Discursivite de L'ethos
Discursivite de L'ethos
SOMMAIRE i
-Table des matières i
-Notice to contributors vi
-Préface vii
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GESTE ET VOIX N°24 ISSN 1840-572X
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Résumé
L’ethos prescrit les mœurs de l’orateur. Il permet à ce dernier de proposer à son auditoire une
dimension des valeurs morales qui lui sont propres et d’amener celui-ci à adhérer aux idées
soumises à son actif. Aussi l’ethos revêt-il la double dimension de topos moral et de stratégie
discursive. Cette dualité qui l’imprègne, loin d’être un délit de fonctionnement, constitue plutôt
sa miscibilité de sémantisation. Comment l’ethos, à partir des fondements discursifs qu’il
convoque, peut-il se muer en une stratégie argumentative ? L’étude ne propose pas un volet
primaire, lieu d’une approche théorique, suivie d’un volet secondaire, fécond d’analyse. Il est
plutôt question d’une démarche procédurale fondamentalement théorique qui aboutit à une
synthèse de la thématique problématisée.
Mots-clés : topos moral, stratégie argumentative, ethos, logos, pathos.
Abstract
The Ethos prescribed the manners of the speaker. It enables him to offer the audience a
dimension of his own moral values and bring him to adhere to the ideas submitted to his credit.
Ethos also takes the double dimension of moral topos and discursive strategy. This duality that
permeates, far from being a crime of functioning, is rather its miscibility of semantization. How
does ethos from discursive fundaments that it convoques, turn into an argumentative strategy?
The study does not include a primary component, rather than a theoretical approach, followed
by a secondary component fruitful of analysis. It is about a procedural fundamentally theoretical
approach leading to a synthesis of the problematized thematic.
Keywords: moral topos, argumentative strategy, ethos, logos, pathos.
Introduction
L’activité énonciative appelle la convocation de preuves, c’est-à-dire l’invite d’éléments
pertinents censés étayer les propos du sujet parlant. Pour assurer à son discours une efficacité,
celui-ci doit se montrer objectif et réduire dans son argumentation le degré de subjectivité ou
d’implication qui reste un lieu ouvert aux calculs interprétatifs. Plus l’énoncé est connoté, plus
il est difficilement compris et moins il est pertinent. Cependant, l’évocation de soi, sans être un
délit de mise en sens de l’existant, peut tout aussi bien que les données encyclopédiques,
constituer une charge de persuasion discursive. L’équation revêt toute son importance dans la
mesure où, il s’agit du sujet lui-même qui vient former la preuve de son discours par le
truchement de son ethos. L’ethos est le creuset des caractères et des valeurs morales qui
instruisent le discours de l’orateur. Aussi tenter de partager une vérité avec l’auditoire peut-il à
la fois appeler à la convocation de ressources objectives comme être fondé sur la personne
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même du locuteur perçue comme un gage de crédibilité. C’est dans le contexte où la crédibilité
du locuteur à travers ses traits intrinsèques permet d’authentifier à raison la substance de son
discours que cette réflexion se situe. Ce qui constitue le premier atout du sujet dans l’exercice
de persuasion, c’est d’abord le crédit moral de sa personne. Aussi en se proposant comme une
pièce à conviction susceptible d’entretenir la confiance avec son auditoire, le locuteur parvient-
il à ressortir deux dimensions importantes du discours sous la forme d’un enjeu stratégique sui
generis : convaincre et séduire. Comment les valeurs morales de l’orateur peuvent-elles
soutenir un discours ? En quoi la proposition de soi comme élément de preuves discursives
peut-elle emprunter une option stratégique ? La réflexion s’inscrit dans une logique
essentiellement théorique. Tout d’abord, une approche de l’ethos du sens au fonctionnement est
faite. Par la suite, l’équilibre discursif qui fonde la symétrie entre le locuteur et l’auditoire à
travers le logos et l’ethos est montré. En définitive, la chute de l’effet suscité (pathos) sur
l’auditoire est perçue comme une émanation de l’étroite combinaison entre l’ethos et le logos.
En tant que tel, l’Homme incarne des valeurs. Aussi parce qu’il est « un être politique et
naturellement fait pour vivre en société, Aristote (Ethique à Nicomaque : IX, 9, 1169 b),
s’impose-t-il une mesure de vie conformément à son milieu d’appartenance. Tout caractère
qu’il présente repose sur cette dualité existentielle au polissement du « moi ».
Par ailleurs, vu que la communication est une nécessité de société, l’expression d’idées va
permettre à ce dernier de s’y inscrire. La parole, dans le sens de E. Benveniste (1974), devient
ainsi un mécanisme opérationnel d’approche du sujet parlant. En effet, de manière directe ou
indirecte, l’Homme est au centre de tout. En microstructure, il incarne le cheminement des
choses qui constitue son environnement. Il leur donne un sens par rapport à ses impulsions
personnelles. Mais dans le fonctionnement macrostructural des événements, après avoir pris
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conscience de certaines dimensions de l’existence dans l’ordre établi des choses, il œuvre à
affirmer sa fonction de sujet en apportant sa touche à l’existant. Il ne se résigne pas face aux
épreuves, mais agit plutôt à dépasser ses limites à travers des pas de géants, référence faite par
exemple aux incursions sur la lune. En fait, ce qui est ici révélé, c’est la valeur subséquente qui
caractérise l’Homme, valeur à travers laquelle il se révèle au monde.
Au demeurant, il ressort de ces approches une démarche qualitative de l’1habitus comme critère
d’opérativité de l’existence humaine faisant "corps" avec l’ethos. De fait, la pensée reste logée
aux carcans de l’abstrait tant qu’elle n’est pas divulguée par la parole. Que ce soit en dialogue,
locuteur (vs) interlocuteur, ou en situation dialogique, énonciateur (vs) lecteur, la charge
énonciative que mobilise l’émetteur est indicative de ses expériences personnelles. A partir de
ce critère essentiel qui instruit le discours de ce sujet, être pour lui en face d’un auditoire
explicite ou implicite suppose que ce vis-à-vis établit une influence mutuelle. En même temps
que le sujet parlant convoque l’assurance de son vécu, il ajuste ses propos en fonction des
expériences encyclopédiques de son auditoire, encore que toute interaction est par essence
conflictuelle. Il ne s’agit pas que de tenir un discours sur la base des valeurs personnelles en
termes d’expériences fondées sur le caractère moral à partager. Pour que l’habitus serve
efficacement l’ethos, il doit reposer sur un dynamisme de communication qui unit à la fois
l’expérience du locuteur aux réalités de son milieu, et surtout, celui-ci doit tenir compte des
habitudes de vie de l’auditoire auquel il s’adresse. P. Charaudeau souligne : « tout acte de
langage émane d’un sujet qui gère sa relation à l’autre (principe d’altérité) de façon à
l’influencer (principe d’influence) tout en devant gérer une relation dans laquelle le partenaire
a son propre projet d’influence (principe de régulation) » (2005 : 12).
En somme, l’ethos soumet les caractères de l’orateur au projet discursif qui, implicitement,
traduit une visée argumentative. Mais dans cette démarche, quand bien même les habitudes ou
les expériences personnelles du sujet peuvent participer du dessein illocutoire, la précaution à
considérer l’opinion d’autrui est importante. Cela explique certainement pourquoi le dire dans
sa vertu d’évidence situationnelle se perçoit comme une dimension élaguée de l’ethos.
L’évocation d’un fait est arbitrairement l’émanation d’une réalité situationnelle, quitte au
locuteur de savoir prendre de la distance afin de conférer à son discours un ancrage
vériconditionnel.
1
« Comportement acquis, caractéristique d'un groupe social, quelle que soit son étendue, et transmissible au point
de sembler inné. », http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/habitus.
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2- La convocation du dire
Quand le discours convoque l’évidence situationnelle, cela suppose qu’il s’inscrit dans le cadre
du logos. En effet, « le logos est la démonstration, c’est-à-dire la dimension logique du
discours », (J. Vilmer, 2008 : 460). La perspective de convaincre que suppose l’analyse
démonstrative repose sur un substrat dialectique. Que l’interlocuteur soit physiquement présent
ou absent, le dire orienté à son endroit ne s’exporte guère sans la prise en compte de ses
assentiments. Par ailleurs, donner vie à une argumentation, c’est établir le relais d’influence
entre une prétendue logique assertive et la susceptibilité que cette assertion soit appréciée à sa
juste valeur par l’auditoire. La raison de dire propose certes une avancée dans le processus de
l’interaction au but de convaincre, mais, à partir du moment où l’argumentation négocie
l’adhésion de l’auditoire, le critère délibératif est forcément mis en cause. Les approches de J-
B. Grize et E. Benveniste à ce sujet sont édificatrices. Pour le premier :
Si Aristote s’était déjà interrogé sur la nécessité d’argumenter sur l’évidence, l’apport de C.
Perelman et O. Tyteca (1974) dans la restauration du débat sur l’évidence face au plausible en
argumentation ces dernières décennies, est à saluer. Pour ces philosophes du langage, c’est
l’effort de réflexion qui permet l’entretien de l’esprit critique. Or, si pour un énoncé quelconque
la trivialité doit être de facto portée au triomphe d’un accord totalitaire des points de vue, où
serait donc l’enjeu de réflexion ? Dans la mesure où le plausible est la place qui est accordée au
doute, cela établit une certaine dynamique dans la quête de la vérité. Le dire ne relève pas de
l’absolu. Parce qu’il est le produit d’une pensée humaine, le logos est porté au creuset de la
relativité afin de faire prééminer l’instance situationnelle du discours. Aristote a également
mené un raisonnement sur cette question. Pour lui : « même si nous possédions la science la
plus exacte, il ne nous serait pas facile de persuader certaines personnes en nous appuyant
uniquement sur elle. » Topiques (1355a, 24).
L’objectivité présumée de toute assertion comporte en elle-même des niveaux ou des degrés
d’accessibilité. C’est en fonction des données encyclopédiques qui occupent le champ de
connaissance de l’auditoire, que celui-ci est appelé à délibérer sur la teneur des propos du
locuteur. L’activité discursive appelle donc une confrontation des savoirs, ainsi, parvenir à
amener l’autre vers soi demande une autorisation tacite de ce tiers à admettre la supériorité des
arguments à lui soumis. Il y a discours de vérité parce que celui à qui ce discours ou cette vérité
est adressée sait l’admettre comme telle et parvient à en faire la juste lecture. Aucune
énonciation n’est faite pour le sujet lui-même. Le locuteur s’exprime parce qu’il a quelque
chose à partager avec autrui. Autrui est donc une condition nécessaire dans le processus de
crédibilité du dit.
En un mot, même si l’optique d’objectivité reste un critère fondamental dans le partage d’idées,
la question du logos constitue le produit ou le résultat d’un acte illocutoire qui engage à la fois
le sujet et l’auditoire. Il y a certes raison pour le sujet de dire, mais cela implique une adhésion
souhaitée de l’interlocuteur. L’acte discursif se présente ainsi comme un système naturellement
interactif au cours duquel le sujet, pendant qu’il dit, subséquemment, se révèle à son auditoire.
Ce que K. Orecchioni (1990 : 17) souligne en ces termes : « parler c’est échanger, et c’est
changer en échangeant ».
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Toute énonciation, même sous forme écrite figée, est une réponse à quelque
chose et est construite comme telle. Elle n’est qu’un maillon de la chaîne des
actes de parole. Toute inscription prolonge celles qui l’ont précédée, engage une
polémique avec elle, s’attend à des réactions actives de compréhension, anticipe
sur celles-ci, etc. M. Bakhtine (1977:105).
Dans son projet discursif, le sujet prend à "corps" la pleine mesure de la situation qui l’engage
à agir. En tant que produit de la société dont il relève, celui-ci se pose en médiateur par rapport
à l’approche qu’il fait des événements. Il a certes une position à défendre, mais vu que
l’auditoire n’est pas forcément acquis à la cause de son discours, le sujet est censé adopter une
posture "d’homme du peuple". Ce que P. Charaudeau appelle « le miroir citoyen » (2005 : 66).
Par ailleurs, des caractéristiques telles que la disponibilité, le don de soi, le courage, etc.
occupent un intérêt particulier dans le champ de l’ethos. En effet, le fait même pour le locuteur
de s’inviter à porter idées sur une situation donnée, marque une certaine disposition à participer
à l’équilibre de son environnement. Supposons un instant qu’un énonciateur tente de proposer
un avis pour résoudre une éventuelle crise, le simple engagement à proposer une solution est
déjà louable, quoiqu’il ait une position à défendre. De même, par rapport aux réalités de l’air
de ce temps, c’est implicitement l’image d’une personne investie à la cause du juste au péril de
sa propre vie qui ressort. A peser tous les risques et les menaces qui prévaudraient dans un
environnement pareil, le fait pour le sujet de vouloir montrer à l’auditoire le chemin à suivre
relève d’un courage sans pareil. En affirmant ou en se prononçant sur un fait, ce sont ses valeurs
personnelles d’homme déterminé, courageux et vertueux que le locuteur met en avant.
Au demeurant, cette aptitude à laisser des traces de soi à travers le discours indique un aperçu
stratégique de l’ethos. En effet, tout ce que le locuteur dit est intimement lié au discours. Il
s’agit d’une sorte de révélation de soi à l’occasion d’un fait précis. Ce n’est pas un plaisir pour
le sujet de parler de lui, mais c’est en fonction de la situation que sa personne vient se porter
comme le garant d’une panacée qu’il faut s’approprier. Ce système du « moi » par le dire repose
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sur un type de contrat de compétence dont la pertinence se perçoit par la performance du
discours. Le discours n’impose rien, mais il propose.
Par ailleurs, c’est dans l’efficacité des propositions au truchement du « moi » que réside
l’approche collaborative et participative de l’auditoire. L’énonciateur sollicite en réalité
l’accord de cette entité, mais il présente les choses de sorte que celle-ci se sente bénéficiaire
d’une cause pour laquelle il s’investit. Si le sujet doit jouir des résultats de la quête induite à
travers le discours, c’est en arrière plan de ses intérêts. Vu que l’ethos n’est pas égoïste, mais
œuvre à une approche de bonheur partagé, le sujet énonciateur va s’attirer l’estime d’un porteur
d’espoir. Dans l’interaction qu’il instaure, le locuteur met en avant les intérêts de son auditoire.
Il peut même aller à l’interpellation, tel un éveilleur de conscience. En substance, nul ne peut
porter sur lui le bien-être d’autrui, s’il n’est animé intrinsèquement d’un altruisme. Et ce qui est
intéressant à ce niveau, c’est que l’ethos est relatif au jeu du discours ainsi qu’aux probables
effets que ce discours pourrait susciter. C’est dans le discours que tout se déroule. En se
montrant dévoué à la cause du public, l’énonciateur convainc non seulement par la force des
mots mais surtout par son "humanisme".
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caractérise ce style est la proposition d’un signifiant, forme abstraite du discours au salut d’un
signifié, l’enjeu que celui-ci vise à partager.
Par rapport à cette hauteur qu’il prend dans son acte de parole, le sujet discursif suscite
discrètement, mais avec efficacité, une attention sur sa personne. Dans l’entendement
d’Aristote : « on persuade par le caractère (ethos) quand le discours est de nature à rendre
l’orateur digne de foi, car les honnêtes gens nous inspirent une confiance plus grande et plus
prompte. » (Rhétorique II : 1356a). Cela dit, c’est en se montrant simple et bienveillant dans
son discours que l’orateur parvient à créer l’empathie entre l’auditoire et lui. Les attributs
moraux qu’il présente dans son discours fondent la crédibilité des arguments convoqués. Aussi
l’ethos devient-il un moyen d’authentification du logos. Dans une première mesure, le discours
rassure à partir de l’évidence qui le compose. Mais dans une seconde vision qui pourrait même
à dessein tutoyer l’option de précellence indiquée, c’est l’orateur qui crée les conditions de
certification de son discours par l’auditoire.
En outre, l’image que véhicule le sujet est d’autant plus forte et participative du discours quand
elle fait cohabiter le critère émotionnel, pas seulement comme une expression de la nature
sensitive, mais comme une mise en mouvement de la pulsion sociale. En effet, le pathos n’a
pas pour unique caractéristique la manifestation pathémique que vise à susciter l’orateur. A
partir du moment où les émotions ont une raison sociale, elles constituent un « signe de
reconnaissance pour les membres d’un groupe, elles reposent sur un jugement collectif qui
s’institue en une sorte de règle morale ». P. Charaudeau (2000 : 126). S’exprimer de sorte à
persuader l’auditoire du bien fondé des idées développées constitue un enjeu probant dans
lequel les différents acteurs formalisent une complicité situationnelle.
Le pathos ou l’expression des émotions fait partie du quotidien existentiel des personnes
morales et physiques qui vivent en société. L’émotion est donc partie prenante du raisonnement
du locuteur. En revanche, c’est quasiment une sorte de contrat social auquel les interactants
souscrivent dans l’équilibre discursif au jeu du partage des éprouvés. La représentation que le
sujet fait d’une situation construit à la fois un savoir déterminé et des savoirs de croyances
révélées.
Par ailleurs, à ce niveau d’opération dans le rapport des faits, il y a un lien qui s’établit entre le
logos, l’ethos et le pathos. Le discours argumentatif se présente, en effet, comme un mouvement
de sens qui mobilise la vérité en tant que modalité fonctionnelle du dire, mais qui dans le même
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moment, est susceptible de prendre en compte tout système interactif à mesure de faire
apparaître les choses sous la forme de vérité. Pour R. Amossy :
les moyens discursifs que mobilise l’entreprise de persuasion relèvent aussi bien
du logos que de l’ethos et du pathos, et c’est la façon dont elle les noue dans un échange
concret effectué dans une situation de discours particulière qui confère à la parole sa
force de persuasion. R. Amossy (2008 : 6)
Il n’est donc pas question de détacher l’ethos du logos, encore moins l’ethos du pathos. Ces
concepts, systèmes d’idées, opèrent dans une synergie au projet d’une visée argumentative
commune, faire adhérer l’auditoire au point de vue soumis à son assentiment. En ce sens, ce
qui est dit avec aisance et simplicité consacre un équilibre de pensée qui restitue au locuteur
l’enjeu d’une séduction proactive. C’est dans la trilogie ethos, logos et pathos qu’il faut
rechercher la justesse et l’efficacité du discours. Selon E. Eggs qui résume l’opinion d’Aristote
à cet effet :
« les orateurs inspirent confiance, (a) si leurs arguments et leurs conseils sont
compétents, raisonnables et délibérés, (b) s’ils sont sincères, honnêtes et équitables et
(c) s’ils montrent de la solidarité, de l’obligeance et de l’amabilité envers leurs
auditeurs.» E. Eggs (1999 : 41)
Si l’ethos constitue, selon Aristote, « la plus importante des preuves discursives » (Rhétorique
I, 1 356a 13), c’est parce qu’il est essentiellement fondé sur l’Homme. A priori, l’ethos n’est
pas une stratégie de discours. Il est le porte-flambeau des attributs moraux que le sujet utilise
pour servir son argumentation. Mais, c’est dans l’instant où l’ethos garantit au logos une force
de persuasion par le truchement du pathos qu’elle prend une option stratégique. A travers le
dire, le locuteur se dit. Et en se disant, il convoque le crédit de sa personne morale pour faire
appel au bon sens de l’auditoire. Par ce jeu de l’esprit, séduire n’est autre qu’un effet relatif au
discours.
Conclusion
L’ethos revêt les caractéristiques du discours accompli. Non seulement il s’appuie sur la raison
de dire, mais il fonde d’autorité l’opinion du sujet et il est susceptible de produire un effet
émotionnel sur l’auditoire. A la personne morale de l’orateur viennent se greffer le logos et le
pathos. Dans ses attributs discursifs, l’ethos porte l’estime des valeurs du sujet dans le sens des
caractères moraux de celui-ci. L’ethos « ne se dit pas » mais « il se montre », ce qui veut dire
qu’il relève du discours. Il est porteur d’une évidence situationnelle et projette par sa nature un
effet relatif au fonctionnement illocutoire du discours. Sa dimension stratégique émane ainsi de
ses principes et de ses critères opérationnels. Il s’agit d’une influence intrinsèque du discours à
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travers le « moi » dans ses composantes spécifiques. L’énonciateur est presqu’une victime du
choix bénévole de persuader au gage de sa personne. La dimension stratégique de l’ethos est
inchoative. Il y a une sorte de présomption d’innocence qui instruit la charge du discours et lui
garantit ainsi un succès en termes d’effets projetés. C’est de toute évidence que le caractère
naturel du locuteur présenté comme un devoir moral à servir l’auditoire projette une dynamique
cohésive entre ces deux entités. A partir de là, l’effet de séduction qui se rapporte au discours
se profile en un système générique relatif à une courtoisie de bon sens entre le locuteur et
l’auditoire.
Bibliographie
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