Reflexions Sur Qumran Les Manuscrits Le
Reflexions Sur Qumran Les Manuscrits Le
Reflexions Sur Qumran Les Manuscrits Le
CLAUDE COHEN-MATLOFSKY
Institut Universitaire d’Études Juives
Paris
L’époque du Second Temple fut une époque très féconde dont le ju-
daïsme et le christianisme récoltèrent les fruits. Rien n’était apocryphe
car rien n’était canonique encore. Donc tout était vrai, tout était premier.
C’est vers le désert de Judée que nous allons nous diriger.
Notons au passage le rôle de matrice que le désert tient dans la civili-
sation judéo-chrétienne, tant pour la gestation d’une pensée que pour la
résistance à l’étranger. Les exemples en sont nombreux dans les sources
littéraires et archéologiques. L’Exode, les Livres des Maccabées décri-
vant la résistance aux Séleucides, les documents de Qumrân et les lettres
de Bar Kokhba, les fouilles de Masada, pour ne citer qu’eux, en sont
autant de témoins.
Marie-Françoise Baslez fait également remarquer:
« …Le groupe des Maccabées représenta une tendance partisane,
résistante et séparatiste, qui reconstitua loin de la ville hellénisée un
mode de vie exactement inverse et plus ou moins conforme au modèle
nomade patriarcal. Plus que jamais la ville apparut comme le lieu du pé-
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1 Cf. M-F. Baslez, Bible et Histoire, judaïsme, hellénisme, christianisme, Paris, 1998,
p. 64. Voir également p. 121-124 son étude plus complète sur le thème du désert dans
le judaïsme.
2 Voir à ce propos J. Charlesworth ed., The Old Testament Pseudepigrapha, Vol. I,
1983.
3 Voir C. Cohen-Matlofsky, «Hazon Gabriel: A Social Historian’s Point of View»,
sur The Bible and Interpretation, http://www.bibleinterp.com/opeds/coh368019.shtml
THE QUMRAN CHRONICLE 22, 2014 75
4 Cf. Philip Alexander, Mystical texts: Songs of the Shabbat Sacrifice and Related
Manuscript, London-NewYork, 2006
5 P. Schäfer, The Origins of Jewish Mysticism, Princeton University Press, 2011.
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7 Cf. S. Mimouni, Le judaïsme ancien du VI ème siècle avant notre ère au IIIème
siècle de notre ère, des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 569-594.
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8
Cf. The History of the Caves of Qumrân, Congrès International de Lugano février
2014, à paraître.
9 Cf. Geographica, XVI, 2; 43 dans M. Stern éd., Greek and Latin Authors on Jews
and Judaism, Vol I, Jérusalem, 1976, p. 298.
10 Cf. Y. Yadin, J.C. Greenfield, A. Yardeni et B.A. Levine, The Documents from the
Bar Kokhba Period in the Cave of Letters: Hebrew, Aramaic and Nabatean-Aramaic
Papyri, Jerusalem, 2002, p. 308.
11 Cf. N. Golb, Who wrote the Dead Sea Scrolls, the Search for the Secret of Qumran,
New York, 1995.
12 Cf. A. Paul, La Bible avant la Bible, Paris, 2005.
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13
Voir à ce propos Y. Hirshfeld, «A Settlement of Hermits above Engeddi», TA 27,
2000, p.103-155 qui ayant identifié un établissement d’«ermites» dit qu’il n’a rien à
voir avec les Esséniens de Qumrân.
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14 Voir J.J. Collins, Beyond the Qumran Community, the Sectarian Movement of the
Dead Sea Scrolls, Grand Rapids Michigan, Cambridge, UK, 2010, p. 54-55.
15 R. Hachlili, Jewish Funerary Customs, Practices and Rites in the Second Temple
Period, Leiden, 2005.
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Dès lors, le fait que les manuscrits des environs de Qumrân, lors-
qu’ils furent découverts, se trouvaient enfermés dans des jarres, est, en
lui-même, un maillon dans la chaîne historique. Un Bédouin les avaient
découverts dans une grotte près de la mer Morte alors qu’il était à la
recherche d’une chèvre égarée. Cela dit, l’habitude de placer des ma-
nuscrits dans des jarres pour les protéger de l’humide climat palestinien,
remonte à l’Antiquité, comme en témoigne l’Ancien Testament. En effet
dans Jérémie 32, 14 on lit:
«Tu les (sous-entendu: ces documents) mettras dans un vase d’argile,
afin qu’ils durent de nombreux jours.....»
Dans l’un des pseudépigraphes de Qumrân même, le Testament de
Moïse, il est écrit que Moïse avait ordonné à Josué de mettre ses écrits
dans des jarres16.
La région de la mer Morte, dans laquelle furent trouvés les rouleaux,
est, par son climat sec, l’endroit le mieux approprié à la conservation de
manuscrits. En outre, c’est dans la même région que de semblables dé-
couvertes, dans des circonstances analogues, furent faites deux fois au
cours des siècles. Eusèbe de Césarée17 nous dit qu’Origène aurait utili-
sé, dans son édition de la Bible (Hexaples), une traduction des Psaumes
qui, d’après ses dires, a été trouvée avec d’autres livres en hébreu et en
grec à Jéricho, dans une jarre, et ceci sous le règne de Caracalla soit 211-
217 de l’ère courante. Plus tard, Timothée Ier de Séleucie, patriarche
nestorien de Bagdad, mentionne, dans une lettre écrite vers 800 de l’ère
courante, la découverte de manuscrits hébreux dans une jarre près de
Jéricho par un chasseur arabe ayant suivi son chien à l’intérieur d’une
grotte. En outre, quelques décennies plus tard, un commentateur qaraïte
du IXème siècle parle d’une secte juive qu’il nomme: «la Secte de la
Grotte, car leurs livres furent trouvés dans une grotte». Cette secte, no-
tait-il, «possédait un calendrier particulier et composait des livres exé-
gétiques sur la Bible».
Cette «secte de la Grotte», vivant près de Jéricho fut-elle la commu-
nauté de Qumrân? En tous cas, un exemplaire du Document de Damas
a été retrouvé dans la Genizah du vieux Caire, fut-il connu des Qaraïtes
de Fostat?
La question reste en suspens.
Au demeurant tout porte à croire que les manuscrits auraient été mis
16 Voir
à ce propos l’introduction générale d’André Caquot et Marc Philonenko à La
Bible, Ecrits Intertestamentaires, dans la collection de la Pléiade de 1987.
17 Cf. Histoire Ecclésiastique, VI, 10.
THE QUMRAN CHRONICLE 22, 2014 83
en jarres sur place à Qumrân qui dut être entre autres, une école de
scribes et une fabrique de poterie à un moment donné18.
Roland de Vaux et Joseph Milik sont à l’origine de la séparation des
manuscrits en deux catégories: «bibliques» et «non bibliques», voire
ceux ultérieurement canonisés et ceux restés apocryphes.
Cela dit, au temps de la collection de ces manuscrits le canon biblique
n’avait pas encore été fixé définitivement. Dès lors toute classification
des manuscrits de Qumrân reste anachronique.
Les manuscrits furent-ils pour une partie au moins, le produit de la
communauté des Esséniens qui auraient investi le site de Qumrân pen-
dant quelques temps? C’est ce que je vais essayer d’élucider en faisant
lumière tout d’abord sur le groupe des Esséniens dans les textes d’au-
teurs anciens.
Les auteurs en question sont Philon d’Alexandrie qui nous a lais-
sé les deux notices les plus anciennes sur la communauté essénienne.
L’une se lit dans son traité intitulé Quod omnis probus liber sit (75-
91); l’autre dans son Apologie des Juifs, livre aujourd’hui perdu, mais
dont Eusèbe de Césarée dans la Preparatio Evangelica (livre VIII, chap.
XI), a conservé le passage sur les Esséniens. Pline l’Ancien dans son
Histoire Naturelle, Dion Chrysostome dans ses Discours et surtout
Flavius Josèphe dans: La Guerre Des Juifs, Les Antiquités Judaïques et
l’Autobiographie, mentionnent également ce groupe.
Je n’entrerai pas dans la controverse relative à l’étymologie du nom
«Esséniens», je réfère plutôt le lecteur à l’excellente discussion de John
Collins19.
Cependant à mon sens, l’origine de leur nom serait à rapprocher
des Hasidim mentionnés dans les livres des Maccabées et contempo-
rains de cette révolte et de ce fait j’assimile les Esséniens à des «super
Pharisiens». Ainsi leur nom et leur origine auraient été déclinés dans
les notices de Philon, Flavius Josèphe et les autres. D’autre part c’est
le terme de Hoshen20 pour les désigner qui apparait dans le Josippon
26
C. Roth, The Dead Sea Scrolls, a New Historical Approach, New York, 1966.
27
G. R. Driver, Aramaic Documents of the Fifth Century BC, 2ème édition révisée,
Oxford, 1965.
28 Cf. T. Rajak, «Cio che Flavio Giuseppe Vide: Josephus and the Essenes» dans
Josephus and the History of the Greco-Roman Period. Essays in Memory of Morton
Smith, Leiden, 1994, p. 141-160.
29 Cf. S. Mason, «Did the Essenes Write the Dead Sea Scrolls, Don’t Rely on Jose-
phus», BAR, 2008.
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30 Cf. E. Nodet, « Asidaioi and Essenes », Flores Florentino: Dead Sea Scrolls and
Other Early Jewish Studies in Honor of Florentino Garcia Martinez, JSJSup 122, Lei-
den, 2007, p. 63-87.
31 De Vita Contemplativa, 11, dans l’édition de la Loeb Classical Library.
32 Ibidem, 21.
THE QUMRAN CHRONICLE 22, 2014 89
« ...Ils méritent l’admiration par contraste avec tous ceux qui se récla-
ment vertueux, car de telles qualités qui sont les leurs ne furent jamais
trouvées auparavant parmi aucun grec ou autre peuple païen, pas même
seulement pour un temps, tandis qu’elles furent pratiquées par eux et
sans interruption depuis qu’ils les adoptèrent ...»33
Flavius Josèphe note encore sur les Esséniens: «Leur mode de vie
ne diffère en rien de celui des nommés Ktistes, parmi les Daciens ...»34
Or ceci est basé sur un passage de Posidonios cité dans Strabon35 men-
tionnant une tribu appelée les Ktistes, lesquels vivaient sans femmes.
Josèphe semble donc se contredire ici.
Au demeurant ce que l’on retient c’est l’emprunt de Josèphe à une
source extérieure en l’occurrence Strabon, pour sa description des
Esséniens. D’ailleurs notre historien juif puisa fréquemment chez
Strabon36.
Il convient à présent de comparer les descriptions de la vie commu-
nautaire chez Thérapeutes et Esséniens dans les notices respectives de
Philon et de Josèphe. Les repas communs, le célibat, la frugalité, l’ex-
trême respect de la Torah et peut-être le nom37 sont autant de parallèles
que l’on trouve.
Du reste, Philon lui-même dans son Quod Omnis Probus Liber Sit,
75, affirme que les Esséniens sont des therapeutai theou, soit des ser-
viteurs de Dieu. Eviter la vie urbaine, pratiquer l’exégèse allégorique
de la Bible (dont Philon lui-même s’était fait le champion), avoir des
vêtements d’été et des vêtements d’hiver, tels sont les parallèles que
l’on peut faire entre les Thérapeutes et les Esséniens de Philon. Enfin les
robes blanches, les prières matinales tournés vers le soleil, la présence
de jeunes novices, la composition d’une littérature propre, la guérison,
les offrandes prophétiques, l’auto-défense contre les voleurs sont au-
tant de parallèles entre les Thérapeutes de Philon et les Esséniens de
Josèphe.
Les parallèles chez Philon entre ses Thérapeutes et ses Esséniens re-
flètent bien à mon sens ses propres idéaux. De même il est à envisager
que sa notice sur les Thérapeutes fut influencée par une notice perdue
sur un autre groupe et qui aurait été connu à la fois de Philon et de
Flavius Josèphe. Notice perdue décrivant notamment un idéal hellénis-
tique de vie, et à laquelle ils auraient tous deux puisé pour leur descrip-
tion respective des Thérapeutes et des Esséniens.
La question principale reste la longueur disproportionnée de la des-
cription des Esséniens chez Josèphe par rapport à celle des Pharisiens et
des Sadducéens. De surcroît, une description inversement proportion-
nelle au rôle politique des Esséniens par rapport aux Pharisiens et aux
Sadducéens.
Or il est impossible pour Josèphe ou Pline par rapport aux Esséniens
comme pour Philon par rapport aux Thérapeutes de fournir tant de dé-
tails de ces communautés sans les avoir intégré eux-mêmes. Donc dès
lors que l’épisode de Bannous chez Josèphe, comme je l’écrit dans mon
ouvrage38 n’a rien à voir avec les Esséniens de la mer Morte, la question
demeure: quelle fut la source de Josèphe pour cette description détail-
lé des Esséniens? Une chose est sûre: Flavius Josèphe n’a pas écrit
les passages du livre II de la Guerre des Juifs et du livre XVIII des
Antiquités Judaïques sur les Esséniens sur la base de ses propres ob-
servations mais a emprunté à plusieurs sources. Par conséquent Philon,
Josèphe et Pline ont emprunté à des sources annexes, des géographes
peut-être comme Strabon, pour leurs descriptions respectives de ces
groupes représentatifs par ailleurs d’idéaux courants dans le monde hel-
lénistique et romain.
Si à présent nous étendons notre comparaison au yahad du Serekh de
Qumrân, nous pourrons constater une similitude générale pour les repas
communs et l’insistance sur l’étude des textes bibliques mais également
l’utilisation d’un calendrier solaire et l’importance accordée à la fête de
la Pentecôte, ou du moins, semble-t-il chez les Thérapeutes, une fête
célébrée tous les cinquante jours. Il existe certes des divergences entre
les notices des Thérapeutes, des Esséniens et les documents communau-
taires de Qumrân comme par exemple le fait que les premiers célèbrent
exclusivement le shabbat parmi les fêtes juives, ne consomment pas de
nourriture carnée ni ne boivent de vin, ne font qu’un repas par jour, ils
distribuent leur biens avant de joindre le groupe au lieu de les mettre
en commun. Cela dit ces communautés décrites dans toutes ces notices
ainsi que celles qui émergent des textes de Qumrân sont toutes des as-
sociations volontaires dédiées à la poursuite de la perfection religieuse.
38 Cf. C. Cohen-Matlofsky, Flavius Josèphe, les ambitions d’un homme, Paris, 2012.
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te servent avec foi [afin que] leur postérité [so]it devant toi tous les
jours». Ce passage des Hymnes vise non pas précisément les membres
du groupe de Qumrân mais tous les croyants qui ont adhéré à la com-
munauté. Donc «postérité» ici fait référence aux nouveaux membres de
la communauté, selon certains chercheurs.
1QS 4,7 mentionne parmi les récompenses terrestres, la «fécondi-
té» impliquant par conséquent l’état conjugal des membres de la
communauté.
Or certains chercheurs suggèrent une interprétation purement spiri-
tuelle à cette «fécondité»; ils voient dans la «fécondité de la semence»
celle des «fils spirituels que les membres de la communauté parvenaient
à recruter».
Au demeurant, l’allusion à une postérité et dès lors à l’état conjugal,
se rencontre aussi dans 1QSa 1,4, 9-10 où il est clairement question
d’hommes, de femmes et enfants. Mais ce texte décrit l’avenir escha-
tologique de la communauté et envisage à la fin des temps, l’arrivée
en masse de nouveaux membres, hommes, femmes et enfants, soit des
familles entières. 1QpPs 37, 3, 1-2 parle de membres de la communauté
qui ont fui le monde et se sont établis dans le désert. Or même pour eux
il est question d’une progéniture. Cette sorte d’arguments d’ordre gé-
néral susceptibles de plaider contre un régime de vie célibataire adopté
par les Esséniens et les Qumrâniens ferait défaut à condition de prendre
le texte au sens purement allégorique. Au demeurant, il n’est nulle part
explicitement question de célibat dans les manuscrits de Qumrân.
En outre le Rouleau du Temple 57, 11 décrit la monogamie du Roi et
CD 4: 19 et 5: 2 prescrit la monogamie universelle. Le Serekh préconise
le mariage précoce, l’endogamie au sein du groupe et interdit le rema-
riage en cas de divorce.
D’autre part, l’absence de halakhot exhaustives sur le mariage dans le
Serekh ne constitue pas en soi une preuve de renoncement à la vie ma-
trimoniale chez les Qumrâniens car de même que nous le voyons chez
les Pharisiens au travers de la littérature rabbinique plus tardive il n’y
avait pas non plus de halakhot exhaustives (par exemple il n’y a rien sur
la polygynie/monogamie) sur le mariage pour l’ensemble de la société
juive palestinienne contemporaine et pourtant les gens pratiquaient la
vie conjugale.
En outre le Serekh ou Règle de la Communauté ne contient pas de ha-
lakhot sur le shabbat et pourtant qui en contesterait l’existence et l’ob-
servance à l’époque à Qumrân et ailleurs?
Donc plutôt que de s’appuyer sur l’argument du célibat qui fait défaut
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44 M-F. Baslez, Bible et Histoire, Judaïsme, hellénisme, christianisme, 1998, op. cit.,
p. 21.
45 Ibidem, p. 137.
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46
Cf. L. Schifman, Reclaiming the Dead Sea Scrolls, Philadelphia, 1994, p. 247.
47
J. Baumgarten, traduit par C. Batsch, «La Loi religieuse de la communauté de
Qumrân», Annales Histoire Sciences sociales, 1996, p. 1005-1025.
48 Cf. J.T.Milik, Ten Years of Discovery in the Wilderness of Judea traduit par
J.Strugnell, SBT 1/6, London, 1933, p. 83-93.
49 Cf. E.Regev, «The Yahad, and the Damascus Covenant: Structure, Organisation
and Relationship», RevQ 21, 2003, p. 233-262.
THE QUMRAN CHRONICLE 22, 2014 97
54 Cf. J. Ftzmayer, The Impact of the Dead Sea Scrolls, New Jersey, 1957.
THE QUMRAN CHRONICLE 22, 2014 99
tement encore du lien de fratrie des deux religions plutôt que de leur
relation filiale trop longtemps acceptée.
Qumrân=Temple Spirituel, Premiers Chrétiens=Pharisiens-Prophètes:
les questions restent posées.
En conclusion, si les manuscrits dits proprement communautaires
parmi les documents de Qumrân, décrivent la pensée des habitants du
site de Qumrân, alors il semblerait que chez les Qumrâniens, une absti-
nence sexuelle purificatrice et eschatologique ait été prescrite.
La majorité des manuscrits sont en hébreu, 20% sont en araméen.
Quelques pièces retrouvées dans la grotte 4, sont en grec, composées
peut-être dans la diaspora égyptienne, importante à l’époque, surtout
à Alexandrie.
Daniel Stoekl Ben Ezra55, a tenté de prouver, à l’aide de méthodes
statistiques, que les fameux manuscrits de Qumrân ont en réalité deux
origines différentes même si le mystère reste complet quant à l’identi-
té des dépositaires et leurs motivations. Stoekl Ben Ezra explique que
différents types de textes étaient représentés dans chaque grotte, la ré-
partition étant à peu près la même dans chacune. Il a constaté que deux
des grottes contiennent en majorité des manuscrits en moyenne anté-
rieurs de cinquante ans à ceux des autres grottes. Or, on imagine mal
les habitants de Qumrân prendre le temps de classer leurs nombreux
documents au moment de les cacher. Ainsi pour Stoekl Ben Ezra il exis-
tait forcément deux collections de livres distinctes, une «jeune» et une
«vieille». Sa conclusion ne vient en rien infirmer les autres théories si
ce n’est que les auteurs n’auraient plus à la hâte et sous la menace d’un
danger imminent, cachés ces manuscrits mais auraient bel et bien utilisé
les grottes comme bibliothèque au sens moderne du terme voire de lieu
de stockage des rouleaux, comme ce fut le cas près de Jéricho. Alors qui
a stocké tous ces documents? Des Jérusalémites ou sinon qui d’autres?
Au demeurant, vu le nombre de manuscrits il s’agit d’une bibliothèque
constituée sur plusieurs siècles.
A présent penchons-nous sur le site lui-même.
Diverses alternatives ont été proposées, nous l’avons vu, au triangle
Esséniens-site de Qumrân-manuscrits et notamment par l’historien
Norman Golb mais également par les archéologues Yizhar Hirschfeld,
Yitshaq Magen et Yuval Peleg.
55 Cf. D. Stöekl Ben Ezra, «Old Caves and Young Caves: A Statistical Reevaluation
of a Qumran Consensus» in Dead Sea Discoveries 14/3, 2007, p. 313-333.
100 THE QUMRAN CHRONICLE 22, 2014
56 J. Magness, The Archeology of Qumran and The Dead Sea Scrolls, Grand Rapids,
2002.
102 THE QUMRAN CHRONICLE 22, 2014
60 Pour une discussion détaillée sur le cimetière de Qumrân voir John Collins,
Beyond the Qumran Community, op. cit., p. 197-204.
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63 Voir à ce propos J.J. Collins, Beyond the Qumran Community, the Sectarian Move-
ment of the Dead Sea Scrolls, 2010, op.cit. p.19 et notes.
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auraient emporté avec eux, fuyant les Romains en 68, leur document
le plus précieux, les Chants du sacrifice du Shabbat, à Masada, dernier
bastion de la révolte. Ou encore tout simplement il s’agit de différentes
copies émanant de bibliothèques et reflétant l’un des courants de pensée
du judaïsme hellénistique et romain.
Tout d’abord posons cette question fondamentale: les Chants du sa-
crifice du Shabbat seraient-ils des textes communautaires comme l’a
proposé Carole Newsom ou plutôt une réécriture Qumrânienne d’un
texte original émanant vraisemblablement du mouvement de spirituali-
sation du culte dans le Temple de Jérusalem et donc écrit par des prêtres
de Jérusalem? Pour ma part je pencherais pour la deuxième possibilité
et rajouterais que ce furent vraisemblablement des prêtres d’obédience
pharisienne, la faction apocalyptiste des Hasidim que j’ai mentionnée
dans les pages précédentes, car selon moi plus tard ces Chants du sa-
crifice du Shabbat furent préservés et retravaillés dans la littérature rab-
binique et évoluèrent en littérature des Heikhalot.
Quant à la nature des documents dits mystiques de Qumrân, je me
propose, à l’appui de la thèse doctorale de Daniel Falk64, publiée en
1998, de m’interroger sur ce qui me paraît essentiel. En effet y-a-t-il eu
une liturgie réglementée à Jérusalem précédant la destruction du Temple
par des groupes autres que les leviim et kohanim? Cette liturgie se se-
rait-elle développée en parallèle aux sacrifices, comme autre moyen
de communication, voire de communion avec la divinité pour les Bney
Israël et les textes retrouvés à Qumrân, si constituant une bibliothèque
émanant de Jérusalem, seraient autant de témoins de cet état de fait.
D’autre part cette liturgie réglementée en question aurait-elle, au fil du
temps, bien que toujours le reflet des courants religieux de Jérusalem,
mais telle que pratiquée par les Qumrâniens, remplacé les sacrifices du
Temple en attendant.....?
Ou alors les textes liturgiques de Qumrân seraient à classer à part et
constitueraient le produit de la communauté ésotérique des Qumrâniens.
Les Chants du Sacrifice du Shabbat furent rendus publics pour la pre-
mière fois par John Strugnell dans une conférence à la fin des années
1950.
Philip Alexander, dans l’ouvrage que j’ai cité au début de cette étude
établit des parallèles entre la littérature des Heikhalot et les Chants du
sacrifice du Shabbat de Qumrân. Johann Maier, Ithamar Gruenwald et
64 Cf. D. K. Falk, Daily, Sabbath and Festival Prayers in the Dead Sea Scrolls,
Leiden, 1998.
THE QUMRAN CHRONICLE 22, 2014 107
70 Hagigah, 2.1.
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71 Voir notamment J.M Baumgarten, «The Qumran Sabbath Shirot and Rabbinic
Merkabah Tradition, RevQ, 1988, 13, p. 199-213. et J.R. Davila, Descenders to the
Chariot: The People Behind the Heikhalot literature, Leiden, 2011.
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72 Cf. S. Mimouni, Le judaïsme ancien, du VIème siècle avant notre ère au IIIème
siècle de notre ère, des prêtres aux rabbins, 2012, op. cit.
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l’ère courante. Jonathan est le prêtre impie des textes de Qumrân contre
lequel le Moreh Hasedeq soit le maître de Justice, personnage embléma-
tique dans la littérature Qumrânienne et que les chercheurs de manière
consensuelle situent au milieu du deuxième siècle avant l’ère courante,
s’est insurgé. Ces prêtres et scribes pharisiens dissidents, s’opposant au
cumul des fonctions de Roi et Grand-Prêtre des souverains Hasmonéens,
s’exilent pour certains, à Qumrân. Ils vont y développer ou réécrire les
Chants du Sacrifice du Shabbat et autres textes liturgiques, une littéra-
ture mystique qui dès lors remplacera le culte de Jérusalem pour l’amé-
liorer, ils ne peuvent pas faire de sacrifices, désormais la communion
avec dieu se fait en pratiques liturgiques plus élaborées, voire mystiques.
Cette littérature évoluera en littératures de la Merkabah et des Heikhalot
préservées avec quelques distorsions dans la littérature rabbinique plus
tardive. Ce qui explique les similitudes entre les Chants du Sacrifice
du Shabbat et autres textes de Qumrân et les textes de la Merkabah/
Heikhalot. Les Chants du Shabbat seraient des lors le chaînon manquant
entre Ezéchiel 1 et la littérature de la Merkabah/Heikhalot.
Par conséquent Qumrân fut au moins à un moment de son existence
comme site, un Beth Midrash l’ kohanim et certains des documents dé-
couverts dans les grottes de sa vicinité furent l’œuvre de scribes résidant
au moins temporairement sur le site.
A mon sens, la praxis mystique, corporelle ou non, tout comme les
pratiques funéraires, traversent aisément les siècles voire les millénaires
car empreintes de superstition. Certes, pour l’heure, une praxis mys-
tique corporelle détaillée ne se trouve pas, mise par écrit, dans les docu-
ments de Qumrân. Cela dit, qu’elle ne le soit pas, n’exclut pas qu’elle
existât à Qumrân. En outre la répétition qui scande les textes liturgiques
de Qumrân ne suffirait-elle pas à témoigner en soi d’une praxis mys-
tique corporelle?
Je serais encline à penser que les deux courants de l’Antiquité plus
tardive, attestés dans la littérature rabbinique, parmi les geonim, de rab-
bins et de mystiques trouvent leur origine dans la littérature de Qumrân.
Ceci devrait tout au moins constituer une piste de recherche non négli-
geable.
Au demeurant, la mystique juive a des origines dans la période du
Second Temple en Judée et vraisemblablement dans le milieu d’obé-
dience pharisienne des Hasidim de Jérusalem exilés ou non à Qumrân.
De surcroît, une combinaison entre la théorie de Golb et celle de Stoekl
Ben Ezra nous mène à conclure encore que les grottes de Qumrân recé-
lèrent la bibliothèque du Temple de Jérusalem constituée sur plusieurs
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73 Voir Marc Philonenko, Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscrip-
tions et Belles Lettres Année 2005, La Mystique du char divin, les papyrus démotiques
magiques et les textes de Nag Hammadi, http://www.persee.fr/web/revues/home/pre-
script/article/crai_0065-0536_2005_num_149_3_22907 : «La mystique juive de la
Merkabah est née en Palestine à l’epoque du second temple elle fut dispersée en Egypte
dans des cercles païens ésotériques et se retrouve plus tard dans la gnose chrétienne
et même dans l’islam : Dis (encore): qui est le seigneur des sept cieux et du trône im-
mense? Ils répondront: (c’est) Allah!»
118 THE QUMRAN CHRONICLE 22, 2014
sectes des «Esséniens» et encore plus des Thérapeutes, que Philon tenait
en grande sympathie, appartenaient à ce groupe. Nous ignorons s’il y
eut des échanges d’idées entre eux. En tous cas Philon est lié au courant
principal de la mystique juive qui fut véhiculé par la tradition ésotérique
jusque dans le moyen-âge lorsque la kabbalah utilisa les restes de cette
tradition pour la construction de son propre système de théosophie.
En outre, il y a des affinitiés entre Philon et Plotin, de même des cor-
respondances entre bon nombres de vues de Philon et celles de philos-
ophes juifs médiévaux lesquels furent influencés par les idées néopla-
toniques.
Les aspirations mystiques de Philon trouvèrent leur forme concrète
par leur combinaison avec les idées juives.
Le mystique philonien qui s’élève à l’appréhension de Dieu n’est
pas capable d’appercevoir Sa face mais peut saisir les vertues dans
lesquelles, en quelque sorte Il s’étend.
Le côté mystique de la nature de Philon est pertinent pas seulement
parce qu’il nous apparait comme la clef pour comprendre son mode de
pensée, mais aussi parce qu’il le montre comme le premier exemple d’un
type religieux, destiné à devenir l’une des formes les plus familières de
la piété parmi les professeurs de la croyance monothéiste.
Dans le cas de Qumrân, la mystique se pratique de façon individuelle
selon Alexander ou il s’agit d’un rituel liturgique communautaire selon
Schäfer. Il s’agit d’un mouvement individuel ascendant pour se joindre
au culte des anges pour Alexander. Ce sont les anges qui descendent et
viennent se mêler à la communauté pour Schäfer.
Quant à la praxis mystique reflétée dans certains textes de Qumrân,
elle me semble évidente: un texte mystique impliquant une pratique
mystique, d’autant que s’agissant de textes liturgiques, ceux-ci nécessi-
tent une pratique rituelle, voire corporelle. De même les pratiques cor-
porelles accompagnant la liturgie synagogale aujourd’hui notamment
durant la fête de soukkot ne seraient-elles pas des réminiscences de cette
très ancienne praxis mystique telle qu’émanant de Qumrân? Il est aussi
question d’une union avec les anges dans la généalogie de la mystique
juive et chrétienne. La loi de Dieu au ciel oblige les anges comme les
hommes sur terre. La mission des anges au ciel est de procéder à la lit-
urgie céleste pour proclamer la royauté de Dieu.
Il semble donc que la méthodologie la plus adaptée reste la compara-
ison systématique des textes liturgiques de Qumrân avec les textes et les
discussions rabbiniques relatifs à la prière et à la communication avec
Dieu.