Histoire - Idées - Philosophiques - Éducation
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Histoire - Idées - Philosophiques - Éducation
L’éducation est un réflexe, un bien et un héritage que partage l’humanité. Elle se moule au
temps et à l’espace propre de ses promoteurs les plus influents. Cet arrimage à la diversité
humaine est à l’origine d’une production riche et complexe des théories et des institutions
tantôt convergentes, tantôt concurrentielles. Toute chose qui conduit à un appareillage
conceptuel essentiellement polémique.
Le pari de ce cours est de donner une vue ramassée des théories et des institutions qui
jalonnent l’histoire de l’éducation de l’antiquité au XIXe siècle. Son but est de baliser les
controverses autour du concept éducation. Il s’agit de mettre en lumière des positions
fondationnelles qui permettent une vision éducative de s’élaborer pour en apprécier la
pertinence. L’attention sera focalisée sur la manière dont chaque vision porte une
épistémologie, une anthropologie et une politique.
Plan du cours :
1. L’antiquité
2. Le Moyen Âge
3. Les temps modernes (Renaissance-Lumières)
4. Le XIXe siècle
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L’ANTIQUITE
L’antiquité désigne conventionnellement la période comprise entre l’apparition de
l’écriture, qui clôt la préhistoire, et la chute de l’empire romain d’Occident en 476.
Représentation graphique du langage sur des supports variés, l’écriture est apparue au
Moyen Orient simultanément en Mésopotamie et en Egypte dans la deuxième moitié du
IVe millénaire avant J-C. Elle est d’abord au service d’une administration de plus en plus
complexe. Dans la foulée, vont se mettre sur pied des systèmes éducatifs en Asie orientale
(Chine, Inde, Perse, Israël) et en Egypte. Ces systèmes éducatifs sont destinés à la
formation des fonctionnaires dont a besoin l’administration des gouvernements de ces
pays. Ainsi le scribe (sesh) en Egypte ; le mandarin, en Chine ; le sôpher, chez les
Hébreux ; le dubsar en Mésopotamie.
Quant aux Grecs, ils pratiquaient diverses formes d’éducation, de paidea. Ils lui
reconnaissaient une grande importance et en faisaient un objet privilégié de réflexion.
Platon sera à l’origine d’une théorie de l’éducation extraordinairement féconde et
influente : il s’agit d’une éducation libérale, ambitieuse synthèse de positions
épistémologiques, politiques et anthropologiques normatives. C’est elle – reprise,
remodelée, débattue – que la Grèce lègue à l’Occident, à travers la civilisation romaine,
puis la civilisation médiévale. Mais l’œuvre de Platon est la résultante de nombreuses
influences dont Homère (fin VIIIe siècle avant J.-C), les cités-Etats (Sparte et Athènes),
les sophistes et Socrate.
Homère et l’éducation
Homère décrit une civilisation dans laquelle une classe aristocratique de guerriers-
citoyens règne sur une classe de paysans. L’éducation de ces paysans est très sommaire :
apprentissage du métier paternel pour les garçons et des activités maternelles pour les
filles, intériorisation des normes sociales.
La classe des nobles aspire, quant à elle, à un idéal patriotique et militaire. On y valorise
le courage, l’habileté, l’endurance, l’exploit, et on promeut un certain idéal
« agonistique » de la vie, dans lequel la victoire, le combat, la compétition occupent une
place centrale. Mais, en même temps que ces valeurs, on aspire à un idéal de « courtoisie
chevaleresque » où priment l’honneur, l’obéissance et la droiture. Ce double idéal est
décrit en grec par l’expression kalos kagathos, qui signifie littéralement « bel et bon », et
ce terme sera constamment utilisé en Grèce antique pour décrire l’idéal éducationnel.
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Chez Homère, l’éducation est transmise par l’exemple par un plus âgé à un plus jeune. La
gymnastique et l’athlétisme pour le corps, la musique et la poésie pour l’âme, sont alors
les moyens privilégiés de cultiver beauté et droiture.
Homère esquisse également les contours d’un autre concept qui nourrira la réflexion sur
l’éducation dans l’antiquité : celui d’arètè. Ce mot est souvent traduit en français par
vertu. Mais, il faut dire qu’il est dénué de la connotation moralisante qu’il prend souvent
en français. Il a plutôt, explique Baillargeon (2014), une connotation dynamique et il
renvoie à l’excellence (d’un être, d’une chose) et à son plein accomplissement.
On retrouve quelque chose de ces sens dans les emplois vieillis du mot vertu, on parle de
la vertu d’un médicament. L’éducation, la paidea, pour les Grecs, concerne au plus près
l’arètè de l’homme, et la définition, comme la pratique de l’éducation, engage une
réflexion sur la vertu. Ainsi, par la réflexion sur la vertu la Grèce place résolument la
pédagogie dans la perspective axiologique et normative qui lui est indispensable.
Mais voici qu’émerge bientôt l’idée nouvelle de cité-Etat. Celle-ci s’incarne souvent
comme la réunion de personnes libres provenant indifféremment de la campagne ou de la
ville et décidant en groupe (dont sont exclus les femmes, les esclaves, les étrangers), et
selon diverses modalités, de l’orientation des affaires qui ont une incidence sur
l’ensemble de la collectivité ; ces décisions sont prises en suivant un corpus de lois connu
de tous. Cette idée s’imposa lentement à partir de 800 av. J.-C. et se réalisa de façon
particulière selon chaque cas.
L’éducation a pris elle aussi un grand nombre de formes dans les nombreuses cités
grecques qui sont alors fondées. On s’arrêtera ici sur deux modèles : Sparte et Athènes.
L’éducation à Sparte
La cité de Sparte est située dans une région du Péloponèse appelée Laconie. On l’appelait
« la dompteuse d’hommes » dans l’Antiquité et l’adjectif « spartiate » signifie toujours en
français quelque chose de cette austérité et de cette rigueur pratiquée à Sparte, notamment
en éducation.
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dorienne. Les Spartiates sont eux aussi des Doriens, venus du Nord de la Grèce ; ces
populations non asservies seront appelées les Périèques.
Nous sommes vers le VIIIe siècle av. J.-C., Sparte doit contrôler des populations
nombreuses que ce que la cité compte d’habitants. La solution à ce problème sera de
transformer toute la population de Sparte en une armée, de faire de chaque citoyen un
soldat.
La légende attribue à Lycurgue (IX-VIIIe siècle av. J.-C.) la définition des institutions et
la promulgation des lois de Sparte. La cité est une aristocratie d’égaux, qui seuls ont des
droits. Les Périèques peuvent exercer des métiers, mais au bénéfice des Egaux, tandis que
les esclaves, appelés Hilotes, sont condamnés à une brutale servitude et forcés de cultiver
des lots équivalents tirés au sort – appelés kléros – et que l’Etat met à la disposition de ses
citoyens.
A Sparte, il n’est pas interdit de voler, mais c’est une grande honte que d’être surpris à le
faire. On pratique évidemment des exercices physiques – mais sans viser à prendre part à
des compétions sportives – ainsi que des exercices militaires et le maniement des armes.
Les jeunes gens participent aussi à la Krypteia, qui consiste en expéditions nocturnes
destinées à terrifier – et parfois tuer – des Hilotes. Les enfants apprennent à chanter et à
danser en mesure, ces activités jouant un rôle important dans les fêtes de la Cité, mais la
formation qu’on appelait intellectuelle était très minime. Devenu soldat à vingt ans, le
Spartiate le reste jusqu’à soixante. A trente ans, il doit se marier. L’éducation de sa
femme aura également été rude.
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Sparte rompt avec le modèle éducatif homérique au moins en deux points. Le premier est
que l’éducation n’y est plus centrée sur l’individu et ses accomplissements, mais sur la
polis, sur la communauté, dont seul compte le succès. Le deuxième est que cette
éducation ne s’inscrit plus dans un rapport interindividuel ; elle est plutôt confiée à un
système, celui de la cité, qui prend l’individu en charge à ses propres fins.
Par ces deux traits, l’indispensable dimension politique de la pédagogie est mise en
évidence. Cette composante sera incorporée à la théorie éducative de Platon.
L’éducation à Athènes
Fondée entre le VIIIe et le VIIe siècle av. J.-C., la cité est dotée par Solon, en 594 av. J.-
C., de lois et d’institutions démocratiques ayant pour but de garantir l’égalité des citoyens
et leur contrôle des affaires publiques.
Pourtant, c’est en cette période qu’Athènes vivra son âge d’or (Ve et IVe siècle av. J.-C.)
sur une toile de fond historique paradoxalement conflictuelle aussi bien à l’extérieur qu’à
l’intérieur.
Les avancées intellectuelles et culturelles accomplies sont notables, sur tous les plans et
dans toutes les sphères d’activités : le théâtre (Eschyle, Sophocle, Euripide) ; comédie
(Aristophane, Ménandre), poésie (Pindare) ; histoire (Hérodote, Thucydide, Xénophon) ;
littérature et rhétorique (Xénophon, Lysias, Isocrate), arts et architecture (Phidias) ;
sculpture (Myron, Polyclète) ; mais aussi sciences (mathématiques, astronomie) et bien
entendu philosophie).
Il y a d’abord eu, entre le VIe et le Ve siècle av. J.-C., l’apparition des penseurs, appelés
plus tard présocratiques, qui ont posé les jalons d’une formidable mutation intellectuelle.
Un nouveau rapport au monde s’élabore. Il tend à se fonder non plus sur le mythe, sur la
croyance ou sur l’opinion, mais sur la mesure, sur l’argument, sur le savoir. C’est un
rapport au monde inédit reposant sur le logos : le discours, la raison, la vérité. Athènes
devient le creuset d’accomplissement de ce « miracle grec ». La théorie de la
connaissance consiste à rendre compte du logos, à dire ce qu’est le savoir, comment il
s’obtient, d’en préciser la valeur et de justifier cette attribution.
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Tous ces bouleversements (démocratie, nouvel ordre intellectuel) vont profondément
transformer l’éducation athénienne.
Il y a certes un fil conducteur dans l’éducation athénienne qui réside dans la formation
d’un citoyen qui soit « bel et bon » en conformité avec l’idéal ancien du kalos kagathos.
En se l’appropriant, Athènes va le tendre dans des directions originales. C’est ainsi que
les exercices militaires ainsi que les visées essentiellement pratiques ou utilitaires vont
diminuer de façon drastique à partir du Ve siècle avant J.-C.
L’éducation du jeune athénien (celle des jeunes filles n’étant pas structurée) prévoyait à
sept ans l’enseignement du grammatiste, qui lui apprend à lire et à écrire ; à cela s’ajoute
des rudiments de géométrie. Puis il reçoit une éducation musicale donnée par un
cithariste : il apprend à jouer de la flûte et de la lyre, à chanter et à déclamer des vers en
s’accompagnant. Vers douze ou quatorze ans, l’enfant est confié au pédotribe : la
formation du corps donnée à la palestre par ce maître spécialisé est régulée par un idéal
d’harmonie et de beauté bien plus que par des motivations pratiques ou guerrières. Un
service militaire était enfin prévu pour couronner cette éducation : on lui donnait le nom
d’ « éphébie ». L’entrée à l’éphébie était conditionnée par un examen à l’entrée : Cet
examen portait sur la vérification de l’ascendance et sur l’âge des jeunes (dix-huit ans). A
l’issu de cet examen, les éphèbes devaient prêter serment de la manière suivante :
« Je ne déshonorerai pas mes armes sacrées et je n'abandonnerai pas mon voisin là où je serai
en rang ; je défendrai ce qui est sain et sacré, et ne remettrai pas à mes successeurs la patrie
amoindrie, mais plus grande et plus forte, agissant seul ou bien avec tous, j'obéirai à ceux qui,
tour à tour, gouvernent sagement, aux lois établies et à celles qui sagement seront établies. Si
quelqu'un entreprend de les détruire, je ne le laisserai pas faire, agissant seul ou bien avec tous,
et j'honorerai les cultes ancestraux. Que connaissent de ce serment, les dieux, Aglauros, Hestia,
Ényo, Ényalos, Arès, et Athéna Areia, Zeus, Thallô, Auxô, Hégémone, Héraclès, les bornes de la
patrie, les blés, les orges, les vignes, les olives, les figues »1
1
Bertrand, Jean-Marie, Inscriptions historiques grecques, Paris, Belles Lettres (col « Roue de livres »), 1992 cité
dans Wikipédia, consulté le 05/09/2018 à l’URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89ph%C3%A8be
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l'arc, du javelot, et l'exercice de la catapulte. Chaque sophroniste reçoit pour sa nourriture
une drachme par jour; chaque éphèbe, quatre oboles. Le sophroniste, dans chaque tribu,
touche la solde de sa compagnie et se charge de pourvoir aux besoins de la table
commune (car les éphèbes prennent leur repas par tribu). Il doit aussi prendre sur la masse
pour subvenir à toutes les antres dépenses »2. Telle était l’occupation des éphèbes en
première année. En seconde année, après s’être exercé au théâtre devant le peuple
assemblé, les éphèbes recevaient chacun de la cité une lance et un bouclier pour le service
de la patrouille. Ils sont ensuite casernés dans les forts. A la fin de cette formation, les
éphèbes menaient la vie des autres citoyens.
Mais l’éphébie était aussi une institution qui a vu se développer des relations affectives
entre les adultes et les plus jeunes. C’est la pédérastie grecque, une composante de leur
pédagogie.
Par ailleurs, les dimensions militaires de l’éphébie vont peu à peu à s’estomper. Les
jeunes vont de plus en plus être occupés par les débats d’idées. C’est que la démocratie
athénienne naissante va demander de nouveaux savoirs et supposer l’acquisition de
nouvelles compétences. Pour combler cette demande, des professeurs d’un genre nouveau
vont proposer leur service : ce sont les sophistes.
Sophisme et éducation
Parmi les sophistes célèbres, la postérité a retenu entre autres, Hippias d’Elis (443, il était
toujours en vie en 399) Protagoras d’Abdère (485-420 av. J.-C), Gorgias de Léontium
(vers 480 av. J.-C, on lui prête plus de 108 ans de vie). Ils vont de cité en cité pour faire
commerce de leur art. Ils promettent contre forte rétribution, d’enseigner l’arètè.
Afin de se faire connaître et de recruter des élèves, ils donnent entre autres de
spectaculaires séances pour prouver leur savoir-faire, des séances publiques au cours
desquelles ils s’engagent à traiter n’importe quel sujet au choix de l’auditoire ! Ils
émerveillent le public par des jeux verbaux et logiques qui permettent, par exemple,
d’enferrer un adversaire et de le contraindre à se contredire ou à avouer qu’il ne sait plus
ce qu’il voulait dire. Leur enseignement avait donc pour but de convaincre et de séduire.
Ce sont là deux compétences très importantes pour l’avocat, le rhéteur, le politique et le
citoyen en général.
2
Aristote, La constitution d’Athènes, XLII
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Platon juge leur pratique indéfendable, moralement, parce qu’elle peut faire triompher
l’injuste, épistémologiquement parce qu’elle est relativiste et s’interdit de distinguer le
vrai du faux et donc de poser le problème de la connaissance.
1. «L'homme est la mesure de toute chose : de celles qui sont, du fait qu'elles sont ; de celles
qui ne sont pas, du fait qu'elles ne sont pas.»
2. «Pour ce qui est des dieux, je ne peux savoir ni qu'ils sont ni qu'ils ne sont pas, ni quel est
leur aspect. Énormément de choses empêchent de le savoir : en premier lieu l'absence
d'indications à ce propos, ensuite la brièveté de la vie humaine. »
La première est rapportée et discutée par Platon dans son Théétète et la deuxième est
rapportée par Eusèbe de Césarée (vers 265-339) dans sa Préparation évangélique, XIV,
III,7.
Socrate et l’éducation
Déambulant sur les rues d’Athènes, Socrate interroge les prétendus experts sur leur sujet
d’expertise, entretenant avec eux un échange dialectique dans l’espoir de parvenir à une
définition du sujet (la justice, la beauté, la vertu…).
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connaître le Bien, puis de le faire. Ce faisant, la réflexion de Socrate s’inscrit de manière
profonde, originale et radicale dans la réflexion grecque sur l’arété et inaugure également
une manière, historiquement fort influente, de penser et de pratiquer la philosophie, la
morale et l’éducation.
Socrate soutient en effet, les trois thèses suivantes : unité de la vertu – toutes les vertus
sont une en un certain sens ; identification de la vertu au savoir – la vertu est le savoir ;
paradoxe de la mal-ignorance – nul n’est méchant volontairement.
Ces thèses commandent une conception de l’éducation dans laquelle il n’y a pas, à
proprement parler, de transfert d’information d’un maître supposé à un disciple présumé,
mais bien une démarche par laquelle le disciple est invité à voir la vérité par et pour lui-
même en tournant son âme vers elle. Socrate peut ainsi légitimement affirmer : « Je n’ai
jamais été le maître de personne. » (Apologie, 33a).
Ces thèses tracent également comme seul horizon praticable à l’éducation, le dialogue par
lequel l’âme humaine peut se tourner vers la vérité et auquel absolument rien ne saurait se
substituer. Toute chose qui donne la possibilité à Platon d’élaborer sa théorie de
l’éducation.
Selon Platon (428-327), l’éducation est la mise en contact avec les savoirs qui ne sont
pas que de simples opinions, mais des opinions vraies et justifiées. Cette conception déploie
une épistémologie idéaliste.
L’idéalisme platonicien est la position philosophique qui assure que la vie est possible
parce qu’elle porte bien sur des idées o des formes intelligibles, immuables et éternelles. Au-
delà du monde sensible, qui est celui de l’opinion (la doxa), il y a ainsi, selon Platon, un autre
monde, le monde intelligible, qui contient les objets sur lesquels porte le savoir authentique
(l’épismè). Ce savoir porte sur ces idées et les réalités sensibles n’ont elles-mêmes
d’existence que par leur participation au monde des idées.
Les objets du monde sensible ne sont que l’ombre des idées, ils n’existent que par
participation à celles-ci et la connaissance authentique porte sur elles. Apprendre, de ce pont
de vue, c’est se souvenir, et celui qui fait apprendre aide au fond à se rappeler. Tel est le sens
de la théorie de la réminiscence qu’illustre la célèbre interrogation d’un esclave, Menon par
Socrate, qui se rappelle ainsi guidé par des questions d’un certain théorème de géométrie. Tel
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est également le sens de cet art de poser ces questions, cette maïeutique qui est l’art
d’accoucher les esprits.
S’éduquer c’est, selon la puissante métaphore que Platon déploie dans La république,
¨échapper aux ténèbres de l’ignorance, de la doxa, des conventions et s’élever au savoir qui
libère de tout cela¨. Cette épistémologie a une autre importante dimension normative, éthique
cette fois. De la manière que le soleil permet aux objets du monde sensible d’être vus et
connus, et qu’il leur fourni ce qui rend possible leur existence, il y aura dans le monde des
idées, une idée suprême, laquelle joue ce rôle pour les autres idées, une idée inconditionnée,
leur soleil en quelque sorte, qui leur permet d’être et d’être connues. Platon l’appelle l’un-
bien et il pense que le fait d’accéder au savoir, d’être éduqué, est une forme de moralisation.
De plus, la capacité à être ainsi éduqué varie selon les individus. L’éducation sera distribuée
selon les capacités. Puisqu’elle débouche sur la moralisation et sur la contemplation des
idées, les mieux éduqués seront ceux et celles qui seront responsables de l’organisation de la
cité : ce qui est la fonction des philosophes-rois et reines. Platon dispense cette éducation
supérieure aux les hommes et aux les femmes. Elle amène à construire un être moralement
juste qui pourra alors s’épanouir dans la cité tout en participant à la moralité de celle-ci.
Cette vision libérale de l’éducation fournit un cadre suffisamment riche et souple pour
en tirer de nombreuses variantes. Nous allons étudier trois de ces variantes :
ISOCRATE (436-338)
Ami et rival de Platon, Isocrate est un jeune homme timide dont la voix était faible. Il
se détournera du champ de la politique active à laquelle il se destinait, pour exercer plutôt le
métier de logographe. Celui-ci consistait à rédiger pour un client ayant une cause au tribunal,
un plaidoyer convenable pour cette cause particulière et adapté au plaideur lui-même, lequel
prétendait en être l’auteur. Il fit ce travail pendant une douzaine d’années, puis vers 393, il
ouvrit à Athènes sa propre école de rhétorique, qu’il dirigea jusqu’à sa mort.
Son école s’opposait autant à celle des sophistes, où de l’avis d’Isocrate, on accordait
une importance exagérée au vêtement verbal au détriment de la pensée, qu’à celle de Platon
et d’Aristote, qu’il jugeait trop métaphysique et trop peu soucieuse de l’efficacité pratique.
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La vision de l’éducation que propose Isocrate est en effet pragmatique, au sens
courant et non philosophique. Elle s’articule autour du concept de politéian, par quoi, il
entend le politique, le religieux et l’économie. Ce mot désigne en fait la modalité particulière
de l’organisation de telle ou telle communauté politique en vue de la réalisation de la justice
dans la distribution des biens, des honneurs et des pouvoirs, selon les définitions que cette
communauté donne de chacun de ces termes. Le contenu de l’éducation est donc subordonné
à la forme de politeian en vigueur dans la société, il en est déduit. Si cette perspective nous
rappelle certains thèmes de la sophistique, Isocrate n’a eu de cesse de s’en démarquer.
Dans Contre les sophistes, il dénonce leur mercantilisme, leur prétention exagérée et
infondée, leur mépris du savoir et de la vérité. Isocrate pense que l’éducation dans une cité
démocratique doit permettre que soient satisfaites les conditions d’un débat raisonnable entre
citoyens et par là, contribuer à assurer la pérennité de sa politeian. C’est la rhétorique telle
que la conçoit Isocrate qui est au cœur de cette éducation. C’est elle qui permet la formation
intellectuelle morale de l’homme et du citoyen, l’éloquence et la maitrise du langage étant la
conséquence d’une formation intellectuelle complète :
« Pour les autres qualités que nous avons, nous ne différons en rien des animaux, mais
nous sommes inférieurs à beaucoup d’entre eux par la rapidité, par la force et par les autres
facultés ; mais quand il nous fut donné de persuader les uns et les autres, et de nous donner à
nous-mêmes les autres indications au sujet de ce que nous voulons, non seulement nous nous
éloignâmes de la vie sauvage, mais encore, nous étant réunis, nous fondâmes des cités, nous
établîmes des lois, nous découvrîmes des arts et c’est la parole qui prépara presque tout ce
que nous avons fabriqué, c’est elle en effet qui a établi des lois au sujet du juste et de
l’injuste, du bien et du mal, sans l’institution desquelles nous ne serions pas capables de vivre
les uns avec les autres ; et c’est par elle que nous confondons les mauvais et louons les bons ;
c’est grâce à elle que nous éduquons les ignorants et que nous approuvons des hommes
sensés ; en effet, d’une parole honnête nous faisons le signe le plus évident d’une bonne
pensée, et un discours vrai, correct et juste est l’image d’un esprit bon et digne de
confiance. » (Isocrate, Sur l’échange, 253-255)
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enseignement à tous, comme celui des sciences, mais seulement à titre de propédeutique au
véritable enseignement supérieur qui sera consacré à l’art oratoire enseigné avec un constant
souci d’efficacité pratique. Ces disciplines ont leur intérêt, mais il n’est moindre que ce que
prétendent zélateur et plus grand que ce que soutiennent leurs adversaires. Isocrate écrit :
Terminons par un mot sur la rhétorique, cet art de la parole et de l’écriture, telle
qu’elle est codifiée, enseignée et pratiquée dans le temps. Voici les articulations :
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Il en résulte une vision intellectualiste de l’éducation et de ses effets. Elle est également très
individualiste et semble exclure toute préoccupation pour le politique. Mais, c’est un
individualisme tempéré par l’idée d’une réunion élective de semblables. Tel est le sens de
l’amitié (la philia) épicurienne : « parmi les choses dont la sagesse se munit en vue de la
félicité de la vie toute entière, de beaucoup, la plus importante est celle de l’amitié. »
Le stoïcisme, fondé par Zénon de cittium (335-263 av J-C) aura d’illustres représentants à
Rome parmi lesquels un esclave, Epictète (50-125 ap J-C) et un empereur Marc-Aurèle (121-
180 ap J-C). La doctrine doit son nom à un portique d’Athènes sous lequel se réunissaient les
premiers stoïciens.
Le stoïcisme propose lui aussi une philosophie débouchant sur cet état de sagesse et de
tranquillité, l’ataraxie. Il accorde ainsi une grande importance à la raison, laquelle permet de
connaitre l’ordre du monde, de la nature, et de s’y soumettre sans se laisser troubler par ses
émotions et ses passions, amenant à distinguer ce qui dépend de soi et ce qui n’en dépend
pas. Sur le plan politique, les stoïciens inventent et exaltent le cosmopolitisme. Ce mot
semble avoir été créé par Diogène le cynique (IV e siècle av J-C), qui répondait à qui lui
demandait, qu’il était citoyen du monde (Kosmopolitès). Le cosmopolitisme stoïcien est
l’idée d’une commune humanité à laquelle par-delà nos allégeances particulières, nous
appartenons tous, en vertu de l’usage de la raison, le cosmos étant alors considéré comme une
sorte de grande cité. Epictète écrit alors « tu réunis en toi des qualités qui demandent chacune
des devoirs qu’il faut remplir. Tu es homme : tu es citoyen du monde ; tu es fils des dieux, tu
es le frère de tous les hommes. Après cela tu es sénateur ou dans quelque autre dignité ; du es
jeune ou vieux, tu es fils, tu es père, tu es mari. Pense à quoi tous ces titres t’engagent et
tâches de n’en déshonorer aucun. » (Entretien, livre 2,25)
Et Marc-Aurèle : « De même que, dans les êtres individuels, les membres du corps ont entre
eux une certaine relation ; de même, les êtres raisonnables ont malgré leur isolement, un
rapport analogue, parce qu’ils sont faits pour coopérer à un seul et même but. Cette pensée
acquerra dans ton âme d’autant plus de poids que tu te diras à toi-même : « je suis un membre
de la famille des êtres raisonnables. » » (Pensée raisonnable, VII, A3)
On devine la postérité de cette idée et l’idéal qu’elle porte en puissance. A l’époque romaine,
Epictète écrira ; « tu es citoyen du monde et fais partie de ce monde, non pas une des parties
subordonnées, mais une des parties dominantes car tu es capable de comprendre le
gouvernement divin et de réfléchir à ces conséquences. Or, de quoi fait profession le
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citoyen ? De n’avoir aucun intérêt personnel, de ne jamais délibérer comme s’il était isolé. »
(Entretien, livre 2, 10)
Le scepticisme et l’éducation
Le scepticisme est une école de pensée dont la paternité de la fondation est généralement
attribuée à Pyrrhon d’Elis (365-275 av J-C). Ces disciples célèbres reconnus sont Philon
d’Athènes, et Timon de Philonte. La vie de Pyrrhon n’est pas très connue des historiographes.
Sa doctrine elle, est connue à travers les hypotyposes (figure de style consistant à décrire une
scène de manière frappante, qu’on croit la vivre) ou des Esquisses pyrrhoniennes de Sextus
Empiricus (200-250). Un autre philosophe, Aristoclès, selon le témoignage de Marcel Couche
(Pyrrhon ou l’apparence, PUF, 1994, 328 p), résume la doctrine de Pyrrhon en ces
termes : « Pyrrhon d’Elis n’a laissé aucun écrit mais Timon son disciple dit que celui qui veut
heureux doit considérer ces trois points. Premièrement, quelle est la véritable nature des
choses (ou que sont les choses les choses en elles-mêmes) ? Deuxièmement, quelle doit être
notre disposition d’âme, relativement à elles. Enfin, que résultera-t-il pour nous de ces
dispositions ? Les choses sont toutes sans différence entre elles, également incertaines et
indiscernables. Aussi, nos sensations et nos jugements ne nous apprennent-ils ni le vrai ni le
faux. Par la suite, nous ne devons-nous fier ni aux sens ni à la raison, mais demeurer sans
opinion, sans incliner ni d’un côté ni de l’autre, impassible. Quelle que soit la chose dont il
s’agisse, nous dirons qu’il faut l’affirmer et la nier à la fois, ou bien qu’il ne faut ni l’affirmer,
ni la nier. Si nous sommes dans ces dispositions, dit Timon, nous atteindrons d’abord
l’aphasie. C’est-à-dire que nous n’affirmerons rien-puis l’ataraxie (c’est-à-dire que nous ne
connaitrons aucun trouble). » (Cf. Wikipédia)
« La matière enseignée est évidente et obscure. Si elle est évidente, elle n’aura pas besoin
d’enseignement car l’évident apparaît également à tous. Si elle est obscure, puisque l’obscure
est insaisissable en raison d’un désaccord irréductible à ce sujet comme nous l’avons souvent
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fait voir, elle ne pourra être enseignée ; comment pourrait-on enseigner ou apprendre ce que
l’on ne saisit pas ? Si la matière enseignée n’est ni évidente, ni obscure, rien n’est enseigné.
La matière enseignée est corporelle ou incorporelle ; l’une et l’autre qui est soit évidente soit
obscure, ne peut être enseignée comme nous l’avons dit un peu plus haut. Rien n’est donc
enseigné. »
L’enseignement à Rome
Fondée selon la légende par Romulus, en 753 av J-C, Rome est d’abord une cité
d’agriculteur. L’éducation ici est essentiellement conservatrice. Elle est donnée dans la
famille et y est résolument inscrite dans les mores majorum, les coutumes ancestrales, qu’il
s’agit de transmettre. Elle est largement centrée sur le paterfamilias et elle ambitionne des
vertus au premier rang desquelles la pietas qui est une dévotion envers les dieux, l’état, la
tradition, la famille ; la gravitas, faite de gravité, mais aussi de solennité, de dignité et de sens
de responsabilité. En 509 av J-C, Rome devient une République et en 200 av J-C, des écoles
y apparaissent. Cette époque est aussi celle de la conquête de la Grèce (entre 200 et 168 av J-
C), et ce contact avec la civilisation grecque conduira bientôt à une certaine hellénisation de
Rome. Sa culture s’en trouvera marquée, y compris l’éducation, selon les paroles de Horace
restées célèbres : « la Grèce conquise conquit à son tour son farouche vainqueur. »
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L’idéal pédagogique antique qu’incarne la rhétorique nous sera transmis et restera un élément
marquant de l’éducation telle que la concevra l’occident. Elle sera exemplairement
représentée par Cicéron (106-43 av J-C) et surtout par Quintilien (35-96 ap J-C)
Lorsqu’il s’écroule, l’empire romain a construit un vaste réseau d’écoles semées dans des
régions conquises, destinées entre autre à romaniser les populations locales. Ce réseau
disparaitra avec lui.
LE MOYEN AGE
L’expression « moyen âge » n’apparait en français que quelque siècle après la fin de cette
période. Elle est calquée sur l’expression latine media tempestas, utilisée par les auteurs de la
renaissance, et elle impose une périodisation qui tend à faire des mille ans qui séparent la
chute de Rome (476) de la prise de Constantinople par les turcs musulmans (1453), un âge
sombre, une ère de somnolence de la civilisation et de la vie de l’esprit.
Très européocentrique, cette désignation occulte le fait que ces années furent aussi, dans la
tradition musulmane et juive, une période de grand essor intellectuel dont l’occident lui-
même sera tributaire. En s’efforçant de donner l’illusion d’une unité, l’expression en elle-
même nie également la grande diversité de cette longue période historique dans laquelle on
distingue généralement un Haut Moyen Age (476- 1000) et le Bas Moyen Age (1000-1453).
Le moyen âge a connu deux renaissances d’ordre économique et politique, mais aussi d’ordre
culturel et éducationnel : la renaissance carolingienne au VIIIe siècle, et celle du XIIe siècle
soit avent « la » renaissance.
Le dixième siècle porte en lui un système de valeurs, en grande partie inédit, mais d’une
portée lourde et profonde, notamment en raison de ce qui le fonde : la révélation. Sur le plan
anthropologique se déploie à travers lui une certaine image de l’humanité qu’alimente un
universalisme d’une portée éducative potentiellement décisive (« allez donc et instruisez
toutes les nations » ; dit le Christ à ses disciples), mais qui suscite aussi plusieurs ponts de
tensions nées de la rencontre avec l’idée d’un salut garanti exclusivement par l’église. Cette
idée entrera en conflit avec une grande part de l’héritage antique.
16
Christianisme. Saint Augustin en distinguant la cité des hommes de la cité de Dieu, porte une
conception radicalement nouvelle du sens et de la finalité des aventures humaines. Le
christianisme, écrit en ce sens Fustel de Coulanges (1830-1889), « enseignait que l’homme
n’appartenait plus à la société que par une partie de lui-même, qu’il était sujet d’un tyran, il
devait se soumettre, que citoyen d’une république, il devait donner sa vie pour elle, mais que,
pour son âme, il était libre et m’était engagé qu’à Dieu. » (La cité antique, Paris, Hachette,
1900, p 528) L’impact de ces idées sur les institutions éducatives forgées par leurs devoirs
envers les deux cités, sera important.
Dans les écoles monastiques, on enseigne la lecture, l’écriture, mais aussi le calcul (comput),
utile pour déterminer les dates des fêtes religieuses mobiles. A cette offre monastique,
viendront s’ajouter les écoles cathédrales ou épiscopales situées autour des évêchés. Certains
héritiers de l’aristocratie romaine, ayant accédé aux responsabilités épiscopales, ont réussi à
transmettre une partie du patrimoine gréco-romain, notamment d’enseignement des gymnases
divisé en trivium ‘grammaire, rhétorique et dialectique) et quadrivium (arithmétique,
géométrie, musique et astronomie. Trivium et quadrivium forment un ensemble appelé « art
libéraux ». Le mot « libéraux » provient du latin liberalis, issu de liber, libre. Ces artes
liberales s’opposent aux arts mécaniques, ils sont ceux de l’esprit, par opposition aux arts du
corps, des mains.
Hérités de l’antiquité, la liste des arts libéraux commence à se fixer dès la fin du monde
antique, notamment avec Martianus Capella (autour de l’an 400), Boèce (470-524) et Isidore
de Séville (VII siècle), une manière encyclopédique d’enseigner qui restera une référence
pendant de nombreux siècles. Voyons en détail le contenu de ces arts libéraux :
La grammaire est à la fois l’étude des mots et des règles de leur agencement en
phrases, mais elle est aussi l’étude de la littérature, des genres littéraires, ainsi que ce
qu’on appellerait aujourd’hui la critique littéraire. L’art de la grammaire de Donat
(Ive siècle) a longtemps été le manuel de grammaire en usage au moyen âge.
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La rhétorique est héritée de l’antiquité et elle se perpétue largement comme telle.
La dialectique qui couronne le trivium est ce qu’on appellera plus tard la logique.
L’arithmétique, première composante du quadrivium, s’occupe de ce qu’on
appellerait aujourd’hui la théorie des nombres, soit des questions relatives aux ratios,
aux proportions et au relations des nombres entre eux, et non simplement les calculs
et les opérations. Par exemple, l’intérêt sur les nombres parfaits c’est-à-dire ceux qui
sont égaux à la somme de leurs diviseurs : 6, 4, 28, 496 sont des nombres parfaits.
Tout cela débouche bien vite sur une numérologie constituant une étude mystique de
nombres qui avait des applications en astrologie.
La musique depuis Pythagore est indissociablement liée à l’arithmétique. Elle est
l’expression par les sons, de l’harmonie des rapports entre les nombres.
La géométrie qui continue d’être enseignée aujourd’hui, est celle qui fut axiomatisée
par Euclide.
L’astronomie est enfin l’étude de l’univers telle que léguée par Ptolémée (IIe siècle)
et Platon.
Ces arts libéraux vont peu à peu se constituer comme base de la formation dispensée à
l’université, et une condition d’entrer à ses différentes facultés (théologie, droit,
médecine).
LA RENAISSANCE CAROLINGIENNE
La dénomination « Renaissance carolingienne » est due à l’historien Jean-Jacques
Ampère (1800-1864) et sous-entend un renouveau culturel comparable à la Renaissance
du XVIe siècle. C’est une période de renouveau de la culture et des études en Occident
sous les empereurs carolingiens dont Charlemagne (768-814), Louis Le Pieux (814-840),
Charles le Chauve (843-877). Les empereurs carolingiens ont su attirer dans leurs cours
des savants de toute l’Europe, dont les plus célèbres sont Alcuin (730-804), poète, savant
et théologien anglais de langue latine ; Eginhard ou Einhard (770-840), personnalité
intellectuelle et artistique d’origine allemande ; Raban Maur (780-856), moine bénédictin
et théologien allemand ; Jean Scot Erigène (entre 800 et 815-876), philosophe et
théologien irlandais. Singulièrement, sous Charlemagne, ce renouveau est marqué par
différents textes de lois appelés capitulaires dont le plus connu est l’Admonitio generalis
(Exhortation générale) Celle-ci est un capitulaire promulgué le 23 mars 789. Etudiée avec
tous ses conseillers, laïcs et ecclésiastiques, l’Admonitio prescrit les devoirs de tous et de
chacun, donne surtout la vision de Charlemagne sur l’entreprise de christianisation et les
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directives sur la restauration des écoles. Par exemple, l’article 72 recommande aux
évêques d'attirer à eux non seulement les enfants de condition servile, mais même les fils
des hommes libres, d'organiser dans les églises cathédrales et dans les monastères des
écoles pour enseigner aux enfants à lire, à chanter, à compter, enfin de veiller à ce que les
psautiers, les livres de musique, d'arithmétique et de grammaire soient d'une parfaite
correction.
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Cette formation dialectique a joué un rôle important dans le développement de la
théologie spéculative.
De nouvelles invasions dues entre autres aux Normands, aux Huns, Sarrazins, Hongrois
vont mettre fin à l’empire carolingien et seront à l’origine d’une période d’instabilité non
favorable au développement de la culture. Les moines sont obligés de fuir en emportant
avec eux des manuscrits précieux ou de résister derrière les murs.
Si la période carolingienne n’a pas engendré de philosophe en tant que tel, à l’exception
de Jean Scot Erigène, il en sera de la période postcarolingienne où Saint Anselme (1033-
1109) fait figure d’exception.
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cristallisent autour des sept arts libéraux. Ce sont ces maîtres et leurs étudiants qui seront
bientôt autorisés à se regrouper en corporations : les universités.
Ces universités élisent leurs chefs (recteurs et doyens), on leur octroie un sceau qui
symbolise leur souveraineté ; le droit de faire la grève, de recruter des maîtres et de
distribuer des diplômes (la collation des grades : baccalauréat, licence, doctorat). Elles ont
aussi leur langue, le latin. Les universités peuvent – ce n’est pas toujours le cas –
comporter quatre facultés : Arts, Théologie, Médecine, Droit. De telles institutions sont
créées dans diverses villes : Cologne ; Paris (1200) ; Oxford (1206) ; Naples (1224) ;
Cambridge (1231) ; Montpellier (1283). On en dénombrait une quinzaine avant 1300.
Peu coûteuses, les Universités favorisent la circulation d’étudiants, elles échangent leurs
maîtres et l’on vit Thomas d’Aquin à Paris, à Rome et à Naples, Albert le Grand à
Cologne, Roger Bacon à Oxford et à Paris. L’étudiant pouvait s’attacher au maître de son
choix.
Tous les aspects de la formation convergeaient vers son intention religieuse. Toutes les
disciplines étaient ainsi au service de la théologie. Toute chose qui limitait le
développement des sciences concrètes. L’enseignement reposait lui-même sur la
connaissance des textes : la lecture d’un texte (lectio) faisait surgir une question (questio)
que l’on discutait (disputatio) en examinant le pour (pro) et le contre (sed contra). La
Somme théologique de Saint Thomas d’Aquin illustre merveilleusement cette méthode.
De là est né le principe d’autorité, la foi dans la parole des maîtres, et particulièrement
d’Aristote récemment découvert. Il s’agissait d’expliquer la doctrine de l’Eglise,
d’éclairer les rapports de la raison et de la foi. Toute chose qui va contribuer à
l’élaboration d’un appareil d’exigences méthodologiques qui sera prêt pour n’importe
quel champ de l’investigation intellectuelle. Sous ces aspects, le Moyen Âge a préparé le
rationalisme.
A la fin du XIIe siècle, les étudiants pauvres et étrangers étaient accueillis dans des
habitations spécifiques où ils étaient hébergés et nourris à moindre coût. Puis, ces espèces
d’hôtels accueillirent aussi les maîtres. Et la vie en commun des maîtres et des étudiants
était organisée par un principal. C’est l’origine des collèges, comme celui que fonda
Robert de Sorbon en 1253. Petit à petit, à la faveur de l’introduction de l’enseignement
dans ces lieux, ces collèges basculèrent d’institutions charitables en annexes de
l’université et finissent par absorber la faculté des arts.
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Mais, à côté des universités, les écoles ecclésiastiques et monastiques essaient de
survivre. Elles sont en proie à une crise provoquée par la demande des savoirs nouveaux.
Cette demande est souvent l’œuvre des laïcs. En effet, avec l’expansion de la féodalité, la
vie urbaine se ranime et avec elle le commerce et l’argent. Ce sont-là des facteurs de
bouleversement social qui auront des répercussions sur l’éducation qui est encore entre
les mains de l’Eglise. Un écolâtre de Liège, Gozzechin, à son disciple Vaucher, écrit que
l’argent provoque la ruine des mœurs et de l’éducation ; on ne peut plus faire la
discipline, les jeunes gens réclament la liberté, ils acceptent les nouveautés de prétendues
écoles savantes. Pour tenter de contenir la révolte qui gronde, les réformateurs
monastiques décident de fermer l’école à ceux qui ne sont pas destinés à la vie du cloître.
L’idéal monastique se resserre au niveau de la prière : le moine, disent-ils, est fait pour
prier et non pour enseigner. Les moines ne doivent avoir accès qu’à l’ « Ecole du Christ »
Schola Christi. Par conséquent, les livres des auteurs profanes sont exclus. Certains
maîtres remplacent les petits livres scolaires toujours utilisés depuis l’époque romaine,
Proverbes de Sénèque, Distiques de Caton, Fables d’Avianus, par des sentences
chrétiennes faciles à retenir. Cette prise de position va profiter aux écoles urbaines. De
plus, le conflit qui oppose les papes et les empereurs, au XIe siècle va définitivement
libérer le laïque de la tutelle cléricale. Le laïque prend de plus en plus conscience de son
autonomie et ne veut plus accepter l’idéal de vie monastique qu’on lui présentait
autrefois.
D’autres écoles verront également le jour au Moyen Âge. Certaines sont l’œuvre de
nouveaux ordres religieux. D’autres, plus pratiques, apparaissent au XIIIe siècle dans les
cités négociantes d’Italie et des Flandres. Ce sont des écoles de commerce où l’on
enseigne les langues vivantes, les mathématiques et la comptabilité. A la même époque,
au sud de la France et en Angleterre, fleurissent des écoles de droit, des écoles de
dictamen (arts de rédiger les actes) à l’usage des scribes des chancelleries.
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CHAPITRE III : DE LA RENAISSANCE AUX LUMIERES
La Renaissance, ainsi que le XVIIe siècle qui lui succède en réalisant la révolution
scientifique, constituent des moments de véritable mutation culturelle qui s’incarneront
durablement en éducation.
3.1. L’humanisme
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L’humanisme tire son nom de l’expression latine studia humanitatis, qui signifie « étude
de l’humanité ». Au cœur de l’humanisme se place en effet cette idée d’une dignité de
l’homme et d’une importance centrale accordée à ses facultés, à ses intérêts, à ses
préoccupations, à son bien-être général. Cette nouvelle perspective normative commande
une axiologie qui influence profondément l’idée qu’on se fera de l’éducation.
La nouvelle éducation que la Renaissance s’efforce de mettre en place veut respecter cette
humanité et contribuer à la faire advenir au plus haut point. Rien d’étonnant, dès lors, à ce
que la Renaissance voie se multiplier ces écoles humanistes, concurrentes des universités
scolastiques et dont le dessein est de promouvoir cette nouvelle éducation.
Mais l’humanisme va encore puiser son inspiration et ses modèles aux sources de
l’Antiquité, d’où l’importance centrale accordée aux langues anciennes (latin, grec,
hébreu) et, plus largement encore, à la langue et aux mots. Verum prior, rerum potior, dit
Erasme, c’est-à-dire : si la connaissance des choses est importante, celle des mots doit
précéder. Cette importance accordée à la langue se manifestera par la multiplication des
traductions, commentaires et études de toutes sortes consacrées aux œuvres anciennes,
ainsi que par la préparation de « manuels » ou de morceaux choisis destinés aux élèves.
Erasme sera un acteur de premier plan dans cette importante activité éditoriale et
pédagogique.
S’il rejette le plus souvent le Reductio atium ad theologicam, c’est-à-dire le fait de tout
ramener à la théologie, et s’il est typiquement critique de l’Eglise institutionnelle et de ses
excès, l’humanisme n’est pourtant pas antireligieux. Il demeure même le plus souvent
profondément religieux, percevant dans l’Antiquité une propédeutique à la foi. On
remarque même une tendance de conciliation de l’humanisme et de la foi. On note
cependant des nuances qui conduiront certains croyants aux portes du scepticisme, du
déisme, voire de l’agnosticisme.
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3.1.1. François Rabelais (vers 1494 – vers 1553)
François Rabelais, connu également sous le pseudonyme Alcofribas Nasier, est né aux
environs de 1494 à Seuilly près de Chinon en Touraine. Ecrivain, chrétien (clerc, moine
passé dans plusieurs abbayes et couvents, dont les Franciscains et les Bénédictins, puis
prêtre séculier), médecin et humaniste, François Rabelais est une personnalité
paradoxale aux multiples casquettes. En 1532, il édite les Aphorismes du médecin grec
Hippocrate. La même année paraît Pantagruel. En 1534, il publie Gargantua. Si
Pantagruel connut un grand succès, avec Gargantua, les critiques et les condamnations
sont si nombreuses que Rabelais fut contraint de se cacher au point de perdre toute trace
de lui. Il mourra vers 1553-1554.
Pantagruel s’inspire des livrets populaires de son époque qui racontent les histoires des
géants. Mais, Rabelais donne au genre une profondeur si étonnante que ses récits ont
finalement bien peu à voir avec les modèles originaux.
Les géants de Rabelais symbolisent les capacités de l’être humain, son potentiel.
Autrement dit, ils incarnent toutes les promesses que l’humanisme place alors en lui. Cet
artifice littéraire permet en outre à Rabelais d’exposer ses idées sur son époque et de
prendre position sur les enjeux qui la singularisent, parmi lesquels l’éducation.
Rabelais critique l’ancienne éducation parce qu’elle ignore la vraie nature de l’enfant.
C’est une éducation artificielle et qui en reste aux mots ; elle surcharge inutilement la
mémoire et elle ne fait appel ni au jugement ni à l’intelligence ; elle épuise les forces de
l’élève en le rivant à des lectures insipides et à des exercices scolaires idiots. Au final,
celui qui a subi cette éducation en ressort abêti, l’esprit engourdi et hébété.
La nouvelle éducation que Rabelais propose est une éducation humaniste. Sa racine est
une profonde confiance en l’homme et en la raison, une certaine idée de l’enfance, du
respect qui est dû à cet âge. Rabelais se fait le défenseur des méthodes attrayantes, des
« leçons de choses » (object teaching, object lesson), des classes-promenade, les
conversations et les entretiens. C’est en jouant que Gargantua apprendra l’arithmétique,
c’est en herborisant et en observant qu’il étudiera la nature. Il visitera des ateliers
d’artisans, s’instruira partout om il le peut et ne négligera rien.
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Après avoir exercé pendant treize ans comme conseiller à la cour de Périgueux,
Montaigne se retire se retire pour se consacrer à l’administration de ses terres et à
l’écriture de ses Essais, dont une partie traite de l’éducation.
Montaigne puise largement dans sa propre expérience pour forger cette nouvelle image de
l’enfance et dégager les conséquences pédagogiques. C’est que, comme il le raconte dans
Les Essais, il a reçu sa première éducation d’un père partisan de la liberté et de la
douceur, qui a souhaité que son fils soit tenu à l’abri des rigueurs qui caractérisent trop
souvent les méthodes pédagogiques d’alors, une attitude qui n’exclut pas cependant la
fermeté et n’implique aucunement la complaisance. Montaigne parlera de « sévère
douceur » pour décrire cette attitude lorsqu’il la préconisera à son tour.
Comme Rabelais, Montaigne fait place à la fréquentation des hommes, aux voyages, à
l’observation des choses, à tous ces moyens qui invitent à l’exercice du jugement et
permettent de faire émerger les capacités humaines chez l’enfant en le plongeant dans
l’humanité.
Le problème qu’il décèle avec le pédantisme est formulé sous forme d’énigme : « d’où
vient qu’une âme riche de la connaissance de tant de choses n’en devienne pas plus vive
et plus éveillée, et qu’un esprit grossier et vulgaire puisse loger en soi, sans s’amender, les
discours et les jugements de plus excellents esprits que le monde ait porté, j’en suis
encore en doute » (De l’institution des enfants, Livre I, Chapitre XXV). Montaigne
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propose comme solution : assigner à la formation du jugement une place prépondérante
parmi les fins de l’instruction des enfants : une tête bien faite :
« Qu’il [le précepteur] ne lui demande pas seulement compte des mots de sa leçon, mais
du sens et de la substance, et qu’il juge du profit qu’il aura fait, non par le témoignage de
sa mémoire, mais de sa vie. Que ce qu’il viendra d’apprendre, il le lui fasse mettre en cent
visages et accommoder à autant de divers sujets, pour voir s’il l’a encore bien pris et bien
fait sien, prenant l’instruction de son progrès des pédagogismes de Platon. C’est
témoignage de crudité et indigestion que de regorger la viande comme on l’a avalée.
L’estomac n’a pas fait son opération, s’il n’a fait changer la façon et la forme à ce qu’on
lui avait donné à cuire. […] Qu’il lui fasse tout passer par l’étamine et ne loge rien en sa
tête par simple autorité et à crédit ; les principes d’Aristote ne lui soient principes, non
plus que ceux des stoïciens ou épicuriens. Qu’on lui propose cette diversité de
jugements : il choisira s’il peut, sinon, il en demeurera en doute ».
La Réforme s’annonce le 31 octobre 1517 alors que, sur les portes de la chapelle de
Wittenberg, un moine allemand du nom de Martin Luther placarde 95 propositions
(thèses) dénonçant le commerce des indulgences, par lesquelles l’Eglise accordait une
remise de peine au pécheur pardonné, qu’on pouvait même arracher à l’enfer ou au
purgatoire… Les concessions sont faites aux réformateurs, mais elles sont révoquées par
la diète de Spite (1529). Des princes allemands, ainsi que quelques villes, protestent
contre cette mesure : les réformés s’appelleront dès lors les protestants. La réforme se
répand d’abord en Allemagne, puis en France avec Jean Calvin (1509-1564), avant de
s’étendre en Europe, puis dans le Nouveau Monde.
Les principes de base du protestantisme sont formulés dans les nombreux écrits signés par
Luther ainsi que dans les Confessions d’Augsbourg (1530), rédigée par Philippe
Mélanchon : autorité souveraine de la Bible et exigence d’une relation sans intermédiaire
du croyant avec Dieu ; sacerdoce universel ; justification par la foi. La Bible protestante
exclut les livres dits deutérocanoniques considérés comme apocryphes. De plus, les
protestants avancent que la Bible est accessible à quiconque a la foi et est en mesure de la
lire. C’est notamment par ce biais que le protestantisme exercera une immense influence
sur l’éducation.
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En instituant comme sujet cet individu souverain entretenant avec Dieu une relation
personnelle, sans intermédiaire, puis en le rendant seul responsable d’une foi dont lui seul
est juge de l’authenticité, le protestantisme soulève cette question posée par Luther et y
répond par l’affirmative : « Ne serait-il pas raisonnable que chaque chrétien sût
l’Evangile à l’âge de neuf ou dix ans ? »
Il faut pour cela que les textes soient disponibles dans la langue vernaculaire et qu’on
apprenne à lire au plus grand nombre. Avec le protestantisme, c’est donc le principe
d’une éducation primaire universelle qui est posé, justifié par des fins religieuses.
Mais Luther va plus loin en demandant à l’Etat d’instituer des écoles publiques. Dès
1524, dans une célèbre lettre Aux magistrats de toutes les villes allemandes pour les
inviter à ouvrir et à entretenir des écoles chrétiennes, il justifie cette demande. Son
argumentaire est d’une importance historique. C’est au bras séculier qu’il en appelle pour
que l’éducation des enfants (filles et garçons) ne dépende plus exclusivement des parents.
Luther insiste encore sur les bienfaits que les cités tireront de l’éducation, allant bien au-
delà des seules considérations religieuses :
3
Luther, Martin, Aux magistrats de toutes les villes allemandes pour les inviter à ouvrir et à entretenir des
écoles chrétiennes, in Œuvres, t. IV, Genève, Labor et fides, 1960, p. 102.
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