Analyse Des Politiques Publiques. Cheikh Ibr Fall

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Introduction du cours

Historiquement, l'analyse des politiques publiques est en bonne partie liée au


développement de l'État providence moderne qui débute surtout à la fin de la Seconde
guerre mondiale, pendant la période de reconstruction et de développement des pays
occidentaux.
On parle peu de politiques publiques avant la deuxième guerre mondiale mais dès 1945
l'idée de bien gouverner : c'est-à-dire faire de bonnes politiques publiques devient alors
largement accepter. Faire de bonnes politiques publiques, c'est prendre des décisions
d'action publique qui soient les plus rationnelles et les plus efficaces pour le bien-être
des citoyens et de la société. Les anglo-saxons parle welfare state (état de bien être).
Cela fait référence à un système qui garantit les libertés et un minium de bien être à la
population.
C'est dans cette perspective que l'analyse des politiques publiques qui est un modèle
d'analyse a été développé aux États-Unis dans les années 50-60[1] et s'est ensuite
diffusée au niveau international. Ce modèle (policies analysis), a été créé, à la base,
pour répondre à des questions spécifiques aux États-Unis. Il était donc spécifique au
système politico-administratif des États-Unis. Le but de ce modèle d'analyse était de
définir le meilleur gouvernement possible. Ce modèle a pour autre caractéristique de
s'être développé pendant la guerre froide, c'est-à-dire lors d'une concurrence entre les
deux blocs. Ainsi pour parvenir à leur fin, les blocs invitaient les chercheurs pour les
persuader de la qualité de leur modèle. Ce modèle d'analyse s'est ensuite diffusé en
Europe[2] dans les années 50-60, en commençant par la Grande-Bretagne. Cependant
en Afrique, l'émergence de la discipline a fait l'objet d'un débat controverse au plan
théorique[3].
Or une partie de la doctrine soutient que les circonstances occidentales de l'émergence
de la discipline limitent la transférabilité de ces outils d'analyse vers des situations
africaines. C'est ainsi que certains auteurs se demandent comment parler sans risque de
politiques publiques dans un non-Etat ou un « Etat pointillé » à l'absence d'une société
civile organisée, dans le cadre d'une gestion néo-patrimoniale des services publics ?La
culture de rentre qui se prospère en faveur des capacités distributives de l'Etat et de la
personnalisation du pouvoir politique tend à faire la gestion des politiques un site
d'observation privilégié de la « politique de ventre [4]» où l'intérêt général est sacrifié
sous l'autel de la conservation du pouvoir. C'est dans ce contexte qu'un auteur
Camerounais se pose la question de savoir : « existe-t-il de politiques publique en
Afrique ?»[5]Un éminent juriste membre du jury du concours d'agrégation abonde dans
le même sens lorsqu'il estime que : « les africanistes qui s'aventurent dans l'analyse
des politiques publiques alors qu'il y'a plus d'Etat en Afrique, le public et le privé ne
forment qu'un sur ce continent et que les ressources y sont essentiellement
externalisée »[6].
Par contre certains auteurs pensent que la connaissance des conditions de pilotages des
politiques lors des transitions démocratiques en Afrique peut contribuer à clarifier les
termes du débat. Ainsi, fut-il importé, l'Etat en Afrique noire est un Etat qui agit,
autrement dit qui prend des décisions en légiférant ,en décrétant ,en contractant, en
négociant, et en redistribuant indépendamment des effets attendus de son action dans la
société. De ce point de vue, le discours relatif à la crise de l'Etat en Afrique notamment
à travers les faiblesses de sa légitimité instrumentale ne justifie pas une exclusion de ce
champ géographique d'étude de l'analyse des politiques publiques. Au regard de toutes
les explications développementalistes, il est clair qu'au contact des différents pays, des
différentes cultures nationales, les modèles d'analyse de politiques publiques subissent
des inflexions, des hybridations. Cela fait de ces modèles d'analyse, des modèles
relativement complexes.
En outre, le modèle d'analyse des politiques publiques se situe et se développe aussi à la
frontière de plusieurs disciplines universitaires, notamment dans une lutte entre la
science économique, le droit et la science politique qui commence à se développer. Au
moment où l'analyse des politiques publiques se développe, la science
économique demeure la science de décision publique par excellence. De ce fait, on
assiste à une lutte pour le monopole de l'expertise légitime en matière de décisions
publiques entre les économistes et les politistes notamment. L'analyse des politiques
publiques représente un effort pour dépasser les limites disciplinaires. On traite ainsi de
questions interdisciplinaires grâce à des méthodes emprunté à d'autres disciplines.
Cette analyse naît entre la science, le champ académique et la politique (au sens de
champ du pouvoir).
L'analyse des politiques publiques est également une réponse directe à des demandes
sociales qui proviennent principalement des autorités publiques et gouvernementales
mais aussi des autorités locales ou internationales. Le recourt à l'analyse des politiques
publiques se fait de plus en plus à travers des procédures d'évaluation des politiques et
des programmes. Il y a même des lois qui prévoient des procédures d'évaluation. Dès
lors, l'analyse des politiques publiques apparaît comme une réponse rationnelle et
efficace pour les décideurs (plus rationnelle et plus efficace que les simples modèles
économiques et budgétaires).
L'expertise économique n'est plus alors la seule expertise légitime. Cependant, Il faut
bien distinguer les politiques publiques de leurs analyses. L'analyse de politiques
publiques est à la fois prescriptive et scientifique. Cette discipline est caractérisée par sa
volonté d'analyse mais également par sa volonté de changer les choses, d'offrir une aide
à la prise de décisions. Elle se rapproche ainsi du management. Considérée comme telle,
l'analyse des politiques publiques suscite de multiples interrogations à savoir :
Qu'est-ce qu'une politique publique? Est-ce qu'il y a des politiques qui ne sont pas
publiques? Qu'est-ce qui amènent un gouvernement et plus généralement une autorité
publique à se pencher sur un problème, sur un thème en y consacrant une réflexion et, le
cas échéant, en mettant en œuvre une politique publique pour agir en la matière ?
Quand cette autorité décide d'intervenir, comment cela se met-il en œuvre ? Quel est le
« processus » de mise en œuvre d'une politique publique ?
Pour répondre à ces questions nous allons aborder successivement :
-Les définitions et composantes des politiques publiques (Chap1)
-Les différentes approches des politiques publiques (chap2).
Le processus de la mise à l'agenda (chap3)
- La prise de décision (Chap4)
- La mise en œuvre de la décision (Chap5).

Chaiptre1. Définitions et composantes des politiques


publiques
Le concept de politiques publiques ont fait l'objet d'une définition plurielle des
politiques publiques. Ceci étant, nous allons voir successivement les tentatives de
définitions de politiques publiques (Section1), ses composantes (section2).

Section1. Les tentatives de définitions des politiques publiques

La définition des politiques publiques n'est pas une chose aisée. Ceci relève de deux
faits remarquables. D'abord les politiques publiques constituent une discipline
jeune. En outre, les actions des autorités gouvernementales sont multiples et variés. A
cette fin, plusieurs auteurs ont tenté de définir le concept de politiques publiques. C'est
ainsi que nous allons en répertorier quelques-unes de leurs définitions pour mieux
concevoir l'idée de politique publique.

Paragraphe1. Définition de l'Institut des Hautes Etudes en Administration


Publique des politiques publiques

Selon l'Institut des Hautes Etudes en Administration Publique (IDHEAP), institut


suisse, les politiques publiques sont définis comme « l'ensemble des décisions et des
actions prises par des acteurs institutionnels et sociaux en vue de résoudre un problème
collectif ».C'est une définition conventionnelle des politiques publiques.

Paragraphe2.La définition de Thomas R. Dye et d'Yves Many des politiques


publiques
Thomas R. Dye estime que « Une politique publique est ce que les gouvernements
décident de faire ou de ne pas faire »[1].Cette définition à trois caractéristiques
principales :
* instauration d'une coupure entre l'espace public et le privé, mais le problème est
qu'elle ne reconnaît pas l'importance des acteurs privés
*elle repose sur l'idée de choix : les Politiques Publiques restent attachées à un
processus de sélection, et il est important d'en connaître les motivations.
*vision extensive de l'action publique : on peut comprendre son action comme son
inaction. Au regard de ces caractéristiques, cette définition nous semble ne pas
être adéquate pour bien cerner la notion de politique publique.

Quant à Yves Meny, une politique publique se présente sous la forme d'un programme
d'action propre à une ou plusieurs autorités publiques ou gouvernementales.[2]Ce
programme d'action publique vise à intervenir sur un secteur de la société ou sur un
espace géographique défini (Le programme de modernisation des villes : promovilles
initié au Sénégal). Dans cette définition, le rôle des autorités publiques ainsi que la
dimension à la fois sectorielle et territoriale des politiques publiques sont mis en
évidence.
Ces définitions permettent donc de bien apprécier la place centrale des politiques
publiques mais elles souffrent d'une imprécision sur les moyens et les instruments à
mobiliser pour la mise en œuvre d'une politique publique. De même ; elles nous
renseignent pas sur le lien entre les décisions prise par l'Etat mais également sur les
acteurs des politiques publiques. Dès lors nous pencherons sur la définition de Murel et
Surel qui retiendra notre attention.
Paragraphe3. La définition de Muller et Surel des politiques publiques
Selon eux : "les politiques publiques sont à la fois un construit social et un construit de
recherche
*un construit social signifie que sera considéré comme Politique Publique ce que les
acteurs décident comme étant du domaine public (politiques environnementales...) ;
une Politique Publique est ce sur quoi l'attention se focalise du point de vue des
Politiques Publiques.
*un construit de recherche signifie qu'une Politique Publique va être définie comme
étant composé d'un contenu, d'un programme, d'une orientation normative, d'un
élément de coercition et de ressort social"[3]. C'est cette définition qui va retenir notre
attention du fait qu'elle nous édifie sur les multiples dimensions d'une politique
publique. Vue sur cet angle, il convient de souligner qu'une politique publique se
compose d'éléments variables. Ce qui nous conduit à examiner les composantes d'une
politique publique.
Section2. Les composantes d'une politique publique
Cinq composantes d'une politique publique ont été notées à savoir :
• un contenu : une Politique Publique est un ensemble d'éléments matériels (ex : texte
juridique), d'éléments budgétaires et d'actes administratifs (nomination de
fonctionnaires...) d'éléments symboliques qui motivent l'action de l'Etat : discours de
certains acteurs et de certaines prises de position (ex : Programme d'urgence de
développement communautaire(PUDC , les mesures de prévention et de lutte contre le
covid19 ect...).
• Un programme : chaque ministère développe une politique propre. Au sein d'un
même ensemble, on retrouve différents types de politiques publiques (ex : au sein du
ministère de la culture, la politique du livre est différente de la politique du cinéma). De
plus, contre la toxicomanie, 3 programmes possibles : curatif, préventif ou de sanction.
Mais il convient de noter que derrière l'unicité d'un programme d'actions peuvent se
nicher des concurrences administratives, une pluralité d'actions hétéroclites sans lien
entre elles, seulement rassemblées formellement au sein d'un même programme.
• L'orientation normative : idée qu'une Politique Publique est toujours liée à des
normes. Toute Politique Publique vise à réaliser des objectifs :
*soit satisfaire l'intérêt des acteurs (ex : Lors de sa déclaration en pleine
tournée économique portant sur l'autosuffisance alimentaire en 2014 au Fouta , le
président de la république du Sénégal a annoncé la suppression du TVA sur le riz local
dans le but de défendre l'intérêt des agriculteurs),
*soit favoriser des vendeurs (ex : la suspension de la vente de l'oignon importée sur le
marché au profit de l'oignon locale).
• Elément de coercition : l'Etat exerce la contrainte. Une Politique Publique doit exercer
une contrainte sur le comportement des acteurs, qu'ils soient publics ou privés. En
d'autres termes, pour mettre en œuvre leur politique, les autorités publiques disposent
de la capacité potentielle d'utilisation de la violence légitime.
• Le ressort social : expression qui désigne l'ensemble des acteurs publics ou privés qui
participent plus ou moins directement à la production et à l'application des Politiques
publiques.
A la lumière du contexte d'émergence des politiques publiques ainsi que ses diverses
définitions et composantes, il est important de déterminer la méthodologie qui sera
adoptée pour bien réaliser l'étude de l'analyse des politiques publiques. D'où l'étude
des diverses approches des politiques publiques.

LePour bien étudier les diverses approches des politiques publiques, nous allons mettre
l'accent sur l'approche séquentielle des politiques publique systématisée par Jones
(section1) ainsi que les autres approches servant de critiquesà l'endroit de cette dernière
(section2).

Section1.La grille séquentielle de Jones d'une politique publique

La première question qu'on peut poser ici est : comment, ou si vous préférez à partir de
quelle méthode d'analyse, peut-on étudier l'action publique? Pour répondre à cette
question, nous allons analyser la présentation de la grille séquentielle de Jones
(paragraphe1) avant de voir ses succès et faiblesses (paragraphe2).

Paragraphe1. Présentation de la grille séquentielle

Dans les écoles de politique publique, se développent, fin 50 début 60, les grilles
séquentielles d'analyse. La plus célèbre dans les années 60-70 fut la grille de
Jones. C'est Charles Jones qui systématise cette approche par grille séquentielle dans
un des premiers manuels de politique publique. Une action publique peut être découpée
en une séquence d'activités qui vont de l'émergence d'un problème jusqu'au à la «
terminaison de l'action ». Il y a généralement 5 séquences principales qui
composeraient le processus. Chaque phase pourrait faire l'objet d'un mémoire de
recherche. Voyons successivement ces cinq séquences.

. Identification d'un problème : Un problème est identifié par un système politique ou


les autorités publiques comme exigeant un traitement. Tous les problèmes ne sont pas
traitables. Seuls les problèmes exigeant politiquement un traitement sont inscrits à
l'agenda d'une autorité publique. Pour cela il faut l'avoir construit comme un problème
politiquement traitable.

Formulation d'une solution ou d'une action : Pour faire une politique publique, il
faut la faire selon des critères juridiques et économiques. Les réponses, les solutions,
sont la plupart du temps des solutions négociées pour permettre d'établir un cadre
d'action publique. Ce qui requiert un certain nombre de formalités non
négligeables : Élaboration de réponses / Etudes de solutions / Mise en conformité avec
des critères / proposition d'une réponse.

Prise de décision : Il faut avoir créé une coalition (pour que la loi existe, il faut qu'elle
soit votée au parlement...) et pour que la décision soit possible, il faut un processus de
légitimation de la politique. La politique doit apparaître comme répondant bien au
problème que l'on a cerné. Le décideur légitime va choisir une des solutions ou un
mixage de solutions qui va devenir finalement la politique publique la plus légitime.

Mise en œuvre : C'est la phase la plus analysée de la politique publique car elle reste la
phase de construction de solution. Mais à partir de là, on peut mesurer un certain
nombre de chose. La politique est appliquée et administrée sur un territoire et/ou sur un
secteur. Il faut la gérer et l'administrer. Mais le seul fait de la mettre en œuvre produit
des effets parfois souhaités ou non (effets pervers). Gestion et administration /
production d'effet.

La résolution d'un problème est en théorie : la terminaison de l'action : mais très peu
de problèmes ne se résolvent par une politique publique. Elles résolvent généralement
qu'une partie du problème voir en crée de nouveaux.

Cette cinquième phase débouche alors une phase d'évaluation : une vision des effets
de la politique et d'une pensée sur comment ajuster la politique au mieux. Ceci étant dit
il reste à voir le succès de la grille séquentielle de Jones.

Paragraphe2. Les succès et faiblesses de l'analyse séquentielle de Jones

Nous allons analyser ses succès (A) avant de pencher sur ses faiblesses (B).
A.Les succès de l'analyse de Jones

Au regard de la représentation de l'approche séquentielle de Jones, on peut se demander


pourquoi un tel succès pour cette grille d'analyse? Principalement parce que c'est une
grille qui représente l'action publique de manière très rationnelle, elle est à la fois
adaptée à la rationalité des décideurs et à la rationalité des chercheurs. Elle est de plus
assez souple pour pouvoir être très adaptable. La rationalité d'action qui est proposée
implicitement dans la grille est plutôt une rationalité de type substantive
(coût-avantage). Mais, parce qu'il y a des séquences d'action, on a aussi une dimension
procédurale. A l'intérieur de chaque étape on peut avoir une rationalité économique
mais dans l'ensemble on a une rationalité procédurale. On a alors les deux. Un
deuxième élément qui lui vaut son succès est qu'on part d'un modèle descriptif et d'un
modèle analytique mais très vite on remarque que c'est un modèle qui prescrit des
choses (point de vue prescriptif), un point de vue d'aide à la décision. On a donc un
modèle tout à fait adapté à la rationalité dominante des chercheurs, mais elle s'adapte
aussi à l'aspect juridique et administratif.

Mais aussi avec les élites politico-administratives parce que cela amène à une décision
rationnelle et rationalisable. On parle alors d'un modèle syncrétique de rationalité parce
qu'il rassemble plusieurs modèles de rationalité. Cela dit, il y a lieu de retenir qu'une
bonne politique publique, c'est une politique qui suit de manière assez linéaire, ces
différentes séquences d'action. On a l'idée que ce schéma va aider à faire de bonnes
actions publiques, mais on en déduit aussi une certaine capacité du chercheur à peser
sur l'objet à analyser (les politiques publiques elles-mêmes). Le chercheur devient par
ce biais, un expert potentiel, qui va être capable de prodiguer une véritable aide à la
décision. Malgré son succès cette méthode fait l'objet de multiples critiques. D'où
l'étude de ses faiblesses.

B.Les faiblesses de l'analyse de Jones

Malgré sa pertinence, l'approche séquentielle de Jones a fait l'objet de nombreuses


critiques.

La première réserve concerne sa trop grande linéarité. En effet, une décision, peut
"sauter" l'une des phases évoquée par Jones et, de la même manière, des phases peuvent
être inversées. C'est le cas par exemple quand la décision précède la définition du
problème (Ex les urgences liées aux crises sanitaires(le covid19), aux calamités
naturelles ect..).

Un autre problème renvoie à la notion de terminaison ou de fin d'une politique : cette


notion repose sur un postulat rationaliste que l'on retrouve difficilement sur le terrain.
Par postulat rationaliste, il faut entendre par là l'idée qu'une politique peut
effectivement toucher parfaitement sa cible et devenir donc ensuite inutile, ce qui
expliquerait sa disparition. En réalité, les conditions même d'élaboration d'une décision
et les contraintes qui pèsent sur sa mise en œuvre limitent largement la possibilité
qu'une politique publique puisse remplir parfaitement son office et puisse donc se
terminer.

Plus fondamentalement, l'analyse séquentielle repose sur une hypothèse générale à


discuter, que l'on appelle l'hypothèse du problem solving. Autrement dit, Jones
considère avec d'autres spécialistes anglo-saxons des politiques publiques que l'objet
naturel et automatique des politiques publiques consiste à régler des problèmes. Or ce
postulat doit être discuté. On doit en effet se demander si une politique publique a
toujours et partout pour fin de résoudre un problème. On peut, par exemple, faire
l'hypothèse qu'une politique publique vise à redéfinir un problème et à construire une
nouvelle représentation sociale de celui-ci.

Une autre hypothèse, à partir de la grille séquentielle de Jones, consiste à


discuter l'idée selon laquelle le cadre des politiques publiques se limite à un débat ou à
une confrontation entre ceux que Jones appelle dans son livre les décisions-makers.
Autrement dit, les prises de décision se caractériseraient d'abord par une dimension
technique ou pratique. Or ce qu'il faut rappeler c'est que les politiques publiques sont
aussi et surtout des problèmes politiques. Elles reposent sur un affrontement entre des
visions du monde, des valeurs et des intérêts. D'où l'idée qu'une prise de décision c'est
aussi un élément de la vie politique, au même titre que le vote par exemple. Ce n'est pas
seulement un affrontement tactique entre organisations ou acteurs. On retrouve là l'idée
de Cobb et Elder du lien nécessaire entre policy et politics, c'est-à-dire entre action
publique et action politique. Outre l'approche séquentielle de John, d'autres approches
ont été proposées.

Section2. Les autres approches des politiques publiques

Contre ce schéma plutôt rationaliste que constitue l'analyse séquentielle, on peut citer
un modèle assez original. Il s'agit du modèle dit de la poubelle (garbage can model)
développé par deux américains March et Olsen (Rediscovering Institutions. The
Organizational Basis of Politics, 1989). Ce modèle relève d'une perspective
"anarchiste" ou désorganisée de la décision publique. Il repose sur l'idée qu'un
processus décisionnel n'est après tout pas autre chose qu'un amoncellement d'objets
hétéroclites (acteurs, intérêts, ressources...) dont la confrontation finit par produire de la
décision. C'est ainsi qu'il arrivait que les décideurs aient des solutions mais pas de
problème.

La réserve que l'on peut faire avec le modèle de la poubelle concerne la négation de
l'existence de règles minimales, en particulier de règles procédurales et de règles de
droit, qui, malgré tout, contribuent à organiser les interactions entre acteurs des
politiques publiques et rendent possible l'action publique. A côté de la dite approche
s'ajoutent d'autres approches ayant un apport considérable dans l'analyse des politiques
publiques. Il s'agit de :

-L'apport d'Emile Durkheim (le suicide, la division du travail social, les formes
élémentaires de la vie religieuse) reste majeur pour l'analyse des représentations et des
normes, et pour la contribution des politiques publiques à la régulation des sociétés.

-L'apport de Max Weber (Economie et société, Le savant et le politique, l'éthique


protestante et l'esprit du capitalisme), par son analyse de la bureaucratie, de
l'individualisme et de la comparaison historique est tout aussi fondamental.

L'apport de ces différentes approches a contribué à clarifier la question des relations


entre l'Etat et la société dans la production des décisions publiques. A partir de là, on
peut se faire une idée selon laquelle l'étude des politiques publiques permet d'enrichir
l'analyse de l'Etat et repose donc sur une sociologie de l'Etat. Dès lors, il est possible de
concevoir que dans l'assemble les concepts et méthodes d'analyse des politiques
publiques ne relèvent pas d'une épistémologie particulière, ils prennent de grands
paradigmes des sciences sociales. La sociologie, la sociologie politique, l'histoire, le
droit contribuent à l'analyse des politiques publiques.

Face à cette diversité d'approches, l'approche séquentielle demeure la plus


pertinente puisqu'elle est, la plus didactique et la plus complète. En effet, l'approche
séquentielle de Jones révèle que les politiques publiquesconstituent un long processus.

Chapitre 3. Le processus de la mise à l’agenda


L'analyse des politiques publiques doit d'abord comprendre les processus de mise sur
agenda des problèmes, c'est-à-dire la façon dont certaines questions en viennent à
requérir une intervention des autorités publiques. Dès lors, pour aborder le processus de
la mise à l'agenda, il est important de s'intéresser d'abord sur les éléments définitionnels
de l'agenda politique et ses implications (section1) ensuite sur les prismes
institutionnels et l'inscription sur l'agenda qui sont les éléments phares du processus de
la mise à l'agenda (Section2) et enfin sur les limites de la mise à l'agenda(section3) .

Section1 : Les éléments de définition de l'agenda politique et ses implications

Nous allons étudier les tentatives de définition de l'agenda politique (Paragraphe1)


avant d'examiner les implications de ces dernières. C'est à dire la différence
entre agenda institutionnel et agenda systémique (paragraphe2).

Paragraphe1 : Les tentatives de définition de l'agenda politique


John Kingdon définit l'agenda politique comme : « la liste des sujets ou problèmes
auxquels les acteurs gouvernementaux et les personnes évoluant à proximité du
gouvernement accordent une sérieuse attention à un moment donné »[1].

Quant à Philippe Garraud, il définit l'agenda politique comme : « l'ensemble des


problèmes faisant l'objet d'un traitement, sous quelque forme que ce soit, de la part des
autorités publiques et donc susceptibles de faire l'objet d'une ou plusieurs décisions,
qu'il y ait controverse publique, médiatisation, mobilisation ou demande sociale et mise
sur le « marché » politique ou non »[2].

Franck Baumgartner de son côté définit l'agenda politique de façon un peu différente :
«L'agenda politique est l'ensemble des problèmes qui sont l'objet de décisions et de
débats au sein d'un système politique particulier à un moment donné. »[3] . Partant de
ces définitions, il nous parait important de faire la différence entre agenda
institutionnel et agenda systémique. D'où l'implication des éléments définitionnels de
l'agenda politique à savoir la différence entre agenda institutionnel et agenda système.

Paragraphe2 : La différence entre agenda institutionnel et agenda systémique

Ces définitions de l'agenda politique attirent l'attention sur deux dimensions


différentes de ce que l'on peut entendre par agenda politique : d'une part les problèmes
qui font l'objet de discussions politiques ; d'autre part les objets de préoccupation des
autorités publiques. De ce point de vue, les précisions opérées par Cobb et Elder (in the
dynamics of agenda building, 1983) sont particulièrement satisfaisantes. Ces dernières
distinguent entre un agenda systémique qui « englobe tous les enjeux et problèmes
communément perçus par les membres de la communauté politique comme méritant
l'attention publique » et un agenda institutionnel qui recouvre « l'ensemble des sujets
qui font explicitement l'objet de la prise en compte sérieuse et active des décideurs ».
Alors que le premier est global, relativement abstrait et concerne les problèmes sociaux
qui sont l'objet d'une préoccupation au sein de la communauté politique, le second est
plus spécifique et relié à l'action des gouvernements dans la mesure où ils regroupent
les sujets qui figurent parmi les préoccupations quotidiennes des dirigeants. Si les deux
s'entrelacent dans la réalité sociale et politique, ils ne recouvrent cependant pas les
mêmes phénomènes. Un problème reconnu comme méritant l'attention des autorités
publiques n'est pas nécessairement construit en objet de politiques publiques. Cette
distinction entre les types d'agendas conduits à une différenciation essentielle : il peut
très bien exister un processus de politisation, c'est-à-dire un processus d'accès d'un
thème à l'espace public (avec un débat public autour de ses orientations, une prise en
charge par les médias...) sans que cela ne se traduise par une mise sur agenda au sens
institutionnel. A la lumière des éléments définitionnels de l'agenda politique et ses
implications, nous allons étudier les prismes institutionnels et l'inscription sur
l'agenda.
Section2 : Les prismes institutionnels et l'inscription sur l'agenda
C'est à ce niveau que nous pourrons bien analyser le processus de mise à l'agenda. Pour
se faire, voyons l'inscription sur l'agenda (paragraphe1) avant de s'interroger sur les
prismes institutionnels (paragraphe2).

Paragraphe1 : L'inscription sur l'agenda

L'inscription sur l'agenda est l'étape première de toute politique publique. Elle en est la
condition. L'inscription sur agenda correspond au moment où les autorités publiques
prennent un problème, un thème en considération et l'inscrivent à court, moyen ou long
terme comme l'une des actions qu'ils auront à mener. Ceci étant dit, l'étude de l'agenda
portera sur les modes d'inscription sur l'agenda (A) d'une part et sur les modèles de mise
à l'agenda et leurs implications(B) d'autre part.

A.Les modes d'inscription sur l'agenda

Sur point deux questions se posent : y a-t-il un débat public ? y-a-t-il un début de
réponse ? Quatre points importants peuvent nous apporter des réponses à ces questions
à savoir :
- l'inscription complète : débat public et début de réponse. C'est le scénario le plus
favorable, il va bien pénétrer la sphère politico-administrative (ex de débats publics sur
les moyens de prévention et de lutte contre le coronavirus à l'échelle nationale et
internationale).
- l'inscription factice : elle suppose un débat public mais pas de début de réponse (ou
un début de réponse très localisé) mais pas de traitement global du problème. Ex :
l'euthanasie en France ou le problème des retraites).
- la non-inscription : des problèmes butant sur l'agenda, ni début, ni réponse pour les
acteurs politiques. Ces phénomènes se produisent s'il y'a saturation de l'agenda
politique.
Ex : pendant la guerre du Golfe un certain nombre de problèmes n'ont pas été mis sur
l'agenda, de même pendant les 3 à 6 mois avant une élection.
- l'émergence : cas particulier d'émergence et d'inscription : problème qui sort de la
sphère étatique et qui y revient ex : l'intégration européenne, il n'y pas de débat public
mais les élites administratives l'inscrivent sur l'agenda. Un même problème peut
connaître différents types d'inscription. Ceci étant dit, il convient de préciser
qu'il existe deux variables d'agenda :
a) l'agenda continu :
Rassemble les problèmes constamment inscrits à l'agenda pour lesquels il y a de
manière continue débat public et intervention de l'Etat. Ex : la question de la prévention
et de la lutte contre le terrorisme international, la problématique de la lutte contre la
cybercriminalité, et la bonne gouvernance continuent de faire l'objet de débat public
aussi bien interne qu'en externe. Autre l'agenda continu, nous avons également l'agenda
de type structurel.
b) l'agenda structurel :
Ex : problèmes qui surgissent à un moment donné et qui mobilisent l'attention de
manière éphémère, puis disparition de l'agenda (ex : le plan orsec Sénégal initié dans le
cadre de la prévention et de lutte contre les inondations). Après l'étude des modes
d'inscription nous allons aborder ces différentes modèles.
B.Les modèles d'inscription sur l'agenda et leurs implications

Nous allons étudier successivement les modèles d'inscription(a) et leurs implications(b)

a)Les modèles de mise à l'agenda politique

On doit à Phillip. Garraud (« Politiques nationales : élaboration de l'agenda », 1990)


une tentative de systématisation en cinq modèles des différents processus pouvant
conduire à une mise sur agenda institutionnel des problèmes publics.

- Le modèle de la mobilisation qui repose sur l'action de groupes organisée porteurs


d'intérêts socioprofessionnels et/ou d'une revendication plus idéologique : la mise sur
agenda résulte d'une mobilisation politique extérieure au gouvernement. On peut ici
donner l'exemple des mobilisations pour les droits civiques au cours des années 1960
aux Etats-Unis ou contre le nucléaire dans les années 1970 dans plusieurs pays
européens.
- Le modèle de l'offre politique qui désigne l'action d'organisations politiques se
saisissant d'un thème en raison de sa rentabilité politique supposée : c'est la compétition
politique qui est le moteur de la mise sur agenda. Des forces politiques opposées
s'emparent d'un sujet qui devient ensuite un objet de politiques publiques.
On peut ici penser aux questions de l'insécurité ou de l'immigration reprises par les
partis politiques en France, dans leurs campagnes électorales contribuant à en faire une
priorité d'action gouvernementale.
- Le modèle de la médiatisation, dans lequel les médias jouent un rôle autonome, en
imposant certains champs d'action au gouvernement. Stricto sensu, cette logique de
médiatisation suppose que les médias ont une fonction centrale dans le déclenchement
de certaines affaires. Lato sensu, les exemples de situations où l'amplification
médiatique de certains phénomènes sociaux conduit à leur prise en compte par les
autorités publiques pourraient être multipliés : que l'on songe ici aux scandales
financiers ou aux scandales de santé publique, les médias sont une véritable caisse de
résonance de mobilisations sociales et politiques.
- Le modèle de l'anticipation dans lequel les acteurs politico administratifs jouent un
rôle central en s'autosaisissant de certaines questions. A la différence du modèle de
l'offre politique, cette mise sur l'agenda ne suppose pas nécessairement qu'une question
soit devenue objet de compétition politique. Ce qui est beaucoup plus important ici,
c'est la question des savoirs et croyances mobilisés par les fonctionnaires et les experts
à l'intérieur des arcanes gouvernementales. On peut citer comme exemple les politiques
de lutte contre le tabagisme ou contre l'insécurité routière en France au cours des années
1960-1970 dans la mesure où ces politiques résultent d'abord de la mobilisation interne
à l'appareil d'Etat.
- Le modèle de l'action corporatiste silencieuse qui repose sur l'action de groupes
organisés auprès des gouvernements sans controverses et conflits publics
(contrairement un modèle de la mobilisation). Les groupes organisés se mobilisent
discrètement auprès des segments de l'administration avec lesquels ils entretiennent des
relations proches pour faire prendre en compte un problème précis. En matière
d'armement, par exemple, certains travaux soulignent les complicités qui existent entre
industriels et personnels administratifs qui conduisent à la mise sur agenda de certains
programmes militaires. L'analyse et l'interprétation de ces modèles de mise à l'agenda
révèlent que l'on oscille ici entre contrôle et ouverture. D'où l'étude des implications
des modèles d'inscription sur l'agenda.
b)Les implications des modèles de mise à l'agenda : les dynamiques
d'ouverture des agendas.
Un auteur du nom de john. Kingdon[4] s'intéressant toujours aux dynamiques
d'ouverture des agendas pose les questions suivantes : comment les acteurs politiques
définissent-ils leurs sujets prioritaires ? Pourquoi certaines alternatives reçoivent-elles
plus d'attention que d'autres?
Pour répondre à ces questions, Kingdon met en évidence trois courants différents :
Le courant des problèmes : une première influence sur les agendas peut résulter de la
marche inexorable de certains problèmes. Il peut s'agir de crises, de désastre qui attire
l'attention du public et des décideurs. Ces événements marquants (focus event) peuvent
être des crashs aériens (attirant l'attention sur le manque de sécurité des transports
aériens), des catastrophes alimentaires (ex : la viande folle, le poulet à la dioxine....) des
crises sanitaires (, grippe porcing, grippe aviaire et le coronavirus). Mais la pression
peut également résulter d'un changement dans un indicateur reconnu comme fiable :
l'augmentation des dépenses dans un secteur précis d'action publique par exemple.
Enfin, les acteurs gouvernementaux peuvent apprendre des problèmes publics existants,
par le biais d'évaluation ou de plaintes adressées par les usagers.
C'est selon ces trois dynamiques (événements, indicateurs, évaluation) que la
reconnaissance des problèmes peut conduire à des modifications de l'agenda.
Le courant des solutions : une deuxième raison pour laquelle des sujets peuvent entrer
sur l'agenda est l'accumulation de savoirs ou l'adoption de solutions partagée par les
spécialistes du secteur. Le développement d'une technologie, la diffusion de nouvelles
théories scientifiques peut conduire à remettre en cause les politiques existantes. Ici,
c'est plus l'existence de solutions, de propositions consensuelles qui devient le moteur.
C'est ainsi par exemple que la propagation au cours des années 1960 de travaux
d'économistes remettant en cause les bienfaits de la régulation a pu alimenter la mise
sur agenda de la question de la régulation de certains secteurs (Inversement, les travaux
sur la crise financière de 2008 ont remis à l'ordre du jour la nécessité de la régulation).
Le courant politique : les changements au sein de l'univers politique sont des causes
essentielles de mise sur l'agenda. L'arrivée d'une nouvelle administration suite à une
alternance, un changement au sein de l'opinion publique, une nouvelle orientation
doctrinale au sein des partis politiques. Une mobilisation de groupes d'intérêts, présents,
pèsent sur l'entrée de nouveaux sujets au sein de l'agenda public. A la lumière de ce qui
vient être analysé, il est important de noter que la mise à l'agenda bien qu'étant une
phase non négligeable dans l'analyse des politiques politiques, connait des limites.
Section3 : Les limites de la mise sur l'agenda
La mise sur agenda, comme nous avons pu le voir précédemment, est une étape
fondamentale dans la mesure où elle représente souvent la naissance d'une politique
publique.
La première limite qu'il convient de souligner tient au rôle essentiel d'un des acteurs de
la mise sur agenda : les médias. Ces derniers ont un poids énorme dans la prise en
compte d'un problème par les responsables politiques notamment car ils constituent un
relais important de l'opinion publique mais aussi car ils participent de la formation de
celle-ci.
En cela les médias peuvent « parasiter » le débat et ils sont un moyen relativement
efficace de manipulation de l'opinion publique. Ils créent une représentation de la
société qui peut être faussée par la défense de certains intérêts.
Pour autant, on peut nuancer quelque peu l'importance de ce rôle. En effet, les acteurs
de la mise sur agenda sont multiples et complexes et, de fait, la médiatisation ne saurait
être une condition nécessaire et suffisante de la prise en compte d'un problème. Ainsi il
existe des cas où la simple mobilisation de groupes de pression ou d'associations auprès
des pouvoirs publics a permis la mise sur agenda d'un problème sans que cela fasse
grand bruit.
D'autre part, il faut également noter que même la gravité ou le caractère urgent d'un
problème ne suffisent pas forcément à le faire inscrire dans les priorités des
responsables politiques. Cela tient au fait que l'espace public est limité dans sa capacité
à accueillir des enjeux nouveaux. A titre d'exemple on peut citer le cas des tentes
d'habitation provisoires des populations des zones inondées qui ont placé le problème
du logement social au centre de l'actualité en 2005 au Sénégal. La politique
sénégalaise de 100000 logements au niveau national de 2020 est également illustrative.
En effet, on ne peut dire que cette question soit nouvelle. Elle se pose depuis des
dizaines d'années, et toujours de manière grave et urgente comme l'atteste les cas
noyades de 2013[5]. Pour autant, elle n'avait pas bénéficié d'un tel écho avant 2005.

En somme, on peut admettre que les travaux sur l'agenda ont pour principal objectif de
comprendre comment et pourquoi certains problèmes en viennent à requérir l'attention
des autorités gouvernementales. Ils restituent les processus à travers desquels certains
problèmes sociaux deviennent des problèmes politiques. Ces processus sont très divers :
dynamiques médiatiques, mobilisation bruyante (ou silencieuse) des groupes d'intérêts,
logique de la compétition politique et anticipation des acteurs bureaucratiques se
combinent.

Partant de toute cette analyse, il est clair que la mise à l'agenda est un processus
complexe qui mérite une attention particulière pour l'analyse des politiques publiques.
A côté de la mise à l'agenda ; nous avons la prise de la décision qui est également une
phase importante dans l'analyse des politiques publiques.

Chapitre 4. La prise de la décision


La décision est centrale en matière de Politiques Publiques car sans elle pas de
Politiques Publiques. La décision a une nature coercitive : l'Etat mobilise les
instruments de la contrainte. Enfin la décision a un caractère dramatique. La décision
fixe les principes et les contours de l'action. Une décision n'intervient jamais seule : une
décision nourrit une série d'autres petites décisions .Il n'existe pas qu'un décideur : il y a
une pluralité d'acteurs politico-administratif et parfois privé. La décision est un
compromis : une négociation entre acteurs privés et publics. Ceci étant dit, il convient
de souligner que l'étude de la prise de la décision portera sur les acteurs et les
procédures de la décision (section1), sur la rationalité de ladite décision et ses
limites (section2) et enfin sur les contraintes de cette dernière (Section3).
Section1 Les acteurs et procédures de la décision

Nous allons étudier successivement les acteurs (paragraphe1) puis les procédures de la
décision (paragraphe2)

Paragraphe1 : Les acteurs de la décision

Il existe différentes strates dans la sphère politico-administrative. Ces strates vont


concourir de manière variable à la formulation de solutions, de choix des dispositifs, à
la mise en place. De ce fait on distingue divers cercles de décision à savoir :
A.Les sommets de l'Etat
Ce sont l'ensemble des acteurs à qui est reconnu un pouvoir de décision étendu
recouvrant en théorie, l'ensemble des problèmes sociaux. En France le sommet de
l'Etat correspond au Président de la République, au 1er ministre, à
l'administration des finances et dans une moindre mesure, au Parlement. En
Allemagne, le chancelier dispose du pouvoir d'orienter la politique générale.
En France, l'article 20 et 21 de la constitution explique que le premier ministre et son
gouvernement ont la charge de mener la politique de la nation. Importance des sommets
de l'Etat en ce qui concerne l'article 49-3 par lequel le gouvernement peut engager sa
responsabilité sur un texte, ou en ce qui concerne l'article 44-3 (procédure de vote
bloqué) contrairement au Sénégal avec la suppression du poste de premier ministre.
L'administration des finances a une vocation généraliste : elle décide en matière
financière et budgétaire. De plus, elle a un droit de veto sur les capacités financières de
l'action publique.
Les agences indépendantes ont des pouvoirs étendus de régulation, dans plusieurs
domaines. A titre d'exemple, au Sénégal l'ARMP (Agence de Régulation des Marchés
Publics) qui a vocation de généraliser la régulation des marchés publics.
B.Les partenaires extérieurs de l'Etat

Bien qu'ils soient extérieurs à l'Etat, ils ont un pouvoir de régulation sur un ensemble de
problèmes donné. Ex : conseil de l'ordre des médecins, chambre des notaires...
L'autonomie de leur profession est reconnue par l'Etat. On peut parler aussi de la
mobilisation des syndicats ou du patronat dans des structures corporatives.

C.Les organismes juridictionnels:


Ils ont un poids sur le contenu de la décision. Ce pouvoir s'exerce parfois a priori (ex :
en France, le Conseil d'Etat qui va contrôler les textes législatifs et réglementaires pour
voir si les textes respectent la hiérarchie des lois ; ou encore le Conseil Constitutionnel)
ou a posteriori (ex : cour suprême aux EU, cour constitutionnelle allemande...) : dans
tous les cas on s'assure que la décision respecte l'Etat de droit. Au Sénégal, cette tâche
est dévolue à la chambre administrative de la cour suprême et au conseil constitutionnel.
La cour des comptes intervient également comme organe de contrôle financier des
dépenses publiques. Après l'étude des acteurs de la décision, nous allons analyser les
procédures de la décision.
Paragraphe2 : Les procédures de la décision
Elles sont formulées par Jones :
L'accent sera mis ici sur la formulation (A) d'une part, et, d'autre part, sur la
légitimation(B).
A) La formulation : processus de sélection de l'alternative la meilleure entre toutes
celles inscrites sur l'agenda. C'est un travail de mise en forme lié à la nature des
décisions et à la hiérarchie des textes.

Travail sur le contenu des lois (mise en forme). Ex avec la loi portant sur l'acte trois de
la décentralisation au Sénégal, certains acteurs avaient sollicité que la dite loi soit
soumise à nouveau au parlement à raison de ces failles. Il en est de même de la loi
d'habilitation de 2020 accordée au Président de la république du Sénégal dans le cadre
de la prévention et de la lutte contre le coronavirus.
2 éléments cruciaux dans ce processus de formulation :
• Faisabilité technique : est-ce qu'on a les moyens disponibles pour adopter une
décision ?
• Coût politique : quel va être la réaction de l'opinion publique, et quelles sanctions en
matière électorale ? Ex : La loi instituant la parité sur les listes des candidats aux
élections législatives et locales au Sénégal.
B) La légitimation : recouvre toutes les procédures formelles qui vont officialiser le
choix et le légitimé pour l'appareil d'Etat mais aussi pour l'opinion publique. C'est ainsi
que la légitimation va connaitre trois étapes :
• Le vote par le Parlement (représentatif)
• La saisine du Conseil Constitutionnel (dynamique juridique)
• Promulgation par l'exécutif (légitimation symbolique)
Le processus de sortie est matérialisé par la parution au Journal Officiel.
Ces acteurs et procédures de la décision ainsi analysés, nous allons examiner la
rationalité de la décision ainsi que ses limites.
Section2 : La rationalité de la décision

Il existe divers caractères pouvant permettre d'analyser la rationalité de la décision


politique (paragraphe1) mais au-delà de ces caractères, la rationalité de la décision se
heurte à des limites (Paragraphe2).

Paragraphe1 : Les caractères d'une décision rationnelle

On fait parfois référence à « une décision rationnelle ». On considère que les autorités
publiques interviennent à partir d'un choix délibéré, qui est arrêté à partir d'un calcul
rationnel au sens économique du terme, relatif aux solutions alternatives et à leurs coûts,
avec l'idée de toujours rechercher un optimum dans la décision. À chaque fois qu'un
décideur prend une décision publique, il se retrouve un peu comme un acheteur : si le
profit est plus élevé que le coût, alors il y a action. On peut prendre l'exemple du
problème des déficits budgétaires en lien avec des caisses de retraites ou l'exemple de la
criminalité. L'optimum correspond au choix le plus adapté au problème.
Le calcul rationnel du décideur est ce qui le pousserait agir par intérêt (un acteur agit s'il
a un intérêt uniquement) en essayant de maximiser ses gains et de minimiser ses coûts.
Si les coûts sont trop importants il n'agira pas. D'après cette théorie, le décideur agira
selon une rationalité économique. En postulant cela, les spécialistes de politiques
publiques ont tendance à minimiser d'autres motivations et d'autres rationalités qui
peuvent pousser l'acteur à agir. Par exemple, l'acteur peut ne pas agir par intérêt au sens
économique mais être motivé par d'autres valeurs. On peut avoir une certaine idée des
politiques sociales. L'analyse peut se faire différemment que d'une manière
coût-avantage. Ici, on néglige tout ce qui est au niveau des valeurs et de la moralité.
La rationalité économique (parfois appelée substantive) peut être opposée à un autre
type de rationalité d'action : la rationalité procédurale. Selon cette rationalité l'action est
définie par un certain nombre d'étapes à effectuer (rationalité juridique). La rationalité
juridique correspond à une séquence d'actions qui définit une procédure mais pas
forcément un calcul coût-bénéfice).
Les chercheurs ont tenté de transférer la rationalité économique dans la sphère politique.
La conséquence est que les chercheurs postulent que les autorités publiques,
lorsqu'elles décident et mettent en œuvre des politiques publiques, ont exactement le
même type de rationalité que les acteurs du marché économique libéral. Ces acteurs,
ces décideurs cherchent à optimiser leur action en fonction d'une réflexion qui va porter
sur la rationalité des moyens employés pour atteindre des objectifs définis
lesquels renvoient à des intérêts stratégiques.
Il s'agit d'une réflexion par analogie. Une théorie définie par l'utilitarisme est transférée
à l'analyse de la décision publique. Mais cette transposition engendre deux types de
conséquences liées à deux types de comportement que l'on prête à l'homo economicus :
1. L'acteur poursuit des buts qui sont toujours cohérents entre eux. L'acteur qui veut
acheter une voiture d'occasion, dispose d'un certain budget et d'une certaine finalité
(acheter un break blanc par exemple) est supposé faire preuve d'une rationalité
économique : on suppose qu'il a à sa disposition toutes les informations permettant de
faire un choix optimum en tête.
Le décideur politique devrait avoir cette même homogénéité afin de poursuivre des buts
cohérents.
2. L'acteur est supposé faire des choix qui sont cohérents entre eux et qui sont toujours
adaptés au but poursuivi.
Cette rationalité économique est transposée dans le marché politique. Cette rationalité
substantive se nomme également rationalité réelle. Elle suppose ou présuppose une
parfaite information des agents économiques. Cela suppose un accès homogène et
équitablement réparti à l'ensemble de l'information disponible à un temps T. Par
exemple, l'acte d'achat de la voiture ne peut être rationnel que si, lors de cet acte,
l'acheteur est informé de l'ensemble des informations disponibles à travers le monde en
lien avec l'acquisition de la voiture désirée. C'est uniquement parce que toute
l'information est disponible que le choix peut être considéré comme rationnel.
Malgré les limites relativement évidentes, les travaux pionniers de politiques publiques
vont avoir tendance à poser et à conserver ce postulat de base de la rationalité
économique qui anime les décideurs de l'action publique. A la lumière de la rationalité
de la décision nous allons analyser ces limites.
Paragraphe 2 : Les limites de la rationalité décisionnelle
Les travaux d'Herbert Simon et ceux de Charles Lindblom ont remis en cause le
concept de rationalité en matière de politiques publiques. D' où l'émergence des
modèles ou théories gradualistes à savoir : la rationalité limitée d'Herbert Simon(1) et
l'incrémentalisme de Charles Lindblom (2). A côté de ces modèles nous avons
également le modèle dit de la poubelle (3).

1/ La rationalité limitée (Herbert Simon[1])

Au départ, Simon est plutôt dans une optique tayloriste, c'est-à-dire qu'il est très marqué
par l'idée de rentabilité et d'efficacité au travail. Taylor développe un certain nombre de
théories qui vont amener à développer le travail à la chaine. Simon se dit qu'il faudrait
faire une sorte de taylorisation dans l'administration.
En opposition à la rationalité économique, Simon introduit la notion de rationalité
limité (boundid). Alors que la rationalité économique suppose en particulier un parfait
accès à l'information des acteurs, Simon prend en compte l'imparfaite information des
agents dans la réalité.
1. Cela est lié aux limites intellectuelles des individus.
2. La décision est à un temps T et à ce temps l'information n'est jamais complètement
disponible.
Il s'agit d'une critique radicale de la philosophie politique libérale classique pensable.
Pour Simon cette théorie est quasiment devenue une idéologie.
Il montre que face à un problème à résoudre, l'être humain en général et
particulièrement le bureaucrate, en raison de ces limites a toujours une capacité de
connaissance et de choix limité. Il ne peut pas comparer de manière synoptique (de
manière simultanée) toutes les solutions possibles et leurs conséquences possibles pour
choisir la meilleure d'entre elles.
Pour Simon, face à une décision à prendre l'individu procède beaucoup simplement,
d'une manière séquentielle en comparant l'une après l'autre les solutions possibles qui
lui viennent en tête à ce qu'il considère être des critères minimaux de satisfaction.
L'individu arrêtera son choix à la première solution satisfaisante et suffisante pour agir.
La première solution satisfaisante et suffisante n'est pas forcement la plus satisfaisante.
L'homme est un animal qui cherche la satisfaction plutôt que l'optimisation. Admettre
que la raison humaine est imparfaite et limitée devrait pour lui permettre de comprendre
des comportements individuels et collectifs que l'on pouvait juger soit illogique soit
incohérent.
2/ L'incrémentalisme[2] de Charles Lindblom [3]

La première idée fondamentale est qu'il fait une différence nette entre la décision privée
et la décision publique. L'économie politique libéral a réfléchi sur la décision privée
alors cela ne peut être transposé dans la sphère publique. Pour les décisions privées on
peut facilement considérer que la rationalité d'une décision se juge par rapport aux
objectifs du décideur. Mais en matière de politiques publiques, il apparaît difficile de
considérer que la rationalité ne dépend que des objectifs des décideurs parce qu'en
démocratie il y a toujours un impératif d'intérêt général qui transcende tous les intérêts
particuliers y compris les intérêts propres du décideur (ce qui n'est pas forcément le cas
chez Peugeot): Du coup la rationalité de la décision publique ne peut pas reposer sur la
seule action du décideur qui doit tenir compte de cette contrainte de l'intérêt général.
Quand on intègre cette contrainte, la pertinence du modèle de la décision rationnelle
devient beaucoup contestable.
À partir de là, il va administrer une critique radicale au modèle de la décision
rationnelle en disant que selon lui, ce modèle serait efficient même supérieur à une
autre si quatre condition était remplies :
1. Il faut que les acteurs aient toujours toutes les informations nécessaires à la décision
qui soient disponibles à ce moment-là.
2. Il faudrait qu'il n'y ait aucune ambiguïté dans les objectifs des décideurs.
3. Il faudrait que tous les participants partagent les mêmes valeurs.
4. Il faudrait que tout au long de l'action publique, les ressources soient toutes
également disponibles.
Mais ces conditions ne peuvent jamais être concrètement remplies. Il est impossible de
réunir a priori toutes les informations nécessaires à la décision mais il est même inutile
de vouloir le faire. Le coût pour réunir cette information serait énorme pour un résultat
aléatoire d'autant plus que les qualités intellectuelles humaines sont limitées.
Les objectifs des acteurs sont nécessairement ambigus parce qu'on vit dans un monde
complexe dont les problèmes mettent en question beaucoup d'élément d'incertitude et
avec des problèmes à traiter qui mettent relation des intérêts nombreux et
contradictoires. Vouloir clarifier à l'avance le but ou les objectifs d'une politique
rendrait l'accord et donc la décision quasiment impossible (vision cynique du politique).
Il ne fait pas avouer son but ou même avouer un but qui n'est pas le vrai.
3. Tous les partenaires qui sont mobilisés par une même action ne partagent pas
forcément les mêmes valeurs mais toutes ces valeurs méritent normalement d'être
respectées si elles ne sont pas attentatoires à la démocratie. Du coup, un accord sur les
dispositifs concrets (les politiques pratiques) est beaucoup plus facile à réaliser qu'un
accord sur les buts de l'action. Par exemple, les politiques de rénovations urbaines :
pour certains : c'est des politiques culturelles, pour d'autre : c'est des politiques
sécuritaire, de développement économique, de résorption du chômage dans le quartier.
En fait, c'est un peu tout ça mais on arrive à les mettre en place car on s'accorde sur les
dispositifs et non pas sur les finalités des dispositifs.
4. Les ressources des acteurs ne sont en faites pas stables. Parce que l'action publique
fait resurgir des ressources nouvelles et en épuise d'autres (lien avec l'économie
politique libérale). Il y a une consente modification et redistribution des ressources
disponibles. Tous ces éléments amènent à noter une impression d'irrationalité de
l'action. Lindblom montre que derrière cette irrationalité apparente, une autre
rationalité existe : une rationalité a posteriori, où on rationalise l'action et on tente de la
légitimé une fois qu'elle a été faite. Cette rationalité est plus humaine est plus efficace
que la rationalité économique.
3/Le modèle de la poubelle
Ce sont March et Olsen qui ont développé le modèle dit de la poubelle dans un
ouvrage intitulé : (Rediscovering Institutions. The Organizational Basis of Politics,
1989).
Selon ce modèle, il existe 4 critères pour critiquer la Rationalité d'une PP :
• il n'existe jamais une connaissance de la situation, donc pas de critères de choix ;
• les préférences sont implicites, souvent contradictoires et instables ;
• il n'y a pas de moyens disponibles ;
• le moment de la décision (moment de stress) est tout sauf rationnel, il y a des affects.
Face à une situation de choix, les acteurs vont prendre la dernière décision qu'ils
viennent de jeter à la poubelle sans vraie rationalité. Ex : les congrégations religieuses,
l'armée (trop forte hiérarchie, pas de grandes connaissances de l'environnement, stress
au moment d'une attaque...).
La création de la monnaie unique européenne qui était une idée qui traînait dans les
tiroirs depuis 20 ans et qui a été ressorti après la réunification allemande. Après les
caractères de la décision et ses critiques, le moment est venu de s'arrêter sur les
contraintes de la décision. Ce qui nous conduit à voir la nature de ces contraintes.
Section3 : Les contraintes de la prise de la décision
Les responsables ne sont pas toujours libres de passer directement de l'examen des
conséquences de différentes politiques au choix des programmes ayant les effets les
plus favorables. Leur liberté de décision est restreinte par les forces qui régissent leur
environnement. Les unes interdisent certains choix, tandis que d'autres déterminent les
programmes prioritaires. Plus généralement, on peut distinguer d'une part les
contraintes liées aux règles et à la bureaucratie (Praraphe1) et d'autre part, les
contraintes politiques et économiques (paragraphe2).
.
Paragraphe 1 : Les contraintes liées aux règles et à la bureaucratie

Si le respect des procédures juridiques représente une source importante de légitimation,


ces mêmes procédures constituent aussi un frein important à l'autonomie des décideurs.
En effet, contrairement à ce que croient trop souvent les dirigeants politiques
nouvellement élus, les décisions qu'ils ont à prendre ne se déploient pas dans un
espace « vierge », mais sont, au contraire, étroitement balisées par un ensemble
contraignant de règles formelles et informelles.
Les premières concernant les procédures qui organisent les relations entre le législatif
et l'exécutif : organisation et dates des sessions parlementaires, réglementation de
l'initiative en matière législative. Dans le cas des Etats francophones d'Afrique,
l'adoption de régimes présidentialistes a provoqué une configuration des circuits de
décision au profit du Président de la République. Ce que l'on nomme parfois des «
querelles de procédure » ne doit donc pas être considéré comme une dimension mineure
de l'action publique, car elles peuvent avoir une influence décisive sur le timing d'une
réforme ou d'une politique, conduisant souvent les acteurs politiques à dépasser le
temps qu'ils se sont impartis pour mettre en place une politique et de ce fait, à perdre
une partie des bénéfices qu'ils en escomptaient.
Mais, le monde des procédures ne concerne pas seulement les règles formelles
d'exercice du pouvoir. Il touche aussi à l'ensemble des modes opératoires de la décision :
fonctionnement des cabinets, organisation du travail entre les différents ministères
compétents sur un même dossier. Les décideurs se voient ainsi confrontés à de
nombreux écueils :
- un manque de coordination entre les services affaiblira le contrôle politique des
autorités légitimement élues ;
- inversement, un excès de contrôle (notamment de la part des cabinets) risquera de
paralyser le processus de décision tout en produisant des décisions « faibles » sur le
plan technique. Surtout, cette question des procédures touche aussi bien la réalité du
travail gouvernemental (circulation des informations, répartition des compétences...)
que l'image que l'opinion en retiendra.
Or, dans cette fonction de « mise en sens » des politiques, ce problème de perception est
crucial: tout gouvernement cherche à donner de lui-même l'image d'une machine bien
huilée, fonctionnant sans à coup et répondant aux attentes du citoyen.
Malheureusement, rares sont les gouvernements qui, à un moment ou à un autre, ne sont
pas confrontés à ces « ratés » qui viennent rappeler l'extraordinaire complexité de la
fonction politique. Tantôt, les seules victimes en sont les responsables politiques
eux-mêmes, qui voient leur popularité s'effondrer. Tantôt les conséquences en sont
dramatiques pour les citoyens, comme dans l'affaire du sang contaminé en France ou le
naufrage du bateau le Joola au Sénégal.
En dernier lieu, on peut évoquer le rôle des groupes d'intérêts (lobbying) dans le
processus de décision des démocraties contemporaines pour constater qu'ils font partie
intégrante du processus de fabrication des politiques publiques contemporaines et leur
influence varie en fonction des contextes politiques et des traditions nationales. On le
voit de nombreuses contraintes présentes sur la prise de décision, dont certaines sont de
nature politique ou économique.[4]
Paragraphe 2 : Les contraintes politiques et économiques

Examinons les contraintes politiques (1) avant d'envisager l'étude des contraintes
économiques(2).

1/ Les contraintes politiques

La première contrainte qui pèse sur une décision politique est sa concordance ou non
avec les vœux de l'opinion publique. A première vue, le moyen le plus simple et le plus
démocratique de conduire les affaires publiques serait sans doute de se conformer aux
vœux de l'opinion. Chaque décision serait alors prise en fonction des préférences de la
majorité. Seulement, il faudrait, dans ce cas, que de telles préférences soient à la fois
réelles et perceptibles ; il faudrait aussi que les décideurs soient prêts à suivre l'opinion
et à la laisser faire elle-même ses choix il ya lieu d'envisager deux aspects : d'une part,
l'influence de l'opinion sur l'action gouvernementale et d'autre part réciproquement,
l'influence des hommes politiques sur l'opinion.
Pour comprendre l'absence fréquente de conformité entre les vues de l'opinion et les
décisions gouvernementales, il importe de considérer les différents mécanismes
permettant aux citoyens de prendre part à la vie politique. Il s'agit notamment des
élections, des sondages d'opinion et de divers contacts directs et personnels avec des
hommes politiques.
Le vote constitue le premier moyen offert au public de participer à la vie politique.
L'électorat y trouve non seulement l'occasion de s'exprimer mais aussi un lien direct
avec ses principaux mandataires que la crainte d'être écartés du pouvoir peut conduire à
orienter les décisions dans le sens de l'électorat.
Cela suppose que les électeurs soient en mesure de comprendre les programmes des
candidats, pour ensuite les confronter aux décisions ultérieures effectives.
Les sondages (lorsque leur publication n'est pas interdite comme au Sénégal) offrent
aux citoyens la possibilité de faire connaître aux responsables leurs vues sur l'action
gouvernementale sous des formes plus immédiates qui ne permettent pas les seules
élections. C'est à ce titre qu'ils peuvent influer sur les décisions gouvernementales.
Le dialogue personnel constitue un moyen de contact direct. Pourtant, en dépit de son
utilité potentielle pour influencer l'action gouvernementale. Ce moyen n'est pas assez
utilisé, notamment du fait que les responsables ne peuvent consacrer qu'un temps limité
à une telle forme de contact. Les citoyens qui ont les moyens de s'adresser
personnellement aux gouvernants ne sont représentatifs du grand public car ils
appartiennent en général aux groupes socio-économiques les plus favorisés. A côté de
ces contraintes politiques, des contraintes économiques non moins redoutables pèsent
sur la prise de décision. D'où l'étude des contraintes économiques.
2/Les contraintes économiques
La crise financière de 2008 a mis à nu la fragilité des décideurs politiques face à la
toute-puissance de l'économie, tous les programmes budgétaires intégrant désormais la
nécessité de maîtriser la dette publique galopante.
Les responsables ne sont pas libres de choisir n'importe quel programme. Leur liberté
de décision est restreinte par les forces qui régissent leur environnement. D'aucunes
interdisent certains choix, tandis que d'autres déterminent les programmes prioritaires.
L'économie dicte ce qui est possible ou souhaitable. Les responsables éthiopiens se
trouvent dans un contexte économique différent de celui de leurs homologues de
Washington. Les exigences en matière de programmes et les ressources disponibles
n'ont rien de comparable.
Les diverses composantes du développement économique figurent parmi les
principales préoccupations des décideurs. La recherche et le maintien de la prospérité
économique sont hautement prioritaires car c'est un élément fondamental, sans lequel
de nombreuses politiques sont vouées à l'échec.
Les rapports entre la conduite des affaires publiques et le développement économique
illustrent bien le caractère de réciprocité du processus de décision. Tandis que les
responsables cherchent à influer sur le rythme ou la nature du développement
économique dans leur environnement, leur action subit elle-même l'influence
omniprésente de l'économie. Elle est fonction à la fois des ressources disponibles et des
exigences de l'économie du pays.
Le degré de développement économique d'un secteur a une incidence sur les décisions
dans la mesure où il influe sur l'ampleur et la nature des ressources mises à la
disposition des pouvoirs publics. Plus une économie est développée, plus le pouvoir de
décision est large[5].
Après l'analyse de la décision, il reste à voir sa mise en œuvre qui est une phase
importante dans l'analyse de politiques publiques.
Chapitre5 : La mise en œuvre de la décision
Pour étudier la mise en œuvre de la décision (MEO) on peut se poser les questions
suivantes. Quels ont les acteurs qui doivent mettre en œuvre la décision ? Quelles sont
les formes de mise en œuvre ? Quelles sont les approches favorables pour la mise en
œuvre de la décision ? Pour répondre à ces questions nous allons examiner les acteurs et
les formes de mise en œuvre (section2), les approches usuelles pour la mise en œuvre
de la décision (section2) et enfin les limites de la mise en œuvre de la décision
(section3).

Section1 : Les acteurs et les formes de la mise en œuvre de la décision

Analysons d'abord les acteurs et leurs caractéristiques (paragraphe1) avant de


s'interroger sur les formes de mise en œuvre de la décision (paragraphe2).

Paragraphe1 : Les acteurs de la mise en œuvre et leurs caractéristiques

Chaque séquence est caractérisée par un espace d'action.


La décision est prise au centre et la mise en œuvre est réalisée par les administrations
périphériques.
Ex : la sécurité routière qui relève quasi-exclusivement des préfets, et aussi des
directions régionales de l'équipement et des forces de police. Ceci nous conduit à dire
que ce sont les acteurs bureaucratiques qui se chargent de la mise en o œuvre de la
décision. Ils ont 5 caractéristiques propres, définis par R. Mayntz :
1/Plusieurs PP sont souvent appliquées par la même administration périphérique. Ex :
direction régionale de l'équipement (sécurité routière, Plan d'occupation des sols...)
d'où le problème pour savoir qui fait quoi.
2/ Faible motivation des agents car au sein de la bureaucratie il n'y a pas de règles de
marché, ils ont des statuts, leur garantie, un avancement et une rémunération
indépendante de toute efficacité. Ex : en Grande Bretagne, il y a des indices de
performance pour faire avancer plus vite ou gagner plus.
3 Caractère public de la bureaucratie, caractère abstrait, choix objectifs.
4 Obligation de respecter les procédures : les mises en œuvre sont lourdes et peuvent
ralentir la mise en place de PP. ex : engorgement dans les tribunaux
5 Découpage arbitraire des tâches : une compétence est confiée à une administration
périphérique alors que celle-ci n'est pas forcément compétente.
L'analyse des acteurs de la mise en œuvre de la décision et ses caractéristiques sera
suivie de celle relative aux formes de mise en œuvre de la décision.

Paragraphe2 : Les formes de mise en œuvre de la décision

Nous retenons 3 formes différentes :


1. Adaptation aux circonstances : « la règle est rigide, la pratique est molle », la Mise
en Œuvre (MEO) ne tient pas forcément compte des cadres. Ex : la jurisprudence
2. Le ritualisme : les services administratifs vont appliquer scrupuleusement les 3
cadres. Ce qui détermine le comportement des agents, ce n'est pas le bien-fondé des
règlements à appliquer, mais la volonté de ne pas se brouiller avec son supérieur
hiérarchique : caractère obtus des fonctionnaires.
3 L'arrangement négocié : il n'y a pas d'application stricte de la mesure, ni aléatoire,
c'est une transaction entre le fonctionnaire et l'administré (=échanges de bons procédés).
Ce phénomène peut dégénérer vers la corruption. Ex : construction de ronds-points
payés par les grandes surfaces en échange de l'obtention d'une modification du Plan
d'Occupation des Sols pour que la grande surface puisse s'installer.
Parfois on assiste à une institutionnalisation de ces procédés, cela s'appelle des
«arrangements croisés ».L'analyse des formes de mise en œuvre de la décision sera
suivie de celle des approches top-down et bottom-up.
Paragraphe3 : Les approches top-down et bottom-up
L'analyse de ces approches consiste à hiérarchiser les acteurs dans la mise en œuvre de
la décision.
a)Top-down : c'est une approche liée à une conception traditionnelle de l'Etat qui
impose ses décisions aux administrations périphériques. Cette approche est
conditionnée par 3 principes :
• vision pyramidale et hiérarchique de l'Etat
• forte séparation entre les acteurs politiques et administratifs : idée que la fonction
publique a pour but l'intérêt général. La mise en œuvre n'est pas problématique.
• caractère rationnel de la mise en œuvre : la MEO est une suite logique de la décision,
tout décalage signifie une pathologie dans le système.
Pour certains chercheurs, la pathologie est la règle.
b) Bottom-up : la décision est secondaire, ce qui est important, c'est de savoir qui se
passe sur le terrain. Pourquoi les acteurs se mobilisent-ils ? Ce sont les acteurs
déconcentrés qui sont responsables.
Ces deux approches sont symétriques et complémentaires : la décision est toujours
top-down mais il faut être attentif aux administrations périphériques.
Il est clair que la mise en œuvre de la décision est une séquence importante pour
l'analyse d'une politique publique. Cependant il faut noter que la mise en œuvre de la
décision se heurte à des limites qui sont de natures à réduire ses effets escomptés.

Section3 : Les limites de la mise en œuvre de la décision

A L'instar de la mise à l'agenda et de la prise de décision, la mise en œuvre de la


décision connaît également des limites. En effet, la multiplicité des acteurs représente
également un obstacle à la bonne mise en œuvre d'une décision publique. Ce qui va
caractériser l'application d'une politique publique c'est l'appropriation de ces objectifs
par le système d'acteurs qui va la mettre un œuvre. Or, dans le système complexe qu'est
le nôtre, il est difficile pour tous les acteurs de trouver leur place dans ce processus et
ainsi de jouer leur rôle au mieux. Cette question se pose notamment en ce qui concerne
le pilotage d'une politique publique.

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