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Mami
Wata: Un Esprit des Eaux Africain
Par Pierre Amrouche (Lomé, 2006)
Sur les côtes d’Afrique de l’ouest, on raconte la légende de la sirène mystérieuse qui hante de nuit les rivages océaniques et lagunaires, au Togo, au Ghana et au Bénin principalement. Symbole de pureté et de résurrection par la blancheur de son corps, et de féminité par son opulente poitrine, son corps hybride, mi-femme mi-poisson, ne lui permet pas d’engendrer. C’est pourquoi les hommes ne doivent pas l’approcher sous peine d’être frappés de stérilité. Différentes versions du mythe se rencontrent selon les lieux et les rites, et différentes explications de l’origine de cette croyance coexistent dans toute l’Afrique.
Pour certains Mami Wata, la mère des eaux en anglais, est une Ophélie africaine, la réincarnation d’une femme peulh entraînée dans les eaux par la sirène et qui revient hanter les berges. Pour d’autres elle fait partie du vaste panthéon vaudou et représente une déesse mère, protectrice des femmes habitées par un esprit des eaux auquel elles rendent un culte. Mami Wata est alors un esprit positif joyeux qui aime rire et boire des liquides sucrés et parfumés, et se parer le corps de colliers de perles. Les adeptes ont le corps peint en blanc au kaolin et portent des coiffures sophistiquées piquées d’ornements précieux ou de coquillages ; quand l’esprit de l’eau les visite – on dit ‘les chevauche’ –, elles tombent en transe et affectent des attitudes précieuses surprenantes. Régulièrement elles se rendent en procession au bord de la mer ou des lagunes pour faire des offrandes à la déesse : des parfums, du talc, des fruits et des fleurs. L’appartenance à ce rite leurs impose de nombreux interdits, vestimentaires, alimentaires et sexuels – plusieurs jours de la semaine sont réservés à la déesse au cours desquels le port de vêtements blancs est obligatoire.
Au Congo et au Gabon, Mami Wata représentait par tradition une divinité tutélaire protectrice de la famille. L’évolution de la société congolaise a transformé cette image respectable, faisant de la sirène une sorte de prostituée ou de femme aux mœurs libres pratiquant une forme inavouée de polyandrie. Dans notre époque marquée par l’expansion du sida, elle représente une femme dangereuse pour les hommes, une redoutable séductrice apportant la maladie et la mort. D’autres versions sont moins négatives, Mami Wata serait une femme moderne qui travaille et prend son destin en main ; c’est l’image de la femme libérée, admirée et crainte à la fois. La représentation de la sirène en femme fatale est un thème fréquent dans la peinture populaire au Congo où ses attributs évoluent en fonction des modes : aujourd’hui toute Mami Wata qui se respecte a un téléphone cellulaire et une montre de luxe.
Les ethnologues ont différents points de vue quant à la genèse du mythe de Mami Wata. Certains y voient une origine européenne fondée sur la présence fréquente de figures de proues en forme de sirène sur les vaisseaux négriers le long des côtes d’Afrique dès le XVe siècle. Le mythe serait donc un produit colonial, l’aspect blanc du corps de Mami Wata venant conforter cette hypothèse : elle serait une « dame blanche ». Cette explication réductrice fait peu de cas de l’imagination prolifique des Africains qui n’ont pas besoin de produits étrangers pour alimenter leur imaginaire fertile. Toutefois un syncrétisme stylistique est certain.
Une autre origine paraît, elle, certaine, fondée sur la présence en nombre sur les côtes d’Afrique, du Sénégal à l’Angola, de vastes colonies de lamantins. Ce grand mammifère de l’ordre des siréniens, aurait depuis toujours frappé les esprits par son aspect humanoïde. Toutes sortes de légendes sont issues de sa présence, et celle de Mami Wata en est la plus élaborée. L’animal a de quoi frapper les esprits avec son cri étrange et sa morphologie imposante, en particulier la poitrine de la femelle identique à des seins de femme, la couleur claire de la peau, et les nageoires, tous ces éléments contribuant à assoir la légende de la sirène.
Iconographiquement Mami Wata apparaît sous divers aspects : comme le cimier d’un masque, principalement en Côte d’Ivoire et au Nigeria, modelée en terre cuite ou crue au Togo, ou peinte sur bois ou sur toile au Congo et au Zaïre. Si les représentations congolaises de Mami Wata paraissent proches d’une imagerie européenne, ce qui est cohérent avec les supports et les techniques utilisés, tous issus de l’époque coloniale et de ses écoles d’art, en revanche les représentations en terre cuite togolaises et béninoises s’inscrivent, elles, dans la lignée d’une tradition locale ancienne de poterie rituelle du vaudou.
D’autres figurations, comme celles des masques, sont quant à elles le fruit d’un syncrétisme stylistique inspiré de l’Asie via l’Europe. La Mami Wata est alors directement inspirée du portrait d’une charmeuse de serpents indienne qui s’est produite dans les cirques européens à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Des photos de cette artiste, du nom de Maladamatjaute, sont connues et ont circulé sous forme d’affiches ou de chromos véhiculés en Afrique par des colporteurs, surtout dans les pays anglophones où les produits manufacturés indiens étaient courants. Ces affiches et ces photographies sont devenues dans l’imaginaire africain des instantanés de la sirène surprise au bord de l’eau. De cette iconographie provient aussi le surprenant costume d’écuyère dont sont affublées les représentations de Mami Wata ; de sirène elle devient charmeuse de serpents, rejoignant ainsi le culte vaudou où le python Dan est considéré comme un avatar de l’être suprême et de ce fait entouré d’un grand respect.
Quelle que soit l’origine exacte de Mami Wata, ou plutôt les origines, puisque nous pouvons lui en trouver plusieurs issues de trois continents, l’Afrique, l’Europe et l’Asie, la vénération qui l’entoure est indissociable de l’importance accordée à l’eau comme élément vital et comme synonyme de pureté. Eau des fleuves et des lagunes chargées de limons fertiles, eau de l’océan riche de son iode et de ses poissons, eau des moussons enfin, attendues chaque année avec impatience voire anxiété, porteuse de régénérescence et de résurrection. Toutes ces qualités sont liées ou attribuables à la sirène Mami Wata.
Mami Wata: An African Water Spirit
By Pierre Amrouche (Lome, 2006)
On the coasts of West Africa, the mysterious mermaid haunts by night the shores of oceans and lagoons, principally in Togo, Ghana, and Benin. A symbol of purity and rebirth by virtue of the whiteness of her body, and a symbol of femininity because of her bountiful bosom, her hybrid body – half-woman and half-fish – is unable to give birth. That’s why men must not approach her, at risk of being rendered sterile. There are different versions of the myth depending on locations and rites, and different explanations of the origin of this belief coexist throughout all of Africa.
For some, Mami Wata, a colloquial pronunciation of the English phrase “Mommy Water,” is an African Ophelia, the reincarnation of a Fula woman pulled into the waters by a mermaid and who returns to haunt the shores. For others, she is a part of a vast voodoo pantheon and represents a mother goddess, the protector of women possessed by a water spirit that they venerate. Mami Wata is, for them, a positive, joyous spirit who loves to laugh and drink sweet, perfumed liquids, and who adorns her body with pearl necklaces. Her followers paint their bodies white with kaolin and wear sophisticated hairdos topped with precious ornaments or shells; when the spirit of the waters visits them—or “straddles them”—they fall into a trance and adopt surprising, affected demeanors. They regularly form processions on the edge of the sea or lagoons to make offerings to the goddess: perfumes, talc stone, fruits, and flowers. Being a part of this rite imposes a number of restrictions on their clothing, their diet, and their sexual relations—several days of the week are reserved for the goddess, and on those days wearing white clothing is obligatory.
In Congo and Gabon, Mami Wata traditionally represented a guardian divinity, protector of the family. The evolution of Congolese society transformed that respectable image, turning the mermaid into a sort of prostitute or woman of loose morals practicing an unavowed form of polyandry. In our age, marked by the spread of AIDS, she represents a woman who is a danger to men, a formidable seductress bearing sickness and death. Other versions are less negative. Mami Wata is a modern woman who works and takes her destiny into her own hands; she’s the symbol of a liberated woman, admired and feared at the same time. The representation of the mermaid as a femme fatale is a common theme in popular painting in Congo, where her attributes evolve with the fashions: today, all self-respecting Mami Watas have a cell phone and a fancy watch.
Ethnologists have different points of view concerning the genesis of the Mami Wata myth. Some believe it has a European origin, based on the frequent presence of figureheads in the form of a mermaid on the slave ships along the coasts of Africa starting in the fifteenth century. The myth would then be a colonial product, the white aspect of Mami Wata’s body supporting this hypothesis: she would be a “white lady.” This reductive explanation does not take into account the prolific imagination of Africans who do not require foreign products to fuel their fertile imaginative worlds. Nevertheless, a stylistic syncretism is certainly present.
Another origin is certainly based on the massive presence on the coasts of Africa, from Senegal to Angola, of large populations of manatees. This great mammal of the sirenian order has always struck people with its humanoid look. All manner of legends have stemmed from its presence, Mami Wata’s being the most elaborate. Indeed, the animal does have striking qualities, with its strange cry and its imposing morphology, in particular the female’s chest identical to women’s breasts, the pale color of its skin, its flippers—all of these elements contributing to the legend of the mermaid.
Iconographically, Mami Wata has appeared under various guises: as the crest of a mask, mainly in the Ivory Coast and Nigeria; etched on terracotta or fresh clay in Togo; or painted on wood or canvas in Congo and Zaire. If the Congolese representations of Mami Wata seem similar to European imagery, which is consistent with the materials and techniques used, all stemming from the colonial era and its art schools, conversely the Togolese and Beninese representations in terracotta are part of the old local lineage of ritual voodoo pottery.
Other portrayals, like those on masks, are the fruit of a stylistic syncretism inspired by Asia via Europe. Mami Wata was directly inspired by the portrait of an Indian snake charmer reproduced by European circuses at the end of the nineteenth century and at the beginning of the twentieth century. Photographs of this performer, who went by the name of Maladamatjaute, were known and circulated in the form of posters or full-color prints spread by peddlers around Africa, especially in Anglophone countries where Indian-manufactured products were widespread. In the African imagination these posters and photographs became snapshots of the mermaid caught unaware at the edge of the water. From this iconography also arose the surprising equestrian attire in which representations of Mami Wata are decked out: from mermaid to snake charmer, she thus merged with the voodoo cult in which Dan the python is considered an avatar of the Supreme Being and consequently accorded great respect.
Regardless of the exact origin of Mami Wata—or rather origins, since we can identify several, from three different continents: Africa, Europe, and Asia—the veneration that surrounds her is inseparable from the importance accorded to water as a vital element and synonym for purity. The water of rivers and lagoons full of fertile silt, the water of the ocean rich with its iodine and fish, and finally the water of the monsoons, awaited each year with impatience, even anxiety, bearer of rejuvenation and rebirth. All of these qualities are linked or attributable to the mermaid Mami Wata.
La Geste de Fanta: Archétype Du Chasseur Dans La Culture Des Bozo (Récits de Myeru Baa & Mahamadu Lamini Sunbunu Traduits Et Édités Par Shekh Tijaan Hayidara)
Centre d'Etudes Linguistiques et Historiques par Tradition Orale (CELHTO)