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Cgrelcef 07 Text12 Sene

Récurrent dans ses écritures poétiques, le thème de l’amour identitaire constitue la toile de fond de cette analyse à travers laquelle nous nous évertuons à démontrer comment Senghor a transformé l’espace en un embellissement érotique pour y faire valoir un foyer fécond d’identités culturelles.

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Récurrent dans ses écritures poétiques, le thème de l’amour identitaire constitue la toile de fond de cette analyse à travers laquelle nous nous évertuons à démontrer comment Senghor a transformé l’espace en un embellissement érotique pour y faire valoir un foyer fécond d’identités culturelles.

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Enracinement et ouverture : une vision


ithyphallique d’un métissage civilisationnel
dans Œuvre poétique de Senghor

Abib Sene
Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal)

RÉSUMÉ

Récurrent dans ses écritures poétiques, le thème de l’amour


identitaire constitue la toile de fond de cette analyse à travers laquelle
nous nous évertuons à démontrer comment Senghor a transformé
l’espace en un embellissement érotique pour y faire valoir un foyer
fécond d’identités culturelles. En outre, étudier le lien intrinsèque entre
acte de langage et paroles sensuelles articulées autour du corps de la
femme pour mettre à nue la richesse culturelle de l’homme noir est aussi
un objectif de cette réflexion.

INTRODUCTION

Du grec érôs qui renvoie au « désir amoureux », l’érotisme, par un


canal oral, physique, et artistique, s’exprime dans l’expression d’une
stimulation d’un désir sexuel. En effet, ce qui est évoqué ou reflété, se
dissipe dans l’excitation langoureuse du lecteur, de l’auditeur ou de
l’observateur, provoquant ainsi une imagination lascive, qui nous laisse
parcourir, d’un œil analytique, le vers sybaritique du chantre de la
femme africaine.
Pour conjurer le mal sorcier de la tragédie humaine, telle que
vécue par l’espèce humaine dans la période charnière de l’entre deux
guerres, le chantre de la Négritude fait grimper ses rêves au plafond
pour laisser couler, d’un jet saccadé, mais à pelle, l’encre du Menhir
poétique sur la surface crasseuse et blasée de l’indifférence pour ainsi, à

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renfort de coups de boutoir, faire valdinguer la face hideuse de


l’existence et de la raison. Il fait recours à son duvet de poète pour,
d’une écriture leste, faire lire de bon cœur, à travers des brassées de vers
drus, le visage métaphoriquement érotique de la civilisation et du
métissage culturel.
« Tout mon empire est celui d’amour et faiblesse pour toi femme »
(Senghor, 1990 : 105). A travers ce déclaratif expressif, Senghor, d’un
geste grivois, éventre son univers pantelant pour coltiner la charge
érotique d’un discours qui prend forme dans une poésie délurée,
charriant l’amour dans toutes ses formes.
Dans son recueil, Œuvre poétique, Léopold Sédar Senghor se donne
à lire dans une rasade de jouissance qu’il voudra bien caressante. Ainsi,
par des effluves d’un parfum érotique, il fait du corps de la femme un
texte poétique et laisse surgir de ses entrailles un plaisir de mots que
nous nous proposons d’éxploiter dans une analyse textuelle. En basant
notre argumentaire sur certains poèmes sélectionnés du recueil Œuvre
poétique, il nous sera gré, à partir d’une analyse des actes de langage que
forment les vers du dit recueil, de dénoter le sens de l’espace et de la
métaphore du signe érotique, avant de montrer comment Senghor
transforme la femme en poème et le poème une « femme nue » vêtue
d’un langage sensuel. Ce qui nous amènera en fin à souligner
l’articulation que fait le chantre de la négritude de la vision d’une
civilisation universelle dans sons recueil précédemment cité.

I. UN RETOUR PARAPHILIQUE À LA « SOURCE


MATRICIELLE »

I-1- UN COMPLEXE D’OEDIPE CONSOMMÉ

Du Dieu de l’amour grec Eros, l’érotisme est une combinaison


d’actes et de paroles sensuels pouvant faire connaître à la personne
l’hédon du corps en extase. Poète, Senghor a fait du culte du beau et de
l’érotisme un pan important dans son art poétique. Dans sa volonté de
« communiquer dans la création » (Senghor, 1964 : 115), Sédar, d’une
plume drue, en sa qualité de commère poétique, trouve le sublime dans
le corps féminin qu’il voudra bien fixer dans l’éternel rituel orgiastique
de son art ithyphallique. Il fait appel aux éléments de la nature pour
exprimer, par le biais de la métaphore, la splendeur qui découle de
l’éblouissement d’un corps mouillé dans la marre des mignardises et des

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ménagements fredaines. En effet, dans Par-delà Eros, le chantre de la


Négritude « récite ces mains qui bandent le regard de [son] cœur »
(Senghor, 1990 : 44) pour ainsi, par un acte expressif 73, se laisser
asticoter par un événement qui a brusqué le pucelage de son regard, qui,
avec le courage de la curiosité, s’est promené dans « la douceur galbée
[d’une] caresse qui ne bouge ». (Senghor, 1990 : 44).
Ayant mordu à la joliesse de ce corps de femme qu’il a peloté et
lutiné, le chantre s’écrit et remonte les racines identitaires de sa
partenaire qu’il nomme avec saisissement « Egyptienne ! » (Senghor,
1990 : 44). Le mystère est embroché ; et des afféteries identitaires se
dissipent pour laisser une « haleine longue » (Senghor, 1990 : 44)
guider un chantre dégingandé vers les sexualités de ce corps dodu :
espace d’initiation à la volupté d’une terre-mère. Senghor, dans les
allures d’un acte « érotique », fait corps avec son Egypte, son Afrique,
pour lui tailler une place de choix dans « le cercle à toute faiblesse
fermée » (Senghor, 1990 : 44). Il plonge ses pensées dans les
profondeurs de ses essences traditionnelles pour « bâtir le roc de la cité
de demain » (Senghor, 1990 : 44).
En communion avec le corps féminin, le poète, dans la luxure de
l’image, se regarde dans la glace d’une constellation que forment ces
yeux de « soleil feu broussé » (Senghor, 1990 : 44) pour laisser
entendre un constatif : « tu es descendu de ce mur où t’avait accroché la
ruse des Anciens » (Senghor, 1990 : 44). L’Afrique, qu’incarne cette
femme aimée, fait mouvement et se donne à lire dans des « senteurs »
(Senghor, 1990 : 44) d’une civilisation, d’une culture différente, mais
existante. Le chantre replonge dans l’espace féminin pour établir
davantage de contacts corporels afin de faire naître un corps métis qui
parle et qui se parle pour sortir de cette « fosse à lions » (Senghor,
1990 : 13) afin de « reconquérir le lointain des terres qui bordaient
l’Empire du sang » (Senghor, 1990 : 13). Et c’est dans ce « Empire du
sang » que doit s’accomplir le destin à travers lequel sera consommé « le
fruit suspendu à l’arbre de [son] désire » (Senghor, 1990 : 44). D’où le
retour à la source matricielle du poète qui vise à arborer l’étendard de sa
civilisation et de sa culture pour afficher une « identité retrouvée,
reconnue, respectée » (Petroni, 1992 : 3). Ainsi faisant, en sa qualité de
baroudeur artistique, il empale le discours impérialiste de l’Occident qui
voudrait faire du continent noir un pan a-culturel.

73
C’est un acte de langage à travers lequel un locuteur exprime des sentiments de
satisfaction ou d’insatisfaction. il s’agit un acte qui n’a pas de direction d’ajustement.

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De son désir priapique, le poète suit les ondes de son cœur


égrillard qui pulsent sur l’arbre qui porte le fruit interdit. Mais, d’une
curiosité grivoise, il parcourt chaque millimètre du corps qu’il paluche
du regard pour débouler sur « la fierté de ces collines [qui] appelle[nt]
[son] orgueil » (Senghor, 1990 : 44). Le poète darde son esprit dans
son prude en s’agrippant sur ces collines de chair, lesquelles activent une
boule de magma qui fait exploser son orgueil sur les « sommets
couronnés de gommiers odorants » (Senghor, 1990 : 44). La chair
faisandée de la femme affranchit l’enfant de Joal 74 de l’ascétisme 75 et
l’amène à saisir l’écho du « nombril qui rythme [son] chant » (Senghor,
1990 : 44). Il se libère de la pudibonderie pour étaler sa vue sur cet
espace féminin qu’il décrit comme suit :
Un lac aux eaux graves dort dans son cratère qui veille
Seule, je sais, ces riches plaines à la peau noire
Convient au soc et au fleuve profond de mon élan viril
Mais quoi d’un corps sans tête ? Et quoi de bras sans âme ? (Senghor,
1990 : 44)
« Ce délice » des yeux de l’esprit (Senghor, 1990 : 17) nous fait
lire une symbiose parfaite entre les éléments de la flore et les trésors
charnels et intimes de la femme africaine. Par la force d’un langage
performatif, il « dénude » la femme pour donner à son corps une
contenance particulièrement sensuelle. Le spectacle est voluptueux. Les
reluques se desquament dans les volutes d’une imagerie à la fois intime
et érotique. Enflammé par ce qu’il voit et ce qu’il sent, le chantre bascule
dans une ivresse langoureuse et pantelante avant de se perdre dans un
big bang à l’expansion « des talbattes mbalakh et tama » (Senghor,
1990 : 44). L’artiste découvre ainsi les libéralités sensuelles de sa
partenaire et d’un « élan viril » (Senghor, 1990 : 44), il émet un chant
performatif qui domine la passion « […] de ce corps […] d’acier »
(Senghor, 1990 : 44) qu’est celui de la femme. Ainsi, par le pouvoir du
verbe, le poète fait l’amour dans le poème, et le poème dans l’amour. Il
décrit la sensualité comme un « langage de la chair, du cœur, de l’âme et
de l’esprit » (Diouf, 2011 : 218), avant d’entrer dans les eaux graves de
ce fleuve profond (Senghor, 1990 : 44) pour en tirer plaisir. Ainsi

74
Joal est le lieu de naissance de Léopold S. Senghor (09-08-1906). C’est une bourgade
fondée au seizième siècle dans la région du Sine-Saloum, actuelle région de Fatick par les
navigateurs portugais sur la petite côte du Sénégal.
75
« L’Ascétisme est une doctrine morale ou philosophique axée sur l'ascèse. Un adepte de
l’Ascétisme mène une vie rude et austère, en se privant des plaisirs matériels ».

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faisant, il découvre le secret de son être, l’essence de son identité pour,


de ce fait, laisser ses doigts danser au rythme de la vérité culturelle sur
les cordes des koras (Senghor, 1990 : 45).
Après s’être délivré de l’ivresse des spasmes qu’implique ce
moment de rut, le poète, qui n’a pas gardé l’incognito dans l’expression
de sa sensualité pudique, en appelle à la compréhension de ses ancêtres.
Et dans un corps d’émotions, à travers un dire érotique et désirant, il
formule une demande voire une invitation : « Ne soyez pas des Dieux
jaloux mes Pères » (Senghor, 1990 : 145). Ainsi, le chantre de la
Négritude, par son acte sensuel, ouvre les portes de l’infini et de
l’universel. Et dans un marivaudage poétique 76, il prône un métissage
racial et culturel logé dans un entre-deux où s’affirment la richesse de la
différence et la beauté de l’harmonie des contraires. Il profère un acte de
langage à la fois expressif et constatif : « Mon âme aspire à la conquête
d’un monde innombrable et déploie ses ailes noires et rouges, noire et
rouge couleurs de vos étendards » (Senghor, 1990 : 145). Le poète
cherche, à travers cette énonciation, l’ivresse des sens et de l’esprit, en
portant ses griffes de panthère sur le pagne amical de ses sœurs
(Senghor, 1990 : 145). Une effronterie cynique se lit à nouveau dans les
mots du poète, qui compte récidiver dans l’acte sensuel. Le pagne qu’il
cherche à défaire avec ses « griffes » est celui de ses « sœurs ». Comme
un bélitre, il s’adjuge le privilège du pouvoir de dominateur dans le
sérail du sultan blanc pour s’énamourer et ainsi « reconquérir le lointain
des terres qui bornaient l’Empire du sang » (Senghor, 1990 : 145).
D’un élan mutin, il affiche sa détermination à travers un énoncé
assaisonné d’une élégance de bon goût. Il profère une promesse en acte
qui se cache sous la valeur du possessif « Ma » dans « Ma tâche »
(Senghor, 1990 : 145). De ce fait, il se donne la tâche « de reconquérir
les perles externes de votre sang jusqu’au fond des océans glacés »
(Senghor, 1990 : 145). Le chantre de la femme fait sienne la mission
d’un passeur de cultures qu’il cherche à féconder et à enrichir. Il articule
son combat dans un versant identitaire qu’il veut bien universel. D’où
son mouvement vers un autre univers baigné dans « une joie pascale »
(Senghor, 1990 : 332) pour trouver « la noire et belle, parmi les filles
de Jérusalem ». De ces dires, se note un entrelacs fécond entre l’espace
local et l’espace global (Niang, 1994 : 145) la race noire et la race qui
habite les « océans glacés ». Une volonté de métissage fait surface pour

76
Propos galants, délicats et recherchés qui portent une charge d’amour.

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laisser entendre ses paroles du poète : « Que nous le voulons ou non,


nous les hommes, nous sommes tous poussés ensemble vers une
civilisation unique » (Senghor, 1983 : 80).
Le chantre, qui semble se perdre dans l’emprise d’une commotion,
« rougit », et dans la verve d’une écriture d’un désir allant, fait
abnégation de sa volonté de dévoiler la candeur et la chaude tendresse
féminine, qu’il darde d’un regard gluant avant d’informer ses lecteurs. Il
s’écrie dans un acte illocutionnaire à valeur expressive : « Candides ses
yeux comme ceux de l’Antilope koba, ouverts étonnés sur la beauté du
monde » (Senghor, 1990 : 45).Ces paroles qui coupent court à toute
réplique se font écho dans l’exercitif 77 que le porte étendard du
métissage culturel articule comme suit : « entendez le chant de son âme
sur son toit de paupières sarrasines » (L.S. Senghor, 1990 : 45).L’ordre
est intimé. Le chantre s’invite à s’abandonner dans le vertige du
tournoiement que provoque cette âme-sœur. D’une robustesse forcenée,
il se livre dans un autre exercitif introduit par l’interjection « Ah », par
lequel il marque son sentiment vif et son insistance sur son ambition :
« Ah ! Laissez-moi l’arracher, son âme, dans un baiser fabuleux de
l’esprit et des terres nouvelles » (Senghor, 1990 : 45).
Dans ce dire désirant, Senghor ouvre les portes du boudoir de la
déesse de l’amour afin d’y vaincre l’isolement languissant et ainsi, d’une
attitude impromptue, déposer la graine du métissage dans ce vestibule
de sa sœur dont la sensualité pudique couvera un corps d’émotions
multiples et complémentaires. Un corps que le poète compte « porter à
vos pieds avec les richesse fabuleuses de l’esprit et des terres nouvelles »
(Senghor, 1990 : 145).

I-2 FUSION AVEC LA FEMME-CONGO

Dans son combat « d’affirmation de soi », Senghor glisse dans


l’ombre d’une écriture pour dégrafer une licence poétique à travers
laquelle il regimbe à plusieurs reprises contre une caricature culturelle.
Pour tirer ouvertement gloire de son combat culturel et identitaire, le
chansonnier de la culture africaine retourne sur ses pas avec des idées
paillardes pour ainsi s’adresser aux membres féminins de sa « mère-
Congo ». Sur « l’élan lisse de [son] ventre » (Senghor, 1990 : 102), il se
perd dans une observation descriptive. Il fouille, du regard, sous le

77
Un exercitif est un acte de langage à travers lequel un locuteur donne un ordre.

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corsage de la femme-fleuve, pour découvrir, dans l’émotion d’une


caresse visuelle, les « clairières de […] seins îles d’amour, colline
d’ombre de gongo » (Senghor, 1990 : 102). Le chantre de la femme
noire, met au rancart sa pudeur pour, d’une manière plus aguichante et
lascive, enhardir son regard qui jouit bien de la beauté et de la lubricité
de ce corps qu’il gamahuche à travers ce constatif 78 à valeur descriptive :
« Fleurs sereines de tes cheveux, pétales si blancs de ta bouche surtout
les doux propos à la néoménie jusqu’à la mi-nuit du sang ». (Senghor,
1990 : 102).Dans ce vers, il recourt à trois sens : le touché (« Fleurs
sereines de tes cheveux »), la vue (« pétales blancs de ta bouche »), l’ouïe
(« doux propos à la néoménie ») pour laisser échapper sa concupiscence
avant de lancer un cri de schlague qui sonne comme un directif adressé à
la femme : « Délivre-moi de la nuit de mon sang, car guette le silence
des forêts » (Senghor, 1990 : 102). L’esprit et l’âme du poète
fusionnent dans une fausse retenue pour laisser voir un chantre qui se
débat des mains prenantes de la « nuit de [son] sang ». L’enfant de
Djyilor 79 salue majestueusement sa reine-fleuve qui se trouve être en
même temps « amante et mère » (Lebaud, 1976 : 50). En effet, c’est
dans un « corps-à-corps amoureux avec la femme-fleuve » (Senghor,
1990 : 102) que le poète, à l’image du piroguier, épouse le rythme
d’une vague sentimentale, berçant dans le sens d’un vent salvateur. Il
marche à la volonté des forces du désir qui l’accablent et l’enferment
dans un état de faiblesse.
À la grande ivresse de ses sens, poète s’empare de l’âme de sa
partenaire dans les vibrations de ce corps qui se révèle en beauté de
formes et de chair. Envers et contre tous, il finit par posséder cette
« amante dont l’huile fait docile [ses] mains [ses] âmes » (Senghor,
1990 : 145). Il brandouille et se donne en proie à la frénésie du désir
indomptable, lequel le laisse languir dans « l’instinct de [son] rythme »
(Senghor, 1990 : 102-103).Cette femme, en qui le poète découvre une
véritable source de culture, lui trotte à l’esprit. Son corps hors de son lit-
de-fleuve, laisse un délicieux décor de béatitude. Et de son strapontin de
prétendant, l’esprit troublé par la soif de la possession et de la fusion, le
chantre « noue son élan de coryphée » (Senghor, 1990 : 102) pour ainsi
passer un accord ombilical avec la femme. Ainsi étant, dans « l’instinct
de son rythme » (Senghor, 1990 : 103), il laisse « son sexe, comme le

78
Un constatif est un acte de langage à travers lequel un locuteur exprime un constat.
79
Village d’origine des parents de Senghor. Il porte le nom de son fondateur sereer
Djidjack Faye.

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fier chasseur de lamantins » (Senghor, 1990 : 103) rythmer « la pirogue


des chœurs triomphants » (Senghor, 1990 : 103).La semence est
déposée dans les rives du fleuve-Congo et sa « force s’érige dans
l’abandon, mon honneur dans la soumission » (Senghor, 1990 :
102).La fusion avec la Mère-Congo est totale. Le retour à la racine
matricielle féconde le rêve du poète à renaître des tisons de la civilisation
nègre. Et Lebaud de dire : « Si l’eau est la Mère primordiale, l’homme
ne peut revenir à elle que par l’amour, par ce sixième sens qu’est le
sexe » (Lebaud, 1976 : 50).
Dans ses fouilles anthropologiques, Senghor entre dans le bassin
de la femme-Congo pour arroser ses veines de son eau avant d’en sortir
le cœur et le corps enrichis « du potopoto des marais » civilisationnels
(Senghor, 1990 : 103).

I-3 QUAND LE POÈTE FAIT CORPS AVEC « L’ABSENTE »

Dyali 80 de la femme noire, le poète africain invite les « jeunes filles


aux gorges vertes » (Senghor, 1990 : 103) à chanter avec lui en chœur,
« l’absente ». En osmose avec sa terre-amante et nourricière depuis son
enfance, Senghor, dans un ailleurs adoptif, clame la douceur de
« l’absente » pour ainsi « faire corps avec les forces dyonisiaques du
cosmos » (Gnalega, 1999 : 4). Il fait de son « absence » du terroir un
corps qu’il visualise par un transport passionné, le macule d’un voile
féminin avant de l’appeler « Princesse en allée » (Senghor, 1961 : 110).
Dans une lumière Apolline et diaphane : « tendresse du vert par l’or des
savanes », (Senghor, 1990 : 110) le poète identifie cette femme absente
dans un présent dilatoire qu’il cherche à conjurer par « ses mains si
nues » (Senghor, 1990 : 110).En outre, dans un rythme cynégétique le
chantre sérère se lance dans un mouvement érotique pour scruter « le
ventre des monettes [qui sont la] lumière sur les collines » (Senghor,
1990 : 110) généreuses de « l’absente ». Ce corps qui s’offre à
l’appétence du poète, fait naître chez lui la piqure du plaisir. Il laisse ses
idées et sa machine masculine faire un chemin vers les encoignures des
« seins debouts » (Senghor, 1990 : 110) qui le laisse prostré et frétillant.
L’enfant de Joal abandonne dans un monde extatique pour respirer les
effluves d’une symbiose amoureuse avec cette femme absente. Il s’en
prend aux jeunes filles auxquelles il s’adresse maintenant par des

80
Ce mot signifie littéralement griot. Celui qui chante les louanges de quelqu’un.

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exercitifs. Il les intime cet ordre : « jeunes filles […] chantez la sève,
annoncez le printemps » (Senghor, 1990 : 111).De son angoisse,
Senghor puise la bonne volonté de célébrer le printemps qui pousse des
entrailles graciles de « l’absente », laquelle se trouve être la sève
nourricière de l’âme du poète qui loge dans l’ombre de la futaie des
grands lacs. Printemps est sa femme-mère, sa femme-amante qu’il
voudra bien identifier cette fois à travers un commissif : « […] elle
reviendrait. La Reine de Saba à l’annonce des flamboyants » (Senghor,
1990 : 111).
Riche et belle, la Reine de Saba ou « Reine de midi » (La Sainte
Bible (Nouveau testament). Luc11 : 31) est, selon qu’il est écrit, un
symbole sapiential, de pouvoir et de richesse dans l’Empire sabéen.
Senghor l’identifie à son « absente » et de ce fait, proclame sa chère
Afrique « femme prêtresse » d’amour de sagesse et de culture. La beauté
de cette Reine qui est dite être le fruit d’un métissage entre une Djinn
du nom de Umeira et du visir, Al-Himiari Bou-Schar’h 81, reste
l’incarnation de cette Afrique, cette belle « Afrique des fiers guerriers »
dont Senghor chante langoureusement « les flancs d’ombre mouchetés »
(Senghor, 1990 : 196) pour sortir de l’entre-soi et célébrer et proclamer
les louanges du métissage.
A travers un expositif articulé comme suit : « Humant le
halètement doux de ses fleurs d’ombre mouchetées » (Senghor, 1990 :
111), le chantre, fait montre d’une intensité d’investissement physique
et sentimental avant de se faire enivrer par « la râle jubilant de
l’antilope » (Senghor, 1990 : 111). Il fait entendre dans un vers à valeur
commissive 82 dépourvu d’un verbe introducteur. Il promet : « Je boirai
long longuement le sang fauve qui remonte à son cœur » (Senghor,
1990 : 111). Ce cœur qui est celui de son antilope, se trouve être sa
terre-amante. D’ailleurs, de cette-amante, le chantre s’ébranle pour
mettre sa plume poétique dans l’orbite de l’horloge afin de dire, dans le
noir de minuit, le corps sensuel et luxurieux de la femme qui se fait
découvrir dans les méandres de minuit.

81
« Légendes bibliques : La reine de Saba », mythologica.fr/biblique/saba.htm(consulté le
09-06-14 à 16h 26mn).
82
Se dit d’un acte de langage à travers lequel un allocuteur prend des engagements à
travers des promesses par exemple.

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II. UN CORPS DANS UN POÈME IDENTITAIRE

II-1 L’EXTASE DE MINUIT

Il est minuit. Les aiguilles pointent le haut pour laisser le poète


dire le temps vertical. Ce temps du « Seigneur de la lumière » (Senghor,
1990 : 198), va envelopper des mystères érotiques que le chantre se
donne à dire dans le feu de « six mille lampes qui brulent vingt-quatre
heures sur vingt quatre » (Senghor, 1990 : 199).
Libre de tous tabous et « beau comme le coureur de cent mètres »,
(Senghor, 1990 : 199) le poète marche dans la lumière des étoiles de
minuit où il trouve le miroir de son propre désir. Il se fait « étalon
noir » pour, en période de rut poétique exercer une activité sulfureuse
allant dans le sens d’un métissage. Dans un langage charnel, il fait parler
le masculin en lui qu’il veut mettre en fusion avec une déesse de
Byzance. Senghor se confie et laisse entendre un expressif : « je charrie
dans mon sang un fleuve de semence à féconder toutes les plaines de
Byzance ». (Senghor, 1990 : 199) Ville très riche de la Grèce antique,
Byzance porte la marque de cette civilisation helléniste que Senghor
cherche à féconder par son sang noir, pour que, de ce rapport, naisse un
métissage culturel qui enrichira l’humanité d’un autre visage.
Senghor plonge au cœur de l’intimité féminine pour gravir les
« collines austères de son buste » (Senghor, 1990 : 196) et, dans son
jardin érotique, se réconcilier avec ses inhibitions. Il en informe la
femme par ces propos sensuels : « je suis l’Amant et la locomotive au
piston bien huilé » (Senghor, 1990 : 196). Il dit ses sensations
physiques « d’une assez piquante volupté » (Sade, 1791 : 6 ) et se lance
à la conquête du corps convoité qu’il dévore dans un texte de jouissance.
Le poète exhale la passion et chante le plaisir sexuel qui le laisse sentir la
Douceur de ses lèvres de fraises, densité de son corps de pierre,
Douceur de son secret de pêche.
Son corps terre profonde ouverte au noir semeur
L’esprit germe sous l’aine dans la matrice du désir
Le sexe est une antenne au centre du multiple, où
S’échangent des messages fulgurants. (Senghor, 1990 : 199)
« Par un travestissement poétique » (Lebaud, 1976 : 50), le corps
reluqué de la femme est maintenant dompté et possédé. Sa beauté
altière est soumise aux mouvements hétaires et au piston enserrant du
chansonnier qui se délecte d’être ainsi le maître de son rêve, maître de la
féminité de cette femme-minuit avec qui il fait corps dans une beauté

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charnelle autrement avancée et langoureuse pour ainsi enterrer sa


semence dans la « terre profonde ouverte au noir semeur » (Lebaud,
1976 : 50).
En effet, la vision du poète d’harmoniser les contraires qui
gangrainent la vie en communauté des peuples est l’expression d’une
ouverture d’esprit qui vise la gloire de l’Homme dans une « demeure
universelle » (King. 1988 : 25). Dans son « laboratoire passionnel »,
Senghor trouve « ce mourir de ne pas mourir » (Senghor, 1990 : 196)
dans cette demeure dite universelle pour ainsi, dans la « plus profonde
de la chair » (Rovere, 2010 : 55 ) créer un lieu d’échange, un rendez-vous
du donner et du recevoir où se dégerme le rapport parfois racial entre
Blancs et Non-blancs.

II-2 AU DELÀ DE L’ENTRE-SOI

Le chantre se confond dans l’ivresse d’une joie volée pour, dans la


douceur d’un baiser banakh, partager un destin, une vie avec son amie,
sa sœur, « la Bien-aimée Maimouna ». (Senghor, 1990 : 325).
D’origine arabe, qui veut dire « heureuse, sous la protection divine », le
prénom Maimouna est porté par la sœur du poète dont la peau
épanouie exerce une attirance irrésistible sur son frère, lequel va
chercher à jouir d’un contact charnel pour faire naître le fruit du
dialogue islamo-chrétien, un commun vouloir de vie commune qui
transcende tout obstacle de nature racial et culturel. Le défenseur du
métissage racial et culturel compte se livrer sans concession aucune. Il
observe un abandon de tout ce qu’elle exige de son corps. La plénitude
du regard que pose Maimouna, sa sœur, son amante, sur lui, s’exprime
« comme une tour tata » (Senghor, 1990 : 325). Ses pensées qui
dominent son rêve sont livrées à cette réconciliation entre leurs corps et
leurs âmes.
Dans la chaleur du contact soyeux, les deux amants (frère et sœur)
se livrent dans un « corps à corps » sans retenue. Dans une connivence
sensuelle, ils laissent submerger la tendresse des plaisirs de sens que
couronne un échange fécond entre les deux acteurs. Et dans un congrès
alangui, le chantre trouve la voie de retour aux sources qu’il exprime
comme suit :
Oui ! Elle m’a baisé, banakh, du baiser de sa bouche […]
Je dis banakh du baiser de sa bouche, la Bien Aimée, Maimouna mon ami,
ma sœur

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Et Maimouna mon amour mon amante. Et son regard sur moi comme
une tour tata
Tu m’as visité à chaque degré parmi les six, ma Noire, à chaque printemps
solennel
Ma Belle, quand la sève chantait, dansait dans mes jambes mes reins ma
poitrine ma tête
Tu délivras une parole : que je retourne sur mes pieds vers toi, vers moi-
même ma sœur. (Senghor, 1990 : 325)
Les feux du poète s’éteignent dans l’effervescence de sa mission, de
son entreprise qui le renvoie à l’appel d’un vouloir ardent. Et comme
des « lamantins qui vont boire aux sources », (Senghor, 1990 : 160)
Senghor se donne à lire dans un spectacle lascif avec la « fille de
l’Ethiopie pays de l’opulence, l’Arabie heureuse » (Senghor, 1990 :
377).
Originaire d’un pays sahélien, le Sénégal, caractérisé par
l’alternance annuelle de d’une saison de pluies et une saison sèche,
Senghor suspend son désir et son plaisir charnel avec sa sœur,
Maimouna « à l’Octobre de l’âge » (Senghor, 1990 : 325) ; période
pendant laquelle s’effectuent les récoltes de la saison des pluies. Ce
temps d’arrêt au mois d’Octobre exprime un temps de maturité, de
moisson et donc de délivrance. De cette copulation avec celle qui est
« heureuse », jaillit une eau de vie, un corps créole, une moisson
métissée. Avec « le blanc sourire » (Senghor, 1990 : 52) ; il ouvre une
nouvelle page dans le livre sacré de l’universalité pour laisser luire
l’espoir d’un métissage à « l’Orient [où] se lève l’aube de diamant d’une
ère nouvelle » (Senghor, 1990 : 326). Puisque son « Empire est celui
d’amour », (Senghor, 1990 : 105) il fait du métissage un antidote vital
de l’ethnocide et du repli de soi.
Poète dans l’âme, L. S Senghor s’adonne à une combinaison
alchimique du langage dans son laboratoire poétique pour exprimer un
plaisir charnel aiguisé dans un texte aux sonorités sensuelles et
heureuses. Dans sa symphonie poétique, se composent les métaphores,
les allégories à travers lesquelles la femme est centrée, tantôt dans une
contemplation, tantôt dans une fusion amoureuse sensuelle qui mène « à
tous les enchantements » (Rimbaud, 1999 : 34).

CONCLUSION

Dans son combat pour redéfinir l’image de l’Afrique et les rapports


de l’Africain avec l’Autre, le poète du royaume d’enfance chante la joie

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de fusion érotique avec sa mère-Afrique, et de ce fait, fait du corps de


son amante, une source intarissable, une contenance d’ornements
culturels. Pour palier les effets dégradants causés par une longue absence
de son terroir, le chantre effectue un retour aux sources pour déguster le
nectar de plaisir qui coule de la source civilisationnelle de son Afrique-
mère qui se trouve être le berceau de la princesse d’Ethiopie avec qui il
fait l’amour pour retrouver le chemin qui le ramène vers ses racines
identitaires, son royaume d’enfance, lieu de refuge, espace bucolique
caractérisé par une fusion et une symbiose parfaite entre les
composantes de la nature. Et Senghor de révéler à Mohamed Aziza :
« C’était un royaume d’innocence et de bonheur : il n’y avait pas de
frontière entre les morts et les vivants entre la réalité et la fiction, entre
le passé, le présent et l’avenir » (Senghor, 1980 : 37). Incarné par « la
Reine-d’enfant » (Senghor, 1990 : 327), dont le poète est amoureux, le
Royaume d’enfance, tout en appartenant au passé, fait figure d’une
« Terre promise de l’avenir » (Petroni, 1992 : 2)où le poète compte
retourner pour renaître des cendres de son « cantique de joie »
(L.S.Senghor, 1980 : 327). Pour ce faire, il formule une prière de cette
manière : « Toi Seigneur du Cosmos, fais que je repose sous Joal-
l’Ombreuse. Que je renaisse au Royaume d’enfance bruissant de rêves.
Que je sois le berger de ma bergère par les tanns de Dyilor où
fleurissent les morts » (Senghor, 1990 : 200). Par la même occasion, il
décrit ce Royaume édénique « comme une concentration de vertu »
(Bachelard, 1968 : 138), un boudoir culturel qui trouve sa beauté dans
un combat aux recettes d’amour par tous et pour tous. Il rappelle ceci :
« ce que le monde a oublié, qui est une cause de la crise actuelle de la
civilisation, est que l’épanouissement de la personne exige une direction
extra-individualiste » (Senghor, 1964 : 138).
Dans un « amour [qui] meut les mondes chantants » (Senghor,
1990 : 36), le poète de l’universel peint et célèbre la fraternité entre les
peuples pour ainsi rédimer et mouvoir l’humanité vers des valeurs plus
positives. A travers ses écritures aux relents érotiques, il revendique un
métissage culturel et racial, gage de l’émergence d’un monde meilleur.
En faisant de l’amour et de l’érotisme un refrain dans sa poésie, Senghor
exorcise le siècle de guerre auquel il appartient. Ce vingtième siècle,
témoin de progrès scientifiques, fera de la locomotive le bourreau des
valeurs humaines. Et en sa qualité d’humaniste, le poète, dans des
écritures d’amour, astique, tisse et assortit les pans dégingandés de
l’univers culturel pour sauver un héritage universel des griffes d’un

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monde de chaos. Il fait de sa plume un lingam ithyphallique qui, dans


ses périodes de rut, explore, d’une manière courageuse et féconde, la
voie du yoni culturel, tantôt en Occident, tantôt en Afrique pour de ces
contacts charnels, concocter le remède vital de l’autodestruction. En
effet, le poète dresse le symbole de l’énergie créatrice pour le porter dans
le « printemps solennel […] du maska marguerite d’or » (Senghor,
1990 : 325). que sa femme-sœur Maimouna porte sur son « phare de
front » (Senghor, 1990 : 325). Le chantre du métissage culturel libère
ainsi « la sève qui dansait » (Senghor, 1990 : 325) dans ses « jambes »,
ses « reins », pour arroser sa « Noire », sa « Sira Badral », sa « Miriam »
(Senghor, 1990 : 325) avant de célébrer, à l’exemple d’El Habib le
Terrouzien « Diom-beutt Mbodj dans sa splendeur d’ébène » (Senghor,
1990 : 325). Dans sa fonction de création, il se donne à lire dans l’acte
de mourir « à soi pour renaitre à l’autre » (Chevrier, 1984 : 77). D’où
cette confession, cette révélation d’un d’une scène intime que le poète a
consommé avec sa bien-aimée :
Dans la nuit tu délivreras une parole : que je retourne sur mes pieds vers
toi, vers moi-même ma source (…) Comme l’une et soleil, main dans la
main, front contre front, nos souffles cadencés. (…) tes genoux fléchis au
bout des longues jambes et galbées (…) sous l’ondoiement des épaules,
oh ! le roulis rythmé des reins. Je dis les labours profonds du ventre de
sable. Je me souviens de mon élan à ton appel, jusqu’à l’extase. Des visages
de lumières, quand tu reçus, angle ouvert cuisses mélodieuses. Le chant
des pollens d’or dans la joie de notre mort-renaissance. (Senghor, 1990 :
325)
De cette union entre le lingam et le yoni, naîtra le « nombre d’or »
(Senghor, 1990 : 330) du métissage racial et culturel.
Dans ses « doigts de vainqueur », le chantre du métissage tient sa
proie qu’il consume dans « le cri d’amour » (Senghor, 1990 : 15). Il
transcende les barrières raciales pour dire les choses cachées sur et dans
le corps féminin et s’enivrer de son parfum érotique pour ainsi placer le
métissage, dans toutes ses formes, sur le banquet de l’universel. Son
entreprise consiste à faire du levain (le Noir) et de la farine (Le Blanc)
un mélange alchimique pour qu’advienne, « à la renaissance du
monde », (Senghor, 1990 : 23) l’Homme universel.

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Ouvrages cités

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13è édition, VII, 3.
CHEVRIER, Jacques. 1984. .Littérature Nègre. Paris : Amand colin.
COURAIGE, Christian. 1977. Continuité noire. Abidjan : Nouvelles
Editions Africaines.
DE SADE, Donatien Alphonse François Marquis. 1791. Justine ou les
malheurs de la vertu. Paris : Editions du groupe Ebooks.
DIOP, Papa Samb. 2006. « Léopold Sédar Senghor, un repère
essentiel ». In Francofonia, Universidad de Cadiz. 15. 92-106.
DIOUF, Daouda. 2010-2011. Révolte et Amour dans Œuvre poétique de
Léopold Sédar Senghor. Thèse de Doctorat soutenue à l’Université
Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal.
FOUCAULT, Michel. 1984. Histoire de la sexualité. Paris : Gallimard.
GNALEGA, René. 1999. « Les Relations entre la poésie de LS Senghor
et la culture ». In Mots Pluriels. 12. 09-05-15. http :
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SENGHOR, Léopold Sédar. 1990.Œuvre poétique. Paris : Seuil.
----. 1964. Liberté I : Négritude et humanisme. Paris : Seuil.
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