Les SIG Pour Une Gestion Environnemental

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Les SIG pour une gestion environnementale des

territoires
Eléments de méthode à partir de deux expériences
T. Joliveau, B. Etlicher

CRENAM-CNRS UMR 5600


Université Jean Monnet
CRENAM 6 rue Basse des Rives
42023 SAINT ETIENNE CEDEX 2
Tél. /fax: 33 (0)4 77 42 1925 / 24
crenam@univ-st-etienne.fr

RÉSUMÉ. A partir de deux expériences, l’une à propos de la gestion d’un espace naturel
sensible, les Hautes Chaumes du Forez et l’autre sur la gestion paysagère d’une commune en
déprise agricole, Viscomtat (Puy-de-Dôme), nous proposons des éléments de méthode pour
l’utilisation des S.I.G. dans la gestion environnementale des territoires, qui nous paraît
constituer un domaine d’application spécifique et en développement. Nous abordons
successivement les questions suivantes : la nécessité de combiner dans un projet des
approches du type potentialité/sensibilité et modélisation/simulation, l’importance du
phasage d’un projet, les modalités de l’intégration des acteurs dans la démarche depuis la
construction du système d’interprétation jusqu'à la décision, et l’indispensable évolution des
modes de représentation de l’information.
MOTS-CLÉS :Système d’information géographique - Environnement - Paysage - Espace naturel
sensible - Gestion de projet.
2 Revue Internationale de Géomatique

1. Introduction

Les SIG sont de plus en plus utilisés dans un contexte que nous appellerons la
gestion environnementale des territoires. Qu’il s’agisse de prendre en compte la
dimension environnementale des problèmes de gestion de l’espace et
d’aménagement ou de proposer une approche à la fois globale et localisée dans
l’espace d’un problème d’environnement, ce contexte nécessite toujours une
approche territoriale, caractérisée par une négociation d’acteurs autour d’enjeux
environnementaux spatialisés [BAR 96]. Ce contexte est celui de procédures ou de
démarches très diverses : gestion de la déprise agricole, mise en œuvre de mesures
agri-environnementales, opérations de restructurations foncières, plans paysagers,
schémas d’aménagement et de gestion des eaux, schémas directeurs, etc.. Dans tous
les cas - et l’on peut faire l’hypothèse que cela se généralisera et s’accentuera dans
l’avenir - les organismes gestionnaires les plus divers (chambres d’agriculture, parcs
nationaux ou régionaux, collectivités locales,...) doivent répondre aux mêmes
exigences : faire fonctionner des structures de concertation avec l'ensemble des
partenaires et représenter spatialement à la fois l’espace du problème et les territoires
des acteurs. C’est dans ce cadre que se constituent maintenant de nombreux systèmes
d’information géographique (SIG). Or leurs promoteurs sont confrontés non
seulement à la nécessité de mettre en œuvre des méthodes nouvelles de traitement de
l’information, mais aussi de communiquer celle-ci à différents publics, dans le cadre
d’une action concertée. Il ne s’agit plus de présenter les résultats finaux d’études ou
d’expertises. Il faut expliciter avec tous les acteurs concernés l’ensemble d’une
démarche et valider chacune des étapes d’un raisonnement. C’est donc une méthode
globale de traitement de l’information spatialisée dans une démarche concertée qu’il
faut produire.

Nous souhaitons présenter quelques éléments de méthodes à partir de deux


opérations menées par l’équipe du CRENAM 1: une sur la gestion d’un espace
naturel menacé, les Hautes Chaumes des Monts du Forez, l’autre sur la gestion du
risque d’enrésinement dans une commune de la montagne thiernoise, Viscomtat dans
le Puy-de-Dôme. Nous ne présenterons pas le détail des opérations. Au sujet des
Hautes Chaumes, on pourra consulter : [ETL 96], [ETL 93] et [BES 95]. On se
référera, pour l’exposé de la méthode globale de gestion paysagère à [JOL 96] et
[JOL 98]. Après la présentation des démarches générales et des principaux résultats
des deux expériences, nous exposerons un ensemble de réflexions, nées de notre
approche des SIG dans un contexte de gestion concertée.

1
Le CRENAM (Centre de Recherches sur l’ENvironnement et l’Aménagement) est un laboratoire de
l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne, composante d’une unité du CNRS (UMR 5600 : Environ-
nement, Ville, Société). La recherche sur les Hautes Chaumes coordonnée par Bernard Etlicher a
mobilisé autour du CRENAM différents partenaires : le Parc naturel régional Livradois Forez, l'OPNA,
l’Office du Patrimoine Naturel d'Auvergne et l'ENITA de Clermont Ferrand. Le travail sur la montagne
thiernoise a été financé par le Commissariat à l’Aménagement et au Développement Economique du
Massif central et rassemble une équipe de géographes, d’économistes et de sociologues de l’Université
jean Monnet de Saint-Etienne et de l’ENITA de Clermont-Ferrand.
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2. Le S.I.G. des Hautes Chaumes

Le projet de SIG Hautes Chaumes du Forez a été réalisé avec le concours du


Parc Naturel Régional du Livradois Forez. Conçu à l'origine pour gérer un
observatoire du patrimoine naturel, il est vite apparu comme un outil de gestion d'un
espace sensible où les conflits d'usage sont permanents et revêtent des formes
diverses.

2.1. Pourquoi un SIG sur les Hautes Chaumes du Forez ?

Aux confins des circonscriptions territoriales, les Hautes Chaumes sont écartelées
entre deux régions - Rhône-Alpes et Auvergne - et entre deux départements - Loire
et Puy-de-Dôme. Les structures de développement, différentes sur les deux versants,
ne permettaient pas une réflexion qui prenne en compte la totalité de l'espace et
l'ensemble des problèmes comme l'unité du paysage et du milieu l'imposait.

Marginal, cet espace reste convoité. Autrefois géré par les éleveurs, il connaît
actuellement un déclin rapide de l'activité d'estive [COU 88] ; en revanche, il attire
un nombre croissant de citadins pour des activités récréatives (randonnée, ski, vol
libre, parapente...) ou mécaniques (VTT, moto verte, 4X4, etc.). Les communes,
soucieuses de revitaliser une région en voie de désertification et de fournir une
activité complémentaire à une population agricole en difficulté, cherchent à
développer les structures d'accueil de tous types en profitant des aides à
l'investissement nombreuses sur fonds régionaux et européens. Les forestiers y
voient de larges possibilités de plantations rentables, notamment en résineux, et les
naturalistes souhaitent préserver un patrimoine qui leur semble exceptionnel à
l'échelle du Massif Central et de la France. Aussi les initiatives se multiplient,
contradictoires, en fonction de l'intérêt de tel ou tel groupe, provoquant protestations,
colères ou même - parfois - conflits violents.

2.2. L'outil et la zone d'étude.

La zone d'étude a volontairement été limitée à l'espace composé des plus hauts
sommets de landes au-dessus de 1200 m d'altitude sur les deux versants, servant de
terrain de parcours, au-dessus de la ceinture forestière du massif et correspondant à
une surface de 20 x 5 km, traitée au 1/25000. En l'absence d'unité de gestion puisque
la zone déborde sur les deux domaines de compétence territoriale, nous avons
proposé la maquette aux décideurs tant d'un côté de que de l'autre avec une écoute
inégale certes, mais cette démarche a fait progresser l'idée d'une nécessaire
cohérence dans la gestion de l'ensemble, d'ailleurs plus rapidement acquise et relayée
par les sous-préfets que les élus locaux, mais avec tout de même un début de
réunions communes sur certains thèmes, comme la circulation des engins motorisés.
L'espoir est que cette dynamique de réflexion se développe et s'approfondisse.
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La base de donnée a été construite, et gérée dans les premiers temps, au


CRENAM avec ARC/INFO [BES 95]. Le Parc qui envisage pour celle-ci de
nouvelles utilisations a aujourd'hui pris le relais et sa maintenance est effectuée en
interne. Les traitements nécessitant une analyse raster, notamment la construction de
certains modèles, ou la gestion des scénarios a été effectuée avec le logiciel Idrisi qui
possède dans ses versions récentes un module d'aide à la décision offrant des
perspectives intéressantes.

2.3. La base de données

La base de données sur le milieu naturel a été progressivement constituée


pendant les années 1991-1992 à la suite d'une étude pluridisciplinaire de suivi des
évolutions affectant le milieu, financée dans le cadre d'un programme du SRETIE.
Ce travail avait, entre autres buts, le souci de montrer aux responsables politiques les
conséquences d'une absence de gestion globale, de souligner l’hétérogénéité de la
qualité de l'information disponible, et d'imaginer des scénarios d'évolution à partir de
diverses hypothèses, dont la poursuite des évolutions actuelles, jugées préoccupantes
par certains.

La constitution du SIG a été l'occasion de synthétiser et de rendre cohérente une


information disparate concernant le milieu naturel, issue de nombreux travaux
scientifiques, géologiques, botaniques, géomorphologiques, pédologiques, agrono-
miques et pastoraux réalisés à des époques diverses et selon des méthodologies
variées. Elle a été essentiellement un travail de scientifiques mené par une équipe
pluridisciplinaire. Cette base a été complétée par la réalisation d'un modèle numé-
rique de terrain au pas de trente mètres.

Deux enseignements sont à retenir de cette étape : la difficulté des spécialistes de


disciplines diverses à s'entendre sur un vocabulaire commun d'une part, et les lacunes
de l'information dans de nombreux domaines d'autre part, notamment sur les zones
humides, la fréquentation, les congères... Cette dernière a été partiellement comblée
par croisement des données primaires. Plusieurs de ces modèles permettant la
création de couches d'information que nous avons appelées secondaires ont été
décrits ailleurs, et ne seront pas présentés ici ([BES 92]; [ETL 93], [BES 93], [BES
95]).

2.4. Les analyses et le diagnostic

La deuxième phase, le diagnostic ou analyse de sensibilité ou de potentialité


[ETL96], est au coeur de la problématique du SIG environnemental : elle en fait la
spécificité. Les analyses ont porté sur la sensibilité du milieu à l'érosion et sa
dégradation en relation avec les différents usages de l'espace.
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La construction du modèle de croisement de données, la définition des con-


traintes et la pondération des facteurs ont exigé un accord entre spécialistes de
diverses disciplines (géomorphologues, climatologues, agronomes, phytosociologues
et botanistes). A titre d'exemple, l’expression "dégradation de la lande" n'est pas
comprise dans le même sens par le géomorphologue, qui y voit un risque d'ouverture
du tapis végétal laissant le champ libre au ravinement, et l'agronome qui entend
baisse de la valeur pastorale et multiplication des espèces à faible valeur nutritive
comme le nard (nardus stricta), espèce par ailleurs excellent fixateur du sol et luttant
efficacement contre l'érosion mécanique. Le botaniste, lui, désigne par le mot
dégradation la banalisation progressive du milieu et son appauvrissement en terme
de diversité végétale mesurée par l'indice de diversité biologique.

Il n'est pas plus aisé de quantifier certains facteurs : faire admettre que la pente
est un facteur d'aggravation de l'érosion par le ruissellement ne pose pas de problème
majeur car il y a un accord général sur ce point, mais cet accord est déjà moins facile
à réaliser lorsque le débat porte sur les modalités de cette intégration dans le modèle
de croisement de données, suivant une progression linéaire, trigonométrique, ou avec
introduction de seuils à l'origine du déclenchement de processus particuliers : vieux
débat de la géomorphologie...

Ces analyses sont obtenues à partir des couches primaires ou secondaires à


travers un modèle de croisement de données. Contrairement à l'étape précédente,
celle-ci ne relève pas exclusivement de "l'expert" ou du "scientifique" mais un
certain nombre de choix "politiques" conditionnent le résultat final. En plaçant en
amont l'intervention du "politique", dans un domaine souvent attribué exclusivement
aux "experts", on prévient un certain nombre de conflits et on peut dans une certaine
mesure contribuer à éviter un rejet du diagnostic par les acteurs. Ont été produites
des cartes de sensibilité à l'érosion du milieu et des cartes de potentialité pastorale et
touristique.

2.5. La gestion de scénarios

La dernière étape est la construction de scénarios d'évolution et d'aide à la


décision à partir d'hypothèses formulées par le Parc. Des scénarios de fermeture du
paysage sur la base de la poursuite des évolutions actuelles et d'allocation de l'espace
entre divers objectifs : conservation patrimoniale, tourisme et pastoralisme, ont été
notamment construits pour alimenter le débat avec les responsables politiques du
Parc. Ils ont été bâtis sur diverses hypothèses pour être débattus par les instances
politiques. La réflexion n'est qu'engagée et doit se poursuivre dans la période qui
s'ouvre. Plusieurs simulations sur l'allocation de l'espace pour gérer les conflits
d'usage entre trois “usages” de l’espace : pastoralisme, activités de loisirs, protection
du milieu, ont été réalisées en faisant varier l'importance de certains paramètres. Des
simulations de fermeture de la lande ont également été produites.
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3. Viscomtat : un S.I.G. pour la gestion paysagère

3.1. Les objectifs

Le projet, mené en collaboration avec le Parc naturel régional du Livradois-


Forez, la Communauté de commune de Chabreloche et la commune de Viscomtat
n’avait pas de véritable enjeu de gestion à court terme. Le Parc mène cependant
parallèlement dans cette zone une opération de gestion de l’espace, devant
déboucher sur des mesures concrètes. Dans ce cadre il avait d’ailleurs mis en place
une procédure de collecte des données, et élaboré avec un jury communal une
première spatialisation des différents enjeux locaux. Les acteurs locaux étaient déjà
mobilisés sur le thème de la maîtrise de leur territoire, et notre projet s’appuyait sur
cette première opération. Nous partions de l’hypothèse que le paysage offre une
bonne clé d’entrée pour poser la question de la gestion du territoire. Les dynamiques
paysagères sont la résultante complexe et médiatisée de multiples processus et
d'actions de tous ordres : économiques, sociaux, culturels, ... L’objectif était donc de
relier les dynamiques paysagères constatées aux logiques des acteurs qui les
produisent, puis de proposer des scénarios fondés sur des hypothèses cohérentes
dans le changement de ces logiques. Le système d’information sous-jacent devait
donc répondre à trois grands besoins : décrire les principaux types d’occupation du
sol et les paramètres qui transcrivent les logiques d’acteur, reconstruire des vues du
paysage visible grâce à des outils informatiques et produire des simulations
raisonnées de l’évolution de l’occupation du sol.

3.2. Les outils et les données

La contrainte technique que nous nous étions donnés était de ne pas mobiliser des
outils trop coûteux ou trop complexes : nous avons donc utilisé des logiciels simples
sur micro-ordinateurs : Idrisi et Arc View pour la gestion de l’information à
référence spatiale et Vistapro pour la production de vues paysagères pseudo-
réalistes.

Il nous fallait caractériser les structures physiques du territoire, les grandes


catégories d’occupation du sol, les structures d’exploitations agricoles et le réseau
viaire. Pour décrire la structure spatiale nous avons utilisé les îlots de culture, qui
sont des regroupements de parcelles contiguës ayant le même type d’utilisation et qui
sont mises en valeur par la même exploitation. Ces unités sont beaucoup moins
nombreuses que les parcelles foncières et peuvent donc être plus aisément gérées sur
un vaste espace avec un système informatique aux performances modestes. Les îlots
avaient été délimités sur le plan cadastral par les agriculteurs eux-mêmes dans le
cadre de l’opération de gestion de l’espace du Parc. Leur description reprenait
quelques critères simples : type de mise en valeur et caractéristiques agronomiques
générales. Les données concernant les exploitations : âge et statut de l’exploitant
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(double-actif, retraité, ...) ont été stockées dans une base de données. Un état
simplifié de l’utilisation du sol a été reconstitué à plusieurs dates, en fonction des
sources disponibles : en 1835 par transfert de l’information portée sur le cadastre
napoléonien ; en 1960, 1985 et 1994 par photo-interprétation visuelle des
couvertures aériennes de l'I.G.N. Nous avons procédé aussi à une classification
automatique d’une photographie aérienne en couleurs naturelles scannée. Un modèle
numérique de terrain (M.N.T.) de la zone a enfin été calculé à partir d’un couple de
photographies aériennes.

3.3. La méthode

La méthode employée se fonde sur la reconstitution des paysages passés et


présents pour amener les acteurs à prendre conscience que les paysages ont évolué
dans le passé et vont se transformer dans l’avenir. Cela permet de lancer le débat sur
l’avenir du paysage de la commune et de mobiliser les acteurs autour de la
compréhension des processus qui déterminent les paysages futurs. Ceux-ci sont
ensuite simulés grâce au S.I.G.

3.3.1. Les étapes


On commence par structurer et organiser dans un S.I.G. l’information de
base sur les états passés et présent de l’occupation du sol et les structures agricoles
actuelles. Une enquête sur les vues paysagères remarquables et la sensibilité
paysagère locale permet de mieux comprendre les enjeux paysagers et les
représentations que s’en font les acteurs locaux. Ensuite on crée des vues paysagères
des états passés et actuels, et des vues du paysages futur, construites à partir de
scénarios contrastés et fondés sur des hypothèse simples. Les vues sont discutées par
les acteurs auxquels on propose de construire des scénarios plus nuancés, intégrant
des facteurs qui leur semblent pertinents. On élabore ensuite avec des experts locaux
une liste des facteurs du boisement et on construit un modèle de combinaison de ces
facteurs. On doit alors procéder à la collecte des informations complémentaires
nécessaires. Les outils de bases de données et d’analyse spatiale permettent de
cartographier les zones potentielles de boisement en fonction de différents scénarios
ou de différents avis d’acteur. On élabore dans le même temps des cartes de
sensibilité paysagère grâce aux fonctions d’analyse de visibilité et l’on peut
cartographier les zones de conflits entre potentialités de boisement et sensibilités
paysagères. On peut produire aussi les vues paysagères correspondantes et les
présenter aux acteurs locaux

3.3.2. Les représentations du paysage


Les paysages sont représentés de différentes manières. Même de simples cartes
d’occupation du sol à différentes dates ont un intérêt. Elles sont souvent, pour la
plupart des acteurs, la principale occasion de voir leur espace commun d’un seul
tenant. Ainsi, dans le cas de Viscomtat, le travail de réflexion exercé dans le cadre de
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l’opération de gestion de l’espace s’était fait directement sur le plan cadastral, scindé
en l’espèce en quatre parties. La cartographie issue du S.I.G. a permis d’avoir une
vue d’ensemble de l’espace de la commune, à la sémiologie flexible et adaptée. La
combinaison des relevés d’occupation du sol avec un Modèle Numérique de Terrain
permet aussi de reconstruire des vues paysagères aux différentes dates, selon
plusieurs techniques : cartes d’évolution, vues fixes “virtuelles” utilisant des
techniques de synthèse d’image et construites à partir de points de vue connus de
tous ou facilement repérables : belvédères, sommets, ..., simples drapages de
photographies sur des vues en perspective du M.N.T., ou animations présentant
l’évolution temporelle du paysage.

3.3.3. La simulation du boisement


Le S.I.G. sert d’abord à caractériser chacune des U.C.H. par des critères considérés
comme pertinents pour les dynamiques futures : pente, altitude moyenne et
orientation dominante à partir du MNT, part du périmètre de la parcelle en voisinage
d’une parcelle boisée, distance au siège d’exploitation le plus proche par le réseau
viaire, coefficient surface/éloignement de la parcelle par rapport au siège
d’exploitation, etc.. Ces critères sont stockés dans la base de données des îlots de
culture, à côté des caractéristiques directes ou de celles obtenues par jointure avec la
base de données des exploitants. On produit, à partir des pondérations de chacun des
experts, un risque de boisement à long terme des unités. Dans les vues paysagères
futures, les parcelles concernées sont ensuite considérées comme boisées. Le défaut
d’une telle analyse est bien sûr de ne pas prendre en compte le temps. Si l’on
considère que se boiseront les parcelles petites et éloignées des sièges d’exploitation
et celles qui sont entourées à plus de 75% par des parcelles déjà boisées, le
boisement d’une parcelle lié à des raisons agronomiques, pourra bien évidemment
entraîner dans un second temps l’abandon d’une parcelle voisine maintenant cernée
par la forêt. De même, l’âge de l’exploitant, qui est une variable fondamentale de ce
système, évolue avec le temps et il serait nécessaire d’en tenir compte. Coupler le
S.I.G. avec un modèle temporel est possible, mais cela oblige à compliquer le
système. Il faut pouvoir paramétrer différentes dynamiques pour les trente ans à
venir : logique successorale des exploitations, laps de temps entre l’abandon cultural
et la décision de boisement, etc..

3.3.4. Les modèles de changement


Dans ce type de projet, les acteurs doivent participer à l’élaboration de modèles
de changement. Il faut en effet déterminer les paramètres qui peuvent faire évoluer le
paysage de la commune dans les décennies à venir. Dans le cas de Viscomtat, nous
étions dans une situation où les dynamiques naturelles étaient secondaires, les zones
abandonnées ou délaissées faisant, dans la plupart des cas, l’objet d’un boisement
volontaire ultérieur. Nous avons donc travaillé à élaborer, grâce à des enquêtes
auprès des acteurs et après consultation de différents experts locaux, un modèle
simple tentant de représenter la décision de boisement par un propriétaire [DEN 97].
Ce modèle intègre quatre types de propriétaires : les agriculteurs double-actifs, les
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agriculteurs traditionnels, les agriculteurs à dominante hors-sol et les propriétaires


non-exploitants. Plusieurs grands types de facteurs ont été mis en évidence qui
jouent à des échelles différentes. Les critères techno-agronomiques influent à
l’échelle de la parcelle (pente, pédologie, taille, insolation, proximité des bois,
accessibilité et desserte,...), les critères socio-culturels (attachement à la terre, intérêt
pour la forêt, choix d’exploitation,...) jouent à l’échelle locale, les critères
économiques sont pertinents à l’échelle de la petite région ou de la nation (marché
du bois, coût du fermage, ...) et les critères réglementaires dépendent de décisions
nationales, ou européennes (taxation, subventions, mesures agri-
environnementales, ...). Une approche plus formalisée pourrait d’ailleurs être mise en
œuvre. Sur une autre zone, nous avons testé la méthode de l’analyse structurelle pour
hiérarchiser, parmi les variables, celles qui semblaient les plus déterminantes.

On commence par fixer des grandes orientations pour les macro-variables, celles
du niveau régional à européen. On demande ensuite à chacun des experts ou à
chaque type d’acteur de proposer une hiérarchisation des facteurs du boisement des
parcelles de la commune. On peut utiliser de simples pondérations ou des systèmes
de scores relatifs, comme celui de la méthode “ Saaty ” [SAA 77]. Selon le cas, on
peut demander à un groupe d’experts ou de représentants des différents acteurs de se
mettre d’accord sur le système de pondération. On peut aussi, comme cela a été fait
dans le projet, produire la simulation spatiale des boisements correspondant aux
pondérations de chacun des experts ou acteurs, et leur demander ensuite de comparer
et discuter les différences.

3.4. L’intérêt d’une telle démarche

Une telle approche permet une mobilisation des différents acteurs sur les enjeux
territoriaux. En effet, les vues paysagères de la commune apparaissent comme de
bons supports du débat. Les habitants et les agriculteurs s’y repèrent correctement.
Elles constituent une traduction paysagère très “spectaculaire” des évolutions de
l’espace, rétrospectives et prospectives. La méthode des scénarios facilite
l’émergence du débat à l’intérieur de la société locale. Elle permet une première
explicitation et une prise de conscience des différents facteurs qui déterminent
localement les dynamiques spatiales et des stratégies des différents groupes. Elle met
en évidence, dans une démarche globale et concertée, les usages et contraintes des
différents acteurs vis à vis d’un espace commun.
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4. Quelques éléments de réflexion à partir des deux expériences

4.1. L’intérêt des S.I.G. et leurs contraintes

Les S.I.G. offrent des opportunités très intéressantes dans la gestion

 de conserver une approche globale et spatialisée durant l’ensemble de la


environnementale des territoires. Ils permettent :

 d’expliciter les critères et les facteurs qui président à l’analyse et les modèles
démarche ;

 d’estimer un certain nombre de paramètres dont les données sont


de combinaison employés ;

 de revenir en arrière à n’importe quel moment de la démarche ;


indisponibles ;

 de produire des scénarios à partir d’hypothèses discutées avec les acteurs.

 L’utilisation du S.I.G. alourdit le déroulement du projet en nécessitant à chaque


En retour, ils génèrent de nouvelles contraintes :

étape de formaliser et d’expliciter les choix et les paramètres tant pour ce qui

 Le S.I.G. oblige à déployer une stratégie continue d’acquisition et de gestion de


concerne les données que les analyses ;

 Un projet de ce type suppose une mobilisation continue des acteurs pour


données ;

valider les différentes étapes d’avancement du projet. Il faut intégrer le S.I.G. et


ses procédures dans la stratégie de mobilisation et d’animation.

Par ailleurs, il nous semble que l’on doit éviter deux risques majeurs dans ce type

 le risque d’une «dictature de l’espace», qui conduit à vouloir spatialiser ce qui


de projet :

n’est pas spatialisable ;


 le risque que la dimension technologique de l’outil ne sépare encore plus l’expert
des acteurs, que dans une approche classique.

Les questions de méthode qui nous semblent les plus vives concernent : la
validité des approches du type potentialité/sensibilité, le contexte du démarrage des
projets, le phasage des différentes étapes, le rôle respectif des divers acteurs,
l'élaboration des modèles de croisement de données et les choix des modes de
représentation.

4.2. Deux démarches à associer : potentialité/sensibilité vs


modélisation/simulation

Les deux approches présentées ici s’intègrent dans une démarche proposée à
l’origine par Mc Harg [HAR 80] et connue sous le nom de planification écologique.
Une application de cette approche dans un contexte français est présentée dans
Tarlet [TAR 85]. Afin de localiser le plus harmonieusement possible les différentes
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activités humaines tout en intégrant à la fois les contraintes physiques et les objectifs
de préservation des milieux naturels, la planification écologique tente de confronter
spatialement potentialité aux usages anthropiques et sensibilité des milieux à ces
usages. Le développement des S.I.G. a permis à cette approche de se diffuser et de
complexifier. Aux systèmes originels de calques, se sont substituées des
combinaisons numériques plus complexes mais la logique reste la même. Ce type
d’approche est souvent critiqué et rejeté au bénéfice d’une démarche plus
scientifique du type modélisation/simulation de processus, pourtant souvent difficile
à mettre en œuvre dans un projet de gestion environnementale des territoires.

Or ne démarche de ce type est nécessairement globale et il est illusoire d’espérer


modéliser rigoureusement l’ensemble des processus bio-physiques, et encore moins
socio-économiques, qui sont à prendre en compte pour répondre aux questions
posées. On en est toujours réduit à travailler de manière qualitative ou semi-
quantitative, sous forme d’analyses de sensibilité et de potentialité. Certes, il est
souhaitable de disposer des modèles adéquats à rendre compte des phénomènes en
cause. Disposer de modèles spatialisés, testés et validés est une des tâches assignées
aux scientifiques. Il n’en reste pas moins que ces modèles seront longtemps
sectoriels, difficilement transposables d’une zone à l’autre ou d’une échelle à l’autre,
et toujours entachés eux aussi d’incertitude.

Surtout, ces modèles quantitatifs requièrent la connaissance de données ou de


paramètres dont, en général, le gestionnaire ne dispose pas. Leur acquisition est
souvent très onéreuse, exigeant la mise en place d'un véritable programme de
recherche scientifique, fort longue (souvent plusieurs années). La plupart du temps
cette acquisition ne peut être que ponctuelle (à l'échelle de la station expérimentale
ou de la parcelle). Un exemple de ces problèmes est celui de l'obtention de données
sur l'ETP (Evapotranspiration potentielle) ou de la perte en terre par érosion
(RUSLE) ou pour le calcul des écoulements (TOPMODEL). Ces modèles
perfectionnés ne sont pas utilisables en pratique pour un projet de dimension
modeste, et fournissent le plus souvent un degré de précision qui n'est pas utile pour
le problème posé. La tentation est donc grande de substituer à ces modèles des
modèles plus ou moins grossiers, qualitatifs ou semi-quantitatifs dont la validité et la
pertinence restent parfois douteuses, faute de validation terrain que l'équipe
technique n'a pas le temps ou n'est pas en mesure de mener. A la décharge des
gestionnaires, il faut dire qu'il est difficile de mobiliser des équipes scientifiques sur
de tels projets, et plus encore des financements, pour obtenir des résultats moins
précis que ceux obtenus par les macro-projets scientifiques financés au niveau
international. A ces modèles "rustiques" seront pendant longtemps associées des
opérations de sélection, d’agrégation, de hiérarchisation dont la validation se fera à
dire d’expert, et par des contrôles terrain dont la pertinence fera toujours débat et
pourra toujours faire l'objet de critiques. On voit là l'une des brèches dans lesquelles
ne manquent pas de s'engouffrer des opposants à un projet en contestant au cours des
débats à partir d'arguments scientifiques, la validité du travail de modélisation et de
diagnostic effectué en amont.
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Par ailleurs, dans une opération concertée, il est souhaitable que les modèles
explicatifs, qu’ils soient fournis par des scientifiques ou par des experts, ou bien
produits collectivement avec les acteurs, soient validés à chaque étape. Plus un
modèle est complexe, plus il peut générer, soit des réserves et des critiques, soit une
adhésion non réfléchie de la part des acteurs. Il risque dans les deux cas de conduire
au sentiment que tout est programmé et que les acteurs n’ont plus leur place dans le
jeu de la décision. Les scénarios construits autour des notions de sensibilité ou de
potentialité sont souvent plus facilement compréhensibles par les acteurs que ceux
mettant en œuvre des modèles quantitatifs complexes. Or, dans les approches qui
nous intéressent ici, l’objectif est souvent moins la véracité de la simulation que la
réflexion commune qu’acteurs et experts produisent ensemble sur le problème posé.

Si le couplage des S.I.G. avec des outils de modélisation est une voie
indispensable [THE 96], l’amélioration des outils de la planification écologique est

 expliciter soigneusement les modèles de combinaison ;


un objectif aussi important. Plusieurs pistes peuvent être proposées :

 distinguer les impacts et les aptitudes usage par usage et se servir des résultats

 établir des procédures pour valider les analyses de potentialité/sensibilité sur le


intermédiaires dans les négociations entre acteurs ;

terrain par la confrontation avec des états de référence obtenus de manière


séparée.

Pour cela, il est nécessaire de disposer d’outils d’analyse multicritères permettant


des classifications, combinaisons et pondérations thématiques qui puissent servir
comme support d’une évaluation collective. Le logiciel Idrisi propose déjà ce type
d’outil. De nouveaux modules semblent maintenant proposés sur des logiciels plus
courants dans le domaine de la gestion [BRA 97].

Les démarches combinant modèles, simulations, et analyse de


potentialité/sensibilité seront de plus en plus courantes. Nous serons donc longtemps
confrontés à une hétérogénéité des méthodes et outils d’analyse à mobiliser dans un
projet. Un des travaux urgents est de réfléchir à un mode d’emploi de cette
hétérogénéité.

4.3. Le phasage des projets

Le caractère itératif et récursif de la démarche est apparu clairement dans


l’expérience de Viscomtat. Dans la plupart des cas, les cartes produites après analyse
et présentées aux acteurs conduisent à une nouvelle réflexion sur la construction du
modèle de croisement de données, à une remise en cause d’un certain nombre de
paramètres et peuvent ramener à une étape précédente, voire à une nouvelle collecte
d’informations afin d’intégrer des paramètres nouveaux dans le modèle explicatif.
Une démarche de gestion territoriale nécessite donc une série d’allers et retours. Elle
Volume 8. (n°3/1998): 92-104 13

doit être récursive tout en s’intégrant dans une démarche de planification linéaire...
Ce n’est pas la moindre de ses difficultés.

Deffontaines, Lardon et al. [DEF 94] distinguent cinq étapes (fig.1) dans la
construction de ce qu’ils appellent un itinéraire cartographique : la préparation des
données, la collecte de l’information, le traitement de cette information par sélection
et combinaison, l’analyse par application de modèles et la restitution sous forme de
cartes.

Figure 1. Les 5 étapes d'un itinéraire cartographique selon Deffontaines et


Lardon [DEF 94].
14 Revue Internationale de Géomatique

Etlicher et Bessenay (ETL 1996] distinguent eux trois grandes phases dans la
gestion d'un projet de S.I.G. environnemental (fig.2): la constitution de la base
d’information, l’analyse et le diagnostic, et la phase d'aide à la décision et de
simulation de scénarios. Cette approche n'est pas contradictoire avec la précédente
puisqu'elle décrit le processus d'ensemble du déroulement d'un projet qui peut,
compte tenu du nombre d'acteurs engagés, s'échelonner sur une durée de plusieurs
mois, voire plusieurs années.

Base d’Information
Modèles de croisement
Numérisation
Information de données : - simples Information
Scanning
primaire - statistiques secondaire
Importation
- analytiques

Analyse
Pondération Sensibilité
Définition des : Modèles de
- facteurs croisement de
- contraintes données Potentialité
Croisements (overlay)
Pondération
Aide à la Décision des facteurs

Allocation de
Définition Modèles de l’espace
des croisement de
objectifs données Scénarios

Figure 2. Les trois phases d'un projet de SIG environnemental d’après


Etlicher et Bessenay

A chacun des moments de ces trois phases qui conduisent à l'élaboration de


documents cartographiques, se déroule l'itinéraire cartographique décrit par
Deffontaines et Lardon. Mais l'importance des diverses étapes varie selon la phase
d'avancement du projet dans laquelle on se situe. Lors de la constitution de la base
d'information, l'essentiel du travail est le rassemblement des cartes ressources, la
collecte et, éventuellement, le traitement et la restitution. Les étapes " traiter" et
"analyser" (fig.1) sont consacrées à l’adaptation des documents ressources au
problème posé, pour les simplifier si nécessaire et les rendre compréhensibles au
non-spécialiste, éventuellement les compléter ou les combiner afin d’obtenir ce que
nous avons appelé des informations secondaires ou déduites, indispensables, comme
cela a été fait dans le S.I.G. Hautes Chaumes avec la production d'une carte des
Volume 8. (n°3/1998): 92-104 15

zones humides, à partir de critères hydrologiques, botaniques, et topographiques


[ETL 93]. La restitution cartographique reste évidemment l'étape ultime.

Dans la deuxième phase, l'analyse de sensibilité ou de potentialité, l'étape de la


collecte est largement simplifiée par le travail antérieur, puisqu'il s'agit de construire
un modèle de sensibilité à partir des cartes produites dans la phase précédente.
L'opération essentielle est ici le traitement, la combinaison et la construction des
modèles permettant la restitution de documents qui vont alimenter le débat sur la
prise de décision.

Enfin pour la dernière phase, celle de la gestion de scénarios et de la simulation


pour l'aide à la décision, l'étape essentielle est la sélection des données dont on
cherche à tester les conséquences ou les effets, constituant les hypothèses ou les
projets traduisant une volonté politique et dont l'objet est de susciter les débats et
discussions.

Le déroulement de projet que propose Steinitz [STE 93] pour la gestion du


paysage, mais que l’on pourrait étendre à la gestion environnementale des territoires
[JOL 96], se veut encore plus précis. Entre la collecte des données et la décision six
étapes (ou modèles) sont distinguées : 1) le modèle de représentation (décrire les
objets) ; 2. le modèle de fonctionnement (décrire le fonctionnement du système et les
relations entre les éléments) ; 3. le modèle d’évaluation (évaluer la situation
actuelle), 4. le modèle de changement (estimer comment, où et par quelles actions le
réel peut changer, 5. le modèle d’impact (simuler l’action des changements) ; 6. le
modèle de décision (évaluer le résultat des évolutions possibles). Cette approche
systémique est ambitieuse. Elle nécessite de disposer de nombreux modèles
décrivant les processus, ce qui est rarement le cas. Elle est plus difficilement
adaptable dans les cas nombreux, où il est nécessaire de travailler de manière plus
agrégée, selon une approche potentialité/sensibilité. Une des originalités de
l’approche de Steinitz est qu’elle intègre explicitement le caractère récursif d’une
telle démarche en la formalisant. Pour lui, il faut parcourir trois fois les séquences
présentées ci-dessus dans la vie du projet, de manière à déterminer en commun avec
les partenaires les questions à traiter, avant de rassembler l’information et les
modèles pour y répondre.

4.4. La participation des acteurs

Le déroulement des séquences qui vient d'être exposé renvoie à la même question
centrale: il faut que les acteurs ou les partenaires de l’opération de gestion
environnementale trouvent place dans celle-ci. Outre les acteurs "politiques"
représentant la société - y compris la sphère associative, les "techniciens" doivent
participer à la totalité de la démarche, qu'ils soient "scientifiques " ou "experts",
encore que ce dernier vocable puisse recouvrir à la fois des scientifiques requis pour
travailler ponctuellement sur le dossier et des administratifs représentant les
16 Revue Internationale de Géomatique

organismes, agences ou administrations, partenaires du projet et dont on ne sait pas


toujours très bien si le point de vue qu'ils défendent est un point de vue d'expert
indépendant de celui de la structure dont ils font partie. Dans ce dernier cas, leur rôle
est alors difficile à distinguer de celui des "politiques" représentant tel ou tel groupe
de pression (association ou syndicat).

4.4.1. La nécessité d’une démarche partagée.


Dans une démarche concertée, il est important de ne pas démarrer a priori sur un
problème identifié par un seul des partenaires, que ce soit le gestionnaire principal
ou l’équipe des scientifiques. Les deux expériences présentées ici ne se sont pas
placées dans les conditions idéales de ce point de vue pour des raisons différentes.
Dans les Hautes Chaumes, le système d’information a été construit autour d’un
questionnement limité d’origine scientifique. A la date de mise en route du projet
(1989), ces méthodes de gestion partagée étaient encore assez peu pratiquées, au
moins au sein des Parcs, et l'un des buts de l'équipe scientifique était de sensibiliser
les gestionnaires des Parcs à l'intérêt d'utiliser les SIG. Il est clair qu'aujourd'hui une
démarche concertée s'imposerait dès le début. A Viscomtat, la question de
l’enrésinement était déjà portée par le P.N.R. du Livradois-Forez, même si elle était
relayée par des acteurs plus locaux. Or il est fondamental dans une démarche de
gestion territoriale de l’environnement de construire le problème avec les partenaires
eux-mêmes, car la question qui apparaît initialement au gestionnaire de l’espace,
peut cacher un problème plus complexe ou plus conflictuel. Dans le cas de
Viscomtat, la question initiale du boisement a conduit à poser le problème du
devenir de l’agriculture et des stratégies spatiales des exploitations modernes,
questions impossibles à traiter sans procéder à une nouvelle collecte d’information.
Dans une démarche concertée, le système d’information doit être constitué
spécifiquement, afin d’expliciter pour tous les partenaires le système d’interprétation
qui fondera les décisions.

4.4.2. Faire évoluer les procédures

Dans tous les cas, il faut intégrer l'ensemble des acteurs le plus en amont possible
dans la concertation [ETL 96]. La pratique française actuelle, semble-t-il largement
inspirée des procédures réglementaires, traduit le poids des administrations et des
pratiques centralisatrices. Elle consiste, le plus souvent, à confier aux "experts", en
d'autres termes à l'administration ou aux bureaux d'études, le soin de préparer la
collecte des données et le diagnostic pour livrer au débat public des scénarios ou des
propositions alternatives en fin d'étude et limiter à cette phase l'intervention des
acteurs "politiques" au sens large, c'est-à-dire exprimant le ou les projets de la
société, qu'ils soient élus ou qu’ils représentent des groupes de pression reconnus. En
cela, la pratique reconduit de manière caricaturale les procédures réglementairement
fixées lors des études d'impact ou des grands projets d'infrastructure, alors qu'au
contraire il conviendrait de suggérer une démarche plus conforme aux pratiques
américaines. On peut considérer que la phase de la constitution de la base
Volume 8. (n°3/1998): 92-104 17

d’information (cf. fig. 2) reste, pour l'essentiel, du ressort du "technicien" expert et


scientifique. Encore est-il nécessaire de disposer dans le système d’une description
des usages de la ressource et de l’espace par les différents acteurs, qui ne peut
s’obtenir que par enquête et concertation [BAR 96]. Mais la responsabilité de
l’analyse nous semble impérativement devoir être partagée entre le "technicien"
et le "politique": dès cette étape, le choix des indicateurs de sensibilité, les modalités
de croisement des données doivent être explicités et faire l'objet d'un assentiment qui
ne peut pas seulement être celui des "experts" mais qui doit engager l'ensemble des
acteurs. La sérénité du débat a tout à y gagner, d'autant qu'à ce stade du projet, les
conclusions ne sont pas encore connues et que les prises de position ont moins de
chances d'être influencées par les intérêts particuliers. Il est d'autre part plus
commode de mettre ensuite en lumière d'éventuelles contradictions dans les discours
au cours des différentes phases du projet... Quant à la phase de l'aide à la décision,
elle mobilise le "technicien" sous l’égide du "politique" à qui il revient de fixer les
hypothèses à retenir et leurs conditions de mise en oeuvre. La complexité et le
caractère très technique des manipulations de données sont certes un obstacle réel à
la mise en place de ces procédures, mais ils doivent être surmontés impérativement
pour réussir à faire partager la démarche.
18 Revue Internationale de Géomatique

4.4.3. Adapter les outils de représentation

Dans les projets classiques les documents cartographiques sont de deux types :
les documents à destination interne d’une part, utilisés pour contrôler les erreurs,
pour se repérer lors de la collecte de données, et pour tester de manière exploratoire
des analyses, des combinaisons ou des simulations ; les documents destinés à
l’extérieur, qui prennent la forme de cartes thématiques papier plus ou moins
complexes et synthétiques et auxquels sont souvent réservés des traitements
spécifiques, dits de communication, repoussés à la fin du projet.

Or la dimension concertée de la gestion environnementale conduit à entrelacer


de manière continue documents internes et externes. La participation de partenaires
plus tôt dans le projet, dès la mise au point du système d’interprétation, oblige à
privilégier une stratégie plus souple et plus diversifiée de production cartographique.

Comme on l’a vu dans le cas de Viscomtat, c’est souvent aux acteurs eux-mêmes
de localiser des phénomènes ou des problèmes spécifiques. Il peut être plus
intéressant de travailler avec des orthophotoplans numériques qu'avec des plans
cadastraux ou des cartes topographiques. Les plans cadastraux biaisent souvent la
perception en plaçant les acteurs d’emblée dans une problématique foncière, et la
carte topographique apparaît trop abstraite et trop imprécise. La photographie
aérienne présente une vue analogique du terrain et des milieux beaucoup plus riche
et beaucoup plus parlante pour les interlocuteurs. Drapée sur le M.N.T., elle peut
aider certaines personnes à mieux se localiser ou à mieux percevoir certaines
situations topographiques.

La nécessité d’une communication continue impose de disposer dans le S.I.G.


d’outils de cartographie corrects du point de vue sémiologique, simples et rapides à
utiliser car il n’est plus possible de confier à un infographiste ou à un bureau de
dessin l’ensemble des documents qui circulent entre les acteurs, et qui font l’objet,
durant la négociation, de multiples versions. Par ailleurs, la carte n’est pas toujours
le média adéquat pour communiquer l’information. Dans les approches paysagères,
les vues reconstituées, les photographies aériennes en perspective peuvent être plus
facilement lisibles et présentent le territoire de manière moins abstraite. Il faudra
disposer de plus en plus de modes variés de communication. Les limites des outils
graphiques proposés dans la plupart des logiciels de S.I.G. sont préjudiciables au
bon déroulement des projets de gestion concertée.

On peut s’attendre par ailleurs dans les années qui viennent à des
bouleversements dans les modes de gestion de l’information.. Avec la baisse du coût
des matériels, la diffusion des logiciels et le développement de l’Internet, on peut
maintenant envisager que les acteurs consultent à distance l’information contenue
dans le système. Cela peut se faire sous forme de requêtes, de combinaisons, voire de
simulations effectuées soit avant, soit pendant les réunions de négociation. Les
modes de navigation dans les bases de données à référence spatiales adaptés à des
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utilisateurs non spécialistes sont encore à inventer. Ils pourraient permettre à terme
aux différents partenaires de produire de manière autonome leur propre « itinéraire
cartographique », avant de le confronter à celui des autres. La gestion du temps du
projet et les procédures de représentation pourraient alors se trouver bouleversées.

5. Conclusion

L'enseignement des deux expériences met en lumière les contraintes apparues au


cours du déroulement d’un projet de gestion environnementale d’un territoire.
Celles-ci semblent inhérentes à tout projet de gestion concertée, quels que soient son
objectif et son domaine d'application. On peut citer : l'exigence de faire partager le
processus par l'ensemble des acteurs et de définir clairement les responsabilités et les
fonctions du "technique" et du "politique" au cours du déroulement de la procédure ;
la nécessité d’associer le plus loin en amont les "politiques" aux divers choix qui
auront une grande influence sur le résultat des analyses. Plus spécifiquement liés à
l'utilisation des S.I.G., nous avons retenu l'obstacle à la communication que constitue
la dimension technologique des outils et le caractère abstrait des méthodes S.I.G. qui
risquent de couper les experts des acteurs. On peut aussi remarquer que les
validations terrain des analyses peuvent avoir tendance à être oubliées, vu la
puissance de l’outil mais surtout le caractère coûteux en temps de ces validations. La
capacité combinatoire des outils peut aussi amener à estimer des paramètres à partir
de données insuffisantes ou peu adéquates, plutôt que de procéder à une collecte de
nouvelles données, toujours plus longue et onéreuse. L’approche spatialisante peut
enfin devenir hégémonique. On assiste parfois à une tendance à spatialiser à tout prix
des phénomènes qui ne sont guère spatialisables, à oublier des distances sociales et
culturelles et à tout rapporter à des distances physiques (euclidiennes ou non).

Tous ces risques ne sont pas spécifiquement liés aux outils S.I.G.. On les
retrouve à des degrés divers dans la gestion de tout projet environnemental. Ils
renvoient aux règles de base d’une démarche scientifique ou d’expertise
normalement conduite. Ils sont toutefois rendus plus prégnants par leur convergence
dans un outil généraliste et unique qui fait, selon la phrase devenue célèbre, que
«quand on dispose d’un marteau, tous les problèmes deviennent des clous» et par le
fait que le caractère concerté de la gestion, soumet les concepteurs du S.I.G. à une
pression continue, plus ou moins accentuée, de la part des acteurs.

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