Mémoire QPC 78-2 Al 3 CPP
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A
Audience du
POUR :
M
Avocat au barreau de
Demeurant
Toque :
EN PRESENCE DE :
« Les juridictions statuent sans délai par une décision motivée sur la transmission
de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat ou à la Cour de
Cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont
remplies :
2° Elle n’a pas été déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le
dispositif d’une décision du Conseil Constitutionnel, sauf changement des
circonstances ;
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II. SUR LE TEXTE DÉFÉRÉ AU CONTRÔLE DU
CONSEIL CONSTITUTIONNEL
« L'identité de toute personne, quel que soit son comportement, peut également
être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, pour prévenir une
atteinte à l'ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens ».
Rappelons à toutes fins utiles que le premier alinéa est rédigé comme suit :
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III. SUR LES CONDITIONS DE TRANSMISSION DE LA
QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
a) En droit :
Cette condition, qui a été substituée à une exigence initiale d’un texte devant
« commander l’issue du litige », est destinée à « élargir le champ des dispositions
pouvant être contestées à l’occasion d’un litige » (Rapport J.-L. Warsmann,
Assemblée Nationale 4 novembre 2009, p. 4).
b) En l’espèce :
Il est constant que la procédure diligentée à l’encontre du concluant, l’a bien été
sur la base du contrôle d’identité de ce dernier par les services de police, réalisé
sur le fondement des dispositions de l’article 78-2 alinéa 2 du Code de procédure
pénale.
Ces dispositions constituent donc le support procédural nécessaire des poursuites
dont le concluant fait l’objet.
a) En droit :
En l’espèce, il est patent que les circonstances factuelles et juridiques ont évolué,
justifiant que le Conseil Constitutionnel se prononce sur la présente question
prioritaire de constitutionnalité.
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En effet, dans sa décision du 5 août 1993, le Conseil Constitutionnel avait
conditionné la validité des dispositions de la loi du 10 août 1993 comme suit :
Force est pourtant de constater que depuis que le Conseil Constitutionnel a émis
cette réserve d’interprétation, soit depuis près de 20 ans, jamais celle-ci n’a été
respectée : jamais il n’est justifié des circonstances particulières établissant le
risque d'atteinte à l'ordre public qui a motivé le contrôle d’un individu qui, en
conséquence, ne peut en aucun cas connaître les raisons d’un tel contrôle,
celui-ci portant pourtant atteinte à sa liberté d’aller et venir.
« 15. Considérant toutefois que, depuis 1993, certaines modifications des règles
de la procédure pénale ainsi que des changements dans les conditions de sa mise
en œuvre ont conduit à un recours de plus en plus fréquent à la garde à vue et
modifié l'équilibre des pouvoirs et des droits fixés par le code de procédure
pénale ;
17. Considérant, en outre, que, dans sa rédaction résultant des lois du 28 juillet
1978 et 18 novembre 1985 susvisées, l'article 16 du code de procédure pénale
fixait une liste restreinte de personnes ayant la qualité d'officier de police
judiciaire, seules habilitées à décider du placement d'une personne en garde à
vue ; que cet article a été modifié par l'article 2 de la loi du 1er févier 1994,
l'article 53 de la loi du 8 février 1995, l'article 20 de la loi du 22 juillet 1996, la
loi du 18 novembre 1998, l'article 8 de la loi du 18 mars 2003 et l'article 16 de la
loi du 23 janvier 2006 susvisées ; que ces modifications ont conduit à une
réduction des exigences conditionnant l'attribution de la qualité d'officier de
police judiciaire aux fonctionnaires de la police nationale et aux militaires de la
gendarmerie nationale ; que, entre 1993 et 2009, le nombre de ces fonctionnaires
civils et militaires ayant la qualité d'officier de police judiciaire est passé de
25.000 à 53.000 ;
b) En l’espèce :
S’il n’est pas contestable que l’alinéa 3 de l’article 78-2 du Code de procédure
pénale a été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil Constitutionnel
dans sa décision n° 93-323 DC du 5 août 1993, il est manifeste que des
changements de circonstances de fait et de droit justifient un réexamen.
Force est de constater que le contrôle d’identité précède dans la plus part des cas
la garde à vue. Les considérants développés par le Conseil Constitutionnel dans
sa décision du 30 juillet 2010 précitée s’appliquent nécessairement au contrôle
d’identité.
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La multiplication des mesures de garde à vue reflète évidemment la
multiplication, en amont, des contrôles d’identité, bien que ces derniers soient, par
hypothèse, impossibles à quantifier dans la mesure où, bien souvent, ils ne font
l’objet d’aucun procès-verbal.
La critique relative à la banalisation de la qualité d’Officier de Police Judiciaire
habilité à placer une personne en garde à vue vaut a fortiori pour le contrôle
d’identité. D’abord parce que le contrôle des APJ par les OPJ s’est nécessairement
dégradé du fait de la réduction des exigences conditionnant l’attribution de cette
qualité. Il convient d’ailleurs de souligner que ce contrôle opéré sur les APJ et
APJA n’est bien souvent que théorique, dans la mesure où de très nombreuses
patrouilles ne comprennent aucun OPJ. Il s’ajoute à cela que les contrôles
d’identité ne faisant l’objet d’aucun procès-verbal, ils sont incontrôlables par
l’OPJ.
Ensuite, parce que la qualification des APJ et APJA s’est elle aussi très largement
dégradée. La qualité d’APJ et d’APJA a été considérablement étendue par le
législateur depuis 1993.
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2.3. La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux
Cette condition vise à écarter les questions fantaisistes ou à but dilatoire.
Une fois que la juridiction devant laquelle est soulevée la question prioritaire de
constitutionnalité a vérifié que ces conditions de forme et de fond étaient
remplies, elle « statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de
la question prioritaire de constitutionnalité (…) à la Cour de cassation », et
adresse « la décision de transmettre (…) à la Cour de cassation dans les huit
jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties ».
L’ordonnance du 7 novembre 1958 modifiée précise encore les conséquences, sur
l’instance pendante devant le tribunal, de la décision de transmission de la
question (art. 23-3).
Le caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité dont il est ici
demandé la transmission à la Cour de Cassation, repose sur l’inconstitutionnalité
manifeste de l’article 78-2 du Code de procédure pénal, lequel heurte un ensemble
de principes constitutionnels :
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A) La violation du principe d’accessibilité et d’intelligibilité de la
Loi pénale :
Aux termes de cette décision, en exerçant la compétence qui lui est confiée par
l’article 34 de la Constitution, le législateur doit adopter des dispositions
suffisamment précises et des formules non équivoques car il doit prémunir les
sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le
risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou
juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée
par la Constitution qu'à la loi.
Par exemple, lorsqu’il a contrôlé la loi sur la sécurité intérieure dans ses
dispositions relatives aux « visites de véhicules » réalisées dans le cadre d’un
contrôle requis (article 72-2 al. 2 du Code de procédure pénale) ou d’un contrôle
préventif (article 72-2 al. 4 du Code de procédure pénale), il a souligné que ces
1
Décision n°2000-435 DC du 7 décembre 2000, Loi d'orientation pour l'outre-mer
2
Décision n°2003-475 DC du 24 juillet 2003, Loi portant réforme de l'élection des
sénateurs
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articles étaient formulés « en des termes assez clairs et précis pour répondre aux
exigences » constitutionnelles3.
Il est manifeste que l’article 78-2 alinéa 3 du Code de procédure pénale est rédigé
en des termes trop imprécis, qu’il ne permet pas l’exercice effectif des droits et
libertés que la Constitution garantit.
Sur la base de cet article, l’officier de Police judiciaire peut contrôler toute
personne quel que soit son comportement pour prévenir une atteinte à l’Ordre
Public.
3
Décision n°2003-467 DC du 13 mars 2003, Loi pour la sécurité intérieure
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B) La violation de la liberté d’aller et venir :
L’imprécision avec laquelle l’article 78-2 du Code de procédure pénale est rédigé,
confère aux officiers de police judiciaire un pouvoir discrétionnaire en ce qui
concerne les raisons justifiant un contrôle d’identité.
S’il est manifeste que de tels contrôles constituent une limitation à la liberté
d’aller et venir, cette limitation est cependant justifiée par l’exigence liée à la
recherche des auteurs d’infraction et à la prévention d’atteintes à l’ordre public.
Il convient cependant pour le législateur d’opérer une juste conciliation entre ces
exigences constitutionnelles et les libertés individuelles, notamment la liberté
d’aller et venir. Or le Conseil constitutionnel a jugé que « la gêne que
l’application des dispositions peut apporter à la liberté d'aller et de venir n'est
pas excessive, dès lors que les personnes interpellées peuvent justifier de leur
identité par tout moyen et que, comme le texte l'exige, les conditions relatives à
la légalité, à la réalité et à la pertinence des raisons motivant l'opération sont, en
fait, réunies » (décision n° 80-127 DC, considérant 56).
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C) Le non-respect du droit à un recours effectif :
Force est de constater que la législation française n’offre pas cette garantie et
interdit de ce fait tout recours effectif.
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2°) L’impossibilité pour le juge d’exercer son contrôle :
Le contrôle du juge est ici paralysé par l’élasticité du texte. En effet, tout
comportement humain est susceptible, ou presque, de causer « une atteinte à
l'ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens ».
Le champ des possibles est si vaste qu’il serait illusoire d’essayer même d’en
tracer les limites. A titre d’exemple : une tenue vestimentaire, une gesticulation,
une attitude, le port d’un objet quelconque… sont autant de motifs potentiels de
contrôle.
L’alinéa 3 interdit au juge judiciaire d’exercer son contrôle car il le met face à la
subjectivité du policier qui, même en toute bonne foi, justifiera son contrôle par
un contexte nécessairement invérifiable et indiscutable.
Si le citoyen peut saisir librement un juge, ce dernier n’est pas en mesure d’opérer
un véritable contrôle juridictionnel de la mesure, alors même que la liberté
individuelle du citoyen est manifestement atteinte. En ce sens, l’article 78-2 alinéa
3 viole le droit à un recours effectif garanti à l’article 16 de la Déclaration des
droits de 1789.
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D) La rupture du principe d’égalité devant la loi :
Pour la CNDS dans son rapport pour l’année 2008 (page 54), « il convient en
particulier d'éviter les contrôles d'identité sans motif et au faciès, les
interpellations dans des lieux inappropriés, les mesures de coercition inutiles et
les violences illégitimes ».
En 2007 a été réalisée par deux chercheurs du CNRS Fabien Jobard et René Lévy,
une étude pour examiner si, et dans quelle mesure, les policiers contrôlaient les
individus en fonction de leur apparence.
L’étude a scientifiquement démontré que les contrôles d’identité effectués par les
policiers se fondent principalement sur l’apparence : non pas sur ce que les gens
font, mais sur ce qu’ils sont, ou paraissent être.
Les résultats montrent que les personnes perçues comme « Noires » et les
personnes perçues comme « Arabes » ont été contrôlées de manière
disproportionnée par rapport aux personnes perçues comme « Blanches ».
Les « Noirs » courraient ainsi entre trois et onze fois plus de risques que
les « Blancs » d’être contrôlés.
Les « Arabes » étaient généralement plus de sept fois plus susceptibles que
les « Blancs » d’être contrôlés !
Cette étude démontre que les pratiques quotidiennes des services de police sont,
consciemment ou non, discriminatoires et fondées non pas sur des éléments
objectifs mais sur l’apparence de la personne contrôlée.
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Cette pratique discriminatoire est naturellement rendue possible par la formulation
même de l’article 78-2 du Code de procédure pénale et l’absence de garantie
procédurale suffisante.
Il est demandé dès lors au Conseil Constitutionnel de déclarer l’article 78-2 alinéa
1er du Code de procédure pénale non conforme à la Constitution en ce qu’il viole
l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la Loi, le droit à la liberté d’aller et
venir, le droit à un recours effectif et le principe d’égalité devant la Loi.
XXX
Avocat à la Cour
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ANNEXES
10) Cour Européenne des Droits de l'Homme, Gillan v. Quinton, Application no.
4158/05, 12 janvier 2010.
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15) Décision n° 93-323 DC du 5 août 1993
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