Cours en Ligne
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« Près de deux siècles après les déclarations américaines des droits de l’homme (1776) et
françaises (1789), trente (30) ans après celle des Nations Unies (1948), les pays qui passent
pourtant, à juste titre, pour des pays de liberté tolèrent chez eux des pratiques inadmissibles :
arrestations ou interpellations de légalité douteuse, atteinte à la vie privée, brutalités dans les
locaux de la police, détentions abusives , saisies répétées des journaux , censure… ». Ces
écrits sont tirés de l’ouvrage de libertés publiques du professeur Jacques ROBERT publié en
19771. Nonobstant les progrès de l’Etat de droit, ils gardent leur actualité, et ce, au regard de
la situation des libertés dans de nombreux pays du monde, dans les pays développés ou en
voie de développement. En effet, bien souvent la proclamation de l’Etat de droit ainsi que des
droits et libertés qui le caractérisent demeure formelle ou recule exceptionnellement dans les
situations de crise. Ce contexte difficile pour les libertés publiques n’a pas toujours facilité
l’enseignement des libertés publiques en ce qu’il est lourd de menace pour les enseignants dès
lors que le cours de libertés publiques amène parfois à porter un regard critique sur l’exercice
du pouvoir par les gouvernants considérés comme les principaux violateurs des libertés
publiques. Nonobstant ce fait, le cours de libertés publiques continue de tenir une place de
choix dans les enseignements juridiques. Dès lors qu’on s’intéresse aux libertés publiques,
une série de questions peuvent se posent :
- La question de la définition des libertés publiques ;
- La question du lien des libertés publiques avec les notions voisines de droits de l’homme et
de droits fondamentaux ;
- La question de l’autonomie du droit des libertés publiques ;
- La question de l’intérêt de l’enseignement du droit des libertés publiques.
Des réponses doivent leur être données dans le cadre de cette introduction.
1 Jacques ROBERT, Libertés publiques, Montchrestien, Paris, 2ème édition, 1977, p.7.
1
De façon générale, les libertés publiques sont, d’abord, des libertés, c’est-à-dire des
pouvoirs d’autodétermination qui permettent aux hommes de choisir leur comportement dans
les divers domaines de la vie sociale, « des facultés d’agir qui mettent en lumière une sphère
d’autonomie »2. Ce qui implique une liberté de faire mais aussi de ne pas faire.
Elles sont dites publiques parce qu’étant reconnues par les pouvoirs publics.
C’est pour synthétiser ces éléments que le professeur Jean Rivero définit les libertés
publiques comme des « pouvoirs d’autodétermination reconnues par le droit positif ». Ces
droits ou « pouvoirs d’autodétermination » n’existent pas en dehors de l’Etat. Ce qui fait
écrire encore au professeur Rivero que « Toutes les libertés qu’elles intéressent directement
les relations des particuliers entre eux ou avec le pouvoir sont des libertés publiques en ce
qu’elles n’entrent dans le droit positif que lorsque l’Etat en a consacré le principe, aménagé
l’exercé et assuré le respect ». Dans le même mouvement de pensée, Stéphanie Henette
Vauchez, Diane Roman écrivent: « Les libertés publiques renvoient à des facultés de faire
(libertés) reconnues et garanties par le droit positif ». Ce qui explique que ces libertés soient
variables dans le temps et dans l’espace et qu’elles soient marquées du sceau de la diversité.
Ces libertés dont il s’agit peuvent se manifester soit à l’égard des personnes privées, soit à
l’égard des personnes publiques. Pendant longtemps, cette consécration, en droit français, fut
le fait de la loi.
Sous cette définition, nombreuses sont les libertés publiques que la Doctrine s’efforce de
classifier. Elle distingue ainsi entre les libertés individuelles ou collectives, en fonction des
modalités de leur exercice. Les libertés individuelles s’exerceraient individuellement et
permettraient à l’individu de s’assurer une certaine autonomie face au pouvoir. Par exemple la
liberté d’aller et de venir, la liberté d’opinion, la liberté de conscience, le droit de vote. Les
libertés collectives s’exerceraient collectivement. C’est l’exemple de la liberté syndicale, la
liberté de constituer un parti politique, le droit de grève…
Elle distingue encore entre les droits en fonction de leur nature ou objet. Dans ce cadre, on
retrouve les droits civils et politiques dits droits de la première génération (liberté familiale et
vie privée, liberté de conscience, de religion, liberté contractuelle, libertés politiques, etc) 3, les
droits économiques et sociaux dits droits de la deuxième génération (droit au travail, droit de
grève, le droit à un égal accès à l’instruction, etc), les droits de la solidarité dits droits de la
4 Ils sont la conséquence de certaines évolutions technologiques et de l’existence de possibilités d’atteinte aux
droits et libertés dues à ces évolutions. Certains droits relèveraient d’une logique plutôt individuelle, de refus de
manipulation génétique ou de clonage, de protection de l’embryon ou du défunt contre un usage inapproprié, de
protection contre la violation des secrets personnels par voie informatique ou de vidéosurveillance ; droit à un
environnement sain…
5 Yannick LECUYER, Libertés et droits fondamentaux, Gualino lextensoédition, Paris, p. 16.
3
présentation des droits de l’Homme. Cette question se pose d’autant plus qu’aujourd’hui aussi
bien qu’au plan interne qu’international, il existe de nombreux instruments juridiques qui font
expressément référence à la reconnaissance des droits de l’homme et qui leur accorde une
certaine protection.
En fait, les conceptions doctrinales ont évolué. Comme l’indique Michel Levinet, « En
réalité, les droits de l’Homme sont pleinement intégrés dans une perspective juridique. Ils ne
relèvent pas d’une rêverie propre à des juristes égarés mais sont dotés d’un statut juridique qui
les transforme en une catégorie juridique à laquelle est attaché un statut protecteur ». C’est
sans doute pour contourner la contradiction que certains auteurs qui ne nient pas le
« processus de juridicisation » en cours « qui est le signe d’une profonde mutation
significative d’un passage d’une idéologie au droit » écrivent que les droits de l’homme sont
utilisés à niveau international ou des institutions internationales leur sont consacrées alors que
les libertés publiques sont nationalement connotées. De plus, ils mettent l’accent sur la
« conception universaliste » des droits de l’homme « considérant que les hommes c’est-à-dire
l’ensemble des personnes humaines donc idées de droits humains doivent avoir les mêmes
droits partout sur la planète…Ces droits sont applicables à l’ensemble de l’humanité en
fonction de l’appartenance à l’espèce humaine, sans tenir compte de leur appartenance à un
Etat ». Le professeur Patrick Wachsman va dans le même sens et écrit que les droits de
l’homme pourraient renvoyer aujourd’hui à la dimension internationale des libertés
publiques…Il y a là la reprise d’une position que l’on retrouve déjà chez le professeur jean
RIVERO pour qui les « droits de l’homme (…) présentent les caractères qui permettent de
voir un droit, au sens propre du terme, dans une possibilité reconnue à l’homme : un titulaire,
un sujet auquel l’opposer. Il est donc possible de leur attacher une sanction qui les fait entrer
dans le droit positif. C’est ce qui s’est passé en droit international », conclut-il. C’est ce qui
s’est produit aussi partiellement, pense-t-il en droit interne français, avec les libertés
publiques qui constitueraient une sous-catégorie des libertés publiques. En définitive, il
convient peut-être de mettre l’accent sur l’idée de contenu, en indiquant que le contenu des
droits de l’homme est beaucoup plus large que celui des libertés publiques. Ce point de vue
est défendu par le professeur RIVERO qui invite à retenir que « si les libertés publiques sont
bien des droits de l’homme, tous les droits de l’homme ne sont pas des libertés publiques », à
l’exemple des droits à la santé, à l’éducation, à un emploi, à la solidarité considérés à juste
titre comme des droits de l’homme.
Contrairement à la notion des droits de l’homme qui a des origines très anciennes, le
concept de droits fondamentaux est assez nouveau, du moins en France. Elle est inspirée par
la Constitution allemande 1949 qui la consacre déjà à travers sa première partie intitulée « Les
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droits fondamentaux ». Précisément, son article 1 dispose que : « 1. La dignité de l’être
humain est intangible. Tous les pouvoirs publics ont l’obligation de la respecter et de la
protéger. (2) En conséquence, le peuple allemand reconnaît à l’être humain des droits
inviolables et inaliénables comme fondement de toute communauté humaine, de la paix, et de
la justice dans le monde. (3) Les droits fondamentaux énoncés ci-après lient les pouvoirs
législatif, exécutif et judiciaire à titre de droit directement applicable. En France, malgré
quelques résistances, l’idée des droits ou libertés fondamentaux tend à supplanter
l’appellation de Libertés publiques ou l’oblige à la cohabitation6 aussi bien dans les intitulés
officiels des cours7 qu’en ce qui concerne le titre de certains manuels consacrés aux libertés
publiques.
La 1ère diffusion de l’expression « droits fondamentaux » en France, daterait de 1981, suite
à l’organisation d’un colloque organisé par le groupe d’études et de recherches sur la justice
constitutionnelle à Aix-en-Provence sur le thème « Cour constitutionnelle européenne et
droits fondamentaux ». Mais en réalité, l’expression est déjà présente dans le manuel précité
du professeur Jacques Robert, quand il entreprend de définir les libertés publiques 8. De ce fait,
il serait peut être plus exact d’indiquer que 1981 sonne comme un tremplin pour ce concept,
qui, depuis n’a cessé d’être employé, au point de faire partie aujourd’hui du vocabulaire
utilisé couramment par la doctrine, la jurisprudence et même par le législateur et le
constituant.
Quel sens donner à la notion de droits fondamentaux ?
La réponse n’est pas univoque. On peut en retenir au moins deux approches principales,
une conception formelle et une conception substantielle ou matérielle.
La conception formelle fait des libertés fondamentales des libertés découlant « d’une
norme supérieure comme la constitution ou des dispositions internationales ». Autrement dit,
tous les droits et libertés bénéficiant d’une reconnaissance et d’une protection
constitutionnelle et/ou internationale sont des droits fondamentaux. A l’inverse, ceux qui ne
seraient pas consacrés par ces instruments ou qui seraient consacrés uniquement pas des
normes infra constitutionnelles ou nationales ne rentreraient pas dans le cadre des droits
fondamentaux. « Ce rattachement à une norme de degré supérieur explique que tous ces droits
bénéficient d’une protection très complète non seulement à l’égard des autorités de l’exécutif
mais aussi du législatif et du judiciaire ». C’est le sens donné généralement aux droits
6 Gilles LEBRETON, Libertés publiques et droits de l’Homme, Armand Colin, Paris, 7 ème éd., 2005 ;
Dominique TURPIN, Libertés publiques et droits fondamentaux, Seuil, Paris, 2004, etc.
7 En France, l’expression de libertés fondamentales a remplacé depuis 1994 celle de libertés publiques dans les
programmes officiels d’enseignement.
8 « Pour qu’il y ait liberté publique, il faudrait à notre sens, que l’on se trouve en présence de droits d’une
certaine importance, de libertés fondamentales ». p. 24.
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fondamentaux en France. On peut le retrouver chez Louis Favoreu et d’autres autres qui ont
publié ensemble l’ouvrage collectif « Droit des libertés fondamentales » au sens où pour eux,
« un système juridique comprendra par conséquent des droits fondamentaux si et seulement
s’il existe des rapports normatifs satisfaisant aux quatre conditions suivantes : 1. Il existe des
permissions…2) les normes législatives et les normes infra législatives, ainsi que les actes de
même contenu…abolissant ces permissions ou les limitant au-delà d’une certaine mesure
sont considérées comme fautives ; 3) il existe un organe juridictionnel de contrôle habilité à
annuler les normes fautives ou d’empêcher qu’ils deviennent des normes ; 4) il existe des
organes habilités à saisir l’organe juridictionnel de contrôle des normes…
Ce sens est également applicable à l’Allemagne dont la constitution du 23 Mai 1949
consacre la notion de droits fondamentaux.
La conception substantielle fait des droits fondamentaux des droits « d’une certaine
importance », des plus importants que d’autres, des droits particulièrement importants, ce qui
justifieraient par exemple leur consécration constitutionnelle…« De ce point de vue, le droit
fondamental n’est donc pas dans la constitution, sous prétexte qu’elle l’exprime : c’est elle qui
est en lui et dont elle est l’instrument normatif majeur, en organisant les droits particuliers que
le droit fondamental postule dans sa relativité concrète » (Etienne Picard, cité par Michel
Levinet).
Cette controverse doctrinale a déjà pour effet de présenter une première limite de la notion
de droits fondamentaux en mettant en évidence les incertitudes sur la définition des droits
fondamentaux.
Au-delà, on peut noter que les juridictions elles-mêmes, notamment en France n’ont pas la
même appréhension du contenu concret des droits fondamentaux. Ce fait est stigmatisé par
Stéphanie Hénette Vauchez et Diane Roman pour qui « le juge administratif reconnait comme
libertés fondamentales le droit d’asile, le droit de propriété, le droit de grève, le droit de mener
une vie familiale normale, le droit de se marier, …c’est-à-dire une liste qui ne coïncide pas
exactement ni avec celle qui résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui
distingue le droit de propriété, la libre communication des idées et les droits fondamentaux
des étrangers ni ce qui a pu être qualifié de fondamental par le juge judiciaire ».
En tout état de cause, comme le notait Mme VERONIQUE CHAMPEIL-DES PLATS
dans un article intitulé « des libertés publiques aux droits fondamentaux : effets et enjeux d’un
changement de dénomination », ce changement de terminologie n’a pas toujours été
accompagné d’une modification qualificative de fond des cours et manuels des libertés
publiques. Cette observation tend à réduire la portée de l’évolution terminologique. Cette
portée est d’autant plus réduite que le critère de la fondamentalité des droits proclamés qui
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réside parfois dans la consécration de ces droits par la constitution ou les normes
internationales n’est pas tout à fait nouvelle. En effet, ainsi que nous le rappelle fort justement
le professeur CHAMPEIL-DESPLATS, il est certes difficile de remettre en cause
l’importance de la loi dans l’approche classique des libertés publiques mais il serait faux
d’affirmer que la constitution n’a jamais joué un rôle dans la consécration ou la protection
des libertés publiques. On en veut pour preuve la jurisprudence du Conseil constitutionnel
français qui s’appuie sur les normes du bloc de constitutionnalité pour assurer la protection
des libertés publiques.
Par ailleurs, on peut être d’accord avec certains auteurs pour indiquer que le crédit accordé
à la protection constitutionnelle des droits fondamentaux est surfait, surestimé car ceux qui
font cette analyse négligent l’importance que conservent la loi et la jurisprudence en matière
de libertés publiques.
En définitive, concernant la notion des droits fondamentaux, on retiendra que les enjeux
sont peut-être ailleurs à savoir : provoquer une refonte du contenu cours de libertés publiques
et en faire l’affaire des constitutionnalistes. Cette analyse ne serait pas dénuée de tout sens au
regard de ce que l’on peut lire dans l’ouvrage collectif précité rédigé sous la direction du
Doyen FAVOREU. Pour lui et les autres : « tandis que l’enseignement de libertés publiques
serait baigné des concepts et principes de droit administratif (ce qui explique d’ailleurs que la
plupart des auteurs des auteurs de manuels soient des administratifs), les droits fondamentaux
sont conçus comme des sources de rayonnement destinées à faire évoluer les concepts de base
des diverses matières concernées ». Peut être s’agit-il aussi pour certains d’un effet de mode.
Ces développements conduisent à ne pas accorder une importance trop grande à l’évolution
terminologique et à conserver au cours son appellation, sans qu’il soit besoin de convoquer
cette autre exigence tenant à la conservation de l’intitulé Libertés publiques par la maquette
pédagogique de l’UFR des Sciences juridique, administrative et politique de l’Université
Félix Houphouët-Boigny de Cocody. On aurait pu par ailleurs trouver une autre raison de
conserver à ce cours son intitulé de libertés publiques en nous appuyant sur certaines
conceptions doctrinales pour lesquelles « le recours à la notion de libertés fondamentales
entend essentiellement traduire la place croissante qu’occupe dans la définition des Libertés
publiques, la jurisprudence constitutionnelle…les droits fondamentaux ne constituent donc
qu’une partie des libertés publiques ».
A la suite de ces développements, il convient de s’interroger maintenant sur la question de
l’autonomie du cours de Droit des libertés publiques.
7
III- L’AUTONOMIE DES LIBERTES PUBLIQUES
De nombreux chapitres du droit des libertés publiques relèvent d’autres enseignements.
Ainsi, l’étude de la liberté individuelle relève pour une part du droit pénal. Le droit syndical et
son corollaire le droit de grève sont des aspects des cours de droit du travail et du droit de la
fonction publique. Pour ce qui la concerne, la liberté du commerce et de l’industrie est étudiée
en droit public économique. L’examen de ces quelques libertés publiques dans certaines
autres branches du droit n’a pas empêché l’autonomisation du droit des libertés publiques
quoiqu’il ait pu être dit que « les libertés publiques ne revendiquent aucune « autonomie »,
ayant « une vocation, en quelque sorte « transversale » : celle d’envisager l’ensemble de la
règlementation juridique sous l’angle des libertés publiques » (Patrick WACHSMANN, p. 8).
Cette autonomie qui est à saisir au sens de discipline enseignée distinctement et
séparément des matières de base du droit public ou privé est une réalité en France depuis la
moitié des années 1954. En Côte d’Ivoire, ce cours a été repris comme enseignement
autonome dans le prolongement des programmes universitaires français de licence.
Les justifications de cette autonomie des libertés publiques sont variables selon les auteurs.
Jacques ROBERT l’explique par le fait que des conséquences juridiques particulières sont
attachées à la notion de libertés publiques. Il écrit : « Dès lors qu’on se trouve en présence
d’une liberté publique, les solutions de notre droit ne sont pas les mêmes que s’il s’agissait de
trancher les litiges privés ou de se prononcer sur des agissements ordinaires de
l’Administration ». Ainsi, pour lui, le fait que le constituant donne compétence exclusive au
législateur pour la fixation des garanties fondamentaux accordées aux citoyens pour l’exercice
des libertés publiques justifie un enseignement à part.
Pour Francine et André DEMICHEL et Marcel PIQUEMAL : « les libertés publiques
constituent une discipline autonome, et ce, de deux façons. Par la matière d’abord : les
régimes juridiques qui relèvent de cette matière ne sont pour un certain nombre enseignés
nulle part ; par leur technique ensuite dans la mesure où le droit Français connait une notion
spécifique de libertés publiques ».
Au-delà de ces raisons plus ou moins contestable, il est possible de défendre l’idée selon
laquelle l’autonomisation de l’enseignement des libertés publiques s’inscrit dans un contexte
de valorisation des droits de l’homme et des libertés publiques. Par ailleurs, l’autonomisation
peut avoir répondu à la volonté d’isoler dans un seul bloc ou dans un seul cours des libertés
qui touchent à toutes les branches du droit.
8
IV- L’INTERET DE L’ENSEIGNEMENT DU DROIT DES LIBERTES PUBLIQUES
La conquête des libertés publiques ou leur exercice est un enjeu majeur des rapports
gouvernants/gouvernés. Ceci est une constante de l’histoire de l’humanité. Ainsi que peuvent
l’attester de nombreux écrits.
S’il est vrai que les pouvoirs publics peuvent apparaitre comme les plus grands violateurs
des libertés publiques, il est aussi certain qu’ils n’ont pas ce monopole de la violation des
libertés publiques. Avec eux, les personnes privées peuvent aussi constituer des bourreaux.
Face à ces menaces, le citoyen informé, instruit de ses droits mais aussi les gouvernants, les
gouvernants imprégnés de l’esprit des libertés publiques peuvent constituer des remparts. De
ce point de vue, l’enseignement des libertés publiques peut présenter une grande utilité.
Les citoyens instruits de l’existence des libertés publiques, formés à leurs mécanismes de
protection peuvent s’en servir pour lutter contre les dérives autoritaires. Ils peuvent pousser
l’Etat à ratifier les instruments juridiques relatifs aux droits de l’homme et aux libertés
publiques ou encore les inciter à promouvoir de nouvelles libertés ou encore à mieux protéger
celles qui existaient déjà.
Etudiants d’hier, devenus gouvernants, ils pourront donner effet à toutes les promesses
institutionnelles d’une meilleure protection des libertés publiques, promesses ancrées parfois
dans le préambule ou dans le corpus constitutionnel ou encore dans les engagements
internationaux souscrits par l’Etat et dont la réalisation situera in fine sur l’existence de l’Etat
de droit.
Cette vision utilitaire du Droit des libertés publiques inscrit finalement le juriste dans une
démarche militante. Cette posture qui ne doit cependant pas vicier la démarche scientifique
conduit Gilles Lebreton à écrire que « dans la lutte incessante qui oppose le respect de la
personne humaine à la fascination de la violence, l’humanisme à la barbarie, l’esprit à la
matière, le droit ne peut rester neutre ».
Ces développements achèvent l’introduction. Elles ouvrent la voie des développements qui
seront consacrés à la théorie générale des Libertés publiques. Dans ce cadre 3 chapitres seront
abordés, à savoir les sources des libertés publiques, l’aménagement de l’exercice des libertés
publiques et les garanties des libertés publiques.
9
CHAPITRE I : LES SOURCES DES LIBERTES PUBLIQUES
« Pour exister, les libertés publiques doivent être consacrées par la règle de droit. En
l’absence de cadre juridique déterminé par la puissance publique, l’exercice de prérogatives
personnelles reste éminemment fragile et aléatoire, à la merci de remise en cause potentielles
permanentes »9. Ce cadre juridique fait appel à des sources internationales et à des sources
nationales.
Section 1 : Les sources internationales des libertés publiques (la reconnaissance par les
instruments juridiques internationaux)
Longtemps la reconnaissance des libertés publiques et leur protection ont été la chasse
gardée des Etats à travers les instruments juridiques nationaux. Depuis, les instruments
juridiques nationaux laissent une place aux instruments internationaux (textes internationaux).
Ces derniers peuvent être distingués selon que l’on considère le cadre universel ou le cadre
régional.
11
le 23 Mars 1976. Comme le pacte précédent, il engage les Etats signataires à faire droit à de
nombreuses libertés. Sans vouloir être exhaustif, il fait référence à des libertés déjà consacrées
par la déclaration de 1948 à savoir :
- le droit qu’a toute personne de former avec d’autres des syndicats (article 8) ;
-le droit qu’ont les syndicats de former des fédérations ou des confédérations
nationales (article 8) ;
-le droit de toute personne à la sécurité sociale (article 9) ;
-le droit de toute personne à l’éducation (article 13);
-la liberté des parents et le cas échéant des tuteurs légaux de choisir pour leurs enfants des
établissements autres que ceux des pouvoirs publics mais conformes aux normes minimales
qui peuvent être prescrites ou approuvées par l’Etat en matière d’éducation (article 13)…
A la suite des instruments universels à portée générale, il est maintenant possible
d’examiner des instruments universels spécifiques.
Ces textes sont spécifiques car ils visent certaines catégories de personnes considérées
comme vulnérables ou en ce qu’ils s’intéressent à certains faits ou pratiques jugés
particulièrement nuisibles aux droits de l’homme. Ces textes qui sont des conventions
internationales sont nombreux. On pourra citer notamment :
-la convention du 9 Décembre 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide ;
-la convention du 21 Décembre 1965 sur l’élimination de toutes formes de discriminations
raciales ;
-la convention du 18 Décembre 1979 sur l’élimination de toutes les discriminations à l’égard
des femmes ;
-la convention du 10 Décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants ;
Depuis plusieurs décennies, un accent particulier est mis sur la question des droits de
l’enfant. Ceci explique l’adoption le 20 Novembre 1989, trente ans après la déclaration des
droits de l’enfant du 20 Novembre 1959 de la convention relative aux droits de l’enfant. Dans
cette convention, sont reconnus aux enfants (être humain de moins de 18 ans) de nombreux
droits dont le droit à la liberté de pensée, d’expression et de religion.
Tels sont, au plan universel, quelques textes qui engagent les Etats à l’affirmation et à la
reconnaissance des libertés publiques. Ce cadre juridique universel est enrichi par les
engagements régionaux.
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II- Le cadre régional africain
Ici, nous nous intéresserons particulièrement à l’Afrique où existe la charte africaine des
droits de l’homme et des peuples. Cette convention a été adoptée le 27 Juin 1981 dans le
cadre de l’Organisation de l’unité africaine. Elle est entrée en vigueur le 21 Octobre 1986.
Dans son préambule, la charte rappelle l’attachement des Etats membres au principe
« d’égalité, de liberté, de justice et de dignité qui sont des objectifs essentiels à la réalisation
des aspirations légitimes des peuples africains ». Elle y reconnaît « les droits fondamentaux de
l’être humain qui sont fondés sur les attributs de la personne humaine et engagent les Etats à
assurer la protection internationale de ces droits ». Le préambule met également l’accent sur
le droit au développement et comme dans le pacte international relatif aux droits civils et
politiques, il affirme l’indissociabilité des droits économiques, sociaux et culturels et des
droits civils et politiques.
Dans le dispositif de la charte, de nombreux droits déjà consacrés par les textes
précédemment étudiés sont réaffirmés. Ainsi, on retrouve le droit au recours (article 7), la
liberté de conscience, la profession et la pratique libre de la religion (article 8), le droit à
l’information (article 9), le droit de constituer librement des associations (article 10), le droit
de se réunir librement avec d’autres (article 11), etc.
Pour faire respecter ces droits et libertés, la charte africaine à institué deux organes : la
Commission Africaine des droits de l’homme et des peuples et depuis 1998, la cour africaine
des droits de l’homme et des peuples.
Les pouvoirs de la Commission Africaine qui sont assez réduits sont prévus par les articles
45 et suivants de la charte Africaine des droits de l’homme et des peuples.
Quant à la cour africaine des droits de l’homme et des peuples, sa naissance est
consécutive à l’adoption du protocole relatif à la charte africaine des droits de l’homme et des
peuples. Les pouvoirs de cette cour sont notamment prévus par l’article 27 dudit protocole.
NB : Ces instruments juridiques précités ont été pour la plupart ratifiés par la Côte
d’Ivoire. De ce point de vue, ils ont, selon la constitution ivoirienne, une autorité supérieure
aux lois. Leur incorporation au droit ivoirien par ratification fait d’eux des instruments
indéniables de promotion et de protection des libertés publiques. Reste que la concrétisation
de ces libertés nécessite encore une action des organes nationaux dont il faut maintenant
analyser le rôle dans la reconnaissance des libertés publiques.
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Section 2 : Les sources nationales des libertés publiques (la reconnaissance des libertés
publiques par les instruments juridiques nationaux)
Le rôle de ces sources nationales apparaît éminemment important dans le processus
d’énonciation et d’aménagement de l’exercice des libertés publiques. Ces sources nous
conduisent à l’examen de la constitution, de la loi, du règlement et de la jurisprudence.
I- La constitution
La proclamation constitutionnelle des libertés publiques apparaît aujourd’hui, comme aller
de soi, normale. Il semble n’en avoir pas été toujours ainsi, si l’on s’en tient certains auteurs.
Toutefois, il est évident que sous la Vème république française, cette consécration
constitutionnelle des libertés publiques est incontestable, après les controverses sur la valeur
juridique du Préambule.
Cette consécration n’est pas sans intérêt au regard du contenu du préambule de la
constitution de 1958 par lequel « le peuple français proclame solennellement son attachement
aux droits de l’Homme et aux principes de la souveraineté nationale, tels qu’ils sont définis
par la déclaration de 1789, confirmée par le préambule de la Constitution de 1946 ». Ces
textes reconnaissent de nombreuses libertés incorporées ou non dans les PFRLR, les Principes
particulièrement nécessaires à notre temps et le législateur ne peut leur porter atteinte.
Ainsi, la Déclaration de 1789 proclame la liberté, la propriété, la sûreté, la résistance à
l’oppression (article 1er) ; la liberté de faire tout ce qui n’est pas défendu par la loi (article 5) ;
le droit à un emploi sans discrimination (article 6) ; la liberté d’opinion (article 10) ; la liberté
de communication (article 11), etc. Au nombre des PFRLR, il ya la liberté individuelle, la
liberté de l’enseignement, la liberté de conscience, etc. Parmi les Principes particulièrement
nécessaires à notre temps consacrés par le préambule de 1946, se retrouvent le droit
d’asile, le droit de travailler, la liberté syndicale, le droit de grève, l’égal accès à l’instruction,
etc.
Dans le corpus constitutionnel, se retrouvent également affirmées plusieurs droits ou
libertés : la liberté politique (art.2), la liberté des partis et groupements politiques (art. 4), le
droit de saisir la juridiction constitutionnelle, etc.
Cette consécration constitutionnelle des libertés publiques est également une réalité en
Côte d’Ivoire aussi bien dans le préambule que dans les articles de la Constitution. Le
préambule de la constitution du 1er août 2000 se référait comme celui de la constitution du 3
novembre 1960, à la déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 et à la charte
Africaine des Droits de l’Homme et des peuples. Il est aussi observable que cette constitution
réalise une évolution, rompant avec le passé, avec l’énumération dans le corpus
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constitutionnel de nombreuses libertés (voir les articles 1 à 20 de la constitution). La
constitution du 8 novembre 2016 poursuit dans cette voie.
Ce faisant, sans conteste, le constituant ivoirien donne son plein effet à l’article 16 de la
déclaration française de 1789 lequel affirmait « toute société dans laquelle la garantie des
droits n’est pas affirmée ni la séparation des pouvoirs n’est pas déterminée n’a point de
constitution ».
Cette constitutionnalisation des libertés publiques présente des avantages indéniables. Elle
confère une certaine stabilité aux libertés publiques car toute modification les affectant doit
emprunter le chemin de la révision constitutionnelle ou celui de l’adoption d’une nouvelle
constitution. Elle leur garantit un niveau de protection plus élevé, étant soustraites à l’emprise
du pouvoir législatif et non plus simplement des autorités exécutives.
II- La loi
III-Le règlement
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Il est vrai que le législateur joue un rôle des plus importants en matière de consécration et
d’organisation des libertés publiques. Cela n’exclut pas pour autant les pouvoirs reconnus, en
la matière, à l’exécutif et aux autorités administratives en général, même si leur rôle peut
paraître secondaire. Leur intervention des autorités admet peut s’observer diversement :
-Le pouvoir réglementaire peut intervenir en application d’une loi (pouvoir réglementaire
dérivé). Par exemple, après le vote de la loi n 93-668 du 9 août 1993 relative aux partis
politiques, le Président de la République est intervenu, par décret, pour signer le décret n 99-
511 du 11 août 1999 fixant les modalités d’application de la loi ;
-Le pouvoir réglementaire peut intervenir de façon autonome. C’est l’hypothèse de l’article
103 de la constitution ivoirienne qui dispose que les matières autres que celles qui relèvent du
domaine de la loi appartiennent au domaine réglementaire. Cet article fonde l’intervention de
l’exécutif dans la détermination des contraventions (fait ou omission possible d’une peine
privative de liberté inférieure ou égale à 2 mois et d’une peine d’amende inférieure ou égale à
36 milles francs ou de l’une de ces deux peines seulement)10 ;
-le pouvoir réglementaire peut encore agir en cas de carence du législateur. Le CE français,
qui inspire fortement la CACS, en a décidé ainsi en guise d’illustration, dans l’arrêt Dehaenne
relatif à la réglementation du droit de grève : On y lit :
« En indiquant dans le préambule de la constitution que le droit de grève s’exerce dans le
cadre des lois qui le réglemente, l’assemblée constituante a entendu inviter le législateur a
opérer la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels dont la grève
constitue une modalité et la sauvegarde de l’intérêt général auxquels elle peut être de nature à
porter atteinte » ;
« En l’absence de cette réglementation, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir
pour conséquence d’exclure les limitations qui doivent être apportées à ce droit comme à tout
autre en vue d’éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l’ordre public…Il
appartient au gouvernement responsable du bon fonctionnement des services publics de fixer
lui-même sous le contrôle du juge en ce qui concerne ces services, la nature et l’étendue des
dites limitations »11.
-En dehors de l’article 37 de la constitution française (article 103 constitution ivoirienne), le
CE français a reconnu l’existence d’un pouvoir réglementaire autonome en matière de police
aux chefs de l’exécutif. Ce pouvoir permet à celui-ci de réglementer l’exercice des libertés
publiques même en l’absence de toute loi l’y autorisant (CE, 8 août 1919, arrêt Labonne qui
reconnait la légalité d’un décret instituant le code de la route : « il appartient au chef de l’Etat,
IV- La jurisprudence
Le pouvoir normatif du juge a souvent été contesté. Il ne serait que « la bouche qui
prononce les paroles de la loi, des êtres inanimés qui n’en peuvent modérer ni la force, ni la
rigueur » (Montesquieu, L’esprit des lois). Toutefois, la situation a depuis évolué poussant à
reconnaitre au juge un rôle créateur de droit qui se manifeste lorsqu’il interprète les textes ou
supplée à leurs lacunes ou insuffisances. La matière des libertés publiques est riche
d’illustrations qui peuvent être saisies à travers la jurisprudence constitutionnelle ou
administrative.
L’apport de la jurisprudence constitutionnelle est perceptible à travers les décisions du
conseil constitutionnel français. Celui-ci a construit un véritable édifice des libertés
publiques12. Grâce à sa jurisprudence, nombreuses sont les libertés qui ont été consacrées,
constitutionnalisées, approfondies et précisées. Il en va ainsi du droit de disposer librement de
son corps et de sa personne (cf. la Décision du conseil constitutionnel du 15 Janvier 1975 qui
considère que la loi sur l’IVG, Interruption Volontaire des Grossesses, respecte la liberté des
personnes appelées à y recourir et ne peut pas porter atteinte au principe du respect de tout
être humain). Il en va également de la liberté matrimoniale (Décision du 13 août 1993 : ici le
juge indique qu’en donnant au Procureur de la république saisi par l’officier de l’état civil le
pouvoir de surseoir à la célébration d’un mariage, soupçonné de complaisance pour une durée
de trois mois, le législateur a subordonné l’union matrimoniale à des conditions contraires au
principe de la liberté du mariage). Il en va ainsi de l’indépendance des professeurs
d’université qui conforte la liberté de l’enseignement (Décision du 23 Novembre 1977). Au
nom de cette indépendance, le Conseil constitutionnel a censuré une loi instituant un collège
électoral unique pour la désignation des responsables d’universités au motif que « le libre
exercice des responsabilités particulières attribuées aux professeurs d’université en ce qui
concerne la préparation des programmes, l’orientation des étudiants, la coordination des
équipes pédagogiques et leur participation obligatoire aux décisions individuelles concernant
la carrière des autres enseignants chercheurs serait altéré par l’existence s’un collège électoral
unique », etc.
Avant le Conseil constitutionnel, le juge administratif avait déjà contribué à la
consolidation du régime des libertés publiques. Il n’est que de rappeler la création par lui des
18
CHAPITRE II : L’AMENAGEMENT DE L’EXERCICE DES LIBERTES
PUBLIQUES
Il n’y a pas de liberté absolue. Par suite, l’exercice des libertés publiques a besoin d’être
aménagé, réglementé. En le faisant, les autorités compétentes en la matière tiennent compte
de la nécessité du maintien ou de la sauvegarde de l’ordre public mais aussi plus généralement
des nécessités de la vie en commun. L’aménagement de l’exercice des libertés publiques varie
suivant les périodes normales ou anormales.
19
textes. Ce qui peut conduire éventuellement à l’insécurité juridique des citoyens qui ne savent
pas toujours quelle est la marge de libertés qui leur est laissée en réalité.
A l’inverse du premier, ce régime est plus restrictif des libertés puisqu’il repose sur l’idée
d’un contrôle a priori de l’exercice de la liberté. Dans ce cadre, plusieurs situations peuvent
être distinguées
-L’autorisation préalable
-la déclaration préalable
-l’interdiction
Dans l’autorisation préalable, l’exercice des libertés publiques est conditionné par,
l’obtention d’une autorisation donnée par l’autorité administrative qui peut prendre la forme
d’un visa (visa de diffusion de film), d’un agrément (voir activité soumise à agrément de
l’administration), permis (en matière de construction pour l’édification d’un immeuble). En
général, seule la loi peut soumettre l’exercice d’une activité à autorisation préalable (Voir CE
22 juin 1951 Daudignac).
L’autorisation peut être subordonnée à la réalisation de certaines conditions. Si celles-ci
n’étaient pas réunies, l’autorité administrative peut refuser de délivrer l’autorisation faisant
ainsi obstacle à la liberté. L’autorité administrative compétente peut disposer d’une
compétence liée ou d’une compétence discrétionnaire (C’est le cas en matière de délivrance
du permis de construire où l’administration apprécie les plans d’urbanisme et, les servitudes
de salubrité, de caractère architectural, de conservation des sites imposées par les lois et
règlements). Dans ce dernier cas, elle serait alors amenée à juger de l’opportunité ou non
d’accorder de l’autorisation. Quoi qu’il en soit le refus d’autorisation peut être considéré
comme une décision faisant grief susceptible d’être attaquée devant le juge de l’excès du
pouvoir.
Dans le cas de la déclaration préalable, les pouvoirs de l’administration sont beaucoup plus
réduits. Le professeur Rivero en fait un régime distinct, autonome du régime préventif, mais
la doctrine a pris l’habitude le classer dans ce régime. Il s’agit pour le candidat à l’exercice
d’une liberté publique de s’adresser à l’autorisation administrative compétente afin de lui
déclarer qu’il entend jouir de cette liberté. Pour dire les choses simplement, l’exercice de la
liberté est conditionné à une déclaration auprès de l’autorité publique. Celle-ci, contrairement
à l’hypothèse précédente joue un rôle passif se contentant de recevoir et d’enregistrer la
déclaration. Suite à la déclaration, l’administration doit délivrer un récépissé. Le but de ce
régime de déclaration préalable est d’informer l’administration et les tiers. Au-delà, elle a
20
pour avantage de donner les moyens à l’autorité administrative de mieux gérer les abus
éventuels d’une liberté publique.
Le plus souvent le destinataire de déclaration est une autorité administrative. La loi de
1960 sur les associations retient le principe de la déclaration à la préfecture ou auprès de la
circonscription administrative où l’association a son siège.
Dans d’autres hypothèses, la déclaration est adressée à une autorité judiciaire. Il en est
ainsi en matière de liberté de presse où « la parution, la distribution ou la diffusion de tout
journal, écrit périodique ou toute production d’informations numériques est subordonnée à
une déclaration écrite faite en double exemplaire par le représentant légal de l’entreprise de
presse au procureur de la République compétent ». Le contenu de la déclaration est fixé par
l’article 15 de la loi n°2017-867 du 27 décembre 2017 portant régime juridique de la presse.
La déclaration a des vertus préventives en ce qu’elle fournit des informations utiles
permettant à l’Administration d’anticiper sur d’éventuels troubles à l’ordre public. A cet effet,
elle peut user de son pouvoir d’interdiction ou mobiliser les forces de l’ordre pour faire face
aux menaces potentielles. L’exemple de l’obligation de déclarer les manifestations publiques
fournit un exemple topique. La déclaration y relative doit comporter l’identité des
organisateurs, le lieu, la date, l’heure de la manifestation ainsi que l’itinéraire projetée.
Le régime d’interdiction est à mi-chemin entre le régime répressif et le régime préventif.
Par son biais, peuvent être interdites certaines activités contraires à l’ordre public ou
susceptibles de troubler l’ordre public. Les textes et la jurisprudence en fournissent des
exemples. Ainsi, la l’article 25 de la loi précitée sur la presse interdit « la publication ou la
diffusion d’informations numériques à caractère pornographique mettant en scène des enfants
ou incitant à la pédophilie ». Ce pouvoir d’interdiction a été également reconnu par la
jurisprudence à l’autorité administrative en matière de liberté de réunion, comme déjà indiqué
(Benjamin, Houphouët Boigny, Dembélé Laganeni, Dembelé Boua/ Maire de Kouto, 28
octobre 1992). Néanmoins, ici, le candidat à l’exercice de la liberté publique qui a fait l’objet
d’une mesure d’interdiction par l’autorité administrative dispose du pouvoir de saisir les
juridictions compétentes à l’effet soit d’annuler la décision d’interdiction soit s’il estime que
cette décision illégale lui a causé des préjudices, de demander des dommages et intérêts.
Ces développements que nous achevons sur l’aménagement des libertés publiques en
période normale montrent bien qu’il n’y a pas de liberté absolue. Les libertés publiques
s’exercent dans un cadre qui a été aménagé par les pouvoirs publics. Cela est encore plus vrai
au regard de ce qui est observable en période de crise.
21
Section 2 : L’aménagement des libertés publiques en période de crise
Des circonstances dites « exceptionnelles » peuvent influencer la réglementation des
libertés publiques en autorisant que des atteintes leur soient portées. En effet, ces libertés
peuvent être limitées par les pouvoirs de crise ou procédés inhabituels auxquels les pouvoirs
publics recourent lorsque l’Etat est confronté à une situation de crise grave qui affecte le bon
fonctionnement des institutions ou la vie des citoyens. Ces limitations sont prévues et
aménagées aujourd’hui par les textes constitutionnel et législatifs. Ceux-ci n’ont cependant
pas fait disparaître la théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles qui,
historiquement, précède l’œuvre du constituant et du législateur.
14 Montesquieu affirmait : « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en
abuser…Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le
pouvoir ».
15 Par suite de perturbations dans le fonctionnement du service public de la justice, à cause d’une grève illimitée
observée par tous les greffiers de Côte d’Ivoire qui protestaient contre les modifications du projet de décret
portant modalités particulières d’application de l’ordonnance n°2008-16 du 11 février 203 portant statut des
greffiers, le Président de la République, pour lutter contre toute obstruction au bon déroulement de la justice et
au processus électoral et de sortie de crise a pris, sur le fondement de l’article 48 de la Constitution, la décision
n°2009-19 du 14 décembre 2009 portant mesures spéciales relatives à la grève des greffiers. Cette décision
autorise le Ministre de la Justice et le Ministre de la fonction publique à recruter pour la période allant du mardi
15 décembre 2009 jusqu’à la fin des élections, en qualité de greffier ad hoc, toute personne ayant les
compétences nécessaires pour accomplir cette tâche. En application de cette décision, le ministre de la fonction
publique déclare admises 430 personnes au concours de recrutement exceptionnel pour l’accès aux emplois de
secrétaires et attachés des greffes et parquets au titre de l’année 2009 par les décisions n°311 et 312 du 19 janvier
2010. Estimant ces décisions illégales, l’Union nationale des greffiers de CI, après avoir exercé en vain un
recours gracieux, saisit le 22 juillet 2010, la CACS. Elle allègue : la méconnaissance du statut général de la
fonction publique qui réserve aux fonctionnaires les emplois civils de l’Etat et précise leur mode de recrutement ;
la violation du décret n°93-609 du 2 juillet 1993 portant modalité particulières d’application du SGFP qui
réserve aux assistants de greffes et parquets l’aspiration aux fonctions de greffiers ad hoc ; la violation du décret
n°2000-396 du 24 mai 2000 qui prévoit limitativement les cas de création d’emplois contractuels. En définitive,
les décisions attaquées auraient « outrepassé les termes de la décision présidentielle du 14 décembre 209 en
recrutant des greffiers pour une durée indéterminée ». Mais selon la CACS, « les décisions du 19 janvier 2009…
n’ont pas méconnu les dispositions de la décision du 14 décembre 209 qu’elles exécutent qui a autorisé le
recrutement des greffiers ad hoc « jusqu’à la fin des élections », laquelle n’est pas encore intervenue ; …d’autre
part, …les décisions n°311 et 312, mesures d’exécution de la décision du 14 décembre 2009 intervenue en une
matière législative et qui a été prise par le Président de la République pendant la période d’application des
pouvoirs exceptionnels, sur le fondement de l’article 48 de la Constitution, présente le caractère d’un acte
législatif dont il n’appartient pas à la Chambre administrative de connaître ».
23
constitution. Il peut être analysé dans le même sens l’article 105 de la constitution relatif à
l’état de siège.
B- L’article 105 de la constitution et l’état de siège
Comme l’article 73, l’article 105 de la constitution de 2016 institue une légalité de crise
sous l’appellation état de siège déjà présente dans les deux premières constitutions. Dans
quelles circonstances l’état de siège intervient-il ? Quelles en sont les conséquences ?
La constitution ne répond pas à ces questions. Pour trouver des réponses, il faut se référer à
la loi aux termes de laquelle l’état de siège est déclaré «en cas de péril imminent résultant
d’une guerre étrangère ou d’une insurrection à main armée». C’est la condition de fond, qui,
si elle est remplie, autorise le Président de la République à décréter l’état de siège en Conseil
des Ministres (article 105 al 1). C’est la condition de forme. Le Parlement se réunit alors de
plein droit, s’il n’est en session. Toutefois, la prorogation de l’Etat de siège au-delà de quinze
jours ne peut être autorisée que par le Parlement, chacune des deux chambres se prononçant à
la majorité simple des membres en fonction. Mais, en cas de désaccord entre les deux
chambres, le vote de l’Assemblée nationale est prépondérant (article 105 al 3).
Aux termes de la loi du 9 août 1849, la déclaration de l’état de siège dont indiquer les lieux
concernés.
En ce qui concerne les conséquences de l’état de siège, les lois du 9 août 1849 et du 3 avril
1878 rendues introduites en Côte d’Ivoire par le décret du 30 décembre 1916 prévoient une
extension et un transfert des pouvoirs de police à l’autorité militaire. In extenso, l’article 7
dispose : « aussitôt l’état de siège déclaré, les pouvoirs dont l’autorité civile était revêtue pour
le maintien de l’ordre et la police passent tout entiers à l’autorité militaire ». Celle-ci
peut notamment :
- procéder à des perquisitions à toute heure de la journée, de jour comme de nuit ;
- se faire remettre des armes et munitions appartenant aux particuliers et procéder à leur
recherche et enlèvement ;
- interdire les publications et réunions susceptibles d’entrainer le désordre ou l’exciter ;
- éloigner les repris de justice et les personnes non domiciliées dans les lieux soumis à l’état
de siège ;
Par ailleurs, les juridictions militaires demeurent compétentes « pour connaître des crimes
et délits contre la sûreté de l’Etat, contre la constitution, contre l’ordre et la paix publique,
quelle que soit la qualité des auteurs principaux et les complices…Après la levée de l’état de
siège, ils continuent de connaître des crimes et délits dont la poursuite leur avait été déférée ».
Il convient néanmoins d’indiquer que « l’autorité civile continue à exercer ceux de ces
pouvoirs dont l’autorité militaire ne l’a pas dessaisie » (article 7 de la loi). Ce qui autorise à
24
dire que les autorités militaires peuvent, par voie de délégation, permettre l’action des
autorités civiles.
Tel est l’état de siège qui est à distinguer d’autres régimes prévus exclusivement par le
législateur.
II- Les aménagements législatifs des libertés publiques en période de crise
Ces aménagements prennent leur fondement dans plusieurs lois, notamment la n°59-231
du 7 novembre 1959 sur l’état d’urgence, la loi n°63-4 relative à l’utilisation des personnes en
vue d’assurer la promotion économique et sociale de la nation.
La loi n°59-231 du 7/11/1959 sur l’état d’urgence est adoptée alors que la Côte d’Ivoire est
encore une République autonome. Conformément à son article 1er, l’état d’urgence peut être
déclaré sur tout ou partie du territoire de la République, soit en cas de péril imminent résultant
d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’évènements qui, par leur nature ou leur
gravité, sont susceptibles d’entraver la bonne marche de l’économie ou les services publics ou
d’intérêt social. Son champ d’application est donc plus étendu que celui de l’état de siège. Il
s’agit par exemple, des calamités naturelles publiques : inondations, tremblements de terre,
etc.
Lorsque ces circonstances surviennent, l’état d’urgence peut être déclaré par décret du
Président de la République. En conséquence, les pouvoirs du ministre de l’intérieur sont
élargis. Il peut interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et heures
fixés par arrêté ; instituer des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est
réglementé, ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacle, débits de boissons ou
lieux de réunion de toute nature, interdire des réunions dangereuses pour la sécurité publique,
ordonner la remise des armes et munitions, éloigner des personnes suspectées d’être
dangereuses pour la sécurité publique, etc.
Le décret déclarant l’état d’urgence peut, par une disposition expresse, stipuler que le
personnel nécessaire à la continuité des services économiques et sociaux pourra faire l’objet
de réquisitions. De la même façon, le Président de la République peut, par une disposition
expresse, conférer aux autorités administratives ou judiciaires le pouvoir d’ordonner des
perquisitions à domicile, de jour et de nuit ; habiliter les mêmes autorités à prendre toutes les
mesures pour assurer. Ces mesures amenuisent, on peut le voir, considérablement les libertés
publiques. Il en est de même de celles pouvant être prises dans le cadre de la loi de 1963 sur la
promotion économique et sociale de la nation.
La loi n°63-4 du 17 janvier 1963 relative à l’utilisation des personnes en vue d’assurer la
promotion économique et sociale de la nation16 est d’abord conçue comme un instrument de
Dans certaines hypothèses qui sont tout à fait exceptionnelles, comme une grève ou la
guerre, le juge administratif a parfois autorisé l’administration à enfreindre les règles de la
légalité ordinaire. Comme les hypothèses précédemment étudiées, cette solution est sous-
tendue par l’idée suivante : les règles encadrant l’activité administrative ne peuvent identiques
17 Décret n°63-48 du 9 février 1963, JORCI n°14 du 28 février 1963, pp. 221-222.
26
en temps de paix et en période de crise. A situation de crise, légalité de crise. Cette légalité de
crise est de nature à favoriser les atteintes aux droits des citoyens ou aux garanties protectrices
de ces droits.
Pour sa part, l’arrêt Dame Dol et Laurent rendu en 1919 (CE 28 février 1919) illustre « la
substitution à la légalité normale d’une légalité de crise, moins contraignante pour
l’administration et plus restrictive pour l’exercice des libertés publiques ». Il fait suite à trois
arrêtés pris par le préfet de Toulon en 1916 d’interdire « à tous propriétaires de cafés, bars et
débits de boissons, de servir à boire à des filles, tant isolées qu'accompagnées et de les
recevoir dans leurs établissements (…), à toute fille isolée de racoler en dehors du quartier
réservé et à toute femme ou fille de tenir un débit de boissons ou d'y être employée à un titre
quelconque » sous peine de sanctions (dépôt au "violon" des filles par voie disciplinaire ainsi
que leur expulsion du camp retranché de Toulon en cas de récidive et la fermeture au public
des établissements où seraient constatées des infractions auxdits arrêtés). Contestant la
légalité de ces arrêtés, les dames Dol et Y..., se disant filles galantes, ont formé un recours
tendant à leur annulation pour excès de pouvoir. Elles estiment que ces mesures sont prises en
dehors des pouvoirs qui appartenaient au préfet maritime. Rejetant leur requête, le Conseil
d’Etat affirme clairement le point qui nous intéresse, à savoir :
« …les limites des pouvoirs de police dont l'autorité publique dispose pour le maintien de
l'ordre et de la sécurité, tant en vertu de la législation municipale, que de la loi du 9 août 1849,
ne sauraient être les mêmes dans le temps de paix et pendant la période de guerre où les
intérêts de la défense nationale donnent au principe de l'ordre public une extension plus
grande et exigent pour la sécurité publique des mesures plus rigoureuses ». Il poursuit :
18 Par un décret du 10 septembre 1914, le Gouvernement avait suspendu l'application aux fonctionnaires civils
de l'État de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 qui exige la communication à l'agent de son dossier avant toute
mesure disciplinaire prise à son encontre, afin de pouvoir procéder sans délai aux déplacements et aux
nominations qui s'imposaient selon lui. M. Heyriès, qui avait été révoqué sans que son dossier ne lui ait été
préalablement communiqué, attaqua cette mesure en excipant de l'illégalité du décret du 10 septembre 1914. En
temps normal, le Conseil d'État aurait donné raison au requérant dès lors qu'il est constant qu'un décret, acte du
pouvoir réglementaire, ne peut suspendre l'application de dispositions législatives. Mais le Conseil d'État, en
l'espèce, lui donna tort. Il jugea en effet que, en vertu de la Constitution, en l'espèce l'article 3 de la loi
constitutionnelle du 25 février 1875, il incombe aux pouvoirs publics "de veiller à ce que, à toute époque, les
services publics institués par les lois et règlements soient en état de fonctionner, et à ce que les difficultés
résultant de la guerre n'en paralysent pas la marche".
27
« Considérant que si, dans ce but certaines restrictions ont dû être apportées à la liberté
individuelle en ce qui concerne les filles et à la liberté du commerce en ce qui concerne les
débitants qui les reçoivent, ces restrictions, dans les termes où elles sont formulées, n'excèdent
pas la limite de celles que, dans les circonstances relatées, il appartenait au préfet maritime de
prescrire ; qu'ainsi, en les édictant, le préfet maritime a fait un usage légitime des pouvoirs à
lui conférés par la loi ».
19 Il appartient au juge, sous le contrôle duquel s'exercent ces pouvoirs de police, de tenir compte, dans son
appréciation, des nécessités provenant de l’état de guerre, selon les circonstances de temps et de lieu, la catégorie
des individus visés et la nature des périls qu'il importe de prévenir.
28
Section 1 : Les garanties juridictionnelles
Les garanties juridictionnelles résident dans les pouvoirs reconnus au juge constitutionnel
et aux juridictions participant de l’appareil judiciaire classique pour assurer la protection des
libertés publiques ou sanctionner leur violation.
A- Les garanties résultant des pouvoirs du juge constitutionnel
Le Conseil constitutionnel est chargé d’assurer la suprématie de la Constitution. Dans ce
cadre, il a le pouvoir de contrôler la constitutionnalité des lois et de sanctionner des lois
liberticides. Le contrôle par voie d’action et le contrôle par voie d’exception peuvent être
utilisés à cet effet.
1. Le contrôle par voie d’action
Ce contrôle consiste à examiner la conformité d’une loi à la Constitution avant sa
promulgation. Il s’agit d’un contrôle préventif qui peut être initié contre les lois ordinaires par
le Président de la République, les Présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, 1/10ème des
membres de l’Assemblée nationale ou du Sénat, tout groupe parlementaire ainsi que les
associations de défense des droits de l’homme régulièrement constituées en ce qui concerne
les lois relatives aux libertés publiques.
Pour les lois organiques, le contrôle est obligatoire aux termes de l’article 134 de la
constitution. Cependant, contrairement à la précédente Constitution, la constitution du 8
novembre 2016 n’a pas indiqué les personnes ayant qualité pour saisir le Conseil
constitutionnel….
Depuis le 1er août 2000, le contrôle par voie d’exception s’est ajouté au contrôle par voie
d’action.
2. Le contrôle par voie d’exception
Déjà prévu par la constitution de 2000 (art. 96), cette modalité du contrôle de
constitutionnalité est reprise par l’article 135 de la constitution du 8 novembre 2016. Ce
contrôle constitue une avancée significative pour la protection de la constitution et au-delà
pour les libertés constitutionnelles. En effet, il permet, pour ces libertés, une garantie sans
limite dans le temps, l’exception pouvant intervenir dès qu’un acte législatif révèle dans son
application, c’est-à-dire après sa promulgation, un vice d’inconstitutionnalité. C’est ce que
révèle précisément l’article 135 alinéa 1 qui dispose que « tout plaideur peut, par voie
d’exception, soulever l’inconstitutionnalité d’une loi devant toute juridiction ». Par suite, « la
juridiction devant laquelle la contestation de la loi est soulevée, sursoit à statuer et impartit au
plaideur un délai de quinze jours pour saisir le Conseil constitutionnel ». Ce système nous
29
installe dans la question préjudicielle. Quid des effets de la décision rendue au fond par le
Conseil constitutionnel ?
La réponse fut longtemps controversée. Pour certains, la décision rendue ne devait qu’avoir
un effet relatif ; pour d’autres, elle devait avoir un effet absolu. Depuis une décision du 26
juin 2014 (Décision n°CI-2014-139/26-06/CC/SG), la question a été tranchée par le Conseil
constitutionnel qui décide qu’une disposition déclarée inconstitutionnelle à la suite d’une
saisine par voie d’exception doit être considérée comme abrogée. Cette solution a été reprise
par le Constituant de 2016 dans l’article 137 alinéa 2 aux termes duquel « en cas de saisine du
Conseil constitutionnel par voie d’exception, la décision du Conseil constitutionnel s’impose
à tous, au-delà des parties au procès. La loi ou la disposition déclarée inconstitutionnelle par
le Conseil constitutionnel est abrogée ». Ces dispositions relatives au contrôle par voie
d’exception doivent pouvoir révéler, si besoin était, leur utilité dans la protection des libertés
constitutionnelles dont la violation aurait échappé ex ante au juge constitutionnel20. En France,
aujourd’hui, avec la Question prioritaire de constitutionnalité instituée depuis la révision
constitutionnelle de 2008, ce dispositif de protection est fortement sollicité.
Cette disposition intégrée à la constitution française depuis la révision constitutionnelle de
2008 a eu pour effet de renforcer l’office du Conseil constitutionnel français dans la
protection des libertés publiques, office qui a commencé de s’affirmer depuis la décision du
16 juillet 1971, dite Liberté d’association.
Le rôle du Conseil constitutionnel n’empêche pas la garantie offerte par l’appareil
judiciaire classique.
B- Les garanties offertes par l’appareil judiciaire classique
On entend ici s’intéresser aux juridictions participant de l’organisation judicaire de droit
commun ou du pouvoir judiciaire constitué aujourd’hui de tribunaux et de Cours d’appels
coiffées par la Cour de Cassation et le Conseil d’Etat, selon qu’il s’agisse de l’ordre judiciaire
ou de l’ordre administratif.
Cet appareil judiciaire classique demeure le protecteur naturel des libertés publiques. En
effet, la justice constitutionnelle permet avant tout de limiter les abus du législateur. Or, dans
ses relations avec les autres et l’administration, l’individu a aussi besoin d’une justice qui
protège ses droits. Il a besoin d’être protégé au quotidien à la fois contre l’administration et
20 Sur la question précise des libertés publiques, bien qu’ayant été saisi, le juge ivoirien n’a pas encore rendu de
décision au fond. Dans sa décision n°CI-2009-15-10/D025/CC/SG du 15/10/2009, traitant d’une requête aux fins
de contrôle de la constitutionnalité de l’art. 138 al. 3 Code de procédure pénale qui dispose que « le juge
d’instruction doit, à l’issue de ces délais, ordonner la mise en liberté de l’inculpé », le juge constitutionnel a
déclaré la requête irrecevable. Il a jugé que l’exception ne vise que la juridiction de jugement de fond et a exclu
qu’elle puisse être soulevée devant le juge d’instruction.
30
contre les autres citoyens ou les particuliers. Ce rôle incombe avant tout aux juridictions de
droit commun pour sanctionner les actes de l’Administration et ceux des particuliers.
L’administration est traditionnellement celle qu’on soupçonne de porter atteintes aux
libertés publiques. Un contrôle juridictionnel existe pour prévenir ou sanctionner ces atteintes.
Tantôt, il oblige l’Administration à se conformer à la légalité en censurant ses actes
administratifs illégaux : c’est le contrôle de la légalité ; tantôt il met en cause sa
responsabilité : c’est l’action en responsabilité.
Le contrôle de légalité porte sur tous les actes administratifs qu’ils soient individuels ou
règlementaires : le juge recherchera la conformité de l’acte à toutes les sources de la légalité,
par le biais du recours pour excès de pouvoir. Ce contrôle est exercé initialement, selon le cas
par les tribunaux administratifs ou directement par le Conseil d’Etat.
L’action en responsabilité qui permet de demander réparation des dommages causés par
l’action administrative relève de la compétence de toutes les juridictions, mais d’abord en
premier ressort des tribunaux de première instance et de leurs sections détachées, comme l’a
indiqué clairement la Chambre administrative de la Cour suprême dans l’arrêt centaures
routiers de 1967. Mais celui-ci appliquera le droit public (Centaures routiers 1970).
L’Administration n’est pas la seule à pouvoir être sanctionnée. Les juridictions ordinaires
peuvent également appliquer aux s’appliquer aux personnes privées des sanctions pours leurs
actes attentatoires aux libertés publiques.
Les atteintes aux droits individuels et collectifs causés par l’Administration peuvent être
sanctionnées par le juge de l’administration. A fortiori, celles imputables aux particuliers,
personnes physiques ou personnes morales. Ces atteintes sont généralement constitutives
d’infractions pénales. Ainsi, l’importance du juge apparaît notamment dans les phases
d’instruction, du jugement et du prononcé des peines pénales. Cette compétence répressive est
formellement établie par le Code pénal.
Le Code pénal comporte quelques illustrations caractéristiques. Il incrimine l’attentat à
la liberté qui est le fait pour agent public d’ordonner ou de faire quelque acte arbitraire ou
attentatoire soit à la liberté individuelle, soit aux droits civiques, soit à la Constitution. Cette
infraction est punie d'un emprisonnement de trois mois à un an. Si les actes énoncés à l'alinéa
premier ont été ordonnés par un membre du Gouvernement, celui-ci est puni d'un
emprisonnement de six mois à deux ans (art. 247). Plus loin, l’article 250 du Code pénal punit
de six mois à deux ans d'emprisonnement les agents d'un établissement pénitentiaire dans les
hypothèses suivantes : 1° si elles admettent en détention une personne sans mandat ou
jugement ou quand il s'agit d'une expulsion ou d'une extradition sans ordre de l'autorité
légitime ; 2° retiennent une personne au-delà de la date de sa libération ; 3° refusent de
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présenter un détenu aux autorités compétentes…. L’article 252 punit d'un emprisonnement de
trois mois à un an les magistrats ou officiers de police judiciaire qui retiennent ou font retenir
une personne hors des lieux ou au-delà de la durée déterminée par la législation en vigueur.
Le Code pénal sanctionne également, en son article 221, l’atteinte à la liberté des cultes.
Précisément, il punit d’un emprisonnement de 15 jours à 6 mois et d’une amende de 50 000
francs à 500 000 francs celui qui, par voies de fait, violences ou menaces, détermine un
individu à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie
d’une association à caractère religieux. L’article 222 du Code pénal applique ces mêmes
peines, à celui qui, par trouble ou désordre, empêche, retarde ou interrompt l'exercice d'un
culte dans les lieux habituels de sa célébration. Enfin, aux termes de l’article 223, « est puni
d'un emprisonnement de six jours à trois mois, celui qui, par parole, par geste ou par écrit,
outrage publiquement un ministre du culte à l'occasion de l'exercice de son ministère » et
« est puni d'un emprisonnement d'un mois à deux ans, celui qui exerce des violences et voies
de fait contre le ministre du culte, à l'occasion de l'exercice de son ministère ».
Ces atteintes peuvent également donner lieu à des condamnations civiles.
Ces garanties juridictionnelles sont importantes, mais elles ne sont pas les seules. Aussi
faut-il maintenant examiner les garanties non juridictionnelles.
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Contrairement aux principes fondamentaux du droit pénal, cette loi consacrait la
responsabilité pénale collective et exclut les excuses attentatoires et le bénéfice du sursis.
Le législateur dispose, par ailleurs, de moyens plus ou moins efficaces pour contrôler
l’exécutif. Ce sont notamment les moyens d’information prévus par l’article 117 de la
constitution, à savoir la question orale, la question écrite, la commission d’enquête. Pendant la
durée de la session ordinaire, une séance par mois est réservée en priorité aux questions des
membres de chaque chambre du Parlement et aux réponses du Président de la République.
Mais en pratique et de façon générale, ces procédés se révèlent peu efficaces car ce sont de
simples moyens d’information qui ne portent pas à conséquence majeure dès lors qu’ils sont
uniquement sanctionnés par des recommandations21.
II- Le contrôle administratif
Il est question ici du contrôle exercé par l’Administration sur l’Administration. Il peut
prendre diverses formes : le recours administratif préalable et les recours devant les autorités
administratives indépendantes.
A- Le contrôle administratif
Il est question ici du contrôle exercé par l’Administration sur l’Administration. Il peut
prendre diverses formes : le recours administratif préalable et les recours devant les autorités
administratives indépendantes.
1. Le recours administratif préalable
Le droit administratif organise le recours administratif préalable hiérarchique ou gracieux
(devant la personne qui a rendu la décision) : cette action permet aux citoyens, sans recourir
au juge, de contester devant l’administration une décision faisant grief. Ce recours non
contentieux qui tend à désamorcer les relations conflictuelles entre l’administration et ses
administrés est possible dans un délai de 2 mois qui court en principe à compter de la
notification de la décision ou de sa publication. Il est le moyen pour l’administration de retirer
ou d’abroger ses propres décisions. Il peut servir à faire disparaître un acte administratif
portant atteinte à une liberté publique.
La HACA est créée initialement par l’ordonnance n°2011-474 modifiant la loi n°2004-644
du 14 décembre 2004 portant régime juridique de la communication audiovisuelle. Elle tire
son existence actuelle de la loi n°2017-868 du 27 décembre 2017 portant régime juridique de
la communication audiovisuelle. Aux termes de l’article 7 de cette nouvelle loi, la HACA est
chargée, entres autres attributions, de garantir et d’assurer la liberté et la protection de la
communication audiovisuelle ; garantir l’accès et le traitement équitables des institutions de la
République, des partis politiques, des associations et des citoyens aux organes officiels
d’information et de communication ; de garantir l’égalité d’accès et de traitement ainsi que
l’expression pluraliste des courants d’opinions, particulièrement pendant les périodes
électorales, de garantir l’indépendance et d’assurer l’impartialité du secteur public de la
communication audiovisuelle, notamment de la radiodiffusion sonore et télévisuelle, de
favoriser et garantir le pluralisme dans l’espace audiovisuel…Pour réussir sa mission, la
HACA dispose de nombreux pouvoirs notamment, le pouvoir de mettre en demeure
publiquement les organismes du secteur de la communication audiovisuelle de respecter leurs
obligations, le pouvoir de suspendre une partie des programmes pour un mois au plus ou de
prononcer une sanction pécuniaire, en cas de non-respect de la mise en demeure.
L’Autorité nationale de la presse, hier Conseil national de la presse aux termes de la loi
n°2004-643 du 14 décembre 2004 portant régime juridique de la presse, doit son existence à
la loi n°2017-867 du 27 décembre 2017 portant régime juridique de la presse. Elle veille,
comme son devancier, au respect de la liberté de la presse ; elle garantit le pluralisme de la
presse, le respect du droit de réponse et de rectification, etc. L’ANP peut être saisi à tout
moment par tout intéressé. Il peut également se saisir d’office. L’ANP adresse, au cours du
premier trimestre de l’année, un rapport sur l’application de la loi au Président de la
République ; au Président de la l’Assemblée nationale ; au Président du Conseil économique,
social, environnemental et culturel ; au Premier ministre ; au ministre de l’économie et des
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finances ; au ministre chargé de la presse ; au ministre de la justice ; au ministre de
l’intérieur ; au ministre chargé du budget et du portefeuille de l’Etat.
La Commission d’accès à l’information d’intérêt public et aux documents publics a
été créée par la loi n°2013-867 du 23 décembre 2013 relative à l’accès à l’information
d’intérêt public. Ses missions sont également nombreuses : s’assurer du respect par les
organismes publics du droit des personnes d’accéder, sans discrimination, aux informations et
aux documents publics ; recevoir et examiner les recours formés contre les décisions des
organismes publics en matière d’accès à l’information d’intérêt public ; diffuser et vulgariser
les textes relatifs au droit d’accès à l’information d’intérêt public, etc. La CAIDP peut
prononcer des mises en demeures et au besoin une amende de 360 000 francs en cas de non-
respect de ses décisions. Elle peut infliger une astreinte par jour de retard à l’organisme public
mis en cause, dans les cas de refus de réceptionner une demande sans motif légitime, de rejet
d’une demande sans motivation. Elle peut saisir les tribunaux par voie de requête pour faire
exécuter ses décisions.
Le Conseil national des droits de l’Homme est institué par la loi n°2018-900 du 30
novembre 2018, en remplacement de la CNDHCI (Commission nationale des droits de
l’Homme de Côte d’Ivoire) créée par la loi n°2012-1130 du 13 décembre 2012 portant
création, attributions, organisation et fonctionnement de la CNDHCI avec le statut d’organe
consultatif indépendant doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière.
Aux termes de la loi, le CNDH est une autorité administrative indépendante dotée de la
personnalité morale et de l’autonomie financière. Ses missions sont définies par l’article 2 de
la loi (Cf. la loi). On retiendra que le CNDH peut être saisi de toute plainte de violation des
droits de l’homme. Les plaintes peuvent émaner de la victime ou de toute autre personne
physique ou morale, par requête écrite ou verbale. L’anonymat des plaignants ou requérants
doit être préservée.
A la demande de son Président ou de l’un de ses membres, le CNDH peut se saisir d’office
des cas de violations des droits de l’homme.
En cas de saisine, le CNDH peut procéder à toutes mesures d’instructions, notamment
entendre tout expert ou sachant et se faire communiquer tout document utile.
Les règles de procédure devant le Conseil ne sont pas définies par la loi qui renvoie à un
manuel de traitement des requêtes.
Dans le cadre de ces activités, chaque année le CNDH rédige un rapport annuel sur l’état
des droits de l’homme et un rapport d’activités adressés au Président de la République, au
Président de l’Assemblée nationale et à celui du Sénat. Ces rapports sont rendus publics.
Indubitablement, la publication de ces rapports peut prévenir ou empêcher la reproduction
des violations des droits de l’homme ou des libertés publiques. En effet, comme l’a si bien
souligné le professeur Dégni-Ségui, « le jugement de l’opinion publique, nationale ou
internationale, est d’une importance capitale, même en Afrique, la sanction par elle
prononcée étant des plus efficaces».
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