La Didactique Des Mathématiques Au Québec (PDFDrive)
La Didactique Des Mathématiques Au Québec (PDFDrive)
La Didactique Des Mathématiques Au Québec (PDFDrive)
COMMUNICATIONS
Isabelle Arsenault………………………………………………………………………….……..83
Attitudes des futurs maîtres du primaire par rapport à la résolution de problèmes mathématiques
Rachid Bebbouchi………………………………………………………………………………...95
L’analyse des erreurs : un thème possible de coopération québeco-algérienne.
Maha Belkhodja…………………………………………………………………………………101
La place accordée à la visualisation en géométrie dans les manuels de mathématiques
au secondaire au Québec
Helena Boublil……………………………………………………………………………….…..113
La réforme actuelle : analyse des effets de son introduction sur la formation des futurs maîtres
Alejandro S. González-Martín…………………………………………………………………157
Une nouvelle perspective pour la légitimation du registre graphique. Un exemple avec
des intégrales impropres.
3
SUITE DES COMMUNICATIONS
Jean-François Maheux………………………………………………………………………….183
Voix multiples dans l’invention d’une situation : réflexion sur la recherche en didactique
des mathématiques
Jérôme Proulx…………………………………………………………………………………..193
La recherche sur les enseignants du secondaire en mathématiques :
Un phénomène beaucoup plus complexe qu’on ne le pense
TABLE RONDE
Jean Dionne……………………………………………………………………………………..209
Un passé tourné vers l’avenir
Gisèle Lemoyne……………………………………………………………………………..…..215
Importance didactique et sociale des recherches sur l’enseignement des mathématiques
aux élèves présentant des difficultés d’apprentissage
Richard Pallascio…………………………………………………………………...…………..223
La didactique des mathématiques au Québec : quelques états d’âme…
4
INTRODUCTION
Le colloque du Groupe des didacticiens des mathématiques du Québec est une rencontre annuelle qui
se déroule dans une université québécoise différente d’une année à l’autre. En 2007, du 6 au 8 juin, ce
colloque a eu lieu à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) pour la première fois de son histoire
(depuis 1970). Le comité de coordination du GDM est composé de trois personnes soit, l’hôte du
colloque précédent, Denis Tanguay (UQÀM), l’hôtesse de l’année en cours, Patricia Marchand et
l’hôte de la prochaine rencontre, Laurent Theis (Université de Sherbrooke). Cette année, un site a été
mis en ligne pour le colloque: http://harfang.uqar.qc.ca/gdm/; nous voulons remercier Serge de
Maisonneuve, qui a su créer et gérer ce site pour nous. Le Groupe existant depuis maintenant presque
quarante ans, le comité local, composé d’Adolphe Adihou, Cathy Arsenault, Patricia Marchand et
Dominic Voyer, voulait profiter de cette occasion pour créer un lieu d’échange entre les générations de
didacticiens en fixant un thème qui relie leurs différentes perspectives.
THÈME DU COLLOQUE :
La didactique des mathématiques au Québec: Genèse et perspectives
La didactique des mathématiques existe maintenant depuis près d’un demi-siècle. Au Québec, le
groupe de didacticiens des mathématiques est au début des années 70 et toute une génération de
didacticiens s’apprêtent à tirer leur révérence après une carrière remarquable et une grande contribution
à la genèse de la didactique des mathématiques. L’opportunité d’offrir une tribune aux différentes
générations semble incontournable afin d’assurer la pérennité des théories fondatrices qui sous-tendent
et sous-tendront la recherche en didactique des mathématiques au Québec. Tout le processus de
développement impliquant l’ensemble des faits et des résultats qui ont concouru à la création et la
formation de la didactique des mathématiques constitue un des pôles du thème de cette rencontre : la
genèse. Si le colloque du GDM 2007 situe cette genèse au premier plan, c’est qu’elle permet de
retourner aux différents points d’ancrage de la didactique des mathématiques non seulement pour en
comprendre l’origine et l’évolution, mais pour ouvrir une fenêtre sur les perspectives qui lui sont
spécifiques.
Plusieurs avenues peuvent être envisagées pour discuter de genèse et de perspectives en didactique des
mathématiques. Nous proposons la liste suivante qui, bien que non-exhaustive, comporte certains
thèmes qui pourraient favoriser nos réflexions, échanges et débats :
Articulation entre généalogie et didactique des mathématiques. Plusieurs chercheurs du Québec
et ailleurs dans le monde ont contribué à une mise en évidence de la généalogie de la didactique
des mathématiques (Lemoyne, 1996; DeBlois, Aufort & Paquin, 2004; Margolinas, 2005;
Duval, 2001).
Retour historique sur la recherche en didactique des mathématiques mettant en évidence
certains axes de recherche :
o Les préoccupations des chercheurs de nature épistémologique, mathématique, didactique
et cognitive (élèves, erreurs, conceptions, dispositifs d’enseignement, situations
d’apprentissage, réforme, formation, pratiques enseignantes…).
o Les contenus mathématiques ciblés (arithmétique, algèbre, géométrie, probabilités,
statistiques…).
1
o Les TIC (calculatrice, logiciel, ordinateur, outils et situations d’apprentissage).
Réflexion au regard des différentes théories, écoles de pensée et fondements mis en jeu par la
didactique des mathématiques (théorie des situations, théorie des champs conceptuels, théorie
anthropologique, théorie constructiviste…).
Réflexion sur son identité (Sierpinska et Kilpatrick, 1998) et ses particularités à l’égard des
autres didactiques (Bednarz, 2001).
Analyse des courants méthodologiques de recherche (action, étude de cas, collaborative,
quantitative, qualitative, Ingénierie didactique, de développement, …) et de ses buts à travers le
temps (amélioration de l’enseignement, description et explication des phénomènes
d’enseignement/apprentissage, théorisation ou modélisation, développement…).
Étude de la didactique des mathématiques en relation avec d’autres champs de recherche
comme la psychologie, la sociologie et la pédagogie (Piaget ; Vergnaud ; Plaisance &
Vergnaud, 1993). La didactique des mathématiques est multiréférentielle (Bednarz, 2001) : son
sens dépend des intérêts et des pratiques sociales mises en jeu dans un contexte précis. Ainsi,
nous pouvons traiter des interactions de la didactique des mathématiques avec ces différents
champs de recherche et les autres didactiques disciplinaires.
Mise en évidence d’un ou de plusieurs moments de rupture de l’enseignement des
mathématiques ou de la recherche en didactique des mathématiques (implantation d’une
réforme, contradiction des théories, des résultats ou des angles d’attaque (savoirs
mathématiques, savoirs didactiques et savoirs d’expérience)).
Analyse de certaines publications pour mettre en évidence leurs contributions, pour en donner
notre interprétation, pour situer nos recherches par rapport à ces dernières, pour émettre des
critiques et recommandations et, enfin, pour mener un regard réflexif sur l’émergence
d’orientations futures de la recherche en didactique.
Actualisation des théories fondatrices de la didactique des mathématiques pour permettre un
pont entre ce qui se fait aujourd’hui, ce qui se fera demain et ce qui s’est fait par le passé et
ainsi mieux comprendre les raisons qui sous-tendent les récentes recherches et celles à venir.
Le thème de genèse et perspectives nous permet de revisiter les travaux de différents chercheurs d’en
dégager l’importance à la lumière de l’état actuel de la recherche en didactique des mathématiques, de
retravailler les savoirs didactiques et, par la même occasion, de faire un portrait de l’évolution de la
didactique depuis ses débuts pour mieux envisager son avancement. Ce colloque a pour but de rendre
hommage aux didacticiens québécois de la première heure, mais surtout de générer des échanges entre
ces bâtisseurs et la relève en didactique des mathématiques. Ainsi, pour chacune des entrées présentées
(ou même d’autres non mentionnées), le point de vue des deux types de chercheurs (récents et établis)
viendra enrichir les échanges.
Dans le cadre de ce colloque, la parole est donnée aux chercheurs de différentes générations. Nous
visons une articulation et un équilibre entre ceux-ci pour créer un espace propice aux échanges afin de
réfléchir à l’avenir de la recherche en didactique des mathématiques.
2
LE DÉROULEMENT DU COLLOQUE
Le colloque s’est déroulé sur trois jours : la conférence d’ouverture et un souper collectif ont lieu lors
du premier jour, les différentes communications et les sorties touristiques se tiennent le deuxième jour
et trois différents types de conférences clôturent cette rencontre : la lecture publique de la dernière
conférence de Jean Piaget, la présentation de notre conférencière invitée et la table ronde suivie d’un
court exposé en réaction à la table ronde.
La conférence d’ouverture menée par Nadine Bednarz, de l’Université du Québec à Montréal, nous a
permis de remonter le temps pour retracer les premiers balbutiements de la didactique des
mathématiques au Québec ainsi que son évolution jusqu’à aujourd’hui en lien avec le développement
de son identité et la cohérence de son exploitation à travers les diverses recherches. Nous aimerions en
profiter pour souligner le travail colossal que Madame Nadine Bednarz a dû accomplir pour la
préparation de cette présentation, mais surtout pour l’écriture du texte inclus dans ces Actes. Il s’agit
d’une énorme implication de sa part et nous lui en sommes très reconnaissants.
Les douze communications qui ont suivi ont su poursuivre les réflexions en lien avec ce thème. Voici la
liste des auteurs des communications : Isabelle Arsenault; Rachid Bebbouchi; Maha Belkhodja; Helena
Boublil; France Caron et Sophie René de Cotret; Lucie DeBlois, Viktor Freiman et Michel Rousseau;
Alexandre Ducharme Rivard; Alejandro Gonzalez-Martin; Geneviève Lessard; Jean-François Maheux;
Jérôme Proulx; Mireille Saboya.
La lecture publique de la dernière conférence de Jean Piaget, qui a eu lieu en 1971 à l’UQÀM, réalisée
par Richard Pallascio et Philippe Jonnaert fut un évènement unique. La conférence était ouverte à tous
et les deux présentateurs ont mis en lumière les aspects des recherches menés par ce psychologue qui
sont encore d’actualité ainsi que des questions encore sans réponses. Mentionnons que Richard
Pallascio nous a quitté le 7 mars dernier et qu’une place est réservée dans ces actes pour lui rendre
hommage.
La conférence de clôture de Colette Laborde nous a proposé un autre regard sur la didactique des
mathématiques du Québec. Madame Colette Laborde a mis en évidence ce portrait selon sa lunette de
didacticienne issue de la didactique française, ce qui fut très enrichissant. Ce type de recul nous permet
d’observer nos pratiques d’après un autre point de vue et ainsi émettre d’autres sources d’interprétation.
La table ronde regroupait six didacticiens de renom : Jean Dionne, Claude Gaulin, Philippe Jonnaert,
Colette Laborde, Gisèle Lemoyne et Richard Pallascio. Ils ont échangé sur les questions suivantes :
Quelles ont été et quelles pourront être les préoccupations et les courants de la recherche en didactique
des mathématiques? Comment la recherche en didactique des mathématiques a-t-elle changé et pourra-
t-elle changer l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques et, dans la foulée, la formation des
maîtres? Jérôme Proulx effectua ensuite un court exposé en réaction aux échanges tenus tout au long du
colloque et, plus spécifiquement, en lien à ceux traités lors de la table ronde. Il a su conclure ce
colloque en émettant plusieurs idées sollicitant notre réflexion sur les perspectives pour la didactique
des mathématiques en terme d’évaluation, d’histoire, d’épistémologie et de la place des mathématiques
à l’intérieur des recherches en didactique des mathématiques.
3
LES PARTICIPANTS
Il y a eu 38 participants à ce colloque regroupant étudiants, enseignants, professeurs-chercheurs,
chargés de cours et conseillers pédagogiques venant des institutions suivantes : Instituts Universitaires
de Formation des Maîtres (IUFM) de Grenoble et Université Joseph Fourier, France; Université des
Sciences et de la Technologie Houari Boumediene (USTHB), Alger; Université du Québec à
Rimouski (UQAR), Université du Québec à Montréal (UQÀM), Université de Montréal, Université
Laval, Université de Sherbrooke, Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), Université du
Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), Université de Moncton, Université d’Ottawa et
Commission Scolaire de Montréal (CSDM).
4
HOMMAGES À RICHARD PALLASCIO
5
Hommage à Richard Pallascio
6
d’étudiants et étudiantes de maîtrise et de doctorat, à travers notamment son
engagement dans la maîtrise en enseignement au primaire dans les années
1980 et dans le doctorat en éducation, dès sa mise sur pied, en 1987.
7
- La Mention spéciale hors-catégorie du Prix Rolland-Brossard décerné
par l’Association Mathématique du Québec, pour la publication de «
Mathématiques d’hier et d’aujourd’hui » parue en 2000;
8
Plusieurs de ses publications et participations récentes, qui rejoignent tant les
jeunes et leurs enseignants et enseignantes que les chercheurs et chercheures
en formation ou déjà établis, constituent un témoignage de son attachement
aux questions éducatives. Signalons notamment :
Le livre récent, paru en 2006 aux éditions Nouvelles, codirigé avec Eric
Doddrige, « Montrez cette mathématique que je ne saurais voir », destiné
cette fois aux 15-20 ans et à leurs enseignants et enseignantes, offrant des
mises en situation significatives autour des mathématiques et de leurs
liens avec d’autres domaines.
9
L’article, paru sur le site Web du journal Le Soleil du 25 février 2008, à
quelques jours de sa mort, et ayant pour titre « S’attarder à comprendre
quelques éléments clés de la réforme » illustre cet engagement constant et le
courage exemplaire de Richard, qui a participé, jusqu’à la fin, non seulement
aux colloques spécialisés mais aussi sur la place publique aux débats de société
relatifs à l’éducation.
10
Un hommage à Richard Pallascio
11
Je pourrais parler des plaisirs de notre relation professionnelle de près de 35
ans. Je pourrais faire part des discussions intenses que nous avons eues. Je
pourrais rendre compte des démarches de coauteurs que nous avons réalisées
pour les nombreux articles et chapitres de livres que nous avons écrits
ensemble. Je pourrais parler du travail de direction d’ouvrages collectifs qui a
permis de rassembler des chercheurs et chercheures autour de nos idées. Je
pourrais m’attarder sur les recherches innovatrices dans lesquelles il m’a
permis de progresser. Même encore aujourd’hui (trois mois après son départ),
il est difficile de penser que je ne le reverrai jamais.
Je veux donc tout simplement lui dire merci d’être passé dans ma vie, d’avoir
cru en moi, de m’avoir ouvert des portes pour mon cheminement
professionnel.
Louise Lafortune
12
Un hommage à Richard Pallascio
C'est vers 1963 que j'ai rencontré Richard Pallascio lors d'une danse entre les
collèges Marguerite-Bourgeoys et Saint-Viateur!
Nous nous sommes retrouvés plus tard sur les bancs de l'université, en
mathématiques, et quelques années plus tard, au département de
mathématiques du cégep du Vieux-montréal!
Linda Gattuso
13
Voici une lettre que j’ai écrite l’an passé pour rendre hommage à Richard et qui a été lue par ma
collègue Louise Lafortune lors d’une soirée organisée en son nom honneur en janvier 2007 à Montréal.
« Bonjour Richard,
Richard
À défaut d’être présente à ce rassemblement en ton honneur, il me fait plaisir
de t’écrire une lettre pour te témoigner toute ma gratitude pour les
nombreuses années où tu m’as suivie et guidée dans mon aventure au
doctorat en tant que directeur de recherche. Comme je te l’ai déjà dit, tu as
été l’une des personnes les plus significatives dans mon cheminement et voici
ce que je retiens, plus particulièrement, de toi: détermination,
détermination souci de
l’excellence,
l’excellence respect d’autrui,
d’autrui altruisme et sens du devoir.
devoir
Je pense sincèrement que j’ai été très chanceuse de t’avoir comme directeur
parce que tu m’as offert, pendant toutes ces années, un formidable modèle de
professeur et de chercheur en sciences de l’éducation mathématique et, aussi,
que tu m’as aidée, et ce, peut-être sans même le savoir, à croire en moi et à
foncer dans l’avenir. Je te suis donc très reconnaissante pour ton support, ton
encouragement et ta présence pour moi. Je te remercie du fond du cœur. À
bientôt!
De ton ancienne étudiante au doctorat,
Anne Roy, professeure à l’UQTR ».
14
Un hommage à Richard Pallascio
Viktor Freiman,
Admirateur de tout ce que Richard a accompli.
15
Un hommage à Richard Pallascio
16
Un hommage à Richard Pallascio
Pendant cette dizaine d’années, j’ai été en mesure d’apprécier tout ce qu’il a
accompli en enseignement universitaire et en recherche. Il a toujours su
respecter son objectif ultime, soit l’amélioration de l’enseignement des
mathématiques en entretenant des liens étroits avec le milieu scolaire. Dans
ce sens, sa remarquable implication sur le terrain était toujours appuyée par
les résultats de ses recherches; je possède d’ailleurs plusieurs de ses écrits
scientifiques et professionnels qui seront toujours une source de référence et
d’inspiration. Son apport à l’avancement des mathématiques à travers les
associations mathématiques du Québec est également très significative.
Patricia Marchand
17
18
CONFÉRENCE D’OUVERTURE
Nadine Bednarz
19
20
Nadine BEDNARZ
INTRODUCTION
Plus de 37 ans se sont écoulés depuis la création du Groupe des didacticiens de la mathématique au
Québec et le début des travaux de recherche en ce domaine. Au moment où bon nombre de didacticiens
s’apprêtent à quitter le domaine de la formation et de la recherche, la nécessité de faire le point sur les
développements qui ont marqué l’émergence et le développement de ce champ d’études apparaît
comme un enjeu crucial, non seulement pour en comprendre l’origine et l’évolution, mais aussi pour
ouvrir sur des perspectives nouvelles. Le thème de la rencontre du GDM tenue en juin 2007 se prêtait
bien à cet exercice.2 Mais, travailler sur l’historicité de la recherche en didactique des mathématiques
au Québec représentait à cette étape, lorsque j’acceptais de présenter cette conférence d’ouverture, un
véritable défi. Voulant retracer son ancrage, mieux comprendre les finalités des premiers travaux, leur
fil directeur, leurs enjeux, leur apport, j’étais confrontée à des choix difficiles. En effet, la quantité
impressionnante de travaux menés au Québec en didactique des mathématiques depuis les années 1970,
l’identification de données associées aux travaux de ces groupes de recherche non archivées de manière
systématique, rendaient la tâche complexe. La reconstruction amorcée ici ne peut donc être que
partielle. Elle demanderait à être poursuivie par une équipe de chercheurs, travaillant de manière
1
Pour minimiser toute lourdeur dans l’écriture et la lecture, nous utiliserons le masculin dans l’ensemble du texte.
2
Ce texte reprend, en grande partie, les propos tenus par l’auteure lors de la conférence donnée en juin 2007 à l’Université
du Québec à Rimouski dans le cadre du colloque du groupe des didacticiens des mathématiques ayant pour thème : La
didactique des mathématiques au Québec : genèse et perspectives .
21
GDM 2007 – CONFÉRENCE D’OUVERTURE
systématique à retracer toutes les données issues des différents groupes et à reconstruire l’histoire de
ces derniers. Pour favoriser la construction d’une identité de chercheurs en didactique des
mathématiques au Québec, un tel travail historique semble fondamental3 de manière à pouvoir se
donner une mémoire collective de ces travaux et de leur place dans le champ de la didactique des
mathématiques au Québec.
Avant de préciser la manière dont nous avons abordé la question de cette reconstruction, nous
soulignerons au préalable quelques éléments des travaux antérieurs sur lesquels il est possible de
s’appuyer pour aborder cette genèse de la didactique des mathématiques au Québec (Mura, 1993,
Lemoyne, 1996, Kieran, 2003).
Trois études servent de matériau à une entrée dans la reconstruction de la didactique des
mathématiques au Québec. Ces études, les seules dont nous disposions, proposent des lectures
personnelles (il ne peut en être autrement, la nôtre le sera également) influencées par un regard
particulier posé par le chercheur. La première (Mura, 1994, 1998) et la troisième étude (Kieran, 2003)
portent sur le Canada, bien que des données sur le Québec puissent en être tirées; mais, l’ensemble
dépasse largement le cadre du Québec. La deuxième étude porte spécifiquement sur la recherche en
didactique des mathématiques au Québec et couvre les années 1970 à 1995 (Lemoyne, 1996)
3
Le travail mené en didactique au Québec s’inscrit dans une certaine historicité qu’il semble essentiel de retracer pour la
communauté de chercheurs qui participe à cette entreprise collective. Une telle perspective historique permet en effet de
situer le travail réalisé, ses filiations théoriques, les savoirs qui en sont issus, ses retombées. Elle permet également de mieux
comprendre les perspectives actuelles, leurs tendances, l’articulation avec la recherche déjà réalisée.
4
Sur les 158 questionnaires envoyés aux professeurs, 103 ont été retournés et 63 retenus, selon deux critères : occupent-ils
un poste dans une université? La didactique des mathématiques est-elle leur principal champ de recherche et
d’enseignement?
5
Il serait intéressant de refaire une telle étude pour obtenir un portrait actuel, notamment en ce qui concerne la direction
d’étudiants gradués et la formation de chercheurs, les études de doctorat s’étant considérablement développées depuis cette
époque.
22
Nadine BEDNARZ
-des finalités définies, par certains, en terme d’analyse, d’explication, de compréhension des
phénomènes d’enseignement et d’apprentissage des mathématiques (Mura, 1998, p 110)
-par d’autres, en termes de contribution à l’amélioration de l’enseignement des mathématiques et à la
facilitation de son apprentissage
-ces définitions de finalités n’étant pas, par ailleurs, nécessairement exclusives.
Cette enquête menée, rappelons-le, dans tout le Canada, et pas seulement au Québec, contribue à mettre
en lumière le portrait d’une communauté professionnelle hétérogène : « The portrait drawn by the
survey’s results is that of a diversified professional community » (Mura, 1994, p 112)
Nous reviendrons, à la fin de ce texte, sur cette caractérisation de la didactique des mathématiques en
regard des travaux que nous avons analysés.
1.2. Une entrée par les objets de recherche sur lesquels portent les recherches en didactique
des mathématiques.
L’analyse menée par Lemoyne (1996) a été réalisée à partir de textes publiés de 1970 à 1995 en
didactique des mathématiques au Québec : articles dans des revues scientifiques et professionnelles,
livres, thèses de doctorat. Elle recouvre aussi des analyses historiques portant sur certains savoirs
mathématiques, productions que l’on peut situer à la frontière des recherches en didactique des
mathématiques (il s’agit en fait de travaux en histoire des mathématiques).
Pour organiser l’analyse des publications examinées, le cadre théorique qui guide l’auteure est celui de
la « théorie des situations didactiques » (Brousseau, 1988), et celui des travaux menés en France selon
cette perspective. Cette théorie, nous rappelle l’auteure, s’inscrit dans un certain projet : elle s’intéresse
6
« à un savoir déjà institué, c’est-à-dire un savoir qui a sa place dans une société déterminée et vis-à-
vis duquel existe un projet social de transmission réalisé sous la forme d’un enseignement » (Rouchier,
1991, p 36, repris dans Lemoyne, p 31).
C’est autour de ce savoir et de son enseignement que s’organisent donc les recherches en ce domaine,
en renvoyant à des analyses mathématiques, épistémologiques, didactiques de la notion à enseigner,
ainsi qu’à une analyse des connaissances des élèves. Des outils théoriques et méthodologiques
cohérents avec ce projet y ont été développés.
« C’est (par exemple) dans le cadre de cette théorie que le problème de la dévolution des situations a-
didactiques, ou de l’entrée de l’élève dans une situation d’apprentissage, a été posé, (…) que le
processus d’institutionnalisation a été examiné, (…) que la méthodologie de l’ingénierie didactique a
été créée pour une ‘‘mise à l’épreuve des constructions théoriques élaborées dans les recherches, par
l’engagement de ces constructions dans un mécanisme de production’’ (Artigue, 1990, p 285) et pour
une ‘‘prise en compte de la complexité de la classe’’ » (Douady, 1987, p 222) (cité par Lemoyne, 1996,
p 32).
L’analyse réalisée conduit l’auteure7 à regrouper les travaux menés au Québec selon trois axes :
des analyses mathématiques, historiques et épistémologiques de savoirs à enseigner;
des analyses didactiques en lien avec la conception, la réalisation et l’étude de situations
d’enseignement, ces analyses didactiques prenant diverses formes : analyses d’enseignement, de
manuels, propositions de situations d’enseignement conçues par des chercheurs ou des enseignants
6
Ce projet, orienté par une certaine vision de la didactique des mathématiques, délimite en quelque sorte l’objet du travail
du didacticien. Avec cette définition, tout un pan des recherches actuelles en didactique des mathématiques se trouve en
effet écarté, par exemple les recherches en ethnomathématique menées en dehors du contexte scolaire, ou encore les travaux
sur les mathématiques construites en contexte professionnel d’entreprise.
7
Dans cet article, l’auteure, prudente, nous disait à l’époque qu’il serait intéressant de faire une autre lecture de ces travaux
à la lumière d’autres cadres théoriques.
23
GDM 2007 – CONFÉRENCE D’OUVERTURE
8
L’auteure pointe à cette occasion des éléments qui demanderaient à être davantage développés : peu de recherches portent
notamment sur des analyses documentées de manuels, de pratiques d’enseignement in situ.
24
Nadine BEDNARZ
9
Voir C. Gaulin, B. Hodgson, D. Wheeler, J.C. Egsgard (1994) Proceedings of the 7th International Congress on
Mathematical Education/Actes du 7ième congrès international sur l’enseignement des mathématiques. Québec : Les Presses
de l’Université Laval.
10
Voir J. C. Bergeron, N. Hercovics, C. Kieran (1987). Proceedings of the Eleventh International Conference of Psychology
of Mathematics Education (PME-XI). Montréal.
11
Voir J.C. Bergeron, N. Hercovics (1983). Proceedings of the fifth Annual Meeting- North American Chapter of the
International Group for the Psychology of Mathematics Education (PME-NA V). Montréal
12
Voir actes de la 39 ième rencontre de la Commission Internationale sur l’étude et l’amélioration de l’enseignement des
mathématiques (CIEAEM39). The role errors play in the learning and teaching of mathematics.Université de Sherbrooke.
25
GDM 2007 – CONFÉRENCE D’OUVERTURE
1.5.1.Les données
Les analyses fournies par Kieran (2003) mettent en évidence un certain nombre de communautés de
recherche locales qui ont joué un rôle dans le développement d’une communauté de recherche en
didactique des mathématiques au Québec. Il était impossible, dans le temps limité dont nous
disposions, quelques mois, de les prendre toutes en compte. Ceci nécessiterait un travail plus élaboré,
systématique, mené par une équipe14. Les groupes sur lesquels a porté l’analyse sont les suivants (nous
préciserons en même temps les données dont nous avons disposé pour chacun de ces groupes)15 :
Le Centre de Recherche en Psycho-Mathématique constitué dans les années 60 autour de Zoltan P.
Diénès à l’université de Sherbrooke. Les données dont nous disposions sont constituées du rapport
annuel du centre 16(Diénès, 1973-a) et, de manière complémentaire, de différents textes venant éclairer
le projet sous-jacent ( Diénès, 1960, Diénès et al., 1965, Diénès, 1971, 1973-b, 1987, Post, 1981,
Sriraman et Lesh, 2007).
Dieter Lunkenbein, didacticien des mathématiques ayant travaillé dans les années 80 à l’université de
Sherbrooke. Il est important de préciser ici, en lien avec notre choix présenté précédemment de
travailler sur des groupes, les raisons qui nous ont conduit à retenir le travail de ce chercheur. À la fois
13
On peut penser par exemple ici à l’apport de mathématiciens comme Fernand Lemay ou à d’autres didacticiens qui
n’étaient nullement attachés à un groupe de recherche, et qui ont pourtant joué par leurs réflexions, un rôle important.
14
On peut penser par exemple ici à documenter le travail mené par le groupe qui s’est constitué autour de logo, groupe qui
réunissait plusieurs formateurs-chercheurs (Montpetit, Taurisson, Côté, Erlwanger, Hillel, Kieran), en s’intéressant aux
filiations que ce travail a eu par la suite dans le développement de la recherche sur l’utilisation des technologies en
enseignement des mathématiques. On peut également chercher à documenter le travail mené par le groupe de recherche
réuni autour de Bergeron et Hercovics et leur modèle de compréhension en mathématiques.
15
Les traces des travaux de recherche menés dans ces groupes n’ont pas nécessairement été aisées à retrouver, et en ce sens
notre travail ne peut prétendre à l’exhaustivité. Par exemple plusieurs données n’étaient pas disponibles (c’est le cas des
différents rapports et textes produits par le centre de recherche en psycho mathématique). Nous avons pu, dans le cas du
CRD et du CIRADE, bénéficier de l’apport du service des archives et de gestion des documents de l’UQAM. Nous avons
également pu bénéficier de l’apport de collègues (pour certains des textes de Lunkenbein ou de Diénès). Je tiens ici tout
particulièrement à remercier Richard Pallascio et Bernard Héraud pour leur contribution. Plusieurs des textes produits par
les différents groupes considérés ont cependant disparu ou ne sont pas accessibles. Il pourrait être intéressant, dans un projet
futur, pour le GDM, de retracer ces documents, de les répertorier, de les archiver, voire numériser, de manière à se donner
une mémoire collective du travail réalisé en didactique des mathématiques au Québec.
16
Les différents rapports, documents internes produits par le centre n’ont pu être retracés par nous, ces derniers ayant, à
notre connaissance, disparu.
26
Nadine BEDNARZ
en continuité avec Diénès, dont il a été un des assistants au centre de recherche en psycho-
mathématique, mais aussi en différentiation avec lui, comme nous le verrons par la suite, il a été le
moteur d’un groupe de recherche en didactique des mathématiques à l’université de Sherbrooke et a
contribué à établir des liens avec le milieu scolaire (voir le rapport no 18 de l’équipe, 1977). Les
données ayant servi de base à l’analyse sont constituées de différents rapports (Lunkenbein, 1977-a,
1977-b, 1980 ; Allard et al., 1977) et d’articles écrits par ce chercheur qui permettent d’éclairer son
travail (Lunkenbein, 1983-a, Mitchelmore, Lunkenbein et al., 1983, Lunkenbein, 1984-1985) et sa
conception de la didactique (Lunkenbein, 1983-b).
Le Centre de Recherche en Didactique (CRD) mis sur pied en 1970 à l’Université du Québec à
Montréal; nous disposions ici de différents rapports annuels du centre (rapport annuel 73/74, 74/75,
76/77, 77-78) et de textes liés à des séminaires (séminaire sur l’objet, 71) ou à un important symposium
organisé par ce centre en 1971 (bulletin préparatoire 71, mémos autour du symposium, résumés des
conférences, textes de conférences et retranscriptions des échanges entre chercheurs).
Le Centre Interdisciplinaire de Recherche sur l’apprentissage et le développement en Éducation
(CIRADE), réunissant des chercheurs provenant de différentes universités, centre à l’activité duquel
nous avons participé dès sa création en 1980, dont nous avons été membre jusqu’en 2004, et directrice
de 1985 à 1996. Nous disposions ici des différentes « demandes de centres », de différents textes
publiés en lien avec des colloques (voir par exemple Janvier, 1987, Bednarz, 1986, 1987, 1989, Bednarz,
Garnier, 1989, Garnier, Bednarz, Ulanovskaya, 1991, Bednarz, Kieran, Lee, 1996, Bednarz, 98).
La Section didactique des mathématiques de l’Université du Québec à Montréal, constituée dès le
début de l’UQAM autour de la formation des enseignants et qui constituait dans les années 80 le noyau
le plus important, en terme de nombre, de didacticiens des mathématiques au Québec. Les documents
sur lesquels nous nous sommes basés sont formés d’articles écrits par les didacticiens de cette section
autour de la formation des enseignants, élément central de sa structuration progressive (voir notamment
Bednarz, 2001, Bednarz, Gattuso, 1999, Bednarz, Gattuso, Mary, 1995, Bednarz, Perrin-Glorian, 2005,
Dufour-Janvier, Hosson, 1999, Boileau, Garançon, 1993, Janvier 1994, 1996).
1.5.2La grille de lecture
Nous avons tenté de reconstruire, à partir du discours que nous possédions de ces différents groupes,
des réponses aux questions suivantes :
Quelle est leur vision de la didactique ? Sous-jacente à ces travaux partagés par un groupe, une certaine
vision de la didactique se dégage t-elle ? De quelle didactique parle t-on? Que recouvre t-elle?
Quelles étaient les finalités de ce travail en didactique des mathématiques, son projet ?
Que vise t-on à travers ce travail en didactique ? En particulier, quels sont ses liens avec la pratique ?
Quelles sont les filiations théoriques de ce travail ?
Des orientations méthodologiques spécifiques se dégagent-elles de ce travail (des manières d’approcher
le travail, les études, les analyses) ?
Avant d’aborder plus à fond ces travaux de recherche qui ont pris place dans des lieux et contextes
différents, et qui se chevauchent partiellement dans le temps, il apparaît intéressant de revenir sur les
orientations qu’ont pris les travaux de recherche en didactique des mathématiques dans d’autres pays.
Par ce bref aperçu, nous espérons pouvoir situer les projets plus larges dans lesquels s’inscrivent les
recherches en didactique des mathématiques, fort différents, comme nous le verrons, d’un groupe à
l’autre, montrant ainsi le caractère situé des pratiques didactiques développées. En ce sens, il serait sans
doute plus à propos de parler des didactiques des mathématiques que de la didactique. Plusieurs études
internationales confirment ce caractère fondamentalement situé, ancré en contexte des travaux de
recherche en didactique des mathématiques (voir Sierpinska et Kilpatrick, 1998, Leung, Graf, Lopez-
Real, 2006). Nous reviendrons brièvement sur ce point dans ce qui suit.
27
GDM 2007 – CONFÉRENCE D’OUVERTURE
Les orientations que prennent les travaux de recherche en didactique des mathématiques et, en
conséquence, les types de savoirs que les chercheurs construisent, sont tributaires des contextes
particuliers de leur production (Lave, 1988, Lave, Wenger, 1991). Ainsi des traditions de recherche se
sont développées localement avec leurs propres débats épistémologiques, leurs contraintes
institutionnelles, leurs questions de recherche, leurs méthodes, leurs résultats et critères (Ernest, 1998).
Ce sont, en quelque sorte, ces pratiques qu’il faut tenter de reconstruire, sous l’angle de leur projet, de
leurs finalités, de ce qui les fonde, des manières d’approcher la recherche qui les anime. La didactique
des mathématiques est ici attachée à la fois à un ensemble de pratiques17 et à un champ de
connaissances, ce qui l’inscrit dans une perspective développée récemment en sociologie des sciences
(Latour, 1987). Emprunter une telle perspective permet de comprendre les ancrages des travaux de
recherche en didactique, leur multiplicité de points de vue, de cadres de référence, de méthodologies, et
met en évidence, nous le verrons par la suite, le rôle structurant du contexte (on retrouve en effet des
orientations très différentes d’un groupe à l’autre).
« It is the practice of knowledge-making as it takes place in different contexts alones that specifies
what it is » (Ernest, 1998, p76).
Nous soulignerons plus particulièrement ici trois exemples illustrant ce qui précède.
17
C’est ici que j’ai cherché à me situer dans le travail de reconstruction des travaux faits au Québec. Maheureusement, et
c’est là une limite du travail, nous n’avions pas accès comme telles à ces pratiques passées, mais seulement aux différents
textes qui parlent de celles-ci.
28
Nadine BEDNARZ
Les savoirs mathématiques vont ainsi y jouer un rôle-clé.18 Cette référence à un savoir déjà institué, au
centre de la relation didactique, qui organise et structure les recherches en ce domaine, permet de
comprendre le caractère particulier de certains concepts produits par cette école, tel, par exemple, celui
de transposition didactique.
18
Il est à noter que la notion de pratique sociale de référence développée par Martinand (1993) est à la base d’une
différenciation importante entre certains travaux menés en didactique des sciences et ceux réalisés en didactique des
mathématiques.
29
GDM 2007 – CONFÉRENCE D’OUVERTURE
développement. À travers ce qui précède, des finalités distinctes se dessinent, des cadres théoriques et
des approches méthodologiques différentes se précisent. On perçoit ici le caractère multiréférentiel de
ces traditions, des pratiques qui les caractérisent et des connaissances qui en sont issues (cf tableau 1).
En ce sens, on peut parler non pas d’une didactique des mathématiques mais de didactiques des
mathématiques, renvoyant à un ensemble diversifié de connaissances et de pratiques sociales situées
(Ernest, 1998). C’est dans cette perspective qu’il nous est apparu intéressant de retracer les travaux de
recherche en didactique qui se sont développés au Québec au sein de différents groupes.
30
Nadine BEDNARZ
Zoltan P. Diénès mettra sur pied en 1967, à l’université de Sherbrooke, un centre de recherche en
psycho-mathématique19, dont il sera le directeur, et qui constituera un pôle d’attraction important pour
plusieurs chercheurs québécois en didactique des mathématiques (citons par exemple Claude Gaulin,
Bernard Héraud, Dieter Lunkenbein, Hélène Kayler qui y feront de fréquents séjours de longue durée).
Le centre de recherche de Diénès attirera également des visiteurs venus du monde entier, permettant
ainsi aux chercheurs québécois de rencontrer la communauté de recherche internationale en
enseignement des mathématiques. Diénès a été directeur de la revue « Journal of Structural Learning »
et a contribué, dans une large mesure, au développement international de cette revue. Il a été
activement impliqué dans la mise sur pied en 1968 d’un premier doctorat en psychomathématiques, à
l’université de Sherbrooke, doctorat qui jouera un rôle important dans la formation d’un premier noyau
de chercheurs en enseignement des mathématiques.
Diénès, qui avait entrepris, avant son arrivée au Canada, un travail à l’université de Leicester en
Angleterre, à Harvard aux États-Unis et à l’université d’Adélaïde en Australie, entretiendra de
nombreuses collaborations (comme nous le montre l’extrait du rapport annuel ci-dessous) avec des
chercheurs de différents pays. Citons notamment Tamas Varga en Hongrie, Malcolm A. Jeeves à
Adélaïde en Australie et John D. Williams en Angleterre.
« Plusieurs centres travaillent en étroite collaboration avec Sherbrooke. Mentionnons : (le) Heidelberg
Maths Project, administré par A. Abele ; Barcelone, administré par Ricardo Pons ; Las Palmas,
administré par J.B. Caparros Morata ; Neuquéen, Argentine, administré par L.E. Cerdeyra ; Porto
Alegre, Brésil, administré par P. Grossi ; l’université Simon Fraser, administré par J. Trivett ;
l’université de Dalhousie, Halifax, administré par G. Jeffery ; The Fleming School, New York,
administré par D.F. Correa ; le Bulmershe Project, Reading, dirigé par Peter Seaborne ; le projet
Budapest, dirigé par Tamas Varga » (Diénès, 1973-a, p 24)20
Ces quelques données contextuelles étant précisées, nous soulignerons maintenant ce qui ressort de
l’analyse des données examinées à partir de notre grille de lecture.
19
Le libellé du centre ne renvoie pas au terme didactique des mathématiques. Des recherches dans le domaine y seront
toutefois menées, influencées par la double composante mathématique et psychologique.
20
Au moment du rapport annuel que nous avons consulté (juin 1973), le centre avait 6 ans d’existence.
31
GDM 2007 – CONFÉRENCE D’OUVERTURE
penser (« a structural thinking »), mais aussi d’une certaine conception de l’apprentissage de ces
structures.
« Mathematics is characterized by structures, there is no denying this fact and in my opinion it is
important to expose students to these structures as early as possible. This does not mean we tell them
directly what these structures are but use mathematical games and other materials to help them discover
and understand these structures » (Propos de Diénès recueillis par Sriraman, 2007, p 61)
À partir de cette façon de penser, le plaisir qu’il peut y avoir à faire des mathématiques va être au
fondement, pour Diénès, de la création d’activités, de matériel, de jeux qu’il exploitera en classe avec
les enfants.
« What I have been doing for over 50 years is not so much…but critical thinking about what
mathematics is and what it can be used for and to have presented it as fun, as play, and in this sense it
can be self motivating because it is in itself a fun activity. I have critiqued mathematics being presented
as a boring repetitious activity as opposed to a way to think…..as a way to train the mind…, understand
patterns and relationships, in ways that are playful and fun » (p 64)
21
Les mises en garde qu’il fait sur le processus de symbolisation amené souvent trop tôt en mathématiques sont aujourd’hui
toujours d’actualité.
32
Nadine BEDNARZ
L’accent est mis sur le développement d’activités, de matériel, de programmes en lien avec un modèle
théorique, une théorie de l’apprentissage des structures abstraites développée par Diénès que l’on
cherche à documenter, dont on cherche à voir le potentiel et à cerner l’impact sur l’apprentissage des
enfants. On trouve ainsi des études en classes avec expérimentations, observations, des activités
menées à l’occasion dans des laboratoires sur des aspects spécifiques visant à mieux comprendre un
aspect particulier (études cliniques) et des recherches évaluatives visant à cerner les effets des
approches élaborées.
22
La mise au point d’activités et de programmes dans les écoles s’est avérée possible, durant cette période des années 1970,
dans la mesure où existait alors au Québec un programme cadre, laissant place à des initiatives locales.
33
GDM 2007 – CONFÉRENCE D’OUVERTURE
Le développement, jumelé à ce travail de recherche dans les classes, aura des retombées importantes
pour l’enseignement, prenant la forme de matériel, de programmes, d’activités, de jeux, comme en
témoignent les productions suivantes :
- La construction d’un programme scolaire pour l’élémentaire réparti sur une période de six
ans;
- Quelques composantes d’un programme pour les écoles secondaires (basé sur les
expériences concrètes de l’enfant) : un cours de logique, un cours sur les anneaux, sur les
corps et espaces vectoriels, un cours d’introduction des nombres réels;
- La conception, construction de matériel didactique nouveau : on peut penser ici aux blocs
multibases, aux blocs logiques, un matériel encore utilisé aujourd’hui;
- La conception de jeux, de manuels, de fiches de travail, de guides pour les enseignants;
- Des publications pour les enseignants sous forme d’articles, ce qui implique une dimension
de vulgarisation des recherches pour les enseignants;
- Des films en boucle 8 mm;
- Une importante production sur différents sujets: Nombres; ensembles et logique; géométrie
et probabilités; relations et fonctions; intégration de différentes disciplines (arts, langage et
mathématiques; langue et logique, langue et mathématiques).
En guise de conclusion
À travers ce qui précède, se dégage une certaine conception du travail de recherche en enseignement
des mathématiques, et par là de la didactique des mathématiques, qui demeure toutefois implicite dans
34
Nadine BEDNARZ
les écrits de Diénès. Cette didactique puise ses fondements dans les mathématiques (associées aux
structures), dans une certaine conception de l’activité mathématique (établir des relations, percevoir des
patterns, abstraire, généraliser) et dans la psychologie de l’apprentissage23. En s’intéressant au
processus fondamental d’apprentissage des structures abstraites, Diénès poursuit avant tout des buts
« pragmatiques », ce qu’il nous confirme d’ailleurs en rétrospective (Srimanan, Lesh, 2007)
« I have always been more practical in my theorizing than people like Piaget or Bruner. Let’s stick the
facts and see what is possible » p 70)
3.2.Lunkenbein
Les travaux de Lunkenbein et du groupe de didacticiens (voir Allard et al., 1977) qui prend place par la
suite à l’université de Sherbrooke, se situent dans la continuité de la pratique didactique mise en place
par Diénès : celle-ci reste en effet articulée sur un travail avec les enseignants dans les écoles. Cette
continuité semble a priori normale puisque Lunkenbein a été lui-même assistant de recherche au centre
de Diénès pendant 4 ans. Il a été l’un des premiers étudiants à s’inscrire au programme de doctorat
élaboré par Diénès en psychomathématique, avant de s’inscrire ensuite à l’Université Laval où il a
complété ce doctorat. Il se distancie toutefois également, nous le verrons par la suite, de Diénès par les
objets sur lesquels il travaille, les ancrages théoriques qui fondent ses travaux, et une certaine
conception de la didactique.
Ainsi tout en demeurant intéressé par le processus d’apprentissage des enfants (voir par exemple
Lunkenbein, 1981, 1984-85) comme l’était Diénès, et en restant influencé par les structures24 (voir par
exemple Lunkenbein, 1977-b), il conduira des recherches différentes, portant sur l’apprentissage et
l’enseignement de la géométrie dans les premières années de l’école élémentaire (voir par exemple
Lunkenbein, 1980, 1983-a, Mitchelmore, Lunkenbein et al., 1983).
Plusieurs textes de Lunkenbein nous permettent de préciser la conception de la didactique qui guide
son travail (voir Lunkenbein, 1977-a, 1983-b). C’est sur celle-ci que nous reviendrons plus
particulièrement maintenant à la lumière d’un article paru en 1983 dans le bulletin de l’AMQ. Ce texte
permet de comprendre l’ancrage de ses travaux.
23
La formation première de Diénès est une formation en mathématiques. Il a par ailleurs complété des études en
pyschologie de l’apprentissage des mathématiques.
24
Il s’agit moins en fait ici d’une influence venant des mathématiques, comme ce fut le cas pour Diénès, que d’une
influence provenant de la théorie piagétienne. Son travail sur la notion de groupement puise en effet ses fondements chez
Piaget.
35
GDM 2007 – CONFÉRENCE D’OUVERTURE
domaines dans lesquels puise la didactique (Wittmann), pour d’autres, la sociologie et la philosophie
sont des sources importantes à considérer pour la didactique (Higginson). Une absente dans ces
définitions, sauf chez Wittmann : la pratique de l’enseignement. C’est ce caractère interdisciplinaire
présent chez Wittmann et Higginson, au carrefour de plusieurs domaines, que reprendra Lunkenbein,
en y insérant la pratique de l’enseignement comme élément contribuant à la définition de la didactique.
25
Voir Wittmann, E. La didactique de la mathématique en tant que « science d’ingénieur », traduit par Lunkenbein et
Morcos, dans Lunkenbein, D. (1977-a). Didactique de la mathématique (pp 108-127). Université de Sherbrooke.
26
La philosophie et la sociologie présentes chez Higginson comme sources fondamentales ne se retrouvent donc pas ici au
même plan.
27
Cette prise en compte de la pratique comme ressource dans la conceptualisation de la didactique arrive ici dès 1983, bien
avant donc les travaux qui seront développés en didactique des mathématiques sur les pratiques d’enseignement. En ce sens,
la position de Lunkenbein fait figure d’avant-garde. On voit mal toutefois, dans cette caractérisation, comment cette
pratique agit en tant que ressource.
28
Le souligné dans le texte est de nous. Il vise à mettre en évidence cette articulation avec la pratique de l’enseignement.
36
Nadine BEDNARZ
L’action didactique va ainsi se vivre dans l’interaction entre des aspects disciplinaires, psychologiques,
pédagogiques et la réalité scolaire (figure 1)
Mathématiques
Didactique de Pédagogie
la
Psychologie
mathématique
Pratique de
l'enseignement
des
mathématiques
Cette définition met en lumière les influences possibles de la part des sciences ressources et de la
pratique, et permet d’expliciter, le jeu d’attentes à l’égard de celle-ci. Cette réflexion nous la reprenons
ici, car elle nous semble toujours d’actualité (cf figure 2). En effet, on perçoit bien à travers cette
analyse la situation conflictuelle que vit le didacticien lorsqu’il tente de justifier son travail et de
délimiter celui-ci. Du point de vue du mathématicien, pour remplir convenablement la tâche d’un
enseignant, une connaissance approfondie du contenu suffit. La didactique des mathématiques se réduit
alors à des analyses mathématiques de contenus, niant ainsi le regard spécifique que le didacticien peut
être amené à poser sur les mathématiques elles-mêmes. La vision psychologique des problèmes peut
être de son côté à l’origine de distorsions considérables, et la didactique des mathématiques, vue
comme une application particulière de la pédagogie, conduit au danger de négliger la spécificité de
l’activité mathématique dans les analyses réalisées. On conçoit par ailleurs, avec cette analyse, qu’il
n’est pas facile pour le didacticien de ne pas céder aux pressions du praticien et de ne pas formuler trop
vite des suggestions pratiques à partir de résultats de recherche.
37
GDM 2007 – CONFÉRENCE D’OUVERTURE
Le mathématicien:
considère la DM comme un prolongement de
la mathématique élémentaire
la connaissance mathématique est le seul
facteur important....
le didacticien doit être avant tout un bon
mathématicien (possiblement avec quelques
expériences d'enseignement).
Le pédagogue:
considère la DM comme un champ
d'application d'une didactique
générale indépendante de tout contenu
spécifique
demande au didacticien d'avoir une
Didactique de vision généraliste, toute affinité avec la
la structure d'une matière est trop vite
Le psychologue: interprétée comme étroitesse du
considère la DM comme un champ mathématique
spécialiste
d'application du développement.. la DM peut prendre l'allure d'une
demande au didacticien d'avoir une méthodologie de l'enseignement des
vision psychologique des problèmes... mathématiques
Le praticien:
considère la DM comme une collection de
suggestions pratiques facilitant la tâche de
l'enseignant
aversion contre les considérations
théoriques
souhaite des méthodes pratiques
d'enseignement du contenu du
programme donné
38
Nadine BEDNARZ
39
GDM 2007 – CONFÉRENCE D’OUVERTURE
En guise de conclusion
Le travail mené dans les années 80 à l’université de Sherbrooke autour de Lunkenbein prend donc une
orientation quelque peu différente de celle que lui avait donné Diénès. Une certaine vision de la
didactique des mathématiques30 prend forme autour d’un projet dont les racines sont à chercher dans la
pratique de l’enseignement des mathématiques, les problèmes auxquels il est confronté, et dont la
finalité est l’amélioration et l’avancement de cet enseignement. Les influences de la théorie piagétienne
vont être ici très importantes, guidant le chercheur, lorsqu’il aborde l’enseignement, dans une certaine
direction. Les recherches sur l’enseignement de la géométrie à l’élémentaire illustrent clairement cette
influence.
Avec les groupes de recherche qui suivent, nous nous déplaçons géographiquement vers une autre
région, celle de l’île de Montréal.
30
Le terme didactique est ici explicite, ce qui n’était pas le cas chez Diénès. Rappelons que le centre portait le nom de
centre de recherche en psycho-mathématique.
31
Comme son nom l’indique, les travaux du centre ne se situent pas exclusivement en didactique des mathématiques. Nous
avons toutefois jugé bon de nous attarder à ce centre qui a joué un rôle important dans la réflexion théorique qu’il a initiée et
qui a regroupé en son sein un certain nombre de chercheurs en didactique des mathématiques.
32
Albert Morf a travaillé au préalable avec Adrien Pinard et Thérèse Gouin-Décarie à l’institut de psychologie de
l’université de Montréal.
33
Nous tenons tout particulièrement ici à remercier Pauline Provencher qui nous a aidé à situer le contexte dans lequel a pris
place le CRD.
40
Nadine BEDNARZ
d’universités québécoises et étrangères, notamment Hans Aebli (université de Berne), François Bresson
(université de Paris), Jean-Paul Brodeur (UQAM), Jean-Claude Gagnon (université Laval), Jean-Blaise
Grize (université de Neufchâtel), Gérard Vergnaud (université de Paris) (voir rapport annuel 73-74, p
32)
3.3.2. Les travaux de recherche menés en didactique des mathématiques : quel projet ? quels objets ?
quelles filiations théoriques ? quelles approches
Plusieurs projets de recherche portant sur l’enseignement des mathématiques prendront place entre les
années 1970 et 1980 :
- Intervention et évolution des états de connaissance dans la didactique des sciences à
l’élémentaire (responsable Maurice Bélanger). Dans ce travail qui portera sur les mesures,
un lien avec les mathématiques peut être fait (ce projet est cité dans les rapports annuels 73-
74, 74-75, 76-77);
- Problèmes didactiques dans l’apprentissage des mathématiques au niveau de l’élémentaire
en milieux défavorisés (responsable : Maurice Bélanger) (cité dans les rapports annuels 74-
75, 76-77, 77-78);
- Algorithme et connaissance (responsable Michel Desjardins) (projet cité dans le rapport
annuel 73-74);
- Communication, symbolisation et initiative en situation didactique (responsable Michel
Desjardins) (cité dans le rapport annuel 74-75);
- La compréhension en mathématiques chez l’enfant de l’élémentaire (Responsable Nadine
Bednarz)34 (cité dans le rapport annuel 76-77, 77-78).
Nous reviendrons plus spécifiquement sur certains de ces projets.
34
Avec ce projet de recherche, Nadine Bednarz a été impliquée au CRD vers la fin de la vie du centre. Différents chercheurs
sont intervenus dans ce projet portant sur la compréhension en mathématiques à l’élémentaire : Charles de Flandre, Claude
Dubé, Hélène Kayler, André Boileau du département de mathématiques de l’UQAM. Les chercheurs Zoltan Diénès, Gérard
Noelting, et Dieter Lunkenbein ont travaillé avec l’équipe à titre de consultants.
41
GDM 2007 – CONFÉRENCE D’OUVERTURE
3.3.2.1 Intervention et évolution des états de connaissance dans la didactique des sciences à
l’élémentaire (responsable Maurice Bélanger)
Cette équipe qui a réuni, au fil du temps, plusieurs chercheurs, enseignants et assistants de recherche35,
a travaillé sur la didactique des sciences à l’élémentaire. Plusieurs programmes, traductions en langue
française de programmes américains, approuvés par le ministère de l’éducation dans le cadre du
programme cadre de 1970, sont alors utilisés dans les écoles. Peu de données sont toutefois
disponibles, nous dit le rapport annuel de 73-74, sur ces programmes et leur influence sur la
construction de connaissances par les enfants.
« Les quelques études faites aux États-Unis ou au Canada ne permettent pas de comprendre quels sont
les aspects des méthodes qui ont des effets souhaitables sur l’évolution des connaissances scientifiques
chez les enfants » (p 5). Cette absence de connaissances sur le rôle des interventions dans l’évolution
des connaissances des enfants est à l’origine du présent projet de recherche. Sa visée au départ, comme
nous le verrons par la suite, est théorique.
Quel projet ?
La visée théorique du projet est clairement énoncée dans le rapport annuel de 73-74 :
« Un grand nombre de recherches en éducation sont faites de façon empirique et ne peuvent alors
fournir que des faits qu’il est impossible de relier entre eux. Nous avons voulu élaborer un schème de
référence qui nous permette de situer nos résultats, cela explique que la première partie du travail
(1971-1972, 1972-1973) soit effectuée surtout à un niveau théorique» (p 6).
Cette visée est confirmée dans le travail anticipé par l’équipe pour 73-75 :
« Dans les années 73-74 et 74-75, nous voulons étudier des connaissances précises dans le domaine
des sciences pour mettre à l’épreuve notre schème théorique et en même temps construire des types
d’interactions utilisables par les maîtres d’école » (p 6). Les connaissances que l’équipe a choisi
d’étudier sont celles relatives à la mesure (mesure de longueur, mesure de poids, …) et les
interventions qui sont plus spécifiquement ciblées sont ce que les chercheurs appelleront « des
interventions-problèmes » 36.
Toutefois on retrouve, par la suite, dans ce projet (rapport annuel 74-75) un aspect pratique, la
démarche de recherche mettant l’accent sur l’élaboration de problèmes de sciences en collaboration
avec des enseignants ainsi que leur expérimentation dans les écoles (projet nommé « Boîte de
sciences ») :
« Avec un groupe de professeurs de Ville Brossard, nous avons élaboré une série de situations-
problèmes qui ont été expérimentées dans leur classe de 6ème année. D’autres professeurs se sont
ensuite joints au groupe initial et nous avons pu former un matériel de quelques 40 situations-
problèmes. Le matériel nécessaire à chaque situation-problème fut présenté dans une boîte séparée d’où
le titre du projet : projet boîtes des sciences. Ces boîtes de sciences sont présentement en
expérimentation dans deux écoles, ce qui nous permettra au cours de l’année d’évaluer comment cette
méthode a favorisé l’évolution des connaissances scientifiques de ces enfants » (rapport annuel 74-75,
p 5-6).
Deux aspects sont ainsi imbriqués :
- un aspect développement issu de la recherche : constitué d’un matériel de 40 situations-
problèmes.
35
L’équipe des sciences était formée, par exemple en 74-75, de Maurice Bélanger, Nicole Fortin, Robert Letendre, Elie
Martin, Bernard Lefebvre, Alain Constant, Denise Frigonon, Hélène Gagnon, Hélène Lajoie, Bernadette Ostiguy, Céline
Roy, André Roux, Guy Boisvert, Lina Tremblay.
36
Interventions articulées sur une situation-problème
42
Nadine BEDNARZ
- un aspect recherche centré sur : d’une part, l’analyse de la démarche faite par l’enfant pour
résoudre un problème issu de ces boîtes de sciences (conception initiale du problème,
modification de ses connaissances à partir de l’expérimentation avec les objets) ; d’autre
part, l’étude des « schèmes » d’une équipe de professeurs (système de concepts, valeurs…)
dans leur travail d’élaboration d’une didactique, de construction d’une stratégie
d’intervention. On perçoit la visée théorique évidente de ce projet :
« Il ne faut pas négliger l’aspect théorique qui consiste, en relation avec un autre projet du
CRD, à déterminer le rôle très important joué par l’ensemble des concepts et des valeurs du
créateur de programme dans l’organisation de son programme. Ce système de valeurs,
appelé « les schèmes du maître », m’est apparu être la pierre angulaire de la construction
d’une stratégie d’intervention. Le projet « Boîtes des sciences » nous a permis d’étudier les
schèmes d’une équipe de professeurs dans leur travail d’élaboration d’une didactique »
(rapport annuel 74-75, p 6).
37
En 73-74, par exemple l’équipe était formée de Michel Desjardins, Viviane Aubé-Tremblay, Daniel Desjardins, Louise
Desroches, Claude Dubé, Louise Forest, Andrée Lallo, Carole Ledoux, Reine-Claire Lussier, Guy Boisvert, Denis Ledoux.
Guy et Nadine Brousseau sont intervenus comme invités dans le cadre de ce projet
43
GDM 2007 – CONFÉRENCE D’OUVERTURE
Quel projet ?
Ces travaux avaient pour objectif principal « d’étudier les conditions didactiques favorables à
l’élaboration d’algorithmes par l’enfant, tant en mathématiques qu’en sciences. L’hypothèse principale
était que l’élaboration d’algorithmes représentait une condition utile pour l’opérationnalisation
momentanée des états de connaissance de l’enfant ainsi que pour leur transformation subséquente »
(rapport annuel 73-74, p 11).
Quel projet?
On cherche ici à mieux connaître le fonctionnement de ces enfants et à développer des stratégies
particulières d’intervention. Le projet rejoint ainsi, dès cette époque, une préoccupation d’adaptation
partagée par plusieurs chercheurs actuels en didactique des mathématiques au Québec. Il est centré sur
« l’étude d’un sous-groupe d’enfants de milieux défavorisés dans le but de créer pour eux une
didactique appropriée » (rapport 74-75, p 5).
Quels objets ?
Ce travail amènera les chercheurs à explorer le concept théorique de « connaissance défavorisée, pris
ici au sens d’une hypothèse intuitive susceptible de donner de nouvelles orientations de recherche dans
le domaine de l’éducation en milieu défavorisé » (rapport 73/74, p 8). Par ce biais, il les amènera à
s’intéresser aux erreurs des élèves, et à l’élaboration d’interventions didactiques appropriées.
44
Nadine BEDNARZ
38
Dans les différents mémos relatifs au symposium, différents titres apparaissent : « La validité de la psychologie génétique
comme fondement de la didactique »(plan du symposium, document no1); « Fondements scientifiques de la
didactique »(mémo); « La psychologie opératoire : sa portée comme science de référence pour la didactique » (compte
rendu du symposium, plan provisoire). Quoiqu’il en soit, le symposium se voulait l’occasion de discuter ouvertement toutes
les questions que pose la recherche scientifique dans le domaine de la didactique. On y retrouvait le projet sous-jacent du
CRD à travers la question de fond ici débattue : pouvons-nous parler d’une didactique scientifique, au sens de « faire
scientifiquement ce qui était fait de façon artisanale autrefois? chercher des faits spécifiquement didactiques à travers une
pratique de la didactique, cette pratique pouvant s’appuyer sur des moyens scientifiques d’analyse; identifier-reformuler-
résoudre scientifiquement les problèmes d’enseignement qui se posent » (Mémo, 1971)
39
Nous ne prétendons nullement ici à une analyse systématique des propos ce qui demanderait un codage complet des
retranscriptions.
45
GDM 2007 – CONFÉRENCE D’OUVERTURE
- « Le problème didactique, mot dans lequel je ne vois rien de péjoratif, c’est l’ajustement des
méthodes d’enseignement par rapport aux problèmes généraux de la pédagogie » (discours
d’ouverture, discussion, 1971, p 4).
- « X a dit que la didactique lui paraissait pouvoir et devoir être conçue comme une science et
comme une science à part entière, et il a dit à cet égard qu’il était, que naturellement la
didactique devait fonder des pratiques d’enseignement et qu’on pouvait la concevoir comme
une science théorique. Est-ce que (cette science) c’est simplement la théorisation des actions et
des interactions du maître et de l’élève? » (discussion sur la conférence de Grize, p 11, 12)
- « J’inclinerais aujourd’hui à penser que la théorie didactique, s’il doit y en avoir une, est une
théorie à plusieurs facettes, parce que la didactique en tant que telle ne me semble pas du tout
être une science au sens habituel où l’on prend ce terme, (référant plus loin au terme
« technologie ») nous disons technologie parce que l’enseignement et la didactique ne sont pas
des sciences, ce sont des pratiques. La médecine n’est pas une science, la biologie est une
science, la médecine n’est pas une science » (discussion sur la conférence de Grize, p 12)
À travers les propos précédents, la didactique est conçue comme une science permettant de fonder des
pratiques d’enseignement ou, à l’opposé, une praxéologie, renvoyant à des pratiques. Le terme est
utilisé dans un sens large portant sur les interventions d’un individu sur les connaissances d’autrui (pas
seulement celles relatives à l’enseignement) ou, dans un sens plus spécifique, s’intéressant à
l’enseignement et aux interactions entre un maître et des élèves.
La relation didactique-psychologie est aussi interrogée et une distance nécessaire par rapport à la
psychologie se dégage clairement des discussions. Celle-ci n’apparaît nullement comme une base
suffisante et adéquate pour la conception d’enseignements ou de stratégies d’action « sur un élève ».
Une importation des concepts, des méthodes est impossible et ceux-ci ne peuvent être choisis
déductivement à partir de la psychologie, dira lui-même Piaget :
« (il y a) nécessité de constituer une étude spéciale de la didactique à la fois appuyée sur la psychologie
et très distincte de la psychologie (…) s’adapter à une classe, c’est vraiment tout autre chose que de
faire de la psychologie sur des élèves du même âge. Il est absolument exclu de penser que l’on puisse
tirer directement de la psychologie une didactique (…) Je pense par exemple à l’enseignement de
l’arithmétique, il peut y avoir toutes sortes de manières de présenter les choses. Le psychologue ne peut
pas vous dire a priori que celle-là est meilleure que celle-là. Il faut faire des expériences didactiques, et
pas des expériences psychologiques, expériences didactiques qui sont, bien entendu, beaucoup plus
laborieuses (en raison du temps qu’elles prendront). C’est donc une science qui me paraît nécessaire à
fonder, mais beaucoup plus délicate que la psychologie, beaucoup plus coûteuse parce qu’elle prend
beaucoup plus de temps et suppose plus d’efforts » (discours d’ouverture, discussion, p 4-6).
Un dernier élément qui ressort de ce symposium touche à l’importance de la dimension
épistémologique qui, elle, apparaît fondamentale pour les travaux de recherche en didactique. Ainsi, si
la théorie opératoire apparaît comme un point de repère fondamental40 pour la recherche en didactique
des mathématiques41 (ce que l’on perçoit bien dans les travaux du centre repris précédemment), c’est
plus, comme le dit lui-même Piaget, comme une référence épistémologique.
40
Avec d’autres épistémologies qui également sont mentionnées dans les discussions (épistémologie des sciences,
épistémologie de la pratique)
41
Cette dimension apparaît particulièrement importante dans les travaux de recherche qui ont été développés au Québec
(voir les projets menés au CRD dans les années 70, les recherches de Lunkenbein dans les années 80, et par la suite les
travaux menés au CIRADE dans les années 80-90)
46
Nadine BEDNARZ
« Il n’y a pas moyen d’utiliser la psychologie opératoire, quel que soit le parti qu’on veut en tirer, sans
mettre l’accent sur l’épistémologie. La psychologie opératoire est née d’une épistémologie. C’est parce
que je me suis posé par exemple des problèmes épistémologiques que j’ai rencontré le problème de la
conservation » (discussion sur la conférence de Bélanger, p.1).
En guise de conclusion
Il se dégage de ce noyau de chercheurs, un projet spécifique finalisé par l’établissement d’une
didactique scientifique, plus proche en cela des travaux de la didactique élaborée en France que des
travaux de recherche menés à la même époque dans le centre de recherche de Diénès. Il s’agit de
travaux de recherche dont les fondements vont toutefois puiser à la théorie piagétienne et
l’épistémologie constructiviste, rejoignant en cela ceux menés plus tard à Sherbrooke avec Lunkenbein.
42
Un premier noyau, provenant du collègue Ste-Marie, se structure autour de la formation des enseignants en
mathématiques, l’un des axes de l’UQÀM dès sa création. On retrouvera dans cette section notamment Claudette Maury,
Liliane Bulota, Bernadette Janvier, Claude Janvier, Gilbert Paquette, Claude Gaulin, Hélène Kayler, Claude Dubé, Jacques
Lefebvre, Léon Colas, Nadine Bednarz, Maurice Garançon; s’y sont ajoutés par la suite Charles de Flandre, André Boileau,
Louis Charbonneau, Carolyn Kieran, Benoît Côté, Alain Taurisson, Richard Pallascio.
47
GDM 2007 – CONFÉRENCE D’OUVERTURE
48
Nadine BEDNARZ
43
Nadine Bednarz était membre de l’équipe fondatrice du CIRADE (1979-1980). Parmi les chercheurs du centre en 1981,
figurent Claude Janvier, Maurice Bélanger. Le CIRADE regroupait à ses débuts des chercheurs du département de
psychologie, de sciences de l’éducation et de mathématiques de l’UQAM. Une scission s’est produite en 1983, donnant lieu
à une réorientation majeure des travaux du centre, autour de la thématique de l’appropriation des savoirs. Claude Janvier a
été directeur du centre de 1984 à 1985. Nadine Bednarz en a été la directrice de 1985 à 1991, puis de 1992 à 1996, Richard
Pallascio assumant la direction intérimaire de 1991 à 1992. Le CIRADE a été reconnu centre de recherche par le fonds
FCAR dès 1986 et ce jusqu’en 2004.
49
GDM 2007 – CONFÉRENCE D’OUVERTURE
importante: Nadine Bednarz, Claude Janvier, Bernadette Janvier, Maurice Bélanger, Gisèle Lemoyne,
Richard Pallascio, Carolyn Kieran, Jacinthe Giroux, Louise Lafortune, Philippe Jonnaert, Caroline
Lajoie, Fernando Hitt.
Plusieurs jeunes chercheurs en didactique des mathématiques y ont été formés44, bénéficiant non
seulement de la supervision des chercheurs du centre, en tant que directeurs de thèse ou de mémoires,
mais de la vie scientifique intense qui y a eu lieu, à travers la tenue de séminaires, colloques ou grâce à
la présence de nombreux chercheurs invités. Plusieurs chercheurs y ont en effet séjourné, notamment
Efraim Fishbein, Colette Laborde, Henrich Bauersfeld, Ernst Von Glasersfeld, Kenneth Tobin, Anncik
Weil Barais, Gaalen Erickson, Geoffrey Saxe, Guy Brousseau, Yves Chevallard.
Plusieurs séminaires réguliers et colloques internationaux y ont été organisés45, ouverts à une
communauté plus large de chercheurs en didactique et de praticiens. On peut penser par exemple au
colloque sur les représentations dans l’apprentissage et l’enseignement des mathématiques (voir
Janvier, 1987), réunissant des chercheurs invités tels James Kaput, Richard Lesh, John Mason, Ernst
Von Glasersfeld, Gerald Goldin, Andrea diSessa, Gérard Vergnaud; au colloque sur les notions
d’obstacle épistémologique et de conflit socio-cognitif dans l’apprentissage (Voir Bednarz, Garnier,
1989) qui réunissait, parmi les invités, des didacticiens des mathématiques ( Gérard Vergnaud, Guy
Brousseau, Laureen Resnick, Anna Sierpinska), des didacticiens des sciences (Laurence Viennot,
Andrée Tiberghien, Samuel Joshua, Jean-Louis Martinand, André Giordan), des psychosociologues
(Michel Gilly, Agnès Blaye, Maria Luisa Schubauer Leoni, Serge Moscovici), des épistémologues
(Ernst Von Glasersfeld); ou encore, le colloque sur l’émergence et le développement de la pensée
algébrique (réunissant des chercheurs invités tels Teresa Rojano, Ricardo Nemirovsky, Luis Radford,
John Mason, David Wheeler, Katleen Heid) (voir Bednarz, Kieran, Lee, 1996).
Cette activité scientifique intense a constitué un forum important de discussions, d’échanges pour la
communauté de chercheurs et d’étudiants du centre, mais aussi pour la communauté éducative plus
large, contribuant à l’établissement graduel d’une entreprise commune et d’un répertoire partagé.
Quelle conception de la didactique se dégage de ces travaux ?
44
On peut penser notamment à Jacinthe Giroux, Louise Poirier, Sylvine Schmidt, Suzanne Vincent, Sophie René de Cotret,
Lily Bacon, Michel Beaudoin, aux étudiants de maîtrise et doctorat de l’école normale de Marrakech qui y ont séjourné
pendant plusieurs années.
45
Ces séminaires ont été publiés dans les cahiers du CIRADE, et souvent filmés (plusieurs vidéos de ces séminaires sont
disponibles); les colloques ont tous fait l’objet de publications externes ou internes.
50
Nadine BEDNARZ
travaux de recherche en didactique des mathématiques, contribuant à intégrer davantage les dimensions
épistémologique et sociologique. En ce sens, la confrontation au sein du CIRADE entre différentes
problématiques didactiques a contribué à ouvrir un espace de possibilités pour la didactique des
mathématiques elle-même.
Un autre élément ayant joué un rôle non négligeable dans l’évolution des travaux de recherche en
didactique des mathématiques au CIRADE a été la mise en place des écoles-recherches dès 1990,
expérience qui fut à l’origine du développement des recherches collaboratives avec les praticiens de ces
écoles, puis d’autres écoles. Cherchant à répondre au constat d’éloignement de la recherche par rapport
à la pratique, ces travaux ont permis de développer de nouvelles connaissances en didactique des
mathématiques prenant en compte le point de vue des enseignants et leurs savoirs d’expérience dans la
construction de nouveaux savoirs didactiques liés à la pratique (Bednarz, sous presse).
Enfin, un dernier élément non négligeable dans l’évolution des recherches développées au centre, est le
travail de recherche engagé par plusieurs chercheurs en dehors de l’école : notamment, dans les études
de Claude Janvier portant sur les raisonnements de techniciens en électronique en contexte de travail,
ou celles de Richard Pallascio portant sur le développement de la représentation spatiale chez les Inuit.
De ce travail se dégage donc une conception qui sort du cadre usuel de la didactique des
mathématiques : une didactique ouverte à d’autres didactiques dans d’autres disciplines, une didactique
cherchant à articuler davantage didactique de recherche et didactique praticienne par le travail dans les
écoles-recherches et les recherches collaboratives, une didactique dans laquelle le rôle structurant du
contexte apparaît central, en particulier dans les travaux réalisés en dehors du cadre scolaire.
51
GDM 2007 – CONFÉRENCE D’OUVERTURE
3.6.Retour sur les analyses réalisées sur différents groupes : une lecture transversale
En reprenant la grille de lecture que nous avons précisée au début de ce texte (voir 1.5.2), nous ferons
une lecture transversale des analyses réalisées dans les différents groupes de recherche, de manière à
mettre en évidence le portrait qui s’en dégage.
46
Le terme novateur est ici pris dans le sens suivant : les thèmes abordés dans ces recherches ont souvent été repris par la
communauté de chercheurs en didactique des mathématiques, et ce, bien après que ces thématiques aient été abordées et
traitées par les chercheurs du CIRADE.
52
Nadine BEDNARZ
Une didactique
scientifique
(CRD)
Le projet: asseoir
la didactique sur des
fondements solides
Une DM
-ouverte sur d'autres
DM science professionnelle didactiques
de l'enseignant -une prise en compte de la
(Lunkenbein) didactique praticienne
-une didactique ancrée en
contexte
(CIRADE)
Figure 4 : Vision de la didactique des mathématiques qui se dégage de l’analyse des différents groupes
53
GDM 2007 – CONFÉRENCE D’OUVERTURE
54
Nadine BEDNARZ
3.6.4. Quels sont les liens des recherches développées dans ces groupes avec la pratique?
Dans le cas du CRD, le chercheur occupe une position externe par rapport à la pratique : il travaille sur
des expériences didactiques dont il contrôle les conditions, expériences menées en classe auprès de
différents groupes. La visée est avant tout théorique : elle vise à mettre à l’épreuve un certain nombre
de schèmes théoriques. L’enseignant est ici absent du corpus de données et de l’analyse.47
Plusieurs groupes vont chercher à prendre en compte, à l’opposé, la situation réelle de la classe. C’est
le cas notamment du centre de recherche en psycho-mathématique, dans lequel du matériel, des jeux,
des programmes sont élaborés et expérimentés dans des contextes éducatifs divers, et dont les
retombées sont nombreuses : élaboration de matériel, jeux, fiches, livres, films... C’est le cas également
des recherches menées par Lunkenbein, par les chercheurs du CIRADE et de la section didactique de
l’UQAM, où des situations d’enseignement sont élaborées auprès de groupes d’élèves ou de classes,
sur une longue période de temps. Les retombées de ces recherches, dans le cas de la section didactique
de l’UQAM, prennent la forme d’outils conceptuels, de situations d’enseignement, d’un cadre de
référence réinvesti dans la formation. L’enseignant est toutefois absent de la conception de ces
situations et de leur analyse, et l’éclairage sur la formation est peu documenté.
Finalement, dans les recherches collaboratives développées à partir de 1990 au CIRADE, l’enseignant
est un élément central, intervenant avec le chercheur dans la co-construction de savoirs liés à la
pratique en enseignement des mathématiques. Les retombées de ces recherches servent à la fois la
recherche et la pratique, contribuant, d’une part, au développement professionnel des enseignants
impliqués dans ces recherches et apportant, d’autre part, sur le plan de la recherche, un éclairage sur la
didactique praticienne et les contributions respectives des enseignants et des chercheurs dans
l’élaboration de situations d’enseignement en mathématiques, non seulement fécondes sur le plan des
apprentissages mais également viables en pratique.
47
On observe toutefois, une différence dans le cas du projet portant sur l’apprentissage et l’enseignement en milieu
défavorisé. La visée n’y est pas seulement théorique et l’enseignant, par la mise en évidence « des schèmes du maître », fait
partie intégrante de l’analyse.
55
GDM 2007 – CONFÉRENCE D’OUVERTURE
CONCLUSION
Les analyses précédentes révèlent la richesse et la diversité des premiers travaux de recherche menés en
didactique des mathématiques au Québec au sein des groupes considérés. Une communauté de
chercheurs, caractérisée par la diversité, émerge de cette analyse, rejoignant en cela ce que révélait
Mura dans l’enquête menée en 1993 (Mura, 1998). Toutefois, à partir de ce qui ressort de l’analyse
menée dans ces différents groupes, ce retour aux sources vient considérablement enrichir notre vision
de la didactique des mathématiques. Cette dernière dépasse en effet (cf figure 4) la simple dichotomie :
analyser, expliquer, comprendre les phénomènes d’enseignement des mathématiques, et contribuer à
l’amélioration de cet enseignement.
On assiste par ailleurs, au fil du temps, à une diversification et une complexification des recherches en
didactique des mathématiques, à la fois du point de vue des objets abordés, des outils théoriques
mobilisés et des approches méthodologiques mises en oeuvre. Cette analyse nous permet de
reconstruire le sens profond des travaux de recherche menés en didactique des mathématiques au
Québec, dans différents groupes, et de repérer, au-delà du portrait diversifié qui en ressort, les filiations
théoriques qui traversent ces différentes recherches.
À travers leur vision de la didactique et un projet articulé, pour plusieurs d’entre eux, sur la pratique
d’enseignement ou (et) des préoccupations de formation, un autre lien les unit. Cette articulation avec
la pratique est présente dans le centre de Diénès, chez Lukenbein, dans le travail de la section
didactique de l’UQAM et dans les recherches collaboratives menées au CIRADE. La richesse des
ressources mobilisées et les retombées de ces travaux, illustrent par ailleurs la force et le dynamisme
de la didactique des mathématiques au Québec durant cette période. Ils montrent l’importance de la
poursuite du travail de mise en commun que nous avons amorcée à l’occasion de cette reconstruction.
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Nadine BEDNARZ
61
62
LECTURE PUBLIQUE
63
64
Richard PALLASCIO et Philippe JONNAERT
PSYCHOLOGIE ET DIDACTIQUE
JEAN PIAGET 48
Arrangements par Richard Pallascio et Philippe Jonnaert, professeurs,
département de mathématiques, UQAM 49
Présentation
Le texte qui suit provient des verbatims de la conférence que prononce Monsieur Jean Piaget à
l’Université du Québec à Montréal, le 19 octobre 1971. M. Piaget s’exprime en tant que conférencier
principal au symposium organisé par le Centre de recherche en didactique (CRD), dirigé alors par
Messieurs Albert Morf et Maurice Bélanger. Le CRD se transforme quelque temps après en Centre
Interdisciplinaire de Recherche sur l’Apprentissage et le Développement en Éducation (CIRADE).
Au début des années soixante-dix, un courant de réformes curriculaires balaye de nombreux systèmes
éducatifs à travers le monde. Beaucoup de programmes de mathématiques introduisent alors la
mathématique moderne et ce, dès les premiers apprentissages à l’école primaire. La conférence de Jean
Piaget en 1971, se déroule dans ce contexte. Aujourd’hui, c’est sans doute cette similitude avec le
contexte contemporain de réformes qui lui confère toute son actualité.
L’essentiel de cette conférence et des discussions qui l’ont suivie, a été présenté lors du colloque du
Groupe de Didactique des Mathématiques du Québec (GMD) qui se tenait à l’UQAR (Rimouski,
Québec) en juin 2007. Cette présentation et cette publication ont été aimablement autorisées par
Monsieur Laurent Piaget, représentant de la succession Jean Piaget et par Monsieur Jacques Vonêche,
directeur des Archives Jean Piaget à l’Université de Genève.
48
Jean Piaget, octobre 1971 : photo prise lors de sa conférence publique, école Le Plateau, Montréal. Numérisation :
Bernard Massé.
49
Nos remerciements vont à Madame Pauline Provencher pour avoir conservé précieusement ces verbatims de la dernière
conférence de Jean Piaget au Québec, de même qu’à Madame Valérie Djédjé pour le traitement de ce texte.
65
GDM 2007 – LECTURE PUBLIQUE
On donne au sujet deux boules suspendues à deux fils reliés par un fil transversal et on fait osciller
l’une des boules. Cette dernière joue un rôle actif et finit par entraîner le mouvement de l’autre. Par la
suite, l’autre boule manifeste un mouvement de plus en plus rapide tandis que la première ralentit.
Finalement, le rôle actif passe à la seconde, mais cela continue, cela revient à la première qui devient
plus rapide quand la seconde ralentit. Il s’agit d’un phénomène de transfert d’énergie, ou d’alternance
des rôles actif et passif, peu commode à comprendre. D’autres problèmes de ce genre ont également été
posés à ces sujets.
66
Richard PALLASCIO et Philippe JONNAERT
Or, jamais je n’ai eu l’impression qu’il existait deux catégories d’aptitudes : celle des scientifiques et
celle des non scientifiques. Par contre, j’ai mis en évidence que le niveau des réponses, même dans ces
problèmes captieux de physique, était toujours solidaire du niveau général d’intelligence opératoire des
sujets, donc de l’intelligence tout court. Ce que j’ai vu c’est, exceptionnellement, un certain nombre de
filles, mais pas de garçons, qui n’avaient pas le moindre intérêt pour ce genre de problèmes. Ce n’est
pas qu’elles soient moins intelligentes, mais enfin, ça les laissait totalement froides, il n’y avait aucune
espèce d’excitation dans la recherche de la solution. Mais je ne porte pas un jugement sur l’ensemble
des élèves filles, mais là, j’ai trouvé quelques sujets retardés simplement faute d’intérêt. Mais, à part
cela, je n’ai jamais vu deux catégories d’aptitudes. Bien entendu, il y a des différences d’aptitudes, je
ne nie pas les découvertes de la psychologie différentielle. Il y a des individus qui sont plus ou moins
verbaux, il y a des individus qui ont plus ou moins de facilité pour le calcul, il y a des individus plus ou
moins abstraits ou concrets, bien sûr.
Il y a encore un champ énorme à explorer dans le cadre d’une recherche différentielle, opératoire
versus figuratif. Le rôle du figuratif mérite d’être approfondi: il y a des individus à images visuelles,
d’autres pas, etc. Mais ce n’est pas cela qui joue le rôle, tous les sujets arrivent à résoudre les
problèmes qui leur sont posés en fonction de leur niveau d’intelligence opératoire. Il est donc tout à fait
clair que ce qu’on appelle les « aptitudes du scientifique » opposées aux « aptitudes du littéraire »
relève plutôt de l’adaptation de l’élève à l’enseignement des sciences tel qu’il est donné et non pas une
aptitude à comprendre le mécanisme des phénomènes : s’adapter au maître, et non pas s’adapter à la
science, ce qui n’est pas du tout la même chose. Et cela n’est pas une question de compréhension des
mathématiques ou de la physique; c’est une question de compréhension de la manière dont elles sont
présentées.
D’où un premier principe général à tirer de la psychologie opératoire, qui est évident, et même trivial :
il s’agit d’adapter l’enseignement aux instruments naturels d’assimilation de l’enfant. Pour chaque
domaine, il est utile de prendre en considération les structures propres de l’enfant qui sont toujours
qualitatives et logiques avant d’être métriques, et de faire découvrir les mathématiques et la physique
sous une forme intuitive (au sens des logiciens, c’est-à-dire non-formalisée, avant toute formalisation).
Deux problèmes généraux découlent de ce premier principe. Premier problème : l’enseignement des
mathématiques modernes converge davantage avec les structures opératoires spontanées de l’enfant
que ce n’était le cas dans l’enseignement classique des mathématiques; il y a un accord fondamental.
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GDM 2007 – LECTURE PUBLIQUE
Par exemple, on trouve dans les structures spontanées de l’enfant, dès le niveau concret, les trois
structures mères des Bourbaki : les structures algébriques, prototypes du groupe; les structures d’ordre,
prototype du réseau; les structures topologiques. Lors d’un symposium sur les structures
mathématiques et les structures mentales, les deux premières conférences étaient données par
Dieudonné et par moi-même. À cette époque, j’ignorais tout de l’œuvre des Bourbaki,
involontairement; et Dieudonné ignorait, volontairement cette fois, absolument tout de la psychologie.
Nous avons cependant exposé des choses tellement convergentes. Nous avons l’un et l’autre évoqué les
mêmes trois types de structures. À la suite de quoi Dieudonné m’a fait le meilleur compliment que j’aie
reçu dans ma vie. Il m’a dit publiquement : « C’est la première fois de ma vie que je prends la
psychologie au sérieux, c’est peut-être la dernière, mais c’est en tous cas la première ». On retrouve
dans les structures opératoires de l’enfant, celles des opérations principales de l’algèbre, de la théorie
des ensembles, etc.
Seulement, pour chaque domaine, il s’agit de trouver une méthode qui permette d’utiliser cette
convergence avec les structures spontanées de l’enfant. Or, à mon sens, la plupart des professeurs de
mathématiques modernes vont beaucoup trop vite dans le sens de la déduction formelle et même de
l’axiomatisation, plutôt que de laisser la place à une phase intuitive pour que l’enfant puisse établir des
liaisons entre ce qu’il sait faire et ce qu’on lui apprend. Je me rappelle, une jeune maîtresse de
mathématiques à qui on demandait d’effectuer un travail sur les résultats de son enseignement. Elle
avait appris un peu de psychologie, elle était pourtant complètement sidérée de découvrir que, dès sept
ans, on trouve constamment chez l’enfant des intersections de classes. Elle disait : « Mais moi j’ai une
peine du diable à leur faire comprendre ce qu’est une intersection de deux ensembles. » –Eh bien, je lui
ai dit : « mais faites-les agir avant de les faire raisonner sur des propositions formelles; vous voyez que
dans l’action, ils font très bien cela; partez de là et ça ira mieux ».
Second problème : chez la plupart des maîtres en mathématiques modernes, il y a beaucoup trop de
soumission à l’autorité du maître et pas assez d’invention et de réinvention spontanées de la part des
élèves. Je sais bien que Dienes a eu des idées ingénieuses sur la manière de dégager les structures de
groupe et de corps, etc. J’apprécie vivement ces travaux. Mais à mon sens, Dienes est trop vite satisfait,
c’est-à-dire que je ne suis pas certain que l’enfant, le sujet, ait compris là où Dienes croit que la
structure est dominée.
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Richard PALLASCIO et Philippe JONNAERT
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GDM 2007 – LECTURE PUBLIQUE
Genève, le représentant d’une province anglaise du Canada, disait : « Moi j’ai pris une mesure radicale
dans l’enseignement secondaire : il faut que chaque classe ait deux salles parce qu’alors, le maître ne
peut pas être dans les deux à la fois. Et par conséquent, il est impossible qu’il parle trop. Il y a toujours
une salle où les enfants travaillent. » Il faut provoquer des occasions de travail, il faut poser des
problèmes, il faut présenter des dispositifs, il faut, quand l’enfant a trouvé des solutions, imaginer des
occasions de contre-exemples, bref, il y a tout un rôle qui est réservé au maître et qui n’est nullement à
supprimer dans une méthode active.
Mais j’aimerais insister sur le fait que la préparation scientifique de l’élève commence dès le
préscolaire. Cela n’est pas quelque chose de tardif ; il faut une éducation continue partant de l’école
maternelle pour aller jusqu’au baccalauréat, de manière à favoriser le développement des opérations.
Mais comment? Les opérations, en fonction d’hypothèses qui me sont chères, sont dues à une
équilibration progressive des processus cognitifs, à partir de régulations : régulations du comportement,
régulations organiques, etc.
Mais quelle est cette équilibration? J’y crois de plus en plus, mais nous n’avons pas encore une théorie
suffisante. Mon petit livre ancien sur Logique et équilibre est un livre déplorable. Je suis en train de le
réécrire une troisième fois en fonction de ce que je dirai tout à l’heure. Ce qui manque pour
comprendre ce processus d’équilibration, c’est l’analyse des raisons des déséquilibres initiaux. L’idée
selon laquelle l’évolution cognitive part de situations de déséquilibre pour aboutir à une équilibration
progressive, reste à expliquer en décrivant le pourquoi des déséquilibres initiaux. Il s’agit aussi
d’imaginer des situations propédeutiques dès le préscolaire, propre à y remédier. Or, jusqu’à nos
recherches récentes sur la contradiction, nous n’avions encore aucune explication valable à cette
situation des déséquilibres initiaux. Dans le problème de la conservation d’une boulette d’argile, par
exemple, dans le petit livre Logique et équilibre, j’évoquais la difficulté pour le sujet de penser à
plusieurs variables simultanément. L’enfant allonge la boulette en saucisse mais il pense à la longueur
et il oublie l’épaisseur; il ne perçoit pas les deux variables à la fois, d’où la non conservation, etc.
Mais, ne pas voir deux variables en même temps est vrai à tous les âges. L’adulte aussi a peine à penser
à deux choses à la fois. Ce n’est pas particulier au niveau préopératoire. C’est plus visible parce qu’il
s’agit de variables plus élémentaires qui sautent aux yeux; mais cela n’est pas une explication
suffisante, puisque ce mécanisme se retrouve à tous les niveaux. D’autre part, on peut très bien
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Richard PALLASCIO et Philippe JONNAERT
expliquer l’équilibration par la compensation des perturbations extérieures. Toute action, en fonction
du but poursuivi, est exposée à des perturbations, ensuite les régulations compensent les effets de ces
perturbations, cela conduit peu à peu à l’équilibre et à l’opération. Seulement, le fait que ce mécanisme
soit observé à tous les niveaux, cela est nouveau. Les actions élémentaires sont des actions très simples;
par conséquent, les perturbations sont simples et les régulations sont simples. À des niveaux supérieurs,
il y aura des actions plus complexes, avec des perturbations plus complexes et des régulations plus
complexes. Ici, de nouveau, ce n’est pas quelque chose de spécifique seulement au point de départ du
développement des fonctions cognitives, il s’agit bien d’un mécanisme observé à tous les âges.
Par contre, j’entrevois pour ma part une réponse à partir de nos études sur la contradiction et le
dépassement des contradictions, études que nous avons faites l’année dernière (1970) au Centre
d’épistémologie génétique. En travaillant tout l’été sur les documents recueillis et en comparant les
résultats d’une série de recherches, un fait général m’a sauté : le primat systématique des affirmations
sur les négations, les caractères positifs des objets priment sur leurs caractères négatifs. Le positif et
tout ce qui s’y rapporte, est apparent directement dans les observables. Quand vous observez un objet,
vous voyez d’abord des caractères positifs. Je vois que ma montre est ronde; je ne vois pas qu’elle n’est
pas carrée. Dire qu’elle n’est pas carrée, suppose que je sois en train de la classer par rapport à des
objets carrés. C’est par mise en relation et par opposition à ces autres objets au sein d’un système que je
dirais qu’elle n’est pas carrée. Mais à la première inspection, je ne vois rien de tout cela : elle est ronde.
L’observable est directement donné. La négation est le produit d’une mise en relation secondaire,
dérivée et relative à la construction d’un système. La négation est très souvent inférentielle à des degrés
souvent poussés par opposition aux caractères positifs « directement observables ».
Or cela, nous l’avons vu dans quantité de recherches précédentes, réalisées en 1970. Je pense par
exemple à une recherche de Mantin-Giraud relative à la fausse symétrie des inclusions et des
applications élémentaires. Il donne aux enfants une série de cubes dans lesquels il peut y avoir un grelot
ou non. Tous les cubes rouges ont un grelot; en plus, il y a des cubes jaunes, verts, bleus, pour lesquels
Mantin-Giraud dit simplement : « Il est possible qu’il y en ait qui aient des grelots ». Après quoi, le
chercheur demande à l’enfant de construire derrière un écran la série des ‘‘cubes qui sont rouges’’;
c’est tout. Or, l’enfant regroupe immédiatement tous les cubes qui ont un grelot : « Tous les rouges ont
des grelots, donc tous les grelots sont rouges ». Il y a là une fausse symétrie de l’inclusion. Après quoi,
on lui demande de faire la même chose sans écran et puis il trouve une série beaucoup plus courte.
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GDM 2007 – LECTURE PUBLIQUE
Alors, il ne comprend plus pourquoi il y avait huit éléments sous l’écran et qu’il n’y en a plus que cinq
quand on le fait sans écran. Le problème, c’est donc celui de la construction de la classe secondaire,
étant donné que tous les A sont des B, mais que tous les B ne sont pas des A, alors, il y a une classe
complémentaire de A’ qui est définie comme étant les B-A : autrement dit une négation partielle. De
cette négation, on ne trouve aucune trace au début. Tout est donné en termes d’affirmation. Ceci nous
fait comprendre bien des choses, en particulier le caractère tardif de la quantification de l’inclusion, etc.
Il y a très longtemps d’ailleurs, avec Inhelder, nous avons vu la grosse difficulté des classes
secondaires : négation partielle par opposition aux classes primaires qui sont simplement des caractères
positifs.
Il y a eu plusieurs recherches sur le plan des observables physiques. Androula Papert a étudié le plein et
le vide dans une bouteille ou un verre en partant de cette évidence : un verre à moitié plein est égal à un
verre à moitié vide, c’est synonyme. Ce n’est absolument pas évident pour les petits. Elle a posé une
série de questions sur les différents degrés du plein en fonction que le verre est plus ou moins rempli ou
plus ou moins vide. Pour ce qui est du plein, il y a une compréhension rapide ainsi qu’une
quantification qualitative rapide des degrés de remplissage. L’enfant comprend très bien ce que veut
dire presque plein, à moitié plein, un petit peu rempli. Toutes les expressions de quantification courante
appliquées au plein, sont bien comprises; mais il n’y a aucune symétrie quand elles sont appliquées au
vide. Cela ne marche plus du tout : presque vide, c’est conçu très tard comme synonyme de
partiellement vide. Presque vide, ça peut être ça : « c’est presque vide, vous voyez, il y a un petit vide »;
« ça peut être rempli seulement jusque là »; là aussi c’est presque vide. Presque vide n’a pas de sens
sauf s’il est exprimé par partiellement vide. La moitié vide, c’est toujours très en dessous de la moitié.
Un tout petit peu vide, ça veut dire qu’il y a un tout petit peu d’eau par rapport au plein, mais il n’y a
aucune symétrie, et jusque tard, avec le plein.
Autre exemple : ce sont les contacts, étudiés par Maier qui a posé ce problème aux enfants : « étant
donné trois crayons (ensuite il passe à quatre, etc.), arrange-les moi de manière à ce qu’ils se touchent
tous ». Alors, il y a cette solution élémentaire qui consiste à mettre trois crayons en parallèle A B C et
ainsi « A touche B et touche C et puis ça marche ». Alors on lui demande : « Mais est-ce que A touche
C ? » - « Ah non, c’est vrai. ». Alors l’enfant permute et met A avant C : C A B; « Est-ce que C touche
B? » – « Ah non, c’est vrai ». Il refait une permutation. Vous voyez des gosses de sept et huit ans qui
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Richard PALLASCIO et Philippe JONNAERT
font jusqu’à 15 permutations, pour chaque fois assurer le contact par cette méthode, laquelle entraîne
automatiquement un non-contact. Ou bien, il y a aussi cet autre exemple : le problème connu de la
différence entre deux collections quand il y a transfert d’éléments de l’une à l’autre. Vous avez deux
collections égales A et B qui ont, par exemple, chacune huit éléments. Le propriétaire de A donne trois
éléments au propriétaire de B : « quelle est la différence entre les deux? » Jusque très tard, tous les
enfants vous disent qu’elle sera de trois. Androula Papert-Henriques a repris le problème en le
présentant sous forme de correspondance biunivoque. Vous avez les deux rangées égales en
correspondance optique et puis sous écran l’enfant transfère deux éléments d’une collection à une
autre. On lui demande de combien sera la différence et il dit de deux. On enlève l’écran et il constate
que c’est de quatre. Cela devient très intuitif parce que ce sont des correspondances; il n’y a qu’à
regarder. Eh bien, jusque très tard, je veux dire neuf-dix ans, absolument tous les sujets d’Androula
Papert-Henriques lui ont dit : « Mais vous avez triché ; derrière votre écran vous avez rajouté des
trucs ». Alors on dit à l’enfant de le faire lui-même et il le fait lui-même sans que l’expérimentateur
fasse rien. Il enlève l’écran et il dit qu’il ne comprend plus rien. Eh bien quoi? Il a rajouté d’un côté
mais enlevé de l’autre et que, par conséquent, la différence est double.
Ou bien, prenez encore le problème des chemins égaux : à partir de points de départs décalés, vous
avez deux maisons qui sont décalées par rapport au bord de la table. On demande au sujet de faire deux
chemins ‘la même chose long’ comme dit l’enfant dans son langage. Tous les petits bien sûrs, suivant
un fait bien connu depuis longtemps de correspondance ordinale, vont faire aboutir les deux chemins au
même point. « Voilà le même long chemin. » – « Est-ce qu’ils font exactement le même long
chemin? » – « Oui, exactement, vous voyez où ils arrivent. »– « Bien. S’ils reviennent? » – « Ah, eh
bien, s’ils reviennent, celui-là sera peu plus long et celui-là un peu plus court. » Autrement dit, les
mêmes chemins sont égaux à l’aller mais inégaux au retour. Ce qui est évidemment gênant, mais qui ne
les gênera qu’assez tard. Ici, le positif c’est « se rapprocher du but » et il n’y a que cela qui est envisagé
; le négatif c’est de « s’éloigner du point de départ », mais cela, c’est complètement éliminé jusqu’assez
tard. Prenez les problèmes de conservation, et je crois que dans leur généralité, vous retrouvez le même
problème. Quand une boulette est transformée en saucisse, l’enfant a ajouté quelque chose dans la
direction de la longueur; mais en ajoutant quelque chose, il l’a nécessairement enlevé ailleurs, pas
nécessairement la largeur, mais ailleurs. Ce qu’il a ajouté, il l’a enlevé. Or, il ne pense qu’à l’action
d’ajouter, qui devient alors un absolu : augmentation de quantité de matière, augmentation de poids et
de tout ce que vous voulez. Il ne pense absolument pas à enlever. La conservation commence quand
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GDM 2007 – LECTURE PUBLIQUE
cette action est à la fois additive et soustractive; autrement dit, quand l’enfant commence à comprendre
qu’on a simplement déplacé et, comme il dit, « on n’a rien ôté, on n’a rien ajouté », vous avez changé
la forme. Changer la forme c’est-à-dire déplacer et alors déplacer veut dire que ce qu’on a placé
quelque part on l’a enlevé de sa place initiale. Autrement dit, le déplacement suppose une
commutativité au sens large, somme indépendante des positions, et la conservation est acquise. Mais
c’est le même système du primat du positif sur le négatif.
Pensez maintenant à l’histoire des mathématiques. Les nombres négatifs datent, sauf erreur, de la
Renaissance et pas avant. Les Grecs ne connaissent que les positifs. Pensez à la linguistique; Hermine
Sinclair m’a donné des séries d’exemples. On dit d’un objet qu’il est plus ou moins grand, ce qui veut
dire qu’il peut avoir toutes les tailles, même être tout petit. On ne dit pas qu’il est plus ou moins petit
ou si on dit qu’il est plus ou moins petit, c’est une catégorie très limitée de ‘‘plus ou moins grand’’. On
dit d’un objet qu’il est plus ou moins lourd et pas plus ou moins léger; ‘‘plus ou moins lourd’’
comprend le très léger et tout ce que vous voulez; ‘‘plus ou moins léger’’, c’est de nouveau une
catégorie très limitative. Et dans l’acquisition du langage, Hermine Sinclair trouve toutes sortes de
problèmes relatifs à la négation, qui porte d’abord sur l’ensemble global avant d’être localisée,
appliquée à la qualité particulière. Bref, dans tous les domaines, le déséquilibre initial me paraît être le
primat du positif sur le négatif; d’où la nécessité absolue d’une compensation, étant donné que toute
opération suppose, dans un système algébrique quelconque, autant de négations que d’affirmations
implicites ou explicites. Une équilibration progressive est donc nécessaire.
Alors, j’aimerais vous poser un premier problème particulier: comment remédier à ce déséquilibre
initial si on veut accélérer la découverte du négatif et cela dès les âges élémentaires, puisque c’est un
problème d’éducation préscolaire? Je ne suis pas pédagogue, mais si j’avais à proposer des solutions, je
généraliserais la méthode du Karplus, qui place plusieurs observateurs pour un même phénomène.
Martine Labarque l’a essayé dans le cas de la conservation des longueurs. Vous savez que pour la
conservation des longueurs lorsqu’on présente deux lignes égales et qui sont ensuite décalées,
jusqu’assez tard, celle qui dépasse ici est censée être plus longue. Martine Labarque a refait cela sur
plus de 60 sujets et a vérifié ce qu’on connaît. Mais elle a mis deux observateurs : une poupée ici et
puis une poupée là. « Que voit celle-là? » Et puis une première poupée qui contemple le tout
objectivement du dehors. « Que voit celle-là? » – « Elle voit que celle-là est plus longue. » – « Que voit
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Richard PALLASCIO et Philippe JONNAERT
cette poupée? » – « Celle-là, elle croit que celle-là est plus longue. » – « Et puis celle-là? » – « Bien,
elle voit que les deux ne sont pas d’accord. » – « Et puis alors? » – « Bien, elles ne seront jamais
d’accord. » – « Pourquoi elles ne seront jamais d’accord? » – « Vous voyez, c’est plus long ici et c’est
plus long là. » Mais vous arrivez plus vite à l’idée que ça se compense et s’égalise.
Cela soulève donc un problème propédeutique mais il y a un problème encore plus général qui est celui
de l’éducation de l’objectivité. Je crois qu’on pourrait faire énormément au niveau préscolaire comme
exercice de lecture correcte et adéquate des observables. Or, les observables sont constamment
déformés en fonction des idées préalables et dans certains cas même totalement refoulés, en prenant le
refoulement dans le sens freudien, c’est-à-dire éliminer avant que ça apparaisse dans la conscience
parce que c’est contradictoire avec autre chose. Ici, ce n’est pas contradictoire avec des sentiments,
avec un surmoi, mais c’est contradictoire avec d’autres idées qui sont des idées préalables. Ici, nous
avons des foules d’exemples. Un joli exemple est la recherche de Fluckiger sur un fond très simple. Il
s’agissait d’un caillou au bout d’une ficelle et on demandait à l’enfant de la faire tourner, puis ensuite
de l’envoyer dans une boîte qui est en face. L’enfant y arrive très tôt; dès cinq ans, il résout le problème
pratique. Le problème pratique est le suivant : si vous représentez cette circonstance de la rotation
comme un cadran, on place l’objet à neuf heures, tandis que la boîte est en face de 12 heures. Alors,
très tôt, l’enfant arrive à envoyer dans la boîte et lâche l’objet à neuf heures. Mais quand on lui
demande comment il a fait, où il a lâché l’objet (et on ne le lui demande pas seulement une fois), on lui
dit : « Recommence, regarde bien et dis-moi où tu as lâché le caillou ». Les petits affirment qu’ils l’ont
lâché à six heures. Il prétend avoir lâché le caillou à six heures. Dès cinq ans et demi -six ans, ils
prétendent l’avoir lâché ici. Et puis on lui dit : « Recommence » et il recommence. Il arrête là et
prétend que le caillou est parti de six heures, alors qu’il est parti de neuf heures. Il faut attendre aux
environs de neuf-dix ans pour qu’il vous donne d’abord des compromis qui seront 10 1/2 heures (ni
neuf heures ni midi). Finalement, à cet âge également, ils parviennent à fournir la description exacte.
L’observable est refoulé parce qu’il est contradictoire avec l’idée préconçue selon laquelle, quand on
lance un objet dans une boîte, il faut se mettre en face. Et c’est tout.
L’exercice de l’observation active ne se fait pas simplement à travers des leçons à donner à des
bambins de quatre-cinq-six ans qui vont faire cela, mais plutôt par des exercices avec plusieurs
observateurs, comme dans la technique Karplus. Ces observateurs peuvent être plusieurs poupées mais
elles peuvent être surtout, et c’est beaucoup mieux encore, plusieurs enfants. C’est-à-dire un travail par
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GDM 2007 – LECTURE PUBLIQUE
équipe avec contrôle mutuel, où l’un surveille l’autre pour savoir si ce qu’il raconte est bien exact et
que réciproquement le second surveille et contrôle le premier. Donc, le contrôle mutuel peut être une
technique d’éducation de l’objectivité. Cette éducation de l’objectivité me paraît aussi importante que
l’éducation du négatif dont je parlais tout à l’heure. Il y a là aussi un problème systématique. Tout ceci
se situe au niveau de l’éducation préscolaire.
Au niveau primaire et secondaire, j’aimerais rappeler les recherches de Inhelder, Sinclair et Bovet sur
l’apprentissage. Ces recherches ont montré qu’il existe beaucoup plus de conflits qu’on ne l’avait prévu
entre des sous-systèmes contemporains. Ces chercheurs en observent, par exemple, entre l’évaluation
ordinale dans le cas de l’espace et l’évaluation numérique. D’autre part, elles ont trouvé des filiations et
des dépendances imprévues. Par exemple, la formation de la conservation a peu d’effet sur les réussites
dans le domaine de l’inclusion. Par contre, la formation de l’inclusion favorise les conservations, et
sans comprendre pourquoi si on se réfère au positif et au négatif évoqués précédemment. Les
interférences de sous-systèmes jouent un rôle beaucoup plus grand qu’on l’avait soupçonné. Papert y
insiste depuis longtemps dans ses modèles de l’intelligence. Ces interférences et ces interactions de
sous-systèmes me paraissent d’une importance didactique fondamentale parce qu’il y a des branches
qu’on dissocie alors qu’il faudrait les lier. À Genève, je ne sais pas où cela en est, mais pendant très
longtemps, l’arithmétique était enseignée dès sept ans et la géométrie dès 11 ans seulement. Dès 11
ans, mais alors tout de suite avec des méthodes déductives. Or, il est tout à fait évident que si on veut
tenir compte du développement spontané, il y a interaction entre le spatial et le numérique et il y a tout
avantage à mener de front des exercices géométriques d’un côté en même temps que l’arithmétique de
l’autre.
De même, il y a nécessité, me semble-t-il, à tous les niveaux, d’établir des connexions étroites entre
l’enseignement de la physique sur le terrain des structures qualitatives logiques qui peuvent servir de
modèles explicatifs bien avant qu’il y ait une mesure et une métrique des lois. Je pense même qu’il y
aurait intérêt, en plus des programmes, quitte à perdre du temps en apparence, à se livrer dans certaines
heures libres à des sortes de jeux opératoires, des jeux qui peuvent être fort instructifs pour le sujet. Je
donnerais deux exemples dans les recherches toutes récentes sur la contradiction. Une recherche de
Ducrest montre aux enfants un petit triangle et un petit carré en leur demandant si l’un est plus grand
que l’autre au point de vue de l’espace.
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Richard PALLASCIO et Philippe JONNAERT
Pour l’espace, le chercheur dit : « Est-ce qu’il y a autant de place si on voulait jouer là-dessus, est-ce
qu’il y aurait autant de place pour jouer ? », etc. Alors, jusque tard, tous les petits vous diront que le
triangle est plus grand parce qu’il y a un dépassement de la base par rapport à la base du carré. Une fois
qu’il a affirmé que c’était plus grand et l’a justifié à son idée, on construit deux carrés, l’un formé de
quatre de ces petits carrés et l’autre formé de quatre de ces petits triangles ; et l’enfant est obligé, ne
serait-ce que par superposition, d’admettre que les deux grands carrés sont égaux. Il y a donc égalité du
tout et inégalité des parties pour ces enfants.
Comment est-ce qu’ils s’en sortent? Eh bien, ils ne s’en sortent pas tout de suite, loin de là. Ils sont très
loin de dire : « Je me suis trompé et les parties étaient égales ». Ils vous disent : « Quand vous prenez
un petit carré et un petit triangle, eh bien le triangle est plus grand mais quand vous les placez d’une
certaine manière (autrement dit, en les plaçant de manière à éviter les dépassements) ça donne un tout
égal ». Il y a là un exercice possible de la composition additive qui amuse beaucoup l’enfant mais qui
paraît être instructif du point de vue didactique. Prenons la réciproque : on parle d’inégalités apparentes
pour aboutir à une inégalité finale. La réciproque est une recherche de Bullinger sur l’égalité apparente
avec comme totalité une sériation d’inégalités. Bullinger a donné au sujet un dispositif ingénieux : ce
sont des disques qui sont attachés, sauf le dernier, d’une manière telle qu’on ne peut comparer que des
disques voisins : A, B, C, D, E, F, G. Alors, si on compare A à B, ça a l’air rigoureusement égal par
superposition (avec une petite chaîne). Si on compare B et C, ça a l’air rigoureusement égal, C à D,
c’est égal, jusqu’à G. Mais quand on compare A et G, les deux extrêmes, G est beaucoup plus grand.
Autrement dit, les différences terme à terme sont infraliminaires tandis que les différences extrêmes
sont supraliminaires. Alors, on demande à l’enfant ce qui se passe. Ce n’est que vers 11-12 ans qu’il
vous dit que : « Ça a l’air égal mais ce ne l’est pas, » et qu’il admet l’infraliminaire d’abord et surtout
l’additivité de l’infraliminaire : les petites différences qu’on ne voit pas, en s’ajoutant, donnent une
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grande différence. Jusque-là, ils essaient de faire des classes d’équivalence. Ils vous disent que A égale
B égale C égale D; puis d’autre part, D égale E, égale F, égale G. Vous avez les grands et les petits et
l’élément D appartient aux deux classes d’équivalence, autrement dit, c’est la contradiction, faute de
compensation entre le positif et le négatif. Alors on lui dit : « Qu’est-ce que tu fais de D – Ah oui, c’est
vrai, il est égal à A et il est égal à G puis A est plus petit que G. » Alors, il recommence; il fait deux
nouvelles classes d’équivalence en allant par exemple jusqu’à E et ensuite E, F, G. Mais alors, il y a de
nouveau un élément commun, c’est de nouveau contradictoire. « Ah oui, c’est vrai »; et il recommence
à faire des classes d’équivalence plus restreinte du côté A. Il y a une foule de tentatives, toutes
contradictoires, mais qui mènent finalement à l’idée qu’il doit y avoir une sériation, mais
infraliminaire. Voilà des petits
jeux qui amusent beaucoup l’enfant mais qui sont, je crois, très instructifs pour la formation des
opérations. Trois conclusions :
Première conclusion : je pense qu’il y a encore beaucoup à tirer des études sur le développement des
opérations pour l’éducation à tous les degrés; qu’on est très loin d’en avoir tiré tout ce qu’on peut, mais
que ce n’est pas affaire de simple imagination déductive. On ne peut pas tirer une didactique de la
psychologie : la nécessité d’expériences nouvelles pouvant s’inspirer de faits connus
psychologiquement mais en les précisant didactiquement.
Deuxième conclusion : la psychologie opératoire est très loin d’être achevée; elle n’est qu’à ses débuts
et moi-même, comme vous l’avez vu, à ma honte, je n’ai trouvé que l’été dernier, quant à ce problème
des négations et du positif et du négatif, ce que j’aurais dû voir depuis 20 ans. Eh bien, ce n’est qu’il y
a un mois que j’ai vu cela clairement en comparant les différents résultats de l’année dernière. Ces
résultats, comme ceux de toutes les recherches qui ne sont pas planifiées avec des hypothèses
préalables, donnent de l’imprévu et l’imprévu est encore très largement à défricher. Nous sommes très
loin encore d’une psychologie cohérente des opérations. La théorie de l’équilibration reste à
réécrire.
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Richard PALLASCIO et Philippe JONNAERT
Troisième conclusion : je me répète mais j’insiste. Ce n’est pas tant la psychologie comme telle et les
résultats psychologiques dans leur détail, qui importent. Ce qui importe, c’est l’épistémologie
constructiviste inhérente à cette psychologie et qui l’a inspirée. C’est-à-dire qu’il s’agit de former
les maîtres et pas seulement les élèves et que les maîtres finissent par comprendre que la connaissance
ne provient ni de l’objet seul, ni du sujet seul mais d’interactions qui sont nécessairement
constructivistes et créatrices de nouveautés, ce qui est vraiment la chose la plus difficile à comprendre
pour des esprits empiristes et pour le sens commun. Le sens commun voit toujours que la connaissance
est préformée ou dans l’objet ou dans le sujet. Il faut un effort considérable pour se placer à un point de
vue constructiviste : les mots ne sont rien mais la compréhension est très difficile et j’insiste sur cette
nécessité : la didactique, me semble-t-il, doit s’en inspirer plus que des résultats psychologiques
détaillés, bien qu’il y ait toutes sortes de choses à utiliser comme je viens d’essayer de le montrer.
Photo prise lors de la discussion sur l’exposé de Monsieur Jean Piaget, présidée par Monsieur Albert
Morf, directeur du CRD, à l’UQAM, en octobre 1971. Photo numérisée par Bernard Massé. Le texte de
la conférence, ainsi que celui de la discussion qui a suivi est disponible sur le site www.ore.uqam.ca.
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Richard PALLASCIO et Philippe JONNAERT
COMMUNICATIONS
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Isabelle ARSENAULT
RÉSUMÉ
Les attitudes des futurs enseignants du primaire par rapport aux mathématiques ne sont pas toujours
positives. Or, des travaux de recherche en didactique des mathématiques suggèrent que celles-ci
peuvent influencer les méthodes d’enseignement qu’ils privilégieront éventuellement, de même que les
attitudes de leurs futurs élèves. Nous croyons donc qu’il est important de s’attarder à ces attitudes.
Dans le cadre de notre mémoire, nous avons choisi de nous intéresser plus spécifiquement aux attitudes
des futurs enseignants relativement à la résolution de problèmes mathématiques, en partie parce que les
recherches s’y sont peu attardées, en partie aussi en raison de l’importance de la résolution de
problèmes dans l’enseignement des mathématiques. Dans le présent article, nous présenterons d’abord
de façon succincte notre problématique de recherche, nous préciserons ensuite ce que nous entendons
par « attitude » et « problème », nous présenterons aussi notre méthode de recherche et nous donnerons
un avant-goût de notre analyse.
PROBLÉMATIQUE
Des recherches (Ball (1990), Gellert (2000), Philippou et Christou (1998), Schuck (1997), Theis et al.
(2006)) suggèrent que les futurs maîtres des écoles primaires font preuve d’attitudes plutôt négatives
par rapport aux mathématiques. Suivant ces recherches, plusieurs d’entre eux n’aiment pas les
mathématiques, n’ont pas une bonne estime de leurs habiletés et trouvent cette matière scolaire difficile
et frustrante. Or, selon Bush (1989) et Gellert (2000), les attitudes des enseignants par rapport aux
mathématiques influencent leur façon d’enseigner cette matière, en les amenant entre autres à mettre
l’accent sur les habiletés et non sur les concepts et les résolutions de problèmes, ou encore à enseigner
les mathématiques comme un ensemble de règles et de formules à utiliser dans des exercices
d’application. Aussi, en plus d’avoir une influence sur leur façon d’enseigner, les attitudes des
enseignants peuvent influencer celles de leurs élèves. C’est du moins ce qu’avancent quelques grandes
associations telles l’Australian Education Council (1991) et le National Council of Teachers of
Mathematics (1989) (Schuck, 1997). Par ailleurs, selon Schoenfeld (1989), repris à la fois par Carlon
(1999) et McLeod (1994), il semblerait que certaines attitudes par rapport aux mathématiques
pourraient aussi influencer les habiletés d’une personne en résolution de problème, ce qui nous amène à
penser que certaines difficultés des futurs enseignants du primaire en résolution de problèmes, comme
celles soulevées par Bergeron et Herscovics (1988), pourraient être expliquées en partie par des
attitudes négatives à l’égard des mathématiques.
Étant donné que les attitudes des futurs enseignants sont souvent négatives et qu’elles peuvent
influencer celles de leurs éventuels élèves, il nous semble important d’étudier ces attitudes. D’abord,
nous croyons utile de bien les identifier. Aussi, dans le but d’anticiper éventuellement (dans le cadre de
recherches ultérieures) des moyens susceptibles de modifier ces attitudes au cours de la formation
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GDM 2007 - COMMUNICATIONS
initiale, nous croyons pertinent de nous attarder à l’évolution de ces attitudes dans le cadre d’un cours
de mathématiques s’adressant spécifiquement à de futurs enseignants du primaire. Nous sommes
toutefois consciente qu’une attitude n’est pas facile à modifier et que cela prend du temps. C’est
d’ailleurs ce que suggèrent des travaux mentionnés par Bishop (2001). Des recherches énumérées par
Kulm (1980) suggèrent tout de même que les cours de didactique peuvent influencer les attitudes des
étudiants en formation des maîtres. D’autres recherches (Mohammad Yusof et Tall (1999) et Owens et
al. (1998)) suggèrent quant à elles que la résolution de problèmes mathématiques peut aussi entraîner
un changement d’attitudes par rapport aux mathématiques. Plus précisément, les chercheurs ont
remarqué que la confiance des étudiants qui ont suivi un cours axé sur la résolution de problèmes
augmentait tandis que leur niveau d’anxiété face aux mathématiques diminuait. De plus, ils ont aussi
noté qu’au terme d’un tel cours, les étudiants abandonnent moins vite la résolution d’un problème et ils
ne voient plus les mathématiques comment étant seulement un ensemble de règles à mémoriser et à
appliquer pour arriver à une bonne solution.
Dans le cadre de la présente recherche, nous avons choisi de nous limiter aux attitudes des futurs
maîtres du primaire par rapport à la résolution de problèmes mathématiques. Nous avons choisi de nous
concentrer sur ces attitudes à la fois parce qu’elles ont fait l’objet de très peu de recherches et parce que
la résolution de problèmes se retrouve aujourd’hui au cœur des curriculums scolaires de mathématiques
au primaire (programme d’études du NB (version provisoire 2005), programme de formation de l’école
québécoise (2001) et NCTM (2000)).
Par notre recherche, nous tentons de répondre principalement aux deux questions suivantes :
• Quelles sont les attitudes des futurs enseignants du primaire par rapport à la résolution de
problèmes mathématiques?
• Comment évoluent les attitudes des futurs enseignants du primaire par rapport à la résolution de
problèmes dans le cadre d’un cours de mathématiques?
CADRE CONCEPTUEL
La notion d’attitude a fait l’objet de plusieurs recherches et elle a été maintes fois définie par différents
chercheurs. Nous nous sommes inspirée de ces différentes définitions pour construire la nôtre. Pour
nous, une « attitude » est un état d’esprit, par exemple une croyance, une perception ou encore un
sentiment qu’un individu adopte par rapport à une personne, une situation, une idée, un objet ou autre
(Lafortune, 1994). Cette disposition intérieure peut être influencée par ses expériences antérieures et
ses connaissances (Allport, 1935) et elle se manifeste dans les comportements de la personne, qu’ils
soient favorables ou non (Lafortune, 1994). Enfin, l’individu n’est pas toujours conscient des attitudes
qu’il adopte (Bloom, Hastings et Madaus, 1971, dans Kulm, 1980). Nous retrouvons plusieurs
exemples d’attitudes par rapport aux mathématiques dans les écrits, en particulier les perceptions des
élèves par rapport à l’utilité de cette matière scolaire (Mohammad Yusof et Tall, 1999) ainsi que les
sentiments face aux mathématiques, ce qui inclut l’anxiété mathématique (Philippou et Christou, 1998;
Mohammad Yusof et Tall, 1999).
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Isabelle ARSENAULT
Définition de « problème »
La notion de « problème » a elle aussi été très souvent définie dans les travaux en didactique des
mathématiques. Nous nous sommes encore une fois inspirée de ces différentes définitions pour en
arriver à notre propre définition du concept.
Pour nous, un problème est un défi atteignable qui demande réflexion et où la méthode de résolution
n’est pas connue à priori (Astolfi, 1993; NCTM, 2000; Pallascio, 2005). De plus, un problème permet à
un individu de construire de nouvelles connaissances (Astolfi, 1993; MEQ, 2001; Pallascio, 2005),
d’établir de nouveaux liens entre des connaissances antérieures (Charnay, 1993) ou encore de
construire de nouvelles connaissances d’ordre méthodologique (Arsac, Germain et Mante, 1988;
Charnay, 1993), tout dépendamment si le problème est résolu avant ou après l’enseignement.
D’ailleurs, les problèmes présentés avant l’instruction permettent l’utilisation de connaissances
antérieures pour découvrir de nouvelles notions (Astolfi, 1993; Pallascio, 2005) ou pour travailler la
démarche scientifique (Arsac, Germain et Mante, 1988) tandis que les problèmes présentés à la fin de
l’instruction peuvent amener l’apprenant à faire des liens entre les différentes notions déjà étudiées
(Charnay, 1993).
Un problème peut être présenté dans différents contextes et peut porter sur différents contenus
mathématiques. De plus, il peut admettre une, plusieurs ou encore aucune solution. De même, il peut se
résoudre d’une seule façon ou encore de plusieurs façons. Il est aussi parfois possible pour l’apprenant
de vérifier sa solution à un problème par lui-même tandis que d’autres fois, cette vérification n’est pas
possible (Arsac, Germain et Mante, 1988; NCTM, 2000, 1980).
MÉTHODOLOGIE
Expérimentation
L’expérimentation s’est déroulée, au Nouveau-Brunswick, dans un cours de mathématiques destiné à
de futurs maîtres du primaire à l’hiver 2006. Deux groupes, l’un de 39 étudiants et l’autre de 56,
suivaient ce cours, enseigné par la chercheuse, à raison de deux sessions de 75 minutes par semaine. Ce
cours est le deuxième obligatoire pour les étudiants en éducation primaire sur une série de quatre cours
pour ceux se spécialisant en enseignement de la maternelle à la 4e année et sur une série de cinq pour
ceux se spécialisant en enseignement de la 5e à la 8e année. Certains étudiants en étaient toutefois à leur
troisième cours de mathématiques puisque le cours de géométrie, qui est considéré comme le troisième
cours obligatoire, n’a aucun préalable.
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GDM 2007 - COMMUNICATIONS
Il est à noter que, dans le cadre du cours, les étudiants ont répondu à un questionnaire concernant leurs
attitudes par rapport à la résolution de problèmes au début de la session. Ils ont aussi résolu des
problèmes et répondu à des questionnaires tout au long de la session et, à la fin de la session, ils ont
répondu à un questionnaire similaire à celui auquel ils avaient répondu au début de la session. De plus,
dans le cadre du cours, les résolutions de problèmes ainsi que les questionnaires les accompagnant ont
été évalués suivant la clarté des explications de la démarche et le sérieux avec lequel l’étudiant semblait
avoir répondu au questionnaire. De plus, une note a été attribuée au sérieux avec lequel l’étudiant a
répondu au questionnaire final.
Pour ne pas biaiser les résultats de la recherche, et pour éviter que l’activité soit perçue par les étudiants
davantage comme une activité de recherche que comme une activité d’apprentissage, l’approche des
volontaires s’est faite pendant la dernière semaine de cours. Une discussion sur l’importance de la
résolution de problèmes et sur la pertinence de l’activité faite dans le cadre du cours a été suivie d’une
présentation de la recherche. Les étudiants volontaires ont été invités à participer à celle-ci en remettant
les problèmes écrits et les questionnaires à des fins d’analyse. La chercheuse a précisé qu’elle
respecterait l’anonymat des étudiants, que leur participation était entièrement libre et qu’en aucun
temps leur décision de participer ou non n’influencerait leur note finale du cours. En tout, 57 des 95
personnes inscrites dans le cours se sont portées volontaires.
Parce que nous voulions faire une analyse en profondeur des problèmes résolus et des réponses au
questionnaire pour en tirer les principales attitudes des étudiants, et que nous voulions aussi nous
intéresser à l’évolution des attitudes au fil de la session, nous avons dû choisir quelques participants
parmi les volontaires. Nous avons choisi des volontaires dont les attitudes affectives semblaient avoir
évolué, et ce, en regardant les attitudes affectives avouées dans les questionnaires diagnostic et final.
Quatorze participants ont été retenus.
Questionnaire diagnostic
Afin de connaître les attitudes « avouées » par les étudiants par rapport à la résolution de problèmes
telle qu’ils l’ont connue à l’école, nous avons construit un questionnaire portant sur différents aspects
de la résolution de problèmes. Pour ce faire, nous nous sommes inspirées des trois catégories
d’attitudes mentionnées dans le cadre conceptuel et nous avons cerné un certain nombre d’attitudes,
telles l’appréciation de la résolution de problèmes, la confiance en soi, l’utilisation de schémas, la
vérification de sa solution et le travail d’équipe, attitudes sur lesquelles nous avons posé des questions à
choix multiples. Nous avons aussi laissé la porte ouverte à d’autres attitudes en demandant aux
étudiants de justifier ou d’expliquer leur choix de réponse tout en posant des questions plus ouvertes
telle que la question suivante : « D’après vous, quel est l’intérêt de résoudre des problèmes
mathématiques pour un(e) futur(e) enseignant(e)? ». Ce questionnaire a été conçu pour être rempli par
les participants avant le début de l’expérimentation.
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Isabelle ARSENAULT
À la maison, les étudiants avaient à résoudre un ou deux problèmes par semaine, problèmes que nous
avons choisis en nous inspirant de notre définition d’un problème ainsi que des aspects de la résolution
de problèmes à l’égard desquels nous voulions étudier les attitudes des futurs enseignants du primaire.
Par exemple, nous avons présenté aux étudiants des problèmes qui demandent une généralisation et
d’autres qui portent sur des exemples plus spécifiques, des problèmes admettant une solution et
d’autres admettant plusieurs solutions ainsi que des problèmes se résolvant parfois d’une seule façon et
d’autres fois de plusieurs façons. Nous nous sommes aussi assurée que la validation par l’étudiant était
possible dans certaines résolutions de problèmes et pas possible dans d’autres. De même, nous avons
choisi des problèmes où il était possible d’utiliser des schémas pour les résoudre et d’autres problèmes
où il n’était pas possible d’utiliser des schémas. Nous avons aussi choisi quelques problèmes où les
notions étudiées dans le cadre du cours pouvaient être utilisées lors de la résolution et nous nous
sommes assurée de diversifier le niveau de difficulté des problèmes pour que chaque étudiant retrouve
des défis à sa portée.
Dans le but de connaître les attitudes des futurs maîtres lors de la résolution de ces problèmes et de voir
comment ces attitudes ont évolué au fil de la session, nous avons demandé à ces personnes de répondre
à un questionnaire pour chacun des problèmes qu’ils devaient résoudre. Les étudiants devaient
répondre au questionnaire (le même pour tous les problèmes) en trois temps : après la première lecture
de l’énoncé, pendant la résolution du problème et après cette résolution. Après la lecture de l’énoncé,
nous demandions aux étudiants d’écrire comment ils se sentaient face au problème et de choisir un
nombre de 1 à 6 qui décrivait le mieux la confiance qu’ils avaient en leurs habiletés à résoudre ce
problème. Pendant la résolution de problèmes, les étudiants devaient écrire tout ce qu’ils faisaient et
pourquoi, tout en écrivant les sentiments qu’ils ressentaient. Enfin, après la résolution, ils devaient
répondre à des questions concernant leur confiance en leur solution et en leur méthode, leur perception
du nombre de solutions et de méthodes possibles, le temps pris pour résoudre le problème ainsi que
leur appréciation du problème.
Questionnaire final
Dans le but de connaître les attitudes des étudiants à la fin de la session, nous avons passé pendant la
dernière semaine de cours un questionnaire final qui reprenait les questions posées au début, en plus de
comporter des questions portant sur la perception des étudiants quant à l’évolution, s’il y avait lieu, de
leurs attitudes (voir annexes pour exemples de questions et de problèmes).
ANALYSE
Fabien est l’un des participants que nous avons retenus à des fins d’analyse. Voici une analyse partielle
des attitudes que Fabien manifeste au fil de la session.
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GDM 2007 - COMMUNICATIONS
Attitudes affectives
Fabien semble avoir plus confiance en lui-même à la fin de la session qu’au début puisqu’il se dit
« bon » en résolution de problème au questionnaire final, ce qui est un échelon au-dessus de son choix
de réponse au questionnaire diagnostic, soit l’échelon « assez bon ». Nous remarquons, au fil de la
session, que Fabien a particulièrement confiance en ses habiletés à résoudre un problème lorsque
l’enseignante donne des clarifications à propos de l’énoncé et qu’il a moins confiance en ses habiletés
lorsqu’il ne comprend pas l’énoncé ou encore lorsqu’il ne sait pas comment s’y prendre pour résoudre
le problème tout de suite après avoir lu l’énoncé.
Pendant la résolution de problèmes, Fabien exprime des doutes à quelques reprises, soit face à la
véracité de sa solution, à l’intention de l’enseignante, à la pertinence de certaines données ou encore à
l’existence d’une solution. Ces doutes sont parfois accompagnés de confusion et d’un sentiment
d’impuissance. Or, en travaillant sur un problème, il arrive presque toujours à surmonter ces sentiments
« négatifs » et il finit par exprimer de la confiance, à la fois en lui-même, en sa solution et en sa
démarche. D’ailleurs, il n’y a que deux problèmes pour lesquels il doute de sa solution. Il faut dire que
dans ces deux cas, il est conscient de ne pas avoir pris certaines informations en considération.
Dès le début de la session, Fabien exprime beaucoup de fierté et celle-ci semble plus grande lorsqu’il
trouve une solution à un problème qu’il pensait difficile.
Selon ses réponses aux questionnaires diagnostic et final, Fabien est plus persévérant à la fin de la
session qu’au début. Il écrit d’ailleurs au début de la session, qu’il laisse tomber un problème après y
avoir travaillé 5 à 10 minutes tandis qu’à la fin de la session, il affirme travailler 10 à 30 minutes avant
de laisser tomber. Pendant la session, nous remarquons même qu’il affirme travailler jusqu’à 45
minutes sur un problème en particulier afin d’y trouver une solution. De plus, il ne semble pas aimer
abandonner un problème puisque même après avoir conclu qu’il n’y avait pas de solution à un certain
problème, il en discute avec des collègues et revient sur sa résolution.
À la fin de l’expérimentation, Fabien affirme aussi plus aimer la résolution de problèmes qu’avant
l’expérimentation celle-ci. Il précise aussi, à la fin de la session, qu’il aime résoudre des problèmes
lorsque les informations sont précises et faciles à comprendre et qu’il n’aime pas les problèmes pour
lesquels les énoncés sont longs. Ce qui rejoint d’ailleurs un peu les raisons pour lesquelles il n’aimait
pas la résolution de problèmes au début de la session, soit parce qu’il a de la difficulté à « lire entre les
lignes » et à résoudre les problèmes. Ce changement d’attitude semble se faire assez tôt pendant la
session puisque Fabien affirme au deuxième problème de la session qu’il aime maintenant la résolution
de problème : « Je change mon idée, j’aime les résolutions de problèmes ». Nous remarquons aussi
qu’il aime les problèmes où il a confiance en sa méthode et en sa solution, problèmes qu’il qualifie
aussi de pas tellement difficiles et de problèmes qui font réfléchir. Or, il aime moins les problèmes où il
n’a pas beaucoup confiance en sa solution ou en sa méthode.
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Isabelle ARSENAULT
Attitudes cognitives
Pendant la session, nous remarquons que Fabien a de la difficulté à comprendre quelques problèmes. Il
affirme d’ailleurs à la fois au début et à la fin de la session que la compréhension de l’énoncé est l’un
des aspects les plus difficiles de la résolution de problèmes, ce qui explique, du moins en partie,
pourquoi il n’aime pas les problèmes où les énoncés sont longs.
Pour résoudre un problème, Fabien affirme utiliser rarement des schémas puisqu’il utilise seulement ce
qui est essentiel à la résolution, ce qui paraît d’ailleurs dans la longueur de ses écrits puisqu’il présente
toujours sa résolution de problème ainsi que les réponses au questionnaire accompagnant le problème
sur une seule feuille. Les « patterns » sont aussi recherchés par Fabien lorsqu’ils peuvent aider à la
résolution d’un problème numérique, mais il semble avoir plus de difficulté avec les généralisations
plus « abstraites ». De plus, il ne semble pas souvent vérifier sa solution puisqu’il mentionne avoir
vérifié sa solution qu’à un seul problème, ce qu’il a fait à l’aide d’une calculatrice. Or, Fabien affirme,
à la fois au début et à la fin de la session, qu’il vérifie toujours sa solution, et ce, parce qu’il y a
beaucoup points d’accordé à la résolution de problèmes ou encore pour vérifier s’il n’y a pas de fautes
de calculs. Il est donc possible qu’il vérifie sa solution en la révisant sans en faire mention pendant la
session.
Même si la chance n’est pas importante pour Fabien, il affirme aux questionnaires diagnostic et final
que la mémorisation, elle, peut aider à résoudre des problèmes, plus précisément la mémorisation des
informations données dans l’énoncé. Fabien accorde aussi une grande importance à l’obtention d’une
solution valide à la fois au début et à la fin de la session, mais il semble aussi accorder une importance
particulière à la démarche de résolution, même qu’à la fin de la session, il écrit que le travail est
important puisqu’il est signe de réflexion.
Pour ce qui est du nombre de méthodes qui permettent de résoudre un problème et du nombre de
solutions qu’un problème admet, Fabien semble avoir toujours une bonne idée « intuitive », c’est-à-dire
qu’il arrive toujours à dire s’il y a plus d’une solution à ce problème ou si ce dernier se résout de plus
d’une façon, mais il n’arrive pas toujours à justifier correctement ses affirmations. De plus, il ne semble
pas très confiant lorsqu’il répond à ces questions puisqu’il écrit souvent « probablement » ou « peut
être ». D’ailleurs, il n’y a que quelques problèmes où il utilise un « oui » ou un « non » affirmatif, les
« non » étant utilisés lorsqu’il est évident que la seule façon de résoudre le problème est l’essai-erreur
et les « oui » étant utilisés lorsqu’il a vu d’autres méthodes ou d’autres solutions ou encore lorsque
l’enseignante a mentionné qu’il est possible de résoudre le problème de différentes façons en classe.
Attitudes sociales
Fabien semble surtout travailler seul. D’ailleurs, il ne mentionne qu’à quelques reprises avoir travaillé
sur un problème avec des amis, mais il se tourne aussi à quelques reprises vers l’enseignante lorsqu’il
éprouve des difficultés. Or, il affirme à la fois au début et à la fin de la session qu’il va voir un ami
lorsqu’il n’arrive pas à résoudre un problème tout en affirmant qu’il aime comparer avec des collègues
pour voir leur méthode de résolution tout en validant sa solution. Il est possible qu’il consulte ses amis
pour comparer après avoir terminé sa résolution et qu’il ne revienne pas sur celle-ci pour l’écrire.
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GDM 2007 - COMMUNICATIONS
CONCLUSION
Cette analyse des écrits de Fabien est très sommaire, mais elle permet déjà d’identifier ses principales
attitudes, les contextes dans lesquels elles interviennent ainsi que leur évolution, quand il y a évolution.
Par exemple, Fabien semble plus confiant tout en aimant davantage la résolution de problèmes à la fin
de l’expérimentation qu’au début de celle-ci.
RÉFÉRENCES
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Isabelle ARSENAULT
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GDM 2007 - COMMUNICATIONS
ANNEXES
Exemples d’aspects de la résolution de problème par rapport auxquels nous voulons étudier les
attitudes et exemples de questions portant sur ces aspects.
Attitude 1
Pourquoi? : _______________________________________________________________
_________________________________________________________________________
Attitude 2
La perception des étudiants en ce qui a trait au nombre de méthodes de résolution possible pour un
problème donné.
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Isabelle ARSENAULT
Neuf points
Joindre neuf points, disposés en un arrangement carré de trois fois trois points, par quatre segments
rectilignes consécutifs, sans lever le crayon du papier ni repasser sur une partie du trajet. (tiré de
Mason, 1982, p. 95)
Les abeilles mâles éclosent d’œufs non fécondés. Elles ont donc une mère, mais pas de père. Les
abeilles femelles éclosent d’œufs fécondés. Combien d’ancêtres de 12e génération une abeille mâle a-t-
elle? De ces ancêtres, combien sont des mâles? (tiré de Mason, 1982, p. 78)
Le nombre « 4 »
Retrouvez tous les nombres de 0 à 10 en vous servant, à chaque fois, de quatre « 4 ». Vous pouvez
utiliser l’addition, la soustraction, la multiplication et la division. (traduction libre d’un problème tiré
de : Adams, 1989, p. 193)
93
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
94
Rachid BEBBOUCHI
BEBBOUCHI Rachid
Faculté de Mathématiques, USTHB
rbebbouchi@hotmail.com
Les élèves ont été coupés du monde extérieur puisqu’ils ne pouvaient utiliser aucun document venant
de l’étranger. De plus, leurs parents ne pouvaient plus les suivre.
95
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
En même temps, à l’Université, une première réforme a consisté à choisir le modèle anglo-saxon de
formation à la carte, avec une progression modulaire par prérequis.
Ce système était très coûteux et permettait à des étudiants de terminer leurs études tout en ayant une
dette en première année (par exemple le cas d’un module de chimie dans la filière mathématiques).
L’arabisation s’est limitée seulement à remplacer le texte français par un texte arabe, à partir d’un
consensus prudent des universitaires mathématiciens algériens.
Malheureusement, le bachelier va donc devoir s’adapter à un autre symbolisme que celui rencontré au
lycée.
D’autre part, dans plusieurs universités, la liberté a été laissée aux étudiants de choisir leur langue
d’enseignement (arabe ou français). Dans certaines universités, le français était de mise et dans
d’autres, c’était l’arabe.
Là où on a opté pour la langue française, les bacheliers arrivaient avec un double handicap : la langue
(et donc la terminologie) et le symbolisme.
Il ne faut pas oublier que des collègues de rang magistral ont quitté l’Algérie, de crainte d’être obligés
d’enseigner en arabe.
2. Les réformettes :
Malgré les différents rapports négatifs établis durant les années 80 sur les difficultés de l’apprentissage
des mathématiques, il n’y a pas eu de véritable bilan et de l’algérianisation du corps enseignant et de
l’arabisation au niveau de l’Education.
Les documents scolaires sont restés les mêmes et le symbolisme, désormais utilisé seulement en
Algérie, a trouvé des défenseurs, surtout chez les universitaires de l’Ecole Normale Supérieure de
Kouba.
A l’Université, se rendant compte que la « réforme Benyahia » (du nom du Ministre de l’époque)
coûtait trop cher, on a opté pour une progression annuelle et, pour cela, on a marié, parfois contre
nature, des modules semestriels pour fabriquer un enseignement annuel.
La compensation des notes entre les différents modules annuels et le choix de la meilleure note entre
les Epreuves de Moyenne Durée, la synthèse et le rattrapage ont été des concessions acquises par les
étudiants.
Cela a faussé le contrat didactique enseignant – enseigné : désormais, l’étudiant apprend à ménager ses
efforts, pourvu qu’il compense entre les modules.
Malgré toutes ces concessions, le taux d’échec en première année reste très élevé, à peu près le même
depuis qu’on a institué des troncs communs.
Une conséquence de l’annualisation a été que certains chapitres en fin de programme ne sont pas
traités : adieu les courbes et surfaces en première année, adieu le calcul différentiel en deuxième année,
finies les sous-variétés de Rn en troisième année ; on n’enseigne même plus la géométrie différentielle
de quatrième année dans certaines universités.
96
Rachid BEBBOUCHI
- dans la plus prestigieuse des universités algériennes, l’U.S.T.H.B., en 4ème année D.E.S.
Mathématiques, aucun étudiant n’était à sa quatrième année d’étude durant l’année
1994-95, plus de 95% étaient des redoublants durant l’année 1998-99.
Les rapports enseignants – étudiants se sont aggravés, surtout avec une politisation à outrance du milieu
universitaire.
Ces années 90 vont tout de même voir apparaître une recherche didactique, encore balbutiante, mais
préparant le terrain à des bilans et constats plus chiffrés, moins fantaisistes.
La création de l’I.N.R.E. (voir [1]) a grandement contribué à cette émergence de chercheurs en
didactique, très souvent non reconnus par leurs pairs.
On met enfin en place des indicateurs dans le système éducatif algérien.
A titre d’exemple, la détection des erreurs répétées, donc persistantes, est un indicateur puissant.
Au niveau de l’I.N.R.E., le groupe E.MATH.A. que je dirigeais a pu analyser près de 600 copies du
B.E.F. 93 , 600 copies du B.E.F. 98 et 380 copies de baccalauréat Sciences Expérimentales session
1993 a fait apparaître des erreurs répétées de différents types :
- des erreurs provenant d’un excès d’automatisme (de type ontogénétique): 46% des
élèves ont été déstabilisés par un exercice où trois inconnues étaient proportionnelles
à trois nombres donnés mais dont deux seulement vérifiaient une équation donnée,
40% ont été désarçonnés par la donnée d’un triangle rectangle en un sommet noté
différemment qu’habituellement ; des élèves ne peuvent imaginer un cercle dont le
centre n’est pas l’origine des axes,
- des erreurs de type épistémologique : la règle des signes, la manipulation des
fractions, le décalage entre la figure dessinée et le raisonnement, sont autant d’erreurs
persistantes et presque incontournables,
- des erreurs de type ethnologique, provenant du contexte algérien : comme la notion
de majuscule n’existe pas en arabe, il y a confusion entre la notation des nombres
réels et celle des points du plan, d’où une erreur constatée sur le calcul du barycentre :
6AN + 3BN = (6A + 3B)N ; le choix de l’orientation du plan fait qu’on intervertit
souvent abscisse et ordonnée (du fait du choix de l’orientation de la droite réelle, le
tableau de variations d’une fonction ne correspond à l’allure de son graphe que si on
utilise sa réflexion sur un miroir, ce qui a donné entre autres des courbes coupant leur
asymptote, erreur constatée au niveau baccalauréat) ; le « noun rhiadi » a une forme
changeante ; la suppression d’un cours sur l’utilisation des parenthèses a accentué les
erreurs de ce type.
D’autres analyses ont été tentées sur les copies des BEF 99 et 2000, qui viennent confirmer les
analyses précédentes.
L’enseignement de la Géométrie est en pleine décadence et cela ne s’améliorera que lorsque, au
supérieur, on lui donnera (ou rendra) la place qu’il mérite. A titre d’illustration, on peut analyser les
dessins des étudiants de 4ème année d’université en mathématiques (une année avant d’aller
enseigner) qui répondaient à la question : dessiner en 3 dimensions la surface
{(x, y, z), x 2+y 2+z 2 =1, z ≥ 0 } ∪ {(x, y, z), x 2+y 2+z 2 =3, z≤ 0}.
97
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
Aucune vision dans l’espace n’a été acquise durant toute leur scolarité, d’autant plus qu’au lycée, les
élèves, et c’est la majorité, qui ont choisi la filière Sciences expérimentales n’ont aucun
enseignement de géométrie dans l’espace.
Il est inutile de rappeler que les seules personnes qui pourraient soupçonner l’existence de
géométries non euclidiennes sont justement ces étudiants de quatrième année mathématiques, et
encore ni dans la filière ingéniorat en Recherche Opérationnelle, ni dans la filière ingéniorat en
Probabilités et Statistiques. Euclide a encore beaucoup d’adeptes.
La commission de réforme installée en ce début de siècle a tenu compte des différents constats
établis.
Ses recommandations, si elles se concrétisent, transformeront le système éducatif algérien.
Mais des résistances, parfois violentes, le plus souvent pernicieuses, apparaissent au sein même de la
Famille de l’Education.
Concernant les programmes de la première année primaire et la première année moyenne, une
commission d’inspecteurs encadrée par des didacticiens français dirigés par une retraitée mais non
moins l’une des pionnières de l’école française de Didactique des Mathématiques, a fourni le fruit de
ses travaux fin Février 2003 : désormais, on change de méthode d’enseignement et on applique à la
lettre la théorie des systèmes didactiques, fleuron de la Didactique des Mathématiques à la française.
Le constructivisme est à l’honneur ; l’élève devient le principal acteur au sein de la classe et
l’enseignant se confine dans le rôle de conseiller (le souffleur sous les tréteaux du théâtre).
On met au placard la réforme Lichnérowicz (finies la théorie des ensembles et la mathématique des
structures) et on introduit la statistique au goût du jour.
Fin Février 2003, on a proposé ces programmes aux éditeurs privés et on leur a demandé de
présenter fin Mai 2003 des spécimens de livres scolaires en adéquation avec les programmes de la
réforme (donc en trois mois). Une commission d’homologation, constituée de personnes
insuffisamment documentées sur l’école française de Didactique des Mathématiques, a sélectionné
trois éditeurs, dont celui où j’ai produit avec mes équipes les deux livres demandés, et, par loterie,
mes livres ont été destinés à la région centre.
Je dois souligner que, verbalement et en réponse d’une question de ma part, vers la mi-Avril, le
ministère nous a demandé d’utiliser le symbolisme universel pour le livre du collège.
Une fois les livres distribués par l’O.N.P.S. (Office National des Publications Scolaires) à travers les
écoles et les collèges, les enseignants ont commencé à réagir. On leur demandait, ni plus ni moins,
de changer leur méthode d’enseignement, à partir d’un nouveau programme, d’un nouveau livre et
sans directives.
Fin Septembre 2003, une rencontre inspecteurs – auteurs des livres a été organisée par le ministère.
Une série de circulaires y ont alors été distribuées, dont celle précisant que le symbolisme universel
doit être adopté à tous les niveaux, de l’Ecole Primaire à l’Université. Les inspecteurs ont carrément
agressé les auteurs, les accusant d’être les instigateurs de cette réforme que personne (ils l’ont dit !)
ne souhaitait.
J’ai personnellement été traîné dans la boue par un collègue de l’E.N.S. de Kouba dans le journal
Ech-Chourouk (journal algérien en arabe), faisant croire à qui veut l’entendre, que j’étais le coupable
de l’adoption du symbolisme universel, donc contre « l’arabisation », alors que j’ai enseigné en
arabe des modules sans terminologie précise et j’ai été le premier universitaire algérien à faire un
98
Rachid BEBBOUCHI
exposé de recherche en langue nationale (en 1988), et que je n’ai jamais fait partie d’une quelconque
commission de réforme de l’Education.
Comme les livres scolaires ont été vraiment conçus dans la hâte, plusieurs coquilles n’ont pu être
corrigées et pire, certains livres n’étaient pas du tout en adéquation avec l’esprit de la réforme.
Avec le changement de ministre, il y a eu un recul : on a fait appel à un inspecteur en retraite pour
remettre de l’ordre dans la commission des programmes (notamment en voulant réintroduire la
théorie des ensembles, donc une mathématique des structures), ce qui a eu pour conséquence la
démission collective des encadreurs français et de certains inspecteurs ; on a retiré au privé la
confection des livres de seconde année, tuant ainsi dans l’œuf la confection de collections et
l’I.N.R.E. a recruté des auteurs par appel d’offres, sans tenir compte de leurs connaissances en
Didactique des Mathématiques.
Bien que, à l’heure actuelle, et dans plusieurs écoles et collèges, on ait perçu un intérêt accru des
élèves et une mobilisation effective des enseignants, bien que, dans certaines classes, on ait
commencé à favoriser le travail de groupes, toute cette ardeur risque d’être freinée, pour peu qu’on
n’ait pas l’idée de former les enseignants aux nouvelles méthodes didactiques : c’est la priorité
actuelle.
Le Ministère de l’Education a fait appel à une aide extérieure par l’intermédiaire de l’UNESCO, et
ce dans le cadre du programme PARE(programme d’appui à la réforme du système éducatif).
Le monopole du livre est revenu à l’état, assisté par le programme PARE.
Les universitaires algériens ne sont plus appelés à contribution (sauf certains privilégiés proches du
pouvoir et représentant toutes les tendances politiques du pays.
6. Conclusion :
Les deux réformes, celle de l’Education et celle de l’Enseignement Supérieur, sont prometteuses, à
condition de les accompagner d’une transformation des méthodologies d’apprentissage.
Pour cela, il faut prévoir la formation de « guides didactiques », des personnes sources à même de
définir les indicateurs du système éducatif, de les analyser et d’en tirer les recommandations
nécessaires pour faire avancer les réformes.
Un des indicateurs reste sans conteste l’analyse des erreurs répétées qui permet de corriger le tir en
amont (agir sur les programmes) et même en aval (agir sur l’agencement des programmes).
L’Inspection du M.E.N. est trop obsolète et l’Inspection du M.E.R.S. est trop démunie pour le faire.
C’est pourquoi il faut à tout prix envisager une formation doctorale en Didactique des
Mathématiques pour assurer une réflexion plus approfondie et un soutien didactique plus efficace,
basés sur des techniques plus claires et plus précises.
Plus vite l’horizon algérien comptera des didacticiens, plus faciles les deux réformes se mettront en
place.
Mais pourra-t-on en convaincre la noosphère ? Une coopération basée sur la formation universitaire
de didacticiens (de mathématiques dans notre cas) plaiderait certainement mieux que les
universitaires algériens, d’autant plus qu’une telle formation n’existe pratiquement pas. Et la faire
démarrer au sein de la plus grande (et la plus cotée) université du pays lui permettrait d’acquérir très
vite ses titres de noblesse.
99
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
7. Références :
[1] DECRET exécutif n° 96-72 du 27 Janvier 1996 (Journal Officiel) portant réaménagement du
statut de l’Institut Pédagogique National et changement de sa dénomination en Institut National de
Recherche en Education (I.N.R.E.).
[2] DJEBBAR A. : les mathématiques dans les systèmes éducatifs du Maghreb à la lumière des
dernières réformes, CJSMTE/RCESMT 7 :1 Janvier 2007.
[3] JOURNEES d’études sur l’analyse des erreurs dans les copies de B.E.F. session Juin 1998, 1er
Mars 2000, I.N.R.E.(Alger).
[4] JOURNEES d’études sur l’analyse des erreurs dans les copies de mathématiques de l’examen du
B.E.F. session 99, 8 Novembre 2000, I.N.R.E. (Alger).
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Maha BELKHODJA
RÉSUMÉ
Dans le cadre de notre recherche doctorale, un de nos objectifs est de vérifier quelle importance était
accordée au Québec au développement de la capacité à visualiser en géométrie dans trois et deux
dimensions, dans l’ancien curriculum de mathématiques pour le secondaire et dans le récent
Programme de formation de l’école québécoise, de même que dans les diverses séries de manuels
utilisées. L’analyse de ces programmes et manuels et la réalisation d’entrevues nous a permis de
constater que la capacité à visualiser en géométrie a été et demeure grandement négligée au secondaire.
INTRODUCTION
L’un des buts de l’apprentissage de la géométrie à l’école est le développement par les élèves de la
capacité à « visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions ». Il a été grandement négligé par le
passé dans les programmes scolaires de mathématiques, notamment à l’époque des « mathématiques
modernes », mais depuis les années quatre-vingt on a réaffirmé, au niveau international, la nécessité de
le revaloriser en éducation mathématique. Notre recherche porte sur le thème de la visualisation en
géométrie dans trois et deux dimensions en tant que compétence à développer à l’école (le terme
« compétence » étant entendu dans le sens que lui donne le MELS dans le cadre de la réforme en
éducation en cours au Québec). Dans cette recherche, un des objectifs était de vérifier quelle
importance était accordée au Québec au développement de la compétence à visualiser en géométrie
dans trois et deux dimensions, dans l’ancien curriculum de mathématiques pour le secondaire et dans le
récent Programme de formation de l’école québécoise, de même que dans les diverses séries de
manuels utilisées. Dans cette communication, nous présentons les principaux résultats obtenus et les
conclusions auxquelles nous sommes arrivées.
OBJECTIF DE LA RECHERCHE
Notre objectif est de vérifier quelle importance était accordée au Québec au développement de la
compétence à visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions, dans l’ancien curriculum de
mathématiques pour le secondaire et dans le récent Programme de formation de l’école québécoise, de
même que dans les diverses séries de manuels utilisées.
De façon plus spécifique, nous avons cherché à répondre aux deux questions suivantes :
101
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
Pour répondre à cette question, nous avons utilisé trois moyens. Le premier consiste à analyser le
curriculum en vigueur en mathématiques au secondaire au Québec avant l'implantation du Programme
de formation de l'école québécoise. Pour en faire l’analyse, nous avons utilisé une grille50.
Le deuxième moyen est l’analyse des chapitres touchant la géométrie dans chacune des neuf séries de
manuels scolaires approuvés par le MELS (Carrousel mathématique, Scénarios, Croisières
mathématiques, Univers mathématique, Dimensions mathématiques, Mathophilie, Les maths et la vie,
Réflexions mathématiques et Regards mathématiques) ainsi que dans les guides d’enseignement qui les
accompagnent. L’analyse de ces chapitres a été réalisée à l’aide d’une grille51 différente de la
précédente.
Le troisième moyen est la réalisation d’entrevues52 auprès d’auteurs de la collection Scénarios afin
d’avoir une idée plus claire concernant ce qu’ils voulaient véhiculer dans leurs livres et concernant
l’importance qu’ils accordent à la visualisation en géométrie dans trois et deux dimensions.
Pour répondre à la deuxième question, nous avons utilisé ici aussi trois moyens. Le premier consiste à
analyser le Programme de formation de l’école québécoise. Cette analyse a été réalisée au moyen d’une
troisième grille53.
Le deuxième moyen est l’analyse des chapitres touchant la géométrie dans les deux nouvelles
collections de manuels scolaires approuvés par le MELS (Perspective mathématique et Panoram@th)
ainsi que les guides d’enseignement qui les accompagnent. L’analyse de ces manuels sera effectuée au
moyen de la même grille que celle utilisée pour les manuels accompagnant l’ancien curriculum. Le
recours à la même grille permettra de voir jusqu’à quel point et de quelle façon des changements ont
été apportés pour favoriser le développement de la compétence à visualiser en géométrie dans trois et
deux dimensions.
50
La recherche qui a été menée comprend deux sortes de résultats. Le premier de nature théorique, nous a permis de
développer un modèle original pour caractériser le « sens géométrique » dont la capacité à visualiser en géométrie dans trois
et deux dimensions constitue un aspect particulier. La grille utilisée pour l’analyse du curriculum en question a été
construite en s’appuyant sur ce modèle.
51
La grille utilisée, pour l’analyse des neuf séries de manuels scolaires, a aussi été élaborée en s’appuyant sur le modèle du
« sens géométrique ».
52
Pour toutes les entrevues réalisées, nous avons élaboré des questions semi-ouvertes en se basant encore une fois sur le
modèle du « sens géométrique ».
53
La grille pour l’analyse du Programme de formation de l’école québécoise a aussi été élaborée en s’appuyant sur le
modèle du « sens géométrique ».
102
Maha BELKHODJA
Le troisième moyen est la réalisation d’une entrevue auprès d’une des personnes qui ont travaillé sur le
nouveau programme. Cette entrevue aura pour objectif de vérifier si notre analyse du nouveau
programme s’accorde avec les visées de celui-ci du point de vue de la visualisation en géométrie dans
trois et deux dimensions.
Il est important de souligner qu’il était effectivement question dans l’ancien curriculum de la capacité54
à visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions. C’est uniquement en troisième année du
secondaire, dans le Programme d’études Mathématiques 314 que l’on se préoccupe vraiment du
développement de cette capacité. On y recommande le recours aux différents types de représentations
externes dont parle Lesh55 (1979) et on y parle de l’importance du développement d’images mentales
chez l’élève. Dans les programmes d’études des autres degrés du secondaire, nous n'avons trouvé qu'un
seul paragraphe faisant allusion à cette capacité. Dans ce paragraphe, on propose d'une part de
poursuivre le développement de cette capacité chez les élèves et d'autre part de l'utiliser comme
acquise. N'y a-t-il pas confusion dans ce message? Comment un enseignant ou un auteur de manuel
peut-il l'interpréter? Il semble que le développement de la capacité à visualiser en géométrie dans trois
et deux dimensions n'est pas considéré dans le curriculum comme étant un objet à développer à long
terme.
Par ailleurs, dans les explications apportées aux objectifs du Programme d’études Mathématique 314,
on n'insiste pas assez sur l'importance d'utiliser dans l'enseignement des types d'activités suffisamment
variées et nombreuses pour soutenir le développement de la capacité à visualiser en géométrie dans
trois et deux dimensions.
Aussi, il ressort de l’analyse du curriculum en question que la terminologie n'est pas bien établie. On
constate que les expressions « visualisation spatiale », « habileté spatiale », « sens spatial » et
« perception spatiale » sont généralement utilisées comme étant synonymes. Souvent, également on ne
semble pas faire la distinction entre ce qui est « spatial » (ce qui concerne le monde physique) et ce qui
est « géométrique » (ce qui concerne le monde abstrait de la géométrie). Sur ces questions, le
curriculum n'apporte aucune clarification; on y mentionne simplement au passage que le sens spatial :
« est une forme d'activité mentale permettant de créer et de manipuler des images d'objets » (p. 33).
54
Nous nous contentons ici de parler de « capacité » à visualiser en géométrie car à l’époque dont il est question, on ne
parlait pas encore au Québec de « compétence » au sens où on l’entend maintenant dans le Programme de formation de
l’école québécoise.
55
Lesh (1979) propose cinq modes de représentations externes : le langage parlé, les symboles écrits, le matériel concret, les
images et les situations du monde réel.
103
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
À une exception près, les collections de manuels adhèrent fortement au curriculum. Il ne faut donc pas
s'étonner de ne retrouver qu'en troisième année des activités ayant pour but de développer la capacité à
visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions. Encore une fois, le développement à long terme
de cette capacité semble être ignoré dans ces collections.
À ce propos, un fait particulier a retenu notre attention dans la collection Carrousel mathématique.
Dans le guide d'enseignement qui accompagne le manuel de la première année, il est écrit : « la
visualisation spatiale se développe à long terme et non pas à l'occasion d'un chapitre. C'est pour cette
raison qu'on doit présenter de telles situations de temps à autre » (p. 741). Apparemment, l'auteur
accorde de l'importance à la capacité à visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions et à son
développement à long terme. Nous avons donc été surprise qu'il ne propose pas diverses activités à
cette fin ici et là dans les manuels de la collection; cela nous a semblé d'autant plus curieux que dans le
cas de la capacité à faire des estimations, dont le développement est également visé à long terme,
l'auteur a inséré des activités d'estimation ici et là à tous les degrés. N'y a-t-il pas là une inconséquence?
N'aurait-il pas été souhaitable et plus cohérent avec ses propres propos que l'auteur insère tout au long
du secondaire quelques situations visant le développement de la capacité à visualiser en géométrie dans
trois et deux dimensions?
Concernant les activités en rapport avec la visualisation en géométrie dans trois et deux dimensions qui
se trouvent dans les manuels scolaires, généralement elles ne sont ni variées ni en nombre suffisant, ce
qui n'est pas étonnant puisque le curriculum n'insiste pas là-dessus. En effet, la majorité des collections
proposent des activités seulement dans les manuels de troisième année et dans un seul chapitre et
celles-ci portent fréquemment sur des figures géométriques. Le développement de la capacité à
visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions nécessite des activités multiples et variées
touchant à la fois les figures, les relations et les transformations géométriques. Aussi, il est
indispensable de ne pas se restreindre à des activités purement géométriques et d'inclure d'autres qui
font appel à l'environnement physique, par exemple les translations ou les rotations d'objets, des formes
à manipuler, des situations où intervient l'ombre, etc. Cette variété de situations est d'une importance
capitale pour que l'élève soit capable à long terme d'exercer sa capacité à visualiser en géométrie dans
trois et deux dimensions dans des contextes variés et notamment dans des situations de la vie réelle. À
ce sujet, les manuels de troisième année des collections Les maths et la vie et Univers mathématiques
nous paraissent particulièrement déficients. Les collections Carrousel mathématique et Scénarios,
quant à elles, proposent une variété d'activités non négligeable.
À propos de la terminologie, on retrouve les mêmes problèmes que dans le curriculum. On peut en
arriver à se demander si leurs auteurs ont les idées claires au sujet de ces problèmes de terminologie ;
ce fut là notre impression lorsqu’un des auteurs nous a posé la question : « la visualisation se restreint
en quoi en fait? ».
Concernant la collection Scénarios, ses auteurs nous ont confié lors de l'entrevue avoir fait des lectures
pour mieux comprendre comment se développe la visualisation spatiale56. Ces lectures ont
certainement influencé leur choix d'activités et leurs commentaires. En effet, pour le chapitre Droites,
56
Même si nous faisons une nette distinction entre visualiser des formes et des relations spatiales dans l’espace physique
environnant à trois dimensions – nous parlons alors de « visualiser dans l’espace » ou « visualisation spatiale », – et d’autre
part, visualiser des figures et des relations géométriques dans trois et dimensions (en géométrie de l’espace) ou dans deux
dimensions (en géométrie plane). Les auteurs des collections de manuels analysés semblent ignorer systématiquement cette
distinction lorsqu’ils utilisent l’expression « visualisation spatiale ». Nous utilisons quand même cette dernière lorsque nous
voulons rapporter ce que les auteurs expriment.
104
Maha BELKHODJA
angles et polygones, ils soulignent aux enseignants qu'il est important d'habituer l'élève à :
« reconnaître un angle droit, quelle que soit son orientation » (p. 222) et à : « voir les triangles, qu'ils
soient rectangles, isocèles ou autres dans différentes positions » (p. 227). Ces aspects sont
effectivement très importants pour le développement de la capacité à visualiser en géométrie. Aussi, ils
ont insisté à plusieurs reprises sur la nécessité de manipuler des objets afin de développer cette
capacité. De plus, soulignons que ce sont les seuls auteurs qui ont tenu compte du fait que la capacité à
visualiser se développe à long terme et ont proposé en conséquence des situations à tous les niveaux du
secondaire. L'effort de ces auteurs est à saluer !
Les auteurs de la collection Les maths et la vie, avancent des affirmations, dans le guide
d’enseignement, qui nous laissent perplexe. Ils écrivent : « … comme l’élève a beaucoup développé
son sens spatial, il a plus de facilité à percevoir une figure plane dans l’espace. Ainsi, il peut percevoir
un triangle rectangle dans un cône, une pyramide, un cube, un prisme droit » (p. 171). Soulignons que
dans les manuels de première et deuxième années de cette collection n’existe aucune situation qui vise
le développement de la capacité à visualiser en géométrie. Comment peuvent-ils affirmer que l’élève a
beaucoup développé son sens spatial? Il nous semble que percevoir un triangle rectangle dans un cône,
une pyramide, un cube ou un prisme droit n’est certainement pas une chose évidente pour tous les
élèves et fort probablement pour un bon nombre d’enseignants.
Le dernier point concerne l'influence du curriculum sur la rédaction des manuels. En effet, il ressort de
l'analyse des manuels scolaires que ce ne sont pas tous les auteurs des collections qui ont pris l'initiative
d'introduire des activités susceptibles de développer la capacité à visualiser en géométrie dans trois et
deux dimensions. Il est donc clair que l'orientation du curriculum influence incontestablement la
rédaction des manuels scolaires. Cependant, dans ce cas précis, il est regrettable de faire un tel constat
surtout que le MELS donne aux auteurs de manuels une marge de liberté. Pourquoi alors cette
réticence?
Résultats de l’analyse de l’entrevue réalisée avec deux des auteurs des manuels de la collection
Scénarios
Il ressort des propos des deux auteurs que l’ancien curriculum n’accordait pas suffisamment
d’importance au développement de la capacité à visualiser en géométrie tout au long du primaire et du
secondaire. Ils ont bien souligné que celui-ci était concentré en troisième année du secondaire.
Concernant la collection Scénarios qu’ils ont rédigée, les auteurs y ont proposé plusieurs activités qui
font appel à la manipulation des cubes et au dessin des différentes vues principalement. Malgré l’effort
déployé pour donner l’occasion aux élèves de réaliser des ateliers visant le développement de la
capacité à visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions, les auteurs révèlent avec beaucoup de
regret que ces activités n’avaient pas l’air de retenir l’attention des enseignants. De plus, tout au long
de l’entrevue, les deux auteurs employaient tantôt l’expression « perception spatiale » tantôt
« visualisation spatiale ». Cette confusion était à prévoir. En effet, il n’est pas étonnant que nos
interlocuteurs ne sachent pas les différencier puisque le curriculum n’apporte aucune clarification.
105
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
Les trois compétences mathématiques que l'on retrouve dans le Programme de formation de l’école
québécoise sont d'ordre assez général. La visualisation en géométrie dans trois et deux dimensions n'y
figure pas en tant que compétence. Nulle part dans ce nouveau curriculum, on ne semble porter une
quelconque attention à cela. Parmi les commentaires faits dans le nouveau programme à propos des
trois compétences retenues en mathématiques, il y a peu de références explicites, voire même
implicites, à la visualisation en géométrie ou dans l’espace et que celles qu’on trouve sont toujours en
rapport avec la visualisation faisant appel à des représentations externes. Par exemple, on peut lire :
« En géométrie, il passe de l’observation au raisonnement. … Il construit des figures au besoin, à l’aide
d’instruments ou de logiciels de géométrie dynamique » (p. 240, Programme de formation de l’école
québécoise). Un peu plus loin, on encourage le recours aux différentes représentations externes dont
parle Lesh (1979) dans les différents champs mathématiques, notamment en géométrie :
« En outre, l’élève doit se familiariser avec les éléments du langage que sont les termes, les
symboles et les notations et apprendre à choisir des modes de représentation adaptés aux
situations numériques, symboliques, graphiques ou linguistiques. Il doit pouvoir recourir à ces
divers modes de représentation et passer avec aisance de l'un à l'autre » (p. 246, Programme de
formation de l’école québécois).
Dans aucun des commentaires à propos des trois compétences nous n’avons trouvé une quelconque
recommandation encourageant le développement d’images mentales en géométrie ou dans d’autres
champs mathématiques. Est-ce un oubli? Leur développement est-il considéré comme allant de soi?
Pourtant, parmi les exemples de stratégies associées à la résolution de problèmes, on trouve « se
représenter la situation mentalement ou par écrit » (p. 262, Programme de formation de l’école
québécoise). On précise que cette stratégie, comme d’autres d’ailleurs, peut être développée par l’élève
au moment de l’exercice de ses compétences. Mais avant d'associer cette stratégie à la résolution de
problèmes, il est important de donner à l'élève l'opportunité de l'exercer. L'étude de la géométrie offre
diverses situations qui permettent de développer les images mentales. Malheureusement, aucune
explication n'est donnée à ce sujet.
L’expression « sens spatial » apparaît pour la première fois dans le texte du Programme de formation
de l'école québécoise lorsqu'il est question des relations entre les mathématiques et les autres
disciplines. L'examen du tableau de la page 236 du nouveau curriculum semble montrer que le sens
spatial joue un rôle important en arts, en univers social, en science et technologie et aussi pour le
développement personnel. Nous avons donc cherché une définition ou tout au moins une explication de
cette expression. Le texte qui explique le tableau n'en donne aucune. Cependant, dans la section
Univers social du tableau, apparaît l'indication suivante : « sens spatial : représentations 2D et 3D,
repérage de points sur un axe et dans un plan, transformations géométriques et unités de mesure » (p.
236, Programme de formation de l’école québécoise). Même s'il n'existe pas dans la littérature de
consensus sur ce que peut être le sens spatial, il n'est certainement pas restreint à ce qui est indiqué ci
haut. En effet, les capacités mentales représentent certainement une composante majeure du sens
106
Maha BELKHODJA
spatial. Malheureusement, tout porte à croire que pour les concepteurs du nouveau curriculum il s'agit
là d'une définition du sens spatial. Cette expression apparaît à nouveau lorsqu'on présente le contenu de
formation de la géométrie. Le sens spatial devient alors un concept à construire et à s'approprier au
même titre que les figures géométriques. Cette confusion nous semble montrer encore une fois toute
l'ambiguïté qui entoure sa définition. On reconnaît, tout de même, que son développement nécessite du
temps et on met l'accent, une fois de plus, sur les représentations externes pour y parvenir. Dans la
section « Repères culturels » (p. 260, Programme de formation de l’école québécoise), on parle de la
pensée géométrique et du sens spatial comme d'un tout dont l'élève doit pouvoir se servir dans
différents contextes à l'école et hors l'école. En effet, nous pouvons lire :
« L'élève est incité à utiliser sa pensée géométrique et son sens spatial dans ses activités
quotidiennes et différents contextes disciplinaires ou interdisciplinaires, tels que celui des arts ou
de la science et de la technologie, ou encore dans différentes situations sociales, en réponse à
certains besoins : se repérer dans l'espace, lire une carte géographique, évaluer une distance ou
utiliser des jeux électroniques » (p. 260, Programme de formation de l’école québécoise).
Suite à cette citation, il est difficile de concevoir la pensée géométrique et le sens spatial au même titre
que des concepts comme les figures géométriques par exemple.
107
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
Analyse de l’entrevue réalisée avec une personne qui a travaillé sur le nouveau curriculum
Par souci d’anonymat, nous désignerons par RM pour « responsable des mathématiques » la personne
interviewée qui a travaillé sur le nouveau curriculum.
Notre interlocuteur a commencé par souligner la provenance des expressions « sens spatial » et
« visualisation ». Il a expliqué que la première est plus nord américaine alors que la deuxième est
utilisée en Europe. Il a aussi parlé d'un écart entre les deux mais n'a pas donné de précisions.
Il semble que la préoccupation majeure lors de la rédaction du nouveau curriculum est d'amener les
élèves à aimer les mathématiques. Concernant la définition des compétences, monsieur RM a précisé
que l'absence dans le programme de compétences purement mathématiques se justifie par le fait que
celles-ci n'y sont pas considérées comme une finalité en soi. Les mathématiques sont présentes dans le
programme pour répondre à un besoin. Le choix de la compétence Résoudre une situation-problème se
justifie, d'après notre interlocuteur, par la faiblesse des élèves au niveau de la résolution de problèmes.
Pour les enseignants, monsieur RM explique que c'est dans les sections Éléments de méthode et Repère
culturel que l'enseignant peut trouver certaines notes pédagogiques. Il précise que la section Repère
culturel vise à inciter les enseignants à parler de l'histoire des mathématiques dans le but d'encourager
les élèves à aimer cette discipline. Concernant la formation des enseignants, notre interlocuteur soulève
la difficulté des professeurs à monter des situations d'apprentissage lors des sessions de formation
offertes par le ministère. Il en renvoie la responsabilité au milieu universitaire qui d'après lui ne suit pas
de près l'évolution amenée par la réforme.
Il ressort des propos de monsieur RM que la géométrie a encore sa place dans les programmes scolaires
parce qu'elle permet le développement du raisonnement. Cependant, la philosophie de la nouvelle
réforme veut qu'il n'y ait plus différents cours de mathématiques touchant l'algèbre, l'arithmétique, la
géométrie, etc. mais plutôt un cours où tout est intégré.
Nous voulons mentionner que lors de l'entretien avec monsieur RM, il nous a été difficile de l'amener à
répondre explicitement aux questions qui nous préoccupaient. Visiblement, notre interlocuteur était mal
à l'aise face à nos interrogations puisqu'il revenait à chaque fois aux grandes orientations sous-jacentes
à la réforme.
108
Maha BELKHODJA
Concernant le Programme de formation de l’école québécoise, nos deux auteurs s’entendent pour dire
que, comparé à l’ancien curriculum, celui du primaire accorde plus de place aux activités de
manipulation qui pourront développer la visualisation en géométrie dans trois et deux dimensions.
Cependant, ils déplorent le peu de précisions dans ce curriculum, autant au primaire qu’au secondaire,
qui pourrait guider les auteurs de manuels et les enseignants à ce sujet. Ils ajoutent que sur les trois
pages qui touchent la géométrie dans le programme, il y a très peu d’éléments sur le sens spatial et qu’il
n’y est question que d’activités de représentation d’objets tridimensionnels sur une feuille de papier. Ils
perçoivent ce manque d’information comme une source d’ambiguïté, voire un handicap lors de la
rédaction des manuels scolaires. D’ailleurs, ils précisent qu’une documentation personnelle au sujet de
la visualisation en géométrie dans l’espace et dans le plan est nécessaire. Cette documentation, les a
encouragé à proposer des activités qui amènent les élèves à sortir de la classe ou à bouger dans la
classe, tout en sachant qu’elles sont perçues comme informelles par les enseignants et que leur
réalisation ne tient qu’à leur bonne volonté.
Quant à la répartition des objectifs par cycle, nos auteurs expliquent que les concepts et les processus
sont donnés mais qu'il leur appartient de décider ce qu'ils mettent en première année du cycle et ce
qu'ils gardent pour la deuxième année.Pour cette fin, ils se laissent guider par les acquis des élèves au
primaire et par les prérequis aux concepts à considérer. Ils ajoutent qu'ils prenaient aussi en
considération ce que faisaient les enseignants du secondaire pour ne pas amener trop de changements.
Ils confient que le programme écrit par cycle leur a permis d'introduire certains concepts plus tôt
sachant que l'élève dispose de deux ans pour les saisir.
CONCLUSION
À propos des curriculums, il ressort des analyses faites précédemment que le Programme de formation
de l'école québécoise pour le premier cycle du secondaire ne porte pas une quelconque attention au
développement de la compétence à visualiser en géométrie dans trois et deux dimensions. Comparé à
l’ancien curriculum, on peut noter un certain recul concernant l’attention portée au développement de
cette compétence.
À propos des manuels scolaires, il est réconfortant de voir qu'il existe, dans les deux collections
correspondantes au nouveau curriculum du premier cycle du secondaire, quelques situations
susceptibles de développer chez les élèves la compétence à visualiser en géométrie dans trois et deux
dimensions. Cette initiative vient compenser les lacunes présentes dans le curriculum en question.
Cependant, tout comme dans les collections correspondantes à l'ancien curriculum, les activités
proposées ne sont ni en nombre suffisant ni assez variées. Ce qui n'est pas étonnant puisque les deux
curriculums n'insistent pas là-dessus. En dépit de cela, des améliorations sont notables. Espérons que
cela continue!
Malgré les bonnes initiatives que nous avons relevées au niveau des nouvelles collections de manuels
scolaires, il apparaît clairement que des mises au point sont encore nécessaires. Celles-ci ne pourront
avoir lieu que si les auteurs prennent conscience de l'importance de la compétence à visualiser en
géométrie dans trois et deux dimensions, de son développement à long terme, et de la nécessité de
varier et de multiplier les activités qui faciliteront son développement chez les élèves.
109
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
Références
LESH, R. (1979). Mathematical learning disabilities: Conderations for identification, diagnosis, and
remediation. In R. Lesh, D. Mierkiewicz, & M. G. Kantowski (eds.), Applied mathematical problem
solving. Columbus, Ohio : ERIC/SMEAC.
Collection Dimensions mathématique 116, 216. Montréal : Les Éditions du Renouveau Pédagogique
inc.
Manuel et guide d'enseignement pour le secondaire 1, Tome 2, (1993), rédigés par P. Patenaude et L.
Viau.
Manuel et guide d'enseignement pour le secondaire 2, Tome 2, (1994 - 1995), rédigés par I. Jordi, P.
Patenaude et C. Warise.
Collection Les maths et la vie. Montréal : Les Éditions Brault et Bouthillier inc.
Manuel et guide d'enseignement pour le secondaire 1, (1993), rédigés par S. Maurer, A. Lopez, et C.
De La Grange.
Manuel et guide d'enseignement pour le secondaire 2, (1994) rédigés par S. Maurer et al.
Manuel et guide d'enseignement pour le secondaire 3, (1995) rédigés par S. Maurer et al.
110
Maha BELKHODJA
Manuel A et Guide en un coup d'œil A, volume 1, volume 2, premier cycle du secondaire (2005),
rédigés par R. Cadieux, I. Gendron et A. Ledoux.
111
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
112
Héléna BOUBLIL
La réforme actuelle : analyse des effets de son introduction sur la formation des
futurs maîtres
Helena Boublil, professeure, didactique des mathématiques, Université Laval
Le contexte de la réforme de l’école québécoise (MEQ, 2002) impose de nombreux changements relatifs à
l’organisation des apprentissages. En tant que formatrice des maîtres, je me suis intéressée à l’enjeu que ce
changement représente pour la formation didactique des futurs maîtres. Lors de mes études doctorales, j’ai pu
concevoir et évaluer les apprentissages des futurs maîtres et vérifier en même temps l’impact de la formation que
je propose sur le travail pratique des futurs enseignants (en analysant leurs travaux de session et en les observant
lors des stages).
Dans cette communication, je ne traiterai qu’un des aspects de formation lié au contexte actuel de changement de
programmes en décrivant les moyens didactiques utilisés pour expliciter la nouvelle approche et en m’arrêtant
sur la description du contenu disciplinaire présenté par les programmes et sur la démarche entreprise dans le
cadre de formation pour préciser cette description.
Dans la première partie, je présenterai l’enjeu du changement de programmes pour la formation didactique des
futurs maîtres. Ensuite, je décrirai brièvement le début de mon questionnement en ce qui concerne la
compréhension qu’ont les étudiants de la nouvelle approche et ma recherche de moyens didactiques plus
appropriés dans le cadre de formation didactique à l’enseignement des mathématiques au primaire. La
description de ces activités de formation a déjà fait partiellement l’état de mes communications précédentes
(GDM-2001, ACFAS-2004, GDM-2005).
La troisième partie sera consacrée aux activités de formation visant à permettre aux futurs maîtres d’analyser et
de préciser la description du contenu disciplinaire présenté par les programmes et d’avoir une conception globale
des apprentissages géométriques visés par l’enseignement primaire.
113
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
En tant que formatrice des maîtres, je me suis interrogée sur les moyens didactiques permettant
d’outiller les futurs enseignants pour effectuer les changements planifiés par la réforme.
À l’année d’apparition de la version provisoire du nouveau programme (2000), j’ai pu mesurer le défi
que représente son application par les futurs enseignants. Comme travail de session, je leur avais
proposé l’analyse des activités des manuels du point de vue du développement des compétences visées
par ce programme. Une liste de critères a été proposée en tant qu’outil d’analyse. On y retrouve une
vingtaine de questions permettant l’analyse de la mise en situation, du contexte de réalisation de
l’activité, des collections des objets, de consignes, du vocabulaire, de schémas, de certains aspects
didactiques (anticipation des réponses, transfert de responsabilités, etc.). Quant aux compétences, les
questions suivantes ont été posées :
- Quelle compétence est appuyée (ou contrée) par votre extrait de manuel scolaire? Pourquoi?
- Quelles composantes de cette compétence retrouvez-vous (ou ne retrouvez-vous pas)?
- Comment pouvez-vous améliorer la présentation et la réalisation de cet extrait?
J’ai également demandé de prévoir des modifications (si nécessaire) des tâches pour les rendre plus
cohérentes avec les compétences ciblées. Autant que possible, il fallait chercher à utiliser le plus de
critères possibles pour enrichir l'analyse de l’activité choisie. De même, d'autres critères pouvaient être
ajoutés à cette liste.
À cette première année de formation dans le nouveau contexte de changement de programmes, je
voulais savoir comment les futurs enseignants se familiarisaient avec le contenu de ce programme,
comment ils en tenaient compte dans l’analyse des séquences d’enseignement et comment leurs
connaissances géométriques et didactiques les outillaient pour modifier les activités afin de donner plus
d’ampleur au développement des compétences visées. L’analyse de travaux de session de l’année 2000
(d’environ 200 étudiants) m’a permis d’observer et de décrire certains phénomènes provoqués par les
facteurs suivants :
57
Selon Vergnaud (2001), il faut analyser l’activité en termes de buts, de règles, d’invariants et d’inférences. De plus,
même si le but n’est pas pleinement conscient ou s’il y en a plusieurs dans la même activité, on peut toujours identifier une
intentionnalité dans l’organisation de l’activité, avec son cortège de sous-buts et d’anticipations.
114
Héléna BOUBLIL
2. Deuxième étape
Ekimova, H. (2004). « Le passage du savoir géométrique au savoir d’enseignement », ACFAS – 2004,
UQAM, Montréal.
Dans le but d’intégrer des connaissances didactiques et de développer des connaissances
d’enseignement, j’ai créé des situations de formation qui devraient diriger les futurs maîtres vers
l’élaboration progressive de l’outil d’analyse et de conception des situations
d’enseignement/apprentissage (en comparaison avec l’année précédente où cet outil leur a été imposé).
En analysant les différentes collections de manuels, j’ai choisi plusieurs extraits permettant d’attirer
l’attention du futur maître sur les phénomènes d’enseignement et d’apprentissage et d’amorcer la
discussion sur les propriétés du concept. Certains extraits ont exigé des étudiants la précision du
58
Les futurs enseignants font de nombreuses généralisations d’une certaine lecture du concept de la compétence. La
compétence « Résoudre une situation-problème » se repère par eux dans la majorité des activités analysées. Le même
phénomène est visible à l’intérieur même des manuels scolaires et des guides du maître. Chacune des tâches à accomplir est
appelée « le problème ». Par conséquent, chacune des situations d’enseignement représente pour les futurs enseignants une
situation-problème comme si chacune possédait les caractéristiques d’une situation-problème.
59
Les réponses des étudiants à un questionnaire proposé à la fin de la formation 2001 indiquent que le manuel scolaire est
l’outil principal que les futurs enseignants utilisent pendant les stages et prévoient utiliser dans leur futur travail. Nos
observations des stages (hiver 2001) démontrent que les stagiaires le suivent souvent point par point. Dans certains cas,
nous pouvons même noter le rôle décisif des manuels scolaires dans les pratiques enseignantes. (Voir un exemple décrit
dans Ekimova et Portugais (2001). La stagiaire décide de présenter telle quelle une activité tirée du manuel scolaire
critiquée dans son travail de session et qui n’avait pas fonctionné dans un stage précédent.)
115
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
langage géométrique employé par l’activité, de la consigne, du choix de figures proposées pour
l’observation ou pour la classification, l’analyse de la pertinence du schéma de classification, tandis
que d’autres ont été centrés sur la continuité des apprentissages ou sur l’absence des étapes nécessaires
pour atteindre les objectifs, etc.
Cette analyse m’a permis en même temps de repérer les activités et les extraits où les différents savoirs
géométriques pouvaient être mis en jeu afin de guider l’étudiant en formation à développer, réorganiser
et consolider les connaissances géométriques. J’ai pu constater que l’utilisation des critères d’analyse
pour l’organisation des apprentissages participe efficacement à la compréhension du contenu
disciplinaire. Lors de la formation, j’ai observé comment l’intérêt pour l’étude épistémologique du
contenu vient de l’analyse des activités et du questionnement didactique.
Voici quelques exemples portant sur l’élaboration de différents critères : phénomène de « guidage »,
pertinence du choix de figures, du vocabulaire, du schéma de classification et du contexte de
réalisation.
Extraits Commentaires
« Lexique mathématique » (Vincent, 1994, p. 172-173) - la définition est fausse, car le triangle acutangle
peut avoir les mesures égales des angles. (C’est le
cas des triangles acutangles isocèles et
équilatéraux).
116
Héléna BOUBLIL
Extraits Commentaires
La pertinence du schéma (Le diagramme utilise
Bâtimath 5 (p.299)
deux caractéristiques de classification des
triangles : selon les côtés (scalène, isocèle,
équilatéral) et selon les angles (rectangle). En
analysant ce schéma, nous nous interrogeons sur les
représentants de la classe « scalène » (Scalènes
obtusangles et acutangles?) et de la classe
« rectangle » (Scalènes rectangles?). En effet,
l’ensemble « rectangle » doit chevaucher les classes
« scalènes » et « isocèles ».
Mathématique 2 (p.3-4)
- But de l’activité, compétences visées
Les questions 3 et 4 indiquent aux élèves ce qu’ils
doivent observer en tant que « ressemblance » et
« différence » et guident les élèves vers un seul
classement déterminé par l’activité, ce qui réduit le
caractère problématique de cette activité (car six
différents classements sont possibles).
ouverts non-simples
A
E D
C
De ce type de travail, nous avons réussi à élaborer, avec les futurs enseignants, la même liste des
questions qui pourront servir à orienter l’analyse des activités des manuels. Les critères élaborés par les
futurs enseignants présentent la part technique du métier de l’enseignant et rendent possible l’étude de
l’activité mathématique et sa transformation didactique. Ce savoir permet aux futurs enseignants de
porter un regard critique sur les modèles d’enseignement avant de les appliquer en classe. C’est le
moyen de réfléchir à la pertinence des activités par rapport aux connaissances que nous voulons faire
acquérir aux élèves.
3. Troisième étape
Ekimova-Boublil, H. (2005). « Le rôle des activités expérimentales dans la construction des concepts
géométriques », GDM-2005, UQAM, Montréal
Ma présentation au colloque de GDM-2005 a cherché à répondre à une des questions posées soit
« Comment la manière d’aborder les concepts et processus mathématiques doit-elle évoluer du
primaire au secondaire, pour que les raisonnements progressent jusqu'à rencontrer ces « exigences de
rigueur, d'exactitude, de justification et de preuve? », caractéristiques de l'activité mathématique? »
117
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
J’ai présenté une approche de l’enseignement introduite dans le cadre de formation didactique de futurs
maîtres à l’enseignement de la géométrie au primaire. Son élaboration repose sur l’analyse didactique
de différentes recherches sur les obstacles et les difficultés des élèves dans les apprentissages de la
géométrie et dans la résolution de problèmes géométriques, ainsi que sur l’analyse des programmes
ministériels, des manuels et des pratiques enseignantes.
À partir de deux cadres théoriques : les niveaux de la pensée géométrique de van Hiele (1959, 1986) et
la notion de registres de représentation sémiotique de Duval (1995), j’ai représenté l’enseignement de
la géométrie en tant qu’une structure qui réunit les objectifs de l’enseignement de la géométrie, la
progression des apprentissages selon les niveaux de la pensée géométrique, la multiplicité et la
coordination des registres de représentation et les différentes activités géométriques qui permettent
d’atteindre les objectifs visés.
Afin de participer à la construction de cette conception des apprentissages chez les futurs maîtres, je
leur ai proposé d’analyser les différentes collections de manuels scolaires (un manuel par équipe). Avec
cette analyse, nous avons cherché à décrire la variété de situations proposées à l’étude de la géométrie,
à les étudier selon les compétences visées, selon les objectifs de l’enseignement de la géométrie au
primaire, à repérer celles qui sont centrées sur le développement de la visualisation et du langage, sur la
construction des relations entre les propriétés et les figures et à analyser la coordination entre la
visualisation et le langage dans une activité. Nous avons explicité l’enseignement de la géométrie au
primaire en référence aux différentes expériences géométriques : manipulation, observation,
construction, résolution de problèmes employés par l’enseignement primaire et au niveau du
développement de la pensée géométrique (selon le modèle de van Hiele).
L’extrait tiré des tableaux construits montre comment les différentes activités exploratoires peuvent
participer au développement progressif de la visualisation, du langage, du raisonnement, et à leur
articulation dans la construction des concepts géométriques et dans la résolution des problèmes
géométriques.
Situation de manipulation Situation d’observation Situation de construction
- Observer, comparer et décrire les solides - Observer les projections de - Tracer les contours des solides
selon la forme de leurs faces; Classer les différentes faces des solides (à l’aide (précision de tracés); Introduire les
solides selon la forme de leurs faces : planes d’un projecteur), nommer les figures noms de figures planes : carré,
et courbes; (choix du critère de classification, obtenues; Décrire le solide selon la rectangle, triangle, cercle, etc.;
justification du choix) (; Introduire les projection de leurs faces; Décrire le solide selon les tracés;
noms de solides : cube, prisme, pyramide, - Évoquer tous les solides ayant la Évoquer tous les solides ayant le
Visuel (reconnaissance de la forme)
cône, cylindre, boule et les noms de classes projection d’une forme donnée tracé donné (valider par le tracé);
(« polyèdres » et « corps ronds ») (valider par le tracé);
-Évoquer tous les solides ayant la face
donnée
Résolution de problèmes
(quelques exemples permettant de mettre en jeu la variété des représentations, les processus mentaux
et les démarches géométriques)
- Toutes mes faces sont de la même forme. - C’est l’une des projections de mes - Quel solide reconnais-tu selon
Qui suis-je? faces. Qui suis-je? les contours suivants :
- J’ai des surfaces carrées et des surfaces
triangulaires. Qui suis-je?
118
Héléna BOUBLIL
119
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
60
Toutes les modifications apportées sont en caractères gras.
120
Héléna BOUBLIL
L’analyse des aptitudes visuelles, langagières et des savoir-faire nécessaires pour le développement
géométrique, des compétences visées par le programme ministériel et du contenu notionnel nous a
permis de les associer, selon la progression, aux niveaux de développement de la pensée géométrique
de l’élève selon le modèle de van Hiele (1959/1986): visuel, descriptif/analytique et
abstraction/relationnel. (Voir le tableau ci-bas)
Il convient de rappeler que cette appellation (visuel, descriptif/analytique et abstraction/ relationnel)
spécifie le niveau où se situe l’action essentielle de l’élève (reconnaître, décrire, établir des relations) et
le raisonnement employé. Le développement de la visualisation et du langage ne s’arrête pas aux
niveaux visuel et descriptif.
121
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
POUR CONCLURE
La question de moyens didactiques d’organisation de formation des futurs maîtres a été posée à
plusieurs reprises par la communauté didactique du Québec. En tant que formatrice des maîtres, je me
suis intéressée à cette problématique. Dans la présente communication, j’ai fait une brève description
de quelques mesures prises par le formateur dans le cadre de préparation des futurs maîtres à
l’enseignement de la géométrie. Pour plus d’informations, le lecteur intéressé peut se référer à
Ekimova-Boublil (2005).
RÉférenceS
Duval, R. (1995). Sémiosis et pensée humaine : registre sémiotique et apprentissages intellectuels, Berne : Peter
Lang.
Legendre, M.-F. (2000). La logique d’un programme par compétences, Conférence donnée pour le MEQ, le 2mai
2000.
MEQ (2002). Programme de formation de l'école québécoise. Enseignement primaire. [En ligne].
http://www.meq.gouv.qc.ca/lancement/prog_formation/index.htm. (Page consultée le 1 septembre 2002)
Van Hiele, P.M. (1959/1985). The child’s thought and geometry, In D. Fuys, D. Geddes & R. Tischler (Eds.),
English translation of selected writing of Dina van Hiele-Geldof and Pierre M. van Hiele, Brooklyn, NY:
Brooklyn College, School of Education, 1985, 243-252, (ERIC Document reproduction Service n. 289
697).
122
France CARON et Sophie RENÉ de COTRET
Résumé : L’introduction d’un curriculum par compétences dans l’enseignement obligatoire au Québec
a engendré de nombreux débats; certains groupes d’opinions vantent les mérites de cette réforme,
d’autres la décrient. Dans ce contexte, la question des relations entre compétences et connaissances
apparaît particulièrement sensible et devient encore plus aiguë lorsqu’il est question d’évaluation. On
craint souvent que l’introduction des compétences n’entraîne une perte au niveau des connaissances et
des savoirs. Mais se demande-t-on ce que ces compétences pourraient apporter de plus aux
connaissances et aux savoirs? Notre travail avec des conseillers pédagogiques et des enseignants au
deuxième cycle du secondaire nous a amenées, par la force des choses, à étudier cette question et à y
proposer quelques éléments de réponse. En effet, le travail didactique que sollicite la mise en place de
situations pour l’apprentissage et l’évaluation des compétences nous a conduites à mettre en lumière
certains aspects de l’activité mathématique qui ont reçu une attention variable selon les tendances
curriculaires ou qui correspondent à des pratiques émergentes.
INTRODUCTION
123
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
meilleure préparation à la réalité des pratiques mathématiques actuelles dans les différentes sphères de
la société. Une telle éventualité nous conduit à souhaiter que l’évaluation se développe davantage
comme objet de recherche en didactique.
124
France CARON et Sophie RENÉ de COTRET
125
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
s’actualisera vraiment que dans la mesure où les pratiques d’évaluation solliciteront régulièrement ces
« nouveaux » types d’utilisation du savoir.
Quelles pratiques d’évaluation convient-il donc de mettre en place? Les « nouveaux » types
d’utilisation du savoir le sont-ils vraiment? Pour tirer parti de ce qui a pu se faire avant, il convient
d’étudier ce qu’on évaluait de l’activité mathématique dans les précédents programmes, avant que tout
ne soit ramené sous le label de compétence.
126
France CARON et Sophie RENÉ de COTRET
Cela explique que les programmes de mathématique aient été les premiers à être revus au début des
années 90. Tout en augmentant le contenu couvert, ces nouveaux programmes réduisaient de moitié le
nombre d’objectifs intermédiaires. Ils les rendaient plus englobants, avec un niveau de complexité plus
grand, visible dans le choix des verbes utilisés : déduire, appuyer, justifier, distinguer, décrire,
déterminer et même démontrer. En principe, l’évaluation devait s’ajuster en conséquence. En
reconnaissant, à l’instar du Conseil supérieur de l’éducation que « la réflexion et la pratique en matière
d'évaluation » avaient connu « un essor considérable dans le système scolaire québécois au cours de la
dernière décennie », le Ministère de l’éducation visait avec ces nouveaux programmes à « atteindre
une plus grande cohérence entre l'esprit des programmes d'études et les pratiques d'évaluation »
(Gouvernement du Québec, 1995, p.16-17) :
« L'apprentissage dans le présent programme est plus que l'acquisition de connaissances. C'est plutôt
l'investigation, la communication, la représentation, le raisonnement et l'utilisation d'une variété
d'approches pour résoudre un problème. C'est également l'acquisition d'autres habiletés et attitudes. 61
Ce que l'on veut évaluer, c'est le savoir, le savoir-faire et le savoir-être de l'élève, objets plus ou moins
en mouvement. Il faut donc créer des situations permettant de recueillir des éléments d'information
qui, après interprétation critérielle ou normative, puissent révéler un portrait fiable à propos du savoir
et du savoir-faire personnels ou collectifs des élèves. »
Le programme des années 90 proposait donc déjà pour évaluer les élèves d’utiliser des journaux de
bord, des présentations orales, des jeux-questionnaires, des entrevues, des travaux d’équipe, des
épreuves-synthèse, des grilles d’observation, des tests ou des observations durant l’enseignement
assisté par ordinateur, etc. Cette variété des moyens devait refléter la variété des activités
d’apprentissage : manipulation, découverte, communication (orale ou écrite, individuelle ou en
groupe), utilisation d’une calculatrice ou d’un ordinateur, etc.
Dans les faits, à part l’ajout, aux questions à choix multiple typiques des épreuves ministérielles, de
quelques problèmes à résoudre pour lesquels on évaluait l’ensemble de la démarche, force est de
constater que les pratiques évaluatives développées avec l’approche par objectifs ont continué à
dominer dans bien des établissements. La difficulté d’évaluer de façon objective la performance à des
épreuves plus complexes associée à une certaine perception du travail mathématique (la réponse,
typiquement courte, est soit juste, soit fausse et il n’y en a qu’une seule possible) ont semblé faire
obstacle au déploiement de telles épreuves. On pourrait en conclure que dans l’évaluation des
apprentissages en mathématiques, les notions de complexité et d’objectivité ont quelques difficultés à
cohabiter.
Cela a-t-il toujours été le cas? Pour en juger, examinons d’un peu plus près le traitement réservé au
raisonnement déductif et à la preuve, car il s’agit à la fois d’une utilisation du savoir réputée difficile
(Dreyfus, 1999) qui déborde du carcan de la « réponse courte », et d’un élément du programme qui a
considérablement varié dans les quarante dernières années.
Le traitement réservé au raisonnement déductif
Le portrait que nous dressons de l’évolution du traitement réservé au raisonnement déductif dans les
programmes québécois des quarante dernières années a des allures de valse-hésitation entre la
valorisation et la mise de côté.
61
Notons qu’une telle affirmation a pu contribuer à l’opposition entre connaissances et compétences (ou habiletés).
127
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
À la fin des années 60, dans une version préliminaire des programmes qui allaient suivre
(Gouvernement du Québec, 1967), on prônait qu’à travers l’étude de la géométrie en 10e année du
cours général, « le maître » entraîne l’élève à « déduire la conclusion au moyen d’une suite de
raisonnements logiques appuyés sur des postulats, des définitions, des théorèmes déjà démontrés », en
ayant pris soin de « dégager les procédés généraux de démonstration ». On précisait aussi pour la 9e
année du cours scientifique que la géométrie « constitue un système déductif d’un grand intérêt » qui
« se prête bien à la redécouverte de théorèmes par les élèves » et que le professeur « devra en
expliquer la nature et l’utiliser à fond » et « pourra montrer que l’on peut développer l’algèbre selon
des lois analogues » en enseignant ainsi aux élèves « que les différentes parties des mathématiques ont
une structure commune. »
Ces prescriptions devaient toutefois disparaître dans la version adoptée des programmes
(Gouvernement du Québec, 1969) où la place à réserver au raisonnement déductif devait être inférée de
la présence de certaines notions dans la liste des contenus de cours visés. Quelques-unes de ces notions
(comme la démonstration analytique ou les preuves indirectes) avaient un caractère
protomathématique (Chevallard, 1985) car elles témoignaient davantage d’une capacité requise par le
contrat didactique; d’autres notions (comme celles de diagramme de Venn, de théorème ou de système
axiomatique), sans être davantage des objets mathématiques proprement dits et faire l’objet d’un
enseignement explicite, pouvaient constituer néanmoins des objets de savoir auxiliaires nécessaires à
l’enseignement et à l’apprentissage du raisonnement déductif; on pourrait ainsi les associer au
paramathématique (Chevallard, 1985). Sans autres indications sur les modes d’enseignement et
d’utilisation des savoirs enseignés, et les façons d’en évaluer la maîtrise chez les élèves, on peut
supposer que l’opérationnalisation de ces programmes aura reposé sur une certaine tradition ou sur les
implicites dégagés à partir des épreuves ministérielles.
Dans les programmes des années 80, la justification et la déduction débordaient des objectifs visés; la
démonstration y était reléguée à la section « enrichissement », laquelle combinait, dans un amalgame
plutôt hétéroclite, les éléments facultatifs suivants : « les bases, les dallages, la démonstration de
certains théorèmes en géométrie, les jeux mathématiques, l’histoire de la mathématique, les
ensembles… » (Gouvernement du Québec, 1984a). Notons qu’on ne cherchait pas à travailler
davantage le raisonnement déductif dans l’Option II exigée pour l’admission aux programmes de
sciences au collégial (Gouvernement du Québec, 1984b).
Dans les programmes transitoires qui allaient précéder la réforme des années 90, on a revu la place du
raisonnement déductif en géométrie dans le programme régulier (416) de quatrième secondaire
(Gouvernement du Québec, 1991), en revenant à certaines idées promues dans les années 60 : « L’un
des objectifs du remaniement des programmes en ce qui a trait à la géométrie est de permettre à l’élève
de se bâtir graduellement un système axiomatique en lui présentant les théorèmes ou les corollaires se
rattachant aux notions (…) Durant la période transitoire, nous proposons que (…) les élèves utilisent
les définitions, les propriétés, les théorèmes ou les corollaires se rattachant à ces notions pour justifier
les étapes de leur raisonnement dans la résolution d’un problème. » Mais l’on s’est ravisé l’année
suivante dans le programme enrichi (536) de cinquième secondaire (Gouvernement du Québec, 1992) :
« Rendre l’élève capable de démontrer des théorèmes n’est pas un objectif visé par ce programme. On
peut, bien sûr, démontrer à l’élève un théorème; (…) on doit surtout aider l’élève à s’approprier ce
théorème, à reconnaître quand l’utiliser et à l’intégrer à l’ensemble de ses connaissances en
géométrie. »
128
France CARON et Sophie RENÉ de COTRET
Avec les programmes des années 90, en incluant des objectifs comme déduire, appuyer, justifier dans
le programme régulier en géométrie, on semblait déterminé à faire en sorte que l’élève établisse « le
lien entre les étapes de la résolution d’un problème et une argumentation juste et rigoureuse pour
établir une preuve » (Gouvernement du Québec, 1996). Dans le programme enrichi, on visait, en
principe, à ce que l’élève développe « sa capacité de démonstration en prouvant des théorèmes » et
qu’il apprenne à « traiter un problème à résoudre avec la même rigueur qu'un théorème à démontrer ».
Parmi les objectifs d’apprentissage, on incluait ainsi celui de démontrer, et l’on prônait une présence
« constante » de démonstrations et de preuves dans l’enseignement. Mais comme l’évaluation n’a pas
suivi tout à fait, avec une faible présence de tâches exigeant des démonstrations, certains de ces
objectifs n’ont été que partiellement atteints.
Avec l’approche par compétences, le raisonnement déductif se voit attribuer à nouveau un statut
officiel dans les programmes de mathématiques au secondaire, en étant clairement associé à la fois à
une composante de la compétence Déployer un raisonnement mathématique (i.e. réaliser des preuves
ou des démonstrations) et à deux de ses critères d’évaluation (i.e. structuration adéquate des étapes
d’une preuve ou d’une démonstration adaptée à la situation et justification congruente des étapes
d’une preuve ou d’une démonstration adaptée à la situation). Mais comme le programme stipule que
cette même compétence s’évalue aussi par « l’application correcte des concepts et des processus
appropriés à la situation » et que les problèmes admissibles pour l’évaluation de cette compétence «
nécessitent le recours à une combinaison connue de concepts et de processus appris antérieurement »,
on peut craindre que, par recherche d’objectivité dans l’évaluation et en raison d’une tradition
relativement récente mais déjà bien établie, le raisonnement soit souvent réduit, comme ce fut le cas
dans les années 80, aux simples actions de construire (ex. une translation), calculer (ex. le volume d’un
solide) et appliquer (ex. la loi des cosinus).
Par ailleurs, il convient de clore cette section en soulignant qu’on ferait également fausse route en
réduisant dans l’enseignement le raisonnement mathématique au seul raisonnement déductif et à la
preuve. L’exploration d’une situation, la recherche de régularités et la formulation de conjectures sont
des éléments fondamentaux de la pratique mathématique, autant dans ses développements que dans ses
applications. Les programmes actuels ont raison de reconnaître ces éléments dans la composante
inductive du raisonnement mathématique. Mais à nouveau, il se pourrait que les modalités d’évaluation
fassent obstacle à ces intentions.
Dans le cadre de notre collaboration avec des conseillers pédagogiques et des enseignants de
mathématiques au deuxième cycle du secondaire, la discussion autour des compétences, ou plutôt des
situations utilisées pour les développer et les évaluer, a permis de révéler certaines caractéristiques et
variantes des pratiques enseignantes, notamment à propos de la compétence à raisonner. Nous
présenterons quelques exemples, autour de la notion de volume, qui ne sont pas tous directement puisés
parmi les problèmes proposés par les enseignants ou parmi ceux que nous leur avons suggérés;
quelques-uns ont pu être modifiés afin de bien mettre en évidence certaines interprétations ou
pratiques.
129
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
De l’application de formules
Voici une première illustration d’un type de problème qui nous a été proposé pour évaluer la
Compétence 2 Déployer un raisonnement mathématique :
La résolution de ce problème, surtout avec la présence du rappel, ne semble pas, a priori, solliciter la
mise en œuvre d’un raisonnement important. Comment se fait-il alors qu’il puisse être proposé pour
évaluer cette compétence? La réponse réside sans doute en partie dans la description qui est faite des
critères d’évaluation de cette compétence. On y retrouve, entre autres: Application correcte des
concepts et des processus appropriés à la situation (Gouvernement du Québec, 2007, p.35).
L’interprétation du terme application, à laquelle correspond le travail sollicité par le problème ci-haut,
renvoie davantage au simple exercice de « mettre sur » ou de remplacer qu’à une mise en œuvre dans
l’établissement d’un nouveau lien. Ainsi, le questionnement relatif aux compétences a-t-il engendré un
débat au sein du groupe sur le sens à accorder au mot « application ».
Par ailleurs, comme certains élèves ont de la difficulté à identifier les éléments en jeu dans une
formule, à les remplacer correctement et à respecter la priorité des opérations dans les expressions plus
complexes, des enseignants considèrent que ces élèves doivent raisonner pour s’en sortir. Nous croyons
plutôt que ces difficultés concernent davantage la Compétence 3 Communiquer à l’aide du langage
mathématique. En effet, des éléments d’interprétation tels que : décoder les règles de convention,
traduire d’un mode de représentation à un autre, … font partie de la définition retenue par le Ministère
pour cette compétence. Le fait de voir dans ce travail de traduction (pas toujours évident, nous en
convenons) le signe d’un raisonnement mathématique nous semble témoigner du peu d’espace qu’ont
laissé les pratiques évaluatives des programmes antérieurs au développement et à l’expression du
raisonnement mathématique, tant inductif que déductif.
Quelques modifications au problème permettent de solliciter un peu plus le raisonnement.
Un tel problème, classique, de recherche de mesure manquante (bien présent dans l’enseignement
actuel) pourrait être vu comme un simple exercice de manipulation algébrique. Mais, en demandant ici
à l’élève de justifier chaque étape de son développement, on le fait alors entrer de façon explicite dans
un processus de déduction qui repose sur des équations équivalentes et qui exige de rendre compte du
fait qu’elles sont bien équivalentes en s’appuyant sur des propriétés. Les critères d’évaluation de la
compétence 2 Application correcte des concepts et des processus appropriés à la situation et
Justification congruente des étapes d’une preuve ou d’une démonstration peuvent alors être mis à
contribution pour évaluer le raisonnement de l’élève, illustrant bien le fait que « résoudre une équation,
c’est encore démontrer » (Gandit et Demongeot, 1996).
Du travail des relations
L’idée selon laquelle les situations qui permettent le développement et l’évaluation des compétences
demandent de longues descriptions et se font sur plusieurs périodes de classe circule souvent.
L’exemple suivant montre que ce n’est pas une condition nécessaire.
130
France CARON et Sophie RENÉ de COTRET
La résolution de ce problème, dont le libellé tient en quelques mots, demande d’élaborer une stratégie.
A priori, rien n’est donné qui permette de savoir comment résoudre le problème. Il faut d’abord se faire
une représentation des solides en jeu, et ce, à partir des seuls renseignements donnés dans le texte. Pour
représenter la situation, une vue « de haut » sera utile et suffisante. La
stratégie consistera alors à faire la différence entre le volume du cylindre
et celui du cube. Par la suite, pour trouver le volume du cylindre, il faut
mettre notamment en application la propriété selon laquelle les
diagonales d’un carré sont perpendiculaires, congrues et se coupent en
leur milieu puis, de là, utiliser le théorème de Pythagore pour trouver la
mesure du diamètre du cylindre. Toutes les étapes du raisonnement doivent être construites par l’élève
pour résoudre le problème. On voit bien comment les critères d’évaluation relatifs à la compétence 2,
Application correcte des concepts et des processus appropriés à la situation et Mise en œuvre
organisée d’un raisonnement mathématique adapté à la situation, se révéleront adéquats pour évaluer
les productions d’élèves à un tel problème.
De la formulation de conjectures à la rédaction de preuves
À l’exception de quelques conjectures célèbres qui ont résisté ou résistent encore autant à la preuve
qu’à l’invalidation, la formulation de conjectures constitue un aspect plutôt privé du travail
mathématique, préliminaire au travail de validation qui conférera un statut officiel aux propriétés
dégagées. Dans un enseignement classique, centré sur la preuve et la démonstration, la conjecture se
retrouve davantage dans l’énoncé du problème que dans sa solution. L’introduction de situations qui
demandent de formuler des conjectures peut donc se révéler déstabilisante pour les enseignants qui
n’ont pas été confrontés dans leur propre formation à ce type de tâche. Mais avec l’intégration d’outils
technologiques à la pratique mathématique, l’activité mathématique devient plus expérimentale (Cornu,
1992) et les occasions pour formuler des conjectures deviennent plus fréquentes. On peut donc mettre à
profit les technologies pour construire des situations d’apprentissage et d’évaluation qui sollicitent la
formulation de conjectures, et qui reflètent un aspect important du raisonnement mathématique (la
composante inductive) et de l’évolution récente de la pratique mathématique. La situation suivante en
est un exemple.
131
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
Si la première question conduit, par une comparaison multiplicative des valeurs numériques et la
généralisation, à envisager une relation linéaire entre ces deux volumes (le second volume semble
valoir un peu plus de la moitié du premier), la seconde question permet de justifier pourquoi, en passant
par un travail des relations géométriques et des processus algébriques.
2 3
c 2 2 3 3 π
π ⋅ r h −c = π ⋅ c − c = c − 1
2 2
Cette utilisation de l’algèbre, non pas pour trouver une solution particulière mais pour justifier une
propriété générale, est encore assez peu usitée dans les pratiques mathématiques qui ont cours
actuellement dans les écoles. La formulation de conjectures dans les tâches d’évaluation du
raisonnement mathématique nous semble pourtant particulièrement riche si on la fait suivre d’une
validation, laquelle peut alors s’appuyer sur le caractère général des propriétés géométriques ou
algébriques en jeu et donner un nouveau sens à ces savoirs. Non seulement la validation favorise-t-elle
ainsi la compréhension de ces savoirs, mais elle permet aussi de poursuivre la construction des
connaissances, en conduisant à questionner la généralité de ce qu’on infère, à en cerner les conditions
de validité et à en comprendre les causes. Car l’une des forces des mathématiques, voire sa spécificité
disciplinaire, réside dans le fait que le caractère idéalisé des objets d’étude, où les structures sont mises
à nu, permet de mieux contrôler les réponses à de tels questionnements et d’assurer la cohérence de la
construction.
Vers une résolution de problèmes qui s’appuie sur la modélisation
S’il y a une compétence qui donne lieu à bien des interprétations (et ouvre la porte à certaines dérives),
c’est bien la Compétence 1 – Résoudre une situation-problème. Du fait qu’elle comprend parmi ses
composantes le fait de Décoder les éléments qui se prêtent à un traitement mathématique, et qu’elle
demande, dans la validation, de tenir compte du contexte de la situation de départ et des destinataires
auxquels doit s’adresser la rédaction de la solution, on assiste à un phénomène de surenchère dans
l’enrobage de problèmes où la difficulté pour l’élève tient davantage à l’énoncé du problème (souvent
très long) qu’à la complexité de la modélisation mathématique et de la résolution proprement dite.
Nous avons donc cherché à ébranler cette représentation de la situation-problème en proposant
l’énoncé suivant :
Ce problème, en apparence très simple, demande d’abord de se doter d’un cône « fantôme » dans la
représentation et d’envisager ainsi le volume du verre comme la différence du volume de deux cônes.62
L’élève doit aussi repérer que ces deux cônes sont semblables et qu’ils sont liés par une homothétie
dans l’espace (soit k son rapport) à partir du sommet commun aux deux cônes. Par substitution de la
seconde équation dans la première, on peut en générer une troisième qui permettra de trouver
l’ensemble-solution du système.
62
Une modélisation plus fine tiendrait compte à la fois de l’épaisseur du verre pour en évaluer la capacité et d’une marge de
manœuvre pour éviter de renverser le précieux liquide… D’autres cônes pourraient alors apparaître.
132
France CARON et Sophie RENÉ de COTRET
Enfin, lors du retour à la situation de départ, il convient d’identifier des valeurs qui se révéleront
adéquates au but visé: qui voudrait d’un verre à café au format de flûte ou d’assiette à soupe ?!?
Tout cela constitue une belle occasion pour l’élève de manifester sa compréhension de la situation, d’en
dégager les données pertinentes, de la représenter par un modèle mathématique, de se doter d’une
stratégie (incluant l’exploration de l’équation à l’aide des technologies) pour élaborer une solution, et
de confronter cette dernière au résultat visé. Mais, en raison notamment de la distance qui sépare une
telle résolution des pratiques mathématiques qui ont cours actuellement à l’école, plusieurs enseignants
présents ont déclaré qu’un tel problème était trop complexe pour qu’ils le proposent à leurs élèves.
D’autres se sont dits prêts à tenter l’aventure.
CONCLUSION
RÉFÉRENCES
133
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
Dreyfus, T. (1999) Why Johnny can’t prove. Educational Studies in Mathematics 38, 85–109.
Gandit, M. et Demongeot, M-C. (1996) Le vrai et le faux en mathématiques. IREM de Grenoble.
Gouvernement du Québec (2007). Programme de formation de l’école québécoise. Enseignement
secondaire, deuxième cycle. Québec : Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport.
Gouvernement du Québec (2003) Programme de formation de l’école québécoise, Enseignement
secondaire, Premier cycle, Québec : Ministère de l’Éducation du Québec.
Gouvernement du Québec (1996) Programme d’études – Mathématiques 536, Québec, Ministère de
l’Éducation du Québec.
Gouvernement du Québec (1995) Programme d’études – Mathématique 314, Québec, Ministère de
l’Éducation du Québec.
Gouvernement du Québec (1993) Programme d’études – Mathématique 116 (068-116), Québec,
Ministère de l’éducation du Québec.
Gouvernement du Québec (1992) Programme d’études – Secondaire – Programme transitoire
Mathématique 536 (064-536), Québec : Ministère de l’éducation du Québec.
Gouvernement du Québec (1984a). Programme d’études – Secondaire – Mathématique, Second Cycle.
Québec : Ministère de l’Éducation du Québec.
Gouvernement du Québec (1984b). Programme d’études – Secondaire – Mathématique, Second Cycle,
Option II. Québec : Ministère de l’Éducation du Québec.
Gouvernement du Québec (1969) Programme d'études des écoles secondaires : mathématiques 111
121 131 211 221 231 311 321 331 411 421 431 521 531. Québec: Ministère de l'Éducation,
Direction générale de l'enseignement élémentaire et secondaire.
Gouvernement du Québec (1967) Programme d'études des écoles secondaires : mathématiques 11 13
21 23 31 33 41 43 44 51 52 53 54. Québec : Ministère de l'Éducation, Direction générale de
l'enseignement élémentaire et secondaire.
Vergnaud, G. (1991). La théorie des champs conceptuels. Recherches en Didactique. des
Mathématiques, 10 2/3, 133-170
Voizard, A. (2001). Une interprétation de « la signification est l’usage », Philosophiques, 28/2,
Automne 2001, 395-410.
134
Lucie DeBLOIS, Victor FREIMAN et Michel ROUSSEAU
Les résultats des élèves aux tests internationaux et leur possible influence sur les
thèmes de recherche
Lucie DeBlois, Université Laval
CONTEXTE ET PROBLEMATIQUE
L’utilisation la plus courante des résultats obtenus à des épreuves internationales réalisées dans le cadre
du programme PISA (2000, 2003, 2006) de l’OCDE consiste à mettre en rang différents systèmes
éducatifs par rapport au développement de compétences mathématiques, scientifiques et en lecture chez
les élèves de 15 ans. Toutefois, on peut se demander si les différences entre les pays et entre les
provinces est réellement importante. Par exemple, en considérant l’intervalle de confiance attribué aux
résultats publiés, on remarque qu’il n’y a pas de différence entre 5 ou 6 provinces. En effet, la
différence qui existe entre la moyenne des élèves au Québec (537) et la moyenne des élèves en Ontario
(530) est faible. À l’opposé, l’écart entre la moyenne des élèves de l’Ile du Prince-Édouard (500) la
moyenne des élèves au Québec (537) est plus forte. Dans ce contexte, le rang peut cacher les réelles
différences entre les résultats des élèves.
Les résultats de chaque épreuve, une fois rendus publiques, font partie de manchettes médiatiques. Par
exemple, Le Quotidien du 7 décembre 2004 titrait : La performance des jeunes du Canada en
mathématiques, en lecture, en sciences et en résolution de problèmes ; Le soleil du 5 décembre 2007
citait «Les Québécois, des «bollés». Le Québec n’est pas seul à traiter l’information, à en discuter et à
réagir. L’impact de ces manchettes conduit les systèmes éducatifs à tout mettre en place pour améliorer
leur rang. Ainsi, ayant constaté que les élèves du Nouveau-Brunswick sont au bas du classement parmi
les provinces canadiennes le gouvernement cherche à remédier à la situation proposant de plans
d’action tels que le Plan d’apprentissage de qualité (2002) ou un tout nouveau plan d'amélioration en
éducation (http://www.gnb.ca/0000/index-f.asp, 5 juin, 2007) visant à faire du système d’éducation du
Nouveau-Brunswick le meilleur système éducatif au Canada.
Nous avons conduit 3 études différentes qui dégagent des pistes du travail qu’il est possible de réaliser
avec ces données. Notre première étude a porté sur les conceptions alternatives des élèves, la deuxième
s’est attardée aux élèves francophones vivant en milieu minoritaire alors que la troisième s’est attardée
à la problématique du climat scolaire. Cet article se propose de discuter de méthodes d’analyses
effectuées ainsi que de résultats de ces analyses. Nous terminerons en traçant un portrait de la situation
de manière à nuancer les résultats diffusés en indiquant l’influence des variables contextuelles choisies
sur les résultats obtenus, l’influence de l’interprétation des résultats sur les politiques et enfin, les
orientations possibles accordées aux programmes de recherche subventionnée. En outre, nous
discuterons l’influence de ces résultats non seulement sur les politiques scolaires, mais aussi sur les
objets des futures recherches, ce qui pourrait jouer sur le financement de projets de recherche en
didactique.
135
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
DESCRIPTION DU PISA
Le programme international pour le suivi des acquis (PISA) des élèves a été lancé en 1997 par
l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) dans le but de répondre au
besoin de données sur la performance des élèves qui soient comparables au plan international. Ce
programme reflète la volonté des pays y participant de recueillir des informations signifiantes pour les
aider à l’évaluation et au pilotage du développement de leurs systèmes éducatifs. Le PISA est basé sur
de grands principes comme celui de l’utilité des informations pour l’orientation des politiques, une
vision prospective de l’évaluation. Cette enquête explore ainsi les capacités des jeunes adultes à utiliser
leurs savoirs et savoir-faire pour faire face aux défis de la vie quotidienne. Sa périodicité, ou encore
une couverture géographique et une approche novatrice basée sur la notion de « littératie » ou de
culture sont trois autres caractéristiques.Ces deux notions renvoient à la capacité des élèves d’exploiter
leurs savoirs et leur savoir-faire et d’analyser, de raisonner et de communiquer lorsqu’ils énoncent,
résolvent et interprètent des problèmes s’inscrivant dans divers contextes (OCDE, 2004). Par exemple,
la culture mathématique est définie comme étant « l’aptitude d’un individu à identifier et à comprendre
les divers rôles joués par les mathématiques dans le monde, à porter des jugements fondés à leur
propos, et à s’y engager, en fonction des exigences de sa vie présente et future en tant que citoyen
constructif, impliqué et réfléchi (OCDE, 2003). Cette culture mathématique permet à l’individu de
s’engager activement dans des activités mathématiques, en fonction des exigences de sa vie présente et
future en tant que citoyen constructif, impliqué et réfléchi. La culture mathématique implique donc que
les élèves soient en mesure d’analyser, de raisonner et de communiquer de manière efficace lorsqu’ils
posent, résolvent et interprètent des problèmes mathématiques dans une variété de situations impliquant
des quantités, des concepts spatiaux, probabilistes ou autres (Demonty, Fagnant, Baye, Matoul,
Monseur, 2004).
Le programme PISA vise les élèves en fin d’obligation scolaire, soit les jeunes adultes âgés de 15 ans.
La question est de savoir à quel point ils sont préparés à relever les défis qu’imposent la société de
connaissance (OCDE, 2004). Un total de 43 pays (32 en 2000 et 11 en 2002) a participé au premier
cycle du programme PISA tandis que le présent cycle a été réalisé auprès de 41 pays pour un total de
plus de 250000 élèves dans le monde entier. Au Canada, les élèves de toutes les provinces ont participé
à cette enquête, pour un échantillon total de près de 28 000 élèves, représentatif de la population
d’élèves canadiens.
Nous avons choisi d’utiliser les données provenant du PISA 2003 afin de développer notre réflexion,
car cette étude portait sur la culture mathématique. La manifestation de processus et de connaissances
mathématiques sont étudiées à travers une variété de situations. De plus, cette évaluation fait référence
à la capacité d’une personne de porter des jugements fondés à propos de ces activités. Bref, elle se
traduit par la capacité à résoudre des problèmes mathématiques dans des contextes très divers. En
outre, des évaluations contextuelles s’ajoutent à l’évaluation d’une culture mathématique. Dans ces
dernières, différentes variables sont étudiées en relation avec les élèves (biens matériels, ressources
informatiques, ressources culturelles, scolarité des parents, sentiment d’auto-efficacité) ou avec les
écoles (ambiance de travail de l’école, soutien des enseignants, sentiment d’appartenance à l’école,
qualité des ressources matérielles).
136
Lucie DeBLOIS, Victor FREIMAN et Michel ROUSSEAU
LES RESULTATS
Trois problématiques ont été étudiées à partir de ces données. La première a porté sur les conceptions
alternatives (Conseil des Ministres en Éducation au Canada, 2005); la deuxième - sur les élèves
francophones en milieu minoritaire (Rousseau, Freiman et DeBlois, sous presse); alors que le troisième
concerne le climat scolaire (DeBlois, Lapointe, Rousseau, 2007)).
De plus, compte tenu des buts visés par l'évaluation, les conceptions ne peuvent pas être considérées
comme des savoirs intuitifs (René de Cotret et Larose, 2005) ou naïfs (Charlier, 1998, p. 25) puisqu’un
apprentissage a eu lieu. Nous nous inspirerons plutôt des travaux de Brousseau (1998) qui définit les
conceptions comme «des connaissances produites par l’interaction d’une personne et de son milieu
pour résoudre certains problèmes provenant de certaines classes de situations». Cette construction sera
ainsi intimement liée à la situation proposée, aux connaissances, aux expériences personnelles et aux
buts des élèves. C’est alors que nous adhérerons à la position selon laquelle les conceptions ne peuvent
être que locales. Leur généralisation pourrait conduire à des solutions fausses ou incomplètes. C’est
ainsi à travers les solutions fausses ou incomplètes que nous pourrons poser des hypothèses sur les
conceptions alternatives des élèves.
Par exemple, l’item 179 exige que les élèves évaluent la pertinence d’une affirmation en consultant un
diagramme à barres. Ce dernier présente le nombre de cambriolages par année. En comparant les deux
nombres, on remarque facilement qu’il y a effectivement une augmentation du nombre de cambriolages
en 1999 par rapport à 1998. La nature « qualitative » de l’observation force souvent à accompagner
cette remarque d’un adjectif comme : beaucoup, trop, très, etc. L’étude de Roditi (sous presse) a permis
63
Trois catégories hiérarchiques de compétences sont identifiées : 1) le groupe de reproduction (auxquelles font appel des
items qui exigent principalement la reproduction de savoirs familiers. Parmi ces compétences, on retrouve entre autres la
connaissance des faits, l’identification des équivalences, la remémoration des propriétés mathématiques familières,
l’exécution de procédure et de calculs routiniers ou directs) 2) le groupe de connexions (auxquelles font appel des items qui
impliquent un cadre assez familier ou n’en dépassant que très légèrement les limites. Ces items demandant aux élèves
d’interpréter, d’établir des liens entre divers aspects d’un problème issu d’une situation réelle pour en tirer une solution) et,
3) le groupe de réflexion (auxquelles font appel des items qui impliquent un cadre moins familier exigeant une démarche
plus réfléchie. Les problèmes qui font intervenir les compétences de ce groupe contiennent plus d’éléments que les
précédents. Ils imposent aux étudiants de faire preuve d’une créativité accrue pour établir des liens entre ces divers
éléments).
64
Quatre groupes de situations : 1) personnelles; 2) éducatives ou professionnelles; 3) publiques; et 4) scientifiques.
65
Quatre types de contenus : 1) l’espace et les formes; 2) les variations et les relations; 3) la quantité; et 4) l’incertitude.
137
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
de constater comment l’enseignement des histogrammes pouvait être organisé de manière à exploiter
les différentes activités relatives à cette notion. Comment cette observation influence-t-elle l’élève? En
comparant les nombres impliqués, comment justifiera-t-il sa conclusion?
Pour évaluer les solutions des élèves, un système de codage de réponses est proposé. Les items qui ont
été codés à l’aide de deux chiffres ont été privilégiés. Le deuxième chiffre du code, désignant
l’interprétation du type d’erreur ou de la stratégie utilisée par l’élève pour répondre à la question,
permettait d’effectuer une évaluation sur les processus de mathématisation des élèves canadiens. Par
exemple, pour la situation du cambrioleur, le total des points est attribué lorsque l’élève reconnaît que
l’affirmation est fausse. En outre, on attribue 3 codes différents à la justification : 21 – lorsque l’élève
justifie par le fait que le graphique représente partiellement la situation, (l’échelle cacherait la
proportion réelle), 22 – lorsque l’élève justifie sa réponse à partir de calculs et de relations numériques
(rapport, pourcentages), 23 – lorsque l’élève justifie sa réponse en évoquant la période de temps
comparée (deux ans ne sont pas suffisants pour voir la tendance relative). Le crédit partiel est donné
pour deux raisons didactiquement différentes : 11 – pour une erreur de raisonnement (relation additive),
12 – pour une erreur de calcul. Le cas d’échec est indiqué par quatre codes différents : 01 – pour une
réponse correcte, mais une explication absente ou insuffisante, 02 pour une réponse incorrecte et une
explication se fiant à l’apparence visuelle (la hauteur de la barre a doublé), finalement, le dernier code
03 indique une réponse toujours incorrecte, mais avec une explication autre que l’apparence visuelle.
Il existe encore le code 04, mais sa description est vague (toute autre réponse) peut-être certaines
réponses n’avaient pas de rapport avec la question posée (par exemple, qu’il y avait 508 cambriolages
en 1998).
138
Lucie DeBLOIS, Victor FREIMAN et Michel ROUSSEAU
Les objectifs du premier projet visaient à : 1) Décrire, pour l’ensemble des élèves canadiens, quelles
sont les stratégies utilisées par les élèves pour répondre à certains des problèmes de mathématique
posés dans l’enquête PISA; 2) Effectuer des comparaisons en fonction des groupes linguistiques
(Anglophones et Francophones) et en fonction des territoires (dix provinces); 3) Effectuer des
comparaisons selon le sexe. Seulement cinq items (de problèmes) ont pu être étudiés puisque les autres
items ne présentaient pas de système de codage pertinent à cette recherche. Les cinq items étudiés
sont : La marche à pied, Les cambriolages, Les pas, Le taux de change et La planche à roulette.
D’une part, les élèves réussissent moins bien les unités dans lesquelles est impliqué un raisonnement
proportionnel où une procédure de produit croisé doit être réalisée à l’intérieur d’une démarche
algébrique. En outre, ils réussissent moins bien lorsqu’on leur demande d’exercer un jugement critique
sur l’affirmation d’un journaliste sur la base de l’interprétation d’un diagramme à barres. D’autre part,
ils réussissent mieux lorsque des procédures arithmétiques sont sollicitées.
Nous avons pu reconnaître peu de variation entre les résultats des élèves selon les provinces, les
langues, les sexes. De plus, dans leurs explications écrites, les élèves se servent rarement d’un langage
relationnel pour justifier leurs réponses. Par exemple, pour la situation «Le cambrioleur», les élèves
s’appuyaient sur l’apparence du graphique plutôt que sur les relations entre les variables. Les
francophones semblent avoir plus de difficultés à justifier par écrit (mathématiquement ou autrement)
leurs réponses que les anglophones.
Enfin, les élèves ne semblent pas faire de retour métacognitif sur leur démarche (mécanismes de
validation de leurs réponses). L’obtention d’un résultat semble satisfaisant à certains élèves qui
omettent de répondre à d’autres questions. Par exemple dans la situation-problème «La marche à
pied66», l’erreur courante des élèves consiste à ne pas faire la conversion des unités de mesure telle que
demandée. Ainsi, les résultats pour les questions de l’unité Marche à pied portant sur le raisonnement
proportionnel suggèrent que cette unité favorise les élèves de l’Alberta et du Québec. La familiarité
avec les unités de mesure métriques pourrait avoir une influence sur ces résultats. L’unité Taux de
change portant sur le même contenu notionnel permet à nouveau au Québec et à l’Alberta de se situer
parmi les provinces les plus performantes. Toutefois, Terre-Neuve présente la plus grande proportion
de réussite. Nous posons l’hypothèse selon laquelle les échanges entre St-Pierre et Miquelon pourraient
influencer la compréhension des élèves de cette province, St-Jean étant la ville simultanément la plus
populeuse et la plus rapprochée de ces îles.
Certaines recommandations peuvent se dégager de ces résultats : la présentation d’une plus grande
variété de contextes et une plus grande variété de représentations pour favoriser le développement
d’une plus grande flexibilité de la pensée de l’élève; une attention à la justification des réponses des
élèves et au développement d’un jugement critique des élèves à l'égard des représentations graphiques;
le développement de grilles illustrant les différents types de stratégies utilisées par les élèves.
66
Si la formule s’applique à la façon de marcher d’Henri et qu’Henri fait 70 pas par minute, quelle est la longueur de pas
d’Henri ? Montrez vos calculs.
Bernard sait que la longueur de son pas est de 0,80 mètre. La formule s’applique à sa façon de marcher.
Calculez la vitesse à laquelle marche Bernard en mètres par minute et en kilomètres par heure. Montrez vos calculs.
139
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
Puisque la numératie est définie comme étant la capacité à résoudre une situation écrite de la vie
courante en utilisant les mathématiques, il pourrait y avoir une limite chez les élèves francophones en
milieu minoritaire à cause du niveau de littératie. L'objectif de la 2e étude visait à répondre à la
question suivante : Pourquoi les élèves francophones en milieu minoritaire réussissent-ils moins bien
en numératie que les élèves anglophones ?
Nous sommes partis de la prémisse que l’évaluation de la compétence numératie faite par le PISA
comporte une importante composante de compréhension en lecture. Nous mettions à l’épreuve
l’hypothèse suivante : Étant donnée leur situation sociolinguistique, les élèves francophones vivant en
milieu minoritaire peuvent être désavantagés par rapport à leurs homologues anglophones. Voyons
pourquoi en étudiant la situation sociolinguistique de ces élèves selon quatre composantes : le territoire,
les ressources humaines et matérielles, l’effet de la langue à la maison et enfin la relation entre la
littératie et la numératie.
La notion de minorité linguistique est déterminée en fonction du territoire, mais aussi de la culture à
l’intérieur d’un territoire déterminé. Au Canada, l’éducation est un champ de compétence provinciale.
Chaque province détermine sa propre configuration des services éducatifs. À l’intérieur de chacune de
ces provinces cohabitent des élèves de langue anglaise et de langue française. Pour certaines provinces,
les francophones sont en moins grand nombre que les anglophones alors que pour le Québec, la
situation inverse est observée. En fonction du territoire, les francophones hors Québec vivent donc en
situation minoritaire linguistique.
Selon Laplante (2001), cette situation de minorité linguistique a une incidence particulière sur l’identité
culturelle des francophones. Alors qu’au Québec la plupart des francophones sont influencés par des
aspects de la vie principalement francophones (médias, échanges économiques), les francophones hors
Québec vivent sous une influence principalement anglophone. Leur statut minoritaire limite alors les
ressources francophones qui leur sont disponibles sur le plan culturel. Cette situation de minoritaire a
des impacts aussi sur l’éducation des élèves, incluant la question de l’enseignement des mathématiques.
Une grande partie des élèves francophones vivant en milieu minoritaire demeure principalement en
dehors des grands centres urbains. Il est déjà plus difficile de recruter des enseignants dans les régions
éloignées, la tâche est encore plus ardue pour les milieux hors Québec et, plus particulièrement dans les
disciplines scientifiques (Gilbert et al., 2004).
De plus, au niveau des ressources matérielles, les manuels scolaires utilisés sont souvent des
traductions de manuels anglophones ou de manuels « importés » du Québec (au NB, par exemple, les
collections québécoises Défi mathématiques, Adagio, Presto utilisés aux niveaux 1-6 sont suivies de
l’Interaction provenant de l’Ontario en 7-8). Cela risque de ne pas être adapté à la culture de la région
où ils sont utilisés.
L’effet de la langue à la maison et avec les pairs sur la littératie peut se faire sentir. La langue parlée à
la maison et avec les pairs a un impact direct sur le développement des compétences en littératie. Plus
un élève francophone vit dans un milieu francophone et plus il développera des compétences en
littératie. Les élèves francophones en situation minoritaire vivent souvent en relation avec des
anglophones, que ce soit au niveau de la famille ou avec les pairs. Bien souvent, la langue d’usage est
l’anglais, ce qui peut avoir pour effet de freiner le développement des compétences en littératie chez les
francophones minoritaires.
140
Lucie DeBLOIS, Victor FREIMAN et Michel ROUSSEAU
Cette diminution du niveau de compétence en littératie aura un impact sur la compétence en numératie
d’un élève, notamment au niveau de son aptitude à la communication mathématique a été soulevée par
d’Entremont (2000) qui avance que l'utilisation mixte des langues semble avoir un effet négatif sur le
rendement en mathématiques.
Notre étude menée en 2006, vise à atteindre deux objectifs :
Dans un premier temps, nous avons comparé les résultats de la culture mathématique tout en nous
assurant de contrôler les effets du niveau de compétence en littératie des élèves. L’analyse a été
effectuée pour 4 provinces où les élèves francophones sont en situation minoritaire et pour le Québec
où les francophones sont majoritaires. Par la suite, nous avons identifié certains items pouvant
défavoriser les élèves francophones minoritaires. Notre analyse portait sur 24 items rendus publics par
l’OCDE suite au cycle 2003 du PISA. Voici un exemple d’item.
Item 145 (Pisa, 2003)
Sur la photographie ci-dessous, vous apercevez six dés, correspondant aux lettres (a) à (f). Il existe une
règle commune à tous les dés : la somme des points figurant sur deux faces opposées de chaque dé est
toujours égale à sept.
(c)
(b)
(a) (f)
(e)
(d)
Écrivez dans chacune des cases le nombre de points qui figurent sur la face inférieure de chaque dé de
la photo.
En plus de procéder à une évaluation de la performance en mathématique, le PISA inclut aussi une
évaluation des élèves en lecture. Le résultat de cette évaluation a été utilisé pour contrôler les
différences entre les élèves anglophones et francophones en ce qui a trait à leur niveau en littératie.
Pour atteindre le premier objectif de l’étude, des analyses de régression par province sont utilisées. Une
première analyse de régression avec le résultat en mathématique comme variable dépendante et la
langue de l’élève comme variable « prédictrice ». Cette première analyse a permis d’obtenir la
différence en numératie qui existe entre les élèves anglophones et francophones. Une deuxième analyse
de régression a été par la suite effectuée en ajoutant le résultat en lecture comme variable de contrôle.
Cette deuxième analyse de régression nous a permis d’évaluer la différence entre les élèves des deux
groupes linguistiques lorsque nous rendons équivalents, ces deux groupes sur le plan du niveau en
littératie.
Pour le deuxième objectif, les distributions de fréquence des bonnes et mauvaises réponses des élèves
selon le groupe linguistique permettent de vérifier si certains items semblent favoriser un groupe au
141
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
détriment d’un autre. De plus, une analyse didactique du contenu des items permet de poser des
hypothèses dans le cas où certains items favorisent les anglophones ou les francophones.
Au Québec, on observe peu de différence entre les élèves francophones et anglophones. Toutefois, chez
les élèves francophones en milieu minoritaire, à l’instar d’autres recherches, il existe une relation
importante entre la littératie (mineure) et la numératie (majeure) (corrélation 0,90). Ainsi, à niveau de
littératie égal, les élèves francophones en milieu minoritaire présentent une plus grande compétence en
numératie que les anglophones (Nouvelle-Écosse, Nouveau-Brunswick, Ontario, Manitoba). Si on
compare les élèves qui ont au haut niveau de compétence en littératie, il y a peu de différences entre les
anglophones et les francophones en numératie. Enfin, si on compare les élèves qui ont au faible niveau
de compétence en littératie, il y a une différence entre les résultats des élèves anglophones et les
francophones en numératie. L’étude des items sur les dés (l’item 145) et 547 (L’escalier) ont conduit à
reconnaître que différents paramètres peuvent rendre difficile la tâche demandée à l’élève : un contexte
qui masque les concepts mathématiques, la familiarité avec la tâche, la longueur du texte, le
vocabulaire spécifique et la nécessité d’expliquer la réponse avec une phrase complète
3e étude : Le climat scolaire
Le climat scolaire peut se définir en fonction des règles qui ont été définies sur la base des principes et
des valeurs auxquels les personnes adhèrent, sur la base des conditions dans lesquelles les enseignants,
les élèves et la direction de l’école structurent leur travail ou encore sur les perceptions et la valeur que
les acteurs accordent à l’ordre social et culturel de l’école (Fotinos, 2005). Pour Janosz (1998), le
climat scolaire fait intervenir des éléments des climats : relationnel, éducatif, de sécurité, de justice et
d'appartenance. En ce qui nous concerne, les questions des évaluations contextuelles qui portaient sur
les perceptions des élèves à l'égard des relations enseignants-élèves, du sentiment d'appartenance à
l’école, du soutien des enseignants, de l'ambiance de travail dans l’école et de la perception des
directions à l’égard des comportements adéquats des élèves. Ce sont donc ces variables qui ont permis
de définir ce que nous entendions par «climat scolaire».
La troisième étude visait à répondre à la question suivante : Quels facteurs scolaires permettent de
réduire l’influence des iniquités socioéconomiques sur la numératie selon PISA 2003? Contrairement
aux études précédentes, ce sont les évaluations contextuelles qui ont été utilisées pour réaliser ces
analyses. Ces dernières regroupent 38 questions portant sur la scolarité parentale mais aussi sur une
variété d’affirmations auxquelles l’élève doit adhérer selon une échelle Likert.
Nous avons pu constater que le climat scolaire est relié à sa composition socioéconomique. En outre,
les élèves issus de milieux plus défavorisés vont en moyenne obtenir des résultats moins élevés en
mathématiques dans un climat scolaire plus faible. Dans cette situation, l'école n'apparaît pas
actuellement comme un facteur de protection, il y aurait donc là un facteur d'iniquité entre les écoles.
L’étude du détail des résultats conduit à reconnaître que contrairement au PISA sur la littératie, le
sentiment d'appartenance ne semble pas en corrélation de façon aussi importante pour la culture
mathématique. La relation enseignant-élève semble contribuer de façon plus importante à la réussite de
tous les élèves. De plus, une corrélation négative entre l’ambiance de travail et la réussite en numératie
indique qu’une plus grande discipline n’est pas associée à de meilleurs résultats. Nous avons interprété
ce résultat en considérant les modalités de fonctionnement qui pourraient susciter davantage de débat et
d’expérimentations chez les élèves. Ces débats et ces expérimentations pourraient favoriser à la fois
une perception de désordre mais simultanément une plus grande réussite des élèves.
142
Lucie DeBLOIS, Victor FREIMAN et Michel ROUSSEAU
QUELQUES CONCLUSIONS
Nous avons vu comment le portrait des performances aux évaluations PISA, par la mise en rang des
pays, gagnerait à être nuancé. Ce rang cache parfois des différences négligeables. En outre, certaines
dérives peuvent apparaître. Par exemple, actuellement, il semble que certains pays alignent leurs
programmes d’étude sur les questionnaires de ces évaluations ou modifient les programmes de
formation de leurs enseignants. D’autres développent des programmes «d'entraînement» aux situations-
problèmes de PISA.
Comme le démontrent nos différents résultats, ces évaluations ont l'avantage d’offrir une très grande
quantité de données, ce qui pourrait favoriser l’étude de tendances à l’égard des conceptions des élèves,
des contextes qui favorisent la réussite scolaire ou de l’évolution de certains concepts à travers ces
études longitudinales. En outre, une meilleure connaissance des stratégies des élèves pourraient
contribuer à enrichir les programmes de formation. Devant les résultats portant sur les milieux
minoritaires, des politiques innovatrices pourraient être développées pour renforcer la littératie et ce,
dès le très bas âge.
Il nous faut toutefois être attentif aux choix des variables utilisées. En effet, ce choix est préétabli par
un consortium de chercheurs mandaté par l’OCDE. Ces variables pourraient donc refléter des visions
politiques plutôt que scientifiques ou scolaires. L’absence de l’accès aux copies originales ne permet
pas de faire des analyses didactiques plus approfondies, car les codes même à deux chiffres peuvent
cacher plusieurs conceptions alternatives. Nous avons pu constater, notamment lors de la 3e étude, que
certaines variables, utilisées pour le PISA 2000, n’avaient pas été reprises en 2003. Il devient ainsi
difficile de réaliser des comparaisons entre les disciplines et à l’intérieur d’une même discipline. Les
questionnaires contextuels permettent d’approfondir l’étude des résultats obtenus par les élèves. Il
serait toutefois souhaitable d’introduire un questionnaire aux enseignants, à ceux destinés aux élèves et
aux directions d’école, de manière à obtenir une vision plus complète de la situation.
Enfin, il nous faut être sensible à des dérives possibles au plan de la recherche. En effet, il ne serait pas
souhaitable de diminuer l’importance des recherches empiriques au profit de celles utilisant les bases
de données PISA. En effet, une plus grande pertinence des questions du Pisa ne pourra faire l’économie
des résultats obtenus sur le terrain. De plus, faut-il attirer l'attention sur le fait que les chercheurs ont
moins de contrôle sur les questions de recherche lorsqu’ils n’identifient pas leurs variables ?
143
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
REFERENCES
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DeBlois, L., Rousseau, M., Lapointe, C. (2007) Colloque L’équité en éducation : Quels facteurs
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144
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analyse des forces et des conceptions alternatives des élèves canadiens. Rapport déposé au Conseil des
Ministres en éducation du Canada.
145
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
146
Alexandre DUCHARME RIVARD
1. problématique
1.1 Un premier constat
Les mathématiques ont toujours fait partie du curriculum d’enseignement au secondaire. Toutefois leur
importance a varié au fil du temps en fonction du rôle et des finalités associées aux mathématiques
dans la société et à leur enseignement (Schubring, 1983, Gispert, 2002, Bednarz, 2002). Elles sont ainsi
apparues à travers le temps souvent associées à la vie quotidienne, en lien par exemple avec le
développement de stratégies de calcul, le mesurage ou encore en lien avec la résolution de problèmes
commerciaux ou économiques (Bednarz, 2002). Les rapports que les mathématiques entretiennent avec
les autres secteurs d’activité humaine ont également alimenté l’évolution des mathématiques et la place
qu’elles ont occupé dans le cursus scolaire, à travers notamment le travail de modélisation et
d’interprétation de phénomènes touchant aux sciences, aux sciences sociales ou aux arts (Caron,
Artaud, Touré, à paraître). Il y a certains contenus qui sont incontournables, tandis que d'autres
changent: soit qu'ils disparaissent ou apparaissent, soit qu'ils ont une place plus ou moins importante
dans le curriculum. Il en est ainsi de l’arithmétique. Jusqu’au milieu du XXe siècle, l’arithmétique
occupait en effet le premier plan de l’enseignement des mathématiques (Bednarz, 2002). Tandis qu’au
Québec l’enseignement de l’arithmétique a presque disparu du programme d’études du secondaire
(Ducharme Rivard, 2007; MELS, 2003), certains pays, comme la France, la réintroduisent dans leur
cursus scolaire (MEN, 2002a, 2002b, 2002c, 2003).
Au Québec, peu d’études ont été réalisées sur l’enseignement de l’arithmétique au secondaire et son
évolution au fil du temps. Les quelques travaux réalisés dans une perspective historique portent sur
l’enseignement de l’arithmétique au primaire (Lavoie, 1994), sur l’émergence et le développement de
l’enseignement des mathématiques au Québec de façon globale (Lavoie 2004; Charbonneau, 1984) ou
encore sur l’évolution des programmes scolaires (Bednarz, 2002). Aucune étude n’a été réalisée sur la
place qu’occupe l’enseignement de l’arithmétique au secondaire et sur son évolution au fil du temps.
Ceci nous a amené à nous intéresser à cette problématique. Quelles finalités ont été associées à
l’enseignement de l’arithmétique au secondaire au fil du temps? Quels contenus spécifiques ont été
proposés dans son enseignement? Quels contenus retrouve-t-on d’une époque à l’autre, quelles
modifications apparaissent? Comment approche-t-on ces contenus? Toutefois, avant de s’intéresser à
ces différentes questions, une définition de l’arithmétique s’impose.
2. Cadre conceptuel
2.1 Définition et caractéristiques de l’arithmétique
Dans le but de construire une grille d’analyse de manuels, notre premier angle d’analyse renvoie au
concept d’arithmétique lui-même. Celui-ci recouvre en effet différentes réalités en fonction des
époques. Une analyse historique non exhaustive de certains textes provenant de mathématiciens
reconnus, témoins importants d’une époque donnée, et d’encyclopédies, présentant une synthèse des
connaissances pour une époque donnée, nous a permis de mieux caractériser ce champ des
147
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
mathématiques. Les textes provenant de mathématiciens reconnus pour leur réflexion dans ce
domaine : Les élément d’Euclide (250 ans avant J.C.67), Une traduction de Robbins & Karpinski (1926)
de l’« Introduction to Arithmetic » écrit par Nicomaque (230 ans après J.C.), Le Liber Abaci de
Fibonacci (1170-1250) traduit par Sigler (2003), la traduction de Flegg, Hay & Moss (1985) des
œuvres de Chuquet (1445-1500) et une copie du Dictionnaire Mathematique ou Idee Generale des
Mathematiques écrit par Ozanam (1646-1717) en 1691. Ces ouvrages ont ainsi servi de base à
l’analyse. Pour les époques plus récentes, notre analyse s’est appuyée sur l’encyclopédie de Diderot et
d’Alembert (1751) pour le XVIIIe siècle ainsi que sur le « Grand dictionnaire Larousse » (1866, 1928)
pour les XIXe et XXe siècles.
Cette analyse historique nous a permis de caractériser davantage les contenus abordés au fil du temps
dans ce domaine, sous deux grandes catégories : Numération, Opérations et Applications et En lien
avec la théorie des nombres (Annexes, tableau 1); et aussi les types de traitements de l’arithmétique
(Annexes, tableau 2). De plus, notre analyse historique de l’arithmétique fait aussi ressortir différents
types d’arithmétique (Annexes, tableau 3) ainsi que différentes finalités pouvant lui être associées
(Annexes, tableau 4).
Ensuite, l’analyse historique nous a permis d’identifier deux façons de concevoir le nombre. La
première apparaissant dans l’ouvrage d’Euclide présentant le nombre comme une grandeur (figure 1)
où le nombre représente la mesure d’un segment. Une deuxième apparaît dans l’ouvrage de
Nicomaque : le nombre étant présenté en une multitude d’unités (figure 2). Une autre caractéristique
attribuée au nombre est qu’il peut être « concret » ou « abstrait ». Un nombre abstrait est un nombre
utilisé hors contexte. Le nombre concret renvoie à un certain nombre d’objets comptés ou une mesure.
Dès que le nombre est utilisé avec un objet réel, il est considéré comme concret, par exemple, effectuer
la somme de 5 billes et 7 billes ou la somme de 5 centimètres et 8 centimètres.
67
Pour des raisons évidentes, nous avons utilisé une édition de 1994.
148
Alexandre DUCHARME RIVARD
Ces différentes caractéristiques de l’arithmétique nous ont permis d’élaborer une grille d’analyse des
manuels scolaires.
3. Méthodologie
3.1 Choix des manuels scolaires
Quatre périodes différentes en lien avec l’évolution des programmes de mathématiques au Québec
peuvent être considérées (Bednarz, 2002). Ces périodes marquent des changements importants dans
l’évolution curriculaire : avant 1945, de 1945 à 1960, de 1960 à 1980, de 1980 à nos jours. L’analyse
d’un manuel du début du XXe siècle a été mise en comparaison avec un manuel de la fin du XXe siècle
sur les aspects suivants : la place de l’arithmétique dans le manuel, les contenus abordés, les types de
traitement utilisés et les finalités associées à son enseignement.
Les manuels choisis68 sont Arithmétique, cours supérieur (F.E.C., 1916), Carrousel Mathématique 1
(Breton, 1993) et Carrousel Mathématique 2 (Breton, 1994). Le manuel Arithmétique, cours supérieur
était destiné aux élèves des niveaux équivalents aux première et deuxième années du secondaire actuel
(Ducharme Rivard, 2007). Nous traiterons donc ensemble les résultats de Carrousel Mathématique 1
(Breton, 1993), manuel de première secondaire, et de Carrousel Mathématique 2 (Breton, 1994),
manuel de deuxième secondaire, afin de pouvoir les comparer aux résultats de l’analyse du manuel du
début du siècle.
3.2 Grille d’analyse des manuels scolaires
Suite à un premier survol des manuels scolaires, la grille d’analyse des manuels a été ajustée afin de
tenir compte de certains aspects qui ne paraissaient pas dans l’analyse historique de l’arithmétique. Par
exemple, la place occupée par l’arithmétique dans chacun des manuels, qui a été identifiée à partir du
rapport entre le nombre de pages réservées à l’arithmétique et le nombre de pages totales du manuel.
De plus, nous avons senti le besoin de distinguer la partie « cours » de la partie « exercices »69. La
figure 3 présente la grille d’analyse utilisée pour les manuels scolaires.
Dans le présent texte, nous ne reprendrons pas tous les éléments de la grille d’analyse. Après avoir
situé l’importance de l’arithmétique dans chacun des manuels, nous situerons le contenu couvert en
regard de chacune des catégories du tableau 1 (en annexes), pour passer enfin aux types de traitements
privilégiés par les auteurs de ces manuels pour approcher ces contenus. À partir de ces différents
éléments, nous conclurons en revenant sur la finalité associée à l’arithmétique dans chacun des
manuels.
68
Des manuels ont aussi été choisis pour la fin du secondaire (Ducharme Rivard, 2007). Nous ne reprenons dans le cas de
ce texte que deux de ces manuels.
69
Ce que nous entendons par la section « cours » est ce qui pourrait servir à l’élaboration de la leçon par l’enseignant, tout
ce qui est en lien avec la présentation des contenus dans le manuel. En ce qui concerne la section « exercices », elle
concerne le répertoire de questions, la banque de problèmes, que l’on retrouve dans le manuel pour faire travailler l’élève
sur le contenu.
149
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
Types d’arithmétiques
4. Résultats
4.1. La place accordée à l’arithmétique dans chacun des manuels
Nos résultats mettent clairement en évidence que l’arithmétique n’a pas toujours eu la même
importance dans l’enseignement des mathématiques au secondaire. Au début du siècle, elle occupait en
effet 70,9 % du manuel (figure 4). Nous notons dans la collection de manuels de la fin du siècle, que la
place occupée par l’arithmétique occupe seulement 43,1 % (figure 5).
29,1%
A rithmé tique
A utre s N otions
70,9%
Figure 4 La place occupée par l’arithmétique dans le manuel Arithmétique, cours supérieur
150
Alexandre DUCHARME RIVARD
43,1%
Arithmétique
Autres Notions
56,9%
Figure 5 La place occupée par l’arithmétique dans les manuels Carrousel Mathématique 1 (Breton,
1993) et dans Carrousel Mathématique 2 (Breton, 1994), résultats combinés.
450
400
Nombres de pages
350
300 Section
250 cours
200
150 Total
100
50
0
En lien avec la théorie Numération, opérations
des nombres et applications
Figure 7 Les contenus arithmétiques dans Arithmétique, cours supérieur (F.E.C., 1916)
450
400
Nombre de pages
350
300 Section cours
250
200 Total (cours et
150 exercices)
100
50
0
En lien avec la thˇorie Numˇration, opˇrations
des nombres et applications
Figure 8 Les contenus arithmétiques dans Carrousel Mathématique 1 (Breton, 1993) et dans Carrousel
Mathématique 2 (Breton, 1994), résultats combinés
Deux différences peuvent cependant être mises en évidence lors de la comparaison de ces manuels.
Tout d’abord, et ce malgré le peu d’espace qu’occupent les contenus en lien avec la théorie des
nombres dans les deux cas, une importance plus grande est accordée à ces derniers dans le manuel
Arithmétique, cours supérieur (F.E.C., 1916) que dans les manuels homologues de la fin du siècle.
Ainsi, même si le type d’arithmétique abordée dans les deux cas se rapproche davantage d’un contenu
pratique (opérations, calcul, applications), une certaine présence d’une arithmétique portant sur les
nombres et leurs propriétés est présente en début de siècle. Par ailleurs notre analyse des deux
collections de manuels nous montre que plus de pages sont consacrées aux exercices dans les manuels
de la collection Carrousel (Breton, 1993, 1994) qu’à la section reliée au cours, ce qui n’est nullement le
cas au début du siècle (Ducharme Rivard, 2007). L’accent semble donc mis davantage dans ce cas sur
une mise en pratique des notions que sur une présentation théorique des contenus.
151
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
28% Définitions
Règles
47%
Induction
Déduction
Vérification
20%
Figure 9 Types de traitements utilisés pour présenter les contenus arithmétiques dans Arithmétique,
cours supérieur (F.E.C., 1916)
30%
39%
Définitions
Règles
Induction
31%
Figure 10 Types de traitements utilisés pour présenter les contenus arithmétiques dans Carrousel
Mathématique 1 (Breton, 1993) et dans Carrousel Mathématique 2 (Breton, 1994), résultats combinés
152
Alexandre DUCHARME RIVARD
Conclusion
Les résultats présentés précédemment nous montre que l’arithmétique occupait une place prédominante
dans l’enseignement des premières années du secondaire au début du siècle. À la fin du siècle, son
importance a diminué considérablement. Sur les deux premières années du secondaire, la place qu’elle
occupe dans les manuels de la collection Carrousel Mathématique (Breton, 1993, 1994) correspond en
effet à moins de 50%. L’analyse réalisée par ailleurs aux autres niveaux du secondaire pour ces
manuels confirme encore davantage ce qui précède, puisqu’en secondaire 3, 4 et 5, cette dernière est
quasi inexistante à la fin du siècle, alors qu’elle occupait une place centrale au début du siècle
(Ducharme Rivard, 2007). Son statut dans l’enseignement a donc radicalement changé au cours du
siècle.
Même si la finalité dans les deux cas est pratique, une analyse plus fine des manuels nous montre
toutefois qu’il ne s’agit peut-être pas de la même pratique, rejoignant en cela les analyses réalisées par
Bednarz (2002) sur les programmes d’études. Ainsi dans le manuel de 1916, la présence de problèmes
de commerce, de règles (d’alliage, d’intérêt simple et composé....) fait référence à des situations de
commerce ou de la vie quotidienne. Dans le cas des manuels de la fin du siècle, l’accent semble
davantage mis sur un travail sur les opérations et le calcul sur des nombres abstraits (Ducharme Rivard,
2007).
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154
Alexandre DUCHARME RIVARD
Annexes
Tableau 1 Le contenu mathématique couvert par l’arithmétique (sources où il se retrouve)
1. Numération, - Fonctionnement du système de numération : décimal, binaire, sexagésimal, etc.
Opérations et (Fibonacci, Chuquet, Ozanam, Diderot et d’Alembert, Larousse, Auger) ;
Applications - Fonctionnement des systèmes de mesures (mesure de distance, de temps, mesure
monétaire, de poids, de capacité, etc.), conversion, opérations sur les mesures
(Ozanam)
- Opérations sur les nombres (entiers, rationnels, irrationnels) : addition,
soustraction, multiplication, division, puissance, extraction de racines,
simplification de fractions, etc. (Fibonacci, Chuquet, Ozanam) ;
- Vérification des opérations/ des calculs effectués : Preuve par 9, par 8, par 7, etc.
(Fibonacci, Chuquet) ;
- Proportions, incluant la recherche d’une 4e proportionnelle (Euclide, Nicomaque,
Fibonacci, Chuquet, Ozanam) ;
- Règle de trois ou règle d’or : pour trouver la 4e proportionnelle (Fibonacci,
Chuquet, Ozanam) ;
- Règle de fausse position et de double fausse position (Fibonacci, Chuquet,
Ozanam) ;
- Règle composée (Ozanam) ;
- Règle de compagnie (Fibonacci, Chuquet, Ozanam) ;
- Règle testamentaire (Ozanam) ;
- Règle d’alliage (Fibonacci, Chuquet, Ozanam) ;
- Règle du cent (Ozanam) ;
- Règle d’intérêt simple et composé (Fibonacci, Chuquet, Ozanam) ;
- Règle d’escompte (Fibonacci, Chuquet, Ozanam) ;
- Règle de change (Fibonacci, Chuquet, Ozanam).
2. Contenu en lien avec la - Parité (Euclide, Nicomaque, Chuquet, Ozanam) ;
théorie des nombres - Critère de divisibilité (Fibonacci) ;
- Nombres premiers et nombres premiers entre eux (Euclide, Chuquet, Ozanam) ;
- Facteurs d’un nombre, le PGCD et le PPCM (Euclide, Fibonacci, Ozanam) ;
- Nombres plans, solides, plans-plans, etc. (Euclide, Ozanam) ;
- Nombres parfaits et imparfaits (Euclide, Chuquet, Ozanam) ;
- Nombres abondants et défaillants (Ozanam) ;
- Nombres amiables (Ozanam) ;
- Nombres figurés (Nicomaque, Ozanam) ;
- Nombres circulaires (Ozanam) ;
- Triplets de Pythagore (Ozanam).
- Progressions arithmétiques, géométriques et harmoniques (Euclide, Fibonacci,
Chuquet, Ozanam) ;
70
Nous entendons par méthode : un ensemble de démarches que suit l’esprit pour découvrir et démontrer la vérité d’un
énoncé (Dictionnaire Le Robert, 1988, p. 1191)
Ce que nous entendons par algorithme est un « ensemble de règles opératoires propres à un calcul » (Dictionnaire Le
Robert, 1988, p. 48).
La différence entre une méthode et un algorithme est que la méthode n’impose pas une écriture des calculs, mais suggère
une démarche à suivre. Dans l’algorithme, le lecteur sait exactement où il doit écrire chacune des étapes.
155
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
156
Alejandro S. GONZALEZ-MARTIN
RÉSUMÉ
Cet article présente les résultats d’une recherche sur l’enseignement et l’apprentissage
du concept d’intégrale impropre au niveau universitaire. Nous mettons en évidence
certaines difficultés et obstacles qui surgissent lors de l’apprentissage de ce concept et
nous discutons aussi de l’importance de l’utilisation du registre graphique pour
l’enseignement. En utilisant la théorie des registres de représentation sémiotique de
Duval et la construction d’une ingénierie didactique, nous évaluons tant l’apprentissage
réalisé par nos étudiants que leur acceptation du registre graphique comme registre de
travail mathématique.
1.- INTRODUCTION
La recherche décrite dans cet article constitue une partie de notre travail de thèse doctorale (González-
Martín, 2006a), développé à l’Université de La Laguna (Espagne).
L’idée de développer cette recherche est partie du constat que les étudiants du baccalauréat en
mathématiques de cette université ne parvenaient pas à une bonne compréhension des concepts relatifs
à l’intégrale impropre, et ce même s’ils réussissaient à obtenir de bonnes notes lors des examens
portant sur ce sujet. Ce fait est assez inquiétant, car l’intégrale impropre a plusieurs applications qui
s’avèrent importantes pour un étudiant en mathématiques (calcul de probabilités, distances dans des
espaces fonctionnels, transformées intégrales, …), en plus de ses applications dans d’autres domaines
(comme l’analyse de signaux ou la compression de données grâce aux séries de Fourier ou les
wavelets).
L’intégrale impropre se conçoit comme une généralisation de l’intégrale de Riemann, dont
l’application première est le calcul de l’aire de figures non-rectilignes. Pour réaliser ce calcul, deux
conditions doivent être imposées :
1. L’intervalle où l’on calcule l’aire sous une courbe doit être fermé
et borné.
2. La courbe sous laquelle on calcule l’aire doit être bornée dans cet
intervalle (voir Figure 1).
Figure 1
Dans ces conditions, on dit que l’aire S sous la courbe donnée par la fonction f(x), entre x = a et
b
x = b est donnée par l’intégrale de Riemann de f : S = ∫ f ( x).dx .
a
157
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
Cependant, bien que ces deux conditions aient l’air d’être nécessaires pour le calcul d’aires, on
peut donner une définition d’intégrale quand une de ces conditions (ou les deux) n’est pas remplie, ce
qui rend possible le calcul de l’aire de figures non bornées. Dans cet article, nous allons seulement
aborder le cas où la première condition n’est pas remplie, c’est-à-dire lorsque l’intervalle où l’on
calcule l’aire sous une courbe est infini. Dans ce cas, si l’on veut calculer l’aire sous une courbe f(x) à
partir d’un point x = a, on écrira :
∞ b
∫
a
f ( x).dx = lim ∫ f ( x).dx
b →∞ a
Paradoxalement, la valeur de cette aire peut être parfois finie. On dira alors que l’intégrale impropre
converge. Ainsi une des grandes questions de la théorie sur les intégrales impropres est de pouvoir
déterminer a priori si cette aire sera finie ou pas.
2.- ANTÉCÉDENTS
Le premier constat qui est apparu quand nous avons commencé notre recension d’écrits était le manque
de travaux de recherche centrés sur l’apprentissage de la notion d’intégrale impropre. Ce constat est en
accord avec l’affirmation d’Artigue (1999, 2001) selon laquelle pour l’instant beaucoup d’efforts ont
été concentrés sur très peu de domaines parmi ceux qui sont enseignés au niveau universitaire. Dans ce
sens, une recherche sur l’apprentissage de l’intégrale impropre pourrait fournir des résultats dans un
domaine peu exploré jusqu’à présent.
Étant donné que l’origine historique de l’intégrale impropre est liée à l’utilisation du registre graphique
(voir section 5), nous nous sommes intéressé aux résultats de la recherche concernant l’utilisation de ce
registre dans l’enseignement. Les résultats trouvés montrent clairement d’une part que les étudiants
universitaires sont réticents à utiliser le registre graphique, ceci étant dû, entre autres, au manque de
pratique dans les niveaux inférieurs (ce qui rend difficile son utilisation d’une façon naturelle et
spontanée dans les niveaux universitaires ultérieurs) et d’autre part au fait que pour l’enseignement
universitaire, ce registre est vu comme étant « peu mathématique ». Eisenberg et Dreyfus (1991) font
une classification des raisons principales pour le rejet du registre graphique :
Par contre, plusieurs auteurs ont souligné le rôle potentiel du registre graphique pour résoudre
des problèmes (Maschietto, 2001). Cependant, c’est normalement le registre algébrique qui est
enseigné et privilégié, malgré les difficultés qu’il entraîne. Plusieurs auteurs ont déjà remarqué la
prédominance de l’algébrique sur le graphique chez les étudiants (Orton, 1983), ainsi que le fait que les
étudiants manipulent des aspects formels des concepts mathématiques sans avoir d’idées intuitives de
ceux-ci (Calvo, 1997).
En bref, beaucoup d’auteurs montrent que les étudiants développent une compréhension
mécanique des concepts de base de l’analyse, sans atteindre une compréhension visuelle des notions
essentielles sous-jacentes et qu’il n’y a pas de compréhension visuelle des intégrales de fonctions
positives considérées en termes d’aires sous une courbe. Ils montrent aussi que les étudiants ont une
tendance très forte à penser algébriquement, même quand ils sont poussés à penser visuellement et que
plusieurs des difficultés de l’Analyse pourraient être atténuées si les étudiants apprenaient à intérioriser
les composantes visuelles des concepts de base (voir Hitt, 2003; Mundi, 1987; Orton, 1983; Swan,
1988; Vinner, 1989, pour plus de détails).
158
Alejandro S. GONZALEZ-MARTIN
En accord avec ces résultats, nous sommes convaincu que l’utilisation du registre graphique
peut aider à éviter des nombreux calculs et qu’il peut même être utilisé comme un registre de
« contrôle » et de « prédiction » pour le travail purement algébrique. C’est avec cette certitude, que
nous avons conçu nos activités (voir section 6).
En relation avec l’apprentissage de l’intégrale impropre, les résultats de notre mémoire de
maîtrise (González-Martín, 2002) montrent, chez les étudiants, une préférence pour les énoncés de type
algorithmique, comportant des consignes claires sur ce que l’on demande. En plus, les questions non-
algorithmiques posées dans le registre graphique font apparaître de grandes difficultés chez les
étudiants, ou un taux élevé de non-réponse. Certains étudiants ne reconnaissent même pas le registre
graphique comme un registre pour le travail mathématique et d’autres montrent un manque de
coordination entre registres, ce qui produit des difficultés et de l’hésitation face à certains paradoxes.
Tout ceci les prive d’outils d’anticipation des résultats et d’outils de contrôle des résultats obtenus.
Nous avons aussi identifié deux obstacles spécifiques au concept d’intégrale impropre, soient
l’obstacle de liaison à la compacité (incapacité de concevoir qu’un volume, ou une aire, est fini à
moins que la figure ne soit fermée et bornée) et l’obstacle d’homogénéisation des dimensions
(attribution à un volume des propriétés de l’aire qui l’a généré par rotation; ainsi, on pense qu’une aire
infinie doit forcément générer un volume infini). Pour plus de détails, voir González-Martín (2002;
2006a) et González-Martín et Camacho (2004). Nos résultats nous portent à croire que ces deux
obstacles sont aggravés par un manque de coordination entre registres. Alors, en prenant en compte
cette raison et les résultats de recherche nommés précédemment, notre recherche essaie d’améliorer
l’apprentissage du concept d’intégrale impropre, moyennant l’utilisation active du registre graphique.
3.- OBJECTIFS
Les objectifs spécifiques de notre recherche abordés dans cet article sont les suivants :
1. Générer une séquence d’enseignement du concept d’intégrale impropre qui incorpore les
systèmes de représentation graphique et symbolique.
2. Analyser si l’utilisation active d’exemples et de contre-exemples dans l’enseignement de
l’intégrale impropre, de même que l’utilisation du registre graphique comme registre de travail
mathématique valable, produisent des améliorations dans l’apprentissage et l’acceptation du
registre graphique des étudiants.
Notre travail envisage une double question. D’un côté, l’utilisation du registre graphique pour
améliorer l’apprentissage de nos étudiants et donner plus de sens au concept d’intégrale impropre. D’un
autre côté, pour ce faire, nous voulons construire une séquence d’enseignement qui joue au même
temps le rôle d’outil de recherche. C’est autour de ces deux pôles que s’articule notre cadre théorique.
159
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
Par contre, l’enseignement traditionnel considère que l’activité de conversion entre représentations est
automatique à partir du moment où l’on peut former ces différentes représentations. Cependant, les
recherches montrent d’une part que le fait de ne pas coordonner différentes représentations nuit à la
compréhension des objets mathématiques, et d’autre part, que le développement de ces activités de
conversion et de coordination n’est pas automatique et que l’étudiant doit apprendre à le faire.
Nous avons aussi pris en compte les apports de plusieurs auteurs en relation avec l’importance de
l’utilisation d’exemples et de contre-exemples dans l’enseignement (voir Hitt, 2000; Selden et Selden,
1998; Watson et Mason, 2002), ce qui peut aider les étudiants à mieux comprendre les définitions. De
plus, cette utilisation d’exemples et de contre-exemples n’est ni algorithmique ni procédurale et
requiert une pensée mathématique flexible et dynamique. Enfin, nous avons aussi pris en compte le rôle
de la résolution de problèmes dans la théorie de Duval (Duval, 2000; Hitt, 2000).
En deuxième lieu, pour la construction de notre séquence d’enseignement, nous avons pris en compte
la théorie des situations didactiques de Brousseau (1998). En particulier, nous nous sommes assuré que
les milieux construits pour nos activités gardent les trois caractéristiques principales : antagonisme (en
offrant des contradictions, des difficultés et des déséquilibres aux étudiants, avec le but de produire des
adaptations), autonomie (pour permettre le fonctionnement de la connaissance comme une production
libre de l’étudiant et lui permettre d’expérimenter le savoir acquis) et source de savoir (pour conduire à
la maîtrise du savoir mathématique identifié comme tel).
D’autres aspects de la théorie des situations didactiques nécessaires pour la construction d’ingénieries
didactiques seront exposés dans la section 6.
71
Pour plus de détails sur cette dispute, voir Imaz (2001).
160
Alejandro S. GONZALEZ-MARTIN
Figure 2
ème
C’est au 18 siècle, avec la naissance de l’Analyse, que l’approche locale (ce qui se passe au
voisinage de l’infini) change pour une approche globale (les propriétés des fonctions). Le processus de
formalisation commence et les approches géométriques sont moins utilisées. Ce n’est qu’aux 19ème et
20ème siècles que cette approche géométrique revient, avec l’intégrale de Lebesgue, mais cette fois-ci
revêtue du formalisme mathématique.
Bien que cette révision historique soit très brève, elle nous permet de voir que la naissance de
l’intégrale impropre est liée à l’approche géométrique et à la visualisation. En plus, la formalisation
d’une théorie a pris du temps; les mathématiciens ont d’abord abordé quelques cas avant de formuler
une théorie générale sur l’intégrale impropre. Enfin, la naissance des intégrales impropres est aussi liée
à l’utilisation de séries et certains paradoxes sont présents. Ce sont ces éléments que nous avons pris en
compte pour construire notre séquence sur les intégrales impropres en leur donnant plus de sens.
6.- MÉTHODOLOGIE
Face aux difficultés observées chez nos étudiants, nous avons envisagé la construction d’une séquence
d’enseignement pour introduire le concept d’intégrale impropre. En particulier, une ingénierie
didactique a été construite, car elle combine parfaitement les rôles d’outil d’enseignement et de
recherche. L’ingénierie didactique est une méthodologie privilégiée qui permet d’observer mais aussi
d’analyser d’une façon objective l’apprentissage réalisé par les étudiants.
Nous avons accordé une grande importance aux variations du contrat didactique, en particulier en
milieu universitaire. Le nouveau contrat instauré était complètement nouveau pour nos étudiants. Nous
avons commencé avec des situations plus proches d’eux. De plus, nous avons veillé à construire un
milieu adéquat pour chaque situation, afin qu’il produise des contradictions, des difficultés et des
déséquilibres, et qu’il permette aussi à l’étudiant d’utiliser ses connaissances antérieures, en favorisant
l’adaptation, en lui demandant un travail le plus autonome possible.
Notre recherche a été développée avec des étudiants de première année du Baccalauréat en
Mathématiques à l’Université de La Laguna (Espagne). Nous avons choisi ce programme parce qu’il
s’agit du programme qui étudie le plus en profondeur le concept d’intégrale impropre. Environ 21
étudiants en moyenne ont participé à notre expérimentation, qui s’est déroulée pendant le deuxième
semestre de la première année, où le cours sur les intégrales impropres se donne.
Nous avons mené 8 séances de 1 heure dans la salle de classe et deux séances d’une heure et demie
dans la salle d’ordinateurs. Le nombre d’étudiants participant à chaque séance a été le suivant72 :
S1 S2 S3 S4 S5 S6 M1 S7 S8 M2
23 24 21 21 23 23 18 22 19 22
72
S représente les séances en salle de classe et M les séances en salle d’ordinateurs.
161
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
Comme instruments de collecte de données, nous avons enregistré en vidéo toutes les séances, et,
pendant les séances, nous avons distribué aux étudiants trois fiches de travail et nous leur avons
demandé de remplir un tableau de convergences et de résoudre quelques problèmes. Enfin, à la fin de la
séquence, les étudiants ont rempli un questionnaire d’opinion sur les éléments principaux de notre
séquence et un autre questionnaire sur l’utilisation de contre-exemples. Finalement, les étudiants ont
passé un test de contenus pour évaluer leurs apprentissages à la fin de la séquence.
Notre séquence s’est articulée autour de certains choix macro-didactiques à caractère mathématique et
didactique. Du côté mathématique, nous avons choisi de légitimer le registre graphique et de l’articuler
avec l’algébrique, de reconstruire la connaissance afin que l’intégrale impropre apparaisse comme une
généralisation de concepts déjà connus et d’établir des relations explicites avec ces connaissances
antérieures. Du point de vue didactique, nous avons choisi premièrement d’aborder les limitations
cognitives et didactiques liées au statut du registre graphique à travers d’une introduction graduelle,
deuxièmement d’aborder la complexité des techniques liées tant à l’absence d’une primitive qu’à la
visualisation de fonctions non-élémentaires à travers l’assistance de l’ordinateur, et troisièmement
d’aborder les limitations de temps à travers une réduction dans la résolution algébrique, changeant ainsi
le statut privilégié donné traditionnellement à la résolution directe. Tout ceci, a été combiné avec un
partage de responsabilités avec les étudiants et l’implémentation de débats (sans arriver à de vrais
débats scientifiques73, en raison du manque d’habitude de nos étudiants).
Les caractéristiques principales de notre séquence sont :
Articulation du registre graphique avec le registre algébrique.
Reconstruction de la connaissance à partir de concepts déjà étudiés (séries et intégrales
définies).
L’étudiant est investi d’une plus grande responsabilité.
Utilisation de problèmes non-routiniers.
Construction systématique d’exemples et de contre-exemples.
Les activités construites visent à montrer l’utilité du registre graphique pour interpréter certains
résultats ainsi que pour prédire et appliquer des critères de divergence. Nous avons aussi montré
certaines limitations de ce registre, ce qui motive l’intérêt pour connaître les résultats théoriques.
D’après notre approche, l’utilisation du registre graphique, avec ses forces et ses faiblesses, à côté de
l’utilisation du registre algébrique facilite la coordination entre les deux registres.
73
Voir Legrand (2001).
162
Alejandro S. GONZALEZ-MARTIN
Riemann (voir González-Martín, 2006a). Cette activité a rendu les étudiants conscients des conditions
que l’on allait affaiblir (en commençant par avoir un intervalle infini) et nous leur avons demandé
ensuite de construire une définition pour l’intégrale dans le cas d’un intervalle infini. Le registre
graphique a été très utile pour raisonner sur l’utilité d’intégrer dans des intervalles fermés et d’en faire
varier la limite supérieure (voir Figure 3).
L’activité suivante consistait à opérationnaliser la nouvelle définition avec deux cas simples. Les
∞ ∞
étudiants ont calculé que ∫0
e − x dx = 1 et que ∫
1
x −1 / 3 dx = ∞ , ce qui introduit une prise de conscience
que l’aire d’une figure infinie peut être finie (convergence) ou infinie (divergence). En plus, les
étudiants sont conscients que deux fonctions avec un graphe très similaire peuvent enfermer des aires
très différentes. La question que nous avons posée ensuite est : « Peut-on donner des critères pour
savoir à l’avance quand l’intégrale sera divergente? ». L’utilisation du registre graphique a été très
utile et les étudiants ont affirmé que : si f(x) tend vers l’infini, son intégrale sera divergente; si f(x) est
constante, son intégrale sera divergente. Le débat a aidé les étudiants à intégrer ces deux critères dans
un nouveau critère plus général : « Pour f(x) positive, si à partir d’une certaine valeur de x : f(x) ≥ k > 0,
l’intégrale sera alors divergente ».
Cette conclusion, avec les deux exemples calculés, permet aux étudiants de voir les potentialités du
registre graphique pour conclure la divergence d’une intégrale donnée74, ainsi que ses faiblesses pour
prédire la convergence, ce qui justifie le développement d’outils plus formels.
simple. Enfin, comme ce tableau sera utilisé plus tard (comme répertoire de fonctions avec lesquelles
comparer avec les critères de convergence), les étudiants peuvent se sentir participants au
développement théorique des concepts.
L’étude locale d’une fonction dans un voisinage de l’infini et la
prédiction du caractère de son intégrale impropre (voir Figure 5) a
mené les étudiants à se questionner si l’on peut prédire le caractère de
l’intégrale des fonctions sans limite. La plupart des étudiants, en
suivant ce qui se passe avec sinx et cosx, concluent que l’intégrale sera
divergente. À ce moment, le professeur est intervenu pour présenter
une nouvelle activité : la construction de contre-exemples à travers le
registre graphique. En particulier, en utilisant les résultats connus pour Figure 5
74
Ce qui est aussi nouveau, car d’habitude l’enseignement met l’accent sur les critères de convergence et ignore un critère
de divergence si simple et puissant à la fois que celui-ci.
163
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
Ce contre-exemple est assez riche, car il permet aussi de voir qu’avoir une aire
finie n’implique nécessairement pas avoir une fonction bornée, ce qui aide à Figure 6
faire face à l’obstacle de liaison à la compacité.
Pour terminer cette section, nous montrons aussi deux fonctions qui peuvent être facilement construites
dans le registre graphique et qui permettent de répondre aux deux questions suivantes (Figure 7):
∞ ∞
/ ∑ f ( n) < ∞
∞
∑ f (n) < ∞ ⇒/ ∫
∞
∫a
f ( x).dx < ∞ ⇒
n =1 n =1
a
f ( x ).dx < ∞
Figure 7
Ces deux questions aident à introduire le théorème intégrale, qui énonce sous quelles
conditions les caractères de la série et de l’intégrale sont pareils.
Notre séquence a été évaluée de plusieurs façons. En premier lieu, à travers la confrontation entre les
analyses a priori et a posteriori, qui nous a aussi aidée à étudier l’apprentissage des étudiants et
l’efficacité des situations construites. Les étudiants ont aussi rempli des feuilles de travail en petites
équipes, en répondant à de nouvelles questions en utilisant les nouveaux concepts. Puis ces feuilles ont
été ramassées et analysées. Ils ont aussi dû résoudre
quelques problèmes à remettre au professeur. Enfin, il y
a eu un test de contenus et les étudiants ont rempli deux
questionnaires sur la séquence.
Les observations de classe nous permettent d’affirmer
que les étudiants ont accepté graduellement le registre
graphique pour formuler des conjectures à partir du
moment où le critère de divergence a été
institutionnalisé. Nous avons pu voir comment les
étudiants se servent de ce critère et du registre graphique
pour appuyer certains de leurs raisonnements (Figure 8).
Figure 8
164
Alejandro S. GONZALEZ-MARTIN
Enfin, on peut même voir dans les résultats du test de contenus (répondu par 26 étudiants) que les
étudiants sont, en général, plus outillés pour répondre aux questions non-routinières ainsi qu’à celles
présentant des informations dans le registre graphique. Par exemple, pour la question présentée dans la
Figure 10, nous avons obtenu que 13 étudiants
ont répondu correctement à la question sur la
première intégrale en utilisant clairement le
graphe. De plus, 8 étudiants ont répondu
correctement à la question sur la deuxième
intégrale en utilisant un raisonnement
graphique. Ces résultats deviennent plus
éloquents lorsqu’on les compare avec les
résultats d’une expérimentation menée en 2002
avec un échantillon de 31 étudiants (González-
Martín, 2002) : seulement un étudiant a été
capable de répondre aux questions en Figure 10
utilisant le graphe donné.
165
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
8.- CONCLUSIONS
Dans cet article, nous avons vu quelques difficultés et obstacles qui surgissent chez les étudiants
universitaires pour apprendre et comprendre le concept d’intégrale impropre. Puis, nous avons montré
quelques activités qui tentent de donner plus de sens au concept « intégrale impropre » et de renforcer
le statut mathématique du registre graphique chez les étudiants universitaires.
Nous croyons que nos changements dans le contrat didactique usuel (travail en équipes, débats,
production de résultats par les étudiants, …) et le travail de construction d’exemples et de contre-
exemples, ainsi que l’interprétation graphique des résultats, permettent aux étudiants de reconnaître ce
registre, de s’entraîner à son utilisation et de l’accepter comme outil mathématique pertinent. En plus,
l’« acceptation » de son utilisation de la part du professeur renforce son statut mathématique, ce qui
permet plus tard l’institutionnalisation de son utilisation.
Les résultats de recherche montrent, et les résultats de notre expérimentation appuient, que les étudiants
(surtout au niveau universitaire) ont une grande réticence pour utiliser ce registre, ce qui peut être la
conséquence d’une formation où ce registre n’est pas présent. Étant donnée cette réticence, l’utilisation
du registre graphique ne devrait pas être faite d’une façon isolée, mais comme une partie habituelle de
l’instruction, de sorte que les étudiants l’acceptent et que son recours soit institutionnalisé. Dans ce
sens, son utilisation comme une partie d’une expérimentation est positive, mais elle risque de devenir
anecdotique si, une fois acceptée, son utilisation n’est pas renforcée ultérieurement. Ceci laisse ouverte
la question de déterminer s’il serait possible d’organiser un semestre entier en proposant l’utilisation
régulière du registre graphique.
Nos résultats, bien qu’ils soient locaux, appuient l’hypothèse que les étudiants de l’enseignement
universitaire peuvent accepter le registre graphique si son utilité est motivée et s’il est utilisé d’une
façon raisonnable.
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integral impropia (Mémoire de Maîtrise), Université de La Laguna (non publié).
166
Alejandro S. GONZALEZ-MARTIN
167
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
168
Geneviève LESSARD et Gisèle LEMOYNE
Les rapports des élèves aux nombres rationnels, comme le montrent plusieurs études, sont fort
problématiques. Traiter de cet objet d’enseignement, auprès d’une population d’élèves du premier cycle
du secondaire présentant des difficultés d’apprentissage, représente un défi particulier. Notre recherche
vise : à 1) concevoir, mettre à l’essai et évaluer des situations engageant les élèves en difficultés dans
des pratiques de résolution de problèmes qui leur permettent de construire, voire de reconstruire des
rapports plus adéquats aux nombres rationnels; 2) montrer comment la prise en compte du
fonctionnement de l’institution didactique permet d’orienter et d’enrichir les situations didactiques.
Dans ce texte, nous procédons à une première analyse de quelques situations d’enseignement qui se
sont avérées particulièrement fécondes.
INTRODUCTION
Dans le cadre de la recherche doctorale effectuée par la première auteure de ce texte, diverses situations
d’enseignement des nombres rationnels ont été mises à l’épreuve auprès d’élèves du premier cycle du
secondaire présentant des difficultés d’apprentissage. Ces situations émanent d’une collaboration
précieuse entre les chercheures et l’enseignante titulaire de la classe. Dans un premier temps, nous
présenterons brièvement la problématique et le cadre conceptuel de notre recherche. Par la suite, nous
aborderons les orientations privilégiées dans le développement de situations d’enseignement des
nombres rationnels, ce qui nous permettra de préciser les objectifs et la méthodologie de notre
recherche. Enfin, nous procéderons à une première analyse de quelques situations d’enseignement qui
se sont avérées particulièrement fécondes.
La problématique et le cadre conceptuel de notre recherche prennent appui sur un nombre important de
recherches. Dans ce texte, nous traiterons des contextes socio-éducatif et didactique de notre recherche
et des défis que soulève l’enseignement aux élèves présentant des difficultés d’apprentissage. Les
rapports problématiques des élèves aux nombres rationnels seront ensuite examinés et les orientations
privilégiées dans le développement de situations d’enseignement des rationnels aux élèves du premier
cycle du secondaire présentant des difficultés d’apprentissage seront définies.
75
Nous tenons à remercier Madame Christine Ménard, enseignante à l’École secondaire Vanguard, qui nous a si
généreusement accueillies dans sa classe de mathématiques, qui nous a permis de mieux comprendre les enjeux de
l’enseignement à ces élèves, qui nous a fait participer aux situations d’enseignement qu’elle a réalisées, qui nous a fait
bénéficier de ses expertises dans la préparation, la réalisation et l’évaluation des situations que nous avons proposées. Nos
remerciements s’adressent aussi à tous les élèves qui ont accepté de relever plusieurs défis et dont les conduites ont été des
sources d’apprentissage fort importantes.
169
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
Les élèves présentant des difficultés d’apprentissage constituent l’effectif le plus important de la
population en adaptation scolaire au Québec (Tardif et Presseau, 2000). Depuis les dernières années, on
note une augmentation sensible de cet effectif dans le secteur de l’adaptation scolaire de
l’enseignement secondaire, plus particulièrement, en première secondaire (MELS, 2006). Faire en sorte
qu’un plus grand nombre d’élèves puisse compléter leurs études secondaires et accéder à des emplois
honorables est une priorité sociale. C’est dans ce contexte que nous nous intéressons à l’enseignement
des mathématiques auprès d’élèves en difficultés d’apprentissage.
Les défis que soulève l’enseignement aux élèves présentant des difficultés d’apprentissage
Les défis que soulève l’enseignement aux élèves présentant des difficultés d’apprentissage76 sont
nombreux. Pour en apprécier l’importance, nous aborderons brièvement les études qui ont permis de
mieux comprendre le fonctionnement du système didactique et les aménagements de ce fonctionnement
dans des classes spéciales.
Dans les classes régulières, la gestion du temps didactique est, en principe, facilitée par les progressions
des savoirs appris par un nombre appréciable d’élèves. (Sensevy, 1998; Mercier, 1995a, 1995b, 1998).
Dans l’enseignement spécialisé, on assiste régulièrement à des régressions, à des piétinements
(Lemoyne et Lessard, 2003), à des surinvestissements (Conne, 2003), à des recyclages de dispositifs
d’enseignement. Si la gestion du rapport ancien-nouveau détermine l’avancement du temps didactique
(Mercier, 1995b, 1998), le recyclage de dispositifs ne peut faire illusion, les élèves percevant très vite
qu’ils n’avancent pas et réagissant souvent en désinvestissant les tâches (Desbiens et Bowen, 2002;
Hinshaw, 1992; Sensevy, 1998).
76
De façon générale, nous pouvons parler des difficultés d’apprentissage en termes d’écart entre les attentes didactiques
d’une situation d’apprentissage et les apprentissages réalisés.
77
La topogénèse constitue l’ensemble des tâches dont respectivement le professeur et les élèves ont la charge (Chevallard,
1991).
170
Geneviève LESSARD et Gisèle LEMOYNE
Les élèves présentant des difficultés d’apprentissage, mais également plusieurs élèves faisant partie de
classes régulières, ont souvent aussi des rapports problématiques avec des savoirs plus anciens,
notamment en arithmétique. Comme le rappelle Rouche (1998, p. 1) ;
« Les fractions sont un des premiers et principaux terrains où se développe le dégoût
des mathématiques et la conviction, à peu près toujours fausse, que l’on est incapable
de cette activité « réservée aux plus intelligents ». « Oh moi les mathématiques » dit-on
dans l’âge adulte, en repensant entre autres aux fractions. Celles-ci sont comme des
insectes nuisibles qui s’attaquent aux écoliers et dont les piqûres entraînent
d’interminables séquelles intellectuelles et morales. »
Les rapports des élèves aux nombres rationnels ont été maintes fois examinés par les chercheurs en
didactique, ce qui a permis de clarifier le concept de fractions, concept clé dans l’enseignement des
rationnels (Desjardins et Hétu, 1974 ; Kieren, 1992, 1994, 1995 ; Rouche, 1998), de mieux comprendre
les difficultés des élèves, voire des enseignants du primaire, dans l’interprétation et l’utilisation des
nombres rationnels (Bezuk et Bieck, 1992; Charnay et Mante, 1992; Chevallard et Jullien, 1989;
Heller, Post, Behr et Lesh, 1990; Kieren, 1980, 1988) et enfin, de concevoir et de mettre à l’épreuve
divers dispositifs didactiques sur l’enseignement des nombres rationnels (Blouin, 2002; Blouin et
Lemoyne, 2002; Guy et Nadine Brousseau, 1987; Mack, 1990; Moseley, 2005). Transformer les
rapports des élèves aux nombres rationnels constitue un défi important.
Concevoir et intégrer des situations visant une construction, voire une reconstruction, de connaissances
et de savoirs sur les nombres rationnels, n’est évidemment pas chose facile. La compréhension,
l’implication et l’imbrication de l’institution « classe » permettent de penser
l’enseignement/apprentissage en termes de transformation de ces rapports, de ces habitus (Bourdieu et
Passeron, 1970).
Le concept d’approche collaborative nous appert être une condition favorable à une intégration
écologique féconde. En effet, la recherche collaborative « prend forme autour de l’idée de faire de la
recherche « avec » plutôt que « sur » les praticiens » (Lieberman, 1986, dans Desgagné, Bednarz,
Couture, Poirier et Lebuis, 2001, p. 34). Il s’agit donc de favoriser davantage une attitude participative
(Davis, 2005) dans laquelle la complicité est de mise. Les questionnements suivants nous apparaissent
alors fort pertinents : Comment la recherche peut-elle être viable dans un milieu particulier? Que livre
ce milieu si complexe qui favorisera la construction de situations qui puissent permettre aux élèves en
difficultés de transformer leurs rapports aux nombres rationnels, aux mathématiques?
171
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
Intervenir efficacement auprès d’élèves présentant des difficultés d’apprentissage est loin d’être
évident. Le concept de « dé-transposition didactique » proposé par Antibi et Brousseau (2000) nous
apparaît particulièrement précieux pour repenser un enseignement qui évite les dérives évoquées
précédemment et pour montrer l’intérêt du recours à l’inscription écologique. Antibi et Brousseau
(2000, p. 23) utilisent ce concept «pour désigner une action didactique intentionnelle, orientée vers le
traitement des conséquences d’une transposition didactique reconnue explicitement comme antécédent
légitime, et entreprise dans le cadre d’une transposition didactique nouvelle présentée elle-même
comme légitime.». Dans cette définition, l’idée d’une transposition didactique nouvelle semble
particulièrement importante, voire cruciale, lorsque l’action didactique est réalisée auprès d’élèves
présentant des difficultés. Elle invite à user d’ingéniosité pour concevoir des situations « originales »,
des situations « défis », des situations qui puissent permettre aux élèves de mobiliser leurs
connaissances, de les transformer, voire de les rejeter au profit de connaissances qui leur permettent de
contrôler les situations.
Qui dit transposition nouvelle, dit aussi prise en compte du fonctionnement de l’institution « scolaire »
et de l’institution « classe de mathématiques », des manuels en usages, des situations usuelles
proposées en classe, des pratiques des élèves, etc. Une telle prise en compte montre toute l’importance
d’une inscription écologique des situations d’enseignement.
172
Geneviève LESSARD et Gisèle LEMOYNE
directrice de la thèse à concevoir certaines situations d’enseignement, situations qui étaient ensuite
examinées avec l’enseignante et adaptées pour tenir compte des suggestions de l’enseignante. Dans la
construction de ces situations, nous avons d’abord procédé à un examen des situations proposées dans
le manuel utilisé dans la classe et effectué certaines adaptations pour un travail plus « pertinent » sur les
nombres rationnels. Nous avons aussi proposé des situations, certaines étaient puisées ou adaptées de
situations présentées dans des études didactiques et d’autres, construites à la suite d’une analyse des
conduites des élèves et des échanges avec l’enseignante.
Première situation
La première situation, « Dites-le avec des fleurs78 » (voir la figure ci-bas), a retenu l’attention de
l’enseignante lors d’un échange portant sur les activités proposées aux étudiants en formation des
maîtres et les raisonnements déployés par ceux-ci.
L’enseignante propose alors d’inviter ses élèves à
réaliser cette tâche et à noter leur raisonnement.
Nous procédons donc ainsi. Lors du cours suivant,
l’enseignante invite les élèves à présenter leurs
démarches et à interpréter celles des autres. Ce
travail fait, nous présentons aux élèves quelques
démarches d’étudiants universitaires, ce qui leur
permet de mieux apprécier leurs démarches.
78
Bélisle, J.-G. (1999). La résolution de problèmes dans ma classe. Suggestions pour une gestion efficace. Instantanés
Mathématiques, vol. XXXV, numéro 4, 5 – 13. Ce problème est inspiré d’une situation publiée dans la revue Math-École,
no. 156, 1993, p. 20.
173
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
Les raisonnements de quatre élèves sont présentés. Tous ces élèves réussissent à solutionner
correctement le problème.
Raisonnement de l’élève E1 : « J’ai comparé les prix, j’ai regardé en premier le A, quand je suis
arrivé au B, j’ai vu qu’il avait 50 sous celui-là. Vu qu’il y avait deux grosses fleurs jaunes, ça ne
pouvait pas être ceux-là qui a les 50 sous alors c’est une des deux petites, je suis allé au bouquet
C. Je me suis dit un de ces deux-là à 50 sous dans son prix à cause d’ici [Bouquet B], mais j’ai
remarqué qu’au A, la blanche était toute seule alors ça ne pouvait pas être elle. Alors je suis allé
par essais/erreurs en mettant toujours 50 sous à celle-là … pis quand...mettons, au début j’ai mis
2,50$ ici [Bouquet C] à mettons... pis là j’ajoutais l’argent qu’il fallait pour 17.»
Raisonnement de l’élève E9 : « Ben là, j’ai regardé le premier bouquet, j’ai fait ouin; le 2e ouin,
oui, l’autre ouin, pis là … Ici j’ai vu qu’il y avait deux pareils et qu’ils revenaient 2 fois. Après
j’ai fait 17,00$ divisé en 2 ça m’a donné 8,50$. Là, j’ai regardé le B, j’ai vu qui revenait … J’ai
fait 14,50 – 8,50$, ça m’a donné 6$ … pis là je l’ai divisé en 2 pour savoir le prix de celle-là ... 3
dollars. Pis là icitte y revient encore là, ça me donne 8,50$ + 3$ ça donné 11,50$... pis là j’ai fait
15,00$ -11,5$ ça donne 3.50$. Pis après, quand j’ai trouvé le prix de chacun, j’ai pu trouver le
prix en bas. »
Raisonnement de l’élève E16 : « On a regardé le numéro A et C, on a vu que la différence est de
2$ et la A et le B 50 sous. On a vu la seule chose qui différencie les 2, c’est les grosses fleurs
…Ici, y manque 1 petite fleur bleue et une grosse fleur, alors on s’est dit la petite était plus de 50
sous [l’élève veut dire que la grosse vaut 50 sous de plus que la bleue en en comparant A et B] et
la grosse moins de 2$ [l’élève veut dire la différence entre la grosse et la blanche est de 2$ en
comparant A et C]. Ben là on a commencé à utiliser des chiffres... On a fait des essais et
erreurs.»
Raisonnement de l’élève E3 : «Comme E3 on sait qu’entre le A et le B il y a une différence de 50
cents et qu’entre A et C… différence de 2$... Bon, moi j’ai donné des noms aux plantes, A, B, C
Alors on sait que Be = Ja + 0,50 ; Ba = Ja + 2$; alors là... on sait la différence entre la bleue
et la jaune et entre la blanche et la jaune, y faut trouver la différence entre la bleue et la blanche
... Tu fais 2$ - 0,50$ = 1,50$. Maintenant [en regardant C], on sait qu’il y a 2 blanches donc
1,50$ x 2 …. 3 $ de différence …17 + 3 = 20…. / 4 = 5, etc. »
Raisonnement d’un étudiant universitaire : « J’ai vu que le bouquet D est comme les bouquets A
et B mis ensemble sauf qu’il y a une fleur blanche et une fleur bleue de trop. Si je regarde le
bouquet C, je sais qu’une fleur bleue et une fleur blanche valent 8,50$. J’ai donc fait 15,00$ plus
14,50$ et ensuite j’ai soustrait 8,50$, ce qui m’a donné 21,00$ ».
Au terme de ces présentations, tous les élèves étaient ébahis par le nombre de démarches possibles qui,
pour la plupart, leur ont été accessibles. Ainsi, si l’on s’attarde plus particulièrement aux raisonnements
déployés par les élèves précédents, nous remarquons que plusieurs connaissances ont été mises en jeu,
menant à des niveaux fort variés de modélisation de la situation. En tenant compte d’un certain nombre
de relations entre les données liées aux divers bouquets de fleurs, certains ont eu recours à une méthode
d’essais/erreurs plus ou moins efficace. Par exemple, l’élève E1 s’est plutôt appuyé sur une valeur
hypothétique du prix des fleurs, en établissant des relations entre les prix des bouquets exprimés par
des nombres décimaux et le nombre de fleurs, tandis que l’élève E16 a considéré les relations79 entre
79
Certains élèves qui ont déployé un raisonnement similaire à celui de l’élève E3 ont rencontré des difficultés dues à
l’incomplétude du modèle des relations qui orientait leurs démarches. Ces élèves notaient uniquement les nombres, sans
indiquer le sens des relations entre ces nombres. Nous les avons donc amenés à compléter leurs représentations.
174
Geneviève LESSARD et Gisèle LEMOYNE
les prix des fleurs (bleu/jaune et blanche/jaune). En revanche, si à l’instar des élèves précédents, l’élève
E9 procède à l’examen des relations entre les prix de chacun des bouquets et la composition de ces
bouquets, il constate rapidement qu’il est possible de déterminer rapidement le prix total d’une fleur
bleue et d’une fleur blanche. En effet, puisque le nombre de fleurs bleues et blanches dans le bouquet C
est le double du nombre de fleurs bleues et blanches dans le bouquet B et que ce dernier bouquet
comporte un même nombre de fleurs que le bouquet C, il conclut alors, fort à propos, que le prix total
d’une fleur bleue et d’une fleur blanche est la moitié du prix du bouquet C, soit 8,50$. Et, puisque le
bouquet B comporte aussi deux fleurs jaunes, il lui est facile de calculer le prix d’une fleur jaune, en
effectuant les calculs suivants : 14,50 – 8,50 = 6; 6 ÷2 = 3; 3$ est donc le prix d’une fleur jaune. Il lui
est tout aussi facile de trouver le prix d’une fleur bleue et enfin, le prix du bouquet D. Le raisonnement
de cet élève, n’oublions pas qu’il s’agit d’un élève présentant des difficultés d’apprentissage, est
particulièrement « brillant ».
Le raisonnement de l’élève E3, comme le montre sa démarche, prend appui sur une coordination de
connaissances importantes, voire sur une articulation entre les raisonnements arithmétique et
algébrique. Cet élève a non seulement considéré les relations entre les fleurs bleues et jaunes, puis entre
les fleurs blanches et jaunes, mais a aussi déduit la relation entre les fleurs blanches et bleues. Ce qui le
mena à substituer le coût des fleurs bleues par celui des fleurs blanches dans le bouquet C. En
choisissant de présenter la démarche de cet élève, à la suite de l’examen des démarches précédentes,
plusieurs élèves ont pu alors comprendre le raisonnement de cet élève.
Comme nous l’avons évoqué antérieurement, nous avons choisi de présenter aux élèves la démarche
d’un étudiant universitaire, à la suite de l’analyse des démarches précédentes, ce qui a permis aux
élèves de donner sens au raisonnement de cet étudiant. Remarquons d’abord que cet étudiant, comme
l’a fait l’élève E9, trouve facilement qu’une fleur blanche et une fleur bleue valent 8,50$. Cet étudiant
effectue aussi un examen de l’ensemble des bouquets et du bouquet D, ce qui lui permet aisément de
trouver que le prix du bouquet D correspond à la somme des prix des bouquets A et B, à laquelle
toutefois il importe de déduire le prix d’une fleur bleue et d’une fleur blanche. La représentation de la
situation, chez cet étudiant et chez les étudiants universitaires, se distingue de celle des élèves, par
l’établissement de relations entre la composition du bouquet D et les compositions des différents
bouquets, relations faisant l’économie de la recherche du prix unitaire de chacune des fleurs. Il nous
semble qu’une telle représentation témoigne aussi « d’un regard algébrique » sur les relations, regard
différent de celui que nous avons retrouvé chez l’élève E3.
La comparaison entre les conduites des étudiants universitaires et des élèves en difficultés
d’apprentissage a fait émerger l’importance et la nécessité de prendre le temps de bien examiner les
relations entre les données de la situation, avant de s’engager dans des calculs. Cette situation et les
interactions en classe constituent « un point tournant » dans les rapports de plusieurs élèves aux
mathématiques. L’enseignante, les chercheures, et les élèves, ont également été impressionnées par les
raisonnements que les élèves ont pu mettre en place.
175
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
Deuxième situation
La deuxième situation portant sur la comparaison de fractions, situation que nous avons proposée,
répond à l’invitation de l’enseignante qui nous avait demandé d’assumer cet enseignement qui, selon
elle, était abordé différemment dans le nouveau manuel scolaire. Elle avait plutôt l’habitude de
privilégier le recours au dénominateur commun; elle souhaitait que les élèves construisent d’autres
stratégies. Les tâches que comporte cette situation ont été construites en prenant en considération ce qui
était prôné dans le manuel, mais en y apportant des modifications, à savoir: le recours à différentes
représentations des rationnels; le recours à la comparaison de nombres, par exemple 2/3 et 5/6, sans
faire intervenir les calculs usuels. Rappelons que, dans la tâche d’entrée proposée dans le manuel en
usage, les élèves étaient invités à ordonner différentes fractions, par exemple, 3/5, 3/9, 3/15....3/5, 4/5,
2/5, etc. Compte tenu des fractions proposées, cette tâche offrait peu d’occasions d’effectuer un travail
essentiel sur les différents sens de la fraction et sur les représentations des nombres rationnels.
Dans la première tâche que nous avons conçue, les élèves étaient invités à ordonner les nombres
rationnels suivants : 3/7; 5/9; 1/2 ; 255/510; 0,500001; 7/35; 171/340; 0,76; 3/8; 6/11; 7/8; 21%;
251/504; 8/9; ils devaient faire ce travail individuellement. Notre intention était de présenter à nouveau
cette tâche, au terme de l’enseignement sur les nombres rationnels, ce que nous n’avons pu faire, faute
de temps. La seconde tâche que nous avons conçue, à la suite d’une analyse des productions des élèves
à la tâche précédente, et qui a reçu l’approbation de l’enseignante, comportait diverses représentations
des fractions, obligeant les élèves à une analyse des rapports entre numérateurs et dénominateurs. Nous
avons jugé bon d’inclure également un nombre décimal. Dans cette tâche, les élèves étaient invités à
former des équipes et à placer en ordre croissant les nombres suivants: 5/12; 0,50001; 7/12; 141/240;
7/10; 2/3; 5/6. Il leur était également fortement conseillé de bien regarder les relations entre les
nombres pour trouver des façons « économiques » de comparer les nombres. Le tableau suivant fait
état des réponses de ces équipes. Nous commentons brièvement ces résultats.
plus
Équipes plus petit ----------------------------------------------------->
grand
0,50001
2/3 5/6
E11/E16 [5,0001/10 ; 5/12 7/12 141/240 7/10
[8/12] [10/12]
1/2 = 0,5]
2/3
E2/E10/E17 5/12 0,50001 7/12 141/240 7/10 5/6
[8/12]
E4 7/10 (70%) ; 0,50001 (50,1%); 5/6 (83%) – notez que les nombres ne sont pas ordonnés
E14/E8 7/10 7/12 5/12 5/6 2/3 141/240
0,50001 141/240 2/3
E1/E3 5/12 7/12 5/6 [10/12] 7/10
[5/10 …] [7/12…] [8/12]
7/12 141/240 2/3 7/10
E6/E9 5/12 5/6
[7,1/12] [8/12] [14/20]
2/3
0,50001 141/240
E5/E12 5/12 7/12 4/ 6 = 5/6 7/10 [14/20]
[5,0001/10] [7,1/12]
8/12
0,50001
E7/E15 2/3 5/6 5/12 7/10 7/12 141/240
(5/10)
176
Geneviève LESSARD et Gisèle LEMOYNE
Plusieurs élèves ont essayé en vain de trouver un dénominateur commun pour l’ensemble des fractions.
Certains ont ensuite remarqué que deux des fractions, soit 5/12 et 7/12, partageaient un même
dénominateur et, comme en fait état les données du tableau précédent, ont ensuite utilisé ce
dénominateur pour représenter les fractions 2/3, 5/6. Parmi eux, certains ont aussi utilisé ce
dénominateur pour représenter la fraction 141/240. Il s’agit de conduites fort pertinentes qui montrent
bien que, lorsque les situations le commandent, les élèves peuvent mettre à profit leurs connaissances et
trouver des façons originales de comparer des fractions. Il est aussi fort intéressant de noter que quatre
équipes ont su interpréter correctement le nombre 0,500001, même si une seule équipe (E3/E1), a pu
situer correctement ce nombre dans la liste ordonnée des nombres. Certains élèves ont aussi considéré
le rapport entre le numérateur et le dénominateur et comparé ce rapport à une demie : a) les élèves E3
et E17 ont ainsi rapidement conclu que 5/12 était un nombre inférieur à ½, puisque la moitié de 12 est
6; b) l’élève E11 a aussi conclu que 0,50001 est « juste un peu plus qu’une demie », bien que son
équipe ne soit pas parvenue à situer correctement ce nombre, inscrivant ce nombre avant 5/12; c) les
élèves E2 et E7 concluent correctement que 141/240 est un nombre supérieur à ½, l’élève E7 disant
alors : « t’as juste à regarder… C’est plus qu’une demie t’as 21 de plus ». Fait également intéressant,
dans la comparaison des fractions 7/10 et 7/12, les élèves E2, E10 et E17 font référence au sens partie-
tout de la fraction, disant alors : « dans une tarte, il y a des morceaux plus petit dans le 7/12… 7/12 plus
petits morceaux que le 7/10 ». Il nous semble enfin important de noter le fait que l’élève E4 a
représenté les fractions par des pourcentages, en recourant à la technique du « produit croisé »,
technique utilisée antérieurement dans la classe; par exemple, pour transformer 5/6 en pourcentage, il a
effectué les calculs suivants : 5 x 100 = 500 ; 500 ÷6 = 83%.
Les conduites précédentes montrent bien que, placés dans des conditions favorables, les élèves peuvent
prendre appui sur plusieurs connaissances pour élaborer des démarches « originales » et qui sont loin
d’être « triviales. » Au terme de cette situation, plusieurs élèves étaient étonnés de ce qu’ils étaient
parvenus à faire.
Troisième situation
La troisième situation, soit l’« Épaisseur d’une feuille de papier », est empruntée à Brousseau (N. et
G. Brousseau, 1987). Il s’agit d’une situation reconnue « exemplaire » par plusieurs communautés de
chercheurs en didactique des mathématiques. Cette situation répond à une requête de l’enseignante,
requête effectuée à la suite de la réalisation en classe de diverses activités impliquant les nombres
rationnels. L’enseignante souhaitait que soient traités les divers sens de la fraction et, plus
spécifiquement, les sens rapport et mesure. Nous rappelons brièvement les diverses phases que
comporte cette situation.
Des enveloppes contenant divers types de feuilles sont distribuées aux élèves de chacune des équipes
formées par l’enseignante. Les élèves doivent inventer un code permettant d’identifier les types de
feuilles que comporte chacune des enveloppes, en essayant de rendre compte de leur épaisseur, sachant
cependant que l’épaisseur d’une feuille est trop petite pour qu’on puisse la mesurer directement avec le
pied à coulisse dont ils disposent. Il leur est dit également qu’il est possible que certaines équipes aient
des enveloppes qui contiennent les mêmes types de feuilles et qu’ils auront par la suite à comparer
leurs réponses pour déterminer quelles sont les enveloppes qui contiennent les mêmes types de feuilles.
177
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
Pour réaliser la première tâche, les élèves adoptent généralement trois conduites, soit : 1) Choisir une
mesure et compter le nombre de feuilles; 2) Trouver l’épaisseur d’une feuille; 3) Choisir un nombre de
feuilles et mesurer son épaisseur. Pour montrer la richesse de cette situation et des connaissances mises
en œuvre par les élèves, nous examinons la réalisation de la seconde phase de cette situation, au cours
de laquelle les élèves doivent trouver les équipes ayant les mêmes types de feuilles. Pour ce faire, nous
avons présenté, au tableau, les mesures obtenues par les différentes équipes; ces mesures sont
reproduites dans le tableau suivant. Dans ce tableau, les nombres entre parenthèses représentent, selon
l’ordre chronologique, les types de feuilles jugés identiques par les élèves.
La présentation de ces résultats a généré des échanges fort pertinents, voire étonnants, en ce qui
concerne l’identification des mesures représentant le même type de papiers. À la question initiale
formulée par EC, à savoir : « Est-ce qu’on peut voir si certaines équipes avaient les mêmes papiers? »,
l’élève E16 déclare : « Il y a plein de centimètres qui se ressemblent mais aucune feuille qui peut être
reliée ». L’élève E3 réplique en disant qu’il faut regarder et il ajoute que « c’est 48 pis 44 de l’équipe 2
et 3 », ce que l’élève E1 conteste. L’élève E3 poursuit en disant « parce que le 1,1 et 4 de plus ».
L’élève E3 ajoute aussi : « les 0,1, pour 4 à 1 pour 44 ». Après quelques échanges suscités par EC qui
demande aux élèves de se prononcer, l’élève E11 dit : « nous on a 44 eux 48, 44 + 4 … 48 … C’est 4
feuilles de différence qui est égal à 0,1 cm… ». C’est alors que CH formule la question suivante :
« c’est combien de fois plus … de 4 à 44 ». « Et ici? » poursuit EC, en proposant de comparer 0,1 à 1.
La discussion se poursuit et plusieurs élèves sont convaincus qu’il s’agit bien des mêmes types de
feuilles. Il leur est demandé enfin de trouver un moyen pour mesurer l’épaisseur d’une seule feuille.
EC suggère alors de trouver une notation pour écrire « 1 cm pour 44 feuilles ». L’élève E12 dit alors
« 1/44 ». Il leur est ensuite demandé de trouver un nombre décimal qui corresponde à 1/44. Cette
demande suscite plusieurs interactions, interactions impliquant une coordination des sens rapport et
mesure de la fraction, ainsi que des relations entre les écritures fractionnaires et décimales. Certains
élèves parviennent à exprimer l’épaisseur d’une feuille de papier appartenant à divers types de feuilles,
ce qui constitue un pas important.
Les échanges qu’a occasionnés l’examen des autres mesures que comporte le tableau précédent sont
tout aussi riches et montrent une intégration de connaissances sur les nombres rationnels, intégration à
laquelle ont sûrement contribué l’ensemble des situations qui ont précédé cette situation.
178
Geneviève LESSARD et Gisèle LEMOYNE
CONCLUSION
Bien que l’analyse de cette recherche soit encore à l’état embryonnaire, nous avons pu remarquer un
changement de perspectives qui amène les élèves à regarder les relations entre les nombres, avant de
«se réfugier» dans des calculs «conventionnels», que l’on peut d’ailleurs mettre en parallèle avec les
propos de l’enseignant : «Ce qui est bien de tes activités, c’est que ça travaille le raisonnement pas le
calcul ». Cette expérience fort instructive nous porte à croire que l’on n’insistera jamais suffisamment
sur l’importance de considérer l’hétérogénéité didactique, qui réfère à l’appropriation du savoir et
caractérise la situation d’échec en termes de position de l’élève dans une tâche particulière (Sarrazy,
2002). La variété et la richesse des situations didactiques et des contrats qu’elles sollicitent sont plus à
même de rendre compte des variations individuelles que les seules caractéristiques psychogénétiques
de l’élève. Les élèves nous ont clairement démontré qu’ils peuvent s’extraire du rang « d’élève faible »
-étiquette générale stigmatisante-, pour occuper une position qui leur rend davantage justice. Encore
faut-il qu’ils en aient l’opportunité ! La complicité qui s’est construite s’est bien fait ressentir dans les
pratiques, parfois même, à l’insu de ses acteurs! Grâce à cette collaboration « didactique », les élèves
ont eu l’opportunité de mettre à l’épreuve leurs connaissances, de s’engager dans une démarche de
construction de connaissances et d’apprécier les effets de leur engagement cognitif.
Bibliographie
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Geneviève LESSARD et Gisèle LEMOYNE
181
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
182
Jean-François MAHEUX
Introduction
Mon parcours comme étudiant à la maîtrise débute autour de trois points d’ancrage. D’abord, ce qui
ressemble à un problème de recherche, formulé sous l’angle d’un intérêt pour l’expérience de la classe
de mathématiques que font les élèves du secondaire, guidé naturellement par celui de comprendre
comment en faire éventuellement une expérience plus positive pour eux. Ce premier point
s’accompagne pour moi d’une « piste à explorer » : le modèle de Wenger (1998) pour les communautés
de pratique. Ce modèle, développé dans le paradigme de la cognition située (Lave et Wenger, 1991), se
présente en effet comme un outil permettant de saisir les conditions selon lesquelles les participants
(tels les élèves) dans une communauté de pratique (qui pourrait être la classe de mathématiques)
construisent leur identité comme membres de cette communauté par la réalisation d’apprentissages leur
permettant de participer de manière centrale et légitime. En troisième lieu, se dégage un autre aspect
important du projet qui m’habite : le désir de faire de cette investigation une recherche dans le cadre de
la didactique des mathématiques, suggérant par là l’engagement dans une certaine démarche de
recherche (encore à découvrir).
Cette communication présente certains éléments de ce parcours qui m’ont menés, au terme du mémoire
déposé (Maheux, 2007), à développer une compréhension élargie de l’activité de recherche en
didactique des mathématiques, dans laquelle plusieurs « voix » se font entendre. Réalisée autour de
l’invention d’une situation pour l’apprentissage destinée au contexte régulier d’un enseignant du
secondaire, j’illustre enfin comment on peut reconnaître dans cet itinéraire la présence d’une
épistémologie transcendante allant de la construction de connaissance chez les élèves à la production de
savoir par le chercheur, en passant par le développement de compétences professionnelles chez les
enseignants. Ce regard particulier permettra éventuellement de soulever des questions fondamentales
en lien avec l’activité de recherche et la conception de projets futurs, dont, j’espère, pourra profiter
l’ensemble de la communauté éducative.
183
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
184
Jean-François MAHEUX
Le modèle de Wenger
Sans entrer ici dans les détails du modèle de Wenger pour les communautés de pratiques (Wenger,
1998 ; 2005), que l’on pourra apprécier dans le mémoire (Maheux, 2007) ou, plus succinctement, dans
une publication destinée aux enseignants (Maheux, 2006), un bref tour d’horizon s’impose.
Dans son ouvrage, Wenger nous propose une « théorie sociale de l’apprentissage » qui s’inscrit dans le
paradigme de la cognition située (Lave et Wenger, 1991). En considérant l’apprentissage du point de
vue d’une expérience de changement de la participation au sein d’un groupe, Wenger tente en quelque
sorte un rapprochement entre la dimension biographique et la dimension ethnographique du parcours
d’un individu. S’appuyant sur le concept de communauté de pratique (Lave et Wenger, 1991), défini
comme un groupe d’individus partageant certaines façons de faire, une entreprise commune et ce que
l’on peut reconnaître comme un engagement mutuel, Wenger articule le concept d’apprentissage et le
concept d’identité autour de celui de participation.
L’apprentissage, dans son approche, correspond donc à une transformation de l’identité comme
membre d’une communauté de pratique par un changement dans participation au sein du groupe. À
partir de cette perspective, Wenger développe alors un modèle en deux volets, que j’ai souhaité
explorer, dans le cadre du mémoire, en relation avec la classe de mathématiques du secondaire.
Wenger conceptualise la dimension identitaire autour de 3 modes d’appartenance à une communauté
de pratique : l’engagement, l’imagination et l’alignement. En quelques mots, il donne donc un sens au
processus de formation de l’identité et d’apprentissage autour de l’idée d’engagement, laquelle
correspond à un processus de négociation de sens et de mutualité; d’imagination, par laquelle des
représentations du monde et de sa propre activité sont créées; et d’alignement, qui conceptualise la
mobilisation des énergies et l’ajustement avec les entreprises auxquelles sa communauté de pratique
contribue. Pour la classe de mathématiques, cela peut vouloir dire de se pencher sur (1) les relations
que les élèves entretiennent tout en s’engageant dans une activité mathématique (engagement), (2) les
rapports aux mathématiques des élèves et à la manière dont ils font sens de leur expérience de la classe
de maths avec les autres dimensions de leur existence (imagination), et (3) la façon dont le savoir se
construit collectivement dans la classe, et s’adapte aux attentes curriculaires ou au savoir
mathématique, par exemple (alignement).
Wenger développe ensuite un modèle pour le « design pour l’apprentissage » qui propose 4 dimensions
dont le rôle est de soutenir l’appartenance à une communauté de pratique. Ces dimensions sont en fait
des dualités, l’enjeu consistant à faire part aux deux aspects qu’elles réunissent. Ainsi, le conçu et
l’émergent forment une dimension où, par exemple, la planification de l’activité mathématique et
l’adaptation à ce qui survient en classe se répondent. La participation et la réification en forment une
seconde, par laquelle l’exploration et la création trouvent autant leur place que le savoir codifié (une
forme de réification). Une troisième dimension identifiée par Wenger est celle du local et du global,
qui invite à concevoir l’activité de la classe pour elle-même et dans un contexte plus large. Enfin, la
dualité identification et négociabilité correspond aux formes de participations possibles, demandant que
des modèles, des attentes, soient proposés tout en ouvrant à d’autres manières de faire.
Dans son ensemble, le travail de Wenger se veut donc à la fois un cadre analytique et un appareillage
conceptuel pouvant s’appliquer à des questions de design en éducation, dans l’idée générale de former
des communautés de pratique plus « efficaces » et « satisfaisantes » pour ses membres : par exemple
les élèves d’une classe de mathématiques. En explorant ce cadre, un des aspects intéressants que j’y ai
découvert, en contraste avec les cadres que nous utilisons généralement en didactique, est son caractère
très « ouvert ». Wenger, en effet, ne cherche pas à produire des catégories « hermétiques » qui
circonscrivent parfaitement une « réalité », mais propose des points d’entrée sur un phénomène
185
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
complexe et changeant en fonction du contexte. Ces différents points de vue, qui peuvent alors se
recouper plus ou moins, mettent aussi en lumière des aspects différents, invitant à faire des liens, mais
où le « faire » l’emporte sur le « lien » : des liens qui seront toujours à faire, et à refaire…
Enseignants et élèves
Pour passionnant qu’il soit, le travail de Wenger, n’ayant pas été développé dans le cadre de
l’enseignement des mathématiques, se trouve par ailleurs à une certaine distance de la réalité du travail
des enseignants et des élèves en classe. En tant que développement théorique, son adaptation risquait
ainsi de me plonger dans une perspective « top-down » de construction de savoir d’un modèle avec
laquelle mon contact avec le domaine de la recherche en didactique, et en particulier à travers mes
échanges avec mes directrices de recherche, Nadine Bednarz et Caroline Lajoie, me laissait de plus en
plus mal à l’aise.
Le besoin de prendre en compte le rôle de l’enseignant et son savoir pratique ouvrait la porte à une
nouvelle dimension dans mon parcours. Les travaux menés autour de la culture de la classe (Seeger et
al., 1998) ou de la formation des maîtres (Bauersfeld, 1994), par exemple, montrent bien la nécessité de
prendre en compte la dialectique «activités – élèves – enseignant» pour comprendre comment et à
partir de quoi se construit la pratique d’une classe. Ainsi, les savoirs pratiques des enseignants dans
l’exercice de leur métier (dans le contexte « ordinaire » de la classe du secondaire), de même que les
éléments qui, à leur échelle, interviennent de façon déterminante dans la préparation et la réalisation
d’activités pour l’apprentissage, apparaissent mériter une attention particulière. Ces éléments sont
essentiels pour éclairer l’intérêt ou le potentiel d’un modèle comme celui de Wenger pour
l’enseignement, d’autant plus, dirais-je, que ce modèle conduit à s’intéresser à la fois aux relations qui
s’installent autour d’une certaine vie commune (penser à l’idée de contrat pédagogique, de métier
d’élève) et à un ensemble de façons de faire en classe de mathématiques (en lien, entre autres, avec la
mise en place d’une certaine pratique mathématique de la classe).
D’heureuse façon, la collaboration entre chercheurs et enseignants, qui gagne en popularité au sein du
monde de la recherche en didactique des mathématiques (Bednarz et al, 2001; Desgagné et al., 2001),
offre une alternative à cette approche prescriptive. Orientées vers une prise en compte du contexte de
pratique des enseignants dans la construction de connaissances liées à la pratique, ces méthodologies
(et tout particulièrement la recherche collaborative) ont un intérêt non seulement pour le rapprochement
entre la théorie et la pratique, mais pour une véritable synchronisation entre ces perspectives (Couture
et al., 2007).
Les recherches dont il est question ici sont menées dans un esprit de collaboration où chercheurs et
enseignants se réunissent pour travailler ensemble sur des problématiques communes (Desgagné et al.,
2001). Elles mettent à contribution des savoirs contextualisés des enseignants et rendent compte du fait
que l’on ne peut pas concevoir la théorie d’un point de vue purement prescriptif. Au contraire, on y
défend l’idée selon laquelle il est essentiel, pour comprendre l’apport d’une perspective théorique,
d’être attentif à ce qui est réellement mis en œuvre dans la pratique.
Gravemeijer (1998) aborde aussi cette question dans la présentation qu’il donne de l’approche de
recherche-développement (developmental research). Il explique comment la construction et
l’expérimentation d’activités pour la classe de mathématiques sont utilisées comme un moyen pour
élaborer et pour mettre à l’épreuve une théorie : « the development of instructional activities is used as
a mean to elaborate and test an instructional theory » (Gravenmeijer, 1998, p. 277). L’activité du
chercheur se porte alors sur le processus de construction et sur les situations elles-mêmes. Du côté de la
recherche collaborative, on remarque aussi qu’une démarche qui s’intéresse au processus qui prend
186
Jean-François MAHEUX
place entre chercheurs et enseignants fait « ressortir l’intérêt de la prise en considération de […]
multiples angles d’attaque dans la structuration de situations d’enseignement des mathématiques »
(Bednarz et al., 2001, p. 206).
Trois mondes
De cet ensemble, émerge progressivement ce qui allait devenir, au terme de mon analyse, un élément
clé pour comprendre la façon dont allait se réaliser la recherche en cours. Cet élément serait la
présence, au cœur de cette entreprise, de trois mondes d’influence : celui du chercheur, celui de
l’enseignant et celui des élèves.
Ainsi, pour le chercheur, la prise en compte de « savoir existant » et la création de nouveaux savoirs
apparaissent comme des facteurs de première importance. Ce serait en particulier le cas dans mon
projet d’adapter une théorie développée à l’extérieur de la didactique des mathématiques au contexte
ordinaire de la classe. Ce projet, côté chercheur toujours, s’accompagne du besoin d’adopter une
certaine démarche de recherche associée (en relation avec ma position comme étudiant gradué) à une
expérience de formation à la recherche dans laquelle j’allais moi-même apprendre beaucoup.
Du côté des enseignants, le besoin d’inscrire la démarche à l’intérieur de sa réalité prendrait la forme
de préoccupation au niveau du programme de formation, de la planification des séances en classe, de
l’ancrage dans le contexte particulier d’une école, d’un groupe d’élèves dont il faudrait tenir compte. Il
serait aussi important de composer avec une certaine vision de l’enseignement et des mathématiques
qui ne correspondraient pas nécessairement à celle du chercheur, de savoir tirer parti d’un savoir
d’expérience, tout en faisant de la recherche un tremplin pour stimuler et soutenir un certain
développement professionnel.
La même richesse d’enjeux, et donc de sources d’influence, se retrouve dans le monde des élèves. On
pense au premier chef, évidemment, à l’importance de faire de la recherche une expérience de
formation signifiante, y compris en termes d’apprentissages mathématiques. Suivant une approche
didactique, il devient alors essentiel de tenir compte et de s’appuyer sur leurs connaissances en
mathématiques et leurs difficultés, par exemple. Et l’on voudrait également tenir compte de leur rapport
aux mathématiques et à la classe, pour les comprendre et, éventuellement, les transformer. S’ajoute
donc naturellement la nécessité, une fois encore, de s’ancrer dans un contexte, une réalité, et de tenir
compte des spécificités des élèves avec lesquelles la recherche sera effectivement conduite.
La présence de ces trois mondes, en relation avec ce que je découvrais comme mes responsabilités
premières en tant que chercheur en didactiques des mathématiques, enrichissait ainsi ma
compréhension du projet dans lequel j’étais engagé. Cette réflexion me menant à considérer l’entreprise
de recherche (en didactique, mais aussi de manière beaucoup plus générale) comme conduite avec, sur,
pour et par tout à la fois les chercheurs, les enseignants et les élèves concernés.
Je dis « avec » dans la mesure où la recherche se présente alors comme un lieu de rencontre de ces trois
mondes, où les contributions proviennent de divers points de vue, tous participants, bien que de façon
différente, à la recherche. En disant « sur » je souligne par ailleurs qu’il s’agira de porter un certain
regard sur ces trois mondes, sur l’apprentissage des élèves, les façons de faire des enseignants, et aussi
la démarche de recherche elle-même! L’enjeu fondamental correspondant à apporter une contribution à
la communauté éducative se trouve reconnu dans le « pour », et concerne à la fois le présent et le futur,
qu’il s’agisse de construire de nouveaux savoirs pour la didactique des mathématiques, d’encourager le
développement de nouvelles façons de faire pour des enseignants, ou de conduire apprentissages pour
les élèves, par exemple. Enfin, et de manière sans doute un peu surprenante, le « par » correspond
187
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
quant à lui à l’idée que le regard, les contributions de chacun ne servent pas seulement de décors ou de
matériau, mais le processus même de la recherche, en tant qu’expérience de formation et de
construction de savoir, en relation avec des rationalités théoriques, pratiques, et expérientielles, à
travers des appréciations des problèmes, de l’entreprise, du produit de la recherche…
Trop vaste entreprise pour faire l’objet d’un mémoire, je me penchai donc sur les deux premiers
aspects, que je mis en pratique par :
• Une analyse et une interprétation du modèle de Wenger en relation avec la classe de
mathématiques
• Une identification de situations pour la recherche
• Un travail collaboratif avec une enseignante
• Une expérimentation en classe avec des élèves
• Une observation en classe et des entrevues avec les élèves
Ce processus pouvait ainsi s’inscrire dans une certaine tradition de recherche. Proche des travaux en
ethnologie de l’éducation (e.g. Woods, 1990), on y retrouve l’idée de faire entendre différentes voix,
tout en se plaçant dans un contexte réel, dont on cherchera à rendre compte. Suivant une approche
188
Jean-François MAHEUX
qualitative/interprétative (Savoie-Zajc, 2002), l’objectif dans un premier temps serait de dégager des
pistes pour la recherche. Une analyse de théorisation ancrée (Glasser et Strauss, 1967; Strauss et
Corbin, 1990) pourrait permettre de faire émerger un modèle de ce qui serait observé, le tout étant
inscrit dans une démarche de recherche collaborative (e.g. Bednarz et al., 2001) visant à mettre à profit
le savoir d’expérience des enseignants. Éventuellement, s’inspirer de la méthodologie développée dans
le cadre des Learners’ perspective studies (e.g. Clarke, 2002), mettant les élèves à contribution dans
l’interprétation de leurs expériences en classe, inviterait même à les considérer comme des « co-
chercheurs ». Formant un tout cohérent, ces éléments me permirent effectivement de mener le projet à
terme, faisant en particulier le suivi de l’invention d’une situation depuis la première idée jusqu’à sa
réalisation dans une classe, en passant par un travail collaboratif d’élaboration avec une enseignante.
189
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
On y voit ainsi que les intentions correspondent à ce qui motive, ce qui paraît important et significatif
dans la démarche tandis que les rationnels sous-jacents constituent ce qui guide l’action. Les manières
de faire en sont alors une forme d’expression, inscrite néanmoins dans des pratiques qui se développent
au-delà du projet lui-même, dans lesquelles on pourrait reconnaître certains attributs des « métiers » de
chercheur, d’enseignant et d’élèves. Les contraintes viendront généralement d’un cadre qui se situe au-
delà de son activité immédiate, comme c’est le cas chez le chercheur qui, pour s’inscrire dans son
univers de recherche en didactique doit assurer une place à son objectif de recherche lors du travail de
collaboration, ou du côté des élèves, par exemple, lesquels sont amenés à fonctionner à l’intérieur des
règles définies par l’enseignante et par l’école. Les rôles déterminent le partage des tâches, les
contributions directes de chacun des modes d’influence par les acteurs qui les représentent tandis que
les ressources constituent ce qui permet, tant au plan matériel, conceptuel, qu’humain, de soutenir
l’ensemble et permettre à chacun d’arriver à bon port.
Dans ma recherche, je me trouve ainsi engagé dans une production de connaissances contextualisées
dans ma propre expérience de formation, mon devenir de chercheur en didactique des mathématiques,
et dans les relations que je crée avec d’autres : une enseignante, ses élèves, mes directrices de
recherches, le groupe du SÉDiM, formé d’étudiants gradués, avec qui j’ai plusieurs fois partagé ma
démarche, etc. Ces connaissances sont construites à même mon expérience et en coordination avec
d’autres « voix » : celle en particulier d’une enseignante qui fait entendre son propre rationnel, sa
propre expérience, ses idées, ses contraintes, et qui construit également, à travers son implication dans
la recherche et dans sa pratique, des savoir-enseigner nouveaux, ou enrichis. Et je dirai la même chose
des élèves, qui ont leurs propres besoins, leurs propres attentes, et leur propre imagination également ;
des élèves qui construisent en contexte font sens de leur expérience. Et ce faisant, ils nous informent
également (chercheur(s), enseignant(s)) en même temps qu’ils apprennent, en même temps qu’ils
deviennent, par leur participation dans la recherche, dans l’enseignement, dans leur propre
apprentissage. En anglais, le "présent continu" permet cette formulation fabuleuse de l’être, du faire et
du savoir : « all knowing is doing is being » (Davis et al. 1996).
J’ai voulu, pour traduire cette transcendance, articuler recherche, enseignement et apprentissage, de
manière à faire entendre ces multiples voix, leur trouver des points de convergence ou de tension selon
qu’elles s’accordent ou discordent (Bertolini Bussi, 1998) dans cette vaste entreprise où nous sommes
tous engagés : une entreprise dédiée à faire de l’enseignement et de l’apprentissage des mathématiques
des expériences signifiantes et significatives, positives et réussies. Il me semble fondamental, pour nos
recherches futures, non seulement de reconnaître l’importance d’une telle épistémologie (où, de la
même manière que les élèves construisent socialement leurs connaissances en mathématiques,
chercheurs et enseignants construisent des connaissances et des savoir-faire), mais de la valoriser et
190
Jean-François MAHEUX
mieux encore : de s’en servir. Comment, dans la conception de prochain projets, dans le travail au jour
le jour, dans les interactions directes que nous avons, comme chercheurs, avec les élèves et les
enseignants (de même que les autres acteurs impliqués), comment allons-nous nous appuyer sur de
telles observations pour aller de l’avant? Voilà une vaste question qui, je crois, ouvre à de riches
perspectives pour la recherche en didactique des mathématiques au Québec. Et un regard sur sa genèse,
me semble-t-il, pourrait nous apporter de nombreux éléments à partir desquels, tous ensemble, nous
pourrons cheminer dans cette voie.
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192
La recherche sur les enseignants du secondaire en mathématiques : Un phénomène
beaucoup plus complexe qu’on ne le pense
Jérôme Proulx80
Université d’Ottawa
RÉSUMÉ
Un aperçu des deux courants majeurs de recherche sur la formation des enseignants est donné pour
permettre de bien situer la présente recherche, en marge des deux. Un travail de formation continue a
été entrepris avec des enseignants du secondaire, possédant des connaissances mathématiques
fortement techniques et procédurales, dans le but d’approfondir leurs connaissances des concepts
mathématiques scolaires en construisant sur ce qu’ils connaissent. Les retombées de la formation
mettent en évidence (1) un développement important de connaissances mathématiques chez les
enseignants, développement qui leur a offert des possibilités mathématiques et pédagogiques nouvelles
et (2) plusieurs aspects forts intéressants à considérer lors de la formation des enseignants du
secondaire. La recherche, par ses résultats et son approche, met aussi en valeur l’importance du travail
en profondeur des concepts mathématiques (scolaires) chez les enseignants en contexte de formation
(initiale et continue).
La recherche actuelle sur les enseignants du secondaire est d’une certaine façon séparée en deux clans
difficilement conciliables. D’un côté, on retrouve une littérature étiquetée « déficitaire », qui fait état de
recherches portant sur les difficultés mathématiques des enseignants du secondaire, sur leurs
(mauvaises) croyances, sur leurs (mauvaises) pratiques, etc. De façon assez équivoque, cette recherche
s’attarde à montrer les difficultés qu’éprouvent les enseignants et réclame d’importants changements
chez ces derniers, et ce, sur plusieurs points de vue. De l’autre côté du spectre, on retrouve une
littérature qui se dit « positive » et qui critique le côté négatif des recherches précédentes81. Ce courant
parle davantage de s’adapter aux besoins des enseignants et de « partir » d’où ils sont et de ce qu’ils
savent. Elle s’intéresse aussi à faire ressortir les « bons coups » des enseignants plutôt que de s’attarder
à leurs difficultés. La situation « vécue » de l’enseignant est placée au cœur du processus de recherche
et de formation.
Malgré le résumé un peu caricatural qui vient d’être tracé82, il apparaît assez clair que ces deux types de
littératures et recherches sont assez éloignés l’une de l’autre et sont ainsi difficilement conciliables.
Toutefois, entre ces deux perspectives, il existe quelques autres positions qui ne se réclament pas
d’aucun courant spécifique et qui, il m’apparaît, offrent un portrait de la situation qui est davantage
nuancé et prometteur. Une première de ces perspectives apparaît chez Blouin (2000), une formatrice
d’enseignants à l’élémentaire constamment confrontée au phénomène récurrent de la baisse des
80
Ce texte est tiré de ma recherche doctorale qui a été subventionnée par le Conseil de recherches en science humaine du
Canada (CRSH) et le Fonds québécois de recherche sur la société et la culture (FQRSC).
81
Il est à noter que c’est le courant « positif » qui a donné l’étiquette « déficitaire » à l’autre groupe de recherche (par
exemple, voir Davis & Simmt, 2006).
82
Toutefois, on peut se demander si d’une certaine façon un résumé n’est pas toujours une caricature ?
193
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
connaissances mathématiques des enseignants du primaire83. Blouin nous explique qu’il est très
légitime de partir de la situation des enseignants pour leur fournir une formation plus adaptée en lien
avec ce qu’ils « sont » et avec leurs attentes. Toutefois, elle explique aussi que nous devons nous
rappeler que, en tant que formateurs, nous avons aussi notre contexte, c’est-à-dire nos propres attentes
et intentions (vis-à-vis ces enseignants) envers lesquelles nous voulons agir. Pour Blouin, cette
perspective nuance beaucoup la situation de formation (et par le fait même le continuum préalablement
tracé). Un autre chercheur apportant une couleur particulière à une situation similaire est Brousseau
(1988). Ce dernier, de façon implicite, nous signale le piège offert par le continuum soulevé
précédemment en expliquant qu’il est possible de reconnaître une situation, un phénomène, sans
nécessairement tomber dans le jeu du blâme. La citation suivante traduit bien les pensées de
Brousseau :
« Je ne suis jamais critique envers l’enseignement tel qu’il se pratique. Si vous voyez 200 000
profs faire la même chose et que ça vous paraisse idiot, c’est pas parce qu’il y a 200 000 idiots.
C’est parce qu’il y a un phénomène qui commande la même réaction chez tous ces gens. Et
c’est ce phénomène qu’il faut comprendre. […] On l’optimisera pas avec de l’idéologie, ni avec
des leçons de morale vers les maîtres. »
Dans ces deux perspectives (qui m’apparaissent) « plus nuancées », on perçoit une certaine
reconnaissance d’une situation sur laquelle on ne ferme pas les yeux, mais avec laquelle on s’intéresse
à travailler – tout en ne portant pas de jugement ou de blâme inutile envers quiconque. Cette
perspective « mitoyenne » m’apparaît utile pour faire davantage de sens du contexte dans lequel la
présente recherche se situe.
LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE
83
Ce phénomène est soulevé à plusieurs reprises dans le recueil collectif à l’intérieur duquel le texte de Blouin est paru
(Blouin et Gattuso, 2000).
84
Ceci semble important puisque plusieurs recherches sur les enseignants du primaire font ressortir la relation
problématique, au niveau académique et émotionnel, envers les mathématiques que ces enseignants vivent (voir, entre
autres, Héraud, 2000).
194
compréhension relationnelle se décrit comme la connaissance du comment faire et de la rationalité
sous-jacente à l’action (le « pourquoi »), alors que la compréhension instrumentale est uniquement la
possibilité de connaître comment faire, sans savoir pourquoi et le tout fonctionne. Par exemple, dans le
cas d’un algorithme mathématique, une compréhension relationnelle représente la connaissance du
« comment » utiliser l’algorithme ainsi que du pourquoi il fonctionne, alors qu’une compréhension
instrumentale se résume à uniquement savoir comment l’utiliser, étape par étape.
En résumé, les enseignants avaient une attitude très positive envers les mathématiques et de très bonnes
connaissances (les connaissances mathématiques procédurales sont très importantes en
mathématiques). Toutefois, il est possible d’affirmer que leurs connaissances mathématiques étaient
quand même « limitées », la présence des raisonnements et significations sous-jacentes étant peu
présente.
Il va sans dire que toute cette situation avait des répercussions importantes sur leurs pratiques de classe,
qui étaient fortement axées sur l’apprentissage des faits et des procédures mathématiques. Et, les
enseignants étaient très conscients de la « limite » de leurs connaissances mathématiques et de l’impact
de ces dernières sur leurs pratiques de classe. (En fait, cette situation représentait pour eux une des
raisons principales de participer à la recherche et au programme de formation continue.) Ces
enseignants expliquaient qu’ils avaient eu peu sinon aucune occasion de raisonner les mathématiques
dans leur carrière scolaire et ceci leur était manquant – surtout face aux demandes du curriculum qui
leur demande de travailler plus en profondeur les concepts et les raisonnements85. Voici quelques
exemples de commentaires que les enseignants ont fait ressortir pour expliquer la nature de leurs
connaissances mathématiques et l’influence de ces dernières sur leurs pratiques :
Mon enseignant me disait: « tu fais ça, ça, ça, ça, ça et tu obtiens la réponse ». Et bien, j’arrivais toujours à la
réponse, j’obtenais une très bonne note et tout allait très bien. (Danielle)
Quand mes élèves me demandent pourquoi, je leur dis simplement que c’est comme ça (rires)! (Lana)
Vous savez pourquoi on n’est pas capable de résoudre par raisonnement ? C’est parce que nous n’avons pas
été enseignés à raisonner en mathématiques. Moi, j’ai fait copier-coller, répète et “let’s go!” … et j’ai eu 95%
en mathématiques! (Carole)
On observe ainsi que les connaissances mathématiques de ces enseignants jouent un rôle important et
les contraignent à enseigner les mathématiques différemment de l’enseignement qu’ils ont reçu. Ces
enseignants semblent ainsi pris à l’intérieur d’un cycle (cycle qu’ils perpétuent eux-mêmes chez leurs
élèves) : s’étant fait enseigner les mathématiques comme un ensemble de faits et de
procédures/techniques, ils ré-enseignent les mathématiques de cette façon par la suite. Après un certain
temps, ce cycle se fortifie et en vient même à transformer les mathématiques elles-mêmes, qui ne sont
plus uniquement enseignées comme un ensemble de faits et de techniques mais deviennent cet
ensemble de faits et de techniques pour les enseignants et les élèves (voir Figure 1).
85
Post et al. (1991) et Russell (2000) font ressortir le fait que souvent on demande aux enseignants d’enseigner des concepts
et raisonnements mathématiques avec lesquels ils ne sont pas toujours familiers…
195
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
Toute cette situation a grandement influencé la mise en place et la nature du programme de formation
continue pour ces enseignants. Une des premières recommandations qui vient en tête est de faire faire
plus de mathématiques aux enseignants afin d’intervenir et peut-être même de briser ce cycle de
reproduction. Toutefois, ceci paraît trop simpliste et on peut se demander, comme le font Cooney et
Wiegel (2003), « De quelles mathématiques parle-t-on ici ? »
Le cycle au début …
Les mathématiques sont apprises comme Les mathématiques sont enseignées comme
un ensemble de faits et de techniques un ensemble de faits et de techniques
Les mathématiques
Les mathématiques sont apprises comme deviennent CET Les mathématiques sont enseignées comme
un ensemble de faits et de techniques ensemble de faits un ensemble de faits et de techniques
et de techniques
196
Un aspect que les recherches ont démontré est que le travail des mathématiques universitaires n’est
probablement pas la meilleure option à adopter dans ce cas. En effet, comme le montre les recherches
et écrits de Ball et al. (2001), Gattuso (2000) et Thompson et Thompson (1994, 1996), le travail et
l’étude des mathématiques avancées a souvent un effet très pervers chez les enseignants du secondaire,
puisque le côté très avancé et formel des mathématiques universitaires a comme répercussion de
consolider et d’endurcir le (travail du) côté abstrait, technique et formel des mathématiques chez ces
enseignants. C’est en effet la nature et la force même des mathématiques universitaires de pouvoir
rendre les raisonnements mathématiques « compacts » et « comprimés » pour qu’ils soient plus
efficaces, maniables et utilisables (Adler et Davis, 2006; Ball et Bass, 2003; Bass, 2005; Moreira et
David, 2005). Et, comme ces chercheurs l’expliquent, c’est en effet l’habileté contraire qu’il faut
maîtriser pour enseigner les mathématiques de façon efficace. Afin de favoriser les raisonnements des
élèves, l’enseignant doit être en mesure de décortiquer les concepts mathématiques (les
« décompacter ») pour en faire ressortir le sens, les relations, les nuances et les subtilités cachées sous
leur structure compacte. Ce concept rejoint l’idée de Skemp (1978) exprimée plus haut au niveau de la
compréhension relationnelle des concepts mathématiques, c’est-à-dire la connaissance du sens sous-
jacent aux concepts utilisés.
Il est alors davantage question du travail des mathématiques scolaires en profondeur (contrairement au
travail des mathématiques universitaires), et c’est sur cet aspect que la formation (et la recherche) s’est
penchée.
En considérant la richesse des connaissances mathématiques des enseignants du secondaire participant
au projet et leur intérêt/enthousiasme marqué envers les mathématiques, le programme de formation
continue s’est intéressé à s’appuyer et construire sur les connaissances des enseignants et leurs
intérêts86. De façon simplifiée, la formation s’intéressait à faire travailler les concepts des
mathématiques scolaires aux enseignants, à offrir aux enseignants des occasions d’explorer les
mathématiques scolaires de façon plus approfondie et sous un angle autre que celui uniquement centré
sur les procédures mathématiques. Ainsi, le programme n’était pas centré sur les pratiques
d’enseignement, mais sur les concepts mathématiques scolaires, à enseigner.
Par contrainte d’espace, il est difficile de fournir des exemples détaillés de ce qui a été travaillé durant
les sessions de formation. Toutefois, une illustration assez représentative des orientations empruntées et
du type de travail réalisé durant les sessions sont en lien avec les travaux, très connus au Québec, de
Claude Janvier (1994a, 1994b) dans lesquels le volume des solides est travaillé sous un aspect
davantage géométrique que mécanique ou procédural (par exemple, les prismes sont travaillés en tant
qu’une accumulation de couches d’aire et en lien avec le principe de Cavalieri). D’autres exemples de
concepts explorés furent les fractions où les enseignants, à l’aide de matériel didactique, ont tenté de
faire du sens des opérations sur les fractions et autres concepts (dénominateur commun, simplification
de fractions, référence au tout, etc.) ; la géométrie analytique, où un travail a été fait sur le sens associé
aux formules usuelles et une analyse de l’émergence historique de la géométrie analytique en discutant
des travaux de Descartes ; la résolution de problèmes en mots et la mathématisation des énoncés sous
forme algébrique, et bien d’autres.
86
Cette approche se distingue de façon importante de la perspective de faire « réapprendre » les connaissances aux
enseignants (de l’anglais unlearn, Ball, 1988) et s’intéresse à offrir des occasions d’apprentissage en mathématiques.
197
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
Le développement de connaissances
L’analyse des vidéos de sessions de formation démontre que le travail des mathématiques scolaires a
permis aux enseignants de vivre des expériences mathématiques fort enrichissantes et très différentes
de ce qu’ils avaient vécu comme élève (et comme enseignants). Tout au long de la recherche, lors des
sessions de formations, mais aussi lors d’entretiens individuels avec les enseignants, un commentaire
qui ressortait fréquemment était : « Wow ! Je n’avais jamais vu cela comme ça ! ». Ceci, il va sans dire,
alimentait fortement leur enthousiasme face aux sessions et face aux mathématiques travaillées. Une
motivation intrinsèque était palpable envers les différents concepts mathématiques à traiter dans le but
d’en connaître et comprendre davantage.
87
Les lecteurs non-familiers avec les travaux de Janvier sont fortement invités à les consulter, particulièrement la vidéo,
pour des raisons qui paraîtront évidentes sous plusieurs aspects lors de son écoute. Ces travaux sont d’une qualité et d’une
ingéniosité exceptionnelles.
88
Pour en savoir davantage, j’invite le lecteur à consulter ma thèse doctorale (Proulx, 2007a).
198
L’émergence de discussions sur l’enseignement
En plus de questionner la présence et l’importance des formules et procédures diverses en
mathématiques, le travail approfondi des concepts mathématiques scolaires a fait ressortir de
nombreuses discussions pédagogiques chez les enseignants. Les nouvelles façons de raisonner les
concepts mathématiques ont fait réfléchir les enseignants sur leurs pratiques et sur les mathématiques
qu’ils enseignaient dans leurs classes. L’apprentissage de nouveaux concepts a fait émerger de
nouvelles façons de pouvoir les enseigner ; les nouveaux raisonnements mathématiques déclenchaient
des réflexions concernant des façons (novatrices) d’aborder les concepts mathématiques en classe.
Encore une fois, pour ces enseignants, leur compréhension mathématique semblait avoir un impact
direct sur leurs façons de concevoir leur enseignement de ces mêmes mathématiques. Ainsi, en leur
offrant l’occasion d’approfondir les concepts mathématiques scolaires, cela leur a offert des nouvelles
possibilités mathématiques « qu’ils n’avaient tout simplement pas avant », et ces possibilités
mathématiques ouvraient, en retour, des nouvelles possibilités d’enseignement.
La formation a ainsi eu un impact important sur les enseignants au niveau mathématique et
pédagogique. Toutefois, l’étendue que ce développement de connaissances a pu avoir sur leurs
pratiques est difficile à saisir, puisque la recherche ne s'est pas intéressée à leurs pratiques de classe et
comment elles avaient pu bouger. Pour le moment, ce sont les explications que les enseignants ont
données sur la façon avec laquelle cela les amenait à concevoir leurs pratiques différemment qui nous
sont accessibles. Des recherches subséquentes s’intéresseront à suivre les enseignants au niveau de
leurs classes et de leurs pratiques.
La recherche a aussi permis de mettre en évidence certains aspects fort intéressants concernant les
enseignants, en lien avec leurs façons de faire les mathématiques et d’en faire du sens. Il apparaît fort
enrichissant au niveau de la recherche et de la formation, de les faire ressortir. Ces aspects, se situant
davantage à un niveau observatoire, offrent un éventail fort incomplet toutefois de certains enjeux
importants à considérer lors du travail à la formation des enseignants du secondaire possédant des
connaissances mathématiques fortement procédurales. Il est souhaitable que ce compte rendu puisse
éclairer, informer et orienter certaines pratiques futures de formation.
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Figure 2: Problème sur l’aire du carré (inspiré de Jamski, 1978)
Figure 2: Problème sur l’aire du carré (inspiré de Jamski, 1978)
Évidemment, comme un des aspects centraux de la formation offerte était de travailler sur autre chose
que le travail unique des procédures, les premiers essais se soldaient fréquemment par un échec. Ceci
avait un côté intéressant puisque les enseignants étaient alors amenés d’eux-mêmes à tenter quelque
chose d’autre et à fouiller pour trouver d’autres avenues possibles – souvent ils clamaient haut et fort
que c’était encore une fois leur orientation technique qui les avait dirigés89. Ainsi, cette « orientation »
n’a pas nécessairement à être vue de façon négative, mais apparaît toutefois intéressante pour mieux
comprendre la façon avec laquelle les enseignants se sont investis dans les problèmes proposés.
Recherche de techniques
Les enseignants, à plusieurs reprises, ont manifesté le besoin de trouver, connaître ou découvrir une
technique spécifique pour faire du sens de certaines notions mathématiques qui étaient travaillées. Par
exemple, lors d’une session consacrée au travail de création d’équations algébriques pour représenter
un problème en mots, les enseignants ont continuellement, durant toute la session, tenté de trouver une
technique « ultime » qu’ils pourraient donner à leurs élèves pour pouvoir créer une équation par rapport
aux problèmes en mots. Cette technique, pour eux, permettrait à leurs élèves d’éviter de commettre des
erreurs – les enseignants avaient en effet souligné le fait que leurs élèves éprouvaient d’énormes
difficultés avec la création d’équations algébriques à partir d’un problème en mots et espéraient ainsi
enrayer ces difficultés avec la découverte d’une technique universelle. Ainsi, plusieurs
tentatives/options ont été proposées : offrir d’autres lettres que x et y car ces dernières sont difficiles
pour les élèves, souligner les mots clés dans le problème, créer une étape intermédiaire où les élèves
auraient à écrire ce que chacune des inconnues représente, écrire les relations dans un tableau, etc. Ces
façons de faire ont toutes, d’un certain point de vue, des aspects intéressants, mais les enseignants se
sont rendus compte que la « mathématisation » des énoncés demandait un raisonnement mathématique
important qui ne pouvait se traduire par une simple technique à appliquer. Ainsi, les enseignants ont
89
Il était en effet très intéressant de constater que les enseignants étaient eux-mêmes très au courant de leur « tendance » ou
orientation envers les techniques en mathématiques. Ceci simplifiait, comme on peut l’imaginer, plusieurs interventions de
ma part comme formateur.
200
poursuivi leurs réflexions concernant le fait que pas tout en mathématiques peut se décrire et se réduire
à une technique quelconque. Toutefois, ils éprouvaient fréquemment une forte envie pour trouver ces
types de techniques en mathématiques (on voit ici un effet important du cycle de reproduction sur eux).
90
Je discute ailleurs, de façon plus détaillée, le phénomène présent chez certains enseignants à voir et à placer les
procédures comme but ultime de l’enseignement des mathématiques (voir Proulx, 2008).
91
Le lecteur peut obtenir plus de détails sur cette situation et le travail fait avec les enseignants dans Proulx (2007b).
201
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
formules. En effet, la lecture des concepts ou du programme est influencée par leur orientation
technique. Comme le dit Bauersfeld (1977), même si le curriculum change, ces enseignants ont
développé un œil technique pour lire le curriculum et donc les concepts du curriculum seront lus
comme une demande pour le travail des techniques. En prenant encore l’exemple du volume ou de la
géométrie analytique, lorsque les enseignants lisaient « volume du prisme » ou « travail de la distance
entre deux point », ils voyaient le besoin de travailler et d’enseigner les formules associées à ces
concepts. La même chose se produit concernant le travail des opérations sur les fractions, qui est « lu »
comme une requête pour le travail des algorithmes.
Ainsi, les cinq aspects soulignés offrent des informations intéressantes concernant le travail des
enseignants et permettent de jeter la lumière sur et de mieux comprendre les enseignants eux-mêmes
dans le processus de formation. Par-dessus tout, cette étude permet d’éloigner l’idée mythique que les
enseignants apprendront et élargiront directement leurs connaissances des suites d’une étude
approfondie des mathématiques. Il y a tout un processus à long terme et de longue haleine à l’intérieur
duquel les enseignants doivent être plongés. Ceci m’amène aux remarques finales.
202
REMARQUES FINALES
Ce texte rend compte d’une situation très riche mais tout de même complexe pour laquelle plusieurs
aspects doivent être considérés. En effet, tout un solide réseau d’influence s’opère en même temps chez
les enseignants, partant d’un intérêt pour faire des mathématiques et allant vers une orientation
spécifique dans la façon de faire ces mêmes mathématiques (de façon technique et par l’application de
procédures mathématiques diverses).
Néanmoins, un aspect fortement mis de l’avant dans ces données est le rôle que les connaissances
mathématiques (des mathématiques scolaires) semblent jouer dans cette problématique. La
compréhension des concepts mathématiques scolaires par les enseignants oriente de façon importante
leur façon de faire des mathématiques, de les comprendre, d’en apprendre de nouvelles, mais surtout de
les enseigner. Loin de moi l’idée de tomber dans le piège de « cause à effet » ; il apparaît toutefois
évident que la « limite » soulevée de leurs connaissances mathématiques agit de façon contraignante –
comme l’ont mentionné ces enseignants – sur leurs « possibilités » d’enseignement des concepts eux-
mêmes. Tel qu’indiqué par le truisme : « on ne peut enseigner ce qu’on ne connaît pas ». Cette situation
fait ressortir l’importance et l’intérêt au niveau de la formation des enseignants de prendre en compte et
de travailler les concepts mathématiques scolaires en profondeur – une pratique qui peut
potentiellement ouvrir des possibilités mathématiques et d’enseignement pour ces enseignants.
Finalement, il apparaît important de (re-)souligner certains aspects concernant la formation des
enseignants de mathématiques du secondaire. Un des premiers aspects à considérer est que ces
enseignants montrent un intérêt marqué pour l’apprentissage des mathématiques et sont ainsi très
curieux d’en apprendre davantage. Ainsi, le travail des mathématiques scolaires avec eux est vu de
façon très positive : ils « embarquent », veulent en apprendre davantage et sont très curieux
mathématiquement. Ensuite, il est important de se rappeler que les enseignants du secondaire en
connaissent beaucoup au niveau mathématique, et ce, bien que certaines de leurs connaissances soient
techniques. Ceci pointe vers ce que Cooney et Wiegel (2003) et Swafford et al. (1997) appellent une
certaine « disposition », c’est-à-dire la capacité des enseignants du secondaire à en apprendre
davantage en mathématiques. Leurs succès scolaires en mathématiques ne sont pas à négliger et ces
derniers démontrent une capacité très développée à pouvoir continuer d’apprendre et de faire encore
plus de sens en mathématiques (s’ajoute également à cela leur intérêt et relation positive envers les
mathématiques…).
L’importance d’un travail important à la formation axé sur le travail des concepts mathématiques
scolaires et leur approfondissement semble motivé par ces résultats et analyses. Non pas que le travail
mathématique à la formation représente la panacée, mais il apparaît comme un des aspects
fondamentaux envers lesquels nous devons diriger d’importantes énergies à la formation – aspect qui
est trop souvent tenu pour acquis ou simplement négligé et laissé pour compte au profit du travail
pédagogique.
203
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
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GDM 2007 - COMMUNICATIONS
206
TABLE RONDE
207
GDM 2007 - COMMUNICATIONS
208
Jean DIONNE
Nous présentons ici une esquisse des débuts de la didactique des mathématiques au
Québec, alors que le terme didactique commence à être utilisé dans son acception
actuelle. Cette histoire s’ouvre ailleurs mais se transporte rapidement ici où elle prend
une riche couleur locale. Et nous pouvons en tirer quelques idées pour notre époque
«troublée» par les renouveaux pédagogiques qu’il nous faut vivre avec l’arrivée du
nouveau curriculum.
On ne saurait espérer répondre en dix minutes aux deux questions qui doivent ici orienter nos propos.
Car comment résumer en si peu les préoccupations qui ont inspiré et celles qui devraient inspirer les
chercheurs en didactique des mathématiques? Et expliquer dans la foulée comment la recherche a
changé et pourra changer l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques de même que la
formation des maîtres? Aussi vais-je plutôt retenir ces questions comme des balises pour encadrer un
portrait sommaire de quelques moments que j’estime importants dans le développement de la
didactique des mathématiques chez nous.
Et pour relativiser mes dires, je les fais précéder d’une réflexion de David Wheeler qui, fort de sa riche
expérience, a proclamé lors d’une rencontre du GCEDM (Groupe Canadien d’Études en Didactique des
Mathématiques) qu’il ne connaissait aucune recherche en éducation dont les résultats avaient
bouleversé l’enseignement… Ces mots m’ont d’abord sonné : comme tous les chercheurs, je bossais
avec enthousiasme et détermination pour apporter ma pierre à l’édifice et faire bouger les choses. Mes
espoirs étaient-ils vains? N’étions-nous tous que des prétentieux à l’influence négligeable? Perspective
déprimante qui m’a amené à réfléchir autrement, en regardant l’histoire de la didactique d’une part et
les transformations de l’enseignement des mathématiques d’autre part. Cela m’a conduit à certaines
constatations rafraîchissantes, sinon réconfortantes. Notamment celle voulant que le monde de
l’éducation soit, fort heureusement, plus un univers en évolution qu’un domaine de révolutions : les
vrais changements, ceux qui s’installent dans le temps, le font avec le temps. Et cela sera même vrai,
j’en suis persuadé, des transformations de programmes auxquelles nous assistons maintenant. Ceci
pour dire que David avait profondément raison : aucun résultat de recherche n’a pu bouleverser
l’enseignement des mathématiques car celui-ci ne se laisse pas faire. Cela n’a pas empêché ces
résultats de jouer leur rôle dans les changements, dans, j’ose le mot, les améliorations apportées. Car
on sait mieux faire aujourd’hui, dans la mesure où l’on comprend mieux les phénomènes liés à
l’enseignement /apprentissage, où l’on a aussi des outils pour cerner et décrire les situations que l’on y
rencontre ou que l’on y provoque.
209
GDM 2007 – TABLE RONDE
Paradoxalement, cette histoire de la didactique des mathématiques chez nous commence loin d’ici,
dans le petit village belge de Thuin. Œuvre là un modeste instituteur, personnage aussi humble
qu’imaginatif et qui remporte avec ses élèves des succès remarquables, particulièrement en
mathématiques. Remarquables au point que ces succès attirent l’attention de pédagogues patentés. Ils
découvrent l’approche que ce maître, un certain George Cuisenaire, a élaborée, méthode féconde
s’appuyant, entre autres choses, sur un matériel composé de bâtonnets de différentes longueurs et
diversement colorés… Cuisenaire est conscient des résultats qu’il obtient mais sa modestie l’empêche
de pavoiser et de publiciser ses travaux. Ceux-ci demeurent sommaires sous plusieurs aspects et,
malgré l’admiration étonnée qu’ils suscitent et la qualité qu’on leur reconnaît, passent bien près de
demeurer inconnus et de constituer ainsi un nouvel exemple de succès «local».
Heureusement, parmi les gens qui s’intéressent à ce succès, il est un pédagogue plus fonceur —
d’aucuns qui l’ont connu diraient « défonceur ». Il collabore avec Cuisenaire et contribue à
l’élaboration des idées de ce dernier, leur donnant plus d’extension, mais surtout, il les diffuse
largement. Ce pédagogue —sans doute peut-on ici parler de didacticien même si, à cette époque, on ne
sait pas encore trop bien ce que ce terme peut vouloir dire —, c’est Caleb Gattegno qui a signé,
conjointement avec Cuisenaire, beaucoup d’ouvrages sur les nouvelles approches imaginées par ce
dernier. Or, ce monsieur Gattegno a des amis à Québec qui l’invitent à y venir. Il n’accepte pas, mais
envoie une personne de grande qualité qui travaille avec lui, Madeleine Goutard. Lors d’un premier
mais trop bref séjour, elle donne une leçon privée à quelques enfants, bientôt suivie de deux autres
leçons dans une école, anglaise et protestante, de Sillery en banlieue de Québec. Elle rencontre aussi
quelques personnes qui travaillent dans le milieu scolaire et à l’université, dont Fernand Lemay de qui
je tiens une bonne part de ces détails. Ces leçons suscitent ici, comme cela avait été le cas avec
Cuisenaire en Belgique, étonnement et intérêt, de sorte que madame Goutard est rapidement invitée à
nouveau à Montréal et à l’Université Laval de Québec. Et finalement, ce qui sera un événement
important pour l’enseignement des mathématiques au Québec, elle vient travailler pendant deux années
dans la région de Sherbrooke. Elle y œuvre dans une école un peu particulière, dirigée par des
religieuses qui font preuve d’une grande audace et ne craignent pas les innovations, tant au plan de
l’apprentissage des mathématiques avec Goutard et ses approches nouvelles que dans l’enseignement
du français (méthode dynamique), des arts, de la musique, etc. À l’influence de Goutard, il faut ajouter
celle de Gattegno qui, entre-temps, a finalement accepté de visiter le Québec et a contribué à y diffuser
les idées et approches nouvelles.
Il faut aussi noter que c’est dans cette même école de Sherbrooke qu’œuvrera un peu plus tard Dienes.
Il a ainsi pu profiter du travail des gens qui l’ont précédé et préparé le terrain, autant auprès des
autorités prêtes à accepter l’innovation qu’auprès des enfants chez qui on avait, davantage que dans les
écoles « ordinaires », cultivé des qualités d’imagination, un esprit de découverte, de créativité qui n’a
certes pas nui au succès de ce qu’il a proposé.
210
Jean DIONNE
Autre remarque, beaucoup vont associer cette première période de la didactique à la création de
matériels pédagogiques. Il est vrai que plusieurs ont été introduits à ce moment, mais ce n’est pas ce
qu’il y a de plus fondamental à retenir de ce qui s’est alors passé. Car l’essentiel, il se trouve dans la
façon qu’avaient ces personnes de travailler avec les enfants et qui transparaît notamment dans les
ouvrages qu’elles ont laissés, comme ce petit bijou de Madeleine Goutard, Les mathématiques et les
enfants92.
Première caractéristique du travail de Goutard, l’immense et authentique respect qu’elle a pour l’enfant
et sa pensée. Elle parle très peu dans ses leçons, ne propose qu’un minimum de choses et laisse les
enfants se débrouiller par eux-mêmes. Gattegno abonde dans le même sens, affirmant, je ne sais hélas
plus où, que les enfants sont ses maîtres.
Autre aspect fondamental, aux yeux de Gattegno comme de Goutard, le matériel demeure un accessoire
et ils n’y placent jamais la substance du savoir ou de l’apprentissage. L’étape essentielle de cet
apprentissage, c’est ce que Goutard décrit comme la « prise de conscience » qui permet justement à
l’enfant de dépasser le matériel. Ce qui appelle quelques commentaires sur le matériel, celui qu’utilise
Goutard et d’autres matériels élaborés par la suite. Le matériel auquel Goutard recourt et en particulier,
les réglettes conçues par Cuisenaire, est plus ou moins structuré. On n’y trouve par exemple aucune
graduation et c’est l’enfant qui découvre les relations qui peuvent s’établir entre les longueurs.
Beaucoup d’efforts seront mis par la suite pour construire de nouveaux matériels pédagogiques, « kits »
souvent fort ingénieux et utiles, mais qui laissent moins de place à l’imagination, à la créativité des
utilisateurs : il devient difficile de parler d’exploration et de découverte lorsque les objets sont conçus
uniquement en fonction de telle découverte particulière, au point que tout est rendu tellement visible
qu’il faut faire exprès pour passer à côté.
Les précurseurs s’attachaient, disions-nous, à la pensée de l’enfant et les matériels se voulaient
l’occasion pour cette pensée de se manifester et de s’exercer, sans avoir pour but de la pousser dans une
seule direction strictement délimitée et encadrée. D’autres ont par la suite utilisé les mêmes matériels,
mais sans toujours adopter la même attitude. C’est sans doute un peu normal : voulant « démocratiser
» ce qui avait été produit, on a aussi souhaité « jouer sûr », emprunter une voie sans danger, d’où la
rédaction de fiches accompagnant les matériels existants et l’élaboration d’autres matériels plus
contraignants, dans lesquels la « vraie » nature de la construction des savoirs est hélas un brin perdue
de vue. Fermons cette parenthèse avant de nous enrhumer… et revenons à notre petite histoire.
92
Madeleine Goutard. Les mathématiques et les enfants. Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 1963. 189 p.
211
GDM 2007 – TABLE RONDE
212
Jean DIONNE
C’est dire à quel point, si les mathématiques veulent tirer leur épingle du jeu du renouveau, il y a du
travail pour les enseignants et enseignantes, les didacticiens et les didacticiennes, les formateurs et les
formatrices de maîtres, les rédacteurs et les rédactrices de manuels : pour préparer les gens, le matériel
pédagogique, des canevas d’activités ou de projets et des manuels où les mathématiques tiendront une
belle place tout en laissant de l’espace aux autres disciplines.
Autre problème, celui de l’évaluation. Il y a déjà deux ou trois ans, Gérard Scallon, un des grands
spécialistes de l’évaluation chez nous et en particulier de l’évaluation dite formative dont les nouveaux
programmes reconnaissent l’importance primordiale, avait confié à quelques-uns d’entre nous que la
seule voie possible pour continuer à avancer dans son domaine était la collaboration avec les
didacticiens; en effet, il ne pouvait plus, disait-il, se contenter de principes plus généraux et de
développement d’outils tout azimuts, il lui fallait plus spécifiquement prendre en compte les contenus
disciplinaires en compagnie de véritables spécialistes de ces contenus pour arriver à poser des
jugements qui rendent mieux justice aux compétences des élèves.
L’évaluation demeure le tendon d’Achille des nouveaux programmes. C’est pour l’instant le lieu de
beaucoup d’incohérences comme me l’a révélé le tout dernier projet de recherche auquel j’ai eu le
bonheur de participer93. Ainsi, à la fin du premier cycle du primaire (2e année), les enseignantes
doivent fournir un bilan des acquis de leurs élèves. Pour les aider, le Ministère fournit un matériel
touchant toutes les disciplines94. En mathématiques, les activités proposées comme les critères
d’évaluation proprement dits tournent toujours autour de la compétence à résoudre des situations-
problèmes alors que rien n’est prescrit pour les deux autres compétences touchant respectivement le
raisonnement et la communication. Comme si ces deux dernières se trouvaient incluses dans la
première. Pourquoi alors les avoir distinguées dans le programme? Mais plus encore, pourquoi et
comment peut-on, dans ces conditions, exiger que les enseignantes posent un jugement sur les capacités
de raisonner de leurs élèves à part et en sus de celui qu’elles doivent rendre sur leur habileté à résoudre
des problèmes ?...
Les didacticiens se sont plaints de n’avoir pas toujours été partie prenante dans la préparation des
nouveaux programmes. Ceux-ci ont, pour une part, ont été définis à l’écart de notre communauté que
l’on a le plus souvent consultée après coup (tout en prenant correctement en compte ce qu’elle a pu
dire, je le reconnais). Il nous faut maintenant prendre notre place. Le domaine de l’évaluation
m’apparaît comme une porte d’entrée d’autant valable que les problèmes y sont criants, mais que des
solutions intelligentes peuvent être apportées : pensons au projet décrit dans ces pages par France
Caron et Sophie René de Cotret. On a parfois regretté que l’enseignement soit conditionné par
l’évaluation. En travaillant sur celle-ci, nous pourrons cette fois la soumettre de façon cohérente aux
visées de l’école et des apprentissages qui doivent s’y vivre.
93
Bolduc Martine et Céline Drolet. Évaluation des compétences mathématiques au premier cycle du primaire. Essais de
maîtrise. Université Laval, 2007.
94
À la recherche d’une île merveilleuse. Situation d’apprentissage et d’évaluation. MELS, 2005 (repris en 2006 et 2007),
xiii-235 p.
213
Gisèle LEMOYNE
INTRODUCTION
La didactique des mathématiques constitue actuellement un champ disciplinaire de formation et de
recherche socialement et scientifiquement reconnu. Nous faisons d’abord état de l’évolution de ce
champ au cours des dernières décennies. Nous poursuivons notre démarche en retraçant l’évolution des
recherches sur l’enseignement des mathématiques aux élèves présentant des difficultés
d’apprentissage, ces recherches ayant été au centre de nos préoccupations depuis plusieurs années.
215
GDM 2007 – TABLE RONDE
La théorie des champs conceptuels a permis de clarifier les notions de schème et de concept. Des
analyses originales et fécondes du développement des connaissances sur l’arithmétique et l’algèbre ont
été effectuées. Il serait étonnant de parcourir aujourd’hui un article sur la résolution de problèmes (du
moins, un article dans une revue de langue française) qui ne fasse référence aux travaux de Vergnaud.
La théorie des situations didactiques élaborée par Brousseau constitue également un événement
marquant. Les situations construites et mises à l’épreuve par Brousseau ont servi de tremplins à un
nombre important de recherches en didactique. Même si peu de situations présentent les
caractéristiques des situations définies par Brousseau, il nous semble important de référer aux travaux
de Brousseau pour penser des « situations », pour créer des milieux propices à l’apprentissage. Ces
situations nous ont permis de réfléchir, de penser, de sortir des sentiers battus pour un travail
conséquent en didactique des mathématiques, notamment auprès des élèves présentant des difficultés
d’apprentissage. Elles nous apparaissent encore plus indispensables aujourd’hui, compte tenu de
l’importance que revêtent l’activité de résolution de problèmes et le développement de compétences en
mathématiques.
216
Gisèle LEMOYNE
Contributions des chercheurs québécois qui ont jeté les bases de la recherche en didactique des
mathématiques
Au cours des dernières décennies, notre compréhension des problèmes d’enseignement et
d’apprentissage des mathématiques a grandement bénéficié des recherches pionnières effectuées par
les chercheurs québécois (André Boileau, Nadine Bednarz, Maurice Bélanger, Jacques Bergeron,
Benoît Côté, Jean Dionne, Bernadette Dufour, Claude Gaulin, Linda Gattuso, Maurice Garançon,
Bernard Héraud, Joël Hillel, Claude Janvier, Carolyn Kieran, Bernard Lefebvre, Nicole Nantais,
Richard Pallascio, Ewa Puchalska, Luis Radford, Anna Sierpinska, David Wheeler). Plusieurs de ces
recherches sont à l’origine de situations didactiques qui ont bénéficié d’un accueil fort positif du
milieu scolaire. Ces chercheurs ont également contribué à la formation d’une grande majorité des
chercheurs qui œuvrent aujourd’hui dans nos institutions universitaires et qui effectuent des recherches
fondamentales et originales. Soulignons également les recherches effectuées par Bernard Lefebvre et
Louis Charbonneau, sur l’histoire des mathématiques et son rôle « non négligeable » dans la
compréhension des orientations, des pratiques, des paradigmes de recherche.
217
GDM 2007 – TABLE RONDE
« négociation des rôles et un partage d’expertises entre les partenaires engagés dans l’activité de
recherche » (p. 245). Fort intéressants également sont les propos suivants de Barbier, dans ce numéro
thématique: « la rationalité pratique a ouvert la voie à l’investigation et à la valorisation du savoir
d’action des praticiens» (p. 248). Également dans ce numéro, Davis rappelle que les chercheurs et les
enseignants sont liés, il ne faut pas l’oublier, à leurs engagements respectifs et rencontrent le « Besoin
de s’ajuster ou de s’adapter aux particularités d’une situation donnée et à l’évolution inévitable de
cette situation. » (p. 398). Enfin, Margolinas (2004) montre bien que les projets d’enseignement des
enseignants, pensés en fonction des contraintes institutionnelles, orientent les interactions avec les
élèves et font quelquefois écrans à une réception de conduites inattendues des élèves qui, faut-il le
rappeler, ne sont pas toujours faciles à comprendre, à interpréter.
Quelques événements qui ont marqué l’évolution de la recherche sur l’enseignement aux élèves
présentant des difficultés en mathématiques
L’évolution de la recherche sur l’enseignement aux élèves présentant des difficultés en mathématiques
est concomitante à une transformation radicale des perceptions de ces difficultés, transformation
faisant écho à l’évolution des recherches en didactique des mathématiques.
Comme le rappelle Rogalski (2003), l’enseignement est la gestion d’un environnement dynamique,
ouvert. L’issue du processus d’enseignement, comme le souligne Conne (1999), dépend de l’enseigné
et l’enseignant ne peut ainsi anticiper la nature et les formes des savoirs qui émergeront. Conne ajoute
également que « les acteurs ne contrôlent que très mal les ajustements cognitifs sans cesse à l’œuvre
dans les interactions d’enseignement (enseignant-enseigné-milieu). » (Conne, 1999, p. 62). Les
difficultés d’un tel contrôle sont encore plus apparentes, lorsque l’enseignement s’adresse aux élèves
en difficulté (C. Mary et S. Schmidt, 2003 (rédactrices invitées), Numéro thématique de la revue
Éducation et francophonie, auquel ont participé plusieurs chercheurs québécois (G. Lemoyne et G.
Lessard; D. Gauthier et J.-R. Poulin, C. Mary, S. Schmidt et L. Thivierge, S. René de Cotret et J.
Giroux, L. Deblois) et européens (J. Focant, F. Conne, C. Cange et J.-M. Favre, M. Collet). Lorsque
les élèves éprouvant des difficultés sont intégrés dans des classes régulières, soutenir l’apprentissage
de ces élèves, sans pour autant ralentir la progression des apprentissages des autres élèves (Mercier,
1995, 1998; Roditi, 2003; Sarrazy, 2002; Sensevy, 1998), est encore moins évident. Comme le
soulignent Conne, Favre et Giroux (2006), il n’est pas évident de repérer les connaissances mises en
œuvre dans une situation par les élèves et de poursuivre « en prenant en compte ces connaissances »,
d’interagir de « manière non ostensive » (voir, à ce propos, l’étude effectuée par Salin (1999). Ils
ajoutent : «C’est sans doute la raison pour laquelle le pilotage conduit en plusieurs cas, même chez des
enseignants chevronnés, rompus aux situations didactiques (Salin, 1999), à de l’enseignement ostensif
218
Gisèle LEMOYNE
caractérisé, selon Bloch (Bloch, 1999), par «le fait que l’enseignant ne fait usage, dans la situation, que
des savoirs95 qu’il vise pour les élèves en fin d’apprentissage» » (p.173). Regarder ce que produit
l’enseignement (Conne, 1999 ; Favre, 1999), aller au-delà des réussites et des échecs, obligent souvent
l’enseignant à «refaire», à mobiliser (remobiliser) certains concepts mathématiques pour pouvoir avoir
accès au raisonnement de l’élève (on pourrait dire aussi « à refaire les mathématiques de l’élève »).
L’importance de se donner des défis majeurs dans les recherches en didactique des mathématiques
réalisées auprès d’élèves présentant des difficultés d’apprentissage
Les questions suivantes montrent toute la complexité de la recherche en didactique conduite auprès
d’élèves éprouvant des difficultés importantes en mathématiques : 1- Comment penser des dispositifs
qui puissent permettre aux élèves de construire ou de re-construire des savoirs (Antibi et Brousseau,
2000), de développer des pratiques étudiantes et mathématiciennes adéquates (Conne, 1999) et,
d’accéder à une position plus « satisfaisante » dans la classe?; 2- Avec la complicité et la collaboration
des enseignants, comment assumer le risque de présenter aux élèves en difficulté, des situations
« cognitivement et mathématiquement » plus riches que celles qu’on leur propose généralement?
Comment amener les élèves à prendre également ce risque? Plusieurs études réalisées récemment
montrent qu’il est possible de recevoir ces questions, de les traiter et, avec la complicité des
enseignants, de permettre à plusieurs élèves présentant des difficultés de construire des connaissances
fondamentales, de modifier leurs rapports aux savoirs et à leur métier d’élèves (voir, entre autres, les
études effectuées au Québec par Pascale Blouin, Lucie De Blois, Diane Gauthier et Jean-Robert
Poulin, Jacinthe Giroux, Claudine Mary et Hassane Squalli, Sylvine Schmidt et Louise Thivierge,
Suzanne Vincent, etc.). Dans une étude effectuée récemment (Lemoyne et Bisaillon, 2006; étude
présentée au congrès de l’AQETA), nous avons présenté aux élèves en difficulté des problèmes non
triviaux sur les nombres rationnels. Nous avons alors repéré des conduites « atypiques » (voir les
analyses effectuées par Jacinthe Giroux (à paraître, 2008) sur ce type de conduites), « intrigantes »,
« non prévues », qui nous ont amenées à refaire un « travail important de compréhension didactique
des conduites en mathématiques des élèves ». Plusieurs des élèves en difficulté ont alors pris « une
longueur d’avance » sur les autres élèves de leurs classes respectives ne présentant pas de difficultés
d’apprentissage. Nous avons alors invité les élèves en difficulté à présenter aux autres élèves des
problèmes « relativement complexes » et à gérer le travail de ces élèves, ce qu’ils ont fait avec un
doigté qui mérite d’être souligné.
95
Nous adjoignons une remarque pour les puristes. Dans le texte original, I. Bloch avait écrit
« connaissances », mais si nous avons remplacé ici ce terme par celui de « savoirs », c’est dans un souci de
cohérence avec la définition de « savoir » qui précède. Dans la mesure où un savoir est considéré comme une
connaissance utile, une connaissance dont on fait usage est effectivement un savoir. Nous savons par ailleurs
qu’I. Bloch, dans ce texte, se réfère bien au propos de Conne (1992) concernant la distinction « savoir » et
« connaissances » et nous sommes donc certains de ne pas avoir altéré le propos de notre collègue.
219
GDM 2007 – TABLE RONDE
CONCLUSIONS
L’évolution de la recherche en didactique des mathématiques, au cours des dernières décennies, a été
marquée par des événements déterminants qui contribué à établir des assises théoriques et
méthodologies de la recherche en ce domaine, assises dont les retombées sont actuellement
significatives et qui nous permettent de tenir compte de la complexité du système didactique et
d’envisager des recherches originales, scientifiquement et socialement importantes. En terminant,
tenant compte de mes arrimages privilégiés à la recherche sur l’enseignement aux élèves présentant
des difficultés d’apprentissage en mathématiques, je soumets aux lecteurs éventuels de ce texte, les
« propositions suivantes » : 1) L’enseignement aux élèves en difficulté : enjeux importants pour
l’intégration sociale de ces élèves et occasions souvent inattendues pour « mettre en place » des
situations qui souvent sont « plus riches et denses » que les situations proposées aux élèves qui
n’éprouvent pas de difficultés; la construction de telles situations suppose une acculturation aux
recherches effectuées en didactique des mathématiques et une implication également dans les
recherches effectuées dans les classes régulières; 2) L’importance didactique et sociale de
l’établissement d’une complicité avec les enseignants et les élèves, pour assurer une pérennité des
situations mises en place dans les classes; un indice de pérennité non équivoque pourrait être le fait
qu’un enseignant présente une nouvelle situation d’enseignement intégrant des caractéristiques des
situations que nous avons effectuées en classe, situation qu’il dit « originale »; 3) Les élèves en
difficulté peuvent aussi être des étudiants inscrits dans des programmes en adaptation scolaire;
l’importance de présenter des situations qui ont été menées auprès d’élèves en difficulté pour
transformer les positions idéologiques et didactiques des étudiants inscrits, non seulement dans ces
programmes, mais également dans les programmes de l’enseignement primaire et secondaire; 4)
l’importance de penser des dispositifs « originaux », tel celui présenté aux étudiants en adaptation
scolaire par France Caron, tels ceux proposés par des mathématiciens et des didacticiens des
mathématiques (voir, entre autres, l’ouvrage publié sous la direction de Richard Pallascio et Éric
Doddridge, 2006, ainsi que les articles de la revue Accromath, 2007).
Bibliographie
220
Gisèle LEMOYNE
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221
GDM 2007 – TABLE RONDE
222
Richard PALLASCIO
RÉSUMÉ
Aux deux questions posées, je répondrai par des états d’âme livrés spontanément. Concernant la 1ère
question, je présenterai des constats déjà posés, toujours d’actualité, de même que des créneaux
devenus importants, en lien avec le nouveau programme de formation de l’école québécoise. Je
terminerai en proposant d’accentuer la recherche liée aux conceptions des enseignants et d’oser aller de
l’avant avec davantage de recherches longitudinales. Concernant la 2e question, j’insisterai sur la
nécessité de mieux chercher à transférer aux enseignants, futurs et actuels, les résultats des recherches
et de développer davantage de matériel didactique pour la formation initiale. Je terminerai avec un
questionnement au niveau méthodologique.
Pour répondre à cette question, je suis retourné en premier lieu au texte de ma collègue Gisèle
Lemoyne (1996), suite à son exposé lors du colloque du GDM célébrant les 25 ans de la didactique des
mathématiques au Québec, tenu en mai 1995, au CIRADE. J’y ai relevé deux constats, lesquels sont
encore importants aujourd’hui, ne serait-ce parce qu’ils sont encore trop rarement appliqués. Le
premier est celui-ci :
« Parler d’enseignement et d’apprentissage des mathématiques en situation ou en résolution de
problèmes ne suffit pas. Encore faut-il que les situations ou les problèmes soient choisis à la suite
d’analyses qui définissent une genèse artificielle des notions mathématiques, qui en montrent les enjeux
et les limites. Encore faut-il enfin que les connaissances des élèves qui leur permettent de s’adapter aux
situations et aux problèmes soient explicitées, validées, décontextualisées, institutionnalisées. » (p. 32)
Et voici le second :
« … inscrire les recherches en didactique des mathématiques dans une perspective épistémologique qui
tienne compte de la construction au cours de l’histoire des objets ou des outils mathématiques
transposés dans l’enseignement. » (p. 33)
Par contre, je suis demeuré perplexe devant l’extrait suivant : « Le terme agir est alors trop souvent
associé à des manipulations concrètes et ces manipulations se voient conférer des pouvoirs
constructeurs presque magiques. » (p. 36). À mon sens, l’agir physique doit aussi être considéré comme
aussi prégnant que l’agir cognitif (par exemple, des recherches bibliographiques à la bibliothèque ou
sur Internet, des consultations auprès de personnes-ressources…, des gestes fréquents en pédagogie du
projet), de la même façon que nous résolvons nous-mêmes des problèmes de mathématiques, de
didactique ou de toute autre nature.
223
GDM 2007 – TABLE RONDE
Ma seconde réflexion a porté sur les recherches qui m’apparaissent fortement lacunaires, du moins ici
au Québec. Nous devrions d’abord nous pencher sérieusement sur les manuels et les méthodes
d’évaluation, en les étudiant sous l’angle du socio-constructivisme. N’êtes-vous pas exaspérés
d’entendre les démagogues et journalistes non moins démagogues de tout poil exiger le retour des
bulletins chiffrés, pur fantasme sur un outil soi-disant objectif?
Également, nous devrions nous pencher sur les programmes, surtout depuis qu’ils sont tous rédigés
sous un même concept, celui des compétences, incorporant plusieurs ressources, dont les savoirs. Les
activités interdisciplinaires, que ce soit des situations-problèmes permettant de donner du sens à des
concepts mathématiques dans des contextes signifiants de la vie, ou que ce soit des propositions de
projets visant d’autres applications mathématiques, demeurent difficiles quand vient le temps d’y
intégrer les concepts mathématiques en vue de réels apprentissages. Je me permets de noter au passage,
qu’il ne faut pas attendre une prochaine génération de programmes pour corriger les programmes
actuellement implantés, car ceux-ci ont été construits avec la perspective d’une adaptation continue
suite à des changements scientifiques, sociaux, didactiques ou autres.
J’ajouterais qu’il est nécessaire d’enclencher des recherches permettant d’examiner les conceptions des
enseignantes et des enseignants au sujet des mathématiques elles-mêmes, de leur apprentissage, de leur
enseignement et de leur évaluation (voir la thèse d’Anne Roy, 2005). Les enseignants, à ce sujet, me
semblent très en retard et ne lisent toujours pas ou peu les revues qui leur sont destinées : accepterions-
nous une société où les ingénieurs construiraient des ponts avec les concepts et les techniques d’un
autre siècle? Qui va dire aux enseignants, sinon nous, qu’ils devraient s’activer davantage à ce niveau?
Dans d’autres disciplines, tels les arts plastiques, c’est la créativité et le besoin des enseignants d’être
plus que des enseignants, à savoir des artistes-enseignants, qui causent des problèmes d’identité
professionnelle! (voir la thèse d’Hélène Bonin, 2007). On ne peut en dire autant des enseignants de
mathématiques, qui délaissent pour la plupart l’activité mathématique pour eux-mêmes dès qu’ils
débutent dans l’enseignement!?
Enfin, dans le même sens que Seymour Papert l’indiquait lors du colloque Psychologie et didactique
(1971/2007), je pense que nous devons travailler sur des scénarios de recherche plus globaux et moins
parcellaires. Par exemple, lors d’une recherche sur une approche réflexive en mathématiques au 3e
cycle du primaire, des changements majeurs ne sont apparus qu’au 8e mois d’interventions (au rythme
d’une heure par semaine) en philosophie pour enfants au sujet des mathématiques, au niveau de
certains développements permettant de pister l’évolution étonnante d’une pensée critique, créative,
métacognitive et responsable (Daniel, 2005). Dans ce contexte longitudinal et exigeant, le concept de
recherches collaboratives semble incontournable.
224
Richard PALLASCIO
Deuxième remarque! Les théories de l’apprentissage, telle la théorie des situations didactiques, laquelle
ouvre sur une pédagogie situationnelle, devraient être enseignées de façon plus systématique, de telle
sorte que les enseignants puissent distinguer les fondements de celle-ci en particulier d’une pédagogie
du projet, où l’intention didactique passe de l’enseignant à l’élève, bien qu’il n’y ait pas
d’incompatibilité entre les deux, dans un plan d’ensemble où les pédagogies doivent se diversifier. La
remarque de Michel Carbonneau (1971/2007) reste d’actualité : comment développer des situations-
problèmes pour les futurs maîtres qui vont leur permettre de comprendre l’épistémologie
constructiviste?
BIBLIOGRAPHIE
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secondaire. Thèse de doctorat inédite. Sciences de l’éducation, UQAM.
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225
GDM 2007 – TABLE RONDE
226
Richard PALLASCIO
227
GDM 2007 – TABLE RONDE
228
Jérôme PROULX
Jérôme Proulx
Université d’Ottawa
« For a long time research outcomes have influenced the reality of mathematics
instruction and mathematical learning on a very small scale only. Research has
followed the need of school practice rather than hurrying on ahead. »
– Heinrich Bauersfeld, 1977
« De ces rencontres, que Frédéric aurait préféré voir se tenir à trois heures du matin
plutôt qu’à dix, chacun ressortait non point meilleur, mais enrichi. »
– Jean-Michel di Falco & Frédéric Beigbeder, 2004
J’ai placé ces deux citations en évidence, car ce sont des citations qui m’ont beaucoup frappé dans mon
cheminement et qui me sont constamment revenues en tête tout au long de la préparation de cette
96
présentation . Je les souligne, non pas parce qu’elles sont vraies ou fausses – on peut y adhérer comme
s’y opposer – mais parce qu’elles font beaucoup réfléchir. Et, je les laisserai à l’écran tout au long de
ma présentation, en guise de réflexion.
Il est vrai, comme plusieurs me l’ont souligné durant le colloque, que c’est une tâche assez difficile qui
m’est demandée aujourd’hui de réagir à cette table ronde ainsi que de conclure le colloque. Une table
ronde qui est composée de chercheurs chevronnés et un colloque qui a été démarré par Nadine
Bednarz, tous des gens pour qui j’éprouve une sincère admiration et un grand respect. J’ai donc pris
cette tâche très au sérieux d’agir comme réactant sur ce qui avait été présenté, discuté et accompli lors
de la table ronde et de l’ensemble du colloque. Vous m’avez sûrement vu être très attentif et poser
plusieurs questions tout au long des deux jours du colloque. Certains items que je présenterai ont été
envisagés à l’avance et confirmés durant le colloque (d’autres ayant été mis de côté), alors que d’autres
ont été réfléchis et produits de toute pièce durant le colloque et souvent confirmés et enrichis lors des
présentations de ce matin. Ma présentation est donc une sorte de réaction à l’ensemble du colloque, de
la conférence d’ouverture à la table ronde. Évidemment, de par la nature émergente de mes réflexions,
il est fort probable que la présentation ait des airs quelque peu décousus, ressemblant par le fait même
davantage à une mosaïque rapidement assemblée qu’à une toile bien définie et polie.
Toutefois, malgré le défi que comportait la tâche, j’ai la chance d’avoir deux couvertures pour me
protéger et me camoufler en cas de difficultés ou d’incohérences majeures. La première, obtenue
probablement par mégarde de la part de ma collègue Patricia Marchand, concerne mon invitation pour
offrir cette conférence de clôture. J’ai été invité, et je cite, en tant que « chercheur du Canada anglais et
faisant parti de la relève ». Ainsi, je pourrai me cacher sous cette étiquette au besoin. La deuxième
96
Eisner (1997) explique que la forme et le contenu peuvent difficilement être séparés. Ainsi, tout comme il le fait, j’ai
décidé de conserver la forme initiale avec laquelle ce texte a été préalablement produit et offert, c’est-à-dire sous forme de
présentation orale.
229
GDM 2007 – RÉACTION À LA TABLE RONDE
couverture concerne l’utilisation abusive que je ferai du mot « perspective ». La subjectivité de mes
propos me permettra d’offrir quelques perspectives que je crois importantes concernant la recherche en
didactique des mathématiques, mais ces perspectives seront toujours offertes à titre de perspectives,
c’est-à-dire tout simplement en tant que ma propre perspective sur les perspectives d’avenir en
didactique des mathématiques. Sur ce, la voici !
Évaluation
Le premier point concerne toute la problématique au niveau de l’évaluation, une question qui est
revenue à la charge maintes et maintes fois durant le colloque. Ces aspects ont, entre autres, été
soulevés lors de la présentation de Lucie Deblois concernant les enquêtes PISA et toute l’interprétation
possible (voire même problématique) des résultats des élèves, ainsi que des classements des provinces
et pays entre eux. Cela nous sensibilise beaucoup à toutes les questions d’évaluation et Lucie nous a
d’ailleurs invité à participer davantage et, en tant que didacticiens des mathématiques, à mettre notre
nez à l’intérieur de ces études lorsque l’occasion se présente. Une des raisons importantes pour
répondre à cet appel est, comme Lucie l’a expliqué, qu’un des buts de l’OCDE est « le développement
de systèmes éducatifs » par la passation de ces tests internationaux. Ceci peut avoir un impact énorme.
De là l’intérêt d’y mettre son grain de sel lorsque possible !
Les questions d’évaluation ont aussi été traitées dans les autres présentations, comme dans celle de
Sophie René de Cotret et France Caron. Elles ont souligné l’intéressante évolution du programme en
lien avec toute la question d’évaluation, un aspect qui n’est pas toujours très clair et qui pose
d’importants défis autant aux enseignants qu’à nous didacticiens puisque ces idées entraînent souvent
de nombreuses interprétations. D’autres collègues, entre autres Dominic Voyer, Alexandre Rivard et ce
matin Jean Dionne, ont mis en évidence toute la question de l’étude du rôle que joue (ou peut jouer)
l’évaluation chez l’enseignant au niveau de ses pratiques de classe et de ce qui est mis de l’avant dans
son enseignement. Nous en savons peu sur cette dynamique et elle me semble fort riche comme sujet
d’étude.
230
Jérôme PROULX
Histoire et historique
Le deuxième point à souligner est en lien avec l’histoire de notre champ, et ce, sous différents aspects.
Rapidement, on se rend compte à la lecture des recherches plus anciennes (par exemple, dans les
années 70) ou des comptes rendus de recherches et articles sur l’histoire de notre champ d’études (par
exemple, Kilpatrick, 1992, 1994) que de nombreuses préoccupations « anciennes » sont toujours
d’actualité, autant au niveau théorique qu’au niveau des problématiques de recherche. Nous l’avons
fréquemment noté dans le colloque à l’intérieur des différentes présentations. Par exemple, celle de
Nadine Bednarz dans laquelle nous retrouvions des similitudes concernant les buts de la recherche et
les centres de recherche97, l’identité du champ, les positions théoriques et les intérêts, etc., celles de
Lucie Deblois et de Sophie René de Cotret et France Caron sur l’évaluation et l’évolution des
programmes et leur amélioration, celle de Philippe Jonnaert et Richard Pallascio ce matin sur Piaget,
l’apprentissage, le constructivisme, etc., et celle d’Alexandre Rivard sur l’évolution historique des
manuels en lien avec l’arithmétique, pour n’en nommer que quelques-unes.
Nous pouvons nous demander si la présence de préoccupations similaires est quelque chose de bon, de
mauvais, ou caractéristique d’un champ qui n’évolue pas ? Ces questions sont peut-être importantes à
débattre, mais elles peuvent aussi être vues comme tout simplement non-pertinentes. Non-pertinentes,
car les préoccupations en didactique des mathématiques vont sensiblement demeurer les mêmes
puisque nous nous intéressons au même objet de recherche, c’est-à-dire l’enseignement et
l’apprentissage des mathématiques. Toutefois, ce qui est important d’apprécier est qu’un travail de
recherche est continuellement entrepris pour fouiller et aborder ces phénomènes de différentes façons
et avec différentes approches, et qu’on tente ainsi de développer des manières et voies encore plus
riches et prometteuses de faire du sens de toutes ces problématiques. Comme le dirait Varela,
Thompson et Rosch (1991), le monde évolue constamment et donc notre intérêt est de continuer à faire
de plus en plus de sens de ce monde en constante évolution. En recherche, nous ne concluons pas
chacune des préoccupations pour de bon – comme si le but était de fermer et résoudre chacune des
portes jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus à fermer (ce qui mettrait un terme à la recherche en passant !). En
recherche, nous faisons et créons du sens des préoccupations en jeu afin d’arriver à mieux les
comprendre et à continuer de fonctionner le mieux possible. Ainsi, ce processus est continuel et des
orientations et compréhensions nouvelles sont apportées constamment.
Évidemment, tout cela peut causer des situations de « déjà vu » pour certains et peut même causer des
difficultés d’appréciation des nouveaux développements et des nouvelles approches – voir des
découragements. Dernièrement, lors de la rencontre 2007 du CSSE à Saskatoon en Saskatchewan, j’ai
assisté à un panel d’experts sur la formation des maîtres. Un des panélistes s’époumonait à dire que
toutes les initiatives de formation actuelles n’étaient que des idées recyclées déjà essayées par le passé
et qu’il n’y avait aucune innovation quelconque. Pour un jeune chercheur, ce discours était assez
horrible à entendre (et surtout très faible selon moi), mais en disait aussi très long sur la situation
actuelle. En effet, tout au long de cette « montée de lait », j’ai pu saisir deux points très importants : la
difficulté à apprécier la différence et le caractère novateur des nouvelles approches utilisées et la
difficulté pour la « jeunesse » d’être à l’écoute de ce qui s’est passé avant. Ceci met de l’avant toute la
question de l’inspiration et de la passation. Les jeunes chercheurs doivent s’intéresser à et s’inspirer de
ce qui s’est fait avant eux, non seulement dans les écrits des dernières années, mais aussi dans les écrits
plus anciens. Ceci est important pour ériger des positions solides et construire sur ces idées qui sont
97
On revoit en ce moment, entre autres, ré-émerger plusieurs questionnements et intérêts envers la mise en place de centres
de recherche et de développement (voir, par exemple, Burkhardt et Schoenfeld, 2003).
231
GDM 2007 – RÉACTION À LA TABLE RONDE
très inspirantes. Aussi, pour ne pas tomber dans le piège que Balacheff, m’a-t-on dit, a déjà reproché à
notre champ, c’est-à-dire d’être « un champ qui n’a pas de mémoire ».
Les travaux faits en didactique des mathématiques, les ressources historiques sur l’évolution de
l’enseignement des mathématiques (la présentation d’Alexandre Rivard à ce sujet était fort éloquente),
voire même les ressources historiques sur l’évolution des concepts mathématiques, sont des sources
d’inspiration importantes auxquelles nous devons porter attention dans le but de les étudier et explorer
en profondeur.
Mais, en plus de l’importance de s’inspirer des travaux, il y a aussi tout un travail de passation
historique des ressources « humaines ». Nous sommes dans une époque très particulière au Québec, où
une importante partie des chercheurs de pointe part à la retraite et une vague de nouveaux chercheurs
arrive. Il est important d’assurer ce passage et il revient donc aux nouveaux chercheurs, mais aussi aux
plus anciens, de prendre en charge ce passage. Il y a beaucoup pour nous, jeunes chercheurs, à
apprendre de vous tous et il est important de prendre soin de bien le faire. C’est donc un appel à nous,
les jeunes chercheurs, et à vous tous, les « un peu moins jeune » chercheurs (ceux, ici présents, qui me
viennent à l’esprit : Claude Gaulin, Gisèle Lemoyne, Jean Dionne, Nadine Bednarz, Philippe Jonnaert,
Richard Pallascio) d’assurer cette transition.
Épistémologie de la recherche
Le troisième point que je veux mettre en évidence concerne l’épistémologie. Il est clair que les
questions épistémologiques sont toujours fondamentales et orientent de façon importante nos travaux
de recherches, nos pratiques et nos réflexions – de nombreux chercheurs au Québec ont écrit sur les
questions épistémologiques. Il y a aussi toute la question de l’épistémologie de la recherche et du
chercheur, un point que Jean-François Maheux nous a très brillamment souligné dans sa présentation.
Cette épistémologie est présente au niveau des positions empruntées guidant nos actions, nos pensées et
nos recherches, c’est-à-dire la façon avec laquelle nous nous engageons dans le processus de recherche.
L’épistémologie joue donc un rôle non seulement au niveau du cadre théorique emprunté dans la
recherche, mais au niveau de notre façon de faire la recherche – c’est un cadre implicite de référence
qui guide le chercheur dans ses actions et ses pratiques. Toutefois, cette épistémologie est aussi
présente au niveau de la recherche elle-même et de son cheminement, un phénomène qu’on ne parle
que trop peu en recherche. En effet, le déroulement de la recherche est quelque chose que nous tendons
à cacher lorsque nous rapportons nos recherches ; nous ne parlons pas des embûches que nous
rencontrons et des difficultés vécues. Jardine (1997) ainsi que Valero et Vithal (1998) parlent de ce
phénomène en expliquant qu’en recherche nous cachons le tout pour faire paraître le processus parfait,
comme dans un compte de fée où aucun problème ne survient. Toutefois, toutes les difficultés et
embûches font partie intégrante de la recherche et lui apportent aussi une couleur toute spécifique. Il est
important de le faire ressortir, car dans ces embûches résident des informations cruciales pour, entre
autres, la recherche, la pratique, la formation de chercheurs, etc. Par exemple, la nature des
difficultés/obstacles rencontrés lors du travail avec des enseignants – en recherche collaborative, en
formation continue, etc. – peut en « dire beaucoup » sur les enseignants avec lesquels nous travaillons
et sur les initiatives et cadres théoriques empruntés, ce qui représente en soi des résultats fort
intéressants pour la recherche. De plus, et il ne faut pas le nier, ceci nous en « dit beaucoup » sur nous
comme chercheur et sur nos approches et positions théoriques (la recherche n’est-elle pas en fait une de
nos formes de développement professionnel ?).
232
Jérôme PROULX
De plus, il y a beaucoup à apprendre des difficultés et du processus vécu, et ceci est fondamental au
niveau de la formation de nouveaux chercheurs. Personnellement, j’ai toujours trouvé que la
présentation la plus intéressante que j’ai faite concernant mon mémoire de maîtrise fut celle donnée à
l’UQÀM en 2003 à l’occasion des séminaires de didactique des mathématiques. Dans cette
présentation, dirigée vers des chercheurs en formation, en plus de décrire la recherche et ses résultats,
j’ai donné une couleur à ces derniers en expliquant les choix qui avaient été faits et les difficultés
rencontrées – éléments qui n’apparaissaient pas dans mon mémoire lui-même. Cette présentation était
ainsi plus intéressante, mais aussi elle fut révélatrice pour moi, car j’ai appris beaucoup en faisant
ressurgir ces difficultés et ces choix tout en me replongeant dans mes vieilles notes de recherche. Il y a
beaucoup à apprendre du processus de recherche et ceci semble manquer dans notre communauté –
peut-être n’est-ce pas assez scientifique pour être publiable, certains éditeurs nous diront… et
pourtant !
J’ai une anecdote très intéressante à vous raconter à ce sujet concernant les recherches sur la formation
des maîtres. Lors de la rencontre ICMI-15 en 2005 au Brésil sur la formation des enseignants en
mathématiques, une collègue s’est levée durant la période de questions pour une des séances plénières
et a lancé « Est-ce que vous vous rendez compte que quelqu’un pourrait entrer dans la salle et n’avoir
aucune idée que nous parlons de mathématiques ici ? Notre discours est uniquement au niveau général
et de l’éducation, il n’y a pas de mathématiques là-dedans. Peut-être devrions-nous y réfléchir. » Ce
commentaire, qui paraissait bizarre au premier abord, peut nous faire beaucoup réfléchir et est d’une
certaine façon au cœur des réflexions et controverses actuelles à l’intérieur de la communauté
scientifique internationale de recherche.
98
Ceci ne doit pas nécessairement être vu négativement, puisque le champ « va où il va », pour reprendre les mots d’Alan
Bell reportés par Lins (2006). Toutefois, ceci représente un fait intéressant à noter et qui peut faire réfléchir.
99
Ce type d’appel résonne aussi avec certaines critiques envers une grande partie des recherches au niveau de la formation
des maîtres. Celles-ci sont critiquées parce qu’elles s’intéressent davantage à décrire la forme et le comment (la structure)
des formations et des activités que de reporter sur les contenus eux-mêmes travaillés dans les sessions de formation
(Crockett, 2002; Adler et Davis, 2006).
233
GDM 2007 – RÉACTION À LA TABLE RONDE
Je serais tenté de dire qu’il n’est pas si important d’en arriver à un consensus, car ceci s’avèrerait assez
difficile face à la diversité des perspectives. Par contre, en reprenant la question d’identité soulevée par
Nadine Bednarz lors de la conférence d’ouverture, tout ceci s’avère fondamental pour orienter les
travaux et construire l’identité du chercheur – et donner du sens à ce qu’il fait. Ce qui m’amène en
quelque sorte à la conclusion de ma présentation.
234
Jérôme PROULX
Cette distinction au niveau des intérêts et objets de recherche est très importante. Dans un premier
temps, elle l’est au niveau de l’identité du chercheur, pour son positionnement de recherche et toute la
légitimation de ses travaux et leur pertinence. En effet, le chercheur ne se définit pas de la même façon
selon l’orientation prise et n’entreprend pas les mêmes types de travaux et recherches (qui n’ont
évidemment pas du tout le même type d’intentions et de buts). Dans un deuxième temps, cette
distinction est importante au niveau des attentes face aux travaux produits en didactique des
mathématiques, formulées ou non, de la part de nous comme chercheurs, mais aussi des enseignants,
des gens du ministère, des parents, etc. Les travaux n’amènent pas du tout le même type de résultats et
de retombées si l’on se place dans une perspective scientifique ou pragmatique. Ce serait de réduire
tous les travaux au même niveau que de ne pas faire cette distinction fondamentale. Cette distinction
permet de rediriger le tir de nos recherches d’une certaine façon.
En effet, au cœur de tout cette problématique réside d’une part les attentes et les questions venant de
l’extérieur concernant nos travaux et nos recherches et, d’autre part, toute la question de l’application et
des répercussions de la recherche dans la pratique (souvent demandée sous forme de prescriptions).
Comme le dit Brousseau (2006), le plus grand obstacle aux travaux en didactique des mathématiques
est l’impatience… Mais, de toute cette impatience, ou de ces requêtes incessantes, découle des
orientations que je qualifierais de très dangereuses, dont celle de la « consommation de la recherche »,
qui est malheureusement mise de l’avant par certains de nos collègues américains (par exemple,
Cochran-Smith, 2006). Même le conseil supérieur de l’éducation est tombé dans le piège, à mon grand
regret, de cette idée de consommation de la recherche (CSE, 2006). Tout ce mouvement réduit notre
travail et ses retombées à une visée d’utilitarisme fortement logée dans une orientation positiviste et
techniciste qui est totalement dépassée lorsqu’on clame haut et fort un discours de praticien réflexif,
d’enseignant professionnel, d’innovation pédagogique, etc. (voir, entre autres, Schön, 1983, pour une
critique de ce mouvement). Avec une visée utilitariste et de consommation, nous nous retrouvons
encore une fois dans un fameux mouvement « top-down » (où l’enseignant est vu comme un technicien
où son travail est réduit à l’application de techniques pré-préparées100). La plus grande ironie est que
les recherches qui sont soi-disant à « consommer », pour la plupart, prônent justement l’abolition de
cette perspective « top-down » !
100
Voir Bednarz (2000, pp. 63-64) pour une discussion similaire.
235
GDM 2007 – RÉACTION À LA TABLE RONDE
Mais, à cette situation s’ajoute tout le discours sur le lien entre la théorie et la pratique, ou l’application
des théories dans la pratique. Ce discours (et ses requêtes) est toutefois très intriguant, car il semble
dénaturer les intentions mêmes des théories éducationnelles. Ainsi, en s’attardant à ce que les
théoriciens de l’éducation nous disent (par exemple, Standish, 2005), on voit ressortir, entres autres,
deux aspects importants. Ce que les théoriciens expliquent en fait est que les changements profonds
proviennent non pas de recherches empiriques démontrant l’efficacité ou l’intérêt de telle ou telle
approche, mais plutôt de changements de paradigmes qui orientent les pratiques et actions. Ce sont
donc les changements paradigmatiques des théories éducationnelles qui apportent des changements
importants – toute la vague béhavioriste ou celle constructiviste en éducation permet de bien
comprendre ce point. Un autre point que les théoriciens de l’éducation nous expliquent est qu’une
théorie, aussi bonne soit-elle, n’est pas créée pour être appliquée, mais plutôt pour inspirer, pour faire
mieux comprendre les situations et phénomènes et ainsi pouvoir mieux travailler et améliorer ses
pratiques. La théorie a pour but d’inspirer, de générer et de faire réfléchir à de nouvelles pratiques. Les
théories doivent être vues comme ayant des implications et non pas des applications.
Il semble donc y avoir plusieurs mauvaises questions qui sont dirigées vers les recherches, questions
qui paraissent simplement manquer le tir. Ainsi, plutôt que de poser la question « À quoi sert la
didactique des mathématiques ? » nous devrions demander « Qu’est-ce que permet la didactique des
mathématiques ? ». À la question « Qu’est-ce que la didactique des mathématiques a changé ? » nous
devrions entendre « Qu’est-ce que la didactique des mathématiques a permis de comprendre, de
générer ? ». Et, plutôt qu’avoir la question « Qu’est-ce qui marche ? » nous devrions avoir « Qu’est-ce
qu’on connaît ? ». Ces questions amènent des orientations et des réponses très différentes concernant la
didactique des mathématiques et ses intérêts et retombées.
Il est évidemment tentant de voir ou vouloir la recherche comme étant généralisable, décontextualisable
et applicable. Mais, en plus d’être simplement impossible, cette intention apparaît aussi peu
intéressante. Comme l’explique Valero et Vithal (1998), l’intérêt de la recherche est tout autre : la
recherche est génératrice. Elle permet de générer, d’inspirer, d’informer, d’orienter, et ce, de
différentes façons. Elle génère de nouvelles recherches, de nouvelles pratiques, de nouvelles idées, de
nouvelles méthodes d’enseignement et de recherche, de nouvelles questions et réflexions, etc. Le but de
la recherche est exactement là pour moi, dans une idée de générer davantage et d’offrir des façons de
mieux comprendre et de mieux agir. Une orientation générative, en somme, s’éloigne énormément
d’une idée de consommation de la recherche ou de « top-down » et amène les gens à s’approprier des
idées, à travailler avec elles, à s’en inspirer (ce qui est loin de l’idée « d’appliquer » ou « d’étendre »
des résultats « généralisables »). Elle place le lecteur ou l’audience en contexte actif et non passif, elle
amène à la production. Et c’est exactement ce que la recherche fait et c’est aussi uniquement ce qu’elle
peut faire. La recherche n’est pas là pour généraliser, mais pour générer et inspirer – là réside son
intérêt et sa force.
236
Jérôme PROULX
En fait, si j’avais un seul élément à mettre en valeur et à offrir quant à ma perspective sur l’avenir et
l’intérêt futur de la didactique des mathématiques (en recherche, en formation des maîtres, en formation
des futurs chercheurs, au niveau des organismes subventionnaires, des concepteurs de programmes,
etc.), je dirais que c’est dans ce paradigme de générativité et de voir la recherche comme
« génératrice » que le tout devrait se situer.
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