article 537 of
this Code;
2) a local court having territorial jurisdiction over a [place] where a sentence is
executed – where there is a necessity to resolve issues specified in subparagraphs 10 (insofar
as it relates to a request for change of a sentence in accordance with paragraph 3 of Article 57,
paragraph one of Article 58, paragraph one of Article 62 of the Criminal Code of Ukraine),
11, 13 of paragraph 1 of Article 537 of this Code;
3) a local court within whose territorial jurisdiction a convict resides – where there
is a necessity to resolve issues specified in subparagraphs 5, 8, 9 of paragraph 1 of Article 537
of this Code;
4) the court which delivered a sentence – where there is a necessity to resolve issues
specified in subparagraphs 1, 10 (insofar as it relates to a request for change of a sentence in
accordance with paragraph 5 of Article 53 of the Criminal Code of Ukraine), 12 (where it is
necessary to resolve an issue related to the proceedings in the court, it shall be resolved by the
court dealing with the case), 18 (regarding matters related directly to the contents of the
judgment) of paragraph 1 of Article 537, Article 538 of this Code.
3. A request (motion) for deciding on the issues arising during detention in custody
or execution of sentences, unless otherwise provided for by legislation in force, shall be
considered within ten days from the date of receipt thereof by the court by a judge solely or
by a penitentiary judge according to the rules of court procedure stipulated in Articles 318-
380 of this Code, taking into consideration provisions of this Section, Sections I and II of this
Code and other requirements of legislation in force. If an issue is subject to decision by a
penitentiary judge and the individual who has applied to the court is detained at a pre-trial
detention facility or in a penitentiary facility, the court hearing shall be held directly at the
relevant facility, and the person who has applied to the court shall personally participate in
such a hearing.
4. A convict, his/her defense counsel, a legal representative, a public prosecutor shall
be summoned to the court hearing. Notice of the time and place of consideration of the
request (motion) shall be communicated to the penitentiary authority or facility responsible
for execution of sentences or supervising conduct of the convict; the medical panel that drew
a conclusion ordering a compulsory medical treatment of the convict or termination thereof -
where relevant issues are considered; the Supervisory Commission, the Office of Children's
Services - where the court considers a request approved by them; a civil claimant and a civil
571

defendant - where an issue concerns execution of the part of a sentence pertaining to a civil
claim, other persons, if necessary.
Failure of individuals duly notified of the place and time of consideration of a
request (motion) to appear at the court hearing does not preclude holding of a court hearing,
unless their participation is recognized as compulsory by the court, or unless such an
individual has informed of valid reasons for failure to appear.
5. Based on the results of consideration of a request (motion), a court or a
penitentiary judge shall make a ruling which can be challenged in accordance with the
procedure of appeal. Appeal by a public prosecutor against a court ruling concerning a
release on parole or replacement of an unserved part of a sentence with more lenient
punishment shall suspend execution of such ruling.
6. Where a ruling on refusal of a request for release on parole or replacement of an
unserved part of the sentence with more lenient punishment becomes final, consideration of a
repeated request on the same issue in respect of persons sentenced for grave and especially
grave crimes to imprisonment for the term of no less than five years may take place no sooner
than in a year from the date of refusal, and no sooner than in six months – in case of persons
convicted for other crimes and in case of juvenile criminals.
Where a court ruling on refusal of a request for cancellation of a criminal record
becomes final, consideration of a repeated request on the same issue may take place no sooner
than in a year from the date of that refusal.
7. Where a request for release from further serving of a sentence by a convict who
suffers from a mental disease while serving the sentence is granted, a judge shall be entitled to
apply compulsory medical measures in accordance with Articles 92-95 of the Criminal Code
of Ukraine'.
3. The Penal Code of Ukraine (Vidomosti Verkhovnoyi Rday Ukrainy (VVR), 2004,
No. 3-4, p. 21), shall be amended as follows:
1) in Article 9 a new paragraph 3 shall be added, reading as follows
'3. penalties imposed on convicts may be appealed against to a penitentiary judge';
2) in Article 24:
add paragraph one with new subparagraphs 15 and 16 to read as follows: 'a
penitentiary judge and judges who consider cases on appeals against his/her rulings – on a
relevant territory';
a defense counsel for participation in proceedings of a penitentiary judge”; a new
sentence shall be added to paragraph three to read as follows: 'A penitentiary judge and the
judges who consider cases on appeals against his/her rulings, in addition to the above powers,
shall be entitled to perform other actions necessary in connection with proceedings regarding
application of Preventive and compensatory measures'.

4. If required, the Cabinet of Ministers of Ukraine within three months from the date
of publication hereof, shall submit for consideration to the Verkhovna Rada of Ukraine
proposals for the purpose to brining legislative instruments in line with this Law, including in
order to ensure funding the process of equipping offices of penitentiary judges at pre-trial
detention facilities and penitentiary institutions.

5. No later than within three months from the date of publication of this Law, local
courts of general jurisdiction within whose territorial jurisdiction pre-trial detention facilities
and penitentiary facilities are located, shall hold meetings of judges for the purpose of
electing penitentiary judges in the manner prescribed by the Law of Ukraine 'On the Judiciary
and the Status of Judges'.
Where an investigating judge is not elected within the specified period, his/her powers
572

shall be discharged by the eldest judge of that court until the day when an penitentiary judge
is elected.

The Chairman
of the Verkhovna Rada of Ukraine
573

Annexe n° 2
L'analyse des experts du Conseil de l’Europe de certains projets des lois concernant la
limitation des droits des détenus en Ukraine préparés par nous ou avec cooperation de nous
(deux analyses de John McGuckin et Eric Svanidze)
574

FURTHER SUPPORT FOR


PENITENTIARY REFORM
IN UKRAINE

COMMENTS
ON THE SET OF DRAFT LAWS OF UKRAINE ON
CERTAIN ISSUES OF PENITENTIARY REFORM
AND HUMANISATION OF IMPRISONMENT
Erik Svanidze

Report
575

Introduction
1. These comments are concerned with the package of six draft amendments to laws of
Ukraine (‘the Legislative Package’) addressing certain issues of penitentiary reform
and humanisation of imprisonment prepared within the Subcommittee on Penitentiary
Matters of Verkhovna Rada. In particular, the Legislative Package includes
explanatory notes, comparative tables and draft laws:
- “On amendments to the Criminal Execution Code of Ukraine on improving the
procedure of applying incentives and penalties to convicts” (‘draft law on
amendments to CEC on penalties and incentives’);
- “On amendments to the Criminal Execution Code of Ukraine as to humanization
of the procedure and conditions of imprisonment” (‘draft law on amendments to
CEC on humanization and conditions of detention’);
- "On Amendments to Article 93 of the Criminal Execution Code of Ukraine as to
improvement of guarantees of the right of convicts on serving punishment
according to the place of their residence before conviction or the place of
permanent residence of their relatives” (‘draft law on amendments to Article 93 of
CEC’);
- “On amendments to the Law of Ukraine on Preliminary Detention concerning
implementation of specific Council of Europe standards” (‘draft amendments to
the law on Preliminary Detention’);
- “On Amendments to Certain Legislative Instruments of Ukraine regarding
Improvement of Access to Justice for People Held in Pre-trial Detention Facilities
and Facilities for Execution of Punishment” (‘draft amendments concerning access
to courts’);
- "On amendments to some legislative acts of Ukraine
as to humanization of criminal responsibility of women” (‘draft amendments
concerning women’).
2. The comments first address the overall dimension of the Package and its coherence
with expected parameters of the reform of the penitentiary system, criminal justice and
justice sector in general. There is then a provision by provision analysis of the draft
laws included in the Package. The comments omit to comment on provisions that are
not questionable, i.e. deemed compatible with the European Convention on Human
Rights (ECHR) and case law of the European Court on Human Rights, jurisprudence
of the European Committee for the Prevention of Torture and Inhuman or Degrading
Treatment or Punishment (CPT); Council of Europe and other international standards,
as well as with the concept and provisions of the current Criminal Procedure Code
(CPC) and overall principles to be pursued in the course of the ongoing reforms in
Ukraine.
576

3. The comments have been prepared by the CoE consultant Mr. Erik Svanidze.1They are
produced under the auspices of the Project ‘Further Support to the Penitentiary
Reform in Ukraine’, which is a part of the European Union and Council of Europe
Programmatic Cooperation Framework for Armenia, Azerbaijan, Georgia, Republic of
Moldova, Ukraine and Belarus (‘the Project’). They are based on the English
translation of the Ukrainian text of the Legislative Package provided to the Consultant
by the Project2. The original texts of the amendments in Ukrainian were consulted
where the language of the English translation seemed uncertain or required some
further clarification.
General (conceptual) considerations
4. All the draft laws under consideration are furnished with explanatory notes suggesting
and their analysis indeed indicate that they intend to address selected deficiencies of
and advance the existing legal framework, improve operation of the Penitentiary
System, criminal justice of Ukraine in line with the ECHR and ECtHR case law, its
judgments against Ukraine; CPT jurisprudence and its specific recommendations
developed in the reports on visits to Ukraine; Council of Europe and other
international standards, as well as in pursuance of humanisation principle.

5. In general, all the proposed amendments (provided they are enhanced as suggested
below) are welcome and consistent with the spirit and some elements the standards
and aims in question. The most significant of them are:
- limiting arbitrariness by defining the notion of a disciplinary violation and narrowing the
grounds for imposing disciplinary punishments, increased procedural guarantees and fairness
of applying incentives and punishments to those convicted to imprisonment and inmates held
in remand facilities (somewhat fragmentally and inconsistently envisaged by the draft law on
relevant amendments to CEC and some provisions of the draft amendments to the law on
Preliminary Detention)3;
- overturning of the visiting arrangements and approaches to other contacts with outside world
(as provided for by the draft amendments to the law on Preliminary Detention and, to a
limited extent, by the draft law on amendments to CEC on humanization and conditions of
detention4);
- upgrading to the minimum international (CPT) standards of living space available to remand
prisoners (provided for by the draft amendments to the law on Preliminary Detention);
- enhancing the right of access to courts for the purposes of challenging acts of penitentiary
administration (envisaged by the draft amendments concerning access to courts);

1
Mr. E. Svanidze is a former prosecutor in Georgia and deputy minister of justice; member/expert of
the CPT, including a number of its delegations visiting Ukraine; member of the Council of Europe
group of consultants supporting the drafting and adoption of the new Ukrainian CPC, Law on the
Public Prosecution Service (including relevant opinion of the Venice Commission), National Anti-
Corruption Bureau and other related legislative acts.
2
In addition to the abovementioned texts the consultant was provided with English translations of the
Criminal Procedure Code (CPC), CEC and Criminal Code (CC), as well as the original (Ukrainian)
text of the Law on Preliminary Detention.
3
See paras. 13-15 and 44 of the current comments below.
4
See para. 24 of the current comments below.
577

- introducing more specific and rigid rule concerning allocation of convicts to penitentiary
establishments with the view of ensuring best possible conditions for maintaining family life
and contacts with outside world (somewhat conflictingly1 suggested in the draft law on
amendments to CEC on humanization and conditions of detention and draft law on
amendments to Article 93 of CEC).

6. The intention of excluding application of life imprisonment to women envisaged by


the relevant draft amendments are worth being specifically mentioned as the
development setting up best practices in terms of limiting its application and
introducing higher standards reflecting their vulnerability and other particularities, as
well as overall humanization of the criminal justice system.

7. The comments skip to address any other issues and points save for those concerned by
the Package. At the same time, taking into account the fragmented character of the
proposed amendments it is assumed that they will be followed by further
improvements aiming more comprehensive and in-depth reform of the penitentiary
system and related legislation.

8. In terms of conceptual deficiencies of the proposed Package it is to be underlined that


it omits to introduce similar improvements (where applicable, e.g. procedural
guarantees and fairness of applying incentives and punishments) for other categories
of convicts serving sentences amounting to deprivation of liberty, in particular: arrest,
restriction of freedom, and in military battalion.

Article by Article analysis of the draft laws2


C.1 Draft law on amendments to CEC on penalties and incentives
Article 130. Incentives imposed on persons serving custodial sentence
9. The wording of the last paragraph of its part 1 listing the additional rights is confusing
since it can be understood that clothes, household and prime necessity articles are
available to convicts only as incentives.
10. Moreover, for the purposes of specifying analogous parameters of living conditions
and regime, instead of the term ‘right’ it is advisable to use, where possible and
appropriate, more nuanced terms ‘benefit’ or ‘entitlement’ (if available in Ukrainian).
It would differentiate between them and reinforce the concept of inmates’ and human
rights in general.

Article 131. Procedure of imposing incentives on persons serving custodial sentence

1
See paras. 17-23 of the current comments below.
2
See above para. 2 of the current comments.
578

11. Notwithstanding the evident educational effects of communicating application of


incentives, examples of positive behaviour to other inmates, it should be reconciled
with private life and personal security considerations of the inmates concerned. For
these purposes the envisaged by part 9 possibility to ‘circulate [an application of
incentive] in local wall newspapers, spread [it] on radio and meetings of convicted,
deliver [it] to relatives’ should be conditioned by the inmate’s consent.

Article 131 1. Definition of breach of discipline


12. As suggested, an introduction of the notion of disciplinary violation, which narrows
the grounds for imposing disciplinary punishments, is an important guarantee of
limiting arbitrariness in their application.1 At the same time, the proposed wording that
refers just to ‘non-performance of assigned duties or imposed restraints’ can be read as
extending to any of them, including arbitrary or illegitimate restraints and duties.
Therefore, the definition should specify their lawfulness or otherwise allude to their
legitimacy. Moreover, it would be preferable in addition to or instead of the terms
‘duties’ and ‘restraints’ to operate with the wording referring to ‘requirements
applicable to the inmate concerned’.

Article 132. Penalties imposed on persons serving custodial sentence


13. The new introductory sentence of part 1 of this Article mirrors the discussed wording
of Article 131 1 and equally refers to ‘non-performance of assigned duties or imposed
restraints’. It should be amended in line with the relevant recommendation
accordingly.2

Article 135. Penalties imposing procedure


14. Unlike the draft amendments to the law on Preliminary Detention, the CEC still omits
to regulate the procedures and overall framework of preliminary placement of convicts
in punishment cells, i.e. prior to taking a decision by the disciplinary committee.3 At
the same time, it is the crucial period in terms of vulnerability of those placed and lack
of guarantees against its abusive application, ill-treatment and other violations.
Although the matter is regulated in other normative acts, it would be advisable to
introduce relevant detailed provisions in the CEC accordingly.
15. Moreover, there are no reasons that would justify considerable difference between
disciplinary procedures for convicts and remand prisoners. In view of that it is
inexplicable why the draft amendments in issue, in particular to CEC on penalties and
incentives and Law on Preliminary Detention (Article 15) are at such variance in this
regard. It would be necessary to introduce basically uniform procedures for all
categories of persons deprived of their liberty. Analysis of the relevant amendments to

1
See para. 5 of the current comments above.
2
See para. 12 of the current comments above.
3
In Article 15 of this draft law it is envisaged that ‘[t]he head of the facility may transfer a detainee
who has severely infringed the detention regime into a punishment cell for up to three days until the
disciplinary commission makes its decision, if the detention regime was severely infringed in the state
of alcohol or drug intoxication, or through participation in a conflict situation or a fight’.
579

both laws suggest that both of them include important elements and provisions
(missing in the former or latter) and, therefore, it would be advisable to combine them
and develop a uniform comprehensive procedural framework for applying disciplinary
punishments to all categories of detainees.1

C.2 Draft law on amendments to CEC on humanization and conditions of detention


Article 8. Basic rights of convicts
16. The amendment to Part 1 provides for unspecified liability of prison officials for non-
fulfillment of their duty as to notification of rights to convicts. It would be advisable to
use more elaborated construction that would indicate it by analogy to those suggested
in the draft amendments to CEC on penalties and incentives (Part 8 of Article 135) or
law on Preliminary Detention (in the last paragraph of Article 15).

Article 93. A place of serving the sentence by convicts


17. Although the amendments in issue correspond in basic aspects to the specific draft law
on amendments to Article 93 of CEC, there are considerable differences between
them. They have to be reconciled. In particular, due to the possibility of having several
establishments in the same regions (‘oblasts’), and more importantly due to their size,2
the criterion of ‘administrative territorial entity’ for allocation of inmates to the
colonies suggested in the former is less specific and less appropriate than ‘the nearest
establishment’ introduced in latter. Moreover, the former is devoid of additional
criteria that are suggested in the latter by the ‘the second nearest’ rule.
18. At the same time, by using the word ‘application’, Part 1 of the version suggested in
the draft law under consideration particularizes the written form of convict’s consent.
The word ‘wish’ used in the text of the draft law on amendments to Article 93 of CEC
lacks clarity in this regard.
19. Part 2 of the former version is worth retaining, including due to the provision on
consequences of removing the grounds for lifting the criterion of allocation of convicts
and spelling out the obligation of transferring the convicts back accordingly.
20. In terms of formulation of grounds for lifting the criterion of allocation of convicts, by
referring to Articles 10 and 101 of the CEC, the text of the Draft law on amendments
to Article 93 of CEC makes relevant provisions more specific and is preferable,
therefore.
21. The version of the Draft law on amendments to CEC on humanization and conditions
of detention omits such grounds as change of a correctional facility type and
liquidation or re-profiling of a correctional facility, which are rightly introduced in the
Draft law on amendments to Article 93 of CEC.
22. The grounds concerning overcrowding of the place of executing punishment and
separate placement of the persons who were convicted under the same sentence are
equally missing in the version of the Draft law on amendments to CEC on
humanization and conditions. However, they would require further specification

1
For further details see below the part of the current comments concerning the amendments to Article
15 of the Law on Preliminary Detention.
2
On many occasions the place of residence of the convict or his relatives could be territorially closer
to an appropriate establishment, which however will be located in a different administrative region etc.
580

concerning chronological priority for the purposes of selection of convicts to be


transferred to another establishment. Without this addition the clause would leave it up
to the administration’s discretion, which from the convicts concerned to leave and
move out. At the same time, it should be noted that a conviction ‘under the same
sentence’ should not be automatic and apply in case of existing or risks of conflicts to
be assessed by the penitentiary administration.
23. The provision of Part 3 suggesting that ‘such transfer is also possible by the
application of . . . relatives in connection with the change of the place of residence, or
existence of other circumstances which influence the possibility to maintain socially-
useful ties by a convict’ omits the clause concerning the convict’s consent. Without it,
such transfers would require just a request of unspecified range of relatives.

Article 110. Meetings of convicts with relatives, lawyers and other persons. Phone
conversations
24. The amendment to Part 1 suggesting that short-term meetings shall be granted with
relatives or other persons in the presence of a representative of the correctional facility
disregards the ECtHR case law and its specific judgments against Ukraine. In
particular, by lifting this restriction only towards women meeting with their children,
it conflicts with the ECtHR finding that the presence of a prison officer affects
intimacy of the meetings without any justification, i.e. under rigid regulations and
without possibility for individualisaion (as in the suggested version), violates Article 8
of the ECHR.1 There is a need to reverse the rule and envisage that the visits are
carried out without an immediate presence of custodial staff or other representatives of
the administration, that in case of sufficient grounds (outlined in para. 2 of Article 8 of
the ECHR) could be lifted and specific visits arranged under gradual levels of
monitoring: out of earshot, but under visual control / under video monitoring up to
physical presence of custodial staff and partition or limiting them to specific persons. 2
In principle, the basic facets of a balanced approach are suggested in the explanatory
note to and amendments to the Law on Preliminary detention (in particular its Article
12).3
25. The amendments to Part 3 address the arrangements for formalizing engagement of a
lawyer. They do not concern the provisions as to conditions of meeting between
convicts and lawyers providing legal aid to them. However, since the authorities
intend to introduce certain improvements with regard to meeting of lawyers, the
consultant considers it necessary to recommend that the draft law is advanced
accordingly. In particular, the existing norm envisages that convicts just can4 meet
their lawyers or other persons providing legal aid to them in private. At the same time,
in instances when convicts meet their lawyers (advocates) for the purposes of handling
criminal procedures against them the relevant provisions of the CPC (providing for the
confidentiality of such meetings) should have precedence. Thus, it would be advisable
to specify it in Part 3 of the Article in issue.

1
Trosin v. Ukraine, Judgment of 23 February 2012, application no. 39758/05, para. 46.
2
See Messina v. Italy (no. 2), ECtHR judgemnt of 28 September 2000, application no. 25498/94,
paras. 62-74.
3
See, however, paragraphs of the current comments below that concern amendments to Article 12 of
the Law on Preliminary Detention.
4
Emphasis added.
581

26. Moreover, in line with the CPT relevant standards,1 prison authorities should be under
an obligation to secure confidentiality of meetings of convicts with their lawyers
(upon their specific request), when they concern allegations of ill-treatment or other
serious human rights violations.
Article 116. Health service support of the convicts sentenced to imprisonment
27. The amendments to Part 3 concerning force feeding of convicts do take into account
the ECHR and CPT standards and further them by introducing judicial control and
related possibilities for legal recourse, as well as specifying the criteria of medical
necessity. At the same time, the regulation would benefit from further improvement by
providing for a general requirements as to ensuring suitable conditions corresponding
to the medical nature of the measure and the methods used to execute force-feeding.
The provision could also specify that it should not be unnecessarily painful and
applied with skill and minimum force and, more generally, that force-feeding should
infringe the physical integrity of the hunger striker as little as possible, as well as that
any resort to physical constraint should be strictly limited to that which is necessary to
ensure the execution of the force-feeding and such constraint should be handled as a
medical matter.2
28. Newly introduced Part 6 concerning a breach of medical confidentiality could benefit
from using more elaborated construction specifying the nature of possible liability. 3
29. Newly introduced Part 7 introducing additional guarantees of medical confidentiality
and privacy of medical treatment of female convicts is a welcome development.
However, the provision suggesting that ‘only medical personnel shall be present
during the medical check, except for the cases when the doctor considers that the
circumstances are exceptional, or when the doctor asks an employee of an institution
of punishment execution to be present as an observer for the security reasons or by the
wish of a convict’ fails to take into account the two important aspects of the relevant
international standards. Firstly, medical examinations (initial or subsequent, carried
out for the therapeutic purposes or identification of signs of ill-treatment) should be
conducted out of earshot and (unless the doctor expressly requests otherwise) out of
sight of non-medical staff. Secondly, if medical examinations are to be carried out
under the described level of presence of non-medical staff as well as any strip search
arrangements should involve officers of the same gender.4
30. In general, the CEC would benefit from specific provisions reflecting the discussed
overall standards on access to a doctor and medical screening concerning all inmates
and not only women.

C.3 Draft law on amendments to Article 93 of CEC

1
12th General Report on the CPT’s activities, CPT/Inf (2002) 15, para. 41; paras. 18- 25 of its
21stGeneral Report [CPT/Inf (2011) 28.
2
See the CPT’s Report on the visit to Spain from 14 to 15 January 2007, CPT/Inf (2009) 10, paras. 14-
24.
3
See para. 15 of the current comments above.
4
Mehmet Eren v. Turkey, Judgment of 6 April 2004, application no. 21689/93, para. 355; Salmanoglu
and Polatas v. Turkey, Judgment of 17 March 2009, application no. 15828/03, para 85. 12th General
Report on the CPT’s activities, CPT/Inf (2002) 15, para. 42.
582

31. The amendments suggested in this draft law are to be reviewed in the light of
comments made with regard to the version of the same Article introduced in Draft law
on amendments to CEC on humanization and conditions of detention.1

C.4 Draft amendments concerning access to courts


(CPC) Article 537. Issues which are settled by the court during execution of sentences
32. Taking into account that the proposed amendments extend this article to remand
prisoners and serving detention in relevant establishments, there is a need to amend its
title accordingly. Even in the amended version it refers to execution of sentences.
33. Newly introduced Part 8 suggests too general provision on incorporation of
administrative procedure norms into the CPC and thus which makes it evidently
controversial. Besides that, it would create difficulties with its implementation in
practice. Thus, it is preferable to develop an extended provision with specific
references to particular articles or parts of legal acts regulating administrative
procedure that are to be applied.

C.5 Draft amendments to the law on Preliminary Detention


Article 9. Rights of Detainees
34. The newly introduced subparagraph provides for a notification of rights, which
include access to a lawyer and to medical treatment. It is formulated in line with the
CPT standards requiring both their explanation and handing out them in writing.
However, firstly it should be mentioned that the newly introduced provision
specifying some of the rights to be notified to the detainees omits to list the safeguard
of access to a doctor for the purposes of medical screening (and not only for medical
treatment as suggested in the proposed amendment).
35. Although the set of the safeguards against ill-treatment are to be applied from the
outset of deprivation of liberty, i.e. since the very beginning of police custody, they
are to be reinforced by duplication on arrival of detainees to remand prisons that are
not under police authority. Therefore, the Law in issue and in particular Article 9 that
deals with the rights of detainees should envisage the set of the safeguards against ill-
treatment in full. Besides the notification of the rights and access to a lawyer and
doctor, it includes the right to notify any third party of the fact and place of detention.
Taking into account that the new CPC has incorporated advanced international
standards on the rights in issue, this could be easily addressed by a reference to its
relevant provisions (articles). At the same time, the Law in issue could benefit from
incorporating more detailed provisions reflecting the CPT standards as to the
safeguards concerned.2

Article 12. Visits of Detainees

1
See paras. 17-23 of the current comments above.
2
See paras. 40- 44 of its 12thGeneral Report [CPT/Inf (2002) 15]; paras. 18- 25 of its 21stGeneral
Report [CPT/Inf (2011) 28]; paras. 71- 84 of its 23rdGeneral Report [CPT/Inf (2013) 29].
583

36. The proposed amendments rightly envisage a possibility of introducing targeted


restrictions that concern specific persons. However, by suggesting that limitations
‘may determine’ persons to whom they apply, it leaves it up to discretion of
investigators and courts whether to limit them to particular persons or introduce a
general ban. At the same time, the proportionality principle inbuilt in paragraph 2 of
Article 8 of the ECHR, evidently requires that where the legitimate interests specified
by it can be secured by introducing a targeted ban, it should and not just may be
limited accordingly. It is worth noting that the similar provision as to restrictions with
respect of telephone calls suggested for Article 13 operates with the word ‘must’.
37. It would be desirable to specify that appeal avenues against visiting restrictions
include judicial control that is to be introduced by the draft amendments concerning
access to courts, in particular to Article 537 of the CPC.
38. The proposed Draft Law does not intend to amend the current provision that ‘the
duration of a visit shall be from 1 hour to 4 hours’ leaving it up to the administration
to decide on time slots allocated for particular visits. It would be desirable, therefore,
to suggest some indications or criteria in this regard. The factors to be taken into
account include availability of visiting facilities on specific dates, in specific prisons,
number and category of visitors etc.

Article 13. Correspondence and telephone conversations of detainees. Procedure for


submitting complaints, statements and letters
39. Similarly,1 it would be desirable to specify that appeal avenues against restrictions on
telephone calls and other limitations envisaged by this article include judicial control
that is to be introduced by the draft amendments concerning access to courts, in
particular to Article 537 of the CPC.
40. In principle, the amendments introduce the presumption in favour of confidentiality
of detainees’ correspondence and envisage relevant exceptions. At the same time there
are number of deficiencies in terms of legislative technique and clarity of the
framework. Firstly, it is unclear whether the provision that ‘correspondence may be
checked only in presence of the detainee’ applies to physical examination of enclosure
of envelopes without reading the content or it is more general rule applicable to all
instances of censorship. If the former is widely applied at the moment of submitting
envelopes for sending them out or handing them over to detainees, the latter would be
an advanced arrangement, which, however, would be difficult to comply with.
41. The provisions suggesting that any complaints, statements, proposals and letters that
contain any information the disclosure of which may impede the criminal proceedings,
shall not be sent to the intended addressee and shall instead be submitted for
consideration to the person or body in charge for the criminal proceedings, and this
shall be notified to the detainee and the public prosecutor supervising legal
compliance during pre-trial investigation is in substance contradicting the subsequent
absolute ban. It rightly stipulates that any complaints, statements, proposals and other
letters addressed to state authorities, institutions and state organisations shall not be
subject to review. However, taking into account that complaints, statements, proposals
are normally sent to state institutions, it is unclear how these two provisions can be
reconciled. The former would suggest that prison administration is obliged to control

1
See para. 37 of the current comments above.
584

the content of complaints, statements, proposals are normally sent to state institutions
and make the latter provision meaningless. Moreover, the ground of impeding
criminal proceedings is too loose and open to unfettered interpretation that can easily
be extended up to allegations of different, including human rights, violations, motions
that can be viewed as complicating investigation and so on. This arrangement can lead
to serious abuses by providing relevant opening to prison, investigating or prosecuting
authorities. Thus, it should be up to respective institutions and not prison
administration or investigators or a body in charge of criminal proceedings to handle
them and channel them for further consideration, if necessary. The suggested rule has
to be changed accordingly.
42. Furthermore, prison authorities can be entitled to intercept and subject to censorship
detainees’ correspondence only on the grounds of ensuring security, order and other
legitimate interests related to functioning of penitentiary establishments. All other
grounds, in particular concerning procedures against remand prisoners, would require
application of the framework envisaged by the CPC.
43. The amendments concerning telephone conversations of detainees lack provisions as
to privileged categories of contacts (similar to those introduced for written
correspondence), i.e. relevant lawyers, specific state institutions etc.

Article 15. Sanctions that may be imposed on detainees


44. As suggested, neither the amendments to this Article introduced in the Draft Law in
issue nor corresponding amendments to CEC1 provide for a comprehensive framework
of disciplinary procedures against remand prisoners or convicts. For the purposes of
developing of a uniform (in basic terms) framework it would be necessary to combine
appropriate provisions suggested in both draft laws. For these reasons it could be
suggested that in addition to the provisions of amendments in issue it is to incorporate
the important elements suggested in the relevant amendments to CEC, including a
definition of disciplinary violation; written form of imposition of a disciplinary
penalty; some form of disciplinary investigation; composition of the disciplinary
committee; more elaborated provisions on legal assistance; provision of necessary
information as to advancement of the procedures and copies of the documents to the
inmate concerned; specific appeal avenues; and liability for abuses and violation of
disciplinary framework by prison authorities/individual officers.

C.6 Draft amendments concerning women


45. The draft amendments in issue do not raise any particular concerns.2

Conclusion
46. Provided they are advanced in the light of the recommendations suggested in the
current comments, the proposed amendments do not otherwise contradict rule of law,
human rights and other international standards and would certainly introduce
fragmented, but important improvements to the legal framework in issue and could be

1
See para. 15 of the current comments above.
2
See para. 6 of the current comments above.
585

seen as a positive step in reforming the penitentiary system and criminal justice in
Ukraine.
586

ANNEXE n° 2 (continuation)

FURTHER SUPPORT TO
PENITENTIARY REFORM
IN UKRAINE
Legal/Technical Analysis on Issues Related to the Execution of Criminal
Sanctions

John McGuckin
August 2015

Report
587

Report:

The Ukrainian Parliamentary Sub-Committee on Penitentiary Matters regularly convenes all


interested actors on issues of penitentiary reform and humanisation of imprisonment. As a
result of such meetings, 6 drafts were submitted and went through the internal parliamentary
expertise. In order to make sure that the draft laws are consistent with the European
standards, the Chair of the Sub-Committee requested the Council of Europe to provide
analysis of the drafts.

The Criminal Executive Code of Ukraine and accompanying justification documents and
comparative tables were provided and I have been asked to review the amendments to six
Draft Laws registered in the Ukrainian Parliament for further due procedure. I have been
requested to analyse the draft amendments with a view on their compatibility with the
Council of Europe recommendations, the CPT standards, and the case law of the European
Court of Human Rights and European best practices and provide a written opinion on the 6
draft amendments and recommend possible changes aimed at addressing any weaknesses or
shortcomings identified.

The document s provided were:

Draft Law 2251a (with justification and comparison table)

Draft Law 2252a (with justification and comparison table)

Draft Law 2253a (with justification and comparison table)

Draft Law 2254a (with justification and comparison table)

Draft Law 2255a (with justification and comparison table)

Draft Law 2291a (with justification and comparison table)


588

The proposed amendments were read in conjunction with:

The ‘Criminal Executive Code of Ukraine: Section III: Execution of Sentence in form of
Imprisonment’ (as of 14.05.2015),

Rec(2006)2 the European Prison Rules

Rec(2008)11 on the European Rules for juvenile offenders subject to sanctions or


measures

R(99)19 concerning mediation in penal matters

R(89)12 on education in prison

R(82)17 on the custody and treatment of dangerous prisoners

R(2003)23 on the management of life-sentenced and other long-term prisoners.

R (98) 7 concerning the ethical and organisational aspects of health care in prison

Coyle, A.(2009) A Human Rights Approach to Prison Management. 2 nd Edition. London.


ICPS.
CPT/Inf/E (2002) 1 - Rev. 2015 (CPT Standards)

CPT Standards of “Health care services in prisons” and

CPT 3rd General Report [CPT/Inf (93) 12]

van Zyl Smit, D. & Snacken, S. (2009) Principles of European Prison Law and Policy
Penology and Human Rights. Oxford. UP

Various CPT reports to Ukraine

WMA - Declaration on Hunger Strikers

Factsheet – Detention conditions and treatment of prisoners July 2015. ECHR


Various cases heard by European Court of Human Rights (assessed:
http://hudoc.echr.coe.int/eng...)

Each draft law will be analysed and report written under the headings of

Introduction,

Analysis,

Conclusions, and
589

Recommendations, for each individual law.

Draft Law 2251 a - on improving the procedure of imposing incentives and penalties on
convicted
Introduction.

Draft Law 2251 allows for amendments to the Criminal Execution Code of Ukraine which are
aimed to regulate the procedure of imposing incentives and penalties on prisoners. The
amendment is proposed as analysis had shown that penalties were the core method of
influence while applied incentives have reduced. The analysis indicated that the number of
imposed penalties and their severity have increased. The legislation recognised that this
undermines the procedure of applying incentives and penalties and is adverse to a
rehabilitative regime.

Analysis.

Article 130. Incentives imposed on persons serving custodial sentence: This article
provided ‘encouragement’ and grading for working which include a certificate of
appreciation, money bonus, transfer to improved conditions and additional ‘rights’ (at
convicted discretion) e.g clothes, basic amenities, articles of daily necessity; additional short-
term or long-term visit; facility leave for visiting relatives within the period of 7 days.
Article 131: Addresses the procedures of applying the incentives. It recognised that the
purpose of the incentives is to exercise educational effect, based on objective evaluation of
conduct, attitude toward labour and study. It is proposed that only 1 of the listed incentives be
granted. The article amendment proposes that the money bonus shall be added to salary and
transferred to the prisoner’s personal account or sent to relatives upon request.
One additional short-term or long-term visit may be granted
Provision of additional outdoor recreation for those on restricted regime
As a general rule, only one previously imposed penalty could be removed.
The article amendment states that the administration is obliged to provide monthly reports
which must be recorded in the prisoner’s individual socio-educational programme and
acknowledged by the prisoner. Information on individual incentive awards may be circulated
on notice boards, radio and relatives informed.

Article 132: addresses penalties imposed on prisoners for breaches of prison discipline.
The penalties which can be imposed are:

Written warning;
590

Reprimand;

Severe reprimand;

Monetary fine up to 2 minimum earnings;

Cancel of improved detention conditions;

Cancel of additional right; including up to 15 days in disciplinary ward (10 for females),

Isolation ward, without been brought out to work for the period of 15 days;

Ward-type Room (solitary confinement cell) for a period of three months.

Article 133: defines the ‘Regime gross violation’ which includes:

Not complying with administration legitimate demands,

Unreasonably gives up labour (no less than three times during a year);

Drinks alcohol,

Uses drugs, or other intoxicating substances;

Manufactures, stores, buys, distributes prohibited articles;

Gambling

Disorderly conduct;

Evades medical treatment of a disease that endanger other people’s health.

Article 134: lays out the procedures of imposing penalties and notes that penalty imposed
should be recorded in writing. The procedure required that the administration shall
immediately initiate an investigation on discovering a breach of prison discipline. The
investigation shall also llook at the previous conduct of the prisoner and number, if any of
previous penalties imposed. The investigation shall seek an explanation from the prisoner for
the suspected breach of prison discipline.

At the conclusion of the investigation – cumulating of a hearing by the ‘Facility Disciplinary


Committee’ – the decision shall be made if penalties will be imposed. If the prison
determines any other prevention measures (in addition to or instead of penalties) this shall be
recorded in the prisoner’s individual socio-educational programme, brought to his/her
attention and a written acknowledgement received.

Article 135: outlines the composition of the ‘Facility Disciplinary Committee’ (Governor,
591

Deputy Governor and Head of Facility Service) and Penalties imposing procedure. The
‘Facility Disciplinary Committee’ will hold the hearing into an alleged breach of prison
discipline. Others may attend to give witness statements. The prisoner must attend. The
prisoner shall be given at least 3 days’ notice of the time and place of the committee meeting.
The prison administration should provide help in obtaining documents and records on the
alleged breach of prison discipline. Prisoner has a right to a lawyer. If the prisoner has no
access to a lawyer the administration shall ensure his access to the bodies that provide legal
assistance. The Head of Department of social-psychological service is the presenting officer
of the disciplinary hearing and there is a right to appeal to highest governing body or court.
The article notes that ‘executives imposing incentives and penalties shall be subject to
personal liability. Should violations on deciding of application or non-application of
incentives and penalties be discovered, the guilty are subject to disciplinary responsibility, if
elements of administrative offence or crime are present in acts of such person, it shall be
subject to certain responsibility’.

Article 145: pertains to penalties imposing on minors and notes that the procedures are the
same as provided for in Article 135 of this Code.

Article 146: provides the scope for Supervisors for rewarding incentives and imposing
sanctions on minors. Incentives are:

Acknowledgement;

Early relief from previous sanctions

Sanctions are:

Warning and Reprimand.

Article 131-1. Provides the definition of a breach of prison discipline as ‘a wrongful guilty
act or omission threatening execution of sentence resulted in damage by non-performance or
improper execution of implied duties, violation of bans or restrictions’. The prison must
present evidence that the breach of prison discipline has occurred. Absence of such elements
shall exclude the imposition of sanctions.

Article 131-2. Notes the circumstances where disciplinary sanctions will not be imposed.
These are where the person responsible was acting in a state of extreme necessity or under the
influence of moral or physical coercion.

Conclusions
592

The purpose of this amendment aims to regulate the procedure for providing incentives for
good behaviour and imposing sanctions for breaches of prison discipline. The amendment is
as a result of analysis which shows a tendency to control behaviour by imposing sanctions, a
practice which has shown to have increased and the levels of sanctions more severe. The
legislation recognised that this undermines the procedure of best practice in applying
incentives and sanctions. In principle the amendments achieve the aim of the draft law to
contribute to the protection of rights and legitimate interests of prisoners, humanise
conditions of detention and are in line, in principle, with standards for the treatment of
prisoners.

Recommendations

General Recommendations: Terminology: Accepting it may be a matter of translation or


phraseology, it is recommend that the wording be changed to show that that ‘incentives’ are
‘rewarded’ and not ‘imposed’ and that the terms ‘punishment’ and ‘penalties’ be replaced
with ‘sanctions’

Article 130. Incentives imposed on persons serving custodial sentence: It is strongly


recommended that the term ‘additional ‘rights’ be changed to ‘additional privileges’ there is
an important distinction between ‘rights’ and ‘privileges’ in a prison setting. From my
reading, it appears that the prisoner has discretion which additional privilege they will be
rewarded. This is very positive.
Article 131: Addresses the procedures of applying the incentives. It is recommended that in
section 5 it should stipulate the actual (or minimum) ‘additional time in the open air’ for
restricted regime prisoners. The requirement on prison administration to record monthly
reports in the prisoner’s individual socio-educational programme could be used as a strong
basis for the introduction of structured sentence management.
Article 132: addresses penalties imposed on prisoners for breaches of prison discipline.
Cancel of improved detention conditions – this sentence needs clearer clarification – does it
imply the removal of previously granted additional privileges or the removal to a more
restricted regime? In relation to sanctions of: up to 15 days in disciplinary ward (10 for
females), : Isolation ward, without been brought out to work for the period of 15 days; Ward-
type Room (solitary confinement cell) for a period of three months - It should be noted that
the trend in Europe is towards lowering the maximum period for which solitary confinement
can be imposed as a disciplinary sanction. The CPT considers that the maximum possible
period of solitary confinement as a punishment should be no higher than 14 days, and
preferably lower. Solitary confinement can have an extremely damaging effect on the
593

physical, mental and social health of prisoners, and that damage is likely to increase the
longer the measure lasts. The EPR (60.5) state that solitary confinement shall be imposed as a
punishment only in exceptional cases and for a specified period of time, which shall be as
short as possible. EPR 43.3 also notes that a medical practitioner shall report to the director
whenever it is considered that a prisoner's physical or mental health is being put seriously at
risk by … any condition of imprisonment, including conditions of solitary confinement. It is
recommended that this stipulation be incorporated into the amendment.

The wording ‘cancel of additional right’ should be changed to ‘cancel of additional


privileges’ (as per comments under Article 130). Irrespective of removal of any privileges –
contact with the family should be maintained, so a specified number of short term visits and
phone calls and letters should be permitted, irrespective of the removal of any privileges. The
privileges which can be removed as a sanction should be articulated as the duration of the
removal/restriction of privileges should not be ‘open ended’ and the duration of the removal
of restriction should be articulated, e.g. loss of use of own clothes for up to 10 days etc.

Best practice requires recognition of the principle of proportionality in relation to the sanction
imposed on any breach of prison discipline. It is recommended that the national authorities
issues ‘Guidelines on the imposition of sanctions for breaches of prison discipline’. These
guidelines would indicate levels of seriousness of breach and appropriate level of sanction.
(Note –I can provide an example of such guidelines which I compiled for the Irish Prison
Service if required)

Article 133: defines the ‘Regime gross violation’. In the Criminal Execution Code of
Ukraine: Section III Execution of Sentences in form of Imprisonment - Article 107. Rights
and obligations of prisoners. Para 1 and 2 determine what prisoners may do, Para 3 determine
what prisoners are obliged to do and Para 4 stipulates what prisoners may not do. These
paragraphs should form a ‘Schedule of Breaches of Prison Discipline’ Again the principle of
proportionality should ensure that no excessively punitive sanction should be imposed on an
individual simply because they have breached prison discipline on numerous other occasions.
It is acceptable that additional administration actions may need to be taken but it is important
that these are not ‘tied in’ with a sanction. Only sanctions as listed in proposed Article 132
can be imposed.

Article 134: lays out the procedures of imposing penalties. The procedure laid out is robust.
Under para 16 any ‘additional preventative measures’ (in addition to or instead of penalties)
should not form part of the disciplinary hearing and should be dealt with as a separate issue.
594

Nothing should prevents the governor taking immediate provisional or protective measures to
maintain order and discipline or prison security.

Article 135: lays out the procedure for the ‘Facility Disciplinary Committee’ and the hearing
into the alleged breach of prison discipline. It is recommended that the following be
incorporated into the procedure:

 As far as is reasonably practicable, a prisoner to whom an allegation relates shall not


be escorted to or from the hearing by the prison officer who made the allegation.
 The prisoner shall be entitled to sit or stand as he or she wishes.
 The prisoner shall be entitled to be told what is alleged against him or her and to hear
or be given an opportunity to examine or have explained to him or her any evidence
given or submitted in support of an allegation that he or she committed a breach of
prison discipline.
 The prisoner shall be entitled to reply to any allegation that he or she has committed a
breach of prison discipline and, with the consent of the Facility Disciplinary
Committee, to call a witness to give evidence. A prisoner shall give notice prior to the
commencement of the hearing of a witness he or she wishes to call to the inquiry. (The
Facility Disciplinary Committee shall not withhold their consent unless they are
satisfied, upon reasonable grounds that the evidence that the witness would propose to
give would be of no assistance in furthering the hearing)
 A prisoner to shall be entitled to make a plea in mitigation to the Facility Disciplinary
Committee before they imposes any sanction.
Para 4 notes : A person serving custodial sentence, should be informed on time and place of
the committee meeting no less than 3 days prior to its been held. It is recommended that the
prisoner should be informed within 24 hours of an allegation of a breach of prison discipline
against him and provided in writing details of the alleged breach.

Timelines should be determined for the hearing – the hearing should take place not later than
the day falling seven days after the report of an alleged breach has been submitted, unless the
Governor upon reasonable grounds is of opinion that more time is required to enable the
hearing to be conducted effectively. This should be recorded.

Right to appeal to highest governing body or court: It is recommended that on the imposition
of a sanction the Facility Disciplinary Committee shall explain in ordinary language to the
prisoner concerned the right to appeal. The right of appeal should be both on the finding or
sanction or both finding and sanction. A time limit should be set to initiate the appeal.
595

Para 8 notes that ‘executives imposing incentives and penalties shall be subject to personal
liability. Should violations on deciding of application or non-application of incentives and
penalties be discovered, the guilty are subject to disciplinary responsibility, if elements of
administrative offence or crime are present in acts of such person, it shall be subject to certain
responsibility’. While this is a very important provision, its inclusion in this section of the
article is questionable. It would be more appropriate to have it in Articles dealing with duties
of prison Governors or duties of prison staff.

Article 145: pertains to penalties imposing on minors and notes that the procedures are the
same as provided for in Article 135 of this Code. Comments as per Article 145. In addition,
irrespective of any legal representation, facilities for an ‘advocate’ for a minor should be
considered.

Article 146: as per previous comments. It is noted that the only sanctions which can be
imposed on minors are a warning or reprimand. While this principle is admirable, in practice -
further sanctions, as under Article 132, but of a more minor nature should be considered.
Without addition sanctions a danger that ‘additional preventative measures’ could be used as
punishment or unofficial sanctions imposed. It is safer to have a list of sanctions articulated
and not necessarily imposed.

Article 131-1. Provides the definition of a breach of prison discipline as ‘a wrongful guilty
act or omission threatening execution of sentence resulted in damage by non-performance or
improper execution of implied duties, violation of bans or restrictions’ As previously
mentioned the Criminal Execution Code of Ukraine: Section III Execution of Sentences in
form of Imprisonment - Article 107. Rights and obligations of prisoners. Para 3 determine
what prisoners are obliged to do and Para 4 stipulates what prisoners may not do. It is
recommended that these paragraphs should form a ‘Schedule of Breaches of Prison
Discipline’ and the principle that ‘everything which is not forbidden is allowed’ should form
the basis of the schedule.

Article 131-2. Notes the circumstances where disciplinary sanctions will not be imposed -
Person, acting in a state of extreme necessity, under the influence of moral or physical
coercion should be eliminated of disciplinary responsibility. An admirable principle but this
needs to be articulate more clearly to ensure it cannot be used as a rational not to act on a
breach of prison discipline. It may be more prudent to hold that the ‘Facility Disciplinary
Committee’ will not impose a sanction if they are satisfied that the prisoner was acting in a
state of extreme necessity, under the influence of moral or hysical coercion.
596

European Prison Rules, Rule 57 (2):

National law shall determine:

a. the acts or omissions by prisoners that constitute disciplinary offences;

b. the procedures to be followed at disciplinary hearings;

c. the types and duration of punishment that may be imposed;

d. the authority competent to impose such punishment; and

e. access to and the authority of the appellate process.

While the above principles are covered in the draft law 2251, they need to be more specific in
certain areas (e.g. the authority of the appellate process, duration of punishment relating to
privileges etc.)

Draft Law 2252a - (as to humanization of the procedure and conditions of punishment
implementation)

Introduction.

This draft law seeks to enshrine basic prisoner rights into legislation, with the objective of
bringing the penal code in line with international standards in respect of prisoner transfers,
medical treatment, pension provision and right of women and minors in prison.

Analysis.

Article 8: addresses the basic rights of prisoners with the additional provision of a section
that that if the prison administration fails to fulfill its obligation to inform the prisoner on the
rights and obligations, procedure and conditions the respective official and the Governor or
the body of execution of punishment can be held liable.

Article 25: deals with public participation in rehabilitation and resocialisation of convicts
and broadens the scope of facilities where a ‘visiting committee’ can observe the rights of
prisoners.

Article 93. Concerns prisoner transfers. The draft law allows for the prisoner to request a
transfer to be closer to relatives. It also allows for transfer outside the local administrative
area on the ground of medical treatment, safety and administrative changes in prison
structure. Such transfers can also be facilitated at prisoner request to maintain social ties.
597

Article 94: deals with disruptive prisoners and changes the legislation. The previous
legislation allowed being kept in ‘reinforced control’ on very general grounds and from
committal. The proposed draft focus on prisoners who are determined to have committed
‘gross violations’ of breaches of prison discipline and are a risk to the safety of others.

Article 97. Articulates that the total duration of a person's stay in the section of
reinforced control shall not exceed six months. There was no stipulation in previous
legislation on length of stay.

Article 101. Transfer of convicts to the area of social rehabilitation, removes the section
which stated that pregnant women and the women who have children with them up to three
years old could not be granted such transfer.

Article 107. On the rights and obligations of convicts removes the provision to perform
necessary works on provision of amenities in the prison. It also articulates that certain actions
must be done willfully to constitute a breach of prison discipline. It also simplifies the no
smoking policy and keeping of animals.

Article 110. Visits and phone calls. Changes for section 1 allow for unsupervised short term
visits for women prisoners being visited by children. Section 3 is changed to require prisoners
to apply in writing for a meeting with a legal representative for the purpose of contract of
engagement and the representative to present identification documentation on arrival for visit.
Section 5 allows for a prisoner to make a phone call on committal.

Article 111. Short-term visits outside the prison provision is changed to include women
who are pregnant in addition to those who have children in children's homes for the purpose
of organizing a child's care by the relatives, guardians etc.

Article 116. Health service support of the convicts sentenced to imprisonment. The draft
proposes under section 3 that force feeding can only be permitted on a court order rather than
by a physician's opinion. The draft introduces 2 new sections. Section 6 allows for a physician
to be held accountable for breaches of medical confidentiality. Section 7 determines the
certain rights for women prisoners in relation to health care, including the right not to give
information on or under medical checks as to the history of her reproductive health. A woman
prisoner can request that she be seen by a woman physician and enshrines the principle of
medical confidentiality by stating that only medical personnel shall be present during a
medical check, except where the doctor or patient request otherwise.
598

Article 122. Deals with the provision of pension, pension contribution and entitlements.
Pension provision of the convicts sentenced to imprisonment. The amendment removes the
requirement that expenses of the representative of the pension board be paid from the pension.
The section also recognises work carried out while in prison as calculated for pension
purposes.

Conclusions.

The various proposed amendments in the draft legislation are, in principle, in line with
international standards.

Recommendations.

Article 8: addresses the basic rights of prisoners with the additional provision of a section
that that if the prison administration fails to fulfill its obligation to inform the prisoner on the
rights and obligations, procedure and conditions the respective official and the Governor or
the body of execution of punishment can be held liable. – Recommendation: there is a distinct
difference (in English) between the words ‘can’ and ‘will’. The wording here states ‘can be’,
a procedure needs to be in place to determine when and if the administration is held liable. In
English the word ‘shall’ is used to provider stronger emphasis, implying something must
happen rather than can happen. Also, as mention in 2251, Article 135, para 8 - While this is a
very important provision, its inclusion in this section of the article is questionable. It would be
more appropriate to have it in Articles dealing with duties of prison Governors or duties of
prison staff. .

Article 25: deals with public participation in rehabilitation and resocialisation of convicts.
And broadens the scope of facilities where a ‘visiting committee’ can observe the rights of
prisoners. – No additional recommendation.

Article 93. Concerns prisoner transfers. The draft law allows for the prisoner to request a
transfer to be closer to relatives. It also allows for transfer outside the local administrative
area on the ground of medical treatment, safety and administrative changes in prison
structure. Such transfers can also be facilitated at prisoner request to maintain social ties. -
No additional recommendation

Article 94: deals with disruptive prisoners and changes the legislation. The previous
legislation allowed being kept in ‘reinforced control’ on very general grounds and from
committal. The proposed draft focus on prisoners who are determined to have committed
599

‘gross violations’ of breaches of prison discipline and are a risk to the safety of others. See
comments under Draft Law 2251 Article 133

Article 97. Articulates that the total duration of a person's stay in the section of reinforced
control shall not exceed six months. There was no stipulation in previous legislation on length
of stay.

Recommendations for Article 94 and Article 97 proposed amendments –Nothing should


prevents the governor taking immediate provisional or protective measures to maintain order
and discipline or prison security. Just because a prisoner has committed a number of ‘gross
violations’ should not be the determinate for reinforced control. This decision should be
based on the behaviour and not the logistical or number of breaches of prison discipline
(which could be minor in nature). While understanding the rationale behind the amendment
that states the total duration of a person's stay in the section of reinforced control shall not
exceed six months, again, any decision should be based on objective facts and empirical
evidence rather than an arbitrary timeline. I would recommend that safeguards be put in place
as follows:

The Governor shall not give a directive for reinforced control unless information has been
supplied to the Governor, or the prisoner's behaviour has been such as to cause the Governor
to believe, upon reasonable grounds, that to permit the prisoner to so engage, participate or
associate would result in there being a significant threat to the maintenance of good order or
safe or secure custody.

The period of reinforced control shall not continue for longer than is necessary to ensure the
maintenance of good order or safe or secure custody.

While the directive for reinforced control is in force, the Governor shall review not less than
once in every 14 days the directive for the purposes of determining whether, having regard to
all the circumstances, the direction might be revoked.

A prisoner in respect of whom a direction has been issued shall be informed (in writing) of
the reasons either before the directive is given or immediately upon its being given and shall
be informed of the outcome of any review.

The Governor shall make and keep a record of -

 any directive given under Article 94


 the period in respect of which the directive remains in force,
600

 the grounds upon which the directive was given,


 the views, if any, of the prisoner, and
 the decision made in relation to any review
The Governor shall, as soon as may be after giving a directive under Article 94, inform the
prison doctor, and the prison doctor shall, as soon as may be, visit the prisoner and thereafter,
keep under regular review, and keep the Governor advised of, any medical condition of the
prisoner relevant to the direction.

As the proposed legislation envisages a stay in the section of reinforced control shall not
exceed six months, it is recommended that safeguard be put in place along the lines of: The
Governor shall submit a report to the Director General including the views of the prisoner, if
any, explaining the need for the continued stay in the section of reinforced control under
Article 94 on grounds of order where the period of such removal will exceed six months.
Thereafter, any continuation of the extension of the period of removal must be authorised, in
writing, by the Director General.

Article 101. Transfer of convicts to the area of social rehabilitation, removes the section
which stated that pregnant women and the women who have children with them up to three
years old could not be granted such transfer. No additional recommendations.

Article 107. On the rights and obligations of convicts removes the provision to perform
necessary works on provision of amenities in the correctional facility. It also articulates that
certain actions must be done willfully to constitute a breach of prison discipline. It also
simplifies the no smoking policy and keeping of animals. No additional recommendations and
welcome clarity that acts of breaches of prison discipline must be willful. The simplification
of the no smoking policy adheres to the principle of what is not prohibited is allowed –
therefore all prisons must have a written smoking policy.

Article 110. Visits and phone calls. Changes for section 1 allow for unsupervised short term
visits for women prisoners being visited by children. Section 3 is changed to require prisoners
to apply in writing for a meeting with a legal representative for the purpose of contract of
engagement and the representative to present identification documentation on arrival for visit.
Section 5 allows for a prisoner to make a phone call on committal. It is assumed that the
children referred to in section 1 are the children of the woman, or children for which she
holds legal guardianship – does this need to be articulated? Section 5 is to be welcomed,
however, such phone call should not be dependent on the prisoner’s ability to pay cost of
phone call (if this is intended).
601

Article 111. Short-term visits outside the prison provision is changed to include women who
are pregnant in addition to those who have children in children's homes for the purpose of
organizing a child's care by the relatives, guardians etc. - No additional recommendations.

Article 116. Health service support of the convicts sentenced to imprisonment. The draft
proposes under section 3 that force feeding can only be permitted on a court order rather than
by a physician's opinion. The draft introduces 2 new sections. Section 6 allows for a physician
to be held accountable for breaches of medical confidentiality. Section 7 determines the
certain rights for women prisoners in relation to health care, including the right not to give
information on or under medical checks as to the history of her reproductive health. A woman
prisoner can request that she be seen by a woman physician and enshrines the principle of
medical confidentiality by stating that only medical personnel shall be present during a
medical check, except where the doctor or patient request otherwise.

The ECHR consideration on force feeding has been heard in Rappaz v. Switzerland -
73175/10, Decision 26.3.2013 [Section II], Horoz v. Turkey, no. 1639/03, 31 March 2009,
Information Note no. 117; and Nevmerzhitsky v. Ukraine, no. 54825/00, 5 April 2005,
Information Note no. 74). The ECHR had considered all relevant international
recommendations in relation to force feeding, including the European Prison Rules; R (98) 7
concerning the ethical and organisational aspects of health care in prison; Reports of the CPT
- CPT Standards of “Health care services in prisons” and CPT 3rd General Report [CPT/Inf
(93) 12]; Report of the CPT on a visit to Ukraine from 24 November to 6 December 2002;
Report of the CPT on a visit to Turkey [CPT/Inf (2001) 31]; World Medical Association -
Guidelines for Medical Doctors Concerning Torture and Other Cruel, Inhuman or Degrading
Treatment or Punishment in Relation to Detention and Imprisonment and World Medical
Association Declaration on Hunger Strikers. Section 3 of the proposed amendment appears to
be in line with the principles on force feeding.

Women prisoners have specific health needs which have to be recognised and attended to.
Wherever possible they should be attended to by women nurses and doctors and specialists in
women’s health care matters should be available for consultation. Section 7 of Article 116
goes some way towards this objective.

Article 122. Deals with the provision of pension, pension contribution and entitlements.
Pension provision of the convicts sentenced to imprisonment. The amendment removes the
requirement that expenses of the representative of the pension board be paid from the pension.
The section also recognises work carried out while in prison as calculated for pension
602

purposes. No further recommendations, proposed amendment enhances the normalization of


work in prison and pension entitlements.

Draft Law 2253a - improvement of guarantees of the right of convicts on serving


punishment according to the place of their residence before conviction or the place of
permanent residence of their relatives
Introduction.

The proposed amendment in Draft Law 2253a is conditioned by incompliance of national


legislation in relation to where a prisoner serving a life sentence should be detained. It is
considered that the national legislation is incompatible with standards of the European Court
of Human Rights and other standards of the Council of Europe, in particular to Article 8
rights to privacy and family life in the European Convention for the Protection of Human
Rights and Fundamental Freedoms.

Analysis.

Article 93. A place of serving the sentence by convicts amends current legislation by
permitting sentence to be served in a location (of corresponding security level) in a prison
closest to the prisoners previous residence or the permanent residence of his/her relatives. The
amendment lays out exceptions which are permitted.
Conclusions.

This amendment is prompted by ECHR Vintman v. Ukraine (Application No. 28403/05),


which established violations of article 8 of the European Convention, taking into
consideration that for a long period the prisoner was kept in a prison about 700 kilometers
from his place of residence and failed to secure his transfer closer to his home. The draft law
notes that circumstances of the Vitman's case is common and that a significant number of
complaints and requests by prisoners and their relatives are related to transfer to prisons as
close to their place of residence as possible. The granting of such requests is the exception
rather than rule. This draft law will be in line with the international standards. The draft law
makes exceptions to the rule for the purpose of: medical treatment; avoidance of
overcrowding of the specific prison, separate placement of persons convicted under the same
sentence and safety of the prisoner. The draft articulates that, in these cases the prisoner must
be kept in a prison, with the corresponding level of security, second nearest to the place of
residence before conviction or, by request the place of permanent residence of his/her
relatives. The provision of part 3 removing the ability to transfer a prisoner on the grounds of
603

"exceptional circumstances which are an obstacle to further imprisonment of a convict in that


correctional camp or juvenile correctional facility", is a good safeguard

Recommendations.

Article 93 is specific for life sentenced prisoners but is also supported by proposed
amendment in Draft Law 2252a on convicted persons. I am unsure of the justification for the
exception of: separate placement of the persons who were convicted under the same
sentence and the rational for this. In addition, what deciding factor will be used to determine
which ‘persons’ are facilitated under the amendment? Such allocation decisions should
generally be taken in a way that does not create unnecessary hardship for prisoners or their
families, including the children of prisoners, who need access to them. It is particularly
important that where security categories are used to allocate prisoners, the least restrictive
categories should be used, as high security imprisonment often brings with it, in practice,
additional hardships for prisoners

In relation to long sentenced prisoners, it should be noted that providing a possibility to serve
the term as close to the place of residence as possible is an indispensable part of the process of
promotion of social reintegration after release. This possibility, in its turn, is a requisite for
prevention of committing new crimes and, as a consequence, for safety and security of the
society. The fact that someone is serving life sentence does not necessarily mean they should
be placed in a particular prison or under a particularly restrictive regime (Rule 7 of
Recommendation R(2003)23 on the management of life-sentenced and other long-term
prisoners. See also: CPT's visit to Ukraine in September 2000 [CPT/Inf (2002)23]). Care
must be taken that this amendment – particularly the provision that prisoners are transferred to
prisons of ‘corresponding security’ - does not affect the long term sentence planning and
prerelease programme of a prisoner. Several years before the anticipated date of release most
long term prisoners will be suitable for transfer to a low security prison, there is a danger that
the provision will create some difficulty in this regard.

Draft Law 2254a - (as to humanization of criminal responsibility of women)


Introduction.

The bill intends to make changes to part two of article 64 of the Criminal Code of Ukraine
aimed at excluding a possibility of imposition of such severe type of punishment as life
imprisonment to women who committed a criminal offence. The rational recognises that a
substantial number of women sentenced to imprisonment for serious crimes of violence were
repeatedly exposed to violence themselves.
604

Analysis.

The amendment recognises that the circumstances of many crimes committed by women, the
severity of the harm inflicted and the comparatively low degree of danger of these women to
society provide grounds to assert that the existing system is rather severe and not objectively
justified in a number of cases.

Article 64. The proposed amendment to section 2 removes the stipulation to ‘women who
were pregnant when committing a crime or for the moment of imposition of sentence’ to
all women.

Article 18. Correctional facilities. The proposed amendment to Section 2 removes the
sentence which refers to women serving life sentences.

Article 150. Places of serving punishment in the form of life imprisonment. The proposed
amendment removes the reference in section 1 to women serving life sentences.

Article 151-2. Peculiarities of execution of punishment and serving the sentence by women
sentenced to life imprisonment – the amendment proposed deleting this section.

Conclusions.

While recognising principle of equality of convicted persons before the law, the proposed
amendment rightly recognised that this does not mean equality at imposition of their sentence,
conditions for servicing their sentence or equality in treatment. Treating women prisoners the
same as men is not tantamount to achieving equality of gender. Indeed, “the concept of
equality means much more than treating all persons in the same way. Equal treatment of
persons in unequal situations will operate to perpetuate rather than eradicate injustice”**.

**
Office of the High Commissioner for Human Rights, “Fact Sheet No. 22- Discrimination
against Women: The Convention and the Committee”, Geneva, undated as accessed at
http://www.ohchr.org/Documents/Publications/FactSheet22en.pdf

This proposed amendment is to be welcomed.

Recommendations

While this proposed amendment is to be welcomed, the Explanatory Note states that there are
currently 24 women currently serving a life sentence in Ukraine. The proposed amendment
will remove the safeguards and legislative regime which are currently in place for these
women and some appendix is necessary to ensure these women are not discriminated against
605

in relation to this improvement to the law. International standards recognise that since
women prisoners usually constitute a small minority of those serving long or life sentences,
their individual sentence planning should be carefully considered so as to meet their specific
needs.

Draft Law 2255a - regarding Improvement of Access to Justice for People Held in Pre-
trial Detention Facilities and Facilities for Execution of Punishment
Introduction.

This proposed draft law is deemed necessary due to ambiguity of practical aspects relating to
court jurisdiction regarding cases which are initiated by convicted and persons under arrest
and for cases where petitions cannot pay court fees. The Draft Law aims at enhancing the
efficiency of human rights protection by simplifying the access of convicted and persons
under arrest to the court.

Analysis.

The Draft Law suggests amendments to Articles 537 and 539 of the Criminal Procedure Code
of Ukraine in order to specify that cases pertaining to appeals against other decisions, actions
or acts of omission of prisons and pre-trial detention facilities shall be considered by district
courts within the jurisdiction of which a prisoner serves a sentence. It also seeks to address
the situation where prisoners and persons under arrest have financial hardship to access the
court. The proposed draft inserts 2 amendments in Article 537 on appealing against
decisions, actions or acts of omission of the prison administration.

Article 539 inserts a section 8 determining that Cases pertaining to the issues specified in
paragraph 131 of Part one of Article 537 (as above) of this Code shall be considered in
administrative proceedings”, while Para 1: which defines the entities which shall be exempt
from payment of court fees, under section 5 inserts subsection 25) stating that : convicted
and persons under arrest, - in cases associated with the issues which are settled by the court
during execution of a sentence in accordance with Article 537 of the Criminal Procedure
Code of Ukraine, if their personal accounts do not contain enough funds for payment of court
fees.
Conclusions.

This draft law seeks to rectify a situation whereas the European Court of Human Rights found
a violation, having analysed Ukrainian legal precedents and legislation and pointed out to the
ambiguity regarding the issue of determination of jurisdiction of complaints lodged by
prisoners against the prison administration (Vintman v. Ukraine (Application No. 28403/05)).
606

The Court found a violation of the right to an effective remedy under Article 13 of the
European Convention for the Protection of Human Rights and Fundamental Freedoms. The
Draft Law seeks to ensure that the amendments will clarify issues regarding any kind of
uncertainty and contradictions which arise during sentence that are not separately listed in
Article 537, may be settled by the court according to the place where a prisoner serves a
sentence and not by the court which passed the sentence as it was before. It will speed up and
simplify court proceedings regarding any issues which arise during sentence which do not
belong to any of the categories listed in Article 537. The proposal that access to court will not
be denied due to financial hardship is to be welcomed.

Recommendations.

This proposed amendment appears to meet requirement under ECHR finding and is in line
with best practice of judicial reviews. No recommendation are made on this draft law.

Draft Law 2291 - in terms of implementation of specific Council of Europe standards


Introduction.

The requirement for this draft law is based upon non-compliance to human rights standards of
the Council of Europe. The CPT and other oversight bodies have repeatedly pointed at non-
compliance of the domestic laws that regulate keeping of prisoners in custody. The
Committee's observations often become the basis for establishment of violations of the
European Convention for the Protection of Human Rights and Fundamental Freedoms by the
European Court of Human Rights. In view of this, the proposed draft law is based not only on
the Committee's standards, but also relies on the Court's standards, in particular, in terms of
limitation of visits, telephone calls and correspondence of persons held in preliminary
detention facilities. The Explanatory Note accompanying the draft law provides an excellent
critique on the problems underpinning the current legislation.

Analysis.

Article 7. Regime in preliminary detention facilities- inserts the phrase ‘including with the
use of printed booklet written in an understandable language’ in respect of prisoners receiving
an explanation of the rights, duties and requirements of the regime
Article 9. Rights of detainees – inserts the provision that prisoners receive explanation of the
rules ‘procedure for access to legal and medical aid, including with the use of a printed
booklet written in an understandable language’ that they receive copies of documents that
relate to the exercise of their rights, within five days upon request of the detainee at his/her
607

own expense, or at the expense of the prison administration and may ‘buy, by wire transfer,
food, essentials, writing materials, newspapers and books via any trading networks at his/her
own choice and without limitations’.

It allows that prisoners may ‘use his/her own clothes and footwear, and have documents,
photographs and records except for those that are intended for escaping from custody or
preparation of any other offences’ and ‘use television sets, refrigerators, table game sets,
books, magazines and newspapers bought via a trading network or obtained from relatives or
other persons’ The draft law not only stipulates the right to receive explanation of the rules of
detention, but also the procedure for access to legal and medical aid. There is a requirement
that such booklet must be written in an understandable language. It proposed to remove
limitations of the prisoners’ right to buy food and essential during the month by wire transfer.
The draft law stipulates the right to keep documents, photographs and records, except for
those that are intended for escaping from custody or preparation of any other offences.
Changes were also made to the right to own table game sets, books, magazines and
newspapers.

Article 11. Material allowance and medical care for detainees – inserts the provision that
‘The area of bathroom shall not be taken into account for the purpose of calculating the prison
cell's area. The distance between the opposite walls of the prison cell shall be at least 2
meters. Prisons cells that are less than 6 square meters may not be used’. The draft law
regulates the provisions related to accommodation in cells with the purpose of prevention of
inappropriate allocation of prisoners which may lead to excessive occupancy rates.

Article 12. Visits of detainees – allows that ‘Detainees may see their relatives or other
persons at least once every seven days, provided that there is no prohibition’ and requires that
‘The prohibiting decision shall be duly substantiated and motivated, and may determine the
persons to whom such prohibition shall not apply. Copies of the decisions that must include
the appeal procedure shall be given to the detainee’. The duration of a visit shall be from 1
hour to 4 hours. According to the draft law, the prison authority shall allow visits to detainees
at least once every seven days (provided that there is no prohibition imposed by a decision of
the investigator or the court conducting the criminal proceedings).

It removes the requirement for foreign nationals needing written permission of the
investigator or the court conducting the criminal proceedings. For visits from embassies and
consular sections.
608

Article 12 also inserts that a ‘visit allowed to a detainee shall take place in the conditions that
ensure the confidentiality of such visit, unless an individual risk assessment requires
intervention. Visits shall take place in open conditions that allow physical contact. In
exceptional cases, when individual risk assessment requires that the visit takes place in the
conditions that exclude physical contact, intervention may be allowed if necessary.

Article 13. Deals with correspondence and telephone conversations of prisoners.


Procedure for submitting complaints, statements and letters and states ‘Detainees may
maintain correspondence with and make telephone calls to their relatives and other citizens,
and companies, institutions and organisations, provided that there is no prohibiting decision of
the investigator or the court. Detainees may make telephone calls at least once in every seven
days and one telephone call may last at least 15 minutes. Correspondence received by
detainees may be checked on the basis of individual risk assessment in exceptional cases,
when there are due reasons to believe that it contains prohibited items or information which
may be used for regime infringement. Correspondence sent by detainees shall not be subject
to check, as a rule. Correspondence may be checked only in presence of the detainee.

The prison administration must adopt a substantiated resolution on the correspondence check
that shall include the grounds, effective period, type of control and appeal procedure. The
copy of such resolution shall be provided to the detainee. Correspondence of detainees, which
is addressed to public prosecutor’s office or court authorities, shall be sent within one
business day upon its submission. Any other correspondence shall be sent by the prison
administration not later than within three days upon its submission. Any complaints,
statements, proposals and letters that contain any information the disclosure of which may
impede the criminal proceedings, shall not be sent to the intended addressee, but shall instead
be submitted for consideration to the person or body in charge for the criminal proceedings,
and this shall be notified to the detainee and the public prosecutor. Any complaints,
statements, proposals and other letters addressed to state authorities, institutions and state
organisations shall not be subject to review. The draft law proposes to substitute the
philosophy of presumption of prohibition of contacts with the outside world with presumption
of authorisation of these contacts (The principle of ‘What is not specifically forbidden is
allowed’) taking into account the possibility for restriction of such contacts according to the
standards established in the Council of Europe documents and produced by the CPT.

Correspondence received from state authorities, institutions and state organisations shall not
be subject to review. The prison administration shall notify the detainees of the receipt of such
609

correspondence and obtain written confirmation of such notification, which shall be attached
to personal files of the detainees.

Correspondence which detainees address to the Commissioner for Human Rights, European
Court of Human Rights, and to any other competent bodies of international organisations in
which Ukraine is a member or a participant, or to authorised officials of such international
organisations shall not be subject to check and shall be sent to the intended address within a
days upon its submission. Correspondence received by detainees from the bodies and officials
specified above shall not be subject to check.

Correspondence which detainees address to their defence attorney in the criminal proceedings
shall not be subject to check and shall be sent to the intended address within a day upon its
submission. Correspondence received by detainees from such defence attorney shall not be
subject to check.

It is proposed to cancel the provision saying that complaints, statements and letters not related
to the criminal proceedings shall be reviewed by the administration of the prison

Procedure for submitting complaints is improved, and there is a prohibition to check


correspondence with state authorities, institutions and organisations.

Telephone conversations shall take place in places designated by the prison administration
and shall be allowed at least once in every seven days. Conversations may be controlled in
exceptional cases on the basis of individual risk assessment, to prevent disorders or crimes, to
protect health or morality, or to protect rights and freedoms of other persons. Telephone
conversations shall be paid by personal money of detainees or their relatives. The draft law
establishes the right of prisoners to telephone calls, detainees may maintain correspondence
and make telephone calls to their relatives and other citizens, and companies, institutions and
organisations, provided that there is no prohibiting decision of the investigator or the court
that conduct the criminal proceedings. Telephone conversations shall be allowed at least once
every seven days. Conversations may not be controlled unless in exceptional cases when
intervention is required by individual risk assessment. Telephone conversations shall be paid
from personal money of detainees, their relatives or other persons.

Article 13 also allows access of detainees to the Internet with the insertion that ‘Detainees
may have access to the Internet according to the terms and conditions defined by applicable
regulations of the Ministry of Justice of Ukraine, at least once in every seven days and in the
order of precedence.
610

Detainees may be prohibited to the Internet under the decision of the investigator or the court
that conducts the criminal proceedings.

Under Article 15. - Sanctions that may be imposed on detainees, is inserted the sanction of
‘transfer to a punishment cell’ It stipulates that ‘A detainee shall be transferred to a
punishment cell based on a duly substantiated resolution of the disciplinary commission. A
detainee may be represented by an attorney or any other lawyer. It provides a list of
safeguards in that a detainee or his/her representative may: obtain written information; attend
the commission meeting; review materials of the disciplinary proceedings; submit motions;
request and question witnesses and challenge the imposed sanction. If the sanction is
imposed on a juvenile, the prison administration shall allow him/her to notify close relatives,
guardians, attorney or other lawyers. The Governor may transfer a detainee who has severely
infringed the detention regime into a punishment cell for up to three days until the
disciplinary commission makes its decision, if the detention regime was severely infringed in
the state of alcohol or drug intoxication, or through participation in a conflict situation or a
fight.

Conclusions.

The explanatory note on the draft law recognises that ignoring recommendations of the CPT
has resulted into its repeated unscheduled visits in recent years, and the commencement of the
“public statement” procedure in case the national authorities fail to co-operate or refuse to
improve the situation in the light of the Committee's recommendations. The draft law fills
many of the gaps identified while at the same time covering the needs of investigation and
security considerations. The prison administration will have the possibility to control visits,
telephone calls and written correspondence, but this will require proper substantiation in the
light of individual risk assessment.

The draft law proposes to change the old provisions that apply to transfer to a punishment
cell. The key introduction is the insertion of procedural guarantees which include a
requirement for a meeting of the disciplinary commission, giving the person a right to be
represented by a legal expert; be informed of the charges brought against him/her in writing;
provide his/her own explanations and objections, submit motions in verbal and written form;
request summoning of witnesses and question them; following the meeting, receive a copy of
substantiated decision providing for a possibility of its proper challenging; review materials of
the disciplinary proceedings and personal file, make excerpts and copies. Most of the
611

proposed procedural safeguards have become an integral part of prison practice in European
countries. They have shown to be efficient and have changed adverse practices.

In the draft law, every restricting decision must be duly substantiated in case of perceived risk
or any illegal actions of the detainee and apply to a specified period of time.

Adoption of the draft law is aimed to bring the legislation of Ukraine that governs the
procedure and conditions of detainees to the standards of limitation of human rights
established by the Council of Europe and, specifically, by the CPT. In principle, it will go a
long way to achieving this objective.

Recommendations.

Article 7. Regime in preliminary detention facilities- inserts the phrase ‘including with the use
of printed booklet written in an understandable language’ in respect of prisoners receiving an
explanation of the rights, duties and requirements of the regime. Recommend the insertion of
- Where the booklet is not available in a language that is understood by a foreign national or
he or she does not understand the contents, all reasonable efforts shall be made to ensure that
the contents are explained to him or her in a language that he or she understands. Where a
prisoner is unable to read or is unable to understand the contents of the booklet the Governor
shall take all reasonable measures to ensure that the prisoner's entitlements, obligations, and
privileges under the Rules are explained to him or her as soon as is practicable.

Article 9. Rights of detainees – inserts the provision that prisoners receive explanation of the
rules ‘procedure for access to legal and medical aid, including with the use of a printed
booklet written in an understandable language’ that they ‘receive copies of documents that
relate to the exercise of their rights, within five days upon request of the detainee –
recommend that this should not be only ‘on request’ and should be automatically provided
and not ‘at his/her own expense’.

Article 9. Allows that prisoners may ‘have documents, photographs and records except for
those that are intended for escaping from custody or preparation of any other offences’.
Recommend that this section is clarified. I assume it means documents etc. which could assist
or aid an escape attempt.

Consideration should be given to inclusion of a section under Article 9 relating to current


affairs, sport and other developments in that – the Governor shall, in so far as is practicable
612

and subject to the maintenance of good order and safe and secure custody, provide such
facilities as he or she considers appropriate, to enable a prisoner to be kept informed in
relation to current affairs and developments outside the prison of a sporting, cultural or other
nature and such facilities may include newspapers and other periodicals, radio and television.

Article 13. Deals with correspondence and telephone conversations of prisoners.


Correspondence received by detainees may be checked on the basis of individual risk
assessment in exceptional cases, when there are due reasons to believe that it contains
prohibited items or information which may be used for the regime infringement.
Correspondence sent by detainees shall not be subject to check - as a rule. Correspondence
may be checked only in presence of the detainee. Recommendation – while the principles in
this section of Article 13 are commendable, some consideration need to be given to
correspondence sent by prisoners. It is noted that – as a rule such correspondence will not be
subject to check, however there are many grounds to check such correspondence: i.e. if it is
threatening in nature; if the letter sent to the person for whom it was intended, could cause
serious offence or distress to that person or other persons or there could be an interference
with the course of justice; if the prisoner has not adequately identified himself or herself as
the sender of the letter (that is an anonymous letter); if the person for whom it is intended has
informed the Governor that he or she does not wish to receive letters from the prisoner; if it
would facilitate or encourage the commission of a criminal offence or hamper the prevention,
detection, investigation or prosecution of a criminal offence; if it could give rise to a legal
action by a third party against the Governor or the authorities; if it is contrary to the interests
of national security; if it is contrary to the interests of the security, good order and
government of the prison or if it infringes the rights and freedoms of another person
(including the right to privacy of another prisoner).

Correspondence received from state authorities, institutions and state organisations shall not
be subject to review. The administration of the preliminary detention facility shall notify the
detainees of the receipt of such correspondence and shall obtain written confirmation of such
notification, which shall be attached to personal files of the detainees. Recommendation:
While fully respecting this principle, as a safeguard to prison security and good order it would
be acceptable to state that : A letter sent to a prisoner by a person or body referred to in this
Rule shall be given to the prisoner without delay and shall not be examined to any greater
extent than is necessary to determine that it is such a letter. If any such letter is to be
examined, it shall only be opened in the presence of the prisoner to whom it is addressed.
613

Correspondence which detainees address to the Verkhovna Rada Commissioner for Human
Rights, European Court of Human Rights, and to any other competent bodies of international
organisations in which Ukraine is a member or a participant, or to authorised officials of such
international organisations shall not be subject to check and shall be sent to the intended
address within a days upon its submission. Correspondence received by detainees from the
bodies and officials specified above shall not be subject to check. Correspondence which
detainees address to their defence attorney in the criminal proceedings, who acts under the
applicable provisions of the Criminal Procedure Code of Ukraine, shall not be subject to
check and shall be sent to the intended address within a day upon its submission.
Correspondence received by detainees from such defence attorney shall not be subject to
check. Recommendation – it may be easier to provide a ‘prescribed’ list of
persons/organisations to which this provision will apply, something along the lines of:

A prisoner shall, be entitled to send a letter to, or receive a letter from any one or more of the
following persons or bodies:

 his or her legal adviser,


 a member of associations of citizens (as mentioned in Article 25 of Draft Law 2252a)
 the Minister,
 (List of Court Presidents – i.e. the Chief Justice, the President of the district Court etc.
 the European Court of Human Rights,
 the European Committee for the Prevention of Torture and Inhuman or Degrading
Treatment or Punishment, known as CPT,
 the Inspectorate body (?) of Prisons,
 the Human Rights Commission,
 the International Committee of the Red Cross.
A letter from a prisoner intended for a person or body referred to shall be sent to that person
or body without delay and shall not be opened before it is so sent.

It is recommended that provision is made that the prison authorities pay for a minimum
number of telephone calls rather than ‘Telephone conversations shall be paid by personal
money of detainees, their relatives’. Contact with family should not be dependent on the
means to pay.
614

Under Article 15. - Sanctions that may be imposed on detainees, - Safeguards are robust - The
head of the facility may transfer a detainee who has severely infringed the detention regime
into a punishment cell for up to three days until the disciplinary commission makes its
decision, if the detention regime was severely infringed in the state of alcohol or drug
intoxication, or through participation in a conflict situation or a fight Recommendation – See
comments on solitary confinement under Article 132.

Final Conclusion and Recommendation.

Adoption of the draft laws is aimed to bring the legislation of Ukraine that governs the
procedure and conditions of detainees to the standards of limitation of human rights
established by the Council of Europe and, specifically, by the CPT. In principle, it will go a
long way to achieving this objective.

However – the determining factor is in how these laws will be applied, they need to be
applied ‘in the spirt of the law’ rather than just ‘in the letter of the law’. When one obeys the
letter of the law but not the spirit, one is obeying the literal interpretation of the words (the
"letter") of the law, but not necessarily the intent of those who wrote the law. Conversely,
when one obeys the spirit of the law but not the letter, one is doing what the authors of the
law intended, though not necessarily adhering to the literal wording. Intentionally following
the letter of the law but not the spirit may be accomplished through exploiting technicalities,
loopholes, and ambiguous language.

It is noted that much of the legislation requires that ‘The procedure shall be defined by
applicable regulations of the Ministry of Justice of Ukraine’. It is these procedures
which will determine if these draft laws achieve their stated objective.

General Recommendations: In several places the word ‘punishment’ is used in relating to a


person being cbeing sentenced to a term in prison. It is recommended that the term
‘imprisonment’ be used instead of ‘punishment’.
615

Annexe n° 3
Plan d'action relatif à la réalisation de la Stratégie nationale dans le domaine des
droits de l'homme à horizon de 2020 adopté par arrêté du Cabinet des ministres
de l'Ukraine du 23 novembre 2015, n° 1393-р (la partie sur les droits des
détenus)
616

Appendix
to ordinance of the Cabinet of Ministers of Ukraine
dated November 23, 2015 No. 1393-р
Penitentiary-related provisions of the Human Rights Action Plan (translation with the support of the Council of Europe)
Chapter 1. The efficient system aimed at countering criminal actions against human life, their prevention and punishment,
compensation for families of victims has been established.
1) To develop and submit for consideration to the Cabinet The draft law has been submitted IV quarter 2016 Ministry of Foreign Affairs
of Ministers of Ukraine the draft law on ratification of the for consideration to the Cabinet of Ministry of Justice
European Convention on the Compensation of Victims of Ministers of Ukraine.
The European Union
Violent Crimes.
Advisory Mission in Ukraine
(upon consent)
4) To develop legal framework for introduction of the The draft law has been submitted IV quarter 2016 Ministry of Justice
mechanism for implementation of the European for consideration to the Cabinet of Ministry of Social Policy
Convention on the Compensation of Victims of Violent Ministers of Ukraine.
Ministry of Internal Affairs
Crimes (meaning establishment of the national fund for
compensation of victims of violent crimes which will State Judicial Administration
guarantee compensation of damage to victims of such (upon consent)
crimes (including their families)) if compensation cannot Centre of Policy and Legal
be received from persons who committed such crimes, Reforms (upon consent)
providing that such fund shall be formed at the expense of
revenues from punishment in the form of penalty or
corrective labour as well as from the state budget;
617

Chapter 6. The effective system of investigation of crimes related to torture, cruel, inhuman or degrading treatment or punishment,
including forced disappearance, has been established.
12) To develop and submit for consideration to the Cabinet The draft law has been submitted IV quarter 2016 Ministry of Justice
of Ministers of Ukraine draft amendments to the Law of for consideration to the Cabinet of State Penitentiary Service
Ukraine “On the State Penal Service of Ukraine” with Ministers of Ukraine.
regard to establishment and introduction of the institute of
wistleblowers of improper treatment in facilities of the SPS
of Ukraine;
to establish proper and sufficient guarantees for
protection of “wistleblowers” against any negative
consequences associated with their testimony at the level
of legislation;
to inform the staff of the SPS of Ukraine of zero tolerance
of improper treatment of people kept in penitentiary and
pre-trial detention facilities;
to provide for incentive mechanisms for the staff of the
SPS of Ukraine with regard to informing of cases of
improper treatment by their colleagues or upon their
implied assent;
to take into consideration recommendations of the
European Committee for the Prevention of Torture and
Inhuman or Degrading Treatment or Punishment on these
issues, in particular those specified in Clause 116 of the
Report on the Visit to Ukraine in 2013.
13) To develop and introduce amendments to the The order has been issued. III quarter 2016 Ministry of Justice
Procedure for Granting Medical Aid to the Sentenced to State Penitentiary Service
Imprisonment approved by the order of the Ministry of Kharkiv Human Rights
Justice and the Ministry of Health dated August 15, 2014 Protection Group (upon
No. 1348/5/572, and other relevant acts in order to consent)
ensure that:
618

14) To develop amendments to the Law of Ukraine “On The draft law has been submitted III quarter 2016 Ministry of Justice
Pre-Trial Detention” regarding access of representatives of for consideration to the Cabinet of State Penitentiary Service
the public and other independent entities to pre-trial Ministers of Ukraine. Kharkiv Human Rights
detention facilities as well as granting them the Protection Group (upon
opportunity of photo and video recording of evidence of consent)
improper detention conditions or treatment.
Chapter 7. Ensuring the efficiency of remedies for each person who suffered from improper treatment.
6) To amend the order of the Ministry of Justice of Ukraine The order has been issued. II quarter 2016 Ministry of Justice
dated July 03, 2013. No. 1325/5 “On Approving the State Penitentiary Service
Regulations on the Territorial (Interregional) Paramilitary Kharkiv Human Rights
Unit of the State Penal Service of Ukraine” with account of Protection Group (upon
recommendations of international and national institutions, consent)
i.e. to exclude non-relevant current functions which have to
be performed by penitentiary facilities themselves, in
particular conducting search of living and production areas,
personal items of the convicts etc.;
ensuring law and order, observance of the procedure for
execution of punishment and service of sentence in
penitentiary and pre-trial detention facilities and their
adjacent territory (except for cases of mass riots and/or
other special cases) established by the law and other
regulatory acts.
619

7) To develop regulatory acts on amending the Internal The relevant orders have been I quarter 2017 Ministry of Justice
Rules of Conduct of Pre-Trial Detention Facilities of the SPS issued. State Penitentiary Service
and the Internal Rules of Conduct in Penitentiary Facilities, The draft law has been submitted for Kharkiv Human Rights
and the Instruction on Arrangement of Review of consideration to the Cabinet of Protection Group (upon
Correspondence (Mail) of People Kept in Penitentiary and Ministers of Ukraine. consent)
Pre-Trial Detention Facilities approved with the order of
the Ministry of Justice dated
July 2, 2013 No. 1304/5, as well as the Criminal Penal Code
of Ukraine regarding establishment of the new system for
giving of outgoing correspondence by convicts and the
detained which would include a separate independent
entity in charge of collecting correspondence from such
persons (Ukrainian State Enterprise of Posts "Ukrposhta").
8) To install in all penitentiary and pre-trial detention Special mail boxes have been I quarter 2017 State Penitentiary Service
facilities mail boxes access to which shall be granted only installed in all penitentiary and pre-
to the entity in charge of collecting correspondence; trial detention facilities.
to make mail boxes and correspondence therein
inaccessible for administration of the penitentiary and pre-
trial detention facilities.
9) To develop draft amendments to legislative acts and The draft law has been submitted June 2017 Ministry of Justice
departmental regulatory acts in order to bring the legal for consideration to the Cabinet of Ministry of Internal Affairs
framework on application of force and means of restraint Ministers of Ukraine. State Penitentiary Service
in penitentiary facilities into compliance with The order on amending relevant
international standards. To establish grounds for Security Service of Ukraine
departmental acts has been issued. (upon consent)
application of means of restraint (with regard to each of
its types separately) in compliance with the European The EU Advisory Mission
Prison Rules (upon consent)
(§ 65) and Reports of the European Committee for the
Prevention of Torture and Inhuman or Degrading
Treatment or Punishment on the Visit to Ukraine in 2002
(§102), in 2009 (§85), in 2012 (§§ 23, 31, 32, 49).
620

10) To develop and submit for consideration to the Cabinet The draft law has been submitted II quarter 2016 Ministry of Justice
of Ministers of Ukraine the draft law on amending the Law for consideration to the Cabinet of State Penitentiary Service
of Ukraine “On Pre-Trial Detention” and the Criminal Penal Ministers of Ukraine. Kharkiv Human Rights
Code of Ukraine establishing guarantees of enabling Protection Group (upon
convicts and the detained to call public authorities and consent)
public institutions free of charge and confidentially.
The European Union
Advisory Mission in Ukraine
(upon consent)
11) To develop amendments to the Code of Criminal The draft law has been submitted II quarter 2016 Ministry of Justice
Procedure, Code of Civil Procedure, Code of Economic for consideration to the Cabinet of State Penitentiary Service
Procedure, procedural laws of different areas of justice Ministers of Ukraine.
with regard to grounds and the procedure for direct State Judicial Administration
participation of convicts and the detained in the court (upon consent)
hearing, taking into account the decision of the The European Union
Constitutional Court of Ukraine upon application of Advisory Mission in Ukraine
A. P. Troian dated April 12, 2012 (upon consent)
No. 9-рп/2012 and the ECHR case-law.
12) To develop draft law on amending the Criminal Penal The draft law has been submitted II quarter 2016 Ministry of Justice
Code of Ukraine regarding the mechanism for efficient for consideration to the Cabinet of State Penitentiary Service
exercise of the prisoners' and convicts' right to legal aid Ministers of Ukraine. The European Union
according to the Law of Ukraine “On Legal Aid” which shall Advisory Mission in Ukraine
enable participation of the defender in review of issues on (upon consent)
application of disciplinary penalties, deterioration of
detention conditions and application of incentive
provisions (Articles 81, 82 of the Criminal Code of Ukraine)
as well as in preparation for such review.
To provide the possibility of confidential Internet meetings
between convicts or the detained and their defenders.
13) To develop and introduce amendments to the Internal The order has been issued. II quarter 2016 Ministry of Justice
Rules of Conduct of Pre-Trial Detention Facilities of the State Penitentiary Service
SPS and the Internal Rules of Conduct of Penitentiary Ministry of Finance
Facilities in order to enable the detained and convicts to
file confidential online complaints of improper treatment
621

Chapter 8. Compensation of damage and rehabilitation of victims of crimes related to torture, cruel, inhuman or degrading
treatment or punishment is provided in accordance with international standards.
1) To develop and submit for consideration to the Cabinet The draft law has been submitted III quarter 2016 Ministry of Justice
of Ministers of Ukraine the draft law on establishing the for consideration to the Cabinet of State Penitentiary Service
procedure for compensation of damage to people who Ministers of Ukraine.
The European Union
have been subject to torture, cruel, inhuman or degrading
Advisory Mission in Ukraine
treatment or punishment;
(upon consent)
to define proper compensatory measures for such people,
their precise amount and application procedure.
2) To develop the draft law on establishing preventive The draft law has been submitted IV quarter 2016 Ministry of Justice
complaint institute for people kept in improper conditions for consideration to the Cabinet of State Penitentiary Service
in detention facilities and subject to torture, cruel, Ministers of Ukraine.
inhuman or degrading treatment or punishment;
to provide the possibility of urgent involvement of experts
in order to record improper detention or treatment
conditions in order to guarantee evidence of such
conditions further on;
to develop and provide for content and procedure for
effective urgent measures of judicial preventive response
with regard to people kept in improper conditions or
subject to improper treatment in order to make further
detention in such conditions impossible.
3) To develop and submit for consideration to the Cabinet The draft law has been submitted IV quarter 2016 Ministry of Justice
of Ministers of Ukraine the draft law on amending the Law for consideration to the Cabinet of State Penitentiary Service
of Ukraine “On the State Penal Service of Ukraine” which Ministers of Ukraine.
shall provide for:
independence of the medical service of the Penitentiary
Service of Ukraine at the central and territorial levels, at the
level of medical departments of penitentiary and pre-trial
detention facilities by elimination of subordination of
medical staff to other personnel of the State Penal Service
622

4) To amend the applicable laws regarding transfer of The order on amendments has been IV quarter 2016 Ministry of Justice
convicts to medical institutions outside penitentiary and issued. Ministry of Health
pre-trial detention facilities in order to guarantee free State Penitentiary Service
choice of a doctor and medical institution, and
opportunities for convict or the detained to use such rights. Kharkiv Human Rights
Protection Group (upon
consent)
The European Union
Advisory Mission in Ukraine
(upon consent)
5) To amend order of the Ministry of Justice and Ministry The order on amendments has been III quarter 2016 Ministry of Justice
of Health dated 15.08.2014 issued. Ministry of Health
No. 1348/5/572 “On Approving the Procedure for State Penitentiary Service
Organizing Provision of Medical Aid to the Sentenced to
Imprisonment” in order to permit release in exceptional Kharkiv Human Rights
cases if the convict does not have a disease specified in the Protection Group (upon
List of Diseases Being a Ground for Submission of consent)
Materials on Release of the Convict from Subsequent The European Union
Service of Sentence to Court (appendix 12 to Advisory Mission in Ukraine
(upon consent)
the relevant order), with account of the general health
conditions of the patient, in case it is incompatible with
service of sentence according to the ECHR case-law.
6) To develop and submit for consideration to the Cabinet The draft law has been submitted II quarter 2016 Ministry of Justice
of Ministers of Ukraine draft law on amending the Code of for consideration to the Cabinet of State Penitentiary Service
Criminal Procedure in order to guarantee the right of Ministers of Ukraine.
people who have been placed under detention as a pre-
trial restriction to be released due to their health
conditions according to the procedure established for
convicts.
623

7) To develop a separate section on the preventive The order on amendments has been IV quarter 2016 Ministry of Justice
medicine (hygiene, prevention of infectious diseases, issued.
Ministry of Health
alcohol and drug addiction, suicide prevention etc.) with
account of methodological recommendations of the State State Penitentiary Service
Penitentiary Service of Ukraine and introduction of the The European Union
relevant amendments to the order of the Ministry of Justice Advisory Mission in Ukraine
and Ministry of Health No. 1348/5/572 (upon consent)
dated 15.08.2014 “On Approving the Procedure for
Organizing Provision of Medical Aid to the Sentenced to
Imprisonment” in compliance with the standards
established by the 3rd General Report of the European
Committee for the Prevention of Torture and Inhuman or
Degrading Treatment or Punishment.
8) To resume implementation of the State Target The implementation of the State I quarter 2016 Cabinet of Ministers of
Programme for Reform of the State Penal Service for 2013 Target Programme for Reformation Ukraine
– 2017 in terms of improvement of the confinement of the State Penal Service for 2013 – Ministry of Justice
conditions in penitentiary and pre-trial detention facilities; 2017 has been resumed.
The European Union
to reschedule implementation of efforts on improvement of Advisory Mission in Ukraine
confinement conditions which haven't been fulfilled due to (upon consent)
termination of the Programme.
9) To develop and approve the strategy and action plan for The strategy and action plan have III quarter 2017 Ministry of Justice
gradual demilitarisation of the SPS of Ukraine, its been approved. State Penitentiary Service
immediate subordination to the Ministry of Justice of The European Union
Ukraine and introduction of dynamic security methods in Advisory Mission in Ukraine
pre-trial detention and penitentiary facilities which would (upon consent)
guarantee prevention of further decrease in the current
level of attraction and prestige of work in the SPS of
Ukraine and promote their increase.
624

10) To develop and submit for consideration to the The new unit in the structure of the IV quarter 2016 Ministry of Justice
Cabinet of Ministers of Ukraine draft amendments to the State Penitentiary Service has been State Penitentiary Service
Provision on the State Penitentiary Service of Ukraine formed.
The European Union
approved with the resolution of the Cabinet of Ministers of Advisory Mission in Ukraine
Ukraine dated July 2, 2014, No. 225, and form a separate (upon consent)
unit in the structure of the State Penitentiary Service of
Ukraine with new personnel selected by means of the
open competition which shall be in charge of proper
execution of the ECHR judgements and shall guarantee
taking efficient efforts of the general nature specified by
the Government Commissioner for the ECHR and other
additional efforts necessary to prevent further violations
of provisions of the Convention against torture and other
cruel, inhuman or degrading treatment or punishment;
shall ensure full implementation of recommendations of
the European Committee for the Prevention of Torture
and Inhuman or Degrading Treatment or Punishment and
other international standards in the penitentiary area.
11) To develop and adopt a new subordinate legal act to The draft regulatory act has been IV quarter 2016 Ministry of Justice
settle the issue of implementation of the ECHR judgements submitted for consideration to the State Penitentiary Service
and recommendations of the European Committee for the Cabinet of Ministers of Ukraine.
The European Union
Prevention of Torture and Inhuman or Degrading
Advisory Mission in Ukraine
Treatment or Punishment at the levels of the State
(upon consent)
Penitentiary Service of Ukraine, its territorial bodies and
individual institutions which are subordinate thereto.
12) To create a separate section on the official website of Separate section with exhaustive II quarter 2016 State Penitentiary Service
the State Penitentiary Service of Ukraine where free access information (documents containing The European Union
shall be granted to all information (documents containing such information) on execution of Advisory Mission in Ukraine
such information) regarding implementation of recommendations of the European (upon consent)
recommendations of the European Committee for the Committee for the Prevention of
Prevention of Torture and Inhuman or Degrading Torture and Inhuman or Degrading
Treatment or Punishment and ECHR judgements, Treatment or Punishment and ECHR
including motions of the Government Commissioner for judgements has been created on the
625

13) To develop and adopt the relevant order of the The order of the Ministry of Justice I quarter 2017 Ministry of Justice
Ministry of Justice of Ukraine, and to install equipment has been issued.
Ministry of Finance
necessary to introduce the electronic database of all In each penitentiary and pre-trial
State Penitentiary Service
convicts and the detained, and the internal communication detention facility the equipment
system for reporting on regime issues (disciplinary necessary to introduce the The European Union
practice, application of means of restraint and force, electronic database of all convicts Advisory Mission in Ukraine
searches etc.) in each penitentiary and pre-trial detention and the detained and the internal (upon consent)
facility. To ensure the possibility to trace changes in the communication system has been
information communicated via the electronic system by installed.
external and internal control entities.
14) To develop and introduce the automated risk The automated risk assessment I quarter 2017 Ministry of Justice
assessment system in order to identify grounds for system is functioning. The European Union
application of incentive provisions of the Criminal Code of Advisory Mission in Ukraine
Ukraine (Articles 81 and 82) and the Code of Criminal (upon consent)
Procedure of Ukraine (Article 101);
to provide regular risk re-assessment in view of the data
collected in the process of sentence servicing.
15) To develop and submit for consideration to the The order on amendments has been III quarter 2017 Ministry of Justice
Cabinet of Ministers of Ukraine the draft law on amending issued. State Penitentiary Service
the Criminal Executive Code of Ukraine, to develop and The draft law has been submitted The European Union
introduce amendments to the Rules of Internal Conduct of for consideration to the Cabinet of Advisory Mission in Ukraine
Penitentiary Facilities and the order of the Ministry of Ministers of Ukraine. (upon consent)
Justice of Ukraine dated February 08, 2012 “On Approving
the Instruction on the Procedure for
Distributing, Sending and Transferring Persons Sentenced
to Imprisonment to Service Sentence, the Regulations on
the Regional Commission for Distributing, Sending and
Transferring Persons Sentenced to Imprisonment to
Service Sentence, the Regulations on the Appeal
Commission of the State Penitentiary Service of Ukraine
for Distributing, Sending and Transferring Persons
Sentenced to Imprisonment to Service Sentence” in terms
of changing the procedure for primary and secondary
626

17) To develop draft law on amending the Law of Ukraine The draft law has been submitted III quarter 2016 Ministry of Justice
“On the State Penal Service of Ukraine” in terms of for consideration to the Cabinet of State Penitentiary Service
replacement of profit priorities of enterprises of the SPS of Ministers of Ukraine. The European Union
Ukraine with priorities of reintegration needs of convicts.
Advisory Mission in Ukraine
(upon consent)
19) To develop and submit for consideration to the Cabinet The draft regulatory act has been IV quarter 2016 Ministry of Justice
of Ministers of Ukraine the State Target Programme for submitted for consideration to the State Penitentiary Service
Improvement of Engagement of Convicts and the Detained Cabinet of Ministers of Ukraine.
The European Union
to Useful Purposeful Activity according to the standards of
Advisory Mission in Ukraine
the European Committee for the Prevention of Torture and
(upon consent)
Inhuman or Degrading Treatment or Punishment.
Chapter 9. The efficient functioning of the national preventive mechanism has been ensured.
1) To develop and submit for consideration to the Cabinet The draft law has been submitted III quarter 2016 Ministry of Justice
of Ministers of Ukraine the draft law on increasing for consideration to the Cabinet of State Penitentiary Service
efficiency of the national preventive mechanism by Ministers of Ukraine. Commissioner for Human
granting it additional competences with regard to
Rights of the Verkhovna Rada
ensuring implementation of its recommendations;
of Ukraine (upon consent)
to define competences for initiating disciplinary and other
The European Union
liability of officials guilty of improper treatment, and to
Advisory Mission in Ukraine
take other urgent response measures which shall be (upon consent)
compulsory for relevant officials.
627

14. Unsubstantiated and improperly executed arrest, detention without court decision became impossible.
1) To develop the draft law on amending certain The draft law has been submitted II quarter 2016 Ministry of Justice
legislative acts regarding regulation of criminal legal for consideration to the Cabinet of State Penitentiary Service
consequences of actual imprisonment of people who have Ministers of Ukraine. The European Union
been convicted before within the temporarily occupied Advisory Mission in Ukraine
territories as well as people who are released from these (upon consent)
institutions. To provide guarantees of predictability and
legal conformance with regard to the given people.
2) To develop legal framework for regulation of operation The draft law has been submitted III quarter 2016 Ministry of Justice
of pre-trial detention facilities of the Security Service of for consideration to the Cabinet of State Penitentiary Service
Ukraine which de facto exist, in particular, relevant Ministers of Ukraine. Security Service of Ukraine
amendments to the Law of Ukraine “On Pre-Trial The order has been issued. (upon consent)
Detention”, and to develop the Rules of Internal Conduct of
The European Union
the SSU detention facilities.
Advisory Mission in Ukraine
(upon consent)
Chapter 32. The right to privacy of the people kept in custody facilities upon court decision or decision of the administrative authority
according to the law, in particular when psychiatric aid is granted on an involuntary basis, has been ensured.
1) To develop and submit for consideration to the Cabinet The draft regulatory act has been II quarter 2017 Ministry of Justice
of Ministers of Ukraine the State Target Programme for submitted for consideration to the State Penitentiary Service
gradual reorganisation of collective detention system in Cabinet of Ministers of Ukraine.
The European Union
penitentiary facilities to the cell detention system, and
Advisory Mission in Ukraine
reduction in the acceptable planned admission down to
(upon consent)
300 – 400 people per one penitentiary facility.
628

2) To develop and approve regulatory act on the use of The order on amendments has been II quarter 2016 Ministry of Justice
technical supervision and control tools in penitentiary and issued. State Penitentiary Service
detention facilities by providing proper guarantees against Kharkiv Human Rights
Protection Group (upon
consent)
unsubstantiated limitations of the right to privacy, with The European Union
account of proposals introduced in the course of public Advisory Mission in Ukraine
discussion of the draft order “On Approving Regulatory (upon consent)
Acts on Using Technical Supervision and Control Tools in
Penitentiary and Detention Facilities”.
3) To develop draft law on amending the Criminal The draft law has been submitted III quarter 2016 Ministry of Justice
Executive Code of Ukraine and draft order of the Ministry for consideration to the Cabinet of State Penitentiary Service
of Justice on free Internet meetings of convicts and the Ministers of Ukraine. Kharkiv Human Rights
detained, with possible application of restrictions of their The order of the Ministry of Justice Protection Group (upon
confidentiality in exceptional cases according to has been issued. consent)
provisions of Part 2 of Article 8 of the Convention based The European Union
on the individual and substantiated decision. Advisory Mission in Ukraine
(upon consent)
4) To amend the Internal Rules of Conduct of Pre-Trial The order of the Ministry of Justice III quarter 2016 Ministry of Justice
Detention Facilities of the SPS and the Internal Rules of has been issued. State Penitentiary Service
Conduct of Penitentiary Facilities so that closed visits (by
Kharkiv Human Rights
means of the partition) of convicts and the detained would Protection Group (upon
be an exception, and open visits (with possible physical consent)
contact) would be a rule with account of the ECHR case-
law requirements. The European Union
Advisory Mission in Ukraine
(upon consent)
5) To develop amendments to the Criminal Executive Code The draft law has been submitted II quarter 2016 Ministry of Justice
of Ukraine in order to increase frequency of visits at least for consideration to the Cabinet of State Penitentiary Service
up to once a week regardless of the security type and level Ministers of Ukraine. The European Union
of the penal institution; to estimate financial expenses Advisory Mission in Ukraine
necessary for implementation of such changes in order to (upon consent)
629

6) To establish the capability for accompanied leave from The draft law has been submitted II quarter 2016 Ministry of Justice
the territory of pre-trial detention or penitentiary facility for consideration to the Cabinet of State Penitentiary Service
in connection with death or grave disease of close relative Ministers of Ukraine. The European Union
threatening life of the patient, for all categories of the Advisory Mission in Ukraine
detained and convicts. (upon consent)
7) To improve the Internal Rules of Conduct of Pre-Trial The order of the Ministry of Justice III quarter 2016 Ministry of Justice
Detention Facilities of the SPS and the Internal Rules of has been issued. State Penitentiary Service
Conduct of Penitentiary Facilities regarding the procedure Kharkiv Human Rights
for conducting search in penitentiary and pre-trial Protection Group (upon
detention facilities in order to prevent regular searches consent)
without reasonable grounds or substantiated decision.
The European Union
Advisory Mission in Ukraine
(upon consent)
Chapter 74. The efficient justice system with regard to the minors has been introduced with account of international standards.
1) To study best international practices in the sphere of The draft law has been submitted IV quarter 2016 – Ministry of Justice
juvenile justice. Based on the results of the study, to for consideration to the Cabinet of IV quarter 2017 State Judicial Administration
develop the draft law on criminal justice with regard to Ministers of Ukraine. (upon consent)
the minors, and determine special justice procedures for State Penitentiary Service
the minors in the procedural laws.
The EU Advisory Mission in
Ukraine (upon consent)
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2000
12e rapport général d'activités du CPT couvrant la période du 1er janvier au 31 décembre
2001
(CPT/Inf. (2002) 15).
21e rapport général d'activités du CPT couvrant la période du 1er août 2010 au 31 juillet 2011
(CPT/Inf (2011) 28).
23e rapport général d'activités du CPT couvrant la période du 1er août 2012 au 31 juillet 2013
(CPT/Inf. (2013) 29).
25e rapport général d'activités du CPT couvrant la période du 1er janvier au 31 décembre
2015 2015 (CPT/Inf (2016) 10).
Rapport au gouvernement de la Belgique relative à la visite effectuée en Belgique par le CPT
du 24 septembre au 4 octobre 2013, CPT/Inf (2016) 13
Rapport au Gouvernement de la Principauté de Monaco relatif à la visite effectuée à Monaco
par le CPT du 27 au 30 novembre 2012 (CPT/Inf (2013) 39).
Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en France
par le CPT du 27 septembre au 9 octobre 2006 (CPT/Inf (2007) 44).
Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en France
par le CPT du 28 novembre au 10 décembre 2010 (CPT/Inf (2012) 13).
Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en France
par le CPT du 15 au 27 novembre 2015 (CPT/Inf (2017) 7)
Rapport au Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg relatif à la visite effectuée au
Luxembourg par le CPT du 28 janvier au 2 Février 2015 (CPT/Inf (2015) 30).
Report to the Albanian Government on the visit to Albania carried out by the CPT from 10 to
21 May 2010 (CPT/Inf (2012) 11).
Report to the Armenian Government on the visit to Armenia carried out by the CPT from 20
to 23 May 2014 (CPT/Inf (2015) 10).
Report to the Azerbaijani Government on the visit to Azerbaijan carried out by the CPT from
24 November to 6 December 2002 (CPT/Inf (2004) 36).
Report to the Czech Government on the visit to the Czech Republic carried out by the CPT
from 1 to 10 April 2014 (CPT/Inf (2015) 18).
Report to the Danish Government on the visit to Denmark carried out by the CPT)from 4 to
13 February 2014 (CPT/Inf (2014) 25).
Report to the Finnish Government on the visit to Finland carried out by the CPT from 22
September to 2 October 2014 (CPT/Inf (2015) 25).
Report to the Georgian Government on the visit to Georgia carried out by the CPT from 21
March to 2 April 2007 (CPT/Inf (2007) 42).
Report to the Georgian Government on the visit to Georgia carried out by the CPT from 19 to
23 November 2012 (CPT/Inf (2013) 18).
Report to the Government of Serbia on the visit to Serbia carried out by the CPT from 19 to
29 November 2007 (CPT/Inf (2009) 1).
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Report to the Government of “the former Yugoslav Republic of Macedonia” on the visit to
“the former Yugoslav Republic of Macedonia” carried out by the CPT from 15 to 26 May
2006 (CPT/Inf (2008) 5).
Report to the Government of the Netherlands on the visit to the Caribbean part of the
Kingdom of the Netherlands carried out by the CPT from 12 to 22 May 2014 (CPT/Inf (2015)
27).
Report to the Government of the Principality of Liechtenstein on the visit to Liechtenstein
carried out by the CPT from 5 to 9 February 2007 (CPT/Inf (2008) 20).
Report to the Government of the Slovak Republic on the visit to the Slovak Republic carried
out by the CPT from 24 March to 2 April 2009 (CPT/Inf (2010) 1).
Report to the Government of the Slovak Republic on the visit to the Slovak Republic carried
out by the CPT from 24 September to 3 October 2013 (CPT/Inf (2014) 29).
Report to the Icelandic Government on the visit to Iceland carried out by the CPT from 3 to
10 June 2004 (CPT/Inf (2006) 3).
Report to the Italian Government on the visit to Italy carried out by the CPT from 13 to 25
May 2012 (CPT/Inf (2013) 32).
Report to the Polish Government on the visit to Poland carried out by the CPT from 5 to 17
June 2013 (CPT/Inf (2014) 21).
Report to the Russian Government on the visit to the Russian Federation carried out by the
CPT from 21 May to 4 June 2012 (CPT/Inf (2013) 41)
Report to the Swedish Government on the visit to Sweden carried out by the CPT from 27
January to 5 February 2003 (CPT/Inf (2004) 32)
Report to the Swedish Government on the visit to Sweden carried out by the CPT from 18 to
28 May 2015 (CPT/Inf (2016) 1)
Report to the Ukrainian Government on the visit to Ukraine carried out by the CPT from 9 to
21 September 2009 CPT/Inf (2011) 29).
Report to the Ukrainian Government on the visit to Ukraine carried out by the CPT from 01 to
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Committee of Ministers on 21 June 1984).
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Nazarenko c. Lettonie (nº 76843/01, 01.11.2007).
Niedbała c. Pologne (nº 27915/95, 04.07.2000).
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Nusret Kaya et autres c. Turquie (nº 43750/06, 43752/06, 32054/08, 37753/08 et
60915/08, 22.04.2014).
Onoufriou c. Chypre (nº 24407/04, 07.01.2010).
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Petra c. Roumanie (nº 27273/95, 23.09.1998).
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Płoski c. Pologne (nº 26761/95, 12.11.2002).
Polat c. Turquie (nº 23500/94, 08.07.1999).
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Raninen c. Finlande (nº 20972/92, 16.12.1997).
Rinzivillo c. Italie (nº 31543/96, 21.12.2000).
Roman Karasev c. Russie (nº 30251/03, 25.11.2010).
Scoppola c. Italie (nº 3) [GC] (nº 126/05, 22.05.2012).
Shvydka c. Ukraine (nº 17888/12, 30/10/2014).
Rotaru c. Roumanie [GC] (nº 28341/95, 04.05.2000).
Sałapa c. Pologne (nº 35489/97, 19.10.2002).
Schönenberger et Durmaz c. Suisse (nº 11368/85, 20.06.1988).
Sergey Volosyuk c. Ukraine (nº 1291/03, 12.04.2009).
Shahanov et Palfreeman c. Boulgarie (nº 35365/12 et 69125/12, 21.07.2016).
Shilbergs c. Russie (nº 20075/03, 17.10.2009).
Schemkamper c. France (nº 75833/01, 18.10.2005).
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Truten c. Ukraine (nº 18041/08, 23.06.2016).
Tyrer c. Royaume-Uni (nº 5856/72, 25.03.1978).
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Van der Ven c. Pays-Bas (nº 50901/99, 04.02.2003).
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Vasilescu c. Belgique (nº 64682/12, 25.11.2014).
Vasiliy Ivashchenko c. Ukraine (nº 760/03, 26.10.2012).
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CAA de Nantes, 3ème Chambre, 20/06/2013, 12NT01050 Inédit au recueil Lebon.
CAA de Paris, 1ère chambre, 31/07/2014, 13PA04134, Inédit au recueil Lebon.
Conseil Constitutionnel, Décision No. 2009-593 DC du 19 novembre 2009, Loi
pénitentiaire, cons. 4 et 6.
Conseil Constitutionnel, Décision nos. 80–127 des 19 et 20 janvier 1981 relative à la loi
renforзant la sécurité et la liberté des personnes.
Conseil Constitutionnel, Décision No. 2013-320/321 QPC du 14 juin 2013.
Conseil Constitutionnel, Décision n° 2014-393 QPC du 25 avril 2014.
Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 24 octobre 2007, 07-81.583, Inédit.
CE, 12 mars 1980, Centre hospitalier spécialisé de Sarreguemines, No. 12572.
CE, 3 novembre 1989, M. Jean-Jacques M., No. 85424.
CE, 15 janvier 1992, C., No. 97149.
CE, 18 mars 1998, D., No. 191630.
CE, Avis 2 / 6 SSR, du 29 décembre 1999, 210147, publié au recueil Lebon.
CE, 12 mars 2003, Garde des Sceaux c/ Frérot, No. 237437.
CE, 14 décembre 2007, M.Miloud A., No. 290730.
CE, 14 décembre 2007, M. Franck A., No. 290420.
CE, 14 décembre 2007, M. Pascal A, No. 306432.
CE, 29 Février 2008, M. A. et autres, nos. 308145,308147.
CE, 31 octobre 2008, Section française de l’OIP, No. 293785.
CE, 14 novembre 2008, M. E. S, No. 315622.
CE, 17 décembre 2008, SFOIP, No. 293786.
CE, 17 décembre 2008, Section française de l’OIP, No. 305594.
CE, 30 novembre 2009, Garde des sceaux, ministre de la justice c/ M. Ali A.,
No. 318589.
CE, 26 novembre 2010, Ministre d’Etat, Garde des sceaux, ministre de la justice c/ M.
Hervé A., No. 329564.
CE, 28 mars 2011, Garde des Sceaux c/ M. A. B., No. 316977.
CE, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 28/12/2012, 357494.
CE, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 20/02/2013, 364081.
CE, Juge des référés, 06/06/2013, 368875.
CE, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 17/07/2013, 357405, Inédit au recueil Lebon.
CE, 21 mai 2014, Garde des sceaux, ministre de la justice c/ Mme A., No. 359672.
672

Les États-Unis d'Amérique

Ashelman v. Wawraszek, 111 F.3d 674, 678 (9th Cir.).


Beard v. Banks 399 F.3d 134 (2005).
Beard v. Banks 548 U.S. 521 (2006).
Beard, Secretary, Pensylvania Department of Corrections v. Banks, 548 U.S. 521.
Belville v. Ednie 74 F.3d 210, 214 (10th Cir. 1996).
Bryan v. Werner 516 F.2d 233 (3d Cir. 1975).
Campos v. Coughlin 854 F. Supp. 194 (S.D.N.Y. 1994).
Coffin v. Reichard (143 F.2d 443 (6th Cir. 1944).
Cooper v. Tard 855 F.2d 125 (3d Cir. 1988).
Dawson v. Scurr 986 F.2d 257, 261-262 (8th Cir. 1993).
Dehart v. Horn 390 F.3d 262 (3d Cir. 2004).
Doe v. Sparks 733 F. Supp. 227 (W.D. Pa. 1990).
Cruz et al. v. Beto and Estelle, 77-1641 (5th Circuit, 1979).
Frost v. Symington 197 F.3d 348, 357 (9th Cir. 1999).
Green v. Polunsky 229 F.3d 486, 491 (5th Cir. 2000).
Harris v. Chapman 97 F.3d 499, 504 (11th Cir. 1996).
Holt v. Hobbs 574 U.S. (2015).
Johnson v. California 543 U.S. 499 (2005).
Jones v. North Carolina Prisoners’ Labor Union, Inc. 433 U.S. 119 (1977).
Johnson v. California 543 U.S. 499 (2005).
Logan v. United States. Opinion of the court delivered by Mr. Justice Gray, 144 U.S. 263
(12 S.Ct. 617, 36 L.Ed. 429).
Loggins v. Delo 999 F.2d 364, 367 (8th Cir. 1993).
Love v. Reed, 216 F.3d 682, 690-691 (8th Cir. 2000).
Makin v. Colorado Dept. Of Corrections, 183 F.3d 1205, 1213-1214 (10th Cir.1999).
Mayweathers v. Newland, 258 F.3d 930 (9th Cir. 2001).
McNamara v. Moody 606 F.2d 621, 624 (5th Cir. 1979).
Monroe v. Pape 365 US 167 (1961).
O’Lone v. Estate of Shabazz, 482 U.S. 342 (1987).
Overton v. Bazzetta (02-94) 539 U.S. 126 2003.
Pell v. Procunier — 417 U.S. 817, 818 (1974).
Price v. Johnston 334 U.S. 266, 285 (1948).
Procunier v. Martinez 416 U.S. 396 (1974).
Ruffin v. Commonwealth (62, Va. 790, 1871).
Sandin v. Conner 515 U.S. 472 (1995).
Shaw v. Murphy, 532 U.S.223 (2001).
Thornburgh v. Abbott 490 U.S. 401 (1989).
Turner v. Safley 482 U.S. 78 (1987).
Williams v. Morton, 343 F.3d 212 (3d Cir. 2003).
Wolff v. McDonnell 418 U.S. 539, 555, 556 (1974).
United States v. Seeger 380 U.S. 163, 185 (1965).
673

Le Canada
Cunningham v. Canada, [1993] 2 S.C.R. 143.
Dumas v. Leclerc Institute, [1986] 2 S.C.R. 459.
May v. Ferndale Institution, [2005] 3 S.C.R. 809, 2005 SCC 82.
Mission Institution v. Khela, [2014] SCC 24, 1 S.C.R. 502.
RJR-MacDonald Inc. v. Canada (Attorney General), [1995] 3 S.C.R. 199.
Sauvé v. Canada (Attorney General), [1993] 2 S.C.R. 438.
Sauvé v. Canada (Chief Electoral Officer), [2002] 3 S.C.R. 519, 2002 SCC 68.
Solosky v. The Queen, [1980] 1 S.C.R. 821.
R. v. Miller, [1985] 2 S.C.R. 613.
R. v. Oakes, [1986] 1 SCR. 103.
R. v. Smith, [1987] 1 S.C.R. 1045.
R. v. Solosky, [1980] 50 C.C.C. (2d) 495 (S.C.C.).

Le Royaume-Uni

R (Daly) v. Home Secretary [2001] 2 AC 532.


Raymond v. Honey [1982] AC 1.
Raymond v. Honey [1982] AC 1, [1981] UKHL 8.
R v. Secretary of State for the Home Department ex parte Leech (No. 2).
R (Allen) v Secretary of State for Justice (2008).
R (Graham) v Secretary of State for Justice (2007).
R (Mellor) v Secretary of State for the Home Department [2001] 3 WLR 533.
Regina v. Secretary of State for the Home Department Ex Parte Simms (A.P.) (1999).
Secretary of State For The Home Department, Ex Parte Daly, R v. [2001] UKHL 26.
The Queen on the Application of Mellor v. Secretary of State for the Home Department, 3
WLR 533 (2001).

La Belgique

Conseil d’État, section du contentieux administratif:


11 mars 2003, arrêt De Smedt c. État belge.
09 septembre 2005, arrêt de Goorickx c. État belge.
31 mars 2007, Sekkaki c. État belge.
11 mars 2008, arrêt de Devolli c. État belge.
25 juin 2010, arrêt de Badra c. État belge.
03 septembre 2010, arrêt d'Evita c. État belge.
26 novembre 2010, arrêt de Malengreaux c. État belge.
01 décembre 2010, arrêt de Preud’homme d'Hailly de Nieuport c. État belge.
14 mars 2012, arrêt de Soufiani c. État belge.
03 mai 2012, arrêt de Mouffe c. État belge.
6 décembre 2012, arrêt de Hilami c. État belge.
20 mai 2013, arrêt de Afkir c. État belge.
08 octobre 2014, arrêt de Feratovic c. État belge.
18 février 2015, arrêt de De Rouck c. État belge.
21 mai 2015, Budisavljevik c. État belge.
674

10 novembre 2015, arrêt de Dahmani c. État belge.


15 septembre 2016, arrêt de El Jaabari c. État belge.
09 février 2017, arrêt de Van Vinkenroije c. État belge.
16 janvier 2017, arrêt de Riahi Hichal c. État belge.
27 janvier 2017, arrêt de Detournay c. État belge.
12 septembre 2017, arrêt de Trimini Langeri c. État belge.

Autres juridictions :

Cour Constitutionnelle, 29 janvier 2014, arrêt nº 20/2014.


Cour de cassation de Belgique, 04 mai 2015, N° S.13.0128.F.
Cour d’appel, Mons, 21.06.2017, 2017/RF/1 ( 2ème chambre).
Cour d’appel de Liège (1re chambre civile), 03 février 2016, 2015/RF/48.
Bruxelles (8e ch.), 11 décembre 2007, R.G. 2007 / KR / 232, inédit.
675

Table de matières

Sommaire ................................................................................................................................... 4
Liste d'abréviations et de sigles .................................................................................................. 5
Introduction .............................................................................................................................. 7

Partie I : Nature juridique des limitations des droits des détenus..................................... 47


1.1. Notions et caractéristiques des limitations des droits............................................... 49
1.1.1. Rétrécissement de l'étendue et du contenu des droits existants ........................................... 51
1.1.2. Détermination formelle de la limitation .............................................................................. 59
1.1.3. Instauration d'une limitation à but précis............................................................................. 65
1.1.4. Mise en œuvre des limitations par l'État.............................................................................. 67
Conclusion du chapitre 1.1 ............................................................................................................ 70

1.2. Formes de limitations des droits................................................................................. 72


1.2.1. Formes des limitations normatives ...................................................................................... 73
1.2.1.1. Privation du droit subjectif en tant que forme de limitation du droit ........................... 73
1.2.1.2. Interdiction en tant que forme de limitation du droit.................................................... 75
1.2.1.3. Devoir en tant que forme de limitation du droit ........................................................... 78
1.2.1.4. Consécration du droit subjectif spécifique des détenus en tant que forme de limitation
du droit ...................................................................................................................................... 82
1.2.1.5. Instauration de la responsabilité spécifique en tant que forme de limitation du droit .. 90
1.2.2. Formes des limitations pratiques ......................................................................................... 95
Conclusion du chapitre 1.2 ............................................................................................................ 98

1.3. Classification des limitations des droits ................................................................... 101


1.3.1. Classification en fonction de l'application selon la discrétion ........................................... 101
Conclusion du sous-chapitre 1.3.1........................................................................................... 103
1.3.2. Classification selon l'origine de la limitation. Restrictions de droits découlant de
l'incarcération .............................................................................................................................. 104
Conclusion du sous-chapitre 1.3.2........................................................................................... 120
Conclusion du chapitre 1.3 .......................................................................................................... 121

1.4. Limites des droits subjectifs...................................................................................... 123


Conclusion du chapitre 1.4 .......................................................................................................... 128

1.5. Point de vue philosophique sur la nature des limitations des droits ..................... 129
1.5.1. Idées fondamentales de la philosophie des limitations des droits des détenus .................. 129
676

1.5.2. Limites du rapprochement des droits des détenus avec les droits des citoyens libres ....... 135
Conclusion du chapitre 1.5 .......................................................................................................... 158

Conclusion (Partie I) ............................................................................................................ 160

Partie ІІ : Normes internationales de limitation des droits des détenus ......................... 163
2.1. Normes des Nations Unies en matière de limitation des droits des détenus ......... 163
2.1.1. Limitations des droits des détenus dans les Règles minima pour le traitement des détenus
de 1957 (RMT) et de 2015 (RMT Mandela) ............................................................................... 166
2.1.1.1. Limitations dans les RMT .......................................................................................... 166
2.1.1.2. Règles Mandela .......................................................................................................... 171
2.1.2. Principes de base pour le traitement des détenus .............................................................. 173
2.1.3. Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme
quelconque de détention ou d'emprisonnement ........................................................................... 175

2.2. Normes du Conseil d'Europe en matière de limitation des droits des détenus .... 178
2.2.1. Limitations des droits des détenus dans la jurisprudence de la CEDH ............................. 178
2.2.1.1. Doctrine des limitations inhérentes à l'incarcération et caractère spécifique de la norme
de limitation des droits des détenus ......................................................................................... 178
2.2.1.2. Exigences de la Convention vis-à-vis des limitations justifiées ................................. 198
2.2.2. Droit mou du Conseil de l'Europe ..................................................................................... 252
2.2.2.1 Normes du CPT en matière de limitations des droits des détenus ............................... 252
2.2.2.2. Recommandations du Comité des ministres du Conseil de l'Europe ......................... 270

Conclusion (Partie ІІ)........................................................................................................... 286

Partie ІІІ : Limitations des droits des détenus: expérience par pays .............................. 289
3. 1. France ........................................................................................................................ 289
3.1.1. Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ................................................. 289
3.1.2. Loi pénitentiaire de 2009 ................................................................................................... 293
3.1.2.1. Clause limitative générale (article 22 de la Loi pénitentiaire) .................................... 294
3.1.2.2. Clauses limitatives des autres droits prévues par la Loi pénitentiaire ........................ 308
3.1.2.3. Jurisprudence relative à l'application de l'article 22 ................................................... 315
3.1.3. Doctrine française des limitations des droits ..................................................................... 324
3.1.3.1. Le détenu, citoyen à part entière................................................................................. 324
3.1.3.2. Le détenu n'est privé que de la liberté "d'aller et venir" ............................................. 335
3.1.3.3. Doctrine de rapprochement avec le droit commun ..................................................... 341
677

3.1.4. Juridictionnalisation du domaine pénitentiaire .................................................................. 356


3.1.4.1. Juridictionnalisation et évolution du droit pénitentiaire français ............................... 356
3.1.4.2. Conception des normes garantissant le recours des détenus à la justice .................... 368
3.1.4.3. Facteurs supplémentaires d'amélioration de l'influence de la jurisprudence sur les
pratiques d'exécution des peines.............................................................................................. 380
Conclusion du chapitre 3.1 .......................................................................................................... 386

3.2. États-Unis ................................................................................................................... 389


3.2.1. Juges et limitations des droits des détenus ........................................................................ 389
3.2.2. Normes judiciaires des limitations .................................................................................... 393
Conclusion du chapitre 3.2 .......................................................................................................... 414

3.3. Grande-Bretagne ....................................................................................................... 416


3.3.1. Doctrine et jurisprudence .................................................................................................. 416
3.3.2. Politique de motivation et de privilèges ............................................................................ 426
Conclusion du chapitre 3.3 .......................................................................................................... 432

3.4. Canada ........................................................................................................................ 434


3.4.1. Loi pénitentiaire ................................................................................................................ 434
3.4.1.1. Groupe de travail ........................................................................................................ 434
3.4.1.2. Limitations dans la Loi ............................................................................................... 440
3.4.2. Jurisprudence de la Cour suprême du Canada et limitations des droits des détenus ......... 451
3.4.2.1. Affaire Solosky........................................................................................................... 452
3.4.2.2. Affaire Oakes ............................................................................................................. 454
3.4.2.3. Affaire Sauvé .............................................................................................................. 457
3.4.2.4 Autres décisions en matière de restrictions de droits des détenus ............................... 466
Conclusion du chapitre 3.4 .......................................................................................................... 472

3.5. Belgique ...................................................................................................................... 474


3.5.1. Loi pénitentiaire ................................................................................................................ 474
3.5.2 La Loi Dupont en pratique ................................................................................................. 484
Conclusion du chapitre 3.5 .......................................................................................................... 493

3.6. Pays-Bas ...................................................................................................................... 495


3.6.1. Loi sur les principes de l'administration pénitentiaire ....................................................... 495
Conclusion du chapitre 3.6 .......................................................................................................... 505

3.7. L'Ukraine (évolution actuelle de la législation en rapport avec la limitation des


droits des détenus) ............................................................................................................ 506
3.7.1. Projets de loi relatifs aux limitations des droits des détenus ............................................. 506
678

3.7.2. Plan d'action dans le domaine des droits de l'homme ........................................................ 529
Conclusion du chapitre 3.7 .......................................................................................................... 544

Conclusion (Partie ІІІ) ......................................................................................................... 546

Conclusion générale ............................................................................................................. 549


Liste des annexes .................................................................................................................. 558
Annexe n° 1 ........................................................................................................................ 559
Annexe n° 2 ........................................................................................................................ 573
Annexe n° 3 ........................................................................................................................ 615
Bibliographie......................................................................................................................... 630
En français ................................................................................................................................... 630
En anglais .................................................................................................................................... 642
En français et en anglais .............................................................................................................. 655
En ukrainien et en russe............................................................................................................... 658
Jurisprudence internationale et des pays analysés ....................................................................... 668

Table de matières ................................................................................................................. 675


679

Les limitations des droits des détenus: nature juridique et justification


Cette thèse porte sur les limites du pouvoir étatique de restreindre les droits des détenus. Afin d'explorer cette question,
l’auteur identifie les spécificités de ces limitations qui peuvent influencer la justification de leur application. Ces spécificités
rendent la justification des limitations en milieu pénitentiaire plus facile par rapport à celles des citoyens libres. La thèse
propose des barrières juridiques améliorées contre les limitations non-justifiées.

L’auteur propose une théorie originale sur la nature juridique des limitations aux droits des détenus. Il décrit aussi les
normes pertinentes développées par l’ONU et le Conseil de l’Europe (la Cour européenne et le Comité pour la prévention
de la torture) ainsi que les normes nationales encadrées par la législation et la jurisprudence. Une analyse critique de ces
normes est menée afin de comprendre leurs défauts et de prévenir la commission d’erreurs à l’avenir.

La doctrine populaire selon laquelle les détenus conservent tous les droits sauf ceux qui sont incompatibles avec
l'emprisonnement est rejetée car elle s’avère peu protectrice du point de vue juridique. En revanche, d’autres axes
d’amélioration des clauses limitatives existantes en droit pénitentiaire sont proposés. Il s’agit de la construction de
garanties procédurales contre l’abus de limitations non-justifiées et notamment du renforcement du rôle du contrôle
judiciaire ainsi que de l’application du principe de proportionnalité. L’application légitime de ce principe est plus complexe
en monde libre qu’en milieu fermé ; elle requiert sans doute non de s’appuyer non seulement sur des arguments juridiques
et logiques, mais encore sur des arguments empiriques.

Mots-clés: limitations, droits des détenus, prison, détenus, exécution des peines, système pénitentiaire

Limitations of Prisoners' Rights: the Legal Nature and Justification


This thesis focuses on the limits of the State’s power in restricting prisoners’ rights. In order to explore this issue, the author
identifies the specificities of these limitations which can influence the justification of their use. Due to these specificities, it
is easier to justify the limitations of prisoners’ rights than those of free citizens. It is on this basis that the thesis suggests to
improve legal barriers against the unjustified limitations of prisoners' rights.

The author develops an original theory pertaining to the legal nature of limitations applied to prisoners' rights.
Furthermore, he describes the standards developed by the UN and the Council of Europe (the European Court and the
Committee for the Prevention of Torture) which apply to these limitations, as well as the relevant national standards
defined by legislations and/or jurisprudence. A critical analysis of these standards is conducted with the purpose of
understanding their flaws and preventing them in the future.

The popular view according to which detainees retain all their rights, with the sole exception of those that are incompatible
with imprisonment is rejected as not providing sufficient legal protection. This thesis presents alternative ideas for
improving restrictive prison law clauses. Particular attention is paid to the construction of procedural safeguards against the
abuse of unjustified limitations, including strengthening the role of judicial review and the principle of proportionality. In a
security context, it is more complicated to apply this principle legitimately as it might require not only legal and logical
arguments, but also empirical data.

Key words : restrictions, rights of prisoners, prison, prisoners, execution of punishment, penitentiary system

Discipline : SCIENCES JURIDIQUES


Spécialité : DROIT PUBLIC
Université de Reims Champagne-Ardenne

CEJESCO - EA 4693

Campus Croix rouge


Maison de la recherche - Bat 13 R320 57
rue Pierre Taittinger 51096 Reims Cedex

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