La Famille
La Famille
La Famille
La famille est une cellule qui relève de l'intimité de tout un chacun. Dès lors, comprendre
l'intrusion d'un droit répressif en son sein n'est pas chose évidente. Pourtant, force est de
constater que l'activité pénale s'y est intensifiée ces dernières années.
La question est alors de savoir quelles sont les raisons qui justifient cette intervention du droit
pénal au sein de la famille. Cette problématique nous conduit à interroger la place du droit
pénal dans la famille. Cette étude met en lumière deux conditions de l'intervention du droit
pénal : l'existence d'un dysfonctionnement dans la famille, une condition indispensable ; et la
protection de valeurs sociales au sein de la famille, une condition nécessaire.
Il convient par conséquent de construire, premièrement, le concept de dysfonctionnement
familial autour de trois critères que sont la nature du dysfonctionnement, la gravité de ce
dysfonctionnement et enfin le moment de son apparition.
Deuxièmement, s'agissant de la protection des valeurs sociales dans la famille, deux modalités
d'intervention sont à dissocier : une modalité classique selon laquelle le droit pénal est
essentiellement un droit sanctionnateur et une modalité novatrice selon laquelle le droit pénal
affirme sa singularité.
Titre en anglais : The legitimization of the intervention of the criminal law in the
family
Et résumé en anglais :
The family is an entity that falls under the privacy of everyone. Therefore, understanding the
intrusion of a repressive law within it is not something obvious. Yet it is clear that penal
activity has increased in the family those past years.
Then the question is what are the reasons that justify the intervention of penal law within the
family. This problem leads us to question the place of criminal law in the family. This study
highlights two conditions for the intervention of penal law: the existence of a malfunction in
the family, an indispensable condition; the protection of social values within the family, a
necessary condition.
First, it is therefore necessary to build the concept of family dysfunction on three criteria
which are the nature of the malfunction, the severity of this dysfunction and finally the
moment of its appearance.
Second, with regard to the protection of social values in the family, two modalities of
intervention are dissociated: a classic mode that penal law is essentially an accessory law and
an innovative modality that penal law asserts its singularity.
Discipline :
Droit et sciences criminelles .........................................................................................................
Mots-clés :
Droit pénal ; Famille ; Droit civil ; Droit public ; Immunités familiales ...........................................
2
« L’Université n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions
émises dans cette thèse ; ces opinions doivent être considérées comme propres à
leur auteur »
3
À mes parents, pour leur amour et leur indéfectible confiance
À Mickaë
4
REMERCIEMENTS
Parce que l’étude transversale exigée par le thème de recherche choisi, appelait à la réunion
de données juridiques et extra-juridiques, éparses, théoriques mais également pratiques, la
contribution des personnes qui m’ont chaleureusement reçue et conseillée, fut précieuse. Je
tiens donc, tout particulièrement, à remercier Madame Sylvie CHANTELAUZE, chef de
service éducatif au foyer les « Pressoirs du Roy » de Samoreau, Monsieur Jean SAINT-
CLÉMENT, directeur de la CAF Guadeloupe, Monsieur Michel VELAYANDON,
mandataire judiciaire à la protection des majeurs, Maître Hubert JABOT, mon ancien
directeur de stage, Madame Audrey THÉOPHILE, assistante sociale et Monsieur Charly
POMPILIUS, directeur d’école. Ma gratitude va aussi à l’équipe de l’Association d’aide aux
victimes de Montpellier, et particulièrement à Mesdames Cecilia LLOR et Audrey FRAUD,
ainsi qu’à celle du Parquet du Tribunal de grande instance de Fontainebleau.
Mille mercis enfin aux personnes qui me sont chères : Ma famille tant biologique
qu’affective, mon compagnon, et mes amis, qui ont été présents pour moi bien avant le début
de cette entreprise ; sans oublier Patricia et Marie-Line, pour les joies et les fous rires.
1
SOMMAIRE
Introduction
Conclusion générale
2
TABLE DES MATIÈRES
REMERCIEMENTS 1
SOMMAIRE ............................................................................................................................. 2
LISTE DES PRINCIPALES ABRÉVIATIONS ................................................................... 8
INTRODUCTION .................................................................................................................. 11
Première Partie ....................................................................................................................... 55
UN PREALABLE À L’INTERVENTION DU DROIT PÉNAL, L’EXISTENCE D’UNE
FAMILLE DYSFONCTIONNELLE ................................................................................... 55
Titre I – L’IDENTIFICATION DE LA FAMILLE DYSFONCTIONNELLE................ 56
Chapitre I. Le rejet d’un critère de normalité familiale ............................................................ 58
Section I. Du droit de mener une vie familiale normale au concept de famille normale ......... 59
§1 - La reconnaissance du droit de tout individu à mener une « vie familiale normale »........ 59
A. Les fondements normatifs de l’émergence d’un droit de mener une vie familiale normale59
1) Les fondements européens ................................................................................................... 60
2) Les fondements nationaux ................................................................................................... 62
B. L’émergence jurisprudentielle du droit de mener une vie familiale normale ...................... 63
§2 - L’avènement du concept de normalité familiale ............................................................... 66
A. La liberté de mener une vie familiale normale, un droit susceptible d’ingérence publique 66
B. Une construction socio-idéologique de la normalité familiale ............................................ 68
1) Les acteurs de la définition de la normalité familiale .......................................................... 68
a) La société.............................................................................................................................. 68
b) Le législateur et le juge ........................................................................................................ 69
2) Une normalité familiale appréciée au cas par cas ................................................................ 71
a) La vie familiale normale et la polygamie ............................................................................. 72
b) La vie familiale normale et la vie commune ........................................................................ 73
c) La vie familiale normale et l’adoption simple ..................................................................... 74
d) La vie familiale normale et la procréation médicalement assistée....................................... 74
e) La vie familiale normale et la famille homoparentale......................................................... 75
f) La vie familiale normale, le transsexualisme et la « transparentalité » ......................... 79
Section II. La normalité familiale, un critère insatisfaisant en droit pénal .............................. 82
§1 - Un critère inadapté à la logique pénale ............................................................................. 82
A. L’absence de clarté du paradigme de normalité familiale ................................................... 82
B. L’indifférence du paradigme de normalité familiale en droit pénal .................................... 84
§2 - Un critère dépourvu de fiabilité scientifique..................................................................... 85
A. La limite subjective à la fiabilité du critère de normalité .................................................... 85
B. La limite objective à la fiabilité du critère de normalité ...................................................... 87
Chapitre II. Un critère de définition, la « dysfonctionnalité familiale » .................................. 88
Section I. Les contrariétés au « bon vivre ensemble » ............................................................. 92
§1 - La famille violente ............................................................................................................ 92
A. La violence intraconjugale .................................................................................................. 93
1) La nature des violences ........................................................................................................ 95
a) Les violences physiques ....................................................................................................... 95
b) Les violences d’ordre sexuel .............................................................................................. 102
3
c) Les violences psychologiques ............................................................................................ 112
d) Les violences par intimidation ........................................................................................... 124
2) Les caractéristiques des violences conjugales ................................................................... 126
a) Une violence cumulative .................................................................................................... 126
b) Une violence graduelle....................................................................................................... 128
c) Une violence non « genrée » .............................................................................................. 134
d) Les principaux facteurs objectifs de violences .................................................................. 140
3) Les profils criminologiques des protagonistes ................................................................... 145
a) Le profil du conjoint violent............................................................................................... 145
b) Le profil du conjoint victime ............................................................................................. 154
B. Les violences envers les autres membres de la famille ..................................................... 158
1) Les violences à l’encontre de l’enfant................................................................................ 158
2) Les violences à l’encontre de l’ascendant .......................................................................... 167
§2 - La famille homicide ........................................................................................................ 168
A. L’homicide intrafamilial .................................................................................................... 169
1) Le crime passionnel ........................................................................................................... 170
2) Le meurtre de l’enfant ........................................................................................................ 173
B. La légitime défense différée .............................................................................................. 174
Section II. Les contrariétés au « bien vivre ensemble » ........................................................ 182
§1 - La défaillance familiale par abandon du mineur ............................................................. 182
§2 - La défaillance familiale entraînant une mise en péril du mineur .................................... 186
Conclusion du Titre I.............................................................................................................. 197
Titre II - LA PRISE EN CHARGE DU DYSFONCTIONNEMENT FAMILIAL ........ 199
Chapitre I. La révélation du dysfonctionnement familial....................................................... 200
Section I. La dénonciation du dysfonctionnement familial .................................................... 200
§1 - Les écueils liés à la dénonciation des dysfonctionnements familiaux ............................ 201
A. Un dysfonctionnement familial difficilement quantifiable ............................................... 202
1) Le huis clos familial ........................................................................................................... 203
2) Le faible taux de dénonciation ........................................................................................... 205
3) Le caractère lacunaire des données statistiques recueillies ................................................ 210
B. Un dysfonctionnement familial difficile à prouver ........................................................... 214
§2 - Les acteurs de la dénonciation ........................................................................................ 216
Section II. L’appréciation du dysfonctionnement .................................................................. 218
§1 - Une appréciation objective du dysfonctionnement familial ........................................... 219
A. Le trouble familial pénalement « impunissable ».............................................................. 219
B. Le dysfonctionnement familial non-imputable à l’auteur ................................................. 224
§2 - Une appréciation subjective du dysfonctionnement familial .......................................... 225
A. Le législateur ..................................................................................................................... 225
B. Les différents acteurs de la justice pénale ......................................................................... 227
1) Les principaux acteurs judiciaires ...................................................................................... 227
2) Un acteur judiciaire essentiel : l’expert judicaire............................................................... 232
Chapitre II. Le traitement du dysfonctionnement familial ..................................................... 234
Section I. Vers une meilleure prise en charge du dysfonctionnement ................................... 234
§1 - La lutte contre les violences au sein du couple ............................................................... 234
A. Le volet préventif de la lutte contre les violences conjugales ........................................... 235
1) La mesure d’éviction du conjoint violent .......................................................................... 235
2) L’accompagnement du conjoint victime ............................................................................ 242
3) Quelques pistes de travail à caractère préventif à approfondir .......................................... 248
B. Le volet répressif de la lutte contre les violences conjugales ............................................ 251
4
§2 - La protection de l’enfance en danger .............................................................................. 252
A. L’enfant co-victime des violences conjugales ................................................................... 253
B. La sécurisation du parcours de protection de l’enfant ....................................................... 257
Section II. Vers une meilleure formation des professionnels au contact de la famille .......... 263
§1 - Le caractère essentiel de la formation à la détection des dysfonctionnements
intrafamiliaux ......................................................................................................................... 264
§2 - Une meilleure définition de l’orientation à donner au traitement des dysfonctionnements
familiaux................................................................................................................................. 267
Conclusion du Titre II ............................................................................................................ 271
Conclusion de la Partie I ........................................................................................................ 272
Deuxième Partie .................................................................................................................... 274
UNE CONDITION NÉCESSAIRE DE L’INTERVENTION, LA PROTECTION DE
VALEURS SOCIALES ET FAMILIALES ....................................................................... 274
Titre I - UNE MODALITÉ D’INTERVENTION CLASSIQUE DU DROIT PÉNAL.. 276
Chapitre I. La subsidiarité du droit pénal dans la famille ...................................................... 279
Section I. Une subsidiarité du droit pénal quant aux valeurs sociales attenantes à la famille 279
§1 - La famille, une valeur sociale non consacrée par le droit pénal ..................................... 280
A. La famille, reconnue comme valeur sociale essentielle .................................................... 283
1) L’appréhension du concept de valeurs sociales protégées ................................................. 283
a) La source de la valeur sociale, l’éthique ............................................................................ 283
b) La valeur sociale préexistante au droit .............................................................................. 286
2) Un concept de valeur sociale applicable à la famille ......................................................... 290
B. La famille, consacrée comme valeur sociale par des disciplines juridiques principales ... 293
§2 - La famille, fédératrice de valeurs sociales protégées par le droit pénal ......................... 296
A. La protection pénale de la famille en qualité de sujet créateur de valeurs sociales .......... 296
1) La famille, sujet titulaire de valeurs sociales ..................................................................... 296
2) La famille, sujet créateur de valeurs sociales .................................................................... 302
B. La protection pénale accessoire de valeurs sociales propres à la famille .......................... 303
1) La protection pénale accessoire de l’intérêt de l’enfant ..................................................... 303
2) La protection pénale accessoire de l’intégrité physique et morale du conjoint ................. 306
3) La protection pénale accessoire de l’institution du mariage .............................................. 308
Section II. Une subsidiarité du droit pénal quant à ses fonctions dans la famille .................. 314
§1 - Le droit pénal accessoire, instrument de contrôle social au sein de la famille .............. 315
A. Le droit pénal, gardien d’ordre public dans la famille ..................................................... 315
B. Un droit pénal essentiellement dissuasif dans la famille ................................................... 322
1) Une peine prononcée ultima ratio ...................................................................................... 322
2) Le rôle préventif du droit pénal.......................................................................................... 324
§2 - Rejet d’un droit pénal accessoire à la loi morale au sein de la famille ........................... 329
A. Droit pénal et morale, des notions distinctes ..................................................................... 330
B. D’un souci de prévention sociale à un risque de contrôle social : les nouvelles fonctions de
la peine ................................................................................................................................... 332
Chapitre II. Le droit pénal dans la famille, entre adaptation et dénaturation ......................... 336
Section I. L’adaptation de l’application du droit pénal au contact de la famille .................... 336
§1 - Une répression soumise à l’existence d’une famille ....................................................... 337
A. La famille, élément de définition de l’infraction ............................................................... 337
1) La limitation du champ de compétence du droit pénal ...................................................... 338
a) La soumission explicite de la compétence pénale à la violation d’une décision de justice339
b) La soumission implicite à la violation d’une décision de justice, le respect du droit objectif
à la représentation de l’enfant ................................................................................................ 348
5
2) L’action du droit pénal soumise à une identité familiale forte .......................................... 356
B. La famille, circonstance de la répression ........................................................................... 359
1) Une circonstance aggravante ............................................................................................. 359
2) Une circonstance atténuante............................................................................................... 363
§2 - La répression contrariée par l’existence d’une famille, la famille-écran ........................ 367
A. La famille, obstacle à la répression ................................................................................... 368
B. La famille, frein à la répression ......................................................................................... 371
Section II. La dénaturation du droit pénal au contact de la famille........................................ 372
§1 - Une technique d’incrimination atypique en droit pénal .................................................. 374
A. Une vocation illusoire à l’autonomie ................................................................................ 375
B. Un caractère personnalisable à l’envi ................................................................................ 380
§2 - Un raisonnement d’incrimination atypique en droit pénal, ou l’opportunisme législatif390
A. Le détournement de la finalité du droit pénal à des fins stratégiques ............................... 391
1) Le détournement à des fins pédagogiques ......................................................................... 391
a) La soustraction à l’obligation scolaire, une incrimination dépourvue d’effectivité ........... 392
b) L’extension de l’application du droit pénal à la soustraction à l’obligation d’assiduité
scolaire.................................................................................................................................... 399
2) Le détournement à des fins purement pragmatiques .......................................................... 404
B. Le détournement de la finalité du droit pénal à des fins victimologiques ......................... 409
Conclusion du Titre I.............................................................................................................. 411
Titre II - UNE MODALITÉ D’INTERVENTION NOVATRICE DU DROIT PÉNAL
DANS LA FAMILLE ........................................................................................................... 413
Chapitre I. L’expression d’une singularité du droit pénal dans la famille ............................. 422
Section I. Une singularité fonctionnelle dans la famille ........................................................ 424
§1 - La neutralité du droit pénal vis-à-vis de la famille ......................................................... 424
A. La neutralité vis-à-vis de la conjugalité............................................................................. 426
1) La consolidation d’un véritable concept de couple en droit pénal ..................................... 426
2) Droit pénal et liberté sexuelle ............................................................................................ 430
B. La neutralité vis-à-vis du tiers ........................................................................................... 431
1) La reconnaissance par le droit civil d’une fonction affective du beau-parent ................... 433
2) L’admission par le droit pénal d’une fonction d’autorité du beau-parent.......................... 436
§2 - L’originalité fonctionnelle du droit pénal dans la famille............................................... 441
Section II. Une singularité conceptuelle dans la famille ........................................................ 445
§1 - Une singularité conceptuelle et des divergences interprétatives ..................................... 446
A. La notion de communauté de vie reconsidérée en droit pénal .......................................... 446
1) Communauté de vie et proxénétisme ................................................................................. 447
2) Communauté de vie et violences conjugales ..................................................................... 451
B. L’absence de répression du délit de bigamie quant au PACS ........................................... 453
1) Le constat d’une absence de répression ............................................................................. 454
2) Des éléments d’explication de l’absence de répression ..................................................... 455
§2 - La singularité conceptuelle et les absorptions interprétatives ......................................... 460
A. L’absorption pénale du concept civil d’inceste ................................................................. 460
1) L’alignement du droit pénal sur le droit civil quant à l’inceste ......................................... 461
2) Les limites à l’alignement du droit pénal sur le droit civil quant à l’inceste ..................... 463
B. La consécration par le droit pénal de la valeur probante de la déclaration sur l’honneur en
droit civil ................................................................................................................................ 469
Chapitre II. La résilience du droit pénal ................................................................................. 472
Section I. La famille, une valeur secondaire en droit pénal ................................................... 473
§1 - La hiérarchisation des valeurs sociales en droit pénal .................................................... 473
6
A. La valeur sociale protégée, un outil de structuration en droit pénal .................................. 473
B. La supériorité de valeurs-finalité autres que la famille en droit pénal .............................. 476
1) La valeur-finalité, l’objet réel de l’infraction d’emblée familiale ..................................... 477
2) La famille, une valeur-témoin en droit pénal ..................................................................... 478
a) Un simple repère de protection .......................................................................................... 478
b) L’absence de consécration d’un intérêt familial en droit pénal ......................................... 481
c) Un refus conscient de consécration d’un intérêt familial en droit pénal ............................ 484
d) Un tempérament en demi-teinte, l’action civile des associations familiales ..................... 487
§2 - La famille, un intermédiaire de protection ...................................................................... 490
A. La protection affirmée de l’individu au sein de sa famille ................................................ 491
1) Le droit pénal défenseur d’un ordre public de protection dans la famille ......................... 492
2) Les manifestations d’un ordre public de protection en droit pénal .................................... 496
B. La protection passive d’une entité familiale méconnue .................................................... 502
Section II. Le repli général du droit pénal dans la famille ..................................................... 502
§1 - La décriminalisation du lien familial .............................................................................. 503
A. La décriminalisation de l’adultère ..................................................................................... 504
1) L’importance passée de la répression de l’adultère dans la pensée collective................... 504
2) La suppression du délit d’adultère ou la révélation de la juste mesure du droit pénal ...... 508
B. La décriminalisation de l’avortement ................................................................................ 511
§2 - La désacralisation du lien familial .................................................................................. 514
A. Le lien familial exempt de privilèges ................................................................................ 514
1) Le droit de correction discrédité ........................................................................................ 515
2) L’effet limité des immunités familiales ............................................................................. 517
B. Le lien familial en proie à l’intransigeance pénale ............................................................ 520
Conclusion du Titre II ............................................................................................................ 523
Conclusion de la Partie II ....................................................................................................... 524
CONCLUSION GÉNÉRALE ............................................................................................. 525
ANNEXE ............................................................................................................................... 531
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................... 536
INDEX ALPHABÉTIQUE .................................................................................................. 598
7
LISTE DES PRINCIPALES ABRÉVIATIONS
8
Contra Solution contraire
Conv. EDH Convention européenne des droits de l’homme
C. pén. Code pénal
C. pr. pén. Code de procédure pénale
CPCE Code de procédure civile d’exécution
CSP Code de la santé publique
D. Recueil Dalloz
DH. Recueil hebdomadaire de jurisprudence Dalloz (années
antérieures à 1944)
dir. Sous la direction de
Doctr. Doctrine
Dr. Fam. Revue Droit de la famille (LexisNexis)
Dr. Pén. Revue Droit pénal (LexisNexis)
éd. Édition
Fasc. Fascicule
Gaz. Pal. Gazette du palais
in Dans
infra Ci-dessous
in fine en fin de
inf. rap. Informations rapides
J.-Cl. Juris-Classeur (Encyclopédies)
JCP. éd. G Juris-Classeur périodique (Semaine juridique), édition générale
JO Journal officiel
JOCE Journal officiel de Communauté européenne
JOUE Journal officiel de l’Union européenne
LPA Les Petites Affiches (Lextenso)
n° Numéro
not. Notamment
NP non publié au bulletin
obs. Observations
op. cit. Opere citato
Ord. Ordonnance
p. Page
9
Pan. Panorama
préc. précité
préf. Préface
QPC Question prioritaire de constitutionnalité
RDSS Revue de droit sanitaire et social
Rép. dr. eur. Répertoire de droit européen
Rép. pén. Répertoire de droit pénal et de procédure pénale
Rép. civ. Répertoire de droit civil
RSC. Revue de sciences criminelles
Rev. sociétés Revue des sociétés
RFDA Revue française de droit administratif
RTD. civ. Revue trimestrielle de droit civil
s. Suivant(e)s
spéc. Spécialement
ss. Sous
supra Ci-dessus
T. corr. Tribunal correctionnel
TGI Tribunal de grande instance
V. Voir
Vol. Volume
10
INTRODUCTION
« La famille n’est pas naturelle, elle est d’emblée culturelle. Ceux qui invoqueront, qu’elle
devrait être ceci ou cela se tromperont dans leurs prémisses et développeront surtout le
modèle qu’ils ont choisi ».1
2. Des familles mafieuses. – Aujourd’hui encore, on s’aperçoit que ce lien entre la famille
et la criminalité est réactualisé à travers certaines pratiques de groupes claniques marginaux.
Ici, le lien familial vient véritablement justifier le passage à l’acte criminel.
Ce phénomène a d’abord été observé au sein de groupes mafieux. Les exemples des très
célèbres mafias de la Comorra6 ou de la Casa Nostra7 permettent de dresser un portrait de ces
1
P. Steck, Droit et famille. Tous les droits, Economica, 1997, p. 2, n°2.
2
A. Prins, Science pénale et droit positif, Bruxelles, Emile Bruylant, 1899, n°54-55, p. 28-29.
3
M.-C. Sordino, Droit pénal général, 6e éd., Paris, Ellipses, 2016, p. 14.
4
À Rome, le pater familias désigne le chef de famille sous l’autorité duquel était placée toute la maisonnée.
5
H. Inglebert, « Le droit romain », in Histoire de la civilisation romaine, Paris, PUF, 2005, p. 115.
6
Le terme Comorra n’est employé que par les personnes extérieures au clan (policiers, magistrats,
universitaires). En réalité, les initiés parlent du « Système de Secondigliano ». Il s’agit d’un groupe mafieux
napolitain qui s’est constitué dès l’unification de l’Italie au XIXe siècle. Il repose sur un réseau économique
11
familles criminelles8. Traditionnellement, ce groupe se forme par la double sélection du sang9
et du sexe10. Majoritairement liés par des liens filiaux, les membres de ce dernier apparaissent
comme particulièrement solidaires et loyaux. Pour fortifier le clan, la confiance est
essentielle. Ceci explique, d’ailleurs, que les tiers initiés aux « combines » mafieuses soient
peu nombreux. De structure pyramidale, le plus souvent, la famille mafieuse est dirigée par le
parrain. Il est le chef du clan. Il accède généralement à cette place par hérédité et c’est lui qui
fédère les différentes composantes de celui-ci. Il décide de la tactique à adopter, des meurtres
à commettre et gère la manne financière générée par les activités illégales du groupe. Secondé
hiérarchiquement par un consigliere, des chefs de dizaine ou capos, et des soldats11, il est
détenteur d’un pouvoir sans faille sur le reste du clan.
Un des objectifs essentiels de la famille mafieuse est d’exercer sur un territoire donné « une
souveraineté territoriale rivale de celle de l’État »12. À ce titre, elle n’entend pas seulement
posséder un territoire : elle prétend l’incarner. Un tel contrôle passe nécessairement par une
infiltration de l’économie nationale, via une indicible violence et une intimidation perpétuelle.
Dès lors, c’est la loi du silence ou omertà qui vient garantir l’impunité du clan ; et quiconque
dérogeant à cette règle maîtresse est puni de mort.
Le rôle des femmes est également primordial dans ces organisations13. Faussement perçues
comme des victimes dociles et aveuglées quant aux agissements de leurs époux, elles sont en
réalité des membres actifs. D’une part, en effet, elles sont les premières dissimulatrices des
crimes commis par les hommes de la famille. Parées de beaux habits, assistant pleinement à la
vie sociale du quartier (cérémonies, messes, etc.), ces femmes font office de façade au crime.
Mais, d’autre part – et contre toute attente – elles sont surtout les premières initiatrices
discrètes de leurs fils. Elles les incitent ainsi, dès leur plus jeune âge, à prendre part aux
règlements de comptes jugés nécessaires à la survie du groupe. En cela, elles apparaissent
considérable grâce à l’installation de filières de sous-traitance notamment du cuir et du textile, situées dans tous
les pays occidentaux, V. R. Saviano, Gomorra. Dans l’empire de la camorra, Gallimard, 2007, p. 53 sq.
7
La Cosa Nostra, autrement dit « Notre chose », est une organisation criminelle qui sévit en Sicile depuis plus de
cinquante ans.
8
Tant, d’ailleurs, dans leurs disparités, que dans leurs similitudes.
9
En l’espèce, le clan de la Cosa Nostra tient lieu d’exception puisque les « cosche » (familles) ne sont pas unies
par un lien de sang mais par un lien essentiellement spatial. La famille est étendue à l’échelle d’un quartier, d’un
village ou d’une région dirigés par une unité de base, V. M. Kahn et A. Véron, Des femmes dans la mafia :
marraines ou madones, Paris, Nouveau Monde, 2015, p. 13.
10
« Ce sont des organisations criminelles dites “monosexuelles”, où seuls les hommes sont admis au rite
d’initiation », M. Kahn et A. Véron, op. cit., p. 15.
11
C. Champeyrache, « L’économie mafieuse : entre principe de territorialité et extraterritorialité », Hérodote,
n°151, 2013, p. 89. Le consigliere, ou conseiller, est le bras droit du chef. En général, il n’a pas de lien de
parenté avec le parrain, mais est un homme de confiance. Il est les yeux et les oreilles du chef.
12
C. Champeyrache, op. cit., p. 83-84.
13
M. Kahn et A. Véron, ibidem, passim.
12
comme les garantes des valeurs mafieuses. Ces femmes, véritables madones, vont parfois
jusqu’à reprendre la tête de cartel, suite au décès ou à l’incarcération de leur mari14.
3. Des frères terroristes. – Plus récemment, certains analystes ont encore mis en évidence
ce lien de causalité entre parenté et criminalité, concernant ce que l’on a nommé les « fratries
de djihadistes »15. Interrogés sur ce phénomène « crimino-fraternel », certains spécialistes
avançaient alors quelques éléments de réponse sur l’explication et les enjeux de celui-ci.
Ainsi, selon Rik Coolsaet, expert belge pour The Guardian, « le recrutement est d’abord une
affaire de parenté ou d’amitié bien plus que de religion ou de nationalité »16. Les membres
d’une même fratrie, s’idéologisent et se radicalisent bien plus facilement, qu’ils sont unis par
un sentiment de loyauté, de complicité, de dette affective ou de devoir moral. On s’aperçoit,
toutefois, que cette radicalisation d’un frère par l’autre ne repose pas nécessairement sur la
différence d’âge existant entre les sujets17. Ainsi, il arrive parfois que ce soit le frère cadet de
la fratrie – plus charismatique – qui enrôle et emporte son aîné dans ce que l’on a appelé une
« folie à deux »18. Par la suite, se met en place, entre les intéressés, une sorte de compétition et
de surenchère de loyauté : « une fois que la parole est donnée, il est impossible de la
rendre »19. Cette émulation fraternelle donne donc à chacun des protagonistes, la force d’aller
jusqu’au bout de l’entreprise criminelle. James Allan Fox, criminologue américain20, étudie
depuis plusieurs années, les diverses affaires criminelles – non terroristes incluses –
impliquant des coauteurs unis par un lien familial. Il dénote que cette circonstance particulière
accélère et intensifie le passage à l’acte, car la présence du frère accrédite, justifie le
comportement criminel. De plus, le partage de responsabilité entre ces agents allège le
fardeau de la décision, puis du crime21. Mais, il a été démontré que cette radicalisation ne se
limite pas toujours à l’alliance fraternelle. En effet, le binôme peut former un groupuscule
soudé à l’intérieur même de la famille nucléaire22.
14
M. Kahn et A. Véron, ibidem, p. 217.
15
Journal télévisé, le Non Stop, « DAESH : Des fratries de djihadistes », BFMTV, 24 mars 2015.
16
F. Renard-Gourdon, « Pourquoi tant de fratries parmi les terroristes », Les Echos, 17 novembre 2015.
17
Journal télévisé, le Non Stop, « DAESH : Des fratries de djihadistes », Interview d’Amélie Boukhobza,
psychologue spécialiste de la déradicalisation, BFMTV, 24 mars 2015.
18
N. Pointcarré, Complément d’enquête, « Abdeslam : les frères de sang », Propos recueillis de Pierre
Vermeren, historien spécialiste du Maghreb et Professeur à l’Université Paris I, France 2, 21 avril 2016.
19
N. Pointcarré, op. cit.
20
James Allan Fox est le directeur de l’Ecole de criminologie de la Northeastern University, aux Etats-Unis.
21
S. Humez et M. Dreujou, « Mon frère, ce terroriste », Entretien de James Allan Fox, criminologue, Enquête
diffusée dans l’émission Complément d’enquête, « Abdeslam : les frères de sang », France 2, 21 avril 2016.
22
C’est le cas des frères ABDESLAM dont les parents étaient intégrés socialement, depuis leur arrivée en
Belgique à la fin des années 70, et qui souhaitaient en faire de même pour leurs enfants, V. J. Daguerre, B.
13
Néanmoins, souvent les convictions extrémistes sont partagées par toute la cellule familiale ;
les terroristes frères et sœurs n’étant finalement que les bras armés de cette idéologie. Ainsi,
on estime aujourd’hui qu’1/3 des djihadistes occidentaux auraient gagné la Syrie ou l'Irak
accompagnés d’un ou plusieurs frères23. De plus, il est vérifié qu’un homme – père ou frère –
radicalisé devient rapidement le formateur, le « prédicateur », des autres membres du
groupe24.
Enfin, dans 64% des cas, l’entourage familial ou amical de l’auteur extrémiste aura eu
connaissance de ses intentions, sans jamais les dénoncer au demeurant 25 . Finalement,
l’entreprise terroriste vient, en dernier lieu, en réponse à un sentiment antérieur de rejet et
d’injustice sociale – réel ou non, exacerbé ou provoqué – partagé par les membres d’un même
foyer. En effet, ces sociétés familiales à prévalence patriarcale auront souvent connu un
parcours social chaotique 26 : les enfants s’adonnent très jeunes à de petits larcins sans
envergure et présentent un fort taux d’absentéisme scolaire. Arrivés à l’âge adulte, ils
posséderont souvent d’importants antécédents judiciaires. Cependant, il ne faudrait pas
oublier que cette entreprise à l’échelle familiale, n’est pas le fait d’agents isolés. Bien au
contraire, elle est portée par une organisation bien plus grande et structurée, qui donne du sens
à une cause commune exacerbant les haines et colères individuelles.
En somme, s’il était encore nécessaire de le préciser, la spécificité familiale du crime s’inscrit,
au même titre que la violence, dans l’histoire de l’humanité. Or si « le crime est souvent une
Démontier, B. Maraoui et M. Pacros, « Abdeslam : une histoire de famille ? », Enquête diffusée dans l’émission
Complément d’enquête, « Abdeslam : les frères de sang », France 2, 21 avril 2016.
23
Abdelhamid Abaaoud a par exemple enlevé son frère Younes, âgé de treize ans, à la sortie de l’école, pour
l’emmener faire le djihad en Syrie en 2014. V. L’Obs, « Younes Abaaoud, 15 ans, de retour en France pour
venger son frère ? », Le Nouvel Observateur, 11 avril 2016 (en ligne) disponible sur le site du Nouvel
Observateur : http://tempsreel.nouvelobs.com/attentats-terroristes-a-paris/20160411.OBS8243/younes-abaaoud-
15-ans-de-retour-en-france-pour-venger-son-frere.html ; Journal télévisé, le Non Stop, « DAESH : Des fratries
de djihadistes », BFMTV, 24 mars 2015.
24
F. Renard-Gourdon, « Pourquoi tant de fratries parmi les terroristes », Les Echos, 17 novembre 2015. Ainsi,
par exemple, l’ensemble de la famille MERAH avait été endoctriné Abdelkader MERAH, le cadet. Ses frère et
sœur, Souad et Mohammed MERAH sont ceux qui ont épousé le plus sa cause. Ils avaient également tenté
d’idéologiser leur jeune neveu, fils d’Abdelghani, l’aîné de la fratrie MERAH. Ce dernier avait collaboré avec
les services enquêteurs en vue de l’interpellation de son petit frère. Il est devenu un paria et un traître aux yeux
de sa famille, avec qui il a coupé tout contact depuis quatre ans. Aujourd’hui, il témoigne que leurs parents leurs
ont inculqué dès leur plus jeune âge, la diabolisation des personnes d’obédience juive, eu égard au conflit
israélo-palestinien.
25
F. Renard-Gourdon, op. cit.
26
J. Daguerre, B. Démontier, B. Maraoui et M. Pacros, « Abdeslam : une histoire de famille ? », Enquête
diffusée dans l’émission Complément d’enquête, « Abdeslam : les frères de sang », France 2, 21 avril 2016 ; S.
Humez et M. Dreujou, « Mon frère, ce terroriste », Enquête diffusée dans l’émission Complément d’enquête,
« Abdeslam : les frères de sang », France 2, 21 avril 2016. De plus, il n’est pas rare de constater, entre les
parents, certains faits de violences conjugales antérieures.
14
affaire de famille : la réaction [sociale] qu’il engendre [l’est] également »27. Aussi, semble-t-
il banal de préciser que le droit pénal s’applique à la famille. Bien plus encore, il est à noter le
récent regain d’intérêt de cette discipline et de ses différents acteurs pour la chose familiale
(I). Néanmoins, cette immixtion du juridique – et en l’occurrence du droit pénal – dans la
sphère autarcique familiale ne se fit pas instantanément. Elle est le résultat d’un long
processus (II). Pourtant, alors qu’elle est aujourd’hui entrée de plain-pied sur la scène
publique, son appréhension demeure sûrement le plus grand défi scientifique de notre ère.
Aussi, le droit pénal peine-t-il encore à en appréhender précisément les contours, tant la
notion est polysémique. Et force est de constater que la famille n’est pas définie
juridiquement (III). Pour autant, le droit pénal n’a de cesse d’investir la famille et la
pénalisation croissante de cette sphère privée ne fait aucun doute. Or, s’il est vrai que les
membres de certaines fratries participent à l’entreprise criminelle, il serait erroné d’en faire
une généralité. En effet, la famille recouvre une réalité et des vertus tout autres – plus proches
heureusement de l’amour et de la cohésion que de la perversion. Dès lors, de prime abord, une
certaine antinomie semble se dresser entre la famille, d’une part, et le droit répressif, d’autre
part. Aussi, faut-il se poser la question de la teneur du rapport existant entre le droit pénal et la
famille (IV).
4. La famille, « le parent pauvre du droit pénal »28. – Le droit pénal ne consacrait jadis
qu’une place ténue à la famille. En effet, pendant longtemps, il s’exerçait en périphérie du
périmètre familial. Et pour cause, on estimait que la cellule familiale devait rester l’espace
privilégié du non-droit. Le Doyen Carbonnier préconisait à ce propos que, « le non-droit ne
[vienne] pas se mélanger au droit ; il est d’un côté, et le droit est de l’autre. Il y a [donc] de
longs jours de non-droit, pour quelques instants de droit »29. Aussi, les familles devaient-elles
vivre et mourir à l’ombre du droit30. Le droit pénal n’échappait pas à cette règle31. Ainsi,
l’État se refusait à intervenir dans l’intimité des familles. Le groupe familial était perçu
27
H. Périnet-Marquet, « L’ouverture du droit pénal à l’action civile familiale », in Le droit non-civil de la
famille, Tome X, préf. Jean Carbonnier, PUF, 1983, p. 281.
28
P. Couvrat, « La famille, parent pauvre du droit pénal », in Le droit non-civil de la famille, Tome X, préface
Jean Carbonnier, PUF, 1983, p. 133-145.
29
J., Carbonnier, Flexible droit. Textes pour une sociologie du droit sans rigueur, 1ère éd. 1969, Paris, LGDJ,
10ème éd, 2001, p. 28.
30
H. Fulchiron et P. Malaurie, Le droit de la famille, 5e éd., Paris, Defrénois, 2016, p. 25, n° 47.
31
J. et A. Pousson, op. cit., p. 212.
15
comme une cellule hermétique, autogérée par le père de famille. L’objectif était d’éviter que
soient exposés sur la scène publique des secrets et mœurs privés. Aussi, le droit pénal avait-il
à cœur de préserver la paix et la cohésion familiales. L’idée était alors très simple : elle
consistait à dire que le remède apporté à ces problématiques familiales serait finalement plus
néfaste que le mal lui-même32. C’est ainsi que furent instituées les immunités familiales
visant à faire échapper à la répression certains agissements familiaux33.
Toutefois, bien que paré de bonnes intentions, il faut avouer que le droit pénal – sous prétexte
d’un respect de l’intimité – faisait preuve d’un excès de pudeur34, passant parfois de la
tolérance au mutisme, voire à l’indifférence. Or, nombre de faits intrafamiliaux étaient
socialement si contestables que le législateur et le juge35 – acculés par les revendications des
« laissés pour compte » – ne purent y demeurer indéfiniment insensibles. Ainsi, depuis plus
d’une trentaine d’années, le lien familial n’a cessé d’être désacralisé tant dans les textes
législatifs que dans la jurisprudence pénale 36 . C’est notamment le cas s’agissant de la
suppression de l’immunité jurisprudentielle qui tendait à faire découler du devoir conjugal
une impunité du mari imposant à sa femme des relations sexuelles non consenties. Par
ailleurs, l’apparition expresse du terme « famille » dans l’ancien Code pénal de 1810 déjà
dénotait une intervention assumée de la matière pénale dans cette sphère37. De même, le
Chapitre VII du Titre II du nouveau code pénal de 1994, relatif aux « atteintes à la personne
humaine », est consacré aux atteintes aux mineurs et à la famille.
5. Un regain d’intérêt d’ordre doctrinal. – Nombreuses sont les études, d’ores et déjà,
menées sur cette thématique familiale. Dans le milieu universitaire, elles sont le fait
d’éminents ambassadeurs de la doctrine française moderne. Pour n’en citer que quelques-
uns38, dès les années 1990, Alain et Jacqueline Pousson n’ont pas hésité à dédier une partie de
leur réflexion aux effets de l’affection constatée au sein du groupe familial sur l’application
32
J. et A. Pousson, ibidem, p. 213.
33
Cette question étant développée dans le corps de la thèse, nous ne l’approfondirons pas ici, V. infra, n°317 et
s.
34
A. Montas et G. Roussel, « La pénalisation explicite de l’inceste : nommer l’innommable », Arch. po. crim.,
n°32, 2010, p. 292.
35
Si le juge ne détient pas en théorie de pouvoir normatif, la pratique nous démontre que c’est souvent cet acteur
de terrain qui impulse – avant tout projet législatif – une nouvelle vision des mœurs et pratiques sociales. À
l’écoute de ses convictions personnelles, il est le détenteur d’une mission concrète de règlement des contentieux
dont il est saisi. Pour aller plus loin, V. E. Salomon, Le juge pénal et l’émotion, Thèse de doctorat, Université de
Paris II, 2015.
36
J. et A. Pousson, ibidem, p. 217.
37
Les article 357-1 et article 357-2 de l’ancien code pénal de 1810 prévoyaient expressément les infractions
d’abandon de famille : respectivement l’abandon matériel et moral de famille et l’abandon pécuniaire de famille.
38
Pour plus d’études portant sur le droit pénal et la famille, V. infra, n°36.
16
de la règle pénale 39. Dans un temps proche, Christine Gialdini-Escoffier a consacré sa
recherche de doctorat à la place de la famille dans le Nouveau Code pénal de 1994, à la
lumière des liens d’alliance et de parenté40. Une dizaine d’années plus tard, c’est au tour du
Professeur Edouard Verny d’œuvrer à une meilleure connaissance des relations entre ces deux
notions, dans le cadre d’une analyse de la protection pénale de l’individu, membre d’un
groupe41.
6. Un regain d’intérêt d’ordre politique. – Les interactions entre droit pénal et famille ne
préoccupent pas uniquement le monde universitaire. Il est à constater un récent regain
d’intérêt des autorités politiques et normatives pour la cellule familiale. En effet, la famille est
objet de politiques législatives, à coloration pénale pour la plupart. La multiplication des
dernières réformes dans ce domaine en atteste. On constate alors que le mouvement de
dépénalisation massive qu’a connu le droit de famille – qu’il s’agisse de l’avortement, de
l’homosexualité ou de l’adultère – a laissé place ces dernières années à une pénalisation
croissante de cette sphère à caractère privé42. Faut-il citer, pour exemple, l’adoption de lois
telle que celle du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes43, ou
celle du 4 août 2014 relative à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes44, ou encore
celle du 14 mars 2016 garantissant la protection de l’enfant45.
39
J. et A. Pousson, ibidem, p. 209-220.
40
C. Escoffier Gialdini, La vision pénale de la famille, Thèse de doctorat, Université Aix Marseille 3, 1994.
41
Il analyse notamment la manière dont le droit pénal – oscillant entre méfiance ou mansuétude – protège
l’individu, en dépit ou en raison de son appartenance à un groupe d’identité ou d’intérêt, V. E. Verny, Le
membre d’un groupe en droit pénal, Paris, LGDJ, 2002.
42
C. Pomart-Nomdédéo, « Droit pénal et droit de la famille, les liaisons dangereuses », D. actualité, 9 septembre
2010, étude 20, n° 1.
43
Loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au
sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, JO du 10 juillet 2010, p. 12762.
44
Loi n°2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, JO du 5 août 2014, p.
12949.
45
Loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, JO du 15 mars 2016.
17
8. L’intérêt du justiciable. – Enfin, la médiatisation d’affaires pénales mettant en scène les
déchirements, parfois sanglants, de familles en perte de contrôle est croissante46. Elle n’a,
pour ainsi dire, pas laissé le justiciable indifférent. En effet, les campagnes d’information
portant sur les déviances familiales n’ont jamais été plus nombreuses que ces cinq dernières
années. Le phénomène criminel au sein de la famille est désormais mis à nu. Il crée l’émotion
souvent, ou est parfois objet d’évitement et d’aveuglement47. Mais parfois, aussi, il attise le
regard malsain du spectateur48.
En somme, il semble que l’activité pénale « bouillonnante » se développant autour de la chose
familiale n’a jamais été aussi importante que de nos jours.
46
La diffusion en un temps très court de films, de reportages ou documentaires sur le sujet de la famille en
témoigne, V. M. Madani, « Polisse », Film drame, France, 19 octobre 2011 ; A. Mogaïzel, « Parents criminels :
l’omerta française », LCP, 17 février 2014 ; S. Mercurio, « Intime Violences », Enquête Infrarouge, 1er octobre
2015 ; M. Carrères d’Encausse, « Soirée spécial “Au nom des femmes” », Emission, France 5, 24 novembre
2015 ; E. Bercot, « La tête haute », Film drame, 13 mai 2015 ; J. Daguerre, B. Démontier, B. Maraoui et M.
Pacros, « Abdeslam : une histoire de famille », Enquête diffusée dans l’émission Complément d’enquête,
« Abdeslam : les frères de sang », France 2, 21 avril 2016 ; D. Lenglart et Guénola Gazeau, Enfants maltraités,
un silence à briser, Documentaire, France 5, 13 septembre 2016.
47
« La difficulté de ces sujets qui touchent à l’intimité de la famille, c’est qu’ils sont pesants. Personne n’a envie
d’entendre parler d’inceste à un dîner de famille ou entre amis. On ne peut pas parler de nos journées de travail
dans notre entourage », V. D. Lenglart et G. Gazeau, « Enfants maltraités, un silence à briser », Entretien de Guy
Bertrand, commandant de police à la brigade de protection des mineurs de Paris, Documentaire, France 5, 13
septembre 2016.
48
Le fait divers a toujours fasciné. Il renvoie à l’observateur sa propre image ; il lui permet de se rassurer lui-
même sur son propre bonheur ou à relativiser ses propres ennuis. Tel un roman à sensation, la lecture de drames
familiaux est une manière pour lui de vivre à bonne distance des émotions, telles que l’empathie, la tristesse,
l’indignation ou l’adrénaline. De plus, ces émotions fortes, sur l’instant présent, impactent peu leur quotidien à
long terme. D’autres auteurs expliquent cette fascination pour le fait divers, par un goût du lecteur pour la
violence et sa tendance à attendre une cause pour l’expliquer, V. B. Thibault, J.M.G. Le Clézio et la métaphore
exotique, New York, Rodopi, coll. Monographique Rodopi en littérature française contemporaine, 2009, p. 124.
49
M. Segalen, op. cit., p. 3.
18
apparaissant comme resserrée (1), alors que dans un second temps, plongée dans un
mouvement de modernisation, elle semble en rupture avec son héritage traditionnel (2).
50
Elle engendre six cents mille morts - soit 1,5% de la population totale et six fois plus de pertes humaines que
la précédente Guerre de 14-18, V. M. Nouschi, Bilan de la Seconde Guerre Mondiale. L’après guerre 1945-
1950, Paris, Seuil, 1996, passim.
51
E. Sullerot, Le grand remue-ménage, La crise de la famille, Paris, Fayard, 1997, p. 13.
52
E. Sullerot, op. cit., p. 13.
19
la cohésion du groupe »53. La fonction de reproduction de la famille était également mise en
avant54. Il s’agissait d’assurer une certaine reproduction sociale tant dans la perpétuation de la
race humaine que dans l’apprentissage des normes sociales nécessaires à l’éducation du
citoyen en devenir.
11. Le statut social précaire de la femme et la natalité. – Par ailleurs, alors qu’en temps de
guerre, la femme pourvoyait aux besoins alimentaires et économiques de son foyer, dès le
retour des hommes partis au combat, son statut social est profondément remis en question.
Elle se voit, désormais, reléguée aux tâches ménagères et assignées à une fonction de
procréation. Et pour cause, le Régime de Vichy mène une politique propagandiste, tendant
clairement à faire de la famille le pilier social élémentaire. En témoigne l’adoption de
réformes telles que l’interdiction du travail des femmes mariées dans les services de l’État et
collectivités locales55, ou encore l’érection de l’avortement en « crime contre la sûreté de
l’État » par la loi du 15 février 194256. De plus, la loi du 22 septembre 1942 restaure le titre
de « chef de famille » du père et mari. Ainsi, l’article 213 du Code civil, prévoyait dans sa
version de 1942, que la femme ne remplacerait son époux dans sa fonction de chef de famille,
qu’en cas de carence de ce dernier57. Elle était, en outre, soumise à son époux dans le choix
du logement familial et contrainte de cohabiter avec lui. Pour tout acte de disposition, le mari
avait la faculté de les conclure, avec l’autorisation de la justice, sans le consentement de son
épouse. Toutefois, l’acte contracté dans ces conditions demeurait opposable à la femme58.
Ce musellement social de la femme tendait, avant tout, à satisfaire un courant nataliste. En
effet, avec un indicateur conjoncturel de fécondité (ICF)59 inférieur à 1,8 enfant par femme en
53
H. Fulchiron et P. Malaurie, Le Droit de la famille, 5e éd., Paris, Defrénois, 2016, n° 5, p. 7.
54
M.-A. Barrère-Maurisson, « L’évolution des rôles masculin et féminin au sein de la famille », Comment va la
famille ?, Paris, Cahiers français n°371, La Documentation Française, novembre-décembre 2012, p. 22.
55
Loi du 11 octobre 1940 relative au travail féminin, JO du 27 octobre 1940, p. 5447 ; F. Battagliola, Histoire
du travail des femmes, 3e éd., La Découverte, coll. « Repères », Paris, 2008, p. 75-76 [En ligne :
http://www.cairn.info.www.ezp.biu-montpellier.fr/histoire-du-travail-des-femmes--9782707166258.htm].
56
D. Detragiache, « Un aspect de la politique démographique de l’Italie fasciste : la répression de
l’avortement », in Mélanges de L’Ecole française de Rome. Moyen Âge, Temps modernes, tome 92, n°2, 1980, p.
701 ; V. l’affaire Marie-Louise Giraud : elle fut guillotinée le 30 juillet 1943 sous le Régime de Vichy pour avoir
réalisé 27 avortements dans la région de Cherbourg. L’avortement, alors considéré comme un crime contre la
sûreté de l’Etat, était puni de la peine de mort.
57
Art. 213 du Code civil, alinéas 1 et 2, dans sa version de 1942 : « Le mari est le chef de la famille. Il exerce
cette fonction dans l'intérêt commun du ménage et des enfants. La femme remplace le mari dans sa fonction de
chef s'il est hors d'état de manifester sa volonté en raison de son incapacité, de son absence, de son éloignement
ou de tout autre cause ».
58
Art. 215 du Code civil dans sa version de 1942.
59
L’indicateur conjoncturel de fécondité (ICF) ou somme des naissances réduites est selon l’INSEE, le nombre
d'enfants qu'aurait une femme tout au long de sa vie, si les taux de fécondité observés l'année considérée à
20
1941, la France connaissait une chute de sa natalité 60. Dès lors, le repeuplement et le
redressement de la Nation deviennent grande cause nationale. La question démographique est
au cœur des débats politiques et scientifiques. Natalité et famille occupent, dorénavant, une
place centrale au XIXème siècle et le premier champ d’attaque de l’État consiste à la relance de
la fécondité. Ce « consensualisme familial » 61 se poursuivra largement, même après la
Libération. Les années 1945 sont, ainsi, marquées par une grande politique familiale impulsée
avec la création de la Sécurité sociale. Par la suite, l’ordonnance du 4 octobre 1945 fait de la
caisse d’allocations familiales une branche autonome de cette dernière – ces allocations étant
jusque-là gérées par les caisses patronales. La loi de finances du 31 décembre, alors adoptée à
l’unanimité, établit le quotient familial – diminuant ainsi le montant de l’impôt sur le revenu
en fonction du nombre d’enfants à charge présents dans les foyers.
Mais, cette politique passe surtout – en particulier dans les années 1950-1970 – par la
régulation du travail des femmes. En effet, l’image de la famille véhiculée, aux
commencements du capitalisme, est celle où seul l’époux travaille à l’extérieur et pourvoit
aux besoins du groupe ; la femme accomplissant, elle, ses devoirs dits « naturels » en
éduquant ses enfants, en étayant ses relations sociales et en veillant à la bonne tenue de son
foyer. D’ailleurs, cette vision de la répartition des rôles masculin et féminin est largement
défendue par les érudits de l’époque62 : l’omniprésence de la mère au foyer était perçue
indispensable au bon développement des enfants. Assurément, la société moderne et la
période dite des « Trente Glorieuses » - période de forte consommation et de croissance
économique – achèveront d’enchaîner la femme à une fonction de « ménagère » d’apparat63.
À vrai dire, la mise des femmes à l’écart du marché du travail était le corollaire de la
transition spatiale du lieu de travail. En effet, alors que jusque-là ce dernier se confondait avec
le domicile familial, dès le milieu du XIXème siècle – suite à l’industrialisation – travailler
chaque âge demeuraient inchangés. Il offre une vision synthétisée de la situation démographique au cours d’une
année précise, sans permettre d’anticiper l’avenir d’une population.
60
F. Prioux, « COMBIEN D’ENFANT ? A QUEL AGE ? L’évolution de la fécondité en France », Comment va
la famille ?, Paris, Cahiers français n°371, La Documentation Française, novembre-décembre 2012, p. 30-34.
61
E. Sullerot, ibidem, p. 23-32.
62
Talcott Parsons, illustre sociologue, dissociait par exemple rigoureusement ces rôles au sein de la famille.
Selon lui, alors que l’homme devait y jouer un rôle « instrumental » en pourvoyant aux biens matériels et
assurant le lien social, la femme devait tenir un rôle « expressif » en apportant de l’affection à l’intérieur de son
foyer, V. pour une vue d’ensemble de sa pensée, M. Segalen, Sociologie de la famille, 1ère éd. 1981, Paris,
Armand colin, 2010, p. 233-296 ; M. Segalen, « La révolution industrielle », in Histoire de la famille. Le choc
des modernités, tome III, Paris, Armand Colin, 1986, p. 509. Cette vision de la femme explique également que,
pendant longtemps, les criminologues aient considéré qu’elle soit incapable de commettre des actes criminels
d’une violence inouïe. La seule criminalité qu’on lui reconnaissait alors – vue d’ailleurs comme la plus
dangereuse – était la prostitution, V. infra, n°125.
63
Mais cette image de la « bonne » épouse vue comme valorisante, tire directement ses origines de la
bourgeoisie du début du XVIIIème siècle, V. J. Goody, La famille en Europe, Paris , Seuil, 2001, p. 220.
21
nécessitait de se déplacer en usine, c’est-à-dire à l’extérieur du foyer. Dès cet instant,
s’élevèrent, toutes classes sociales confondues, les premières voix moralisatrices dénonçant
l’incompatibilité entre le travail de la femme et sa fonction au sein de sa famille64.
Dans tous les cas, cette idéologie nataliste semble fructueuse, puisque dès 1946, une forte
augmentation du taux de fécondité fut constatée. En effet, au cours de cette année, l’indicateur
conjoncturel de fécondité plafonne à 2,4 enfants minimum par femme 65 . Cette période
nommée Baby-boom durera jusqu’à 1972 approximativement. Ce phénomène
s’accompagnait, de plus, d’un abaissement de l’âge au premier mariage. De même, le taux de
divortialité relativement faible est demeuré constant jusqu’à 1965 66 , et l’institution du
mariage forte jusqu’en 197567.
64
En effet, le retrait des femmes de la vie professionnelle n’a pas toujours été une réalité. Au XVIème siècle, la
femme participait à l’entreprise familiale aux côtés de l’homme. Tous deux collaboraient alors au travail
quotidien au foyer comme aux champs, V. P. Ariès, L’enfant et la vie familiale sous l’ancien régime, Paris,
Seuil, 1973, p. 379. Aussi, contrairement aux idées reçues, le travail féminin n’est-il pas apparût tardivement
avec le mouvement féministe. Même au sein des couples mariés de fonctionnaires ou de cadres, de commerçants
ou d’artisans, il était apprécié que l’épouse perçoive un salaire, quand bien même il ne s’agissait alors que d’une
rémunération secondaire, V. M.-A. Barrère-Maurisson, op. cit., p. 23.
65
C. de Guibert-Lantoine et A. Monnier, « Conjoncture démographique : l’Europe et les pays développés
d’Outre-Mer », Population, 48e année, n°4, 1993, p. 1060 ; F. Prioux, op. cit., p. 30.
66
L’indice de divortialité est de 9,8 en 1955 et grimpe à 15,6 dès 1975 ; en 1990 il sera de 31,5. V. C. de
Guibert-Lantoine et A. Monnier, op. cit, p. 1060.
67
Toutefois, il faut noter qu’en particulier en 1965, les causes de l’intensité nuptiale et l’infléchissement de l’âge
des conjoints au premier mariage, sont à rechercher dans le caractère précoce de la sexualité des jeunes majeurs,
alors nés au lendemain de la Libération. La pression familiale poussait bon nombre de ces adolescents à
régulariser a posteriori une conception prénuptiale. Ainsi, le mariage semblait déjà ne plus être perçu comme le
cadre nécessaire - la condition sine qua non - à l’expression de l’amour charnel, V. infra, n°20.
68
E. Sullerot, ibidem. p. 17.
22
implications patrimoniales et économiques fortes. S’agissant de la famille occidentale à
l’heure de la révolution industrielle, « le mariage [faisait] figure d’établissement ; il [était]
l’objet de stratégies patrimoniales complexes, s’apparentant à celles des riches paysans qui
apparient leurs patrimoines à travers l’union de leurs enfants »69. Des pratiques telles que la
consanguinité ou l’endogamie sont, alors, fréquentes70. En outre, la dot des filles demeurait
une stratégie patrimoniale usitée dans les sociétés occidentales, mais également dans des
populations mondiales autres, sans distinction de classe sociale. Ainsi, au XVIIIème siècle dans
la moyenne noblesse toulousaine, une jeune fille recevait une dot égale à trois ou quatre
années du revenu global de sa famille de provenance. De la même façon, dans le milieu
paysan, nous retrouvons cette coutume consistant à doter les filles en argent et à faire transiter
les terres par les hommes. Mais cette dot occupe encore une place essentielle au XIXème siècle
en raison de l’apport financier procuré aux jeunes époux lors de leur installation71. En
conclusion, le mariage représentait vraisemblablement une opportunité de fusionner biens et
richesses patrimoniales familiaux.
Ensuite, le poids de la religion, faisant obstacle à la séparation des conjoints, semble devoir
expliquer également le maintien des alliances. En effet, le mariage religieux représente un
sacrement qui ne peut être dissous par l’Homme, la mort seule le pouvait. C’est ainsi que – en
dépit d’une remise en question du principe catholique d’indissolubilité du mariage72 – la
pression exercée par l’Eglise sur les unions demeure omniprésente. En outre, Jack Goody
percevait un aspect lucratif dans l’intérêt que portait l’Eglise dans le contrôle des mariages73.
L’interdiction du divorce permettait d’éviter d’éventuels remariages avec un non chrétien,
desquels naîtraient des héritiers, privant l’Eglise d’échoir des biens de famille.
69
M. Segalen, « La révolution industrielle : du prolétaire au bourgeois », in Histoire de la famille. Le choc des
modernités, tome III, Paris, Armand Colin, 1986, p. 509.
70
M. Segalen, op. cit., p. 104-505. La consanguinité est observée dans les milieux aisés, notamment dans le
milieu de l’artisanat afin de faire fructifier l’affaire et perpétuer un certain savoir-faire ou encore dans un but
d’associations commerciales. Dans les milieux paysans, elle serait due selon les études à la « petitesse du lieu »
dans lequel les paysans choisissent leurs partenaires. L’endogamie, vue comme un comportement voulu, consiste
à élire son conjoint à l’intérieur d’un groupe partageant les mêmes valeurs sociales, professionnelles mais aussi
religieuses. Le taux d’endogamie dans un village serait, de plus, proportionnel à la taille de sa paroisse.
71
M. Segalen, ibidem, passim.
72
Le Concile de Trente (1545-1563), sous l’influence de l’Eglise catholique, est venu renforcer les conditions
auxquelles deux époux baptisés pouvaient rompre leur union, V. C. Bertrand-Xémard, Cours de droit des
personnes et de la famille, 2ème éd., Lextenso Gualino, 2016, n° 1170.
73
J. Goody, op. cit., p. 54-56.
23
13. Une procédure de divorce dissuasive. – Le divorce est particulièrement encadré. Le
caractère fastidieux et austère de la législation relative au divorce a découragé bon nombre de
projets de démariages, et fut régulièrement réformée en fonction des idéologies politiques et
religieuses successives. Le Code de Napoléon de 1804 tolérait la pratique du divorce.
Cependant, seuls les divorces pour faute et par consentement mutuel demeuraient ouverts aux
époux74. La procédure de divorce était, dès lors, pénalisante pour les ex-conjoints, en plus
d’être fortement conditionnée. Sous la Restauration, le divorce fut abrogé par la loi dite
Bonald du 8 mai 1816 ; puis rétabli par celle du 27 juillet 1884 dite Naquet sous la IIIème
République75 uniquement s’agissant des fautes prédéfinies d’excès, d’adultère, de sévices,
d’injures graves ou de condamnation à une peine afflictive ou infamante. La preuve devait
être rapportée par les époux lorsque le manquement aux obligations du mariage rendait
intolérable le maintien du lien conjugal. Limitant toujours le divorce au seul cas de faute, le
Régime de Vichy prévoyait, quant à lui, que la dissolution du mariage serait interdite durant
les trois premières années de l’union, en vertu de la loi du 2 avril 194176. Il faudra attendre la
réforme apportée par la loi du 11 juillet 1975 qui vient étendre le champ d’application de la
procédure de divorce : au cas classique de divorce pour faute, l’article 229 du Code civil
ajoute celui pour rupture de la vie commune et opère un toilettage du divorce par
consentement mutuel77. Cette loi, qui règle également les conséquences du divorce, encourage
sa dédramatisation et tend à instaurer ou réinstaurer un dialogue entre les époux.
En conclusion, on le voit, au sortir de la Seconde Guerre mondiale – la famille a fait office
d’instrument au service d’une politique et d’une stratégie étatique orientées. En effet,
souhaitant modeler cette sphère privée, la politique menée par un État providence a – peu à
peu – ébréché le huis clos familial. Son action a ainsi, progressivement, contribué à
l’ouverture du « cocon » familial sur l’extériorité.
74
C. Bertrand-Xémard, op. cit., n°1172.
75
C. Bertrand-Xémard, ibidem, n° 1174.
76
Pour un résumé de la loi du 2 avril 1941 sur le divorce et la séparation de corps, V. J. Le Gac, « L’ “étrange
défaite” du divorce ? (1940-1946) », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 88, 2005, p. 49-62, spéc. p. 54.
77
V. infra, n° 71.
24
14. Contexte économique et social nouveau, le temps de l’industrialisation. – Dès les
années 1960, la famille française d’après-guerre encore revêtue de ses valeurs conservatrices
se voit – certes plus tardivement que d’autres pays européens78 – propulsée dans un contexte
socio-économique nouveau. En effet, tantôt amalgamée à la modernisation et
l’urbanisation , tantôt distinguée de ces concepts80, l’industrialisation81 marque le début de
79
78
La Grande -Bretagne initie son processus d'industrialisation cent ans avant la France par exemple.
79
M. Segalen, Sociologie de la famille, Paris, Armand Colin, 2010, p. 25-26 ; Y. Bonny, Sociologie du temps
présent : Modernité avancée ou post-modernité, Paris, Armand Colin, 2004, passim.
80
J. Goody, ibidem, p. 190.
81
L’industrialisation peut être définie comme le procédé de fabrication en manufacture, dans un objectif de
productivité massive, reposant sur le recours, tout d’abord, à des techniques telles que la mécanisation, la
métallurgie, l’utilisation de la machine à vapeur – faisant appel à une main d’œuvre importante, puis à des
énergies nouvelles telles que l’électricité.
82
T. Parsons, “The American Family: Its relations to personality and to the social structure”, in Family,
Socialization and interaction Process, New York, Glencoe, Free Press, 1955, passim.
83
J.-J. Lemouland, « Famille », Rép. civ. Dalloz, 2015, n° 48.
84
« This means that the family has become a more specialized agency than before, probably more specialized
than it has been many previously known society », V.T. Parsons, op. cit., p. 9.
85
« This isolation is manifested in the fact that the members of the nuclear family, con- sisting of parents and
their still dependent children, ordinarily occupy a separate dwelling not shared with members of the family of
25
Mais, comme bon nombre de préceptes sociologiques de cette époque, celle de la
nucléarisation de la famille s’est progressivement démodée. Les travaux postérieurs ont
démontré que le facteur de la modernisation n’est pas suffisant à expliquer le mouvement de
nucléarisation de la famille. Au-delà, présentant le résultat de ses investigations lors d’un
congrès organisé en collaboration avec le Cambridge Group for the history of population and
social structure, Peter Laslett démontre que, à l’exception du Japon, la famille nucléaire était
le modèle familial le plus répandu au sein des communautés analysées, dont la France, et ce
dès le XVIème siècle86. Toutefois, bien qu’aujourd’hui la thèse de Parsons ait été amplement
contestée87, l’on ne peut nier une certaine mutation des rapports familiaux élargis, dans le sens
d’un rétrécissement vertical de l’aire familiale.
orientation of either spouse, and that this household is in the typical case economically independent, subsisting
in the first instance from the occupational earnings of the husband-father », V. T. Parsons, ibidem, p. 10.
86
Peter Laslett, « La famille et le ménage : approches historiques », , Annales ESC, trad. Antoinette Chamoux,
27 ème année, n°4-5, 1972, p. 864-868. Il s'agit d'un extrait de son ouvrage Household and family in past time
abordant la structure des ménages en Angleterre, en France, en Serbie, au Japon et en Amérique du Nord.
87
Selon certains auteurs, la famille nucléaire n’a pas vocation à demeurer l’unique forme familiale de la société
moderne, V. P. Vimard, « Modernité et pluralité familiales en Afrique de l'Ouest », Tiers-Monde, tome 34, n°
133, 1993, p. 103-104 ; E. Shorter, Naissance de la famille moderne, XVIIIe-XXe siècle, Paris, Le Seuil, 1977,
passim.
88
M. Segalen et F. Zonabend, « Familles en France », in Histoire de la famille, tome 3, Paris, Armand Colin,
1986, p. 649.
89
L. Chabrun, « Immigration en France : les vrais chiffres », L'Express, Société, 9 octobre 2012 [En ligne :
http://www.lexpress.fr/actualite/societe/immigration-ce-qu-il-faut-retenir-des-chiffres-de-l-insee_1172299.html].
26
d’immigrés en France s’élève à 11% de la population française, soit un nombre compris dans
la moyenne de l’Union Européenne équivalent à 12%. En réalité, la particularité de
l’immigration française réside dans la présence de descendants d’immigrés égale à 6,7
millions de personnes, dont 2,2 sont issus d’un couple mixte – c’est-à-dire d’un parent
immigré et d’un parent de nationalité française. En conséquence, seul un habitant sur douze
est immigré en France. Par ailleurs, le taux de fécondité des femmes immigrées impacte peu
le taux de fécondité global. En effet, en 2010, ce dernier était de 2,00 enfants en moyenne par
femme, alors que sans les femmes immigrées, il ne serait que de 1,990.
90
En conclusion, seul un enfant sur six est issu d’une mère d’origine étrangère, V. F. Héran et G. Pison, « Deux
enfants par femme dans la France de 2006 : la faute aux immigrées ? », Population et Sociétés, n°432, mars
2007, p. 1-4. Il est aujourd’hui attesté que sans cet apport démographique, le renouvellement des générations ne
serait absolument pas garanti : il est possible d'estimer le taux de fécondité à 2,02 enfants en moyenne par
femme, pour la génération de 1976. Ce taux est "presque suffisant pour assurer le remplacement des
générations". V. F. Prioux, op. cit., p. 31.
27
émotions les plus inavouables, par l’écoute et la compréhension du sujet. Avec l’apparition
d’un jargon technique nouveau, ce dernier sera capable désormais de qualifier ces dites
émotions. Et le galvaudage de termes tels que le « baby-blues », l’ « instinct maternel » ou le
« déni de grossesse », est révélateur de l’implantation silencieuse de ces normes dans le
paysage social et familial.
Mais, pénétrant progressivement dans l’intimité du groupe, ces professionnels mettent aussi à
jour, la réalité de la vie familiale. Soudain, on découvre que la famille refuge – figurée par
l’opinion comme un lieu harmonieux et aimant – peut également devenir une entrave à la
liberté de l’individu. Mais bien plus encore, leur « douce » immixtion dans la forteresse
familiale révèle les perversions de celle-ci. Outre les violences conjugales et l’inceste que
nous traiterons postérieurement, c’est la famille déviante dans son ensemble qui est mise à
nue. De plus, afin de pallier ces carences familiales et de prévenir les risques – notamment
psychologiques – qui pourraient venir compromettre cette période sacralisée qu’est
l’enfance 91 , ces acteurs ont fait de l’éducation des tous petits un de leur domaine de
prédilection. Ils sont devenus de véritables créateurs de normes en la matière. Contrairement à
la pensée collective, il fallut partir du constat que la fonction de parent n’était point innée,
mais qu’elle relevait en fait d’une aptitude, d’un apprentissage. Par conséquent, il devenait
possible de corriger, voire de modeler le comportement parental. La finalité d’une telle
entreprise consiste en réalité à définir ce que signifie « être un bon parent ». Dès les années
1950 en France, un foisonnement de thèses psychanalytiques œuvre à l’amélioration
perpétuelle d’un « parent sur mesure ». Nous n’aborderons ici que la question de la maternité,
objet central de ces tribulations scientifiques. En effet, exerçant sur les femmes un véritable
« magistère moral » 92 , ces courants de pensée contradictoires, tantôt ont prôné une
indispensable aliénation de la liberté de la mère au service de ses enfants93, tantôt ont fait de
son épanouissement individuel une condition du bien-être de l’enfant94. Tantôt encore, ils
militaient pour une éducation libérée d’un « enfant- roi » dépourvue de toute remontrance ou
91
M.-C. Le Pape, « L'art d'être un “bon” parent : quelques enjeux des nouvelles normes et pratiques éducatives
contemporaines », in Comment va la famille ?, Paris, Cahiers français n°371, La Documentation Française,
novembre-décembre 2012, p. 37.
92
S. Garcia, Mères sous influence. De la cause des femmes à la cause des enfants, Paris, La Découverte, 2011,
passim ; M.-C. Le Pape, Op. cit, p. 38.
93
Ce courant de pensée tendant à faire primer la cause de l'enfant sur l'intérêt de la mère est représenté par la
psychanalyste Françoise Dolto.
94
Medecin et fondatrice de l'association "Maternité heureuse", Lagroua Weill-Hallé milite pour la liberté et
l'épanouissement de la femme et une conciliation équitable de sa vie personnelle et familiale.
28
châtiment corporel à visée corrective 95 . Aujourd’hui, c’est la question controversée de
l’homoparentalité qui divise le monde de la psychanalyse, toujours dans cette perspective de
protection de l’intérêt de l’enfant. Enfin, il est possible d’apprécier l’aura de ces nouveaux
référents et la portée des normes qu’ils véhiculent, à travers l’intériorisation sociale de ces
dernières. Elles sont, en effet, considérées comme des fondements scientifiques fiables
jalonnant l’élaboration des lois ; lois appliquées au sein du corps enseignant, médical
(pédiatrie, puériculture) ou de l’action sociale. Le succès de ces nouveaux référents – médias
et professionnels – est d’autant plus important qu’ils collaborent astucieusement : les uns
diffusent largement les codes conceptualisés par les autres. On assiste, dès lors, à une
démocratisation, voire une vulgarisation96 de la psychanalyse dans la presse écrite, télévisée
ou dématérialisée. La fonction de conseil se diversifie et s’adapte désormais à la totalité des
champs de la vie privée. Elle prend aujourd’hui de nouvelles formes telles que le « coaching »
ou « mentorat »97. En somme, le contrôle des mentalités ne s’exerce plus par la répression
sociale, mais par la culpabilisation collective et individuelle tout à la fois.
18. Une révolution familiale latente – déjà à l’aube du XXème siècle, les mentalités
connaissent un profond bouleversement. Commence alors ce que le Doyen Cornu nommait
« la révolution tranquille »98 des familles. Les « baby-boomers », devenus de jeunes adultes,
jouissent d’une plus grande liberté et ont à cœur de rompre avec le mode de vie de leurs
parents et aînés. Ils éprouvent un certain désamour à l’endroit de l’institution du mariage et
privilégient les unions libres moins solennelles – desquelles naîtront parfois des enfants. On
parlera de « cohabitation juvénile »99 pensant qu’il s’agissait, alors, d’une situation transitoire.
Le scepticisme social et scientifique face à la durabilité de ce phénomène était perceptible100.
Cette pratique de l’instant se prorogeant, il fallut bien conclure à une certaine prégnance.
95
A. Sutherland Neil, Les libres enfants de Summerhill, Paris, Librairie François Maspero, 1970 (Réed. Paris, La
Découverte, 2004), passim.
96
E. Sullerot, Le grand remue-ménage. La crise de la famille, Paris, Fayard, 1997, p. 31.
97
Jadis appliqué au sport, ce nouvel accompagnement personnalisé, assuré par des professionnels, doit permettre
au sujet d’aboutir à certains résultats ou d’atteindre certaines performances quantifiables, tant dans sa vie
professionnelle, familiale que personnelle.
98
G. Cornu, Droit civil. La Famille, 9e éd., Montchrestien, 2006, p. 34.
99
L. Roussel, « La cohabitation juvénile en France », Population, année 33, n°1, 1978, passim.
100
« Que des jeunes gens vivent maritalement a toujours existé. Mais cette situation, d’exceptionnelle ou rare,
est brusquement devenue plus fréquente ; hier dissimulée, elle est aujourd’hui déclarée ; encore stigmatisée par
29
Par ailleurs, l’impact de la crise de Mai 1968 sur la révolution familiale en marche ne peut
être négligé. Peu d’études, pourtant, ont pris en considération cette cause de mutation sociale
et familiale. Initialement, un mouvement de protestation estudiantine, cette crise a rapidement
pris des aspects culturels et politiques et s’est généralisée à la totalité de la société. La jeune
génération ne se retrouve pas dans cette société capitaliste, consumériste, mais aux valeurs
traditionalistes. La révolution de 1968 prend des allures de crise identitaire et marque le début
d’une mutation sociale sans précédent. Hédonisme et carpe diem sont à l’honneur et nous
assistons à une véritable libération de la parole sociale, syndicale, juvénile, politique et même
sexuelle. Nombreux seront ceux qui quitteront leur famille afin de vivre au sein de groupes
communautaires selon leurs propres normes. Nous pouvons parler d’une distension du lien
familial. Et Evelyne Sullerot de dire que cette substitution des familles par les communautés
trouve sa limite dans la naissance d’enfants au sein de ces dernières101. C’est dire que la
famille s’impose telle une cellule résurgente ; et si la seule constance de l’humanité est le
changement, son unique répétition semble être la famille.
19. Une répartition plus égalitaire des rôles féminins et masculins. – À compter de 1980,
emplois masculins et féminins tendent à devenir plus égalitaires102. Les femmes arborent un
comportement nouveau dans leur rapport au milieu professionnel. Le secteur tertiaire
s’émancipe diversifiant les filières, soit dans le domaine de l’administration ou dans le privé.
Ces années marquent ainsi la consolidation du mouvement féministe. Toutefois, la parité
entre homme et femme reste imparfaite. Force est de constater que, même si une légère
amélioration est à noter, les charges domestiques demeurent encore majoritairement assumées
par les femmes103 qu’il s’agisse d’ailleurs d’un couple marié ou en union libre104. De même, à
qualification égale la rémunération féminine est moins élevée que la masculine. De plus, en
raison notamment des contraintes de garde des enfants, les femmes connaîtront davantage de
difficulté à rebondir suite à une période de chômage, en témoigne le surendettement des
familles monoparentales à la tête desquelles se trouve la plupart du temps une mère.
la société voici seulement dix ans [soit en 1968 au regard de la date de l’article], elle ne provoque désormais
plus guère de surprise. Mais le phénomène, pour familier qu’il devienne, est si récent qu’il est encore mal connu
», L. Roussel, op. cit., 1978, p. 15.
101
E. Sullerot, op. cit., p. 72.
102
M.-A. Barrère-Maurisson, ibidem., p. 24.
103
En 1986, les femmes consacraient 5h36 aux tâches domestiques (ménage, courses, entretien et soins des
enfants) contre 4h01 en 2010. Les hommes y consacraient 2h07 en 1986 contre 2h13 en 2010. L’écart de
situation reste donc encore fort important, V. L. Ricroch, « En 25 ans, moins de tâches domestiques pour les
femmes. L’écart de situation avec les hommes se réduit », Regards sur la parité, INSEE Références, 2012, p. 69.
104
S. Chalvon-Demersay, Concubin, concubine, Paris, Le Seuil, 1983, p. 62.
30
20. La formation du couple : dissociation de la nuptialité et de la conjugalité. – Le
mariage ne représente plus l’acte constitutif du couple, et par extension de la famille. Pour
preuve, jusqu’en 1972, 400 000 mariages étaient célébrés. Dès 1980, ce nombre avoisinait les
300 000 et se solde à 275 000 mariages dans les années 90105. Aujourd’hui, on estime qu’un
mariage sur deux se termine par un divorce106.
Par ailleurs, dès 1970 on observe une certaine inflexion dans la conception même de la
sexualité. Alors que dans les années 1960, le premier partenaire devenait dans la majeure
partie des cas le futur conjoint, par la suite une dissociation est opérée entre le premier
partenaire sexuel et le premier conjoint, notamment chez la jeune génération. En effet,
bénéficiant d’une indépendance vis-à-vis de leurs parents, les jeunes connaissent une sexualité
plus précoce. Seuls 19% des femmes et 10% des hommes épousent la personne avec laquelle
ils expérimentent leur premier échange sexuel107. Ainsi, les relations sexuelles précèdent,
déterminent ou sont concomitantes à la formation du couple. Elles interviennent bien plus
rapidement qu’auparavant, au cours des premières rencontres et ne conduisent pas
nécessairement à une situation de cohabitation. C’est dire que la sexualité est détachée des
préoccupations matrimoniales. Elles ont pour finalité première la simple recherche d’un
plaisir charnel. Alors qu’auparavant, le mariage conférait à l’acte sexuel un cadre légitime,
aujourd’hui l’acte sexuel conditionne souvent les chances de mutation d’une simple relation
intime en une véritable vie de couple.
Enfin, la physionomie des lieux de rencontres du futur partenaire s’est modifiée. Alors que
naguère l’influence parentale et collective sur l’élection du conjoint108 était patente, force est
de constater que les nouveaux espaces de rencontre sont marqués par leur propriété d’emblée
socialisatrice et fédératrice. Dès lors, le traditionnel bal est remplacé par les discothèques et
105
M. Segalen et F. Zonabend, « Familles en France », tome 3, in Histoire de la famille, Paris, Armand Colin,
1986 (édit. Paris, 9421, 3/1994), p. 646.
106
M. segalen, "Les nouvelles formes de conjugalité : du désordre dans l'institution ?", Comment va la famille ?,
Paris, Cahiers français n°371, Documentation française, novembre-décembre 2012, p. 8.
107
W. Rault, « De la rencontre à la vie commune. Quelques changements et continuités dans la formation des
couples », Comment va la famille ?, Paris, Cahiers français n°371, Documentation française, novembre-
décembre 2012, p. 9.
108
Sur le choix du conjoint et l’homogamie sociale, V. A. Girard, La formation des couples. Textes essentiels
pour la sociologie de la famille, 1ère éd. 1981, PUF, Paris, La Découverte, 2006 ; Michel Bozon et François
Héran, "La découverte du conjoint. I. Evolution et morphologie des scènes de rencontres", Population, 42ème
année, n°6, nov.-déc. 1987.
31
« boîtes de nuit » dès 1970. De plus, l’allongement de la durée des études supérieures fait du
milieu scolaire et universitaire un connecteur social important.
La grande particularité du XXIème siècle réside dans l’apparition d’une nouvelle dimension
du lieu de rencontre, une dimension dématérialisée à travers l’essor considérable des
nouvelles technologies de l’information et de la communication dans les années 2000. Ainsi,
les rencontres via Internet se sont multipliées, débouchant sur la conception à profusion de
sites de rencontres personnalisées.
109
M. Segalen, ibidem, p. 27 sq.
110
D. Bertaux, "Individualisme et modernité", Espaces Temps. Je et moi, les émois du je. Questions sur
l'individualisme, vol. 37, 1998, p.16.
111
M. Gomar, "Pourquoi du droit dans la famille ?", in La famille que je veux, quand je veux. Evolution du droit
de la famille, Toulouse, ERES, 2003, p. 17.
112
V. Cicchelli et C. Cicchelli-Pugeault, Les théories sociologiques de la famille, Paris, La Découverte, Repères,
1998, p. 101.
32
22. Une montée du solitarisme, une augmentation de la part d’individus en situation
d’isolement. – L’individualisme n’est pas le seul phénomène social constaté. À une époque
contemporaine caractérisée par le progrès des nouvelles technologies de
télécommunication113, la solitude des citoyens est frappante. Tant et si bien, qu’il est possible
de se demander si finalement l’individualisme est à l’origine de cette solitude ou, si au
contraire, c’est elle qui est la cause de l’individualisme. En effet, déjà en 1989 – et
particulièrement dans la capitale – près d’un quart des ménages français se compose d’une
personne majeure ou séniore vivant seule, célibataire, divorcée ou veuve114. Cette tendance se
confirme encore en 2012, lorsqu’est comptabilisée une augmentation de 50% des français
vivant seuls par rapport à l’année 1999115. Ce solitarisme serait dû premièrement à une
déconcentration des lieux d’habitation et une diminution des groupes domestiques 116 .
Deuxièmement, la précarité des relations intimes et sociales explique également cet
isolement. Cette précarité relationnelle se rencontre surtout chez les jeunes, âgés de vingt à
vingt-neuf ans demeurant dans une phase intermédiaire de célibat de plus en plus longue
avant la mise en couple, et interrompue d’expériences amoureuses passagères. De plus, parmi
les individus âgés de 30 à 59 ans en activité, les employés sont davantage confrontés à la
solitude, par opposition aux agriculteurs concernés pour seulement 10% d’entre eux par cette
réalité. Le constat est similaire s’agissant des femmes exerçant une profession de cadre ou
intermédiaire, car moins disposées à rencontrer leurs congénères masculins117. En outre, la
part des célibataires, dans la population des quinze ans et plus, a augmenté118. Il est vrai que
ces dernières années, l’image du célibat s’est bonifiée. Associé à l’idée fantasmée
d’hédonisme et de liberté absolue, le mode de vie du célibataire semble ringardiser celui du
couple vu comme routinier et empreint d’engagements et compromis119.
113
Ces outils de connexion interindividuelle créent surtout une sociabilité virtuelle (sites de rencontres et autres
réseaux sociaux). Alors qu’ils devraient contribué à effacer les distances entre les individus, ils créent de
véritables déserts sociaux eux bien réels.
114
M. Segalen et F. Zonabend, op. cit., 1986, p. 645.
115
P. Pellissier, "Le nombre de Français vivant seuls a augmenté de 50% depuis 1999", Le Monde, 14 février
2012.
116
P. Pellissier, op. cit. Le vieillissement de la population aussi peut expliquer ce phénomène. Ainsi, le fait de
vivre seul est plus fréquent pour les séniors à partir de soixante ans, en particulier pour les femmes, plus souvent
concernées par le veuvage, V. G. Buisson et F. Daguet, « Qui vit seul dans son logement ? Qui vit en couple ? »,
INSEE Premières, n° 1392, 2012, passim (en ligne) : http://www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1392/ip1392.pdf.
117
G. Buisson et F. Daguet, op. cit, p. 2.
118
V. Insee, « État matrimonial légal des personnes de 15 ans ou plus jusqu'en 2015 », INSEE. Estimations de
population, 2015 (en ligne) : http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=nattef02311.
119
On parle notamment de la « célibattante » qui s’affirme dans d’autres domaines de la vie sociale (une vie
sociale dense, performance professionnelle, activités sportives et culturelles, sorties nocturnes), V. M. Brunet,
« De plus en plus de célibataires parmi les 18-34 ans », Le Figaro, 28 août 2009.
33
Pour autant, est-ce à dire, comme Louis Roussel, qu’il n’y aurait plus de familles, plus de
couples – qu’il ne resterait plus que des individus, « seules instance de référence »
désormais120 ? Cette affirmation doit être nuancée. Il semble, en effet, que le besoin de
conformisme reste important et prime sur le désir d’indépendance121. Ainsi, l’individu, bien
que soucieux de son épanouissement personnel, a besoin d’appartenir à un groupe et à une
norme sociale. Ainsi, les individus continueront de former inéluctablement des couples et des
122
familles, précisément parce que l’ « intégration familiale » s’avère protectrice des
individus. Individualités dans l’interdépendance … De cette dichotomie, émergent les
continuités de la cellule familiale.
120
L. Roussel, « Génération nouvelles et mariage traditionnel. Enquête auprès des jeunes de 18 à 30 ans :
présentation d'un cahier de l'INED », Population, 34ème année, n° 1, 1979, p. 159.
121
Le couple et la famille sont des modèles qui prévalent, C. Franc Desages, « Célibataire, comment gérer la
pression sociale? », L’Express, 13 février 2015.
122
P. Besnard, « Mariage et suicide : la théorie durkheimienne de la régulation conjugale à l'épreuve d'un
siècle », Revue française de sociologie, vol.38/N°4, 1997, p. 755. L'auteur revisite la thèse de Durkheim exposée
dans son ouvrage Le suicide tendant à établir une relation entre suicide des individus et état matrimonial. Dans
son étude, il définit l'"intégration familiale" comme la présence d'enfant, alors que nous l'entendons davantage de
l'appartenance au groupe.
123
E. Sullerot, Le grand remue-ménage, La crise de la famille, Paris, Fayard, 1997, passim ; C. Neirinck (dir.),
La famille que je veux, quand je veux ?. Evolution du droit de la famille, Toulouse, ERES « Enfance et
parentalité », 2003, passim ; J. Commaille, « La fin des certitudes », in Misères de la famille. Question d’État,
Paris, Presses de Sciences Po, 1996, p. 51 sq.
124
L. Roussel, op. cit., p. 159, la « famille incertaine » ; V. Cicchelli et C. Cicchelli-Pugeault, op. cit., p. 100 sq.
Les auteurs parlent d’une « institution ébranlée ».
125
V. Cicchelli et C. Cicchelli-Pugeault, ibidem., p. 97.
126
V. supra, n° 15.
34
distance »127. Une étude menée par la sociologue Claudine Attias-Donfut, permet de tracer les
caractéristiques de ces solidarités128. Elles sont les résultantes de trois facteurs importants :
l’allongement de l’espérance de vie, tout d’abord, en ce qu’elle favorise une coexistence
« verticale » de plusieurs générations qui vont se chevaucher et entretenir des relations
affectives plus pérennes. Ensuite, le relâchement de l’autorité parentale et la plus grande
autonomie des différentes générations l’une vis-à-vis de l’autre, favorisent la mutation des
relations intergénérationnelles reposant davantage sur le conseil et l’échange. Enfin, le
développement d’une protection sociale complémentaire, sous forme de bourses à l’étude ou
de retraites, soulage les générations aînées plus enclines à aider financièrement leurs
descendants. Ces solidarités intergénérationnelles tiennent à de petits services rendus entre
membres de la famille (garde ponctuelle des petits-enfants par leurs grands-parents par
exemple), ou à des transferts de capitaux variables dans leur montant et leur fréquence –
observés essentiellement des ascendants vers les descendants. Malheureusement, ces
transferts économiques émanant de familles généralement plus aisées que la moyenne,
creusent les inégalités sociales notamment à l’éducation. De plus, l’inconvénient de cette
forme de solidarité fait peser sur le troisième âge des exigences financières et psychologiques
importantes. En des temps économiquement troublés, ils sont sollicités pour pallier les
imprévus fonctionnels de la vie familiale de leurs enfants, en qualité de soutien émotionnel
(en cas de ruptures) ou de conseillers. Les séniors semblent donc être devenus les piliers du
groupe familial.
24. Un sentiment d’appartenance résistant. – Les français, de tous bords, sont de plus en
plus soucieux de leurs origines et de leur patrimoine culturel et historique. Ils ont à cœur de
relater le vécu de leurs ancêtres natifs ou immigrés en France. Le désir d’ancrage familial est
prégnant aujourd’hui ; et ce désir semble de plus en plus conciliable avec une pleine
conscience de soi. En effet, la famille demeure, aux yeux des français, la valeur-refuge
première 129. Bien que secondée – voire concurrencée par l’action étatique – la famille
127
C. Attias-Donfut, "Les solidarités intergénerationnelles au sein de la famille contemporaine", Comment va la
famille ?, Paris, Cahiers français n°371, Documentation française, novembre-décembre 2012, p. 43.
128
C. Attias-Donfut, op. cit, p. 44-49.
129
Institut CSA, « Les français et la solidarité », au nom de l’Union nationale privés sanitaire et sociaux
(Uniopps) et la Macif, janvier 2013 (en ligne) disponible sur le site de l’Uniopps :
http://www.uniopss.asso.fr/resources/trco/pdfs/2013/A_janvier_2013//69893_SondageCSA.pdf. Selon cette
étude et plus, pour 46% des Français, la famille reste la valeur la plus importante ; Observatoire ING Direct,
« Les français et l’argent », 3 juillet 2012 (en ligne) :
http://www.ingdirect.fr/data/etudes/Observatoire_ING_Direct_France_Les-Francais-et-l-argent.pdf. Selon cette
35
demeure encore une puissante cellule de transmission et de reproduction des valeurs130. Aussi,
l’identité sociale et professionnelle, la religion, les rapports de sexe et la répartition des tâches
domestiques, mais également les allégeances politiques des individus, leur sont transmis par
leurs familles.
De plus, les progrès en matière de télécommunications ont permis de cultiver des liens
familiaux réguliers, immatériels, contrebalançant ainsi l’éloignement géographique et
l’absence de liens physiques.
25. Le chantier du droit de la famille. – Dès le XXème siècle, les juristes estiment devoir
se désengager de la sphère familiale. C’est d’ailleurs bien ce désengagement que prônait le
Doyen Carbonnier lorsqu’il préconisait un droit flexible au sein de l’espace privé131. Et il est
vrai que suite à la prise en otage de la famille opérée jadis par l’État interventionniste du
Régime de Vichy – dont certaines mesures se sont poursuivies après la Libération132 – cette
flexibilité était la bienvenue. Pourtant, paradoxalement, les juristes n’ont jamais autant
multiplié les textes de loi relatifs à la famille, intervenant ainsi dans tous les aspects de son
existence. L’objectif était alors de repenser en profondeur le droit de la famille, accusant à
cette époque un retard certain face aux changements sociaux en marche. Nous ne citerons ici
que quelques-unes de ces réformes.
26. La réforme des régimes matrimoniaux. – Les années 1970 marqueront l’accélération
des réformes législatives en droit de la famille. Mais cette adaptation a débuté dès l’adoption
de la loi n° 65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux133. Cette loi
étude menée sur 2025 personnes âgées de 18 ans et plus, 81% des Français se recentrent sur la famille et le
foyer.
130
A. Percheron, « La transmission des valeurs », in La famille. L’état des savoirs, La Découverte, Paris, 1992,
p. 186-190.
131
J. Carbonnier, Flexible droit. Textes pour une sociologie du droit sans rigueur, 1ère éd. 1969, Paris, LGDJ,
ème
10 éd, 2001, passim.
132
En effet, le gouvernement de De Gaulle prolonge certaines dispositions de politiques familiales approuvées
sous Vichy, dans l’attente de l’instauration de la IVème République. Témoignant d’un souci de continuité, le
général De Gaulle reconnaissait, par conséquent, que certains éléments positifs aient pu saillir de la dictature de
Vichy, notamment la préconisation de familles d’au moins trois enfants, V. E. Sullerot, La crise de la famille,
op. cit., p. 23-32.
133
Loi n°65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux, JO du 14 juillet 1965, p. 6044.
36
établit une cogestion puisque les époux contribuent, dorénavant, à proportion de leurs facultés
respectives aux charges du mariage, en l’absence de conventions matrimoniales134. Il faudra
attendre la loi 70-459 du 4 juin 1970 relative à l’autorité parentale135 pour qu’une égalité
parentale soit couplée à l’égalité conjugale. Cette loi abolit la puissance paternelle du droit
romain, fondée sur la volonté absolue du pater familias, au profit de la coparentalité. Les
notions « puissance paternelle » ou « chef de famille » sont supprimées des textes. Désormais,
les père et mère exercent de concert l’autorité parentale pour protéger l’enfant dans sa
sécurité, sa santé et sa moralité en vertu de son article 371-2. Les règles relatives à cette
autorité parentale conjointe connaîtront plusieurs remaniements, dont le plus significatif est
celui opéré par la loi n° 202-305 du 4 mars 2002136 la redéfinissant comme « un ensemble de
droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant » (article 371-1 al. 1 du code civil).
134
Art. 223 et s. anc. du C. civ. La femme peut exercer une profession séparée sans le consentement de son
conjoint. Elle bénéficie de la capacité juridique lui permettant d’administrer et de jouir de ses ressources dotales
ou salariales, d’ouvrir un compte ne banque ou d’ester en justice en cas d’inexécution par son époux de ses
devoirs. Elle a encore la faculté de conclure des contrats ayant pour objet l’entretien du ménage et l’éducation
des enfants et engageant solidairement son conjoint, sauf exceptions légales.
135
Loi n°70-459 du 4 juin 1970 relative à l'autorité parentale, JO du 5 juin 1970, p. 5227.
136
Loi n° 202-305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale et l’intérêt de l’enfant, JO du 5 mars 2002, texte
n°3, p. 4161.
137
La loi n° 66-500 du 11 juillet 1966 portant réforme de l’adoption, JO du 12 juillet 1966, p. 5956.
138
P. Murat « Les enjeux d'un droit de la filiation. Le droit français et l'ordonnance du 4 juillet 2005 »,
Informations sociales, n°131, 2006, p. 6.
139
Loi n° 96-604 du 5 juillet 1996 relative à l’adoption, JO du 6 juillet 1996, p. 10208.
37
institué un principe d’égalité des filiations consacré par la loi n° 72-3 du 3 janvier 1972140, en
ces termes : « l’enfant naturel a en général les mêmes droits et les mêmes devoirs que l’enfant
légitime dans ses rapports avec ses père et mère » (article 334). Longtemps, en effet, une
hiérarchisation des naissances fut opérée selon qu’il s’agisse d’un enfant légitime, c’est-à-dire
né ou conçu durant le mariage ; d’un enfant naturel né de parents non mariés ; ou d’un enfant
adultérin issu d’un ou deux auteurs déjà engagés par les liens du mariage au moment de la
conception. Auparavant, seule la filiation légitime était reconnue par loi, soucieuse d’élever le
mariage comme unique mode de constitution familiale. Une telle vision de la filiation, et plus
largement de la famille française, semblait en décalage avec la vérité démographique, lorsque
corrélativement à une chute continue du nombre de mariages dès 1975, on évaluait à 10% la
part des naissances hors-mariage à la même date. Aujourd’hui, on estime que plus de 50 %
des enfants français naissent en dehors des liens du mariage141. Par ailleurs, une modification
symbolique – mais non moins importante – a été apportée par l’ordonnance n° 2005-759 du 4
juillet 2005, ratifiée par la loi n° 2009-61 du 16 janvier 2009142. Désormais, les expressions à
connotation discriminante « enfant légitime » et « naturel » disparaissent des textes législatifs.
28. Les réformes de la contraception et de l’avortement. – Le XXème siècle est aussi celui
de la profonde remise en question de la condition de la femme, de la maîtrise de sa sexualité
et de son rapport à la maternité. Ainsi, dès 1967 est adoptée en Assemblée Nationale, la loi
« Neuwirth » n° 67-1176 du 28 décembre 1967 relative à la régulation des naissances. Cette
loi vient abroger les articles 3 et 4 de la loi de 1920 condamnant la propagande
anticonceptionnelle, la diffusion et la vente des procédés ou produits contraceptifs et par la
même, légalise le recours à la contraception, orale en particulier. La vente des produits
contraceptifs aux jeunes femmes mineures, de vingt et un ans à l’époque, est toutefois
strictement subordonnée au consentement des parents (article 3 alinéa 5).
S’agissant de l’avortement toujours prohibé, toutefois, la situation française était chaotique.
Chaque année 300 000 femmes françaises78 avaient recours à cette pratique dans le plus grand
secret, parfois même dans des conditions compromettant gravement leur santé physique.
Parallèlement à ces avortements clandestins, les femmes appartenant à une classe plus aisée
n’hésitaient pas à faire réaliser cette interruption de grossesse à l’étranger ; notamment en
140
Loi n° 72-3 du 3 janvier 1972 sur la filiation, JO du 5 janvier 1972, p. 145.
141
M. Segalen, Sociologie de la famille, op. cit., p. 9, spéc. les graphiques n°1 et 3.
142
Ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation, JO du 6 juillet 2005, p. 11159.
38
Grande-Bretagne143, dont la législation sur l’avortement était plus avancée. Il va sans dire que
ce contournement de la loi répressive française, souvent avec la complicité d’acteurs
médicaux ou publics, affaiblissait considérablement la portée et le caractère dissuasif de cette
dernière144. Il fallut attendre le 17 janvier 1975 pour que – à l’issue de débats passionnés en
Assemblée Nationale – la loi dite «Simone Veil » sur l’interruption volontaire de grossesse
(IVG) soit adoptée145. Les articles L.162-1 et L. 162-11 du code de la santé publique
prévoyaient, dès lors, que toute femme enceinte, placée dans une situation de détresse et
résidant sur le territoire français depuis 6 mois au moins, pouvait faire interrompre sa
grossesse au plus tard avant la fin de la dixième année, cette durée pouvant être actuellement
prolongée jusqu’à la douzième année en vertu du nouvel article L2212-1 du même code146.
Notons toutefois que la condition de « la situation de détresse » a été, très récemment,
supprimée par l’article 24 de la nouvelle loi n°2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle
entre les femmes et les hommes147.
29. Une appréhension complexe de la réalité familiale. – Aujourd’hui plus que jamais, il
n’existe aucun consensus sur ce qui fait famille, en France. Et pour cause, la famille
contemporaine se caractérise par sa polysémie. Chacun y projette ce qu’il veut. D’ailleurs,
comme le disait François de Singly, « ce qui est intéressant dans le fait que la définition de la
143
C. Gatinois, « Vingt-huit législations différentes sur l’avortement dans l’Union Europpéenne », Le Monde, 70
ème année/n°21462, 18 janvier 2014, p. 2 : La Grande-Bretagne légalise l’interruption volontaire de grossesse
dès 1967.
144
S. Veil, Discours prononcé le 26 novembre 1974, Compte-rendu des débats en première séance du relative à
la loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 sur l'interruption volontaire de la grossesse, Assemblée Nationale, p. 6999 (en
ligne) : http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/interruption/1974-11-26-1.pdf. « La loi est ouvertement
bafouée, pire même, ridiculisée. Lorsque l'écart entre les infractions commises et celles qui sont poursuivies est
tel qu'il n'y a plus à proprement parler de répression, c'est le respect des citoyens pour la loi, et donc l'autorité
de l'État, qui sont mis en cause ».
145
Loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de la grossesse, JO du 18 janvier 1975, p.
00739.
146
Depuis la loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l’interruption de grossesse et à la contraception, JO du 7
juillet 2001, p. 10823.
147
V. Art. 24 de la nouvelle loi n°2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes,
JO du 5 août 2014, p. 12949. Cette suppression a de plus été entérinée par le Conseil constitutionnel, V. Cons.
const., décision n° 2014-700 DC du 31 juillet 2014, Loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.
39
famille soit floue, c’est que cette imprécision autorise son succès. L’universalité de la famille
tient dans son absence de définition »148.
Historiquement qualifiée par des termes aussi variés que ceux de domus, familia ou gens, la
famille était autrefois généralement définie comme l’ensemble des personnes, vivant sous le
même toit et placées sous l’autorité d’une seule, le père de famille149. Aujourd’hui, tombée en
désuétude, cette conception de la famille a laissé place à une acceptation sociale plus
actualisée. Ainsi, le statisticien a tendance à formaliser la famille à travers la notion plus
objective du ménage, c’est-à-dire le « groupe » ou l’ « unité » familiale de résidence150. La
cellule familiale désigne donc la partie d’un ménage composée, tantôt d’un couple sans
enfant, tantôt d’un couple avec un ou plusieurs enfants du ménage, tantôt encore d’un adulte
seul avec son ou ses enfant(s)151. De plus, alors que certains sociologues ne conçoivent la
famille qu’en présence d’enfant(s), devenus l’unique élément de stabilité de cette structure152 ;
certains juristes estiment que pour former famille, il faut être au moins deux153. Par ailleurs, si
d’aucuns estiment que « ni l’affection, ni le désir individuel, ni encore la vie commune ne
suffisent à eux seuls à établir une famille […] »154, d’autres considèrent que sont « membres
de la famille tous ceux qui parents ou alliés, ou non, sont unis par une même communauté de
sentiments et d’affection, cette communauté se matérialisant le plus souvent par une unité de
domicile »155. Enfin, le littéraire qui s’aventure à conter la vie de famille se figure celle-ci, soit
comme des combinaisons heureuses recomposables à l’infini156, soit comme une structure
traditionnelle parfois rigide et source de frustrations157.
148
F. de Singly, « La famille apporte le bonheur ensemble et le bonheur individuel », Propos recueillis par K. El
Hadj, Le Monde, 14 mars 2007.
149
M. Corbier, « Les comportements familiaux de l’aristocratie romaine. IIe siècle avant J.-C.- IIIe siècle après
J.-C », Annales. Economies, société, civilisations, 42e année, n°6, 1987, p. 1267-1268.
150
A. Collomp, « Les formes de la famille. Approche historique », in La famille. L’état des savoirs, La
Découverte, Paris, 1992, p. 13.
151
Selon une définition de l’Insee, V. Insee, Recensement de la population. Ménages et famille, 2009 (en ligne)
disponible sur le site de l’Insee : http://www.insee.fr/fr/ppp/bases-de-
donnees/recensement/resultats/doc/pdf/fiche-menages-familles.pdf.
152
M.-A. Barrère-Maurisson, ibidem., p. 26.
153
J. Lemouland, op. cit., n°1.
154
M. Pierre, op. cit., p. 26.
155
F. Boulanger, Droit civil de la famille. Aspects comparatifs et internationaux, Tome I, 3ème éd., Paris,
Economica, 1997, p. 14.
156
M. Levy, Mes amis, Mes amours, Paris, Robert Laffont, 2006, passim. L’auteur met en scène deux amis de
longues dates, pères célibataires ayant tous deux la trentaine, Matthias et Antoine. Alors que l’un vit encore à
Paris, l’autre le convainc de venir s’installer à Londres. Ils s’installeront avec leurs enfants respectifs, sous le
même toit, alors qu’ils mènent chacun de leur côté leur vie amoureuse.
157
J. Franzen, Les corrections, trad. de Rémy Lambrechts, Etats-Unis, Edition de l’Olivier, 2002, passim. La
famille Lambert se compose d’Alfred, le père, un personnage bourru incapable d’exprimer ses sentiments,
40
La famille est juridiquement conçue comme « un élément […] fondamental de la société
[ayant] droit à la protection de la société et de l’État »158. Pourtant, paradoxalement, le droit
positif français n’en donne pas de définition univoque 159 . Mais, à tout le moins, il la
formalise. En effet, initialement, la famille était restrictivement conçue à travers un double
critère d’alliance et de parenté. Cependant, la famille française contemporaine est devenue
une entité plurielle et présente des configurations nouvelles. Aussi, ne faudrait-il plus parler
de « la famille », mais « des familles » (1). Dès lors, la tâche du juriste n’est pas facilitée. En
effet, parce que la mission première du droit, en général, est de fournir un cadre précis aux
pratiques sociales, en « régulant le pouvoir d’agir »160 de tout un chacun, il se doit de faire un
tri entre ce qu’il entend faire rentrer ou non dans ce cadre. Toutefois, il est des réalités
sociales, telles que la famille, qui sont si imprévisibles quant à leurs évolutions, formes et
fugacité, qu’il semble quasi impossible d’en délivrer une définition simple, pérenne et
juridiquement exploitable (2).
d’Enid, la mère, qui a une soif cachée de liberté et d’affirmation, et enfin de leurs trois enfants aux caractères et
aux aspirations marquées, voire parfois inconciliables. L’auteur dépeint une vie de famille, unique et commune
tout à la fois, faite d’amour, de ruptures et de réconciliations.
158
Art. 16, 3° de la Déclaration unvierselle des droits de l’homme (DUDH).
159
Pourtant, ces codes emploient fréquemment le terme. Il se rencontre dans les textes de lois, sous des vocables
tels que « l’intérêt de la famille » (article 217 du code civil), le « conseil de famille » (article 398 et suivants du
code civil), le « logement familial » (articles 215 du code civil), « l’abandon de famille » (article 227-3 du code
pénal) , les « immunités familiales » (articles 221-12 et suivants du code pénal), ou encore les « droits civiques,
civils et de famille » (article 131-26 du code pénal).
160
M. Gomar, op. cit., p. 7.
161
J.-J. Lemouland, ibidem., n° 12.
162
Art. 143 et s. du C. civ.
163
Art. 227 et s, art. 296 et s. du C. civ.
41
mais aussi aux relations des époux entre eux et envers les tiers au cours de la communauté de
vie164.
Horizontalement, la filiation désigne le « lien qui relie une personne à sa mère et à son père,
et à partir de ce double lien, aux parents de ces derniers »165. En d’autres termes, le lien de
filiation inscrit – naturellement ou artificiellement166 – chaque enfant à la fois dans une lignée
paternelle et une lignée maternelle, elles-mêmes parties d’un ordre généalogique plus
important. Ce lien aura des conséquences juridiques essentielles, car de lui découlent, pour les
ascendants comme pour l’enfant, des droits et des devoirs définis par la loi167. Mais surtout, le
droit civil donne à travers le lien de filiation une ossature à l’aire familiale, d’une part en
terme de ligne de parenté, d’autre part en terme de degré de parenté. Premièrement, la ligne
directe est celle qui unit des personnes qui descendent les unes des autres (grands-parents,
parents, enfants, petits-enfants), alors que la ligne collatérale lie des personnes descendant du
même auteur (frères et sœurs, oncles, cousins). Deuxièmement, les degrés ou générations
permettent d’évaluer la proximité de la parenté entre les membres d’une même famille. Ainsi,
en ligne directe, parents et enfants sont liés par une parentèle au premier degré. En ligne
collatérale, pour évaluer le degré de parenté entre deux collatéraux, il faut remonter à leur
auteur commun puis redescendre au membre visé. Ainsi, frère et sœur sont parents au second
degré, et ainsi de suite pour les oncles, neveux, cousins, etc.
Toutefois, les critères juridiques de parenté et d’alliance semblent insuffisants aujourd’hui à
rendre compte de l’étendue de la sphère familiale. D’ailleurs, les nouvelles formes de familles
qui ont peu à peu émergé socialement, se sont imposées en marge de ce carcan restrictif.
31. Les familles plurielles. – La famille aujourd’hui ne se subit plus, elle se choisit. Le
modèle traditionnel familial est aujourd’hui largement concurrencé par ce que l’on a nommé
les « nouvelles familles » 168 , « nouvelles formes de conjugalités » 169 ou « nouvelles
parentalités »170. En effet, les français se marient moins souvent171, plus tardivement172, mais
164
Art. 212 et s., art. 215 et art. 1387 et s. du C. civ.
165
J.-J. Lemouland, ibidem, n° 20.
166
Sur l’adoption, V. supra, n° 27.
167
Sur les effets de l’autorité parentale, art. 371 et s. du C. civ.
168
Association Parents et futurs parents Gays et Lesbiennes (APGL), Les nouvelles familles face aux institutions,
5ème Colloque « Les nouvelles familles dans la société française », Nantes, 13 juin 2014.
169
M. Segalen, « Les nouvelles formes de la conjugalité : du désordre dans l’institution ? », Comment va la
famille ?, Paris, Cahiers français n°371, Documentation française, novembre-décembre 2012, p. 8-17.
170
D. Versini, L’enfant au cœur des nouvelles parentalités. Pour un statut des tiers qui partagent ou ont partagé
la vie d’un enfant et ont des liens affectifs forts avec lui, Rapport annuel du Défenseur des enfants, 2006 (en
ligne) : http://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/dde_ra_2006.pdf.
42
surtout de moins en moins durablement173. Alors que, dans le même temps, concubinage et
PACS – en constante augmentation174 – apparaissent comme des alternatives séduisantes. Ces
paramètres ont conduit à modifier durablement le visage des familles françaises.
Pourtant, alors que ces réalités familiales sont ancrées dans la société, depuis de nombreuses
années maintenant, c’est la reconnaissance institutionnelle – en particulier juridique – de ces
dernières qui est récente ; bien qu’elle demeure encore imparfaite175. Aussi, depuis moins de
dix ans, voit-on se démocratiser de nouvelles expressions telles que les « familles
recomposées » ou « recompositions familiales » ; ou encore les « familles monoparentales »
ou « familles homoparentales ». Il convient de définir ces notions.
La famille recomposée est celle qui réunit, sous le même toit, un couple vivant avec au moins
un enfant dont un seul des conjoints, concubins ou partenaires est le parent. De ces unions
peuvent également naître des enfants qui eux sont communs aux deux nouveaux membres du
couple. Par conséquent, l’enfant du premier lit, alors qu’il conserve des relations régulières
avec sa fratrie d’origine176, aura de nouvelles relations avec les nouveaux compagnons
respectifs de ses deux parents, à savoir ses beaux-parents. Et en cas de naissance d’enfants
dans le second foyer, il aura également un ou plusieurs demi-frères ou demi-sœurs paternels
171
Sur la diminution des mariages, V. supra, n° 20.
172
Les jeunes reculent de plus en plus le moment de se marier. Ainsi, la proportion de personnes déjà mariées à
49 ans était de 0,85% chez la génération masculine de 1953, et de 0,87% pour la génération féminine de 1955.
Environ vingt ans plus tard, elle passe respectivement à 0,63 et 0,66%. De plus, l’âge moyen au premier mariage
était déjà de 30,6 ans pour les hommes et de 28,0 ans pour les femmes en 1973, contre 24,5 et 22,3 en 1945 V. F.
Prioux, M. Mazuy, M. Barbieri, "L'évolution démographique récente en France : les adultes vivent moins
souvent en couple", Population, n°3, 2010, passim, spéc. p. 464. Aujourd’hui encore, cette tendance se confirme
puisqu’en 2009, cet âge moyen est de 31,6 ans pour les hommes et de 29,7 ans pour les femmes. Pourtant, la
majorité de ces hommes et femmes ont d’ores et déjà fait l’expérience d’une union libre antérieure, soit
transitoire débouchant sur un mariage, soit infructueuse, V. F. Prioux, M. Mazuy, M. Barbieri, Op. cit,., p. 437.
173
Sur l’augmentation des démariages, V. supra, n° 20. En somme, les jeunes se marient pas ou tardivement et
les divorcés ne se remarient plus, V. L. Roussel, "Le remariage des divorcés", Population, 36e année, n°4-5,
1981, p. 765-790.
174
On estime aujourd’hui que neuf couples sur dix débutent leur relation par une période, plus ou moins longue,
de concubinage. De plus, il est établi qu’environ un enfant sur quatre naît hors-mariage, V. C. Avenel, « Les
évolutions sociologiques de la famille », Recherches et Prévisions, vol. 72, n° 1, 2003, p. 70.
175
Association Parents et futurs parents Gays et Lesbiennes (APGL), Les nouvelles familles face aux institutions,
Intervention de Clélia Richard, avocate au barreau de Paris, 5ème Colloque « Les nouvelles familles dans la
société française », Nantes, 13 juin 2014. Maître Clélia Richard, avocate au barreau de Paris, dénonçait certaines
inégalités judiciaires et administratives s’agissant notamment de l’adoption par des parents homosexuels. Selon
elle, les acteurs judiciaires ont encore une vision « hétéronormée » de la famille. En dépit de la nouvelle réforme
du 17 mai 2013 ouvrant le droit pour le conjoint de même sexe d’adopter l’enfant biologique ou adoptif de son
époux (article 345-1 du code civil), ces familles homoparentales sont soumises à un traitement différencié. Ainsi,
par exemple, les Parquet civils de Nanterre et de Saint-Nazaire imposaient à ces familles une enquête de police
dans la procédure d’adoption intrafamiliale. Cependant, cette enquête n’était réalisée que lorsque le couple
homosexuel ne bénéficiait pas de l’assistance d’un avocat. De plus, les questions posées aux couples
homosexuels dans le cadre des enquêtes sont généralement différentes de celles posées aux autres familles
recomposées.
176
L’enfant aura souvent déjà des frères et sœurs germains nés du premier lit également.
43
et maternels. La famille monoparentale, pour sa part, désigne la cohabitation du parent,
célibataire ou non, vivant seul avec son ou ses enfants. Cette forme familiale est, cependant,
souvent transitoire. Ainsi, les éventuelles remises en ménage, précaires ou non, du parent seul
viennent interrompre cet état de monoparentalité. Enfin, la famille homoparentale est –depuis
la nouvelle loi n° 2013-404 du 17 mai 2013177 – perçue comme celle composée de deux
personnes de même sexe élevant ensemble l’enfant, propre à un des époux ou adopté
simultanément par les deux conjoints. On le voit, ces nouvelles terminologies familiales
complexifient la donne. Elles brouillent, en effet, la compréhension des relations de parenté et
d’alliance existant entre les différents acteurs d’une même structure familiale.
32. Des notions de fait juridiquement inadaptées. – Davantage construites sur la base
d’une grille de lecture sociologique, les expressions familiales étudiées précédemment ne sont
pas des notions juridiques. Bien qu’elles rendent compte d’une réalité sociale indéniable, elles
ne répondent pas aux concepts de droit de parenté et d’alliance – prédéfinis178. De ce fait,
premièrement, la famille recomposée n’est pas constitutive – en elle-même – d’une famille au
sens du droit. L’enfant issu de la première relation n’est rattaché que factuellement à la
nouvelle recomposition familiale. Le beau-parent demeure juridiquement le parent social de
l’enfant, les droits découlant de l’autorité parentale appartenant en plein aux deux parents
légaux respectifs de ce dernier. Ainsi, d’un point de vue purement juridique, il n’existerait pas
une famille recomposée, mais trois familles identifiables179. Deuxièmement, la notion de
monoparentalité semble, à plus d’un titre, trop simplificatrice. En effet, la monoparentalité ne
fait aucun doute, en cas d’établissement unilatéral de la filiation180 de l’enfant à l’égard du
parent seul181 ou du retrait partiel ou total de l’autorité parentale à l’égard d’un des parents de
l’enfant182. Autrement, le simple fait qu’un parent ne vive pas avec l’enfant ne signifie pas
qu’il ne s’investisse pas dans la vie de ce dernier ou qu’ils n’entretiennent plus de relations.
177
Loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, JO du 18 mai
2013, p. 8253.
178
V. supra, n°30 ; M. Pierre, « Qu’est-ce-que la famille ? », in La famille que je veux, quand je veux ?.
Evolution du droit de la famille, Toulouse, ERES « Enfance et parentalité », 2003, passim.
179
La famille à laquelle sont rattachés par la filiation le ou les enfants du premier lit ; et les deux éventuelles
familles formées, séparément, par les deux parents respectifs, leurs nouveaux conjoints ou concubins et les
enfants qui naîtraient de ces unions.
180
On parle aussi de filiation unilinéaire.
181
C’est le cas lorsqu’une personne seule se sera vue accorder l’adoption plénière d’un mineur, V. supra, n° 20.
182
V. art. 378 et suiv. du C. civ.
44
Surtout, la décohabitation ne met pas fin à l’exercice de l’autorité parentale, qui prendra la
forme d’un droit de visite ou d’hébergement. Dans ces cas, la filiation de l’enfant reste
bilinéaire ; si bien que la notion de monoparentalité semble ici juridiquement erronée.
Troisièmement, si le droit reconnaît l’homoparentalité, en revanche il ne prend que
partiellement en considération la famille homoparentale. En effet, aujourd’hui, la loi
n’accorde des prérogatives parentales qu’aux couples de même sexe mariés, à l’exclusion des
couples homosexuels concubins ou liés par un PACS183.
En somme, la faculté du droit à intégrer des concepts a-juridiques est limitée. Or, il existe une
telle diversité de familles, qu’en donner une définition juridique univoque est quasi
impossible. Cela est d’autant plus difficile que les membres de ces différentes familles
revendiquent des droits et une reconnaissance sur mesure, personnalisée en fonction de leurs
besoins propres. Il est donc demandé à la loi, norme à visée générale, de s’adapter sans cesse
aux particularismes familiaux. Au-delà, le droit peine à transcrire juridiquement toute la
dimension affective de ces nouvelles formes familiales. En effet, bien que le droit accorde à
l’affection une place implicite de plus en plus importante184 – ce sentiment purement factuel
et subjectif est encore considéré comme trop large et vague185, pour fonder une définition
juridique de la famille.
Qu’à cela ne tienne. Le fait qu’il ne définisse pas la famille, n’empêche pas au droit – et
particulièrement au droit pénal – de capter cette dernière.
33. La définition juridique des termes du sujet. – Lorsqu’il est question de comprendre les
relations qu’entretient une discipline juridique avec une notion de fait polysémique, ce qu’il
convient d’observer, selon Jean-Arnaud Mazères, ce n’est pas « [une] constatation seulement
descriptive du rapport de [cet] objet au droit qui le règle, mais l’interrogation sur la
183
Ce point sera longuement développé dans la suite de cette étude, V. infra, n°69.
184
Elle se perçoit par exemple à travers l’institution de l’adoption, la prise en compte progressive des intérêts de
la concubine ou encore dans la place accordée au parent social ou beau-parent.
185
J. et A. Pousson, L’affection et le Droit, Toulouse, édition du CNRS, 1990, p. 22.
45
signification même de ce rapport : l’analyse se déplace alors sur le terrain du dégagement de
l’intelligibilité de ce rapport »186.
Aussi, dans le cadre de cette étude – consacrée aux relations entre droit pénal et famille – une
définition purement descriptive de cette dernière importe peu, en fin de compte. Il ne s’agira
pas ici de déterminer ce qu’est la famille en elle-même, ou ce qu’elle devrait être, selon une
conception ou une autre. En effet, il est évident que le droit – et le droit pénal en particulier –
ne détiennent pas l’exclusivité de la construction familiale. Une telle démarche nécessiterait
de faire appel à des connaissances extrajuridiques qui ne sauraient rentrer dans le champ de
cette analyse. Ce qui importe, en réalité, c’est de définir ce que la famille représente pour le
droit pénal, c’est-à-dire ce qu’elle devient lorsqu’elle est captée par le droit pénal. En d’autres
termes, comment lui l’interprète. Cela suppose, en revanche, de définir ce que recouvre le
droit pénal (1). Ensuite, nous dégagerons la nature du rapport existant entre ces deux ordres
sociaux (2).
34. Le droit pénal entendu largement. – Au sens littéral, le droit pénal renvoie plus
précisément à « la branche du droit à l’occasion de laquelle une sanction spécifique – la peine
– est prononcée, au nom de la société, suite à un trouble à l’ordre public […]187. Bien que
cette définition soit essentielle à notre analyse, elle doit être complétée si l’on veut
comprendre le lien sibyllin qui annexe le droit pénal à la famille. Aussi, entendrons-nous ce
droit, à l’instar du droit criminel, comme l’ensemble des lois qui régissent le droit de punir de
l’État188. Ces deux définitions du droit répressif, loin de s’exclure l’une l’autre, se complètent
et se contiennent.
Dès lors, parce que le droit pénal s’entend d’un ensemble de lois, les disciplines principales
rattachables à cette matière, ne peuvent être évincées du champ de recherche. Ce sont elles
qui sous-tendent en fin de course la répression. Ainsi, le droit pénal spécial, tout d’abord, est
186
J.-A. mazères, « marché et nation : Essai d’approche juridique », in Marchés et nation, regards croisés, Paris,
Monschrestien, 1995, p. 16.
187
E. Dreyer, Droit pénal général, 3e éd., Paris, Lexisnexis, 2014, p. 1.
188
R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel. Problèmes généraux de la science criminelle.
Droit pénal général, Tome. 1, 1er éd. 1967, Editions CUJAS, 1997, p. 212.
46
celui qui « détermine les éléments constitutifs et la peine encourue pour chaque
infraction »189, incriminée par le droit positif ou élaborée dès les premières heures du droit
pénal. Cette sous-discipline est la première à laquelle il conviendra de se référer, s’agissant de
la méthode d’appréhension de la famille par le droit pénal. En effet, c’est elle qui définit les
différentes incriminations propres à cette dernière, de l’abandon de famille à la non-
représentation d’enfant, en passant par l’inceste. Mais, de plus, le droit pénal général et la
procédure pénale – sous-disciplines nées de l’observation doctrinale du droit pénal spécial190
– sont tout aussi importantes. Alors que la première définit les principes directeurs de
responsabilité et d’imputabilité pénale coordonnant les différentes infractions pénales, la
deuxième pose les règles de formes devant garantir la mise en pratique 191 de ces dits
principes.
Par ailleurs, il semble impossible de traiter d’une réalité aussi sociale et humaine que la
famille, sans se questionner plus avant sur les causes du phénomène criminel intrafamilial et
le profil du délinquant. En conséquence, l’approche criminologique du sujet doit tenir, là
aussi, une place dans l’analyse.
189
E. Verny, O. Décima et S. Detraz, Droit pénal général, Paris, LGDJ, 2016, n° 6, p. 2 ; A. Lepage et H.
Matsopoulou, Droit pénal spécial, Paris, Thémis droit, 2015, n°1, p. 1.
190
A. Vitu, Droit pénal spécial, 1ère éd., Edition CUJAS, coll. Traité de droit criminel, 1982, n°1, p. 9.
191
B. Bouloc, Procédure pénale, 25ème éd., Précis Dalloz, 2015, p. 4, n°6-7. Ces règles organisent le procès
pénal c’est-à-dire « le processus de réaction sociale à un fait, à un trouble susceptible de constituer une
infraction », V. S. Guinchard et J. Buisson, La procédure pénale, 3ème éd., LexisNexis, 2005, p. 1, n°2.
D’ailleurs Didier Thomas précisait-il que le concept de procès pénal devait s’entendre largement. Il ne débute
pas avec l’acte de poursuite des infractions, pas plus qu’il ne se clôture par le jugement. Il contient également,
en amont la phase policière, et en aval la phase de l’application des peines, V. D. Thomas, « Le concept de
procès pénal », in La sanction du droit. Mélanges offerts à Pierre Couvrat, Tome 39, Publications de la faculté
de droit et des sciences sociales de Poitiers, 2001, p. 403 sq.
47
traiterons-nous pas du droit pénal des mineurs ici. Il en va de même du droit pénal de la
bioéthique. Il a certes trait aux questions de procréation médicalement assistée et à la
génétique, et en cela, il a parfois pour mise en situation un contexte familial ou au moins
conjugal. Mais pour autant, cette discipline est bien plus large puisqu’elle concerne toutes les
interventions d’ordre médical pratiquées sur la personne humaine.
Ceci étant dit, reste maintenant à interroger le lien existant, plus précisément, entre droit pénal
et famille.
36. Du droit pénal dans la famille, pourquoi ?. – Alors même qu’il renonce à la définir, le
droit pénal n’a eu de cesse d’investir de plus en plus la sphère familiale, depuis ces dernières
décennies. C’est dire qu’il perçoit dans cette entité sociale – un certain atout – une plus-value
à son action. Cependant, le lien entre droit pénal et famille n’en devient pas plus évident pour
autant. En effet, nombreuses sont les études qui constatent la manière dont la famille et le
droit pénal interagissent192. Mais plus rares sont celles qui se questionnent sur les raisons et
moment de cette interaction. Cette question a déjà été posée s’agissant du droit – en
particulier civil – de la famille193. Mais nous savons que le droit pénal, parce qu’ « il a pour
objet particulier l’infraction »194, présente une logique différente de celui des autres branches
du droit. Aussi, faudrait-il se demander, à titre liminaire, pourquoi il choisit de s’appliquer à
certaines réalités sociales – en l’occurrence la famille – plutôt qu’à d’autres.
37. Les rapports entre famille, société et droit. – Ces questions faisant l’objet de débats
plus approfondis dans le corps de nos développements, nous nous contenterons ici d’en
présenter les principaux aspects, tenants et aboutissants. Penser que la famille relève de la
192
P. Roland, Les contradictions du droit pénal et du droit civil. Essai de solution du problème de l’autonomie
du droit pénal, Thèse, Lyon, 1958 ; L. Leclair, L’enfant maltraité au sein de sa famille, Université de Pau, 1995 ;
C. Guechi, Les liens de famille et le droit pénal, Thèse de doctorat, Université Paris I, 1998 ; A. Sita Muila, Le
droit pénal et la famille, Thèse de doctorat, Université Aix-Marseille, 2001 ; B. Marrion, Le mineur, son corps et
le droit criminel, Thèse de Doctorat, Université Nancy 2, 2010 ; M. Lefebvre, Magali, Grossesses et
accouchement chez les femmes victimes d’inceste, Mémoire de Master II, Université de Versailles Saint-
Quentin-en-Yvelines, 2011 ; H. Joudrier, Violences conjugales, grossesse et médecine générale, Thèse de
doctorat, Université Pierre et Marie Curie, 2012.
193
La question « pourquoi du droit dans la famille » a maintes fois fait l’objet de développements, V. H.
Fulchiron et P. Malaurie, La Famille, 5e éd., Paris, Defrénois, 2016, p. 17 sq. ; J.-J. Lemouland, « Famille », Rép.
civ. Dalloz, 2015, n°10 ; M. Gomar, "Pourquoi du droit dans la famille ?", in La famille que je veux, quand je
veux. Evolution du droit de la famille, Toulouse, ERES, 2003, passim.
194
M.-C. Sordino, op. cit., p. 23.
48
nature seule195 et qu’elle devrait vivre à l’ombre du droit est utopique. Il n’est pas possible de
faire abstraction du droit lorsque l’on traite de la famille. Elle a, en effet, toujours été placée
sous le regard du droit, peu importe l’enveloppe sous laquelle il se présentait. La loi de la
tribu, la loi morale, la loi coutumière, la loi sociale, puis la loi dictée par la puissance publique
ont toujours réglementé l’entité familiale, ainsi que les relations privées entretenues par ses
membres. Le Doyen Carbonnier estimait d’ailleurs qu’une telle séparation entre ces deux
entités sociales – le droit d’un côté, la famille de l’autre – serait nécessairement artificielle.
Aussi, par exemple, « la vie de ménage n’est pas vécue de la même manière là où chacun peut
en sortir librement, et là où la sortie implique une procédure judiciaire »196. Cette simple
différence tient à l’existence du droit. Certes, l’affection, la sexualité, la procréation –
paramètres qui suffisent finalement à créer le lien familial – sont des données éminemment
naturelles. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’évolution des mœurs est toujours plus
rapide que celle de la norme. Mais, ces paramètres suffisent-ils – pour autant – à pérenniser le
lien familial ? Qu’est-ce qui maintient la famille ? Le hasard des rencontres, la volonté de ses
membres, ou l’imposition d’un cadre normatif ? Si le lien familial ne s’inscrivait pas dans un
schéma social organisé, fait de règles explicites et implicites, il n’aurait pas la valeur qu’il
tient aujourd’hui dans notre quotidien197. Les familles ont, peu à peu, cédé une part de leur
liberté, pour perdurer dans un groupe plus vaste, cohérent et fédérateur. Elles participent ainsi
du contrat social. La famille, parce qu’elle évolue dans une société, n’est pas naturelle ; elle
constitue une institution sociale. Et c’est bien en cela qu’elle intéresse le droit. C’est lui qui
structure le lien familial.
Par ailleurs, dire que le droit s’immiscerait, de force, dans la famille qu’ « aux heures sombres
de la vie »198 est erroné. Bien sûr, l’action de ce dernier ne se voit pas, ne se ressent pas au
quotidien dans la vie familiale. Néanmoins, cela ne signifie pas qu’elle ne s’y exerce pas. En
réalité, toute la vie de la famille est sous-tendue par des axiomes – d’ordre public, fiscal,
195
H. Fulchiron et P. Malaurie, op. cit., p. 20, n° 37.
196
Il ne faut pas oublier que même les relations entre concubins sont régies par le droit. Ainsi, en soi, la rupture
du concubinage par l’un des compagnons ne constitue pas une faute susceptible d’engager sa responsabilité
civile. Pourtant, lorsqu’elle aura été accompagnée d’une faute de sa part, l’autre concubin est en droit de
réclamer l’allocation de dommages et intérêts pour le préjudice subi, sur le fondement de l’article 1382 du code
civil. C’est notamment le cas s’agissant de l’homme déjà marié qui abandonne soudainement sa concubine,
après lui avoir formellement promis de subvenir à ses besoins, alors qu’il l’avait incité à quitter son emploi et à
déménager, Cass. civ. 1ère, 7 avril 1998, pourvoi n° 96-10581, Inédit.
197
La vie familiale n’est qu’un aspect de la vie privée de l’individu. Ce sont toutes les dimensions de la vie de
l’individu – professionnelle, sociale, amicale – qui lui donnent un équilibre et qui lui font apprécier davantage
encore la protection que lui offre le cocon familial.
198
H. Fulchiron et P. Malaurie, Le Droit de la famille, 5e éd., Paris, Defrénois, 2016, p. 25, n° 47.
49
administratif, civil, économique – imperceptibles. Ainsi, lorsque deux époux « dispatchent »
entre eux les charges et dépenses du ménage, c’est bien en vertu d’un régime matrimonial
particulier, régulé par le droit. Lorsque deux personnes désirent conclure un PACS, c’est
auprès du tribunal d’instance de leur lieu de domiciliation ou un notaire qu’ils s’adressent.
Lorsque deux concubins déclarent vivre maritalement, la stabilité et la continuité de leur
union 199 sont prises en considération pour le versement de prestations adaptées à leur
situation. La scolarisation d’un enfant répond à des exigences légales, propres à un État donné
et adoptées conformément à une politique publique déterminée. Même lorsque des parents
séparés organisent à l’amiable la répartition des temps de garde et d’hébergement de l’enfant,
c’est au regard d’un ordre juridique – la filiation – qui les y incite200. Ces exemples pourraient
se poursuivre à l’infini.
38. Droit pénal et famille, des natures similaires. – Contrairement aux autres branches du
droit précitées, le droit pénal lui ne vient pas structurer le lien familial. Telle n’est pas, en tous
les cas, la mission qui lui est dévolue. Néanmoins, force est de constater qu’il partage avec la
famille une nature similaire. En effet, droit pénal et famille constituent tous deux des ordres
juridiques, c’est-à-dire selon Santi Romano201 des « institutions »202.
199
V. les conditions légales du concubinage, art. 515-8 du C. civ.
200
La sanction n’intervient – en dernier lieu – qu’en cas de violation par l’un des parents de ses obligations
légales.
201
Il est à préciser que ces notions d’ordre et d’institution sont particulièrement polysémiques et ont fait l’objet
de tant d’études, qu’il faudrait en faire le sujet de thèses à part entière. Là n’est pas notre prétention. Bien que
nous abondions davantage dans le sens de la vision de l’auteur Santi Romano – que nous retiendrons pour les
besoins de cette étude – il ne faut omettre les illustres publicistes français qui ont traité de la question. En la
matière, Maurice Hauriou, Georges Renard ou Jacques Chevallier sont souvent des références incontournables
s’agissant de leur définition de l’institution. V. notamment, M. Hauriou, Les principes de droit public à l’usage
des étudiants en licence, 3e année et en doctorat ès-sciences politiques, Paris, Sirey, 1916 ; G. Renard, La
théorie de l’institution. Essai d’ontologie juridique, Paris, Sirey, 1930 ; J. Chevallier, « L’ordre juridique », in Le
droit en procès, PUF, 1983, p. 7-49.
202
Ce terme a été emprunté à Durkheim. Il mettait en relation directe les notions d’ « institution » et de « fait
social ». Il estimait, en effet, que pour qu’il y ait fait social, il devait exister des institutions. Ainsi, selon lui, la
condition essentielle à l’existence du fait social était « que plusieurs individus aient mêlé leur action et que cette
combinaison ait dégagé quelque produit nouveau. Et comme cette synthèse a lieu en dehors de chacun de nous,
elle a nécessairement pour effet de fixer […] hors de nous de certaines façons d’agir et certains jugements qui
ne dépendent pas de chaque volonté particulière […] ». Or, il estimait que le terme qui décrivait le mieux cette
réalité était celui de l’institution. Il définissait cette dernière comme « toutes croyances et tous les modes de
conduites institués par la collectivité ; la sociologie peut alors être définie : la science des institutions, leur
genèse et leur fonctionnement ». C’est dire que pour lui, tout ce qui relevait du social était institution, V. E.
Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, deuxième préface, Paris, PUF, coll. Quadrige, 2013, p. 15.
50
Selon la thèse de l’auteur203, l’institution est « un être ou un corps social en ce sens qu’elle est
une manifestation de la nature sociale et non purement individuelle de l’homme ». Il précise
cependant que l’homme n’est pas le « substrat » de toutes les institutions. Il différencie ainsi
deux types d’institutions. D’une part, celles qui « comportent, entre autres éléments, plusieurs
individus qui coexistent ou se succèdent, unis par un intérêt commun ou constant, ou par le
dessein, la mission qu’ils poursuivent ». À travers cette définition, sont ainsi parfaitement
décrites les caractéristiques du groupe familial. En effet, ce dernier se compose bien
d’individus qui descendent les un des autres, vivent ensemble selon un certain nombre de
règles internes et partagent un intérêt commun – celui de la famille. Et bien qu’elle s’exprime
de manière différente aujourd’hui, cette mission commune aux différents membres du groupe
existe encore et se renouvelle sans cesse.
La deuxième catégorie d’institutions, d’autre part, renvoie à celles « constituées de moyens,
matériels ou immatériels, personnels ou réels, patrimoniaux ou non, destinés en permanence à
une fin déterminée», gérées par des hommes, mais non constituées d’hommes. Or, à ce
propos, Romano voyait dans le droit – non pas seulement un condensé de normes et de règles
–, mais au-delà une organisation composée également des instances qui modèlent et
appliquent ces règles et normes. Aussi, entend-t-il le concept de droit, de tout ce qui produit le
droit. Ce concept devient dès lors indissociable de celui de société, en ce que le droit est
« organisation, structure, attitude de la société même dans laquelle il est en vigueur et qui par
lui s’érige en unité, en un être existant par soi-même »204. En somme, le droit formant un tout,
il faut en conclure que le droit pénal – discipline sociale par excellence 205 – constitue
indiscutablement un ordre juridique lui aussi.
Ainsi, si l’on admet que droit pénal et famille ont la même nature, il semblerait normal qu’ils
puissent entretenir ensemble un rapport intelligible. En effet, évoluant dans une même société
et contribuant à sa construction, les différents ordres juridiques – même présentant une
individualité propre – ne peuvent être exclusifs les uns des autres. Aussi, devraient-ils
fonctionner tels des vases communicants. Toutefois, force est de constater que le droit pénal
et la famille présentent, pour leur part, des finalités opposées.
203
S. Romano, L’ordre juridique, trad. Lucien François et Pierre Gothot, Paris, Dalloz, 2002, p.25-28. V.
également pour un résumé de la thèse de Romano, G. Rocher, « Pour une sociologie des ordres juridiques », Les
Cahiers de droit, vol. 29, n°1, 1988, p. 99 sq.
204
S. Romano, op. cit., p. 19.
205
Le droit pénal est une science juridique infligeant à l’auteur une sanction légale, mais il est aussi une science
sociale au même titre que le délit est un fait social, et la sanction un « acte de défense sociale », A. Prins, op. cit.,
n° 2-3, p. 1.
51
39. Droit pénal et famille, des finalités contraires. – Deux institutions sociales certes, mais
ayant des finalités différentes. En effet – rappelons-le – le droit pénal est l’émanation de la
souveraineté de l’État en matière répressive. Il régit la réaction de la puissance publique face
aux infractions commises sur un territoire donné et organise la sanction prononcée à
l’encontre des auteurs de ces actes. Rien dans cette fonction n’évoque la famille. Tout à
l’opposé, la famille est le rempart de l’individu. Elle est perçue comme protégeant des
agressions et immixtions extérieures206. C’est elle qui fait écran entre le sujet de droit et
l’arbitraire de l’État. Missionnée de l’éducation, de la socialisation et de la construction de
l’adulte en devenir, la famille dispense en principe amour et douceur. Aussi, la matière pénale
à l’intérieur de ce sanctuaire apparaît tel un loup dans la bergerie ; et, de prime abord, le droit
pénal renvoie à tout ce qui n’est pas la famille.
Partant de ce constat, pourtant, nous tenterons tout au long de cette étude de faire ressortir en
fin de compte les raisons qui poussent le droit pénal à se saisir de la famille.
206
« La famille peut être un rempart contre un monde perçu comme agressif pour l’individu ou un espace de
soin », V. F. de Singly et C. Giraud, En famille à Paris, Paris, Armand Colin, 2012, p. 23.
207
La tendance est de dire que l’enfant constitue le seul lien encore stable de l’institution familiale. Ainsi,
finalement, il faudrait comprendre que seule la relation de couple s’est précarisée. Pourtant, aujourd’hui, on
dénombre 40% de non-paiement de pension alimentaire. De plus, seul un enfant sur entretient encore des
relations avec son père, suite à la rupture du couple.
52
monoparentales ou homosexuelles accèdent à une nouvelle « visibilité sociale »208. Aussi,
dans un tel contexte, il n’a jamais été aussi ardu de délimiter l’aire familiale.
Pourtant, bien que renonçant à définir juridiquement la famille – d’une part en raison de sa
grande équivocité, d’autre part en raison de l’absence de concepts de droit adaptés – la
matière pénale se saisit amplement de cette entité sociale. Et pour cause, « il y a un droit
pénal dès que l’histoire aperçoit une ébauche d’ordre social »209. Aussi, nous apparaît-il
intéressant de comprendre quel est le bien-fondé des relations existant entre deux ordres
sociaux ayant des finalités – en apparence – si différentes. En effet, s’il est une chose
d’observer que le droit pénal s’applique à la famille, il en est une autre de l’expliquer. Or, la
famille est une cellule qui relève de l’intimité de tout un chacun. À ce titre, comprendre
l’intrusion d’un droit répressif en son sein est chose complexe.
À bien regarder, on s’aperçoit que ce droit renferme bien plus qu’une idée de répression. Pris
dans son sens le plus large, il est paradoxalement d’un côté, le droit qui sanctionne d’une
peine toute atteinte jugée intolérable à l’ordre social et, de l’autre, celui qui régule le droit
d’agir de la puissance publique. De nature hybride, en effet, il se situe à mi-chemin entre droit
public et droit privé210. Ainsi, s’il est protecteur des intérêts de l’État, il est aussi le garde- fou
de ses ingérences arbitraires, notamment au sein de la famille. Dès lors, à côté d’un droit
pénal répressif, se dessine un droit pénal véritablement protecteur.
Partant, il convient de comprendre quelle est la logique même du droit pénal lorsqu’il
s’applique à la famille. Or, dans ce domaine comme dans un autre, il nous est apparu que le
208
G. Gautier, Familles monoparentales, familles recomposées : un défi pour la société française, Rapport
d’information n°388 (2005-2006), au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre
les hommes et les femmes, Sénat, 13 juin 2006 (en ligne) disponible su le site du Sénat :
https://www.senat.fr/rap/r05-388/r05-3881.pdf.
209
A. Prins, ibidem, n°6, p. 3.
210
E. Verny, O. Décima et S. Detraz, op. cit., n°3, p.1.
53
droit pénal adoptait une démarche similaire à la sienne. Premièrement, parce son action doit
être strictement nécessaire et proportionnée, le droit pénal – contrairement aux autres
disciplines juridiques – ne peut intervenir qu’en présence d’un trouble à l’ordre public.
Deuxièmement, lorsqu’il intervient, c’est en raison de l’atteinte portée à une valeur sociale
tenue pour essentielle au sens du droit. En effet, « [les incriminations pénales] sont
l’expression de valeurs auxquelles [la société] adhère à un moment donné de son évolution
[ …] »211.
211
A. Lepage et H. Matsopoulou, op. cit., n°3, p. 2.
212
V. supra, n° 30-37.
54
Première Partie
UN PRÉALABLE À L’INTERVENTION DU DROIT PÉNAL,
L’EXISTENCE D’UNE FAMILLE DYSFONCTIONNELLE
213
C. Escoffier Gialdini, op. cit. (étude de la place de la famille dans le nouveau code pénal, avec une famille par
la parenté privilégiée à la famille par l’alliance) ; C. Guechi, op. cit. (étude de la protection de la famille par le
droit pénal selon deux méthodes contraires, l’édiction de dispositions pénales rigoureuses notamment les
circonstances aggravantes et de dispositions plus atténuées comme les immunités familiales) ; A. Sita Muila, op.
cit. (étude de droit comparé entre droit français et droit congolais s’agissant des fonctions du droit pénal dans la
famille) ; O. Maury, op. cit. (constat d’un recul du droit pénal dans la famille suite à une forte vague de
dépénalisation du droit de la famille et une protection axée davantage sur l’individu au sein de sa famille).
214
L. Leclair, op. cit. (la détection des carences du cadre juridique du signalement d’enfant maltraité et qui ont
pour conséquences de paralyser la réaction sociale aux maltraitances) ; H. Djefaflia, Le grand-parent et le droit
pénal, Thèse de doctorat, Université de Montpellier, 2014 (le statut juridique du grand-parent en droit pénal).
55
Titre I – L’IDENTIFICATION DE LA FAMILLE
DYSFONCTIONNELLE
42. Une notion a-juridique. – La notion même de « famille dysfonctionnelle » est une
notion a-juridique. Ainsi, le droit pénal ne définit explicitement ni la famille, ni la « famille
dysfonctionnelle ». De ce fait, parvenir à définir le dysfonctionnement dans la famille relève
d’une réalité purement factuelle et aléatoire. En témoignent par exemple, les difficultés
d’appréciation auxquelles s’exposent parfois les professionnels sociaux, éducatifs ou
psychiatres, quant à l’existence avérée ou non de carences familiales 215 . Ainsi, les
observations et résultats qu’ils formuleront, sur une même affaire, pourront aisément diverger
d’un observateur – même qualifié, à l’autre216. Il faut dire que déchiffrer la personnalité des
protagonistes, appréhender l’existence ou non d’insuffisances familiales (une éducation
carencée, une affectivité viciée, une famille dissociée) laissent nécessairement place à une
marge d’erreur et de subjectivité. Aussi, définir la famille dysfonctionnelle peut présenter
certains écueils, en particulier en droit pénal eu égard aux enjeux en présence.
43. Le choix d’un critère de définition. – La première question qui s’impose au juriste,
dans son œuvre de définition de la famille dysfonctionnelle, est relative au critère de référence
à choisir. En effet, il convient de se demander si la santé de la famille s’évalue selon une
« normalité » familiale ou uniquement selon une « dysfonctionnalité » familiale ?
L’idée de normalité désigne, de manière simplifiée la conformité à une norme. Ici, la norme
est entendue largement. Elle peut consister dans la définition des fonctions que toute famille
devrait remplir vis-à-vis de ses membres et au sein d’une société. Mais, elle permet aussi de
préjuger des structures familiales à promouvoir au détriment des autres. Dès lors, on pressent
d’emblée le caractère partial et subjectif que peut présenter le critère de normalité.
L’idée de « dysfonctionnalité », elle, renvoie à une approche purement fonctionnelle de la
famille. La forme de la cellule familiale importe peu. Seules comptent les fonctions de cette
dernière. Il convient ici de déterminer la capacité ou l’incapacité de la famille à accomplir ses
missions et à remplir ses fonctions essentielles. Un tel critère offre ainsi au juriste un véritable
215
V. infra, n° 222.
216
G. Stefani, G. Levasseur, R. Jambu-Merlin, Criminologie et science pénitentiaire, 2ème éd., Précis Dalloz,
1970, p. 48, n° 49.
56
outil de systématisation de la famille dysfonctionnelle, moins aléatoire, normatif et
contrôlable.
57
Chapitre I. Le rejet d’un critère de normalité familiale
Ainsi, dans son analyse des relations entre droit public et famille, Eric Millard précisait que la
notion de normalité familiale constitue l’unique critère de protection de la famille, à défaut
d’une application de la technique de personnalisation juridique217. Il développait sa thèse
autour de deux idées complémentaires. La première idée est celle selon laquelle l’Etat garantit
à l’individu, le droit d’avoir une vie familiale normale. La seconde consiste à dire que l’État
protège l’individu contre la famille anormale. Dès lors, selon lui, combattre l’anormalité
familiale suppose d’exercer sur l’ensemble des familles – anormales ou non d’ailleurs – un
contrôle permanent. Cette thèse est originale et particulièrement avisée. Elle emporte
largement la conviction, quant à la conception de la famille par des disciplines juridiques
telles que le droit civil ou le droit public, soumises à un ordre public de direction fort.
Néanmoins, il semble qu’au regard de la discipline pénale, elle doive être nuancée218.
En droit pénal, le dysfonctionnement familial ne peut être défini selon un critère de normalité.
Celui-ci ne présente pas les qualités de clarté, de flexibilité et de fiabilité nécessaires à la
matière (Section 2). Toutefois, avant même que d’évincer ce critère, il importe de le définir.
Or, le concept de normalité familiale trouve ses origines dans le droit de mener une vie
familiale normale (Section 1).
217
E. Millard, Famille et Droit public. Recherches sur la constitution d’un objet juridique, Thèse de doctorat,
Université Jean Moulin-Lyon III, 1994, p. 146-259.
218
Comme nous le verrons dans la deuxième partie de la thèse, le droit pénal relève aujourd’hui davantage d’un
ordre public de protection dans la famille, V. infra, n° 415.
58
Section I. Du droit de mener une vie familiale normale au concept de famille normale
45. La construction juridique d’une norme familiale générale. – Bien que les ordres
juridiques – tant international que national – dans leur globalité, tendent à davantage de
tolérance face à la diversité des formes contemporaines de familles, il ne faudrait pas oublier
qu’ils définissent, chacun à leur manière, une norme familiale générale, telle que
communément admise dans nos sociétés occidentales. Ainsi, droit européen et législateur
interne n’hésitent pas à défendre un véritable droit subjectif de l’individu à construire une vie
familiale. Mais bien plus, ils consacrent encore un droit de l’individu à « mener une vie
familiale normale » (§1). C’est ensuite, à partir de ce droit que seront progressivement
dégagés les éléments de définition du concept de normalité familiale (§2).
46. L’émergence de la notion de « vie familiale normale » (B) se fonde sur plusieurs
instruments textuels, mais aussi jurisprudentiels qui ont contribué à sa consécration (A).
A. Les fondements normatifs de l’émergence d’un droit de mener une vie familiale
normale
47. Le droit de mener une vie familiale normale est avant tout un droit d’inspiration
européenne. En effet, qu’il s’agisse du droit européen ou du droit communautaire, ils ont
contribué à poser un cadre normatif, relatif notamment aux droits et libertés fondamentales de
l’individu et à sa libre circulation (1). De plus, au plan national, si le terme de « famille »
apparaissait déjà dans la Constitution française219, cette référence demeurait timide et ne visait
pas vraiment le droit de l’individu à une vie familiale. Il en allait également de même du
Préambule de la Constitution de 1946, qui employait déjà le terme de « famille ». Mais cette
référence demeurait ténue et imprécise.
219
Le terme de famille se trouvait déjà dans le Préambule de la Constitution de 4 novembre 1849 instaurant la
IIème République ; art. IV « (La République) a pour base la famille, le travail, la propriété et l’ordre public » et
art. VIII « (La République) doit protéger le citoyen dans sa personne, sa famille, sa religion, sa propriété, son
travail ». Et depuis 1946, le terme apparaît dans le Préambule de la Constitution de 1946, al. 10.
59
Pour autant, elle avait le mérite d’exister (2) ; et c’est dans ce contexte précis qu’a été ressenti
la nécessité de créer la notion de vie familiale normale.
Mais surtout, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales du 4 novembre 1950 joue un rôle indéniable dans la valorisation de cette
protection de la vie familiale. En effet, sa portée est considérable en raison de son invocabilité
directe à l’occasion d’un recours et du caractère contraignant de ses dispositions. Surtout,
l’article 8 §1 de la convention précise clairement que « toute personne a droit au respect de
sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». De plus, son article 12
ouvre le droit pour toute personne, ayant atteint l’âge nubile légalement défini, de se marier et
de fonder une famille.
Par ailleurs, la jurisprudence européenne n’est pas en reste sur cette question de la protection
du droit à la vie familiale. En effet, dans sa décision du 13 juin 1979, la Cour européenne des
droits de l’homme avait insisté sur le fait que le respect de la vie familiale au sens de l’article
220
Préambule de la Charte sociale européenne signée à Strasbourg, 3 mai 1996 (entrée en vigueur le 1er juillet
1999), STCE n°163, [En ligne :
https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=090000168007cf
94].
221
Préambule de la Charte sociale européenne signée à Strasbourg, 3 mai 1996, op. cit.
222
Préambule de la Charte sociale européenne signée à Strasbourg, 3 mai 1996, op. cit.
60
8 de la convention impliquait, pour l’État, « l’obligation d’agir de manière à permettre le
développement normal des rapports [entre proches parents] »223.
Ainsi, le Titre VI du Traité sur l’Union européenne 224 intitulé « Dispositions sur la
coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures » contient un article K-1
précisant qu’aux fins de la réalisation des objectifs de l’Union – à savoir essentiellement la
libre circulation des personnes – les États membres partagent des « questions d’intérêt
commun ». Or, ces questions portent notamment sur les domaines de la politique d’asile, les
règles de franchissement des frontières extérieures des États membres, la politique
d’immigration, les conditions d’entrée, de circulation et de séjour des étrangers, le
regroupement familial ou l’accès à l’emploi de ces personnes.
223
CEDH, 13 juin 1979, « Marckx c/ Belgique », req. n° 6833/74, § 45. Alexandra est l’enfant naturel de Mme
Marckx, mère célibataire. La loi belge ne reconnaissait aucun lien juridique entre l’enfant naturel et sa mère du
simple fait de la naissance. La reconnaissance de l’enfant ne modifiait pas davantage la situation juridique de
l’enfant ; pire encore, elle interdisait au parent de léguer à celui-ci la totalité de son patrimoine. Dès lors, la
requérante, ayant reconnue puis adoptée sa fille, a saisi la Cour de Strasbourg de cette discrimination légale
fondée sur la naissance. Celle-ci estima que la législation belge était contraire à l’article 8 de la convention, aux
articles 8 et 14 combinés de la dite convention, et à l’article 1er du Protocole n° 1 à la convention.
224
Traité sur l’Union européenne signé à Maastricht, 7 février 1992 (entrée vigueur le 1er novembre 1993),
JOCE du 29 juillet 1992, p. 1.
225
Traité d’Amsterdam modifiant le Traité sur l’Union européenne, les traités instituant les Communautés
européennes et certains actes connexes, 2 octobre 1997 (entrée en vigueur le 1er mai 1999), JOCE du 10
novembre 1997, p. 1.
61
de délivrance par les États membres de visas et autres titres de séjour, y compris en vue d’un
regroupement familial.
La reconnaissance européenne du droit à mener une vie familiale normale trouve son
équivalent en droit interne.
50. La norme constitutionnelle. – S’il doit n’être énoncé qu’un seul texte en droit interne,
s’agissant de la protection de la vie de famille, c’est l’alinéa 10 du Préambule de la
Constitution de 1946. Celui-ci prévoit, en effet, que « la nation assure à l’individu et à la
famille les conditions nécessaires à leur développement ». Ce texte se double d’un onzième
alinéa ainsi formulé : « [la nation] garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère […] la
protection de la santé, la sécurité matérielle, le repose et les loisirs.
Ces textes sont rédigés dans des termes pour le moins larges et imprécis. Dès lors, les
modalités de mise en œuvre de ces droits familiaux se doivent d’être clairement déterminées.
226
Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne modifié par le Traité de Lisbonne, signé à Lisbonne, 13
décembre 2007 (entrée en vigueur le 1er décembre 2009), JOUE du 30 mars 2010, p . 47.
62
Le Conseil constitutionnel estime que cette tâche incombe au législateur et à l’autorité
réglementaire, dans le respect de leurs compétences respectives227, conformément aux articles
34 et 37 de la Constitution.
Aussi, les textes précédemment étudiés, qu’ils soient européens ou nationaux, ont servi de
jalons à la naissance du droit de mener une vie familiale normale. En effet, sans jamais le
nommer expressément, ils ont fourni à la jurisprudence française de précieux instruments en
vue de son émergence.
51. Le droit de mener une vie familiale normale, érigé en principe général du droit. –
C’est le Conseil d’État, le premier, qui dégage le droit de mener une vie familiale normale –
en tant que notion228. En effet, c’est à l’occasion de son arrêt notoire « Gisti » du 8 décembre
1978229 relatif au regroupement familial des travailleurs étrangers, qu’il érige ce droit en
principe général du droit.
Dans les années 1977, la condition de l’emploi en France inquiète. Le gouvernement décide
de suspendre par un décret du 10 novembre 1977, l’application d’un précédent décret du 29
avril 1976 – jugé trop libéral. Ce dernier facilitait le séjour régulier des travailleurs étrangers
et de leurs familles en France. Le nouveau décret de 1977 tendait, par conséquent, à limiter
les regroupements familiaux aux étrangers ; à moins que ceux-ci ne renoncent à l’obtention
d’un emploi sur le territoire national. Le Conseil est saisi de la légalité du décret suspensif par
plusieurs syndicats et le Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés
(GISTI). Les juges de la Haute juridiction opèrent un contrôle de proportionnalité entre, d’un
côté, les mesures nécessaires à la sauvegarde de l’ordre public et, de l’autre, le droit de toute
personne à jouir d’une vie de famille. Aussi, se fondant sur « des principes généraux du droit,
et notamment du Préambule de la Constitution de 1946 […] », ils estiment que « les
étrangers résidant en France ont, comme les nationaux, le droit de mener une vie de famille
227
Cons. const., décision n° 2001-451 DC du 27 novembre 2001, L. portant amélioration de la couverture des
non salariés agricoles contre les accidents du travail et des maladies professionnelles, JO du 1er décembre 2001,
p. 145, consid. 19.
228
Les fondements textuels indispensables à la création de ladite notion préexistait, nous l’avons vu, à
l’intervention du juge administratif, V. supra, n°48 et s.
229
CE Ass., 8 décembre 1978, GISTI, CFDT et CGT, Lebon, p. 493 ; GAJA, 20e éd., 2015, n° 83.
63
normale ». Par cette décision inédite 230 , le Conseil d’État fait émerger une notion qui
outrepasse largement le simple droit au regroupement familial des étrangers. À vrai dire, il
reconnaît à la famille un droit général à l’existence et au développement, dans des conditions
matérielles et sociales optimales.
Cependant, il a refusé pendant longtemps de fonder le droit de mener une vie familiale
normale sur l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme231.
Il se référait donc systématiquement au texte national du Préambule de la Constitution de
1946. Ainsi, le Conseil d’État faisait une stricte distinction entre la source internationale
d’une part, et la source nationale d’autre part, du droit à la vie familiale normale. L’arrêt du
25 juillet 1980 du Conseil en fournit une parfaite illustration. Un étranger qui avait commis
sur le territoire français des faits de viol, s’apprêtait à être libéré suite à l’exécution de sa
peine. Or, il faisait prévaloir son droit à mener une vie familiale normale en France sur le
fondement de l’article 8 de la Convention européenne. Le Ministère public estimait que la
présence de celui-ci en France représentait toujours un danger pour l’ordre public. Convaincu
de cet état de fait, le Conseil d’État a estimé que l’homme ne pouvait « utilement se prévaloir
ni des dispositions de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme […], ni du principe général du droit selon lequel les étrangers résidant en France
ont le droit de mener une vie familiale normale » pour demander l’annulation de la mesure
d’expulsion à son endroit232.
Ce n’est qu’à partir de 1989233 que le Conseil du Palais-Royal admit la possibilité pour tout
individu de faire prévaloir ses droits familiaux sur le fondement de l’article 8 de la
230
Avant cette décision, le Conseil d’Etat avait l’habitude de reconnaître des principes généraux du droit sans
forcément viser de texte écrit en guise de fondement. Par exemple, il avait déjà eu l’occasion d’affirmer, sans
plus de formalisme, que la publicité des débats judiciaires était un principe général du droit, V. CE, 16 janvier
1976, Dreyfus, Lebon, p. 46 (« […] le principe de la publicité des débats judiciaires impose que ceux-ci se
déroulent dans un lieu ouvert au public »). Pour plus d’éléments V. M. Long, P. Weil, G. Braibant, P. Delvolvé,
B. Genevois, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, 20e éd., Dalloz, 2015, n° 83, p. 566.
231
En dépit de l’article 55 de la Constitution, le Conseil d’Etat s’est refusé - pendant longtemps, à faire
application directe des conventions et traités nationaux, et en particulier des dispositions de la Convention
européenne des droits de l’homme. Le Conseil d’Etat se retranchait derrière la théorie de la loi-écran pour ne pas
avoir à écarter la loi dont l’entée en vigueur était postérieure à celle du traité, V. X. Vandendriessche,
«Etrangers. Définitions, principes, orientation », J.-Cl. Adm. 2012, fasc. n°233-54, n° 60.
232
CE, 25 juillet 1980, Touami Ben Abdeslem, Lebon, p. 820 ; JCP éd. G 1981. II. 19613, note B. Pacteau.
233
CE Ass., 20 octobre 1989, Nicolo, req. n° 108243, Lebon, p. 190, concl. P. Frydman.
64
Convention européenne234. Désormais, le Conseil a abandonné toute référence au principe
général du droit qu’il avait pourtant lui même créé.
53. Le droit de mener une vie familiale normale, un droit à portée générale. – Cette
décision détient une symbolique forte, en ce qu’elle ne cantonne plus le droit de mener une
vie familiale normale au seul droit des étrangers. En effet, ce droit est « reconnu à tous ceux
qui résident sur le territoire de la République »236. Ce faisant, le Conseil constitutionnel
consacre expressément le « droit de mener une vie familiale normale », comme un droit à
portée générale s’appliquant à tout individu – ressortissant national ou non.
De plus ici, le Conseil ne se contente pas seulement de reprendre le droit standard à la vie
familiale de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme. Il choisit de
faire clairement référence à la notion de « normalité ». Cela dénote bien la spécificité du droit
de mener une vie familiale normale. Aussi faut-il déterminer ce que recouvre cette idée de
normalité.
234
En guise d’illustrations, V. CE Sect., 10 avril 1992, Marzini, req. n°120573, Lebon, p. 154 s’agissant d’un
refus de séjour. Le Conseil d’Etat a estimé sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme que l’ingérence réalisée par l’autorité publique dans la vie privée de l’étranger
n’était pas disproportionnée aux buts poursuivis par le refus de séjour ; CE Sect, 10 avril 1992, Aykan, req. n°
76945 , Lebon, p. 152 s’agissant d’un refus de visa.
235
Cons. Const. Décision n°93-325 DC du 13 août 1993, L. relative à la maîtrise de l’immigration et aux
conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France, consid. 3.
236
Cons. Const. Décision n°93-325 DC du 13 août 1993, précité.
65
§2 - L’avènement du concept de normalité familiale
54. Il convient de rappeler que le droit de mener une vie familiale normale n’est pas un
droit intangible ou sacralisé : il est susceptible d’ingérence de la part des autorités publiques
(A). D’ailleurs, ce sont précisément les ingérences et contradictions à son encontre qui ont
permis de dessiner les contours de la notion de normalité familiale, telle que perçue en droit
(B).
55. Le droit de mener une vie familiale normale, un droit opposable. – Le droit de
mener une vie familiale est un droit opposable. En effet, tout justiciable peut exciper de cette
liberté fondamentale devant les juridictions nationales et européennes, sur le fondement des
énoncés textuels et prétoriens précédemment étudiés. Au surplus, ce droit fait naître une
obligation de résultat, à l’endroit des instances nationales chargées de définir les conditions de
sa mise en œuvre237.
Par ailleurs, il est un rempart contre les intrusions de l’autorité publique dans la vie privée de
l’individu. En effet, le Conseil d’État précise que « le droit de mener une vie familiale
normale constitue une liberté fondamentale » au sens de l’article L. 521-2 du code de justice
administrative 238 , en ce qu’il a « pour objet de préserver des ingérences excessives de
l’autorité publique, la liberté qu’a toute personne de vivre avec sa famille »239.
237
Cons. Const., décision n°93-325 DC du 13 août 1993, précité, § 21 : « Il appartient au législateur d'apprécier
les conditions dans lesquelles les droits de la famille peuvent être conciliés avec les impératifs d'intérêt public
s'agissant d'étrangers entrés irrégulièrement sur le territoire français » ; CEDH, 13 juin 1979, « Marckx c/
Belgique », req. n° 6833/74, précité, § 45 : « Le “respect” de la vie familiale ainsi entendue implique, pour
l’État, l’obligation d’agir de manière à permettre le développement normal de ces rapports » ; Cons. const.,
décision n° 2001-451 DC du 27 novembre 2001, précité, §19 : « […] il incombe au législateur comme à
l'autorité réglementaire, conformément à leurs compétences respectives, de déterminer, dans le respect des
principes posés par ces dispositions, les modalités concrètes de mise en œuvre (des dispositions de alinéas 1à et
11 du Préambule de la Constitution de 1946) ».
238
Ce texte prévoit que lorsqu’il est saisi d’une demande justifiée par l’urgence, « le juge des référés peut
ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale
de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, […], une
atteinte grave et manifestement illégale ». Ce texte déclaratif n’a pas à prime abord vocation à la consécration
d’une liberté fondamentale. Le Conseil adopte dès lors un raisonnement déductif ici.
239
CE, 30 octobre 2001, Ministère intérieur c/ Nahiba, req. n° 238211.
66
56. Le droit de mener une vie familiale normale, un droit non absolu. – Le droit de
mener une vie familiale normale n’est, cependant, pas un droit absolu. Celui-ci ne garantit
nullement à l’individu une immunité irréfragable face aux lois en vigueur en France. Bien au
contraire, il est conçu comme un droit supplétif, voire parfois précaire240. Ainsi, il arrive que
l’ingérence des autorités publiques dans l’exercice de ce droit soit autorisée. Le paragraphe 2
de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme prévoit, en
effet, qu’ « il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit
que pour autant que [celle-ci] est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans
une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au
bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre, à la prévention des infractions
pénales, à la protection de la santé ou de la morale […] ».
À dire vrai, toutes les fois où l’atteinte portée à la poursuite d’une vie familiale normale
constituera un moindre sacrifice par rapport à la prioritaire sauvegarde de l’ordre public
interne, ce droit sera écarté. Cela est vérifiable s’agissant du regroupement familial par
exemple. Ainsi, lorsque le maintien sur le territoire national n’est pas indispensable à
l’expérimentation d’une vie familiale normale, les autorités françaises peuvent y contrevenir.
C’est le cas, lorsqu’aucune circonstance ne fait obstacle à ce que l’étranger reconstruise sa vie
de famille dans son pays d’origine241. L’ingérence du gouvernement sera encore considérée
comme justifiée lorsque le ressortissant d’un pays tiers s’est rendu coupable de crime(s) ou de
délit(s) sur le territoire français242. En effet, dans cette hypothèse, la contrariété au droit de
240
X. Vandendriessche, «Etrangers. Définitions, principes, orientation », J.-Cl. Adm. 2012, fasc. n°233-54, n°
184.
241
CE, 22 mai 1992, Mme Larachi, req. n°99475, Lebon, p. 203. La requérante, de nationalité algérienne, estime
que la décision rejetant sa demande de carte de séjour était contraire à l’article 8 de la Convention européenne
des droits de l’homme. Le Conseil d’Etat considère, au contraire, qu’en l’espèce il n’y avait pas violation du
droit de mener une vie familiale normale à partir du moment où l’intéressée pouvait emmener son fils mineur
avec elle à l’étranger ; Donc, il incombe à l’individu de prouver que la reconstitution de la vie de famille à
l’étranger est impossible.
242
La politique intérieure concernant le sort des délinquants de nationalité étrangère est marquée par davantage
de sévérité qu’auparavant, V. CE, 25 juillet 1980, Touami Ben Abdeslem, précité ; CEDH, 5 octobre 2000,
« Maaouia c/ France », req. n° 39652/98 (un ressortissant tunisien marié à une française et ayant commis sur le
territoire national un vol aggravé). L’actualité récente relative au projet avorté de révision constitutionnelle sur la
déchéance de nationalité témoigne également de cette intransigeance. Elle ne touche plus seulement les
délinquants étrangers mais aussi les nationaux qui commettraient des actes de terrorisme contre leur propre
Nation.
67
mener une vie familiale normale sera perçue comme accessoire, eu égard à la protection des
intérêts de la Nation. Il en va de même, si l’intéressé était en situation irrégulière en France243.
Mais, cette ingérence publique peut également être légitimée, s’agissant de la fondation même
des couples et des familles. Le terme de « fondation » ici employé ne fait pas tant référence au
titre en vertu duquel le couple ou la famille se sont formés. Il s’agit plutôt d’une évaluation de
la nature des relations familiales qui se tissent entre les membres du groupe. Or, cette
évaluation s’opère essentiellement selon une perception idéologique et sociale de ce qui
devrait faire famille.
57. La normalité familiale est définie (2) dans une société déterminée, par le juge en
dernière instance et le législateur en amont (1).
58. Les acteurs de la normalité familiale sont formellement la société (a) puis
fondamentalement, le législateur et le juge (b).
a) La société
59. Une normalité familiale définie dans un contexte social et culturel déterminé. – La
notion de vie familiale normale est intimement liée à la conception que l’on se fait, dans une
société démocratique et occidentale, de la notion même de famille. Dès lors, les écueils que
présente l’exercice de définition de la normalité familiale sont perceptibles. En effet, on le
sait, la famille n’est pas clairement définie en droit – civil comme pénal244. Cependant, les
législations internes et internationales apportent en filigrane certains éléments de
modélisation de la famille. Sa forme, sa nature et ses fonctions répondent à un certain nombre
de préceptes juridiquement déterminés. Or, ces préceptes ne se définissent pas selon une
norme sociale réelle, mais selon une norme sociale souhaitable et acceptée.
243
V. CEDH, 23 mars 1999, « Chabane Rahmouni c/ France », req. n° 41721/98. L’étranger qui se trouvait en
situation irrégulière en France ne peut se prévaloir de l’article 8 de la Convention européenne des droits de
l’homme, lorsque c’est en fraude de la loi qu’il a tissé les attaches familiales qu’il revendique.
244
V. supra, n° 29.
68
De facto, la construction même du concept de normalité familiale a trait à l’idéologie d’un
État, à l’identité d’une société et à la culture d’une civilisation. Elle s’ancre au carrefour d’un
certain nombre de principes intellectuels, scientifiques, empiriques, politiques et de croyances
religieuses et morales inextricables. Ainsi, le Conseil Constitutionnel indiquait-il que « les
conditions d’une vie familiale normale sont celles qui prévalent en France […] »245.
Dès lors se pose la question de savoir qui juge de la normalité ou de l’anormalité de la
famille.
b) Le législateur et le juge
Mais tout ce qui relève du social n’est pas forcément souhaitable d’un point de vue juridique.
Aussi, il appartient au juge d’effectuer, en dernier ressort, un tri parmi ces pratiques familiales
observées ; et de dégager celles qui répondent ou non à une norme familiale autorisée. On le
voit clairement à travers la jurisprudence conséquente relative au droit de mener une vie
familiale normale. En effet, pour chaque situation familiale individuelle qui leur est soumise,
les juridictions nationales et européennes auront à apprécier si celle-ci est digne de protection
et conforme à l’idée que l’on se fait d’une vie familiale normale au sein de l’État considéré.
245
Cons. Const. Décision n°93-325 DC du 13 août 1993, L. relative à la maîtrise de l’immigration et aux
conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France, consid. 77.
246
V. E. Salomon, Le juge pénal et l’émotion, Thèse de doctorat, Université de Paris II, 2015.
69
le Conseil d’État a pendant longtemps refusé de reconnaître le concubinage comme créant des
effets, au sens de l’article 8 de Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.
En 1995, il estimait que l’arrêté de reconduite à la frontière d’une étrangère vivant
maritalement avec un français depuis un an – alors que le couple s’apprêtait à se marier –
n’était pas contraire aux articles 8 et 12 de la Convention247. De manière assez illogique en
effet, il précisait qu’un tel arrêté ne portait pas atteinte au droit de se marier puisqu’il
n’interdisait pas la célébration du mariage248. Aujourd’hui, le juge national – à l’instar du juge
européen249 – admet qu’une véritable vie de famille digne de protection puisse dériver d’un
concubinage continu et stable250. Cela dépendra surtout de la présence d’enfants nés au sein
du couple251, voire d’un simple projet ou désir d’enfant252. Toutefois, là encore, il arrive que
d’une personnalité à une autre, la décision du juge diverge même en présence d’un enfant à
naître253.
Néanmoins, il ne faudrait pas oublier que le législateur – également – détermine les
conditions de la normalité familiale, en France.
Ce standard reposera ainsi essentiellement sur les dispositions de droit civil, qui dépeignent la
famille au travers des liens d’alliance et de parenté. D’ailleurs, un auteur précisait que « la vie
familiale s’entend à titre principal de l’exercice des liens conjugaux et de filiation » 255.
Néanmoins, ce standard familial a considérablement évolué au fil des décennies.
La normalité familiale n’est pas une notion univoque. Il est impossible d’en donner une
définition précise. Mais certaines dispositions légales ou appréciations jurisprudentielles
permettent de déterminer quelques-unes de ses composantes. Toutefois, la normalité familiale
ne dépend pas seule de la forme familiale. Restreindre la notion à cet aspect serait erroné. En
effet, le droit à la vie familiale normale est d’abord la liberté de posséder une vie familiale et
intime. Cela implique, ensuite, que cette vie familiale normale soit protégée des ingérences
extérieures. Enfin, il faut que cette vie familiale permette à l’individu de développer des liens
affectifs avec ses proches ; ces liens devant produire de véritables effets juridiques et sociaux.
255
X. Vandendriessche, «Etrangers. Définitions, principes, orientation», J.-Cl. Adm. 2012, fasc. n°233-54,
n°194.
256
V. supra, n° 30.
71
Toutefois, on ne peut ignorer que certaines formes familiales ont moins de chance que
d’autres d’accéder, en droit interne, à la vie familiale normale. Force est de constater, dès lors,
que la normalité familiale s’apprécie différemment en fonction de la situation familiale visée.
63. La famille polygame jugée anormale en droit interne. – S’il est bien une forme
familiale qui est considérée comme juridiquement anormale, c’est sûrement la famille
polygame257. Le Conseil Constitutionnel précisait, sans détour, que « les conditions d’une vie
familiale normale sont celles qui prévalent en France, pays d’accueil, lesquelles excluent la
polygamie »258. De telles conditions portent certes une atteinte évidente au droit à la vie privée
et familiale de l’intéressé, et au regroupement familial. Néanmoins, elles ne sauraient être
considérées comme contraires à la Constitution, pour des raisons d’ordre public.
Cela permet d’apprécier clairement les contradictions entre le « droit à une vie familiale » et
le « droit à une vie familiale normale ». Ainsi, certaines pratiques comme la polygamie,
sortent du champ du droit à une vie familiale normale. Pourtant, elles entrent parfaitement
dans celui du droit à la vie privée et familiale, au sens de l’article 8 de la Convention
européenne. La Commission européenne précisait, à ce propos, qu’ « un État contractant ne
peut être tenu, en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme, d’accorder une
entière reconnaissance à la polygamie qui est en contradiction avec son propre ordre
juridique »259. Finalement, ce qui fait la différence entre « vie familiale » et « vie familiale
normale », c’est l’implication de l’État dans la détermination des conditions
d’expérimentation de la seconde. En effet, le « droit à une vie familiale » contient une
dimension plus personnelle et exclusive. A contrario, l’exercice du « droit à une vie
familiale normale » est strictement soumis à la politique législative d’un État.
En somme, la vie familiale ne devient normale que si elle est avalisée par les autorités
publiques françaises.
257
Sur les éléments constitutifs de l’infraction, V. infra, n°294 et s.
258
Cons. Const. Décision n°93-325 DC du 13 août 1993, L. relative à la maîtrise de l’immigration et aux
conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France, consid. 77.
259
La Commission a été saisie de la question de savoir si les Etats membres, dont le principe matrimonial est
celui de la monogamie, étaient obligés de reconnaître des mariages monogamiques célébrés à l’étranger ? Elle
répond par la négative. V. Comm. EDH, 6 janvier 1992, A. et A. c/ Pays-Bas, req. n° 14501/89 rapportée par P.
Hilt, Le couple et la Convention européenne des droits de l’homme. Analyse du droit français, Aix-en-Provence,
Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2004, n° 257, p. 132.
72
b) La vie familiale normale et la vie commune
Le droit français lui, accuse un certain retard en la matière. En effet, la conception française
de la normalité familiale reste très restrictive. Il faut bien garder présent à l’esprit que notre
ordre juridique n’accorde pas toujours les mêmes droits aux différentes structures familiales.
Ainsi, le droit interne fait une stricte distinction entre une vie de couple, qui se matérialise
principalement par la communauté de vie, et la vie familiale. Dès lors, le Conseil
constitutionnel fait de la vie commune une condition sine qua non du PACS. Selon lui, « cette
notion ne couvre pas seulement une communauté d'intérêts et ne se limite pas à l'exigence
d'une simple cohabitation entre deux personnes ; [elle] suppose, outre une résidence
commune, une vie de couple »263.
En revanche, il n’estime pas nécessaire de réformer la législation sur le droit de la filiation
dans ce domaine264. Ainsi, l’enfant verra toujours sa filiation établie soit à l’égard de ses deux
260
CEDH, 19 février 1996, Gül c/ Suisse, req. n° 23218/94 (existence d’une vie familiale entre un père parti en
mission humanitaire et son fils).
261
CEDH, 24 avril 1996, Boughanemi c/ France, req. n° 22070/93 (existence d’une vie familiale entre le père et
l’enfant qu’il a reconnu malgré une séparation due à l’expulsion du requérant).
262
CEDH, 24 avril 1996, Boughanemi c/ France, précité. Cette position européenne est d’ailleurs très ancienne,
V. CEDH, 13 juin 1979, « Marckx c/ Belgique », req. n° 6833/74, § 31 ; « En garantissant le droit au respect de
la vie familiale, l’article 8 [de la convention européenne des droits de l’homme] présuppose l’existence d’une
famille. […] L’article 8 ne distingue pas entre famille “légitime” et famille “naturelle”. Pareille distinction se
heurterait aux mots “toute personne” de l’article 8 […] ».
263
Cons. Const., décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999, Loi relative au pacte civil de solidarité, JO du 16
novembre 1999, p. 16962, consid. 26 : « […] la notion de vie commune ne couvre pas seulement une
communauté d'intérêts et ne se limite pas à l'exigence d'une simple cohabitation entre deux personnes ; [elle]
suppose, outre une résidence commune, une vie de couple, qui seule justifie que le législateur ait prévu des
causes de nullité du pacte qui, soit reprennent les empêchements à mariage visant à prévenir l'inceste, soit
évitent une violation de l'obligation de fidélité découlant du mariage ».
264
Cons. Const., décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999, Loi relative au pacte civil de solidarité, précité,
consid. 78.
73
parents biologiques, partenaires d’un pacte ; soit à l’égard d’un seul d’entre eux (en cas de
recomposition familiale). On en déduit clairement que si la vie commune scelle une vie de
couple, elle n’offre pas pour autant un droit à une vie familiale normale, à proprement parler.
Un tel constat est d’autant plus patent s’agissant de l’adoption simple.
65. Une autorité parentale strictement soumise au mariage entre adoptant et parent
de l’adopté. – L’article 365 du code civil prévoit que l’adoption simple n’entraîne un partage
de l’autorité parentale entre l’adoptant et le parent de l’adopté, que si ceux-ci sont mariés.
Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité selon laquelle une telle disposition serait
contraire au droit de mener une vie familiale normale et au principe d’égalité devant la loi265,
le Conseil constitutionnel statue de la façon suivante266.
Il estime d’une part, que « le droit de mener une vie familiale normale n'implique pas que la
relation entre un enfant et la personne qui vit en couple avec son père ou sa mère ouvre droit à
l'établissement d'un lien de filiation adoptive ». Il précise, d’autre part, que le législateur s’est
contenté – dans le cadre de ses compétences définies par l’article 34 de la Constitution – de
relever que la différence de situation entre les couples mariés et les autres couples justifiait
cette différence de traitement quant à la filiation adoptive, dans l’intérêt de l’enfant.
Aussi, la loi française n’octroie-t-elle ce droit qu’aux personnes en couple, à l’exclusion des
personnes célibataires269. L’alinéa 1er de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique
précise expressément que « l'assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à la
demande parentale d'un couple ». Cette assistance médicale ne vient qu’en soutien d’une
procréation naturelle et biologique défectueuse, en raison d’une infertilité ou d’une maladie
particulièrement grave qu’il est souhaitable de ne pas transmettre à l’enfant.
Ainsi, même en cas d’intervention d’un tiers donneur, celui-ci ne se voit accorder aucun rôle
dans la famille. Le lien de filiation est fictivement rattaché aux seuls membres du couple. La
famille ainsi formée est considérée comme normale aux yeux de la loi française.
Mais alors, que dire lorsque la procréation médicalement assistée est refusée spécifiquement
au couple homosexuel, même marié ?
67. Généralités. – La famille homoparentale demeure une famille à part. Bien que le
législateur consente à lui reconnaître certains droits essentiels à sa formation270, elle demeure
victime d’une présomption d’anormalité. En effet, de tout temps, a été remise en cause la
capacité des personnes de même sexe à apporter à un enfant un environnement familial stable
et équilibré, à pourvoir à son éducation et à son bon développement. Cette suspicion émanait
non seulement de l’opinion publique, mais aussi des institutions sociales, administratives et
normatives271.
268
Art. 343-1 du C. civ.
269
Le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes avait d’ailleurs formulé plusieurs
recommandations à l’attention du Gouvernement en 2015. Il demandait notamment que soit étendue l’ouverture
de la PMA aux femmes célibataires et homosexuelles, V. Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les
hommes (Hcefh), Contribution au débat sur l’accès à la PMA, Avis n° 2015-07-01-SAN-17, 26 mai 2015,
recommandation n°1 [En ligne : http://haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_avis_no2015-07-01-san-
17.pdf].
270
Nous pensons au mariage et à l’adoption ici, V. Loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux
couples de personnes de même sexe, JO du 18 mai 2013, p. 8253 ; V. infra, n°69.
271
V. infra, n°68.
75
Ainsi, les entraves à l’adoption d’un enfant par un homosexuel célibataire étaient
nombreuses ; tandis que l’adoption d’un enfant par un couple homosexuel était légalement
impensable.
Dans un deuxième temps, la Cour européenne a été amenée à revoir sa position dans une
décision notoire du 22 janvier 2008276. La requérante, une institutrice de maternelle, vit en
couple depuis plusieurs années avec une autre femme. Désireuse d’adopter, elle dépose auprès
du Conseil général, une demande d’agrément à cet effet. Sa compagne ne souhaitant pas
s’engager davantage dans cette démarche d’adoption, c’est en tant que personne célibataire
que la requérante agit. Cependant, suite à une enquête sociale ayant abouti à plusieurs avis
défavorables, son agrément à l’adoption lui est refusé. Les motivations de ces avis, sans
jamais mentionner explicitement l’homosexualité de la requérante, portent sur deux points.
272
Art. 343-1 du C. civ.
273
CEDH, 26 février 2002, Fretté c/ France, req. n°36515/97, § 36 in fine.
274
CEDH, 26 février 2002, Fretté c/ France, req. n°36515/97, § 36.
275
À savoir la protection de la santé et des droits de l’enfant susceptible d’être adopté.
276
CEDH, 22 janvier 2008, « Emmanuelle B. c/ France », req. n°43546/02.
76
D’une part, il s’agit de l’absence de référents paternels susceptibles de favoriser le
développement harmonieux d’un enfant ; et d’autre part, de l’imprécision de la place de la
compagne dans la vie de l’enfant, préjudiciable à l’acquisition de repères par celui-ci.
Saisie par la requérante, s’estimant victime de discrimination à raison de sa sexualité, la Cour
européenne ne s’attarde pas sur l’opportunité ou non d’une adoption homosexuelle.
Néanmoins, elle met l’accent sur l’ambiguïté et l’hypocrisie des autorités françaises. En effet,
elle estime que l’argument portant sur l’investissement réel de la compagne dans l’éducation
et l’accueil de l’enfant est justifié, au regard de son intérêt supérieur 277. En revanche, elle
s’interroge sur le bien-fondé du premier motif, relatif à la présence d’un référent maternel ou
paternel, au foyer ou dans l’entourage du demandeur. Un tel motif aboutit finalement à vider
de sa substance, le droit pour une personne célibataire d’adopter seule, sur le fondement de
l’article 343-1 du code civil278. La Cour considère par ailleurs, que ces deux motifs dégagés
par les autorités françaises devaient être pris en compte comme formant un tout ; que dès lors,
le caractère partial du premier motif viciait le bien-fondé du second.
Partant, le refus d’agrément à une demande d’adoption qui se fonderait essentiellement sur
l’homosexualité du demandeur, doit être considéré comme arbitraire et discriminant, au sens
des articles 14 et 8 de la Convention. Cependant, l’interprétation de cette jurisprudence
pourrait être perçue comme bien moins glorieuse. En effet, ici la Cour européenne ne
contredit pas sa première jurisprudence « Fretté ». Dans le principe, elle ne consacre pas le
droit du célibataire homosexuel à former une famille, par le biais de l’adoption. Elle ne
déclare pas davantage que cette adoption serait conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant.
Elle constate seulement que l’argument employé par les autorités françaises, en l’occurrence,
était inapproprié et peu objectif. Par conséquent, il leur est loisible de continuer à retenir un
raisonnement plus spécieux, afin d’invalider ces adoptions.
277
En effet, il est normal que les autorités s’assurent que l’enfant adopté trouve sa place au sein d’un foyer déjà
formé par l’adoptant avec un(e) partenaire, V. CEDH, 22 janvier 2008, « Emmanuelle B. c/ France », req.
n°43546/02, § 76.
278
Allant plus loin, la Cour relève que les autorités françaises n’ont pas été en mesure de présenter des
statistiques pour justifier qu’elles recouraient à un tel motif, peu importe l’orientation sexuelle du demandeur
célibataire. Cela dit-elle, aurait permis de se convaincre qu’il n’y avait point de discrimination en l’espèce. Ce
faisant, elle indique clairement aux autorités françaises, son absence de naïveté, V. CEDH, 22 janvier 2008,
« Emmanuelle B. c/ France », précité, §74.
77
couples de personnes de même sexe (articles 6-1, 343 et suivants modifiés du code civil). De
même, le conjoint homosexuel du père ou de la mère de l’enfant peut désormais adopter celui-
ci (article 345-1, 1° bis nouveau du code civil).
De plus, si cette évolution est considérable, elle creuse encore les inégalités entre les couples
homosexuels mariés et ceux qui ne le sont pas. Il s’agit d’une confirmation supplémentaire du
fait que la vie commune ne confère pas nécessairement, en France, un droit à la famille
normale280. Seules la parenté et/ou l’alliance le pourraient. En outre – en raison de la pression
sociale qui a entouré l’adoption de ce texte ; et parce que les mentalités n’y étaient pas
préparées – le législateur dut renoncer à ouvrir la procréation médicalement assistée à ces
couples281. Il en va de même, pour la gestation pour autrui qui demeure illégale en France282.
279
Cons. const., décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013, Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de
même sexe, JO du 18 mai 2013, p. 2013, consid. 46-55. Les détracteurs de la loi rétorquaient qu’autoriser une
adoption par un couple homosexuel porterait atteinte au droit de l’enfant de mener une vie familiale normale et à
l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant. Ils soutenaient également que l’adoption
plénière de l’enfant par deux personnes de même sexe ne permettait pas de préserver le secret de l’adoption en
faisant entrer l’enfant dans sa nouvelle famille comme un enfant « biologique ». Cela porterait donc atteinte à la
vie privée de l’enfant. Dans un premier temps, le Conseil Constitutionnel précise qu’il ne lui appartient pas de
substituer son appréciation à celle du législateur. Or, celui-ci a estimé que l’homosexualité des adoptants ne
faisait pas obstacle à l’établissement d’un lien de filiation adoptive. Dans un deuxième temps, il rétorque que le
droit au respect de la vie privée n’implique pas une dissimulation du caractère adoptif de la filiation. Enfin, il
relève que les articles L. 225-2 et L. 225-17 du code de l’action sociale et des familles soumettent au même titre,
les couples hétérosexuels et les couples homosexuels, à l’exigence de l’agrément préalable délivré par les
autorités administratives. Par conséquent, la conformité de l’adoption à l’intérêt de l’enfant sera toujours
pareillement évaluée.
280
V. supra, n° 64.
281
Art. 6-1 du C. civ. : « Le mariage et la filiation adoptive emportent les mêmes effets, droits et obligations
reconnus par les lois, à l'exclusion de ceux prévus au titre VII du livre Ier du présent code, que les époux ou les
parents soient de sexe différent ou de même sexe ». Or ce titre contient une section 3 relative à l’assistance
médicale à la procréation.
78
Le Conseil constitutionnel estime, en effet, que le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce
que des situations différentes soient traitées de manière différente par le législateur. Or, au
regard de la procréation, il précise que « les couples formés d’un homme et d’une femme sont
[…] dans une situation différente de celle des couples de personnes de même sexe »283.
282
Art. 16-7 du C. civ. : « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui
est nulle ».
283
Cons. const., décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013, précitée, consid. 44.
284
CEDH, 25 mars 1992, Botella. c/ France, req. n° 13343/87, D. 1993. 101, note J.-P. Marguénaud. La Cour de
Strasbourg ne se fonde pas, à l’instar des juges français sur le principe d’indisponibilité des personnes ; mais, sur
le droit à la vie privée de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Sur ce
fondement, elle estime que le droit à la vie privée implique également un droit à l’ « épanouissement
personnel et social». Or, devoir présenter sans cesse des documents administratifs faisant mention d’un sexe
différent à l’apparence réelle du transsexuel, est contraire à son épanouissement ; CEDH, Gr. Ch., 11 juillet
2002, « Goodwin c/ Royaume-Uni », req. n° 28957/95, D. 2003. 525, obs. J.-F. Renucci. La même année,
l’assemblée plénière de la Cour de cassation se rallie à cette jurisprudence, V. Cass., Ass. plén., 11 décembre
1992, pourvoi n° 91-11. 900, Bull. A.P. n° 13, p. 27 (le principe d’indisponibilité des personnes ne fait pas
obstacle à ce que l’état civil mentionne désormais le sexe dont le transsexuel a l’apparence). Toutefois, encore
aujourd’hui, cette modification de l’état civil reste soumise à de nombreuses conditions contraignantes pour les
« transidentaires » (une hormonothérapie et une ablation des organes génitaux puis d’une reconstruction des
organes, une expertise judiciaire attestant de la réalité et de l’irréversibilité des interventions médicales).
285
La Cour européenne des droits de l’homme a adopté une vision non plus biologique, mais sociologique du
sexe, V. CEDH, Gr. Ch., 11 juillet 2002, Goodwin c/ Royaume-Uni, précité. Mais cela n’a pas toujours été le
79
En effet, seul le sexe apparent de l’individu compte. Dans ces circonstances, le mariage
transsexuel prenait les allures d’une union hétérosexuelle conforme au droit286. La situation
était, en revanche, plus polémique lorsque le transsexuel était déjà marié avant son
changement de sexe. Compte tenu de la prohibition du mariage entre deux personnes de
même sexe, les juges retenaient que l’union antérieure ne pouvait subsister à la conversion
sexuelle de l’intéressé. Trois voies lui étaient dès lors proposées. La première consistait dans
le maintien du mariage antérieur, à condition que le changement de sexe n’ait aucune
incidence sur les liens familiaux de l’individu. Ainsi, si le transsexuel pouvait obtenir
modification de son propre état civil, il en allait différemment de son acte de mariage ou de
l’état civil de ses enfants287. La deuxième résidait dans la dissolution du mariage par un
divorce pour faute. En effet, lorsque le transsexuel n’avait pas informé son conjoint de son
projet de conversion et des interventions médicales – ou qu’il était passé outre son désaccord
– il est arrivé que certains juges considèrent comme caractérisée, la violation grave et répétée
aux obligations du mariage288. Enfin, les juges peuvent proposer au transsexuel qui souhaite
rester en couple, une mutation de son mariage en un partenariat289.
cas. Avant cette décision, la Cour européenne des droits de l’homme retenait que le droit de se marier faisait
référence au « mariage traditionnel entre deux personnes de sexe biologique différent » au sens de l’article 12 de
la Convention, V. CEDH, 30 juillet 1998, Sheffield et Horsham c/ Royaume-Uni, req. n° 31-32/1997/815, § 66.
286
Toutefois, le transsexuel ne doit pas avoir dissimulé à son conjoint son changement de sexe, sous peine de
nullité de l’union, pour erreur sur les qualités substantielles, V. Poure, « Vers un statut familial de la personne
transsexuelle ? », Recherches familiales, vol. 1, n° 10, 2013, p. 177.
287
CA Rennes, 16 octobre 2012, RG n° 11/08743, RTD civ. 2013. 85, obs. J. Hauser ; Le Tribunal de grande
instance de Brest (jugement attaqué) avait lui opté pour interdire toute modification de l’état civil des personnes
mariées, V. TGI Brest, 15 décembre 2011, RTD civ. 2012. 502 ; AJ fam. 2012. 349, obs. B. de Boysson. Cette
décision simplifiait le problème à la base, mais aurait été peu conforme à la jurisprudence européenne relative au
respect de la vie privée du transsexuel.
288
CA Nîmes, 7 juin 2000, Dr. fam. 2001. 4, obs. H. Lécuyer ; RTD. civ. 2001. 335, obs. J. Hauser. Retenir une
faute imputable au transsexuel en raison de son transsexualisme semble quelque peu dérangeant. De plus, le
divorce pour faute ne permet pas de prendre en compte les cas où le conjoint du transsexuel est tout à fait
d’accord avec sa conversion. Au divorce pour faute, la doctrine préférait donc le nouveau divorce pour altération
définitive du lien conjugal ou le divorce par consentement mutuel, V. V. Poure, « Vers un statut familial de la
personne transsexuelle ? », Recherches familiales, vol. 1, n° 10, 2013, p. 179 ; J. Hauser, « Nullité, caducité,
divorce : le sort du mariage du transsexuel », RTD. civ. 2001. 335. Mais la doctrine avait également retenu que la
dissolution du mariage pouvait découler de sa caducité, le mariage en tant qu’acte juridique valablement formé
ayant perdu postérieurement un élément essentiel à sa validité. La caducité a le mérite, de plus, de ne pas
anéantir le mariage, V. J. Hauser, « Transsexualisme et mariage : le heurt entre la liberté et la définition du
mariage », RTD. civ. 2013. 85.
289
CEDH, Gr. Ch., 16 juillet 2014, Hämäläinen c/ Finlande, req. n° 37359/09 , RTD. civ. 2014. 831, obs. J.-P.
Marguénaud. La loi finlandaise admet certes le changement du sexe sur l’état civil du transsexuel. En revanche,
n’autorisant pas le mariage homosexuel, elle prohibe également toute subsistance du mariage antérieur au
changement de sexe d’un des conjoints. S’agissant d’un homme qui a changé de sexe mais souhaite rester marier
à son épouse, la Cour européenne estime que le dispositif finlandais n’est pas disproportionné puisqu’il propose
des alternatives au transsexuel. L’une d’entre elles – le partenariat – est considérée comme « une option sérieuse
offrant aux couples de même sexe une protection juridique pratiquement identique à celle du mariage ».
80
Le législateur est venu mettre fin, de manière indirecte, à ces hésitations jurisprudentielles, à
travers l’adoption de la loi du 17 mai 2013 énoncée précédemment. Désormais, plus rien ne
fait obstacle à ce que le transsexuel se marie ou qu’il choisisse – en accord avec son époux –
de maintenir son mariage postérieurement à son changement de sexe290.
72. Des droits réduits en matière de filiation. – S’agissant des liens entre le transsexuel
et ses enfants, ceux-ci ne sont pas remis en cause s’ils préexistent à la conversion sexuelle de
l’individu291. Une telle solution est d’ailleurs tout à fait logique au regard de la protection de
la vie privée du transsexuel, en vertu de l’article 8 de la Convention européenne des droits de
l’homme292. Néanmoins, l’établissement d’un lien de filiation, par une personne dont la
transition sexuelle serait définitive, est plus complexe. En effet, en l’absence de mariage, le
transsexuel masculin devenu femme ne pourra pas procéder à une « reconnaissance
maternelle » de son enfant, cette dernière étant « contraire à la vérité biologique »293. En
réalité, l’obstacle à cette reconnaissance se justifie dans le cas où l’enfant ferait déjà l’objet
d’une reconnaissance maternelle préalable294.
Toutefois, rien ne semble s’opposer à ce que le transsexuel adopte – avec son conjoint ou seul
– un enfant, conformément aux articles 346 et 345-1 du code civil. De même, la procréation
médicalement assistée ayant pour objectif de remédier à une infertilité du couple, le
transsexuel et son compagnon (concubin ou conjoint), devraient pouvoir y recourir295. Il
s’agira concrètement de l’hypothèse d’une femme devenue homme, mais non dotée encore
des organes de reproduction masculins. Cependant, on pourrait objecter ici que dans ce cas, la
stérilité du transsexuel est non pas subie, mais provoquée. Dès lors, ce couple serait placé
dans une situation différente à celle des autres couples hétérosexuels.
290
J.-J. Lemouland et D. Vigneau, « Droit des couples », D. 2014, p. 1343.
291
Toutefois, il a été jugé que le droit de visite du parent transsexuel pouvait être restreint, lorsque « [son]
instabilité émotionnelle, suite à son changement de sexe, est susceptible de perturber l’intégrité psychique et le
développement de la personnalité du mineur », CEDH, 30 novembre 2010, P. V. c/ Espagne, req. n°35159/09.
292
CEDH, 25 mars 1992, Botella. c/ France, précité ; CEDH, Gr. Ch., 11 juillet 2002, Goodwin c/ Royaume-
Uni, précité.
293
Cass. civ. 1, 18 mai 2005, pourvoi n°02-16. 336, Bull. civ. n° 211.
294
L’article 316 du code civil interdit que soit établie une double filiation maternelle ou paternelle.
295
Art. L. 2141-2 du CSP ; Y. Favier, « Actes de l’état civil », Rép. civ. Dalloz 2016, n°265 ; V. Poure, « Vers
un statut familial de la personne transsexuelle ? », Recherches familiales, vol. 1, n° 10, 2013, p. 181.
81
eux le peuvent. Par conséquent, on le voit, les statuts familiaux – tant du transsexuel que de
l’homosexuel – sont encore incomplets. Ils méritent d’être davantage précisés, en particulier
s’agissant de la procréation médicalement assistée.
73. Observation générale. – « Le droit au respect d'une “vie familiale normale” ne protège
pas le simple désir de fonder une famille ; il présuppose l'existence d'une famille »296. Cela
synthétise bien la conception que se fait notre ordre juridique du droit de mener une vie
familiale normale. La conséquence de cette vision est la suivante : si la loi ne reconnaît pas le
groupe comme formant une famille, elle ne lui reconnaît pas davantage de droit à mener une
vie familiale normale. Or, à défaut d’une normalité familiale, la protection juridique de la
structure familiale visée ne sera que parcellaire.
Un tel raisonnement peut contenir une part d’arbitraire préjudiciable. Ceci doit nous conduire
à exclure ce critère de protection de la famille, en droit pénal.
74. Le critère de normalité familiale est premièrement inadapté à la logique pénale (§1) et,
deuxièmement, dépourvu de toute fiabilité scientifique (§2).
75. En raison des enjeux du droit pénal, c’est-à-dire le prononcé de peines plus ou moins
sévères en réponse à un trouble causé aux valeurs fondamentales de la société, les paradigmes
sur lesquels se fondent la répression doivent être clairs. Tel n’est pas le cas du paradigme de
normalité familiale, tel que défini en droit (A). Au surplus, ce dernier n’a que peu d’impact en
droit pénal (B).
296
CEDH, 13 juin 1979, « Marckx c/ Belgique », req. n° 6833/74, § 31 ; CEDH, 26 février 2002, « Fretté c/
France », req. n°36515/97, § 32.
82
76. Un paradigme privé d’efficacité. – Le concept de normalité familiale est inadapté à la
finalité qu’il poursuit. La normalité désigne « l’état ou le caractère de ce qui est conforme à
la norme ; de ce qui est considéré comme l’état normal »297. De ce point de vue, il serait donc
possible d’englober sous le paradigme de « normalité familiale », tant les formes que les
fonctions de la cellule familiale. En effet, les unes comme les autres aboutissent au même
résultat, c’est-à-dire répondre aux qualités attendues d’une famille dans une société
occidentale démocratique. Aussi, certains auteurs n’hésitaient pas à englober sous le même
vocable de « normalité », à la fois un contrôle a priori des familles relatif à leurs formes et un
contrôle principal des familles relatif à leurs fonctions298. Cette vision binaire de la normalité
est d’ailleurs largement imputable à l’imprécision qui entache la construction juridique
initiale du concept même de « vie familiale normale ».
De plus, « normalité » et « fonctionnalité » ne renvoient pas tout à fait aux mêmes réalités. La
notion de la fonctionnalité est plus rigoureuse – plus précise – que celle de la normalité. Elle
décrit concrètement l’aptitude d’une chose ou d’un système à remplir une fonction. Aussi,
bien plus qu’à une norme abstraite, la fonctionnalité renvoie à une utilité tangible et
observable. Parler de fonctionnalité familiale ne consiste pas à dire – selon une approche
moralisatrice – si une famille est « bonne » ou « mauvaise ». Elle doit permettre de déterminer
si elle est fonctionnelle ou dysfonctionnelle.
L’intérêt d’une approche fonctionnelle de la famille est donc certain. Elle permet de se
détacher des qualités et statuts juridiques des membres de la famille – et en particulier des
parents – pour ne considérer que leurs aptitudes familiales concrètes (éducatives, matérielles
et affectives). L’évaluation de ces aptitudes ne reposent pas sur des préconçus, mais sur une
297
Grand Larousse Encyclopédique en 10 volumes, Librairie Larousse, 1960, « Normalité ».
298
E. Millard, Famille et Droit public. Recherches sur la constitution d’un objet juridique, Thèse de doctorat,
Université Jean Moulin-Lyon III, 1994, p. 223, n° 225.
83
identification empirique des places et rôles que la cellule familiale a occupé, dans une unité de
temps quantifiable et significative. Ainsi, comme nous le verrons plus avant, les fonctions
classiques de la famille française ont considérablement évolué entre 1945 et aujourd’hui299.
De cela, ressort une dynamique manifeste des relations familiales, pouvant constituer un outil
normatif fiable, notamment en droit pénal.
En somme, le critère de protection de la famille – retenu en droit pénal – doit présenter une
grande flexibilité, afin de favoriser une adaptation rapide et réaliste de la loi pénale aux
mœurs.
299
V. infra, n°81 et s.
300
V. infra, n°365.
301
Art. 222-8, 6° ; 222-10, 6° ; 222-12, 6° ; 222-13, 6° et 222-14 du C. pén.
302
Pour le viol, art. 222-24, 11° du C. pén. ; pour les agressions sexuelles autres que le viol, art. 222-28, 7° du C.
pén.
303
Art. 222-33-2-1 du C. pén.
84
§2 - Un critère dépourvu de fiabilité scientifique
78. Les limites à la fiabilité du critère de normalité familiale. – Les sciences criminelles
sont des disciplines tentaculaires. En effet, elles ne font pas intervenir que des connaissances
et des données de technique pénale pure. Elles constituent un condensé de savoirs
pluridisciplinaires. Ainsi, un même phénomène criminel peut être appréhendé selon des
dimensions morale, psychologique, sociologique et pénale304. Or, lorsqu’il s’agit de juger de
la normalité ou de l’anormalité d’un système, nul ne peut prétendre à l’objectivité ou à la
certitude. Deux séries de limites à la fiabilité du critère de normalité familiale peuvent être
citées. La première tient à la personnalité de l’observateur chargé d’apprécier la normalité –
qu’il s’agisse du juge, du législateur ou de l’acteur social (psychologue ou psychiatre,
travailleur social) (A). La deuxième est liée à l’évolution du contexte social de définition de
la normalité familiale (B).
Dès lors, le concept de normalité apparaît particulièrement subjectif et aléatoire. Ainsi, il est
arrivé que la réprobation de certaines structures familiales ne repose sur aucun fait
scientifique avéré ; mais uniquement sur une crainte de l’inconnu. Cette crainte se traduirait –
pour les autorités publiques particulièrement – par une perte de contrôle sur l’évolution des
pratiques individuelles et sociales. À titre d’exemple, jusqu’aux années 2000,
l’homoparentalité était étudiée – par les scientifiques (cliniciens, thérapeutes, psychologues,
psychanalystes, sociologues) selon une approche purement comparative. Une telle étude
s’évertuait finalement à démontrer, à l’appui d’une nomenclature hétéronormative, les
carences d’un modèle homoparental par rapport à une famille légitime qualifiée de « gold
304
M.-C. Sordino, Droit pénal général, 6e éd., Paris, Ellipses, 2016, p. 6-13.
85
305
standard » . Plusieurs hypothèses ont été formulées à l’encontre de la famille
homoparentale. En effet, les scientifiques craignaient qu’il existe à l’intérieur de ces familles,
un risque plus important d’abus sexuels envers les enfants du foyer, confondant ainsi
homosexualité et pédophilie. Ils s’inquiétaient également du terrain favorable au
développement de pathologies mentales chez les personnes homosexuelles306 ou du caractère
fondamentalement instable et précaire des couples de même sexe. Quant à l’enfant élevé au
sein d’un foyer homoparental, ils redoutaient que, faute d’une altérité sexuelle marquée dans
son schéma parental, il ne devienne lui-même homosexuel. Cela sous-entendait implicitement
qu’il deviendrait à son tour un sujet à risque. La famille homosexuelle était donc considérée
comme potentiellement dangereuse pour l’ordre social, voire criminogène307.
Ce n’est que dans un deuxième temps d’analyse (de 2000 à nos jours), que les études ont
cherché à décortiquer le fonctionnement réel des familles homoparentales, dans un souci de
meilleure connaissance scientifique de celles-ci, de leurs caractéristiques et difficultés. Des
études à long terme et prospectives ont, par exemple, été menées sur les facultés d’adaptation
des enfants élevés par des couples homosexuels ou lesbiens, leurs aptitudes scolaires et
sociales308. Or, elles démentent toutes aujourd’hui les hypothèses alarmistes formulées jadis,
concernant la famille homoparentale.
305
Pour un approfondissement, se référer à une thèse particulièrement intéressante et synthétique de la question,
A. Pontarollo, Homoparentalité(s) et développement de l’enfant. Médecine humaine et pathologie, Thèse de
doctorat, Université Joseph Fourier, Grenoble, 2015, p. 42 sq.
306
Il ne faut pas oublier, en effet, que jusqu’en 1992, l’homosexualité était catégorisée comme une pathologie
mentale. Une loi n°60- 773 du 30 juin 1960 autorisant le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour
lutter contre certains fléaux sociaux, V. Loi n°60- 773 du 30 juin 1960 autorisant le gouvernement à prendre, par
application de l’article 38 de la Constitution, les mesures nécessaires pour lutter contre certains fléaux sociaux,
JO du 2 août 1960, p. 7130. L’homosexualité se voyait assimilé à la tuberculose, l’alcoolisme et le
proxénétisme. L’objectif ouvertement affiché était donc de combattre l’homosexualité par tout moyen. Par la
suite, en 1968, la France adoptait la classification internationale des maladies de l’Organisation mondiale de la
santé (OMS) qualifiant expressément l’homosexualité de maladie mentale, F. Caballero, Droit du sexe, LGDJ,
2010, p. 277. Une telle classification ne reposait sur aucune certitude scientifique, et le retrait de l’homosexualité
de la liste des maladies mentales a été impulsé uniquement par une révolution sociétale en faveur d’une
libéralisation de la cause homosexuelle en Europe.
307
Notons à ce propos que des craintes avaient également été formulées à l’endroit des familles monoparentales,
à la tête desquelles se trouve souvent une mère. Certaines études défendaient l’idée selon laquelle l’absence d’un
des parents au foyer créait des troubles de l’humeur et du comportement chez les enfants élevés en famille
monoparentale, comparativement à ceux évoluant dans des familles nucléaires. Plusieurs années plus tard, il a
été démontré qu’à circonstances économiques et contextuelles équivalentes, les conditions de développement des
enfants issus de famille monoparentales et de familles biparentales étaient les mêmes, V. N. Favez, L’examen
clinique de la famille. Modèles et instruments d’évaluation, Bruxelles, Éditions Mardaga, 2010, p. 20 sq.
308
Des études longitudinales ont été menées, sur une vingtaine d’années, dès 1986, chez des enfants élevés par
des couples lesbiens ou par des mères lesbiennes célibataires, pour évaluer leur qualité de vie. Ces études
relèvent que ces enfants présentent, à divers âges, une santé mentale équilibrée V. The US National Longitudinal
Family Study (NLLFS), Quality of Life of adolescents raised from birth by lesbian mothers, Vol. 33, n° 1,
January 2012 [En ligne : https://www.nllfs.org/images/uploads/pdf/nllfs-quality-life-january-2012.pdf].
86
B. La limite objective à la fiabilité du critère de normalité
87
Chapitre II. Un critère de définition, la « dysfonctionnalité familiale »
309
C. Escoffier Gialdini, La vision pénale de la famille, Thèse de doctorat, Université Aix Marseille 3, 1994, p.
253.
310
C. Escoffier Gialdini, op. cit.
311
Pour une synthèse de sa pensée, V. B. Bawin Legros, Familles, mariage, divorce. Une sociologie des
comportements familiaux contemporains, Bruxelles, Éditions Mardaga, 1988, p. 27- 38.
312
J.-J. Lemouland, « Famille », Rép. civ. Dalloz, 2015, n° 5.
313
V. supra, n°23.
88
en veillant à lui fournir les médications, aliments et entretiens nécessaires et adéquats. Ainsi,
en tant que personnes responsables du mineur, c’est d’abord à eux que s’adressent les
recommandations du personnel de santé (pédiatre et autres médecins généraliste, puéricultrice
314
et sage-femme, infirmier(e)s en milieu scolaire ou hospitalier) . Par ailleurs,
traditionnellement, la famille se voyait affublée d’une fonction reproductive. En effet, la
procréation constituait la finalité même du mariage – anciennement vu comme acte fondateur
de la famille. Or, l’avènement de la contraception, l’avortement et la libération sexuelle ont
contribué à donner au couple la pleine maîtrise de sa progéniture. Ainsi, conception et
naissance de l’enfant sont aujourd’hui choisies et planifiées. Et, bien que le projet parental
demeure une étape importante de la vie du couple, marié ou non – il semble que cette fonction
ne soit plus essentielle pour concevoir une famille de nos jours. Aussi, ce paramètre de la
procréation ne sera-t-il pas pris en compte pour définir le dysfonctionnement familial. Enfin,
la famille est dotée d’une fonction protectrice vis-à-vis de l’individu. Ainsi, l’article 8 de la
Convention européenne des droits de l’Homme assure à l’individu, comme nous l’avons
largement vu précédemment, un droit à la vie privée et familiale315. Ce droit se trouve encore
renforcé par celui de mener une vie familiale normale, véritable liberté fondamentale
protégeant le sujet des ingérences excessives des autorités publiques. La fonction protectrice
de la famille se dégage encore de la répression de certains comportements intrusifs. C’est le
cas, par exemple, de l’incrimination du délit d’atteinte à l’intimité de la vie privée prévue à
l’article 226-1 du Code pénal 316 . Certes, cette infraction sauvegarde des garanties que
l’individu possède en propre ; à savoir notamment son droit à l’image et à la vie privée317.
Toutefois, on ne saurait ignorer que la vie de famille fait partie intégrante de l’intimité de la
vie privée de la personne. De la même manière, parce que cette protection de l’intimité de la
314
D’ailleurs, le Code pénal fait de la sauvegarde de la santé de l’enfant, un véritable devoir parental. Tout
manquement à ce devoir tombe sur le coup de la loi pénale, s’agissant de la mise en péril des mineurs, V. art.
227-15 C. pén. (privation d’aliments et de soins) et art. 227-17 C. pén. (soustraction du parent à ses obligations
légales).
315
V. supra, n° 48 et s.
316
Art. 226-1 C. pén. : «Est puni d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait, au moyen d'un
procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui : 1° En captant,
enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou
confidentiel ; 2° En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l'image d'une
personne se trouvant dans un lieu privé ».
317
Ainsi, par exemple, le fait pour un employé de mettre en place une technique d’enregistrement dans des
locaux professionnels, afin d’écouter ses salariés est une atteinte à l’intimité de leur vie privée, au sens de
l’article 226-1 du C. pén. , Cass. crim., 24 janvier 1995, Dr. pén. 1995, comm. 118, obs. M. Véron.
89
vie privée subsiste à la mort de la personne318, les héritiers du défunt pourront valablement
agir au pénal, soit en qualité de victimes par ricochet, soit au nom et place du défunt.
318
Cass. crim., 21 octobre 1998, Bull. crim. n° 264, Dr. pén. 1999, comm. 18, obs. M. Véron.
319
Les fonctions symboliques de la famille sont davantage révélatrices du caractère conventionnel du cocon
familial. En effet, la famille prépare l’adulte de demain à intérioriser les règles et normes de la vie en société,
afin qu’il s’y intègre pleinement.
320
Cela comprend les relations sur trois générations (grands-parents, parents et enfant).
321
La théorie de l’attachement développée en 1970 par John Bowlby, mais largement utilisée encore
aujourd’hui, précisait que ce qui importe pour le développement d’un enfant, c’est l’existence d’un référent
principal d’attachement à même de lui apporter réconfort et une sécurité intérieure. Ce référent sera
principalement le parent de l’enfant mais, ce pourra être une autre personne tenant ce rôle auprès de lui. Pour une
synthèse de cette théorie, V. A. Pontarollo, op. cit., p. 29-30.
90
précédemment, le constat d’une dysfonctionnalité familiale repose moins sur un jugement de
valeur que sur une analyse empirique et objective.
Aussi, d’une manière générale, la famille dysfonctionnelle apparaît-elle comme celle qui est
inapte à assurer – alternativement ou cumulativement – un « bon vivre-ensemble » (Section
1) et un « bien vivre-ensemble » (Section 2) à ses membres. Il convient, bien sûr, de bien
garder présent à l’esprit que ces deux séries de déviances ou d’inaptitudes sociales chez les
familles dysfonctionnelles, ne sont pas toujours exclusives les unes des autres.
91
Section I. Les contrariétés au « bon vivre ensemble »
85. Les contrariétés au bon vivre ensemble s’observent dans la famille violente (§1) et dans
la famille homicide (§2), celles-ci participant souvent d’un certain continuum de la violence.
§1 - La famille violente
322
R. Perrone et M. Nannini, Violences et abus sexuels dans la famille. Une vision systématique de conduites
sociales violentes, 5e éd., Paris, ESF, 2012, p. 21.
323
R. Perrone et M. Nannini, op. cit., p. 23.
324
Mais la violence peut surgir dans ces deux modes de communication. En effet, la rivalité existant entre les
deux interlocuteurs dans la relation symétrique, peut conduire l’un des protagonistes à imposer son opinion par
la force. De plus, l’inégalité de statut existant dans la relation complémentaire peut déboucher sur une
communication « dominant »/ « dominé », V. R. Perrone et M. Nannini, ibidem., p. 39 sq.
92
crée avant tout sur un dysfonctionnement de la communication – soit par son insuffisante, soit
par son aspect peu qualitatif.
Ainsi, la violence est en rapport avec « le danger pour un être humain de perdre son identité
auprès d’un autre, en devenant semblable à cet autre »325. En effet, le déclenchement de la
violence survient au moment même où celui qui agresse s’estime lui-même agressé par
l’autre. Cette sensation d’agression peut découler d’éléments perçus rationnellement comme
inoffensifs. Aussi, une mère peut se sentir agressée ou acculée par les pleurs de son bébé, son
refus de s’alimenter, ou la désobéissance de l’enfant ; ces gestes lui renvoyant une image peu
vertueuse d’elle-même326 (impression d’être une mauvaise mère, sentiment d’incompétence,
résurgences de carences affectives personnelles, sentiment d’exaspération et fatigue intense).
Cette violence par réaction peut atteindre son paroxysme lorsqu’elle se mêle à des névroses
traumatiques profondes chez l’agresseur. De ce fait, il n’est pas rare de rencontrer chez ces
agresseurs des problèmes de dépendances (alcool, stupéfiants).
Par ailleurs, qu’elle soit intraconjugale (A) ou exercée à l’encontre d’autres membres de la
famille, à savoir l’enfant ou les grands-parents (B), nous constaterons que cette violence est
marquée par son polymorphisme.
A. La violence intraconjugale
325
I. Angelino, L’enfant, la famille, la maltraitance, Paris, Dunod, 2004, p. 61.
326
R. Perrone et M. Nannini, ibidem, p. 50.
327
Pour un compte-rendu des résultats de cette étude, V. M. Jaspard et équipe ENVEFF, « Nommer et compter
les violences envers les femmes : une première enquête nationale en France », Populations et sociétés, n° 364,
janvier 2001, p. 3 (en ligne) disponible sur le site de l’Institution nationales des études démographiques :
https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/18735/pop_et_soc_francais_364.fr.pdf. Cette enquête, coordonnée par
l’équipe démographique de l’université de paris I (idup), a été menée par téléphone de mars à juillet 2000, sur un
échantillon de 6 970 femmes de 20 à 59 ans. Elle s’inscrit dans le cadre des recommandations faites aux
gouvernements à l’occasion de la conférence mondiale sur les femmes qui s’est tenue à Pékin en 1995. Les dites
recommandations consistaient dans la production de données statistiques, permettant aux états de mieux cerner
les violences faites aux femmes.
93
lumière l’ampleur de ce fléau. En 2010, la lutte contre ces violences a été érigée en « grande
cause nationale » ; à cette occasion, les campagnes de sensibilisation et dispositifs législatifs
ont été diversifiés et multipliés328. De plus, des avancées majeures ont été réalisées, quant au
traitement du phénomène des violences conjugales, comme nous le verrons plus loin329.
Cependant, avant d’envisager cette procédure de traitement, il semble important de saisir les
enjeux et les spécificités de ce phénomène. Le premier constat opéré alors ne réside plus tant
dans la méconnaissance de ces violences, mais dans l’incompréhension populaire qui plane
autour du phénomène criminel. En effet, aujourd’hui, nul n’ignore le fait que la cellule
familiale puisse être un lieu de violences graves et répétés. En revanche, nombreux sont les
observateurs qui ne conçoivent pas les raisons qui poussent une victime à demeurer
prisonnière d’une relation abusive ou à reprendre la vie conjugale avec son agresseur, en dépit
des différentes procédures pénales mises en œuvre pour la protéger. Or, ces incompréhensions
sont souvent – dans le discours public ou des acteurs de justice – la cause d’une certaine
inertie face à des situations de violences réelles.
Aussi, avons-nous choisi de procéder par hypothèses de recherche. Pour ce faire, un état des
présupposés et connaissances actuels sur le sujet a été confronté à nos observations
empiriques. Ces observations ont été formulées sur la base de huit entretiens-victimes, à
savoir cinq entretiens menés en collaboration avec l’Association d’aide aux victimes
d’infractions pénales (A.D.I.A.V) au Tribunal de grande Instance de Montpellier et trois
témoignages spontanés de victimes, directes ou indirectes, de violences conjugales. Ces
entretiens ont été réalisés suivant une approche qualitative et semi-directive. Notre posture de
tiers observateur nous a de plus permis, au-delà des propos tenus par les victimes, de noter
leur gestuelle et leurs réactions aux questions de la juriste.
Outre ces entretiens, l’étude de quatre dossiers-victimes et des rencontres suivies avec une
assistante sociale, deux psychologues en associations et une juriste, nous ont permis de
dégager certaines constatations. Au surplus, des témoignages de victimes recueillis au sein de
documentaires réalisés sur le sujet ont aidé à étayer nos propos.
328
G. Geoffroy, Lutte contre les violences faites aux femmes, Rapport n°1799 au nom de la mission d’évaluation
de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, Assemblée Nationale, 7 juillet
2009, p. 131.
329
V. infra, n° 200 et s.
94
À l’issue de ce travail, nous avons pu constater que si de nombreux présupposés se vérifiaient,
d’autres au contraire devaient être dépassés ou nuancés.
Ainsi, il convient de préciser la nature (1) et les caractéristiques (2) des violences conjugales,
puis d’étudier les profils criminologiques de l’auteur et de la victime de ces violences (3).
88. Les violences au sein du couple, une criminalité à formes multiples. – L’enquête
ENVEFF a mis l’accent sur le caractère pluriel des violences conjugales, en donnant une
définition de celle-ci330. Ces violences qui surviennent dans le couple ne se restreignent pas à
un aspect uniquement physique (a). Elles peuvent aussi être d’ordre sexuel (b), psychologique
(c), verbal (d). Afin de qualifier pénalement ces violences, il est important préalablement de
bien les distinguer. Il convient, dès lors, de les aborder successivement.
89. La définition de fait. – Les violences physiques recoupent des comportements divers
qui portent atteinte à l’intégrité physique de la victime. Cependant, elles sont à distinguer des
violences sexuelles, en ce qu’elles ne présentent pas de connotation sexuelle. Néanmoins, il
n’est pas rare qu’elles les accompagnent331. Ainsi, les violences physiques s’entendent de
toutes « les agressions physiques, les coups et autres brutalités, […] les séquestrations ou la
mise à la porte »332.
90. La qualification pénale. – L’arsenal pénal français réprime les violences physiques
perpétrées au sein du couple, sur le fondement de qualifications diverses.
330
V. M. Jaspard et équipe ENVEFF, op. cit, p. 3.
331
Entre 2008 et 2014, par tranches de deux ans, ont été recensées 80% de violences physiques seules, 10% de
violences sexuelles exclusives et dans 10% des cas des deux types de violences sont cumulées, V. C. Rizk,
« Eléments de profil des hommes et des femmes de 18 à 75 ans ayant déclaré avoir été victimes de violences
physiques et sexuelles sur deux ans par conjoint cohabitant », Repères, n° 31, mars 2016, p. 12, (en ligne),
disponible sur le site de l’Institut national des hautes études de la sécurité de la Justice (Inhesj) :
http://www.inhesj.fr/sites/default/files/reperes_31.pdf.
332
M. Jaspard et équipe ENVEFF, ibidem.
95
91. Les violences volontaires physiques au sein du couple. – La qualification pénale de
violences conjugales repose, pour sa caractérisation, sur les mêmes conditions générales que
les violences volontaires prévues par les articles 222-7 et suivants du code pénal.
Ainsi, les violences physiques seront aggravées lorsqu’elles auront été commises par le
conjoint ou le concubin de la victime, en vertu de l’article 132-80 du code pénal333. Elles sont
constitutives de crimes, d’une part, lorsqu’elles auront entraîné la mort de la victime (article
222-8, 6 du code pénal)334, une mutilation ou une infirmité permanente (article 222-10, 6 du
code pénal) 335 . Dans l’hypothèse, d’autre part, où ces violences auraient entraîné une
incapacité totale de travail de plus de huit jours (article 222-12, 6)336, inférieure ou égale à
huit jours, ou en l’absence de toute incapacité de travail (article 222-13, 6)337, elles demeurent
délictuelles. Enfin, il est à noter que depuis la loi n°2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux
violences faites spécifiquement aux femmes, les contraventions commises par le conjoint ou le
concubin sont elles aussi susceptibles de faire l’objet d’une aggravation de peine338. Dès lors,
se verront correctionnalisées, les violences légères n’ayant entraîné aucune incapacité totale
de travail, et punies de l’amende prévue pour les contraventions de quatrième classe (article
R. 624-1 du code pénal). Il en va de même des violences volontaires desquelles résulte une
incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours, et sanctionnées de l’amende
contraventionnelle de cinquième classe (article R. 625-1). Dans ces deux derniers cas, ce sont
les peines délictuelles de l’article 222-13, 6 visé précédemment qui s’appliqueront.
De plus, depuis 2010, il est prévu, aux termes de l’article 222-14 alinéa 2 du code pénal, que
les peines encourues pour l’infraction de violences habituelles sur mineur de quinze ans ou
sur personne vulnérable seront applicables lorsque ces violences auront été commises par le
conjoint, le concubin, le partenaire ou l’ex de la victime. Ces peines se déclinent de trente ans
de réclusion criminelle à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, en fonction
du résultat des agressions (la mort de la victime, une mutilation ou d’incapacité permanente,
une incapacité de totale de travail pendant plus de huit jours ou inférieure à huit jours).
333
Sur la famille comme circonstance aggravante, V. infra, n° 311.
334
L’auteur encourt alors vingt ans de réclusion criminelle, contre quinze lorsque l’infraction n’est pas aggravée.
335
Dans ce cas, le délit de droit commun de l’article 222-9 du code pénal – initialement puni de dix ans
d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende, se mue en un crime sanctionné d’une peine de quinze ans de
réclusion criminelle.
336
Elles sont alors punies de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
337
Elles sont alors punies de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
338
Art. 32 de loi n°2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux
violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, JO du 10 juillet 2010, p. 12762.
96
S’agissant des éléments constitutifs des violences commises au sein du couple, elles se
calquent sur ceux des violences volontaires de droit commun. Matériellement, tout d’abord,
les actes de violences doivent être positifs339. Aussi, la violence doit-elle consister en une
atteinte physique réelle. Dans ce cas, le contact entre l’auteur et la victime peut être direct
(des coups de poing ou de pied) ou indirect lorsque l’auteur aura infligé les coups au moyen
d’un objet (un chien, un véhicule, ou encore le fait de saisir le corps de sa victime pour le
cogner contre le sol ou un objet). Dans l’hypothèse particulière des violences habituelles, une
pluralité d’actes de violence devra être constatée. De plus, s’agissant de la nature de ces
actes340, il semblerait qu’ils doivent tous constituer des violences physiques eu égard aux
différents résultats dommageable prévus par l’article 222-14 précité.
Intentionnellement, ensuite, l’auteur doit avoir la volonté de commettre les violences, sans
pour autant rechercher le résultat dommageable341. Il s’agit donc d’un simple dol général342.
92. La séquestration par le conjoint violent. – L’infraction de séquestration est régie par
les articles 224-1 et suivants du code pénal. En vertu de l’article 224-1 précité, « le fait, sans
ordre des autorités constituées et hors les cas prévues par la loi, […] de détenir ou de
séquestrer une personne, est puni de vingt ans de réclusion criminelle ». Précisons, ici, que la
circonstance aggravante de l’article 132-80 du code pénal n’est pas applicable à cette
incrimination, bien qu’elle ait été commise par le conjoint ou le concubin violent. En effet,
cette circonstance ne joue que « dans les cas respectivement prévues par la loi ou le
339
T. corr. Poitiers, 11 octobre 1901 et Poitiers, 20 novembre 1901 ; D. 1902. II. 81, note Le Poittevin. Les faits
sont les suivants : une jeune fille souffrant d’aliénation mentale a été séquestrée dans des conditions déplorables
par sa mère et privée de soins, dans une chambre sans lumière pendant plusieurs années. Le frère de la victime
s’étant résigné à cette situation, rendait régulièrement visite à sa sœur. À la mort de sa mère, ce dernier a
accompli la mission qui lui avait été confiée par elle, de veiller sur sa sœur tout en la maintenant dans cet état de
séquestration et de privation. Le frère était poursuivi et condamné en première instance pour complicité par aide
ou assistance de violences. En appel cependant, les juges l’ont acquitté estimant qu’aucune disposition pénale ne
permettait d’incriminer sa conduite : ni la complicité – le prévenu n’ayant pas eu la volonté ni la conscience de
s’associer à une infraction principale punissable ; ni les violences ou voies de fait qui supposent un acte positif.
340
Par principe, on sait que l’habitude nécessite une similarité de nature entre les actes constitutifs, V. R.
Guillien et J. Vincent, Lexique des termes juridiques, 22ème éd., Dalloz, 2014, « Infraction d’habitude ».
341
Selon une jurisprudence ancienne et constante, V. Cass. crim. 29 novembre 1972, Gaz. Pal. 1973. I. 109 ;
cass. crim., 19 avril 1972, Bull. crim. n° 131, RSC 1973.187, obs. G. Levasseur.
342
Certains auteurs estiment à l’opposé que l’élément intentionnel des violences volontaires devrait intégrer un
dol spécial, dès lors que la gradation des peines selon le résultat de l’infraction fait déjà partie intégrante des
différentes qualifications de violences volontaires, V. M.L. Rassat, Droit pénal spécial. Infractions du Code
pénal, 6ème éd., Précis Dalloz, 2011, p. 390, n°335. Cependant, nous n’abondons pas dans ce sens puisque
l’auteur des violences est avant tout animé d’une volonté de nuire à sa victime. Il peut donc arriver que le
résultat dépasse l’ « objectif » qu’il s’était assigné. De plus, d’un point de vue pratique, il est plus aisé pour le
juge qui doit appliquer le texte, de constater la volonté effective de commettre les violences dans un premier
temps, puis de déterminer dans un deuxième le quantum de la peine en fonction du résultat concrètement
produit. Autrement cela le contraindrait à évaluer l’intensité de l’intention de nuire, qui contrairement à l’animus
necandi par exemple, peut aboutir à une multitude de résultats différents plus ou moins graves.
97
règlement ». Or, en l’occurrence aucun texte ne prévoit cette aggravation, concernant la
séquestration. Par conséquent, une séquestration qui serait commise par un auteur anonyme
serait sanctionnée de la même manière que celle perpétrée par le conjoint même de la
victime343.
S’il peut paraître décevant que le législateur n’ait pas davantage accentué la spécificité d’un
tel crime – s’agissant des violences intraconjugales – ce choix semble devoir s’expliquer par
le caractère particulièrement sévère de l’incrimination générique de séquestration. Pourtant, a
contrario, le législateur n’a pas hésité à prévoir une sanction pénale renforcée lorsque la
victime de séquestration est un mineur de quinze ans. Dans ce cas, le quantum de la peine
peut être porté jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité344.
C’est dire que le phénomène des violences conjugales n’est pas encore considéré dans toutes
ses configurations. Ceci s’explique notamment par une surmédiatisation de ces violences dans
leur forme avant tout physique, ou que récemment dans leur forme psychologique – au
détriment d’autres formes. Comme bien souvent, le législateur ne répond pas aux questions
qui ne lui sont pas posées ou imposées.
Pourtant, les séquestrations au sein du couple ne constituent pas un simple cas d’école. Cela
apparaît au cours du témoignage d’Amélia345 : « En 2009, à Montpellier, nous rencontrons
Amélia, à la suite d’une confrontation devant le juge d’instruction. Elle est alors âgée de
trente et un ans. Elle entretient une relation de six ans avec son concubin ; ils sont les parents
d’une petite fille de trois ans. Ils consomment tous deux des produits stupéfiants et vivent
dans une misère sociale significative. Elle nous confie avoir été victime d’une séquestration
de plus de vingt-quatre heures – dans une pièce vide ayant pour seul meuble un lit. Au cours
de cette séquestration, son concubin lui a administré des coups et autres mauvais traitements,
et imposé des relations sexuelles non consenties. Elle souffre de plusieurs ecchymoses, de
fractures et de brûlures de cigarette sur différentes parties du corps ».
343
S. David et A. Jault, « Les conséquences pénales du divorce », in Droit et pratique du divorce 2015/2016, 3e
éd., Dalloz référence, 2015, n° 421.12, p. 994.
344
Art. 224-5 du C. pén.
345
Accompagnement-Victime par l’Association d’aide aux victimes d’infractions pénales (A.D.I.A.V), Propos
recueillis dans le cadre du stage de Master II « Pratiques pénales », Montpellier, novembre 2009.
98
trouve le texte – et qui s’articule d’ailleurs entièrement autour de lui – s’intitule « De
l’enlèvement et de la séquestration ». Pourtant, en réalité, l’article 224-1 vise pas moins de
quatre modalités de commission de l’infraction : l’arrestation, l’enlèvement, la détention – et
en dernière position – la séquestration. Dès lors, il semble que le Code pénal tende à
incriminer ces actes de manière autonome.
Cependant, la jurisprudence ne l’entend pas de cette oreille et a tendance à opérer des
recoupements entre ces quatre modules. Ainsi, la Cour de cassation semble retenir – au sein
de l’incrimination de l’article 224-1 – trois catégories d’actes matériels ; que sont d’une part,
l’arrestation, d’autre part, l’enlèvement, et enfin, la détention ou la séquestration. En effet,
dans une première espèce, elle estime que « les crimes d’arrestation illégale, d’une part, et de
détention ou séquestration illégale, d’autre part, bien que prévus et réprimés par le même
texte, n’en constituent pas moins des crimes distincts, dont la nature et des éléments
constitutifs sont différents »346. Dans une seconde espèce, plus récente, elle confirme cette
position, en ajoutant que « les crimes d’arrestation illégale, d’une part, d’enlèvement, d’autre
part, de détention ou séquestration illégales, de troisième part, […] constituent des crimes
distincts, dont la nature et les éléments constitutifs sont différents »347. Dans tous les cas, il
faut en conclure que la jurisprudence assimile – de manière constante – la séquestration à la
détention.
S’agissant plus précisément des violences commises au sein du couple, les faits de
séquestration et de détention sont le plus souvent rencontrés. Ce sont donc sur eux que se
portera en priorité notre attention. En effet, l’arrestation et l’enlèvement tendent à une
appréhension matérielle de la personne en vue de la priver de sa liberté de circuler
librement348. Or, les violences intraconjugales se déroulant à l’intérieur même du foyer
familial, le conjoint violent n’a pas besoin d’appréhender sa victime pour l’avoir à portée de
main. Dans la plupart des cas, les détentions et séquestrations par conjoint ou concubin,
346
Cass. crim., 30 juin 1987, pourvoi n° 86-95. 980, Bull. crim. n° 273 ; RSC 1988. 303, obs. G. Levasseur.
Cette solution avait déjà été affirmée précédemment : Cass. crim., 23 mars 1983, pourvoi n° 82-93. 648, Bull.
crim. n° 92.
347
« Les crimes d’arrestation illégale, d’une part, d’enlèvement, d’autre part, de détention ou séquestration
illégales, de troisième part, bien que prévus et réprimés par le même article 224-1 du code pénal, n’en
constituent pas moins des crimes distincts, dont la nature et les éléments constitutifs sont différents », V. Cass.
crim., 20 octobre 1999, pourvoi n° 98-87. 415, Inédit.
348
M.-L. Rassat, « Enlèvement, arrestation, détention et séquestration arbitraires, J.-Cl. pén. 2009, n° 8-9.
99
consisteront dans une confiscation des clés du logement du couple, ou de l’un de ses
membres, en vue d’exercer un contrôle physique sur la victime349.
Par exception, il est vrai qu’en cas de rupture des époux – par divorce ou séparation – la
séquestration ou détention de la victime peut nécessiter préalablement que soit organisé son
enlèvement. Cependant, la proportion de victimes de violences physiques, imposées par l’ex-
conjoint ou concubin, demeure inférieure à celle des victimes de violences conjugales
physiques commises en situation de couple. Pour en avoir une idée plus claire, l’enquête
« Cadre de vie et sécurité » menée en France, par l’Observatoire national de la délinquance,
recensait – entre 2006 et 2011 et par tranches de deux ans – 401 000 victimes (hommes et
femmes confondus) de violences physiques et sexuelles par conjoint cohabitant, contre 146
000 par ex-conjoint350. Bien sûr, ces chiffres – nous le verrons – ne sont pas exempts d’une
certaine marge d’erreur ou d’opacité, compte tenu de la relevance d’un chiffre noir de la
criminalité, caractéristique de ces violences intra-conjugales351.
349
Cass. crim., 6 août 2014, pourvoi n° 14-83.538, Inédit. Une jeune femme est victime de viol accompagné de
violences par concubin. Celui-ci l’empêche de quitter l’appartement qu’il occupe, conservant les clés dans la
poche de son peignoir. Alertés par les appels à l’aide et cris de la femme, les voisins contactent les services de
police qui interviennent au domicile de l’auteur, l’interpellent et libèrent la victime ; V. pour des faits similaires,
mais s’agissant d’un couple marié et d’une séquestration au domicile conjugal, Cass. crim., 3 mars 1999, pourvoi
n° 98-82.142, Inédit.
350
C. Rizk, « Le profil des personnes de 18 à 75 ans s’étant déclarées victimes de violences physiques ou
sexuelles par conjoint ou ex-conjoint sur 2 ans, lors des enquêtes “Cadre de vie et sécurité” », Repères, n°18,
octobre 2012, p. 5, (en ligne), disponible sur le site de l’Institut national des hautes études de la sécurité de la
Justice (Inhesj) : http://www.inhesj.fr/sites/default/files/book/115-62c987/index.html#/1/zoomed.
351
V. infra, n°169.
352
J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, 6e éd., Paris, Editions Cujas, 2014, n° 328 sq.
100
d’aller et venir »353. La séquestration, elle, implique au surplus, des conditions de rétention
particulièrement drastiques, avec un degré de confinement et d’inconfort accentué354.
En revanche, la séquestration ne semble pas devoir être considérée comme une amplification
de la détention ; ces deux actes doivent être réellement caractérisés séparément. En effet,
dans une espèce du 2 mai 2001, une jeune femme retenue en qualité d’otage – en vue de
l’exécution d’un ordre ou d’une condition – décède des suites de violences. La Cour de
cassation estime que le renvoi des prévenus devant la cour d’assises sous la double
qualification de détention et de séquestration aggravées, était tout à fait justifié355. Certains
auteurs y ont vu une absence de distinction entre détention, d’une part, et séquestration,
d’autre part, puisque même en cas de mauvaises conditions de rétention, la qualification de
détention n’a pas été absorbée par la qualification de séquestration356. Cette interprétation par
déduction paraît quelque peu hardie. En réalité, cette solution jurisprudentielle vient justement
conforter la distinction entre les deux faits. En effet, ces deux modalités de commission sont
attentatoires à la liberté d’aller et venir de la victime. Mais, d’un côté, la qualification de
détention vise le simple fait de retenir une personne ; d’un autre côté, la séquestration vise le
fait de retenir dans des conditions contraignantes. Il n’est pas besoin qu’une incrimination
absorbe l’autre, puisque toutes deux renvoient à des réalités différentes. D’ailleurs, la Cour
précise que le prononcé de cette double qualification n’est pas contraire au principe non bis in
idem, en ce que « la détention et la séquestration illégales sont prévues par le même texte et
qu’une seule peine peut être prononcée »357.
Par ailleurs, les faits de détention et de séquestration sont nécessairement positifs. Ainsi,
l’auteur, en l’occurrence le conjoint ou le concubin, doit prendre une part active dans la
détention ou la séquestration. Toutefois, la séquestration arbitraire ne nécessite pas pour sa
caractérisation, la commission de violences 358 . Ces violences constituent, en effet, une
353
P. Mistretta, « Enlèvements et séquestration », Rép. pén. Dalloz, 2008, n° 10 .
354
M.-L. Rassat, « Enlèvement, arrestation, détention et séquestration arbitraires, J.-Cl. pén. 2009, n° 8 in fine ;
P. Mistretta, op. cit, n° 14.
355
Cass. crim., 2 mai 2001, pourvoi n° 01-81.338, Inédit.
356
M.-L. Rassat, op. cit, n° 8.
357
Cass. crim., 2 mai 2001, pourvoi n° 01-81.338, Inédit.
358
Cass. crim., 23 décembre 1986, pourvoi n° 85-96-630, Bull. crim. n° 384. Constituent la séquestration, le fait
pour des salariés de retenir – pour cause de revendications salariales – leur chef d’entreprise dans les locaux de
l’entreprise, même s’ils n’ont pas usé de violences.
101
circonstance aggravante du délit359. S’agissant enfin de la durée de l’infraction, la détention et
la séquestration sont des infractions nécessairement continues 360 . Mais la jurisprudence
précise qu’il importe peu que cette rétention n’ait duré que quelques instants361.
93. La définition de fait. – Les violences sexuelles, quant à elles, se limitent uniquement
aux comportements sexuels imposés à la victime. Mais, elles ne doivent pas être considérées
comme moins graves que les violences purement physiques étudiées précédemment. Bien au
contraire, elles sont sources de traumatismes et de résurgences particulièrement graves chez la
victime, qui peine à reconstruire une vie sociale et sentimentale normale plusieurs années
après l’agression. De plus, souvent les victimes de viols conjugaux n’ont pas conscience de la
réalité de l’agression sexuelle qui leur est imposée par le conjoint ou concubin363.
Par ailleurs, faute d’éléments de preuve, les juges optent pour une certaine précaution
s’agissant d’agressions sexuelles intervenant au sein du couple. Il en ressort une
« impression » d’indulgence judiciaire vis-à-vis du conjoint auteur d’agressions sexuelles.
Ainsi, Nathalie Tomasini, avocate spécialisée dans la question des violences conjugales, note
qu’en moyenne, environ 75 000 plaintes pour viols, sont recueillies chaque année. Sur ce
nombre total de plaintes, une sur trois émane d’une conjointe ou d’une concubine. Pourtant,
359
Art. 224-2 C. pén. « L’infraction de l’article 224-1 est punie de trente ans de réclusion criminelle lorsque la
victime a subi une mutilation ou une infirmité permanent provoquée volontairement […] ».
360
Contrairement à l’acte d’arrestation qui est une infraction instantanée.
361
Cass. crim. 12 octobre 1977, pourvoi n° 77-91.233, Bull. crim. n°302.
362
M.-L. Rassat, op. cit, n° 9.
363
Le cas de Samia est éloquent. Selon ses propres mots : « Je n’avais pas conscience qu’il me violait, c’était le
père de ma fille. C’est ton mari donc il ne te viole pas. S’il faut écarter, faut écarter … » ; Propos de victime de
violences conjugales recueillis par O. Delacroix, V. O. Delacroix, « Les femmes en très grand danger », Dans les
yeux d’Olivier, France 2, 23 septembre 2015.
102
seulement 4% de ces affaires sont jugées en Cour d’assises ; et lorsqu’elles y parviennent, les
peines prononcées à l’encontre du conjoint agresseur sont souvent plus clémentes que celles
prononcées à l’encontre d’un agresseur sexuel, inconnu de la victime364.
94. La qualification de droit, les agressions sexuelles. – Pendant longtemps le mari, qui
imposait à son épouse des relations sexuelles par la force, n’était pas inquiété pénalement365, à
moins qu’il ne s’agisse de relations sexuelles déviantes – contre nature – sanctionnées au titre
des coups et blessures volontaires366. Il fallut attendre la loi du 23 décembre 1980 pour que
soit réformée l’infraction de viol367 et qu’elle soit réprimée même au sein du couple marié.
Les débats parlementaires mettaient dès lors véritablement en avant une nécessité de respect
de la liberté de consentement des époux et de protection de la femme368. C’est donc une réelle
prise de conscience progressive du corps législatif, largement confirmée par l’évolution
jurisprudentielle369, qui a émergé. D’ailleurs, c’est en des termes non équivoques que la
Chambre criminelle précisait que « l’article 332 du code pénal, en sa rédaction issue de la loi
du 23 décembre 1980, qui n’a d’autre fin que de protéger la liberté de chacun, n’exclut pas
de ses prévisions les actes de pénétration sexuelle entre personnes unies par les liens du
mariage lorsque ces actes sont imposés par violence ou contrainte »370.
364
Propos de Nathalie Tomasini, avocate au Barreau de Paris, recueillis par O. Delacroix, V. O. Delacroix, « Les
femmes en très grand danger », Dans les yeux d’Olivier, France 2, 23 septembre 2015.
365
Cass. crim, 19 mars 1910, Bull. crim. n° 153. Cette immunité familiale ne jouait que s’agissant du mariage,
de sorte que le concubin ne bénéficiait pas d’une telle impunité.
366
Ces rapports contre nature étaient encore qualifiés d’atteinte à la pudeur V. Cass. crim. 21 novembre 1839, S.
1839. 1. 317, concl. A. Dupin ; J. M. Bruguière, « Le devoir conjugal. Philosophie du code et morale du juge »,
D. 2000, p. 10, n° 16.
367
Anc. art. 332 du C. pén.
368
A. Bourrat-Guéguen, « Atteintes à l’adultes », in Droit de la famille, Dalloz Action, 2013, n° 611. 102.
369
Cass. crim, 17 juillet 1984, Bull. crim. n° 260, D. 1984. 7, note D. Mayer ; RSC 1985. 82, obs. G. Levasseur
(cas d’un viol imposé par un mari à sa femme après séparation) ; pour confirmation mais en présence de faits
ignobles de violences et de barbaries V. Cass. crim., 5 septembre 1990, n° 90-83.786, RSC 1991.348, note G.
Levasseur ; dans le cas de rapports sexuels imposés par un époux sans violences et au sein d’un couple non
séparé V. Cass. crim., 11 juin 1992, n°91-86.346, Bull. crim, n° 232 «La présomption de consentement des
époux aux actes sexuels accomplis dans l’intimité de la vie privée conjugale ne vaut que jusqu’à preuve du
contraire ».
370
Cass. crim, 5 septembre 1990, op. cit. Dès lors, se posait la question de savoir si les rapports sexuels imposés
par le conjoint en l’absence de violence ou de contrainte peuvent être qualifiés de viol ?, V. J. Hauser, « Viol
entre époux », RTD civ. 1991. 301 in fine (l’auteur estimait que dans un tel cas, il serait envisageable pour
l’époux de se retourner vers le contentieux civil en demandant le divorce pour faute) ; M.-L. Rassat, « La
présomption de consentement aux actes sexuels accomplis dans l’intimité de la vie conjugale ne vaut que jusqu’à
preuve du contraire », D. 1993. 117 (l’auteur faisait remarquer que ce qui caractérise le viol ce n’est pas
uniquement son élément matériel – usage de violence ou pas – mais son élément moral c’est-à-dire une volonté
d’imposer à son conjoint des relations sexuelles que l’on sait non consenties par lui. En effet, le viol n’est pas
uniquement une attitude. Dès lors, réprimer efficacement le mariage entre époux aurait nécessité de ne pas faire
allusion à la contrainte dans le texte). Depuis la décision Cass. crim., 11 juin 1992, la jurisprudence semblait
avoir tranché de manière satisfaisante ce débat.
103
Pendant longtemps, l’article 222-22 du code pénal prévoyait une présomption de
consentement aux relations sexuelles en ces termes : « la présomption de consentement des
époux à l'acte sexuel ne vaut que jusqu'à preuve du contraire ». Cette présomption n’a été
supprimée que récemment par la loi n°2010-769 du 9 juillet 2010 précitée, sous l’impulsion
de la Mission d'information sur les violences à l'encontre des femmes et de lutte contre les
violences faites aux femmes371. Ainsi, désormais, l’article 222-22 du code pénal prévoit
expressément que sont constituées les agressions sexuelles, dont le viol, « quelle que soit la
nature des relations existant entre l'agresseur et la victime, y compris s'ils sont unis par les
liens du mariage ». Il convient, dès lors, de définir ces agressions sexuelles et leurs éléments
constitutifs.
Ainsi, la violence renvoie aux pressions physiques qui seraient exercées sur la personne de la
victime en vue de forcer son consentement. La contrainte physique fait, tout autant, référence
à de telles pressions physiques imposées, en vue d’obtenir de la victime un acte sexuel contre
son gré. En d’autres termes, les définitions de la violence physique et de la contrainte
physique sont proches.
371
D. Bousquet et G. Geoffroy, Rapport d’information n°1799 au nom de la mission d’évaluation de la politique
de prévention, Assemblée nationale, 7 juillet 2009, p. 75 (en ligne) : http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-
info/i1799-t1.asp
372
E. Dreyer, Droit pénal spécial, 3e éd., Paris, Ellipses, 2016, p. 137, n° 313 ; J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit
pénal spécial, Paris, 6ème éd., Editions Cujas, 2014, p.439, n°740.
373
Il s’agira donc soit d’une atteinte sexuelle sans violence, contrainte, menace ou surprise si la victime est
mineure, soit d’un comportement moralement répréhensible mais non sanctionné par la loi pénale.
104
Par ailleurs, selon une acception jurisprudentielle constante, la violence peut être aussi
psychologique ou morale374. Elle désigne la forte impression que peuvent créer chez la
victime, des menaces proférées contre sa personne, ses biens ou à l’encontre de ses proches. Il
pourra s’agir des amis de la victime, des membres de sa famille (souvent ses parents et/ou ses
frères et sœurs), ses propres enfants ou les enfants communs du couple. Aussi, la violence
morale recouvre-t-elle la notion de menace375.
Par voie de conséquence, l’utilité même de la notion de contrainte est amoindrie. En effet,
lorsqu’elle est physique – elle est ni plus ni moins absorbée par la notion de violence
physique. Lorsqu’elle est morale – elle équivaut aux menaces et aux violences morales. La
seule hypothèse dans laquelle, la contrainte morale se définit de manière autonome, c’est
lorsqu’elle s’exerce par le biais de promesses de dons, de cadeaux, d’argent ou encore d’un
certain confort de vie376. Dans le cas des violences sexuelles intraconjugales, toutes ces
promesses découlent d’une certaine dépendance377 installée progressivement par le conjoint
violent. Il ne s’agit pas de promesses directes, mais davantage contextuelles. Cette
dépendance peut être affective, financière, professionnelle, voire charismatique378.
374
V. infra, n° 100 et s.
375
V. Malabat, « Les infractions sexuelles », Rép. pén. Dalloz, 2002 (actualisation avril 2016), n° 25.
376
M.-L. Rassat, « Agressions sexuelles », J-Cl. pén., 2014, fasc. 20, n° 9-14.
377
Pour une analyse du processus d’installation de l’emprise chez la victime, V. infra, n°109 et s.
378
Julie a tout juste dix-huit ans lorsqu’elle rencontre et tombe amoureuse de son concubin de dix ans son aîné.
Elle confie en ces termes : « J’étais impressionnée par son charisme », Propos de victime de violences
conjugales recueillis par O. Delacroix, V. O. Delacroix, « Les femmes en très grand danger », Dans les yeux
d’Olivier, France 2, 23 septembre 2015.
379
M.-L. Rassat, Droit pénal spécial. Infractions du Code pénal, 7e éd., Paris, Dalloz, 2014, p. 642, n° 562.
380
V. Malabat, « Les infractions sexuelles », Rép. pén. Dalloz, 2002 (actualisation avril 2016), n° 26.
105
protester et de s’enfuir381, de la répugnance à de tels actes manifestée par la victime, ou
encore du refus de revoir l’agresseur après les faits »382. Dans le cas plus particulier des
violences conjugales, la contrainte (physique et morale) inférera, plus largement, de l’état
d’emprise sous lequel se trouve la victime vis-à-vis du compagnon violent383.
Au demeurant, selon certains auteurs, le juge doit tenir compte des « infériorités physiques de
la victime » pour apprécier in concreto l’effet contraignant des violences 384 . Une telle
interprétation s’adapte très mal au phénomène des violences conjugales, notamment sexuelles.
En effet, la réalité même de l’emprise annihile toute notion de force ou d’infériorités
physiques. L’emprise comme nous le verrons, paralyse d’abord le mental de la victime, puis,
seulement par voie de conséquence, ses capacités physiques à se défendre.
Cela transparaît au travers du témoignage d’Isabelle385. Isabelle est directrice de spa et a fait
des études poussées. Elle est ceinture noire de judo. Pourtant, elle a été victime durant
plusieurs années de violences physiques et sexuelles de la part de son concubin. Elle confiera
à la juriste de l’association d’aide aux victimes d’infractions pénales : « Je perds mes moyens
face à lui … ».
381
La violence peut par exemple découler d’un état d’anxiété et d’inhibition de la victime restée passive, V.
Cass. crim. 25 octobre 1994, pourvoi 94-83726, Inédit. Au cours d’une consultation médicale, un médecin
invite sa patiente à s’installer dans une pièce sombre ; s’absente puis se présente à nouveau à l’intéressée
totalement nu. Il commence à la masser et à la déshabiller, avant de la pénétrer. La victime était alors restée sans
réaction, alors qu’elle aurait pu facilement se soustraire, antérieurement à la pénétration, aux agressions
sexuelles et viol. La Chambre criminelle retient qu’est caractérisé « l’élément de contrainte ». Remarquons
qu’ici que la contrainte physique se double d’une contrainte morale. Elles s’apparient à des violences physiques
et morales, en ce qu’elles constituent des pressions exercées sur la victime. Pourtant, les juges d’appel avaient
relevé, pour leur part, la surprise. C’est dire à quel point ces notions sont proches et délicates à apprécier dans la
pratique.
382
Nîmes, ch. acc., 9 décembre 1983, JCP. éd. G. 1985. II. 20482, note F.-J. Pansier (viols et agressions
sexuelles pratiqués sur plusieurs mineurs par un chef scout).
383
Sur le processus de l’emprise, V. infra. n° 114.
384
V. Malabat, op. cit., n° 27.
385
Dossier-victime suivie par l’Association d’aide aux victimes d’infractions pénales (ADIAV), Montpellier, 2
juin 2016.
106
de la part d’un conjoint cohabitant s’élève à 8000 enquêtés386. Ainsi, il est certes indéniable
que la proportion d’hommes victimes d’agressions sexuelles par conjoint (0,5 pour mille) est
considérablement inférieure à celle des femmes victimes des mêmes faits (4,0 pour mille).
Néanmoins, ces chiffres permettent d’affirmer que les agressions sexuelles imposées par
violence, contrainte ou menace ne seraient pas de l’apanage d’agents physiquement
dominants. Malheureusement, il est possible de déplorer que cette étude ne précise pas si la
victime vivait en couple hétérosexuel ou homosexuel au moment des faits387.
96. Le viol. – Le viol est incriminé par l’article 222-23 du code pénal. Il est puni de quinze
ans de réclusion criminelle, et de vingt ans lorsqu’il est commis par un conjoint, concubin ou
partenaire selon l’article 222-23, 11° du code pénal.
Matériellement, tout d’abord, le viol nécessite une atteinte sexuelle imposée à la victime
contre son gré391. Comme nous l’avons précisé, cette atteinte est commise avec violence,
menace, surprise ou contrainte. Plus précisément, cette atteinte sexuelle doit consister dans un
acte de pénétration, de quelque nature qu’il soit. Il peut donc s’agir de la pénétration d’un
autre sexe, d’une fellation ou d’une sodomie, par le sexe de l’auteur ou au moyen d’un
386
C. Rizk, « Éléments de profil des hommes et des femmes de 18 à 75 ans ayant déclaré avoir été victimes de
violences physiques et sexuelles sur deux ans par conjoint cohabitant. Enquêtes “ Cadre de vie et sécurité ”
Insee-ONDRP de 2008 à 2014 », op. cit., p. 11.
387
Les enquêtes « Cadres de vie et sécurité » ne visent en effet que le sexe, l’âge, le milieu socioprofessionnel de
la victime et sa situation matrimoniale (mariage, concubinage ou PACS).
388
Cass. crim., 14 juin 1995, pourvoi n° 94-85.119, Dr. pén. 1995, comm. 222, note M. Véron (tentative
d’agression sexuelle par un homme qui se fait passer pour un médecin pour attirer une femme en recherche
d’emploi dans son appartement.
389
En cas de troubles physiques ou handicaps, V. Grenoble, 31 mai 2001, req. n° 99/01935 (victime atteinte de
myopathie) ; ou en cas de troubles mentaux ; V. Cass. crim., 27 novembre 1996, pourvoi n° 96-83.954 (le
prévenu se faisant passer pour un guérisseur, se rend coupable d’escroquerie et de viol sur une victime en état de
dépression et de faiblesse mentale).
390
Pau, 20 décembre 2000, req. n° 000/00464 (insertion d’un doigt dans le vagin d’une jeune fille de dix-sept
ans pendant qu’elle était endormie).
391
« Le viol ne peut être poursuivi entre époux qu'en cas de pratiques sexuelles imposées par violence ou
contrainte », Cass. crim. 26 septembre 1994, pourvoi n° 94-83.277, Inédit (en l’occurrence cet état de contrainte
n’a pas été retenu par les juges car « en dehors des allégations de la prétendue victime », l’existence effective de
violence n’a pas été prouvée). Une fois de plus, se pose une difficulté de preuve en matière de criminalité
familiale.
107
objet392 ; à condition dans ce dernier cas que soit démontrée la connotation sexuelle de
l’acte393. En outre, il résulte de l’article 222-23 du code pénal, que ce fait matériel de
pénétration doit être commis sur la personne d’autrui. Ainsi, « l’élément matériel du viol ne
peut être caractérisé que si l’auteur réalise l’acte de pénétration sexuelle sur la personne de
la victime ». C’est ce qu’affirme clairement la chambre criminelle de la Cour de cassation,
dans son arrêt du 21 octobre 1998, sur le fondement de la règle de l’interprétation stricte de la
loi pénale de l’article 111-4 du code pénal394. En l’espèce, en effet, il était question de coïts
encouragés par un père et sa deuxième épouse, entre son fils et cette dernière. En somme, il
s’agissait de rapports sexuels imposés par une femme à un homme. Or, de toute évidence, une
personne de sexe féminin – de par sa physionomie même – ne pourrait imposer une
pénétration à un homme. Si bien que la qualification de viol ne pourrait être retenue pour de
tels actes.
Cette interprétation de la Chambre criminelle a été saluée par plusieurs auteurs qui y voyaient
un juste retour à la rigueur jurisprudentielle395. Auparavant, en effet, la chambre criminelle de
la Cour de cassation adoptait une position différente. Elle jugeait que l’acte de pénétration –
des fellations en l’occurrence – devait être qualifié de viol, « dès lors qu’il [était] imposé par
violence, contrainte, menace ou surprise, à celui qui le [subissait] ou à celui qui le
[pratiquait] »396. Dès lors, à considérer que la pénétration puisse être agie ou subie, la
transposition de cette solution à l’espèce de 1998, aurait eu pour conséquence d’admettre une
indifférence de sexe, s’agissant de l’auteur du viol. Néanmoins, certains auteurs déploraient
qu’un tel détournement de la loi pénale puisse servir une « vision surréaliste », tendant à faire
392
Cass. crim. 27 avril 1994, pourvoi n° 94-80. 547, Bull. crim. n°157. Une mère et son compagnon imposent à
une fillette une sodomie. La mère, dans « un but d'initiation sexuelle », impose à sa fille des pénétrations anales
avec le doigt et au moyen de carottes.
393
Cette exigence sera évidemment exigée en cas de pénétrations anales, la pénétration vaginale ayant la plupart
du temps une connotation sexuelle. Ici, la jurisprudence souhaite exclure de la répression le fait pour un parent
d’introduire un objet à visée curative dans l’anus de son enfant, tel un suppositoire ; V. Cass. crim. 27 avril 1994,
pourvoi n° 94-80. 547, Bull. crim. n°157, précité (emploi de lubrifiant, éducation sexuelle).
394
Cass. Crim. 21 octobre 1998, pourvoi n° 98-82. 843, Bull. crim. n° 274, D. 1999, 75, note Y. Mayaud.
S’agissant de coïts imposés par une femme à un homme, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rappelé
que « l'élément matériel du crime de viol n'est caractérisé que si l'auteur réalise l'acte de pénétration sexuelle
sur la personne de la victime ».
395
M.-L. Rassat, Droit pénal spécial. Infractions du Code pénal, op. cit., p. 648, n° 648. L’auteur juge cette
décision « indiscutable juridiquement », bien que socialement elle conduise à une inégalité certaine des hommes
et des femmes, auteurs d’agressions sexuelles, face au quantum de la peine.
396
Cass. crim., 16 décembre 1997, pourvoi n° 97-85455, Bull. crim. n° 429. Ici, il était question de fellations
réalisées, par contrainte, par les prévenus sur des mineurs. Par la suite, la Chambre criminelle change de
position : les fellations pratiquées par l’auteur sur la victime constitue une agression sexuelle et non un viol, V.
Cass. crim., 22 août 2001, pourvoi n° 01-84.024, Bull. crim. n° 169.
108
de l’incrimination de viol « un instrument d’égalité entre les sexes [féminin et masculin] »397.
En définitive, cela signifie que la conjointe, la concubine, la partenaire d’un PACS ou l’ex
d’un homme, victime de violences au sein de son couple, ne pourrait être reconnue coupable
de viol.
Pourtant, cette réalité juridique est regrettable, voire choquante. En effet, d’une part, la
définition actuelle et plus objective de l’infraction de viol semble s’opposer à une quelconque
distinction en fonction du sexe de l’auteur. Ainsi, auparavant le viol était conçu comme « la
conjonction charnelle d’un homme avec une femme, contre son gré ou sans le consentement
de celle-ci »398. Aujourd’hui, il ne suppose plus nécessairement de rapports charnels pour être
caractérisé ; de sorte que l’argument de la physionomie de la femme ne saurait être efficace.
D’ailleurs, la chambre criminelle de la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de retenir une
qualification de viol à l’encontre de la femme ayant usé d’un objet en vue de pénétrer
sexuellement un homme. Dans une telle hypothèse, le sexe de la victime devient alors
indifférent. Aussi, le fait pour une femme d’introduire un manche à balai 399 ou un manche de
pioche recouvert d’un préservatif400 dans l’anus d’un homme, est-il constitutif d’un viol. Et
pour cause, de manière purement objective, ce dernier désigne simplement « l’acte de
pénétration sexuelle, de quelque nature que ce soit, commis sur la personne d’autrui par
violence, contrainte, menace ou suprise »401. En conséquence, le mythe d’un viol d’initiative
masculine uniquement doit être dépassé aujourd’hui.
Cela est également valable s’agissant de l’hypothèse d’un viol commis par la femme sur la
personne de son époux. En effet, rien ne semble s’imposer à l’application de la récente
pénalisation du viol entre époux – telle que conçue aujourd’hui à l’article 222-22 du code
pénal précité402 – à la femme auteur. Bien que cette réforme visait initialement à condamner le
viol imposé par le mari à son épouse, il serait de bon aloi que l’exigence de parité
397
Y. Mayaud, « Du viol et de ses conséquences : après le dérapage, le rattrapage, ou du retour à la légalité », D.
1999. 75.
398
Anc. art. 332 du C. pén. de 1810, cité par A. Vitu, Droit pénal spécial, 1ère éd., Edition CUJAS, coll. Traité de
droit criminel, 1982, n°1852, p. 1501.
399
Cass. crim., 24 juin 1987, pourvoi n° 86-96712, Bull. crim. n° 265.
400
Cass. crim., 6 décembre 1995, pourvoi n° 95-84881, Bull. crim. n° 372.
401
Art. 222-23 du C. pén.
402
V. supra, n°95. Art. 222-22 du C. pén. Les agressions sexuelles sont incriminées « quelle que soit la nature
des relations existant entre l'agresseur et la victime, y compris s'ils sont unis par les liens du mariage ». Ce texte
ne fait aucune distinction de sexe quant à l’auteur de l’agression sexuelle, membre du couple.
109
contemporaine affichée par le législateur403 se retrouve également dans la pratique judiciaire
et l’expertise doctrinale.
D’autre part, ce stéréotype quant au genre du délinquant sexuel apparaît injuste, en ce que
pour une même intensité dans la violence sexuelle, un homme encourra une peine criminelle,
alors que la femme n’encourra qu’une peine délictuelle404.
97. Les agressions sexuelles autres que le viol. – Les agressions sexuelles autres que le
viol sont régies par les articles 222-27 et suivants du code pénal. Elles sont punies de cinq ans
d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Lorsqu’elles sont commises par le conjoint,
la peine s’élève à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende (article 222-28, 7°).
Matériellement, l’agression sexuelle se caractérise par défaut ; c’est-à-dire que tout ce qui
n’est pas qualifié viol constitue une agression sexuelle. Les agressions sexuelles se
distinguent du viol par leur résultat405. En effet, elles désignent toute atteinte sexuelle n’allant
pas jusqu’à la pénétration. Toutefois, tous les actes de pénétration ne sont pas constitutifs
d’un viol. Comme nous l’avons précisé, la pénétration doit avoir été pratiquée par l’auteur,
sur la personne de la victime. Dès lors, toute pénétration réalisée par la victime sur la
personne de l’auteur ne pourrait être sanctionnée qu’en tant qu’agression sexuelle, au sens des
articles 222-27 et suivants du code pénal406. De même, l’agression sexuelle suppose in-
concreto un contact de nature sexuelle, sur une victime vivante. Ce peut être concrètement des
caresses, des baisers ou attouchements sur des parties du corps à connotation sexuelle de la
victime407. Par ailleurs, l’atteinte sexuelle incriminée doit avoir été imposée à la victime en
403
C. Ménabé, La criminalité féminine, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 45, n°29. L’auteur précisait que le faible
taux de viols et d’agressions sexuelles commises par une femme, ne doit pas occulter l’existence concrète de
dispositions pénales permettant de qualifier de tels actes.
404
V. infra, n°98.
405
V. Malabat, ibidem, n°12 sq.
406
Cass. crim., 22 août 2001, précité.
407
M.-L. Rassat, « Agressions sexuelles », op. cit., n° 83. Précisons que cette atteinte doit entraîner un contact
entre la victime et l’auteur. Ainsi, le fait pour un individu de se caresser lui-même des parties du corps à
connotation sexuelle n’est pas une atteinte sexuelle au sens de l’article 222-27 du code pénal. Il peut s’agir tout
au plus d’une exhibition sexuelle (article 222-32) ou d’un harcèlement sexuel (art. 222-33).
110
violation de son consentement. Ainsi, à l’instar du viol, l’agression sexuelle suppose qu’elle
ait été commise avec « violence, contrainte, menace ou surprise »408.
408
Art. 222-22 du C. pén.
409
E. Dreyer, Droit pénal spécial, 3e éd., Paris, Ellipses, 2016, p. 145, n° 332.
410
Pourtant la jurisprudence a déjà eu l’occasion de retenir la qualification de tentative d’agression sexuelle.
Ainsi, par exemple, commet une tentative d’agression sexuelle, l’homme qui – se faisant passer pour un médecin
– met en place un stratagème pour attirer dans son appartement une jeune femme en recherche d’emploi et
l’invite à se dévêtir afin de pratiquer sur elle un examen médical présenté comme une condition à l’embauche.
Les juges estiment ici que de tels faits s’apparient à un véritable commencement d’exécution, et non à de simples
actes préparatoires. De plus, la tentative n’a été interrompue qu’en raison du refus et de la fuite de la victime, et
non en raison d’un désistement volontaire de l’auteur ; V. Cass. crim., 14 juin 1995, pourvoi n° 94-85.119,
précité.
411
Précisons d’ailleurs ici, que l’auteur a un intérêt certain à prétendre n’avoir pas voulu commettre un viol, mais
uniquement une agression sexuelle, compte tenu de la différence de peines encourues entre ces deux infractions.
Par conséquent, cela aura des conséquences non négligeables sur la recherche et la caractérisation de l’intention
vraie de l’auteur.
412
V. Malabat, « Les infractions sexuelles », ibidem, n°16. Ainsi, il est évident que le prévenu qui a essayé de
pénétrer la victime avec son sexe, après lui avoir enduit l’anus de crème, avait l’intention de commettre un viol,
et non pas seulement une agression sexuelle. Il s’agit d’une tentative de viol, la victime ayant réussi à se dégager
en se retournant suite à la douleur ressentie par elle, V. Cass. crim. 8 février 1995, pourvoi n° 94-85468, Inédit.
111
ou s’il pensait commettre une agression sexuelle. De même, ayant sa victime à portée de
contrôle, le conjoint violent parviendra plus aisément à la consommation de l’infraction – viol
ou agression sexuelle – les causes d’interruptions involontaires étant considérablement moins
nombreuses. En conséquence, cette qualification de tentative d’agressions sexuelles semble
présenter un intérêt limité, dans la pratique.
98. La définition de fait. – Les violences ne sont pas uniquement corporelles. Elles
peuvent être aussi psychologiques. Pendant longtemps, l’importance de ces violences et leurs
conséquences, ont été ignorées par l’opinion publique. En raison d’un faible nombre de
dénonciations de ces faits, et parce qu’elles sont de celles qui ne laissent pas de traces, ces
violences morales étaient soit insoupçonnées, soit considérées comme négligeables. Depuis
l’enquête nationale sur les violences faites aux femmes en France (ENVEFF) en 2000, la
lumière a été faite sur cette nature de violences et a interpellé les pouvoirs publics, ainsi que
les autorités normatives. En effet, selon cette étude, au cours de l’année 2000, 37 % des
violences commises au sein des couples correspondaient à des pressions psychologiques
(harcèlement moral notamment). De plus, cette enquête montrait que ces violences
psychologiques étaient souvent réitérées par leur auteur413.
Les pressions psychologiques visées ici sont plus persistantes, plus appuyées et pernicieuses
que des menaces et des agressions verbales. Elles consistent véritablement dans des « actions
de contrôle, d’autorité, des attitudes de dénigrement et de mépris »414. C’est le fait, par
exemple, d’exiger du conjoint ou concubin qu’il se coiffe ou se vêtisse d’une certaine façon ;
de contrôler ses fréquentations ou de le couper de sa famille, de ses amis. C’est encore le fait
de le rabaisser en public ou dans l’intimité. Il peut également s’agir d’attendre de lui qu’il
adopte un comportement déterminé en public, soit qu’il s’agisse d’un comportement effacé,
soit à l’extrême opposé, d’un comportement aguicheur415.
413
Selon l’enquête, 24 % de violences psychologiques sont réitérées.
414
Maryse Jaspard et équipe ENVEFF, op. cit, p. 3.
415
Aurélia a rencontré celui qui deviendra son époux à l’âge de vingt ans. Elle subira de sa part des violences
physiques, sexuelles et psychologiques. Il exigeait notamment d’elle qu’elle accoste des étrangers pour avoir des
rapports sexuels avec eux. « Il m’a dit un jour vu que tu es une putain, tu vas aller rencontrer un homme, que ce
soit un papa ou un inconnu. Il décidait que c’était cette personne là et personne d’autre. Et il fallait que j’arrive
à emmener cette personne chez nous et que je fasse l’amour avec. Et il était là pour regarder, ça l’excitait.
112
99. La qualification pénale. – Il convient ici d’envisager deux qualifications principales :
d’abord, les violences volontaires à caractère psychologique ; puis, les infractions de
harcèlement sexuel et moral.
100. Les violences volontaires psychologiques. – Les éléments matériel et moral des
violences psychologiques sont semblables à ceux des violences physiques, précédemment
étudiées. En effet, l’acte matériel de violence devra être positif, et l’auteur devra avoir eu la
volonté de commettre cet acte. De même, les peines encourues pour ces violences morales ne
diffèrent pas davantage416.
En revanche, lorsque l’acte de violence est psychologique, il ne consiste pas à porter des
coups à la victime. Mais, il doit être de nature à provoquer chez la victime une vive
impression, même en l’absence de contact matériel entre elle et l’auteur.
Depuis le XIXème siècle, la jurisprudence a l’habitude de retenir cette qualification pénale
lorsque ces violences ont causé à la victime un « choc émotif »417. C’est le cas, par exemple,
concernant le fait de porter des coups à un véhicule dans lequel se trouve la victime418 ou le
fait de porter de grands coups sur la surface d’un appartement419. Cependant, spécialement
pour ces violences psychologiques, la loi n°2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences
faites spécifiquement aux femmes, a créé une nouvelle disposition pénale à l’article 222-14-3
du code pénal. Ce texte dispose ainsi que « les violences prévues par les dispositions de la
précédente section sont réprimées, quelle que soit leur nature, y compris s’il s’agit de
violences psychologiques ».
J’étais son jouet …», Propos de victime de violences conjugales recueillis par Olivier Delacroix, V. O.
Delacroix, « Les femmes en très grand danger », Dans les yeux d’Olivier, France 2, 23 septembre 2015.
416
V. supra, n° 91.
417
F. Pillet, Proposition de loi renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des
violences faites aux femmes, Rapport n° 564 (2009-2010) fait au nom de la commission des lois
constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, 17 juin 2010,
p. 83.
418
Cass. crim. 18 mars 2008, pourvoi n° 07-86. 075, RSC 2008. 587, obs. Y. Mayaud (un individu frappe avec
une barre de fer sur le véhicule d’une femme qui l’avait invectivé en pleine circulation, en vue d’intimider celle-
ci) ; Toulouse, 3ème ch., 8 septembre 2008, n°07/00566, Dr. pén. 2009, comm. 17, obs. M. Véron, précité.
419
Cass. crim. 22 octobre 1936, Bull. crim. n° 97 (un homme qui frappe violemment sur le plafond d’un
appartement toutes les nuits, provoquant chez son voisin une maladie nerveuse), V. F. Pillet, op. cit., p.83.
113
D’un apport essentiellement déclaratif, ce texte se contente en réalité d’avaliser a posteriori
une jurisprudence déjà ancrée depuis de nombreuses années420. Mais surtout, la portée de
cette clarification symbolique concernant les violences psychologiques demeure limitée dès
lors que ces violences restent quasi impossibles à démontrer. En effet, lorsque les violences
sont physiques, la victime peut faire constater médicalement les dommages corporels421. Mais
les violences psychologiques ne laissent pas de trace. Dès lors, à moins de recourir au
témoignage de l’enfant – qui devient rapidement l’arbitre des conflits entre ses parents – ou
de l’entourage, les modalités de preuve offertes à la victime sont ténues.
101. Le harcèlement sexuel. – Dans le cas plus particulier des violences intraconjugales, la
qualification pénale de harcèlement sexuel trouvera son utilité dans deux situations. La
première, lorsque le conjoint violent cohabitant, exercera sur la victime des intimidations et
pressions morales à connotation sexuelle – en vue de l’humilier, la rabaisser ou la mettre mal
à l’aise, en privé ou en public. La seconde, lorsque l’auteur – séparé ou divorcé de la victime
– continuera à la harceler sexuellement. Évidemment, lorsque les actes de harcèlement sexuel
auront été suivis d’un contact de nature sexuelle entre la victime et l’auteur – ou un tiers422, ce
sont les qualifications d’agressions sexuelles simples et de viol qui devront être retenues.
420
C. Pomart-Nomdédéo, « Droit pénal et droit de la famille, les liaisons dangereuses », D. actualité, 9
septembre 2010, étude 20, n°5 ; A. Bourrat-Guéguen, « Vers l’instauration d’un dispositif efficace de lutte
contre des violences au sein du couple », JCP. éd. G, 2010. 805, p. 88.
421
Quoique, le constat médical seul, non corroboré par d’autres éléments ne suffise pas toujours à prouver les
violences, V. Cass. crim., 21 février 2006, pourvoi n°05-84.015, Bull. crim. n°49, AJ pén. 2006. 264, obs.
Girault. La Cour estime qu’en l’absence de témoignages décrivant les violences – de plus, « les enfants du
couple disant ne jamais avoir assisté à des scènes de violences entre leurs parents » – le certificat ne suffit pas à
prouver que les hématomes de la femme sont imputables au prévenu.
422
Comme ce fut le cas pour Aurélia, victime de violences psychologiques, physiques et sexuelles, dont
certaines par procuration, V. supra, n° 100.
423
Cons. const., décision n°2101-240 QPC du 4 mai 2012, JO du 5 mai 2012.
424
Anc. art. 222-33 C. pén : « Le fait de harceler autrui, dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, est
puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».
425
Loi n°2012-954 du 6 aout 2012 relative au harcèlement sexuel, JO du 7 aout 2012, p.12921.
426
Cette réforme a suscité énormément de critiques, au sein de la doctrine mais aussi de la part des associations
de victimes de harcèlement sexuel. Ces critiques pointent du doigt les carences et malfaçons du texte. Pour un
approfondissement, V. E. Dreyer, « Que veut-on protéger au titre du harcèlement sexuel ?», JCP. éd. G. 2012,
114
propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité, en
raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation
intimidante, hostile ou offensante ». D’autre part, il peut résider dans « le fait, même non
répété, d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent, d’obtenir un
acte de nature sexuelle ». Dans les deux cas, ce délit est puni de deux ans d’emprisonnement
et de 30 000 euros d’amende. Ces peines seront portées à trois ans d’emprisonnement et à 45
000 euros d’amende lorsque les faits auront été commis sur une victime dont la particulière
vulnérabilité – en raison de son âge, d’une maladie, une infirmité, une déficience physique ou
psychique, ou de son état de grossesse – était connue de l’auteur ou au moins apparente. Il en
ira de même lorsque cette particulière vulnérabilité ou dépendance de la victime résulte de sa
situation de précarité économique ou sociale.
Ainsi conçue, la nouvelle infraction de harcèlement sexuel ne vise pas directement à protéger
la liberté sexuelle ou l’intégrité physique de la personne427. En effet, la finalité même de
l’infraction n’est plus, comme c’était le cas auparavant, d’obtenir des faveurs de nature
sexuelle. Aujourd’hui, la valeur protégée du harcèlement s’est déplacée vers une sauvegarde
de l’intégrité morale et la dignité de la victime. C’est la raison pour laquelle – en dépit du
positionnement de cette incrimination dans le Code pénal ou dans les ouvrages académiques
de droit pénal spécial 428 – il semble plus judicieux de l’aborder au titre des violences
psychologiques. Par ailleurs, aucun élément textuel ne fait obstacle à ce que le champ
d’application de l’incrimination soit étendu au-delà du milieu professionnel de l’individu,
sphère de prédilection quant à la répression de ce délit. Ainsi, la cellule familiale, et plus
précisément conjugale ici, est un lieu propice aux harcèlements sexuels.
Libre propos 1057 ; P. Mistretta, « Harcèlement », Rép. pén. Dalloz 2013, n° 9-40 ; M. Véron, « Une nouvelle
définition de l’infraction : application dans le temps et remèdes au vide juridique. Harcèlement sexuel », Dr. pén.
2012, comm. 127.
427
Pour un approfondissement de la question, V. E. Dreyer, « Que veut-on protéger au titre du harcèlement
sexuel ?», JCP. éd. G. 2012, Libre propos 1057.
428
L’infraction est placée en dernière position dans la Section du Code pénal intitulée « Des agressions
sexuelles ». Par ailleurs, certains pénalistes choisissent de l’étudier en même temps que les atteintes sexuelles
contraires à la moralité ou à la liberté sexuelle, V. J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, Paris, 6ème éd.,
Editions Cujas, 2014, p. 435-437 ; E. Dreyer, Droit pénal spécial, 3e éd., Paris, Ellipses, 2016, p. 149.
115
Premièrement, le harcèlement principal suppose d’infliger à autrui des comportements ou des
propos, ayant une connotation sexuelle. La nature sexuelle des actes permet essentiellement,
ici, de différencier le harcèlement sexuel du harcèlement moral des articles 222-33-2 et
suivants du code pénal. De même, les termes de « comportements » et « propos » sont
volontairement larges. Il est admis qu’il puisse s’agir d’ « avances sexuelles de toutes sortes,
de remarques et boutades grivoises »429. C’est, dans tous les cas, aux juges du fond qu’il
reviendra d’apprécier souverainement les faits susceptibles de rentrer dans le champ
d’application de l’infraction ; ainsi que leur caractère sexuel ou non.
Également, le texte reste silencieux sur la forme et le support des comportements et propos à
incriminer. En effet, se pose la question de savoir si ces propos et comportements peuvent se
matérialiser par des écrits ou s’ils doivent se limiter à des paroles. Cette imprécision légale est
d’autant plus regrettable que l’on présume l’ampleur que peut prendre l’utilisation des
procédés électroniques dans la commission de ces faits (SMS, mails, réseaux sociaux).De
plus, les actes visés doivent avoir été répétés par l’agent. Enfin, ces actes doivent avoir pour
résultat de porter atteinte à la dignité de la victime, en l’humiliant ou en cultivant une
situation hostile, intimidante ou offensante.
Deuxièmement, le harcèlement par assimilation est construit par le législateur comme une
infraction simple, contrairement au harcèlement précédent. En effet, selon l’article 222-33, II
du code pénal, le fait – « même non répété » – d’user d’une pression grave dans le but réel ou
apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle430, constitue l’élément matériel de l’infraction.
Aussi, ce choix législatif et cette technique d’incrimination du harcèlement sexuel peuvent
sembler sibyllins, en ce qu’ils visent à contracter dans la même incrimination, deux sous-
infractions ; l’une d’habitude, l’autre simple431. S’agissant du harcèlement assimilé donc, un
seul fait suffit à caractériser l’infraction et à entrer en voie de condamnation. Mais dans le
même temps, cela ne veut aucunement dire que le fait incriminé ne puisse pas être répété par
l’auteur, dans la pratique. Cependant, la répétition n’aura pas d’incidence sur la peine
encourue.
429
P. Mistretta, « Harcèlement », Rép. pén. Dalloz 2013, n°20.
430
Précisons ici, une malfaçon législative dans la cohérence de l’incrimination de l’article 222-33. En effet, les
deux harcèlements sexuels ne poursuivent pas les mêmes finalité. On ne sait pour quelle raison, le législateur fait
de l’atteinte à la dignité de la victime l’objet du harcèlement principal. Alors que, l’obtention d’un acte de nature
sexuelle forme celui du harcèlement assimilé. Cela dénote là encore un défaut de logique et une absence de
vision d’ensemble, dans la technique d’incrimination du législateur.
431
Il s’agit là d’une « bizarrerie législative » tendant à un détournement du droit pénal, s’agissant de la technique
d’incrimination répressive classique, V. n° 323.
116
En outre, le texte fait référence à l’usage de « toute forme de pression grave ». Cette
expression est particulièrement floue, en ce qu’elle n’indique ni les formes possibles de
pression visées, ni la gravité de la pression exigée. La circulaire d’application de la loi du 7
août 2012 apporte quelques précisions cependant. Selon elle, « le caractère de gravité
s’appréciera au regard du contexte, et plus précisément des relations existant entre le
harceleur et sa victime, de la situation dans laquelle se trouve cette dernière, et de sa
capacité plus ou moins grande à résister à la pression dont elle est l’objet »432. Dès lors, la
question se pose de savoir si la relation de couple qui existerait entre l’auteur et la victime
constituerait un critère de gravité ? De même, il est possible de se demander si cette gravité
sera considérée comme plus ou moins importante, en fonction de l’actualité ou de
l’ancienneté de la relation ? De plus, est-ce que l’appréciation de « la situation dans laquelle
se trouve la victime » tient compte du phénomène d’emprise auquel est assujetti la victime de
violences conjugales? Autant d’interrogations, qui là encore seront laissées à l’appréciation
potentiellement discrétionnaire des juges. Enfin, précisons que le harcèlement assimilé doit
conduire soit à l’obtention d’un acte sexuel au profit du harceleur lui-même, soit à l’obtention
de cet acte au profit d’un tiers.
432
Circulaire du 7 août 2012 n° CRIM 2012 -15 / E8 présentant les dispositions de droit pénal et de procédure
pénale de la loi n° 2012- 954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel, p. 6 (en ligne) consultable sur le site
de l’Intranet Justice : http://www.textes.justice.gouv.fr/art_pix/1_1_circulaire_07082012.pdf.
433
M.L. Rassat, Droit pénal spécial. Infractions du Code pénal, 6ème éd., Précis Dalloz, 2011, p. 516, n° 450.
434
P. Mistretta, « Harcèlement », Rép. pén. Dalloz 2013, n° 34.
117
offenser la victime. Étrangement, cela fait penser au résultat du harcèlement principal,
précédemment étudié. Dès lors, le choix du législateur de prévoir deux harcèlements, avec
deux finalités distinctes, se comprend d’autant moins. Mais, d’une manière générale, cette
formulation vague peut englober un nombre insoupçonné de desseins et projets de la part de
l’auteur, qu’il devient difficile de borner.
À n’en pas douter, cet imbroglio textuel conduira à des difficultés d’interprétation judiciaire,
puisqu’en définitive on a du mal à déterminer ce que répriment exactement ces modalités de
harcèlement sexuel.
435
Loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale, JO du 18 janvier 2002, p. 1008.
436
D’ailleurs cette incrimination trouve son pendant dans le Code du travail également, V. Art. L. 1152-1 du C.
trav.
437
Ce texte a été modifié par la loi n° 2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel, précitée. À
l’expression « agissements répétés » a été préférée celle de « propos et comportements » répétés. Cependant,
bien que le législateur ait souhaité préciser les dits agissements de harcèlement, les termes choisis de propos et
comportements demeurent encore très vagues.
438
Notons qu’en 2002, cette peine était moins sévère puisqu’elle s’élevait à un an d’emprisonnement et à 15 000
euros d’amende.
439
Cass. crim. 6 décembre 2011, pourvoi n° 10-82266, Bull. crim. n° 249 ; RSC. 2012. 138, obs. Y. Mayaud. En
l’espèce, le chef d’un service d’action sociale territoriale s’est suicidé, suite au comportement irrévérencieux et
dénigrant d’un éducateur dudit service à son égard, aux dévalorisations répétées et à l’image d’incompétence que
ce dernier a colporté à son propos au sein de l’entreprise.
440
Cass. crim., 6 décembre 2011, préc.
118
Désormais, ce délit de harcèlement moral voit son périmètre étendu à l’ensemble des relations
interindividuelles. Très récemment, en effet, la loi n°2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité
réelle entre les femmes et les hommes441 est venue intégrer un nouvel article 222-33-2-2 dans
le Code pénal. Ce texte incrimine le « fait de harceler une personne par des propos ou
comportements répétés ayant pour objet ou pour effet, une dégradation de ses conditions de
vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ». À travers cette
nouvelle incrimination, dont la rédaction est calquée sur celle du délit de harcèlement
générique, le législateur a entendu objectiver et dépersonnaliser le harcèlement moral. Ainsi,
désormais, toute personne peut être considérée comme auteur de harcèlement à l’encontre
d’une autre. Toutefois, il est fort à parier qu’une telle incrimination conduira à certains
conflits de qualification. En effet, ces « propos et comportements » pourraient renvoyer à la
qualification d’appels téléphoniques malveillants442 par exemple.
Mais, dans le cadre de cette étude, c’est plus précisément le harcèlement au sein du couple qui
retiendra notre attention. Ainsi, depuis la loi n°2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux
violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux
incidences de ces dernières sur les enfants, une nouvelle incrimination de harcèlement moral a
été insérée dans le Code pénal – à l’article 222-33-2-1. Cette dernière concerne plus
précisément le harcèlement moral au sein du couple. Toutefois, étant abordée de manière plus
approfondie en deuxième partie de cette étude443, nous nous contenterons ici de la présenter.
Ainsi, est incriminé par l’article 222-33-2-1, le fait de harceler son conjoint, son partenaire ou
son concubin, par des « propos ou comportements » 444 répétés ayant pour résultat une
dégradation de ses conditions de vie. Cette dégradation doit se traduire par « une altération de
sa santé physique ou mentale ». Ces faits sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45
000 euros d’amende lorsqu’ils n’auront entraîné aucune incapacité totale de travail ou une
incapacité inférieure ou égale à huit jours. Cette peine sera portée à cinq ans
d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, lorsque cette incapacité sera supérieure à huit
jours.
L’article 222-33-2-1 prévoit encore que ces comportements seront pareillement punis,
lorsqu’ils auront été commis par l’ex-conjoint, concubin ou partenaire de la victime. Cette
441
Loi n°2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, JO du 5 août 2014, p.
12949.
442
Art. 226-16 nouv. du C. pén. ; pour plus d’éléments, V. infra, n°126.
443
V. infra, n° 328.
444
Depuis la loi n° 2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel, préc.
119
évolution dans la prise en compte, par le législateur, des violences conjugales commises après
la rupture des protagonistes est la bienvenue. On estimait, en effet, en 2000, que ces violences
psychologiques par ex-conjoint représentaient pas moins de 59,5 % des violences conjugales,
dont 27,3 % commises par harcèlement moral445. Cependant, cette prise de conscience d’ordre
textuel se vérifie moins dans la pratique. En effet, il n’est pas rare de constater une certaine
inertie – voire une dédramatisation – de ces faits de la part des services de police et de
gendarmerie, mais aussi de celle du Ministère public. Ainsi, même en présence de multiples
dépôts de plaintes, beaucoup de ces affaires de harcèlement sexuel par ex-conjoint, concubin
ou partenaire demeurent sans réponse pénale satisfaisante. Le cas d’Audrey en fournit une
illustration446.
Audrey VELLA avait trente ans au moment des faits. Elle a vécu une relation de cinq ans
avec son concubin, au cours de laquelle elle était victime de violences physiques,
psychologiques et de séquestrations. Ils ont eu ensemble une petite fille. Elle décide de se
séparer de l’homme et de se rapprocher de sa famille avec sa fille. Pourtant, quatre ans après
la séparation soit en 2007, son ex-concubin continue de la harceler continuellement. Dans les
deux derniers mois avant sa mort, les agissements de son ex s’étaient intensifiés (SMS
injurieux, appels incessants, menaces de mort, visites impromptues). Les faits de harcèlement
visaient désormais l’entourage de la victime également (SMS menaçants envoyés à sa sœur et
à sa fille). Audrey déposera plainte à quatre reprises auprès des services de gendarmerie de
Nanteuil, dont une pendant qu’elle était encore en couple avec l’intéressé. C’est dire que la
situation était préoccupante et que les plaintes successives auraient dû alerter davantage les
autorités. Mais elles sont restées sans suite. Le frère de la victime expliquera par la suite que
l’ex-concubin, constatant l’inertie des services de la justice, était gagné par un sentiment
d’impunité447. Le 23 mars 2007, alors qu’Audrey se trouve sur son lieu de travail (au centre
commercial de la ville), elle est assassinée de neuf coups de couteau, par son ex-compagnon
qui l’épiait.
445
M. Jaspard et équipe ENVEFF, op. cit, p. 2.
446
Témoignages de la famille d’Audrey Vella, propos recueillis par O. Delacroix, V. O. Delacroix, « Les femmes
en très grand danger », Dans les yeux d’Olivier, France 2, 23 septembre 2015. Pour un compte-rendu de
l’affaire et des justifications des services de gendarmerie, quant à leur inertie, V. T. Raisse, «La mort d’Audrey
aurait pu être évitée », Le Parisien, 9 mai 2014 ; H. Algalarrondo, « Mort d’Audrey : la passivité coupable des
gendarmes », Le Nouvel Observateur, 9 mai 2014.
447
C’est également ce que constatera le jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris du 9 mai 2014. V. le
jugement (extraits), T. Raisse, op. cit.
120
Le 9 mai 2014, l’État est condamné par le Tribunal de Grande Instance de Paris à verser plus
de 132 000 euros de dommages-intérêts à la famille de la défunte. Le Tribunal reprochait
notamment aux services de gendarmerie de Nanteuil leur « abstention fautive »448, estimant
que sans cette inertie, la mort de la victime aurait pu être évitée. Pourtant, aujourd’hui encore,
de nombreuses négligences et inactions sont constatées dans le traitement d’affaires
concernant des femmes victimes de violences conjugales par leur ex-conjoint, vivant
quotidiennement dans la peur de représailles. En atteste le cas de Nathalie449.
Nathalie, âgée de 25 ans s’est installée en région parisienne. Son ex-concubin du même âge,
est resté lui à Montpellier. Elle le quitte en 2013, en raison des violences qu’il lui infligeait.
Pourtant, trois ans après la rupture, l’intéressé continue de harceler la victime. Cette dernière a
déposé pas moins de douze plaintes au cours de cette période, dans deux commissariats du
département de la Seine-et-Marne. Ces plaintes ont été classées sans suite ou ont été suivies
de simples rappels à la loi.
Cet exemple démontre, qu’aujourd’hui encore, la gravité et la dangerosité des violences
psychologiques par ex-conjoint sont minimisées par les acteurs de la justice pénale. Cette
minimisation n’est pas toujours volontaire. En effet, le manque de temps et de personnel
paralyse le bon fonctionnement de l’Administration pénale, cette dernière procédant ainsi – en
priorité – au traitement des affaires les plus incandescentes450.
103. Une absence de communication entre acteurs de la justice pénale. – Mais outre
cette problématique, ce qui conduit à ces failles judiciaires incongrues, c’est aussi l’absence
d’une communication et d’une continuité efficaces entre les différents acteurs de la chaîne
pénale. En effet, au cours de notre expérience en qualité d’assistance de justice au Parquet du
Tribunal de Grande Instance de Fontainebleau, nous avons pu dresser trois séries de constats.
La première est l’absence de communication entre les différents commissariats et
gendarmeries d’un même ressort. De facto, de manière autarcique, chacun de ces services
448
T. Raisse, ibidem.
449
Dossier-victime, Association d’aide aux victimes d’infractions pénales, Montpellier, 1er juin 2016.
450
Les affaires les plus incandescentes ne sont pas nécessairement les plus graves. Mais elles sont plus
imminentes et significatives que d’autres. Elles en deviennent, dès lors, plus urgentes. Ainsi, lors du procès en
responsabilité de l’Etat dans l’affaire « Audrey Vella », l’avocat de la partie civile a interrogé, en qualité de
témoin – le gendarme négligent qui avait recueilli la première plainte post-rupture – en omettant de l’enregistrer
et d’en référer à son supérieur. Il demandait alors à l’intéressé quelle affaire plus grave retenait la gendarmerie,
ce jour-là, pour qu’il n’ait pas pris en compte la dite plainte. Celui-ci répondit en ces termes : « Il y avait des
accidents routiers et des camions renversés, ça prend du temps ». V. H. Algalarrondo, op. cit.
121
transfère au Procureur de la République le fruit de ses investigations. La deuxième réside dans
le fait qu’une fois la plainte de la victime recueillie, l’enquête se concentre principalement sur
la personne du délinquant. La victime, elle, sera – sauf négligence ou omission du
professionnel – réorientée vers une structure associative d’aide aux victimes. Troisièmement,
une fois les comptes rendus d’enquêtes transférés au Parquet, ils font l’objet d’un
prétraitement. Ainsi, seront effectuées une recherche de casier judiciaire (bulletin n°1) de
l’auteur – renseignant le magistrat sur le passé judiciaire de l’intéressé – et une recherche sur
le fichier national Cassiopée. Celui-ci met à la disposition des magistrats451 des informations
telles que les dénonciations, plaintes, les identités des victimes et des auteurs, mais aussi les
différentes procédures judiciaires (pénales, commerciales, civiles, d’assistance éducative, ou
devant le juge des libertés et de la détention), terminées ou en cours. Toutefois, qu’il s’agisse
du casier judiciaire ou du fichier Cassiopée, la recherche s’opère à partir de l’identité de
l’auteur de l’infraction, et non de celle de la victime. Mais ce constat est le même, s’agissant
du Fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS) ou
du Traitement d’antécédents judiciaires (TAJ)452.
104. Vers la création d’un fichier axé sur la personne de la victime de violences
conjugales ?. – Une telle proposition de création de fichier n’a aucunement pour objectif de
s’inscrire dans la revendication d’une place encore plus importante de la victime, dans le
procès pénal. Elle a uniquement une visée pratique. De plus, son champ d’application ne
serait limité qu’aux seules victimes de violences conjugales.
Il s’agirait tout d’abord, d’un fichier national. De sorte qu’en cas de déménagement de la
victime – en raison d’une fuite du domicile ou d’un simple choix délibéré – cette dernière
puisse obtenir un accueil et une prise en charge efficaces, peu importe le poste de police de
France dans lequel elle se rendrait. Ce fichier contiendrait l’identité de la victime, sa situation
matrimoniale, la présence ou non d’enfants au foyer, les délits et crimes subis par elle, ainsi
que les procédures en cours la concernant. La recherche sur ce fichier serait rendue
obligatoire dès le premier dépôt de plainte de la victime. Cette obligation pèserait
essentiellement sur les officiers de police et de gendarmerie, le Procureur de la République,
les juridictions de jugement, les assistants de justice chargés du traitement en temps réel des
affaires et les employés des Tribunaux de grande instance. Également, pourraient avoir accès
à ce fichier les associations d’aide aux victimes pour un meilleur suivi des dossiers victimes.
Contrairement au FIJAIS, ce fichier ne serait pas automatisé, en ce que la victime n’aurait pas
l’obligation légale de renseigner, à intervalles réguliers, sa situation. En effet, ayant un statut
de victime, la personne ne saurait se voir imposer une contrainte identique à celle exercée à
l’égard du délinquant. En revanche, dans le cas où elle déposerait plainte pour des incidents
nouveaux dans le même commissariat ou un autre, l’officier de police judiciaire aurait
l’obligation de s’enquérir de sa situation actuelle, afin d’actualiser le contenu du fichier.
Les apports d’un tel fichier seraient considérables. Ainsi, premièrement, il constituerait un
outil statistique précieux quant au déchiffrage des violences conjugales en France. Mais,
contrairement aux enquêtes déjà menées sur la question, il présenterait plusieurs particularités
123
exploitables. D’une part, il permettrait de fonder des statistiques, non pas sur les dires de
personnes qui déclarent avoir été victimes de violences conjugales453, mais sur une vraie
expérience et une méthode agile. De plus, il permettrait de mieux déchiffrer la violence
infligée par l’ex-conjoint454. Mais surtout, il offrirait une vraie visibilité continue et à long
terme de l’évolution des victimes d’infractions pénales et de leurs enfants, ce que ne
permettent pas aujourd’hui les instruments d’évaluation existants.
Enfin, deuxièmement, un tel fichier faciliterait une communication et une coordination plus
fluides entre les commissariats, gendarmeries et les magistrats.
105. La définition de fait. – Les agressions verbales font référence aux insultes, menaces
et chantage affectif. Ce peut être par exemple la menace de quitter le conjoint en situation de
dépendance affective, de s’en prendre à la personne même du conjoint victime ou aux enfants
communs ou issus de la première union de la victime. Ce peut encore être la menace de se
suicider.
453
Qu’il s’agisse des enquêtes « Cadre de vie et sécurité » (CVS) et ENVEFF, elles reposent sur les déclarations
spontanées de personnes estimant – à torts ou à raison – avoir été victimes d’un ou plusieurs faits de violences
conjugales.
454
L’enquête CVS évalue bien les violences par ex-conjoint, mais uniquement de nature physiques et sexuelles,
C. Rizk, « Le profil des personnes de 18 à 75 ans s’étant déclarées victimes de violences physiques ou sexuelles
par conjoint ou ex-conjoint sur 2 ans, lors des enquêtes “Cadre de vie et sécurité” », Repères, n°18, octobre
2012, p. 3-18 (en ligne), disponible sur le site de l’Institut national des hautes études de la sécurité de la Justice
(Inhesj) : http://www.inhesj.fr/sites/default/files/book/115-62c987/index.html#/1/zoomed.
455
Loi n°2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, précitée.
456
La Cour de cassation avait l’habitude de réprimer au titre de l’infraction des appels téléphoniques
malveillants de l’article 222-16 du code pénal, les « textos » et SMS malveillants et réitérés, de jour comme de
nuit, dès lors que la réception de ceux-ci se manifestait par l’émission d’un signal sonore par le téléphone
portable , V. Cass. crim. 30 septembre 2009, pourvoi n° 09-80373, Bull. crim. n° 162 ; Dr. pén. 2009, comm.
147, obs. M. Véron.
124
téléphoniques malveillants réitérés, les envois réitérés de messages malveillants émis par la
voie des communications électroniques ou les agressions sonores en vue de troubler la
tranquillité d'autrui »457.
Les menaces, pour leur part, ont cette particularité d’intervenir dans la caractérisation de
nombreuses infractions. C’est le cas, comme nous l’avons vu, pour les infractions sexuelles.
Souvent également, elles pourront constituer l’un des agissements répétés et persistants du
harcèlement moral ou sexuel. Mais ces menaces sont également réprimées de manière
autonome, sans qu’il soit nécessaire qu’elles aboutissent à la commission effective d’un crime
ou d’un délit plus grave. Deux types de menaces sont à distinguer. D’une part, les menaces
sans ordre de remplir une condition visée par l’article 222-17 du code pénal. Ces menaces de
commettre un crime ou un délit doivent être soit répétées458, pour en marquer le caractère
alarmant ; soit se matérialiser par un écrit – par exemple une lettre – ou une image, par
exemple le dessein d’un cercueil459. Les exigences de répétition ou du support permettent
donc de s’assurer du caractère sérieux de la menace. Par ailleurs, ces menaces devront
s’adresser à une victime bien déterminée, en l’occurrence l’époux de l’auteur.
En vertu du nouvel article 222-18-3 du code pénal460, ces menaces seront punies de deux ans
d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, lorsqu’elles auront été commises par le
conjoint, concubin ou le partenaire. Lorsqu’il sera question de menaces de mort, la peine sera
portée à de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Notons, toutefois, que
le texte ne prévoit rien s’agissant de l’ex-conjoint.
D’autre part, l’article 222-18 du code pénal incrimine les menaces de commettre un délit ou
un crime, peu importe le moyen utilisé mais avec l’obligation pour la victime de remplir une
condition. La gravité de ces menaces est si évidente, qu’il n’est pas nécessaire ici que soit
démontrée une répétition, ou l’existence d’un écrit ou d’une image. L’obligation qui est
imposée à la victime peut être une obligation de faire – par exemple, la femme qui menace de
mort son époux s’il ne lui fait pas l’amour461. Mais, il peut également s’agir d’une obligation
de ne pas faire. C’est le cas par exemple du conjoint qui menace la victime ou ses enfants, si
457
Ces faits sont toujours punis d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
458
Le temps qui s’écoule entre deux menaces importe peu. Par conséquent, aucun délai n’est imposé avant la
réitération, V. Cass. crim., 26 février 2002, pourvoi n° 01-83545 , Bull. crim. n° 43.
459
J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, 6e éd., Paris, Editions Cujas, 2014, p. 130, n°143.
460
L’article est inséré dans le Code pénal par la loi n°2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites
spécifiquement aux femmes, op. cit.
461
S. Torrent, L’Homme Battu. Un tabou au cœur du Tabou, Québec, Opinion santé, 2001, p. 38.
125
cette dernière dépose plainte. Ces menaces traduisent finalement, en droit pénal, l’idée de
chantage affectif énoncé précédemment. Elles sont punies de cinq ans d’emprisonnement et
de 75 000 euros d’amende si elles ont été commises par le conjoint, concubin ou partenaire,
selon l’article 222-18-3 du code pénal. La menace de mort, dans ce cas précis, sera punie de
sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende.
Intentionnellement, l’auteur des menaces doit avoir agi avec la conscience de déstabiliser ou
d’intimider la victime. Cependant, il n’est pas nécessaire qu’il ait réellement eu l’intention de
mettre ses menaces à exécution.
107. Trois constats concernant les violences conjugales. – Les différentes investigations
et observations réalisées ont permis de confirmer ou de relever quatre caractéristiques
s’agissant des violences conjugales. Ainsi, ces violences intervenant dans le couple sont
cumulatives (a), graduelles (b), et majoritairement masculine (d). De plus, nous verrons les
facteurs favorisant la survenance de violences au sein du couple (c).
462
Entretien-victime, Association d’aide aux victimes d’infractions pénales, Montpellier, 2 juin 2016.
126
Elodie est âgée de vingt-trois ans. Elle vit, depuis deux ans, en concubinage avec son ami
Morgan du même âge qu’elle. Mais ils sont en couple depuis trois années. Ce dernier a déjà
été condamné à une peine d’emprisonnement de six mois, pour des faits de violences commis,
en juin 2015, sur Elodie. En effet, sortant d’une soirée arrosée, la victime avait refusé de
donner à l’intéressé les clés du véhicule : « Non tu n’as pas le permis et t’as bu ». Il l’a tirée
par le bras, l’a fait tomber au sol et lui a administré un coup de poing à la mâchoire et un autre
coup sur le plancher orbital. « Ensuite, il est parti faire un tour et il est revenu me chercher
pour m’amener à l’hôpital ». Pourtant, libéré en janvier 2016, il est retourné chez la victime
et n’a pas tardé à récidiver. Le 2 juin 2016, jour de l’audience en comparution immédiate,
nous nous enquérons des nouveaux faits de violence visés. En l’espèce, Morgan est prévenu
d’avoir proféré des menaces à la victime, avant de lui porter des gifles au visage. Il était alors
agacé par le retour tardif de la jeune fille au domicile. Le lendemain, le garçon est réveillé par
un appel téléphonique professionnel adressé à Elodie. Les violences surviennent pour ce motif
alors que le couple est allongé dans le lit. L’auteur lui assène des coups de genoux dans le
dos, de béquilles dans la cuisse et un coup à l’épaule, avant de prendre un coussin et de lui
mettre sur la tête en déclarant « je vais t’étouffer ». Elodie précise également que l’intéressé
lui aurait déclaré : « Ce que je t’ai fait à l’œil je peux te le faire à l’autre œil. Maintenant je
n’ai plus peur de retourner en prison, j’ai mes collègues en prison ».
Lors de l’entretien victime mené par la juriste de l’Association d’aide aux victimes
d’infractions pénales, et auquel nous n’intervenons qu’en tant qu’observateur, la victime se
confie. « Je ne pouvais plus voir mes amis. Lorsque j’allais chercher le pain, il me minutait.
Je me suis brouillée avec mes parents, parce que mon copain a frappé mon père. J’ai défendu
mon copain, du coup mes parents m’ont dit : “ tu te débrouilles maintenant”».
Selon, Cécilia LLOR, psychologue de l’Association d’aide aux victimes d’infractions pénales,
« l’auteur de violences conjugales a à sa disposition un panel de procédés violents ; une sorte
de boîte à outils de la violence »463. Dès lors, bien que distinct dans leur mode d’exécution,
les différents types de violences feront partie d’un contexte général de violence. Toutefois, les
violences intraconjugales surviennent rarement de manière instantanée, mais davantage de
manière progressive. Il existe une véritable gradation dans l’installation de la violence au sein
du couple.
463
C. Llor, psychologue de l’Association d’aide aux victimes d’infractions pénales, Propos recueillis le 16
octobre 2016, Montpellier.
127
b) Une violence graduelle
464
R. Perrone et M. Nannini, Violences et abus sexuels dans la famille. Une vision systématique de conduites
sociales violentes, 5e éd., Paris, ESF, 2012, p. 125 sq.
128
envoyés par l’auteur peut déstabiliser la victime : « le regard est troublant en ce qu’il exprime
à la fois amour et meurtre »465.
Elodie est conviée à entrer dans le Bureau d’Aide aux victimes en vue de l’entretien avec la
juriste de l’association. À cet instant, elle se montre très fière et peu ouverte à la discussion.
Elle est réticente à parler d’elle-même ou de sa propre situation de victime. Toutefois, au
moment où la juriste commence à énoncer les faits, celle-ci fond en larmes et déclare : « C’est
sa maladie, il faut pas qu’il aille en prison. J’ai peur qu’il aille en prison… Il a des tocs ; il
est atteint du syndrome de Gilles de la Tourette. Il s’emporte un peu, il fait ça que quand il est
malade ». L’entretien se poursuivant, la juriste parvient à émailler l’autopersuasion dont fait
preuve la victime et la met face à certaines de ses contradictions. La victime reconnaît
alors que « les violences sont quasi quotidiennes… Parfois il ne fait pas de crise quand il me
frappe. Mais les crises n’arrangent rien ». Mise en confiance, elle se confiera, dès lors, avec
moins de retenue : « Il a déjà été condamné. Il m’a déjà pété le plancher orbital. J’ai fait un
465
J. Smith, « Facteurs de vulnérabilité à l’emprise », in Violence et Famille. Comprendre pour prévenir, Paris,
Dunod, 2011, p. 230.
129
œdème. Il a déjà fait de la prison466. Mais vous voyez ça sert à rien». La victime avoue encore
être intimidée par le père de son concubin qui l’accuse de vouloir renvoyer son fils en prison
une deuxième fois. La juriste rebondit sans attendre sur le passé familial de Morgan, l’auteur
des violences. La victime témoigne : « Mon beau-père frappait également sa femme. Ils sont
toujours mariés aujourd’hui »… Interrogée sur l’avenir de sa relation, elle dira « je sais que
je prends le risque qu’il finisse par me tuer… Mais je l’aime et je ne peux pas vivre sans lui ».
Ce cas est particulièrement intéressant, car il démontre que la victime a une conscience des
véritables raisons et facteurs de la violence de son concubin. Elle sait que celle-ci n’est pas
uniquement imputable à la maladie de ce dernier. Pourtant, elle choisit de la retenir comme
unique justification des passages à l’acte de l’auteur. On notera également l’ambivalence du
discours tenu par la victime à l’audience, puis lors de son entretien à huis clos avec la juriste
de l’association. En effet, entendue par les juges correctionnels, elle s’est contentée de
rappeler : « Il faut qu’il se fasse soigner. C’est à cause de sa maladie. Moi il n’y a pas moyen,
je veux reprendre la vie avec lui. Je ne veux rien, pas de constitution de partie civile et pas de
dommages et intérêts ». Ce témoignage permet de comprendre que – tant que dure l’emprise –
la victime est totalement axée sur le devenir de son agresseur, alors qu’elle se désintéresse
complètement du sien.
S’agissant du cas de Sara467, celle-ci a vingt-cinq ans. Son époux en a trente-et-un. Elle,
travaille en tant qu’aide-soignante et lui travaille dans le BTP. Ils ont ensemble deux enfants,
une fille de trois ans et un fils de deux ans. Lorsqu’elle s’est rendue au commissariat, elle a
refusé de déposer plainte. Elle souhaitait simplement dénoncer les multiples menaces de
Monsieur. Elle fait état également aux policiers de disputes et de bousculades régulières,
qu’elle explique par l’alcoolisme de son conjoint. Le jour de l’audience de comparution de
son époux, elle se présente à son entretien victime au Bureau d’aide aux victimes du Tribunal
de Grande Instance. Elle dit : « Je ne veux pas qu’il aille en prison. Il est alcoolique, la prison
ça sert à rien. Tout se passe bien à son travail, il est heureux dans son travail. On est bien,
mais voilà il est alcoolique … Il boit quand il sort du boulot. Il en a conscience. Je veux que
la justice le fasse soigner. Je sais qu’il peut être bien et je veux l’aider. Je l’aime, c’est le père
de mes enfants. Il a déjà été condamné. J’ai conscience que ce n’est pas normal. Ce sont des
466
V. supra, n° 108.
467
Entretien-victime, Association d’aide aux victimes d’infractions pénales, Montpellier, 2 juin 2016.
130
bousculades et puis vous savez quand il m’insulte, je l’insulte aussi… C’est toujours quand il
a bu. Quand il a pas bu il est bien».
Ici, la violence est analysée par la victime comme de simples scènes de ménage un peu
animées, entre deux personnes qui auraient juste fort caractère. Se persuadant qu’elle
conserve un certain contrôle sur la situation, elle prétend participer pleinement à l’échange
houleux et que la violence de son conjoint ne lui est finalement pas imposée. Toutefois, en
décembre 2014, la jeune femme avait déjà déposé plainte contre son époux, celui-ci ayant
secoué leur fille d’un an (à l’époque) parce qu’elle pleurait trop. En juin 2016, l’époux
comparaissait à nouveau devant le Tribunal correctionnel pour avoir menacé Sara à l’aide
d’un couteau. À l’audience, la victime avouera que ce qui l’a poussé à se rendre au
commissariat, c’est l’absence totale de réaction de ses enfants face à la scène de violence.
Ceux-ci avaient continué à regarder la télévision en dépit des insultes, menaces et bousculades
commises par leur père. En l’espèce, il est évident que quand bien même la consommation
d’alcool pourrait expliquer – dans une certaine mesure – une extériorisation de la violence de
l’auteur, la victime minimise clairement la dangerosité de son époux vis-à-vis d’elle-même468.
111. Le cycle de la violence. – Une fois l’emprise instaurée par l’auteur, l’apparition des
violences conjugales suivra un certain cycle, appelé le « cycle de la violence »469. Ce cycle se
compose de quatre grandes phases qui vont se succéder, se répéter, puis s’accélérer – le
sentiment d’impunité de l’auteur grandissant.
La première étape est celle de la construction par le conjoint violent, d’un climat de tensions.
Au cours de cette phase, l’auteur aura des accès de colère ou au contraire passera par des
périodes de longs silences. Il deviendra menaçant et intimidant vis-à-vis de la victime. Le
468
Aussi, ne réagit-elle que lorsque la santé physique ou morale de ses enfants est mise en péril par les
comportements de l’époux. Mais tant que cette violence est dirigée contre elle seule, elle l’ « encaisse ».
469
M.-F. Casalis, M. Chapalain et F. Guyot, « Une femme sur dix victime de violences conjugales en France »,
AJ. Fam. 2002, p. 248 sq.
131
conjoint dominé déstabilisé et inquiet va tenter d’améliorer cette situation de tensions, en
modérant ses propres paroles et en modifiant son comportement.
La seconde phase, celle du recours à la violence, est celle du passage à l’acte. Il peut alors
commettre dans un même intervalle ou de manière dissociée, des violences de différentes
natures (physique, sexuelle, sexuel, verbal) à l’encontre de la victime. La brutalité et la durée
de ces violences vont différer, selon qu’il s’agisse des premiers épisodes de violence – par
exemple la première claque – ou de réitérations. Dans ce deuxième cas, les violences seront
plus insistantes, et se déchaîneront de manière extrêmement rapide. En effet, selon la
psychologue de l’association d’aide aux victimes, les épisodes de violences dureront en
moyenne entre dix et quinze minutes, et pourront se répéter ainsi durant un nombre d’heures
plus ou moins long470. À ces moments, la victime a un sentiment d’injustice, de tristesse,
d’humiliation, voire même parfois de rébellion.
Mais alors arrive la troisième phase, celle du transfert de responsabilité. Suite à l’épisode
violent, l’auteur va minimiser son acte en le justifiant, soit par un mal-être personnel, soit en
impliquant le comportement de la victime comme élément déclencheur de la violence. La
victime va alors se remettre en question sur ses défauts ou ses torts, ou fera preuve
d’indulgence et de compréhension vis-à-vis de son partenaire. Cela entraîne chez elle une
certaine culpabilité.
Enfin, la phase de rémission ou encore appelée « lune de miel », est celle du repentir. L’auteur
va remettre en place un mécanisme de séduction pour se faire pardonner de sa victime. Ce
peut être en promettant de changer, de commencer une thérapie, ou en offrant des cadeaux, ou
encore en attirant la pitié de la victime (promesse de se suicider). Ainsi, la victime garde bon
espoir que la situation s’améliore et souhaite retrouver la relation fusionnelle et idyllique des
débuts. Ce regain amoureux est cependant de plus en plus court, au fur et à mesure que la
relation progresse.
Aussi, lors de son travail d’accompagnement avec les victimes de violences conjugales, le
juriste en association, le thérapeute ou l’assistante sociale devra travailler avec la victime sur
ces différents processus de violences. Il s’agit de provoquer chez l’intéressé une prise de
470
Selon Cécilia Llor, « Cela va extrêmement vite hein. Il faut bien comprendre que dans la réalité les sessions
de violences vont durer entre dix et quinze minutes. Cela peut être un peu plus long mais généralement il inflige
les coups pendant cinq minutes, il arrête pendant quinze minutes voire un quart d’heure, puis retourne à
l’attaque pendant cinq minutes… Et cela peut se répéter ainsi pendant une heure, deux heures, ou pendant toute
une soirée. Lorsqu’il sera enfin calmé, il lui dira “et maintenant tu vas dormir et tu arrêtes de te plaindre, parce
que maintenant j’aimerais bien dormir” … ».
132
conscience quant à son statut de victime, condition indispensable à sa future rémission. En
déconstruisant au fur et à mesure avec elle la situation d’emprise dans laquelle elle a été
placée par l’agresseur, la victime parvient à se resituer dans ce cycle de la violence471.
Cependant, cette affirmation doit être nuancée, chaque relation conjugale violente étant
authentique. À vrai dire, il existe autant de continuums de violence, qu’il existe de profils
d’agresseurs474. Il arrive encore que l’agresseur n’ait jamais de contact violent direct avec la
victime et qu’il n’exerce sur elle que des pressions psychologiques (dénigrements,
dévalorisations, disqualifications vis-à-vis des enfants, humiliations, harcèlement). Les
violences morales n’évoluent donc jamais en violences physiques475.
471
Entretien téléphonique avec Audrey Théophile, ancienne assistante sociale à l’Accueil de jour pour femmes
victimes de violences (AJFVV), Guadeloupe, 23 mai 2016.
472
G. Geoffroy, Lutte contre les violences faites aux femmes, Rapport n°1799 au nom de la mission d’évaluation
de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, Assemblée Nationale, 7 juillet
2009, p. 48.
473
V. les témoignages d’Elodie et Sara, supra, n° 108 et s. ; « Le seuil de tolérance de la victime évolue de façon
paradoxale vers une acceptation de plus en plus fataliste des violences », V. M.-F. Casalis, M. Chapalain et F.
Guyot, « Une femme sur dix victime de violences conjugales en France », AJ. Fam. 2002, p. 248.
474
Contrairement aux autres cas rencontrés, l’époux de Sara a commencé par lui infliger des violences physiques
(claques, coups et bousculades) puis a poursuivi par des violences psychologiques. « Il sait que les coups ça
laisse des marques … » précise-t-elle ; V. infra (les profils des auteurs de violences conjugales), n° 122 et s.
475
En atteste le témoignage de Laura : « Parfois, c’est trois jours, une semaine puis rien pendant trois mois. Mais
ses crises sont de plus en plus rapprochées donc je n’ai plus le temps de me refaire ». Elle raconte une de ces
crises se déroulant devant les enfants du couple. « Il a déchiqueté tous mes vêtements, il m’a badigeonné de
133
Cécilia LLOR précise également qu’un même agresseur pourra employer un processus de
violence, tant dans la diversité des agressions que dans leur gravité, totalement différent entre
son ancien conjoint, concubin ou partenaire et le nouveau476.
S’agissant plus précisément des violences conjugales, les différentes enquêtes menées en
France et ailleurs attestent que les femmes sont les principales victimes de violences
conjugales. Ainsi, en 2000, l’enquête nationale sur les violences faites aux femmes en France
(ENVEFF) établissait qu’une femme âgée de vingt ans à cinquante-neuf ans sur dix est
victime de violences de la part de son conjoint ou concubin481. Toutefois, il convient de noter
que cette étude s’est concentrée d’emblée sur un échantillon spécifiquement féminin. Elle se
contente, ainsi, simplement de révéler que trois quarts des auteurs de violences sont des
produit vaisselle, de produits d’entretien. Je suis allé à la douche, il m’a coupé l’eau chaude et il a fallu que je me
douche avec de l’eau glacée […] », Témoignage spontané, Basse-Terre, 25 mai 2015.
476
C. Llor, psychologue de l’Association d’aide aux victimes d’infractions pénales, Propos recueillis,
Montpellier, le 16 octobre 2016.
477
C. Ménabé, La criminalité féminine, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 10.
478
M.-C. Sordino (dir.), L’anticipation de la répression : innovation ou régression ?, Colloque, UMR 5815
« Dynamiques du Droit », Université de Montpellier, 17 juin 2016, publication octobre 2016.
479
C. Clavien et C. El-Baz (dir.), Morale et évolution biologique entre déterminisme et liberté, Lausanne,
Presses polytechniques et universitaires romandes, 2007, p. 278.
480
M.-C. Sordino (dir.), L’anticipation de la répression : innovation ou régression ?, op. cit.
481
Maryse Jaspard et l’équipe ENVEFF, « Nommer et compter les violences envers les femmes : une première
enquête nationale en France », Populations et Sociétés, n° 364, janvier 2001, p. 3 [En ligne :
https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/18735/pop_et_soc_francais_364.fr.pdf].
134
hommes482. Mais elle ne recense pas la proportion d’hommes victimes de violences par
conjointe ou concubine. La démarche est, en effet, totalement différente. Ce faisant, elle érige
par conséquent la femme en victime toute désignée de violences, que se soit au sein de son
couple ou dans l’espace public (au travail et au sein de la société).
L’enquête successive « Événements de vie et santé » (EVS) réalisée, sur l’année 2005-2006,
par la Direction de la recherche, des études et de l’évaluation scientifique (DRESS) et par
l’INSEE483 présente également quelques lacunes. Cette enquête a pour objectif d’apporter une
meilleure connaissance des implications, en particulier sanitaires, des différents phénomènes
de violences recensés. Certes, contrairement à l’enquête ENVEFF, elle tend à une étude
statistique portant sur l’ensemble de la population, hommes comme femmes. Néanmoins, là
encore, elle demeure très vague s’agissant de l’évaluation exacte de la proportion d’hommes
et de femmes, de dix-huit à soixante-quinze ans, victimes de violences au sein de leur couple.
Pour illustration, quelques exemples de questions posées, aux enquêtés de sexe masculin et
féminin, dans le cadre de cette enquête, peuvent être relevées 484 . Ainsi, s’agissant des
violences verbales, était demandé aux sujets : « Avez-vous été insulté(e), a-t-on proféré à
votre encontre des cris, des menaces verbales, des injures ? ». À propos des violences
psychologiques, la question était la suivante : « Est-il arrivé que quelqu’un émette à votre
propos des critiques injustes, répétées […] ? ». Et ces formulations interrogatives étaient
également particulièrement larges s’agissant des violences sexuelles et physiques. De plus,
l’étude ne comprend pas de catégorie explicite « conjoint » ou « ex-conjoint », mais englobe
ces protagonistes tantôt comme faisant partie de « la famille » ou « des proches » de la
victime, tantôt comme « travaillant » avec elle ou en tant que « personnes connues »485.
Il fallut attendre l’enquête Cadre de vie et sécurité (CVS) menée par l’Organisme national de
la délinquance et l’INSEE, dès 2007, pour que soit donnée une idée – même approximative486
– de la violence commise contre les femmes et les hommes. Elle montre, en effet, que de 2008
à 2014 et par tranche de deux ans, 121 000 hommes se sont déclarés victimes de violences
482
Maryse Jaspard et l’équipe ENVEFF, op. cit.
483
F. Beck, C. Cavalin et F. Maillochon, Violences et santé en France : état des lieux, Paris, La Documentation
Française, 2010, p. 20-21.
484
F. Beck, C. Cavalin et F. Maillochon, Violences et santé en France : état des lieux, op. cit., p. 75.
485
F. Beck, C. Cavalin et F. Maillochon, ibidem, p. 81.
486
Ces résultats sont approximatifs en raison de l’existence d’un chiffre noir de la criminalité particulièrement
marqué quant aux infractions intrafamiliales. Egalement, l’enquête ne cible que les violences conjugales
sexuelles et physiques, à l’exception des violences verbales et psychologiques.
135
physiques ou sexuelles par conjointe ou concubine, alors que 271 000 femmes étaient placées
dans la même situation487. Il est, par conséquent, possible d’avancer que les femmes font plus
souvent l’objet de violences conjugales que les hommes. Cependant, il ne faudrait pas
conclure de ces chiffres que les violences conjugales sont une criminalité sexuée.
Le premier constat de cette étude est que la réalité de l’homme victime de violences est
clairement occultée dans le paysage médiatique, politique et législatif. Ainsi, les campagnes
de sensibilisation contre les violences au sein des couples, prétendant pourtant rompre ce
tabou et lutter contre sa banalisation, s’évertuent à ne considérer que de la femme victime.
Dès lors, si la révolution féministe, qui continue de marquer nos sociétés occidentales, a
permis de faire la lumière sur les injustices faites quotidiennement aux femmes, elle a rejeté a
contrario dans l’ombre celles perpétrées à l’encontre des hommes – faisant naître ainsi, un
« tabou au cœur du tabou »490.
Le deuxième constat réside dans une renonciation des chercheurs à approfondir la
problématique de « l’homme battu », par peur de se voir reprocher une mauvaise
interprétation et définition de la notion de violence. Ainsi, il existe une idée selon la quelle
487
C. Rizk, « Éléments de profil des hommes et des femmes de 18 à 75 ans ayant déclaré avoir été victimes de
violences physiques et sexuelles sur deux ans par conjoint cohabitant. Enquêtes “ Cadre de vie et sécurité ”
Insee-ONDRP de 2008 à 2014 », Repères, n° 31, mars 2016, p. 11, (en ligne) disponible sur le site de l’Institut
national des hautes études de la sécurité de la Justice (Inhesj) :
http://www.inhesj.fr/sites/default/files/reperes_31.pdf.
488
S. Torrent, L’Homme Battu. Un tabou au cœur du Tabou, Québec, Opinion santé, 2001.
489
Pour une explicitation de la méthodologie de recherche, V. S. Torrent, op. cit., p. 151.
490
S. Torrent, ibidem.
136
« les femmes n’agresseraient que pour se défendre »491. La violence de la femme, à l’intérieur
de son couple, est donc conçue uniquement comme une violence par réaction. Le résultat de
cette inertie scientifique réside dans la méconnaissance criante de la réalité et de l’ampleur
des violences conjugales commises à l’encontre des hommes.
Le troisième constat est relatif à l’inconcevabilité sociale de la victimation au masculin. En
effet, outre le caractère privé de la violence conjugale rendant son appréhension complexe, il
faut encore souligner l’existence de préconçus dans l’imaginaire public quant à l’image de
l’homme. Il semble impensable encore aujourd’hui qu’un homme puisse être la proie des abus
physiques, sexuels ou psychiques d’une femme492. Ainsi, les hommes victimes de violences
conjugales – également peu sollicités à s’exprimer – demeurent très discrets sur leur situation
ou leur vécu.
Enfin, la mise en avant d’une violence conjugale commise à l’encontre des femmes par des
hommes donne à penser que cette criminalité est typiquement hétérosexuelle. Pourtant, cette
réalité n’épargne pas les couples homosexuels et lesbiens. Selon la campagne de
sensibilisation et d’information réalisée en 2014 par la Fédération LGBT sur ce thème, 11%
des homosexuels se sont déclarés victimes de violences conjugales au cours de l’année
2013493. D’un point de vue institutionnel, l’existence de ce phénomène est méconnue ou
volontairement ignorée des pouvoirs publics. Sa reconnaissance remettrait en question la
vision purement féminisée de la violence conjugale, et par la même occasion son traitement
juridique.
D’un point de vue plus subjectif, la dénonciation de la violence conjugale homosexuelle
présente une particularité supplémentaire. En effet, elle se déroule dans le huis clos de la
cellule conjugale. Mais, au-delà, par peur du jugement, nombre d’homosexuels tardent à
opérer leur « coming-out », dissimulant ainsi leur orientation sexuelle et leurs relations
sentimentales à leurs proches et aux yeux des instances sociales.
491
S. Torrent, ibidem., p. 20.
492
Sophie Torrent raconte notamment les railleries et interrogations amusées ou moqueuses que son projet de
recherche a pu susciter.
493
Fédération LGBT, Brisons le tabou, Campagne Violences Conjugales LGBT, 28 avril 2014, [En ligne :
http://yagg.com/2014/05/03/agir-une-association-pour-lutter-contre-les-violences-physiques-et-morales-chez-
les-couples-lgbt/].
137
rétablir une parité homme-femme, mais à sens unique. Citons par exemple, l’adoption de la
loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux
violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants. Ce texte
marque, tout d’abord, par son paradoxe. D’un côté, il arbore un intitulé ouvertement partisan
et discriminant. Mais, d’un autre, il dissimule son objectif de protection premier, en
employant des termes ou expressions impersonnels, tels que « la personne victime »494 ou « la
personne en danger »495, ou encore « contre le conjoint, concubin ou partenaire »496.
Citons encore la création d’un Observatoire national des violences faites aux femmes, aux
termes de l’article 29 de la loi de 2010497. Cet Observatoire a pour mission de partager la
connaissance du phénomène de violence faite aux femmes et d’évaluer les réponses qui y sont
apportées. À ce titre, il est chargé de « rassembler, analyser et de diffuser les informations et
données relatives à ce sujet »498. Au-delà ce qui interpelle c’est toujours ce choix affirmé des
autorités de ne traiter de la violence que sous son aspect féminin. De plus, cette sensibilisation
quant aux violences spécifiquement faites aux femmes est largement véhiculée par le biais de
formations en milieu professionnel (article 21) et en milieu scolaire (article 23). Ces
formations ont pour objet de promouvoir une égalité entre les hommes et les femmes, la lutte
contre les préjugés sexistes et la lutte contre les violences faites aux femmes. Également,
auprès des professionnels en contact avec des femmes victimes de violences, elles permettront
de les aider à la détection des signaux de violence, à la prévention de celles-ci et à
l’appréhension de leurs mécanismes499.
494
Art. 515-9 du C. civ. relatif à l’ordonnance de protection. « Lorsque les violences exercées au sein du couple
ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin mettent
en danger la personne qui en est victime, un ou plusieurs enfants, le juge aux affaires familiales peut délivrer en
urgence à cette dernière une ordonnance de protection ».
495
Art. 515-10 du C. civ.
496
Art. 142-12-1 nouv. C. pr. pén. « L'assignation à résidence exécutée sous le régime du placement sous
surveillance électronique mobile peut être ordonnée lorsque la personne est mise en examen pour des violences
ou des menaces, punies d'au moins cinq ans d'emprisonnement, commises :
« 1° Soit contre son conjoint, son concubin ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ; […] ».
497
Le texte prévoit la remise d’un rapport par le Gouvernement au Parlement avant le 31 décembre 2010, en vue
de la création de cet observatoire. Cependant, en pratique, nous remarquons qu’il a fallu attendre le 3 janvier
2013 pour que soit créée une Mission interministérielle de protection des femmes contre les violences et de lutte
contre la traite des êtres humains (MIPROF), qui s’est – elle-même – vue confier cette fonction d’observatoire de
la violence faite aux femmes.
498
Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des
êtres humains (MIPROF), « Violences sexuelles et violences conjugales : combien de victimes ? », La lettre de
l’Observatoire national des violences faites aux femmes, n°1, Novembre 2013, p. 1.
499
G. Geoffroy, Lutte contre les violences faites aux femmes, Rapport n°1799 au nom de la mission d’évaluation
de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, Assemblée Nationale, 7 juillet
2009, p. 143 sq.
138
On le voit, ces propositions lacunaires tendent clairement à la création d’une expertise sur les
violences faites en priorité aux femmes. L’unique résultat de telles propositions d’intervention
à moyen et long terme, sera d’induire une perte considérable de temps dans la résolution des
conflits. En effet, encore aujourd’hui, les associations, les acteurs de justice et les politiques
déplorent l’ampleur de cette criminalité, en dépit des progrès opérés dans le traitement de la
question depuis les années 2000. C’est dire que l’éradication de ce fléau suppose de suivre un
plan d’action particulièrement lent. Dès lors, n’insister que sur la partie émergée, ou
majoritairement observable, de la violence conjugale ne saurait garantir une action en
profondeur contre ce problème. Au contraire, une telle démarche semble aller dans le sens
d’une politique législative de l’urgence, exercée au rythme des faits divers500. Une telle action
d’apparat viserait – semble-t-il – essentiellement à l’obtention de statistiques plus engageantes
quant au recul de ce phénomène criminel par trop visible.
Pourtant, une meilleure connaissance de la violence conjugale faite aux hommes serait
bénéfique à la compréhension et au traitement du phénomène criminel d’une part. Et
Catherine Ménabé de dire que « la violence conjugale est le fait des deux sexes, les victimes
des deux sexes doivent donc être à égalité face au système judiciaire et bénéficier de la même
protection de la société »501. Mais également, d’autre part, elle aiderait à mieux lutter contre
les violences conjugales faites aux femmes précisément. En effet, cela permettrait d’obtenir
une vue d’ensemble de cette criminalité, de comprendre la relation homme/femme, les enjeux,
déséquilibres et pouvoirs en présence dans la relation conjugale. Il convient de bien
comprendre que la violence conjugale ne se réduit pas à l’ascendant d’un homme sur une
femme, mais à un mécanisme d’emprise instauré entre deux individus engagés dans une
relation amoureuse. Par conséquent, cette emprise peut être exercée aussi bien par un homme
à l’égard d’une femme, que par une femme à l’égard d’un homme, ou entre deux personnes
du même sexe.
C’est donc à partir du seul critère d’emprise, qu’il conviendrait de penser la réponse pénale.
L’institut national d’études démographiques (Ined) s’est, dès lors, proposé de mener une
enquête nommée « VIRAGE », sur un échantillon de 35 000 enquêtés (17 500 femmes et 17
500 hommes), âgés de 20 à 69 ans. Cette enquête doit permettre d’approfondir l’état actuel
500
V. sur l’opportunisme législatif, infra, n° 339 et s.
501
C. Ménabé, « Les hommes victimes de violences conjugales », Actes du Colloque, SOS « Hommes battus »,
Paris, 19 novembre 2012, (en ligne) :
https://fr.scribd.com/doc/114156442?secret_password=dauwu6chvuoi9d6e4v1.
139
des savoirs sur les violences faites aux femmes, mais aussi aux hommes. Elle tendra à préciser
ainsi les spécificités de la victimation masculine par rapport à la victimation féminine déjà
bien connue502.
117. Le jeune âge des partenaires. – Les différentes études menées sur le sujet montrent
que le jeune âge des partenaires est propice aux situations de violences. En effet, selon
l’enquête « Cadre de vie et sécurité », l’âge de la victime et de son conjoint ont une incidence
sur les taux de violence relevés. Ainsi, lorsque la victime ou son conjoint, ou les deux, ont
entre dix-huit et vingt-quatre ans, la proportion des violences est plus importante, soit de 35,3
‰. A contrario, lorsque la victime est âgée de soixante-cinq à soixante quinze ans, on
s’aperçoit que ce taux diminue considérablement. Ainsi, seules huit femmes de cette tranche
d’âge sur mille ont déclaré avoir été victimes de violences physiques ou sexuelles, par
conjoint cohabitant, de 2008 à 2014. Cette forte part de victimes chez la jeune population peut
s’expliquer assez aisément par un manque de maturité. D’ailleurs, pour la plupart des victimes
interrogées, on constate que la première relation violente coïncide aussi avec un premier
amour ou un amour de jeunesse. Souvent, les victimes confondront passion fusionnelle et
violence chronique.
502
Cette étude étant en cours d’analyse, ses résultats seront publiés en 2016-2017, V. Mission interministérielle
pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains, « Violences
sexuelles et violences conjugales : combien de victimes ? », La lettre de l’Observatoire national des violences
faites aux femmes, n°1, Novembre 2013, p. 8.
503
V. infra, n° 137 et s.
504
G. Geoffroy, Lutte contre les violences faites aux femmes, Rapport n°1799 au nom de la mission d’évaluation
de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, Assemblée Nationale, 7 juillet
2009, p. 174.
140
Par ailleurs, l’écart d’âge existant entre la victime et son conjoint compte également. Il a dès
lors été relevé que, le taux des violences intraconjugales était plus élevé lorsque le conjoint de
la victime était plus âgé qu’elle. Ainsi, alors que la part de femmes victimes de violences
physiques ou sexuelles (en couple avec des partenaires du même âge) est de 17,8‰,
lorsqu’elles ont entre vingt-cinq et trente-quatre ans, celle-ci passe à 27,5‰, lorsque leur
conjoint est âgé de trente-cinq à quarante-quatre ans. Ces chiffres sont éloquents et se
vérifient dans le cas de Julie, par exemple, dont l’agresseur était âgé de dix ans de plus
qu’elle505. Cette attirance des victimes par des partenaires plus âgés est souvent inconsciente.
Elles y associent généralement une certaine maturité ou un certain charisme de l’être aimé.
Cela peut ainsi les conduire à lui céder plus facilement des rôles d’autorité ou de protection,
au sein du foyer. En revanche, de telles observations ne sont pas immuables et doivent être
nuancées. Face à la fragilité des relations conjugales et à la multiplication des nouvelles
rencontres, il n’est pas rare qu’une femme plus âgée – jusqu’alors en ménage stable – soit
victime d’un premier passage à l’acte après soixante ans. Le cas de Sandrine en atteste506.
Sandrine est une femme âgée de soixante ans au moment des faits. Elle est divorcée. Elle
n’avait jamais subi de violences dans son couple auparavant. Elle fait la connaissance d’un
homme de nationalité sénégalaise sur Internet. L’intéressé vient en France. Sandrine et lui
réalisent toutes les démarches nécessaires afin qu’il obtienne son titre de séjour. Elle dit avoir
retrouvé une seconde jeunesse à cette époque et que son amant était particulièrement
attentionné. Pourtant, dès l’obtention dudit titre, ce dernier a commencé à lui infliger des
violences physiques.
505
V., supra, n° 95.
506
Entretien victime, Association d’aide aux victimes d’infractions pénales, Montpellier, 2 juin 2016.
507
Pour un approfondissement, V. F. Math et D. Desor, Comprendre la violence des enfants. L’apport des
neurosciences, Paris, Dunod, 2015, p. 145 sq.
141
d’éclations d’injures à l’égard d’autrui. Dans ces deux cas, en cas de crises, ces sujets peuvent
adopter des comportements agressifs, anxieux, dépressifs voire violents – vis-à-vis de leur
propre personnes (mutilations) ou de leurs proches (parents, amis ou plus tard de leurs
partenaires). Ces altérations cérébrales se distinguent d’un côté de la démence. Cette dernière
influe en effet sur plusieurs dimensions cognitives, qu’il s’agisse du jugement de la capacité
de jugement, de mémoire, de langage, voire de certaines capacités motrices parfois. Dans ce
cas de figure, le discernement est donc totalement aboli. Mais, elles se distinguent d’un autre
côté des troubles déficitaires de l’attention (TDAH), qui ne sont pas considérés comme des
maladies, mais comme un état neurologique508. Dès lors, au regard de la responsabilité de
l’auteur de violences conjugales, atteint d’une altération génétique de la neurogenèse, se pose
la question de la simple altération de son discernement ou de l’abolition totale de celui-ci ?
L’article 122-1 alinéa 1 du code pénal prévoit qu’est irresponsable pénalement, la personne
qui est atteinte d’un trouble psychique ou neuropsychique, ayant aboli son discernement et le
contrôle de ses actes, au moment de l’acte. Cependant, en vertu de l’alinéa 2 du même texte,
lorsque ce trouble n’aura causé qu’une altération du discernement de l’intéressé, sa
responsabilité pénale restera engagée. Souvent, le juge peut rencontrer certaines difficultés
d’interprétation quant aux effets réels de certains troubles, sur le discernement509.
Dans le cas de l’autisme et du syndrome de Gilles de la Tourette, compte tenu des
conséquences de ces maladies sur le fonctionnement cérébral de l’individu510, il conviendrait
de retenir qu’il n’est pas pénalement responsable pour les violences physiques ou verbales
qu’il commettrait lors d’une crise. En effet, au moment des faits, il ne dispose pas de toutes
ses facultés de contrôle ou de jugement. Cependant, dans le cas où les violences
surviendraient en dehors de ces crises, il semble que les juges pénaux retiennent une altération
du discernement ayant simplement pour effet d’atténuer la peine prononcée511.
Le deuxième cas est celui de la consommation d’alcool ou de substances illicites. Dans cette
hypothèse, bien que la prise de ces produits puissent entraîner une abolition du discernement,
508
F. Math et D. Desor, op. cit. , p. 150.
509
Il incombe au juge d’apprécier l’étendue du trouble du malade. Pour ce faire, il fera souvent appel à
l’expertise judiciaire. Toutefois, l’expert ne juge pas d’un état d’abolition ou d’altération présent, mais passé.
Cela complique sa tâche et soumet inévitablement son diagnostic à un risque d’erreur. Pourtant, dans la plupart
des cas, le juge s’en remettra à l’avis des psychiatres et médecins.
510
Il arrive que suite à une crise de colère, le sujet atteint du syndrome de Gilles de la Tourette n’ait plus le
souvenir de ses actes, V. F. Math et D. Desor, op. cit.
511
Ainsi, les juges correctionnels ont retenu contre le concubin d’Elodie, atteint du syndrome de Gilles de la
Tourette, une peine de dix-huit mois d’emprisonnement avec mandat de dépôt, V. pour le témoignage de la
victime, supra, n° 110.
142
dans le cas notamment où l’auteur les a consommé en vue de commettre les infractions, sa
responsabilité demeure engagée. Dans le cadre des violences conjugales, l’alcool est souvent
le déclencheur du passage à l’acte et participe pleinement, pour le conjoint violent, d’un
véritable rituel de violence.
512
V. supra, n° 113 in fine.
513
Depuis la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité
des sanctions pénales, l’alinéa 2 de l’article 122-1 prévoit que « si est encourue une peine privative de liberté,
celle-ci est réduite du tiers ou, en cas de crime puni de la réclusion criminelle ou de la détention criminelle à
perpétuité, est ramenée à trente an ».
514
J. Siebel Newsom, « The Mask you live in », Documentaire, Etats-Unis, 2015. Ce documentaire
particulièrement intéressant va au cœur des stéréotypes liés à la masculinité dans la société américaine, en se
basant sur des interviews d’universitaires et d’experts. Il se propose ainsi de poser les prémices d’une éducation
plus saine et équilibrée des générations futures d’hommes. Les observations de ce reportage sont transposables à
la société française.
143
victime. Dès lors, ces violences sont banalisées voire mythifiées ou stigmatisées. Une des
raisons de cette incompréhension générale est que les couples gangrénés par cette dernière
sont perçus comme marginaux, atypiques et à risques. Ainsi, nombreux sont ceux qui
s’estiment préservés de ce fléau, tant cette violence semble éloignée de leurs réalités socio-
culturelles et de leurs modèles éducatifs. Cette violence est donc considérée comme
n’atteignant qu’une certaine catégories de citoyens.
On remarque d’ailleurs à travers les différents discours tenus sur le sujet, que les membres des
autorités normatives ou exécutives mêmes, qui entendent apporter des solutions à ces
violences, parviennent encore mal à percer à jour le mystère de ce phénomène. Or, le plus
grand écueil serait de considérer la relation amoureuse empreinte de violences comme
diamétralement opposée à une relation amoureuse classique. En effet, dans les deux cas, ces
relations se fondent initialement sur des sentiments amoureux. C’est bien parce qu’elle est
amoureuse que la victime a du mal à tracer la limite entre témoignages d’amour ou simples
traits de caractères et véritables prémices de la violence. Cela peut ainsi la conduire à
assimiler la jalousie de son compagnon à de la passion. C’est encore parce qu’elle en est
amoureuse, qu’elle pense pouvoir l’aider et provoquer chez lui un changement.
De plus, même au sein d’une relation saine, certaines caractéristiques observées
précédemment s’agissant des violences conjugales, peuvent se dégager. Elles s’exprimeront
simplement de manière plus convenue, plus tacite ou à faible intensité. Il peut arriver, en
effet, qu’un conjoint exerce sur l’autre, un certain ascendant, de par sa personnalité et son
charisme, son milieu socioprofessionnel, ou de sa position salariale.
Il ne faudrait pas perdre de vue, en outre, que l’élément essentiel de ces relations violentes,
comme toutes relations amoureuses saines, demeure la séduction. Une fois ce postulat
préalable intégré, l’on comprend que toute personne charmée par une autre puisse
potentiellement être confrontée à une relation amoureuse dysfonctionnelle.
Par ailleurs, c’est précisément parce qu’elles se déroulent dans l’espace très particulier du
couple, que ces violences présentent cette complexité. Nous pensons ici, à l’hypothèse de
violences conjugales réciproques, notamment s’agissant de « violences situationnelles ou
interactives » 515 ou de couples dits pathologiques ou chroniques. Dans ces situations
conjugales toxiques, c’est la relation conjugale elle-même qui constitue le terreau accélérateur
515
E. Badinter, « La vérité sur les violences conjugales », L’express, 20 juin 2005.
144
et amplificateur de violence. Ainsi, attaques violentes et violences défensives ou
réactionnelles s’alternent, se répondent et se déclenchent mutuellement. Deux circonstances
peuvent conduire à ce résultat. Il peut s’agir soit d’un membre du couple qui va se défendre
face aux coups ou aux dires de l’autre conjoint, soit d’une emprise réciproque où chacun des
partenaires tentent d’exercer un contrôle sur l’autre et d’imposer son autorité.
121. Deux grands profils criminologiques doivent être abordés ici. Le premier est celui du
conjoint violent (a), le deuxième celui du conjoint victime (b). Mais, il arrive également
comme nous le verrons, qu’un même membre du couple soit à la fois auteur et victime de ces
violences516. À l’intérieur de ces deux profils, il convient de distinguer les particularités
féminines et masculines.
122. Des procédés différents entre hommes et femme. – Le modus operandi du conjoint
auteur de violences diffère en fonction qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme.
516
Nous pensons notemment à la femme victime depuis plusieurs années des violences de son époux qui en
arrive à commettre un meurtre, mais également, à l’homme battu qui infligerait des violences à sa compagne
pour tenter de la canaliser, V. supra, n° 132 et 149.
517
M. Lasbats, « Les violences conjugales : aspects psychologiques », AJ. pén. 2011.182, spéc. p. 184.
518
Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des
êtres humains, « Violences sexuelles et violences conjugales », La lettre de l’Observatoire national des
violences faites aux femmes, n°1, novembre 2013, p. 2.
519
C. Llor, psychologue de l’Association d’aide aux victimes d’infractions pénales, Propos recueillis,
Montpellier, 9 octobre 2015.
145
De manière générale, deux structures psychopathologiques sont observées, chez les auteurs de
violences conjugales masculins520. Premièrement, les auteurs à la structure névrotique. Ce
sont souvent des hommes exposés, dès l’enfance, à la violence directe de leurs pères ou
beaux-pères ou ayant évolué dans un climat familial violent (violences conjugales des
parents). Aussi, ont-ils intériorisé ce schéma d’interactions comme normal et légitime. Toute
communication ou apprentissage passe par la sanction, la correction521. Il peut encore s’agir
d’individus en proie à des carences affectives, dès la petite enfance522 (en raison de liens
mère-enfant troublés523) ou à des carences éducatives (une mauvaise assimilation des lois, de
l’ordre et de l’autorité). Chez ces individus, la relation amoureuse est véritablement un facteur
à risque, car ils ont des difficultés à « gérer, apprivoiser tous les ingrédients pour vivre
heureux ou simplement agréablement en couple » 524 . Aussi, sont-ils plus sensibles aux
dérapages à caractère violent, liés à des tensions inhérentes à la vie de couple. L’expérience
de l’intimité représente donc pour eux un défi. Pourtant, on remarque que ces auteurs sont de
véritables « boulimiques des relations » (moins de deux ans entre chaque relation
sentimentale)525.
Une étude par imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle (IRMf)526 – diligentée par
l’Université de Grenade, en Espagne – a démontré que les auteurs de violence intime contre
conjoint présentaient des particularités cérébrales, par rapport aux autres criminels. En effet,
521
C. Llor, psychologue de l’Association d’aide aux victimes d’infractions pénales, Propos recueillis,
Montpellier., le 9 octobre 2015.
522
M. Lasbats, op. cit., spéc. p. 186.
523
Donald Wood Winnicott, pédiatre et psychanalyste, différenciait dans la relation de la mère à l’infans, le
« holding » du « handling ». Le holding renvoie aux soins et à la sécurité affective que la mère apporte à son
enfant, et aboutissant à terme à valoriser chez lui un sentiment d’exister et une conscience du « self ». Le
handling désigne la manière dont la mère va manipuler et contenir son enfant, celle-ci ayant des répercussions
sur sa construction mentale, V. J.-P. Lehmann, « Holding et Handling », in La clinique analytique de Winnicott,
Toulouse, ERES, 2007, p. 170-206 ; Mireille Labats précisait que l’auteur des violences domestiques aura lui-
même souffert d’une défaillance du handling et du holding.
524
R. Coutanceau, « Violences conjugales et société », in Violence et famille. Comprendre pour prévenir, Paris,
Dunod, 2011, p. 83.
525
J. Saint-Clément, directeur de la Caisse d’allocation familiales de Guadeloupe, Propos recueillis le 28 mai
2015, Guadeloupe ; A. Fraud, juriste de l’association d’aide aux victimes d’infractions pénales, Propos recueillis
le 9 octobre 2015, Montpellier.
526
N. Bueso-Izquierdo, J. Verdejo-Roman, O. Contreras-Rodriguez, M. Carmona-Perera, M. Pérez-Garcia, N.
Hidalgo-Ruzzante, « Are batterers different from other criminals ?. An fMRI study », Social Cognitive and
Affective Neuriscience, n°11, passim, [En ligne :
https://www.researchgate.net/publication/294919618_Are_batterers_different_from_other_criminals_An_fMRI_
study]. Cette étude par neuro-imagerie est basée sur la comparaison de vingt-et-un conjoints masculins violents
par rapport à vingt autres criminels. L’objectif était alors de comprendre le fonctionnement du cerveau des
agresseurs conjugaux, lorsque ceux-ci sont exposés à des images de violence du partenaire intime (VPI) ou des
images de violences autres. Les résultats de cette étude montrent une activité neurovasculaire plus élevée – chez
ces agresseurs que chez les autres délinquants – dans le cortex cingulaire antérieur, postérieur et dans le cortex
préfrontal médian.
146
cette étude met en évidence une obsession de ces hommes pour leur conjointe ou concubine,
ainsi qu’une difficulté à la régulation des émotions. Ces sujets éprouvent des bouffées de rage
et d’angoisse et souffrent souvent d’une peur pathologique de l’abandon. D’ailleurs, dans la
plupart des cas, on constate que ces hommes ont des « personnalités socialement
normées »527. Ils présentent, en effet, une bonne adaptabilité au travail et ont une vie sociale
normale en dehors du foyer. Ainsi, pour illustration, l’époux de Sara ne commençait à
s’alcooliser qu’une fois avoir quitté son lieu de travail528. Par ailleurs, on remarque chez ces
agents une tendance à rationaliser leur comportement violent comme une réponse apportée à
un comportement précis de la victime. Il peut s’agir de « simples regards, gestes,
mouvements, attitudes ou de paroles qui sont chargés – du moins aux yeux du conjoint
violent – d’une valeur de détonateur »529. Dès lors, ils vivent la victime comme leur propre
agresseur, probablement en écho à leur vécu personnel. Ainsi, par mimétisme de sa propre
histoire, l’auteur va venir remettre de la justice, là où lui même a subi une injustice. Selon
Cécilia LLor, « il faut bien comprendre qu’il y a un aspect libérateur et thérapeutique du
passage à l’acte. C’est ce qui va permettre de libérer la tension interne de l’auteur, qui est
intrinsèquement violent »530.
527
M. Lasbats, op. cit., p. 186.
528
V. supra, n° 110.
529
R. Perrone et M. Nannini, Violences et abus sexuels dans la famille. Une vision systématique de conduites
sociales violentes, 5e éd., Paris, ESF, 2012, p. 50.
530
C. Llor, psychologue de l’Association d’aide aux victimes d’infractions pénales, Propos recueillis le 9 octobre
2015, Montpellier. Selon elle, l’auteur vient rejouer ce qui a été de son propre traumatisme pour évacuer le mal.
Il est alors dans la « névrose traumatique ».
531
C. Llor, op. cit.
532
P. Bouzat et J. Pinatel, Traité de droit pénal et de criminologie, Tome 3, Criminologie, 3e éd., Librairie
Dalloz, 1975, n° 379, p. 677.
147
un amour de soi, une tendance à la haine ou la vengeance et le mépris de l’autre (de la valeur
de sa vie ou de son bien-être)533.
Cependant, c’est une autre classification des profils criminologiques des auteurs de violences,
qui retiendra plus spécifiquement notre attention. En effet, pour sa part, Roland Coutanceau,
psychiatre, expert national et président de la Ligue française de santé mentale propose de
sortir des sentiers battus et des typologies psychopathologiques définies. Ainsi, dépassant le
profil du pervers narcissique régulièrement galvaudé ou exagéré, il constate que les profils
d’agresseurs oscillent souvent entre immaturité et égocentrisme. Aussi, différencie-t-il trois
personnalités criminelles534, qui viennent en confirmation de nos observations empiriques.
Les « profils immaturo-névrotiques », d’une part, qui sont essentiellement immatures. Les
« profils immaturo-égocentriques » chez lesquels, égocentrisme et immaturité sont
équitablement mêlés. Enfin, les « profils immaturo-pervers » qui renvoient à des auteurs à
prévalence très égocentrique, avec une immaturité secondaire masquée par une « boursouflure
égocentrique ». Cette classification présente l’avantage de sa précision. Elle est, en effet, plus
personnalisée que la précédente. Elle permet ainsi de faire la lumière sur certains de nos
questionnements, s’agissant du rapport à la loi des différents auteurs de violences conjugales
et de leur état d’esprit post passage à l’acte.
533
P. Bouzat et J. Pinatel, op. cit.
534
R. Coutanceau, « Violences conjugales et société », op. cit., p. 84.
535
R. Coutanceau, « Évaluation et prise en charge du conjoint violent », in Violence et famille. Comprendre pour
prévenir, Paris, Dunod, 2011, p. 127 sq.
148
causés à sa victime. Ayant accepté ses propres traumatismes et son propre statut de victime,
ce sujet pourra aisément faire l’objet d’une prise en charge thérapeutique536.
536
Audience en comparution immédiate, Tribunal de Grande instance de Montpellier, 25 avril 2016. Le
concubin de Catherine, âgé de trente-et-un ans, réside depuis la rupture du couple à Paris, alors que son ex-
concubine vit à Lunel avec leur petite fille. Inquiet pour son enfant, dont il n’a pas de nouvelles, il rend visite à
la mère par surprise. C’est à ce moment qu’éclate la scène de violence (bousculades violentes, diverses
dégradations matérielles). À l’audience de comparution immédiate, le prévenu est en pleurs et s’excuse auprès
de son ex-femme et de sa fille. Il est décrit par l’avocat de la défense comme un primo-délinquant ayant eu de
mauvaises fréquentations entre ses dix-sept et vingt-deux ans.
537
R. Coutanceau, « Évaluation et prise en charge du conjoint violent », op. cit.
538
Audience en comparution immédiate, Tribunal de Grande instance de Montpellier, 2 juin 2016. Le concubin
d’Elodie est atteint du Syndrome de Gilles de la Tourette. Il justifie sa violence par cette maladie et déclare avoir
besoin d’une assistance médicale régulière. Pourtant, il se soustrait volontairement à l’obligation judiciaire de
soin prononcée à son égard. De plus, à l’audience de comparution immédiate, il ne reconnaît que partiellement
les faits qui lui sont reprochés et minimise sa responsabilité : « je ne l’ai pas frappé fort ». Il accuse sa
concubine de vouloir l’ « enfoncer » pour le renvoyer en prison.
539
R. Coutanceau, « Évaluation et prise en charge du conjoint violent », ibidem.
540
C’est clairement le cas du conjoint de Nadia. Les scènes de violence sont ritualisées. Cinq jours sur sept, au
sortir du travail, l’auteur fait le tour de la maison, un mouchoir blanc à la main. Si le mouchoir en ressort sale, il
débute un compte à rebours : « je te défonce dans deux heures …dans une heure …dans dix minutes ». Il ferme
les rideaux, ferme la porte à clé, puis commence à tester les réflexes de sa compagne, tel un boxeur. Si la victime
se protège, il lui inflige des claques et des coups de poings, jusqu’à ce qu’elle saigne. Une fois terminé, il va se
laver et ordonne à la victime de ranger et de préparer ses excuses…, Propos de victime de violences conjugales
recueillis par O. Delacroix, V. O. Delacroix, « Les femmes en très grand danger », Dans les yeux d’Olivier,
France 2, 23 septembre 2015.
149
125. La femme violente. – La criminalité au féminin est encore très mal connue des
psychologues, psychiatres, scientifiques et criminologues. On s’accorde, dans tous les cas, à
dire que cette criminalité demeure infime comparée à celle des hommes.
541
C. Lombroso et G. Ferrero, La femme criminelle et la prostituée, trad. L. Meille, Paris, Felix Alcan, 1896, p.
85-164 sq. De plus, selon les auteurs, la criminalité féminine serait moins développée que la criminalité de
l’homme, en raison du manque d’ingéniosité de la femme, de son infériorité physique et intellectuelle par rapport
à l’homme.
542
G. Tarde, La criminologie comparée, Paris, Felix Alcan, 1886, passim.
543
H. Joly, La France criminelle, Paris, Léopold Cerf, 1889, p. 399.
544
Pour un aperçu chronologiques des différentes thèses relatives à la criminalité féminine, V. C. Bellard, Les
crimes au féminin, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 18 sq.
545
R. Cario, La criminalité des femmes. Approche différentielle, Thèse de doctorat, Pau, 1985, passim.
546
R. Cario, op. cit., p. 345.
547
C. Bellard, Les crimes au féminin, Paris, L’Harmattan, 2010, passim.
150
françaises ou non, condamnées par une Cour d’assises (métropolitaines ou d’Outre-Mer), à
des peines de réclusions criminelles. Ainsi, à partir de 145 dossiers pénaux548 et de 1137
articles de presses, l’auteur a su rendre compte de la personnalité de ces femmes et de leur
ancrage familial et social. Bien que cette enquête ne porte pas directement sur les violences
conjugales exercées par conjointe ou concubine, elle permet sans aucun doute d’en fournir
une certaine représentation, car il appert que la proximité affective entre la femme et sa
victime constitue un élément caractéristique de la criminalité féminine549. En effet, dans la
majorité des cas (les trois quarts), la femme se montre agressive envers les membres de son
foyer (conjoint ou enfants). Par ailleurs, Gysèle Bellard dépeint le portrait d’une femme
criminelle, somme toute, conventionnelle. Dès le départ du nid familial, elle se met en couple
jeune et s’installe rapidement avec son conjoint ou concubin. Elle est âgée de vingt-six à
quarante cinq ans et est presque toujours mère (quatre femmes sur cinq)550. Elle n’a en
moyenne que deux enfants, ce qui rejoint la moyenne nationale de 2,0 enfants par femme551.
Socialement, elle n’est pas désaffiliée, elle a une activité professionnelle, mais peut connaître
une certaine précarité. Il peut s’agir de « la voisine de pallier, la collègue de travail, la
parente d’élève … »552. Ce visage de la femme criminelle détonne avec l’image fantasmée
que l’on se fait de la criminalité féminine.
Cependant, cette normalité dissimule une personnalité carencée et certaines fragilités, selon
les résultats de cette étude. D’une part, la majorité des femmes criminelles proviendraient de
familles dissociées et auraient connu une période de rupture avec celles-ci – soit en raison
d’un placement en structure par les services sociaux, soit en raison d’un accueil par un
membre de la famille élargie (une femme sur dix). D’autre part, la délinquante souffre d’un
manque de confiance en soi et est souvent dépendante sur un plan affectif. Ceci peut d’ailleurs
expliquer qu’elle quitte le joug parental très jeune, pour se placer sous la protection du
conjoint. En outre, l’auteur fait le constat d’un passé de violence dans l’enfance de la femme.
En effet, une criminelle sur cinq aurait été victime de violences physiques et sexuelles,
majoritairement de la part d’un ascendant ou d’un beau-parent (beau-père essentiellement)553.
Souvent, ces actes de violence antérieurs n’auront été ni poursuivis, ni condamnés, et la
548
Les dossiers pénaux consultés sont ceux de la Direction interrégionales des services pénitentiaires de Lille, et
des établissements de Bapaume et de Joux-la-Ville.
549
C. Bellard, op. cit. p. 71.
550
Ce constat contredit clairement la position des thèses déterministes.
551
V. supra, sur l’histoire de la famille, n° 16.
552
C. Bellard, ibidem., p. 77.
553
C. Bellard, ibidem, p. 77.
151
femme victime se sera heurtée à la passivité ou l’incrédulité de sa mère. Enfin, s’agissant du
profil criminologique de la délinquante – tout comme l’homme agresseur – sa personnalité est
caractérisée par une grande immaturité (une détenue sur trois). On retrouve également chez
ces sujets, une propension égocentrique et narcissique (une femme sur six). Elles sont, à part
égale, manipulatrices avec une tendance à la mythomanie. Dans une moindre proportion,
certaines montrent une certaine froideur et une indifférence face aux actes commis (15% des
cas).
126. Quid d’une spécificité du processus criminel chez la conjointe violente. – Certains
chercheurs notent que la criminalité de la femme vis-à-vis de son conjoint présente une
spécificité. Elle serait, en effet, davantage centrée sur des agressions verbales et des pressions
psychologiques (chantage, harcèlement conjugal et menaces) 554 . Ainsi, Mireille Labats,
professionnelle au contact du couple, précise que « les femmes usent d’autres types de
“violence” plus subtile, moins voyante, mais parfois tout autant destructrice »555. Ici, on le
voit, la présence de guillemets encadrant le terme de violence, est révélatrice d’un certain
scepticisme quant à la capacité même de la femme à infliger des violences à son conjoint.
Pourtant, aujourd’hui aucune étude ou enquête ne permet d’affirmer – avec fiabilité – que les
procédés de violences employés par les femmes seraient différents de ceux des hommes, ni
d’ailleurs que la femme aurait davantage recours à une violence d’ordre psychologique556. La
seule certitude acquise actuellement c’est que la femme est capable de commettre à l’encontre
de son conjoint ou concubin, tant des violences morales que des violences physiques, toute
proportion mise à part. Ainsi, s’agissant du processus des violences, les chercheurs constatent
– à l’instar de la violence masculine – une gradation des violences infligées par la conjointe.
En effet, elles s’intensifieront également au fil de la relation et évolueront de comportements
verbaux et psychologiques vers des comportements agressifs, directs et corporels557. De
même, s’agissant de l’intensité des violences exercées, elle est similaire chez la femme et
chez l’homme. Ainsi, les violences psychologiques en provenance de la femme consisteront,
par exemple, à des chantages au suicide ou des menaces de ne plus voir les enfants communs,
554
C. Ménabé, La criminalité féminine, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 59, n°38.
G. Lopez, « La violence dans le couple : aspects psychologiques », AJ. fam. 2003. 416 ; M. Lasbats, « Les
violences conjugales : aspects psychologiques », AJ. pen. 2001.182.
555
M. Lasbats, ibidem., p. 182.
556
C. Ménabé, op. cit., p. 62, n° 41.
557
S. Torrent, L’Homme Battu. Un tabou au cœur du Tabou, Québec, Opinion santé, 2001, p. 35.
152
afin d’entraîner chez le conjoint une culpabilité ou obtenir de lui un comportement
déterminé558. S’agissant des violences physiques, elles seront fréquemment administrées à
l’aide d’objets divers (couteau, rouleau à pâte, tabouret, couverts) projetés en direction de la
victime559. Mais, il peut également s’agir de véritables coups560. À ce propos, l’association
« SOS Hommes battus » estimait qu’en 2010-2012, 87% des hommes avaient essuyé des jets
d’objets, 51% avaient reçu des coups avec arme par destination (bouteille), 16% avaient subi
des morsures. Elle relevait encore l’administration de coups de poing (7%), de coups de
couteau (2%) et de jets de liquides bouillants (1%). Il arrive même qu’elles exigent des
enfants qu’ils prennent part aux scènes de violence contre le père561. Nous sommes donc bien
loin de l’image faussement répandue de la « femme empoisonneuse »562. Il semblerait bien au
contraire que la femme criminelle use – par ordre de préférence – d’arme blanche, d’arme à
feu, de strangulations, puis seulement en dernière position de poison563.
En outre, la femme peut être l’auteur de violences sexuelles à l’égard de son conjoint. Le viol
nécessitant pour sa caractérisation une pénétration564, ces violences ne pourront être qualifiées
que d’agressions sexuelles commises par violence, contrainte, menace ou surprise565. Ainsi,
prennent-elles souvent la forme d’ « actes d’amour-réparations » et de relations sexuelles
imposées par menaces contre l’homme ou les enfants du couple (« Si tu ne me fais pas
l’amour, je te tue … »)566.
558
Ces violences représenteraient 54% des violences exercées par la femme, V. Hommes battus, Les hommes
victimes de violences conjugales et leur compagne violente 2010-2012, Colloque, Paris, 19 novembre 2012, (en
ligne) : https://fr.scribd.com/doc/114156475?secret_password=20h3645e6svtxsvu79ue..
559
S. Torrent, op. cit., p. 38.
560
S. Torrent, ibidem.,p. 38. Des coups de tête, par exemple.
561
SOS Hommes battus, Les hommes victimes de violences conjugales et leur compagne violente 2010-2012,
op. cit.
562
C. Ménabé, ibidem, p. 120-125.
563
C. Bellard, ibidem, p. 42.
564
V. pour une critique, supra, n°96.
565
V. supra, n° 95.
566
S. Torrent, ibidem.
153
inopinée et les sessions de violences sont inattendues. Il s’agit alors davantage d’ « une
décharge d’adrénaline »567 durant laquelle la femme perd momentanément tout contrôle.
127. La femme victime, une absence de profil type. – De prime abord, il n’existe pas de
profil type de femmes victimes de violences conjugales. D’un point de vue
psychothérapeutique, toutes les femmes peuvent en être victimes. Naturellement, la femme
qui aura été élevée – dès son enfance – dans un environnement familial conflictuel, aura peut-
être un terrain plus propice à la revictimisation. Cela s’explique, notamment, par le fait que la
femme aura déjà été le thérapeute d’un de ses parents ou des deux, ou qu’elle aura été en
position de sauver quelque chose de la famille. Mais ce peut être également une exposition
précoce de la femme à la violence de personnes de son entourage direct ou plus lointain.
Ainsi, elle se méfiera moins d’un homme au profil violent568.
Mais à l’opposé, la femme peut également avoir grandi dans un environnement familial sain
et extrêmement favorisant, au sein duquel prédominaient amour et affection. Pourtant, elle
peut basculer dans l’extrême opposé, précisément parce qu’elle est foncièrement bonne. Elles
croient en une faculté de l’être humain à l’amélioration et au changement et pensent pouvoir
résoudre les aspérités douloureuses du passé de leur conjoint.
128. Une absence de milieu socioprofessionnel, propice aux violences. – Aucune strate
de la société n’est épargnée par le phénomène. Grâce aux différents dossiers consultés et aux
témoignages de victimes rencontrées, nous avons pu relever que la femme victime pouvait
être autant coiffeuse, qu’agent d’entretien, aide soignante, enseignante, directrice de SPA,
histologue569 ou encore épouse d’un ancien directeur des renseignements généraux ou d’un
maître de conférences. Ce constat empirique est encore confirmé par l’étude de Marylène
Lieber sur les violences faites aux femmes. L’auteur précisait en effet que « les violences
conjugales traversent tous les milieux sociaux et […] leurs fréquences n’ont pas de relation
567
S. Torrent, ibidem, p. 36 ; C. Bellard, ibidem, p. 70.
568
Selon Julie, « depuis toute petite, je vois les hommes de mon entourage perdre leur sang froid sous l’effet de
l’alcool, dans les bars, chez les amis de la famille. Pour moi, c’était normal. C’était des hommes violents dans
leurs paroles ou même dans leurs actes et gestes, sans forcément battre leurs femmes. La première fois qu’il m’a
battue, je me suis dis “il est comme les autres”. Mais comme je sais gérer ça … », V. O. Delacroix, ibidem.
569
L’histologie est l’étude de la formation des tissus des êtres humains.
154
directe avec le niveau de vie de formation ou la catégorie professionnelle et sociale de la
femme ou de son conjoint »570.
Toutefois, le statut social de la victime peut avoir des conséquences quant à la dénonciation
des faits de violences. En effet, certaines femmes à la tête de professions à fortes
responsabilités (cadres, dirigeantes, entrepreneurs, politiques …) peuvent être amenées à taire
le calvaire quotidien qu’elles vivent au domicile, par peur du regard et du jugement d’autrui.
Cela est encore vrai pour les femmes publiquement connues571.
De même, la profession même du conjoint violent peut paralyser toute tentative de départ de
la femme. Tel est le cas, notamment, de la femme dont l’époux est directeur des
renseignements généraux ou agent de police. Les compétences d’enquêteurs et le réseau
étendu de ces hommes amenuisent, en effet, considérablement les chances de fuite de la
victime.
129. Le constat d’une faille affective. – Il est vrai que la victime ne souffre pas de
pathologie particulière ou ne provient pas d’un groupe social déterminé, comme nous venons
de le préciser. En revanche, cela pose la question de savoir les raisons qui poussent certaines
femmes à se rebeller dès le premier passage à l’acte violent, quand d’autres persisteront dans
la relation ? Aussi, remarquons-nous que la victime de violence présente presque toujours une
faille ou une vulnérabilité affective, intrinsèque ou seulement momentanée. Cette carence
peut-être due, par exemple, à une éducation parentale – qui sans être violent – est
particulièrement sévère et autoritaire.
C’est probablement cette déficience affective qui conduira la victime à repousser sans cesse
les limites du tolérable, dès le début de la relation. Selon Cécilia Llor, « la femme qui mettra
fin à la relation violente dès le premier comportement violent – bien qu’elle comprenne la
souffrance originelle de l’agresseur au demeurant – voit dans le passage à l’acte une chose
qu’elle ne peut accepter, car, identitairement, elle ne s’estime pas chargée d’une mission de
sauveur »572. Il est donc possible d’affirmer que la victime de violences conjugales a une
faille narcissique.
570
M. Lieber, Genre, violences et espaces publics. La vulnérabilité des femmes en question, Paris, Les Presses
de Sciences Po, 2008, p. 116.
571
Nous pensons notamment, ici, à des femmes comme Lio, chanteuse française ou à Marie Trintignant, morte
des violences de son conjoint.
572
C. Llor, psychologue de l’Association d’aide aux victimes d’infractions pénales, entretien téléphonique, 23
mai 2016.
155
130. Le constat d’une faille narcissique. – La victime de violences conjugales est
narcissique. Elle seule connaît l’histoire de son agresseur, elle seule connaît sa souffrance573.
Selon la psychologue de l’association d’aide aux victimes d’infractions, « il faut bien
comprendre que dans ce profil, très bien décrit par le paradoxe de Docteur Jekyll et Mister
Hyde, si elles ne partent pas c’est parce qu’elles se disent “ je sais qui il est, je le connais ”.
Mais, ici elles parlent du compagnon bienveillant, qui dit qu’il ne recommencera plus jamais
et s’excuse »574. La victime se sent, dès lors, investie d’un privilège et d’une mission ; ce qui
flatte son ego. Elle désire profondément sauver l’auteur de lui-même. Ainsi, lorsqu’elles se
rendent au commissariat pour déposer plainte, ce qu’elles recherchent ce n’est pas la punition
du conjoint. En réalité, ce qu’elles attendent du système judiciaire, c’est de l’aide pour son
partenaire et elle-même. Elle souhaite qu’il reçoive des soins.
Toutefois, elles prennent rapidement conscience que la machine judiciaire se met en route et
que le conjoint encourt une peine d’emprisonnement. C’est pour cette raison qu’elles retirent
leur plainte, pensant ainsi interrompre le processus répressif. Finalement, ces victimes en
déposant plainte opèrent un aveu d’impuissance passagère dans leur capacité à gérer la
violence de leur partenaire. En effet, elles vivent l’acte de dépôt de plainte comme une
délégation, aux instances, de leur mission réparatrice vis-à-vis de l’agresseur.
Aussi, à la question « Qu’attendez-vous du procès en comparution immédiate ? », les victimes
répondent ainsi : « Je veux que la justice le fasse soigner. Je sais qu’il peut être bien, je veux
l’aider » (Sara), ou « Je ne veux pas l’enfoncer. Je veux juste que ça s’arrête en fait … Que ça
s’arrête, qu’il prenne conscience qu’il va trop loin » (Catherine), ou encore « Il me fait
devenir folle, je veux voir un psy. Je suis venue aujourd’hui, car je veux que ça cesse »
(Laura).
131. Présence d’une immaturité chez la victime. – Ce trait de caractère chez la victime
de violence conjugale ne doit pas être généralisé. Mais, il est vrai que dans une majorité de
573
Selon le témoignage de Catherine : « Mais il est stable ! Franchement c’est un bon papa. Avec sa fille il est
génial. Il a déjà été beaucoup sanctionné dans sa vie …C’est pour ça. Je sais ce qu’il a vécu c’est difficile. Et là
le priver de sa fille, le remettre en prison, ce n’est pas la bonne solution. Il le supportera, mais ça va le blesser
encore plus. Non c’est pas la solution », Entretien-victime, Association d’aide aux victimes d’infractions
pénales, Montpellier, 25 avril 2016.
574
C. Llor, psychologue de l’Association d’aide aux victimes d’infractions pénales, Propos recueillis le 16
octobre 2016, Montpellier.
156
cas, l’ « immaturité du moi » paralyse le sens critique de la personne en l’empêchant de réagir
de façon rapide et adaptée afin de se protéger de la violence575.
Le cas d’Elodie est éloquent en l’occurrence. En effet, la victime a du mal à concevoir tout
avenir au-delà de son couple. De plus, en dépit de violences chroniques, elle exprime un fort
désir de procréation – d’ailleurs partagé par son concubin. Elle avoue son obsession sur le fait
de devenir mère, depuis ses seize ans (elle en a vingt-trois actuellement). Peu concernée par
l’aide juridique apportée par la juriste de l’association, la victime est obnubilée par ce désir
d’enfant : « S’il rentre en prison … j’espère que je ne suis pas enceinte parce que là ça me
ferait vraiment chier de faire ma grossesse, alors qu’il est en taule ». Pire encore, à la simple
idée de l’incarcération de l’auteur, la victime fond en larmes en disant : « Mais moi après je
vais être trop vieille pour avoir un bébé… ».
575
J. Smith, « Facteurs de vulnérabilité à l’emprise », in Violence et Famille. Comprendre pour prévenir, Paris,
Dunod, 2011, p. 233.
576
C. Rizk, « Le profil des personnes de 18 à 75 ans s’étant déclarées victimes de violences physiques ou
sexuelles par conjoint ou ex-conjoint sur 2 ans, lors des enquêtes “Cadre de vie et sécurité” », Repères, n°18,
octobre 2012, p. 3-18 (en ligne), disponible sur le site de l’Institut national des hautes études de la sécurité de la
Justice (Inhesj) : http://www.inhesj.fr/sites/default/files/book/115-62c987/index.html#/1/zoomed ; L. Marchand,
« Hommes battus : des chiffres pour comprendre une réalité méconnue », Le Monde, 10 avril 2015.
577
V. supra, n° 125.
578
Denis a vingt-sept ans au moment des faits, et est doctorant. Il a vécu en concubinage pendant deux ans, avec
une femme de trois ans son aînée. Elle, travaillait déjà en tant que chiropracteur. Elle le rabaissait constamment,
le traitant de « raté » et estimant qu’à son âge, il devrait exercer une profession sérieuse et avoir construit une
157
Par ailleurs, il est possible de se questionner sur le pourcentage d’hommes battus qui passent
aux yeux des autorités policières et judiciaires pour les auteurs des violences conjugales. En
effet, si dans l’imaginaire collectif, la femme qui porterait des coups à son agresseur ne le
ferait qu’à titre défensif579, la réciproque est moins vraie s’agissant des hommes. Ces derniers
restent perçus, par l’opinion publique, comme les bourreaux à l’initiative de la violence.
famille. Elle le privait littéralement de tout geste d’affection, contrairement à leur chien qu’elle couvrait
d’attentions excessives. De retour du travail, elle se montrait pressante et agressive en permanence vis-à-vis de
lui. Un jour alors qu’il tentait de lui parler, elle lui a administré un coup de genou à l’entrejambe. Elle dénigrait
ses compétences et capacités dans l’intimité, alors qu’en public (notamment en présence des amis de Denis) elle
se montrait attentionnée. En perte de confiance progressive, Denis absorbera des antidépresseurs tout au long de
la relation ; Témoignage spontané de victime, Paris, 18 juillet 2016.
579
Nous avons vu que cela n’est pas toujours vrai puisqu’il arrive qu’elle soit l’instigatrice des violences, V.
supra, n°125.
580
L. Leturmy, « La maltraitance en droit pénal », RDSS 2006. 981.
158
corporels, etc. » 581. De même, régulièrement, sont découverts de nouveaux syndromes
tendant à la maltraitance enfantine, tels que le syndrome de Münchhausen « par
procuration »582. Au surplus, certains praticiens détectent aujourd’hui, un fait de maltraitance
dans des gestes plus anodins et subjectifs tels qu’ « un regard, une mauvaise écoute ou un
manque de respect » de la part de l’adulte583.
581
Y.-H., Haesevoets, « Considérations socio-anthropologiques et transculturelles sur les maltraitances », in
Violence et Famille. Comprendre pour prévenir, Paris, Dunod, 2011, p. 4.
582
Ce syndrome consiste pour la mère de l’enfant, généralement âgé de six à huit ans (voire plus), à simuler ou à
provoquer chez ce dernier des maladies, en vue d’attirer l’attention et l’admiration – du corps soignant et de son
entourage – sur elle-même. Ces femmes sont perçues généralement comme des mères modèles et attentionnées
et bénéficient souvent d’une formation d’infirmière ou paramédicale. Pour plus de précisions, V. S. Bornstein,
« Syndrome de Münschhausen “par procuration” », in Violence et Famille. Comprendre pour prévenir, Paris,
Dunod, 2011, p. 352-356 ; J. Gregory, Ma mère, mon bourreau, trad. E. Rofas, Paris, L' Archipel, 2006.
583
L. Leturmy, op. cit.
584
La peine encourue est de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
159
juridique semble devoir conduire à éviter le recours au terme de « maltraitance » dans cette
étude.
Les atteintes à l’intérêt supérieur du mineur ne consistent pas uniquement dans des actes de
violence. Parfois, elles peuvent également tenir aux conditions de vie dans lesquelles l’enfant
est placé par ses aînés. Ainsi, il semble préférable de faire le choix d’une dissociation entre la
famille abusive et la famille défaillante. Alors que dans la première, les intégrités physique,
sexuelle et morale de l’enfant sont mises en péril, dans la seconde, ce sont les carences et
négligences familiales qui mettent en danger le mineur. En l’occurrence s’agissant des
violences intrafamiliales, seule la famille abusive sera envisagée ici. Les caractéristiques de la
famille défaillante seront abordées ultérieurement s’agissant des contrariétés au « bien-vivre
ensemble »585.
135. La famille abusive. – La famille est abusive lorsqu’elle nuit – tout d’abord – à
l’intégrité physique et psychique du mineur. À ce titre, comme cela a été développé
auparavant, seront incriminées tant les coups portés directement à la victime, que les voies de
fait et autres humiliations de nature à causer, chez elle, une vive impression586. Précisons, de
plus, que l’article 222-14 du code pénal punit sévèrement les violences habituelles sur mineur
de quinze ans, en fonction de la gravité de leur résultat587. En outre, la peine prévue pour
l’infraction d’enlèvement et de séquestration – visée précédemment– est aggravée lorsqu’elle
a pour victime un mineur de quinze ans, en vertu de l’article 224-5 du code pénal.
Par ailleurs, la nouvelle qualification pénale de mariage forcé, posée par l’article 222-14-4 du
code pénal, incrimine « le fait dans un but de contraindre une personne à contracter un
mariage ou à conclure une union à l’étranger, d’user à son égard de manœuvres dolosives
afin de la déterminer à quitter le territoire de la République ». En présence d’une formulation
particulièrement large, il faut considérer que l’ascendant de la victime puisse être auteur de
cette infraction588.
585
V. infra, n° 155 et s.
586
V. supra, n° 90 et s.
587
Art. 222-14 C. pén. Le texte pose une peine de trente ans de réclusion criminelle lorsque les violences contre
le mineur auront entraîné sa mort (1°). Ce quantum passe à vingt ans de réclusion lorsque les violences auront
causé la mutilation ou l’infirmité permanente de la victime (2°). Enfin, la peine sera de dix ans
d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende en cas d’incapacité totale de travail supérieure ou égale à huit
jours (3°) et de cinq ans d’emprisonnement de 75 000 euros d’amende en cas d’une incapacité inférieure à huit
jours (4°).
588
Pour un développement des éléments constitutifs du mariage forcé en deuxième partie, V. infra, n° 352.
160
136. Le droit de correction des parents. – En revanche, il est certaines violences
physiques qui échappent encore à la répression. Ainsi, notre droit pénal se refuse encore à
pénaliser les châtiments corporels légers relevant du droit de correction des parents.
Néanmoins, le 2 juillet 2016, a été voté à l’Assemblée nationale, un amendement au projet de
loi «Égalité et citoyenneté ». Cet amendement, relatif à l’interdiction civile de toute violence
corporelle sur l’enfant, propose de compléter la définition de l’autorité parentale de l’article
371–1 alinéa 2 du Code civil. Ainsi si le projet de loi est définitivement adopté, cette
disposition précisera dorénavant que les titulaires de l’autorité parentale doivent s’abstenir «
de tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours aux violences
corporelles »589. En revanche, les auteurs de cet amendement n’ont pas souhaité prévoir de
sanctions pénales s’agissant de cette nouvelle prohibition d’ordre civil, à visée purement
symbolique.
138. L’inceste. – L’inceste intègre définitivement le code pénal depuis la loi n° 2016-297
du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant590. La technique d’incrimination de
l’inceste faisant l’objet de développements détaillés plus loin591, nous nous contenterons à ce
stade de présenter cette qualification. L’inceste se présente comme une surqualification des
infractions sexuelles de droit commun. Ainsi, au regard des nouveaux articles 222-31-1 et
222-27-2-1 du code pénal, sont qualifiés d’incestueux, tous les actes à connotation sexuelle
pratiqués sur un mineur, par un ascendant, un frère ou une sœur, un oncle ou une tante, un
neveu ou une nièce ; ou par le conjoint, concubin ou partenaire d’un de ces membres. Dans
ce dernier cas, la preuve d’une autorité de droit ou de fait sur le mineur devra être rapportée.
D’un côté, le nouvel article 222-31-1 précité vise les viols et agressions sexuelles commis
dans de telles circonstances. D’un autre côté, l’article 222-27-2-1 pose le même principe
s’agissant, cette fois-ci, des atteintes sexuelles. Les premières infractions de viol et
589
M.-A. Chapdelaine, F.-M. Lambert et E. Gueugneau, Amendement n°1257 au projet de loi n° 3851 «Égalité
et citoyenneté », Assemblée Nationale, 23 juin 2016.
590
Loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, JO du 15 mars 2016.
591
V. infra, n° 325 et s.
161
d’agression sexuelles ayant été étudiées précédemment592, nous nous intéresserons surtout aux
atteintes sexuelles ici.
Les atteintes sexuelles sur mineur sont incriminées au articles 227-25 et suivants du code
pénal. Elles se distinguent des agressions sexuelles en ce qu’elles nécessitent pour leur
constitution qu’il y ait consentement du mineur593. Elles consistent donc, matériellement, dans
la commission d’actes de nature sexuelle commis sans violence, contrainte, menace ou
surprise. Ces actes de nature sexuelle, en l’absence de précision textuelle, doivent comprendre
autant les actes par pénétration que ceux sans pénétration.
592
V. supra, n° 93 et s.
593
V. Malabat, Droit pénal spécial, 7e éd., Dalloz, coll. Hypercours, 2015, p. 178, n°342.
594
V. Cass. crim., 8 janvier 2013, pourvoi n° 12-86.715, Inédit (le simple fait que des pénétrations aient été
commises sur des mineures de quinze ans ne suffit pas à relever l’existence de violence ou de menace, pas plus
que de surprise ou de contrainte) ; sur la circonstance de la soumission de la victime mineure au moment des
faits à l’autorité de l’auteur, V. Cass. crim., 21 février 2007, pourvoi n°06.88-735, Bull. crim. n°55.
595
V. s’agissant du consentement surpris, Cass. crim., 7 décembre 2005, pourvoi n°05-81.316, RPDP. 2006, n°1.
152, obs. V. Malabat (la Chambre criminelle a entériné l’arrêt d’appel concluant à l’existence d’un état de
contrainte ou de suprise, « résultant du très jeune âge des enfants qui les rendait incapables de réaliser la
nature et la gravité des actes qui leur étaient imposés »).
162
pénal par la loi du 8 février 2010, prévoit que « […] La contrainte morale peut résulter de la
différence d'âge existant entre une victime mineure et l'auteur des faits et de l'autorité de
droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime ». Loin d’introduire une présomption
irréfragable d’absence de consentement du seul fait du jeune âge de la victime et de sa
dépendance à l’auteur, cette précision textuelle ne fait que confirmer la liberté d’appréciation
des juges. Et pour cause, dans la rédaction de l’article 222-22-1 précité, le législateur a fait le
choix de la potentialité, plutôt que de l’affirmation.
Cependant, ce faisant, le législateur n’a pas mené à son terme, son projet de protection de
l’intégrité physique du mineur, à travers l’inscription de l’inceste au Code pénal. Il nous
semble, en effet, qu’il n’a pas tiré toutes les conséquences de l’atypisme du phénomène
criminel qu’il entend nommer de manière expresse. Pourtant, c’est bien ce caractère spécial
de la qualification d’inceste qui a motivé sa pénalisation. Autrement, cette dernière ne
présentait, on en conviendra, aucun intérêt en droit positif596 . Ainsi, s’il admet que la
criminalité sexuelle imposée dans le contexte familial est autrement plus spécifique et plus
grave que celle perpétrée en dehors, c’est qu’il convient également que l’inceste impose une
réponse particulière. Or, s’agissant précisément de cette forme d’agissements sexuels, il aurait
été préférable de conclure à une absence irréfragable et générale de consentement du mineur,
peu importe l’hypothèse de commission considérée. Concrètement, cela aurait conduit, à ne
pas appliquer la surqualification incestueuse aux atteintes sexuelles sur mineurs. En effet, il
semble raisonnablement impossible de considérer que le jeune mineur ait donné un
consentement lucide597 à des actes de nature sexuelle, initiés par un membre de son entourage
familial direct ! A minima, il faudrait conclure, dans pareil cas, à la caractérisation d’une
contrainte morale ou d’une surprise.
Par ailleurs, le Code pénal distingue deux infractions d’atteintes sexuelles ; celle commise
contre l’enfant âgé de moins de quinze ans révolus (article 227-25 et suivants) et celle
commise contre l’enfant âgé de plus de quinze ans (222-27 et suivants).
596
L’arsenal pénal français permettait déjà de réprimer le fait incestueux grâce à la cirsontance aggravante tenant
à la qualité d’ascendant de l’auteur, V. infra, n° 334.
597
Le consentement surpris ne fait pas référence à l’expression de surprise qu’aurait la victime au moment de
l’acte. Contraitement au consentement forcé, il suppose qu’elle ait accepté l’acte, mais en être consciente de ses
implications et gravité. En somme le constentement donné n’est pas lucide, V. Malabat, op. cit., p. 172, n°313.
163
L’atteinte sexuelle imposée au premier mineur, ne peut être que le fait d’une personne
majeure ; de sorte que les rapports entretenus par deux mineurs consentants ne pourraient pas
tomber sous le coup de la loi pénale598.
L’atteinte sexuelle sur les mineurs de quinze à dix-huit ne peut, quant à elle, être commise que
par l’ascendant ou une personne ayant une autorité de fait ou de droit sur la victime, ou par
une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions. Toutefois, hormis les cas
où l’auteur serait l’ascendant de l’enfant, le juge devra relever in concreto en quoi le
délinquant sexuel exerçait une autorité effective sur la personne du mineur. Le simple constat
d’un lien de parenté entre les protagonistes ne suffit pas. De plus, en l’absence de précision, il
est possible de se demander si l’auteur ayant autorité de fait sur la victime de plus de quinze
ans, doit nécessairement être adulte. En effet, il serait, tout à fait concevable qu’un cousin de
la victime – encore mineur, mais proche de sa majorité – puisse exercer une telle autorité.
139. Les mutilations sexuelles. – Les mutilations sexuelles sont incriminées par le nouvel
article 227-24-1 du code pénal créé par la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses
dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union
européenne et des engagements internationaux de la France (esclavage, travail forcé)601.
L’article prévoit que le fait de faire à un mineur, « des offres ou des promesse ou de lui
598
V. Anc. art. 331 C. pén. Ce texte réprimait les atteintes à la pudeur commises par un adulte ou un mineur. Il
tendait alors surtout à prohiber les échanges homosexuels qui auraient été proposés par un mineur à un autre. Le
nouveau Code pénal est venu abrogé cette disposition, V. M.-L. Rassat, Droit pénal spécial. Infractions du Code
pénal, 6ème éd., Précis Dalloz, 2011, p. 671, n° 598.
599
Cass. crim., 7 février 1957, Bull. crim. n° 126. « Si, dans certains cas, le prévenu peut exciper de ce qu’il a
été trompé sur l’âge de la personne avec qui il a eu des relations immorales, cette défense ne saurait être
admissible qu’autant qu’il justifierait d’une erreur dont il ne serait pas responsable ».
600
Notons, dès lors, que le Code pénal incriminait déjà l’inceste avant l’intégration explicite de la
surqualification.
601
Loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en
application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France (esclavage, travail
forcé), JO du 6 août 2013, texte n°4, p. 13338.
164
proposer des dons, présents ou avantages quelconques, ou d’user contre lui de pressions ou
de contraintes de toute nature », afin qu’il se soumette à une mutilation sexuelle est puni de
cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, lorsque cette mutilation n’a pas été
réalisée. Cette incrimination – rédigée de manière particulièrement dense – nécessite quelques
éclaircissements.
Tout d’abord, remarquons que le Code pénal a toujours pris en compte les mutilations et
infirmité permanentes. Elles rentrent dans les éléments constitutifs de plusieurs infractions
telles que les violences volontaires (article 222-9 du code pénal) ou la mise en danger
délibérée d’autrui (article 223-1 du code pénal). Elles constituent encore la circonstance
aggravante des tortures et actes de barbarie (articles 222-1 et 222-5 du code pénal) ou du viol
(article 222-24 du code pénal). D’ailleurs, s’agissant plus précisément des mutilations
sexuelles, celles-ci étaient déjà réprimées au titre des violences volontaires ayant entraîné une
mutilation ou une infirmité permanente (article 222-9 du code pénal)602. La jurisprudence
pénale retenait ainsi que « l’ablation du clitoris résultant de violences volontairement
exercées, constituent une mutilation »603. Ainsi, une simple précision du contenu de la notion
de mutilation aurait permis d’englober les mutilations de nature sexuelles, sans qu’il soit
besoin de créer une nouvelle infraction.
Aujourd’hui encore, la question de la définition pénale de ces mutilations reste entière. Aussi,
pendant longtemps une partie de la doctrine a estimé que la qualification de mutilation ou
d’infirmité permanente nécessitait une certaine irréversibilité de l’acte, de sorte que
l’opération qui n’emportait pas « la mise hors de service de l’organe sexuel ou son ablation »
n’était pas perçu comme une mutilation604. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS)
définit, elle, les mutilations sexuelles féminines comme « toutes les interventions aboutissant
602
Il n’aurait pas été possible ici, cependant, de retenir la qualification d’actes de torture ou de barbarie (article
222-1) puisqu’elle suppose, intentionnellement, que l’auteur ait eu « la volonté de faire souffrir a victime, de lui
causer des souffrances aiguës, de nier en elle la dignité de la personne humaine », J. Pradel et M. Danti-Juan,
Droit pénal spécial, Paris, 6ème éd., Editions CUJAS, 2014, n° 55, p. 67. Or, dans le cas de la mutilation sexuelle,
l’auteur agit ainsi souvent en raison d’un simple conformisme culturel.
603
Cass. crim., 20 août 1983, pourvoi n° 83-92. 616, Bull. crim. n° 229 (ablation du clitoris et de la vulve
réalisée par la une mère sur sa fille de moins de quinze ans) ; 9 mai 1990, Dr. pén. 1990, comm. 291, obs. M.
Véron.
604
A. Vitu, Droit pénal spécial, 1ère éd., Edition CUJAS, coll. Traité de droit criminel, 1982, n° 1750, p. 1409.
La Chambre criminelle de la Cour de cassation retient d’ailleurs encore cette condition, s’agissant par exemple
de la ligature des trompes par un médecin sans le consentement de la femme. Les juges avaient en effet
considéré que la stérilité était « réversible », Cass. crim., 19 janvier 2005, pourvoi n° 03-87. 210, Inédit ; Dr.
pén. 2005, comm. 55, obs. M. Véron.
165
à une ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme ou toute autre
lésion des organes génitaux féminins pratiqués à des fins thérapeutiques »605. Mais une telle
définition semble pouvoir s’appliquer à toute mutilation sexuelle, féminine ou masculine –
d’autant plus que le nouveau texte d’incrimination ne fait pas de distinction.
De même, se pose la question de savoir quelles opérations entrent dans le champ de
l’incrimination ? La circoncision doit-elle ici être assimilée à l’excision ? À la lecture de la
définition de l’OMS et de l’imprécision de l’article 227-24-1 du code pénal, il semblerait que
doivent être pénalisés au titre des mutilations sexuelles, tant les excisions 606 , que les
infibulations607 ou les circoncisions608, à partir du moment où elles sont pratiquées à des fins
autres que médicales. Ainsi, il est possible d’anticiper la délicate mission qui s’impose au
juge pénal ; celle de tracer une frontière du « bon » et du « répréhensible » entre deux
pratiques, deux religions, deux cultures.
Toutefois, il faut reconnaître que la loi du 5 août 2013 apporte à la répression des mutilations
sexuelles une portée préventive, dont elle n’était pas dotée jusqu’alors. En effet,
contrairement à l’article 222-9 du code pénal, qui se contente de réprimer le résultat de la
mutilation, le nouvel article 227-24-1 se place en amont ; c’est-à-dire, au moment de
l’incitation par dons ou promesses609. Mais ce qui est réprimé ici, c’est en réalité le simple
mandat criminel et non l’acte de mutilation lui-même.
De plus, il ne sera pas aisé de rapporter la preuve de ces actes pratiqués dans le plus grand
secret et de manière communautaire. De plus, le texte ne réprime que les mutilations
pratiquées sur le sol national ; alors qu’elles sont également commises lors de retours dans le
pays d’origine de la victime, dans le cadre des vacances scolaires par exemple. Elles peuvent
d’ailleurs l’être avec l’accord ou la complicité des parents, ou à leur insu.
605
Organisation Mondiale de la Santé, « Mutilations sexuelles féminines », Aide-mémoire n°241, février 2016
[En ligne : http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs241/fr/].
606
L’excision est « l’ablation du clitoris, et parfois des petites lèvres, pratiquée chez certains peuples ». V.
Grand Larousse Encyclopédique en 10 volumes, Librairie Larousse, 1960, « Excision ».
607
L’infibulation est « l’opération qui consiste à faire passer un anneau à travers le prépuce chez l’homme ou à
travers les petites lèvres chez la femme ou à coudre partiellement celles-ci ». V. Grand Larousse Encyclopédique
en 10 volumes, Librairie Larousse, 1960, « Infibulation ».
608
La circoncision est « l’excision totale ou partielle du prépuce ». Cette pratique est constitutive d’un rite
religieux incontournable dans le judaïsme ou dans l’islam. V. Grand Larousse Encyclopédique en 10 volumes,
Librairie Larousse, 1960, «Circoncision».
609
Cela permet également donc de réprimer la complicité d’un tel comportement, ce qui n’était pas possible
auparavant faute d’une infraction principale punissable.
166
Enfin, la caractérisation de l’élément intentionnel est également sujette à questionnements. Ici
les auteurs de l’infraction n’ont pas une volonté affirmée d’attenter à l’intégrité physique du
mineur. Ils agissent par conditionnement culturel, les mères des victimes ayant elles-mêmes
subies ces ablations, enfants. Ces mutilations prennent dès lors, la forme de rituels – certes
douloureux, mais jugés normaux. De même, les parents qui exposeraient leurs enfants à ces
pratiques pourraient prétendre ne pas avoir eu la connaissance ou la conscience que l’acte
réalisé était contraire à la loi pénale française.
Toutefois, aucune disposition pénale ne prévoit le cas où un viol ou une agression sexuelle
serait commis à l’encontre d’un ascendant612. En somme, seule la circonstance tenant à la
particulière vulnérabilité de la victime permettrait la répression de tels faits, en vertu des
articles 222-24, 3° et 222-29, 2° du code pénal relatifs respectivement au viol et à l’agression
sexuelle. Cependant, cette circonstance aggravante, formulée en des termes très neutres, ne
matérialise pas le lien familial particulier existant entre l’ascendant victime et son bourreau.
Finalement, on en conclut que la gravité réelle des faits se voit considérablement minimisée,
eu égard au cadre familial dans lequel s’inscrit l’acte incriminé. D’ailleurs, cela est d’autant
plus vrai que les incriminations de droit commun précitées (meurtre, violences, tortures et
610
R. Cario, « Victimisation des aîné(e)s et aide aux victimes », RSC 2002. 81, spéc. p. 82.
611
Cet article renvoie aux circonstances aggravantes prévues pour les violences volontaires.
612
Les atteintes aux biens de l’ascendant (vol, extorsion, escroquerie) ne sont pas concernées ici puisqu’elles
tombent sous le coup des immunités familiales, V, infra, n°317 et s.
167
actes de barbarie, empoisonnement et administrations de substances nuisibles) intègrent elles
aussi, en plus de la circonstance relative au lien de parenté, celle relative à la vulnérabilité de
la victime. Or, cette carence de répression participe de la ghettoïsation de la victimisation des
aînés. Faut-il y voir un simple oubli du législateur ? Il est vrai, en effet, qu’on ne répond pas
aux questions que l’on ne se pose pas. Aussi, faudra-t-il attendre, comme souvent, une
amplification de cette criminalité à l’encontre des personnes âgées – ou plus exactement leur
décèlement – pour que naissent les initiatives législatives quant à la création d’incriminations.
§2 - La famille homicide
613
Etude de dossier pénal, Cabinet de Me Hubert Jabot, avocat au Barreau de la Guadeloupe, juin 2011. Michel
vivait maritalement avec sa compagne au moment des faits. . Ils ont eu ensemble quatre enfants. Pourtant, sa
belle-mère n’a jamais accepté la relation qu’il entretenait avec sa fille et dénigrait régulièrement l’intéressé –
dans l’intimité ou en public. Le soir, en rentrant du travail, il constate le départ de sa compagne et de leurs
enfants du domicile. Suite à de nouvelles agressions verbales et humiliations proférées par la femme, il décide de
se saisir son arme de chasse chargée. Il entre par effraction au domicile de sa belle-mère, et la tue alors que la
victime se trouvait dans son lit.
614
Délégation aux victimes (DAV), Etude nationale sur les morts violentes au sein du couple, 2014, p. 1 [En
ligne : http://www.stop-violences-femmes.gouv.fr/IMG/pdf/Morts_violentes_au_sein_du_couple_2014_-
_principaux_enseignements.pdf].
168
conjoints ou concubins violents. En outre, trente-cinq enfants ont été tués dans le cadre de
violences conjugales (dont sept enfants tués en même temps que leur mère, par le père),
notamment en cas de séparation. On estime, de plus, qu’au moins vingt-cinq enfants ont
assisté à la scène de crime ou étaient présents au domicile.
Toujours dans le cadre des violences conjugales, il convient de parler des suicides. Il semble
que la part de femmes victimes qui tentent de se suicider représente 11,4 %615. De plus, 60 %
des auteurs (tout sexe confondu) se sont suicidés après passage à l’acte616.
143. Les choix d’étude. – Il nous faut dans un premier temps, exposer les différentes
formes que prennent les atteintes à la vie au sein de la famille (A). Dans un deuxième temps,
sera envisagé le cas particulier de la légitime défense différée, consistant pour le conjoint
homicide – la femme majoritairement – à attenter à la vie de son agresseur (B).
A. L’homicide intrafamilial
144. Les qualifications pénales possibles. – Qu’il s’agisse d’un crime passionnel ou d’un
infanticide, pénalement ces faits seront qualifiés de meurtre. Au sens de l’article 221-1 du
code pénal, le meurtre est le fait de donner volontairement la mort à autrui. Il sera puni de la
réclusion criminelle à perpétuité lorsqu’il aura été commis à l’encontre d’un membre de la
famille – le conjoint, concubin ou partenaire, un enfant ou un ascendant biologique ou adoptif
(article 221-4, 1°, 2° et 9° du code pénal). Matériellement, il consiste dans « un acte positif de
destruction de la vie humaine »617. Intentionnellement, il nécessite que l’auteur ait eu la
volonté de tuer et la preuve de cet animus necandi doit être relevée.
Toutefois, les modalités homicides peuvent varier. Il peut s’agir d’un assassinat, dans le cas
où le meurtre aurait été commis avec préméditation ou par guet-apens (article 221-3 du code
pénal). Un tel comportement emporte une peine de réclusion criminelle à perpétuité. Par
ailleurs, lorsque c’est spécifiquement par une administration de substances mortifères618 que
l’auteur entend attenter à la vie d’autrui, il s’agira d’un empoisonnement. Il est puni, lui aussi,
de la réclusion criminelle dans le cas où il serait commis à l’encontre d’un membre de la
615
Délégation aux victimes (DAV), op. cit.
616
Délégation aux victimes (DAV), ibidem.
617
Cass. crim. 9 juin 1977, Bull. crim. n°211, RSC. 1978. 97, obs. G. Levasseur.
618
N’est pas envisagé ici le cas d’une administration de substances nuisibles, tendant contrairement à
l’empoisonnement, non pas à tuer la victime mais à porter atteinte à sa santé physique ou mentale, V. art. 222-15
C. pén.
169
famille (article 221-5, 3°). Infraction formelle, l’empoisonnement nécessite pour sa
caractérisation que soit constaté l’emploi d’un poison, peu importe que cet acte ait été suivi
de l’effet escompté. Intentionnellement, l’auteur doit avoir eu la volonté d’administrer le
produit, dans le but précis de tuer la victime.
Toutefois, il arrive que la survenance de la mort ne soit pas recherchée par l’auteur. Dans ce
cas, le décès de la victime n’est que la résultante d’un comportement violent antérieur. Le
Code pénal capte ce fait sous la qualification spécifique de violences ayant entraîné la mort
sans intention de la donner. L’article 222-7 du code prévoit que de telles violences seront
punies de quinze ans de réclusion criminelle. Matériellement, cette infraction se caractérise –
comme toute violence – par un acte positif et volontaire de violence. Ainsi, si l’auteur n’a pas
souhaité donner la mort, il a en revanche eu la volonté de porter les coups.
Les différentes qualifications pénales présentées, il convient d’étudier les formes que peut
prendre l’homicide en présence d’un lien de parenté entre l’auteur et la victime. En l’espèce
nous ne prétendrons pas à l’exhaustivité. Seules deux formes d’homicides – révélatrices des
dysfonctionnements familiaux619 – seront envisagées, le crime passionnel (1) et l’infanticide
(2).
1) Le crime passionnel
619
Ainsi, par exemple, il aurait été possible d’aborder la question du meurtre dit « utilitaire ». Ici, le meurtre peut
être indépendant de toute préexistence de violences intrafamiliales. En effet, dans cette hypothèse, l’auteur
recherche simplement à se débarrasser du conjoint, pour des raisons pratiques – souvent d’ordre patrimonial. Ce
meurtre fera, parfois, intervenir un coauteur ou un complice ; le nouvel amant du conjoint meurtrier par exemple.
620
R. Coutanceau, « Crimes passionnels. Crime d’amour ou crime d’amour-propre », in Violence et famille.
Comprendre pour prévenir, Paris, Dunod, 2011, p. 357-364.
621
C. Piquet, Le crime passionnel est-il un crime à part ?, Le Figaro, 27 août 2015.
170
les juges se montrent-ils très indulgents vis-à-vis de cette forme de crime, allant parfois même
jusqu’à prononcer des peines allégées à leur encontre622.
Aujourd’hui, bien que le nouveau Code pénal ne définisse pas le crime passionnel comme une
réalité juridique et ne le traite pas comme un crime à part entière, dans les prétoires les
avocats de la défense n’hésitent pas à jouer la carte du sentiment amoureux pour attendrir
l’auditoire. Toutefois, l’aspect romanesque du crime passionnel cache des réalités
criminologiques autrement plus inquiétantes. Ainsi, Léon Rabinowisz estimait que la
première condition nécessaire à la commission d’un tel crime était la « passion sexuelle » et
non pas amoureuse. Or, il définissait celle-ci comme « un simple égoïsme des sens mêlé au
sentiment de possession, à la vanité, à l’amour-propre, c’est un jeu attisé constamment par la
jalousie […]»623. Plusieurs années plus tard, les psychiatres ont pris du recul sur les modalités
et raisons du passage à l’acte du crime passionnel. Roland Coutanceau, notamment, distingue
trois profils généralement impliqués dans la commission de celui-ci624. Il distingue ainsi,
premièrement, l’immaturo-abandonnique ; ce sujet présente une immaturité affective coupler
à un vécu abandonnique, avec des traits phobiques et obsessionnels. Outreau la perte de
l’abandon ces individus son affective moi en dépendant du partenaire. Deuxièmement,
l’immaturo-égocentrique être sujet anxieux « très centré sur sa réalité psychique et peu
ouvert à l’autre »625. Cet individu va faire preuve d’une assurance apparente qui masquera sa
peur de la perte. Enfin, le sujet présentant une personnalité à tonalité paranoïaque. Ce sont
des individus rigides et sensitifs, surinvestissant dans la relation à l’autre, sans pouvoir
concevoir la perte. Ainsi, le crime passionnel est avant tout le fait d’un individu présentant
une crainte pathologique de la perte. Ils ne tuent pas par amour de l’autre, mais par
convenance personnelle.
622
M. Danti-Juan, « Force majeure », Rép. pén. 2015, n° 50.
623
L. Rabinowisz, Le crime passionnel, Rapport présenté à la Séance de la Société générale des prisons et de
législation criminelle, 13 mai 1931, p. 226. Léon Rabinowisz est l’auteur de l’ouvrage Le crime passionnel,
Paris, Librairie des Sciences politiques et sociales, 1931.
624
R. Coutanceau, op. cit., p. 358.
625
R. Coutanceau, ibidem, p. 358.
171
« une insuffisance de contrôle du Sur-moi »626. Cela est notamment le cas de l’époux qui
rentrerait à son domicile et surprendrait son conjoint avec son amant. Pourtant, on s’aperçoit
que le crime passionnel peut aussi être le fait d’un auteur déterminé, ayant décidé en âme et
conscience d’éliminer le conjoint « démissionnaire ». Ainsi, le contexte déterminant de
l’accomplissement de l’acte passionnel est celui de la séparation, ou plutôt du refus de la
séparation627. En effet, lorsque l’auteur est contraint d’admettre la réalité de celle-ci, il conçoit
la mort de l’autre comme une alternative à l’abandon. « Même si [l’autre] n’est plus là
physiquement, leur couple n’a jamais été détruit »628.
Comme l’indiquent les statistiques précédentes, l’auteur passionnel retourne souvent son arme
contre lui629. Il est intéressant de questionner le rôle du suicide dans la commission de
l’homicide à l’encontre de l’autre. En effet, il semble que le projet du suicide succédant au
crime ait un effet libérateur pour l’auteur. Il n’a plus rien à perdre et peut se permettre de tuer
le conjoint ou ex-conjoint – voire parfois leurs enfants. Il existe donc là une certaine forme de
toute-puissance, à savoir celle de décider de la vie et de la mort de ceux qu’il considère
comme sa propriété. Par ailleurs, il faut noter que le crime passionnel peut être dirigé
également contre le nouveau compagnon de la femme ou de l’homme, c’est-à-dire le rival de
l’auteur. La seule présence de celui-ci est vécue par lui comme un affront, une humiliation.
Mais, la cible du crime peut également être un simple collatéral, par exemple un proche ou un
parent de l’être aimé630. Dans ces deux cas (rival ou collatéral), le tiers représente pour
l’auteur, un obstacle direct – réel ou seulement imaginaire – à la relation dont l’auteur refuse
la fin.
626
G. Stefani, G. Levasseur et R. Jambu-Merlin, Criminologie et science pénitentiaire, 2ème éd., Précis Dalloz,
1970, p. 225, n° 219.
627
Délégation aux victimes (DAV), Etude nationale sur les morts violentes au sein du couple, 2015, p. 8
628
C. Bellard, Les crimes au féminin, Paris, L’Harmattan, p. 84.
629
V. supra, n°142.
630
V. le cas de Michel, supra, n°141.
631
Cass. crim., 11 avril 1908 ; DP. 1908. 1. 261, rapp. Mercier.
632
Y. Mayaud, Droit pénal général, 5e éd., Paris, PUF, 2015, n° 460, p. 547.
172
responsabilité de l’auteur, sur le fondement de l’article 122-2 du code pénal. Cela implique
que la personne qui ne saurait pas résister à des pulsions internes doit être considérée comme
pénalement responsable de son acte633.
2) Le meurtre de l’enfant
633
Garraud disait d’ailleurs à ce propos que « le droit pénal est précisément édicté pour ceux qui ne savent pas
résister à leur passion criminelle », V. R. Garraud, Traité théorique et pratique de droit pénal français, 3ème éd.,
tome I, Sirey, 1913, p. 315.
634
C. Ménabé, La criminalité féminine, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 99 sq.
635
C. Ménabé, op. cit. L’infanticide était alors une pratique toujours répandue, en raison notamment de la
pression sociale qui condamnait, bien plus sévèrement que l’infanticide, les naissances illégitimes ou naturelles.
636
V. anc. art. 302 C. pén. de 1810.
637
C. Ménabé, Ibidem.
638
La loi du 21 novembre 1901 portant modification des articles 300 et 302 du Code pénal de 1810 est venue
préciser que la mère, auteur ou complice de l’infanticide de son enfant nouveau-né serait punie des travaux
forcés à perpétuité en cas d’assassinat, ou des travaux forcés à temps en cas de meurtre. Mais cette excuse ne
pouvait aucunement s’appliquer à ses complices ou co-auteurs. V. anc. art. 302 al. 2 C. pén. de 1810.
173
meurtre du mineur de plus de quinze ans qui serait victime de ses parents, il faudrait donc
retenir ici la circonstance aggravante relative à l’état de vulnérabilité de la victime en raison
de son âge (article 221-4, 3°). De plus, ces textes font le choix de l’objectivité puisque ni la
mère, ni le père de l’enfant ne sont spécialement visés en tant qu’auteur de l’infraction.
639
Alexandra Lange a tué son époux d’un coup de couteau en 2009, alors qu’il était entrain de l’étrangler. Elle a
été acquittée par la Cour d’assises, au titre de la légitime défense en mars 2012. V. J. Pradel et A. Margaux,
« L’intégrale : l’affaire Alexandre Lange », L’Heure du Crime, Emission radio, RTL, 27 août 2015.
640
C. Parent, « La criminologie féministe et la question de la violence des femmes », in Penser la violence des
femmes, Paris, La Découverte, coll. Science humaines, 2012, p. 276.
641
P. Mercader, A. Houel et S. Helga, « L'asymétrie des comportements amoureux : violences et passions dans
le crime dit passionnel », Sociétés contemporaines, no 55, 2004, p. 94.
174
qui altère sa capacité de jugement et sa perception de la réalité. Ainsi, sa conception de
l’immédiateté du danger serait brouillée. Quant au passage à l’acte, de plus, « [son] état
psychologique [serait à] comparer à celui des victimes de la torture ou de la guerre, et [sa]
symptomatologie assimilée à un désordre post-traumatique »642.
Ces éléments permettent tout à la fois d’expliquer les raisons pour lesquelles la femme battue
demeure prisonnière de la relation abusive, mais également le recours au meurtre du conjoint.
Toutefois, l’évocation de ce symptôme comme moyen de défense semble s’inscrire, une fois
de plus, dans une logique de survictimisation de la femme meurtrière – comme si cette
dernière ne pouvait être que monstre ou vulnérable. En effet, celle-ci doit nécessairement être
déresponsabilisée et soupçonnée de souffrir de carences psychologiques, pour inspirer
empathie et compréhension des juges et du public643.
642
P. Mercader, A. Houel et S. Helga, op. cit., p. 95.
643
Pour une vision intéressante, V. C. Parent, « La criminologie féministe et la question de la violence des
femmes », op. cit., 2012, p. 275 sq. L’auteur estime, en effet, que la tendance est à la psychologisation des
comportements criminels des femmes ayant commis un acte de violence. Bien qu’elles aient commis un crime,
on estime que celui-ci n’était pas planifié, ni même réellement souhaité par la femme.
644
Deux témoignages en attestent. Le premier, celui de Julie : « J’avais plus peur qu’il me tue si je m’en allais
que le contraire. J’étais terrorisée par lui… ». Le deuxième, celui d’Aurélie, qui a fui le domicile conjugal avec
son enfant une première fois, mais a été retrouvée par son conjoint. Actuellement en cavale depuis trois ans et
hébergée dans un foyer, elle vit dans une peur permanente ; V. O. Delacroix, op. cit.
175
Troisièmement, la victime qui aura rassemblé ses dernières forces afin de déposer plainte et
qui se sera heurtée à une écoute maladroite, puis à une prise en charge inadaptée645 des
acteurs de justice ou des professionnels de santé, se sentira d’autant plus isolée. Dès lors,
deux issues s’offrent à elle : se suicider ou se faire justice elle-même.
645
V. infra, n° 209, not. sur le recueil des plaintes et main-courantes par les service enquêteurs.
646
G. Dupont, « Débat sur le droit des femmes battues à se défendre », Le Monde, 7 mars 2016.
647
La Cour suprême canadienne a reconnu pour la première fois le syndrome de la femme battue en 1990, à
l’occasion de l’affaire Angélique Lyn Lavallee. La jeune femme de vingt-deux ans au moment des faits a tué
d’un coup de feu à l’arrière de la tête, son concubin qui avait l’habitude de lui infliger des violences physiques.
Cette decision marque une inflexion de la jurisprudence criminelle canadienne qui jusqu’à lors condamnait
systématiquement ces femmes meurtrières, sans prendre en consideration la dynamique de la relation du couple.
La Cour de cassation acquitta l’intéressée, en présence d’une “crainte raisonnable de la mort”, de la gravité des
violences antérieures subies et du “manque de solutions de rechange à l’auto-assistance”, V. Cour suprême, 5
mars 1990, R. c/ Lavallee; RCS. 852 (en ligne) : http://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/en/item/599/index.do ;
Avis de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) du 26 mai 2016 sur les
violences contre les femmes et les féminicides, JO du 7 juin 2016, n° 42-47.
648
Au cours de la nuit, pendant son sommeil par exemple.
649
Il s’agit du cas où le conjoint ou le concubin violent est de dos, par exemple.
176
« normaliser » un droit de tuer, en droit pénal. Une telle solution doit-elle, de ce fait, être
strictement encadrée.
Précisons, encore, que l’état de nécessité, cause objective d’irresponsabilité pénale prévue par
l’article 122-7 du code pénal, ne permettrait pas davantage de prendre en considération cette
problématique. En effet, comme pour la légitime défense, l’état de nécessité suppose que le
danger encouru soit actuel et imminent mettant en péril la vie ou la santé de l’intéressé(e) ou
d’autrui. Ceci n’est pas le cas s’agissant de la femme qui met fin à la vie de son conjoint
postérieurement à l’attaque. Dès lors, par là même, l’intérêt protégé sauvegardé par la
commission de l’infraction, perd de sa prévalence par rapport à l’intérêt protégé sacrifié. De
sorte que l’atteinte à la vie du conjoint – même violent – ne saurait se justifier.
650
Selon les faits rapportés par la presse, la femme aurait subi un énième épisode de violences de la part de son
époux, antérieurement au passage à l’acte. Ayant absorbé des somnifères, elle aurait fermé la porte de la
chambre à clé afin de faire une sieste. L’époux, alcoolisé, aurait gravi les escaliers menant à la chambre, puis
frappé à la porte en réclamant sa soupe. L’intéressée aurait ouvert la porte avant de se faire battre par son mari.
Elle aurait saisi l’arme appuyée au mur, aurait descendu l’escalier et tiré trois coups de feu en direction de
l’homme donnant dos à la maison, V C. Piquet, « Jacqueline Sauvage : une affaire à multiples
rebondissements », Le Figaro, 21 août 2016.
651
L. Limmois, «Grâce présidentielle et amnistie : deux notions à ne pas confondre », RTL, 3 février 2016.
177
former aussitôt une demande de libération conditionnelle652. Tous – citoyens, parquetiers et
parlementaires – se réjouissaient alors de cette issue favorable, pour la condamnée et sa
famille et y voyaient finalement une solution empreinte de justesse et de justice653.
Pourtant, le 12 août 2016, le tribunal d’application des peines de Melun refuse d’avaliser la
libération conditionnelle de Jacqueline Sauvage. Pour toute motivation, cette juridiction argue
que « l’importante médiatisation de [l’affaire] rend difficile une authentique démarche de
réflexion de Madame Sauvage, qui est encouragée à se cantonner dans un positionnement
exclusif de victime, sans remettre en question son fonctionnement psychique personnel et sans
s’interroger sur sa part de responsabilité dans le fonctionnement pathologique de son
couple ». Cette décision préconise que la condamnée suive une thérapie en prison afin de
« remettre de l’interdit dans le passage à l’acte […] le sens de la peine lui échappant »654.
Cette jurisprudence semble, cependant, critiquable à plus d’un titre ; premièrement, parce
qu’on a du mal à en saisir le véritable objectif. Est-il uniquement tourné vers un souci de
justice ou poursuit-il essentiellement un dessein politique ? En effet, il serait légitime d’y
percevoir une certaine défiance d’une partie de la magistrature vis-à-vis de l’autorité du chef
de la Nation, et par extension, de la fonction présidentielle. Deuxièmement, elle conduit à une
survictimisation de la condamnée, véritable victime en l’espèce. Ainsi, après avoir subi plus
de quarante ans de violences de la main de son époux, après avoir assistée impuissante aux
souffrances de ses enfants655, il semblerait que la condamnée doive encore faire l’expérience
d’une peine qui se veut affligeante. En effet, les juges l’exhortent, ni plus, ni moins, à
ressentir du remord vis-à-vis de son défunt bourreau. Pire encore, s’érigeant, semble-t-il en
conseillers conjugaux a posteriori, ils tendent dans une certaine mesure à minorer la
responsabilité du conjoint violent, accablant finalement l’intéressée quant à la déchéance et la
violence de son couple. Une telle position semble particulièrement indélicate, car elle sous-
tendrait en filigrane que, la victime de violences conjugales est responsable de sa propre
situation dommageable. Or cela démontre précisément une absence de compréhension
652
Jacqueline Sauvage avait, en effet, déjà purgé plus de trois ans de sa peine de dix ans de réclusion criminelle,
en détention provisoire principalement, V. J. Pascual et N. Scheffer, « Graciée, Jacqueline Sauvage reste en
prison » , Le Monde, 13 août 2016.
653
J. Pascual et N. Scheffer, op. cit.
654
J. Pascual et N. Scheffer, ibidem.
655
Jacqueline SAUVAGE avait quatre enfants, trois filles et un fils. Les sœurs rapportent que ce dernier, battu
lui aussi par le père, devenait à son tour violent envers sa propre compagne. Informé tardivement des agressions
sexuelles que le père faisait subir à ses sœurs, il met fin à ses jours par pendaison, la veille du meurtre de son
père, V. L. Quillet, « Jacqueline Sauvage : ses filles racontent l’enfer familial », Le Figaro, 31 janvier 2016.
178
flagrante de l’autorité judiciaire quant au mécanisme même d’emprise, caractéristique des
violences intrafamiliales656. Et quand bien même, le comportement de cette victime serait
moralement regrettable à certains égards657, en l’occurrence la question est uniquement de
savoir si la femme battue – pendant plusieurs années par son compagnon – peut, dans une
situation de détresse extrême, se défendre elle-même.
Cette affaire met donc véritablement en exergue une problématique sociale et judiciaire non
négligeable. Elle rappelle que les moyens de lutte contre les violences conjugales doivent
encore être améliorés sur le plan du traitement et de la détection de ces
dysfonctionnements658. Comment demander à la femme meurtrière, alors même qu’elle est
consciente que son acte constituait sa dernière chance de sauver sa vie et celle de ses proches,
de le regretter ? Faut-il calomnier une seconde fois la victime de violences domestiques ? Ou,
au contraire, est-ce à la société et à ses instances de prendre toute la mesure de leur
responsabilité659?
656
V. supra, n°107 et s.
657
On l’a vu, la victime peut parfois souffrir de certaines carences affectives, la poussant à s’engager dans une
relation conjugale dysfonctionnante, V. supra, n°127 et s.
658
V. infra, n° 226.
659
Les filles SAUVAGE témoignent à l’occasion d’une interview pour la presse. Selon elles, la sœur cadette –
abusée sexuellement par son père également – aurait fugué du domicile familial à son adolescence, pour se
rendre à la gendarmerie. Souhaitant déposer une plainte, elle aurait confié à l’agent le lourd calvaire familial.
Mais paniquée par l’arrivée de son père (accompagné de sa mère) à la gendarmerie, elle aurait demandé à retirer
sa plainte. Elle aurait été giflée par le gendarme la qualifiant de délinquante et refusant de croire en son récit.
Après cet épisode, le mutisme des trois sœurs se serait encore un peu plus intensifié. Malheureusement, à une
époque où la sensibilisation de l’opinion publique et des professionnels, aux spécificités de la violence familiale
était quasi inexistante, aucune procédure n’avait été mise en place, en vue de s’informer de la situation réelle de
la famille de la mineure. Eu égard à la réaction du gendarme, il est possible de penser que Jacqueline
SAUVAGE également ait été confortée dans son propre mutisme, V. L. Quillet, op. cit.
660
P. Crozon, Les violences faites aux femmes, Rapport d’information n°3514 fait au nom de la délégation aux
droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, Assemblée nationale, 17 février
2016, p. 20 sq, spéc. p. 24.
179
s’appréciera le danger de mort. En effet, ce danger devra-t-il être apprécié in abstracto ; c’est-
à-dire en observant l’effroi que ces agressions et menaces provoqueraient chez toute personne
prudente et raisonnée ? Ou faudra-t-il au contraire l’apprécier in concreto, c’est-à-dire en
fonction du ressenti personnel de la victime considérée et placée dans des circonstances
particulières.
Il a encore été proposé d’adopter en droit pénal français – pour définir une présomption de
légitime défense – les conditions cumulatives de la légitime défense prévues par l’article 34
du code criminel canadien 661 . Ce code prévoit en effet que bénéficie de cette cause
d’irresponsabilité la personne qui « croit, pour des motifs raisonnables, que la force est
employée contre elle ou une autre personne, ou qu’on menace de l’employer […]», qui
« commet l’infraction dans le but de se défendre ou de se protéger[…] » et qui « agit de façon
raisonnable dans les circonstances ». Le caractère raisonnable de l’acte doit s’apprécier selon
la situation personnelle de la victime : la nature de la menace ou de la force ; la taille, l’âge, le
sexe et les capacités physiques des parties en cause ; la nature, la durée et l’historique des
rapports entre les parties – notamment tout emploi de la force ou de menace avant l’incident
662
. Une telle solution paraît intéressante en ce qu’elle permettrait de prendre en considération
le sort de la femme auteur d’un meurtre à visée défensive. Néanmoins, elle nécessiterait de
refondre entièrement l’article 122-5 du code pénal ou de créer une nouvelle disposition
relative à une légitime défense assimilée.
Pourtant, sans aller aussi loin, il ne faudrait pas oublier que les textes pénaux contiennent déjà
des outils qui permettraient de prendre en considération la situation de la femme meurtrière de
son conjoint violent. En effet, en l’espèce, il est clairement demandé au droit pénal de tenir
compte de l’état psychologique de l’auteur au moment de l’incident et du mobile de son acte.
Cela revient à apprécier la situation d’emprise de l’auteur, son propre ressenti quant à
l’actualité du danger, ainsi que la relation antérieure de violences. Et bien que par principe,
ces éléments soient indifférents en droit pénal, ils déterminent notamment les décisions
relatives à l’individualisation de la peine.
Or, c’est également l’accumulation de ces éléments qui conforte la meurtrière dans l’idée que
la commission de l’infraction est le seul moyen de s’en sortir ou de protéger sa famille. On
661
Il s’agit d’une proposition de Catherine Le Margueresse, juriste et ancienne présidente de l’Association
européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), V. P. Crozon, op. cit., p. 25.
662
Ces éléments sont expressément prévues par la loi criminelle canadienne, V. art. 34 du Code criminel
canadien, P. Crozon, ibidem, p. 26.
180
retrouve finalement exprimée ici l’idée de contrainte, cause subjective d’irresponsabilité
prévue par l’article 122-2 du code pénal. Ce texte précise que « n’est pas pénalement
responsable la personne qui a agi sous l’empire d’une force ou d’une contrainte à laquelle
elle n’a pu résister ». Cependant, cette contrainte ou force majeure – à défaut d’être physique
– serait morale. Ainsi, il s’agirait d’une contrainte morale externe, en raison des menaces,
pressions, violences exercées par le conjoint sur la victime, de manière répétée. Mais il
s’agirait également d’une contrainte morale interne. En effet, au moment de l’acte, dans la
psychologie de la femme, le meurtre de l’époux apparaît comme l’unique solution pour
survivre ou pour protéger ses enfants.
Ainsi, par opposition à la jurisprudence classique relative à la contrainte morale interne663,
lorsque l’on se trouverait en présence d’un passif conjugal violent, on pourrait envisager que
la femme puisse invoquer à son profit cette cause. Notons, d’ailleurs, que la jurisprudence a
déjà eu l’occasion de prononcer des acquittements sur le fondement de la contrainte morale
interne, s’agissant de non-représentation d’enfants. En effet, la Cour d’appel a eu l’occasion
d’exonérer de toute responsabilité, des grands-parents ayant commis une infraction de non-
représentation d’enfant, de peur que le père de leur petit-fils, d’origine algérienne, ne l’enlève
à l’occasion de son droit de visite et d’hébergement664. C’est dire que les juges pénaux sont à
même d’apprécier souverainement les circonstances particulières de violences et de détresse
qui peuvent entourer un meurtre d’autodéfense, à condition qu’on leur en donne les moyens.
Aussi, faut-il insister sur le fait que toutes ces propositions de réformes ne sont que des
remèdes à court, ou moyen terme665. La seule manière de garantir à ces femmes obligées de
tuer leur époux pour survivre, un meilleur sort, est de poursuivre les progrès réalisés en amont
en terme de formation et de sensibilisation des magistrats à la problématique des violences
conjugales, à l’accueil et à l’accompagnement des victimes. Toutefois, il est possible de se
663
De manière constante, la jurisprudence refuse de conclure à la non-imputabilité de l’acte lorsque la contrainte
éprouvée par l’auteur lui est personnelle, V. Cass. crim., 11 avril 1908 ; DP. 1908. 1. 261, rapp. Mercier.
664
Dijon, 19 décembre 1984, RSC. 1985. 812, obs. G. Levasseur ; Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit.,
n°461, p. 549.
665
Pour illustration, la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les
femmes posait également – suite à l’affaire SAUVAGE – la question d’une incrimination expresse du
« féminicide » en droit pénal, V. P. Crozon, ibidem, p. 6-16. Or, une telle infraction présenterait des difficultés
probatoires évidentes. En effet, la caractérisation de l’élément intentionnel dépendrait de la faculté de la partie
civile à démontrer que le meurtre a été commis, précisément, parce que la victime était une femme. De plus,
cette entreprise serait particulièrement surfaite et purement symbolique. En effet, l’entrée en vigueur du nouveau
Code pénal en 1994 a permis d’objectiver la loi pénale, avec notamment la suppression d’infractions telles que le
parricide ou l’infanticide. Or, suivant des fins politiques et féministes, l’incrimination du féminicide apparaît
fortement connotée et ne présenterait aucune utilité juridique pratique.
181
demander si la commission d’un tel meurtre par un homme battu à l’encontre de son épouse,
conduirait à une même prise de conscience aujourd’hui.
Le droit pénal français distingue deux types de défaillances familiales à l’encontre du mineur :
celles relevant du délaissement ou de l’abandon du mineur (§1) et celles relatives à la mise en
péril du mineur (§2). Dans ces différents cas de figure, ce qui est pénalisé c’est l’abstention de
l’auteur.
156. Généralités. – Le délit d’abandon de famille prévu par l’article 227–3 du code pénal
étant largement approfondi dans les développements subséquents667, nous nous contenterons
d’envisager ici l’incrimination de délaissement de mineur.
666
V. infra, n° 303 et s.
667
V. infra, n°299.
182
de l’article 223-3 du code pénal incriminant le délaissement de personne vulnérable668. On
aurait d’ailleurs pu concevoir que la minorité de quinze ans ne constitue qu’une simple
circonstance aggravante de cette dernière. Cependant, le délit de délaissement de l’article 227-
1 contient certaines particularités, créant une disparité de protection entre les mineurs
victimes. Ainsi, s’agissant de son élément matériel, le délaissement incriminé à l’article 227-1
protège de manière précise que les mineurs de moins de quinze ans. Il faudrait en déduire par
conséquent, que l’article 223-3 du code pénal ne s’applique qu’au mineur de plus de quinze
ans et au majeur vulnérable. Autrement, nous serions en présence d’une redondance
d’incrimination stérile669. Dans ces deux cas de figure (le mineur de moins de quinze ans
d’une part, celui de plus de quinze ans d’autre part), le législateur entend clairement garantir
une protection à la victime, précisément en raison de sa fragilité. Cependant, la preuve de
cet état de vulnérabilité ne sera pas rapportée de la même façon, en fonction qu’il s’agisse du
mineur de moins de quinze ans ou du mineur de plus de quinze ans. En effet, pour la
constitution du délaissement de l’article 223-3, la situation de vulnérabilité doit être
expressément caractérisée puisque le texte précise que « la personne ne doit pas être ne doit
pas être « en mesure de se protéger ». Ainsi, il existe à la charge des juges du fond une
obligation de démontrer en quoi l’âge, l’état physique ou psychique de la victime (maladie,
handicap, grossesse, toxicomanie670) la plaçait dans l’incapacité de se protéger671.
A l’opposé, lorsqu’il s’agit du délaissement du mineur de moins de quinze ans (article 227-1),
il existe une présomption de vulnérabilité relevée ipso facto, c’est-à-dire du seul fait du jeune
âge 672 . Par conséquent, le délaissement de ce mineur sera toujours considéré comme
délictueux. Cela semble devoir se justifier par le fait que le mineur de quinze ne peut subvenir
valablement à ses besoins alimentaires, financiers ou de santé, seul. Dès lors, il se voit
irrémédiablement exposé à un danger compromettant gravement sa vie ou sa santé. Ceci
semble moins patent pour l’adolescent de plus de quinze ans plus autonome et pour lequel il
sera nécessaire de vérifier les circonstances particulières justifiant sa vulnérabilité.
668
V. infra, n° 308.
669
V. contra, G. Roujou de Boubée, J. Francillon, B. Bouloc et Y. Mayaud, Code pénal commenté article par
article. Livres I à IV, Dalloz, 1996, p. 282 ; J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, 5ème éd., Paris,
Editions CUJAS, 2010, n°673, p.400.
670
G. Roujou de Boubée, J. Francillon, B. Bouloc et Y. Mayaud, op. cit., p. 281 ; F. Alt-Maes, « Le délaissement
d’une personne hors d’état de se protéger », J.-Cl. pén. 2009, fasc. n°20, n° 16-18 (actualisation en 2012).
671
A. Gouttenoire et M. C. Guérin, « Abandon d’enfant ou de personne hors d’état de se protéger », Rép. pén.
2015, n°14.
672
F. Alt-Maes, « Le délaissement de mineur », op. cit., n°8.
183
Concernant ensuite l’agent de l’infraction de délaissement de mineur de quinze ans, sa qualité
vis-à-vis de l’enfant importe peu, en l’absence de précision textuelle. Dès lors, peut être
auteur de l’incrimination tant le parent du mineur, qu’un tiers 673 . Néanmoins, cette
incrimination ne se comprend que dans la mesure où il existe préalablement une prise en
charge du mineur par l’auteur, qu’elle soit temporaire ou non, juridique ou seulement de
fait674. De plus, le délaissement du mineur de quinze ans, tout comme le délaissement du
mineur de plus de quinze ans, nécessite pour sa constitution, un fait matériel d’abandon675.
Cet acte doit, selon une jurisprudence pérenne, être « un acte positif, exprimant de la part de
son auteur la volonté d’abandonner définitivement la victime » 676 . Par conséquent, une
omission ne peut jamais être constitutive d’un délaissement punissable. Dès lors, ne commet
pas un abandon positif et définitif, le couple qui – suite à un malentendu relatif à l’exercice
de la garde – ne se déplace pas afin de récupérer leurs trois enfants restés seuls sur le quai
d’un port maritime677.
Pourtant, le défaut de sanction du délaissement par abstention peut aboutir à un vide juridique
déplorable, en dépit de la gravité des faits commis. Ainsi, n’a pas été reconnue coupable de
délaissement par la Cour de cassation, la personne qui s’est opposée à l’assistance d’une aide-
ménagère au domicile de sa mère alors âgée de quatre-vingt-quatre ans et sortant d’une
longue hospitalisation 678 . La même décision a été retenue s’agissant du prévenu qui a
congédié l’équipe médicale soignant sa mère de quatre-neuf ans, laissant ainsi cette dernière
macérer dans ses excréments, souffrant d’escarres et de déshydratation679. Ces deux cas
d’espèce correspondraient – en réalité – à une privation de soins.
Mais, ce délit ne s’applique qu’aux mineurs de moins de quinze ans révolus, au détriment des
mineurs de plus de quinze ans et des majeurs hors d’état de se protéger. Au demeurant, de tels
faits pourraient tout au plus se rapprocher de l’infraction d’omission de porter secours à
673
On pourrait alors très bien imaginer la complicité par instigation de l’ascendant du mineur délaissé. C’est
d’ailleurs ce que semblait envisager l’ancien art. 349 à travers l’expression « exposer ou faire exposer, délaisser
ou faire délaisser ».
674
A. Gouttenoire et M. C. Guérin, « Abandon d’enfant ou de personne hors d’état de se protéger », Rép. pén.
Dalloz, 2015, n°12 et 38.
675
Si auparavant, l’ancien article 349 du code pénal retenait alternativement « le délaissement » ou
« l’exposition en un lieu solitaire », aujourd’hui le texte ne vise plus que l’acte unique de délaissement.
676
Cass. crim. 23 février 2000, pourvoi n° 99-82. 817, D. 2000. 106 ; RSC 2000. 609, obs. Y. Mayaud.
677
Cass. crim. 23 février 2000, préc. Dans ce cas d’espèce, la décision a étonnamment été rendue au visa de l’art.
223-3 de C. pén., alors qu’aucun des mineurs n’avaient plus quinze ans (11, 14 et 15 ans). Dans tous les cas, la
solution des juges de la Haute juridiction aurait été la même au visa de l’article 227-1, en présence d’un acte
d’abstention.
678
Cass. crim. 13 novembre 2007, pourvoi n° 07-83. 621, RSC 2008. 342, obs. Y. Mayaud.
679
Cass. crim. 9 octobre 2012, pourvoi n° 12-80. 412, AJ pén. 2013. 39, note J. Lasserre Capdeville.
184
personne en péril conformément à l’article 223-6 alinéa 2 du code pénal et punie de cinq ans
d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Le péril peut résulter dans ce cas de tout
événement, le texte ne distinguant pas selon la nature de celui-ci680. En somme, en exigeant
que l’acte d’abandon soit positif, il semble que la jurisprudence accorde au mineur de quinze
une protection bien plus efficace que celle accordée à ses aînés. Cette différence de traitement
paraît d’autant plus incompréhensible que la loi n’opère aucune distinction sur la nature de
l’abandon. Selon un auteur, « la jurisprudence prend [ici] une grande liberté avec le code
pénal »681. D’un point de vue sémantique de plus, le terme « délaisser » signifie « mettre en
abandon, laisser sans secours »682. Cette définition ne s’oppose donc aucunement à la prise
en compte d’une abstention. En l’occurrence, deux options sont possibles. Soit, le juge se
résout à interpréter l’acte de délaissement largement, en opérant un revirement de
jurisprudence qui ne manquera pas d’être salué par la doctrine. Soit, le législateur se résout à
créer une infraction de privation de soin plus générale, prenant en considération toute
personne vulnérable et pas uniquement le mineur de quinze ans.
En outre, le délit de délaissement est une infraction intentionnelle en vertu de l’article 121-3
du code pénal. Il suppose la volonté de l’auteur d’abandonner définitivement la charge de
l’enfant683. Comme nous l’avons vu précédemment, le caractère définitif de l’abandon est une
condition prétorienne. Ainsi, les juges ajoutent un dol spécial pour la caractérisation de cette
infraction, qui n’est pas initialement exigé par le texte.
S’agissant enfin du régime de l’infraction, elle devient un crime en fonction de son résultat
dommageable. Ainsi, elle sera punie de vingt ans de réclusion criminelle lorsque l’abandon
aura entraîné une mutilation ou une infirmité du mineur (article 227-2 du code pénal) et de
trente ans de réclusion quand il aura été suivi du décès du mineur (article 227-3 du code
pénal). En outre, l’article 227-1 du code pénal prévoit un fait justificatif, qui fera disparaître le
caractère infractionnel du délaissement, lorsqu’il aura permis de garantir la santé et la sécurité
de l’enfant. C’est le cas concrètement de l’abandon du mineur aux mains d’un foyer, d’une
famille d’accueil ou toute autre personne prenant la charge de l’enfant, d’un hôpital, etc. …
680
Cass. crim. 31 mai 1949, RSC 1949.746, obs. L. Hugueney. Il doit encore être être imminent et requérir une
intervention immédiate, V. Cass. crim ., 30 octobre 1990, Dr. pén. 1991, comm. 39, obs. M. Véron.
681
Cass. crim. 9 octobre 2012, pourvoi n° 12-80. 412, AJ pén. 2013. 39, note L. Capdeville, in fine.
682
C. Blum, J. Pruvost, K. Alaoui, G. Bady, Le Nouveau Littré. Édition augmentée du Petit Littré, 2004,
« Délaisser ».
683
J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, 6ème éd., Paris, Editions CUJAS, 2014, n° 670.
185
Dans cette hypothèse, en effet, il s’agit de confier le mineur à des personnes aptes à en
prendre soin. Cela vise à ne pas accabler les individus, qui placés dans une situation de
précarité, de détresse ou simplement par choix, décident de se déposséder de la charge de
l’enfant au profit d’un autre (l’accouchement sous X par exemple).
Ce délit est défini par l’article 227-17 du code pénal comme « le fait par, le père ou la mère
de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales, au point de compromettre la
santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur ». Ce délit est puni de deux
ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
Ce délit suppose préalablement que soit établie l’existence de liens de filiation entre l’auteur
et la victime nécessairement mineure. Seuls les père et mère peuvent se rendre coupables
d’une telle infraction, à l’exclusion donc des autres ascendants, collatéraux ou tiers689.
684
Art. 227-3 situé dans la section II du Code pénal «De l’abandon de famille ».
685
Art. 357-1 ancien C. pén.
686
P. Pédron, « La soustraction d’un parent à ses obligations légales », J.-CI. Pén. Code, fasc. 20, 2008, n° 98 -
99.
687
Santé, sécurité, moralité et éducation de l’enfant, V. P. Pédron, op. cit., passim.
688
Il est dorénavant inséré à la Section V « De la mise en péril des mineurs ».
689
Notons que l’article 227-17-2 du code pénal prévoit que « les personnes morales responsables, dans les
conditions de l’article 121-2 du code pénal, des infractions définies aux articles 227-15 à 227-17-1 » – donc
l’abandon moral ou matériel inclus – encourent l’amende prévue pour les personnes physiques quintuplée. . En
somme, l’article 227-17-2 a une portée ténue s’agissant de ce délit, sauf à considérer que la personne morale
puisse être complice de l’abandon moral ou matériel de mineurs. Ce serait le cas par exemple d’une personne
morale qui encouragerait les père et mère de l’enfant à se soustraire à leurs obligations légales, V. Cass. crim. 11
186
Matériellement, le délit nécessite un fait de soustraction aux obligations légales, devant
entraîner un résultat précis : celui de compromettre soit la santé, soit la sécurité, soit la
moralité, soit l’éducation de l’enfant. Les juges doivent préciser dans leur décision, lesquels
des effets dommageables précédents a eu la soustraction sur le mineur690. Par ailleurs, la
soustraction peut se manifester de plusieurs manières différentes : un départ définitif du foyer
par exemple691. Mais, cette soustraction peut ne pas être uniquement physique. Ainsi, un
parent peut quitter le domicile familial, mais continuer à entretenir des relations affectives
avec son enfant et subvenir à ses besoins. A l’inverse, il se peut qu’un parent cohabite avec
son enfant, mais manque à ses obligations élémentaires de soins et d’éducation envers lui692.
L’ancien article 357-1 du code pénal précisait les différentes modalités de commission de
l’infraction, toujours opérantes aujourd’hui. Ainsi, la soustraction peut consister dans de
« mauvais traitements », des « exemples pernicieux d’ivrognerie habituelle ou d’inconduite
notoire »693, du « défaut de soins ou un manque de direction nécessaire ». D’une manière
générale, un comportement parental malsain ou immoral peut constituer cette soustraction,
comme par exemple le cautionnement par le parent de la commission d’une infraction par son
enfant694. Enfin, il n’est pas exigé que l’atteinte portée à l’intérêt de l’enfant soit irréversible
pour que soit constitué l’abandon695. Intentionnellement, l’auteur doit avoir eu conscience de
manquer à ses obligations parentales et des conséquences de ce manquement sur la santé, la
sécurité, la moralité ou l’éducation de l’enfant. Cependant, il n’est pas nécessaire qu’il ait
recherché ces conséquences.
juillet 1994, pourvoi n° 93-81. 881 (un mineur de moins de quinze ans envoyé en Inde par ses parents afin d’y
recevoir un enseignement religieux dispensé dans une école dirigée par une secte).
690
Cass. crim. 6 mars 1956, Bull. crim. n° 218.
691
Il s’agissait de la définition initiale de l’infraction d’abandon de foyer. Aujourd’hui, ce comportement ne
constitue qu’une modalité de commission de l’infraction d’abandon moral ou matériel de mineur.
692
Pour l’exemple d’un père vivant avec son enfant et compromettant sa moralité de par son comportement : V.
infra, n°349, Montpellier, ch. corr. 3ème, 29 avril 2008, n° 07/01622. Il en va de même de la mère qui ne
dénonce pas les faits d’inceste commis par son époux sur sa fille : Lyon, 28 mars 1970, RSC 1997. 636, obs. Y.
Mayaud.
693
Dans cette hypothèse, l’abandon moral se rapproche de l’infraction de provocation de mineur à une
consommation habituelle et excessive d’alcool prévue par l’art. 227-19 du C. pén.
694
Montpellier, ch. corr. 3ème, 29 avril 2008, précité. Un père cautionne et bénéficie du recel commis par son
fils.
695
Cass. crim., 11 juillet 1994, n° 93-81. 881, JCP 1995. II. 22441, note F. Eudier.
187
lors, ce fait justificatif semble opérant surtout en cas de départ du foyer, à condition que ce
motif soit grave. Constitue par exemple un tel motif, l’abandon de foyer en raison de
violences conjugales subies par l’un des époux696.
Cette qualification d’abandon matériel de mineur est particulièrement proche de celle de non-
respect d’instruction des mineurs (articles 227-17-1 et R. 624-7 du code pénal) que nous
étudierons postérieurement697. Cela est encore vrai pour la qualification de privation de soins
des articles 227-15 et 227-16 du code pénal.
696
C’est le cas du mari qui quitte son foyer en raison du caractère violent de son épouse : T. corr. Clamecy, 10
juillet 1946, D. 1946. 412.
697
V. infra, n° 342 et s.
698
Pour une illustration, Cass. crim. 1er février 1989, pourvoi n° 88. 83-984, Bull. crim. n°42, RSC 1989.739
obs. Levasseur : « La qualité de concubin de la mère de la victime ne confère pas, à elle seule, l’autorité de fait
[…], sans indication d’aucune autre circonstance, telle la cohabitation de l’accusé avec la victime, de nature à
établir l’autorité qu’il exerçait sur elle » ; V. aussi précédemment Cass. crim. 29 juin 1976, pourvoi n° 76-
90.604, Bull. crim. n°233.
699
T. corr. Poitiers, 11 octobre 1901 et Poitiers, 20 novembre 1901 ; D. 1902. II. 81. Les faits sont les suivants :
une jeune fille souffrant d’aliénation mentale a été séquestrée dans des conditions déplorables par sa mère et
privée de soins, dans une chambre sans lumière pendant plusieurs années. Le frère de la victime s’étant résigné à
cette situation, rendait régulièrement visite à sa sœur. À la mort de sa mère, ce dernier a accompli la mission qui
lui avait été confiée par elle, de veiller sur sa sœur tout en la maintenant dans cet état de séquestration et de
privation. Le frère était poursuivi et condamné en première instance pour complicité par aide ou assistance de
violences. En appel cependant, les juges l’ont acquitté estimant qu’aucune disposition pénale ne permettait
d’incriminer sa conduite : ni la complicité – le prévenu n’ayant pas eu la volonté ni la conscience de s’associer à
une infraction principale punissable ; ni les violences ou voies de fait qui supposent un acte positif ; ni la
privation de soin ou d’aliments.
188
victime ait été confié à la charge de l’auteur700. Aujourd’hui, ces faits seraient sanctionnés
heureusement au titre de l’omission de porter secours à une personne en péril (article 223-6
susvisé), ne nécessitant aucun lien d’autorité entre les protagonistes.
Toutefois, les juges précisaient dans leur motivation que la prévenue, placée dans une
situation d’isolement et de « grande détresse morale », n’avait jamais souhaité tuer ou faire
de mal à l’enfant. Or, un tel raisonnement ne fait point obstacle à la qualification de
délaissement de mineur et ne justifie pas davantage celle de privation de soin, puisque ni
l’animus necandi ni le motif de l’abandon ne sont requis pour constituer les deux
700
L’intéressé a également été acquitté en ce que l’infraction de privation ne s’étendait pas aux aliénés mentaux.
701
Cass. crim. 2 mars 1989, pourvoi n° 88-81. 764, Inédit. Il est possible de relever une privation d’aliments par
personne ayant la garde, à l’encontre d’un mineur de 11 onze pesant « 26 kilos pour une taille de 1,32 mètres ».
702
Dijon, ch. corr., 17 juin 1998, n° 98/342. Le concubin de la mère qui ne soigne pas la mineure qui s’est brûlée
gravement lors du bain. C’est d’ailleurs à la seule initiative d’amis de la famille que le médecin a été contacté.
703
Caen, ch. des appels correctionnels, 10 juin 2011, n°10/01408. Différents travailleurs sociaux intervenant
auprès d’une famille constatent les conditions de vie déplorables dans lesquelles sont élevés les huit enfants d’un
couple : « odeurs nauséabondes, sols, murs, literie souillés d’excréments, une absence totale d’hygiène des
enfants (malodorants, vêtements repoussants, apparition de poux, de lésions cutanées) ».
704
V. supra, n° 157.
705
Douai, ch. corr. 4ème, 2 mai 2007, n° 06/02901.
189
incriminations. Par ailleurs, les juges relevaient une « reprise des relations entre la mère et
l’enfant ». Aussi, pouvait-on considérer que l’acte d’abandon n’avait pas été définitif et que
par conséquent, la qualification de délaissement n’était pas appropriée ici. Cependant, ce délit
est une infraction instantanée : l’acte d’abandon de mineur en un lieu quelconque suffit à
consommer celui-ci. Par conséquent, le repenti ultérieur de l’agent ne saurait occulter
rétroactivement son comportement délictueux. Enfin, cette préférence pour la qualification de
privation de soin présente d’autant moins de justification pratique, en l’espèce, que la
répression des deux infractions est la même : sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros
d’amende706.
Par ailleurs, la privation de soins ou d’aliments devrait constituer une infraction formelle, ne
nécessitant pas pour sa constitution l’établissement d’un résultat. Conformément à la volonté
initiale du législateur, l’élaboration du texte devait permettre de sanctionner toute mise en
péril du mineur. En effet, cette infraction était initialement destinée à prévenir la maltraitance
infantile, au sens des rapports de la Commission des lois de l’Assemblée nationale707 relatifs à
la loi n° 92-684 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du code pénal relatives à
la répression des crimes et délits contre les personnes708. Ce dessein législatif avait le mérite
706
Les juges ont prononcé une peine de quatre ans d’emprisonnement, dont trois avec sursis, ainsi qu’une mise à
l’épreuve pendant trois ans et une obligation de soins.
707
C. Jolibois, Projet de loi portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des crimes et
délits contre les personnes, Rapport n° 295 (1990-1991), fait au nom de la commission des lois, 18 avril 1991, p.
167 [En ligne : http://www.senat.fr/rap/1990-1991/i1990_1991_0295.pdf] : « Ces dispositions sont à rapprocher
de celles de la récente loi du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l’égard des
mineurs et à la protection de l’enfance qui a précisé le droit en vigueur en matière de prévention de l’enfance
martyre ».
708
Loi n° 92-684 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des
crimes et délits contre les personnes, JO du 23 juillet 1992, p. 9875.
190
de prévoir un champ d’incrimination plus étendu : le fait de privation seul suffit à engager la
responsabilité de la personne ayant autorité sur l’enfant.
Pourtant, elles ne sauraient être exclues de cette étude, précisément parce qu’à défaut
d’exclusion textuelle expresse, le parent ou la personne ayant autorité sur l’enfant est
potentiellement susceptible de commettre ces actes. Par exemple, a été reconnue pénalement
responsable de provocation de mineur à commettre un délit (article 227-21 du code pénal), la
mère interpellée avec sa fille mineure de seize ans alors qu’elles commettaient un vol dans un
supermarché et qui fait preuve de complaisance à propos de vols commis par cette dernière716.
Ici, seule l’infraction de provocation à la consommation habituelle et excessive d’alcool, qui a
trait plus directement que les autres au cadre familial, sera approfondie. Aux termes de
l’article 227-19 du code pénal, est pénalement punissable « le fait de provoquer directement
un mineur à la consommation habituelle et excessive de boissons alcooliques ». L’infraction
est punie de deux d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Lorsque ce délit aura été
perpétré à l’encontre d’un mineur de quinze ans ou moins, la peine sera portée à trois ans
d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende717.
715
V. art. 227-18 et s., al. 2 du C. pén.
716
Pau, ch. corr. 1, 27 mars 1996, n° 239-96, Inédit ; pour des faits similaires, Rouen, ch. corr. 9 mai 2007, n°
06/00778, Inédit (un père de deux garçons mineurs de quinze et dix-sept ans, leurs demandait lorsqu’ils étaient
hébergés chez lui, de commettre des vols d’alcool et d’outillage aggravés dans des habitations). Il était reproché
à la mère son comportement « irresponsable » et « déviant » vis-à-vis de sa fille à laquelle elle montrait un
mauvais exemple.
717
De même, l’article 227-29 du code pénal prévoit plusieurs peines complémentaires, au nombre desquelles
figure notamment l’interdiction des droits civiques, civils et de famille d’une durée de cinq ans maximum en
l’occurrence ; Art. 131-26 du C. pén : le juge des tutelles la faculté de priver l’auteur de son droit d’être tuteur ou
curateur de ses propres enfants.
718
Egalement, pourra se rendre coupable d’une telle infraction un auteur mineur (de dix-sept ans, par exemple)
ou jeune majeur qui ferait preuve de persuasion auprès de la victime, l’incitant à s’enivrer.
193
commettre des actes précis et non une simple allusion aux actes en question »719. Elle doit
ensuite être habituelle et excessive. Ces deux notions sont abstraites et laissent place à une
interprétation large. Concernant, le caractère habituel de la consommation, cela signifie que
cette dernière ne peut être occasionnelle. Ici, le législateur a souhaité faire échapper à la
répression le fait de proposer de l’alcool à un mineur dans le contexte particulier de fêtes de
famille720. Dans tous les cas, le caractère habituel de la consommation ne revêt pas ici une
définition juridique721 , sinon une définition factuelle 722. Ce raisonnement semble devoir
s’étendre au caractère excessif de la consommation, notion de fait, qui sera déterminée au cas
par cas.
À la lecture de l’article 227-19 du code pénal, par ailleurs, il faudrait en déduire que ces deux
dernières conditions sont cumulatives (« la consommation habituelle et excessive de boissons
alcooliques »). Aussi, une consommation qui resterait faible ou raisonnable ne suffirait-elle
pas à caractériser la provocation, quand bien même elle serait habituelle. Or, cela revient à
réduire considérablement l’efficacité de la répression. En effet, une consommation habituelle
même non excessive n’en demeure pas moins préjudiciable pour la santé de l’enfant.
Inversement, lorsqu’elle n’est qu’occasionnelle, mais en revanche excessive, elle peut nuire
gravement à sa sécurité et à terme à sa santé. De sorte que dans les deux hypothèses, la
provocation devrait être punissable, pour des raisons criminologiques. Dès lors, il serait
préférable que les conditions d’habitude et d’excès soient alternatives et non pas –comme
c’est le cas aujourd’hui – additionnelles. Quant à la portée de l’incrimination ensuite, il
convient d’appréhender l’indifférence de principe de son résultat et la subordination de sa
caractérisation aux dispositions de Code de la santé publique.
719
Jean Pradel et Michel Danti-Juan, Droit pénal spécial, 6ème éd., Paris, Editions CUJAS, 2014, n° 602.
720
F. Archer, « Provocation de mineur à commettre des actes illicites ou dangereux », J.-Cl. pén. 2010, fasc. 20,
n° 21 in fine ; V. Malabat, Droit pénal spécial, 7ème éd., Hypercours Dalloz, 2015, n° 671.
721
Pour une définition de l’habitude, V. C. Claverie-Rousset, L’habitude en droit pénal, Thèse de doctorat,
Université Montesquieu Bordeaux IV, 2011 ; Sur la distinction entre la notion d’ « habitude » et de
« réitération », V. Y. Mayaud, « La notion de réitération en droit pénal spécial : l’exemple des menaces », RSC.
2002. 591 ou Y. Mayaud, Droit pénal général, 5ème éd., PUF, coll. Droit fondamental, 2015, p. 213, n°174.
Selon l’auteur, « la réitération est le résultat de l’insistance, l’habitude le produit de la constance ». En effet, la
première ne nécessite pas l’écoulement d’un délai régulier entre les actes commis, contrairement à la deuxième.
722
M.- L., Rassat, Droit pénal spécial. Infractions du Code pénal, 6ème éd., Précis Dalloz, 2011, n° 395.
194
démontrée l’existence d’un résultat dommageable 723 . Le simple acte d’inciter à la
consommation suffit et il importe peu finalement que l’invitation à s’enivrer ait été ou non
suivie d’effet. Néanmoins, il est indéniable qu’à travers la répression de cet acte de
provocation, le législateur a souhaité préserver le mineur de toute atteinte à sa santé, sa
sécurité, sa morale ou son éducation engendrée par ce comportement. De ce fait, cette
infraction présente des similitudes avec celles de l’abandon moral de famille de l’article 227-
17 du code pénal et de privation de soin de l’article 227-15 du code pénal. Ainsi, dans le cas
où seraient compromises simultanément la santé, l’éducation, la sécurité et la moralité du
mineur, les juges seront confrontés à un conflit de qualification. En effet, si l’auteur commet
un unique fait portant sur tous les chefs de dommages précités, il conviendra de résoudre le
concours idéal de qualifications en retenant la peine la plus sévère. Ici, il s’agirait donc soit de
la privation de soin ou d’aliments si seule la santé de l’enfant est en danger, soit de la
provocation à la consommation d’alcool le cas échéant724.
Si l’auteur commet plusieurs actes répréhensibles, les trois infractions pourront être retenues
par les juges, en fonction de la valeur sociale protégée : la défaillance parentale ayant causé
indirectement un dommage à l’enfant ou l’unique atteinte à la santé du mineur.
En second lieu, l’incrimination de l’article 227-19 du code pénal exige pour sa constitution
que soient observées des définitions propres au droit de la santé. Ainsi, en vertu de l’article L.
3321-1 du code de la santé publique, les boissons alcooliques se définissent négativement
comme toute boisson contenant « des traces d’alcool supérieures à 1,2 degrés ».
723
F. Archer, « Provocation de mineur à commettre des actes illicites ou dangereux », J.-Cl. pén. 2010, fasc. 20,
n° 5.
724
Dans le cas où l’atteinte porterait sur des dommages autres que celui causé à la santé du mineur, seules deux
infractions se trouveraient en concurrences : l’abandon moral de famille et la provocation à la consommation de
boissons alcoolisées.
725
Papeete, ch. corr., 16 octobre 1997, n° 05/6509, Inédit. En l’espèce, les deux enfants présentaient un état
d’ivresse important et le cadet avait déjà fait un malaise dû à cette consommation excessive.
195
certaines espèces726, lorsque la provocation émane d’un parent ou d’un membre de la famille,
il semble que la preuve de l’ignorance de la minorité de la victime soit moins aisée à
rapporter.
726
Nîmes, ch. des appels correctionnels, 10 janvier 2006, n°06/00032, Inédit. La Cour avait retenu l’erreur sur
l’âge de la victime s’agissant de l’infraction de provocation de mineur à l’usage illicite de stupéfiants. Cette
solution pourrait valablement être étendue à la provocation à la consommation d’alcool. Elle estimait qu’il
convenait de relaxer le prévenu ayant consommé de la cocaïne en discothèque, sans qu’il puisse être établi qu’il
a directement proposé cette substance aux deux mineures, ni qu’il avait connaissance de leur minorité.
196
Conclusion du Titre I
Pourtant, un tel critère de « normalité familiale » est impropre à fonder, en droit pénal, une
définition de la famille dysfonctionnelle. En effet, trop abstrait, d’une part, il ne repose sur
aucune certitude scientifique. Trop partial, d’autre part, il a pour effet d’exclure du champ de
protection de la loi pénale certaines réalités conjugales et familiales. Enfin, peu fiable, ce
critère ne résiste ni au subjectivisme de l’observateur, ni aux évolutions sociales. Aussi, est-il
préférable de faire le choix d’apprécier la santé de la famille, au regard d’un critère de
fonctionnalité ou de dysfonctionnalité.
198
Titre II - LA PRISE EN CHARGE DU
DYSFONCTIONNEMENT FAMILIAL
727
Il s’agira notamment des privations de soins de particulière gravité, des provocations de mineurs à commettre
des actes répréhensibles.
199
Chapitre I. La révélation du dysfonctionnement familial
Par conséquent, deux moments clés doivent être abordés. D’une part, il s’agit de la
dénonciation du dysfonctionnement familial (Section I), acte nécessaire à la révélation dudit
dysfonctionnement. D’autre part, la poursuite et la condamnation dudit dysfonctionnement
dépendra du choix des autorités publiques de le considérer comme digne d’un traitement
pénal (Section II). C’est ainsi, par cette opération de qualification pénale, que le simple
trouble familial devient un trouble à l’ordre public punissable.
165. L’acte de dénonciation. – La dénonciation, telle qu’employée ici, doit être entendue
dans son sens le plus large. Il s’agit simplement de « l’acte par lequel une personne
quelconque informe les autorités de la commission d’une infraction »728. Ainsi, inclurons-
nous sous cette notion générale, à la fois l’acte de dénonciation stricto sensu, la plainte et le
signalement. La dénonciation, peu importe la forme qu’elle prend, joue un rôle primordial
dans la découverte, mais aussi dans la poursuite des infractions commises. En effet,
classiquement, la révélation du délit suppose qu’il réponde à un critère d’extranéité ; soit qu’il
sera facilement constatable par les services de police (en cas de flagrance par exemple), soit
qu’il puisse être porté à la connaissance de ces services par la victime ou par un tiers. Or,
commis dans le contexte spécifique de la famille, le délit ne sera pas immédiatement apparent,
car dissimulé. Dès lors, de manière paradoxale, bien qu’il fasse rarement l’objet d’une
dénonciation, cette dénonciation demeure la seule voie de révélation du dysfonctionnement.
Et c’est bien là que réside la complexité de la criminalité domestique : tout le système
répressif déployé autour de son élucidation, de son évaluation statistique, de sa poursuite et
728
B. Bouloc, Procédure pénale, 25ème éd., Précis Dalloz, 2015, p. 390, n° 396.
200
finalement de sa répression, dépend uniquement du bon vouloir de la victime à dénoncer les
faits …
729
V. infra, n° 117.
730
R. Cario, Victimologie. De l’effraction du lien intersubjectif à la restauration sociale, 4e éd., L’Harmattan,
2012, p. 99 sq.
201
168. La question de la dénonciation du dysfonctionnement familial pose plusieurs
difficultés propres à la criminalité intrafamiliale. Parmi ces difficultés deux, en particulier,
doivent être relevées. Premièrement, cette criminalité familiale est difficilement quantifiable
(A). Deuxièmement, la preuve de cette criminalité est difficile à rapporter (B).
170. La spécificité familiale. – La délinquance n’est pas constitutive d’un fait indivisible.
La mesurer suppose de pouvoir la subdiviser en plusieurs infractions identifiables et
effectivement incriminées 732 . Mais, dès lors qu’il est question d’appréhender chaque
infraction composante d’une unité de grandeur plus générale qu’est la délinquance, certaines
difficultés se posent. En effet, pour une même infraction pénale, il existe de multiples formes
de criminalités. Ainsi, le meurtre de masse n’est assimilable ni au meurtre en série733, ni à
l’homicide passionnel 734 . Or, chaque forme de criminalités possède ses caractéristiques
propres, de même que les auteurs et victimes de ces criminalités possèdent des profils
criminologiques authentiques. Ainsi, par exemple, la mère meurtrière n’est pas le tueur en
série ; simplement parce que ces deux criminels ne sont pas animés par les mêmes
motivations. En effet, le tueur sériel vit le meurtre comme le moyen de laisser libre cours à
731
G. Stefani, G. Levasseur et R. Jambu-Merlin, Criminologie et science pénitentiaire, 2ème éd., Précis Dalloz,
1970, p. 52, n° 53.
732
A. Bauer, C. Risk et C. Soullez, Statistiques criminelles et enquêtes de victimation, Paris, PUF, « Que sais-
je ?», 2011, p. 105.
733
Bien qu’il en soit proche ; V. pour plus de précisions, G. Bousquet, Contribution à une étude juridique du
meurtre en série, Thèse de doctorat, Université Montpellier, 2011, p. 62 sq.
734
V. supra, n°154 et s.
202
ses pulsions et tensions sexuelles sadiques. Les crimes répétés sont légitimés par une quête
renouvelée de l’intensité d’un fantasme éphémère, jamais réellement atteint735. A contrario,
bien que l’acte de tuer puisse être répété par la mère à chaque nouvelle grossesse736 – ou
commis en un même trait de temps sur plusieurs de ses enfants737, son comportement est
souvent justifié par un sentiment altruiste ou d’empathie738. L’infanticide précède d’ailleurs,
dans la majorité des cas, le suicide réussi ou tenté de la mère ; « elle l’emporte, considérant
qu’il ne pourra pas vivre sans elle »739.
Enfin, parmi les différentes formes de délinquance relevées, il en existe certaines qui
demeurent plus difficiles à mesurer que d’autres. C’est notamment le cas, de criminalités qui
touchent profondément à l’intimité des victimes et de leurs proches, dès lors moins enclins à
les dénoncer. De ce fait, la délinquance intrafamiliale, de par sa nature, apparaît en partie
insaisissable. Trois raisons complémentaires et essentielles peuvent expliquer cela ; la
première tient au huis clos familial (1), la deuxième au faible taux de dénonciations de ces
comportements familiaux répétés en toute impunité (2), et la troisième au caractère lacunaire
des statistiques recueillies (3).
735
G. Bousquet, op. cit., p. 52.
736
L’ « affaire des bébés congelés » est sûrement l’une de celles qui fut le plus médiatisée, tant elle a pu créer
l’effroi au sein de l’opinion publique. Cette femme, d’ores et déjà mère de deux garçons, a été reconnue
coupable, le 18 juin 2009, du triple infanticide de ses nouveau-nés. Deux d’entre eux seront découverts par son
époux entreposés dans le congélateur, alors que le couple résidait à Séoul ; V. S. Des Deserts, « L’affaire des
bébés congelés : “Je ne pouvais pas l’abandonner” », Le Nouvel Observateur, 30 juillet 2013.
737
Geneviève Lhermite, était mère de cinq enfants âgée de six à quatorze ans. Exaspérée par son quotidien, elle
évoque certaines violences conjugales, mais surtout une cohabitation oppressante avec l’homme qui était
considéré comme le bienfaiteur de la famille et le père affectif de son conjoint. L’intéressée est reconnue
souffrante d’un état de dépression grave, par les experts judiciaires. Elle a d’ailleurs écrit, avant la commission
des faits, une lettre à son psychiatre traitant lui confiant qu’elle avait des idées suicidaires et qu’elle comptait
« prendre ses enfants avec elle puisqu’il n’y avait plus d’avenir ». Dans l’après-midi du 28 février 2007, elle
égorgera ses cinq enfants, l’un à la suite de l’autre, avant de tenter de se donner la mort, en vain ; P. Avril,
« L’infanticide : l’expertise psychiatrique fait débat », Le Figaro, 18 décembre 2008.
738
Laurence Naït-Kaoudjt, mère d’une fille Méline, alors âgée de huit ans et gravement handicapée, l’a étranglée
à l’aide d’une écharpe en 2010, avant de tenter de se suicider. Selon la mère, elle aurait eu avec sa fille, une
« relation fusionnelle » et aurait agit par amour. Au moment de l’acte, elle aurait proféré ces mots : « Seigneur,
prenez ma fille », V. S. Durand-Souffland, « Actes d’amour ou meurtre : l’émouvant procès d’une mère qui a tué
sa fille handicapée », Le Figaro, 15 septembre 2015.
739
Propos de R. Coutanceau, V. L. Quillet, « Pourquoi les tueurs en série sont presque toujours des hommes »,
Le Figaro, 6 janvier 2015.
203
discrétion. Ce qui relève de l’intimité ne s’expose pas sur la place publique. Le foyer est vécu
comme le lieu où se partage le meilleur comme le pire. A fortiori, lorsque règne au sein d’une
famille une atmosphère d’insécurité, que certains membres du groupe exercent sur les autres
une contrainte, une domination et une emprise de tous les instants, il est logique que
s’intensifie l’omerta familiale. En effet, les sentiments de peur et de honte musellent les
victimes.
Par ailleurs, le domicile familial est le lieu privilégié des violences puisqu’il est propice à une
proximité, voire une promiscuité entre les membres du groupe. De cette manière, l’auteur du
comportement répréhensible bénéficie de la dissimulation tangible que constitue le foyer. En
effet, ce dernier le protège des regards indiscrets ou des immixtions extérieures. Dès lors,
selon une étude de l’Insee, « le caractère souvent intime de ces violences peut expliquer la
résignation de ces victimes, qui peuvent penser que rien d’extérieur ne parviendra à changer
leur situation personnelle »740.
Aussi, la criminalité familiale est plus difficilement appréhendable, puisque moins visible. Par
conséquent, le recueil de données complètes sur la réalité de ce phénomène criminel devient
délicat, voire impossible.
740
L. Tournyol du Clos et T. Le Jeannic, « Les violences faites aux femmes », Insee Première, n°1180, 2008, p.
3 (en ligne) : http://www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1180/ip1180.pdf.
204
une certaine sensibilisation ou une formation du tiers, à la particularité de la violence
intrafamiliale.
Ainsi, par exemple, la bonne réalisation de l’enquête « Cadre de vie et sécurité » (CVS)741 a
exigé, de la part des enquêteurs, une certaine discrétion dans l’approche du ménage
dysfonctionnel, notamment s’agissant du protocole de collecte des informations. En effet,
alors que les entretiens enquêteurs-enquêtés étaient majoritairement menés en face-à-face, en
présence de violences dites sensibles (violences sexuelles, physiques, menaces), ces entretiens
prenaient la forme de questionnaires individuels auto–administrés. Ce système permettait de
garantir à la victime une véritable confidentialité. Elle répondait sur un micro-ordinateur aux
questions de l’enquêteur qui lui étaient posées via un casque audio. L’enquêteur avait, de
plus, pour directive de tout mettre en œuvre pour isoler l’enquêté, à moins que cela ne crée
des tensions palpables au sein du ménage et n’expose l’intéressé à un risque de représailles742.
173. Quelques chiffres. – La sphère familiale de l’individu reste l’espace où il subit le plus
de violences. Pourtant, paradoxalement, le taux de révélation de ces violences demeure le plus
faible. Ainsi, les données du Ministère de l’intérieur établissent, que 43% des violences
infligées dans l’espace public font l’objet d’un signalement, contre 8% seulement s’agissant
des violences conjugales 743 . De plus, on estime encore aujourd’hui que neuf auteurs
pédophiles sur dix, ayant échappé à toute condamnation, sévissent au sein de leur famille744.
Une étude réalisée au Centre national d’observation des prisons de Fresnes745 a d’ailleurs pu
démontrer, dès les années 1990, que dans la majorité des cas, les pères incestueux n’avaient
741
V. supra, n° 92.
742
M. Duée, L. Jaluzot et S. Picard, « La victimation : un sujet sensible qui nécessite des approches
supplémentaires », Economie et Statistiques, n° 448-449, 2011, p. 85 (en ligne) :
http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ES448D.pdf.
743
De plus, 32% des violences perpétrées dans le milieu professionnel font l’objet d’une révélation. V. D.
Bousquet et G. Geoffroy, Lutte contre les violences faites aux femmes, Rapport d’information n°1799 au nom de
la mission d’évaluation de la politique de prévention, Assemblée nationale, 7 juillet 2009, p. 33 (en ligne) :
http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i1799-t1.asp.
744
M.-C. Sordino (dir.), Droit pénal et criminologie : entre guerre et paix ?, Colloque, Intervention de Mathieu
Lacambre, psychiatre, UMR 5815 « Dynamiques du Droit », Université de Montpellier, 19 juin 2015.
745
Roland Coutanceau a contribué à cette étude menée au Centre national d’observation des prisons (CNO) de
Fresnes. Il en retrace les principaux résultats, V. R. Coutanceau, « Dangerosité criminologique et prévention de
la récidive : évaluer la dangerosité sans stigmatiser l’homme », L’information psychiatrique, n° 8, vol. 88, 2012,
p. 641-646.
205
aucun antécédent judiciaire (90%). Seuls 5% avaient des antécédents pour des atteintes à la
personne, et 5% autres présentaient des antécédents de violences sexuelles sur le même enfant
ou un autre enfant de la famille. Ces chiffres sont intéressants, puisque s’ils mettent en
évidence un taux de récidive particulièrement bas des faits incestueux post-incarcération
(5%). En revanche, ils donnent à déplorer un faible taux d’élucidation de ces infractions qui
se réitèrent sans cesse dans l’intimité familiale, sans jamais faire l’objet d’une révélation ou
d’une condamnation.
174. Une démarche de dénonciation souvent malaisée. – Il est très rare que l’initiative de
la dénonciation soit aussitôt consécutive au premier acte de violence. En effet, les liens
familiaux et affectifs qui unissent la victime à son bourreau rendent cette démarche délicate.
La victime, qu’il s’agisse d’ailleurs du conjoint ou de l’enfant victime, aura souvent le
sentiment de trahir l’être aimé – époux ou parent abusif. En effet, le processus d’emprise,
détaillé plus haut749 contribue à créer chez l’individu dominé une loyauté et un sentiment
d’empathie à l’égard de l’auteur, qui déconcertent souvent l’entourage de la victime et
746
C. Helfter, « Maltraitance envers les enfants : un drame largement sous-estimé », Informations sociales.
L’enfant au cœur des politiques sociales, n° 160, 2010, p. 123.
747
C. Helfter, « Maltraitance envers les enfants : un drame largement sous-estimé », op. cit., p. 123.
748
A. Sarrot, « Procès de Fabienne Kabou : la naissance d’Adélaïde a été “un moment d’émerveillement”,
Metronews, 21 juin 2016.
749
V. infra, n° 109.
206
l’opinion publique. De surcroit, la dénonciation des violences est surtout douloureuse en
raison de la crainte ressentie vis-à-vis de l’agresseur, et surtout la honte et la culpabilité
éprouvées par les victimes de ces violences.
Au surplus, la pratique associative de l’aide aux victimes met en évidence une forme de
scepticisme des victimes vis-à-vis de l’efficacité des autorités publiques à apporter une
véritable issue à leurs souffrances. Ainsi, 39,4% des victimes de violences physiques dans le
ménage estiment l’action des services de police peu ou pas efficace, selon une étude de
l’Insee750. De même, fréquemment, les victimes se plaignent du comportement des officiers
de police lors du dépôt de plainte, de la qualité de l’accueil et de l’écoute accordés751. De
même, lors de la conduite des différents entretiens victimes au Bureau de l’aide aux victimes
du Tribunal de grande instance de Montpellier, nous avons pu constater de prime abord, une
réticence des femmes victimes de violences conjugales à s’en remettre aux structures de prise
en charge des victimes, vécues comme une intrusion dans leur intimité. Cette réaction est
notamment due au fait que ces femmes refusent d’être traitées en victimes, statut ayant à leurs
yeux une connotation profondément négative752.
Par ailleurs, pour le tiers extérieur à la cellule familiale (proche, voisin ou professionnel),
ayant connaissance de la situation de violences, l’acte de signalement n’est pas non plus chose
facile. Premièrement, il existe dans la société française – certainement pour des raisons
culturelles – une réprobation de la délation. Souvent, l’inaction des témoins directs ou
indirects des violences s’explique par un excès de pudeur ou par une peur de représailles.
De plus, dans certains cas, la « connaissance » des mauvais traitements infligés au sein de la
famille se limitera à de simples soupçons. De facto, la passivité du tiers peut résider dans la
crainte de se tromper sur la réalité des violences familiales et de mettre en péril la paix et la
cohésion d’un foyer. Prenons l’exemple de l’enseignant qui pense déceler chez un de ses
élèves des signes de mauvais traitements. C’est le cas de Sarah, enseignante en école
750
L. Tournyol du Clos et T. Le Jeannic, op. cit., p. 3.
751
A. Fraud, juriste de l’association d’aide aux victimes d’infractions pénales, Propos recueillis le 9 octobre
2016, Montpellier.
752
Entretien victime, Association d’aide aux victimes d’infractions pénales, Montpellier, 25 avril 2016. Lorsque
que Catherine se présente au Bureau d’aide aux victimes, elle semble faire preuve d’une sorte de détachement et
de défiance vis-à-vis des conseils de la juriste de l’association d’aide aux victimes. À la question « Acceptez-
vous votre statut de victime ? », elle répondra « C’est difficile à accepter. Surtout quand on va à la médecine
légale, on nous regarde comme une femme battue. C’est difficile tout ça ». Elle avouera alors : « Ma mère a vécu
ça et j’ai l’impression de revivre ce qu’elle a vécu. Donc je préfère m’éloigner de tout ça …».
207
primaire, en Guadeloupe753, qui relate les récits préoccupants d’une élève souffrant d’un
retard psychomoteur et élevée par son père. L’enfant évoque régulièrement des scènes de
proximité excessive avec son père. Pour autant, elle nous avoue en ces termes : « Quand bien
même j’aurais certains soupçons, je semble être la seule de mes collègues à être interpellée
par ces comportements. En parler à mon directeur d’établissement revendrait à engager une
procédure de signalement dans laquelle mon identité serait révélée. Dans le cas où le parent
le saurait je serais directement exposée, d’autant plus qu’il n’y a aucun référent, psychologue
scolaire ou assistante sociale, ayant un bureau sur place et pouvant jouer le rôle
d’intermédiaire entre le parent et l’enseignant »754.
Par ailleurs, cette précaution dans la dénonciation peut se comprendre eu égard aux risques de
poursuites pénales pour cause de dénonciation calomnieuse, auxquelles s’expose l’auteur du
signalement.
753
Pour des raisons de confidentialité, l’identité de l’auteur de ce témoignage ne sera pas renseignée.
754
Témoignage spontané d’une enseignante d’école primaire, Guadeloupe, le 3 juin 2015.
755
C’est le cas, par exemple de la plainte avec constitution de partie civile directement dirigée contre une
personne identifiée.
756
Le classement sans suite ne peut plus fonder les poursuites pour dénonciation calomnieuse, depuis la réforme
du nouveau Code pénal de 1994, V. anc. art. 373 du C. pén.
757
Cass. crim., 17 février 2009, pourvoi n° 08-85308, Inédit ; Dr. pén. 2009, comm. 76, obs. M. Véron.
208
souverainement si l’auteur de la dénonciation était ou non de mauvaise foi758. Également,
l’alinéa 3 du texte précise que, dans tous les cas, les juges apprécient la pertinence des
accusations portées par le dénonciateur.
Toutefois, pour certaines infractions ou contextes de dénonciations spontanées,
l’intentionnalité des faits peut découler de leur matérialité. C’est le cas, premièrement, des
violences sexuelles imposées à la victime par un conjoint, un parent ou tout autre membre de
la famille. En effet, le dénonciateur de faits de viol peut difficilement se prévaloir d’une
erreur d’appréciation quant à la qualification des faits, à partir du moment où ces derniers
supposent un acte matériel tangible de pénétration759. Dès lors, la mauvaise foi de l’intéressé
pourra être considérée comme découlant de la simple fausseté de la dénonciation et sera
soumise au prononcé de la décision d’acquittement, de relaxe ou de non-lieu.
Mais ce peut être le cas, deuxièmement, de la mère victime des violences de son ex-conjoint
ou concubin, qui soupçonnerait ce dernier d’abuser de l’enfant au cours des périodes de visite
ou d’hébergement chez le père. Ces situations de coparentalité, conflictuelles voire violentes
post-rupture, sont complexes à dénouées tant le contexte et les antécédents familiaux et
conjugaux sont lourds. Le parent ayant obtenu la garde de l’enfant – dans la majorité des cas,
il s’agira de la mère – sera soupçonné de vouloir spolier l’autre parent de son autorité
parentale ; et vice-versa. Ainsi, les soupçons d’aliénation parentale dont est victime l’enfant
par un de ses parents peuvent conduire les juges pénaux à remettre d’emblée en question la
bonne foi du dénonciateur760.
En somme, l’effet dissuasif de cette qualification pénale est évident compte tenu du frein à la
révélation d’éventuelles violences intrafamiliales, qu’elle représente.
758
Cass. crim., 25 mars 2003, pourvoi, Bull. crim. n° 75 ; Dr. pén. 2003, comm. 84, obs. M. Véron. Selon la
Chambre criminelle de la Cour de cassation, « si en cas de décision définitive d’acquittement, de relaxe ou de
non-lieu déclarant que la réalité du fait n’est pas établie ou que celui-ci n’est pas imputable à la personne
dénoncée, les juges ne peuvent pas apprécier la pertinence des accusations portées, ils restent néanmoins tenus
de motiver leur décision au regard de l’existence de la mauvaise foi chez le dénonciateur ».
759
Une telle confusion se comprendrait mieux s’agissant d’infractions sexuelles telles que les agressions autres
que le viol ou le harcèlement. En effet, l’appréciation par la victime du caractère sexuel de l’acte peut varier
d’une personne à une autre.
760
Sur le syndrome d’aliénation parentale (SAP) particulièrement controversé, V. not. G. Lopez, « Analyse
éthique du syndrome d’aliéantion parentale (SAP) ou aliénation parentale (AP) », AJ. Fam. 2013. 283.
761
G. Geoffroy, Lutte contre les violences faites aux femmes, Rapport n°1799 au nom de la mission d’évaluation
de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, Assemblée Nationale, 7 juillet
2009, p. 168.
209
relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples
est venue modifier légèrement le texte de l’article 226-10 du code pénal. En effet, l’ancienne
rédaction de l’alinéa 2 de cette disposition prévoyait que la fausseté du fait dénoncé découle
nécessairement de la décision d’acquittement, de relaxe ou de non-lieu, « déclarant que le fait
n’a pas été établi ». Cela impliquait qu’à compter du moment où une de ces décisions était
rendue, pour cause d’insuffisance de preuves762, la fausseté de la dénonciation était présumée
et les poursuites engagées. Dorénavant, la formule litigieuse est remplacée par la suivante :
« la décision d’acquittement, de relaxe ou de non-lieu, déclarant que le fait n’a pas été
commis ». De ce fait, le législateur a entendu réduire le champ d’application des décisions
susceptibles de fonder la répression du délit de dénonciation calomnieuse.
762
Il s’agit ici du non-lieu pour insuffisance de preuve (durant la phase d’instruction) et de l’acquittement ou la
relaxe pour bénéfice du doute (durant la phase de jugement).
763
V. Gautron, « L’évaluation de la politique criminelle : des avancées en trompe- l’œil ? », Arch. Po. Crim., n°
30, 2008, p. 206.
764
H. Matsopoulou, « Quelques réflexions sur la place des statistiques dans la politique pénale », in Politiques
criminelles. Mélanges en l’honneur de Christine Lazerges, 2014, p. 235.
210
formulé quant à leur instrumentalisation politique au service d’un discours sécuritaire765.
Cette décrédibilisation n’est d’ailleurs pas nouvelle. Elle concernait déjà dès 1991, les
données générées par l’Institut des hautes études de sécurité Intérieure (INHESI)766 auquel on
reprochait fréquemment son alliance au ministère de l’Intérieur767. À l’heure actuelle –
l’ « État 4001 » – outil d’analyse statistique dont se sont dotés la police judiciaire et la
gendarmerie dès 1972, répertorie en principe (sous cent sept index) tous les faits délictueux
enregistrés par ces services. Or, outre l’incomplétude de ces données limitées aux seuls faits
portés à la connaissance de l’administration policière768 par plainte769, il est possible de
déplorer leur versatilité interprétative. En effet, leur recueil peut être faussé par les directions
hiérarchiques reçues par les commissariats et gendarmeries dès la constatation des infractions
commises770. Mais, surtout, parce que ces statistiques sont représentatives de l’activité d’un
service donné, il n’est pas impossible de soupçonner une manipulation et un défaut de
sincérité dans l’établissement de ces chiffres par les agents771.
Dès lors, nous le voyons, qu’il s’agisse des statistiques policières ou judiciaires, elles ne
semblent pas des plus efficaces pour aider à une révélation fiable de la délinquance
domestique, d’autant plus que celle-ci est dissimulée. Toutefois, nous devons convenir de
progrès certains dans la recherche de nouveaux outils d’évaluation de la délinquance. Citons
par exemple le recours, de plus en plus fréquent, des administrations gouvernementales à
l’INSEE des enquêtes de victimation, depuis une dizaine d’années. Il s’agit actuellement de
l’outil de mesure le plus complet en matière d’évaluation de la délinquance, intrafamiliale y
compris. Ainsi, par exemple, les indicateurs variés de l’INSEE permettent de mener une
765
R. Gassin, S. Cimamonti et P. Bonfils, Criminologie, 7e éd., Dalloz, coll. Précis, 2011, p. 148, n°164 ; H.
Matsopoulou, « Quelques réflexions sur la place des statistiques dans la politique pénale », op. cit., p. 235.
766
Cet Institut a été remplacé en 2004 par l’Institut national des hautes études de sécurité (INHES), puis en
2008 par l’actuel l’Institut national des hautes études de sécurité et de la Justice (INHESJ).
767
V. Gautron, op. cit., p. 203. L’auteur parle d’une « tutelle ministérielle ».
768
À l’exclusion des autres administrations douanières ou fiscales par exemple.
769
Une autre difficulté se pose dès lors. Le lieu étant pris en compte dans cet outil étant le lieu de dépôt de
plainte et non pas celui de commission de l’infraction, il est impossible de donner une idée fiable de la
physionomie géographique de la délinquance.
770
Sénat, Le projet de loi de finances pour 2012 adopté par l’Assemblée Nationale, Avis n°112, fait par E.
Assassi, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du
Règlement et d’administration générale, enregistré à la Présidence du Sénat le 17 novembre 2011, p. 15.
771
C. Caresche et R. Pandraud, Sur la création d’un Observatoire de la délinquance, La Documentation
Française, Coll. des Rapports officiels, Janvier 2002, p. 13 (en ligne) :
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/024000053.pdf].
211
analyse en perspective du crime au sein d’un contexte social et économique particulier772. De
plus, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) adopte une
« une approche multisources »773 de la délinquance, débordant le simple cadre des plaintes
enregistrées par les services de police et de gendarmerie, et les juridictions répressives.
Elle consiste, dans un premier temps, à recenser toutes les sources d’informations774 – qu’il
s’agisse des personnes impliquées (victimes et auteurs) ou des services verbalisateurs –
permettant d’appréhender le phénomène criminel. En effet, la délinquance est multiple ; aussi,
son appréhension globale est-elle plus difficile. De ce fait, elle exige de mobiliser une grande
variété d’indicateurs. Par exemple, la compréhension et l’estimation du phénomène
d’infanticide en France devraient nécessiter de recueillir – non seulement – les données
fournies par les services de police et de gendarmerie, mais également les données répertoriées
par les organismes médicaux et médecins légistes, sur les morts inexpliquées ou suspectes du
nourrisson.
Dans un deuxième temps, cette approche multisource nécessite de confronter entre eux les
résultats obtenus à partir des différentes sources. Aussi, la délinquance n’étant pas une réalité
unique, c’est l’analyse en évolution des résultats qui permettra de donner une vue d’ensemble
de la criminalité. Il est par exemple possible, de cette manière, de dégager une tendance
générale de l’évolution (convergence ou divergence ; hausse ou baisse) et un ordre de
grandeur entre le taux de plaintes enregistrées par les services enquêteurs et la propension de
personnes se déclarant victimes d’un comportement délictueux donné selon les enquêtes de
victimation.
Néanmoins, ce système de l’enquête de victimation comporte, lui aussi, des carences en ce
qu’aucun outil ne permet aujourd’hui d’offrir une certitude pleine et entière. Ainsi, de l’aveu
même des acteurs de l’ONDRP, les chiffres qu’ils produisent peuvent contenir une marge
d’erreur liée au contexte politique ou matériel qui entoure leur recueil775. De plus, ces études
de victimation ne reposent que sur les seuls témoignages des personnes enquêtées, se
772
L’INSEE a intégré récemment une étude de la délinquance à son étude annuelle relative aux « Conditions de
vie des ménages », V. B. Aubusson de Carvalay, N. Lalam, R. Padieu, P. Zamora, « Les statistiques de la
délinquance », in France, portrait social, Paris, La Documentation française, p. 150.
773
A. Bauer, C. Risk et C. Soullez, Statistiques criminelles et enquêtes de victimation, Paris, PUF, « Que sais-
je ?», 2011, p. 108.
774
Ainsi, l’ONDRP recense les informations d’administrations aussi diverses que les douanes, les hôpitaux, ou la
Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. De plus, sa
composition hétéroclite lui permet de condenser un large panel d’indicateurs : des maires, des députés, des
sénateurs, un chercheur, un universitaire, un membre du barreau, ect.
775
H. Matsopoulou, « Quelques réflexions sur la place des statistiques dans la politique pénale », ibidem, p. 237-
238.
212
déclarant victimes776. Ainsi, rien ne permet d’attester que l’enquêté n’a pas menti ou exagéré
sa situation personnelle. Enfin, ces études quantitatives, menées à grande échelle, ne
permettent guère de s’attarder sur les aspects qualitatifs relatifs à la mesure de la délinquance
(les origines de la délinquance, le suivi du parcours à moyen ou long terme des victimes
enquêtées et de la famille, ect.).
Ainsi, une vision plus locale de la délinquance semble nécessaire, et notamment s’agissant de
la délinquance intrafamiliale. En effet, actuellement, bien qu’un rapprochement certain ait eu
lieu entre les autorités policières et judiciaires et les associations d’aide aux victimes777, bien
que la justice coopère davantage avec le monde enseignant dans la détection de violences
intrafamiliales, l’échange concret d’informations a encore du mal à prospérer entre ces
acteurs. En effet, il est possible de déplorer une certaine culture du cloisonnement de ces
différentes institutions, conservant leurs informations pour leurs besoins personnels.
Cela n’est guère étonnant puisqu’au sein même de ces structures, la communication est
complexe. Ainsi, par exemple, Michel VELAYANDON, mandataire judiciaire à la protection
des majeurs, de l’Union départementale des Associations familiales (UDAF) de
Guadeloupe778, constatait des difficultés à faire « vivre le réseau » associatif et à mesurer la
délinquance locale. En effet, l’UDAF779 semble déconnectée des réalités du terrain et des
préoccupations véritables de la population. Selon lui, le seul moyen aujourd’hui d’évaluer
cette délinquance et d’agir directement dans l’intérêt des familles serait de définir des
objectifs d’action à l’échelle même des petites associations familiales de commune,
bénéficiant d’une proximité directe avec le fait social. L’acteur social doit donc
nécessairement jouer un rôle d’ « ascenseur », faisant remonter les données – notamment
criminelles – à partir du terrain, vers la classe dirigeante.
De même, Sylvie Chantelauze, chef du service éducatif au foyer « Les Pressoirs du Roy » de
Samoreau (rattaché à la fondation Cognac Jay), témoigne également de ces difficultés de
776
L’enquête « Cadre de vie et sécurité » (CVS) prend en considération une «“victime déclarée” afin de bien
insister sur le caractère déclaratif du statut de victime », C. Rizk, « Éléments de profil des hommes et des
femmes de 18 à 75 ans ayant déclaré avoir été victimes de violences physiques et sexuelles sur deux ans par
conjoint cohabitant. Enquêtes “ Cadre de vie et sécurité ” Insee-ONDRP de 2008 à 2014 », op. cit., p. 7.
777
En témoigne, la généralisation de l’installation de bureaux d’aide aux victimes dans tous les postes de police,
unités de gendarmerie et tribunaux de grande instance.
778
M. Velayandon, Propos recueillis lors d’un entretien mené au service Mandataire Judiciaire, Basse-Terre, 25
mai 2015.
779
La mission de l’UDAF est de représenter l’ensemble des familles d’un département, plus précisément leur
intérêts matériels et moraux. Le concours du service Mandataire judiciaire peut être notamment sollicité au cours
de la procédure pénale, pour l’accompagnement du majeur protégé, victime ou prévenu. Il travaille, de plus,
souvent en coordination avec les familles des majeurs, M. Velayandon, op. cit.
213
communication d’informations, en l’occurrence des services de l’Aide sociale à l’enfance
(Ase) vers le service éducatif du foyer780.
177. Une tendance à l’exigence d’une preuve matérielle des violences. – Qu’elles soient
corporelles, sexuelles ou psychologiques, les violences subies doivent être démontrées.
Toutefois, on constate que, spécifiquement pour ces violences infligées dans le « sas
familial », l’acte même de dénonciation est fonction de la capacité du dénonciateur à
rapporter la preuve de l’atteinte. Ainsi, bien qu’il ne soit pas nécessaire au dépôt de plainte, le
certificat médical – établi par un service de médecine légale781 et constatant les violences –
conditionne fortement la caractérisation de l’infraction et la poursuite des faits par le Parquet.
En effet, c’est cette expertise médicale qui permet d’établir la gravité de l’infraction. Par
exemple, on le sait, la détermination de l’incapacité totale de travail tient une place
essentielle dans la qualification des infractions de violences volontaires et le quantum de la
peine782.
En conséquence, l’expertise médicale permet au procureur de la République de décider de
l’orientation à donner à la plainte. Aussi, en l’absence de constatations médicales, il peut
décider de classer sans suite pour insuffisances de preuve. Or, une enquête menée à l’appui de
l’activité judiciaire de tribunaux d’Albi et de Castres a montré que deux plaintes sur trois ont
été classées faute de certificat783. C’est dire que même si, en principe, l’absence de certificat
médical ne conditionne pas la poursuite de l’enquête judiciaire, cette donnée à un impact
fondamental dans le prononcé de la réponse pénale.
Cette confusion entre la dénonciation et la preuve de l’infraction est regrettable. En effet, les
violences physiques et sexuelles, en ce qu’elles laissent des blessures corporelles palpables,
780
S. Chantelauze, Propos recueillis lors d’un entretien mené au foyer « Les Pressoirs du Roy », novembre 2013,
Samoreau.
781
Généralement, ce service est constitué de deux pôles : un institut médico-légal (IML) chargé des
prélèvements et examens post-mortem à la demande des autorité judiciaires et, une unité médico-légale (UMJ)
compétente pour réaliser tous les prélèvements nécessaires à la procédure pénale et pour garantir aux victimes un
pré-accompagnement médical et psychologique.
782
Art. 222-11, 222-12, 222-13, 222-14, R. 624-1 et R. 625-1 du C. pén.
783
F. Dieu et P. Suhard, Justice et femme battue. Enquête sur le traitement judiciaire des violences conjugales,
L’Harmattan, 2008, p. 90. Les auteurs relèvent en effet que sur quarante-deux décisions judiciaires prises en
l’absence de certificat médical, vingt-trois étaient des classements sans suite.
214
sont aisément perceptibles. Mais, il en va différemment de violences et mauvais traitements
psychologiques qui eux ne laissent aucun hématome visible. De plus, l’action du temps rend
l’expertise ineffective, à propos de violences familiales, dont le moment de la commission est
majoritairement dissocié de celui de leur constatation.
En face, la victime paraîtra bien souvent plus démunie, moins convaincante. Elle pourra
sembler dispersée dans ses propos, plus angoissée ; parfois même exaltée ou au contraire plus
intimidée. Il ne faut pas oublier également que, dans le cas où les violences auront duré
plusieurs années, la victime pourra se trouver dans un état de dépression avancé, susceptible
de faire douter de sa santé mentale et par la même de sa crédibilité. Ces personnalités
troublées peuvent inspirer aux professionnels du corps judiciaire785 et à l’opinion publique,
de la méfiance.
784
Mais cela sera encore valable pour l’enfant victime de violences physiques ou psychologiques de la pat de
son parent.
785
L’histoire de Jacqueline Sauvage, âgée de soixante-huit ans, a été passée au crible par les médias. Mais il
semblerait que les souffrances subies par ses quatre enfants, trois filles et un fils (ayant mis fin à ses jours), ne
soient pas des moindres. Ainsi, la presse rapporte que, le conjoint violent imposait à ses trois filles et à son
épouse des viols et des agressions sexuelles, dans le silence le plus complet. Les femmes, entre elles, ne parlaient
pas de ces violences ; aussi, aucune ne savait ce que l’autre endurait. Toujours selon la presse, la personnalité de
215
§2 - Les acteurs de la dénonciation
La situation du professionnel est régie par des règles particulières, puisque les dispositions
précédentes ne s’imposent pas à celui qui – par profession ou en raison de ses fonctions – est
tenu au secret en vertu de l’article 226-13 du code pénal788. Le professionnel qui révélerait
une information à caractère secret encourrait, en effet, une peine d’un an d’emprisonnement et
de 15 000 euros d’amende. Toutefois, par exception, la loi n° 2015-1402 du 5 novembre
2015789, a introduit à l’article 226-14, 1° et 2° du code pénal, une protection du professionnel
de santé ou de tout professionnel qui, de bonne foi, signalerait les privations ou les sévices
Jacqueline Sauvage est décrite comme « endoctrinée » et « prolixe ». Cette dernière semble source de perplexité
chez les spectateurs. V. L. Quillet, « Jacqueline Sauvage : ses filles racontent l’enfer familial », op. cit.
786
V. sur les immunités familiales, infra, n° 317 et s.
787
Loi n°2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, JO du 15 mars 2016, texte n°1 ; A. Cerf-
Hollender, « Aspects pénaux de la loi relative à la protection de l’enfant », L’Essentiel, Droit de la famille et des
personnes, n°5, 15 mai 2016, p. 6.
788
Le professionnel qui révèlerait une information à caractère secret encourrait une peine d’un an
d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
789
Loi n° 2015-1402 du 5 novembre 2015 tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de
maltraitances par les professionnels de santé, JO du 6 novembre 2015, p. 20706.
216
commis à l’encontre d’un mineur et dont il aurait connaissance. Désormais, dans un tel cas, le
professionnel ne saurait voir sa responsabilité pénale, civile ou disciplinaire engagée.
Ce tempérament légal est opportun, puisque n’ayant plus à craindre la menace de la sanction,
le professionnel de santé – premier acteur le plus à même de détecter l’existence de mauvais
traitements – sera libre de communiquer les informations en sa possession en vue de protéger
la victime. Mais au-delà, cela permet à tout professionnel d’apprécier le moment le plus
adéquat pour procéder au signalement. Comme nous le verrons plus loin, en effet, il peut être
nécessaire, dans l’accompagnement du mineur soupçonné d’être victime de mauvais
traitements, de ne signaler les agissements délictueux que lorsque ce dernier se sent prêt à en
témoigner790.
790
Sur le signalement et le placement, V. infra, n° 223.
791
F. Beck, C. Cavalin et F. Maillochon, Violences et santé en France : état des lieux, Paris, La Documentation
Française, 2010, p. 92 sq.
217
détection d’indices et de signaux particuliers. Néanmoins, il semblerait que la victime se
confie plus facilement à ces acteurs, qu’aux forces de police, selon une étude de l’Insee792.
792
Selon cette étude de 2008, la police ne réceptionnerait que 12% des plaintes et mains courantes pour les
violences physiques et 8% pour les violences sexuelles. A contrario, dans ces deux cas de violences, 19% des
victimes se confieraient à un professionnel, V. L. Tournyol du Clos et T. Le Jeannic, « Les violences faites aux
femmes », ibidem. Toutefois, notons que l’enquête EVS relève, deux ans plus tard, des résultats différents. En
effet, selon celle-ci, les victimes dénonceraient plus spontanément les faits aux autorités policières (32 % des cas
pour des violences sexuelles), qu’elles ne se confieraient aux autres professionnels (dans seulement 11% des cas
pour le même type de violences), V. F. Beck, C. Cavalin et F. Maillochon, op. cit., 2010, p. 92.
793
C. Caresche et R. Pandraud, Sur la création d’un Observatoire de la délinquance, La Documentation
Française, Coll. des Rapports officiels, Janvier 2002, p. 14 (en ligne) :
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/024000053.pdf].
218
De ce fait, l’appréciation du dysfonctionnement familial relève une certaine objectivité
répressive (§1). Il s’agit ici d’observer que certaines composantes du dysfonctionnement
familial ne constituent pas, au sens du droit pénal, des faits punissables. Mais, l’appréciation
du dysfonctionnement relève également de données subjectives (§2). Elles renvoient à un
questionnement simple : qui juge du caractère de gravité ou de non-gravité du trouble
familial ? En d’autres termes, cela revient à déterminer quels sont les acteurs (directs et
indirects) de justice pénale qui apprécient la gravité du dysfonctionnement.
184. L’absence de sanction pénale de l’inceste consenti entre majeurs. – L’inceste entre
adultes794 – fortement réprouvé par la loi morale et la loi civile, au titre des empêchements à
mariage des articles 161 et suivants du code civil – ne l’est point par le Code pénal. En effet,
794
Précisons également que le droit pénal ne réprime pas davantage l’inceste qui serait commis entre deux
mineurs liés pas un lien de sang.
219
comme cela a été précisé ci-dessus, les nouvelles qualifications d’inceste des articles 222-31-
1, 222-31-2 et 227-27-2-1 du code pénal ne concernent que la victime majeure795.
185. L’existence avérée d’un trouble familial, une qualification pénale d’inceste
constituée même entre majeurs. – Pourtant, indéniablement, le fait pour un père d’entretenir
avec sa fille de dix-huit ans révolus des rapports sexuels, caractérise bel et bien un inceste. De
même, le jeune majeur qui serait (encore à ce jour) victime de violences sexuelles commises
par un membre de sa famille – depuis sa minorité – ne pourrait faire porter son action796 au
titre de l’inceste que sur les faits constatés avant sa majorité. Ainsi, alors que les viols subis
pendant son enfance seront qualifiés d’incestueux, ceux établis après sa majorité seront
qualifiés de viols aggravés par la qualité d’ascendant ou de personne ayant une autorité de
droit ou de fait de l’auteur (article 222-24 du code pénal). Ce choix législatif d’exclure
l’inceste entre majeurs peut donc laisser perplexe, à partir du moment où l’acte incestueux est
parfaitement acquis.
De surcroît, si de tels faits avaient été décelés ou dévoilés dès la minorité de l’enfant, ils
seraient pénalement punissables – a maxima en tant qu’agressions sexuelles ; a minima en
tant qu’atteintes sexuelles, dans le cas où le consentement du mineur n’aurait pas été forcé.
Dès lors, on a du mal à comprendre pour quelles raisons le fait qu’ils se poursuivent après sa
majorité les rendrait subitement moins répréhensibles.
187. Les arguments relatifs à l’interdit de l’inceste en droit pénal. – D’un point de vue
anthropologique et sociologique, le mutisme du droit pénal quant à l’inceste entre personnes
majeures et surtout l’inégalité de protection des victimes majeures, peut étonner. À l’origine
de ce constat, se trouve un décalage entre les causes classiques de l’interdit de l’inceste et les
causes pénales de celui-ci.
Classiquement, la justification de l’interdit de l’inceste se trouve au croisement de plusieurs
disciplines telles que la biologie, l’ethnologie, la sociologie, la morale et le droit. Françoise
Héritier proposait une classification bipartite simple et claire des différents arguments
traditionnellement avancés pour expliquer cette prohibition798. Elle dissociait ainsi, d’une part
les « causes finalistes » de l’interdit de l’inceste, et d’autre part ses « causes efficientes ».
Les causes finalistes d’un côté, tendent à déterminer l’utilité de la prohibition de l’inceste
pour l’humanité. Les premières causes finalistes sont biologiques. Ainsi, de manière
immémoriale, les biologistes alertent sur les dangers de malformations et de
dégénérescences que les unions consanguines à répétition pourraient présenter pour les
générations futures799. Or, de toute évidence, en droit pénal, la répression de l’inceste ne
semble pas être guidée par l’évitement de tels risques d’ordre sanitaire. En effet, en ne
réprimant pas les relations incestueuses entre adultes, il tolère par là même l’éventualité de
797
R. Perrone et M. Nannini, Violences et abus sexuels dans la famille. Une vision systématique de conduites
sociales violentes, 5e éd., Paris, ESF, 2012, p. 112.
798
F. Héritier, Les deux sœurs et leur mère. Anthropologie de l'inceste, Editions Odile Jacob, 1994, p. 18-25.
799
L’accumulation des caractères homozygotes négatifs serait, selon les biologistes, à l’origine de retards de
croissance, d’infertilités ou d’un système immunitaire affaibli, F. Héritier, op. cit., p. 18.
221
reproductions consanguines entre un jeune majeur en âge de procréer – et fonder son propre
foyer – et un membre de sa famille.
Les secondes causes finalistes sont quant à elles sociologiques. Elles tiennent essentiellement
aux travaux de Freud800. Celui-ci – à travers l’observation du totémisme, système religieux et
social801 autour duquel s’organise la vie de tribus primitives – cherchait à saisir les raisons de
l’existence de l’exogamie. Cette règle consiste dans l’obligation de rechercher le conjoint à
l’extérieur de la famille, du clan ou groupe d’appartenance802. Selon cette thèse, l’exogamie
aurait une finalité de cohésion sociale. En favorisant le maintien d’une hiérarchie (une
stratification) entre les générations, elle permettrait d’éviter les rivalités et jalousies au sein du
groupe. En effet, en interdisant toute pratique incestueuse aux jeunes mâles du clan – rivaux
potentiels du chef de tribu, la règle exogamique assure « une domination du père sur toutes
les femmes du groupe »803. Là encore cet argument est insuffisant à justifier l’interdit pénal de
l’inceste, strictement restreint aux relations sexuelles entre un mineur et un de ses aînés.
Ainsi, le droit pénal ne se donne pas pour vocation de lutter contre le brouillage générationnel
au sein du foyer.
Les causes efficientes d’un autre côté, explorent davantage les raisons pour lesquelles cet
interdit de l’inceste est respecté et ancré dans nos sociétés. Ici c’est la thèse de l’imprégnation
qui est le plus souvent avancée. Selon cette thèse, il existerait chez l’homme une sorte de
répulsion innée, biologique face à la chose incestueuse. Aussi, les membres de la même
famille auraient-ils une tendance naturelle à l’évitement de l’inceste. Dans une telle
conception donc, la socialisation culturelle ne jouerait qu’un rôle accessoire. Toutefois, un tel
argument paraît peu convaincant. En effet, ce qui serait profondément ancré dans la nature
même de l’humanité, n’aurait nul besoin d’être interdit par la loi.
800
V. S. Freud, Totem et tabou. Interprétations par la psychanalyse de la vie sociale des peuples primitifs, 1ère éd.
1912, Paris, Payot, 2001.
801
S. Freud, op. cit., p. 80.
802
Sigmund Freud précisait que les civilisations primitives s’organisaient en clan totémique. À l’intérieur de ces
clans, c’est le totem qui fonde le lien de parenté entre les membres ; ainsi, la présence ou non d’un lien de sang
importe peu dans l’équation clanique. Les liens totémiques priment sur les liens strictement familiaux. Ainsi, les
hommes et les femmes d’un même clan ont interdiction de se marier et doivent élire le compagnon en dehors du
clan. Précisons ainsi que les membres d’un clan totémique pourraient sans difficulté épouser les membres d’un
autre clan, alors-même qu’ils seraient liés par un lien biologique. Ce constat vient d’ailleurs en contradiction de
la thèse finaliste biologique qui limite la définition de l’inceste à la relation sexuelle intervenant entre deux
personnes liées par un lien de sang.
803
F. Héritier, ibidem, p. 20.
222
En conséquence, il faut convenir que la répression de l’inceste trouve – essentiellement et
simplement – son fondement dans le contrat social804. Ce passage de la nature à la culture,
impose à l’individu de réfréner les pulsions sexuelles qu’il pourrait éprouver à l’égard d’un
membre de sa famille. Ceci explique donc que cet interdit social soit scellé par l’action de la
loi. À ce propos d’ailleurs, un auteur remarquait fort habilement que « si l’interdit de l’inceste
apparaît comme structurant de l’organisation sociale, le passage à l’acte incestueux
témoigne, si besoin était, que tout interdit humain ne s’intériorise que sur fond de culture
»805. Mais, si ce solide argument est entièrement vérifiable s’agissant de la prohibition civile
de l’inceste, il semble que sa prohibition pénale présente une particularité supplémentaire.
Cette dernière ne répond pas uniquement à une nécessité culturelle. Le droit pénal rattache
davantage la répression de l’inceste, à son objectif de protection spécifique des mineurs. Ce
qui justifie sa restriction aux actes sexuels commis à l’encontre de victimes mineures.
Ce faisant, il semble que le législateur ait entendu « connoter la gravité supplémentaire de
l’acte »806. De plus, d’aucuns estiment que ce choix législatif tient à la capacité du jeune
majeur à résister aux avances ou actes incestueux807. Précisons encore que dès l’âge de quinze
ans, le mineur est présumé disposer d’une liberté sexuelle lui donnant accès à une autonomie
corporelle808. Mais surtout, la vulnérabilité de l’enfant et les connaissances psychanalytiques
et criminologies actuelles permettent d’affirmer que le retentissement des violences
incestueuses sur le mineur est lourd de conséquences. En effet, une activation et une
érotisation prématurées des « parties non mûres » 809 de l’enfant – de surcroît par des
personnes devant jouer le rôle de référents de confiance à son égard – peuvent, en plus de
traumatismes physiques et génitaux irréversibles, créer un désordre affectif, psychologique et
identitaire chez la jeune victime. Or ces retombées n’impactent pas seulement la victime
directe de l’inceste, mais aussi les victimes secondaires ou futures, à savoir les enfants et
petits-enfants de la victime. D’autant plus, qu’il est aujourd’hui impossible de prédire qu’elles
seront exactement les formes que prendront les dysfonctionnements survenant au sein de ces
familles au passé incestueux.
804
G. Delors, « L’inceste en droit pénal : de l’ombre à la lumière », RSC, n°3, 2010, p. 599-600.
805
R. Coutanceau, A. Javay et M.-O. Besset, « Auteurs d’actes à caractère incestueux », in Violence et famille.
Comprendre pour prévenir, Paris, Dunod, 2011, p. 172.
806
A.-M. Leroyer, « Loi n° 2010-121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l'inceste commis sur les mineurs dans
le code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d'actes incestueux JO 9 févr. 2010, p.
2265 », RTD. civ. 2010, p. 381.
807
B. Marrion, Le mineur, son corps et le droit criminel, Thèse de Doctorat, Université Nancy 2, 2010, p. 224.
808
B. Marrion, Le mineur, son corps et le droit criminel, op. cit.
809
R. Perrone et M. Nannini, op. cit., p. 94.
223
Tous ces arguments permettent de mieux comprendre les raisons ayant poussé le législateur à
ce choix répressif. En revanche, dans le cas d’un inceste intériorisé ou accepté dès l’enfance
et se poursuivant après la majorité de la victime, cette solution reste critiquable. Elle consiste,
en effet, à faire échapper à la répression certains troubles et comportements intrafamiliaux
graves.
188. Généralités. – Même dans l’hypothèse où les faits dénoncés seraient constitutifs
d’une incrimination pénale, donc d’un dysfonctionnement familial pris en compte par le droit
pénal, il arrive qu’il soit impossible de rechercher la responsabilité de l’auteur, membre de la
famille.
189. Les causes d’irresponsabilité. – Premièrement, il arrivera que même commise par
l’auteur, le délit ne puisse pas être pénalement sanctionné. C’est le cas, lorsque sera relevée
une cause objective ou subjective d’irresponsabilité pénale au bénéfice de l’auteur. Ainsi, par
exemple, ne pourra pas être recherchée la responsabilité pénale de celui dont le discernement
aura été aboli, en raison d’un trouble psychique ou neuropsychique810. Ainsi, comme nous
l’avons vu précédemment, certaines maladies telles que le syndrome de Gilles de la Tourette
peuvent expliquer la commission de violences envers les proches du malade. Dans les
moments de crises en effet, l’agent perd tout contrôle de ses actes et peut voir son
discernement totalement aboli811.
Il en ira de même lorsque le libre arbitre de l’auteur, membre de la famille, aura été aboli par
une contrainte irrésistible et imprévisible812. Ainsi, par exemple, si l’expertise parvient à
démontrer que la femme battue, auteur de l’homicide de son mari violent, a agi par contrainte,
elle pourrait se voir exonérer de sa responsabilité pénale813. Enfin, dans le cas où l’acte
défensif de cette dernière interviendrait concomitamment à l’attaque du conjoint ou concubin
810
Art. 122-1 al. 1 du C. pén.
811
V. supra, n° 118.
812
Art. 122-2 du C. pén.
813
Sur la question de la légitime défense, du syndrome de la femme battue et de la contrainte morale, V. supra,
n° 150 et s.
224
violent, et qu’elle serait proportionnée, la circonstance de la légitime défense pourrait être
retenue814.
A. Le législateur
814
Art. 122-5 du C . pén. ; V. également l’exemple de l’affaire judiciaire LANGE, supra, n° 149.
815
Pour une étude plus détaillée des immunités familiales, V. infra, n° 317 et s.
816
R. Guillien et J. Vincent, Lexique des termes juridiques, 22ème éd., Dalloz, 2014, « Incrimination ».
817
Sur la définition de l’ordre juridique, V. supra, n°38.
225
normatives. Et, bien que « la loi pénale ne puisse naître que d’une réflexion mûrie et doive
être fondée sur un besoin social impérieux »818, c’est bien au législateur qu’il appartient de
désigner tel ou tel comportement familial – plutôt qu’un autre – comme constitutif d’un
dysfonctionnement pénalement puni. Dès lors, visons-nous plus précisément ici, la dimension
subjective ou psychologique de l’acte d’incriminer.
Par ailleurs, on remarquera que cette subjectivité législative (et politique) ne s’observe pas
uniquement à l’échelle de la politique criminelle interne d’un pays. C’est encore cette
subjectivité qui justifie qu’il existe entre plusieurs États, des divergences d’opinions et de
visions sur la réponse pénale à apporter à un même fait. Ainsi, si l’inceste entre majeurs
consentants n’est guère réprimé en France, il en va tout autrement dans d’autres nations. En
818
R. Parizot, « Pour un véritable principe de nécessité des incriminations », in Politiques criminelles. Mélanges
en l’honneur de Christine Lazerges, 2014, p. 245.
819
V. supra, n° 183.
820
V. supra, n°114.
821
Sur le mariage forcé, V. infra, n° 352.
822
Pour les éléments constitutifs de l’infraction, V. supra, n°160 ; F. Archer, « Provocation de mineur à
commettre des actes illicites ou dangereux », J.-Cl. pén. 2010, fasc. 20, n° 21.
226
effet, la Cour européenne des droits de l’homme relevait qu’ « il n’existait pas de consensus
entre les États membres du Conseil de l’Europe sur la question de savoir si des relations
sexuelles consenties entre adultes d’une même fratrie devaient ou non être pénalement
réprimées »823. Par exemple, le code répressif allemand ne fait pas de distinction entre la
répression de l’inceste entre majeurs et celle de l’inceste entre un ascendant et un descendant
mineur824. L’inceste est réprimé pénalement sous toutes ses formes, en vue de « la protection
du mariage et de la famille contre la confusion des rôles familiaux découlant de relations
incestueuses » 825 , mais également en raison des dangers que l’inceste fait courir à la
descendance du couple litigieux826.
193. Il convient d’envisager ici deux catégories d’acteurs judiciaires. D’une part, les
acteurs principaux ; nous entendons par là, les personnes exerçant des professions purement
judiciaires (1). D’autre part, les praticiens – psychanalystes, médecins, travailleurs sociaux et
autres structures d’aide ou d’accueil aux victimes – dont l’expertise vient en renfort essentiel
de l’action judiciaire (2). Chacun de ces protagonistes, à une étape spécifique de la procédure
pénale, aura à évaluer la gravité du dysfonctionnement familial dénoncé.
823
CEDH, 12 avril 2012, « Stübing c. Allemagne », req. n°43547/08. Les faits son les suivants. Un frère et sa
sœur cadette, tous deux ressortissants allemands, entretiennent une relation amoureuse de laquelle sont nés
quatre enfants entre 2001 à 2005… L’homme avait été adopté dès l’âge de sept ans par une famille d’accueil et
n’a fait la connaissance de ses parents biologiques et de sa sœur, qu’une fois devenu adulte. Toutefois, les
juridictions allemandes relevaient que la femme – de caractère introverti – vivait sous le joug de son frère et
n’était que partiellement responsable de ses actes. Ainsi, si elles ne retenaient aucune sanction contre
l’intéressée, en revanche le frère a été condamné à une peine d’un an et deux mois d’emprisonnement. La Cour
européenne des droits de l’homme est, dès lors, saisie de la requête de ce dernier, au motif que la condamnation
portait atteinte à sa vie privée sur le fondement de l’article 8 de la Convention. Mais, la Cour estima que les
juridictions allemandes disposaient, s’agissant de la répression de l’inceste, d’une « ample marge d’appréciation
».
824
Il en va de même pour les législations pénales de l’Angleterre, du Danemark ou de la Suisse, où l’inceste
même consenti entre adultes est une infraction pénale. En revanche, en Italie, les relations incestueuses librement
consommées entre majeurs ne sont pénalisées que si elles sont notoires et exposées à la vindicte publique ; V.
Division des études de législation comparée du Service des affaires européennes, La répression de l’inceste,
Rapport d’étude de législation comparée, n°102, 1er février 2002, p. 5-19 (en ligne) :
https://www.senat.fr/lc/lc102/lc102.pdf.
825
CEDH, 12 avril 2012, « Stübing c. Allemagne », req. n°43547/08, préc.
826
CEDH, 12 avril 2012, « Stübing c. Allemagne », req. n°43547/08, préc.
227
194. Les services enquêteurs. – L’évaluation de la prévalence d’un dysfonctionnement
familial donné commence dès la phase de réception et de traitement des plaintes et
dénonciations par les services enquêteurs.
827
Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des
victimes, JO du 16 juin 2000, p. 9038.
828
Art. 114, Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits
des victimes, JO du 16 juin 2000, p. 9038.
829
« Les policiers ne se déplacent pas tant qu’il n’y a pas de sang », C. Llor, psychologue de l’Association
d’aide aux victimes d’infractions pénales, Propos recueillis le 9 octobre 2016, Montpellier.
830
G. Geoffroy, Lutte contre les violences faites aux femmes, Rapport n°1799 au nom de la mission d’évaluation
de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, Assemblée Nationale, 7 juillet
2009, p. 155.
831
Bien sûr, les hommes, victimes de violences conjugales, subissent également le même accueil, lorsqu’ils ne se
voient pas de surcroit exposés aux railleries à caractère sexiste de la part des officiers de police ou de
gendarmerie.
832
G. Geoffroy, Lutte contre les violences faites aux femmes, Entretien avec Anne Jonquet, avocate, Rapport
n°1799 au nom de la mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux
femmes, Assemblée Nationale, 7 juillet 2009, p. 155.
228
connaît la particularité de cette délinquance et la réticence connue de ces victimes à déposer
plainte833.
Les enquêteurs avaient, dès lors, l’habitude d’orienter les victimes plutôt vers une main
courante ou un procès-verbal de renseignement judiciaire. Mais, ces actes n’équivalent pas à
plainte et n’en ont pas la valeur juridique, en ce qu’ils n’entraînent aucune conséquence
juridique notoire. Ainsi, le Guide méthodologique de l’action publique donne une définition
claire de ces notions. Premièrement, la main courante désigne « une simple déclaration qui
peut être faite auprès de tout service de la police nationale […]. En principe, le dépôt d’une
main courante ne donne lieu à aucune enquête, ni à aucun suivi judiciaire. Ce procédé sert
donc essentiellement à laisser une trace écrite d’un événement que la victime a subi,
834
document susceptible d’être utilisé en cas de procédure judiciaire ultérieure » .
L’établissement du procès verbal de renseignement judiciaire, deuxièmement, relève de la
compétence de toute unité de gendarmerie. Il a la même portée juridique que la main
courante ; néanmoins, lui fait l’objet d’une transmission systématique à l’autorité judiciaire835.
En somme, ces actes permettent simplement de retracer un historique des violences. Mais,
alors même que l’infraction serait constituée, ils ne garantissent aucunement – contrairement
à la plainte – une prise en charge judiciaire des faits. Ils s’accumulent souvent au fil des
années, dans l’indifférence la plus complète836.
De ce fait, en appréciant au préalable les faits qui méritent de faire l’objet d’une plainte et
ceux qui ne le sont pas, les enquêteurs confèrent à la définition du dysfonctionnement familial
une coloration particulière, teintée de subjectivisme. Ces choix – à vrai dire stratégiques –
sont les causes de plusieurs paramètres à prendre en compte. Tout d’abord, celui de la
« culture du résultat »837. En effet, dès qu’une administration est amenée à justifier des
résultats de son activité – c’est-à-dire de sa capacité à atteindre un certain nombre d’objectifs
fixés – il est possible de redouter un risque de manipulation des chiffres838 ; en ce que les
833
V. supra, n°179.
834
Direction des Affaires criminelles et des Grâces, Les violences au sein du couple, Guide méthodologique de
l’action publique, novembre 2011, p. 19.
835
Direction des Affaires criminelles et des Grâces, op. cit., p. 19.
836
Témoignage de Nathalie, V. supra, n°102.
837
A. Bauer, C. Risk et C. Soullez, Statistiques criminelles et enquêtes de victimation, Paris, PUF, « Que sais-
je ?», 2011, p. 115.
838
On peut légitimement penser ici à l’hypothèse d’une manipulation des données dans le sens d’une diminution
significative du nombre total de faits de violences conjugales relevés, en vue d’en déduire une baisse d’une
catégorie précise de délinquance.
229
acteurs de celle-ci sont également ceux qui produisent les données sur lesquelles ils seront
évalués. Ensuite, on ne peut ignorer qu’il existe, corrélé à un déficit de main-d’œuvre
qualifiée, un encombrement important des services et unités d’enquête. Cette réalité implique
d’opérer certains choix jugés prioritaires dans le traitement des affaires pénales. Enfin, il est
certain que l’ancrage de préjugés dans l’opinion publique, et notamment parmi les
professionnels de police, parfois peu ou mal sensibilisés à la question de la délinquance
intrafamiliale (ou inexpérimentés) – peut déboucher sur un tel constat.
195. Le Procureur de la République. – Bien que sa qualité d’autorité judiciaire ait été
remise en question, sur le fondement du principe de séparation des organes de poursuites et
des organes de jugement839, le Parquet conserve des pouvoirs essentiels dans le prétraitement
des affaires pénales qui lui sont transmises. Il joue, à ce titre, un véritable rôle de filtre au sein
de la chaîne pénale. Ainsi, en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale – posant le
principe d’opportunité des poursuites – c’est le procureur de la République qui apprécie la
suite à donner aux différentes plaintes, dénonciations portées à sa connaissance. Cette
prérogative lui permet donc soit de mettre en mouvement l’action publique en engageant les
poursuites à l’encontre du mis en cause, soit d’orienter l’affaire vers une mesure alternative
aux poursuites, soit enfin de la classer sans suite (article 40-1 du code de procédure pénale).
Évidemment, cette prise de décision du procureur de la République est encadrée. En effet, elle
doit s’inscrire, avant tout, dans une exigence de respect des droits de la défense et un souci
d’efficacité de la réponse pénale apportée. Au demeurant, elle suppose une part de
subjectivité attenant à l’évaluation de la gravité du dysfonctionnement. Cela est notamment
vérifiable s’agissant du classement sans suite dit de convenance ou d’opportunité. En effet, ce
classement sans suite intervient alors même que l’auteur est identifié ou l’infraction
caractérisée. Cependant, il arrive que le Procureur de la République décide d’y avoir recours
dans les cas, par exemple, où la victime aurait retiré sa plainte – ce qui est fréquent en matière
de violences conjugales. Mais ce peut être le cas, simplement lorsque le Procureur estime que
le trouble causé à l’ordre public est de faible gravité eu égard à l’investissement et au temps
qu’engendrerait la poursuite du comportement incriminé. La difficulté avec un tel motif de
classement sans suite, c’est que tous les magistrats ne placent pas leur seuil de gravité sur un
839
Entre autres affaires, V. CEDH, 1er octobre, « Piersack c/ Belgique », req. n° 8692/79.
230
même pallier ; alors que certains verront dans des insultes proférées au sein du couple comme
des violences psychologiques, d’autres n’y verront qu’une simple querelle conjugale.
Néanmoins, la pratique du classement sans suite d’opportunité a été au cœur de débats
houleux840. De même, la presssion des statistiques et la politique du résultat imposées aux
parquets par le Ministère de la Justice ont conduit ces derniers à réduire considérablement leur
taux de classements d’opportunité. D’ailleurs, la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant
adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité 841 est venue renforcer les conditions
de celle-ci. Ainsi, le magistrat a l’obligation de vérifier que les circonstances particulières
liées à la commission de l’infraction justifient le classement (article 40-1 3° du code de
procédure pénale). De plus, afin de proposer une meilleure adaptabilité et une diversité de la
sanction, mais également d’éviter les classements secs, le recours a un classement sous
condition a été généralisé842.
840
Sur l’impopularité du classement d’oppotunité, V. H. Haenel, Le classement sans suite. Les infractions sans
suite ou la délinquance mal traitée, Rapport d’information n°513 au nom de la commission des finance, du
contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation, Sénat, 18 juin 1998 (en ligne) disponible sur le
site du Sénat : https://www.senat.fr/rap/r97-513/r97-513_mono.html#toc0. Le rapporteur dépeignait déjà le
classement sans suite comme une procédure révélatrice de l’insuffisance de moyens de la justice et de l’existence
de dysfonctionnements internes et externes au service public de la justice. Il constatait encore une forte
augmentation des classements sans suite de complaisance depuis les années 80 et une flambée de ces
classements dès 1995, notamment s’agissant des litiges familiaux ; L. Aubert, « l’activité des délégués du
procureur en France : de l’intention à la réalité des pratiques », Déviance et Société, n°4, vol. 32, 2008, p. 473.
841
Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, JO du 10
mars 2004, p. 4567.
842
L. Aubert, op. cit., p. 474. Cependant s’agissant des violences conjugales, même sous condition, le
classement sans suite doit demeurer une réponse pénale exceptionnelle, V. infra, n°150.
843
Art. 79 du C. pr. pén.
844
Art. 175 du C. pr. pén.
231
que les charges recueillies contre le mis en examen ne sont pas suffisantes845, le juge de
l’instruction rend une ordonnance de non-lieu. Dans le cas, au contraire, où il estime que les
faits litigieux sont constitués et suffisamment démontrés, il rend une ordonnance de renvoi846
ou de mise en accusation847.
845
Art. 177 C. pr. pén.
846
Art. 179 C. pr. pén.
847
Art. 181 C. pr. pén.
848
Il est demandé, de plus en plus, à l’expert d’anticiper la commission de l’infraction, en évaluant notamment
par avance la dangerosité potentielle du délinquant, V. M.-C. Sordino (dir.), L’anticipation de la répression :
innovation ou régression ?, Colloque, UMR 5815 « Dynamiques du Droit », Université de Montpellier, 17 juin
2016, publication octobre 2016.
849
R. Pauzé et J. Petitpas, « Evaluation du fonctionnement familial : état des connaissances », Thérapie
familiale, vol. 34, n°1, 2013, p. 11-12.
232
l’autorité parentale à l’encontre d’un ou des parents du mineur850, ou qu’il souhaite obtenir
des informations supplémentaires sur la personnalité et la situation matérielle, familiale ou
sociale de l’auteur d’un crime ou d’un délit851.
199. La valeur de l’expertise judiciaire. – La désignation d’un expert se justifie dans les
hypothèses où les compétences du juge pénal atteignent leurs limites. L’expertise judiciaire
est aujourd’hui préférée à une preuve telle que l’aveu – dont la valeur probante peut être
altérée – parce qu’elle est jugée comme fiable.
Toutefois, il faut veiller à garder une certaine mesure dans l’exigence que l’on fait peser sur
l’expert, dont la parole est souvent interprétée comme une vérité absolue. En effet, comme
toute science, l’expertise est soumise à une part d’erreur ; d’autant plus que l’homme de l’art
travaille sur des notions extrêmement mouvantes et incertaines telles que la dangerosité, mais
aussi des sujets empreints de complexité et de versatilité.
De même, l’expertise est une science particulièrement aléatoire, de sorte qu’un homme de
l’art n’aura pas nécessairement la même lecture des faits et du profil des protagonistes qu’un
autre. C’est d’ailleurs, pour cela, qu’au procès pénal, sont confrontées plusieurs rapports
d’experts. Enfin, le dernier argument – et non des moindres – en faveur d’une analyse
parcimonieuse de l’expertise, réside dans le fait que, spécifiquement s’agissant de la
criminalité intrafamiliale, elle intervienne parfois plusieurs années après la commission des
faits. Cela nuit donc certainement à la crédibilité des preuves recueillies (témoignages et
réminiscences des faits vagues, traces corporelles des agressions physiques ou sexuelles
inexistantes ou atténuées).
850
S’agissant des conditions du retrait total ou partiel (art. 379-1 du C. civ) de l’autorité parentale, celui-ci peut
être prononcé soit en cas de désintérêt ou de mauvais traitements des parents à l’égard de l’enfant (art. 378-1 et s
du C. civ), soit en cas de commission de crimes ou de délits par les parents en qualité d’auteurs, de coauteurs ou
de complices (art. 378 du C. civ). Alors que dans le premier cas de figure le ministère public porte simplement
l’action en retrait devant le tribunal de grande instance, dans le second le juge pénal est seul compétent pour
prononcer cette mesure. C’est le cas lorsque les parents auront commis un acte incestueux sur leur enfant (art.
222-31-2 et 227-27-3 du C. pén.), un acte lésant son intégrité physique ou psychologique (art. 222-48-2 du C.
pén.), ou qu’ils auront volontairement porté atteinte à sa vie (art. 221-5-5 du même code).
851
L’enquête de personnalité peut être diligentée par le juge d’instruction s’agissant du mis en examen, V. art.
81 du C. pr. pén., al. 6 et 7, ou par le Procureur de la République s’agissant d’une personne faisant l’objet d’une
enquête, V. art. 41 du C. pr. pén., al. 7.
233
Chapitre II. Le traitement du dysfonctionnement familial
201. Les récentes réformes législatives – du moins les plus saillantes – concernant la
famille ont porté essentiellement sur la lutte contre les violences au sein du couple (§1) et la
protection à l’enfance en danger (§2). Aussi, porterons-nous notre attention sur ces deux
thématiques d’intervention du droit pénal.
202. Une amélioration du traitement des violences conjugales. – Dès les années 2000,
les autorités publiques durent prendre conscience de l’ampleur – jusqu’à lors occultée – des
violences conjugales. Les rares enquêtes de victimation menées sur le sujet établissent, en
effet, que 10 % des femmes sont victimes de violences au sein de leur couple852 et qu’une
femme décède tous les trois jours sous les coups de son conjoint853. De plus, on estime que
ces violences représentent chaque année pour l’économie française globale, un manque à
gagner s’élevant à 2 471,7 euros854. Ces violences sont, par conséquent, à considérer comme
un phénomène criminel particulièrement préoccupant. Pourtant, paradoxalement, il semble
852
M. Jaspard et équipe ENVEFF, « Nommer et compter les violences envers les femmes : une première enquête
nationale en France », Populations et sociétés, n° 364, janvier 2001 (en ligne) disponible sur le site de
l’Institution nationales des études démographiques
https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/18735/pop_et_soc_francais_364.fr.pdf.
853
Délégation aux victimes (DAV), Etude nationale sur les morts violentes au sein du couple, 2014, p. 3 [En
ligne : http://www.stop-violences-femmes.gouv.fr/IMG/pdf/Morts_violentes_au_sein_du_couple_2014_-
_principaux_enseignements.pdf].
854
F. Beck, C. Cavalin et F. Maillochon, Violences et santé en France : état des lieux, Paris, La Documentation
Française, 2010, p. 291.
234
que la répétition presque mécanique de ces chiffres – au demeurant alarmants – ait davantage
eu pour effet de banaliser et de dépersonnaliser cette criminalité. Aussi, pendant longtemps,
l’action des pouvoirs publics s’agissant de la lutte contre les violences conjugales se limitait à
de simples déclarations d’intention. Le renforcement, tant législatif que judiciaire, observé
dans le traitement de ces violences est finalement très récent. Ainsi, convient-il de retracer les
principales améliorations préventives (A) et répressives (B), constatées dans la tentative
d’endiguement des violences conjugales de 2004 à aujourd’hui.
203. La nouvelle politique pénale en matière de lutte contre les violences domestiques est
marquée – aujourd’hui plus qu’hier – par une recherche qualitative de mesures préventives au
danger. Bien plus encore, on s’aperçoit que le volet préventif de cette lutte tend à s’orienter
vers une « sur-anticipation » du risque. En témoignent les dispositifs mis en place tels que les
mesures d’éviction du conjoint violent (1) et d’accompagnement du conjoint victime vers sa
reconstruction (2). Toutefois, il semble que certaines pistes de travail doivent encore être
approfondies (3).
855
Loi n°2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce, JO du 27 mai 2004, p. 9319.
856
Ce dispositif a été créé par Luc Frémiot, ancien procureur du Parquet de Douai, dans son arrondissement
judiciaire, en 2003 ; puis a été inséré, par le législateur, dans les textes de loi ; L. Frémiot, propos recueillis par
O. Delacroix, « Les femmes en très grand danger », Dans les yeux d’Olivier, France 2, 23 septembre 2015.
857
O. Delacroix, « Les femmes en très grand danger », Dans les yeux d’Olivier, France 2, 23 septembre 2015.
858
P. Gélard, Projet de loi relatif au divorce, Rapport n° 120 fait au nom de la commission de Lois
constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale sur le projet
235
l’époux victime des violences. Cette mesure en référé, cependant, devenait inopérante à
l’expiration d’un délai de quatre mois, lorsqu’aucune requête en divorce ou en séparation de
corps n’avait été introduite. Une telle disposition avait, en effet, pour objectif d’assainir
rapidement la situation conjugale, dans l’intérêt même de la famille.
Sur le plan pénal, la mise en place de cette mesure d’urgence de nature civile nécessitait que
le ministère public compétent soit informé de la saisine du juge aux affaires familiales, selon
les conditions énoncées à l’ancien alinéa 3 de l’article 1290 du code de procédure civile.
Toutefois, dans la pratique, cette mesure n’était pas mise en œuvre de manière uniforme sur le
territoire national. Et pour cause, même lorsqu’elle était prononcée, son exécution demeurait
complexe. D’une part, souvent, plusieurs mois s’écoulaient entre le signalement des faits de
violences et le prononcé de la décision d’éviction, délai durant lequel la cohabitation –
cadencée par les violences – se poursuivait859.
D’autre part, elle demeurait souvent inefficace faute de possibilités de relogement du conjoint
violent dans une structure dédiée à cet effet. Aussi, dans la majorité des cas, et à défaut d’un
réel suivi des procédures contraignantes visant à l’exécution du dispositif d’éviction 860,
l’intéressé retournait aussitôt au domicile familial. D’ailleurs, Patrice Gélard, rapporteur du
projet de loi relatif au divorce avait d’ores et déjà mis l’accent sur les écueils d’application
d’une telle disposition. Selon lui, « la réussite de cette mesure [dépendrait] surtout des
mesures concrètes mises en œuvre afin d’expulser l’époux violent récalcitrant ou de
l’empêcher de revenir », faute de quoi ces dispositions risqueraient de demeurer « un vœu
pieu »861.
Dès lors, pour pallier cet écueil, en cas de manquement du conjoint violent à la sommation de
quitter le domicile, une procédure d’expulsion était ouverte à son encontre. Ainsi, les
dispositions particulières des articles L. 412-1 à L. 412-8 du code de procédure civile
de loi relatif au divorce (2003-2004), 17 décembre 2003, p. 47 (en ligne) disponible sur le site du Sénat :
https://www.senat.fr/rap/l03-120/l03-1201.pdf.
859
A fortiori, dès lors que les faits de violences sont révélés par l’époux victime, il est à craindre une
recrudescence des agressions, le conjoint violent se montrant de manière générale plus brutal vis-à-vis de son
époux et/ou des enfants ; J. G. Branger, Propositions de lois n° 62 (2004-2005) tendant à lutter contre les
violences à l’égard des femmes et notamment au sein des couples par un dispositif global de prévention, d’aide
aux victimes et de répression et n° 95 (2004-2005) relative à la lutte contre les violences au sein des couples,
Rapport d’information n° 229, Sénat, 9 mars 2005, p. 84 sq.
861
P. Gélard, Projet de loi relatif au divorce, op. cit., p. 138 (en ligne) disponible sur le site du Sénat :
https://www.senat.fr/rap/l03-120/l03-1201.pdf.
236
d’exécution ne s’appliquaient pas à la procédure d’expulsion du conjoint fautif. Par
conséquent, ce dernier pouvait se voir évincer du logement avant le délai légal de deux mois à
compter de la signification du commandement d’avoir à libérer les locaux862, et même
pendant la période hivernale863.
Toutefois, l’huissier de justice chargé de l’exécution forcée de la mesure, après notification du
commandement à l’intéressé, devait solliciter – conformément aux conditions prévues par la
loi – une autorisation du préfet, pour requérir le concours de la force publique864. Le préfet
disposait alors d’un délai de deux mois afin de faire connaître sa décision, d’agrément ou de
refus à l’intervention de la force publique 865. Or, durant ce laps de temps, le conjoint
récalcitrant était libre de domicilier dans le logement familial et de réitérer ses actes. De
l’aveu même d’huissiers de justice, en cas de résistance de l’époux violent, il était parfois
préférable que le conjoint victime et ses enfants quittent le domicile familial, en attendant
l’expulsion manu militari du délinquant et le changement des serrures866.
205. Le placement du conjoint violent en foyer Emmaüs, une alternative aux évictions
« sèches » originale. – Luc Frémiot, ancien procureur du Parquet de Douai, avait mis en
place dans son ressort judiciaire une procédure originale d’éviction de l’auteur des violences
conjugales 867 , afin d’éviter qu’il ne retourne au domicile conjugal. Elle consistait dans
l’hébergement de ce dernier en foyer Emmaüs, normalement réservé aux personnes sans
abris868. L’idée était alors que le conjoint violent – possédant un domicile fixe et une famille
présumée aimante – soit catapulté dans une réalité plus hostile afin de prendre conscience de
sa propre chance. Ce placement en foyer était également accompagné d’un suivi par des
éducateurs poussant l’auteur à se questionner sur les raisons du passage à l’acte. Selon Luc
Frémiot, cette alternative aux procédures d’éviction « sèches » a permis au parquet de Douai
de diminuer le taux de récidive relatif aux violences conjugales de 40%, à 6%. Il remarquait,
862
Art. L. 411-1 et L. 412-1 CPCE.
863
Art. L. 412-2 CPCE.
864
Art. L. 153-2 CPCE.
865
CE, 18 décembre 2013, «Société Ogif », req. n° 363126.
866
P. Gélard, Projet de loi relatif au divorce, ibidem, p. 138 (en ligne) disponible sur le site du Sénat :
https://www.senat.fr/rap/l03-120/l03-1201.pdf.
867
L. Frémiot, « Quand la justice évolue : le Point de vue du procureur », in Observatoire départemental des
violences faites aux femmes, Violences conjugales : hommes violents, femmes victimes, enfants co-victimes :
mieux comprendre pour mieux agir, Colloque réalisé sous l’égide du Département du Nord, Lille, 27 novembre
2014, p. 33 sq., (en ligne) :
http://gynsf.org/imprimables/ODVFF%20synthese%20colloque%20vc%2027%20nov14%20.pdf.
868
À vrai dire, le foyer Emmaüs était également le seul foyer a avoir accepté de recevoir ces auteurs ; O.
Delacroix, « Les femmes en très grand danger », Dans les yeux d’Olivier, France 2, 23 septembre 2015.
237
de plus, que parmi ces récidivistes, 90% n’avaient pas pu profiter du dispositif d’hébergement
en foyer Emmaüs.
Toutefois, une telle mesure de placement comportait des inconvénients matériels, d’une part.
En effet, si l’hébergement de la victime des violences conjugales reste une mesure classique
et bénéficie de financements publics importants869, il en va autrement s’agissant des auteurs
de violences. Ainsi, aujourd’hui encore, aucune structure sanitaire et sociale ne permet
d’accueillir ces auteurs, en vue de les isoler efficacement de la (les) victime(s), ou de
commencer avec eux un travail thérapeutique fructueux. Pourtant, il est établi que
l’hébergement de ces auteurs en foyer représente un coût moins élevé qu’une mesure
d’incarcération870 ou d’hébergement de la femme victime et de ses enfants871.
Cette modalité d’éviction du conjoint paraît donc séduisante. Elle offre une nouvelle
flexibilité à la sentence, déplace davantage la lutte des violences conjugales d’un domaine
répressif à un domaine social et préventif. Elle met l’accent sur une question de plus en plus
essentielle : celle de la prise en charge – notamment thérapeutique – non plus seulement d’une
victime sacralisée – mais de l’auteur à l’origine du mal. Un tel raisonnement tient finalement
à un axiome simple : tant qu’il y aura des auteurs violents, il y aura des victimes violentées.
D’autre part, cependant, cette mesure pose des inconvénients s’agissant de l’évaluation de la
dangerosité de l’auteur. En effet, il convient de s’assurer que le profil socio-criminologique de
l’auteur se prête bien à un tel dispositif de traitement. Ainsi, si – comme nous l’avons précisé
précédemment – le conjoint au profil immaturo-névrotique présente de fortes aptitudes au
repentir et est ouvert à un suivi thérapeutique, tel n’est pas le cas du sujet immuno-pervers872.
869
Selon l’enquête « Evènements de vie et de santé », vingt-huit millions d’euros ont été injectés dans
l’hébergement d’urgence et d’insertion de victimes de violences conjugales ; F. Beck, C. Cavalin et F.
Maillochon, op. cit., p. 230.
870
Les dépenses liées à l’activité judiciaire et pénitentiaire, uniquement imputables aux violences conjugales,
s’élèvent à deux-cent trente-cinq millions d’euros du coût global français. Mais, de même, en raison de son
incarcération, le détenu ne peut exercer une activité professionnelle et participer pleinement à l’économie du
pays. La conséquence d’un tel état de fait est une perte de production. Cette « perte de production dues aux
incarcérations » représente quatre-vingt dix-huit millions d’euros du coût global, s’agissant des violences
conjugales ; F. Beck, C. Cavalin et F. Maillochon, ibidem, p. 230.
871
L. Frémiot, Propos recueillis par G. Rolin, « Il faut intervenir dès la première gifle », Le Figaro, 20 janvier
2014.
872
V. supra, n° 123-124.
238
aux violences faites spécifiquement aux femmes, elle est insérée aux articles 515-9 à 515-13
du code civil. Mais elle nécessite pour sa mise en place et son exécution, un concours continu
du droit pénal.
À dire vrai, l’ordonnance de protection n’est que le condensé de mesures législatives
préexistantes, dont celle de l’éviction du conjoint violent. Ce nouveau dispositif a, en effet,
été calqué sur l’ancien ; et l’on constate que les difficultés logistiques, étudiées précédemment
quant à l’efficacité de l’éviction, se posent toujours.
En vertu des articles 515-9 et 515-11 du code civil, lorsque des violences auront été
constatées au sein du couple, le juge aux affaires familiales pourra être saisi par le conjoint,
concubin ou partenaire lié par un PACS en danger – assisté si besoin d’un avocat – ou encore
par le ministère public873. Cette ordonnance de protection délivrée en urgence, consistera dans
le prononcé d’une ou plusieurs obligations ou mesures à l’encontre du conjoint violent. Parmi
ces obligations et mesures874, figure la possibilité pour le juge aux affaires familiales de
statuer sur l’attribution de la jouissance du logement conjugal à un des deux époux, concubins
ou partenaires. À l’instar que la procédure d’éviction de 2004, celui des deux individus qui
n’est pas l’auteur des violences dispose d’un droit prioritaire sur la jouissance de ce bien.
Également, comme pour l’ancienne procédure, les dispositions dérogatoires à l’expulsion, des
articles L. 412-1 à L. 412-8 du code de procédure civile d’exécution, ne s’appliquent pas875.
Toutefois, la nouvelle mesure d’éviction régie par la loi de 2010 a pour mérite essentiel de
diminuer le délai entre le signalement des faits et la délivrance de l’ordonnance. En effet,
l’article 515-10 alinéa 2 prévoit que le juge doit convoquer, dès réception de la demande
d’ordonnance et par tous les moyens adaptés, les parties en vue de leur audition.
Sur le plan pénal, le ministère public se voit attribuer plusieurs missions. Il est, d’une part,
associé à la procédure civile, en tant que partie principale lorsqu’il saisit lui-même le juge aux
affaires familiales (alinéa 1 de l’article 515-10 du code civil), ou en tant que partie subsidiaire
873
Dans cette hypothèse, le ministère public devra requérir l’autorisation de la victime concernée ; V. art. 515-10
du C. civ.
874
Il pourra par exemple s’agir de l’interdiction de recevoir, de rencontrer ou de rentrer en relation avec certaines
personnes désignées par le juge, ou de détenir une arme. Le juge pourra encore fixer les modalités d’exercice de
l’autorité parentale ou se prononcer en avance sur l’admission provisoire de l’aide juridictionnelle du
demandeur.
875
Art. L. 412-8 CPCE : « Les articles L.412-1 à L. 412-7 ne sont pas applicables à l’expulsion du conjoint, du
partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du concubin violent ordonnée par le juge aux affaires familiales
sur le fondement de l’article 515-9 du code civil ».
239
lorsqu’il n’est que convoqué par le juge. Il est, d’autre part, amené à échanger avec le juge,
diverses informations relatives à la procédure pénale qui serait en cours. C’est notamment le
cas des plaintes et dénonciations, des auditions et procès verbaux, ou encore des certificats
médicaux876. Mais, il peut également requérir – à tout moment – du juge certaines mesures
d’investigations nécessaires, ou obtenir qu’il supprime ou modifie tout ou partie des
obligations de l’ordonnance (article 515-12 du code civil).
Enfin, le droit pénal vu traditionnellement comme un droit sanctionnateur, est appelé à venir
en renfort aux obligations et interdictions de l’ordonnance de protection. Ainsi, le fait pour le
conjoint violent de ne pas observer les prescriptions de l’ordonnance est incriminé à l’article
227-4-2 du code pénal. Ce délit est puni de deux ans d’emprisonnement et de 15 000 euros
d’amende. Mais cette peine a une portée essentiellement dissuasive en l’occurrence.
Par ailleurs, le procureur de la République peut – dans le cadre de ses attributions en matière
de mise en mouvement et d’exercice de l’action publique – décider d’une procédure
d’éviction, au titre des mesures alternatives aux poursuites et de la composition pénale. Ainsi,
depuis la loi n°2006-399 du 4 avril 2006877, les articles 41-1, 6° et 41-2, 14° du code de
procédure pénale prévoient qu’ « en cas d’infraction commise soit contre son conjoint,
concubin ou son partenaire lié par un PACS, soit contre ses enfants ou ceux de son conjoint
[…], le procureur peut demander à l’auteur des faits de résider hors du domicile ou de la
résidence du couple ». Toujours selon ces textes, le procureur assortit la mesure d’éviction,
d’une obligation de s’abstenir de paraître dans le domicile ou aux abords de celui-ci. Lorsque
cela est nécessaire, par ailleurs, il enjoint à l’auteur de se soumettre à une prise en charge
sanitaire, sociale ou psychologique878. Les mêmes obligations peuvent être prononcées par le
juge des libertés et de la détention, dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire
(article 138, 17° du code de procédure pénale) ou par le juge de l’application des peines, dans
le cadre d’un sursis avec mise à l’épreuve (article 132-45 du code pénal).
876
Observatoire des violences envers les femmes du Conseil général de la Seine-Saint-Denis, Contre les
violences faites aux femmes : mieux protéger, c’est possible ! , Protocole pour la mise en œuvre de l’ordonnance
de protection, 9 juillet 2010, p. 9 (en ligne) disponible sur le site du Ministère de la Justice :
http://www.justice.gouv.fr/art_pix/protocole_OP_professionnel_2011.pdf.
877
Loi n°2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou
commises contre les mineurs, JO du 5 avril 2006, p. 5097.
878
La structure dédiée à cette prise en charge peut-être imposée par le procureur de la République ou choisie par
l’intéressé. Dans ce dernier cas, il devra justifier de la bonne exécution de son obligation. En fonction des
parquets, cette prise en charge pourra consister dans des consultations médico-psychologiques, psychiatriques ou
liées à des addictions alcoolémiques. Ce peut être encore un accompagnement social, généralement en
association mais aussi dans des groupes de paroles ou des groupes de responsabilisation, V. K. Sadlier (dir.),
L’enfant face à la violence dans le couple, 2e éd., Dunod, 2015, p. 179.
240
Toutefois, aucun de ces procédés ne permet, là encore, de garantir la non-violation des
mesures d’éviction et d’éloignement. En l’absence de modalités probantes d’hébergement du
conjoint, toute entreprise de prise en charge de ce dernier s’avère éphémère et laisse
l’intéressé libre de revenir au domicile.
879
S. Maulet-Frebling, Propos recueillis lors d’un entretien mené au Tribunal de Grande Instance de
Fontainebleau, décembre 2013. Stéphanie Maulet-Frebling occupait des fonctions de juge aux affaires familiales
au Tribunal de Grande Instance de Fontainebleau. Elle est aujourd’hui Vice-présidente chargée des fonctions de
juge des enfants au Tribunal de Grande Instance de Melun.
880
V. Dervieux, « Le nouveau rôle du parquet en cas de violences conjugales. L’expérience du parquet de
Pontoise », AJ. Fam. 2013, p. 294.
241
De plus, l’ampleur du ressort judiciaire du Tribunal de grande Instance considéré peut justifier
dans une certaine mesure ces chiffres. Par exemple, un tribunal tel que celui de Bobigny, où la
population est plus dense et le nombre d’affaires de violences plus important, aura un emploi
autre de l’ordonnance de protection qu’un tribunal à l’activité judiciaire plus modérée881.
208. Les mesures d’accompagnement de la victime. – Depuis les années 2010, les
mesures d’accompagnement des victimes de violences conjugales se sont considérablement
intensifiées. En effet, les plans interministériels successifs de prévention et de lutte contre les
violences faites aux femmes ont mis l’accent sur une approche plus pédagogique du
traitement judiciaire et social de cette délinquance de masse. Sans prétendre à l’exhaustivité,
il convient d’étudier certains mécanismes saillants de cette nouvelle action des autorités
publiques et normatives.
881
S. Maulet-Frebling, Propos recueillis lors d’un entretien mené au Tribunal de Grande Instance de
Fontainebleau, décembre 2013.
882
Ministère des Solidarités et de la cohésion sociale, Plan interministériel de lutte contre les violences faites
aux femmes, 2011-2013 (en ligne) consultable sur le site du Ministère de l’intérieur :
http://www.interieur.gouv.fr/SG-CIPDR/Strategie-nationale/Programme-d-actions-pour-ameliorer-la-prevention-
des-violences-faites-aux-femmes/Lutte-contre-les-violences-a-l-encontre-des-femmes-une-priorite.
883
Sur les pratiques policières quant au traitement des mains courantes et procès verbaux, V. infra, n° 194.
884
Ministère des droits des femmes, Plan interministériel de prévention de lutte contre les violences faites aux
femmes, 4e, 2014-2016, p. 19 (en ligne) consultable sur le site du Ministère de l’Intérieur :
http://www.interieur.gouv.fr/SG-CIPDR/Strategie-nationale/Programme-d-actions-pour-ameliorer-la-prevention-
des-violences-faites-aux-femmes/Lutte-contre-les-violences-a-l-encontre-des-femmes-une-priorite.
242
de renseignements, d’autre part. Elle sera, de plus, informée des implications judiciaires de
chacune de ces procédures. On le voit, donc, l’enquêteur se doit de jouer un rôle actif – voire
proactif – dans la réception des plaintes.
Deuxièmement, dans le cas où la victime insisterait dans son refus de déposer plainte, le
Guide de l’action publique préconise aux services enquêteurs de transmettre
systématiquement les mains courantes au Parquet qui appréciera l’opportunité de poursuivre
les faits885. Troisièmement, le dépôt de toute main-courante ou procès verbal doit être suivi
d’une orientation de la victime vers des structures associatives compétentes implantées
notamment dans les commissariats et gendarmerie, un psychologue ou un travailleur social.
Alors que le Guide de l’action publique limitait cette orientation de la victime uniquement
« aux cas de souffrance manifeste »886, le nouveau plan triennal la généralise à toute victime,
dès le premier passage en commissariat, indépendamment de l’appréciation des agents
enquêteurs. Enfin, quatrièmement, après dépôt d’une main courante ou d’un procès-verbal, il
est préconisé aux enquêteurs de recontacter la victime dans les quarante-huit heures, afin de
s’assurer de son état et de sa sécurité.
210. Le départ du conjoint victime du domicile conjugal. – Avant même que soient
engagées les poursuites pénales, la victime peut décider de quitter le domicile, seule ou avec
ses enfants. Toutefois, parce qu’un tel comportement peut lui être reproché, à l’occasion
d’une instance en divorce pour faute ou dans le cadre d’une procédure pénale pour abandon
moral de famille (article 227-17 du code pénal), la victime doit prendre certaines précautions.
Aussi, il lui appartient de se rendre au commissariat ou à une unité de gendarmerie afin de les
prévenir de son projet de départ, en déposant une main courante. De même, la victime peut
solliciter du juge aux affaires familiales qu’il délivre une ordonnance de protection, en
demandant à ce que sa nouvelle adresse soit dissimulée au conjoint violent (article 515-11, 6°
du code civil). Également, toujours selon ce texte, elle peut demander à élire provisoirement
domicile chez son avocat ou auprès du Procureur de la République près le tribunal de grande
Instance.
Toutefois, la période antérieure à l’acte de départ est tout aussi importante que le départ lui-
même. Elle constitue une période de stress pour la victime qui tente d’échapper à son époux,
885
Direction des Affaires criminelles et des Grâces, Les violences au sein du couple, Guide méthodologique de
l’action publique, novembre 2011, p. 20.
886
Direction des Affaires criminelles et des Grâces, op. cit.
243
concubin ou partenaire violent, en raison des démarches et préparatifs essentiels qu’elle doit
réaliser afin de dissimuler son projet à son agresseur. Aussi, depuis le troisième plan
interministériel, des structures d’accueil à la victime de violences conjugales ont été mises en
place. Depuis la fin des années 2013, on dénombre quatre-vingt dix-sept organisations de ce
type installés dans quatre-vingt neuf départements français887. Ce dispositif de proximité
nommé « accueil de jour » est dédié à l’accompagnement spécifique de femmes victimes de
violences au sein du couple888.
Intervenant en amont des structures d’hébergement d’urgence et en aval d’associations d’aide
et d’information aux victimes, ces accueils de jour ont pour mission d’accompagner la
victime tout au long de son projet de départ. Ils contribuent en cela à prévenir la situation
d’urgence. Selon Audrey Théophile, ancienne assistante sociale à l’Accueil de jour pour
femmes victimes de violences (AJFVV) inséré en Guadeloupe889, cet espace permet aux
femmes victimes de violences, venant spontanément ou orientées par d’autres structures890, de
disposer d’un endroit où elles peuvent être prises en charge par un psychologue, une
assistante sociale, une permanence juridique, ou recevoir des conseils d'un conseiller
d'insertion professionnelle.
Avant le départ, ces acteurs amèneront la victime à prendre progressivement conscience de sa
situation et de celle de ses enfants, tout en respectant la volonté de cette dernière. En
préparation du départ, ils l’aident à réaliser certaines démarches telles que le dépôt de plainte,
la saisine du juge aux affaires familiales en vue de la délivrance d’une ordonnance de
protection, la recherche d’un logement d’urgence (en foyer essentiellement). Ils lui assurent
aussi, un lieu sécurisant où laisser ses enfants le temps du départ. Ils peuvent également lui
apporter quelques conseils rudimentaires pour élaborer un « bagage de survie » pour elle et
ses enfants (qu’elle pourra laisser à l’accueil de jour). De même, la structure dispose d’une
voiture permettant de véhiculer les victimes.
Par ailleurs, interviennent dans cette structure, des animateurs et des bénévoles qui mettent en
place des activités diverses travaillant sur le développement personnel, la confiance et l'estime
887
Ministère des Solidarités et de la cohésion sociale, op. cit., p. 76-77.
888
On regrettera là encore que les hommes victimes des mêmes violences demeurent les grands oubliés d’un tel
dispositif gouvernemental.
889
Entretien téléphonique avec Audrey Théophile, ancienne assistante sociale à l’Accueil de jour pour femmes
victimes de violences (AJFVV), Guadeloupe, 23 mai 2016.
890
Il peut s’agir de l’école des enfants, d’un service social, du travail de la victime ou d’une personne de sa
famille. L’accueil de jour fait peut de promotion, parce qu’il doit nécessairement rester confidentiel ; ne serait-ce
que pour la sécurité des professionnels qui y travaillent. Aussi, la victime est-elle le plus souvent informée de
l’existence de ce dispositif, par des personnes de son entourage social ou familial immédiat.
244
de soi, la santé (sexuelle par exemple) et la famille (des ateliers parents-enfants autour de la
cuisine, du dessin, ou du carnaval s’agissant spécifiquement de la Guadeloupe et de la
Martinique).
Il convient cependant de préciser que ce stage n’a aucune prétention thérapeutique vis-à-vis
de l’auteur des violences. Il consiste uniquement à sensibiliser l’intéressé « aux conséquences
concrètes de la violence conjugale »892 et, par là même, de son comportement. Aussi, outre
l’insolvabilité éventuelle de l’auteur pouvant faire obstacle au financement du stage, ce
mécanisme présente certaines limites et faiblesses. En effet, à condition qu’il demeure assidu
au stage – sous peine de poursuites pénales – le délinquant reste libre de coopérer ou non à la
discussion de groupe. D’ailleurs, souvent, les animateurs notent un manque d’implication de
certains de ces conjoints, concubins et partenaires violents, ainsi qu’une propension marquée
au déni893.
212. La généralisation du téléphone portable d’alerte pour les femmes en très grand
danger (TGD). – Inspirée d’un dispositif adopté dès 2003 en Espagne894, la création du
891
La loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, JO du 5 août 2014, p.
12949.
892
C. Bouchoux, L. Cohen, R. Courteau, C. Jouanno, L’évaluation des dispositifs de lutte contre les violences
au sein des couples, Rapport d’information fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des
chances entre les hommes et les femmes, Sénat, 29 février 2016, p. 46 (en ligne) disponible sur le site du Sénat :
http://www.senat.fr/rap/r15-425/r15-4251.pdf.
893
C. Bouchoux, L. Cohen, R. Courteau, C. Jouanno, op. cit., p. 47 (en ligne) disponible sur le site du Sénat :
http://www.senat.fr/rap/r15-425/r15-4251.pdf.
894
Ministère de la Justice, Un nouvel outil pour protéger les femmes victimes de violence. Le téléphone de grave
danger doit permettre d’empêcher le passage à l’acte, Entretien avec Nathalie Riomet, magistrat chef du service
245
« Téléphone grand danger » relève en France d’une initiative des Tribunaux de grande
Instance de Bobigny et de Strasbourg. Expérimenté dans un premier temps, dans treize
départements895, cette mesure a été généralisée sur tout le territoire national, par le quatrième
plan interministériel de 2014-2016 896 . Ainsi, son application et son développement
s’inscrivent dans un objectif plus global de lutte contre les violences conjugales. En effet, ce
procédé constitue un véritable atout préventif contre la récidive des violences au sein du
couple. Et pour cause, il semblerait qu’il ait largement fait ses preuves dans les tribunaux de
grande instance précités897. Par exemple, la juridiction de Bobigny a mis, de 2009 à 2013,
cent trente-six téléphones portables à la disposition de femmes victimes de violences
conjugales. Un tiers de ces femmes a fait usage du téléphone au moins une fois. Huit
interpellations ont pu être réalisées suite à un appel de ce type et ont donné lieu à une réponse
pénale. Sur les quatre-vingt-sept femmes ayant restitué leurs téléphones, soixante-quatre
étaient parvenues à normaliser leur situation et l’intégralité n’avait plus de contact avec leur
ex-conjoint ou concubin.
L’article 36 de la loi n°2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les
hommes898 a inséré dans le Code de procédure pénale, un nouvel article 41-3-1 posant les
conditions d’attribution du téléphone grand danger. Ainsi, le Procureur de République peut –
avec l’accord exprès de la victime – décider de l’attribution de ce dispositif de
« téléprotection », pendant six mois renouvelables, si certains critères sont réunis. En effet, la
victime de violences conjugales doit se trouver dans une situation de grande détresse (état de
vulnérabilité, isolement). De plus, une séparation effective entre la victime et l’auteur des
violences doit être constatée899. Ce dernier doit faire l’objet d’une mesure d’interdiction
chargé notamment de l’aide aux victimes, 16 septembre 2014 (en ligne) : http://www.justice.gouv.fr/aide-aux-
victimes-10044/un-nouvel-outil-pour-proteger-les-femmes-victimes-de-violence-27491.html.
895
Il s’agissait des départements de Pontoise, Basse-Terre et de Pointe-à-pitre, Douai, Paris, Auxerre, Sens,
Reims, Chalons en Champagne, Evreux, Evry, Créteil et de Versailles, V. Ministère de la Justice, Le téléphone
portable «Très grand danger » a fait ses preuves, 16 septembre 2014 (en ligne) :
http://www.justice.gouv.fr/aide-aux-victimes-10044/le-telephone-portable-tres-grand-danger-a-fait-ses-preuves-
27492.html.
896
Ministère des droits des femmes, Plan interministériel de prévention de lutte contre les violences faites aux
femmes, 4e, 2014-2016, p. 19.
897
Ministère de la Justice, Le téléphone portable «Très grand danger » a fait ses preuves, 16 septembre 2014 (en
ligne) : http://www.justice.gouv.fr/aide-aux-victimes-10044/le-telephone-portable-tres-grand-danger-a-fait-ses-
preuves-27492.html.
898
Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, JO du 5 août 2014, p.
12949.
899
La seule exigence posée par le texte est que l’auteur des violences et la victime ne cohabitent pas ensemble.
Ainsi, cette porte uniquement sur une séparation effective de domicile, indifféremment des relations affectives
actuelles ou passées qui lient ces protagonistes.
246
judiciaire d'entrer en contact avec la victime, prononcée dans le cadre d'un contrôle judiciaire,
d’une ordonnance de protection, d'une alternative aux poursuites, d'une composition pénale,
ou à l’occasion d’un aménagement de peine. Ces dispositions sont également applicables
lorsque l’auteur des violences est l’ex-conjoint, l’ex-concubin ou l’ex-partenaire de la
victime.
900
Avant cette loi, ce n’était pas du tout le cas, V. O. Delacroix, « Les femmes en très grand danger », Dans les
yeux d’Olivier, France 2, 23 septembre 2015.
901
A. Fraud, juriste de l’association d’aide aux victimes d’infractions pénales, Propos recueillis le 9 octobre
2016, Montpellier.
247
En somme, il aurait été plus pratique, au regard de l’exigence de célérité de cette mesure, que
l’alerte aux autorités publiques puisse être donnée par la victime, via la simple activation de la
géolocalisation de sa position.
Cette désaffiliation sociale, professionnelle et familiale peut être matérielle et tangible. Une
étude réalisée dans le ressort des Tribunaux de grande instance de Tarn et d’Albi relevait que
les victimes appartenant aux catégories sociales les plus défavorisées et fragilisées étaient
souvent les plus surreprésentés 903 . Et pour cause, la situation de précarité (sociale et
professionnelle) dans laquelle elles évoluent est plus propice à une désaffiliation.
De la même façon, il semble que la victime d’origine étrangère – en particulier si elle est en
situation irrégulière – sera plus assujettie à ce type de violences qu’une ressortissante
française. Parce qu’elle se trouve dans une configuration économique, administrative,
familiale, sociale et professionnelle précaire, elle rencontrera plus de difficultés à créer un
lien social riche. Également, il ne peut être nié que la modélisation – non pas tant religieuse –,
mais assurément culturelle de ces victimes, fondée sur une domination normalisée de
902
G. Geoffroy, Lutte contre les violences faites aux femmes, Rapport n°1799 au nom de la mission d’évaluation
de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, Assemblée Nationale, 7 juillet
2009, p. 20.
903
F. Dieu et P. Suhard, Justice et femme battue, enquête sur le traitement judiciaire des violences conjugales,
L’Harmattan, 2008, p. 25.
248
l’homme sur la femme, accentue encore davantage ces disparités. Enfin, la barrière
linguistique à laquelle se confrontent ces sujets peut-être un véritable frein à leur
émancipation sociale et financière. Par conséquent, en cas de mise à la porte du domicile
conjugal par le conjoint violent ou de départ volontaire de la victime étrangère, cette dernière
et ses enfants se trouvent souvent démunis. Elles ont le plus grand mal à réaliser des
démarches rudimentaires telles que chercher un nouveau domicile, percevoir des aides
financières904 ou trouver un emploi.
D’ailleurs, sensibles à cette vulnérabilité spécifique de la victime étrangère, les pouvoirs
publics ont souhaité troquer une politique essentiellement sécuritaire en matière
d’immigration, contre une politique plus protectrice de l’individu en tant que tel. Ainsi, la loi
n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes 905
prévoit la possibilité de délivrer ou de renouveler le titre de séjour des femmes immigrées
entrées sur le territoire français (au titre du regroupement familial) et séparées du conjoint
violent906. Également, une carte de séjour avec la mention « vie privée et familiale » peut être
octroyée à la victime907.
Cependant, les victimes issues des catégories les plus démunies ne sont pas les seules à
connaître une désaffiliation sociale et familiale. Ce phénomène touche tous les milieux
sociaux908. L’isolement économique, social, familial et professionnel que peut éprouver la
femme au foyer, prisonnière d’ « une prison dorée » et victime de violences conjugales, est
aussi réel et tangible.
Mais, cette désaffiliation peut parfois présenter une forme plus subtile. En effet, la victime de
violences conjugales peut ne pas être socialement désaffiliée à proprement parler. Mais, en
raison d’un excès de discrétion et de pudeur de la part de son entourage immédiat, elle
connaîtra une forme d’isolement émotionnel, tout aussi paralysant. Ainsi, par exemple, on
s’aperçoit que les territoires îliens tels que la Guadeloupe, comptent parmi les plus représentés
904
Lorsque la femme sans titre de séjour décide de quitter son conjoint ou concubin suite à des violences
conjugales, elle perd de facto toutes les prestations familiales et options de garde collective que lui offrait sa
situation conjugale. De plus, une pratique banquière répréhensible tendant à refuser à la femme en situation
irrégulière l’ouverture d’un compte en banque a été constatée. Par conséquent, les aides familiales continuent à
être perçues par le conjoint violent, ressortissant français ou séjournant régulièrement en France, V. G. Geoffroy,
Lutte contre les violences faites aux femmes, op. cit., p. 165.
905
Loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au
sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, JO du 10 juillet 2010, p. 12762.
906
Art. L431- 2 CESEDA.
907
Art. L. 313-12 et L316-3 du CESEDA.
908
V. supra, n° 179 ; cela a également été mis en évidence par l’étude de la criminalité domestique dans les
ressorts des Tribunaux de grande instance de Tarn et d’Albi, V. F. Dieu et P. Suhard, op. cit., p. 25.
249
en matière de violences conjugales909. Pourtant, la proximité géographique et relationnelle
qu’entretiennent entre eux les membres d’une même patrie est forte ; et il n’est pas rare que le
jeune couple avec enfants vive encore au domicile des parents paternels ou maternels. Parfois
même, les membres de la famille élargie résideront, pour la plupart, dans la même rue ou dans
le même secteur géographique. Néanmoins, la culture du « non-dit » et l’idée selon laquelle le
règlement des contentieux relève de l’apanage seul du ménage y sont omniprésentes.
909
Depuis 2005, une augmentation du nombre de violences conjugales a été constatée en Guadeloupe. Les
femmes victimes de violences – domiciliées en Guadeloupe – sont majoritairement de nationalité française. Dans
80 % des cas, ce sont de jeunes mères de famille. Elles ont pour plupart un niveau d’étude inférieur au
baccalauréat et un peu plus de la moitié est en situation de chômage (52,38% des femmes hébergées dans un
centre d’hébergement d’urgence). Tous ces facteurs risque peuvent expliquer cette hausse des violences relevées,
V. Observatoire féminin, Les femmes victimes de violences conjugales en Guadeloupe, 2005 ; Observatoire
féminin, Les chiffres des violences faites aux femmes en Guadeloupe, décembre 2013 (en ligne) :
http://observatoirefeminin.fr/files/ETUDE_VIOLENCE_2013__LOIS_2.pdf.
250
d’étude sur la question, il est impossible d’affirmer que cet élément déclencheur aurait les
mêmes répercussions sur le père victime de violences conjugales.
Aussi, pour toutes ces raisons, est-il intéressant d’insister davantage sur la conservation des
liens entre les victimes et leur entourage, en vue de leur reconstruction. Deux hypothèses se
présentent alors. La première tendrait – pour les psychologues, structures associatives d’aide
ou travailleurs sociaux, à inciter la victime à reprendre contact avec ses proches, qui se
seraient peu à peu éloignés suite à de multiples mises à distance. La deuxième consisterait à
informer l’entourage immédiat de la victime du rôle qu’il peut jouer dans la guérison de celle-
ci. Cette information serait directe dans le cas d’une thérapie familiale par exemple ; ou,
indirecte via les médias, par des campagnes de sensibilisation à l’attention des proches de ces
victimes en situation d’isolement.
910
Loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou
commises contre les mineurs, JO du 5 avril 2006, p. 5097.
911
Art. 222-14-3 C. pén.
912
Art. 222-14-4 C. pén.
913
Art. 222-33-2-1 C. pén.
251
du couple914 – étudiés précédemment915. De même, elle aggrave les peines d’infractions
préexistantes. Tel est le cas du délit de menaces, incriminé par l’article 222-18-3 du code
pénal, lorsqu’il est commis à l’encontre du conjoint, du concubin ou du partenaire d’un
PACS916.
914
Art. 222-14 C. pén.
915
V. supra, n° 91.
916
Ces actes sont punis de deux ans d’emprisonnement est de 30 000 € d’amende ou de cinq ans
d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende, selon la modalité de commission de l’infraction (avec ou sans ordre
de remplir une condition), V. supra, n°106. Lorsque ces menaces ne seront pas proférées par le conjoint, elles
seront punies respectivement de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende (art. 222-18 C. pén) ou
de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d'amende (article 222-17 du C. pén.).
917
A. Fraud, juriste de l’association d’aide aux victimes d’infractions pénales, Propos recueillis le 9 octobre
2016, Montpellier.
252
219. La protection de l’enfance en danger représente un objectif majeur de l’action
gouvernementale. Or, le premier lieu où doit intervenir cette protection de l’enfant, c’est son
milieu familial. Ainsi, lutter contre les dysfonctionnements survenant à l’intérieur du couple,
c’est protéger l’enfant d’une inéluctable co-victimisation (A). Cependant, dans le cas où cette
« pré-protection » ne se serait pas avérée efficace, les autorités publiques se doivent de veiller
à la sécurisation du parcours du mineur hors de son foyer d’origine (B).
220. Les conséquences de la violence intraconjugale sur les enfants du couple. – « Les
enfants sont souvent capables d’estimer le degré de violence par le niveau de désagréments
qu’ils ressentent »918. Ainsi, les oppositions d’opinion et querelles qui pourraient survenir
entre deux parents sur certains points de désaccord (éducation des enfants, organisation de la
vie quotidienne de la famille) ne sont pas préjudiciables à l’enfant.
Au contraire, lorsqu’elle est « incontrôlée et paroxystique »919, la violence entre parents
devient dangereuse. L’enfant la vit, en effet, comme une agression. Il peut dès lors développer
un sentiment de culpabilité, se pensant responsable de la violence de ses parents. Mais il
arrive également, qu’il se sente poussé en marge de la sphère familiale, alors réduite au duo
parental. Aussi, la perpétuation de la violence peut-elle être perçue par l’enfant comme un
moyen d’exister au sein de la famille.
918
F. Math et D. Desor, Comprendre la violence des enfants. L’apport des neurosciences, Dunod, 2015, p. 69.
919
F. Math et D. Desor, op. cit., p. 70.
920
S. Lemitre, « Effets subjectifs des violences conjugales sur l’enfant. Terreur, effondrement et répétition », in
Violence et Famille. Comprendre pour prévenir, Paris, Dunod, 2011, p. 87 sq.
921
V. supra, n°142.
253
Elle peut également, d’autre part, n’être qu’indirecte. Dans ce cas, l’enfant sera le témoin
oculaire ou auditif des violences. On parle ici d’une « exposition sensorielle » 922 aux
violences. Mais, cette exposition indirecte aux violences se mesure aussi par les conséquences
a posteriori de ces dernières. Elles seront essentiellement d’ordre institutionnel. En effet, une
fois révélé le dysfonctionnement familial, l’enfant se trouvera presque toujours pris en otage
entre ses deux parents, en raison du sentiment de loyauté éprouvé à leur égard. De même, les
interpellations policières et diverses procédures judiciaires (auditions et témoignages,
placement éducatif notamment) accentueront davantage les souffrances émotionnelles de
l’enfant. Toutes les situations de séparation parentale et l’éclatement du cocon familial
engendrent de véritables chocs émotifs chez le jeune sujet.
Les différentes études menées sur la question démontrent que les enfants exposés jeunes aux
violences conjugales présentent plus de risque de développer des comportements agressifs,
dépressifs ou anxieux 923 . Ils sont également plus assujettis aux états de stress post-
traumatiques, et ce peu importe la forme de leur exposition aux violences924. Par ailleurs, il a
été établi que le risque de victimisation future – à des atteintes sexuelles, corporelles ou
psychologiques – était plus élevé chez les enfants déjà exposés aux violences de leurs parents
que chez les autres. En effet, une enquête menée sur l’ « influence des violences domestiques
sur le comportement et le fonctionnement des enfants »925 en 2007, relevait que, sur une
période de douze mois, les mères qui avaient été exposées à la violence domestique au cours
de leur enfance, étaient plus souvent victimes de violences physiques, psychologiques et
sexuelles de la part de leur époux, que les autres mères non exposées. Enfin, les sujets
mineurs, qui auront intériorisé ces comportements violents comme un mode de
fonctionnement, auront davantage tendance à reproduire le processus de violence de leurs
parents, dans leurs propres relations intimes (contre leur mère ou leurs compagnons). Ils
montrent, en effet, à l’âge adulte, une intolérance aux frustrations et des difficultés à affronter
le conflit de manière pacifiée926.
922
S. Lemitre, op. cit., p. 87.
923
S. Lemitre, ibidem, p. 88.
924
P. Lehmann, « The development of pausttraumatic stress disorder (PTSD) in a sample of child witnesses to
mother assault », Journal of Family Violence, n° 12, p. 245.
925
G. J. Ybarra, S. L. Wilkens et A. F. Lieberman, « The influence of domestic violence on preschooler behavior
and Functionning », Journal of Family Violence, n°22, 2007, p. 37.
926
C. Llor, psychologue de l’Association d’aide aux victimes d’infractions pénales, Propos recueillis le 16
octobre 2016, Montpellier.
254
221. Les familles à haut risque criminogène. – Certaines familles présentent de multiples
facteurs dysfonctionnels exposant leurs membres à un risque pathologique et criminogène
important. On parlera alors de « familles à risque » ou de « familles à problèmes
multiples »927. Ce qui caractérise ces cellules familiales, c’est le croisement de toutes les
formes de violences, qu’elles soient sexuelles, psychologiques ou physiques. Ces familles
sont donc plus vulnérables que les autres : « elles accumulent des difficultés psychosociales
multiples, utilisent peu les lieux médico-sociaux mis à leur disposition et se retrouvent plus à
risque de développer des troubles précoces de la relation parent-enfant ainsi qu’une
psychopathologie ultérieure » 928. Or, l’étude de certains cas pratiques, nous donne à constater
dans ces familles, une corrélation entre les mauvais traitements faits à enfants et les violences
intraconjugales. Il n’est pas rare, en effet, que ces deux types de délinquance intrafamiliale y
coexistent ou se substituent l’une à l’autre. Deux exemples de familles à haut risque
criminogène et pathologique ont été retenus.
Le premier est celui de l’homicide de Bastien, alors âgé de trois ans, par son père929. Le petit
garçon était le fruit d’une grossesse non désirée des deux parents. Alors qu’il avait une sœur
aînée âgée de cinq ans au moment des faits, il était devenu le souffre-douleur de son père, qui
lui infligeait régulièrement de mauvais traitements. Le 25 novembre 2011, de retour au
domicile familial, prétextant le mauvais comportement de son fils à l’école, l’homme place
Bastien nu dans le lave-linge pour le punir, et met ce dernier en marche. L’enfant succombera
à cet énième châtiment, après avoir supplié les membres de sa famille de le laisser sortir.
Mais, pendant ce temps, la mère et la fille réalisent un puzzle dans le salon, alors que le père
surfe sur Internet… Les deux parents sont poursuivis respectivement pour meurtre sur un
mineur de quinze ans 930 , non-dénonciation de crime 931 et non-assistance à personne en
danger932. L’enquête et les témoignages des proches de Charlène Cotte, mère de Bastien,
révéleront les violences conjugales graves infligées à la femme par son époux. Cette dernière
expliquera plus tard son inertie face aux châtiments imposés à son fils, par la frayeur qu’elle
éprouvait vis-à-vis de son compagnon.
927
A. Guedeney et J. Le Foll, « Visites à domicile préventives périnatales dans les familles à problèmes
multiples : efficacité et limites », Devenir, n° 1, vol. 26, 2014, p. 59-72.
928
A. Guedeney et J. Le Foll, op. cit., p. 59.
929
C. Piquet, « Le calvaire du petit Bastien mort dans une machine à laver », Le Figaro, 9 septembre 2015.
930
Art. 221-4, 1° du C. pén.
931
Art. 434-1 du C. pén.
932
Art. 223-6 du C. pén.
255
Le couple était déjà suivi par les services sociaux depuis 2009, à la suite de plusieurs
signalements inquiétants. Leur enquête a démontré que le couple vivait dans une réelle misère
sociale, les deux conjoints n’ayant aucune activité professionnelle. Christophe Champenois,
âgé de trente-trois ans au moment des faits, a connu une enfance difficile entre un père
alcoolique, qui l’emmenait dans les bars qu’il fréquentait et une mère instable. À l’âge adulte,
il a à son tour développé une accoutumance à l’alcool. Il se décrit lui-même comme quelqu’un
de « nerveux et d’impulsif ». De plus, il a quelques antécédents judiciaires, dont un relatif aux
violences physiques exercées sur son épouse. Pour sa part, Charlène Cotte, âgée de vingt-cinq
ans au moment des faits, a également eu une enfance peu heureuse. Elle est exposée jeune à
l’alcoolisme de son père et évolue dans une famille précaire. Lorsqu’elle tombe enceinte de
Bastien, elle nie sa grossesse, la cache à son entourage et notamment à son époux qui ne
voulait pas d’autre enfant. En dépit de ces éléments, les travailleurs sociaux attestent n’avoir
relevé aucun signe de violences physiques sur la personne de Bastien933 et avaient privilégié
le maintien des enfants au sein du foyer. Pourtant, la sœur aînée de la victime, témoin de cette
violence domestique, a révélé que ce n’était pas la première fois que son père mettait Bastien
dans le lave-linge. Aujourd’hui, profondément marquée par ces drames familiaux, elle a été
placée dans deux familles d’accueil en quatre ans934.
933
Pourtant, l’enfant ne subissait pas que des violences physiques de la part de son père. En effet, la mère de
l’enfant avouera au procès que le garçon avait également très peur de son père. Au delà des coups, Bastien était
régulièrement séquestré dans un placard, les mains attachées par du ruban adhésif, avec pour seul effet un pot
afin qu’il fasse ses besoins, V. C. Piquet, « Le calvaire du petit Bastien mort dans une machine à laver », Le
Figaro, 9 septembre 2015.
934
J. Pham-Lê, « Mort de Bastien dans un lave-linge : quel avenir pour la sœur ? », L’Express, 12 septembre
2015.
935
Douai, Ch. des appels correctionnels, 9e, 21 mars 2007, RG n° 06/03302.
256
concubin, Franck, chez qui elle résidait – a sollicité dès son rétablissement un droit de visite
et d’hébergement qui lui a été accordé. Mais, seulement quelques mois plus tard, les enfants
commençaient à faire état de faits réitérés d’agressions sexuelles et de viols imposés par leur
beau-père et leur mère. Le mode opératoire des deux individus était toujours le même. Après
le coucher, le beau-père isolait les jeunes victimes. Il réveillait puis amenait l’un d’entre eux
au salon, avant de lui imposer des masturbations, des pénétrations avec des objets ou avec le
doigt, ainsi que des tentatives de pénétration avec son sexe. La mère était toujours témoin de
ces scènes, et parfois mimait les gestes de son concubin sur la personne de ses enfants. Lors
de leurs différentes auditions, les enfants relataient, d’une part, que Franck et leur mère
s’alcoolisaient régulièrement et que, d’autre part, cette dernière exerçait sur eux un chantage
affectif. En effet, elle leur avait demandé de ne pas la dénoncer, car « elle irait en prison »
autrement.
Au cours de l’instruction, Corinne a adressé plusieurs courriers au juge, évoquant des
violences conjugales et des rapports sexuels non consentis que lui aurait imposé son
concubin. Une partie de ces faits a d’ailleurs été confirmée par certains témoignages, faisant
état de « disputes continuelles [du couple], de leur vulgarité et du manque d’attention aux
enfants, livrés à eux-mêmes, sales et grossiers ». Corinne précisait encore qu’elle avait
commis les actes litigieux sous la contrainte de Franck, « pour éviter de recevoir des coups »
en cas de refus. S’agissant, enfin, du profil psychiatrique des auteurs, les différentes
expertises relevaient chez Corinne et Franck, une immaturité prononcée avec un
fonctionnement affectif construit sur « un registre égocentrique et narcissique ». Tous deux
présentaient une incapacité à se remettre en cause et à assumer la responsabilité de leurs actes.
De plus, il ressort de la psychanalyse de la femme, qu’elle a elle-même été victime d’abus
sexuels de la part de son oncle étant enfant ; ce qui l’aurait conduite à tenter de se suicider à
plusieurs reprises. Elle ne conçoit, ensuite, la relation intime qu’à travers des rapports de
soumission et de dépendance affective ; ce qui la conduirait probablement à accepter de ses
compagnons des comportements intolérables vis-à-vis d’elle même, mais aussi à l’égard de
ses enfants.
257
222. Le caractère tardif du placement du mineur, le maintien dans la famille
dysfonctionnelle. – La consécration par la Convention de New York de 1990936, d’un intérêt
supérieur de l’enfant, primant sur celui des personnes qui en assument la responsabilité, a
marqué un tournant considérable dans la conception même du statut du mineur. Ce concept
d’intérêt supérieur de l’enfant est, ainsi, devenu une véritable valeur juridique à protéger. Il
est, à ce titre, évoqué à l’envi pour motiver la décision d’agrément ou de refus à une
adoption937, ou s’agissant de l’exercice de l’autorité parentale et de l’association du mineur
aux décisions qui le concernent (article 371-1 du code civil). Aussi, de manière logique,
s’attendrait-on à ce que les dispositions législatives de protection à l’enfance en danger soient
axées prioritairement sur le bien-être et la sécurité de l’enfant. Pourtant, pendant longtemps,
les mesures de prises en charge de l’enfance menacée n’ont octroyé qu’une part subsidiaire à
l’intérêt de ce protagoniste. En effet, le premier objectif affiché, dans le traitement des
violences faites à enfant, est le maintien du lien familial. Or, cette approche familialiste de la
protection de l’enfance en danger aboutissait finalement à sauvegarder une sorte de droit des
parents à l’enfant. À ce propos, d’ailleurs, un auteur s’offusquait à raison du fait que « le
statut de l’enfant [était devenu misérable en France] : loin d’être une “personne”, il semble
plutôt être la propriété de sa famille, même si celle-ci est nocive »938.
Par conséquent, la règle en droit français était le maintien du mineur au sein du foyer familial,
même dysfonctionnel. Et pour cause, telles que définies par l’article L. 221-1 du code de
l’action sociale et des familles, les missions de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) sont avant
tout préventives. Elles consistent à « apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique
tant aux mineurs qu’à leur famille […] confrontés avec difficulté risquant de mettre en
danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ». En somme, le placement demeure
une mesure de dernier recours : selon l’enquête « Événements de vie et santé », seuls 2,4%
des hommes et 3,0 % des femmes en ont fait l’expérience939.
936
Convention Internationale des Droits de l’Enfant, signée à New York, le 26 janvier 1990, décret n° 90-917 du
8 octobre 1990 portant publication de la convention relative aux droits de l'enfant, JO du 12 octobre 1990, p.
12363.
937
V. supra, n°68
938
A. Tursz, « Préface », in Violences et santé en France : état des lieux, Paris, La Documentation Française,
2010, p. 9.
939
F. Beck, C. Cavalin et F. Maillochon, Violences et santé en France : état des lieux, Paris, La Documentation
Française, 2010, p. 127.
258
Toutefois, depuis plusieurs années, la médiatisation massive de drames familiaux mettant en
scène des parents tortionnaires et infanticides cause l’effroi et l’incompréhension générale. La
polémique publique enfle quant à un dispositif législatif, administratif et judiciaire, jugé
propice à une prise en charge indolente et défaillante de l’enfant, scellant ainsi celui-ci à son
triste sort. En effet, il faut être conscient que la mort de l’enfant battu, très souvent, ne relève
pas d’un homicide au sens pénal du terme, mais de mauvais traitements répétés qui « ce jour
là » auront un dénouement tragique. Il suffira d’un coup de trop, de sévices plus violents qu’à
l’accoutumée, ou d’une mauvaise chute, pour que l’issue des violences soit fatale à l’enfant.
Pour cette raison, la situation familiale de ces enfants doit être considérée comme présentant
un critère d’urgence incompressible. Aussi, leur traitement se doit d’être rapide, car du jour au
lendemain, d’une heure à l’autre, le drame peut survenir.
Néanmoins, il est souvent complexe notamment pour le professionnel d’apprécier le moment
propice au signalement et au placement.
259
Mais ces difficultés peuvent être imputables, d’autre part, à la personne même de
l’observateur. En effet, celui-ci peut faire preuve d’une incompétence ou d’une défaillance
passagère. Mais il n’est pas exclu également qu’un professionnel qualifié et attentif puisse
manquer un élément alarmant. Aussi, le professionnel n’est pas infaillible. En outre, ces
experts ne peuvent pas toujours assurer de manière continue le suivi de toutes les familles.
« Les intervenants psychosociaux ou médicaux ne peuvent pas faire preuve d’éveil et de
résonance face a toutes les familles qu’ils reçoivent ou qu’ils côtoient pour des motifs divers,
et suspecter toute erreur éducative d’ouvrir la porte à une maltraitance »940. Enfin, il existe
chez le professionnel – comme chez tout citoyen – une appréhension réelle face à l’acte de
signaler. L’être humain a cette propension naturelle – voire même un instinct de survie – à
occulter le pire afin de continuer à vivre sereinement. Or l’horreur indicible que peuvent
renfermer certains foyers en fait partie.
940
I. Angelino, L’enfant, la famille, la maltraitance, Paris, Dunod, 2004, p. 88.
941
S. Kraland, « Royaume-Uni : le scandale des enfants retirés abusivement à leurs parents par les services
sociaux », Le Huffingtonpost, 14 janvier 2013. Après l’établissement par les médecins de plusieurs fractures de
la jambe de leur enfant nouveau-né, Nicky et Marc Webster sont poursuivis pour mauvais traitement à enfant.
260
précoce des violences infantiles par le biais du placement semble, à plus d’un titre,
excessivement arbitraire. Une fois la spirale judiciaire mise en marche, il devient quasi
impossible d’en sortir indemne : à la fois, pour les parents qui auront été accusés à tort de
mauvais traitements sur leurs enfants, pour les enfants qui auront été violemment séparés
d’une famille aimante, ou pour les éventuelles familles adoptives qui auront nourri l’espoir
vain d’accueillir un enfant au sein de leur foyer.
Selon l’article L. 226-3, alinéa 3 du code de l’action sociale et des familles, ces informations
sont prétraitées par une équipe pluridisciplinaire de professionnels formés à cet effet. Après
évaluation, seuls les cas les plus graves feront l’objet d’un signalement au procureur de la
République. Ainsi, la saisine de ce dernier par le président du conseil départemental est
soumise à deux séries de conditions cumulatives prévues à l’article L. 226–4 du même code.
Leur enfant est aussitôt placé, par les services sociaux, en famille d’accueil. De plus, par mesure préventive,
leurs deux enfants aînés leurs sont aussi retirés. Plusieurs années après, l’enquête a permis de démontrer que les
blessures de l’enfant étaient dues à une carence alimentaire chez le bébé qui ne rejetait le lait maternel ou
d’origine animal et ne supportait que le lait de soja.
942
Loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, JO du 15 mars 2016.
943
Loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance, JO du 6 mars 2007, p. 4215.
261
Premièrement, elle ne sera justifiée que si le mineur est en danger ; c’est-à-dire que sa santé,
sa sécurité ou sa moralité sont en péril ou si les conditions de son éducation et de son
développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises 944 .
Deuxièmement, l’action de protection sociale mise en œuvre par les services sociaux ne doit
pas être parvenue à faire cesser la situation de danger ; soit que la famille ait refusé ou ait été
dans l’incapacité de collaborer avec l’agent des services sociaux, soit que celui-ci n’ait réussi
à évaluer la situation de danger du mineur, ou encore que la commission d’une infraction
pénale nécessite l’intervention du procureur945.
Cependant, la nouvelle loi de 2016 semble importante, en ce qu’elle est venue redéfinir et
repenser le but même de la protection à l’enfance. En effet, auparavant, la loi prévoyait que
cette protection devait s’insérer dans le cadre de l’autorité parentale. Les parents restaient, à
ce titre, les premières personnes responsables du mineur. Aujourd’hui, l’article premier de la
loi du 14 décembre 2016, modifiant l’article L. 112-3 du code de l’action sociale et des
familles, rappelle que : « la protection de l'enfance [doit] viser à garantir la prise en compte
des besoins fondamentaux de l'enfant, à soutenir son développement physique, affectif,
intellectuel et social et à préserver sa santé, sa sécurité, sa moralité et son éducation, dans le
respect de ses droits ». Par là, contrairement à l’ancienne rédaction de ce texte 946 , le
législateur affiche une véritable volonté de replacer le mineur au cœur de la prise en charge
sociale et judiciaire de l’enfance en danger. Les parents du mineur sont considérés
aujourd’hui comme de « simples ressources mobilisables » et non plus comme des acteurs
indispensables à son équilibre. À l’initiative de cette élaboration législative se trouvait le désir
de porter un « nouveau socle de valeurs communes » à la politique de la protection de
l’enfance, en affirmant que chaque action en ce sens doit avoir pour visée première « la
recherche du meilleur intérêt de l’enfant » et « la perspective de [sa] bientraitance »947. Il
944
Art. L. 226-4 du CASF renvoyant à l’art. 375 du C. civ.
945
V. Art. 226-4, II du CASF. Ce texte a sauvegardé la possibilité d’une saisine directe du procureur de la
république par les structures sociales. Toutefois, cette démarche doit rester exceptionnelle et est soumise à la
particulière gravité des faits signalés. De plus, le président du Conseil départemental doit recevoir copie de cette
saisine. Le procureur de la république s’engage également à lui communiquer toutes informations en sa
possession.
946
Initialement, cet article prévoyait que « la protection de l'enfance [avait] pour but de prévenir les difficultés
auxquelles les parents peuvent être confrontés dans l'exercice de leurs responsabilités éducatives, d'accompagner
les familles et d'assurer, le cas échéant, selon des modalités adaptées à leurs besoins, une prise en charge partielle
ou totale des mineurs […] ».
947
Ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, Feuille de route pour la protection de
l’enfance, juin 2015, p. 5 (en ligne) : http://social-
sante.gouv.fr/IMG/pdf/feuille_de_route_protection_enfance_2015-2017-3.pdf.
262
semble qu’il faille interpréter ce discours empli de bienveillance de la manière suivante : dans
le cas où le placement, à court ou à plus long terme, de l’enfant représenterait le meilleur
moyen pour garantir sa sécurité, il conviendra de le privilégier à tout maintien dans le foyer.
Aussi, semble-t-il intéressant d’évoquer, sans toutefois s’y attarder, certaines mesures
adoptées par la réforme. Parmi celles-ci figure notamment un objectif de sécurisation du
parcours de l’enfant placé948. En effet, il devenait nécessaire de pallier les nombreuses
défaillances et discontinuités des trajectoires de placement souvent émaillées, celles-ci étant
peu propices à la stabilité de l’enfant, déjà fragilisé par ses antécédents familiaux. Ainsi,
l’article L. 221-2-1 nouveau du code de l’action sociale et des familles vient compléter les
missions de l’Aide sociale à l’enfance (Ase). Il prévoit notamment, la possibilité pour celle-ci
de décider d’une prise en charge du mineur par un tiers en vue d’un accueil durable et
bénévole. Une telle solution de prise en charge pourrait aisément s’adapter à un accueil de
l’enfant par un membre majeur de sa famille ou de son entourage. Bien sûr, ce tiers fera
l’objet d’un accompagnement et de contrôles par un référent désigné par l’Ase.
En outre, des centres parentaux – jusqu’alors mis en place à titre expérimental dans quelques
départements – sont généralisés. Selon l’article 20 de la nouvelle loi, les enfants de moins de
trois ans accompagnés de leurs parents, en besoin de soutien dans leur rôle parental, pourront
y être hébergés. Cet hébergement est aussi possible pour les futurs parents qui souhaiteraient
être suivis dans la préparation de la naissance de l’enfant.
Section II. Vers une meilleure formation des professionnels au contact de la famille
263
des gendarmes à la question des violences domestiques. Toutefois, ces efforts doivent se
poursuivent par une généralisation et une systématisation des formations à l’attention de tous
les acteurs judiciaires et sociaux appelés à rencontrer, soigner ou accompagner des victimes
de violences familiales. Cela est en particulier important s’agissant des avocats, magistrats,
experts judiciaires, psychiatres et psychologues, personnel enseignant, médecins intervenants
dans tous les corps de métiers (gynécologie et puériculture, urgences, médecine générale,
médecine du travail, médecine scolaire). En effet, ces professionnels sont les plus à même de
repérer et de prendre en charge les victimes concernées, car intervenant pour la plupart en
amont d’une éventuelle procédure judiciaire. Or, paradoxalement, ils sont aussi ceux qui
reçoivent le moins de formations à cette fin949.
Cette formation doit permettre aux professionnels, d’une part, de tenir un rôle actif dans la
détection des dysfonctionnements familiaux rencontrés au cours de leur carrière (§1). D’autre
part, à terme, elle contribue à une meilleure définition de l’orientation à donner au traitement
de ces dysfonctionnements (§2).
949
Ministère des Solidarités et de la cohésion sociale, Plan interministériel de lutte contre les violences faites
aux femmes, 2011-2013, p. 16 (en ligne) consultable sur le site du Ministère de l’intérieur :
http://www.interieur.gouv.fr/SG-CIPDR/Strategie-nationale/Programme-d-actions-pour-ameliorer-la-prevention-
des-violences-faites-aux-femmes/Lutte-contre-les-violences-a-l-encontre-des-femmes-une-priorite.
950
A. Mogaïzel, « Parents criminels : l’omerta française », LCP, 17 février 2014.
264
aliéné à sa famille. Selon, Daniel Rousseau, pédopsychiatre, « l’enfant imagine qu’il ne peut
dépendre que de ses parents […] et que, comme dans un fonctionnement sectaire, ce qu’il vit
est parfaitement normal »951. D’ailleurs, on remarquera que cet enfant éprouvera toujours un
amour sincère pour ses parents et cherchera à les protéger de la sanction pénale. Aussi, dans
ces cas particuliers, la vérité n’est pas à rechercher de la bouche de l’enfant, mais bien dans
ses comportements et attitudes ; en somme, dans ce qu’il ne dit pas. Or, comprendre un tel
phénomène nécessite du professionnel, profane dans la psychologie de l’enfant et le processus
de la violence familiale, une initiation à cette thématique.
951
A. Mogaïzel, « Parents criminels : l’omerta française », entretien avec Daniel Rousseau, pédopsychiatre,
LCP, op. cit.
952
Haute autorité de la santé, Repérage et signalement de l’inceste par les médecins : reconnaitre les
maltraitances sexuelles intrafamiliales chez le mineur, Recommandations de bonne pratique, Mai 2011, p. 8-11
(en ligne) consultable sur le site de la Haute autorité de la santé : http://www.has-
sante.fr/portail/jcms/c_1067136/fr/reperage-et-signalement-de-l-inceste-par-les-medecins-reconnaitre-les-
maltraitances-sexuelles-intrafamiliales-chez-le-mineur.
953
Pour plus d’éléments sur ce point, V. H. Joudrier, Violences conjugales, grossesse et médecine générale,
Thèse de doctorat, Université Pierre et Marie Curie, 2012.
265
pour une femme sur trois, le premier acte de violence subi au cours de leur vie survient au
moment de la première grossesse954. De même, l’exercice de violences est décelé dans 3 à 8%
des grossesses 955 . Ce phénomène peut s’expliquer, tout d’abord, par la vulnérabilité
particulière de la femme. Ainsi, la mainmise que son conjoint violent exerce sur elle est totale.
Mais il arrive aussi que le conjoint soit déstabilisé par l’arrivée de l’enfant à naître, qu’il vit
comme un rival lui dérobant sa place de dominant vis-à-vis de son épouse. Il se peut encore,
que l’homme estime détenir un droit de vie et de mort tant sur la femme que sur l’enfant à
naître956. Enfin, pendant cette période, il est fréquent que la future mère devienne l’objet de
compliments et d’attentions particulières et que son compagnon ne le supporte pas.
La détection de ces violences au moment de la grossesse est d’une importance primordiale,
puisqu’elles portent une atteinte évidente à la santé de la mère, mais également à la vie de
l’enfant à naître.
Par ailleurs, le temps de la grossesse représente une période charnière, chargée d’une
symbolique (positive ou négative) forte, pour toute future mère. Ainsi, c’est également à cette
occasion que pourront être détectés certains signes avant-coureurs de mauvais traitements à
enfant. En effet, la grossesse peut laisser place à de profondes résurgences chez la mère,
(comme chez le père)957. C’est par exemple, le cas lorsque la femme aura été victime de
violences sexuelles incestueuses au cours de son enfance958. La nouvelle de la grossesse peut
alors être vécue comme une reviviscence de l’abus. L’enfant à naître est perçu comme un
intrus959 ou pire, comme un alias du parent incestueux (en particulier si cet enfant est de sexe
masculin)960. Dans un contexte aussi troublé, il n’est pas exclu que la mère puisse se rendre
coupable d’un infanticide ou que l’enfant devienne, dès son plus jeune âge, un martyr.
954
Ministère des droits des femmes, Plan interministériel de prévention de lutte contre les violences faits aux
femmes, 4e, 2014-2016, p. 9 (en ligne) consultable sur le site du Ministère de l’Intérieur :
http://www.interieur.gouv.fr/SG-CIPDR/Strategie-nationale/Programme-d-actions-pour-ameliorer-la-prevention-
des-violences-faites-aux-femmes/Lutte-contre-les-violences-a-l-encontre-des-femmes-une-priorite.
955
Ministère des droits des femmes, Plan interministériel de prévention de de lutte contre les violences faits aux
femmes, 4e, 2014-2016, op. cit., p. 9
956
I. Angelino, op. cit., p. 10-11.
957
I. Angelino, ibidem, p. 13.
958
Notons, également que le déni de grossesse de la mère infanticide est souvent évoqué à l’appui de sa défense.
Le déni de grossesse désigne une absence totale de manifestations physiques visibles de l’état de gestation de la
femme. Celle-ci ignore elle-même être enceinte. Il s’agit ici d’une occultation psychique collective liée à un
« mécanisme de défense puissant » développé par la future mère, mais aussi par son entourage qui assure après
coup n’avoir rien vu de l’état de grossesse de l’intéressée, V. H. Romano, « Meurtres sans Moi et figures du
néonaticide », in Violence et Famille. Comprendre pour prévenir, Paris, Dunod, 2011, p. 345-347.
959
M. Lefebvre, Grossesses et accouchement chez les femmes victimes d’inceste, Mémoire de Master II,
Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, 2011.
960
I. Angelino, L’enfant, la famille, la maltraitance, Paris, Dunod, 2004, p. 13.
266
En conséquence, on le voit, un repérage a priori de ces situations parentales et familiales à
risque permet d’anticiper efficacement d’éventuelles violences futures. La prise en charge de
la mère est donc particulièrement souhaitable, surtout en cas de grossesse non désirée. En
l’occurrence, la capacité de la puéricultrice au dépistage précoce d’indices de troubles chez la
mère (gênes physiques, impatience et agacement, impulsivité, difficultés à créer un lien avec
l’enfant) sera déterminante. Elle permettra alors de poser la question de l’opportunité d’un
suivi de la famille, sur un temps plus ou moins long. Il est de plus important que cet
accompagnement ne s’arrête pas avec l’hospitalisation de la femme, lorsque cette dernière
présente de réelles difficultés relationnelles avec son enfant. Ainsi, dès 2007, les missions de
la Protection maternelle et infantile (PMI) avaient été développées dans le sens d’une
systématisation d’un entretien avec les futurs parents, pour détecter de manière anticipée toute
anomalie, dès le quatrième mois de grossesse961. Également, après la période post-natale, la
PMI met en principe en œuvre un suivi de la famille, soit à leur domicile, soit en consultation,
lorsque cela est nécessaire. Cependant, dans plusieurs des affaires récentes d’infanticides,
dans lesquelles étaient relevées pourtant des grossesses non désirées, aucune mesure
d’accompagnement n’a été mise en place après le retour des conjoints au domicile962.
961
Art. L. 2112-2, 4° du CSP.
962
La mère de Bastien, Charlène Cotte, n’avait par exemple fait l’objet d’aucun suivi à domicile, V. supra,
n°221.
963
I. Corpart, « Les dysfonctionnements de la coparentalité », AJ Fam. 2009. 155 ; D. Ganancia, « Le juge
écartelé dans les séparations conflictuelles », AJ Fam. 203. 264 ; A. Gouttenoire, « Atteintes à l’autorité
parentale », Rép. pén. 2003, n°48 (actualisation en 2012).
267
intraconjugales964. Pourtant, ce dysfonctionnement familial ne peut s’apparenter à une simple
situation conflictuelle, en raison de leur différence de nature. D’un côté, le conflit suppose
une opposition d’opinions, d’idées ou d’intérêts entre deux ou plusieurs protagonistes, sur un
sujet ou une situation déterminés. Les deux interlocuteurs en désaccord sont placés sur un
même pied d’égalité. D’un autre côté, la relation dysfonctionnelle – et la violence en
particulier – repose sur une quête de pouvoir, de domination ou de contrôle sur la personne
même de l’autre. Ainsi, il est évident, par exemple, que dans le cadre de violences conjugales
ayant duré plusieurs années, la dynamique relationnelle est profondément déséquilibrée. Par
principe même, les membres d’un couple « agresseur-agressé » ne peuvent être considérés
comme égaux.
L’intérêt d’une telle distinction sémantique n’est pas négligeable. En l’occurrence, de cette
distinction dépendront les modalités de prise en charge du dysfonctionnement familial et le
caractère adapté des réponses à y apporter. Par exemple, si la médiation pénale est une mesure
dont la promotion est intéressante s’agissant du règlement d’un conflit familial, elle s’avère
particulièrement inadaptée au règlement des violences conjugales.
En effet, d’une part, la médiation pénale suppose par nature, pour son efficacité, que les deux
parties puissent interagir d’égal à égal, avec le soutien d’un tiers médiateur. Or, ce qui
caractérise et encourage ces violences au sein de la famille, c’est précisément le pouvoir de
domination et de dépendance qu’exerce l’un des conjoints sur l’autre ; de sorte que la parole
de la victime demeurera prisonnière par peur de représailles. Car, en effet, il ne faudrait pas
oublier que l’espace et le temps de la justice et notamment de la médiation pénale ne sont pas
ceux de la vie conjugale. La victime est consciente que le fait de se confier à un tiers – sur la
réalité du calvaire quotidien qu’il subit – pourrait exposer sa propre personne, ses enfants ou
ses proches au danger d’une nouvelle attaque. Au retour au domicile familial, rien ne garantit
que l’auteur des violences ne réitère pas ses, scellant ainsi les portes de l’intimité sur des
souffrances inavouables.
964
G. Geoffroy, Lutte contre les violences faites aux femmes, propos de Luc Frémiot, ancien Procureur de la
République de Douai, Rapport n°1799 au nom de la mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte
contre les violences faites aux femmes, Assemblée Nationale, 7 juillet 2009, p. 227 : « Je suis choqué de voir
certains de mes collègues considérer ces violences comme des conflits à l’intérieur du couple qui ne les
regarderaient pas. [...] Le parquet de Lyon ne veut pas mener une action du type de celle que nous menons à
Douai. Ce n’est pas par méconnaissance, puisqu’il ne se passe pas un mois sans qu’une émission de télévision
n’évoque le sujet : il faudrait être aveugle et sourd pour ne pas la connaître. C’est une question de volonté ».
268
D’autre part, cette mesure alternative ne prend pas en considération la gravité de ces
violences, puisque les violences intrafamiliales sont souvent dissimulées. Rappelons que la
première plainte coïncide rarement avec le premier passage à l’acte.
Enfin, dans certains parquets, la mise en œuvre de la mesure de médiation, menée par le
délégué du Procureur de la République, ne permet pas une réelle discussion des deux parties,
qui sont reçues l’une après l’autre par le médiateur. De sorte que la médiation à la française
s’apparente presque davantage à un simple rappel à la loi, qu’à un véritable échange
constructif entre auteur et victime.
Par ailleurs, la réussite de cette justice participative repose implicitement sur la propension de
l’infracteur au repentir et sur l’aptitude de la victime au pardon. Or, un des travers de ce
système est la « survictimisation », c’est-à-dire une difficulté pour la victime à se reconstruire
après l’infraction et une tendance à s’enliser dans un cycle victimaire néfaste. En effet, nous
pensons que le droit à l’oubli pour la victime est gageure de sa reconstruction et son salut.
C’est pour cela que la relation avec son bourreau doit demeurer nécessairement temporaire,
voire inexistante en fonction des cas et de la personnalité des personnes concernées (auteur et
victime). Par conséquent, la médiation pénale dans le cadre de violences conjugales, se
soldera au mieux par une inefficacité de la procédure, au pire par une mise en danger
imminente de la victime.
Par ailleurs, eu égard à la gravité de la violence intraconjugale et au nombre de réitérations
des actes de violences comptabilisés avant le premier dépôt de plainte, le rappel à la loi
semble être une mesure parfaitement inefficace pour répondre à ce phénomène criminel. Bien
au contraire, l’orientation de la réponse pénale vers ces mesures alternatives aux poursuites a
plutôt tendance à renforcer, chez l’auteur des violences, un sentiment de puissance et
d’impunité. Alors que dans le même temps, elles sapent encore davantage l’estime que la
victime à d’elle-même et sa confiance dans le système judicaire.
Aussi, le Guide de l’action publique a-t-il préconisé aux magistrats du parquet de n’avoir
recours à la médiation pénale que de manière résiduelle voire exceptionnelle965. En guise de
rempart, la désignation d’un avocat assistant les deux parties est recommandée. En outre,
depuis la loi du 9 juillet 2010, l’article 41-1, 5° du code de procédure pénale prévoit que seule
la victime puisse demander ou consentir librement à la mesure de médiation. Le procureur de
965
Direction des Affaires criminelles et des Grâces, Les violences au sein du couple, Guide méthodologique de
l’action publique, novembre 2011, p.54-55.
269
la République ne peut donc plus requérir l’accord du mis en cause. S’agissant du rappel à la
loi, enfin, le Guide rappelle qu’il doit être strictement encadré et qu’il ne peut constituer un
moyen privilégié de traitement de ces violences966.
Enfin, s’agissant du classement sans suite, il semble évident que tout classement abrupte et
d’opportunité, doive être rejeté. En effet, cette solution pourrait provoquer chez la victime une
perte de confiance irrémédiable quant à la capacité et la volonté des instances publiques à la
protéger. Or, trop longtemps, la société est restée sourde à la détresse de ces personnes.
Le classement assorti d’une condition ne semble pas davantage une meilleure solution : en
effet, s’il s’accompagne d’un rappel à la loi, par exemple, il aura la même valeur et efficacité
qu’une mesure alternative de rappel à la loi classique… En revanche, le classement de
certaines affaires, de moindre gravité ou dans le cas où la victime aurait souhaité retirer sa
plainte, semble inévitable. Toutefois, à tout le moins, le Procureur de la République peut-il
enjoindre à cette dernière de se rapprocher d’une association en vue d’un accompagnement.
Afin d’éviter toute sortie « sèche » de la victime – c’est-à-dire sans suivi psychologique et/ou
social – du « périmètre judiciaire », il pourrait être intéressant que le Procureur se concerte
avec le responsable de l’association en vue de l’élaboration d’un suivi. De cette façon,
l’initiative de l’accompagnement n’est pas laissée à la discrétion de la victime, qui souvent
n’en fait pas la démarche alors même qu’elle en aurait l’utilité. Ainsi, c’est le responsable de
la structure qui contacterait la victime en vue de s’enquérir de sa situation et de lui proposer
un accompagnement adéquat.
966
Cette alternative ne pourra être retenue que dans le cas où le fait de violence était isolé et de faible gravité, ou
lorsque l’auteur est un primo-délinquant. De plus, lorsque la victime atteste vouloir reprendre la vie commune à
son conjoint, le rappel à la loi constitue une mesure adaptée. Il en va de même lorsque les faits dénoncés sont
anciens et que la révélation survient après la rupture du couple, V. Direction des Affaires criminelles et des
Grâces, op. cit., p. 48-49.
270
Conclusion du Titre II
Ainsi défini, le dysfonctionnement familial apparaît comme une notion particulièrement large.
Il arbore des formes et des natures multiples. Il pourra alors s’agir de violences physiques ou
sexuelles, psychologiques ou par intimidation. Mais, il pourra également se traduire par la
commission d’homicides intrafamiliaux, volontaires ou involontaires. Enfin, s’agissant
particulièrement des contrariétés au bien vivre ensemble, il sera question de défaillances et de
carences familiales. Cependant, pour être effectivement appréhendé par le droit pénal, le
dysfonctionnement devra être révélé. Soumise à une dissimulation forte, la dénonciation
constitue l’acte principal permettant d’informer les autorités compétentes de l’existence du
dysfonctionnement. Cependant, encore aujourd’hui, cette criminalité fait l’objet d’un taux de
révélation extrêmement bas et de difficultés probatoires évidentes.
967
R. Parizot, « Pour un véritable principe de nécessité des incriminations », in Politiques criminelles. Mélanges
en l’honneur de Christine Lazerges, 2014, p. 246.
272
Aussi, les chances de découverte effective de cette criminalité dépendra-t-elle en grande
partie, des différentes mesures d’action mises en place par l’autorité dirigeante, en vue de
lutter contre ce phénomène. À ce propos, il est indéniable que l’engagement des autorités
publiques, dans cette voie, s’est intensifié au cours de ces cinq dernières années. Il est, en
effet, passé de simples discours d’intention bienveillants, à un véritable plan d’action – bien
que celui-ci connaisse encore quelques insuffisances et maladresses.
La première condition d’intervention du droit pénal dans la cellule familiale posée, il faut
désormais s’intéresser à la seconde, à savoir la protection pénale de valeurs sociales et
familiales.
273
Deuxième Partie
UNE CONDITION NÉCESSAIRE DE L’INTERVENTION, LA
PROTECTION DE VALEURS SOCIALES ET FAMILIALES
La sauvegarde de valeurs sociales rationalise l’action du droit pénal dans cette sphère. Ainsi,
si le dysfonctionnement familial constitue un prérequis à cette intervention, les valeurs
protégées en sont la finalité. Ce sont elles qui viennent déterminer la répression, ou au
contraire l’absence de répression du fait familial. Aussi, avons-nous précisé en première partie
de cette étude, que dans certains cas, même lorsque l’existence du dysfonctionnement était
avérée, celui-ci ne tombait pas nécessairement sous le coup de la loi pénale969. Ce constat
trouve précisément sa justification dans la protection, par le droit pénal, de valeurs sociales
essentielles.
Pour preuve, dans l’hypothèse où le dysfonctionnement familial léserait une valeur sociale
protégée, une réponse pénale doit lui être apportée. Par exception, lorsque la répression de ce
dysfonctionnement porterait une atteinte trop importante à une valeur sociale tenue pour
supérieure, le droit pénal fera le choix de l’inaction. Aussi, comprend-on que la sanction du
dysfonctionnement familial, d’une part, et la protection de valeurs sociales, d’autre part, sont
intimement liées.
Dès lors, il convient de comprendre selon quel mécanisme le droit pénal contribue à la
protection de ces valeurs juridiquement essentielles, lorsqu’il se voit appliqué à la famille.
Dans un premier temps, la matière pénale doit indubitablement être regardée comme
968
Edwin H. Sutherland, sociologue et criminologue américain, est considéré comme le fondateur de la
sociologie criminelle américaine, V. Encyclopédie Universalis, éd. Encyclopedia Universalis, 1996, « Sociologie
de la délinquance ».
969
V. supra, n° 181 et s.
274
accessoire aux autres branches juridiques régissant la famille – adoptant ainsi une modalité
d’intervention classique (TITRE I). Mais, dans un second temps, il semble possible de se
questionner sur l’avènement d’une modalité novatrice du droit pénal dans ce domaine
(TITRE II).
275
Titre I - UNE MODALITÉ D’INTERVENTION CLASSIQUE
DU DROIT PÉNAL
233. Rappeler que le droit pénal tend à la protection de valeurs sociales essentielles
nécessite encore d’analyser la forme que prend cette protection. De manière classique, il est
vrai, l’action du droit pénal ne se justifie pas de plein droit, pas plus qu’elle ne se conçoit
seule. Subordonnée aux règles de droit édictées par d’autres disciplines juridiques principales,
l’application du droit pénal apparaît essentiellement indirecte, orbitale.
234. Ce constat de l’indexation du droit pénal est général. Au cours des dernières
décennies, une augmentation de l’activité pénale s’est sensiblement fait ressentir, dans tous
les domaines de la vie juridique. Une telle intensification répressive est le corollaire d’une
spécialisation juridique toujours plus accrue. Cette-dernière, en effet, conduit – de manière
assez logique – le législateur à recourir d’une part, à la force contraignante du droit pénal en
vue de garantir le respect des obligations qu’il fixe, et d’autre part, à rechercher, en dehors du
droit commun, des outils de régulation adaptés aux dispositions de la discipline support qu’il
entend régir. Nous ne livrerons que quelques exemples de cette tendance. Elle est, par
exemple, remarquable s’agissant du droit de la consommation affublant au droit pénal, un réel
rôle de protection du consommateur970. De la même manière, le droit public, lui non plus, n’a
pas échappé à cette vague de pénalisation ; en témoigne l’adoption, suite aux scandales
économiques et financiers récents qui ont bouleversé l’élite politique, de la loi n°2013-907 du
11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique visant essentiellement à
moraliser la vie publique et porteuse de dispositions pénales971. Plus récemment, certaines
disciplines juridiques spécialisées telles que le droit de l’informatique ou le droit de la
bioéthique se sont vues greffer un droit pénal accessoire. Alors que s’agissant du premier, les
auteurs y déplorent une certaine sévérité de la sanction pénale972, s’agissant du second ils
mettent en exergue l’instrumentalisation de celle-ci, par ce dernier à des fins personnelles
970
Notamment, un élargissement du champ du droit pénal de la consommation en raison de l’adoption de la loi
n° 2008-3 du 3 janvier 2003 créant un délit de pratiques commerciales agressives, art. L. 122-11 et s. du c.
consom. V. A. Lepage, « Un an de droit pénal de la consommation (mars 2007- avril 2008) », Dr. pén. n°5, mai
2008, chron. 4, passim ; Ph. Conte, « 1905-2005 : Cent ans de protection pénale du consommateur », Dr. pén.,
n°3, mars 2006, étude 4, passim.
971
Art. 16, art. 26 et art. 28 de la loi n°2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique,
JO du 12 octobre 2013, p. 16829.
972
A. Lepage, « Réflexions de droit pénal sur la loi du 6 août 2004 relative à la protection des personnes à
l’égard des traitements de données à caractère personnel », op. cit., étude 5, n° 24 sq.
276
voire égoïstes973. A contrario, entre le droit pénal et le droit du travail se sont tissées depuis de
nombreuses années, des relations étroites de « compagnonnage », l’un enrichissant l’autre974.
Enfin, la vie des affaires fut également soumise à une forte moralisation pénale dès 1867975 –
qu’il s’agisse alors du droit des sociétés, du droit de la concurrence976 ou du droit de la
consommation précédemment évoqué977. Pourtant, dès le début du XXème siècle, le désir
d’une dépénalisation considérée comme opportune, voit le jour au sein de la doctrine
majoritaire, conduisant ainsi à un mouvement de reflux978 du droit pénal au sein du droit des
affaires. Ainsi, bien que silencieux sur certains points, le rapport remis au Garde des Sceaux,
le 20 février 2008, par le groupe de travail présidé par Jean-Marie Coulon, ancien Premier
président honoraire de la Cour d’appel de Paris, a eu le mérite d’apporter des éléments de
réponses intéressants quant à la place excessive qu’occupait le droit pénal dans ce domaine.
Mettant notamment l’accent sur l’emploi de mesures alternatives à l’audience correctionnelle
– telles que la composition pénale, le classement sans suite sous condition ou la transaction –
ce rapport proposait de désincriminer la vie des affaires, soit en supprimant purement et
simplement certaines infractions pénales, soit en substituant d’autres par des sanctions civiles
ou administratives (injonction de faire ou nullité s’agissant du droit des sociétés)979.
Précisons que tout récemment, la loi n°2012-387 du 22 mars 2012 de simplification et
d’amélioration de la qualité du droit980 est encore venue décriminaliser le droit des sociétés,
abrogeant ainsi plusieurs infractions981.
973
A. Prothais, « Un droit pénal pour les besoins de la bioéthique », RSC. 2000. 39, n° 3-4 ;V. aussi sur le
manque de cohérence et d’intelligibilité du droit pénal de la bioéthique P. Mistretta, « Droit pénal de la
bioéthique : le coup de grâce ! », JCP éd. G, n°29, act. 845, 2011, p. 1408-1409.
974
A. Coeuret et E. Fortis, « La place du droit pénal dans le droit du travail », RSC. 2000. 25, spéc. p. 25 sq.
975
La place du droit pénal dans le monde des affaires a commencé à s’étendre dès l’entrée en vigueur de la loi de
24 juillet 1867, pour s’intensifier avec celle de la loi du 24 juillet 1966, V. M.-C. Sordino, « Flux et reflux du
droit pénal au sein du droit des affaires », Gaz. Pal. 2008, p. 2.
976
C’est à la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales que nous devons une création
massive d’incriminations dans ces domaines V. B. Bouloc, « La place du droit pénal dans le droit des sociétés »,
RSC. 2000. 17, spéc. p. 17-19.
977
Le droit de la consommation aussi entre dans le droit des affaires, cependant il connaîtra une dépénalisation
plus ténue que celle du droit commercial ou de la concurrence. V. A. Lepage, op. cit, n°1 ; Ph. Conte, op. cit,
n°3.
978
J.-M. Coulon dir., La dépénalisation de la vie des affaires, La Documentation Française, 2008, p. 11 (en
ligne) disponible sur le site de la Documentation Française :
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/084000090/0000.pdf.
979
H. Matsopoulou, « Les propositions sur la « dépénalisation de la vie des affaires », Rev. Sociétés, 2008, p.1 ;
M.-C. Sordino, « Flux et reflux du droit pénal au sein du droit des affaires », op. cit.
980
Loi n°2012-387 du 22 mars 2012 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, JO du 23 mars
2012, p. 5226.
981
B. Saintourens et P. Emy, « Nouvelle étape de simplification du droit des sociétés par la loi n° 2012-387 du
22 mars 2012 », Rev. Sociétés, 2012, p. 335.
277
En conséquence, il n’est pas un aspect de la vie juridique auquel le droit pénal ne se voit pas
affecté. Or, il intervient, de manière constante, selon un mécanisme de subsidiarité vis-à-vis
de la branche du droit qu’il vient suppléer. Appliqué à la famille, il se verra imposer les
valeurs propres à cette sphère (Chapitre I). Malheureusement, cette subsidiarité contribue à
sa dénaturation (Chapitre II).
278
Chapitre I. La subsidiarité du droit pénal dans la famille
235. « Le droit criminel vient au secours de certaines règles de fond d’une grande
importance sociale » et « entoure les autres disciplines – les disciplines normatives – d’une
véritable ceinture de force »982. La subsidiarité du droit pénal est donc largement reconnue.
Placé au cœur de la famille, ce caractère subsidiaire du droit pénal doit s’apprécier d’une part
vis-à-vis des valeurs sociales propres à celle-ci (Section I) et d’autre part, quant aux fonctions
qu’il y occupe (Section II).
Section I. Une subsidiarité du droit pénal quant aux valeurs sociales attenantes à la famille
236. Le droit pénal, « peut s’analyser comme un système de valeurs et d’intérêts protégés.
L’incrimination d’un comportement correspond donc à la défense d’institutions et de
croyances fondamentales, spécifiques à chaque société et propres à chacune de ses périodes
historiques »983. Cependant, il est intéressant d’observer que s’il est chargé de la défense
desdites valeurs – vues comme des institutions et croyances fondamentales – en revanche ce
n’est pas lui qui les formalise. En effet, la défense de ces intérêts assurée par le droit pénal ne
semble pouvoir prendre qu’une forme secondaire.
Ainsi, ce n’est pas davantage le droit pénal qui reconnaît la famille comme valeur sociale,
cette compétence appartenant à d’autres disciplines juridiques principales qu’il vient suppléer
(§1). En effet, en qualité de droit sanctionnateur, seule en principe la protection effective des
valeurs dont la famille est porteuse incombe au droit pénal, de manière accessoire (§2).
982
R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel. Problèmes généraux de la science criminelle, 7ème éd, Cujas,
1997, n°146.
983
P. Lascoumes, P. Poncela et P. Lenoël, Au nom de l’ordre. Une histoire politique du code pénal, Hachette,
1989, p. 11.
279
§1 - La famille, une valeur sociale non consacrée par le droit pénal
237. La famille constitue une valeur sociale consacrée en droit positif. Ceci étant dit,
encore faut-il définir le concept de valeurs sociales. Ce concept n’est pas juridique, mais est
pleinement appréhendé en droit. Toutefois, comme nous l’avons précisé précédemment, la
reconnaissance juridique d’un tel concept dépendant de disciplines extra-pénales principales,
le pénaliste qui prétend se forger une idée de ce qu’est une valeur sociale protégée, doit
nécessairement quitter le champ de sa matière pour répondre à son interrogation. Ce n’est
alors qu’une fois cette démarche de prospection réalisée, qu’il pourra confronter les résultats
de cette analyse avec les préceptes de sa discipline et interpréter l’application de ceux-ci au
regard des dits résultats.
238. Une telle entreprise de la délimitation des contours de la notion de valeur sociale
protégée, n’est pas sans poser certaines complexités, en particulier s’agissant de son contenu.
Celui-ci, en effet, intimement lié à l’évolution d’axiomes qui, à une époque donnée – plus ou
moins persistante dans le temps, dessineront les principes identitaires d’une société, est
fluctuant. Ceci s’explique d’ailleurs assez logiquement puisque, par nature, la valeur trouve sa
source dans un jugement qualitatif. Ainsi, elle peut être du point de vue de l’individu, « ce
qui est estimable, appréciable, désirable », ou d’une manière plus générale, « ce qui est
considéré comme bon, utile, digne d’estime »984.
Dans ces deux hypothèses, l’idée de valeur fait une large part à la subjectivité et donc, à la
relativité. En effet, qu’il s’agisse d’un individu – imprégné par son propre système de
valeurs985, résultante de facteurs socialisants, familiaux, environnementaux, ou émotionnels
déterminants, ou encore d’une société – marquée par son histoire politique, culturelle ou
idéologique – certaines valeurs se verront successivement, dénier ou attribuer une certaine
prévalence dans une durée et un espace clés.
Dès lors, cette relativité pose encore le problème de l’imprécision de la notion. En effet,
déterminer le contenu de la notion de valeurs protégée reviendrait, ni plus ni moins, à
984
G. Cornu et Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, 11ème éd., PUF, 2016, « Valeur ».
985
J.-C. Rocher, Philosophie du droit. Méthodologie et perspectives, Editions fac 2000, 1999, p. 61.
280
déterminer ce qui doit ou non, figurer dans cette catégorie, c’est-à-dire évaluer les principes
qui méritent d’être érigés en une valeur suffisamment fondamentale, pour faire l’objet d’une
protection. Or, un tel arbitrage ne semble pas pouvoir valablement reposer sur une technique
juridique pure et exacte. Ainsi, définir la notion de valeur sociale ne saurait se départir de
considérations éthiques, philosophiques et sociologiques. Cependant, cela ne doit pas
décourager le juriste dans sa démarche de définition. En effet, fréquemment, il devra faire
face à des données factuelles et réalités sociales qu’il sera amené à utiliser et à réglementer
pour les besoins et la cohérence de sa discipline. D’ailleurs, certaines situations de pur fait
sont d’ores et déjà pris en compte par le droit : tels que le concubinage, la possession d’état, la
définition de la notion de maladresse en droit médical ou encore la reconnaissance de sociétés
créées de fait.
986
E. Millard, Famille et droit public. Recherches sur la construction d’un objet juridique, Thèse de doctorat,
Université Lyon III, 1994, p. 34.
987
Sur la définition du concept de droit, V. S. Romano, L’ordre juridique, trad. Lucien François, Pierre Gothot,
Paris, Dalloz, 2002, p. 17.
988
V. R. Cabrillac, Introduction générale au droit, 11ème éd., Dalloz, 2015, n°30.
281
reconnaître une légitimité juridique, c’est-à-dire un statut, un régime et des effets juridiques989
clairement identifiables et identifiés.
Or, tel n’est pas le cas s’agissant des valeurs sociales protégées. En effet, en droit positif
français, la notion de valeur sociale protégée ne peut être regardée comme un véritable
concept juridique. Si elle est souvent employée dans les écrits doctrinaux, paradoxalement
cette expression fait rarement l’objet d’un effort de conceptualisation. Pour cause, il s’agit
d’une notion à la sémantique variable prenant l’appellation tantôt d’ « intérêt protégé »990,
tantôt de « bien juridique »991. Et, à ce propos, un auteur faisait, à très juste titre, remarquer
que « la seule assimilation des idées de bien juridique protégé, d’intérêt protégé et de valeur
protégée révélait déjà l’inexistence d’un concept véritable » 992 . C’est dire que cette
dénomination de « valeur sociale » ne présente pas une homogénéité suffisante, permettant de
la formaliser en tant que concept juridique – contrairement à son homonyme : le « bien
juridique ».
En effet, bien que celui-ci ait fait son apparition dans la doctrine française pour la première
fois dans les écrits du célèbre avocat et professeur Garraud993 au XXème siècle, et plus
tardivement chez d’autres auteurs994, c’est dans la doctrine étrangère qu’il a connu son
rayonnement995. Il y fait l’objet d’une réelle réflexion conceptuelle et dogmatique, que nous
exposerons et utiliserons tout au long des développements à venir. Ainsi, le concept plus
abouti de bien juridique devra servir utilement d’outil de clarification de celui, plus sibyllin,
de valeurs sociales, dont nous tenterons de délimiter les contours996.
989
R. Cabrillac, op. cit.
990
R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel. Droit pénal spécial, tome 2, Ed. Cujas, 1982, n°22.
991
M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, Thèse de doctorat,
Université de Montpellier I, 2009, passim.
992
M. Lacaze, op. cit, p. 9, n°3.
993
R. Garraud, Traité théorique et pratique de droit pénal français, 3ème éd., tome I, Sirey, 1913, p. 215.
994
J.-A. Roux, Droit criminel français, 2ème éd., tome I, Sirey, 1927, n° 1 ; ou plus récemment M. Lacaze, op. cit,
passim qui propose une véritable analyse du concept du bien juridique comme composante de l’infraction
pénale.
995
A titre d’exemples, mais cette liste n’est pas exhaustive : F. Von Liszt, Traité de droit pénal allemand, trad.
René Lobstein, Paris, Giard et Brière, 1913 ; H. Hormazàbal Malarée, Bien jurídico y estado social y
democratico de derecho, Barcelona, PPU, 1991 ; E. Dolcini et G. Marinucci, « La constitution et le droit pénal
en Italie. Structure de l’infraction et contraintes pour le législateur dans le choix des biens juridiques », RSC
1996, p. 317 sq ; G. D. Fernandez, Bien jurídico y sistema del delito, B de F, 2004.
996
Notre ambition ici ne sera pas d’exposer toutes les théories relatives à ces deux notions, sinon d’envisager au
gré de notre proposition de définition de la notion de valeurs sociales, celles qui nous paraîtront intéressantes.
282
240. La définition d’un concept applicable à la famille. – Il convient de ne pas perdre de
vue que cette recherche ne porte pas sur l’étude d’un concept de valeurs protégées, une telle
réflexion pouvant faire l’objet d’une thèse à part entière. Aussi, la conceptualisation du
phénomène de valeurs sociales que nous proposons, ne peut être que resserrée, ciblée et
d’opportunité. En effet, l’objectif de cette étude consiste dans la compréhension d’un
phénomène précis : l’intervention du droit pénal dans la famille. Un des arguments de cette
intervention réside précisément dans l’idée que cette branche du droit vient garantir un certain
nombre de valeurs sociales indispensables dans cette cellule. Or, la définition du concept de
valeurs sociales est applicable à la famille. Et pour cause, cette dernière doit être considérée
comme une valeur sociale (A) consacrée en droit (B).
241. Avant que de l’appliquer à la famille (2), le concept de valeurs sociales doit être défini
(1).
242. Parce qu’elle prend sa source dans l’éthique (a), la valeur sociale préexiste au droit
(b).
997
V. not., J.-C. Rocher, op. cit., Ed. fac 2000, 1999 p. 62 ; A. De Lastic, op. cit., p. 3. ; M. Scheler, Le
formalisme en éthique et l’éthique matériale des valeurs. Essai nouveau pour fonder un personnalisme éthique,
trad. Maurice de Gandillac, Gallimard, 1955, passim.
283
« toute l'éthique naît de ce redoublement de la tâche […] : faire advenir la liberté de l'autre
comme semblable à la mienne. L'autre est mon semblable ! Semblable dans l'altérité, autre
dans la similitude »998. Ainsi elle aboutit à une reconnaissance chez l’autre d’un droit à
l’existence et au respect de sa liberté, de sa personne et de son développement. Par
conséquent, la visée de l’éthique ne peut être égoïste, individuelle. Il s’agit de vouloir pour
l’autre ce que l’on souhaite pour soi-même.
Deuxièmement, ce langage ne doit pas être seulement neutre, mais également nécessaire, sans
quoi il serait dénué de toute utilité, de tout fondement. Elle apparaît ainsi indispensable à
l’action humaine, en ce qu’elle est le lien qui existerait corrélativement entre le désir et le
manque de l’être humain, tendant dans le souhait d’une vie accomplie999. L’éthique désigne
donc la quête du bonheur, la recherche d’un bien-vivre, le « souhait d’une vie bonne »1000 non
seulement pour soi, mais aussi dans l’intérêt des autres.
Par conséquent, s’il fallait donner une définition de l’éthique, il s’agirait du médiateur neutre
qui existerait entre les individus d’une société et visant à l’instauration de principes et de
valeurs de vie harmonieuse en collectivité1001. L’éthique suppose donc qu’émerge un ordre
axiologique commun reposant sur l’idée que les valeurs sociales protégées soient intériorisées
par le plus grand nombre afin de parvenir à un progrès social1002.
998
P. Ricœur, « Fondements de l’éthique », Autres Temps. Les Cahiers du christianisme social, n°3, 1984, p. 64.
999
P. Ricoeur, Le juste, Esprit, coll. Philosophie, 1995, p. 17.
1000
P. Ricoeur, Le juste, op. cit.
1001
F. Collin, « Repenser l’éthique », Les Cahiers du GRIF, n° 29, 1984, p. 97-98. Dans le même esprit, l’auteur
parle du « comment vivre » et du « comment vivre avec ».
1002
On retrouve ici donc l’idée de socialisation de l’individu dès son plus jeune âge, en principe assurée par sa
famille.
1003
J. Lagarrigue et G. Lebe, « Éthique ou morale ? », Recherche & Formation. Conscience étique et pratiques
professionnelles, n°24, 1997, p. 121-130.
1004
H. Matsopoulou, « L’éthique et le droit pénal », in Le champ pénal, Mélanges en l’honneur du professeur
Reynald Ottenhof, Paris, Dalloz, 2006, p. 315. L’auteur rappelle que le terme « éthique » d’origine grecque n’est
autre que le pendant de celui de « morale » d’origine latine.
1005
Le droit pénal ne doit pas être accessoire à la loi morale en matière de famille, V. infra, n° 251 et s.
284
référence à la perception du Bien et du Mal1006. Elles viennent donc régir les comportements
des individus vivant en société. Pourtant, alors que l’éthique se situe encore dans le registre de
ce qui paraît souhaitable, pour le bonheur de tous et de chacun, la morale elle semble
davantage emprunter des allures de loi. KANT, faisant abstraction de tout scepticisme ou
dogmatisme, estimait d’ailleurs clairement que la morale ne trouvait aucunement son
fondement dans « la quête du bonheur[…], mais dans l’autonomie de la volonté, c’est-à-dire
dans le fait pour la volonté d’être législatrice, de poser elle-même ses lois »1007.
La loi morale, principalement formulée en des termes négatifs, relève de l’interdiction (« il ne
faut pas voler », « il n’est pas bien de mentir », « tu ne tueras pas ton prochain », etc. …). À
ce propos, DURKHEIM rappelait que « la morale est un système de règles d’action qui
prédéterminent la conduite [...]. Elles disent comment il faut obéir dans des cas donnés ; et
bien agir, c’est bien obéir »1008. On ne peut ignorer, qu’aujourd’hui, la morale pâtit d’une
perception négative, en ce qu’elle est vue comme un concept tendant à réglementer, parfois de
manière intrusive, des domaines relevant de l’intimité de l’individu – restreignant par là
même ses libertés individuelle1009. Cela explique que la notion d’éthique « plus proche de la
notion du sens ou de la fonction attribuée à la déontologie », soit préférée par le pénaliste1010.
1006
Kant estimait que « bon moralement signifie bon sans restriction », c’est-à-dire en toute circonstance. La
morale était, sur ce point, pour lui synonyme de vertu et d’éthique, V. O. Höffe, Introduction à la philosophie
pratique de Kant. La Morale, le droit et la religion, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1993, p. 57-60 ; F.
Palhoriès, « La morale et la Sociologie », Revue néo-scolaqtique de pholosophie, 17e année, n°68, 1910, p. 512.
1007
E. Gaziaux, « Trois modèles d’autonomie en morale : Kant, Steinbüchel, Auer », Revue théologique de
Louvain, 28e année, fasc. 3, 1997, p. 339 ; O. Höffe, op. cit., p. 49 sq ; La morale suppose un échange entre deux
personnes, celle qui crée la norme et celle à qui elle s’adresse, l’ « adressataire ». Toutefois, il est possible de
concevoir qu’une personne puisse s’adresser à elle-même une norme morale. C’est à la condition que « sa
conscience se divise en deux personnalités, un ego et un alter ego, de sorte que l’un pose les normes qui sont
adressées à l’autre, c’est-à-dire statue le comportement de l’autre comme obligatoire », V. H. Kelsen, Théorie
générale des normes, trad. Olivier Beaud, 1ère éd. 1979, Mans Werlag Wien, PUF, coll. Léviathan,1996, p. 36-
38 ; V. également, E. Dreyer, Droit pénal général, 3ème éd., Paris, LexisNexis, 2014, p. 119.
1008
E. Durkheim, L’éducation morale, Paris, PUF, 1963, p. 21. Selon Durkheim, une des caractéristiques de la
morale est l’obligation. Mais à cette caractéristique doit s’ajouter une autre, celle de la désirabilité. En effet, il
concevait mal qu’un individu soit contraint à obéir à une règle morale qu’il n’estimerait pas juste. Toutefois,
cette désirabilité ne doit pas se confondre avec l’hédonisme. L’auteur met en avant l’idée du dépassement de soi,
de l’effort et le devoir de respecter les règles, V. H.-P. Müller, « Société, morale et individualisme. La théorie
morale d’Emile Durkheim », trad. Didier Renault, Trivium, 2013, n° 13-19 (en ligne) :
https://trivium.revues.org/4490. Durkheim précise encore que la morale n’est pas qu’universelle, elle est
également individuelle. Selon lui, « on entend par là un ensemble de jugements que les hommes,
individuellement ou collectivement, portent sur leurs propres actes comme sur ceux de leurs semblables, en vue
de leur attribuer une valeur très spéciale », V. E. Durkheim, « Introduction à la morale », Revue philosophique,
n°89,1920, p. 81.
1009
V. Malabat, « Morale et droit pénal », in Droit et morale. Aspects contemprains, Dalloz, coll. Thèmes et
commentaires, 2011, p. 220.
1010
V. Malabat, « Morale et droit pénal », op. cit., p. 219-220.
285
Ainsi, on le voit, l’éthique apparaît comme le vecteur intersubjectif inné qui se construit
presque inconsciemment. La morale, elle, s’impose non plus seulement comme une modalité
d’agissements possibles, mais véritablement comme l’imposition d’un modèle, d’un cadre
normal auquel il convient de ne pas déroger 1011 . La morale apparaît donc comme
« aliénante »1012 et l’éthique comme la « face objectivée »1013 de cette dernière.
Aussi, dans le cadre de cette étude, préférerons-nous rattacher strictement la valeur sociale au
concept d’éthique présentant des vertus de neutralité.
245. La valeur sociale n’est pas la norme. – Les concepts de valeur et de norme ont
souvent fait l’objet d’une confusion. En effet, dans les thèses jus naturalistes1014, le droit était
vu comme « l’émanation, le produit de la Raison »1015, la même raison qui conduit l’homme à
adopter la conduite la plus responsable et la plus morale. Dans cette conception, le droit est
l’instrument évident au service de l’éthique et la morale. Aussi, ces thèses ne distinguaient-
elles pas droit et morale, ni normes et valeurs.
Le jus positivisme lui est fondé sur l’idée essentielle que droit et morale (ou indistinctement
employée, l’éthique) sont diamétralement opposés. Néanmoins, ce courant d’idée utilisait tout
de même, le terme « norme » pour désigner à la fois les règles juridiques et celles qui
relevaient uniquement de la morale, de l’éthique ou des valeurs1016.
Pourtant, la valeur protégée n’est pas la norme juridique, et pour cause ces deux concepts
suivent des sémantiques différentes. La norme, en effet, correspond à « la règle juridique,
1011
V. P. Ricœur, « Fondements de l’éthique », op. cit., p. 69.
1012
F. Collin, op. cit. , p. 98.
1013
P. Dubouchet, Droit et Philosophie. Une critique des sciences humaines, L’Harmattan, 2009, p. 50.
1014
Les thèses jus naturalistes s’inspirent largement des travaux du juriste canonique Tomas d’Aquin, pour plus
de précisions V. H. Rabault, op. cit., p. 3 sq [En ligne :
http://www.droitconstitutionnel.org/congresNancy/comN5/rabaultTD5.pdf].
1015
H. Rabault, op. cit., p. 4-13.
1016
KELSEN est l’un des auteurs incontournables du jus positivisme. Il estimait que toutes les normes sociales
n’étaient pas juridiques, ainsi « on peut grouper l’ensemble des normes sociales autres que juridiques sous la
dénomination de morale, et l’on peut nommer l’éthique la discipline qui entreprend de les connaître et de les
analyser » V. H. Kelsen, Théorie de pur droit, trad. Charles Eisenmann, 1e éd. 1962, Dalloz, Inst Kelsen, LGDJ,
1999, p. 65.
286
obligatoire, générale et impersonnelle »1017. Elle répond dès lors au registre de l’obligation,
de la permission ou de l’interdiction1018. A contrario, la valeur, elle, est intimement liée à la
capacité de l’individu à distinguer le « bon » du « mauvais »1019. Par conséquent, la notion de
valeur renvoie à des considérations d’ordre éthique. Dès lors, on le pressent, l’idée même de
valeurs renvoie à la versatilité. Ainsi, les systèmes de valeurs sont changeants et évolutifs en
fonction des individus et des sociétés dans lesquelles s’observeront ces valeurs, à un moment
donné. Les valeurs s’actualisent donc en permanence1020. KELSEN, éminent philosophe du
droit d’origine autrichienne, né à Prague en 1881, estimait alors qu’il existait une pluralité de
valeurs, sans qu’il soit possible d’établir une hiérarchie entre elles, puisque selon lui, « il
n’existe pas de morale absolue » 1021 . C’est ce que renferme son idée de « relativisme
axiologique »1022. La théorie kelsénienne de la valeur rappelle alors le constat précédent,
relativement aux difficultés d’appréhension juridique de la notion factuelle de « valeurs
sociales », de l’imprécision de cette dernière. En effet, les valeurs reposent sur des
préférences, de l’affect, un jugement. Elles apparaissent comme substantiellement
« irrationnelles » et ne peuvent valablement constituer des éléments sur lesquels « on ne peut
tenir un discours de vérité scientifique »1023.
Il importe, dans notre effort de distinction des notions de valeur et de norme, d’insister sur ce
concept de « vérité scientifique », car en effet, la vérité scientifique n’est pas la vérité absolue.
Lorsque le juge pénal forge son intime conviction sur la culpabilité d’un individu, au regard
des divers éléments de preuves qui lui sont rapportés, il ne peut faire fi de son humanité et sa
subjectivité. La décision qu’il prononce ne s’apparente pas à une vérité absolue, sinon à une
vérité judiciaire. Toutefois, parce qu’il se détermine en terme de légalité ou d’illégalité –
critère de référence admis et éprouvé – le juge tend à s’approcher d’une vérité scientifique
1017
R. Guillien et J. Vincent, Lexique des termes juridiques, 22ème éd., Dalloz, 2014, « Norme ».
1018
A. De Lastic, (2011) « Une approche philosophique du sens des valeurs. Se transformer soi-même pour
transformer le monde ? », in CCFD-Terre Solitaire. Gouvernance et responsabilité. Propositions pour un
développement humain et solidaire, Musée du quai Branly, Paris, décembre 2011, p. 3 [En ligne : http://ccfd-
terresolidaire.org/IMG/pdf/valeurs-delastic.pdf].
1019
A. De Lastic, op. cit., p. 3.
1020
J.- C. Rocher, ibidem, Ed. fac 2000, 1999, p. 62.
1021
H. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p. 87.
1022
C. M. Herrera, La philosophie du droit de Hans Kelsen. Une introduction, Les Presses de l’Université
Laval, Coll. Diké, 2004, p. 29 ; H. Rabault, Droit et axiologie : la question de la place des ”valeurs” dans le
système juridique, Droit constitutionnel et théorie et philosophie du droit, atelier n°5, Acte du 8ème Congrès
français de droit constitutionnel, Université Nancy II, 2011, p. 6 [En ligne :
http://www.droitconstitutionnel.org/congresNancy/comN5/rabaultTD5.pdf].
1023
C. M. Herrera, op. cit., p. 28.
287
ayant pour fondement la loi ou la norme. Et c’est bien ce qui différencie la norme juridique de
la valeur. La norme, en effet, n’est pas relative. Si elle se diversifie selon les disciplines
judiciaires et évolue nécessairement, en revanche elle représente un cadre unitaire, homogène,
cognitif et rationnel. Ainsi, la norme est la règle selon laquelle l’individu doit se comporter ;
étymologiquement, le mot vient du latin « norma » qui signifie « équerre, règle ». Et, cette
idée de rectitude se retrouve encore dans le mot « droit » qui dérive du terme latin
« dirigere », signifiant « tracer une ligne droite ». Par conséquent, la norme juridique semble
devoir se départir de déviations, d’imprécisions. Toutefois, la norme n’exclut pas
l’imperfection ; elle s’en enrichit, s’en inspire. Il n’existe nulle norme, nulle loi, qui ne trouve
pas son explication dans une valeur, et en particulier en droit pénal. Ainsi, la norme est la
formalisation objective des valeurs. Le droit ne relève pas de la nature et n’a point émergé
seul, mais bien par l’action de l’homme, qui en prise à ses propres valeurs, mais aussi à des
valeurs communes, a ressenti le besoin de les mettre en forme au sein d’une science juridique
rationnelle. Les valeurs protégées par conséquent dominent le droit1024, de sorte que cette
discipline ne peut se passer de ces dernières. La valeur est donc positivée dans la norme, c’est
elle qui participe de sa rationalisation.
246. Des valeurs, le fruit d’une société. – Si l’on admet que la valeur se situe au cœur du
droit, faut-il, pour autant, en conclure que le droit crée les valeurs qu’il garantit par ailleurs ?
Ou, au contraire que ces valeurs préexistent au droit ?
La valeur, qui recevra une protection juridique a posteriori n’est pas l’œuvre du droit, celui-ci
venant seulement constater l’existence de valeurs de facto présentes au sein d’une société
donnée. Ainsi, le droit n’est pas créateur de valeurs, il les élève au rang de valeurs sociales
juridiquement protégées.
En ce sens, la théorie de Franz VON LISZT nous semble particulièrement fine s’agissant de
sa conception du bien juridique protégé. Éminent professeur et criminologue, né à Vienne en
1024
Cette vision s’oppose à celle des théories de la communication, représentées notamment par Jügen
Habermas, V. Droit et démocratie. Entre faits et normes, Gallimard, 1997, p. 277-279. Selon ces théories, le
droit ne fait appel aux valeurs que lorsqu’il ne dispose plus de mécanismes juridiques de résolution des
problèmes. Il tient les valeurs à distance. Ces théories privilégient la norme, à caractère obligatoire et rationnel
(« une validité à caractère binaire » laissant peu de place au relativisme), aux valeurs intersubjectives,
préférentielles et théologiques.
288
1851, VON LISZT1025 estime que les biens juridiques proviennent du réalisme social. Selon
lui, le bien juridique désigne les intérêts vitaux des individus entre eux et dans leurs relations
avec la société1026. Remarquons qu’une telle définition du bien juridique rappelle notre idée
précédente de la valeur coexistant avec toute réalité collective. Ainsi, la vision de VON
LIZST s’applique aisément à notre notion de valeur. En effet, à travers cette vision d’une
valeur issue de la société, l’emploi du vocable de valeur sociale apparaît plus clair, plus
concret.
De plus, VON LISZT insiste sur le fait que ces intérêts vitaux ne sont pas créés par le droit.
Dès lors, dans sa pensée, « les biens juridiques sont les intérêts protégés par le droit »1027,
c’est-à-dire reconnus comme suffisamment essentiels par celui-ci pour être élevés au rang de
bien juridiques. Il s’agit donc là d’une véritable mutation, le bien juridique est en réalité issu
de la reconnaissance juridique de l’intérêt social. Dès lors, les esprits contradicteurs
pourraient rétorquer que, si l’intérêt à l’état primitif est effectivement un objet social, c’est
bien le droit qui le sort de son existence sociale pour en créer l’aspect dogmatique.
Cependant, le mot « création » suppose de faire naître une chose du néant. Or tel n’est pas le
cas ici. Le droit se contente d’habiller un fait social (un intérêt vital), d’une existence
juridique nouvelle (valeur sociale ou bien juridique). Il ne peut donc tout au plus qu’être
question ici d’une novation. Et c’est d’ailleurs bien ce qu’exprime VON LISZT en ces
termes : « l’ordre juridique ne crée pas l’intérêt, c’est la vie qui le crée ; mais la protection
de droit élève l’intérêt vital au rang de bien juridique »1028.
Aussi, le choix du vocable de valeur sociale protégée prend-il tout son sens. En effet, le
juriste doit résister à la tentation de rebaptiser celle-ci en valeur juridique (à l’instar du bien
juridique), en vue de matérialiser l’idée de transformation juridique d’un intérêt social. Et
1025
Il est connu notamment pour sa tentative, lors de sa contribution à la réforme du Code pénal allemand en
1882, de faire reconnaître le droit pénal et la criminologie comme une seule et même science : le Droit pénal, V.
L. M. Villerbu et J.-L. Viaux, Expertise psychologique, psychopathologique et méthodologique, L’Harmattan,
1999, p. 18.
1026
« Il s’agit d’un intérêt qui existe dans la réalité sociale et qui résulte des relations de la vie entre les individus
eux-mêmes ou entre les individus et la société organisée en Etat » V. M. Lacaze, op. cit., p. 62, n° 64.
1027
V. M. Lacaze, ibidem, n° 64.
1028
« Nosostros llamamos bienes jurídicos a los intereses protegidos por el Derecho. Bien jurídico es el interés
jurídicamente protegido. Todos los bienes jurídicos son intereses vitales del individuo o de la comunidad. El
orden jurídico no crea el interés, lo crea la vida ; pero la protección del Derecho eleva el interés vital a bien
jurídico » V. F. Von Liszt, Tratado de Derecho penal, tome II, trad. L. Jiménez de Asua, 4ème éd., Reus, 1999, p.
6.
289
pour cause, une valeur sociale n’est pas une valeur juridique. En effet, si la valeur juridique
désigne le caractère probant de tout acte, susceptible de créer un certain nombre d’effets de
droit, aux yeux de la loi et institutions chargées de l’appliquer ; la valeur sociale, elle, renvoie
à une notion supérieure, un principe fondamental qui, né au sein de la société, se voit accorder
une importance et une reconnaissance juridiques par le législateur. Néanmoins, cette
reconnaissance juridique n’est pas synonyme d’une force créatrice du droit, comme nous
venons de le préciser. Et, même captée par le droit, la valeur sociale conserve son essence
première.
Enfin, il convient de préciser que la création de valeurs n’est pas libre. En effet, celle-ci se
construit, s’oriente selon un certain déterminisme social. Ainsi, l’individu ne crée pas son
système de valeurs indépendamment de toutes influences extérieures, qu’elles soient sociales,
familiales ou expérimentales. C’est précisément au contact de certains phénomènes sociétaux
et familiaux, qui auront marqué significativement le parcours de l’individu, que celui-ci sera
amené à préférer telle valeur à une autre. En outre, les régimes politique et économique d’une
nation conduiront à l’adoption de systèmes de valeurs différents, de sorte que les valeurs
sociales d’un État communiste ne seront pas celles d’un État capitaliste. En conséquence, la
valeur est bien issue d’une société et ce raisonnement se vérifie également lorsqu’il s’agit de
la famille.
247. La famille, passage d’un groupement naturel à une valeur sociale. – La famille
est, en France, reconnue comme « une des valeurs essentielles sur lesquelles est fondée la
société »1029 selon l’article R. 112-1 du Code de l’action sociale et des familles. La famille est
donc bien une valeur issue de la société. En tant que telle, la famille préexiste nécessairement
au droit.
D’autres auteurs, pourtant, adoptent des thèses contraires. Une en particulier retiendra notre
attention. Pour Monique Gomar1030 le droit serait le support probant de volontés égoïstes et
1029
Art. R.112-1 de CASF.
1030
M. Gomar, « Pourquoi du droit dans la famille ?», in La famille que je veux, quand je veux, Toulouse, ERES,
2003, passim.
290
individuelles tendant à la formation d’un « groupement de fait » fragile, qui ne se
transformerait en famille que par l’action – voire la « contrainte extérieure » nécessaire du
droit. C’est, par conséquent, à cette seule condition de l’intervention du droit dans la famille,
que celle-ci s’imposerait comme une entité durable, rationalisée et explicable. Aussi, cette
vision défendrait-elle l’idée que la famille porte, dès l’origine, en elle, les éléments de sa
propre juridicité, c’est-à-dire que tout ce qui est groupement n’est pas famille, et tout ce qui
est famille est d’emblée juridique1031.
Opter pour cette dernière position reviendrait à dénier à la famille ce qu’elle possède de
spontanéité et d’humanité. En effet, elle constitue initialement, un groupement naturel1032,
c’est-à-dire trouvant en lui-même ses propres lois et principes 1033 . Elle détient « pour
fondement l’homme, non seulement en tant que raison, mais encore en tant que donnée
sensible et instinctive » 1034 . La simple reconnaissance objective de l’existence d’un tel
groupe1035, ne nécessite pas d’intervention ou d’interprétation juridique extérieure. Dès lors, la
famille, en particulier contemporaine, est avant tout un agrégat d’événements – une
rencontre1036, la fusion des corps, la naissance d’un ou plusieurs enfants – et le bonheur
qu’elle procure – le développement et l’épanouissement des membres du groupe, des périodes
de paix ou de déchirement temporaires, transitoires ou irrémédiables. Mais, c’est aussi la
cristallisation de sentiments – des cœurs qui battent la chamade, l’affection, l’amour, la
loyauté ; ce sont autant de paramètres non anticipés, non calculés qui font de la famille « un
1031
M. Gomar, op. cit, p. 8. Selon l’auteur « la famille établit le passage de la nature à la convention » ; elle
oppose clairement le groupement de fait à la famille, qu’elle définit comme une « société naturelle ». Elle estime
encore que « C’est la famille seule qui, dès l’origine, est sujet de droits et d’obligations » par opposition à ce dit
groupement.
1032
J. Carbonnier, Droit civil. La famille, l’enfant, le couple, vol. I, 1ère éd. 1955, éd. PUF, Paris, Quadrige
Manuels, 2004, p. 755 : Jean Carbonnier y voyait « un phénomène à base de données biologiques,
psychologiques, sociologiques – de données naturelles, en somme ».
1033
Il convient de reconnaître l’existence d’une famille naturelle, V. H., L. et J. Mazeaud et F. Chabas, Leçons de
droit civil. La famille, tome I/vol. 3, 7ème éd, Paris, Montchrestien, 1995, p. 35. La famille naturelle fondée par la
seule « union d’un homme et d’une femme, tout enfant né de cette union [étant] un membre de cette famille ». La
famille, dans sa conception naturelle, est donc vue de manière restrictive, puisqu’exclusive de la reconnaissance
de l’homoparentalité.
1034
J.-M. Trigeaud, Essais de philosophie du droit, Studio éditoriale di cultura, 1987, p. 19.
1035
Dont la construction tient à la reproduction, la procréation et l’éducation des enfants, données inscrites dans
la nature depuis des temps immémoriaux.
1036
Sur le choix du conjoint V. supra, n°20 ; A. Girard, Choix du conjoint. Une enquête psycho-sociologique en
France, Paris, Armand Colin, impr. 2012, passim ; M. Bozon et F. Héran, La formation des couples. Textes
essentiels pour la sociologie de la famille, Paris, La Découverte, 2006, p.12.
291
ensemble de liens complexes que le Droit – [pêchant par sa rigidité], ne peut […] ni maîtriser,
ni former, ni rompre »1037.
Par ailleurs, la famille possède nécessairement une existence sociale. En effet, s’il s’agit d’une
sphère privée, c’est avant tout dans un espace public en connexion avec d’autres familles
composantes d’une société appréciée comme une unité1038, que la famille évolue. Or, si la
société est un ensemble d’individus vivant en communauté organisée et la famille, une
institution de cette dernière, il convient d’admettre qu’elle fasse – elle aussi – l’objet d’une
organisation, d’une reconnaissance juridique et par la suite d’une protection. Par conséquent,
la famille est une valeur éminemment sociale, juridiquement sauvegardée. Elle est apparue au
législateur comme une valeur sociale centrale digne d’une protection juridique, ne serait-ce
que parce qu’en tant qu’institution sociale bienfaitrice 1039 , elle reste par principe
l’intermédiaire nécessaire entre l’individu et l’État1040. Ainsi, si l’on devait synthétiser notre
pensée en une phrase, ce serait la suivante : la famille, originellement, est une valeur naturelle
avant d’être une valeur sociale, et c’est en tant que valeur sociale qu’elle devient
préoccupation de droit.
D’ailleurs, aujourd’hui plus que jamais, il est intéressant de se questionner sur une
redéfinition des sources majeure et mineure d’influence, entre droit et famille – un peu
comme si les rôles avaient été redistribués. En effet, si auparavant, la famille apparaissait
fortement soumise à une pression extérieure omniprésente et aux normes qu’elles soient
religieuses, coutumières ou légales ; au vu des actualités juridiques récentes, notamment
l’adoption de la loi n°2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes
de même sexe, nous pouvons nous demander si les évolutions de la famille française
d’aujourd’hui sont encore gouvernées par le droit ? Ou, est-ce, au contraire, les
comportements familiaux contemporains qui impulsent l’évolution du droit ?
Les individus n’attendent plus, en effet, un cautionnement légal de leurs choix de vie : ils
s’octroient des droits individuels et familiaux, avant que la loi ne les leur reconnaisse ; ils
1037
C. Atias, Philosophie du droit, 4e éd., Paris, PUF, Thémis Droit, 2016, p. 296.
1038
M. Hauriou, Précis de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1923, p. 67.
1039
Nous l’avons vu, la famille peut aussi devenir une entrave pour l’individu, lorsqu’elle ne remplit plus les
conditions de protection et de sécurité que l’on est en droit d’espérer de sa part, V. supra, n° 83.
1040
H., L. et J. Mazeaud et F. Chabas, Op. cit, p. 9.
292
s’engagent moralement l’un envers l’autre avant que le droit ne leurs impose des devoirs
juridiques1041. Par conséquent, la famille échappera toujours pour partie au droit.
Dès lors, il est possible d’affirmer que le droit donne, ni plus ni moins, une forme juridique à
des processus et intérêts familiaux, d’ores et déjà, observés dans une société donnée. Aussi,
élève-t-il la famille au rang de valeur sociale juridiquement protégée.
248. Le droit comme révélateur nécessaire de la famille – Le droit ne crée pas les
valeurs, mais les reconnaît. Cette précision n’est pas inopportune puisqu’elle permet de
rappeler que si la valeur sociale préexiste au droit, pour autant elle ne peut s’en défaire.
Ainsi, dépourvue de toute enveloppe juridique, la valeur sociale demeurerait à son état
primitif – brut – d’intérêt, et en tant que telle ne posséderait qu’une résonnance purement
personnelle – qu’elle soit par ailleurs individuelle ou collective, insusceptible de se voir
octroyer une portée générale. Nous entendons ici l’intérêt comme étant, avant toute
qualification, « une considération [ou un mobile] d’ordre moral ou économique qui concerne,
attire, préoccupe une personne »1042. Il s’agit donc communément de ce qui va dans le sens
d’une personne, ce qui est bon pour elle, lui est profitable ; c’est-à-dire en réalité d’une cause
ou d’un avantage (un bénéfice) personnel détenu ou défendu par son titulaire à des fins
personnelles, qu’il conviendra de distinguer des droits subjectifs du sujet 1043 . Et cette
définition se vérifie lorsque l’on parle d’intérêt de l’enfant ou de la famille, ou encore
d’intérêt pour agir s’agissant de la partie civile qui souhaite faire entendre sa cause au pénal,
notamment. Il s’agit bien là d’intérêts, appartenant en propre à un individu ou à un
groupement. De fait, ce n’est pas l’existence de ces intérêts en eux-mêmes qui est remise en
cause. Mais leur existence juridique, elle, passe par leur qualification en droit, condition de
1041
V. supra, n°18 et s. ; n° 31 et s. Les nouvelles formes familiales (dites monoparentales, recomposées,
homoparentales), le concubinage sont une illustration parfaite de configurations familiales, parfois complexes,
improvisées à l’ombre du droit.
1042
G. Cornu et Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, 11ème éd., PUF, coll. Quadrige, 2016,
« Intérêt ».
1043
V. infra, n° 176.
293
leur prise en compte et protection effective. En d’autres termes, le droit confère une qualité
aux valeurs.
249. Droit positif interne et consécration de la famille. – La famille est une valeur
sociale expressément reconnue en droit positif français1046. Ainsi, illustrant cette place centrale
accordée à celle-ci – l’article 1er de la Loi du n° 94-629 du 25 juillet 1994 relative à la famille
rappelle en effet que « la famille est une des valeurs sur lesquelles est fondée la société. C’est
[donc] sur elle que repose l’avenir de la Nation ».
Cette valeur essentielle est consacrée 1047 constitutionnellement. En effet, l’alinéa 10 du
Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 prévoit que « la Nation assure à l’individu
et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » consistant notamment dans
« la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs » dus à l’enfant et à la
mère1048. C’est de cet alinéa que le Conseil constitutionnel tire pour la première fois, la
reconnaissance d’un véritable droit à mener une vie familiale normale et l’obligation pour le
législateur de concilier le maintien de l’ordre public et le respect de cette liberté fondamentale
(entre autres) de valeur constitutionnelle1049. De même, et de manière bien moins évidente, il
1044
V. supra, n°37.
1045
J. Carbonnier, Flexible droit, Pour une sociologie du droit sans rigueur, 10e éd., LGDJ, 2001, p. 755. Selon
l’auteur, la famille est un « phénomène indivisiblement naturel et juridique […] modelé par le droit ».
1046
Article R. 112-1 du CASF : « La famille est une des valeurs essentielles sur lesquelles est fondée la
société ».
1047
Cette reconnaissance de la famille comme valeur est historique, bien que la Déclaration des droits de
l’Homme de 1789 ne fasse aucune mention de la famille (ce qui est étrange d’ailleurs, puisque la famille apparaît
comme une donnée des droits de l’homme aujourd’hui). Ainsi, par exemple, l’alinéa IV du Préambule de la
Constitution du 4 novembre 1848 de la IIème République précisait expressément que « [La République] a pour
principe la Liberté, l’Egalité et la Fraternité. Elle a pour base la Famille, le Travail, la Propriété, l’Ordre
Public ».
1048
Alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
1049
Cons. const., décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, L. relative à la maîtrise de l’immigration et aux
conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France : « Figurent parmi ces droits et libertés, la
294
arrive que le Conseil Constitutionnel tire de cet alinéa 10 du Préambule une exigence de
conformité à l’intérêt supérieur de l’enfant1050 par exemple.
De même, bien que l’action du juge administratif soit principalement attachée à la sauvegarde
de l’intérêt général1051, le Conseil d’État a déjà eu l’occasion de reconnaître la famille comme
une valeur digne de la protection de l’État1052. Ainsi, il n’a pas hésité à ériger le droit de
mener une vie familiale normale au rang de principe général du droit dégagé du Préambule de
19461053, précité.
liberté individuelle et la sûreté, notamment la liberté d’aller et de venir, la liberté du mariage, le droit de mener
une vie familiale normale […] ».
1050
V. Cons. const., décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013, L. ouvrant mariage aux couples de personnes de
même sexe, consid. 53-54, s’agissant de la conformité de l’adoption par un couple homosexuel à l’intérêt de
l’enfant.
1051
C. Escoffier-Gialdini, La vision pénale de la famille, thèse de Doctorat, Université d’Aix-Marseille, 1994,
n°5.
1052
Par ex., CE, Ass., 8 juin 1973, « Dame Peynet », requête n° 80232, Lebon p. 406, concl. Grévisse ; JCP
1975. II. 17957, note Saint-Jours. : Existence d’un principe général du droit interdisant de licencier une femme
enceinte, sauf dans certaines circonstances ; CE, Ass., 18 janvier 1980, « Bargain », requête n° 14397, Lebon p.
29. (liberté de mariage).
1053
CE, Ass. 8 décembre 1978, « GISTI, CFDT et CGT », Lebon p. 493, 493 ; GAJA, 20ème éd. 2015, n° 83.
1054
Préambule de la Convention internationale des droits de l’enfant , Décret no 90-917 du 8 octobre 1990
portant publication de la convention relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 [
Consulté en
ligne :http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=92A4EC675FADEB65573B7E7C159884AA.tpd
jo07v_1?cidTexte=JORFTEXT000000716856&categorieLien=id], consulté le 11 mars 2014.
295
Elle est encore reconnue comme une valeur sociale digne de protection par les conventions
européennes telles que la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés
fondamentales du 4 novembre 1950, notamment en son article 8, prévoyant que « Toute
personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa
correspondance ». Également la Charte sociale européenne adoptée par le Conseil de
l’Europe le 18 octobre 1961, prévoit en son article 16 que « la famille, en tant que cellule
fondamentale de la société, a droit à une protection sociale, juridique, économique
appropriée pour assurer son plein développement ».
251. Si la famille est juridiquement reconnue comme une valeur sociale centrale par les
disciplines principales que sont le droit civil, le droit public, le droit constitutionnel, le droit
européen et le droit international, afin de garantir l’effectivité des intérêts juridiquement
protégés qu’elles édictent, ces disciplines emploient le droit pénal en sa qualité de gendarme.
Ainsi, la raison pour laquelle le droit pénal intervient dans la famille, c’est que cette dernière
constitue un support créateur (A) de valeurs sociales classiques qu’il lui appartient de protéger
(B).
252. La famille est, tout à la fois, un sujet titulaire (1) et créateur (2) de valeurs sociales.
253. La valeur sociale titularisée par le sujet. – Les valeurs sociales juridiquement
protégées sont dotées de subjectivité, parce qu’elles émanent d’une préférence – d’un
jugement – du législateur qui les élève à ce rang. Elles sont donc nécessairement mouvantes et
évolutives d’une société à l’autre, d’une époque à l’autre. Mais elles sont également
subjectives parce qu’elles sont susceptibles d’être rattachées à un sujet. Ce sujet devient
296
support de valeurs sociales. En effet, les intérêts juridiquement protégés n’ont pas de valeur
innée. C’est la projection que fait le sujet sur ces intérêts, de considérations sociales,
culturelles ou politiques, qui leur donne leur crédit juridique.
Ainsi, de la même façon que les valeurs sociales ne peuvent exister juridiquement sans
l’action du droit, il semble qu’elles doivent encore être rattachées à des titulaires identifiés ou
identifiables. En effet, nommer les valeurs sociales nécessite que soient détectés avec
certitude des « intérêts juridiques protégés » lésés ; or le référent le plus fiable pour ce faire
reste encore de déterminer qui sont les titulaires auxquels se rattachent ces valeurs sociales.
Aussi, est-ce possible d’affirmer que c’est le sujet qui rend la valeur sociale suffisamment
concrète.
Les thèses positivistes qui ont marqué la doctrine européenne, notamment allemande, entre le
XIXème et le XXème siècle, concevaient « le délit comme la lésion du bien juridique
protégé » – ce dernier devenant alors la raison d’être du délit, son objet1055. Cette vision paraît
également intéressante pour la valeur sociale, puisque le législateur qui décide d’incriminer un
comportement, en l’établissant comme non conforme à la loi pénale, fonde bien sa démarche
sur une valeur considérée, objet de l’incrimination. Dès lors, on le comprend, les titulaires des
valeurs, auxquelles le législateur décide d’accorder une portée juridique, sont généralement
les sujets passifs de l’infraction1056, victimes de la violation de ces valeurs.
Aussi, convient-il de se demander si la famille est sujet de valeurs sociales ? Pour ce faire, il
semble préalablement nécessaire de déterminer si le sujet de valeurs sociales doit être doté de
personnalité juridique, en d’autres termes si le sujet de valeurs est sujet de droit ? Or, nous
verrons que tel n’est pas le cas.
254. La distinction entre la valeur et le droit subjectif. – Si l’on admet que la valeur
sociale n’est ni plus, ni moins qu’un intérêt vital d’un sujet, juridiquement protégé, il serait
tentant de l’assimiler au droit subjectif – les définitions de ces deux notions étant quasi
1055
La pensée de Karl BINDING, juriste allemand né en 1841, connu notamment pour son ouvrage Die Freigabe
der Vernichtung Lebensunwertem Lebens [L’autorisation de destruction de la vie de l’Indigne de vie], est
représentative de ces thèses, V. M. Lacaze, op. cit., p.57-58, n° 53.
1056
R. Merle et A. Vitu, op. cit, n° 22. Il en va autrement, cependant, du délit de dénonciation calomnieuse
prévu aux art. 226-10 à 222-12 du C. pén qui pour sa part ne trouve pas sa valeur dans l’intérêt de la prétendue
victime.
297
identiques. Le droit subjectif s’entend, en effet, de « la prérogative attribuée à un individu
dans son intérêt lui permettant de jouir d’une chose ou d’exiger d’autrui une prestation »1057.
Cette confusion des termes est d’ailleurs historique. FEUERBACH, éminent juriste allemand
né en 1775, est le créateur de la théorie des droits subjectifs. Soucieux de la protection du
citoyen face à l’arbitraire de l’Etat, le droit subjectif était dans sa conception une ébauche de
la notion de bien juridique à venir. Le délit était alors vu comme la violation d’un droit
subjectif, ce dernier étant donc l’objet même du délit1058. Cette théorie rencontra un large écho
dans la doctrine européenne et allemande particulièrement1059.
Pourtant, droit subjectif et bien juridique ou valeur sociale ne semblent pas devoir refléter les
mêmes réalités. Et BIRNBAUM 1060 d’affirmer, déjà au début du XIXème siècle, que
l’infraction ne peut léser raisonnablement un droit subjectif. Ainsi, s’il est vrai que le délit
porte atteinte à l’enveloppe matérielle du droit – par exemple, l’objet dérobé ou dégradé, sur
lequel s’exerçait le droit de propriété – le droit en lui-même n’est pas détruit et son titulaire
peut encore exiger qu’il soit mis fin à la violation dudit droit. De la même façon, le meurtre
atteint l’enveloppe physique de la victime, personne physique, à laquelle il ôte la vie. Mais, il
ne fait point disparaître son droit à la vie. Pour preuve, c’est en réalité ce droit qui naît dans le
patrimoine du défunt (l’intérêt à agir), sous forme d’action civile et qui se transmet à ses
héritiers, qui pourront alors l’exercer, à certaines conditions, au pénal.
Ainsi, il semblerait que la définition de la valeur sociale ne puisse se réduire à celle des droits
subjectifs : la valeur sociale est une notion supérieure qui se rattache certes à un titulaire, mais
qui le dépasse.
La distinction entre ces deux expressions présente deux intérêts principaux. Le premier tend à
favoriser une retranscription la plus fidèle possible des finalités du droit pénal, et plus
précisément du droit pénal spécial. En d’autres termes, s’il est aisé de concevoir que certaines
infractions portent une atteinte directe à certains droits subjectifs, une telle acceptation ne
semble pas aussi évidente pour d’autres. Ainsi, la victime de violences volontaires, de
1057
R. Guillien et J. Vincent, Lexique des termes juridiques, 22ème éd., Dalloz, 2014, « Droit subjectif ».
1058
P. Von Feuerbach, Tratado de derecho penal, trad. E. R. Zaffaroni et I. Hagemeier, Hammurabi, 1989, p.
403 ; L. Jiménez de Asúa, Tratado de derecho penal. El delito, 5ème éd., tome III, Losada, 1950, p. 102-103.
1059
M. Lacaze, op. cit, p. 44-48.
1060
Il est reconnu comme le créateur du terme « bien juridique », dont la théorie des droits subjectifs avait
commencé à poser les bases.
298
diffamation, de dégradations (notamment l’effraction) ou la violation de domicile est
distinctement reconnaissable ; de sorte que dans ces exemples, il paraît incontestable que ces
infractions sont respectivement la lésion du droit au respect de l’intégrité physique, du droit à
la vie privée ou du droit à la propriété.
Cependant, pour d’autres incriminations, telles que le terrorisme, la cybercriminalité
(notamment la technique du « phishing » ou « hameçonnage » informatique visant à la
collecte de données informatiques confidentielles en vue d’une usurpation d’identité
ultérieure), la provocation à la haine raciale, l’association de malfaiteurs ou encore les
diverses atteintes à personne vulnérable, le concept de droit subjectif ne suffit plus à
rationaliser l’infraction1061. Dans de tels cas, dès lors, seules les expressions d’ « intérêts
juridiquement protégés » ou de « valeurs sociales » permettent de comprendre pour quelles
raisons certains comportements contraires au droit se voient sanctionner. En conséquence, le
délit repose non pas tant sur les droits subjectifs de l’individu à proprement parler, mais sur
certains de ses intérêts valorisés par le droit.
Par ailleurs, cette réalité explique, au moins en partie, que l’infraction ne soit pas édictée dans
l’intérêt d’un individu en particulier, mais dans l’intérêt général et qu’elle soit sanctionnée au
nom de la société1062. De ce fait, il est possible de constater que le législateur formule les
incriminations qu’il édicte davantage au regard de « standards » d’âge (le mineur ou le
majeur), de capacité, d’intelligence ou de sensibilité (l’enfant), de santé mentale,
psychologique ou de discernement (la personne vulnérable qu’il s’agisse de la personne âgée,
du mineur ou de l’aliéné mental), de qualités ou de statuts (l’ascendant, la personne ayant
autorité sur le mineur ou occupant des fonctions particulières vis-à-vis de celui-ci), culturels
ou ethniques. Ainsi, dans la conception du Code pénal, l’individu et ses intérêts apparaissent
comme objectivés, dépersonnalisés. Pourrait-on donc dire que la valeur sociale, objet du délit,
est l’objectivation du droit subjectif. Ainsi, contrairement à certaines thèses1063, nous pensons
que le droit subjectif est absorbé par la valeur sociale, dont la protection est la finalité du délit.
1061
V. notamment, E. Aguirre Obarrio, « Preludio al bien jurídico », Lecciones y Ensayos, segunda época/ n°1,
1981, p.19-21 (en ligne) : http://www.derecho.uba.ar/publicaciones/lye/revistas/lecciones_y_ensayos_nro_0046-
1.pdf.
1062
Pour autant, la valeur sociale ne doit pas être assimilée à la norme pénale, V. supra, différence entre le droit
objectif et la valeur, n°245.
1063
KAUFMANN défendait l’idée que le droit subjectif est la prérogative garantie par le droit objectif pour la
réalisation d’un intérêt juridiquement protégé. Le droit subjectif réunirait donc à la fois le concept de droit
objectif et de bien juridique protégé, V. M. Kierszenbaum, « El bien juridico en el derecho penal. Algunas
nociones basicas », Lecciones y Ensayos, n° 86, 2009, p. 192.
299
En réalité, cela revient à dire que le droit subjectif est l’accomplissement formel – une prise
en compte juridique – de l’intérêt ; tandis que la valeur sociale en est la valorisation juridique.
Le deuxième intérêt d’une telle distinction est de rappeler, par ailleurs, que tous les droits
subjectifs des individus ne trouveront pas automatiquement leur analogue dans une valeur ; et
qu’inversement la valeur ne reposera pas nécessairement sur un droit subjectif. Ainsi, droit
subjectif et valeur sociale ne coexisteront pas toujours. Ce sera par exemple le cas
d’infractions trouvant, pour partie, leur objet dans le non-respect d’une décision de justice
civile préalable1064, comme l’abandon de famille. Cette valeur sociale est déliée d’un droit
subjectif. Également, la prohibition du dopage dans le sport – bien qu’elle tende à protéger la
santé des sportifs et le regard que pose l’opinion publique sur une discipline sportive donnée –
vise intrinsèquement à faire respecter les règles de compétition et d’équité entre les sportifs.
Ainsi, la valeur sociale de cette infraction serait la sauvegarde d’un esprit sportif dans l’intérêt
du jeu ou dit autrement le « fair-play ». Une telle valeur n’est pas en soi un droit subjectif
permettant à un individu d’exiger d’une autre qu’elle exécute une obligation ou une
prestation.
En conclusion, si l’individu a une conscience – une connaissance, même approximative de ses
droits et devoirs, il n’a au contraire pas de conscience réelle des valeurs sociales qui sous-
tendent pourtant la réalisation de ses facultés et obligations. La valeur sociale apparaît donc
véritablement comme les préceptes éthiques et philosophiques qui dans une société donnée
assurent le vivre ensemble. Cela rappelle l’idée que seuls les intérêts vitaux pouvant atteindre
cet objectif, sauraient être érigés au rang de valeurs sociales, à l’exclusion d’autres intérêts ou
préoccupations individuelles, voire égoïstes. Et, c’est précisément cela qui justifiera une
hiérarchisation entre les différents intérêts juridiquement protégés. Ainsi, par exemple,
l’intérêt reconnu juridiquement à un parent d’exercer librement son autorité parentale sur sa
descendance ne sera tenu pour prioritaire, que dans la limite de l’intérêt supérieur de l’enfant.
En somme, il convient de retenir que la valeur sociale n’est pas le droit subjectif.
1064
À moins de considérer que l’infraction lèse l’intérêt de la justice civile, émanation de l’autorité de l’Etat.
300
255. L’indifférence de la personnalité juridique de la famille .– La valeur protégée est
rattachée à un sujet qui peut être, entre autres1065, l’individu ou l’État1066. Concevoir que ceux-
ci puissent être titulaires d’intérêts juridiquement reconnus et protégés ne pose pas de
difficulté particulière puisqu’ils sont pourvus de la personnalité juridique ; et à ce titre, ils ont
une place évidente au cœur de l’activité juridique, et notamment dans le procès pénal. Mais
alors qu’en est-il de la famille ? En effet, à ce jour aucune disposition textuelle ou décision
jurisprudentielle n’a consacré la famille en tant que personne morale en droit positif1067. Dès
lors, peut-on considérer que la famille est titulaire de valeurs sociales protégées, alors même
qu’elle n’a pas la personnalité juridique en droit positif ? Cette question revient à se demander
si le titulaire de la valeur sociale protégée doit être entendu au sens du sujet de droit. Nous ne
le croyons pas.
En effet, le sujet de droits désigne la personne physique ou morale qui est détentrice de droits
et de devoirs. Or la valeur sociale, comme nous l’avons démontré auparavant, n’a guère
besoin de droits subjectifs pour son existence. C’est dans la sauvegarde d’un intérêt vital du
sujet qu’elle trouve son essence, et non dans la protection immédiate de ses droits subjectifs.
Dès lors, il importe peu que les titulaires de valeurs protégées aient la personnalité juridique.
Doués ou non de cette personnalité, il suffit seulement qu’ils soient « sociologiquement
identifiables » 1068 . Par conséquent, la famille, en tant qu’entité humaine et sociale,
sociologiquement identifiée, doit être considérée comme un « sujet de valeurs sociales ».
Donc, la famille est titulaire de valeurs sociales à protéger – pas parce que l’on chercherait à y
voir une quelconque personnalité juridique propre, mais simplement parce qu’elle porte en
elle – elle fédère – des intérêts vitaux appartenant, eux-mêmes, à des individus titulaires de
valeurs sociales. Ainsi, la famille apparaît tel le réceptacle d’intérêts juridiquement protégés,
c’est-à-dire de valeurs sociales. Comme nous l’avons déjà évoqué, idéalement conçue, la
finalité première de la famille doit être de protéger les individus qui la composent, des
1065
Egalement, la société, la communauté internationale, la personne morale de droit privé, etc. sont des
titulaires de valeurs protégées.
1066
F. Von Liszt, Tratado de Derecho penal, tome II, trad. L. Jiménez de Asua, 4ème éd., Reus, 1999, p. 10.
L’intérêt selon Lizst est conçu de manière concrète, c’est-à-dire qu’il est toujours rattaché à un titulaire (qu’il
s’agisse de l’individu ou de l’Etat). Selon lui le bien juridique est en fait un intérêt juridiquement protégé, V. sur
ce point, M. Lacaze, n°61.
1067
Sur l’absence de consécration d’un intérêt familial en droit pénal, V. infra, n° 408.
1068
R. Merle et A. Vitu, Op. cit., n°22 Il peut s’agir, selon l’auteur, de « l'individu, la famille, le groupe
professionnel, la société, l'État, la communauté internationale ».
301
agressions et intrusions externes et de contribuer à leur épanouissement personnel et collectif.
C’est pour atteindre ces objectifs, qu’elle se voit attribuer un certain nombre de valeurs
sociales par le législateur.
256. Un support porteur de valeurs. – Tout comme l’individu1069, l’entité familiale est
elle-même créatrice de valeurs autour d’elle, qu’elle impose aux disciplines juridiques qui
tentent de l’appréhender.
La famille constitue, premièrement, un véritable vecteurs de valeurs morales, sociales,
éducatives, culturelles, religieuses qu’elles contribuent à transmettre de génération en
génération. En effet, elle défend la valeur de l’appartenance à un groupe, matérialisée par le
nom patronymique. Elle reste encore le lieu de solidarités intergénérationnelles continues et
réinventées1070. Elle suppose encore une valeur de défense de la mémoire des morts1071.
De plus, la famille est détentrice d’une valeur « paix et cohésion familiales » qui fait écran à
toute immixtion arbitraire de l’État ou qui fait obstacle à une action pénale lorsque joueront
les immunités familiales. En effet, l’entité familiale garantit à ses membres une protection de
leur intimité et de leur vie familiale, contre les immixtions extérieures privées ou publiques.
Enfin, elle est le support des intérêts juridiquement protégés de ses membres, que nous allons
étudiés ci-après, tel que l’intérêt supérieur de l’enfant (développement, éducation, santé
entretien, maintien des relations affectives de l’enfant au sein de sa famille), la protection de
l’époux victimes de violences (le respect mutuel dû entre époux) et des enfants témoins ou
victimes de ces dernières.
Ce sont dès lors, toutes ces valeurs familiales qui vont s’imposer au droit pénal, chargé de les
défendre.
1069
« [L’homme] engendre des valeurs, en lui et autour de lui », V. Rocher J-C, Philosophie du droit.
Méthodologie et perspectives, Ed. fac 2000, 1999 p. 63.
1070
V. supra, Introduction, n°23 et s. Ces solidarités pouvant d’ailleurs être financières ou prendre la forme de
divers services rendus (ex. la garde des enfants).
1071
R. Savatier, « Une personne morale : la famille en tant que sujet de droit », D. 1939, chron. XIII, p. 50.
302
B. La protection pénale accessoire de valeurs sociales propres à la famille
257. La famille est titulaire de valeurs propres qu’elle impose au droit pénal. En effet, ces
valeurs et intérêts familiaux ne sont pas définis selon les principes et préceptes du droit pénal.
Ce dernier, privé en principe de toute force normative, verrait donc sa mission limitée à la
seule défense de ces valeurs, abandonnant ainsi leur consécration aux sciences de première
main énoncées précédemment1072. Nous verrons que, réduit à sa forme sécuritaire, il intervient
uniquement en deuxième couche dans cette sphère familiale : ce n’est pas lui qui édicte ou
consacre les valeurs et intérêts qu’il garantit, protège et scelle. En d’autres termes, il lui
appartient de finaliser une protection desdites valeurs, déjà initiée alors en amont par un droit
à valeur normative.
C’est donc de manière secondaire que le droit pénal viendra défendre les valeurs familiales
énoncées précédemment, telles que l’intérêt de l’enfant (1°), le respect de l’intégrité physique
et morale du conjoint (2°), l’institution du mariage (3°).
1072
Ainsi, par exemple, dans leur étude relative à la réforme du code pénal de 1992, Pierrette Poncela et Pierre
Lascoumes, s’agissant du rôle du droit pénal dans l’ « institutionnalisation de l’ordre public », précisaient que si
la Constitution et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen intervenaient « en plein » avec
l’énonciation d’intérêts et valeurs que l’Etat est chargé de garantir, le droit pénal lui n’intervient qu’ « en creux »
en définissant les atteintes justifiant la sanction pénale : P. Poncela et P. Lascoumes, Réforme ou reconstruction
de l’ordre public ?. La réforme du code pénal de 1992 , Convention de recherches n° RE 9522 de la Mission de
Recherche Droit et Justice, Ministère de la Justice, Juin 1998, p. 45.
1073
V. supra, n°157 et s ; n° 303 et s.
303
ce stade des développements, il conviendra d’envisager uniquement les obligations civiles que
ces incriminations viennent garantir.
1074
V. supra, n°158.
1075
Cass. Crim., 8 février 2005, Bull. crim., n° 44, JCP 2005. II.10049 ; Cass. Civ. 2ème, 5 février 2004, Bull. civ.
I, n°50.
304
261. L’infraction sanctionnant un non-paiement de pension alimentaire. – Il se peut
encore que l’abandon du foyer prenne une dimension pécuniaire et dans ce cas, il sera
question d’un délit d’abandon de famille incriminé par l’article 227-3 du code pénal1076. Cette
infraction marque à double titre l’attachement de la loi pénale aux règles civiles édictées par
le droit de la famille. Tout d’abord, en effet, elle est la sanction du non-paiement de
l’obligation alimentaire découlant du lien de parenté entre ascendants et descendants1077. Cette
incrimination prend également sa source directe dans les dispositions civiles relatives à
l’autorité parentale. Cette dernière consiste pour ses titulaires1078 à « contribuer à l’entretien
et à l’éducation de l’enfant » selon l’article 371-2 du code civil. Par conséquent, l’enfant qui
ne jouit d’aucune ressource a, sur le fondement de l’article 203 du code civil1079, la faculté
d’agir à l’encontre de ses parents afin d’obtenir une exécution en numéraire d’une obligation
alimentaire, proportionnellement aux moyens financiers de ceux-ci1080. De même, en vertu de
l’article 342 du code civil, et attestant du fait que l’obligation alimentaire se conçoit même en
dehors des liens du mariage, l’enfant naturel qui n’aura pas vu sa filiation paternelle établie,
pourra agir à fins de subsides à l’encontre de celui qui aura eu des relations sexuelles avec sa
mère au cours de la période légale de conception – et ce sans qu’il soit nécessaire de prouver
formellement la paternité1081 et en dépit des relations adultères qu’ entretenaient ses père et
mère au moment de sa conception1082. L’indemnité attribuée à l’enfant correspond à une
pension destinée à couvrir les besoins de l’enfant en fonction de la fortune et de la situation
familiale du débiteur de l’obligation alimentaire1083. Mais, cette obligation alimentaire pourra
également être versée par les descendants au bénéfice de leurs ascendants placés en situation
de besoin, selon l’article 205 du même code. En vertu de l’article 227-3 du code pénal, cette
obligation alimentaire civile épousera la forme d’un versement de pension ou de subsides.
1076
Pour plus de précisions sur les éléments constitutifs de l’abandon de famille V. infra, n°299.
1077
Ou au profit du conjoint ayant conservé la garde de l’enfant en vue d’assurer l’éducation et l’entretien de ce-
dernier.
1078
Les « parents » du mineur, V. art. 371-1 du C. civ.
1079
Ce texte vise le mariage comme condition de l’existence de l’obligation alimentaire, mais aujourd’hui le
code civil ne fait plus de différence entre les situations parentales V. note 2 ss. l’art. 203 du C. civ.
1080
Art. 208 du C. civ.
1081
Une jeune majeure accepte d’avoir des relations sexuelles avec plusieurs hommes, relations desquelles naîtra
un enfant. Elle agit à fins de subsides à l’encontre de la totalité de ses amants, sur le fondement de l’art. 342 du
Cc, sans avoir à prouver le lien de paternité V. Civ. 1ère, 17 juillet 1979, pourvoi n° 78-10.706.
1082
Art. 342 al. 2 du C. civ.
1083
Art. 342-2 du C. civ.
305
2) La protection pénale accessoire de l’intégrité physique et morale du conjoint
262. Les violences conjugales. – La répression pénale des violences conjugales est le
pendant du devoir civil de respect mutuel entre les époux, intégré à l’article 12 du Code civil
par la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du
couple ou commises contre les mineurs 1084. Ce devoir implique, d’une part, une certaine
correction des époux passant notamment par les concessions qu’impose le lien conjugal et la
communauté de vie, et d’autre part, une indépendance et une liberté des époux relativement
au maintien de leur personnalité respective1085.
D’ailleurs, ne serons nous pas étonnés que le droit civil prenne en considération – à travers
cette exigence de respect mutuel – tant les atteintes à l’intégrité physique des époux1086, que
les atteintes à leur intégrité morale telles que les injures graves1087, les humiliations1088 ou
toute inconduite du conjoint1089. En effet, si elles sont davantage déclinées et spécialisées
aujourd’hui, il s’agit bien là des deux principales formes de violences conjugales classiques,
réprimées par le droit pénal1090.
1084
Loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou
commises contre les mineurs, JO du 5 avril 2006, p. 5097.
1085
Y. Buffelan-Lanore et V. Larribau-Terneyre, Droit civil. Introduction, Biens, Personnes, Famille, 19ème éd.,
Dalloz, 2015, n°1467, p. 653. ; A.-M. Leroyer, « Mariage, couple, communauté de vie. Regards civilistes sur la
loi relative aux violences au sein du couple », RTD civ. 2006.402, n°10.
1086
A. Bénabent, Droit de la famille, 3ème éd., LGDJ, 2014, n° 283.
1087
Aix-en-Provence, 7 novembre 2006, JCP G 2007. IV. 1494.
1088
Amiens, 1er décembre 2010, n° 09/03195. Constitue une violation du devoir de respect, les humiliations
perpétuelles subies par l’époux qui se fait rabrouer par son épouse, appeler par son nom de famille devant les
enfants et en public.
1089
Paris, 4 décembre 2014, n° 13/04636. Constitue un manquement au devoir de respect dû entre époux, la
vente unilatérale par le mari, sans consultation de l’épouse, du logement conjugal, alors même que l’ordonnance
de protection au profit de cette-dernière, suite à des violences conjugales, lui en attribuait la jouissance.
1090
V. supra, n° 91 et 99.
1091
V. supra, n° 206.
306
Par ailleurs, garantissant l’efficacité de cette ordonnance, la nouvelle incrimination précitée de
l’article 227-4-2 du code pénal punit le fait pour le conjoint violent de contrevenir aux
obligations ou interdictions qui lui ont été imposées par le juge aux affaires familiales.
Par conséquent, l’intervention du droit pénal se voit conditionnée par l’existence en amont
d’une décision civile.
264. Le mariage « forcé ». – « Il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a pas consentement »,
aux termes de l’article 146 du Code civil. Cette condition sous-tend une liberté de se marier,
mais également de ne pas se marier, de sorte que les époux doivent faire part d’une volonté
non équivoque de contracter mariage. Or, la prohibition du mariage forcé apparaît comme une
des conséquences de cette condition de consentement indispensable à la formation du
mariage1092. En effet, dans ce cas de figure, le consentement au mariage de ou des époux est
vicié par violence ou contrainte aux termes de l’article 180 du code civil. Cette contrainte ou
violence peut être physique, mais aussi morale puisqu’elle peut résider dans « la crainte
révérencielle envers un ascendant »1093. Dès lors, le mariage d’une jeune fille qui a été
contrainte de se marier sous la pression de sa famille, peut valablement être annulé pour vice
du consentement1094.
Notons que la prohibition pénale du mariage forcé pourrait être considérée comme protectrice
de l’institution du mariage, puisque l’obligation de consentement au mariage est une
condition de fond indispensable à la célébration de tout mariage en France. Pourtant, cette
incrimination vise bien à protéger l’intégrité morale de l’époux – dont le consentement a été
vicié –, mais également son intégrité physique – puisque le mariage forcé est souvent précédé
ou suivi de violences. C’est, ainsi, bien au titre des violences conjugales que le droit pénal
sanctionne la célébration du mariage « arrangé », endossant de nouveau le rôle de « bras
armé » du droit civil.
Dans un premier temps, la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites
spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces
dernières sur les enfants a inséré une nouvelle circonstance aggravante s’agissant des
1092
V. infra, n° 42.
1093
Art 180 du C. civ.
1094
Colmar, 28 avril 2005, Dr. Fam. 2006, n°1, comm. 1, note V. Larribau-Terneyre.
307
infractions de meurtre1095, de tortures et actes de barbarie1096, de violences volontaires1097
commises « contre une personne en raison de son refus de contracter un mariage ou de
conclure une union ». De la même manière, cette loi prévoit également le cas où, pour
chacune des infractions précitées, une personne vivant habituellement en France serait
assujettie à une sortie forcée du territoire en vue de contracter un mariage forcé à
l’étranger1098. Une fois de plus, le droit positif répressif français se bornait donc à réprimer de
manière indirecte, les mariages forcés.
Toutefois, précisons que suite aux condamnations de la France par la Cour européenne des
droits de l’Homme1099, le législateur a adopté la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant
diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de
l’Union européenne et des engagements internationaux de la France insérant dans le code
pénal un nouveau délit de mariage forcé à l’article 222-14-14 nouveau du code pénal1100.
Ainsi, conformément aux préconisations de la Convention du Conseil de l’Europe sur la
prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et à la violence domestique
signée à Istanbul le 11 mai 20111101, le fait d’user de « manœuvres dolosives »1102 afin de
déterminer une personne à quitter le territoire de la République dans le but de contraindre une
personne à contracter un mariage ou à conclure une union à l’étranger, est désormais
punissable pénalement.
1095
Art. 221-4 10° du C. pén.
1096
Art. 222-3 6° bis du C. pén.
1097
Art. 222-8 6° bis, art. 222-10 6° bis, 222-12 6° bis et 222-13 6° bis du C. pén.
1098
Pour le meurtre V. art. 221-5-5 du C. pén., les actes de tortures ou de barbarie V. art. 222-6-2 du C. pén., les
violences volontaires V. art. 222-16-3 du C. pén.
1099
CEDH, 26 juillet 2005, « Siladin c/ France », req. n° 73316/01 et CEDH, 11 octobre 2012, « C.N. et V. c/
France », req. n° 67724/09 Absence de protection effective et concrète des victimes de servitude, d’esclavage et
de travail forcé, par le droit français.
1100
V. éléments constitutifs, infra Partie II, n° 353.
1101
Art. 37 al. 1, « Les parties prennent les mesures législatives pour ériger en infraction pénale le fait, lorsqu’il
est commis intentionnellement, de forcer un adulte ou un enfant à contracter un mariage » ; al. 2 et « […] de
tromper un adulte ou un enfant afin de l’emmener sur le territoire d’un autre Etat avec l’intention de le forcer à
contracter un mariage ».
1102
Pour une analyse critique, V. infra, n° 352 et s.
308
sauvegarde d’un intérêt commun : garantir la durabilité du lien familial en vérifiant qu’il
présentera des garanties sérieuses de réussite. Et une de ces garanties passe notamment par la
condition de fond du consentement au mariage énoncée précédemment. Cette exigence de
consentement exclut naturellement tout mariage fictif ou mariage « blanc ». Un tel mariage
doit, au regard du célèbre arrêt « Appietto » de la première chambre civile de la Cour de
cassation du 20 novembre 1963, être déclaré nul, en l’absence totale de consentement,
« lorsque les époux se sont prêtés à la cérémonie qu’en vue d’atteindre un résultat étranger à
l’union matrimoniale »1103 . Ainsi, ayant pour seul objet de tirer profit d’effets accessoires à
l’institution du mariage, la détournant ainsi de son objectif initial, la célébration du mariage
fictif suppose une absence totale de consentement matrimonial. Et à ce titre, soucieux
d’affirmer leur austérité vis-à-vis de ce mariage, les juges le sanctionnent par une
inopposabilité1104, voire plus fréquemment par une nullité absolue sur le fondement des
articles 3, 146 et 184 du code civil1105. Enfin, précisons que la loi n°2006-911 du 24 juillet
2006 relative à l’immigration et à l’intégration, tendant notamment à lutter contre la
conclusion de mariages blancs, vient durcir par exemple, de manière préventive, les
conditions d’obtention de la carte de séjour en prévoyant que dorénavant cette dernière ne
serait accordée qu’à l’étranger marié depuis au moins trois ans, contre deux auparavant1106.
Face à une sévérité répressive en matière de mariage fictif, il est possible de se demander
quelle est la valeur-finalité que le législateur entend sauvegarder ici ? On le voit ici, l’objectif
de ce délit n’est pas en soi de protéger des intérêts et libertés individuels, puisqu’il porte
notamment atteinte à la liberté d’aller et venir trouvant sa source générale dans l’article 4 de
la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 17891110. En réalité, il semble que
l’objectif ultime de cette infraction soit la sauvegarde d’un ordre public national, passant par
la préservation de valeurs et institutions sociales et familiales fondamentales, à travers
lesquelles se dessinent finalement les caractéristiques identitaires de la société française. Or
en droit français, le mariage est encore perçu comme un des socles de ces valeurs.
1107
V. Avenat-Robardet, « La loi sur l’immigration : à retenir », AJ Famille 2011. 343.
1108
R. Guillien et J. Vincent, Lexique des termes juridiques, op. cit, « Dol ».
1109
Il s’agira par exemple pour les personnes physiques d’une interdiction temporaire ou définitive de séjour ou
de territoire, et pour les personnes morales d’une dissolution, d’un placement sous surveillance judiciaire ou
d’une interdiction d’exercice de la profession.
1110
R. Cabrillac, M-A. Frison-Roche et T. Revet (dir.), Libertés et droits fondamentaux, 17e éd., Paris, Dalloz,
2012, n° 430.
310
dans toute société occidentale1111, est par principe monogame. Il s’agit là d’une règle d’ordre
public1112. Cela implique qu’il est impossible de contracter un second mariage avant la
dissolution du premier, en vertu de l’article 147 du Code civil. Ce texte suppose donc
l’interdiction de la polygamie, mais aussi de la bigamie1113.
De même, toute personne déjà engagée par des liens matrimoniaux avec celui qui s’apprête à
contracter un nouveau mariage, peut former une opposition à la célébration de ce dernier1114.
Cependant, il convient de rappeler que cette prohibition de principe de la polygamie ne se
limite pas au couple marié, puisqu’elle a été étendue au pacte civil de solidarité, en vertu de
l’article 515-2 alinéas 1 et 2 du code civil, lorsque l’un des deux contractants est déjà lié par
un mariage ou un pacte. Dès lors, ce principe monogamique étant d’ordre public, la sanction
civile de sa violation est la nullité absolue1115, de sorte que le second mariage se verra annulé
de manière rétroactive dès son origine1116.
Mais, cette prohibition civile de la polygamie, justement parce qu’elle assure la défense de
l’ordre public et la protection de l’institution matrimoniale, trouve à plus forte raison son
homologue en droit pénal. En effet, l’article 433-20 du code pénal a établi un délit de
bigamie 1117 incriminant le fait pour toute personne ayant déjà conclu un mariage, d’en
contracter un autre avant la dissolution du premier. Un tel comportement expose son auteur à
une peine d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, à laquelle pourront
s’ajouter des peines complémentaires telles que l’interdiction des droits civiques, civils et de
1111
J. Carbonnier, « Terre et ciel dans le droit français du mariage », in Le droit français au milieu de XXème
siècle. Etudes offertes à Georges Ripert, tome 1, Paris, LGDJ, p. 341. L’auteur disait en effet que « de Moscou à
New-York, la répulsion pour le mariage polygamique trace la véritable ligne d’unité de la civilisation ».
1112
Ph. Bonfils et E. Gallardo, « Bigamie », Rép. pén. Dalloz, 2014, n°32. ; Cependant, pour une atténuation de
l’ordre public national s’agissant de droits acquis sans fraude à l’étranger générant des effets en France V. Cass.
civ. 1ère, 17 avril 1953, Rivière, Rev. crit. DIP 1953, p. 412, note Batiffol ; H. Batiffol et P. Lagarde, Traité de
droit international privé, 8e éd., Paris, LGDJ, 1993, p. 582, n°362.
1113
La polygamie désigne qu’un homme puisse s’unir à plusieurs femmes – on parle alors de polygynie, ou
qu’inversement une femme puisse se marier avec plusieurs hommes – il s’agit alors de polyandrie. La bigamie,
comme son nom l’indique, limite au nombre de deux les unions matrimoniales contractées par la même
personne.
1114
C. civ., Titre V « Du Mariage » au Chapitre III « Des oppositions au mariage », art. 172.
1115
« L’Etat de polygamie, contraire à l’ordre public français, constitue une cause de nullité absolue de la
seconde union, qui entraîne l’annulation de cette union dès son origine, sans possibilité de régularisation à
postériori par un divorce prononcé postérieurement à la seconde union », V. Grenoble, 23 janvier 2001 : Dr.
Fam. n°5, 2002, n°54, obs. H. Lecuyer.
1116
Pour une illustration des effets de cette nullité absolue : impossibilité pour le second époux de se prévaloir de
la qualité de conjoint survivant et de demander une pension de réversion, à moins qu’un jugement ait constaté le
caractère putatif du mariage nul. V. Soc. 25 mars 2003, Bull. civ. V n°115, RTD civ. 2003. 483, obs. J. Hauser.
1117
V. éléments constitutifs, infra. n° 266.
311
famille1118. On le voit, là encore, le recours au droit pénal permet de garantir l’effectivité de la
règle civile.
1118
Art. 433-22 du C. pén.
1119
S. Imloul, La polygamie en France : une fatalité ? , Institut Montaigne, novembre 2009, p. 1 [En ligne :
http://rajfire.free.fr/IMG/pdf/polygamie_en_france_institut_montaigne.pdf].
1120
Une influence non négligeable de la morale sur le droit de la famille illustrée notamment à travers la
prohibition de la polygamie : V. J-J. Lemouland, « Famille », Rép. civ. Dalloz, 2005, n° 92.
1121
J. Carbonnier, « Terre et ciel dans le droit français du mariage », op. cit., p. 341.
1122
Illustrations d’une intransigeance législative et jurisprudentielle accrue vis-à-vis du regroupement familial et
des mariages polygames V. Avant 1993, CE, 11 juillet 1980, Montcho, Rev. Crit. DIP 1981. 658, note. M.
Bischoff (reconnaissance du droit au regroupement familial pour la seconde épouse) ; V. Depuis 1993, Cons.
const., décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, considérants n°77 « Considérant que les conditions d’une vie
familiale normale sont celles qui prévalent en France, pays d’accueil, lesquelles excluent la polygamie ; que dès
lors les restrictions apportées par la loi au regroupement familial des polygames et les sanctions dont celles-ci
312
prohibition de la polygamie ou bigamie, habilement justifiés par le respect de valeurs liées à
l’institution matrimoniale, qui apparaissent comme compilés, compactés sous le vocable
d’ordre public1123.
sont assorties ne sont pas contraires à la Constitution » ; CE, 16 avril 2010, « M. Dieng », req. n° 318726 « […]
l’administration est alors fondée, le cas échéant, à opposer un refus de visa à son second conjoint ; qu’elle est
également fondée à refuser la venue en France des enfants de cet autre conjoint, sauf si ce-dernier est déchu de
ses droits parentaux ou décédé » ; Art. L. 411-7 al. 1 et 2 du CESEDA (rejet de la demande de regroupement
familial au profit de la seconde épouse et aux enfants du couple polygamique, retrait a posteriori du titre de
séjour délivré à tort à la seconde épouse, retrait du titre de séjour à l’étranger ayant organisé la venue du second
conjoint et des enfants).
1123
Sur l’affaiblissement du champ d’application des bonnes mœurs au profit de l’ordre public : V. D. Fenouillet,
« Les bonnes mœurs sont mortes ! Vive l’ordre public philanthropique!», in Etudes P. Catala. Le Droit privé à
la fin du XXème siècle, Litec, 2001, p. 487.
1124
Nous nous plaçons ici du point de vue du droit civil. Par conséquent, l’inceste est envisagé comme une
atteinte à l’institution du mariage. Cependant, nous verrons plus bas que la nouvelle qualification pénale
d’inceste marque une certaine singularité du droit pénal, V. infra, n° 376 et 392.
1125
V. supra, n°185 et s ; Sur les éléments constitutifs, V. infra, n°333 et s.
1126
Art. 164 et 366 al. 2 et 3 du Cc ; Notons, cependant, que l’article 515-2 du code civil ne prévoit aucune
dispense pour le pacte civil de solidarité. Faut-il y voir un redoublement de sévérité quant à l’interdiction de
l’inceste dans le pacs ? V. L. Brunet, « La prohibition de l’inceste en droit civil. Un interdit en peau de chagrin »,
Informations sociales, n°131, 2006, p. 76. ; Ou au contraire, faut-il interpréter ce silence comme une volonté du
législateur d’appliquer à fortiori les dispenses admises pour le mariage incestueux, au PACS.
1127
Que l’adoption soit plénière (art. 356 al. 1 du Cc) ou simple (art. 366 du Cc).
1128
Art. 356 al 1 et 366 précités.
313
Cet interdit civil de l’inceste est renforcé par la prohibition pénale de ce dernier. Alors
qu’auparavant cette répression s’exerçait uniquement de matière implicite, à travers
l’application d’une circonstance aggravante relative au lien familial existant entre la victime
et l’auteur1129, désormais l’inceste est expressément incriminé par le Code pénal sous la forme
d’une surqualification pénale. Toutefois, nous le verrons, l’étendue de la répression de
l’inceste par le droit pénal, telle que définie aujourd’hui, dépasse certainement celle du droit
civil1130.
Section II. Une subsidiarité du droit pénal quant à ses fonctions dans la famille
269. Le droit pénal, discipline de défense des intérêts juridiquement protégés par
excellence, a pour finalité la valeur et pour objet l’infraction. Cette infraction est composée
« d’une incrimination qui est la description des actes prohibés portant atteinte à des valeurs
protégées par le corps social et d’une peine qui est la réponse de l’État, donc de la société, au
trouble à l’ordre public causé par les agissements réprimés »1131. Dès lors, de cette définition,
il appert que la qualification même d’infraction suppose l’existence d’une sanction pénale. Or,
la difficulté d’une intervention pénale au sein de la famille ne porte pas uniquement sur la
question du « comment punir », mais initialement du « pourquoi punir » 1132 à l’intérieur de
cette sphère particulière qu’est la famille.
270. Il appert que la réponse à cette question réside dans les fonctions même du droit pénal.
En effet, garant de l’ordre public au sein d’une société et réunissant l’ensemble des règles
juridiques organisant le prononcé d’une peine, réaction pénale de l’État en réponse au trouble
causé à l’intérêt de cette société1133, le droit pénal apparaît au sein de la famille comme un
1129
Pour les atteintes sexuelles sans violence, contrainte, menace ou surprise perpétrés à l’encontre des mineurs,
V. art. 227-25, 227- 6 1° et s. du C. pén. ; pour les agressions sexuelles commises avec violence, contrainte,
menace ou surprise V. art. 222-22 al. 1, 222-27 et s. du C. pén. ; pour le viol, V. art. 222-22 al. 2 et 222-24, 4°
du même code.
1130
V. infra, n°376 et 392.
1131
M.-C. Sordino, Droit pénal général, 6ème éd., Paris, Ellipses, 2016, p. 23.
1132
P. Lascoumes, P. Poncela et P. Lenoël, Au nom de l’ordre. Une histoire politique du code pénal, Hachette,
1989, p. 10-11.
1133
R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel. Problèmes généraux de la science criminelle. Droit pénal
général, Tome. 1, 1ere éd. 1967, CUJAS, 1997, p. 212.
314
instrument subsidiaire de contrôle social (§1). En revanche, si le droit pénal est un moyen de
rationalisation familiale, il ne doit aucunement se voir conférer la fonction de censeur de
morale dans cette cellule (§2).
271. Le droit pénal, se voit conférer deux fonctions majeures : la sauvegarde de l’ordre
public et l’incrimination de comportements pénalement répréhensibles entraînant le prononcé
d’une sanction par les autorités publiques, au nom de la société. Dès lors, le droit pénal
apparaît comme un véritable moyen au service d’une politique sociale menée par l’État sur le
territoire de la République. Or, appliqué à la famille, il jouera les mêmes fonctions. En effet, il
sera tout à la fois gardien d’ordre public (A) et droit sanctionnateur (B) en son sein.
272. Ordre public : notion. – Tenter de définir le concept d’ordre public n’est pas tâche
facile, tant la notion est floue, son contenu variable et son champs d’application
transversale1134. Classiquement, et de manière simplificatrice, l’ordre public est entendu de l’
« état social dans lequel la paix, la tranquillité et la sécurité publique ne sont pas troublées ».
En d’autres termes, il contribue à la sauvegarde de l’équilibre social. S’opposant à l’idée de
volonté individuelle, les règles d’ordre public ont une valeur impérative indérogeable.
Le droit pénal, apparaît comme une émanation de l’ordre public – puisqu’assez
logiquement toute incrimination pénale est une atteinte à l’ordre public. Au sein de la famille
dysfonctionnelle, c’est encore en qualité d’auxiliaire, cette fois-ci de l’ordre politique, que le
droit pénal trouve à s’appliquer. En effet, la famille, placée au cœur des préoccupations des
pouvoirs publics, doit être vue comme un objet d’utilité sociale.
171
Toutes les disciplines (droit des personnes et de la famille, droit de la concurrence, droit de la consommation,
droit du travail, droit administratif, droit pénal) comptent des dispositions d’ordre public. V. J. Hauser et J.-J.
Lemouland, « Ordre public et bonnes mœurs », Rép. civ. Dalloz, 2015, n°44-183.
315
puisque c’est cette matière juridique qui régit le mariage et le démariage, la parenté, la
filiation, les successions et le patrimoine familial, etc. Pourtant, il serait tout à fait
envisageable de concevoir la sphère familiale comme une sphère à cheval entre le droit civil
et le droit public, tant les enjeux de son existence, de son fonctionnement et de son
établissement déborde des seules préoccupations civilistes. En effet, il semble impossible – et
en particulier de nos jours où l’interventionnisme étatique se fait omniprésent au sein de cette
cellule – de dénier à la famille, une certaine dimension publique1135. Ainsi, nous ne pouvons
prétendre comprendre la légitimité de l’intervention du droit pénal dans la famille, sans
comprendre les rapports d’interdépendance existant entre les deux ordres juridiques que sont
la famille d’une part, et l’État, d’autre part, qui décide et aménage seul l’application du droit
pénal sur le territoire national. Or, l’État ne peut se passer des familles.
La relation qui lie État et famille est empreinte d’opportunisme. Opportunisme, parce que si,
d’un côté, la famille voit dans l’État l’assurance de sa protection et de sa reconnaissance
juridique ; de l’autre, la conception d’un Etat, comme organisation politique, sans familles,
premières cellules sociales par excellence – constitutives d’une nation, semble improbable. En
effet, de part les fonctions – déjà abordées précédemment s’agissant de la définition de la
famille fonctionnelle ou saine, qu’elle remplit (la socialisation, l’épanouissement de ses
membres, l’éducation et la construction de l’enfant, et les valeurs essentielles, morales,
civiques, culturelles qu’elle contribue à transmettre), la famille est incontestablement l’âme et
le devenir d’une Nation. En effet, la société est formée d’un ensemble de familles. Si bien que
la puissance publique ne peut s’en désintéresser.
Ici, plaçant notre exposé sous l’angle de l’ordre public, il importe d’apprécier ce que
représente la famille pour l’État. Cette démarche nous conduira à observer que si la famille est
une entité sociale, une institution sociale, elle devient aux yeux de l’État un moyen
d’optimiser et d’homogénéiser sa politique sur l’ensemble du territoire national. Ainsi, l’État
se doit de capter les familles pour faire d’une réalité sociale, une utilité nationale ou encore un
objet participant de la constitution d’une Nation et du maintien de la cohésion sociale.
1135
J. Carbonnier, Le droit non civil de la famille, tome X, Paris, PUF, 1983, p. VII-VIII.
316
Se dégage alors une idée de maîtrise, de contrôle. En effet, si la famille se voit octroyer une
place centrale au cœur des préoccupations des pouvoirs publics, c’est parce qu’elle constitue
un outil de régulation sociale, servant l’intérêt de commandement de l’État.
Se pose alors la question de savoir par quoi passe ce rapport de maîtrise de l’Etat sur la
famille. Ainsi, force est de constater qu’en dépit de son caractère privé, la famille se voit
reconnaître également une existence publique, exorbitante de son existence privée1136. En
effet, évoluant dans une société régie par un ensemble de règles juridiques émanant de
l’autorité étatique, l’établissement de la famille passera par la réalisation d’actes
matrimoniaux et/ou de filiation, administratifs, fiscaux qui la fera émerger publiquement en
dehors de son intimité. Par conséquent, « il n’est, en fin de compte, aucune activité publique,
aucune politique, aucune réglementation qui soit sans effet sur les familles »1137. Dès lors,
qu’il s’agisse de la fixation du logement familial (droit de l’urbanisme, aménagement du
territoire, droit de bail), des professions des pères et mères qui engendrent les ressources de la
famille (droit du travail), du régime matrimonial (droit civil) qui sous-tend notamment un
certain nombre de droits fiscaux (droit fiscal) par exemple, ou encore l’organisation des loisirs
et activités de la famille (droit public), il n’existe aucun domaine de la vie de la famille qui ne
soit impacté, directement ou indirectement par l’action de l’État. Et cela est encore vrai
s’agissant de la politique pénale menée par le gouvernement sur l’ensemble du territoire de la
République. Et nous pensons notamment aux difficultés que rencontrent les pouvoirs publics
à enrailler la forte criminalité dans certaines zones, telles que Bobigny ou Marseille, qui sous
fond de règlements de compte liés essentiellement au trafic de stupéfiants et à la délinquance
juvénile1138, gangrène la santé des familles et la cohésion sociale. Par conséquent la famille
intéresse indéniablement l’État. Cependant, l’intérêt de la matière pénale pour la famille et
l’immixtion de l’État dans cette sphère privée furent progressifs.
1136
Il est d’ailleurs assez intéressant de noter que Savigny (Friedrich Carl von) et Demolombe (Charles)
rangeaient déjà le droit de la famille dans le droit public puisqu’il était impossible d’y déroger par convention.
Aujourd’hui, cette affirmation doit être nuancée. Selon ces éminents juristes, « l’Etat ne se borne plus à révéler
sa présence en affichant quelques interdits : il est installé dans le droit de la famille en interventionniste – non
pas toujours contraignant, parfois simple orienteur, conseiller (mais l’omniscience peut être une pression
parfois aussi irrésistible que l’omnipotence) », J. Carbonnier, Le droit non civil de la famille, op. cit., p. VIII.
1137
E. Millard, Famille et Droit public. Recherches sur la constitution d’un objet juridique, Thèse de doctorat,
Université Jean Moulin-Lyon III, 1994, n° 559.
1138
Zone interdite, « Quartiers sensibles, le vrai visage des nouveaux ghettos », émission diffusée sur M6, 12
avril 2015.
317
274. Une sauvegarde pénale traditionnelle de l’ordre public dans la famille par le
retrait. – Comme cela a été précisé plus haut, pendant longtemps, la famille est demeurée un
espace social hermétique à toute intervention étatique externe, pour éviter que les litiges
intrafamiliaux les plus inavouables et ignominieux ne soient dévoilés1139. Il était, en effet
possible d’observer, un malaise réciproque entre ces deux entités : ainsi, la famille – cellule
d’intimité à nulle autre pareille – n’était guère assujettie à une action directe de l’État. De la
même façon, les enquêtes menées ont révélé qu’au sein de la population, également, une
majorité de justiciables conceptualisaient difficilement une action étatique dans les
familles1140. Aussi régnait-il, sous le régime du Consulat, une parfaite scission entre police et
famille, de sorte que la police – démunis de moyens tendant au traitement des spécificités
familiales, mais aussi conformément à la volonté des dirigeants – n’intervenait, à tout le
moins qu’indirectement, dans les affaires familiales1141. Ainsi, le droit pénal n’avait pas sa
place dans la famille et était consacré à la consolidation de la puissance de l’État. En effet,
dans sa conception traditionnelle, le droit pénal avait pour finalité première la défense des
intérêts de l’État. Rappelons, par exemple que le code pénal de 1791 – premier code français
adopté au moment de la Révolution française par l’Assemblée constituante – avait pour
finalité essentielle la défense « des institutions et nouvelles valeurs républicaines » et non pas
directement des biens et des personnes1142. Et pour cause, avant que d’être une branche de
droit privé, le droit pénal apparaît telle une extension du droit public. En effet, c’est bien au
nom de la société – « collectivité des membres d’une Nation, d’un État, considérée comme
sujet d’un intérêt collectif »1143 – qu’est rendu le jugement pénal ; et dans son intérêt qu’est
prononcée la peine. De plus, bien que les règles de droit pénal soient appliquées par le juge
privé, la poursuite des infractions pénales commises sur le territoire national est le fait du
Ministère Public et des services de police, organes de l’État1144.
1139
V. supra, n° 4.
1140
R. Lenoir, « L’Etat et la construction de la famille », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 91-92,
1992, p. 21.
1141
V. C. Zacharie, « Ordre public et affaires de famille : le rôle de la police du Consulat et de l’Empire »,
Napoleonica. La Revue, n° 14, 2012, p. 128-133.
1142
P. Lascoumes, P. Poncela et P. Lenoël, Op. cit, p. 8.
1143
G. Cornu et Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, 11ème éd., PUF, 2016, « Société ».
1144
V. J. Pradel, Droit pénal général, 21e éd., Cujas, 2016, n° 76. De même, il aurait été possible de soutenir que
la détermination des crimes et délits ainsi que des peines qui y sont attachées par le législateur, en vertu de l’art.
34 de la Constitution de 1958, témoigne de ce que le droit pénal est une branche relavant du droit public. En
effet, d’aucuns considèrent qu’une des fonctions de l’Etat est la législation c’est-à-dire la création de normes
juridiques s’imposant aux citoyens et que cette création de normes – selon une procédure juridique précisément
318
De même, l’application du droit pénal est une émanation des rapports entre l’individu, citoyen
– et l’État, à savoir une relation de conformisme à la norme sociale. Il en ressort une idée de
contrat social. Il s’agit du « pacte qui régule la liberté et l’obéissance » 1145 entre les
administrés et l’État ; c’est bien sur ce pacte que repose le lien social. Ainsi, à condition que
le pouvoir exercé par l’État sur l’individu ne soit pas arbitraire, le sujet accepte d’autant
mieux la gouvernance étatique qu’il y consent naturellement1146. Aussi, en vertu de ce contrat
social, l’État attend-il des justiciables qu’ils observent une certaine conduite juridiquement
déterminée et imposée. Ainsi, le délinquant qui commet l’infraction contrevient à son devoir
d’obéissance vis-à-vis de la puissance étatique ; et c’est bien cette violation d’un ordre social
établi qui justifie qu’il se voit infliger la sanction 1147 . Par conséquent, on le voit,
originellement le droit pénal était perçu comme un moyen au service de l’intérêt général,
contribuant à la défense d’un droit subjectif de commandement de l’État. Et à ce titre, il se
voulait neutre au regard des affaires familiales.
Pour autant, cela ne signifie pas que l’État ait – à cette époque – ignoré la famille, puisque
conscient de l’importance des valeurs familiales pour la conservation de l’ordre social. Ainsi,
la famille n’apparaissait pas telle une « sphère indépendante, voire extérieure à la chose
publique. Elle était l’élément constitutif de l’État »1148 ; l’idée étant qu’il ne pouvait que
régner l’ordre, dans des familles composantes d’une société globalement organisée.
C’était donc au pater familias, chef de famille et détenteur de la puissance paternelle, que
revenait la lourde tâche de maintenir à l’intérieur de son foyer l’ordre public. Celui-ci se
voyait, dès lors, déléguer par l’État un certain nombre de pouvoirs pour accomplir au mieux
sa mission. Il était alors tout à la fois « magistrat domestique »1149 en ce qu’il lui appartenait
définie – dépend en amont de l’élection de l’organe législatif (le Parlement par exemple) – processus lui même
décrit par l’ordre juridique étatique V. pour plus de précisions H. Kelsen, Théorie pure du droit, trad. Charles
Eisenmann, Bruylant LGDJ, 2004, p. 288.
1145
P. Poncela et P. Lascoumes, Réforme ou reconstruction de l’ordre public ?. La réforme du code pénal de
1992, op. cit., p. 45 ; J.-J. Rousseau, Du contrat social, Flammarion, 2001, passim.
1146
M. Hauriou, Aux sources du Droit. Le pouvoir, l’ordre et la liberté, Bloud and Gay, coll. Cahiers de la
Nouvelle journée, 1933 (rééd. Presses universitaires de Caen, coll. Centre de philosophie politique et juridique,
1986), p. 89 ; V. aussi pour l’emploi de l’expression « contrat de citoyenneté » dans la même idée H. Lefebvre,
Du contrat de citoyenneté, Syllepse, 1990, passim.
1147
H. Kelsen, op. cit., p. 33.
1148
A. Desrayaud, « Le père dans le Code civil, un magistrat domestique », Napoleonica. La Revue, n° 14, 2012,
p. 4.
1149
C. Zacharie, op. cit., p. 135.
319
de gouverner sa famille et ses enfants, un « ministre de la République » 1150, puisqu’il assurait
l’exécution des lois votées par les autorités de l’État au sein de sa famille. Le père de famille
se voyait enfin octroyer un réel rôle de police au sein de sa famille, fonction dont « l’État de
se décharge afin de ménager ses propres énergies »1151. Le père était perçu alors comme un
agent de proximité ayant une meilleure connaissance du terrain familial et présentant dès lors
les compétences requises pour intervenir directement dans la cellule familiale. Il s’agissait
donc là d’un véritable rôle de suppléance étatique à l’intérieur de la famille.
275. L’avènement d’une sauvegarde pénale de l’ordre public dans la famille par
l’immixtion. – Progressivement, il semble que les modalités de défense de l’ordre public,
dans la famille, par le droit pénal, aient changé de visage. Ce phénomène semble devoir
s’expliquer par une modification des exigences liées à la sauvegarde de l’ordre public au sein
de la société. En effet, l’évolution des mœurs et la transformation des priorités politiques,
sociologiques et psychologiques ont mis l’accent sur la nécessité de repenser l’action de l’État
au sein de la cellule familiale, en vue de rendre plus efficace sa protection.
Ainsi, il fallut attendre la fin du XIXème siècle et l’émergence dans les esprits d’ « une
nouvelle vision du monde social »1152, pour que naisse une véritable politique du groupe – du
collectif et cette prise de conscience de la nécessité d’un interventionnisme, notamment pénal
de l’État1153 dans la famille.
1150
A. Desrayaud, op. cit, p. 6.
1151
X. Martin, « Fonction paternelle et Code Napoléon », Annales historiques de la Révolution françaises,
n°305, 1996, p. 473-474. Il est à noter, qu’à cette époque, la femme était encore considérée comme inapte à
diriger une famille et y faire régner l’ordre, de par ses capacités intellectuelles prétendument inférieures et son
inclinaison naturelle à privilégier l’affection et à la sensibilité.
1152
R. Lenoir, op. cit, p. 23.
1153
Ce constat n’est pas valable que pour l’activité pénale. D’une manière générale, l’intervention de l’Etat dans
la famille, cellule considérée comme strictement privée, fut tardive dans tous les domaines (natalité, marché du
travail, affaires de familles, etc. …), Sur l’histoire de la famille V. supra, n° 9 et s.
1154
Sur l’abolition de la puissance paternelle par la loi du 4 juin 1970, V. supra Introduction, n° 27.
320
grands-parents, voire les descendants, de nouveaux droits. Ainsi – comme nous avons pu
l’apprécier, en introduction de notre étude, s’agissant de l’historique de la famille – la
sensibilité de l’enfant a commandé de légitimer un traitement spécifique et adapté. La femme,
elle, s’est vue reconnaître un certain nombre de pouvoirs et droits significatifs afin de
participer pleinement à la direction morale et économique de sa famille1155. De même –
progression logique ou imprévision – la monoparentalisation des foyers à la tête desquels se
trouvent majoritairement des femmes est en nette progression1156.
Par ailleurs, il fallut admettre que spécificité et cohésion familiales ne puissent
raisonnablement conduire au cautionnement de la violation de certains intérêts individuels
essentiels, pas plus qu’à la commission de certaines infractions graves. C’est ainsi, par
exemple, que fut abolie l’immunité familiale relative au viol entre époux1157. Dès lors, le droit
pénal n’est plus seulement un droit accessoire mis à la disposition de l’État, en qualité de
gendarme au service de l’intérêt général. Il devient également un droit accessoire, émanant de
la puissance étatique, protecteur des intérêts individuels1158.
En somme, on le voit, le droit pénal, mais également la puissance étatique se sont
progressivement frayés un passage au sein des familles, essentiellement pas le biais des
individus qui les composent. Dès lors, la question se pose de savoir quelle est la « valeur-
finalité » qui est sauvegardée à travers la protection pénale de la famille : les intérêts de la
famille en tant qu’entité ou bien les intérêts d’un individu en sa qualité de membre d’une
famille ? De la même façon, cette question est encore valable lorsqu’il s’agit de s’interroger
sur la « valeur-finalité » protégée entre intérêts de la famille ou intérêts de l’État. Ces deux
questionnements, que nous approfondirons dans la dernière partie de cette étude, présentent
un intérêt clé ; celui de rappeler en réalité les valeurs premières du droit pénal et de limiter, de
ce fait, l’emprise de la famille sur cette discipline juridique1159.
1155
V. supra, Introduction, n° 19.
1156
En 2011, 18% des mères françaises vivant avec des enfants mineurs sont en famille monoparentale, contre
14% en 1999, V. M. Bodier, G. Buisson, A. Lapinte et I. Robert-Bobée (dir.), Couples et Familles. Edition 2015,
INSEE, coll. Insee Références, 2015, p. 14 (en ligne) disponible sur le site de l’Insee :
http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/COUFAM15.pdf.
1157
V. supra, n°94.
1158
Pour un approfondissement de la place qu’occupe l’individu dans la protection du droit pénal, V. infra, n°
336.
1159
V. infra, n° 321 et s.
321
B. Un droit pénal essentiellement dissuasif dans la famille
276. Le droit pénal initialement est vu comme un droit sanctionnateur, réduisant ainsi son
rôle à celui d’un droit accessoire dépourvu de toute force normative. Ainsi, Jean-Jacques
Couples et familles - Insee Références - Édition 2015 - décembre 2015
Rousseau faisait remarquer que « le droit pénal est moins une espèce particulière de lois que
la sanction de toutes les autres »1160 ; il est un véritable « gendarme du droit »1161. Et pour
cause, l’objet même du droit pénal est l’infraction qui ne saurait se concevoir sans le prononcé
d’une sanction, à condition qu’il s’agisse d’une peine1162.
Or, là encore, lorsque se pose la question du prononcé de la sanction pénale dans la sphère
familiale, on observe une certaine subsidiarité dans l’intervention du droit pénal vis-à-vis des
autres branches du droit, et en particulier du droit civil – discipline de prédilection de la
famille. Dans une certaine proportion, cela dénote une enclave supplémentaire du droit pénal
qui semble perdre toute liberté, vis-à-vis de la spécificité familiale qui s’impose à lui1163. Le
droit pénal apparaît donc véritablement comme un droit contingent lorsqu’il est confronté aux
problématiques familiales.
De plus, si théoriquement les sanctions pénales prévues par les textes sont marquées d’une
apparente sévérité, force est de constater que dans la pratique, le droit pénal appliqué à la
famille s’oriente davantage vers une idée de prévention que de répression. Pourtant, alors que
cette réalité est conforme à l’humanisation moderne du droit pénal, elle semble plus
discutable au regard de l’efficacité des réponses pénales apportées aux dysfonctionnements
familiaux.
Dès lors, dans la famille, cette prévention s’organise ultima ratio (1°) et essentiellement par la
dissuasion (2°).
1160
J.-J. Rousseau, Du contrat social, Flammarion, 2001, p. 94.
1161
R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel. Problèmes généraux de la science criminelle, op. cit., p. 216.
1162
La peine doit être distinguée de la réparation civile ou des sanctions administratives ou disciplinaires, V. F.
Desportes et F. Le Guenehec, Droit pénal général, 17e éd., Economica, 2011, p. 11 sq.
1163
V. infra, la dénaturation du droit pénal au contact de la famille, n° 209 et s.
322
277. La nécessité absolue de la peine. – « Il faut punir exactement assez pour
empêcher »1164. En effet, l’intervention de la peine ne peut – et ne doit se concevoir qu’en
dernier recours, c’est-à-dire en cas de stricte nécessité1165. En effet, la peine qui outrepasserait
cette nécessité absolue serait vue comme contraire à la justice et romprait le contrat social, en
vertu duquel les individus vivant au sein d’une Nation consentent antérieurement à
abandonner un segment de leur liberté dans l’intérêt du plus grand nombre1166. L’individu qui
accepte le mal de la peine en réponse d’un délit répréhensible ne le fait que pour autant que,
placé sur un pied d’égalité avec son semblable, cette peine puisse s’appliquer identiquement
aux autres. Or, une telle règle doit s’appliquer avec d’autant plus de rigueur qu’il s’agit de la
famille, cellule naturellement hermétique à toute intrusion pénale en l’absence de trouble ou
dysfonctionnement. Cela implique de procéder par prévention, l’idée étant que la sanction
pénale ne présente pas d’utilité particulière s’il est possible de remédier à une situation
dommageable par d’autres procédés moins vindicatifs et stigmatisants1167.
1164
M. Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Gallimard, coll. Tel, 1975, p. 111.
1165
Selon J. Bentham, « ce qui justifie la peine, c’est son utilité majeure, ou, pour mieux dire, sa nécessité », V.
J. Bentham, Théorie des peines et des récompenses, tome II, Société Belge de Librairie Hauman et cie, 1840, p.
9.
1166
C. Beccaria, Des délits et des peines, 1ère éd. 1965, Genève, Droz, Paris, GF Flammarion, 1991, p. 63 sq.
Beccaria entendait par le terme justice « le lien nécessaire pour maintenir l’union des intérêts particuliers ».
Selon lui, ce n’est point de plein gré que les individus cèdent une partie de leur liberté à la communauté. Il s’agit
là d’un équilibre fragile et tout châtiment qui ne répondrait pas à cette exigence de nécessité absolue entraînerait
la résistance du peuple.
1167
X. Bebin, Pourquoi punir ?. L’approche utilitariste de la sanction pénale, L’Harmattan, 2006, p. 37.
323
de l’article 208 du code civil. De même le créancier, qui se prévaut d’une décision de justice
définitive, peut saisir un huissier de justice sur le fondement des articles L. 213-4 à L.213-6
du code des procédures civiles d’exécution afin de mettre en œuvre une procédure de
paiement direct de la pension alimentaire par l’employeur du débiteur. En vertu des articles R.
3252-2 et R. 3252-3 du code du travail, ce créancier pourra aussi saisir le tribunal d’instance
afin qu’il soit ordonnée une saisie sur salaire à l’encontre du débiteur de l’obligation. En
outre, en vertu de la loi n°75-618 du 11 juillet 1975 relative au recouvrement public des
pensions alimentaires, lorsque ces deux dernières actions se sont avérées infructueuses, le
Trésor Public peut obtenir du débiteur le recouvrement de la pension alimentaire à hauteur des
impôts dus par le parent créancier de l’obligation. Enfin, lorsque ce débiteur sera insolvable
ou encore qu’il accusera un retard de paiement – plaçant le bénéficiaire de la pension
alimentaire dans une situation financière personnelle et familiale difficile – des organismes
débiteurs de prestations sociales tels que la Caisse d’allocations familiales peuvent se
substituer au créancier pour obtenir paiement des sommes dues (article 581-3 alinéa 1 du code
de sécurité sociale) ou verser une aide par avance à celui-ci (articles 581-1 et 581-2 du même
code)1168. Par conséquent, la réponse pénale n’est pas automatique. Elle a uniquement pour
but de placer au-dessus de la tête de l’infracteur une épée de Damoclès afin qu’il exécute ses
obligations légales. La peine représente essentiellement un moyen de contrainte et
d’intimidation, bien plus que de répression.
279. Fonction dissuasive de la peine dans la famille. – Nous le savons, la sanction pénale
n’est pas fatalement limitée à sa fonction punitive ou rétributive. En effet, traditionnellement
la peine se voit affubler de plusieurs fonctions traditionnelles, soit qu’elle poursuive une
finalité dissuasive, qui retiendra notre attention ici – ou expressive, que nous approfondirons
par la suite1169.
1168
Il s’agit de l’allocation de soutien familial (A.S.F). Cette aide est soumise à la condition de célibat du parent
créancier ayant obtenu la garde exclusive des enfants.
1169
V. infra, n°377.
324
D’une manière générale, fonction rétributive 1170 et fonction utilitariste 1171 de la peine se
confrontent. La première, procède par rétrospection puisqu’elle se concentre sur le passé et
consiste à considérer la peine comme « un simple mal »1172 devant se justifier par elle-même.
La peine apparaît comme méritée et proportionnée au comportement du délinquant, sans qu’il
soit nécessaire de rechercher des conséquences positives à l’accomplissement de cette peine.
Par conséquent cette fonction purement punitive n’est nullement justifiée par un utilitarisme
social, mais uniquement par la justice : la sentence est un devoir moral qu’il convient
d’exécuter. A contrario, la deuxième fonction s’oriente vers le futur et fait une place
importante à la recherche du bonheur. En effet, la vision utilitariste de la peine préconise que
ne soit infligée une peine que dans la mesure où il en résulterait un bien plus grand, à savoir le
bien-être de la communauté1173. Cette doctrine utilitariste donne donc à la peine comme but
ultime de prévenir et d’éviter que soient commises de nouvelles infractions, par le biais de la
dissuasion. Ainsi, soit elle revêt un caractère général lorsque la menace de la peine encourue,
telle un couperet aiguisé, inspire un sentiment de crainte à la population qui se détourne de la
tentation de commettre une infraction. Soit, elle est spécifique et vise alors celui qui a déjà
fauté en le dissuadant de récidiver.
Selon l’approche utilitariste, pour que la peine constitue un outil d’intimidation efficace, il
faut que « le mal de la peine surpasse le profit du délit » 1174. Et ce postulat est bien celui qui
est transposé aujourd’hui aux infractions liées à la famille, puisqu’il est vrai, les différentes
1170
Cette fonction rétributive de la peine est largement prônée, dès le XIXème siècle, par l’Ecole de la justice
absolue représentée par Kant, V. E. Kant, Métaphysique des Mœurs. Doctrine du droit, tome I, Vrin, 1968 ; E.
Kant, Critiques de la raison pratique, PUF, 2000 ; R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel. Problèmes
généraux de la science criminelle, op. cit., p. 104-105 ; sur le rigorisme de Kant V. C. Chalanouli, Kant et
Dworkin. De l’autonomie individuelle à l’autonomie privée et publique, préface de F. Terré, L’Harmattan, 2010,
p. 240-251 ; E. Kant, Qu’est-ce-que les Lumières, Pléiade, tome II, Gallimard, 1985, p. 288 «Raisonnez tant que
vous voudrez, seulement obéissez ! » ; Otfried Höffe, Introduction à la philosophie pratique de Kant. La morale,
le droit et la religion, Vrin, 1993, p. 230 sq.
1171
V. J. Bentham, Théorie des peines et des récompenses, tome. II, op. cit. ; J. Bentham, Introduction to the
principles of morals and legislation, University Press, 1996 ; J. Bentham, Fragment sur le gouvernement. Manuel
des sophismes politiques, L.G.D.J., 1996.
1172
E. Kant, Critiques de la raison pratique, op. cit., p. 38.
1173
X. Bebin, op. cit., p. 32-35
1174
J. Bentham, Théorie des peines et des récompenses, t. II, ibidem., p. 12. Contrairement à la thèse kantienne
de la peine, qui qualifie le peuple de « masses aveugles » (V. E. Kant, Qu’est-ce-que les Lumières, Pléiade, t. II,
op. cit., p. 286), Bentham perçoit chez l’être humain une intelligence, une rationalité et un esprit calculateur (V.
J. Bentham, Introduction to the principles of morals and legislation, op. cit., p. 158). En effet, l’individu qui
commet le délit s’attend à en tirer un avantage plus important que le risque et la peine qu’il encourt, autrement le
jeu n’en vaudrait pas la chandelle.
325
incriminations à coloration familiale sont sévèrement punies – au moins sur le papier. Ainsi,
par exemple, l’abandon de famille prévu à l’article 227-3 du code pénal prévoit un quantum
de peine d’emprisonnement de deux ans assorti d’une amende de 15 000 euros à l’encontre de
la personne qui ne se sera pas acquittée du versement de la pension alimentaire dans son
intégralité, durant deux mois. A bien y regarder, ce délit est puni presque aussi durement
qu’un délit d’initié portant une atteinte grave à la transparence des marchés 1175 ou qu’un abus
de faiblesse ou d’ignorance1176. Cela dénote une véritable volonté symbolique et protectrice
du législateur dans l’érection de cette incrimination. De la même manière, toujours en guise
d’illustrations, cette sévérité théorique de la peine se lit encore dans l’incrimination
d’infractions sexuelles appliquées à la famille. En effet, empruntant la forme d’une
circonstance aggravante, le lien de parenté ou de conjugalité existant entre l’auteur et la
victime justifie une aggravation de la peine ; faisant ainsi passer le quantum de la peine
encourue pour le crime de viol – prévu aux articles 222-23 et suivants – de quinze ans de
réclusion criminelle à vingt ans lorsqu’il a été commis par le conjoint, le concubin ou le
partenaire ou par un ascendant ou toute personne ayant autorité sur la victime.
1175
Le délit d’initié est puni de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 15 000 000 euros V. art. L.465-1
C. mon. fin.
1176
Le délit d’abus de faiblesse ou d’ignorance est puni d’une peine d’emprisonnement de trois ans (soit tout
juste un an de plus que le délit d’abandon de famille) de d’une amende de 375 000 euros V. art. 223-15-2 C. pén.
1177
J. Vérin, « La prévention sociale, mythe ou réalité ? », RSC. 1982. 813.
1178
G. Kellens, La mesure de la peine. Précis de pénologie et de droit des sanctions pénales, Faculté de droit,
d’économie et de sciences sociales de Liège, 1982, p. 194 ; P. Guibentif, « Retour à la peine : contexte et
orientations des recherches récentes en prévention générale », Déviance et société, vol. 5, n° 3, 1981, p. 293 sq.
326
pouvoirs publics à inhiber la récidive en France 1179 , en dépit des différentes réformes
législatives de ces dernières années1180.
1179
Augmentation de la récidive en France sur la période de 2004 à 2011, V. M.-P. Haddad, « Justice, les
chiffres de la récidive en France », L’Express, 2013 [En ligne :
http://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/justice-les-chiffres-de-la-recidive-en-france_1299565.html].
1180
V. E. Garçon, « Entre confiance et défiance à l’égard du juge pénal. Loi n°2007-1198 du 10 août 2007», JCP
éd. G., n°42, 2007. I. 196 ; loi la plus récente sur cette question V. Loi n° 2014-896 du 15 août 2015 relative à
l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, JO du 17 août 2014, p. 13647.
1181
Toulouse, 3e ch., 12 octobre 2009, n° 09/00168 (quatre mois d’emprisonnement avec sursis) ; Amiens, crim.,
4 juin 2015, n° 14/02610 (suppression de la pension alimentaire pour cause d’impécuniosité du débiteur) ;
Chambéry, 18 novembre 2010, n° 10/0016 (un mois d’emprisonnement avec sursis).
1182
Montpellier, 3e ch, 5 mars 2009, n° 08/01437 (mise à l’épreuve avec obligation de payer sa pension
alimentaire).
1183
Entretien avec Christine Kelly, inauguratrice de la Fondation « K d’urgence », reportage « Le monde en
face », France 5, 15 octobre 2013.
1184
L. Collet-Askri, « La protection pénale de l’enfant victime des conflits entre ses parents divorcés. A la
lumière de la jurisprudence récente », RDSS, 2000, n° 6, p. 434.
1185
La proportion de familles monoparentales dirigées par une femme est estimée à 85% V. Entretien avec
Christine Kelly, op. cit.
327
rupture de communauté, la famille monoparentale est la première assujettie au
surendettement1186.
Par ailleurs, d’autres infractions autrement plus graves nécessiteraient une réponse pénale plus
virulente et réellement exécutée. Ainsi, encore convaincu que la force symbolique de la peine
marque davantage les esprits que la peine elle-même, le juge pénal continue de prononcer des
peines assorties de sursis – précédé d’un sermon paternaliste – lorsqu’il s’agit de violences
conjugales. Pourtant, loin d’être vécu comme une punition par l’auteur de ces violences
devant le pousser à se remettre en question, le sursis est vu comme « une relaxe ». De cela
naît un sentiment d’impunité et de puissance chez le délinquant qui verra son impétuosité face
à la victime, mais également à la loi, enhardie.
Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que cette criminalité familiale présente une
particularité : avant d’apparaître aux yeux de la loi pénale, elle est insidieusement dissimulée
et maintes fois réitérées. Dès lors, l’auteur de violences conjugales, qui au bout d’un énième
passage à l’acte, se voit appréhendé par la justice pénale – parce que sa victime aura
rassembler ce qui lui reste de forces pour oser porter plainte – ne craint pas la symbolique de
la peine, mais uniquement l’entrave effective de sa liberté. Il en va de même pour l’auteur de
l’inceste. En effet, la peur de la punition ne constitue guère un obstacle au passage à l’acte.
L’auteur de tels actes, guidés par ses pulsions, a pleinement conscience des risques répressifs
qu’il encourt lorsqu’il commet son forfait. Cela ne signifie guère cependant qu’il recherche la
réalisation de ces risques, bien au contraire il les redoute. Dès lors, il usera de chantage
affectif ou de la violence vis-à-vis de sa victime afin de la dissuader de révéler les faits.
Par conséquent, on le voit, la fonction dissuasive de la sanction pénale – qui trouvait jadis sa
finalité essentielle dans la prévention en amont de la commission d’infractions plus graves –
en vertu de la préconisation suivante « il vaut mieux prévenir les crimes que d’avoir à les
punir »1187 – semble prendre un autre sens : inapte à éradiquer l’activité criminelle, elle
apparaît tout au plus aujourd’hui comme un avertissement au délinquant reposant finalement
sur l’unique espoir qu’il respectera ce pacte, implicite ou pas, de ne plus récidiver.
1186
Entretien avec Christine Kelly, ibidem.
1187
Selon Beccaria, il s’agit là de la finalité principale de toute bonne législation, V. C. Beccaria, op. cit., p.169
328
§2 - Rejet d’un droit pénal accessoire à la loi morale au sein de la famille
281. Ainsi que nous l’avons relevé, le droit pénal est défini classiquement comme la
discipline juridique auxiliaire au service de toutes les autres. Lorsqu’il est appliqué à la
famille, il vient en renfort aux autres matières qui régissent cette dernière, de sorte qu’il est
possible d’y voir une annexion du droit pénal aux valeurs familiales.
Toutefois, il est un domaine dans lequel il n’est pas souhaitable que le droit pénal cède de son
autonomie, afin de conserver sa légitimité et son essence au sein de la famille. Il s’agit de la
morale. Et pour cause, certains auteurs seraient tentés d’affirmer que le droit pénal est
nécessairement moral en matière familiale1188. Et, en effet, une telle vision pourrait se justifier
si l’on considère les différentes atteintes à la famille, telles que l’inceste1189 ou l’abandon
moral de la famille 1190, qui ont une connotation morale forte et indéniable. Il est vrai
également que l’action d’infliger une peine à un individu – au nom du corps social, en raison
du trouble intolérable causé par le crime – ne saurait valablement se départir d’une certaine
perception moralisatrice de la peine. C’est cette même perception morale de la peine qui
justifie que les citoyens d’une même Nation consentent à se soumettre aux normes pénales
posées et appliquées par la puissance publique ou qu’ils n’hésitent pas à exprimer leur
désapprobation face au prononcé d’une peine qu’ils estiment pas suffisamment exemplaire ou
au contraire trop démesurée. Ainsi, ce qui forge, aux yeux d’une population, la légitimité et la
justesse d’une loi, c’est bien sa morale.
Cependant, encore faut-il que cette morale soit mesurée. D’une part, il appert que les notions
de droit pénal et de morale doivent être distinguées (A). D’autre part, une juxtaposition du
droit pénal et de la morale dans la famille aboutirait à deux écueils qu’il convient d’éviter, à
savoir une prévention sociale intrusive dans la famille, et un renouveau d’un ordre public
familial de direction (B).
1188
R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel. Problèmes généraux de la science criminelle, op. cit., p.104-
105 ; J-J. Lemouland, « Famille », Rép. civ. Dalloz, 2005, n° 92.
1189
Cependant, cela est vrai pour une certaine part seulement, puisqu’en effet si la répression pénale de l’inceste
dépendait de la morale seule, le droit pénal incriminerait également l’inceste entre personnes majeures. C’est dire
que tout ce qui est considéré comme immoral, n’est pas nécessairement réprimé pénalement.
1190
Art. 227-17 C. pén.
329
A. Droit pénal et morale, des notions distinctes
282. Droit pénal et morale dans la famille : des champs d’application différents. – Le
droit pénal n’est pas la morale. En effet, si ces ordres sociaux doivent tous deux être vus
comme des normes et que leur transgression implique une sanction – pénale pour le droit
pénal, collective pour la morale ; en revanche, ils se distinguent par leurs champs
d’application.
Droit pénal et morale possèdent des périmètres qui peuvent collaborer – converger, sans pour
autant se superposer. En effet, nombreux sont les préceptes moraux réprimés par le Code
pénal, comme l’interdiction de voler, de tuer, le respect dû à ses père et mère. Pour autant,
tout ce qui est moral ne relève pas forcément du droit pénal. En d’autres termes, une pratique
qui pourrait paraître répréhensible au regard de la loi morale ne trouvera pas nécessairement
son équivalence en droit pénal, pour la raison essentielle qui suit : pour être réprimée
pénalement l’action doit contrevenir à une valeur sociale, mais également avoir causé un
trouble à l’ordre public. La morale, elle, apparaît comme personnelle à l’individu : « impose
l’accomplissement du devoir dans le for intérieur, non pas au nom de l’utilité sociale, mais en
vertu du principe de la justice pure »1191.
Ainsi, par exemple, si l’homosexualité a pu, au nom d’une morale sexuelle imposée, être
jugée contre nature et intolérable, au regard de l’ordre public – c’est-à-dire du juste – une telle
pratique ne saurait porter une atteinte profonde à la paix, à la sécurité et à la sûreté sociales.
Prenons encore un cas de figure qui pourrait aboutir à des situations pour le moins choquantes
au regard de la morale et de la prohibition de l’inceste : un concubin pourrait valablement
épouser la fille de sa concubine1192, alors même que le concubinage présenterait les conditions
de stabilité et de continuité exigées par l’article 515-8 du code civil. Pourtant, là encore, le
droit pénal fera fi de cette réalité. En réalité, une telle union même choquante ne vient pas
violer la règle d’ordre public civile relative aux empêchements à mariage. Dans un tel cas,
l’individu et la fille (consentante et majeure) de son ex-concubine seront regardés par le droit
comme des étrangers l’un vis-à-vis de l’autre, n’ayant entre eux aucun lien de parenté au sens
1191
E. Dreyer, op. cit., p. 119.
1192
J. Carbonnier, Droit civil. La famille, l’enfant, le couple, vol. I, 1ère éd. 1955, éd. PUF, Paris, Quadrige
Manuels, 2004, n° 539 in fine.
330
juridique du terme, faisant obstacle au mariage. Force est donc de constater qu’en l’absence
d’une nécessité absolue d’intervenir, le droit pénal se détournera volontairement de certaines
situations d’ordre intime.
283. Droit pénal et morale dans la famille : des finalités différentes. – Deuxièmement,
droit pénal et morale ne se fixent pas les mêmes objectifs.
Le droit pénal défend un ordre social alors que la morale elle défend un ordre individuel ou
interindividuel. Dès lors, il n’appartient pas au droit pénal d’imposer sa perception de la
morale ou d’en définir le contenu, sous peine d’une intrusion excessive dans la vie privée et
familiale des individus. En effet, « il doit être ouvertement proclamé et authentiquement
admis que le droit pénal ne soutient pas une quelconque conception morale de la vie […]
»1193.
De plus, ces deux ordres n’ont pas la même obligatoriété et leur exactitude. Le droit pénal
définit avec précision les normes juridiques qui déterminent la réponse sociale au déséquilibre
causé par l’infraction. Dès lors, il fait appel à un système rigoureux de mesures
contraignantes, préventives ou neutralisantes telles que les peines privatives de liberté et
amendes qui ont une visée essentiellement afflictive et rétributive ou, les mesures de sûreté
fondée sur le constat de la dangerosité de certains sujets. A contrario, si la morale suppose
aussi l’existence de sanctions, celles-ci portent uniquement sur une appréciation. Ainsi par
définition, la morale renvoie à l’incertitude. Il s’agit d’une notion flottante dont le contenu est
variable, parfois même versatile et contradictoire. Les sanctions à sa violation pourront
consister en une désapprobation, un blâme ou une mise à l’écart du sujet récalcitrant. Mais en
aucun cas, ces sanctions d’ordre purement individuel ne pourront faire intervenir la force
publique en vue de leur exécution1194, contrairement au droit pénal.
Enfin, loi pénale et loi morale adoptent toutes deux une formulation négative s’agissant de
leurs préceptes. En effet, à l’instar de la morale 1195 , le précepte pénal définissant le
comportement à ne pas adopter – c’est-à-dire la norme pénale ou incrimination – est formulé
de manière négative. Pourtant, contrairement à la norme morale, la loi pénale n’accorde pas
1193
S. C. Versele, Aspects juridiques de la perception de la déviance et de la criminalité, Actes de la 9e
Conférence des directeurs de recherches criminologiques, Conseil de l’Europe, 1972, p.121 sq.
1194
H. Kelsen, Théorie générale des normes, op. cit., p. 28-29.
1195
V. supra, n° 19.
331
de récompenses, elle se contente d’interdire. La morale, elle, est capable de désapprouver un
certain comportement, au même titre qu’elle peut en féliciter un autre. Donc, elle se fonde sur
un système sanctions/récompenses. Ainsi, l’image de l’épouse volage sera méprisée, alors que
le modèle de l’épouse fidèle et dévouée à sa famille sera plébiscité et encensé.
284. Droit pénal et morale : des missions différentes. – Le droit pénal, dans la famille,
n’a pas pour mission de régir la morale de chacun, mais de veiller à la sauvegarde des intérêts
juridiquement protégés de tous. Il se veut neutre et dépassionné, contrairement à la morale. Et
pour ce faire, il est nécessaire de définir sa place dans la famille avec mesure et justesse.
Tout d’abord, rappelons que l’éthique – science sur laquelle repose l’axiologie, théorie des
valeurs – ne se confond pas avec son objet, la morale. Elle est la face objectivée de la morale,
c’est-à-dire dépossédée de toute prise de position excessive. Or, la défense par le droit pénal
de valeurs sociales au sein de la famille – comme justification du jus punendi – relève
davantage de l’éthique que de la morale. Parce qu’il garantit la défense de l’intérêt général et
les droits fondamentaux de tous, le droit pénal dans la famille doit être dépouillé, à notre sens,
de tout préjugé ou présupposé – notamment sur ce que devrait être ou pas la famille, la
conjugalité ou la parenté.
En outre, admettre une identité entre droit pénal et morale dans la famille présente un risque
d’insécurité judiciaire. En effet, bien que tout professionnel du droit pénal – juge, services de
police et de gendarmerie, avocat, médecin légiste et expert psychiatrique, ait des
considérations morales et idéologiques personnelles, dans la pratique de son art il se doit d’en
faire l’impasse afin de garantir une qualité et une justesse à son appréciation des faits.
285. La réponse pénale, vecteur d’une morale nouvelle. – Nous assistons à une
transformation de la peine. Initialement, la réponse pénale s’organisait au sein du groupe
social au travers d’une vengeance privée. Elle avait lieu au sein des familles, au sein d’un
clan à l’encontre de leurs propres membres ou de membres appartenant à des familles ou des
clans autres. Peu à peu, s’est opérée une délégation du droit de punir au chef, au roi, puis à
332
l’État 1196 – les factions privées se voyant ainsi dépossédées du droit d’agir en matière
répressive. Dès lors, la vindicte privée laisse place à la loi du Talion « œil pour œil, dent pour
dent » reposant sur l’idée que toute atteinte infligée à l’ordre social devait recevoir une
sentence de même gravité. Le rôle de la peine était par conséquent essentiellement infâmante
et devait tendre à l’amendement du délinquant. Dans cette idée de la peine, droit pénal et
morale étaient intimement liés : c’est en vertu de la morale seule – et non pas d’une
quelconque utilité sociale – que la peine doit être exécutée, car cela est juste1197. Comme nous
l’avons vu plus haut, concurrençant la vision purement rétributive de la peine, les thèses
utilitaristes ont donné une finalité à la peine, celle de prévenir la commission de nouvelles
infractions par l’intimidation. Selon cette approche utilitariste, ce n’est pas la morale qui
guide l’application de la peine, mais uniquement le bien-être et l’intérêt de la communauté.
Pourtant, derrière cette approche « pragmatique » de la peine, existe une volonté
d’amélioration de l’être humain1198 puisque le délinquant n’est plus seulement vu comme un
monstre1199 à écarter de la société, mais comme un être perfectible. Certains auteurs n’hésitent
pas à employer le terme de « politique publique de disciplinarisation »1200 de l’auteur de
l’infraction. Et cette nouvelle approche de la réaction pénale n’est pas sans influence en
France, puisque la politique pénale de ces vingt dernières années tend à cette
disciplinarisation de l’individu. Dès lors, naît l’idée d’une réadaptation et d’une
resocialisation du condamné, en vue de lutter contre le taux de récidive. Cet objectif passe en
partie par l’avènement en droit pénal français, d’une justice restaurative ou réparatrice, issue
de droits étrangers1201. Cette-dernière consiste – selon des termes quelque peu utopiques – à
« rendre aux [parties] le conflit qui les oppose en vue de trouver, par elles-mêmes, les
1196
M.-C. Sordino, Criminologie et droit pénal : je t’aime, moi non plus, Actes du Colloque Criminologie et
droit pénal : entre guerre et paix ?, Propos introductifs, Montpellier, Presses de l’Université de Montpellier,
octobre 2015.
1197
On retrouve ici la thèse de l’Ecole de la justice absolue représentée par Kant au XVIIIe siècle, notamment
avec son apologue de l’île abandonnée : plusieurs individus vivent ensemble sur une île abandonnée. Souhaitant
prendre leur indépendance, ils décident de se disperser en plusieurs lieux différents et de quitter l’île. Un des
membres de la communauté, condamné à mort, attendait son exécution en cellule. Avant de partir, le chef de
communauté estime qu’il est impératif que cette sentence soit exécutée, alors même que le groupe social se
disloque, car le devoir moral le commande. On le voit la peine ici fait essentiellement office d’exemple et ne
répond à aucune utilité sociale.
1198
E. Tillet, « Histoire des doctrines pénales », Rép. pén., 2002 (actualisation en 2010), n° 55 in fine.
1199
E. Tillet, op. cit., n° 13-15.
1200
P. Lascoumes, P. Poncela et P. Lenoël, Au nom de l’ordre. Une histoire politique du code pénal, Hachette,
1989, p. 12.
1201
C’est un concept hérité de législations d’Amérique du Nord, V. G. Rabut-Bonaldi, « La mesure de justice
restaurative, ou les mystères d’une voie procédurale parallèle », D. 20015.97, n° 2.
333
solutions pour s’en sortir dignement, sous le contrôle bienveillant du juge »1202. Il s’agit,
concrètement, à un mode de règlement des conflits échappant au procès et à l’autorité du
juge1203, et tendant à responsabiliser le délinquant, en instaurant le dialogue entre sa victime et
lui. Par conséquent, on fait peser sur la peine, trois missions simultanées : la réintégration
sociale de l’auteur de l’infraction, la restauration de la victime et la reconstitution de
l’équilibre social mis à mal par le délit1204.
Toutefois, cette nouvelle vision de la peine aux allures de défense sociale nouvelle1205, pose
certaines difficultés dans le règlement pénal des conflits familiaux, en particulier les violences
conjugales. Car, finalement, l’exemple type de mesure de la justice restaurative, c’est la
médiation pénale1206, espace théorique de conciliation entre les deux parties, sans pour autant
parler de réconciliation. Or, comme cela a été démontré précédemment, cette réponse ne
s’avère pas toujours adaptée1207.
Par conséquent, la décision de mettre en place la mesure de justice restaurative devrait
prendre, préalablement, en considération le profil psychologique de la victime, mais
également de l’auteur, en particulier lorsqu’il s’agit de violences intrafamiliales. En effet, il
n’est pas rare de constater que, dans des cas de violences conjugales ou d’inceste, la
victime1208 prenne l’initiative de rencontrer son agresseur, alors même qu’une injonction de
ne pas rentrer en contact avec la victime aura été décidée à l’encontre de ce-dernier, en vertu
de l’article 41-1 6° du code de procédure pénale1209.
1202
R. Cario, Victimologie. De l’effraction du lien subjectif à la restauration sociale, 4ème éd., L’Harmattan,
2012, p. 62.
1203
Il existe une véritable volonté de négocier le règlement des affaires pénales à l’ « ombre du droit », V. F.
G’sell-Macez, « Vers la justice participative ? Pour une négociation « à l’ombre du droit », D. 2010. 2450 ; ou
plutôt du procès pénal, dirions-nous. D’une manière générale, cela se vérifie encore avec les autres mesures
alternatives aux poursuites telles que la médiation (art. 41-1 C. pr. pén.) ou la composition pénale (art. 41-2 C.
pr. pén.).
1204
R. Cario, « Justice restaurative », Rép. pén, 2010, n°24.
1205
V. M. Ancel, La défense sociale nouvelle. Un mouvement de politique criminelle humaniste, Ed. CUJAS,
1981.
1206
Le principe de la justice restaurative serait né, en 1970, suite à une affaire canadienne impliquant deux jeunes
hommes auteurs d’actes de vandalisme, qui avaient reconnu les faits et leur culpabilité. Un agent de probation
propose alors, à l’occasion d’une réunion d’un groupe d’étude chrétien, à ces infracteurs et à leurs victimes de se
rencontrer en vue de poser ensemble les modalités de réparation. Il s’agit bien là d’une médiation. V. R. Cario,
« Justice restaurative », op. cit., n°50.
1207
V. supra, n°228.
1208
Sur le syndrome de Stockholm, V. O. Edmundo, « Nouvelle victimologie : le syndrome de Stockholm »,
Arch. po. crim., n°27, 2005, p. 167-171.
1209
Modifié par la Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les hommes et les femmes.
334
Enfin, face à ce passage d’une justice pénale à une justice négociée, il est possible de se
demander dans quelle mesure cette contractualisation de la peine ne contribue pas à sa perte
d’essence et de neutralité dans la famille. En effet, la volonté utilitariste semble avoir
tendance à conduire à une prévention intrusive, voire à un contrôle social1210.
1210
V. M. Foucault, Surveiller et punir, Gallimard, 1975, p. 200 sq. L’auteur parle des « moyens de bon
dressement » par la sanction notamment.
335
Chapitre II. Le droit pénal dans la famille, entre adaptation et
dénaturation
287. L’adaptation du droit pénal à l’entité familiale. – D’un point de vue sémantique, le
terme « adaptation » fait référence à l’action d’«ajuster une chose à une autre » ou
de « modifier la pensée, le comportement pour le mettre en accord avec une situation
1211
Le Littré, Dictionnaire de la langue française en un volume, Paris, Hachette, 2000, « Altérer ». La définition
du mort a évolué au cours des époques prenant, tour à tour, les significations de « changer, émouvoir, affecter, et
finalement causer de la soif ». ; Nouveau Larousse Encyclopédie en 2 volumes, Librairie Larousse, 2001,
« Altérer ».
1212
Nouveau Larousse Encyclopédie en 2 volumes, op. cit., « Altération ».
336
nouvelle»1213. Cette acceptation linguistique traduit parfaitement la relation existant entre les
deux ordres sociaux qui nous intéressent, le droit pénal et la famille.
En effet, la famille, en tant qu’entité sociale à protéger semble tenir une place importante dans
une activité pénale vivace. Et pour cause, elle s’impose au droit pénal et fige son intervention,
en influant sur la conception même des incriminations et sur leur sanction. Dès lors, la prise
en compte de l’entité familiale conduira à deux conséquences distinctes et paradoxales
essentielles. Ainsi, d’un côté, la famille conditionne la répression (§1) et d’un autre, elle y fait
obstacle (§2).
288. Une distinction pénale classique. – Au sein des infractions pénales à la coloration
familiale, deux catégories classiques peuvent être dissociées : celles qui intègrent la famille
dans leur définition même et celles qui n’en tiendront compte qu’en guise d’élément
contextuel. Autrement dit, soit la famille occupe le rôle d’élément constitutif de
l’incrimination (A), soit elle n’en est que la circonstance aggravante (B).
289. Un effet constaté. – Au demeurant, peu importe qu’il s’agisse d’une catégorie
infractionnelle ou de l’autre, la manière dont le droit pénal se saisit de la famille dénote une
altération de l’action répressive.
1213
Nouveau Larousse Encyclopédie en 2 volumes, ibidem, « Adaptation ».
1214
Il s’agit bien ici d’une apparence et non d’une évidence, puisque si la valeur sociale essentielle protégée par
ces incriminations semble être la famille, elle n’est en réalité que secondaire, V. infra, n°321 et s.
337
d’un côté, la limitation du champ de comptée(1) et d’un autre côté, une prégnance familiale
forte (2).
291. La paralysie de la règle pénale. – Des infractions d’emblée familiales telles que la
bigamie, l’abandon pécuniaire de famille ou la non-représentation d’enfant par exemple
témoignent d’une certaine paralysie de la règle pénale. En effet, dans ces cas de figure, il est
loisible de constater que l’action du droit pénal est soumise à validation civile. Bien que cette
subordination se justifie au regard de la nature accessoire classique du droit pénal, elle semble
critiquable au regard du raisonnement juridique, d’une part, et de la logique de protection,
d’autre part. Du point de vue du raisonnement juridique, le droit de la famille est l’une des
seules disciplines où le droit pénal est subordonné aux obligations imposées par la loi civile.
Et pour cause, traditionnellement en droit pénal, il est admis que l’acquisition de la
condamnation ne saurait être tributaire de la validité préalable d’un acte de nature civile.
Prenons ici les exemples des délits d’abus de confiance (article 314-1 du code pénal) et de
détournement de gage (article 314-6 du code pénal). Dans ces deux cas, la validité du contrat
n’entre pas en considération dans les conditions de constitution de l’infraction. Ainsi, il est
constant que la remise préalable de la chose ne doit pas nécessairement être faite en vertu de
l’existence d’un contrat, pour constituer l’abus de confiance1215. De la même façon, la preuve
de la validité du contrat est indifférente s’agissant du détournement de gage, « la loi civile ne
déterminant les cas de nullité ou d’annulation qu’au point de vue des intérêts civils ; […] les
poursuites prenant leur source non dans le contrat, mais dans le détournement frauduleux de
la chose remise à gage »1216.
Du point de vue de la logique de protection, cette neutralisation de l’action pénale à la faveur
de la loi civile conduit à une insécurité juridique, en ce que la loi pénale paralysée ne peut
plus garantir de manière efficace le respect des valeurs sociales propres à la famille.
1215
Cass. crim., 18 octobre 2000, Dr. pén. 2001, comm. 28, obs. M. Véron.
1216
Cass. crim., 27 février 1970, JCP 1970. IV. 101.
338
292. Illustrations. – Quatre infractions d’emblée familiales démontrent ce phénomène de
paralysie du droit pénal au contact de la famille : la bigamie et l’abandon pécuniaire de
famille (a) et les infractions de non-représentation et de soustraction de mineur (b).
295. L’exigence d’une condition préalable : un premier mariage validé par le juge
civil. – La bigamie suppose préalablement l’existence d’un premier mariage. Ce mariage doit
1217
B. de Lamy, « La portée rétroactive de la nullité du second mariage empêche la consommation du délit »,
Dr. fam. 2003, n° 1, comm. 6.
339
– tout d’abord – être valide puis, ne doit pas être dissous au jour de la célébration de la
seconde union.
La seconde condition est assez logique et ne pose pas de difficultés majeures. En droit
français, deux causes de dissolution du mariage prévues par l’article 227 du code civil,
peuvent exonérer le prévenu de sa responsabilité pénale : le divorce et le décès 1218 .
Néanmoins, il arrive que la répression de la bigamie doive s’accorder avec des règles de droit
international privé. Ainsi, se pose la question de l’efficacité d’autres procédés de dissolution
employés à l’étranger, devant les juridictions françaises. De manière constante, la
jurisprudence reconnaît en France l’effet de droits acquis à l’étranger, à condition qu’ils soient
conformes à la loi nationale des époux et qu’ils ne fassent pas obstacle à l’ordre public
national1219. Dans cette hypothèse, une exception à l’ordre public est tolérée, l’effet de ce
dernier étant atténué. Aussi, a-t-il été admis que la répudiation obtenue à l’étranger vaut
dissolution de la première union1220.
1218
L’absence du premier conjoint, établie par jugement déclaratif et après transcription, produit les mêmes
effets que le décès, en vertu de l’art. 128 du C. civ.
1219
Ex. de dissolution obtenue en fraude ou en violation des droits fondamentaux de l’un ou de l’autre des
époux, V. Cass. civ., 22 janvier 1951, époux Weiller, Rev. crit. DIP 1951. 167, note P. Francescakis. Deux
époux, un français et une grecque ayant acquis la nationalité française, se sont mariés sur le territoire français.
Ayant la volonté de se soustraire à la loi française compétente afin de contracter une nouvelle union à l’étranger
avec un ressortissant britannique, la femme a procédé à l’établissement momentané de son domicile au Nevada
afin de faire prononcer son divorce par un tribunal étranger. Le jugement de divorce a été prononcé par défaut et
de manière arbitraire sur simple affirmation de l’intéressée non corroborée de preuve (celle-ci prétendait que son
époux avait fait preuve de cruauté à son encontre). Au regard de l’absence de cause déterminée au divorce, le
divorce avait été comparé à une répudiation par les juges d’appel. La Cour de cassation confirme la décision
d’appel sanctionnant « la fraude à la loi française dans des conditions artificiellement créées » et déclarant
« inopposable le jugement de divorce ainsi prononcé à l’étranger dans des circonstances contraires à la
conception française de l’ordre public » ; De la même manière, lorsqu’un mode de dissolution non autorisé en
droit interne, aura été pratiqué sur le territoire français, par des étrangers, il sera inefficace, V. s’agissant d’un le
divorce prononcé en France par un tribunal rabbinique, concernant deux époux de nationalité française. Il doit
être assimilé à « une répudiation pure et simple » et est « radicalement contraire aux principes d’ordre public,
du droit français », Aix- en-Provence, 21 janvier 1981, Rev. crit. DIP 1982. 297, note G. Légier ; confirmation
par Cass. civ, 1ère, 15 juin 1982, pourvoi n° 81-12. 611 ; sur le même principe s’agissant de la répudiation
obtenue devant l’imam de la mosquée de Paris, V. Paris, 7 juillet 1959, Rev. crit. DIP 1960. 354, note Y.
Loussouarn.
1220
Assimilation de la répudiation ayant produit ses effets à l’étranger au divorce par consentement mutuel, TGI
Seine, 26 octobre 1959, Spira c/ Reichenfeld, Rev. crit. DIP 1960.354, note Y. Loussouarn. Les époux se marient
en France mais partent en Israël où ils acquièrent la nationalité israélienne. Le mari demande la répudiation de
son épouse par devant- témoin. Cette dernière ayant accepté celle-ci, elle demanda l’exequatur en France de
l’acte de répudiation. Le tribunal estima que cette demande ne faisait pas obstacle à l’ordre public français,
puisque la séparation avait eu lieu conformément à la loi nationale des deux époux, sans fraude et avait produit
ses effets à l’étranger. V. aussi, TGI Seine, 23 mai 1960, Defeins c/ Tahoum, D. 1960. 714, note P. Malaurie.
Les faits son similaires s’agissant d’une femme de nationalité française et son mari de nationalité égyptienne, le
couple résidant en Egypte. Ce dernier demande la répudiation de son épouse conformément à la loi nationale
égyptienne. Cette dernière demande l’exequatur en France. En l’absence de contrariété à l’ordre public interne,
340
Quant à la première condition – qui retiendra davantage notre attention – le premier mariage
doit être valide, c’est-à-dire qu’ « il doit exister pleinement »1221 . La détermination de cette
validité incombe exclusivement au juge civil. Plus précisément, est compétent le tribunal de
grande instance statuant en matière civile, au moyen d’une question préjudicielle1222. Cette
question préalable posée au juge civil a pour effet de contraindre la juridiction pénale à
surseoir à statuer sur l’état de bigamie1223. Pour cause, la nullité du premier mariage permet au
second d’échapper à la sanction1224 ; et ce, quand bien même cette annulation interviendrait
postérieurement à la conclusion du deuxième mariage litigieux1225.
Évidemment, une telle solution ne prône guère en faveur de l’autonomie du droit pénal, la
compétence du juge pénal étant considérablement amoindrie. À ce propos, un auteur avait
avancé des propositions de réforme du Code de procédure pénale1226, qui gagneraient à être
observées. Aux articles 73 et 74 réunis de ces propositions était disposé, qu’en dehors de
l’interprétation des conventions internationales, la juridiction pénale saisie puisse, pour
le tribunal reconnaît l’efficacité de la répudiation devenue définitive à l’étranger et estime qu’elle équivaut à un
divorce par consentement mituel.
1221
Ph. Bonfils, « Bigamie », Rép. pén. Dalloz 2014, n° 18.
1222
Cass. crim, 18 février 1942, Bull. crim. n° 11, D. 1942. 83.
1223
Cass. crim, 16 janvier 1826, S. 1827. 1. 260 ; Cass. crim. 13 avril 1867, D. 1867.1.353.
1224
A contrario, la dissolution du premier mariage par divorce ne permet pas de régulariser a posteriori le
second mariage bigame V. Grenoble, 23 janvier 2001, Dr. Fam. 2002, n°54, obs. H. Lécuyer. ; contra. Cass. civ.
2, 9 octobre 2014, pourvoi n° 13-22.499 (qualité de conjoint survivant et versement d’une pension de réversion
du chef du défunt bigame accordés à la seconde épouse d’un mariage célébré en Algérie, en fraude d’un premier
mariage contracté en France et depuis lors dissous par divorce).
1225
V. Cass. civ. 1ère, 26 octobre 2011, n°10-25.285, D. 2012.258, note G. Raoul-Cormeil. Une femme, après
falsification de son état civil, parvient à se marier trois fois d’affilée, sans mettre fin à ses unions précédentes
avant d’en contracter une nouvelle. Le juge d’appel refuse de surseoir à statuer sur la demande de nullité du
troisième mariage pour bigamie formée par l’époux, désireux d’obtenir l’annulation d’une donation de biens
présents entre époux, en raison de l’action en nullité du mariage précédent formée par l’épouse, pour attendre
que soit rendue la décision portant sur l’éventuelle nullité du mariage antérieur. La Haute Cour retient qu’une
annulation du premier mariage emporte rétroactivement la validité du mariage bigame. ; Cass. civ. 1ère, 25
septembre 2013, n°12-26.041, D. 2014. 563, note C. Capitaine et I. Darret-Courgeon. ; Contra. V. Versailles, 27
mai 1999, D. 1999. 374, obs. J.-J. Lemouland. Un couple mixte contracte mariage à Paris, en l’absence d’un
officier d’état civil, l’époux espérant obtenir un titre de séjour qui lui a été refusé. Après son expulsion du
territoire, le couple conclut un nouveau mariage au Caire. La cour d’appel estime que le premier mariage doit
être vu comme entaché d’une nullité absolue pour violation de l’art. 165 du Cc, et que dès lors il emporte
également nullité du second mariage ; Cependant, la position de la jurisprudence est différente lorsque la
dissolution par divorce du premier mariage est prononcée postérieurement à la conclusion du second mariage, V.
contra. Cass. civ. 2ème, 12 février 2015, pourvoi n° 13-19751, Inédit. La Cour de cassation précise que « l'ordre
public international s'oppose à ce que le juge français fasse produire effet à une union célébrée à l'étranger,
avec une ressortissante étrangère, dès lors que le mari, à la date de cette seconde union, était encore dans les
liens d'un premier mariage, contracté en France, avec une ressortissante française, peu important que, douze
ans après cette seconde union, le premier mariage ait été dissout par un jugement de divorce ».
1226
M.-L. Rassat, Propositions de réforme du code de procédure pénale, Rapport remis au Garde des sceaux,
Ministère de la Justice, janvier 1997 [En ligne : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-
publics/974035000.pdf].
341
apprécier l’existence de l’infraction et déterminer la responsabilité des individus en cause,
prendre en compte tous les éléments même extra-pénaux nécessaires. Cela aurait pour effet la
disparition de toutes questions préjudicielles en matière pénale et tendrait à consacrer une
autonomie du droit répressif1227.
Une telle proposition – sans aller jusqu’à préconiser une autarcie illusoire du juge pénal, nous
semble salutaire pour des raisons essentiellement pratiques, en ce qu’elle permettrait de
remédier à la lenteur de la justice criminelle. Appliqué au délit de bigamie, ce raisonnement
conduirait à supprimer cette question préjudicielle civile indue, non posée par le texte en
l’occurrence 1228 . Remarquons d’ailleurs que le principe d’unité de la justice pénale et
civile1229 et l’adage « le juge de l’action est le juge de l’exception »1230 semblent, eux aussi,
converger vers cette suppression.
Outre la conclusion d’un premier mariage valide, le délit de bigamie nécessite matériellement
ensuite la célébration d’une deuxième union – constatée là encore conformément aux règles
de droit civil.
1227
M.-L. Rassat, Propositions de réforme du code de procédure pénale, op. cit. , art. 74 in fine.
1228
En procédure civile par exemple, l’article 49 du code de procédure civile, spécialement l’alinéa 2, prévoit
expressément cette obligation pour la juridiction civil d’avoir recours à une question préjudicielle administrative.
1229
V. sur cette idée M.L. Rassat, Droit pénal spécial. Infractions du Code pénal, 6ème éd., Précis Dalloz, 2011,
p. 765, n°697.
1230
Art. 384 du C. pr. pén qui prévoit que tant que la loi n’en dispose pas autrement, le juge pénal est compétent
pour connaître de toutes les exceptions qui se présenteraient à lui ; V. aussi, B. Lamy, « La portée rétroactive de
la nullité du second mariage empêche la consommation du délit », Dr. fam. 2003, n° 1, comm. 6.
1231
Toulouse, 27 juin 2002, Dr. fam. 2003, n° 1, comm. 6. Un centrafricain s’est marié par procuration en
Centrafrique, alors qu’il était encore engagé dans un premier mariage célébré en France. Le prévenu se prévaut
en appel d’un document intitulé « certificat de nullité établi par le vice consul général de République
Centrafricaine » portant sur la seconde union. La Cour d’appel se prononce en ces termes : « La nullité prenant
naissance au jour de la célébration du mariage et ses effets remontant à cette date, le délit reproché au prévenu
n’est pas constitué et il convient donc d’entrer en voie de relaxe ».
342
validité du second mariage doive elle aussi faire l’objet d’un contrôle, au même titre que le
premier1232. Or, ce contrôle s’opère lui aussi au regard des règles de droit civil.
Précisons d’ailleurs, qu’étrangement, c’est au juge pénal que revient la compétente exclusive
de statuer sur cette validité1233. Cela relance ainsi le débat de l’intérêt de la séparation des
compétences des justices civile et pénale, concernant la validité du premier mariage…
1232
Pour ce contrôle de validité, contrairement à celui du premier mariage, c’est le juge pénal qui a compétence
exclusive en la matière.
1233
Cass. crim., 18 février 1942, préc.
1234
Une partie de la doctrine ajoute à ces trois éléments, l’élément de injuste, pour caractériser l’infraction, V.
not., M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal, Thèse de doctorat,
Université de Montpellier I, 2009.
1235
A. Vitu, Droit pénal spécial, tome 1, Cujas, coll. Traité de droit criminel, 1ère éd., 1982, n°2056 ; M.L.
Rassat, Droit pénal spécial. Infractions du Code pénal, 6ème éd., Précis Dalloz, 2011, n°687 ; B. de Lamy, « La
portée rétroactive de la nullité du second mariage empêche la consommation du délit », Dr. fam. 2003, n° 1,
comm. 6, in fine ; C. Duvert, « Bigamie », J.- Cl pénal 2009, fasc. 20, n° 32 ; Ph. Bonfils, « Bigamie », Rép.
pén. Dalloz 2014, n° 29 ; J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, 6e éd., Paris, Cujas, 2014, n° 548.
1236
C. Duvert, « Bigamie », op. cit., n° 32.
343
réprimé à travers le délit bigamie, ce n’est pas la défense des intérêts particuliers de l’époux
victime, trahi par l’infidélité de son conjoint. Aussi, peu importe la raison pour laquelle le
second mariage serait entaché de nullité. Ce qui importe ici, c’est avant tout la répression de
l’atteinte faite au principe monogamique d’ordre public, c’est-à-dire à l’autorité de l’État. Or,
le seul fait de contracter une deuxième union suffit à produire ce résultat.
298. L’élément intentionnel de la bigamie. – Le délit de bigamie implique que l’agent ait
eu la conscience d’être toujours engagé dans les liens d’un précédent mariage. Dans certains
cas, la jurisprudence accepte d’exonérer de sa responsabilité pénale l’époux de bonne foi, qui
se pensait valablement libéré de son mariage antérieur. C’est le cas par exemple, de celui qui
se prévaut d’une dissolution du mariage par divorce, alors qu’il s’agissait en réalité d’une
simple séparation de corps1237.
Ce délit est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Encourt cette
peine toute personne ayant contracté une deuxième union alors qu’elle se savait tenu par un
premier mariage, mais également l’officier public qui a célébré le second mariage en
connaissant l’existence du premier1238. Le délit de bigamie étant une infraction instantanée, le
délai de prescription de l’action publique de trois ans, commencera à courir au jour de la
célébration du deuxième mariage1239.
1237
Cass. crim., 14 février 1929, DH 1929. 252.
1238
Al. 2, art. 433-20 du C. pén.
1239
Cass. crim., 5 février 1963, Bull. crim., n°65. Certains auteurs voient cependant dans la bigamie également
un état puisque l’infraction est également une infraction permanente, ses effets se prolongeant dans le temps.
Dès lors, il semblerait plus judicieux de reporter le départ de la prescription, non pas à la célébration du second
mariage, mais au jour de la dissolution ou de la nullité d’un des deux mariages ; c’est-à-dire, dans des conditions
permettant de mettre fin à la dissimulation de l’infraction, V. J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, 6e
éd., Paris, Cujas, 2014, n° 552-553.
344
Ainsi, la loi du 3 janvier 1972 relative à la filiation1240, renforçant l’abandon pécuniaire de
famille, tendait déjà à restreindre le fondement même de cette infraction, à la sanction du non-
respect d’une décision de justice. De même, un auteur observait que « le délit d’abandon de
famille sanctionne davantage le mépris d’une décision de justice que la violation d’une
obligation alimentaire »1241. En témoigne, la décision de la Cour de cassation du 2 décembre
1998. Il s’agissait en l’espèce, d’un homme, qui ayant reconnu un enfant naturel, était
demeuré plus de deux mois sans verser en intégralité la contribution aux subsides instituée par
une décision de justice. Par la suite, la mère de l’enfant ayant obtenu judiciairement la
contestation de la reconnaissance, le prévenu sollicitait la révision de sa condamnation. Les
juges de la Haute juridiction estiment cependant que « le délit de famille est constitué dès lors
que le débiteur s’abstient de fournir […] l’intégralité des subsides mis à sa charge par une
décision judiciaire ou une convention judiciairement homologuée. Tout événement ultérieur
modifiant les rapports de famille, ou ayant une incidence directe sur l'existence de
l'obligation alimentaire, ou sur l'étendue de celle-ci, laisse subsister l'infraction »1242. De la
même manière, la Chambre criminelle de la Cour de cassation précise que le fait pour le
prévenu de verser directement à son enfant de l’argent, ne saurait le décharger de l’obligation
de verser la contribution entre les mains de la mère créancière en vertu de la décision de
justice1243. Il importe donc, pour le prévenu, d’observer strictement la décision de justice
établissant à son encontre l’obligation.
En conclusion, ce que vise la répression s’agissant du délit d’abandon, ce n’est plus l’atteinte
à une simple obligation familiale, mais bien une atteinte à la décision de justice posant cette
obligation1244. Là encore, la primauté de la règle civile s’impose au droit pénal dans la
protection qu’il fait de la famille.
1240
Loi n° 72-3 du 3 janvier 1972 sur la filiation, JO du 5 janvier 1972, p. 145 ; A. Bourrat-Guéguen, « Atteintes
à l’adulte », in Droit de la famille, Dalloz Action, 2010-2011, 622.11.
1241
G. Levasseur, « Le délit de famille sanctionne le non-respect d’une décision de justice », RSC 1992. 754.
1242
Cass. crim. 2 mars 1998, pourvoi n° 98-97091, JCP éd. G 1999. I. 160, n°5, obs. T. Fossier ; Dr. fam. 1999,
chron. n°1, comm. D. Rebut. Une telle solution selon Georges Levasseur, a pour objectif d’éviter que les
personnes condamnées pour abandon de famille ne saisissent systématiquement le juge afin de demander la
suppression rétroactive de leur condamnation.
1243
Cass. crim., 26 octobre 2006, Dr. pén. 2006, comm. 19, obs. M. Véron.
1244
J. et A. Pousson, L’affection et le Droit, Toulouse, édition du CNRS, 1990, p. 212 ; A. Gouttenoire-Cornut,
« La répression pénale de l’abandon d’enfant », AJ. Fam. 2002. 245 ; D. Rebut, « L’unique nature de l’abandon
de famille », Dr. fam. 1999, chron. n° 1 ; J. Hauser, « le fondement du délit d’abandon pécuniaire de la famille »,
JCP éd. G 1974. I. 2617.
345
300. La nature de la décision de justice civile exigée. – La jurisprudence pénale semble
adopter une conception souple de la nature de la décision. Dès lors, toute décision civile, qu’il
s’agisse d’une ordonnance ou d’une convention judiciairement homologuée 1245 , peut
constituer la condition préalable. Ainsi, un procès-verbal de conciliation, constaté par le juge,
doit être assimilé à une convention homologuée judiciairement et servir ainsi de fondement à
une poursuite pénale1246. Il en va de même, du contrat notarié établi à l’étranger (Allemagne)
et ayant fait l’objet d’une décision d’exequatur rendue en France1247. La décision doit, de
plus, être exécutoire à la date des faits incriminés1248.
En définitive, ce n’est qu’une fois la décision de justice préalable visée, que le juge pénal
pourra s’atteler à constater la caractérisation des éléments constitutifs de l’abandon
pécuniaire.
1245
S. David et A. Jault, « Infractions révélées par le divorce », in Dalloz référence Droit et pratique du divorce,
2013, chap. 422, n° 422-112.
1246
Cass. crim. 31 mars 1999, pourvoi n° 98-82.372, Dr. pén. 1999, comm. 116, obs. M. Véron.
1247
Pour plus de précisions V. Cass. crim. 29 janvier 2003, pourvoi n°01-88.881, D. 2004, obs. S. Mirabail.
L’auteur estime qu’un acte notarié étranger revêtue de l’exequatur ne peut pas être assimilée à une convention
judiciairement homologuée propre à justifier une répression pour abandon de famille, en vertu du principe
d’interprétation stricte de la loi pénale. De plus, déclarer un acte étranger exécutoire en France n’offre pas au
juge pénal français le même pouvoir de vérification qu’une homologation, celui-ci étant limité au seul contrôle
de la conformité de l’acte à l’ordre public.
1248
Cass. crim. 31 mars 1999, pourvoi n° 98-82.372, Dr. pén. 1999, comm. 116, obs. M. Véron.
1249
Cass. crim., 26 octobre 2006, Dr. pén. 2006, comm. 19, obs. M. Véron.
1250
Cass. crim, 20 mars 1984, Bull. crim. n° 114.
1251
Cass. crim., 3 novembre 1955, JCP 1955. II. 9167, E. M.
1252
Cass. crim., 9 février 1965, Gaz. Pal. 1965, I. 420.
346
possible, à chaque fois que le prévenu aura persisté à ne pas s’acquitter de sa dette pendant un
nouveau délai de deux mois consécutifs1253.
1253
Cass. crim., 2 décembre 1998, pourvoi n° 97-83. 671, D. 2000. 36, obs. Y. Mayaud.
1254
Cass. crim., 27 avril 1984, n° 83-90.595, RSC 1984. 740, obs. G. Levasseur.
1255
Cass . crim. 328 juin 1995, Bull. crim. n° 243.
1256
Crim. cass. 21 mai 1997, Bull. crim. n° 190.
1257
A. Bourrat-Gueguen, « Atteintes à l’adulte », in Droit de la famille, Dalloz Action, 2010-2011, chap. 611, n°
622.42.
1258
Cass. crim. 9 juin 1999, pourvoi n° 98-87.191, Inédit ; Cass. crim. 5 avril 2005, pourvoi n° 04-82. 475, D.
pén. 2005, comm. 104, obs. Véron. ; Sur des faits sensiblement identiques V. Cass. Crim. 28 juin 2000, Bull.
crim. n°250.
1259
V. D. Rebut, « L’abandon de famille (Synthèse annuelle du contentieux) », Dr. fam. 2000, chron. 3, p. 4, in
fine.
347
pénale. De la même façon, cette impossibilité ne doit pas lui être imputable, quand bien même
elle serait indépendante de sa volonté 1260 . Ainsi, ne présente pas d’impossibilité
insurmontable et extérieure, le directeur d’une galerie d’art qui allègue de revenus modestes
incompatibles avec son train de vie quotidien pour échapper à son obligation1261.
302. Le régime de l’infraction. – Le délit d’abandon pécuniaire est puni de deux ans
d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Cette peine principale peut être
accompagnée de peines complémentaires prévues par l’article 227-29 du code pénal.
Également, avant 2002, les articles 227-3 du code pénal et 373, 3° du code civil combinés,
prévoyaient que le parent débiteur de l’obligation alimentaire se voyait privé de l’exercice de
l’autorité parentale sur l’enfant pendant une durée minimum de six mois, lorsque qu’il avait
été condamné pour abandon moral ou pécuniaire de famille. Cette privation durait tant que
l’intéressé n’avait pas recommencé à assumer ses obligations familiales.
Depuis la loi n°2002-305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale1262 modifiant l’article
373 du code civil, le parent ne peut plus se voir retirer, de manière automatique, l’exercice de
l’autorité parentale sur l’enfant1263. Dès lors, le législateur semble avoir fait le choix de
privilégier la subsistance des relations parents-enfants.
Cette dissociation de la sanction civile et de la sanction pénale peut être interprétée de deux
manières. D’une part, elle semble matérialiser un regain d’autonomie de la discipline pénale,
qui se départ de l’emprise civile. D’autre part, on pourrait y voir une confirmation du fait que
l’abandon de famille ne tend pas directement à réprimer l’inexécution d’une obligation
familiale.
1260
D. Rebut, « L’abandon de famille (Synthèse annuelle du contentieux) », op. cit.
1261
Paris, 23 septembre 1998, n° 98/01429, Juris-Data n° 022472.
1262
Loi n°2002-305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale, JO du 5 mars 2002, p. 4161, texte n°3.
1263
Notons pourtant que l’alinéa 2 de l’article 227-3 du code pénal renvoie toujours à l’ancien alinéa 3 abrogé de
l’article 373, V. 227-3 et 373 du C. pén.
348
303. Un fondement préalable commun à la non-représentation et à la soustraction
d’enfant : l’existence d’un droit de réclamer l’enfant. – Les infractions de non-
représentation et de soustraction d’enfant, prévues respectivement aux articles 227-5 et 227-7
et suivants du code pénal, présentent des similitudes. Toutes deux, en effet, s’inscrivent dans
un contexte familial particulier, à savoir l’existence de conflits familiaux faisant suite à la
séparation des parents de l’enfant. Or, ce dernier devient souvent l’otage de discordes inter
conjugales passées ou actuelles. Ces infractions tendent ainsi à protéger ce qu’il reste du lien
familial, afin que l’enfant puisse continuer à jouir de relations affectives avec l’ensemble des
membres de sa famille. Par conséquent, la dimension familiale de ces infractions est
clairement perceptible et aura un impact sur leurs éléments constitutifs et leur répression.
Mais ces infractions possèdent encore un point de comparaison : elles reposent toutes deux
sur l’existence préalable d’un droit objectif à réclamer l’enfant au bénéfice de la victime.
Or, ce droit est reconnu par un titre de nature civile – s’il était nécessaire de le préciser – au
droit de garde de l’enfant, peu importe que celui-ci soit légal ou judiciaire.
Il convient d’envisager dans un premier temps le délit de non-représentation, puis celui de
soustraction d’enfant.
304. L’exigence inavouée d’un titre judiciaire préalable. – S'agissant du délit de non-
représentation d’enfant, l’ancien article 357 du code pénal1264 visait initialement la « non-
représentation », l’ « enlèvement » ou le « détournement » de l’enfant de la garde de la
personne au profit de laquelle, elle avait été décidée, par une décision de justice ou une
ordonnance homologuée1265. Depuis la réforme du Code pénal en 1994, l’article 227-5 ne
mentionne plus le titre en vertu duquel le parent tient son droit de représentation. Aujourd’hui,
le texte a été simplifié. La non-représentation est dorénavant « le refus indu de représenter un
1264
V. pour les modifications successives de la lettre du texte, S. David et A. Jault, « Infractions révélées par le
divorce », in Dalloz référence Droit et pratique du divorce, 2013, chap. 422, n° 422.131 (en note).
1265
V. le texte de l’art. 357 ancien du C. pén. qui fait étrangement penser au délit de soustraction de mineur par
ascendant (art. 227-7) ou par tiers sans fraude ni violence (art. 227-8) : « Quand, par une décision de justice,
provisoire ou définitive, ou par une convention judiciairement homologuée, il aura été décidé que l'autorité
parentale sera exercée par le père ou la mère seul ou par les deux parents ou que le mineur sera confié à un
tiers, le père, la mère ou toute personne qui ne représentera pas ce mineur à ceux qui ont le droit de le réclamer
ou qui, même sans fraude ou violence, l'enlèvera ou le détournera ou le fera enlever ou détourner des mains de
ceux qui exercent l'autorité parentale ou auxquels il a été confié ou chez qui il a sa résidence habituelle, ou des
lieux où ces derniers l'auront placé, sera puni d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de 500
Fr à 30.000 Fr. Si le coupable a été déclaré déchu de l'autorité parentale, l'emprisonnement pourra être élevé
jusqu'à trois ans. »
349
enfant mineur à la personne qui a le droit de le réclamer »1266. Aussi, la jurisprudence est-elle
venue entériner cette clarification législative, par un arrêt du 13 mars 19961267. Une mère était
poursuivie pour non-représentation d’enfant. Les juges du fond ont déclaré la citation à
prévenu nulle en ce que l’acte ne visait pas la décision de justice, source du droit à
représentation. Ils estimaient alors que cela portait atteinte aux intérêts de la prévenue qui
n’était pas en mesure de préparer sa défense dans les meilleures conditions. La Chambre
criminelle a estimé naturellement qu’il n’y avait pas lieu d’ajouter à la loi une condition
qu’elle ne prévoyait pas. En effet, selon elle, « la citation énonçait le fait poursuivi dans [les
mêmes termes que l’article 227-5 du code pénal], lesquels ne précisent pas la nature du droit
en vertu duquel l’enfant doit être représenté ».
D’une part, cette extension du champ d’application du délit de non-représentation permet de
prendre en considération toute personne bénéficiant d’une prérogative juridique sur l’enfant
en vertu d’une loi, qu’elle soit ou non confirmée par décision de justice1268. Il pourra donc
s’agir d’un parent, d’un grand-parent ou encore d’un tiers, puisque « l’existence d’un lien de
parenté entre l’enfant mineur et celui qui a le droit […] de le réclamer, n’est pas exigée par
l’article 227-5 du code pénal »1269. Aussi, se pose la question de savoir si le beau-parent de
l’enfant peut être considéré en tant que victime ou auteur d’un délit de non-représentation.
En principe, cela devrait être envisageable, puisque l’article 377 du code civil donne la faculté
aux père et mère, séparément ou ensemble de saisir, lorsque les circonstances l’exigent, le
juge aux affaires familiales en vue qu’il soit décidé d’une délégation totale ou partielle
d’autorité parentale, à « un proche digne de confiance »1270. D’ailleurs, la Cour de cassation a
déjà eu l’occasion d’octroyer cette délégation d’autorité au profit de la compagne d’une mère
seule, cohabitant avec cette dernière de manière stable et continue1271. Ainsi, à condition que
cela soit conforme à l’intérêt de l’enfant, un concubin ou un partenaire lié par un pacte civil
de solidarité, engagé dans une relation homosexuelle ou hétérosexuelle, pourrait valablement
se plaindre d’une violation de son droit de représentation. Mais, c’est à la condition que le
1266
Art. 227-5 du C. pén.
1267
Cass. crim. 13 mars 1996, Bull. crim. n°114, RSC 1997. 103, obs. Y. Mayaud.
1268
A. Gouttenoire, « Atteinte à l’autorité parentale », Rép. pén. 2003, n°9 (actualisation en 2012).
1269
Cass. crim. 6 octobre 1999, pourvoi n° 98-86.372, Inédit.
1270
Il existe également un mécanisme de délégation-partage instauré par la loi n°2002-305 du 4 mars 2002
relative à l’autorité parentale, V. art. 377-1 C. civ.
1271
Cass. civ. 1ère, 24 février 2006, Bull. civ. I n°101. La Cour estime que l’ « article 377 alinéa 1er, ne s’oppose
pas à ce qu’une mère titulaire de l’autorité parentale en délègue tout ou partie de l’exercice à la femme avec
laquelle elle vit en union stable et continue, dès lors que la mesure est conforme à l’intérêt de l’enfant ».
350
juge aux affaires familiales ait décidé de lui octroyer, conformément à l’intérêt de l’enfant, la
garde de celui-ci1272.
D’autre part, cette extension permet d’affirmer que, d’un point de vue théorique à tout le
moins, l’infraction de non-représentation ne tend pas uniquement à protéger les intérêts de la
justice civile, contrairement à l’abandon pécuniaire de famille. Cependant, dans la pratique, la
disparition de la distinction en fonction de la nature légale ou judiciaire du titre a-t-elle une
réelle incidence ? Il semblerait que non, puisqu’encore aujourd’hui, les juridictions pénales
persistent à relever la violation d’une décision judiciaire exécutoire statuant sur la garde de
l’enfant, pour caractériser le délit. Ainsi, récemment, la Cour de cassation affirmait que « le
délit de non-représentation d’enfant défini par l’article 227-5 du code pénal suppose, pour
être caractérisé en ses éléments constitutifs , qu’à la date des faits retenus par la prévention
la décision ayant statué sur la résidence du mineur ait été exécutoire »1273. Cela laisse à
penser qu’en l’absence d’une telle décision organisant la garde et l’hébergement de l’enfant,
l’infraction ne pourrait être constituée. Et la réponse ministérielle du 10 mars 1993 de
confirmer ce constat, en précisant que, dans le cas d’un exercice conjoint de l’autorité
parentale par les deux parents, c’est-à-dire en présence de prérogatives concurrentes sur la
personne de l’enfant 1274 , une « décision préalable de justice délimitant les droits de
chacun »1275 doit avoir été rendue. Ce n’est que dans l’hypothèse où l’un des parents violerait
les termes de cette décision, en fraude des droits accordés à son conjoint, que des poursuites
pour non-représentation d’enfant pourraient prospérer1276.
S’agissant du délit de soustraction de mineur, les articles 227-7 et 227-8 du code pénal
incriminent le fait par une personne, ascendant ou autre, de soustraire le mineur à l’autorité
des personnes « à qui il a été confié ou chez qui il a sa résidence habituelle ». C’est dire
qu’ici, à l’instar de la non-représentation d’enfant, la soustraction vise une atteinte aux
1272
V. not. art. 371-4 du C. civ., al. 2 : « Si tel est l’intérêt de l’enfant, le juge fixe les modalités des relations
entre l’enfant et un tiers, parent ou non ».
1273
Cass. crim, 14 mars 2012, pourvoi n° 11-85. 421, AJ. Fam. 2012. 279, note M. Lambert ; Cass. crim. 6
octobre 1999, pourvoi n° 98-86.372, Inédit (précité) : « un droit de réclamer le mineur, reconnu par une décision
de justice » .
1274
J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, 5ème éd., Paris, éditions Cujas, 2010, n° 652.
1275
Garde des Sceaux, Rép. min. n° 43854, JOAN Q du 10 mars 1997, p. 1230 [En ligne :
http://questions.assemblee-nationale.fr/q10/10-43854QE.htm].
1276
Garde des Sceaux, Rép. min. n° 43854, op. cit.
351
prérogatives légales ou judiciaires1277 du titulaire de l’autorité parentale. La règle de droit se
trouve donc une fois de plus, soumise à la validation préalable du droit civil.
1277
A. Bourrat-Gueguen, « Atteintes à l’adulte », in Droit de la famille, Dalloz Action, 2010-2011, chap. 611, n°
621.80.
1278
Ensemble art. 108-2 et 413-7 C. civ.
1279
M.- L., Rassat, Droit pénal spécial. Infractions du Code pénal, 6ème éd., Précis Dalloz, 2011, n° 711.
1280
Il pourra s’agir des grands-parents ou du tuteur de l’enfant.
352
détourne de la tutelle exercée par la grand-mère1281. De même, il faudrait admettre que le
parent légitime, naturel ou adoptif puisse être auteur d’une telle infraction.
Dans le second cas de figure, l’article 227-8 du code pénal incrimine le fait de « de soustraire,
sans fraude ni violence, un enfant mineur des mains de ceux qui exercent l’autorité parentale
ou auxquels il a été confié ou chez qui il a sa résidence habituelle ». Que faut-il entendre par
l’expression « personne autres que l’ascendant » ? L’auteur de ce délit ne peut être
l’ascendant du mineur, donc par déduction il peut s’agir d’un tiers, mais également d’un
membre de la famille (frère, sœur, cousins, tante ou oncle). En revanche, la personne à
laquelle l’enfant a été retiré pourrait très bien être un collatéral (frère, sœur, etc.) à condition
que l’autorité parentale lui ait été confiée légalement ou judiciairement.
1281
Cass. crim. 24 mai 1962, D. 1962. 609.
1282 o
Cass. crim. 10 juin 1998, pourvoi n 96-84.340, NP. Un père refuse de ramener le fils à la mère qui a le droit
de le réclamer, en dépit de l’intervention des services de gendarmerie. Les éléments du dossier faisaient état d’un
conditionnement psychologique de la part du père sur l’enfant afin qu’il refuse de retourner chez sa mère.
1283
Cass. crim. 5 novembre 1997, pourvoi n° 95-85.244, NP. Une mère demande à sa sœur d’héberger sa fille la
veille de la venue du père bénéficiaire d’un droit de visite.
1284
Cass. crim. 17 juin 1992, pourvoi n° 91-86.814, Bull. crim. n° 245, RSC 1993.104, obs. G. Levasseur.
353
par le père de son droit1285. On le voit ici, la jurisprudence met à la charge du parent fautif non
pas une simple abstention, mais une véritable obligation de résultat. Cette jurisprudence
aboutirait donc, selon certains auteurs, à sanctionner « une obligation par omission »1286.
L’objectif ici est évidemment d’éviter qu’un des parents, désireux de se venger de son ex-
compagnon, manipule l’enfant en rompant ses relations avec ce dernier. Néanmoins, la preuve
d’un état de danger actuel et imminent pour la personne du mineur1287 peut exonérer le
prévenu de sa responsabilité et justifier son refus de représentation.
S’agissant ensuite de l’infraction de soustraction de mineur, elle nécessite – contrairement au
délit de non-représentation d’enfant – un acte positif. Dans un premier temps, l’acte de
soustraction par ascendant peut être entendu du détournement du mineur de la garde de la
personne à qui elle a été confiée légalement ou par décision de justice. Mais, peut aussi être
pris en compte le défaut de représentation de l’enfant à l’endroit où il a sa résidence
habituelle1288. Dès lors, on le voit, l’infraction de soustraction d’enfant par ascendant et
l’infraction de non-représentation d’enfant précédemment étudiée, décrivent des situations
voisines ; de sorte que, la qualification adéquate sera déterminée par les juges en fonction de
la casuistique1289.
Cette infraction suppose encore un acte positif de déplacement, puisque la soustraction
nécessite un transport de l’enfant en dehors de son lieu de résidence habituelle ou un départ
volontaire de ce dernier de son domicile habituel. Peu importe, par ailleurs, que l’enfant ait
été détourné dans un lieu autre que ceux indiqués dans le texte. Ce lieu peut être le domicile
des parents, des grands-parents de l’enfant, mais également d’un ami ou encore une colonie
de vacance selon la doctrine1290. De plus, en l’absence de précision textuelle, l’ascendant peut
très bien avoir recours à la fraude ou à la violence, peu importe qu’elle ait été exercée sur le
mineur ou sur les personnes auxquelles il était confié. Or, le cas échéant, nous serions en
présence d’un concours de qualification entre l’infraction de soustraction d’enfant et celle
1285
Cass. crim. 29 avril 1976, pourvoi n° 75-93.024, RSC 1976.974, obs. G. Levasseur.
1286
A. Vitu, Droit pénal spécial, tome 1, Cujas, coll. Traité de droit criminel, 1ère éd., 1982, n°2165.
1287
Cass. crim., 3 septembre 1996, Bull. crim. n° 311, RSC 1997. 103, obs. Y. Mayaud.
1288
M.- L., Rassat, Droit pénal spécial. Infractions du Code pénal, 6ème éd., Précis Dalloz, 2011, n° 709 ; V.
aussi Pau, 13 octobre 2011, JCP 2011. 2554, obs. B. Sayous, relativement à la personne qui recueille le mineur
en fugue à son domicile, sans aucune violence ni fraude, pendant plusieurs semaines sans en aviser ses parents.
1289
G. Roujou de Boubée, J. Francillon, B. Bouloc et Y. Mayaud, Code pénal commenté article par article.
Livres I à IV, Dalloz, 1996, p. 462.
1290
J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, 6ème éd., Paris, éditions Cujas, 2014, n° 636.
354
d’enlèvement et de séquestration (article 224–1 du code pénal). Mais, il semble ici que la
règle speciala generalibus derogant doive trouver à s’appliquer1291.
Dans un second temps, la soustraction commise par une personne autre que l’ascendant
présente des similitudes avec son devancier, hormis quelques exceptions. En effet,
contrairement au cas précédent, la soustraction telle que définie par l’article 227-8 n’est pas
accompagnée de fraude ou de violence. Dans le cas contraire, ce sont les infractions de droit
commun d’enlèvement et de séquestration qui trouvent à s’appliquer aux faits. La minorité de
la victime n’est alors plus une condition préalable de l’infraction, mais devient une
circonstance d’aggravation de l’infraction posée à l’article 224-5 du code pénal. Par
conséquent, la constitution de l’infraction prévue à l’article 227-8, exige que l’agent ait fait
appel à une séduction afin d’amener l’enfant à quitter son domicile habituel, sans pour autant
que cette séduction relève uniquement de l’existence de relations sexuelles entre le mineur et
l’auteur1292. De plus, le détournement doit s’inscrire dans le temps. Ainsi, le fait pour un
individu de profiter d’une promenade en voiture pour avoir des relations sexuelles avec une
fille mineure – juste le nombre d’heures nécessaires à la consommation de celles-ci – n’est
pas de nature à constituer une soustraction durable1293, portant atteinte aux droits de garde des
parents sur l’enfant. La jurisprudence exige donc de manière fréquente que le déplacement ait
duré « un certain temps »1294. A la lecture de l’article 227-9 du code pénal, la rétention du
mineur hors de l’autorité des personnes qui ont le droit de le réclamer, pendant une durée de
cinq jours, est un élément d’aggravation des faits de soustraction. Il est possible d’en conclure
que la durée de soustraction doit se compter en terme de jours écoulés, un à deux jours devant
être suffisants pour entrer en voie de répression.
1291
V. Malabat, Droit pénal spécial, 7ème éd., Hypercours Dalloz, 2015, n° 694 ; pour la thèse du cumul
d’infractions, V. J. Pradel et M. Danti-Juan, op. cit., n° 636.
1292
Pour plus de précisions, V. A. Gouttenoire, « Atteinte à l’autorité parentale », Rép. pén. 2003, n°63,
(actualisation en 2012).
1293
Cass. crim. 3 février 1972, Bull. crim. n° 45, RSC 1972.882, obs. G. Levasseur.
1294
V. par ex. Cass. crim., 24 juillet 1957, S. 1958. 1, note L. Hugueney.
355
visite »1295. A, par exemple, l’intention de commettre ce délit, la mère qui produit un faux
certificat médical assurant que l’enfant ne peut quitter sa résidence habituelle pour cause de
maladie1296. Cependant, lorsque c’est par erreur que le parent a cru à bon droit devoir refuser
de représenter l’enfant à son ex-compagnon, il échappe à la répression1297.
La seconde infraction, qu’elle soit commise par l’ascendant ou par un tiers, nécessite une
conscience et une volonté de détournement du mineur de l’autorité des personnes à qui il a
été confié. De manière logique, si l’erreur sur l’âge du mineur permet à un tiers de s’exonérer
de sa responsabilité1298, il semble plus invraisemblable que ce fait justificatif soit invoqué par
l’ascendant du mineur.
306. La répression des infractions. – Ces infractions sont des infractions continues,
puisqu’elles se poursuivent aussi longtemps que l’auteur persévère dans son refus de
représenter l’enfant ou de le soustraire à l’autorité de ses ascendants. L’ascendant, auteur du
délit de soustraction d’enfant (article 227- 7 du code pénal) encourra la même peine que celui
de la non-représentation d’enfant, à savoir un an et 15 000 euros d’amende. Alors qu’en vertu
de l’article 227-8 du même code, le tiers auteur du même comportement se verra puni de cinq
ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. De plus, les trois incriminations
envisagées voient leurs peines aggravées, si le mineur a été retenu plus de cinq jours par
l’auteur des faits considérés ou s’il a été déplacé hors du territoire français1299. Il en va de
même lorsque les faits d’enlèvement ont été commis par une personne déchue de l’autorité
parentale1300.
1295
J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, 6ème éd., Paris, éditions Cujas, 2014, n° 658.
1296
Cass. crim. 28 novembre 1973, Bull. crim. n° 444, RSC 1974.367, obs. G. Levasseur.
1297
Douai, 26 septembre 1996, Dr. pén. 1997, comm. 60, obs. M. Véron ( une mère qui reçoit une interprétation
erronée des conditions de la décision de la part d’un avocat).
1298
Cass. crim., 6 novembre 1963, JCP 1963. II. 13463, note J. Larguier.
1299
Art. 227-9, 1° et 2° C. pén.
1300
Art. 227-10 C. pén.
356
pour sa pérennité la subsistance de corps intermédiaires, encore appelés dès le XIXème siècle,
des institutions1301. Ainsi, cet état de fait peut être synthétisé à travers l’équation suivante :
« Individus + appartenance à un groupe intermédiaire = création du lien social ». Un auteur
exprimait cette réalité par le concept de l’ « intégration par nature » de l’individu dans un
ensemble plus général1302. Dès lors, dès sa conception, l’individu doit appartenir à une entité
le surpassant, imposée ou choisie1303. Or, malgré les chambardements contemporains touchant
à la structure et aux relations familiales, l’institution familiale est le corps primaire
d’appartenance de l’individu. Cette conception sociologique de l’appartenance à l’institution
familiale se retrouve également en droit pénal1304 quant à la préservation du mineur du
délaissement.
308. Le sort du mineur désormais rattaché à celui de la famille dans le Code pénal. –
L’État a l’obligation d’assurer la protection de ses ressortissants mineurs. Cette exigence
simple est tirée, notamment, de l’article 19 de la Convention Internationale des droits de
l’enfant de 1989 disposant que « les états parties prennent toutes les mesures législatives,
administratives, sociales et éducatives appropriées, pour protéger l’enfant contre toute forme
de violence, d’atteintes ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence,
de mauvais traitements […] pendant qu’il est sous la garde de ses parents, de son
représentant légal ou de toute autre personne à qui il est confié ». Cette exigence justifie
donc que soit réprimée pénalement toute atteinte au mineur, qu’elle émane de son ascendant
ou d’un tiers. Mais, cette préservation des intérêts de l’enfant n’est pas nouvelle. Ainsi,
s’agissant du délaissement – antérieurement déjà – le droit pénal interne sanctionnait ce
comportement à l’article 349 ancien du code pénal de 1810.
Initialement, était incriminé aux termes de cet article, « le fait d’exposer, de faire exposer ou
de délaisser ou de faire délaisser, en un lieu solitaire un enfant ou un incapable, hors d’état
1301
C. Cicchelli-Pugeault et V. Cicchelli, Les théories sociologiques de la famille, Paris, La Découverte, 1998, p.
39.
1302
E. Verny, Le membre d’un groupe en droit pénal, Paris, L.G.D.J, 2002, p. 206.
1303
Pour une étude intéressante du sentiment d’appartenance, V. A. Duc Marwood, « Si je t’appartiens,
m’appartiens-tu ? Le sentiment d’appartenance au cours de la vie », Thérapie Familiale, n°1/ vol. 36, 2015, p.
41-53.
1304
D’une manière générale, le sentiment d’appartenance est reconnu en droit pénal, notamment lorsqu’il s’agit
de protéger l’intégrité de la personne contre une discrimination en raison de son appartenance à une ethnie, une
nation, une race ou une religion par exemple (art. 225-1 C. pén.).
357
de se protéger eux-mêmes, à raison de leur état physique ou mental »1305. Ainsi, le droit pénal
protégeait le mineur du délaissement, uniquement en sa qualité de personne vulnérable
nécessitant un traitement spécifique. Il fallut attendre le nouveau code pénal1306 pour que soit
dissociée la protection de l’enfant mineur de celle de la personne vulnérable, au titre de la
répression du délaissement.
Aujourd’hui, le Code pénal compte d’un côté, une infraction générale de délaissement de la
personne hors d’état de se protéger (article 223-3 du code pénal) et d’un autre, plusieurs
infractions de délaissement spécifiques aux mineurs (article 227-1 et suivants du code pénal).
L’infraction générale de l’article 223-3 du code pénal se rapproche sensiblement de
l’ancienne rédaction de l’article 349 abrogé. Le texte vise l’abandon, en un lieu quelconque,
« d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, de son état
physique ou psychique ». A la lecture de l’article 223-3, l’infraction peut concerner tant la
victime mineure que la victime majeure. Le champ d’application de cette nouvelle infraction
est plus large que celui de son prédécesseur, qui restreignait la vulnérabilité de la victime
majeure à son incapacité civile (tutelle, curatelle) et ne définissait pas plus avant le terme
d’« enfant ». Désormais, le texte prend en compte uniquement l’état de vulnérabilité du
mineur ou du majeur victime. Pourtant, s’il convient de saluer la neutralité et la simplification
code pénal, nous avons démontré plus haut que ce dernier n’assure en réalité qu’une
protection relative et inachevée de la personne vulnérable, au titre du délaissement1307.
À côté de cette infraction générale de délaissement, existent de nouvelles formes autonomes
de délaissement de mineur. L’intégration de ces nouveaux comportements délictueux au sein
d’un chapitre VII intitulé « Des atteintes aux mineurs et à la famille » témoigne d’une volonté
législative de matérialiser la nécessaire appartenance du mineur à la cellule familiale,
environnement primaire de l’enfant. Et pour cause, la spécificité de ces différentes
incriminations – étudiées précédemment1308 – réside dans leur nette identité familiale. La
première de ces infractions autonomes est le délaissement de mineur de quinze ans (article
1305
Art. 349 ancien du C. pén.
1306
L’article 349 a été abrogé par la loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992 relative à l’entrée en vigueur du
nouveau code pénal et à la modification de certaines dispositions de droit pénal et de procédure pénale , JO du
23 décembre 1992, art. 372.
1307
V. supra, n°57, pour une étude des disparités de protection entre la personne vulnérable mineure ou majeure
et le mineur de quinze ans.
1308
V. supra, n°57 et 158 et s.
358
227-1) inséré dans une section I « Du délaissement de mineur » qui lui est exclusivement
consacrée. Également peuvent être assimilées à des formes de délaissement les incriminations
d’abandon moral et matériel d’enfant (article 227-17-1), de privation de soins ou d’aliments
(article 227-15 et 227-16), de provocation du mineur à la consommation habituelle et
excessive d’alcool (article 227-19) – contenues elles dans une section V « De la mise en péril
des mineurs ».
359
Cependant, encore faut-il, selon l’article 132-80 du code pénal que l’infraction ait été
commise en raison des anciennes relations ayant existé entre les parties. La Cour d’appel a
rendu une décision fort intéressante à propos de cette condition, le 8 septembre 20081309. En
l’espèce, un homme et une femme mariés pendant vingt-quatre ans, se séparent. Une fois cette
séparation entérinée, la femme embauche son ancien concubin dans l’entreprise qu’elle dirige.
Néanmoins, devant l’absentéisme de l’homme, elle décide de le licencier rapidement. Le jour
de l’entretien préalable, l’homme lui administre un coup de pied aux fesses qui la fait chuter
au sol. Une fois la victime réfugiée dans sa voiture, le prévenu administre un deuxième coup
de pied cette fois dans la carrosserie du véhicule.
Alors que le tribunal correctionnel condamnait l’individu pour violences volontaires par
conjoint ou concubin ayant entraîné une incapacité de travail inférieure à huit jours commises
(article 222-13-6° du code pénal), la Cour d’appel, elle, a estimé que rien ne permettait ici
d’affirmer que les violences étaient en relation avec les anciennes relations entretenues par le
couple, plutôt qu’avec le licenciement. Dès lors, il convenait selon elle de requalifier
l’infraction en simple contravention de violences légères...
La solution retenue par les juges peut laisser l’observateur dubitatif. En effet, si le
licenciement semble être la raison immédiate des violences, elle n’en est pas la seule. Or,
l’article 132-80 du code pénal, s’il exige que l’infraction soit en relation avec les relations
conjugales passées, ne commande pas que ce lien soit direct et exclusif. Aussi, les juges
auraient dû se demander si placé dans une autre situation plus neutre – c’est-à-dire un
entretien de licenciement avec un patron lambda – le prévenu aurait agi de la même façon. Or,
il est fort à parier que son comportement aurait été tout autre...
Notons, par ailleurs, que cette condition légale qui tend à justifier la commission de
l’infraction par l’auteur, en raison de ses anciennes relations avec la victime, traduit en droit
pénal, une reconnaissance du mobile – en principe indifférent – sous la forme d’une
circonstance aggravante.
1309
Toulouse, 3ème ch., 8 septembre 2008, n°07/00566, Dr. pén. 2009, comm. 17, obs. M. Véron.
360
d’infractions de droit commun1310, telles que le meurtre (article 221-4, 9°), l’empoisonnement
(article 221-5 alinéa 3), les tortures et actes de barbarie (222-4, 6°). Les violences volontaires
et agressions sexuelles également sont punies de sanctions plus lourdes, lorsqu’elles sont
commises par le conjoint, concubin ou partenaire1311.
De plus, cette circonstance se voit de plus en plus employée par le législateur, en vue de
définir les éléments constitutifs même de l’incrimination, selon une technique d’incrimination
nouvelle1312.
1310
La loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences
au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, précise dorénavant qu’en plus des délits et
des crimes, la circonstance assortira également les contraventions, V. al. 1er de l’art. 132-80 du C. pén.
1311
V. supra, n°93 et s. ; par exemple, les agressions sexuelles simples (autres que le viol) sont punies de cinq
ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Commises par le conjoint, le concubin ou le partenaire de
la victime, elles seront punies de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende, V. art. 222-27 et
222-28, 7° du C. pén.
1312
V. infra, n° 325 et s.
1313
V. supra, n°140.
1314
Art. 7 de la Loi n°2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage au couple de personnes de même sexe
modifie l’art. 345-1 C. civ en lui ajoutant un 1° bis. Ainsi, en vue du maintien des liens avec l’enfant, l’adoption
plénière de l’enfant du conjoint est autorisée « lorsque l’enfant a fait l’objet d’une adoption plénière par ce seul
conjoint et n’a de filiation établie qu’à son égard ».
361
d’auteur de l’ascendant étudiée ci-dessous, employant l’expression plus neutre d’ « ascendant
adoptif ». Cela pose un problème d’harmonisation et de cohérence de l’arsenal pénal.
Lorsque l’ascendant est l’agresseur, l’état du droit pénal est tout autre. En effet, contrairement
à la criminalité encore méconnue contre les personnes âgées, celle contre les mineurs mobilise
la compétence des pouvoirs publics depuis de nombreuses années1315. De ce fait, les actes
commis par l’ascendant sont sévèrement réprimés.
Les circonstances aggravantes relatives à la qualité de la victime – le « mineur de quinze
ans », et à la qualité de l’auteur – l’ « ascendant ou toute autre personne ayant autorité sur le
mineur », assortissent les infractions selon deux modalités : cumulative ou concomitante.
De manière cumulative, le lien familial existant entre l’auteur et la victime ne sera source
d’aggravation de la peine que s’agissant du mineur de quinze ans, au détriment de la victime
mineure plus âgée. Seule la circonstance décontextualisée de l’état de vulnérabilité de la
victime à raison de son âge permettrait de viser le mineur de plus de quinze ans, alors même
que l’infraction aurait été perpétrée par l’ascendant de l’adolescent. Pour illustration, les
tortures et actes de barbarie seront punis de trente ans de réclusion criminelle1316 lorsqu’elles
auront été commises sur un mineur de quinze ans par un ascendant légitime, naturel ou
adoptif ou par toute autre personne ayant autorité sur le mineur (article 222-3, alinéa 3 du
code pénal). Cela se vérifie encore concernant les violences volontaires aggravées (articles
222-8 alinéa 2 et suivants du code pénal).
De manière concomitante, ces circonstances peuvent être prononcées simultanément, mais
aussi séparément. Ainsi, l’article 222-4 du code pénal listant les circonstances aggravantes du
viol ne cumule pas la qualité d’ascendant de l’auteur et la minorité de quinze ans. Il est donc
tout à fait possible de prononcer des peines aggravées pour les faits qui auraient été commis,
par l’ascendant, sur son enfant mineur âgé de plus de quinze ans. Mais également, dans
l’hypothèse d’un viol imposé par l’ascendant à son enfant de quinze ans, ces deux
circonstances pourront valablement être juxtaposées.
1315
A. Bourrat-Gueguen, « Atteintes à l’adulte », in Droit de la famille, Dalloz Action, 2010-2011, chap. 611, n°
612. 21 : Depuis 1983, des campagnes de sensibilisation sont menées sur les mauvais traitements à enfant, en
direction de la population.
1316
Les tortures et actes de barbarie sont punies de quinze ans de réclusion criminelle, V. Art. 222-1 du code
pénal.
362
Cependant, il convient de constater que certaines incriminations ne prévoient pas la
circonstance liée à la qualité d’ascendant de l’auteur ; si bien que seule la circonstance relative
à la minorité de quinze ans permettrait d’aggraver la sanction. En effet, depuis l’entrée en
vigueur du Code pénal de 1994, le crime spécifique d’infanticide a été purement et
simplement abrogé1317. Ainsi, concernant les infractions de meurtre (article 221-4 du code
pénal) et d’empoisonnement (article 221-5 alinéa 3), aucune circonstance liée à la qualité de
l’ascendant n’est posée.
313. La clémence du juge en présence d’un lien familial entre l’auteur et la victime. –
Si l’existence du lien familial entre l’agresseur et sa victime justifie généralement une
aggravation de la sanction pénale, il arrive au contraire qu’elle l’atténue.
Dans cette hypothèse, contrairement aux immunités familiales étudiées ci-après 1318 , la
présence de la famille ne fait pas échapper le fait délictueux au procès pénal. Néanmoins, en
raison du lien affectif fort existant entre les protagonistes, le juge pourra faire preuve
d’indulgence vis-à-vis de l’auteur. Nous l’avons vu, c’est le cas quant à la répression du crime
passionnel par exemple 1319 . Mais, cela est encore vrai s’agissant de la répression de
l’euthanasie, lorsque celui qui a mis fin prématurément aux jours d’un membre de sa famille,
a agi par amour et par compassion.
1317
A. Lepage et H. Matsopoulou, Droit pénal spécial, Paris, Thémis droit, 2015, p. 50, n° 74 ; J. Larguier, P.
Conte et S. Fournier, Droit pénal spécial, 15ème éd., Paris, Dalloz, 2013, p. 15.
1318
V. infra, n°317 et s.
1319
V. supra, n°145.
363
À ce propos, un auteur parlait d’ « obscurité sémantique »1320. En effet, elle n’est pas une
notion juridique. Autant dire que l’étude de ce thème n’est pas originellement de l’apanage du
juriste et encore moins du pénaliste1321. Étymologiquement, le mot provient de «eù » qui
signifie le bien et de « thanatos » qui désigne la mort. Aussi, pourrait-on définir l’euthanasie
par référence à la « bonne mort », à la « douce mort »1322. Dans son sens premier, elle ne
consistait donc pas à donner la mort, mais à garantir, à une personne souffrante, une certaine
qualité de vie avant son décès.
Aujourd’hui, le sens de la notion a évolué. L’euthanasie est désormais admise comme l’acte
délibéré d’un tiers, qu’il soit médecin ou particulier, tendant à écourter la vie d’une personne
gravement malade, en vue de la soulager1323. Deux formes d’euthanasie sont communément
distinguées. La première – active – consiste dans l’acte de donner la mort à la personne
souffrante. Il pourra par exemple s’agir de l’injection d’une substance mortifère. La deuxième
– passive – consiste dans l’interruption des soins et moyens mis en place pour assurer la
survie du malade1324. Toutefois, s’agissant de cette dernière hypothèse, il ne faudrait pas s’y
méprendre. Le terme « passif » n’a pas en l’espèce la conception que les pénalistes lui prêtent
classiquement. En effet, l’euthanasie ne peut être qu’un acte positif, de sorte qu’une
abstention ne peut jamais être constitutive de celle-ci1325. À ce titre, il convient de ne pas
confondre l’interruption ou arrêt délibéré des soins – caractérisant l’euthanasie – et
l’abstention de soins1326. En cas d’abstention volontaire de soins garantissant la survie du
malade, c’est la qualification de non-assistance à personne en danger (article 223-6 du code
pénal) qui sera retenue1327.
1320
A. Prothais, « Accompagnement de la fin de vie et droit pénal », JCP éd. G. 2004. I. 130.
1321
Cette question a davantage été étudiée par les philosophes et les moralistes que par les juristes, V. E. Dunet-
Larousse, « L’euthanasie : signification et qualification au regard du droit pénal », RDSS 1998, p. 265.
1322
E. Dunet-Larousse, op. cit., p. 265.
1323
E. Dunet-Larousse, ibidem., p. 266.
1324
C. André, « Euthanasie et droit pénal : la loi peut-elle définir l'exception ? », RSC 2004. 43.
1325
G. Bousquet, Contribution à une étude juridique du meurtre en série, Thèse de doctorat, Université
Montpellier, 2011, p. 232 ; N. Aumonier, B. Beignier et Ph. Letellier, L’euthanasie, 7e éd., PUF, coll. Que Sais-
je ?, 2016, p. 8 ; C. André, op. cit, p. 43.
1326
Pour confirmation, E. Dunet-Larousse, ibidem, p. 268.
1327
Néanmoins, concernant le corps médical plus particulièrement, l’obligation d’éviter tout acharnement
thérapeutique qui lui incombe, semble faire obstacle à une telle qualification. En effet, dans cette hypothèse,
l’abstention de soins supplémentaires lourds s’apparente davantage à un respect de toute personne à mourir
paisiblement, V. Art. L. 1110-5-1 du CSP modifié par la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux
droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, prévoit que : « les actes médicaux ne doivent pas être
mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent
inutiles, disproportionnés ou lorsqu'ils n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être
364
315. L’euthanasie, une répression entre sévérité législative et clémence judiciaire. –
Alors que le législateur fait preuve de sévérité quant à la pénalisation de l’euthanasie, la
pratique jurisprudentielle, elle, semble – tel un balancier – consentir à davantage de
mansuétude.
En droit pénal français, l’euthanasie ne constitue pas une infraction autonome spécifique,
parce que difficilement saisissable d’un point de vue juridique. Afin de pénaliser tout de
même l’acte d’euthanasier, la loi pénale a dû prévoir un cadre répressif rigoureux. Ainsi,
parce qu’elle porte atteinte à la vie d’autrui, l’euthanasie a été rattachée aux qualifications
préexistantes d’homicide volontaire (article 221-1 du code pénal), d’assassinat lorsqu’elle est
commise avec préméditation (article 221-3 du code pénal) ou d’empoisonnement (article 221-
5 du code pénal). Or, les peines assignées à ces incriminations sont particulièrement sévères.
En effet, circonstances aggravantes mises à part, le meurtre et l’empoisonnement sont punis
de trente ans de réclusion criminelle et l’assassinat de la réclusion à perpétuité.
En somme, il semble que le législateur pénal s’efforce de réprimer le plus objectivement
possible l’euthanasie, en dépit de l’identité de l’auteur et de la victime, ainsi que de la nature
des liens qui les unissent. La pénalisation de l’euthanasie se justifie par une indifférence du
consentement de la victime à l’acte et une indifférence des mobiles de l’auteur, peu importe –
au demeurant – que ces derniers soient légitimes ou honorables.
Le raisonnement des juridictions pénales est diamétralement opposé, puisqu’en effet, c’est la
prise en considération de ces éléments qui les pousse à faire preuve d’indulgence dans le
prononcé de la peine. Ainsi, la jurisprudence différencie une atteinte ordinaire à la vie, d’une
atteinte à la vie infligée en raison d’une euthanasie. Et, en particulier lorsqu’auteur et victime
sont liés par des liens familiaux, le traitement judiciaire de l’euthanasie paraît plus complexe,
moins mécanique.
suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient » ; Pour une invalidation de la
qualification de non-assistance, V. Cass. crim., 3 janvier 1973, « Gatineau », pourvoi n° 17-91.820, Bull. crim.
n° 2. En l’espèce, un médecin s’était abstenu de prescrire des soins à une patiente, décédée dans la journée même
de son hospitalisation. Les juges estimèrent que le prévenu n’avaient commis aucune faute et que ni le délit de
non assistance à personne en péril, ni celui d’homicide involontaire, ne pouvait être retenu contre lui, « en raison
du refus obstiné voire agressif de la femme ».
365
Ainsi, fréquemment les Cours d’assises acquittent les responsables d’actes euthanasiques1328
ou prononcent à leur encontre des peines minimales ou symboliques compte tenu de la gravité
de l’infraction commise1329. Une affaire toute récente et particulièrement médiatisée, atteste
de cette clémence de la justice pénale face à l’euthanasie. Laurence Nait Kaoudjt est accusée
d’avoir, en 2010 à Saint-Malo, assassiné sa petite fille Méline âgée de huit ans et gravement
handicapée, avant d’attenter en vain à sa propre vie. Lors du procès en assises, l’ambiance est
lourde. Les jurés ne parviennent pas à déterminer s’il est question d’un véritable assassinat
euthanasique désespéré1330 commis par une mère pleine d’empathie envers la souffrance de
son enfant ou s’il s’agit au contraire d’un infanticide délibéré commis par une mère instable
psychologiquement, narcissique et omnipotente1331. La mère est en effet vue comme une
« mère ventriloque qui remplissait sa fille de désirs et de paroles »1332. Pourtant – comme
souvent en présence d’une espèce aussi délicate – la Cour d’assises fera preuve de prudence
et décide de condamner la mère à cinq ans d’emprisonnement avec sursis1333.
Mais, les juges pénaux avaient déjà été plus loin pour excuser l’acte euthanasique, à
l’occasion de la célèbre affaire Humbert1334. Vincent Humbert était un jeune pompier de
vingt-trois ans. À la suite d’un grave accident de la circulation, il est devenu tétraplégique. Il
1328
V. J. et A. Pousson, L’affection et le Droit, Toulouse, édition du CNRS, 1990, p. 215 ; C. assises Maine-et-
Loire, 14 juillet 2006, inédit : M. Morten veille aux côtés de son épouse atteinte d’un cancer incurable. Il décide
de mettre fin aux jours de sa femme après un rituel empli de compassion (pétales de roses posées sur le lit
d’hôpital, peluche déposée dans les bras de la femme) par injection de tranxène. La famille de l’épouse confirme
la volonté de cette dernière de mourir et accorde son pardon à l’accusé. La Cour d’assises acquitte l’intéressé. V.
S. Blanchard, « Un mari poursuivi pour l’euthanasie de sa femme est acquitté à Angers, Le Monde, 16 juin 2006,
p. 12 ; Pour un exemple d’affaire plus ancienne, C. Assises Liège, 5 novembre 1962 : J. Paulus et J. Rozet, Le
procès de la Thalomide, Ed. Gallimard, Coll. Témoignages, 1963, p. 13 sq. Deux avocats narrent le procès de
leur cliente Mme. Coipel épouse Vandeput, accusée d’homicide volontaire sur sa petite fille. L’enfant est né avec
de graves malformations (absence de bras et d’avant-bras, embryons de mains fixées directement au buste) dues
à la thalidomide médicament ingéré par la mère en début de grossesse. Attristé par la situation de la famille, le
médecin fournit à la mère de l’enfant des barbituriques. Tous les accusés furent acquittés en assises.
1329
A. Prothais, « Notre droit pénal permet plus qu’il n’interdit en matière d’euthanasie », JCP éd. G n° 18, 2
Mai 2011, doctr. 536, p. 884-885 ; C. assises Yvelines, 15 décembre 2008, inédit : après un premier acquittement
en 2008, Mme Debaine mère d’une jeune fille de vingt-sept ans, handicapée physique et moteur, était
condamnée en appel à deux ans d’emprisonnement avec sursis pour assassinat. Face aux souffrances de sa fille,
elle avait abrégé la vie de cette dernière, avant de tenter de se suicider : V. Agence France Presse (AFP),
« Acquittée après avoir tué sa fille handicapée, elle est rejugée », Le Parisien, 15 décembre 2008.
1330
L’accusée emploie le terme « un geste d’amour » pour qualifier son acte.
1331
C. assises Ile-et-Vilaine, 15 septembre 2015, inédit : P. Robert-Diard, « Le procès d’une mère entre détresse
et toute-puissance », Le Monde, 15 septembre 2015.
1332
P. Robert-Diard, « Le procès d’une mère entre détresse et toute-puissance », Le Monde, 15 septembre 2015 ;
S. Durand-Souffland, « Acte d’amour ou meurtre : l’émouvant procès d’une mère qui a tué sa fille handicapée »,
Le Figaro, 14 septembre 2015.
1333
Anonyme, « Assises de Rennes : la mère qui a tué sa fille handicapée n’ira pas en prison », Le Parisien, 15
septembre 2014.
1334
A. Prothais, « Notre droit pénal permet plus qu’il n’interdit en matière d’euthanasie », op. cit., passim.
366
avait adressé, en vain, à l’ex-Président de la République, Jacques Chirac, une lettre lui
demandant de lui octroyer le droit de mourir. À sa demande, sa mère avait injecté dans sa
sonde gastrique des barbituriques censés lui donner la mort, sans y parvenir. Le 26 septembre
2003, le docteur Chaussoy administrait au patient du chlorure de potassium et débranchait son
respirateur artificiel. La mère et le docteur ont été tous deux placés en examen, pour
administration de substances nuisibles pour la première et empoisonnement avec
préméditation pour le deuxième. Pourtant, de manière étonnante, le juge d’instruction Anne
Morvant a estimé – en vue de motiver son ordonnance de non-lieu – que les intéressés avaient
été placés dans une situation de contrainte morale interne tenant notamment à la pression
médiatique. Cependant, en ne caractérisant pas plus avant les conditions d’insurmontable et
d’imprévisibilité, le juge avait rompu les préceptes jurisprudentiels et doctrinaux traditionnels
relativement à l’interprétation stricte de l’article 122-2 du Code pénal.
Dans tous les cas, le bouleversement qu’avait provoqué cette affaire, chez les juristes et les
non juristes, était sans précédent. Son retentissement médiatique fut tel qu’elle a amené les
pouvoirs publics à débattre en profondeur du bien-fondé d’une dépénalisation de
l’euthanasie1335.
1335
Il existait une rupture évidente entre l’opinion, favorable à la légalisation d’un droit de mourir dignement, et
la législation interne qui persistait à le pénaliser. En outre, il était reproché au système médical de se préoccuper
plus des maladies que des malades, V. L. Puybasset, « Faut-il légaliser l’euthanasie », D. 2007. 1328. Or, à partir
du moment où la norme sociale et la norme juridique ne sont plus en adéquation, le débat législatif et politique
devient inévitable ; Pour un approfondissement, V. les propositions de loi en rapport avec la question de la
dépénalisation de l’euthanasie, déposées dès 1978, Sénat, Proposition de loi n° 301, relative au droit de vivre sa
mort, de H. Caillavet, enregistrée à la Présidence du Sénat le 6 avril 1978 ; Sénat, Proposition de loi n°215,
relative au droit de mourir dans la dignité, de P. Biarnes, enregistrée à la Présidence du Séant le 13 février 1997 ;
Sénat, Proposition de loi n°166, relative au droit de mourir dans la dignité, de P. Biarnes, enregistrée à la
Présidence du Séant le 26 janvier 1999 ; Sur la création d’un Comité consultatif national d’éthique (CCNE), V.
Avis n° 63 du Comité consultatif national d’éthique, « Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie », 27 janvier 2000. Il
fallut attendre l’adoption de la loi Léonetti, puis de la loi Claeys-Léonetti pour noter certaines avancées dans la
prise en charge de la fin de vie, V. Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 dite « Léonetti » relative aux droits des
malades et à la fin de vie, JO du 23 avril 2005, p. 7080 ; Loi n°2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux
droits pour les personnes malades en fin de vie, JO du 3 février 2016.
367
répression et ses conséquences. D’un côté, cela dénote une certaine reconnaissance du groupe
– en tant que tel – par le droit pénal, voire son cautionnement. En effet, le droit pénal ne se
contente pas de protéger le groupe familial. Il semble également témoigner à son égard de la
retenue, un certain respect, voire même un certain soutien. D’un autre côté, nous le verrons,
cette intégration pénale du groupe familial n’est pas toujours choisie, mais subie par le droit
pénal1336. En effet, il convient de garder présent à l’esprit que lorsque l’entité familiale fait
écran au droit répressif, elle contribue dans le même temps à priver un ou plusieurs de ses
membres d’une protection effective et à renforcer l’agresseur dans son sentiment
d’omnipotence.
Ces atteintes à l’action du droit pénal sont qualifiées d’immunités familiales définies comme
« les exceptions à la recevabilité de l’action publique, pour des raisons de décence, tenant
aux rapports de parenté ou d’alliance entre l’auteur et la victime de l’infraction »1337. Ces
immunités empêchent de sanctionner pénalement les faits1338. Cependant, il existe parmi elles
des immunités qui consistent à neutraliser la répression et d’autres qui ont seulement pour
conséquence d’entraver les poursuites de l’infraction1339.
Ainsi, deux mouvements d’intégration de la cellule familiale par la loi pénale sont à
dissocier : soit, la première fait purement et simplement obstacle à la deuxième (A); soit, elle
entrave ou complique l’action normale de celle-ci (B).
1336
V. Infra, n° 245 et s.
1337
R. Guillien et J. Vincent, Lexique des termes juridiques, 22ème éd., Dalloz, 2014, « Immunité ».
1338
C. Mascala, « Escroquerie », Rép. pén. 2001, n° 197 (actualisation octobre 2014).
1339
Edouard Verny distinguait les « immunités-irresponsabilité » et les « immunités-irrecevabilité », E. Verny,
Le membre d’un groupe en droit pénal, Paris, L.G.D.J, 2002, p. 214, n°374.
368
S’agissant de la première immunité, l’article 311-12 du code pénal prévoit que le vol ne peut
donner suite à des poursuites pénales lorsqu’il est commis au sein de la famille. Pendant
longtemps, cette impunité était absolue et portait sur tous les biens de la victime, en l’absence
de précision textuelle. Depuis la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la
répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, cette immunité a
été restreinte, car une exception a été ajoutée. Dorénavant, l’alinéa 2 de l’article 311-2 prévoit
que lorsque le vol porte sur les moyens de paiement de la victime ou sur les différents
documents lui permettant d’attester de son identité, l’immunité devient inefficace et la peine
est encourue. En effet, ces objets et moyens sont « indispensables à la vie quotidienne » de
tout un chacun. Remarquons, toutefois, que le Code pénal ne prévoit aucune aggravation de la
peine lorsque ces faits commis par un membre de la famille tomberont finalement sous le
coup de la loi pénale. Ainsi, ce vol sera puni de la même façon que celui commis par un
inconnu. De plus, toujours à la faveur de la loi du 4 avril 2006, l’immunité a été étendue,
selon les mêmes conditions, aux infractions d’extorsion (article 312-9 du code pénal), de
chantage (article 312-12 du code pénal), à l’escroquerie (313-3 du code pénal) et à l’abus de
confiance (article 314-4 du code pénal).
318. Les personnes concernées par ces immunités. – Les immunités précitées bénéficient
à un nombre restreint de personnes. En effet, ne sont intéressés que les ascendants et
descendants en ligne directe, et les conjoints à moins qu’ « ils soient séparés de corps ou
autorisés à résider séparément », selon l’article 311-12 du code pénal. On le voit, la
conception qu’a le droit pénal de la famille apparaît étroite, au titre des immunités familiales.
Mais cela n’a pas toujours été le cas. Ainsi, l’ancien article 380 du code pénal étendait
volontiers l’immunité familiale aux veufs, s’agissant des choses ayant appartenues à l’époux
décédé, mais également aux alliés du 4e degré qui avaient commis les vols durant la durée du
mariage ou en dehors des périodes où les conjoints vivaient séparément. Cette acception large
et exagérée de la cellule familiale a donc été remplacée par une conception plus cohérente et
réaliste de cette dernière. Par ailleurs, il convient de remarquer que l’article 311-12 du code
pénal ne vise toujours pas les concubins et partenaires pacsés. Cela peut paraître étrange en
regard de la refonte du Code pénal dans le sens d’une plus grande tolérance vis-à-vis des
369
différentes formes de conjugalité. Pourtant, elle peut s’expliquer compte tenu des raisons qui
fondent le principe de l’immunité familiale.
321. Généralités. – Nous l’avons vu, la criminalité familiale aux formes multiples a cette
particularité de ne pas être dénoncée aisément1344. L’omerta qui règne dès lors autour des
violences intrafamiliales conduit à une impunité totale d’actes atroces souvent réitérés. Cette
réticence à la révélation de l’horreur propre à la famille tient à l’existence de relations
autrement plus complexes et troubles que celles qui ont cours entre des particuliers lambda.
Ces relations difficiles à démêler et à rationaliser paralysent considérablement la bonne
marche des services de police, de justice et des acteurs sociaux.
322. Les immunités familiales entravant la poursuite des infractions. – Parfois, les
pouvoirs publics doivent faire le sacrifice de laisser impunis certains faits pourtant
répréhensibles, et portant une atteinte considérable aux intérêts de l’Etat et à l’autorité de la
justice pénale. Dans cette hypothèse en effet, les témoins qui auraient permis de faire la
lumière sur la commission d’une infraction bénéficient d’un droit de se taire. Ainsi, l’article
434-1 du code pénal, intégré au sein d’une section intitulée « Des entraves à la saisine de la
justice », prévoit que les parents en ligne directe, les frères et sœurs de l’auteur ou du
complice d’un crime n’ont pas l’obligation de le dénoncer. Cette faculté de non-dénonciation
est également accordée aux conjoints des membres de la famille énumérés précédemment,
mais aussi au conjoint de l’auteur ou du complice de l’infraction, ou à « la personne qui vit
notoirement en situation maritale avec lui ». Ce dernier cas semble devoir faire allusion au
concubinage et au PACS. L’expression « vivre notoirement en situation maritale » suppose
qu’il existe une exigence de cohabitation entre l’auteur ou complice, et son partenaire ou
concubin.
1344
V. supra, n°192.
371
Toutefois, selon cet article, cette immunité ne joue pas lorsque le crime considéré est commis
sur un mineur1345. Ce faisant, le législateur rappelle ici la hiérarchisation qu’il opère entre
l’intérêt de la famille et la solidarité familiale (la valeur sacrifiée) et l’intérêt de l’enfant (la
valeur privilégiée).
En revanche, depuis la loi n°2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime
organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la
procédure pénale, cette immunité ne joue plus lorsque le crime visé constitue un acte
terroriste, portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation (article 434-2 du Code
pénal).
L’immunité susvisée joue encore, selon les mêmes conditions, s’agissant du recel de criminel
(article 434-6 du code pénal), c’est-à-dire le fait de loger, verser des subsides ou de fournir
tout autre moyen d’échapper aux poursuites pénales à l’auteur ou au complice d’un crime ou
d’un acte de terrorisme. Il en va de même du refus de témoigner au profit d’une personne que
l’on sait innocente afin de protéger l’auteur ou le complice, membre de sa famille, prévu par
l’article 434-11 du code pénal.
1345
Avant la loi du 14 mars 2016, le texte précisait « sur un mineur de quinze ans », V. Art. 45, L. n°2016-297
du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant.
1346
C. Pomart-Nomdédéo, « Droit pénal et droit de la famille, les liaisons dangereuses », D. actualité, 9
septembre 2010, étude 20, n°2.
372
pas tant au caractère récent ou non de ces incriminations, mais davantage à leur technique
d’incrimination particulière.
Ainsi, de manière traditionnelle, l’incrimination pénale est marquée par son objectivité. Ainsi,
les incriminations ordinaires1347 ou dites « incriminations vitales », « roulant de loi en loi,
depuis le fond des âges »1348, telles que le meurtre, les violences, le vol ou l’empoisonnement
par exemple, sont décrites selon un précepte infractionnel – c’est-à-dire la partie expressive de
l’infraction – formulé de manière impersonnelle. En effet, dans la définition des actes
pénalement répréhensibles, les notions d’auteur et de victime doivent être appréciées
largement. Aussi, le vol est-il la « soustraction de la chose d’autrui »1349, le meurtre, « le fait
de donner la mort à autrui volontairement »1350 et les violences volontaires, les coups portés
et autres actes de violences commis volontairement par « toute personne » 1351 . Par
conséquent, il importe peu que soit connue l’identité des protagonistes de l’infraction, à
condition qu’il soit acquis qu’il s’agit d’au moins deux personnes humaines, l’une ayant causé
un dommage matériel, physique, psychique ou mortel à l’autre. Dès lors, ce sont les
circonstances aggravantes qui permettent de viser expressément la qualité de la victime ou de
l’auteur de l’infraction. Les incriminations de droit commun, telles que les violences
volontaires ou les agressions sexuelles, adaptées à la sphère familiale par le biais de la
circonstance aggravante prévue à l’article 132-80 du code pénal1352 n’échappent pas plus à
cette règle.
Ce constat de l’objectivité peut encore être fait concernant, des incriminations ancestrales
telles que l’abandon pécuniaire de famille, la bigamie, la non-représentation et la soustraction
d’enfant, précédemment décrites. Ces incriminations, bien que d’emblée adaptées à la famille,
protègent un cadre familial – pris dans son ensemble – rationnel et objectif.
Toutes ces infractions, qui connaissent des réformes législatives successives, sont les
composantes d’un système infractionnel « autopoïétique »1353, c’est-à-dire qui se régénère
1347
Ces infractions existaient déjà dans le Code pénal de 1810.
1348
J. Carbonnier, Sociologie juridique, Paris, PUF, 1978, p. 399.
1349
Art. 311-1 du C. pén.
1350
Art. 221-1 du C. pén.
1351
Dans sa rédaction initiale, anc. art. 309 et s. du C. pén. «Toute personne qui, volontairement, aura porté des
coups ou commis des violences ou voies de fait […] ».
1352
V. supra, n° 93 et s.
1353
Pour plus de précisions sur le théorie de l’autopoïèse, V. F. J. Varela et H. R. Maturana, « Autopoiesis : The
organization of the living », in Autopoiesis and Cognition, Reidel, 1973 ; pour une définition de l’autopoïèse, V.
F. J. Varela, Autonomie et connaissance. Essai sur le vivant, Paris, Le Seuil, 1989, p. 45 ; L. Quéré,
373
continuellement et en interaction simultanée avec son environnement. D’âge en âge, elles ont
vocation à s’appliquer de manière générale au plus grand nombre de cas d’espèces.
« Présentation », Réseaux, vol. 9, n°50, 1991, p. 8 : « Un système autopoïétique est organisé comme un réseau
de processus de production de composants qui a) régénèrent continuellement par leurs transformations et leurs
interactions le réseau qui les a produits, et qui b) constituent le système en tant qu’unité concrète dans l’espace
où il existe, en spécifiant le domaine topologique où il se réalise comme réseau ».
1354
J. Carbonnier, Sociologie juridique, op. cit., p. 399.
1355
V. Y-J. Ratineau, « La privatisation de la répression pénale », RSC 2014. 883 ; X. Pin, « La privatisation du
procès pénal », RSC 2002. 245 ; J.-B. Thierry, « L ‘individualisation du droit criminel », RSC 2008. 59 ; F. Alt-
Maes, « La contractualisation du droit pénal. Mythe ou réalité », RSC 2002. 501 ; P. Salvage, « Le consentement
en droit pénal », RSC 1991. 699 ; notamment, s’agissant des écrits sur la sacralisation de la victime, sa
réémergence et sa place croissante dans le procès pénal : V. J. Vérin, « Une politique criminelle fondée sur la
victimologie et sur l’intérêt des victimes », RSC 1981. 895, A. Decocq, « L’avenir funèbre de l’action
publique », in L’avenir du droit. Mélanges en hommage à François Terré, Paris, Dalloz, PUF, éd. J.-Cl., 1999, p.
781 ; R. Cario, « La justice restaurative : Vers un nouveau modèle de Justice pénale ?», AJ pénal 2007, p. 373 ;
R. Cario, Victimologie. De l’effraction du lien intersubjectif à la restauration sociale, 4e éd., L’Harmattan, 2012,
374
droit criminel » 1356 c’est-à-dire « l’adaptation, non plus seulement de la peine, mais des
règles du droit criminel dans leur ensemble, au phénomène délictuel et à ceux qui en sont les
acteurs »1357. Or ce phénomène d’individualisation impacte en grande partie la création des
incriminations pénales actuelles. Ainsi, la sophistication et la diversification de la délinquance
ont conduit le législateur à fixer de nouvelles incriminations et peines en vue d’apporter une
réponse pénale à des comportements frauduleux jusqu’alors mal appréhendés ou ignorés. Dès
lors, en vertu des principes de légalité criminelle posé par l’article 111-3 du Code pénal et
d’interprétation stricte de la loi pénale énoncé à l’article 111-4 dudit code, pèsent sur le
législateur certaines obligations. Il s’agit de celle de veiller à l’existence d’un texte visant
expressément les faits incriminés d’une part, et de celle de produire un texte de qualité, c’est-
à-dire clair, accessible et prévisible d’autre part. Ceci permet au juge de l’appliquer
efficacement aux cas d’espèces qui lui seront soumis sans avoir à recourir à une interprétation
hasardeuse de la loi pénale.
spéc. p. 18. Idem pour le délinquant, V. quelques exemples de la protection de ses droits et intérêts avec la loi
pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009, JO du 25 novembre 2009, p. 20192, spéc. chap. III ; loi n°
2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, JO du 15 avril 2011, p. 6610 ; loi n° 2014-896 du 15 août
2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, JO du 17 août
2014, p. 13647.
1356
V. J.-B. Thierry, op. cit., passim.
1357
J.-B. Thierry, Ibidem, p. 60.
375
de droit commun préexistante. Mais, afin de signifier l’importance de la valeur qu’elles
protègent, le législateur décide de les ériger en infractions indépendantes, plutôt qu’en simple
circonstance aggravante. Toutefois, la méthode d’incrimination employée semble confuse et
aboutit souvent à certaines maladresses et contradictions dans la conception des infractions.
Une incrimination familiale nouvelle fournit une illustration probante de cette première
caractéristique, la liste n’étant pas exhaustive. Il s’agit du harcèlement moral au sein du
couple.
S’agissant tout d’abord de ses éléments constitutifs, le harcèlement moral au sein du couple
s’inspire matériellement du harcèlement moral de droit commun (article 222-33-2 du code
pénal), envisagé précédemment1358. Ainsi, tous deux supposent pour leur caractérisation une
répétition des « propos ou comportements ». Il s’agit ainsi de deux infractions continues.
Néanmoins, les actes de harcèlement n’ont pas à être réitérés, car cela impliquerait qu’ils
seraient nécessairement de nature identiques1359 et réduirait, par conséquent, l’étendue des
agissements incriminés. Il est donc uniquement exigé que ces agissements soient
insistants1360.
De plus, ces deux incriminations doivent avoir pour conséquence une dégradation, des
« conditions de travail » du salarié pour le harcèlement moral, et des « conditions de vie » du
conjoint pour le harcèlement moral au sein du couple. Plus précisément, les textes de ces deux
incriminations précisent à l’identique que le harcèlement – qu’il ait un contexte salarial ou au
1358
V. supra, n°102.
1359
V. Malabat, Droit pénal spécial, 7e éd., Dalloz, coll. Hypercours, 2015, p. 279, n° 524.
1360
T. Garé, Droit pénal spécial. Personnes et biens, Tome 1, 3ème éd., Belgique, Larcier, 2014, p. 146.
376
conjugal – doit avoir « pour objet ou pour effet » la dégradation. En somme, ces deux
infractions sont à la fois formelles et matérielles1361.
Une difficulté d’ordre probatoire se pose cependant à ce stade. En effet, dans le cas où la
dégradation ne serait que l’objet du harcèlement, cela signifierait que sa réalisation effective
importe peu. Mais dès lors, comment prouver le dessein du harceleur ? Ici, le législateur fait
reposer la caractérisation matérielle des incriminations de harcèlement sur les intentions
supposées de l’auteur.
Au demeurant, cela ne semble pas poser de problème s’agissant du harcèlement moral de
droit commun, puisqu’en effet, la dégradation doit seulement avoir été « susceptible de porter
atteinte aux droits et à la dignité [du travailleur], d'altérer sa santé physique ou mentale».
D’ailleurs, nous l’avions précisé plus haut, la simple éventualité que les actes de harcèlement
moral aient pu dégrader les conditions de travail suffit1362. Ainsi, le harcèlement moral
générique est une infraction purement formelle.
En revanche, s’agissant du harcèlement moral au sein du couple, la dégradation doit « [se
traduire] par une altération de la santé physique ou mentale de la victime ». Il faut en
conclure que le harcèlement moral au sein du couple est une infraction matérielle exigeant la
réalisation effective du dommage. Cela revient à exiger la preuve concrète d’une altération de
la santé qui peut (ou ne pas) s’être réalisée1363.
Intentionnellement, les infractions de harcèlement sont également semblables. Ce sont des
délits intentionnels au sens de l’article 121-3 alinéa 1er du code pénal. L’auteur doit avoir eu
la volonté et la conscience de procéder à des actes répétés d’harcèlement, ainsi que la
conscience de leur retentissement sur les conditions de vie de la victime. Pour autant il n’est
pas nécessaire de démontrer l’intention de nuire1364 : il suffit que les conditions de vie de la
victime aient été effectivement impactées par les actes de l’auteur.
1361
A. Lepage et H. Matsopoulou, Droit pénal spécial, Paris, Thémis droit, 2015, p. 253, n°378.
1362
V. supra, n° 102.
1363
V. Malabat, op. cit., p. 63, n°126.
1364
T. Garé, op. cit., p. 148.
377
En outre, l’emplacement de cette nouvelle incrimination dans le Code pénal, au sein d’une
Section intitulée « Du harcèlement moral » et à la suite directe de l’article 222-33-2 du code
pénal, ne fait que confirmer cette identité infractionnelle.
1365
Art. 222-12, 6° du C. pén. et art. 222-13, 6° du C. pén.
1366
A. Bourrat-Gueguen, « Atteintes à l’adulte », in Droit de la famille, Dalloz Action, 2010-2011, chap. 611, n°
611.80.
378
329. Quid de l’utilité de l’incrimination de harcèlement moral au sein du couple. –
Plusieurs arguments semblent plaider en faveur d’une inutilité1367 de l’incrimination d’un
harcèlement moral au sein du couple. En effet, rappelons-le, la jurisprudence a toujours
réprimé les violences psychologiques au titre des violences volontaires1368. Tout récemment,
de plus, le législateur est venu confirmer cette solution jurisprudentielle à l’article 222-14-3
du code pénal. Mais surtout, se pose la question de l’opportunité de la répression d’un
harcèlement moral spécifique au couple, si en définitive la sanction encourue pour ce fait est
identique à celle des violences volontaires commises précisément dans ce contexte conjugal.
Néanmoins, nous considérons comme opportune, la pénalisation d’un comportement de
harcèlement moral au sein du couple. En effet, si ces deux incriminations de harcèlement
moral intraconjugal et de violences volontaires aggravées ont le même domaine de répression,
elles ne renvoient pas pour autant aux mêmes réalités de protection. Ainsi, la qualification
pénale de violences volontaires ne permet pas de rendre compte de la répétition et de
l’insistance des agissements du conjoint. Ces notions sont, pour leur part, caractéristiques du
délit de harcèlement moral. Ainsi, loin de nuire à la force de la loi pénale, l’incrimination
d’un harcèlement pénal perpétré par le conjoint prend tout son sens, au regard de la fonction
expressive du droit pénal.
330. La proposition d’un harcèlement moral au sein du couple réprimé comme une
circonstance aggravante. – Si la répression d’un délit de harcèlement moral propre au couple
semble nécessaire, néanmoins l’ériger en une infraction autonome de harcèlement moral
spécifique semble moins judicieuse. En effet, un tel comportement pourrait très bien faire
l’objet d’une simple circonstance aggravante, assortissant la nouvelle infraction objective de
harcèlement moral de l’article 222-33-2-21369. Inséré au Code pénal par la loi du 4 août 2014
– postérieurement à l’incrimination de harcèlement moral au sein du couple – le harcèlement
moral objectif incrimine « le fait de harceler une personne par des propos ou comportements
répétés ayant pour objet ou pour effet, une dégradation de ses conditions de vie se traduisant
par une altération de sa santé physique ou mentale ».
1367
V. Malabat, ibidem, p. 63, n° 126.
1368
V. supra, n°100.
1369
V. supra, n° 102.
379
Nous le voyons, cette incrimination est formulée exactement de la même façon que son
homologue attenant aux relations conjugales. Matériellement et intentionnellement, ces
infractions se caractérisent de la même manière. S’agissant enfin de leur répression,
l’infraction de harcèlement moral objectif est puni moins sévèrement que celui propre au
couple. Mais, ils sont tous deux réprimés suivant une gradation de la peine, basée sur la
gravité du résultat dommageable. Ainsi, n’ayant causé qu’une incapacité totale de travail
inférieure ou égale à huit jours, le harcèlement moral de l’article 222-33-2-2 sera puni d’un an
d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Lorsqu’il aura causé une incapacité totale de
travail supérieur à huit jours, qu’il aura été commis à l’encontre d’un mineur de quinze ans,
ou sur une personne dont la particulière vulnérabilité était apparente ou connue de l’auteur,
la peine sera portée à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.
Nous sommes, par conséquent, là en présence d’un doublon infractionnel volontaire 1370
parfaitement incongru, dont il faut rechercher la source dans la tendance actuelle du
législateur à créer des incriminations par analogie, sans plus d’effort de synthèse ou de
cohérence.
331. Généralités. – Au surplus, ces nouvelles incriminations interpellent par leur caractère
personnalisable quant aux personnes ou au groupe de personnes visés. Classiquement, la
1370
V. Malabat, « Le champ inutile du droit pénal : les doubles incriminations », in Le champ pénal, Mélanges
en l’honneur du professeur Reynald Ottenhof, Paris, Dalloz, 2006, p. 155-164.
380
qualité de l’auteur et/ou de la victime de l’infraction était prise en compte grâce aux
circonstances aggravantes. Il s’agissait alors de statuts ou de qualités d’individus, certes
particuliers, mais non personnels. Par exemple, il est aisé de comprendre que le mineur âgé de
quinze ans ou la personne présentant une particulière vulnérabilité due à son âge ou à son état
physique ou psychique, nécessitent une protection particulière. De plus, la minorité est une
période de la vie concernant tout individu ; l’état de faiblesse est lui une condition dans
laquelle toute personne est potentiellement amenée à se trouver à raison de son âge ou d’un
trouble psychologique ou physique temporaire ou non. Egalement la qualité de la victime
dépositaire de l’autorité publique ou travaillant dans un établissement d’enseignement – à
condition que cette qualité soit apparente ou connue de l’auteur au moment des faits – ne
présente pas de caractère personnel. Cependant, progressivement, un mouvement de
personnalisation des incriminations pénales classiques est apparu avec l’adoption de
circonstances aggravantes portant sur des qualités intrinsèques, propres à la personne même
de la victime ou de l’auteur ou relevant de son intimité. C’est le cas par exemple des
circonstances aggravantes intégrées au Code pénal par la loi n° 2003-88 du 3 février 2003
visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite ou
xénophobe. Selon ces dispositions, lorsqu’un crime ou un délit auront été commis à l’encontre
d’une personne en raison de son appartenance vraie ou supposée à une ethnie, une race, une
religion1371 ou en raison de son orientation ou identité sexuelle1372, les peines encourues
seront aggravées. Cela traduit un véritable catalogage d’auteurs et de victimes qui seront
identifiés comme appartenant à un groupe particulier d’individus.
1371
V. Art. 132-76 du C. pén.
1372
V. Art. 132-77 du C. pén.
381
doctrine s’accorde à y voir le passage d’un droit pénal de la famille à un droit pénal du
couple 1373 . Mais, cette tendance à la personnalisation des incriminations atteint son
paroxysme avec les infractions familiales de nouvelle génération.
En effet, au-delà de la prise en compte d’une situation privée afférente à la vie familiale de
l’individu, ce qui étonne c’est la mutation de circonstances aggravantes relatives au lien
familial en véritable élément constitutif concourant à la définition même de l’incrimination. Il
s’agit donc là d’incriminations sui generis, spécifiques quant à leur conception législative.
C’est le cas du harcèlement moral au sein du couple qui, comme nous l’avons vu à l’instant,
ne peut être commis que par le conjoint ou ancien conjoint, le concubin ou ancien concubin,
le partenaire lié à la victime par un PACS ou l’ancien partenaire lié à la victime par un PACS.
Il est possible de citer d’autres exemples d’infractions sui generis, comme la première
tentative d’inscription de l’inceste dans le code pénal.
1373
P. Maistre Du Chambon, « Quelques considérations sur le droit pénal de la famille », JCP éd. G, n°1, 10
janvier 2011, p. 8 ; M. Douchy-Oudot, « Quelle protection contre les violences au sein du couple » Procédures
2010, étude 9, passim. Cette expression doctrinale percutante est néanmoins erronée en ce qu’elle préfigure
l’autonomie d’un nouveau droit pénal spécial, conduisant au démembrement à outrance de la matière pénale, V.
infra, n°359 et 360.
1374
Une proposition de pénalisation expresse de l’inceste, à travers une infraction spécifique en 2004 avait déjà
avorté, V. Assemblée nationale, Proposition de loi n° 1896, visant à ériger l’inceste en infraction spécifique, de
ESTROSI Christian, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 novembre 2004.
1375
Loi n° 2010-121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le code pénal et à
améliorer la détection et la prise en charge des victimes d’actes incestueux, JO du 9 février 2010, texte n° 1, p.
2265.
382
droit ou de fait ». De plus, la même définition des actes incestueux était posée s’agissant des
atteintes sexuelles sans violence.
Mais, en raison de l’imprécision de la notion de « famille », et plus précisément l’absence de
« désignation des personnes qui doivent être regardées comme membres de la famille »1376, la
qualification de crimes ou délits incestueux a été abrogée par le Conseil constitutionnel, le 16
septembre 20111377 - le législateur ayant méconnu le principe de légalité des délits et des
peines. Il ne s’agissait pourtant pas de la seule contradiction au principe de légalité criminelle
que contenait cette loi. En effet, la logique d’incrimination employée par ses rédacteurs
apparaissait pour le moins obscure.
Or, étonnamment, la nouvelle qualification d’inceste rétablie par la loi susvisée du 14 mars
20161378, suit exactement la même méthode1379. Seule la définition de l’acte incestueux
change. Désormais, sont qualifiés d’incestueux les viols, agressions sexuelles (article 222-31-
1), et atteintes sexuelles (article 227-27-2-1) commis « sur la personne d’un mineur par : 1°)
Un ascendant, 2°) Un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce, 3°) Le
conjoint, le concubin d'une des personnes mentionnées aux 1° et 2° ou le partenaire lié par un
pacte civil de solidarité avec l'une des personnes mentionnées aux mêmes 1° et 2°, s'il a sur le
mineur une autorité de droit ou de fait ».
1376
Cons. Const. Décision n° 2011-163 QPC du 16 septembre 2011, JO du 17 septembre 2011, p. 15600, consid.
4. (relative à l’article 222-31-1 du C. pén.) ; Cons. const. Décision n° 2012-222 QPC du 17 février 2012, JO du
18 février 2012, p. 2846. (relative à l’article 222-27-2 du C. pén.) ; P. Combles de Nayves (De), « Loi sur
l’inceste : peut mieux faire », Constitutions 2012. 91.
1377
Cons. Const. Décision n° 2011-163 QPC du 16 septembre 2011, op. cit.
1378
Loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, JO du 15 mars 2016, texte n°1.
1379
J.-Ph. Guédon, « L’inceste réintroduit dans le Code pénal », AJ. Pén. 2016. 165.
1380
Art. 160 et s. du C. civ.
383
l’ordre social1381. C’est dire que la circonférence du droit pénal est bien plus restreinte que
celle de la morale et que tout ce qui apparaît comme amoral n’est pas pour autant punissable
aux yeux de la loi pénale. Toutefois, cela ne signifie guère que le droit pénal ignorait
l’inceste. Aussi, notre arsenal pénal offrait-il déjà des outils de répression des pratiques
1382
incestueuses, puisque les incriminations sexuelles de droit commun aggravées
sanctionnaient déjà ces faits, lorsqu’ils étaient commis par un ascendant ou par toute autre
personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait.
1381
M.-L. Rassat, « inceste et droit pénal, JCP 1974. I. 2614, n°
1382
De manière classique, le quantum des peines des viols (article 222-24 4° du C. pén.), les agressions
sexuelles (article 222-28 4° du C. pén.) et les atteintes sexuelles ( 227-6 1° du C. pén.) est augmenté « lorsque
[ces infractions] sont commises par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité
de droit ou de fait ».
1383
Circulaire d’application n° CRIM10-3/E8 – 09.02.2010 du 9 février 2010 présentant des dispositions de droit
pénal et de procédure pénale de la loi n° 2010-121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l’inceste commis sur les
mineurs dans le code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d’actes incestueux.
1384
Circulaire d’application du 9 février 2010, op. cit., n° 2.2 [En ligne :
http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2010/02/cir_30443.pdf] Consulté en 2012.
384
côté, les atteintes sexuelles de l’autre – témoigne bien d’un souci de gradation de la part du
législateur, l’inceste devant être plus sévèrement réprimé lorsqu’il concernera un viol ou une
agression sexuelle, qu’une atteinte sexuelle sans violence.
Au surplus, lorsque le Conseil Constitutionnel a déclaré ces articles contraires à la
Constitution en 2010, c’est en rappelant au législateur l’obligation qui lui incombe, en vertu
de l’article 34 de la Constitution et du principe de légalité des délits et des peines1385 « […] de
définir les crimes et délits en des termes suffisamment clairs et précis »1386. Cela signifie donc
que le Conseil également voyait bien dans ces dispositions, des incriminations pénales. Enfin,
le raisonnement adopté dans la circulaire précitée apparaissait juridiquement contradictoire,
puisque lui-même relève une qualification d’ « inceste ». Or, l’opération de qualification
pénale consiste justement dans la « détermination de l’infraction, par rattachement du fait en
cause à l’infraction définie par la loi »1387. En l’occurrence, les faits visés par la loi sont la
commission de viols, d’agressions sexuelles ou d’atteintes sexuelles sur la victime mineure au
sein de sa famille. En conséquence, dès lors que ces actes seront perpétrés par les membres du
groupe familial précités, ils seront qualifiés pénalement d’incestueux. Cela revient donc à
affirmer que ces articles 222-31-1 et 227-27-2-1 du code pénal créent véritablement trois
nouvelles infractions particulières : le viol incestueux, les agressions sexuelles incestueuses
et, les atteintes sexuelles incestueuses. Dès lors, affublées de cette qualification d’« actes
incestueux », ces infractions deviennent des infractions « qualifiées » - c’est-à-dire des
infractions nécessitant une incrimination et une répression nouvelles qui leurs soient propres,
à l’instar de l’infraction d’assassinat par exemple1388. Or tel n’est pas le cas ici puisque les
textes considérés ne prévoient pas de sanction particulière, comme nous nous apprêtons à le
voir.
1385
Principe découlant notamment de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
1386
Op. cit., consid. n°3.
1387
Gérard Cornu et Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, 11ème édition, PUF, 2016,
« Qualification pénale ».
1388
L’infraction particulière ou encore nommée « infraction qualifiée » désigne une variante de l’infraction
simple, définie selon ses propres éléments constitutifs et sanctionnée selon ses propres peines. Il s’agit par
exemple de l’assassinat (art. 221-3 du C. pén.) qui est le meurtre commis avec préméditation. Ces infractions
qualifiées pourront parfois être assorties de leurs propres circonstances aggravantes. C’est le cas par exemple du
vol en bande organisée (art. 311-9 du C. pén.), V. Maître Eolas, « Un nouvel exemple de malfaçon législative »,
Journal d’un avocat, 8 février 2010 [En ligne : http://www.maitre-eolas.fr/post/2010/02/08/Un-nouvel-exemple-
de-malfa%C3%A7on-l%C3%A9gislative], Consulté en 2012.
385
336. L’inceste non conçu comme une incrimination autonome et spécifique. – En
nommant expressément l’inceste, les réformes de 2010 et de 2016 viennent affranchir cette
qualification pénale particulière, des infractions sexuelles classiques à l’intérieur desquelles
elle se voyait auparavant diluée1389. En revanche, l’inceste n’a jamais été érigé en infraction
autonome 1390 . En effet, l’établissement d’une infraction autonome suppose d’une part,
l’existence d’une incrimination claire et précise – c’est-à-dire la définition du comportement
actif ou passif prohibé par la loi et d’autre part, la fixation d’une peine qui lui est propre. Or à
cet égard, la qualification d’inceste, telle que définie par les articles 222-31-1 et 227-27-2-1
précités, ne répondait à aucune de ces exigences. Ainsi, concernant la première exigence (la
description du comportement incriminé), ces textes ne conçoivent pas l’inceste comme une
incrimination uniforme et autonome – mais davantage comme une « surqualification »1391.
Par conséquent, l’inceste n’est point consacré comme une infraction singulière à part entière.
Concernant la deuxième exigence ensuite (la peine) – et c’est celle qui retiendra le plus notre
attention tant la technique législative employée ici paraît fantasque – aucune sanction pénale
ne vient assortir cette surqualification d’inceste. Ainsi, le législateur n’entend tirer aucune
conséquence répressive de cette dernière. L’unique dessein recherché, comme l’indiquait déjà
l’intitulé de la loi de 2010, est d’inscrire le terme d’inceste dans le code pénal ; cela pour
plusieurs raisons. Tout d’abord, l’adoption de dispositions déclaratives, permettent de prévoir
leur application immédiate aux faits commis antérieurement à la loi, qu’il s’agisse de
procédures à venir ou en cours. Aussi, comme le précisait la circulaire de 2010, l’objectif de
ces dernières n’est-il pas d’aggraver ou de modifier les peines existantes jugées suffisamment
graves1392. Enfin, en nommant expressément l’inceste, la loi tend à favoriser « une meilleure
lisibilité de la valeur protégée »1393 et permet ainsi « une identification sociologique de la
criminalité ou de la délinquance en cause, avec des retombées escomptées pour en
1389
G. Delors, « L’inceste en droit pénal : de l’ombre à la lumière », RCS 2010. 599, n°6.
1390
Contrairement à la thèse développée par une partie de la doctrine V. G. Delors, « L’inceste en droit pénal : de
l’ombre à la lumière », RCS 2010. 599, n°1 : « Ainsi, se nourrit, depuis peu, chez le législateur la volonté certes
modeste d'ériger l'inceste en infraction autonome. Cette volonté se concrétise par l'accouchement de la loi du 8
février 2010 tendant à inscrire l'inceste commis sur des mineurs dans le Code pénal et à améliorer la détection
et la prise en charge des victimes d'actes incestueux »; S. Lavric, « Publication de la loi sur l’inceste », D.
actualité du 10 février 2010.
1391
A. Darsonville, « Viol », Rép. pén. 2011 (mis à jour en juin 2012), n° 6.
1392
Circulaire d’application du 9 février 2010, op. cit., n° 4.
1393
G. Delors, « L’inceste en droit pénal : de l’ombre à la lumière », RCS 2010. 599, Introduction.
386
appréhender les méfaits particuliers sur les victimes »1394. En d’autres termes, la consécration
de l’inceste vise essentiellement à établir des statistiques plus précises du phénomène
incestueux1395, devant induire une meilleure connaissance de celui-ci. Les objectifs poursuivis
par la nouvelle loi de 2016 ne diffèrent pas davantage. En somme, voici une surqualification
d’inceste relayée au rôle de simple appellation assertive et neutre1396 à portée purement
symbolique1397.
De ce fait, dépourvue de peines indépendantes, l’inceste ne peut être vu comme une infraction
autonome et spécifique. Par conséquent, s’il est à considérer que le législateur lui-même
reconnait l’efficacité du dispositif d’aggravation préexistant des incriminations sexuelles de
droit commun, la question de l’utilité pénale réelle d’un tel ajout de dénomination
« incestueuse » dans le code pénal se pose. Nul doute que nous sommes ici face à une manière
étrange de légiférer. Désincarné de sa fonction expressive, le droit pénal se voit ici
instrumentalisé à des fins purement victimologiques1398.
Bien loin de la préconisation de la Commission européenne incitant à « un recours
raisonnable au droit pénal » 1399 , cette réforme a pour principale retombée d’obscurcir
davantage la compréhension du régime des incriminations sexuelles. D’ailleurs, cette
qualification d’inceste promet d’être source de bien des tracas quant à son application.
1394
Y. Mayaud, « L’inceste dans …l’illégalité », RSC 2011. 830 , n°2.
1395
Il existait dès lors une obligation pour les juridictions de jugement (correctionnelles ou d’assises) et le juge
d’instruction de viser expressément la qualification d’inceste dans leurs jugements et ordonnances. Aux assises,
la qualification d’inceste devait faire l’objet d’une question spécifique selon l’alinéa 2 abrogé de l’article 356 du
C. pr. pén.
1396
Ph. Bonfils, « Loi n° 2010-121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l'inceste commis sur les mineurs dans le
code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d'actes incestueux », RSC 2010. 462, n°
4-5.
1397
A. Lepage, « Réflexions de l’inceste dans le Code pénal par la loi du 8 février 2010 », JCP éd. G 2010,
doctr. 335, n° 14.
1398
V. infra, n° 277.
1399
Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au
Comité des régions, Vers une politique de l’UE en matière pénale : assurer une mise en œuvre efficace des
politiques de l’UE au moyen du droit pénal, Bruxelles, Communication du 20 septembre 2011, p. 7, §2 (en
ligne) : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2011:0573:FIN:FR:PDF.
387
questionner la nature juridique de cette qualification. Ainsi, deux hypothèses peuvent être
retenues.
La première serait d’appréhender l’inceste à travers de trois infractions simples, c’est-à-dire
non assorties de circonstances aggravantes. C’est d’ailleurs la thèse qui avait été retenue par
certains avocats de la défense, qui voient leur plaidoirie déjà toute assurée1400. En effet,
désormais, la circonstance aggravante tenant à l’existence d’un lien familial entre dans la
définition même de l’acte incestueux. Dès lors, en vertu du principe en droit pénal de non
confusion des éléments constitutifs et des circonstances aggravantes1401, la répression de
l’acte incestueux ne peut être aggravée par la même circonstance aggravante. De sorte que les
peines aggravées des infractions de viol1402, d’agressions1403 et d’atteintes1404 sexuelles ne
seraient guère applicable aux viol, aux agressions et aux atteintes incestueuses.
Autant dire que ces actes incestueux seraient punis au même titre que les infractions simple de
viol, d’agressions sexuelles et d’atteintes sexuelles. Une telle solution, on le voit, est peu
satisfaisante, voire choquante puisqu’elle aboutirait – en définitive – à punir le viol incestueux
de la même manière qu’un viol commis par un illustre inconnu : à savoir quinze ans de
réclusion criminelle au lieu de vingt1405. De même, l’atteinte sexuelle qualifiée d’incestueuse
qui aurait été commise par un ascendant sur un mineur de quinze ans aurait été punie de
seulement cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, c’est-à-dire deux fois
moins sévèrement que la même atteinte sexuelle aggravée, cette fois-ci, par la circonstance
tenant à la qualité d’ascendant : soit dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende. Il
s’agirait là d’un véritable non-sens. Cela illustre donc parfaitement la portée contre-
productive de cette technique d’incrimination. En effet, si en théorie l’ambition affichée de
cette loi était de garantir aux victimes une reconnaissance efficace et de « prendre en compte
1400
V. Maître Eolas, « Un nouvel exemple de malfaçon législative », Journal d’un avocat, 8 février 2010 [En
ligne : http://www.maitre-eolas.fr/post/2010/02/08/Un-nouvel-exemple-de-malfa%C3%A7on-
l%C3%A9gislative], Consulté en avril 2012 ; Maître Mô, « On nous dit rien … Et parfois on fait bien », Blog de
Maître Mô, 4 février 2010 [En ligne : http://maitremo.fr/on-nous-dit-rien-et-parfois-on-fait-bien/], Consulté en
avril 2012.
1401
Maître Mô, « On nous dit rien … Et parfois on fait bien », Blog de Maître Mô, 4 février 2010 [En ligne :
http://maitremo.fr/on-nous-dit-rien-et-parfois-on-fait-bien/], Consulté en avril 2012.
1402
Art. 222-24, 2° et 4° du C. pén.
1403
Art. 222-28, 2° et 4° du C. pén.
1404
Uniquement s’agissant des atteintes sexuelles sur mineur de quinze ans, V. Art. 227-26 du C. pén.
1405
V. art. 222-23 et 222-24 du C. pén.
388
la réalité et la spécificité de l’inceste » 1406 en cassant un tabou heurtant insidieusement
l’intégrité de la société française1407, dans la pratique elle conduit au contraire au prononcé de
peines dérisoires compte tenu de la gravité des faits incriminés. Et pour cause, l’inceste est
une forme de violence sexuelle à part entière « qui attaque l’identité de l’enfant et sa place au
sein de sa famille, et brouille tous ses repères. [Il] détruit la confiance de l’enfant envers ses
figures d’attachement fondamentales, et le réduit à un objet sexuel au mépris de ses besoins
fondamentaux et dans le déni de sa souffrance » 1408 . Aussi, il semble illogique que la
reconnaissance de la spécificité de cette souffrance ne se traduise pas également dans le
quantum de la répression1409.
1406
Assemblée nationale, Proposition de loi n° 1538, visant à identifier, prévenir, détecter et lutter contre
l’inceste sur les mineurs et à améliorer l’accompagnement médical et social des victimes, de Marie-Louise Fort,
enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 mars 2009, exposé des motifs.
1407
Assemblée nationale, Proposition de loi n° 1538, op. cit.
1408
M. Salmona, « L'inceste dans le code pénal : une avancée, mais le parcours reste long pour les victimes », Le
Nouvel observateur, Le Plus, 17 mai 2015, p. 45.
1409
M.-L. Fort, discours prononcé le 26 janvier 2010 par la rapporteure de la commission des lois
constitutionnelles, de la législation et de l’administration de la République lors de la discussion en deuxième
lecture de la proposition de loi sur « la lutte contre l’inceste sur les mineurs », en Assemblée Nationale, Session
ordinaire de 2009-2010, [En ligne : http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2009-
2010/20100112.asp#ANCR201000000019-01120] : « le dispositif adopté prévoit de consacrer la spécificité de
l’inceste en droit pénal, sans aggravation de la peine principale ».
1410
V. E. Allain, « Fallait-il faire entrer l’inceste dans le code pénal ? », Blog. Dalloz, 5 février 2010, n°5 [En
ligne : http://blog.dalloz.fr/blogdalloz/2010/02/fallaitil-faire-entrer-linceste-dans-le-code-p%C3%A9nal-.html].
1411
Y. Mayaud, « L’inceste dans …l’illégalité », RSC 2011. 830, n°2 ; V. Malabat, « Le champ inutile du droit
pénal : les doubles incriminations », in Le champ pénal, Mélanges en l’honneur du professeur Reynald Ottenhof,
Paris, Dalloz, 2006, p. 155 sq.
389
En conclusion, en réintroduisant la qualification d’inceste dans le Code pénal, le législateur
s’est contenté d’observer religieusement les critiques formulées par Conseil Constitutionnel, à
l’occasion de sa décision du 16 septembre 2011. Ainsi, évitant toute déconvenue, il est venu
préciser la définition de l’acte incestueux et les personnes pouvant se rendre coupable de ce
chef, sur le foncement d’une liste calquée sur celle des empêchements civils au mariage des
articles 161 et suivants du Code civil. Toutefois, il s’est bien gardé de modifier la méthode
selon laquelle il inscrivait l’inceste dans les textes, niant ainsi les autres défauts et
incohérences du texte, pourtant largement réprouvés par la doctrine.
338. La ratio legis des incriminations. – La dénaturation du droit pénal porte sur la
technique d’incrimination des infractions pénales, mais également sur le détournement de leur
ratio legis, c’est-à-dire leur logique d’incrimination, leur raison d’être. Or, force est de
constater bien souvent, lorsque le droit pénal est mise à l’épreuve du droit de la famille, que
l’initiative d’adoption de la lege ferenda est polluée par un certain opportunisme législatif.
1412
Alain Salles, « Ne pas confondre justice et thérapie », Propos recueillis de Robert Badinter, Le Monde, 8
septembre 2007.
1413
Dictionnaire Littré (à compléter dès que possible)
390
et les moyens d’une action législative, en vue d’une modification du droit positif, de donner
une impulsion au mouvement de la législation, d’orienter les réformes, d’en fixer les objectifs
et d’en peser les moyens »1414. Toutefois, il arrive que cette politique législative s’exécute au
détriment de la discipline pénale, tant elle y aboutit à des résultats étrangers à sa logique
propre, lui imposant la protection de valeurs sociales qui devraient lui être étrangères. En
effet, le droit pénal ne doit pas devenir un instrument de régulation des comportements
individuels puisqu’il n’est point un droit accessoire à la loi morale1415. S’il exprime à travers
ses incriminations des valeurs sociales à protéger, reflet d’une société donnée à un moment
considéré et édictées par d’autres disciplines principales, ce n’est que pour les assortir d’une
sanction pénale strictement nécessaire. Ainsi, cette répression ne saurait servir à contenter des
intérêts purement opportunistes. Pourtant, la loi pénale se voit assigner la poursuite d’objectifs
atypiques en droit pénal : une finalité stratégique (A) et une finalité victimologique (B).
340. Il convient de constater une instrumentalisation de la règle pénale à des fins purement
stratégiques. Cette instrumentalisation se retrouve lorsque le législateur use du droit pénal à
des fins faussement pédagogiques (1) ou des fins purement pragmatiques (2).
1414
G. Cornu et Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, 11ème édition, PUF, 2016, « politique
législative ».
1415
V. supra, n°281 et s.
1416
E. Dreyer, Droit pénal général, 3e éd., Paris, Lexisnexis, 2014, n°75.
391
fondamentaux de droit pénal convergent vers cette rationalisation du pouvoir1417. Ainsi,
traditionnellement cette discipline juridique renferme dans ses propres règles la solution de
son autorégulation : elle doit demeurer « l’ultima ratio de la réaction sociale »1418.
Hélas, pourtant, il est fréquemment cantonné à un rôle de censeur dans la famille. C’est le cas
notamment lorsqu’il intervient à des fins purement pédagogiques en particulier auprès des
parents, prétendant ainsi leur rappeler de quelle manière éduquer leurs enfants et les
obligations qui leur incombent vis-à-vis d’eux. On assiste à l’avènement d’une École des
parents par la menace de la répression.
Se pose alors la question de l’opportunité de la répression pénale pour certains des
comportements visés. Deux cas d’incriminations peuvent être sélectionnés en guise
d’illustrations : la soustraction à l’obligation scolaire (1) et la soustraction à l’obligation
d’assiduité scolaire (2). Dans ces deux cas, le droit pénal semble poser une véritable définition
de ce que doit être un bon parent.
1417
Le droit pénal est une discipline sage, dont l’enjeu réside dans la conciliation entre le respect des droits et
libertés fondamentaux et la répression des comportements contraire à la loi pénale. Ainsi, tendent à limiter le
pouvoir de répression de l’Etat, les principes du droit pénal (le principe de légalité criminelle, le principe
d’interprétation stricte de la loi, le principe de non-rétroactivité des lois pénales plus sévères …) ou les principes
directeurs du procès pénal (le droit à un procès équitable, le principe du contradictoire, la présomption
d’innocence …).
1418
E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., n°71.
1419
Loi n° 98-1165 du 18 décembre 1998, tendant à renforcer le contrôle de l’obligation scolaire, JO du 22
décembre, p. 19348.
1420
V. La création de l’Observatoire interministériel sur les sectes, Décret n° 96-387 du 9 mai 1996, portant
création d’un Observatoire interministériel sur les sectes, JO du 11 mai 1996, p. 7080, remplacé par la Mission
interministérielle de lutte contre les sectes (MILS), Décret n° 98-890 du 7 octobre 1998 instituant une mission
interministérielle de lutte contre les sectes, JO du 9 octobre 1998, p. 15286.
392
domicile1421. Sous couvert d’une loi censée garantir à tous les enfants vivant en France un
épanouissement par l’instruction, se cache en réalité une volonté de contrôle et de
transparence des valeurs fondamentales enseignées sur le territoire de la République et
garantissant le maintien de l’ordre public sur celui-ci. Ainsi, selon le rapport parlementaire sur
les sectes, «il était indispensable de renforcer le contrôle de l’enseignement dispensé à ces
enfants, pour s’assurer que les valeurs fondatrices de la République, la citoyenneté et la
laïcité au premier chef, leur soient bien inculquées »1422. Aussi, la lisibilité de la valeur
sociale pénalement protégée ici s’en trouve faussée.
De plus, certains auteurs font preuve d’un certain scepticisme à l’égard de cette réforme
pénale de l’urgence et y voient « des dispositions de circonstance adoptées à la va-vite pour,
soit disant répondre au problème des sectes »1423. Et pour cause, les députés étaient appelés à
approuver rapidement cette loi « sans modification [bien que] son dispositif puisse être
amélioré et l’efficacité des contrôles renforcée »1424. Aussi, l’adoption de cette loi pourrait
donner le sentiment d’un droit pénal dont l’évolution suivrait celle des actualités et faits
divers, faute d’une politique pénale réfléchie.
1421
P. Leroy, La proposition de loi tendant à renforcer le contrôle de l’obligation scolaire, Rapport n° 1250 au
nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, Assemblée nationale, 1998, p. 5 [En ligne :
http://www.assemblee-nationale.fr/11/rapports/r1250.asp].
1422
P. Leroy, op. cit., p. 5.
1423
M.L. Rassat, Droit pénal spécial. Infractions des et contres les particuliers, 6e éd., Précis, Dalloz, 2011,
n°734.
1424
Ibidem, p. 7.
1425
Selon la formulation des art. L. 131-1-1 du C. éduc. et 227-17-1 du C. pén. Cela implique que l’inscription
dans la famille et les écoles privées hors contrat doit rester marginale.
1426
La liberté d’enseignement est un principe fondamental reconnu par les lois de la République consacré, suite à
la liberté d’association (Cons. Const. Décision n°71-44 DC du 16 juillet 1971, JO du 18 juillet 1971, p. 7114),
par le Cons. const. Décision n° 77-87 DC du 23 novembre 1977, « Loi complémentaire de la loi n°59-1557 du
31 décembre 1959 relative à la liberté d’enseignement », JO du 25 novembre 1977, p. 5530).
393
l’éducation de leurs enfants1427, conformément à leurs convictions et croyances et dans le
respect de l’ordre public, les méthodes d’enseignement qui leur semblent adaptées. Ainsi, afin
de contourner les blâmes doctrinaux pressentis1428, le législateur a sciemment choisi de
réprimer non pas l’inscription de l’enfant hors d’un établissement public ou privé sous
contrat, mais le refus de son inscription suite à une mise en demeure de l’autorité compétente,
en vertu de l’article 227-17-1 alinéa 1 du code pénal. Cela signifie que les parents peuvent
faire valoir leurs choix éducatifs vis-à-vis de leurs enfants. Néanmoins, toute instruction en
famille sera soumise à une obligation de déclaration préalable, en l’absence de laquelle le
parent encourt l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe (article R.
131-18 du code de l’éducation nationale). De plus, au moins une fois par an à compter de
cette déclaration, le contenu de l’instruction délivrée en famille fera l’objet d’un contrôle de
l’autorité compétente en vue de s’assurer qu’il est conforme au droit de l’enfant à l’instruction
posé par l’article L. 131-1-1 du même code 1429 (article L. 131-10 alinéa 3 du code de
l’éducation). Lorsque l’instruction ne sera pas jugée de qualité, les titulaires de l’autorité
parentale seront informés d’un délai dans lequel ils devront fournir leurs explications ou
améliorer la situation (alinéa 7 du même article). Ce n’est qu’au terme d’un nouveau délai,
dans le cas où les résultats du contrôle seraient encore insatisfaisants, que les parents se
verraient contraints par l’autorité, d’inscrire l’enfant dans un établissement privé ou public, de
leur choix, sous quinzaine (alinéa 8 du même article).
Dans le cas où les parents auraient choisi d’inscrire leur enfant dans un établissement privé
hors contrat dont l’enseignement ne serait pas jugé conforme, les autorités de l’éducation
nationale peuvent imposer à ces établissements la modification de leur programme scolaire ou
ordonner leur fermeture le cas échéant.
1427
Cons. const. décision n° 77-87 DC du 23 novembre 1977, préc., consid. 4 « Considérant que l’affirmation
par le même Préambule de la Constitution de 1946 que “l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque
à tous les degrés est un devoir de l’Etat” ne saurait exclure l’existence de l’enseignement privé ».
1428
V. sur les contraintes posées par le respect du principe de liberté de l’enseignement, J.-C. Carle, Obligation
de scolarité et contrôle de l’obligation scolaire, Rapport n°504 (1997-1998) au nom de la commission des
affaires culturelles, Sénat, 17 juin 1998 (en ligne) : http://www.senat.fr/rap/l97-504/l97-504_mono.html.
1429
Ce droit doit garantir à l’enfant, selon cet article, « d'une part, l'acquisition des instruments fondamentaux du
savoir, des connaissances de base, des éléments de la culture générale et, selon les choix, de la formation
professionnelle et technique et, d'autre part, l'éducation lui permettant de développer sa personnalité, son sens
moral et son esprit critique d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et
professionnelle, de partager les valeurs de la République et d'exercer sa citoyenneté ».
394
Donc on le voit, la puissance publique ne semble pas dépourvue de moyens de coercition
probants pour garantir le respect des obligations énoncées par le droit de l’éducation. Dès
lors, quelle est ici l’impériosité de l’intervention du droit pénal, dans le domaine particulier
qu’est celui de l’éducation de l’enfant ? Le recours au droit pénal semble hélas devenir
systématique, la sanction pénale faisant office de moyen de pression pour donner de la
crédibilité aux exigences des pouvoirs publics. L’objectif apparaît clairement : il s’agit de
prôner une instruction en établissements publics ou privés sous contrat comme modèle-type
d’enseignement. Dans tous les cas, cette incrimination illustre parfaitement la restriction
considérable des traditionnelles fonctions socialisatrice et éducative de la cellule familiale1430,
qui se voit désormais contrainte de déléguer ces attributions à des institutions étatiques.
344. Eléments constitutifs. – L’article 227-17-1 du code pénal a été par la loi de 1998.
Nous n’envisagerons dans le cadre de cette étude que l’alinéa 1er de l’article incriminant le
détenteur de l’autorité parentale1431. Ce texte réprime de six mois d’emprisonnement et de
7500 euros d’amende, « le fait, par les parents d’un enfant ou toute personne exerçant à son
égard l’autorité parentale ou une autorité de fait de façon continue, de ne pas l’inscrire dans
un établissement d’enseignement, sans excuse valable, en dépit d’une mise en demeure de
l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation1432 ».
Cette infraction suppose la réunion de trois conditions préalables. Premièrement, le droit
pénal intervenant de manière accessoire, l’incrimination implique la violation de l’obligation
scolaire prévue à l’article L. 131-1 du Code de l’éducation nationale disposant que
«l’instruction est obligatoire pour les enfants […] français ou étrangers, entre six et seize
ans ». Deuxièmement, sont considérés comme auteurs du manquement à l’obligation scolaire
les personnes exerçant l’autorité parentale, c’est-à-dire les parents de l’enfant, ou en cas de
décès ou de défaillance de ceux-ci, la personne physique ou morale à laquelle aura été
déléguée l’autorité. Il peut encore s’agir de la personne exerçant l’autorité de fait de façon
continue. Il convient de définir succinctement ces notions. S’agissant, tout d’abord, de
1430
V. supra, n° 86 et s.
1431
Le deuxième alinéa vise quant à lui, les directeurs d’établissements privés hors contrat, auteurs du
manquement à l’obligation scolaire.
1432
Par le passé, l’article visait l’inspecteur d’académie. Il a été modifié par le Décret n°2012-16 du 5 janvier
2012 relatif à l’organisation académique, JO du 6 janvier 2012, texte n°34. Aujourd’hui, l’autorité de l’Etat
compétente mentionnée par le texte est le directeur académique des services de l’éducation nationale agissant par
la délégation du recteur d’académie en vertu de l’art. R. 222-24-1 I dudit décret.
395
l’autorité de fait, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser les contours de la notion.
Ainsi, l’autorité de fait ne peut être présumée ; dès lors « énoncer que les faits ont été commis
par le grand-oncle de la mineure qui avait autorité sur elle »1433 ne suffit pas à caractériser
l’exercice d’une telle autorité. Encore faut-il « rechercher les circonstances dans lesquelles
[l’auteur] était amené à exercer cette autorité » 1434 . L’appréciation de l’existence de
l’autorité de fait est une appréciation in-concreto. Les circonstance prises en compte peuvent
donc tenir à « la cohabitation ou à la position de la personne par rapport à l’enfant ou à la
famille » 1435. Dès lors, ce peut-être le conjoint ou le concubin du parent titulaire de l’autorité
parentale ou encore les grands-parents résidant avec l’enfant. S’agissant, ensuite, de la notion
de continuité, elle suppose que l’autorité de fait ne puisse être exercée de manière
sporadique1436. Dans ce cas d’espèce donc, à défaut d’une communauté de vie avec l’enfant,
l’autorité de fait ne semble pas pouvoir être établie, quand bien même il s’agirait d’un
membre ou d’un ami de la famille. Ainsi, le visiteur occasionnel de la famille, en l’absence de
cette cohabitation est dépourvue de toute autorité de fait sur l’enfant1437.
Troisièmement, comme cela a déjà été développé, les poursuites pénales nécessitent une mise
en demeure préalable de l’autorité compétente infructueuse.
Concernant l’élément matériel, les différentes conditions de procédure ayant déjà été
détaillées auparavant, il importe de préciser que le délit vient sanctionner le refus de l’auteur
d’inscrire l’enfant de six à seize ans, dans un établissement d’enseignement public ou privé,
en dépit de l’injonction de l’autorité de l’État compétente.
De plus, l’article 227-17-1 du code pénal vise, selon une formule qui se veut flexible et
subjective, mais également imprécise, l’absence d’ « excuse valable » des parents justifiant le
manquement à l’obligation scolaire. En l’absence de précision textuelle, il semble que le
caractère valable ou non de cette excuse doive s’apprécier au cas par cas. Toutefois, l’article
131-10 alinéa 1er du code de l’éducation semble apporter quelques indications sur ces motifs
1433
Cass. crim., 4 février 2004, pourvoi n° 03-82.845, JCP éd. G 2004.IV.1657.
1434
Cass. crim., 4 février 2004, op. cit.
1435
A. Bourrat-Gueguen, «Atteintes à l’enfant : la maltraitance à enfant», in Droit de la famille, Dalloz Action,
2010-2011, chap. 612, n° 612-83.
1436
La Chambre criminelle a pourtant retenu une solution différente s’agissant de faits de viol aggravé sur
mineur par personne ayant autorité de fait : V. Cass. crim., 3 septembre 2008, pourvoi n° 08-84.092 : « En
l’absence même momentanée de leurs grands-parents ou des parents, l’oncle seul adulte, exerçait de fait une
autorité sur ses jeunes neveu et nièce ».
1437
Cass. crim, 1er février 2006, JCP 2006. IV. 3324.
396
d’excuse, à savoir l’état de santé de l’enfant ou les conditions de vie de la famille (une famille
amenée à se déplacer souvent).
345. Une redondance de qualifications pénales. – Un auteur faisait remarquer à juste titre
qu’ « […] une surabondance de prévisions textuelles ne constituait pas une garantie
d'application »1438. Bien au contraire, créatrice d’insécurité juridique, cette surabondance nuit
à la clarté de la loi pénale, lorsque les mêmes faits se retrouvent incriminés sous des
qualifications pénales différentes.
L’incrimination de soustraction à l’obligation scolaire de l’article 227-17 du code pénal
pourrait être confondue avec celle de la soustraction aux obligations légales (article 227-17-
1). En effet, cette dernière infraction réprime « le fait pour le père ou la mère de se soustraire,
sans motif légitime 1439 , à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la
sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur ». Dès lors, le fait pour le parent
d’inscrire son enfant dans un établissement d’enseignement non agréé pourrait recevoir deux
qualifications pénales distinctes : un abandon de l’enfant quant à son éducation, d’un côté ; et
un refus de scolarisation suite à une mise en demeure. D’ailleurs, la Cour de cassation a eu
l’occasion de retenir la responsabilité pénale d’un couple, pour abandon moral ou matériel, en
raison de la scolarisation de leur enfant de six ans et demi dans une école dirigée par les
adeptes d’une secte indienne, le « Sahaja Yoga ». Les juges ont estimé, qu’en agissant de la
sorte, les parents avaient compromis, par manque de direction nécessaire, la sécurité et la
santé de l’enfant en l’envoyant « à plusieurs milliers de kilomètres dans une contrée difficile
et éprouvée »1440. Dès lors, on se trouve face à un concours réel d’infractions1441. Or, cela
1438
M.-C. Sordino, « Flux et reflux du droit pénal au sein du droit des affaires », Gaz. Pal. 2008, p. 3.
1439
Cette formulation rappelle étrangement celle de l’art. 2227-17 « sans excuse valable ».
1440
Cass. crim. 11 juillet 1994, n° 93-81. 881, JCP 1995. II. 22441, note Eudier.
397
aurait un impact sur le quantum la peine, puisque lorsque les peines sont de même nature, le
juge ne pourra prononcer qu’une seule dans la limite du maximum légal le plus élevé1442.
Ainsi dans notre cas de figure, cela reviendrait à retenir la sanction plus sévère de l’infraction
de soustraction aux obligations légales, à savoir deux ans d’emprisonnement et 30 000
d’amende. Cet exemple donne à apprécier les travers d’un raisonnement d’incrimination
approximatif. Outre, une atténuation de l’harmonie de la discipline pénale due à la création de
qualifications sensiblement proches l’une de l’autre, le législateur fait produire à la loi pénale
des effets diamétralement opposés au résultat escompté. En effet, en présence d’un concours
réel d’infractions, la spécificité de l’incrimination de soustraction à l’obligation scolaire, ainsi
que l’importance de la valeur sociale protégée, seraient considérablement diluées. De même,
le justiciable qui souhaiterait simplement inculquer à sa progéniture des enseignements et
valeurs auxquelles il a foi, pourrait encourir une peine démesurée et inadaptée au regard des
faits. Mais fort heureusement, il semblerait que la jurisprudence ait opté pour l’application de
l’adage speciala generalibus derogant. Ainsi, la qualification pénale spéciale de soustraction
à l’obligation scolaire primerait sur la qualification générale de soustraction aux obligations
légales1443. D’ailleurs, l’exigence d’une mise en demeure de la première infraction marque
encore davantage son caractère spécifique.
1441
P. Pédron, « Infraction à l’obligation scolaire », JCl. pén. 2009, fasc. 20, n° 41.
1442
Sur le concours réel d’infractions V. P. Salvage, « Concours d’infractions. Le concours réel d’infractions »,
J.-Cl. pén. 2010, fasc. 30, n° 15 (mise à jour en juillet 2015).
1443
Toulouse, 19 juin 2003, JurisData n° 2003-220457 ; JCl pén. 2009, fasc. 20, Pédron ; Dr. fam. 2003, comm.
136, obs. Lamy : cas de manquements graves à la scolarisation, en dépit d’une mesure d’assistance éducative et
deux signalements académiques. La Cour d’appel incrimine les parents sur le fondement de l’article 227-17
considérant cette qualification plus adaptée à la situation. Cependant, dans ce cas la menace sectaire était
inexistante puisque les parents avaient simplement décidé de déscolariser leurs enfants aux motifs qu’ils
n’apprenaient rien et qu’ils étaient victimes de violences. Nous sommes donc bien loin de la finalité initiale, de
lutte contre les sectes, de cette incrimination…
398
que perdurera ce refus. Ainsi, « les éléments constitutifs de l’infraction sont réitérés à chaque
instant pendant une certaine durée, sous l’impulsion constante de la volonté de son
auteur »1444. Il s’agit en somme d’une infraction continue. Or, cela aura un effet sur le point
de départ de la prescription de l’action publique : pour les infractions continues, le délai de
prescription commence à courir au jour où la situation délictueuse cesse1445. Dans le cas de la
soustraction à l’obligation de scolarité, cela correspond au jour où prend fin le manquement ;
donc concrètement au jour de l’inscription du mineur.
Dès lors, comment justifier l’utilité pratique de la répression. Deux thèses sont à considérer.
Premièrement, il est possible de défendre celle selon laquelle le non-respect seul de la mise en
demeure administrative préalable suffit à justifier la peine. Dans ce cas alors la répression vise
uniquement à asseoir un contrôle purement institutionnel. Deuxièmement, il est louable de
revenir à la thèse traditionnelle selon laquelle l’intervention du droit pénal se justifie par la
répression d’un trouble à l’ordre public. Dans cette dernière hypothèse et à partir du moment
où la contrariété à l’ordre public n’existe plus, se pose la question de l’opportunité de la
répression s’agissant du délit de soustraction à l’obligation de scolarité1446. Il semble que la
peine ait surtout ici un but d’intimidation, sans réel intérêt pénal pratique.
1444
M.-C. Sordino, Droit pénal général, Paris, Ellipses, 2013, p. 126.
1445
Par ex. pour le recel, la prescription ne court pas tant que le receleur détient encore la chose provenant de
l’infraction initiale : Cass. crim., 17 mai 1983, Bull. crim. n° 143.
1446
Pour la défense de cette thèse V. A. Gouttenoire et M. C. Guérin, « Abandon d’enfant ou de personne hors
d’état de se protéger », Rép. pén. Dalloz, 2015, n°91-93.
1447
Créé par le Décret n° 2004-162 du 19 février 2004, relatif au contrôle de la fréquentation et de l’assiduité
scolaire et aux sanctions que comportent, au regard du versement des prestations familiales et en matière pénale,
les manquements à l’obligation scolaire et du Code pénal, JO du 20 février 2004, p. 3446. Ce texte est également
reproduit à l’art. R. 131-19 du code de l’éducation. Pour une critique d’un point de vue technique sur ce texte V.
J.-F. Seuvic, « Absentéisme scolaire : art. R. 624-7 du code pénal », RSC 2004, p. 395, in fine.
399
énoncée de manière plus succincte, quant à ses éléments de définition se rapprochant de celles
du manquement à l’obligation scolaire. Elle est définie – selon une formulation peu digeste –
comme « le fait, pour l'un ou l'autre parent d'un enfant soumis à l'obligation scolaire ou toute
personne exerçant à son égard l'autorité parentale ou une autorité de fait de façon continue,
après avertissement donné par l'inspecteur d'académie et mise en œuvre des procédures
définies à l'article R. 131-7 du Code de l'éducation, de ne pas imposer à l'enfant l'obligation
d'assiduité scolaire sans connaître de motif légitime ou d'excuse valable ou en donnant des
motifs d'absence inexacts ». Il s’agit d’une contravention de quatrième classe, concevant elle
aussi l’intervention du droit pénal comme accessoire.
1448
Loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, JO du 2 avril 2006, p. 4950, modifiée par la loi
n°2010-1027 du 28 septembre 2010, dite « loi Ciotti », JO du 29 septembre 2010, p. 17553.
1449
Pour un exposé de la procédure V. Circulaire CNAF n° 2011-005 du 16 mars 2011, « Suspension ou
suppression des allocations familiales sur demande de l’inspecteur d’académie en cas d’absentéisme scolaire »
adressée par la Direction de politiques familiales et sociales.
1450
V. par exemple G. Ruffieux, Les sanctions des obligations familiales, Paris, Dalloz, 2014, p. 526 sq. ; V.
Avena-Robardet, « Absentéisme à l’école : attention aux allocs ! », AJ famille 2010, p. 410 ; du même auteur :
« L’école buissonnière sévèrement sanctionnée », AJ famille 2010, p. 199.
1451
A.-M. Leroyer, « Absentéisme scolaire. Suppression du contrat de responsabilité parentale », RTD civ. 2013,
p. 443. L’auteur dénonce également une « instrumentalisation du contrat à des fins politiques », une réforme qui
sous ses apparences faussement pédagogiques vise à sanctionner légalement les parents démissionnaires qu’il
s’agit d’éduquer.
400
D’ailleurs, la loi n° 2013-108 du 31 janvier 2013 portant abrogation du contrat de
responsabilité parentale1452, s’est contenté de supprimer la suspension du versement des
allocations familiales tout en maintenant cette idée d’accompagnement parental1453. Ainsi, ce
nouveau dispositif repose toujours sur ce principe de contractualisation, puisqu’en cas de
persistance de l’absentéisme suite à un premier avertissement, il est prévu que le directeur
d’école et les membres concernés de la communauté éducative réunis par lui, élaborent avec
les titulaires de l’autorité parentale « un dispositif d’aide et d’accompagnement adapté et
contractualisé » selon l’article L. 131-8 du code de l’éducation. En revanche, il est possible
de déplorer que ces deux procédés fassent encore intervenir un système de sanctions pénales à
l’encontre du parent fautif.
1452
Loi n° 2013-108 du 31 janvier 2013 tendant à abroger la loi n° 2010-1127 du 28 septembre 2010 visant à
lutter contre l’absentéisme, JO du 1er février 2013, p. 1961, texte n°1.
1453
D. Poupeau, « Absentéisme scolaire : le Sénat vote l’abrogation de la loi Ciotti », AJDA 2012, p. 2032 ; V.
Avena-robardet, « Absentéisme scolaire », AJ famille 2014, p. 655.
1454
Or, cette différence de qualification a des conséquences non négligeable quant au quantum de la peine. Alors
que la contravention de quatrième est punissable de 750 euros d’amende (art. 131-13 4° du C.pén.), le délit de
soustraction aux obligations légales est punissable de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
1455
M. Battaglia, « Prison avec sursis pour absentéisme scolaire : une sanction rare mais pas inédite », Le
Monde, n° 21793, 10 février 2015, p. 20. Consultable également en ligne :
http://www.lemonde.fr/education/article/2015/02/10/prison-avec-sursis-pour-absenteisme-scolaire-une-sanction-
rare-mais-pas-inedite_4573570_1473685.html.
401
correctionnel de Laon, pour les absences répétées de ses deux filles, trois-cent-soixante-treize
demi-journées au total1456. Dans ces deux affaires, il semblerait que les juges aient estimé que
le nombre important de journées d’école manquées par les mineurs, ainsi que l’absence de
réponse aux injonctions de l’Education nationale, dénotaient une désinvolture et un désintérêt
des deux mères quant à ses obligations1457. Aussi, la sanction pénale se justifiait-elle par la
gravité des faits.
1456
Mattea Battaglia, op. cit. ; A. Collas, « Une mère condamnée à de la prison avec sursis pour les 373 demi-
journées d’absentéisme de ses deux filles », Le Monde, n°20322, 28 mai 2010, p 12.
1457
V. M. Battaglia, ibidem ; A. Collas, op. cit.
1458
Montpellier, ch. corr. 3ème, 29 avril 2008, n° 07/01622.
1459
Un autre exemple judiciaire donne une idée des faits réellement constitutifs d’une soustraction parentale aux
obligations légales en vertu de l’art. 227-17 du C. pén. : Douai, ch. 9, 13 avril 2007, n°06/03596 (il était établi
que l’absentéisme de l’enfant était la conséquence de l’incapacité de la mère à assurer le suivi éducatif du mineur
en raison d’hospitalisations pour anorexie, alcoolisme ainsi qu’une grande précarité).
402
et sociales invalidées par l’exemple de son père, avec lequel il était en relation fusionnelle ».
1460
Direction de l’évaluation de la prospective de la performance (DEPP), L’absentéisme des élèves continue à
être élevé dans une partie des lycées professionnels, Rapport d’information, n°5, février 2015.
1461
C. Lelièvre, « Les préfets ont autre chose à faire que de s’occuper de l’absentéisme scolaire », La lettre de
l’Education, n° 663, 5 avril 2010, p. 20.
1462
C. Lelièvre, op. cit.
1463
S. Laurent, « Absentéisme scolaire : Martin Hirsch et les amnésies gouvernementales », Le Monde, 4 mai
2010, passim, [En ligne : http://www.lemonde.fr/politique/article/2010/05/04/absenteisme-les-amnesies-du-
gouvernement_1346266_823448.html]. Cet article traite également du recrutement de « médiateurs de la réussite
scolaire » censés faire l’intermédiaire entre les parents et l’école. Mais ce projet aussi a été privé d’avenir.
1464
Ce programme avait été expérimenté dans 37 collèges de Créteil entre 2008 et 2009 et semblait porteur de
résultats encourageants : une meilleure implication des parents volontaires, une diminution de l’absentéisme et
une amélioration du comportement des enfants, une amélioration ténue mais visible des résultats scolaires. Pour
plus de précisions, V. Ecole d’économie de Paris (PSE), Quels effets attendre d’une politique d’implication des
parents d’élèves dans les collèges ?. Les enseignements d’une expérimentation contrôlée, Rapport au Haut
commissaire à la Jeunesse, 11 janvier 2010.
403
technologies ou l’aide à la réalisation des devoirs par exemple1465. Bien sûr, en l’absence de
toute coercition, ce mécanisme repose uniquement sur le volontariat parental. Ainsi, comme
tout programme d’assistance éducative en partenariat avec l’école, la difficulté majeure porte
sur la capacité à impliquer le parent non volontaire ou démissionnaire. Aussi, peut-être que la
clé de la réhabilitation, auprès de ce parent, du lien avec le milieu scolaire se trouve-t-elle
ailleurs. Souvent le parent qui se désintéressera de la scolarité de son enfant, n’aura lui-même
pas éprouver davantage d’intérêt pour sa propre scolarité passée : soit qu’il n’en ait pas perçu
l’utilité ou que l’enseignement reçu était en contradiction avec ses valeurs. Ne serait-il pas,
par conséquent, bénéfique de recentrer l’action gouvernementale et éducative sur l’attractivité
des enseignements et l’intérêt de l’élève à apprendre. Dans ce mécanisme, l’enfant deviendrait
intermédiaire de la communication entre l’école et le parent, permettant alors à ce dernier de
mieux saisir la mission du corps enseignant. Et si finalement, la responsabilisation des parents
passait par le constat d’une conviction de l’enfant à s’instruire.
1465
V. Avena-Robardet, « Absentéisme à l’école : attention aux allocs ! », op. cit.
Ce mécanisme se rapproche de celui du « parenting order » instauré en Grande-Bretagne, par le Crime and
Discorder Act, Section 8 de 1998, [En ligne : http://www.legislation.gov.uk/ukpga/1998/37/contents].
Contrairement à l’ancien système français, le « parenting order » fait appel à la contrainte puisque le non-respect
de l’ordre expose le parent ou le titulaire de l’autorité parentale à une sanction pénale (amende de 1000 livres
sterling), non inscrite au casier judiciaire. Le « parenting order » a un champ d’application plus large que le seul
absentéisme scolaire et vise à accompagner le parent dans l’éducation du mineur. Elle consiste, pendant une
période ne pouvant excéder douze mois (sous-section 4), à délivrer aux parents des leçons d’encadrement du
mineur (par exemple en l’accompagnant à l’école) ou à prononcer à leur endroit des obligations, de soins par
exemple comme la participation à un programme de désintoxication.
1466
A. Huet, « Droit pénal », Rép. dr. eur. 2010, n° 1 ; J. Pradel, G. Corstens et G. Vermulen, Droit pénal
européen, 3ème éd., Dalloz, 2009, n° 4 et 14.
1467
CJCE, 14 décembre 1995, « Banchero », aff. C-387/93, Rec. I. 4663, point 58 ; V. M.-L. Rassat, Droit pénal
général, 3ème éd., Ellipses, 2014, n° 158 et s. ; W. Jeandidier, Droit pénal général, 2e éd., Montchrestien, 1991, p.
113, n°111. D’ailleurs, aujourd’hui encore, l’expression de cette souveraineté étatique demeure perceptible.
Ainsi, par exemple, les conventions internationales nécessitent pour leur intégration dans le droit interne de
l’intermédiaire d’une transposition, s’agissant des directives communautaires, ou d’une ratification, s’agissant de
conventions émanant du Conseil de l’Europe par exemple.
404
criminel interne ne peut être contestée. Ainsi, le pouvoir législatif interne, en matière pénale,
se voit largement impacté par les conventions européennes, ces dernières pouvant être source
d’une obligation pour les États membres de créer des incriminations pénales ou de modifier
celles existantes1468. C’est le cas du traité sur l’Union européenne1469 et de celui sur le
fonctionnement de l’Union (T.F.U.E) 1470 qui initient une intervention des institutions
européennes en matière de répression. Ainsi, en vertu de l’article 83 du Traité sur le
fonctionnement de l’Union. Mais, c’est également le cas s’agissant du Conseil de l’Europe
dont les conventions peuvent contenir des dispositions relatives à la répression de certaines
infractions en droit interne. En guise d’illustration et dans le cadre cette étude, peut être citée
la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard
des femmes et les violences domestiques 1471 , signée à Istanbul le 11 mai 2011. Cette
convention est à l’origine de la création de l’incrimination de mariage forcé, concourant
encore davantage à la pénalisation du droit de la famille.
1468
V. A. Huet, « Droit pénal », Rép. dr. eur. 2010, n° 9 et s. ; C. Porteron, « Lois et Décrets », Rép. pén. 2002,
n°87-103.
1469
Ce traité pose plusieurs dispositions relatives à la coopération policière associant les services de police et de
douane des Etats membres en vue de la prévention et de la détection des infractions pénales, V. Art. 87 du traité
sur l’Union européenne.
1470
Art. 83, 1° du TFUE. Le Parlement européen et le Conseil statuent par voie de directives s’imposant aux
Etats, sur l’établissement de « règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions
dans des domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontalières […] ». Les
domaines alors concernés sont le terrorisme, la traite des êtres humains ou l’exploitation sexuelle des femmes et
des enfants, cette liste n’étant pas exhaustive.
1471
Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et à
la violence domestique signée à Istanbul le 11 mai 2011 [En ligne : http://www.coe.int/en/web/conventions/full-
list/-/conventions/rms/0900001680084840].
1472
V. art. 16 et 17 de la loi n°2013-711 du 5 août 2013, JO du 6 août 2013, p. 13338.
1473
Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et à
la violence domestique signée à Istanbul le 11 mai 2011 [En ligne : http://www.coe.int/en/web/conventions/full-
list/-/conventions/rms/0900001680084840].
405
en effet, que sera puni de trois mois d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, « le fait
dans le but de contraindre une personne à contracter un mariage ou conclure une union à
l’étranger, d’user à son égard des manœuvres dolosives afin de la déterminer à quitter le
territoire de la République ».
La loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes
et aux violences au sein des couples visait pourtant déjà le mariage forcé ; mais sous la forme
d’une simple circonstance aggravante des infractions de meurtre (article 221-4 10° du code
pénal), de tortures et actes de barbarie (article 222-3 6° du code pénal) et de violences
volontaires (articles 222-8 6°, 222-10 6°, 222-12 6° et 222-13 6°). Ainsi, les peines de ces
différentes infractions sont aggravées lorsqu’elles sont commises, contre une personne, afin
de contracter un mariage ou conclure une union ou en raison de son refus de contracter ce
mariage ou conclure cette union.
Contrairement à l’incrimination de mariage forcé de l’article 222-14-4, la circonstance
aggravante de mariage forcé semble devoir s’appliquer à des mariages et unions forcés
contractés sur le territoire de la République, en l’absence de toute précision. Ceci
s’expliquerait par la nécessité de mise en conformité du doit pénal français à la convention
d’Istanbul. En effet, l’article 37, 1° de cette dernière préconisait aux États membres de
prendre « les mesures législatives nécessaires pour ériger en infraction pénale le fait,
lorsqu’il est commis intentionnellement, de forcer un adulte ou un enfant à contracter au
mariage ». Le deuxième alinéa de cet article, lui, commandait aux États parties de créer une
autre infraction prohibant « le fait […] de tromper un adulte ou un enfant afin de l’emmener
sur le territoire d’un autre État autre que celui où il réside avec l’intention de le forcer à
contracter un mariage ». Ainsi, de manière assez mécanique1474, le législateur français a
estimé que le dispositif législatif interne était déjà conforme à la première exigence
européenne, compte tenu de la circonstance aggravante de mariage forcé contracté en France
créée en 2010. Cependant, concernant la deuxième exigence, il s’est contenté de créer une
nouvelle infraction de mariage forcé célébré à l’étranger conformément aux obligations
émanant de la convention.
1474
Assemblée nationale, Projet de loi n° 736, portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la
justice en application de l’Union européenne et engagements internationaux de la France, du Garde des Sceaux,
enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 février 2013, exposé des motifs (art. 16 et 17).
406
En somme, le ratio legis de cette incrimination poursuit un objectif étranger au droit pénal
interne. En réalité, il répond davantage à une stratégie législative visant à se prémunir d’une
condamnation européenne de la France.
1475
Jean Pradel et Michel Danti-Juan, Droit pénal spécial, 6ème éd., Paris, Editions CUJAS, 2014, n° 880.
1476
Cass., civ. 1ère, 6 novembre 1970, pourvoi n° 69-11665, JCP 1971. II. 16942, note J. Ghestin.
407
mensonge, même non corroboré par une mise en scène ou par un acte matériel particulier
puisse constituer une manœuvre au sens de l’article 222-14-4 du code pénal. Ainsi, le simple
fait de prendre pour prétexte, auprès de la victime, un départ en vacances dans le pays
d’origine ou une visite à la famille restée sur place pourrait justifier la répression pénale.
En outre, et en l’absence de précision donnée par le texte, il semblerait que les violences
puissent constituer ces manœuvres dolosives. En effet, l’initiative de création de ce nouvel
article 222-14-4 découle de la convention du Conseil de l’Europe relative à « la prévention et
la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique ». De plus, le
législateur a fait le choix d’insérer ce texte dans un paragraphe du code pénal intitulé « Des
violences » 1477. Parce qu’il n’y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas,
l’interprète doit entendre classiquement par violences, les violences tant physiques que
morales. Cette définition prétorienne constante 1478 des violences a d’ailleurs été confirmée
expressément par l’insertion dans le code pénal d’un nouvel article 222-14-1 par la loi n°
2010-769 du 9 juillet 2010 relatif aux violences faites spécifiquement aux femmes. Cet article
prévoit, en effet, que « les violences […] sont réprimées quelle que soit leur nature, y compris
s’il s’agit de violences psychologiques ». Dès lors, par extension au nouveau délit de mariage
forcé, il faudrait en déduire que les manœuvres dolosives puissent être des coups et blessures
ou voies de fait ayant atteint matériellement l’intégrité physique de la victime. Mais
également, que ces manœuvres puissent consister dans des actes tels que des menaces ou des
agressions autres que des coups ou blessures, qui même sans contact avec la victime, sont de
nature à provoquer chez elle une vive émotion ou une atteinte à son intégrité psychologique.
Dans tous les cas, ces actes de violence, constitutifs des manœuvres dolosives au sens de
l’article 222-14-4, doivent être positifs. Dès lors, une interrogation subsiste1479. La simple
1477
V. Chapitre III « Des atteintes à l’intérgrité physique ou psychique de la personne », Section I « Des atteintes
volontaires à l’intégrité de la personne » du C. pén.
1478
Cass. crim., 16 février 1938, Gaz. Pal. 1938. I. 750 ; CA de Toulouse, 3e ch., 26 juin 2003, D. 2003. 2728 ;
Cass. crim., 2 septembre 2005, Bull. crim. n° 212 ; D. 2005. Pan. 2989, obs. T. Garé et G. Roujou de Boubée :
« le délit de violences peut être constitué, en dehors de tout contac matériel avec le corps de la victime, par tout
comportement de nature à causer, sur la personne de celle-ci une atteinte à son intégrité physique ou psychique
caractérisée par un choc émotif ou une perturbation psychologique ».
1479
Cette question subsiste également pour le respect des croyances religieuses et coutumes familiales. Est-il – à
lui seul – de nature à constituer une violence psychologique ?
408
crainte révérencielle que la victime éprouverait envers ses parents peut-elle être considérée au
titre des violences psychologique, en l’absence d’autres actes corroboratifs1480 ?
Ensuite, au regard de la lettre de l’article, il faut que soit établi un lien de causalité certain et
direct entre les tromperies d’une part et la conclusion du mariage à l’étranger d’autre part pour
que l’infraction soit caractérisée. En effet, en vertu de l’article 222-14-4, le prévenu doit avoir
« usé à l’égard [d’une personne] de manœuvres dolosives afin de la déterminer à quitter le
territoire de la République », dans « le but de [la] contraindre à contracter un mariage ».
Dès lors, ce qui entraîne la consommation de l’infraction, c’est bien la conclusion du mariage
forcé hors du territoire de la République. Par conséquent, le simple départ de France, quand
bien même il aurait été provoqué par des manœuvres, ne suffirait pas en l’absence de toute
union effectivement contractée.
1480
La crainte révérencielle, est « celle qu’inspire une personne en raison de l’autorité qui lui appartient et du
respect qui lui est dû », V. G. Cornu et Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, 11ème éd., PUF, 2016,
« Crainte révérencielle ». Du point de vue du droit civil, elle constitue un cas de nullité du mariage, en vertu de
l’article 180 du code civil. L’article 1114 du code civil, prévoit lui que « la seule crainte révérencielle envers le
père, la mère, ou autre ascendant, sans qu'il y ait eu de violence exercée, ne suffit point pour annuler le
contrat ». Néanmoins, ce texte s’appliquant au droit général des contrats, il n’a jamais été utilisé afin d’invalider
l’annulation d’un contrat de mariage et n’est donc pas contraire au précédent. Aussi, au plan pénal, le juge
choisira-t-il d’adopter un raisonnement différent en estimant que la crainte révérencielle ne suffit pas à
caractériser l’infraction de mariage forcé ? Ou choisira-t-il d’apprécier de manière extensive la notion de
manœuvres dolosives ?
1481
E. Dreyer, Droit pénal général, 3e éd., Paris, Lexisnexis, 2014, n° 172, p. 115.
409
que ces dernières années, cette reconnaissance de la victime et de ses droits s’est
intensifiée1482, emportant ainsi des effets considérables sur la politique législative répressive.
Cette place grandissante de la victime pourtant ne doit pas faire oublier que le droit pénal est
initialement celui de la peine, et pour une moindre part celui de la réparation. Ainsi, s’il
semble impératif d’assurer une protection effective des victimes d’infractions pénales,
notamment familiales, la capacité d’appréciation du législateur ne saurait être annihilée de
manière exagérée par les revendications victimologiques. Ainsi, à l’heure de l’inflation
législative, où l’on aspire à une rationalisation de l’intervention pénale dans l’ensemble des
ordres juridiques, la bienveillance à outrance du législateur envers les victimes aboutit – à
contre-courant – à l’émergence d’une législation pénale médiatique évoluant aux gré des faits
divers et de la politique. Aussi, s’agissant particulièrement de la sphère familiale, le droit
pénal semble cultiver l’art du spectacle, tenant ainsi en haleine l’opinion publique à coups de
grandes annonces législatives. Le droit pénal adapté à la famille devient ainsi un droit de
l’urgence et de l’émotion. En témoigne, la pénalisation – sous impulsion des associations
d’aide aux victimes1483, de l’inceste étudiée précédemment. Certains auteurs parlaient même
d’une pénalisation destinée à « mettre des mots sur les maux » et « un baume sur les
souffrances des victimes »1484.
1482
F. Alt-Maes, op. cit., p. 501 ; not., s’agissant des écrits sur la sacralisation de la victime, sa réémergence et sa
place croissante dans le procès pénal : V. J. Vérin, « Une politique criminelle fondée sur la victimologie et sur
l’intérêt des victimes », RSC 1981. 895 ; A. Decocq, « L’avenir funèbre de l’action publique », in L’avenir du
droit. Mélanges en hommage à François Terré, Paris, Dalloz, PUF, éd. J.-Cl., 1999, p. 781 ; R. Cario, « La
justice restaurative : Vers un nouveau modèle de Justice pénale ?», AJ pénal 2007, p. 373 ; R. Cario,
Victimologie. De l’effraction du lien intersubjectif à la restauration sociale, 4e éd., L’Harmattan, 2012, spéc. p.
18. Idem pour le délinquant, V. quelques exemples de la protection de ses droits et intérêts avec la loi
pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009, JO du 25 novembre 2009, p. 20192, spéc. chap. III ; loi n°
2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, JO du 15 avril 2011, p. 6610 ; loi n° 2014-896 du 15 août
2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, JO du 17 août
2014, p. 13647.
1483
M. Salmona, « L'inceste dans le code pénal : une avancée, mais le parcours reste long pour les victimes »,
Nouvel observateur, Le Plus, 17 mai 2015, p. 45.
1484
A. Lepage, « Réflexions sur l’inscription de l’inceste dans le code pénal par la loi du 8 février 2010 », JCP.
G, n°12, 22 mars 2010, doctr. 335, p. 335-339.
410
Conclusion du Titre I
411
d’incrimination atypiques, il entend créer des infractions ayant pour caractéristique première
leur adaptabilité. Souvent calquées sur des infractions pénales préexistantes, elles prétendent à
une autonomie illusoire, sont de plus en plus individualisées, et tendent à des fins purement
opportunistes, en principe, étrangères à la discipline répressive.
412
Titre II - UNE MODALITÉ D’INTERVENTION
NOVATRICE DU DROIT PÉNAL DANS LA FAMILLE
1485
J.-Ch. Saint-Pau, Le droit pénal et les autres branches du droit. Regards croisés, Actes du XXe congrès de
l’Association française de droit pénal orgnisé à Bordeaux les 5-6-7 octobre 2011, Institut de sciences criminelles
et de la justice (ISCJ), Paris, éd. CUJAS, 2012.
1486
Sur l’autonomie du droit commercial, V. par exemple B. Oppetit, « L’expérience française de codification en
matière commerciale », D. 1990. 1 ; J.-P. Marty, «La distinction du droit civil et du droit commercial dans la
législation contemporaine », RTD com. 1981. 681 ; Sur l’autonomie du droit de la consommation, V. par
exemple J. Calais-Auloy, « L’influence du droit de la consommation sur le droit civil des contrats », RTD civ.
1994. 239 : l’auteur estime que le droit de la consommation est un droit spécifique qui commande la création de
règles spécifiques, sans pour autant parler d’autonomie ; P. Stoffel-Munck, « L’autonomie du
droit contractuel de la consommation : d’une logique civiliste à une logique de régulation », RTD. com. 2012.
705 ; Sur la question de l’autonomie du droit fiscal au regard du droit commercial à travers la notion de
distribution de réserves, V. E. Kornprobst, « La notion de distribution de réserves, l’autonomie du droit fiscal et
l’abus de droit », Revue des sociétés 1991, p. 797 ; Pour la dénégation de la thèse autonomiste du droit fiscal, V.
G. Gest, « Dualité de juridiction et unité du droit fiscal », RFDA 1990. 822, spéc. p. 836 où l’auteur critique de
manière véhémente « les contempteurs de la ”tarte à la crème” que serait la prétendue autonomie du droit
fiscal ».
1487
Par exemple, P. Durand, « Le particularisme du droit du travail », Droit social 1945. 298.
413
De longue date en effet, la question de l’autonomie vraie ou supposée du droit pénal était et
demeure en proie à des divergences doctrinales animées. Alors que certains auteurs voient
dans l’autonomie du droit pénal « un stade de développement nécessaire à [sa] maturation
accomplie »1488, d’autres au contraire la réprouvent1489. En effet, si l’on admet que le droit
pénal est par principe « un droit sanctionnateur, subsidiaire des autres droits auxquels il
apporte le secours de ses peines, lorsque les sanctions particulières de ces droits sont ou
paraissent insuffisantes »1490, de manière logique, son périmètre d’application et d’efficacité
ne saurait être exorbitant de celui des autres disciplines et institutions auxquelles il apporte sa
protection. Cette accessoirisation – nous l’avons vu – justifie l’intervention du droit pénal eu
égard à l’institution familiale, en ce qu’il y renforce les normes et obligations, notamment
civiles – qui la régissent.
Pourtant, le juriste ne saurait – sans s’y méprendre – réduire la place du droit pénal dans le
système juridique à cette unique mission d’assesseur. En effet, le droit pénal demeure
indéniablement un droit d’exception. Ce caractère exceptionnel provient – nous l’avons vu –
de ce que son action ne se justifie qu’en ultime recours, mais bien davantage du
particularisme de son objet intrinsèque, de son rôle au sein du droit positif, de sa construction.
C’est en effet à lui qu’incombe la significative et lourde tâche de sanctionner les
comportements affectant les intérêts essentiels de la société. Or, comment atteindre de
manière satisfaisante cet objectif, sans se départir dans une certaine mesure, du diktat des
disciplines – juridiques ou non – dites « supérieures » 1491 ? Aussi, pour des raisons
essentiellement pratiques, le droit pénal et en particulier le juge répressif durent-ils
1488
S. Royant, L’autonomie du droit pénal en question, Tome I, Thèse de doctorat, Université de Montpellier I,
2002 ; pour d’autres auteurs prônant l’autonomie du droit pénal, V. aussi, G. Stéfani (dir.), Quelques aspects de
l’autonomie du droit pénal. Etudes de droit criminel, Paris, Librairie Dalloz, 1956 ; R. Merle et A. Vitu, Traité
de droit criminel, Tome I, 7e éd., éditions Cujas, 1997, n° 146 sq., p. 215-222 ; P. Bonfils, « L’autonomie du
juge pénal », in Les droits et le Droit : Mélanges dédiés à B. Bouloc, Dalloz, 2007, p. 47 ; B. de Lamy, « La
portée rétroactive de la nullité du second mariage empêche la consommation du délit », Dr. fam. 2003, n° 1,
comm. 6. ; V. plus précisément sur l’appréhension de la notion de contrat en droit pénal, E. Palvadeau, Le
contrat en droit pénal, Thèse de doctorat, Université de Bordeaux IV, 2011.
1489
E. Dreyer, Droit pénal général, 3e éd., Paris, Lexisnexis, 2014, p. 75-77 ; V. aussi plus anciennement, P.
Roland, Les contradictions du droit pénal et du droit civil. Essai de solution du problème de l’autonomie du
droit pénal, Thèse, Lyon, 1958 ; J.-L. Goutal, « L’autonomie du droit pénal : reflux et métamorphose », RSC
1980. 911.
1490
G. Stéfani (dir.), op. cit., préface, p. II.
1491
E. Dreyer, Droit pénal général, 3e éd., Paris, Lexisnexis, 2014, p. 70, n° 95.
414
s’affranchir de certaines contraintes académiques, pour mieux appliquer certains concepts
pénaux parfois en contradiction avec l’unité nécessaire à la discipline.
Les érudits du XIXème siècle ont perçu à travers cette émancipation prétorienne, une
véritable manifestation de l’autonomie du droit pénal. Se posait alors la question du véritable
fondement de cette autonomie. La majorité de la doctrine considère que l’autonomie du droit
pénal « [était] avant tout un fait et un fait d’ordre jurisprudentiel »1492. Et en effet, certaines
pratiques des tribunaux répressifs – de par les mécanismes pénaux singuliers qu’ils emploient
et du raisonnement original qu’ils adoptent – semblent abonder dans le sens d’une
émancipation d’un droit pénal autonome. Ne pouvant prétendre à l’exhaustivité ici, il est
cependant possible de citer certaines manifestations d’autonomie communément relevées par
la doctrine. C’est premièrement la tendance du juge pénal à adopter une conception pénalisée
de concepts extra-pénaux1493 qui sert la défense de la thèse autonomiste. Ainsi, par exemple,
la notion de domicile est définie différemment en droit civil et en droit pénal. En effet, en
droit civil, le domicile est en vertu de l’article 102 du code civil « le lieu où la personne a son
principal établissement ». Le juge pénal, pour les besoins de la répression s’agissant du délit
de violation de domicile (article 226-4 du code pénal) notamment, a adopté une conception
plus extensive de cette notion. Aussi, « le terme de domicile ne désigne pas seulement le lieu
ou une personne a son principal établissement, mais encore, le lieu ou qu’elle y habite ou
non, elle a le droit de se dire chez elle, quels que soient les titres juridiques de son occupation
et l’affectation donnée aux locaux »1494.
C’est deuxièmement, l’indifférence dont font preuve les juridictions pénales vis-à-vis de la
nullité d’actes extra-pénaux, qui conforte le plus la doctrine dans le sens d’une autonomie du
droit pénal. Mais c’est aussi cette indifférence pénale qui constitue « le point culminant du
débat et le champ de bataille le plus belliqueux, tant l’expansion de ce droit est apparue
insupportable pour une majorité de la doctrine »1495. En effet, il semblait particulièrement
impétueux que le juge pénal puisse valablement – et sans outrepasser les limites de sa mission
1492
R. Vouin, « Justice criminelle et autonomie du droit pénal », D. 1947, chron., p. 81 ; P. Bonfils, «
L’autonomie du juge pénal », in Les droits et le Droit : Mélanges dédiés à B. Bouloc, Dalloz, 2007, p. 47.
1493
Pour plus de précisions, V. S. Royant, op. cit., p. 40-72.
1494
Cass. crim., 4 janvier 1977, pourvoi n° 76-91105, bull. crim. n°6 ; Cass. crim., 13 octobre 1982, pourvoi n°
81-92708, bull. crim. n°218 ; Cass. crim. 24 avril 1985, pourvoi n° 84-92673, bull. crim. n°158, RSC. 1986. 103,
obs. G. Levasseur.
1495
S. Royant, ibidem., p. 72, n°107.
415
répressive – prononcer des condamnations et des dommages-intérêts, en faisant fi des
conditions de validité imposées par les disciplines extra pénales dont il n’est que
l’accessoire1496. Ainsi, s’agissant du délit d’abus de confiance (article 314-1 du code pénal)
par exemple1497, la jurisprudence criminelle estime l’infraction constituée alors même que la
remise précaire des biens au prévenu repose sur un contrat préalable nul. Ainsi, par exemple,
a été déclaré coupable d’abus de confiance, le dépositaire détournant des cigares au préjudice
du déposant, quand bien même le contrat de dépôt portait en réalité sur des biens de
contrebande1498. Selon la Cour de cassation, « le vice du contrat en vertu duquel sont détenus
les biens frauduleusement détournés ne met pas obstacle à la poursuite pour abus de
confiance ». Et un tel raisonnement est aisément compréhensible dès lors que droit civil et
droit pénal poursuivent des finalités différentes ; alors que le premier, assure la défense
d’intérêts purement privés en faisant respecter notamment la force obligatoire des contrats, le
deuxième a essentiellement pour objet la défense de l’ordre public. Aussi, tous les éléments
constitutifs de l’infraction étant caractérisés, il convient logiquement de rentrer en voie de
condamnation1499.
Une autre partie de la doctrine, au contraire, estime que si elle est « judiciaire par son
expression et son élargissement, l’autonomie du droit pénal est légale dans son principe »1500.
D’ailleurs, il est possible d’apprécier cette affirmation en matière de preuve par exemple1501.
En l’occurrence, c’est bien la loi pénale qui fixe les règles d’admission des preuves, le juge
pénal se contentant alors de les appliquer. Or, selon qu’il s’agisse du droit civil ou du droit
pénal, les mécanismes probatoires ne sont guère régis par les mêmes principes. Alors qu’en
1496
V. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, Tome I, 7e éd., éditions Cujas, 1997, p. 218, n°148. Les
auteurs exposait le problème en ces termes : le droit pénal « doit-il tenir compte, dans l’application de la
sanction, des conditions de validité intrinsèques des institutions extra-pénales dont il protège le
fonctionnement ? Ou peut-il se référer à une conception plus spécifiquement pénale de ces notions ? ».
1497
Le rayonnement de l’action pénale sur les autres disciplines est large et omniprésent. En effet, la pratique des
juges répressifs à faire produire à des actes nuls des effets quant à la répression, s’observe également en droit
administratif (par exemple sur l’indifférence de l’irrégularité de la désignation d’un fonctionnaire auteur d’une
infraction) ou en droit commercial (notamment s’agissant de la notion de chèque pour le délit de chèque sans
provision), V. S. Royant, ibidem., p. 73 sq.
1498
Cass. crim., 9 juillet 1857, Bull. crim. n° 260.
1499
Pourtant un autre raisonnement pourrait être défendu. En effet, l’abus de confiance nécessite l’existence
d’une condition préalable : la remise d’une chose en vertu d’un titre (le plus souvent un contrat). Dès lors, à
considérer que le contrat sur lequel repose la possession à titre précaire de la chose soit rétroactivement nul, c’est
la condition préalable même de l’infraction qui disparaitrait, V. A. Dadoun, La nullité du contrat et le droit
pénal, LGDJ, 2011, p. 267, n° 371.
1500
G. Stéfani (dir.), ibidem., préf., p. III.
1501
F. Alt-Maës, « L’autonomie du droit pénal, mythe ou réalité d’aujourd’hui ou de demain », RSC. 1987, p.
347.
416
droit civil, les différents modes de preuves recevables sont légalement rigoureusement
déterminés (article 1341 et suivants du code civil), en droit pénal règne un principe de liberté
de la preuve en vertu de l’article 427 du code de procédure pénale1502. Selon ce principe et
sauf disposition légale contraire, tous les modes de preuve s’équivalent. De la même manière,
si en droit civil, la valeur probante de la preuve est strictement déterminée par la loi, au pénal,
c’est en vertu de son intime conviction seule que le juge apprécie cette valeur, sauf
tempéraments1503. Cette originalité de la procédure pénale par rapport à la loi civile marque là
encore une aspiration autonomiste en droit pénal. Il convient de se demander cependant si
cette revendication à l’autonomie est juridiquement viable.
1502
En dépit du principe pénal de liberté de preuve, certains procédés de preuve sont soit ignorés soit strictement
encadrés. Ainsi, d’une part, si le serment décisoire lie le juge civil (V. art. 1358 à 1365 C. civ.), il n’est guère
pris en compte par la procédure pénale. D’autre part, certains modes de preuves recueillis par les fonctionnaires
de police ou de justice, tels que les perquisitions, les auditions de témoins, les actes de captation, fixation,
transmission et d’enregistrement de propos ou d’images, sont soumis à un principe de loyauté.
1503
En vertu de l’art. 431 et 537 du C. pr. pén., les procès-verbaux constatant des contraventions font foi jusqu’à
preuve contraire (rapportée soit par écrit ou par témoignage).
1504
J.-P. Chazal, « Réflexions épistémologiques sur le droit commun et les doits spéciaux », in Études de droit
de la consommation. Liber amicorum Jean Calais-Auloy, Paris, Dalloz, 2004, p. 279 sq.
1505
Encyclopédie Universalis, éd. Encyclopedia Universalis, 1996, « Autonomie ».
1506
J.-P. Chazal, op. cit., p. 289.
417
droit pénal a sans cesse recours à des notions extra-pénales. Ainsi, la Cour de cassation a eu
l’occasion de rejeter la relaxe d’un prévenu poursuivi pour abandon de famille au motif que,
même en présence d’un mariage nul, le caractère putatif de ce dernier laissait subsister son
obligation alimentaire envers l’épouse de bonne foi1507. Par conséquent, la seule apparence
d’un mariage contracté de bonne foi suffit à sanctionner pénalement. Ici, la juridiction
répressive n’hésite donc pas à utiliser un mécanisme de droit civil1508 au service de ses
objectifs affichés de répression et de réparation. De même, la loi pénale porte en elle-même
les stigmates d’une absence d’autonomie de la matière, notamment en raison des renvois
explicites qu’elle fait parfois à d’autres matières. C’est le cas par exemple s’agissant de
l’abandon de famille, infraction pour laquelle l’article 227-3 du code pénal renvoie
expressément « aux obligations familiales prévues par le Code civil »1509. Dès lors, le pouvoir
d’interprétation qu’aurait le juge vis-à-vis de notions extra-pénales s’en trouve
considérablement restreint.
Dans un sens affaibli ensuite, le concept d’autonomie est « synonyme de particularité, de
spécificité. Il suffirait [donc] qu’un droit se distingue, d’une manière suffisamment marquée,
du droit commun pour que son autonomie soit acquise »1510. Pourtant, une telle autonomie
semble artificielle puisqu’elle est créée de toute pièce par le juriste, l’idée étant de légitimer
des choix techniques. Cette autonomie semble, par trop d’aspects, exagérée en ce qu’elle
justifierait de manière factice l’autonomie de toute branche du droit qui ne sont en réalité que
des ramifications du droit commun. L’écueil d’une telle méthode consisterait dans une
parcellisation à outrance du droit, préjudiciable à sa cohérence. S’agissant du droit pénal elle
serait simplement erronée puisque par définition, ce droit est un droit satellite, tributaire d’une
organisation sociale – et en l’occurrence familiale – préalable indispensable à son
intervention. Par ailleurs, l’autre inconvénient de cette spécialisation à visée autonomiste est
qu’elle est contagieuse. Ainsi, voit-on apparaître un florilège de droits pénaux spéciaux, qui
sont en réalité davantage la part d’un tout que des véritables disciplines juridiques autonomes.
Aux droits pénaux spéciaux se substituent dès lors des droits pénaux spécialisés, présentant un
intérêt pratique ténu. Finalement, à côté du prétendu « droit pénal de la famille » - expression
1507
Cass. crim., 23 mars 1981, pourvoi n° 94-74.340, Bull. crim. n° 101, RSC. 1982. 349, obs. G. Levasseur.
1508
Art. 201 C. civ.: « Le mariage qui a été déclaré nul produit néanmoins, ses effets à l’égard des époux,
lorsqu’il est contracté de bonne foi ».
1509
V. supra, n° 299.
1510
J.-P. Chazal, ibidem, p. 290.
418
de plus en plus répandue dans les écrits1511 – pourquoi ne pas concevoir également un « droit
pénal du couple »1512, voire même un droit pénal applicable à chaque membre de la famille :
un droit pénal de l’enfant, un droit pénal du beau-parent. Cette démultiplication à l’envi de
droits pénaux spécialisés alourdit la discipline et complique sa lisibilité.
En somme, le droit pénal – lorsqu’il s’applique à la famille surtout – ne saurait être une
discipline étanche, évoluant en autarcie vis-à-vis des autres.
D’autre part, la prétendue autonomie du droit pénal est imparfaite parce que discontinue,
aléatoire, fluctuante. Ainsi, elle est marquée par des périodes de « reculs passagers et
temporaires »1513. Prenons l’exemple de l’indemnisation de la concubine suite au décès de
son amant. Alors que la chambre criminelle de la Cour de cassation acceptait le principe de
cette indemnisation 1514 à condition que le concubinage ne présente pas de caractère
délictueux 1515 , la chambre civile exigeait encore la preuve d’« un intérêt légitime et
juridiquement protégé »1516. Par conséquent, le droit pénal semblait jouir d’une autonomie
jurisprudentielle éclatante. Hélas, le célèbre arrêt Dangereux, rendu par la Chambre mixte le
1511
P. Maistre du Chambon, « Quelques considérations sur le droit pénal de la famille », JCP éd. G, n°1, 10
janvier 2011, p. 6 ; A. Bourrat-Guéguen, « Droit pénal de la famille », in Droit de la famille, Dalloz Action,
Livre 6, 2013.
1512
P. Maistre du Chambon, op. cit., p. 8 sq.
1513
F. Alt-Maës, « L’autonomie du droit pénal, mythe ou réalité d’aujourd’hui ou de demain », RSC. 1987, p.
347.
1514
Cass. crim., 21 octobre 1969, pourvoi n° 68-93.558, Bull. crim. n° 257 « […] En s'abstenant de rechercher si
le décès subi de la victime n'a pas occasionné un préjudice matériel et moral à la demanderesse qui, après une
longue vie commune, s'est trouvée, notamment, privée soudain a la fois d'un logement, de l'appoint des
ressources de son concubin et de son affection, la cour d'appel n'a pas donné une base légale à sa décision ».
1515
La chambre criminelle continuait de rejeter toute indemnisation au profit de la concubine lorsque le
concubinage même durable était entaché d’adultère, V. Cass. crim., 14 mars 1967, pourvoi n° 66-91.134, Bull.
crim. n° 100 : « Une telle situation (le concubinage) et les relations adultères qu'elle implique établissent le
caractère à la fois précaire et délictueux du lien qui unissait le [défunt et la concubine], et que l'existence d'une
telle liaison n'a pu créer un droit à réparation au profit de la concubine ».
1516
Cass. ch. conseil, 27 juillet 1937, Métenier, D.P. 1938.1.5, note R. Savatier « le concubinage demeure, en
toute occurrence, quelles que soient ses modalités et sa durée, une situation de fait qui ne saurait être génératrice
de droits au profit des concubins et vis-à-vis des tiers ». Cette décision démontre parfaitement la prévalence de
l’institution du mariage et le grand mépris institutionnel vis-à-vis du concubinage à cette époque ; V. autre arrêt,
Cass. civ. 2, 13 décembre 1961, Bull. n° 861 « Le demandeur d'une indemnité délictuelle ou quasi délictuelle
doit justifier, non d'un dommage quelconque, mais de la lésion d'un intérêt légitime juridiquement protégé » ;
Cette position de la chambre civile était d’autant plus choquante qu’elle admettait déjà à cette même époque,
l’indemnisation du préjudice moral que la mort d’un cheval aurait causé à son maître ! V. cass. civ. 1, 16 janvier
1962, Bulletin n° 3 « qu'indépendamment du préjudice matériel qu'elle entraine, la mort d'un animal peut être
pour son propriétaire la cause d'un préjudice d'ordre subjectif et affectif susceptible de donner lieu a réparation
[…] ».
419
27 février 19701517 mit fin au phénomène autonomiste du droit pénal en la matière. En effet,
cette décision unifiait dorénavant les solutions rendues par les chambres civile et criminelle
sur le principe de la réparation de la concubine, en ces termes clairs et lapidaires : « l'article
1382 du code civil […] ordonnant que l'auteur [… ] ayant causé un dommage à autrui sera
tenu de le réparer, n'exige pas, en cas de décès, l'existence d'un lien de droit entre le défunt et
le demandeur en indemnisation ».
Le caractère caduc de l’autonomie du droit pénal fut cependant de courte durée, puisque par
un arrêt du 19 juin 19751518, la Chambre criminelle opère un revirement de jurisprudence et
entérine l’indemnisation de la concubine même en présence de relations adultères. La
chambre criminelle s’était contentée de tirer les conclusions de l’arrêt dangereux de 1970, à
l’occasion duquel la chambre mixte avait abandonné les anciennes exigences de stabilité et
surtout l’absence de caractère délictueux. Ce faisant, la chambre criminelle retrouvait ainsi
son autonomie vis-à-vis de la jurisprudence civile qui, elle, persistait encore à ignorer tout
effet juridique au concubinage délictueux ou adultérin.
Cependant aujourd’hui, cette autonomie jalousement gardée du droit pénal est de nouveau
remise en question par la jurisprudence civile et tend à perdre du terrain. En effet, si le juge
civil semble hésiter encore à revendiquer expressément sa tolérance vis-à-vis de l’adultère,
plusieurs de ces décisions semblent l’indiquer. Ainsi, un arrêt de la cour d’appel de Riom a
admis l’indemnisation simultanée de l’épouse et de la concubine de l’homme mort à la suite
d’un accident1519. De la même manière, la jurisprudence civile a jugé, à plusieurs reprises, que
les libéralités consenties à une concubine en vue de maintenir, reprendre ou rémunérer une
1517
Ch. mixte, 27 févr. 1970, Dangereux, pourvoi n° 68-10.276, D. 1970, chron. n° 145, obs. N. Gomaa.
1518
Cass. Crim. 19 juin 1975, pourvoi n° 74-92.363, Bull. Crim. 161, Gaz. Pal. 1975.2. 566. Cette décision est
intéressante s’agissant de la formulation de la décision de la Chambre criminelle. Elle estimait en effet que
« l'auteur responsable de l'homicide ne pouvait être admis à se prévaloir du caractère délictueux d'un état de
fait touchant à la vie privée de la partie adverse et que d'après les dispositions combinées des articles 336, 337
et 339 du code pénal (anciens textes abrogés incriminant l’adultère), seule l'épouse de la victime aurait eu
légalement la faculté de dénoncer ou d'opposer en justice ». Aussi, pouvons nous supposer que cette décision
aurait été tout autre si c’était l’épouse qui se prévalait du caractère adultérin du concubinage. Ainsi, si la
chambre criminelle avait, sans conteste, assoupli sa position quant à l’adultère, son objectif ici n’était cependant
pas de l’avaliser. Dans tous les cas, cela importe peu aujourd’hui puisque, peu de temps après cette décision, la
loi n° 75-617 du 11 juillet 1975 est venue dépénaliser l’adultère.
1519
Riom, 9 novembre 1978, JCP 1979. II. 19017, note G. Almairac. Cependant, un arrêt successif de la
chambre civile tenait pour précaire les relations qu’entretenait la victime avec deux concubines, entre lesquelles
il partageait son temps – alors que de chacune de ces unions étaient nés des enfants, V. Cass. civ., 8 janvier 1985,
pourvoi n° 82-92.753. Il ne semble pas que cette décision doive minimiser la portée de la première, mais sinon
rappeler qu’en matière d’indemnisation, concubinage sur concubinage ne vaut…
420
relation adultère n’avaient pas une cause contraire aux bonnes mœurs1520. Par conséquent, la
jurisprudence civile opère un profond et constant chambardement dans son appréhension de
ce qui est immoral et de ce qui ne l’est pas1521. Ainsi, nous ne nous étonnerons pas de
découvrir un jour prochain une décision civile entérinant pleinement l’indemnisation dans le
cadre d’un concubinage adultérin.
En somme, pour être avalisé scientifiquement, un concept doit pouvoir être vérifié
durablement. Or tel n’est pas le cas s’agissant de l’autonomie du droit pénal, au regard
notamment du droit de la famille.
1520
Cass. civ. 1, 3 février 1999, pourvoi n°96-11.946, Bull. civ. I, n°43, D. 1999, somm. 377, obs. J.-J.
Lemouland ; D.1999. 267, obs. X. Savatier ; Cass. Ass. Plén., 29 octobre 2004, pourvoi n°03-11.238, Bull. ass.
Plén. N°12, JCP 2005.II.10011 note F. Chabas ; AJ. Fam. 2005. 234, note F. Chénedé.
1521
Indemnisation octroyée au concubin homosexuel du défunt, V. TGI Belfort, 25 juillet 1995, JCP
1996.II.22724, note C. Paulin.
421
Chapitre I. L’expression d’une singularité du droit pénal dans la
famille
362. L’expression d’une singularité du droit pénal par synergie. – Ayant à cœur de
proposer une « troisième voie » d’autonomie, un auteur suppute que l’autonomie apparait
encore « quoique de façon plus subtile, quand la matière considérée, bien que ne mettant
apparemment en œuvre que des principes et des méthodes empruntés à des branches
existantes, en fait une sorte de combinaison chimique ayant un caractère nouveau […] »1522.
Cette définition de l’autonomie est intéressante par les traits d’originalité et de sophistication
qu’elle présente. Selon cette thèse, l’hétéronomie d’une discipline ne serait pas exclusive d’un
constat d’autonomie, à partir du moment où cette hétéronomie est pleinement choisie. En
d’autres termes, en s’appropriant des règles qui lui sont étrangères (soit qu’elle les applique
sans difficulté, soit qu’elle les applique en adoptant une conception propre de ces règles), ou
au contraire en refusant littéralement de les appliquer, la discipline juridique concernée
sélectionne de manière consciente les principes auxquels elle entend donner du crédit.
Toutefois, s’il est indéniable que cet argument est signe d’une grande liberté de la matière
visée, en revanche il ne permet pas d’attester, de manière absolue et irréfragable, de
l’autonomie d’une discipline. Aussi, peut-il être rétorqué que la discipline criminelle possède
elle-même en son sein des contradictions structurelles préexistantes, liées pour une grande
1523
part à des problématiques conjoncturelles (politiques législative ou nécessités
jurisprudentielles). En effet, il n’est pas rare qu’un même concept – extra-pénal ou non
d’ailleurs – soit tour à tour admis par le droit pénal ou ignoré par lui. C’est ainsi que la bonne
foi de l’époux victime de non-paiement de pension alimentaire est reconnue par les juges
répressifs1524, alors qu’elle est quasiment toujours refusée pour exonérer le professionnel
compte tenu de ses compétences, devoirs et des moyens dont il dispose1525. De la même
1522
G. Vedel, « Le droit économique existe-t-il ?», in Mélanges offerts à Pierre Vigreux, 1989, p. 770.
1523
Sur l’opportunisme législatif, V., supra, n° 339.
1524
V. sur le mariage putatif, Cass. crim., 23 mars 1981, pourvoi n° 94-74.340, préc.
1525
Sur la complicité d’un expert comptable V., Cass. crim. 3 février 2016, pourvoi n°14-86.325, inédit. Les
juges rejettent l’argument de la bonne foi du professionnel, aux motifs qu’ « il ne pouvait ignorer que de tels
agissements étaient, d'une part, pour lui même et son cabinet, constitutifs de faux en écritures et usage de faux
par la transmission de ces documents, erronés et fallacieux, à l'URSSAF et à l'administration fiscale et, d'autre
422
façon, le juge pénal semble s’inspirer du sens de l’adage « nemo auditur propriam
turpitudinem allegans » dans certaines de ses décisions. Tantôt, il décide d’en observer le
principe lorsqu’il exige par exemple l’absence de toute faute antérieure du prévenu souhaitant
obtenir exonération 1526 . Tantôt, il estime ce principe inefficace lorsqu’il admet que la
prostituée est recevable à se porter partie civile à l’encontre de son proxénète – autrefois
appelé souteneur – pour obtenir une indemnité pécuniaire ou la restitution des revenus de la
prostitution1527. Il est encore possible de citer par exemple d’un côté, l’indifférence de
principe du droit pénal quant au mobile et d’un autre côté, sa prise en compte lorsqu’il s’agit
des violences commises par l’ex-conjoint, concubin et pacsé en raison des anciennes relations
existantes entre lui et sa victime. Mais, la considération du mobile de l’auteur jouera aussi au
moment de la fixation et de l’aménagement de sa peine.
En somme, l’art de la contradiction est inhérent à la pratique même du droit pénal. Ainsi, cet
argument ne constitue pas en soi une gageure systématique d’autonomie. En revanche, il
représente en toute circonstance, une véritable originalité, singularité du droit pénal. Le droit
pénal est un droit unique, présentant de par son économie générale une unité d’ensemble.
part, d'abus de biens sociaux de la part des gérants de fait de ses entreprises et d'exécution de travail dissimulé,
dont il se rendait, délibérément et en connaissance de cause, complice compte tenu de la nature de sa mission et
de ses obligations professionnelles exigeant rigueur et d'apporter ses conseils aux clients […] » ; Sur le gérant
d’une société V. Cass. crim., 28 octobre 2015, pourvoi n° 14-83.093, Inédit. Les juges estiment qu’ « en sa
qualité de dirigeant de l'entreprise, [le prévenu] qui n'a pas pris les mesures permettant d'éviter la réalisation
du dommage, a commis, au sens de l'article 121-3 du code pénal, une faute caractérisée ayant exposé autrui à
un risque d’une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer » ; Cass. crim. 10 janvier 2001, Bull. crim. n° 2,
RSC. 2001. 577, Y. Mayaud (faute caractérisée des dirigeants d’une société ne prévenant pas le gérant de la
filiale, du risque de réaction chimique présenté par un produit toxique qui provoque le décès d’une des locataires
d’un immeuble) ; et les exemples peuvent être multipliés s’agissant du corps enseignant ou du corps médical, des
fonctionnaires et personnes morales.
1526
Celui qui s’est lui même placé en situation de péril ne peut par la suite légitimer l’infraction par laquelle il
s’est dépêtré de ce danger. Ce principe est traditionnellement rappelé par la jurisprudence. Dès lors, ne peut
invoquer la légitime défense, le prévenu qui résiste violemment à l’interpellation des forces de police, ceci
constituant en soi le délit de rébellion et d’outrage à agents selon l’article 433-6 du code pénal, V. Cass. crim. 9
février 1972, pourvoi n° 71-91.349, bull. crim. n°54 et Cass. crim. 1er septembre 2004, pourvoi n° 04-80.362,
Bull. crim. n°190. De même, ne peut davantage arguer d’une contrainte physique, le prévenu qui souffrait,
antérieurement à la commission de l’infraction qui lui était reprochée (non-port de la ceinture de sécurité), d’une
blessure à l’épaule causée par un accident survenu la veille, V. Cass. crim. 28 octobre 2009, pourvoi n°09-
84.484, inédit.
1527
Cass. crim. 7 juin 1945, RSC. 1952. 347, obs. R. Vouin.
423
363. L’économie générale du droit pénal. – L’ « économie » d’une chose renvoie à
« [son] ordre interne, [sa] structure, [son] organisation d’ensemble » 1528. En droit des
obligations, l’économie générale d’un contrat1529 – notion d’origine prétorienne permettant
d’apprécier la validité de ce dernier – fait référence à « l’esprit général »1530 du titre, « son
architecture »1531. Appliqué au droit pénal, la notion d’économie générale nous permettra de
rendre compte de la singularité de la matière lorsqu’elle intervient au sein de la famille, au
regard de ses structure, essence et logique intrinsèques. Cette singularité apparaît comme
fonctionnelle dans un premier temps (Section I) et conceptuelle dans un deuxième (Section
II).
Il faut souligner que cette tolérance pénale, s’agissant de la structure de la famille, s’est
progressivement déplacée. Depuis l’entrée en vigueur du nouveau code pénal, la vision pénale
de la famille s’est resserrée. En effet, sous l’ancien droit, bon nombre de dispositions relatives
notamment aux immunités familiales visaient – comme membres à part entière de la famille,
la personne séparée de fait ou de corps1534 ou encore les alliés jusqu’au quatrième degré
inclus1535. Cependant, le délitement contemporain des relations familiales élargies a conduit le
droit pénal à adapter sa conception horizontale de la famille, optant ainsi pour une conception
plus réaliste de cette dernière. Néanmoins, en marge de ce rétrécissement, le droit pénal a
actualisé sa vision de la structure familiale, alignant ainsi cette dernière sur une perception
sociologique de la famille. Par conséquent, à la normalité familiale le droit pénal a préféré la
neutralité familiale, tant envers le couple (A) qu’envers les tiers (B).
1532
V. supra, Introduction, n°30 . Cependant, force est de constater que l’ouverture du mariage aux couples de
même sexe modifiera considérablement, à n’en pas douter, le visage du droit de la filiation, V. J.-J. Lemouland,
« Famille », Rép. civ. 2015, n° 64.
1533
V. par ex. supra, n° 60 et 360 in fine.
1534
Il s’agit par exemple de l’immunité de vol (anc. art. 380 du C. pén.) qui profitait également à l’époux séparé
de corps ou de fait. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas (art. 311-12 du C. pén).
1535
V. infra, n°318.
425
A. La neutralité vis-à-vis de la conjugalité
366. Le droit pénal, une science à mutations rapides. – Le droit pénal – contrairement au
droit civil de la famille accusant une progression plus lente – est un droit d’adaptation
constante et rapide, contraint dans un contexte familial et social troublé, de répondre au mieux
aux différents cas d’espèce qui se présente à lui. Aussi, face à l’ampleur des violences
intrafamiliales et en particulier conjugales, le législateur dut faire de la notion de couple, un
véritable concept en droit pénal.
1536
Loi n° 92-683 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions générales du code pénal, JO du 23 juillet
1992 (rectificatif au JO du 23décembre 1992).
1537
La mère auteur d’infanticide était punie de réclusion criminelle à temps de dix à vingt ans (anc. art. 302 al. 1
C. pén. 1810), sans que cette excuse puisse s’étendre à ses coauteurs ou complices qui eux étaient condamner à
la peine de mort (anc. art. 300 et s. C. pénal 1810) ; Cette clémence vis-à-vis de la femme alors se justifiait par
une « folie puerpérale » et la peur du déshonneur. La mère agissant de la sorte était considérée comme malade et
inconsciente de la gravité de son acte, V. R. Lalou, « L’infanticide devant les tribunaux français (1825-1910) »,
Dénatalité. L’antériorité française 1800-1914, Revue Communications, Vol. 44, n° 1, 1986, p. 194.
426
article 337 du code pénal)1538 , le mari lui n’était condamné qu’au paiement d’une amende
d’un montant dérisoire1539 (ancien article 339 du code pénal). S’agissant du concubinage par
ailleurs, le droit pénal –sans l’ignorer en totalité – ne lui reconnaissait qu’une portée juridique
limitée. Seule la naissance d’un enfant commun aux concubins permettait de révéler la famille
naturelle aux yeux du droit pénal. Autrement, aucune mention n’était faite du concubin et de
la concubine en tant que véritable couple1540. Bien au contraire, la concubine était considérée
individuellement et souvent vu comme un trouble-fête des unions maritales établies. C’était le
cas par exemple de l’adultère commis par le mari qui entretenait sa concubine au domicile
conjugale1541. Il s’agit donc d’une sorte de « bigamie de fait »1542. C’était également le cas du
délit de concubinage notoire consistant pour le concubin à entretenir des relations avec
l’épouse du mari parti en guerre1543.
Il fallut attendre le nouveau Code pénal de 1994 pour qu’apparaissent dans les textes les
notions de conjoint et de concubin, le PACS n’existant pas encore à ce moment là. Ainsi, est
créée la première circonstance aggravante tenant à la qualité de conjoint ou de concubin. On
remarquera que la notion est volontairement neutre, ne faisant aucune référence au genre
dudit conjoint ou concubin. Cette nouvelle circonstance aggravante s’appliquait aux
infractions d’atteinte à l’intégrité physique ou psychique de la personne (dans leur version de
1994). Il s’agissait alors des cas de tortures et de barbarie (article 222-3-6°1544) et des
violences volontaires (articles 222-8-6°, 222-10-6°, 222-12-6°, 222-13-6°). En effet, à travers
la réforme du nouveau code pénal, le législateur – fort du progrès des études sur le
1538
Art. 337 al. 2 « Le mari restera le maître d’arrêter l’effet de cette condamnation, en consentant à reprendre
sa femme ».
1539
Le montant de l’amende s’élevait de cent francs à deux mille francs.
1540
C. Escoffier-Gialdini, La vision pénale de la famille, Thèse de doctorat, Université Aix Marseille 3, 1994, p.
239, n°303.
1541
Art. 339 anc. précité.
1542
Escoffier-Gialdini, La vision pénale de la famille, Thèse de doctorat, Université Aix Marseille 3, 1994, p.
241, n°306. Le droit pénal ne sanctionnait cette bigamie que lorsque le concubinage venait en contradiction avec
au mariage, mais pas en cas de concubinages multiples.
1543
Art. 1er de la loi du 23 décembre 1942 tendant à protéger la dignité du foyer loin duquel l’époux est retenu
par suite de circonstances de guerre, JO du 26 décembre 1942, p. 4209 : « Quiconque vivra en concubinage
notoire avec l’épouse de celui qui est retenu loin de son pays par circonstance de guerre sera puni de trois mois
à trois ans d’emprisonnement et d’une amende de 1500 à 25 000 frcs ».
1544
« Par le conjoint ou le concubin de la victime ».
427
phénomène des violences intrafamiliales, et notamment sur leurs impacte sur les enfants1545 –
a souhaité exprimer la désapprobation du corps social envers ces violences. Il convenait alors
d’affirmer la primauté de l’intégrité physique d’autrui comme intérêt juridiquement protégé,
indifféremment de la situation conjugale de la victime.
Cependant, la nouvelle circonstance n’était pas générale puisque pour les infractions de
meurtre ou d’agressions sexuelles, la loi pénale ne prévoyait rien. Etait-il possible de
percevoir dans ces lacunes législatives un sincère oubli involontaire ou au contraire une
minimisation du phénomène des violences conjugales ? En effet, en dépit des études menées
sur cette violence, il convient de garder présent à l’esprit que cette réalité relève – et cela est
encore vrai aujourd’hui – du tabou. Ainsi, si les acteurs législatifs et judiciaires du XXème
siècle avaient déjà pris conscience de l’existence de ce fléau, ils n’en ont pas réalisé l’ampleur
et les conséquences désastreuses sur la santé des familles et par extension de la société.
Devons-nous rappeler que l’ancien Code pénal légitimait expressément le crime passionnel,
précisant que «dans le cas d’adultère, […] le meurtre commis par l’époux sur son épouse,
ainsi que sur le complice, à l’instant où il les surprend en flagrant délit, [était]
excusable »1546. Ainsi, bien que cette excuse atténuante ait été abrogée en 1992, le meurtre à
l’encontre du conjoint ou du concubin était encore considéré comme exceptionnel puisque le
climat ambiant de violences familiales était alors rarement perçu comme pouvant déboucher
sur un homicide1547. Aussi, en cas de meurtre entre conjoints ou concubins, la qualité de
l’auteur et les relations intimes existant entre lui et sa victime n’influaient pas sur la gravité de
la peine ou de la qualification, le juge pénal bénéficiant alors d’une liberté d’appréciation
large. C’est ce même défaut de maîtrise du phénomène des violences conjugales qui ont
conduit à occulter les agressions sexuelles de la circonstance aggrava
nte, au nom du « sacro-saint » devoir conjugal. Après tout, ce n’est que récemment en 2010
qu’a été supprimée la présomption de consentement des époux aux relations sexuelles1548.
1545
Une véritable prise de conscience sociale du phénomène des violences intrafamiliales s’est amorcée depuis
plus d’une dizaine d’années, V. R. Coutanceau et J. Smith (dir.), Violence et famille. Comprendre pour prévenir,
Paris, Dunod, 2011, p. 11 sq.
1546
Anc. art. 324 C. pén. 1810.
1547
C. Escoffier-Gialdini, La vision pénale de la famille, Thèse de doctorat, Université Aix Marseille 3, 1994, p.
237, n°302.
1548
V. supra, n° 94.
428
La loi du 4 avril 2006 marque une évolution importante vers l’acquisition de la neutralité
pénale et l’élaboration d’un statut réel du couple en droit pénal. Trois de ces apports essentiels
peuvent être relevés. Dans un premier temps, la loi étend la circonstance aggravante aux
infractions de meurtre (article 221-4, 9°). En effet, le contexte social de l’élaboration de ce
texte de loi était le suivant : environ cent femmes mouraient chaque année sous les coups de
leur conjoint ou concubin, en France1549. Aussi, le législateur dut se rendre à l’évidence que le
meurtre pouvait constituer une continuité, une transcendance des violences conjugales.
D’ailleurs, l’absence de circonstance aggravante tenant à la qualité de conjoint ou de concubin
s’agissant du meurtre, semblait d’autant plus ubuesque que le nouveau code pénal aggravait
déjà la peine des violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner
commises par le conjoint ou le concubin. Dès lors, l’extension de cette circonstance au
meurtre était une étape logique. Il en va de même des agressions sexuelles : les agressions
sexuelles autres que le viol (article 222-28, 7°) et le viol (article 222-24, 11°).
Dans un deuxième temps, parce que l’objectif de la loi de 2006 est de consacrer le nouveau
statut du couple, l’article 132-80 posant la circonstance aggravante tenant aux relations
conjugales entre l’auteur et la victime est inséré au sein d’une section III « De la définition de
certaines circonstances entraînant l’aggravation, la diminution ou l’exemption de peines » du
Livre premier du code pénal. Par ailleurs, cet article vise dorénavant, à côté du conjoint et du
concubin, le partenaire d’un PACS1550. Par conséquent, le droit pénal reconnaît expressément
les différentes formes de conjugalités, préexistant socialement depuis plusieurs années.
Enfin, la loi de 2006 étend le champ de la circonstance aggravante aux relations conjugales
passées ayant existé entre la victime et l’auteur. Ainsi, l’article 132-80 envisage le cas où les
faits seraient commis par l’ex-conjoint, l’ex-concubin ou l’ex-partenaire. Cependant, cette
dernière disposition nécessite que l’infraction ait été commise en raison des anciennes
relations ayant existé entre les parties. La Cour d’appel a rendu une décision fort intéressante
à propos de cette condition, le 8 septembre 20081551. En l’espèce, un homme et une femme
1549
G. Geoffroy, Proposition de loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple,
Rapport n°2726 fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration
générale de la République, 7 décembre 2005, art. 5 (en ligne), disponible sur le site de l’Assemblée nationale :
http://www.assemblee-nationale.fr/12/rapports/r2726.asp#P322_66047.
1550
F. Alt-Maës, « Le PACS à l’épreuve du droit pénal », JCP. éd. G. 2000. I. 275, passim.
1551
Toulouse, 3ème ch., 8 septembre 2008, n°07/00566, Dr. pén. 2009, comm. 17, obs. M. Véron, préc.
429
mariés pendant vingt-quatre ans, se séparent. Une fois cette séparation entérinée, la femme
embauche son ancien concubin dans l’entreprise qu’elle dirige. Néanmoins, devant
l’absentéisme de l’homme, elle décide de le licencier rapidement. Le jour de l’entretien
préalable, l’homme lui administre un coup de pied aux fesses qui la fait chuter au sol. Une
fois la victime réfugiée dans sa voiture, le prévenu administre un deuxième coup de pied cette
fois dans la carrosserie du véhicule. Alors que le tribunal correctionnel condamnait l’individu
pour violences volontaires ayant entraîné une incapacité de travail inférieure à huit jours
commises par concubin (article 222-13-6° du code pénal), la Cour d’appel elle a estimé que
rien ne permettait ici d’affirmer que les violences étaient en relation avec les anciennes
relations entretenues par le couple, plutôt qu’avec le licenciement. Dès lors, il convenait selon
elle de requalifier l’infraction en simple contravention de violences légères… La solution
retenue par les juges peut laisser l’observateur dubitatif. En effet, si le licenciement semble
être la raison immédiate des violences, elle n’en est pas la seule. Or, l’article 132-80 du code
pénal, s’il exige que l’infraction soit en relation avec les relations conjugales passées, ne
commande pas que ce lien soit direct et exclusif. Aussi, les juges auraient dû se demander si
placé dans une autre situation plus neutre – c’est-à-dire un entretien de licenciement avec un
patron lambda – le prévenu aurait agi de la même façon. Or, il est fort à parier que son
comportement aurait été tout autre… Notons, par ailleurs, que cette condition légale qui tend
à justifier la commission de l’infraction par l’auteur, en raison de ses anciennes relations avec
la victime, traduit la mutation sous l’enveloppe d’une circonstance aggravante, d’un mobile –
en principe indifférent en droit pénal.
En somme, en droit pénal, le législateur contemporain entend protéger « une famille unigenre
et volontairement asexuée »1552, une famille objectivée.
368. Le choix d’une neutralité sexuelle en droit pénal. – « Le droit pénal ne saurait être
porteur d’une morale familiale autonome »1553. Dès lors, il se départit de considérations
1552
M. Douchy-Oudot, « Quelle protection contre les violences au sein des couples ? », Procédures 2010, étude
9, n°4.
1553
P. Maistre du Chambon, « Quelques considérations sur le droit pénal de la famille », JCP éd. G, n°1, 10
janvier 2011, p. 7.
430
morales quant aux pratiques conjugales et choix de vie individuels. Cette neutralité s’apprécie
notamment clairement à travers la dépénalisation de l’adultère et de l’homosexualité. Ces
célèbres cas de dépénalisation seront étudiés plus en profondeur dans les développements
ultérieurs. Nous nous contenterons ici simplement d’apprécier le caractère avant-gardiste du
droit pénal au regard de l’évolution des mœurs.
Ainsi, s’agissant de l’adultère, le juge pénal avait déjà affirmé sa position tolérante vis-à-vis
de cette pratique, antérieurement même à sa dépénalisation légale en 19751554. Nous l’avons
vu en effet, le chemin vers la dépénalisation du délit d’adultère fut initié par le juge pénal.
Ainsi progressivement, la répression sexuée en fonction de la qualité de femme ou de mari de
l’auteur de l’infraction a laissé place à une certaine indifférence pénale en matière
d’indemnisation de la concubine1555. S’agissant ensuite de l’homosexualité, il apparaît que
l’on soit passé d’une pénalisation de l’homosexualité à une pénalisation de l’homophobie.
Ainsi, alors que la loi du 4 août 1982 abroge les dispositions relatives à l’ancien délit
d’homosexualité1556, sont aggravées les peines encourues pour les crimes et délits qui auront
été commis « à raison de l’orientation ou identité sexuelle de la victime » en vertu de l’article
132-77 du code pénal. De même, est pénalisée la discrimination opérée entre les personnes
physique en raison notamment de « leurs mœurs », de « leur orientation ou identité sexuelle »
selon l’article 225-1 du code pénal. Ainsi, le droit pénal ne se contente pas seulement de
reconnaître la liberté sexuelle, il protège de plus le droit de tout individu à revendiquer cette
liberté.
1554
Loi n° 75-617 du 11 juillet 1975 portant réforme du divorce, JO du 12 juillet 1975, p. 7171.
1555
V. supra, n°360.
1556
Loi n° 82-683 du 4 août 1982 portant abrogation de l’article 331 (al. 2) du code pénal pénalisant les actes
impudiques ou contre nature commis avec un mineur du même sexe (homosexualité), JO du 5 août 1982, p.
2502.
431
par exemple, le cas des « amis charnels » ou « affins »1557 qui jouaient un rôle clé dans la vie
juridique et notamment en droit criminel1558. L’ami charnel qui commettait un rapt en vue de
marier la jeune fille mineure1559 n’encourait aucune peine par exemple1560. De plus, les amis
charnels étaient appelés à dénoncer les enlèvements et séquestrations des jeunes héritières,
mais également les auteurs de l’homicide de leurs proches1561. De même, l’ami charnel –
véritable prédécesseur de la victime par ricochet contemporaine, a droit à une réparation
pécuniaire en cas de décès d’un des membres du lignage. Aussi, écrit-on que le réseau
familial, « espace le plus sûr pour surmonter les aléas de la vie et de faire face à l’adversité,
[…] s’ouvre volontiers aux amis chers, élevés au rang d’ “amis charnels” et ainsi intégrés à
la famille »1562. Aussi, « famille réelle et famille rêvée [se confondaient-elles] grâce à des
appellations qui incorporaient les membres proches de la lignée au cercle fraternel »1563.
1557
Dans un souci de concision, nous ne citerons ici que les amis charnels. Mais, il est également possible de
citer le contrat d’ « affrèrement » par lequel « deux personnes – qui peuvent n’avoir entre elles aucun lien de
parenté – décident de mettre leurs biens en commun, de vivre ensemble, mangeant, buvant et habitant au même
foyer », V. R. Aubenas, « Réflexions sur les fraternités artificielles Au Moyen-Âge », in Etudes historiques à la
mémoire de Noël Didier, Montchrestien, 1960, p. 1-10. Ce contrat rappelle étrangement le PACS créé jadis pour
les couples homosexuels. Mais, le contrat d’affrèrement pouvait également être conclu par les époux afin
d’assurer au conjoint survivant une part de l’héritage du défunt.
1558
J. et A. Pousson, L’affection et le Droit, Toulouse, édition du CNRS, 1990, p. 36 sq. De plus ces amis
charnels étaient chargés de porter à la connaissance de la justice pénale les enlèvements et séquestrations de
riches héritières.
1559
J. et A. Pousson, op. cit., p. 37. Les auteurs utilisent le terme « sous-âgés » en opposition des majeurs.
1560
J. et A. Pousson, ibidem, p. 37. De la même manière, le mariage de la pupille consenti sans le consentement
de tels amis était sanctionné pénalement.
1561
Pour plus de précisions sur la procédure d’appel à dénonciation jusqu’à la fin du XIVème siècle, V. J.
Briand, « Les appels à la dénonciation dans la procédure judiciaire rémoise à la fin du Moyen Age »,
Hypothèses, n°12, 2009, p. 120 sq. Cette procédure d’appel durait en moyenne trois mois ; et le silence des amis
charnels à cet appel valait refus de ne pas poursuivre le prévenu. La population considère alors, selon un
consensus commun, celui que l’on sait coupable comme innocent.
1562
S. Mouysset, « De mémoire, d’action et d’amour : les relations hommes/femmes dans les écrits du for privé
français au XVIIIe siècle », Dix-septième siècle, n° 244, 2009, p. 407.
1563
S. Mouysset, op. cit., p. 407.
1564
F. De Singly (dir.), La famille. L’état des savoirs, La Découverte, Paris, 1992, p. 60.
432
commun à ces familles reconstituées ne réside pas dans la forme d’union qui les fonde – les
seconds mariages accusant eux aussi un certain recul 1565–, mais dans l’apparition d’une
nouvelle figure de la famille contemporaine : le beau-parent.
1565
Le remariage permet d’identifier plus aisément les reconstructions familiales, cependant lui aussi se
confronte à la désaffection populaire.
1566
F. De Singly (dir.), op. cit., p. 60.
1567
D. Versini, L’enfant au cœur des nouvelles parentalités. Pour un statut des tiers qui partagent ou ont
partagé la vie d’un enfant et ont des liens affectifs forts avec lui, Rapport annuel du Défenseur des enfants, 2006,
p. 5.
1568
D. Versini, op. cit., p. 4.
1569
Art. 371-1 C. civ.
433
dernier subsistant au-delà de la séparation des parents1570, le droit civil consent à accorder au
beau-parent un certain nombre de prérogatives. Ainsi, en qualité de tiers « facilité », le beau-
parent peut – à certaines conditions légales – adopter l’enfant de son conjoint, sous la forme
plénière1571 ou la forme simple1572. De plus, depuis la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage
et l’adoption aux couples homosexuels, le conjoint homosexuel qui n’avait auparavant aucun
lien juridiquement reconnu avec l’enfant adopté par l’autre époux – et qui a pleinement
participé au projet parental et à l’éducation du mineur – peut être assimilé au parent1573.
Cependant, notons-le, si cette réforme uniformise le droit de l’adoption pour les couples
mariés – hétérosexuels et homosexuels – en revanche elle demeure silencieuse sur le statut
juridique du beau-parent concubin ou pacsé (homosexuel ou hétérosexuel d’ailleurs).
À l’endroit de ces beaux-parents néanmoins, la loi du 4 mars 2002 a prévu certaines
dispositions qui leur sont favorables, bien que parcellaires. En effet, cette loi offre au beau-
parent certaines prérogatives spécifiques et dérogatoires soumises à l’autorisation
incontournable du juge aux affaires familiales et au seul intérêt de l’enfant. Ainsi, le beau-
parent peut « à titre exceptionnel et si l’intérêt de l’enfant l’exige », se voir confier par le juge
l’enfant en cas de séparation des parents, notamment lorsque l’un deux est privé de l’exercice
de l’autorité parentale1574. De plus, « dans des circonstances exceptionnelles »1575 et du vivant
des parents, le juge peut décider qu’en cas de décès du parent qui exerce l’autorité parentale,
l’enfant ne sera pas confié au parent survivant, mais au tiers à titre provisoire1576.
Par ailleurs, la loi de 2002 a allégé le mécanisme de délégation de l’autorité parentale qui
s’inspire fortement des propositions formulées plus tôt par le rapport Dekeuwer-Defossez de
1570
Art. 373-2 dispose que « la séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de
l’exercice de l’autorité parentale ». Par conséquent, même en cas de séparation, l’autorité parentale continue
d’être exercée par les deux parents de l’enfant, indépendamment de la reformation successive de nouveaux
couples par chacun d’eux.
1571
Art. 345-1 C. civ.
1572
Art. 360 C. civ.
1573
Art. 7 et 8 de la loi n°2013-404 du 17 mai 2013 : « L’adoption plénière de l’enfant du conjoint est permise
[…] lorsque l’enfant a fait l’objet d’une adoption plénière par ce seul conjoint et n’a de filiation établie qu’à
son égard », et « l’enfant précédemment adopté par une seul personne, en la forme simple ou plénière, peut
l’être une seconde fois, par le conjoint de cette dernière, en la forme simple ».
1574
Art. 373-3, al. 2 C. civ. Notons toutefois que le texte précise que le tiers concerné sera choisi de préférence
dans la parenté de l’enfant …
1575
CA de Pau, 12 décembre 1995, Defrénois 1997, p. 996, obs. J. Massip : le juge a estimé de telles
circonstances exceptionnelles constituées dans le cas de la mère gravement malade et exerçant seule l’autorité
parentale, alors que le père de l’enfant, alors divorcé de la mère, était de nationalité zaïroise et avait été
pénalement condamné en France avant d’être expulsé.
1576
Art. 373-3 al. 3 C. civ.
434
19991577, en contradiction du principe d’indisponibilité de l’autorité parentale1578. Ainsi, les
parents peuvent saisir le juge afin de demander volontairement 1579 que soit délégué
partiellement (droit de surveillance et de garde) ou en totalité l’exercice de l’autorité parentale
(transfert de la totalité des droits et devoirs de l’autorité parentale) à un tiers, un membre de la
famille, une proche digne de confiance, un établissement agréé en vertu de l’article 377 du
code civil. En outre, la loi de 2002 a créé un mécanisme inédit, la délégation-partage de
l’autorité parentale. Elle consiste pour le juge à prévoir, selon l’article 377-1 du code civil,
dans sa décision de délégation, et « pour les besoins d’éducation de l’enfant », que les pères
et mères partageront avec le tiers délégataire tout ou partie de l’exercice de l’autorité
parentale. Cette délégation-partage a pour mérite de laisser subsister au bénéfice des deux
parents et du tiers les différents attributs de l’autorité parentale ; il s’agit donc d’un « partage
de l’autorité sans dépossession » 1580 . La mise en place de ce partage suppose bien
évidemment l’accord du ou des parents. Ainsi, le beau-parent sera réputé pouvoir accomplir
les actes usuels d’éducation auprès de l’enfant, sans que l’accord supplémentaire du ou des
parents ne soit exigé1581. A contrario, lorsqu’il s’agira d’actes graves, le consentement du
parent sera requis.
1577
Avant 2002, cette délégation de l’exercice de l’autorité parentale était davantage perçue comme un abandon
de l’enfant par ses parent. Pour plus d’éléments, V. F. Dekeuwer-Defossez (dir.), Rénover le droit de la famille.
Propositions pour un droit adapté aux réalités et aux aspirations de notre temps, Rapport au Garde des Sceaux,
Paris, Documentation française, septembre 1999, p.78 sq.
1578
Art. 376 C. civ.
1579
Cette délégation peut également être forcée lorsque les parents témoignent un « désintérêt manifeste » vis-à-
vis de l’enfant ou en cas de défaillance V, Art. 377 al. 2 C. civ.
1580
J. Leonetti, Intérêt de l’enfant, autorité parentale et droits des tiers, Rapport fait au Premier ministre,
octobre 2009, p. 67 sq (en ligne) : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-
publics/094000484.pdf.
1581
V. art. 377 al. 2 C. civ renvoyant à l’art. 372-2 C. civ « A l'égard des tiers de bonne foi, chacun des parents
est réputé agir avec l'accord de l'autre, quand il fait seul un acte usuel de l'autorité parentale relativement à la
personne de l'enfant ».
1582
Les propositions du rapport de Défenseurs des enfants de 2006, notamment le « mandat d’éducation »
permettant au beau-parent d’accomplir ponctuellement des actes usuels simples (comme le fait de pouvoir
récupérer l’enfant à l’école sans être soupçonné d’enlèvement, pouvoir l’accompagner chez le médecin, etc)
n’ont pas été retenues, V. Avena-Robardet, « En route pour un statut du beau-parent », AJ . Fam. 2007. 447 ; D.
Versini, L’enfant au cœur des nouvelles parentalités, op. cit., p. 36-37. De même, dans le cadre de l’élaboration
en 2009 d’un avant-projet de loi relatif à l’autorité parentale et aux droits des tiers – tendant à créer un véritable
statut du beau-parent en droit civil – le rapport de l’ancien député Jean Leonetti a rappelé que la place du beau-
parent ne pouvait se faire au détriment de la coparentalité. Ainsi, le rapport limitait la reconnaissance du beau-
435
semblent prometteurs d’une émergence d’un statut du beau-parent en droit civil. D’ailleurs, la
loi du 17 mai 2013 a inséré dans le code civil un nouvel article 371-4 précisant que « si tel est
l'intérêt de l'enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre
l'enfant et un tiers, parent ou non, en particulier lorsque ce tiers a résidé de manière stable
avec lui et l'un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation,
et a noué avec lui des liens affectifs durables ». De plus, une nouvelle proposition de loi sur
l’autorité parentale et l’intérêt de l’enfant, adoptée le 27 juin 2015 par l’Assemblée nationale
ambitionne – entre autres apports – de reconnaître la place du beau-parent dans les familles
recomposées en créant le « mandat d’éducation quotidienne »1583. Enfin, de manière assez
surprenante, les juridictions civiles ont eu par le passé l’occasion de retenir au profit de l’ex-
concubine de la mère, un droit de visite et d’hébergement, compte tenu de la place de
« seconde mère » qu’elle avait tenu auprès des enfants et des liens affectifs forts qui s’étaient
tissés entre eux1584.
En somme on le voit, le législateur tend progressivement à reconnaître le beau parent comme
un véritable parent social et affectif de l’enfant. Ce constat est moins vrai s’agissant du droit
pénal.
parent à un mécanisme de médiation familiale permettant aux parents et au tiers de s’accorder sur les
prérogatives de ce-dernier, V. J. Leonetti, Intérêt de l’enfant, autorité parentale et droits des tiers, Rapport fait
au Premier ministre, octobre 2009 ; S. Lavric, « Rapport Leonetti sur le statut du beau-parent », D. actualité
2009 ;
1583
Tout comme le mandat d’éducation initial, le mandat d’éducation quotidienne permet, avec l’accord des
parents, au beau-parent d’accomplir des actes usuels d’autorité et d’en attester grâce à un document officiel.
1584
TGI Besançon, 6 janvier 2000, D. 2000, IR, 88. Idem cette fois-ci pour l’ex-concubin de la mère, CA
Grenoble, 15 décembre 1977, Dr. Fam. 1998, n°38.
436
parent apparaît neutre, objective. Elle se justifie ainsi à des fins purement utilitaristes, c’est-à-
dire répressives. Ainsi, du point de vue du droit pénal, la qualité de beau-parent est un
paramètre de répression important. À ce titre, la prise en compte du tiers et notamment du
beau-parent se lit à travers une notions clé en droit pénal : « l’autorité ».
375. La notion d’autorité déclinée. – La notion d’autorité ne joue pas, dans la technique
de répression, la même fonction infractionnelle selon son utilisation. En effet, soit le droit
pénal l’emploie comme une circonstance aggravante. À ce titre, la notion est greffée aux
agressions sexuelles (articles 222-22,4°, 222-28, 2° et 222-30, 2° du code pénal) et aux
atteintes sexuelles (article 227-26, 1° du code pénal) ; soit, il l’emploie comme un élément
constitutif de l’infraction.
En tant que circonstance aggravante premièrement, la notion d’autorité a fait l’objet d’une
clarification législative récente. En effet, depuis la loi du 8 février 2010, la circonstance
aggravante personnelle tenant à la qualité d’ascendant ou de personne ayant autorité sur la
victime a été reformulée. Auparavant cette circonstance consistait dans la commission des
infractions, « par un ascendant légitime, naturel ou adoptif, ou par toute autre personne
ayant autorité sur la victime ». À cette formulation se substitue désormais une nouvelle
circonstance rédigée en des termes plus neutres. Ainsi, il est précisé que les infractions
sexuelles perpétrées « par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une
autorité de droit ou de fait » seront plus sévèrement punies. Cette modification a, d’une part,
pour effet de supprimer toute allusion à la nature de la filiation de l’enfant, alignant ainsi le
droit pénal sur le droit civil en matière de filiation1585. Elle vient, d’autre part, expliciter la
nature d’autorité, requise pour caractériser la circonstance aggravante. Ainsi, les textes
exigent que soit rapportée la preuve de l’exercice d’une « une autorité de droit ou de fait » sur
1585
Notons que le législateur ne fait pas preuve de ce souci d’homogénéisation pour toutes les circonstances
aggravantes. Ainsi, par exemple en cas de violences volontaires commises sur l’ascendant, la circonstance
aggravante mentionne encore la qualité d’ « ascendant légitime ou naturel ou sur les père et mère adoptifs », V.
supra, n°312 (la circonstance aggravante de nature parentale). Ces modifications ciblées aux seules infractions
sexuelles – révélatrice d’une frénésie réformatrice par à-coups du législateur – s’expliquent pas la volonté des
rédacteurs de la loi de « prévoir des mesures de coordination dans plusieurs articles du code pénale, afin de
prévoir que l’inceste, nouvellement défini, fait partie des circonstances aggravantes de divers infractions », V.
M.-L Fort, Proposition de loi visant à identifier, prévenir, détecter et lutter contre l’inceste sur les mineurs et à
améliorer l’accompagnement médical et social des victimes, Rapport n°1601 fait au nom de la commission des
lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république, Avril 2009, Art. 2.
437
la victime. Tandis que « l’autorité de droit puise sa source dans la loi […], l’autorité de fait
résulte des circonstances particulières, mais également de la position des personnes les unes
par rapport aux autres »1586.
En réalité, le législateur pénal s’est contenté de reprendre l’interprétation traditionnelle que la
jurisprudence fait de la notion d’autorité. En effet, la jurisprudence pénale a de tout temps
retenu la culpabilité de beaux-parents, indifféremment des liens de parenté qu’ils auraient ou
non avec la victime, grâce à cette notion d’autorité de droit ou de fait. Aussi, dans un arrêt du
29 janvier 1992, la chambre criminelle a-t-elle estimé qu’exerçait sur le mineur une autorité
de droit et de fait, le concubin de la mère. Elle relevait que « l’accusé était le concubin de la
mère de la victime, mais également que cette dernière habitait avec le couple », que dès lors
« l’auteur du viol est de la classe de ceux qui ont autorité sur la victime résultant aussi bien
d’une autorité de fait que d’une autorité de droit » 1587.
C’est deuxièmement au titre des éléments constitutifs qu’est employée la notion d’autorité. En
effet, l’ « autorité de droit ou de fait » entre dans la définition d’une notion plus délimitée
qu’est la contrainte. La contrainte constitue un élément constitutif des infractions d’agressions
sexuelles (viols et agressions sexuelles autres que le viol) des articles 222-22 et suivants du
code pénal. Le législateur de 2010 a souhaité apporter une définition plus claire de la
contrainte dans un nouvel article 222-22-1. Aux termes de ce texte, « la contrainte prévue par
le premier alinéa de l’article 222-22 peut être physique ou morale. La contrainte morale peut
résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de
l’autorité de droit ou de fait que celle-ci exerce sur cette victime ». Cette double exigence
législative (minorité et autorité) se comprend assez aisément. Ainsi, pour être caractérisés le
viol et les agressions sexuelles autres nécessitent qu’ils aient été commis avec « violence,
contrainte, menace ou surprise »1588. Or, devoir rapporter la preuve du non-consentement de
l’enfant mineur aux actes incestueux semble pour le moins choquant de par la spécificité
même de cette criminalité. En effet, l’acte incestueux est l’acte imposé au mineur par un de
ses référents (parent(s) ou tiers participant activement à son éducation), c’est-à-dire une
1586
G. Delors, « L’inceste en droit pénal : de l’ombre à la lumière », RSC 2010.599, n°22.
1587
Par exemple Cass. crim, 29 janvier 1992, pourvoi n° 91-87.748, inédit ; Même faits, Cass. crim., 3 septembre
1992, pourvoi n° 92–83. 319, inédit.
1588
Art. 222-22 C. pén.
438
personne qui fait partie de l’intimité de l’enfant et en qui il fonde une certaine confiance.
L’inceste brouille donc profondément les repères fondamentaux du mineur dès son plus jeune
âge. Dans de telles circonstances, le mineur manque nécessairement de discernement quant à
la portée des actes qui lui sont imposés. De plus, l’inceste est un phénomène insidieux en ce
que les violences, menaces et contrainte n’arrivent que postérieurement au premier passage à
l’acte sous forme d’intimidations, de chantages1589 et perdurent ainsi plusieurs années durant.
C’est cela même qui rend indétectable cette criminalité. De la même manière, il semblait
compliqué de recourir à l’état de surprise dans le cas particulier d’inceste. En effet, bien qu’il
soit indéniable que le consentement de l’enfant soit annihilé, il semble difficile cependant de
retenir l’état de surprise lorsque les actes incestueux sont répétés depuis plusieurs années.
Aussi, paraît-il judicieux de faire découler du jeune âge de l’enfant, l’état de contrainte.
Toutefois, la seule condition de la minorité ne semble pas suffisante à caractériser la
contrainte morale. En effet, la contrainte même morale, telle que conçue dans l’incrimination
des agressions sexuelles (viol et agressions sexuelles autres), suppose « l’incapacité de la
victime à réagir »1590. Elle s’apprécie donc in concreto, en fonction de « la capacité de
résistance de la victime »1591. Dès lors, la seule différence d’âge entre l’auteur et la victime ne
permet pas de démontrer concrètement en quoi le mineur a été moralement dans l’incapacité
de réagir aux actes sexuels. Ainsi, seule l’autorité qu’exerce l’adulte sur lui saurait emporter
la certitude de la contrainte. En effet, l’écart d’âge qui existe entre un grand-père et son petit-
enfant n’emporte pas à lui seul l’état de contrainte, surtout si cet ascendant ne rencontre que
sporadiquement l’enfant à l’occasion de visites. Néanmoins, l’autorité qu’exerce sur l’enfant
son grand-parent lorsque ce dernier est sous sa surveillance est susceptible de caractériser la
contrainte. De même, le simple fait que le concubin de la mère de l’enfant soit plus âgé que
lui ne peut suffire à retenir un quelconque état de contrainte.
Il est vrai que cette définition de la contrainte via la notion d’autorité, semble techniquement
malaisée de prime abord. Ainsi, la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler à l’ordre
certains juges du fond qui tentaient de faire découler la contrainte, à la fois de la minorité de
1589
V. notamment, C. Guéry, « L'inceste : étude de doit pénal comparé », D. 1998, chron. 47, p. 50, n° 21.
1590
M. Pariguet, « De l’autorité en droit pénal. Esquisse d’une définition », JCP éd. G 2013, doctr. 1000, n°6.
1591
Cass. crim., 8 juin 1999, pourvoi n° 94-81.376, Bull. crim. n° 226.
439
la victime et de l’autorité de l’auteur1592. En effet, au regard du principe d’interdiction de
confusion des éléments constitutifs et des circonstances aggravantes d’une même infraction,
minorité et autorité ne peuvent être simultanément les éléments de définition de la contrainte
– condition constitutive des viol et agressions sexuelles – alors qu’ils constituent déjà des
circonstances aggravantes de ces infractions. Notons cependant que par la suite, la Haute
Cour a assoupli sa position s’agissant de la minorité de la victime dans un arrêt remarqué. Le
7 décembre 2005, elle a en effet estimé coupable l’adulte ayant commis des agressions
sexuelles sur trois mineurs âgés d’ « un an et demi à cinq ans » en ce que « l’état de
contrainte ou de surprise résulte du très jeune âge des enfants qui les rendait incapables de
réaliser la nature et la gravité des actes qui leur étaient imposés »1593.
D’un point de vue sémantique ensuite, la définition de la contrainte par le biais de l’autorité
ne devrait pas déranger davantage. Aussi, l’« autorité » ne s’assimile-t-elle pas à la
« contrainte ». Alors que la contrainte suppose, comme cela a été mentionné ci-dessus, une
incapacité de la victime à agir et donc une absence de consentement, l’autorité implique que
l’agent accepte de se soumettre aux exigences de l’autre sans violence, ni menace1594. Un
auteur affirmait joliment que « là où la force est employée, l’autorité proprement dite a
échoué »1595. En somme si l’autorité est synonyme d’obéissance, elle est l’antonyme de la
coercition. Les termes « contrainte » et « autorité » conservent bien leur sens fort lorsqu’ils
sont respectivement employés, comme élément constitutif des agressions sexuelles pour le
premier et comme circonstance aggravante pour le deuxième. Cependant, lorsque le terme
autorité est utilisé en tant qu’élément constitutif, son sens se transforme. En réalité,
« autorité » dans cette fonction doit être comprise comme l’abus d’autorité ; et dans cette
fonction, l’appariement des deux notions de contrainte et d’autorité se comprend aisément.
Par conséquent, deux hypothèses doivent être distinguées. Dans la première, le tiers est
considéré par le droit pénal en sa qualité de personne ayant une autorité consentie et reconnue
sur la victime. D’ailleurs, dans ce cas il est expressément rapproché de l’ascendant de la
1592
Cass. crim. 21 octobre 1998, pourvoi n° 98-83.843, Bull. crim. n° 274, JCP éd. G 1998, II, 10215, note D.
Dreyer (confusion de la minorité et de l’autorité avec la contrainte) ; Cass. crim. 10 mai 2001, pourvoi n° 00-
87.659, Bull. crim. 116, Dr. pén. 2001, comm. 110, note M. Véron (confusion autorité et contrainte).
1593
Cass. crim., 7 décembre 2005, pourvoi n° 05-81.316, Dr. pén. 2006, comm. 31, note M. Véron ; RSC 2006.
316, obs. Y. Mayaud. Pour plus de précision sur ce point, V. Supra, n°95.
1594
M. Pariguet, op. cit., passim.
1595
H. Arendt, « Qu’est-ce-que l’autorité », in La crise de la culture, Gallimard, coll. Folio Essais, 1989, p. 121.
440
victime. Dans la deuxième, le tiers1596 est vu comme la personne qui abuse de son autorité
morale sur la victime pour contraindre celle-ci.
376. Une originalité tenant à sa position satellitaire dans la famille. – « Les lois
criminelles sont moins une espèce particulière de lois que la sanction de toutes les
autres »1597. Cette célèbre citation de Rousseau, reprise par la suite par Portalis, apparaît
définitivement surannée puisque l’originalité du droit pénal se trouve justement dans sa
fonction satellitaire au sein du système judiciaire. Ainsi, un raisonnement à contrario de
l’accessoirisation du droit pénal dans la famille conduit à repenser son rôle. En effet,
négativement, le droit pénal est considéré comme subsidiaire des obligations énoncées par les
disciplines principales qu’il vient renforcer. Positivement, cependant, cela est révélateur en
réalité de l’inefficacité partielle de l’autorité de ces disciplines supérieures qui ne peuvent se
départir de l’action du droit criminel. En somme, le droit pénal est un droit indispensable,
incontournable pour ces disciplines. D’une part, c’est le cas lorsque leur circonférence
d’action est limitée et que leur incompétence dans certains domaines conduit à des
insuffisances juridiques. C’est ce constat d’ailleurs qui a abouti au besoin ressenti par le
législateur d’appréhender expressément l’inceste sur un plan pénal. En effet, parce que l’État
avait à cœur de ne pas imposer une « morale pénale » au sein des foyers, le droit pénal se
contentait timidement de prendre en considération le lien familial entre l’auteur et la victime
au sein d’une circonstance aggravante tenant à la qualité d’ascendant ou de personne ayant
une autorité de droit ou de fait. De cette manière, le droit pénal évitait habilement de nommer
le tabou de l’inceste et par la même les personnes qui peuvent se rendre coupables de telles
pratiques au sein de la famille. Ainsi, seul le droit civil – à travers les empêchements à
mariage (article 161 et suivants du code civil) – prohibait avec force, bien
qu’implicitement1598, l’inceste. En effet, l’inceste pervertit l’institution du mariage (et plus
1596
Mais il pourrait également s’agir d’un inconnu dans la mesure où la définition de la contrainte de l’article
222-22-1 a vocation à s’appliquer à toute agression sexuelle, même extrafamiliale.
1597
J.-J. Rousseau, Du contrat social, 1ère éd. 1762, Flammarion, 1966, p. 91.
1598
Le droit civil prohibe l’inceste sans jamais le nommer expressément, V. art . 161 à 164 (les empêchements à
mariage), 515-2 (empêchements au PACS) et 310-2 du C. civ (la filiation de l’enfant en cas d’union
incestueuse).
441
tard celle du PACS)1599. Dès lors, pourquoi ne pas se contenter d’une prohibition civile de
l’inceste ? La raison en est évidente. Ce que le droit civil protège au détour de ces obstacles,
c’est uniquement la face institutionnelle, c’est-à-dire visible de l’inceste. En revanche, la
compétence du droit civil trouve sa limite dès qu’il s’agit de faire respecter la vie ou
l’intégrité du corps humain. Pour cause, la défense de cette valeur sociale est de manière
originelle l’apanage du droit criminel1600. Précisons d’ailleurs que l’intégrité protégée par le
droit pénal est non seulement physique, mais également morale1601.
Aussi, afin de rendre plus lisible la valeur sociale réelle qu’il convenait de protéger (l’intégrité
physique et morale de la victime mineure d’inceste), il est apparu nécessaire au législateur de
replacer le débat de l’inceste sur la scène pénale par le biais de sa pénalisation. Il est certes
possible de regretter la méthodologie d’incrimination mise en œuvre par le législateur pénal
afin de parvenir au résultat escompté1602. Néanmoins, il convient de reconnaître le bien-fondé
de l’opération consistant à faire la lumière sur la réalité de l’inceste, compte tenu des
traumatismes indélébiles dont elle est la cause. En effet, antérieurement à cet effort législatif,
la protection des victimes d’inceste mineures1603 était fortement carencée voire inopérante. La
circonstance aggravante tenant à la qualité d’ascendant ou de toute personne ayant une
1599
Cela explique d’ailleurs que le concubinage ne soit pas pris en compte au titre des obstacles et est révélateur
de la vision discriminatoire que le droit civil conserve vis-à-vis de ce mode d’union.
1600
R. Merle, et A. Vitu, Droit pénal général, Tome. 1, 1er éd. 1967, Editions CUJAS, coll. Traité de droit
criminel. Problèmes généraux de la science criminelle, 1997, p. 217, n° 147. Il est vrai que depuis plusieurs
années sont apparus des textes fondateurs, tels que la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des
libertés fondamentales du 4 novembre 1950, qui consacrent le droit à la vie et au respect de l’intégrité physique,
V. notamment art. 2 et 3 de la Conv. EDH ; Cependant, le droit criminel n’a guère attendu l’élaboration de traités
internationaux pour reconnaître ces principes. Ainsi, sous l’ancien droit déjà, la loi pénale a toujours condamné
tout attentat à la vie d’autrui qu’il s’agisse du meurtre, de l’assassinat ou de l’empoisonnement (anciens art. 295
à 304 du code pénal de 1810). Il en va de même s’agissant de l’intégrité physique d’autrui avec la répression des
coups et blessures volontaires ou involontaires sur la personne d’autrui (anciens art. 309 à 329) ou des atteintes à
la pudeur (anciens art. 330 et s). En outre, depuis la loi n° 81-908 du 9 octobre 1981, la peine de mort de figure
plus parmi la liste des peines susceptibles d’être prononcées. Aussi, est-il possible d’affirmer – bien qu’il ait été
encore amélioré par la suite, que le droit pénal français a toujours fait de l’obligation de respect de l’intégrité
corporelle de l’individu, une sinon la première valeur sociale essentielle.
1601
La jurisprudence pénale reconnaît de longue date la nature physique mais aussi morale des violences
volontaires, V. Cass. crim., 16 février 1938, Gaz. Pal. 1938. I. 750 ; CA de Toulouse, 3e ch., 26 juin 2003, D.
2003. 2728 ; Cass. crim., 2 septembre 2005, Bull. crim. n° 212 ; D. 2005. Pan. 2989, obs. T. Garé et G. Roujou
de Boubée : « le délit de violences peut être constitué, en dehors de tout contact matériel avec le corps de la
victime, par tout comportement de nature à causer, sur la personne de celle-ci une atteinte à son intégrité
physique ou psychique caractérisée par un choc émotif ou une perturbation psychologique ». La création du
nouvel article 222-14-1 du code pénal vient consacrer cette jurisprudence. Il en va de même pour la contrainte
qui peut-être physique mais aussi morale, V. supra, n° 138 in fine.
1602
V. supra, n° 333.
1603
Notons cependant que celle des victimes majeures d’inceste demeure encore imparfaite, V. supra, la
répression de l’inceste dit « consenti », n°184 et s.
442
autorité sur le mineur était difficilement applicable à certains membres de la famille, comme
les sœur et frère ou les oncle et tante1604. De même, les viols et agressions sexuelles commises
avec contrainte, menace, surprise ou violence, sur un mineur de 15 ans ou de 15 à 18 ans, par
un ascendant ou une personne ayant autorité étaient punis en tant que « simples » atteintes
sexuelles aggravées. Elles ne permettaient donc pas de mettre en évidence l’absence de
discernement de l’enfant1605 !
D’autre part, l’intervention du droit pénal devient indispensable lorsqu’elle sert de béquille
aux disciplines principales afin d’asseoir les sanctions extra-pénales qu’elles souhaitent voir
respecter. Ici, les exemples sont foisonnants tant le droit pénal est sollicité, risquant d’ailleurs
parfois de le dénaturer. C’est le cas lorsqu’il est appelé à sceller les obligations édictées par le
droit civil en matière de filiation et d’autorité parentale (non-représentation d’enfants ou
abandon de famille par exemple). C’est encore le cas lorsqu’il renforce – dans les intérêts de
l’État – le principe monogamique d’ordre public (délit de bigamie).
En somme, alors qu’il est présenté comme un droit disparate tributaire de toutes les branches
du droit, il est possible de se demander si à l’inverse, il n’est pas en réalité la branche du droit
qui permet de maintenir et pérenniser toutes les autres…
377. Un droit créatif. – Le droit pénal est certes neutre quant il intervient dans la famille,
mais il n’est pas inerte. Ainsi, il est doté d’une fonction expressive c’est-à-dire qu’il fait
reposer toute incrimination « sur un choix de valeurs ou d’intérêts dont le respect est jugé
indispensable au maintien de l’ordre social »1606. On dit encore de lui qu’il est un droit
« déterminateur » 1607 . En effet, le droit pénal n’est pas dépourvu d’un certain pouvoir
normatif. Ainsi, lorsque le droit pénal interdit d’adopter tel ou tel comportement, il délivre sa
propre conception de ce que sont les relations au sein d’une société donnée. À ce titre, il est
possible de constater que le premier trait de singularité du droit pénal réside précisément dans
1604
Encore aujourd’hui, la proposition de loi relative à la protection de l’enfant n’inclut pas dans la listes des
personnes auteurs d’inceste, les cousins et cousines ou les grands-tantes et grands oncles, par souci de précision
dans la définition de la cellule familiale.
1605
Le législateur aurait cependant pu aller plus loin, en concluant à l’existence d’un consentement a minima
surpris s’agissant de tous les actes incestueux, V. supra, n° 138 in fine.
1606
X. Pin, Droit pénal général 2016, 7ème éd., Dalloz, coll. Cours, 2015, p. 2-5.
1607
R. Merle, et A. Vitu, Droit pénal général, Tome. 1, 1er éd. 1967, Editions CUJAS, coll. Traité de droit
criminel. Problèmes généraux de la science criminelle, 1997, p. 217, n° 147.
443
sa fonction répressive. Cependant, il convient d’entendre justement à quoi fait référence cette
fonction répressive.
Souvent, la doctrine semble distinguer les fonctions expressive et répressive du droit criminel.
Ainsi, selon un auteur la fonction expressive renverrait à l’action d’interdire, alors que la
répressive à celle de punir1608. Pourtant, la fonction répressive du droit pénal ne se limite pas
à sa dimension sanctionnatrice, c’est-à-dire le prononcé de la peine. Elle est bien plus large,
de sorte que le droit pénal peut tout à la fois réprimer et exprimer, puisque c’est là sa mission
même. En effet, « l’indépendance du droit criminel s’explique et même se justifie par la
mission particulière du droit pénal qui est de protéger les intérêts essentiels de la
société »1609. Or, cette mission de défense des intérêts de la société passe par la répression des
transgressions à la loi pénale. Toutefois, s’il est vrai que le droit pénal est un droit de
répression par l’expression, il est loisible de constater que cette fonction répressive s’est
transformée, affinée, précisée. Le droit pénal devient un droit protéiforme qui n’exprime plus
des valeurs uniquement par l’interdiction, mais également par la prévention et la pédagogie.
C’est en cela qu’il déborde de sa fonction classique et qu’il devient un droit inventif. Ainsi,
lorsque le droit pénal incrimine par exemple la provocation de mineurs à commettre un délit
(article 227-21 du code pénal1610) ou encore à la consommation de boissons alcooliques
(article 227-19 du code pénal1611), il fait preuve de normativité. Ces infractions n’ont pas de
coloration familiale marquée, mais parce que leurs textes d’incriminations sont rédigés de
manière volontairement neutre, ils n’excluent pas au titre des auteurs potentiels le parent ou la
personne ayant autorité sur l’enfant. Et pour cause, a été reconnue pénalement responsable de
provocation de mineur à commettre un délit (article 227-21 du code pénal), la mère interpellée
avec sa fille mineure de seize ans alors qu’elles commettaient un vol dans un supermarché et
qui fait preuve de complaisance à propos de vols commis par cette dernière1612. Il était
reproché à la mère son comportement « irresponsable » et « déviant » vis-à-vis de sa fille à
1608
X. Pin, op. cit., p. 2.
1609
L. Hugueney, « Les dommages et intérêts dus par le souteneur à la prostituée », RID. pén. 1946, p. 78.
1610
« Le fait de provoquer directement un mineur à commettre un crime ou un délit est puni de cinq ans
d’emprisonnement et de 150000 euros d’amende ».
1611
« Le fait de provoquer directement un mineur à la consommation habituelle et excessive de boissons
alcooliques est puni de deux ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ».
1612
Pau, ch. corr. 1, 27 mars 1996, n° 239-96, Inédit ; pour des faits similaires, Rouen, ch. corr. 9 mai 2007, n°
06/00778, Inédit (un père de deux garçons mineurs de quinze et dix-sept ans, leurs demandait lorsqu’ils étaient
hébergés chez lui, de commettre des vols d’alcool et d’outillage aggravés dans des habitations).
444
laquelle elle montrait un mauvais exemple1613. De même, le père alcoolique qui laisse ses fils
de deux ans et demi et six ans boire de la bière, en prétextant « céder aux caprices de ses
enfants qui buvaient quand lui-même buvait » est coupable du délit de provocation à la
consommation d’alcool (article 227-19 du code pénal)1614. Ces incriminations de mise en péril
de mineurs, on le perçoit, ont une visée essentiellement pédagogique et préventive. Elles ne
viennent plus seulement sanctionner pénalement la violation d’obligations civiles découlant
de l’autorité parentale. L’objectif recherché ici est plus large ; il s’agit de protéger l’intégrité
physique et morale de l’enfant mineur en réprimant en amont « les comportements – y
compris parentaux – susceptibles de menacer la santé, la sécurité, la moralité, l'éducation ou
le développement d'un enfant mineur »1615.
378. Un droit pénal frondeur. – La matière pénale n’entend pas se laisser discipliner par
le reste du système juridique. Servile en apparence, elle demeure revêche dans sa logique
intrinsèque. C’est par delà la fonction uniquement subsidiaire dans laquelle la doctrine
majoritaire tend à le confiner, que se révèle finalement l’identité réelle du droit pénal.
1619
S. Royant, L’autonomie du droit pénal en question, Tome I, Thèse de doctorat, Université de Montpellier I,
2002, p. 41.
446
choisissent d’un commun accord ». La loi civile met donc expressément à la charge des
conjoints une obligation de cohabiter, sauf exception1620.
En droit pénal, il en va autrement puisque l’existence d’une communauté de vie entre les
époux ne lie aucunement la répression. Bien au contraire, il arrive que cette cohabitation soit
conçue pénalement comme la cause même de la répression, comme c’est le cas pour le délit
de proxénétisme (1). Il arrive encore que cette cohabitation soit indifférente à la répression,
comme c’est le cas s’agissant des violences conjugales (2).
1620
Il est admis que les époux puissent vivre séparément, notamment pour des raisons professionnelles. Mais il
doit exister entre eux une « intention matrimoniale », c’est-à-dire « [la] volonté d’une communauté de vie », V.
Cass. civ. 1ère, 8 juin 1999, Dr. Fam. 1990, n°110, note H. Lecuyer.
1621
Bien que nous ne développerons pas cette incrimination, il est possible de rapprocher l’infraction de
présomption de proxéniétisme de celle de l’article 321-6 du code pénal. En effet, en vertu de ce texte, le fait pour
une personne de ne pas pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie ou de la provenance d’un
bien, alors qu’elle entretient des « relations habituelles » avec l’auteur ou la victime de crimes ou de délits punis
d’au moins cinq ans d’emprisonnement, est puni de trois d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Ici,
l’incrimination ne mentionne pas expressément la notion de cohabitation, mais les « relations habituelles » visées
pourraient faire référence à des relations conjugales.
1622
Art. 223, 1401 et 1414 du C. civ ; Cass. civ. 1ère, 8 février 1978, Bull. civ. I, n°47 (Aux termes de l’art. 1414
du Code civil « le paiement des dettes dont la femme vient à être tenue pendant la communauté peut être
poursuivi sur l’ensemble des biens communs […] » et « qu’il résulte de l’art. 1401 du même code que les
produits de l’industrie personnelle des époux font partie de la communauté ») ; Cass. civ. 1ère, 31 mars 1992,
« Praslicka », pourvoi n°90-16.343, Bull. civ. I, n°95 (« Attendu que […] les salaires reçus par [l’époux]
avaient le caractère de biens communs, de sorte que leur remise entre les mains de l’épouse ne pouvait
447
paiement solidaire des charges et dettes du ménage1623. Il est donc possible de soupçonner,
sauf preuve du contraire, que les gains perçus par la personne prostituée grâce à cette activité
participe dans une certaine mesure au fonctionnement normal du ménage.
383. Une singularité d’origine légale. – Notons de plus qu’ici la singularité conceptuelle
du droit pénal n’émane pas de la jurisprudence, sinon de la loi elle-même. En effet, c’est bien
le législateur qui pose la présomption de proxénétisme – faisant de la cohabitation un élément
constitutif de l’infraction en vertu de l’article 225-6, 3°. Cependant, cette présomption
législative pose question, puisqu’elle tendrait en fin de course à refuser à la prostituée, le droit
de se marier librement.
Ainsi, alors que la lettre du texte était claire, les juges pénaux ont tenté de contourner cet
interdit afin de faire échapper, le mari de l’intéressé, à la répression. Toutefois, ce faisant, ils
adoptaient une solution particulièrement maladroite. Ainsi, ils considéraient que l’article 225-
6, anciennement article 334, 3° du code pénal, « […] ne s’appliquait pas à l’époux légitime de
la prostituée, mais uniquement à ceux qui cohabitaient avec elle sans être unis dans les liens
du mariage »1624. De manière implicite, les juges indiquent donc que seuls les concubins
pouvaient être coupables d’un tel délit de proxénétisme. Aujourd’hui, cette jurisprudence
serait considérée comme englobant également le partenaire pacsé. Néanmoins, d’une part,
admettre aujourd’hui cette position jurisprudentielle comme efficace aboutirait à une décision
particulièrement discriminatoire et arbitraire et en contradiction avec la tendance actuelle à la
neutralité du droit pénal. D’autre part, « là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de
distinguer », sous peine pour le juge de la dénaturer. Ainsi, un auteur rappelait avec sagesse
que « lorsque le texte […] est clair et précis, il convient de l'appliquer à la lettre sans
chercher à procéder, sous prétexte d'interprétation, à des distinctions ou à des extensions
qu'il ne comporte ou n'implique pas. Et si le texte contredit le droit civil, le juge, après avoir
vérifié avec soin que les conditions légales de son application étaient exactement
s’analyser en une libéralité faite à celle-ci par son conjoint ou à un avantage matrimonial qui lui aurait été
consenti ») ; Sur les controverses sur la nature des gains et salaires puis la démonstration de la nature commune
des gains et salaires, V. aussi G. Yildirim et A. Chamoulaud-trapiers, « Communauté légale. Actif des
patrimoines », Rép. civ. Dalloz 2010, n°295-305.
1623
Art. 220 du C. civ.
1624
Colmar, 25 janvier 1980, D. 1981, inf. rap. 156, obs. M. Puech. Cet arrêt a été cassé par la suite mais
uniquement pour contradiction de motifs sur le refus de la cour d’appel d’appliquer l’art. 334, 3°, V. Cass. crim.
22 octobre 1980, D. 1981, inf. rap. 143, obs. G. Roujou de Boubée.
448
caractérisées, se résout à en faire application, quitte à attirer le cas échéant l'attention du
législateur sur les conséquences regrettables que peut avoir sa mise en œuvre »1625. Enfin, il
aurait été possible d’interpréter cette position jurisprudentielle comme une volonté du juge
pénal de se conformer et de protéger une conception civiliste de la famille. Toutefois, force
est de constater que le droit civil lui-même accorde à la communauté de vie une place
indispensable dans la formation de tout couple, concernant tant le mariage que le concubinage
ou le PACS. Cette communauté de vie est en effet une condition indispensable de la
reconnaissance de ces deux dernières formes de conjugalité en droit civil. Ainsi, s’agissant du
concubinage, l’article 515-8 du code civil insiste sur le fait que « le concubinage est une
union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de
continuité […]» . Il en va de même, selon l’article 515-1 du code civil, du pacte civil de
solidarité défini comme « un contrat conclu par deux personnes physiques, […] pour
organiser leur vie commune ». Rajoutons encore que l’importance de la communauté de vie
dans le PACS a été consacrée par le Conseil Constitutionnel, le 9 novembre 19991626. En
conclusion, dès lors que cette cohabitation est préconisée pour le mariage, mais aussi pour le
PACS et le concubinage, rien ne justifie de différencier la situation de l’époux, de celle des
autres personnes vivant avec le prostitué et entretenant avec lui des « relations
habituelles »1627.
Une seconde jurisprudence consiste, quant à elle, à considérer l’article 225-6, 2° du code
pénal non contraire à l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme posant
la liberté de se marier. La chambre criminelle dans sa décision du 4 juin 1980 précisait en
effet que le texte pénal « ne met pas en cause le droit d'une prostituée de contracter mariage
et celui de son époux de vivre avec elle, mais tend seulement à sanctionner la remise de
1625
G. Gest, « Dualité de juridiction et unité du droit fiscal », RFDA 1990. 822.
1626
Cons. const., décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999, « Loi relative au pacte civil de solidarité », JO du
16 novembre 1999, p. 16962 : « il résulte des dispositions des art. 515-1 à 515-4, éclairées par les débats
parlementaires, la notion de vie commune ne couvre pas seulement une communauté d’intérêts et ne se limite
pas à l’exigence d’une simple cohabitation entre deux personnes ; la vie commune suppose, outre une résidence
commune une vie de couple, qui seule justifie que le législateur ait prévu des causes de nullité du pacte, qui soit
reprennent les empêchements à mariage visant à prévenir l’inceste, soit évitent une violation de l’obligation de
fidélité découlant du mariage ».
1627
Art. 225-6, 3° du C. pén.
449
produits de la prostitution à ce dernier » 1628 . Si le principe est expressément posé, en
revanche de nombreux questionnements subsistent. Premièrement, le questionnement porte
sur la portée véritable de cette décision. Signifie-t-elle que l’article 12 de la Convention
européenne des droits de l’homme ne saurait être invoqué par le prévenu pour faire obstacle à
la répression d’ordre public de l’article 225-6 du code pénal ? Ou alors, faut-il comprendre au
contraire qu’en l’absence de preuve de la remise de produits de la prostitution à l’époux, la
communauté de vie avec la personne prostituée échappe à la répression de l’article 225-6 ? À
la lecture du dispositif de la Chambre criminelle, c’est la deuxième proposition qui semble
devoir être retenue. Ainsi, les juges de la Haute Cour estiment qu’ « aux termes de l'article 55
de la Constitution, [la Convention européenne des droits de l’homme] s'impose au juge pénal
avec une autorité supérieure à celle des lois nationales », que ce texte « dispose dans son
article 12, “à partir de l’âge nubile l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder
une famille selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit” ». Par conséquent, il en
résulte, selon eux, qu’ « en poursuivant du chef de proxénétisme l'époux d'une prostituée par
les seuls motifs qu'il a cohabité avec son épouse et en l'absence de ressources régulières,
laissé celle-ci pourvoir au paiement des loyers et à la vie du ménage, alors pourtant qu'aux
termes des prescriptions édictées par le code civil, les époux en se mariant s'obligent a une
communauté de vie ainsi qu'a contribuer aux charges du ménage à proportion de leurs
facultés respectives, la cour d'appel a violé l'article 12 de la convention ». Et pour cause, la
consécration du droit au mariage suppose dans le même temps la protection de tous les
devoirs et effets matrimoniaux qui y sont attachés, qu’il s’agisse du devoir de communauté ou
celui de contribuer aux charges du mariage que ce dernier implique. En somme, un justiciable
pourrait valablement justifier son union avec une personne se livrant habituellement à la
prostitution sur le fondement de l’article 12 de la Convention européenne, à condition qu’il ne
bénéficie pas de remise de produits de la prostitution.
1628
Cass. crim., 4 juin 1980, pourvoi n° 79-93.998, Bull. crim. n° 174, D. 1981. 143, obs. G. Roujou de Boubée ;
même dispositif Cass. crim., 15 mars 1989, pourvoi n° 88-84.253, Inédit.
450
indirecte) ? Quelles sont les modalités et formes de cette remise : s’agit-il nécessairement de
liquidités comme dans l’’espèce visée1629 ? Peut-il s’agir d’avantages ou de cadeaux ? Ou
peut-il s’agir de l’appartement acquis par le prostitué grâce à ses revenus et servant de
résidence principale à la famille? De plus, la remise seule de ces produits par la personne
prostituée suffit-elle à condamner l’époux de celle-ci ou faut-il nécessairement relever en sus
son incapacité à justifier de ses ressources ? On le voit, condamner pénalement tous ces actes
participant finalement au quotidien d’une vie conjugale et familiale normale, conduit de facto
à entraver le droit de la personne prostituée de se marier et celui de son époux de cohabiter
librement avec elle.
Mais surtout, en limitant le proxénétisme au simple acte de la remise de produits provenant de
la prostitution – s’agissant uniquement des conjoints – le juge pénal dénature la définition
légale du délit de proxénétisme. En effet, aux termes de 225-5 du code pénal, « le
proxénétisme est le fait, par quiconque, de quelque manière que ce soit, 1°) d’aider,
d’assister ou de protéger la prostitution d’autrui, 2°) de tirer profit de la prostitution
d’autrui, d’en partager les produits ou de recevoir des subsides d'une personne se livrant
habituellement à la prostitution […] ». En vertu de cette définition, le profit que procure à
l’époux, la contribution du conjoint prostitué aux diverses charges d’entretien du ménage
(paiement des loyers, paiement du salaire d’une femme de ménage, etc.) devrait être assimilé
à une forme de proxénétisme. Par conséquent, en créant à tort des conditions de répression
plus avantageuses au profit du conjoint de la prostituée, le juge pénal contredit l’esprit du
texte pénal et le principe constitutionnel d’égalité de tous devant la loi posé par l’article 6 de
la Constitution. Cela est finalement significatif d’une véritable indépendance du juge pénal
non seulement par rapport aux autres disciplines, mais également à l’égard de la loi pénale
elle même.
1629
Le mari avait accepté des sommes d’argent de son épouse provenant de la prostitution, V. Cass. crim., 4 juin
1980, pourvoi n° 79-93.998, Bull. crim. n° 174, préc.
451
lorsqu’il s’agit d’incriminer les violences conjugales. En effet, depuis la loi de 2006, sont
réprimées les violences commises par le conjoint, le concubin et partenaire, mais également
celles commises par l’ex-compagnon1630 ne cohabitant plus avec la victime.
Mais cela ne fut pas toujours le cas. En effet, une étude de 2002 menée par la Conseillère
technique près la Délégation régionale aux droits des femmes et à l’égalité d’Ile de France, le
Commandant fonctionnel chef de l’Unité de prévention au Service de prévention, d’études et
d’orientation anti-délinquance et la Substitut du Procureur de la République de Paris relevait
certaines défaillances des magistrats (du Parquet et du Siège) dans la répression des violences
au sein des couples non-cohabitant1631. En effet, en l’absence de communauté de vie entre
l’auteur et la victime, ils estimaient que la circonstance aggravante tenant à la qualité de
conjoint ou de concubin devenait inefficace. Dès lors, les violences commises par le conjoint
ou le concubin étaient réprimées comme de simples contraventions lorsqu’elles avaient
entraîné une incapacité totale de travail inférieure à huit jour1632. La difficulté majeure d’une
telle qualification pénale était d’ordre pratique puisque le conjoint violent ne pouvait faire
l’objet d’un placement en garde-à-vue, pas plus qu’un déferrement devant le Procureur de la
République1633. Pourtant, déjà en 1998, juges du fond et Chambre criminelle admettaient que
le défaut de communauté de vie ne faisait nullement obstacle à la répression. Ainsi, dans une
première espèce, il était question d’un couple en instance de divorce et vivant séparément. Les
juges de la Haute Cour ont confirmé la condamnation en seconde instance du conjoint pour
violences n’ayant pas entraîné d’incapacité totale de travail pendant huit jours sur la personne
de son épouse, sur le fondement de l’article 222-13 du code pénal. Selon eux, « en
prononçant ainsi, sans avoir égard au fait que le prévenu résidait alors séparément de cette
dernière, les juges [du fond] ont justifié leur décision, dès lors que l'article précité n'exige
pas une communauté de vie pour recevoir application »1634. Dans une deuxième espèce, il
s’agissait d’un couple de concubins vivant ensemble « de temps à autre ». Il était reproché à la
Cour d’appel de ne pas avoir caractérisé l’existence de la communauté de vie que requiert le
1630
V. supra, art. 132-80 du C.pén., n° 311.
1631
M.-F. Casalis, M. Chapalain et F. Guyot, « Une femme sur dix victime de violences conjugales en France »,
AJ. Fam. 2002. 249.
1632
Art. R. 624-1 du C. pén. (absence d’I.T.T et contravention de la 4ème classe) et art. R. 625-1 du C. pén. (une
I.T.T inférieure à huit jours et contravention de 5ème classe).
1633
M.-F. Casalis, M. Chapalain et F. Guyot, « Une femme sur dix victime de violences conjugales en France »,
AJ. Fam. 2002. 249.
1634
Cass. crim. 7 avril 1998, pourvoi n° 97-84.068, Bull. crim. n° 136, Dr. pén. 1998, comm. 114, obs. M.
Véron.
452
concubinage, afin de retenir la culpabilité du prévenu sur le fondement de l’article 223-13. La
Chambre criminelle a rejeté le pourvoi et constaté que les juges du fond avaient valablement
caractérisé tous les éléments constitutifs de l’infraction1635.
1635
Cass. crim., 21 octobre 1998, pourvoi n° 97-85.151, inédit.
1636
H. Bosse-Platière, « Contenu du Pacs », in Droit de la famille, Dalloz Action, Chap. n°52, 2013, n° 152.221.
1637
H. Bosse-Platière, op. cit., Chap. n°52, 2013, n° 152.221.
1638
Cass. crim. 12 octobre 2011, pourvoi n° 11-85. 474, Bull. crim. n° 210, Dr. pén. 2012, comm. 15, obs. M.
Véron.
453
1) Le constat d’une absence de répression
386. Observations. – L’article 433-20 du code pénal punit uniquement « le fait, pour une
personne engagée dans les liens du mariage, d'en contracter un autre avant la dissolution du
précédent », ignorant ainsi totalement le phénomène de bigamie dans les relations entre
concubins ou partenaires. Cela peut étonner lorsque l’on connaît la tendance contemporaine
du droit pénal à la neutralité vis-à-vis des différentes formes de conjugalités. Mais cela étonne
d’autant plus que le droit civil lui-même, pourtant moins enclin à l’impartialité conjugale,
prohibe la polygamie s’agissant du mariage, mais également du PACS1639. En effet, l’article
515-2 du code civil prévoit qu’il ne peut y avoir de pacte civil de solidarité – à peine de
nullité – ni entre deux personnes dont l’une au moins est déjà engagée dans les liens du
mariage, ni entre dont une deux personnes au moins est déjà liée par un pacte civil de
solidarité.
Ce vide juridique sur le plan pénal semble préfigurer certaines difficultés de traitement
judiciaire de la bigamie. Ainsi, il n’est point inconcevable – par exemple – que l’individu
ayant rompu unilatéralement le pacte, contracte une nouvelle union avant que la décision de
dissolution n’ait été signifiée par huissier à l’autre partenaire1640. Dans un tel cas, le juge
pénal ne pourrait – en vertu de principe d’interprétation stricte de la loi pénale – étendre par
analogie l’article 433-20 du code pénal aux partenaires d’un PACS. Mais, il en va de même
dans le cas où une personne déjà engagée dans les liens du mariage conclurait un pacte civil
de solidarité avec une autre. Un tel comportement ne saurait être incriminé sur le fondement
de l’article 433-20, le délit de bigamie ne prenant en considération que le double mariage.
Par conséquent, la seule sanction qu’encourrait la deuxième union contractée en violation du
premier PACS ou mariage serait la nullité absolue de droit civil.
1639
En revanche, ni le droit pénal, ni le droit civil ne prennent en compte la bigamie s’agissant du concubinage.
Sur l’absence de répression pénale de la bigamie s’agissant du PACS, V. infra, n°385 et s.
1640
Art. 515-7, al. 5 du C. civ. Aux termes de l’ancien article 515-7, le délai nécessaire à la signification était
évalué à trois mois. Bien que depuis le 1er janvier 2007, le texte ne mentionne plus ce délai, il demeure en
pratique requis pour que la rupture unilatérale du PACS soit effective, V. Loi n° 2006-728 du 23 juin 2006
portant réforme des successions et libéralités, JO 24 juin 2006, p. 9513 (entrée en vigueur le 1er janvier 2007) ; F.
Alt-Maës, « Le PACS à l’épreuve du droit pénal », JCP. éd. G. 2000. I. 275, n° 30 ; Y. Flour, « Le pacte civil de
solidarité », in Droit patrimonial de la famille, Dalloz Action, 2014, Chap. 511, n° 511.111.
454
2) Des éléments d’explication de l’absence de répression
387. Le PACS, une union de fait aux yeux du droit pénal. – Cette carence en droit pénal
est révélatrice de la conception que celui-ci se fait du PACS. En effet, si aux yeux du droit
civil, le PACS constitue un lien contractuel existant entre deux personnes en vue de la
création d’une communauté de vie, aux yeux du droit pénal il demeure une simple situation de
fait – un fait sociétal. Aussi, le droit pénal assimile-t-il simplement – tout au moins au titre de
la répression de la bigamie – le PACS au concubinage ! Or, force est de constater que les
doubles ménages et les bigamies de fait ont toujours été juridiquement tolérés, voire ignorés
parfois1641. Comprend-on, dès lors, que le droit pénal ferme les yeux sur la coexistence de
doubles pactes civils de solidarité ou sur celle d’un PACS et d’un concubinage1642. En effet,
« une société a besoin d’un certaine dose de crime afin de maintenir son unité dans la
condamnation de la déviance »1643.
Au demeurant, le fait que le droit pénal ne reconnaisse qu’une dimension factuelle du PACS
ne signifie aucunement qu’il ne le protège pas. Il est conscient que ce pacte est le support
d’une vie de couple, et l’éventuel ferment d’un foyer au sein duquel pourront naître un ou
plusieurs enfants. Et c’est à ce titre – et à ce titre seulement, que le droit pénal veille à garantir
aux partenaires la défense de leurs droits communs et individuels. Ainsi, il reconnaît tout
d’abord aux partenaires un droit à la famille opposable aux tiers. En effet, il convient de
garder présent à l’esprit le long cheminement qui fut nécessaire à la création du PACS, et les
raisons de sa création. Les unions hors-mariage étaient nombreuses et ce bien avant l’adoption
de la loi n°99-944 du 15 novembre 1999 relative au PACS1644. Ces unions libres n’étaient
cependant que très peu valorisées par le droit, ne créant aucun effet juridique notoire et
demeurant dans la clandestinité, faute de preuve probante de leur existence. Aussi, la loi de
1999 a-t-elle créé le pacte civil de solidarité et également inséré une définition précise du
concubinage dans le droit civil. Ce faisant, elle accordait aux couples hétérosexuels désireux
d’une alternative au mariage créatrice de droits réels, une reconnaissance légale. Bien plus
1641
V. G. Andréo, « Bigamie et double ménage », RTD. civ. 1991. 263, passim ; C. Pomart-Nomdédéo, « Droit
pénal et droit de la famille, les liaisons dangereuses », D. actualité, 9 septembre 2010, étude 20, n° 16.
1642
Néanmoins, la coexistence d’un mariage et d’un PACS semble juridiquement et institutionnellement plus
problématique, puisqu’elle aboutirait à la contradiction de deux ordres juridiquement établis et au
chevauchement des règles qui y sont respectivement attachées.
1643
G. Andréo, « Bigamie et double ménage », RTD. civ. 1991. 263, n° 3.
1644
V. supra, Introduction, n° 18.
455
encore, cette reconnaissance s’étendait également aux couples homosexuels, puisque la loi
précisait que le PACS pouvait être contracté par des personnes de même sexe1645. Pour ces
couples, la discrimination et la défiance sociale étaient acerbes et avant tout de nature
institutionnelle. En effet, pendant longtemps, la Cour de cassation et le Conseil d’État ont
refusé d’assimiler les couples homosexuels aux concubins hétérosexuels et a fortiori aux
couples mariés. Ainsi, qu’il s’agisse du concubinage ou du mariage, seuls les couples
constitués d’un homme et d’une femme étaient pris en considération1646. Dès lors, lorsque le
droit pénal pénalise toute discrimination par une personne physique ou morale à raison du
sexe, de la situation de famille ou de l’orientation sexuelle de la victime, il concourt
largement à reconnaître, particulièrement aux partenaires homosexuels, un droit à l’intimité et
un droit de mener une vie de famille paisible1647.
Par ailleurs, le droit pénal protège la communauté de vie des partenaires. C’est en vertu de
cette communauté que la loi pénale dispose que les immunités familiales étudiées
précédemment1648 profitent tout autant aux conjoints ou aux concubins, qu’aux partenaires
d’un pacte civil1649. De cette manière, elle vient consacrer la solidarité morale due entre
partenaires. Au surplus, elle protège un principe de résidence conjointe des membres du
couple pacsé. En effet, en vertu de l’article 226-4 du code pénal, « l’introduction ou le
maintien dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou
contraintes » est constitutive d’une violation de domicile. Cependant, il a été jugé que, ce
« délit [supposant] l’introduction dans le domicile d’un tiers, il n’était point caractérisé
lorsque le prévenu occupait les lieux conjointement avec la partie civile »1650. Bien que cette
solution jurisprudentielle ait été retenue s’agissant de deux individus partageant
1645
Art. 515-1 du C. civ.
1646
M. Lamarche, « Pacte civil de solidarité », Rép. civ Dalloz 2012, n°4.
1647
Art. 225-1 du C. pén. ; Mais cette prohibition de la discrimination est également valable en droit du travail
(art. L 122-45) ou encore en droit européen (art. 8 de la Conv. EDH) ; V. également CEDH, 27 septembre 1999,
« Smith, Grady, Lustig-Prean et Beckett c/Royaume Uni », req. n° 31417/96 et 32377/96, JCP éd. G. 2000. I.
203, note F. Sudre spéc. p. 197 Des militaires, trois hommes et une femme, ont été révoqués de l’armée en raison
de leur homosexualité, suite à une enquête sur l’orientation sexuelle. La CEDH estime que « le droit au respect
de la vie privée implique le droit pour chacun de mener la vie sexuelle de son choix en conformité avec son
identité profonde » et qu’ « en l’absence de raisons convaincantes et solides » pour justifier les ingérences de
l’Armée britannique dans la vie privée des militaires, l’article 8§2 de la convention avait été violé.
1648
V. supra n° 317 et s.
1649
V. Art. 434-1 du C. pén (non-dénonciation de crime), art. 434-6 du même code (recel de malfaiteur) et art.
434-11 (omission de témoignage en faveur d’un innocent). Egalement, l’aide apportée à un étranger entré
irrégulièrement sur le territoire national, par son conjoint ou la personne vivant notoirement en situation maritale
avec lui (loi du 22 juillet 1996 et du 18 mai 1998).
1650
Cass. crim., 7 février 1999, pourvoi n° 93-80.520, Dr. pén. 1994, n° 129, obs. M. Véron.
456
conjointement les mêmes locaux professionnels, son principe s’étend au couple au regard de
l’obligation de communauté de vie. Ainsi, entre les époux, la Cour de cassation n’accepte de
concevoir un délit de violation de domicile que si les époux sont – en vertu d’une décision de
justice – autorisés à résider séparément1651. Même en cas de mésentente notoire entre ces
derniers, le délit de violation de domicile ne peut être constitué, tant que le juge, saisi d’une
procédure de divorce ou de séparation de corps, n’aura pas fixé l’attribution du domicile
conjugal à un des époux1652. Ce n’est qu’à compter de cette décision en effet, que l’époux
n’ayant pas obtenu gain de cause, n’aura plus le « droit de se dire chez lui »1653. Or, ce
raisonnement est tout aussi valable pour les partenaires pacsés. Depuis la loi de 2006, ceux-ci
s’engagent à une communauté de vie aux termes de l’article 515-4 modifié du Code civil1654.
Cette vie commune doit s’entendre, comme pour le mariage, d’une communauté de toit et de
lit1655. Cependant, l’exigence de communauté de vie dans le PACS est bien plus stricte que
celle exigée des couples mariés. En effet, la cause même du contrat – support du PACS entre
les deux parties – est l’organisation de leur vie commune. Ainsi, contrairement aux couples
mariés, les partenaires d’un PACS ne peuvent avoir des domiciles séparés, sous peine de
porter atteinte à la communauté de vie1656. Par conséquent, toute condamnation éventuelle
d’un des partenaires pour violation de domicile sera gelée antérieurement à la rupture du
PACS.
1651
H. Matsopoulou, « Violation de domicile », JCl pén. 2009, fasc. n°20, n° 37-39 ; Cass. crim., 6 novembre
1996, pourvoi n° 95-85.3412, RSC. 1997. 382, obs. Y. Mayaud (l’ordonnance de non-conciliation attribuant le
domicile conjugale à un des époux suffit à retenir l’incrimination de violation de domicile à l’encontre de l’autre
époux sur le fondement de l’art. 226-4 du C. pén., sans qu’il soit nécessaire de recourir à une procédure
d’expulsion). Peu importe que ce logement ait été attribué au conjoint par le juge à titre provisoire ou définitif,
V. Cass. crim., 6 novembre 1996, préc.
1652
Paris, 22 juin 1990, RSC. 1991. 373, obs. G. Levasseur.
1653
Le domicile ne désigne pas, conformément à une conception pénale, seulement le lieu où une personne a son
principal établissement mais encore le lieu où, qu’elle y habite ou non, elle a le droit de se dire chez elle, quels
que soit le titre juridique de son occupation et l’affectation donnée aux locaux, V. Cass. crim., 13 octobre 1982,
Bull. crim. n° 218, RSC 198. 670, obs. G. Levasseur.
1654
La loi de 1999 créant le PACS, ne faisait aucune mention de la communauté de vie au titre des obligations
des partenaires. Ainsi, la loi 2006 aligne dorénavant ces obligations sur celles des couples mariés (aide mutuelle
et matérielle, contribution solidaire aux dettes n’outrepassant pas les besoins de la vie courante). La loi de 2006
tire ainsi toutes les conclusions de la décision du Conseil constitutionnel, Cons. const., décision n° 99-419 DC du
9 novembre 1999, préc.
1655
La jurisprudence consacre un devoir de fidélité à la charge des partenaires. En effet, il incombe aux
partenaires de s’engager à exécuter « loyalement » l’obligation de vie commune, le manquement à cette
obligation constituant un motif de résiliation du PACS, V. TGI Lille, 5 juin 2002, D. 2003. 515, note X. Labbée ;
RTD civ. 2003. 270, obs. J. Hauser (constat d’adultère dans un couple homosexuel pacsé et résiliation du pacte).
1656
X. Labbée, « Pacs : encore un petit effort ! », AJ Fam. 2007.8, p. 9 ; F. Alt-Maës, « Le PACS à l’épreuve du
droit pénal », JCP. éd. G. 2000. I. 275, n° 44.
457
388. L’effet atténué du devoir de fidélité en droit pénal. – La singularité du droit pénal
se constate également à sa schizophrénie. Le droit pénal est certes, comme nous venons de le
préciser, protecteur des droits de l’individu. Cependant, et particulièrement lorsqu’il s’agit du
délit de bigamie, ce qu’il défend – s’il est besoin de le rappeler – ce sont les intérêts de l’État.
Ainsi, la raison pour laquelle le droit pénal n’étend pas l’application de l’article 433-20 du
code pénal aux pacsés, c’est que contrairement au droit civil, il n’a pas vocation à défendre un
devoir général de fidélité. La distanciation dont il a fait preuve, depuis longtemps, vis-à-vis de
l’adultère le prouve1657 ; d’ailleurs il est possible de se demander si le droit pénal ne reconnaît
pas implicitement un droit à l’amour, existant à l’ombre du droit.
Le droit pénal – tout comme le droit civil d’ailleurs1658 – défend à travers l’infraction de
bigamie, un principe monogamique d’ordre public. Cependant, il est moins question ici du
maintien d’une morale conjugale et familiale que de la préservation d’une identité
nationale 1659 . Or, il semble par déduction, que le droit pénal conçoive la « bigamie
officieuse » comme une menace moins dangereuse que la « bigamie officielle ». En effet,
rappelons que seules les institutions de la filiation et du mariage permettent l’acquisition de la
nationalité française, en vertu des articles 21 et 21-1 et suivants du Code civil. Le
concubinage, pas plus que le PACS n’ont d’impacte sur l’accession des étrangers à la
nationalité ! Dès lors, lorsqu’il s’agit d’incriminer la bigamie, le droit pénal se désintéresse du
PACS, car droit pénal et droit civil ne poursuivent pas les mêmes desseins.
1657
V. supra, n° 360.
1658
Le juge civil ne défend pas uniquement un devoir de fidélité à travers la prohibition de la polygamie : ainsi, a
été prononcée la nullité d’un second mariage entre les mêmes époux avant la dissolution du premier, V. Cass.
civ. 1ère, 3 février 2004, pourvoi n°00-19.838, AJ. Fam. 2004.144, note F. Bicheron. Toutefois, les véritables
desseins des époux semblaient quelque peu douteux en l’espèce. Deux personnes de nationalité zaïroise ont
contracté un mariage coutumier monogamique, par procuration au Zaïre. Plusieurs années plus tard, ils
contractent un second mariage en France, sans que soit dissout le premier. Etrangement, peu de temps après, le
mari forme une demande en nullité de la seconde union. Un auteur avançait qu’il était fort probable que le
premier mariage ait permis à un des époux de venir en France, alors que le second devait lui permettre d’acquérir
cette-fois la nationalité française. Les éventuelles discordes ultérieures entre les époux ont alors sûrement
justifier l’action en annulation de l’époux, V. J.-J. Lemouland, « Nullité pour bigamie d’un second mariage
contracté entre les mêmes époux avant la dissolution du premier », D. 2004. 2963.
1659
V. supra, n°266. V. également G. Andréo, « Bigamie et double ménage », RTD. civ. 1991. 263, n° 1 :
« L’état civil est devenu très fiable ; les formalités antérieures au mariage sont difficilement contournables. Dans
ces conditions comment peut-on être bigame ? La meilleure réponse est encore qu’il faut être persan, ou plus
exactement musulman. Et de fait, l’internationalisation du mariage rend en France la bigamie plus répandue
qu’on ne le croit ».
458
Pourtant, actuellement un tel choix législatif s’avère dangereux. En effet, la bigamie de fait
favorise l’opacité et le développement de nouveaux comportements répréhensifs et portant
tout autant atteinte à l’ordre public. Le phénomène de la polygamie1660 en France demeure
complexe et très mal maîtrisé, car difficile à appréhender. Cette polygamie de fait – « basée
uniquement sur la domination de l’homme sur la femme et l’utilisation de celle-ci comme
signe extérieur de richesse »1661 – s’établit en France notamment par le biais de conjugalités
diverses produisant en droit français des effets relatifs (mariages religieux, concubinage,
PACS1662). De plus, le nombre exact de familles vivant en situation de polygamie sur le
territoire national est encore impossible à chiffrer. En 2006, la Commission nationale
consultative des droits de l’homme (CNCDH) estimait à 180 000 le nombre de personnes
(adultes et enfants) vivant en situation polygamique, soit seulement 0,3% de la population
française1663. Toutefois, et sans céder à la généralisation, les conditions de vie de certaines de
ces familles sont alarmantes. Ainsi, toujours selon cette Commission, « en raison de la
situation de l’habitat, la concentration de la majorité de ces familles dans des quartiers
devenus des ghettos, l’ethnicisation de certains sous-quartiers, […] certaines situations de
familles polygames, dans un contexte local proche de la relégation, est explosive »1664. De
plus, la cohabitation intensive de plusieurs familles (femmes et enfants confondus) – sur fond
de rivalités féminines souvent, dans des espaces exigus pousse les enfants adolescents de ces
foyers à fuir un foyer familial dysfonctionnelle. Cette tentative d’échapper à la promiscuité du
domicile favorise malheureusement l’exposition des jeunes – vivant au sein de quartier ne
proposant pas suffisamment de structures palliatives, éducatives ou de loisirs – à une
délinquance juvénile1665. Par ailleurs, dans l’hypothèse où une des compagnes de l’homme
1660
A. Peyrefitte et Comité d’études sur la violence, la criminalité et la délinquance, Réponses à la violence,
Rapport à M. le Président de la République, La Documentation Française, juillet 1977, p. 106 : « Le logement
familial, exigu, bruyant, est souvent fui par le jeune qui n’y trouve pas l’espace adapté à ses jeux et à son besoin
d’activité. Souvent les parents, en quête de tranquillité, encouragent cette fuite ».
1661
Commission nationale consultative des droits de l’homme, L’étude sur la situation de la polygamie en
France, Rapport, 9 mars 2006, p. 6 [ En ligne : http://www.cncdh.fr/sites/default/files/rapportpolygamie.pdf].
1662
Egalement, on l’a vu, il arrive que ces formes conjugales coexistent avec un mariage, V. Riom, 9 novembre
1978, préc. (Indemnisation de l’épouse et de la concubine du défunt).
1663
Commission nationale consultative des droits de l’homme, L’étude sur la situation de la polygamie en
France, Rapport, 9 mars 2006, p. 13 [ En ligne : http://www.cncdh.fr/sites/default/files/rapportpolygamie.pdf].
1664
Commission nationale consultative des droits de l’homme, op. cit., p. 13 [ En ligne :
http://www.cncdh.fr/sites/default/files/rapportpolygamie.pdf].
1665
Témoignage de scènes de vie quotidiennes dans un foyer polygame : un appartement de trois pièces dans
lequel vivent un homme, une femme ayant quatre enfants et une deuxième ayant trois enfants. L’existence de
rivalités entre les épouses ont conduit chacune d’entre elle à vivre recluse dans une pièce chacune avec leurs
459
polygame déciderait de sortir de la situation polygamique en optant pour la décohabitation,
une autre lutte administrative débute pour elle et ses enfants. En effet, munie après plusieurs
années passées sur le territoire français – dans la clandestinité la plus totale – d’un simple titre
de séjour, l’intéressée se trouve confrontée à des difficultés de relogement. Ces
problématiques se justifient par les politiques nationales en droit immobilier, mais également
et surtout par les préjugés et discriminations tenaces1666. Enfin, la polygamie de fait ainsi
organisée prend une part certaine – bien qu’impossible à évaluer1667 – dans la fraude aux
prestations familiales, punie par l’article L 114-13 du code de la sécurité sociale. Ainsi, en
raison de l’emprise qu’il exerce sur des femmes en situation de vulnérabilité sociale,
administrative et financière, l’homme polygame est fortement soupçonné de bénéficier à titre
exclusif des allocations que celles-ci perçoivent en qualité de « parent isolé »1668.
389. Observations. – Il est possible de citer deux cas d’absorption de concepts extérieurs
par le droit pénal. Il s’agit d’une part, de l’appréhension des contours de la famille via la
définition de l’inceste (A) et d’autre part, de la non-contradiction de la valeur civile de la
déclaration sur l’honneur intervenant dans le cadre d’une demande de prestation
compensatoire (B).
propres enfants. Les repas se prennent de même à tour de rôle dans la cuisine. V. Commission nationale
consultative des droits de l’homme, L’étude sur la situation de la polygamie en France, Rapport, 9 mars 2006, p.
23 [ En ligne : http://www.cncdh.fr/sites/default/files/rapportpolygamie.pdf].
1666
Pour plus de précisions, V. P. Gollier, « La décohabitation et le relogement des familles polygames. Un
malaise politique émaillé d’injonctions contradictoires », Recherches et prévisions, n°1/ vol. 94, 2008, p. 64-68.
1667
La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) interdit, en effet, aux contrôleurs des
caisses d’allocations ne peuvent pas demander expressément aux allocataires s’ils sont polygames,
conformément à l’art. 8 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux
libertés. Selon cet article, « il est interdit de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font
apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques,
philosophiques ou religieuses ou l'appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la
vie sexuelle de celles-ci ».
1668
Sénat, Proposition de loi n° 501, visant à créer un délit de polygamie, d’incitation à la polygamie, avec
circonstance aggravantes pour fraude aux aides sociales, de Nicolas About, enregistrée à la Présidence du Sénat
le 26 mai 2010, Exposé des motifs.
460
390. La définition sur un plan pénal des contours de la cellule familiale. – En se
bornant à traiter du phénomène incestueux sur un plan pénal, le législateur s’oblige – au nom
de la légalité des délits et des peines – à définir clairement les frontières de la famille, avec ce
que cette opération comporte d’arbitraire1669. Il s’y était toujours refusé auparavant, par
pudeur1670. Pourtant, le Conseil constitutionnel – le 16 septembre 20111671 – enjoignit au
législateur de lister de manière plus précise les membres de la famille susceptibles d’être
auteurs d’inceste. D’ailleurs, un auteur dira avec ironie que « la postérité retiendra sans doute
que notre lumineuse époque juridique aura été contrainte de définir la famille … pour savoir
à qui on pouvait appliquer l’incrimination d’inceste »1672. Ainsi, empruntant la voie de la
facilité et par crainte d’une nouvelle abrogation du texte par le Conseil Constitutionnel, a
choisi de calquer la liste de ces auteurs sur celle des empêchements à mariage énumérés
strictement par le droit civil1673 (1). Cependant, cet alignement de la matière pénale sur la
discipline connaît d’inévitables limites (2).
391. La liste des auteurs d’inceste calquée sur les empêchements civils à mariage. –
Dans la rédaction initiale de la loi de 2010 relative à l’inscription de l’inceste dans le Code
pénal, le législateur avait renoncé à la lourde tâche de définir la cellule familiale. En effet, les
articles 222-31-1, 222-31-2 et 227-27-2 abrogés se contentaient de qualifier d’incestueuses,
les infractions sexuelles commises « au sein de la famille », par un ascendant, un frère ou une
sœur ou toute personne ayant autorité de droit ou de fait sur la victime. Le droit pénal voyait
alors dans la famille, un cadre auto-institué qu’il suffirait de viser expressément pour
déterminer le champ d’application des incriminations sexuelles auxquelles il se rapporte.
Cependant, une telle conception de l’inceste en droit pénal aurait conduit – en particulier
s’agissant de la notion vague et extensive d’autorité de fait, à considérer comme membre de la
1669
M. Tinel, « La famille en droit pénal », Droits 2012/2, n° 56, p. 177.
1670
D. Mayer, « La pudeur du droit face à l’inceste », D. 1988, chron. p. 213.
1671
V. Cons. Const., décision n° 2011-163 QPC du 16 septembre 2011, préc.
1672
J. Hauser, « Préliminaires : définir la famille par l’inceste », RTD. civ. 2011. 752.
1673
Assemblée nationale, Avis n° 2743 sur les articles 11, 12, 14, 15, 17, 18, 20, 21, 21 bis et 22 de la
proposition de loi n° 2652 rectifiée, adoptée par le Sénat relative à la protection de l’enfant, fait par M.
Chapdelaine, au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration
générale de la République, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 mai 2015, art. 22.
461
famille toute personne proche de celle-ci et entretenant avec l’enfant des relations affectives.
En effet, on le voit, il serait ubuesque de condamner pour inceste le concubin de la nourrice
de l’enfant ou la nourrice elle-même. Les actes sexuels imposés à l’enfant par ces personnes
ne pourraient être punis qu’au titre des agressions sexuelles ou des atteintes sexuelles
aggravées1674. Par conséquent, il convenait non pas de « repenser », mais réellement de penser
en droit pénal ce qui fait famille.
Dans cet esprit de précision, le législateur s’est inspiré de la liste des prohibitions à mariage
des articles 161 et suivants du code civil pour déterminer de manière exhaustive, les membres
de la famille pouvant engager leur responsabilité pénale. Ainsi, sont visés dans la nouvelle
rédaction de la qualification d’inceste, « l’ascendant » en ligne directe, « les frères et sœurs »,
mais aussi « les oncles et tantes, les neveux et nièces » en ligne collatérale. Concernant les
collatéraux, la condition tenant à l’existence d’une autorité de droit ou de fait a été
supprimée1675. Ainsi, s’agissant par exemple du frère et de la sœur de la victime, il ne sera
plus nécessaire de rechercher l’âge avancé de l’auteur pour conclure à son autorité sur le
mineur. De plus, tous les amendements de la Commission des Affaires familiales du Sénat
tendant à prendre en compte les grands-oncles et grand-tantes, mais aussi les cousins et
cousines germains de la victime1676, ont été supprimés. L’objectif affiché est clair ; il convient
de sécuriser le plus possible ce nouveau texte en retenant une « définition limitative et précise
des membres de la famille »1677.
Par conséquent, on le voit le droit pénal absorbe bien la conception civiliste des membres de
la famille. Et c’est d’ailleurs, cette démarche qui avait été préconisée au législateur par la
doctrine. En effet, nombreux sont les auteurs qui estiment que seul le droit civil saurait
1674
Cass. crim. 10 juillet 2002, pourvoi n° 02-83179, Bull. crim. n°152, D. 2002., Inf. rap. n° 2658. Le mari de
la nourrice est reconnu coupable de viol aggravé en qualité de personne ayant autorité sur la victime.
1675
M. Meunier, Proposition de loi relative à la protection de l’enfant, Rapport n°289 (2015-2016) fait au nom
de la commission mixte paritaire, Assemblée nationale, 12 janvier 2016, [En ligne : http://www.senat.fr/rap/l15-
289/l15-289.html].
1676
Sénat, Proposition de loi n°147 relative à la protection de l’enfant, Texte de la Commission des Affaires
sociales, Enregistrée à la Présidence du Sénat le 3 décembre 2014, art. 22. Notons pourtant que le Code civil
prohibe également, sauf levée par le Président de la République de cette prohibition (art. 164), le mariage entre
un grand-oncle et sa petite-nièce ; Cass., Ch. des requêtes, 28 novembre 1877, DP. 1878. 1. 209.
1677
Assemblée nationale, Avis n° 2743 sur les articles 11, 12, 14, 15, 17, 18, 20, 21, 21 bis et 22 de la
proposition de loi n° 2652 rectifiée, adoptée par le Sénat relative à la protection de l’enfant, fait par M.
Chapdelaine, au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration
générale de la République, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 mai 2015, art. 22.
462
nommer l’inceste et définir la famille1678, la sanction pénale ne servant que d’accessoire à sa
prohibition civile. Ainsi, un auteur affirmait que « l’inceste, avant tout, relève du droit civil. Il
est consubstantiel à la définition des seuls liens qui fondent en droit de la famille : l’alliance
et la famille. L’alliance repose sur la sexualité hétérosexuelle inscrite dans un statut. Aussi
l’inceste consiste à interdire la consécration statutaire de la sexualité dans le cadre de la
parenté et de l’alliance »1679. Il concluait enfin son développement en énonçant que « s’il
apparaît opportun de sanctionner l’inceste en tant que tel le Code pénal n’est pas
l’instrument logique d’une approche renouvelée de la famille. La définition de l’aire familiale
ne peut venir que du Code civil »1680.
Pourtant, là encore, le droit pénal ne manque pas l’occasion de faire un pied de nez au droit
civil, s’agissant de la conception propre qu’il se fait de l’inceste.
2) Les limites à l’alignement du droit pénal sur le droit civil quant à l’inceste
1678
J. Hauser, « Préliminaires : définir la famille par l’inceste », RTD. civ. 2011. 752 ; N. Glandier-Lescure,
L’inceste en droit français contemporain, PUAM, 2006, n° 47, 82 et 110 ; C. Neirinck, « Inceste : qui peut
définir l’aire de la famille ? », Dr. Famille 2011, repère 10, p. 1-3.
1679
C. Neirinck, op. cit., p. 2.
1680
C. Neirinck, ibidem, p. 3.
1681
A. Lapinte, « Un enfant sur dix vit dans une famille recomposée », Insee Première, n°1470, 2013, [En ligne :
http://www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1470/ip1470.pdf].
463
moins réelle – le beau-parent cohabite quotidiennement avec l’enfant et participe à son
éducation. Il ne s’agit ni d’un étranger, ni d’un simple ami de la famille qu’il rencontrerait
occasionnellement. En l’occurrence, il fait partie prenante du cercle familial le plus intime de
l’enfant. Dès lors, comment ne pas inclure cette nouvelle figure parentale dans l’aire
familiale du mineur lorsqu’on entend pénaliser l’inceste ? Peut-il être envisageable d’ignorer
ce troisième acteur familial en simulant, ni plus ni moins, une représentation uniquement
juridique de la famille ? Le droit pénal renonce nécessairement à l’archaïsme d’une telle
démarche pour des raisons évidentes de protection du mineur. À l’inverse du droit civil, il
choisit également de sanctionner, à côté d’un « inceste de deuxième type »1682 de droit, un
inceste de deuxième type de fait. L’inceste de deuxième type renvoie au fait pour deux
personnes consanguines de se partager le même partenaire sexuel1683. De plus, peu importe
aujourd’hui que ces deux consanguins soient de même sexe ou de sexes différents1684. En
effet, on pourrait très bien imaginer que le conjoint ou le partenaire du père1685 d’une fille ait
des relations avec cette dernière. Il en va de même pour la conjointe, concubine ou partenaire
de la mère d’un garçon.
Le Code civil prend en considération cet inceste de deuxième type. L’article 161 du code civil
prohibe à la fois le mariage entre descendants et ascendants, et le mariage entre alliés dans la
même ligne. Cet interdit est étendu au PACS en vertu de l’article 515-2, 1° du code civil. Au
demeurant, il est admis que l’union entre alliés est autorisée en cas de décès du parent
biologique (ou adoptif) intermédiaire, qui créait l’alliance1686. Cette disposition laisse donc à
penser que les seules valeurs sociales protégées par le législateur civil ici sont les sauvegardes
1682
Ce concept a été créé par Françoise Héritier, une anthropologue française, V. F. Héritier, Les deux sœurs et
la mère. Anthropologie de l’inceste, Paris, Éd. Odile Jacob, 1994, passim. Dans cet ouvrage, elle dépassait le
concept classique de l’inceste entre consanguins, proposé par Claude-Lévi Strauss. Elle interrogeait ainsi les
relations pouvant exister entre les alliés ; une marâtre et son gendre, un parâtre et sa bru mais également le
conjoint et la sœur de sa femme, etc. Elle expliquait cette forme d’inceste, moins souvent réprimée dans les
sociétés contemporaines, par « un problème de circulation de fluides d’un corps à un autre » et « la mise en
contact d’humeurs identiques », p. 24.
1683
B. Vernier, « Théorie de l’inceste et construction d’objet. Françoise Héritier, la Grèce antique et les Hittites»,
Annales Histoire, Sciences sociales, 51ème année, n° 1, p. 1996, p. 173.
1684
V. contra. B. Vernier, « Théorie de l’inceste et construction d’objet. Françoise Héritier, la Grèce antique et
les Hittites», op. cit., p. 1996, p. 173. Selon l’auteur les deux consanguins devraient être du même sexe, à savoir
une mère/sa fille, un père/son fils, deux sœurs ou deux frères. Cependant, aujourd’hui la loi admet qu’un couple
composé de personnes de mêmes sexes puisse organiser librement une vie commune, peu importe le titre sur
lequel elle se fonde (mariage, PACS ou concubinage). De même, depuis 2013 le conjoint homosexuel du père
biologique de l’enfant peut adopter l’enfant de son époux.
1685
Mais cela serait également tout à fait valable pour le concubin homosexuel du parent biologique.
1686
Art. 164, 1° du C. civ.
464
de la paix des familles et de l’institution du mariage, toute abstraction faite de la
complexification des liens familiaux que cela engendrerait. À l’appui de ce constat, il
convient de noter que l’interdiction à mariage de l’article 161 du code civil demeure
étrangement inviolable lorsque l’alliance n’est rompue que par simple divorce1687.
En revanche, le droit civil occulte totalement l’inceste de second type s’agissant du
concubinage ; si bien que le concubin d’une femme peut se marier librement avec la fille de
cette dernière1688.
Il en va tout autrement s’agissant du droit pénal qui sanctionne largement l’inceste dit
« assimilé », c’est-à-dire fondé sur un lien d’alliance de droit (mariage ou PACS) ou de fait
(concubinage) d’un des membres de la famille1689. C’est dire que le droit pénal reconnaît
l’existence d’une famille, en dehors des liens d’alliance et de parenté. Ainsi, l’article 22
modifié de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant – adoptée en dernière
lecture par l’Assemblée Nationale le 27 janvier 2016 – prévoit que les actes sexuels commis
sur le mineur par conjoint, le concubin ou le partenaire de l’ascendant, sont incestueux si
l’intéressé a sur le mineur une autorité de droit ou de fait. La doctrine émet cependant
quelques critiques sur la caractérisation de la simple autorité de fait en particulier. Deux
critiques en particulier semblent devoir être étudiées.
La première portait sur les difficultés à prouver cette autorité de fait et donc par déduction,
l’inceste assimilé de fait. En effet, Jean Hauser estimait que l’ « on se heurterait, eu égard au
principe du droit pénal, à l’indétermination foncière du concubinage que le législateur de
l’article 515-8 du code civil s’est gardé de définir »1690. Selon lui toujours, il serait impossible
d’échapper face au caractère vague du concept de couple, à « la question de la preuve c’est-à-
dire à un minimum de solennisation »1691. Cependant, et comme le relève si bien l’auteur lui-
1687
A. Batteur, « L’interdit de l’inceste », RTD. civ. 2000. 759, n° 8-9.
1688
L’exemple le plus connu d’inceste de deuxième type est celui de Woody Allen, réalisateur et acteur
américain. Ce dernier a entretenu pendant plusieurs années puis a épousé la fille – d’origine coréenne – que sa
concubine américaine avait adoptée au cours d’une union précédente. Le réalisateur a alors basé sa défense sur la
« distanciation des liens » qui existaient entre la jeune fille et lui, V. M.-L. Fort, Proposition de loi visant à
identifier, prévenir, détecter et lutter contre l’inceste sur les mineurs et à améliorer l’accompagnement
médical et social des victimes, Rapport n°1601 fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la
législation et de l’administration générale de la république, Avril 2009, p. 6.
1689
G. Delors, « L’inceste en droit pénal : de l’ombre à la lumière », Revue de sciences criminelles et de droit
comparé, n°3, 2010, n° 25.
1690
J. Hauser, « Préliminaires : définir la famille par l’inceste », RTD. civ. 2011. 752, in fine.
1691
J. Hauser, « Préliminaires : définir la famille par l’inceste », op. cit.
465
même, il ne revient pas au droit pénal de définir le concept du concubinage. Seul le droit civil
le peut. Mais surtout, l’absence de définition précise d’une situation de fait n’a jamais
empêché au droit pénal d’en reconnaître l’existence et de s’en servir comme d’un instrument
d’incrimination ou de protection. La famille – réalité sociale – en est la parfaite illustration.
Au surplus, la notion d’autorité de droit ou de fait est de longue date utilisée par la
jurisprudence1692. Ainsi, une large marge d’appréciation est laissée au juge répressif et ce
dernier a toujours su faire la part des choses. De manière générale, il tire l’existence d’une
autorité de fait de la proximité entre le beau-parent et la victime (cohabitation souvent) et de
la forte impression que l’auteur laisse sur celle-ci (par l’éducation, des menaces voire
l’affection qu’elle lui porte)1693. Enfin, il arrive que le juge répressif fasse découler du
concubinage – vu pourtant comme simple union de fait – une autorité de droit1694. Un tel
raisonnement n’apparaît pas erroné puisque le concubinage est bien inscrit dans le Code civil
à l’article 515-8 et reconnu par lui. De facto, s’il est admis que l’autorité de droit tire son
fondement de la loi1695, le concubin du parent doit être regardé comme détenant une autorité
de droit sur l’enfant.
1692
V. supra, n° 17.
1693
Pour quelques exemples : « L’accusé était le concubin de la mère de la victime, mais également que cette
dernière habitait avec le couple » : V. Cass. crim, 29 janvier 1992, pourvoi n° 91-87.748, préc. ; Il convenait de
condamner le prévenu pour viol sur mineure de quinze ans par personne ayant autorité « eu égard au jeune âge
de la victime, à l'affection que lui portait celle-ci et sous la menace de ne pas révéler des faits de petite
délinquance ; que l'auteur, mari de sa mère et vivant sous le même toit que la victime, avait autorité sur elle » :
V. Cass. crim., 9 décembre 1998, pourvoi n° 98-85. 599, Inédit (de plus dans cette famille, l’image de la mère
était fortement dévalorisée) ; « L'infraction d'agressions sexuelles sur mineurs âgés de 7 à 9 ans, par personne
ayant autorité, en l'espèce le concubin de la mère, avec laquelle il vivait et exerçait de fait l'autorité du père sur
les enfants, est établie à l'encontre de Franck X » : V. Douai, 21 mars 2007, n° 06/03302 ; « [Le prévenu] avait
toujours autorité de fait sur la jeune fille, non seulement comme étant son entraîneur mais également comme
ayant été son beau-père, l'autorité dont il disposait de fait à ce dernier titre n'ayant pas disparu au décès de
Nathalie Z... alors qu'il avait vécu pendant plusieurs années avec les deux filles de celle-ci et participé à leur
éducation » : V. Cass. crim., 17 août 2011, pourvoi n° 11-84. 081, Inédit.
1694
La Chambre criminelle a jugé que le concubin de la mère avait « aussi bien d’une autorité de fait que d’une
autorité de droit » sur sa belle-fille mineure, V. Cass. crim, 29 janvier 1992, pourvoi n° 91-87.748, préc.
1695
V. supra, n°375.
466
concubin ou le partenaire 1696 de l'auteur des faits incriminés », « il conduit à qualifier
d'incestueuse […] une sexualité imposée entre personnes qui, si elles étaient consentantes,
pourraient sans restriction se marier »1697. Il est vrai, et on l’a vu précédemment, un homme
peut épouser sans restriction la fille de sa concubine. Mais également, aussi choquant que cela
puisse paraître, un individu pourrait valablement contracter mariage avec l’enfant de son
ancien partenaire, sans qu’aucun empêchement absolu ne lui soit opposé sur un plan civil1698.
Or, selon l’auteur, un inceste qui serait prohibé différemment en droit civil et en droit pénal
n’aurait pas de sens. Pourtant, il ne saurait en être autrement. Le droit pénal ne peut adopter
entièrement la conception civiliste de l’inceste, simplement parce que ces disciplines
poursuivent des objets intrinsèquement, voire opposés parfois. Ainsi, comme Claire Neirinck
aime à le constater, le droit civil vise à interdire à travers l’inceste, « la consécration
statutaire de la sexualité dans le cadre de la parenté et de l’alliance »1699. Le droit pénal, lui,
protège l’intégrité physique et psychique du mineur des actes sexuels qui lui seraient imposés
dans son cercle familial. C’est en cela que se légitime la singularité du droit pénal ici.
1696
L’auteur assimile également le PACS à une simple union de fait, et à ce titre concubin comme partenaire
pacsé demeurent étrangers à la cellule familiale.
1697
C. Neirinck, « Inceste : qui peut définir l’aire de la famille ? », Dr. Famille 2011, repère 10, p. 3, in fine.
1698
L’article 515-7 al. 1er du C. civ prévoit que le PACS se dissout notamment par le mariage des partenaires ou
de l’un d’eux. Ainsi le PACS prend fin de plein droit à la date de l’événement. De plus, le PACS ne créant aucun
lien d’alliance entre le partenaire et la famille de son compagnon, aucun empêchement à mariage ne saurait faire
obstacle à l’union socialement incestueuse. Cette disparité de traitement entre le mariage et le PACS est d’autant
plus choquant que le droit civil interdit formellement, en sens inverse, à une personne de contracter un PACS
avec une autre déjà engagée dans les liens du mariage (art. 515-2, 2° C. civ.). Ainsi, l’idée selon laquelle les
partenaires s’engagent à créer une communauté avec loyauté et fidélité – devoirs moraux tant de fois consacrés
par la jurisprudence – ne vaut que jusqu’à célébration d’un mariage … même si c’est avec une autre personne.
1699
C. Neirinck, « Inceste : qui peut définir l’aire de la famille ? », op. cit., p. 2.
467
lien existant entre la victime et le concubin ou partenaire de la nièce ou du neveu semble-t-il,
pour le moins distendu. Dès lors, la preuve de l’existence de l’autorité de fait semble plus
compliquée à rapporter ici, bien que la jurisprudence ait eu l’occasion de la faire découler du
simple droit de surveillance, même momentané1700.
A contrario, le législateur a exclu de la qualification d’inceste des personnes qui – de par la
place qu’elles tiennent ou ont tenu vis-à-vis du mineur – font finalement davantage partie de
l’intimité de l’enfant. C’est le cas notamment de l’ex-conjoint, concubin ou partenaire de
l’ascendant et du tuteur ou délégataire de l'autorité parentale1701. Les parlementaires justifient
ce choix d’exclusion par une volonté « d’améliorer la définition de l’inceste » d’une part,
mais également par l’absence de lien familial ou d’alliance entre ces personnes et la
victime1702. Pourtant, il est indéniable que ces acteurs ont exercé ou exercent encore une
autorité de droit (délégation) ou de fait (affective pour l’ex-compagnon) sur l’enfant. Ainsi, de
manière contradictoire, le droit pénal décide tantôt de prendre en considération le lien
d’autorité, faisant fi du rapport d’alliance ou de parenté pour le concubin ou partenaire des
ascendants et collatéraux. Tantôt, il décide de faire prévaloir ces liens familiaux, lorsqu’il
s’agit de l’ex-compagnon ou du tuteur. Par conséquent, la conception pénale de l’inceste
oscille entre une vision extensivement sociologique de la famille et une vision restrictivement
juridique de celle-ci.
1700
Cass. crim., 3 septembre 2008, pourvoi n° 08-84.092 « En l’absence même momentanée de leurs grands-
parents ou des parents, l’oncle seul adulte, exerçait de fait une autorité sur ses jeunes neveu et nièce ».
Cependant, si cette solution jurisprudentielle relative à la qualification d’inceste se comprend quant à l’oncle du
mineur – membre réel de la famille – elle semblerait plus critiquable s’agissant de son concubin ou partenaire.
1701
A. Le Houerou, Proposition de loi relative à la protection du mineur, Rapport n°3216 au nom de la
commission des affaires sociales, Assemblée nationale, 10 novembre 2015, p. 7, [ En ligne :
http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r3216.asp].
1702
A. Le Houerou, op. cit., p. 7.
468
Pour autant, ils ne seront pas pris en compte par la loi pénale. Cela peut sembler
contradictoire puisque l’absence de répression de l’inceste entre adultes ne signifie pas que le
droit pénal ignore ce phénomène. En effet, antérieurement au projet d’inscription de l’inceste
dans le Code pénal, seule la circonstance aggravante tenant au contexte familial de
l’infraction permettait d’envisager les situations incestueuses. Or, cette circonstance ne
distingue entre victimes majeures ou mineures.
Dans tous les cas, il est sûr que cette particularité répressive marque davantage la singularité
conceptuelle du droit pénal vis-à-vis du droit civil. Mais comme le faisait remarquer un
auteur, cette singularité s’exprime également par rapport aux disciplines non juridiques que
sont la sociologie, la psychanalyse ou la psychiatrie1703.
1703
A. Lepage, « Réflexions de droit pénal sur la loi du 6 août 2004 relative à la protection des personnes à
l’égard des traitements de données à caractère personnel », RD pén. n° 3, mars 2005, étude 5, n°17.
1704
Cass. civ. 1ère, 22 mars 2005, pourvoi n° 02-13.214, Bull. civ.. I, n° 146. 02-13.
469
demande de prestation compensatoire1705. Enfin, ne liant pas le juge civil, celui-ci n’est pas
tenu de la réclamer aux parties1706.
Cette décision pose la question de la valeur probante du support du faux. L’article 441-1 du
code pénal – texte de définition général de l’infraction – dispose que « constitue un faux toute
altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque
moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée qui a pour
objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des
conséquences juridiques ». De manière plus synthétique, cela signifie que la caractérisation
du délit de faux nécessite, « un acte accompli sur un support particulier et doté d’une
certaine force probatoire »1708. En somme, le titre du faux doit être avoir un effet probatoire à
l’égard d’autrui et non pour soi-même. Or, toute déclaration unilatérale ne peut porter que sur
1705
Cass. civ. 1ère, 11 janvier 2005, pourvoi n° 02-19. 016, Bull. civ. I, n°13.
1706
Cass. civ. 1ère, 8 juillet 2003, pourvoi n° 02-11. 641, Bull. civ. I, n° 161 : le Cour d’appel n’a pas l’obligation
de mentionner dans sa décision le fait que la déclaration ait été fournie ou non. De même, elle n’a aucun
obligation de demander aux parties de fournir une telle déclaration.
1707
Cass. crim. 7 mars 2012, pourvoi n° 11-82. 153, Bull. crim. n° 66.
1708
L. Priou-Alibert, « En divorce, trompe qui peut : une déclaration sur l’honneur établie en sa propre faveur
n’est pas un faux », D. Actualité, 2012, p. 1.
470
« des affirmations sujettes à vérifications »1709. « Ces écrits ne valent pas titre, ne créent pas
de droits et n'ont par eux-mêmes aucune valeur probatoire »1710. Aussi, il devient évident que
la déclaration sur l’honneur – pourvue par définition que d’une valeur informative – ne saurait
constituer le support d’un faux. En revanche, une telle déclaration aurait pu constituer une
tentative d’escroquerie au jugement au sens des articles 313-1 et 313-3 du code pénal1711. En
effet, ici la prévenue a bien usé de manœuvres frauduleuses, en présentant au juge des
documents mensongers, en vue d’obtenir une prestation compensatoire plus avantageuse.
Aussi, si l’immunité familiale de l’article 311-12 du code pénal s’oppose à la répression de la
tentative par rapport au mari, en revanche aucune disposition n’y fait obstacle concernant le
juge, lui aussi victime de cette tromperie.
1709
Cass. crim., 23 novembre 1972, pourvoi n° 72-91.163, Bull. crim. n° 357 (concernant en l’espèce une simple
déclaration de recettes unilatérale faite par un entrepreneur de spectacle qui avait minoré les dites recettes).
1710
M. Véron, Droit pénal spécial, 14e éd., Paris, Sirey, 2012, n° 635.
1711
V. not. sur la question, L. Priou-Alibert, « En divorce, trompe qui peut : une déclaration sur l’honneur établie
en sa propre faveur n’est pas un faux », D. Actualité, 2012, p. 1 ; S. David et A. Jault, « Infractions révélées par
le divorce », in Droit et pratique du divorce, Dalloz référence, 2015, Chap. 422, n° 422.32.
471
Chapitre II. La résilience du droit pénal
398. Un droit pénal résilient, la protection de valeurs propres. – Le droit pénal, en plus
d’être un droit singulier, est encore un droit résilient. En effet, au-delà d’une logique
intrinsèque propre se manifestant tant d’un point de vue fonctionnel que conceptuel, c’est un
droit qui protège avant tout ses propres valeurs. Aujourd’hui, l’instrumentalisation
grandissante de la matière et le sentiment de dénaturation de celle-ci au contact du droit de la
famille1716 font office – métaphoriquement – d’une situation traumatique, en ce qu’elles
semblent vider ce droit de sa substance. Pourtant, celui-ci dispose d’une faculté naturelle à la
réadaptation. Aussi, ne se perd-il jamais totalement. Il revient toujours à ses essentiels : la
1712
B. Michallet, « Résilience : perspective historique, défis théoriques et enjeux cliniques », Frontières, vol.
n°22, n° 1, 2009-2010, p. 10-18.
1713
B. Michallet, op. cit., p. 10.
1714
Cette notion, créée par les psychologues Werner et Smith dès 1950, a été développée en France, par le
psychanalyste Boris Cyrulnik, V. B. Cyrulnik, Un merveilleux malheur, Paris, Odile Jacob, 1999. Cependant, il
avait débuté ses recherches dès 1970, sans parvenir à qualifier clairement le phénomène.
1715
Aujourd’hui, il n’existe toujours pas de consensus absolu sur la notion de résilience. Alors que la notion se
démocratise dans le domaine de la psychanalyse et que les théoriciens s’accordent sur le principe de résilience,
ils la définissent encore tantôt comme une capacité, tantôt comme un processus ou un résultat.
1716
C. Pomart-Nomdédéo, « Droit pénal et droit de la famille, les liaisons dangereuses », D. actualité, 9
septembre 2010, étude 20.
472
poursuite par l’Etat d’une infraction commise à l’encontre d’une victime, et causant à une
échelle supérieure, un trouble au corps social. Or, quant à définir la place de la famille au
milieu de ce triptyque, on s’aperçoit tout à coup que les rôles s’inversent. Considérée dans
cette configuration typiquement pénale, c’est désormais la famille qui ne représente qu’une
valeur subsidiaire et secondaire en droit pénal (Section I). Également – en dépit de la récente
vague de pénalisation des relations familiales – il convient de relativiser la place que tiendrait
le droit pénal dans la famille1717. En effet, il ne faudrait pas oublier la tendance générale du
droit pénal à se retirer du champ familial, bien plus qu’à l’investir (Section II).
399. L’observation de la hiérarchisation des valeurs sociales protégées en droit pénal (§1)
conduit à considérer la famille comme un intermédiaire de protection (§2).
400. La valeur sociale est un outil de structuration du droit pénal. À ce titre, elle est
révélatrice du fonctionnement et des finalités de la matière (A). Or, force est de constater que
s’il est indéniable qu’elle compte parmi les valeurs sociales considérées en droit pénal, la
famille en tant qu’entité ne constitue qu’une valeur secondaire à l’intérieur de cette structure
(B).
1717
Ou faudrait-il dire la place que tiendrait la famille dans le champ pénal.
1718
H. Rabault, Droit et axiologie : la question de la place des ”valeurs” dans le système juridique, Droit
constitutionnel et théorie et philosophie du droit, atelier n°5, Acte du 8ème Congrès français de droit
473
communication privilégient la norme, seul stabilisateur fiable des comportements en
société1719. Niklas Luhmann1720, célèbre sociologue et juriste allemand, estimait notamment
que la référence aux valeurs était impropre à régler les conflits fondamentaux, inévitables
dans tout système juridique. Selon lui, l’éthique est l’argument résiduel auquel le droit fait
appel lorsque sont épuisés tous les moyens juridiques probants. Elle n’est finalement utilisée
qu’à des fins simplificatrices permettant ainsi de légitimer d’office la décision de sortie de
litige. En d’autres termes, « l’équité implique une ouverture, une souplesse du système
juridique, qui lui permet de conserver son unité face à la complexité sociale »1721.
Tout au contraire, et particulièrement en droit pénal spécial, il apparaît que la valeur sociale
constitue en réalité un véritable – sinon le principal – instrument de structuration de la
matière. C’est elle qui sous-tend et rationalise cette dernière ; et à ce titre, son rôle ne saurait
y être secondaire ou résiduel. Cet avis était d’ailleurs celui d’éminents auteurs qui
considéraient les valeurs sociales ou intérêts protégés comme « un critère général de
systématisation du droit pénal spécial »1722. Mais, cette systématisation vaut également pour
le droit pénal général, puisqu’en effet, l’un est indissociable de l’autre1723.
402. Des valeurs sociales hiérarchisées en droit pénal. – Toutes les valeurs sociales ne se
valent pas en droit pénal. Les valeurs permettent, en droit pénal, d’ordonner les priorités
juridiques et sont par nature porteuses de hiérarchisation. En effet, par définition, toutes les
valeurs existant dans une société donnée, n’accèdent pas pour autant à la reconnaissance
juridique. Ainsi, si l’hédonisme peut constituer à une échelle purement subjective, une valeur,
elle ne fait pas pour autant l’objet d’une reconnaissance effective de droit. De même, que si
l’honneur est considéré comme une valeur à protéger juridiquement (dans le cas de la
diffamation par exemple), le droit pénal ne tiendra en principe1724 nul compte en revanche du
mobile du mari, victime d’adultère, qui s’estimant foulé dans son honneur ou sa fierté, décide
d’assassiner son épouse. En somme, on désigne par valeurs sociales ou intérêts protégés, au
sens du droit, des intérêts qui sont supérieurs aux autres et dignes de reconnaissance juridique.
Par ailleurs, on le verra par la suite, au sein même de la catégorie des valeurs sociales
juridiquement reconnues, toutes ne s’équivalent pas. Ainsi, en droit pénal, la protection des
intérêts protégés de l’Etat primera sur celle d’autres intérêts à portée plus particulière.
L’action même de prioriser une valeur sociale plutôt qu’une autre ne relève pas du hasard. En
effet, la hiérarchisation des valeurs présentera un intérêt pratique considérable pour le
législateur pénal, dans son œuvre créatrice. Il lui appartient d’identifier clairement la finalité
ou l’objet de l’incrimination qu’il entend ériger, cette finalité ou objet étant ni plus ni moins
que la valeur sociale à protéger. Ce choix ne laisse guère de place à l’arbitraire, mais repose
au contraire sur des études statistiques, démographiques, sociologiques, psychologiques et
meurtre, un assassinat, une escroquerie ou un délit d’initié. Aussi, composé d’incriminations ancestrales ou
d’incriminations de droit positif, le droit pénal spécial préexiste à ses deux autres homologues criminels.
1724
Nous l’avons vu, en revanche, l’auteur du crime passionnel inspire une certaine fascination, voire une
mansuétude de la part des juridictions pénales, V. supra, n° 145.
475
juridiques qui – à une époque donnée – permettent de mettre en exergue des problématiques
sociales qui s’imposant aux pouvoirs publics, nécessitent d’être juridiquement encadrées.
Prenons ainsi l’exemple de l’édiction de la loi n°2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux
violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux
incidences de ces dernières sur les enfants, qui comporte un grand nombre de dispositions
pénales. Son élaboration a été rendue nécessaire en raison d’un constat posé notamment par le
Rapport d’information réalisé au nom de la Mission d’évaluation de la politique de prévention
et de lutte contre les violences faites aux femmes1725, qui a pointé du doigt l’existence d’un
« phénomène de masse »1726, souvent mal connu que sont les violences conjugales en France
et dont les retombées familiales, sociales et économiques néfastes sont considérables et d’une
particulière gravité. De plus, parce qu’il véhicule – dans une société donnée, à une époque
plus ou moins durable – certaines valeurs sociales vitales, le droit pénal d’un État est en
adéquation avec les influences politiques, idéologiques et sociétales de ce dernier. À ce titre,
le fait pour le droit pénal d’accorder à certaines de ces valeurs une importance supérieure aux
autres, est révélateur de ce qu’est le droit pénal positif, son identité propre. Or force est de
constater qu’il n’accorde pas à la valeur famille une place prépondérante. De par là même, il
est possible de lire – à défaut d’une définition précise – la conception réelle que le droit pénal
se fait de l’entité familiale.
1725
G. Geoffroy, Lutte contre les violences faites aux femmes, Rapport d’information n° 1799 fait au nom de la
Mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, 7 juillet
2009 (en ligne), disponible sur le site de l’Assemblée Nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rap-
info/i1799-t1.pdf.
1726
G. Geoffroy, op. cit., p. 18 sq.
476
1) La valeur-finalité, l’objet réel de l’infraction d’emblée familiale
S’agissant de notre étude, ne seront concernées que les infractions d’emblée familiales,
puisque par définition les infractions de droit commun simplement aggravées par un lien
familial ne visent pas originellement la valeur famille. Ainsi, dans le cas des infractions
d’emblée familiales, l’institution familiale est la valeur sociale immédiatement protégée, du
moins en apparence. Pourtant, dans bon nombre de ces infractions, cette valeur sociale est
concurrencée par d’autres intérêts supérieurs. Ce sera notamment le cas lorsque la condition
préalable de la répression résidera – comme nous l’avons vu précédemment – dans la
violation des intérêts de la justice civile (l’abandon de famille ou la non-représentation
d’enfant par exemple1728). Il en va de même lorsque sont en jeu les intérêts de l’État. Il peut
s’agir de protéger son administration publique par exemple. C’est le cas lorsque le code pénal
incrimine le fait de célébrer un mariage religieux avant le mariage civil1729 ou la non-
déclaration d’enfant dans les délais impartis par le code civil1730. En effet, ces infractions
tendent, selon la conception pénale, à punir une atteinte certaine à l’état civil, le préjudice
causé à la famille n’étant visé que secondairement. Ainsi, elles figurent au sein du Livre IV du
Code pénal « Des crimes et délits contre la nation, l’État et la paix publique », dans une
section intitulée « Des atteintes à l’état civil des personnes ».
1727
A. Vitu, Droit pénal spécial, tome 1, Cujas, coll. Traité de droit criminel, 1ère éd., 1982,
n°22 ; E. Dreyer, Droit pénal général, 2014, p. 96, n° 147 ; X. Pin, Droit pénal général, Dalloz, 5ème éd. 2012, n°
240.
1728
V. supra, n°299 et s.
1729
Art. 433-21 du C. pén.
1730
Art. 433-18-1 du C. pén.
477
Il peut encore s’agir de protéger l’autorité de l’État, à savoir le maintien de l’ordre public.
Ainsi, nous l’avons vu, l’infraction de bigamie1731 en est une illustration. En effet, loin de
répondre à une nécessité morale, le délit de bigamie sanctionne d’abord une atteinte à
l’autorité de l’État1732 puis à l’état civil des personnes1733, et seulement en dernier lieu à la
famille.
Aussi, la protection de la famille ne semble-t-elle pas être l’objectif premier du droit pénal,
la famille étant une valeur-témoin.
1731
Art. 433-20 du C. pén.
1732
A. Bourrat-Guéguen, « Altération de l’institution familiale », in Droit de la famille, Dalloz action, 2013, n°
622.160.
1733
Cette infraction est, en effet, insérée dans la section relative aux atteintes à l’état civil.
1734
V. supra, n°271 et s.
478
407. La famille, un simple paramètre de protection. – Ainsi présentée, la famille
pourrait passer pour une valeur sociale centrale en droit pénal. Pourtant, à la différence des
autres intérêts protégés précités, elle n’est pas pensée par le droit pénal, mais simplement
utilisée par lui. Et pour cause, « la famille n’est [toujours] pas l’objet d’une véritable politique
criminelle »1735 en France. Certes, il est certain que la famille impacte largement l’activité
répressive, et qu’inversement elle se trouve également impactée par cette dernière. C’est, en
effet, au sein de sa famille que se construit la personnalité du délinquant1736. Dès lors, s’il veut
comprendre pour partie le phénomène criminel d’abord et y apporter une réponse adaptée
ensuite, le pénaliste doit compter avec l’entourage familial de l’auteur. De longue date, en
effet, des études ont été menées sur les familles criminogènes ou « corruptrices »1737, mettant
ainsi en évidence l’existence d’une corrélation entre criminalité et présence d’un
environnement familial carencé1738. Les retombées de ces déficiences familiales, tant sur un
plan affectif qu’éducatif, ont également été observées de manière plus précise, dès
l’adolescence du délinquant1739.
Mais, la famille peut également être considérée par la justice pénale comme une alliée. Ainsi,
les membres de la famille peuvent être appelés à concourir lors du procès pénal, en qualité de
témoins. C’est le cas par exemple – dans la phase pré-sentencielle – de l’enquête de
personnalité. Prévue à l’article 81 alinéa 6 du Code de procédure pénale et à l’article 8 de
l’ordonnance du 2 février 1945 (pour le mineur), elle tiendra compte de « la situation
matérielle, familiale ou sociale »1740 du mis en examen. Seront notamment entendus à cette
occasion les conjoint et proches parents de l’intéressé qui détiennent sur celui-ci des
informations précieuses pour l’avancée de l’enquête et la détermination du profil du
1735
P. Couvrat, « Le droit pénal et la famille », RSC 1969, p. 807. Ce constat est encore valable aujourd’hui.
1736
J. Pradel, « La famille du délinquant au cours du procès », in Le droit non-civil de la famille, Tome X,
préface Jean Carbonnier, PUF, 1983, p. 303.
1737
P. Couvrat, « La famille, parent pauvre du droit pénal », in Le droit non-civil de la famille, Tome X, préface
Jean Carbonnier, PUF, 1983, p. 134.
1738
V. supra, dysfonctionnement familial et famille criminogène ; J. Pinatel, « L’environnement familial », RSC
1954. 792 ; J. Léauté, Criminologie et sciences pénitentiaire, PUF, 1972, p. 539 sq ; G. Stéfani, G. Levasseur et
R. Jambu-Merlin, Criminologie et sciences pénitentiaires, Paris, Dalloz, 1982, p. 203.
1739
A. Peyrefitte et Comité d’études sur la violence, la criminalité et la délinquance, Réponses à la violence,
Rapport à M. le Président de la République, La Documentation Française, juillet 1977, p. 105-107 et 169.
S. Roché (dir.), Socialisation familiale, délinquance et justice pénale. La famille explique-t-elle la délinquance
des jeunes ? , Vol. 1, Rapport final pour la CNAF et le GIP « Mission de recherche Droit et Justice », IEP de
Grenoble, janvier 2008.
1740
Art. 81 alinéa 6 du C.pr. pén. L’article 8 de l’ordonnance de 1945 fait référence lui aux « renseignements
relatifs à la personnalité et à l’environnement social et familial du mineur ».
479
délinquant. De plus, il arrive que la famille se voie confier la mission de resocialisation du
délinquant. Il peut s’agir par exemple, de la remise du mineur à ses parents, à son tuteur, à la
personne qui en avait la garde ou à une personne digne de confiance, à tout moment de la
procédure1741. Mais il peut également s’agir du maintien des relations familiales en prison1742.
Ainsi, le Code de procédure pénale – fixant le règlement intérieur des établissements
pénitentiaires – prévoit clairement dans une section intitulée « Des évènements familiaux et
des sorties exceptionnelles qu’ils peuvent justifier », le droit pour les détenus de célébrer leur
mariage à l’intérieur de la prison (article D. 424) ou de se rendre au chevet d’un membre de la
famille « proche » qui serait gravement malade ou décédé (article D. 425). Également,
participent de ce maintien des relations familiales, le droit pour le détenu de recevoir des
visites dans des parloirs sans dispositif de séparation sauf exception particulière (articles
R.57-8-8 à R.57-8-12 et D. 405) et de la correspondance dans certaines conditions prévues
légalement (articles D. 413 à D. 419-3). De plus, en 2010, ont été mis en place deux
dispositifs remarquables : des parloirs familiaux (article R. 457-8-1) et des unités de vie
familiale (article R. 457-8-14)1743. Les premiers sont des espaces clos de douze à quinze
mètres carrés dans lesquels le détenu peut rencontrer les membres de sa famille ou ses
proches pendant six heures dans surveillance ; les deuxièmes sont de véritables appartements,
séparés de la détention, spécialement aménagés dans lesquels le condamné peut accueillir –
«sans surveillance continue et directe » – sa famille entre six heures et soixante-douze heures.
Enfin, alors que le principe de personnalité des peines, il arrive que la famille du délinquant
pâtisse indirectement de la condamnation prononcée à l’encontre de ce dernier. Ainsi, le
paiement d’amendes, les interdictions professionnelles, ou encore l’emprisonnement de
l’auteur sont autant de peines qui pèsent sur le patrimoine et l’affect familial1744. Mais, le juge
répressif a été bien plus loin. En effet, la Cour d’appel de Versailles a confirmé le jugement
1741
Ord. n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, JO du 4 février 1945, p. 530, V. art. 8
(instruction), art. 15 (pour le mineur de 13 ans, devant le tribunal pour enfants), art. 16 (pour le mineur de plus
de 13 ans), ect.
1742
Notons que le décret n° 2013-368 du 30 avril 2013 relatif aux règlements intérieurs types des établissements
pénitentiaires, JO du 3 mai 2013, p. 7609, a abrogé une section au titre particulièrement évocateur « Du maintien
des liens familiaux ». Les dispositions de cette section précisaient que les détenus étaient autorisés à garder leur
bague de mariage et des photographies de famille en prison. De même, ils pouvaient envoyer à leurs familles des
sommes d’argent ou recevoir des détenteurs d’un permis de visite, des subsides.
1743
Décret n° 2010-1634 du 23 décembre 2010 portant application de la loi pénitentiaire et modifiant le code de
procédure pénale, JO du 28 décembre 2010, p. 22738.
1744
P. Couvrat, « La famille, parent pauvre du droit pénal », in Le droit non-civil de la famille, Tome X, préface
Jean Carbonnier, PUF, 1983, p. 135.
480
d’expulsion du logement en HLM, s’agissant de deux familles dont les enfants – majeurs au
moment des faits – étaient poursuivis pour trafic de stupéfiants1745.
Ces éléments marquent assurément une volonté de valorisation de l’entité famille en droit
criminel. Pour autant, cette entité familiale ne bénéficie pas d’une concrétisation réelle en
droit pénal. En dépit de la prise en considération de la sphère privée, le législateur pénal –
atteint contradictoirement de frénésie législative – y intervient encore par petites touches
éparses, sans véritable vision d’ensemble de l’institution1746.
1745
M. Leplongeon, « Enfants dealers : peut-on expulser la famille de son HLM ? », Le Point, 8 octobre 2010. La
juridiction du second degré motivait sa décision par la persistance des troubles graves à voisinage (usage de
scooters dans la résidence, trafic de cannabis et dégradations) causés par les enfants dealers, ainsi que les
nombreux avertissements dont les familles ont été les destinataires. Selon la Cour, ces faits « justifient la
résiliation du bail sans qu’il soit nécessaire de rechercher l’implication factuelle des locataires dans les faits ».
1746 On l’a vu précédemment, l’effort de bornage de l’aire familiale avec l’inscription de l’inceste dans le Code
Ces thèses portent en elles-mêmes une contradiction essentielle. On pourrait penser que cette
contradiction tient dans l’incapacité pour l’entité familiale de se prévaloir d’un intérêt
collectif dissociable de celui de ses membres. En effet, selon la théorie de la réalité
technique1757 en effet, deux conditions étaient nécessaires à l’acquisition de la personnalité
morale : « un intérêt distinct des intérêts individuels »1758 et « une organisation capable de
1750
H. Périnet-Marquet, « L’ouverture du droit pénal à l’action civile familiale », in Le droit non-civil de la
famille, Tome X, préface Jean Carbonnier, PUF, 1983, p. 281-293.
1751
H. Périnet-Marquet, op. cit., p. 293.
1752
Il prend d’ailleurs ici le cas de l’action civile ouverte à la concubine de la victime devant les juridictions
répressives, V. H. Périnet-Marquet, « L’ouverture du droit pénal à l’action civile familiale », in Le droit non-civil
de la famille, Tome X, préface Jean Carbonnier, PUF, 1983, p. 284.
1753
H. Périnet-Marquet, ibidem, p. 281.
1754
M. Tinel, « La famille en droit pénal », Droits 2012/2, n° 56, p. 156- 158.
1755
M. Tinel, op. cit., p. 157.
1756
M. Tinel, ibidem, p. 157.
1757
L. Michoud, La théorie de la personnalité morale et son application au droit français, Paris, LGDJ, 1906,
spéc. p. 13, n° 5, [En ligne : https://archive.org/details/lathoriedelaper00michgoog].
1758
L. Michoud, op. cit., p. 113, n° 53.
482
dégager une volonté collective qui puisse présenter et défendre cet intérêt »1759. Selon cette
théorie, ce qui fonde la personnalité juridique c’est l’existence d’un groupe permanent
titulaire d’un intérêt collectif 1760 . Cette théorie a rencontré un franc succès pendant
longtemps. Cependant, l’exemple de certaines organisations dotées de personnalité morale est
venu remettre en question cette dernière. Ainsi, les sociétés unipersonnelles à responsabilité
limitée (EURL) ou les fondations1761 permettent d’affirmer que le groupement ne doit pas
nécessairement être doté d’un intérêt collectif, cet intérêt pouvant être individuel également ;
pas plus qu’il n’est indispensable que cet intérêt soit strictement distinct des intérêts
individuels des membres1762. Par conséquent, il n’est pas erroné de dire que l’intérêt de la
famille est lié aux intérêts des individus qui la constituent et la façonnent. Toutefois, encore
faut-il que l’intérêt considéré soit un intérêt à visée unique. En effet, afin d’exister en tant que
personne morale – et avoir une aptitude à devenir sujet de droit – le groupement doit tendre à
la réalisation d’un objet identique. Cette condition semble évidente s’agissant de groupements
composés d’un seul individu. Cela l’est moins lorsque l’on se réfère à un groupement
collectif. Ainsi, les membres d’un tel groupement doivent être investis « d’une volonté de
collaborer pour la réalisation d’un intérêt commun »1763. Cette exigence d’homogénéité des
intérêts1764 paraît impossible à satisfaire dans le cas de la communauté familiale, qu’il s’agisse
de l’entité familiale dans son ensemble ou de l’entité conjugale. En effet, ces deux structures
ne forment plus – comme ce fut le cas dans le passé – des unités économiques et sociales
soudées, placées sous l’autorité du père de famille s’exprimant d’une seule voix, au nom de la
famille. La famille française contemporaine est désormais une aire où convergent des
volontés individuelles divergentes, voire égoïstes. Alors qu’auparavant, les individus étaient
au service de l’institution familiale, il semble qu’aujourd’hui, ce soit l’institution familiale qui
est au service de ses membres. Il y existe donc autant d’intérêts que de membres : l’intérêt du
1759
L. Michoud, ibidem, p. 118, n° 54.
1760
L. Michoud, ibidem., p. 64, n°24.
1761
Précisons, tout de même, que Léon Michoud prenait déjà en considération le cas de ces groupes à
l’organisation particulière. En effet, il est vrai que la fondation, personne morale de droit privée chargée de la
réalisation d’une œuvre d’intérêt général et à but non lucratif , peut être créée par un ou plusieurs donateurs.
Cependant, Léon Michoud estimait la condition d’un intérêt collectif et permanent remplie puisque, selon lui,
c’est bien le groupe destinataire des donations (malades, religieux, artistes, etc.) qui est titulaire de droits et
représenté par la fondation juridiquement. V. L. Michoud, ibidem, n° 53.
1762
G. Wicker, « Personne morale », Rép. civ. Dalloz, 1998, n° 26 (actualisation 2014).
1763
E. Alfandari, « Associations et sociétés : points de rencontre », LPA n°50, 1996, p. 48.
1764
E. Gaillard, Le pouvoir en droit privé, Paris, Economica, 1985, p. 191-197 [En ligne :
http://fr.calameo.com/books/000319731a016bcd4b4af].
483
conjoint, du concubin, du partenaire d’un PACS, l’intérêt de l’enfant, l’intérêt du parent
biologique, l’intérêt du tiers qui revendique sur l’enfant des droits effectifs (le parent affectif),
l’intérêt du grand-parent.
409. L’absence de consécration d’un intérêt familial en droit pénal, un choix politique.
– On pourrait déplorer que la famille ne fasse pas l’objet d’une politique cohérente en droit
pénal. La reconnaissance d’un intérêt propre à la famille en amont, déclencherait sûrement en
aval une curiosité du pénaliste dans l’effort de compréhension du fonctionnement et des
enjeux du groupement familial. Peut-être cela permettrait-il également de raisonner l’action
du législateur pénal au sein de cette cellule particulière, palliant ainsi le risque de dénaturation
du droit pénal et répondant dans le même temps plus efficacement aux problématiques
familiales actuelles. Peut-être cela permettrait-il de surcroît de ne plus concevoir les liens
familiaux, en droit pénal, uniquement à travers la perspective inquiétante du conflit.
Pour l’heure cependant, et sans plus d’idéalisme – il convient de constater que positivement,
le droit pénal n’accorde qu’une place relative à la famille en tant qu’entité. Au-delà, il faut
préciser que cette absence de consécration d’un intérêt familial et par conséquent d’une
personnalité morale de la famille ne relève pas d’une simple ignorance ou d’une omission.
Il s’agit ni plus ni moins d’un choix politique – un acte de volonté – des instances dirigeantes.
Faut-il rappeler, en effet, les trois temps forts classiquement relevés dans l’avènement du droit
pénal tel que nous le connaissons aujourd’hui 1765 , et ayant conduit à déposséder
progressivement la famille, de son pouvoir répressif. Jusqu’au Moyen Âge et en l’absence de
pouvoir central, le sort du coupable était laissé à la discrétion de la victime et de sa famille
(proches amis également) qui décidaient de la réponse à apporter à l’affront1766. Les familles
étaient à l’initiative de la vengeance privée, unique forme de répression existante. En ce
temps, l’action familiale était pleine et entière et ne souffrait d’aucune concurrence. L’intérêt
1765
V. supra, n°1, Introduction. H. Périnet-Marquet, « L’ouverture du droit pénal à l’action civile familiale », in
Le droit non-civil de la famille, Tome X, préface Jean Carbonnier, PUF, 1983, p. 282 ; G. Ruffieux, « La
flexibilité des sanctions en droit de la famille », in Flexibilité des sanctions. XXIes journées juridiques Jean
Dabin, Bruylant, 2013, p. 426.
1766
A. Prins, Science pénale et droit positif, Bruxelles, Bruylant, 1899, p. 5, n°10.
484
collectif de la famille était réel et son honneur primait sur toute autre chose. Toutefois,
organisée comme telle, la vengeance privée devenait endémique et était fondée sur une
disproportion entre la gravité de la faute et la gravité de la riposte1767.
Pour ces raisons, dans un deuxième temps, l’exercice de l’action publique a été placé entre les
mains d’un pouvoir centralisé, glissant ainsi peu à peu d’un espace privé à la scène sociale. La
famille n’est pas privée de sa compétence répressive, mais elle doit la partager avec l’autorité
publique. Cette compétence est davantage encadrée et proportionnée. Mais le chef de famille
demeure détenteur de pouvoirs étendus délégués par l’Etat et qu’il exerce au sein de son
foyer.
Toutefois, peu à peu, le champ d’action de l’autorité publique s’étend et d’un État-providence
on passe à un État interventionniste s’arrogeant dorénavant – pour des raisons financières et
stratégiques, le monopole dans tous les domaines de la vie sociale et en particulier s’agissant
du pouvoir discrétionnaire. Dès lors, la famille est totalement dépourvue de toute action
publique et doit s’en remettre à l’aval de la puissance publique pour faire valoir ses intérêts.
410. L’absence de consécration d’un intérêt familial en droit pénal, un choix normatif.
– Auparavant, à défaut de dispositions textuelles expresses, il revenait aux juridictions de
préciser si un groupement devait être regardé comme une personne morale. Initialement, la
jurisprudence interprétait le silence du législateur comme un refus d’attribution de la
personnalité morale, en vertu de la théorie de la fiction1768. Mais par la suite, elle a infléchi sa
position. En effet, elle s’autorisait à déduire du silence de la loi, la qualité de personne morale
du groupement grâce à la technique de la réalité1769. Ainsi, lorsque le groupe remplissait les
conditions requises pour être déclaré sujet de droit, la jurisprudence accédait à sa
personnification. C’est ainsi que les juges ont accepté, par exemple, de reconnaître la
personnalité juridique des sociétés civiles1770. Selon eux, en effet, « il est de l’essence des
sociétés civiles, aussi bien que les sociétés commerciales, de créer, au profit de l’individualité
1767
H. Périnet-Marquet, op. cit., p. 282.
1768
G. Wicker, « Personne morale », Rép. civ. Dalloz, 1998, n° 12 (actualisation 2014).
1769
G. Wicker, op. cit., n°13-14.
1770
Cass. req., 23 février 1891, D.P. 1891. I. 337 (l’hypothèque consentie par une banque sur des immeubles
n’appartenant pas à l’indivision des associés, mais à la propriété exclusive de la société civile reconnue
juridiquement, avait été annulée à juste titre par le Cour d’appel d’Aix). Dans cet arrêt, la Cour ne fait pas encore
une application claire de la théorie de la réalité, mais elle interprète librement les articles 1850 et s. du Code
civil.
485
collective, des intérêts et des droits propres et distincts, des intérêts et des droits de chacun de
ses membres »1771. Également, les juges ont reconnu l’existence de la personnalité juridique
des comités d’établissements, au même titre que les comités d’entreprises1772. Ils précisent
que « la personnalité n’est pas une création de la loi ; qu’elle, appartient, en principe, à tout
groupement pourvu d’une possibilité d’expression collective pour la défense d’intérêts licites,
dignes d’être juridiquement reconnus et protégés »1773. Pourtant, la jurisprudence a toujours
refusé de reconnaître une quelconque personnalité morale à la communauté conjugale1774 ou à
la famille1775.
Cette dernière espèce est particulièrement intéressante. En l’espèce, le prévenu était poursuivi
pour homicide involontaire, suite au décès de la victime directe. La veuve du défunt, partie
civile au procès, demandait réparation en son nom propre, mais également au nom de ses
enfants mineurs – alors âgés de quatorze et dix-huit ans. La Cour d’appel, confirmant
l’évaluation du préjudice adoptée en première instance, condamnait le prévenu à indemniser
un « préjudice familial global », en dépit des conclusions dont elle avait été saisie. Ces
conclusions soutenaient que « les parties civiles ayant des âges différents et des situations
différentes, l’appréciation du préjudice ne pouvait être le même pour la veuve, et pour sa fille
[…] ou son fils […], tous deux sur le point de suffire à leurs propres besoins ». La Cour de
cassation, confirmant l’idée selon laquelle ne peut être reconnu à la famille, un intérêt
collectif propre, affirme que « les juges sont tenus de prononcer spécialement sur chacune
des demandes des parties ». Elle casse en toutes ses dispositions l’arrêt d’appel.
1771
Cass. req., 23 février 1891, DP. 1891. I. 337.
1772
Cass. civ. 2ème, 28 janvier 1954, pourvoi n° 54-07.81, Bull. civ. n° 32, D. 1959.217, G. Levasseur
(l’ordonnance du 22 février 1945 prévoyait déjà expressément la qualité de personne morale pour les comités
d’entreprise. Elle précisait ensuite que seraient créés des comités d’établissement dont les fonctionnement,
attributions et compositions seraient identiques à ceux des premiers. Or, la Cour d’appel estimait que l’absence
de disposition spéciale attribuant la personnalité morale aux comités d’établissement, devait être interprétée
strictement comme une volonté claire du législateur de ne reconnaître que la personnalité des comités
d’entreprises).
1773
Cass. civ. 2ème, 28 janvier 1954, pourvoi n° 54-07.81, Bull. civ. n° 32, D. 1959.217, G. Levasseur.
1774 Cass. civ. 1ère, 18 avril 1860, DP. 60.1.185, note M. Massé (décision rendue à l’époque sur le fondement de
la théorie de la fiction. Mais depuis, aucune décision ou disposition législative n’est venue assouplir et modifier
cette position).
1775
Cass. crim., 10 mai 1977, pourvoi n°75-92. 381, Bull. crim. n° 167.
486
Aujourd’hui, l’attribution de la personnalité morale dépend du bon vouloir du législateur1776.
Il peut décider soit de ne pas conférer une telle qualité au groupement constitué (société en
participation ou société créée de fait), soit de la lui accorder. Dans les cas où il accepte de
recourir à la technique de la personnalité, il assortit son attribution à certaines conditions,
notamment de publicité (associations, syndicats, sociétés commerciales, etc.). Or, le
législateur pénal ne s’est exprimé, ni sur sa volonté de consacrer la personnalité du groupe
familial, ni sur sa volonté de la nier. Ainsi, bien que le terme « famille » y apparaisse à de
nombreuses reprises, aucun texte du Code pénal ou du Code de procédure pénale n’entend
protéger la famille en tant que personne morale.
1776
G. Wicker, ibidem, n°17-19 (actualisation 2014).
1777
V. art. 2-1 et suivants du C. pr. pén.
1778
Certaines associations doivent justifier d’une ancienneté de cinq ans pour ester en justice, V. art. 2-1 et
suivants du C. pr. pén. D’autres, sont tributaires d’une habilitation spéciale de l’autorité publique, comme les
associations de protection de l’environnement (art. L141-1 du C. env.) ou les associations de consommateurs
(art. L411-1 du C. consom.).
487
regardant de plus près, on s’aperçoit qu’il existe une distorsion entre protection théorique et
protection pratique des intérêts familiaux.
1779
Ce raisonnement s’observe également en droit pénal, V. E. Millard, « La problématique des intérêts
familiaux en droit public », Annales de l’Université des sciences sociales de Toulouse I, XLIV, 1996, p. 114.
1780
Crim., 17 juin 1954, pourvoi n° 63-91270, Bull. crim. n° 224.
1781
Y. Strickler, Procédure civile, 6ème éd., Larcier, coll. Paradigme, 2015, n° 191.
488
familles. Admettre la recevabilité d’une telle constitution de partie civile, dans ce type de
litige, serait le signe d’une véritable affirmation d’un intérêt moral de la famille, digne de
protection. Ainsi, il ne serait plus seulement dilué à l’intérieur d’un intérêt social plus général,
mais protégé de manière conjointe. D’ailleurs, une autre jurisprudence vient confirmer notre
propos. En effet, la chambre criminelle a eu l’occasion de retenir la constitution de parties
civiles d’une association familiale relative à une publicité trompeuse 1782. Un gérant de
magasin avait bénéficié, auprès de son fournisseur, d’une réduction de 25% sur le prix
habituel d’achat de paquets de biscuits. Ces derniers portaient inscrite – en évidence – sur leur
emballage la mention suivante « 25% gratuit, le prix affiché tient compte de la réduction ».
Or, le gérant les a exposés en rayon en maintenant le prix qu’il pratiquait déjà auparavant. La
Cour d’appel jugea l’action de l’association familiale recevable, cette dernière menant une
action particulière dans le domaine des prix. Le demandeur au pourvoi reprochait dès lors, à la
Cour d’avoir statué « par un motif abstrait » et sans démontrer le lien existant entre le délit et
l’action familiale. La Cour de cassation estima que la Cour d’appel avait suffisamment justifié
sa décision en ce que « l’action relative au prix de vente des produits alimentaires rentre dans
la défense des intérêts matériels des familles ». Cependant, cette solution ne convainc pas
totalement. En effet, à partir du moment où l’on admet que l’association familiale a
légalement pour mission d’agir pour les intérêts matériels et moraux des familles, il est
possible de se demander en quoi elle défend moins l’intérêt des familles lorsqu’elle protège
des consommateurs d’un danger lié à la vente de produits avariés, que lorsqu’elle intervient
sur les prix de vente de biscuits… On le voit, proportionnellement, le dommage encouru par
les familles semble plus saillant et plus direct – mais surtout plus grave – dans le premier cas
que dans le second.
D’un point de vue technique, néanmoins, cette limitation de l’action familiale semble
compréhensible. Elle tient, bien évidemment, au caractère hybride de l’objet des associations
familiales en particulier. En effet, l’association familiale vient défendre un intérêt,
difficilement distinguable de deux autres intérêts privilégiés en droit pénal. L’intérêt général
représenté par le Ministère public et l’intérêt individuel facilement identifiable.
Au demeurant, il n’est pas impossible de voir ce désamour jurisprudentiel, vis-à-vis de
l’action familiale, évoluer suite à l’intensification contemporaine du terrorisme. En effet,
1782
Cass. crim., 3 septembre 1992, pourvoi n° 91-86. 591, Bull. crim. n°281.
489
ayant à cœur d’enrayer ce phénomène, les autorités publiques semblent davantage enclines
aujourd’hui à déléguer une partie de leurs compétences à des associations familiales qui se
donneraient pour mission de lutter contre la menace terroriste. Ainsi, en vertu de l’article L.
211-3, 4° du code de l’action sociale et des familles, ensemble l’article 227-24 du code pénal
modifié tout récemment par la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les
dispositions relatives à la lutte du terrorisme, les associations familiales peuvent désormais
agir contre la fabrication, le transport, la diffusion de support à caractère violent, incitant au
terrorisme1783.
Peut-être, que s’agissant de ces intérêts moraux particuliers, les juridictions pénales se
résigneront-elles à suivre le mouvement.
Pour l’heure, il semble que tant la théorie que la pratique pénales ne tirent aucun avantage à
personnaliser la famille ou à consacrer un pouvoir des familles en droit positif. Aussi, se
contentent-elles d’y voir un intermédiaire de protection.
413. Généralités. – Nous avons vu précédemment ce que la famille n’est pas en droit
pénal, c’est-à-dire une personne morale bénéficiant d’un intérêt collectif autonome et
juridiquement reconnu. Maintenant, il convient de voir ce qu’elle est, à savoir un
intermédiaire de protection. Elle peut être définie comme celle qui contribue à la défense de
toutes les autres. Dès lors, soit elle constitue un intermédiaire entre l’action protectrice de
l’État et l’individu ; soit elle est un intermédiaire entre l’arbitraire de l’Etat et l’individu.
Ainsi, la logique du droit pénal vis-à-vis de la famille est simple. En évitant de s’immiscer
dans la famille, le droit pénal est protecteur de la communauté familiale (B). En revanche, à
partir du moment où l’acte délictueux reçoit une qualification pénale susceptible de produire
des effets, il n’est plus garant de l’entité familiale, mais de ses membres pris individuellement
(A). Dans ce cas, il fait fi de l’institution familiale, puisqu’il protège l’individu en dépit de sa
famille.
1783
Il s’agit là de la modification essentielle de l’art. 227-24 du C. pén. qui incriminait déjà la fabrication, le
transport et la diffusion de support pornographique ou portant atteinte à la dignité humaine.
490
A. La protection affirmée de l’individu au sein de sa famille
414. C’est une véritable culture de protection de l’individu qui émerge en droit pénal. Il est,
en effet, apparu qu’une sauvegarde effective de l’ordre public au sein de la famille ne pouvait
se concevoir sans une protection individuelle de ses membres. Auparavant c’était avant tout le
groupe collectif qui était mis en avant et non l’individu. Ainsi, la société était vue comme
constituée de familles, et l’idée d’esprit de famille conduisait à une atrophie des
individualités1784. De même, la liberté individuelle de chacun ne devait pas compromettre la
cohésion sociale. Il fallut attendre le XVIIIème siècle et en particulier la Révolution française
de 1789 pour voir apparaître progressivement la liberté individuelle comme un « intérêt
juridique autonome »1785. Pourtant, le Code pénal de 1810 ne reconnaissait à la personne une
protection qu’en sa qualité d’être humain, sans prendre en considération sa dimension
familiale, sociale, politique ou intellectuelle. Pour illustration, les articles 295 et suivants de
ce code se contentaient de réprimer essentiellement les atteintes à l’intégrité physique de la
1786
personne à travers les infractions de meurtre et assassinat , de parricide 1787 ,
d’infanticide1788, d’empoisonnement 1789, de blessures et coups autres que le meurtre1790,
menaces1791, attentats aux mœurs1792 et autres atteintes involontaires ou excusables1793. Par
conséquent, le concept de dignité humaine a dû cheminer dans les mentalités1794 – ajoutant
ainsi, à côté des droits subjectifs fondamentaux à la vie physique, ceux de la personnalité1795
1784
Beccaria décrivait les familles placées sous la toute puissance des chefs de famille comme de « petites
monarchies » et préconisait une société composée d’hommes non soumis aux pères au sein de la famille mais à
un contrat en tant que « membres libres de la cité » V. C. Beccaria, Des délits et des peines, trad. M. Chevallier,
GF Flammarion, 1991, p. 119-122.
1785
J.-P. Doucet, La protection de la personne humaine, 4ème éd., Le Droit criminel, 2010, p. 430.
1786
Art. 295 à 298 et art. 302 à 304 du C. pén. de 1810.
1787
Art. 299 du C. pén. de 1810 «Est qualifié parricide le meurtre des pères ou mères légitimes, naturels ou
adoptifs, ou de tout autre ascendant légitime ».
1788
Art. 300 du C. pén. de 1810 « L’infanticide est le meurtre ou l’assassinat d’un enfant nouveau-né ».
1789
Art. 301 du C. pén. de 1810.
1790
Art. 309 et s. du C. pén. préc.
1791
Art. 305 et s. du C. pén. préc.
1792
Les attentats à la pudeur commis ou tentés sans violence, ni menace, ni surprise V. art. 331 et 331-1 du C.
pén. préc. ; les attentats à la pudeur commis ou tentés avec violence, contrainte ou surprise sur une personne
autre qu’un mineur V. art. 333 et s. C. pén. préc. ; le viol V. art. 332 C. pén. préc. ; le proxénétisme V. art. 334 et
s. ect.
1793
Art. 319 à 329 du C. pén. préc.
1794
Sur la dignité humaine et l’éthique moderne V. A. Vitu, Traité de droit criminel. Droit pénal spécial, Ed.
Cujas, 1982, p. 1355.
1795
V. B. Bossu, « Les droits de la personnalité », in Droit des personnes et de la famille, Lamy, 2015, n° 223.
491
propres à l’intégrité psychologique de l’individu (son honneur, vie privée et familiale, son
image, sa vulnérabilité mentale ou affective, le secret de ses correspondances, etc.) et à ses
autres « libertés d’agir »1796. Il s’agit donc là d’une véritable reconnaissance de l’individu en
tant qu’être sensible, digne d’une protection pénale individuelle.
Le droit pénal est par excellence protecteur des intérêts individuels. Cela fait de lui un droit
garant d’un ordre public de protection. Ainsi, son action vise à sauvegarder les droits
essentiels de l’individu à travers les différentes dimensions de sa vie ; sociale, économique,
professionnelle, électronique et – en ce qui concerne cette étude – familiale (A).
En faire le constat ne suffit pas pourtant. Encore faut-il en fournir des illustrations concrètes
(B).
1796
A. Vitu, op. cit., n°1353 (il faut entendre par libertés d’agir, la liberté de pensée, d’expression, de circulation,
d’association, de conscience, de se marier …).
1797
J. Carbonnier, Droit civil. tome IV. Les obligations, 22ème éd., PUF, coll. Thémis, 2000, n° 70-77 ; Plusieurs
auteurs lui reconnaissent la paternité de la notion : G. Couturier, « L’ordre public de protection . Heurs et
malheurs d’une vieille notion neuve », in Études offertes à J. Flour, Defrénois, 1979, p. 99 ; J.-J. Lemouland et
J. Hauser, « Ordre public et bonnes mœurs », Rép. civ. Dalloz, 2015, n° 28 ; G. Pignarre, « Et si l’on parlait de
l’ordre public (contractuel) ? », Revues des contrats, n° 1, LGDJ, 2013, p. 251, n°4.
1798
R. Japiot, Des nullités en matière d’actes juridiques. Essai d’une théorie nouvelle, Thèse de Doctorat,
Université de Bourgogne, 1909, p. 307 sq. Cet auteur distinguait déjà un « ordre public supérieur » d’un « ordre
public inférieur ». Selon lui, le premier veillait à la sauvegarde des intérêts généraux de la communauté et le
deuxième visait à protéger des intérêts plus diversifiés.
1799
G. Pignarre, « Et si l’on parlait de l’ordre public (contractuel) ? », Revues des contrats, n° 1, LGDJ, 2013, p.
251, n°4.
492
de dirigisme, a « pour effet la défense des intérêts supérieurs de la collectivité »1800. Il s’agira
notamment, des intérêts de l’Etat (la sûreté publique notamment), mais également de ses
institutions politiques, économiques, concurrentielles ou familiales. En d’autres termes,
l’ordre public de direction a pour finalité d’imposer à la fois un dirigisme moral 1801 ,
économique1802 et politique1803 déterminé.
De manière globale, une évolution dans l’articulation de ces deux ordres publics peut être
observée. En effet, un auteur faisait ressortir, en droit économique, une tendance
contemporaine à la régression de l’ordre public de direction, au profit de l’ordre public de
protection en constant développement1804. Un tel constat peut aisément être étendu à la
matière pénale, conduisant ainsi à un renouvellement de celle-ci.
416. Droit pénal, ordre public de protection et famille. – Le droit pénal est
classiquement vu comme l’expression la plus saillante de la souveraineté nationale d’un État.
Pourtant, accentuant encore davantage la nature hybride intrinsèque du droit répressif, les
pénalistes s’accordent à reconnaître « un ébranlement du monopole étatique »1805 dans cette
discipline. Et pour cause, le phénomène de privatisation en présence dans le droit pénal ne
peut difficilement être nié. En effet, d’une part, l’individu est tout à la fois valeur sociale et
titulaire d’intérêts protégés, en droit pénal. Ainsi, ce dernier est garant de la personne
humaine, de sa dignité tant physique que psychologique, mais aussi de son épanouissement
personnel (droit à la liberté et à la sûreté) ou en communauté (droit au respect de sa vie privée
et familiale). Loin d’être oppressive, « la mission du droit pénal consiste moins à lutter contre
la délinquance qu’à canaliser, limiter et contrôler la distribution des sanctions, à soumettre
1800
G. Pignarre, « Et si l’on parlait de l’ordre public (contractuel) ? », Revues des contrats, n° 1, LGDJ, 2013, p.
251, n°4.
1801
G. Pignarre, « Et si l’on parlait de l’ordre public (contractuel) ? », Revues des contrats, n° 1, LGDJ, 2013, p.
251, n°4. L’auteur parle d’une « moralité publique sous fond d’idéaux et de principes communément partagés ».
1802
J.-J. Lemouland et J. Hauser, « Ordre public et bonnes mœurs », Rép. civ. Dalloz, 2015, n° 28. L’ordre
public de direction « serait la manifestation du dirigisme économique moderne ».
1803
V. Karim, « L’ordre public en droit économique : contrats, concurrence, consommation », Les Cahiers de
droit, vol. 40, n° 2, 1999, p. 407. L’ordre public de direction tend à « promouvoir une direction politique ou
économique déterminée ».
1804
J. Mestre, « L’ordre public dans les relations économiques », in L’ordre public à la fin du XXe siècle, Paris,
Dalloz, 1996, p. 38.
1805
M. Van de Kerchove, « Éclatement et recomposition du droit pénal », in La place du droit pénal dans la
société contemporaine, Paris, Dalloz, 2000, p. 6.
493
la force au droit, […] à construire un bouclier pour les citoyens contre l’État »1806. D’autre
part, comme nous l’avons vu précédemment, cette individualisation du droit pénal se fait
sentir au cœur même de ses technique et logique incriminatoires1807, personnifiant de plus en
plus l’individu auteur et victime. Le droit pénal est par conséquent bien protecteur d’un ordre
public de protection, et cela participe de sa pérennisation1808.
Il peut sembler étonnant de rechercher, dans la cellule familiale, un ordre public de protection
qui serait protégé par le droit pénal. En général, la notion est usitée en droit économique où
l’existence d’un déséquilibre dans les relations particulières, qu’elles soient d’ordre
contractuel, commercial ou concurrentiel, est chose fréquente. Dans la famille, en revanche, la
notion de déséquilibre – au sens juridique du terme1809 – est moins évidente à caractériser. En
principe, au sein d’un même groupe familial, l’on ne devrait pas raisonner en terme de
déséquilibre ou de « partie faible » ; les relations familiales saines reposant sur l’affection
devraient garantir à chacun des membres, un espace propice à l’épanouissement. Les époux
assurant la codirection et la cogestion du ménage, agissent sur un pied d’égalité. Les enfants
naissant dans le foyer familial devraient se voir accorder les mêmes chances de réussite et
bénéficier d’un développement psycho-affectif sain. Pourtant, lorsque surviennent au sein des
familles des conflits – nécessitant une immixtion du droit – l’équilibre du groupe s’en trouve
profondément perturbé. Par définition, la violence ou la maltraitance qu’un membre de la
famille inflige à un autre, trouve sa source dans la négation des droits vitaux intrinsèques de
ce dernier. Par conséquent, bourreau et victime ne peuvent plus être considérés comme
entretenant des relations équilibrées. C’est précisément la survenance de ce déséquilibre dans
l’équation familiale qui justifie que le droit pénal doive y intervenir. Sa mission n’est pas
1806
R. Merle et A. Vitu, André, Droit pénal général, Tome. 1, 1er éd. 1967, Ed. Cujas, coll. Traité de droit
criminel. Problèmes généraux de la science criminelle, 1997, n° 75.
1807
V. supra, n° 325 et s.
1808
V. ici R. de Gouttes, « Droit pénal et droits de l’homme », in La place du droit pénal dans la société
contemporaine, Paris, Dalloz, 2000, p. 134-144, spéc. p. 137. L’auteur rappelle que le droit pénal n’est pas
ennemi des droits et libertés de l’homme. Bien au contraire, « le respect des droits de l’homme s’est révélé
progressivement comme un élément indispensable de l’acceptabilité et de l’efficacité du droit pénal dans le
corps social ».
1809
Les sciences juridiques sont parvenues à acquérir une certaine maîtrise du concept de « déséquilibre »,
opérant une transformation d’une notion a-juridique en un outil juridique. Ainsi, en droit des obligations par
exemple, ce déséquilibre entre les parties résultera d’ « une inégalité des prestations réciproques ou des lots, ou
d’une disproportion de valeur », V. G. Cornu et Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, 10ème
édition, PUF, 2014, « Lésion ».
494
alors de rétablir l’équilibre rompu, mais de faire cesser le déséquilibre. En effet, si la famille
peut constituer un paramètre de resocialisation du délinquant, celle-ci n’arrive qu’a posteriori.
Cela n’annule pas rétroactivement la distorsion familiale que la première intervention du droit
pénal a causée. Dès lors, seuls le pardon et le droit à l’oubli peuvent parvenir à reconstruire
postérieurement un nouvel équilibre et la paix familiale. Une affaire célèbre nous en livre la
preuve : il s’agit de l’affaire Iacono.
417. Illustration : l’Affaire Iacono. – L’affaire Iacono est l’une des erreurs judiciaires
françaises les plus médiatisées à ce jour1810. Christian Iacono, ancien maire de la ville de
Vence, était poursuivi depuis 2000 pour des faits qualifiés viol et d’agressions sexuelles sur la
personne de son petit-fils, Gabriel Iacono, alors âgé de neuf ans. Selon le mineur, ces
violences sexuelles lui auraient été infligées dans la villa du grand-père entre 1996 et 1998.
En 2009, Christian Iacono est reconnu coupable par la Cour d’assises et est condamné à neuf
ans de réclusion criminelle. Cette condamnation sera confirmée en appel un peu plus tard en
2011. Pourtant, plus de onze ans plus tard, le petit-fils de l’intéressé, devenu adulte (vingt-
trois ans), décide subitement de se rétracter. C’est ainsi, qu’après quinze ans d’un calvaire
judiciaire, Christian Iacono fut finalement acquitté, au terme d’un procès en révision devant la
Cour d’assises du Rhône, le 18 février 2014. Lorsque son petit-fils sera interrogé sur les
raisons de son soudain revirement, il expliquera avoir menti à l’époque pour attirer l’attention
de ses parents, en instance de divorce au moment des faits. Il dira avoir été « une balle de
ping-pong » entre ses parents, entre son père et son grand-père qui ne s’adressaient plus la
parole depuis plusieurs années. En recherche d’une écoute et d’attention, il avouera s’être
inspiré d’ « affaires similaires vues dans des émissions télés » à cette période. Il ne pensait pas
alors que son mensonge prendrait autant d’ampleur. De plus, eu égard à la fonction de son
grand-père, il le pensait hors d’atteinte et ne réalisait pas l’impact que ces accusations auraient
pu avoir sur la vie de ce dernier. Il exprimera également ses regrets et ses sincères excuses à
son grand-père pour « lui avoir gâché la vie »1811. Aujourd’hui, petit-fils et grand-père sont
1810
M. Skorpis, « Affaire Iacono : le grand-père acquitté lors de son procès en révision », Le Figaro, 25 mars
2015.
1811
Interview de Gabriel Iacono, « Je pense que ma vie entière est gâchée », Emission RTLSoir, 27 février 2014,
[En ligne : http://www.rtl.fr/actu/politique/gabriel-iacono-je-pense-que-ma-vie-entiere-est-gachee-7770069457].
495
parvenus à reconstruire des relations affectives. Christian Iacono a réussi à pardonner le
comportement de Gabriel. Pourtant, le traumatisme de ces quinze années de scandale familial
plane encore telle une ombre1812. Même une fois la vérité judiciaire prononcée, demeurent
encore les soupçons, les incertitudes et les questionnements.
418. Généralités. – Les droits et libertés fondamentales que le droit protège ont, avant tout,
une finalité personnelle. Finalement la place faite à la famille est restreinte. Trois arguments
permettent d’en attester.
Cela vaut également concernant l’action des victimes par ricochet. Ainsi, si l’ouverture de
l’action civile aux proches de la victime marque une évolution dans la prise en compte
matérielle et affective de la famille, en revanche cette action ne doit pas être confondue avec
une action de la famille. Faut-il rappeler, en effet, que la Chambre criminelle de la Cour de
cassation a jugé recevable l’action civile des victimes par ricochet, à condition qu’elles
puissent – au même titre que la victime directe – apporter la preuve d’un dommage qu’elles
ont personnellement et directement subi 1813. Par conséquent, en théorie, la victime par
ricochet demande réparation de son propre préjudice, matériel ou moral. En pratique,
néanmoins, il est évident que les préjudices (moraux, matériels et corporels) subis par la
victime directe auront des répercussions sur la qualité de vie de la famille et des proches. Les
1812
F. Cassez, « Un mensonge dévastateur », Dans les yeux de Florence, Planète + Crime Investigation, 1er avril
2016.
1813
Cass. crim., 9 février 1989, pourvoi n° 87-81. 359, Bull. crim. n° 63.
496
conséquences dommageables de l’infraction, patrimoniales et extrapatrimoniales, ne seront
pas ressenties seulement individuellement par chacun des membres de la famille, mais bien
collectivement. Ainsi, les frais médicaux engagés par l’hospitalisation de la victime directe ou
encore son éventuelle incapacité totale de travail l’empêchant d’exercer normalement son
activité professionnelle, sont autant d’éléments qui peuvent mettre à mal le patrimoine
familial. De plus, l’indisponibilité physique (ou handicap) de la victime directe impacte le
moral de l’ensemble de sa famille et de ses proches. Elle bouleverse durablement la capacité
de la victime à remplir ses fonctions parentales et/ou conjugales, ou à exercer les activités
courantes du quotidien. Pourtant, le Code de procédure pénale et la jurisprudence pénale
continuent de privilégier la face strictement individuelle de l’action civile.
Enfin, dans le cas où l’action civile est exercée par l’intermédiaire d’une personne physique
ou morale, c’est encore à la condition qu’elle soit intimement rattachée à un intérêt personnel.
Autrement dit, il s’agit de viser ici les hypothèses où le titulaire de l’action civile n’agit pas en
son nom propre. Pourtant, même dans ce cas, on s’aperçoit que cet intermédiaire ne représente
pas la famille, mais encore l’intérêt personnel de la victime immédiate.
C’est le cas par exemple de l’action des héritiers devant les juridictions pénales. En effet,
auparavant se posait la question de la nature de l’action civile exercée par ces derniers :
s’agissait-il d’une action qui leur était propre ? Ou alors, se contentaient-ils d’exercer l’action
civile du défunt victime ? Cette question fut tranchée en faveur de la deuxième option1814.
Ainsi, l’héritier vient à la suite de la victime décédée, poursuivre l’action civile introduite par
celui-ci. L’action civile présente dans le patrimoine du défunt est transmise à l’héritier, à
condition que la victime ne soit pas décédée d’une mort immédiate suite à l’infraction1815.
Toutefois, une restriction jurisprudentielle est venue conditionner l’action héritée par l’ayant
droit, en le soumettant encore davantage à l’intérêt personnel du défunt. Ainsi, parce que
l’action civile demeure une « prérogative de la victime ayant personnellement souffert de
l’infraction »1816, lorsque l’action publique n’aura été déclenchée ni par la victime de son
vivant, ni par le ministère public, l’héritier ne pourra pas agir devant les juridictions
1814
Cass. crim. 9 octobre 1985, pourvoi n° 84-90.584, Bull. crim. n°305.
1815
B. Bouloc, Procédure pénale, 25ème éd., Dalloz, 2015, p. 256, n° 265 et 266.
1816
Ass. Plénière, 9 mai 2008, pourvoi n° 06-85.751, Bull. ass. plén. n°1.
497
pénales1817. En somme, cette jurisprudence est significative d’une véritable défiance des juges
pénaux vis-à-vis d’un exercice par représentation de l’action civile.
Mais cette défiance se retrouve également chez le législateur, concernant l’action civile
exercée par les associations. Sans y revenir en détail, à côté des associations familiales
généralistes (UNAF et UDAF)1818, existent des associations qui ont un champ d’action plus
resserré. En effet, titulaires d’une action civile régie par les articles 2-1 et suivants du code de
procédure pénale, ces associations doivent être déclarées depuis au moins cinq ans et voient
leurs statuts limités à la lutte d’une catégorie de comportements répréhensibles légalement
déterminés. Ces associations se proposent de combattre le racisme et autres discriminations
(article 2-1 du code de procédure pénale), les violences sexuelles ou toutes violences
commises sur autrui ou « sur un membre de la famille » (article 2-2). Elles ont encore pour
mission la défense ou l’assistance de l’enfant en danger (article 2-3), ou tout récemment
depuis la loi n°2015-1776 du 28 décembre 20151819, la défense des personnes âgées, malades
ou handicapées (article 2-8 nouveau).
À la lecture de ces causes associatives, un premier constat peut être dressé. Ces associations
ont une volonté de protéger volontairement chacun des membres de la famille, mais
séparément. L’individu est comme désincarné de sa dimension familiale : rien de moins
étonnant puisqu’il est en réalité protégé au-delà de cette dimension – en raison de son
humanité. Par ailleurs, une autre observation s’impose. En effet, alors que ces associations
prétendent défendre un « intérêt collectif “associationnel” » 1820 , leur démarche se voit
systématiquement soumise à l’approbation de la partie civile prise individuellement. Aussi,
sont-elles contraintes soit de recueillir l’autorisation de la victime (articles 2-1, 2-2, 2-8), soit
de greffer leur action à l’action publique préalablement mise en mouvement par le ministère
public ou la partie lésée (articles 2-3).
420. Protéger l’individu de sa propre famille. – Parfois, le droit pénal doit affaiblir
l’unité familiale afin de protéger les personnes qui la composent. Dans ce cas, il ne
1817
Cass. crim., 27 avril 2004, pourvoi n°03-87.065, Bull. crim. n° 976 ; Ass. Plénière, 9 mai 2008,
pourvoin° 06-85.751, Bull. ass. plén. n°1 et Ass. Plénière, 9 mai 2008, pourvoi n°05-87.379, Bull. ass. plén. n°1.
1818
V. supra, n° 411 et s.
1819
Art. 31 de la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement, JO
du 29 décembre 2015, p. 24268.
1820
B. Bouloc, Procédure pénale, 25ème éd., Précis Dalloz, 2015, p. 237
498
sauvegarde pas seulement les intérêts de l’individu au sein de sa famille, mais contre cette
dernière. Ainsi, nous le savons, la famille peut devenir un obstacle à la répression de par la
dissimulation astucieuse de comportement graves se commettant dans le secret des alcôves. Si
le droit pénal est en général respectueux du droit des familles à vivre en paix, il fait une
entorse à cette règle lorsqu’il incrimine les violences conjugales et intrafamiliales (contre les
enfants ou les personnes âgées), le viol entre époux ou encore de l’inceste. La répression de
ces actes – étudiés précédemment – atteste donc d’une volonté du droit pénal de rompre
l’opacité familiale. Dans cette optique, seule la protection de l’individu compte. Une preuve
nous en est encore donnée à travers une espèce jurisprudentielle relative à la répression de
l’abus de faiblesse (article 223-15-1 du code pénal). Un homme âgé est décédé des suites
d’une hospitalisation. Au cours de celle-ci et alors qu’il était placé dans un état de
vulnérabilité apparente, la prévenue avait obtenu de l’intéressé qu’il lui fasse plusieurs
chèques d’un montant total de 13000 euros et qu’il l’épouse, juste avant de mourir. Poursuivie
pour des faits d’abus de faiblesse, elle a été relaxée par la Cour d’appel qui avait conclu à un
défaut d’élément intentionnel. En effet, elle retenait que la remise des chèques et le mariage
résultaient de l’exécution d’une promesse faite par le défunt antérieurement à son décès.
Pourtant, le 26 mai 2009, la Chambre criminelle a rappelé que « l’abus de faiblesse doit
s’apprécier au regard de l’état de particulière vulnérabilité au moment où est accompli l’acte
gravement préjudiciable à la personne »1821. En conséquence, l’abus de faiblesse – infraction
instantanée – a vocation à protéger avant tout la victime et son consentement au moment
même où elle est placée en situation de vulnérabilité. Les promesses qu’elles auraient pu faire
avant cet instant – quand bien même il s’agirait de la conclusion d’un mariage – ne produisent
pas d’effets.
421. Le découpage erroné du Code pénal quant aux atteintes à la famille. – Au terme
du Livre deuxième du Code pénal intitulé « Des crimes et des délits contre les personnes »,
se trouve le Chapitre VII relatif aux « Atteintes aux mineurs et à la famille ». Pourtant de
manière contradictoire, aucune des incriminations contenues dans ce chapitre ne se rattache
directement à l’entité familiale. Par conséquent, un tel découpage du Code pénal, relativement
aux incriminations contre les personnes, paraît erroné. Comme le faisait très justement
1821
Cass. crim., 26 mai 2009, pourvoi n° 08-85. 601, RTD. civ. 2010. 83, note J. Hauser.
499
remarquer Michèle-Laure Rassat, il « réunit au sein d’une même division deux catégories
d’infractions, dont l’objectif social n’est pas le même »1822. En effet, protéger l’enfant ne
revient pas à protéger sa famille. La situation particulière de vulnérabilité dans laquelle se
trouve l’enfant, justifie que lui soit accordée une protection pénale spécifique et adaptée. Or,
sa protection est nécessaire, même indépendamment de son appartenance familiale.
D’ailleurs, bon nombre des textes d’incrimination de cette division sont rédigés en des termes
objectifs, sans faire référence au lien familial qui existerait entre l’auteur et l’enfant1823. Dès
lors, lorsque le Code pénal entend rattacher artificiellement – au sein de sa structure – le sort
du mineur à celui de sa famille, il se contredit lui-même. Et pour cause, les infractions du
Chapitre VII ne militent pas dans le sens du maintien d’une unité familiale. Tout au contraire,
leur répression passe par une division nécessaire du groupe familial, afin de mieux protéger
l’humain. Ainsi, la plupart de celles-ci protègent l’enfant contre les actes répréhensibles que
les membres de sa propre famille pourraient lui infliger. Nous pensons ici à l’infraction de
délaissement de mineur en un lieu quelconque par un de ses parents (articles 227-1 et 227-2
du code pénal)1824, mais aussi aux nombreuses infractions de mise en péril de mineur prévues
aux articles 227-15 et suivants du code pénal1825.
En outre, à l’intérieur de ce chapitre – pourtant dédié aux atteintes au mineur et à la famille –
ne sont pas représentés que les intérêts personnels du mineur. En effet, y sont pris en compte
les droits subjectifs non seulement des parents du mineur (non-représentation d’enfant et
soustraction d’enfant), mais aussi du descendant devenu majeur1826, de l’ascendant et du
conjoint (abandon de famille) ! Bien que la commission de ces infractions s’inscrive
nécessairement dans un contexte familial, elles tendent à protéger les personnes précitées, à
une échelle purement individuelle. Ainsi, s’agissant par exemple de l’infraction de non-
représentation d’enfant (article 227-5 du code pénal), un auteur précisait que « la valeur
1822
M.-L. Rassat, Droit pénal spécial ? Infractions du Code pénal, 6ème éd., Précis Dalloz, 2011, p. 761, n°696 ;
V. Malabat, Droit pénal spécial, p. 363, n°685.
1823
V. art. 227-17-2 et s. du C. pén.
1824
V. les éléments constitutifs, supra, n°
1825
Cette catégorie d’incriminations fait office de fourre-tout. On y trouve la privation de soins, la soustraction
d’un parent à ses obligations légales, la soustraction à l’obligation scolaire, les différentes provocations de
mineurs à commettre des actes illicites ou dangereux, l’exploitation pornographique de l’image du mineur ou
encore les atteintes sexuelles commises sans violence sur le mineur, etc. Pour une analyses des éléments
constitutifs de ces infractions, V. supra, n°
1826
Sauf disposition contraire du jugement de divorce, « la pension alimentaire versée aux enfants mineurs ne
cesse pas de plein droit après la majorité de ceux-ci » : Cass. crim., 9 juin 1993, pourvoi n° 92-84.332, Bull.
crim. n°206.
500
protégée par la non-représentation d'enfant est le respect des droits que la loi ou le juge
accorde aux parents à l'égard de l'enfant, mais également la protection de l'enfant lui-même
dont l'intérêt présumé est de maintenir des liens avec l'ensemble des personnes de sa
famille »1827. La non-représentation implique par ailleurs, que soit démontrée une atteinte
réelle au droit de la personne qui est en droit de réclamer l’enfant. De même, s’agissant de
l’abandon de famille (article 227-3 du code pénal), les relations qui s’instaurent entre l’auteur,
ex-conjoint et/ou parent absent, et la victime sont identiques à des relations pécuniaires entre
créanciers et débiteurs. Il n’est plus question de maintenir une quelconque cohésion familiale
ici 1828 . Cette dernière a souvent déjà été rompue par le parent démissionnaire qui se
désintéresse du sort de son premier foyer. Le nombre alarmant de pensions alimentaires
impayées et l’augmentation des familles monoparentales aujourd’hui suffisent à en
attester1829. La répression de cette infraction consiste uniquement à veiller à l’exécution d’une
obligation alimentaire. D’ailleurs, ce constat est d’autant plus évident lorsque la
condamnation repose sur un non-versement de subsides, puisque, dans ce cas le lien de
filiation entre le créancier victime et le débiteur n’est que présumé1830. En somme, ce chapitre
– faisant office de fourre-tout – est prioritairement consacré aux infractions contre les
personnes qui composent la famille.
1827
A. Gouttenoire, « Atteinte à l’autorité parentale », Rép. pén. Dalloz 2003, n°6 (actualisation en 2012).
1828
V. contra, M.-L. Rassat, Droit pénal spécial ? Infractions du Code pénal, 6ème éd., Précis Dalloz, 2011, p.
787 sq. L’auteur range l’infraction d’abandon matériel de famille dans les atteintes à la cohésion familiale.
1829
V. supra, n° Partie I
1830
Art. 342 du C. civ.
1831
M.-L. Rassat, Droit pénal spécial ? Infractions du Code pénal, 6ème éd., Précis Dalloz, 2011, p. 761, n°696.
501
B. La protection passive d’une entité familiale méconnue
422. Une famille volontairement méconnue, mais non-ignorée. – Tout au long de cette
étude, il a été possible d’affirmer que le droit pénal n’ignore pas l’entité familiale. Comment
le pourrait-il d’ailleurs ? Elle s’impose à lui. Cependant, s’il ne peut l’occulter, il peut en
revanche choisir de limiter la preuve de son existence juridique, l’ampleur de ses attributs et
ses pouvoirs. Ainsi, on le voit, le droit pénal s’évertue à considérer la famille comme une
simple réalité sociale. Dès lors, il n’est pas indispensable pour lui de recourir à la technique de
la personnalisation pour capter l’entité familiale. La raison en est simple : la famille est pour
lui, un simple espace d’intervention. Pour autant, il la protège de manière nécessairement
passive.
423. Une protection par omission de l’entité familiale. – Le droit pénal n’ignore pas
davantage l’existence d’une intention collective de la famille, s’interposant entre un intérêt
général et un intérêt individuel. Cette intention familiale se matérialise clairement toutes les
fois, où le droit pénal renonce à poursuivre les infractions qui seraient commises à l’intérieur
de l’espace familial. En conséquence, le droit pénal protège la famille en tant qu’entité
lorsqu’il lui accorde des immunités ou excuses atténuantes1832. C’est dire qu’il n’ignore pas
l’entité familiale puisqu’il prévoit dans ses dispositions mêmes les conditions de cette
impunité.
1832
V. supra, n°
502
Deuxièmement, l’évolution contemporaine de la matière semble tendre vers une
désacralisation du lien familial (B).
426. Le rôle de la pensée collective. – À ce stade, une observation générale doit être faite.
En effet, il est intéressant d’apprécier le rôle que joue l’opinion publique dans la
dépénalisation de pratiques sociales. Ce rôle présente un caractère antagonique. Ainsi, d’un
côté, il convient de relever que la remise en question perpétuelle de l’action pénale ne se
limite pas à la sphère familiale. Elle est également – et plus généralement – intimement liée
finalement aux mutations de la pensée collective. Ainsi, souvent, on remarquera que c’est la
décision de la société de lâcher prise, quant à la répression d’un comportement déterminé, qui
impulsera la dépénalisation de celui-ci. Tout au moins, aura-t-elle le mérite de poser le débat
de cette dernière. C’est à dire que ce comportement devient suffisamment toléré socialement
pour qu’il ne soit plus réprimé pénalement. Cependant, d’un autre côté, il faut bien garder
présent à l’esprit que droit pénal et morale – s’ils se chevauchent – ne s’épousent pas.
L’opinion publique évolue souvent à contrecourant de la législation pénale1834. Ainsi, il peut
arriver qu’un comportement devenu socialement admis, demeure pénalement réprimé, comme
nous le verrons au fur et à mesure de nos développements.
427. La notion de décriminalisation. – La décriminalisation n’est pas synonyme de
dépénalisation. Elle consiste, de manière simplifiée, à « cesser d’incriminer un
1833
C. Pomart-Nomdédéo, « Droit pénal et droit de la famille, les liaisons dangereuses », D. actualité, 9
septembre 2010, étude 20, Sommaire.
1834
D’ailleurs, ce contre-courant n’est pas unilatéral : le droit pénal évolue souvent moins rapidement que la
morale sociale. Toutefois, il arrive également qu’il amorce une libéralisation de certains comportement encore
réprouvés socialement. Nous pensons notamment à l’homosexualité ou encore au statut de la maîtresse en droit
pénal.
503
comportement »1835 qui l’était autrefois. Elle ne se conçoit que lorsque – ne lésant pas l’intérêt
général – le comportement considéré ne contredit plus aucune valeur sociale fondamentale,
chère à une communauté donnée et à une époque donnée1836. Ainsi, le droit pénal a pris,
depuis de nombreuses années, le parti pris de ne plus incriminer la morale individuelle. En
effet, « la loi n’a pas à régir les mœurs des citoyens dès lors que l’ordre public n’est pas
touché »1837. Cela ne signifie aucunement que ces dits comportements ne continuent pas à être
réprouvés par une morale sociale. Cela signifie uniquement qu’ils ne sont pas contraires à
l’ordre social, finalité absolue du droit pénal. Dès lors, il paraît logique que certains
comportements purement individuels, relevant de l’intimité – ne fassent plus l’objet d’une
répression pénale. Deux exemples retiendront notre attention en l’espèce : l’adultère (A) et
l’avortement (B).
A. La décriminalisation de l’adultère
1835
G. Levasseur, « Le problème de la dépénalisation », Archives de politique criminelle, , n°6, 1983, p. 56.
1836
Si certaines valeurs fondamentales ont un caractère universel, tel n’est pas le cas pour d’autres. Ainsi,
certains comportements décriminalisés en France, sont encore jugés comme contraires à la morale dans d’autres
États. Ainsi, l’homosexualité demeure pénalement et sévèrement réprimée au Cameroun, au Nigeria, en Iran, et
même en Russie. Les peines encourues oscillent entre l’emprisonnement et la peine de mort, V. Anonyme, « Ce
que risquent les homosexuels dans le monde », L’Express Société, 02 février 2013.
1837
F. Caballero, Droit du sexe, LGDJ, 2010, p. 277.
504
429. La double fonction du délit d’adultère. – Le délit d’adultère était un délit d’ordre
privé1838. Il consacrait le devoir réciproque de fidélité auquel s’obligent les époux, en vertu de
l’article 212 du code civil. Ainsi, on le voit, la sanction pénale de l’adultère ne jouait qu’un
rôle purement accessoire et sanctionnateur. Cette sanction s’inscrivait dans le cadre des
rapports personnels mutuels entre les membres du couple. Ainsi, deux formes d’adultères
étaient sanctionnées. Premièrement, il s’agissait de l’adultère que l’on pourrait nommer de
classique, caractérisé par l’infidélité de l’épouse (articles anciens 336 et suivants du code
pénal de 1810). Dans ce cas, le déclenchement de l’action publique était laissé à la discrétion
du mari, puisque lui seul pouvait dénoncer son épouse adultère1839. Deuxièmement, et à
condition que l’épouse bafouée ait porté plainte, était puni l’adultère du mari qui aurait
entretenu sa concubine au domicile conjugal (article ancien 339 du code pénal). Dans le cas
où ce dernier s’était lui-même rendu coupable d’adultère, il perdait sa faculté de
dénonciation ; ce qui figeait par là même toute poursuite pénale1840. Dès lors, l’épouse
convaincue d’adultère échappait à la répression. Cette disposition reposait sur le principe
contractuel « l’exceptio non adimpleti contractus », selon lequel un des contractants est libéré
de son obligation, lorsque l’autre n’a pas exécuté sa propre prestation1841. Enfin, la répression
de l’adultère se trouvait paralysée par le pardon du mari. En effet, s’il acceptait de
« reprendre sa femme », l’homme pouvait mettre fin à tout moment à l’exécution de la peine
d’emprisonnement de son épouse1842.
Cependant, le délit d’adultère n’avait pas pour seul objet de protéger individuellement l’époux
victime. Il sanctionnait au surplus, le trouble causé aux valeurs fondamentales de la société,
notamment l’atteinte portée à la famille légitime1843. En effet, à cette époque, la conception de
la famille reposait toute entière sur l’institution du mariage1844, qui en régissait les conditions
1838
C. Escoffier Gialdini, La vision pénale de la famille, Thèse de doctorat, Université Aix Marseille 3, 1994, p.
204.
1839
Anc. art. 336 du C. pén.
1840
Anc. art. 339 du C. pén.
1841
C. Escoffier Gialdini, La vision pénale de la famille, Thèse de doctorat, Université Aix Marseille 3, 1994, p.
204.
1842
Anc. art. 337 du C. pén.
1843
G. Ruffieux, « La flexibilité des sanctions en droit de la famille », in Flexibilité des sanctions. XXIes
journées juridiques Jean Dabin, Bruylant, 2013, p. 426.
1844
Bien sûr, l’institution de la filiation définissait, parallèlement au mariage, ce qui faisait famille. Mais la
filiation était légitimée par l’alliance, les enfants naturels et adultérins ne bénéficiant pas de droits égaux.
505
de formation, de fonctionnement et de désunion. Or l’infidélité d’un des membres du couple
était vue comme une menace à la cohésion de la famille. Un jugement du tribunal
correctionnel de Paimboeuf du 11 mai 1942 précisait que « ce serait une pernicieuse erreur
de considérer l’adultère comme étant uniquement ou même principalement un délit d’ordre
privé, car en détruisant les foyers, il ébranle les fondements même de la société »1845.
Ainsi, la fidélité était réellement une valeur sociale primordiale. Le devoir de fidélité
constituait la clé de voûte de l’institution du mariage. Le Doyen Carbonnier le désignait
comme « le premier nommé des devoirs du mariage »1846. Dès lors, s’organisait autour de ce
devoir, une répression absolue tant civile que pénale. Avant 1975, l’adultère représentait une
cause péremptoire de divorce, c’est-à-dire qu’elle liait le juge qui était privé de son pouvoir
d’appréciation et contraint de prononcer le divorce1847. De plus, en cas de décès de l’époux
victime à l’initiative de l’action publique, le Ministère public continuait les poursuites1848.
C’est dire que le délit d’adultère ne constituait pas qu’un délit d’ordre privé, mais répondait à
une véritable exigence d’ordre public. À ce titre, il se rapprochait du délit de bigamie,
d’ailleurs incriminé au sein de la même division consacrée aux « attentats au mœurs », à
l’article ancien 340 du code pénal de 1810.
1845
T. corr. Paimboeuf, 11 mai 1942, JCP 1942. 1920. Une femme adultère avait quitté son mari et ses six
enfants pour son concubin. Ils furent tous deux condamnés pour adultère.
1846
J. Carbonnier, Droit civil. La famille, l’enfant, le couple, vol. I, 1ère éd. 1955, éd. PUF, Paris, Quadrige
Manuels, 2004, p. 1220, n° 547.
1847
J. Carbonnier, Droit civil. La famille, l’enfant, le couple, vol. I, 1ère éd. 1955, éd. PUF, Paris, Quadrige
Manuels, 2004, p. 1220 ; F. Terré, Droit civil. La famille, 8e éd., Dalloz, 2011, p. 268, n°310 ; F. Caballero,
Droit du sexe, LGDJ, 2010, p. 197.
1848
C. Escoffier Gialdini, La vision pénale de la famille, Thèse de doctorat, Université Aix Marseille 3, 1994, p.
206.
1849
C. Escoffier Gialdini, La vision pénale de la famille, Thèse de doctorat, Université Aix Marseille 3, 1994, p.
206.
506
plus être retenue à leur encontre. Par ailleurs, contrairement au principe de personnalité de la
peine, la sanction de l’adultère était générale en ce qu’elle rejaillissait sur toute personne
impliquée dans la transgression des obligations et devoirs du mariage. De ce fait,
parallèlement à l’épouse fautive, était également puni le concubin – complice d’adultère – qui
avait détourné la femme de son foyer et de sa famille légitime en vertu de l’article 338 ancien
du Code pénal. C’est ainsi que le Tribunal de Paimboeuf avait déclaré coupables d’adultère,
« la femme qui, pour satisfaire ses passions, [avait] abandonné son mari et ses enfants et son
complice qui n’a pas hésité à détourner une épouse et une mère de famille de ses devoirs
naturels ». Cette formulation jurisprudentielle, particulièrement orientée et moralisatrice,
illustre ici parfaitement la réprobation collective et institutionnelle vis-à-vis de l’adultère, à
une époque où seule comptait la stabilité familiale. De même, en vertu de l’article 228 ancien
du code civil, le concubin complice ne pouvait pas non plus prétendre au remariage avec la
femme adultère. Il s’agit là d’une double peine imposée au couple indélicat1850. Enfin, la
répression de l’adultère était aussi vue comme une véritable cause nationale. Ainsi, la loi du
23 décembre 1942 incriminait le concubinage notoire avec des femmes de prisonniers ou de
soldats, retenus loin de leurs pays pour cause de guerre. L’article 1er de cette loi punissait
« quiconque [vivrait] en concubinage notoire avec l’épouse de celui qui est retenu loin de son
pays par circonstances de guerre, d’un emprisonnement de trois mois à trois ans et d’une
amende de 1500 à 25 000 francs ». Ici, seul le concubin était visé par le texte, en qualité
d’auteur. En effet, contrairement aux deux formes précédentes d’adultère des anciens articles
336 à 338 du code pénal, l’infraction de concubinage notoire se rattache uniquement à l’ordre
public. D’ailleurs, l’épouse vivant en concubinage ne pouvait être poursuivie du chef de
complicité qu’en cas de plainte du conjoint soldat1851. Par conséquent, le délit de concubinage
notoire était avant tout un délit de probité1852, protégeant « la dignité du foyer loin duquel
l’époux est retenu par des circonstances de guerre »1853. Il avait finalement moins pour intérêt
1850
Au surplus, l’enfant adultérin qui naissait d’une union adultérine pâtissait lui aussi de la faute passée de ses
parents. Il ne pouvait pas faire établir sa double filiation et sa vocation successorale était considérablement
réduite (une demi part) lorsqu’il venait en concours avec les enfants légitimes de son parent (père ou mère) et le
conjoint lésé par l’adultère, V. art. 334 et suivants anciens du C. civ et 759 et 760 anciens du C. civ.
1851
Art. 1er de la loi du 23 décembre 1942, in fine.
1852
Loi du 23 décembre 1942 tendant à protéger la dignité du foyer loin duquel l’époux est retenu par suite de
circonstances de guerre, JO du 26 décembre 1942, p. 4209.
1853
C. Olivier, « Les couples illégitimes dans la France de Vichy et répression sexuée de l’infidélité (1940-
1944) », Crime, Histoire & Sociétés, vol. 9, n°2, 2005, n°23-26.
507
de réprimer l’adultère de la femme que de s’assurer du respect dû à l’honneur du militaire
parti au front, pour servir la Nation.
431. Une évolution des mœurs et mentalités. – La réforme du divorce entreprise en 1975
succédait à une période de chamboulement social profond. En effet, une mutation des
pratiques et des esprits s’était opérée, à plusieurs niveaux. Les enquêtes menées en France dès
1972, ont démontré une modification de l’image du divorce dans l’opinion publique, une nette
augmentation du nombre de divorces dans les agglomérations, mais surtout, un décalage entre
les attentes sociales et la législation alors en vigueur1855.
En outre, le désamour envers l’institution matrimoniale est patent. Le temps de se marier pour
les jeunes générations est de plus en plus reporté, celles-ci privilégiant largement l’union
libre. À côté, le nombre de remariages aussi diminue considérablement1856.
Par ailleurs, le statut de la femme change. Déjà au sortir de la Seconde guerre mondiale, les
femmes aspirent à une redistribution des rôles sociaux ; et ce mouvement s’intensifiera dès les
1854
« Le divorce peut être demandé par l’un des époux lorsque des faits constitutifs d’une violation grave ou
renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent intolérable le
maintien de la vie commune ». L’adultère ne constitue plus une cause nommée et spécifique de divorce mais est
dilué à l’intérieur des autres devoirs du mariage.
1855
V. supra, n° Introduction, Histoire de la famille
1856
V. supra, n° Introduction, Histoire
508
années 1965 avec une leur arrivée croissante sur le marché du travail1857. Cette affirmation
féministe – et l’acquisition d’indépendance et de confiance qu’elle entraîne – contribue à une
augmentation du nombre de demandes de divorce émanant désormais davantage de femmes
que d’homme1858. En effet, ces dernières ne vivent plus le mariage comme une fatalité, leur
assurant protection financière et reconnaissance sociale. Le législateur pénal se devait donc de
tirer toutes les conséquences de se rééquilibrage des genres et des sexes, s’agissant également
de la répression de l’adultère.
1863
C. Olivier, « Les couples illégitimes dans la France de Vichy et répression sexuée de l’infidélité (1940-
1944) », Crime, Histoire & Sociétés, vol. 9, n°2, 2005, n°16.
1864
Ph. Jestaz, « Observations sur la loi n° 75-617 du 11 juillet 1975 sur le divorce », RTD civ. 1975. 793.
1865
C. Escoffier Gialdini, La vision pénale de la famille, Thèse de doctorat, Université Aix Marseille 3, 1994, p.
208.
1866
C. Escoffier Gialdini, La vision pénale de la famille, op. cit., p. 208
1867
J. Carbonnier, Droit civil. La famille, l’enfant, le couple, vol. I, 1ère éd. 1955, éd. PUF, Paris, Quadrige
Manuels, 2004, p. 1220 ; F. Terré, Droit civil. La famille, 8e éd., Dalloz, 2011, p. 1226, n° 550. En 1960,
seulement 5 à 10 auteurs d’adultère exécutaient effectivement des peines d’emprisonnement, V. C. Escoffier
Gialdini, La vision pénale de la famille, Thèse de doctorat, Université Aix Marseille 3, 1994, p. 208.
1868
V. supra, n°
1869
« IXe Congrès International de droit pénal de La Haye, 23 au 30 août 1964 », RIDP 2015, vol. 86, p. 70.
510
législateur pénal : soit supprimer le délit d’adultère, soit le réprimer selon les mêmes
conditions d’exigence pour le mari et la femme. Cependant, cette dernière possibilité revenait
à aggraver la situation du mari, en lui ôtant ses privilèges – dans une société encore en proie à
la phallocratie. Précautionneux, le législateur a entériné la décriminalisation de l’adultère par
l’article 7 de la loi de 1975.
B. La décriminalisation de l’avortement
1870
Loi du 31 juillet 1920 réprimant la provocation à l’avortement et la propagande anticonceptionnelle, JO du
1er août 1920, p. 3666.
V. les motivations à l’origine de la création de la loi,
1871
L’auteur encourrait une peine d’emprisonnement de six mois à trois ans et une amende de cent à trois milles
francs.
1872
Anc. art. L. 648 et L. 649 du CSP crées par les art. 3 et 4 de loi du 31 juillet 1920.
1873
Pour un extrait de l’exposé des motifs pour la loi anti-propagande de René Lafarge, Rapport au nom de la
Commission de la Législation civile et criminelle, V. L. Neuwirth et J. Thome Patenôtre, Propositions de loi
tendant à modifier des articles 3 et 4 de la loi du 31 juillet 1929, concernant la prophylaxie anticonceptionnelle,
Rapport n° 328 au nom de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales, Assemblée Nationale,
15 juin 1967, p. 7 [En ligne :
http://www.assembleenationale.fr/histoire/1967_legalisation_pilule/rapport_328.pdf].
511
natalité1874, en contrôlant sa démographie et en nationalisant le corps des femmes1875, alors
prédestiné à la procréation. À ce titre, le consentement de la femme passait en second plan et
ne faisait aucunement obstacle à l’incrimination.
1874
L. Neuwirth et J. Thome Patenôtre, op. cit., p. 7 sq.
1875
L. Marguet, « Les lois sur l’avortement (1975-2013). Une autonomie préocréative en trompe-l’œil ? », La
Revue des droits de l’homme, n°5, 2014, p. 2 [En ligne : http://revdh.revues.org/731].
1876
E. Pierrat, Le sexe et la loi, La muscardine, 2015, p. 108.
1877
Anc. art. 317 modifié, al. 2.
1878
Anc. art. 317 modifié, al. 4.
1879
E. Pierrat, Le sexe et la loi, La muscardine, 2015, p. 108.
1880
Loi n°67-1176 du 28 décembre 1967 « Neuwirth » relative à la régulation des naissance et abrogeant les
articles L. 648 et L. 649 du code de la santé publique, JO du 29 décembre 1967, p. 12861.
1881
De manière assez étonnante pourtant, l’article 5 de la loi continuait d’interdire, sous peine de poursuites
pénales, toute propagande antinataliste directe ou indirecte, qui n’était pas à l’attention du corps médical.
1882
Art. 2, 3 et 4 de la Loi n°67-1176 du 28 décembre 1967, préc.
512
décembre 19741883 pour que soit réellement décriminalisée la contraception (remboursement
par la sécurité sociale, non exigence de l’autorisation des parents pour les mineurs, …).
Enfin, s’agissant plus précisément de l’avortement, c’est la loi Veil du 17 janvier 19751884 qui
décriminalise ce dernier. Les interruptions volontaires de grossesse pouvaient désormais être
pratiquées en toute légalité par des médecins1885. Une telle légalisation de l’avortement
devenait particulièrement urgente. Elle a, en effet, permis de mettre fin aux avortements
clandestins réalisés par des faiseuses d’anges, en France ou à l’étranger, mais aussi aux
accidents graves qu’ils pouvaient entraîner1886.
438. Pendant longtemps, nous l’avons vu, la famille a été fantasmée dans l’imaginaire
social. Ainsi, toute immixtion extérieure au sein de cette communauté était proscrite ou –
autant que faire se peut – évitée. Dès lors, la puissance publique, le législateur et la
jurisprudence s’accordaient pour octroyer aux familles d’importantes immunités et excuses
atténuantes, parfois au péril des intérêts individuels qui s’y exprimaient. Pourtant, dès la fin
du XIXème siècle, le lien familial cesse d’être prétexte à privilèges1887.
À y regarder de plus près, la discipline pénale ne consacre plus une place exagérée à la chose
familiale. Bien au contraire, elle semble désacraliser le lien familial. Cela se traduit
naturellement par une perte d’immunités familiales ou d’excuses atténuantes au profit du
groupe (A). Au contraire, il arrive que le droit pénal se montre plus intransigeant en raison
même du lien familial (B).
1887
G. Ruffieux, « La flexibilité des sanctions en droit de la famille », in Flexibilité des sanctions. XXIèmes
journées juridiques Jean Dabin, Bruylant, 2013, p. 426-427.
1888
V. supra, n° 94.
514
1) Le droit de correction discrédité
1889
Ce droit ne s’appliquait d’ailleurs pas qu’aux enfants, mais s’étendait à toute la maisonnée (femme et
esclaves compris).
1890
Anc. art. 375 du C. civ. de 1804.
1891
Celui-ci avait la possibilité de réduire la durée de la détention, de décider de délivrer l’ordre d’arrestation ou
non.
1892
P. Quincy-Lefebvre, « Une autorité sous tutelle. La justice et de le droit de correction des pères sous la
Troisième République », Lien social et Politiques, n°37, 1997, p. 100-101.
1893
P. Quincy-Lefebvre, op. cit., p. 101.
1894
Loi n°70-459 du 4 juin 1970 relative à l’autorité parentale, JO du 5 juin 1970, p. 5227.
515
441. La survivance d’un droit de correction à visée strictement éducative. – Le droit de
correction n’a guère disparu. Il relève désormais de la coutume1895 et à ce titre, il est toléré par
la jurisprudence, à condition que les châtiments infligés à l’enfant demeurent légers et n’aient
qu’une visée pédagogique 1896 . Ainsi, la plupart du temps lorsque les faits de violence
n’excèdent pas les limites du droit de correction, la qualification de violences volontaires au
sens des article 222-13 et suivants du code pénal, est écartée1897.
442. Vers une loi prohibant la fessée envers l’enfant en France ?. – Ces dernières
années, on observe une réprobation européenne et internationale forte et générale au regard de
la fessée et tout autre châtiment corporel infligés aux enfants, au sein de leur famille, à l’école
ou dans une autre structure. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’Homme qualifie de tels
actes d’inhumains et de dégradants et les condamne sur le fondement de l’article 3 de la
Convention européenne des droits de l’Homme1898. Dès 1994, le Comité des droits de l’enfant
de l’Organisation des Nations-Unies a fait part, aux États membres, de recommandations
tendant à prohiber radicalement toute forme de châtiments, sur le fondement de l’article 19 de
la Convention Internationale des droits de l’enfant (CIDE)1899.
Le 4 juin 2004, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a délivré des
recommandations nommée « Interdire le châtiment corporel des enfants en Europe ». Elle
enjoignait les États à se doter d’une législation adaptée interdisant les châtiment corporels aux
1896
« Le droit d’infliger à l’enfant, en cas d’infraction à la discipline familiale, les sanctions qu’approuve la
coutume », V. J. Carbonnier, Essais sur les lois, Defrénois, 1979, p. 107.
1897
Excèdent par exemple les limites du droit de correction, les violences ayant provoqués des ecchymoses :
Cass. crim., 3 mai 1984, pourvoi n° 84-90.397, Bull. crim. n° 54. Il en va de même du fait de gifler violemment
un enfant, de l’entraîner dans les toilettes, de lui enfoncer la tête dans la cuvette avant de tirer la chasse d’eau :
Cass. crim., 21 février 1990, pourvoi n° 89-86.807, non publié.
1898
CEDH, 23 septembre 1998, « A. c/ Royaume-Uni », req. n°100/1997/884/1096 : un enfant de dix ans battu
avec une canne par son beau-père. Néanmoins, la Cour fait également une distinction entre un châtiment léger et
un châtiment plus grave, en basant sur l’ « appréciation d’un minimum gravité ». Ainsi, s’agissant du directeur
d’un pensionnant qui aurait donné une fessée à un garçon de sept ans avec une chaussure, elle a estimé que l’acte
n’était pas contraire à l’article 3 de la convention, V. CEDH, 25 mars 1994, « Costello-Roberts c/ Royaume
o
Uni », req. n 13134/87, §30.
1899
A. Gouttenoire et H. Fulchiron, « Autorité parentale », Rép. civ. Dalloz, 2015, n° 123 ; Rapport du Comité
des droits de l’enfant de l’ONU, Assemblée générale, Session n° 72, 2008 [En ligne :
https://www.iom.int/jahia/webdav/shared/shared/mainsite/policy_and_research/un/63/fr/A_63_41_FR.pdf].
516
enfants, notamment au sein de leur famille 1900. Le 12 septembre 2014, une décision du
Comité européen des droits sociaux, rendue publique le 4 mars 2015, a condamné la France
« en raison de l’absence d’interdiction explicite et effective de tous les châtiments corporels
envers les enfants en milieu familial, scolaire et autres cadres »1901, sur le fondement l’article
17 de la Charte européenne des droits sociaux révisée1902. En effet, le Comité relève que, ni
les textes juridiques français, ni la jurisprudence n’interdisent clairement de tels pratiques, se
contentant de réprimer le droit de correction au-delà d’un certain seuil de gravité.
Aujourd’hui, de nombreux Etat ont d’ores et déjà opté pour une interdiction absolue de la
fessée et autres châtiments sur l’enfant : la Suède, la première en 19791903 a été suivie
notamment par l’Autriche, le Danemark et l’Allemagne1904.
En dépit de cette pression internationale, force est de constater que la France demeure un pays
de coutume. Il est vrai qu’une majorité de français voit encore dans la fessée une vertu
pédagogique certaine voire indispensable1905. Aujourd’hui, 70 % des français seraient opposés
à la prohibition légale de la fessée, selon une étude de l’Institut Français d’opinion
publique1906. Pourtant, comme cela a été précisé précédemment, un amendement au projet de
loi « Egalité et citoyenneté », posant une interdiction civile des châtiments corporels sur
l’enfant, a d’ores et déjà été adopté le 2 juillet 20161907. D’ailleurs, on se réjouira que le
législateur n’ait pas souhaité assortir cette interdiction civile de sanctions pénales, dont la
portée semblerait illusoire et inefficace.
1900
H. Bargholtz, Interdire le châtiment corporel des enfants en Europe, Rapport au nom de la Commission des
questions sociales, de la santé et de la famille, document n°10119, 4 juin 2004 [ En ligne :
http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/X2H-Xref-ViewHTML.asp?FileID=10558&lang=fr].
1901
Comité européen des droits sociaux, DC du 12 septembre 2014, « Association pour la protection des enfants
[APPROACH] c/ France », Réclamation n°92/2013, § 10 et 37.
1902
« Les enfants et les adolescents ont droit à une protection sociale, juridique et économique appropriée ».
1903
Loi du 1er juillet 1979.
1904
A-A, Durand, « Autorisée en France, fesser un enfant est interdit dans 44 pays », Le Monde, 03 mars 2015.
1905
S. Kovacs, « Interdiction de la fessée : 70% des français disent non », Le Figaro, 13 mars 2015.
1906
E. Pratviel, Les français et l’interdiction des châtiments corporels envers les enfants , IFOP, mars 2015.
1907
V. supra, n°136.
517
davantage son ascendance sur sa victime, l’époux violent dérobe les pièces d’identité ou les
moyens de paiement de celle-ci, afin de l’empêcher de partir. Afin de prévenir une telle
situation doublement victimisante, la loi de 2006 est venue restreindre le champ d’application
de l’immunité de l’article 311-12 du code pénal. Désormais, lorsque le vol porte sur « des
objets ou documents indispensables à la vie quotidienne de la victime, tels que des documents
d’identité, relatifs au titre de séjour ou de résidence d’un étranger, ou des moyens de
paiement », le vol tombera sous le coup de la répression pénale. Il en va de même pour les
infractions d’extorsion (article 312-9), de chantage (312-12), d’escroquerie (313-3), d’abus de
confiance (314-3).
1908
Versailles, 28 mars 1990, RTD. com. 1990. 615, note. M. Cabrillac.
1909
Versailles, 28 mars 1990, préc.
1910
M. Daury-Fauveau, « Recel », JCl 2012, fasc. 10, n° 19.
518
principal, elle ne couvre pas l’auteur du recel. Le dernier alinéa de l’ancien article 380 du
code pénal prévoyait expressément cette restriction quant aux bénéficiaires de l’immunité1911.
En l’absence de disposition contraire dans le nouveau texte, il faut en conclure que l’absence
de protection du receleur est toujours d’actualité. C’est ainsi, que la concubine de l’époux
retrouvée en possession de biens de la communauté a été reconnue coupable de recel1912. De
même, le tiers chargé d’encaisser un chèque extorqué par le membre de famille immunisé et
pour le compte de celui-ci, est coupable de recel1913. En définitive, l’immunité familiale est
inopérante vis-à-vis du receleur, étranger au cercle familial ou membre de la famille
(ascendant, époux, allié).
1911
« À l’égard de tous les autres individus qui auraient recelé ou appliqué à leur profit tout autre partie des
objets volés, ils seront punis comme coupables de recel ».
1912
Trib. Corr. Lyon, 16 février 1972, RSC 1998.291, obs. P. Mousseron.
1913
Cass. crim. 9 mars 1993, pourvoi n°92-83.935, JCl 2012, fasc. 10, obs. M. Daury-Fauveau.
1914
La nouvelle loi n°2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement, JO
du 29 décembre 2015, p. 24268.
1915
A. Cerf-Hollender, « Droit de la famille et des personnes », L’essentiel, n°2, 2016, p. 7.
519
446. Le refus d’appliquer les immunités patrimoniales au concubin. – Nous l’avons vu,
le particularisme familial en droit pénal conduit celui-ci à adopter une vision plus
sociologique de la famille. Pourtant, le législateur s’est toujours refusé, s’agissant des
immunités familiales à caractère matériel, de reconnaître au concubin ou au partenaire un
statut spécifique en la matière. En effet, l’article 380 ancien du code pénal et l’actuel article
311-12 ne vise que les époux, non séparés de corps et vivant en communauté. Cette
détermination particulièrement limitative des bénéficiaires de l’immunité ne fait aucune place
à l’auteur « simple » proche de la victime. Cela semble d’autant plus étonnant que toutes les
autres immunités relatives aux poursuites des infractions prennent en considération de le
concubin par le biais du vocable « personne vivant maritalement avec ». Mais surtout,
l’exigence d’une communauté de vie paisible et continue a été généralisée en droit civil entre
concubins et au pacsés, au même titre que pour le mariage. Ainsi, la situation patrimoniale des
concubins ou partenaires ne serait guère plus différente que celle des époux mariés sous le
régime de la séparation de bien.
Cette solution jurisprudentielle n’est pas nouvelle dans son principe ; mais elle est originale
dans son espèce et son fondement. En effet, le 2 mars 1998, la Chambre criminelle de la Cour
de cassation avait été saisie d’une requête en révision d’une condamnation pour abandon de
520
famille1916. L’intéressé faisait valoir à sa décharge l’anéantissement rétroactif du lien de
filiation – fondement de l’obligation alimentaire – existant entre lui et l’enfant naturel qu’il
avait reconnu par complaisance, avant que la mère n’intente une action en contestation de
paternité. La Cour rappelle pourtant que « le délit d'abandon de famille est constitué, dès lors
que le débiteur s'abstient de fournir pendant plus de deux mois l'intégralité des subsides mis à
sa charge par une décision judiciaire ou une convention judiciairement homologuée ». Dès
lors, tout événement ultérieur modifiant les rapports familiaux ne saurait effacer l’infraction.
De manière assez logique, la doctrine y a vu une révélation de la véritable nature du délit
d’abandon de famille, à savoir la sanction de la méconnaissance d’une décision de justice
civile1917. Cette décision civile serait alors séparable de la dette1918, de sorte que même lorsque
cette dernière s’annule, l’infraction survit. Par ailleurs, dans une autre espèce du 27 mars 1991
– similaire à celle de 2008 – un prévenu faisait valoir qu’un nouvel arrêt définitif postérieur
avait réduit le montant de la dette fixé initialement par l’ordonnance de non-conciliation. Là
encore, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a estimé que cet arrêt définitif n’avait
aucune incidence sur l’ordonnance de conciliation exécutoire au moment de la
condamnation1919.
Toutefois, dans l’arrêt de 2008 le maintien de l’infraction semble devoir puiser son
explication ailleurs. En effet, dans les deux espèces précédentes, les décisions de justice à la
source de la condamnation pénale étaient restées inchangées. Ainsi, tout élément extérieur
nouveau n’avait aucun impact puisqu’il ne remettait pas en cause le fondement même de
l’infraction. A contrario, dans l’espèce de 2008, le juge aux affaires familiales accepte - créant
la confusion – de modifier rétroactivement sa propre ordonnance fixant le montant de la dette
de l’intéressé. Dès lors, la question est de savoir si le prévenu dont la dette a été
rétroactivement annulée par l’ordonnance même qui l’a fixée demeure pénalement
responsable ? En principe, il faudrait répondre à cette question par la négative. Si l’on admet
que l’infraction garantit le respect de la décision, à partir du moment où la dette civile ne se
1916
Cass. révision, 2 mars 1998, pourvoi n° 98-97.091, Bull. crim. n°78.
1917
D. Rebut, « L’unique nature de l’abandon de famille », Dr. fam. 1999.1 ; G. Levasseur « Le délit d’abandon
de famille sanctionne le non-respect d’une décision de justice. Importance de la décision de justice », RSC 1992.
754.
1918
J. Hauser, « Un instantané familial en droit pénal ? L’abandon de famille survit à la dette », RTD. civ. 2008.
669.
1919
Cass. crim. 27 mars 1991, pourvoi n° 90-85. 870, Bull. crim. n°157.
521
justifie plus –suite à la modification de son support juridique – la logique voudrait que la
condamnation tombe. En conséquence, il faudrait admettre que finalement, le fondement de
l’abandon de famille ne réside ni dans la défense des intérêts de la justice civile, ni encore
dans l’existence d’une dette alimentaire. La sanction prend avant tout son sens dans le respect
de l’autorité de la loi pénale. À partir du moment où une infraction pénale est constituée, peu
importe au demeurant les conditions préalables extra-pénales nécessaires pour ce faire, elle est
définitive et non négociable – sauf exception définies selon une nomenclature pénale.
522
Conclusion du Titre II
448. Un droit pénal singulier. – Le droit pénal ne peut être conçu comme un droit
autonome. En effet, l’autonomie supposerait que la discipline considérée ne présente aucun
élément d’hétéronomie ou d’extranéité. Or, le droit pénal emploie continuellement diverses
notions extra-pénales en vue d’atteindre ses objectifs. En revanche, il ne fait aucun doute
qu’il s’agit d’un droit singulier. Néanmoins, cette singularité s’apprécie, non pas à travers
l’étude de règles pénales isolées, mais dans l’économie générale du champ pénal. Ainsi, le
droit pénal suit une logique propre, s’exprimant tant d’un point de vue fonctionnel que d’un
point de vue conceptuel. Cela se vérifie parfaitement lorsque le droit pénal est appliqué à la
sphère familiale. En effet, il apparaît tout d’abord comme un droit neutre, en phase avec les
mœurs actuelles et adoptant une vision sociologique de la famille et de la conjugalité. Ensuite,
c’est un droit original qui de par sa fonction satellitaire a su devenir indispensable aux autres
disciplines juridiques vues à tort comme supérieures. Enfin inventif, il fait preuve d’une
faculté étonnante à absorber, ou au contraire, à rejeter des concepts en principe extérieurs à
son champ d’application.
449. Un droit résilient. – Alors que jusqu’à maintenant, on a estimé que la famille acculait
le droit pénal, on se rend compte qu’en réalité, il ne lui accorde qu’une place relative. La
famille n’est, en effet, qu’une valeur secondaire en droit pénal. Ainsi, à coté de valeurs-
finalité supérieures telles que l’individu et la société, la famille n’apparaît que comme une
valeur-témoin, c’est-à-dire une valeur subsidiaire. Ne bénéficiant d’aucune personnalité
morale, ou action collective expressément consacrées en droit positif, la famille apparaît au
mieux comme un simple paramètre de répression. Au surplus, il semblerait que la famille soit
un intermédiaire de protection, permettant tantôt à la puissance publique d’exercer son
contrôle sur les individus membres de cette sphère ou gravitant autour d’elle, tantôt de faire
écran aux ingérences de celle-ci. C’est dire qu’à travers la protection de l’institution familiale,
et la protection de valeurs sociales, le droit pénal tende à garantir un véritable ordre de
protection. Par ailleurs, en dépit d’une pénalisation récente du lien familial, il convient de
rappeler que le droit pénal tend, d’une manière générale, davantage à se désengager de la
sphère familiale qu’à s’y imposer.
523
Conclusion de la Partie II
Le droit pénal vient protéger ces valeurs fondamentales, d’une part, selon une modalité
classique. Ainsi, en qualité de droit sanctionnateur, il sera appelé à renforcer des intérêts
vitaux élevés au rang de valeurs sociales par des disciplines juridiques extra-pénales
supérieures. S’agissant de la famille, la règle pénale verra son application subordonnée, à la
fois, au droit civil et au droit public. En effet, il garantit de manière accessoire les valeurs
sociales attenantes à la famille, et essentiellement reconnues par le droit civil. Mais
également, la famille, étant considérée comme un objet d’utilité sociale, elle intéressera aussi
le droit public. À ce titre, le droit pénal est chargé d’y maintenir le respect de l’ordre public.
Néanmoins, soumise à une instrumentalisation législative certaine, il semble que cette
subsidiarité du droit pénal le conduise à s’adapter sans cesse aux réformes et évolutions du
droit de la famille. Pire, cette accessoirisation du droit pénal à des fins étrangères à son
fonctionnement normal, semble contribuer à sa dénaturation.
Mais, d’autre part, réaffirmant sa propre identité, il semble opter pour une modalité plus
novatrice de protection de valeurs, qui lui sont propres. Ainsi, en tant que droit singulier , il
n’hésite pas à adopter une logique fonctionnelle et conceptuelle empreinte d’originalité. De
même, en tant que droit résistant, il semble accorder à la famille, valeur sociale, une
protection non prioritaire.
1920
H. Matsopoulou, « L’éthique et le droit pénal », in Le champ pénal, Mélanges en l’honneur du professeur
Reynald Ottenhof, Paris, Dalloz, 2006, p. 357 ; M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé
par le droit pénal, Thèse de doctorat, Université de Montpellier I, 2009, p. 487.
1921
E. Verny, Le membre d’un groupe en droit pénal, Paris, L.G.D.J, 2002, p. 537.
524
CONCLUSION GÉNÉRALE
451. L’étude d’un droit pénal au sein de la famille a conduit à questionner, en amont, la
légitimation de l’intervention de cette discipline à l’intérieur de ce groupe.
Le terme de légitimation non choisi au hasard, renvoie à l’idée de la « juste mesure » de
l’intervention répressive dans une sphère, en principe, gouvernée par l’intimité et l’affection.
Dès lors, il nous fallut rechercher les raisons de cette action pénale dans la famille, afin que
celle-ci ne soit ni impromptue, ni injustifiée. En effet, particulièrement s’agissant du droit de
la famille, et à une époque où la création législative semble céder à la politique de l’émotion
et du résultat – s’emballant par la même au rythme du fait médiatique – la nécessité d’une
rationalisation de l’action pénale semble essentielle.
525
savoir si la famille dysfonctionnelle devait être saisie à partir d’un critère de « normalité
familiale ou de « dysfonctionnalité familiale ». Or, si le concept de « normalité familiale »
avait déjà été dégagé en droit positif, il nous est apparu que ce dernier ne présentait pas les
vertus d’impartialité et de fiabilité espérées, au regard du droit pénal. Il ne permettait donc pas
de fonder une analyse scientifique satisfaisante. De fait, à la normalité familiale, il semblait
plus judicieux de préférer une approche purement fonctionnelle de la famille saine, ou non.
L’objectif, finalement, n’était pas de dire ici, si la famille était bonne ou mauvaise, mais
simplement si elle était capable ou non de remplir un certain nombre de fonctions essentielles.
Ainsi, reposant sur une observation empirique, le critère de la « dysfonctionnalité familiale »
permettait de définir le dysfonctionnement comme l’inaptitude d’une famille à remplir les
fonctions matérielles, symboliques et affectives que l’on est en droit d’attendre de toute unité
familiale ordinaire. Ces fonctions viennent finalement déterminer « la faculté des membres
d’une même famille, à vivre ensemble de manière agréable et favorable » 1922. Aussi, le
dysfonctionnement familial désigne-t-il, ni plus, ni moins, que les différentes contrariétés au
vivre ensemble. Deux types de contrariétés peuvent être relevés : d’une part, les atteintes
positives à l’intégrité physique ou psychologique d’un(des) membre(s) de la famille. Nous
parlons de contrariétés au « bon vivre ensemble ». D’autre part, les atteintes aux conditions
de vie matérielles et morales d’un(des) membre(s) de la famille. Nous parlons alors de
contrariétés au « bien vivre ensemble ».
1922
V. supra, n°162.
526
auteurs). Enfin, de nature polymorphe, le dysfonctionnement pouvait tomber sous le coup de
la loi pénale sous diverses qualifications. Pour cette raison et à des fins pratiques, certaines
similitudes durent être recherchées et regroupements opérés. Ainsi, s’agissant des contrariétés
au « bon vivre ensemble », il nous est apparu que d’un point de vue criminologique, le
phénomène commun qui les sous-tendait était la violence qui gangrénait les relations
familiales. Prise sous ses aspects les plus multiples, cette dernière pouvait être physique,
sexuelle, psychologique ou intimidante. D’un point de vue juridique, dès lors, cette violence
devait être captée à travers les qualifications de violences volontaires – physiques et
psychologiques, les infractions sexuelles – le viol, les agressions sexuelles autres, les atteintes
sexuelles, mais également la nouvelle qualification d’inceste. De même, elles devaient être
sanctionnées au titre des incriminations de harcèlement (moral et sexuel), ou encore de
menaces et d’appels téléphoniques malveillants. Or, ces violences étant souvent cumulatives
et participatives d’un continuum, il n’est pas rare qu’elles débouchent à terme sur la
commission d’un homicide, involontaire ou passionnel, conjugal ou infantile, dans le but
d’ôter la vie ou simplement de se défendre.
S’agissant des contrariétés au « bien vivre ensemble », par ailleurs, s’il devait être isolé un
phénomène criminologique commun à celles-ci, il s’agirait de la défaillance – en particulier
parentale. Aussi, les qualifications pénales relatives au délaissement et à la mise en péril du
mineur permettent-elles de sanctionner ces comportements en droit pénal. Ont donc été
envisagées notamment l’infraction de délaissement de mineur, les abandons moral ou
pécuniaire de famille, la privation de soins et d’aliments, ou la provocation à la consommation
habituelle et excessive d’alcool.
527
membres de la maisonnée. Dès lors, l’acte de dénonciation, pris dans son sens le plus large,
devient le moyen privilégié de révélation de cette délinquance aux services de police et autres
instances sociales. Mais, paradoxalement, il est également la voie qui reste la moins
empruntée par les victimes de violences intrafamiliales, puisque la délinquance familiale est
celle qui fait l’objet, aujourd’hui encore, du taux de révélation le plus faible. Par voie de
conséquence, cela n’aide guère à pallier le recueil lacunaire de données statistiques afin
d’approcher au plus près l’ampleur réelle du phénomène. Au surplus, même dans le cas où la
victime se déciderait à dénoncer les faits, en l’absence de preuves matérielles jugées
probantes ou en raison de leur disparition sous l’effet du temps, il n’est pas certain qu’elle
parvienne à les établir efficacement. De surcroit, il ne faudrait pas oublier que la sanction
pénale du dysfonctionnement familiale dépend également de l’appréciation que les acteurs de
la justice criminelle en font. Il se peut que même constitué et dénoncé, il ne soit pas jugé assez
grave, assez apparent ou assez prégnant pour faire l’objet d’un traitement au pénal.
Deuxièmement, s’agissant dudit traitement, même s’il est évident que des progrès
considérables ont été réalisés quant à la prise en charge du dysfonctionnement, à
l’accompagnement des victimes et à la formation des professionnels (judiciaires, médicaux,
enseignants, sociaux) au contact des familles, certaines insuffisances ou maladresses ne
peuvent être ignorées.
528
456. S’agissant, tout d’abord, de la modalité classique d’intervention du droit pénal, celui-
ci est conçu, selon une doctrine majoritaire, tel un droit sanctionnateur. À ce titre, il lui est
uniquement demandé de mettre sa force répressive au service des autres branches du droit.
Appliqué à la famille, le droit pénal sera doublement accessoirisé. Il l’est, premièrement,
quant aux valeurs sociales attenantes à la famille, qu’il défend. En effet, cette dernière est une
valeur sociale consacrée, en droit positif, comme fondamentale. Elle est, de plus, le support de
valeurs sociales propres, telles que les intérêts juridiquement protégés de l’enfant, du conjoint
ou encore de l’institution du mariage. Dans ce contexte, en réalité, le droit pénal sera le garant
de règles édictées par le droit civil, matière de prédilection de la famille.
Il intervient, deuxièmement, de manière subsidiaire quant aux fonctions qu’il occupe au sein
de la famille. En effet, expression de la souveraineté de l’État, le droit répressif se rattache
directement au droit public. Or la vie familiale, si elle relève en principe de l’espace privé,
s’exprime dans une collectivité. Bien plus, elle est objet de politique publique et d’utilité
sociale. À ce titre, le droit pénal y assure la continuité d’un contrôle social. Il y est le garant
de l’ordre public, à condition que son intervention s’opère ultima ratio. Toutefois, avec
l’intensification récente et parfois excessive de la pénalisation du droit de la famille, cette
subsidiarité du droit pénal a abouti à l’adaptation, voire à la dénaturation de la règle pénale.
En effet, adoptant dans ce domaine, une logique et une technique d’incrimination étrangères
au droit pénal, l’action du législateur semble acculer la discipline pénale.
457. Pourtant, ce constat doit être nuancé. En effet, le droit pénal doit être regardé comme
un droit singulier. Cette singularité ne tient pas à l’analyse éparse de règles extra-pénales qu’il
aurait garanti ou au contraire refusé d’appliquer, mais à la synergie même de la discipline
pénale. Bref, à son économie générale. Aussi, s’aperçoit-on, lorsqu’il est appliqué à la famille,
que le droit pénal fait preuve d’une neutralité qui lui est propre. De plus, c’est un droit
original, qui doté d’une fonction pédagogique et expressive forte, peut s’avérer également
créateur de droit. Mais au-delà, il semblerait que le droit pénal choisisse ses propres
« combats ». Ainsi, dans certains cas, l’accessoirisation du droit pénal est choisie. Toujours en
vue d’atteindre ses propres objectifs, il demeure libre d’absorber sans modification des
notions extra-pénales, de les adopter en les réinterprétant, ou au contraire de les écarter
purement et simplement.
529
En outre, le droit pénal apparaît encore comme un droit résilient. Ainsi, bien que la famille
semble altérer la règle pénale, en réalité, on s’aperçoit que cette valeur sociale n’est que
secondaire. Se saisissant essentiellement de la famille comme d’un « intermédiaire de
protection », ce sont en finalité les intérêts de la société et de l’individu que le droit pénal tend
à défendre.
530
ANNEXE
531
actions législatives et gouvernementales sur la protection spécifique d’une femme victime de
violences.
En somme, il semble préférable de commencer à traiter la question des violences conjugales
comme une criminalité objective. Cela permettrait non seulement de gagner du temps sur la
compréhension d’ensemble de ces dernières, mais aussi d’y apporter des réponses non
parcellaires à moyen et long terme.
532
Cependant, la priorité n’ayant pas été mise sur la mobilisation de fonds suffisants à cet effet,
cette expérimentation peine à se développer. De plus, hormis l’hébergement de ces auteurs en
foyer Emmaüs, à l’initiative de l’ancien Procureur du parquet de Douai, Luc Frémiot, rares
sont les structures sociales acceptant d’accueillir ces personnes. Pourtant, une telle mesure
gagnerait à être généralisée.
533
de plainte de la victime et quelque soit le commissariat situé sur le territoire national dans
lequel elle se rendrait. À disposition des autorités judiciaires également, il permettrait au
Procureur d’apprécier la gravité d’une situation conjugale, actuelle ou ancienne, dans son
ensemble. Enfin, il permettrait à des fins statistiques de retracer à long terme le parcours et
l’évolution de la situation de famille de la victime de violences.
534
n°2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. En effet,
spécifique à aucun domaine particulier, cette nouvelle infraction est rédigée dans les mêmes
termes que l’infraction de harcèlement moral au sein du couple, et se caractérise selon les
mêmes éléments matériel et moral que celle-ci.
Opter pour une répression du harcèlement moral intraconjugal sous forme de circonstance
aggravante permettrait d’éviter toute confusion entre les circonstances aggravantes et les
éléments constitutifs. De plus, une telle solution favoriserait l’allégement du champ pénal,
s’agissant des redondances inutiles d’infractions.
535
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Loi n°70-459 du 4 juin 1970 relative à l'autorité parentale, JO du 5 juin 1970, p. 5227.
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563
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code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d’actes incestueux, JO
du 9 février 2010, texte n° 1, p. 2265.
Loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes,
aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, JO du 10
juillet 2010, p. 12762.
Loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, JO du 15 avril 2011, p. 6610.
Loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même
sexe, JO du 18 mai 2013, p. 8253.
Loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine
de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux
de la France (esclavage, travail forcé), JO du 6 août 2013, texte n°4, p. 13338.
Loi n°2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, JO du 5
août 2014, p. 12949.
564
Loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement,
JO du 29 décembre 2015, p. 24268
Loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des
personnes en fin de vie, JO du 3 février 2015, p. 24268.
c. Ordonnances
d. Décrets
Décret n° 96-387 du 9 mai 1996, portant création d’un Observatoire interministériel sur les
sectes, JO du 11 mai 1996, p. 7080.
Décret n° 98-890 du 7 octobre 1998 instituant une mission interministérielle de lutte contre
les sectes, JO du 9 octobre 1998, p. 15286.
e. Circulaires
565
Sénat, Proposition de loi n° 301, relative au droit de vivre sa mort, de CAILLAVET Henri,
enregistrée à la Présidence du Sénat le 6 avril 1978.
Sénat, Proposition de loi n°215, relative au droit de mourir dans la dignité, de P. Biarnes,
enregistrée à la Présidence du Séant le 13 février 1997.
Sénat, Proposition de loi n°166, relative au droit de mourir dans la dignité, de P. Biarnes,
enregistrée à la Présidence du Séant le 26 janvier 1999.
Assemblée nationale, Projet de loi n° 736, portant diverses dispositions d’adaptation dans le
domaine de la justice en application de l’Union européenne et engagements internationaux de
la France, du Garde des Sceaux, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21
février 2013, exposé des motifs.
Sénat, Proposition de loi n°368 modifiant le délai de prescription de l’action publique des
agressions sexuelles, enregistrée à la Présidence du Sénat le 13 février 2014.
3) Conventions internationales
566
Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants du 25 octobre
1980 [En ligne : http://www.hcch.net/index_fr.php?act=conventions.text&cid=24].
Convention Internationale des Droits de l’Enfant, signée à New York, le 26 janvier 1990,
décret n° 90-917 du 8 octobre 1990 portant publication de la convention relative aux droits de
l'enfant, JO du 12 octobre 1990, p. 12363.
Traité sur l’Union européenne signé à Maastricht, 7 février 1992 (entrée vigueur le 1er
novembre 1993), JOCE du 29 juillet 1992, p. 1.
Charte sociale européenne signée à Strasbourg, 3 mai 1996 (entrée en vigueur le 1er juillet
1999), STCE n°163 [En ligne :
https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId
=090000168007cf94].
Traité d’Amsterdam modifiant le Traité sur l’Union européenne, les traités instituant les
Communautés européennes et certains actes connexes, 2 octobre 1997 (entrée en vigueur le
1er mai 1999), JOCE du 10 novembre 1997, p. 1.
567
CARLE, Jean-Claude, Obligation de scolarité et contrôle de l’obligation scolaire, Rapport
n°504 (1997-1998) au nom de la commission des affaires culturelles, Sénat, 17 juin 1998, (en
ligne) : http://www.senat.fr/rap/l97-504/l97-504_mono.html.
CROZON, Pascale, Les violences faites aux femmes, Rapport d’information n°3514 fait au
nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les
femmes, Assemblée nationale, 17 février 2016.
DEKEUWER-DEFOSSEZ, Françoise (dir.), Rénover le droit de la famille. Propositions
pour un droit adapté aux réalités et aux aspirations de notre temps, Rapport au Garde des
Sceaux, Paris, Documentation française, septembre 1999.
FORT, Marie-Louise, Proposition de loi visant à identifier, prévenir, détecter et lutter contre
l’inceste sur les mineurs et à améliorer l’accompagnement médical et
social des victimes, Rapport n°1601 fait au nom de la commission des lois constitutionnelles,
de la législation et de l’administration générale de la république, Avril 2009.
568
GÉLARD, Patrice, Projet de loi relatif au divorce, Rapport n° 120 fait au nom de la
commission de Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et
d’administration générale sur le projet de loi relatif au divorce (2003-2004), 17 décembre
2003 (en ligne) disponible sur le site du Sénat : https://www.senat.fr/rap/l03-120/l03-
1201.pdf.
HAENEL, Hubert, Le classement sans suite. Les infractions sans suite ou la délinquance mal
traitée, Rapport d’information n°513 au nom de la commission des finance, du contrôle
budgétaire et des comptes économiques de la Nation, Sénat, 18 juin 1998 (en ligne)
disponible sur le site du Sénat : https://www.senat.fr/rap/r97-513/r97-513_mono.html#toc0.
JOLIBOIS, Charles, Projet de loi portant réforme des dispositions du code pénal relatives à
la répression des crimes et délits contre les personnes, Rapport n° 295 (1990-1991), fait au
nom de la commission des lois, 18 avril 1991.
LEONETTI, Jean, Intérêt de l’enfant, autorité parentale et droits des tiers, Rapport fait au
Premier ministre, octobre 2009 (en ligne) :
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/094000484.pdf.
MINISTERE DES AFFAIRES SOCIALES, de la santé et des droits des femmes, Feuille
de route pour la protection de l’enfance, juin 2015, p. 5 (en ligne) : http://social-
sante.gouv.fr/IMG/pdf/feuille_de_route_protection_enfance_2015-2017-3.pdf.
VERSINI, Dominique, L’enfant au cœur des nouvelles parentalités. Pour un statut des tiers
qui partagent ou ont partagé la vie d’un enfant et ont des liens affectifs forts avec lui, Rapport
570
annuel du Défenseur des enfants, 2006 (en ligne) :
http://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/dde_ra_2006.pdf.
5) Avis
ASSEMBLÉE NATIONALE, Avis n° 2743 sur les articles 11, 12, 14, 15, 17, 18, 20, 21, 21
bis et 22 de la proposition de loi n° 2652 rectifiée, adoptée par le Sénat relative à la protection
de l’enfant, fait par M. Chapdelaine, au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de
la législation et de l’administration générale de la République, enregistré à la Présidence de
l’Assemblée nationale, 5 mai 2015.
Avis n° 63 du comité consultatif national d’éthique, « Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie »,
27 janvier 2000.
6) Réponse ministérielle
GARDE DES SCEAUX, Rép. min. n° 43854, JOAN Q du 10 mars 1997, p. 1230 [En ligne :
http://questions.assemblee-nationale.fr/q10/10-43854QE.htm].
V.Jurisprudence
571
2) Jurisprudences relatives à l’intérêt de l’enfant, au devoir de garde et à l’autorité
parentale
a. Conseil constitutionnel
b. Cour de cassation
- Cass. crim. 11 juillet 1994, n° 93-81. 881, JCP 1995. II. 22441, note F. Eudier.
- Cass. crim, 29 janvier 1992, pourvoi n° 91-87.748, inédit
- Cass. crim., 3 septembre 1992, pourvoi n° 92–83. 319, inédit.
- Cass. crim., 8 juin 1999, pourvoi n° 94-81.376, Bull. crim. n° 226.
- Cass. Crim., 4 février 2004, pourvoi n° 03-82.845, JCP éd. G 2004.IV.1657
(appréciation in-concreto de l’autorité de fait).
- Cass. Civ. 2ème, 5 février 2004, Bull. civ. I, n°50.
- Cass. Crim., 8 février 2005, Bull. crim., n° 44, JCP 2005. II.10049.
- Cass. Crim, 1er février 2006, JCP 2006. IV. 3324.
- Cass. Crim., 3 septembre 2008, pourvoi n° 08-84.092 (autorité de fait même
momentanée).
c. Cour d’appel
- Grenoble, 15 décembre 1977, Dr. Fam. 1998, n°38.
- Pau, 12 décembre 1995, Defrénois 1997, p. 996, obs. J. Massip.
- Douai, ch. 9, 13 avril 2007, n°06/03596.
- Montpellier, ch. corr. 3ème, 29 avril 2008, n° 07/01622.
d. Tribunal correctionnel
b. Cour d’appel
- Nîmes, ch. acc., 9 décembre 1983, JCP. éd. G. 1985. II. 20482, note F.-J. Pansier.
- Pau, 20 décembre 2000, req. n° 000/00464
- Grenoble, 31 mai 2001, req. n° 99/01935.
a. Cour de cassation
- Cass. crim. 22 octobre 1936, Bull. crim. n° 97.
- Cass. crim., 16 février 1938, Gaz. Pal. 1938. I. 750
- Cass. crim. 18 mars 2008, pourvoi n° 07-86. 075, RSC 2008. 587, obs. Y. Mayaud.
- Cass. crim. 30 septembre 2009, pourvoi n° 09-80373, Bull. crim. n° 162 ; Dr. pén.
2009, comm. 147, obs. M. Véron.
- Cass. crim., 2 septembre 2005, Bull. crim. n° 212 ; D. 2005. Pan. 2989, obs. T. Garé et
G. Roujou de Boubée
- Cass. crim. 6 décembre 2011, pourvoi n° 10-82266, Bull. crim. n° 249 ; RSC. 2012.
138, obs. Y. Mayaud.
b. Cour d’appel
- Toulouse, 3e ch., 26 juin 2003, D. 2003. 2728.
573
- Aix-en-Provence, 7 novembre 2006, JCP G 2007. IV. 1494.
- Amiens, 1er décembre 2010, n° 09/03195.
- Paris, 4 décembre 2014, n° 13/04636.
- CEDH, 29 avril 2002, « Pretty contre Royaume-Uni », req. n°73316/01 ; RSC 2002.
645 note F. Massias.
b. Cour de cassation
c. Cour d’assises
- Assises Liège, 5 novembre 1962 : J. Paulus et J. Rozet, Le procès de la Thalomide,
Ed. Gallimard, Coll. Témoignages, 1963.
- C. assises Maine-et-Loire, 14 juillet 2006, inédit.
- C. assises Yvelines, 15 décembre 2008, inédit .
- C. assises Ille-et-Vilaine, 15 septembre 2015, inédit : P. Robert-Diard, « Le procès
d’une mère entre détresse et toute-puissance », Le Monde, 15 septembre 2015.
a. Conseil Constitutionnel
b. Cour de cassation
c. Conseil d’État
- CE, 11 juillet 1980, Montcho, Rev. Crit. DIP 1981. 658, note. M. Bischoff.
- CE, 16 avril 2010, M. Dieng, requête n° 318726.
d. Cour d’appel
- Paris, 7 juillet 1959, Rev. crit. DIP 1960. 354, note Y. Loussouarn.
- Aix- en-Provence, 21 janvier 1981, Rev. crit. DIP 1982. 297, note G. Légier
- Versailles, 27 mai 1999, D. 1999. 374, obs. J.-J. Lemouland.
- Grenoble, 23 janvier 2001, Dr. Fam. 2002, n°54, obs. H. Lécuyer.
- Toulouse, 27 juin 2002, Dr. fam. 2003, n° 1, comm. 6.
- TGI Seine, 26 octobre 1959, Spira c/ Reichenfeld, Rev. crit. DIP 1960.354, note Y.
Loussouarn.
- TGI Seine, 23 mai 1960, Defeins c/ Tahoum, D. 1960. 714, note P. Malaurie.
a. Cour de cassation
- Cass. civ. 1ère, 17 avril 1953, Rivière, Rev. crit. DIP 1953, p. 412, note Batiffol.
- Cass. civ. 1ère, 20 novembre 1963, Appietto, Bull. civ. n°506 ; JCP. 1964. II. 13498,
note J. Mazeaud.
- Cass. civ.1, 1er juin 2011, pourvoi n° 09-71.992, D. actualité, n°15, 2011, note J.
Burda (mariage contracté en France entre un ressortissant français et une ressortissante
marocaine dont la réelle volonté matrimoniale est remise en cause).
b. Conseil d’État
575
- CE, 9 octobre 1992, Avis, n° 137342, D. 1993. 251, notes D. Maillard Desgrées du
Loû.
c. Cour d’appel
- Paris, 30 janvier 2003, n° 2001/21751, AJ. Fam. 2003.187 (mariage fictif visant à
l’obtention de la carte de résident).
- Paris, 16 septembre 2004, n°2003/09409, AJ. Fam. 2004. 460, note F. Chénedé
(mariage fictif visant à l’obtention de la nationalité française).
- Paris, 15 janvier 2004, Dr. Fam. n°6, comm. 93, note V. Larribeau Terneyre.
c. Cour de cassation
- Cass., civ. 1ère, 6 novembre 1970, pourvoi n° 69-11665, JCP 1971. II. 16942, note
Ghestin (manœuvres dolosives).
d. Cour d’appel
- Colmar, 28 avril 2005, Dr. Fam. 2006, n°1, comm. 1, note V. Larribau-Terneyre.
- Cass. crim., 17 février 2009, pourvoi n° 08-85308, Inédit ; Dr. pén. 2009, comm. 76,
obs. M. Véron.
1923
Ancienne appellation de la Cour de Justice de l’Union européenne avant l’entrée en vigueur du Traité de
Lisbonne du 1 » décembre 2007.
576
- Cass. crim., 25 mars 2003, pourvoi, Bull. crim. n° 75 ; Dr. pén. 2003, comm. 84, obs.
M. Véron.
a. Cour de cassation
- Cass. ch. conseil, 27 juillet 1937, Métenier, D.P. 1938.1.5, note R. Savatier
- Cass. civ. 2, 13 décembre 1961, Bull. n° 861
- cass. civ. 1, 16 janvier 1962, Bulletin n° 3
- Cass. crim., 14 mars 1967, pourvoi n° 66-91.134, Bull. crim. n° 100
- Cass. crim., 21 octobre 1969, pourvoi n° 68-93.558, Bull. crim. n° 257
- Ch. mixte, 27 févr. 1970, Dangereux, pourvoi n° 68-10.276, D. 1970, chron. n° 145,
obs. N. Gomaa.
- Cass. Crim. 19 juin 1975, pourvoi n° 74-92.363, Bull. Crim. 161, Gaz. Pal. 1975.2.
566.
- Cass. civ. 1, 3 février 1999, pourvoi n°96-11.946, Bull. civ. I, n°43, D. 1999, somm.
377, obs. J.-J. Lemouland ; D.1999. 267, obs. X. Savatier.
- Cass. Ass. Plén., 29 octobre 2004, pourvoi n°03-11.238, Bull. ass. Plén. N°12, JCP
2005.II.10011 note F. Chabas ; AJ. Fam. 2005. 234, note F. Chénedé.
b. Cour d’appel
- Cour suprême, 5 mars 1990, R. c/ Lavallee; RCS. 852 (en ligne) : http://scc-
csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/en/item/599/index.do
b. Cour de cassation
- Cass. crim. 29 novembre 1972, Gaz. Pal. 1973. I. 109.
- Cass. crim., 19 avril 1972, Bull. crim. n° 131, RSC 1973.187, obs. G. Levasseur.
c. Conseil d’État
- CE, 18 décembre 2013, «Société Ogif », req. n° 363126 (la procédure d’expulsion).
d. Cour d’appel
- Toulouse, 3ème ch., 8 septembre 2008, n°07/00566, Dr. pén. 2009, comm. 17, obs. M.
Véron.
b. Conseil Constitutionnel
578
- Cons. Const. Décision n° 2011-163 QPC du 16 septembre 2011, « Loi tendant à
inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le code pénal et à améliorer la détection
et la prise en charge des victimes d’actes incestueux », JO du 17 septembre 2011, p.
15600.
- Cons. const., décision n° 2012-222 QPC du 17 février 2012, JO du 18 février 2012, p.
2846.
c. Cour de cassation
d. Cour d’appel
- Toulouse, 19 juin 2003, JurisData n° 2003-220457 ; JCl pén. 2009, fasc. 20, Pédron ;
Dr. fam. 2003, comm. 136, obs. Lamy.
c. Conseil constitutionnel
- Cons. Const., décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, Loi complétant les dispositions
des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, JO du
18 juillet 1971, p. 7114.
- Cons. const., décision n° 77-87 DC du 23 novembre 1977, Loi complémentaire de la
loi n°59-1557 du 31 décembre 1959 relative à la liberté d’enseignement , JO du 25
novembre 1977, p. 5530.
- Cons. const., décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de
l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en
France, JO du 18 août 1993, p. 11722.
- Cons. Const., décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999, Loi relative au pacte civil
de solidarité, JO du 16 novembre 1999, p. 16962.
- Cons. const., décision n° 2001-451 DC du 27 novembre 2001, Loi portant
amélioration de la couverture des non salariés agricoles contre les accidents du travail
et des maladies professionnelles, JO du 1er décembre 2001, p. 145.
-
Cons. const., décision n°2010-39 QPC du 6 octobre 2010, Mmes Isabelle D et Isabelle
B, JO du 7 octobre 2010, p. 18154.
- Cons. const., décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013, L. ouvrant mariage aux
couples de personnes de même sexe, JO du 18 mai 2013, p. 8281.
d. Conseil d’État
580
- CE, Ass., 8 juin 1973, Dame Peynet, req. n° 80232, Lebon p. 406, concl. Grévisse ;
JCP 1975. II. 17957, note Saint-Jours.
- CE, 16 janvier 1976, Dreyfus, Lebon, p. 46.
- CE, Ass. 8 décembre 1978, GISTI, CFDT et CGT, Lebon p. 493 ; GAJA, 20ème éd.
2015, n° 83.
- CE, Ass., 18 janvier 1980, Bargain, req. n° 14397, Lebon p. 29.
- CE, 25 juillet 1980, Touami Ben Abdeslem, Lebon, p. 820 ; JCP éd. G 1981. II. 19613,
note B. Pacteau.
- CE Ass., 20 octobre 1989, Nicolo, req. n° 108243, Lebon, p. 190, concl. P. Frydman.
- CE Sect., 10 avril 1992, Marzini, req. n°120573, Lebon, p. 154.
- CE Sect, 10 avril 1992, Aykan, req. n° 76945 , Lebon, p. 152.
- CE, 22 mai 1992, Mme Larachi, req. n°99475, Lebon, p. 203.
- CE, 10 novembre 1995, Préfet Yvelines c/ Saadia El A., req. n°143275.
- CE, 30 octobre 2001, Ministère intérieur c/ Nahiba, req. n° 238211.
- CE, 24 octobre 2001, Préfet de police c/ Latifa H, req. 230392.
- CE, 14 novembre 2001, Jean Mobie, req. n° 231216.
- CE, 6 juin 2003, Préfet de police c/ Luvangu K., req. n°249178.
- CE, 28 janvier 2004, Krikpe Séverin, req. n° 256086.
- CE, 27 juin 2005, Mohammed A, req. n° 272707.
e. Cour de cassation
f. Cour d’appel
- CA Nîmes, 7 juin 2000, Dr. fam. 2001. 4, obs. H. Lécuyer ; RTD. civ. 2001. 335, J.
Hauser.
- CA Rennes, 16 octobre 2012, RG n° 11/08743, RTD civ. 2013. 85, obs. J. Hauser.
- TGI Brest, 15 décembre 2011, RTD civ. 2012. 502 ; AJ fam. 2012. 349, obs. B. de
Boysson.
581
21) Jurisprudences relatives au délaissement de mineur
a. Cour de cassation
b. Cour d’appel
c. Tribunal correctionnel
582
23) Jurisprudences relatives à la contrainte morale
a. Cour de cassation
b. Cour d’appel
a. Cour de cassation
b. Cour d’appel
a. Cour de cassation
b. Cour d’appel
- Douai, 26 septembre 1996, Dr. pén. 1997, comm. 60, obs. M. Véron.
- Cass. crim., 20 août 1983, pourvoi n° 83-92. 616, Bull. crim. n° 229.
- Cass. crim., 9 mai 1990, Dr. pén. 1990, comm. 291, obs. M. Véron.
- Cass. crim., 19 janvier 2005, pourvoi n° 03-87. 210, Inédit ; Dr. pén. 2005, comm. 55,
obs. M. Véron.
- Cons. const., décision n° 2014-700 DC du 31 juillet 2014, Loi pour l'égalité réelle
entre les femmes et les hommes.
584
29) Jurisprudences relatives à l’effet de la nullité du contrat sur la répresion
VI.Mémoires et Thèses
GODIN, Stéphanie, Le couple et le droit pénal, Mémoire, Université Panthéon-Assas Paris II,
2010.
GUECHI, Claire, Les liens de famille et le droit pénal, Thèse de doctorat, Université Paris I,
1998.
585
JAPIOT, René, Des nullités en matière d’actes juridiques. Essai d’une théorie nouvelle,
Thèse de Doctorat, Université de Bourgogne, 1909.
LACAZE, Marion, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le droit pénal,
Thèse de doctorat, Université de Montpellier I, 2009.
MILLARD, Eric, Famille et Droit public. Recherches sur la constitution d’un objet juridique,
Thèse de doctorat, Université Jean Moulin-Lyon III, 1994.
ROLAND, Paul, Les contradictions du droit pénal et du droit civil. Essai de solution du
problème de l’autonomie du droit pénal, Thèse, Lyon, 1958.
SALOMON, Eva, Le juge pénal et l’émotion, Thèse de doctorat, Université de Paris II,
2015.
SITA MUILA, Akele, Le droit pénal et la famille, Thèse de doctorat, Université Aix-
Marseille, 2001.
586
CABRILLAC, Rémy (dir.), Dictionnaire du vocabulaire juridique 2016, 8ème éd., Paris,
LexisNexis, 2016.
CORNU, Gérard et Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, 11ème édition, PUF,
2016.
GUILLIEN, Raymond et VINCENT, Jean, Lexique des termes juridiques, 22ème éd., Dalloz,
2014.
LOPEZ, Gérard et TZITZIS Stamatios, Dictionnaire des sciences criminelles, Dalloz, 2007.
587
FORT, Marie-Louise, discours prononcé le 26 janvier 2010 par la rapporteure de la
commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration de la
République lors de la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi sur « la lutte
contre l’inceste sur les mineurs », en Assemblée Nationale, Session ordinaire de 2009-2010,
[En ligne : http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2009-
2010/20100112.asp#ANCR201000000019-01120].
SORDINO, Marie-Christine (dir.), Criminologie et droit pénal : je t’aime, moi non plus,
Actes du Colloque Criminologie et droit pénal : entre guerre et paix ?, Propos introductifs,
Montpellier, Presses de l’Université de Montpellier, octobre 2015.
SOS HOMMES BATTUS, Aide aux hommes victimes de violences conjugales et aux
femmes violentes au sein du couple, Actes du Colloque, SOS « Hommes battus », Paris, 19
novembre 2012, (en ligne) :
https://fr.scribd.com/doc/114156475?secret_password=20h3645e6svtxsvu79ue.
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597
INDEX ALPHABÉTIQUE
A C
Abandon de famille : 34, 156, 158, 250, Certificat médical : 177, 305
254, 258, 261, 278, 279, 280, 299, 301 et
s., 360, 378, 404, 421, 447
Circonstance aggravante : 92, 139, 140 et
s., 157, 160, 217, 261 et s., 272, 279, 288,
Matériel et moral : 158, 159, 160, 260,
311 et s., 324, 327 et s., 332, 337, 352,
281, 302, 308, 345
367, 375 et s., 384, 394
Pécuniaire : 291 et s., 299, 300, 302, 304,
324 Crime passionnel : 144 et s., 313, 367
Physique : 95
B
598
Décriminalisation : 424 et s., E
Notion : 423 Empoisonnement : 140, 144, 148, 311 et
s., 311, 324
Adultère : 426
Enfance en danger : 201, 219, 222, 224 et
Homosexualité : 431 et s. s.
Avortement : 434 et s.
Enlèvement d’enfant :
Délinquance : 114, 148, 169, 170, 176,
181, 192 et s., 208, 221, 229, 273, 321, 351 Enquête de victimation : 172
CVS : 92, 95, 104, 113, 117, 132, 172
Dissimulation : 163, 171, 229, 231, 265, ENVEFF : 87 et s., 98, 113
420, 454 EVS : 113, 181
599
Fonction répressive : 377 Intérêt juridiquement protégé : 367
G
J
Gilles de la Tourette (Syndrome de) :
Justice restaurative : 285
110, 118, 189
H L
Homicide : 85, 141 et s., 217, 222, 410 Logique d’incrimination : 332, 338
600
Menaces : 102, 108, 110, 113, 126, 154, Conditions :
172, 353, 375, 387, 392
Juge aux affaires familiales : 204, 206,
210, 263, 304, 372 et s., 396, 447
Adminicule : 95
Obligations :
Repentir : 111, 124, 205, 228 Valeurs sociales : 12, 231, 232 et s., 240
et s., 251 et s., 284, 291, 339, 356, 392,
Responsabilité pénale : 158, 179, 189, 399 et s., 400 et s., 449 et s., 451, 455 et s.
295, 298, 301, 345, 391
Vengeance privée : 1, 285, 409
S
Victime : 355 et s.
Signalement : 165, 173 et s., 204 et s., 221
et s.
Victimisation : 108, 140
Soustraction d’enfant : 303 et s., 323,
421 Viol : 93 et s.
Statistiques : 104, 115, 146, 176, 229, Entre époux : 178, 384, 420, 439
336, 402, 454
Incestueux : 335
État 4101 :
Violences : 86 et s., 107 et s.
Surprise : 95 et s., 126, 138, 152, 375 et s.
Volontaires : 91, 99 et s., 139 et s., 177,
Stage de responsabilisation : 211 254, 311 et s., 324, 328 et s., 352, 367,
441, 453
602