La Resilience 1
La Resilience 1
La Resilience 1
Lorsqu’une personne fait l‘expérience d’une grande difficulté existentielle, un abandon, une violence, une
tragédie, elle en reste souvent marquée pour longtemps, sinon pour la vie. Une telle situation est
particulièrement néfaste dans le jeune âge. Pourtant, certains individus
s’en tirent mieux que d’autres. On dit alors qu’ils sont résilients, c’est-à-
dire que même s’ils ont été blessés par un traumatisme ou maltraités par
la vie, ils ne se laissent pas empoisonner par cet événement. Ils arrivent à
vivre « avec » et même à devenir plus trempés, plus endurants. Comme
le disait déjà en son temps le philosophe Nietzsche « À l’école de guerre
de la vie, ce qui ne me tue pas, me rend plus fort »1.
Le concept de résilience est important à connaître en soins infirmiers, car
il est fréquent que des enfants carencés ou maltraités se retrouvent dans
les services pédiatriques, confiés aux soins d’infirmières. De plus, des
personnes violés, blessées lors d’agressions, d’accidents graves ou de
cataclysmes naturels ou encore survivant à des maladies habituellement mortelles, requièrent-elles aussi des
soins infirmiers. Pour intervenir adéquatement, il est donc important que la soignante connaisse ce concept et
ses applications. C’est ce que nous verrons dans cette première partie. Mais l’infirmière doit aussi comprendre
quels sont les facteurs qui permettent au sujet de retrouver son équilibre et de se reconstruire et comment son
intervention peut aider à le faire. C’est ce qui figure dans la deuxième partie de ce texte, sous le titre « La
résilience et le travail infirmier » (Margot Phaneuf)2.
1
. Friedrich Nietzsche, Le crépuscule des idoles ou Comment on philosophie avec un
marteau, 1888.
2
. Margot Phaneuf. La résilience et le travail infirmier. Infiressources, Carrefour clinique, section Soins en psychiatrie :
1
physique, pour les métaux, la résilience est l'aptitude à résister aux chocs, elle recouvre leur
capacité de retrouver leur état initial à la suite d’une pression ou d’un impact déformant. Ce
sens fait image et de là, proviendrait en psychologie, l’application décrivant la capacité de
l’humain de survivre aux épreuves de l'existence et d'en surmonter les traumatismes. Il traduit
bien son aptitude à résister au malheur et à poursuivre sa croissance en dépit de ce qui lui
arrive.
Les penseurs de la
Concept d’attachement résilience
• Ce concept recouvre la relation qui Ce concept est basé sur les
s’établit au cours du très jeune âge entre principes du « processus
un parent et son enfant, particulièrement d’attachement » qui a d’abord
été développés il y a déjà
entre la mère et le nouveau-né.
plusieurs décennies par John
• « L’attachement est alors défini comme Bowlby (1907-1990), pédiatre et
la construction des premiers liens psychanalyste anglais. Il nous
affectifs entre l’enfant et la mère ou la explique que le lien réussi entre
la mère et l’enfant permet à ce
personne qui en tient lieu » (Bowlby,
dernier de construire un
1951). sentiment de confiance en soi et
de sécurité, agissant comme une
protection pour affronter les séparations et les épreuves ultérieures de sa vie.
3
. Bowlby, John (1978) tome 1 « Attachement et perte », tome 2, « La séparation angoisse et
colère », Paris : PUF, collection « Le fil rouge ».
4
. Image : Anne geddes. Bébé chou http://www.casafree.com/modules/xcgal/displayimage.php?pid=13802
5
. Ghislaine Jouvet. À propos de la résilience. Sur éducspe.com
http://www.educspe.com/dossiers/actualites-diverses/a-propos-de-la-resilience.html#_ftn2
2
La satisfaction des besoins de base et l’adéquation des réponses de la mère entraînent chez
l’enfant confiance et sécurité. Ainsi, celui qui, entre les âges de 0 à 12 mois, aura le bonheur
de développer la confiance fondamentale qui est, selon Erick Erickson, la tâche à réussir à ce
temps, sera mieux préparé pour affronter le malheur et pouvoir ensuite rebondir (Erick
Erickson)6.
Mais celui qui a mis le concept de résilience au goût du jour est l‘éthologue et
neuropsychiatre français, Boris Cyrulnik, disciple de Bowlby et du psychologue Fritz Redl
qui vers 1970, créa le terme « d'ego-résilience »7. En 1999, Cyrulnick avec son livre « Un
merveilleux malheur », donne le coup d’envoi à toute une série d’ouvrages publiés par
différents auteurs sur le sujet.
Pour que la personne blessée par la vie mette en place des mécanismes de défense
psychologiques et comportementaux adaptés et bénéfiques et qu’elle trouve en elle-même les
ressources nécessaires, il nous faut d’abord admettre que l’on peut se sortir de situations
difficiles et même désespérées. Un traumatisme, même s’il n’est pas réversible, peut se
réparer et se cicatriser, parce qu’il existe chez l’être humain des stratégies adaptatives qui
l’aident à moins souffrir, à se relever et à continuer à vivre.
Dans le courant influencé par Cyrulnick, la capacité de résilience remonte très tôt au début de
la vie. Elle serait influencée par l’histoire même de l’enfant. Tout comme l’énonçait Bowlby,
6
. Erik Erikson (1950) Childhood and Society
http://fates.cns.muskingum.edu/~psych/psycweb/history/erikson.htm
7
. Redl, Fritz et David Wineman (2002) L'enfant agressif tome 1: le moi désorganisé, tome
2: méthodes de réeducation. Paris, Fleurus,
8
. Régine « La résilience, en psychologie : être résilient ou ne pas être…à la mode » sur
Aquadesign.be : http://www.aquadesign.be/news/article-10127.php
3
celui qui a connu une réponse acceptable à ses besoins physiques, celui qui a eu la chance de
recevoir un peu d’affection aurait ainsi une réserve protectrice contre le malheur où il peut
puiser une certaine force de résistance à l’adversité.
Florence Du Cosquer résumant la pensée de Stefan Vanistendael, écrit « Les êtres humains
confrontés aux difficultés de la vie, réagissent de façons diverses. Les uns cèdent à
l’accablement alors que d’autres, mus par une force étonnante,
manifestent dynamisme et épanouissement. Ce sont des
résilients. Ils expriment une capacité à résister et aussi à se
construire en dépit des circonstances adverses. Le concept de
résilience, dit-elle, est formé de ces deux composantes
(Florence Du Cosquer)10 , (Stefan Vanistendael) 11.
9
. Envirozine : http://www.ec.gc.ca/EnviroZine/images/Issue52/tsunami1_l.jpg
10
. Stefan Vanistendael Blessé mais pas vaincu"
http://agora.qc.ca/reftext.nsf/Documents/Esperance--
La_resilience_ou_le_realisme_de_lesperance_par_Florence_du_Cosquer Dans Florence du
Cosquer « La résilience ou le réalisme de l'espérance », L'Agora, vol. 7, no 1, oct.-nov.
1999http://agora.qc.ca/reftext.nsf/Documents/Esperance--La_resilience_ou_le_realisme_de_l’esperance
_par_Florence_du_Cosquer
11
. Vanistendael, Stefan "La résilience ou le réalisme de l’espérance. Blessé, mais pas
vaincu", Les Cahiers du BICE, Bureau International Catholique de l'Enfance
4
personnes capables de leur tendre la main, si elles se trouvent dans leur sillage. (Image :
enfance et misère. Casafree)12.
Ce peut être un enseignant, un voisin, un ami, enfin quelqu’un qui d’une manière ou d’une
autre deviendra pour cet enfant une ressource et l’aidera dans son développement. Et, bien
qu’il ait été carencé, il pourra conserver une capacité de s’engager dans une relation affective
positive. (Claudia Samson)13. L’important étant le contact avec une personne empathique, qui
lui exprime une certaine compréhension et le reconnaît comme étant digne d’estime.
Le concept de résilience a été très connu à travers la situation d’enfants abandonnés, carencés,
maltraités qui, en dépit de toutes prévisions, réussissaient à s’en sortir. Mais il ne faut pas
oublier que les adultes aussi vivent parfois des calvaires et que là également la force intérieure
et le soutien des autres alimentent leur capacité de résilience. Sa façon de réagir est un peu
différente puisqu’il s’est déjà mesuré aux difficultés de la vie et qu’il s’est aguerri, mais il
dispose aussi d’autres moyens.
12
. Image : enfance et misère : http://www.casafree.com/modules/xcgal/displayimage.php?pid=16528
13
. Claudia Samson Résilience. Notes de lecture : http://www.hommes-et-
faits.com/Livres/Cs_Resilience.htm
14
. Régine : La résilience, en psychologie : être résilient ou ne pas être… à la mode.
http://www.aquadesign.be/news/article-10127.php
15
. Boris Cyrulnick (1993) les nourritures affectives, Éd. Odile Jacob, Paris dans Claudia Samson
Résilience. Notes de lecture : http://www.hommes-et-faits.com/Livres/Cs_Resilience.htm
5
cette affection entraîne, elle se construit une sorte de cocon protecteur lui permettant de se
mettre dans une position d’attente (Michel Lemay)16. Comme l’explique cet auteur, les
symptômes forment une sorte d’abcès de fixation qui « l’autorise à déposer son trop plein
d’angoisse impossible à gérer» (Michel Lemay)17.
L’agitation, l’activisme sont aussi des moyens de réagir à une situation très pénible. Le
mouvement donne l’impression, à tout le moins d’être en vie, mais aussi de faire quelque
chose, même si ce n’est pas très efficace, en attendant de retrouver une capacité de résolution
de problème plus opérante. Nous évoquions pour l’enfant la capacité de rêve et il en est de
même pour l’adulte. La fuite dans l’imaginaire, dans l’écriture ou l’art deviennent des
bouées de sauvetage, des points d’ancrage pour ces êtres que le malheur a lancés à la dérive.
En somme, les phénomènes adaptatifs sont nombreux et l’humain au cours de son évolution a
appris à développer des stratégies diverses pour faire face à ses difficultés. Ces systèmes de
survie sont des mécanismes affectifs et comportementaux qui le conduisent parfois à nier la
réalité, à la relativiser, à se réfugier dans ses croyances ou à libérer ses forces créatrices.
L’important étant, qu’il se sente acteur de sa propre réalité.
Mais la résilience n’est pas seulement une capacité personnelle. Elle est plutôt le résultat d’un
ensemble de facteurs complexes où la personnalité et les forces construites par le sujet, les
interactions sociales et le soutien des autres jouent un grand rôle pour modifier le caractère
négatif d’une d’expérience.
La personnalité résiliente
Selon les psychologues, il existerait une personnalité pour qui la résilience serait plus
probable. Des études faites auprès de personnes ayant vécu la guerre ou la maladie, comme
l’indique Claudia Samson, montrent qu’il existe trois grands facteurs d’influence : les
ressources personnelles, les ressources familiales et les ressources sociales.
Selon Samson, certains traits de personnalité agiraient plutôt comme facteur de protection de
l’équilibre de la personne contre les comportements déviants. Ils sont en quelque sorte des
tremplins pour l’avenir. Ce sont :
• L’estime de soi
• La confiance, l’optimisme et un sentiment d’espoir
• L’autonomie ou un sens d’auto développement
• La capacité à combattre le stress
• La sociabilité
• La capacité de vivre une gamme d’émotions diverses
• L’attitude positive face aux problèmes et la croyance en sa capacité de le
résoudre (Claudia Samson) 18.
16
. Michel Lemay, Psychiatre Qu’est ce que la résilience? Hôpital Ste-Justine Équilibre en
Tête, Vol.14, No.4.
17
. Michel Lemay, idem
18
. Claudia Samson. Résilience. Notes de lecture http://www.hommes-et-
faits.com/Livres/Cs_Resilience.htm
6
• La perspicacité
• L’indépendance
• L’aptitude aux relations
• L’initiative
• La créativité
• L’humour
• La moralité
Ce sont :
• L’intensité du trauma
• La soudaineté de l’agression Les mécanismes de défense matures
• L’état de santé mentale au
moment du trauma Affiliation
• L’absence ou la faiblesse
des liens sociaux (Claudia
Samson).19 Sublimation Altruisme
19
. Claudia
Samson. Résilience. Notes de lecture http://www.hommes-et-
faits.com/Livres/Cs_Resilience.htm
7
adulte, de les utiliser de manière positive et de recourir à ceux qui leur permettent de résister au malheur,
d’infléchir son cours et de soutenir la création de soi comme maître d’œuvre de son existence. C’est cette
combinatoire particulière qui fait le tissu de la résilience.
Les mécanismes rencontrés dans ces situations regroupent ceux que l’on peut qualifier de
matures d’adaptatifs, soit l‘affiliation qui pousse la personne à chercher une oreille
compatissante pour confier ses déboires, l’altruisme qui la porte au dévouement envers les
autres, lui permettant ainsi d’oublier son malheur et l’anticipation de la guérison ou d’un
meilleur sort qui est intimement liée à l’optimisme et à l’espérance. Il y a aussi l’évitement
des pensées moroses et même la répression des idées noires et des souvenirs malheureux.
L’humour permet de les dédramatiser et la sublimation qui les place à un niveau spirituel
plus élevé, permet de donner un sens différent à son expérience. À ces mécanismes, il faut
aussi ajouter la rêverie diurne qui déconnecte, pour un moment, d’une réalité trop pénible.
(Margot Phaneuf. Quelques mécanismes de défense observés chez nos étudiants).
D’autres mécanismes, dont certains sont habituellement considérés négatifs, sont aussi utilisés
de manière constructive par la
personne résiliente. Il faut
préciser que généralement ce
qui fait la nocivité d’un
mécanisme de défense est
l’utilisation qui en est faite
plutôt que le mécanisme en lui-
même. Il devient dommageable
s’il n’arrive pas à protéger le
sujet de l’anxiété, s’il prend un
caractère répétitif, compulsif,
s’il nuit à la perception de la
réalité ou au fonctionnement
normal de la vie quotidienne.
Chercher à voir des côtés positifs à une situation affligeante peut sembler saugrenu, mais il
faut penser à la main charitable rencontrée par la personne résiliente à la suite de cette
événement, à la solidarité et la chaleur humaine manifestée autour d’elle, à la maturité acquise
à la suite de cette expérience, à la liberté plus grande arrachée de haute lutte par la réflexion et
par la découverte de forces intérieures insoupçonnées. Ainsi, c’est peut-être un « merveilleux
malheur» comme le disait Cyrulnick, utilisant l’oxymore, comme titre de l’un de ses livres.
Cette figure de style allie deux termes contraires pour les mettre en valeur21.
20
. La négation ou déni est aussi parfois considéré comme un mécanisme adaptatif.
21
. Boris Cyrulnick (2002) Un merveilleux malheur, Paris, Odile Jacob.
8
Le modèle Casita
Vanistendael et Lecomte (2000)22, résument dans un concept visuel fort commode, appelé la
Casita, les principaux éléments constituant la résilience. Ce terme espagnol signifie petite
maison et constitue un excellent symbole au sens de lieu familial, de foyer, de lieu d’amour et
de chaleur, de solidité et de sécurité nécessaire à la personne pour résister au malheur et
rebondir.
L’acceptation de la
Le modèle Casita Autres personne
expériences
Dans ce modèle de la
« casita », il est à
remarquer que ce qui
Estime Aptitudes
Humour
forme la pierre angulaire
Individuelles
de soi est d’abord l’acceptation
de l’enfant ou de la
Capacié de découvrir personne. C’est cette
un sens à sa vie ouverture chaleureuse qui
Réseau
Réseau dede contact
contacts sert au départ à construire
la confiance dans l’autre
Acceptation inconditionnelle et partant, la confiance en
soi et l’estime de soi. Ces
compétences contribuent à
Source : Vanistendael et Lecomte (2000),
former les bases
fonctionnelles de la
personnalité et de la capacité réparatrice de la personne blessée par la vie. Rappelons que cette
acceptation est dirigée vers la personne elle-même et pas nécessairement vers ses actes et ses
comportements que peut-être on ne saurait cautionner23. Malheureusement l’enfant ou l’adulte
en crise qui n’est pas porté psychologiquement par cette acceptation, en sera marqué pour
longtemps et sa capacité de lutter contre le sentiment de victimisation et sa possibilité de
résilience en seront certes appauvries.
Le réseau de contacts
L’autre élément fondateur de la résilience qui se retrouve dans le modèle casita est la qualité
du réseau de contacts de la personne, qu’il s’agisse de la famille, des amis, des voisins ou du
soutien de sa communauté. La résilience est un phénomène complexe qui ne se construit pas
seulement de l’intérieur. Elle est plutôt le fruit d’un maillage entre ce que fait la personne
pour elle-même et ce qui l’aide de l’extérieur.
22
. S. Vanistendael et J. Lecomte (2000) Le bonheur est toujours possible. Construire la
résilience. Paris, Bayard.
23
. Livre de Stéphane. Vanistendael et Jacques Lecomte (2000) Le bonheur est toujours
possible. Construire la résilience, résumé par David Buick, 2006 : http://www.relation-
aide.com/dos_description.php?id=128
9
Par exemple, pour l’enfant carencé ou maltraité, l’entourage peut prendre la relève des figures
familiales absentes ou incompétentes. Pour l’adulte ayant subi un viol, une agression, une
guerre ou une catastrophe naturelle, le réseau de contacts, avec la communication et la
compréhension
empathique que cela
L’acceptation inconditionnelle en suppose, devient un
relation d’aide rogérienne excellent moyen de lui
montrer qu’il n’est pas
• Elle figure parmi les préalables essentiels à la seul dans son malheur. Ce
relation. soutien est une occasion
• Elle signifie que la personne n’a pas à changer de l’aider à retrouver sa
sa manière d’être pour être accueillie. confiance dans les
humains et la rencontre
• Elle est dirigée vers la personne et non pas vers d’une oreille bienveillante
ses comportements et son agir. à l’expression de sa
• Elle ne comporte aucun cautionnement de la souffrance, lui insuffle une
conduite de la personne. part de l’énergie
• Elle suppose un absence de préjugés, de doutes nécessaire pour se
et une bonne capacité de compréhension reconstruire.
empathique.
Mais, il faut rappeler que
parmi ces éléments
interpersonnels constructifs, se trouve un facteur essentiel, c’est l’acceptation de la personne
blessée par l’entourage. Nous devrions retrouver là ce que Rogers appelait l’acceptation
inconditionnelle où la personne peut se sentir accueillie tout en demeurant elle-même, sans
réserve, sans expression de doute ou de reproche (Margot Phaneuf, 2002)24. À cet égard,
l’intervention de professionnels de la relation d’aide possède certes une influence positive, de
même que les réseaux d’entraide de personnes ou de familles ayant vécu la même expérience
douloureuse. Ils peuvent comprendre et ont moins tendance à juger.
Au second étage de la casita, figure un autre facteur important pour favoriser la résilience,
c’est la capacité de la personne en crise de découvrir un sens à sa vie, de la situer dans une
certaine cohérence. C’est une condition que Vanistendael et Lecomte (2000, p. 77)25,26, voient
comme étant essentielle à la résilience.
Le sens de la vie était déjà pour Victor Frankl, auteur de la logothérapie qui avait connu
l’horreur des camps de concentration, un élément central de la survie en cas de malheur27.
Ainsi, la personne qui se donne un objectif d’évolution personnelle, d’une œuvre à
entreprendre ou à achever, que ce soit la poursuite de ses études, l’exécution d’une œuvre
24
. Margot Phaneuf (2002) Communication, entretien, relation d’aide et validation. Montréal, Chenelière et
McGraw-Hill.
25
. Stéphane. Vanistendael et Jacques Lecomte (2000) Le bonheur est toujours possible.
Construire la résilience. Paris, Bayard.
26
. Livre Le bonheur est toujours possible. Construire la résilience,résumé par David Buick,
2006.
27
. Victor Frankl (1993). Découvrir un sens à sa vie avec la logothérapie . Montréal : Les
Éditions de l’Homme.
10
humanitaire ou artistique ou encore l’établissement d’une nouvelle relation signifiante, se
place sur la voie de la résistance et même sur celle de la guérison. Envisager de nouveaux
horizons, affirmer sa volonté d’accomplissement, pourvoit l’élan nécessaire à la réalisation de
soi et permet de « transformer une tragédie personnelle en victoire, une souffrance en
réalisation humaine» (Frankl, 1993, p. 121)28.
Tant et aussi longtemps que la personne éprouvée se demande «Pourquoi moi? », «Pourquoi
une telle injustice?» elle ne trouve pas de nouvelle signification à son existence et ne se répare
pas. C’est peut-être là une étape normale au début, une réaction de désarroi, mais ce peut aussi
être un cul-de-sac. Le bienfait de ce questionnement peut cependant résider pour un temps
dans une réaction de colère
mobilisatrice de l’énergie.
Mais la colère peut
L’estime de soi entretenir la douleur, ne
revitalise pas l’estime de
• C’est la capacité de la personne de se soi, rappelle le sentiment de
reconnaître digne d’amour et de respect victimisation et n’est en
en dépit de ses faiblesse et des rien une véritable réponse à
expériences personnelles qui l’ont la recherche du sens de sa
marquée. vie et à la réappropriation
du pouvoir d’en être le
• L’estime de soi alimente la confiance en
maître d’œuvre.
soi et la capacité d’affirmation de soi
nécessaires pour oser vivre en société de La question que doit plutôt
manière dynamique et réussir ce qui est se poser la personne
entrepris. lorsqu’elle en trouve la
force, c’est « Qu’est-ce que
je fais maintenant de ma
vie ? Quelle direction vais-je lui donner ? », « Est-ce que j’en reprends le contrôle ou si je
m’abandonne aux aléas de l’existence? », « Est-ce que je laisse la barre au malheur, la
victoire à ceux qui m’ont blessée, maltraitée, agressée?» C’est ce qui arrive tant et aussi
longtemps que la personne demeure désorganisée et dépressive. Aussi, après l’écoute et la
compréhension, l’aide que nous pouvons lui apporter doit la soutenir dans son passage vers
cette interrogation majeure.
L’estime de soi
Au 3e étage du modèle Casita se trouvent divers traits de la personnalité, mais il faut d’abord
mettre de l’avant l’estime de soi. La personne blessée se sent souvent amoindrie par son
échec, par sa condition de victime ou se croit salie par l’agression. Aussi l’acceptation,
l’estime des autres, leur respect et leur soutien sont-ils des moyens de l’aider à retrouver la
confiance en soi et à reconquérir le sens de sa propre valeur. Wolin et Wolin parlent même de
la fierté des survivants comme sentiment à développer29.
28
. Victor
Frankl (1993). Découvrir un sens à sa vie avec la logothérapie . Montréal : Les
Éditions de l’Homme.
29
. Sybil. Wolin et Steven, J. Wolin. Shaping a Brighter Future by Uncovering "Survivor's
Pride". http://projectresilience.com/article19.htm.
11
Ce chemin, difficile, est souvent parsemé de doutes et de regrets, mais il passe par la
conviction certaine que la victime n’est ni responsable ni coupable. Comme l’explique
Jacinthe Legros, ce sentiment est malheureusement souvent renforcé par l’entourage qui, pour
répondre à son propre besoin de se sentir protégé du malheur, allègue que nous sommes tous
en contrôle de notre destinée et blâme la personne pour ce qui lui arrive, trouvant en elle un
bouc émissaire tout désigné (Jacinthe Legros, 2004) 30. Le traumatisme causé à une victime se
fait dans un premier temps au moment de l’agression ou de l’abandon, mais il peut se
répercuter à l’infini avec les jugements que lui renvoient les autres. Par exemple, lorsqu’une
jeune fille est agressée, lorsqu’un accident grave arrive, c’est déjà un choc très important,
mais il peut être renouvelé et même empiré par des commentaires du genre « Elle a dû se
l’attirer» ou « Il n’était peut-être pas dans le meilleur état pour conduire! ». C’est la même
chose pour un enfant qui a vécu le malheur du rejet à la naissance et que l’on qualifie de
«bâtard». Chacune de ces insultes est un rappel du traumatisme.
Il faut plutôt chercher à refléter à cette personne qu’elle doit être fière d’avoir eu le courage de
survivre et de se relever. Wolin et Wolin mentionnent quatre attitudes de l’entourage qui sont
susceptibles d’alimenter l’estime de soi de la personne blessée. (Sybil. Wolin et Steven, J.
Wolin)31. On peut les résumer par :
- L’accent mis sur les forces et sur les ressources de la personne plutôt que sur les
difficultés. Il faut éviter de cultiver la victimisation.
- L’attention aux détails relatifs aux principaux points de souffrance au sein de cette
expérience malheureuse (Sybil. Wolin et Steven, J. Wolin, 2001)32.
Vivre un traumatisme grave exige des capacités adaptatives et évolutives importantes. C’est
pourquoi au deuxième étage du modèle la casita, dans la chambre du centre, se trouvent les
aptitudes et les compétences diverses de la personne éprouvée. L’être humain est riche de
multiples qualités dont la variété et la force varient selon les sujets. Les capacités
relationnelles sont certainement parmi les plus importantes. La personne qui peut
communiquer avec aisance, peut aussi plus facilement demander de l’aide et confier ses
difficultés à quelqu’un en qui elle a confiance.
30
. Jacinthe Legros (2004) Quand le travail donne les bleus au coeur! Intervention centrée sur
la résilience et le pouvoir d'agir des personnes qui vivent de la violence psychologique au
travail : http://www.theses.ulaval.ca/2004/21485/21485.html .
31
. Sybil. Wolin et Steven, J. Wolin. Idem.
32
. Sybil Wolin, (2001). Survivor’s Pride : www.onlineparadigm.com/archives/159-SP01_MH.GI.pdf
12
La gestion des émotions
Mais une autre capacité importante est celle de pouvoir gérer ses émotions. Le sujet qui est en
contrôle de ses sentiments, de ses pensées tristes ou de ses idées vengeresses peut plus
facilement évoluer et se relever. Cette personne possède ce que Rotter (1966) appelait un
« locus interne de contrôle».
Elle a la conviction profonde
Le coping ou stratégie de de gérer sa vie et d’être
«faire face» responsable de ses émotions et
de son agir. Elle refuse de s’en
• Ce terme provient d’un mot de vieux francais remettre au hasard ou de se
qui signifie coup. soumettre à l’opinion et à
• Il recouvre différents mécanismes qui l’influence des autres, ce qui
favorisent l’adaptation à une difficulté, à une est le fait des personnes
maladie. caractérisées par un locus de
• Il recourt aux ressources internes et externes contrôle externe (J. B. Rotter,
de la personne (ses contacts) tout comme à 1966)33. Les sujets qui
la prise de conscience de ses sources de possèdent ce lieu interne de
motivation. décision, sont plus autonomes
et ils ont une perception plus
positive d’eux-mêmes. Ils sont
aussi plus facilement
convaincus que leur performance dépend d’eux et qu’ils sont capables d’atteindre leurs
objectifs. Ils ont de ce fait une meilleure estime d’eux-mêmes et il en découle également
qu’ils ont moins tendance à la victimisation.
Mais pour gérer ses émotions encore faut-il que la personne puisse les identifier. L’état de
marasme émotif dans lequel elle est, la baigne dans un brouillard affectif où le
bouleversement et la dépression avoisinent le déni, le courroux et les idées suicidaires. Aussi,
être capable de reconnaître ses émotions est un premier pas pour les gérer et pour arriver
ensuite à modifier certains de ses comportements. Par exemple, vaincre sa timidité et briser sa
solitude lorsque nécessaire, peut la placer sur la voie de
relations signifiantes. Le terme de coping
comprend l'ensemble des
Cultiver sa capacité d’espoir et d’optimisme est aussi un mécanismes qu'une
élément très favorable qui, en dépit de l’amertume de la personne interpose entre
elle et un événement
situation, aide la personne à contrer la tristesse qui colore sa
malheureux afin d'en
vie et à résister à la colère, au sentiment de culpabilité et diminuer les conséquences
d’injustice lorsqu’ils l’assaillent. sur son bien-être physique
et psychologique ou social.
La pratique de stratégies de contrôle de l’anxiété et du stress
est également un moyen précieux. On la relie souvent au « coping» un concept très utilisé
dans le domaine de la santé. Mais ces stratégies sont aussi en lien avec le concept de
« libération psychologique». En modifiant les conditions internes qui prévalent chez la
33
. J.
B. Rotter, 1966). Generalized expectancies for internal versus external control of
reinforcement. Psychological Monographs, 80, N° 609.
13
personne par la méditation, la sophrologie, la relaxation ou d’autres moyens de détente et de
diversion, ces stratégies issues des théories cognitivo-comportementales et gestaltistes,
agissent sur la tension causée par des situations malheureuses. La visualisation, la centration
et certaines techniques respiratoires peuvent également être efficaces. Il faut aussi rappeler
que le stress, une réaction adaptative de l’organisme à un stimulus interne ou externe, ne
dépend pas seulement de la difficulté rencontrée, mais aussi de l’interprétation que la
personne lui donne.34.
Mais le «coping» ne serait pas efficace sans la prise en compte par la personne de sa capacité
de résolution de problème qui l’aide à trouver en elle les moyens de faire face à une situation
stressante et de parvenir
ainsi, non seulement à
LES STRATÉGIES DE LIBÉRATION l’accepter, mais aussi à s’y
PSYCHOLOGIQUE adapter.
Le concept de libération
psychologique a été décrit
par Bibring35 vers les
années quarante. Il consiste
Toute stratégie ou exercice
pour la personne en une
qui apporte la sérénité à la suite d’un manière de gérer,
travail sur ses perceptions et émotions. d’aménager ses tensions
afin de les laisser se
dissoudre et finalement
s’évanouir. Si cette
disparition n’est pas
toujours complète, le dégagement fait tout au moins que l’angoisse diminue son emprise. Cet
aménagement se fait par le changement des conditions internes qui leur ont donné
naissance.(Dominique Friard)36. Ce concept psychanalytique nous conduit par exemple entre
autres, à travailler sur la perception de soi générée par le traumatisme ou par le jugement de
l’entourage (culpabilité, dévalorisation, remords, etc.).
L’humour
La troisième pièce du deuxième étage de la casita est l’humour. Cette habileté permet de
relativiser une situation, d’alléger le climat et de combattre la tristesse et le sentiment de
victimisation. Comme le soulignent Vanistendael et Lecomte (2000), l’humour n’est pas une
34
. Margot Phaneuf, inf. Cancer, mécanismes de défense et d’adaptation et interventions
infirmières. Université d’Évora, Portugal, Février 2005.
35
. Edward Bibring, pssychiatre américain.
36
. Dominique Friard : http://www.serpsy.org/formation_debat/defense.html
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fuite devant la réalité; il apporte plutôt une distanciation, un sentiment de détente bénéfique et
devient en quelque sorte un indicateur d’adaptation positive37.
Le toit qui coiffe la casita comprend l’ouverture aux autres expériences qui demeurent à
découvrir. En dépit de certains mouvements de retour en arrière et de moments de fragilité,
lorsque la personne est ouverte à les vivre, elle est sur la route de la reconstruction. Ayant
réussi à surmonter les sentiments liés à son épreuve, elle devient disponible pour reprendre la
trajectoire de sa vie et même pour se donner de nouveaux objectifs et envisager de nouvelles
initiatives.
Le modèle casita est très éclairant, il nous permet d’envisager d’un coup d’œil tout ce qui est
nécessaire pour qu’un sujet éprouvé par un mauvais départ dans la vie ou par un grand
malheur, puisse développer la résilience.
Conclusion
Ce texte aborde quelques éléments liés à la résilience, mais il n’a pas la prétention d’être
exhaustif. Il propose seulement quelques avenues explicatives et quelques orientations que
l’infirmière a avantage à connaître. Ce concept nous fait comprendre la valeur de la main
tendue, de l’intervention aidante de quelqu’un provenant de l’entourage ou du milieu
professionnel. Qu’il s’agisse de soutenir le développement d’un enfant malmené ou d’être le
soutien de la reconstruction d’un adulte blessé par la vie, comme l’écrivait Cyrulnick, «Le
paradoxe de la condition humaine, c'est qu'on ne peut devenir soi-même que sous l'influence
des autres.» (Boris Cyrulnik, 2006)38. Une 2e partie sous le titre «La résilience et le travail
infirmier» complète celle-ci en proposant quelques interventions utiles.
BIBLIOGRAPHIE
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